L'esprit : noûs-logos-pneuma
L'esprit n'est ni l'âme ni le corps. Les Pères de l'Église nous enseignent qu'il est
triadique. Nous ne parlerons pas ici de l'esprit en tant qu'il est troisième terme de
la triade précédente dans laquelle l'esprit est supérieur à l'âme et le corps
inférieur à l'âme. Nous le considérerons sous l'angle de la terminologie patristique,
en tant qu'il est composé :
- du noûs ;
- du logos intérieur (intérieur car il ne concerne pas les paroles);
- du pneuma, ou esprit intérieur.
Et ces trois éléments n'en font qu'un.
Il n'y a pas de mots, en français, qui correspondent à ces trois termes. La pensée
française est en effet entrée dans une vision duelle de l'homme : esprit-corps, ou
esprit-âme, ou intelligence-corps, et la vision triadique a disparu. Les Russes, au
contraire, avaient trois mots correspondant à noûs, logos et pneuma, restés dans
la littérature mystique des XIVe et XVe siècles, et dans les textes liturgiques; mais
ils ont disparu, et il n'est resté que le dernier. Ainsi les Russes ont confondu le
pneuma avec l'esprit, l'ambiance, le climat, le bon esprit, qui sont des catégories
psychologiques.
La triade de l'esprit : noûs-logos-pneuma, elle, est bien distincte du monde de
l'âme et du corps, de la dimension psychosomatique de l'homme. Dépister, dans
l'être humain, cette partie supérieure, différente, qui nous influence mais ne se
confond pas avec les autres plans, tel est notre sujet.
Les triades que nous avons évoquées au chapitre précédent sont initiales et du
domaine de la nature. Il faut maintenant tenir compte d'une nouvelle triade,
indispensable, non pas pour définir l'homme en soi selon la nature, mais pour
comprendre l'homme concret, dans l'état d'après le péché. Le péché est en effet
un élément nouveau dans le monde. Il a bouleversé les rapports entre les
différents termes des triades.
L'être humain a toujours présentes en lui trois volontés :
- divine ;
- humaine ;
- diabolique ;
Trois choix, trois tensions qui font qu'il peut être dans trois états : ciel - terre -
enfer. Parmi ces trois volontés, la volonté humaine est celle qui choisit, ou bien de
s'harmoniser avec la volonté divine : c'est la synergie ; ou bien d'être captée par la
volonté diabolique qui, notons-le, n'a rien à voir avec la chair.
On doit distinguer ces trois volontés. Saint Antoine le Grand dit que cette
distinction est une des plus grandes vertus, qu'elle est le discernement. Prenons
quelques exemples.
Ainsi, un acte de charité : un tel acte peut être bon ou mauvais par ses résultats.
La volonté peut venir du diable - prétexte à se faire valoir - ou bien de l'Esprit
Saint. Certains proclament une seule volonté honnête : « Je suis franc. » D'autres,
tel Julien Green, font s'affronter deux volontés : divine et sexuelle. Ces deux
attitudes sont des approximations, elles ne sont pas la Vérité. Car il y a trois
volontés en l'homme : céleste, naturelle, diabolique. Si l'on en oublie une, on est
dans l'erreur; on est dualiste, donc dynamique, mais on n'est pas dans le vrai. On
se fatigue entre ciel et terre, ou entre le divin et l'infernal - dans lequel, d'ailleurs,
on introduit en général le naturel, tandis que l'on qualifie de « célestes » des
émotions humaines. La fatigue vient du fait qu'on a oublié l'humain. On s'installe
dans un certain équilibre, mais on perd le sens des vérités jusqu'à ce qu'advienne
une crise spirituelle.
Le noûs expérimenté
Saint Paul, dans la première épître aux Corinthiens, distingue l'homme psychique
et l'homme spirituel ! et dans la première épître aux Thessaloniciens, il dit : « Que
tout votre être : l'esprit, l'âme et le corps, se conserve irréprochable jusqu'au jour
de l'avènement de notre Seigneur Jésus-Christ » Dans l'épître aux Hébreux il dit : «
La parole de Dieu est puissance, elle partage le pneuma et le psychique. » Il a
projeté auparavant la lumière sur le mot repos que nous employons dans la prière
des défunts : le repos n'est pas la somnolence ou la quiétude, il est « non-agitation
». Ce texte marque nettement la séparation entre l'esprit et l'âme dans l'être
humain.
Athénagoras d'Athènes, contemporain de Justin l'Apologète, montre que, dans la
Trinité comme dans l'anthropologie, le noûs contient éternellement, par son
existence même, le logos. De son côté, saint Irénée distingue clairement physis,
psyché et noûs. Le terme physis est employé chez les Pères, de différentes
manières. La physis de Dieu est sa nature. Saint Irénée, de son côté, donne
à physis un sens corporel : soma, corps, chair.
Au Moyen Age, sous l'influence de la théologie, on distingue deux amours :
l'amour physique, qui cherche l'union de deux natures, et l'amour extatique, qui
s'oublie, se donne (ce n'est pas l'extase). Chercher l'union avec Dieu, c'est l'amour
physique. Déjà, dans la genèse de la Création, les Pères distinguaient deux actes
divins : le corps tiré de la terre (physis), et l'âme recevant de Dieu son esprit.
L'âme et le corps agissent en relation. L'âme, l'intermédiaire psychique, est un
balancement entre le corps et l'esprit. Son rôle est, ou de se spiritualiser, ou
d'incliner vers le corps. L'âme donne aux éléments tirés de la terre, au corps, à la
nature-physis, leur déséquilibre et leur ampleur.
L'âme reçoit l'esprit, elle le contient, mais l'esprit n'est pas mélangé à l'âme.
L'épée - la parole de Dieu - pénètre jusqu'à la jointure de l'âme et de l'esprit. Il n'y
a pas de co-pénétration naturelle.
Pour l'esprit, saint Irénée emploie les trois mots, noûs, logos, pneuma, le premier
étant souvent remplacé par l'un des deux autres. Saint Irénée introduit un élément
nouveau : l'esprit n'est pas formé, il sauve, forme, organise ; tandis que le corps,
lui, est formé, il appartient au monde objectif.
On a tendance à confondre l'esprit de l'homme avec l'Esprit de Dieu. Dans
l'expérience de l'extase intérieure, non seulement il y a union de l'esprit avec Dieu,
mais l'âme et le corps disparaissent.
A l'appui de ces trois termes, saint Irénée définit les notions d'image et de
ressemblance. L'image de Dieu, c'est l'univers entier. Le corps, comme tout
l'univers, est à l'image de Dieu. C'est un don. Mais la ressemblance est une
acquisition, un progrès, qui se réalise par la volonté libre de l'homme. Un saint est
« à la ressemblance ».
Saint Clément d'Alexandrie, au IIIe siècle, distingue, quant à lui, trois réactions
dans l'homme :
- le corps, qui est sensation, sentiment ;
- l'âme, qui est désir ;
- l'esprit, qui est le noûs.
Un des caractères de l'âme est le désir. Quand l'homme vit dans le monde
psychique, ce n'est pas le corps qui désire, car il sent. Ce qui désire n'est pas le
corps. Mais l'âme sera toujours désireuse - inquiète ou non. Ce désir, par nature,
va vers la chair; mais il doit aller aussi vers l'esprit, sinon, à un moment donné, il y
aura insatisfaction.
Du point de vue de la Tradition, Origène commet une erreur : il ne considère pas
que, par nature, l'homme a trois éléments. Pour lui, l'âme est la chute du noûs,
elle est le noûs refroidi de son ardeur d'amour de Dieu (cf. Livre des Principes).
C'est glisser vers une fausse conception de l'anthropologie chrétienne. Pour
d'autres que lui, c'est le corps qui est la chute de l'esprit.
Ces erreurs nous amènent à faire une remarque, car il y a un piège et il faut être
vigilant. En effet, la triade hiérarchisée qui forme l'homme en soi peut se
transformer. Être spirituel ne veut pas dire mépriser le monde psychique, ce qui
est facile. Et dans l'histoire humaine, il est arrivé que l'homme en quête de vie
spirituelle, sans mépriser le corps, l'atrophie, et qu'en haine du psychique, il se
mette à mépriser la culture. Ainsi, le liturgiste peut mépriser la musique profane,
celui qui contemple les icônes peut haïr la peinture profane.
Au XIVe siècle, un anachorète qui s'était dépouillé de tout vivait ayant à jamais
fermé sa fenêtre au soleil. Un fou en Christ est alors venu vers lui, a percé la
fenêtre, a introduit des fleurs, des icônes et lui a dit : « Toi, sors et loue Dieu pour
la beauté et l'émotion psychique devant la nature. »
On ne doit pas rejeter le monde psychique qui crée la littérature profane et
façonne l'être humain. Dans le Christ, il y avait d'ailleurs un équilibre splendide :
esprit, âme, corps. Le Christ pleure sur Jérusalem, ou sur Lazare, son ami mort,
alors qu'Il sait qu'Il va le ressusciter. Il dit aussi : « Mon âme est triste jusqu'à la
mort. » Il dit mon âme, car l'esprit est toujours le spectateur, mais pas indifférent.
Mais Il voit que Son âme souffre, et Il n'a pas tué la tristesse, catégorie de l'âme,
au nom de l'esprit.
Didyme l'Aveugle distingue en l'homme les trois éléments : physis, psyché, noûs,
comme saint Grégoire de Nazianze et saint Grégoire de Nysse qui discernent le
corps, l'âme et le noûs, placent le noûs comme médiateur entre Dieu et la chair,
et insistent sur le fait que le noûs humain a une essence telle qu'il est capable de
connaître Dieu, alors que le corps et l'âme ne le peuvent pas. Le noûs est en effet
à la ressemblance de Dieu, et médiateur entre Dieu et le monde. Il est le lieu de
communication avec Dieu.
Pour saint Maxime le Confesseur : « Le noûs est une essence sans forme, précédant
tous les mouvements et informant. » Voici un exemple éclairant cette parole. Au
IVe siècle, apparut l'hérésie appelée apollinarisme. Apollinaire était ami
d'Athanase et ennemi d'Arius. Il conçut que le Christ avait un corps et une âme,
mais que son esprit était remplacé par le Logos divin : ceux qui combattirent cette
hérésie dirent qu'il s'agissait d'un Dieu-bête et non du Dieu-homme.
Les Pères de l'Église ont produit quantité de textes sur ce sujet que nous allons
maintenant aborder, ce qui va nous permettre d'apporter quelques précisions sur
les trois termes de la triade : corps-âme-esprit.
Le Christ : corps-âme-esprit
Le Christ est pleinement Dieu et pleinement homme. Il a deux natures en Lui : une
nature divine, et une nature humaine dans laquelle il est corps-âme-esprit. Mais il
n'a pas deux personnes en Lui. Sa personne, Son hypostase, est divine.
Il faut donc distinguer l'esprit, le noûs, de l'hypostase. L'esprit, non formé mais
informant, est presque un acte pur, et pourtant ce n'est pas l'hypostase.
Dans cette lumière du Christ, qu'est-ce que le CORPS de l'homme ? Il est individuel.
Formellement : mains, bouche... nous appartiennent en propre; mais, par sa
configuration, chaque corps est pourtant le corps humain. La combinaison est
individuelle. Mais, dans chaque détail : cheveux blonds, noirs... nous entrons dans
une même catégorie avec d'autres.
L'ÂME est également une combinaison, mais moins formelle que le corps, qui est
stable, qui a un rythme et une certaine composition. L'âme, par nature, est une
combinaison de différents éléments : tempérament et autres. Mais on ne peut la
comparer avec le corps, car elle est mouvante, oh combien! Cependant, chaque
composante de l'âme appartient aussi à d'autres, avec d'autres combinaisons :
types lents, etc.
L'ESPRIT, lui, est nature, objectivité. Il n'est pas une combinaison mais mon esprit,
mon noûs-logos-pneuma. Quand l'homme s'intériorise, il arrive à vivre dans l'esprit.
Deux êtres peuvent ne jamais se rencontrer spirituellement, mais ils se
rencontrent s'ils sont dans un même plan, quand ils parlent un même langage.
Cependant, l'homme spirituel n'est pas toujours un saint. Et deux êtres spirituels,
par exemple un prêtre orthodoxe et un hindou, peuvent se comprendre, même si
la Révélation est quelque chose de différent pour chacun.
Il n'y a pas des esprits, il y a l'esprit. Les dons ne sont pas l'esprit. On ne peut
arriver à l'unité de l'humanité si on reste dans le plan physique ou psychique; il
faut entrer dans le plan spirituel car, s'il y a des consciences différentes, l'esprit
est le même.
Sur cette question, les conceptions hindoues comme la philosophie grecque
emploient certaines terminologies troublantes. Aristote, par exemple, parlant de
la bête raisonnable, confond le noûs, l'esprit, avec la raison. Ce n'est pas
complètement faux, mais c'est une approximation. Car une des qualités du noûs,
c'est son contact possible avec Dieu, ce qui n'est pas du tout du domaine de notre
raison. En effet, le noûs est ouvert à la connaissance divine.
Ces quelques précisions rendent compte de l'erreur d'Apollinaire. Si le Christ est
Dieu mais pas homme complet, l'homme ne peut être déifié, il ne peut être sauvé.
Le Christ doit donc être homme complet. Pour les Pères, les bêtes aussi sont
raisonnables, elles ont une vie psychique - et une âme très forte - mais Apollinaire,
répétons-le, supprime toute possibilité de déification.
Précisons préalablement que les anges, les esprits, le noûs sont une création,
comme le corps et l'âme, ils entrent dans l'univers créé, mais la forme de leur
création est différente de celle de l'âme et du corps.
En effet, la Parole de Dieu crée le monde visible. Le monde visible, la matière et
la psyché liée à la matière sont créés par la Parole de Dieu. Dans son Évangile,
l'apôtre Jean dit : « Au commencement était la Parole... Toutes choses ont été
faites par elle, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans elle.... » Tandis que le
silence, le Verbe intérieur de Dieu, crée le monde invisible, le monde angélique et
l'esprit. Il y a donc deux actions de création de Dieu : un certain extatisme, une
extériorisation, c'est la création du monde visible; mais le monde invisible est créé
dans le silence, le noûs est créé dans la contemplation.
C'est un grand mystère. Disons que la Parole crée la matière comme manifestation-
symbole, comme expression de Dieu. De même font les mots, les lettres, quand
nous exprimons notre pensée. Par eux, nous nous extériorisons, nous donnons
quelque chose sans revenir dessus, en nous limitant. Mais pour retrouver le noûs,
une des conditions essentielles est d'être dans le silence : silence de désirs, de
peines, de sentiments - ce n'est pas l'apathie, qui a un autre sens.
C'est dans ce silence et par le silence divin que le noûs apparaît, car le silence
divin est aussi créateur que la parole divine. Pour que les anges servent Dieu, pour
que leur création soit ouverte à Dieu et vive par lui, elle doit se faire dans le
silence. Dieu parle et se tait. Il se manifeste et se cache; il se manifeste et se
cache encore. La création intérieure est comme une pause dans la grande
musique. Celle-ci doit avoir des pauses de sonorité pour que la symphonie soit. Les
anges et les esprits sont ces pauses. Ils sont créés par le silence. Dieu parle en eux.
Ainsi, la Création parle de Dieu. Mais dans le noûs, c'est Dieu qui parle. Sa racine
est en Dieu silencieux. Toutes les extériorisations empêchent de retrouver le divin.
Il faut donc s'intérioriser pour trouver le noûs.
Le noûs vient de Dieu, non pas comme une émanation, une énergie, une étincelle
tombée de Lui ; mais dans le silence où Dieu se retire pour avoir quelque chose de
semblable à lui.
Cette définition n'est pas absolue. Si nous prenons toute la Création, rien ne
subsiste en soi, il y a toujours une relation de dépendance avec autre chose. Mais
le noûsn'est pas conditionné par l'extérieur. Il existe en lui-même.
L'âme peut être gaie ou triste, elle appartient au monde psycho-physique. Mais
le noûs est en lui-même, il se nourrit de Dieu. Il peut être étouffé ou diminué par
l'homme charnel, mais il n'est pas défini : il est en soi.
Cela explique pourquoi l'homme est inquiet et veut toujours se dépasser. Nous
voulons toujours être plus que nous sommes. L'erreur est de croire que nous le
pouvons sur le plan physique. Sans doute pouvons-nous organiser, combiner notre
vie corporelle et psychique, mais nous ne pouvons pas la dépasser, car le corps est
lié par la loi de la nature et n'a pas la fonction de dépassement. Celle-ci appartient
au noûs, parce qu'il a pour caractère d'aller vers Dieu. Le noûs peut entraîner le
corps (lévitation, marche sur les eaux), ou donner des puissances à l'âme, puisqu'il
va vers Dieu. Mais la nature, comme la technique (l'aviation, etc.), ne se dépasse
pas : elle se combine. L'organisation devient plus rationnelle, la rapidité s'accroît,
mais il ne s'agit pas d'un dépassement.
Quand l'homme vit uniquement dans le monde psychique et non spirituel, il peut
avoir des élans de l'âme : piété, émotion... mais il ne peut s'élever à l'intelligence
de Dieu, à la connaissance divine. L'âme peut croire et doit croire, elle peut
donner l'élan de la prière, mais les élans sont fragiles et tout d'un coup les êtres
tombent. Elle peut avoir une certaine élévation, être créatrice mais, par nature,
elle ne peut s'élever car elle est changeante. C'est pourquoi toutes les fausses
mystiques sont toujours psychiques. Elles ne sont pas stables.
Pour combattre cette instabilité, il faut lutter toute sa vie et se rappeler ce
proverbe du mont Athos : « Si tu pleures, si tu ris, c'est le petit démon qui danse
devant toi. » Le démon, c'est l'élément changeant.
En revanche, l'âme peut s'élever si elle est entraînée par le noûs, elle peut alors
participer à la connaissance, mais c'est le noûs qui s'élève à l'intelligence divine,
au-delà du rationnel, de la déduction, du sentiment, de la logique.
Le noûs s'unit à la lumière divine. Il est complètement saisi par elle, dans une
union telle que, expérimentalement, on a l'impression qu'il n'y a pas de différence
entre lui et Dieu. L'apôtre Paul dit que cette union est plus forte que celle du fer
avec le feu. C'est le corps déifié, Dieu en tout.
Le noûs est naturellement tourné vers Dieu. Quand il s'ouvre, il devient tellement
consentant que, tout en étant différent par origine, il accède à ce moment de
total silence où il n'y a que l'Inexprimable : Dieu !
TROISIÈME PARTIE
La prière
Avertissement
À l'origine de cet ouvrage, il y a un cycle de vingt-et-une «leçons» professées
durant l'année 1958-1959 à l'Institut de théologie orthodoxe Saint-Denys par son
recteur, l'archiprêtre Eugraph Kovalevsky, futur évêque Jean de Saint-Denis, et
publiées à l'usage des étudiants sous la forme d'un cours ronéotypé,
intitulé Technique de la prière, dont des extraits parurent dans plusieurs numéros
des Cahiers Saint-Irénée en 1959 et 1960. Par la suite, le texte fut adapté et les
«leçons» transformées en chapitres, afin de former la matière d'un livre publié
sous le même titre en 1971 par Présence Orthodoxe. Suivit en 1979 une nouvelle
édition, par les soins des Éditions Eugraph, où les chapitres se trouvaient, pour la
commodité de la lecture, subdivisés en sous-chapitres. Enfin les Éditions Friant
firent paraître en 1981 une nouvelle édition, proche de celle de 1971, à
d'importantes différences près : la division en chapitres n'était plus vraiment
respectée ; avaient disparu du corps du texte, «afin d'alléger la présentation»,
toutes les références scripturaires et patristiques ; étaient également supprimés
les cinq derniers chapitres consacrés aux commentaires d'Origène, de saint
Cyprien de Carthage et de saint Cyrille de Jérusalem sur le Notre Père ; enfin
étaient omis les «exercices» qui concluaient précédemment les huit premiers
chapitres et devaient servir à la mise en application des «techniques» enseignées
dans ces chapitres. On peut mentionner aussi pour mémoire diverses versions
dactylographiées ne constituant pas des éditions «officielles». Ce qu'il importe de
relever, c'est que, de toutes ces éditions et versions, seule la première a paru du
vivant et sous le contrôle de l'auteur (décédé en 1970).
Pour l'établissement du présent texte, nous les avons toutes collationnées avec
soin, en donnant systématiquement la préférence, en cas de divergences, à la
version originale, celle du cours, ce qui nous a permis de corriger un certain
nombre d'erreurs de transcription et d'impression qui s'étaient fâcheusement
perpétuées d'édition en édition.
Pour la meilleure intelligibilité possible du texte, nous avons un peu retouché la
ponctuation en fonction de l'usage, lequel a passablement évolué en trente ans.
Dans le même esprit, nous avons conservé la subdivision en sous-chapitres. En
effet, bien que l'édition originale n'en comportât pas, elle nous a paru mettre
utilement en relief l'articulation d'ensemble et de détail de l'ouvrage et de ses
différents chapitres, tout en facilitant les recherches dans la table des matières.
Toutefois nous n'avons pas hésité à la remanier chaque fois qu'elle ne nous a pas
paru correspondre à la logique interne du chapitre considéré. Nous avons en outre
ajouté un certain nombre de notes explicatives. […]
Une autre précision nous paraît s'imposer. Ce terme de «technique» ne doit pas
égarer. Le lecteur friand de techniques corporelles risque une grande déception :
il n'en est pour ainsi dire pas question. Rien de plus étranger, en effet, à la
tradition chrétienne, que de considérer et traiter le corps isolément et à part,
indépendamment de l'âme et de l'esprit qui, unis à lui, constituent le tout de
l'individualité humaine. Il en va de même, d'ailleurs, dans toutes les traditions
authentiques, et il y aurait beaucoup à dire sur la propension des Occidentaux
contemporains à pratiquer un yoga purement corporel, ou, à la rigueur,
psychosomatique, déconnecté de son support spirituel traditionnel.
Pour en revenir à la «technique de la prière» enseignée dans la première partie
de l'ouvrage, elle est, on le verra page après page, indissociable d'une théologie
et d'une spiritualité profondément et intimement nourries des Ecritures et des
Pères. De même que, en sens contraire, les commentaires théologiques
(scripturaires et patristiques, eux aussi) qui constituent la deuxième et troisième
parties, inspirent des conseils spirituels, lesquels, à leur tour, induisent une
démarche priante, construisent une «technique de la prière». En sorte qu'au bout
du compte, le titre se trouve adéquat à la totalité de l'ouvrage.
«Notre vœu», écrivait l'auteur dans le texte cité plus haut, «est d'ouvrir ainsi à
chacun, autant que nous le pourrons, le chemin de la prière». Nous en formons un
autre : d'ouvrir de la même façon le chemin de la lecture des Écritures, c'est-à-
dire de l'écoute de la Parole de Dieu. Les Écritures, le P. Eugraph, puis évêque
Jean, à force d'en être quotidiennement nourri depuis sa plus tendre enfance, les
avait totalement assimilées. Aussi advenait-il rarement, et uniquement dans un
but pédagogique précis, qu'il en citât textuellement un passage, à livre ouvert. La
plupart du temps, il citait de tête - ou de cœur - parfois en modifiant légèrement
les termes, d'autres fois en combinant entre eux deux passages. Ainsi ont procédé,
dans la suite des temps, tous les apôtres et tous les Pères, par exemple saint
Paul, ou saint Irénée de Lyon, pour ne choisir que parmi les plus grands.
Comme nous espérons, s'il plaît à Dieu, que ce livre tombera entre les mains de
lecteurs qui ne sont pas forcément familiers avec les Ecritures, nous avons
mentionné en clair toutes les références, la plupart du temps implicites ou
allusives, faites par l'auteur au cours de son propos. Nous avons appliqué la règle
suivante : sont mentionnés dans le texte, entre parenthèses, les références
correspondant à des citations littérales de l'Ancien ou du Nouveau Testament ; en
revanche, sont renvoyées en notes les
références aux passages auxquels l'auteur fait allusion sans les citer précisément,
ou qu'il cite en les transformant un peu. Nous avons en outre vérifié, et corrigé au
besoin, toutes les références figurant dans les éditions précédentes. Très
certainement, le lecteur, s'il prend la peine de se reporter à ces passages de
l'Écriture - qu'il soit ou non familier avec elle, n'importe, le phénomène agira de
la même façon - fera des découvertes utiles pour lui àce moment précis.
Comment agir avec les sentiments et pensées qui nous assaillent malgré nous ? Les
laisser passer comme un film de cinéma, les considérer comme des objets dans une
vitrine, ne pas tenir compte de ce que nous ressentons : «demeurer avec patience
dans la prière».
La nouvelle connaissance qui naîtra de cette prière n'aura plus de rapport avec nos
pensées et nos sentiments. Elle sera donnée par Dieu, directe, et rappelant ce que
l'on pourrait nommer la « connaissance-ignorance », sans curiosité, ni possession
des objets qu'elle connaît, à l'image de cette prière patiente qui marche vers
l'ineffable Trinité.
Chapitre Deuxième
LA PAIX INTÉRIEURE
SOYONS EN SILENCE
«En paix, prions le Seigneur» - l'Église ouvre ainsi les litanies. Les livres
monastiques recommandent, avant de commencer toute prière, de se placer
devant Dieu et de faire la paix intérieure. Au cours de la messe, nous
chantons : «Que toute chair humaine fasse silence... Qu'elle éloigne toute pensée
terrestre...» «Soyons en silence»,ordonne le diacre aux moments solennels de la
liturgie.
Cette paix, ce silence sont les conditions nécessaires pour que la prière soit
efficace. L'être qui s'élance dans la prière avec agitation ne peut prier. Certes,
cette paix et ce silence ne sont pas encore ceux que l'âme acquerra vers la fin de
la vie spirituelle, mais je dirai qu'ils sont le recueillement préparatoire, l' « effort
vers ». Nous avons besoin, pour bien écrire une lettre, d'un papier blanc, non
raturé ; il est malaisé de peindre sur une toile déjà peinte. La prière, de même,
réclame un nettoyage intérieur.
Le problème du recueillement et de la paix précède donc la prière. Voici ce qui
advient en général ; le matin, nous essayons de prier, nous sommes alourdis plutôt
qu'agités, endormis, et notre prière se traîne. L'Église le sait : elle n'exige pas le
silence, au contraire, elle propose les psaumes d'entrée qui réveillent l'âme peu à
peu, et conseille de courtes prières pour couper la journée. Mais si nous ne
pouvons suivre le rythme liturgique des Heures, comment passer alors du remue-
ménage des pensées au silence ?
Il existe diverses méthodes qu'il serait fructueux d'expérimenter dès la jeunesse.
LE SPECTATEUR
La plus antique est celle du spectateur. Vous êtes inquiet, angoissé ? Placez-vous
devant votre état d'âme et votre conditionnement extérieur comme s'il s'agissait
d'un autre. Parlez de vous-même à la troisième personne ; donnez-vous un
diminutif un peu ridicule ou un nom solennel. Je penserai, par exemple, pour moi-
même :« Aujourd'hui Monseigneur est plus agacé que charitable ». Saint Séraphim
de Sarov disait de lui-même : « le pauvre Séraphim ». Cette méthode doit être
pratiquée dans les bons comme dans les mauvais moments. En effet, si vous avez
secouru votre frère ou si vous avez ressuscité un mort (tout dépend de vos
capacités !), alors, plus que jamais, parlez de vous à la troisième personne.
Le maréchal Foch affirmait que les vrais militaires ont terriblement peur, et qu'il
faut s'habituer à ne pas avoir peur de la peur. Seuls les insensés ne craignent rien :
ils meurent héroïquement, se jettent sans réflexion sur l'ennemi qui les tuera
avant qu'ils aient pu agir, et ils n'apportent rien au combat. Le courage consiste à
ne pas avoir peur de la peur, la sérénité intérieure à ne pas avoir l'angoisse de
l'angoisse, ni de sentiment sur son propre sentiment. Regardons-nous en
spectateurs, nous ne sommes pas le centre de l'humanité... regardons-nous.
FAIRE LE VIDE
La seconde méthode est celle d'Ambroise d'Optino : «Fais de toi rien, afin que
Dieu fasse de toi l'univers» ; autrement dit, c'est faire le vide, stopper les
pensées, les désirs, les jugements sur les autres et sur soi.
Êtes-vous capable de vous asseoir et soudain de ne rien faire, de n'être rien ? Alors,
c'est parfait. Mais j'ai l'impression que ce n'est pas facile, car aussitôt affluent les
images et les soucis. Songez alors : « Tout ce que j'ai fait, tout ce que je fais, tout
ce que je dois faire, tout ce que je n'ai pas fait n'a aucune importance, et si je
dois demeurer dans l'état où je me trouve pour l'éternité, que Dieu soit
béni ! » Videz votre être intérieur, arrivez au néant".
LES DEUX POSSIBILITÉS
Très proche d'elle est la troisième méthode est celle des deux possibilités. Une des
inquiétudes humaines réside dans le choix. L'homme peut choisir la vie spirituelle
ou matérielle, dans la maladie il peut guérir ou mourir, etc. Ces deux possibilités
suscitent le trouble, et le plus grand est l'hésitation. Une attitude fausse est
préférable à l'hésitation. Les Pères enseignent de ne jamais s'immobiliser dans
l'indécision, entre deux chemins. Celui qui hésite est un perpétuel déserteur. A la
guerre, il y a deux moyens pour ne pas être tué : attaquer ou « filer », et sera
certainement tué celui qui se demandera s'il doit attaquer ou reculer. En face de
votre péché, l'hésitation est l'attitude la plus dangereuse.
Le choix appelle deux décisions. La première : je choisis ce qui m'est facile, je
renonce à la vie parfaite, spirituelle et monastique, je m'occupe de mon
commerce, Dieu me pardonnera, je choisis une bourgeoise petite route. La
seconde : je choisis la prière et le Christ, supprimons le confort, les voitures et la
quiétude.
Le choix semble, à première vue, aisé. Eh bien ! non. L'être humain, la plupart du
temps, est composé de sentiments si différents, « complexes » comme dirait notre
langage moderne, qu'il n'a pas la force de choisir totalement son but. Jean de
Cronstadt disait que l'on doit se jeter dans la décision comme dans le feu, et Mgr
Winnaert déclarait, dans un de ses sermons, que pour aller vers la sainteté, il
suffisait de dire : « A partir de cette seconde, je me jette dans la sainteté », mais
on ne le fait pas ! Si l'on choisit, aussitôt - telle est la nature humaine - une foule
d'arguments contraires se précipitent.
La voix de la décision est celle des grands êtres, dans le péché ou la sainteté. Elle
n'est valable que si l'on sacrifie patiemment tout au but.
LE REFUS DU CHOIX
Il existe un autre chemin pour atteindre la paix avant la prière : accepter les deux
possibilités en se remettant à Dieu. Ce n'est pas une hésitation, mais un refus de
choix.Demain, je serai riche ? J'accepte. Je serai pauvre ? J'accepte. Je suis un
raté ou un génie ? Comme Dieu voudra. La répétition de cette phrase nous donnera
la paix.
C'est donc la troisième méthode, après celle du spectateur et du vide : renoncer
au choix lorsqu'il se présente. Vous pouvez même aider votre âme intérieure en
pensant que l'insuccès est aussi utile en Dieu que la réussite contre sa volonté et
vous fortifier par l'exemple de certaines vies dites ratées, supérieures
spirituellement à tant d'autres taxées de merveilleuses. Combien sont des « morts-
vivants » dans l'abondance ou le succès !
Il est donc nécessaire de s'incliner devant les deux possibilités : j'accueillerai cette
journée, qu'elle soit faste ou néfaste. Je viens de prononcer les mots : faste et
néfaste. J'ai remarqué que l'influence de l'astrologie ou autres sciences du faste et
néfaste diminuent beaucoup d'âmes en les plongeant dans l'inquiétude. Je
reconnais que cette tension a pu parfois développer la sensibilité de certains
esprits et que la Providence tire souvent le bien de l'équivoque, mais il est aussi
certain que cela risque d'altérer le jugement.
Certes, nous sommes tellement accoutumés à tendre notre âme vers quelque
chose, qu’il nous est difficile d’accepter ou de nous arrêter dans le vide, ni passé,
ni présent, dans le « je ne suis rien ». A ce propos, faites une expérience,
pensez : « Si l'on m'ordonne de tracer des cercles sur la place de la Concorde, ou
de planter un arbre les racines en l'air, je le ferai ». Ah ! Si vous pouvez
intérieurement faire n'importe quoi, vous dépouiller de la « jugeote » inutile qui
anéantit notre intelligence, alors vous n'êtes rien ! Ne vous y trompez pas, les
hommes intelligents ne « pensent » pas, et dès que l'on « pense » - dans le sens
vulgaire de ce mot - on n'est pas intelligent. Les êtres qui aiment profondément,
sont-ils distraits par de petits désirs ? Un proverbe russe nous apprend que : « Seuls
les dindes et les crétins pensent ».
On ne peut malheureusement demander à tous de ne pas penser. Sans doute avez-
vous remarqué que les gens bêtes pensent énormément ; ils « mijotent », ils
jugent, ils composent, ils réagissent, ils protestent, ils approuvent - toujours en
mouvement…
S’ACCROCHER A UNE IDÉE FIXE
L'Église nous offre une quatrième méthode : « nous accrocher à une idée fixe ».
C'est une forme d'entêtement, le principe de la prière répétée, du chapelet, mais
avec une pensée. Admettons que ce qui compte pour moi est de prononcer six
cents fois par jour le Nom de Jésus, ou de m'appliquer durant tant de minutes à
telle pensée. Ayant posé ce but unique, le reste perdra de son importance. Cette
conduite me procurera l'équilibre et m'enlèvera l'inquiétude.
RIEN NE M’EST DÛ
Ajoutons enfin la cinquième et dernière méthode : incruster dans son esprit : Rien
ne m'est dû.
Les agitations, en général, ont comme source la prétention que telle ou telle chose
nous est due, que l'humanité doit agir avec nous de telle ou telle manière. La
prétention est le sol de l'inquiétude. «Comment ? Il m'a abandonné ! Il n'a pas
reconnu le bien que je lui ai fait ! On me traite avec injustice. Dieu ne me
comprend pas !».Et la crise est née. Mais si vous considérez que rien ne vous est
dû, ni le salut, ni la santé, ni l'amitié, si vous vous émerveillez de ce que vous avez
des yeux pour voir, une bouche pour embrasser ou pour manger, et que, de plus,
vous tenez debout ; si vous pouvez faire une liste des dons reçus, en
constatant : « Tiens, j'ai encore cela »,la sérénité sans crépuscule montera dans
votre cœur.
« BIENHEUREUX LES PAUVRES EN ESPRIT »
Une seule expression du Christ réunit ces cinq méthodes : «Bienheureux les
pauvres en esprit» (Matthieu 5, 3).
Car, en réalité, le spectateur qui se regarde se dépouille, celui qui fait le vide se
dépouille, celui qui décide ou celui qui se confie en Dieu se dépouille, celui qui ne
prend que l'essentiel se dépouille, sans parler du dernier qui ne réclame rien.
Pauvreté en esprit.
Ne l'oubliez jamais : la loi de progression de la vie spirituelle est de ne point
soumettre son âme aux jugements abstraits ou à sa propre utilité. Je m'explique.
Du point de vue objectif, il est exact de concevoir, par exemple, qu'ayant travaillé
toute sa vie pour sa famille, il serait normal qu'elle ait de la reconnaissance. Oui,
c'est exact, mais votre âme sera troublée. Tandis que si vous dépassez le jugement
objectif, vous serez susceptible de prier.
Parvenons, peu à peu, à ne pas être touchés par le monde des appréciations
passionnelles, méta-physiques, philosophiques. Pénétrons au sein du monde
intérieur d'équilibre et de paix. Ce dernier exige, du moins provisoirement, le
sacrifice du jugement dit objectif. Considérez ce paradoxe d'un saint qui, ayant
atteint le sommet de l'humanité, se regarde - et ceci très sincèrement - comme
« un avorton ». Parlant avec un pécheur puant le péché, il se juge inférieur à lui. Il
est indéniable que ce plan spirituel nécessite le non-jugement. Celui qui dressera
la liste suivante : « Je jeûne, lui non, je suis chaste, il est débauché, j'ai donné
ma fortune aux pauvres, il exploite les malheureux », arrivera automatiquement à
la conclusion suivante : « Il est pécheur et moins beaucoup moins que lui ». Ce
sera la vérité, mais un arrêt immédiat de la vie spirituelle.
Féconde antinomie, l'accroissement spirituel n'a rien à faire avec le jugement !
Faut-il rejeter le jugement ? Non, il réapparaîtra dans l'âme fortifiée, sur un plan
objectif qui ne la troublera plus. Ne posons pas le pourquoi métaphysique,
adoptons l'attitude qui donne la sérénité et la paix, afin que, soudain, la prière
gonfle ses bourgeons et s'épanouisse.
Qu'importe la conquête du monde entier, si notre âme s'abîme ! En cela, notre
âme est supérieure à l'univers.
Attention ! Ici arrive le Tricheur, il questionnera sournoisement : « Le salut de ton
âme est donc supérieur ? » Répondez : « Non, le salut de mon âme n'est pas
supérieur au monde, mais le travail vis-à-vis de mon âme l'est bien ». La
conception du salut de l'âme a été déformée. On s'imagine que l'accomplissement
de certaines actions conduit « au Paradis ». Non, ce qui conduit au Paradis, c'est le
désir de sacrifier certaines choses pour se reposer dans la paix intérieure, et cela
ne peut pas être l'égoïsme, car je sais que mon âme ne m'appartiens pas, qu'elle
m'est confiée et que je ne suis qu'un artisan.
LA PERSÉVÉRANCE
Je terminerai ces quelques traits sur les différentes méthodes d’acquérir la paix,
en soulignant que tout réussit avec la persévérance. L’homme le sait
consciemment et inconsciemment, et un grand nombre de romans et de films
l'illustrent. La parabole moderne du chercheur de pétrole dont l'obstination est
récompensée en est une des images. Même lorsque l'espoir s'éloigne, il faut
continuer ou recommencer. Le déserteur s'en va à moins cinq ! L'Évangile le
précise : « Celui qui persévèrera jusqu'à la fin sera sauvé ». (Matthieu 24, 13 ;
Marc 13, 13 ; cf. aussi Luc 21, 19).
En effet, ces méthodes ne donnent pas de résultat au début, les résultats ne sont
pas rapides. Examinons, alors, ce qui nous gêne ; comme le ferait un ingénieur
consciencieux, chacun construit personnellement son âme, les autres n'ont la
possibilité que de fournir des conseils et des coups de pouce. Et bien que les saints
nous communiquent un enseignement universel, chacun le fait selon sa manière
propre. Il n'existe pas de règle générale. C'est pour cette raison que notre Seigneur
nous prévient : «Je reviendrai comme un voleur, nul ne connaît l'heure et le jour».
Tout est gratuit, puisque Dieu vient quand Il le veut, mais tout est en quelque
sorte mérité et conquis, parce que c'est à celui qui a pris que Dieu donne.
Un dernier conseil : ne lâchez pas la prière, même si elle vous ennuie. Choisissez
ou recevez une formule simple à votre convenance et tenez ferme ! La vie
spirituelle ne fait pas irruption par des impressions et des émotions. Oh non ! Elle
avance en nous silencieusement, comme un élément biologique et naturel,
sensible seulement lorsqu'elle se retire.
Ces diverses méthodes sont heureusement résumées en une phrase
d'Origène : «Avant de prier, détends-toi et retrouve le silence». Ce ne sont que
des propositions, des instruments plus ou moins adaptés aux différents
tempéraments.
La technique de la prière cache deux périls dont il faut prévoir le dépassement :
des résultats apparemment trop rapides ou trop lents. Certaines catégories d'âmes
commencent la prière perpétuelle, elles pratiquent, persévèrent, et rien ne vient ;
elles se fatiguent et se détournent. D'autres, au contraire, obtiennent des résultats
immédiats et des phénomènes inattendus les envahissent, la chaleur du cœur ou
l'exaltation. En réalité, celles qui éprouvent une grande difficulté ne sont pas
moins privilégiées que leurs opposées. Les deux possibilités ont un double aspect.
Si la lenteur aboutit au découragement, la facilité peut créer le déséquilibre, car
elle se manifeste avant que le champ de l'âme soit transformé intérieurement. Le
vin spirituel a besoin d'être baptisé d'un peu d'eau.
LA SIMPLICITÉ DU CŒUR
Tout cela nous montre que la paix préparant la prière n'est pas la paix absolue,
mais une tranquillité provisoire à rechercher. Les méthodes sont des
thérapeutiques qui aideront l'âme à maîtriser le mouvant. Elles se complètent et
se vérifient l'une l'autre. Revenons à celle du « spectateur » ; elle recèle le danger
du théâtre. Théâtre, parce que regarder ses propres souffrances est original et
agréable. Dans l'auto-spectacle, nous sommes metteur en scène et acteur de notre
âme ; c'est impossible à éviter. Un seul remède : tendre à la simplicité du cœur.
Saint Grégoire le Théologien dit avec dureté et justesse : «Se prendre pour un
grand pécheur est plaisant tout autant que se considérer comme saint ou génial.
Mais se regarder tel qu'on est, ni plus haut, ni plus bas, semble médiocre». Là,
pourtant, repose la solidité de la méthode du spectateur.
L’ABSENCE DE JUGEMENT
Autre remarque : l'âme débutante en prière enregistre assez vite les impressions ;
la sensibilité s'affirme vis-à-vis du monde extérieur et vis-à-vis aussi du monde
intérieur. Les Pères conseillent alors l'attitude apathique, l'enregistrement sans
réaction des images. Aujourd'hui dans l'enfer, demain devant le Christ ; aujourd'hui
est faste, demain sera néfaste, peu importe, écoutez et ne tirez pas de conclusion.
C'est un immense apprentissage de ne pas juger son cas ! Je dirai même, de ne pas
l'apprécier, de le voir simplement. Vous pouvez vous adresser à un père spirituel,
mais soyez prêt à vous incliner s'il vous indique comme tragique ce qui vous paraît
banal, et sans gravité ce qui vous semble tragique. Ici, nous devons renoncer à
nous juger.
L'entrée dans la vie intérieure est accompagnée d'une foule d'impressions, de
signes, de voix propices ou funestes qui peuvent précipiter l'âme dans la folie.
Prenez garde ! L'homme qui laisse ses conceptions charnelles, bourgeoises,
coutumières, rencontre des paysages inconnus, sans points de repère, ni lieux
communs, un monde dépourvu de critères solides. Une des formes dangereuses,
c'est le balancement entre ce que j'ai déjà nommé faste et néfaste, entre Dieu et
le diable, tristesse et joie, vrai et non-vrai, et encore plus dangereux est le
jugement de soi-même : Je suis bon, ou je suis mauvais. Prenez garde !
Enregistrez, enregistrez seulement. En dehors de la santé de la tradition de
l'Église, l'entrée dans la vie intérieure peut désaxer.
LA RÉVÉLATION DES PENSÉES
D'où l'excellence de ce principe de tous les « starets », depuis saint Jean
l'Évangéliste jusqu'à nos jours : la révélation des pensées.
Ce principe n'est pas éloigné de la psychanalyse (les psychanalystes n'ont rien
inventé) : il s'agit de raconter - de se raconter ou de raconter à Dieu - ce qui se
passe en soi sans aucun commentaire, dire objectivement : « J'ai envie de tuer, de
mourir, de prier... Est-ce bien, est-ce mal ? Suis-je coupable ou innocent ? Dans le
vrai ou le faux ? Je ne m'en occuperai pas ».
Je le répète, dans la vie spirituelle, ce qui paraît vrai peut être faux, et c'est
naturel. Nous vivons avec des données extérieures, ni vraies, ni fausses, mais dont
nous avons pris l'habitude, l'accoutumance : obéir à maman, serrer la main à ceux
que l'on rencontre, aller à l'église, gagner son pain. C'est ainsi. L'humanité entière
vit selon des conditions et des lois qu'elle a acceptées, conditions et lois bien
relatives, souvent discutables et jusqu'à quel point non absolues ! Mais elles
contribuent à un équilibre extérieur. Conçues par l'expérience, elles sont, bien
qu'imparfaites, empreintes de stabilité. Nous en avons une image dans la réforme
de l'éducation des enfants : les Américains, affirmant qu'il ne faut les contrarier en
rien, les enfants dépassent la mesure et touchent parfois le crime. Bien entendu,
l'application du fouet et des disciplines trop dures de l'Antiquité était aussi
coupable. L'équilibre ne se saisit pas aisément.
ACCEPTER SANS JUGER
Nous sommes des apprentis dans la vie spirituelle, moins que des apprentis, livrés
à une expérience nouvelle : le rythme de la prière. Alors, semblables à des
reporters - des reporters qui seraient sérieux ! - au sein d'une société inconnue,
écoutons en suivant une extrême prudence. Le processus de la compréhension d'un
peuple et du monde intérieur est identique ;
l'un comme l'autre demande une longue patience. On observe d'abord les coutumes
sans le moindre préjugé, comme on observerait la vie de papillons, puis ce n'est
qu'après avoir renoncé à peser les valeurs, que peut s'ébaucher le premier
jugement. Vous avez à transformer votre ancien marché, ou supermarché, en
temple de prière. La différence entre le supermarché et l'Église, c'est que le
premier apprécie la marchandise avant d'acheter, tandis que la deuxième accepte
sans juger.
Quand notre Seigneur déclare : «Ne jugez pas et vous ne serez pas
jugés» (Matthieu 7, 1), Il s'adresse en premier au jugement porté sur notre frère -
mais nous sommes aussi notre propre frère. Voici la raison pour laquelle une
véritable confession est si rare. En vingt ans de ministère, je n'ai entendu que deux
ou trois confessions vraies, les autres sortaient du supermarché. La majorité des
pénitents arrivent à la confession avec leur solution personnelle ; le prêtre n'a qu'à
s'incliner.
Chapitre Troisième
LA PRIÈRE-NOURRITURE
NOURRITURE DU CORPS, DE L’ÂME, DE L’ESPRIT
Le corps a besoin, pour ne pas s'éteindre, de manger et de respirer ; la santé est
basée sur l'air et une bonne nourriture. Par contre, on peut vivre sans voir - un
aveugle vit ; sans entendre - un sourd vit ; sans percevoir les parfums et les
saveurs, on vit tout de même. Il en va de même pour la vie spirituelle, elle est
alimentée par la prière nourriture et la prière respiration. Quant aux visions,
auditions, voix, sensations, elles se comptent peu. Souvent les âmes, éblouies par
les apparitions et les phénomènes psychiques, sont tellement captivées qu'elles
oublient la nourriture saine et la respiration du bon air spirituel. Elles sont peut-
être visionnaires, mais malades et à demi-folles.
La prière-nourriture et la prière-respiration nous découvrent l'essentiel de
l'anthropologie humaine. L'homme est composé de trois éléments : l'esprit
(pneuma), l'âme (psyché) et le corps (soma).
Qu'est-ce que la nourriture du corps ? Que ce soient légumes, viande, poisson, c'est
la communion avec le cosmos, les bêtes et les plantes, le contact avec la nature
qui nous pénètre, la communion avec l'univers. La nécessité de manger pour vivre
est aussi le mystère de l'unité de la nature, si je puis dire, la « messe naturelle ».
La nourriture de l'âme est composée des rapports avec les êtres, les cultures, les
arts. Notre époque prise particulièrement les régimes sains quant à l'alimentation ;
de toute part, on parle de naturisme, végétalisme, végétarisme, que sais-je ! Mais
nul ne se penche sur les régimes psychiques. Les livres pourtant sont une
nourriture ; engouffrés sans discernement, ils provoquent le désordre, l'angoisse
que l'on pourrait qualifier de « manque d'hygiène ». Nous n'observons certainement
pas le jeûne psychique ! On s'ingénie plutôt à nous fournir une sorte de
suralimentation irréfléchie : les Reader's digest en tous genres. Notre palais ne
mange pas n'importe quoi, son goût étant très développé ; mais considérez votre
âme : elle avale n'importe quoi, musique, films, livres, rencontres. L'hygiène
psychique est absente. Je vous citerai l'exemple d'un saint. La Vierge lui étant
apparue, il s'aperçoit qu'elle demeure à la porte de sa cellule. Il lui
demande : « Reine des Cieux, pourquoi n'entres-tu pas ? Je sais que je suis
indigne ». Et la Vierge de lui répondre : « Trop de livres sont inutiles dans ta
bibliothèque. Lorsque tu les auras brûlés, j'entrerai ».
Dieu est l'unique nourriture de notre esprit et Il ne se communique à nous que par
la prière. Ni contacts, ni livres, ni pensées, ni sentiments, ni ce qui appartient à la
culture, à la civilisation, à la religion, ne nourrit ce qui est divin e nous. Seul le
Divin nourrit le divin.
On se demande parfois pourquoi le Christ, Dieu-Homme, passait des nuits en
prière. Parce qu'Il était esprit, âme et corps. Par les aliments, Il nourrissait son
corps ; par la contemplation des fleurs, la conversation avec les apôtres, l'amitié...
Il nourrissait son âme ; et par la prière, Il nourrissait son esprit. Il priait, non par
besoin de demander quoi que ce soit à son Père, Lui qui avait tout, mais pour
nourrir son esprit.
Sans prière, l'esprit s'étiole et meurt ; le corps vit, l'âme s'émeut, mais l'esprit est
mort. Elle est la nourriture indispensable, vitale. Néanmoins, il faut apprendre - à
moins d'être assez simple pour le posséder naturellement - à avancer dans la
prière, à choisir sa forme de prière : perpétuelle, intérieure, liturgique, avec ou
sans paroles, etc. Nous essaierons de l’envisager dans la suite de ce livre.
Les diverses méthodes que nous avons exposées nous aident à atteindre l'état de
la pré-prière. Ce n'est pas encore la prière, c'est un état, tandis que la prière est
uneaction intérieure.
LA PRIÈRE SINCÈRE
Surgit alors un grand malentendu.
D'aucuns déclarent : je préfère une prière sortie du cœur aux prières mécaniques
ou qui contredisent ma nature et mes sentiments ; ainsi, pourquoi prierais-je
quand j'ai envie de danser ?
Le problème est là. Un homme se trouve exceptionnellement dans un état de
prière sincère : c'est un don direct ou indirect de Dieu qui lui accorde soudain la
possibilité de prier, ou bien ce sont des circonstances extérieures qui le soulèvent,
le désir ardent de quelque chose… Cette prière sincère ne sera pas la nature, la
nourriture de cet homme ; il ne sera pas un être priant, mais un être qui prie.
Saint Séraphim de Sarov cite un exemple classique, tiré d'un texte ancien : On
transporte le cercueil d'un enfant (à cette époque, le couvercle des cercueils
n'était vissé qu'au cimetière) ; derrière le cercueil marche une veuve qui pleure.
Passe dans la rue une courtisane qui, voyant ce spectacle, arrête le cortège et
s'écrie : « Seigneur, que je sois punie pour mes mauvaises actions, je le
comprends, mais que Tu prennes l'enfant de cette veuve intègre... Je T'en
supplie, ressuscite-le !" Et l'enfant revient à la vie.
Analysons cette prière : elle est absolue et sincère, d'abord parce que cette
femme possède la foi et l'humilité ; les courtisanes ont souvent plus de foi que les
autres, car leur conduite les plonge dans l'humilité et elles se considèrent indignes.
Cette femme aurait pu s'indigner devant Dieu : «Tu n'as pas le droit...!», mais son
humilité totale supprime en elle toute exigence. De plus, la maternité étouffée de
cette courtisane s'élance simplement avec une telle puissance psychique qu'elle
est exaucée. C'est une prière don, gonflée d'amour maternel. Une série de motifs
ont aidé cette femme à engendrer une prière qui a fait que l'enfant ressuscite sans
qu'elle soit sainte.
Nous disons « sincère » ou « non sincère », mais cette fille publique ne s'est pas
demandé si sa prière était sincère ou non sincère. Tout s'est réuni comme sur une
pointe géométrique ; maternité, humilité, foi, ardeur. Sa prière est sincère, parce
que tous les éléments de son âme y sont conformes, alors que, dès que nous
prions, nous distinguons en nous maints empêchements.
Le mot « sincère » est, en général, extrêmement équivoque. Combien disent : « Je
suis sincère » ! Qu'est-ce à dire ? Ils s'imaginent être sincères. « Je ne cache pas
mon opinion, je dis net ce que je pense, je suis sincère » ; si l'on commence à
gratter, la superficialité de cet état se découvre, ce n'est que du laisser-aller dans
un sentiment passager. Quel « moi » parle alors ? La dignité de monsieur Dupont,
son amour-propre blessé, son élan psychique ? Il est sincère vis-à-vis de ce « moi »,
d'un de ses « moi ». Cette sincérité n'est pas la sincérité, ni d'ailleurs une
hypocrisie, mais un élément inférieur dominant notre être.
L'obstacle essentiel est notre instabilité. Dans la vie sociale, nous mettons à la
porte les intrus, nous coupons les ponts avec ceux qui nous agacent, mais nous ne
savons pas chasser les impressions pénibles, les pensées sautillantes, car nous
sommes faibles et nous n'avons pas pris conscience qu'il faut les chasser. Les
théosophes enseignent que les bonnes pensées créent les bons sentiments et vice-
versa. L'Église, elle, enseigne que nous devons nous débarrasser des bons et des
mauvais éléments, ne pas les prendre en considération.
PRIÈRE LONGUE OU PRIÈRE COURTE ?
La question peut se poser. De prime abord, l'Écriture Sainte semble
contradictoire : «Ne priez pas comme les hypocrites et les pharisiens en étalant
de grands discours», et pourtant les paroles de l'apôtre Paul : «Priez sans
cesse» semblent nous inviter aux longs services, à la prière perpétuelle, à
l'hésychasme. La prière dominicale est longue et difficile si nous voulons la
prononcer consciemment, et c'est le Christ pourtant qui nous l'a donnée.
Prière longue ou courte ? Notre Seigneur déclare qu'il ne faut pas imiter les
pharisiens qui prient longuement, et Lui-même passe la nuit dans la prière : sa
conduite est celle de ceux qui prient perpétuellement.
Voyons tout d'abord ce qu'est la prière demande. Il est certain que la meilleure
formule de la prière-demande est brève : « Dieu, ressuscite-le,
amen ! » ; ou : « Dieu, sauve-moi, amen » ; ou même un élan d'âme dans le
silence. Les demandes des litanies sont courtes, elles rappellent et ne
s' « installent pas ». Alors, pourquoi prier longuement ?
Parce que la prière brève, unique, efficace, jaillit difficilement de notre âme :
nous prolongeons les prières non pour les allonger, mais pour « attraper » la courte
prière. Toutes les prières doivent conduire à la prière du silence. Elle est presque
parfaite lorsque le cœur prie sans paroles. Saint Jean de Cronstadt était parvenu,
après des torrents de louanges à Dieu, à guérir les malades par une phrase ou un
geste. La brève prière efficace est obtenue par la longue prière.
Saint Macaire le Grand raconte que la prière est un invité. On nettoie l'intérieur,
on dresse la table, et l'invité vient. Mais s'il est déjà présent, on ne répète
pas : « Viens encore », on n'invite plus l'hôte déjà présent. Sitôt que la prière a
produit son fruit, la prière conquête s'écarte. Elle ne se calcule pas à la longueur
mais à la qualité. Deux heures de prière ne sont pas nécessairement supérieures à
une seconde.
Sans doute, on peut dire que le Christ condamne la prière du pharisien ; c'est
parce que ce dernier, en réalité, s'écoute et s'admire tandis que le publicain
guette la miséricorde divine. La grandiloquence est le plus grave danger de la vie
spirituelle. Si l'âme commence à se prêter l'oreille, que ce soit en ses vertus ou en
ses vices, automatiquement, elle bavardera avec elle-même : bon, mauvais,
joyeux, tragique… ce sera une prière qui s'écoute. En bénissant Dieu, le pharisien
se regardait ; en suppliant Dieu : « Seigneur, aie pitié ! », le publicain s'effaçait,
perdu dans un coin du temple.
Le sens de la prière perpétuelle est le même que celui des prières longues. D'une
part, elle retient la pensée vagabonde en concentrant l'esprit ; d'autre part, elle
guide vers l'instant où les lèvres ne prononceront plus de mots, la prière s'écoulant
sans interruption. Tout ceci ne peut advenir qu'une fois construit le château de
prière, qui est sérénité et tranquillité, dont les portes sont fermées aux
« clochards » spirituels qui peuvent être revêtus d'idées magnifiques, de visions
sublimes aussi bien que de pensées charnelles et d'inquiétudes mesquines.
PRIÈRE NOURRITURE ET PRIÈRE RESPIRATION
Nous revenons là à la prière nourriture et à la prière respiration.
Comme je l’ai déjà dit, la prière est la nourriture et la respiration de l'esprit. Elle
est non seulement louange de Dieu, elle est l'alimentation de notre esprit qui, sans
elle, s'endort et perd vie.
La prière nourriture et la prière respiration sont nettement différentes.
L'homme ne se nourrit pas sans cesse ; il mange deux, trois fois par jour. Il mange,
puis digère et enfin assimile. Il est donc une prière utile à prendre
périodiquement, une, deux ou trois fois par jour, qui doit être digérée et assimilée
pour donner des résultats.
A contraire, nous respirons tant que nous vivons, et la respiration ne peut s'arrêter
ni jour, ni nuit. Une respiration normale est régulière et rythmée. Mais un air trop
fort peut nuire à des poumons malades, une vie spirituelle très supérieure peut ne
point convenir.
La prière-nourriture, pour qu'elle nourrisse réellement, ne doit pas être que
demande ou louange, mais aussi méditation et confession. Une pensée, un passage
de l'Écriture, une phrase d'adoration : saisissons cela par le mental. Ainsi,
dans « Seigneur, Tu es grand », que « grand » reste en nous. Elle ne s'adresse pas
inévitablement à « Toi » ; l'esprit peut penser « Dieu est grand » comme « Tu es
grand ». Et quand elle entre en nous, il n'est nullement nécessaire de la
comprendre de suite en la disloquant et en l'analysant ; laissons-la reposer jusqu'à
ce qu'elle s'assimile à notre esprit. Les réponses, souvent, viendront beaucoup plus
tard !
La prière se conforme à l'être, elle peut durer un quart d'heure par jour comme six
heures ininterrompues. Certains moines la reprennent toutes les trois heures,
d'autres la pratiquent plusieurs fois en une heure.
PRIÈRE ET MÉDITATION
Elle donne naissance à la méditation. Mais prenons garde : comme « sincère » le
terme « méditation » est équivoque. Fréquemment employé dans la littérature, il
exige des réserves. On croit que la méditation est le fait de broder autour d'un
thème choisi. L'imagination se met en branle et crée sans tarder le climat. Vous
méditez sur la lumière, tout devient lumineux, vous marchez sur la pointe des
pieds, vos ailes s'ouvrent... mais le moindre accident de votre vie détruira
lamentablement ce monde d'apparence paradisiaque. Ou bien vous êtes un
intellectuel tourné vers le rationnel ; vous composez alors une hiérarchie savante :
la lumière divine, la lumière angélique, la lumière sacrée, la lumière profane ;
vous l'inscrivez dans un beau livre, un très beau livre... ce sera aussi artificiel.
Néanmoins, ces méditations sont réussies, mais lorsqu'elles tombent dans la
banalité, car l'âme n'est pas toujours imaginative ou intelligente, combien de
choses inutiles et discutables s'en emparent !
Je préfère donc, à la place de « méditation », dire « saisie par le mental ». Ne
vous pressez pas d'approfondir cette formule, elle s'expliquera d'elle-même et
s'épanouira en vous.
La prière nourriture nécessite des périodes et une assimilation. Elle contient
l'élément méditatif dans le sens exact de ce mot : écouter attentivement,
enregistrer, être présent - c'est tout.
DISCIPLINE ET ÉQUILIBRE
Son grand principe est la discipline. Autant que possible se nourrir régulièrement,
à la même heure, dans les mêmes circonstances, comme pour notre corps. Régime
sain pour le corps, régime sain pour l'esprit.
Il faut ici dépasser l'erreur qui confond le monde psychique, émotionnel avec le
spirituel. On admet que la machine réclame la technique, que la médecine est
salutaire au corps,
et l'on pense que l'esprit échappe à cela. Non. L'esprit est une nature à organiser,
vivifier, transformer, et l'instrument de formation est la prière nourricière,
donatrice de capacités perdues, versant la vie saine avant la santé : la santé
spirituelle avant la sainteté.
J’ose croire qu’après vous être accoutumé à venir régulièrement aux services
liturgiques, après quelques mois, un an, deux ans peut-être - cela dépend - vous
découvrirez soudain quelque chose de changé en vous. Une source de rythme et
d'équilibre. Notre participation à l'Église est l'unique remède susceptible de nous
sauver des hauts et des bas, c'est à dire des maladies. On passe par la santé pour
aller vers la sainteté ; autrement, nous pourrions être des saints aujourd'hui et des
criminels demain. Évidemment, la création artistique touchant des plans sublimes
se sert parfois du désordre, de l'illumination, mais c'est un autre chemin, et quelle
en est la fin !...
Chapitre Quatrième
LA PRIÈRE-RESPIRATION
LE DÉSÉQUILIBRE ORIGINEL
La tragédie du péché originel consiste en ce que le monde s'est renversé : l'esprit
devait se nourrir de Dieu et Le respirer, l'âme se nourrir de l'esprit et le respirer,
le corps se nourrir de l'âme et la respirer, le cosmos se nourrir du corps humain et
le respirer.
Détourné de Dieu, ayant renversé les valeurs, coupé le contact entre lui et le
Créateur - ce qui est la première mort, l'esprit humain a perdu la nourriture et la
respiration véritables. J'ai dit nourriture et respiration, vous devinez déjà que
c'est pour cela que le Christ dit : «Je suis votre nourriture», et que le Saint-Esprit
est Esprit, Pneuma, Respiration, Air, Vent.
Ayant arrêté volontairement cette alimentation divine, l'esprit humain a recherché
une autre nourriture, une autre respiration, et s'est tourné vers les plans
psychiques, donnant ainsi naissance à nos civilisations. Nos civilisations sont un
phénomène maladif, tout comme notre culture et notre art, résultat de l'esprit
humain s'alimentant de choses inférieures à lui. Que désire-t-il, en réalité, dans
l'amitié, l'art, la musique, la sociologie ? Dieu. L'exigence de l'esprit est absolue ;
l'amour, l'amitié, l'art, ne correspondent pas à sa nature, d'où l'insatisfaction et le
drame des douleurs et des déséquilibres de l'homme. Il passe d'une illusion à
l'autre, cette nourriture étant privée du sel divin.
Le psychique est donc affaibli par le spirituel qui, privé du sel divin, de
l’alimentation divine, en quelque sorte le « suce » ; dépourvu de sa nourriture
normale, l'esprit humain, qui ne le nourrit plus mais au contraire l'exploite, l’âme
se tourne par conséquent vers ce qui peut lui procurer un certain complément :
elle se réfugie dans la matière. Et nous voyons alors cet étrange phénomène d'un
monde complexe, le psychique, accroché à des éléments qui le laissent affamé et
engendrent les passions. Les maladies apparaissent inévitablement. L'esprit
abreuvé de psychisme procure l'angoisse ; comment l'âme mangeant le corps ne
déclencherait-elle pas les maladies ? Que dire alors du corps qui, au lieu d'être le
soleil, le rayonnement, la nourriture du cosmos, se tourne vers le cosmos et l'use
progressivement ! La matière, ne trouvant rien d'inférieur à elle pour se nourrir,
s'anémie, les portes de la destruction et de la mort s'ouvrent devant elle, la seule
nourriture servie est le néant.
Restaurez la prière, et l'équilibre sera rétabli. Mais est-il possible de rétablir
l'équilibre entre le corps et l'âme, lorsque l'âme est parasitée par son supérieur,
l'esprit humain ?
LA GUÉRISON DE L’ESPRIT
Avant tout, guérissons l'esprit en l'entourant de l'hygiène convenable. Cette
hygiène vitale, c'est Dieu, ou - comme dit la Genèse - l'« Arbre de Vie ». Le contact
avec Dieu est la prière. Voici pourquoi les deux formes de prière alimentant l'esprit
sont la prière nourriture et la prière respiration.
La raison de la prière, avant de transformer le monde, est de ramener l'homme à
son équilibre premier, celui qui lui fut enlevé par le péché.
Étant donné que nous ne savons plus vivre dans ce retournement de valeurs, que
nous nous sommes habitués à voir le supérieur puiser dans l'inférieur, le retour est
pénible, et nous constatons que la conquête de la prière n'est pas aisée.
Néanmoins, c'est par elle que nous commençons, puis entre en jeu l'équilibre de
l'esprit et de l'âme, de l'âme et du corps, du corps et du cosmos. Mais pour
atteindre ces équilibres, il faut réorienter notre esprit vers la Source de Vie.
La vie quotidienne règle notre nourriture selon les heures. Autant que possible,
nous mangeons à heures fixes. Nous laissons à l'organisme le temps de digérer. La
nourriture est conforme à notre tempérament et à notre état de santé ; de plus,
nous la désirons naturelle, de bonne qualité, etc. Le même principe s'applique à la
prière ou nourriture divine. Un être dont le champ intérieur est aussi bien réglé
que les repas, selon les heures, se construit peu à peu une santé spirituelle.
Par contre, la prière-respiration doit être permanente : nous respirons dans le
sommeil aussi bien qu'à l'état de veille. Elle est, en conséquence, perpétuelle,
ininterrompue, que nous soyons conscients ou inconscients. L'hésychasme en est un
des aboutissements. La bonne respiration ne dépend pas que de poumons solides,
mais aussi du climat dans lequel nous vivons ; une usine de produits chimiques, une
maison obscure rendent malade. La condition du climat spirituel se pose dans la
prière perpétuelle.
PRIÈRE LITURGIQUE ET PRIÈRE INTéRIEURE
La prière nourriture est par excellence la prière liturgique ; la prière respiration,
la prière intérieure. Il est aussi inexact de dire que seule est nécessaire la prière
respiration ou la prière nourriture. Certains suivent entièrement le rythme
liturgique : ils mangent spirituellement ; mais s'ils ne respirent pas Dieu, ils seront
malades et asthmatiques. D'autres, qui respirent Dieu, peuvent tenir un certain
temps sans nourriture, mais ne résistent pas à la vie extérieure.
Le Christ n'avait nul besoin d'invoquer Dieu, étant Dieu Lui-même ; pourtant Il
passait, le soir, six heures en prière. Et les critiques du XIXe siècle de se demander
ce qu'Il faisait !... Il alimentait son esprit. S'Il n'avait pas prié, son esprit humain
eut été imparfait.
Quelques-uns prétendent que la musique ou la beauté de la nature leur remplace
la prière : encore une fois, c'est la confusion de l'esprit avec l'âme. Ils ont
l'impression d'être nourris, mais ne le sont point par Dieu. La pointe divine de
l'esprit plonge en Dieu. La beauté cosmique ou artistique lui communique l'illusion
de la santé, parce que le psychisme reçoit malgré tout un élément de beauté ;
l'esprit est au-delà, créé par Dieu, pour Dieu seul.
Ces deux formes de prière sont indispensables : prière liturgique réglée par les
Heures, liturgie intérieure perpétuelle portée par la prière respiration. La prière
respiration ne signifie pas qu'il faille obligatoirement l'accorder à l'aspiration et à
l'expiration physiques obligatoirement, de même que la prière nourriture ne
nécessite pas toujours l'Eucharistie.
LA PRIÈRE NOURRITURE ÉQUILIBRÉE
La nourriture physique est bienfaisante lorsque, selon le jargon moderne, elle
contient différentes vitamines, calories, etc. Des menus calculés sont élaborés en
accord avec les régimes. Il en est exactement de même pour la nourriture
spirituelle : art culinaire, art liturgique.
Un des conciles d'Afrique énonce que la liturgie repose sur deux principes : le bon
goût et la vérité. Une forme liturgique qui imprègnerait l'esprit de fausse extase ou
susciterait des sentiments comparables à l'orgueil, ne serait pas authentique. Ce
domaine recèle un grand nombre de pièges.
Les traditions se servent de plusieurs plans : elles éveillent l'intellect par les
lectures, l'âme par les formes poétiques, les images, la musique. Si elles
n'offraient qu'un seul aliment, l'esprit serait appauvri. C'est l'être total qui
converge vers l'esprit qui le place vers Dieu. Les Heures liturgiques, prévues par les
religions, sont des menus, des préparations dont le centre et l'unique Nourriture
est Dieu.
Vous voulez prier ?... Admettons que vous soyez seul : vous priez une heure, non
mentalement, mais avec vos propres paroles ou celles de prières déjà existantes,
cela ne présente aucune importance. Comme dans l'art abstrait, ce n'est pas le
sujet qui compte, c'est l'art. Passez, si vous le voulez, un temps x à implorer, à
louer Dieu, à faire pénitence ; mélangez les élans, les pensées, approfondissez tel
ou tel mystère divin. Le sujet doit exister, bien entendu, mais ce qui doit être
absolu, c'est quedurant ce temps x, vous soyez en face de Dieu, pour Lui et en Lui.
N'essayez pas d'obtenir un résultat. Pratiquez une heure de prière, à votre choix,
afin que votre esprit et votre âme commencent à manger, à se reconstituer après
une grande famine, et qu'ensuite - excusez l’expression - ils digèrent ! Ils
reprendront des forces, même s'ils sont assoupis comme le furent les apôtres,
incapables de supporter la prière puissante et longue du Christ.
A propos d'assoupissement, vous avalez souvent des somnifères, pour décontracter
votre vie agitée ; priez, et vous verrez qu'au deuxième ou troisième psaume, vous
vous endormirez en paix sous le regard de Dieu.
La prière, consciemment ou inconsciemment, nourrit notre être. Elle est si
présente qu'un pasteur qui prête sa salle paroissiale pour la célébration des
services orthodoxes, me disait dernièrement qu'il lui semblait que, dans cette
salle, « on pourrait la prendre avec la main ». C'est vrai, en cette pièce
quelconque, elle avait construit un temple invisible. A l'image de cette salle, notre
esprit s'adapte à la prière. Nous traversons des périodes de « digestion » où nous
n'avons pas soif de Dieu. L'instinct nous guide dans le monde matériel, parce que
nous vivons au sein d'un monde déformé, mais au sein du spirituel nous avons
oublié cet instinct. En perdant la santé spirituelle, nous n'éprouvons plus
nécessairement la faim de prière. Pourtant, habituons-nous aux liturgies et nous
en serons affamés de nouveau.
Il ne faut pas espérer une contemplation rapide. Certains repas sont servis au
champagne, d'autres au vin ordinaire, les troisièmes à l'eau de Vichy ; toujours du
champagne serait fatigant.
La prière-alimentation est liée à la lecture, à l'image, si possible au chant, à la
méditation. Elle dépend toujours de plusieurs aspects, car, si vous ne vous
concentriez que sur la lecture, par exemple, Dieu deviendrait un objet
intellectuel ; que sur l'image, Il ne serait que sentimental ; le Dieu Vivant
disparaîtrait.
LA PRIÈRE RESPIRATION PERMANENTE
La prière-respiration doit tendre à devenir perpétuelle. L'homme est demi-mort,
demi-vivant. Une condition de guérison est le bon air. Mais attention au péril ! Le
Sermon sur la Montagne revient à dire que le bonheur repose dans l'intériorisation,
l'insoumission aux conditionnements extérieurs, mais j'ai souvent noté une fausse
intériorisation, l'être scrupuleux créant tout un monde lugubre et triste qui tourne
autour de son petit « moi ». Voilà un des cas où le maître spirituel dira au
contraire :« Sors, occupe-toi des autres, car tu n'as pas accès sur Dieu et le Divin
en toi, tu n'as accès en toi précisément que sur ce qui te sépare de Dieu et des
autres ».
La prière-respiration vit à l'air pur. Avant d'y entrer, écartez totalement toute
pensée étroite, micro-psychique, comme disent les Pères. Si votre Dieu est
mesquin, votre prière intérieure est dangereuse. Placez votre esprit face à une
conception ample de Dieu. Plus Il sera immense, bon, large, plus votre prière
perpétuelle portera de fruits savoureux. Un des périls est de se pencher avec
sollicitude sur son iniquité et sa non-réussite, de cultiver en quelque sorte, au lieu
de l'amour de Dieu, son amour-propre.
Ensuite, il nous faut trouver, chacun à notre manière - c'est la raison d'être des
pères spirituels - le moyen de laisser notre âme en permanence en cette prière
respiration. Il y a la répétition des noms : Jésus, Marie. Il y a un autre chemin : se
tenir perdurablement devant Dieu. En soi, cette méthode est très accessible et je
la résumerai en deux mots : permanence de la respiration, permanence de Dieu.
LE RYTHME DE LA PRIÈRE
Les bonnes méthodes fournissent les recettes simples. Tout comme notre
respiration doit être régulière, ni essoufflée, ni ralentie, il en est ainsi de la
prière, les changements sont inutiles. Vous respirez, vous priez, vous respirez,
vous priez - et cela deviendra plus que vous-même.
La respiration s'effectue par l'aspiration, la retenue de l'air une ou quelques
secondes et l'expiration. Il serait bon que la prière adopte le même rythme. On
aspire le Nom divin, on le retient, on le donne. Un des exemples classiques est
l'hésychasme ou prière de Jésus :
aspiration : « Seigneur Jésus-Christ »,
retenue,
donation : « Aie pitié de moi ! »
L'expérience a démontré que si l'on ne fait que le mouvement positif ou que le
mouvement négatif, on n'acquiert pas la pulsation normale priante. Il est
nécessaire, après avoir reçu les Noms Divins, de les redonner.
Une gymnastique extérieure y est ajoutée dans la vie monastique : on se
prosterne, on demeure prosterné, on se relève. Un mouvement semblable
harmonise la prière liturgique bienfaisante : sobriété, solennité, réception,
pénitence.
ACCUEILLIR SANS EFFORT
Certains missels offrent pour le matin une catégorie de prières sous le nom d'actes
d'adoration, de foi, d'espérance, etc., et pour le soir : actes de contrition. Certains
groupes protestants et des instructions scoutes conseillent de prendre une décision
au lever, afin de passer la journée de telle manière ; c'est leur B.A. (bonne
action). Cette forme de prière est à écarter complètement et pour toujours ! Ni
prise de résolution, ni effort essentiel intérieur surtout.
Évidemment, en tant que l'homme mange, il ouvre la bouche, prend une
fourchette, mâche, puis digère. En temps qu'il respire, il aspire et expire l'air, et il
peut apprendre à respirer convenablement. Mais si ces mouvements physiques -
manger et respirer - réclament de nous un effort, ils sont nuisibles. Nous devons
recevoir, assimiler, et non vouloir faire. Je dis cela pour la prière nourriture et la
prière respiration. Toute décision volontaire ferme la possibilité de santé. Sans
doute, nous pouvons lutter contre une certaine distraction. Tout comme nous
pouvons surveiller notre mastication si elle est mauvaise, nous pouvons veiller à
prononcer les mots lentement : c'est une hygiène, non un effort de volonté.
Je donnerai trois images pour essayer de représenter l'état de l'âme pendant la
prière-nourriture-respiration. Que l'âme imite une coupe, un récipient, un
« vaissel » comme disent les textes du Moyen-Age - les initiations religieuses sont
symbolisées par une coupe : une coupe en laquelle Dieu verse son vin, sa grâce, sa
force. Que l'âme ressemble à un lotus, une tulipe qui capte les rayons du soleil ou
la rosée céleste du matin. Que l'âme devienne une rose dont le cœur est le soleil.
Imaginez que votre cœur est Dieu rayonnant en votre être ouvert ; ou, comme en
ce tableau que j'aimais dans mon enfance, semblable à saint Sébastien ouvrant sa
poitrine pour recevoir les flèches. Lorsque j'eus la première révélation du Saint-
Esprit, Il descendit sur moi comme un oiseau venu du ciel et me piqua le cœur,
mais mon cœur était ouvert pour recevoir cette blessure, cette nourriture.
Coupe, lotus, tulipe, rose : quelque chose qui s'ouvre pour accueillir et s'alimenter.
Vos gestes, votre attitude ne doivent pas vous demander plus d'efforts que d'être
bien assis dans un banquet.
Acceptez et gardez. La Vierge conservait en son cœur les précieuses paroles de son
Fils (Luc 2, 51. Cf. aussi Luc 2, 19).
J'ai souligné cette conduite, car beaucoup s'inquiètent. Ils croient que la prière
nourriture s'appuie sur une activité intérieure dans laquelle il faut se tendre,
imaginer, vouloir, fixer, se concentrer, au lieu de sauvegarder, écarter ce qui
retient, et creuser la coupe intérieure où Dieu pénètre. La concentration, la
conception intellectuelle sont des coupoles qui se ferment et la grâce ne peut s'y
répandre.
Chapitre Cinquième
PRIÈRE, TRAVAIL, REPOS
LE RYTHME DE LA VIE
RÉGULARITÉ
Je le répète, l'important dans la nourriture étant le dosage des aliments et la
régularité de l'absorption, la prière nourriture exigera de l'être un canon de règles
prescrites à l'avance, autant que faire se peut. Sagement réglée, modelée sur
notre vie, elle nourrira notre âme et fera notre esprit plus rigoureux. Le désordre
est particulièrement négatif. Malheureusement, de même que nos occupations
dérèglent souvent nos repas - et ceci est mauvais, nous ne vivons pas dans un
monastère, qui est une « usine » où la prière est réglée, ajustée, harmonieuse.
Il y eut une période où chacun me demandait de lui communiquer un « mantra »,
c'est à dire en termes hindous, une formule personnelle de prière perpétuelle.
Perpétuelle... pour la plupart, c'était impossible. Je répondais alors : priez
seulement quinze minutes par jour. Et lorsqu'un mois après, la même personne
revenait, elle avouait inévitablement n'avoir prié quinze minutes que deux ou trois
jours dans le mois. Quinze minutes par jour ne sont pas faciles à trouver dans
notre vie. Cependant, coûte que coûte, il faut établir une certaine régularité. La
prière nourrira notre esprit en proportion de sa régularité. Le défunt swâmi
Siddhewarânanda enseignait que pour avancer spirituellement, il est nécessaire de
consacrer six heures par jour à la méditation et à la prière pendant cinq ans. Alors,
la première étape est franchie. Il avait raison. Mais qui le fait ?... Nous sommes
tellement agités qu'un quart d'heure journalier nous paraît déjà très long, ce qui
ne nous empêche pas de perdre des heures à des occupations inutiles. Ce n'est pas
la faute de l'extérieur, c'est celle de notre instabilité intérieure.
TROIS FOIS HUIT HEURES
Quel est le régime classique du partage spirituel de la journée, partage dont le but
est l'équilibre physique, psychique et spirituel ? Les Pères ont répondu : huit
heures de travail ; huit heures de repos (sommeil, nourriture, détente...) ; huit
heures de prière. Ceci est logique et semble aisé. C'est l'idéal !
Nous sommes tous au-dessous de cet idéal. Immanquablement, l'esprit est diminué,
sous-alimenté. Nous faisons tous de la tuberculose spirituelle.
Travail : c'est à dire huit heures d'effort ; travail intellectuel, manuel, commercial.
Le seul travail intellectuel n'est pas toujours salutaire à l'équilibre. Il est
préférable qu'il soit manuel et intellectuel. En tous cas, l'intellect mange trop nos
moments libres. Que ce soit ma vie ou la vôtre, que remarquerons-nous ? Beaucoup
plus de huit heures de travail intellectuel. Quant à moi, j’en fais douze à quatorze
heures ; pour la prière - sauf la liturgie - il ne me reste pas grand'chose, de même
pour le repos.
Ne l'oublions pas, la détente est aussi utile que la prière et le travail. Elle ne
consiste pas à ne rien faire, d'ailleurs. Maintes fois, notre sommeil n'est pas un
repos, parce que nous sommes si las que nous ne pouvons détendre nos muscles et
nos pensées. Lorsque saint Antoine le Grand sortit un jour de son désert, un prince
voulut connaître cet homme exceptionnel dont la cellule s'emplissait de flammes ;
il ne rencontra qu'un moine jovial discutant chasse, pluie et beau temps avec un
paysan. Le noble seigneur fut très choqué de cette allure simple chez un moine
éminent. Celui-ci lui dit alors : « Mon ami, si la corde d'un arc est trop tendue,
elle se casse. Notre Seigneur S'accordait des instants de détente ».
La majorité dort huit heures, mais c'est parce que la vie est mal « balancée » ; six
heures de sommeil et deux heures de détente réelle suffisent. Le travail, donc,
c'est l'effort ; la détente, l'absence d'effort.
VIGILANCE
Et les huit heures de prière, sont-elles actives ou passives ? Un troisième terme les
définit : vigilance. Ni actives, ni passives, ni effort, ni détente, ni repos, ni laisser-
aller. « Vigilance » est le mot dont le Christ se sert : «Veillez et priez». L'esprit
n'est pas tenu par un monologue avec sa volonté, son sentiment ou son
intelligence, imposant à soi-même ou aux autres quelque chose ; il est dans un
état simultanément passif parce qu'il écoute, capte pour recevoir, et actif parce
qu'il écarte les distractions : debout, présent, la corde tendue juste pour que la
main divine puisse en tirer une note.
Une préparation progressive précède la vigilance : une place dans la journée à
l'activité, pédagogue de notre intelligence, volonté et capacité psychique, une
place aussi à la détente, et enfin une chaise-longue psycho-physique afin que le
troisième état de vigilance puisse être facilement obtenu et se situer entre le
travail et la détente, synthèse des deux. L'homme toujours passif n'atteindrait pas
la présence active, et l'homme toujours actif serait en dehors de la possibilité
réceptive.
LA VIE JOURNALIÈRE
Comment, pratiquement, partager ces huit, huit, huit ?
Mon conseil est d'avoir malgré tout la norme absolue et universelle devant les
yeux, d'y comparer notre existence, de discerner dans quelle proportion nous en
sommes loin. Nous n'espérons pas réaliser cette formule parfaite, et cela nous
permettra de mesurer ce qui nous sépare de l'équilibre dont nous tâcherons de
nous rapprocher.
Ceux qui n'ont ni prière, ni repos, qu'ils les introduisent dans leur vie. Que
l'expérience précise leurs défaillances et qu'ils s'efforcent ensuite de remplir,
autant que possible, la case vide en diminuant la case trop gonflée.
Le partage de notre vie journalière avec, hélas, l'interruption de deux heures au
méridien, n'est guère commode. Un arrangement plus compliqué s'impose. Dans les
monastères, d'ailleurs, la prière ne se fait pas d'une traite. Il est des heures plus ou
moins propices à la prière, au travail et à la détente. Nos occupations modernes
nous donnent huit heures de travail que nous ne pouvons déplacer. Et encore, aux
huit heures de métier pour « gagner son beefsteak » se superposent les heures de
travail personnel... Je ne pense pas que l'on puisse affirmer qu'il y ait beaucoup de
travailleurs qui ne travaillent que huit heures par jour. Cependant, pour l'équilibre
humain, 40 heures par semaine (je parle pour les usines et les bureaux) ne
devraient pas être dépassées, car il faut ajouter le labeur personnel indispensable
à la plénitude de l'homme. Ce fut l'idée des socialistes, appliquée entre les deux
guerres, supprimée depuis.
LE DIMANCHE
Trois fois huit heures, c'est le partage de la journée fériale, mais le septième jour
- le dimanche ? Les jours de fêtes, les vacances, payées ou non ? A vrai dire, notre
vie moderne n'a pas assez de fêtes. Quand l'Église influençait profondément la
société, on « chômait » beaucoup plus fréquemment, mais d'une autre manière :
non plusieurs semaines à la suite. Jusqu'à la Révolution française, tous les pays
chrétiens du monde réservaient deux semaines à Pâques, deux semaines à Noël, un
ou plusieurs jours à différentes fêtes, etc. Les usines n'existaient pas et le travail
s'arrêtait autant que possible dans les ateliers.
Se pose, maintenant, le problème du dimanche ; j'excepte, bien entendu, le
prêtre.
Évitons, ce jour-là, le système puritain ou très catholique, très pieux, très
« religieux ». Comment un homme appartenant à ces milieux passe-t-il le
dimanche ? Il prie le matin, ensuite il mange bien (cela fait partie, sans doute, de
la prière), il lit la Bible, se promène pas trop loin, s'ennuie ferme, écoute les
vêpres, et comme il est interdit de travailler et de se distraire le jour du Seigneur,
il se soulage en disant des méchancetés des autres.
Saint Augustin avait déjà remarqué que les dimanches doivent être adroitement
distribués entre la détente et la prière. Les embryons de cette détente sont les
petits verres de vin et les bavardages après la messe.
On m’a parfois posé la question : pourquoi ne reste-t-on pas à l'église, après la
messe dominicale, pour se recueillir ? Si quelqu'un désire se concentrer, qu'il se
concentre. Mais celui qui veut bien « digérer » la liturgie, être alimenté par elle,
doit savoir entrer dans le repos sous une multitude de formes - beaux paysages,
cinéma, réunion. Dans l'Église primitive, ces détentes prenaient une grande place,
à tel point qu'elles devinrent un peu bruyantes et que les Pères furent obligés de
prendre des mesures. Les fidèles, animés du Saint-Esprit et de joie pascale,
franchissaient parfois les frontières spirituelles utiles à l'esprit humain… Il n'en
reste pas moins que la détente est indispensable.
LES VACANCES
Les vacances doivent adopter aussi deux caractères. Sous-alimentés
spirituellement pendant l'hiver à cause de notre activité, nous avons absolument
besoin de détente complète et de retraite priante. La meilleur solution est
quelques jours (cela dépend des êtres) de retraite - je veux dire : isolement - se
retirer même dans un monastère pour écouter simplement les services, le moins
possible de prédications. L'âme dans la retraite est nourrie de prière, non à la
manière de ces retraites organisées où l'on subit des missionnaires souvent
indigestes.
EN ESPRIT ET EN VÉRITÉ
Pour terminer, j’amorcerai le sujet que je traiterai dans le chapitre suivant : notre
attitude vis-à-vis de notre être intérieur.
Le Christ dit à la Samaritaine : «Maintenant on adorera Dieu en esprit et
vérité» (Jean 4, 23). Certainement, esprit et vérité désignent le Saint-Esprit et le
Christ qui s'est nommé Lui-même la Vérité. On adorera en Esprit-Saint et en
Christ ; appliquons-nous ces paroles : notre prière doit nous alimenter en esprit et
en vérité.
Quel en est le sens ? Ne cherchez pas des moyens subtils pour avancer dans la vie
spirituelle. L'esprit, ici, est votre cœur, votre inspiration intérieure, votre élan,
votre âme : votre sentiment religieux. La vérité est votre pensée, votre
intelligence, votre mode mental.
La prière, nourriture spirituelle, répond au cœur et à l'intelligence, cependant que
les deux y participent spontanément. Elle est toujours composée de deux
éléments : notre amour et notre désir de Dieu, notre pénitence devant Lui, dont
l'aboutissement sera le jaillissement des larmes - larmes de la vision de la
miséricorde sans bornes, don des larmes de joie ; le deuxième élément abreuve
notre intelligence par la confession et la contemplation des vérités révélées, et
son regard intérieur est ravi par la magnificence de la splendeur divine et son
rayonnement sur le monde.
Chapitre Sixième
LA PRIÈRE « EN ESPRIT ET EN VÉRITÉ »
EFFORT, DÉTENTE, VIGILANCE
Effort, détente, vigilance, voici les trois attitudes qui devraient composer notre
journée.
Je ne pense pas qu'il soit utile de nous attarder à l'étude de l'effort. Nous savons
tous ce qu'est l'effort, qu'il est nécessaire de le conformer au rythme de celui qui
le pratique - car certains s'épanouissent dans la rapidité et d'autres dans la lenteur
- et que l'effort agité est nuisible.
Quant à la détente, elle est malaisée à notre époque, et réclame un attentif
apprentissage.
Nous voudrions considérer particulièrement la vigilance à laquelle notre
enseignement moderne ne réserve qu'une place minime, et qui cependant est
intimement liée à la prière.
La médecine parle de détente, de nombreux cercles : hindous, naturistes...
parlent de détente, il existe une série de techniques pour acquérir la détente.
L'effort, lui aussi, a fait naître une abondante littérature, la rationalisation du
travail par exemple. Nous possédons des pilules pour dormir, des pilules pour nous
réveiller, nous n'avons pas encore de pilules de vigilance ! Cela montre que la
médecine n'a pas reconnu la place éminente et légitime de la prière, se penchant
seulement sur le rendement de l'homme ou son équilibre dans la détente.
La vigilance, ainsi que toutes les catégories de prière, apparaît de prime abord
comme une qualité antinomique.
J’ouvrirai une parenthèse, afin d’habituer votre intelligence à approcher les
mystères chrétiens. Qu'est-ce que penser antinomiquement ? Le comprendre ne
sera certes pas la perfection, mais déjà un bon exercice. Penser antinomiquement,
c'est prendre les opposés non comme des éléments de lutte : c’est dépasser leur
opposition. Le dogme des deux natures en Christ est antinomique ; Dieu-Homme :
l'Humanité, bien qu'inséparée et inséparable de la divinité, ne se confond pas avec
elle. Le dogme de la Trinité est antinomique : Trois et Un.
La technique intérieure et spirituelle réalise cette prise de conscience des
antinomies. La vigilance contient, en effet, un élément antinomique, actif et
passif. Si l'on n'écoute pas, on ne peut recevoir la grâce et l'âme est tendue ; la
détente est donc indispensable. Mais dans la vigilance, l'intelligence et les
sentiments ne sont pas assoupis. Entendons le terme « vigilance » en son sens le
plus concret : ne pas dormir la nuit, « faire la veille », c'est à dire quitter le climat
troublé de la journée, entrer dans une zone de tranquillité où la nature se repose
et où, simultanément, on demeure debout et éveillé.
La vigilance renferme, par conséquent, la détente, le refus de toute tension, de
tout activisme, et la lutte contre le sommeil. On pourrait presque dire que
l'élément actif est négatif, occupé à écarter l'assoupissement, et que l'élément
passif est positif, occupé à créer et maintenir un état de présence.
« APATHEIA »
De là cette technique exprimée par un mot étrange que les Pères
emploient apatheia.. Ce terme ne signifie nullement apathie, indifférence.
L'apatheia est un des instruments donnés par la vigilance. Elle repousse les
impressions extérieures tout en permettant de rester « présents ». Elle est
semblable à un homme qui écoute attentivement. Celui qui parle est dans l'action,
celui qui n'écoute pas est endormi, mais celui qui écoute avec attention n'est pas
actif à proprement parler, tout en l'étant, puisqu'il est attentif.
Avant et pendant la prière, le travail consiste à lutter pour garder cet état de
vigilance : absence de sommeil et absence de tension. Cela se manifeste de la
manière suivante : soudain, une parole de prière vous frappe, ou une révélation se
découvre à vous, ou votre cœur brûle d'amour, de pénitence. Vous vous sentez
semblable à une coupe ouverte à la grâce. Attention ! Acceptez cette grâce sans
vous y installer. Par contre, si vous êtes entravé dans la prière, par incapacité,
distraction, pesanteur de l'âme, maintenez l'effort et priez quand même. «Veillez
et priez, afin que vous n'entriez pas en tentation» (Matthieu 26, 41). La tentation
surgit précisément lorsqu'on n'est pas vigilant.
Cette vigilance vous nourrira spirituellement à condition de la mêler, dans le cours
de votre vie, à la détente complète et au travail : harmonie du laisser-aller et de
l'effort sur vous-même et parmi les autres. Que votre temps emprunte à la
vigilance son double visage !
APPROFONDISSEMENT DE LA PRIÈRE RESPIRATION
Revenons à la prière respiration et approfondissons-la.
Auprès, donc, de la prière nourriture, qui est la prière liturgique, vit la prière
respiration. Sa nature même la fait permanente, car l'être qui ne respire pas,
meurt. La prière nourriture se déroule, s'arrête, reprend, tandis que la prière
respiration ne devrait pas cesser. L'esprit atteint la santé totale lorsque l'homme
prie sans arrêt, conformément à sa respiration, en analogie avec elle.
Le Christ enseigne que le culte au Père doit être rendu « en esprit et en
vérité » (Jean 4, 23). La première leçon de cette phrase est qu'il faut prier le Père
dans le Saint-Esprit, par le Fils ; « esprit » désignant le Saint-Esprit, et « vérité » le
Fils. Mais le sens immédiat qui en découle comme s'il en était le reflet, est que la
prière respiration a deux caractères : esprit et vérité.
Elle se présente sous diverses formes : sans paroles, avec paroles, sans paroles
avant les paroles, en silence après les paroles.
Je m'explique : la prière « sans paroles avant » est perpétuelle ; l'âme « marche
devant Dieu », selon l'expression biblique. C'est agir et vivre devant Dieu. Mais
nous constatons qu'une multitude d'obstacles nous empêchent de vivre
perdurablement sur ce plan.
Nous nous servons alors de la prière perpétuelle nommée par les Hindous
« mantra ». Ses formules sont multiples ; l'enseignement orthodoxe en cite une
principalement : «Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi». Cette
forme, la plus fréquemment adoptée, la plus aimée, la plus professée, n'est pas
unique.Kyrie eleison, «Seigneur, aie pitié», est une prière perpétuelle qui nous
vient de l'Église primitive. Il peut en exister quantité d'autres.
BRIÈVETÉ
La brièveté, en accord avec la respiration, est le caractère extérieur de ces
formules. Il ne s'agit pas d'un banquet !
Je dirai, en passant, que nombre de personnes prétendent que les services
orientaux durent trop longtemps. C'est une question d'habitude ; les banquets
nuptiaux de Normandie ne duraient-ils pas cinq, six heures et plus ? Notre estomac
physique et notre estomac spirituel ont diminué ! L'Orient n'a pu s'habituer à
célébrer les services comme on mange un sandwich sur le zinc. Il a gardé le rythme
de ceux qui savent fêter. Les églises de l'époque mérovingienne avaient encore
d'immenses services.
La brièveté suit la respiration. La prière perpétuelle commencera donc par la
répétition de phrases courtes, toujours les mêmes. Cette phase prépare la prière
sans paroles, où notre nature devient prière qui « coule de notre cœur » et règle
sa respiration.
Récapitulons. La prière-respiration débute par une attitude : marcher devant Dieu,
puis se réalise en prière perpétuelle qui transforme tout notre être, pour aboutir à
la prière sans paroles, où l'homme est prière et la respire à pleins poumons. Elle
est de tradition sethique, le troisième fils d'Adam étant le premier à invoquer le
Nom du Seigneur.
L’ESPRIT ET LE CŒUR
J'ai eu, hier, un exemple frappant de prière basée sur le seul esprit. Il s'agissait
d'un non-chrétien, de tendance hindouisante, vivant de prière et de longues, très
longues méditations qui alimentaient son sentiment. (Je souligne que la prière
nourricière du cœur place l'homme entre les mains de Dieu ; il écoute la volonté
divine, s'efforce de l'accomplir ; il est pris par Lui, il éclaire les autres et son
chemin est noble). Je pensais depuis longtemps que cet homme s'apercevrait un
jour de la déficience de cette prière basée uniquement sur le sentiment et l'écoute
de la volonté divine. C'est ce qui arriva. Avec simplicité, il constata qu'il perdait
pied sur terre, ainsi que la capacité d'agir par lui-même, que son rayonnement au
lieu d'apporter des solutions aux difficultés d'autrui, les froissait, les agaçait,
disons le mot : manquait de tact. Certes, il disait vrai souvent, mais ses paroles
étaient privées d'analyse tranquille et de discernement... sans parler de ses
propres affaires qui périclitaient. A cela, me répondrez-vous : un priant ne peut-il
vivre en anachorète ? Mes amis, même la vie d'un anachorète a besoin d'être
organisée. Cet homme avait voulu axer sa prière sur le sentiment, sans fortifier
son intelligence. Par bonheur, il avait compris ; mais il me dit tristement : Si je
change, je perdrais cette prière intense, cette présence de Dieu, cette union !
Oui, lui répondis-je, vous les perdrez, provisoirement, pour les retrouver ensuite.
Si nous recherchons le réchauffement du cœur, l'obéissance à Dieu, la réception de
la grâce, il est indispensable d'éloigner la pensée qui distingue, diffère et analyse.
La seule pensée ne contrariant pas le cœur est celle de l'identification avec Dieu,
de l'union. Tout ce qui est deux, multiple, nuancé, empêche aussitôt le cœur
d'être disponible, d'être dans les mains de Dieu, d'accueillir sa lumière. La
conception hindoue : « Je suis dieu », dans le sens que « moi » se confond avec
Lui, que « moi » en réalité n'existe pas, que tout est Dieu, n'est pas en soi une
vérité, mais une pensée au service de l'expérience du cœur, parce que le cœur
exige l'unité parfaite. Cette conception instrumentale, au service de notre cœur,
amène expérimentalement la perte de contact réel avec le monde et même avec
soi-même. Et c'est pourquoi le Christ enseignera la prière « en esprit et en
vérité ».
« SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST, FILS DE DIEU, AIE PITIÉ DE MOI »
Analysons, à présent, un exemple de prière perpétuelle, le plus
classique : «Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu, aie pitié de moi».
Elle est partagée en deux parties : «Seigneur Jésus-Christ, Fils de Dieu» et «aie
pitié de moi». Ces deux parties sont différentes. La première confesse et s'adresse
à notre intelligence ; nous la « sentons » difficilement : c'est la Vérité. «Aie pitié
de moi» frappe notre cœur : nous comprenons la nécessité de la miséricorde de
Dieu. Cette deuxième partie est subjective, tandis que le début de la prière est
objectif.
La prière de Jésus composée du seul nom de Jésus ne peut satisfaire, ai-je
remarqué, l'exigence du Christ en esprit et en vérité. La raison en est
psychologique : les derniers siècles ont entouré le nom de Jésus d'une ambiance
émotive. Celui qui le prononce perpétuellement, peut ressentir rapidement la
chaleur du cœur, mais son intelligence ne sera pas soutenue (le nom « Jésus-
Christ » est déjà plus étranger au sentiment spontané). Car la caractéristique de la
nourriture de l'intelligence, du moins au début, est d'appartenir toujours à quelque
chose qui n'a pas de correspondance directe, immédiate avec nous - on pourrait
employer le terme « objectif » -, mais qui est semblable à la pierre sur laquelle se
bâtit l'Église, une pierre stable, une pierre solide, cimentant l'intelligence au
cœur. Notre Seigneur désire que notre prière perpétuelle attrape la vie divine
comme avec des pinces, des pinces à deux faces.
La prière capable de déployer nos poumons et de les emplir de santé contient
l'élément de vérité, de révélation, et celui qui émeut notre âme subjectivement.
Toute prière, même momentanée, doit obligatoirement avoir les deux, sous peine
d'être déficiente. Sans cela, nous ne respirerons pas l'air frais de Dieu.
Un principe de la prière perpétuelle dont nous devons tenir compte, c'est qu'elle
est donnée par le ciel ou par le père spirituel. Nous en avons de diverses, entre
autres l'admirable prière de saint Joannic : «Le Père est mon espérance, le Fils est
ma protection, ma couverture est l'Esprit-Saint». Vous voyez, l'action frappe le
cœur, mais les Noms divins frappent notre intelligence. Cette prière est trinitaire,
en trois phases.
Quant à la prière liée à la respiration, voici le processus classique : en aspirant,
nous confessons et servons notre intelligence ; en expirant, nous donnons à notre
cœur.
Ne dit-on pas couramment « recevoir la vérité » et « rendre l'esprit » ? "Celui qui
reçoit la vérité, comme dit le Christ en son Sermon sur la montagne, construit sa
maison sur un fondement solide ; celui qui ne reçoit que l'inspiration, habitera une
maison sans fondations. L'inspiration entraîne dans les hauteurs, mais aussi dans
les chutes.
J'ai rencontré beaucoup d'âmes sortant de milieux romains ou hindouisants (je ne
parle pas des Hindous, dont la situation est très différente), deux mondes qui
s'intéressent à la prière perpétuelle, et qui m'ont confié que la prière «Seigneur
Jésus-Christ, aie pitié de moi» ne leur « disait rien », qu'elle leur paraissait sans
goût, ne leur procurant aucune expérience rapide où le cœur brûle, où
l'intelligence se pénètre de lumière. Qu'est-ce que cela signifie ? Que notre
intelligence n'est quasiment plus alimentée par la vérité chrétienne. Ainsi que
l'écrit méchamment Henri Petit dans son livre L'honneur de Dieu (Grasset
1958) : «Tous les Français vivent richement du point de vue argent, mais
acceptent dès leur enfance de vivre chichement du point de vue esprit». Les
Hindous nourrissent abondamment leur intelligence par leur métaphysique, alors
que les chrétiens restent sur leur faim, la révélation chrétienne ne formant plus la
base de leur repas spirituel.
Chapitre Septième
LES ÉTAPES VERS LA PRIÈRE PERPÉTUELLE
LES TROIS ÉTAPES DE LA PRIÈRE
Une vérité confessée ne résonne pas tout de suite dans l'âme, et il nous est plus
aisé de capter le rythme cosmique que la Pensée divine. Il faut donc prévoir,
inévitablement, nous disent les Pères, plusieurs périodes permettant d'aboutir à la
prière perpétuelle :
- la période mécanique,
- la période mentale,
- la période cordiale.
L'orant, durant la période mécanique, s'applique à prononcer la prière
régulièrement (cent, mille fois... ou bien un quart d'heure, une demi-heure ou une
heure, par jour). Il peut réserver à cette prière des instants déterminés ou des
moments disponibles : travaux manuels, transports, etc. Cette prière se réalise
sans que l'esprit fixe les paroles. La seule préoccupation du priant sera de ne pas
manquer à la décision prise, que ce soit tant de fois ou tant d'heures par jour.
Dans la prière mentale, l'orant assimile les mots de la prière. Il les énonce
consciemment, afin qu'ils ne soient pas « auprès » de sa pensée, mais « sa »
pensée. Cette seconde étape est déjà si efficace, que l'âme commence à se
débarrasser complètement de l'ennemi numéro un de sa santé spirituelle : l'air
empoisonné des pensées inutiles, ce climat en partie inconscient où l'homme est
pensé par les pensées.
Il existe, en dehors de la prière perpétuelle, d'excellentes méthodes pour parvenir
à penser des mots. Le mot choisi, on l'articule, puis on l'introduit dans le mental.
Avant que ne naisse la psychanalyse, les anciens appliquaient déjà cette sorte de
thérapeutique aux êtres violemment tourmentés par de graves problèmes. Ils les
obligeaient à tracer, d'une grande écriture et suivant un rythme très lents, le nom
d'un objet placé devant eux : lampe, par exemple. Si les patients arrivaient, au
bout d'un certain temps, à s'identifier pendant une seconde à la pensée de la
lampe, ils pouvaient guérir, sortir de cette maladie où la multitude des pensées -
géniales ou bêtes - bousculent, étouffent, comme la foule du métro aux heures de
pointe. Cette méthode, aussi vieille que le monde, cette culture traditionnelle
(tradition = transmission), s'appuyait sur la répétition.
La troisième étape est définitive. Le priant descend sa prière dans le cœur, afin
qu'elle s'allume et s'écoule sans paroles : «Celui qui croit en Moi, des fleuves d'eau
vive (la prière perpétuelle) couleront de son sein». (Jean 7, 38).
LA PRIÈRE MÉCANIQUE
Une personne ayant accepté récemment, sur le conseil de son père spirituel, de
pratiquer une demi-heure par jour - malgré ses occupations nombreuses - la prière
de Jésus, me confia qu'en dépit de la distraction et du vagabondage de la pensée,
la pratique « mécanique » l'avait tranquillisée, avait pénétré son âme, les
inquiétudes et les excès de nervosité s'étaient pacifiés, la pression tyrannique de
son psychisme malade perdant sa force. Sans avoir acquis la paix profonde, elle
avait constaté du moins qu'elle n'était plus en désarroi, et qu'un point stable s'était
formé dans son âme. Cette expérience peut être réalisée par chacun. Il convient
seulement de s'ancrer dans cette pratique régulièrement et sans interruption.
L'étape « mécanique », bien entendu, n'opère pas la transformation de l'homme
intérieur, car elle reste extérieure à la conscience. Son caractère secondaire n'est
pourtant pas dépourvu de qualités : la bonne volonté de prier ou valeur morale ; et
l'influence puissante et objective des paroles sacrées et des Noms divins, ou valeur
divine.
Le fait de qualifier cette période de « mécanique » ne signifie nullement que l'on
puisse capturer automatiquement l'énergie du Nom de Jésus. Cette énergie
redoutable ne se livre à l'homme qu'en tant qu'il peut la surmonter. On pourrait
attribuer à cette étape le terme de « volitionnelle », mais nous préférons
« mécanique », afin d'écarter l'argument des « mérites ».
LOI SPIRITUELLE ET LOI MORALE : LES « MÉRITES »
La bonne volonté du priant s'astreignant à répéter la prière, est susceptible, en
effet, d'engendrer le sentiment des « mérites » et de la récompense. Certes, Dieu
apprécie l'effort humain, Il n'est pas ingrat, « pour un sou, Il S'empresse de rendre
mille francs », comme disait un moine. Un sacrifice, minime pour Lui, est accueilli
dans le ciel avec joie. Mais bien qu'Il tienne compte du moindre mouvement de
volonté bonne, bien qu'Il le reçoive comme un cadeau de grand prix, cela ne nous
octroie pas un droit de réclamation, ni l'impression que nous sommes quittes avec
Dieu. Perdurablement, nous serons ses débiteurs à cent pour cent.
La conception des « mérites » durcit l'âme, immobilise le progrès. Notre cœur
cesse d'être affamé de salut, notre « moi » se gonfle et le JE divin est expulsé de
notre esprit. La Philocalie (littéralement : « amour du beau »), encyclopédie des
maîtres de la vie spirituelle du Ier au XVIIIe siècles, livre précieux par excellence
pour la technique de la prière, ignore ce terme.
Nous ne voulons pas rejeter ce mot de notre vocabulaire, sa place y est légitime,
mais nous désirons souligner que dans le travail intérieur de l'homme et pour
l'efficacité de la prière, il est indispensable de l'écarter. Lorsque nous disons qu'un
être qui a beaucoup souffert sur terre « mérite le Paradis », nous ne commettons
pas de faute, mais si nous affirmons : « J'ai mérité le Paradis et la grâce », nous
commettons une faute vis-à-vis de notre âme qui nous est confiée. Ici se dévoile
une loi peu comprise, qui paraît même injuste et illogique : nous parer des mérites
est nuisible, les répandre sur les autres est excellent. La bonne volonté, l'effort
personnel, d'une valeur morale incontestable, ne peuvent servir de monnaie
d'échange.
La loi spirituelle diffère, sans la contredire, de la loi morale, elle la dépasse et
déplace même les problèmes. Ainsi, des actions, des états indifférents ou neutres
moralement, sont mortels parfois spiri-tuellement.
L'inconscient, le subconscient, provoquent des actes involontaires dont l'homme
n'est pas responsable sur le plan moral - de même en est-il pour le sur-conscient
(état de grâce) ; tandis que sur le plan spirituel il est nécessaire de les prendre en
considération. Il faut alors dépister, purifier l'inconscient ou le subconscient qui
peuvent saper sournoisement ; mais sans sur-conscient, ou état de grâce
(conscience éclairée par Dieu), point d'évolution spirituelle.
EFFICACITÉ DE LA PRIÈRE MÉCANIQUE
Je reviens, encore une fois, à la vertu des Noms divins, même s’ils sont prononcés
sans intention ni conviction. Au cours du déroulement mécanique de la prière,
alors que notre cœur et notre intelligence sont encore en dehors de Dieu, nous ne
pouvons ressentir véritablement la grâce. Ce n'est qu'après avoir tourné toutes nos
capacités vers Lui, sans partage avec ce monde, que nous apercevrons sa lumière.
Ne méprisons pas pour autant la prière mécanique, acceptons les chapelets ;
même si cette première étape se présente faussement, pour certains, comme
définitive, elle n'est ni inutile, ni infructueuse. Je fus témoin de la prière de Jésus,
récitée régulièrement à mi-voix dans la pénombre, pendant environ une heure ; je
ne crois pas que les orants qui la pratiquaient avaient dépassé la première étape,
car ils la prononçaient du bout des lèvres et si rapidement qu'il était impossible
qu'ils saisissent par la pensée les mots sacrés... Et voici : cette heure de prière
dégageait une force pacifique non seulement sur les assistants, mais sur le lieu
même, effaçant les fantômes psychiques et les ombres troublantes, exhalant la
tranquillité de l'aurore invisible, mais discrètement palpable pour l'âme.
LA PRIÈRE MENTALE
La deuxième étape, celle de la prière « mentale », appelle des précisions. Certes,
j'ai déjà indiqué l'essentiel, mais l'homme moderne ayant perdu la connaissance
directe et compliqué à l'extrême les réflexes intellectuels et sentimentaux, il est
bon d'essayer de la définir.
Il ne suffit pas de la comprendre, de la commenter, de la méditer, de la sentir : il
s'agit d'articuler consciemment les mots qui la composent, de les « voir » par
l'intelligence.
La sagesse Zen se propage à notre époque en Occident ; ceux qui la connaissent
nous comprendront plus aisément. Sur le plan pratique, cette sagesse asiatique
nous enseigne à considérer les choses telles qu'elles sont : le bâton est le bâton.
Quelques médecins l'emploient sans le but de restaurer l'équilibre mental et
psychique : ils obligent le patient consentant à ne plus se cantonner dans son
monde fermé, et, au moyen de sensations simples, à sortir vers des objets :
écouter le son, simplement, tel qu'il est ; regarder les couleurs, simplement, telles
qu'elles sont, etc. Spirituellement, nous sommes tous des malades, en état clinique
plus ou moins, nous sommes tous des pécheurs, nous sommes tous dans le péché.
Prenons comme exemple les cinq paroles de la classique prière de
Jésus : «Seigneur Jésus-Christ, aie pitié de moi» (dans les langues anciennes -
grec, latin, slavon -« aie pitié » ne font qu’un mot : le quatrième, et « de moi » un
mot : le cinquième). Saint Paul écrit : qu’«Il est préférable d'énoncer cinq mots
consciemment qu'une multitude distraitement» (1 Corinthiens 14, 19). Quand nous
disons : « Seigneur », il faut nous rendre compte que nous avons
dit « Seigneur », et non « Jésus » ou« Christ », ou « aie pitié » ou « de moi » ; et
quand nous articulons : « Jésus », que nous n'avons pas
articulé « Seigneur » ou « Christ », etc. Lorsque nous continuons :« aie
pitié », avoir conscience que nous ne demandons pas : « aime-moi » ou « purifie-
moi », et lorsque nous achevons : « de moi », distinguer que ce n'est pas : « de
toi » ou : « de nous ».
Frapper le mental par le mot de telle sorte qu'un contact direct s'établisse entre la
pensée et le mot, sans parasites sur la route, ni glissement vers d'autres paroles ou
idées analogues. Être attentif à la prière. La Vierge était en plénitude "attentive",
conservant les paroles dans son cœur, dépouillée de réflexes et de réflexions ; elle
étaitintègre.
Cette période de prière mentale éclaire notre être, nous fait passer de l'extérieur
à l'intérieur, nous guide vers le seuil du temple du Saint-Esprit construit en nous.
Notre regard sur le monde extérieur et sur nous-mêmes s'approfondit et
« s'exactifie ». Les rapports avec les orants de la prière mentale sont salutaires. Ils
exhalent l'intelligence et la prudence, ils ne jugent plus leur prochain, car leur
pensée est pleine du Nom divin et leur âme cultivée par la supplication : «aie pitié
de moi». La mesure, la lucidité, la bienveillance germent en leur cœur. Mais ceux
qui s'élancent dans la prière de Jésus avec le désir de diriger les autres, au lieu de
fuir le commerce humain afin de n'être qu'avec Jésus, vont à la rencontre d'un
péril spirituel. Qu’on y prenne bien garde : celui qui pense que lui seul a besoin
d'être sauvé est sur le chemin de l'esprit : celui qui croit pouvoir sauver les autres
prend le chemin des illusions, il est proche de la folie spirituelle.
RÉPÉTER ET APPROFONDIR
Si l'on éprouve trop de difficultés pour entrer dans la prière mentale, je propose
deux exercices qui seront secourables :
- Répéter chaque mot, plusieurs fois, durant un certain temps : Seigneur, Seigneur
- Jésus, Jésus
- aie pitié, aie pitié
- de moi, de moi...
- Imprimer, confirmer, enfoncer, clouer le mot dans notre cerveau.
- Approfondir la valeur théologique de chacun de ces mots redits ; par
exemple : Seigneur est le Nom qui confesse la divinité du Christ, Jésus confesse
son humanité.
Le Nom : JÉSUS est une force redoutable pour les puissances infernales, et la
délectation suave des âmes justes.
Ces deux exercices : répéter et approfondir, ne sont pas donnés pour remplacer la
prière, mais pour la soutenir. La prière mentale n'est que la porte royale du
sanctuaire-cœur, car le cœur pur - et non l'intelligence - voit Dieu dans sa
lumière : «Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu» (Matthieu 5, 8). Et nous
atteignons la dernière étape.
LA PRIÈRE DU CŒUR
Cette troisième étape doit être envisagée sous ses deux aspects : l'effort humain et
l'action de l'énergie incréée de la Trinité. Elle plante la prière mentale dans notre
cœur. Le moine s'incline et recherche le cœur. Le Christ, selon les écrivains de
l'Église primitive, avait souvent la tête penchée sur sa poitrine, non par tristesse
ou abattement, mais par intériorisation de sa nature humaine, toujours unie, au
travers de son corps humain, à sa nature divine. En Lui, l'homme obéissait et
écoutait Dieu, le Fils obéissait et écoutait le Père.
Il faudrait ici procéder à l'anatomie du corps humain. Cela ne nous est pas possible
maintenant. Constatons simplement que ce centre, le noyau de notre corps qu’est
la poitrine-cœur est la partie la moins « ressentie » par nous. Notre tête est en
travail continu, nos organes inférieurs s'enflamment rapidement ; l'organe cœur
est presque oublié. Quand les passions éclosent en lui, souvenez-vous des paroles
du Christ : «Car c'est du cœur que viennent les mauvaises pensées, les meurtres,
les adultères, les impudicités, les vols, les faux-témoignages, les
calomnies» (Matthieu 15, 19) ; elles se propagent à la manière d'une tiède
humidité, le long de nos tissus vers deux directions : le bas et le haut. A l'antipode
du cœur pur, elles ne sont que les grimaces de la Ressemblance divine assise en
notre cœur.
Le cœur pur est acquis, conquis par la purification ascétique du bas et la descente
du haut dans le cœur. Le priant, en se penchant vers son cœur, établira
progressivement la prière dans ce centre sacré, ensevelira en lui le « verbe » de la
prière, y cachera le trésor, entrera spirituellement dans la chambre intime
jusqu'au jour où Dieu Lui-même, par sa grâce et son énergie incréée ressuscitera,
où fleurira la prière permanente, sans parole, sans rupture, se précipitant comme
un ruisseau, brûlant comme une lampe de sanctuaire, rafraîchissant, réchauffant,
parfumant, illuminant notre être.
Mais je crains d’aller trop loin. Progressons avec courage, pas à pas. Évitons le saut
périlleux au-dessus des abîmes. Avançons dans notre ascension spirituelle avec
conscience et prudemment.
Chapitre Huitième
LE DÉSIR DE DIEU,
MOI, LE MONDE EXTÉRIEUR
« FAIS-MOI VOULOIR CE QUE TU VEUX »
Nous avons parlé de la prière brève, répétée sans arrêt ; pouvons-nous toujours la
réaliser ? Nous pouvons prier dans le métro, dans l'autobus, en épluchant des
légumes, peut-être même en discutant. Mais lorsqu'il s'agit de résoudre un
problème matériel, pratique, intellectuel ou métaphysique, l'esprit se tend ; il est
des moments où l'âme prie difficilement, et il n'est guère commode de prier en
dormant.
Pourtant, sans prière perpétuelle, l'esprit bien qu'alimenté, ne respire pas. Les
chrétiens étrangers à ce mode de prière sont des demi-morts. Comment sortir de
cette impasse ?
Ne nous décourageons pas, acceptons que l'état actuel de notre esprit soit celui
d'un demi-vivant, d'un somnolent. Certes, au-delà de la prière perpétuelle, se
profile un domaine de présence unie à la « respiration de Dieu », où tombent les
paroles... Comment y pénétrer ?
Nous voici en face d'un paradoxe. D'une part, Dieu sait ce qu'Il veut - admettons,
par exemple, qu'Il veuille (et Il le veut) notre perfection ou notre sainteté. Et,
d'autre part, Il ne nous aide guère à accomplir ce qu'Il veut. Prenons une image :
un patron ordonne à son employé d'écrire et de porter une lettre à la poste, et
celui-ci répond à son maître : « Je t'en supplie, par ta pensée et ta force, aide-
moi à poster cette lettre » ; cela semble ridicule logiquement, mais s'avère exact
dans la vie spirituelle. Il nous faut implorer Dieu : « Fais-moi vouloir ce que Tu
veux, secours-moi dans l'exécution de ta volonté ».
L’ÉVEIL DU DÉSIR FILIAL DE DIEU
Et alors apparaît une autre possibilité, susceptible de remplacer la prière
perpétuelle, pouvant s'acquérir assez rapidement et devenant, en fait, la prière
perpétuelle de notre vie. Elle consiste en l'éveil, la création en nous du désir
ardent, filial de Dieu. Nous n'avons pas ce désir, ou si peu ! Notre cœur indifférent
vit d'autre chose. Comment faire jaillir ce désir fervent, ce cri ? En une seconde, il
peut être créé pour toute la vie, ou monter d'une période de prière, ou se dévoiler
dans une retraite, chaque cas étant individuel. L'apôtre Paul dira du Saint-Esprit
qu'Il crie dans nos âmes : «Abba, Père !».
«Et si l'Esprit de Celui qui a ressuscité Jésus d'entre les morts habite en vous,
Celui qui a ressuscité Christ d'entrée les morts rendra aussi la vie à vos corps
mortels par son Esprit qui habite en vous. Ainsi donc, frères, nous ne sommes pas
redevables à la chair pour vivre selon la chair. Si vous vivez selon la chair, vous
mourrez ; mais si par l'Esprit vous faites mourir les actions du corps, vous vivrez,
car tous ceux qui sont conduits par l'Esprit de Dieu sont fils de Dieu. Et vous
n'avez point reçu un esprit de servitude, pour être encore dans la crainte ; mais
vous avez reçu un esprit d'adoption, par lequel nous crions : Abba ! Père ! L’Esprit
Lui-même rend témoignage à notre esprit que nous sommes enfants de Dieu. Or,
si nous sommes enfants de Dieu, nous sommes aussi héritiers : «héritiers de Dieu,
et cohéritiers de Christ, si toutefois nous souffrons avec Lui, afin d'être glorifiés
avec Lui» (Romains 8, 11-17).
Expérimentalement - non ontologiquement - nous sommes un avec l'Esprit. Il nous
a rendus fils de Dieu ; c'est Lui qui crie en nous, avec notre esprit : «Abba !
Père !». De plus, saint Paul ajoute que nous souffrons avec le Christ pour être
glorifiés avec Lui, ce qui nous identifie intérieurement au Christ : «Je ne vis plus,
c'est Christ qui vit en moi» (Galates 2, 20). Ceci, c'est la grâce ou acquisition de
l'Esprit Saint.
Si nous ne pouvons toucher le but par le moyen d'une longue technique ou une
quelconque méthode d'oraison, nous pouvons l'atteindre par la grâce. Mettons-nous
en prière de sorte que l'Esprit descende palpablement en nous, Se mélange à notre
esprit, Se confonde avec Lui, faisant d'une certaine manière un avec nous - que
Lui-même prie en nous. Si nous n'avons pas la force de respirer Dieu, laissons
l'Esprit de Dieu respirer Dieu en nous. Que l'Esprit porte notre esprit !
Comment procéder pour que l'Esprit vienne sensiblement en nous ? Que faire pour
que notre esprit, attrapé par l'Esprit, crie : «Abba ! Père !» ? Pour que l'acquisition
de l'Esprit Saint ne se manifeste pas alors comme lumière, mais comme prière
(c'est une des manifestations de son acquisition) ? Si nous avons le don, la question
est résolue, sinon que faire pour le posséder ? L'apôtre Paul affirme : «Vous êtes
des fils de Dieu et l'Esprit crie en vous : Abba ! Père !». C'est comme ses enfants
que nous crions : «Abba ! Père !».
Pouvons-nous commencer par demander à Dieu : « Fais-nous T'aimer » ? Je ne
pense pas que cette supplique soit suffisante, car notre cœur n'est pas encore
ouvert. Cette prière est bonne ; elle ne peut néanmoins, même si elle est ardente,
nous préparer à l'idée que nous n'aimons pas réellement. Nous examinerons notre
âme pour découvrir si nous aimons ou non. Notre amour de Dieu ne sera peut-être
qu'une projection, une imagination, une conception mentale, volontaire,
sentimentale, une structure abstraite... Nous crierons : « Je T'aime ! » et notre
cœur restera indifférent.
« AIME-TOI TOI-MÊME EN MOI »
Ajoutons alors une deuxième partie à notre prière, faisons suivre le soupir de notre
cœur : « Fais-nous T'aimer, ô Dieu » ! Par : « Seigneur, comme je ne T'aime pas,
aime-Toi Toi-même en moi » ! Cette deuxième partie sera la pointe de notre âme,
la plus difficile à saisir, semblable à une aiguille plongée dans le Feu divin et
porteuse de l'étincelle divine.
Le labeur de la vie spirituelle, selon la pensée de saint Grégoire le Théologien,
c'est de toucher ce point géométrique divinement alimenté, cette pointe, comme
l'appelle Maître Eckhart.
Cette formule priante ; «Aime-Toi Toi-même en moi !», sans que nous ayons même
à prononcer « mon esprit », emporte notre "Je" essentiel. Intellectuellement, elle
frôle l'hérésie, parce que Dieu réclame notre amour et n'éprouve nul besoin d'être
aimé par Lui-même. Et voici : elle est d'une efficacité absolue, expérimentale.
L'apôtre Paul enseigne que l'Esprit présent en nous est presque unité avec notre
esprit. Si l'Esprit Saint est la main droite s'élevant vers le Père et notre esprit la
main gauche, joignons-les l'une à l'autre - la main droite tirera et la gauche suivra.
Cette prière d'un double amour, accomplie avec vigilance, transforme, enflamme
le cœur de telle manière qu'elle lui permet, sans prière répétée, de vaquer aux
occupations les plus distrayantes sans cesser de respirer Dieu. Elle amène des
résultats presque similaires ; je dis « presque », car le corps n'est pas encore
harmonisé au cœur. Elle sauve notre esprit, mais le psychique et le corps
chercheront quelque chose, s'attarderont encore « autour » de la pointe de notre
« Je », de l'étincelle divine. L'homme total ne sera pas... je dirai : sauvé - mais le
point central se sentira attiré, aspiré par Dieu.
LA OÙ EST TON TRÉSOR, LA AUSSI SERA TON CŒUR
J'ai fréquemment employé le terme « désir ». Grand problème ! L'Évangile du
Mercredi des Cendres nous dit : «Où est votre trésor, là est votre cœur» (Matthieu
6, 21). Or, nous désirons le trésor. Savez-vous qu'une très vieille méthode
spirituelle est de ne pas exterminer son désir, même mauvais ? Tout désir est mû
par une vibration de vie : déviez-le sur une autre voie.
Nous n'insisterons jamais assez sur un point : l'homme contemple, l'homme aime,
c'est bien. Cependant, il n'avancera que si son désir est travaillé, pétri ; s'il ne le
modèle pas, d'autres désirs le surprendront.
L'homme sans désir est endormi. Saint Denys l'Aréopagite enseigne que Dieu a
introduit dans le chaos primordial le désir, que l'on pourrait nommer l'humidité du
monde, l'aspiration vers l'être, l'élan vers Dieu. Quand le psaume chante : «Je Te
cherche dès l'aurore» (psaume 63, 1), il chante le désir de Dieu. En vérité, la
profondeur de l'amour n'est pas jouissance, mais appel de présence. Ne méprisez
donc pas le désir, orientez-le vers Dieu.
Le Christ, nous raconte l'Évangile, guérit les malades par sa puissance divine et,
ajoute-t-il plus loin, par compassion pour les malades. La compassion envers le
malade provoque chez ce dernier le désir de guérison, et la puissance divine
l'exauce. Sans compassion, vous n'irez pas à la rencontre du désir, et sans désir,
même si vous êtes tout-puissant, vous n'agirez pas.
Ici, se touchent le monde supérieur : «Dieu, aime-Toi Toi-même en moi», et le
monde humain, la culture du désir : «Je gémis de Toi». Le cœur bat d'espérance,
de souffrance, de nécessité intérieure, de demande, il « gémit de Dieu ». L'âme
souffre, et alors la prière : «Aime-Toi Toi-même en moi, Toi agis» ne rebondit pas
comme une pierre, mais entre dans la chair. On s'écrie, avec le prophète
Ézéchiel : « Le cœur de pierre est devenu un cœur de chair ». Et ce cœur de chair,
nulle circonstance extérieure ne pourra arrêter son gémissement vers Dieu.
VIVRE LE CHRIST
Notre huitième chapitre termine la première partie de l’enseignement sur la
technique de la prière.
Après avoir proposé plusieurs chemins, indiqué des sentiers étroits menant par la
prière à l'union avec Dieu et par la purification de notre être à la restauration de
l'homme en sa première beauté, nous conseillons à nos lecteurs d'appliquer à eux-
mêmes, sans hâte ni retard, les « recettes » que nous avons données.
L'assimilation d'une phrase des Écritures ou des Pères spirituels, faite chaque jour,
fortifiera et enrichira le cœur raisonnable.
Nous avons donné des conseils sous forme, non d'une œuvre littéraire, mais d'un
libre entretien, afin d'écarter le leurre des structures rationnelles et d'obliger à
palper existentiellement, à « manger », à « respirer » Dieu. Ils aideront dans leurs
premiers pas, nous l'espérons, ceux qui désirent vivre le Christ et ne pas être
chrétiens de nom seulement.
OBJECTIVITÉ ABSOLUE DE DIEU
La conception moderne du monde est faussée à sa base. L'apprenti de la prière
devra énergiquement renoncer à l'hérésie de notre siècle, s'il veut que le joug de
la prière devienne léger, et doux le fardeau de la vigilance.
En effet, nous avons pris l'habitude de considérer que ce qui est objectif est en
dehors de nous, et que, par contre, notre vie intérieure est spécifiquement
subjective. Cette forme de pensée s'est transformée en évidence, en certitude
indiscutable. Ainsi, ceux qui s'opposent au progrès scientifique et technique
s'imaginent devoir défendre désespérément la subjectivité de la vie intérieure,
rejoignant paradoxalement un Lénine pour qui la religion est « chose privée ».
L'homme du XXe siècle croit, en général, que la science, la nature, la matière sont
objectives, que le social lui-même est objectif, et que la religion et la vie
intérieure sont subjectives. Alors, par réaction, d'aucuns proclament que toute
objectivité est un mal écrasant l'humain.
Sommes-nous en face d'un dualisme sans issue : esprit, vie intérieure et
subjectivité égalent bien ; matière, extérieur et objectivité égalent mal ?
Le dogme chrétien affirme que la réalité divine - Dieu en nous - est objective, cela
n'étant aucunement le produit de notre conviction, de notre choix, de notre
imagination, de notre foi, de notre pensée ou de notre effort ; non, la réalité
divine est objective transcendentalement à toute subjectivité, bien que
réellement présente en nous. Si le Dieu que nous cherchons est le résultat de notre
« moi », nous devenons des idéalistes, des spiritualistes, nous ne sommes plus des
chrétiens.
Dieu en nous doit être conquis comme la cime d'une haute montagne. La technique
de la prière est un appareillage d'alpinisme. Les cordes, les piolets, les souliers à
clous, les exercices d'escalade, la résistance à la pureté de l'air, à la fatigue, au
froid, à la faim, sont indispensables pour atteindre le sommet qui demeure
objectif à tout cela. Le sommet était, est, sera, même si aucun alpiniste
n'entreprend d'y parvenir. Ainsi en est-il de Dieu objectif en nous.
Nous devons enfoncer, imprimer dans notre tête que Dieu est plus, beaucoup plus,
incompa-rablement plus objectif que le monde visible. L'objectivité du monde
extérieur est relative, nous pouvons la modifier ; rien ne peut modifier Dieu.
Certes, Dieu n'est pas un objet, une chose, une énergie a-personnelle, ni même
« Être », Il est Celui qui est, Il est Sujet, Tri-Hypostatique, d'où la nécessité de la
prière, du dialogue ; mais être Sujet ne signifie pas qu'Il se confonde avec notre
individualité. Transcendant par sa nature, Il est immanent par son énergie. De
même que nous ne pouvons imposer notre loi à la nature créée, mais seulement la
scruter et appliquer ses propres lois à nos besoins, de même - de façon
incommensurablement absolue - ne pouvons-nous imposer notre loi à Dieu. Cette
évidence n'est d'aucune évidence pour la logique de l'homme moderne : Il passe
son temps à construire son Dieu !
FACE À DIEU
Rejetons le dualisme factice : esprit-subjectivité et matière-objectivité. Posons
l'axiome que Dieu en Soi, et en nous, est une objectivité totale. Plaçons notre être
psycho-spirituel, variable, instable et si complexe, en face de cette cime
objective : Dieu en nous, et contemplons-la par l'œil de notre cœur, sans pour cela
renoncer à regarder avec nos yeux extérieurs à la nature.
Nous obtiendrons le schéma suivant :
- Dieu : le centre
- le monde extérieur : la périphérie
- moi : le mouvement des rayons
***
Table
Première partie - Approche de la Divine Trinité par les Noms divins
I. Noms et nombres
II. Vers le Fils
III. Le Saint-Esprit
IV. Le Père
V. Le Plan de l'économie
VI. Vers le silence total
Deuxième partie - L'anthropologie chrétienne à la lumière de la Révélation
I. Approche par la Révélation
II. L'expérimentation du noûs
III. Les structures de l'homme dans l'anthropologie chrétienne
IV. La conquête de l'esprit
V. Les aptitudes du noûs
VI. La conscience et les fruits de l'esprit
VII. De l'inquiétude vers la paix
VIII. Silence et liberté
Troisième partie - La prière
I. La prière conversation avec Dieu
II. La paix intérieure
III. La prière nourriture
IV. La prière respiration
V. Prière, travail, repos. Le rythme de la vie
VI. La prière « en esprit et en vérité »
VII. Les étapes vers la prière perpétuelle
VIII. Le désir de Dieu
Table