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Chers

étudiants,

Les PUB sont une initiative de l’Union des Anciens Étudiants, des Bureaux et Cercles d’étudiants qui
ont voulu, il y a plus de 50 ans, faciliter l’accès aux études par l’édition de cours et la vente de livres.
Nous sommes donc des étudiants et des anciens étudiants à votre service qui, cette année, étendent
l’offre.

Lors de la dernière année académique, nous avons mesuré vos attentes en réalisant une étude sur un
panel de 1430 étudiants inscrits à l’ULB. Les nombreux échanges que nous avons entretenus en
interview et discussions de groupe, avec les étudiants et professeurs, nous ont permis de développer
de nouveaux projets qui font écho à leurs attentes.

Nouveau format de syllabus plus économique :

Imprimé en quadrichromie, recto/verso, ce format A4 comprendra 2 trous et permettra de détacher


plus facilement les feuilles ou d’en ajouter si nécessaire. À la fin du syllabus,
dix pages blanches sont réservées pour les notes à prendre au cours. Des
blocs notes seront également mis en vente à la librairie, de même que des
classeurs et des relieurs afin d’éviter l’éparpillement des feuilles. Les syllabus
2016-17 seront environ 30% moins chers que ceux de l’année académique précédente. Ceux-ci sont
respectueux de l’environnement : tous nos papiers et cartons sont certifiés FSC.
Quand il nous arrive de dégager une marge c’est pour alimenter la recherche de nouveaux outils
d’apprentissages et lieux de partage de même que le fonds social étudiant.

Mais ce n’est pas tout, l’année 2016-2017 verra d’autres nouvelles initiatives :

• Un site de vente en ligne accessible sur http://pub-ulb.be


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• Le lancement du Syllabus , le syllabus électronique augmenté et partagé. C’est une
application qui rend le syllabus ou les notes de cours interactives, augmentées et
partageables entre étudiants d’un même cours. Cette application Web (Tablette et
Smartphone suivront) est un outil d’apprentissage qui favorise la simplicité, la solidarité et la
lutte contre l’isolement de certains étudiants.
• Des lieux de vente qui se transforment en lieux de vie et de services à la communauté
universitaire.
À la faculté d’architecture, au 19 place Flagey, les PUB ouvriront une librairie, un restaurant
et une sandwicherie universitaires ainsi qu’un centre de reprographie-copie, accessible à
toute la communauté universitaire.
Il en sera de même à Érasme au premier étage du bâtiment F.
• Au Solbosch, nous ouvrirons un centre de copies mis à votre disposition.

Si vous avez des questions ou des suggestions, n’hésitez pas, nous restons à l’écoute.

L’équipe des PUB.


« L’accès au savoir n’est plus le seul fait des scientifiques. La connaissance
devient le bien sans cesse grandissant d’un nombre croissant d’individus : des
individus plus humains, conscients des possibilités de la science contemporaine,
exigeant sans cesse plus fermement de pouvoir en bénéficier. »

Willy Peers (1924-1984)


Gynécologue (ULB, 1956), militant pour
l’accouchement sans douleur et la législation de
l’avortement.
AVERTISSEMENT

Le cours d’Introduction au droit comporte deux volumes ainsi qu’un


glossaire. Certains termes sont suivis d’un astérisque (*). Ce signe indique une
notion technique qui est définie, soit à la suite du mot, soit dans une autre partie
du syllabus. L’ensemble des définitions est repris dans le glossaire.
L’utilisation des astérisques est destinée à aider les étudiants dans leur
travail et à les encourager à établir des liens entre les différentes parties du
cours. Attention, cependant, toutes les occurrences du mot ne sont pas suivies
d’un astérisque. En outre, l’étude ne doit pas être restreinte aux notions ainsi
mises en évidence, mais bien porter sur l’ensemble de la matière.
Une mise à jour importante a été effectuée pour la 9ème édition (2014-2015)
et la 10ème édition (2015-2016) suite à la sixième réforme de l’Etat. Benoît
Frydman et Isabelle Rorive tiennent à remercier l’équipe des assistants pour leur
précieuse contribution à cette mise à jour : Caroline Bricteux, John Biart, Tilen
Cuk, Nathalie François, Frédéric Gosselin, Steve Griess, Paul Hermant, Manuel
Lambert, Caroline Lequesne, Sven Naeije, Mathilde Rousseau, Caroline Van
Gansbeke, Thibaut Wyngaard et Christian Vermorken. Les modifications
intégrées par les titulaires du cours dans la 11ème édition (2016-2017) concernent
principalement la réforme de la justice suite aux législations « Pot-pourri I » et
« Pot-pourri II ». A cette occasion, le chapitre 8 du cours relatif au procès a été
remanié en profondeur.
Le cours ex cathedra est l’occasion d’expliciter, d’illustrer et d’actualiser la
matière. Une approche pragmatique de l’enseignement du droit y est poursuivie
et la participation active des étudiants y est vivement encouragée.
FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

Chapitre 1er : Les règles de droit

I. Droit objectif et droits subjectifs

1. Définitions

Le mot « droit » tire son origine du latin tardif directum, qui désignait
l’« application des principes de droit », puis l’« ensemble des lois »1. L’adjectif
« juridique » indique ce qui est relatif au droit. Il tire son origine, tout à fait
différente, des termes latins ius (droit) et dicere (dire). La plupart des termes qui
concernent le droit et sa mise en œuvre sont d’ailleurs formés sur la base du mot
ius : justice, juge, jugement, juridiction, etc.
Actuellement, le mot « droit » est employé dans deux acceptions
différentes, que l’on distingue en parlant de « droit objectif » et de « droit
subjectif » :
1° Le droit objectif* désigne l’ensemble des règles juridiques applicables au
sein d’un ordre juridique donné. En ce sens, le droit objectif équivaut au
droit positif*. Ainsi, on parlera du « droit belge » ou du « droit européen ».
2° Le droit subjectif* désigne une prérogative attribuée à une personne et
reconnue par le droit objectif. C’est en ce sens qu’on parle des « droits de
l’homme » ou bien d’un « droit de créance ».
En outre, le même terme « droit » désigne également la discipline qui
étudie les règles de droit et leur mise en œuvre. Une telle homonymie entre la
science et son objet existe dans d’autres disciplines, comme l’économie et
l’histoire. Elle indique en l’espèce les liens indissociables qui unissent, comme on
le verra, le droit et le discours que l’on tient sur lui.

2. Perspectives macro-juridique et micro-juridique. – Plan général du


cours

Les deux sens « objectif » et « subjectif » du mot « droit » ne renvoient pas à


des objets distincts. Ils désignent une même réalité, envisagée sous deux points
de vue différents et complémentaires.
1° Le droit objectif décrit le droit comme un ensemble : la structure
institutionnelle qui le produit et le met en œuvre, les sources qui
l’énoncent, l’articulation des règles qui le composent.

1BAUMGARTNER et MENARD, Dictionnaire étymologique et historique de la langue française, Livre


de Poche, 1996, v° Droit.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

2° Les droits subjectifs s’affirment dans le contexte d’une situation


particulière : un cas, une affaire, un litige où il s’agit de déterminer la
situation juridique d’une ou de plusieurs personnes.
Ces deux perspectives complémentaires, que l’on nommera macro-
juridique et micro-juridique, se retrouvent de manière comparable dans la
plupart des sciences sociales : en économie (macroéconomie / microéconomie), en
sociologie (étude des structures sociales / sociologie des acteurs), en psychologie
(psychologie sociale / psychologie individuelle), en histoire, en anthropologie, etc.
La perspective macro-juridique s’établit à l’horizon de l’ordre juridique*,
dont elle donne une vue d’ensemble. La première partie de ce cours lui est
consacrée. Elle a pour objet de donner aux étudiants une vue « aérienne » des
ordres juridiques belge, européen et international (ch. 2), de leurs institutions
(ch. 3), de leurs sources (ch. 4), des systèmes de règles qu’ils forment (ch. 5) et des
fonctions qu’ils remplissent (ch. 6). Cette perspective est indispensable pour
permettre aux étudiants de s’orienter dans l’univers du droit.
La perspective micro-juridique permet d’étudier la mise en pratique du
droit à l’horizon d’un cas particulier. La seconde partie de ce cours lui est
consacrée. Elle a pour objet de comprendre les droits subjectifs et leur mise en
œuvre par les sujets de droit (ch. 7), notamment à la faveur du procès, dont on
étudiera les étapes successives, spécialement en matière civile et pénale (ch. 8),
ainsi que les différentes méthodes et techniques de raisonnement et
d’argumentation qui sont employées à cette occasion (ch. 9).
L’ensemble du cours est conçu dans une optique pragmatique. On y aborde
les différents concepts et notions en fonction de leur incidence pratique et de leur
utilisation effective.
Mais avant cela, il faut d’abord s’attacher à comprendre ce qu’est une règle
de droit et à déterminer ses caractéristiques essentielles. Tel est l’objet de ce
premier chapitre.

II. A la recherche de la règle de droit

1. Le droit est partout…

Le droit est omniprésent. Il entoure, il encadre chaque moment de la vie


quotidienne. Ce sont des règles de droit qui interdisent de circuler à plus de 50
km/h en ville, qui permettent, à certaines conditions, de fumer librement de la
marijuana, qui fixent les obligations du mariage, qui interdisent au patron d'une
boîte de nuit de refuser l'entrée de son établissement en fonction de la couleur de
peau, qui octroient le bénéfice d’allocations familiales, qui imposent aux citoyens
belges de voter et infligent éventuellement une amende à ceux qui ne se sont pas
rendus aux urnes, qui interdisent de jouer du djembé dans les appartements
après 22 heures.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

Plus largement, le droit façonne l’ensemble des aspects de la vie sociale :


les relations de couple, de famille, de voisinage, de travail, et même les relations
entre les Etats. Il a vocation à régler la circulation des biens, des personnes, des
idées et des informations, et même la circulation sur la voie publique. Le droit
règle le statut des personnes : des êtres humains mais aussi des sociétés, de
l’Etat, du Roi, de son gouvernement, du parlement, des collectivités publiques, de
l’Union européenne. Le droit régit les choses, leur possession, leur transmission
et leur donne un statut, même lorsqu’elles ne sont à personne. Le droit découpe la
propriété des parcelles de terre, règle le régime de la haute mer, de l’Antarctique
comme réserve naturelle internationale, patrimoine commun de l’humanité, et
même de l’espace intersidéral.
C’est également dans les termes du droit que se formulent et se traduisent
les choix qui influencent l’évolution de la vie sociale. Faut-il réprimer ou non
l'avortement, admettre ou refuser l'euthanasie, emprisonner ou non les mineurs
délinquants, accorder ou non le droit de vote aux étrangers, donner ou pas le
même statut à tous les enfants, qu'ils soient nés dans les liens du mariage ou que
leurs parents ne se soient jamais dits « oui » devant un officier de l'Etat civil ?

2. … mais il est difficile à cerner

Bref, il n’existe aucune chose humaine ou dans la nature à propos de


laquelle le droit n’aurait rien à dire. Pourtant, sous les multiples formes qu’il
emprunte, le droit dans son élément propre est parfois difficile à cerner. Il fait
partie de la réalité où il produit des effets visibles. Et pourtant, on ne parvient
pas à le toucher du doigt.
Lorsque nous parlons du « droit » en général, ce que nous rencontrons ce
sont des règles. Les règles nous disent ce qui doit être : elles obligent à certaines
choses, en interdisent d’autres. Mais comment identifier une règle de manière
tangible ?
Prenons un exemple simple, soit l’interdiction pour les véhicules de
franchir un feu rouge sur la voie publique. Cette obligation de s’arrêter au feu
rouge paraît bien à première vue relever du droit. Mais comment en être sûr ?
Peut-on en faire directement l’expérience ? Postons-nous un instant à un
carrefour. Nous y voyons effectivement des feux de circulation qui indiquent,
toujours dans le même ordre et le même intervalle, alternativement le vert,
l’orange et le rouge. Mais y voyons-nous pour autant l’obligation qui nous prescrit
de nous arrêter au feu rouge ? Nous aurons beau démonter les feux de
signalisation, nous n’y trouverons pas davantage l’obligation de nous arrêter que
dans la guirlande clignotante qui orne notre sapin de Noël.
Elargissons quelque peu la perspective. Que voyons-nous ? Lorsque le feu
devient rouge, les véhicules s’arrêtent. Quand il repasse au vert, ils redémarrent.
Quand le feu est orange, la situation est déjà moins claire : certains ralentissent,
s’arrêtent ; d’autres, au contraire, accélèrent. Nous pouvons induire de ces
observations certains enseignements sur le comportement habituel des
automobilistes et des autres usagers de la route. Nous pourrons même en

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

conclure que l’usage* est établi de s’arrêter au feu rouge. Mais pouvons-nous pour
autant en inférer l’existence d’une règle comme l’obligation de s’arrêter au feu
rouge ?
Imaginons (ce qui n’est guère difficile) qu’un automobiliste néglige de
s’arrêter et « brûle », comme on dit, le feu. Cela voudrait-il dire a contrario que
l’obligation de s’arrêter n’existe pas ? Mais n’est-ce pas au contraire lorsque nous
sommes témoins d’un tel comportement que nous prenons le plus concrètement
conscience de l’existence de la règle et de son caractère obligatoire ?
Imaginons encore qu’un policier assiste à la scène à nos côtés. Il sort son
calepin, note le numéro d’immatriculation du véhicule. Son propriétaire recevra
un procès-verbal constatant l’infraction. Peut-être le conducteur devra-t-il
comparaître devant un juge. Ou, plus probablement, se verra-t-il proposer
d’acquitter une somme d’argent pour éviter des poursuites. Mais que signifie tout
ceci ? La règle de droit n’apparaîtrait-elle que lorsqu’elle est violée, voire
sanctionnée ? Dans ce cas, pourquoi les gens s’arrêtent-ils au feu rouge lorsqu’il
n’y a aucun policier à l’horizon et qu’il y a donc peu de risque d’être pris en
faute ?
Peut-être parce qu’ils ont le sentiment de devoir s’arrêter. L’obligation de
s’arrêter au feu rouge résulterait alors d’une croyance généralement partagée,
d’une opinion presque unanime suivant laquelle il est effectivement obligatoire
de se comporter ainsi sur la voie publique. Cela signifierait-il que le droit n’existe
que dans les têtes ? Cependant, en toutes matières, les croyances diffèrent et les
opinions divergent. Souvent, quelques-uns se trompent. Si le cas du feu rouge
paraît clair, celui du feu orange l’est déjà beaucoup moins. Comment identifier
dès lors la règle de droit ? Faudrait-il procéder par sondage d’opinion ou
disséquer les consciences ? Le droit serait-il un sous-produit de la psychologie ?

3. Le droit dans les textes

En réalité, nous pourrions passer des heures et des jours, postés à notre
carrefour à observer le flux de la circulation, nous ne rencontrerons probablement
jamais l’obligation de s’arrêter au feu rouge elle-même. Sans doute aurons-nous
plus de chance si nous nous rendons à la bibliothèque de droit ou sur Internet.
Parmi les livres de la bibliothèque ou sur le site de la police, nous pourrons
trouver le texte de l’arrêté royal du 1er décembre 1975 portant règlement général
sur la police de la circulation routière, couramment appelé le « Code de la route ».
Celui-ci prévoit, en son article 61.1, 1°, que :
« le feu rouge signifie interdiction de franchir la ligne d’arrêt, ou, à
défaut de ligne d’arrêt, le signal même ».

De cette expérience, nous apprenons quelque chose d’étrange, mais qui


déjà nous semble évident : le droit ne serait pas dans les choses, mais dans les
textes. Ou du moins, c’est par l’intermédiaire des textes que nous pouvons en
prendre connaissance le plus sûrement et le plus directement. En d’autres
termes, pour vérifier si la phrase « il pleut en Belgique aujourd’hui » est vraie ou

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

fausse, il faut mais il suffit de pointer le nez à la fenêtre. Par contre, pour décider
si la phrase « il faut s’arrêter au feu rouge en Belgique » est vraie ou fausse, il ne
suffit pas d’observer la circulation dans la rue, mais il faut se référer à des textes
comme le « Code de la route » ou les jugements qui en font application.
A bien y réfléchir cependant, il n’y a rien ici d’étonnant. Nous ne prenons
connaissance de la plupart des événements du monde que par l’intermédiaire de
textes ou d’autres signes, d’images de télévision, de sites Internet… Du moins
peut-on penser que certains en ont eu une connaissance directe, comme nous
avons nous-mêmes observé le trafic automobile, il y a un instant. Toutefois, en
droit, il semble que toute connaissance directe, tangible de la règle soit
impossible, que les textes soient des intermédiaires obligés et que nous n’ayons
accès aux règles que par eux. C’est pourquoi vous passerez probablement plus de
temps à la bibliothèque (ou sur votre tablette), penchés sur un code, une revue ou
un syllabus qu’au coin des carrefours en train d’observer le flot des voitures. Et
vous ferez bien ! Du moins cela vous sera-t-il plus utile pour réussir vos études.
Toutefois dira-t-on, on peut certes apprendre le droit dans les livres, mais
on peut également l’apprendre « sur le tas ». Il y a, d’une part, l’étude de la
théorie et, d’autre part, la pratique du droit. Et cela est vrai. Vous en ferez
l’expérience quand, à l’issue de vos études, vous entamerez un stage au barreau,
au ministère public, dans la magistrature ou que vous commencerez à exercer
votre métier de juriste dans une entreprise ou une association. Mais même alors,
lorsque vous serez « sur le terrain », à quoi serez-vous confrontés au jour le jour ?
A des codes, à des règlements*, à des conclusions* et à des réquisitoires*, à des
jugements et à des arrêts*, à des lettres, des contrats, des actes notariés, en un
mot à des dossiers, toujours plus de dossiers ; c’est-à-dire, à des mots et à des
textes.
Ce constat, selon lequel non seulement nous étudions mais nous
pratiquons le droit par le moyen des mots et des textes, emporte d’importantes
conséquences pratiques sur le plan méthodologique. En réalité, il conditionne la
manière dont les juristes travaillent et doivent travailler, pour connaître,
appliquer et mettre en œuvre le droit. Ainsi, par exemple, la recherche juridique
consistera principalement à investiguer les sources* du droit, c’est-à-dire
essentiellement à retrouver, lire et comprendre des textes juridiques (infra, ch.
4). De même, le raisonnement juridique, la solution des problèmes et l’application
des règles supposeront la plupart du temps le recours à l’interprétation* des
textes (infra, ch. 9).

4. Le monde des faits et le monde des règles

Tout se passe donc comme si, du moins dans notre culture, deux univers
fonctionnaient en parallèle. D’un côté, le monde des faits, des phénomènes
matériels et sociaux ; de l’autre, le monde des règles, des phénomènes juridiques.
Ces deux univers seraient fondamentalement séparés : l’un indiquant ce qui est ;
l’autre, ce qui doit être. Toutefois, si ces deux univers ne se confondent pas, ils
évoluent en parallèle et communiquent entre eux.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

D’une part, le droit est largement conditionné par la nature des choses, par
la nature de l’homme, par l’état et le fonctionnement des sociétés. Le droit ne
saurait exiger l’impossible, comme par exemple de progresser sur le trottoir par
bonds de 12 mètres. C’est ce qu’exprime l’adage bien connu : « à l’impossible, nul
n’est tenu ». Le droit interdit d’ailleurs de soumettre un engagement à une
condition impossible, comme par exemple de remettre un paiement à la semaine
des quatre jeudis. En vertu de l’article 1172 du Code civil, de telles clauses sont
nulles*2. Le droit est largement tributaire des réalités et doit donc en tenir
compte. On n’aurait pas pu créer le droit aérien avant l’invention de la
montgolfière et de l’aviation, ni les lois sur la bioéthique avant l’apparition du
génie génétique. De même, les règlements concernant la circulation des
diligences ont depuis longtemps été abrogés ou sont tombés en désuétude.
Mais, d’autre part, si le droit subit l’influence des réalités, il tente lui-
même d’en contrôler ou d’en modifier le cours. C’est même sa raison d’être et la
mesure de son efficacité. Le droit apparaît comme un discours, mais c’est un
discours qui produit des effets. Même si le Code pénal n’énonce que des « règles
de papier » et qu’une décision de justice, fût-ce une condamnation à un
emprisonnement ou même à mort, n’est au fond qu’une formule, la porte qui se
referme sur le condamné est bien réelle, tout comme la lame métallique qui
s’abat sur sa nuque3. A moins qu’une autre décision ou une nouvelle règle ne
vienne en paralyser l’effet, comme un arrêt de cassation*, une grâce royale ou
l’abolition de la peine de mort4.

III. Règles juridiques et autres normes

1. Les règles non juridiques

Le droit énonce des règles, mais toutes les règles ne sont pas
nécessairement des règles de droit. On relève, dans le champ social, des règles en
tous genres, multiples et variées : les règles de la bienséance ; les règles

2« Toute condition d’une chose impossible, ou contraire aux bonnes mœurs, ou prohibée par la loi,
est nulle, et rend nulle la convention qui en dépend ».
3 Le Code pénal prévoyait en effet, en son article 8 : « Tout condamné à mort aura la tête
tranchée ».
4 La peine de mort a été abolie en Belgique par la loi du 10 juillet 1996 (art. 2). Toutefois, les
dernières exécutions capitales remontaient aux suites de la seconde guerre mondiale. Les crimes
commis en période de paix étaient systématiquement graciés par le Roi depuis 1863 (avec une
exception en 1918). L’interdiction de la peine de mort correspond désormais à des obligations
internationales souscrites par la Belgique. En 1998, ce pays a ratifié le 6ème Protocole additionnel
de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales
(1983) concernant l’abolition de la peine de mort. Ce Protocole permettait toutefois aux Etats de
prévoir une exception en temps de guerre. La Belgique a par la suite ratifié, le 23 juin 2003, le
13ème Protocole qui abolit la peine de mort « en toutes circonstances ». Ce protocole est entré en
vigueur le 1er octobre 2003.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

d’orthographe ; les règles des sports et des jeux de société ; le règlement d’ordre
intérieur d’une école, d’une entreprise, d’un club ou d’une association ; les règles
d’éthique et de déontologie professionnelles ; les règles morales et religieuses ;
etc. Toutes ces règles, d’origine, de forme, de force et de valeur très différentes
contribuent chacune à leur manière à peupler le monde des normes.
Mais ces règles n’ont pas toutes la même force ni la même valeur. Elles ne
se voient pas accorder un statut équivalent. Dans nos sociétés, les règles du droit
tendent à prendre le pas sur toutes les autres. Les règles autres que juridiques ne
peuvent en pratique être sanctionnées* de manière contraignante que si et dans
la mesure où le droit les prend en considération et leur prête main forte.
Par exemple, le droit reconnaît les règles des sports de combat dans la
mesure où il ne réprime, au titre de coups et blessures, dans le cadre d’une
épreuve organisée, que les coups portés en violation des règles du sport en
question. La violation des règles d’un jeu de société ne donnera pas lieu
normalement à la mise en œuvre du droit, même s’il s’agit d’un jeu d’argent.
Ainsi, le vainqueur d’une partie de poker ne pourra réclamer l’argent gagné par
voie de justice. Son adversaire malheureux pourra lui opposer en droit l’exception
de jeu5. Toutefois, celui qui paie volontairement une dette de jeu ne pourra la
répéter, c’est-à-dire en réclamer le remboursement, sauf lorsqu’il y a eu
tricherie6. Le droit peut alors être mobilisé pour sanctionner la fraude, comme
par exemple lorsqu’un gain est obtenu à l’occasion d’un jeu télévisé par le moyen
d’un trucage.
De même, les règles de savoir-vivre sont normalement étrangères au droit.
Cependant celui-ci peut les intégrer à l’ordre juridique au titre du respect des
bonnes mœurs et de l’ordre public*. C’est à ce titre que le droit sanctionnera, par
exemple, le fait de se promener en public dans une tenue indécente.
Enfin, les règles déontologiques et les règles de l’art, de même que les
normes techniques sont d’une certaine manière prises en considération par le
droit qui sanctionne, à titre de faute, les professionnels qui ne les ont pas
respectées dans l’exercice de leur activité ou de leur métier.

2. Règles et normes

De manière générale, on utilise indifféremment les expressions


« règle juridique » et « norme juridique ». Cependant, le mot « norme » renvoie
également à une autre signification tout à fait différente. La norme* ne désigne
pas seulement ni forcément ce qui doit être, mais aussi ce qui est habituel,
généralement observé, conforme à la moyenne ou à la majorité des cas. Ainsi, on
pourra dire que, dans notre hémisphère, la norme est qu’il fasse chaud en juillet

5 L’article 1965 du Code civil prévoit que « La loi n’accorde aucune action pour une dette de jeu ou
le paiement d’un pari ».
6 L’article 1967 du Code civil dispose que « Dans aucun cas le perdant ne peut répéter ce qu’il a

volontairement payé, à moins qu’il n’y ait eu de la part du gagnant, dol, supercherie ou
escroquerie ».

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

et en août et que les gens prennent leurs vacances pendant cette période ; ou
encore que les gens s’arrêtent au feu rouge. Ce que l’on décrit ici n’est pas une
règle mais un élément de la réalité, tiré de l’observation : une moyenne
statistique dressée sur la base d’un nombre significatif d’événements.
On veillera cependant à ne pas confondre la normalité et la légalité,
lesquelles ne correspondent pas toujours comme dans le cas du feu rouge. En
effet, il est normal mais nullement obligatoire que les gens prennent leurs
vacances en juillet ou en août. Par conséquent, ce qui n’est pas dans la norme,
n’est pas pour autant forcément interdit par le droit. A l’inverse, il appartient
souvent au droit, au nom du respect des droits de l’homme et des libertés
individuelles, d’énoncer les règles qui s’imposent pour protéger ceux qui, parce
que leur apparence ou leur comportement diffère de la majorité, sont sujets à des
vexations et à des discriminations. Tel est le cas des personnes handicapées ou
qui appartiennent à certaines minorités* ethniques, ou religieuses ou encore les
personnes LGBT7.

3. Les règles morales et religieuses et le principe de laïcité

Parmi les différentes sortes de règles qui côtoient les normes juridiques
sans pour autant se confondre avec elles, le droit contemporain tente de se
démarquer des règles morales et religieuses. Les règles morales, même si elles
peuvent être juridiquement sanctionnées au titre des bonnes mœurs, sont
généralement considérées comme relevant du for intérieur, c’est-à-dire de la
conscience de chacun, alors que le droit exerce sa juridiction uniquement sur le
for extérieur, c’est-à-dire sur les relations sociales, sans prétendre pénétrer dans
le secret des consciences. De même, les convictions religieuses ou l’absence de foi
et l’appartenance à une communauté religieuse ou à une église, ainsi que le
respect de ses articles de foi, relèvent de la liberté de conscience et de culte. Ils
sont laissés au libre choix de chacun et, à ce titre, protégés par le droit8.
Toutefois, les prescriptions religieuses ne sont pas censées interférer avec les
règles du droit, lui-même astreint à une certaine neutralité à l’égard des
religions.
Une telle séparation forte du droit, d’un côté, de la morale et de la religion
de l’autre, n’est pourtant ni universelle ni permanente. Les premières
prescriptions juridiques étaient pratiquement toutes d’origine religieuse. Dans
les religions dites du Livre, principalement l’Islam et la religion juive, le texte de
la Révélation divine est tenu pour la source principale sinon unique de la
législation. De même, dans les sociétés anciennes ou traditionnelles, le respect
des règles de vie et de conduite de la communauté (l’ethos), s’impose de manière
contraignante à tous les membres du groupe et est certainement justiciable de la
contrainte collective.

7 Acronyme pour les personnes lesbiennes, gays, bisexuelles et transgenres.


8 La liberté de conscience est un droit fondamental de l’homme reconnu par l’article 19 de la

Constitution belge et par l’article 9 de la Convention européenne des droits de l’homme.

8 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

En Occident, les ravages causés par les guerres de religions et la


diversification des modes de vie et consécutivement des échelles de valeurs ont
progressivement conduit à cantonner les prescriptions morales et religieuses
dans le domaine de la sphère privée, où elles relèvent de l’intimité de chacun,
tandis que le droit se limitait pour sa part à la sphère publique où il prétend
depuis lors régner sans partage. C’est le principe de laïcité 9 (du grec laos : le
peuple) qui impose notamment la séparation de l’Eglise et de l’Etat. Dans nos
sociétés pluralistes, où coexistent plusieurs religions et morales différentes, le
principe de la laïcité fait obstacle à ce qu’une conception particulière de la
« bonne vie » ou de la « vraie foi » s’impose de manière contraignante à l’ensemble
des citoyens, en particulier par les voies du droit et de la contrainte. L’Etat et son
droit ne se mêlent pas de ce qui est bien, mais seulement de ce qui est juste.
Ce principe est parfois difficile à appliquer. En pratique, la frontière entre
la sphère privée et la sphère publique n’est pas claire. La sphère privée ne peut
être rapportée exclusivement à la liberté individuelle dans la mesure où les
questions morales et plus encore religieuses sont prises en charge par des
communautés et affichent un caractère collectif, public, voire politique. Dès lors,
elles offrent matière à controverses quant à une éventuelle intervention du droit.
Tel est le cas pour le débat en cours depuis 1989 en Belgique sur le port du
foulard islamique, notamment à l’école. En réalité, le rapport que l’Etat et son
droit entretiennent avec les différentes communautés religieuses varie fortement
selon les pays et révèle des conceptions différentes de la laïcité10.

4. Règles et valeurs

En outre, il est évident que d’importantes règles juridiques puisent leur


source dans des convictions morales ou dans des traditions pénétrées de la
culture religieuse ancestrale. Le droit, à l’évidence, consacre des valeurs
notamment morales, ce qui ne heurte nullement le principe de laïcité. Celui-ci
impose cependant que ces valeurs soient partagées dans la société et, si ce n’est
plus le cas, que les règles de droit qui se fondent sur elles soient, le cas échéant,
révisées. Tel est le sens de nombreuses réformes juridiques des dernières
décennies, comme la dépénalisation partielle de l’interruption volontaire de
grossesse, l’ouverture du mariage à des personnes de même sexe ou encore la
légalisation, dans certaines conditions, de l’euthanasie. Dans l’autre sens,
l’évolution de la morale sociale suscite en permanence la création de nouvelles
règles de droit, notamment en matière de respect de l’environnement ou de
protection du génome humain.
Au total, la perspective d’un droit détaché des valeurs n’est guère réaliste,
ni même souhaitable. Il importe cependant de ne pas confondre les valeurs avec
les normes juridiques elles-mêmes. Les valeurs* signalent des « biens »

9 G. HAARSCHER, La laïcité, Paris, P.U.F., coll. Que sais-je ?, 5ème édition, 2011.
10E. Bribosia et I. Rorive, « Le voile à l’école : une Europe divisée », Rev. trim. dr. h., 2004, pp.
951-984 ; I. Rorive, « Religious Symbols in the Public Space: In Search of a European Answer »,
Cardozo Law Review, 2009, vol. 30, pp. 2669-2698.

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 9


Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

souhaitables, des objectifs à atteindre, des intérêts à promouvoir. Elles procèdent


d’un choix qui peut être personnel ou commun à un groupe d’intérêt, à une
profession, à une classe sociale, à une religion, à une nation ou à toute autre
collectivité. L’arbitrage entre les valeurs concurrentes occupe le cœur des débats
politiques. Les valeurs qui l’emportent, même temporairement, inspirent souvent
les gouvernants dans l’élaboration des règles de droit. Cependant, les règles ainsi
adoptées mènent une existence relativement indépendante des valeurs qui leur
ont donné naissance. D’une part, les règles imposent des comportements
obligatoires à l’ensemble des sujets de droit, qu’ils partagent ou non les valeurs
qui les sous-tendent. D’autre part, les sujets de droit ne sont obligés qu’au respect
des règles établies et non des valeurs que ces règles entendent promouvoir. En
d’autres termes, les valeurs n’ont pas en elles-mêmes de portée juridique
obligatoire.
Ainsi, par exemple, la sécurité sociale* est fondée sur la valeur de
solidarité. Elle se traduit, sur le plan juridique, par l’institution de mécanismes,
qui comportent notamment des règles pour le prélèvement des cotisations et le
versement des prestations. Les cotisations doivent être versées par tous ceux qui
sont dans la situation visée par la loi, qu’ils adhèrent ou non à ce mécanisme de
solidarité. Quant aux prestations, elles sont versées non en fonction de la
promotion de la solidarité et de l’idée que les uns ou les autres s’en font, mais des
règles objectives établies par la loi.
La distinction entre règles et valeurs a une incidence pratique importante,
spécialement au niveau de la mise en œuvre du droit et du règlement des
contestations. Si les valeurs ont pleinement leur place dans les débats qui
conduisent à l’adoption des règles de droit, l’invocation de ces mêmes valeurs à
l’occasion de l’application des règles est davantage sujette à caution11. En effet,
les valeurs sont par elles-mêmes dépourvues de caractère juridique obligatoire.
Lorsque celui qui est en charge d’appliquer le droit, un juge ou un fonctionnaire
par exemple, justifie sa décision par un choix de valeurs, il impose aux sujets de
droit des normes que le droit ne contient pas. Un tel jugement de valeurs est
d’autant moins acceptable qu’il apparaît arbitraire dans une société pluraliste où
coexistent plusieurs échelles de valeurs différentes.
Ainsi, la loi du 20 février 1991 a édicté des règles particulières aux baux
relatifs à la résidence principale du preneur. Il ne fait guère de doute que
plusieurs de ses dispositions ont été inspirées au législateur par le souci de mieux
protéger les locataires. Ces considérations sont tout à fait légitimes. En cas de
contestation entre un bailleur et un locataire, il appartient au juge de trancher
celle-ci par référence aux dispositions de la loi et non en fonction de ses propres
valeurs ni même du souci de protéger le locataire, pourtant à l’origine de la loi.
En d’autres termes, le juge doit trancher les litiges sur la base des règles
de droit et non des valeurs. En pratique cependant, cette ligne de démarcation
tend à se brouiller ou à s’estomper, et ce pour trois raisons.

11 Cette thèse est défendue de manière convaincante notamment par R. DWORKIN dans Taking

Rights Seriously, Cambridge, Massachusetts, Harvard University Press, 1978, spéc. pp. 22-28 à
travers la distinction entre « rules » et « policies ».

10 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

1° Il arrive régulièrement que la législation et la réglementation intègrent les


valeurs aux règles en manière telle que celles-ci commandent au juge de
privilégier telle valeur ou tel intérêt. Il s’agit, par exemple, des dispositions
invitant le juge à statuer dans « l’intérêt social » (c’est-à-dire d’une société
ou d’une entreprise) ou dans « l’intérêt de l’enfant », notamment pour
l’organisation de la garde et des visites en cas de divorce ou de séparation.
2° Ensuite, la jurisprudence contemporaine recourt régulièrement aux
principes généraux du droit* (infra, ch. 5) pour orienter l’application des
règles et la solution des litiges. Or, certains de ces principes entretiennent
des liens étroits avec des valeurs fondamentales qui sous-tendent l’ordre
juridique. Par exemple, l’égalité* est une valeur, mais c’est aussi un
principe général du droit dont la Cour constitutionnelle* vérifie le respect
dans le contrôle de la constitutionnalité des lois*.
3° Enfin, les juges s’inscrivent de plus en plus souvent et de plus en plus
ouvertement dans une perspective utilitariste qui les conduit à « mettre en
balance » les valeurs ou les intérêts en présence en vue d’apprécier la
solution la meilleure au litige qui leur est soumis (infra, ch. 6). Une telle
perspective peut conduire les juges à fonder leurs décisions sur des
jugements de valeurs ou sur des arbitrages d’intérêts plutôt que sur la
base d’une stricte application des dispositions légales en vigueur.

IV. La justice et le droit

1. La justice

La justice est la valeur la plus directement et la plus complètement


associée au droit. La justice est le référent ultime du droit, l’étalon à l’aune
duquel on peut évaluer la légitimité des règles et de leurs applications. Ainsi,
d’une hypothèse scientifique, on dira qu’elle est vraie ou fausse ; d’une œuvre
d’art, qu’elle est belle ou laide ; d’une règle de droit, et plus largement d’une règle
en général, ou d’un jugement, on dira qu’ils sont justes ou injustes. Cependant, si
la justice est l’horizon ultime du droit, cet horizon demeure à la fois lointain et
indéterminé. Tout le monde réclame la justice, mais les uns et les autres
entendent à ce titre des choses très différentes et souvent contradictoires.
Suivant sa définition classique, la justice* est une vertu morale et
politique qui doit présider à la répartition des bénéfices et des charges de la vie
en société. En d’autres termes, la justice consiste à attribuer à chacun ce qui lui
revient (suum quique tribuere). Ces modalités d’attribution varient en fonction de
la nature de l’opération et des rapports qu’elles établissent12.
1° La justice commutative préside aux échanges par contrat. Elle impose
l’équivalence des choses échangées ou des prestations réciproques.

12 ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, Livre V : théorie de la justice.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

2° La justice correctrice préside au jugement. Elle impose la réparation d’un


tort ou d’un mal en restaurant autant que faire se peut les parties dans la
situation où elles se seraient trouvées si le tort n’avait pas été causé. C’est
en vertu de ce principe que celui qui par sa faute cause un préjudice à
autrui est obligé de le réparer (art. 1382 du Code civil).
3° La justice distributive enfin, préside aux distributions collectives de biens
et de charges par la loi. Elle impose le respect de la proportionnalité dans
l’application du critère de distribution choisi.
Les critères légitimes de distribution sont toutefois appréciés différemment
suivant les convictions et les régimes politiques. La justice n’est pas forcément
toujours conçue comme l’attribution à chacun de la même chose. Les Anciens
tendaient à privilégier un critère aristocratique et enseignaient à ce titre qu’il est
juste de distribuer les honneurs, les biens et les charges davantage en fonction
des mérites ou même du rang. Quant aux courants modernes du libéralisme et du
socialisme, ils s’opposent quant à la distribution des biens et des ressources en
privilégiant, pour l’un, la liberté d’action sur le marché et, pour l’autre, la
solidarité avec les plus faibles ou les plus démunis, soit la distribution
respectivement en fonction des œuvres ou des besoins. En pratique, le droit
recourt à l’un ou l’autre de ces critères en fonction non seulement de choix
politiques, mais également de la nature de chaque question traitée13.
Dans tous les cas, la règle de justice exige l’application constante du critère
déterminé et donc le traitement égal des cas semblables (treat like cases alike).
Elle impose donc l’égalité de traitement ou encore l’absence de discrimination
dans l’application des règles de droit.
Aujourd’hui, tandis que le débat entre les partisans de la liberté et de la
solidarité perdure et parfois se durcit, un large consensus semble s’être établi
pour considérer la démocratie, à travers le suffrage universel, comme le seul
régime politique légitime et donc juste. Sur le plan du droit, la demande de
justice est formulée principalement en termes de respect des droits de l’homme et
de la dignité de chaque être humain14.

2. Droit naturel et droit positif

Certains pensent qu’il est possible de déduire de la justice et de ses


principes, par l’exercice de la raison, le contenu de règles de droit déterminées. Ils
revendiquent l’existence d’un droit naturel* inscrit dans la nature des choses,
dans la nature de l’homme ou encore dans la nature d’un peuple ou l’état d’une
société. Ils pensent qu’il existe une relation logique entre ce qui est (le monde, la
société, l’homme) et ce qui doit être (le droit). Parmi les règles dont on prétend
qu’elles auraient un fondement naturel, il s’en trouve de très importantes, comme

13 C. PERELMAN, Justice et Raison, Bruxelles, Presses universitaires de Bruxelles, 1963.


14 Dictionnaire de théorie et de sociologie du droit, v° Justice.

12 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

les droits « naturels » de l’homme et du citoyen ou les règles « naturelles » de


fonctionnement de l’économie de marché.
Cependant tout le monde admet aujourd’hui que l’organisation de la vie en
société suppose l’établissement de règles de droit posées par les hommes et dont
le respect est imposé par les pouvoirs en place. On appelle droit positif * ces
règles posées et imposées par les hommes. Dans un sens plus précis, le droit
positif désigne l’ensemble des règles de droit effectivement appliquées en un
temps et un lieu donné. Ainsi, l’expression « droit positif fédéral belge » renvoie
aux règles juridiques qui s’appliquent aujourd’hui sur l’ensemble du territoire de
la Belgique.
Dans un Etat de droit*, chacun est tenu au respect des règles juridiques
positives plutôt qu’à l’application des principes de justice. Le droit prend en
charge la détermination du juste et soulage en quelque sorte les membres de la
société du souci d’être juste à condition de se conformer aux règles qu’il fixe. Par
conséquent, le comportement des membres du corps social n’est pas
juridiquement évalué comme juste ou injuste mais comme licite ou illicite. Est
licite*, ce qui est conforme au droit positif et illicite*, ce qui lui est contraire.
C’est en vertu de ces règles positives que les cours et tribunaux « rendent la
justice », c’est-à-dire qu’ils « disent le droit ».
Il semble donc, en définitive, que le droit ne traite pas les principes de
justice autrement que les règles morales et religieuses. Ces principes n’ont pas de
force contraignante autonome et ils ne s’imposent de manière obligatoire que si et
dans la mesure où le droit positif les prend en considération. C’est pourquoi le
droit naturel est souvent considéré de nos jours comme une sorte de morale para-
légale, sans réelle portée juridique.

3. Le recours au juste en droit positif

Toutefois, contrairement à la morale et à la religion, le droit positif ne


saurait être déconnecté de toute idée de justice. L’idée même d’un droit injuste
paraît, sinon impossible, du moins aberrante et illégitime. Même indéterminés,
les principes de justice demeurent l’instance extérieure par rapport à laquelle
s’évalue la validité d’une règle de droit ou même d’un ordre juridique dans son
ensemble. En d’autres termes, c’est au nom de l’injustice que les observateurs ou
ceux qui en subissent les effets combattent la légitimité d’une loi, d’un jugement,
d’un contrat, d’un acte juridique quelconque, ou d’une autorité constituée. La
justice fonctionne comme l’instance ultime de légitimation du droit positif.
Bien plus, à l’intérieur même de l’ordre juridique positif, le débat sur la
justice conserve toute sa place et sa pertinence. Ainsi, les parlementaires se
réfèrent fréquemment aux principes de justice dans l’élaboration et la discussion
des projets de lois. De même, les justiciables s’adressent souvent au juge pour lui
« demander justice », au-delà même des arcanes juridiques qu’ils ignorent
souvent. Enfin, le juge lui-même s’attachera à montrer, dans la motivation de sa
décision, qu’il a recherché la solution la plus conforme à la fois au droit positif et
à la justice. Tout se passe donc comme si le droit positif cherchait à mobiliser ses

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 13


Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

propres ressources au service de la justice. Les notions de juste et d’injuste ne


sont pas déplacées ou hors de propos dans le champ juridique. Elles demeurent
des arguments * pertinents et utiles dans la recherche, la discussion et la
solution des questions de droit positif. Le praticien du droit n’hésitera donc pas y
recourir.

4. L’équité

Enfin, il ne faut pas confondre la justice avec la notion voisine d’équité.


Tandis que la justice relève du général, des principes, l’équité, elle, ne s’attache
qu’au particulier. On invoque l’équité lorsqu’on estime que l’application d’une
règle ou d’un principe en soi juste conduirait en l’espèce à un résultat injuste, par
exemple parce qu’il serait exagérément dur ou sévère. L’équité permet
éventuellement dans ce cas de compléter la règle de droit, de tempérer ou de
corriger ses effets, voire même d’écarter la règle de droit en vue d’aboutir à une
solution plus juste15. L’équité* est donc un correctif ponctuel à l’application du
droit dans un souci de justice.
Le droit positif regarde l’équité avec suspicion dans la mesure où elle
permet de déroger au droit, mais également à la règle de justice qui prescrit
l’application égale de la règle16. C’est pourquoi, les juges doivent en principe
statuer « en droit », c’est-à-dire conformément aux règles de droit, et non « en
équité ». Il n’est fait exception à ce principe que lorsque le droit positif lui-même
se réfère à l’équité ou permet de la prendre en compte.
Par exemple, l’article 1386bis du Code civil énonce que :
« Lorsqu’une personne se trouvant en état de démence, ou dans un
état grave de déséquilibre mental ou de débilité mentale la rendant
incapable du contrôle de ses actions, cause un dommage à autrui, le
juge peut la condamner à tout ou partie de la réparation à laquelle
elle serait astreinte si elle avait le contrôle de ses actes.
Le juge statue selon l’équité, tenant compte des circonstances et de
la situation des parties. »

En principe, la personne démente étant incapable de discernement, elle ne


saurait commettre de faute*, au sens juridique du terme. Elle n’est donc pas
normalement responsable* de ses actes et ne doit pas être condamnée à réparer
le dommage* qu’elle a causé à autrui. L’article 1386bis déroge partiellement à ce
principe en permettant au juge d’apprécier ex æquo et bono, c’est-à-dire en
équité, l’opportunité d’un dédommagement en tenant compte des circonstances
(par exemple, le fait que la victime était ou non assurée) ou de la situation des
parties (par exemple, l’état de leurs fortunes respectives).

15 Sur la definition de l’équité : ARISTOTE, Ethique à Nicomaque, livre V « De la justice », ch. X.


16 J. DABIN, Théorie générale du droit, Bruxelles, Bruylant, 1944, p. 232, selon qui la justice

implique davantage l’égalité que l’équité.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

V. Formulation et structure des règles juridiques

1. La formulation des règles

Après avoir distingué la règle de droit des autres normes sociales et des
valeurs, il convient à présent d’examiner les caractéristiques qui lui sont propres.
Puisque l’on aborde les règles juridiques par l’intermédiaire obligé des textes qui
les énoncent, il est logique d’examiner si la formulation des règles peut nous
indiquer quelque chose de leur nature.
Le droit énonce ce qui doit être. Il édicte donc des ordres qui imposent à
leur destinataire des obligations*. Cependant, bien qu’elles énoncent des ordres,
les règles juridiques sont rarement rédigées à l’impératif. Elles s’expriment de
préférence à l’indicatif. Ainsi, la Constitution belge énonce que « Les Belges sont
égaux devant la loi … » (art. 10, al. 2) et que « Le domicile est inviolable » (art.
15). L’emploi du futur marque éventuellement le caractère inéluctable qui
s’attache à ce qui doit être. Par exemple, en vertu du principe du contradictoire*,
l’article 736 du Code judiciaire prévoit que : « Les parties se communiqueront les
pièces avant leur emploi, à peine de surséance d’office à la procédure ».
La prose juridique utilise également, mais pas de manière systématique,
certains verbes ou locutions qui indiquent ou nuancent l’obligation comme
« devoir », « pouvoir », « il est interdit de…. », etc. Souvent aussi, le
commandement n’est pas énoncé explicitement. Ainsi, en matière de vol, le Code
pénal se borne à définir l’infraction : « Quiconque a soustrait frauduleusement
une chose qui ne lui appartient pas est coupable de vol » (art. 461, al. 1er) et à en
spécifier la peine : « Les vols (…) seront punis d’un emprisonnement d’un mois à
cinq ans et d’une amende de 26 francs à 500 francs » (art. 463)17. L’interdit du
vol, qui apparaît de manière évidente, n’est cependant pas exprimé en tant que
tel.
Bien plus, certaines dispositions juridiques semblent purement
descriptives et paraissent n’impliquer d’obligation d’aucune sorte. Ainsi, par
exemple : « La Belgique comprend trois régions : la Région wallonne, la Région
flamande, la Région bruxelloise » (art. 3 de la Constitution) ou encore : « Tous les
biens sont meubles ou immeubles » (art. 516 du Code civil). D’autres dispositions
définissent simplement une notion légale. En réalité, ces propositions dessinent
le « paysage » de l’univers juridique. Ce faisant, elles y créent des entités (comme
les régions) ou des catégories (comme la distinction entre meubles et immeubles).
Ces entités et ces catégories sont destinées à produire des effets juridiques. Ainsi,
les régions se voient attribuer des compétences par la Constitution. Elles
deviennent ainsi des institutions productrices de droit (infra, ch. 3). De même,
aux catégories de biens meubles ou immeubles s’attachent des régimes juridiques
spécifiques, qui entraînent l’application de règles déterminées et donc
d’obligations particulières. Si bien que lorsque le juriste qualifie* un

17Ce montant, comme de manière générale celui de toutes les amendes, doit être augmenté par
application des décimes additionnels prévus par la loi et converti en euros.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

comportement « vol » ou un bien « meuble », il ne décrit pas simplement un état


de chose. Il sous-entend déjà l’application d’un ensemble de règles. Tous les
énoncés juridiques, quelle que soit leur formulation, ont nécessairement des
implications prescriptives. Si tel n’était pas le cas, ils n’intéresseraient pas le
droit.
Toutefois, toutes les règles juridiques ne sont pas toujours énoncées aussi
clairement que dans les exemples cités ci-dessus. Toutes les normes juridiques ne
sont pas contenues dans la loi ou la Constitution. Certaines sont induites de la
jurisprudence* ou procèdent du système juridique, comme les principes généraux
du droit*. Il appartient dès lors aux acteurs juridiques qui les invoquent, à la
doctrine* qui les recense, au juge qui les applique, de formuler ces règles, ce qui
est un moyen de les découvrir, de les faire exister et de préciser leur sens ainsi
que leurs effets.
Enfin, quelle que soit leur source*, les énoncés juridiques n’épuisent
jamais complètement la portée et les modalités des obligations qu’ils prescrivent.
Ils requièrent toujours un décryptage de leur énoncé et donc le recours à une
interprétation*. Celle-ci fera fréquemment l’objet de débats et de controverses, de
sorte que l’état du droit demeure toujours en partie discutable et indéterminé. Il
suit de là que, même si le droit se révèle moins dans les choses que dans les
textes, la recherche juridique met en œuvre des procédés qui, bien que
spécifiques, s’apparentent à la logique de la découverte scientifique. De même
que l’astronome scrute les mouvements célestes pour en inférer l’existence, la
nature et la position de nouvelles planètes et étoiles, de même, le juriste, qu’il
soit chercheur, étudiant ou praticien, parcourt sans relâche l’univers des discours
juridiques pour y découvrir des règles et en préciser le contenu et les modalités
d’application.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

2. La structure des règles juridiques

Indépendamment de leur formulation variable et plus ou moins explicite,


on peut tenter d’assigner aux règles juridiques une structure logique
relativement simple et constante, qui répond à la forme normale :

Si x alors y
où :
- x désigne l’hypothèse, soit la situation et les conditions
d’application de la règle ;
- y désigne l’obligation juridique proprement dite.

Ainsi, l’article 90 de la Constitution prévoit :


« A la mort du Roi, les Chambres s’assemblent sans convocation, au
plus tard le 10ème jour après celui du décès. (…) ».

Dans cet exemple, l’hypothèse est la mort du Roi et entraîne


obligatoirement la réunion de plein droit18 de la Chambre des représentants et du
Sénat dans un délai maximum de dix jours. Suit alors tout le régime de
l’interrègne, de la prestation de serment et de l’entrée en fonction du successeur
ou de la désignation, le cas échéant, d’un régent.
Cette forme logique du type « si… alors… » est dite hypothético-déductive.
Les énoncés juridiques la partagent avec les propositions logiques et certaines
propositions mathématiques. Elle est intéressante dans la mesure où elle
souligne le caractère a priori des énoncés juridiques, lesquels valent donc
indépendamment de leur application éventuelle à des situations réelles.
Autrement dit, la règle de droit existe et peut être comprise alors même qu’aucun
événement ne lui a encore donné l’occasion de s’appliquer. C’est pourquoi, tout à
l’heure, nous étions mieux en mesure de saisir la règle qui prescrit de s’arrêter au
feu rouge en lisant le Code de la route dans la bibliothèque plutôt qu’en
observant le comportement des automobilistes. A la limite, une règle de droit
pourrait exister et faire sens sans avoir jamais reçu la moindre application. On
pourrait cependant s’interroger dans ce cas sur son utilité, de même que sur ses
modalités exactes, lesquelles ne sont généralement précisées qu’au fur et à
mesure des applications successives de la règle et des contestations éventuelles
auxquelles celles-ci donne lieu.
Au-delà de cette remarque, l’intérêt pratique de la formulation logique des
règles juridiques est limité. En aucun cas, il ne s’agit de reformuler les textes
juridiques sous cette forme. Tout au plus invite-t-elle le juriste débutant à ne pas
confondre les conditions d’application d’une norme juridique avec les obligations

18 Les termes « de plein droit » signifient « automatiquement ».

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

qu’elle impose, ce qui est important. En bonne méthode, il est important de


s’interroger dans chaque situation sur le caractère applicable de la règle, c’est-à-
dire sur l’étendue de son champ d’application et la réunion en l’espèce de ses
conditions d’application.

VI. Les catégories de règles juridiques

On distingue, au sein des normes juridiques, de multiples catégories de


règles. En s’en tenant à l’essentiel, on classera ici les règles juridiques en fonction
d’une part de leur objet et d’autre part de l’intensité de leur force obligatoire.

A. Règles primaires et règles secondaires

Suivant leur objet, on peut distinguer, au sein des normes juridiques, les
règles primaires et les règles secondaires.

1. Les règles primaires

Les règles primaires* déterminent la conduite ou le comportement. Elles


obligent à certaines actions et en interdisent d’autres, dans certaines conditions
et selon certaines modalités. Ainsi, l’obligation de s’arrêter au feu rouge est-elle
une règle primaire, de même que l’interdiction du vol ou de fumer dans certains
lieux publics. Les règles primaires désignent donc les règles au sens où nous
l’entendons habituellement.
Le degré de précision des règles de conduite est extrêmement variable. Il
peut s’agir d’une formalité minutieusement réglée (comme la prestation de
serment), d’un standard de comportement (comme l’obligation de se comporter en
bon père de famille*) ou d’un principe absolument général (comme le principe
exprimé par l’adage latin « fraus omnia corrumpit » qui permet au droit de faire
échec à toute opération conduite dans un but frauduleux)19.

2. Les règles secondaires

Les règles secondaires*, par contre, n’édictent pas, ni n’imposent


directement une ligne de conduite. Elles déterminent les conditions et les
modalités, les procédures et les formalités nécessaires pour créer, reconnaître,
appliquer, modifier ou supprimer des règles primaires. Elles sont donc

19 J. DABIN, op. cit., 1944, p. 49.

18 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

essentiellement liées aux institutions juridiques (infra, ch. 3), dont elles règlent
le fonctionnement.
1° Certaines règles habilitent en effet des personnes ou des autorités à créer
et modifier les règles de droit. Ainsi, les règles qui attribuent des
compétences aux pouvoirs constitués et aux autorités publiques ; mais
aussi, les principes de l’autonomie de la volonté et de la convention-loi*,
consacrés par le droit civil*, qui permettent aux particuliers de créer par
leur simple consentement des engagements juridiquement obligatoires : les
contrats*.
2° Les règles secondaires peuvent également reconnaître l’existence et la
force obligatoire de règles relevant d’un autre ordre. Tel est le cas
notamment des règles de droit international privé* qui prescrivent dans
certains cas au juge de trancher un litige par référence à une loi
étrangère (infra, ch. 5, s. 3) ; ou encore, la situation déjà mentionnée où le
droit se réfère à des normes non juridiques comme les règles éthiques,
déontologiques ou à des normes techniques.
3° Les règles secondaires déterminent également les modalités d’application
des règles juridiques. Par exemple, la Constitution confie au pouvoir
exécutif* le soin de prendre les mesures qu’impose l’exécution des lois (art.
108)20 et au pouvoir judiciaire* la tâche de trancher les contestations qui
surviennent à l’occasion de leur mise en œuvre (art. 144 et 145)21.
4° D’autres règles secondaires encore organisent la suppression de règles
juridiques, leur abrogation* ou leur annulation*, ou encore paralysent leur
application. Tel est le cas de l’article 159 de la Constitution qui impose au
juge de n’appliquer les règlements et arrêtés du pouvoir exécutif que pour
autant qu’ils soient conformes aux lois22. Le droit organise même certains
recours qui permettent d’obtenir l’annulation d’un règlement par le Conseil
d’Etat* pour contrariété à la loi, ou même l’annulation d’une loi par la
Cour constitutionnelle* pour violation de la Constitution (infra, ch. 3).
5° Le plus souvent, les règles secondaires organisent en outre des procédures
et des formalités dont le respect conditionne la validité des règles et des
décisions prises à cette occasion. Ainsi, par exemple, la procédure
d’élaboration de la loi (infra, ch. 3) réglée par la Constitution ou les règles
de procédure applicables aux procès civils et pénaux, régis par le Code
judiciaire et le Code d’instruction criminelle (infra, ch. 8).

20« Le Roi fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des lois, sans pouvoir jamais
ni suspendre les lois elles-mêmes, ni dispenser de leur exécution ».
21 « Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des
tribunaux. Toutefois, la loi peut, selon les modalités qu’elle détermine, habiliter le Conseil d’Etat
et les juridictions administratives fédérales à statuer sur les effets civils de leurs décisions » (art.
144). « Les contestations qui ont pour objet des droits politiques sont du ressort des tribunaux,
sauf les exceptions établies par la loi. » (art. 145). Voy. infra, ch. 3.
22 « Les cours et tribunaux n’appliqueront les arrêtés et règlements généraux, provinciaux et
locaux, qu’autant qu’ils seront conformes aux lois ». Voy. infra, ch. 5.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Selon certains, la distinction entre règles primaires et règles secondaires


est spécifique au droit et caractéristique de l’ordre juridique23. L’articulation des
règles secondaires et des règles primaires est fondamentale car elle permet à
l’ordre juridique de contrôler lui-même les conditions de sa production, de son
développement et de ses applications. L’ordre juridique apparaît ainsi comme un
système auto-régulé, à l’instar d’une installation de chauffage munie d’un
thermostat ou mieux encore d’un organisme vivant, qui développe et régule des
fonctions internes destinées à assurer sa conservation et son développement.
De même, le droit tend à devenir un système auto-référentiel dans la
mesure où il détermine la validité et la portée de ses règles par rapport à des
critères qu’il détermine lui-même24. Cela ne signifie pas pour autant que le droit
fonctionne en vase clos. Pas plus qu’un organisme vivant, le système juridique ne
peut se permettre d’ignorer son environnement. Ainsi, le droit met-en place de
multiples mécanismes qui permettent d’adapter ces règles ou de corriger les
effets de leur application en tenant compte de l’évolution du milieu ambiant
(supra, ce ch., II). Perméable à son milieu et sensible à son évolution, le droit est
donc en évolution constante. Dans le meilleur des cas, il organise lui-même les
moyens de sa propre contestation. Il offre ainsi la possibilité aux aspirations, aux
intérêts et aux valeurs qui se font jour dans la société d’accéder au niveau de
règle obligatoire, tout en faisant office de filtre des revendications25 et en
organisant la lutte des prétentions antagonistes26.
Cette conception dynamique et constructive du droit est particulièrement
mise en lumière au niveau de l’Ecole de Bruxelles. « Le droit n’est pas, mais se
fait », écrit De Page27. Le droit est le produit de l’action des hommes, qui
contribuent à son évolution permanente, dans un contexte pluraliste de
concurrence et d’opposition entre des intérêts et des valeurs divergents. Ainsi, le
respect effectif des droits de l’homme et des principes de l’Etat de droit, la
responsabilité de l’Etat et des pouvoirs publics lorsqu’ils commettent une faute, le
contrôle de la hiérarchie des normes et notamment de la constitionnalité des lois
ne sont pas des principes effectifs en tous lieux et en tous temps. Ils ont été
obtenus de haute lutte en Belgique et doivent demeurer l’objet d’une vigilance
permanente28.

23Tel est le cas de H.L.A. HART, l’auteur de cette distinction, qui en fait le fondement de sa
définition du droit, dans son ouvrage classique Le concept de droit, Bruxelles, F.U.S.L., 1976.
24 On parle aussi de système auto-poïétique, car le droit se produit en quelque sorte lui-même.

Cette idée a été développée principalement par le sociologue du droit allemand NIKLAS LUHMANN.
25 J. HABERMAS, Droit et démocratie, Paris, Gallimard, 1997, spéc. pp. 386-414.
26 R. VON JHERING, La lutte pour le droit, Paris, Maresq, 1890.
27 H. DE PAGE, Droit naturel et positivisme juridique, Bruxelles, Bruylant, 1939, p. 40.
28 Sur l’Ecole de Bruxelles et son action notamment sur les questions mentionnées ici, voir B.
FRYDMAN, « Perelman et les juristes de l’Ecole de Bruxelles », in B. Frydman et M. Meyer, Chaïm
Perelman (1912-2012) : De la nouvelle rhétorique à la logique juridique, Paris, P.U.F., 2012, pp.
229-246 ; B. FRYDMAN et G. LEWKOWICZ (dir.), Le droit selon l’Ecole de Bruxelles, Bruxelles, éd. de
l’Académie royale de Belgique, à paraître (2016).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

B. Règles d’ordre public, règles impératives et règles supplétives

Les règles de droit sont en principe obligatoires. Toutefois, ce caractère


obligatoire n’est pas sans nuances ni sans degrés. Le droit organise ainsi lui-
même certaines possibilités de dérogation aux règles qu’il impose.

1. Les règles d’ordre public

Au sens large et non technique, on appelle règles impératives les règles qui
s’imposent en manière telle que leurs destinataires n’ont pas les moyens d’en
écarter l’application. Au sein de cette catégorie, on distingue toutefois entre les
règles simplement impératives et les règles d’ordre public.
La règle d’ordre public * est « celle qui touche aux intérêts essentiels de
l’Etat ou de la collectivité, ou qui fixe, dans le droit privé, les bases juridiques
fondamentales sur lesquelles repose l’ordre économique ou moral de la société »29.
Relèvent en tout premier lieu de l’ordre public, les dispositions de la
Constitution*. Celle-ci fixe les règles essentielles de l’organisation des pouvoirs
publics ainsi que les droits fondamentaux des citoyens. Plus largement, les règles
du droit public*, qui régissent les attributions et l’exercice des pouvoirs publics
appartiennent à cette catégorie, ainsi que les matières du droit fiscal*, du droit
administratif* ou de la fonction publique. Sont également d’ordre public, toutes
les dispositions du droit pénal*, ainsi que de la procédure pénale*. Plus
généralement, les règles de l’organisation judiciaire sont d’ordre public, mais non
pas toutes les dispositions qui règlent la procédure civile*.
Bien que le droit privé* règle, comme son nom l’indique, les rapports privés
entre les personnes, il contient néanmoins certaines dispositions d’ordre public.
Tel est le cas pour une grande partie du droit des personnes*, et notamment du
droit familial*. Sont d’ordre public, les règles qui fixent l’état et la capacité des
personnes*, le statut du corps humain, certains rapports de couple, comme le
mariage, le divorce et leurs suites, les rapports de famille, comme la garde et
l’autorité des enfants. Mais il existe également des règles d’ordre public dans le
domaine patrimonial ou économique. Ainsi, l’obligation de souscrire une
assurance de la responsabilité civile* en matière de véhicules à moteur est
d’ordre public30. Il existe même des règles d’ordre public dans le domaine des
contrats*, où les parties se fixent normalement à elles-mêmes leurs propres
règles.

29 Cette définition classique a été forgée par HENRI DE PAGE dans son célèbre Traité élémentaire
de droit civil belge (3e éd., t. 1, p. 111). Elle a été reprise telle quelle et de manière constante par
la Cour de cassation (Cass., 9 décembre 1948, Pas., 1948, I, p. 699), ainsi que par le Conseil d’Etat
(avis de la section de législation, 7 décembre 1989, Doc. Parl., Sénat, 1989-1990, n° 916/1, p.
177).
30 Cette obligation est prévue par la loi du 21 novembre 1989 relative à l’assurance obligatoire de

la responsabilité civile en matière de véhicules automoteurs, M.B., 8 décembre 1989. Cette


législation a fait l’objet de diverses modifications ultérieures.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Au sein des règles d’ordre public, on distingue encore un noyau dur de


règles qui relèvent de l’ordre public international*. Cette notion intervient dans
les situations où le droit prévoit normalement l’application d’une règle étrangère.
Tel est le cas, par exemple, lorsqu’il s’agit d’apprécier en Belgique l’état et la
capacité d’une personne de nationalité étrangère. Ainsi, pour déterminer si cette
personne est ou non majeure, le droit belge prescrit de se référer non pas à la loi
belge qui fixe la majorité à l’âge de 18 ans (art. 388 du Code civil31), mais bien à
la loi nationale de l’individu en question. Cette solution résultait d’une
interprétation a contrario* de l’article 3, alinéa 3 du Code civil qui prescrit que
« Les lois concernant l’état et la capacité des personnes régissent les Belges même
résidant en pays étranger »32. Il est en effet logique et usuel en droit d’apprécier
le statut d’une personne d’après la loi de son pays plutôt que du lieu où elle se
trouve peut-être accidentellement ou momentanément. Toutefois, si la règle
étrangère contrevient à une disposition d’ordre public du droit interne jugée tout
à fait essentielle, son application sera écartée33. Imaginons qu’une personne
mariée, ressortissante d’un pays qui admet la polygamie, se rende en Belgique
dans le but d’y contracter un mariage supplémentaire. Le droit belge fait obstacle
à un tel projet. La bigamie est non seulement interdite par la loi civile (art. 147
du Code civil34) mais constitue même un crime* aux yeux de la loi pénale (art.
391 du Code pénal35). Cette interdiction est considérée comme un élément
fondamental de l’ordre des familles. Aussi relève-t-elle de l’ordre public
international belge, ce qui empêche la conclusion de ce nouveau mariage sur le
territoire national, même entre deux ressortissants de pays qui admettent la
polygamie. Mais on reconnaîtra en Belgique les effets des mariages polygamiques
valablement conclus à l’étranger, par exemple quant au statut et aux droits des
enfants issus de ces unions.
Enfin, on se gardera de confondre la notion de règle d’ordre public, qui
définit le caractère obligatoire de la règle, avec la notion plus large et plus diffuse
d’ordre public en général. L’ordre public* désigne un certain état d’organisation
et de paix au sein de la société que le droit a notamment pour fonction de
maintenir et de protéger (infra, ch. 6). On trouve souvent cette notion d’ordre
public associée, soit avec celles de sécurité et de tranquillité publiques,
notamment dans les opérations de police et de maintien de l’ordre, soit en rapport
avec les bonnes mœurs. Ainsi, l’article 1133 du Code civil édicte que « la cause
[du contrat] est illicite, quand elle est prohibée par la loi, quand elle est contraire
aux bonnes mœurs ou à l’ordre public ».

31 « Le mineur est l’individu de l’un et de l’autre sexe qui n’a point encore l’âge de 18 ans
accomplis » (modifié par l’art. 1er de la loi du 19 janvier 1990).
32 L’article 3 du Code civil a été abrogé par la loi du 16 juillet 2004 portant Code de droit
international privé, M.B., 27 juillet 2004. L’article 34, § 1er de cette législation est désormais
explicite : « Hormis les matières où la présente loi en dispose autrement, l’état et la capacité d’une
personne sont régis par le droit de l’Etat dont celle-ci a la nationalité ».
33 Voy. l’article 21 du Code de droit international privé.
34 « On ne peut contracter un second mariage avant la dissolution du premier ».
35 « Quiconque, étant engagé dans les liens du mariage, en aura contracté un autre avant la

dissolution du précédent, sera puni de la réclusion ».

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

2. Les règles simplement impératives

On distingue à côté des règles d’ordre public, des règles simplement


impératives. Il n’est pas non plus permis d’y déroger. Toutefois, alors que les
règles d’ordre public sont édictées en vue de protéger l’intérêt général ou l’intérêt
public, les règles impératives protègent des intérêts privés.
Les règles impératives trouvent leur champ d’application naturel dans le
domaine des contrats*, notamment lorsque le droit entend protéger une des
parties se trouvant dans une position inférieure ou fragile. Tel est le cas des
dispositions qui permettent aux mineurs et aux autres incapables de remettre en
cause des engagements que le droit ne leur reconnaissait pas la capacité de
prendre.
D’autres dispositions impératives protègent le locataire dans le cas d’un
bail d’immeuble qui sert à sa résidence principale36. Le droit énonce aussi des
dispositions impératives en faveur des consommateurs en vue de protéger ceux-ci
dans leurs relations avec les commerçants notamment contre certaines clauses
abusives parfois insérées dans des contrats d’adhésion (c’est-à-dire un contrat-
type ou standard proposé à la signature du consommateur, sans réelle
négociation)37.
Le droit du travail* contient également nombre de dispositions impératives
protégeant les intérêts des travailleurs. Par exemple, la loi du 3 juillet 1978 sur
le contrat de travail réglemente de manière impérative les conditions de
licenciement des travailleurs, notamment la durée de préavis.
L’intérêt pratique de la distinction entre les règles d’ordre public et les
règles simplement impératives tient à la différence des sanctions* qui frappent
les actes qui y contreviennent. Les actes conclus en violation d’une règle d’ordre
public sont frappés de nullité absolue*, tandis que la violation d’une disposition
simplement impérative est sanctionnée par une nullité relative*. Ces régimes de
nullité seront examinés plus en détail ci-dessous au titre des sanctions (infra, ce
ch., VII).

3. Les règles supplétives

Les règles supplétives sont celles auxquelles il est permis de déroger. Le


droit propose ici une certaine organisation des relations sociales, mais ce régime
ne s’applique que dans la mesure où les parties intéressées n’ont pas entendu
régler leurs relations autrement. D’où leur dénomination, puisque ces règles
suppléent l’absence de volonté contraire des parties. Les dispositions supplétives

36Voy. les articles 1 à 12 de la section insérée dans le Code civil par la loi du 20 février 1991 à la
suite de l’art. 1762bis de ce Code.
37 Par exemple : la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du

consommateur, M.B., 12 avril 2010, ultérieurement modifiée ; la loi du 9 juillet 1971


réglementant la construction d’habitations et la vente d’habitations à construire ou en voie de
construction (dite loi Breyne), M.B., 11 septembre 1971, et ses modifications subséquentes.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

énoncent ainsi un régime juridique « par défaut », qui vient compléter tous les
aspects de leurs relations que les sujets de droit n’ont pas réglés spécifiquement.
Il ne faut donc pas confondre « supplétif » et « facultatif ». Les règles supplétives
sont bien obligatoires, mais elles ne s’appliquent que de manière subsidiaire. Les
règles supplétives relèvent essentiellement du droit privé*. Elles sont
particulièrement nombreuses dans le domaine des contrats*.
Imaginons, par exemple, que deux personnes s’accordent sur la vente d’une
voiture d’occasion à un prix déterminé. Cet accord sur les éléments essentiels de
la vente (la chose et le prix) suffit à former un contrat. Il n’est pas nécessaire que
les parties en disent davantage, ni même qu’elles rédigent un écrit (sinon dans le
souci de se réserver une preuve* de leur engagement). Mais que se passera-t-il si
un doute ou un désaccord survient quant à la date de la livraison du véhicule ou
du paiement du prix ? Qui subira la perte en cas de vol ou de destruction du
véhicule entre le moment de l’accord et celui de la livraison ? A partir de quand
comptera-t-on des intérêts de retard sur le prix ? Quelle garantie le vendeur
offre-t-il que le véhicule soit en bon état ? etc. Autant de questions que les parties
n’ont peut-être pas envisagées au moment de conclure la vente et qui sont réglées
par les dispositions supplétives du droit des contrats en général et de la vente en
particulier.
Cependant, les parties auraient très bien pu décider de régler tous ces
points par avance, à leur meilleure convenance. Par exemple, spécifier que le
véhicule est livré « dans l’état où il est, bien connu de l’acheteur » ce qui est de
nature à limiter la garantie donnée par le vendeur non professionnel. Elles
auraient pu fixer une date précise pour la livraison ou le paiement.
Le statut obligatoire de la règle n’est pas toujours facile à déterminer.
Parfois, la loi mentionne elle-même la sanction qui frappe sa violation. Mais
souvent aussi, tel n’est pas le cas. En outre, il ne suffit pas toujours de se référer
à la branche du droit* dont la règle relève. Ainsi, le droit de la procédure* relève
en principe de l’ordre public*, mais le droit judiciaire* contient bon nombre de
dispositions auxquelles il est permis aux parties de déroger. En ce qui concerne la
compétence des juges civils (infra, ch. 3), la compétence d’attribution* est d’ordre
public mais la compétence territoriale* est en principe supplétive. A l’inverse, le
droit des contrats*, qui est la sphère de l’autonomie de la volonté*, contient non
seulement des dispositions supplétives mais aussi, on l’a vu, bon nombre de
dispositions impératives* ou même d’ordre public*. Pour conclure sur ce point, on
voit donc que l’intensité du caractère obligatoire des règles est affaire non de
principe mais de degrés, et parfois sujet à discussions et à controverses.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

VII. La contrainte et les sanctions

A. Définitions

Le caractère obligatoire de la règle de droit est renforcé par la possibilité


de contraindre si nécessaire son exécution* et d’en sanctionner le cas échéant les
violations. La contrainte et la sanction conditionnent l’effectivité du droit. Elles
constituent, dans nos sociétés, l’apanage des règles juridiques38 et assurent leur
supériorité par rapport aux autres catégories de normes (supra, ce ch., II).
La contrainte* est l’usage de la force, dans les conditions et les formes du
droit39. La contrainte suppose nécessairement l’intervention de la puissance
publique*, qui dispose du monopole de l’usage de la force et de la violence
légitime (infra, ch. 6). Réciproquement, dans une société de droit, le recours à la
force n’est légitime que dans les cas et les conditions prévus par le droit. En effet,
dans une société de droit, nul ne peut se faire justice à lui-même.
La sanction* véhicule, dans le langage courant, l’idée de punition. Dans le
langage juridique toutefois, le terme revêt une portée beaucoup plus large40. Elle
couvre, de manière générale, toute la gamme des conséquences que le droit
attache au non-respect de la règle. Les sanctions juridiques sont de forme et de
nature multiples et variées. De manière générale, on peut en distinguer quatre
grandes catégories : l’exécution, la réparation, la répression et l’annulation.
En un tout autre sens, avec lequel il ne doit pas être confondu, la sanction*
désigne aussi l’acte par lequel le Roi marque son assentiment à la loi votée par le
parlement fédéral (art. 109 de la Constitution)41. L’homonymie s’explique par
l’origine commune des deux termes. Sanction vient du terme latin sancire, qui
signifie rendre sacré (sacer), c’est-à-dire inviolable. Tant l’ordre de l’autorité en
amont, que la sanction en aval contribuent à cette inviolabilité. De manière plus
générale et moins technique, le verbe « sanctionner » est utilisé dans le langage
juridique au sens de confirmer. On dira par exemple que « le droit de manifester
ses opinions est sanctionné par la Constitution », ce qui signifie en l’occurrence
que ce droit est, non pas réprimé, mais bien garanti par la Constitution. Il faut
être attentif à ces deux acceptions contraires, qui peuvent être la source de
graves contresens.

38 H. BECKAERT, Introduction à l’étude du droit, Bruxelles, Bruylant, 1973, 4e éd., p. 141.


39En ce sens, PH. JESTAZ, Le droit, Dalloz, coll. Connaissances du droit, 1991, p. 20. Voy. aussi J.
DABIN, o. c., p. 28.
40 R. ROBAYE, Comprendre le droit, Bruxelles, Academia-Bruylant, 2002, 3e éd., p. 29.
41 « Le Roi sanctionne et promulgue les lois » (infra, ch. 3).

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

B. Les catégories de sanctions

1. L’exécution forcée

Le droit permet d’obtenir l’exécution forcée des obligations* juridiques qui


ne sont pas exécutées volontairement. L’exécution forcée s’effectue en principe en
nature. Une personne peut être contrainte, le cas échéant par la force (« manu
militari »), à obéir à une règle qui s’impose à lui. Tel est le cas, par exemple, de
l’expulsion de l’occupant sans titre ni droit d’un immeuble ou d’un étranger en
situation irrégulière ; ou encore de la saisie d’une somme d’argent pour la
remettre à un créancier. Dans certains cas cependant, le droit substitue à
l’exécution en nature une mesure alternative.
Il est fait exception au principe de l’exécution en nature de l’obligation
lorsque celle-ci est impossible. Tel est le cas, par exemple, lorsque l’obligation
portait sur une chose spécifique (species) qui a été détruite ou lorsqu’elle ne
pouvait être exécutée utilement que pendant un certain délai, qui est dépassé
(hypothèse des clés d’une maison de vacances remises après la période prévue
pour la location). Dans ce cas, le juge ordonne l’exécution par équivalent, c’est-à-
dire par le paiement d’une somme d’argent. Cette somme d’argent indemnise le
créancier, c’est-à-dire le bénéficiaire de l’obligation, et constitue donc déjà une
forme de réparation.
Il est encore fait exception à l’exécution en nature lorsque celle-ci implique
une contrainte matérielle sur la personne à laquelle le droit répugne. Ainsi,
lorsqu’un artiste refuse de tourner le film pour lequel il a souscrit un contrat, il
ne sera pas contraint de force à participer au tournage. Mais ici aussi le juge
ordonnera l’exécution par équivalent. De même, dans l’hypothèse d’un examen de
sang imposé, soit en vue d’un contrôle d’alcoolémie au volant, soit dans le cadre
très différent d’une action en recherche de paternité. Bien que l’examen ordonné
par la police ou par le juge soit obligatoire, le droit rechigne à l’imposer par la
force et à porter ainsi atteinte à l’intégrité physique de la personne qui en ferait
l’objet contre son gré. La personne pourra donc se soustraire à l’examen, mais le
juge pourra tirer légalement de ce refus des conséquences ou des conclusions
défavorables au récalcitrant.
Une autre solution pour éviter la contrainte matérielle est offerte par
l’astreinte. L’astreinte* est la condamnation judiciaire au paiement d’une somme
d’argent, qui s’accroît par l’écoulement du temps ou la multiplication des
manquements, et qui est destinée à faire pression sur la personne récalcitrante
afin qu’elle exécute son obligation42.
L’astreinte peut servir à assurer l’exécution de toutes sortes d’ordres et
d’injonctions donnés par les juges : par exemple, cesser une campagne de
publicité déloyale, poursuivre des fournitures de biens ou de services
interrompues par un litige, produire un document ou un dossier, donner accès à

42 Le régime de l’astreinte est réglé aux articles 1385bis à 1385nonies du Code judiciaire.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

un terrain ou à un local. Dans tous les cas, l’astreinte permet de faire pression
sur la personne sans pour autant exercer de contrainte matérielle.

2. La réparation

Celui qui ne respecte pas une règle de droit ou viole ses obligations commet
une faute* qui est susceptible d’engager sa responsabilité civile*.
On parle de responsabilité contractuelle*, lorsque l’obligation qui a été mal
exécutée trouvait sa source dans un contrat. Dans les autres cas, la
responsabilité est dite extra-contractuelle*, aquilienne* ou encore quasi-
délictuelle*.
Pour être établie en droit, la responsabilité suppose la réunion de trois
éléments distincts.
1° La faute*, qui peut résulter non seulement de la violation d’une règle ou
d’une obligation déterminée, mais aussi de la violation de l’obligation
générale de diligence et de prudence qui s’impose à tous dans la vie en
société. Le respect de cette obligation générale est évalué par référence au
comportement du bon père de famille*, c’est-à-dire d’une personne
normalement soucieuse et désireuse de ne pas causer de dommage à
autrui.
2° Le dommage* ou préjudice*, c’est-à-dire le tort causé à autrui, qui peut
être porté à sa personne (dommage corporel), à ses biens (dommage
matériel) ou encore à son esprit (dommage moral).
3° Le lien de causalité* entre la faute et le dommage. L’existence de ce lien
s’apprécie dans notre droit d’après la théorie de l’équivalence des
conditions : il faut, mais il suffit de démontrer que sans la faute le
dommage ne se serait pas produit tel qu’il s’est produit.
Lorsque ces trois éléments sont réunis, la personne responsable devra
répondre le cas échéant de son acte, c’est-à-dire réparer le dommage que son
manquement a causé à autrui (art. 1382 du Code civil). La responsabilité peut
non seulement découler de la commission d’un acte dommageable, mais encore
d’une abstention d’agir, lorsque celle-ci est fautive (art. 1383 du Code civil).
On est responsable non seulement de son fait, mais également des
dommages causés par les personnes et les choses que l’on a sous sa garde ou sous
sa surveillance.
Les cas de responsabilité du fait d’autrui sont au nombre de trois :
1° Les parents sont responsables des dommages causés par les enfants
mineurs dont ils ont la garde (art. 1384 al. 2 du Code civil).
2° De même, les enseignants sont responsables de leurs élèves et apprentis
pendant qu’ils en ont la surveillance (art. 1384 al. 4 du Code civil).

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

3° Enfin, les employeurs sont responsables des dommages causés à l’occasion


de leurs fonctions par les travailleurs qui leur sont subordonnés (art. 1384
al. 3 du Code civil).
Les cas de responsabilité du fait des choses sont également au nombre de
trois :
1° Le gardien d’une chose quelconque affectée d’un vice est responsable des
dégâts causés par cette chose (art. 1384, al. 1 du Code civil). Ainsi, le
propriétaire d’un tracteur dont le moteur défectueux émet des étincelles
est responsable lorsqu’une étincelle met le feu à un champ et détruit la
récolte.
2° Le propriétaire d’un bâtiment est responsable du dommage causé par sa
ruine lorsque celle-ci est la conséquence d’un défaut d’entretien ou de sa
vétusté (art. 1386 du Code civil). Ainsi, le propriétaire d’un vieil immeuble
qui s’écroule est responsable des dommages causés aux personnes et aux
propriétés voisines.
3° Le gardien d’un animal est également responsable des dommages causés
par celui-ci (art. 1385 du Code civil). L’animal n’est pas considéré comme
un sujet de droit et donc comme une personne* (infra, ch. 7), mais bien
comme une chose, susceptible d’appropriation. Par exemple, le propriétaire
d’un chien qui s’est sauvé est responsable des dégâts occasionnés par son
animal dans un poulailler.
La responsabilité entraîne la création d’une obligation de réparer. Comme
pour toute obligation, la réparation s’effectue en principe en nature et, à défaut,
par équivalent. Par exemple, celui qui abîme ou détruit fautivement la chose
d’autrui doit au propriétaire des dommages-intérêts* compensant la perte de
l’objet ou le prix de sa remise en état. La réparation n’a pas un caractère punitif,
mais indemnitaire43. Elle vise seulement à remettre la victime dans la situation
où celle-ci se serait trouvée en l’absence de faute.
Cependant l’évaluation du dommage n’est pas toujours aisée. Comment,
par exemple, compenser par une somme d’argent le dommage qui résulte pour sa
famille de la mort d’un proche ? Il appartient à la jurisprudence* de fixer les
critères de la réparation, laquelle prend en compte le dommage moral des proches
et, pour le dommage matériel, la perte de revenus occasionnée par le décès.

3. La répression

La violation de la loi peut également, dans certains cas, constituer une


infraction* engageant la responsabilité pénale* de son auteur.

43 Certains droits (notamment dans des pays de common law), mais non le droit belge,
connaissent les dommages-intérêts punitifs qui, comme leur nom l’indique, ont pour objet de
punir l’auteur du manquement en l’obligeant à verser aux victimes une somme d’argent qui
excède, parfois de beaucoup, le dommage réellement subi.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

Les sanctions pénales ont pour objet de punir l’auteur de l’infraction,


notamment dans un but de défense sociale. Suivant la Cour de cassation, la
peine* est « un mal infligé par la justice répressive, en vertu de la loi à titre de
punition [ou de sanction] d’un acte que la loi défend »44. Il s’agit principalement
de l’emprisonnement, de la peine de travail et de l’amende. La condamnation
pénale est conçue comme un acte grave, qui ne peut être prononcée qu’à l’issue
d’une procédure qui protège les droits de la défense* et est entourée d’un
maximum de garanties. Ces garanties du procès équitable* constituent un des
droits fondamentaux de l’homme45.
Néanmoins, on relève, à côté des peines proprement dites et reconnues
comme telles, d’autres sanctions qui, bien qu’elles ne soient pas prononcées par
les juridictions pénales, ont un véritable caractère répressif. C’est le cas de
certaines sanctions administratives comme, par exemple, une amende fiscale ou
encore les amendes prononcées par la Commission européenne* en cas de
violation du droit de la concurrence. C’est le cas également de certaines sanctions
disciplinaires, appliquées dans le cadre de l’exercice d’une profession et qui
peuvent aller jusqu’à priver une personne de la possibilité d’exercer son métier,
comme la radiation d’un avocat du tableau par décision du Conseil de l’Ordre*.
La Cour européenne des droits de l’homme* et la Cour constitutionnelle* ont
estimé que certaines de ces sanctions sont suffisamment graves pour imposer que
les procédures qui y conduisent respectent les garanties spéciales du procès
équitable46.

4. L’annulation

Enfin, il faut faire une place spécifique à l’annulation* par laquelle le droit
anéantit un acte juridique formé en violation de ses règles. L’annulation
constitue une forme d’exécution du droit qui supprime ce qui lui est contraire.
Elle peut en outre avoir un effet réparateur (par exemple, à l’égard de la partie
protégée dans les nullités relatives*), voire répressif, en vouant à l’échec les
entreprises illégales des auteurs de l’acte annulé (spécialement dans les nullités
absolues*).
L’annulation peut frapper les actes juridiques tant publics que privés. En
matière publique, la Cour constitutionnelle* peut annuler une loi*, un décret* ou
une ordonnance* pris en violation de la Constitution* ou des lois spéciales* de
réforme institutionnelle fixant la répartition des compétences entre l’autorité
fédérale et les entités fédérées. Le Conseil d’Etat* peut annuler les arrêtés et
règlements pour violation de la loi, abus ou excès de pouvoir. En matière

44 Cass., 14 juillet 1924, Pas., 1924, I, p. 474 (« punition ») et Cass., 16 mars 1970, Pas., 1970, I, p.

632 (« sanction »).


45Ces garanties sont définies par l’article 6, § 1 de la Convention européenne de sauvegarde des
droits de l’homme et des libertés fondamentales. Elles dépassent le cadre du procès pénal (infra,
ch. 8).
46 F. OST ET M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau, F.U.S.L., pp. 239-240 et la
jurisprudence citée en notes 75 et 76.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

administrative, l’autorité de tutelle* a le pouvoir d’annuler les actes de l’autorité


subordonnée pour violation de la loi ou dans l’intérêt général (infra, ch. 3).
L’annulation frappe également les actes juridiques privés, lorsqu’ils sont
affectés d’un vice essentiel au niveau de leur formation, c’est-à-dire dès lors
qu’une des conditions de validité de l’acte fait défaut. L’annulation peut toucher
toutes sortes d’actes : un mariage, un testament, une convention. Comme on l’a
vu, il existe deux degrés de nullité des actes privés qui entraînent l’application de
deux régimes juridiques distincts : les nullités absolues et les nullités relatives.
Les actes conclus en contravention d’une disposition d’ordre public* sont
frappés de nullité absolue*. Tout le monde peut en demander l’annulation dans
un certain délai et le juge peut même prononcer la nullité d’office (c’est-à-dire
sans qu’aucune des parties ne le lui ait demandé). Tel est le cas, par exemple,
d’une vente d’animaux destinés à la consommation qui ont été traités avec des
substances hormonales, ce qui est interdit par la loi et rend l’objet, à savoir les
animaux, hors commerce47.
Par contre, la violation d’une disposition simplement impérative* est
sanctionnée par la nullité relative*. Seule la personne protégée peut en
demander l’annulation, dans un certain délai. La personne protégée peut aussi
décider de confirmer l’acte, après que la protection ait joué, et couvrir ainsi la
nullité. Dans ce dernier cas, l’acte sera validé et pourra finalement sortir ses
effets de droit.
A un degré d’intensité moindre, le droit sanctionne l’irrégularité de
certains actes par leur inopposabilité. L’acte inopposable n’est pas nul. Il
subsiste, mais ses auteurs ne peuvent opposer ses effets à certaines personnes,
qui sont néanmoins admises à s’en prévaloir si elles y trouvent un intérêt. Par
exemple, les actes accomplis par un débiteur en fraude des droits de ses
créanciers peuvent être déclarés inopposables à ceux-ci48.
La loi énonce parfois que certains actes sont « nuls de plein droit » ou que
certaines clauses sont « réputées non écrites ». Toutefois, bien que la cause de
nullité affecte l’acte dès le moment de sa conclusion, l’annulation doit
généralement être prononcée par un juge. Dans l’intervalle, l’acte nul existe, bien
qu’en contravention au droit, et est susceptible de produire certains effets. Ceci
dit, une fois la nullité prononcée, celle-ci opère de manière rétroactive* (ex tunc).
L’annulation défait ce qui avait été accompli sous l’empire de l’acte irrégulier et
tente de remettre les choses autant que faire se peut dans leur pristin état, c’est-
à-dire dans leur état initial. Par exemple, le prix d’une vente annulée devra être
restitué, de même que la chose. Dans certains cas, le juge pourra toutefois faire
échec à la répétition49 pour sanctionner l’acheteur s’il estime que le
comportement de celui-ci dénote sa malhonnêteté, en vertu de l’adage « In pari
causa turpitudinem cessat repetitio ». On voit bien ici un aspect du caractère
répressif de certaines annulations.

47 Cass., 10 décembre 1998, R.G.D.C., 2000, p. 65.


48 Mécanisme de l’action paulienne qui trouve son fondement dans l’article 1167 du Code civil.
49 La « répétition » a ici le sens technique de « restitution ».

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

On distingue enfin l’annulation des actes juridiques d’autres sanctions qui


suppriment également l’acte avec effet rétroactif, telle la résolution d’un contrat
pour inexécution fautive (art. 1184 du Code civil) ou la révocation d’une donation
pour ingratitude ou pour inexécution des charges (art. 953 à 959 du Code civil).
La différence tient au fait que l’acte conclu était à l’origine parfaitement valide,
mais qu’un événement survenu après sa conclusion justifie qu’il soit anéanti.

5. Autres formes de sanctions

Le droit se montre très imaginatif en matière de sanctions, qui peuvent


emprunter d’autres formes encore, très diverses. Ainsi, sans qu’il soit possible de
les énumérer toutes, on citera par exemple :
1° la déchéance de certains droits comme la puissance parentale ou des
interdictions, comme celles de conduire ou d’exercer une profession
déterminée ;
2° la publication d’une condamnation judiciaire dans les médias. Cette
sanction peut être ordonnée tant en matière pénale (par exemple, en cas de
condamnation pour incitation à la haine raciale), qu’en matière civile (par
exemple, dans le cas d’un procès en diffamation). La publication présente à
la fois un aspect répressif, en raison du caractère infamant de la
condamnation, et un aspect réparateur, voire préventif, en tant qu’elle
informe la population de la condamnation intervenue.
Notons qu’il est parfaitement envisageable de cumuler plusieurs sanctions
différentes dans le cadre d’une même affaire. Imaginons, par exemple, le cas de la
copie illégale et de la vente de CD « pirate ». L’auteur de la contrefaçon et du
recel peut être condamné pénalement à une peine d’amende* et peut-être
d’emprisonnement*, le cas échéant avec sursis*. Il sera en outre condamné
civilement à réparer le préjudice* causé aux titulaires des droits d’auteur et les
ventes illégales seront annulées*, tandis que les copies illégales seront
confisquées et détruites.

6. Les voies d’exécution

Ce n’est pas tout de prononcer une sanction. Il faut encore en assurer


l’exécution matérielle. C’est ce qu’on appelle les voies d’exécution*. L’exécution
des sanctions pénales est confiée au ministère public*, qui en délègue souvent les
tâches à d’autres organes comme la police (pour l’arrestation), l’administration
pénitentiaire (pour l’exécutive des peines privatives de liberté) et le trésor public
(pour l’encaissement des amendes). Depuis 2007, des tribunaux de l’application
des peines* ont été mis en place pour prendre les décisions de nature à modifier
de manière substantielle la nature de la peine privative de liberté50. En matière
civile, les voies d’exécution, telles la saisie et la vente publique des biens du

50 Loi instaurant des tribunaux de l’application des peines du 17 mai 2006, M.B., 15 juin 2006.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

débiteur, sont effectuées à l’intervention d’officiers ministériels*, principalement


les huissiers de justice* et parfois les notaires*, spécialement en matière
immobilière. Ceux-ci peuvent si nécessaire se faire assister par les agents de la
force publique.
Les mesures d’exécution présupposent l’obtention d’un titre exécutoire*
(infra, ch. 8). Le titre exécutoire est un acte écrit revêtu de la formule exécutoire,
soit un ordre de l’autorité ordonnant aux agents publics de prêter main-forte à
l’exécution. Il peut s’agir d’un jugement ou d’un acte notarié. L’administration
peut, dans certains cas, se délivrer à elle-même son propre titre exécutoire en
vertu du privilège de l’exécution d’office* (infra, ch. 6).
On peut le constater, le droit se montre particulièrement formaliste et donc
prudent dans l’utilisation du recours à la force. Entre l’obligation juridique et la
contrainte matérielle effective, les étapes sont nombreuses et la procédure parfois
longue. Ces différentes étapes et procédures représentent des garanties pour les
justiciables contre un recours intempestif à la force. Plus fondamentalement,
elles manifestent la répugnance du droit pour la force brute, fût-elle légitime et
même légale.

C. La sanction constitue-t-elle un élément essentiel de la règle de


droit ?

La question de savoir si la sanction constitue ou non un élément essentiel


de la règle de droit a donné lieu à d’interminables débats théoriques. Pour
certains, une règle de droit qui n’est pas assortie d’une sanction véritablement
appliquée n’est pas effective et n’appartient dès lors pas au droit positif*51.
C’est par ce biais qu’est souvent discutée la question de savoir si le droit
international public*, qui régit les relations internationales, constitue
véritablement un droit digne de ce nom. En effet, si l’on excepte le Conseil de
sécurité* des Nations Unies*, qui peut dans certaines conditions autoriser le
recours à la force52 (infra, ch. 3), il n’existe pas, au sein de la société
internationale, de forces de l’ordre susceptibles d’imposer aux Etats l’exécution de
leurs obligations. Sur la scène internationale, les Etats souverains* évolueraient
dans une sorte « d’état de nature » et leurs rapports seraient soumis en dernier
ressort à la loi du plus fort. L’observation de la réalité permet cependant de
préciser et de nuancer quelque peu ce propos.
Depuis peu, c’est-à-dire la fin de la seconde guerre mondiale et la création
des Nations Unies, la guerre d’agression ou le recours par un Etat à la force
contre un autre Etat est explicitement mis hors la loi internationale. Notons
cependant que cela n’a pas empêché de multiples conflits de se développer
partout sur la planète. Si l’on prend, par exemple, l’intervention militaire anglo-

51 Voyez spécialement HANS KELSEN, Théorie pure du droit, trad. Ch. Eisenmann, Paris,
L.G.D.J., 1999, ainsi que le courant positiviste dont il est le chef de file.
52 Ch. 7 de la Charte des Nations Unies.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

américaine en Irak au début des années 2000, on a vu que, malgré de subtiles


tractations, le Conseil de sécurité n’avait pas explicitement autorisé le recours à
la force, ce qui rend la régularité de l’intervention pour le moins contestable au
regard des règles du droit international public. Cette irrégularité n’a certes pas
empêché les Etats-Unis et leurs alliés de lancer leur offensive. En outre,
personne n’a sérieusement envisagé de recourir à la force pour faire obstacle à
cette intervention ou pour sanctionner les puissances occupantes. Ces éléments
semblent corroborer la thèse de l’inefficacité du droit international.
Mais peut-on pour autant en déduire l’inexistence ou le caractère non
juridique de ce prétendu droit ? Ce serait, à notre avis, aller trop loin. Qui ne voit
que, à la faveur de la discussion des différentes résolutions* sur l’Irak, tant avant
qu’après l’intervention, ainsi que dans les débats politiques nationaux et
internationaux auxquels cette crise a donné lieu, la question du droit a été, plus
que jamais, au centre des débats, tant pour déterminer la légitimité de
l’intervention que ses effets. Ainsi, la règle juridique, quand bien même elle est
violée et que sa violation n’est pas sanctionnée, peut quand même produire
certains « effets de droit ». Ajoutons encore que la plupart des Etats appliquent
généralement les règles du droit international sans qu’il y ait besoin de recourir à
la force.
Les mêmes observations valent également pour le droit européen* ainsi
que, dans une certaine mesure, pour le droit interne*. Ainsi, bon nombre de
règles du droit constitutionnel* ne sont pas assorties de sanctions, ce qui
n’empêche pas leur application. C’est le cas, par exemple, pour les dispositions
importantes qui règlent la procédure d’élaboration de la loi ou la tenue des
élections.
On note cependant une nette tendance au renforcement de l’effectivité des
règles de droit à l’encontre des pouvoirs publics (infra, ch. 6). Cette effectivité se
manifeste notamment dans la reconnaissance et l’extension de la responsabilité
civile de l’Etat*, dans l’ouverture de voies d’exécution forcée* contre les autorités
publiques et dans l’instauration d’un contrôle effectif de la constitutionnalité des
lois*.
Enfin, même dans un ordre juridique efficace, bon nombre de délits ne sont
pas réprimés, nombre de dommages ne sont jamais réparés et certaines règles ne
sont pas appliquées. Comme on l’a vu au début de ce cours, la violation de la règle
n’entraîne pas sa suppression. Pourtant, il est vrai que lorsque les règles
juridiques ne sont plus obéies, le régime sombre dans l’anarchie et l’ordre
juridique disparaît ou est remplacé. En d’autres termes, si la sanction ne
conditionne pas l’existence de la règle de droit, elle renforce considérablement
celle-ci.

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Ière partie

L’ORDRE JURIDIQUE

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

Chapitre 2 : Les ordres juridiques

I. Les dimension de l’ordre juridique

Le terme « ordre » est polysémique. Il provient du terme latin ordo qui,


dans le langage juridique du Moyen Age, désignait la procédure soit l’ordre des
étapes successives menant à la solution d’un cas. Chez les Modernes, il prend un
sens très différent. L’ordre juridique désigne le droit considéré dans son
ensemble. Dans cette acception, l’ordre juridique constitue le paradigme du droit
objectif, c’est-à-dire l’image par laquelle un juriste se représente le droit comme
objet. Pour l’écrire autrement, dès que l’on envisage une norme juridique d’un
point de vue objectif, on présuppose la notion d’ordre juridique53. Dans cette
acception moderne, l’ordre juridique présente trois dimensions différentes et
complémentaires.

1. La dimension politique : l’ordre comme commandement

En un premier sens, qui est aussi celui du langage courant, l’ordre signifie
le commandement. Il renvoie à la dimension impérative, prescriptive du droit.
Ainsi Hobbes, l’un des fondateurs de la pensée juridique moderne, définit la règle
de droit comme « un commandement adressé par un supérieur à un homme
préalablement obligé à lui obéir »54. Le droit trace ainsi une frontière entre ceux
qui commandent et ceux qui sont censés obéir, entre les gouvernants et les
gouvernés, entre les autorités qui exercent le pouvoir et les sujets de droit qui le
subissent. En ce sens, le sujet de droit* désigne non pas le titulaire d’un droit
subjectif*, mais bien celui qui est assujetti aux règles juridiques et aux autorités
qui les formulent. Cette dimension politique met particulièrement l’accent sur la
volonté de ceux qui commandent, laquelle doit être obéie, ce qui suppose que
l’autorité ait les moyens de la faire respecter. La sanction et la force publique
jouent donc ici un rôle essentiel.
Dans cette dimension politique, l’ordre juridique désigne :
- d’un point de vue organique : les institutions qui produisent et appliquent
le droit ;
- d’un point de vue dynamique : les procédures d’élaboration et d’application
des règles juridiques par ces institutions ;

53 En ce sens, S. ROMANO, L’ordre juridique, Paris, Dalloz, 1975.


54 TH. HOBBES, Léviathan. Traité de la matière, de la forme et du pouvoir de la république
ecclésiastique et civile, trad. et ann. par B. Tricaud, Paris, Sirey, 1971, p. 282.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

- d’un point de vue statique : les sources formelles du droit, soit les textes
produits par les institutions selon les procédures d’élaboration et
d’application du droit.
Les chapitres 3 et 4 du cours seront consacrés respectivement aux
institutions et aux sources du droit.

2. La dimension logique : le système juridique

En un deuxième sens, la notion d’ordre juridique renvoie à l’idée


d’organisation, d’ordonnancement, de « mise en ordre » des règles de droit. Dans
nos conceptions, la règle juridique n’est jamais envisagée de manière isolée
(comme nous l’avons fait dans le chapitre précédent pour étudier ses
caractéristiques) mais toujours dans un enchaînement nécessaire avec d’autres
règles. D’un point de vue logique, l’ordre juridique désigne le système idéalement
formé par l’ensemble des règles. A l’image des systèmes logiques et
mathématiques, le système juridique est censé être bien structuré, cohérent,
c’est-à-dire exempt de contradiction, et complet, c’est-à-dire fournir une réponse à
toutes les questions de droit. En outre, les règles qui composent le système
doivent normalement être formulées de manière claire et précise.
Cette conception systématique du droit, même si elle ne constitue qu’une
image idéale, en soi hors d’atteinte, est indispensable à la compréhension du
droit, à son étude et à son application. Elle possède une grande utilité pratique et
se trouve à l’origine de plusieurs notions très importantes.
1° L’organisation de l’ordre juridique permet de dégager un certain nombre de
principes généraux du droit, qui constituent des normes juridiques
obligatoires qui fondent, inspirent ou complètent les règles de droit
ordinaires.
2° L’exigence de cohérence appelle des règles de nature à éviter ou à résoudre
les conflits de normes. Il s’agit de déterminer quelle règle doit s’appliquer à
chaque situation et prévaloir le cas échéant sur d’autres règles différentes
ou contraires. Pour ce faire, il faut établir une hiérarchie des normes, mais
aussi régler l’application du droit dans le temps et dans l’espace, ainsi que
gérer les conflits de compétence.
3° Enfin, l’ordre juridique conçu comme système organise le classement des
règles de droit par sujets, par matières, que l’on désigne par les termes
branches du droit.
Le chapitre 5 de ce cours sera consacré au système juridique. On y
étudiera les principes généraux du droit, les conflits de normes et les branches du
droit.

3. La dimension sociale : le droit, facteur d’ordre

Enfin, on désigne encore par ordre juridique l’ordre social que le droit
contribue à créer ou à maintenir. Dans cette troisième optique, le droit est

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

envisagé moins en lui-même que par les effets qu’il produit dans la réalité. Cette
dimension est évidemment très importante dans la mesure où elle affecte
directement la société et la vie des citoyens. L’étude des rapports entre droit et
société comporte deux volets particulièrement importants.
D’une part, les principes de base qui régissent les rapports entre, d’un côté,
l’Etat et le droit qu’il produit, et, de l’autre, la société et les citoyens. Deux
concepts fondamentaux dominent la matière : l’Etat de droit, qui impose que
l’Etat soit lui-même soumis au droit dont il est le garant, et la démocratie, qui
suppose une participation des citoyens à l’exercice du pouvoir politique.
D’autre part, les fonctions que le droit prétend remplir, ainsi que les
valeurs qui les sous-tendent. Le droit est censé contribuer à établir ou à rétablir
l’ordre et la sécurité publique, par opposition à un état d’anarchie ou de troubles.
Mais il doit également garantir la liberté individuelle et une certaine forme
d’égalité entre les sujets de droit. Plus largement, le droit contribue à la
régulation des sociétés et des relations sociales. Les règles et les procédures
juridiques sont ici conçues comme des moyens de protéger et de garantir le
respect de ces fonctions et valeurs fondamentales. Elles peuvent être jugées à
l’aune de leurs résultats.
Le chapitre 6 de ce cours sera consacré, dans cette perspective, à l’étude
des principes juridiques de l’Etat de droit et de la démocratie, ainsi qu’à l’examen
des fonctions du droit et des valeurs qui sous-tendent l’ordre juridique.

II. Les niveaux d’ordre juridique

La question de savoir s’il existe un ou plusieurs niveaux d’ordre juridique a


été très discutée. Selon certains, il n’y a de droit que par la volonté de l’Etat ou
des Etats55. Ceux-ci ne reconnaissent donc comme ordre juridique que l’Etat lui-
même et éventuellement l’ordre juridique international que les Etats contribuent
à créer. Pour d’autres, « il y a autant d’ordres juridiques que d’institutions »56.
Selon les partisans du « pluralisme juridique », non seulement l’Etat, mais aussi
la commune, l’entreprise, et pourquoi pas la famille ou le contrat constituent des
formes d’ordre juridique. Cette querelle est affaire de point de vue et du cadre
que l’on se donne pour étudier les phénomènes juridiques. De manière
pragmatique, on peut cependant constater qu’il existe des niveaux plus
intéressants et plus importants que d’autres. Nous nous limiterons dans ce cours
à trois ordres juridiques qui sont les plus importants par rapport au contexte qui
est le nôtre : l’ordre juridique belge, l’ordre juridique européen et l’ordre juridique
international.

55 H. KELSEN, Théorie pure du droit, Bruylant-L.G.D.J., 1999, pp. 309 et s.


56 S. ROMANO, L’ordre juridique, Paris, Dalloz, 1977, p. 77.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

A. L’ordre juridique étatique

Si l’Etat est encore souvent considéré comme le principal ordre juridique,


cela s’explique par des raisons politiques et historiques. Au Moyen Age, dans la
société féodale, coexistaient une multitude d’ordres juridiques : à côté de l’ordre
royal, l’ordre ecclésiastique, les différents ordres seigneuriaux, les statuts des
villes et autres privilèges, les corporations professionnelles, etc. A l’époque
moderne, le pouvoir royal impose le concept de souveraineté* et tente de
s’emparer du monopole du pouvoir politique et de l’autorité juridique qui en est le
corollaire. L’Etat moderne, qui survit à la royauté après les révolutions,
concentre entre ses mains l’essentiel des pouvoirs législatif, exécutif et judiciaire,
en même temps qu’il s’approprie le monopole de la force. L’Etat devient ainsi la
machine la plus performante à produire, mettre en œuvre et imposer des règles
de droit. Corrélativement, le droit devient le mode d’expression privilégié du
pouvoir politique.
Aujourd’hui encore, l’Etat dispose toujours de l’appareil juridique le plus
cohérent et le plus complet. Toutefois, il doit composer avec d’autres forces, qui
remettent en cause son monopole et parfois même sa prépondérance.
A l’intérieur de ses frontières travaillent des forces centrifuges qui
remettent en cause le principe de l’Etat unitaire, au bénéfice d’une plus grande
autonomie régionale ou locale. Ces mouvements peuvent entraîner des réformes
constitutionnelles importantes, qui vont de la décentralisation à la fédéralisation.
La transformation de l’Etat belge, d’Etat unitaire en Etat fédéral, comprenant
trois régions et autant de communautés, en constitue un exemple caractéristique
(infra, ch. 3).
Simultanément, à l’extérieur des frontières étatiques, de nouveaux
groupements se constituent qui tendent à former des ordres juridiques nouveaux
à l’échelle d’un continent ou même du monde entier. Si les Etats participent à
cette construction, ils en subissent également les effets, notamment la délégation
de certains de leurs pouvoirs et compétences vers des organisations
supranationales ou internationales, comme l’Union européenne ou l’Organisation
Mondiale du Commerce (O.M.C.), par exemple. Cette évolution paraît d’ailleurs
inéluctable en raison de l’intensification des communications, des échanges
économiques et financiers, ainsi que des relations internationales. Ce phénomène
dit de « mondialisation » pose des difficultés réelles et croissantes aux Etats car
ceux-ci ne sont effectivement en mesure d’imposer leurs règles que dans les
limites de leur territoire national. Ils se voient donc davantage contraints de
coordonner leurs actions avec d’autres ou de déléguer leurs fonctions à des
organisations spécialisées.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

B. L’ordre juridique européen

1. Les étapes de la construction européenne

L’Union européenne compte parmi les constructions institutionnelles les


plus ambitieuses, les plus importantes, les plus originales et les plus dynamiques
de notre époque. Initiée au lendemain de la seconde guerre mondiale, la
construction européenne s’est développée au fil d’étapes successives qui ont
conduit à la fois à son élargissement à un nombre croissant d’Etats membres (de
6 à 28) et à l’intensification de la collaboration dans le sens d’une plus grande
intégration sur les plans économique, politique et juridique.

a) Les Communautés européennes

En 1951, six Etats (l’Allemagne, la France, l’Italie et les trois Etats du


Benelux) décident de mettre en place un système de gestion commune des
ressources du charbon et de l’acier. Ils signent un traité instituant la
Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA). Cette dernière repose
sur un système institutionnel de type supranational57 dans la mesure où les
principaux pouvoirs de décision sont confiés à une Haute Autorité composée de
personnalités indépendantes des Etats membres.
La construction communautaire ne s’arrête pas là. Les ministres des
affaires étrangères des pays membres de la CECA se réunissent à plusieurs
reprises et expriment « la volonté politique des Six de franchir une nouvelle étape
dans la voie de la construction européenne dans le domaine économique grâce à
des institutions communes »58. Dans cette perspective deux traités sont signés
par les Six en 1957 :
- le traité instituant la Communauté économique européenne (dit « traité de
Rome ») qui vise à mettre en place un « marché commun » sous la forme
d’une union douanière à l’intérieure des frontières des Six avec un tarif
extérieur commun ;
- le traité Euratom qui met sur pied une organisation spécifique dans le
domaine de l’énergie atomique.
Pendant des années, la Communauté économique européenne travaille
avec les Etats membres à la mise en place d’un marché intérieur autour de
quatre grandes libertés :
- la libre circulation des marchandises et la libre circulation des services, qui
visent aussi bien les « importations » que les « exportations » entre Etats
membres. Cette libre circulation des marchandises suppose notamment la
suppression des droits de douane ainsi que la prohibition des taxes
intérieures discriminatoires ;

57 M. DONY, Droit de l’Union européenne, éd. de l’Université de Bruxelles, 2014, 5e éd., p. 9.


58 Ibidem, p. 10.

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- la libre circulation des travailleurs, fondée sur l’idée selon laquelle un


ressortissant d’un Etat membre doit pouvoir accéder à une activité
professionnelle et l’exercer dans les mêmes conditions que les nationaux de
cet Etat. En pratique, la mise en œuvre de ce principe de libre circulation
des travailleurs nécessite diverses mesures complémentaires qui touchent
notamment au droit d’accès, de séjour et d’établissement des ressortissants
communautaires, ainsi qu’à l’organisation d’une protection sociale continue
en cas de déplacement d’un Etat membre à un autre ;
- la libre circulation des capitaux, qui impose progressivement la levée des
mesures de contrôle des changes et des restrictions imposées aux
mouvements sur les marchés financiers.
Le bon fonctionnement du marché européen suppose en outre
l’établissement d’un régime de contrôle garantissant le respect des règles de la
concurrence au sein de ce marché.
Par ailleurs, toujours dans le domaine économique, la Communauté
européenne va mener une série de politiques communes, en particulier en
matière agricole (la P.A.C.), mais aussi dans les transports, ainsi que dans le
domaine de la monnaie et des changes.

b) L’Union européenne et le système des piliers

Au début des années nonante, la Communauté économique européenne


subit des transformations profondes. Le traité de Maastricht transforme la
C.E.E. en une véritable Union politique que l’on appelle désormais « Union
européenne ». De nouveaux domaines de collaboration sont créés, comme en
matière de sécurité intérieure, de justice ou de politique extérieure.
Si les Etats membres ont accepté de renforcer leur coopération dans ces
domaines, ils ne sont cependant pas prêts à soumettre ceux-ci à un processus de
décision supranational mais uniquement à établir des procédures de coopération
intergouvernementale plus classiques, qui sauvegardent pour l’essentiel les
prérogatives de chaque Etat et requièrent en tout cas leur consentement.
En conséquence, l’Union européenne est alors bâtie autour de trois piliers
en fonction du « degré d’intégration » dont ces matières font l’objet.
Le premier pilier se nomme la « Communauté européenne ». Il englobe le
traditionnel « marché commun », devenu le « marché unique » qui est considéré
comme réalisé depuis 1993. Il sert également de cadre à l’Union économique et
monétaire, qui a conduit, depuis le 1er janvier 2002, à la circulation d’une
monnaie unique, l’euro, dans une série d’Etats de l’Union.
Mais la Communauté européenne comprend également des domaines qui
ne sont pas directement de type économique comme la notion de citoyenneté
européenne qui confère notamment le droit à tout ressortissant d’un Etat
membre d’élire et d’être élu aux élections locales d’un autre Etat membre dans
lequel il réside. En outre, la Communauté européenne développe des compétences
dans les domaines de la culture, de la santé, de l’éducation, de l’égalité de

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

traitement et de la lutte contre les discriminations, de la politique d’immigration


et d’asile.
Le deuxième pilier est constitué par la politique extérieure de sécurité
commune, en abrégé PESC. Ce pilier vise à l’établissement d’une véritable
politique commune de l’Union dans le domaine des affaires étrangères et de la
sécurité. Cette politique se fonde sur cinq objectifs définis en termes très larges :
la défense des valeurs communes et des intérêts fondamentaux de l'Union, ainsi
que le renforcement de sa sécurité, le maintien de la paix et le renforcement de la
sécurité internationale; la promotion de la coopération internationale; le
renforcement de la démocratie et de l'Etat de droit, ainsi que le respect des droits
de l'homme. L’Union s’est dotée pour poursuivre cette politique de certains outils
institutionnels, en particulier la nomination d’un haut représentant,
familièrement appelé « Monsieur PESC ».
Le troisième pilier concerne la coopération judiciaire et policière en
matière pénale. Dans ce cadre, les accords de Schengen ont créé un espace de
coopération renforcé, mais qui ne réunit pas l’ensemble des Etats membres.
Cette structure en piliers a été abandonnée avec l’adoption du traité de
Lisbonne, entré en vigueur le 1er décembre 2009. Les Communautés européennes
disparaissent et sont intégrées pleinement à l’Union européenne qui est
désormais dotée d’une personnalité juridique propre.
Dans le but de rationaliser le fonctionnement des institutions européennes,
le traité de Lisbonne a innové sur plusieurs plans. Il instaure une présidence
stable pour le Conseil européen. Le Président du Conseil européen est ainsi
nommé pour un mandat d’une durée de deux ans et demi. De plus, l’Union se
dote d’un Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de
sécurité, dans le cadre conjoint du Conseil et de la Commission. Enfin, le traité
de Lisbonne entend pallier le déficit démocratique de l’Union en renforçant le rôle
des Parlements nationaux, en donnant un droit de pétition aux citoyens
européens ainsi qu’en intégrant aux traités la Charte européenne des droits
fondamentaux.

2. Un ordre politique et juridique spécifique

Sur le plan politique, l’Union européenne demeure un objet mal identifié.


Parfois qualifiée de « fédération d’Etats-nations », elle tient par certains côtés de
la collaboration intergouvernementale classique dans l’ordre juridique
international, tandis qu’elle s’apparente par d’autres aspects à un système
fédéral. Elle institue entre ses membres des formes de collaboration multiples, à
géométrie variable, qui semblent aller globalement dans le sens d’une plus
grande intégration des Etats membres, mais sans tendre réellement vers
l’institution d’un Etat fédéral59.

59P. MAGNETTE et E. REMACLE, Le nouveau modèle européen, vol. 1, Bruxelles, PUB, 2000 ; J.M.
Ferry, La question de l’Etat européen, Paris, Gallimard, 2000 ; F. OST et M. VAN DE KERCHOVE, De

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

L’Europe avait l’ambition de se doter d’une Constitution, à l’instar des


Etats. Un traité avait d’ailleurs été signé, en 2004, établissant cette Constitution.
Ce traité n’a cependant pas été ratifié par plusieurs Etats et n’est donc pas entré
en vigueur. Par la suite, le projet a été enterré au profit d’un nouveau traité dit
simplifié adopté à la suite de longues négociations à Lisbonne en 2007 et entré en
vigueur le 1er décembre 2009.
Sur le plan juridique, les choses sont plus claires. La Cour de justice des
Communautés européennes, renommée Cour de justice de l’Union européenne
par le traité de Lisbonne, qui siège à Luxembourg, a affirmé, dès 1964, dans
l’arrêt Costa c. Enel, l’existence d’un ordre juridique européen spécifique, en des
termes forts qui méritent d’être cités :
« Attendu qu’à la différence des traités internationaux ordinaires, le
Traité de la CEE a institué un ordre juridique propre, intégré au
système juridique des Etats membres lors de l’entrée en vigueur du
Traité et qui s’impose à leurs juridictions ;

Qu’en effet, en instituant une Communauté de durée illimitée, dotée


d’institutions propres, de la personnalité, de la capacité juridique,
d’une capacité de représentation internationale et plus
particulièrement de pouvoirs réels issus d’une limitation de
compétences ou d’un transfert d’attributions des Etats à la
Communauté, ceux-ci ont limité, bien que dans des domaines
restreints, leurs droits souverains et créé ainsi un corps de droit
applicable à leurs ressortissants et à eux-mêmes ;

(…) (qu’) issu d’une source autonome, le droit né du traité ne peut se


voir judiciairement opposer un texte interne quel qu’il soit sans
perdre son caractère communautaire et sans que soit mise en cause
la base juridique de la communauté elle-même »60.

Les règles juridiques européennes jouissent donc de la primauté* par


rapport aux règles de droit national. Elles produisent, selon des modalités que
l’on envisagera plus loin, des effets dans l’ordre juridique interne auquel elles
s’intègrent d’ailleurs (infra, ch. 3 & 5). Mentionnons dès à présent leur effet le
plus remarquable, en l’occurrence « l’effet direct », provenant d’une jurisprudence
constante depuis l’arrêt Van Gend en Loos61. Il résulte de cette jurisprudence que
le droit de l’Union européenne dans son ensemble a la capacité d’engendrer des
droits et des obligations dans le patrimoine juridique des justiciables à condition
que la norme en question soit (i) suffisamment claire et précise, (ii) présente un

la pyramide au réseau?, Bruxelles, Publications des Facultés Universitaires St-Louis, 2002, pp.
65-78.
60 Recueil C.J.C.E., 1964, pp. 1159-1160, notre accent.
61 C.J.C.E., 5 février 1963, 26/62, Rec., p.1.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

caractère inconditionnel et (iii) puisse produire ses effets en l’absence de toute


mesure nationale ou européenne complémentaire62.

C. L’ordre juridique international

1. Notion

La notion d’ordre juridique international renvoie au droit international


public*, encore appelé droit des gens*. Le droit international public* est « le droit
applicable à la société internationale »63. Il désigne le « ius inter gentes », c’est-à-
dire le droit applicable dans les relations entre les Etats.
Le droit international, dans la forme où nous le connaissons, s’est
développé en Europe à partir des XVIe et XIIe siècles. La Réforme et les guerres
de religion ont finalement eu raison du rêve de l’Empire européen chrétien et
conduit à la reconnaissance d’Etats-nations indépendants et souverains, dont les
relations, tant dans la paix que dans la guerre, sont désormais réglées, en dehors
des instances religieuses, par le droit. Le droit international coordonne les
relations entre ces entités souveraines, spécialement par la voie des traités.
Au XXe siècle, le développement du droit international s’accélère de
manière spectaculaire. Les traités se multiplient et s’étendent à toutes les
matières, tandis qu’ils s’élargissent à un nombre croissant d’Etats indépendants.
En outre, ces Etats créent de nombreuses organisations internationales
auxquelles ils confient, avec des pouvoirs et des institutions très variables, la
gestion d’intérêts communs. L’Organisation des Nations Unies, qui a pris le
relais de la Société des Nations à la fin de la seconde guerre mondiale, rassemble
la quasi totalité des Etats et symbolise la « communauté internationale » formée
par ceux-ci. Déclarant pour la première fois illégale la guerre d’agression, la
Charte des Nations Unies de 1945 permet l’envoi de forces internationales pour
maintenir ou restaurer la paix là où elle est menacée.

2. Effectivité et autonomie de l’ordre international

Pour autant, peut-on réellement parler d’un « ordre juridique


international », au triple sens que nous avons donné à la notion d’ordre
juridique ?
1° Sur le plan politique, l’ordre international est littéralement « an-
archique »64, au sens où, à la différence des Etats, aucune volonté politique
institutionnelle ne se trouve à sa tête. De ce point de vue, l’O.N.U. ne peut

62 Voir aussi Chapitre 4, Section 2.I.B.3.


63 NGYEN, Droit international public, Paris, L.G.D.J., 6e éd., 1999, p. 35.
64 J. COMBACAU, « Le droit international : bric-à-brac ou système? », in Archives de philosophie du
droit, t. XXXI, Sirey, 1986, pp. 85-105, spéc. p. 96.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

certainement pas être considérée, dans son état actuel, comme une forme
de gouvernement mondial. Pour autant, il est incontestable que les
instances de régulation et de concertation se multiplient et intensifient
leurs actions dans l’environnement international.
2° Sur le plan social, il serait pour le moins abusif de qualifier d’ordonné l’état
actuel du monde, où les guerres demeurent fréquentes, les conditions
d’existence souvent précaires, les inégalités criantes, et dont une
succession de crises paraît guider l’évolution chaotique. Pour autant, il
semble bien que la coordination des activités humaines s’accroisse dans un
environnement global où les différentes parties du monde voient leur sort
de plus en plus lié les unes aux autres. En outre, malgré ses violations, le
droit international s’impose, dans les discours des acteurs internationaux,
comme l’instance commune de référence et de légitimation pour
l’évaluation et parfois le règlement de leurs relations et de leurs différends.
3° Sur le plan logique, le foisonnement de traités et d’organisations liant,
suivant une géométrie variable, des parties différentes, en vertu de formes
disparates, peut également donner une impression de désordre. Pour
autant, les règles et les institutions du droit international présupposent
nécessairement la référence à un ordre juridique spécifique, organisé de
manière cohérente sur la base de principes autonomes. Cet ordre juridique
dispose de sources, d’institutions, de procédures, de principes généraux et
de règles qui lui sont propres. Il forme une discipline spécifique, cultivée
par une communauté de spécialistes et mise en œuvre dans des enceintes
particulières.
En conclusion, l’ordre juridique international représente moins un fait
constatable qu’une idée régulatrice indispensable à la conception, à
l’organisation, à la mise en œuvre et à l’évaluation des relations entre les Etats
qui composent la communauté internationale.

3. Vers un ordre juridique cosmopolitique ?

Il ne faut toutefois pas confondre l’ordre juridique international avec


l’existence hypothétique d’un ordre cosmopolitique, dont tous les êtres humains
seraient directement et de plein droit les sujets. Les individus demeurent jusqu’à
ce jour des sujets indirects et relativement accessoires du droit international. Il
est vrai que le droit international consacre désormais les droits de l’homme, que
les Etats se sont engagés à respecter, y compris par rapport à leurs propres
ressortissants. Ces droits peuvent être considérés comme un embryon de droit
commun à l’humanité. Cependant, en cas de violation par les Etats, la protection
effective des individus par les instances universelles, comme les Nations Unies,
demeure relativement faible. De ce point de vue, la création de la Cour pénale
internationale* constitue une avancée considérable puisqu’elle permet à une
juridiction internationale permanente de réprimer les crimes contre l’humanité.
Des systèmes de protection ont en outre été institués au niveau de
certaines régions du monde. En Europe, le système de la Convention de

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales* (1950), mis en


place au sein du Conseil de l’Europe*, octroie aux particuliers un véritable
recours juridictionnel devant la Cour européenne des droits de l’homme*. Cette
Cour, qui siège à Strasbourg, peut condamner les Etats en cas de violation des
droits de l’homme garantis par la Convention et accorder des réparations. Elle
assure l’interprétation de la Convention et contribue à ce titre à l’harmonisation
de la conception des droits de l’homme en Europe (infra, ch. 3). On a pu évoquer,
à cet égard, la constitution d’un « ordre juridique distinct »65 commun aux 47
Etats membres du Conseil de l’Europe.

III. Les relations entre les ordres juridiques

Il existe donc une pluralité d’ordres juridiques dont il faut aménager la


coexistence. Ainsi, l’Etat belge doit-il coexister avec les autres Etats souverains,
tout en étant intégré à la fois à l’ordre de l’Union européenne et à l’ordre
international. A l’intérieur même de l’ordre juridique belge, l’Etat fédéral doit
également composer avec les communautés et les régions, dotées de compétences
importantes. Si chaque ordre juridique constitue un « tout », il faut néanmoins
envisager ses relations avec ce qui lui est extérieur, en particulier avec les autres
ordres juridiques, dont les principes sont parfois très différents.
Schématiquement, on distinguera cinq degrés croissants de prise en
considération d’un ordre juridique par un autre, qui vont de l’ignorance complète
à l’intégration au sein d’un ordre juridique unique.
1° Un ordre juridique peut délibérément ignorer un autre ordre juridique, par
rapport auquel il se considère totalement extérieur et indépendant. Tel est
le cas de l’ordre international à l’égard du droit interne des Etats. Ainsi,
l’article 27 de la Convention de Vienne sur le droit des traités (1969)
interdit aux Etats de se prévaloir de leur droit interne pour échapper à
l’exécution de leurs obligations internationales.
2° Un ordre juridique peut aussi tenter de régler unilatéralement ses
relations avec les autres ordres juridiques. Tel est le cas des dispositions de
droit international privé* propres à chaque Etat. Ainsi, le droit belge
admet l’application du droit étranger dans un certain nombre de
situations. Dans ces cas, un juge belge, éventuellement saisi d’une
contestation, fera application du droit étranger de préférence au droit
belge. Ce mode de régulation trouve cependant ses limites dans l’absence
de garantie de cohérence et de réciprocité de la part des autres Etats.
3° Une manière plus homogène de coordonner les relations entre les ordres
juridiques étatiques consiste dès lors à aménager ceux-ci de commun
accord par le moyen d’un traité*. Tel est le cas notamment des
conventions bilatérales* préventives de double imposition, qui aménagent

65 F. OST ET M. VAN DE KERCHOVE, De la pyramide au réseau, Bruxelles, F.U.S.L., 2002, p. 65.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

l’application des dispositions fiscales des Etats parties de manière à éviter


qu’une même opération ne soit taxée à la fois et donc cumulativement dans
l’un et l’autre pays. Tel est également le cas des conventions
multilatérales* qui fixent à tous les Etats parties des critères uniques pour
la détermination de la loi applicable en cas de litige.
4° Un pas supplémentaire est franchi vers l’intégration des ordres juridiques
lorsque des mécanismes institutionnels, notamment des recours
juridictionnels, sont créés en vue d’harmoniser les relations entre les
ordres juridiques et de régler les contestations éventuelles. Tel est le cas
des relations de l’ordre juridique de l’Union européenne avec les ordres
juridiques des Etats membres, qui sont réglées sur la base de certains
principes contrôlés et mis en œuvre par la Cour de justice de l’Union
européenne*.
5° Enfin, l’intégration institutionnelle entre différentes autorités peut être
tellement étroite que celles-ci peuvent être considérées comme formant un
ordre juridique unique. Tel est le cas des Etats fédéraux en général et de la
Belgique en particulier, en ce qui concerne les relations entre l’Etat
fédéral, les communautés et les régions. Non seulement ces relations sont
organisées et harmonisées au moyen de plusieurs institutions, dont la
Cour constitutionnelle*. Mais, en outre, les normes juridiques de ces
différentes entités sont appliquées et interprétées par un pouvoir judiciaire
unique.
Quel que soit leur degré d’intégration, les relations entre les ordres
juridiques peuvent être conçues sur la base de différents principes. La distinction
essentielle tient à la reconnaissance ou non d’un rapport de subordination entre
les ordres juridiques en relation.

1° Les relations entre ordres juridiques peuvent reposer sur un principe


d’égalité et exclure toute forme de subordination d’un ordre par rapport à
un autre. Tel est le cas des relations entre les Etats et, au sein de l’ordre
juridique belge, entre l’Etat fédéral, les communautés et les régions. Dans
ces cas, l’aménagement des relations entre les différents ordres juridiques
ne peut reposer que sur la base d’une répartition des compétences.

a. Le partage des compétences peut s’effectuer sur la base d’un critère


territorial. Ainsi, chaque Etat est en principe compétent pour régir les
situations qui se déroulent sur son territoire. Les frontières
internationalement reconnues des Etats fournissent un moyen essentiel
d’organiser les compétences juridiques respectives des Etats à travers
le monde. En outre, chaque Etat se voit reconnaître des liens et une
compétence particulière relativement à ses ressortissants.

b. La répartition des compétences peut également s’effectuer sur la base


d’un critère qui se fonde sur l’objet de la compétence (critère matériel).
Ainsi, l’Etat fédéral, les régions et les communautés sont dotés de
compétences spécifiques fixées par la Constitution* et les lois spéciales*
prises en vertu de celle-ci.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

2° Un ordre juridique peut également admettre la primauté d’un autre ordre


juridique et donc sa propre subordination par rapport à cet ordre. Tel est le
cas de l’ordre juridique belge par rapport à l’ordre de l’Union européenne et
à l’ordre international. Même dans cette hypothèse, le critère de
compétence doit souvent être combiné avec la subordination, dans la
mesure où les Etats ne transfèrent des compétences à des organisations
internationales que dans des domaines déterminés. Tel est le cas
notamment de l’Union européenne, qui doit en outre partager ses
domaines de compétence avec les Etats en vertu du principe de
subsidiarité* (infra, ch. 3).
En pratique, l’aménagement des relations entre les différents ordres
juridiques contribue à résoudre les conflits de normes*, provoqués par la
multiplication des niveaux normatifs, une même situation étant susceptible
d’être simultanément régie par plusieurs règles de droit divergentes ou
contradictoires émanant d’ordres juridiques distincts (infra, ch. 5).

IV. Les familles juridiques

Les ordres juridiques nationaux font traditionnellement l’objet d’un


classement. Sur la base des caractères communs que les droits de certains Etats
partagent avec d’autres, s’opère un regroupement en familles juridiques, parfois
également désignées sous le nom de traditions ou de cultures juridiques. Une
famille* juridique rassemble les droits de différentes sociétés qui sont considérés,
à l’issue d’un examen comparatif, comme suffisamment semblables pour faire
partie d’un même ensemble. Il s’agit de rendre compte de la multitude des droits
nationaux en réduisant cette multitude à des groupes plus ou moins homogènes.
La grande difficulté du regroupement des ordres juridiques en familles réside
dans le choix du (ou des) critère pertinent sur lequel repose le classement. La
lecture des ouvrages de droit comparé des soixante dernières années révèle que
les classifications proposées sont nombreuses. Le professeur J. Vanderlinden a
identifié quatorze critères servant à définir les systèmes juridiques et à fonder
leur comparaison66. A titre d’exemples, certains auteurs construisent leur
classification sur le rôle que le droit se voit assigner dans une société déterminée
et donc sur la place que celui-ci occupe par rapport à d’autres instruments
d’organisation sociale. Sur cette base, on distingue la famille juridique
« occidentale », où le droit joue un rôle prédominant, accepté et respecté parmi les
outils d’organisation de la société, des ordres juridiques où, soit la religion
supplante le droit comme facteur d’organisation sociale, soit le recours au droit
est perçu de manière négative comme mode de régulation des conflits sociaux.
D’autres auteurs vont, par contre, privilégier l’origine et le développement
historique d’un ordre juridique pour le caractériser. Ainsi, les systèmes romano-
germaniques sont-ils ceux dans lesquels la science juridique s’est construite sur

66 Comparer les droits, Diegem, Kluwer, 1995, pp. 312 et s.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

la base du droit romain. On en a cependant exclu, à une certaine époque, les


systèmes de droit socialiste nés de la Révolution russe et de la construction du
bloc de l’Est au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Le critère des sources* du droit, c’est-à-dire des modes de formulation du droit
(infra, ch. 4), paraît à ce jour le plus fécond et le plus pertinent pour regrouper les
ordres juridiques en familles. Le droit d’une société sort, en effet, de l’ombre et de
l’abstraction à partir du moment où il est exprimé par toute personne ou
institution qui se réclame d’une capacité à le formuler. Et chaque ordre juridique
se construit au départ de formulations de droit dont l’agencement et l’importance
relative permet l’identification et la comparaison.
Dans cette perspective, certains ordres juridiques sont essentiellement fondés
sur la coutume* : le mode de formulation du droit privilégié réside dans le
comportement des membres de la société qui le composent. Tel est le cas de
nombreuses sociétés européennes au Moyen Age. Tel est aussi le cas de certaines
sociétés africaines, américaines ou asiatiques avant (et parfois même après) leur
rencontre avec l’Europe colonisatrice ou avec l’Islam.
D’autres ordres juridiques assignent à la jurisprudence* une place centrale. Il
en va ainsi des systèmes de common law qui englobe la Grande-Bretagne et les
Etats qui sont issus de l’expansion de ce pays dans le monde : les Etats-Unis
d’Amérique, l’Australie, la Nouvelle-Zélande et le Canada, pour les colonies de
peuplement, ainsi que les anciennes colonies d’exploitation en Afrique, en
Amérique et en Asie. Cette famille de common law trouve ses racines dans
l’Angleterre du XIIe siècle, à la suite de la conquête normande. La consolidation
du pouvoir normand s’est en effet traduite par l’envoi à travers le pays de
seigneurs justiciers, détachés à l’origine du Conseil du Roi, pour contrôler les
juridictions locales et asseoir le pouvoir du souverain, source de toute justice. Ces
juges accomplissaient des circuits au cours desquels ils élaborèrent
progressivement un droit, la common law, en rendant la justice. Aujourd’hui
encore, les pays de common law reconnaissent aux précédents judiciaires une
valeur importante qui peut, dans certains cas, être équipollente à celle d’une loi
adoptée par une assemblée législative.
Il est, par contre, des ordres juridiques qui affirment la supériorité de la loi*,
en tant que source première du droit. Il en va ainsi de la famille dite de « droit
civil » qui s’oppose à celle de common law et qui regroupe de nombreux pays
européens, dont la Belgique. Ces pays ont subi l’influence des codifications
napoléoniennes et, principalement du Code civil de 1804. La loi (au sens large) y
est considérée comme le mode de formulation par excellence du droit tandis que
le statut de la jurisprudence est souvent plus controversé. Les familles de « droit
civil » et de common law se rejoignent parfois. Certains systèmes juridiques sont
en effet qualifiés de mixtes, car ils empruntent aux deux traditions pour des
raisons historiques. Il en va ainsi, par exemple, du Québec, de l’Ecosse ou de
l’Afrique du Sud, cette dernière ayant connu la présence successive des
hollandais et des britanniques.
Enfin, il est des ordres juridiques où la première place est accordée à la
révélation d’origine divine. Ce modèle, qui repose en grande partie sur des textes
révélés, se rencontre dans le monde musulman (Coran), dans le monde hébraïque

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

(Tora), dans les droits dits hindous (Védas) et dans les droits du Sud-est
asiatique reposant sur le bouddhisme.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

Chapitre 3 : Les institutions

La notion d’ordre juridique, rappelons-le, fait référence à des pouvoirs


auxquels correspondent des institutions qui produisent du droit. Il s’agit ici
d’aborder ces pouvoirs en identifiant les institutions publiques qui les exercent et
en analysant les modalités de cet exercice.
Aujourd’hui, aucun Etat ne peut plus être isolé de la communauté
internationale dans laquelle il est à la fois partie prenante et sujet de droit. Des
autorités supranationales, qu’elles relèvent de l’Union européenne ou
d’organisations plus larges comme le Conseil de l’Europe ou l’Organisation des
Nations Unies, engendrent également du droit applicable sur le territoire des
Etats qui en font partie. L’analyse du paysage institutionnel se doit donc
d’intégrer cette dimension européenne et internationale.

Section 1 : L’Etat belge

I. L’ordre constitutionnel

« Tous les pouvoirs émanent de la Nation. Ils sont exercés de la manière


établie par la Constitution » (art. 33 de la Constitution).
C’est par ces deux propositions que s’ouvre le Titre III de la Constitution*
belge, intitulé « Des pouvoirs ». Elles font appel à différentes notions qu’il
convient de préciser : celle de nation, de pouvoir et d’ordre constitutionnel.

A. La nation

1. Un concept à double sens

Le concept de nation* revêt deux sens distincts67. Dans un sens politique,


issu de la Révolution française, la nation désigne le peuple en tant qu’il se
constitue en corps politique. Elle se définit comme « un corps d’associés vivant
sous une loi commune et représenté par une même législature »68. Dans cette

67S. GOYARD-FABRE, Les principes philosophiques du droit politique moderne, Paris, P.U.F., 1997,
pp. 325 et s.
68 E. SIEYES, Qu’est-ce que le Tiers-Etat (1789).

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

acception, la nation est essentiellement liée à la constitution d’un Etat. L’Etat-


nation rassemble les citoyens liés par le contrat social. La citoyenneté est en ce
sens liée à la nationalité.
La nationalité* désigne le lien juridique qui relie chaque individu à un
Etat. Chaque Etat attribue souverainement sa nationalité aux individus qui se
trouvent dans les situations qu’il détermine selon des règles qui lui sont propres.
Cette attribution se fait en vertu de deux principes qui coexistent dans la plupart
des systèmes juridiques : le jus sanguinis selon lequel la nationalité se transmet
des parents aux enfants avec l’établissement du lien de filiation ; le jus soli en
vertu duquel la nationalité est déterminée par la naissance sur le territoire
national.
La citoyenneté étant liée à la nationalité, seuls les nationaux jouissent en
principe de l’exercice des droits politiques*, principalement le droit de voter aux
élections et d’être élu. Ce principe connaît cependant des aménagements en
faveur des résidents étrangers au niveau des élections locales.
Au cours du XIXe siècle, une autre dimension de la nation s’est développée,
renvoyant à l’appartenance culturelle, ethnique ou religieuse. En ce sens, la
nation n’évoque plus nécessairement un corps de citoyens, mais l’idée de
communauté. Les membres d’une même communauté sont unis par une langue,
un mode de vie, une histoire, une foi, etc. Ils peuvent être habités par un
sentiment national et aspirer à la création d’un Etat indépendant. Toutefois, en
fait comme en droit, l’existence d’une communauté n’est nullement liée à celle
d’un Etat. Beaucoup d’Etats abritent en leur sein plusieurs communautés et
certaines communautés sont réparties sur plusieurs Etats différents.
Lorsque les membres d’une communauté se trouvent en position
d’infériorité, notamment numérique, au sein d’un Etat, on parle de minorité. Une
minorité* peut être définie comme « Un groupe numériquement inférieur au reste
de la population d’un Etat, en position non-dominante, dont les membres
ressortissants de l’Etat, possèdent du point de vue ethnique, religieux ou
linguistique, des caractéristiques qui diffèrent du reste de la population et
manifestent, même de façon implicite, un sentiment de solidarité, à l’effet de
préserver leur culture, leurs traditions, leur religion ou leur langue »69.
Les minorités et leurs membres peuvent se voir reconnaître, au sein des
Etats, des statuts juridiques et des droits particuliers, notamment en matière
d’emploi des langues, d’éducation et de culture, ou encore pour les protéger contre
d’éventuelles discriminations. La question des « nationalités » et la protection des
minorités constituent des domaines particulièrement délicats en droit
international*70.

69 FR. CAPOTORTI, Etude des droits des personnes appartenant aux minorités ethniques,
religieuses et linguistiques, ONU, N.Y., 1991, cité par CH-E. LAGASSE, Les nouvelles institutions
politiques de la Belgique et de l’Europe, Bruxelles, Erasme, 2003, pp. 428 et s.
70 En tant qu’elle touche, à la fois et de manière contradictoire, au droit souverain des peuples à

disposer d’eux-mêmes et au principe de non-ingérence dans les affaires intérieures des Etats.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

2. La nation belge

Dans l’article 33 de la Constitution, la « nation » est entendue au sens


politique. En proclamant que « Tous les pouvoirs émanent de la Nation », La
Constitution proclame le principe de la souveraineté nationale*. Dans les
relations internationales, cette théorie affirme l’indépendance de l’Etat qui se
manifeste notamment par le principe de non-ingérence dans ses affaires
intérieures. Sur le plan interne, la souveraineté nationale identifie la nation
comme détenteur de l’autorité suprême. En d’autres termes, elle pose le principe
suivant lequel la souveraineté n’appartient pas à ceux qui détiennent le pouvoir
mais au groupe social, entité abstraite, distincte des individus qui le composent.
Incapable d’exercer elle-même les pouvoirs qui émanent d’elle, la nation en
délègue l’exercice à diverses institutions.
Par contre, c’est davantage au sens communautaire que Léopold Ier,
premier Roi des Belges, se réfère, lorsqu’il dit en 1859 : « La Belgique n’a pas de
nationalité et vu le caractère de ses habitants ne pourra jamais en avoir »71. Plus
nettement, Jules Destrée écrira plus tard dans sa fameuse Lettre au Roi : « Sire
(…) Vous régnez sur deux peuples. Il y a en Belgique, des Wallons et des
Flamands ; il n’y a pas de Belges »72. Cette coexistence de plusieurs communautés
au sein de l’Etat belge conduira progressivement à la transformation de la
Belgique en un Etat fédéral dans lequel les différentes communautés et régions
se voient reconnaître des compétences de plus en plus importantes.

B. Les pouvoirs

Le pouvoir* renvoie à l’autorité dont jouit tout organe de la puissance


publique dans l’exercice de ses attributions. Le pouvoir désigne ainsi la
prérogative que détient toute institution publique d’imposer d’autorité les
décisions prises dans son champ de compétences, si nécessaire, par la force.
Les pouvoirs sont désormais divisés, par référence à la fonction qu’ils
remplissent, entre pouvoir législatif, pouvoir exécutif et pouvoir judiciaire. Selon
cette division fondamentale, l’Etat remplit trois fonctions essentielles :
1° la fonction législative qui consiste à créer des règles de droit à caractère
général ;
2° la fonction exécutive qui tend à l’application de ces règles de droit et qui
comprend également l’adoption des normes juridiques que nécessite cette
mise en œuvre dans le respect de l’intérêt général ;

71 Cité par J. STENGERS, « La Belgique de 1830 – une nationalité de convention ? », in Histoires et


historiens depuis 1830 en Belgique, Rev. U.L.B., 1981/1-2, p. 9.
72 Lettre au Roi sur la séparation de la Wallonie et de la Flandre, éd. Weissenbruch, tiré à part de
la Revue de Belgique, Bruxelles, 1912.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

3° la fonction judiciaire (ou juridictionnelle) qui consiste à trancher les


contestations qui naissent de l’application de l’ensemble de ces règles
juridiques.
Cette division tripartite des pouvoirs repose principalement sur la pensée
de philosophes des XVIIe et XVIIIe siècles comme John Locke et Montesquieu,
une pensée qu’ils ont notamment développée dans leurs ouvrages respectifs
Treatises on civil government (1690) et De l’Esprit des lois (1748). Pour ces
auteurs, la séparation de ces trois pouvoirs est une garantie indispensable contre
l’absolutisme et la tyrannie. Afin que la liberté des individus soit garantie, les
fonctions législative, exécutive et judiciaire ne peuvent être concentrées en une
seule main, mais doivent être confiées à des institutions distinctes. Cette théorie
de la séparation des pouvoirs* constitue un principe fondamental de la
démocratie73.

C. L’organisation des pouvoirs publics dans l’ordre constitutionnel

En 1831, le Congrès national élu, représentant la nation belge, a mis en


place une monarchie parlementaire fondée sur le principe de la souveraineté
nationale. En tant que pouvoir constituant originel, il a adopté les principes
d’organisation et de fonctionnement des pouvoirs publics et les a inscrits dans un
texte fondamental, la Constitution*.
Ces pouvoirs sont dits constitués car ils sont créés par la Constitution. Ils
doivent être exercés de la manière établie par la Chartre fondatrice de l’Etat
belge qui les définit et en détermine les procédures.
Ainsi, la Constitution prévoit que « Nul tribunal, nulle juridiction
contentieuse ne peut être établi qu’en vertu d’une loi. Il ne peut être créé de
commissions ni de tribunaux extraordinaires, sous quelque dénomination que ce
soit » (art. 146). Cette disposition implique notamment que même si Bruxelles
était partiellement détruite par une vague d’attentats, la mise sur pied, en raison
de la gravité des faits, de tribunaux spéciaux pour juger les auteurs présumés de
ces actes terroristes, est prohibée. Par ailleurs, la Constitution dispose que « Le
pouvoir législatif fédéral s’exerce collectivement par le Roi, la Chambre des
représentants et le Sénat » (art. 36). Et ce texte ne prévoit pas le référendum
comme mode d’élaboration d’une norme législative. On en déduit
traditionnellement que l’adoption d’une loi fédérale implique nécessairement le
concours du parlement fédéral et du Roi74.
La Constitution belge n’aborde pas les pouvoirs dans une perspective
fonctionnelle, mais bien dans une perspective organique, c’est-à-dire en mettant

73 Nous verrons cependant que comprise de manière absolue, elle est impraticable. L’Etat belge
est en réalité fondé sur une séparation des pouvoirs tempérée par des mécanismes de
collaboration et de contrôle entre ceux-ci (infra, ch. 6).
74 Des consultations populaires peuvent toutefois être organisées au niveau local et régional

(infra, ch. 6).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

l’accent sur les organes qui les exercent. Au rang de pouvoirs, le titre III de la
Constitution range aujourd’hui :
- le pouvoir législatif fédéral composé de trois branches : la Chambre des
représentants*, le Sénat* et le Roi* ;
- le pouvoir exécutif fédéral chapeauté par le Roi et qui comprend les
ministres*, les secrétaires d’Etat* ainsi que les services publics* dont ils
ont la charge ;
- les pouvoirs fédérés des communautés* et des régions* qui sont de nature
législative et exécutive et qui sont exercés respectivement par des
parlements et par des gouvernements ;
- le pouvoir juridictionnel qui se compose des cours et tribunaux de l’ordre
judiciaire*, mais aussi des juridictions de l’ordre administratif* et de la
Cour constitutionnelle* ;
- les pouvoirs subordonnés des provinces* et des communes*.

II. Les pouvoirs constitués d’un point de vue territorial

A. La Belgique, d’un Etat unitaire vers un Etat fédéral

Lors de sa création en 1831 et jusqu’en 1970, la Belgique est un Etat


unitaire décentralisé : unitaire puisqu’elle comporte un niveau unique de pouvoir
souverain compétent sur l’ensemble du territoire national ; décentralisé en ce
sens que le législateur a confié aux provinces et aux communes la gestion des
intérêts locaux sous le contrôle et l’autorité du pouvoir central, c’est-à-dire du
parlement et du gouvernement. Cette structure institutionnelle a été
profondément bouleversée depuis 1970 par deux mouvements parallèles : la
communautarisation et la régionalisation. La transformation est à ce point
profonde qu’elle est aujourd’hui cristallisée dans l’article 1er de la Constitution.
Ce dernier dispose depuis 1993 que « La Belgique est un Etat fédéral qui se
compose des communautés et des régions ».
Deux principes sont à la base du fédéralisme* : le principe d’autonomie qui
détermine la part de souveraineté reconnue aux entités fédérées qui sont dotées
d’organes exerçant à tout le moins des fonctions législative et exécutive ; et le
principe de participation sur la base duquel sont définies les modalités de
représentation des différentes entités dans l’exercice du pouvoir fédéral. Dans un
Etat fédéral, plusieurs législateurs se côtoient sur un pied d’égalité, alors que
dans un Etat unitaire décentralisé, les collectivités locales sont toujours soumises
à la tutelle* du pouvoir central et ne sont donc pas pleinement autonomes dans
leur sphère de compétences.
La métamorphose institutionnelle de la Belgique trouve ses racines dans la
configuration même du jeune Etat belge. Au moment de sa création, la Belgique
est un Etat de type aristocratique et bourgeois où, comme dans une bonne partie

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

de l’Europe, le français est la langue dominante parmi les classes dirigeantes qui
concentrent le pouvoir politique en vertu du suffrage censitaire. Seuls ceux qui
paient le cens, c’est-à-dire l’impôt, et qui vivent dans la prospérité sont électeurs
et éligibles. Le français s’impose ainsi comme la langue officielle du pays tandis
que la plus grande partie de la population, tant au Sud qu'au Nord, utilise divers
dialectes dans la vie de tous les jours. A cette époque, le français est la langue des
lois et des arrêtés, de la justice, de l’enseignement et de l’armée. L’emploi des
langues est toutefois libre. Dans ses rapports avec les autorités, chacun peut se
servir du français ou du flamand.
Tandis que dans le Sud du pays, le français gagne toutes les couches de la
population et remplace peu à peu les dialectes wallons, le Nord du pays voit se
développer un « mouvement flamand » qui défend l’affirmation linguistique et
culturelle de la Flandre. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, les avancées du
flamand sont visibles dans le paysage politique belge. En 1865, un parlementaire
prête serment dans cette langue alors que le français est traditionnellement
utilisé dans les assemblées législatives. Ensuite, différentes lois reconnaissent
l’emploi du flamand dans la magistrature (1873), dans l’administration (1878),
dans l’enseignement secondaire (1883) et universitaire (1890), dans l’armée
(1913). En 1898, la loi dite « d’égalité » est adoptée : elle établit le principe
d'équivalence, sur le plan juridique, des textes flamands et français des lois et
arrêtés royaux. Le flamand accède ainsi au statut de langue officielle. Désormais,
les lois belges sont votées, sanctionnées, promulguées et publiées dans les deux
langues au Moniteur belge*, le Journal officiel des textes normatifs de la
Belgique. Mais ce n’est qu’en 1961 qu’un texte autorisé de la Constitution sera
disponible en néerlandais. Il faudra attendre 1991 pour la version allemande.
Peu à peu, les dialectes flamands sont unifiés sur la base de la langue
néerlandaise. Celle-ci est utilisée, en Flandre, par l'administration et dans toutes
les communications au public, tandis qu’elle est enseignée dans les écoles et enfin
dans les universités à partir de 1930. L’adoption du suffrage universel masculin
dès 1919 confère à la Flandre le poids nécessaire au parlement pour donner à ses
revendications linguistiques et culturelles une véritable dimension politique.
Dans le domaine de l’emploi des langues, les lois vont se succéder marquant le
passage d’une approche individuelle de cette matière vers une conception
collective. Les régions linguistiques se mettent progressivement en place et, avec
elles, l’unilinguisme s’instaure dans la majeure partie du pays. Dans les années
soixante, la frontière linguistique est définitivement tracée. Quatre régions
linguistiques* sont créées75 :
- la région de langue néerlandaise qui comprend les cinq provinces actuelles
du Nord du pays (Flandre orientale, Flandre occidentale, Anvers, Brabant
flamand76 et Limbourg) ;

75 Voy. la carte ci-dessous.


76Jusqu’en 1995, le Brabant ne constituait qu’une seule province au travers de laquelle passait la
frontière linguistique.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

- la région de langue française qui se compose du Hainaut, du Brabant


wallon, des provinces de Namur et du Luxembourg ainsi que de la province
de Liège mis à part ses neuf communes germanophones ;
- la région de langue allemande qui comporte les neufs communes
germanophones de la province de Liège77 ;
- la région bilingue de Bruxelles, formée par les 19 communes de
l’agglomération bruxelloise78.
Au sein de ces régions linguistiques, quatre groupes de communes doivent
toutefois accorder des « facilités » à leur « minorité » linguistique79. Il s’agit :
- de certaines communes néerlandophones de la périphérie bruxelloise pour
leur « minorité » francophone80 ;
- des neuf communes germanophones de la province de Liège pour leur
« minorité » francophone ;
- de certaines communes francophones pour leur « minorité »
germanophone ;81

- de certaines communes de la frontière linguistique pour leurs « minorités »


néerlandophone82 ou francophone83 respectives.
Dans ces communes dites « à facilités », les habitants de la minorité
linguistique reconnue ont notamment le droit d’y obtenir tous les documents
administratifs dans leur langue. Ces droits spéciaux s’étendent également à
l’enseignement maternel et primaire, aux relations entre partenaires sociaux, et
à certaines affaires judiciaires.

77 La Calamine (Kelmis), Eupen, Lontzen, Raeren, Butgenbach (Bütgenbach), Bullange

(Büllingen), Amblève (Amel), Saint-Vith (Sankt-Vith), Burg-Reuland.


78Anderlecht, Auderghem, Berchem-Sainte-Agathe, Bruxelles Ville, Etterbeek, Evere, Forest,
Ganshoren, Ixelles, Jette, Koekelberg, Molenbeek-Saint-Jean, Saint-Gilles, Saint-Josse-ten-
Noode, Schaerbeek, Uccle, Watermael-Boitsfort, Woluwe-Saint-Lambert, Woluwe-Saint-Pierre.
79 Le terme « minorité » peut prêter à sourire à la lumière des données statistiques.
80 Drogenbos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Wemmel et Wezembeek-Oppem.
81 Malmedy et Waimes (Weimes).
82 Parmi d’autres, Comines-Warneton et Mouscron.
83 Parmi d’autres, les Fourons.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Les quatre régions linguistiques84

Contrairement aux communautés* et régions*, ces quatre régions


linguistiques ne sont pas des structures politiques dotées d’organes ou
d’institutions propres. Elles déterminent la langue qu’utilise, dans ses rapports
avec les citoyens, tel poste de police, telle administration communale, telle crèche
subventionnée, tel athénée, tel tribunal, etc. Les régions linguistiques n’en
préfigurent pas moins la division de l’Etat belge en quatre zones territoriales sur
lesquelles s’appuient les actuelles entités fédérées que sont les communautés et
les régions. En dessinant des frontières à l’intérieur de la Belgique le législateur
a, dès les années soixante, jeté les bases d’un système fédéral. La réforme de
l’Etat était en marche. Elle mobilisera beaucoup de temps et d’énergie et a déjà
engendré plusieurs révisions constitutionnelles depuis 1970. Aujourd’hui, la
réforme de l’Etat semble avoir entamé sa dernière ligne droite avec la poursuite
de la mise en œuvre du principe de participation. La composition et les
compétences du Sénat ont ainsi été profondément remaniées en 2014 pour
garantir la participation des élus des entités fédérées à l’organisation et au

84 Cartes tirées du site de l’Institut géographique national : http://www.ngi.be/FR/FR2-11-4.shtm.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

fonctionnement de l’Etat fédéral, ainsi que pour créer un lieu de rencontre pour
les parlements de communauté et de région85.
De prime abord, le visage institutionnel de la Belgique est
particulièrement délicat à saisir car il cumule deux types d’entités fédérées : les
communautés et les régions. Un tel chevauchement s’explique par des motifs
historiques. Nous avons vu que les revendications de la Flandre étaient
essentiellement d’ordre linguistique et culturel. Elles vont donner naissance, en
1970, aux communautés, qualifiées à l’origine de « culturelles ». A ce
« mouvement flamand » va répondre, principalement après la seconde guerre
mondiale, un « mouvement wallon », notamment mû par des considérations
économiques et sociales. Les industries charbonnières et sidérurgiques qui
formaient jusqu’alors l’épine dorsale de l’économie wallonne sont en déclin et
cette situation appelle la création d’infrastructures modernes pour enrayer
l’enlisement. Or, la courbe démographique décroissante, plus marquée en
Wallonie qu’en Flandre, se fait sentir dans la représentation parlementaire et
conduit la Wallonie à vouloir prendre son destin économique en main en se
dotant d’entités politiques compétentes dans ces matières. Les régions sont ainsi
nées en même temps que les communautés, même s’il faut attendre les années
1980 pour qu’elles soient véritablement organisées et pourvues d’institutions
propres.

B. L’autorité fédérale

La réforme de l’Etat belge a entraîné une redistribution des pouvoirs


législatif et exécutif. En Belgique, la loi n’est pas la même pour tous. Entre Liège
et Anvers, vous serez soumis à des normes législatives et réglementaires
différentes. La Chambre des représentants, le Sénat et le Roi ont perdu le
monopole de l’exercice de la fonction législative. De même, le gouvernement et le
Roi ne sont pas seuls en charge de la fonction exécutive.
Les institutions nationales, qualifiées aujourd’hui de fédérales, ont donc
cédé une partie de leurs compétences. Cette nouvelle répartition des compétences
s’est faite au profit d’institutions fédérées qui exercent également les fonctions
législative et exécutive. L’autorité fédérale et les entités fédérées se partagent
ainsi, au sein de l’Etat belge, le pouvoir de décision sur un pied d’égalité selon
l’aménagement constitutionnel de leurs compétences territoriales et matérielles.
Les institutions fédérales sont toujours habilitées à adopter des lois et à
prendre des arrêtés et règlements qui s’appliquent sur l’ensemble du territoire
national, mais elles ne peuvent plus, comme par le passé, intervenir dans toutes
les matières. Une série de domaines relèvent toujours du fédéral au motif qu’ils
ont trait à l’intérêt général du royaume.

85 Proposition de révision de l’article 43 de la Constitution, Développements, Doc. parl., Sénat,

2011-2012, n° 5-1720/1, p. 2.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Il s’agit, notamment, de :
- la justice et l’organisation du pouvoir judiciaire ;
- la défense ;
- la politique étrangère qui comprend notamment les relations
diplomatiques de la Belgique et la coopération au développement, sous
réserve des compétences internationales confiées aux communautés et aux
régions ;
- l’union économique et monétaire : la politique monétaire, la protection de
l’épargne, la politique des prix et des revenus, le droit de la concurrence, le
droit des pratiques du commerce, la protection des consommateurs, le droit
commercial* et le droit des sociétés, les conditions d’accès à la profession,
la propriété intellectuelle, le droit du travail*, etc. ;
- les affaires intérieures : la police, la sûreté publique, les plans
« catastrophe », la politique d’immigration, etc. ;
- le nucléaire ;
- les entreprises publiques, telles que la Société nationale des chemins de fer
belges, l’aéroport de Bruxelles-National, la Poste et certains
établissements culturels et scientifiques nationaux (Théâtre Royal de la
Monnaie, Palais des Beaux-Arts, Bibliothèque Royale, dite l’Albertine,
etc.) ;
Suite à la sixième réforme de l’Etat, des aspects de la sécurité sociale
(communautarisation des allocations familiales notamment) et du droit civil
(régionalisation du droit du bail) échappent à la compétence de l’Etat fédéral.
D’autres compétences ont également éte transférées vers les entités fédérées
comme les soins de santé, la sécurité routière, les maisons de justice, etc.86

Jusqu’à présent, les compétences résiduelles reviennent toujours à l’Etat


fédéral qui est dès lors compétent dans toutes les matières qui ne sont pas
confiées formellement par des textes aux entités fédérées. Ces dernières ont,
quant à elles, reçu des compétences d’attribution, limitativement énumérées. Des
réformes ont cependant été amorcées pour inverser cette situation87.

86Voy. notamment les articles 5 et 6 de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août


1980, tel que modifié le 6 janvier 2014 (M.B., 31 janvier 2014).
87 Voy. l’article 35 de la Constitution qui prévoit le transfert des compétences résiduelles aux

entités fédérées.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

C. Les entités fédérées

1. Ressort territorial des communautés et des régions

La Constitution énonce aujourd’hui que « La Belgique comprend trois


communautés : la Communauté française ; la Communauté flamande et la
Communauté germanophone » (art. 2). Par ailleurs, elle dispose également que
« La Belgique comprend trois régions : la Région wallonne, la Région flamande et
la Région bruxelloise » (art. 3).
Les entités fédérées que sont les communautés et les régions constituent
de véritables structures politiques autonomes. Elles sont dotées d’organes
législatifs et exécutifs propres et, dans leur domaine de compétences, elles
adoptent des normes d’une valeur juridique équivalente à celle des normes de
l’autorité fédérale.
Les trois régions divisent le territoire national de la manière suivante88 :
- la Région flamande embrasse les cinq provinces flamandes ;
- la Région wallonne comprend les cinq provinces wallonnes ;
- la Région bruxelloise, aujourd’hui dénommée Région de Bruxelles-
Capitale, recouvre les 19 communes de l’agglomération bruxelloise.
Quant aux communautés, elles ne se définissent pas a priori en termes de
territoire, mais par rapport aux personnes qui relèvent de leurs compétences. Les
communautés sont ainsi définies par référence aux régions linguistiques qui,
rappelons-le, ne sont pas des structures politiques, mais qui déterminent la
langue utilisée par les institutions publiques dans leurs rapports avec les
citoyens. Le ressort de compétence des communautés est le suivant :
- la Communauté flamande correspond à la région de langue néerlandaise.
Elle exerce également certaines compétences à Bruxelles ;
- la Communauté française correspond à la région de langue française. Elle
aussi exerce certaines compétences à Bruxelles ;
- la Communauté germanophone correspond à la région de langue
allemande.
La Communauté flamande et la Région flamande recouvrent donc une
même entité. Par contre, Communauté française et Région wallonne ne
coïncident pas, la Région wallonne comprenant également les communes de la
région de langue allemande qui forment la Communauté germanophone.
L’exercice des compétences communautaires à Bruxelles complique encore
le paysage institutionnel belge. Les Communautés flamande et française sont
compétentes dans la région bilingue de Bruxelles-Capitale pour les institutions
qui se rattachent exclusivement à l’une ou l’autre communauté en raison de leurs
activités ou de leur organisation (domaine du « mono-communautaire »). Ainsi,

88 Voy. la carte ci-dessous.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

par exemple, la Communauté française est compétente pour les écoles, les
universités (notamment l’U.L.B.) et les théâtres francophones de Bruxelles ou
pour les cliniques universitaires Saint-Luc qui dépendent de l’U.C.L. Quant au
reste de l’exercice des compétences communautaires à Bruxelles, comprendre le
système institutionnel mis en place dans la capitale belge relève presque de la
gageure. Qu’il nous suffise de dire ici qu’une loi spéciale* a institué trois
collectivités politiques qui prennent en charge à Bruxelles certaines matières
communautaires : la Commission communautaire française (dite « Cocof »), la
Commission communautaire flamande (dite « Cocon ») et la Commission
communautaire commune (dite « c.c.c. » ou « Cocom »). Chacune de ces
collectivités publiques est dotée d’une assemblée et d’un exécutif (nommé Collège)
et est, dans une certaine mesure, soumise à l’autorité de tutelle* des
Communautés flamande et/ou française89.

89Pour plus de détails, voy. M. UYTTENDAELE, Trente leçons de droit constitutionnel, Bruxelles,
Bruylant, 2011, pp. 751 et s.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

La Belgique des régions90

2. Compétences matérielles des communautés et des régions

a) Principe

A ce jour, les communautés et les régions n’ont de compétences que celles


qui leur ont été attribuées par la Constitution ou les lois spéciales*. Ces
compétences, dites d’attribution, sont limitativement énumérées, alors que
l’autorité fédérale est en charge du reste par le jeu des compétences résiduelles.

90 Carte tirée du site de l’Institut géographique national : http://www.ngi.be/FR/FR2-11-3.shtm.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Ces compétences d’attribution sont exclusives en ce sens que l’Etat fédéral n’est
plus habilité à intervenir dans les matières qu’elles visent. Il n’y a donc pas en
Belgique, contrairement à d’autres Etats fédéraux, de compétences concurrentes.
A défaut d’attribution expresse, les communautés et régions peuvent
néanmoins être compétentes en application de la théorie des pouvoirs implicites*.
En vertu de cette théorie, les entités fédérées reçoivent des compétences qui ne
leur ont pas été formellement attribuées si celles-ci sont nécessaires à l’exercice
des compétences qu’elles ont expressément reçues. Au nom du principe de l’effet
utile des compétences attribuées à titre principal, la règle des pouvoirs implicites
prévaut dans tout Etat fédéral. Il s’agit d’éviter que les compétences confiées aux
entités fédérées ne demeurent symboliques. Ainsi, par exemple, les régions ont
été reconnues compétentes par la Cour constitutionnelle* pour limiter le droit de
propriété (qui relève du droit civil et donc, en principe, du fédéral) afin de
poursuivre leur politique en matière d’aménagement du territoire ou de
conservation de la nature (domaines qui ont été confiés aux régions)91.
Afin d’assurer une gestion cohérente de certains secteurs interdépendants,
des accords de coopération* peuvent être conclus entre l’autorité fédérale, les
communautés et les régions. Ils permettent aux différentes entités politiques du
royaume d’exercer conjointement des compétences propres ou de développer des
initiatives en commun. De tels accords de coopération ont notamment été conclus
entre les régions pour régler les questions relatives aux routes et autoroutes, aux
voies hydrauliques et aux services de transport en commun dépassant les limites
territoriales d’une seule région.

b) Les communautés

Créées sous l’impulsion du « mouvement flamand » qui revendiquait la


reconnaissance de l’identité culturelle et linguistique de la Flandre, les
communautés ont été définies par référence aux personnes habitant le royaume.
Leurs compétences ont été déterminées dans cet esprit.

Ont ainsi été confiés aux communautés :


- les matières culturelles : théâtres, musées, bibliothèques et médiathèques,
services de médias audiovisuels et sonores, soutien à la presse écrite,
éducation permanente et animation culturelle, formation préscolaire,
postscolaire et parascolaire, formation artistique, promotion sociale,
reconversion et recyclage professionnel, etc. ;
- l’enseignement, de la maternelle à l’université ;
- l’emploi des langues dans les matières administratives, dans
l’enseignement et dans les relations de travail. Cette compétence ne
s’exerce pas dans les communes « à facilités ». C’est à l’Etat fédéral qu’il

91 Cour d’arbitrage, 6 juin 1995, arrêt n° 41/95.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

revient d’appliquer le statut linguistique spécial garantissant le droit des


minorités linguistiques ;
- les matières dites personnalisables (par opposition aux matières
localisables qui sont du ressort des régions). Celles-ci comprennent
notamment la politique de la santé qui vise tant la médecine préventive
(dépistage du cancer ou de la tuberculose, lutte contre le tabagisme, etc.)
que la médecine curative (soins en milieu hospitalier, soins à domicile,
homes pour personnes âgées, etc.), l’aide aux personnes (l’aide à la
jeunesse, l'aide sociale, l'aide aux familles, l’organisation et le
fonctionnement des maisons de justice, la politique d'accueil et
d’intégration des immigrés, la politique du troisième âge, etc.) et les
prestations familiales ;
- la recherche scientifique dans les domaines qui relèvent des compétences
précédemment citées ;
- les relations internationales dans les domaines qui relèvent des
compétences précédemment mentionnées. Ceci signifie que les
compétences internes des communautés se prolongent sur la scène
internationale. Les communautés sont donc habilitées, au même titre que
l’Etat fédéral (et les régions), à conclure des traités* et à envoyer des
représentants dans les organisations internationales*.

c) Les régions

Produits des revendications du « mouvement wallon » qui réclamait


l’autonomie en matière de politique économique et sociale, les régions exercent
des compétences très nombreuses dans les domaines qui touchent à « l’occupation
du territoire » au sens large du terme. Leur trait commun est d’être localisables.
Elles peuvent être regroupées en quatre catégories.

1°) Le cadre de vie


- l’aménagement du territoire et l’urbanisme : politique foncière, rénovation
urbaine, monuments et sites, etc. ;
- l’environnement et la politique de l’eau : protection de l’air, de l’eau, du sol
et du sous-sol contre la pollution, lutte contre le bruit, politique des
déchets, production et distribution de l’eau, etc. ;
- la rénovation rurale et la protection et la conservation de la nature : zones
d’espaces verts, parcs, forêts, chasse et tenderie, pêche fluviale, cours d’eau
non navigables, etc. ;
- le logement : location de biens destinés à l’habitation, logement social,
police des habitations qui constituent un danger pour la salubrité
publique, primes à la réhabilitation, etc.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

2°) Les compétences à caractère économique et social


- la politique économique : les aides publiques aux entreprises, le crédit, la
politique des débouchés et les exportations, le commerce des armes, etc. ;
- la politique de l’emploi : placement des travailleurs, programmes de remise
au travail des demandeurs d’emploi, etc. ;
- la politique de l’énergie : distribution d’électricité et de gaz, utilisation
rationnelle de l’énergie, etc. ;
- la politique agricole et la pêche maritime ;
- le tourisme.

3°) Les transports et les travaux publics


Construction de routes et d’autoroutes, réglementation des transports en
commun urbains et vicinaux, voies navigables et ports, certains aéroports,
sécurité routière (notamment pour la détermination des limites de vitesse sur la
voie publique, à l’exception des autoroutes), etc.

4°) Les pouvoirs locaux


Parmi bien d’autres, la tutelle* sur les provinces et les communes ou le
financement général des pouvoirs locaux.

Au même titre que les communautés, les régions sont compétentes pour la
recherche scientifique et les relations internationales dans la sphère de leurs
attributions.

d) Difficultés

Les compétences communautaires et régionales ont des contours


complexes, émaillés d'exceptions et de restrictions. Quelques exemples suffisent à
montrer à quel casse-tête citoyens et juristes sont confrontés.
Les matières culturelles.- Les communautés sont compétentes pour
soutenir diverses formes de création artistique. Toutefois, compte tenu de la
dimension économique de ce secteur, les régions sont compétentes pour en régler
d’autres aspects, comme le soutien à la production et à la diffusion. De même
l’autorité fédérale continue à intervenir dans ce domaine, notamment pour ce qui
concerne les droits d’auteur.
L’enseignement.- Les communautés se sont vues confier ce domaine, mais
la Constitution a réservé trois aspects à l’autorité fédérale : la fixation du début
et de la fin de l’obligation scolaire, les conditions minimales pour la délivrance
des diplômes92 et le régime des pensions de retraite.

92Par exemple, les Communautés sont libres de décider du contenu des programmes du primaire
et du secondaire, sous la réserve de l’obligation faite aux écoles publiques de prévoir un cours de

65 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

L’économie.- Elle relève des régions, mais l’Etat fédéral reste compétent
dans la mesure nécessaire au maintien de l'union économique et monétaire de la
Belgique. Cette union économique et monétaire est aujourd’hui largement définie
par l’Union européenne. C’est à l’Etat fédéral qu’il revient de gérer, dans le cadre
européen, la politique monétaire, la protection de l’épargne, la politique générale
des prix et des revenus, le droit du travail*, la propriété intellectuelle, le droit de
la concurrence, etc.
Le transport.- Il relève des régions, mais l’autorité fédérale reste
compétente pour la S.N.C.B., l’aéroport de Bruxelles-National et les aérodromes
militaires.
Au quotidien, cet enchevêtrement de compétences ne facilite pas le travail
des responsables politiques. Prenons, par exemple, la directive* européenne du
29 juin 2000, relative à la mise en œuvre du principe de l'égalité de traitement
entre les personnes sans distinction de race ou d'origine ethnique93. Ce texte
européen vise à lutter contre les discriminations fondées sur la « race » ou
l’origine ethnique dans différents domaines dont l’accès à l'emploi, la formation
professionnelle, les conditions de travail et le licenciement. Il protège notamment
les personnes qui se voient refuser un travail en raison de la couleur de leur peau
ou qui sont harcelées sur leur lieu de travail pour un motif similaire. Afin que
cette directive européenne sorte tous ses effets en Belgique, les autorités belges
ont dû la transposer, endéans un certain délai, dans un texte législatif. Pour que
cette transposition soit complète, l’Etat fédéral, les communautés et les régions
ont dû légiférer puisque la matière de l’emploi au sens large est éclatée entre les
différentes entités territoriales habilitées à exercer la fonction législative94. Dans
la pratique, de telles situations créent souvent maints quiproquos quant aux
tâches et responsabilités incombant à chacun.
A cet enchevêtrement de compétences qui n’est pas toujours aisément
décryptable s’ajoute une disparité de compétences entre les différentes entités
fédérées. On parle, à cet égard, du caractère asymétrique du fédéralisme belge.
Au Nord du pays, la Communauté flamande et la Région flamande, qui
correspondent toutes deux à la région linguistique de langue néerlandaise, ont
fusionné leurs organes législatifs et exécutifs. Il existe donc un seul parlement
flamand et un gouvernement flamand unique, compétents à la fois pour les
matières communautaires et régionales. Au Sud du pays, une des réponses
politiques fut de parler de la Fédération Wallonie-Bruxelles en lieu et place de la
Communauté française dont le parlement se présente comme l'assemblée
représentative de la population de la Région wallonne de langue française et des

morale et de religion. Les religions reconnues sont les cultes catholique, protestant, anglican,
orthodoxe, israélite et islamique.
93Directive 2000/43/CE du Conseil du 29 juin 2000, Journal officiel n° L 180 du 19 juillet 2000,
pp. 22 à 26.
94 Au moment de la transposition, l’autorité fédérale réglait les conditions d’accès au travail

salarié, non salarié ou indépendant, les conditions d'emploi et de travail, le licenciement. Les
communautés s’occupaient de la formation professionnelle. Les régions étaient compétentes en
matière de placement des travailleurs et des demandeurs d’emploi.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

francophones de la Région de Bruxelles-Capitale. Cette nouvelle dénomination


n’est toutefois pas reconnue par la Constitution. Par ailleurs, la Communauté
française, en proie aux affres d’un déficit structurel, a transféré en 1993 une
partie de ses compétences à la Région wallonne et à la Région de Bruxelles-
Capitale95. Enfin, la Région wallonne a également transféré certaines
compétences à la Communauté germanophone, notamment la politique de
l’emploi ou la gestion des monuments et sites.

3. Les organes des communautés et des régions

Chaque communauté et région est dotée d’une assemblée parlementaire


élue directement par la population tous les cinq ans et d’un gouvernement
responsable devant cette assemblée. Si la Constitution a d’abord donné aux
assemblées le nom de conseils, la plupart d’entre elles ont choisi de s’intituler
parlements et de qualifier leurs membres de députés. Ces termes sont porteurs
d’une symbolique beaucoup plus forte et attestent du souci des entités fédérées
d’être mises sur le même pied que le parlement fédéral. Cette terminologie a, du
reste, été finalement consacrée par la Constitution96.

a) Composition des parlements et des gouvernements des entités


fédérées

Aujourd’hui, outre le parlement fédéral, La Belgique compte cinq97


assemblées législatives régionales et/ou communautaires98 :
- le parlement de la Région de Bruxelles-Capitale ou parlement bruxellois
qui comprend 89 députés élus directement par la population bruxelloise
sur des listes unilingues, francophone ou flamande. Les députés ainsi élus
se répartissent au sein de l’assemblée en deux groupes linguistiques ;
- le parlement régional wallon ou parlement wallon qui comprend 75
députés élus directement par la population des provinces wallonnes ;
- le parlement flamand (représentant les Communauté et Région flamandes)
qui se compose de 124 députés : 118 élus directement par la population des
provinces flamandes et 6 membres élus par le groupe linguistique
néerlandais du parlement bruxellois en son sein. Lorsque le parlement
flamand exerce des compétences régionales, seuls les 118 élus directs de la
région de langue néerlandaise disposent du droit de vote ;

95Plus précisément, à la Commission communautaire française de la Région de Bruxelles-


Capitale.
96 Modification de la Constitution du 9 juillet 2004, M.B., 13 août 2004.
97 Nous ne développerons pas ici le statut particulier de Bruxelles.
98 Voy. infra, le tableau récapitulatif des assemblées parlementaires en Belgique.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

- le parlement de la Communauté française qui se compose de 94 députés :


les 75 membres du parlement wallon et 19 membres élus par le groupe
linguistique français du parlement bruxellois en son sein ;
- le parlement de la Communauté germanophone qui se compose de 25
députés élus directement par la population des cantons de l’Est.
A ces cinq parlements communautaires et/ou régionaux correspondent cinq
gouvernements. Ceux-ci sont élus par leur parlement respectif dont ils reflètent
ainsi la majorité politique. Les membres des gouvernements ne sont cependant
pas nécessairement élus au sein des parlements. Par ailleurs, chaque
gouvernement désigne en son sein un président, qui est à l’autorité régionale ou
communautaire ce que le Premier Ministre est à l’autorité fédérale. Ce président
prête serment entre les mains du Roi qui ratifie ainsi sa désignation. Ces
gouvernements se composent comme suit :
- le gouvernement de la Région de Bruxelles-Capitale se compose de 5
ministres dans le respect des équilibres linguistiques. Deux ministres sont
élus par le groupe linguistique français et deux par le groupe linguistique
flamand du parlement bruxellois. Le dernier membre, élu par l’ensemble
du parlement, est réputé « linguistiquement neutre ». En cette qualité, il
préside le gouvernement bruxellois. De surcroît, trois secrétaires d’Etat*
régionaux sont également élus par le parlement bruxellois. L’un d’entre
eux au moins doit appartenir au groupe linguistique flamand. Ces
secrétaires d’Etat régionaux ne font pas formellement partie du
gouvernement bruxellois. Ils assistent à ses réunions en tant qu’adjoint à
un de ses membres ;
- le gouvernement wallon se compose de 9 ministres ;
- le gouvernement flamand comprend 11 ministres dont au moins un
appartient à la Région bilingue de Bruxelles-Capitale ;
- le gouvernement de la Communauté française comprend 8 ministres dont
au moins un appartient à la Région bilingue de Bruxelles-Capitale ;
- le gouvernement de la Communauté germanophone comprend 3 ministres.

b) Missions des parlements et des gouvernements des entités


fédérées

Les assemblées communautaires et/ou régionales sont organisées, dans


une large mesure, sur le modèle du parlement fédéral (infra, ce ch., III). Ainsi, les
membres de ces assemblées jouissent de privilèges et d’immunités comparables
aux parlementaires fédéraux. En outre, ils sont soumis à un régime
d’incompatibilité similaire. De surcroît, chaque parlement des entités fédérées
exerce, à l’instar du parlement fédéral, trois fonctions principales :
- la fonction normative par laquelle il adopte des normes de nature
législative dans son champ de compétences. Revêtues de la sanction* du
gouvernement correspondant, ces normes ont force de loi dans son ressort
territorial.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

- la fonction de contrôle du gouvernement. Chaque gouvernement est


responsable devant le parlement qui l’a élu. Les députés sont ainsi
habilités à poser des questions aux ministres ou à les interpeller au cours
des débats parlementaires. D’autre part, le parlement peut également
refuser la confiance au gouvernement ou adopter une motion de méfiance
constructive*99.
- la fonction financière qui prolonge la fonction de contrôle politique. Elle
consiste notamment à voter annuellement le budget présenté par le
gouvernement et donc, à lui permettre (ou à lui refuser) de poursuivre sa
politique.
-
Plusieurs différences fondamentales entre le parlement fédéral et les
parlements communautaires et/ou régionaux méritent cependant d’être
épinglées :
1° Contrairement aux parlements communautaires et/ou régionaux qui sont
formés par une seule assemblée, le parlement fédéral est bicaméral*, c’est-
à-dire qu’il est composé de deux chambres.
2° Les parlements communautaires et régionaux sont élus tous les cinq ans,
en même temps que les parlementaires européens. Le parlement fédéral
est également élu tous les cinq ans depuis la sixième réforme de l’Etat
mais peut voir sa durée de vie écourtée suite à la dissolution de la
Chambre par le Roi. La dissolution de la Chambre n’entraîne pas la
dissolution du Sénat.
3° La terminologie diffère pour désigner le produit de l’activité législative des
parlements communautaires et régionaux, d’une part, et du parlement
fédéral, d’autre part. Tandis que le parlement fédéral vote des lois*, les
parlements des entités fédérées adoptent des décrets*. Pour la Région de
Bruxelles-Capitale, on parle d’ordonnances*. Rappelons que les lois
fédérales, les décrets et, dans une large mesure, les ordonnances ont la
même force juridique, aucune norme n’étant supérieure à l’autre.
4° Au niveau des entités fédérées, ce n’est pas le Roi qui, en tant que
troisième branche du pouvoir législatif fédéral, partage le droit d’initiative
avec les députés et qui sanctionne les textes législatifs votés par les
assemblées. Ces deux prérogatives appartiennent aux gouvernements des
entités fédérées.
Quant aux gouvernements des entités fédérées, ils accomplissent des
tâches comparables à celles remplies par le gouvernement fédéral dans leurs
domaines de compétences respectifs. En tant que titulaire de la fonction
exécutive, chaque gouvernement communautaire et/ou régional exerce, de
manière collégiale selon la procédure du consensus*, plusieurs missions :

99 Cette motion de méfiance est dite « constructive » dans le sens où sa recevabilité dépend de la

présentation d’un « successeur au gouvernement ».

69 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

- il adopte les règlements et arrêtés nécessaires pour l’exécution des décrets


ou des ordonnances ;
- à l’instar du Roi au niveau fédéral pour les textes de loi, il promulgue* les
décrets ou les ordonnances et en ordonne la publication au Moniteur belge*
dans le but de les rendre obligatoires ;
- il assure la gestion des services publics de sa région ou de sa communauté
et en dirige les services administratifs100 ;
- il conclut et ratifie les traités portant sur les matières régionales et/ou
communautaires.

100Comme organismes d’intérêt publics régionaux, on peut, par exemple, épingler l’Office régional
bruxellois de l’emploi (Actiris), la Société régionale wallonne du transport ou le Hoge Raad voor
Toerisme.

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 70


71
Volume 1

Schéma de l’organisation institutionnelle de la Belgique

LOIS DECRETS ORDONNANCES

Matières
Compétences Matières communautaires Matières régionales
fédérales

Parlement
fédéral Parlement de la
Parlement de la Parlement de la
Pouvoir Parlement Parlement Région de
(Chambre des Communauté Communauté
législatif flamand wallon Bruxelles-
représentants germanophone française
Capitale
et Sénat)
Introduction au droit

Gouvernement
Gouvernement Gouvernement Gouvernement
fédéral (Roi, Gouvernement Gouvernement
Pouvoir de la de la de la Région de
ministres et de la Région
exécutif Communauté Communauté flamand Bruxelles-
secrétaires wallonne
germanophone française Capitale

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d’Etat)

Niveau fédéral Niveau communautaire et régional

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FRYDMAN B. et RORIVE I.
FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

D. Les pouvoirs décentralisés locaux

En 1831, le constituant a dû concilier son ambition centralisatrice avec les


traditions de gouvernement local enracinées dans les contrées du nouvel Etat
belge. Il a reconnu un pouvoir autonome à deux entités décentralisées
territorialement : les communes et les provinces. Cette reconnaissance est
inscrite dans la Constitution qui dispose que « Les intérêts exclusivement
communaux ou provinciaux son réglés par les conseils communaux ou
provinciaux, d’après les principes établis par la Constitution »101. C’est ainsi que
les pouvoirs locaux assument, dans la pratique, de nombreuses tâches de service
public en matière d’enseignement, de culture, d’aide sociale, d’accueil des
candidats réfugiés politiques, d’entretien de la voirie, d’aménagement du
territoire, de distribution de l’eau, du gaz, de l’électricité, etc.
L’organisation des institutions de la décentralisation territoriale est
conçue suivant le même modèle dans les communes et les provinces. Elle
s’articule autour de trois organes : une assemblée délibérative élue qui dispose du
pouvoir réglementaire ; un organe exécutif chargé de la gestion quotidienne ; un
personnage central nommé par le gouvernement régional qui préside l’organe
exécutif.

1. Les communes

a) La commune : cellule de base de la démocratie

Depuis la fusion des communes intervenue en 1977, la Belgique compte


589 communes102. Maillon reliant le pouvoir central et l’administration aux
citoyens, la commune constitue un échelon de pouvoir important dont la
dimension « humaine » est habituellement soulignée. Outre sa fonction politique,
la commune joue un rôle économique et social notable : les institutions
communales sont des employeurs importants ; c’est au niveau des communes
qu’opèrent les centres publics d’aide social (C.P.A.S.) ; enfin, la commune est le
lieu où s’enregistrent et sont délivrés tous les documents et informations relatifs
à l’état civil*.

b) L’autonomie communale

Au contraire des provinces qui furent perçues avec méfiance par le


constituant de 1831, les autorités communales, en raison de leur soutien aux
populations locales durant l’occupation hollandaise, bénéficièrent d’un a priori
bienveillant. Les communes se sont vues reconnaître une large autonomie.

101 Art. 41, al. 1er. Voy. aussi l’article 162 de la Constitution.
102 Auparavant, le nombre des communes s’élevait à 2.359.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Jouissant de la plénitude de compétences pour ce qui concerne l’intérêt local, les


autorités communales sont habilitées à mettre en œuvre toute action qu’elles
jugent nécessaire pour satisfaire les besoins des citoyens et pour assurer le
maintien de l’ordre. Elles ne peuvent toutefois pas intervenir dans les matières
que le législateur fédéral, communautaire ou régional s’est expressément
attribué. Ainsi, par exemple, les communes, qui exercent une mission importante
dans l’organisation de l’enseignement communal, ne pourraient pas rompre
l’égalité entre les réseaux scolaires fixée par le législateur en accordant des
subventions non autorisées à un établissement d’enseignement libre.

c) Les institutions communales

1°) Le conseil communal


Les membres des conseils communaux sont élus directement pour six ans.
Leur nombre varie (entre 7 et 55) selon le chiffre de la population de la commune.
Ces conseillers peuvent également être parlementaires dans une des assemblées
fédérales, communautaires ou régionales. Ils sont aussi habilités à exercer la
fonction de conseiller provincial.
Alors que seuls les citoyens belges peuvent voter et être élus aux
assemblées fédérales, communautaires ou régionales ainsi qu’au conseil
provincial, les droits de vote et d’éligibilité sont ouverts à tous les citoyens
européens au niveau communal depuis une loi de 1999103 prise en vertu de
l’article 8 révisé de la Constitution (« la loi peut organiser le droit de vote des
citoyens de l'Union européenne n'ayant pas la nationalité belge, conformément
aux obligations internationales et supranationales de la Belgique. [C]e droit de
vote (…) peut être étendu par la loi aux résidents en Belgique qui ne sont pas des
ressortissants d'un État membre de l'Union européenne, dans les conditions et
selon les modalités déterminées par ladite loi »). Par cette révision
constitutionnelle, la Belgique s’est mise, non sans résistance, en conformité avec
ses obligations européennes. Quant aux étrangers non ressortissants d’un des
Etats membres de l’Union européenne, ils se sont vus reconnaître un droit de
vote (mais pas d’éligibilité) aux élections communales104. Cette question a fait
l’objet de vifs débats dans le monde politique.
Le conseil communal est habilité à exercer une fonction normative. Il
prend des règlements* sur toute matière d’intérêt communal à la condition
qu’elle ne soit pas déjà régie par une norme législative ou par un arrêté ayant le
même objet. Dans ce cadre, il est compétent pour adopter « les règlements
communaux d’administration intérieure et les ordonnances de police

103Loi du 27 janvier 1999 modifiant la loi du 19 octobre 1921 organique des élections provinciales,
la nouvelle loi communale et la loi électorale communale, et portant exécution de la directive du
Conseil de l'Union européenne n° 94/80/CE du 19 décembre 1994, M.B., 30 janvier 1999.
104Loi du 19 mars 2004 visant à octroyer le droit de vote aux élections communales à des
étrangers, M.B., 23 avril 2004.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

communale »105. Le conseil communal dispose également d’une fonction


financière : il vote le budget ainsi que les impôts et taxes communales. Il assume
également la gestion du patrimoine de la commune.

2°) Le collège communal


Organe exécutif de la commune, le collège communal comprend deux à dix
membres (les échevins) élus par le conseil communal en son sein et le
bourgmestre qui le préside. Le caractère collégial du collège communal signifie
que la répartition des attributions entre les différents échevins est uniquement
une question d’organisation interne et ne traduit pas un monopole de décision
(excepté le cas particulier de l’officier de l’état civil).
Le collège est chargé de la gestion quotidienne de la commune. Il prépare
les délibérations du conseil communal et en exécute les décisions. Il représente la
commune en justice. Il tient aussi les registres de l’état civil, c’est-à-dire les
registres où sont répertoriés les naissances et les décès, les mariages et les
divorces ainsi que les adoptions.

3°) Le bourgmestre
Nommé par le gouvernement régional, le bourgmestre est un organe
mixte : à la fois représentant des autorités supérieures et de sa commune. En
tant que représentant des autorités supérieures, le bourgmestre est responsable
de la mise en œuvre et du respect des législations fédérales, communautaires et
régionales. En tant qu’autorité locale, le bourgmestre, qui est l’émanation de la
majorité politique du conseil, dirige l’administration communale et préside les
réunions du conseil et du collège communal.
Le rôle du bourgmestre en matière de police et de maintien de l’ordre sur
le territoire communal est très important. Le corps de la police locale106 est placé
sous son autorité. Dans certaines circonstances, le bourgmestre est habilité à
prendre des mesures limitant les libertés individuelles en vue d’assurer l’ordre
public. Le bourgmestre peut, par exemple, ordonner la fermeture provisoire d’un
établissement qui ne répond pas aux mesures de sécurité prescrites en matière
de prévention contre les incendies. Dérogeant au pouvoir de principe du conseil
communal en matière réglementaire, la loi confère au bourgmestre le soin de
faire des ordonnances de police* « en cas d’émeutes, d’attroupements hostiles,
d’atteintes graves portées à la paix publique ou d’autres événements imprévus
lorsque le moindre retard pourrait occasionner des dangers ou des dommages
pour les habitants »107. En vertu de ce pouvoir réglementaire exceptionnel, le
bourgmestre se substitue juridiquement au conseil communal : il peut dès lors

105 Article 119 de la nouvelle loi communale contenue dans l’arrêté royal de coordination du 24

juin 1988, M.B., 3 septembre 1988.


106Depuis la réforme des polices, les zones de police regroupent parfois le territoire de plusieurs
communes. Dans ce cas, des organes intermédiaires rassemblant les membres des organes
communaux sont créés.
107Article 134, § 1 de la nouvelle loi communale contenue dans l’arrêté royal de coordination du
24 juin 1988, M.B., 3 septembre 1988.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

assortir les ordonnances qu’il prend de peines de police* pour en réprimer les
infractions.

2. Les provinces

a) Les provinces : subdivisons territoriales des régions

Jusqu’à la révision constitutionnelle de 1993 qui consacre en toutes lettres


le caractère fédéral de la Belgique, l’ensemble du territoire était divisé en neuf
provinces dans la continuité des départements de la période française. Elles sont
au nombre de dix aujourd’hui, à la suite de la scission du Brabant. Cette scission
résulte de la réforme de l’Etat. Située à cheval sur les trois régions et comprenant
les deux grandes communautés, la province du Brabant était devenue
anachronique et ingouvernable.
En vertu de la nouvelle mouture de la Constitution, les provinces sont des
subdivisions des Régions flamande et wallonne, et non plus de l’Etat belge.
L’article 5 de la Constitution dispose en effet que « La Région wallonne comprend
les provinces suivantes : le Brabant wallon, le Hainaut, Liège, le Luxembourg et
Namur. La Région flamande comprend les provinces suivantes : Anvers, le
Brabant flamand, la Flandre occidentale, la Flandre orientale et le Limbourg ».
Les 19 communes de la Région de Bruxelles-Capitale échappent au découpage
provincial. Pour l’exercice des compétences provinciales, comme pour celui des
compétences communautaires, Bruxelles jouit d’un statut particulier. Les
compétences provinciales y sont exercées par les autorités régionales ainsi que
par un gouverneur. Ce dernier est appelé à jouer un rôle de « commissaire du
gouvernement fédéral » analogue à celui rempli par les gouverneurs* de province
pour les matières d’intérêt général108.
La sixième réforme de l’Etat a prévu la possibilité de supprimer les
institutions provinciales et de les remplacer par des « collectivités
supracommunales »109.

b) L’autonomie provinciale

Les provinces sont habilitées par la Constitution à gérer « les intérêts


exclusivement provinciaux ». Dans la réalité, l’autonomie provinciale est assez
réduite. Cette situation reflète la méfiance du constituant de 1831 à l’égard des
provinces, perçues comme une menace pour l’unité du jeune Etat belge. Définis
de manière négative, les intérêts provinciaux sont ceux qui ne relèvent ni de
l’intérêt général, géré par l’Etat, les communautés et les régions, ni de l’intérêt
local, administré par les communes.

108 Sur la situation particulière de Bruxelles-Capitale, voy. CH-E. LAGASSE, Les nouvelles
institutions politiques de la Belgique et de l’Europe, Bruxelles, Erasme, 2003, pp. 492 et s.
109 Article 41 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

c) Les institutions provinciales

1°) Le conseil provincial


Les membres des conseils provinciaux (dont le nombre varie de 50 à 90 en
fonction de la densité de la population de la province) sont élus directement par
les citoyens belges domiciliés sur le territoire de la province, pour six ans. Le
mandat de conseiller provincial est incompatible avec celui de parlementaire
d’une assemblée fédérale, régionale ou communautaire. Par contre, les fonctions
de conseiller provincial et de conseiller communal sont cumulables.
Le conseil provincial élit en son sein un président (qui n’est pas le
gouverneur). Il est chargé de la convocation du conseil chaque fois que l’exigent
les affaires de la province et il dirige les réunions du conseil provincial.
Organe délibérant, le conseil provincial est habilité à exercer une fonction
normative. Il prend des règlements* sur toute matière d’intérêt provincial à la
condition qu’elle ne soit pas déjà régie par une norme législative ou par un arrêté
de l’autorité fédérale ou des entités fédérées. Le règlement provincial qui a le
même objet qu’une norme législative ou un règlement subséquent est d’office
abrogé*. Dans cette mesure, le conseil provincial est habilité à faire « les
règlements d’administration intérieure et les ordonnances de police »110. Le
conseil provincial dispose également d’une fonction financière : il vote le budget
ainsi que les impôts et taxes provinciales. Il assume aussi la gestion du
patrimoine de la province.

2°) Le collège provincial


Organe exécutif de la province, le collège provincial comprend six députés
provinciaux élus par le conseil provincial en son sein pour six ans et le
gouverneur qui la préside (avec voix délibérative, non prépondérante). Les
fonctions du collège provincial sont diverses. Il assume l’administration
journalière de la province, prépare les délibérations du conseil provincial et
exécute ses décisions en adoptant des ordonnances*. Il représente la province en
justice. Il participe également à l’exercice de la tutelle* sur les communes. Enfin,
Il exerce, en tant que juridiction administrative*, des fonctions juridictionnelles
importantes, notamment dans le contentieux des élections communales.

3°) Le gouverneur
Le gouverneur est le commissaire des autorités supérieures dans la
province. Il est nommé et révoqué par le gouvernement régional, sur avis
conforme du Conseil des ministres*, en dehors des conseillers provinciaux, mais
généralement parmi les habitants de la province.
La mission impartie au gouverneur est double. D’une part, il est l’organe
des autorités supérieures. En cette qualité, il exerce d’importantes compétences
d’intérêt général : veiller au respect, par les autorités provinciales, des lois,
arrêtés royaux, décrets et arrêtés des communautés et régions ; assurer le

110 Article 85 de la loi provinciale du 30 avril 1836, Bull. off. XIII, n° 209.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

maintien de l’ordre dans la province avec, le cas échéant, le pouvoir de requérir la


police fédérale ou même l’armée111, etc. D’autre part, le gouverneur est un organe
provincial exerçant des attributions d’intérêt strictement provincial : présider le
collège provincial ; veiller à l’exécution, par l’administration, des décisions du
conseil provincial et du collège provincial, etc.

3. La tutelle sur les provinces et les communes

Contrairement aux communautés et régions, les provinces et les


communes sont des pouvoirs subordonnés. L’autonomie qui leur est reconnue
n’est que relative. Des contrôles juridiques et politiques sont mis en œuvre aux
fins de préserver le respect de la légalité et la sauvegarde de l’intérêt général112.
De tels contrôles sont désignés sous le terme générique de tutelle*.
De manière générale, les moyens de tutelle visent les pouvoirs limités
accordés par la loi ou en vertu de celle-ci à une autorité supérieure, aux fins
d'assurer le respect du droit et la sauvegarde de l'intérêt général par les autorités
décentralisées. Aujourd’hui, la tutelle sur les collectivités locales, qui incombait
traditionnellement à l’Etat central, relève, dans une large mesure, de la
compétence des régions.
On distingue trois formes de tutelle :
- La tutelle générale est la plus courante. Elle confère à l’autorité qui
l’exerce le pouvoir d’annuler tout acte contraire à la loi ou qui blesse
l’intérêt général. Ainsi, par exemple, toutes les décisions de révocation des
fonctionnaires communaux sont transmises à l’autorité de tutelle (en
principe, le gouvernement régional) qui peut les annuler.
- La tutelle spéciale est beaucoup plus rare. Elle impose qu’un acte d’une
autorité subordonnée soit soumis à une autorisation préalable ou à une
approbation a posteriori. Le vote du budget communal ou les règlements
communaux en matière de taxes communales sont ainsi soumis à la tutelle
d’approbation du collège provincial avec droit d’évocation du gouvernement
régional.
- La tutelle de substitution est exceptionnelle. Elle permet à l’autorité qui
l’exerce d’agir en lieu et place de l’institution défaillante qu’elle a pour
mission de contrôler. L’affaire dite des guichets de Schaerbeek est un
exemple célèbre de cette forme de tutelle. Au début des années septante,
des guichets unilingues sont installés dans les services de l’hôtel
communal de Schaerbeek, en méconnaissance de la législation sur l’emploi
des langues qui impose le bilinguisme aux administrations bruxelloises.
Les protestations sont virulentes dans certains milieux flamands. Saisi de
cette question par le gouvernement, la section d’administration du Conseil

111Dans le domaine du maintien de l’ordre, la responsabilité du gouverneur est subsidiaire : les


communes sont au premier chef compétentes.
112 Art. 162, 6° de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

d’Etat113 conclut à l’illégalité des guichets séparés. L’autorité de tutelle, à


l’époque le gouvernement national, désigne par arrêté royal*, un
commissaire spécial, W. Ganshof van der Meersch, procureur général*
émérite près la Cour de cassation. Il le charge de se rendre, avec les forces
de l’ordre, à l’hôtel de ville de Schaerbeek pour faire modifier manu
militari la disposition des lieux, aux frais personnels des membres du
Collège communal.

III. Les pouvoirs constitués fédéraux d’un point de vue fonctionnel

A. Le pouvoir législatif

1. Présentation

En vertu de la Constitution, « Le pouvoir législatif fédéral s’exerce


collectivement par le Roi, la Chambre des représentants et le Sénat » (art. 36). Le
pouvoir législatif est donc composé de trois branches dont deux, la Chambre des
représentants et le Sénat, forment le parlement. Le pouvoir législatif, c’est avant
tout le pouvoir d’élaborer les lois. L’exercice d’une telle tâche est généralement
très fortement associé aux assemblées parlementaires. Le parlement est bien
l’enceinte où les lois sont votées. Mais le Roi et, derrière lui, son gouvernement
participent également au processus d’élaboration de la loi.
Le pouvoir législatif est l’émanation d’un système représentatif de
démocratie parlementaire dans lequel les lois ne sont pas faites par les citoyens
mais par les personnes mandatées à cet effet. Les parlementaires, députés et
sénateurs, sont désignés par les urnes tous les cinq ans (depuis la sixième
réforme de l’Etat), à l’issue d’un scrutin électoral au suffrage universel selon la
règle de la représentation proportionnelle (système D’Hondt). En Belgique, le
vote est secret et obligatoire114, contrairement à la plupart des Etats du monde où
le vote reste facultatif. Le suffrage universel, basé sur le principe « un être
humain = une voix », a été consacré par la loi du 27 mars 1948 qui octroya le droit
de vote aux femmes. A l’origine, le suffrage était censitaire et réservé aux
hommes. Ensuite, le suffrage universel plural pour les hommes de 25 ans fut
instauré en 1893115. Le suffrage universel pour les hommes de 21 ans s’impose
après la première guerre mondiale. Aujourd’hui, il faut être âgé de 18 ans et être
belge pour disposer du droit de vote. Le caractère « universel » des élections

113 Ancienne dénomination de la section du contentieux administratif du Conseil d’Etat.


Art. 62 de la Constitution. En Europe, le vote est également obligatoire en Grèce, au Grand-
114

Duché du Luxembourg, ainsi que dans certains Länders autrichiens et cantons suisses.
115 Ce suffrage universel plural s’organisait de la manière suivante : une voix pour les hommes de

25 ans, une voix supplémentaire pour les pères de famille de 35 ans et certains propriétaires, une
voix supplémentaire pour les diplômés, avec un maximum de trois voix par personne.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

législatives reste partiel quand on songe que des centaines de milliers de


personnes résidant en Belgique ne peuvent y participer puisqu’elles ne jouissent
pas de la nationalité belge.
Emanation de la nation, le pouvoir législatif bénéficie d’une plénitude
d’attributions, à la différence des pouvoirs exécutif et judiciaire qui n’ont de
compétences que celles qui leur sont formellement attribuées par la Constitution.
Certains ont pu parler à cet égard d’une prééminence du pouvoir législatif. Dans
la réalité, le pouvoir législatif est un pouvoir constitué qui ne peut prétendre à la
légitimité que s’il exerce ses attributions conformément à la Constitution. Lors de
leur entrée en fonction, chaque parlementaire prête le serment suivant : « Je jure
d’observer la Constitution ». Le contrôle de la constitutionnalité des lois* (infra,
ch. 5) est une manifestation éclatante, mais relativement récente, de cette
sujétion.
Avec la réforme de l’Etat, le constituant a rompu l’équivalence qui
caractérisait les attributions de la Chambre des représentants et du Sénat. En
1831, le constituant avait instauré un bicaméralisme strict en ce sens que tout
texte, pour devenir loi, devait être approuvé dans les mêmes termes par la
Chambre des représentants et par le Sénat. A l’époque, l’existence de deux
chambres était calquée sur les débuts du parlementarisme en Europe où
l’aristocratie et la grande bourgeoisie, désireuses de tempérer les « excès » de la
« démocratie parlementaire », s’efforçaient de se réserver une assemblée
particulière, dite « chambre haute ». Inspiré particulièrement par le modèle
britannique où coexistent la House of Commons (Chambre des Communes) et la
House of Lords (Chambre des Lords), le Sénat était destiné à servir, dans une
certaine mesure, de « chambre haute », comme l’attestent les conditions
capacitaires et pécuniaires qu’il fallait remplir pour devenir sénateur. Au fil des
ans, le Sénat n’a plus été conçu comme une assemblée assurant un « contrepoids
social », mais bien comme une assemblée de « sages », agissant dans la
modération et la réflexion. Sa composition s’est démocratisée de telle sorte que sa
composition sociale et politique ne se différenciait plus de celle de la Chambre.
Tout au plus, une différence d’âge a subsisté jusqu’en 1995 : alors que l’on
pouvait devenir député à 21 ans, il en fallait au moins 40 pour être sénateur.
Ce système a fait l’objet de nombreuses critiques, car il entraînait un
ralentissement substantiel du travail parlementaire et de nombreuses « doubles
lectures » inutiles. Les textes qui ne constituaient pas des priorités pour le
gouvernement subissaient les affres de la navette entre les deux chambres. Pour
les projets politiquement sensibles, un monocaméralisme de fait existait : la
pression de l’exécutif et de l’état-major des partis était telle que les
parlementaires de la majorité ne déposaient pas d’amendement ou rejetaient
ceux qui étaient déposés. La révision constitutionnelle de 1993 a mis fin au
bicaméralisme strict. Lorsqu’il consacra officiellement le caractère fédéral de la
Belgique en 1993, le constituant modifia la composition et les compétences du
Sénat. Cette assemblée fut davantage conçue comme une « chambre de réflexion »
dépourvue du pouvoir du dernier mot dans la procédure d’élaboration des lois. Un
nouveau pas fut franchi lors de la sixième réforme de l’Etat entrée en vigueur en

79 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

2014 : le Sénat est en effet devenu un organe non permanent116 uniquement


composé de représentants des entités fédérées et de sénateurs cooptés117. Son
intervention dans la procédure d’élaboration des lois a encore été réduite.
Si l’adoption de normes législatives constitue la fonction principale du
parlement, elle n’est pas la seule. Les assemblées parlementaires sont également
en charge de contrôler l’action gouvernementale. Depuis la réforme de 1993, ce
rôle incombe principalement à la Chambre des représentants. Les modalités d’un
tel contrôle sont diverses et plus au moins énergiques. La palette s’étend des
questions posées à un ministre, au vote d’une motion de méfiance constructive*,
en passant par le refus d’approuver les comptes ou le budget118. Cette fonction de
contrôle dépasse l’action du gouvernement. Par l’intermédiaire de leur droit
d’enquête, les chambres législatives sont habilitées à instruire* tout dossier
qu’elles jugent suffisamment important, délicat ou sensible pour faire l’objet d’un
examen particulier par les représentants de la nation.

2. Composition

a) Les trois branches du pouvoir législatif fédéral

1°) Le Roi
Si le Roi est avant tout le chef du pouvoir exécutif, il constitue également
la troisième branche du pouvoir législatif fédéral. La participation du Roi au
pouvoir législatif est une des manifestations du caractère non étanche de la
séparation des pouvoirs* et des mécanismes de collaboration qui relient les
différents pouvoirs. Derrière la personne du Roi se profile, dans la Constitution,
celle de ses ministres. En toute hypothèse, les actes du Roi sont toujours
contresignés par un ministre qui en assume la responsabilité119.

2°) La Chambre des représentants


La Constitution fixe à 150 le nombre des députés qui composent la
Chambre des représentants120. Ceux-ci sont élus directement, en principe tous les
cinq ans121, par les citoyens belges âgés de 18 ans accomplis qui jouissent de leurs

116 Article 44, alinéa 2, de la Constitution.


117Voy. infra. Auparavant le Sénat comprenait également des sénateurs élus directement par la
population, de même que les enfants du Roi qui siégeaient dans l’assemblée en tant que sénateurs
de droit.
118Ces questions seront examinées infra, dans ce chapitre, cette section, au point B consacré au
pouvoir exécutif.
119 Art. 106 de la Constitution. Voy. infra, ce chapitre, cette section, au point B consacré au

pouvoir exécutif.
120 Art. 63 de la Constitution.
121 Art. 65 de la Constitution.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

droits civils et politiques122, c’est-à-dire qui n’en ont pas été déchus à la suite
d’une condamnation pénale123.
Pour être éligible, le candidat doit, au jour des élections, remplir quatre
conditions en vertu de la Constitution124 : être belge ; être domicilié en Belgique ;
avoir 18 ans ; jouir de ses droits civils et politiques.

3°) Le Sénat
Composé de 60 sénateurs125, le Sénat s’est profondément transformé à la
suite de la réforme de l’Etat et de la fédéralisation de la Belgique. La mutation
est complète depuis que le Sénat est devenu, en 2014, une « Chambre des Etats »,
c’est-à-dire une assemblée représentant exclusivement les intérêts régionaux et
communautaires.
Il y a lieu de distinguer deux catégories de sénateurs qui doivent répondre
aux mêmes conditions d’éligibilité126 que les députés :
- les 50 sénateurs des entités fédérées qui exercent leur mandat de sénateur
en parallèle avec leur mandat de représentant au sein d’un parlement de
communauté et/ou de région.
o Le groupe linguistique néerlandais est composé de 29 sénateurs
désignés par le Parlement flamand en son sein ou au sein du groupe
linguistique néerlandais du Parlement de la Région de Bruxelles-
Capitale.
o Le groupe linguistique français est composé de 20 sénateurs : 10
sénateurs sont désignés par le Parlement de la Communauté
française, 8 par le Parlement de la Région wallonne et 2 par le
groupe linguistique français du Parlement de la Région de
Bruxelles-Capitale.
o Un sénateur est désigné par le Parlement de la Communauté
germanophone.
- les 10 sénateurs cooptés sont désignés par les sénateurs des entités
fédérées. Cette cooptation a lieu par groupe linguistique (les 29 sénateurs
flamands désignent six membres et les 20 francophones font de même pour
quatre) sur la base des résultats des élections à la Chambre et en suivant

122 Au rang des droits civils se trouvent, notamment, le droit de faire partie d’un conseil de

famille, d’être tuteur, de remplir les fonctions de curateur de faillite ou d’administrateur


provisoire de société. Parmi les droits politiques figurent ceux d’être électeur ou éligible, d’être
ministre, juge ou juré en Cour d’assises, d’être nommé à un emploi public, de porter un titre de
noblesse ou une décoration, de servir dans l’armée ou de porter une arme. Au contraire des droits
civils, l’exercice des droits politiques reste largement lié à la nationalité belge.
123 Art. 61 de la Constitution.
124 Art. 64 de la Constitution.
125 Art. 67 de la Constitution.
126 Art. 69 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

le système de représentation proportionnelle127. A l’origine, cette catégorie


particulière de sénateurs tendait à permettre à certaines personnalités
émérites d’accéder au travail législatif sans affronter une campagne
électorale. Dans la réalité, la cooptation est généralement récupérée par
les partis politiques pour faire désigner les candidats malheureux au
suffrage universel.
Par ailleurs, afin d’assurer un équilibre régional dans la composition du
Sénat, les Bruxellois sont assurés d’une représentation minimale128.

127 Article 68, § 2 de la Constitution.


128 Parmi les 29 sénateurs des entités fédérées du groupe néerlandais, au moins un doit être
domicilié dans la Région de Bruxelles-Capitale au jour de son élection (art. 67, § 2, alinéa 1, de la
Constitution). Trois sénateurs désignés par le Parlement de la Communauté française doivent
être membres du groupe linguistique français du Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale
(art. 67, § 2, alinéa 2, de la Constitution).

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83
Volume 1

Tableau récapitulatif de la composition des assemblées parlementaires en Belgique


Corps électoral

10 cooptés 10 Sénat Chambre des représentants 150


6 néerlandophones.
4 francophones 60 membres 150 membres

FEDERAL
10 1
29

8
2 (fr.) Parlement de la
Parlement de la
Vlaamse Raad Communauté
Communauté française
germanophone
124 membres

COMM.
94 membres
25 membres
19
Introduction au droit

75 6

Parlement de la Région de
Parlement régional wallon
Bruxelles-Capitale 118 25

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75 membres
89 membres

REGIONS
75 89

Corps électoral

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FRYDMAN B. et RORIVE I.
FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

b) Le statut des parlementaires

La fonction de parlementaire est considérée comme un « métier »


particulier. En tant que représentant de la nation, le parlementaire a un rôle
fondamental à jouer dans le façonnement de notre société. Le constituant a
entouré le statut du parlementaire d’une série de garanties pour assurer son
indépendance et sa disponibilité, et lui permettre ainsi de mener à bien les tâches
pour lesquelles il a été élu. A cette fin, son autonomie financière est assurée, des
règles d’incompatibilité et un régime d’immunité sont prévus. A ces différents
égards, le statut des parlementaires fédéraux est très comparable à celui des
représentants régionaux et communautaires. L’emprise de fait assurée par les
partis politiques sur « leurs » parlementaires oblige à nuancer fortement cette
vision quelque peu théorique de l’indépendance dont jouissent, dans la réalité, les
parlementaires.

1°) Autonomie financière


Afin de faire face aux charges de sa fonction (secrétariat, documentation,
relations publiques, etc.), chaque parlementaire reçoit un salaire mensuel
(qualifié d’« indemnité ») et voit ses frais professionnels et de déplacement
remboursés dans une large mesure. Les parlementaires trop souvent absents de
l’hémicycle « sans motif valable » sont pénalisés financièrement.

2°) Incompatibilités
Le statut des parlementaires se caractérise par un régime assez strict
d’incompatibilité qui leur interdit de cumuler leur mandat avec une série d’autres
fonctions.
Certaines incompatibilités sont liées à la séparation des pouvoirs*. Un
parlementaire ne peut, par exemple, être en même temps ministre129 ou
secrétaire d’Etat d’un gouvernement, qu’il soit fédéral, communautaire ou
régional. Il s’agit d’empêcher que la même personne se retrouve à la fois dans le
rôle du contrôleur et du contrôlé. Chaque gouvernement est en effet responsable
devant son parlement (infra, ce chapitre, point B).
D’autres règles d’incompatibilité visent à maintenir la répartition des
compétences entre les trois niveaux de pouvoirs. Un parlementaire fédéral ne
peut être membre d’une assemblée régionale ou communautaire, à l’exception
bien évidemment des 50 sénateurs des entités fédérées. De même, un
parlementaire fédéral ne peut exercer aucune fonction au sein de la Cour
constitutionnelle*, que ce soit en qualité de juge, de référendaire* ou de greffier.
Enfin, l’objectif de certaines incompatibilités est d’empêcher les cumuls qui
mettraient à mal la disponibilité des parlementaires en leur laissant peu de
temps pour mener à bien leur tâche de représentants de la nation. A cette fin, un
parlementaire ne peut, par exemple, exercer une charge universitaire à temps
plein.

129 Art. 50 de la Constitution. Voy. aussi art. 51 de la Constitution.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

3°) Immunités
Le statut des parlementaires se caractérise également par un régime
d’immunité qui, à l’origine, visait à éviter que le pouvoir exécutif, compétent pour
déclencher les poursuites pénales (droit d’injonction positive* du ministre de la
Justice), n’entrave le bon fonctionnement du pouvoir législatif en exerçant des
pressions de nature judiciaire sur ses membres. Le constituant de 1831 a donc
prévu une série de dispositions destinées à assurer l’irresponsabilité des
parlementaires ou la suspension des poursuites judiciaires à l’égard de ceux-ci.
Le climat politique n’étant plus le même qu’au XIXe siècle, ce régime d’immunité
est aujourd’hui moins protecteur que par le passé130.
Un régime différent est établi suivant que les faits reprochés se sont
déroulés dans le cénacle parlementaire ou en dehors de celui-ci.
L’immunité est totale, tant sur le plan pénal que civil, pour les opinions ou
votes émis dans le cadre normal des fonctions du parlementaire, à l’intérieur des
locaux du parlement. Il s’agit de faire en sorte que chaque parlementaire dispose
d’une véritable liberté de parole dans l’exercice de son mandat. L’irresponsabilité
ne vise cependant pas les actes violents ou les opinions émises dans l’hémicycle
qui sortiraient du cadre normal des fonctions du représentant de la nation131.
Les parlementaires jouissent également d’une certaine protection sur le
plan pénal pour les infractions commises durant les sessions bien qu’elles soient
étrangères à leurs fonctions132. Les sessions parlementaires sont les périodes
d’activité des chambres. En pratique, le parlement est en session presque toute
l’année, la session n’étant clôturée par le Roi que quelques jours avant la rentrée
parlementaire qui a lieu en principe le deuxième mardi d’octobre. Ici, il s’agit
d’éviter que les activités parlementaires ne soient perturbées par des poursuites
judiciaires déclenchées, soit par des particuliers, soit par le parquet*,
éventuellement sur injonction du gouvernement. Cette immunité n’est pas totale.
D’abord, la protection ne s’applique pas en cas de flagrant délit qui se
définit comme « l’infraction qui se commet actuellement ou vient de se commettre
et dont les preuves sont encore saisissables ». Ensuite, la protection varie selon
l’importance des actes de poursuite et la nature contraignante de ceux-ci.
L’arrestation (judiciaire ou en exécution d’un jugement) ainsi que le renvoi ou la
citation directe* devant une juridiction répressive ne sont possibles que
moyennant l’autorisation préalable de l’assemblée à laquelle le parlementaire
appartient. Quant aux autres actes qui nécessitent l’intervention d’un juge parce
qu’ils portent atteinte aux libertés individuelles (mandat d’amener* pour un
interrogatoire, mise sur écoutes téléphoniques, etc.), la décision du premier
président de la Cour d’appel* est requise et le président de l’assemblée à laquelle
appartient le parlementaire doit être informé de la procédure. Par contre, aucune
autorisation n’est nécessaire aujourd’hui pour les actes d’information* et

130Art. 58 et 59 de la Constitution, également applicables aux députés régionaux et


communautaires en vertu de l’article 120 du même texte.
131 Art. 58 de la Constitution.
132 Art. 59 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

d’instruction* posés par les autorités judiciaires qui n’impliquent aucune


contrainte. Sans formalité particulière, les officiers de police judiciaire* peuvent
procéder à l’interrogatoire volontaire, la confrontation volontaire, la saisie ou la
perquisition consenties par le parlementaire. Dans cette perspective, aucune
autorisation ne doit être sollicitée pour les amendes transactionnelles*,
fréquemment proposées pour les infractions au code de la route. Ces dernières ne
supposent en effet pas l’intervention d’un juge et elles fonctionnent sur une base
« volontaire ».

3. La procédure d’élaboration de la loi

La loi s’élabore suivant une procédure particulière qui se déroule en trois


temps133: (1) la phase préparlementaire ; (2) la phase parlementaire et (3) la
phase postparlementaire.

a) La phase préparlementaire

1°) Le droit d’initiative


Le texte soumis aux débats parlementaires n’est généralement pas écrit au
parlement. Le droit d’initiative législative, c’est-à-dire le droit de soumettre un
texte à l’examen des chambres, appartient, d’une part, à tout parlementaire134 et,
d’autre part, au Roi135. Lorsque l’initiative émane d’un ou de plusieurs
parlementaires136, le texte sur lequel vont porter les débats s’appelle une
proposition de loi. On parle d’un projet de loi lorsque l’initiative vient du Roi.
Cette différence terminologique est importante dans la mesure où la procédure
d’élaboration de la loi est sensiblement différente dans l’un ou l’autre cas.

2°) Les étapes spécifiques à l’avant-projet de loi


Lorsque l’initiative parlementaire émane du Roi, trois étapes doivent être
franchies avant que le texte ne soit déposé sur le bureau de la Chambre des
représentants : une première délibération en Conseil des ministres, la saisine
pour avis du Conseil d’Etat et une seconde délibération au Conseil des ministres.
Conseil des ministres.- Le texte initialement rédigé (qui s’appelle à ce
stade un avant-projet de loi) peut être l’œuvre de différentes personnes : des
fonctionnaires de l’administration, des membres de cabinets ministériels, des
experts des centres d’études des partis politiques et même, de plus en plus

133Voy. le schéma récapitulatif consacré à la procédure d’élaboration de la loi à la fin des


développements de ce point 3.
134 Pour les sénateurs, le droit d’initiative est toutefois limité aux matières relevant du
bicaméralisme strict (voy. infra).
135 Art. 75 de la Constitution.
136 Il peut s’agir d’un ou plusieurs parlementaires issus d’un même parti ou de formations

politiques différentes.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

souvent, des consultants privés parmi lesquels se trouvent au premier rang les
cabinets d’avocats. Le texte ainsi élaboré est alors déposé sur la table du Conseil
des ministres. Cette délibération au sein du Conseil des ministres* est
fondamentale. Souvent, en effet, l’avant-projet de loi relève de la compétence de
plusieurs ministres et exige une concertation entre ceux-ci. Par ailleurs, le
système de la représentation proportionnelle en Belgique implique, pour former
un gouvernement, de réunir plusieurs familles politiques, aucun parti ne
disposant jamais de la majorité au parlement. Le recours aux gouvernements de
coalition rend le rôle du Conseil des ministres d’autant plus important, chaque
membre du gouvernement souhaitant disposer d’un droit de regard sur ce que
font ses collègues et notamment être avisé des avant-projets de loi qui sont
élaborés au nom du Roi. Cette délibération au Conseil des ministres est une des
raisons pour lesquelles, dans la pratique, la très grande majorité des lois
finalement adoptées sont issues de projets et non de propositions de loi, même si
ces dernières sont nettement plus nombreuses. En effet, lorsqu’un projet de loi
est déposé au parlement, un accord s’est déjà formé autour de ce texte au sein du
gouvernement qui, par définition, dispose de la majorité parlementaire. Il existe
donc, dès le départ, une volonté politique de le faire aboutir. Il n’en va pas de
même pour les propositions de loi. Nombre d’entre elles sont déposées dans le
cadre d’un débat politique, pour afficher une position de principe, parfois en
raison de préoccupations électorales. Par ailleurs, les projets de loi sont souvent
plus aboutis d’un point de vue légistique. Contrairement aux ministres, les
parlementaires ne disposent souvent que de ressources humaines très réduites
pour les assister dans la rédaction de leur texte.
Conseil d’Etat.- Une fois délibéré en Conseil des ministres, l’avant-projet
de loi doit être soumis à la section de législation du Conseil d’Etat* qui va
émettre un avis. Ce dernier porte tant sur la compatibilité du texte avec les
normes juridiques en vigueur que sur ses qualités légistiques et stylistiques. Il
s’agit d’un examen juridique et formel qui ne se prononce pas sur l’opportunité
des mesures envisagées. Sur le plan juridique, le Conseil d’Etat va vérifier : (1) si
le texte qui lui est soumis est conforme à la Constitution et aux normes
internationales applicables en Belgique137 ; (2) s’il respecte les règles de
répartition de compétences ; et (3) s’il n’est pas contraire à d’autres dispositions
législatives en vigueur qu’il conviendrait, le cas échéant, d’abroger. Sur le plan
formel, le Conseil d’Etat va procéder à la toilette du texte, en suggérant des
aménagements terminologiques et grammaticaux propres à en améliorer la
lisibilité. Tout avant-projet de loi doit être soumis au Conseil d’Etat. Dans les cas
d’urgence spécialement motivés par le gouvernement, le Conseil d’Etat
examinera uniquement si l’avant-projet de loi respecte les règles de répartition de
compétences et si le texte relève de la compétence de la seule Chambre des
représentants, du bicaméralisme aménagé* ou du bicaméralisme intégral*.
Il est obligatoire de solliciter l’avis du Conseil d’Etat mais la portée de ce
celui-ci est non contraignante. Il s’agit d’un avis au sens propre du terme, même
s’il revêt une grande autorité morale. Le Conseil des ministres est donc libre de le
suivre ou de l’ignorer, sauf si le Conseil d’Etat pointe une violation des règles de

137 Voy. infra, ch. 5, s. 3 : les conflits de normes.

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répartition de compétences. Dans ce cas, le Comité de concertation* est saisi et, à


défaut d’accord politique en son sein, la copie devra être impérativement revue
avant d’être déposée au parlement138.
Retour au Conseil des ministres.- Une fois que le Conseil d’Etat a rendu
son avis, le texte de l’avant-projet de loi, le cas échéant modifié pour tenir compte
des observations ainsi émises, retourne devant le Conseil des ministres où il est
contresigné* par les ministres qui en prennent ainsi la responsabilité. Il est
ensuite signé par le Roi. Il se dénomme désormais projet de loi, et il est déposé
sur le bureau de la Chambre des représentants sous la forme d’un arrêté royal*.
Deux documents y sont joints : l’avis du Conseil d’Etat et un exposé des motifs
dans lequel le gouvernement expose la portée et les objectifs des dispositions qu’il
soumet aux débats parlementaires.

b) La phase parlementaire

1°) Préliminaires propres aux propositions de loi


Toute proposition de loi est directement déposée sur le bureau de la
Chambre des représentants ou du Sénat selon que son auteur est député ou
sénateur. Elle est accompagnée de développements qui sont l’équivalent de
l’exposé des motifs. Avant d’être discutée, elle doit être prise en considération,
c’est-à-dire qu’elle doit faire l’objet d’un vote sur le point de savoir si l’assemblée
qui en est saisie accepte ou non de débattre de son contenu. Il s’agit uniquement
ici d’écarter les propositions de loi complètement farfelues ou manifestement
contraires à la Constitution. La prise en considération ne préjuge en rien du sort
qui sera réservé en définitive à la proposition de loi. Dans la quasi totalité des
cas, cette prise en considération est d’ailleurs votée à l’unanimité.
Si la saisine pour avis du Conseil d’Etat ne s’impose pas d’office pour les
propositions de loi, le président de l’assemblée concernée devra y procéder,
notamment lorsqu’un tiers de ses membres le requiert ou à la demande de la
moitié d’un groupe linguistique.

2°) Examen des projets et des propositions de loi à la Chambre des


représentants
Le renvoi en commission.- Lorsqu’un projet ou une proposition de loi est
déposé à la Chambre des représentants, celle-ci commence par le renvoyer en
commission. Chaque assemblée est divisée en un certain nombre de commissions
spécialisées où se déroule l’essentiel du travail parlementaire (Commission de la
Justice, Commission de la Défense nationale, Commission des Relations
extérieures, Commission de l’Intérieur, des Affaires générales et de la Fonction
publique, etc.). Les ministres concernés par la matière du texte soumis à examen,
ou leurs délégués, participent généralement aux discussions.
Les parlementaires de la commission ainsi saisie commencent par une
discussion générale sur l’ensemble du texte. Ensuite, débutera la discussion et le

138 Voy. infra, ce chapitre, cette section, au point D.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

vote article par article. Au cours de ces débats, les parlementaires peuvent
solliciter l’audition d’experts qui ne sont ni députés, ni sénateurs, pour les
éclairer sur le contexte dans lequel s’inscrit le texte soumis à leur analyse ainsi
que sur ses implications. Ces « experts » sont susceptibles de venir de tous les
horizons en fonction du domaine traité : avocats, médecins, professeurs
d’université, représentants des mondes syndical et patronal, directeurs de prison,
ingénieurs, etc. Pendant la durée des débats, les parlementaires et les ministres
ont la possibilité de déposer, à tout moment, des amendements, c’est-à-dire des
modifications, des ajouts ou des suppressions au texte initial.
Les débats en commission sont généralement publics. Un rapport relatant
les discussions est rédigé par un membre de la commission nommé à cette fin : le
rapporteur. Ce rapport est accessible à tous et fait partie des documents
parlementaires*. Il constitue une source précieuse pour l’interprétation* du texte
de loi s’il est adopté.
Le débat en séance plénière.– En séance plénière, la discussion générale
sur le texte tel qu’il a été adopté en commission (et non plus sur le texte initial)
commence par l’intervention du rapporteur qui commente publiquement son
rapport. Ensuite, comme en commission, la discussion article par article et le
dépôt éventuel d’amendements ont lieu. La discussion d’un article se clôt
généralement par son vote, même si le vote des articles qui sont sources de
difficultés est parfois réservé pour la fin, quand un accord sur la plus grande
partie du texte est déjà intervenu.
La procédure de sonnette d’alarme.- Cette procédure exceptionnelle crée
une garantie constitutionnelle (art. 54) au profit des minorités linguistiques. Elle
peut être enclenchée par les trois quarts des membres d’un groupe linguistique
lorsqu’ils estiment qu’un projet ou une proposition de loi déposé à la Chambre (ou
au Sénat) est de nature à porter gravement atteinte aux relations entre les
communautés. La sonnette d’alarme consiste en une motion motivée et signée,
introduite après le dépôt du rapport et avant le vote final. Elle peut porter sur
n’importe quel proposition ou projet de loi, à l’exception du budget* et des lois
spéciales* et doit indiquer spécifiquement les dispositions critiquées. Le dépôt
d’une telle motion a pour effet de suspendre temporairement les travaux
parlementaires. Le projet ou la proposition sont déférés au Conseil des ministres
qui, dans les 30 jours, rend un avis motivé sur la motion ou propose un texte
amendé de la proposition ou du projet. La Chambre concernée est invitée à se
prononcer sur l’avis ou l’amendement et procédure parlementaire peut ensuite en
principe reprendre son cours normal.
La procédure de sonnette d’alarme n’a été déclenchée qu’à deux reprises,
en 1985 et 2010. Elle joue un rôle essentiellement dissuasif. Elle empêche une
majorité parlementaire d’imposer sa volonté à un groupe linguistique, en
permettant à celui-ci de porter l’affaire au niveau gouvernemental, de manière à
régler le problème ou à déclencher une crise, qui pourrait éventuellement
conduire à la démission du gouvernement.
La procédure en conflit d’intérêts.- Une autre procédure peut également
entraîner la suspension exceptionnelle de l’élaboration de la loi afin de garantir le
bon fonctionnement du fédéralisme institutionnel. Il s’agit de la procédure en

89 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

conflit d’intérêts139. Lorsqu’un autre parlement estime qu’il peut être gravement
lésé par un projet ou une proposition de loi140, il peut demander, par un vote à la
majorité des 3/4 des voix, que la procédure soit suspendue en vue d’une
concertation. La procédure d’élaboration de la loi est suspendue pendant 60 jours.
Si, à l’issue de ce délai, la concertation n’a pas abouti, le Sénat est saisi et rend,
dans les 30 jours, un avis motivé au Comité de concertation*. Celui-ci prend une
décision par consensus dans les 60 jours141. La procédure ne peut être engagée
qu’une seule fois par la même assemblée au sujet d’un même texte142.
Le vote.- Le vote se fait d’abord article par article et puis sur l’ensemble du
texte. L’article 53 de la Constitution dispose que « Toute résolution est prise à la
majorité absolue des suffrages (…). En cas de partage des voix, la proposition
mise en délibération est rejetée. Aucune des deux Chambres ne peut prendre de
résolution qu'autant que la majorité de ses membres se trouve réunie ». La
Constitution impose donc un quorum de présence (la moitié des parlementaires
de l’assemblée) et la majorité absolue des suffrages pour qu’un vote soit
favorable. Le terme de suffrage désigne les votes négatifs et positifs, mais pas les
abstentions. Un texte de loi pourrait être adopté par 30 « oui », 29 « non » et 35
abstentions.
Dans certains cas, le constituant exige que la loi soit prise à des quorums
et majorités particuliers. Ces lois spéciales* règlent notamment la répartition des
compétences entre l’autorité fédérale et les entités fédérées ou les limites de la
frontières linguistique. L’article 4 de la Constitution exige qu’une loi spéciale soit
« adoptée à la majorité des suffrages dans chaque groupe linguistique de chacune
des Chambres, à la condition que la majorité des membres de chaque groupe se
trouve réunie et pour autant que le total des votes positifs émis dans les deux
groupes linguistiques atteigne les deux tiers des suffrages exprimés ».
La Constitution règle aussi les modalités du vote. En son article 55, elle
dispose que « Les votes sont émis par assis et levé ou par appel nominal ; sur
l'ensemble des lois, il est toujours voté par appel nominal. Les élections et
présentations de candidats se font au scrutin secret ». Pour adopter une
disposition législative, il y a deux manières de procéder au vote. D’une part, le
vote par assis et levé. C’est une procédure très rapide lorsqu’il existe une majorité
marquée. D’autre part, le vote par appel nominal qui se réalise au moyen d’un
appareil muni de trois boutons (rouge, vert, blanc) situé en face de chaque
parlementaire. Les résultats sont centralisés sur un tableau lumineux et tirés
sous la forme d’une liste nominative.
A la lumière de ces développements, l’on comprend mieux l’immunité
octroyée aux parlementaires par l’article 58 de la Constitution selon lequel

139 Art. 143 de la Constitution et art. 32, § 1-1quater de la Loi ordinaire de réformes
institutionnelles du 9 août 1980.
140 La même procédure s’applique pour les décrets et les ordonnances.
141 Ce délai est réduit à 30 jours s’il s’agit d’un décret ou d’une ordonnance.
142Une procédure similaire est établie pour régler les conflits d’intérêts entre les différents
gouvernements.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

« Aucun membre de l'une ou de l'autre Chambre ne peut être poursuivi ou


recherché à l'occasion des opinions et votes émis par lui dans l'exercice de ses
fonctions ». Au cours de la procédure d’élaboration de la loi, les parlementaires
sont amenés à exprimer leurs opinions ou, plus généralement, celles de leur
formation politique et à exprimer des votes publiquement. Le constituant a
souhaité qu’ils puissent travailler sans crainte de représailles de la part de
l’exécutif notamment.

3°) Le bicaméralisme aménagé


Lorsqu’un texte de loi est adopté par la Chambre des représentants, il se
dénomme projet de loi, quelque que soit son auteur. Le sort qui lui est réservé
dépend de la matière sur laquelle il porte. Il ne doit plus nécessairement être
adopté par le Sénat pour être soumis à la sanction* royale. Ce système, dit du
bicaméralisme aménagé, est une conséquence des dernières réformes de l’Etat.
Compétence exclusive.- Le monocaméralisme est en réalité la règle depuis
la sixième réforme de l’Etat entrée en vigueur en 2014 : la Chambre des
représentants est exclusivement compétente dans toute matière, sauf lorsque la
Constitution en dispose autrement pour imposer ou permettre l’intervention du
Sénat143. Une compétence législative résiduelle est ainsi confiée à la Chambre.
Dans cette hypothèse, l’adoption du texte à la Chambre des représentants clôture
la phase parlementaire. Le projet de loi est alors soumis à la sanction royale.
Bicaméralisme strict.- De manière exceptionnelle, le constituant a
maintenu une procédure de bicaméralisme strict. Il s’agit notamment des lois
spéciales*, de la déclaration de révision de la Constitution*, de la révision de la
Constitution*, des matières qui conformément à la Constitution doivent être
réglées par les deux assemblées (notamment en ce qui concerne la monarchie), de
lois ordinaires bien déterminées qui revêtent un caractère institutionnel
(institutions et financement de la Communauté germanophone, financement des
partis politiques et contrôle des dépenses électorales, organisation du Sénat et
statut du sénateur)144. Le texte adopté à la Chambre des représentants doit dès
lors être transmis au Sénat où il subira le même parcours que précédemment :
renvoi en commission, débat en séance plénière, vote. Si le texte adopté au Sénat
diffère de celui voté à la Chambre, il sera à nouveau soumis à l’examen de cette
dernière. La navette parlementaire ne s’arrêtera qu’au moment où les deux
assemblées entérineront un texte en tous points identique.
Bicaméralisme optionnel.- Pour certaines matières strictement énumérées dans
la Constitution, le Sénat dispose d’un droit d’évocation c’est-à-dire qu’il peut
décider de débattre ou non du projet de loi dans son enceinte. Il en est
notamment ainsi pour les lois prises en exécution des lois spéciales et les lois
relatives au Conseil d’Etat et aux juridictions administratives fédérales. Dans ces
matières, le projet de loi adopté à la Chambre des représentants est transmis au
Sénat qui dispose de quinze jours pour l’évoquer, à la demande d’une majorité

144 Voy. l’art. 77 de la Constitution.

91 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

absolue de sénateurs, avec au moins un tiers de sénateurs de chaque groupe


linguistique145. Si ce délai s’écoule sans que le Sénat ne manifeste la moindre
réaction, la phase parlementaire se termine et le texte est soumis à la sanction
royale. Par contre, si le droit d’évocation est mis en œuvre, le Sénat dispose alors
de trente jours soit décider qu'il n'y a pas lieu d'amender le projet de loi, soit pour
adopter le projet de loi après l'avoir amendé. Dans ce dernier cas, la Chambre se
prononce définitivement en adoptant ou en amendant à nouveau le projet de loi.

4°) Les propositions de loi déposées par des sénateurs


Dans les matières qui relèvent du bicaméralisme strict146, les sénateurs
peuvent déposer des propositions de loi. Dans cette hypothèse, la procédure
d’élaboration de la loi commence au Sénat. Son déroulement est entièrement
calqué sur celui de la Chambre des représentants (prise en considération, renvoi
en commission, débat en séance plénière, vote). La proposition de loi adoptée au
Sénat est ensuite transmise à la Chambre sous le nom de projet de loi.
Plusieurs sorts peuvent lui être réservés : (1) soit le texte est adopté tel
quel et il est transmis au Roi ; (2) soit il est rejeté et la procédure s’arrête
complètement ; (3) soit la Chambre adopte des amendements et renvoie le projet
ainsi modifié au Sénat. Ce dernier dispose alors de quinze jours pour adopter de
nouveaux amendements. Le texte est alors transmis à la Chambre qui statue
définitivement dans les quinze jours. Elle dispose, ici aussi, du pouvoir du dernier
mot.

c) La phase postparlementaire

1°) La sanction
Lorsqu’un projet de loi est adopté au parlement, ce n’est pas encore une loi
à proprement parler. Il doit encore être revêtu de la sanction royale. Le Roi est
seul habilité à sanctionner les lois147. La sanction* est l’acte par lequel le Roi, en
tant que branche du pouvoir législatif, marque son accord avec la volonté
exprimée par le parlement fédéral. La formule de la sanction, par laquelle
commence toute loi fédérale, est la suivante : « Philippe, Roi des Belges, A tous
présents et à venir, Salut. Les Chambres ont adopté et Nous sanctionnons ce qui
suit ».
Le refus de sanctionner un texte adopté par le parlement confère au Roi le
pouvoir de bloquer le processus législatif. Ce « droit de veto » est plus théorique
que réel dans la mesure où, sur le plan institutionnel, il ne se conçoit qu’avec
l’accord d’un ministre qui est lui-même responsable devant le parlement.
L'incident d’avril 1990 au cours duquel le Roi Baudouin refusa de sanctionner le
texte relatif à l’interruption volontaire de grossesse, pourtant voté par les deux
chambres, révèle toutefois qu’une telle situation n’est pas à exclure. A cette

145 Art. 78, § 2 de la Constitution.


146 Voy. l’art 75 de la Constitution.
147 Art. 109 de la Constitution.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

occasion, le Roi demanda au Premier ministre de l’époque, W. Martens, d’élaborer


« une construction juridique » lui permettant de concilier les devoirs de sa
fonction et ceux de sa conscience. En d’autres termes, Baudouin Ier considéra que
ses convictions personnelles ne lui permettaient pas de sanctionner une loi
dépénalisant partiellement l’avortement. Il demanda au gouvernement de
trouver une solution pour ne pas bloquer la volonté des représentants de la
nation. Elle fut trouvée dans la combinaison de plusieurs articles de la
Constitution.
Les ministres commencèrent par constater l’impossibilité de régner de
Baudouin Ier par application de l’article 93 de la Constitution : « Si le Roi se
trouve dans l'impossibilité de régner, les ministres, après avoir fait constater
cette impossibilité, convoquent immédiatement les Chambres. Il est pourvu à la
tutelle et à la régence par les Chambres réunies ». Ensuite, les ministres réunis
en Conseil exercèrent les pouvoirs du Roi en vertu de l’article 90 de la
Constitution qui prévoit que « A dater de la mort du Roi et jusqu'à la prestation
du serment de son successeur au trône ou du Régent, les pouvoirs
constitutionnels du Roi sont exercés, au nom du peuple belge, par les ministres
réunis en conseil, et sous leur responsabilité ». La loi relative à l’interruption
volontaire de grossesse fut ainsi sanctionnée par l’ensemble des ministres148.
Enfin, les chambres réunies, saisies en vertu de l’article 93 de la Constitution,
n’eurent plus qu’à constater que l’impossibilité de régner avait pris fin.

2°) La promulgation
La promulgation* est l’acte par lequel le Roi, en tant que chef du pouvoir
exécutif, atteste que la loi a été régulièrement votée selon la procédure prévue à
cet effet. La promulgation rend la loi exécutoire, c’est-à-dire que, en promulguant
la loi, le Roi ordonne à toute autorité publique de veiller à son application. En
pratique, la promulgation intervient au même moment que la sanction, par la
signature du Roi.

3°) La publication
La publication au journal officiel, le Moniteur belge, est ordonnée par le
Roi. Elle permet à tous de prendre connaissance de la loi nouvelle. Cette
publication est fondamentale dans la mesure où elle conditionne l’entrée en
vigueur de la loi qui la rend opposable aux citoyens. Sauf disposition contraire
dans le corps même du texte publié précisant, par exemple, que la loi entre en
vigueur le jour de sa publication ou à une date déterminée, la loi entre en vigueur
dix jours après sa publication.

La formule relative à la promulgation et à la publication se situe à la fin


du texte de la loi, avant la signature du Roi et du contreseing ministériel. Elle est

148Loi du 3 avril 1990 relative à l’interruption volontaire de grossesse, modifiant les articles 348,
350, 351 et 352 du Code pénal et abrogeant l’article 353 du même Code.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

libellée comme suit : « Promulguons la présente loi, ordonnons qu’elle soit revêtue
du sceau de l’Etat et publiée au Moniteur belge ».

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

_________________________________________________________________________
La procédure d’élaboration de la loi
_________________________________________________________________________

INITIATIVE DU ROI (=> gouvernement) INITIATIVE PARLEMENTAIRE


projet de loi proposition de loi

Rédaction (avant-projet de loi) Rédaction (proposition de loi)


Délibération en Conseil des ministres
Avis du Conseil d’Etat
Délibération en Conseil des ministres

DEPOT : DEPOT :
Projet de loi Proposition de loi
+ exposé des motifs + développements
+ avis du Conseil d’Etat
Prise en considération
(avis du Conseil d’Etat)

DISCUSSION EN COMMISSION (débats et votes + rapport)

DEBATS ET VOTES EN SEANCE PLENIERE

EXAMEN EVENTUEL PAR L’AUTRE ASSEMBLEE :


 Monocaméralisme de principe (Chambre des
représentants)
 Bicaméralisme strict
 Bicaméralisme optionnel limité (droit d’évocation du
Sénat)

SANCTION
PROMULGATION
PUBLICATION

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

4. Le droit d’enquête des chambres législatives

La Chambre des représentants dispose du droit d’enquête. Elle peut créer


une commission spéciale en son sein pour qu’elle poursuive des investigations sur
un sujet particulier. Il s’agit le plus souvent de domaines délicats par rapport
auxquels les représentants de la nation souhaitent développer un débat public.
Cette commission d’enquête dispose de véritables pouvoirs d’instruction*. Elle
peut faire comparaître des experts et des témoins qui viennent déposer sous
serment. Elle peut faire appel à un magistrat de l’ordre judiciaire* si elle veut
procéder à une saisie, à une perquisition ou à des écoutes téléphoniques. La
commission siège en principe en séance publique, mais elle peut décider de se
réunir à huis clos. A la fin de ses travaux, elle rédige un rapport qu’elle soumet à
l’assemblée dont elle émane. Elle y formule toutes les recommandations qu’elle
juge utiles, notamment des propositions de modifier la législation existante. Elle
peut également faire état de ses observations sur les responsabilités mises en
lumière durant l’enquête.

Depuis le milieu des années quatre-vingt, les commissions d’enquête se


sont multipliées au sein de la Chambre des représentants. Epinglons, par
exemple, la commission sur la tragédie du stade du Heysel (1985) ; la commission
sur la lutte contre le terrorisme et le grand banditisme à la suite des tueries du
Brabant (1988) ; la commission sur les pratiques de traite d’êtres humains
(1992) ; la commission sur les sectes, à la suite des suicides collectifs pratiqués
par les adhérents de la secte du temple solaire (1996) ; la commission chargée
d’enquêter sur « l’organisation et le fonctionnement de l’appareil policier et
judiciaire en fonction des difficultés surgies lors de l’enquête sur les tueurs du
Brabant » (1996) ; la commission consacrée « à la manière dont l’enquête, dans
ses volets policiers et judiciaires, a été menée dans l’affaire Dutroux-Nihoul & c. »
(1996) ; la commission sur la responsabilité de la Belgique dans l’assassinat de P.
Lumumba ; la commission sur les circonstances qui ont entraîné la faillite de la
Sabena, la commission d’enquête sur les attentats commis le 22 mars 2016 à
Bruxelles.

B. Le pouvoir exécutif

1. Les organes du pouvoir exécutif

Le Roi et le gouvernement forment le pouvoir exécutif fédéral.

a) Le Roi

Le Roi est le chef du pouvoir exécutif. Ce statut lui est réservé par l’article
37 de la Constitution : « Au Roi appartient le pouvoir exécutif fédéral, tel qu'il est
réglé par la Constitution ». Le terme « Roi » est souvent utilisé dans les textes,

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

non pas pour viser la personne royale, mais pour désigner l’ensemble du pouvoir
exécutif.
Le Roi n’exerce toutefois aucun pouvoir à titre personnel. Derrière le Roi, il
y a toujours le gouvernement ou, à tout le moins, un ministre. Dans l’exercice de
chacune de ses prérogatives institutionnelles, le Roi doit disposer du contreseing
d’un ministre qui assume in fine la responsabilité politique. L’article 106 de la
Constitution prévoit à cet égard qu’ « Aucun acte du Roi ne peut avoir d'effet, s'il
n'est contresigné par un ministre, qui, par cela seul, s'en rend responsable ». En
pratique, ceci signifie que tout acte que le Roi s’apprête à poser en tant
qu’institution (discours, visite officielle, sanction d’une loi ou d’un arrêté royal,
etc.) doit recevoir l’aval d’un ministre qui accepte d’en assumer ainsi la
responsabilité politique.
Cette responsabilité ministérielle assumée par l’entremise du contreseing
ministériel est essentielle, car la responsabilité du Roi ne peut en aucune
manière être mise en cause. En proclamant que « La personne du Roi est
inviolable ; ses ministres sont responsables »149, le constituant a donné une portée
juridique pleine et entière aux adages populaires : « Le Roi ne peut mal faire »,
« Le Roi est incapable de mal faire » et surtout « Le Roi règne mais ne gouverne
pas ». Cette inviolabilité politique du Roi se prolonge d’ailleurs sur le plan pénal
et civil : la personne du Roi n’est pas susceptible de faire l’objet de poursuites
pour une infraction pénale et aucune action civile ne peut mettre en cause le Roi,
excepté dans les litiges se rapportant à son patrimoine privé (infra, ch. 6).

b) Le gouvernement

1°) La composition et la formation du gouvernement


Contrairement au parlement, le gouvernement n’est pas composé de
représentants élus. Il est formé, d’une part, par les ministres qui, ensemble,
forment le Conseil des ministres et, d’autre part, par les secrétaires d’Etat qui
sont rattachés à un ministre. Bien que la Constitution dispose que le Roi nomme
et révoque ses ministres et les secrétaires d’Etat150, dans la réalité, il ne revient
pas au Roi de composer le gouvernement.
Un nouveau gouvernement doit être formé principalement dans deux
hypothèses. Premièrement, au lendemain des élections législatives, il est de
coutume* que le Premier ministre présente la démission du gouvernement au
Roi. C’est l’hypothèse la plus fréquente. Deuxièmement, il arrive qu’en cas de
« crise », notamment suite à des dissensions fortes au sein de la coalition, le
gouvernement démissionne sans dissolution des chambres. Dans ces deux cas de
figure, le principe de la continuité et de la permanence de l’Etat et des services
publics* exige que le gouvernement sortant continue à gérer les affaires
courantes jusqu’à ce qu’une nouvelle équipe, disposant de la majorité
parlementaire, soit prête à entrer en fonction. Le Roi n’accepte d’ailleurs

149 Art. 88 de la Constitution.


150 Art. 96, al. 1er et art. 104, al. 4 de la Constitution.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

formellement la démission d’un gouvernement qu’après que le Premier ministre


du gouvernement entrant ait prêté serment.
La formation du gouvernement est un moment fort dans la vie politique du
pays qui s’étale souvent sur plusieurs mois. Plusieurs étapes doivent être
franchies.
Les consultations royales et le rôle de l’’informateur.- Le plus souvent, la
formation d’un gouvernement commence par la tenue de consultations royales : le
Roi reçoit des personnalités importantes du monde politique (comme les
présidents des assemblées, les dirigeants des partis) ou du monde économique et
social (comme des représentants des milieux syndicaux ou patronaux). Dans
l’hypothèse où le Roi considère que ces consultations doivent être poursuivies,
notamment parce que le climat politique est particulièrement tendu, il nomme un
informateur. Ces consultations visent en définitive à « prendre le pouls » de la
situation du pays.
Le formateur.- La désignation du formateur constitue une étape
indispensable à la formation d’un gouvernement. C’est celui-ci qui, en cas de
succès, accède généralement au poste de Premier ministre.
Dans l’accomplissement de sa tâche, le formateur est soumis aux
contraintes du jeu politique. Sa mission essentielle consiste à négocier l’accord de
gouvernement avec les partis pressentis pour « être au pouvoir », c’est-à-dire les
partis qui vont soutenir le gouvernement. Cet accord de gouvernement est un
document fondamental. Il définit les actions politiques qui vont être menées au
cours des quatre années de la législature. C’est également au formateur qu’il
incombe de mener à bien les négociations relatives à la répartition des
portefeuilles ministériels avec les différents présidents de partis. La formation
d’un gouvernement est l’occasion de négociations serrées. Il s’agit de réaliser des
dosages minutieux entre les forces politiques en présence, mais aussi, à
l’intérieur même des partis, entre les différentes provinces, entre hommes et
femmes, etc.
Outre les contraintes politiques, le formateur doit également tenir compte
de contraintes juridiques qui tiennent, d’une part, à la personne même de ceux
qu’il propose comme ministre et, d’autre part, à des règles propres à la
composition du gouvernement. N’importe qui ne peut pas devenir ministre : il
faut être belge, ne pas être membre de la famille royale et jouir de ses droits
civils et politiques151. Par ailleurs, les ministres sont soumis à un régime
d’incompatibilité qui repose sur plusieurs considérations :
1° le principe de la séparation des pouvoirs* : un ministre ne peut être en
même temps parlementaire152 ou magistrat ;
2° la répartition des compétences entre le pouvoir fédéral et les entités
fédérées : un ministre fédéral ne peut être membre d’un gouvernement

151 Art. 97 et 98 de la Constitution.


152 Art. 51 de la Constitution.

98 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

régional ou communautaire, ni exercer une fonction à la Cour


constitutionnelle* ;
3° la disponibilité que requiert la fonction de ministre et qui, par exemple,
n’est pas cumulable avec une charge universitaire à temps plein.
De surcroît, la composition du gouvernement doit répondre à certaines
règles imposées par la Constitution153 : le gouvernement ne peut compter plus de
quinze ministres et la parité linguistique doit être respectée, excepté pour le
Premier ministre qui est « neutre » sur ce plan.
La nomination des ministres et des secrétaires d’Etat.- Une fois que le
formateur a mené à bien sa mission, le Roi nomme les ministres et les secrétaires
d’Etat154. Le Premier ministre est nommé par un arrêté royal contresigné par son
prédécesseur, le Premier ministre démissionnaire. Cette signature est connue
sous le nom de contreseing de courtoisie. Ensuite, le nouveau Premier ministre
contresigne l’arrêté royal acceptant la démission de l’ancien gouvernement. Il
contresigne enfin l’arrêté nommant les nouveaux ministres. Ce chassé-croisé
permet, d’une part, que tous les actes posés par le Roi soient couverts sur le plan
politique par un ministre qui s’en rend ainsi responsable et, d’autre part, que
l’Etat ne soit à aucun moment privé d’un gouvernement en fonction.
La déclaration gouvernementale.- Après son installation rue de la Loi, le
Premier ministre, en tant que porte-parole du gouvernement, va délivrer la
déclaration gouvernementale devant la Chambre des représentants. Il s’agit du
résumé de l’accord de gouvernement. Cette communication vise à exposer la
politique que compte mener le gouvernement au cours de la législature.
Le vote de confiance.- Un vote d’investiture suit la déclaration
gouvernementale du Premier ministre. Il s’agit, pour le parlement, d’accorder sa
confiance au gouvernement. Ce vote de confiance se fait à la Chambre des
représentants à qui revient aujourd’hui la tâche essentielle de contrôler la
politique menée par le gouvernement.

2°) Les ministres, leurs conseillers et leur administration


Pour accomplir leurs missions, les ministres ne sont pas seuls. Chaque
ministre s’entoure de conseillers qui forment son cabinet. Les membres de ces
cabinets suivent le sort du ministre auquel ils sont rattachés. Par ailleurs,
chaque ministre dirige également une administration en charge d’un service
public. On parle des services publics fédéraux, et non plus des ministères, pour
désigner ces administrations. Les services publics fédéraux ne coïncident pas
toujours avec un portefeuille ministériel dont la composition change d’ailleurs
avec les gouvernements.

153 Art. 99 de la Constitution.


154 Remarquez que, dans une large mesure, les dispositions constitutionnelles applicables aux

ministres valent pour les secrétaires d’Etat. Voy. l’art. 104, al. 4 de la Constitution.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

2. Les fonctions du pouvoir exécutif

a) Présentation

Le pouvoir exécutif conduit les affaires du pays. Au niveau fédéral, le


Premier ministre en constitue la figure emblématique. Il représente la Belgique
dans les grandes réunions internationales. A ce titre, il participe notamment aux
sommets des chefs d’Etats et de gouvernements de l’Union européenne*, dont il
assume la présidence lorsque cette mission est confiée à la Belgique.
La conduite des affaires de l’Etat par le gouvernement s’opère de manière
collégiale, dans le respect de la procédure du consensus. Le consensus* est un
accord unanime qui constitue le résultat, non pas d’un vote, mais d’un compromis
négocié. La procédure du consensus qui préside aux débats au sein du
gouvernement et du Conseil des ministres concrétise la solidarité
gouvernementale dans la direction du pays.
Le gouvernement mène sa politique en ayant principalement recours à
trois instruments. Premièrement, il dépose des projets de loi au parlement dont
bon nombre sont coulés dans un texte législatif. Deuxièmement, il dirige les
services publics fédéraux. Troisièmement, il exerce la fonction réglementaire.

b) L’exercice de la fonction réglementaire

Le pouvoir exécutif exécute les lois, c’est-à-dire qu’il adopte les mesures
nécessaires à leur mise en œuvre. Selon l’article 108 de la Constitution, « Le Roi
fait les règlements et arrêtés nécessaires pour l'exécution des lois (…) ».
Il ne s’agit pas, loin s’en faut, d’une fonction subalterne cantonnée aux
points de détails. Dans la pratique le pouvoir exécutif se voit confier d’importants
champs normatifs. Afin d’être pleinement opératoires, la plupart des lois doivent
être mises en œuvre par le pouvoir exécutif. Dans certaines hypothèses, la
carence du pouvoir exécutif paralyse l’entrée en vigueur effective de la norme
législative.
Le pouvoir exécutif exerce sa fonction réglementaire par l’adoption
d’arrêtés royaux*. Nombre d’entre eux sont délibérés en Conseil des ministres. Il
arrive aussi que le pouvoir exécutif délègue à un ministre l’exercice de la fonction
réglementaire sur des questions particulières. Dans ce cas, le ministre ainsi
désigné prend des arrêtés ministériels* qui seront uniquement signés de sa main
et qui ne seront pas, contrairement aux arrêtés royaux, signés par le Roi (infra,
ch. 4).

3. Les relations entre les pouvoirs exécutif et législatif

Les relations entre pouvoirs exécutif et législatif sont basées sur la notion
de confiance et cette confiance repose sur des mécanismes de contrôle. En réalité,
ces relations sont caractérisées par un équilibre des « armes » dont chacun
dispose à l’encontre de l’autre.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

a) Les moyens de contrôle du parlement sur le pouvoir exécutif

Pour administrer le pays, le gouvernement doit bénéficier de la confiance


du parlement qui est censé poser un œil critique sur la politique menée par les
ministres. Aujourd’hui, ce rôle incombe au premier chef à la Chambre des
représentants. La confiance s’exprime dès l’installation du gouvernement, par le
vote d’investiture qui se fait sur la déclaration gouvernementale. Ensuite, le
contrôle se poursuit tout au long de la législature, c’est-à-dire pendant les quatre
années pour lesquelles les assemblées législatives sont en principe mises en
place, sous réserve d’une dissolution anticipée.
Ce contrôle s’exerce selon différentes modalités :
1° Les députés peuvent poser des questions écrites ou orales à un ministre
qui est tenu d’y répondre. Les sénateurs peuvent poser des questions
écrites pour les matières relevant des compétences du Sénat.
2° Les députés peuvent requérir la présence des ministres dans les
assemblées pour obtenir les explications qu’ils souhaitent. Les sénateurs
disposent de ce droit uniquement pour les matières relevant du
bicaméralisme strict.
3° Les députés peuvent interpeller un ministre ou le gouvernement sur un
point particulier. La procédure d’interpellation permet de soumettre une
position prise par le gouvernement ou par l’un de ses membres à un débat
et à un vote. Ce vote porte sur un texte de motion qui peut être, soit une
motion de confiance, soit une motion de méfiance, soit une motion de
recommandation.
Par une motion de confiance, la Chambre renouvelle sa confiance au
gouvernement et la vie politique continue.
Par une motion de méfiance, la Chambre retire sa confiance au
gouvernement. Elle ne peut contraindre le gouvernement à démissionner
que par une motion de méfiance constructive, c’est-à-dire une motion de
méfiance assortie de la proposition au Roi d’un successeur au Premier
ministre. Dans cette hypothèse, le Premier ministre désavoué est tenu de
présenter sa démission au Roi qui nomme le successeur désigné. Ce
dernier sera chargé de former un nouveau gouvernement.
Par une motion de recommandation, la Chambre se borne à donner un
avertissement au gouvernement sans se prononcer sur la confiance ou sur
la méfiance.
4° Les députés peuvent rejeter une motion de confiance déposée par le
gouvernement, à la condition de faire suivre ce vote par une proposition
adressée, dans les trois jours, au Roi d’un successeur au Premier ministre.
Bien que le Roi soit le chef du pouvoir exécutif, l’inviolabilité de sa
personne empêche qu’il soit à aucun moment mis en cause par les parlementaires
quand la politique du gouvernement est censurée par la Chambre des
représentants. Au contraire du Roi, les ministres sont responsables sur le plan
politique. Leur statut de ministre ou de secrétaire d’Etat leur confère
uniquement certaines protections dans la mesure nécessaire au bon
accomplissement de leur mission. Ils ne peuvent être poursuivis pour les opinions

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 101


Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

qu’ils émettent dans l’exercice de leurs fonctions, même en dehors des hémicycles
parlementaires (interview, conférence de presse, etc.)155. Pour le reste, ils
bénéficient également de garde-fous lorsqu’ils sont impliqués dans des procédures
pénales. Le constituant exige notamment l’accord de la Chambre des
représentants pour certains actes importants comme l’arrestation d’un membre
du gouvernement en fonction ou sa citation directe* par un particulier156.

b) Un moyen de pression du pouvoir exécutif sur le parlement

Le pouvoir exécutif dispose également d’un moyen de pression contre la


Chambre des représentants : la dissolution anticipée. Le gouvernement peut
ainsi provoquer la tenue de nouvelles élections législatives avant le terme de la
législature. Aujourd’hui, les cas de dissolution anticipée sont nettement
circonscrits par la Constitution157. Premièrement, dans l’hypothèse d’une crise à
l’occasion de laquelle le Premier ministre présente sa démission au Roi, la
Chambre des représentants peut se retrouver contrainte, sous la pression des
événements, à accepter sa dissolution. Deuxièmement, la Chambre sera dissoute
dans tous les cas où la motion de méfiance constructive est un échec : vote d’une
motion de méfiance sans proposition d’un successeur au Premier ministre, rejet
d’une motion de confiance sans proposition dans les trois jours d’un formateur ou
incapacité pour le formateur désigné par la Chambre des représentants de
constituer un nouveau gouvernement.

c) Equilibre et parlementarisme rationalisé

Les relations entre pouvoirs exécutif et législatif sont organisées de


manière telle qu’un équilibre soit atteint. La Chambre des représentants y
regardera à deux fois avant de faire tomber le gouvernement si les chances de
réunir une nouvelle équipe gouvernementale sont minces. Par ailleurs, les
ministres, ne peuvent diriger l’Etat en faisant fi des mises en garde des
représentants de la nation.
Depuis 1995, le constituant a souhaité assurer la stabilité politique en
instaurant un parlementarisme rationalisé. Les chambres ne peuvent être
dissoutes à chaque crise gouvernementale et le parlement ne peut faire tomber le
gouvernement sans proposer d’alternative. En cas de crise profonde, il revient à
l’opinion publique, en général, et aux électeurs, en particulier, de trancher le
différend qui oppose ces deux pouvoirs.

155 Art. 101, al. 2 de la Constitution.


156 Voy. les détails dans l’article 103 de la Constitution. Sur la responsabilité des ministres, voy.
infra, ch. 6.
157 Art. 46 de la Constitution.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

C. Le pouvoir judiciaire

Le pouvoir judiciaire a pour fonction de trancher les contestations en vertu


des règles de droit. Si deux véhicules entrent en collision et que chaque
conducteur considère qu’il appartient à l’autre de supporter les dégâts matériels,
il reviendra au juge de trancher le litige en appliquant les règles de droit positif*
en vigueur au moment de l’accident. En rendant sa décision, en déterminant qui
est juridiquement responsable, le juge met fin au conflit. Selon l’expression
consacrée : il dit le droit.
Le pouvoir judiciaire est composé de nombreuses juridictions. Au sein de
chacune d’elles siègent des magistrats qui rendent des décisions de justice : les
jugements* ou les arrêts* selon que la décision est prononcée par un tribunal ou
par une cour. Ces magistrats sont appelés juges* ou conseillers* selon qu’ils
siègent au sein d’un tribunal ou d’une cour158. La terminologie peut sembler
équivoque dans la mesure où les termes « juges » et « jugements » sont également
utilisés dans un sens générique pour désigner les « magistrats » et les « décisions
de justice ».
Maîtriser la structure du pouvoir judiciaire est essentielle pour déterminer
le juge compétent, c’est-à-dire le juge habilité à trancher le litige. La matière peut
paraître a priori complexe. Dans la réalité, la compétence des juridictions
s’articule autour d’un petit nombre de critères qui permettent d’en saisir
aisément les contours.

1. Ordre judiciaire et ordre administratif

Le pouvoir judiciaire (ou juridictionnel) se divise en deux ordres : l’ordre


judiciaire et l’ordre administratif. La division repose sur la nature du droit sur
lequel porte la contestation. En vertu des articles 144 et 145 de la Constitution,
« Les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du
ressort des tribunaux » et « Les contestations qui ont pour objet des droits
politiques sont du ressort des tribunaux, sauf les exceptions établies par la loi ».
Au sens de ces dispositions, les droits politiques* sont ceux qui régissent
les rapports de l’individu avec l’Etat dans la mesure où l’individu participe aux
affaires de l’Etat comme électeur ou comme éligible, comme contribuable, comme
milicien, comme assuré social, etc. Les droits politiques sont donc ceux qui font
participer l’individu à la vie de l’Etat et des institutions publiques (droit de vote
et d’éligibilité, droit à la sécurité sociale, etc.). Les droits civils* englobent
l’ensemble des autres droits subjectifs, c’est-à-dire ceux qui appartiennent à toute
personne en tant qu’elle noue des relations juridiques avec d’autres personnes.

158Ceci ne vaut pas pour les magistrats de la Cour constitutionnelle qui sont appelés « juges ».
Remarquez toutefois que l’appartenance de la Cour constitutionnelle au pouvoir judiciaire est
controversée.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Il ressort des articles 144 et 145 de la Constitution que les « tribunaux »


sont seuls compétents pour juger les contestations qui portent sur des droits
civils. Ils sont en principe également compétents pour statuer sur les
contestations portant sur des droits politiques, sauf si la loi en a décidé
autrement. Les « tribunaux » ainsi visés sont les juridictions de l’ordre judiciaire,
communément désignées sous le vocable « les cours et tribunaux ». Les
juridictions créées par la loi pour trancher certaines contestations portant sur des
droits politiques sont les juridictions administratives ou juridictions de l’ordre
administratif.
Cette distinction entre les juridictions de l’ordre judiciaire et les
juridictions administratives n’est plus aussi étanche depuis la réforme de l’Etat
mise en œuvre en 2014 : un deuxième alinéa a été ajouté à l’article 144 de la
Constitution pour permettre au Conseil d’Etat et aux juridictions administratives
fédérales de statuer sur les effets civils de leurs décisions159. Un nouvel article
11bis a ainsi été inséré dans les lois coordonnées du 12 janvier 1973 sur le
Conseil d’Etat et permet à la partie requérante ou intervenante de solliciter du
Conseil d’Etat une « indemnité réparatrice » si elle a subi un préjudice du fait de
l’illégalité censurée, « en tenant compte des intérêts publics et privés en
présence ». La partie qui utilise cette procédure ne pourra plus introduire
d’action en responsabilité civile devant les tribunaux de l’ordre judiciaire pour le
même préjudice, et, inversement, une partie qui a intenté une action en
responsabilité civile ne peut plus demander une indemnité réparatrice au Conseil
d’Etat pour le même préjudice.

2. La pyramide judiciaire

Les cours et tribunaux ne sont pas chacun compétents pour connaître de


l’ensemble des contestations qui relèvent de l’ordre judiciaire. Ces juridictions,
organisées sous la forme d’une pyramide160, sont spécialisées en vertu de
différents critères161. La compétence d’attribution et la compétence territoriale de
chaque juridiction sont déterminées en vertu de ces critères. La compétence
d’attribution* (appelée aussi compétence matérielle) détermine le type de conflits
qu’une juridiction est habilitée à trancher en fonction de son objet. La compétence
territoriale* définit quelle est, parmi les juridictions qui partagent la même
compétence d’attribution, celle qui doit être saisie d’un point de vue territorial.
Afin d’isoler les compétences respectives des cours et tribunaux, le premier
critère à prendre en compte est tiré du caractère civil ou pénal du litige. Dans ce
sens, un litige est de nature civile lorsqu’il porte sur les droits subjectifs qui
naissent des rapports entre les particuliers. Le contentieux civil met en présence

159 « Toutefois, la loi peut, selon les modalités qu’elle détermine, habiliter le Conseil d’Etat ou les

juridictions administratives fédérales à statuer sur les effets civils de leurs décisions » (article
144, alinéa 2, de la Constitution).
160 Voy. le schéma de la pyramide judiciaire ci-après.
161 Voy. le schéma récapitulatif des critères fixant la compétence d’attribution des juridictions de
l’ordre judiciaire à la fin des développements.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

deux parties : le demandeur* et le défendeur*. Un litige est de nature pénale


lorsqu’une personne est poursuivie en raison d’un comportement constitutif d’une
infraction*. Le contentieux pénal met en présence la personne poursuivie
(l’agent) et la société qui est représentée par un membre du ministère public* que
l’on appelle aussi parquet* (voy. infra, ch. 8).
Au niveau territorial, la Belgique est divisée en 187 cantons* et en 12
arrondissements judiciaires*. Le canton est une division territoriale qui ne
correspond pas à celle de la commune. Quant à l’arrondissement judiciaire, c’est
une division territoriale plus large, qui regroupe plusieurs cantons d’une même
province. Ces arrondissements coïncident donc avec les provinces, sauf pour les
arrondissements de Bruxelles (arrondissement bilingue qui recouvre Bruxelles et
une partie du Brabant flamand), de Leuven (arrondissement néerlandophone qui
recouvre l’autre partie du Brabant flamand) et d’Eupen (arrondissement
germanophone). Des divisions sont établies dans certains arrondissements pour
offrir des lieux d’audience en-dehors du chef-lieu de la province162.

a) Les juridictions pénales

Les juridictions susceptibles de connaître d’une contestation pénale sont


les suivantes : le tribunal de police, le tribunal correctionnel, le tribunal de la
jeunesse, le Conseil de guerre, la cour d’assises, la cour d’appel, la Cour militaire
et la Cour de cassation. Trois critères permettent de fixer la compétence
d’attribution de ces juridictions : la nature de l’infraction, la qualité de la
personne poursuivie et le niveau du recours.

1°) La nature de l’infraction


Le principe.- La nature de l’infraction constitue le critère fondamental en
fonction duquel s’organise la compétence des juridictions pénales. La nature
d’une infraction est étroitement liée à la gravité du comportement incriminé. Il
existe trois catégories d’infractions en fonction de la peine prévue par la loi pour
assurer leur répression : les contraventions, les délits et les crimes. Le droit
pénal* belge ne prévoit jamais de peines fixes, mais une fourchette entre un
minimum et un maximum. Pour déterminer de quelle catégorie relève une
infraction particulière, le maximum de la peine prévue par le législateur doit être
pris en considération.
Les contraventions n’emportent jamais plus de sept jours
d’emprisonnement et/ou vingt-cinq euros d’amende163. Le Code pénal érige
notamment en contravention l’abandon sur la voie publique de choses

162 Jusqu’en 2014, il y avait encore 27 arrondissements judiciaires en Belgique. Ces


arrondissements ont été incorporés selon le découpage provincial et ont été maintenus sous la
forme de divisions d’arrondissement.
163Depuis le 1er janvier 2012, il faut multiplier par 6 le montant de la condamnation pour
connaître la somme qui devra être déboursée à titre d’amende (loi du 28 décembre 2011 portant
des dispositions diverses en matière de justice). On parle de « décimes additionnels » pour
désigner ce coefficient multiplicateur destiné à prendre en compte l’inflation.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

encombrantes ou malodorantes, le fait de laisser « divaguer » des « animaux


malfaisants ou féroces » que l’on a sous sa garde, le tapage nocturne, la
dégradation de clôtures, certaines injures, etc.
Les délits sont punis de huit jours à cinq ans d’emprisonnement et/ou
d’une amende égale ou supérieure à vingt-six euros. Il s’agit, parmi beaucoup
d’autres, du vol simple, de l’homicide par imprudence, de l’escroquerie, du
piratage informatique, etc.
Les crimes emportent des peines de plus de cinq ans de réclusion et/ou
d’une amende égale ou supérieure à vingt-six euros. Constituent notamment des
crimes dans ce sens : le vol avec violences, l’attentat à la pudeur commis sur un
mineur, l’incendie volontaire d’une maison habitée, le meurtre, l’assassinat, etc.
Le tribunal de police.- Les contraventions sont de la compétence du
tribunal de police. Outre cette compétence générale d’attribution, le tribunal de
police s’est vu confier des contentieux particuliers dont le plus important est celui
du roulage. L’ensemble des conflits nés de la circulation routière sont tranchés
par le tribunal de police : du stationnement irrégulier à la collision en chaîne sur
une autoroute. Le tribunal de police est également compétent pour connaître des
délits contraventionnalisés* c’est-à-dire les délits qui ont été considérés par le
ministère public ou la juridiction, dès le stade de l’information ou de l’instruction,
comme ne justifiant qu’une peine de contravention par l’admission anticipée de
circonstances atténuantes.
Le tribunal de police est composé d’un juge unique, appelé juge de police.
Les tribunaux de police sont au nombre de 15 en Belgique, répartis sur 35
sites. Alors qu’ils étaient traditionnellement établis par canton*, ils sont
aujourd’hui organisés par arrondissement judiciaire* et divisions164.
Le tribunal correctionnel.- Les délits sont de la compétence du tribunal
correctionnel. Le tribunal correctionnel est également compétent pour le
jugement des crimes dès lors qu’ils sont correctionnalisés. La
correctionnalisation* est la transformation d’un crime en délit dès le stade de
l’information ou de l’instruction par la reconnaissance anticipée de circonstances
atténuantes. Tous les crimes peuvent être correctionnalisés et en pratique ils le
sont quasiment tous. Le Collège des procureurs généraux donne d’ailleurs
instruction aux magistrats du ministère public de présumer l’existence de
circonstances atténuantes, en sorte que le tribunal correctionnel doit être
considéré comme la juridiction de droit commun des délits et des crimes. Lorsque
le tribunal correctionnel connaît d’un crime correctionnalisé, il peut prononcer
des peines d’emprisonnement criminelles, allant jusqu’à 40 ans.
Le tribunal correctionnel fait partie du tribunal de première instance*, qui
est établi dans chaque arrondissement judiciaire du Royaume. Il est divisé en
chambres. Chaque chambre est composé d’un juge unique.

164 L’arrondissement judiciaire de Bruxelles compte quatre tribunaux de police (Bruxelles


francophone, Bruxelles néerlandophone, Hal et Vilvorde).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

La cour d’assises.- Les crimes sont en principe de la compétence de la cour


d’assises, ainsi que les délits politiques et de presse.
La cour d’assises est une juridiction, établie au chef lieu de la province165,
dont le siège se compose de trois magistrats professionnels : un magistrat de la
cour d’appel qui la préside et deux assesseurs, juges au tribunal de première
instance. Elle est également composée d’un jury de 12 citoyens belges, de plus de
30 ans et moins de 60 ans, sachant lire et écrire, tirés au sort sur les listes
électorales.
La loi prévoit que la Cour et le jury délibèrent ensemble sur la culpabilité
(sans voix délibérative des magistrats professionnels) et sur la peine, ce qui en
fait un système d’échevinage où les magistrats professionnels sont associés à des
citoyens, plutôt qu’un véritable jury, où les citoyens délibèrent seuls. La
participation de magistrats professionnels influence en effet nécessairement le
déroulement des délibérations.
En pratique, la cour d’assises n’est plus aujourd’hui qu’une juridiction
exceptionnelle, un fossile de l’Etat de droit dans notre Constitution, vidé de sa
substance par le législateur et la pratique judiciaire. Tous les crimes sont
correctionnalisables et ils sont presque tous déférés au tribunal correctionnel, qui
peut prononcer des peines criminelles.
Le délit politique est celui qui porte atteinte à la structure, à la forme et à
la permanence des institutions politiques et qui, de ce fait, met en cause
l’existence du système politique en vigueur. Le délit de presse est toute infraction
(calomnies et diffamations, injures, etc.) qui est commise par la voie de la presse.
La compétence de la cour d’assises pour les délits politiques et de presse
s’explique par la volonté du Constituant de 1830 de placer la répression de ce
type d’infractions sous la protection des citoyens et non dans les mains du
pouvoir, fût-il judiciaire. En effet, la poursuite de délits d’opinion signale souvent
une dérive autoritaire de l’Etat et la menace des droits et libertés civils et
politiques.
La Cour de cassation a toutefois donné une définition si restrictive des
délits politiques qu’elle l’a en pratique vidée de toute substance166.
Quant aux délits de presse, ils ont été confiés par la Constitution à la
compétence du tribunal correctionnel lorsqu’ils sont inspirés par le racisme et la
xénophobie. Pour les autres, ils ne sont poursuivis que de manière extrêmement
rare et font le plus souvent l’objet d’un classement sans suite*. La principale
raison est que le ministère public est peu soucieux de saisir le jury de ce genre
d’affaires qui tournent souvent à la confusion de l’accusation, les citoyens se

165 Ainsi qu’à Bruxelles pour la Région Bruxelles-Capitale.


166La Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence relative au délit politique dans un arrêt du
18 novembre 2003. Elle a censuré la cour d’appel de Bruxelles, qui comme le tribunal
correctionnel de Bruxelles, avait considéré que seule une cour d’assises était compétente pour
juger les trois asbl gravitant autour du Vlaams Blok du chef d’appartenance à ou de collaboration
avec un groupement ou une association qui, de façon manifeste et répétée, pratique la
discrimination ou la ségrégation ou prône celles-ci.

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 107


Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

montrant en outre réticents à condamner des journalistes pour des délits


d’opinion.
L’article 150 de la Constitution prescrit que « le jury est établi en toutes
matières criminelles et pour les délits politiques et de presse, à l'exception des
délits de presse inspirés par le racisme ou la xénophobie ». La
correctionnalisation systématique des crimes, assortie du pouvoir donné au
tribunal correctionnel de prononcer des peines criminelles, vide en pratique cette
disposition constitutionnelle de sa substance, sans pourtant qu’elle ait été
régulièrement abrogée. Cette manière de procéder est très critiquable, de même
que de priver en pratique les justiciables de la garantie d’être jugé par un jury de
pairs et les citoyens de leur droit politique de participer ainsi à l’exercice de la
justice. Aussi, cette réforme votée en 2016167 fait l’objet de sévères critiques de la
part des défenseurs de l’Etat de droit. Un recours en annulation a été déposé
contre la loi devant la Cour constitutionnelle et il ne fait guère de doute que la
Cour européenne des droits de l’homme sera saisie le cas échéant.

2°) La qualité de la personne poursuivie


Le tribunal de la jeunesse.- Les mineurs qui ont commis des « faits
qualifiés infractions »168 relèvent de la compétence du tribunal de la jeunesse. En
d’autres termes, les personnes âgées de moins de 18 ans au moment des faits
échappent en principe aux juridictions pénales de droit commun. Elles ne se
voient pas infliger de peines, mais des mesures qui laissent intact leur casier
judiciaire. Il arrive cependant qu’en présence de mineurs âgés de 16 à 18 ans, le
juge de la jeunesse se dessaisisse au profit du tribunal correctionnel ou de la cour
d’assises. Une telle décision de dessaisissement ne peut se faire que sur la base
d’un rapport médico-psychologique qui permet au juge de démontrer que les
mesures qui sont à sa disposition ne sont pas adéquates vis-à-vis du mineur
concerné. Comme le tribunal correctionnel, le tribunal de la jeunesse est installé
au niveau de l’arrondissement judiciaire et fait également partie du tribunal de
première instance*. Il est divisé en chambres. Dans chacune d’elle siège un
magistrat professionnel appelé le juge de la jeunesse.
Le Conseil de guerre.- Traditionnellement, les militaires ne
comparaissaient pas devant les juridictions de droit commun. Pour toutes les
infractions qu’ils commettaient, ils étaient jugés par une juridiction militaire
établie à Bruxelles, appelée le Conseil de guerre, présidée par un officier
supérieur aux côtés duquel siégeaient un magistrat professionnel et trois autres
officiers. Cette juridiction a été supprimée en temps de paix169.

167Loi du 5 février 2016 modifiant le droit pénal et la procédure pénale et portant des dispositions
diverses en matière de justice (dite « Pot-pourri II »), M.B. 19 février 2016.
168Pour les mineurs, on parle de « faits qualifiés infraction » et non d’infractions pour montrer
qu’ils relèvent d’un régime particulier qui les soustrait au droit pénal*.
169 Loi du 10 avril 2003 réglant la suppression des juridictions militaires en temps de paix ainsi

que leur maintien en temps de guerre, M.B., 7 juin 2003.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

3°) Le niveau du recours170


Le tribunal de police, le tribunal correctionnel, la cour d’assises, le tribunal
de la jeunesse et le Conseil de guerre sont toutes des juridictions de premier
ressort, c’est-à-dire qu’elles statuent en première instance sur l’affaire qui leur
est soumise. Ces tribunaux forment le premier degré de juridiction. Des voies de
recours* sont ouvertes contre les décisions ainsi rendues devant d’autres
juridictions qui bénéficient d’un rang supérieur dans la pyramide de l’ordre
judiciaire. Ces voies de recours sont l’appel et le pourvoi en cassation. L’appel*
ouvre un second degré de juridiction au niveau duquel l’affaire est entièrement
examinée à nouveau et rejugée. Le pourvoi en cassation* n’ouvre pas un
troisième degré de juridiction. Il s’agit d’une voie de recours extraordinaire en ce
sens que seule la légalité de la décision est au centre du procès, sans que
l’ensemble du litige ne fasse l’objet d’un examen complet (infra, ch. 8).
La cour d’appel.- La cour d’appel est une juridiction du second degré qui
connaît des appels interjetés contre les décisions du tribunal correctionnel
(rendues en première instance) et celles du tribunal de la jeunesse. La cour
d’appel est divisée en chambres entre lesquelles sont répartis les appels en
fonction de la matière sur laquelle ils portent (chambres correctionnelles et
chambres de la jeunesse). Les jugements du tribunal de police ne sont pas portés
en appel devant la cour d’appel, mais devant le tribunal correctionnel. Les arrêts
de la cour d’assises ne bénéficient pas d’un second degré de juridiction.
Il y a cinq cours d’appel en Belgique, établies dans les grandes villes du
pays : Anvers, Bruxelles, Gand, Mons et Liège. Dans chaque chambre de la cour
d’appel siègent traditionnellement trois conseillers. En raison de l’arriéré
judiciaire et de la pénurie de magistrats, les chambres à conseiller unique ont
toutefois tendance à se multiplier.
La Cour militaire.- Etablie à Bruxelles, la Cour militaire connaît des
appels contre les décisions prononcées par le Conseil de guerre. Elle est composée
d’un magistrat professionnel qui la préside et de quatre militaires haut gradés.
Elle ne statue plus suite à la loi d’avril 2003 supprimant les juridictions
militaires en temps de paix.
La Cour de cassation.- La Cour de cassation examine la légalité des
décisions des cours et tribunaux rendues en dernier ressort, c’est-à-dire celles qui
ont fait l’objet d’un appel ou qui ne sont pas susceptibles d’en faire l’objet. Elle
connaît donc des décisions prononcées par le tribunal correctionnel (quand il
statue en appel sur les jugements de police), par la cour d’appel, par la Cour
militaire et par la cour d’assises.
D’après les termes du Code judiciaire*, la Cour de cassation est saisie pour
« contravention à la loi » ou pour « violation des formes substantielles ou
prescrites à peine de nullité »171. Parmi ces « formes » figure au premier plan les
règles de procédure*. La Cour de cassation n’examine donc pas à nouveau les

170 Voy. le schéma qui suit les développements.


171 Art. 608 du Code judiciaire.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

faits. On dit qu’elle connaît des faits tels qu’ils ont été constatés par le juge du
fond*, ce dernier visant toutes les juridictions de première instance et d’appel. La
Cour de cassation vérifie donc si des faits qu’il a constatés, le juge du fond a bien
pu prendre, en considération du droit positif applicable, la décision qu’il a prise.
De manière lapidaire, la Cour de cassation est parfois désignée comme le « juge
des jugements ». Lorsqu’elle statue sur un pourvoi en cassation, la Cour de
cassation dispose d’une seule alternative : casser ou rejeter le pourvoi. Si la
décision du juge du fond est cassée, elle est renvoyée à une juridiction de même
niveau que celle qui a rendu la décision cassée ou à la même juridiction
autrement composée.
Au sein de la Cour de cassation existe une chambre pénale qui, comme les
autres chambres, statue le plus souvent à cinq conseillers. Un siège de trois
magistrats peut être formé dans les affaires dont la solution « paraît
s’imposer »172. De la même manière, un siège plus large est réuni (9 conseillers ou
plus) dans les affaires particulièrement délicates ou importantes.

4°) La compétence territoriale


La nature de l’infraction, la qualité de la personne poursuivie et le niveau
du recours permettent de déterminer la compétence d’attribution des juridictions
pénales. Il n’y a toutefois pas un tribunal de police, un tribunal correctionnel ou
une cour d’assises sur le territoire du royaume. Pour déterminer la juridiction qui
sera territorialement compétente, les règles de procédure pénale* retiennent trois
critères alternatifs : la juridiction du lieu où l’infraction a été commise, celle du
lieu de résidence173 de la personne poursuivie, celle où la personne poursuivie a
été trouvée. Ces règles relèvent de l’ordre public*. Il appartient au procureur du
Roi*, en fonction des indices de localisation présents dans le dossier de retenir
l’un ou l’autre critère.
Quant à la compétence de la cour d’appel, elle est déterminée par l’endroit
où la cause a été jugée en première instance. Chaque cour d’appel connaît des
appels interjetés contres les décisions rendues par les juridictions établies dans
son ressort territorial.

5°) L’exécution de la peine privative de liberté.


Depuis 2007, des tribunaux de l’application des peines ont été mis en
place174afin d’éviter que les modalités d'exécution d’une peine privative de liberté
ou de libération temporaire ne soient régies par des circulaires* ministérielles,
une situation critiquée en termes de transparence et de sécurité juridique. Ces
tribunaux sont notamment compétents pour statuer sur les demandes
d’assignation à résidence sous surveillance électronique, de libération

172 Art. 1105bis du Code judiciaire.


173La résidence est le lieu de vie d’une personne. Il s’agit d’une notion de fait qui ne s’identifie pas
nécessairement avec le domicile, lequel désigne le lieu où une personne est inscrite à titre
principal sur les registres de la population.
174 Loi instaurant des tribunaux de l’application des peines du 17 mai 2006, M.B., 15 juin 2006.

110 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

conditionnelle, de modification de la peine (par exemple, la transformation d’une


courte peine d’emprisonnement en une peine de travail), etc.
Six tribunaux de l’application des peines ont été établis, sous la forme de
sections de certains tribunaux de première instance : un par ressort de Cour
d’appel, sauf à Bruxelles où deux tribunaux ont été mis en place pour respecter la
parité linguistique. Ces tribunaux sont présidés par un magistrat professionnel,
entouré, dans certains cas, par deux assesseurs : l’un spécialisé en réinsertion
sociale, l’autre en matière pénitentiaire.

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 111


Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

_________________________________________________________________________
Les juridictions pénales
_________________________________________________________________________

COUR DE
CASSATION

COUR
COUR D’APPEL
MILITAIRE

COUR
D’ASSISES

TRIBUNAL TRIBUNAL CONSEIL


CORRECTIONNEL DE LA JEUNESSE DE GUERRE

TRIBUNAL
DE POLICE

APPEL
POURVOI

112 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

b) Les juridictions civiles

Les juridictions susceptibles de connaître d’une contestation civile sont les


suivantes : la justice de paix, le tribunal civil, le tribunal de commerce, le
tribunal du travail, le tribunal de la famille et de la jeunesse, la cour d’appel, la
cour du travail, la Cour de cassation. Quatre critères permettent de fixer la
compétence d’attribution de ces juridictions : la valeur du litige, la qualité des
parties en cause, l’objet du litige et le niveau du recours.

1°) La valeur du litige


La justice de paix.- Le juge de paix connaît de tous les litiges civils dont le
montant n’excède pas 2.500 euros175, à l’exception de ceux qui relèvent de la
compétence spéciale d’un autre tribunal. Le juge de paix s’est également vu
confier des compétences liées à son statut de juge de proximité comme, par
exemple, la matière des baux en général. Les justices de paix sont établies par
cantons et ne connaissent en principe pas de regroupement.

2°) La qualité des parties en cause


Le tribunal de commerce.- Le tribunal de commerce connaît des
contestations entre entreprises, à savoir entre toutes personnes qui poursuivent
de manière durable un but économique, concernant un acte accompli dans la
poursuite de ce but et qui ne relève pas de la compétence spéciale d’une autre
juridiction. Il peut également connaître des demandes dirigées contre une
entreprise, relativement à une opération économique, introduites par un
demandeur qui n’est pas une entreprise, si ce demandeur en fait le choix. Le
tribunal de commerce est établi au niveau du ressort de cour d’appel176 et est
divisé en plusieurs chambres. Dans chacune d’elles siègent trois juges : un
magistrat professionnel et deux juges consulaires non professionnels, nommés
pour 5 ans par le Roi parmi des représentants du commerce ou de l’industrie qui
lui sont proposés.
Le tribunal du travail.- Le tribunal du travail est compétent pour statuer
sur les conflits du travail (conditions de travail, rémunération, harcèlement au
travail, égalité hommes-femmes, etc.) et relatifs à la sécurité sociale* (chômage,
accidents de travail, pensions de retraite, vacances annuelles, etc.). Il est établi
au niveau du ressort de cour d’appel177 et est divisé en plusieurs chambres. Dans
chacune d’elles siègent trois juges : un magistrat professionnel et deux juges
sociaux non professionnels, nommés pour 5 ans par le Roi parmi les
représentants des travailleurs et des employeurs qui lui sont proposés.

175 Art. 590 du Code judiciaire.


176Avec plusieurs exceptions : Bruxelles (un tribunal de commerce francophone et un tribunal de
commerce néerlandophone), Louvain, Nivelles et Eupen.
177Avec plusieurs exceptions : Bruxelles (un tribunal du travail francophone et un tribunal du
travail néerlandophone), Louvain, Nivelles et Eupen.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

3°) L’objet du litige


Le tribunal de la famille et de la jeunesse. – Le tribunal de la famille est
compétent pour connaître, de manière générale, de tous les litiges et affaires de
nature familiale. Il connaît notamment de la cohabitation légale, du mariage et
du divorce ; de la filiation, de l’adoption et de l’autorité parentale ; des pensions
alimentaires, des donations, successions et testaments. Au sein du tribunal, une
chambre de la jeunesse est spécialement compétente pour prendre toutes les
mesures utiles pour protéger les « mineurs en danger ». Il s’agit souvent en
pratique de questions liées à l’exercice de l’autorité parentale.

4°) Le reste du contentieux civil en premier ressort


Le tribunal civil.- L’ensemble des litiges civils dont la valeur excède 2500 €
et qui ne relèvent ni de la compétence du tribunal de commerce, ni de celle du
tribunal du travail, ni de celle ou du tribunal de la famille et de la jeunesse sont
portés devant le tribunal civil. Dans la pratique, le contentieux dont est saisi le
tribunal civil est considérable. Ce tribunal dispose de la plénitude de juridiction.
En d’autres termes, c’est le juge ordinaire, de tous les conflits civils. Il est établi
au niveau de l’arrondissement judiciaire178 et, avec le tribunal de la jeunesse, le
tribunal de la famille et le tribunal correctionnel, il forme le tribunal de première
instance. Chaque tribunal civil est divisé en chambres où siège le plus souvent un
juge unique. Certaines chambres sont composées de trois magistrats.

5°) Le niveau du recours


Le tribunal civil.- Le tribunal civil peut également être amené à statuer au
second degré. Il est en effet compétent pour connaître des appels interjetés contre
les décisions rendues par le juge de paix. Il n’y a cependant pas d’appel possible à
l’encontre des jugements des juges de paix concernant des litiges dont la
demande* porte sur un montant inférieur à 1.860 €.
La cour d’appel.- En tant que juridiction du second degré, la cour d’appel
connaît des appels interjetés contre les décisions du tribunal civil, du tribunal de
famille et de la jeunesse et du tribunal de commerce. Il n’y a cependant pas
d’appel possible pour les jugements rendus par le tribunal de commerce si la
valeur du litige porte sur un montant inférieur à 2.500 €, ni contre les jugements
rendus par le tribunal civil statuant lui-même en appel d’un jugement rendu par
le juge de paix. La cour d’appel est divisée en chambres entre lesquelles sont
répartis les appels en fonction de la matière sur laquelle ils portent. Les
jugements rendus par les juges de paix relèvent, en appel, de la compétence du
tribunal civil.

178Le tribunal de première instance est dédoublé à Bruxelles : il y a un tribunal de première


instance francophone et un tribunal de première instance néerlandophone.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

La cour du travail.- La cour du travail est une juridiction du second degré


qui connaît des appels interjetés contre les décisions du tribunal du travail. Le
ressort de la cour du travail est le même que celui de la cour d’appel. Il y a donc
cinq cours du travail en Belgique179. Comme le tribunal du travail, elle est
composée d’un magistrat professionnel et de deux magistrats non professionnels :
les conseillers sociaux.
La Cour de cassation.- Au contentieux civil, la Cour de cassation connaît
également des pourvois introduits contre les décisions rendues en dernier ressort.
Il s’agit des décisions prononcées par le juge de paix et le tribunal de commerce
(qui ne sont pas susceptibles d’appel), par le tribunal civil (en appel des
jugements des juges de paix), par la cour d’appel et par la cour du travail. La
Cour de cassation est divisée en chambres spécialisées entre lesquelles sont
répartis les pourvois en fonction de la matière sur laquelle ils portent (deux
chambres civiles et commerciales ainsi qu’une chambre sociale).

6°) La compétence territoriale


La valeur du litige, la qualité de la personne poursuivie, l’objet du litige et
le niveau du recours permettent de déterminer la compétence d’attribution des
juridictions civiles. Il n’y a toutefois pas une justice de paix, ni un tribunal de
commerce, civil ou du travail sur le territoire du royaume. Pour déterminer
quelle juridiction sera territorialement compétente, les règles de la procédure
civile* (dite du droit judiciaire*) prévoient quatre critères alternatifs : le lieu du
domicile du défendeur ; le lieu de la naissance ou de l’exécution de l’obligation qui
est au centre du litige ; le domicile « élu » par les parties, c’est-à-dire le lieu
qu’elles ont choisi pour régler leur différend ; à défaut pour les trois critères cités
d’être applicables, le lieu où l’huissier a « parlé » au défendeur, c’est-à-dire le lieu
où la citation* en justice a pu lui être signifiée* (infra, ch. 8). Ces règles sont
supplétives*. Il est donc possible d’y déroger par convention. Par ailleurs, la loi
prévoit des règles spéciales de compétence territoriale dans certaines matières
précises (pensions alimentaires, questions de succession, mesures de protection
de la personne des malades mentaux, etc.).
Quant à la compétence de la cour d’appel et de la cour du travail, elle est
déterminée par l’endroit où la cause a été jugée en première instance. Chaque
cour d’appel et du travail connaît des appels interjetés contre les décisions
rendues par les juridictions établies dans son ressort territorial.

179 Des divisions sont prévues: à Anvers (Anvers, Hasselt), à Gand (Bruges, Gand), et à Liège

(Liège, Namur, Neufchâteau). On parlera, par exemple, de la Cour du travail d’Anvers, division
Anvers.

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 115


116
Volume 1

Les juridictions civiles

COUR DE
CASSATION

COUR D’APP
EL
COUR DU TRAVAIL

TRIBUNAL DE LA
TRIBUNAL TRIBUNAL DE TRIBUNAL DU
FAMILLE ET DE LA
CIVIL COMMERCE TRAVAIL
Introduction au droit

JEUNESSE

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APPEL
POURVOI
JUSTICE DE PAIX

DROI-C-1001_A
FRYDMAN B. et RORIVE I.
FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

_________________________________________________________________________
Critères déterminant la compétence d’attribution
des juridictions de l’ordre judiciaire
_________________________________________________________________________

NATURE DE LA CONTESTATION : NATURE DE LA CONTESTATION :


contentieux civil contentieux pénal

QUALITE DES PARTIES : QUALITE DE LA PERS. POURSUIVIE :


mineur mineur
travailleur/employeur ; (militaire)
allocataire social
entreprises

OBJET DU LITIGE :
contentieux familial
baux

VALEUR DU LITIGE : NATURE DE L’INFRACTION :


< 2500 Eur. contravention
délit
crime

NIVEAU DU RECOURS
1ère instance
appel
cassation

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 117


118
La pyramide judiciaire
Volume 1

COUR DE CASSATION

Chambre Chambre civile


Chambre pénale
sociale et commerciale

COUR DU COUR D’APPEL


TRAVAIL

Chambre
Chambre de la Chambre
civile et
jeunesse correctionnelle
commerciale

COUR D’ASSISES
Introduction au droit

TRIBUNAL DU TRIBUNAL DE TRIBUNAL DE PREMIERE INSTANCE


TRAVAIL COMMERCE

Tribunal de la
Tribunal

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Tribunal civil famille et de
correctionnel
la jeunesse

JUSTICE TRIBUNAL DE
DE PAIX POLICE

Appel Pourvoi

DROI-C-1001_A
FRYDMAN B. et RORIVE I.
FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

3. Les juridictions administratives

a) Présentation

Les juridictions administratives sont établies par la loi pour connaître de


certains contentieux liés aux droits politiques. Elles sont nombreuses et
n’obéissent à aucune organisation d’ensemble contrairement aux cours et
tribunaux. Parmi les multiples juridictions administratives qui ont été instaurées
en Belgique, épinglons la Cour des comptes, les collèges provinciaux* qui
tranchent les conflits liés à la validité des élections communales ou les litiges
relatifs aux taxes communales et provinciales, le Conseil du contentieux des
étrangers ou encore la Commission spéciale pour l’indemnisation de détentions
préventives inopérantes.
Au sommet de ces juridictions administratives se trouve le Conseil d’Etat.
Créé au lendemain de la seconde guerre mondiale, le Conseil d’Etat comporte
deux sections distinctes qui remplissent des missions très différentes : la section
de législation* et la section du contentieux administratif*.
La section de législation du Conseil d’Etat n’est pas une juridiction. C’est
l’organe qui rend un avis sur tous les avant-projets de loi, de décret ou
d’ordonnance, sur certaines propositions de norme législative180 et sur tous les
projets d’arrêté réglementaire du pouvoir exécutif fédéral ainsi que des
gouvernements régionaux ou communautaires.
La section du contentieux administratif du Conseil d’Etat est la Haute
Cour administrative du pays. Elle s’appelait jusqu’en 2007 la « section
d’administration » 181.

b) La section du contentieux administratif du Conseil d’Etat

1°) Le contentieux de l’annulation


La tâche principale de la section du contentieux administratif du Conseil
d’Etat consiste à examiner les recours qui visent à l’annulation des arrêtés, des
règlements et des décisions individuelles pris par le pouvoir exécutif et par
l’administration en général. L’annulation sera prononcée si l’acte attaqué est
illégal ou constitutif d’un excès de pouvoir. Un acte illégal est pris en violation
d’une norme supérieure. Tel est le cas, par exemple, d’un permis de bâtir accordé
à un promoteur immobilier dans une zone classée « zone verte » par la loi. Un
acte est notamment constitutif d’un excès de pouvoir lorsqu’il est pris par une
autorité incompétente. Tel serait le cas, par exemple, de l’arrêté royal qui
règlerait l’organisation de l’enseignement supérieur, cette matière étant
attribuée aux communautés.

180 Voy. supra, au point III de la présente section (procédure d’élaboration de la loi).
181Arrêté royal du 25 avril 2007 modifiant divers arrêtés relatifs à la procédure devant la section
du contentieux administratif du Conseil d'Etat.

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 119


Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

La section du contentieux administratif du Conseil d’Etat est en quelque


sorte le juge des actes de l’administration. Le contentieux d’annulation relève
bien du contentieux objectif*, dans la mesure où le procès est intenté avant tout à
un acte et non à une personne. Le but du recours est de faire disparaître un acte
de l’arsenal juridique. Depuis 2014, il est également possible de demander
réparation pour le dommage généré par un acte illégal de l’autorité
administrative, sous la forme d’une indemnité réparatrice (voy. supra, point 1).
Les conditions propres à l’introduction d’un recours en annulation devant
le Conseil d’Etat sont les suivantes :
- seule une personne justifiant d’un intérêt légitime à voir l’acte attaqué
disparaître peut introduire une requête en annulation ;
- l’acte visé par la requête doit émaner d’une « autorité administrative ».
Cette notion est interprétée de manière extensive par le Conseil d’Etat.
Peuvent ainsi être soumis à son contrôle les actes des organes de droit
privé chargés d’une mission de service public, comme les décisions de
certains jurys d’examen ;
- la requête en annulation doit être introduite dans les 60 jours de la
publication ou de la notification de l’acte incriminé ou, à défaut, du
moment où le requérant en a pris connaissance.
Cette dernière condition vise à préserver la sécurité juridique. Il s’agit
d’éviter que les règlements ou les décisions du pouvoir exécutif et de
l’administration ne puissent être perpétuellement remis en question. L’acte
annulé est en effet complètement rayé du paysage juridique. L’annulation opère
par définition de manière rétroactive : l’acte annulé est réputé n’avoir jamais
existé.

2°) Le contentieux de la suspension


Dans le cadre d’une procédure dite de référé administratif, le Conseil
d’Etat a le pouvoir d’ordonner la suspension des règlements et actes
administratifs susceptibles d’être annulés lorsque des moyens sérieux sont
invoqués à l’appui du recours en annulation et s’il existe une urgence
incompatible avec le traitement de l’affaire en annulation182. La demande en
suspension est déférée à un juge unique. Celui-ci peut assortir la décision de
suspension d’une astreinte et de toute mesure provisoire nécessaire pour assurer
la sauvegarde des intérêts des parties.

3°) Les autres contentieux


D’autres contentieux sont également confiés au Conseil d’Etat. Il est
parfois appelé à statuer en qualité de juge d’appel ou de juge de cassation des
décisions de certaines juridictions administratives. La loi lui confie également des

182Art. 17 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat du 12 janvier 1973, tel que modifié par la loi
du 20 janvier 2014 portant réforme de la compétence, de la procédure et de l'organisation du
Conseil d'État modifiant l’article 38 des lois coordonnées sur le Conseil d’Etat, M.B., 3 février
2014.

120 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

contentieux divers comme celui de statuer en équité sur les demandes en


indemnisation des particuliers qui ont subi un dommage exceptionnel du fait de
l’action non fautive de l’administration (contentieux de l’indemnité), ou encore
celui d’examiner les plaintes introduites en vue de réduire la dotation publique
des partis politiques liberticides.

4. Le statut des magistrats professionnels

Les magistrats prennent des décisions susceptibles d’influer profondément


sur la vie des citoyens. C’est le juge qui décide l’acquittement ou la condamnation
à une peine d’emprisonnement, qui statue sur la garde d’un enfant, qui prononce
la faillite d’une société. Ces décisions ne peuvent être prononcées arbitrairement.
Elles sont prises en application du droit en vigueur. Il est toutefois essentiel que
dans l’exercice de sa mission, le juge soit indépendant et impartial.
L’indépendance et l’impartialité des magistrats sont considérées par la Cour de
cassation comme les fondements de tout Etat démocratique183.

a) L’indépendance

Dans son article 151, la Constitution proclame que « Les juges sont
indépendants dans l'exercice de leurs compétences juridictionnelles ». Afin de
garantir cette indépendance, quatre principes sont posés par la Constitution : la
nomination à vie des magistrats, leur inamovibilité, la fixation par la loi de leur
statut pécuniaire et un régime strict d’incompatibilité. Ces principes visent avant
tout à garantir l’indépendance du pouvoir judiciaire par rapport au pouvoir
exécutif.

1°) La nomination à vie


Ce principe est exprimé par la Constitution : « Les juges sont nommés à
vie. Ils sont mis à la retraite à un âge déterminé par la loi (…) »184.
En Belgique, les juges ne sont pas élus, mais nommés par le Roi sur
présentation de candidats par le Conseil supérieur de la Justice185. Pendant
longtemps, la Constitution n’a pas organisé la procédure de nomination des
magistrats. La politisation en ce domaine était généralisée. Les partis politiques
exerçaient une réelle mainmise tant sur les nominations que sur les promotions
des magistrats. La création du Conseil supérieur de la Justice en 1998 tend à
remédier à cette situation ainsi qu’à réagir contre les déficiences de l’appareil
judiciaire en général. Composé de magistrats assis*, de membres du ministère
public*, de professeurs d’Université et d’avocats expérimentés, le Conseil
supérieur de la Justice joue désormais un rôle essentiel dans la présentation des
candidats magistrats, dans la formation des magistrats ainsi que dans la

183 Voy. infra, l’arrêt Connerotte examiné dans la section 2 du chapitre 5.


184 Art. 152, al. 1 de la Constitution.
185 Art. 151, § 2 de la Constitution.

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 121


Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

surveillance générale de l’appareil judiciaire, notamment pour l’attribution des


promotions. Il revient au Conseil supérieur de la Justice d’organiser le concours
qui permet aux candidats magistrats de poursuivre un stage de trois ans avant
d’être définitivement nommés. Le Conseil supérieur de la Justice n’est compétent
que pour les juridictions de l’ordre judiciaire.

2°) L’inamovibilité
« Aucun juge ne peut être privé de sa place ni suspendu que par un
jugement. Le déplacement d'un juge ne peut avoir lieu que par une nomination
nouvelle et de son consentement »186.
Dans l’hypothèse où un magistrat aurait manqué aux devoirs ou à la
dignité de sa charge, seul un jugement, se prononçant sur un plan disciplinaire,
peut suspendre un magistrat de sa fonction. La destitution d’un juge peut
uniquement être décidée par la Cour de cassation.

3°) Fixation du statut pécuniaire par la loi


En vertu de la Constitution, « Les traitements des membres de l'ordre
judiciaire sont fixés par la loi »187. Par ailleurs, ils « bénéficient de la pension
prévue par la loi ».

4°) Les incompatibilités


La Constitution dispose que « Aucun juge ne peut accepter d'un
gouvernement des fonctions salariées, à moins qu'il ne les exerce gratuitement et
sauf les cas d'incompatibilité déterminés par la loi »188.
Si les juges sont habilités à exercer des fonctions d’enseignement,
notamment comme professeurs d’universités, ils ne peuvent pas donner des
consultations à des parties ou faire des arbitrages* rémunérés. Leurs sont
également interdites les activités commerciales ou la participation à la direction
ou à l’administration de sociétés commerciales.

b) L’impartialité

Assurer l’indépendance des magistrats vis-à-vis du pouvoir judiciaire est


une chose. Reste à garantir leur impartialité personnelle dont dépend la
crédibilité du pouvoir juridictionnel auprès des justiciables.
Afin d’exercer au mieux sa fonction, le juge doit être dépourvu de préjugés
à l’égard des parties. Le procès place en effet le juge au centre du litige pour qu’il
« arbitre » le conflit. Une telle mission ne peut être menée à bien si le juge est
prévenu en faveur ou à l’encontre d’une partie ou si, en raison de la situation, une
des parties peut raisonnablement craindre qu’il en soit ainsi. La loi édicte

186 Art. 152, al. 1 de la Constitution.


187 Art. 154 de la Constitution.
188 Art. 155 de la Constitution.

122 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

plusieurs règles destinées à créer les conditions de cette impartialité. Elle prévoit
notamment que le juge ne peut statuer dans une affaire dont il a précédemment
eu à connaître, que ce soit dans l’exercice d’une autre fonction judiciaire ou en
tant qu’avocat. Le juge ne peut trancher une contestation dans laquelle lui-même
ou un parent proche a un intérêt personnel. Le juge ne peut pas non plus statuer
s’il existe entre lui et l’une des parties une « inimitié capitale ».
Non seulement le juge doit être libre de tout a priori sur l’affaire dont il est
saisi, sous peine de faire l’objet d’une décision de récusation ou de
dessaisissement, mais il doit également offrir toutes les apparences de
l’impartialité. La Cour européenne des droits de l’homme* a répété, dans une
jurisprudence* constante, que pour qu’un juge réponde au principe d’impartialité,
il ne suffisait pas qu’il soit dépourvu de préjugés, il fallait en outre qu’il ait l’air
de ne pas en avoir. Cette exigence s’est cristallisée dans une formule désormais
célèbre, inspirée de la jurisprudence anglaise : « Justice must not only be done, it
must also appear to be done ». Dans l’esprit de cette juridiction, le bon
fonctionnement de la justice exige qu’aucun soupçon de partialité ne ternisse
l’activité des magistrats.

IV. La sauvegarde et la transformation de l’ordre constitutionnel

Tout au long de ce chapitre, nous avons vu que la Constitution établit des


pouvoirs dits constitués, qu’elle met en place des institutions et qu’elle assigne à
chacun des tâches particulières. Deux questions se posent à la suite de ces
développements :
1° Comment cet ordre constitutionnel est-il sauvegardé ?
2° Comment cet ordre constitutionnel évolue-t-il ?

A. La conservation de l’ordre constitutionnel face aux législateurs

Il s’agit plus particulièrement d’examiner ici quels sont les mécanismes instaurés
pour s’assurer que les différents pouvoirs législatifs en Belgique respectent les
règles de répartition de compétences et ne violent pas les dispositions
constitutionnelles. A cet égard, deux institutions jouent un rôle de tout premier
ordre : la section de législation du Conseil d’Etat et la Cour constitutionnelle.

1. Contrôle a priori

a) La section de législation du Conseil d’Etat

Rappelons que la section de législation du Conseil d’Etat rend des avis sur
tout avant-projet* de loi, de décret, d’ordonnance ou d’arrêté dans lesquels elle

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

dénonce, le cas échéant, les violations de la Constitution. Elle connaît également


de certaines propositions* de texte législatif, notamment à la demande d’un tiers
des membres de l’assemblée de laquelle émane la proposition ou, pour le
parlement fédéral et le parlement bruxellois, à la demande de la moitié des
membres d’un groupe linguistique189. Même dans les cas d’urgence spécialement
motivés par un gouvernement, le Conseil d’Etat doit être saisi, mais son avis
portera uniquement sur le respect des règles de répartition de compétences ainsi
que sur le type de procédure législative qui doit être suivi au niveau fédéral dans
le cadre du bicaméralisme aménagé.
L’avis du Conseil d’Etat est obligatoire, mais non contraignant, sauf s’il
dénonce une violation des règles de répartition de compétences. Dans cette
hypothèse intervient le Comité de concertation.

b) Le Comité de concertation

Lorsque la section de législation du Conseil d’Etat considère qu’un avant-


projet ou qu’une proposition de texte législatif viole les règles de répartition de
compétences, ce texte est renvoyé au Comité de concertation entre le
gouvernement fédéral et les gouvernements fédérés. Cet organe politique est
composé de douze membres selon une double parité : une parité linguistique,
d’une part, et une parité entre les représentants de l’autorité fédérale et des
entités fédérées, d’autre part.
Le Comité de concertation a quarante jours pour se prononcer selon la
règle du consensus*. Il s’agit de parvenir à un accord politique au terme d’un
processus de négociations. Si le Comité de concertation confirme l’incompétence
de l’auteur du texte, ce dernier est contraint de lui apporter les amendements
nécessaires pour faire cesser la violation des règles répartitrices de compétence.

2. Contrôle a posteriori : la Cour constitutionnelle190

a) Présentation

La Cour constitutionnelle a pour mission de contrôler la conformité des


normes législatives avec, d’une part, les règles de répartition de compétences
entre l’autorité fédérale et les entités fédérées fixées dans des lois spéciales* et,
d’autre part, avec une partie de la Constitution. Avec la Cour de cassation et le
Conseil d’Etat, la Cour constitutionnelle est une des trois Cours suprêmes du
pays. De manière lapidaire, on peut dire que la Cour de cassation est le juge des
jugements, le Conseil d’Etat celui des actes administratifs et la Cour
constitutionnelle celui des normes législatives. Le contentieux dont est saisie la

189 Voy. supra, au point III.A : développements relatifs à la procédure d’élaboration de la loi ;
III.C : développements relatifs aux juridictions administratives.
190 Par suite de la révision constitutionnelle du 7 mai 2007, publiée au Moniteur belge du 8 mai

2007, la dénomination de la Cour d'arbitrage est remplacée par celle de « Cour constitutionnelle ».

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

Cour constitutionnelle est un contentieux objectif*, comme celui dont a à


connaître le Conseil d’Etat lors de l’examen des recours en annulation.
La Cour constitutionnelle est née en 1983 de la réforme de l’Etat. Elle
s’appelait lors de sa création et jusqu’en 2007 la « Cour d’arbitrage ». La Cour a
d’abord été créée pour permettre l’annulation de normes législatives prises par
des parlements incompétents et donc pour « arbitrer » judiciairement entre les
différents pouvoirs législatifs issus de la régionalisation de l’Etat belge. Dans la
foulée, le législateur spécial lui avait également confié la protection de trois
dispositions constitutionnelles : le principe de l’égalité (art. 10), le principe de la
non-discrimination (art. 11) et la liberté d’enseignement (art. 24). Par
l’importante réforme de mars 2003191, la Cour d’arbitrage est devenue la
gardienne d’un nombre substantiel d’articles de la Constitution :
- l’ensemble du Titre II : « Des Belges et de leurs droits » (art. 8 à 32) ;
- l’article 170 : légalité de l’impôt* ;
- l’article 172 : égalité devant l’impôt* ;
- l’article 191 : égalité entre Belges et étrangers.
La Cour s’est progressivement hissée au rang d’une véritable cour
constitutionnelle, dont le titre lui a été reconnu en 2007.
De nouvelles compétences ont encore été attribuées à la Cour
constitutionnelle lors de la sixième réforme de l’Etat mise en œuvre en 2014 :
- la supervision des consultations populaires régionales ainsi que le contrôle
des dépenses électorales pour la Chambre des représentants192 ;
- le respect de la loyauté fédérale193.
La Cour constitutionnelle est composée de douze juges selon une double
parité : une parité linguistique ainsi qu’une parité entre d’anciens parlementaires
et d’autres personnalités dont les qualifications juridiques sont reconnues
(anciens magistrats, professeurs d’université, anciens référendaires, etc.). Ces
juges sont assistés de référendaires. La présence d’anciens parlementaires dans
le siège de la Cour constitutionnelle atteste du pouvoir particulier qui est confié à
cette juridiction : mettre à néant l’œuvre des représentants de la nation. La
parité linguistique est une conséquence logique du contrôle par la Cour
constitutionnelle des règles de répartition de compétence.
En raison de l’importance de ses décisions, le siège de la Cour
constitutionnelle comprend au moins sept juges. Ses arrêts sont soumis aux
mêmes règles de publicité que les lois : ils sont publiés au Moniteur belge*.

191 Loi spéciale du 9 mars 2003 modifiant la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage,
M.B., 9 mars 2003.
192Nouvel alinéa de l’article 142 de la Constitution, révision votée le 6 janvier 2014, M.B. 31
janvier 2014, p. 8546
193Voy. l’article 143, § 1er, de la Constitution et les articles 47 et 48 de la loi spéciale du 6 janvier
2014 relative à la Sixième Réforme de l’Etat.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

b) Modalités du contrôle

La Cour constitutionnelle peut être saisie de deux manières : par la voie


d’un recours en annulation ou par celui d’une question préjudicielle.

1°) Contentieux de l’annulation


Toute personne justifiant d’un intérêt peut introduire un recours en
annulation devant la Cour constitutionnelle. Par ailleurs, chacun des six
gouvernements dispose de cette faculté ainsi que les présidents des assemblées
parlementaires à la demande de deux tiers de leurs membres.
Afin d’éviter que la sécurité juridique ne soit mise à mal, le recours en
annulation doit être introduit dans un certain délai : six mois à dater de la
publication de la norme attaquée. L’effet de l’annulation est radical : la norme
législative disparaît de manière rétroactive, comme si elle n’avait jamais existé.

2°) Contentieux préjudiciel


Le contentieux préjudiciel instaure un dialogue entre deux juges. Dans le
cadre des affaires qui leur sont soumises, les juridictions de l’ordre judiciaire et
de l’ordre administratif sont amenées à appliquer des normes législatives
susceptibles d’être anticonstitutionnelles ou de violer les règles répartissant les
compétences entre l’autorité fédérale et les entités fédérées. Lorsqu’elles
soupçonnent une telle violation, ces juridictions ne peuvent pas, de leur propre
initiative, écarter la disposition législative incriminée. Elles doivent soumettre
cette question à la Cour constitutionnelle. Au contentieux préjudiciel, la Cour
constitutionnelle connaît donc des questions que lui posent les juridictions sur la
conformité de la loi applicable dans leur litige aux normes dont elle est la
gardienne. On parle de contentieux préjudiciel, car la juridiction qui a posé une
question à la Cour constitutionnelle doit surseoir à statuer, c’est-à-dire qu’elle
doit attendre la réponse de la Cour constitutionnelle pour trancher le litige
pendant devant elle.
La Cour constitutionnelle est susceptible de donner trois réponses à une
telle question préjudicielle : soit la disposition législative soumise à son contrôle
est jugée conforme aux articles visés de la Constitution et des lois spéciales ; soit
elle est jugée contraire à ceux-ci ; soit elle est jugée conforme à ces articles à la
condition d’être interprétée dans un certain sens, indiqué par la Cour.
L’arrêt rendu sur question préjudicielle lie le juge qui a posé la question.
Celui-ci est tenu d’écarter la disposition législative anticonstitutionnelle ou
constitutive d’un excès de pouvoir. De même il ne pourra pas mettre en cause la
validité de la norme législative lavée de tout soupçon d’inconstitutionnalité.
L’arrêt constatant l’inconstitutionnalité d’une norme n’entraîne pas
l’annulation de celle-ci. Cependant, il rouvre un nouveau délai de six mois pour
introduire un recours en annulation. Il est toutefois évident que la norme
législative ainsi mise à mal voit son autorité fortement diminuée. Dans les litiges
ultérieurs, elle pourra être écartée par simple référence à l’arrêt de la Cour
constitutionnelle. En ce sens, l’effet de l’arrêt rendu sur question préjudicielle

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

dépasse le cadre de l’affaire à l’occasion de laquelle il a été rendu. On dit qu’il a


l’autorité de la chose interprétée.

B. La procédure de révision de la Constitution

La Constitution règle elle-même la procédure de sa révision :


« Le pouvoir législatif fédéral a le droit de déclarer qu'il y a lieu à la
révision de telle disposition constitutionnelle qu'il désigne.
Après cette déclaration, les deux Chambres sont dissoutes de plein
droit.
Il en sera convoqué deux nouvelles, conformément à l’article 46.
Ces Chambres statuent, d'un commun accord avec le Roi, sur les
points soumis à la révision.
Dans ce cas, les Chambres ne pourront délibérer si deux tiers au
moins des membres qui composent chacune d'elles ne sont présents;
et nul changement ne sera adopté s'il ne réunit au moins les deux
tiers des suffrages »194.

La procédure de révision de la Constitution se déroule en quatre temps : la


déclaration de révision, la dissolution de plein droit des chambres, la convocation
des électeurs et l’élection de chambres « constituantes », la révision proprement
dite.

1. Déclaration de révision

La déclaration de révision de la Constitution consiste en une triple


déclaration des branches du pouvoir législatif. Chacune d’elles doit
impérativement viser les dispositions constitutionnelles soumises à révision ou
préciser l’endroit où de nouvelles dispositions devraient être insérées. Par contre,
aucune d’elles ne dispose du moindre pouvoir pour fixer le sens dans lequel la
révision doit intervenir. Le tout est publié au Moniteur belge.

2. Dissolution de plein droit des chambres

Suite à cette publication, la Chambre des représentants et le Sénat sont


dissous de plein droit. La ratio legis de cette procédure est d’éviter que les
parlementaires ne s’engagent à la légère dans une révision de la Constitution. Il
s’agit aussi de permettre à la population de se rendre aux urnes en conscience
pour élire les représentants qui seront chargés de modifier la Charte
fondamentale de la Belgique. De nombreux constitutionnalistes observent
cependant que, dans la réalité, les campagnes électorales ne sont jamais des

194 Art. 195 de la Constitution.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

« moments fondateurs ». Autrement dit, la modification éventuelle de certaines


dispositions constitutionnelles y est rarement l’objet de débats. Depuis 1965, la
plupart des chambres élues ont été constituantes pour mener à bien la réforme de
l’Etat.

3. Election de chambres constituantes

Dans les quarante jours de la dissolution des chambres, le Roi, par arrêté
royal*, convoque les électeurs. Les assemblées ainsi élues sont dites
constituantes. Elles sont formées dans les deux mois.

4. Révision proprement dite

La révision de la Constitution s’opère uniquement sur les articles visés


dans la déclaration de révision. Elle est facultative. Cette révision suit une
procédure très proche de celle de l’élaboration de la loi195 soumise au
bicaméralisme strict, mis à part quelques aménagements dont le plus important
a trait aux modalités du vote : le quorum requis est fixé à deux tiers des membres
de l’assemblée et le vote doit recueillir deux tiers des suffrages des membres
présents. Sur le plan terminologique, on parle toujours de propositions de
révision de la Constitution. Celles-ci émanent de parlementaires ou de ministres,
sans jamais être signées par le Roi. Par contre, comme pour la loi, la révision de
la Constitution n’est pas complète sans la sanction royale et n’entre en vigueur
qu’après sa publication au Moniteur belge.

Section 2 : Les institutions européennes et internationales

I. Aperçu général

Sur le grand échiquier du monde juridique, la Belgique et ses institutions


forment un ordre juridique parmi des centaines. Chaque Etat est lié à un ordre
juridique qui lui est propre, avec des institutions spécifiques qui produisent et
appliquent des normes, mais aussi avec des règles de procédure particulières qui
définissent la manière dont ces normes sont élaborées et appliquées. Le monde
juridique n’est toutefois pas uniquement peuplé d’Etats et d’institutions
nationales. Il est aussi constitué d’organisations internationales* qui sont des
groupements créés et imaginés par les Etats pour poursuivre un objectif
déterminé.

195 Voy. supra, point III.A.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

Certaines organisations internationales tendent à former des ordres


juridiques nouveaux qui sont plus larges que les ordres juridiques étatiques et
qui peuvent se concevoir à différentes échelles. La Belgique fait ainsi partie de
l’Union européenne qui compte 28 Etats. La Belgique est également un Etat
membre du Conseil de l’Europe, la « grande Europe » de l’Atlantique à l’Oural,
qui rassemble 47 Etats. Enfin, comme presque tous les Etats du monde, la
Belgique est membre de l’Organisation des Nations Unies (ONU) qui regroupe
192 Etats. Des organisations régionales dont la Belgique ne fait pas partie sont
constituées sur d’autres continents. Il s’agit, notamment, de l’Organisation des
Etats américains (OEA) qui englobe trente-cinq Etats d’Amérique du Nord,
d’Amérique centrale et d’Amérique du Sud ; de l’Union africaine qui regroupe
l’ensemble des Etats africains (UA, anciennement Organisation de l’Unité
africaine) ; de l’Organisation de la Conférence islamique qui rassemble tous les
pays musulmans ou du MERCOSUR (marché commun du Sud) qui regroupe
plusieurs pays d’Amérique latine.
Outre ces organisations internationales régionales (ou universelle pour
l’ONU), nombreuses sont les organisations internationales qui sont des
institutions spécialisées. Ces dernières sont des organisations reliées à l’ONU et
pourvues d’attributions internationales étendues dans des domaines variés :
l’économie, les matières sociales ou culturelles, l’éducation, la santé publique, etc.
Il s’agit par exemple de l’Organisation international du travail (OIT), de
l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
(UNESCO) ou le Fonds monétaire international (FMI).
Les organisations internationales sont donc multiples. Elles sont créées
par les Etats en vue de remplir des objectifs définis par eux qui sont
extrêmement variés : coopération policière, suppression ou réduction des
barrières douanières, promotion de la paix et de la sécurité, protection des droits
de l’homme, des droits d’auteur, du patrimoine culturel, des réfugiés et apatrides,
etc.
Tout en participant activement à la mise sur pied de ces organisations
internationales, les Etats en subissent également les effets, notamment lorsqu’ils
délèguent certains de leurs pouvoirs et compétences à ces organisations. Dans
cette hypothèse, ils abandonnent une partie de leur souveraineté et acceptent de
se soumettre à des règles juridiques dont ils n’ont plus l’entière maîtrise.
L’emprise qu’ils gardent sur les normes produites par les institutions des
organisations internationales est tributaire de la composition des organes de ces
institutions et du mode de décision qui les régit. Conférer à une organisation
internationale le pouvoir de prendre des décisions autrement qu’à l’unanimité
des représentants des Etats membres ou selon la procédure du consensus* est
une concession importante en termes de souveraineté puisqu’elle implique la
renonciation au droit de veto.
De manière très schématique, les organisations internationales oscillent
entre deux tendances :
- celles qui sont de type « supranational » et qui impliquent de véritables
délégations de pouvoirs dans le sens où les Etats confient des compétences

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

d’attribution aux institutions de ces organisations qui adoptent certaines


décisions à la majorité ;
- celles qui sont de type « intergouvernemental » où les Etats restent
étroitement associés à la production de normes juridiques au travers de
leurs représentants qui siègent dans les institutions des organisations
internationales. La collaboration intergouvernementale est bien
évidemment la plus aisée à mettre en place et elle caractérise la très
grande majorité des organisations internationales.
Dans la pratique, cette distinction n’est toutefois pas étanche. Certaines
organisations internationales cumulent des aspects « supranationaux » et
« intergouvernementaux ». L’Union européenne en constitue un excellent
exemple.

II. L’Union européenne

La construction de l’ordre juridique de l’Union européenne est le fruit


d’une évolution qui, en soixante ans, a conduit des Communautés européennes à
vocation initialement économique rassemblant six Etats vers une organisation de
vingt-huit Etats plus intégrée aux compétences et au champ géographique
beaucoup plus vaste (supra, ch. 2).
L’Union européenne constitue une construction politique et juridique tout
à fait originale, avec un système institutionnel et juridictionnel particulièrement
élaboré. Il faut cependant se garder de vouloir trouver, au sein des institutions
européennes, des organes équivalents au parlement ou au gouvernement
nationaux. L’exercice des fonctions législative et exécutive est en réalité éclaté
entre différentes institutions.

A. Le système institutionnel

1. Les institutions de l’Union européenne

a) Le Conseil des ministres de l’Union européenne

Le Conseil des ministres de l’Union européenne est un organe de décision


composé d’un représentant de niveau ministériel par Etat membre. L’exercice du
pouvoir législatif constitue sa mission principale.
La composition du Conseil des ministres de l’Union européenne varie en
fonction de l’ordre du jour des travaux : le « Conseil des affaires générales et
relations extérieures » est formé par les ministres des affaires étrangères des
Etats membres ; le « Conseil des affaires économiques et financières » rassemble
les ministres de l’économie ou des finances, etc.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

Le Conseil des ministres de l’Union européenne se réunit principalement à


Bruxelles et fait l’objet d’une présidence tournante tous les 6 mois.

b) La Commission européenne

La Commission européenne est composée du collège des commissaires qui


compte 28 membres, y compris le président et les vice-présidents. Les
commissaires, un par Etat membre, sont nommés tous les cinq ans, d’un commun
accord par les gouvernements nationaux avec l’approbation du Parlement
européen.
De nombreux services administratifs, dont la plupart sont situés à
Bruxelles, dépendent de la Commission européenne. Cette administration est
divisée en Directions générales (par exemple, la DG « Justice », la DG « Emploi,
affaires sociales et égalité des chances », la DG « Concurrence ») et des milliers de
fonctionnaires travaillent dans cette administration.
Les missions principales de la Commission européenne sont au nombre de
trois. Premièrement, la Commission dispose du quasi-monopole de l’initiative
législative. Deuxièmement, il revient à la Commission de mettre en œuvre la
politique de l’Union européenne, conjointement avec les Etats membres et,
notamment, d’exécuter les décisions du Conseil. Troisièmement, la Commission
est la gardienne des traités (qui forment le droit primaire*) sur lesquels se fonde
l’Union européenne et le droit européen dérivé qui en découle. Elle veille donc au
respect des traités par les institutions européennes et par les Etats membres, le
cas échéant en saisissant la Cour de justice de l’Union européenne.
La Commission européenne ne s’est pas vue attribuer le monopole de la
fonction exécutive. Elle n’est pas comparable à un gouvernement national.
Le traité de Lisbonne crée par ailleurs le poste de Haut représentant pour
les affaires étrangères et la politique de sécurité. À cheval entre la Commission et
le Conseil, le Haut représentant a pour mandat de coordonner l’action extérieure
de l’Union. À cette fin, il préside le Conseil aux affaires étrangères, et devient le
Vice-Président aux affaires étrangères de la Commission. Il est à la tête du
service européen pour l’action extérieure, qui réunit des fonctionnaires du
Conseil et de la Commission, ainsi que des représentants des services
diplomatiques nationaux.

c) Le Parlement européen

Depuis 1979, le Parlement européen est composé des représentants élus


par les peuples des Etats membres tous les cinq ans. Il se réunit à Bruxelles ou à
Strasbourg et est composé aujourd’hui de plus de 700 députés. La citoyenneté
européenne consacrée par le traité de Maastricht de 1992 implique que tout
ressortissant d’un Etat membre de l’Union a le droit de prendre part aux
élections européennes quel que soit le pays de l’Union où il est domicilié. Un
citoyen belge résidant en Grande-Bretagne participera à l’élection des députés
européens en Grande-Bretagne, sans passer par l’ambassade belge.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Les missions principales du Parlement européen sont au nombre de trois.


Premièrement, il participe au pouvoir législatif sans détenir l’essentiel de la
fonction législative. Le Parlement dispose uniquement d’un embryon de pouvoir
législatif, même si au fil des traités, les pouvoirs du Parlement dans la prise de
décision ont été renforcés. Deuxièmement, il partage le contrôle budgétaire avec
le Conseil. Il lui revient d’arrêter le budget et les comptes annuels.
Troisièmement, le Parlement européen exerce un contrôle politique sur la
Commission. Il dispose notamment du droit de créer des commissions d’enquête
sur les activités de la Commission européenne et même de renverser
collectivement cette dernière par une motion de censure (2/3 des voix).

d) Le Conseil européen ou « Sommet européen »

Les Sommets européens réunissent les chefs d’Etat ou de gouvernement


accompagnés de leurs ministres des affaires étrangères ainsi que le président de
la Commission. Ils ont généralement lieu quatre fois par an.
Depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, le Conseil européen est
désormais doté d’une présidence stable, d’une durée de deux ans et demi.
Jusqu’alors la présidence du Conseil européen était exercée de fait par l’Etat
présidant le Conseil des ministres par rotation semestrielle.
Le Conseil européen est l’organe moteur de la construction européenne. En
vertu de l’article 4 du traité de l’Union européenne, « le Conseil européen donne à
l’Union les impulsions nécessaires à son développement et en définit les
orientations générales ». Le Conseil européen fixe ainsi les objectifs majeurs de la
construction européenne et tranche les questions essentielles à cet égard. Il
fonctionne selon la méthode intergouvernementale, par consensus*.
Sur le plan terminologique, le mot « Conseil » utilisé seul renvoie au
Conseil des ministres de l’Union européenne et non au Sommet européen.

2. L’élaboration de la décision

a) La procédure de co-décision

Introduite par le traité de Maastricht, étendue et aménagée pour en


renforcer l'efficacité par le traité d'Amsterdam, et le traité de Nice, la procédure
de co-décision s’est peu à peu généralisée pour s’appliquer à de nombreux
domaines. Le traité de Lisbonne a, de plus, consacré ce mode de prise de décision
comme processus législatif ordinaire196. Fondée sur un principe de parité entre le
Parlement européen et le Conseil, elle implique qu'aucune décision ne puisse se
prendre sans l’accord commun des deux institutions.

196 Art. 294 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

b) Aperçu de la procédure de co-décision

(1) La Commission présente une proposition de texte.


(2) Le Parlement rend un avis sur cette proposition.
(3) Le Conseil statue à la majorité qualifiée :
 s’il suit entièrement l’avis du Parlement, le texte est adopté ;
 sinon, il adopte une position commune et la transmet au Parlement.
(4) Face à cette « position commune », le Parlement :
 soit l’approuve à la majorité des suffrages, et le texte est adopté ;
 soit la rejette à la majorité des suffrages, et le texte est réputé non
adopté ;
 soit propose, à la majorité des suffrages, des amendements.
(5) La Commission émet un avis sur le texte amendé et :
 soit le Conseil approuve le texte amendé à la majorité qualifiée, et le
texte est adopté ;
 soit le Conseil n’approuve pas tous les amendements à la majorité
qualifiée, et le comité de conciliation est convoqué.
(6) Le comité de conciliation est composé de manière paritaire entre membres
du Conseil et parlementaires. Il a pour mission d’aboutir à un accord sur
un texte commun. Pour cela, il faut réunir une majorité qualifiée parmi les
membres du Conseil et une majorité absolue parmi les parlementaires.
Dans ce processus de rapprochement, le comité de conciliation est assisté
par la Commission.

c) Caractéristiques du processus de co-décision

Dans le processus de co-décision, la Commission est seule à disposer de


l’initiative législative. Le Conseil a une place prépondérante dans la prise de
décision, mais le Parlement est en mesure de bloquer le processus de décision.
Le processus de co-décision requiert la réunion d’une majorité qualifiée au
niveau du Conseil. Chaque Etat dispose d’un nombre de voix déterminé par le
traité en fonction de l’importance de sa population.
Les Etats acceptent donc de limiter leur autonomie à deux points de vue :
d’une part, ils perdent l’initiative de la norme ; d’autre part, ils renoncent à leur
droit de veto au Conseil.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

B. Le contrôle juridictionnel

1. Les juridictions européennes

L’Union européenne compte deux juridictions permanentes : la Cour de


justice de l’Union européenne (CJUE) et le Tribunal de première instance (TPI).
La Cour de justice de l’Union européenne, parfois désignée sous
l’appellation « Cour de Luxembourg » en raison de la localisation de son siège, a
pour fonction essentielle d’interpréter le droit de l’Union européenne et de
maintenir une interprétation uniforme de ce droit. Elle est composée d’un
magistrat par Etat membre, nommé pour 6 ans.
Créé en 1988 pour désengorger la Cour de justice, le Tribunal de première
instance est principalement le juge du contentieux économique. Il connaît
notamment de tous les litiges liés à l’application des règles européennes de
concurrence (constitution de monopoles, abus de position dominante, etc.). Il est
saisi par les particuliers (personnes physiques et morales) qui introduisent des
recours contre les décisions prises à leur encontre par la Commission européenne.
Les décisions du Tribunal de première instance ne sont susceptibles de recours
devant la Cour de justice que de manière exceptionnelle. Comme la Cour de
justice, le Tribunal de première instance compte un juge par Etat membre,
nommé pour 6 ans.
En 2005, le Tribunal de la fonction publique (TFP) de l’Union européenne a
été institué. Il s’agit d’une chambre juridictionnelle adjointe au Tribunal de
première instance. Il est composé de sept juges nommés pour 6 ans et traite du
contentieux, relativement volumineux, entre les institutions de l’Union et leurs
agents.

2. Les contentieux de l’Union européenne

La Cour de justice de l’Union européenne, et dans une bien moindre


mesure le Tribunal de première instance, connaissent de recours liés au maintien
de l’ordre juridique de l’Union européenne. Ceux-ci peuvent être regroupés en
trois catégories en fonction de l’objectif qu’ils poursuivent :
- les recours destinés à sanctionner les infractions des Etats membres au
droit de l’Union européenne : les recours en manquement ;
- les recours introduits contre les actes (ou les abstentions) des institutions
européennes : les recours en annulation, les recours en carence et les
recours en responsabilité ;
- la procédure de coopération entre le juge national et le juge européen : le
renvoi préjudiciel en interprétation et le renvoi préjudiciel en appréciation
de validité.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

a) Recours en manquement

Les Etats membres violent parfois le droit de l’Union, par exemple en


adoptant une législation nationale contraire au droit européen ou en ne
transposant pas une directive* dans le délai imparti. La Commission a pour
mission de remédier à de telles situations. Dans l’hypothèse où l’Etat refuse
d’obtempérer suite à une procédure « à l’amiable », la Commission est habilitée à
introduire un recours en manquement devant la Cour de justice de l’Union
européenne. Si la violation du droit européen est avérée, la Cour prononce un
arrêt en constatation de manquement. En cas de non-respect de cette décision,
l’Etat pourra à nouveau être condamné par la Cour qui cette fois pourra assortir
sa décision d’une astreinte* qui consiste en une somme d’argent à payer chaque
jour par l’Etat tant qu’il n’obtempère pas.

b) Recours en annulation, recours en carence et recours en


responsabilité

Lorsque les institutions européennes ne respectent pas le droit européen,


les Etats membres, les autres institutions et les particuliers concernés disposent
de plusieurs recours adaptés à différents cas de figure.
Le recours en annulation tend à faire annuler une norme ou un acte
juridique pris par une institution européenne en violation du traité. Cette
violation peut être tirée de l’incompétence de l’institution, du non-respect de la
procédure de l’acte incriminé, etc.
Le recours en carence vise à faire constater une abstention fautive de
statuer dans le chef d’une institution européenne. En d’autres termes, il s’agit de
stigmatiser une institution qui s’abstient de prendre un acte ou une décision
alors qu’elle est tenue de le faire.
Le recours en responsabilité permet de condamner les institutions
européennes pour les dommages causés par leurs agents dans l’exercice de leurs
fonctions. Ce recours suppose que le requérant établisse les trois éléments de la
responsabilité : la faute*, le dommage* et le lien de causalité* entre la faute et le
dommage.

c) Renvoi préjudiciel

Le droit de l’Union européenne est en vigueur sur le territoire des Etats


membres et est donc appliqué, au premier chef, par les juridictions de ces Etats.
Il importe donc de veiller à l’application uniforme de ce droit par ces juges
nationaux. Autrement dit, les interprétations divergentes du droit européen
doivent être évitées sous peine d’en compromettre l’intégrité.
Le renvoi préjudiciel vise à répondre à cette exigence. Lorsqu’une
disposition de droit européen est applicable au litige soumis à un juge national et
que ce dernier s’interroge sur la portée de cette disposition, il posera une question
préjudicielle en interprétation à la Cour de justice. En attendant la réponse, il
devra surseoir à statuer. Il sera lié par l’arrêt de la Cour de justice.

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 135


Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Le juge national peut également poser une question préjudicielle à la Cour


de justice de l’Union européenne lorsqu’il se demande si la disposition
européenne de droit dérivé* applicable au litige viole les traités (droit primaire*).
Dans une telle hypothèse, il posera une question en appréciation de validité à la
Cour et sera tenu d’écarter la disposition incriminée si la Cour conclut à son
incompatibilité avec les traités.
Cette dernière procédure a inspiré le législateur belge lorsqu’il a institué la
Cour constitutionnelle*. Le contentieux des questions préjudicielles dont connaît
cette juridiction a été calqué sur le contentieux préjudiciel en appréciation de
validité devant la Cour de justice de l’Union européenne.

III. Le Conseil de l’Europe

A. Origine et finalité du Conseil de l’Europe

Au lendemain de la deuxième guerre mondiale, une dizaine d’Etats


européens197 ont souhaité renforcer les valeurs démocratiques dans un continent
particulièrement éprouvé par le totalitarisme nazi et l’horreur de l’Holocauste. Ils
se sont réunis à Londres en 1949 pour créer le Conseil de l’Europe, une
organisation internationale dont la vocation première est de promouvoir et de
favoriser la liberté et la démocratie en Europe. A cette occasion, il a clairement
été affirmé que le respect des droits fondamentaux constitue une condition sine
qua non à l’instauration d’un régime démocratique.
Seuls les pays qui répondent aux conditions d'adhésion, à savoir une
démocratie pluraliste, la primauté du droit et le respect des droits de l'homme,
peuvent devenir membres du Conseil de l’Europe. A partir du début des années
nonante, le Conseil de l’Europe a connu une grande avancée avec l’adhésion de
plus de vingt pays d’Europe centrale et orientale. Aujourd’hui 47 Etats en font
partie198.
Le Conseil de l’Europe est une organisation intergouvernementale de
coopération, c’est-à-dire un lieu d’impulsion pour l’élaboration de nouveaux
traités. In fine, il appartient à chaque Etat membre de signer et d’adhérer aux
conventions internationales élaborées au sein du Conseil de l’Europe. Ces traités
entendent promouvoir l’action commune des Etats membres dans les domaines
économique, social, culturel, juridique ou administratif. Ces thèmes sont toujours
abordés avec les droits de l’homme en toile de fond. Ainsi, on peut notamment
épingler la Convention internationale contre la cybercriminalité (2001) ou la

197Belgique, Danemark, France, Irlande, Italie, Luxembourg, Norvège, Pays-Bas, Royaume-Uni


et Suède.
198 Voy. le document à la fin des développements.

136 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et


la violence domestique (2011).
Le rayonnement international du Conseil de l’Europe est lié, au premier
chef, à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (communément appelée Convention européenne des droits
de l’homme), signée à Rome le 4 novembre 1950. Cette Convention met en place
un système régional de protection des droits de l’homme particulièrement abouti
dont l’effectivité est largement tributaire du contrôle juridictionnel assuré par la
Cour européenne des droits de l’homme. Les individus peuvent directement saisir
cette juridiction pour dénoncer les violations de la Convention par les Etats.
La Convention européenne des droits de l’homme est si étroitement
associée au Conseil de l’Europe qu’aucun Etat ne peut prétendre appartenir à
cette organisation sans avoir signé et ratifié ce texte. Cette Convention est, par
ailleurs, complétée par des protocoles additionnels qui sont soumis à la libre
signature des Etats membres199.

B. Un système régional de protection des droits de l’homme

1. La Convention européenne des droits de l’homme

Parmi les droits de l’homme et les libertés fondamentales consacrés par la


Convention européenne, quelques uns sont « absolus » en ce sens qu’ils ne
souffrent d’aucune dérogation. Tel est le cas de l’interdiction de la torture : « Nul
ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou
dégradants » (art. 3). Une telle interdiction vaut même en cas de guerre ou de
tout danger menaçant la vie de la nation200.
La majorité des droits consacrés par la Convention européenne sont
« relatifs », c’est-à-dire qu’ils peuvent faire l’objet de restrictions par les Etats
membres. Ainsi, l’article 10 de la Convention qui consacre le droit à la liberté
d’expression dispose que :
« 1. Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit
comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de
communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir
ingérence d’autorités publiques et sans considération de frontière.
(…)

2. L’exercice de ces libertés comportant des devoirs et des


responsabilités peut être soumis à certaines formalités, conditions,
restrictions ou sanctions prévues par la loi, qui constituent des

199 Voy., par exemple, le Protocole n°13 à la Convention européenne des droits de l'homme, relatif
à l'abolition de la peine de mort en toutes circonstances (2 mai 2002).
200 Voy. l’article 15 de la Convention européenne des droits de l’homme.

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 137


Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

mesures nécessaires dans une société démocratique, à la sécurité


nationale, à l’intégrité territoriale, ou à la sûreté publique, à la
défense de l’ordre et à la prévention du crime, à la protection de la
santé ou de la morale, à la protection de la réputation ou des droits
d’autrui, pour empêcher la divulgation d’informations confidentielles
ou pour garantir l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire ».

Sur le modèle de l’article 10, les dispositions de la Convention qui portent


sur des droits « relatifs » sont libellées en deux paragraphes : le premier consacre
le droit en tant que tel, tandis que le second expose à quelles conditions des
restrictions à ce droit sont permises. N’importe quelle limitation n’est en effet pas
admise. Trois conditions cumulatives doivent être réunies.
1° La restriction doit être prévue par la loi. Ce terme est entendu de façon
assez large par la Cour européenne des droits de l’homme afin de prendre
en compte les traditions juridiques des différents Etats membres. S’il n’est
pas requis que la restriction soit contenue dans un texte de loi au sens
formel du terme, la Cour européenne exige que la restriction soit formulée
de manière à permettre aux citoyens d’adapter leurs comportements en
conséquence. Elle va donc vérifier si l’application de la règle emportant la
restriction à un droit fondamental est suffisamment prévisible et si la règle
est suffisamment accessible.
2° La restriction doit poursuivre un but légitime, c’est-à-dire un des objectifs
spécifiés dans chaque cas par la Convention européenne. L’article 10 de la
Convention prévoit ainsi que des limites peuvent être apportées à la liberté
d’expression afin de protéger la sécurité nationale, l’intégrité territoriale,
la sûreté publique, la défense de l’ordre et la prévention du crime, la santé
ou la morale, la réputation ou les droits d’autrui, la confidentialité
d’informations, l’autorité et l’impartialité du pouvoir judiciaire.
3° La restriction doit être nécessaire dans une société démocratique. Cette
condition est celle qui suscite le plus de débats dans la pratique. La Cour
européenne des droits de l’homme joue ici un rôle fondamental
d’interprétation* de la Convention.

2. La Cour européenne des droits de l’homme

a) Recours

Les dispositions de la Convention européenne des droits de l’homme sont


directement applicables dans tous les Etats du Conseil de l’Europe, et donc
notamment en Belgique. Ceci signifie que tout un chacun peut invoquer, devant
le juge belge, une violation, par l’Etat belge, des droits de l’homme consacrés par
cette Convention. La Cour européenne des droits de l’homme chapeaute le
système juridictionnel de la Belgique, comme celui de l’ensemble des Etats
membres du Conseil de l’Europe. Etablie à Strasbourg (et souvent désignée sous
le terme « Cour de Strasbourg »), la Cour européenne des droits de l’homme

138 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

garantit l’application effective de la Convention européenne des droits de


l’homme.
Dans l’hypothèse où un particulier n’a pas obtenu qu’un juge national
reconnaisse la violation alléguée d’une disposition de la Convention européenne
des droits de l’homme, il peut, en ultime recours, saisir la Cour européenne des
droits de l’homme. Pour ce faire, deux conditions de recevabilité doivent être
remplies. D’une part, un recours à la Cour de Strasbourg n’est recevable que si le
requérant a épuisé toutes les voies de recours internes, en ce sens qu’il a porté
son affaire devant les différents degrés de juridiction mis à sa disposition à
l’échelle nationale. D’autre part, afin de protéger la sécurité juridique*, un
recours n’est recevable que dans un délai de 6 mois à compter de la décision de
l’instance nationale qui a statué en dernier ressort.
A Strasbourg, le procès oppose le plus souvent un particulier à un Etat.
Les Etats membres du Conseil de l’Europe sont toutefois habilités à introduire
des recours contre d’autres Etats membres pour dénoncer des violations à la
Convention européenne des droits de l’homme. En pratique, les requêtes
étatiques sont rares : une quinzaine par rapport à des dizaines de milliers de
requêtes individuelles par an. Quelques requêtes ont été introduites par des
Etats suite à certaines actions militaires menées par la Turquie contre les
Kurdes. En toute hypothèse, afin de maintenir de bonnes relations
diplomatiques, les Etats sont très réticents à critiquer ce qui se passe chez leurs
voisins.

b) Arrêt

La Cour européenne des droits de l’homme est composée d’autant de juges


que d’Etats membres. Le siège est généralement formé par sept juges dont le
magistrat ressortissant de l’Etat attaqué. En Grande Chambre, le siège compte
17 juges. La décision se prend à la majorité, avec la particularité que chaque juge
est habilité à joindre à l’arrêt sa propre « opinion », c’est-à-dire une
argumentation relative à l’affaire qui n’est pas reprise dans la motivation de
l’arrêt. Il s’agit le plus souvent d’une opinion dissidente émanant d’un juge de la
minorité, mais ce peut être une opinion concurrente émanant d’un juge qui se
rallie à l’avis majoritaire, mais pour des motifs spécifiques différents de la
motivation* de l’arrêt.
Si la Cour européenne des droits de l’homme considère que l’Etat attaqué a
violé un des droits garantis par la Convention, elle lui ordonne de mettre fin à
cette violation et, parfois, elle le condamne à verser une « satisfaction équitable »
au requérant. Elle n’est par contre aucunement habilitée à casser ou à réformer
la décision de l’Etat condamné. L’arrêt de la Cour européenne des droits de
l’homme n’en est pas moins contraignant. Il appartient à l’Etat de mettre un
terme à la violation dénoncée par la mesure qu’il juge appropriée : changer la loi,
verser une indemnité, modifier la situation du requérant, etc.
Les arrêts de la Cour européenne de Strasbourg ne sont pas toujours
exécutés même si nombreux sont les Etat qui ne souhaitent pas s’exposer à une

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 139


Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

deuxième condamnation et être stigmatisé comme le « mauvais élève » au sein du


Conseil de l’Europe.

c) Importance de la jurisprudence de Strasbourg

La Cour européenne des droits de l’homme joue un rôle fondamental dans


la pratique, non seulement pour veiller à l’application effective de la Convention,
mais aussi pour interpréter ses dispositions de manière constructive et uniforme.
Sous l’influence de la jurisprudence de la Cour européenne, la Belgique a
dû modifier certains de ses textes législatifs. Ainsi, par exemple, la loi du 31 mars
1987201, octroyant les mêmes droits aux enfants qu’ils soient nés (enfants
légitimes) ou pas (enfants naturels) dans les liens du mariage fait suite à une
condamnation de la Belgique par la Cour de Strasbourg dans l’arrêt Marckx202. A
cette occasion, la Cour européenne a considéré que l’Etat belge violait le droit au
respect de la vie familiale en refusant l’établissement du lien de filiation entre un
enfant naturel et ses grands-parents. De même, c’est au nom du respect du droit
à la vie privée que l’Irlande du Nord a dû, dans les années quatre-vingt, modifier
sa législation qui érigeait en infraction les relations homosexuelles entre adultes
consentants203.
L’absence d’un cadre légal spécifique permettant d’apporter des
restrictions à un droit protégé par la Convention est également un motif de
condamnation. Dans l’arrêt RTBF204, la Cour européenne des droits de l’homme a
condamné la Belgique pour avoir interdit préventivement, par décision de justice,
la diffusion d’un documentaire au motif qu’il portait atteinte à la réputation
professionnelle d’un médecin. La Cour a considéré que cette ingérence constituait
une violation du droit à la liberté d’expression, car elle n’était pas prévue par la
loi mais reposait au contraire sur une jurisprudence contestée des juges des
référés205.

201 Loi du 31 mars 1987 sur la filiation, MB, 27 mai 1987.


202 Cour eur. dr. h., Marckx c. Belgique, 13 juin 1979, Série A, n°31.
203 Cour eur. dr. h., Dudgeon c. Royaume-Uni, 22 octobre 1981.
204 Cour eur. dr. h., RTBF c. Belgique, 29 mars 2011.
205Sur cet arrêt, voy. B. FRYDMAN et C. BRICTEUX, « L’arrêt RTBF c. Belgique : un coup d’arrêt au
contrôle judiciaire préventif de la presse et des médias », Revue trimestrielle des droits de
l’homme, 2013, pp. 331-350.

140 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

Les 47 Etats membres du Conseil de l'Europe


Voy. le site officiel du Conseil de l’Europe : http://www.coe.int/web/portal/country-profiles

Albanie (13.07.1995) Liechtenstein (23.11.1978)


Allemagne (13.7.1950) Lituanie (14.5.1993)
Andorre (10.11.1994) Luxembourg (5.5.1949)
Arménie (25.1.2001) Malte (29.4.1965)
Autriche (16.04.1956) Moldova (13.7.1995)
Azerbaïdjan (25.1.2001) Monaco (5.10.2004)
Belgique (5.5.1949) Monténégro (11.05.2007)
Bosnie-Herzégovine (24.04.2002) Norvège (5.5.1949)
Bulgarie (7.5.1992) Pays-Bas (5.5.1949)
Chypre (24.5.1961) Pologne (26.11.1991)
Croatie (6.11.1996) Portugal (22.9.1976)
Danemark (5.5.1949) République tchèque
Espagne (24.11.1977) (30.6.1993)
Estonie (14.5.1993) Roumanie (7.10.1993)
Finlande (5.5.1989) Royaume-Uni (5.5.1949)
France (5.5.1949) Fédération de Russie
Géorgie (27.4.1999) (28.2.1996)
Grèce (9.8.1949) Saint-Marin (16.11.1988)
Hongrie (6.11.1990) Serbie [*] (3.4.2003)
Irlande (5.5.1949) Slovaquie (30.6.1993)
Islande (7.3.1950) Slovénie (14.5.1993)
Italie (5.5.1949) Suède (5.5.1949)
Lettonie (10.2.1995) Suisse (6.5.1963)
L’ex-République yougoslave de Turquie (9.8.1949)
Macédoine'' (9.11.1995) Ukraine (9.11.1995)

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

IV. L’Organisation des Nations Unies

A. Origine et finalité de l’ONU

L’Organisation des Nations Unies (ONU) a été fondée au lendemain de la


seconde guerre mondiale, le 24 octobre 1945, par 51 pays en vue principalement
de préserver la paix au moyen de la coopération internationale. Aujourd’hui,
l’ONU compte 192 membres, c’est-à-dire presque l’ensemble des Etats du monde.
Alors que l’Union européenne ou le Conseil de l’Europe sont des organisations
internationales régionales, l’ONU constitue véritablement une organisation
universelle.
Tout Etat membre de l’ONU est lié par le traité fondateur de cette
institution, à savoir la Charte des Nations Unies. En ratifiant cette Charte,
chaque Etat s’engage à régler ses différends par des moyens pacifiques et à
s’abstenir de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre d’autres Etats.
En vertu de l’article 1er de cette Charte, les objectifs poursuivis par l’ONU sont
les suivants :
« 1. Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin :
prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et
d'écarter les menaces à la paix et de réprimer tout acte d'agression
ou autre rupture de la paix, et réaliser, par des moyens pacifiques,
conformément aux principes de la justice et du droit international,
l'ajustement ou le règlement de différends ou de situations, de
caractère international, susceptibles de mener à une rupture de la
paix ;

2. Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le


respect du principe de l'égalité de droits des peuples et de leur droit
à disposer d'eux-mêmes, et prendre toutes autres mesures propres à
consolider la paix du monde ;

3. Réaliser la coopération internationale en résolvant les problèmes


internationaux d'ordre économique, social, intellectuel ou
humanitaire, en développant et en encourageant le respect des
droits de l'homme et des libertés fondamentales pour tous, sans
distinction de race, de sexe, de langue ou de religion ;

4. Etre un centre où s'harmonisent les efforts des nations vers ces


fins communes ».

Dans cette perspective, les actions de l’ONU sont multiples et variées :


1° Elaboration de conventions internationales ou soutien à des négociations
multilatérales entre Etats. De nombreuses conventions internationales ont
ainsi été conclues sous l’égide des Nations Unies, notamment :

142 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

- sur le plan de la protection des droits de l’homme : le Pacte de New-


York sur la protection des droits civils et politiques (1966) et le Pacte de
New-York sur la protection des droits économiques et sociaux (1966) ;
- dans le domaine du désarmement : la Convention d’Ottawa interdisant
les mines antipersonnel (1997) ;
- en matière de coopération internationale et de lutte contre la
criminalité : la Convention contre le trafic illicite de stupéfiants et de
substances psychotropes (1988).
2° Actions de maintien de la paix, et notamment, l’envoi de casques bleus
pour assurer la surveillance d’un cessez-le-feu, pour créer une zone
tampon, etc.
3° Autorisation du recours à la force ;
4° Soutien ou assistance à la tenue d’élections nationales au lendemain d’un
conflit ;
5° Mobilisation de fonds à la suite d’une catastrophe naturelle ;
6° etc.

B. Principaux organes de l’ONU

L’Organisation des Nations Unies n’est pas un « super Etat mondial » doté
d’un pouvoir législatif, d’un pouvoir exécutif et d’un pouvoir judiciaire, mais une
enceinte privilégiée de concertation et de collaboration entre les Etats de la
communauté internationale. Afin de remplir ses différentes missions, l’ONU
dispose de plusieurs organes permanents à New-York. Les principaux sont
l’Assemblée générale, le Conseil de sécurité et le Secrétaire général.

1. L’Assemblée générale

L’Assemblée générale compte un représentant par Etat membre. Elle est


volontiers désignée comme le « parlement des nations » puisque tout Etat se voit
attribuer une voix. Elle ne dispose cependant d’aucun pouvoir réel de sanction.
L’Assemblée générale ne peut imposer aucune mesure à un Etat. Elle agit
uniquement par voie de recommandation ou de déclaration. Dans la pratique, elle
émet, au moyen de résolutions*, de nombreuses recommandations sur des
questions variées : les conséquences de la mondialisation, les mesures de lutte
contre le sida, les différents conflits armés dans le monde, etc.

2. Le Conseil de sécurité

Le Conseil de sécurité constitue le véritable organe de décision. Il est


responsable, au premier chef, du maintien de la paix et de la sécurité

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

internationale. Il dispose d’un pouvoir de coercition en ce sens qu’il peut prendre


des mesures pour faire appliquer ses décisions : imposer des sanctions
économiques, décider d’un embargo, envoyer des casques bleus, autoriser les
Etats à recourir à la force, etc.
Le Conseil de sécurité compte quinze membres, parmi lesquels figurent
cinq membres permanents (Etats-Unis, Russie, Chine, France, Royaume-Uni) et
dix membres non permanents élus par l’Assemblée générale pour deux ans.
Les normes juridiques adoptées par le Conseil de sécurité sont dénommées
résolutions*. Celles-ci sont prises à la majorité de neuf membres, mais chaque
membre permanent dispose d’un droit de veto.

3. Le Secrétaire général

Le Secrétaire général est la figure emblématique de l’ONU. Il est nommé


par l’Assemblée générale sur recommandation du Conseil de sécurité pour 5 ans,
renouvelable une fois.
Le Secrétaire général joue un rôle important dans le maintien de la paix :
il attire l’attention du Conseil de sécurité sur des conflits potentiels ; il joue le
rôle de médiateur ; il recourt à la diplomatie discrète, dans les coulisses, soit
personnellement, soit par l’intermédiaire d’envoyés spéciaux ; etc.

4. La Cour internationale de justice

Basée à la Haye, la Cour internationale de justice est chargée de régler,


conformément au droit international, les différends d’ordre juridique qui
opposent des Etats. Elle est composée de quinze juges élus conjointement par le
Conseil de sécurité et l’Assemblée générale pour neuf ans, sans qu’un Etat
membre ne puisse compter plus d’un ressortissant parmi les magistrats.

C. Le système des Nations Unies

Un nombre considérable d’organisations et d’organes gravite dans la


sphère de l’ONU. On parle à cet égard du système des Nations Unies206. Parmi
ces organes figurent des juridictions ainsi que de multiples organisations
internationales.

206Voy. l’organigrame représentant le système des Nations Unies, disponible sur Internet à
l’adresse suivante : http://www.un.org/french/aboutun/frchart2002.pdf.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

1. Des juridictions

En réponse à des conflits où de nombreuses violations du droit


humanitaire ont été dénoncées, des juridictions non permanentes ont été créées
par le Conseil de sécurité. Ainsi le Tribunal pénal international pour l’ex-
Yougoslavie établi à La Haye et le Tribunal pénal international pour le Rwanda
basé à Arusha ont jugé certaines des personnes accusées d’avoir commis, à
l’occasion de ces conflits particuliers, des crimes contre l’humanité ou des actes de
génocide.
Par ailleurs, après d'intenses négociations et beaucoup d'efforts, la Cour
pénale internationale a formellement vu le jour en juillet 2002. Il s’agit d’une
juridiction permanente établie à La Haye qui a pour mission de connaître des
infractions les plus graves au droit humanitaire commises à travers le monde.
Elle est habilitée à juger toute personne accusée de crime de guerre, de crime
contre l’humanité ou de génocide dans l’hypothèse où les systèmes nationaux sont
défaillants pour en connaître. Tous les Etats ne reconnaissent toutefois pas la
compétence de cette nouvelle juridiction. Tel est le cas, notamment, des Etats-
Unis, de l’Inde, de la Chine et de la Russie qui comprennent la moitié de la
population de la planète. Les représentants de ces pays refusent que leurs
ressortissants soient déférés à la juridiction de la Cour pénale internationale
pour y être jugés.

2. De multiples organisations internationales

Une série d’organisations internationales, toutes liées d’une manière ou


d’une autre à l’ONU, forment dans une large mesure cet ensemble complexe et
multiforme qu’est le système des Nations Unies.
Parmi celles-ci, ont peut en distinguer de plusieurs sortes.
1° Les bureaux, programmes et fonds des Nations Unies dont le but affirmé est
d’améliorer la situation économique et sociale des peuples du monde :
- le Haut Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR) ;
- le Fonds des Nations Unies pour l’enfance (UNICEF) ;
- le Programme alimentaire mondial (PAM) ; etc.
2° Les treize institutions spécialisées de l’ONU qui sont des organisations
autonomes créées par des accords intergouvernementaux et qui sont liées à
l’ONU par des accords de coopération :
- l’Organisation internationale du travail (OIT) qui tend à améliorer les
conditions de travail de par le monde ;
- l’Organisation des Nations Unies pour l’éducation, la science et la culture
(UNESCO) qui œuvre notamment pour la protection du patrimoine
culturel mondial, la liberté de presse et de communication ;
- l’Office mondial de la santé (OMS) ;

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

- le Fonds monétaire international (FMI) ; etc.


3° Aux côtés de ces institutions spécialisées se trouvent également des
organisations apparentées à l’ONU comme :
- l’Organisation mondiale du commerce (OMC) ;
- l’Organisation pour l’interdiction des armes chimiques (OIAC) ; etc.

146 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

Chapitre 4 : Les sources du droit

Section 1 : Notion

Le terme source, employé dans un sens figuré, désigne classiquement


l’origine, la naissance. Il véhicule l’idée que pour comprendre la portée d’une
règle juridique, il est nécessaire ou souhaitable de « remonter à sa source ». De
manière très large, les sources du droit désignent à la fois l’origine historique de
la règle, la cause déterminante de sa production, le fondement politique de sa
légitimité, le principe de sa force obligatoire, son support matériel ainsi que sa
formulation linguistique207. Les théoriciens du droit distinguent classiquement
les sources matérielles et les sources formelles du droit.
Par sources matérielles*, on entend les facteurs politiques, économiques,
sociaux, culturels ou philosophiques qui sont les causes de la règle ou qui
contribuent à expliquer son apparition. Les sources matérielles intéressent
principalement l’historien ou le sociologue du droit. Elles apportent souvent des
éléments d’explication importants pour comprendre la portée de la règle et ses
applications. L’analyse historique et sociologique permet d’éclairer, par exemple,
la longue subordination juridique de la femme, spécialement de la femme mariée,
puis, plus récemment, l’évolution des ordres juridiques démocratiques vers
l’égalité juridique entre les hommes et les femmes208.
En droit positif, la méthodologie juridique repose en grande partie sur la
recherche et l’étude des sources formelles* du droit. On appelle sources formelles,
les actes ou documents dans lesquels les règles de droit trouvent leur origine et
puisent leur autorité. Lorsque le juriste recherche, étudie, applique une règle de
droit, il tente en premier lieu d’en identifier la ou les sources formelles. L’examen
de ces sources formelles lui fournit plusieurs indications précieuses.
1. La formulation exacte et précise de la règle. - Les règles juridiques sont
souvent évoquées par périphrases. On parle de la règle du « pollueur-
payeur » en droit de l’environnement, de « l’autorité de la chose jugée » en
droit judiciaire, du « divorce par consentement mutuel » en droit familial,
etc., mais si l’on veut comprendre la portée exacte de ces règles ou les
appliquer à une situation particulière, il est nécessaire de se reporter aux
sources qui en énoncent le principe et les modalités.

207 Dictionnaire encyclopédique de théorie et de sociologie du droit, V° Sources du droit ; PH.


JESTAZ, « Sources délicieuses… remarques en cascades sur les sources du droit », R.T.D.C., 1992,
pp. 73 et s.
208 Voy., par exemple, R. BEAUTHIER, La répression de l’adultère en France du XVIème au XVIIIème

siècles, Bruxelles, Story-Scientia, 1990 ; O. CORTEN ET A. SCHAUS, Introduction au droit, y


compris les aspects de sociologie du droit, Bruxelles, P.U.B., 2002-2003, vol. II, pp. 355-371.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

2. L’autorité et le champ d’application de la règle. - Remonter à la source


formelle de la règle permet d’en retrouver l’auteur. On pourra déterminer
si la règle est d’origine constitutionnelle, légale ou réglementaire,
jurisprudentielle ou doctrinale, ou encore coutumière ; si elle procède de
l’autorité fédérale ou d’une institution régionale, communautaire ou
locale ; ou encore si elle tire son origine d’un traité international ou d’un
acte d’une organisation internationale. Découvrir ainsi l’auteur de la règle
est essentiel pour en apprécier la force contraignante. C’est en effet
l’origine de la règle qui détermine, pour la plus grande part, le caractère
obligatoire de la règle, la position qu’elle occupe dans la hiérarchie des
normes*, son champ d’application* dans le temps et dans l’espace (infra,
ch. 5).
3. Le contexte de la règle. - L’étude de la source permettra enfin de resituer la
règle de droit dans l’intégralité de l’acte qui la formule. Ainsi, la règle peut
être énoncée dans un article de loi ou d’un code. Sa portée devra être
déterminée en fonction de l’acte considéré dans son ensemble, complété le
cas échéant par les travaux préparatoires*209. La règle peut aussi avoir
une origine jurisprudentielle. Il faudra alors considérer les circonstances
de l’affaire qui a donné lieu à sa formulation, examiner si la règle a été
ensuite reprise par d’autres juridictions, dans quelles circonstances, si la
règle provient elle-même d’une autre règle, etc.
En bref, les sources formelles constituent les modes d’expression des règles
de droit et par conséquent aussi, les moyens de connaissance et de
communication de celles-ci. Elles représentent le vecteur principal, sinon exclusif
par lequel le juriste prend connaissance des normes et étudie le droit. En d’autres
termes, la recherche juridique repose essentiellement sur la recherche et le
traitement des sources formelles.

Section 2 : Inventaire des sources formelles

Les principales sources formelles de notre droit sont la législation au sens


large*, la jurisprudence* et la doctrine*. On y ajoute la coutume*, encore que le
caractère non écrit de celle-ci appelle un régime très différent.

I. La législation (au sens large)

Au sens large, la loi* désigne l’acte de l’autorité publique qui édicte des
règles de droit. Cette définition englobe la constitution, le traité international, la

209 Voy. infra, ch. 9, spécialement sur les méthodes d’interprétation des textes juridiques.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

loi au sens strict, les différentes catégories de règlements et certains actes des
organisations internationales.

Malgré la grande variété de leurs formes, les lois (au sens large)
présentent certaines caractéristiques communes :
a. La loi est écrite et publiée. Elle se présente sous la forme d’un texte qui fait
l’objet d’une publication officielle. Cette publication conditionne le
caractère obligatoire de la loi et son entrée en vigueur. Le texte publié est
l’acte authentique* qui fait foi en cas de contestation. La publication fait
connaître la loi, qui peut être ensuite reproduite et diffusée par tous
moyens publics et privés.
b. La loi édicte des règles générales et abstraites. En principe, la loi n’a pas
vocation à régler les cas particuliers. Elle s’adresse à tous indifféremment
et oblige tous ceux qui se trouvent dans la situation qu’elle vise. Pour ce
faire, le texte légal recourt nécessairement à des catégories abstraites,
susceptibles de recouvrir un nombre indéterminé de situations présentes
ou à venir.
c. La loi énonce des règles durables. La règle légale se distingue ainsi des
ordres ponctuels donnés par l’autorité publique. Toutefois, la loi n’a pas
vocation à la permanence ou à l’éternité. Si l’on excepte quelques principes
fondamentaux, normalement logés dans la constitution, les lois sont
soumises au changement accéléré qui affecte nos sociétés contemporaines.
Ainsi, les lois sont-elles fréquemment modifiées, abrogées, remplacées.
Certaines règles sont édictées de manière provisoire, parfois pour faire face
à des situations d’urgence. D’autres sont affectées d’un terme*, à
l’échéance duquel elles sont évaluées et, suivant les cas, reconduites ou
abandonnées.
d. La loi est l’œuvre des autorités publiques. - La loi est le mode d’expression
du pouvoir politique dans l’ordre juridique. Elle est produite par des
institutions publiques dans le respect de certaines procédures. La
compétence d’énoncer des règles de droit générales n’est cependant pas
reconnue à tous les pouvoirs publics. Il est l’apanage du pouvoir
constituant, du pouvoir législatif et du pouvoir exécutif, à l’exclusion du
pouvoir judiciaire. Au terme de l’article 6 du Code judiciaire, « les juges ne
peuvent prononcer par voie de disposition générale et réglementaire sur les
causes qui leur sont soumises ». Le pouvoir d’énoncer des règles générales
n’est pas non plus sans limites. La validité des lois et règlements est
conditionnée par la compétence de l’auteur de l’acte ou son habilitation, le
respect des procédures d’élaboration, ainsi que la conformité aux règles
supérieures dans la hiérarchie des normes*.
La législation se rencontre dans tous les ordres juridiques et à tous les
échelons de pouvoir, depuis le local jusqu’à l’international. De manière générale,
toutes les institutions politiques ont tendance à établir des règles juridiques. Ces
règles représentent à la fois un de leurs principaux moyens d’action et un des
modes principaux d’expression de leur pouvoir. Actuellement, on constate une

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 149


Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

démultiplication des niveaux de pouvoir et, par conséquent, des niveaux de


formulation de règles, tant au sein des Etats, qu’au niveau international.
Simultanément, on repère un glissement substantiel du pouvoir normatif des
assemblées vers les administrations, par le biais de délégations de pouvoirs de
plus en plus nombreuses et étendues. Ces phénomènes contribuent à la
prolifération et à la dispersion des normes juridiques.

A. Dans l’ordre juridique interne

1. La Constitution

a) Notion

La Constitution* est l’acte fondamental qui établit les bases de l’ordre


juridique étatique.
Le terme « constitution » trouve son origine dans la comparaison, autrefois
fréquente, entre la société, d’une part, et les organismes vivants ou les individus,
d’autre part. Dans cette analogie, la société est conçue comme un « corps social »
ou un « corps politique », doté de multiples « organes ». Des Etats, aux XVIIe et
XVIIIe siècles, on dit volontiers, comme des êtres humains, qu’ils ont « une
bonne » ou « une mauvaise constitution ». Pour chaque Etat, on prescrit
également un type de « régime » adapté à sa constitution spécifique. Tel est le
sens que conserve à peu près jusqu’à aujourd’hui la notion de constitution en
Grande-Bretagne, qui n’a pas adopté jusqu’à ce jour de constitution écrite.
Toutefois, dans la plupart des autres Etats, la constitution a revêtu la forme
d’une loi (au sens large), c’est-à-dire d’un texte. L’idée de constitution écrite trahit
à la fois la volonté de rationalisation et de changement. Elle exprime le souci
d’autonomie d’une collectivité qui entreprend de déterminer elle-même les
principes de son organisation politique.
Dans son état actuel, la Constitution belge comporte 198 articles. Le texte
de la Constitution a été coordonné* en 1994. Cette opération a modifié la
numérotation de la plupart des articles. Il importe de tenir compte de ces
changements lorsque l’on consulte des sources antérieures à la coordination.

b) L’acte premier de l’ordre juridique

La constitution énonce les règles premières de l’ordre juridique qu’elle


institue, et ce à plus d’un titre.
a. La constitution est d’abord première en tant qu’elle fonde ou refonde
l’ordre politique et juridique. La constitution est l’acte qui institue, qui
instaure. Elle organise les pouvoirs publics ; elle crée les institutions les
plus importantes et fixe les règles essentielles de leur fonctionnement. Elle

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

distribue les différents pouvoirs entre ces institutions210, dont elle


détermine les compétences. D’autre part, la constitution garantit les droits
fondamentaux des citoyens et plus largement des sujets de l’ordre
juridique. Elle établit les principes juridiques de base qui régissent les
relations entre les gouvernés et les gouvernants (infra, ch. 6,).
b. En tant qu’elle fonde, qu’elle institue, la constitution est parfois également
sur le plan chronologique l’une des premières règles du nouvel ordre qu’elle
inaugure. Tel est le cas en Belgique où la Révolution contre le régime
hollandais aboutit, le 4 octobre 1830, à la proclamation de l’indépendance
du pays par un gouvernement provisoire, puis à l’adoption de la
Constitution par le Congrès national le 7 février 1831. Cette Constitution
est toujours en vigueur aujourd’hui. Parfois aussi, une nouvelle
constitution marque un changement important de régime politique qui
intervient dans le cours de l’existence d’un Etat. Tel est le cas, par
exemple, de l’actuelle Constitution de la France, dite de « la 5ème
République », adoptée en 1958, dans le contexte de la guerre d’Algérie, à
l’initiative du Général de Gaulle. Acte fondateur, la constitution a vocation
à la permanence, sinon à la pérennité. L’évolution des conditions sociales
et du régime politique recommande néanmoins que ces dispositions
puissent être modifiées ou aménagées. La transformation de l’Etat belge
d’un Etat unitaire à un Etat fédéral, composé de régions et de
communautés dotées d’importantes compétences, a ainsi été réalisée par le
moyen d’une succession de révisions constitutionnelles. La procédure de
révision* de la constitution réalise un compromis entre le souci de stabilité
de l’acte fondateur et les nécessités du changement. La constitution scelle
les clauses essentielles du contrat social. La modification de celles-ci
requiert à la fois le recours à une consultation électorale et la réunion
d’une large majorité de représentants (supra, ch. 3).
c. La règle constitutionnelle est encore première en tant qu’elle occupe
logiquement le premier rang de l’ordre juridique qu’elle organise. Les
normes constitutionnelles se caractérisent ainsi par leur primauté par
rapport à toutes les autres règles de l’ordre interne. Le respect de cette
supériorité est contrôlé par des organes juridictionnels : la Cour
constitutionnelle* pour la conformité des normes législatives* (supra, ch.
3); les autres juridictions de l’ordre judiciaire et de l’ordre administratif
pour les normes réglementaires* (art. 159 de la Constitution) (infra, ch. 5).
d. Enfin, la constitution est première en tant qu’elle fixe les grands principes
de l’ordre juridique, lesquels demandent à être complétés ou précisés par
d’autres règles. La constitution délègue ainsi, soit de manière explicite, soit
de manière implicite, aux pouvoirs constitués, généralement au législateur,
le soin de compléter ou plus généralement d’élaborer des normes. La
constitution contient ainsi nombre de délégations spécifiques. Par exemple,
l’article 103, qui prévoit le jugement des ministres par la cour d’appel,

« [Les pouvoirs] sont exercés de la manière définie par la Constitution » (art. 33, al. 2 de la
210

Constitution, cfr. supra, ch. 3).

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

délègue à la loi le soin de déterminer les règles de procédure applicables.


L’article 15, qui établit le principe de l’inviolabilité du domicile, délègue à
la loi le soin de préciser le cas des visites domiciliaires autorisées, etc. Au
total, ces nombreuses délégations évitent d’allonger outre mesure le texte
de la constitution. Elles contribuent par là même à mieux distinguer et
mettre en évidence les règles les plus importantes de l’ordre juridique.

2. Les normes législatives

a) Les lois (au sens strict)

Au sens strict, la loi* est l’acte du pouvoir législatif fédéral.


Si la constitution est le fondement et le socle de l’ordre juridique, la loi en
est l’instrument moteur. Elle est produite par le Roi et le parlement suivant la
procédure établie par la Constitution (supra, ch. 3).
On distingue toutefois, parmi les actes du pouvoir législatif, les lois
matérielles et formelles. Les lois matérielles* sont celles qui édictent
effectivement des règles de droit de caractère général, abstrait et durable. On
appelle lois formelles*, ou actes de haute tutelle, les actes qui, bien que pris par
le pouvoir législatif dans les conditions et sous la forme de lois, n’édictent pas de
règles juridiques matérielles. Il en est ainsi de l’acte par lequel la Chambre donne
son assentiment à un traité international* conclu par le Roi. Certaines lois
formelles comportent des décisions individuelles. Tel est le cas des lois de
naturalisation ou des lois accordant une pension à des particuliers.
Le texte des lois est publié au Moniteur belge en français et en
néerlandais, ce qui en conditionne le caractère obligatoire211.
La procédure d’élaboration de la loi (supra, ch. 3) donne lieu en outre à la
production de textes importants que l’on appelle travaux préparatoires. Ces
textes, qui sont recueillis dans les Documents et les Annales parlementaires, ne
font pas partie intégrante de la loi. Ils ne sont pas publiés au Moniteur belge. Ils
n’ont pas de force obligatoire. Cependant, en tant qu’ils relatent les projets et
discussions qui ont conduit à l’adoption des règles légales, ces documents
constituent des ressources utiles pour préciser le sens ou interpréter les normes
législatives. Ils servent notamment à cerner la volonté du législateur qui joue un
rôle important dans la détermination du contenu des lois (infra, ch. 9). En
pratique, l’exposé des motifs qui introduit les projets de loi, et le rapport de la
commission parlementaire constituent les documents les plus importants. C’est
également dans les travaux préparatoires que l’on trouve l’avis du Conseil d’Etat
sur les projets de lois et certaines propositions de lois.
Parmi les lois matérielles, certaines catégories méritent une attention
particulière.

211 La version papier du Moniteur belge a disparu au profit de l’unique version électronique

consultable à l’adresse : www.ejustice.just.fgov.be/cgi/welcome.pl.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

1°) Les lois spéciales


Les lois dites spéciales* sont des lois qui ne peuvent être adoptées qu’à des
conditions très particulières de majorité et de quorum, fixées par l’article 4,
alinéa 3 de la Constitution. Ces lois doivent être adoptées par les deux chambres.
Au sein de chaque chambre, un quorum de présence spécifique est requis : la
majorité des membres de chacun des deux groupes linguistiques (francophone et
néerlandophone) doit être présente. Le vote doit en outre recueillir une majorité
spéciale : il doit réunir les 2/3 des suffrages de chaque chambre, ainsi que la
majorité absolue des voix au sein de chaque groupe linguistique.
Ces conditions spéciales et exigeantes de majorité correspondent à l’objet
spécifique de ces lois. Celles-ci aménagent les relations entre les différentes
communautés linguistiques au sein de l’ordre juridique belge. Par exemple, une
loi spéciale fixe les limites des régions linguistiques (en vertu de l’article 4, alinéa
3 de la Constitution), d’autres définissent les compétences des communautés et
des régions (par exemple les importantes lois spéciales de réformes
institutionnelles du 8 août 1980 fixant notamment les compétences des régions et
communautés). Les matières réglées par les lois spéciales sont déterminées par la
Constitution.
En réalité, les lois spéciales occupent une position intermédiaire, tant par
leur objet que par leur statut, entre la Constitution et les lois ordinaires. En tant
qu’elles précisent les règles du jeu du fédéralisme belge et les compétences
respectives des différentes entités, elles l’emportent sur les lois ordinaires et leur
respect est assuré par des moyens identiques ou très proches du contrôle par la
Cour constitutionnelle de la constitutionnalité des lois. Pour le surplus, elles
suivent le régime des lois ordinaires.

2°) Les codes


Un code* est une loi ou une série de lois qui énonce de manière structurée
un ensemble de règles relatives à une branche du droit* ou à une matière
déterminée. La codification participe à l’entreprise de systématisation du droit
(infra, ch. 5), qu’elle réalise à des degrés variables.
L’ordre juridique belge compte un nombre non négligeable de codes.
Plusieurs ont été hérités de l’empire napoléonien : le Code civil, le Code de
commerce et le Code d’instruction criminelle (qui régit la procédure pénale).
D’autres ont été introduits plus récemment : le Code pénal212 le Code électoral, le
Code judiciaire (qui règle la procédure civile), le Code des impôts sur le revenu, le
Code de droit international privé, le Code des sociétés, etc.
Malgré son importance, le code n’a d’autre valeur que celle de la loi
ordinaire. Il peut être modifié par une simple loi, qui en amende, en complète ou
en abroge les dispositions.

212L’actuel Code pénal est contenu dans la loi du 8 juin 1867, qui a remplacé le Code pénal
napoléonien de 1810.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Un code peut également regrouper des dispositions réglementaires, voire


même mêler des dispositions légales et des dispositions réglementaires. C’est le
cas notamment du Code wallon de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire.
Il faut dans un tel cas être attentif à la nature de chaque disposition, qui
conserve sa nature et sa valeur propres.
Sur le plan terminologique, on se gardera de confondre les codes légaux
avec les codes privés*. On appelle en effet également codes, des ouvrages de
doctrine*, qui réalisent des compilations privées d’une branche ou d’une matière
juridique, ou même du droit dans son ensemble. De telles compilations, bien
utiles aux juristes, n’ont cependant en soi aucune valeur officielle ni légale.

3°) Les lois coordonnées


La loi du 13 janvier 1961 a attribué au Roi la faculté de coordonner des
lois. La coordination participe au même souci de systématisation de la législation.
Les lois coordonnées* constituent une sorte de codification a minima, qui
rassemble diverses lois portant sur des objets similaires ou voisins en un seul
texte. La coordination est opérée formellement par un arrêté royal. Le texte des
lois coordonnées est normalement rédigé par le bureau de coordination, institué
au sein du Conseil d’Etat. L’entreprise de coordination procède à des
aménagements matériels à droit constant, c’est-à-dire sans pouvoir modifier le
contenu des règles légales.

4°) Les lois-cadres


Une loi-cadre* est une loi qui se borne à préciser les principes de la
matière qu’elle traite, en déléguant au pouvoir exécutif le soin d’en établir les
règles précises. Les lois-cadres étendent donc de fait la compétence que la
Constitution attribue au Roi de prendre des arrêtés et règlements en exécution
des lois (art. 108 de la Constitution). La validité du procédé est admise en vertu
de l’article 105 de la Constitution qui prévoit que « Le Roi n'a d'autres pouvoirs
que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois particulières
portées en vertu de la Constitution même ». On en déduit que le législateur peut
déléguer au Roi d’autres pouvoirs que ceux que la Constitution attribue
formellement à celui-ci.
Le phénomène des lois-cadres s’est développé au cours du XXe siècle. Il
constitue une réaction pratique à l’inflation du travail législatif. Il traduit en
outre, avec d’autres phénomènes, comme les arrêtés de pouvoirs spéciaux*, un
glissement du pouvoir normatif du législateur vers l’exécutif.
Les lois-cadres ont le statut de lois ordinaires et les arrêtés pris en
exécution de ces lois n’ont, quelle que soit en pratique leur importance, d’autre
valeur que celle d’un acte réglementaire.

5°) Les lois interprétatives


L’article 84 de la Constitution confère au législateur le pouvoir
d’interpréter les lois. Ce pouvoir repose sur l’idée selon laquelle celui qui a le
pouvoir d’édicter une règle doit aussi pouvoir en préciser la portée et le contenu.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

La loi interprétative* permet de mettre fin à une incertitude ou à une controverse


sur le sens exact de la loi.
L’interprétation par voie législative est dite authentique. Elle s’impose
d’autorité, à l’égal des autres lois. La loi interprétative fait corps avec la loi
interprétée, qui est censée avoir eu dès le début le sens que lui attribue la loi
interprétative. Dans cette mesure, la loi interprétative opère avec effet
rétroactif*.

b) Les décrets

Le décret* est l’acte du pouvoir législatif des institutions fédérées, c’est-à-


dire des régions et des communautés (à l’exception de la Région bruxelloise qui
édicte des ordonnances*). La forme et le statut du décret sont décalqués sur ceux
de la loi, dont il est très proche, à quelques exceptions près (supra, ch. 3).
Un décret peut modifier, abroger, remplacer une loi, dans les limites de la
compétence de l’autorité fédérée. C’est là une conséquence du processus
historique de la fédéralisation belge. Les communautés et les régions ont en effet
repris des compétences exercées antérieurement par l’Etat central. Elles ont
hérité avec celles-ci d’un ensemble de normes, qui continuent à s’appliquer, mais
que la nouvelle autorité compétente a le pouvoir d’aménager.
Les distinctions indiquées ci-dessus pour la loi valent mutatis mutandis
pour le décret. Ainsi, certains décrets établissent des codes, comme le Code
wallon de l’urbanisme et de l’aménagement du territoire. Il existe des décrets-
cadres. La Constitution attribue aux entités fédérées le pouvoir d’interpréter le
décret de manière authentique (art. 133), etc.

c) Les ordonnances de la Région Bruxelles-Capitale

Les actes de portée législative adoptés par les institutions de la Région


bruxelloise sont appelés ordonnances*. Cette dénomination spéciale indique une
légère différence de statut, due au caractère sensible de cette Région dans
l’édifice fédéral belge. Contrairement au décret, la Constitution n’indique pas
expressément que les ordonnances ont « force de loi ». Cependant, elles ont une
valeur comparable, comme l’indique la possibilité pour l’ordonnance de modifier,
compléter ou abroger la loi dans les limites des compétences régionales.
La différence de statut se manifeste au niveau du contrôle de
constitutionnalité dont font l’objet les ordonnances. Tout comme la loi et le
décret, l’ordonnance est soumise au contrôle de la Cour constitutionnelle. En
outre, à la différence de la loi et du décret, les juridictions, judiciaires et
administratives, exercent un contrôle supplémentaire : ils refuseront d’appliquer
l’ordonnance lorsque celle-ci sera jugée contraire aux dispositions
constitutionnelles qui échappent à la compétence de la Cour constitutionnelle.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

d) Les arrêtés-lois

Les arrêtés-lois* sont des actes du pouvoir législatif pris par le Roi ou le
gouvernement dans des circonstances extraordinaires pendant les deux guerres
mondiales.
Durant le conflit de 1914-1918, la plus grande partie du territoire belge
était occupée par l’ennemi et le parlement ne fonctionnait plus. Le Roi Albert Ier
prit, avec le contreseing de son gouvernement, des mesures de nature et de
portée législatives. Au lendemain de la guerre, la validité de ces actes (et donc
leur force obligatoire) fut contestée devant les juridictions par certains
justiciables à qui on prétendait les opposer. Ce point de droit fut porté devant la
Cour de cassation qui décida que :
« En temps de guerre, lorsque le territoire est occupé, le Roi peut,
dans l’impossibilité de réunir les Chambres, prendre seul les
mesures législatives que commande l’intérêt du pays » 213.

En 1940, le pays fut cette fois totalement envahi et le gouvernement se


réfugia à Londres. Le Roi Léopold III refusa toutefois de le suivre et demeura
sous la botte de l’occupant nazi. Les ministres réunis à Londres constatèrent que
le Roi, devenu prisonnier de l’ennemi, se trouvait dans l’impossibilité de régner
(voir supra, ch. 3). Le Conseil des ministres légiféra seul sous la forme d’arrêtés-
lois. A nouveau, la Cour de cassation valida le procédé :
« Le même pouvoir est reconnu aux ministres réunis en Conseil dans
les mêmes circonstances, le Roi se trouvant dans l’impossibilité de
régner » 214.

Les arrêtés-lois sont des actes du pouvoir législatif. Ils ont la même valeur
et la même portée qu’une loi ordinaire.
S’ils peuvent apparaître comme une curiosité historique, les arrêtés-lois
sont néanmoins riches d’enseignement. En premier lieu, ils démontrent
l’extraordinaire faculté d’adaptation des règles juridiques aux changements de
circonstances et même aux bouleversements sociaux. Nécessité fait loi. La
pertinence de la règle et sa capacité à régir le réel sont à ce prix (supra, ch. 1).
L’ordre juridique fait montre en cette occasion d’une souplesse que le texte formel
de la Constitution sur l’exercice collégial du pouvoir législatif ne laissait pas
présager. Ensuite, la solution retenue consacre le principe de la continuité de
l’Etat et du service public* qui l’emporte sur les règles de procédure, même
constitutionnelles, et contraint, au moins temporairement, à les adapter. Enfin,
l’affaire met bien en lumière le rôle important des juridictions, appelées à dire le
droit et à apprécier a posteriori la validité des applications qui en sont faites.

213 Cass., 11 février 1919, Pas., 1919, I, p. 10 ; Cass. 27 avril 1920, Pas., 1929, I, p. 124.
214 Cass., 6 novembre et 11 novembre 1944, Pas., 1945, I, pp. 23 et 65.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

3. Les normes réglementaires

a) Les arrêtés royaux

Un arrêté royal* est un règlement pris par le pouvoir exécutif fédéral. Il


est parfois dépourvu de portée réglementaire, notamment lorsqu’il consacre une
décision à portée individuelle.
Les arrêtés royaux sont préparés sous la responsabilité du ministre en
charge de la matière traitée. Ils sont élaborés au sein de l’administration, du
cabinet ou à l’aide de conseils extérieurs, à la manière des avant-projets de lois.
Les arrêtés royaux importants, ou politiquement significatifs, sont ensuite
délibérés en Conseil des ministres. La loi peut également exiger que les arrêtés
d’exécution fassent l’objet d’une telle délibération.
Hors les cas d’urgence spécialement motivés, les projets d’arrêté sont
soumis à l’avis de la section de législation du Conseil d’Etat. Cet avis ne lie pas le
gouvernement. Il est publié en même temps que l’arrêté royal au Moniteur belge.
L’arrêté royal est contresigné par le ministre compétent et signé par le Roi.
Il est rédigé en français et en néerlandais, sauf s’il concerne exclusivement une
région unilingue du pays. Il est publié au Moniteur belge, en principe dans le
mois de son adoption. Il devient obligatoire dix jours après sa publication.
Les arrêtés royaux importants sont accompagnés en préambule de
considérants qui en précisent les motifs. Lorsque ces considérations liminaires
sont très développées, elles font l’objet d’un document spécifique : le rapport au
Roi. Ce rapport constitue l’équivalent de l’exposé des motifs* en matière légale.
Le rapport au Roi ne fait pas partie intégrante de l’arrêté royal et il ne fait pas
autorité. Il est cependant publié avec l’arrêté royal au Moniteur belge. Le juriste
y trouvera des indications, notamment sur la volonté du gouvernement, de
nature à éclairer la portée de l’acte et à favoriser son interprétation.
On distingue plusieurs sortes d’arrêtés royaux :

1°) Les arrêtés royaux d’exécution des lois


Au pouvoir exécutif revient la mission de prendre les mesures nécessaires
à la bonne application des lois. Les arrêtés royaux d’exécution* édictent des
règles complémentaires aux règles légales afin d’en préciser la portée, les détails
ou les modalités de mise en œuvre. L’arrêté d’exécution est subordonné à la loi. Il
ne peut suspendre celle-ci, ni dispenser de son exécution (art. 108 de la
Constitution). Il ne peut davantage contrecarrer ni violer ces dispositions (art.
159 de la Constitution).
Le Roi tient le pouvoir de prendre des arrêtés d’exécution directement de la
Constitution même (art. 108), sans qu’il soit besoin d’une habilitation législative
spéciale. Cependant, nombre de lois habilitent expressément le Roi à prendre
telle ou telle mesure d’exécution.
En pratique, la grande majorité des arrêtés royaux sont des arrêtés
d’exécution.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

2°) Les arrêtés royaux pris en vertu du pouvoir réglementaire propre


du Roi
On reconnaît en outre au pouvoir exécutif, le pouvoir d’édicter des
règlements dans les domaines qui relèvent de ses compétences d’attribution.
Ainsi, il est admis que le Roi, en tant que chef de l’administration, règle le statut
des agents de l’Etat. De même, le Roi peut prendre des arrêtés de police pour
l’exécution de sa mission de maintien de l’ordre et de la sécurité publique.

3°) Les arrêtés de pouvoirs spéciaux


Durant les périodes de crise économique, il est arrivé que la loi étende
considérablement le pouvoir réglementaire du Roi afin de lui permettre de
prendre directement, en lieu et place du pouvoir législatif, de manière rapide et
énergique, les mesures imposées par l’urgence ou la gravité de la situation,
notamment dans les domaines économique, financier et social. De telles lois, dites
« lois de pouvoirs spéciaux »*, ont été votées à une douzaine de reprises, soit dans
les années 30, soit dans les années 1970-1980. La validité de ces délégations et
des arrêtés pris en vertu de celles-ci n’est plus disputée. Elles ont trouvé un
fondement dans l’article 105 de la Constitution, comme les lois-cadres.
L’attribution de pouvoirs spéciaux au Roi vaut pour une période limitée et pour
des matières déterminées. Elle ne peut porter sur des matières réservées à la loi
par la Constitution.
Dans les limites de l’habilitation, les arrêtés de pouvoirs spéciaux* peuvent
édicter des normes de portée législative. Ils peuvent ainsi modifier, compléter ou
abroger des lois établies. Ils n’en demeurent pas moins des actes réglementaires,
dont la conformité à la Constitution et à la loi d’habilitation peut être contrôlée
par les juridictions ordinaires (art. 159 de la Constitution).
Les lois de pouvoirs spéciaux fixent généralement des règles de procédure
supplémentaires, de nature à renforcer le contrôle sur ces arrêtés, eu égard à
l’importance des dispositions qu’ils peuvent contenir. Ainsi, les arrêtés de
pouvoirs spéciaux doivent systématiquement être délibérés en Conseil des
ministres et soumis à l’avis du Conseil d’Etat. Ils doivent faire l’objet d’un
rapport motivé au parlement et être confirmés par le législateur à l’expiration
des pouvoirs spéciaux.
Formellement, les arrêtés de pouvoirs spéciaux se reconnaissent au fait
qu’ils sont numérotés dans l’ordre de leur adoption.

4°) Les arrêtés royaux de pouvoirs extraordinaires


A deux reprises, à l’issue des deux guerres mondiales, pendant les périodes
de reconstruction, le législateur a accordé au Roi des pouvoirs extraordinaires. Le
fondement de cette habilitation est identique à celui des pouvoirs spéciaux.
L’habilitation législative est donnée en termes moins précis et beaucoup plus
larges que les pouvoirs spéciaux. Comme ces derniers, les arrêtés de pouvoirs
extraordinaires peuvent modifier, abroger ou remplacer les lois.
On appelle communément les arrêtés de pouvoirs extraordinaires*
« arrêtés-lois ». Cette dénomination est impropre car elle induit une confusion

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

avec les arrêtés-lois de guerre. Au contraire de ceux-ci, les arrêtés de pouvoirs


extraordinaires sont des actes du pouvoir exécutif*.
L’inventaire de ces catégories d’arrêtés royaux démontre l’importance du
pouvoir réglementaire entre les mains de l’exécutif fédéral, c’est-à-dire du
gouvernement. Etroitement limité au départ dans la Constitution, ce pouvoir
s’est considérablement étendu au fil du temps et à la faveur des circonstances. Si
on y ajoute que l’essentiel des lois votées au parlement sont d’origine
gouvernementale (projets de loi*), on mesure que le gouvernement et son
administration détiennent à l’heure actuelle la plus grande part du pouvoir
d’édicter des règles au sein de l’ordre juridique fédéral. La situation est semblable
au niveau des institutions fédérées. Elle correspond à une tendance générale
commune à la plupart des régimes politiques contemporains.

b) Les arrêtés des gouvernements communautaires et régionaux

Les gouvernements des régions et des communautés disposent du pouvoir


de prendre les arrêtés et règlements nécessaires à l’exécution des décrets. Ils
peuvent également prendre des arrêtés en vertu de leurs pouvoirs réglementaires
propres.
Ce qui a été dit à propos des arrêtés royaux est applicable mutatis
mutandis aux arrêtés des gouvernements* fédérés. Il n’y a pas eu à ce jour de
pouvoirs spéciaux ou extraordinaires délégués aux gouvernements fédérés.

c) Les arrêtés ministériels

Un arrêté ministériel* est un règlement pris par un ministre. Il est parfois


dépourvu de portée réglementaire, notamment lorsqu’il consacre une décision à
portée individuelle.
La Constitution n’accorde pas de pouvoir réglementaire aux ministres. La
loi ou l’arrêté royal habilite cependant parfois le ministre à régler directement
certaines matières. On enseigne généralement que les arrêtés ministériels ne
peuvent porter que sur des points secondaires, de minime importance. Tel n’est
pas toujours le cas en pratique. Ainsi, l’arrêté ministériel du 10 août 1977 a pu
établir par le passé le cahier général des charges des marchés publics de travaux,
de fournitures et de services. Un simple arrêté ministériel fixait donc les règles
du jeu pour ce qui concerne les contrats conclus par l’Etat avec des entrepreneurs
et des fournisseurs.
Les arrêtés ministériels réglementaires doivent être soumis pour avis à la
section de législation du Conseil d’Etat et doivent être publiés au Moniteur belge,
ce qui conditionne leur caractère obligatoire.

d) Les circulaires ministérielles

En tant que chefs de leur administration, les ministres tirent, de leur


pouvoir hiérarchique, la compétence de donner des instructions à leurs
subordonnés et de régler le fonctionnement de leur administration pour la bonne

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

marche du service public. Dans ce cadre, ils édictent une série de documents :
circulaires, directives, dépêches, instructions, notes de service, etc. Dans la
mesure où ces documents dictent aux agents des services publics la manière
d’exercer leur fonction et de mettre en œuvre ou d’interpréter les règles de droit,
ils sont susceptibles d’influencer de manière non négligeable la situation
juridique des administrés. La façon d’apprécier un comportement, d’interpréter
une règle, d’exiger la production de tel ou tel document peut déterminer en
pratique le droit à une prestation, la tarification de celle-ci, l’octroi ou le rejet
d’une allocation, les modalités d’imposition d’une amende administrative, etc.
Par exemple, le ministre de l’Intérieur a émit plusieurs circulaires sur les
modalités d’application de la loi du 15 décembre 1980 sur l’accès au territoire, le
séjour, l’établissement et l’éloignement des ressortissants étrangers. Ces
circulaires aménagent des points importants, soumis à l’appréciation du ministre,
comme les conditions d’application du regroupement familial aux couples non
mariés.
Certaines circulaires font l’objet d’une publication au Moniteur belge. La
question se pose donc en pratique de savoir si ces circulaires ministérielles*
revêtent ou non une portée réglementaire.
De manière constante, la Cour de cassation refuse toute portée normative
aux circulaires ministérielles. Toutefois, elle admet qu’une circulaire peut faire
naître un droit subjectif* au profit d’un administré lorsque la circulaire a créé
dans son chef l’attente légitime d’un certain traitement ou de l’application d’une
règle et que cette attente a été déçue215. Cela ne signifie pas que la circulaire
acquiert un caractère réglementaire, mais les cours et tribunaux refusent, au
nom de la sécurité juridique, que l’administration s’écarte des règles qu’elle s’est
données à elle-même et auxquelles elle a conféré une certaine publicité.
Quant au Conseil d’Etat, il considère les circulaires à portée réglementaire
comme des règlements, dont la section du contentieux administratif prononce le
cas échéant l’annulation, soit parce qu’ils émanent, à défaut de délégation, d’une
autorité incompétente, soit en raison du non-respect des formalités obligatoires
qui entourent l’établissement d’un règlement, spécialement la consultation
préalable de la section de législation du Conseil d’Etat216.

e) Les règlements provinciaux et communaux

Les provinces et les communes sont des autorités décentralisées qui


disposent du pouvoir subordonné de régler les matières d’intérêt provincial et
local (supra, ch. 3).
Les règlements provinciaux sont établis par le conseil provincial ou le
collège provincial. Ils sont publiés au Mémorial administratif de la province.

215 Cass., 27 mars 1992, R.C.J.B., 1995, pp. 53 et s., et la note de N. Geelhand.
216 M. LEROY, Contentieux administratif, Limal, Anthemis, 2011, pp. 188-191.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

Les règlements communaux sont pris par le conseil communal ou par le


bourgmestre, exceptionnellement par le collège communal. Ils sont publiés par
voie d’affiches.
On appelle ordonnances les règlements pris par les autorités provinciales
et communales en matière de police. On veillera à ne pas les confondre avec les
ordonnances de la Région bruxelloise*.

f) Les règlements des services publics décentralisés

L’Etat ou les autres collectivités publiques gèrent normalement les


services publics et édictent les règles nécessaires à leur fonctionnement.
Cependant, il arrive fréquemment que les pouvoirs publics confient, dans un
souci d’efficacité et de bonne gestion, la tâche d’un service public à une personne
morale* distincte des pouvoirs publics territoriaux. Tel est le cas par exemple de
la RTBF (service public de radio-télévision de la communauté française), de la
SNCB (service fédéral de chemins de fer) ou encore, au niveau local, des centres
publics d’aide sociale. Ces organismes distincts, qui procèdent de la
décentralisation par service, peuvent disposer d’un pouvoir réglementaire
subordonné, de manière à régler le fonctionnement du service public dont ils ont
la charge.

g) Les décisions et actes administratifs à portée individuelle

Outre les actes réglementaires, les autorités du pouvoir exécutif et les


autorités décentralisées prennent également des décisions ou donnent des
instructions de portée individuelle. Ainsi, le Roi peut nommer à un emploi public,
accorder un titre de noblesse, intimer un ordre de quitter le territoire à un
étranger en situation irrégulière. De tels actes sont posés par arrêté. Mais il ne
s’agit pas de législation au sens large dans la mesure où ces actes n’édictent pas
de règles de portée générale. La régularité de tels actes individuels est d’ailleurs
soumise au respect des lois et des dispositions à caractère réglementaire en vertu
desquels ils sont pris.

B. Au plan européen

1. Les traités

La construction européenne s’est effectuée par le moyen de traités


successifs. Ces traités sont des conventions internationales*, qui, par leur objet,
sont des traités-institutions* et parfois des traités-lois*. Des modifications et des
ajouts ont été progressivement intégrés dans les traités de la Communauté
européenne et de l’Union européenne au fil des transformations de l’ordre
juridique européen. Avec l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne le 1er
décembre 2009, les traités ont été complètement réorganisés. Le socle européen

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

se compose aujourd’hui du traité sur l’Union européenne (TUE) et du traité sur le


fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
Ces traités ont, à l’égard de l’ordre juridique européen et de ses
institutions, une véritable portée constitutionnelle. La Cour de Justice de l’Union
européenne assimile d’ailleurs les traités à « la charte constitutionnelle d’une
Communauté de droit »217.
Les traités instituent l’ordre juridique de l’Union européenne* et en
définissent le champ d’application. Ils créent les institutions européennes, en
déterminent les procédures de fonctionnement, distribuent les pouvoirs de
décision et aménagent ainsi les relations entre les différents organes.
Le traité de Lisbonne intègre en outre les droits fondamentaux des
citoyens de l’Union européenne, comme c’est le cas pour les constitutions des
Etats de droit*. Il confère une valeur contraignante à la Charte des droits
fondamentaux de l’Union européenne, adoptée le 7 décembre 2000, qui n’avait
initialement qu’une valeur de déclaration218.

2. Les règlements

Le règlement* est un acte des institutions européennes qui édicte des


règles générales et obligatoires qui s’appliquent de manière directe et immédiate
dans l’ensemble de l’Union.
Les règlements sont élaborés en principe suivant la procédure de co-
décision (supra, ch. 3). Ils sont publiés au Journal officiel de l’Union européenne.
Cette publication en conditionne le caractère obligatoire.

3. Les directives

La directive* est un acte des institutions européennes adressé aux Etats de


l’Union, qui « lie tout état membre destinataire quant au résultat à atteindre,
tout en laissant aux instances nationales la compétence quant à la forme et aux
moyens » (art. 288 TFUE).
La directive constitue en ordre principal un instrument juridique
d’harmonisation des droits des différents Etats de l’Union. Elle contribue ainsi à
l’intégration juridique européenne.
La directive est la résultante d’un certain équilibre entre les pouvoirs
normatifs respectifs des instances européennes et des Etats. La directive établit
des règles communes dans une matière déterminée. Cependant, contrairement
au règlement, ces dispositions ne s’appliquent pas de manière immédiate à tous
les sujets de droit de l’Union. La directive s’adresse aux Etats à qui elle enjoint
d’intégrer ces règles dans leur ordre juridique interne et ce, dans un délai

217 C.J.C.E., 3 avril 1986, Les Verts c. Parlement, 294/83, Rec., pp. 1339 et s.
218 Remarquez que certains Etats ont obtenu une clause de « opt-out ».

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

déterminé. L’Etat choisit librement les formes et les moyens appropriés. Il peut
s’agir d’une loi, d’un décret ou d’une ordonnance, accompagné le cas échéant
d’arrêtés d’exécution, voire même d’un simple arrêté de l’exécutif concerné.
Les directives sont notifiées aux Etats destinataires, ce qui en détermine le
caractère obligatoire. Elles sont en outre publiées, pour information, au Journal
officiel de l’Union européenne.
Les directives ne créent donc pas immédiatement des droits et des
obligations dans le chef des particuliers. Toutefois, lorsqu’un Etat n’intègre pas
dans son ordre juridique interne les dispositions d’une directive dans le délai
requis et que cette défaillance prive les sujets de droit d’un droit subjectif qui
aurait dû leur être reconnu, les personnes préjudiciées peuvent, dans certaines
conditions, se prévaloir à l’égard de l’Etat des dispositions de la directive. C’est ce
qu’on appelle l’effet direct vertical* des directives. La reconnaissance d’un tel
effet direct suppose que les dispositions de la directive soient inconditionnelles et
suffisamment précises.
Par contre, les directives sont normalement dépourvues d’effet direct
horizontal*, ce qui signifie qu’un particulier ne peut en principe se prévaloir des
dispositions d’une directive non ou mal transposée à l’encontre d’un autre
particulier pour lui imposer une obligation. S’il en était autrement, la directive
serait d’application immédiate à la manière d’un règlement. Toutefois, le juge
national peut être tenu de prendre la directive en considération pour trancher un
litige entre particuliers, notamment pour écarter l’application d’une législation
nationale contraire à la norme européenne ou pour interpréter le droit interne
dans un sens conforme à la directive. En pratique, cela revient en quelque sorte à
reconnaître un certain effet direct horizontal aux directives.
L’Etat qui ne transpose pas une directive dans le délai requis engage en
outre sa responsabilité* et s’expose à une action en manquement* au niveau
européen.

4. Les décisions

La décision* est un acte des institutions européennes qui lie un


destinataire déterminé, soit un Etat, soit un particulier (art. 288 TFUE). Elle est
notifiée aux intéressés. La décision est obligatoire et d’application immédiate.
Cependant, elle ne constitue pas un acte législatif proprement dit puisqu’elle
n’énonce pas de normes à caractère général. On peut citer comme exemple de
décision, l’acte de la Commission européenne autorisant ou interdisant une
fusion ou une aide d’Etat ou encore imposant à une entreprise une amende
administrative en cas de violation des dispositions relatives au droit européen de
la concurrence.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

5. Actes informels des institutions

Il s’agit d’actes qui sont nés de la pratique des institutions et qui ont été
baptisés sous des noms divers : certaines dénominations renvoient à une fonction
programmatoire (programmes, programmes d’action, livres blancs, livres verts,
code de conduite…), d’autres à une fonction déclaratoire (résolution, déclarations,
délibérations, conclusion, communication, procès-verbaux…), d’autres enfin
empruntent une terminologie utilisée spécifiquement par les traités et qui ne
rentre dans aucune des deux catégories ci-dessus (recommandation, avis…).
Ce foisonnement terminologique se double d’une incertitude quant à la
portée juridique réelle de ces actes. En principe, ces actes ont vocation à exprimer
une position ou un engagement politique et ne sont pas susceptibles comme tels
de produire des effets de droit. Toutefois, la Cour de justice de l’Union
européenne dans son souci constant de ne pas s’en tenir à la forme ou à l’intitulé
de l’acte, mais de faire prévaloir son contenu, a admis que de tels instruments
pouvaient, le cas échéant, engendrer des effets juridiques dès lors que l’auteur de
l’acte en manifestait clairement l’intention219.

C. Au plan international

L’économie des sources dans l’ordre international diffère sensiblement de


l’ordre interne. Cette différence est fonction de l’équilibre et de l’organisation
politiques. L’ordre international repose sur les principes de souveraineté et
d’égalité des Etats, qui en sont les principaux sujets de droit. Il n’existe pas dans
l’ordre international d’autorité centrale dotée de pouvoirs comparables à ceux de
l’Etat dans l’ordre interne. Aussi, la source écrite la plus importante dans l’ordre
international est le traité ou la convention, qui enregistre l’accord de deux ou
plusieurs Etats. Cependant, les organisations internationales, créées par les
Etats, peuvent se voir reconnaître un pouvoir réglementaire spécifique.

1. Les traités ou conventions internationales

Un traité international* est « un accord international conclu par écrit


entre Etats et régi par le droit international »220.
Dans la pratique internationale, les traités reçoivent des dénominations
très variables : convention, pacte, charte, protocole, accord, etc. Ces différentes
qualifications n’influent pas sur la nature juridique de l’acte. Par contre, les
traités doivent être distingués de simples déclarations dépourvues d’effet

219 N. DE SADELEER et I. Hachez, « Hiérarchie et typologie des actes juridiques de l’Union


européenne », in N. DE SADELEER, H. DUMONT, P. JADOUL et S. VAN DROOGHENBROECK (dir.), Les
innovations du Traité de Lisbonne – Incidences pour le praticien, Bruxelles, Bruylant, 2011,
p. 46-132, spéc. 96-130.
220 Art. 2. 1. a. de la Convention de Vienne sur le droit des traités.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

juridique obligatoire. Tel est le cas, par exemple, de la Déclaration universelle


des droits de l’homme (1948).
Dans son principe, le traité ressemble à un contrat. Toutefois, en raison de
la qualité des parties et de l’importance de leurs responsabilités, les traités
internationaux obéissent à un régime spécifique, notamment sur le plan de leur
procédure d’élaboration. Le régime juridique des traités internationaux est lui-
même régi par une convention internationale particulière : la Convention de
Vienne sur le droit des traités (1969). On distingue en outre plusieurs catégories
de traités.

a) Catégories de traités

Quant à leur objet, on peut distinguer trois catégories de traités.


1°) Les traités-contrats, un peu à la manière des conventions de droit privé,
fixent des obligations et des prestations réciproques aux parties. Tel est le
cas, par exemple, d’un traité de paix, qui peut prévoir la cession ou
l’attribution d’un territoire contesté, ou d’un traité de commerce, qui
prévoit l’octroi d’avantages particuliers réservés aux ressortissants des
Etats parties.
2°) Les traités-lois ont pour objet d’établir des règles communes que les Etats
s’engagent, soit à respecter entre eux dans l’ordre international, soit à
intégrer dans leur ordre interne, par exemple sous la forme d’une loi
uniforme. La matière des droits de l’homme est ainsi couverte par
d’importants traités-lois : au niveau mondial, le Pacte de l’ONU sur les
droits civils et politiques (1966) et le Pacte de l’ONU sur les droits
économiques, sociaux et culturels (1966) ; au niveau européen, la
Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des
libertés fondamentales (1950).
3°) Il existe enfin des traités-institutions par lesquels les Etats parties créent
et adhèrent à une nouvelle organisation internationale. Tel est le cas de la
Charte des Nations Unies (1945) ou des traités instituant les
Communautés et l’Union Européenne. Les traités-institutions ont à l’égard
des organisations qu’ils instituent la valeur d’un acte constitutionnel. Ils
peuvent attribuer à ces organisations le pouvoir d’édicter elles-mêmes des
actes réglementaires.
Sur le plan formel, on distingue les traités bilatéraux*, conclus entre deux
Etats, et les traités multilatéraux*, qui en lient plusieurs. Les traités-lois et les
traités-institutions sont logiquement multilatéraux. Les traités-contrats peuvent
être soit bilatéraux, soit multilatéraux, en fonction de leur objet ou de la politique
suivie par l’Etat dans le domaine des relations internationales. Ainsi, en matière
de commerce, les traités bilatéraux constituent des accords particuliers, qui
favorisent des relations privilégiées, alors que les traités multilatéraux tendent à
constituer des zones d’échange pour le développement du commerce
international. La tendance de ce point de vue est sans aucun doute au

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

multilatéralisme. Les traités multilatéraux d’abaissement des barrières


douanières et autres obstacles aux échanges221 ont débouché sur la création d’une
institution spécifique chargé de libéraliser le commerce international :
l’Organisation Mondiale du Commerce (Traité de Marrakech, 1991).

b) Procédure d’élaboration des traités

1°) Dans l’ordre international


La conclusion d’un traité s’effectue en principe en deux temps : la
signature et la ratification.
Lorsque les négociations aboutissent, les représentants plénipotentiaires
des Etats procèdent à la signature du traité. La signature détermine la date du
traité.
En principe, la signature ne lie pas encore les Etats signataires222. Ceux-ci
ne s’engagent véritablement que par la ratification du traité. Un intervalle plus
ou moins long, parfois de plusieurs années, peut séparer la signature de la
ratification. Certains traités ne sont jamais ratifiés par leurs signataires.
Toutefois, les traités conclus en forme simplifiée, qui sont de plus en plus
nombreux, suppriment l’exigence de ratification et engagent par leur seule
signature.
Lorsqu’un Etat adhère à un traité, il peut assortir son accord de réserves
par lesquelles il limite son engagement, par exemple en s’exonérant de telle ou
telle clause du traité. Il faut être particulièrement attentif à ces réserves qui sont
de pratique courante dans l’ordre international. Il ne suffit donc pas de constater
qu’un Etat est partie à un traité pour en déduire qu’il est automatiquement lié
par l’ensemble de ses clauses. Encore faudra-t-il vérifier qu’il n’a pas formulé
telle ou telle réserve sur le point en discussion.
Enfin, il faut encore distinguer la signature et la ratification des traités de
leur entrée en vigueur effective. Les conditions d’entrée en vigueur sont fixées
par les traités eux-mêmes. En ce qui concerne les traités multilatéraux,
spécialement les traités-lois et les traités-institutions, l’entrée en vigueur est
généralement subordonnée à l’enregistrement d’un nombre significatif de
signatures ou de ratifications.

2°) Dans l’ordre interne


La procédure de conclusion en deux temps a pour but de permettre, dans
l’intervalle entre la signature et la ratification, l’acceptation du traité dans l’ordre
interne. Le pouvoir de négocier et de conclure des traités constitue généralement
une prérogative de l’exécutif. En Belgique, au niveau fédéral, il appartient au Roi
de conclure les traités (art. 167, § 2 de la Constitution). Les traités sont soumis à

221 Négociés généralement dans le cadre du G.A.T.T. (General Agreement on Tariffs and Trade).
222 Si ce n’est qu’il engage les Etats signataires à ne pas adopter de comportement contraire à

l’objet et au but du traité (art. 18 de la Convention de Vienne sur le droit des traités).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

la Chambre des Représentants qui donne son accord sous la forme d’une loi
d’assentiment. Il s’agit d’une loi formelle*, qui ne peut modifier ou amender les
clauses du traité. Il n’est en effet plus concevable à ce stade de revenir sur les
clauses du traité lui-même. L’assentiment de la Chambre permet à l’exécutif de
procéder à la ratification* du traité au niveau international.
Pour être obligatoires dans l’ordre interne, les traités doivent encore être
publiés. Ils sont publiés au Moniteur belge, en annexe de la loi d’assentiment. La
Cour de cassation a décidé qu’un traité non publié, ou publié seulement par
mention, ne liait pas les sujets de droit belge223.
Les régions et les communautés ont également le pouvoir de conclure des
traités dans leur domaine de compétence propre (art. 167, § 3 de la Constitution).
Les traités sont conclus par le gouvernement régional ou communautaire, et
soumis à l’assentiment de l’assemblée.
Le Roi dirige cependant les relations internationales (art. 167, § 1er de la
Constitution) et conserve la haute main en cas de difficulté. Il dispose ainsi du
pouvoir de se substituer temporairement aux autorités fédérées pour garantir le
respect des engagements supranationaux ou internationaux du pays (art. 169 de
la Constitution). Cette disposition se justifie par l’unité de la personnalité
juridique de l’Etat belge sur le plan international, qui doit éviter que la
multiplicité des autorités habilitées à conclure des traités ne l’amène à contracter
des engagements contradictoires.

2. Les actes des organisations internationales

Les traités instituant des organisations internationales peuvent conférer à


celles-ci ou à certains de leurs organes le pouvoir d’édicter des actes de portée
réglementaire. Ces actes sont susceptibles d’engager les Etats membres, mais
aussi les particuliers. Les actes législatifs des institutions européennes en
fournissent d’excellents exemples.
Comme dans l’ordre interne, il faut distinguer les véritables actes législatifs
ou réglementaires des décisions ou injonctions à caractère individuel. En
pratique toutefois, cette distinction n’est pas toujours aisée. Ainsi, les résolutions
du Conseil de sécurité de l’ONU dans le cadre de sa mission de maintien de la
paix (chapitre VII de la Charte des Nations Unies) constituent des mesures ou
actions à caractère ponctuel. Tel est le cas, notamment, d’une résolution
condamnant l’agression commise par un Etat contre un autre, imposant l’arrêt
des hostilités ou contraignant un Etat à subir une mesure d’inspection. On note
cependant depuis quelques temps une tendance au Conseil de sécurité à édicter,
à l’occasion de l’exercice de sa mission, des normes à caractère réglementaire qui
prétendent régir les comportements des Etats dans l’ordre international.

223 Cass., 11 décembre 1953 (Pas., 1954, I, p. 298) et Cass., 19 mars 1981 (J.T., 1982, p. 565, note

Verhoeven).

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

D. La structure formelle des actes législatifs et réglementaires

Les textes législatifs et réglementaires obéissent à des modèles de


présentation et de structure relativement précis et constants qui se retrouvent à
peu près dans tous les ordres juridiques. Ces techniques de rédaction et de
présentation relèvent de la légistique. En Belgique, elles ont été codifiées dans le
Traité de légistique formelle, publié sous la forme d’une circulaire du Premier
ministre au Moniteur belge224. Leur bon usage est surveillé par la section de
législation du Conseil d’Etat dans ses avis consultatifs.
Tous les textes législatifs et réglementaires au sens large se composent
généralement de deux parties : le protocole et le dispositif.

1. Le protocole

Le protocole comprend l’ensemble des formules, mentions, références qui


permettent d’identifier le texte et la base juridique sur laquelle il s’appuie, soit :
1. La nature de l’acte, qui est précisée dans son intitulé (loi, décret, arrêté
royal, directive, etc.). Cette indication est évidemment essentielle pour
déterminer l’auteur du texte, son origine et son rang dans la hiérarchie des
normes*.
2. La date du texte, qui est celle de l’adoption de l’acte (et non de sa
publication). Elle est un facteur important d’identification du texte
spécialement par le moyen des tables ou des critères de recherche
chronologiques. Elle ne doit pas être confondue avec la date d’entrée en
vigueur, qui importe seule pour l’application de la loi dans le temps*.
3. L’intitulé du texte proprement dit, qui donne son nom au texte, indique
généralement la matière réglementée, de manière plus ou moins précise.
Toutefois, certains textes, aux intitulés très vagues, comme les « lois-
programmes », comportent des dispositions éparses sur des sujets variés
compilés dans un texte unique par le hasard du calendrier.
4. Le préambule. Dans l’ordre interne, les arrêtés et règlements comportent
un préambule, mais non les normes législatives (loi, décret, ordonnance).
Les conventions internationales, de même que les actes réglementaires de
l’Union européenne (règlements et directives) sont très généralement
assorties d’un préambule qui peut atteindre des proportions importantes
(plusieurs dizaines de pages). Le préambule, lorsqu’il existe, comporte
plusieurs indications utiles :
a. La base juridique sur laquelle se fonde l’acte et qui conditionne le cas
échéant sa validité. Ainsi, l’arrêté royal indiquera la loi en exécution de
laquelle il est pris. La directive européenne mentionnera les

224 M.B., 2 juin 1982. Voy. également la circulaire de « Légistique formelle – Recommandations et

formules », datée de novembre 2001, et disponible sur le site du Conseil d’Etat.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

dispositions du traité qui fonde la compétence de ses auteurs en la


matière. Ces indications sont généralement données sous forme de
visas, c’est-à-dire qu’ils sont formellement introduits par le terme
« vu ».
b. La mention de certains actes de procédure préalables, qui conditionnent
le cas échéant la validité de l’acte. Ainsi, l’arrêté royal mentionnera
l’avis de la section du Conseil d’Etat ; la directive renverra aux
différents actes et consultations des différents organes impliqués
(proposition de la Commission, décision du Conseil, décision du
Parlement, etc.). Ces indications sont également données sous la forme
de visas.
c. Enfin, le préambule contient également l’exposé des raisons qui ont
motivé l’acte, des principes de la législation et parfois même
l’explication des différentes dispositions. On appelle ces dispositions
« les considérants » car ces paragraphes d’explication sont parfois
introduits par ce terme. Les considérants des traités et des actes
européens peuvent être très développés. En droit interne, lorsqu’un
arrêté royal implique des considérations trop étendues, celles-ci sont
intégrées dans un document distinct, le rapport au Roi.
5. Les formules sacramentelles notamment de sanction et de promulgation
qui encadrent le texte font également partie du protocole.

2. Le dispositif

Le dispositif est la partie du texte qui énonce les règles, les dispositions
obligatoires proprement dites. Les textes législatifs contiennent le plus souvent
non pas une mais plusieurs règles, rédigées en un ensemble de dispositions
structurées.
L’unité de base du dispositif est l’article. Les articles sont numérotés. Ils
peuvent être subdivisés en paragraphes et en alinéas. Chaque article constitue
une unité de sens. Il doit cependant être lu et compris en référence à l’ensemble
des dispositions de l’acte, en donnant à chacune des dispositions le sens qui
résulte de l’acte entier (infra, ch. 9).
Le texte dans son ensemble est structuré, à la manière d’un livre, en
différentes parties, chapitres, sections qui sont pourvus de titres. Cette
structuration tend à donner à l’acte dans son ensemble un caractère cohérent et à
favoriser sa lisibilité.
Le début et la fin du dispositif comportent généralement des dispositions
d’une importance particulière. Au début, on trouvera souvent des indications
précisant le champ d’application du texte, ainsi que la définition de certains
termes utilisés dans l’acte. Il peut s’agir de termes du langage courant ou même
du langage juridique qui reçoivent une acception spécifique dans le texte en
question. De telles définitions sont évidemment très importantes pour
l’interprétation de l’ensemble des dispositions. A la fin du texte, sont placées des
indications relatives à l’entrée en vigueur de l’acte, d’éventuelles dispositions

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

transitoires*, ainsi que des dispositions qui abrogent, modifient ou remplacent


des dispositions antérieures.
Le texte peut encore comporter un certain nombre d’annexes. Les annexes
sont tantôt des textes autonomes, tantôt des tableaux, listes, dessins, explications
techniques qui complètent la compréhension du texte, mais ont été extraits du
corps de celui-ci pour ne pas l’alourdir outre mesure.
Le texte doit en principe être consulté dans la langue où il fait foi. Cette
version fait autorité en cas de contestation. Certains textes font foi
simultanément dans plusieurs langues. Ainsi, les règlements et directives de
l’Union européenne font foi dans toutes les langues des pays de l’Union, qui
constituent autant de langues officielles. En Belgique, les actes des autorités
fédérales et de la Région Bruxelles-Capitale sont également bilingues225. Suivant
l’article 7 de la loi du 31 mai 1961 relative à l’emploi des langues en matière
législative, les divergences pouvant exister entre les textes français et
néerlandais sont résolues d’après la volonté de l’auteur du texte, déterminée
selon les règles ordinaires d’interprétation (infra, ch. 9).
Enfin, les recueils privés et les versions consolidées des textes législatifs et
réglementaires suppriment certains éléments du protocole et du dispositif. Il en
est ainsi non seulement des formules sacramentelles, mais aussi généralement
du préambule et des dispositions finales abrogatoires ou modificatives. Pour
retrouver ces éléments, il faudra se reporter à la publication officielle.

II. La jurisprudence

A. Définition

De manière générale, la jurisprudence* désigne l’ensemble des décisions de


justice et les enseignements qu’on en tire sur l’état du droit. Autrement dit, la
jurisprudence exprime le droit tel qu’il est appliqué par les juges.
De manière spécifique, le terme jurisprudence sert aussi à désigner les
décisions judiciaires propres à un Etat déterminé (la jurisprudence belge, par
exemple), à une juridiction déterminée (la jurisprudence de la Cour de cassation,
la jurisprudence du tribunal du travail de Bruxelles, la jurisprudence de la Cour
européenne des droits de l’homme, etc.), à une branche du droit, à une matière ou
à une question juridique précise (la jurisprudence administrative, la
jurisprudence en matière de pension alimentaire, etc.).

225Certains actes de la Région wallonne sont également publiés à la fois en Français et en


Allemand.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

B. Les décisions de justice

1. Notion

D’un point de vue formel, la jurisprudence trouve son siège dans les
décisions de justice. La décision de justice* est un acte posé par une juridiction
qui énonce une décision à propos d’une contestation ou d’une action* qui est
portée devant elle.
Sur le plan terminologique, on distingue les jugements* qui sont l’œuvre
des tribunaux et les arrêts* qui sont rendus par les cours. Au sens large, le terme
« jugement » désigne de manière générique n’importe quelle décision de justice.
Le jugement est un acte obligatoire qui est revêtu de l’autorité de la chose
jugée*. L’effet obligatoire de la décision et son autorité sont cependant limités à
l’affaire en cause. Le jugement énonce donc une décision obligatoire, concrète et
particulière. Les jugements n’ont pas et ne peuvent avoir la forme ou la portée
d’un règlement (art. 6 du Code judiciaire).
Les jugements sont prononcés en audience publique (art. 149 de la
Constitution). Ils sont rédigés par écrit et consignés au greffe* de la juridiction.
Ils sont signifiés* ou notifiés* aux parties (infra, ch. 8). En outre, nombre de
décisions font l’objet d’une publication plus large à l’intention des juristes à des
fins scientifiques, c’est-à-dire de connaissance du droit. Les arrêts rendus par les
juridictions suprêmes sont généralement publiés dans des recueils ad hoc. Les
décisions récentes peuvent également être consultées sur le site Internet de la
juridiction concernée. D’autres décisions, rendues par des juridictions inférieures,
sont publiées en raison de leur intérêt ou de leur importance dans des revues
juridiques spécialisées, où elles peuvent faire l’objet d’observations ou d’un
examen critique par la doctrine*. Toutefois, toutes les décisions de justice ne sont
pas publiées, loin s’en faut.

2. Structure formelle

Il n’y a pas de structure canonique et universelle des jugements et arrêts.


La longueur, la formulation et le style des décisions varient selon les cultures
spécifiques non seulement à certains ordres juridiques, mais également à
certaines juridictions. La nature particulière de la mission confiée à chaque
juridiction suprême l’a conduit souvent à adopter un plan, voire un style qui lui
est propre. Depuis quelques années, une tendance s’affirme à la simplification du
style judiciaire dans un souci d’une meilleure compréhension des décisions de
justice par les justiciables, qui peut conduire à des modifications importantes
dans la présentation des décisions226.

226Voy. notamment Dire le droit et être compris, Vade mecum pour la rédaction des jugements,
édité par l’Association syndicale des magistrats (brochure), qui suggère des changements très
importants dans le style et l’ordre habituels des rubriques des jugements et arrêts.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Les indications fournies ici sur la forme générale des décisions ne doivent
dès lors être considérées que comme des points de repère généralement utiles
pour la lecture des jugements et arrêts. On présentera les jugements et arrêts
dans la forme sous laquelle ils sont publiés dans les publications officielles et
revues scientifiques. Cette forme diffère sur plusieurs points de l’acte tel qu’il est
rédigé par le magistrat et porté à la connaissance des parties.
Les décisions publiées comportent trois parties : le sommaire au sens large,
les motifs (ou la motivation) et le dispositif.

a) Le sommaire (au sens large)

Le sommaire mentionne les éléments d’identification de la décision et des


acteurs qui y sont impliqués. De plus, il fournit des indications sur le contenu et
la portée de la décision.

1°) Identification de la décision et des acteurs


La décision de justice est identifiée par les mentions suivantes :
- la juridiction* dont elle procède, caractérisée à la fois par le type de
juridiction et par sa localisation (arrondissement, division) s’il y a lieu (par
exemple : juge de paix d’Andenne, tribunal de commerce de Bruxelles, cour
du travail d’Anvers)
- le cas échéant, la chambre, c’est-à-dire la section de la cour ou du tribunal
qui a effectivement entendu l’affaire et prononcé la décision ;
- la date de la décision, qui est celle du prononcé en audience publique ;
- l’identité du ou des magistrats* qui composaient le siège* ;
- le cas échéant, l’identité du ou des magistrats siégeant pour le compte du
ministère public* ;
- l’identité des plaideurs, c’est-à-dire des avocats*, conseils des parties à la
cause ;
- l’identité des parties* en cause. Cette mention peut être omise pour des
raisons de discrétion.

2°) La notice
La notice est formée par une série de mots clés (généralement en gras) qui
indiquent par le moyen de rubriques et de sous-rubriques la ou les questions de
droit tranchées par la décision et qui situent ainsi celle-ci par rapport aux
matières et aux branches du droit* dans l’ordre juridique. La notice va ainsi
permettre le classement systématique de la décision par matière ou par verbo
notamment dans les répertoires de jurisprudence et les bases de données.

3°) Le résumé de la décision


Le sommaire proprement dit, généralement rédigé en italique, est un texte
qui résume le contenu de la décision. Comme la notice, ce résumé, d’origine

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

doctrinale, ne fait pas autorité. Il ne dispense pas le lecteur de se reporter et de


se référer au texte de la décision elle-même.
Par le moyen de ces indications (en particulier : le nom de la juridiction, la
date de la décision, le nom des parties et les mots clés de la notice), il est possible
de classer et donc de retrouver la décision dans les tables, répertoires de
jurisprudence et les bases de données.

b) Les motifs

En vertu de l’article 149 de la Constitution, tout jugement doit être motivé.


Le défaut de motivation constitue le cas échéant un motif de cassation de la
décision. Le juge est tenu de répondre à l’ensemble des moyens* développés par
les parties durant l’instance, spécialement dans leurs conclusions* (infra, ch. 8).
Au-delà même de cette obligation de répondre, la motivation contient l’exposé
articulé des éléments pertinents de l’affaire par les magistrats chargés de la
trancher. Elle rend compte du raisonnement des juges qui justifient ainsi le bien-
fondé de la décision qu’ils ont prise.
La motivation comporte généralement les éléments suivants :
1. La récapitulation des actes de procédure. - Le magistrat dresse la liste,
généralement sous forme de visas, des « rétroactes » c’est-à-dire des étapes
antérieures de la procédure et des pièces versées au dossier auxquelles le
juge a égard pour prendre sa décision. Il s’agit par exemple d’un rapport
d’expert, de la décision rendue en première instance dans la même affaire,
des conclusions et plaidoiries des parties, etc.
2. L’objet de la ou des demandes*.
3. Les faits de la cause.
4. La discussion en droit. - Dans cette partie des motifs, le juge examine les
mérites de l’action* et rencontre les moyens* des parties. La discussion
distingue généralement entre la recevabilité de l’action et son bien-fondé
(« le fond »). Il est habituel que, dans le cours de cette discussion, le juge se
réfère aux sources du droit, non seulement aux textes législatifs au sens
large dont il fait application en l’espèce, mais aussi à la jurisprudence et à
la doctrine. La motivation en droit a pour objet de montrer que la décision
prise n’est pas arbitraire, mais qu’elle réalise une application exacte et
juste des règles de droit.

c) Le dispositif

Généralement placé à la fin de la décision et introduit par l’expression


« Par ces motifs, … », le dispositif énonce la décision du juge proprement dite. Le
dispositif indique le sort réservé à l’action* : si la ou les demandes sont ou non
recevables et fondées, en tout ou en partie. Le dispositif est généralement
beaucoup plus bref que les motifs. Il peut néanmoins comporter plusieurs
branches et des décisions de plusieurs ordres. Le juge « dit pour droit » lorsqu’il
détermine la situation juridique et les droits correspondants des parties. Il peut

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

également « ordonner » ou « enjoindre » aux parties tel comportement, acte ou


abstention, le cas échéant sous peine d’astreinte*. Enfin, le dispositif peut
comporter des condamnations et autres sanctions*.
En tant qu’il énonce la décision du juge, qui est obligatoire pour les parties,
le dispositif est revêtu de l’autorité de la chose jugée*. Cette autorité s’étend
également aux motifs qui sont le soutien nécessaire du dispositif ou qui en sont
inséparables.

3. Fonction

Le jugement remplit une fonction indispensable. Il constitue


l’intermédiaire obligé entre la norme abstraite édictée dans la loi ou le règlement
et son application concrète à des situations singulières, en cas de litige ou de
contestation. Il faut bien mesurer toute la distance qui sépare, d’une part, les
formules verbales consignées dans les textes légaux ou réglementaires et, d’autre
part, l’infinie diversité et la complexité des situations où ces textes peuvent
trouver à s’appliquer dans les péripéties de la vie sociale. Le juriste, en général,
et le juge, en particulier, travaillent à combler cette distance. Il s’agit de
comprendre le texte, d’en définir concrètement la portée, d’en isoler les éléments
pertinents, d’en fixer précisément les conditions et les modalités d’application, de
le compléter le cas échéant, en vue d’ajuster la règle à la contestation à trancher.
Dans cet office, le juge a nécessairement un rôle déterminant, auquel la loi le
contraint d’ailleurs. En vertu de l’article 5 du Code judiciaire, « il y a déni de
justice* lorsque le juge refuse de juger sous quelque prétexte que ce soit, même
du silence, de l’obscurité ou de l’insuffisance de la loi ». Le juge doit donc suppléer
tout ce que la règle écrite ne contient pas pour assurer son application au cas qui
lui est soumis.
Prenons le cas du vol, défini par l’article 461, alinéa 1er du Code pénal en
ses termes : « Quiconque a soustrait frauduleusement une chose qui ne lui
appartient pas, est coupable de vol ». En règle générale, le Code pénal punit le vol
d’un emprisonnement d’un mois à cinq ans et d’une amende227. Le juge saisi
d’une affaire de vol doit décider si le prévenu a ou non commis le vol et, dans
l’affirmative, lui appliquer la peine prévue par la loi. Mais la question n’est pas
toujours aussi simple en pratique. Il peut arriver que le fait soit avéré, mais
qu’une contestation surgisse sur le point de savoir s’il s’agit ou non d’un vol. Cette
question, qui porte sur la qualification* du fait oblige le juge à approfondir la
définition légale du vol et sa décision contribuera à enrichir cette définition.
Ainsi, avec l’évolution des infrastructures urbaines, la question se posa de
savoir si une prise d’eau en provenance d’une canalisation pouvait constituer un
vol228. Les prévenus le contestaient en arguant que l’eau est une chose commune,

227 Art. 463, alinéa 1er du Code pénal. D’autres peines plus lourdes ou plus légères sont cependant

prévues par le Code pour différentes catégories spécifiques de vols.


228 Sur l’ensemble du débat et l’évolution de la jurisprudence, voir B. FRYDMAN, « Les formes de
l’analogie », Revue de la recherche juridique. Droit prospectif, 1995-4, pp. 1053- 1064, spéc. pp.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

à la libre disposition de chacun. La jurisprudence les condamna néanmoins au


motif qu'en emmagasinant l'eau et en la transportant dans ses tuyaux, la
compagnie des eaux s'en était rendu légitimement propriétaire229. Dans la foulée,
les juges furent bientôt amenés à se prononcer sur des branchements illicites
détournant de l'électricité. Un débat passionné s'engagea en doctrine sur la
nature physique de l'électricité (question controversée à l'époque chez les
scientifiques) afin de déterminer si celle-ci pouvait ou non être assimilée à une
« chose » et donc faire l'objet d'un vol230. Les Cours de cassation française et belge
tranchèrent affirmativement cette nouvelle question231, contrairement au
Reichsgericht allemand qui avait refusé la qualification de chose à l'électricité232.
La Cour de cassation belge décida que l'électricité constitue « une marchandise »
au motif que « le courant produit par les machines de la partie civile et amené
dans la canalisation du prévenu n'était pas une chose immatérielle et qu'elle
représentait une chose commerciale susceptible d'appropriation (...) »233.
Dans le prolongement de ces décisions, la Cour de cassation belge a été
saisie plus récemment de la question du branchement illicite sur le réseau des
câblodistributeurs, qui distribuent la télévision. Ici encore, la Cour a admis la
qualification de vol en qualifiant l’opération de soustraction « d'énergie
électronique sous forme de signaux radioélectriques de haute fréquence
fournissant des images et du son »234. Par contre, dans une affaire de faux
décodeur Canal +, la Cour d'appel de Paris a refusé d’assimiler l’usage d’un tel
appareil à un vol au motif que « l'onde hertzienne, fût-elle porteuse d'un 'signal'
codé ou non, est projetée dans l'espace où elle se perd (...) et échappe ainsi à la
maîtrise de son émetteur à partir de l'antenne d'émission »235.
Au fil des affaires, et de l’évolution technologique, la jurisprudence est
ainsi amenée à préciser, en l’occurrence à étendre, la définition légale du vol,
dans une matière pourtant soumise au principe de légalité (infra, ch. 5). Chaque
affaire fournit ainsi l’occasion d’ajouter un élément à la notion, dont se serviront
ultérieurement les juges pour trancher les nouveaux cas délicats et l’ensemble de

1059 et s., ainsi que l’étude remarquable de J. SPREUTELS, « Le vol de données informatiques »,
Revue de droit pénal et de criminologie, 1991, pp. 1027-1064.
229 Cass. fr. 10 décembre 1887, D.P., 1888,1, p. 93 ; G. HUYBRECHTS, « Les vols d'eau, de gaz et
d'électricité », Revue de droit pénal et de criminologie, 1935, pp. 235-249, spéc. pp. 235-236 et les
autres références citées.
230Voy. pro E. PILON, « Le problème juridique de l'électricité », Revue trimestrielle de droit civil,
1904, pp. 5-30 et contra J.A. ROUX, note sous Toulouse, 7 juin et 3 juillet 1901, Sirey, 1902, II, pp.
185-186.
231 Cass. fr., 3 août 1912, D., 1913,1, p. 439 et Cass., 20 juin 1934, Pas., 1934, I, pp. 332-334.
232MERLE et VITU, Traité de droit criminel, Paris, Cujas, 1982, vol. II, p. 1803 et notes. - Adde :
PILON, o. c., p. 241.
233 Cass., 20 juin 1934, Pas., 1934, I, pp. 332-334.
234 Cass., 23 septembre 1981, Pas., 1982, I, p. 120 confirmant Bruxelles, 25 mars 1981, Revue de
droit pénal, 1982, p. 287.
235 Paris, 24 juin 1987, Gaz. Pal.,, 3 septembre 1987 et obs.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

cet enseignement viendra s’ajouter à la lettre du Code pour en compléter la


signification.

C. La dynamique jurisprudentielle

1. Les facteurs d’intégration

Si la force obligatoire d’un jugement est limitée à une affaire particulière, il


existe en revanche une tendance très forte, presque irrépressible à trancher les
cas nouveaux en référence et sur la base des enseignements puisés dans les
décisions antérieures. Ce phénomène s’explique par la conjonction de plusieurs
facteurs très puissants.
1. La règle de justice* et le principe de l’égalité devant la loi* qui prescrivent
le traitement égal des cas semblables.
2. Le souci de la sécurité juridique*, qui commande que les justiciables
puissent raisonnablement anticiper les décisions des cours et tribunaux et
donc que celles-ci présentent toute la constance et la régularité possibles.
3. La structure hiérarchisée des juridictions. - Les juges sont fortement
incités à se conformer à la jurisprudence des juridictions qui leur sont
supérieures. En cas de recours, ces juridictions supérieures seront appelées
à contrôler l’application du droit par le juge inférieur et le cas échéant, à
réformer ou à mettre à néant leur décision. Le juge ainsi désavoué le
perçoit comme une sanction, ce qui le conduit normalement à anticiper le
contrôle en conformant par avance son propre jugement aux indications
qu’il puise dans la lecture des décisions des juridictions supérieures. De ce
point de vue, les juridictions suprêmes occupent une position dominante et
déterminante, puisque leurs décisions prévalent en dernier ressort. En
outre, ces juridictions sont normalement en charge de contrôler la bonne
application du droit par les autres. Ainsi, la Cour de cassation* est la
« gardienne de la loi » et de son interprétation. Elle assure en pratique
l’unité de la jurisprudence des cours et tribunaux.
4. Le souci de cohérence et de logique qui contraint le raisonnement des juges
et les conduit à envisager les questions nouvelles dans le prolongement des
réponses précédemment données.
5. L’économie et l’efficacité dans le travail judiciaire. - Il est somme toute
normal et de bonne pratique pour un juge ou une juridiction d’éviter des
efforts répétés en se reportant au travail accompli antérieurement de façon
satisfaisante pour trancher les questions de droit plutôt que de
recommencer à chaque occasion l’ensemble du raisonnement à nouveaux
frais.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

2. La valeur des précédents

En raison de la tendance à trancher les cas nouveaux par référence aux


décisions antérieures, spécialement en ce qui concerne les questions de droit*
qu’ils soulèvent, l’enseignement de certaines décisions tend, à cause de leur
qualité, c’est-à-dire de leur force de conviction, ou de la position hiérarchique de
leurs auteurs, à être repris, voire à se généraliser pour la solution des cas
semblables. Dans ce cas, on dit que la décision « fait jurisprudence ». Elle devient
« un précédent » sur lequel s’appuient les décisions suivantes, qui s’y réfèrent
habituellement.
Pour faire jurisprudence, une solution doit subir l’épreuve à la fois de la
discussion de sa pertinence et de son utilité pratique. Ses mérites sont appréciés
par les autres juges, qui l’adoptent ou l’écartent, et par la doctrine*, qui procède à
l’examen critique des décisions judiciaires. Il n’est pas rare non plus que le
législateur entérine une solution jurisprudentielle en l’intégrant dans une loi
nouvelle. A l’inverse il peut arriver qu’il la condamne par la même voie.
La force et la qualité d’un précédent ne sont donc pas décidées par l’auteur
de la décision, ni dans le jugement lui-même, mais toujours par ceux qui s’en
servent, les reprennent et les invoquent, spécialement dans les décisions
ultérieures.
La valeur d’un précédent évolue également au fil du temps. L’apparition de
cas nouveaux et de décisions nouvelles provoque l’évolution permanente de la
jurisprudence. Celle-ci se développe, affine ses enseignements et parfois même se
renverse. On parle de revirement de jurisprudence* lorsqu’une juridiction prend
une décision qui implique, sur un point de droit, une position incompatible ou
même simplement différente de sa jurisprudence antérieure, sans qu’une
modification de la loi (au sens large) ne soit intervenue dans l’intervalle236.

3. Le rôle de la Cour de cassation

Cependant, il arrive que plusieurs jurisprudences contraires ou différentes


coexistent au sein de l’ordre juridique et que des avis divergents s’affrontent en
doctrine. Dans ce cas, on dit que la jurisprudence est divisée, qu’il y a absence de
paix judiciaire ou plus largement de paix juridique. Il appartient alors à la Cour
de cassation, dans l’ordre judiciaire, ou au Conseil d’Etat, dans l’ordre
administratif, de rétablir cette paix et d’imposer par leur décision l’unité de la
jurisprudence.
Lorsque la Cour de cassation casse une décision qui fait, à son estime, une
application ou une interprétation erronée de la loi, elle ne substitue pas sa propre
décision à celle annulée, mais renvoie la cause à une autre juridiction de même
niveau237. Si la juridiction de renvoi ne s’incline pas devant la décision de la Cour

236 Sur cette question, I. RORIVE, Le revirement de jurisprudence. Etude de droit anglais et de

droit belge, Bruxelles, Bruylant, 2003.


237 Art. 1110 du Code judiciaire.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

(ce qu’elle n’est nullement contrainte de faire) et que la nouvelle décision fait à
son tour l’objet d’un pourvoi en cassation, la Cour de cassation examine le
nouveau recours toutes chambres réunies238. L’arrêt rendu, s’il aboutit à une
nouvelle cassation et par voie de suite à un nouveau renvoi, lie cette fois la
juridiction de renvoi mais uniquement sur le point de droit tranché par l’arrêt de
cassation239. Dans ce cas, le procureur général près la Cour transmet la décision
au ministre de la Justice qui, chaque année, en fait rapport aux chambres240.
Cette communication a pour but d’informer le législateur et de lui permettre le
cas échéant de régler lui-même le problème de droit. En toute hypothèse, la force
obligatoire de l’arrêt ainsi rendu se limite à l’affaire en cause et n’acquiert pas de
portée générale.
Dans tous les cas, même lorsqu’elle est bien établie, l’enseignement tiré de
la jurisprudence, y compris celle de la Cour de cassation, ne s’impose jamais au
juge de manière formellement obligatoire en ce qui concerne le cas nouveau à
trancher. Le juge pourra toujours s’écarter des précédents, quitte à subir
l’épreuve des voies de recours. La violation de la jurisprudence n’est pas en soi un
motif de cassation. La Cour de cassation déclare d’ailleurs régulièrement
irrecevable les pourvois pris de la violation de la jurisprudence, y compris de la
sienne. En pratique, le plaideur invoquera la violation de la loi ou du règlement
eux-mêmes lorsque l’application ou l’interprétation de ceux-ci par le juge
contredisent ou s’écartent de l’enseignement tiré de la jurisprudence.

4. Le rôle constructif

La jurisprudence s’ajoute à la loi et fait corps avec elle dans la mesure où


la loi ne pourra plus désormais être complètement comprise et mise en œuvre
qu’en tenant compte de l’application ou de l’interprétation qui lui a été donnée.
Dans certains cas, la jurisprudence ne se contente pas d’interpréter, de
préciser, de compléter telle ou telle disposition légale ou réglementaire
particulière. Il lui arrive parfois, notamment dans les situations de vide juridique
ou d’inadaptation de l’ordre juridique, de créer de toute pièce, ou en tout cas de
découvrir, une nouvelle règle, un nouveau principe ou même une nouvelle
institution juridique. Au nombre de telles créations prétoriennes, on rangera
notamment la théorie de l’abus de droit, la théorie de l’apparence, le régime de
responsabilité sans faute pour troubles excessifs de voisinage, le régime de la
responsabilité civile de l’Etat et des pouvoirs publics*, etc. Les juges participent
également, de manière centrale, à la découverte, la formulation et la consécration
des principes généraux du droit*, lesquels jouent un rôle fondamental dans
l’évolution, l’application et l’interprétation du droit positif contemporain (infra,
ch. 5).

238 Art. 1119 du Code judiciaire.


239 Art. 1120 du Code judiciaire.
240 Art. 1121 du Code judiciaire.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

Au total, la jurisprudence joue un rôle déterminant non seulement dans


l’application du droit, mais encore dans la compréhension et la connaissance de
celui-ci. A maints égards, la jurisprudence importe davantage encore aux juristes
que les lois et règlements eux-mêmes, dans la mesure où elle indique, de manière
concrète, comment ces lois et ces règlements, et plus largement le droit en
général, sont appliqués par les cours et les tribunaux.
Collant au plus près des situations concrètes, la jurisprudence est une
source du droit vivant, souple, dynamique, à l’écoute des besoins de la pratique.
Changeante et soumise en permanence à des réexamens successifs, elle est
parfois instable et difficile à saisir.
Longtemps maintenu dans une sujétion étroite à l’égard de la loi, le juge
s’est vu confier ou s’est arrogé un pouvoir d’appréciation et de décision de plus en
plus étendu au fur et à mesure qu’il devenait l’arbitre des conflits de toutes
natures qui émaillent la vie sociale. Cette montée en puissance du juge, que
l’inflation législative et réglementaire loin de contrecarrer renforce, entraîne des
conséquences paradoxales quant au statut de la jurisprudence. Si cette évolution
semble logiquement devoir accroître l’importance et l’impact de la jurisprudence,
l’émancipation de la règle et la conquête d’un pouvoir de décision de plus en plus
autonome, en brouillent quelque peu la portée. Lorsque le juge tranche une
contestation moins en référence à une règle que par l’exercice d’un pouvoir
discrétionnaire d’appréciation, l’apport de la décision qu’il prend à la
connaissance du droit et à la construction de l’ordre juridique dans son ensemble
apparaît en effet beaucoup moins considérable ou, à tout le moins, plus difficile à
dégager.

III. La doctrine

A. Notion

La doctrine* est la discussion de l’état du droit par la communauté


scientifique des juristes.
Le droit ne se résume pas à un ensemble d’institutions, d’actes et de
pratiques. Il constitue une science ou du moins une discipline qui fait état d’un
certain savoir. La doctrine est le véhicule de ce savoir. De même que dans les
sciences, une communauté de savants confronte leurs observations, leurs
expériences, leurs théories et leurs mérites respectifs, en vue de mieux connaître
et déterminer leur objet, pareillement les juristes communiquent et échangent,
par le truchement de publications spécialisées, des données et des opinions
relatives aux règles de droit et aux différentes controverses que suscite leur
application. La doctrine contribue ainsi à la formulation du droit, à son
enseignement et plus généralement à la diffusion des connaissances, ainsi qu’à
leur systématisation.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

B. Variétés

Les auteurs des ouvrages et articles de doctrine sont multiples et divers.


Parmi ceux-ci, on compte naturellement les professeurs d’université et leurs
assistants. Mais nombre de praticiens du droit font également œuvre de doctrine.
C’est le cas des avocats, mais aussi des notaires, voire même des juristes
d’entreprises. Il est également habituel de voir les magistrats contribuer à la
doctrine. On relèvera notamment à cet égard les mercuriales que les procureurs
généraux près la Cour de cassation prononcent traditionnellement lors de
l’audience solennelle de rentrée de la Cour. Ces mercuriales sont publiées241 et
considérées comme des contributions doctrinales importantes. Les étudiants en
droit peuvent également participer à la doctrine. Ainsi, les revues de droit des
grandes universités américaines (par exemple, la Harvard Law Review et le Yale
Law Journal) sont administrées par les étudiants les plus brillants de la faculté
de droit, qui assurent le travail de sélection et d’édition des articles. Il se peut
aussi qu’un travail de fin d’études soit jugé digne d’être transformé en article. En
bref, tout le monde peut être auteur de doctrine à condition que sa contribution
soit acceptée par le comité de lecture d’une revue juridique spécialisée.
On peut distinguer plusieurs sortes d’ouvrages doctrinaux, qui diffèrent
par leur objet et leur étendue, leur méthode et leurs destinataires.

1. Les encyclopédies, traités, manuels et monographies

Les encyclopédies et les dictionnaires juridiques définissent et expliquent


les notions juridiques, généralement par verbo, classés par ordre alphabétique.
On citera par exemple l’Encyclopédie Dalloz (France) et, en Belgique, le
Répertoire pratique de droit belge (R.P.D.B.). Certaines encyclopédies, comme les
Novelles, regroupent les matières par branche du droit. Elles s’apparentent
davantage à des collections de traités ou de précis.
Les traités sont des ouvrages qui exposent de manière systématique et
détaillée une branche du droit ou une matière déterminée. Ils peuvent atteindre
une ampleur considérable, de plusieurs volumes et comporter plusieurs milliers
de pages. On citera, par exemple, le Traité élémentaire de droit civil belge
d’Henri De Page.
De taille plus modeste, les manuels et les précis servent généralement à
l’enseignement du droit. Ils sont le plus souvent rédigés par les professeurs
d’université et destinés en ordre principal aux étudiants.
Le syllabus sert plus modestement de support à un cours. Il est destiné à
aider les étudiants dans leur étude de la matière. Sauf exception, sa valeur
scientifique est réduite et sa diffusion limitée.

241 Notamment au Journal des tribunaux et, depuis la fin des années 1990, sur le site de la Cour

de cassation.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

Certains manuels ou guides sont rédigés à l’intention des praticiens ou des


usagers du système juridique afin de leur exposer une matière et ses difficultés
de manière concrète et utilitaire. Ces œuvres de vulgarisation n’ont pas
véritablement de valeur scientifique.
Enfin, certaines contributions doctrinales ont un objet moins étendu et
plus précis. Elles procèdent à l’examen approfondi d’une institution ou d’une
question difficile. Lorsque de telles contributions prennent la forme d’un ouvrage,
on les appelle monographies. Celles-ci peuvent être le produit d’une thèse de
doctorat. Plus souvent, de telles études prennent la forme d’un article publié dans
une revue juridique spécialisée.

2. La doctrine de législation

Certaines contributions doctrinales se concentrent sur la législation au


sens large. Ainsi, la publication d’une loi nouvelle, de quelque importance, donne
presque toujours lieu à la publication d’un ou plusieurs commentaires critiques,
généralement sous la forme d’un article dans une revue spécialisée. Cette étude a
pour objet principal d’exposer et d’expliquer aux juristes la signification et la
portée des nouvelles règles ainsi que leurs conséquences sur l’état du droit. Un
tel commentaire peut être précieux en tant qu’il ajoute à l’explication du texte
proprement dit, les enseignements tirés des travaux préparatoires* et met en
rapport le droit nouveau avec le droit ancien. Souvent aussi, le commentaire
évalue les solutions proposées et pointe du doigt les difficultés d’application
potentielles.
Traditionnellement, on distingue à cet égard la doctrine de lege lata qui
commente le droit existant, et la doctrine de lege ferenda qui propose des
révisions ou des réformes. Cette dernière peut servir de base à des projets ou des
propositions de lois.
Le travail de la doctrine de législation peut aussi consister à compiler et à
ordonner de manière systématique les lois et règlements applicables à une
matière donnée. On appelle ces ouvrages des codes. A la différence des codes
établis par la loi ou le pouvoir exécutif, ces codes doctrinaux ou privés n’ont
aucun statut officiel ni de force obligatoire. Ils constituent néanmoins des outils
précieux pour l’étude et la pratique du droit. Ils peuvent contenir des
commentaires, d’importance et d’ampleur variables, qui renseignent le lecteur
notamment sur la manière dont les dispositions recensées sont appliquées par la
jurisprudence.

3. La doctrine de jurisprudence

Beaucoup de revues juridiques spécialisées sont consacrées exclusivement


ou en partie à la publication de décisions judiciaires. Le plus souvent, le texte de
la décision est précédé d’un sommaire*, qui est l’œuvre d’une doctrine anonyme.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

Les décisions publiées sont souvent suivies d’observations ou de


commentaires généralement signés, et dont l’ampleur varie de quelques lignes à
plusieurs pages. Ces travaux sont appelés des notes d’arrêt. La note d’arrêt a
pour objet de souligner l’apport de la décision commentée relativement à la
jurisprudence antérieure et aux autres sources du droit, ainsi que d’en discuter
les mérites.
Les examens de jurisprudence procèdent à une étude systématique de
l’apport de l’ensemble des décisions publiées dans une matière donnée pendant
une période déterminée. On les appelle également chroniques de jurisprudence,
ce qui indique leur caractère périodique.
Enfin, les répertoires de jurisprudence opèrent la recension, par matière ou
par mots-clés, d’un ensemble de décisions publiées. Aujourd’hui, ils sont
généralement disponibles en version informatique. Les répertoires indiquent la
juridiction qui a rendu la décision et sa date, le résumé de celle-ci, ainsi que les
références de la revue qui en a publié le texte. Les répertoires informatiques
actuels peuvent permettre la consultation directe du texte intégral de la décision.

C. Fonction et influence

Les écrits doctrinaux sont des œuvres privées. Ils n’ont en principe aucune
portée institutionnelle, ni valeur officielle. Ils sont dépourvus de tout caractère
obligatoire. Cependant, la doctrine remplit une fonction indispensable dans
l’ordre juridique. Elle contribue à la systématisation du droit en intégrant les
sources multiples et éparses (les lois et règlements, les décisions de
jurisprudence, les contributions doctrinales elles-mêmes) en un discours qui tend
à la cohérence. L’évolution constante du droit, l’inflation légale et réglementaire,
le dynamisme de la jurisprudence et la multiplicité des travaux doctrinaux eux-
mêmes, d’importance et de qualité variables, appellent sans cesse des mises à
jour et de nouvelles synthèses qui font de l’entreprise doctrinale une tâche
infinie. La doctrine est ainsi appelée à reformuler et à reconstruire en
permanence l’ordre juridique.
Dépourvue de force obligatoire, la doctrine exerce pourtant une influence
considérable. C’est elle qui, en charge de la formation des futurs juristes, leur
expose une image du droit, de ses catégories, de ses méthodes qui imprimera
l’esprit de toute une génération. La doctrine est le véritable architecte de l’ordre
juridique. Au départ des matériaux fournis par l’ensemble des sources, elle
dessine le plan de l’ordre juridique dans son ensemble et ses principales
articulations.
Au-delà de l’enseignement, la doctrine est également le principal vecteur
de diffusion des connaissances juridiques. Par elle, les juristes prennent pour
l’essentiel connaissance des évolutions du droit, en ce compris des
réglementations et de la jurisprudence. La doctrine contribue d’ailleurs à forger
la jurisprudence, en sélectionnant les décisions à publier et en soumettant celles-
ci à l’épreuve de la critique.

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

De manière générale, l’influence de la doctrine dépend notamment du


consensus qui s’en dégage. Une doctrine unanime a généralement et logiquement
plus d’influence que lorsque la doctrine est divisée. Même dans ce dernier cas, on
tente de dégager des tendances. Il est ainsi fréquemment fait référence dans la
littérature à une doctrine ou un courant majoritaire et corrélativement à la
doctrine ou au courant minoritaire. L’expression « la meilleure doctrine » a une
autre signification. Elle désigne des travaux qui en raison de leur qualité
intrinsèque ou de la réputation de leurs auteurs, sont considérés comme des avis
particulièrement convaincants ou dignes de foi. Ces auteurs ou ces travaux font
autorité, non au sens politique des actes institutionnels, mais en raison du savoir
particulier qu’on s’accorde à leur reconnaître. Cette appréciation, quoique
comportant nécessairement une part de subjectivité, doit attirer l’attention sur le
fait que toutes les publications doctrinales n’ont pas le même poids ni la même
valeur.
Les auteurs de doctrine exercent également une influence non négligeable
et parfois déterminante sur l’élaboration de la législation et de la réglementation.
Ils sont souvent entendus en tant qu’experts au sein des commissions
parlementaires. Certains professeurs sont proposés pour siéger au Conseil d’Etat,
à la Cour constitutionnelle ou au Conseil supérieur de la Justice.
Enfin, si la doctrine opère collectivement comme une discussion
scientifique, cela ne signifie pas que les contributions soient neutres, pas plus que
les lois et règlements ou les décisions des juges. Certains travaux procèdent plus
nettement d’un engagement non seulement politique, mais économique, social ou
financier, sans qu’un tel engagement soit généralement énoncé de manière
explicite. Telle revue de droit bancaire suscitera ou privilégiera des contributions
conformes à l’intérêt des banques ; telle doctrine proche des milieux syndicaux, se
montrera plus sensible, en droit du travail, à l’intérêt des travailleurs ou des
employeurs selon le cas. Parfois, la doctrine peut ainsi contribuer à une véritable
entreprise de lobbying, destinée à influencer le législateur, les juges,
l’administration ou les praticiens du droit en général. L’engagement n’invalide
pas a priori ces travaux, mais il peut en limiter la force convaincante. Le lecteur
doit, dans tous les cas, être attentif à cette donnée. Certains usages
déontologiques ont pour objet d’éviter le développement d’une doctrine trop
partisane ou passionnée. C’est ainsi qu’il ne convient pas qu’un auteur commente
une décision de justice lorsqu’il a été lui-même impliqué dans l’affaire, par
exemple, comme avocat ou comme magistrat. La sérénité du débat scientifique ne
gagne rien à ce que soit re-plaidé en doctrine ce qui a été décidé au prétoire. De
tels usages cependant ne sont pas toujours respectés en pratique.

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

IV. La coutume

A. Notion

La coutume* est la pratique généralisée et répétée, au sein d’une


communauté, de comportements reconnus obligatoires.
La coutume se distingue de l’usage* qui désigne un comportement habituel
mais non obligatoire et dont le non-respect n’est donc pas sanctionné par le droit.
L’emploi de formules de politesse ou le fait de se découvrir dans certaines
circonstances en sont des exemples. L’usage est cependant la voie qui peut
conduire à la formation d’une coutume. D’un point de vue terminologique, il faut
se montrer prudent car il arrive que les sources qualifient « usage » une règle de
droit obligatoire, qui est donc en réalité une coutume.
La coutume se distingue fondamentalement des sources précédentes en
tant qu’elle n’est pas formulée par écrit. A l’état pur, la coutume n’est d’ailleurs
pas formulée du tout. Elle s’exprime totalement dans une pratique. Si la coutume
est une émanation de la pratique, elle n’est pas, contrairement au contrat, à la
libre disposition des usagers. Elle exprime souvent la contrainte d’un mode de vie
traditionnel au sein d’une communauté homogène. Aussi la coutume constitue-t-
elle souvent la source principale du droit de sociétés dites « froides » c’est-à-dire
de sociétés à évolution historique lente, généralement sans écriture. La coutume
a joué un rôle dominant dans nos régions depuis la chute de l’empire romain
jusqu’au XIIIe siècle. Elle a conservé une place importante jusqu’à la fin de
l’Ancien Régime. Son caractère non formulé rend la coutume difficile à saisir,
mais permet, de manière discrète, son évolution permanente en fonction des
pratiques et du mode de vie de la communauté.

B. Importance et fonction de la coutume en droit positif

Dans notre droit, principalement fondé sur l’écrit et sur la transformation


institutionnelle des règles, la coutume ne joue plus qu’un rôle marginal, mais non
pas inexistant. La coutume conserve en particulier un rôle important dans trois
domaines distincts du droit et ce pour des raisons différentes.
1. En droit international, la coutume a longtemps occupé la place laissée
vacante par l’absence de législation internationale. Cependant, son rôle est
en déclin. Nombre de domaines autrefois régis par la coutume sont
désormais codifiés dans des traités. Tel est le cas des Conventions de
Genève en droit humanitaire, de la Convention de Vienne sur le droit des
traités, etc.
2. En droit constitutionnel, la coutume vient consacrer certaines pratiques
institutionnelles qui, bien que non prévues par la Constitution, ont acquis
une importance politique solennelle. Ainsi, une coutume constitutionnelle

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

veut qu’un gouvernement remette sa démission au Roi au lendemain d’une


élection législative, même s’il peut prétendre conserver la confiance des
chambres nouvellement élues supra, ch. 3).
3. En droit commercial, la coutume a de tout temps joué un rôle important.
Les opérations professionnelles entre commerçants nécessitent, en raison
de leur fréquence, de leur souplesse, de l’évolution permanente des
pratiques, l’application de règles spécifiques, distinctes du droit civil. Au
Moyen Age déjà, les marchands avaient développé leur propre droit et
confiaient la solution de leurs litiges à des juridictions spéciales, composées
de pairs. Ce régime distinct subsiste jusqu’à aujourd’hui à travers les
tribunaux de commerce et l’existence d’une branche du droit spécifique, le
droit commercial. Dans une économie qui accentue son mouvement de
mondialisation, la lex mercatoria (le droit des marchands), joue un rôle
important dans le règlement, en dehors des spécificités des divers droits
étatiques, des opérations de commerce internationales. En cette matière,
les litiges sont souvent déférés à des arbitres*, qui consacrent largement la
lex mercatoria.

C. Rapports de la coutume avec la législation

Les théoriciens du droit distinguent traditionnellement trois sortes de


coutume, en fonction du rapport que celle-ci entretient avec la loi.
1. On parle de coutume secundum legem lorsque la loi elle-même renvoie à la
coutume ou aux usages. Ainsi, l’article 1757 du Code civil fixe-t-il la durée
des baux de meubles meublants garnissant un logement en fonction de
« l’usage des lieux ». De même, l’article 1135 du Code civil énonce que « les
conventions obligent non seulement à ce qui y est exprimé, mais encore à
toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à l’obligation d’après
sa nature ». La référence à la coutume ou à l’usage ne diffère pas ici, dans
son principe, du renvoi aux règles morales, déontologiques ou
professionnelles (supra, ch. 1).
2. La coutume praeter legem ou extra légale est celle qui couvre un domaine
ou une situation non réglée par la loi. Tel est le cas déjà cité de la
démission du gouvernement au lendemain d’une élection.
3. La coutume contra legem est celle qui contredit directement le prescrit
légal. Ainsi, l’article 77 du Code civil prescrivait à l’officier de l’état civil de
se transporter lui-même auprès du défunt pour s’assurer du décès. En
pratique, la mort est constatée par le médecin qui établit un certificat
remis à l’officier de l’état civil. La persistance d’une telle coutume signale
que la loi est tombée en désuétude. Une loi des 14 et 16 janvier 2013 a
depuis amendé le Code civil pour l’aligner sur la coutume. Tel est aussi le

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

cas de certaines règles coutumières propres aux commerçants comme le


principe de la solidarité entre débiteurs commerçants242.
Au-delà de ces distinctions formelles, la survivance de la coutume
démontre que la pratique est toujours et nécessairement en avance et en excès
par rapport aux règles consignées dans les textes. Faute de donner lieu à des
contestations, nombre de ces pratiques agissent efficacement, mais dans l’ombre
de l’ordre juridique. Tel est le cas de certaines pratiques notariales, par exemple,
ou de certaines pratiques professionnelles ou administratives. Cette zone grise ne
devient ouvertement coutume que lorsque l’absence, la lourdeur ou l’inadaptation
manifeste de la législation lui permettent de s’exposer au grand jour.

V. La combinaison des sources

S’il existe plusieurs sources distinctes, celles-ci se jettent toutes dans le


même fleuve de l’ordre juridique où elles mêlent leurs eaux. Chacune des sources
principales que sont la législation au sens large, la jurisprudence et la doctrine
semblent d’ailleurs avoir vocation à rendre compte de l’ensemble de l’ordre
juridique. La législation prétend à un monopole dans l’établissement des règles
juridiques ; la jurisprudence rend compte de leur application ; la doctrine reflète
l’ensemble sous la forme d’un système cohérent. De ce point de vue, les
différentes sources représentent autant de niveaux de lecture de l’ordre juridique,
des points de vue différents et complémentaires sur le droit. La coutume, quant à
elle, manifeste une certaine reconnaissance officielle d’un autre niveau encore de
lecture du droit, celui des justiciables et de la manière dont ils appliquent le droit
au jour le jour ; niveau fondamental s’il en est, mais qui n’est que rarement pris
en considération par le discours et les institutions juridiques.
Outre les quatre catégories mentionnées ici, la plupart des auteurs citent
encore, parmi les sources, les principes généraux du droit*. En réalité, ces
principes ne sont pas des sources mais bien des règles de droit, d’une variété
particulière, qui présentent des caractéristiques spécifiques. Les principes
trouvent leur source, soit dans la législation au sens large, soit dans la
jurisprudence ou dans la doctrine. Mais ils tiennent leur nature spécifique de ce
qu’ils apparaissent comme les présupposés nécessaires, explicites ou implicites,
du système juridique. C’est pourquoi ils seront étudiés dans le chapitre consacré
à celui-ci (infra, ch. 5).

242 La solidarité signifie que lorsque plusieurs commerçants sont tenus à une même dette, chacun

peut être tenu de payer le tout au créancier, quitte à se retourner ensuite auprès des autres
débiteurs pour exiger leur contribution. En droit civil, au contraire, la règle est celle de la
divisibilité des dettes suivant laquelle chacun n’est, sauf disposition contraire, tenu à l’égard du
créancier que pour sa part (art. 1202 du Code civil).

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FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

_________________________________________________________________________
Table des matières
_________________________________________________________________________

AVERTISSEMENT ............................................................................................................. 1

CHAPITRE 1ER : LES RÈGLES DE DROIT .............................................................................. 1


I. Droit objectif et droits subjectifs .................................................................................................... 1
1. Définitions.................................................................................................................................... 1
2. Perspectives macro-juridique et micro-juridique. – Plan général du cours ................................. 1
II. A la recherche de la règle de droit .................................................................................................. 2
1. Le droit est partout… ................................................................................................................... 2
2. … mais il est difficile à cerner ....................................................................................................... 3
3. Le droit dans les textes ................................................................................................................ 4
4. Le monde des faits et le monde des règles .................................................................................. 5
III. Règles juridiques et autres normes ................................................................................................ 6
1. Les règles non juridiques ............................................................................................................. 6
2. Règles et normes ......................................................................................................................... 7
3. Les règles morales et religieuses et le principe de laïcité ............................................................ 8
4. Règles et valeurs .......................................................................................................................... 9
IV. La justice et le droit ...................................................................................................................... 11
1. La justice .................................................................................................................................... 11
2. Droit naturel et droit positif ....................................................................................................... 12
3. Le recours au juste en droit positif ............................................................................................ 13
4. L’équité ...................................................................................................................................... 14
V. Formulation et structure des règles juridiques ............................................................................. 15
1. La formulation des règles........................................................................................................... 15
2. La structure des règles juridiques .............................................................................................. 17
VI. Les catégories de règles juridiques ............................................................................................... 18
A. Règles primaires et règles secondaires ............................................................................................... 18
1. Les règles primaires ................................................................................................................... 18
2. Les règles secondaires ............................................................................................................... 18
B. Règles d’ordre public, règles impératives et règles supplétives.......................................................... 21
1. Les règles d’ordre public ............................................................................................................ 21
2. Les règles simplement impératives............................................................................................ 23
3. Les règles supplétives ................................................................................................................ 23
VII. La contrainte et les sanctions ....................................................................................................... 25
A. Définitions ........................................................................................................................................... 25
B. Les catégories de sanctions ................................................................................................................. 26
1. L’exécution forcée ..................................................................................................................... 26
2. La réparation.............................................................................................................................. 27
3. La répression.............................................................................................................................. 28
4. L’annulation ............................................................................................................................... 29
5. Autres formes de sanctions ....................................................................................................... 31
6. Les voies d’exécution ................................................................................................................. 31
C. La sanction constitue-t-elle un élément essentiel de la règle de droit ? ............................................. 32

IÈRE PARTIE L’ORDRE JURIDIQUE ................................................................................. 34

CHAPITRE 2 : LES ORDRES JURIDIQUES.......................................................................... 35


I. Les dimension de l’ordre juridique ................................................................................................ 35
1. La dimension politique : l’ordre comme commandement......................................................... 35
2. La dimension logique : le système juridique .............................................................................. 36
3. La dimension sociale : le droit, facteur d’ordre ......................................................................... 36
II. Les niveaux d’ordre juridique........................................................................................................ 37

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Volume 1 Introduction au droit FRYDMAN B. et RORIVE I.

A. L’ordre juridique étatique ................................................................................................................... 38


B. L’ordre juridique européen ................................................................................................................. 39
1. Les étapes de la construction européenne ................................................................................ 39
2. Un ordre politique et juridique spécifique ................................................................................. 41
C. L’ordre juridique international ............................................................................................................ 43
1. Notion ........................................................................................................................................ 43
2. Effectivité et autonomie de l’ordre international ...................................................................... 43
3. Vers un ordre juridique cosmopolitique ? ................................................................................. 44
III. Les relations entre les ordres juridiques ....................................................................................... 45
IV. Les familles juridiques .................................................................................................................. 47

CHAPITRE 3 : LES INSTITUTIONS .................................................................................... 50


SECTION 1 : L’ETAT BELGE ................................................................................................................................ 50
I. L’ordre constitutionnel ................................................................................................................. 50
A. La nation.............................................................................................................................................. 50
1. Un concept à double sens .......................................................................................................... 50
2. La nation belge........................................................................................................................... 52
B. Les pouvoirs ........................................................................................................................................ 52
C. L’organisation des pouvoirs publics dans l’ordre constitutionnel ....................................................... 53
II. Les pouvoirs constitués d’un point de vue territorial .................................................................... 54
A. La Belgique, d’un Etat unitaire vers un Etat fédéral ............................................................................ 54
B. L’autorité fédérale .............................................................................................................................. 58
C. Les entités fédérées ............................................................................................................................ 60
1. Ressort territorial des communautés et des régions ................................................................. 60
2. Compétences matérielles des communautés et des régions..................................................... 62
3. Les organes des communautés et des régions .......................................................................... 67
D. Les pouvoirs décentralisés locaux ....................................................................................................... 72
1. Les communes ........................................................................................................................... 72
2. Les provinces ............................................................................................................................. 75
3. La tutelle sur les provinces et les communes ............................................................................ 77
III. Les pouvoirs constitués fédéraux d’un point de vue fonctionnel .................................................. 78
A. Le pouvoir législatif ............................................................................................................................. 78
1. Présentation .............................................................................................................................. 78
2. Composition ............................................................................................................................... 80
3. La procédure d’élaboration de la loi .......................................................................................... 86
4. Le droit d’enquête des chambres législatives ............................................................................ 96
B. Le pouvoir exécutif .............................................................................................................................. 96
1. Les organes du pouvoir exécutif ................................................................................................ 96
2. Les fonctions du pouvoir exécutif ............................................................................................ 100
3. Les relations entre les pouvoirs exécutif et législatif ............................................................... 100
C. Le pouvoir judiciaire .......................................................................................................................... 103
1. Ordre judiciaire et ordre administratif..................................................................................... 103
2. La pyramide judiciaire .............................................................................................................. 104
3. Les juridictions administratives................................................................................................ 119
4. Le statut des magistrats professionnels................................................................................... 121
IV. La sauvegarde et la transformation de l’ordre constitutionnel .................................................. 123
A. La conservation de l’ordre constitutionnel face aux législateurs ...................................................... 123
1. Contrôle a priori ....................................................................................................................... 123
2. Contrôle a posteriori : la Cour constitutionnelle ...................................................................... 124
B. La procédure de révision de la Constitution ..................................................................................... 127
1. Déclaration de révision ............................................................................................................ 127
2. Dissolution de plein droit des chambres.................................................................................. 127
3. Election de chambres constituantes ........................................................................................ 128
4. Révision proprement dite ........................................................................................................ 128
SECTION 2 : LES INSTITUTIONS EUROPÉENNES ET INTERNATIONALES ........................................................................ 128
I. Aperçu général ........................................................................................................................... 128
II. L’Union européenne ................................................................................................................... 130
A. Le système institutionnel .................................................................................................................. 130
1. Les institutions de l’Union européenne ................................................................................... 130
2. L’élaboration de la décision ..................................................................................................... 132
B. Le contrôle juridictionnel .................................................................................................................. 134

188 PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles DROI-C-1001_A


FRYDMAN B. et RORIVE I. Introduction au droit Volume 1

1. Les juridictions européennes ................................................................................................... 134


2. Les contentieux de l’Union européenne .................................................................................. 134
III. Le Conseil de l’Europe ................................................................................................................. 136
A. Origine et finalité du Conseil de l’Europe .......................................................................................... 136
B. Un système régional de protection des droits de l’homme .............................................................. 137
1. La Convention européenne des droits de l’homme ................................................................. 137
2. La Cour européenne des droits de l’homme............................................................................ 138
IV. L’Organisation des Nations Unies............................................................................................... 142
A. Origine et finalité de l’ONU ............................................................................................................... 142
B. Principaux organes de l’ONU ............................................................................................................ 143
1. L’Assemblée générale .............................................................................................................. 143
2. Le Conseil de sécurité .............................................................................................................. 143
3. Le Secrétaire général ............................................................................................................... 144
4. La Cour internationale de justice ............................................................................................. 144
C. Le système des Nations Unies ........................................................................................................... 144
1. Des juridictions ........................................................................................................................ 145
2. De multiples organisations internationales ............................................................................. 145

CHAPITRE 4 : LES SOURCES DU DROIT ......................................................................... 147


SECTION 1 : NOTION...................................................................................................................................... 147
SECTION 2 : INVENTAIRE DES SOURCES FORMELLES .............................................................................................. 148
I. La législation (au sens large) ...................................................................................................... 148
A. Dans l’ordre juridique interne ........................................................................................................... 150
1. La Constitution ......................................................................................................................... 150
2. Les normes législatives ............................................................................................................ 152
3. Les normes réglementaires...................................................................................................... 157
B. Au plan européen .............................................................................................................................. 161
1. Les traités................................................................................................................................. 161
2. Les règlements ......................................................................................................................... 162
3. Les directives ........................................................................................................................... 162
4. Les décisions ............................................................................................................................ 163
5. Actes informels des institutions ............................................................................................... 164
C. Au plan international ........................................................................................................................ 164
1. Les traités ou conventions internationales .............................................................................. 164
2. Les actes des organisations internationales ............................................................................ 167
D. La structure formelle des actes législatifs et réglementaires ............................................................ 168
1. Le protocole ............................................................................................................................. 168
2. Le dispositif .............................................................................................................................. 169
II. La jurisprudence ......................................................................................................................... 170
A. Définition .......................................................................................................................................... 170
B. Les décisions de justice ..................................................................................................................... 171
1. Notion ...................................................................................................................................... 171
2. Structure formelle.................................................................................................................... 171
3. Fonction ................................................................................................................................... 174
C. La dynamique jurisprudentielle......................................................................................................... 176
1. Les facteurs d’intégration ........................................................................................................ 176
2. La valeur des précédents ......................................................................................................... 177
3. Le rôle de la Cour de cassation ................................................................................................ 177
4. Le rôle constructif .................................................................................................................... 178
III. La doctrine .................................................................................................................................. 179
A. Notion ............................................................................................................................................... 179
B. Variétés ............................................................................................................................................. 180
1. Les encyclopédies, traités, manuels et monographies ............................................................ 180
2. La doctrine de législation ......................................................................................................... 181
3. La doctrine de jurisprudence ................................................................................................... 181
C. Fonction et influence ........................................................................................................................ 182
IV. La coutume ................................................................................................................................. 184
A. Notion ............................................................................................................................................... 184
B. Importance et fonction de la coutume en droit positif ..................................................................... 184
C. Rapports de la coutume avec la législation ....................................................................................... 185
V. La combinaison des sources ....................................................................................................... 186

DROI-C-1001_A PUB Cours-Librairie, av. P. Héger 42, B-1000 Bruxelles 189


évaluation des enseignements

pour :
Dès le quadrimestre terminé, 4 Donner une rétroaction à vos enseignants
évaluez vos enseignements 4 proposer des améliorations
4 participer à l’évolution des enseignements
4 Valoriser les activités d’enseignement

portant sur :
une évaluation 4 La prestation des enseignants
à plusieurs dimensions 4 L’organisation de l’enseignement
4 Le déroulement des séances
4 L’évaluation des apprentissages

VotrE aVis ComptE !

4 www.ulb.be/enseignements/evaluation

L’évaluation institutionnelle des enseignements est L’étudiant répond anonymement à un questionnaire


organisée par l’ULB. pour chaque enseignement auquel il a participé. Chaque
Elle a lieu dès que les enseignements sont terminés. questionnaire est analysé et les résultats sont envoyés aux
Elle se déroule en deux campagnes d’enquête en ligne enseignants et à la commission pédagogique facultaire.
après les sessions de janvier et de juin.
Les étudiants et les enseignants ont l’obligation de
participer aux évaluations.
Le label FSC : la garantie d’une gestion responsable des forêts
Les Presses Universitaires de Bruxelles s’engagent !
Les PUB impriment depuis de nombreuses années les syllabus sur du papier recyclé. Les différences de qualité
constatées au niveau des papiers recyclés ont cependant poussé les PUB à se tourner vers un papier de meilleure
qualité et surtout porteur du label FSC.
Sensibles aux objectifs du FSC et soucieuses d’adopter une démarche responsable, les PUB se sont conformé aux
exigences du FSC et ont obtenu en avril 2010 la certification FSC (n° de certificat COC spécifique aux PUB : SCS-
COC-005219-HA
Seule l’obtention de ce certificat autorise les PUB à utiliser le label FSC selon des règles strictes. Fortes de leur
engagement en faveur de la gestion durable des forêts, les PUB souhaitent dorénavant imprimer tous les syllabus
sur du papier certifié FSC. Le label FSC repris sur les syllabus vous en donnera la garantie.

Qu’est-ce que le FSC ? Quelles garanties ?


FSC signifie “Forest Stewardship Council” ou Le système FSC repose également sur la traçabilité du
“Conseil de bonne gestion forestière”. Il s’agit d’une produit depuis la forêt certifiée dont il est issu jusqu’au
organisation internationale, non gouvernementale, consommateur final. Cette traçabilité est assurée
à but non lucratif qui a pour mission de promouvoir par le contrôle de chaque maillon de la chaîne de
dans le monde une gestion responsable et durable commercialisation/transformation du produit (Chaîne
des forêts. de Contrôle : Chain of Custody – COC). Dans le cas du
Se basant sur dix principes et critères généraux, papier et afin de garantir cette traçabilité, aussi bien le
le FSC veille à travers la certification des forêts au producteur de pâte à papier que le fabricant de papier,
respect des exigences sociales, écologiques et le grossiste et l’imprimeur doivent être contrôlés.
économiques très poussées sur le plan de la gestion Ces contrôles sont effectués par des organismes de
forestière. certification indépendants.

Les 10 principes et critères du FSC 6. Les fonctions écologiques et la diversité biologique de la


forêt doivent être protégées.
1. L’aménagement forestier doit respecter les lois nationales, 7. Un plan d’aménagement doit être écrit et mis en œuvre.
les traités internationaux et les principes et critères du FSC. Il doit clairement indiquer les objectifs poursuivis et les
2. La sécurité foncière et les droits d’usage à long terme sur moyens d’y parvenir.
les terres et les ressources forestières doivent être claire- 8. Un suivi doit être effectué afin d’évaluer les impacts de la
ment définis, documentés et légalement établis. gestion forestière.
3. Les droits légaux et coutumiers des peuples indigènes à la 9. Les forêts à haute valeur pour la conservation doivent être
propriété, à l’usage et à la gestion de leurs territoires et de maintenues (par ex : les forêts dont la richesse biologique
leurs ressources doivent être reconnus et respectés. est exceptionnelle ou qui présentent un intérêt culturel ou
4. La gestion forestière doit maintenir ou améliorer le bien- religieux important). La gestion de ces forêts doit toujours
être social et économique à long terme des travailleurs fo- être fondée sur un principe de précaution.
restiers et des communautés locales. 10. Les plantations doivent compléter les forêts naturelles,
5. La gestion forestière doit encourager l’utilisation efficace mais ne peuvent pas les remplacer. Elles doivent réduire
des multiples produits et services de la forêt pour en ga- la pression exercée sur les forêts naturelles et promouvoir
rantir la viabilité économique ainsi qu’une large variété de leur restauration et leur conservation. Les principes de 1 à
prestations environnementales et sociales. 9 s’appliquent également aux plantations.

Le label FSC apposé sur des produits


en papier ou en bois apporte la garan-
tie que ceux-ci proviennent de forêts
gérées selon les principes et critères
FSC.
® FSC A.C. FSC-SECR-0045

FSC, le label du bois et du papier responsable

Plus d’informations ?
www.fsc.be
A la recherche de produits FSC ?
www.jecherchedufsc.be

Cette page d’information n’est pas comptée dans le prix du syllabus.


NOTES

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