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| magazine facet autem Teeetomaomtccmnnceca ‘Mona vasas sonore “omereossezso Eau ragtoncseioe Siesta ue, 206 penance Soxoasamancos, ‘Seven cometbins a vest iehgiogeee ere con re 68) Vigra ‘entre ‘enh Bmamine ee con ano: Cioran 270) arcing ree tee (360) ‘neon rn Ditsenetrmetn Aan pte 1 ‘shsonBeesann en ssn iano sot 229) ‘european araron semné Jean-Jacques Sempé, AitSempé, est né en 1932 ‘Bordeau commence sa crite de desinateut humoristique dans lapresstouten cffectuont son service militaire. Desa in des ‘années 1950, i collabore ‘plus prestsieuses publications rangle, mals aus! amerieines, ome le New Yorker. Sempé est uss auteur, avec René Goseinny, deshistoires su Pete Nicolas, (2) Le Sacrede trian Fvenement dn powsosr ‘sprue laiue dans ta France moderne, Paul Béyichow, Gallimard NE 1996, le vertige métaphysique, etre et lenon- étre, immanenceet la transcendance, ramené aux dimensions de existence matérielleet des aléas de la vie sociale, Divorce inconsolable, nostalgie d'un monde bientot privé des secoursdeVenchantement, de la croyance, du merveilleux des miracles et de la stabilité de univers, homme est seul, et souvent il est béte, enfermé dans sa condition. animal social, entre comédie et reves de pus sance. Béte, comme une bete. Encore que es bétes n’encourent pasle repro- che d'une manire inadéquate d’étre au monde. Les hommes, si. Les moralistes frangais du xvul si¢cle, La Rochefoucauld ou La Bruyére, iis, ne désignent pas explicitementla bétiseentant quettelle (au.contraire de PascaD, niontdecesse dedénoncerlafaiblesse ete ridiculedelacréa- ture sociale, Ambitions dérisoires, orgueil et vanité, échec de lamour. Lair de la cour est si vicié, selon La Bruy@re, la macération des intri- gues yestsi fétide, lacomédie socialesipesante, 4quion ne réve que d’en partir; pourtant cesta quill faut etre, car ailleurs on nexiste pas, La Rochefoucauld enferme la créature humaine dans des maximes qui épinglent comme des Papillons dans ses faiblesses, ses insulfisances etses duplicités. Etbien sila bétise montreson vrai visage, quila rend siembarrassante:« IIn'y apointde sots slincommodes que ceuxqui ont de esprit.» Car la bétise, cela commence a se woir, nest pas toujours le contraire de intel igence. La bétise ne se confond pas avec l'ab- sence de faculté 'entendement, hélas,ceserait trop simple. Tous les imbéciles ne sont pas des idiots. Voila pourquoia bétise ne s'ébat jamais mieuxque danslegenrelittéraire contemporain sonavénement, danslaconscience désormais critique de homme occidental: le roman. «La bétise n'est pas mon fort, dit M, Teste Voila sans doute pourquoi Paul Valéry nest pas romancier, Car il faut pour écrire des romans quitter lempyrée des idées pures et secolleter “SP WH LL Ala glu du monde. Seule Tinfinie plasticité roman, genre de tous les possibles, qui qu tonne sans répondre et expose les vérit contradictoires, répond a Vinfini vertige de| bétisehumaine. Eten dressedepuisquatres cles le bilan consternant. « La betise des ge est d'avoir une réponse & tout, constate Mi Kundera dans LArt due roman; intelligence roman est d’avoir une question a tout, » D Quichotte, sortant de chez luiet des brumes: ses réves chevaleresques pour affronterlar lisédumonde,nfestencore qu'un admirablefa Maisleroman picaresque, lescontes de Volta enorme entreprise balzacienne, nous livre les clefs d'un monde md par des passions ou idées qui précipitentlasociété verssaperte:k hommes pensentde travers, leurs ambitions sont que le travail insidieux de la mort. Charbovari. jusqu’a Flaubert, chez qui l conscience de la Betise sélbve tla dimensi une quasi-métaphysique, tout a fls pas vit6 et force en marche. Sartre: «Labétise, sya tase passive, c'estlaplénitude,cestVétre, Ces ordre aussi. Ou du moins, c'est unordre: ce quis‘impose du dehors, emprisonnant chac dans un corset de cérémonies, (J Flaube nnystifié,contemple dansla stupeurce bloc com pect, dune seule coulée, quis'estformé cont Iuiet quitetient encore, dans son inerte cohéf sion, cles significations humaines en voted pétrification. » Dans le roman, de Mada Bovary’ Bowardet Pécuchet,cela donne une deslieuxfascinédelabétisehumaine,jusqu' projet dément et inachevé du Dictionnaire d ‘des reques. La bétise du pharmacien Homa ne se compare pas i celle de Féicité, héroin Un cezur simple. La betise de Félicité est cel Dessin de Sempé dans Histoiresindtes du Pei [NcolsdeGoscinnyet siecle », grogne Léon Bloy,etilajoute, 4 propos SSempé {mavéitions). du petitrépertoiredes ocutions patrimoniales & Les grands estsouvent comme ga.» qu'utilise le bourgeois: « Ah! si o était assez béni pour lui ravir o humble trésor, un paradisiaqu silence tomberait aussitét sur not globe consolé a» Un sport national. 11 existe bien si des comportements betes. Mais cé dansles discours quella bétise ses sit, par eux qu'on en fait Vinventai Cenvest pas sicompliqué: parexemy on peut, dans une soirée mondains Sasseoir dans un fauteuil a oreill placé dans entrée, un verre de cham, Pagne ala main. Vienne, années qua ‘tre-vingt. Dans le roman de Thome Bernhard, Des arbres abate oi narrateur écoute les convives du} diner artistique auquel il sest rendu} et reléve passionnément leurs bets ses, touten se demandant commen ilapuetreassez abject pour accept Vinvitation de gens-~ pseudo-artistes et grands prétentieux—qu‘ilhait depuis trente ans et quil avait dailleurs laissé tomber, D'ailleurs, ces peut-étrela inconvénient de attitude de im précateur: pris comme illest, dans son irrta ton hargneuse, etsaufa vouloirse faire passer Pour un saint ~ posture évidemment ridicule ~ilest bien oblige de se prétendre aussi abject que les autres: c'est sa rhétorique qui loblige ‘Mais peut-étre aussi la nature « nationale » de la bétise décrite. Cette Autriche qui na pas accompli son travail de mémoire ne peut que ‘mentir, se mentir, et produire un discours fos silisé que Bernhard assimile a dela betise. ‘Thomas Bernhard accuse et c'est tout un pays qui semble irrémédiablement pourri. Ine fait as précisément d'inventaire. Philippe Muray si, Tout son travail de sape contre la bétise est dlabord analyse de discours, Danse Paris dela fin dusiécle,ilentend par exemple loge dela fete, Ouun réquisitoire contreles- phobes. Tout Un monde dans ces mots. Toute tine philoso- phie (@ la petite semaine mais envahissante) Dans ses Exorcismes spiricuels a), analysant Yépoque, Philippe Muray analyse le lexique de labétise,etdu coup, aujourd'hui, certains mots sont définitivement déchus, comme fesif,dont flatiré Homo festivus. Carla encore, il sagissait ourluidesebattrecontrela (novjlangue. lest donc entré dans arene et ila retourné contre labétiseses propresarmes, les mots, etles siens sontsi comiques, si inventifs et sijustes, qu’ils épinglent a jamais ce temps, le ndtre: rebello. graphesappointés, mutinsde Panurge, enviedu énal, militantisme compassionnel On dira que Muray ou Bernhard étaient des hommes en coléze, Mais tous létaient plus ou ‘moins qui ont parlé de la betise, car elle est Brande violence contre esprit. Pascal pose exactement e probléme: « D’siivient qu'un boi- teuxnenousirrite past un esprit boiteuxnous inrite? A cause qu'un boiteux reconnaft que nousallons droit et qu'un esprit boiteuxditque Cestnousqui boitons. Sanscelanousen aurions pitiéetnon colére ).» Carcen'est pas tant que ous détestions voir un étremalbéti, au physi- Que ou au moral (le simple n'éveille pas notre colére), mais c'est que esprit sot ne reste pas silencieux: il s'adresse & nous et plus encore, {nous met en accusation. Rien de plus fervent que la bétise, de plus avide de prosélytisme: la betise fait toujours notre proces et veut nous convainere. Ecoutons-la aujourd'hui chercher ‘nous persuader que les méchants Réaction- naires sont partout, que la Censure aux mille bras nous guette a chaque instant, que tout jugement estrelatifetc’est pourquoiil faut pro- ‘mouvoir ad nauseam Mol-Moi... Et quon ne dise pas le contraire ou bien l'on sera, d'une fagonou d'une autre, puni. Combattre la bétise, sur tous les fronts. C’est Pourquoi il ne faut surtout pas faire comme Saint Polycarpe (mort martyr en 197), qui se plaignait: « Ah! Mon Dieu, dans quel sigcle miavez-vous fait naitre », et dont Flaubert Taconte @ Louise Colet quill disait cela «en se bouchantes orelles et en s’enfuyant 6». Ine faut pas se sauver. Lirritation devant la bétise doit incitera prendre des mesures, c'est-a-dire notamment @ la décrire pour la dénoncer (car dans son cas, la description vaut toujours dénonciation). Parce quelle est péremptoire, réductrice etcontentedelle ilfautdonclacom. battre, cest-aldire dénoncer sa phraséologie. Uinintelligence demeure le plus souvent silencieuse et coite. Tandis que la bétise, elle, est interventionniste. (nPostscriptum ay “Réel etson double in LeRéel, Traltéde dite, Clement Rosset, de Minut, 2004. (2) Bxdgce des ews ‘cammuns (190), Léon Boy 6d PayotetRivages, 2008, (0) Desarbrec abate, Thomas Bernharg, 4 Gallimard, 1967 (8) Bxorctomespritues, ‘Gyol) Philippe Mursy, 6d. Les Belles Lettres, 1887, 1888, 2002. (5) Ponsée«Ralsons des fees» Pascal, 4. Gallimard, Peiade, 2.57, (6) Corespondance, aot 1853, Faubery, Conard ep. 944. (1 Bedgise desler ‘commun Léon Bloy, op. ci; Exige dee ouvecus is communs, Jacques Ellul Calmana-Lévy 1966; Pit lexique dea bitse sctulle~ Exige des Tus communs Faujourdu, Chetan Godin, 6 du Temps, 2007, (a) Et op. cle, p12, (9) Godin op cits p LA BETISE Une de ses manifestationsles plustemarqua- bles estlaproduction de lieuxcommuns. Cette forme typique du verbe béte varie suffisam. ‘ment dans ses réalisations pour que chaque tentative de fanalyser doive repartir de 2éro, Ge quiontfait d'abord Léon Bloy en 1901, puis Jacques Ellul en 1966 et Christian Godin en 2007 0), Mais le tout premier qui fit une sorte dexé- bse des lieux communs s'appelait Descartes, Le plus tonique peut-etre, Récusant les puéri- lités intellectuelles et les idées recues de son temps, il proposa une méthode pour purifier Tespritetlui permettrede sortirde laconfusion, Pour atteindrela liberté, Ladémarche nous fut salutaire, T1y eut ensuite cette fameuse colére chez Bloy, sonmordantetsajouissancedel'acrimonie, pour dénoncer le bourgeois sar de la pérennité de sa fortune et de sa morale, sa bonne conscience Jaminant la réalité et suffisammment hypocrite pour détourner le sens profond des paroles de VEvangile efin de justifier sa morale douteuse En 1966, les temps avaient si profondé- ‘mentchangé que ac- «ques Ellul se vit dans la nécessité d'écrire unenouvelleexégese, etilysoulignait— deja =un nouveau méca- nisme de abétiseintelligente appeléa fairelong feu: attaquervivement des ieux communs pér ‘més, pour se payer la satisfaction d’avoir lair audacieux tout en ne renversant plus aucune croyance actuelle. Car étrangement,ceslucides ne voient pas es lux communs d'aujourd’hui, guiplusest sles épetentaenvita», Comment se forgelle lieu commun dansla seconde moitié duxx* siecle, demande Ellul? Dansson premier état ilestdoctrine ouexplication eréée,non plus par les bourgeois, mais parles intellectuels; le souci de sa diffusion oblige vite a réduire cette penséenouvelle,lasimplifier,asupprimerses ‘nuances: lavoicirendueason nouvel étatdellieu commun, véritéd'évidence quia pourelleapré- sent la foree du nombre. On ne discute pas! Et ‘on ne pense pas, insiste aujourd'hui Christian Godin, carle lieu commun a dabord un usage erformatif, lest une ction: celui quile réper- cute « se donnela force imaginairede la société dont il fait partie et dont le lieu commun est Véquivalentsymbolique(s)». Dansles lieuxcom- ‘muns quiil analyse finement, plus de superbe, ‘ais une recherche de bouées pour essayer de comprendre la réalité confuse. Possibled ailleurs quela complexité dumonde nous rende deplusen plusbéte. Chacun denous est susceptible, de temps en temps, d’anonner le parler béte. Pas de meilleur remade que d'exercerson oreille 2 reconnaitre ses sonorités Danales. DOSSIER DOSSIER | LA BET ISE La bétise n’est pas le contraire de I'intelligence. Au contraire, elle sen en figeant les formes et les concepts. Uidiotie, libre, imprévisible et é pant @ tout bon sens, apparait ainsi comme un antidote efficace. Lidiotie: larme contre par Valérie Deshouligres* « *Valétie Deshoulléres est motte de conferences cenlittéature comparée ‘univrsité de Cermont- Ferrondl Ele est auteur {Don dot entre tiqueet secret depuis Dostoevst, La Responsobilté sllenceus, (64. armatten, 2003) et Métamorphoses eit (6. Kincksec, 2008) (9 LeRéel—aeé de Pattie, Clement Rosset, "de Minuit, 1986. (0) La Baise en son jardin, Bernard Fauconner, |e Thani, 1994 fatale la bétise? aractéreessentieldel'idiot. Mal- trise de soi par orgueil (non par sens moral) et permissivité furieuse [| I aurait puatteindre la monstruosité, mais l'amour le sauve. Il se pénétredela plusprofondedescompassionset pardonne les fautes |...] En échange, acquiert danssondéveloppementuntréshautsensmoral et accomplit un exploit » (Dostolevski, LIdiot, roman préparatoire). Le prince Mychkine a eut-étre une santé fragile, nous laisse enten- dresoncréateur, cen’est pourtantpas un imi cile. De méme, on ne saurait faire deTidiot un simplereprésentantdumessianismerusse.Qui est il? Tenter derépondreacette question exige quo appréhendeson comportementhors des parentéstypologiques. Dereprendre, parexem: ple, pourmieuxcomprendre ses ambiguités, le ‘mot que Platon appliquaita Socrate: Mychkine est moins «illuminé » qu’e atopique », c'est: a-dire imprévu et imprévisible. En proie aux contradictions. Le prince agace la société par son esprit embué et a sidére par sa lucidité, Un monstre quine dort jamais. Dans son post- scriptum au «réel et son double », Clément Rosset ti, prenant Yexemple désormais canoni- que des explorations scientifiques farcesques de Bouvard etPécuchet, conteste assimilating quentedeT'inimtelligence lasottse, Le cen son analyse est constitué parla distinctiog opere entre « sottise négative» et «sottise tive», «Ne pas comprendre» et « tre stig sont, comme ille souligne, deux choses bie férentes: « La premibre désigne seulement non-compréhension, une inintelligence certaine chose: elle nimplique aucune ‘aucune intervention de esprit (J; elle es passivité. La seconde désigne, au contraies vité et interventionnisme: elle ne consist du tout a ne pas comprendre quelque ci maisa tirerde son propre fonds quelque tache absurdes auxquelles elle entrepreng se dévouer corps et Ame; elle est pure activité. » La sottise, onTaura compris, est semblableala betise: ellene dortjamais. Et Histoire s'en repatt les réves d’absolu se transforment sous sonimpulsion en déli- res fascisants, dessinateu d’rumau La bétise Ie recon- _publié depuis 57 ji le Pont, Psychote nait d'ailleurs elle- ‘cdame méme dans la proso- ce dessnestext popée que Ini fait son album yrononcer Bernard _tiomphe toujours proneaces,cernard Cherche Mid, 2 Fauconnier (2): «Je ‘ suis la force qui va. Jesuisténergieetfen- thousiasme,T'aveugle- ‘mentborné,lesidéaux porteurs de ruines et de massacres. » auteur du Traité de Vio celui de La Bétise en son jardin s'accordent ce point: ce qui rend la bétise diabolique¢ quellenes‘oppose pasa intelligence. Pre stensert. Montaigne, Voltaire, Flaubert, Prod Kafka, Musil, qui furent a deux doigts de « faireson affaire », Yontmontré: chaque fo ‘intelligence secréte une forme de betised lui correspond intimement. On ne trouved M, Homais, autrement dit, exclusivement pharmacie. Quiconque accorde trop de cr aux qualités censées le constituer, qu'il inculte ou lettré, lui resemble, Voila q complique singuligrementleschémaqui Son prochain a preva autores LA BETISE VUE PAR VOUTCH - Mais voyons, Eudes, réfléchis, Ga ne peut pas étre un mouton : le mouton est frisé, rose, avec une petite queue en tire-bouchon, i man LA BETISE VUE PAR HONORE ® consistaita envisagerhomme simpleet le bourgeois dépourvus d'intelligence, placés sous la domination de Fartiste ou du penseur pour quiT'intelligence est tout. Un miroir dérangeant. Jean-Yves Jouannais Taproclamé avant nous et nous avons fait echo Asoncridalarme:labétise estpartoutet!'idio. tie nous fournirait la meilleure des armes pour Fempécher de nuire, La bétise est partout, pré- ciserons-nous, oitla Formeestidolatrée, c'est. dire oltle monde cessed'étre envisagéen termes de possibilités: quil s'agisse dela silhouette en litre dela Vénus de Milo mouléeades millions dexemplaires ou du serpent de mer de 'Tntelli- Bence érigéo en statue. Cest bien ce zéle pétri- flantqueT'idiotie doitdénonceren effet. Contre la croyance en la solidité des valeurs, des ido. logies et des caractéres, elle exposeses béances infamantesetses gesticulations histrionesques, Si tous les idiots, personnes réelles ou person. hages littéraires, ne sont pas épileptiques, tous tendentla société quiles regarde, al'nstar du brince Mychkine, un miroir dérangeant. Cest ourquoilesmouvements intellectuelsetartis- tiquesanticonformistes, des groupuscules boh? ‘mes qui, durant les années 1880-1890, secoud > HoNoRE Philippe Honore, ot Honore est né en 1941 lpuble son premier dessin de presse 016 ons, dans Sud-Duest. Ses collaborations Semultiplient dans les années 1970 avec Le Magazine itera, Le Monde, Ubértion. Aujourdui, tava Princpalement pour ‘harle Hebdo, Ure et Les lnrockuptbes, Dernier ouvrage paru Centrouveaus rus Itéraires (Arle, rent la vie parisienne: hydropathes, fu hirsutes et autres zutistes, aux perforns dévastatrices des habitants de Grola Canals, tous fréres ou héritiers de Nietzs ontfaitleurmarotte, Lexx*sidcle s'est bel dans une pensée de type déterministe, es coeur de cette «culture de l'eeil » prop: laufklarunget, en particulier, 4Goethe pou «tout ce qui estsubstantiel peut et doit étre Ble», las force » aucontraire,etla partd'in ‘mination quelle charrie, tendraita inquige La dette de Jean Paul envers Rousseau immense: le choix de son pseudonyme es ‘conséquence la plus visible de sa lecture VEmite, dont « "Esprit, afirme-til, a ébra ‘9s maisons d’école et purifié nos chamby denfants». Si Jean Paul fut Phumoriste Lumiéres, Rousseau en fut sans conteste id (lire aussi p. 42 de ce dossier) Starobinski avait déja notéa propos des, Jogues: lorsque Rousseau réflexion se penser - nommons-la idiotie ~et la capaci ever apparentons-la la création. Comme bétise envelopperait toute forme ayant ces d'étre en mouvement, I'idiotie serait lige! «sottise négative » commandant le portait de Verfant brossé dans Imilefinisse par trouve ‘sarémunération idéale dans la reverie postique Jean-Jacques etJean Paul, parconséquent, com, Drirent tres ot en leur siécle pédagogique qu ‘conduire la «formation » d'un étre son terme était toujours risquer de refermer sur lui la Coquille du monde. En eautres termes, que la notion méme de forme sous-entendait fatale ‘ment une cloture en contradiction avec la vie, voire avec la pensée. Georg Simmel () situera cette contradiction au ceeur dela tragédie dela culture moderne:laculture est par essence tra- ‘ique, en tant quelle se présente inéluctable- ‘ment comme une opposition entre la vie inces- sante et les euvres finies qu'elle produit. Une zone de résistance. Ce que Rousseaucom- ‘muniquesousle vocable d'idiotie », cet échange possible entre déficience mentale et trouble de Yame qui commande ses Dialogues, n'est pas ‘sans lien avec ce que Dostoievski cherchera & représenter a travers le prince Mychkine. De Rousseau 4 Dostolevski se nouerait donc dans laréférenceat'idiotie quelque chosed'essentiel: zonederésistancealaformeetaléducation,elle sert idéalement toute dénonciation de la subs- tantialit, dela stabilité des concepts, des mots etdesaspects, a laquellelanotion de Bildungest rattacher. Cestdanscettevoie« sans qualités » ‘Ques'engagerala création duxx*siécle, souvent Daptisé «le Siécle Mychkine », «interdiction de voirloin » formulée al'Ins- titut Benjamenta, oit Jakob von Gunten, 'anti- hhéros imaginé en 1909 par Robert Walser, grand lecteur de Dostotevski, applique adevenir« un ravissantzéro toutrond »,acondamnation par Jojo, le trentenaire idiot portant la parole de Gombrowicz.contrelabetise pédagogique dans Ferdydurke en 1937, les diatribes prononcées Par Ulrich, «homme sans qualités » musilien, Contre les formateurs qui croient & la solidité dus caractére » et la validité du « progres » se présentent comme autant de dénonciations arodiques de« 'homme-batisseur » goethéen tel que Bakhtine Ya décrit. En 1916, a Zurich, ‘Tristan Trara créaitle dadaisme pourexprimer son dégoat de la tendance moderne a adorer Fintelligence etacroireenJavenir, une croyance ayant mené a la Grosse Bétise de la Premigre Guerre mondiale. En 1959, Ginter Grass facon- nait Oskar Matzerath, lehéros de son roman Le Tambour, en nain hystérique, lui faisant battre Ja (dé)mesure contre toute manifestation de ferveur pédagogique: de l'amour de Vhoraire affiché par sa maitresse d’école obsession de 4a pureté guidant les défilés SA a Danzig. La Bétise en sa Prairie de Maia osé prendre 'uni- forme. Cest pour la défaire qu’Oskar joue du tambour. Et dans son jeu déboutonneé, il nous faut entendre cela: la récurrence dui motif de Ndiotie et du personnage deV'diotvalentsimul- tanémentcommetémoin dela monstruosité de Histoire et comme critique de a formation et de léducation dans le roman européen apres, 1945. Quand il n'y a plus que des formes, il n'y aplusde sens. (8) Lido Jean-Wes Jouannais, , Beaux-Arts, 2003. (4 Pitosophiede a moderns, Georg Simmel 64. Payor, LA BETISE Onze écrivains de la D&tiSe sersemnertevonner Voltaire ‘outle monde connoit Candide et Vineffable docteur Pangloss, experts nigologies». Mais Vol- est aussi plus desoixante ‘ans de combats contre le fana tisme et 'intolérance, couple infernalde asotisetriomphante «c.f »(€craseninféme) est lecride guerre qu’ilpousserégu- tire, litrement dans les mili de let- ‘VOLTAIRE ‘tes quil crv, sa vie durant, & commporonnce ses correspondants eurepéens. Son credo? « Leshommesne sont as encore assez sages: ils ne saventpas qu'fautséparertoute espécedereligiondetouteespace de gouvernement: quelareligon ‘ne doit pas plus étre une atfaire tat que a manibre de ‘aire la Cuisine » (aie Bertrand, mars 1765). Pour Voltaire, la sottise rend aussi la forme de Varbi ‘raire, de ignorance, et méme ‘efondation politique radicale: ‘ques, qui pit fort mal iron. =| ee ad © correspondance choise, £6, Le Pochothdque Marcel Proust Aa recherche du temps perdu n‘est pas seulement une ‘vaste médiation sure temps, lacréation, échec ne tablederanouroulesrémiicencesducteur.Cestausi un grand rman comique, qui rece une formidable —oleiede portraits mbécies mon. Proust doins etfortunés-lapireespacecar Du cu de cher Swann elle est sans excuse. Norpos, le dor: eine nee teurCottardetbiensOrlesVrduri, Prototypes de la tise snobinarde et grégaire, sfagitent sous les yeux un narrateur qui cisséque leurs comportement, leurs vanités, leur «ruauté. Danslessalonsproustens, ‘on pratique le meurtresocialaunom de codes tribaux qui se prennent our laforme la plushaute deci sation, ondisertesurle beaut carat: tes, on a sa migraine parce qu'un pianists joue trop bien ons tourt L Efoonise | mutt et on neva par ven © Uncmour de Swen, opocalps, logue letems u Inu cbté de cher Swann (193) 64. Fai, posse, lafinde toute chose. un des Joyeux de ce monument: Un amour de Swann, oi Proust raconte odyssée amoureuse et Fenfer du malheureux Swann qui manque moutir de . etaurximbéciles,lacapacitédebien user docelle uils ont. Onnaitidiot, eton devient imbecile, idiots, les crétins et les imbéc' “té de 'animalité, c'étaientles etlesbarbares. Ousimplement td’éducation,c’étaientles sots, 6 4 Der try souvent un 2 DSU Oe eee Cine een un homme de génie serait “e BULA kre Tea Srey pC Lon ea LA BETISE VUE PAR TIGNOUS rétins occuperaient-ils une place inter. ire entre Fhommeet animal? Les theo. écusent toute mise en causedelacou ure nette entre !animal ou la brute, doté aa atérielle,ethomme, pourvu mmortelle. Siles bar. * la cruauté des ani. du mot médioere est caractéristique de I tion desmentalités. Il désignaitun équilibre a /oureusemoyenne,etsemeta suggérer und initiative, un manque despri. mieuxd'une ame mi d'une ame spiritue! ares se conduisent ave ce sont bien des humains, tudes, violents. Les Grecsles ont tral bares parce quils étaient étrangers, une langue moins raffinée, donc, Pensaient moins bien. Mais les pro civilisation etles raffinements dela s loin d’étre uniquement positifs. La > ETIEWNE LécroaRt Néen 1960, ilcommence Score de desinateur tions de toiles, ‘muniquent les grandes ceuvres d'art, Dida estpourtantpris d'un doute,« Quelle différe dugénieetdusens commun, uille et de homme passione. Se condamne ala recherche incessante, i uiétude et aumalheur. Diderot, Sonnage pas tr8s malin d'une pitce de then contemporaine, M. Baliveau, pouren faire carnation dela routine, dubon ce Baliveau est droitcommeunarbre, entre lesa ‘eau qui n'est qu'une bache eta ne craint pas. « Heurewx, ‘Napublis dens ubérotion, ule Pont, pourleque! icontinue de tavaler ‘vjour’hu, Par leurs, essinge Potente), Aporaitre en septembre; {es elds de lo gouerile équilibre de vie, oublige des citadins oisifs Le ‘des idées entraine la complica- s.Les crétins courentau plaisir, iposent leurs désirs, et Bondes de sonnets tion des passions Sembarrassent.ils pas de contradictions lubles, ‘Bétes et brutes sont & leur place dans a tion, mais, pas se conduire en société, nfentend p Tecons, s'entéte. La encore, on peut ace catactére ou bien Yéducation, Lesot, aul seborner Anétrerien, veutétrequelque, aulieu d'écouter, il veut panier, et pour ae fait et nedit que des bétises. ne met cause les catégories de Vhumanité et dei malité, maisilgiche a vie en société et fa terdes progres de espace. Les uns sont »necomprend pas comment le fou pense, Quand on se méle de trop pensei de homme » Le prem rend un ns sans aude aliverne qu cent fois heureux, est M. Baliveauqui boitbien, quimange bien, ui digére bien, quidortbien. Cestluiquiprend son café le matin, qui fait la police au marché, ui pérore dans sa petite famille, qui arrondit sa fortune, qui préche aux enfants la fortune, quivend atemps sonavoineet son bié, qui garde dansson cellier des vins,jusqu’a ce que la gelée des vignes en ait amené la cherté, qui sat pla. cer sfirement ses fonds, qui se vante de n‘avoir Jamais été enveloppé dans aucune failit, qui vitignoré [..]» Etmourra ignoré, Ce bon bout. geois n'a que intelligence de ses intéréts, iI ne voit pas plus loin que son profit. C'est m animal borné son Le sicle se bat contre les entraves du commerce, Diderotquilareprend QUE Ce soit celui des idées Fame Neveu de ou bien celui des blés, engraissement. Liidée tient assez a Rameau. Cynique, le Neveune réve que de Viefacileetdejolies femmes, il récuselesinquié- ‘tudes dela création artistique. Moi, le philoso. he, défendles risques prisparartisteouléeri. Fain dont la quéte est souvent ruineuse pour lui-méme et pourles siens. Matérialisteausens plus faible du mot, le premier ne connait que le court terme. Matérialiste au sens noble, le second mise sur cette éternité relative quil ‘nomme la postérté. Entre un sot et un genie, gui choisir? Marchand de livres ou d'étoffes, le sotestbon homme, identifié&sa boutique, «fai. sant éguliérement tous les ans un enfant égi- time asa femme, bon mari, bonpere, bon oncle, bon voisin, honnéte commergant, et rien de Plus», alors que le créateur peut étre « fourbe, traitre, ambitieux, envieux, méchant », mais ¢réateur. Diderot choisitle créateur, carl colt a la perfectibilité de homme, a sa création continue parlui-méme. Lemaitre etle volet. La betise menace toujours dans la répétition, dans les pas remis dans les as précédents. Le progrés se risque dans la dlifférence, dans le tatonnement de la recher. che. Ainsi, dans Jacques le Fataliste, le maitre deJacques, régiécomme la montrea son gous. set, devientle valet deson valet qui, lui, semon. ‘trefuté,inventif,bavard, éloquent. Bier:né, sane doute bien éduqué, le maitre ne salt pas parler auxfemmes,niauxhommes dailleurs,ilnesait, as prendre d'initiatives. En un mot, il est un, Peubéte. Chrétien obéissant, ilcroitalatiberté del'ame et prouvequil nest pas libre alors que Jacques qui répéte le vague spinozisme dun ‘maitre précédent, mposesesmargesdemanceu. vre. Comme la marche, il prouve sa liberté en marchant. Pour'un, 'histoire tourne en rond, Lautre la fait aller de Yavant, Le sidcle se bat contre les entraves du com- ‘merce, que ce soit celui des idées ou bien celui LA BETISE DOSSIER desblés. dénonce toutcequibloque etimmo- bilise. La pensée qui ne s'essaie pas aux idées nouvelles est comme I'air qui reste confine, Uhygiéne de Yesprit demande du mouvement comme celle du corps. Lorsque la tradition se crispe, lorsque les préjugés deviennent har, Sheux, labetise prendle visage de'intoléranee Candide a cu un mattre de philosophie, subtil dialecticlen, qutluiaappris que tout étaitpour Jemieuxdanslemeilieurdesmondes. Laguerte ravage !Burope, la petite et la grande vérole déciment les populations, le tremblement de terre de Lisbonne fait trentemillemorts, Quiim. porte!le docteur Pangloss—lebavard universel, [homme qui nest que discours - répéte que tout est bien. Il bénirait nimporte quelle hor, Teutr. Son optimisme peut devenir le pire des conformismes.et desconservatismes. Sisubtile soit-elle, une intelligence dogmatique revient Auneformedebetise, incapabled'aban- eee DOSSIER © : LA BETISE donner sesapriori, deprendreen compte Yexpérience, de regarder la réalité en face. Mais il est des formes plus agressives de la betise. Le tremblement de terre a troublé les certitudes, 'Eglise entendlesrétablir.« Les sages du pays n’avaient pas trouvé un moyen plus efficace pour prévenir une ruine totale que de donner au peuple un bel auto-da-f6, » Cesta. dire un acte de fot en forme de bacher sur la place publique. Un Biscayen qui a épousé sa ‘commére, la marraine d'un enfant dont il était leparrain, deuxPortugaissoupconnésden'étre pas parfaitement convertisauchristianismeet le cher Pangloss dont la doctrine sur la liberté humaine rest pas totalement conforme a la doctrine officielle sont donc condamnés. «Le Biscayen et les deuxhommes quin'avalent pas voulu manger delard furent brilés, et Pangloss futpendu, quoiquecene fat paslacoutume. Le ‘méme jourla terre trembla denouveau avec un fracas 6pouvantable. » Voltaire n’a pas besoin dunmotdepluspourdire 'insupportable bétise des pouvoirs tyranniques qui prétendent diri- gerles corps et les consciences. Sous forme de Contes, de réflexions théoriques, d'interven- tions politiques, les dernigres années de sa vie ‘ont été consacrées ala lutte contre la pesanteur de cette bétise, contre la peur de la différence et dela nouveauté, est plus nécessaire de sinterroger sur les distinctions entre Vimbécillité et la stupidité, la sottise et la betise: la négation de lintelll- gence et de la vie a plusieurs noms, elle se ‘nomme Inquisition, Tyrannie, Dogmatisme. Ellerép2te, bégaie, se prendles pieds dans une tradition qu‘elle vide de son ens. Jean-Jacques Rousseau n'a jamais douté de ce combat contre ce quibrime etbrise es étres, maislul, le Gene- vois mal 4 Vaise dans les salons ala frangaise, nous met en garde contre toute bonne conscience quine doute plus d'elle-méme, Liro- nie qui sattaque aux préjugés peut & son tour se figer et se scléroser. Un Pangloss sommeille ‘en toute philosophie critique qui oublie de se critiquer elle-méme. Les idées deviennent des ‘mots dordre, les mots d’ordre des slogans qui dégénerent en clichés. Les deux Discoursrécu- sent la récuction de la morale au savoir, et du progres social au raffinement de quelques pri- sgiés. Jean-Jacques parle au nom de tous les paysans du Danube dont le bon sens un peu fruste vaut mieux que les subtilités de Vesprit. Il fait découvrir aux lecteurs de La Nouvelle ‘Héloise une mondanité parisienne trop sire delle-memeetse présente, en tétede Rousseau, Juge de Jean-Jacques, comme le barbare, celui ‘quén ne veut pas comprendre. Plutot simple que brillant, plutot béte qu’injuste, il rappelle les donneurs de lecons & la modestie du eceur et ceux quisse vantent quelabetisen'est pas leur fort ala droiture dela conscience. Du pasteur Ded Jean Paul, les Allemands se sont toujours inquiété la bétise. Et ne dangers de Ia lecture ! La bétise vue d’‘Allemagne par Philippe Barthelet* “Philippe Bartheleto notamment publié Boralitons (4. du Rocher, UEranleur de perroques (Cerin, Enteiens vec Gustave moments d’ébriété philosophique, il en a Thibon éd.duRocher, Aoublieroumémedniersonexistence-laq SaintSemard —finittoujours parse rappeler lui della fa (64, Pyamaton). ta préfac loge defo Bete de Jeon Paul Richter (64, José Cort. la dirge les Dossiers Wconsacrés ‘émst Jingeretoseph _précédé Valéry. Peut-etre parce quis ont ‘deMaistrecux tions souvent voulu raisonner comme des ange Vaged’omme. Pascal nous en a rappelé la rangonl, les. lekind @ Schopenhauer, en passant| manquent pas d’avertir le lecteur « Ja betise nest pas mon fort Taveule plusdésespérantjamaisarrachéa telligence humaine. Le fort de la betise est quielle demeure impénétrable & M. Teste, |, prit ne la saisit pas, au point que, dans plus immédiate et la plus brutale. Toute g darchimedene trouvarienaobjecteraugl d'un légionnaire qui s'impatientait, «Contre la bétise, les dieux eux-mémes forcent en vain»: sur ce point, Sc mands se sont toujours inquiétés de lab Le grand Jean Paul écrivit en 1781-1782; Eloget, que Yon auraittort de classer top! ‘comme certains spécialistes quise rassu coups de généalogies, comme une déclinal romantique de lFloge de la folie d'Exasme Tunearautre, onse pose, oumémeons'a parler comme Baudelaire de « la betise a de taureau » c'est encore, révérence parley faire beaucoup d'honneur: «front de b efit suffi. La folie a quelquefois de la grant meme détirante:; la bétise ne va jamais: petitesse. La bétise est prosalque; elle sen 4 ey Coa terait plutot. Elle se dirait plutot« réaliste » Bien avantJean Paul, lemanuel de cette betise- 18 fut écrit par un éminent pasteur et théolo- gen, Friedrich Dedekind, au milieu duxvs sié- cle: le fameux Grobianus @, qui se présente comme unlivre« pourl'agrémentde tous ceux qui alment la rusticité »; c'est en fait le vade~ ‘mecum du parfait petit mufle. Cethomme rus tique, on dira «naturel», d'un adjectif qui est tun bon alibi, ne se connait que des droits, les- uels sont autant dexigences; Dedekind lui explique comment tirer parti de toutes les cir onstances de la vie sociale, de viser en tout au plus grand avantage etila moindre contrepar- tie,etce traité de civilité puérileet déshonnéte 4 pour visée la floraison, l'épanouissement et Ja prospérité de ce qu‘il y a de plus humain “Nietzsche dirade trop humain-dans!homme, labétise,soitla manire infallible dont ilobéit en touta la pesanteur. Ne pas gaiter Ia digestion. La Betise qui jean Paul préte sa plumese vante par-dessus tout de son utilité sociale: en empéchant homme de penser, elle lui conserve la santé, aussi bien du corps que de ame; rien de tel que la réflexion. pour vous gater lestomac, Nietzsche le redira luiaussi est donc bien queles cleres donnent exemple: Jean Paul continuait sur ce point Lm Mu Ty PCIe Ce olin respectable, aC L acai aurtt hie Clg LOTUS a eee ee 1 UC eit] COCOA Ie ete qui me voient sous leur propre forme [. pT Lacie er en CRTC a se aes C)icrah4 La accbe litte cents itty Cy) CIC eek eed ET ed (0 Btoge dea beise, Jean Paul Richter, traduction de Nicolas Briand, fos Cot, 1998. A signaler aus Iaparution de Hesperus deoan Pal Richer, rsface do Linda Le, 4. Melville Léo Scher, 2) Grobianus, Friedrich Desdkind, traduction t presentation de Tristan Vigliano, é, Les Belles Lettres, 3006 (2) Letres des hommes cobscurs, Ulich von ‘ten, traduction ft presentation de Jeane Christophe Saladin, 4 Les Belles Lettres, 2004, (@ Parerga Paratipomena, Aru Schopenhaue, LA BETISE DOSSIER Ulrich vor Hiitten, dont es Lettres des hommes ‘obscurs 9) avaient agité VAllemagne savante en 1515, au moment oit Reuchiin, le maitre outre- Rhin des études grecques et hébraiques était pris @ partie pour des raisons trés peu ration- nelles & cause de sa défense de a Kabbale et du ‘Talmud textes que, disait-il,leChristordonne détudierméme dansles écoles pourles réfuter etde ne pas es briler », Cen était trop pourles cleres ordinaires, ces «hommes obscurs » dont le satiriste ami de Reuchlin imagine les réactions: en chan- tres tres 26lés de la betise, ils se scanda- lisentqu’on puisseles contrainde raison: ner. On sait jusqu i, ausidcledernier leurs descendants les ven- sérent de affront, Jean Paul, dans sa Prosopopée finale, montre la Bétise exhortant ses défen- seurs: «Bref, vous tous qui miadorez, en vous-méme ou chez lesautres,ensecretou Publiquement, par Principe ou par vanité...redoublezde z2le contremesennemis pourtextension demon regne... Nenourrissezde science que votreseule fiert6; lisez pour ne pas penser; écrivez pour empécher de penser... »Cest un Allemand qui ‘écrit, commec'estun philosopheallemand qui énoncera ce qui, auxyeuxde tout éleve francais Dessinsexralts du Dcionnalre des es rues de Flaubert lstrés par Chavl en 958, ‘our le Club rons dure, Uncertain nombre do ces desins ‘ont été és parla Galerie ‘Martine Gossieoux, dans une tion limite, avec une preface de Jocques Sternberg. Ja boue, celle qui discrimine et rabaisse la sup riorité:celle-1a le révolte usqu’a la nau- sée, La bétise est traversée par cette antino- mie:elleest odieuse lorsqulle exerceson pou- voir, elle peut devenirpresque charmante quand elle témoigne de notre fragilité, ou peut-étre de notre animalité. forme d'agression contre autrui, seulement un trop-plein d'amour, un don de soi qui cherche désespérément un tre ou un objet a qui se consacrer. Cestune grace. Bien plus, cettebétise révele. Que signifie cette assimilation du perro- ‘quetet du paraclet? Que nous dit la confusion ‘mentale de *licité, sinonlelien tragique entre le Verbeet!'animal quirépéte,latranscendance ete cliché, Dieu et une maladie du langage, le langage comme maladie? Béte & manger du foin. En francais, Fadjectit bére qui qualifiele manque dintelligence et le substantif~une bete~ qui désigne ‘animal, viennentdumemenom atin: bestia, animal Flaubert prend’étymologie trés au sérieux. Lui-méme, ilen est convaincu, attire les idiots, les fous et les animaux. Félicité, dans Un ceur simple est béte, d'une idio- tieaussiépaisse quecelledeMarieLerous, ‘ce «demt-siécle de servitude » qui appa- raitcomme sa préfiguration dans Madame Bovary. Desa bétise,Félicté est consciente, est une insuffisance qui est attachée a son statut dinférieure, une tare dontelle voudrait stexcuser, mais aussi une sorte de politesse quelle doit asa patronne: « Souvent, sa mai- tresse lui disait:"Mon Dieu! comme vous étes béte!"; elle répliquait : “Oui, Madame"; en cherchant quelque chose autour delle. » Sur les choses essentielles dela vie, Félicité sait ‘ce que les bétes Ini ont appris:« Elle n'était ‘pasinnocente la maniére des demoisel- les, ~ les animaux Vavaient instruite.» Félicité croiten Dievavecune foi quin'est ‘meme pas celle ducharbonnier, maiscelle deT'instinct animal, avec tout son corps: son ame, comme celle du chien de Berke- ley, devient toute bleue quand le ciel est bleu. Félicité est béte parce quelle est res- ‘t6e une béte, elle appartient encore & un monde (merveilleux, peut-étre idéal) oi Tame se confond avecla sensibilité; le cer- Vertige du multiple. sila betise nous paratt omnipiésente, c'est parce quelle cotncide vec ce qui nous constitue comme eres de pensée et nous permet de commu- niquerles unsavecles autres: la betise est coextensive Ace langage parlequel nous imaginons exprimer librement notre point de vue et dont nous sommes cenréalitélejouet. C'estaurmomentméme otinoascroyonsen maitriserles moyens quit inocule le plus strement en nous sa vermire, ce pullulement ignoble de lux communs,didioties de difformités mora lesetdinjustices quis'appellent!insanité triomphante la stupiditésatisfaite delle- ‘méme. Jusquiici, Tart permettait de faite front: Céait méme dans cette mission que résidaittcute'éthique delart. MaisFlaubert ale pressentiment quella betise, génétique- mentattachée A humanité depuis es orgi- nes, vient d'entrer dans une phase de nui- sance sans précédent: le microbe de la connerie ait a, c'est certain, mais quelque chose vientdele faire muteret ilcommence & proliférer dans des proportions vertigineuses. Cequila éwill, cesta révolution technique de la modemité, la capacité de Vineptie & se doter désormais d'une puissance industrielle se multiplier: otative, presse a grand tirage, clede sesidéesestétrot et tend méme ase heliogravure, photographie, publicté,bestsel.— § rétréciravecla surdité quila gagne; catho- Jers Toutesten place pour accrotre infin lique, lleva devenirsistupide quelle finira les pouvoirs de la bétise active quitue, d'une = par vouer un culte pafen a un animal ‘culture » feisant du cliché son objet dexcel- empaillé:le perroquet Loulou, dans equel, lence: lartindustiel notre indusrieculturell. aumomentdemourir ellesimagineravoir quilobotomiselesmasses,quiabrutitagrande lacolombe duSaint-Esprit. Félicitéestbéte, Gchelle, la b3tise triomphante d’Homais qui maiscettebétise, paradoxalement, vise la prise de pouvoir politique, ¢ nela diminuepas, elle Texhausse: ASTRONOMIE Jeformatage intégraldesmentali- = iInya danspette bétise aucune Bellescience. Nestutileque pourlamarine. _tés aux normes de idee recue. = bassesse, aucun égotsme, aucune ‘Ace propos, rite de 'astrologie. EcoutezbiencequeFlaubert 3

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