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Publications de l'École française

de Rome

Pays riches, paysans pauvres : sur la formation sociale au Proche-


Orient médiéval
Peter Von Sivers

Résumé
La réalité historique du Moyen-Orient musulman infirme la théorie du «Despotisme oriental» oppresseur des paysans et auteur
de sa propre ruine. En effet, la productivité de l'agriculture irriguée permet un prélèvement fiscal qui entretient une couche
dirigeante urbaine nombreuse et concentrée, en laissant aux paysans de quoi se reproduire et produire. Les villes dépendent
des campagnes pour leur survie, mais il n'y a pas d'intégration entre les unes et les autres par le marché. L'administration
entreprend des travaux d'irrigation qui donnent aux paysans des moyens d'existence et créent les conditions d'une fiscalité
avantageuse. L'équilibre ainsi réalisé suppose une certaine stabilité démographique dans un espace cultivable peu extensible et
une technologie très peu mécanisée.

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Von Sivers Peter. Pays riches, paysans pauvres : sur la formation sociale au Proche-Orient médiéval. In: Genèse de l'État
moderne en Méditerranée. Approches historique et anthropologique des pratiques et des représentations. Actes des tables
rondes internationales tenues à Paris (24-26 septembre 1987 et 18-19 mars 1988) Rome : École Française de Rome, 1993.
pp. 169-181. (Publications de l'École française de Rome, 168);

https://www.persee.fr/doc/efr_0000-0000_1993_act_168_1_4342

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PETER VON SIVERS

PAYS RICHES, PAYSANS PAUVRES


SUR LA FORMATION SOCIALE
AU PROCHE-ORIENT MÉDIÉVAL

Au milieu de la guerre des califes abbâsides contre la révolte


des paysans carmathes dans le Sawâd de Basra, un général se
décida à abandonner sa campagne au mois Dhû al-Qa'da 287/
novembre 900 «parce qu'il était inquiet de la possibilité d'une ruine
du Sawâd, étant donné que les Carmathes étaient des paysans et
des laboureurs {th.um.ma tarakahüm hawfân 'alâ al-awâd an yak-
hrîbu anna kânu fallâhîn wa ammâl). Il traqua les chefs dans des
lieux divers et tua ceux qu'il pouvait rattraper»1. Ce détail
provenant de la guerre prolongée et presque victorieuse des paysans
contre les califes, un siècle et demi après la fondation de la
dynastie, révèle un aspect significatif de la formation sociale au Moyen-
Orient médiéval : le militaire était l'oppresseur omniprésent de la
paysannerie, mais il était aussi pleinement conscient des limites
de la violence qu'il fallait observer sans ruiner les bases fiscales de
l'empire. Les militaires n'avaient d'intérêt ni pour des cultivateurs
florissants ni pour des prolétaires dépossédés : les meilleurs
producteurs sur les riches terres irriguées du Moyen Orient étaient
des paysans pauvres.
Dans cet article, je voudrais esquisser une analyse de la
formation sociale du Moyen-Orient médiéval. La thèse principale que je
propose est que la période du IIP au VIIe siècle de l'hégire ou du IXe
au XVe siècle n'est pas l'âge des débuts de la dissolution lamentable
de l'empire centralisé de la civilisation islamique. L'âge d'or d'un
empire centralisé est un mythe et il serait préférable de parler d'un
système de plusieurs régions auto-subsistantes avec une structure
politique plus ou moins commune.

Muhammad b. Djarîr Tabarî, Tarîkh al-rusul wa al-mulûk, éd. de Goeje et


1

al., Leyde! 1879-1901, III, p. 2202.


170 peter von sivers

1. Production agricole : le surplus

La tendance à l'auto-subsistance régionale est un phénomène


circum-méditerranéen bien connu dès la fin de l'empire romain2 et il
restait en pleine force pendant les siècles suivants. Les paysans se
nourissaient, s'habillaient et s'abritaient à l'aide de leurs propres
ressources villageoises, mais ils produisaient aussi un surplus suffisant
pour supporter un réseau sophistiqué de gouvernants, de
marchands et d'artisans, en dehors des villages, dans une civilisation
urbaine complexe. Tandis que les paysans n'avaient pas besoin du
réseau urbain, les habitants des villes dépendaient des prélèvements
ruraux pour la plus grande partie de leur subsistance. Le fait que les
villes islamiques formaient un système mondial d'échanges - et que
la civilisation islamique donna naissance au premier système
mondial au sens Wallersteinien du mot3 - doit être balancé par le fait que
les villes dépendaient pour leur survie de leur capacité de s'assurer
l'appropriation des céréales dans les régions villageoises voisines. La
nécessité de domination régionale pour le maintien d'un réseau de
civilisation urbaine n'était pas conciliable avec l'idée de
centralisation, sauf d'une façon symbolique, même pendant «l'âge d'or» des
premiers califes. Toute domination impériale était secondaire par
rapport aux besoins du pouvoir régional.
Bien entendu, ce phénomène d'auto-subsistance des villages et
de dépendance urbaine n'était pas un trait exclusif du Moyen-Orient
médiéval. Le même phénomène était typique aussi de l'Europe, de la
Chine et de l'Inde pendant la même période. Ce n'est pas avant le
XVIIIe siècle en Flandre et le XVIIe siècle en Chine que les villes
commencèrent à remplacer la production artisanale des textiles et
des outils au village4.
Ce qui caractérise le Moyen-Orient, la Chine et l'Inde par
rapport à l'Europe est la productivité supérieure de l'agriculture. Le
rendement des céréales sur des surfaces irriguées non-salines était
généralement autour de 10/1 5 - un rendement atteint en Europe du
nord-ouest pour la première fois vers la fin du XVIIe siècle6. Cette
productivité permettait un prélèvement fiscal d'environ 25%, en
nature et en argent. Bien entendu, le rendement des blés sur des sur-

2 A. H. M. Jones, The later Roman empire, 244-602 A.D., Baltimore, 1986.


3 1. M. Wallerstein, The modem world-system : capitalist agriculture and the
origins of the european world economy in the sixteenth century, New- York, 1976.
4 J. De Vries, European urbanization, 1500-1800, Cambridge, Mass., 1984; M.
Elvin, The pattern of the Chinese past, London, 1972.
5 C. Cahen, Le service de l'irrigation en Iraq au début du XIe siècle, dans
Bulletin d'études orientales, n° 13, 1949-1951, p. 1-143.
6 B.H. Slicher van Bath, The yields of different crops (mainly cereals) in
relation to the seed, c. 810-1820, dans Acta historica neerlandica, 2, 1967, p. 26-106.
LA FORMATION SOCIALE AU PROCHE-ORIENT MÉDIÉVAL 171

faces non-irriguées était le plus modeste et la discussion dans cet


article ne s'adresse qu'aux grands centres d'irrigation d'Irak et d'E-
gypte.
On a beaucoup discuté la question de l'accroissement des
impôts pendant la décentralisation politique et d'une sur-taxation qui
aurait contribué pendant cette transition à une stagnation ou même
à un déclin de l'agriculture du haut Moyen Age. Le «despotisme
oriental», par sa rapacité fiscale, aurait été responsable de ce déclin
des pays moyen-orientaux par rapport à l'Europe.
Il est évident, à partir des sources arabes, qu'il y avait, à court
terme, des fluctuations de la pression fiscale. Comme il est bien
connu, un bon nombre de califes, d'émirs et de sultans abolirent
rituellement les impôts non-canoniques au moment de leur accès au
pouvoir, mais les rétablirent tranquillement quelques années plus
tard. Il est également clair que les paysans n'étaient pas dépourvus
de moyens de protester contre le poids des impôts. La preuve en est
fournie par les révoltes rurales endémiques, comme celle des Car-
mathes, ainsi que par l'émigration régulière vers les villes où il n'y
avait pas d'impôts directs sur la production et où les impôts
indirects ne frappaient pas les populations pauvres. Précisément, ce
mécanisme de réduction et de rétablissement de la pression fiscale,
de rebellions paysannes et de migrations rurales-urbaines suggère
qu'il était impossible de maintenir une politique de sur-taxation à
long terme. Il est prudent d'envisager que les gouvernants du Moyen
Orient médiéval poursuivaient une politique fiscale plus ou moins
proche de la limite supportable par les paysans, établie par une
ancienne tradition administrative.
Il est probable que la thèse de la ruine des paysans moyen-
orientaux provient d'une attention trop étroite des historiens au cas
de l'Irak. Après la conquête de la vallée de l'Euphrate et du Tigre, les
arabo-musulmans héritaient du vaste système d'irrigation des
Persans sassanides, établi après une connection récente, par un réseau
de canaux, des deux fleuves. Pendant deux siècles suivant la
conquête, les musulmans étendaient ce système, en défrichant des
terres en bas-Irak qui avaient été salines avant la période islamique7.
Mais en même temps plus en haut des fleuves, dans la plaine de la
Diyâlâ près de Bagdad, les premiers signes de salinité apparurent,
annulant les gains faits en bas-Irak8. Il est possible que le déclin de
la productivité agricole ait été à la base de l'agitation rurale, des

7 M. Morony, Landholding and social change in lower ai-Iraq in the early isla-
mic period, dans Khalidi, éd., Land tenure and social transformation in the Middle
East, Beirut, 1984.
8 R. Me C. Adams, Heartland of cities : surveys of settlement and land use on
the central floodplain of the Euphrates, Chicago, 1981.
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campagnes militaires mentionnées au début de cet article et du


déclin éventuel de l'agriculture quelque temps avant l'invasion
mongole. La «sur-taxation» (par rapport au déclin de la productivité des
terres), semble être un symptôme plutôt qu'une cause des difficultés
agricoles en Irak au IXe siècle.
Par comparaison, l'Egypte ne connut jamais de problèmes
massifs de salinité, à cause d'une pente plus forte du Nil, même au Delta.
Les nappes d'eau souterraines étaient plus basses et le résultat était
une moindre action capillaire (avec des solutions salines) vers la
surface des terres9. Par conséquent, il n'est pas surprenant que la
salinité n'ait été généralement qu'un problème restreint et local en
Egypte. Etant donné que la population restait plus ou moins stable
en Egypte pendant la période islamique (voir la discussion plus bas),
en dépit des fluctuations démographiques inévitables, la thèse de la
ruine de l'agriculture moyen-orientale par le despotisme oriental ne
s'applique point à l'Egypte et semble être douteuse pour l'Irak.
Alors, si l'on peut calculer le surplus agricole à environ 25%, à
condition qu'une classe dirigeante ait été assez unifiée pour être
capable d'enlever ce surplus aux paysans, tout dépendait des formes de
cette unification. Au minimum, cette classe était obligée d'éviter une
dispersion féodale de ses membres dans les villages : elle aurait
manqué de la force combinée nécessaire pour prélever les 25%. Par
conséquent, les gouvernants formaient une masse plus ou moins
concentrée dans la capitale, prêts à partir en campagne contre
quiconque s'opposait à l'impôt. A la capitale, le dîwân du calife, de
l'émir ou du sultan était le destinataire principal des 25% et il les
distribuait sous forme de salaires aux membres de la classe dirigeante.
L'Irak et l'Egypte offraient les meilleures conditions pour la
formation de vastes classes dirigeantes unifiées : il était facile dans les
deux pays de transporter les impôts par bateau et de se limiter à un
petit nombre de modestes garnisons provinciales pour garantir la
paix.
Dans le reste du monde islamique où l'agriculture dépendait des
pluies ou des puits, les gouvernants étaient obligés de se disperser
et, par conséquent, de se contenter de revenus moins élevés, sans
jamais approcher, néanmoins, du système extrême du féodalisme
européen. Sauf pour de brefs moments, il n'était pas possible pour une
classe dirigeante de garder son unité politique et de se disperser en
même temps à travers les zones d'irrigation ou en dehors.
Même pendant le moment d'unité maximale en dispersion géo-

9 K. W. Butzer, Early hydraulic civilization in Egypt : a study in cultural


ecology, Chicago, 1976.
LA FORMATION SOCIALE AU PROCHE-ORIENT MÉDIÉVAL 173

graphique, pendant les conquêtes sous les premiers califes, le dîwân


califal partageait les revenus fiscaux avec les ménages des autres
chefs de la classe dirigeante. Cette unité ne s'exprimait point dans
une administration centralisée et l'Etat restait un amalgame des
ménages des chefs les plus forts.
Du point de vue du califat, l'histoire qui va de l'âge d'or de
l'expansion à la fin du Moyen Age est une histoire triste, celle du déclin
de l'unité politique aussi bien que de l'ordre centralisé. Mais si l'on
prend en compte les ressources agricoles et les conditions
technologiques, l'histoire musulmane du Moyen Age se présente comme
l'histoire heureuse de puissances régionales, gouvernées par des
classes dirigeantes relativement unifiées et égalitaires. L'évolution
politique du Moyen-Orient au Moyen Age commence par la
formation de hiérarchies califales (Omeyyades, Abbâsides, Fatimides) et
aboutit à un égalitarisme croissant dans les classes dirigeantes
(Bûyides, Seljoukides, Ayyoubides, Mamlûks).
La récompense pour les gouvernants unifiés, qu'ils soient
organisés dans une structure hiérarchique ou égalitaire, était un niveau
de richesse fiscale jamais atteint dans les Etats de l'Europe avant les
Découvertes. Il était payant pour l'Etat d'être autonome, c'est-à-dire
de sauvegarder le pouvoir collectif de la classe dirigeante en
empêchant la population, soumise à l'impôt, d'avoir accès à l'Etat.
Traditionnellement on a appelé ce phénomène (prélèvement
d'impôts lourds) «despotisme oriental». Mais il semble aujourd'hui
qu'il faille remplacer cette expression chargée de près d'un siècle
d'Orientalisme eurocentrique, par un concept moins mystifiant et
plus neutre. Du reste, personne ne regarde l'Etat moderne, qui exige
facilement des impôts de plus de 25%, comme despotique. Cet Etat
moderne est qualifié d'«Etat relativement autonome», à cause des
vastes ressources financières qu'il maîtrise (environ un tiers du
PNB) et qui sont utilisées pour renforcer ses structures collectives10.
Si l'on ne veut pas parler de despotisme moderne occidental on est
obligé de parler aussi d'un Etat relativement autonome au Moyen
Orient médiéval.

2. Formation sociale rurale

Paradoxalement, plus les populations étaient soumises à une


pression fiscale forte dans le Moyen Orient médiéval, plus elles
étaient auto-subsistantes. Les bédouins, qui dépendaient souvent
pour leurs céréales des villages, essayaient de se soustraire aux gou-

10 B. Evans, D. Rueschemeyer, T. Skocpol, éd., Bringing the state back in,


Berkeley, Calif., 1985.
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vernements qui contrôlaient ces villages. Comme on l'a mentionné


en haut, la grande majorité des paysans satisfaisait ses besoins de
nourriture, d'abri et d'habillement par ses propres ressources. La
pression fiscale était lourde précisément parce que l'intégration
économique des villages et des villes était rudimentaire. La plupart
des citadins achetaients les blés au gouvernement - ils n'exportaient
pas de biens manufacturés vers les villages pour les échanger contre
des vivres. La masse des villageois n'avait aucune stimulation pour
se spécialiser et utiliser le marché, sauf pour «acheter» l'argent
perçu ensuite par le fisc, seule institution reliant ville et village d'une
façon effective.
Néanmoins, il y avait des institutions interstitielles entre villes et
villages qui ne faisaient pas partie du système d'auto-subsistance.
L'une d'elles était les travaux d'entretien du réseau d'irrigation. Pour
prélever les impôts maximaux, les gouvernants étaient obligés de
s'occuper du maintien de ce réseau. S'ils avaient mobilisé les
travailleurs en corvée parmi les paysans, les champs auraient été
dépourvus de laboureurs, au préjudice des impôts. D'autre part, le
recrutement d'une force de travail salariée risquait également de diminuer
le montant des impôts. En pratique, les gouvernants utilisaient des
corvées ainsi que des travailleurs payés, selon les saisons et les
circonstances locales.
L'exemple suivant expose le calcul des coûts et des gains de
l'émir Badr al-Dîn Baktut al-Khâzindârî, gouverneur d'Alexandrie, en
710/1310. L'émir décida de reconstruire un canal qui autrefois avait
conduit de l'eau fraîche à la ville mais qui maintenant était colmaté,
obligeant les habitants à accumuler l'eau dans des citernes. L'émir
se rendit au Caire pour gagner l'accord du sultan pout son projet.
Après avoir présenté les bénéfices fiscaux en termes vivants (on
rouvrirait la navigation entre les deux villes, on rétablirait les domaines
irrigués par la noria des deux côtés du canal et on fournirait aux
gens d'Alexandrie à nouveau de l'eau pour leurs jardins et maisons),
l'émir reçut l'approbation du sultan pour son projet. Des ordres sul-
taniques furent donnés aux autres émirs pour rassembler des
travailleurs sur leurs concessions de terres (iqtâ 'ât) et après vingt jours
on avait réuni une force de 40.000 travailleurs. Chaque village
formait un détachement, assigné à une section du canal de huit qasaba
(30 m) de largeur et de six qasaba (25 m) de profondeur. Le travail
de creusement et de construction des digues et des ponts fut achevé
après un délai non mentionné par Maqrîzî, mais dans l'opinion du
chroniqueur il valait tous les investissements de temps et d'argent :
de l'eau fraîche arriva de nouveau à Alexandrie, des bateaux
naviguèrent sur le canal et des colons arrivèrent sur des terres
défrichées. Là où il y avait jadis des marais on établit 40 domaines avec
600 norias sur une surface de 100.000 feddans (40.000 ha). On plan-
LA FORMATION SOCIALE AU PROCHE-ORIENT MÉDIÉVAL 175

tait colocase, indigo et sésame. A Alexandrie on cultivait 1.000


parterres de jardins.
Malheureusement des inondations annuelles imprévues
causèrent des dégâts considérables, exigeant la construction d'une
digue additionnelle. L'émir Baktut fut contraint de dépenser 60.000
dinars de ses revenus pour des travailleurs salariés qui
construisirent la digue avec des rochers pris sur les résidus de l'ancien canal
d'Alexandrie. Le nouveau canal amenait de l'eau tout l'année
jusqu'en 770/1368 quand des sables mouvants obstruèrent l'écoulement
de l'eau et ruinèrent nombre de villages riverains. Un autre canal fut
creusé en 826/1423 en un temps record de 90 jours, rétablissant
l'agriculture irriguée sur les rives".
Ce qui frappe dans ce rapport c'est que les gouvernants de
l'Egypte employaient la corvée (sukhra) ainsi que le travail salarié pour
les projets de constructions. Au fond, l'irrigation était de la
responsabilité des paysans pour le maintien de l'auto-subsistance, mais
dans notre exemple ces travaux étaient à la charge de l'Etat. La
légitimité de l'emploi des corvées par l'Etat résidait précisément dans
cette nécessité de l'auto-subsistance pour les villages. Il est aujou-
d'hui généralement reconnu qu'il n'y avait pas de raison de croire
que les villages n'étaient pas capables d'organiser l'irrigation et que
l'Etat était nécessaire pour l'hydraulique12. Mais dès le moment où
un empire commença à coordonner l'irrigation de plusieurs centres
(Akkad vers 2.300 av. J.-C), il n'était plus possible de revenir à
l'hydraulique villageoise : la productivité de l'Etat était plus grande que
celle de la somme des villages. La récompense (un surplus agricole
élevé aux mains d'une classe dirigeante unifiée) l'emportait sur le
surplus modeste des chefs de village. Comme Marx l'a dit,
l'hydraulique en Asie n'a pas besoin de l'Etat; c'est l'Etat qui a besoin de
l'hydraulique pour «sa gloire»13.
Le despotisme oriental cité plus haut ne se réduit pas, comme
Wittfogel14 l'a prétendu, à la géographie. L'Etat hydraulique de l'Asie
n'est point le produit des besoins de l'agriculture dans les zones
arides. Au contraire, l'irrigation est compatible avec plusieurs
formations sociales et peut aboutir à une multiplicité de régimes poli-

11 Ahmad b. Ali al-Maqrîzî, Kitâb al-khitat, Le Caire, 1324-1326, Matbaat al-


Nîl, III, p. 177-80.
12 J.A. Hall, Powers and liberties : the causes and consequences of the rise of
the West, Berkeley, Calif., 1985; M. Mann, The sources of social power , vol. 1, A
history of power from the beginning to A.D. 1760, Cambridge, 1986.
13 G. Lewin, Die ersten fünfzig jähre der Song-Dynastie in China, Berlin, 1973.
14 K. A. Wittfogel, Oriental despotism : a comparative study of total power,
New Haven, 1957.
176 PETER VON SI VERS

tiques. L'observation de l'existence en Asie d'un Etat plus fort qu'en


Europe, déjà faite par Thucydide et exprimée en version moderne
réductionniste par Wittfogel, semble essentiellement correcte, mais
c'est la combinaison d'une productivité agricole supérieure avec la
volonté unifiée des gouvernants dirigée vers leur «gloire» qui définit
la différence entre les deux continents.
Un phénomène plus important que la corvée est celui des
travailleurs salariés d'irrigation. Dans l'exemple de l'émir Baktut nous
rencontrons un élément qui transcende le système
d'auto-subsistance. Le chroniqueur n'explique pas précisément l'origine de ces
travailleurs. Il nous dit qu'ils étaient recrutés dans divers villages
appartenant aux émirs, mais il ne précise pas s'il s'agit de paysans
libres pendant les mois hors-saison du calendrier agricole ou de
travailleurs sans terres (ou sans terres suffisantes). D'autre part, il ne
mentionne aucun citadin, à l'occasion de la tâche projetée. De toute
façon, le chroniqueur nous révèle que le système d'auto-subsistance
et du fisc était doublé d'un système d'argent et d'échanges.
Les chroniqueurs irakiens du IIIe au Ve siècle H./IXe au XIe siècle
signalent aussi l'existence des deux phénomènes, corvée et travail
salarié. Mais ils précisent que la main-d'œuvre fut recrutée dans les
villages comme dans les villes. Nous apprenons qu'il y avait à
Bagdad «les gens des fossés» (ashâb al-qanawât) qui habitaient tout un
quartier et étaient organisés en corporation artisanale. Il y avait
aussi des travailleurs dans les faubourgs de Bagdad, dont un autre
chroniqueur nous présente un cas instructif de recrutement. En 327/939
un administrateur du palais, connu pour son honnêteté et son
efficacité reçut l'ordre du calife de réparer l'écluse d'un barrage. Il
termina le travail en 50 jours pour la somme modeste de 3.000 dinars,
même s'il lui avait fallu surmonter l'opposition des travailleurs qui
demandaient des salaires additionnels15. Peut-être peut-on conclure
que le circuit d'échange monétaire était plus développé qu'en
Egypte.
L'exemple des Carmathes cité au début de cet article suggère
peut-être la présence de travailleurs non-paysans dans les villages.
Pourquoi Tabari distingue-t-il des paysans et des travailleurs au Sa-
wâd, dont les moyens de susbistance ne doivent pas être détruits?
Au risque de sur-interpréter le chroniqueur on peut inférer que vers
la fin du IIIe/le début du Xe siècle on assiste à la présence d'un
marché irakien du travail d'irrigation plus ou moins intégré, reliant ville
et campagne.

15 Muhammad b. Yahyâ al-Sûlî, Akhbâr al-Râdî billâh wa'al-Mutaqqi Allah aw


tarîkh al-dawlat al- abbâsiyya min sana 322 ilâ sana 333 hijra min Kitâb al-awrâq,
éd. Heyworth-Dunne, Le Caire, 1935, p. 138.
LA FORMATION SOCIALE AU PROCHE-ORIENT MÉDIÉVAL 177

En sus, un nombre de remarques passagères esquissent le


tableau d'une main-d'œuvre rurale (sans terre?) qui fréquentait le
marché avec ses salaires. Par exemple, le fondateur de la secte car-
mathe était un homme qui quitta le Khûzistân pour un village du
Sawâd de Basra en 278/891 et prit un emploi comme gardien d'un
magasin de dattes. Ce magasin était sous le contrôle d'un négociant
de fruits et de légumes (baqqâl), qui les passait aux agents des
marchands (tudjdjâr) de Bagdad ou de Basra, lesquels emportaient les
dattes sèches à la capitale16. Il semble que les jardins de dattes dans
ce village aient été la ferme d'un marchand, mais de plus on peut
inférer qu'il y avait des échanges entre le marchand et le négociant et
entre le négociant et des travailleurs sans terre, dont notre agent car-
mathe est un exemple. Au-dessus du système d'auto-subsistance il y
avait un marché où les paysans et les travailleurs sans terre
échangeaient de l'argent et des vivres.
Cependant il ne faut pas exagérer cette présence du marché
dans les villages irakiens. Il est vrai que les percepteurs prélevaient
une partie des impôts en argent et par conséquent obligeaient les
paysans à fréquenter les marchés avec des produits agricoles et qu'il
y avait une clientèle de salariés prêts à acheter ces produits. Mais il
faut avouer que ces fréquentations du marché de la part des paysans
n'étaient pas volontaires, même si le marché était justifié par les
besoins des travailleurs. Les agents des marchands ne sont pas
présentés comme vendeurs de textiles et d'ustensiles manufacturés en ville
et comme acheteurs de vivres. Ils sont des collecteurs de rentes dans
un circuit fiscal secondaire, cédé par le calife aux marchands, au-
dessous du circuit des impôts califiens, attaché principalement à la
production des blés. Le système d'auto-subsistance dominait les
villages, même s'il y avait un espace limité occupé par le marché, dont
l'existence était due aux intérêts des gouvernants pour une main-
d'œuvre d'irrigation indépendante de la paysannerie.

3. Systèmes sociaux stables

Les deux éléments simples caractéristiques qui, selon


l'argument soutenu dans cet article, définissent la différence entre les
formations sociales du Moyen Orient médiéval et l'Europe féodale sont
l'existence d'un Etat relativement autonome et la prédominance des
investissements non-mécaniques dans l'agriculture. Cependant, ce
sont les mêmes caractéristiques qui, par exemple, distinguent aussi
l'histoire chinoise médiévale de l'Europe. Mais la Chine connut une
expansion dramatique de son agriculture et, par conséquent, de sa

Tabarî, op. cit., III, 2124-25.


178 PETER VON SI VERS

population, tandis que le Moyen Orient restait plus ou moins stable :


quant à l'Egypte où les données sont les plus sûres les surfaces
agricoles et le nombre d'habitants ont été estimés identiques pour la
période romaine et pour le XIXe siècle17. Dans cette dernière section je
voudrais évoquer la question des raisons possibles de cette
différence.
Il est bien connu que dans les systèmes d'auto-subsistance la
population avait tendance à s'accroître, même si le taux de progression
était généralement modeste18. Les paysans produisaient eux-mêmes
tout ce dont ils avaient besoin et par conséquent le travail était un
facteur relativement inélastique. La seule solution pour augmenter
l'élasticité du travail était d'élargir la main-d'œuvre familiale au delà
du point de reproduction simple, surtout pendant les périodes de
productivité. Dans le cas du Moyen Orient musulman le cadre de
prospérité fut créé originellement par la conquête d'une vaste zone
civilisatrice avec de grandes villes, dont plusieurs nouvelles19, des
domaines vastes sur des terres défrichées20 et un commerce actif
d'articles de luxe dans toutes les parties de cette zone et en dehors21.
L'expansion arabo-musulmane coïncidait avec la reprise
démographique après la peste de Justinien en 547, mais on ignore s'il y eut
une expansion continuelle ou graduellement ralentie jusqu'en 1348,
quand la peste noire de nouveau disloqua la population du Moyen
Orient. L'histoire démographique de la région est encore largement
«un essai de spéculation», comme Charles Issawi l'a nommée
correctement, bien qu'on puisse être raisonnablement sûr qu'il n'y a pas
eu diminution de la population.
La tendance à la stabilité ou à l'accroissement lent des
populations au Moyen Age est cependant un fait remarquable. Les classes
dirigeantes au Moyen-Orient semblaient souvent déterminées à
empêcher toute expansion démographique, même si elles avaient aussi
un fort intérêt dans l'accroissement de la main-d'œuvre disponible

17 C. Issawi, The area and population of the Arab empire : an essay in


speculation, dans The Islamic Middle East, 700-1900 : studies in economic and social
history, Princeton, N.J., 1981; M. Me Evedy & R. Jones, Atlas of world population
history, Harmondsworth, 1978; D. Panzac, La population de l'Empire ottoman et de
ses marges du XVe au XIXe siècle : bibliographie (1941-1980) et bilan provisoire,
dans Revue de l'Occident musulman et de la Méditerranée, 31, 1981, p. 119-137.
18 E. Boserup, Technology and social change, Chicago, 1983.
19 J. Lassner, Massignon and Baghdad : the complexities of growth in an
imperial city, dans Journal of the Economic and Social History of the Orient, 9, 1-2,
1966, p. 1-27; H. Djaït, Al-Kufa. Naissance de la ville islamique, Paris, 1986.
20 Morony, op. cit.
21 E. Ashtor, A social and economic history of the Near East in the Middle Ages,
Berkeley, Calif., 1976; S. D. Goitein, A Mediterranean Society : the Jewish
communities in the Islamic world as portrayed in the documents of the Cairo Geniza, vol. 1,
Economic foundations , Berkeley, Calif., 1967.
LA FORMATION SOCIALE AU PROCHE-ORIENT MÉDIÉVAL 179

pour l'irrigation. En sus, des guerres (avec des conséquences


énormes pour l'irrigation vulnérable), des dégradations écologiques
(par exemple, la salinité) et des maladies endémiques (outre les deux
grandes pestes22) ravageaient les pays à des intervalles plus ou moins
réguliers. Mais sauf en Irak, où une chaîne de désastres de la salinité
jusqu'à l'invasion mongole laissait des traces permanentes, le
système de l'auto-subsistance survivait à toutes les attaques.
Néanmoins, en comparant le Moyen-Orient à l'Europe, à la
Chine et éventuellement à l'Inde au Moyen Age il est incontestable
que le taux d'accroissement démographique était plus bas. Les
essais d'explication ne manquent pas : pour les orientalistes ce sont les
nomades opposés éternellement à l'agriculture et pour les historiens
sociaux le mode de production oriental (hydraulique, despotique)
qui ont empêché le monde musulman de progresser démographi-
quement et matériellement et d'arriver à un développement
capitaliste endogène. Ces formes d'interprétation datant du XIXe siècle
sont toujours courantes, même s'il y a eu une certaine
modernisation de l'argument23.
Malheureusement ces interprétations passent sous silence le fait
que la Chine et l'Inde étaient aussi des régions auto-subsistantes
irriguées sous des gouvernants concentrés en ville. Il est vrai, les classes
gouvernantes chevaleresques d'origine nomade ne firent leur
apparition en Chine et en Inde que vers la fin du Moyen Age (XIIIe et XVe
siècles), mais il n'y a pas de signes qu'elles aient été capables de
bloquer l'augmentation de la population d'une façon permanente. Dans
la terminologie de cet article, la Chine, l'Inde et le Moyen-Orient ont
en commun des tendances vers l'Etat autonome et les
investissements civils non-mécaniques - par rapport à l'Europe qui suivit des
tendances différentes - mais il faut identifier un troisième facteur
pour analyser la stabilité démographique relative qui distinguait le
Moyen-Orient du reste du monde ancien.
Si l'on regarde la Chine, l'Inde et l'Europe médiévales, on est
frappé des espaces énormes colonisés par les gouvernants des trois
régions. Les Chinois s'étendirent vers le sud, les Indiens et les
Européens (à part les expansions internes Normandes ou Ibériques) vers
l'est de leurs régions d'origine. Mais au Moyen-Orient des
expansions semblables furent impossibles dans le cadre de la technologie
hydraulique existante. Bien que les montagnes et les déserts autour
des bassins de l'Euphrate, du Tigre et du Nil aient été des espaces

22" Orientalisme
M. W. Dois, The
: Ashtor,
black death
1976; in
P. the
Crone,
Middle
Slaves
East,onPrinceton,
horses : the
N.J.,
evolution
1977. of
the Islamic policy, Cambridge, 1980. Mode de production : Hall, op. cit.; Mann,
op. cit., 1986.
180 PETER VON SIVERS

ouverts, ce n'est qu'avec la technologie moderne que ces espaces


sont devenus accessibles à l'agriculture.
Le cas de l'Egypte est instructif. De la longue série d'arpentages
exécutés au Moyen Age, on en connaît trois, reproduits par des
chroniqueurs pendant le règne des Mamlûks. Ces arpentages posent
beaucoup de questions, surtout du point de vue de la quantification.
Mais dans une vue plus générale il est incontestable que la surface
cultivée aux XIVe et XVe siècles était presque la même qu'au début
du XIXe siècle24. On arrive à la conclusion que la tendance du
système d'auto-subsistance à s'accroître démographiquement n'est
activée qu'en cas de possibilité d'expansion territoriale.
Dans le monde médiéval relativement vide cette possibilité
existait pour les trois régions, Chine, Inde et Europe. Mais au Moyen
Orient où cette possibilité n'existait pas avant la période moderne, il
faut déduire l'existence d'un équilibre relatif entre auto-subsistance,
Etat autonome et investissements dans le capital non-mécanique. Il
faut avouer qu'il est hasardeux d'avancer une telle hypothèse en
raison des conflits considérables qui opposaient l'Etat autonome aux
paysans auto-subsistants. Mais d'autre part il est incontestable qu'il
n'y a aucune logique pour expliquer pourquoi, par exemple, la
population de l'Egypte s'est stabilisée avant le XIXe siècle autour de 4,5 à
5 millions. L'expérience de la Chine nous apprend qu'il était possible
de pousser l'auto-subsistance vers une spécialisation régionale et des
échanges plus intensifs sans investissement dans le développement
de la mécanique (par exemple, moyens de transport ou outils). Peut-
être n'est-ce pas sans l'existence d'une frontière ouverte qu'il y a
progression de l'agriculture auto-subsistante du centre vers une
intensification des cultures. Hypothèse inverse : là où les frontières étaient
fermées pour l'expansion géographique du système de
l'auto-subsistance, le même système était aussi lent à s'intensifier.
De toute façon, quel que soit le statut de ces hypothèses (qui
méritent d'être approfondies dans un travail séparé), je voudrais
souligner ici que le cours de l'histoire moyen-orientale médiévale ne
manquait pas d'une logique intrinsèque. Il n'y avait aucune raison
pour des sociétés auto-subsistantes 1/ dépourvues des zones
périphériques de colonisation, 2/ sous des classes dirigeantes
concentrées dans les villes et 3/ orientées vers des investissements dans des
technologies non-mécanisées de suivre la voie de l'Europe ou même
de la Chine : il n'y avait aucune raison pour expérimenter avec une
mécanisation des outils ou une intensification de l'agriculture. Le

24 H. Halm, Ägypten nach den mamlukischen Lehensregistern, Beihefte zum


Tübinger Atlas des Vorderen Orients, Reihe Β (Geisteswissenschaften), Bd. 38/1
et 2, Wiesbaden, 1979.
LA FORMATION SOCIALE AU PROCHE-ORIENT MÉDIÉVAL 181

niveau de la productivité agricole était élevé, les moyens des


transports lourds pour les céréales en bateau étaient suffisants et la
technologie militaire chevaleresque était idéale pour conquérir des
régions lointaines sans créer l'obligation de coloniser les zones arides
périphériques. Il n'y avait aucune raison objective d'investir dans la
mécanique agricole pour augmenter les récoltes (charrue à roues du
type Brabant) ou dans la mécanique de transport (charrettes,
navires atlantiques du type caravelle). Le Moyen-Orient ancien était le
pionnier des systèmes d'irrigation et d'urbanisation qui ne furent
pas dépassés avant le XIXe siècle.
Sub specie aetemitatis il serait tout à fait injuste d'interpréter la
stabilité relative d'une formation sociale sans investissements dans
la mécanique comme «stagnation» ou même «déclin». Il est difficile
de comprendre pourquoi l'élément de la mécanisation est devenu le
critère décisif de distinction entre Europe «développée» et Asie
«stagnante».
Si l'on regarde les investissements de la classe dirigeante dans
l'agriculture il est évident qu'ils portaient surtout sur
l'infrastructure. On apprend que l'émir Baktut utilisait des rochers, du plomb et
du bois pour construire des canaux, des digues, des barrages, des
écluses, des norias et des ponts. Ce qui frappe c'est qu'on n'avait pas
besoin d'une machinerie élaborée, sauf pour les norias. Les
ingénieurs qui tenaient leurs emplois des gouvernants étaient des
ingénieurs civils (muhandisûn) et non pas, par exemple, des ingénieurs
en mécanique. Etant donnée la productivité supérieure de
l'agriculture à base d'irrigation, à la condition d'un réseau de canaux en
bon état et de l'absence de salinité, il n'était pas nécessaire de
chercher à améliorer les outils ou les moyens de transport et de traction,
par contre, les féodaux européens contemporains, dotés d'une
agriculture pauvre, étaient obligés d'investir dans l'infrastructure ainsi
que dans le stock mécanique s'ils voulaient percevoir des impôts
plus lourds de leurs paysans. Cette différence entre les orientations
des investissements est un élément crucial qui définit le cours
contrastant de l'histoire de ces deux continents.

Peter von Sivers

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