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Revue de l'Occident musulman et

de la Méditerranée

Le thème des peuples anéantis dans quelques textes islamiques


primitifs. Une vision de l'histoire
Alfred-Louis De Prémare

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De Prémare Alfred-Louis. Le thème des peuples anéantis dans quelques textes islamiques primitifs. Une vision de l'histoire. In:
Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, n°48-49, 1988. Le monde musulman à l'épreuve de la frontière. pp. 11-
21;

doi : 10.3406/remmm.1988.2227

http://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1988_num_48_1_2227

Document généré le 28/08/2017


7. Le Centre et ses limites

Alfred-Louis de PRÉMARE

LE THÈME DES PEUPLES ANÉANTIS DANS


QUELQUES TEXTES ISLAMIQUES PRIMITIFS
Une vision de l'histoire

Dans la prédication coranique

Lorsqu'elle annonce l'« Heure» du Jugement — laquelle peut être désignée de


diverses façons : l'Echéante, l'Inéluctable, la Fracassante etc., la prédication de
Muhammad aborde fréquemment le thème des anciens peuples anéantis. Elle
reprend à son compte, en leur conférant un sens islamique, les traditions
hébraïques véhiculées par la Bible, la littérature intertestamentaire, ou les commentaires
rabbiniques des synagogues (Midrash), lesquels sont souvent insérés dans les
traductions araméennes de la Bible appelées Targum. Dans la même ligne, elle
réinvestit les récits historico-légendaires des Arabes sur le passé des groupes humains
qui parcoururent la Péninsule, en mettant ces récits au service de ses
proclamations. Nous y retrouvons donc, à travers des narrations particulières, ou groupés
dans des listes énumératives, le «peuple de Loth», les «hommes du puits», les
Tamûd et les 'Âd, les Madyan, Pharaon et Moïse, Joseph et ses frères, les Tubba'
anciens rois du Yémen etc. Les chercheurs actuels parviennent à situer certains
de ces groupes dans l'histoire; l'existence de certains autres reste encore pour eux
douteuse ou remplie d'incertitudes. Quant à ce qui est dit à leur sujet dans le Coran,
à travers les détails qui constituent la trame des récits les concernant, la récur-

RMMM 48-49, 1988/2-3


12 / A.L. de Prémare .

rence et l'association de certains mots, toujours les mêmes, finissent par tisser un
réseau constant, très serré, de significations se nouant les unes aux autres.
De plus, une structure commune caractérise ces récits, et les unifie dans une
vision théologique invariable : les peuples anciens, à chacun desquels fut envoyé
un prophète issu de lui, n'ont eu de cesse que de démentir les signes de Dieu dont
l'envoyé était le héraut. Dès lors les atteignit inéluctablement le châtiment, qui les
anéantit. De certains d'entre eux, comme les Tamûd, les restes sont encore
visibles; de certains autres, comme les 'Ad, «tu n'en vois nulle trace», sinon dans
la mémoire incertaine des gens que la prédication du nouveau prophète a pour
but de réveiller par ces rappels. En effet, cette Heure si souvent démentie dans le
passé, et qui pourtant tomba inéluctablement, est annoncée à nouveau par
Muhammad. Ceux à qui il l'annonce, et qu'il avertit de sa venue, n'ont de cesse que d'en
récuser les signes. Les récits décisifs sur ce qui survint aux peuples anciens leur sont
adressés à titre d'avertissement, les concernant dans l'immédiat ou dans un temps
plus ou moins proche, en attendant le Dernier Jour, Jour du Jugement et de la
décision tranchée', chacun sera alors rétribué selon l'accueil qu'il aura réservé à la
prédication.
Lorsqu'il s'agit des peuples arabes disparus, l'appel à abandonner le culte des
idoles et à reconnaître le dieu unique intervient comme point d'ancrage théologal
de la prédication dont il est dit qu'elle leur fut adressée. Mais, beaucoup plus encore
qu'autour du monothéisme, l'interprétation de l'histoire humaine s'organise autour
du mono-prophétisme islamique : Muhammad ramasse en sa personne tout ce qui
est rapporté des prophètes antérieurs, pour donner aux récits leur sens définitif
et unique. Ce que ces récits évoquent, ce n'est pas tant une histoire continue, celle
de la préparation progressive des peuples à accepter la doctrine de l'unicité de
Dieu. Les «histoires des prophètes» ne sont que des illustrations discontinues et
répétées d'une histoire actuelle : la prédication islamique et l'opposition à laquelle
elle est affrontée. Elles sont aussi des projection sur le futur d'un «Jour Dernier»,
où les hommes et les groupes seront jugés en fonction de leur obéissance à cette
prédication : «Craignez Dieu et obéissez-moi! », telle est l'incitation centrale
exprimée tour à tour par chacun des hérauts à leurs peuples respectifs, écho de celle
maintes fois reprise par Muhammad à l'intention de ses contemporains :
«Craignez Dieu et obéissez à son envoyé!». Se garantir contre le châtiment qui risque
de surgir inopinément a pour corollaire obligé l'obéissance à l'envoyé et à ses lois
qui sont présentées comme étant les lois de Dieu lui-même.
Il s'agit donc d'une vision apocalyptique de l'histoire humaine, débouchant sur
une eschatologie. Dans un même mouvement, la prédication de Muhammad veut
«révéler», «dé-voiler» (apocalypse) le sens du passé en fonction de l'actualité; et
elle projette passé et présent dans le futur du «Jour Dernier» (eschatologie).

Dans les traditions biographiques

Le thème des peuples anéantis se retrouve également dans les traditions


relatives à la vie de Muhammad et à la geste musulmane des premiers temps. Les
ennemis du prophète et de ses partisans y sont assimilés à ceux qui, autrefois,
récusèrent les signes de Dieu, s'opposèrent à son envoyé et subirent le châtiment.
Les rapports que ces traditions entretiennent avec les textes coraniques corres-
Le thème des peuples anéantis I 13

pondants seraient à étudier de façon plus précise. La constitution et la mise par


écrit des corpus de traditions sur la vie de Muhammad étant plus tardives que
celles du corpus coranique, nous aurions tendance à penser que, le plus souvent
tel dit ou comportement qui est rapporté du prophète n'est qu'une extension exé-
gétique ou une illustration postérieure de tel passage du Coran dont le thème lui
correspond. En fait, il semble que souvent ce soit plutôt l'inverse. Le Coran peut
n'être en la matière qu'une mise en forme théologique de dits, de faits, et
d'attitudes concrètes des premiers musulmans à l'égard de leurs opposants. Un exemple
précis nous le fera sentir.
Al-Buhârî (m. en 870 J.C.), dans la partie de son recueil de traditions consacrée
à l'explication du Coran, rapporte par deux fois une imprécation lancée par
Muhammad contre les Mekkois, et appelant sur eux « sept années comme les sept années
de Joseph». Il s'agit là de la disette, symbolisée dans la Bible par les sept vaches
maigres et les sept épis desséchés. La première fois, al-Buhârî rapporte l'impréca-
.tion à propos de la sourate 12 qui est entièrement consacrée à Joseph [Sahîh, III,
103]. La seconde fois, il la rapporte à propos de la sourate 44 {La fumée) [Sahîh,
III, 133]; et les deux fois en référence à une «circonstance de la révélation»
évoquant l'opposition des Mekkois. Cette même imprécation se retrouve mentionnée
dans l'ouvrage biographique d'Ibn Sa'd (m. en 845 J.C.), sans référence directe
à un texte coranique déterminé, mais toujours à propos des opposants mekkois
[Tabaqât, IV, 130].
Le rapport de l'imprécation avec le passage de la sourate La fumée qu'elle est
censée expliquer paraît quelque peu arbitraire; il est surtout destiné à l'exégèse
d'un texte au demeurant assez obscur pour nous, comme il l'était pour les
contemporains d'al-Buhârî. En dépit des apparences premières, cette imprécation n'a
pas grand'chose à voir non plus avec le récit de la sourate 12 sur Joseph : rien,
dans ce récit, ne donne à penser que les vaches maigres et les épis desséchés sont
un châtiment de Dieu annoncé par Joseph aux Egyptiens. En effet, ici comme
dans le texte biblique source, Joseph donne au roi des conseils précisément pour
se prémunir comme la disette.
En revanche, il est un autre passage coranique concernant Joseph qui se situe
pleinement dans la ligne de l'imprécation. La sourate 40 {Le croyant, v.30-34) met
en scène Moïse affronté à Pharaon et à son peuple. Elle rappelle le sort qui
s'abattit sur les peuples anciens, qu'elle énumère, et elle met en avant à titre d'exemple
Joseph affronté durant toute sa vie à l'opposition des Egyptiens à propos des signes
qu'il apportait de la part de Dieu. Ce passage se distingue notablement, et en
plusieurs points, du récit traditionnel sur Joseph tel qu'il est résumé dans la sourate
12, à tel point que plusieurs commentateurs diront ultérieurement que,
respectivement dans les deux sourates, il ne s'agit pas du même Joseph.
L'imprécation des «sept années de Joseph» a toutes les chances d'être originelle
par rapport au texte coranique de la sourate 40/30-34, celui-ci n'en étant que le
déploiement plus tardif destiné à en fournir l'interprétation dans une vision
globale de l'histoire des prophètes. Quant à la longue narration de la sourate 12 sur
Joseph, elle intervient encore plus tardivement, d'une autre manière, mais avec
la même vision, et elle pose des problèmes textuels plus complexes.
Les évocations successives que les biographes Ibn Ishâq et al-Wâqidî font remonter
à Muhammad ou à ses partisans en différentes circonstances à propos des 'Âd et
des Tamûd sont à situer, relativement aux textes coraniques correspondants, dans
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le même rapport que l'imprécation des «sept années de Joseph» relativement au


passage coranique de la sourate 40/30-34. C'est celui de propos émis sur le vif,
dans des situations concrètes, relativement au déploiement de textes composés pour
les commenter en leur donnant un sens théologique plus élaboré.

Une représentation de l'histoire

Quoiqu'il en soit de l'histoire des textes et de leurs relations mutuelles, la vision


en est toujours la même. Cette vision finira par structurer pour longtemps et jusqu'à
nos jours la représentation qui est celle de la tradition musulmane sur l'histoire
religieuse des hommes, et par conséquent sur l'histoire tout court. Nous la voyons
affleurer constamment dans la biographie récemment publiée par Martin Lings,
Le prophète Muhammad, à partir des sources les plus anciennes [trad, française, Seuil,
1987].
Les récits biographiques sur Muhammad et les premiers musulmans, comme
les passages coraniques sur les peuples anéantis, partagent les hommes en «croyants»
et «mé-créants», selon l'accueil qu'ils font, ou la résistance qu'ils opposent au
message de l'unique prophète Muhammad, dont les autres prophètes ne sont que les
faire-valoir, ou, en tout cas, remplissent les mêmes fonctions. A la frontière entre
ces deux mondes antagonistes, se situent des groupes intermédiaires. Ce sont tout
d'abord ceux qui sont rangés dans la catégorie des «hypocrites». Ceux-ci sont
ralliés au prophète seulement de bouche, et non de coeur. Indécis, ils doivent être
contrôlés. Ils sont dénoncés plusieurs fois par la polémique coranique. Subtiles
et concrètes en sont certaines évocations dans les traditions biographiques. Quant
aux juifs et aux chrétiens, ils font apparemment l'objet d'un traitement à part sur
le plan théologique, en raison de la révélation de leur «Livre», dont cependant
ils ont «détourné le sens», tout au moins les juifs. Dans la pratique, tels qu'ils
apparaissent dans les relations biographiques, ils sont le plus souvent à traiter soit
avec la même précaution que les « hypocrites », soit avec la même intransigeance
que les «mé-créants». Cette intransigeance est tempérée par les dispositions politico-
juridiques particulier aux «gens du Livre».

Les Ad, les Tamûd et l'histoire

Afin de situer plus précisément la façon dont les récits légendaires sur les
peuples arabes du passé sont intégrés dans la vision de l'histoire impliquée par le mono-
prophétisme islamique, nous pouvons prendre pour exemple les 'Ad et les Tamûd.
Ces deux groupes, en effet, sont constamment associés dans les listes énumérati-
ves et dans les récits successifs du Coran relatifs au thème des peuples anéantis.
L'existence des 'Âd reste encore très incertaine aux yeux des historiens, et aucun
document sûr ne peut-être présenté qui en atteste la réalité en tant que groupe
défini. La langue arabe archaïque elle-même fait parfois de 'âd un nom commun
signifiant «individu», «homme». Quoi qu'il en soit, figurés comme un peuple,
les 'Âd ont donné lieu chez les anciens Arabes, à un ensemble de légendes
enchevêtrées qui contrastent vivement avec l'épure qu'en a tirée la prédication islami-
Le thème des peuples anéantis I 15

que primitive telle qu'elle apparaît dans le Coran (Tîgân, pp. 49-54 ; Ahbâry pp.
338 sq.
Quant aux Tamûd, ils sont beaucoup mieux situés dans l'histoire. Déjà sept
siècles avant notre ère, le nom apparaît dans les documents épigraphiques assyriens,
encore que certaines incertitudes demeurent quant à la lecture et à
l'interprétation des inscriptions. Mais pour les premiers siècles de notre ère, l'existence des
Tamûd en tant que groupe caractérisé ne fait pas de doute, même si nous faisons
abstraction des sources arabo-islamiques. D'un côté, les sources classiques
grecques et latines en font état. Elle est attestée, d'un autre côté, par l'épigraphie bilingue
grecque-nabatéenne. Les documents épigraphiques et archéologiques les plus sûrs
à ce propos sont ceux du site de Rawwâfa à quelques 175 kilomètres au nord-ouest
de l'antique cité nabatéenne de Hegra (al-Higr, aujourd'hui Madâ'in $âlih). La
«nation» ou «fédération» (ethnos-§RKT) des Tamûd mentionnée par les
inscriptions fut sans doute comprise, à partir d'un certain moment, dans le royaume naba-
téen, avant d'être soumise avec ce dernier aux Romains (106 J.C.). Les
inscriptions de Rawwàfa attestent cette allégeance, ainsi que la «paix romaine» établie
alors entre les clans tamûdites en conflit.
A la suite sans doute d'anciennes traditions arabes, les sources arabo-islamiques,
dont le Coran n'est pas le seul témoin, situent les Tamûd à al-Higr, dont nous
savons qu'elle était la cité nabatéenne du Nord-Hedjaz. Cela n'est pas étonnant
si les Tamûd firent partie de l'ensemble économique et politique nabatéen,
utilisant même l'écriture nabatéenne dans les inscriptions de Rawwâfa. Dans cet
ensemble, cependant, il nous faut sans doute distinguer les Nabatéens proprement dits,
dont tous les vestiges attestent qu'ils étaient des sédentaires, et les Tamùd
présentés par les sources classiques grecques et latines plutôt comme des cavaliers
nomades. Autour de leur temple de Rawwâfa, il n'y a d'ailleurs pas trace d'habitations.
Tout au plus a-t-on trouvé, respectivement sur deux pierres distinctes, deux
inscriptions, l'une en grec, l'autre en nabatéen, mentionnant chacune la construction
d'un sanctuaire. L'inscription en nabatéen précise que le sanctuaire (BYT) fut
construit pour le dieu 'Ilâhâ par son prêtre Sa'dat.
L'existence bien attestée des Tamûd se reflète dans la manière dont on parle
al-Tabarî au IXe siècle d'après Ibn Ishâq, dans le commentaire qu'il fait de la
sourate 7 (v.73-79) [Garni", XII, 525 et 528]. Quoi qu'il ait pu en être des sites d'al-
Higr et de Rawwâfa et des rapports Nabatéens-Tamûd, son texte dénote la
possibilité qui existait au vme siècle de délimiter avec une certaine précision un
territoire donné pour les Tamûd :
« C'était, dit-il, d'après Ibn Ishâq, un peuple arabe, de la meilleure origine et situé
au meilleur emplacement. Leur domaine allait d'al-Higr à al-Qurh, c'est-à-dire le
Wâdi-1-Qurâ, et entre ces deux points il y a la distance de 18 milles, entre Hedjaz
et Syrie».
Une autre précision qui est donnée par Ibn Ishâq est que les pâturages de
printemps des Tamûd étaient «à ce que l'on dit, al-Habâb et Hismâ». Hismâ est
exactement la région de grès et de sables dans laquelle se trouve le site de Rawwâfa.
Al Tabarî quant à lui, note également que le nom Tamûd est indéclinable comme
il est d'usage pour les noms de tribus. Remarquons ici que tel n'est pas cas de
*Âd, qui est un nom déclinable comme la plupart des noms communs.
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Le schéma antéislamique de l'histoire des Tamûd dans le Coran

L'histoire des Tamûd, dans le Coran, est fragmentée en plusieurs récits


dispersés dans des sourates différentes. L'objet de cet article n'est pas de nous lancer
dans une analyse littéraire particulière à chacun d'eux. Je me contenterai de
présenter ici quelques traits de synthèse en essayant, par parti-pris de méthode, de
faire abstraction dans un premier temps des éléments proprement islamiques. Ce
procédé est arbitraire. Mais il permet de faire quelques constatations intéressantes.

1) Les Tamûd sont situés géographiquement (al-Higr). Ils sont fixés dans des
oasis (palmiers), ont des jardins, des cultures, des palais, des demeures solides dans
les rochers. Ils sont riches et puissants. Les Arabes en connaissent les vestiges.
Ce tableau est celui d'une population sédentaire ou sédentarisée.

2) Un héros dénommé Sâlih est au centre d'un conflit au cours duquel les Tamûd
se divisent en deux parties : pour ou contre Sâlih et le dieu qu'il proclame.

3) Les deux objets centraux du conflit sont la chamelle et l'eau; en fait, la


répartition de l'eau à propos de la chamelle. Çâlih et ses partisans sont du côté de la
chamelle. Le parti opposé refuse la chamelle et la sacrifie.

4) Le conflit se solde par l'anéantissement des meurtriers de la chamelle. C'est


au petit matin qu'on les retrouve gisants.

Nous retrouvons, dans ces éléments structurels, certaines analogies avec


d'anciennes narrations des «Faits épiques des Arabes» : la fameuse guerre d'al-Basûs entre
les Bakr et les Taglib eut par exemple pour déclencheur le meurtre d'une
chamelle à un pâturage contesté. Mais il s'agit là d'un conflit entre tribus nomades.
Pour les Tamûd, le conflit est interne à une tribu, et il éclate dans une population
fixée à propos des partisans de la chamelle réclamant un droit à l'eau;
La chamelle étant l'animal-type, à la fois concret et symbolique, de la vie nomade,
l'on est amené à penser que la structure de ces récits s'organise, par fragments,
autour d'un conflit entre nomades et sédentaires.
Les Tamûd étaient-ils nomades? Etaient-ils sédentarisés? Sans doute un peu des
deux suivant les clans et le degré d'intégration de chacun au royaume et à
l'activité des Nabatéens. Le temple de Rawwâfa est certes en plein désert. Mais il est
proche d'un point d'eau presque permanent. De plus, Rawwâfa est située entre
deux routes caravanières convergeant vers Petra. En ligne droite elle est à mi-chemin
entre al-Higr et 'Aqaba. Enfin, le temple en est dédié aux empereurs romains Marc-
Aurèle et Lucius Verus (nc siècle J.C.), par les Tamûd et à l'instigation du
gouverneur Quintus Antistius Adventus «qui a mis la paix entre eux.»
On peut donc présenter l'hypothèse suivante : les récits d'autrefois, sur lesquels
s'appuie le Coran, sont le reflet des bouleversements et conflits provoqués par une
sédentarisation de certains clans Tamûd. A ceux-ci, dont le genre de vie est lié
à l'activité nabatéenne, s'opposent d'autres clans encore enracinés dans la vie nomade
et qui revendiquent la libre utilisation des points d'eau sur le territoire qu'ils
parcourent.
Le thème des peuples anéantis I 17

Autres traces de récits anciens

Nous avons les traces d'autres récits arabes, peut-être plus anciens encore que
ce qu'il en reste dans le Coran. Les témoins littéraires en sont d'un maniement
malaisé, car ce qui en a été mis tardivement par écrit, comme le Coran lui-même,
se trouve mêlé à la perspective islamique des logographes qui les ont recueillis.
Cependant, certaines de ces traces, même lorsqu'elles figurent dans des
commentaires coraniques, semblent bien ne pas être de purs récits exégétiques.
Ainsi en est-il par exemple de quelques éléments fournis par al-Tabarî dans son
commentaire du passage coranique 7/73-79 [Gâmf3 XII, 524-546]. Celui-ci en effet,
comme il le fait ailleurs à propos de récits d'origine hébraïque, rapporte de
nombreux détails visiblement indépendants d'une perspective strictement exégétique
et islamique. Leur analyse renforce l'hypothèse d'un conflit entre nomades et
sédentaires. Nous pouvons en effet y remarquer ce qui suit :

1) L'un de ces récits remonte à Ibn Ishâq, l'auteur de la biographie de


Muhammad, et qui était familier des narrations anté-islamiques. Outre la mention de
plusieurs toponymes, il fourmille de noms propres de personnes, de généalogies de
clans et de tribus. Les noms propres concernent essentiellement les personnages
membres de deux partis en conflit, et notamment ceux du clan opposé à Sâlih.
Quant à Çâlih lui-même, aucune filiation n'en est mentionnée. Sâlih n'est que «un
jeune homme». Ce traitement différent marque peut-être une certaine frontière
entre les traces d'un récit anti-islamique, soucieux de filiation et de généalogie,
et le greffage islamique postérieur où un homme sans lignage précis surgit comme
prophète.

2) Ce même récit met en relief le rôle de deux femmes comme instigatrices, voire
comme leaders, de l'opposition au héros. Il en donne également les noms, les
filiations, les liens conjugaux, et souligne leur position sociale et économique émi-
nente. Certains traits, apparemment antiques, apparaissent à leur propos : en
particulier l'importance des liens de parenté en ligne maternelle pour la gestion de
leurs biens.

3) Les noms de ces femmes ne sont pas sans signification pour le récit lui-même,
principalement à propos de la chamelle. La chamelle, en effet, donne lieu à de
nombreux développements anecdotiques. Elle est mise en opposition avec les autres
bestiaux, les moutons et les vaches notamment (mais aussi les chameaux), car elle
les concurrence sur les terrains de pâturage et, selon les saisons, elle les fait fuir
des endroits les plus appropriés à leurs besoins. Les deux femmes, qui sont
propriétaires de nombreux troupeaux, ne veulent donc plus de cette chamelle et
s'ingénient à la faire tuer. La première, une vieille, se nomme 'Unayza (« Petite
Chèvre»), fille de ôanam («Moutons»), et mère de Ganam («Moutons»). La seconde
se nomme $adûf. Le mot est en arabe, un qualitatif désignant la femme dont le
comportement est déroutant pour un homme : elle tend son visage au baiser, puis
se détourne brusquement : et §adûf est fille de al-Muhayya («Le Visage»). Très
belle, elle joue de son charme rusé pour arriver à ses fins. Dans les noms associés
18 / A.L. de Prémare

de ces deux femmes se trouvent ramassés leur fonction dans le récit, et leur rôle
dans le meurtre de la chamelle.
Ainsi procèdent les narrations antiques : al-basûs désigne la chamelle qui ne donne
son lait que si on la stimule en lui disant «bs, bs, bs»; et c'est aussi le nom de
l'héroïne al-Basûs qui est au départ d'une guerre légendaire provoquée par le meurtre
de sa chamelle au pâturage contesté.

4) Lié au conflit à propos de la chamelle, et beaucoup plus détaillé que ce qui


en a été retenu par le Coran, nous retrouvons dans le même récit le thème de la
répartition de l'eau. L'objet du litige y est très franchement économique : il s'agit
de savoir si les propriétaires des troupeaux et des cultures se laisseront prendre
leur eau par la chamelle, ou l'inverse. La chamelle, en effet, boit à même le puits
en y plongeant la tête de façon continue et sans la relever « jusqu'à avoir bu la
dernière goutte d'eau dans la vallée».

5) Dans un autre récit, un élément semble jouer un rôle important, et ne figure


dans le Coran qu'à travers l'allusion qui y est faite aux « neuf personnages qui
sèment le désordre sur la terre» (27/45-53). Le transmetteur de ce récit est al-Suddî
(m. 745 J.C.) : chacun des neuf personnages en question avait sacrifié son propre
fils nouveau-né, effrayé de l'annonce qui leur avait été faite par le héros que leur
perte viendrait de l'un de leurs nouveaux-nés du mois. Ce sera le fils d'un dixième
qui, ayant été épargné, assouvira leur vengeance en sacrifiant la chamelle,
entraînant ainsi l'anéantissement des Tamûd. Tout ordre nouveau ne semble devoir
s'établir qu'après sacrifice et mise à mort. C'est bien quelque chose de ce genre qui
est évoqué dans le récit d'Ibn-Ishâq : la chamelle est née de l'accouchement d'une
sorte de mont « secoué par les douleurs de la parturition comme en est secouée
la femme enceinte». Mais ce qui est à noter ici, c'est que pour les Tamûd,
l'accouchement est prometteur de mort et non de vie : leurs enfants sont sacrifiés, la
chamelle est sacrifiée, les Tamûd sont anéantis «et les voici, leurs demeures, vides!...»
(Coran 27/52). Quant à $âlih et à ses partisans, ils quittent le pays et s'installent
de côté de Ramla en Palestine. La poussée nomade se poursuit vers le Nord. Les
principaux épisodes de cette épopée viennent d'un fonds légendaire transmis par
Ibn Ishâq. Nous les retrouvons considérablement développés, et mêlés à d'autres
traditions issues, entre autres, de l'ancien conteur d'Arabie du sud Wahab Ibn
Munabbih, dans le Kitâb al-Tîgm d'Ibn Hi§âm (p. 62) et des Ahbâr al-Yaman
d'Ibn Sarya qui lui sont adjointes (p. 383-409).

'Âd et Tamûd dans les ouvrages biographiques musulmans primitifs

Les narrations anciennes du genre de celles dont nous retrouvons les traces à
propos des Tamûd étaient familières au milieu arabe. Elles étaient très souvent
liées aux proverbes qu'elles avaient suscités — à moins que ce soit l'inverse — et
dont les gens tiraient leçon ou illustration pour commenter d'un trait rapide leur
situation présente.
C'est ce qui apparaît également dans les relations sur les expéditions militaires
de Muhammad, en particulier à propos des 'Âd et des Tamûd : Ce que l'on en
racontait était porteur de sens pour le présent.
Le thème des peuples anéantis I 19

Selon Ibn Ishâq, avant même que Muhammad s'installe à Yatrib et en fasse sa
ville (Médine), les tensions qui opposaient de façon latente les clans Hazrag et
les clans juifs de l'oasis prenaient aussitôt la tournure d'une menace : «Nous vous
tuerons comme furent tués les cÂd». [Sîra, II, 38; al-Tabarî, Ta'rîh, II, 353-354].
Selon al-Wâqidî, lors de la geste glorieuse par excellence des premiers
musulmans à Badr, Muhammad attribua sa victoire à Gabriel conduisant ses troupes
d'anges sous la forme des vents, et il ajouta : «J'ai été assisté par le vent d'est,
et les 'Âd ont été anéantis par le vent d'ouest». Le même propos lui est attribué
lors de la victoire du Fossé [Magâzî, I, 77-78; II, 476.]
En ce qui concerne l'expédition contre al-Tâ'if, après la prise de la Mekke, c'est
l'image des Tamûd qui intervient. Selon les récits traditionnels d'autrefois, le tamû-
dite Abû-Rigâl avait trahi la cause des Arabes en servant de guide au général-roi
éthiopien Abraha dans son incursion contre la Mekke. Derrière ces deux
personnages se profile peut-être «le grand tyran» désigné par la sourate 69 comme ayant
été l'occasion de l'anéantissement des Tamûd. A al-Tâ'if, Abû-Rigâl personnifie
un ennemi qui, juché sur les remparts de la forteresse assiégée, insulte
violemment les assaillants musulmans. Atteint par une flèche, il tombe mort du haut
du rempart. «Et les hommes dirent dès lors, à propos de la forteresse : c'est là
le tombeau d' Abû-Rigâl! L'envoyé d'Allah dit à 'Alî : «Sais-tu 'Alî, ce que cela
veut dire? Le tombeau d' Abû-Rigâl. Cela veut dire les gens de Tamûd». Les uns
et les autres évoquaient par là cette tombe d' Abû-Rigâl qu'après l'expédition man-
quée d' Abraha les anciens Arabes avaient l'habitude de lapider [Sîra, 1, 49; Magâzî,
III, 929-930.]
Un autre récit sur le tamûdite Abû-Rigâl est attribué à Muhammad alors que,
en expédition vers Tabûk dans le nord de la Péninsule, il fait halte avec ses
troupes sur le site d'al-Higr. L'ensemble de la relation d'Ibn Ishâq, comme de celle
d'al-Wâqidî, mériterait une analyse détaillée [Sîra, IV, 176-178; Magâzî, III,
1005-1009; al-Buhârî, $ahîh, III, 64-65 Kitâb al-Magâzl]
C'est dans une atmosphère de crainte et de méfiance que s'en déroulent les
différents épisodes. Muhammad recommande à ses gens de n'utiliser en rien l'eau
du puits des Tamûd. Il les avertit : «N'entrez dans les ruines de ces gens qui ont
été châtiés qu'en pleurant ! si vous ne pleurez pas, n'y entrez point de peur que
ne vous arrive ce qui leur est arrivé!». «Jette cet anneau!», enjoint-il à un soldat
qui avait trouvé l'objet dans les ruines; et lui-même de se recouvrir les yeux pour
ne pas le voir.
Si ces récits évoquent longuement les Tamûd et Abû-Rigâl, le traître à son
maître Sâlih, c'est bien sûr parce que la troupe fait halte à al-Higr. Mais c'est aussi
pour souligner le lien étroit qui est établi entre eux et la situation immédiate. Dans
une expédition difficile et peu fructueuse, les Musulmans ne sont pas directement
face à leurs ennemis extérieurs. Ils sont surtout affrontés au doute et à
l'indécision. Aussi les traditions se centrent-elles, dans le cadre même des Tamûd, sur
les «hypocrites». Ceux-ci paraissent avoir été nombreux alors dans les rangs
musulmans. Un informateur proche de l'événement raconte :
je demandai à Mahmûd Ibn Labîd (un participant à l'expédition) : « est-ce que les
gens connaissaient ceux qui, parmi eux, étaient des hypocrites ?» Il répondit : Bien
sûr, par Allah!. Chacun savait ce qu'il en était à ce sujet de son père, de son frère,
de son oncle et de toute sa famille; puis ils se le dissimulaient les uns aux autres».
Dans cette atmosphère de suspicion larvée, on s'explique alors que Muhammad
20 / A.L. de Prémare

recommande à des gens aussi peu sûrs de ne pénétrer dans les ruines des Tamûd
qu'en ayant une attitude de componction, sous peine d'être atteints comme eux
par le châtiment. La nature de ce châtiment éventuel n'est pas spécifiée.

Le passage à la théologie

Issus probablement d'un conflit ancien entre nomades et sédentaires, les récits
traditionnels sur les Tamûd prennent, pour les acteurs d'une communauté arabe
nouvelle et en plein expansion, un sens nouveau qu'ils appliquent spontanément
à leur situation. C'est tout cela à la fois que, dans la prédication islamique
primitive, nous retrouvons transposé et haussé au niveau théologique.

1) Dans le Coran, en effet, le conflit est d'abord théologique : Sâlih appelle son
peuple à vouer un culte au Dieu unique, à abandonner les idoles et à obéir à l'envoyé
de Dieu. Devant cet appel, les Tamûd se divisent en deux groupes : ceux qui croient
et ceux qui ne croient pas. A cette vision théologique, s'ajoute une catégorisation
morale : les croyants sont des «faiseurs de bien» et les mé-créants sont des»* semeurs
de corruption» sur la terre. Il est opportun de rappeler ici que le Dieu unique
porte le même nom (L'LH) que celui de l'antique sanctuaire tamûdite de Rawwâfa.

2) La théologie investit l'épisode central de la chamelle en faisant de celle-ci un


signe de Dieu apporté par $âlih en réponse à la mise en demeure de ses ennemis.
Le signe de Dieu se concrétise encore sous la forme d'une loi de justice
distributive édictée par Sâlih au nom de Dieu : «A la chamelle de boire et à vous de boire,
chacun un jour fixé ».

3) Les ennemis récusent le signe de Dieu. En sacrifiant la chamelle, ils veulent


démentir la promesse de châtiment lancée par Sâlihu Celle-ci se réalise pourtant :
«Le Cri saisit ceux qui avaient été injustes; et alors au matin, dans leurs
demeures, ils se trouvèrent gisants». Sâlih et les croyants sont sauvés.

4) L'investissement du récit ancien par la théologie se concentre sur la mono-


prophétisme islamique. Le châtiment subi par les Tamûd récusateurs des signes
de Dieu est celui qui attend les opposants à la prédication de Muhammad, l'envoyé
par excellence. Tous les récits coraniques sur les peuples anéantis entrent dans
le cadre de cette prédication actuelle. Se prémunir contre le châtiment en
craignant Dieu, et obéir à son envoyé, est le refrain constant de chacun des prophètes,
reproduisant l'un des thèmes centraux des proclamations islamiques primitives.
En outre, certains détails viennent renforcer l'impression générale de décalque à
rebours. Ainsi, comme ce qui est décrit de Muhammad durant la première partie
de sa vie d'adulte à la Mekke, avant sa prédication [Sîra, I, 213-214], $âlih est
tout d'abord estimé de ses contribules tamûdites, et comme Muhammad, il est
dit atnîn, «loyal», «fidèle» [Coran 11/62 et 26/143].

5) Enfin, l'investissement de l'histoire totale par la théologie se traduit pas le


saut constant de la prédication dans le futur décisif du Dernier Jour. Après avoir
évoqué le châtiment des 'Âd, des Tamûd et des autres peuples récusateurs, la pré-
Le thème des peuples anéantis I 21

dication passe immanquablement à l'annonce de « l'Heure ». L'apocalyptique, ou


dévoilement du sens du passé en fonction d'une situation présente débouche sur
l'eschatologie. Ainsi avons-nous agi à l'égard des anciens peuples, «afin d'en faire
pour vous un rappel et que s'en souvienne toute oreille attentive; alors donc, lorsqu'il
sera soufflé dans la trompe... » ; et c'est alors l'évocation des bouleversements
cosmiques précédant le grand jugement final devant le trône de Dieu [Coran, 69/1 1-13].

La prédication apocalyptique coranique, quant à sa structure fondamentale,


rappelle nombre d'écrits apocalyptiques antérieurs, dans la Bible (Ancien et Nouveau
Testaments), la littérature apocryphe juive ou chrétienne, les écrits
intertestamentaires : comme eux, c'est une théologie de l'histoire qu'elle veut présenter, et comme
eux elle ramasse dans une vision d'ensemble le passé, le présent et le futur jusqu'au
Jour Dernier. Mais si ces éléments structurels, réduits à leur plus simple
expression, sont identiques, la vision d'ensemble qu'ils supportent, et le contenu du
message sont différents.
Selon un schéma fondamental qu'elle tient de sa filiation monothéiste biblique,
la vision musulmane de l'histoire s'organise de façon autonome : elle est centrée
sur le monoprophétisme islamique, défini par la personne de Muhammad et par
sa prédication.

BIBLIOGRAPHIE

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