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Le Soir Samedi 24 et dimanche 25 avril 2010

18
ÉCONOMIE

La Belgique a
profité des
L
e 30 juin prochain, la Ré-
publique démocratique
du Congo fêtera le cin-
quantième anniversaire
voile sur des réalités qui restent
délicates, cinquante ans après.
Le premier volet que nous
vous présentons ce samedi con-
Le pillage
belge du
de son indépendance. cerne l’économie. Pour répon-
richesses Avec la présence très symboli- dre à ces questions-là encore sen-
que, du roi Albert II et de nom- sibles. La Belgique a-t-elle pillé
de sa colonie. breux dignitaires étrangers. les richesses du Congo ? Aurait-
Cinquante ans après, que doit- elle dû dédommager son ancien-
Mais elle y a on penser des effets de cette dé- ne colonie ? Si les réponses sont
colonisation ? Comment la Bel- évidemment nuancées, force est
aussi investi

Congo reste
gique a-t-elle géré la période co- de constater que l’indispensable
loniale et son retrait précipité ? travail consistant à chiffrer tout
beaucoup A-t-elle exercé son nécessaire de- cela n’a jamais eu lieu.
voir de mémoire à ce sujet ? Et « Il s’agit d’un travail colos-
d’elle-même. comment le Congo lui-même a-t- sal, pour lequel les chercheurs ne
il pris sa destinée en main ? trouveront aucun financement,
Premier volet Pendant une semaine, Le Soir affirme Frans Buelens, profes-
mène l’enquête au sujet de ces seur à l’université d’Anvers. Il y
de notre

un tabou
questions sensibles, qui recou- a des calculs auxquels il vaut
vrent encore des tabous et des mieux ne pas songer… » Le voile
devoir non-dits. Notre journaliste Co- de l’oubli tombera-t-il définitive-
lette Braeckman, fine connais- ment sur ce passé pas si loin-
d’inventaire, seuse de la réalité congolaise, tain ? Ou cet anniversaire sera-t-
multipliera les récits, les reporta- il aussi celui du réveil de la mé-
50 ans après. ges et les entretiens pour lever le moire ? ■ OLIVIER MOUTON

Le « cadeau » de Léopold II a généré du profit

1
éopold II en est convain- tion, relève Stengers : « Pour cide : le gouverneur général, se- damment élevé » Jusqu’à la
L cu : il faut que la Belgique,
elle aussi, ait une colonie. Il est
appuyer Léopold II, la Belgique
a engagé quelque 40 millions
condé par des fonctionnaires
doit rendre compte au Parle-
veille de l’indépendance, le Con-
go exporte plus de capitaux
bien le seul de cet avis : en 1881, et, moins de vingt ans plus ment belge. Le Congo sera régi qu’il n’en importe.
la situation économique de la tard, elle en récupère vingt… » par la « trinité coloniale » : l’ad-
Belgique est satisfaisante, les ministration, les missions, les On ne paie pas pour le Congo
Belges ne souhaitent pas émi- Une mission « civilisatrice » « trusts », c’est-à-dire les gran- Quant aux capitaux publics
grer. Pour financer son ambi- Sur le terrain, des agents de des sociétés. Léopold II lui-mê- que l’Etat belge aurait investis
tion, il puise dans sa cassette l’Etat indépendant sont char- me avait déjà fait appel au au Congo, ils ont toujours été li-
personnelle, dont l’évaluation gés d’obliger les indigènes à ré- grand capital : après la banque mités par la règle d’or : la Belgi-
oscille entre 30 et 40 millions colter l’ivoire puis le caout- Rotschild, le baron Lambert lui que ne paie pas pour le Congo.
de francs de l’époque. A la fin chouc, prestations effectuées a avancé les fonds, ainsi que le Du temps de Léopold II déjà,
de 1885, il aura dépensé 11 mil- au titre d’« impôt ». Ce système banquier Alexandre Browne de les Belges d’Afrique criti-
lions et demi de francs, en plus donna lieu à de nombreux Tiège, le capitaine Albert Thys quaient les travaux grandioses
des 400.000 francs apportés abus, et le leader socialiste Emi- avait créé la Compagnie du Con- réalisés en Belgique alors que
par les souscripteurs du Comi- le Vandervelde, désigna le Cin- go pour le commerce et l’indus- le Congo avait besoin de tout.
té d’études du Haut-Congo. Ce quantenaire comme « les arca- trie, l’homme d’affaires En 1920 cependant, puis au dé-
qui l’oblige à emprunter auprès des des mains coupées ». Lors- Edouard Empain avait fondé la but des années 30, la Belgique
de la banque Rotschild, à la- que la Belgique reprend le Con- CFL (Compagnie du chemin de se porte au secours des finances
quelle il doit, en 1885, go en 1908, elle est soucieuse fer du Congo supérieur aux congolaises, elle crée la Loterie
2.700.000 francs. de désamorcer les premières Grands lacs africains) en échan- coloniale, future Loterie natio-
mobilisations humanitaires du ge d’importantes concessions nale dont les revenus seront
Le roi dépense sans compter XXe siècle et de mettre fin aux foncières au Kivu, et la Compa- transférés au Congo.
Si le roi dépense sans comp- excès. Convaincue de la supré- gnie du Katanga, filiale du grou- Pendant la Seconde Guerre
ter, pour financer les expédi- matie naturelle des Européens, pe Thys, avait été fondée en mondiale, le Congo participe à
tions de Stanley, fonder l’Asso- elle entend « mettre le Congo en 1906. l’effort de guerre en accroissant
ciation internat ou payer des valeur », réaliser « une mission Fondées à Anvers, des socié- sa production de matières pre-
lobbyistes, c’est qu’il considère civilisatrice ». Cependant, les tés commerciales concession- mières (huile de palme, cuivre,
les sommes engagées comme principes de la « Charte colo- naires (l’Anversoise créée en uranium) tandis que le gouver-
des investissements : le Congo, niale » sont clairs : la colonie 1902 et l’ABIR – Anglo-Bel- nement en exil à Londres fait
son bien privé, doit lui rappor- ne doit rien coûter à la Belgi- gian india rubber and explo- vre, étain, or, diamant) extraits tions plus favorables. Au lende- appel aux avances de la Banque
ter et lui permettre, au plus tôt, que, une cloison étanche sépa- ring) se voient céder des terres par des entreprises européen- main de la Seconde Guerre du Congo belge. Le gouverneur
de récupérer sa mise initiale. re les budgets des deux pays. pour y exploiter le caoutchouc. nes et le tiers restant, des pro- mondiale, en s’approvision- Pierre Ryckmans estimera que
Tous les historiens (Stengers, C’est à Bruxelles que tout se dé- Le roi possède des actions dans duits agricoles ou industriels, nant dans sa colonie, l’écono- les Congolais n’ont pas été suffi-
Maurel, Van Temsche) le recon- ces sociétés et touche la moitié provient lui aussi de sociétés eu- mie belge évite de devoir recou- samment récompensés mais
naissent : si les arguments hu- de leurs dividendes. ropéennes. rir aux devises étrangères. Pour les gouvernements d’après
manitaires ont été avancés L’agriculture indigène ne de nombreuses entreprises bel- guerre ne desserreront pas les
dans les réunions internationa- Minée par le travail forcé joue qu’un rôle secondaire, et ges, le Congo représente un cordons de la bourse : à part un
les, la motivation première Ce n’est qu’en 1906 que la les cultures obligatoires, ou le marché captif, où s’exerce un demi-milliard en 59 et 2,7 mil-
était la recherche du profit. Jus- puissante Société générale de système des paysannats, desti- monopole de fait. En outre, en liards en 1960, les pouvoirs pu-
qu’en 1890, le pari se révèle ha- Belgique avait accepté de s’asso- né à fixer la main-d’œuvre, se- Belgique même, la redistribu- blics ne consentiront jamais
sardeux : malgré l’ivoire, le Con- cier au projet congolais, partici- ront ressentis comme des con- tion des flux de marchandises qu’à des emprunts, réalisés par
go se révèle un gouffre finan- pant alors à la création de traintes supplémentaires. La bénéficie à de nombreux sec- le Trésor Colonial.
cier et en 1890, la Belgique con- l’Union minière du Haut Katan- Belgique a certainement contri- teurs : les infrastructures, les as- L’endettement du Congo re-
sent au roi un prêt de 25 mil- ga, de la Compagnie des che- bué à l’essor du Congo par les surances et surtout les transpor- prend en 60, lorsque les autori-
lions, échelonné sur dix ans. mins de fer du Bas-Congo et de investissements de ses sociétés teurs. Les compagnies de trans- tés belges lancent le « plan dé-
Le premier miracle économi- la Forminière (Société interna- et par la sécurité qu’elle a main- port belges (la Compagnie mari- cennal » et obligent le Congo à
que survient alors : les premiè- tionale forestière et minière) tenue. Cependant, le développe- time belge et sa filiale l’Agence emprunter sur le marché belge,
res automobiles font exploser dont l’une des filiales était le ment a été assuré par les res- maritime internationale, la Sa- plus cher que le marché interna-
la demande de caoutchouc. En Chemin de fer du Congo. sources de la colonie, par le tra- bena) bénéficient d’un monopo- tional, américain en particu-
1890, le Congo n’exportait enco- Après 1908, l’extension de vail de ses habitants, par les im- le de fait et appliquent des ta- lier. A partir de 1960, les recet-
re qu’une centaine de tonnes de Colette ces sociétés ne sera limitée que pôts payés par les grandes socié- rifs supérieurs aux prix interna- tes du Congo devraient s’élever
caoutchouc, dix ans plus tard il Braeckman par la pénurie de main-d’œu- tés : entre 1950 et 1960, les ver- tionaux. A ces recettes s’ajou- à 12 ou 13 milliards, et les dé-
en exporte 6.000, les produits vre. En 1930, revenant d’une sements faits par l’Union Mi- tent les importants revenus penses à 20 ou 21 milliards…
du domaine rapportent plus de Au Congo, où elle est mission, le futur roi Albert Ier nière (taxes, redevances, divi- d’investissements transférés La charge de la dette publique
18 millions. Le Congo devient connue partout, on l’ap- assure au Congrès colonial que dendes) représentaient 27 % vers l’étranger, comme les divi- représente, déjà en 1958, 18 %
rentable et le roi organise im- pelle « madame Colet- la population congolaise, mi- des recettes totales du Congo. dendes des grandes sociétés. du budget congolais. Selon les
médiatement la transfusion. te ». Journaliste au Soir, née par le travail forcé, victime D’après des études réalisées historiens, la totalité des dépen-
La Fondation de la Couron- Colette Braeckman est de maladies nouvelles pourrait Développement belge dopé par la Banque centrale du Con- ses effectuées par la Belgique
ne, créée en 1901, reçoit au Con- une des références in- connaître le même sort que les Le Congo a également contri- go belge, le rendement des so- au Congo s’élève à 209 millions
go des terres immenses, ternationales sur l’Afri- Indiens d’Amérique. bué au développement de la ciétés congolaises est de beau- de francs or, soit 7 milliards de
250.000 km2, un 10e de la su- que centrale. Elle cou- Alors qu’au Kenya, en Ougan- Belgique : entre les deux guer- coup supérieur à celui des socié- francs de 1957. Moins d’un di-
perficie totale de l’Etat. Le reve- vre l’actualité congolai- da, les trois quarts des exporta- res la Belgique fournit entre 40 tés opérant en Belgique, voire à xième des dépenses annuelles
nu généré permet à la Fonda- se depuis 1985, y séjour- tions sont représentées par le et 56 % des biens importés au l’étranger. Entre 1951 et 1956, de l’Etat belge…
tion de réaliser à Bruxelles de ne régulièrement et a café et le coton produits par les Congo, entre 45 et 60, 58 % des le pourcentage des dividendes Stengers conclut : « Le seul
grands travaux d’urbanisme. publié plusieurs ouvra- indigènes, la fortune du Congo exportations congolaises se diri- oscille entre 4,4 % et 5,3 % budget des pensions constitue
Ses acquisitions immobilières ges à ce sujet. Le der- se construit sur les mines : gent vers la Belgique. Grâce à la alors qu’au Congo, ces pourcen- chaque année pour la Belgique
et ses constructions passeront, nier : Vers la deuxième dans les années 50, deux tiers parité entre le franc congolais tages oscillent entre 11,6 % et une charge presque double de ce
en 1908, à l’Etat belge pour 60 indépendance du Congo des exportations sont représen- et le franc belge, les acheteurs 13,1 %, un rendement considé- que le Congo a coûté en 70
millions de FB. Un cas d’excep- (ed. Fayard). tés par les produits miniers (cui- belges bénéficient de condi- ré à l’époque comme « surabon- ans… » ■ COLETTE BRAECKMAN

1NL www.lesoir.be

23/04/10 21:11 - LE_SOIR du 24/04/10 - p. 18


Le Soir Samedi 24 et dimanche 25 avril 2010

LE CALENDRIER
Samedi 24 avril
Le rapport économi-
Lundi 26 avril
Le rapport scientifi-
Mardi 27 avril
Le rapport politique.
Mercredi 28 avril
Le rapport patrimo-
Jeudi 29 avril
Le rapport humain
Vendredi 30 avril
Le rapport humain
Lundi 3 mai
Le rapport final.
19
que. A-t-on pillé les ri- que. L’inventaire natu- Tradition autoritaire, nial. Les traces du (1). La « color bar » ou (2). L’incroyable histoi- La Belgique doit-elle
chesses du Congo ? rel du Congo. espoir démocratique. Congo à Bruxelles. l’apartheid soft. re des métis. demander pardon ?

ELISABETHVILLE 2009. Union minière du


Haut-Katanga. © CARL DE KEYZER / MAGNUM.

L’insoluble Cinq décennies Carl De Keyzer


C’est l’un des photogra-

contentieux de descente aux enfers phes belges qui comp-


tent sur la scène interna-
tionale. Membre de
l’agence Magnum, ce
Gantois sillonne le mon-

23
orsque Patrice Lumumba du portefeuille » : en 1960, n 1960, à l’échelle africaine blement le pays. Et surtout, le clamant « on ne mange pas la ri-
L devient Premier ministre,
il découvre que les caisses sont
l’ensemble des actions déte-
nues par l’Etat colonial auprès
E le Congo est un géant éco-
nomique : premier producteur
30 novembre 1973, il proclame
la « zaïrianisation », c’est-à-di-
gueur »… En 1990, l’effondre-
ment de la mine de Kamoto au
de depuis vingt ans. Il
vient de publier aux édi-
vides », explique le politolo- des grandes entreprises est éva- mondial de diamant industriel, re la nationalisation. Si les gros- Katanga revêt une signification tions Lannoo un ouvrage
gue congolais Jean Omasom- lué à 37,5 milliards de francs, et de cobalt, 4e producteur mon- ses unités agro-industrielles et symbolique : les piliers soute- consacré au Congo (bel-
bo. « Le pays est endetté et les soit tout le patrimoine actif de dial de cuivre, 6e pour le zinc, agricoles reviennent à l’Etat, les nant les galeries souterraines
ge). Où l’on retrouve les
sociétés coloniales ont massive- la colonie. Le Congo exige, son niveau de développement plantations, élevages et certains ont été grignotés, dans l’espoir
ment transféré leur siège social sans conditions, la remise des peut se comparer à celui du Ca- commerces sont distribués à d’y trouver du minerai… traces de notre pays
vers la métropole. En juillet titres et des droits, tandis que nada, de la Corée du Sud. ceux que l’on appellera désor- En 1991, la Belgique, suivie dans son ancienne colo-
1960, Lumumba n’a pas de la Belgique use d’un droit de ré- De 1960 à 1965, le Congo con- mais les « acquéreurs », c’est-à- par les autres partenaires occi- nie. Ce travail est exposé
quoi payer les ministres de son tention. Le montant du porte- naît une période difficile : séces- dire des collaborateurs et courti- dentaux, rompt avec Mobutu, au Musée de la photo, à
premier gouvernement… » feuille doit être mis en parallè- sion du Katanga et intervention sans du chef de l’Etat. Un an un allié que la fin de la guerre Anvers, jusqu’au 16 mai.
Au début 1960, les dépenses le avec la dette publique du de l’ONU, rébellions qui s’éten- plus tard, en décembre 1974, les froide a rendu inutile. Deux va-
représentent un milliard par Congo belge, entre 44 et 46 dent sur 40 % du territoire. « acquéreurs » ayant réalisé les gues de pillages, en 1991 et 1993
mois et les recettes 250 mil- milliards de FB. Après le départ des Belges, les actifs et acheté des Mercedes… achèvent de couler ce qui reste
lions seulement. Dès juillet, la Si ces 37,5 milliards de parti- Congolais ont tant bien que mal la « radicalisation » est décré- du secteur formel.
sécession du Katanga ampute- cipations dans les entreprises assuré la relève dans les entre- tée et en 1976, les anciens pro- prendre la main : les contrats
ra le budget de la moitié de ses étaient revenus à la jeune Ré- prises et, dans l’enseignement, priétaires sont invités à revenir, Sa fortune : 7 milliards ! miniers sont renégociés, le Con-
recettes, l’Union Minière publique du Congo, celle-ci se- des professeurs haïtiens assu- contre promesse de « rétroces- En 1997, lorsque Mobutu est go espère obtenir l’annulation
ayant choisi de payer ses taxes rait ainsi devenue l’actionnai- rent le remplacement. sion » de 40 % et parfois de chassé du pouvoir, le montant de 90 % de la dette, soit près de
au gouvernement sécessionnis- re principal de ces entreprises 60 % de leurs actions. Mais les de sa fortune personnelle équi- 10 milliards de dollars.
te de Tshombé. A la veille de gérées jusque-là par les socié- La « zaïrianisation » expatriés, Belges pour la plu- vaut à celui de la dette de son En 2010, c’est l’embellie : les
l’indépendance s’est noué ce tés belges, dont la Société Gé- Lorsque, le 25 novembre part, sont durablement trauma- pays : 7 milliards de dollars ! réserves à la banque centrale
qui sera appelé le « conten- nérale de Belgique. Le terme 1965, Mobutu prend le pouvoir, tisés par ce véritable « hold- Son successeur, Laurent Dési- s’élèvent à un milliard de dol-
tieux congolais ». de « contentieux » sera utilisé il hérite d’un outil économique up » et ils entameront d’intermi- ré Kabila, n’inspire pas confian- lars pour le 1er trimestre. Un siè-
pour la première fois en août en bon état. Les premières an- nables procédures d’indemnisa- ce : la conférence des « Amis du cle de tête-à-tête avec les Occi-
Un transfert massif 1961 par le Premier ministre nées seront prometteuses mais tion. En 1990, ces indemnisa- Congo » ne réussit à récolter dentaux appartient au passé : le
En effet, la table ronde éco- Adoula, qui mènera les premiè- le 30 juin 1966, le président pro- tions représentent encore 60 % que 32 millions de dollars alors Congo, en septembre 2007, a
nomique, où les partis politi- res négociations avec Paul- clame la guerre économique et de la dette privée non garantie. que le gouvernement en espé- conclu avec la Chine un accord
ques congolais n’envoient que Henri Spaak en 1963 et 64. les accents prophétiques de son La « zaïrianisation » a dé- rait 728 millions ! spectaculaire : 9 milliards de
des subalternes se clôture à Le Congo ne récupérera ja- discours rappellent qu’il a été truit ce qui reste du « Congo Il faudra attendre l’avène- crédits (réduits à six) pour la
l’avantage de la Belgique. Dès mais son important patrimoi- un disciple de Lumumba. En des Belges », brisé la confiance. ment de Joseph Kabila en 2001 construction d’infrastructures
le 14 avril, Kasavubu dénonce ne en Belgique, comme 47 % 1966, il décrète la nationalisa- Le Zaïre tombe alors sous la cou- pour que le dialogue reprenne et la réhabilitation de l’indus-
le transfert massif vers la Belgi- des actions des usines de Ho- tion de l’Union Minière et exige pe des institutions financières avec les institutions financiè- trie minière en échange de dix
que du dépôt d’or qui se trouve boken Overpelt qui raffinent le rapatriement de 7,5 milliards internationales qui le somment res. Mais à ce moment, le pays millions de tonnes de cuivre, de
au Congo. Le 17 juin, le Parle- le cuivre, ni les stocks de mine- de FB en devises en échange des de payer ses dettes et de s’ouvrir est pillé par les chefs de guerre, 200.000 tonnes de cobalt. De
ment belge décide d’autoriser rais, ni un important patrimoi- stocks que l’entreprise a consti- au marché international. son économie plombée par une nouveaux investisseurs vien-
les sociétés belges fonction- ne immobilier. Les négocia- tués en dehors du pays. La Belgi- dette qui, par le jeu des intérêts, nent du Brésil, de Corée du Sud,
nant sous le droit congolais tions sur le « contentieux » se- que continue cependant à ache- L’heure de l’austérité atteint 13,8 milliards de dollars. de Turquie, des pays du Golfe…
d’opter pour le droit belge, ront poursuivies par Tshombé ter le cuivre katangais et de Dès 1983, le Zaïre « entre en Le pays est mis sous tutelle : Léopold II s’était engagé à ou-
tout en conservant leur siège qui ramènera triomphale- 1963 à 1968 la métallurgie Ho- programme » avec le FMI et la le budget de l’Etat est lourde- vrir le bassin du Congo au com-
d’exploitation au Congo. ment le « portefeuille » congo- boken Overpelt réalise un béné- Banque mondiale. Les mesures ment ponctionné pour rem- merce international ; la Belgi-
Plus de 500 entreprises jus- lais en 1964. Mobutu reparle- fice de 3 milliards de FB. d’« assainissement » et d’austé- bourser la dette. Durant la tran- que coloniale avait jalousement
que-là congolaises renvoient ra du contentieux lors de la Au lieu de confirmer le décol- rité se traduisent par des cou- sition (2003-2006), l’accent est défendu son monopole. Cette
leurs capitaux en Belgique tan- querelle belgo-zaïroise et en lage (à l’époque le zaïre vaut un pes claires dans le domaine de mis sur la privatisation, le dé- fois, à l’issue d’une décennie de
dis que les « Compagnies à 2010 encore, la presse congo- dollar !), Mobutu commet deux l’enseignement. Mais ces insti- mantèlement du secteur public, guerre et de pillages, le Congo, à
charte » se dissolvent. laise évaluait à 200 milliards erreurs majeures. Il se lance tutions tolèrent les frasques du les autorités se rendent compli- l’heure de la mondialisation, est
Le Congo est, littéralement, de dollars l’ensemble des dans une politique de grands dictateur, son goût du luxe, la ces d’un véritable pillage organi- ouvert au monde entier. La po-
décapitalisé. Se noue alors ce avoirs dont le Congo aurait été travaux, les fameux « éléphants corruption généralisée… En sé. Depuis les élections de pulation bénéficiera-t-elle en-
que l’on a appelé le « problème spolié en 1960 ! ■ C.B. blancs » qui endetteront dura- 1988, Mobutu défie le FMI en 2006, le pouvoir tente de re- fin de ses ressources ? ■ C. B.

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23/04/10 21:51 - LE_SOIR du 24/04/10 - p. 19


Le Soir Samedi 24 et dimanche 25 avril 2010

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ÉCONOMIE 1885 Conféren-
ce de Berlin : fon-
dation de l’Etat
indépendant du
Congo, sous la
1908 Le Congo
devient colonie
belge.

1918-1939
Développement
sociétés à char-
te.

1947 La Char-
te de l’ONU
condamne
1955 Publica-
tion du plan Van
Bielsen (vers l’in-
dépendance en
trente ans).
souveraineté le colonialisme. 1958 Fonda-
économique du
personnelle de pays ; essor des tion du MNC-
Léopold II. Lumumba.

A Kinshasa, la Sabena existe toujours


e sont les banquiers qui lui ont res mettaient plusieurs semaines
C mis la puce à l’oreille, mais il a em-
brayé au quart de tour. Dès 1919, Al-
avant de rejoindre la colonie, par voie
maritime. Dès 1936, il ne faut plus que
bert premier lance un très ambitieux 4 jours. Parallèlement, la compagnie
projet visant à doter la Belgique d’une belge développe un réseau de lignes in-
compagnie aérienne. L’objectif est tri- térieures, avec plus de 20 pistes d’at-
ple : lancer une activité de construc- terrissage aménagées dans la forêt tro-
tion d’avions en Belgique, effectuer picale.
des liaisons aériennes en Europe, et De 1936 à 2001, l’histoire de la Sabe-
doter la colonie d’un réseau aérien. Le na sera intimement liée à celle du Con-
Sneta (Syndicat national pour l’étude go. Pour le pire, comme ce pont aérien
des transports aériens) est né. de 1960 où les Belges s’entassaient
En 1920, la premier avion décolle, dans des avions bondés au péril de
pour un vol entre Bruxelles et Lon- leur vie. Ou comme ces pillages répé-
dres. Devant les belles perspectives tés et les dévaluations de la devise con-
qui s’annoncent, une vraie compagnie golaise, catastrophiques pour les fi-
est fondée, en 1923. C’est la Société bel- nances de la compagnie. Mais aussi
ge de l’exploitation de la navigation aé- pour le meilleur, comme l’accueil ré-
rienne (Sabena). Cette année-là, la servé par les Congolais des villes de
première ligne voit le jour : Bâle-Stras- province à chaque atterrissage d’un
bourg-Bruxelles-Rotterdam-Amster- avion de la Sabena, seul lien avec l’Eu-
dam. rope, ou la création, en commun, d’Air
Mais le grand rêve du Roi, c’est de Congo, après l’indépendance. Sur le
doter le Congo d’un réseau aérien, et long terme, comme de nombreuses au-
surtout, de relier Bruxelles à la colo- tres entreprises belges, la Sabena se se-
nie. Cette perspective allèche Edmond ra enrichie, au Congo, dans des cir-
Thieffry, un pilote de chasse de 32 ans constances pas toujours transparen-
qui demande à la Sneta, de mettre à sa tes.
disposition un trimoteur Handley Pa- Après la faillite, en 2001, les vols bel-
ge qu’il se propose d’acheminer de Bru- ges vers le Congo ont cessé. Air France
xelles à Kinshasa. Le roi Albert use de a rapidement tenté de reprendre le
toute son influence, et le jeune pilote marché, avec un succès relatif. Jus-
reçoit son appareil. Après… 51 jours qu’à ce que Brussels Airlines relance
de vol avec de multiples escales, l’appa- les activités africaines de l’ex-compa-
reil se pose le 3 avril 1925 à Leopold- gnie nationale, avec un très grand suc-
ville. Il faudra attendre 1935 pour que cès. Actuellement, elle dessert 29 des-
la ligne entre Bruxelles et le Congo de- tinations en Afrique. A Kinshasa,
vienne régulière. C’est une révolu- beaucoup l’appellent encore Sabe- UN DC 3 sur piste de sable au Congo, dans les années 50. La compagnie s’est en grande partie construite au
tion : jusqu’alors, les hommes d’affai- na. ■ BERNARD DEMONTY Congo, où elle disposait d’un large réseau intérieur, et de lignes intercontinentales très rentables. © D.R.

LES TROIS ÉTAPES

Qui doit à qui ?


RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE SOUDAN
DE L'EXPLOITATION
1885-1910 Le Congo, sous Bangui
Léopold II, fournit à la Belgique
or, ivoire et caoutchouc, en
provenance essentiellement des
provinces des Bas-Congo,
Bandundu et Equateur.
1910-1990 Cuivre, diamant,
Équateur
Haut-Congo
Lac
Un calcul impossible
cobalt et uranium sont extraits Albert
’historien Jean Stengers ré quelque profit du Congo : Versailles, tenter de tout
des gisements situés au Katanga
et dans les deux Kasais.
RÉPUBLIQUE Kisangani

Nord-Kivu Lac
OUGANDA L a tenté d’établir les « La plupart des Belges n’y comptabiliser. Additionner
1990-2010 Or, niobium
DÉMOCRATIQUE comptes de Léopold II, le pro- ont rien gagné. Mais certai- les bénéfices déclarés par les
Edward fesseur Jean-Claude Willa- nes grandes familles doivent sociétés, les impôts payés etc.
et coltan sont arrachés Mbandaka DU CONGO me a essayé de décrire le tout, ou en tout cas beaucoup Mais il s’agit d’un travail co-
des sols du Maniema
et des deux Kivus. Lac RWANDA
Kigali
« contentieux belgo-congo- au Congo, les Thys, Lippens, lossal, pour lequel les cher-
Kivu lais », à l’UCL Pierre Tilly Nagelmaekers, Boël, Lam- cheurs ne trouveront aucun
s’attelle également à cet exer- bert, Empain… Ce qui est cer- financement. »
CONGO- Kasai-Oriental BURUNDI cice, Frans Buelens, profes- tain aussi, c’est que, globale- Autre calcul qui, selon le
BRAZZAVILLE Bandundu Sud-Kivu Bujumbura seur à l’Université d’Anvers, ment parlant, le Congo a été professeur anversois, mérite-
Kinshasa Maniema a consacré un ouvrage de une excellente affaire pour rait d’être fait et ne le sera ja-
plus de 600 pages à la comp- les investisseurs, les action- mais : « Qui calculera ja-
Bas-Congo Kasai-Occidental TANZANIE tabilité des sociétés colonia- naires des sociétés : le taux de mais l’impact économique dé-
les. Mais aucun chiffre précis profit moyen était de 9 à coulant de l’assassinat, en
Lac et définitif n’émane de ces 10 %, ce qui veut dire qu’en 1960, de la jeune démocratie
Tanganyika
travaux : « Il s’agit d’un exer- dix ans ils doublaient le capi- congolaise ? On sait com-
cice impossible et dont le ré- tal investi. Sur 75 ans, cela ment la Belgique contribua à
Katanga sultat serait immédiatement donne un rendement non né- mettre à l’écart les dirigeants
Ressources minières Ressources énergétiques controversé, souligne Bue- gligeable, le Congo a été une élus, à éliminer Patrice Lu-
Lac lens. Les industries colonia- incontestable source de mumba. Que serait devenu le
Diamant Charbon Mweru
Or Uranium les ont fait au Congo des béné- richesses… » Congo s’il avait pu évoluer
fices importants, mais de lar- Combien les sociétés bel- autrement ? Qui évaluera ja-
Niobium Pétrole ges secteurs de l’économie bel- ges ont-elles investi au Con- mais le montant que repré-
Cuivre et cobalt ge doivent leur développe- go, combien elles en ont reti- sente la destruction de son
Etain et coltan Lubumbashi ment à la colonie, le dia- ré : ce calcul est-il réellement économie, qui estimera le
Voie ferrée
Manganèse ANGOLA mant, l’industrie des non-fer- impossible ? nombre de vies humaines per-
Aéroport
Plomb et zinc reux, les banques… » « Techniquement non, re- dues, d’existences brisées ? Il
Région riche en étain Savane et agriculture extensive De même, l’historien se re- connaît Frans Buelens, on y a des calculs auxquels il
ZAMBIE fuse à dire si les citoyens bel- pourrait, comme on l’a fait vaut mieux ne pas songer… »
« Ceinture de cuivre » Forêt dense
ges, comme individus, ont ti- en Europe avant le traité de ■ C.B.

+
- La Belgique a doté le Congo de bonnes infra-

- Les salaires des Congolais demeuraient très
Un DVD exceptionnel
le mardi 27 avril
Le Soir propose avec son édi-
tion du mardi 27 avril un dou-
ble DVD exceptionnel compre-
Patrice Lumumba et Joseph Désiré Mobutu
sont deux figures qui ont marqué le destin
du Congo et qui ont inspiré deux cinéastes
très différents.
Même s’il se dissimule sous la “fiction” le ci-
structures bas malgré de récentes augmentations nant deux films : Mobutu roi néaste haïtien Raoul Peck a retracé avec for-
- Pays le plus industrialisé d’Afrique en 1960 - Les grandes sociétés ont rapatrié leurs capi- du Zaïre de Thierry Michel et ce et précision l’itinéraire de Lumumba, qui
- Grandes entreprises très performantes, le taux en Belgique Lumumba de Raoul Peck. apparaît comme un héros tragique de l’indé-
PIB commercialisé augmente de 5,9 % par an - L’agriculture indigène était oubliée au profit Voici ce qu’en dit Colette Braeckman : pendance congolaise. Le cinéaste belge Thier-
- En 1958 le PIB, (90 dollars par habitant), des cultures commerciales « L’un n’avait plus d’amis, l’autre en avait ry Michel présente, lui, son film comme un
était le plus élevé d’Afrique. Le même qu’en - Grands exodes de population à cause trop. Tous deux sont morts dans la solitude, “documentaire” alors qu’il s’agit de l’évoca-
Corée du Sud et au Canada des exigences de main-d’œuvre le premier a été éliminé sans scrupule, le se- tion d’un véritable “monarque” qui régna
- 1.473.330 Congolais étaient salariés, dont - Pas d’« ownership », d’appropriation cond, services rendus, a été abandonné sans partage durant 32 ans et finit par con-
40 % dans des usines du développement après trois décennies de soutien sans faille. duire son pays à la ruine. »
- Pas de relève congolaise prévue

3HT www.lesoir.be

23/04/10 23:08 - LE_SOIR du 24/04/10 - p. 20


Le Soir Samedi 24 et dimanche 25 avril 2010

1959 Emeutes,
le 4 janvier,
30 juin : procla-
mation de
Sécession
du Katanga
1961 Assassi-
nat de Lumum-
1964 Gouver-
nement Tshom-
1965 Mobutu
prend le pouvoir
1996 Guerre
au Kivu.
2001 Assassi-
nat de Laurent-
2002 Accords
de Sun City.
21
à Léopoldville. l’indépendance et du Sud-Kasaï. ba. Gouverne- bé. Intervention (24 novembre). Désiré Kabila,
du Congo. Intervention des ment d’union na- belgo-américai- 1997 Départ de son fils Joseph 2006 Premiè-
1960 En janvier Lumumba
Nations unies. tionale d’Adoula. ne à Stanleyville 1990 Introduc- Mobutu, arrivée prend le relais. res élections
et février, Les institutions tion du multi- au pouvoir de présidentielles
Premier minis- (Kisangani).
Table ronde
tre, Kasa-Vubu
politiques 1963 Fin partisme. Laurent-Désiré et législatives.
à Bruxelles. « neutralisées » de la sécession Kabila.
président. par Mobutu. du Katanga.

Peu de sociétés belges sont restées


ous réalisez un dossier sur les en- Si quelques très belles entreprises que… Les guerres, l’instabilité politi- depuis l’époque coloniale comme civil, la banque… Mais il y a d’autres
V treprises belges au Congo ? Vous
n’avez pas beaucoup de travail
de la Bourse de Bruxelles sont nées
dans l’ex-colonie comme le spécialiste
que et juridique, la faiblesse du systè-
me financier et du pouvoir d’achat, la
Sipef (plantations de thé, de café,
hévéa…) ou Sucraf (sucrerie au Kivu)
conglomérats locaux d’origine belge
comme celui de la famille Damseaux,
alors ? » La boutade d’un de nos inter- des métaux précieux Umicore, ancien- corruption généralisée… ont fait fuir ont jeté l’éponge il y a 10 – 15 ans suite Orgaman, spécialisé dans le commer-
locuteurs est révélatrice. A l’inverse de nement Union minière du Haut- les plus téméraires. Le dernier rap- aux troubles dans l’Est. Quelques ce de produits alimentaires, le trans-
certaines anciennes colonies françai- Katanga ou l’armateur CMB, jadis port de la Banque mondiale pointe la entrepreneurs belges ont néanmoins port, l’élevage, l’agriculture. Citons
ses où les leviers de l’économie sont Compagnie belge maritime du Congo, République démocratique du Congo à réussi à s’y maintenir et même à y pros- aussi des sociétés comme la Compa-
restés en grande partie aux mains de cela fait bien longtemps qu’elles s’en l’avant-dernière place des pays où il pérer : le plus célèbre d’entre eux est gnie sucrière, Texaf (immobilier), Cha-
sociétés hexagonales, les entreprises sont éloignées pour lui préférer des ré- fait bon investir… Le départ des entre- sans aucun doute Georges Forrest, ac- nic (construction navale)… et bien sûr
belges se sont massivement retirées gions du monde plus stables et plus prises belges n’est parfois pas si an- tif aussi bien dans les mines que dans Brussels Airlines (ex-Sabena). ■
du Congo. prospères comme l’Asie ou l’Améri- cien que ça. Des sociétés implantées la cimenterie, l’ingénierie, le génie JEAN-FRANÇOIS MUNSTER

La Compagnie sucrière Texaf, success story


résiste dans le chaos immobilière
a famille Lippens, ce Quand on a récupéré l’usine, à Kinshasa ou dans un sec- éaliser des affaires floris- re du monde. Et puis sur le Texaf est aujourd’hui l’un
L n’est pas seulement
Knokke-le-Zoute ou Fortis,
tout avait été cassé. Il n’y
avait plus rien. On a heureu-
teur comme le diamant, on
n’y arriverait pas. » Pour sur-
R santes au Congo, c’est pos-
sible. La petite société belge
plan technologique, le Congo
n’est plus adapté à ce genre d’in-
des principaux promoteurs im-
mobiliers de la ville et entend
c’est aussi le sucre. Son hol- sement obtenu un prêt de la vivre, la Compagnie sucrière Texaf, qui fête cette année ses dustrie. Les métiers à tisser bien le rester. « J’ai plein de
ding Finasucre produit cha- Banque mondiale et de l’Etat a aussi appris à ne dépendre 85 années de présence au Con- d’aujourd’hui sont d’une préci- projets dans mes cartons mais
que année 955.000 tonnes français qui nous a permis de de personne. « Nous faisons go, en est la preuve. Elle est sion telle qu’ils ne supportent je suis bloqué car il n’y a pas de
d’édulcorant en Australie, en reconstruire. » Aujourd’hui, tout nous-mêmes : on a des l’unique société cotée sur une plus les coupures de courant et banques suffisamment capita-
Belgique et… au Congo. la Compagnie sucrière est la ateliers pour réparer nos ma- Bourse étrangère à être exclusi- d’eau incessantes. C’est domma- lisées pour nous consentir des
Les liens entre les Lippens dernière sucrerie du Congo. chines… Si on devait attendre prêts, regrette Philippe Croo-


et l’ex-colonie sont anciens. Sucraf, une société belge qui l’arrivée d’une pièce de rechan- nenberghs. Il faut tout autofi-
Maurice-Auguste, grand-pè- exploitait depuis 1954 une usi- ge, l’usine serait souvent à l’ar- A Kinshasa, les loyers sont nancer. » La société cherche
re de Maurice, fut gouverneur ne dans le Sud-Kivu, a dû fer- rêt. » deux fois plus élevés qu’à Knokke. » aussi à rééquilibrer ses activi-
du Congo de 1919 à 1921. mer boutique il y a 10 ans en Olivier Lippens le confes- tés. « Pour une question d’ima-
Philippe Croonenberghs, CEO de Texaf
C’est lui qui a suggéré au gou- raison des combats dans l’est se : il ne voit aucune améliora- ge, nous ne voulons plus être
vernement belge de dévelop- du pays. La famille Krona- tion dans la situation congo- uniquement un groupe immo-
per une industrie de la canne cher, qui a depuis lors investi laise. « On pourrait tout lais- vement active au Congo et cela ge car le Congo a un énorme bilier. On veut participer à la
à sucre dans le pays. Il con- dans des plantations de maïs ser tomber. C’est une tenta- lui a plutôt porté chance. Sur atout : son savoir-faire en ma- reconstruction du pays même
naissait bien le domaine puis- au Katanga espère toujours tion. Les bénéfices sont margi- ces cinq dernières années, son tière de dessins. Superbes ! » si tout est compliqué ici :
que sa famille possédait une pouvoir relancer cette activité naux. On ne les consolide mê- rendement annuel boursier a Au bord du gouffre à cause l’administration, la justice,
sucrerie à Moerbeke. un jour. me plus dans les résultats du été de 47,2 %. La plus belle per- des pertes de l’usine, Texaf déci- le fisc… »
groupe tellement ils sont fai- formance de tout Euronext de de se réorienter début 2000 Avec l’argent de l’immobi-


bles. Mais on reste car on esti- Bruxelles pour un holding ! dans l’immobilier, une activité lier, le groupe a récemment in-
On se fait rançonner, piller, atta- me que cela fait partie de Texaf a pourtant bien failli qui va vite s’avérer extrême- vesti dans une carrière de pier-
quer au quotidien mais il faut résis- notre responsabilité histori- être emportée par la déglingue ment rentable. L’entreprise ré- re et dans une société de chau-
ter et continuer. » Olivier Lippens, de la Finasucre que, sociale, familiale. Nous de l’économie congolaise. La so- nove et construit à Gombé, le dronnerie et d’entretien de wa-
avons un attachement très ciété, spécialisée à l’origine quartier du pouvoir et des am- gons. Il cherche d’autres sec-
fort avec ce pays. Je suis fasci- dans la production de tissus, a bassades de Kinshasa, des con- teurs où investir et n’envisage
La Compagnie congolaise Numéro un du marché par né par ce Congo où tout sem- été fondée en 1925 par deux fa- dominiums. Il s’agit de com- pas une seconde de quitter le
sucrière fut inaugurée en défaut de concurrence, la ble possible et en même temps milles d’entrepreneurs textiles plexes de villas et d’apparte- Congo.
1925, dans un petit village du Compagnie sucrière ne jouit où il y a toutes ces frustra- de la région de Renaix qui ont ments comprenant piscines, « Nous voulons continuer à
Bas-Congo, Kwilu-Ngongo, pourtant guère de sa conforta- tions. On a forcément envie construit une usine sur un ter- terrain de tennis… entourés de travailler dans ce pays qui a
aussitôt rebaptisé Moerbeke, ble position. « Gérer une en- d’apporter sa pierre à l’édifi- rain aujourd’hui situé en plein murs et surveillés par des gar- beaucoup de potentiel. Nous le
en hommage à la ville du fon- treprise au Congo n’est pas ce. » cœur de Kinshasa. Durant la se- diens. Ce type de logement est faisons avec un sens éthique et
dateur de la société. Aujour- une sinécure. Et c’est un eu- La motivation, Olivier Lip- conde guerre mondiale, l’usine prisé par les expatriés des orga- de bonne gouvernance ce qui
d’hui, la sucrerie est toujours phémisme, sourit Olivier Lip- pens la trouve ailleurs que connaît son apogée. Elle em- nisations internationales, des est très difficile vu le contexte
là. Elle produit 85.000 ton- pens. Je vois notre implanta- dans les rapports financiers. ploie alors plus de 5.000 tra- ONG, des multinationales… Et dans lequel les affaires se font
nes par an et emploie 2.200 tion comme un îlot de prospé- « Notre défi au jour le jour, vailleurs. Elle traverse tant les loyers atteignent des som- dans ce pays. On passe à côté de
personnes. Son histoire n’a rité et de calme au milieu c’est survivre et nous dévelop- bien que mal les soubresauts mets tant la demande est forte. pas mal d’opportunités mais
pas été un long fleuve tran- d’un océan de chaos, de désor- per dans un environnement de l’histoire congolaise, jus- « A Kinshasa, les loyers sont c’est un principe
quille : « En 1971, l’entreprise dre et d’insécurité. On se fait pareil. Si à la fin de la journée qu’en 2007, date de sa fermetu- deux fois plus élevés qu’à sur lequel nous ne
a été nationalisée, se souvient rançonner, piller, attaquer on y arrive, on se dit qu’on re. Knokke, lâche Philippe transigeons
Olivier Lippens, administra- au quotidien mais il faut ré- n’est pas si mauvais que ça. « C’était la dernière vraie usi- Croonenberghs. Un ap- pas. » ■ J.-F. M.
teur délégué de Finasucre et sister et continuer. Je com- C’est ça notre source de satis- ne textile du pays, témoigne partement de 150 m2 se
cousin de Maurice et prends que des entreprises faction. » ■ J.-F. M. Philippe Croonenberghs, CEO loue 4.000 euros par
Léopold Lippens. qui ne sont pas habi- de Texaf. Mais ce n’était plus mois. » Dans ces condi-
Deux ans plus tuées à cela baissent possible. Nos champs de coton tions, le retour sur inves-
tard, Mobutu les bras. Heureuse- situés dans l’est du pays tissement se fait
faisait marche ment, nous sommes avaient été ravagés par la guer- à la vitesse de
arrière mais ne situés dans un en- re. Il fallait tout importer via la lumière :
nous a rétro- droit assez isolé et la route de Matadi, la plus chè- 4 ou 5 ans.
cédé que 60 % nous ne sommes pas
du capital. trop “sexy”. Si on était

PAUL (à gauche)
et Olivier Lip-
pens, les patrons
de Finasucre.
© THOMAS BLAIRON

PHILIPPE
Croonenberghs
dirige Texaf, un
holding centré
uniquement sur
le Congo. © PIERRE-
YVES THIENPONT.

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23/04/10 21:11 - LE_SOIR du 24/04/10 - p. 21


Le Soir Lundi 26 avril 2010

14 1960
2010
SCIENCES
LE SOIR - 26.04.10
RÉPUBLIQUE
CENTRAFRICAINE SOUDAN
Rivière Rivière
CAMEROUN Mongala Itimbiri
Congo
Rivière
Aruwimi

La coopération
Kisangani OUGANDA
CONGO Rivière
GABON Lulonga Rivière

Cong
Lomami
am

o
ng

o
Co
RWANDA
1.750 km d’expédition
sur le fleuve Congo BURUNDI
Kinshasa Cinq haltes pour TANZANIE

n’est pas morte


recherches scienifiques

ANGOLA
Océan
ZAMBIE
Atlantique
es grandes expéditions scienti- les équipes de chercheurs vont relever.
UNE VASTE
L
0 200 km
fiques ne sont pas mortes. Une mission ambitieuse !
« Boyekoli Ebale Congo », dont « C’est la plus vaste expédition scienti-
EXPÉDITION la traduction du lingala vers le fique entreprise le long du fleuve Congo
français donne « Etude du fleu- depuis des décennies, se réjouit Guido
scientifique ve Congo », en est la preuve. Gryseels, le directeur du Musée royal de la biodiversité qui va voir le jour à ce qu’elles puissent être consultées en li-
Depuis la semaine dernière, 70 scienti- l’Afrique centrale, installé à Tervuren. Kisangani. » gne du monde entier.
sur le fleuve fiques sont en effet en route pour Kisan- L’aventure “Congo river 2010” est désor- Mais les chercheurs embarqués dans Enfin, des linguistes sont aussi du
gani et le fleuve Congo. Une trentaine de mais en route. » cette aventure ne vont pas s’intéresser à voyage. Ils étudieront le vocabulaire rela-
Congo vient chercheurs belges vont y travailler avec En collaboration avec les chercheurs la biodiversité vue uniquement sous son tif à la biodiversité, histoire d’obtenir
autant d’homologues congolais et une di- de l’Institut royal des sciences naturelles angle biologique. une meilleure vision de la connaissance
de démarrer. zaine de collègues issus des quatre coins de Belgique et du Jardin botanique na- Un groupe d’archéologues recherche- locale de la biodiversité.
du monde. Leur mission : descendre en- tional de Meise, les trois principaux par- ra les traces plus anciennes de présence « C’est la première fois qu’une expédi-
Septante semble, à bord de baleinières, le fleuve tenaires scientifiques belges de cette humaine dans la région. Afin d’étudier tion de cette envergure est organisée afin
Congo sur plus de 1.750 kilomètres et y expédition, les scientifiques belges vont les phénomènes liés au changement cli- d’étudier la biodiversité dans le fleuve
chercheurs étudier… tout ce qu’il y a à étudier ! aussi tout partager avec leurs homolo- matique, une station météorologique Congo, indique pour sa part Erik Ver-
Certes, 2010 a été sacrée année inter- gues congolais. fonctionnera en permanence. Des carto- heyen, de l’Institut royal des sciences na-
belges et nationale de la biodiversité. Et dresser « L’expédition a pour objectif d’appro- graphes assureront des images satellites turelles de Belgique et qui assume la
une radiographie de cette biodiversité le fondir la connaissance de la biodiversité qui permettront aux scientifiques d’ac- charge de coordinateur scientifique de
congolais pour long d’un des plus importants fleuves de au Congo et de renforcer les compétences quérir une meilleure vision de l’état ac- l’expédition. Nous allons utiliser les der-
la planète était une idée séduisante. scientifiques congolaises dans ce domai- tuel de la forêt et ils établiront de nouvel- nières techniques disponibles pour l’éva-
dresser un Mais coupler cette étude en soi déjà mul- ne, précise Guido Gryseels. Nous allons les cartes de navigation du fleuve, Les luer, y compris les méthodes génétiques.
tidisciplinaire au quotidien actuel et an- constituer une nouvelle collection de spé- cartes utilisées actuellement sont vieilles J’en suis certain. Nous allons découvrir
inventaire de cien des hommes et des femmes qui vi- cimens botaniques et zoologiques. Ils de plus de cinquante ans… de nouvelles espèces et revenir avec une
vent de et près de ce fleuve était une idée vont notamment alimenter les collec- Toutes les données récoltées seront en- riche moisson », conclut-il. ■
la biodiversité. tout aussi passionnante. C’est ce défi que tions du nouveau centre de recherche sur codées sous forme digitale, de manière à CHRISTIAN DU BRULLE

Papa Dumbo veille sur le paradis de la recherche


REPORTAGE tact, c’est aussi parce que, durant toutes
LWIRO ces années de guerre, les 541 Congolais
DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE membres du personnel sont restés sur
apa Dumbo trottine entre ses ar- place. Lwiro, c’était leur patrimoine…
P moires, ouvre avec délicatesse les
portes sur lesquelles la laque grise des
Lorsqu’on lui demande comment les
employés ont vécu durant tout ce
origines est à peine écaillée. Avec délica- temps, sans être payés par l’Etat, Papa
tesse, il se saisit des chemises, les ouvre Dumbo éclate d’un bon rire : « Nous
et nous montre des spécimens de nous sommes débrouillés… On faisait
fleurs, de feuilles ramenées du parc de les champs, nos femmes allaient vendre
Kahuzi Biega, à 4 km d’ici. « Les her- nos récoltes à Bukavu. Le matin, on al-
biers sont en bon état, je veille sur eux lait cultiver, l’après-midi, on revenait
depuis 1953 », nous explique le vieil ici continuer le travail… » Le directeur
homme, né en 1930. Formé par les Bel- précise que le personnel, espérant tou-
ges, il se souvient du Dr Van den Ber- jours percevoir un jour un hypothéti-
ghe, le premier directeur. que salaire, a continué à occuper les
Indépendance, rébellions, guerres, in- maisons du centre et à entretenir les
vasions, rien de tout cela n’a jamais lieux, vaille que vaille…
troublé Papa Dumbo : « Depuis que ce Papa Dumbo n’a pas l’intention de
centre de recherches en sciences naturel- prendre sa retraite, qu’il a cependant
les a été fondé en 1947, je ne suis jamais bien méritée : s’il le faisait, son pécule
parti. Chaque jour, je suis allé en forêt s’élèverait à… 3 dollars par mois
pour prospecter, ramener des spéci-
mens. Aujourd’hui encore, je découvre La contribution belge
des plantes inconnues… » Les bâtiments, le mobilier de Lwiro
témoignent de l’époque de la construc-
Un miracle, un lieu splendide tion du centre. Rappelons que la Belgi-
Les herbiers, avec leurs feuilles soi- que, au sortir de la Seconde Guerre
gneusement séchées et collées, les mondiale, était le seul pays d’Europe à
noms en latin calligraphiés, sont des ne pas s’être endettée durant le conflit.
modèles d’organisation. Après avoir ré- Bien au contraire, les Américains
gné seul sur ce royaume de la botani- DES FARDES ET DOSSIERS RECENSANT DES FLEURS ET DES HERBES ramenées des parcs tout proches. Des livres avaient payé à prix d’ami le cuivre, l’ura-
que, Papa Dumbo, depuis trois ans, par milliers, tous vieux de plus de vingt ans. Ce sont les trésors de Lwiro. © C.B. nium, l’huile de palme et, au retour de
transmet son savoir à Georges Irangi, Londres, le gouvernement belge déte-
un jeune botaniste de 30 ans, qui s’est tent… d’une vingtaine d’années. Au dé- leurs arcades, leurs déambulatoires et laire, pas de suivi scientifique… L’Etat nait de substantielles réserves.
attelé à l’informatisation des données. tour d’une allée, un étudiant consulte les jardins intérieurs rafraîchis par des nous avait oubliés, le reste du monde Lorsque le gouverneur du Congo à
Les deux hommes ont un gros souci : un ouvrage aux pages jaunies, un peu fontaines. A l’extérieur du centre, des aussi. Cependant, les soldats rwandais, l’époque, Pierre Ryckmans, plaida pour
malgré leurs soins, des insectes minus- plus loin des volontaires relient et bro- paysans ont défriché, des garçons démo- qui campaient dans le jardin, puis les que la colonie soit rétribuée elle aussi
cules ont commencé à attaquer les chent des revues scientifiques, afin de bilisés se reconvertissent dans l’agricul- Mai Mai congolais, nous ont laissés de son effort de guerre, cet appel fut en-
feuilles des herbiers, qui se décompo- préserver la documentation disponible. ture et de l’autre côté de la colline, la tranquilles : nos collections de mine- tendu par le prince régent Charles, qui
sent inexorablement. Lwiro reste un haut lieu de la science, Monuc s’est déployée autour de l’aéro- rais, de papillons, nos herbiers, tout ce- décida de doter le Congo de plusieurs
La collection botanique de Lwiro est de la curiosité humaine, le témoignage port de Kavumu. la ne les intéressait pas… » centres de recherches : l’Inera destiné à
un véritable miracle, au même titre que de cette capacité qu’avaient les Belges Le directeur confirme que tous les la recherche agronomique et l’Irsac. Ins-
le musée zoologique, où sont alignés de faire l’inventaire des richesses du Une oasis au cœur de la guerre groupes armés qui ont traversé le Sud- tallé au Kivu, ce centre de recherches
des squelettes de chauve-souris, des Congo, la démonstration aussi du cou- Cependant, comme une oasis dans Kivu ont respecté Lwiro. Parce que les en sciences naturelles avait pour voca-
peaux de serpent, des embryons. rage et de la ténacité des Congolais qui un monde en convulsion, Lwiro n’a pas collections n’étaient pas monnayables, tion de rayonner sur toute la région des
Et que dire de la bibliothèque ! Elle ont réussi à préserver l’héritage. changé, ses occupants ont tout fait pour parce que les portes en bois massif, cer- Grands Lacs et avait des antennes au
mériterait que l’Unesco la classe com- Lors de sa création, Lwiro était instal- maintenir les installations dans leur taines pesant plus d’une tonne, ne pou- Rwanda et au Burundi ainsi qu’à Go-
me patrimoine de l’humanité, avec ses lé en pleine forêt. Depuis lors, les hauts état initial. Papa Dumbo le reconnaît : vaient être descellées facilement, et que ma. Yangambi, au-dessus de Kisanga-
rayonnages de bois plein, ses galeries, arbres ont été abattus, la piste de terre « De 1996 à 2005, alors que le pays les défenses d’ivoire, ornant la porte ni, ou Lwiro, à 30 km de Bukavu, témoi-
ses 360.000 volumes soigneusement cerne des bâtiments de brique, cons- était en guerre et le Kivu occupé, nous d’entrée, avaient depuis longtemps été gnent des ambitions de l’époque : de
conservés, dont les plus récents da- truits comme les monastères, avec n’avons pas été payés. Rien, pas de sa- sciées… Mais si Lwiro est demeuré in- vastes bâtiments construits comme des

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25/04/10 21:16 - LE_SOIR du 26/04/10 - p. 14


Le Soir Lundi 26 avril 2010

LE CALENDRIER
Samedi 24 avril
Le rapport économi-
Lundi 26 avril
Le rapport scientifi-
Mardi 27 avril
Le rapport politique.
Mercredi 28 avril
Le rapport patrimo-
Jeudi 29 avril
Le rapport humain
Vendredi 30 avril
Le rapport humain
Lundi 3 mai
Le rapport final.
15
que. A-t-on pillé les ri- que. L’inventaire natu- Tradition autoritaire, nial. Les traces du (1). La « color bar » ou (2). L’incroyable histoi- La Belgique doit-elle
chesses du Congo ? rel du Congo. espoir démocratique. Congo à Bruxelles. l’apartheid soft. re des métis. demander pardon ?

LEOPOLDVILLE 2009.
Lovanium.

Carl De Keyzer
C’est l’un des photogra-
phes belges qui comp-
tent sur la scène interna-
tionale. Membre de
l’agence Magnum, ce
Gantois sillonne le mon-
de depuis vingt ans. Il
vient de publier, aux édi-
tions Lannoo, un ouvrage
consacré au Congo (bel-
ge). Où l’on retrouve les
traces de notre pays
dans son ancienne colo-
nie. Son travail est actuel-
lement exposé au Musée
de la photo d’Anvers, jus-
qu’au 16 mai.

monastères, des cours intérieures, des


laboratoires, des bibliothèques, des bu-
reaux massifs, taillés dans l’okoumé et
autres bois précieux du Congo.
Lorsque les Belges quittèrent le Con-
go après 1960, les chercheurs de l’Inera
nées à Lwiro, dans cette région si parti-
culière du rift africain.
Depuis un an, les derniers chercheurs
belges du Cemubac ont quitté Lwiro, la
recherche sur la malnutrition n’étant
plus jugée prioritaire par une coopéra-
Le braconnage se pratique
« à l’échelle industrielle »
+
– Création de grands instituts
de recherche en agronomie,
médecine tropicale, sciences
emportèrent avec eux les variétés de ca- tion belge qui se veut désormais ciblée naturelles qui rayonnaient
fé améliorées, les plants de cacao et sur la maladie du sommeil. propos de l’est du Congo, Marc aussi sont des ennemis de la forêt : « Ils
d’huile de palme, qui furent transplan-
tés en Côte d’Ivoire et en Malaisie…
Le Dr Hennart reconnaît aussi qu’en
matière de lutte contre le bwaki, d’au-
A Hoogsteyns avait le sentiment
d’avoir tout vu, tout lu… Cependant, ce
pratiquent l’agriculture sur brûlis, défri-
chent sans replanter, coupent, pour les re-
dans toute l’Afrique centrale.
– Collaboration avec les uni-
versités belges : Louvain
Quant au centre de Lwiro, il se distin- tres méthodes ont fait leur apparition, journaliste free-lance, qui fut correspon- vendre, les “bois rouges” comme l’okoume, (agronomie, sciences colonia-
gua, outre la botanique et la zoologie, dont l’administration de « plumpea- dant de guerre sur trois continents, avait et surtout produisent du charbon de bois les, formation des missionnai-
dans plusieurs domaines de recherches nuts », ce composé miracle d’huile et de l’impression que le Congo pouvait encore qu’ils vendent en ville… » res), ULB, (droit, administra-
très particuliers : vulcanologie et séis- cacahuètes désormais distribué aux en- lui réserver des surprises. C’est pourquoi, La seule agglomération de Kinshasa, tion), Gand (sciences adminis-
mologie, nutrition. Lors de la création fants dans tous les centres de nutrition. tournant le dos au Kivu, à Kinshasa, aux avec ses douze millions d’habitants, con- tratives, Institut de médecine
du centre, 47 scientifiques belges s’ins- nouvelles routes et aux programmes de dé- somme chaque mois 150.000 tonnes de tropicale d’Anvers.
tallèrent dans ce paradis noyé dans la fo- Un bel avenir veloppement, il choisit de se déplacer de charbon de bois, le « makala ». – Création de l’Université Lo-
rêt, avec une vue imprenable sur le lac Les chercheurs congolais, désormais la manière la plus traditionnelle qui soit, vanium.
Kivu. Lwiro fut longtemps associé à tou- courtisés par les Japonais, les Espa- la plus surprenante aussi pour un Euro- Les officiels sont impliqués – Enseignement primaire et se-
tes les universités belges. Jusqu’en gnols, ne se consolent pas du départ des péen : le long des cours d’eau, ces grands Hoogsteyns le sait : on a toujours bra- condaire largement répandu.
2009, le Cemubac, de l’ULB, y mena Belges. « Vous êtes chez vous ici, assure fleuves qui traversent les forêts aussi sûre- conné au Congo et, aux débuts de la colo- – Vaccination généralisée.
des recherches sur le « bwaki », la for- le directeur, approuvé par papa Dumbo ment que des autoroutes… nie, l’ivoire, qui venait finalement s’empi- – Encadrement sanitaire éten-
me de malnutrition sévissant dans le Ki- et les autres membres du personnel, Hoogsteyns n’était pas Stanley ni Jo- ler dans le port d’Anvers, était l’une des du à tout le pays.

-
vu montagneux et dans toute l’Afrique Vous nous avez tout appris et aujour- seph Conrad, auquel il emprunta cepen- premières ressources de la colonie.
des Grands Lacs. Aujourd’hui occupé et d’hui ce sont d’autres qui cueilleront les dant le titre de son livre (1) : le Limbour- Mais ce qu’il constate, c’est que le bra-
rénové par la coopération espagnole, la fruits de vos efforts. » geois avait décidé de voyager léger. connage se pratique désormais « à l’échel-
guest house témoigne encore de ces gé- Car tous en sont persuadés, Lwiro a Il s’embarqua donc au départ de Lodja, le industrielle » : la ville de Lodja est une
nérations d’étudiants de l’ULB qui se encore un bel avenir : le parc de Kahuzi dans le Sankuru, à bord d’un kayak rouge, plaque tournante pour la viande de brous- – A part l’agronomie et la mé-
succédèrent. Sous la houlette du profes- Biega représente un extraordinaire parcourant 1.500 km sur la rivière Luke- se et l’ivoire, d’où part la traque de l’élé- decine, le Congo occupe peu
seur Vis, à la fin des années 60, puis du exemple de biodiversité. Malgré les nie, à travers le parc de la Salonga, qui phant. Les braconniers chassent avec des de place dans le cursus des
professeur Hennart dès 1985, 5 à 6 sta- groupes armés qui campent dans la ré- s’étend sur 36.000 km2 de forêt tropicale. armes de guerre, données par des hom- universités belges.
giaires, chaque année, s’initièrent à la serve naturelle, les femmes de la région C’est là que le World Wildlife Fund s’at- mes d’affaires et des militaires, ainsi que – Les étudiants congolais sont
recherche dans le domaine de la malnu- vont toujours rechercher des plantes tache à recenser les animaux (91 poissons les cartouches. Les braconniers peuvent totalement absents des uni-
trition ou de la lutte contre la malaria. médicinales dans le parc et, à Bukavu, appartenant à 21 espèces différentes, une garder la viande, mais doivent laisser les versités belges.
Le bar de la guest house, le feu ouvert, le pharmacien Byamungu, un ancien population de 5.000 à 7.000 bonobos, ces défenses aux fournisseurs d’armes. – L’enseignement se caractéri-
et, à l’extérieur, les terrains de sport, étudiant de Lwiro, associe la science et singes cousins de l’homme que l’on ne re- Presque tous les officiels de Lodja et Ko- se par une extrême « progres-
rappellent que dans ce phalanstère de la tradition pour produire des médica- trouve qu’au Congo), former les gardiens le sont impliqués dans cette mafia, dirigée sivité » évitant toute appro-
la science, les chercheurs combinaient ments dont plusieurs ont déjà été homo- du parc, rendre les populations locales par la famille d’un politicien de Kinshasa, che de caractère national.
les études, les travaux pratiques et les logués. sensibles à la nécessité de protéger l’une membre de la majorité. Les défenses d’élé- – Peu d’élites formées, pas de
loisirs… Les Belges ont tourné le dos à ce para- des dernières forêts vierges du monde. phants prennent ensuite la direction du relève politique ou administra-
Quant au département de vulcanolo- dis de la recherche où tout porte encore Soudan et, de là, sont embarquées pour la tive.
gie et de sismologie, dirigé par le direc- leur marque, et les Congolais, avec cou- « Les forêts sont silencieuses » Chine… – La recherche ethnologique
teur du centre, il fonctionne toujours. rage et fidélité, ont gardé intact le tré- Après les désastres humanitaires de Voici dix ans, plusieurs troupeaux d’élé- et linguistique est laissée aux
Le professeur se souvient qu’en 2001, sor qui leur avait été légué… l’est du pays, Hoogsteyns allait découvrir phants sillonnaient encore la rive de la Lu- missionnaires.
ayant décelé une activité sismique inha- « En 1960, alors que le centre n’avait une autre des tragédies congolaises : kenie. Aujourd’hui, il n’y en a là plus un – Imposition des cultures de
bituelle, il se rendit à Goma avec son que 13 ans, vous nous avez quittés trop « Les forêts que j’ai traversées sont silen- seul. D’ici dix ans, il n’y aura plus d’élé- rente, priorité donnée à l’agri-
équipe et gravit le Nyiragongo. Au re- vite », soupire le directeur. Mais Papa cieuses. Tout ce qui bouge, tous les ani- phants dans tout le bassin du fleuve Con- culture productiviste, pas de
tour, il prévint les autorités de l’immi- Dumbo, qui a de la mémoire, rappelle maux sont tués les uns après les autres. go, les forêts auront été vidées… ■ C.B. recherche sur la pharmaco-
nence d’une éruption mais, en cette pé- tout de même qu’à l’époque, la région Loin des regards, il y a là une véritable ca- pée ou l’agriculture indigène.
riode de guerre, il ne fut pas écouté. Par était envahie par les rebelles. « Si les Bel- tastrophe écologique… » Hoogsteyns ne se (1) Heart of Darkness revisited (éditions Lannoo), un Source : Marc Poncelet, L’invention des
la suite, les Japonais se sont intéressés ges n’étaient pas partis, ils auraient été contente pas de mettre en cause les socié- « Au cœur des ténèbres (revisitées) » dont on espè- sciences coloniales belges, éditions Kar-
aux recherches vulcanologiques me- mangés… » ■ COLETTE BRAECKMAN tés forestières, il constate que les paysans re qu’il sera traduit en français. thala.

www.lesoir.be 2LG

25/04/10 23:44 - LE_SOIR du 26/04/10 - p. 15


Le Soir Mardi 27 avril 2010 Le Soir Mardi 27 avril 2010

1960 POLITIQUE
LE CALENDRIER
16 Samedi
24 avril
Lundi
26 avril
Mardi
27 avril
Mercredi
28 avril
Jeudi
29 avril
Vendredi
30 avril
Lundi
3 mai
17
Le rapport économi- Le rapport scientifi- Le rapport politique. Le rapport patrimo- Le rapport humain Le rapport humain Le rapport final.
2010 que. A-t-on pillé les ri-
chesses du Congo ?
que. L’inventaire natu-
rel du Congo.
Tradition autoritaire,
espoir démocratique.
nial. Les traces du Con-
go à Bruxelles.
(1). La « color bar » ou
l’apartheid soft.
(2). L’incroyable histoi-
re des métis.
La Belgique doit-elle
demander pardon ?

La corruption qui sévit


CARL DE KEYZER
C’est l’un des photo-
graphes belges qui
comptent sur la scè-
au Congo vient des Belges
’où vient la corruption au Con- MNC de Lumumba, ou fédéraliste sombo, « il est clair que les mem-
ne internationale.
Membre de l’agence D go, pratiquée à des degrés di-
vers et à tous les niveaux de pou-
comme l’Abako, ce sont les Belges
qui mirent en lice une autre forma-
bres du groupe de Binza, ces jeunes
intellectuels, étudiants en Belgique
Magnum, ce Gantois
sillonne le monde de- voir ? Il est d’usage d’affirmer que tion, le PNP (parti national populai- pour la plupart, qui furent appelés
puis vingt ans. Il cette pratique remonte à Mobutu, re) composée des « modérés ». par Mobutu lorsqu’il “mit en congé”
vient de publier, aux qui déclara un jour que si on volait, L’opinion, se contentait d’une ap- la classe politique, avaient été sou-
éditions Lannoo, un il fallait le faire « intelligemment » pellation plus explicite : « parti des doyés par les Belges… » Pour l’au-
ouvrage consacré au c’est-à-dire pas trop à la fois. nègres payés »… teur d’une biographie de Lumum-
Congo (belge). Où Pour certains politologues congo- ba, « ceux qui refusaient d’être cor-
l’on retrouve les tra- lais, comme Jean Omasombo, cette Des négociateurs « achetés » rompus couraient le risque d’être
ces de notre pays pratique remonte… à l’époque colo- Le cofondateur du MNC, Albert écartés ou assassinés, ils étaient
dans son ancienne co- niale : « Comment croyez-vous que Kalondji, se souvient lui de la Table qualifiés d’“extrémistes” ».
lonie. Son travail est les évolués arrivaient à répondre ronde économique : « Les vrais lea- Les premières années de l’indé-
actuellement exposé aux critères qui leur étaient posés ders étant en campagne électorale, pendance allaient ainsi confirmer
au Musée de la Pho- pour obtenir leur statut et qui les nous n’avions envoyé à Bruxelles la croyance selon laquelle on peut
to d’Anvers, jusqu’au obligeaient à ressembler le plus pos- que des subalternes. Les Belges leur faire de la politique pour s’enrichir.
16 mai. sible aux Belges ? Leur salaire ne avaient dit “ne prenez rien avec Mobutu lui-même devait déclarer
leur donnait pas les moyens de se vous, sur place on vous fournira ce par la suite, sachant de quoi il par-
procurer de telles conditions maté- dont vous avez besoin”. Ils tinrent lait, « il y a les corrompus, mais il y
rielles, il fallait qu’à leur niveau, ils parole : les délégués venus de Kin- a aussi les corrupteurs… » Ses 32
tentent de détourner un peu, ou shasa, comme les étudiants qui se années de règne allaient être consi-
beaucoup d’argent… » trouvaient déjà en Belgique, se re- dérées comme celles des « anti-va-
D’autres évoquent les « chefs mé- trouvèrent dotés d’une voiture avec leurs » où, à tous les niveaux, la cor-
daillés », ces interlocuteurs privilé- chauffeur, d’argent de poche, d’un ruption s’érigea en système et pour
giés de l’administration coloniale costume neuf. » gangrener tout le système social.
qui avaient souvent remplacé d’au- Les travaux de la commission par- Les années de guerre et de pilla-
tres leaders plus rétifs : leur soumis- lementaire consacrée à l’assassinat ge, suivies par les années de pou-
sion aux ordres et aux règlements de Lumumba ont indirectement voir partagé, allaient aggraver le
n’avait-elle pas été obtenue en confirmé cette pratique de la cor- « haut mal » du Congo, la corrup-
échange de quelques faveurs ? ruption, établissant que le ministre tion étant le seul point d’entente
LÉOPOLDVILLE, 2008. Archives natio- Pour bien des intellectuels congo- des Affaires africaines (qui avait commun entre toutes les élites.
nales. © CARL DE KEYSER/MAGNUM. lais, c’est à la veille de l’indépendan- remplacé le ministre des Colonies) « Le sixième chantier, celui de la re-
ce que la corruption des élites politi- avait, jusqu’au milieu des années construction morale, n’est pas enco-
ques s’est véritablement instituée : 70, bénéficié d’une « cassette », de re ouvert », conclut le politologue
alors que les partis se constituaient, fonds secrets pour mener sa politi- Wamu Oyatambwe. ■
sur une base unitaire comme le que congolaise. Pour Jean Oma-

La démocratie au Congo ?
COLETTE BRAECKMAN

L’impact du Congo sur la politique belge


Le Congo, énorme colonie d’un petit pays d’Europe, a lui aussi pesé sur la politique belge. Son existence
même a mis le rôle de la monarchie en exergue, donnant au roi Léopold II une stature sans précédent et

Une ambition très récente


« révélant » le roi Baudouin à son propre peuple. La période coloniale, mais aussi et surtout la décolonisa-
tion, ont nourri certains conflits entre partis, singulièrement entre les catholiques d’un côté, les libéraux et LORS DE LA FÊTE DE L’INDÉPENDANCE, en 1960, les Congolais font la fête. Le
les socialistes de l’autre. Quant à la différence de sensibilité Nord-Sud, elle remonte aux années 1970, roi Baudouin a tenu à cette occasion l’un des discours les plus décriés de son
quand le SP a vertement critiqué Mobutu. Aperçu de dates clés avec Vincent Dujardin, historien de l’UCL. règne, au ton paternaliste, disent les experts.

1885 1908 1940-45 1955 1960 ANNÉES 1970

L’HISTOIRE DU CONGO n’a qu’un rapport très lointain avec la démocratie, qui y fait
maintenant ses tout premiers pas. La colonisation et la dictature ne s’y prêtaient guère.
e Congo n’en est qu’aux prémices pondre de son action. Quant au roi, en ler sur le terrain, au moins trois semaines vrait les bars de Kinshasa. « Ata ndele mo- sions, rébellions), Moïse Tshombe, deve-

L de la démocratie. Les élections de


2006, validées par des observa-
teurs étrangers et massivement
suivies par la population, n’ont
pas rétabli la démocratie, elles l’ont prati-
quement fondée. A part lors des années
difficiles, de l’indépendance de 1960 jus-
principe privé de tout pouvoir en Belgi-
que, il était doté, dans la colonie, du pou-
voir législatif, assisté du Conseil colonial.
Au Congo, l’autorité était représentée
par le gouverneur général et le Conseil de
gouvernement, nommés par Bruxelles.
Les Belges d’Afrique n’avaient pas voix au
par mois, et rien ne leur échappait. Sur le
plan technique, leur politique était re-
layée par des agronomes, des ingénieurs,
des médecins qui appliquaient les directi-
ves édictées par Bruxelles. A l’égard des in-
digènes, ces agents incarnaient une forme
de contrainte, mais leur autorité s’exer-
kili » (tôt ou tard les choses vont changer,
les Belges finiront par partir). La chanson
finit par être interdite mais en 1956 parut
le Manifeste « Conscience africaine », le
premier discours politique congolais. Tiré
à 10.000 exemplaires, il allait être distri-
bué à travers les réseaux missionnaires. Il
nu Premier ministre à Kinshasa s’apprê-
tait, en 1965, à organiser des élections et il
avait de fortes chances de les remporter.
Le rendez-vous avec la démocratie fut
manqué : le 24 novembre, le général Mo-
butu prenait le pouvoir et s’accorda des
pouvoirs spéciaux, puis les pleins pou-
La conférence de
Berlin prend acte de
la constitution de
l’Etat indépendant du
Congo. « Le rôle du roi Léo-
La Belgique devient
officiellement une
puissance coloniale.
Au début du XXe siècle, le
Congo constitue un enjeu
La Seconde Guerre
mondiale. « Deux faits im-
portants, insiste l’historien
de l’UCL. Le premier, c’est
que le Congo va aider les auto-
rités belges à assurer la conti-
La première visite du
roi Baudouin. « On peut
dire que le Congo révèle le
vrai visage de Baudouin à la
Belgique », dit Vincent Dujar-
din. Considéré comme tris-
L’indépendance du
Congo. Tout s’accélère. La
Belgique se retire à la hâte
du Congo. Une page se tour-
ne. La perte du Congo est-el-
le un drame pour notre
L’opposition à
Mobutu. Le règne de Mo-
butu est controversé. Les re-
lations que le gouvernement
belge entretient avec lui
sont oscillatoires, alors que
pold II est évidemment déter- politique de première impor-
qu’au coup d’Etat de Mobutu en 1965, ja- chapitre, ni dans la colonie ni même en çait aussi sur les grandes sociétés. y était question d’une « communauté bel- voirs après avoir supprimé les partis politi- tance. En 1904, une commis- nuité de l’action gouverne- te, réservé, il y est souriant, pays ? « Il y a eu des drames le roi Baudouin noue avec
mais les dirigeants n’ont eu de comptes à Belgique où ils étaient privés du droit de go congolaise », « fruit d’une libre collabo- ques. minant, entame Vincent Du-
jardin. Sans lui, il n’y aurait sion d’enquête internationa- mentale mais aussi à basculer ouvert. « La présence belge humains. Mais elle n’engen- lui des relations très person-
rendre à leurs administrés. vote, ce qui suscita des protestations.
Ces « chefs » ration entre deux nations indépendantes,
tout simplement pas eu de le est constituée. Elle dénon- dans le camp des Alliés. » La au Congo est au beau fixe. drera pas de conséquence éco- nelles, mais que l’on ne peut

La mainmise bel-
Quant aux Congolais, ils n’avaient guè-
re voix au chapitre : leur rentrée au Con-
choisis parmi
liées par une amitié durable ». Cette com-
munauté, à laquelle rêvaient aussi cer- Mobotu, l’autorita- Congo, même si certaines éli-
tes soutenaient son projet et
cera la gestion de l’Etat indé-
pendant du Congo et les vio-
politique de neutralité de la
Belgique (depuis 1936) est
Mais les premières fissures ap-
paraissent. Un des facteurs ré-
nomique fondamentale. » Par
contre, les lendemains de
qualifier d’amicales. « Dans
les années 1970, le parti socia-

ge sur le Congo
seil de gouvernement ne remonte qu’à tains Belges d’Afrique, ne vit jamais le
risme perpétué que sa doctrine coloniale a lences qui en découlent. très mal accueillie auprès side dans l’importation au l’indépendance seront tu- liste flamand (Ndlr - son pré-
1945 et les premières élections, au niveau
communal, dans les villes surtout, en les plus dociles jour.
« Bula Matari », l’autorité exclusive et été nourrie par des experts. »
Un investissement considé-
Des parlementaires belges,
libéraux et surtout socialis-
de ceux-ci. « Le gouverneur
général du Congo Pierre Ryck-
Congo de la guerre scolaire
qui sévit chez nous. » Augus-
multueux, avec la sécession
katangaise. Le gouverne-
sident Larel Van Miert, pho-
to) adopte un discours très cri-
Durant la colonisation, la politique
n’avait pas sa place au Congo. Léopold II,
1957.
Toujours vêtu de blanc, doté d’une coif-
Si les Belges pouvaient se permettre
d’être aussi peu nombreux, c’est parce Cinq années toute-puissante avait trouvé un digne suc-
cesseur : jusqu’en 1990, quand fut pro- rable effectué sur sa casset-
te personnelle. Avec un re-
tes (dont Emile Vandervel-
de, photo), crient au scanda-
mans (photo), puis le minis-
tre Albert De Vleeschauwer
te Buisseret, ministre libéral
des Colonies, imposera la
ment belge est divisé sur la
question de l’unité du Con-
tique » à l’encontre des déra-
pages du régime. « Il sera re-
souverain tout-puissant, tenait en main
les rênes d’une colonie qui était d’abord
fe impressionnante, le gouverneur géné-
ral, représentant du roi, exerce l’autorité
qu’ils pratiquaient l’administration indi-
recte : ils se reposaient sur les « chefs ». de drame mulgué le multipartisme, le Congo deve-
nu Zaïre fut dirigé par un parti unique, tour sonnant et trébuchant
destiné à accroître son pres-
le. Un grand débat parlemen-
taire relatif à la reprise du
placent, dès l’été 40, la colo-
nie aux côtés des Alliés. »
création d’écoles officielles
au Congo, critiquant la main-
go. La sécession est soute-
nue en coulisses par un
joint par la Volksunie et ensui-
te par Agalev. » Les racines
une entreprise économique, où il s’agis- suprême. Tout est fait pour qu’aux yeux Ces derniers accédaient à leurs fonctions Cependant, lors de son voyage en 1955, baptisé Parti-Etat, le Mouvement populai- Congo par la Belgique a lieu Une attitude opposée à cel- mise catholique, ce qui con- noyau dur au sein du gouver- d’un clivage Nord-Sud dans
sait de tirer les indigènes de leur « indo- des Congolais il incarne le « grand chef » conformément à la coutume. En réalité, le roi Baudouin avait évoqué les perspecti- re de la révolution, auquel tout citoyen ap- tige et celui de la Belgique.
Mais « les questions frontaliè- en 1906, qui choquera le roi. le du roi, prisonnier en Belgi- duit l’Eglise à encourager le nement Eyskens (photo). l’approche de la question
lence naturelle » pour les « mettre au tra- et de fait, son autonomie de décision sur l’administration choisissait ses « chefs », ves d’un « nouveau statut » pour le Con- partenait de droit, dès la naissance… « Cela devient pour la premiè- que, ou à celle de ses parti- mouvement d’émancipa- Sur fond de guerre froide, congolaise, avec une appro-
vail ». le terrain est assez grande même si in fine parmi les plus dociles à ses exigences. go et l’hypothèse d’un vice-roi fut envisa- En prenant le pouvoir en 1997, Laurent- res de cet Etat génèrent des
tensions dans la politique exté- re fois un enjeu électoral sans au Congo, qui prônent tion. Le roi Baudouin entend on craint aussi le rôle joué che flamande plus critique -
Lorsque la Belgique, réticente et sensi- il rend des comptes à Bruxelles. Bien souvent, les véritables chefs, dont gée, sur le modèle de l’Inde britannique. Désiré Kabila allait balayer à la fois le mo- avant les législatives de la neutralité. « Deuxième fait jouer un rôle d’acteur sur la par Lumumba, susceptible voir les propos peu amènes
ble aux critiques internationales, reprit le L’action du gouverneur général est re- l’autorité était reconnue par les Congo- Cette fonction aurait pu être occupée soit butisme et ces 200 partis qui avaient parti- rieure avec des pays comme
la Grande-Bretagne, la Fran- 1908 », précise Vincent Du- majeur : le rôle important que question congolaise. En dé- de faire basculer l’ex-colo- de Karel De Gucht quand il
Congo en 1908, elle édifia la « trinité colo- layée par ce que les Congolais appellent lais, demeuraient cachés ou avaient été éli- par Léopold III, le père du Roi, soit par cipé, en 1993, à la Conférence nationale jardin. Mais après l’officiali- va jouer l’uranium, dont le cembre 1959, il se rend sur nie dans le camp communis- était ministre des Affaires
niale » qui reposait sur trois piliers : l’ad- « Bula Matari », le casseur de pierres, le minés au profit des « chefs médaillés », re- son frère, l’actuel roi Albert II. Une idée souveraine et pratiqué pour la plupart la ce, le Portugal ». De plus,
« des voix s’élèvent dans les sation de la reprise du Con- Congo est le premier produc- place pour se rendre comp- te. « Au regard de la tourmen- étrangères ? « On ne peut
ministration, chargée de gérer le territoi- surnom donné à Stanley et qui désigne connus et décorés par l’administration. qui ne fut pas retenue. Après les émeutes « politique du ventre » et le « multimobu- go par la Belgique, « on ne teur mondial », poursuit Vin- te de la situation et écrit à te congolaise, qui isole la Bel- pas parler d’un clivage Nord-
re ; les missions, chargées d’évangéliser, l’administration territoriale. Les observa- Longtemps après l’indépendance, cette du 4 janvier 1959 à Léopoldville, tout s’ac- tisme ». Il fallut attendre 2006 pour que années 1890 pour dénoncer la
gestion de la colonie au nom peut pas dire que le sujet ait cent Dujardin. L’accord tri- son père son inquiétude. En gique sur la scène internatio- Sud, tempère Vincent Dujar-
de « civiliser » et qui se virent confier le teurs seront toujours surpris par le fait dualité devait persister, entre les chefs ap- céléra : apparition des partis congolais, ta- soient organisées des élections générales, occupé une place majeure sur partite de 1944 en prévoit la janvier, il lâche le premier nale, le roi a tenté en vain de din. Il n’y a pas unicité de
monopole de l’enseignement ; et les gran- que les Belges, en nombre aussi restreint, parents et les autorités traditionnelles ble ronde politique de janvier 1960, table législatives et présidentielles qui confir- des exigences de rentabilité
économique et leurs consé- la scène belge, comme ce fut vente exclusive aux Etats- ce mot : « indépendance ». révoquer Eyskens. Un tour- vues au Nord quant à la politi-
des sociétés, chargées de la « mise en va- aient pu exercer leur autorité sur d’aussi qui, par exemple, furent à l’origine du ronde économique et, en mai, élections meront Joseph Kabila au poste de prési- le cas pour les questions com- Unis et au Royaume-Uni. « C’est sans doute l’acte politi- nant dans l’histoire de la fonc- que des Grands Lacs comme
leur » économique. vastes territoires : administrateur, agents mouvement Mai Mai du Kivu, qui résista provinciales et législatives. « Informa- dent… quences sur les populations,
ce qui complique la tâche de munautaires ou scolaires. Le L’uranium du Congo servira que le plus important de son tion royale : plus jamais un l’a illustré le débat relatif au
Suivant la formule de Jean Stengers, on territoriaux, ils n’étaient jamais plus à l’occupation des troupes rwandaises… teur » puis « formateur », Lumumba de- Des élections locales, dont l’organisa- ministre des Colonies n’occu- à préparer la bombe atomi- règne », estime Vincent Du- gouvernement ne s’effacera à prochain voyage d’Albert II. »
pouvait, en traversant le parc de Bruxel- d’une demi-douzaine pour faire appliquer En 1955, alors que Van Bilsen préparait vait être investi Premier ministre le 23-24 tion est prévue depuis 2006, devraient ins- Léopold II ». Qui sera finale-
ment contraint de céder le pait d’ailleurs pas une place que, la colonie se trouvant jardin. la demande du Roi. » OLIVIER MOUTON
les, rencontrer ceux qui décidaient du sort la loi et défendre l’ordre dans des circons- son plan prévoyant de mener le Congo à juin, et Kasa-Vubu élu président. taurer, à la base, les véritables légitimités centrale au sein du gouverne- au cœur du nouvel ordre in-
du Congo : c’est devant le parlement bel- criptions aussi vastes que les trois quarts l’indépendance – dans un délai de trente Après cinq années de drames (destitu- mais elles n’ont toujours pas eu lieu… ■ Congo à la Belgique.
ment ». ternational.
ge que le ministre des Colonies devait ré- de la Belgique ! Mais ils étaient tenus d’al- ans… –, la chanson d’Adu Elenga enfié- tion et assassinat de Lumumba, séces- COLETTE BRAECKMAN

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26/04/10 21:27 - LE_SOIR du 27/04/10 - p. 16


Le Soir Mercredi 28 avril 2010 Le Soir Mercredi 28 avril 2010

16 1960
2010
BELGIQUE LE CALENDRIER
Samedi
24 avril
Le rapport économi-
que. A-t-on pillé les ri-
Lundi
26 avril
Le rapport scientifi-
que. L’inventaire natu-
Mardi
27 avril
Le rapport politique.
Tradition autoritaire,
Mercredi
28 avril
Le rapport patrimo-
nial. Les traces du Con-
Jeudi
29 avril
Le rapport humain
(1). La « color bar » ou
Vendredi
30 avril
Le rapport humain
(2). L’incroyable histoi-
Lundi
3 mai
Le rapport final.
La Belgique doit-elle
17
chesses du Congo ? rel du Congo. espoir démocratique. go à Bruxelles. l’apartheid soft. re des métis. demander pardon ?
Le Soir - 28.04.10

L’embellissement mené
grâce au Congo

arbon
d’Ypres
Le roi Léopold II, propriétaire du

au Ch
Congo à titre personnel jusqu’en

arché BD
1908, avait créé la Fondation de
la Couronne. Celle-ci, rappelle

al
Thierry Demey dans son magis-

du M
Can

x
Ma
Rue Royale : siège de l'ex-Société générale tral livre Léopold II, la marque roya-

phe
Vismet de Belgique

Quai
Première le sur Bruxelles (éd. Badeaux),

dol
R. L. Lepage
boutique « était à la tête d’un patrimoine im-

eA
Ru Parc de Bruxelles, où l'on pouvait croiser tous
eA mobilier et financier colossal consti-

Ru
Frise ornant la façade de la firme GKF (Gerard nto Léonidas ceux qui décidaient du sort du Congo
ine Place tué à la sueur des indigènes ». Plu-
Koninckx frères) qui importait
des bananes Da De Brouckère sieurs travaux d’embellissement
ns (ex-cinéma Eldorado) – et non des moindres – ont été
ae
rt réalisés grâce à ce financement
Rue Marché « occulte », selon le qualificatif de
aux Grains ce grand spécialiste de l’urbanis-
me bruxellois. Montant de l’inves-
tissement : 60 millions de francs
or, soit 210 millions d’euros.
BRUXELLES Rue s
Ancien

oyale
Hôtel Empain
ie
olon

Rue R
C
des

nt
Parc

Rége
Bas de la ville : Fresque sur la façade de la de Bruxelles
Statue de Léopold II (tournant le dos

du
firme Van Dam, qui importait des bananes en au palais royal et regardant l'ex-Banque

vard
provenance du Congo Lambert)
Place

Boule
Place
Cour d’arbitrage Royale des P
alais
(ex-ministère des Colonies) Rue M
ontoy Les Arcades du Cinquantenai-
Rue de Namur er
Rue de Brederode Place re. Le 27 septembre 1905, après
du Trône un chantier d’une durée record in-
férieure à un an, la triple arcade

Ru
du Cinquantenaire est inaugurée.

ed
uT
Elle commémore une foule d’anni-

rôn
Matonge versaires, rappelle Thierry De-

e
mey : les 75 ans de l’indépendan-
ce nationale, les 70 ans du roi et CARL DE KEYZER
ses 40 ans de règne, mais aussi C’est l’un des photo-
Rue Brederode. Pavillon Norvégien, qui abrita Etoile, emblème de l'E.I.C Siège actuel de la Fondation Roi Baudouin, Rue de Namur : ancienne Ecole royale les 20 ans de l’Etat indépendant graphes belges qui
le siège de l'Etat indépendant du Congo qui abrita l'un des quartiers généraux de militaire, ancien siège de l'Association comptent sur la scè-
internationale africaine du Congo. Le coût de l’opération
l'EIC est estimé à quelque 7,5 millions ne internationale.
Membre de l’agence
de francs or, soit 26,3 millions
Magnum, ce Gantois
d’euros, pris en charge à 80 % JIBA 2007, mission catholique. © CARL DE KEYZER/ MAGNUM. sillonne le monde de-
par la Fondation de la Couronne.

Les traces du Congo


puis vingt ans. Il
Alors que la colonie manque de vient de publier, aux
tout. éditions Lannoo, un
ouvrage consacré au
Congo (belge). Où
l’on retrouve les tra-
ces de notre pays EXPOSITION
dans son ancienne co- Une visite à la banque

demeurent à Bruxelles
lonie. Son travail est d’Outremer. Au numéro 13 de
actuellement exposé la rue de Brederode, juste derrière
au Musée de la Pho- le palais royal, un superbe bâti-
to d’Anvers, jusqu’au ment à la façade néoclassique si-
16 mai. gné Jules Brunfaut fête cette an-
La transformation du château
née son centenaire. Ce fut le siège
de Laeken. Lors de son acces-
de la Banque d’Outremer, un fonds
sion au trône, Léopold II hérite du constitué en 1899 par des investis-
DANS LE CENTRE DE LA CAPITALE, il suffit de lever le nez ou d’être un peu plus attentif château de Laeken. Petit à petit,
grâce aux revenus de son entre-
seurs privés belges et étrangers,
mais aussi des proches de Leo-
que de coutume pour voir resurgir la mémoire de notre ancienne colonie. Visite guidée. prise coloniale, il envisage de
transformer ce domaine en un vé-
pold II, comme Albert Thys. Elle in-

’historien Lucas Catherine est un Aujourd’hui séparée de l’enceinte du pa- s’étaient installées : la Cimenkat (cimente- À droite s’étend le quartier de Matonge, Congo est très présent. Le guide nous invi-
ritable palais de la nation avec
des salles de congrès, des locaux Fournir un banc vestissait partout dans le monde :
Chine, Canada, Argentine mais

L
aussi bien sûr au Congo… Une ex-
vrai « Brusselleer ». Il en a l’ac- lais royal, la petite maison existe toujours, rie du Katanga), Trabekat (travaux et bé- hier favori des coloniaux aujourd’hui in- te à lever la tête : tout au-dessus de l’im- de fête et de réception sans ou- position organisée par les locatai-
cent, la gouaille, et aussi la mémoi- rideaux aux fenêtres et géraniums fraîche- ton du Katanga), le Comité spécial du Ka- vesti par une importante colonie congolai- meuble dit GKF (Gérard Koninckx Frè- blier les célèbres serres de Lae-

à toutes leurs écoles


res actuels des lieux, le cabinet
re. Il se souvient de tout ce que la ment plantés. Au premier étage, une étoi- tanga, la société de colonisation belge au se. Notre promenade ne s’y attardera pas, res), sur le Vieux Marché aux Grains, on ken. L’idée d’une gare royale re- d’avocats d’affaires Linklaters LLP
capitale doit au Congo et à l’occa- le rappelle toujours l’emblème de la colo- Katanga… pas plus qu’aux alentours du parc Royal distingue des feuilles de bananier et des liant le palais à la ville sera aban- (ex-DeBandt, van Hecke &Lagae)
sion, il adore donner rendez-vous à quel- nie. « Cette maison fut construite par l’ar- Lucas Catherine adore s’attarder au- où l’ancien hôtel Empain abrite aujour- régimes en mosaïque, dans le plus pur sty- donnée après les décès du roi. permet d’admirer les titres au por-
ques curieux, au pied de l’église Saint-Jac- chitecte norvégien Knudsen, que le roi dé- près de la statue de Léopold II, réalisée d’hui le cercle De Warande, « think le Art nouveau, dessinées par le céramiste teur de quelques-unes des socié-
ques-sur-Coudenberg, devant la statue de signa lors de l’Exposition universelle de par Thomas Vinçotte, à la demande d’Al- thank » du patronat flamand. « L’histoire Paulis. « Très tôt, les Bruxellois ont pu ap- ous les Congolais de Belgique connais-
Godefroi de Bouillon. Un regard d’abord
pour « le Belge idéal » : le roi de Jérusa-
Paris en 1899, où il décida aussi de faire
construire le Pavillon chinois et la Tour ja-
bert Ier : « Elle tourne le dos au palais, et
regarde le bâtiment de la Banque Lam-
a de ces ironies, sourit Lucas Catherine, le
baron Empain, descendant d’un simple
précier les bananes venues du Congo, qui
étaient déposées dans des mûrissoirs. Ces
T sent l’émission de Radio Télé Matonge,
retransmise tous les dimanches, de 6 à
tés qui ont appartenu à cette ban-
que : Compagnie congolaise sucriè-
re, Union minière du Haut-Katan-
lem était, d’après lui, l’un des héros de Léo- ponaise. » Jadis, le roi n’avait que son jar- bert, aujourd’hui ING. Ce n’est sans doute instituteur du Hainaut, fut l’un des prin- bananes étaient aussi transformées en fa- 14 heures par Télé-Bruxelles, qui donne des ga, Compagnie du chemin de fer
pold II qui s’était longtemps intéressé à la din à traverser pour gagner la petite mai- cipaux collaborateurs de rine, et, mélangées à de l’eau et du sucre, nouvelles de leur communauté. Elle est re- du Congo, Crédit foncier d’Extrê-
Palestine, à l’Extrême-Orient avant de je- son de bois. Il y avait fait installer un cen- « A l’époque de Léopold II, Léopold II, et il créa en donnaient une boisson très nourrissante, transmise à Kinshasa par Molière Télévi- me-Orient, Société d’électricité de
ter son dévolu sur l’Afrique centrale. tre de presse où passaient les journalistes la rue Brederode était aussi importante 1901 la Compagnie des le Banania. » sion. Rosario (Argentine…)… Elle mon-
Un coup d’œil ensuite sur l’Hôtel Cou- désireux de se documenter sur le Congo et que Downing Street. La Belgique était chemins de fer du Congo Un peu plus loin, Lucas Catherine nous Le journaliste Cyprien Wetchi, animateur tre à quel point l’esprit d’entrepren-
denberg, ancienne Taverne du Globe, où de prendre connaissance de la propagan- l’une des premières puissances supérieur. Pour le remer- montre une maison d’angle, où arrivait ja- de cette émission, met en pratique, depuis dre des Belges était vif à l’époque
s’installa le « premier cercle colonial » et de officielle. industrielles du monde » cier, le roi lui concéda une dis le cacao du Congo. « Comme la fève Le musée d’Afrique centrale à les années 90, une idée simple : aider des jeu- et rappelle que la mondialisation
ensuite cap sur la rue de Namur : dans les En face, le bâtiment qui accueille au- Lucas Catherine, historien propriété de plusieurs di- n’était pas chère, les chocolatiers belges fa- Tervueren. En 1897, une exposi- nes de Kinshasa à poursuivre leurs études. est à l’œuvre depuis bien plus long-
locaux de l’ancienne école militaire s’ins- jourd’hui la Fondation Roi Baudouin abri- zaines de milliers d’hecta- briquèrent très tôt l’un des meilleurs choco- tion internationale rencontre un Bénéficiant du soutien de la commune d’Ixel- temps qu’on ne le pense. L’immeu-
talla l’Association internationale africai- ta successivement des bureaux de l’Etat in- pas un hasard : le baron Lambert, un res le long de la rivière Aruwimi et, au Ki- lats du monde, avec une teneur en cacao immense succès de foule, avec les, l’ASBL « les Amis de Wetchi » collecte ble en lui-même vaut le détour.
ne, en 1876, d’où les banquiers Beernaert dépendant du Congo, l’association des beau-fils de Rotschild, finança le Comité vu, il jeta les fondations de la ville de Go- plus élevée que la moyenne. Et l’un d’entre plus de 6 millions de visiteurs. des contributions individuelles, aussi modes- Conçu pour signifier toute la puis-
et Brugmann entreprirent de réunir des amis et serviteurs de Léopold II puis le d’études du Haut-Congo, fondé en 1878, ma. » eux, un Grec, eut l’idée géniale de fabri- « Elle a à ce point contribué à susci- tes soient elles, et bon an mal an, aide de jeu- sance de la banque d’Outremer, ce
fonds pour financer la conquête du Con- musée de la Dynastie, aujourd’hui dépla- qui embaucha Stanley ; il était coproprié- De l’autre côté du parc, le façadisme quer des pralines et de les vendre, de ma- ter l’intérêt de la population belge nes Kinois à s’acquitter de leur minerval sco- bâtiment classé, de style éclecti-
go. C’est ici qu’un certain Joseph Conrad, cé à l’hôtel Belle-Vue, autre acquisition de taire de la Compagnie du Katanga fondée n’est pas seulement une technique archi- nière aussi démocratique que les frites, le pour le Congo que des voix s’élè- laire (de 50 à 150 euros par an), qui assure la CYPRIEN WETCHI, animateur de Radio Télé Maton- que, est une perle du patrimoine ar-
qui écrivit plus tard Au cœur des ténèbres, Léopold II. La plupart des sociétés com- par Thys et fonda la Banque du Congo, tecturale : c’est là que la Société générale long du boulevard. Les Bruxellois s’arra- vent très vite pour qu’on fasse du rémunération complémentaire des profes- ge, se bat pour éviter que les enfants congolais ne chitectural bruxellois. On peut no-
vint s’engager pour travailler sur les ba- merciales invitées au Congo avaient leur qui devint plus tard la Belgolaise… » Se de Belgique, à la demande du roi, créa chèrent les ballotins de Leonidas. Quel- palais un musée colonial perma- seurs. suivent les cours par terre. © DOMINIQUE RODENBACH. tamment y admirer le bureau
teaux qui remontaient le fleuve. Un re- siège rue Brederode : la Compagnie im- penchant, l’historien montre une petite deux sociétés qui allaient se consacrer à ques années plus tard le cousin de ce der- nent », raconte Thierry Demey. En 2002, distribuant ses bourses, Cyprien d’une des grandes figures de la
gard aussi pour la Cour d’arbitrage qui mobilière du Congo et la Compagnie su- plaque rappelant que « le cuivre et l’étain l’exploitation industrielle du Congo, nier, Daskalidès, devait reprendre l’idée, La réalisation suit rapidement, Wetchi a remarqué que… tous les enfants Par ce geste, le journaliste a tenu à hono- banque, Adolphe Stoclet, aména-
abrita, de 1925 à 1990, le ministère des Co- crière du Congo, la Générale d’automobi- de cette statue proviennent du Congo bel- l’Union Minière du Haut Katanga, et la dans une version plus luxueuse… » dès 1902, sur un plateau situé le étaient assis par terre, dans des écoles dé- rer la mémoire de son père. « Dans les an- gé, tout comme son célèbre palais
lonies puis la Bibliothèque africaine. le et d’aviation, la Compagnie du Katan- ge. Ils ont été fournis gracieusement par Forminière. Lucas Catherine aime aussi raconter long de la chaussée de Louvain, à pourvues de bancs, de pupitres. Il s’est alors nées 40, raconte-t-il, il a pu étudier au Ka- avenue de Tervuren, par l’Autri-
« À l’époque de Léopold II, la rue Brede- ga, Urselia (une société productrice de ca- l’Union Minière du Haut Katanga. » La Pour cette fois, Lucas Catherine préfère l’histoire de la fortune de ce brasseur de la lisière du domaine de Tervue- adressé à la commune d’Ixelles et à ses con- tanga, car des familles congolaises l’ont ai- chien Joseph Hoffman. J.-F. M.
rode était aussi importante que Downing cao, appartenant à la famille d’Ursel) et, matière première était tellement abon- emmener ses promeneurs dans un autre Louvain, qui, à l’occasion de l’Exposition ren. Le musée royal d’Afrique cen- tributeurs. L’opération « Un banc pour dé. Plus tard, devenu directeur de la régie des L’exposition n’est pas ouverte au public
Street, assure Lucas Catherine. La Belgi- last but not least, la société fondée par Al- dante qu’une deuxième version de la sta- Bruxelles, celui du bas de la ville. coloniale de 1897, se vit passer comman- tral est né. Coût : 9,1 millions de tous » était née. « Nous avons payé des me- voies fluviales, il a tenu à ce que la “chaîne mais une visite spéciale sera organisée pour
que était l’une des premières puissances bert Thys en 1896. Vouée d’abord à l’ex- tue fut réalisée et envoyée à Léopoldville. Jadis, le port de Bruxelles s’étendait sur de d’une bière spéciale. Les brasseries Ar- francs or, 32 millions d’euros. Sur nuisiers de Kin pour fabriquer des bancs, au de la solidarité” ne s’interrompe pas… » ■ les lecteurs du Soir le 10 mai à 18 h 30. Le
industrielles du monde. Dans l’intention ploitation du caoutchouc, elle devint le Lucas Catherine rappelle aussi que les la place Sainte-Catherine, aujourd’hui tois produisirent une bière blonde qui, dé- la cassette de l’Etat indépendant départ de bois du Congo, ce qui nous a per- C.B. nombre de places est limité. Seuls les 25 pre-
d’installer les bureaux de l’Etat indépen- puissant holding Compagnie du Congo anciennes « étables de la Reine » qui abri- consacrée aux restaurants de poisson. corée d’une étoile, celle du Congo, allait du Congo. OLIVIER MOUTON mis d’équiper deux écoles à Matonge et une miers à envoyer un mail à cette adresse, mi-
dant du Congo, Léopold II, à l’arrière de pour le Commerce et l’Industrie. tent aujourd’hui l’Académie des Beaux- Tout autour, les noms de rue rappellent devenir la boisson officielle de l’Expo : la autre dans la commune de Kinshasa », expli- Les Amis de Wetchi, 46, rue Longue Vie, 1050 Bruxel- reille.salkin@lesoir.be, seront retenus et rece-
son palais, avait fait construire une mai- Entre la rue Brederode et la rue Théré- arts servirent brièvement d’entrepôt pour les quais de jadis, « bois à brûler », « de la Stella Artois était née, elle allait couler que Wetchi. les. vront une réponse. Mettre en objet : Congo.
son en bois, de style “Viking Art déco”. » sienne, d’autres sociétés congolaises l’ivoire amené à Anvers. houille », « du commerce »… Ici aussi le longtemps… ■ COLETTE BRAECKMAN

1NL www.lesoir.be

27/04/10 21:54 - LE_SOIR du 28/04/10 - p. 16


Le Soir Jeudi 29 avril 2010

17
1960
2010
SÉGRÉGATION

L’apartheid « soft »
des Belges au Congo
CE N’ÉTAIT PAS L’AFRIQUE DU SUD… mais les Blancs et les Noirs cohabitaient bien,
au temps de la colonie, dans des mondes différents. La ségrégation était bien réelle.
out à leur ambition de faire camp de la Force publique sépare la les « centres extracoutumiers » échap- matriculation ». Obtenir cette derniè- jamais des salaires équivalents, ne les

T du Congo une « colonie mo-


dèle », de déjouer les criti-
ques internationales ou la vi-
gilance des Nations unies,
les Belges se gardaient bien de prati-
quer explicitement une politique
d’apartheid, et se démarquaient soi-
ville blanche des quartiers congolais.
Le couvre-feu, l’interdiction faite au
Noir de pénétrer dans la cité européen-
ne la nuit complète ces dispositions sa-
nitaires. »
Tous les « Blancs » n’étaient pas
égaux. Les Belges, souvent francopho-
paient, en principe, au droit coutu-
mier qui s’appliquait à eux dans les vil-
lages. Pour s’établir dans le centre ou
le quitter, le Congolais devait posséder
outre son livret d’identité, un passe-
port de mutation délivré par le chef de
poste ou l’autorité de tutelle et une au-
re représentait, pour tout Congolais
instruit, un objectif majeur, lui per-
mettant de disposer en principe des
mêmes droits civils que les Blancs,
d’utiliser les mêmes moyens de trans-
port, les mêmes procédures de justice
et, in fine, de jouir de la même considé-
admettaient pas dans leurs cercles ou
leurs magasins. Tous les historiens
(Maurel, Stengers, Vanderlinden,
Ndaywel) assurent que c’est la frustra-
tion des évolués qui, in fine, déboucha
sur leur révolte et leur radicalisation.
Lassés de ne jamais être considérés
gneusement de l’Afrique du Sud. Ce- nes, occupaient le haut du pavé et se torisation de séjour. Les clandestins ration. Le statut d’« évolué » était ob- comme des égaux, ils finirent par exi-
pendant Blancs et Noirs évoluaient distançaient d’autres catégories d’ex- pouvaient à tout moment être pris tenu à l’issue d’un véritable parcours ger l’indépendance pure et simple. Jus-
bien dans des mondes séparés, décrits patriés : les policiers, les petits fonc- dans des rafles tandis que la « chicot- du combattant : des inspecteurs ve- tin Bomboko, qui fut l’un des premiers
par l’historien Auguste Maurel : « La tionnaires – souvent d’origine flaman- te » était un châtiment souvent utilisé. naient s’assurer de la propreté du loge- universitaires congolais, le reconnaît :
physionomie et l’organisation des vil- de qui, auprès des Congolais, étaient Le principe de base qui guidait la ment, de l’usage de couverts et de vais- « On en est arrivé à cette revendica-
les congolaises obéissent à deux préoc- chargés des « sales besognes » comme colonisation belge était le paternalis- selle, de la composition de la famille tion de l’indépendance en raison des
cupations essentielles. D’abord la dis- infliger des amendes –, les « monpé » me : les Noirs, considérés comme de (la polygamie était combattue), de l’hy- atermoiements des décideurs politi-
position des différents quartiers et le c’est-à-dire les missionnaires (souvent grands enfants mineurs et sous tutel- giène de la maison… Le « brevet de ci- ques à rencontrer les revendications so-
strict contrôle des habitants “indigè- venus de Flandre eux aussi) ou ceux le, devaient être « guidés » afin qu’un vilisation » était délivré au compte- ciales des Congolais. Au lieu de suppri-
nes” préserveront la population blan- que les Congolais appelaient les mun- jour, ayant atteint un degré suffisant gouttes : en 1959, 1.557 Congolais dé- mer les lois et statuts discriminatoi-
che des contacts inutiles : l’administra- dele ya coto ou mundele mateso les de ressemblance avec le « modèle tenaient la carte du mérite civique et res, les Belges les ont renforcés. Si on
tion protège les maîtres blancs instal- Blancs coton, ou les Blancs haricots, blanc », ils puissent se voir décerner le 217 d’entre eux étaient immatriculés ! avait rencontré nos revendications de
lés dans leurs luxueuses cités-jardins c’est-à-dire les commerçants d’origine titre d’« évolués ». Ce que Jean Sten- Non seulement la procédure était type social, on aurait sans doute retar-
contre la propagation d’épidémies ou portugaise ou grecque qui sillon- gers appelle le « brevet de civilisa- lente, mais elle était inutile, les Blancs dé d’une voire de deux décennies l’indé-
d’émeutes venues de la ville noire. Un naient les campagnes… tion » était concrétisé par la « carte de ne considéraient jamais les Congolais pendance du Congo belge… » ■
espace non bâti souvent occupé par un Les Congolais vivant dans les villes, mérite civique » et surtout par l’« im- comme des égaux, ne leur accordaient COLETTE BRAECKMAN

Le cœur des coloniaux est resté là-bas


ous avions choisi notre place au
N cimetière fleuri qui surplombe le
lac : nous n’y reposerons jamais, mais
1953
Nombre de Congolais séjournant en Belgique
De 300 à 400
LE SOIR - 29.04.10

quelque chose de nous-mêmes est resté 1961 2.585


là, un battement de cœur, un goût de 1970 5.244
miel, un goût de sel… » Marie Madelei- 1980 8.575
ne Arnold, 90 ans, qui écrit ces lignes 1991 11.828
pleines de nostalgie, est la doyenne 1995 16.452
des journalistes belges. Membre acti-
ve de l’association « Mémoire du Con- 2003 13.573
go », elle témoigne volontiers de ces Nombre de Belges séjournant au Congo
belles années passées à Bukavu au len- De 1885 à 1908 1.500
demain de la guerre. 1930 17.000
« Comme beaucoup de Belges, nous
étions fatigués de la guerre, nous 1934 11.000
avions peur d’une avancée de Stali- 1959 87.736
ne… C’est ainsi que nous avons décidé 1964 42.000
de nous lancer au Congo. Mon mari, 1976 18.000
Max Arnold et moi, nous avons repris 1993 2.800 En 1959, à la veille Agents
là-bas une imprimerie puis fondé un de l'Indépendance, d'entreprises privées 43,9 %
journal, la Presse africaine. Nous som- population
mes restés à Costermansville (Buka- non africaine active Colons 22,1 %
vu) jusqu’en 60, nos trois enfants sont 115.157 personnes
nés là-bas, ce furent les plus belles an- pour
une population africaine Fonctionnaires 18,7 %
nées de notre vie… » de 13.854.421 personnes
DU TEMPS DE LA COLONIE, le modèle « blanc » était l’objectif suprême à
En plus de ses activités de journalis- Missionnaires 15,3 % atteindre pour les Congolais. © LÉON PIRART.
te, Marie Madeleine Arnold cultive le
souvenir de ses années congolaises. se souviennent d’elle, lui écrivent et res venus de leurs villages, ou des pe- de 100 à 176 %. Mme Arnold décrit aus- saient trois semaines en brousse, une
Elle ne nie pas que la présence belge elle soutient une école à Burhini, en tits fonctionnaires, étaient plus “rai- si les centres de santé, ouverts jusque semaine au bureau : eux au moins ils
au Congo était fondée sur la domina- pleine brousse du Kivu. Ses fils ont été des”, le contact était moins facile… dans les coins éloignés de la brousse, connaissaient le terrain… »
tion, mais elle se rappelle surtout les marqués par leur enfance en Afrique, D’ailleurs les Congolais nous don- les dispensaires, des centres de recher- Ce sentiment d’avoir vécu une expé-
relations humaines : « Nous, qui l’un vit au Pérou, l’autre a étudié la phi- naient des surnoms, se moquaient gen- che : « Dans les années d’après-guer- rience exaltante rassemble, de nos
étions arrivés après 45, nous nous en- losophie bantoue et parle le lingala… timent de nous : l’un de mes fils s’appe- re, la Belgique avait fait de gros efforts jours encore, les anciens coloniaux :
tendions bien avec les Congolais. Mon D’un côté, il y a les chiffres, la réalité lait Bwana Bafuta car il était un peu de développement, qui commençaient l’association Mémoires du Congo réu-
mari avait formé des typographes, des politique de la colonisation, les inégali- gros, le dernier, assez difficile c’était à porter leurs fruits. » En outre, la jus- nit 600 membres et collecte anciens
journalistes. Moi, on venait me voir tés de statut et de salaires entre Belges Bwana Matata… Et il y avait aussi tice fonctionnait « si un Blanc frap- films et livres de souvenirs, la revue Ki-
quand quelque chose n’allait pas, lors- et Congolais. « Il est vrai que nous des “Bwana Godferdomme”… » pait un Noir, il se retrouvait devant le sugulu garde le lien social. Tous les an-
qu’un enfant était à l’hôpital… » avions des primes d’expatriation, se tribunal et pouvait être condamné ; ciens d’Afrique gardent la nostalgie de
Dans le système belge, les sociétés souvient Mme Arnold, mais les coopé- Un départ trop rapide l’ordre régnait… ». Pour elle, « même ce Congo perdu et ces temps-ci, ils
étaient tenues d’assurer les frais de rants d’aujourd’hui gagnent bien plus A l’instar de tous les coloniaux, Ma- les Congolais ont été effrayés de voir sont de plus en plus nombreux à refai-
santé des travailleurs et de leur fa- encore, le fossé les séparant des Congo- rie Madeleine Arnold estime que les que l’indépendance leur était accordée re le voyage. C’est ainsi que Mme Van
mille, de payer les études des enfants. lais est bien plus profond. » Belgicains, les Belges de la métropole, si vite, le président Kasa Vubu avait Ruymbeke est retournée l’an dernier,
De ce « paternalisme »-là beaucoup Mais de l’autre côté, il y a ce mystè- ont « largué » le Congo beaucoup trop explicitement demandé une période de à plus de 80 ans, dans son ancien do-
de Congolais ont gardé la nostalgie. re, qui interpelle souvent les observa- tôt, sans préparation. « Tout était en transition… ». maine de Makangba près d’Isiro, dans
Mme Arnold confirme : « Aux yeux teurs étrangers, cette relation particu- route, il n’y avait pas de ségrégation La plupart des coloniaux ont le senti- le Haut Uele. Après 53 ans d’absence,
des Congolais, nous étions, nous som- lière entre Belges et Congolais, une sor- dans l’enseignement, les écoles for- ment d’avoir été victimes d’un énorme tous ses interlocuteurs congolais lui
mes encore les nokos. Des oncles plus te de cousinage complice et affectueux maient des milliers de jeunes Congo- gâchis, sacrifiés depuis Bruxelles, au ont demandé des nouvelles de ses en-
importants que le père, car c’est sur qui résiste au temps. « Peut-être les lais. Si on avait attendu trois ou qua- même titre que les Congolais. Leur fants et petits-enfants ; un sentier de
eux que l’on peut compter… » Wallons avaient-ils plus de facilités tre ans, des centaines d’universitaires amertume est aiguisée par le peu de 6 km a été dégagé pour lui permettre
Aujourd’hui encore, comme de nom- pour se lier avec les Congolais, avance auraient terminé leurs études. Le pays compréhension qu’ils rencontrèrent de retrouver la tombe de son mari sur
breux « anciens d’Afrique », Mme Ar- Mme Arnold. Nous partagions la mê- tournait, était administré avec effica- en Belgique. « Ils ne pouvaient pas sa- l’ancienne plantation et un jeune hom-
nold a gardé des contacts au Congo, me jovialité, un certain sens de l’hu- cité. » Entre 1950 et 57, l’indice de ni- voir ce que nous avions vécu là-bas… me, au nom de tous, lui a demandé de
les enfants des travailleurs d’autrefois mour. Les Flamands, des missionnai- veau de vie des Congolais était passé Les administrateurs territoriaux pas- revenir… ■ COLETTE BRAECKMAN

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28/04/10 22:10 - LE_SOIR du 29/04/10 - p. 17


Le Soir Jeudi 29 avril 2010

18 LE CALENDRIER
Samedi Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Lundi
24 avril 26 avril 27 avril 28 avril 29 avril 30 avril 3 mai
Le rapport économi- Le rapport scientifi- Le rapport politique. Le rapport patrimo- Le rapport humain Le rapport humain Le rapport final.
que. A-t-on pillé les ri- que. L’inventaire natu- Tradition autoritaire, nial. Les traces du (1). La « color bar » ou (2). L’incroyable histoi- La Belgique doit-elle
chesses du Congo ? rel du Congo. espoir démocratique. Congo à Bruxelles. l’apartheid soft. re des métis. demander pardon ?

Petit lexique
belgo-congolais
Les évolués. Avant de pou-
voir prétendre à l’« assimila-
tion », les Congolais de-
vaient « évoluer » en direc-
tion du modèle européen.
Le « monpe ». Le mission-
naire. Omniprésents, ceux-
ci avaient pris la peine
d’étudier les langues indi-
gènes et vivaient dans une
grande proximité avec les
Congolais.
La chicotte. Les peines de
prison s’accompagnaient
souvent de châtiments cor-
porels comme quatre
coups de fouet par jour.
Macaque, senji (singe)
guenon. Injures les plus
fréquentes, mais les colo-
niaux n’aimaient pas plus
les « Belgicains » (vivant
en Belgique) et les « pèle-
rins de la saison sèche »,
hommes politiques en visi-
te au Congo.
Ménagère. Femme vivant
dans la maison du Blanc.
Elle n’était pas censée s’oc-
cuper du ménage, mais sa-
tisfaire d’autres besoins.
Femmes libres. Prosti-
tuées vivant dans les « mi-
lieux extra-coutumiers ».
Matata. Problèmes, compli-
cations.
CARL DE KEYZER
C’est l’un des photo-
Muzungu, ou munde- YANGAMBI 2008, Ineac (Institut national pour l’étude graphes belges qui
le. Le Blanc. agronomique du Congo belge). Centre de loisirs. comptent sur la scè-
Bilokos. Effets personnels. L’image d’une population marquée par la ségréga- ne internationale.
Pasopo. Attention en swa- tion. © CARL DE KEYZER/ MAGNUM. Membre de l’agence
hili, dérivé de pas op. Magnum, ce Gantois
sillonne le monde de-
puis vingt ans. Il
vient de publier, aux les. La ligne de partage s’étendait à Malgré tous leurs efforts, les évolués
éditions Lannoo, un l’habitat, les Blancs habitaient à Kali- n’arrivaient jamais au statut souhai-

« Le Blanc ouvrage consacré au


Congo (belge). Où
l’on retrouve les tra-
ces de notre pays
na, la Gombe d’aujourd’hui, les Noirs
habitaient la « cité ». Chez eux, ce
n’était pas éclairé (aujourd’hui non
plus d’ailleurs, NDLR).
té, les magasins, les quartiers des
Blancs leur demeuraient interdits.
Ainsi conditionnés, les Congolais ne
s’acceptaient pas bien dans leur peau,

a été pris dans son ancienne co-


lonie. Son travail est
actuellement exposé
au Musée de la Pho-
Chez les Blancs, il y avait la lumière ;
un domestique noir qui travaillait
chez un Blanc devait rentrer chez lui
avec une lampe de tête afin qu’on puis-
littéralement. C’est ce qui explique
l’utilisation des produits blanchis-
sants, défrisants. Une femme pense
que pour être belle, aimée, elle doit

et imposé to d’Anvers, jusqu’au


16 mai.
se suivre ses mouvements. Les Noirs
étaient chassés des magasins réservés
aux Blancs.
Comment jugez-vous l’idée centrale à
avoir une peau blanche…
Aujourd’hui cette aliénation persiste
même si elle diminue peu à peu. Les
Congolais s’identifient de plus en plus

comme modèle » la colonisation selon laquelle les


Noirs auraient été en état d’« évolu-
tion » ?
C’est une particularité de la colonisa-
à des Noirs qui ont fait des choses im-
portantes, les complexes s’atténuent…

Par sa politique de l’authenticité, Mo-


ENTRETIEN tits groupements de type tribaux, qui vraient revenir, car ils manquent tou- tion belge. Dans les colonies françaises butu n’a-t-il pas tenté de réagir ?
rofesseur Michel Ange Mupapa n’avaient pas façonné un mode de vie jours de confiance en eux, envers leurs l’idéologie de base était différente : à L’idée de l’authenticité lancée par Mo-
P Say est docteur en psychologie
(Sorbonne 1973), ancien directeur de
commun. Il faut souligner aussi que
des royaumes qui existaient déjà, com-
concitoyens. Je me souviens qu’à l’éco-
le secondaire, dans les années 60, mes
Brazzaville, au Sénégal, en Côte d’Ivoi-
re, il y a eu dès le départ une certaine
butu n’était pas mauvaise, mais elle a
été caricature et s’est réduite au port de
cabinet du président Joseph Kabila. me au Bas-Congo, avaient été, avant professeurs étaient des Belges. Lorsque assimilation, pas seulement mentale. l’abacost, au rejet des prénoms chré-
la colonisation, décimés par l’esclava- sont arrivés les premiers enseignants Lorsque les Noirs atteignaient un cer- tiens.
Considérez-vous que les Congolais gisme. Le Noir a été pris comme une congolais, sortis des écoles normales tain niveau d’éducation, ils pouvaient
ont été aliénés par la colonisation ? marchandise, considéré uniquement belges, nous avons pensé qu’avec leur occuper des fonctions importantes 1960 : c’était une vraie indépendan-
Certainement : le Blanc a été pris et im- en fonction de sa force de travail. L’es- arrivée le niveau d’enseignement al- dans les colonies, et même en métropo- ce ?
posé pour modèle. On vit comme lui, clavagisme a ravi à l’Afrique les meil- lait baisser. Nous ne faisions pas con- le ; il y a eu des députés français, des C’était une vraie indépendance, car les
on l’imite, on modifie son nom. Quel- leurs de ses enfants et laissé exsangue fiance à un Noir… Cette mentalité a ministres d’origine africaine, Senghor Congolais devaient s’administrer eux-
qu’un qui s’appelait Dibuka changera le cœur du continent d’autant plus que survécu à la colonisation et, au vu des Houphouet… Il y avait donc une meil- mêmes, conduire leur politique. Mais
son nom en De Boeck… La situation co- les esclavagistes emmenaient les hom- difficultés économiques, les gens ont leure préparation à la conduite des af- elle était tronquée car la Belgique
loniale englobait à la fois le vécu mes les plus forts, les meilleurs « repro- avait manipulé des Congolais. A La
blanc, qui s’identifiait au meilleur, à ducteurs ». Lorsque les colonisateurs Table ronde politique, les Congolais


tout ce qui était propre tandis que le sont arrivés, ils ont donc trouvé des po- avaient envoyé les meilleurs de leurs
Noir c’était l’autre pan, une noirceur pulations déjà très affaiblies, physi- Les fétiches devaient être détruits, la leaders, qui ont créé un front commun
qui évoquait Satan. Cette dichotomie quement et moralement. Les colonisa- statuaire disparue, la langue du co- et lutté pour l’indépendance. Mais à la
imprégnait toute l’ambiance colonia- teurs sont apparus comme des sau- lonisateur devait s’imposer. » Table ronde économique, ce sont des
le. Cette acculturation a permis de veurs, délivrant les populations de l’es- sous-fifres qui avaient été envoyés à
nier, d’annihiler tout ce qui était cultu- clavagisme puis les mettant au tra- Bruxelles, alors que la Belgique avait
rel dans l’héritage des Congolais : les vail et les dominant à leur tour. souhaité qu’on fasse revenir les faires de l’Etat. mobilisé les meilleurs de ses experts.
fétiches devaient être détruits, la sta- Le traumatisme né de la colonisation Blancs… C’est par manque de confian- Seule l’Eglise, confrontée au manque Bref les Congolais se sont fait rouler…
tuaire disparue, la langue du colonisa- ne devrait-il pas être dépassé, un de- ce en eux que les Congolais demandent de prêtres, a formé des Congolais dans Les Belges ont même voulu aller plus
teur devait s’imposer. Le mode de vie mi-siècle après l’indépendance ? que les Belges reviennent, comme si les séminaires, c’est pourquoi le pre- loin : le 11 juillet, le Katanga a procla-
de l’Européen était considéré comme Le sentiment de dépendance découlait tout seuls ils n’allaient pas pouvoir mier gouvernement du Congo a été ap- mé sa sécession, le 8 août le Kasaï a
supérieur. Cette distinction, peu à de la pratique coloniale, le fouet, la chi- s’en sortir… La dépendance n’est pas pelé le « gouvernement des séminaris- voulu faire de même : il s’agissait de sé-
peu, est entrée dans la tête des Congo- cotte, l’obligation des corvées. Les gens seulement matérielle, elle est aussi psy- tes ». parer le « Congo utile » du reste du
lais… se sont sentis infantilisés face aux chologique, morale… Les Belges s’inspiraient de Darwin, de pays et de laisser le reste…
D’autres peuples, en Asie par exem- Blancs. Pour eux tout ce que fait le Si on le compare à d’autres, le systè- l’idée de l’évolution des espèces : ils ob- L’image d’une Belgique bienveillante
ple, ont-ils subi un traumatisme du Blanc, l’employeur, le maître, c’est me colonial belge aurait-il été plus in- servaient les Congolais dans leur com- est loin d’être d’actualité… Cela dit, il
même ordre ? bien… Après l’indépendance, le même fantilisant ? portement, leur manière de parler à ta- est tout à fait normal que la Belgique
L’Asie était au départ beaucoup système d’exploitation économique a Absolument. Au Congo belge, nous ble, de s’exprimer en français, de s’ha- soit présente lors de l’anniversaire de
mieux organisée. Elle avait des entités continué, et s’y est ajouté l’appauvris- n’étions pas loin de la situation qui ré- biller et au départ de ces indices maté- l’indépendance du Congo et qu’elle-mê-
administratives politiques bien an- sement du pays, alors qu’il était désor- gnait en Afrique du Sud : il y avait riels ils jugeaient de l’idée d’évolu- me, à partir de cette année, refonde,
crées, une culture très ancienne alors mais dirigé par des Congolais. On re- l’apartheid. Blancs et Noirs ne pou- tion… Avec le recul, tout cela apparaît pour le demi-siècle à venir, les rela-
que le Congo était un amalgame d’enti- garde toujours vers l’Occident, vers la vaient pas fréquenter le même maga- insensé. L’évolué avait franchi une éta- tions avec notre pays. ■
tés organisées, de royaumes et même Belgique. Le Belge est toujours le noko, sin, le même cinéma, le même bus de pe considérée comme inférieure pour Propos recueillis par
d’empires mais il y avait aussi des pe- et les gens disent que les Belges de- transports en commun, les mêmes éco- arriver à un stade plus « avancé ». COLETTE BRAECKMAN, à Kinshasa

1NL www.lesoir.be

28/04/10 21:49 - LE_SOIR du 29/04/10 - p. 18


Le Soir Vendredi 30 avril, samedi 1er et dimanche 2 mai 2010 Le Soir Vendredi 30 avril, samedi 1er et dimanche 2 mai 2010

20 LE CALENDRIER
21
MÉTISSAGE
Samedi Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Lundi
1960 24 avril 26 avril 27 avril 28 avril 29 avril 30 avril 3 mai
2010 Le rapport économi-
que. A-t-on pillé les ri-
Le rapport scientifi-
que. L’inventaire natu-
Le rapport politique.
Tradition autoritaire,
Le rapport patrimo-
nial. Les traces du Con-
Le rapport humain
(1). La « color bar » ou
Le rapport humain
(2). L’incroyable histoi-
Le rapport final.
La Belgique doit-elle
l’apartheid soft.
chesses du Congo ? rel du Congo. espoir démocratique. go à Bruxelles. re des métis. demander pardon ?

Devenus adultes, les métis dispo-

Les 319 de Save, enlevés


« Nous sommes les
saient de cercles qui leur étaient réser-
vés, dans lesquels les Noirs n’étaient pas
admis. Selon le professeur Mupapa, « à
Kinshasa, le home des mulâtres était si-
tué à la frontière de la ville européenne
et de la cité indigène. Cette position de-
vait permettre aux Blancs qui le souhai-
taient de venir rencontrer furtivement
et emmenés « pour leur bien »
enfants de la Belgique »
les rejetons obtenus des négresses. Ces
dernières étaient les seuls Noirs admis

© C.BRAEKMAN
dans ce lieu où leurs amants blancs pou-
vaient venir les chercher. »
Très tôt, les missions s’intéressèrent
au sort des métis qui étaient accueillis
dans des colonies scolaires. A la fois « J’ai eu un choc »
pour les soustraire au milieu indigène, Yvonne Mbuyi, née à Mbuji Mai le 5
les scolariser, leur accorder des avanta- janvier 1960. Son père, Antoine Dele-
ges que les Noirs ne connaissaient pas planque, était agent sanitaire, au ser-
(une nourriture de meilleure qualité, vice de la MIBA (Minière de Bakwan-
plus de confort), mais aussi dans l’es- ga, Mbuji Mayi). « Mon père est parti
poir de les gagner au christianisme plus en Belgique lors des événements de
rapidement que les Noirs et de faire 1960. Lorsque j’ai eu 6 ans, on m’a en-
d’eux des catéchumènes ou une main- voyée à Kinshasa chez ma tante, pour
d’œuvre plus qualifiée. que j’étudie, j’ai grandi avec celle fa-
Dans les années 1930, alors que les mille là, et ma mère est restée à Mbuji
épouses commençaient à s’installer Mai. Lorsque j’ai eu quinze ans, mon
dans la colonie, l’Union des femmes co- père adoptif, le mari de ma mère, m’a
loniales s’émeut de la condition des mé- dit que je n’étais pas sa fille. J’ai eu un
tis. En 1932 fut créée l’Association pour choc, les relations ont été coupées en-
la protection des mulâtres (APPM), afin tre ma mère et moi. Bien plus tard, ma
de lutter contre l’hostilité à leur égard et grand-mère m’a expliqué une scène
de leur assurer des moyens d’éducation que j’avais vécue dans mon enfance et
et de « reclassement social ». En 1935, qui m’avait marquée : un jour, peu
en marge de l’Exposition internationale avant mon départ pour Kinshasa, on
de Bruxelles, l’APPM réussit à obtenir m’a attrapée et cachée dans le plafond
l’organisation d’un « Congrès interna- de la maison. J’ai du y passer plusieurs
tional pour l’étude des problèmes résul- journées et on ne m’a jamais expliqué
tant du mélange des races ». Jusqu’en ce qui s’était passé.
1960, l’Association demeura active, se Ce n’est que bien plus tard que ma
plaçant essentiellement sur le plan cari- grand-mère m’a révélé que ce jour là,
tatif et plaidant pour l’accueil des métis mon père, revenu au Congo, était venu
en Belgique, une solution préférée à me chercher. Ma famille africaine, qui
leur intégration au Congo. refusait que je parte, a dit à cet hom-
L’un de ces métis transplantés, Evaris- me que j’étais morte, alors qu’en fait
te Nikolakis, a rédigé son « récit de vie » j’étais cachée dans le plafond. Pour ef-
sous le titre Miye Niko (« Moi, je facer les traces, on m’a ensuite en-
suis »). Il écrit : « C’est bien de la lente voyée à Kinshasa où j’ai fait des études
conquête de mon identité qu’il s’agit. de secrétariat. Je souhaitais avoir des
Contrairement aux enfants nés dans « CERTAINS D’ENTRE NOUS VONT TOUJOURS MAL, il y a des blessures qui ne guérissent pas… », affirme la Gantoise nouvelles de mon père mais je n’ai ja-
des familles “normales”, les métis, com- Jacqui Goegebeur. © C.B. mais rien su. Par la suite, j’ai appris
CARL DE KEYZER me sans doute la plupart des enfants qu’une femme de notre famille qui sa-
placés, ont dû se construire une identité orsque Jacqui parle de sa mère, ses protestants. Par la suite, il est allé au pères… Ma sœur et moi n’avons pas re-
C’est l’un des photo-
graphes belges qui civile, sociale et même psychologique.
Au point que j’ai changé plusieurs fois
L yeux se voilent : « J’aurais dû lui
montrer plus d’affection, essayer de
Danemark, puis au Canada, mais je ne
l’ai plus jamais retrouvé… » (…)
vu notre mère, je sais seulement qu’on
lui a fait signer un papier stipulant
vait où mon père se trouvait en Belgi-
que avait donné son adresse à ma
comptent sur la scè- grand-mère, mais cette dernière a tout
ne internationale. de nom et de langue dans ma vie. » mieux la comprendre. Mais lorsque je « Certaines mères, rwandaises ou con- qu’elle acceptait que nous partions en de suite déchiré le papier.
Membre de l’agence La plupart des métis arrivés en Belgi- l’ai retrouvée, après tant d’années de sé- golaises du Kivu auxquelles on avait ar- Belgique pour étudier… En réalité, Aujourd’hui ma mère est morte, ma
Magnum, ce Gantois que y prirent racine et y construisirent paration, nos relations étaient gâchées raché les enfants, s’étaient arrangées après avoir été séparée de ma sœur, en- grand-mère aussi, mais mes enfants
sillonne le monde de- une vie acceptable. Pour ceux qui sont par ce fichu sentiment de supériorité pour venir vivre près de Save et essayer voyée à Hasselt, je me suis retrouvée veulent savoir. Hier c’était mon anni-
puis vingt ans. Il restés en Afrique, à quelque niveau qu’on m’avait inculqué. Pour ma sœur de garder le contact. Parfois, elles réus- dans une famille d’accueil, à Blanken- versaire, et les enfants, une fois de
vient de publier, aux qu’ils se situent, les problèmes subsis- les relations avec notre mère se déroulè- sissaient à apercevoir leurs enfants de berge. Comme nous avions une mère en plus, m’ont dit “maman, on veut sa-
éditions Lannoo, un tent et le sujet suscite toujours la même rent plus mal encore… » loin. Mais pour nous, notre mère était Afrique, nous n’étions pas adoptables lé- voir qui nous sommes, d’où nous ve-
ouvrage consacré au émotion. « Nous avons été doublement La Gantoise Jacqui Goegebeur, la cin- trop éloignée. De toute façon, les religieu- galement… » Jacqui a-t-elle été heureu- nons”. Ils ont la peau plus claire que
Congo (belge). Où discriminés sous le régime Mobutu, as- quantaine venue, essaie d’aborder son ses ne souhaitaient pas que nous la ren- se dans sa famille d’accueil ? « On ne ces- les autres et on leur fait des remar-
l’on retrouve les tra- sure Gabriel Lutula Lemaire, d’abord passé en face, de comparer son expérien- contrions : elles nous disaient qu’elle sait de me dire que j’avais de la chance, ques. C’est pour cela que j’ai mis cette
ces de notre pays parce que les Noirs nous faisaient sentir ce avec celle d’autres métis. Cette infor- était une femme de mauvaise vie, une bien plus que si j’étais restée avec ma mè- annonce dans l’entrée de l’Association
dans son ancienne co- que nous étions différents, ensuite parce maticienne de haut niveau est au centre prostituée, que nous devions nous tour- re… Et pourtant ça n’a jamais très bien belgo congolaise, ABC, au cas où quel-
lonie. Son travail est que Mobutu, qui en voulait aux Belges, d’un réseau de relations où s’échangent ner vers la société blanche, celle de notre fonctionné, j’étudiais très bien mais on qu’un connaîtrait Antoine Deleplan-
actuellement exposé nous a pénalisés : ceux avec lesquels il a les témoignages, les difficultés affecti- père… » n’a jamais voulu me payer des études su- que. A vingt ans on m’a imposé un ma-
au Musée de la Pho- travaillé, et qui sont devenus la nouvel- ves, les souvenirs : « Certains d’entre périeures ; c’est pour cela que je me suis riage arrangé, j’ai eu trois enfants.
to d’Anvers, jusqu’au le bourgeoisie congolaise, étaient des mé- nous vont toujours mal, il y a des blessu- Sabena réquisitionnée lancée dans l’informatique, à l’époque Mais voici trois ans notre mariage s’est
16 mai. tis d’ascendance portugaise comme les res qui ne guérissent pas… » Trop jeune à l’époque, Jacqui ne gar- c’était ouvert à tout le monde. Ma mère terminé. Aujourd’hui je me débrouille :
Bemba. » Jacqui n’a pas connu son père, qui tra- de pas un souvenir très précis de son sé- m’a-t-elle écrit ? Je l’ignore : tout était je travaille dans l’administration, je
L’actuel ministre de l’Environne- vaillait dans une société minière au jour à Save mais les autres filles lui ont fait pour nous couper de notre famille fais du commerce de bois, j’ai créé une
ment, José Endundo, dont le grand-pè- Rwanda et possédait une grande mai- raconté comment « Dès qu’elles avaient maternelle, on ne transmettait même ONG pour les enfants du Kivu et par
re était un militaire belge, a fait comme son près de Rwamagana. Tout ce qu’elle 16 ans, les “grandes” devenaient des pas les lettres, parfois on travestissait deux fois je suis allée en Chine. J’aurais
beaucoup de ses compatriotes : il a sait, c’est qu’il vivait maritalement avec filles à marier ou en tous cas à caser. Les nos noms afin de brouiller les pistes… » voulu pouvoir venir en Belgique, où
épousé une femme métisse. « Pour elle, sa mère, avec laquelle il avait probable- sœurs organisaient des rencontres, avec Jacqui estime qu’elle a eu de la chan-
ILS SONT NÉS DES AMOURS, souvent cachés, de la colonisation. Comment les « mulâtres » le souvenir de Save demeure très pré- ment contracté un mariage coutumier. d’autres métis ou avec des Blancs, ja- ce : elle a trouvé un bon métier, s’est ma-
j’avais été invitée par Le Monde selon
les femmes mais je n’ai jamais obtenu
sent : à son hôtel de Goma, elle a donné Etant célibataire, il avait reconnu offi- mais avec des Noirs. Celles qui réussis- riée. « Dans d’autres familles d’accueil,
sont devenus métis. Leur sort, lié à « cette goutte de sang blanc » est resté incertain. le nom Stella Matutina, en souvenir de ciellement ses trois enfants. « Jack, un saient à attirer l’attention trouvaient les enfants métis étaient comme des peti-
de visa. C’est dommage : j’en aurais
profité pour rechercher mon père. »
l’orphelinat où elle a grandi au Rwan- autre métis, m’a raconté qu’à la mort de un mari, ou un protecteur qui leur con- tes bonnes, sur la côte, elles étaient em-
ux yeux de la Belgique, le Con- gères » avec lesquelles ils entretenaient “droit de cuissage”, ils prenaient toutes cheval et d’une ânesse… A la veille de l’in- Selon le chercheur Assoumani Budag- da… » son père les autres Belges chassèrent sa fiait des tâches domestiques. » ployées dans l’hôtellerie. On nous disait

A go n’a jamais été une colonie


de peuplement. Les colons
étaient peu soutenus par les
autorités, et les Belges envoyés
en Afrique, fonctionnaires, travailleurs
embauchés dans les sociétés, n’étaient ja-
mais que de passage : ils menaient à bien
des relations de concubinage qui du-
raient le temps de leur affectation. Le ter-
me ménagère est d’autant plus ironique
que la plupart des tâches domestiques
étaient confiées à un « boy »…
Ainsi que le relève Hilde Heynikel (Le
Congo des Belges, éditions Duculot), ces
les femmes qu’ils souhaitaient ».
Quant aux missionnaires, qui prô-
naient la monogamie, ils s’inquiétaient
des menaces que ces Européens célibatai-
res représentaient pour les épouses des
Congolais fraîchement baptisés et chris-
dépendance, le Congo comptait environ
12.000 « mulâtres » aujourd’hui appelés
métis.
La question du métissage était large-
ment débattue au sein des congrès colo-
niaux internationaux et la Belgique, qui
wa, qui a eu accès aux archives coloniales
en 1987 et prépare un livre sur le sujet, la
crainte qu’inspiraient les métis provien-
drait de la révolte des métis de Rivière
Rouge au Canada, de 1869 à 1870, me-
née sous la conduite de Louis David Riel,
descendant d’une Indienne. Sous l’impul-
Quant à Roger Pembe, ministre régio-
nal dans le Bandundu, il estime que
« rien n’est acquis à un métis, nous sus-
citons toujours beaucoup de jalousie.
Parfois, lorsque j’obtiens pour mon mi-
nistère des financements de l’Union eu-
ropéenne, on me dit que c’est parce que
mère de la maison avec les enfants, ils
prirent les objets de valeur pour les ren-
voyer en Belgique. Chez nous, deux ans
après la mort de mon père, tous ses biens
au Rwanda avaient disparu. Il avait
souscrit une assurance pour nous per-
mettre d’étudier, mais jamais cet argent
En 1959, les religieuses de Save et un
prêtre belge, le père Delooz, ont le senti-
ment que la situation, au Rwanda et au
Congo, va évoluer très vite et que les en-
fants métis pourraient être en danger.
Eugeen Delooz, franciscain et directeur
à la fédération chrétienne des classes
toujours que nous au moins, nous
avions reçu une bonne éducation, que
nous étions mieux que les filles restées
au pays. Durant toute mon enfance, on
m’a répété que nous les métis nous
étions spéciaux, qu’il ne fallait pas que
nous nous mélangions avec les Afri-


des « termes » parfois renouvelés, puis relations étaient généralement décriées sion d’organisations caritatives, l’admi- mes “frères blancs” préfèrent travailler ne fut confié à ma mère. Une Africaine, moyennes (une organisation issue du cains noirs, qu’il ne fallait pas “redescen-
regagnaient la mère patrie. dans le milieu blanc et il était rare que les « Lorsque j’étais jeune, on racontait que les Blancs nistration prit alors quelques initiatives, avec moi… ». vous pensez, comment allait-elle gérer ce mouvement ouvrier chrétien) mène dre”. »
Dans les premiers temps, les Belges ar- couples s’affichent publiquement. exerçaient le “droit de cuissage”, ils prenaient toutes afin de rechercher les métis et de les reti- Les métis d’origine belge ont toujours petit pécule… » alors campagne en Flandre et aux Pays Durant des décennies, le sort de ces
rivèrent seuls : le climat était difficile et Les rapports entre les hommes blancs les femmes qu’ils souhaitaient » Alfred Liyolo rer du milieu africain. Auparavant déjà, le regard fixé sur la lointaine métropole. En 1958, au Congo comme au Rwan- Bas pour tenter de trouver une solution 319 enfants métis, Rwandais et Congo-
la mortalité très élevée. Selon les auteurs et les femmes congolaises n’étaient pas sous l’Etat indépendant du Congo, les en- C’est pour cela que Gabriel Lutula a da et au Burundi, une circulaire admi- au sort de ces enfants « entre les deux ». lais, enlevés de Save « pour leur bien »
de l’époque, ces jeunes hommes envoyés uniquement la conséquence de la solitu- fants abandonnés par les caravanes escla- créé l’Association des enfants laissés nistrative demanda que tous les enfants Jacqui se souvient : « Un jour de no- et envoyés dans de très chrétiennes fa-
en brousse vivaient dans la solitude, souf- de : dans certains cas, les chefs indigènes tianisés… prenait part à ces réunions, se montrait vagistes et considérés comme orphelins par les Belges au Congo. « Nous espé- mulâtres soient déclarés. Jacqui pour- vembre 1959, on nous a embarquées milles de Flandre a été un secret bien
fraient de l’absence de distractions et proposaient eux-mêmes des jeunes filles A la veille de la Deuxième Guerre mon- soucieuse du problème. Dans les premiè- tombaient sous la tutelle de l’Etat. Sous rons, à l’occasion du 30 juin, que la Bel- suit : « Alors que nous étions Belges de dans un avion Sabena vers Bruxelles. gardé, sinon oublié. « Maintenant, il
étaient guettés par plusieurs maux, l’al- à l’Européen de passage et dans d’autres, diale, le Congo comptait environ 5.000 res décennies de la colonisation, les mé- l’autorité coloniale, ces jeunes furent assi- gique reconnaisse enfin ses responsabili- naissance, un policier congolais vint J’ai appris plus tard que, pour évacuer faut que cela sorte, dit Jacqui, c’est pour-
coolisme, la « congolite » – sorte de « fo- celui-ci les réquisitionnait. enfants nés de ces relations interraciales. tis étaient considérés comme une mena- milés à des enfants abandonnés que l’au- tés. Qu’elle nous fasse un don, même chez ma mère, chercher ses trois enfants. les 319 enfants de Save, les religieuses quoi nous avons demandé au Centre
lie tropicale » – et ce que l’on appelait pu- Alfred Liyolo, le célèbre sculpteur, ori- Ils étaient officiellement appelés « mulâ- ce sur le prestige et les intérêts du pou- torité s’employait à répertorier, à retirer symbolique, un pagne, une chèvre… Elle n’a rien eu à dire, ma sœur aînée et avaient aussi fait appel à Sobelair et mê- d’Etudes et de Documentation Guerre et
diquement « les tentations de la femme ginaire du Bas-Congo, se souvient très tres », un terme dérivé du terme espa- voir colonial. Ce potentiel de révolte était de leur famille africaine pour les placer Qu’elle se serve de nous comme intermé- moi avons été envoyées à Save, un pen- me à des avions militaires. Elles mena- Sociétés contemporaines (CEGES) de ti-
noire ». Autrement dit, ces hommes sans bien du fait que « lorsque j’étais jeune, on gnol mulato, mulet, qui désigne l’animal attribué à « la goutte de sang blanc » qui dans des internats et des colonies scolai- diaires. Après tout, nous sommes ses en- sionnat tenu par des religieuses catholi- çaient, si elles n’obtenaient pas gain de rer cette histoire au clair… » ■
épouse trouvaient sur place des « ména- racontait que les Blancs exerçaient le hybride produit de l’accouplement du coulait dans leurs veines… res confiées aux missions. fants… » ■ COLETTE BRAECKMAN ques. Mon frère s’est retrouvé chez les cause, de révéler en Belgique le nom des COLETTE BRAECKMAN

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29/04/10 21:30 - LE_SOIR du 30/04/10 - p. 20


Le Soir Vendredi 30 avril, samedi 1er et dimanche 2 mai 2010

1960
22 2010

Ces enfants laissés par les Belges


© C.B.

© C.B.

© C.B.

© C.B.
© C.B.

« Je ne sais rien… » « Sans identité » « Chauve-souris » « Pas Congolais » « Un meilleur avenir »


Sara Van Door. « Mon grand-père Lukusa Beya Aimé (capitaine). Gabriel Lutula Lemaire. « Mon pè- Guy Mwamba. « Mon grand-père Bijou, petite-fille de Michel Pla-
était à Kisangani, comme mercenai- « Mon grand-père s’appelait Bureau re était le docteur Léon Lemaire, mé- s’appelait Gérard Thibaut, il est arri- tius. « Mon père est congolais, ma
re. Il vivait avec ma grand-mère et Capitaine, il était navigateur et fai- decin à Shabunda (Sud-Kivu) de vé au Congo comme militaire avant mère descend de Michel Platius.
est parti quand ma mère était petite, sait la navette sur le fleuve, entre 1946 à 1949, où je suis né en 1947. l’indépendance et il est rentré en 60. Dans la famille de mon père, on est
c’était la guerre. Nous n’avons plus Luofu et Port Franqui (Ilebo). Il s’est J’ai à peine connu mon père qui, en Il avait épousé une Congolaise, Yvet- encore polygame. Pour moi, il est dif-
eu de nouvelles. On disait à ma mè- marié avec ma grand-mère, Madelei- partant, a laissé la femme noire et
te Mukoma Mbuyu. Ils vivaient au Ka- ficile d’être acceptée, on me dit que
re : “les Blancs vont te manger.” Je ne Nkusu, dont il a eu plusieurs en- ses enfants. Mon père travaillait à la
tanga. Lorsque les Belges ont dit que je suis l’enfant de la prostitution. J’ai
ne sais rien de mes racines belges… » fants, dont ma mère née en 1938 et société Cobelmines.
décédée en 1989. On m’a toujours dit les militaires devaient rentrer, il est étudié à Bukavu et, durant la guerre,
Un jour pourtant, il a envoyé une de parti et un enfant est resté au Congo. j’ai été violée. J’ai eu un enfant et j’ai
qu’à son retour en Belgique, mon ses jeunes sœurs à Shabunda et à Kin-
grand-père voulait emmener sa fille La famille a refusé le départ de cet en- fui à Kinshasa pour être en sécurité.
du pour qu’elle récupère les enfants.
avec lui, mais la famille congolaise a fant en Europe et la grand-mère est Je voudrais étudier la santé pour que
J’avais huit ans à l’époque, et la fa-
refusé que la fille, qui s’appelait allée se cacher avec lui au village. mon enfant ait un meilleur avenir. »
mille africaine n’a pas voulu que je
Jeanne Rose Capitaine, s’en aille au parte. Elle m’a envoyé au village de Mon grand-père est revenu pendant
pays des Blancs. Lulingu, puis de Bokusu, où nous la guerre au Katanga et là il a été
Par la suite, ma mère a épousé un Bel- avions de la famille éloignée. La fa- tué. Ma grand-mère a ensuite épousé
ge, M. Duchesne, directeur des che- mille disait : “On ne peut pas don- un Congolais. Leur fils, mon père, a
mins de fer reliant le Katanga à Port ner cet enfant clair à un Blanc, écrit l’histoire de la famille.
Franqui et elle a eu une petite Moni- c’est un trésor dont on ne veut pas Moi, né en 1987, j’ai du sang blanc et
que Duchesne. Ensuite elle a épousé se séparer…” A moi, on me faisait lorsque j’ai voulu obtenir ma carte
un autre métis puis, enfin, mon père, peur, en disant : “Tu ne peux pas d’électeur, la DGM (Division généra-
Michel Lukunda qui était aussi métis penser à ton père, les Blancs sont le des migrations) m’a fait des problè-
© D.R.

du côté de sa mère. Je suis née de cet- méchants, avant ils nous coupaient
te union, et suis donc métisse à la mes ; on me disait “toi, tu n’es pas
les bras…” C’est pour cela que j’ai eu
« Seule » fois par mon père et par ma mère. À peur de me rendre en Belgique pour y
congolais”. J’ai fini par devoir payer
Yvonne Muleka (Yvonne Ceule- moi aussi on a dit que j’étais comme 20 dollars pour avoir un certificat de
rechercher ma famille.

© C.BRAEKMAN
mans), née en 1948. « Mon arrière- une chauve-souris, ni l’un ni l’autre. nationalité congolaise… »
Aujourd’hui encore, mes frères me de-
grand-père Georges Ceulemans est On me traite aussi de Musungu nu- mandent pourquoi j’ai la peau plus
arrivé au Congo dans les années 20, su demi-Blanc, bâtard, sans identi- claire… On me dit parfois, “toi tu
il naviguait sur ses bateaux qui re- té… Les Congolais noirs me disent « De la prostitution »
n’est ni Blanc ni Noir, tu es comme « On s’est moqué… »
montaient le fleuve. Il a vécu avec que je ne suis pas de leur sang et je la chauve-souris, ni mammifère ni « X ». Ayant de la famille en Belgi-
une femme congolaise, qui a eu deux ne suis pas bien acceptée. oiseau”. que, elle refuse que l’on publie et Thomas Assani Dubros. « Mon
enfants, Yvonne et Georges Ceule- Lorsque ma mère est morte, je suis sa photo et son nom. Ses grands- grand-père s’appelait Gilles Dubros,
D’autres me racontent que j’étais con-
mans. Mon père, Georges, était me- allée à Bujumbura, je voulais prendre parents sont européens : sa mère il vivait avec ma grand-mère dont il a
sidéré comme un trésor mais que j’ai
nuisier au Kasaï occidental, mulâtre contact avec la famille de mon père, était issue de l’union d’un Belge et eu deux filles. Ils vivaient à Kindu
déçu ma famille qui croyait que, com-
et traité comme un ressortissant bel- mais dans ma famille congolaise, on d’un Congolais, son père, Belgo-Ita- puis ils se sont séparés et ma grand-
me je suis à moitié blanc, j’allais rap-
ge. Il a épousé une femme congolaise me l’a interdit et j’ai eu peur… lien né d’une mère congolaise était mère a fui avec ma petite sœur car
porter de l’argent…
avec qui il a eu trois enfants, dont ma Je crois que Monique Duchesne, ma pilote d’avion et trouva la mort elle ne voulait pas donner l’enfant au
demi-sœur, née du premier mariage Pourtant, lorsque je suis devenu adul- Belge. On nous disait au village que
mère. Mon grand-père a eu des en- te, mon père africain m’a parlé, il m’a dans un crash. Ses problèmes sont
nuis car quoique belge, il avait choisi de la mère, a eu plus de chance : nombreux : « On me dit que je suis les Blancs allaient changer les en-
Mgr Kongolo l’a fait partir en Belgi- expliqué toute l’histoire. C’est pour fants en charcuterie et nous man-
la religion kimbanguiste. On lui di- cela que j’ai créé l’Association des en- une enfant de la prostitution. Il m’est
sait : “C’est une religion pour les que où elle a été acceptée par l’Asso- ger… En fait, on m’a toujours raconté
fants belges laissés au Congo et les difficile de trouver un mari. Pourtant
Noirs, si tu restes avec eux, on va ciation pour la promotion des mulâ- que lorsque les Belges sont partis, les
tres et elle a pu étudier la médecine. gens ont afflué pour se faire connaî- j’ai eu la chance de pouvoir étudier à Congolais étaient furieux car les
retirer ta nationalité.” Comme il a tre : à Kinshasa seulement, nous Louvain-la-Neuve… J’ai retrouvé la
choisi Dieu, il a été relégué en brous- Mon frère a étudié à Bukavu, il est de- Blancs n’ont rien laissé. On s’est mo-
venu expert immobilier. Moi, je me comptons 2.674 membres, dans le famille paternelle, mais du côté ma- qué des métis en leur disant : “Vous
se, à 60 km de Kananga (Kasaï occi- Maniéma 2.490, dans le Katanga ternel, je ne connais personne. »
débrouille, mais souvent mes enfants voyez vos pères blancs sont partis
dental) où il est resté jusqu’à sa 1273, le Bas-Congo, 924, le Nord-Ki-
me demandent de leur expliquer qui les mains vides, vous n’avez même
mort. Ma mère a d’abord épousé un vu 1.141, car ce sont les provinces où
ils sont, d’où ils viennent. pas de quoi étudier.” Les familles
Blanc avec lequel elle a eu deux en- les Belges étaient les plus nombreux.
Un métis dans une famille congolai- congolaises ne nous aimaient pas
fants, mon frère et moi, puis elle s’est se, cela coûte cher : nous avons une En tout, nous totalisons 12.611 mem- vraiment, on m’a même parlé de cas
remariée avec un métis dont elle a eu peau spéciale, assez sensible et nous bres, des métis de la première ou de d’empoisonnements…
six enfants. Quand ce dernier est devons employer des crèmes pour la deuxième génération. » A l’époque coloniale, les métis
mort, personne ne nous a aidés. Les métis, nous ne supportons pas n’avaient pas de possibilités : les
gens disaient “ils ne sont ni l’un ni n’importe quel savon… » filles devenaient putes, les garçons
l’autre”. Ma mère s’est débattue seu- chauffeurs ou mécaniciens. »
le pour élever ses enfants. » COLETTE BRAECKMAN

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29/04/10 21:51 - LE_SOIR du 30/04/10 - p. 22


Le Soir Lundi 3 mai 2010

1960
2010
CONCLUSION 13

Le Bandundu, province
« modèle » du Congo
LES BESOINS restent criants, mais l’espoir renaît dans cette province pauvre, au rythme
où les routes se reconstruisent. Et si c’était l’illustration de lendemains meilleurs ?
REPORTAGE RÉP. CENTRAFRICAINE LE SOIR - 03.05.10
BANDUNDU
DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
Province

OUGANDA
Équateur

M
oteur coupé, la pirogue orientale
glisse lentement le long CONGO RÉP. DÉM.
de la berge du fleuve Ka- DU CONGO Nord Kivu
saï, guidée par de longs
Sud RWANDA
bâtons que le pilote plan- Bandundu Kasai Kivu BURUNDI
te entre les roseaux. En équilibre insta- oriental
Dima Maniema

TANZANIE
ble, des pêcheurs jettent dans les eaux Kinshasa
rouges de longs filets lestés de boules Kasai
de plomb. Ils en ramènent des pois- occidental
sons argentés que les femmes amène- Katanga
ront au marché. Lorsque des enfants ANGOLA
ZAMBIE
nous aperçoivent, ils hurlent « munde- 200 km
le, mundele » et courent prévenir les
vieux de cette étrange apparition.
Dans le village de Umutuke, qui ap- six heures suffisent désormais pour
paraît soudain dans un bras du fleuve, Kikwit ou Bandundu depuis la capita-
les vieux sont assis en cercle sur des siè- le. Grâce à l’aide de la Coopération
ges en bois qui rasent le sol. De loin dé- technique belge, toutes les barges fonc-
jà, ils nous saluent cordialement. Il y a tionnent et les cours d’eau de la provin-
longtemps que les Blancs ne viennent ce peuvent être franchis sans encom-
plus ici, tout au plus les voit-on quel- bre, les voies de desserte agricoles
quefois passer au loin, dans des canots s’améliorent. Le dynamisme des habi-
rapides se dirigeant vers « Bifir » tants se révèle partout : sur le marché
(« bifurcation »), ce point où se mélan- les échoppes s’alignent, bien achalan-
gent les eaux des fleuves Kwango et LE LONG DU FLEUVE KASAÏ, les besoins sont légion. Le potentiel, aussi. « Si nous mettions des barrières sur le dées, et les étals illégaux sont pour-
Kwilu. Les vieux ne se plaignent pas fleuve ou sur les pistes, Kinshasa mourrait de faim… © C.B.. chassés par des policiers qui ne deman-
vraiment, ils ont du poisson, un peu de dent rien aux visiteurs de passage.
petit bétail, du manioc, des fruits. Et me d’action : sur les 75 écoles qu’il a de maïs, de poulets… Le président de ne quittera pas la province avant Les gens font la file dans des bouti-
surtout, ils sont tranquilles. promis de construire, 20 ont déjà été l’Assemblée nationale insiste : « Si d’avoir payé… » ques tenues des Chinois. Ces derniers
Alors que le soleil couchant fait flam- inaugurées, dix nouveaux centres de nous mettions des barrières sur le fleu- Tous les responsables provinciaux disparaissent derrière un amoncelle-
ber le miroir des eaux, Albert Kason- santé sont prévus, dont 5 déjà termi- ve ou sur les pistes, Kinshasa mour- soulignent qu’avec Kinshasa, la ten- ment d’articles bon marché, des piles
go, le chef de ce village de 2850 habi- nés, et Bandunduville se prépare à rait de faim… » Il ajoute : « C’est ici sion est constante : « Lorsque nous qui tiennent un jour, des sèche-che-
tants surgit, agité, et brise la quiétude. inaugurer la première prison construi- que Léopold II, grâce au caoutchouc, à bloquons des barges qui amènent à veux et des perruques, des outils agri-
Avec lui, le ton change. Pour une fois te dans le pays depuis l’indépendance. l’huile de palme, a réalisé ses premiers Kin des fûts chargés d’huile de palme coles, des sous-vêtements en nylon.
qu’il a affaire à des Blancs, il énumère Membre du parti majoritaire, le gou- bénéfices, dans ce que l’on appelait “le et que le gouverneur exige que les taxes Un homme nous interpelle pour nous
les besoins du village : faute d’école, verneur a décidé d’aller de l’avant : domaine de la Couronne”… » locales soient payées à raison de 250 montrer de petits sacs de café et de ca-
les enfants étudient difficilement, les « nous n’attendons pas que Kinshasa francs congolais par fût, des ordres ar- cao d’où s’échappent des arômes déli-
produits des champs ne peuvent être nous rétrocède 40 % des recettes, nous Une « Brigade de recettes » rivent de la capitale, nous obligeant à cieux, ce sont les produits de ses pro-
transportés qu’en pirogue, les pê- levons nos propres taxes et, sur fonds Pour l’heure, le Bandundu songe libérer les bateaux… » pres champs, et le café a été moulu
cheurs manquent de filets, d’hame- propres, nous avons lancé les cinq avant tout à défendre ses propres inté- Cependant, le maire adjoint insiste : dans son moulin à manioc. Il insiste :
çons, ils n’ont pas de carburant, le cen- chantiers du président ». Si de petits rêts. Une loi vient d’être votée, créant « De plus en plus souvent, nous inspec- « Nous ne manquons pas d’argent… Si
tre de santé est détruit. L’essentiel fait villages isolés sur le fleuve comme la « Brigade de recettes », afin de per- tons et bloquons camions et bateaux nous pouvons transporter ce que nous
défaut, et nous sommes priés de trans- Umutuke sont encore à l’écart, par- mettre la perception de taxes locales. qui emmènent notre bois. Nous avons produisons, nous vivrons bientôt
mettre le message au gouverneur. tout ailleurs, il est clair que le change- C’est pour cela que sur la piste, nous aussi éliminé les barrières sur les rou- mieux qu’à Kinshasa… »
Ce dernier, le docteur Richard ment est arrivé. découvrons un camion chargé de gru- tes et instauré un système de “guichet Cependant, malgré les progrès, de
Ndambu se prépare à prendre ses Le Bandundu, vaste comme la moi- mes immobilisé et entouré de poli- unique” afin de supprimer les tracasse- mauvaises habitudes persistent : Ro-
quartiers dans une grande bâtisse tié de la France est souvent sous esti- ciers. ries administratives… » ger Pembe, le très efficace Ministre de
blanche, avec colonnades et barza (ter- mé à Kinshasa, car, à part quelques gi- Le ministre des affaires foncières ar- De fait, à tous les niveaux, les pro- l’Agriculture, a été déchargé de ses
rasse) que les autorités locales ont ré- sements de diamants, il est dépourvu rivé sur les lieux, nous explique sans messes des autorités se vérifient, les fonctions par le gouverneur, entre au-
novée dans le souci de préserver la pre- de ressources minières. Cependant, détour que « le conducteur avait décla- habitants du Bandundu ont commen- tres parce qu’il refusait de réception-
mière maison construite par le fonda- c’est le Bandundu qui nourrit la gran- ré qu’il transportait huit tonnes de cé à se prendre en charge. Avec l’aide ner les yeux fermés des tracteurs qui
teur de la ville, l’explorateur Emile de ville, avec ses arrivages quotidiens bois. Vérification faite, il en emmenait de l’Union européenne, la piste me- avaient pris l’eau dans le port de Kin-
Banning. Le gouverneur est un hom- de sacs de manioc, de charbon de bois, quinze et n’avait pas payé de taxe. Il nant à Kinshasa a été remise à neuf et shasa… ■ COLETTE BRAECKMAN

A Dima, le souvenir des Belges est intact


l y a longtemps qu’à Dima, au cœur bien disposés au sec, le long d’allées tous les Belges qu’il a connus. Alors gais prenaient femme parmi les Afri- re luisantes. L’espoir, lentement, re-
Ide venir.
du Bandundu, les Belges ont cessé
Cependant, leur souvenir im-
rectilignes, ils ont poussé haut vers le
ciel et ne donnent plus rien. Dans les
qu’il était cadre de l’entreprise, M. Ka-
tako ne touche pas de pension. « Les
cains, les Belges étaient ici avec des con-
trats de trois ans. En 1960, les Belges
vient. M. Katako nous emmène vers
l’ancien club jadis réservé aux Euro-
prègne le paysage et les cœurs. années 30, les procédés de la Compa- Belges l’ont oublié. » Il ne semble pas sont partis d’un seul coup ; il a fallu péens. Autour d’un bar en bois on re-
Tout au bout d’une très longue piste gnie du Kasaï suscitèrent à Dima des leur en tenir rigueur. « A la veille de que nous reprenions nous-mêmes la so- trouve encore les haut-parleurs d’au-
qui serpente entre les marécages infes- enquêtes qui dénoncèrent les condi- l’indépendance, les abus relevés dans ciété. » Par la suite, faute d’entretien, trefois et la musique, comme toujours,
tés de mouches tsé-tsé, une cité fantô- tions de travail et la dépopulation. les années 30 avaient disparu, et il y les palmiers ont commencé à décliner. est tonitruante. « C’est ici que les
me apparaît : des maisons à étages, Aujourd’hui, la brousse a repris son avait moyen de vivre avec notre salai- Les villageois ont alors repris leurs Blancs se réunissaient pour boire une
des colonnettes et des barzas (terras- emprise, des familles congolaises cam- re, 500 francs congolais. En 50, au sor- occupations traditionnelles, la pêche, bière, pour danser le samedi soir », se
ses), surplombées par des toits de tôle pent sous les colonnades, du linge sè- tir de la guerre où nous avions dû les cultures vivrières. « Le poisson est souvient M. Katako. Aujourd’hui, le
depuis longtemps rouillés par les che dans les anciens jardinets. beaucoup travailler pour un salaire abondant, dit M. Katako, en ville, il club est transformé en centre culturel.
pluies. La petite église blanc et rose M. Jean Katako, lui, a veillé à entrete- de misère, la situation des Congolais est très prisé. Si nous pouvions le ven- La toiture en zinc a été réparée, le bar
porte encore le sceau de la Compagnie nir sa maison, la plus vaste de la ville était encore très difficile. Dès 1955, dre jusqu’à Kinshasa, nous serions est rouvert, la bière est fraîche. Un
du Kasaï, et les vitraux dans lesquels et il nous invite à admirer les meubles poursuit M. Katako, la situation s’est tranquilles. » De Dima jusqu’à la capi- Zimbabwéen blanc occupe désormais
joue le soleil datent de 1929… bien cirés, les bibelots dépareillés améliorée. Des Congolais ont pu deve- tale de la province, le va-et-vient est in- l’ancienne plantation et derrière la
Autour de l’église s’étendent les vas- dont il a hérité lorsqu’est parti le der- nir cadres, contremaîtres… » cessant. Les jeeps s’enfoncent dans les grille on distingue de jeunes palmiers,
tes maisons jadis réservées aux nier ADG (administrateur général) de Comment se comportaient les Bel- trous d’eau, les moustiques sont à la fê- une pépinière et une grande inscrip-
Blancs. Le long de la rivière, des mai- la société anversoise qui avait pris le re- ges dans cette plantation située loin te. Les cyclistes, les piétons eux vont tion « biofuel ». Réhabilitées, les pal-
sonnettes ont les pieds dans l’eau. lais de la Compagnie du Kasaï. des grandes villes ? M. Katako se gar- bon train. Tous amènent vers la ville meraies d’antan devraient bientôt pro-
C’est là que logeaient jadis les cou- Avec nostalgie et précision, cet aler- de de toute critique : « Ils étaient des légumes, des poulets liés par les duire du biocarburant. L’avenir, à nou-
peurs de fruits. Quant aux palmiers, te septuagénaire énumère les noms de durs, mais sérieux. Alors que les Portu- pattes, des poissons aux écailles enco- veau, semble à portée de main… ■ C.B.

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Le Soir Lundi 3 mai 2010

14 LE CALENDRIER
Samedi Lundi Mardi Mercredi Jeudi Vendredi Lundi
24 avril 26 avril 27 avril 28 avril 29 avril 30 avril 3 mai
Le rapport économi- Le rapport scientifi- Le rapport politique. Le rapport patrimo- Le rapport humain Le rapport humain Le rapport final.
que. A-t-on pillé les ri- que. L’inventaire natu- Tradition autoritaire, nial. Les traces du (1). La « color bar » ou (2). L’incroyable histoi- La Belgique doit-elle
chesses du Congo ? rel du Congo. espoir démocratique. Congo à Bruxelles. l’apartheid soft. re des métis. demander pardon ?

CARL DE KEYZER
C’est un des photo-
graphes belges qui
comptent sur la scè-
ne internationale.
Membre de l’agence
Magnum, ce Gantois
sillonne le monde de-
puis vingt ans. Il
vient de publier, aux
éditions Lannoo, un
ouvrage consacré au
Congo (belge). Où
l’on retrouve les tra-
ces de notre pays
dans son ancienne co-
lonie. Son travail est
actuellement exposé
au Musée de la Pho-
to d’Anvers, jusqu’au
16 mai.

ment de dépendance d’un côté, la LA PISCINE DE BU-

La Belgique « diplomatie de l’injonction » de l’au-


tre ?
La colonisation, malgré ses argu-
ments moralisateurs, n’avait rien
NIA. Carl De Keyzer
l’a photographiée au-
jourd’hui. Un lecteur
du « Soir », Lucien Ma-

doit-elle demander d’une croisade philanthropique. La


« mise en valeur » du Congo fut une
entreprise économique et elle rappor-
ta des bénéfices considérables à ceux
réchal, nous a en-
voyé cette image pri-
se dans les années
1960. Quand il y

pardon au Congo ? qui s’y engagèrent. Mais comment fai-


re le compte de tout cela ? Les histo-
riens, s’ils en avaient jamais l’inten-
tion, devraient recourir à la datation
avait encore de l’eau.
Une métaphore de
ce pays où tout est à
reconstruire…
a repentance étant dans l’air du vaste pays. Au-delà de tout question- au carbone 14 pour retracer les fonds
L temps, la question est inévita-
ble : la Belgique doit-elle demander
nement moral, ils éprouvent à l’égard
du deuxième roi des Belges et du pre-
de la Sabena engloutis dans Swissair,
les bénéfices accumulés par la Géné-
© CARL DE KEYZER/
MAGNUM, D.R.

pardon au Congo ? Pourquoi pas ? mier roi du Congo le respect dû aux rale et absorbés par Suez puis Fortis, manqué de relais sur place ; par la sui- dont Louis Michel avait annoncé la
Mais pour y répondre, il faudrait « pères fondateurs ». retrouver les comptes de l’évanescen- te, du temps de Mobutu, une vérita- création après la commission d’en-
d’abord définir sur quoi devrait por- Par la suite, lorsque l’Etat belge re- te Belgolaise, décrypter les archives ble « bourgeoisie compradore » a ins- quête parlementaire – soit enfin ali-
ter l’exercice, en essayant d’éviter les prit à son compte la « propriété per- de l’ex-Union minière du Haut Ka- titutionnalisé la corruption et, faute menté et activé. Comme veiller à ce
anachronismes. Car est-il bien raison- sonnelle » du roi, il s’employa à corri- tanga devenue Umicore… Rappelons d’investissements, elle a détruit l’ou- que des métis, jadis abandonnés par
nable de taxer Léopold II de « génoci- ger les abus les plus criants, sans mo- aussi que les comptes des Belges ex- til économique tandis qu’au cours de les Belges, puissent être soutenus,
de » en Afrique centrale ? Non seule- difier en profondeur la philosophie pulsés, « zaïrianisés » ou pillés n’ont la dernière décennie, les prédateurs moralement ou économiquement…
ment le concept lui-même ne fut for- du système, et même les esprits les toujours pas été apurés… de tout acabit qui se sont jetés sur les Sur le plan économique, le Congo,
gé qu’après la Seconde Guerre mon- plus progressistes de l’époque, com- Au moment de l’indépendance, les ressources minières ont toujours pu enfin sorti de son long tête-à-tête
diale, mais, surtout, le fondateur du me Emile Vandervelde, se gardèrent Belges avaient mis sur pied un outil compter sur des complices locaux. avec les Européens, s’est ouvert à
Congo, loin de vouloir exterminer les bien de remettre en cause le fait colo- économique performant, qui susci- d’autres partenaires. Mais pour les
populations locales, entendait les nial lui-même, tant il était inscrit tait l’admiration et l’envie : il comp- Tirer les leçons du passé Belges, en plus de ce que réalise déjà
mettre au service d’un projet simple, dans la philosophie de l’époque et tait 145.000 km de routes et de pistes Un mea culpa de la seule Belgique la coopération, dans le domaine agri-
partagé par toutes les puissances colo- dans l’histoire de l’Europe. praticables ! Le Congo, comme une ne contribuerait-il pas à infantiliser à cole par exemple, d’autres chantiers
niales de l’époque : exploiter les res- belle voiture, était « en ordre de mar- nouveau les Congolais, à leur faire demeurent ouverts, comme ceux de
sources de ce territoire afin de renta- Une entreprise de domination che ». Mais trop rares étaient les Con- croire, comme ils aiment parfois le l’émancipation culturelle : ne pour-
biliser l’investissement initial. N’est-il pas vain, un demi-siècle golais qui avaient appris à conduire, faire, que les autres, et eux seuls, sont rait-on soutenir la publication et la
Certes, ce qui s’appelait à l’époque après l’indépendance, de s’interroger le carburant manquait et la « condui- à l’origine de leurs déboires ? diffusion des auteurs congolais, en-
un « projet civilisateur » s’accompa- sur une éventuelle demande de par- te assistée » qui aurait été nécessaire En réalité, au lieu d’échanger accu- courager la circulation des livres à
gna du travail forcé, de la conscrip- don, que les intéressés eux-mêmes ne pendant quelques années de transi- sations, reproches et demandes de une plus grande échelle que ce que
tion obligatoire, du déplacement des sollicitent pas ? tion s’avéra impossible… pardon, au lieu de rester l’œil collé au fait déjà le Centre Wallonie-Bruxel-
populations, ce qui suscita la propa- Ce qui est sûr, c’est que malgré ses Faut-il aujourd’hui s’excuser de rétroviseur, Belges et Congolais, les ? Et, last but not least, ne pourrait-
gation des maladies et accrut la mor- aspects modernisateurs, la colonisa- tout cela, se faire pardonner un gâ- 50 ans après l’indépendance, au- on admettre que si les Belges revendi-
talité. Il y eut aussi un certain condi- tion belge fut une entreprise de domi- chis qui aurait pu être évité ? Peut- raient mieux à faire. Ils pourraient, quent toujours leur « expertise » à
tionnement psychologique passant nation d’un peuple par un autre. Elle être, mais il ne faudrait pas oublier ensemble, tenter de tirer les leçons propos du Congo, l’inverse pourrait
par la négation des valeurs autochto- fut aussi inspirée par un sentiment qu’à tout moment, les Congolais, eux du passé et essayer de corriger, très vi- être vrai également : les Congolais,
nes et par l’évangélisation, sans ou- de supériorité, largement partagé aussi, ont été des acteurs de leur his- te, ce qui peut encore l’être, les effets qui nous ont observés et fréquentés
blier le recours à la force pour mater dans l’Europe de l’époque, qui engen- toire : les esclavagistes ont trouvé des de certaines injustices pas si lointai- durant 130 ans, nous connaissent
les résistances. dra un comportement paternaliste et tribus complices, les recruteurs de nes. Comme permettre enfin aux sol- mieux que nous ne l’imaginons. Cer-
Aujourd’hui les Congolais eux-mê- empêcha de saisir à temps les aspira- main-d’œuvre ont été assistés par des dats congolais de la Force publique tains de leurs experts en ingénierie
mes reconnaissent que c’est Léo- tions des Congolais. Au lieu de battre chefs locaux qui sacrifiaient les plus qui combattirent dans les rangs alliés institutionnelle ne pourraient-ils pas
pold II, avec sa vision, sa poigne et une coulpe inutile, ne serait-il pas turbulents de leurs sujets et leur of- de terminer leurs jours avec une pen- être, à leur tour, associés à nos futurs
ses méthodes – ou plutôt celles de ses plus intéressant de s’interroger, au- fraient parfois leurs filles ; au mo- sion décente. Comme s’assurer du travaux ? Si la question fait sursau-
fondés de pouvoir car le souverain ne jourd’hui, sur les séquelles que ces ment de l’indépendance les Belges fait que la veuve de Patrice Lumum- ter, c’est la preuve que dans le domai-
mit jamais les pieds en Afrique… – rapports humains si longtemps biai- qui souhaitaient la « mise à l’écart dé- ba ne soit pas obligée de vivre dans la ne du partenariat, il reste du travail à
qui rendit possible la création de leur sés ont laissées, là-bas et ici ? Le senti- finitive » de Lumumba n’ont pas pauvreté, que le Fonds Lumumba – faire… ■ COLETTE BRAECKMAN

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