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I

m.
TRAITÉ COMPLET

DE L'ART

DE LA DISTILLATION.
IMPRIMERIE DE LA Y". Ad. STAPLEAUX.
TRAITÉ COMPLET

DE L'ART

DE LA DISTILLATION,

CONTENANT , DANS UN ORDRE MÉTHODIQUE ;

Les instructions théoriques et pratiques les plus exactes et les


plus nouvelles sur la préparation des liqueurs alcoholiques
avec les raisins , les grains , les pommes de terre ; les fé
cules et tous les végétaux sucrés ou farineux ;

Membre Je la Société d'Encouragement pour l'industrie nationale , cl


Auteur d'un Mémoire sur la Saccharification des fécules , couronné ,
en l8i3 , par la Société royale et centrale d'Agriculture de Paris.

SECONDE ÉDITION,

Ornée de huit planches.

BRUXELLES,
Chez la V». Ad. STAPLEAUX , Imprimeur-Libraire du Roi , et de
S. A. R. lePaïKCE d'Orakge , Marché aus Herbes, N°. 3a3.

i8a5.
vw»vvvvv»vvvvvvvvvvvvvx^vvvv»
7ft Us
TRAITE COMPLET
I

DE L'ART

DE LA DISTILLATION.

INTRODUCTION.

V ^cvnsib-érée d'une manière absolue , toute opération qui


change la forme des choses pour augmenter leur valeur est
une véritable production ; considérée d'une manière relati
ve , c'est une richesse d'autant plus grande pour une nation
que la nouvelle production comporte plus d'importance et '
qu'elle s'exerce elle-même sur des productions indigènes-.
Ces axiomes d'économie politique trouvent ici leur place
naturelle. Ce sont des vérités incontestables que je vais
consolider par des exemples.
La vigne est sans contredit l'une des productions les
plus remartfttables de notre sol , et c'est à sa culture que
plusieurs de nos provinces doivent leur fortune et leur
prospérité ; c'est a elleque notre commerce doit ses moyens
d'échange les plus importans.
Que serait cependant cette culture , si l'industrie ma
nufacturière n'eût trouvé dans la dessiccation , la vinifica
tion et la distillation, trois moyens puissans d'augmenter la
consommation du raisin ? Grâce à ces moyens conserva
teurs , un fruit automnal et facilement putrescible dans l'état
où la nature nous le fournit , va trouver des consommateurs
dans toutes les saisons et sur tous les points du globe : grâce
a ces moyens de transformation , le vin et l'eau - de - vie
INTRODUCTION.
V, ' XéteXn^eliJefet le fruit de la vigne : ils vont partout ouvrir â
notre agriculture , a notre industrie et à uotre conimercey
des mines fécondes de richesses.
Tel est le bienfait de l'industrie manufacturière, que
non - seulement elle augmente la valeur des choses sur les
quelles elle s'exerce, mais qu'elle en augmente encore con
sidérablement la consommation , en variant leurs formes ,
et en les appropriant par Ta même a de nouveaux besoins. %
L'art de faire le vin occupait , a ce titre, un rang djs^
tïhgué dans notre industrie nationale. Ce rang lui était siH-
fisarament acquis par la culture qu'il intéresse , lorsqu'un
savant , recommandable par ses travaux , ses lumières et ses1
talens , ne dédaigna pas de s'occuper de sa description» ^
M. le comte Chaptal, dontle nom figurera éternellement dans
l'histoire des progrès de nos sciences et de nos arts , nous
a donné un excellent traité de la vinification , qui;, avec
ses recherches antérieures sur la même matière, n'.a pas peu*
contribué au perfectionnement de l'art , en propageant de,»
bonnes doctrines et les méthodes les plus heureuses.
. Ce travail utile a rempli une lacune importante'; et le vigne-
' ron peut y trouver des règles sûres pour se guider avec
succès dans ses opérations. Mais si cette partie intéressante
de l'art de métamorphoser le fruit de la vigne , laisse au
jourd'hui peu de choses a désirer, il n'en est pas de même
3e l'art de la distillation , qui en est une suite intime et un,
auxiliaire non moins important. ..-
. La distillation , en effet , est pour le vin ce que le vin lui-
même fut d'abord pour le raisin C'est elle qui , en isolant
le principe le plus remarquable que la vinification dévelop
pe , présente un produit moins volumineux et partant plus»
transportable : c'est elle qui , en séparait l'alcohol du vin,
donne a ce dernier des débouchés et des emplois qu'il ne .
pourrait avoir sans elle. La distillation est donc, pour le rat-' j
sin , une branche industrielle aussi utile que celle de la vi
nification. Mais l'art d'extraire l'alcohol ne borne point la les 1
ressources qu'il présente a notre agriculture.
Lorsque la fermentation du suc du raisin eut fait connaîtra
a l'homme de nouveaux besoins , toutes les contrées qui n'a
RîTRODUCTIOSu 3
raient poiflt de vignes, devenues, par la même, tributaires
de celles que la nature avait favorisées de ce végétal précieux,
chercAèrent dans les productions de leur sol les moyens de
s'affranchir de ce tribut. De la l'art de faire des boissons fer-
mentées avec des céréales et une foule d'autres fruits. L'art
ayant depuis indiqué dans les liqueurs fermentées un nou
veau produit , l'art ayant enseigné les moyens de l'extraire ,
ouvrit une nouvelle carrière à l'imitation ; et les mêmes con
trées qui avaient trouvé dans leur sol les élémens d'une bois
son analogue au vin , apprirent également à en isoler l'eau-
le-vie. De la l'art de la distillation des céréales , des pommes
le terre , des sirops de cannes , des cerises , etc.
Ces acquisitions nouvelles , dont l'analogie enrichit l'in
dustrie manufacturière , ne furent point simultanées , et elles
ne vinrent que lentement pendant l'espace de plusieurs siè
cles. Pendant long-temps le vin fut en possession de fournir
au commerce toutes les liqueurs alcoholiqnes qu'il consom
mait; et jusqu'à cette époque, où l'art de la distillation s'exer
ça sur le seul vin de raisin , il ne se composa que de cette
seule opération chimico - mécanique qui a pour but la sépa
ration de l'alcohol. En effet , l'art de faire le vin et celui du
distillateur ", quoiqu'ils furent long-tems liés dans l'industrie
du vigneron , étaient considérés comme deux arts séparés ;
et tout contribua même depuis lors à isoler , dans les con
trées vinicoles , deux arts qui ont cependant, une connexion
intime. La distillation, en perfectionnant ses procédéx-^nï-
ploya des appareils plus compliqués , plus d^Kcuîtueux et
plus dispendieux. L'économie importante que ccs appareils
apportèrent dans la préparation de ï'eau-de-vie , créa dans
le Languedoc des établissemens considérables de distillation,
oit le vigneron trouvait autant d'avantage à vendre ses vins
qu'à &s brûler lui-même. C'est ainsi que l'art de créer l'alcohol,
au lieu de se lier d'avantage à l'art de l'extraire, trouva dans
les peffectionnemens de celui-ci une cause d'éloignement.
Cet état de choses ne fit point faire à l'art de créer le viu
dans le but unique de la production alcoholique , les progrès
qne nous eussions pu en attendre, sans la dissidence dont
cous venons de parler.

J\
^ INTRODUCTION.
Nous savons cependant qu'il existe une très-grande diffe
rence entre les qualités que l'on recherche dans un vin des
tiné a la boisson et dans celui que l'on destine a la chaudière.
En effet , les vins les plus exquis et les plus recherchés pour
la consommation en nature , ne sont rien moins que les plus
propres à laproduction de l'eau-de-vie. Dans les uns, on re
cherche l'arôme, le bouquet , une robe éclatante et une qua
lité qui s'oppose aux dégénérations, et qui leur permette de se
conserver et de se perfectionner ; dans les autres, l'alcohol
est le seul point de mire du fabricant , et la proportion dans
laquelle il se trouve dans le vin , en constitue seule la valeur
vénale. Cette règle, si elle est soumiseà quelques exceptions,
peut au moins être considérée comme générale en distillation.
L'art d'extraire l'alcohol d'une foule de substances vé
gétales autres que le raisin , cessa de restreindre la dis
tillation dans le cadre étroit de l'analyse , et a cette opé
ration importante se joignirent non-seulement l'art de la
fermentation , mais encore celui de prédisposer a cette fer
mentation les ve'gétaux qui ne nous sont point fournis par
la nature dans les états qui favorisent également bien cette
décomposition. Tels sont , par exemple , les grains , les
pommes de terre et tous les farineux en général.
Nous croirions donc manquer notre but si , a l'exemple
de M. Lenormand , nous bornions la description de l'art du
distillateur a celle des appareils distillatoires. L'ouvrage de
ce 1toV,nologue paraît d'ailleurs avoir été plutôt conçu pour
présenter uu•. histoire complète de l'art des appareils , que
pour servir de guidp aux manufacturiers. 11 a , sous ce rap
port , rempli parfaitement son but. Mais si nous voulions le
considérer comme un manuel de brûleur ou de construc-
teut de machines , nous ne le trouverions rien moins que
prop e à cette destination. 11 ne faut pas qu'un manufactu
rier p&sse son temps a lire tous les songes-creux de la foule
immens« des preneurs de brevets : il lui faut un choix du
meilleur appareil dans chaque système, et des notions exac
tes sur l«s principes de son art.
• 1« * * m t „„„„„nnj çv.couoa de la rédaction
INTRODUCTION.
pareils et Je mécanisme de l'analyse du vin n'avaient point
encore été fécondes par les recherches précieuses sur la
chaleur, que nous devons aux talens de plusieurs savans
célèàres , parmi lesquels nous distinguons M. Clément. Cet
état d'imperfection de la science ne permit point a M. I.e-
normand de ramener la distillation proprement dite à des
règles fixes ; il le fit même tomher plusieurs fois dans des
erreurs , qu'il ne dépendait pas de lui de ne pas commettre.
Mais aujourd'hui que nous marchons sur des erremens plus
certains , nous ne doutons pas que M. Lenormand , dont le
zèle éclairé pour les progrès des arts est suffisamment dé
montré, ne reconnaisse lui-même l'insuffisance deson travail.
L'art du distillateur que je présente aujourd'hui au pu
blic , est conçu sur un plan neuf : et , si mes efforts ne sont
pas déçus , je crois avoir renfermé dans l'espace étroit d'un
volume l'état complet de l'art pratique et théorique. Il me
suffira d'eu donner ici un léger aperçu.
L'ouvrage est divisé en trois parties.
Dans Ja première , je passe en revue tous les végétaux
susceptibles de produire de l'alcohol , et j'indique les diver
ses opérations qu'on doit leur faire subir, suivant leurs na
tures différentes , pour les amener à l'état de liquides fer-
mentescibles. C'est ainsi que j'ai groupé dans cette première
partie l'art de disposer a la fermentation les céréales et les
f1ommes de terre, l'art de convertir les fécules en sirop par
'acide sulfurique , et le procédé nouveau que j'ai signalé
pour convertir cette même fécule en sirop par l'orge mal-
tée ; procédé pour lequel la société d'Agriculture a daigné
me décerner une médaille d'or dans sa séance publique du 6
avril 1823. Chacune de ces opérations est accompagnée de
la description des appareils qu'elle exige , et j'y ai joint des
ffigures quand je l'ai cru nécessaire a l'intelligence du texte.
Tous les végétaux étant supposés à cette époque amenés
à l'état de liquides fermentescibles le plus parfait qu'on puisse
leur donner , j'aborde dans la seconde partie la question
importante de la fermentation , que j'ai tâché de soumettre
aux règles pratiques les plus fixes que nos connaissances ac
tuelles nous permettent d'établir. On sentira parfaitement
•*
4 •
6 Introduction.
combien cet ordre de matières que je me suis imposé offre
d'avantages dans l'art que je décris. En effet, les lois géné
rales de la fermentation sont les mêmes pour tous les végé
taux fermentescibles ; et si je ne m'étais pas attaché a grou
per dans la première partie toutes les opérations particu
lières que les diverses espèces de végétaux exigent pour de
venir également propres a subir la décomposition alcoholi-
que, j'aurais dû , pour chacune d'elles, répéter des des
criptions que ma méthode m'a permis d'éviter.
Dans la troisième partie , je traite des appareils distilla—
toires , après avoir exposé les principes sur lesquels leur
construction repose. J'indique leur manœuvre, leurs effets; jo.
les compare , et je donne la question économique de chacun
d'eux; c'est-à-dire la dépense de main-d'œuvre et de combus
tible qu'ils exigent pour distiller une même quantité de vin.
Dans chacune de ces trois parties, j'ai réuni les notions ac
cessoires qui sont utiles à un bon distillateur , et je les ai dis
tribuées de manière à éviter autant que possible des répé
titions fastidieuses.
Avec un semblable ordre de matières, j'ai pu resserrer
dans un cadre étroit toutes les connaissances qui sont néces
saires à un distillateur, et je ne crois pas avoir rien omis d'u
tile et d'indispensable. Je n'ai rien particularisé qui ne dût
l'être, et je n'ai rien généralisé qui ne pût l'être sans consé
quence. Ainsi, tous les manufacturiers qui s'occupent de
distillation y trouveront un guide certain pour mener leurs
opérations avec succès.
Celui qui , a l'exemple du brûleur de vin , n'a besoin que
de connaître les appareils distillatoires et leur emploi, pourra
arriver de suite à la troisième partie de mon ouvrage, qui
traite exclusivement cette matière. Le vigneron qui s'occu
perait tout-a-la-fois de la fermentation et de la distillation
pourra se borner à méditer la seconde et la troisième partie.
Et le distillateur qui opérerait sur des substances qui , a
l'exemple des grains et des pommes de terre., nécessitent des
opérations préparatoires, devra seul méditer l'ouvrage en
tier, parce que c'est dans ce genre de fabrication que le dis
tillateur a besoin de toutes les lumières et de toutes les coa-.
naissances qu'embrasse l'art complet de la distillation.
PREMIÈRE PARTIE. ;

Nous traiterons , dans cette première partie , comme nous


l'avons annoncé dans notre introduction , des diverses prépa
rations que l'on fait subir aux végétaux pour les amener a
l'état de liquides fermentescibles , et nous décrirons préala
blement les instrumens et appareils nécessaires a ces prépa
rations»

CHAPITRE PREMIER.
i'
Jnstrumens principaux et communs à toutes les
operations de PArt du Distillateur.

Il y a deux .instrumens principaux dont un distillateur


soigneux doit se munir, pour se guider avec certitude dans
ses opérations ; c'est le thermomètre et l'aréomètre. Nous
allons nous occuper particulièrement de chacun de ces
deux instrumens , et indiquer leurs constructions, leurs va
riétes . leur utilité et leur emploi.
SECTION PREMIÈRE.
Du Thermomètre.
La chaleur , ou, ce qui est la même chose, le calorique,
jçue un rôle tellement important dans les opérations de l'art
^du distillateur , qu'il est indispensable , pour les personnes
qui s'occupent de cet art, de connaître le moyen le plus exact
et le pins facile que nous possédions, d'apprécier la pré
sence de ce même calorique dans les corps. C'est sur l'effet
analogue que la chaleur produit sur tous les corps , qu'est
fondée la théorie de ce moyen, dont le thermomètre est
l'exécution^ >1
8 TRAITÉ DE L'ART
Je ne m'attacherai pas ici a développer la théorie de la
chaleur, et a expliquer la différence que nous reconnaissons
en physique entre la capacité des corps pour la chaleur , et
la température. La connaissance de la température est la
seule utile au distillateur. C'est elle seule qu'il a besoin de
connaître , et dont le thermomètre nous offre une mesure
suffisamment rigoureuse.
Le thermomètre doit donc nous indiquer exactement que
tel corps est à la même température que tel autre, c'est-a-
dire qu'il est également chaud; il doit nous indiquer que tel
corps est plus chaud ou plus froid que tel autre, et nous
offrir une mesure numérique a ces différences , qui peuvent
varier beaucoup.
Le thermomètre le plus répandu en France est celui de
Réaumur. Il est connu de tout le monde : qu'il me suffise
de faire connaître son emploi et ses rapports avec les autres
thermomètres employés eu France ou a l'étranger.
Plongé dans de la glace fondante, le thermomètre de
Réaumur exprime cette température par le chiffre o. Toutes
les températures plus froides sont exprimées par les chiffres
qui se trouvent au-dessous de ce zéro, et fontes les tempé
ratures plus élevées sont mesurées par les chiffres supérieurs.
C'est ainsi que dans l'hiver le thermomètre descend jusqu'à
5, 1o, i5° au-dessous de zéro, selon que la température est
plus ou moins rigoureuse. C'est ainsi encore que dans l'été
il monte a i5, 2o et même 25 degrés au-dessus de zéro,
selon que la température est plus ou moins chaude.
11 y a cependant une limite pratique h ces mesures de tem
pérature, que le thermomètre peut donner. Ainsi , par exem
ple , comme le thermomètre de Réaumur est destiné ,
dans l'art qui nous occupe , à mesurer la température de l'air
atmosphérique ou celle des liquides, on lui donne pour ter-")?
me inférieur le maximum de froid que l'air puisse prendre
dans nos climats, et pour terme supérieur 1t» température la
plus haute que puisse prendre l'eau chauffée sans com
pression.
Ce sera donc jusqu'a i5 ou ao° au-dessous de zéro, et
8o ou 85° au-dessus. Le terme de 8o° est en effet, dans le

« • #
DE LA DISTILLATION. Q
thermomètre de Réaumur , celui de l'ébullition de l'eau
pure, c'est-à-dire la mesure de la plus haute temperature
que l'eau puisse prendre lorsqu'on la chauffe a vase ouvert.
L'on pourrait étendre davantage l'échelle du thermomètre
au-dessous et au-dessus de zéro ; mais cela est inutile pour
l'usage du distillateur.
L'on sait que le liquide que renferme le thermomètre est
le corps qui , par sa dilatation ou sa condensation , indique
sur l'échelle le degré de la température cherchée. L'on sait
aussi que ce liquide est ou de l'esprit de vin ou du mercure.
L'emploi de l'une ou l'autre de ces matières n'est pas indif
férent ; et généralement on emploie de préférence les ther
momètres à esprit de vin pour mesurer les températures bas
ses, c'est- a- dire celles qui sont au-dessous de zéro, et
celles qui en- sont voisines au-dessus jusqu'à 25 ou 3o° ,
tandis que Von réserve les thermomètres à mercure pour
la mesure des températures plus élevées. Cette spécialité
des thermomètres n'est pas rigoureusement indispensable
f)our le cas que nous considérons ; c'est-à-dire qu'un distil-
ateur peut trouver tout le service dont il a besoin dans un
thermomètre à mercure, pourvu qu'il puisse mesurer les
températures qui séparent 15 à 2o° au-dessous de o, de 80
à ÎJ5° au-dessus.
Quand on veut se servir de cet instrument , il suffit de
le laisser pendant quelque temps plongé soit dans l'air , soit
dans le liquide dont on a à apprécier la température. Le
thermomètre ne tarde pas à se mettre en équilibre avec le
corps h mesurer , et le point où le mercure s'arrête dans
le tube donne pour température cberchée le degré de 1 é-
chelle auquel il correspond. Il y a cette remarque utile à
faire , que le mercure se fixe plus vite dans un liquide que
dans l'air, de sorte que l'on doit attendre plus long temps
f$J(r préciser la température de l'air que pour déterminer
«cwHj1 «îSiiquides.
Il est facile de juger par ce que nous venons de dire de
l'effet du thermomètre de Réaumur, qu'il a deux points fixes
et invariables dans sa construction : l'un est la glace fon
dante et l'autre l'eau bouillante, et c'est sur ces deux ba
1o TRAITÉ DE L'ART
ses que toute la graduation du thermomètre est établie. En
effet , la glace fondante et l'eau bouillante donnent toujours
deux températures fixes ; ces deux points étant une fois
trouvés , l'un étant exprimé par zéro et l'autre par 8o , il
suffit de diviser l'espace qui les sépare en 8o parties égales ,
et l'on a ainsi 8o points différens qui représentent autant de
nuances différentes de température. Pour les autres divisions
au-dessus de 8o et au-dessous de zéro, on répète les mêmes
autant que le besoin le comporte, c'est-a-dire 15 a 2o° au-
dessous et 5 ou 1o° au-dessus.
Toutes les fois que, dans cet ouvrage, je citerai une divi
sion thermométrique , ce sera toujours de celle de Réaumur
qu'il sera question.
Il existe encore d'autres divisions faites par différens au-'
teurs. Je ne parlerai ici que des plus remarquables.
Ce sont celles de Celsius , dont le thermomètre est conna
sous le nom de thermomètre centigrade, et celle de Fahren
heit pour le thermomètre qui porte le nom de cet auteur.
Le thermomètre centigrade a les deux mêmes points fixes
que celui de Réaumur , c'est-a-dire , la glace fondante et
l'eau bouillante , et il n'en diffère qu'en ce qu? l'espace qui
sépare ces deux points sur l'échelle est divisé en 1oo par
ties égales au lieu de l'être en 8o. On concoit donc que tou
tes les relations du thermomètre centigrade a celui de Réau
mur seront dans le rapport de 1oo a 8o. Ainsi , si l'on con
naissait un degré centigrade et que l'on voulût savoir à quel
degré Réaumur il correspond , on le trouvera toujours en
multipliant le degré centigrade connu par 8o , et en divisant
le produit par 1oo , le quotieut de la division sera le degré
Réaumur cherché. Prenons un exemple :
Soit 5o degrés centigrades a ramener a l'échelle de Réau
mur , l'on établira cette proportion :
1ood'erél : So**-*- :: 5o**-c- : x**^
En effectuant cette opération , c'est-à-dire en multipliant
5o par 8o et en divisant le produit par 1oo , on aura pour
résultat le nombre 4o, qui représentera le degré de'Réaumur-
correspondant a 5o degrés centigrades. On pourrait encore
BE LA DISTILLATION. Il
©pérerplus vite en soustrayant du degré centigrade connu ,
soit 5o , son cinquième, qui sera 1o , et l'on aura pour pro
duit le nombre 4° , qui est le degré de Réaurnur cherché.
• Ce thermomètre centigrade est celui que les savans em
ploient en France pour leurs expériences , et sous ce rapport
il est essentiel pour le manufacturier, qui peut utiliser les re
cherches des savans , de connaître les relations de l'échelle
centigrade avec celle de Réaurnur.
Le thermomètre de Fahrenheit n'est guère employé qu'en
Angleterre et en Allemagne. Ses deux points fixes sont le
froid produit par un mélange de sel marin et de glace, et l'eau
bouillante. L'un est exprimé par o et l'autre par 212, de
sorte que l'intervalle qui les sépare est divisé en 212 parties
égales. Le zéro de son échelle représentant une température
bien plus froide que celle de la glace fondante , il est évident
que le degré exprimant cette température de la glace fon-
:* dante sera au-dessus de zéro. L'expérience prouve que le 3 a*
degré de Fahrenheit correspond au zéro de Réaurnur; ainsi
la glace fondante est représentée dans ce thermomètre par le
chiffre 32° ; et comme le chiffre 213 est le point de l'eau
bouillante, nous aurons entre 32 et 212 , c'est-à-dire entre
la glace fondante et l'eau bouillante , un espace divisé en
1 8o parties , espace qui , dans l'échelle de Réaurnur , n'est
divisé qu'en 8o parties.
Un degré Fahrenheit étant donné, soit i5o , nous éta
blirons cette proportion pour trouver a quel degré Réaurnur
$. correspond ,

Cette proportion étant résolue , nous aurons pour terme


cherché 66 | , qui représenteront le degré Réaurnur cher-
^ çhé et correspondant aux i5o° Fahrenheit.
En voila assez , je pense , pour mettre le manufacturier
en garde contre les fautes qu'il pourrait commettre en con
fondant les échelles thermométriques. 11 devra donc, quand
on lui indiquera un degré quelconque , s'informer soigneur
Aernent a quelle échelle appartient le degré indiqué,
12 TRAITÉ DE l'aRT
SECTION DEUXIÈME.
De VAréomètre. ,
L'aréomètre est un instrument de verre ou de métal cons
truit de telle sorte , que lorsqu'on le plonge dans un liquide ,
il doit s'y maintenir perpendiculairement, et présenter hors
du liquide une portion d'une tige cylindrique sur laquelle est
graduée une échelle.
Il sert a déterminer les différens rapports de pesanteur
des liquides, et c'est par le degré d'immersion de sa tige cy
lindrique dans le liquide , que l'on reconnaît cette pesanteur.
Cette tige , en effet, armée d'une échelle, en s'enfonçant
plus ou moins , découvre des chiffres différens au niveau du
liquide essayé , et ce sont ces chiffres qui expriment les pe
santeurs différentes.
Les nuances considérables qui existent entre les pesan
teurs des liquides, ont provoqué pour la sensibilité de l'ins
trument, des spécialités utiles. Ainsi, l'on a pris la pesanteur
de l'eau pour point de départ , et l'on a fait deux aréomè
tres spéciaux, dont l'un est destiné à peser tous les liquides
plus légers que l'eau , et l'autre les liquides plus lourds. Le
premier a pris le nom vulgaire de pèse-liqueur ou pèse-al-
cohol, et l'autre a pris celui de pèse-sirop ou pèse~sel :
nous conserverons ces dénominations pratiques.
Pèse-liqueur.
Le pèse-liqueur sert, comme nous venons de le dire, à
estimer les nuances de pesanteurs des liquides qui sont plus
légers que l'eau. Ainsi, un pèse-liqueur plongé dans l'eau
doil être lesté de manière a ce que sa tige cylindrique gra
duée soit presqu'entièrement en dehors du liquide. Dans cet
état , l'on conçoit que si l'on ajoute a l'eau dans laquelle il
plonge, un liquide plus léger , de l'alcohol , par exemple,
l'aréomètre s'y enfoncera d'autant plus que la proportion ^
d'alcohol ajoutée aura été plus grande.
Le pèse-liqueur qui est le plus généralement répandu
dans le commerce , est celui qui a été gradué par Cartier ,
parce qu'il est le seul reconnu par l'administration des im-
• • V

*
DE LA blSTILLATION. l3
pots «directs. Le terme le plus bas de son échelle est exprimé
par le chiffre 1o qui représente la pesanteur de l'eau , et le
cûiffre le plus élevé est 42 : ce point est celui où s'arrête
l'aréomètre quand on le plonge dans de l'alcohpl pur. Ainsi ,
tous les mélanges d'eau et d'alcohol dans des proportions
variées , trouveront une expression numérique a leurs pesan
teurs daus les chiffres intermédiaires entre 1o et 42. Ces
S chiffres prennent le nom de degrés , et c'est ainsi que l'on
dit : de l'eau-de-vie a 18, 19 et aa° pour les mélanges
d'eau et d'alcohol, suivant que l'aréomètre y plonge jusqu'a
l'un ou l'autre de ces chiffres. C'est ainsi encore que l'on dit
de l'esprit de vin a 33°, parce que ce liquide contenant plus
d'alcohol, permet a l'aréomètre d'immerger j usqu'au chiffre 33.
• Il est souvent important de pouvoir apprécier d'une ma
nière exacte la proportion dans laquelle l'alcohol est marié
a l'eau dans un mélange ; et il eût été , sous ce rapport ,
Lien commode pour le manufacturier , de trouver l'expres
sion de cette proportion dans le chiffre de l'échelle aréomé-
trique. Si , par exemple, le chiffre 33, qui est le degré de
l'esprit de vin , indiquait que le mélange mesuré contient
33 parties d'eau sur 1oo , on trouverait de suite la propor
tion d'alcohol , qui serait 77 ; mais les efforts des sa vans ont
échoué devant l'exécution d'une semblable graduation , et ce
que l'on a fait de mieux pour arriver a ce résultat , a été de
graduer les aréomètres par pesanteurs spécifiques.
La pesanteur spécifique est la pesanteur des corps com
parée au volume. C'est ainsi que l'on dit que l'alcohol est
d'une pesanteur spécifique moins grande que l'eau , parce
qu'un volume quelconque d'alcohol pèse moins qu'un volu
me égal d'eau, ou, ce qui revient au même , parce qu'une
Vivre d'alcohol occupe un plus grand volume qu'une livre
d'eau.
On a déterminé par des chiffres le rapport de ces pesan
teurs spécifiques , et l'on a trouvé ainsi qu'un litre , ou ce
qui est la même chose , un décimètre cube d'alcohol pur ,
pèse 792 grammes, tandis qu'un même volume d'eau pèse
1 ooo grammes. On conçoit donc que tous les mélanges d'eau
et d'alcohol devront avoir } sous ce même volume d'un litre.
»4 TRAITÉ DE L'ART
«ne pesanteur exprimée par un nombre intermediaire entre
792 et 1ooo ; c'est-à-dire qu'un litre d'eau et d'alcohol mé
langés aura une pesanteur d'autant plus voisine de 1oo0
que le mélange contiendra plus d'eau , et réciproquement.
On a déterminé ces nuances de pesanteur en variant les
mélanges , et l'on a remplacé les degrés de Cartier par les
chiffres représentant la pesanteur spécifique d'un litre du
liquide mesuré. Voici le tableau de ces pesanteurs spécifiques
comparées aux degrés de Cartier.

TABLEAU
Des pesanteurs spécifiques des liqueurs alcoholiques ,
comparées avec les degrés de l'échelle de Cartier* 1

Pesanteurs Echelle Pesanteurs


de
spécifiques. Cartier» spécifiques.

E.O- IOOO
IOOO8" 27° , 88o*-
38 873
990 *9 867
98, 3o 861
97 5 31 855
3a • 848
o65
953 33 842
g5o 34 837
943 35 83 1
935 36 825
928 ; 37 82o
921 38 814
94 39 808
9°7 40 8o2
900 4' • 797
8q3 42 p": 79a
886
DE LA DISTILLATION. l5
On conçoit qu'avec un aréomètre ainsi gradué l'on
remplace les degrés de Cartier , qui n'expriment rien par
des chiffres qui indiquent la pesanteur du liquide cherchée.
Ainsi ,par exemple , si l'on avait de l'eau-de-vie a peser,
et que cette eau-de-vie eût porté 1 9* a l'aréomètre de Car
tier , on n'aurait , avec cette donnée , aucun moyen de cal
culer dans quelle proportion l'alcohol pur est marié à l'eau
dans cette eau-de-vie ; tandis qu'avec l'aréomètre a pesan
teur spécifique on trouve que l'eau-de-vie à 19° Cartier
pèse 935 grammes au litre. Et avec cette donnée , il est fa
cile de calculer dans quelle proportion l'eau et l'alcohol sont
mélangés. . .
î^ous savons qu'un litre d'eau pèse 1 ooo grammes , et
qu'un litre d'alcohol pur en pèse 792 , et nous avons un li
tre de mélange pesant 935 grammes. Nous savons de plus
qu'un litre égale 1 décimètre cube ou 1ooo centimètres cubes.
î$cms élaVAirons celte équation pour trouver la compo
sition en eau et en alcohol , du litre d'eau-de-vie a 19° , ou
935 grammes.
Le nombre de centimètres cubes d'alcohol contenus dans
le litre d'eau-de-vie a y35 grammes.
1oo0 — q35 X 1ooo 65,ooo . ,
r =_ 2 (1).
1ooo — 79a 2o8
. Effectuant la division de 65ooo par 2o8, nous aurons

(1) Explication des signes algébriques :


= signifie égale.
•+, siguifie plus.
— signifie moins.
X signifie multiplié par.
Et une barre placée entre deux nombres , comme dans
„. ,. • , 65,ooo .
1 equation ci-dessus 5— , signme divisé par.
200
65,ooo
Ainsi , ^— signifient 6000o à diviser par 2o8.
TRAITÉ DE L'ART
pour quotient 512 f centimètres cubes d'alcohol , que con
tiendront les 1 ooo centimètres cubes d'eau-de-vie , qui pè
sent 935 grammes.
Ainsi, nous aurons d'abord pour la composition dece litre
ou de ces 1ooo centimètres cubes.
En volume.
Alcobol = 312 £ ctti"-
Eau= 1oo0 e-•- — 51a 3 = 6873

Ensemble 1ooo ,
nombre égal au volume du litre mesuré.
Pour la composition en poids, rien n'est plus facile que
de l'établir avec les données ci-dessus.
Nous savons qu'un litre d'eau = 1 ooo centimètres cubes ,
1ooo cent. cubes d'eau= 1o0o grammes; or, un centi
mètre cube d'eau pèsera un gramme.
Nous avons ci-dessus, dans la composition en volume,
687 I centimètres cubes d'eau , qui équivalent à 687 ; gram
mes. Ainsi, le poids de l'eau contenue dans le litre d'eau-de-
vie à 955 étant connu, il suffit de soustraire ce poids du
poids total du litre 935, et nous aurons pour produit 247 î
grammes, qui représenteront le poids d'alcohol cherché.

Composition en poids , d'un litre d'eau-de-vie pesant


935 grammes.

Eau = 687 i *"


Alcohol — 935 — 687 \ = 247 }
Ensemble 935
Cette opération ne présente point de difficultés, et il est
toujours très-facile de l'exécuter pour toutes les densités. La
pose de l'équation est toujours la même, et il suffit d'y chan
ger, pour les densités différentes, les chiffres qui expriment
ces densités. Ainsi , en représentant par x le nombre de cen
timètres cubes d'alcohol cherché, quand on aura a. estimer la
DÉ LA DÎStILLATlOrf. 17
composition d'un liquide mélangé pesant 9i4 grammes au
litre ou 32° de Cartier, on établira l'équation ainsi: .. . : >
iooo — 914 X i°oo 86,ooo
1ooo — 79a 2o8
Si le mélange pesait 35° ou 84t2 grammes au litre, ou
aurait .l'équation suivante :
iooo— 84» X i°oo i58,ooo
iooo — 79a 308
En résolvant ces équations par une simple division , on
arriverait facilement , comme je l'ai fait ci-dessus pourl'eau-
de-\\ea 19% à établir la composition de la liqueur âlcoho-
lique en volume et en poids.
Ces calculs d'évaluation précise de la richesse alcoholic;ue
des liquides, sont extrêmement précieux pour le commerce
des spiritueux , et pour le distillateur : nous en verrons par
la suite \es applications.
Pèse- sirop*
Le pèse-sirop, avons-nous dit, sert à indiquer les pesanteurs
des liquides qui sont plus denses que l'eau. Ainsi , la marche
de cet instrument devra être inverse de celle du pèse-liqueur ;,
c'est-à-dire qu'étant plongé dans l'eau, sa tige cjlindrique'de-
vra être immergée presque entièrement. Ou conçoit que , dès
le moment où l'on ajoutera a l'eau un corps plus pesant, soit
du sucre, par exemple, l'mstrument sortira d'autant plus du
mélange quela proportion de sucre ajoutée sera plus grande.
Le pèse-sirop le plus répandu dans les ateliers est celui
gradué par Baumé : le poids de l'eâu est exprimé star son
échelle par zéro, et il porte jusqu'a 5o°, qui ne servent pas
tons pour les dissolutions de sucre , parce que , dans ce cas ,
l'are'omètre ne peut se mouvoir facilement dans le liquide que
jusqu'à 56 on 38°, 4o tout au plus. Les chiffres de ce pèse-
sirop ont le même inconvénient que ceux du pèse-liqueur
de Cartier, c'est-a-dire qu'ils n'indiquent que des rapports
vagues sans rien préciser. Ils indiquent par exemple qu'un
liquide sucré qui pèse 36° contient plus de sucre que celui
2
i
l8 TRAITÉ DE I^ART
1
qui pèse 5o et 25° , mais ils n'offrent pas même les moyen»
de calculer les proportions différentes d'eau et de sucre.
On a appliqué au pèse-sirop une échelle de pesanteurs
spécifiques semblable a celle des pèse-liqueurs, c'est-à-dire
que les chiffres qui figurent vis-a-vis de chaque degré indi
quent la pesanteur d'un litre en grammes. Voici cette échelle
comparée aux degrés de Baume.
Je ne la donne que jusqu'à 5o°, parce que le pèse-sirop
de Baumè ne dépasse guère ce terme.

TABLEAU
Des pesanteurs spécifiques des dissolutions sirupeuses ,
comparées aux degrés de l'aréomètre pèse -sirop de
Baume.
r
Echelle Pesanteurs Echelle Pesanteurs |[Echelh Pesanteurs
de de de
Baumé. spécif1ques. Baume. spéc1fiques. I Baume spec1fiques.

o 18 I 14o«r- 36 1324ç'-
1 1 o06 *9 Il48 37 133b
2 1o13 2o 1 157 38 1349
3 1020 2I 1 167 1361
4 1o23 22 1 1 76 4o 1374
5 1o35 33 1186 41 1386
1o42 1 195 42 14oo
l! l 1o5o 1 ao5 43 14 ) 3
8 ■ o58 26 12 l5 44 1427
9 1o65 27 1225 45 1441
1o 1o73 28 1235 46 1456
11 10S1 29 1246 47 147o
12 109o 3o 1256 48 1485
13 1 10o 31 1267 49 1 5oo
14 1 106 32 1278 5o 1515
15 1114 33 1289
16 [ 1 s.S 34 13o 1
'7 l l32 35 l3l2
DE LA DISTILLATION. I(J
A l'aide de cette graduation , on peut calculer facilement
la quant/té de sucre contenue dans un liquide dont on con
naît la densité aréométrique ; et cette faculté est très impor
tante pour un distillateur, quand il s'occupe, toutefois, de
mettre lui-même ses moûts en fermentation ; il pourra calcu
ler ainsi s'il retire d'un végétal donné une quantité d'alcohol
qui approche de la perfection mathématique.
Soit , par exemple , un liquide sucré pesant 1 5° de Baume
ou 1 1 14 grammes au litre ; il cherchera d'abord la quantité
de centimètres cubes de sucre contenue dans ce liquide , et
nous représenterons cette quantité par x.
Le sucre pur a une pesanteur spécifique égale a î ooo gram
mes, suivant Fahrenheit; c'est-à-dire qu'un décimètre cube
de sucre , supposé pur et sans interstices , pèse 1 6oo gram. ;
l'eau pèse îooo gram. , comme nous le savons. Sur ces don
nées , nous établirons l'équatiou suivante :

1 1 1 4 — iooo X iooo 114,oo0


160o — iooo 6oo
ii 4,ooo . ,
,— = i qo centimetres cubes de sucre , que contten-
(>oo , 1
dront les î ooo centimètres cubes de liquide essayé.
Composition en volume de iooo centimètres cubes de sirop
à n i4 grammes.
Sucre = 1 9o"""-
Eau = iooo — i 9o — 81o
Ensemble. . . . iooo.
Composition en poids de ce même litre de sirop à ni4
grammes.
Eau = 8 io™"- çui" = 81o*™""-
Sucre = in4 — 81o = 3o4
Ensemble. ... in4,
2.
20 TRAITÉ DE L'ART
Rien n'est plus facile que de vérifier ce calcul de la com
position d'un liquide sucré. Nous trouvons les élémens de
cette vérification dans la composition en volume donnée ci-
dessus.
Composition en volume. Composition en poids.
^ccni.cuies de sucre X i6oo*"""-_ g
IOOO
gI0««. cube, ^»eau ^ 10oogrammeS
= 81o
IOOO
OU l,!tre = lll/teram-

On voit , par cette vérification , que le calcul est exact.


Pour les autres densités , on suivrait la même marche , et
l'on n'aurait qu'a changer , dans l'équation , le seul terme
qui représente la pesanteur du liquide dont on recherche la?
composition.
Soit un liquide a 5° de Baumé ou io35 grammes au litre ;,
on aura l'équation suivante :
io55 — iooo X iooo 35ooo
x= —— = .
iooo — iooo 6oo
55,oo0 __ gg centjmetres cui,es je sucre,
0oo
Composition en volume. Composition en poids.
, 58"""- de sucre X ifioo
1ooo J
^cent. cubes J'eau y ?oQo
IOOO 3
IOOO,ccnt. ■» ou I&'"" = 10Î5.

Nous reconnaîtrons plus tard l'avantage de ces calculs r


en en faisant l'application.
BE LA DISTILLATION. 21
SECTION TROISIÈME.
Emploi combiné et indispensable du Thermomètre et de
VAréomètre.
Tous les corps , en se chauffant , se dilatent sans augmen
ter de pesanteur réelle ; e'est-a-dire qu'ils augmentent de vo
lume. Les liquides sont donc soumis a cette loi de la dilatation,
sur laquelle est fondée l'exécution thermométrique. On peut,
■ en effet , se convaincre de cette vérité en se servant du ther
momètre ; et l'on remarquera que , si le liquide qu'il con
tient monte ou descend , ce n'est que par l'effet des change-
mens de température. Quand on le plonge dans un liquide
plus chaud que lui , il monte , parce qu'il s'approprie de la
chaleur •, puis, si on le retire, il retombe, parce qu'il se dé
pouille de la chaleur qu'il avait prise.
L'effet de la dilatation par la chaleur et de la condensation
par le refroidissement , que l'on remarque d'une manière si
palpable daas le thermometre, se produit toujours d'une ma
nière analogue dans tous les liquides. Cette dilatation a été
mesurée pour différens corps, et l'on a reconnu qu'elle était de
xrpour l'eau, et de \ pour l'alcohol, passant de o a 8o° Réau-
mur ; c'est-à-dire que l'eau augmente d'un 22e de son volu
me, et l'alcohol d'un 9e, en passant de o à 8o°. Ainsi un mé
lange d'eau et d'alcohol se dilatera d'autant plus que l'alcohol
y sera dans une proportion plus grande , et réciproquement.
Maintenant que nous connaissons la dilatation que l'eau
et l'alcohol subissent isolément pour 8o° du thermomètre ,
voyons de combien ces liquides se dilateront pour des tran
sitions de température moins grandes.
L'eau et l'alcohol.
Se dilatent pour 8o° de ^a ...... \
Ils se dilateront pour 4o° de 5^ ,
ld. pour 2o° de ...... ~6
tiÈ ld. pour io° de -zyg ......
Jd. pour 5° de thf
Jd. pour 1° de ryjsô . ' • • ♦ • ♦ 751

,
32 TRAITÉ DE l'aRT
A l'aide de ce tableau et des moyens que nous avons indi
ques précédemment pour calculer la composition des liqueurs
alcoholiques en volume, il nous sera toujours très-facile '
d'apprécier le volume qu'occupera un mélange d'eau et d'al-
cohol a une température quelconque.
11 est convenable cependant de dire ici que les tableaux
de pesanteurs spécifiques que j'ai donnés en traitant des pèse-
liqueurs et des pèse-sirops, ont été établis sur une»tempéra- •
ture constante de io° Rèaumur. Ainsi, quand on lit dans le
tableau des pesanteurs spécifiques des liqueurs alcoholiques
que de l'eau-de-vie 22° pèse 914 gram. au litre, il est
bien entendu que cette pesanteur est prise sur de l'eau-de-
vie a 1 o° de température. Sai,a cette précaution , il eût été
impossible , comme on va le voir , d'obtenir de l'aréomètre
une évaluation précise de la pesanteur spécifique.
Si l'on avait, par exemple , 1ooo litres d'eau-de-vie 'a
22° ou 9i 't grammes a la température de 10°, et que cette
température vînt a être élevée tout-à-coup à 2o°, quel serait
alors l'état des 1ooo lit. d'eau-de- vie ? Il est évident qu'ils
augmenteraient de tout le volume que 1 o° de température
peuvent donner à l'eau et a Falcohol contenus dans les
1oo0 litres de 2a°. .
Il faut commencer par estimer la composition de cette
eau-de-vie par les moyens que nous avons donnés, et l'on
trouvera que les 1ooo litres se composent
En volume. En poids. w
Alcohol .... 4 1 5iéc- . . . 327*,A
Eau , 687 ,". . 587
1ooo 91^
Ajoutons à la composition en volume la dilatation connue
pour io°, et nous aurons
l^.^dic. cubes iilcohol -j- — , /^y^âic. cubes oulilres,
587 eau +-p^= 59o fa

Ensemble 1oo9. tÊ

1
r

DE LA DISTILLATION. 23
On voit, par ce résultat, que 9 1 4 kilog. d'eau-de-vie a
22°,gni occupaient, a 1o degrés de température, un vo
lume égal a 1ooo litres, occuperont 1oo9 litres quand la
température sera portée a 2o° ; et comme le poids réel reste
le même dans l'un et dans l'autre cas, il est évident que la
pesanteur spécifique aura changé. En effet, si l'on plongeait
alors dans cette eau-de-vie l'aréomètre, on trouverait qu'au
lieu de donner 22° ou o,i4 grammes de pesanteur, comme
elle le faisait a io°, elle donnerait ilt degrés couverts ou 9o5
grammes. Il y aurait donc ici une diminution de pesanteur
égale a 2° , ou 9 grammes par litre pour 1 o° du thermomètre.
Ce phénomène de la dilatation des liqueurs spiritueuses
par la chaleur , est bien connu des personnes qui en font
commerce ; et pour éviter toutes les contestations qui pour
raient résulter de l'influence de la température sur le titre,
dans toutes les transactions commerciales on stipule toujours
le titre et la température. On est convenu de prendre le
degré 1o du thermomètre que l'on nomme tempéré, pour
base de température. Ainsi , quand un négociant achète de
l'eau-de-vie à 22°, il stipule ce titre au tempéré , c'est-a dire
que l'eau-de-vie qu'on lui fournira devra peser 22° a l'aréo
mètre, sa température étant a io°.
Poux vérifier ces clauses de marché , il est un moyen pra
tique qui est applicable a tous les cas où l'on se servira de
* l'aréomètre. Il consiste a immerger dans l'eau fraîchement
tirée d'un puits, l'éprouvetle métallique qui accompagne
ordinairement l'aréomètre. On a eu soin préalablement d'em
plir cette éprouvette du liquide a peser ; et ce liquide se
trouvant ainsi en contact avec l'eau de puits , par l'entremise
de l'éprouvette métallique , en prend insensiblement la tem
pérature, et arrive au tempéré io°, parce que l'eau dans le
sein de la terre a partout cette température constante.
On a donc , dans cette pratique , un moyen infaillible de
ramener partout, et avec facilité , la température des liqui
des a io°. On s'assure, a l'aide du thermomètre ,du moment
où cette température est établie , et alors il n'y a plus de
difficulté de reconnaître le titre alcoholique de la liqueur ;
t pour cela d'y plonger l'aréomètre.

I».
24 TRAITÉ DE L'ART
Les personnes «pi font le commerce d'eau-de-vie ne se
servent pas de ce moyen , parce qu'elles savent , par expé
rience , qifun degré de l'aréomètre Cartier équivaut à-peu-
firès à 5U du thermomètre. C'est-a-dire que si j'achète de
'eau-de-vie a 22° et au tempéré , et qu'on me la fournisse
a 3o° température , on devra alors me donner de l'eau-de-
vie qui pèse 24° a l'aréomètre : c'est sur cette règle prati
que que l'on se dirige communément dans le commerce.
Cette influence de la température sur le titre des liqueurs,
prouve qu'il est indispensable de se servir du thermomètre ;
sans cette précaution , on serait exposé a recevoir une mar
chandise qui ne porterait pas son titre.
Signalons maintenant une irrégularité des transactions
commerciales de liquides spiritueux. Nous avons , dans ce
qui précède , tous les documens propres a mettre cette irré
gularité en évidence.
Quand un négociant achète une partie d'eau-de-vie , il sti
pule le degré de cette eau-de-vie au tempéré, soit 22° à io°,
ou , ce qui est la même chose , 9i4 grammes à io° ; et si la,
marchandise qu'on lui fournit a 2o°de température, et qu'elle
porte 24° aréométriques , elle est recevable , et l'acheteur
doit en prendre livraison, pourvu qu'on emplisse les futail
les jusqu'à la bonde. Toutes choses sont-elles égales dans
l'exécution de ce marché, et les intérêts du vendeur et de l'a
cheteur sont-ils également respectés ? Non , et je le prouve.
Il est bien que l'on tienne compte de la température pour
l'évaluation du titre , parce que l'eau-de-vie a 2o° de tem
pérature et 24° aréométriques n'est réellempnt que de l'eau-
de-vie à 22° , la température étant io° ; mais par la même
raison que la pesanteur aréométrique a changé , le volume
de la marchandise a dû changer d'une manière relative ,
puisqu'elle n'a pu diminuer de pesanteur qu'en se dilatant.
Il faudrait donc pour que tout fût égal , dans les intérêts du
vendeur et de l'acheteur , que l'on tînt compte tout-à-la--
fois , dans la transaction , de l'influence de la température,
sur le titre et sur le volume , et c'est ce qu'on ne fait pas.
Soient , par exemple , 1ooo litres d'eau-de-vie vendus a
9 14 grammes et io° , et livrés 'a go5 grammes et 2o° , les,
S)E LA DISTILLATION. 25
10oo V1tres sont bien livrés en apparence , mais ils le sont
sous un volume augmenté par la dilatation de 1o° , et ces
1o00 litres livrés à 2o° température , n'équivalent réelle
ment qu'a 991 litres a jo°. 11 faudrait donc ici que le ven
deur livrât a son acheteur 1oo9 litres au lieu de 1ooo, pour
gu'il eût son compte. En effet , si par un changement suhit
de température les 1ooo litres d'eau- de- vie à 9o5 grammes
et 2o° venaient se refroidir jusqu'à 1o° , leur volume se ré-
. duirait à 991 litres, en même temps que le titre retombe
rait à 914 grammes.
Nous aurions , dans les aréomètres gradués par pesanteur
spécifique , un moyen exact et infaillible de déterminer l'in
fluence de la température sur le volume. En effet , le titre
de la marchandise étant reconnu exact par les moyens que
j'ai indiqués , on s'occuperait de la vérification du volume.
Soit toujours le même exemple , 1ooo litres d'eau - de - vie
achetés a 9 3 4- grammes au tempéré et fournis a 9o5 grammes
et 2o°, la difference de pesanteur étant reconnue, à T'aide du
thermomètre , provenir de la chaleur , on établirait ainsi le
calcul de la dilatation ; on multiplierait 9 1 4 grammes par
1ooo litres , on diviserait le produit par 9o5 grammes , et
l'on aurait pour résultat de l'opération 1oo9 litres , qui in
diqueraient la quantité de litres d'eau-de-vie à recevoir. Il
en' serait de même pour tous les cas , c'est-à-dire que, pour
trouver cette quantité de marchandises a recevoir , pour
toutes les températures , on multiplierait le nombre de litres
achetés par la pesanteur en grammes aussi achetés , et l'on
Aviserait le produit parla pesanteur actuelle, c'est-à-dire,
par celle que la liqueur possède au moment de la livraison.
Il serait à désirer , dans l'intérêt du commerce , que le
gouvernement s'occupât de faire adopter les aréomètres gra
dués par pesanteur spécifique , ne fût-ce que pour éviter l'ir
régularité actuelle des transactions. Il trouverait deplus. dans
l'adoption de ce genre d'aréomètre , un moyen plus sûr de
fixer et de prélever les impôts avec équité , par la facilité
£<ju'fl aurait d'apprécier la richesse alcoholique de toutes les
liqueurs. En effet, l'alcohol seul doit une rétribution au gou-
^prnement, et l'eau n'en doit pas.
20 TRAITÉ DE l'aRT .

CHAPITRE II.

Des machines spéciales aux opérations qui ont


pour objet de prédisposer les végétaux à la fer
mentation alcoholique.

Avant d'aborder la descr1ption des opérations diverses


que l'on fait subir aux végétaux pour les prédisposer a la
fermentation , il est indispensable de connaître les différen
tes machines et appareils que l'on utilise a cet effet. Il est
plusieurs de ces machines dont l'emploi peut être commun
à plusieurs végétaux. Nous aurons donc l'avantage, en les
décrivant isolément des opérations , d'éviter des répétitions,

SECTION PREMIÈRE. *

Machine à égrapper.

L'instrument dont on se sert pour égrapper le raisin , est


une fourche à trois dents. Le manche peut avoir 1 mètre et
demi a 2 mètres de longueur , et chacune des dents aa%o à
2 5 centimètres de longueur.
Ce même instrument pourrait servir pour tous les fruits
qui , a l'exemple du raisin, sont groupés en grappes. Telles
sont , par exemple , les groseilles.
Le fruit étant placé dans une cuve de forme circulaire, un
ouvrier armé de la fourche a égrapper, l'agite en tous sens
dans la cuve. Il détache par ce mouvement le raisin dela grap
pe , et la ramène a la surface , d'où il l'enlève avec la main.
On égrappe aussi quelquefois le raisin avec un crible
formé de brins d'osier qui laissent entre eux un intervalle
de 4 à 6 lignes. Ce crible est surmonté d'un bourrelet forme
d'un tissu d'osier serré, j * ., .*
DE LA DISTILLATION. 27
SECTION DEUXIÈME:
Des Fouloirs.
Les fouloirs propres a écraser les raîsîns et briser les cel
lules qui contiennent le jus , consistent dans une caisse car
ree de quatre pieds de côté environ , et ouverte a sa partie
supérieure , de manière qu'un homme puisse s'y mouvoir
en tous sens , et y froisser les raisins avec ses pieds , qui
sont armés ou de sabots ou de forts souliers. Les côtés et
le fond de cette caisse sont formés de liteaux de bois qui ne
laissent entre eux qu'un intervalle assez petit, pour qu'il ne
permette pas aux grains de raisins d'y passer intacts , et
qu'il puisse cependant laisser un passage libre au jus mis en
liberté par le foulage. Cette caisse est disposée sur la cuve
de fermentation , et soutenue par deux poutres , qui repo
sent sur les bords de cette cuve : de sorte que , lorsque l'ou
vrier est certain que tous les grains out été suffisamment
broyés et écrasés , et qu'il ne reste dans son fouloir que les
pellicules du raisin , il soulève l'un des côtés de la caisse ,
glissant à cet effet entre deux coulisses , et il chasse avec
les pieds , par cette ouverture , tout le marc qu'on fait
presque toujours tomber dans la cuve, quand le vin est des
tiné a la distillation.
Le fouloir usité pour les cerises ne diffère du précédent
qu'en ce que l'on substitue un panier d'osier à la caisse de
bois : l'opération du foulage s'exécute alors avec les mains.
♦ Mais on voit que si l'on employait pour les cerises le même
appareil que pour le raisin , de même que pour tous les fruits
doux a noyaux , on obtiendrait, toutes les (bis que l'opération
en vaudrait la peine , économie de main-d'œuvre et célérité
dans le travail.
SECTION TROISIÈME.
Des Presses.
Les presses utiles dans l'art du distillateur , se réduisent
, à deux : ce sont les presses à vis ou pressoirs a raisin , et
les presses a cylindres. Je vais donner isolément une idée
^ ' * de leur construction.

f
38 TRAITÉ DE l'a.RT
Presses à raisin.
Les pressoirs à raisin sont fonde's sur le système de la
presse h vis. Ils se composent d'un plateau penché , garni
d'an rebord et d'une rigole du côté de la pente, pour por
ter le liquide exprimé , dans un réservoir inférieur.
Un grand plateau fixé a l'extrémité inférieure de la vis ,
s'élève ou s'abaisse avec celle - cl , qui , à sa partie supé
rieure , porte une roue dentée d'un grand diamètre. Cette
roue dentée engrène dans une vis sans fin taillée dans un
arbre qui tourne horizontalement, et cet arbre porte lui-
même, a ses deux extrémités , deux lanternes de 4 a 5 pieds
de diamètres , que des hommes font mouvoir à l'aide de cor
des sans fin. Cette presse réunit la force la plus considérable
que l'on puisse obtenir de l'effort d'une vis. C'est le pressoir
usité en Champagne pour les vins mousseux.
Presses à cylindres,
11 existe plusieurs presses à cylindres ; mais l'exécution la
plus parfaite, dans ce système, est celle de Lauvergnat, con
struite pour la fabrique de sucre indigène de M. leduc DeRa-
guse. Les détails de cette presse sont dessinés avec beaucoup
de soin et d'exactitude , dans le Recueil des instrumens et
appareils d'économie rurale, publié par M. Leblanc, dessina
teur-graveur du Conservatoire des Arts et Métiers ( 1 ). Ce
que nous allons dire de la presse à cylindres de Lauvergnat ,
est extrait de cet ouvrage.
Le mécanisme est monté sur un bâti solide en chêne; vers 1
l'une des extrémités de ce bâti se trouvent deux cylindres de
a5 centimètres de diamètre, sur i mètre i5 centimètres de

(i) Ce Recueil se recommande à la confiance publique par la


correction du dessin , le choix des machines et le fini des épures y
qui en facilitent l'exécution ; et il est à désirer , dans l'intérêt des
arts industriels, que M. Leblanc fasse en leur faveur ce qu'il a fait
pour l'agriculture : il rendrait , par là même , le plus grand service
à l'industrie. Tout ce qui sort des mains de M. Leblanc est parfait ,
et il n'est rien que nous ne puissions attendre des taleDS , des cont
naissances et du zèle de cet artiste distingué,

',
DE LA DISTILLATION.
longueur environ ; ces deux cylindres sont superposés , et le
plan dans lequel ils se trouvent est légèrement incliné. Le
cylindre inférieur est en fonte, et son axe, qui est en fer
forgé , tourne sur des coussinets de cuivre fixes dans le bâti;
le cylindre supérieur est en bois d'orme tortillard ou mal-
fente ; son axe est en fer , et tourne également dans des cous
sinets en cuivre , qui sont mobiles dans le sens vertical , afin
de donner la faculté de serrer plus ou moins le cylindre su
périeur sur l'inférieur, par deux vis de pression semblables
à celles usitées pour les laminoirs. A l'une des extrémités de
ces cylindres et sur leurs axes, se trouvent fixées deux roues
d'engrenage en fonte, qui les assujettissent à un mouvement
égal et en sens contraire : la denture de ces roues est un peu
longue , pour qu'elle ne puisse pas échapper lorsqu'on vient
à écarter les cylindres.
Sur l'axe du cylindre inférieur , et du côté opposé a l'en
grenage, se trouve fixée une roue dentée en fonte, de 80
centimètres de diamètre, portant a sa circonférence 8o dents ;
cette roue engrène dans un pignon armé de 1 o dents , qui
est fixe sur l'axe d'une grande roue de mouvement garnie
de chevilles à sa circonférence. C'est a l'aide de cette der
nière roue , qui a environ un mètre 80 centimètres de dia
mètre, que l'on communique le mouvement a la machine.
On conçoit qu'avec cette disposition , la roue de mouve
ment fait 8 tours pendant que les cylindres de pression eu
font un.
Sur le cylindre inférieur s'enroule une toile sans fin , faite
^ordinairement d'un fort canevas ; cette toile est soutenue
sur divers points de la machine, par 4 rouleaux en bois qui
la soutiennent dans son trajet, et l'un d'eux est disposé de
telle sorte , qu'il en sôutend une partie dans une position
horizontale ; et c'est sur cette partie de la toile qu'arrivent
les matières que l'on veut soumettre a l'action de la presse ,
en Jes engageant dans les cylindres. Pour,obtenir ce résul
tat , on dispose au-dessus de la portion de toile dont je viens
de parler , une caisse sans fond , destinée a recevoir la ma
tière à presser. Au-dessous du cylindre inférieur et de la por
tion horizontale de la toile, se trouve une autre caisse en
3o TRAITÉ DE L'AîlT
forme d'auge , dans laquelle s'écoule le jus exprimé. La pâte
entre ainsi d'un côté des cylindres , et sort de l'autre , épui
sée de son liquide ; mais comme elle adhère un peu à la toile
par l'effet de la pression , on la sépare à l'aide d'une racloire
en forme de couteau, placée contre le cylindre inférieur
dans toute sa longueur.
Disons , pour l'intelligence parfaite de cette machine, que
les 4 rouleaux conducteurs de la toile sans fin sont disposés
de telle sorte , que cette toile enveloppe la caisse destinée à
recevoir le liquide.
L'expérience a appris qu'il ne fallait pas serrer trop for
tement les cylindres l'un contre l'autre , parce qu'alors il ne
passe qu'une couche de pulpe très-inince , ce qui rend le tra
vail beaucoup plus long.
Cette machine peut être mise en mouvement par la force
d'un homme appliqué à la roue de mouvement. Elle est em
ployée dans la fabrique de sucre de betteraves de M. le duc
De Raguse. , à Châtillon-sur-Seine , pour l'épuisement des
pulpes de betteraves, et l'on retire avec son service 55 a 60
pour cent de jus.
SECTION QUATRIÈME.
Bacs à tremper les grains pour la germination.
Les bacs à tremper les grains se font en bois ou en maçon
nerie.
Ces derniers sont préférés dans les grands établissemens ,
comme étant plus solides et plus durables ; mais soit qu'on les
fasse en l'une ou l'autre matière , la forme carrée est celle qui
leur convient le mieux , parce que cette forme économise le
terrain et que la nature de l'opération dela trempe ne néces
site pas une forme particulière.
Quant à la capacité a leur donner , elle doit être réglée
sur la quantité de grains que l'on veut y faire tremper. Si
l'on veut opérer , par exemple, sur 2o hectolitres de grains ,
il faut calculer la capacité de la cuve, de manière à ce qu'elle
contienne a-peu-près 24 hectolitres. Cet excédent de capa
cité est nécessaire pour le gonflement que prend le grain ca
DE LA DISTILLATION. 3i
s'impréguant d'eau , et pour la portion excédente de ce li
quide qui doit recouvrir le grain.
Or «n hectolitre égale à -peu-près un cube de 46 centi
mètres ou , ce qui revient au même, 1oo décimètres cubes,
de sorte que pour construire une cuve qui contienne 24 hec
tolitres , il faut lui donner une dimension telle que la surface
du fond , multipliée par la hauteur , donne un cube égal à
24 hectolitres. Ce sera, par exemple, ici , eu lui donnant la
forme la plus convenable, une cuve de 1 mètre de largeur ,
de 2 mètres de longueur et de 1 mètre 2o centimètres de
hauteur.
On donne a la cuve une légère inclinaison , et l'on prati
que , du côté le plus bas , un petit tuyau de décharge que
l'on place à fleur du fond.
* SECTION CINQUIÈME.
Des Germoirs.
les germoirs sont des locaux plus ou moins vastes, voûtés
et peu élevés , pour la conservation d'une température con
stante. Ils doivent être légèrement éclairés , mais sans jamais
recevoir directement la lumière du soleil. Ils ne doivent pas
être non plus exposés à des courans d'air.
Dans ces germoirs , on dispose un pavé uni, formé, au-
stant que possible , en grosses pierres ou dalles réunies par
un ciment a la chaux , et c'est sur ce pavé que l'on étend
le grain en couches, comme nous l'expliquerons par la suite.
On peut encore se servir pour germoirs de cuves en bois
carrées ou rondes , et munies de couvercles. Alors on n'a
pas besoin de local qui soit spécialement affecté a cet objet,
et on transporte les cuves où la température est la plus fa
vorable.
SECTION SIXIÈME.
Des Appareils propres à dessécher les grains , nommés
y tourailles ou tourelles.
On a imaginé plusieurs espèces de tourailles , qui toutes
ont pour objet de dessécher les grains , c'est-a-dire de leur
enlever l'eau dont on les a chargés par la trempe. Comme
Sa TRAITÉ DÉ L'ART
nous ne connaissons rien de mieux que les tourailles à coù-•
rant d'air chaud , nous ne décrirons que celles-la : ce son!
aussi les plus connues et celles qui sont le plus génerale
ment employées.
Vue extérieurement , une touraille ressemble a une vaste
pyramide de maçonnerie renversée, c'esWa-dire à une py
ramide tronquée dont le sommet repose sur le sol. Elle se
compose d'un fourneau ordinaire , qui se trouve à la partie
inférieure , et d'une plate-forme qui occupe le sommet de
l'appareil. Cette plate-forme peut être formée ou de car1 eaux
épais de terre cuite percés d'une infinité de trous , ou bien
encore , et peut-être même mieux , 6Vun treillis serré de fil
de fer. Quelle que soit d'ailleurs la matière dont on cou-»-
struise la plate-forme de cet appareil , il faut qu'elle pré
sente une surface a jour , il faut que les ouvertures de cette
surface ne soient pas assez grandes pour livrer passage aux
grains qu'on doit déposer dessus , et il faut de plus que la
matière qui la compose ne soit pas combustible ; et l'on va
en sentir la raison. Cette plate-forme est destinée a livrer
passage a l'air chaud qui se dégage du foyer dont elle est',
pour ainsi dire , la cheminée. On conçoit donc qu'il ne se
rait pas prudent de la faire en bois , par exemple , ou au
tre matière combustible. C'est sur cette plafe-forme qu'où
dépose les grains que l'on vent dessécher.
La dimension du fourneau et celle de la plate-forme do1
vent toujours être proportionnées entre elles. Quant à la.
hauteur de la pyramide, c'est -à-dire quant a l'espace qui se
pare le fourneau de la plate-forme , 1l n'est pas indifférent,
puisque c'est de lui que dépend le tirage du fourneau :
c'est une véritable cheminée , qui détermine , par sa hau-
teur , l'activité de la combustion sur la grille, et par consé
quent la vitesse d'introduction de l'air dans le foyer. C'est
pour cela que l'on donne communément a cet appareil une
hauteur de 2o, a5 , et même 3o pieds. Une autre condition.
à remplir se lie aussi parfaitement a cette exigence du tirage.
D'une part , il est convenable que l'air chaud qui produit le
desséchement du grain , n'arrive jamais dans ce grain a une
température supérieure 37o°, ou tout au plus 8o° ; car il
DE LA DISTILLATION. 33
faut quelquefois que le grain ne soit desséché qu'à 5o°. D'un '
autre côté , l'air chaud , tel que le fournit le foyer, possède
po;
toujours une température bien plus élevée , puisque c'est
toujours de l'air qui a traversé des charbons ardens ;.on
jjfa ton
t donc que si la plate-forme se trouvait placée immédia
tement au-dessus du foyer, la température avec laquelle
l'air traverserait le grain serait telle , qu'elle le brûlerait au
lieu de le dessécher. On évite cet inconvénient par la hau
teur que l'on donne a la touraille , et l'on garnit sa capacité ,
dans l'intervalle qui sépare le foyer de la plate-forme , dé
diaphragmes qui forcent l'air à circuler avant de toucher le
grain. En circulant entre ces diaphragmes , l'air chaud ren
contre de l'aif froid qui lui est fourni par des ouvertures
inférieures ; et il arrive ainsi , par ce mélange, sous un vo
lume plus grand, et avec une température convenable au but
que l'on se propose. C'est en combinant la quantité de com
bustible que l'on brûle dans le foyer avec l'introduction de
l'ail- froid par les ouvreaux, que l'on parvient a régulariser
la température de l'air destiné au desséchement. Ainsi , quand
on veut dessécher à une température plus élevée , on active
la combustion , et l'on ménage l'introduction de l'air froid,
en fermant , en tout ou partie , un ouvreau , et vice versa,
pour le cas où l'on veut dessécher a une température plus
basse.
On donne communément aux tourailles d'une moyenne
dimension , une plate-forme de 1o a 12 pieds de côté en
carré, et une hauteur de 2o à 25.
Un fourneau carré-long, avec une grille de cette forme,
de dix-huit pouces de longueur sur 12 de largeur , suffit
pour une touraille de cette dimension. Voyez dîailleurs , pour
de plus amples notions sur la construction des fourneaux,
ce que nous disons sur cette matière dans notre troisième
partie.
SECTION SEPTIÈME.
Des machines à concasser ou à moudre les grains.
Les machines propres a moudre ou à concasser les grains
destinés a la distillation se trouvent partout, puisque ce sont
3
34 TRAITÉ DE L'ART
les mêmes qui servent a réduire les grains destinés a la pani
fication ; seulement, nous ferons observer que presque tou
jours, pour la distillation, on se contente de concasser les
grains : on sent bien qu'alors les meules ne doivent point
être aussi rapprochées l'une de l'autre que lorsque l'on doit
produire de la farine bien divisée. Il existe même chez les
Brasseurs, ou dans les pays de grande distillation de grains,
comme la Hollande, la Belgique, et le nord de la France,
des systèmes de meules spécialement affectées à la mouture
des grains destinés à la production de l'eau-de-vie. Dans ce
cas, on modifie légèrement leur taille, c'est-à-dire que l'on
donne aux raies transversales , tracées sur les faces broyantes,
une position moins inclinée, et qui se rapproche davantage
des rayons du cercle de la meule. .À l'aide de cette dispo
sition , le grain met moins de tems entre son entrée dans les
meules et sa sortie , et il subit ainsi un froissement qui serait
inutile s'il était plus prolongé.
Le diamètre le plus convenable à donner à ces meules est
de 3 pieds, suivant le système anglais. Quant au moteur,
on peut employer indifféremment ou un moulin à vent, ou
une chute d'eau, ou un manége, ou une machine a vapeur.
SECTION HUITIÈME.
De la Cuve à double fond.
La cuve a double fond , si utile dans l'art du brasseur,
pour faire les extractions, se compose généralement d'une cuve
cylindrique , beaucoup plus large que haute, pour la commo
dité du travail. -
A deux ou trois centimètres de hauteur au-dessus de son
fond, on ajuste un double fond mobile, soutenu, à cette
hauteur , sur les divers points des parois latérales , par des
tringles de bois, ou des appuis quelconques. Seulement,
il faut avoir soin qu'il ne joue pas dans la cuve ; et pour
cela, on peut le fixer par des chevilles de bois.
Ce double fond est percé de trous coniques, qui ont à leur
base un diamètre d'un centimètre environ, mais dont le som
met ne doit jamais excéder a a 3 millim. de diamètre : cette
DE LA DISTILLATION. 35
condition n'est pas indifférente, et on en reconnaîtra l'utilité
lorsque nous traiterons de l'emploi de cette cuve.
Comme, dans l'usage de cet appareil , il est indispensable
de faire arriver l'eau entre les deux fonds, l'on adapte à un
f* point quelconque de la circonférence de la cuve un tuyau
conducteur en bois , dont l'orifice supérieur se trouve au ni
veau du bord , et dont l'orifice inférieur ne cpmniunique
qu'avec l'espace qui se trouve entre les deux fonds. Cette
cuve est , au reste , celle que l'on emploie partout dans les
brasseries. .
SECTION NEUVIÈME.
Chaudière à vapeur.
La figure 1" de la planche I™ représente la coupe de
cette chaudière a vapeur montée sur son fourneau.
A est une chaudière en cuivre munie de son couvercle B ,
qui s'adapte sur le col de la chaudière , à l'aide de pinces de
fer semblables a celles employées dans l'appareil distillatoii e
perfectionné d'Adam et de Bérard , dont nous parlerons
dans notre troisième partie.
Le couvercle B porte un tube recourbé CD , qui sert à
conduire la vapeur partout où l'on en a besoin. Ce tube porte
à cet effet , a l'extrémité D , un collet qui peut s'appliquer à
tout autre tuyau , à l'aide de deux vis a écrou. Ce modo
d'assemblage est le plus commode. EF est un tube de sûreté,
qui sert en même temps au renouvellement de l'eau dans la
chaudière, et qui plonge dans cette chaudière jusqu'à 5 cen
timètres environ au-dessus du fond.
Ce tube sert comme tube de sûreté, en ce qu'il laisserait dé
gorger l'eau par l'ouverture E,si la pression était trop grande
dans la chaudière. Il livre passage à la vapeur par la même ou
verture, et il annonce ainsi que la chaudière a besoin d'eau.
g£ G est un robinet qui sert à fixer le niveau de l'eau dans la
chaudière, quand on la charge. A cet effet , on l'ouvre tou
jours, lorsque dans un travail continu on recharge la chau
dière. Ce robinet alors a une double fonction , c'est celle de
donner accès à l'air , et d'éviter ainsi le danger qui résulte
rait de l'absorption. Voyez ce que je dis au sujet de l'absorp
3.
36 TRAITÉ DE L'ART
tion , en traitant des précautions a prendre pour la charge
de la chaudière distillaloire de l'appareil simple.
Cette chaudière est montée sur son fourneau, d'après les
principes établis dans notre troisième partie , sur la con
struction des fourneaux.
J'ai représenté dans la même planche , fig. 2 , la coupe
de ce fourneau. AB est la grille.
C,D,E,F,G,H, I, J, sont des supports en maçonne
rie. destinés a soutenir la chaudière ; ils laissent entre eux
les intervalles inégaux 1 , 2, 3, 4, 5, 6, 7, qui servent à
livrer passage a la flamme. La flamme se rend ainsi dans une
galerie circulaire autour des parois latérales de la chaudière,
et de la elle se rend dans la cheminée. Je n'ai pas pu faire fi
gurer cette galerie dans la coupe ; mais on peut se former
une idée de sa position, et trouver ses proportions dans l'élé
vation du fourneau de la fig. 1". H et I représentent deux
sections verticales de cette galerie.
Cette chaudière est calculée pour produire 84 kilogram
mes de vapeur par heure, en supposant qu'elle soit alimen
tée avec de l'eau bouillante ; car s'il fallait perdre du temps
à chauffer l'eau, elle fournirait une quantité de vapeurs
moins grande. Elle contient 23o litres jusqu'a la ligne poin-
tillée a, et 3o6 jusqu'a la ligne de charge b.
Il serait très-facile d'alimenter constamment cette chau
dière avec de l'eau bouillante , en disposant au-dessus d'elle
une autre petite chaudière en cuivre , que l'on emplirait
d'eau , et qui se chaufferait avec la chaleur échappée a la
chaudière inférieure. De cette manière, on obtiendrait une
économie notable de combustible.
Les parties du fourneau sont calculées pour consommer 14
kilogrammes de charbon par heure.
SECTION DIXIÈME. fk
Cuve à saccharifier la fécule par l'acide sulfurique.
Voyez pl. I , fig. 3. ^
A est une c11ve solide doublée en plomb et de la capacité
de 1655 litres , jusqu'a la ligne pointiUcc «è.
<* BE LA DISTILLATION. 3j
A son centre, est fixé un agitateur BC, traversé, dans sa
tauteur, de cinq pièces de bois destinées a mettre le liquide
de la cuve en mouvement.
DE est un conduit en plomb destiné a introduire la vapeur
dans la cuve A. Il porte à son orifice D un collet qui facilite
gon ajustage sur le tube qui amène la vapeur de la chaudière.
F est un robinet de décharge.
La fig. 4 de la même plauche représente la même cuve
vue à vol d'oiseau.
A est une trappe mobile que l'on enlève quand on veut in
troduire du liquide dans la cuve, et que l'on replace après ,
en la fixant 'a l'aide des arêtes B et C.
J'ai fait figurer ici un robinet D , que je n'ai pu montrer
dans la figure 3. Ce robinet doit être placé à trois ou quatre
centimètres au-dessus du fond de la cuve , et il sert à souti
rer le liquide clair , tandis que le robinet F sert a soutirer le
dépôt qui se forme dans le travail , auquel cette cuve est des
tinée.
SECTION ONZIÈME.
Tonneau destiné à cuire les pommes de terre en nature
dans la distillation agricole.
Ce tonneau peut être pris dans les tonneaux ordinaires >
une pipe a eau - de- vie pourrait faire ce service , par exem
ple ; mais si on le faisait faire exprès , il serait plus convena
ble de lui donner la forme et la construction de celui que j'ai
représenté pl. I , fig 5.
A est un tonneau cylindrique en chêne solide , cerclé en
fer , et foncé des deux bouts. Toute sa surface intérieure doit
ê(re doublée en cuivre ou en plomb , afin d'avoir une soli
dité convenable. Il est calculé pour contenir goo a îooo kilo
grammes de pommes de terre, c'est -à-dire qu'il a une capa
cité égale à i 28o litres ; mais il est nécessaire de ne jamais le
remplir , parce que les pommes de terre gonflent en se cui
sant/ ,
On introduit les pommes de terre par une trappe BC pra
tiquée sur son fond supérieur , et on les en fait sortir par
une double trappe DE , ménagée a son fond inférieur.
38 TRAITÉ DE L'ART
Les fig. 6 et 7 , même planche , représentent ces deux
fonds.
La fig. 6 est le fond supérieur. Il porte une trappe A a
v charnières, que l'on ouvre et ferme a volonté ; cette trappe
étant fermée est maintenue solidement sur le fond par les
arêtes B et C.
Le fond inférieur , fig. y , porte une double trappe A et
B , qui s'ouvre par le milieu , en pivotant sur les charnières
a , b , c, d. On les ouvre en détachant le barreau de fer
CE , qui est tenu en C, mais mobile dans un crampon au
quel il tient par un œillet. Ce barreau se glisse en E , où il
n'est maintenu que par un arête D; et lorsqu'il est décroché
et séparé du côté E, il pend par l'extrémité C et permet aux
deux battans de la trappe de se rabattre pour livrer passage
aux pommes de terre cuites.
Le tube F de la fig. 5 est destiné a l'introduction de la
Vapeur, et son orifice intérieur est garanti par un plan incliné
et percé de trous G. Ce plan empêche les pommes de terre
de boucher le conduit F, et de s'opposer ainsi au passage
de la vapeur. 11 sert de plus , ainsi que le plan H qui se
trouve en regard , a empêcher qu'il ne reste des pommes de
terre cuites dans les angles du tonneau, chaque fois qu'on le
décharge. *
SECTION DOUZIÈME.
Machine à réduire les pommes de terre cuites à la vapeur.
Cette machine est représentée pl. II.
La fig. 1 est une élévation latérale de la machine vue du
côté de l'engrenage. .4
La fig. a est le plan de la machine vue a vol d'oiseau , la
trémie étant supposée enlevée.
Les mêmes lettres indiquent les mêmes pièces dans les
deux figures. «
A, A, A, A est un bâti solide en madriers de chêne.
B et C sont deux cylindres en bois ou en pierre , ou mieux
encore en fonte. Ces deux cylindres sont de diamètres égaux ;
ils sont distans l'un de l'autre de quelques millimètres , et ■
sont destinés à écraser les pommes par leur mouvement de
DE LA DISTILLATION. 3g
rotation inégale. Cette rotation inégale s'obtient parles deux
roues d'engrenage de diamètres inégaux a et b.
D est une trémie mobile , qui appuie sur le bâti en cd.
Elle est destinée a recevoir les pommes de terre pour les
transmettre aux cylindres.
EF sont deux manivelles fixées sur l'axe du cylindre C.
Elles servent a mettre la machine en mouvement.
GH est un décrottoir à levier. Il pivote au point e , et le
poids g, dont l'action s'exerce sur le levier Ge , presse l'ex
trémité H du décrottoir sur le cylindre B. Ce décrottoir sert
à séparer du cylindre la pomme de terre qui y adhère.
h,i,j,ft, sont des planches mobiles tenues dans deux cou
lisses. Elles ferment la partie inférieure de la machine. et for
ment un côté d'une caisse qui reçoit les pommes de terre
écrasées.
Les pommes de terre écrasées se retirent du côté I a l'aide
d'un volet a charnières , qui s'élève ou s'abaisse à volonté.
Cette machine est fort simple , peu dispendieuse , et peu
sujette aux réparations. J'y ai fait figurer deux manivelles , .
quoiqu'un homme puisse la faire marcher ; mais il vaut
mieux en mettre deux dans un travail continu , pour ne pas
trop les fatiguer. Elle peut réduire 1 ooo kilog. de pommes
de terre en 1o a 12 heures de travail. Pour obtenir de plus
grands produits , il faudrait lui appliquer plus de force , et
adapter un engrenage pour accélérer la rotation des cylindres.
La manœuvre n'offre aucune difficulté On fait arriver
les pommes de terre cuites dans la trémie D ; les cylindres
étant rais en mouvement , saisissent ces pommes de terre ,
les écrasent , les divisent et les déposent dans la caisse for-
elles
prépa-
plu
SECTION TREIZIÈME.
Râpe.
Les râpes les plus parfaites que nous connaissions , sont,
celle de Burette , pour la réduction des pommes- de terre ,
et celle d'Odobel, pour la réduction des betteraves.

■1 * n
40 TRAITÉ DE l'aRT
Râpe de Burette , pour les pommes de terre. 1
H suffira , pour donner une idée exacte de la construc
tion de cette râpe et de ses effets, de produire ici le rapport
fait à la société d'Encouragement , par M. Pajot-Deschar-
mes , au nom du comité des Arts mécaniques.
« Le moyen d'obtenir la fécule de pommes de terre avec
» économie de temps et de main-d'œuvre , a fixé depuis
» long - temps l'attention des mécaniciens. Quoique leur
9 émulation ait été , a plusieurs époques , puissamment se-
» coudée par les circonstances , le premier système de râpe
» connu, celui de la râpe de fer-blanc troué , est jusqu'à pré-
» sent le seul qu'on ait suivi. M. Burette , qu'une longue 1
» pratique a éclairé sur les vices de ces instrumens consi-
» dérés par rapport a la nature de la pulpe de la pomme de
» terre, paraît avoir senti le premier la nécessité de prendre
» uue autre direction. La machine dont nous allons rendre
» compfe à la Société , est le fruit des méditations de cet
ç artiste
j> Un bâti solide en chêne , de forme oblongue , monté
» sur quatre pieds maintenus haut et bas par des traverses ,
» constitue l'assemblage qui porte les diverses parties du
» nouveau mécanisme, presque toutes disposées sur la lon-
» gueur des traverses supérieures. Ces parties se compo-
» sent d'un cylindre plein et en bois , préparé convenable-
» ment ; il a i 8 pouces de diamètre sur S pouces de lar-
» geur , et fSt armé sur sa circonférence de 8o lames de
» scies , de 7 pouces de longueur. L'axe de ce cylindre
» porte, a l'une de ses extrémités, un pignon en fer, garni
% de 1 6 dents , lesquelles engrènent dans celle d'une roue
» pareillement en fer , de 12o defnts ; une manivelle de 1 3
» pouces est montée à chacune 'des extrémités de l'axe de
» cette dernière roue. Sous ce cylindre est placé une es*-*
» pèce de coffre , incliné de manière à renvoyer la pulpe-v*
» obtenue dans un baquet tenant lieu de récipient ; sur la n
» même face du bâti , et en avant de la circonférence de
» ce cylindre, est ajustée, sur un centre mobile , une sorte
» de volet en bois , qui reçoit de l'axe du pignon et a l'aide

f
DE LA DISTILLATION. 41
» de bascules , un mouvement de va-et-vient , de telle sorte
» que l'intervalle existant entre le cylindre et ce même vo-
•)) ht, pour le passage de la pomme de terre , est alterna-
» tivement resserré et ouvert. L'ouverture toutefois est li-
» mitée par une petite barre sur laquelle le volet , dans son
» recul , vient s'appuyer. Toutes les parties de la machine
» qui débordent le bâti , sont enveloppées par une boîte ,
» surmontée d'une trémie devant contenir au moins un
» quintal de pommes de terre. Tl résulte de cette espèce de
» cage , que la trituration est opérée très-proprement, sans
» éclabousser , et sans perte de matière. »
Cette râpe peut réduire 20oo kilogrammes de pommes de
terre en 12 heures de travail, étant mue par deux hommes.
Sa valeur est de 4oo fr. On pourra s'adresser a M. Burette,
pour la construction de cette machine (1).
Râpe d'Odobel pour les betteraves.
Cette râpe est d'une construction différente de celle de
Burette. La partie qui est armée de scies, et qui , par son
mouvement de rotation , divise Je végétal , est de la forme
d'un cône tronqué. Elle peut, dans 12 heures de travail,
râper 7 a 80oo kilogrammes de betteraves , avec un manége
de la force de deux chevaux. Sa valeur est de 1 2oo fr. Jen'ai
pu me procurer d'autres documens sur les détails de cette
machine utile. On pourra, de même que pour celle de Bu
rette , s'adresser au constructeur (2) pour se la procurer.

(1) M. Burette demeure à Paris , rue des Vinaigriers.


(2) M. Ododel , mécanicien - constructeur , à Chaillot , pris
Paris.
42 TRAITÉ DÉ i/aRT

CHAPITRE III.
Des Végétaux fermentescibles et des opérations
qu'on leur fait subir pour les prédisposer à la
fermentation.
Parmi la foule nombreuse de fruits de toutes espèce*
dont l'art nous apprend a retirer de l'alcohol, il n'en est pas
qui puissent affecter la fermentation alcoholique dans l'état
où la nature les produit ; tous ont besoin de subir quelques
opérations préparatoires plus ou moins compliquées , et dé
pendantes de leur nature.
Le raisin , par exemple , et tous les fruits qui , comme
lui , contiennent le sucre tout formé , ne fermenterait pas si
on ne lui faisait pas subir l'opération du foulage , qui a pour
but de déchirer son tissu cellulaire, et de mettre ainsi son
jus en liberté. Ce jus même ne fermenterait que difficilement,
s'il n'était point assez fluide, c'est-a dire s'il ne présentait
pas le sucre délayé dans une quantité d'eau suffisante.
Cette espèce de végétaux forme une classe particulière
dans l'art du distillateur , parce que l'opération% laquelle on
les soumet avant la fermentation n'est que mécanique. Elle
consiste, en effet , a froisser le tissu du végétal et a y ajouter
de l'eau, quand ce corps ne s'y trouve pas en quantité suffi
sante pour rendre la décomposition alcoholique la plus
prompte et la plus parfaite possible.
Nous formerons une classe séparée des végétaux qui né
cessitent des préparations plus compliquées. Telles sont les
céréales, qui ne sont que peu fermentescibles quand on ne
leur fait pas subir une opération qui a pour but de convertir
leur fécule en sucre. Telles sont encore les pommes de terre,
qui ne fermenteraient point du tout, si l'on ne faisait pas su4??
bir la même métamorphose a leur fécule. Nous comprend
drons enfin , dans cette dernière classe , tous les végétaux
farineux qui peuvent être l'objet d'une distillation.
Chacune de ces deux classes de végétaux sera , avec les
opérations qu'elle comporte, l'objet d'un chapitre particulier.
DE LA DISTILLATION. 4^

CHAPITRE IV.
Végétaux de la première classe.
C'est un principe bien reconnu de nos jours et bien con
sacré par la pratique , que tous les corps qui contiennent du
sucre passent très-facilement à la fermentation alcohohque ,
quand on remplit, du reste, toutes les conditions nécessai
res a cette décomposition.
De la, la possibilité de faire de l'eau-de-vie avec une
foule innombrable de végétaux. Tous les climats des deux
mondes ont leurs fruits; la nature a créé du sucre sur tous
les points habités de notre globe; et si elle a particulièrement
favorisé de cette production les contrées de l'équateur , elle
n'en a été avare pour aucune , et les hommes trouvent par
tout des fruits et des racines sucrés.
' (.Ce sucre est l'élément indispensable de la production al-
coholique, et où il n'est point, il n'y a point de fermenta
tion vineuse.
Quoiqu'il soit possible , en conséquence de ce principe,
de faire de l'eau-de-vie avec une foule de végétaux, on n'u
tilise guère , pour cette production , que ceux qui , par leur
abondance , leur valeur et leur rapport en alcohol , peuvent
soutenir entre eux une concurrence dans le commerce. 11
faut que les eaux-de-vie qu'ils produisent, puissent être of
fertes à aussi bas prix , à moins qu'une circonstance particu
lière ne légitime la différence de leurs valeurs. Cette circon
stance peut être variée a l'infini avec les temps, les lieux et
les goûts des peuples : c'est ainsi, par exemple, que l'eau-
de-vie de raisin et le rhum peuvent , dans diverses circon
stances, avoir une valeur vénale très-différente.
Quoiqu'il en soit de la qualité et des goûls particuliers ,
qui font rechercher les produits alcoholiques de certains
végétaux peu abondans dans la nature, il n'en est pas moins
vrai que ceux qui sont les plus répandus , seront toujours
en possession de fournir au commerce la plus grande quan
4\ TRAITÉ DE L'ART
tité de l'eau-de-vie qu'il consomme ; et sous ce rapport,
ils sont plus à même que tous les autres de fournir des élé—
mens speculatifs a la distillation.
Nous nous occuperons donc plus spécialement de ces
matériaux, qui sont les bases de nombreux établissemens ;
et après nous en être occupes d'une manière particulière ,
nous parlerons légèrement de ceux qui peuvent être l'objet
d'une distillation , quoiqu'ils n'aient guère été traités jusqu'à
ce jour , que dans les laboratoires des chimistes et des cu
rieux.
SECTION PREMIÈRE.
Bu Raisin et des Marcs.
Le raisin est sans doute, de tous les végétaux sucrés,
celui qui a été le plus favorisé par la nature, pour la produc
tion de l'eau-de-vie.
Ses principes sont unis dans une proportion tellement
favorable a cette production , que généralement toute la
substance de son suc finit par se convertir en alcobol dans un
laps de tems plus ou moins long et dépendant de l'état plus
ou moins aqueux de ce suc.
L'art de convertir le raisin en une liqueur fermentée,
capable de donner de l'alcohol a la distillation , est , sur
plusieurs points de notre territoire , l'objet d'un commerce
;mmense , et c'est, pour notre richesse nationale , la produc
tion territoriale la plus importante, et celle qui nous donne,
dans la balance de notre commerce avec les autres nations ,
la supériorité la plus remarquable.
La vigne affectionne particulièrement toute la section de
notre globe qui se trouve entre les 35e et 5oe degrés de lati
tude. La température douce qui règne dans cette latitude
favorise singulièrement la maturation du fruit : elle n'est
généralement ni assez brûlante pour le griller , ni assez froide
pour l'empêcher de mûrir. C'est donc dans cette latitude,
où se trouvent plus des trois quarts de notre sol actuel,
que sont les vignobles qui produisent nos vins et nos eaux-
dc-vie Outre cette disposition heureuse de la France pour
la culture de la vigne , disposition que plusieurs pays
DE LA DISTILLATION. /J5
partagent avec elle, plusieurs circonstances viennent encore
contribuer a la placer au premier rang pour ce genre de
culture.
La nature du sol et les coteaux influent pour beaucoup
sur la prospérité des vignobles ; et sous ce rapport, la France
ne peut exciter que l'envie des autres peuples. Si l'on ajoute
à ces avantages naturels tous ceux qui sont dépendans de
l'art et des procédés de culture , de vinification et de dis
tillation, pour lesquels les étrangers sont bien au-dessous de
nous , on s'expliquera facilement la supériorité et l'impor
tance de notre commerce de vins et d'eau-de-vie.
La vigne occupe aujourd'hui en France plus de deux mil
lions d'hectares , ce qui constitue au-dela de la vingt-sixième
partie de notre sol ; et la plantation des \ ignes s'accroît d'an
née en année , surtout dans le Languedoc. Cette contrée est
si heureusement placée pour la culture de la vigne , que
celle-ci y supplante insensiblement celle des céréales.
L'art de faire les vins constitue donc une des branches
les plus intéressantes de notre industrie. Je renverrai a l'ou
vrage de M. Chaptal sur cette matière, les personnes qui
désireraient connaître les meilleures pratiques à suivre pour
faire des vins propres a la boisson. Il n'entrerait pas dans
mon sujet de traiter de la préparation de cette espèce de
,vins ; je ne dois m'occuper que de la production alcoholique.
Je ne parlerai doue ici que des raisins qui sont destinés a
faire des vins propres a la distillation.
Ces sortes de vins, dans lesquels en général on a spéciale
ment en vue le plus grand développement de l'alcohol dans
le plus court espace de temps possible, peuvent évidemment
comporter d'autres procédés de fabrication que ceux qui sont
destinés a la boisson. Dans ceux-ci, en effet, il est essentiel
^^d'opérer de manière à leur donner un goût et un bouquet
te agréables ; il faut qu'ils puissent se transporter et se conser-
' ver. Ces qualités , si utiles dans les uns , ne sont pas de ri
gueur pour les autres , qui sont souvent destinés a entrer en
chaudière immédiatement au sortir dela cuve, et cela pour
économiser les futailles a l'époque des vendanges : cette pra
tique est surtout utile dans les années abondantes.

*
46 TRAITÉ DE L'ART
La distillation des vins n'est guère pratiquée avec une cer
taine importance qu'en Italie , en Espagne , dans le Portu
gal , et plus particulièrement en France.
Tous les vignobles de France ne s'occupent point egale
ment de convertir leurs vins en eaux-de-vie ; il en est même
un grand nombre qui n'eu font point du tout. Dans cette clas
se se distinguent la Bourgogne et la Champagne , dont les
vins, si famés, sont peu riches enalcohol. Cette circonstan
ce tient a la qualité de leurs raisins et sans doute aussi au sol
et au climat sous lesquels ils sont élaborés. En effet, les moûts
de raisins de ces contrées sont bien moins sucrés que ceux du
midi, et ne pèsent guère à l'aréomètre que 8 h io°, et sou
vent même moins. Aussi, sous un autre rapport , sont-ils plus
agréables et présentent-ils un arôme et un bouquet qui con
stituent leurs qualités distinctives.
Parmi les vignobles qui fournissent au commerce les plus
grandes masses d'alcohol , on distingue le Languedoc, le Bor
delais , l'Angoumois , l'Orléanais. Quelques autres contrées
de l'Ouest fournissent aussi leur contingent d'eaux-de-vie,
mais il n'est pas comparable à la production du Langue
doc.
En général , on destine a cette fabrication les raisins blancs
et les noirs de qualité inférieure , qui, par la même , sont peu
propres a donner un vin recherché dans le commerce.
Lorsque le raisin est mûr , on le porte dans le fouloir que
nous avons décrit, et la il subit un froissement qui déchire ses
cellules et met par la même son jus en liberté. Cette opération
est non-seulement indispensable , mais c'est encore de sa per
fection que dépend le succès de la fermentation. En effet, il
est bien reconnu, je le répète, que le raisin dans son état na
turel ne peut subir de décomposition vineuse, et que tout le
I'us qui ne serait point libre et resterait enfermé dans les cel- .
ules qui le recèlent, échapperait a cette décomposition et con
stituerait une perte au préjudice du vin . L'instrument que nous
avons décrit pour cette opération est le meilleur qui soit em
ployé , mais il est facile de remarquer qu'il n'est rien moins que
{>arfait. Il faudrait pour cela une mécanique don t le jeu fût faci-
e , qui fût peu coûteuse , et qui donnât la certitude que non
DE LA DISTILLATION. 47
seulement aucun grain ne pût echapper au froissement, mai»
encore que tout le tissu cellulaire du raisin fût déchiré.
Il y a bien des obstacles à surmonter pour remplir ce but
d'une manière qui soit également propreàtoute espèce devin,
et pour le faire av ec économie. On a imaginé plusieurs machines
qui exécutaient cette opération avec plus de perfection que la
machine décrite ; mais elles avaient l'inconvénient de déchirer
tout-a-la-fois le raisin et la grappe , et c'était un inconvé
nient réel pour les vins à boire. Pour la distillation, cet in
convénient serait moins à redouter, parce que les vins qui
y sont destinés peuvent fermenter avec la grappe.
Cette grappe , suivant l'expérience des œnologues , est
>nécessaire à la fermentation pour la décomposition plus
parfaite du principe sucré , de sorte que sa réduction en pul
pe ne pourrait point être nuisible dans ce cas. Il serait pos
sible même que cela fût avantageux ; il appartient à l'expé
rience de vérifier ce fait.
On n'égrappe donc point le raisin destiné a la production
de l'eau-de-vie, ou si on le fait dans quelques contrées,
c'est abusivement , ou bien encore c'est que l'on ne fait que
des preuves ou qualités d'eau-de-vie supérieures : telle est
celle de Cognac. Cette méthode contribue en effet a donner
plus de douceur au produit.
Le raisin, étant foulé, est jeté dans la cuve avec le jus ;
de sorte que tout se trouve dans la fermentation , jus , pepins,
peau, parenchyme, et grappe. 11 ne s'agit plus alors que de
procéder a la fermentation , qui se détermine sans addition
de levure , parce que le raisin porte avec lui cet élément de
fermentation dans une proportion très-favorable a la décom
position de sucre qu'il contient.
Dans les contrées où l'on presse le raisin pour ne mettre
que le jus en fermentation, cette opération s'exécute après le
Roulage. Le marc est porté sur le pressoir, qui en exprime
le jus avec une grande force ; mais ce marc est encore lui-
même très-riche en matière fermentescible. Pour l'épuiser, on
le délaie dans une certaine quantité d'eau , pour le mettre en
fermentation. Les marcs des raisins qui ont même déja subi
une fermentation , sont toujours soumis a cette opération. Le
48 TRAITÉ DE l'a
l'art
vin qui en résulte se nomme piquette ; on le boit dans le pays
en Bourgogne, en Champagne ; et partout où l'on fait peu de
vins communs , il sert \ la boisson des ouvriers et des classes
peu aisées. Mais dans le Languedoc et dans les autres con
trées , la piquette entre souvent en distillation , et pour cela
on ne presse point le marc après la fermentation et on met le
tout en chaudière.
On conçoit que ce marc doit être plus ou moins volumi
neux, selon que l'on a peu ou point égrappé. De la résulte
l'inconvénient de distiller des pâtes , et de fournir au com
merce des produits alcoholiques de basse qualité, connus sous
le nom d'esprit , ou d'eau-de-vie de marcs.
Nous ferons connaître , par la suite , les causes de l'infé
riorité de ce produit , et les procédés de la distillation :
bornons-nous a savoir maintenant qu'il provient de la •fer
mentation de marcs de raisins mélangés avec de l'eau ; ce
qui fait un moût assez faible, et qui équivaut tout au plus,
dans le Languedoc , a 4 ou 5° de l'aréomètre.
Nous ferons voir également par la suite, que la cause du
mauvais goût et de la mauvaise odeur des eaux-de-vie de
marc, appartient particulièrement a une huile essentielle in
fecte , qui a son siége dans la peau du raisin. On améliorerait
donc beaucoup la qualité de ces sortes d'eaux-de-vie, si l'on
pouvait isoler la pellicule des marcs avant la distillai ion;
car c'est surtout dans la chaudière que cette huile essentielle
est mise en liberté , et mélangée avec l'alcohol.
SECTION DEUXIÈME.
Des Cerises.
C'est avec les cerises que l'on fabrique cette espèce d'ean-
de-vie , connue dans le commerce sous le nom de Kirsch-
wasser.Ce nom vient de l'allemand, et est composé de deux
mots , qui signifient eau de cerises.
On ne fabrique guère cette sorte de liqueur que dans quel
ques contrées de la Suisse et de l'Allemagne, où les cerisiers
sont très-communs , et c'est spécialement des environs de
la* Forêt-Noire que nous vient celui qui est consommé en t
France.
p
m DE LA DISTILLATION. -, 49
\ Void les procédés usités pour préparer îe moût.
Lorsque, dans le courant du mois de juillet oh d'août,
les cerises sont arrivées à leur maturité , on ne prend pas le
soin de les cueillir , et on les abat avec des gaules : ce qui est
nécessairement vicieux , car on dégrade par ce moyen les
arbres ; les cerises accompagnées de. feuilles et de bois', et
ramassées par des enfans , sont déposées dans des fouloirs en
osier, sans aucune précaution, de sorte que celles qui sont
gâtées et celles qui ne sont point encore mûres, sont réunies
pêle-mêle.
Ce fouloir représente un cube ou cylindre plus large que
haut , et de la capacité de deux hectolitres ou à-peu-près ,
suivant l'importance dela fabrication. 11 est posé au-dessus
de la.cuve a fermentation, sur deux solives, qui posent sur
les bords de la cuve, et qui sont elles-mêmes réunies par
deux traverses de même épaisseur , de manière a ce qu'elles
ne puissent ni s'écarter ni se rapprocher.
Le fouloir étant a moitié ou aux trois quarts plein , des
hommes, des femmes, ou même des enfans, se disposent au
tour, et procèdent au foulage des cerises, avec leurs mains,
de manière a les écraser le mieux possible, et a mettre le jus
en liberté. Ils y parviennent imparfaitement, comme on peut
bien le penser , en prenant les cerises dans leurs mains, qu'ils
serrent fortement , ou en les frottant entre leurs mains et les
J>arois du fouloir. Le jus coule alors dans la cuve a travers
e tissu serré de l'osier ; et les peaux , les queues et les
noyaux restent dans l'appareil.
On ajoute alors le noyau qui reste dans le fouloir , au li
quide qui est tombé dans la cuve , et on l'abandonne a la
fermentation. ,
On avait cru long-temps que ces noyaux, qui donnent au ^
, ïùrsch le goût et l'arome qui le caractérisent, devaient, à cet
effet , être brisés ; mais l'expérience a démontré , d'une ma
nière concluante , que cette manœuvre est inutile, et qu'un
moût de cerises fermenté avec le noyau, entier ou brisé,
donne un kirsch également aromatisé.
Le kirsch ne se consommant généralement que cèiame li
queur , la fabrication n'en est pas considérable , et le vin éjljî^
4 ^ . \
. "^j
• .. 9- ,'
,1

' » v -v X»'
5o TRAITÉ DE L'ART
sert à sa production est immédiatement mis en chaudière
après la fermentation. Celle-ci dure six a huit jours à-peu-
près, et le moût fermentescible varie suivant les années,
pour sa densité aréométrique, de 5 a 7°; il porte son levain
avec lui. .
SECTION TROISIEME.
De la Canne à sucre.
La canne à sucre , si utile a l'homme, et qui est, de nos
jours, en possession presque exclusive d'approvisionner de
sucre solide tous les peuples des deux mondes , était connue
des anciens , suivant le témoignage de Théophraste , de
Pline , etc. ; mais cette sorte de sucre , qui leur était envoyée
des Indes et de l'Arabie, était si rare , qu'on ne l'employait
que comme médicament.
Ce ne fut guère qu'a l'époque des croisades , lors de l'ir
ruption des Européens en Asie, que ceux-ci connurent le sucre
de canne, que l'on obtenait à l'état liquide ou solide; et \h
furent , dès ce moment , disposés à étendre la culture de la
canne , et a l'introduire dans tous les pays où elle pourrait
prospérer. . '
En effet , cette plante , originaire des Indes orientales ,
avait été apportée par les Arabes dans leur pays, comme un
objet de leurs conquêtes. Elle passa de la en Egypte , en Sy
rie , dans les îles de Chypre et de Candie , et dans la Morée»
Les Européens la transportèrent ensuite en Sicile , en Cala-
bre, en Provence, à Madère, aux Canaries, puis enfin en
Amérique, où sa culture a pris un si grand développement.
La canne à sucre est cultivée dans presque tous les terrains
qui se trouvent entre les tropiques ; mais on l'exploite plus par
ticulièrement a la Guadeloupe , a la Martinique , a l'île
Bourbon , a la Havanne , a la Jamaïque , au Brésil , a la
Chine , et dans toutes les colonies de l'Inde. Sa culture offre
peu de difficultés ; elle est de la classe des roseaux ; elle pros
père bien dans un sol légèrement humide. Quand le terrain
est trop sec, le jus est trop épais, et il a besoin, pour être
travaillé , d'être mélangé avec le jus de cannes aqueuses ,
végétées dans des terrains marécageux : c'est ce queVon fait
DE LA DISTILLATION. 5t
Saint-Pierre de la Martinique; ou bien encore il faut le
délayer dans de l'eau, pour pouvoir le clarifier.
Le laps de temps pendant lequel la canne doit être expo
sée à une température chaude pour mûrir , est cause qu'elle
n'a pu prospérer en France, lorsque, du temps d'Olivier
de Serre , on a tenté de la cultiver en Provence. Le but do
cette culture est la production du sucre concret ; elle ne pou
vait donner sur notre sol qu'un mucoso-sucré, sa végétation
étant suspendue par les froids de l'hiver.
On a tenté depuis de la cultiver encore en Provence , pen
dant la disette du sucre , sous le règne du système continen
tal , mais on n'a pu en tirer que du sirop. Ce genre de culture
ne convient donc pas a la France , où une foule d'autres pro
duits nous en offrent un dédommagement suffisant , comme
nous le verrons en passant en revue les végétaux fermen-
tescibles.
Le vesou vierge de la canne est destiné spécialement à la pro
duction du sucre concret , et je ne sache pas qu'il ait jamais
été employé dans cet état à la production alcoholique. La
cause de cette destination est sans doute tout entière dans
la valeur du sucre comparée a celle du rhum ; car si la
consommation du rhum dans le commerce donnait à ce pro
duit distillé des débouchés aussi faciles et une valeur aussi
grande qu'au sucre , nul doute qu'alors on ne négligeât le tra
vail du sucre pour celui du rhHm. Mais il n'en est pas ainsi, et il,
n'est pas probable que cette circonstance se présente jamais.
Cette assertion est facile à légitimer par le raisonnement.
En effet, le jus de la canne contient un sucre cristallisable ,
qui est devenu de nos jours l'objet d'une consommation im-
aoense. Cette propriété de donner du sucre cristallisé , n'est
pas commune dans la nature ; la canne ne la partage guère
qu'avec l'érable et la betterave , tandis que celle de produire
de l'alcohol appartient a une foule immense de végétaux.
On commence donc par enlever au vesou la plus grande
quantité de sucre qu'il puisse donner , et c'est alors qu'étant
réduit a l'état de mélasse , on le livre a la distillation. Nous
verrons plus bas , en traitant spécialement des mélasses ,
comment on les met en fermentation aux colonies. •
4.
0

52 TRAITÉ DE l'aRT
Qu'on ne se trompe cependant pas sur la qualité du veW
sou. Il pourrait être mis en fermentation dans l'état où la
canne le produit ; car le sucre qu'on lui enlève est le prin
cipe producteur de l'alcohol : cela est tellement vrai , que
c'est au sucre qui reste encore dans les melasses que celles-
ci doivent surtout leurs propriétés fermentescibles. Mais , je
le répète , si l'on destine la canne à la production du sucre ,
Je préférence a celle de l'alcohol , c'est que la question éco
nomique commande cette préférence.
SECTION QUATRIÈME.
Des Pommes et des Poires.
Dans les contrées du Nord , où l'on ne possède point de
vignes , les habitans ont cherché à remplacer le vin de rai
sin , que la nature leur a refusé , par d'autres liqueurs fer-
mentées qu'ils peuvent confectionner avec des productions de
leur sol. C'est ainsi que dans quelques provinces de l'Alle
magne et de notre France , en Normandie et en Picardie par
exemple , on trouve dans les pommiers et les poiriers qui y
sont en abondance , les élémens d'une boisson , connue dans-
le commerce sous le nom de eidre pour le vin de pommes ,
et de poiré pour celui qui est fait avec des poires.
Les deux espèces de fruits qui servent à la fabrication de
ces boissons, proviennent de sauvageons que l'on cultive plus
généralement sur les lisières des routes. Ces fruits ne pou
vant être consommés en nature , à cause du goût aigre qui
les caractérise , seraient sans usage sans la fabrication des
cidres et des poirés.
Ces boissons sont bien connues ; on en confectionne par
tout , soit avec des poires et des pommes mangeables , dans
les années de récoltes abondantes , soit avec ces sortes de
fruits sauvages , soit encore avec ceux que des années froides
ne mûrissent pas suffisamment.
Pour les convertir en boissons fermentées , on les soumet ,
après la cueillette , à l'action de deux meules roulant vertica
lement dans une auge circulaire. La râpe a pommes de terre
de Burette remplirait plus parfaitement ce but. Quelques pro
DE LA DISTILLATrOV. 53
priéteires de Normandie l'emploient avec succès et nous la
recommandons a tous ceux qui fabriquent le cidre et le poiré.
11 faut seulement observer que lorsque l'on emploie la râpe
pour Ja réduction des poires et des pommes , il est nécessaire
de rendre sa trémie mobile. On obtient facilement ce résultat
à l'aide d'un excentrique. M. Burette lui-même ajoute ce mé
canisme, quand on a soin de le prévenir de la destination.de
la râpe.
Lorsque le fruit se trouve ainsi déchiré et réduit en pâte,
on le soumet en tas a Faction d'une presse a vis , pour isoler
le jus de la matière fibreuse du fruit. Ce jus , étant ainsi re
cueilli , présente une densité qui varie , suivant la nature du
fruit et l'année , de 6 a S".
Il se compose d'eau , de sucre mélangé dans une propor
tion fermentescible , de levûre , et d'un acide que l'on con
naît sous le nom d'acide malique.
Cet acide , généralement plus abondant dans les pommes
que dans les poires, se rencontre dans tous les fruits à pe
pins , et dans presque tous les fruits doux ; et il est à re
marquer qu'il y est dans une proportion d'autant plus grande
que le fruit est moins mûr : c'est lui qui leur donne de la
verdeur et de l'âpreté.
Cet acide joue un rôle remarquable dans la fermentation.
Sa présence dans les liquides fermentes se reproduit tou
jours d'une manière relative dans les produits distillés , et
elle constitue pour eux un défaut de qualité.
Il se forme souvent dans la fermentation, dans une pro
portion variable , et toujours au détriment de l'alcohol ;
de sorte que l'un des points essentiels de la vinification est
^S'éviter cette formation.
On conçoit donc que les végétaux qui le contiennent ,
sont d'autant moins propres a fournir beaucoup d'eau-de-<
vie qu'ils retiennent cet acide dans une proportion plus
grande. C'est pour cette raison que le cidre et le poiré sont
si peu propres a la distillation.
Aussi distille-t-on peu de cidres en Normandie , tandis
que le poiré, qui contient moins d'acide malique , est pres
que toujours destiné a la chaudière. Le poiré , en effet f
'54 TRAITÉ DE L'ART
donne plus d'eau-de-vie , en même temps qu'il est moins
recherché pour la boisson. #
Le jus des pommes et des poires n'est point aussi fermen-
tescible que celui du raisin ; il faut même un laps de temps
assez long pour que sa fermentation soit complète , quoiqu'il
présente une densité moins grande. Cela tient sans doute
a la nature de la matière sucrée et a la présence de l'acide
malique. Il serait possible cependant de neutraliser celui-ci
et de le faire disparaître complètement du jus , s'il était bien
démontré qu'il nuisît a la production alcobolique. On ob
tiendrait ce résultat en le traitant avec un lait de chaux :
celle -ci , se combinant avec l'acide , forme un composé in
soluble qui se précipite. Je ne sache pas qu'on ait fait au
cun essai à ce sujet jusqu'à ce jour, quoique cependant cela
ne soit rien moins que dénué d'intérêt pour les vins que l'on
destine à la chaudière. Je m'exprime ainsi , et particularise
l'expérience que je propose aux cidres et poirés que l'on
destine à la distillation, parce que ceux qui doivent être con
sommés eu boissons perdraient la qualité qui les distingue ,
si l'on s'avisait de les traiter avec la chaux. Ceux-ci doi
vent porter avec eux leur acide malique , et c'est a la pré
sence de cet acide qu'ils doivent cette saveur aigrelette et ce
bouquet qui les rendent si rafraîchissans. Il faudrait donc
bien se garder de traiter cette espèce de cidres avec la
chaux ; ils perdraient ainsi plus de qualité qu'ils ne pour
raient gagner , sous un autre rapport , en vinosité.
Au demeurant , je cite ce moyen de faire disparaître l'a
cide malique des moûts de pommes et de poires que l'on
destine a la distillation , comme une méthode qui aurait be
soin d'être sanctionnée par la pratique , et je ne veux nul
lement préjuger sur son efficacité : la théorie l'indique , et
je la signale comme un moyen qui pourrait peut-être con
tribuer a rendre l'eau-de-vie de ces fruits non-seulement plus
abondante , mais encore d'un goût plus franc et plus agréa
ble. C'est à l'expérience , maniée avec soin et connaissance
de cause , a faire justice de son utilité.
La marche que j'ai indiquée pour séparer le jus des pom
mes et des poires , est la meilleure de toutes celles qui sont
DE LA distillation; 55
suivies. Le jus , isolé par la râpe et la presse , est soumis
immédiatement a la fermentation, comme tous les autres li
quides fermentescibles , dans les mêmes conditions et avec
les mêmes précautions.
On a employé en Saxe , et dans différentes contrées ,
d'autres méthodes pour soumettre les pommes a la fermen
tation ; mais ces méthodes , qui consistent a cuire les fruits,
sont plus longues , plus dispendieuses , et moins bonnes ,
sous tous les rapports , que celle que je viens de signaler.
SECTION CINQUIÈME.
Des Betteraves et des Carottes.
La découverte de la présence d'un corps sucré dans un
végétal , suffit pour constater ses facultés fermentescibles , et
par conséquent la possibilité d'en extraire un produit alco-
holique. Cette découverte une fois faite , il ne s'agit plus
que de reconnaître , par l'expérience , s'il est possible d'ex
ploiter ce produit avec fruit.
Pendant long-temps nous nous sommes bornés à con
naître la découverte de Margraff sur la présence d'une ma
tière sucrée cristallisable dans la betterave , sans en faire
aucune application industrielle. A une époque qui n'est pas
loin de nous encore , l'isolement où nous nous sommes trou
vés des contrées d'Amérique et de l'Inde , qui étaient en
possession de nous fournir le sucre nécessaire a nos besoins,
éveilla chez nous des recherches que la spéculation et la
privation contribuèrent a rendre très-actives. Le sucre s'é
tait élevé dans le commerce a un prix exorbitant , et nous
nous trouvions à la veille , non-seulement de le voir s'élever
davantage , mais encore d'être privés complétement d'une
substance dont l'usage avait fait pour nous un besoin. Dès
Jors tous les regards se dirigèrent vers un objet que bien
des encouragemens enveloppaient. La faveur du gouverne
ment, les récompenses promises et l'utilité générale sus
citèrent une foule de travaux , auxquels participèrent les
hommes les plus instruits et les plus recommandabîes de l'é
poque. La découverte de Margraff fut exhumée , et des for
56 TRAITÉ DE L'ART
tnnes colossales furent englouties pour transformer une ex
périence de laboratoire en opération manufacturière.
Mais passons rapidement surl'enfance d'un art qui aujour
d'hui est arrivé à une sorte de perfection qui n'est malheu
reusement point assez généralement appréciée. Le sucre de
betteraves , si long -temps ballotté dans l'opinion publique ,
compte aujourd'hui en France un grand nombre d'établis-
semens qui prospèrent : et il n'est sans doute pas hors de
propos de dire ici que la France peut trouver dans son sol
tout le sucre nécessaire a sa consommation , et cela avec un
succès tel , que ce produit , loin de nuire a la culture des
autres vegétaux , contribuerait au contraire a leur prospé
rité et a leur accroissement par les engrais fécondans qu'il
procure. Le sucre de betteraves est identique avec le sucre
de canne , quand il est raffiné ; il est par conséquent tout
aussi beau , tout aussi bon, et il ne revient pas au cultiva
teur à plus de 4o centimes les 5 hect. , année commune. Mais
il est bien entendu que , pour l'exploiter, il faut être agri
culteur : sans cette condition , toutes les chances heureuses
s'évanouissent. Il faut , de plus , se procurer les espèces de
betteraves les plus propres a la production du sucre , les
cultiver convenablement , et connaître tous les détails des
manipulations a suivre pour séparer le sucre ; sans ces con
naissances, on s'exposerait, comme tous ceux qui ont con
tribué a créer l'art , on s'exposerait , dis-je , a dépenser des
sommes énormes pour n'obtenir que des produits faibles ,
de mauvaise qualité , et souvent même point.
La production du sucre solide dans la betterave est sou
mise, comme tous les produits végétaux , aux chances agri
coles. Toutes les années ne lui sont pas également favora
bles ; mais un fabricant intelligent , et qui possède son art
à fond , trouve toujours le moyen de se tirer d'affaire , et.
de se sauver des pertes d'une manière plus ou moins heu
reuse. C'est ainsi , par exemple , que , dans des années peu
favorables , un fabricant de sucre de betteraves , ne retrou
vant point ses frais de fabrication dans la petite quantité de
sucre que le végétal lui donne , peut trouver une ressource
précieuse dans la distillation.
DE LA DISTILLATION.' 57
Dans toutes les circonstances , la distillation des betteraves
peut toujours être avantageuse a un cultivateur ; et , sous ce
rapport, nous croyons utile de développer, avec quelques
détails, les meilleurs procédés a suivre pour cette fabrication.
Le choix de la betterave, soit que l'on se propose d'obte
nir du sucre ou de l'eau-de-vie, n'est pas plus indifférent dans
on cas que dans l'autre. 11 y en a une foule de variétés que
l'on distingue par la couleur de leur peau et par celle de leur
chair. L'on préfère la betterave blanche, la jaune , et celle
qui est blanche en dedans et rouge au dehors. Quelle que soit
la couleur de la racine , it est essentiel de l'approprier au
sol , de la cultiver convenablement , et de ne point prendre
de graines de races dégénérées. L'expérience a prouvé que
la betterave panachée est la moins productive ; on la répu
diera donc autant que possible.
La betterave se plaît dans des terrains mixtes , c'est-a-dire
qui ne sont ni trop meubles , ni trop argileux , ni trop cal
caires et sablonneux. Il faut aussi que le sol ne soit nitrop humi
de, ni trop sec. Elle vient très-bien après une avoine fumée,
et toutes espèces d'engrais lui conviennent, quand on les dis
tribue avec parcimonie ; cependant les engrais pailleux et
le parcage des troupeaux lui conviennent mieux. On la sème
généralement au mois d'avril et on la récolte au commence
ment d'octobre ou fin de septembre, suivant les contrées. Les
sols du nord et du centre de la France paraissent être plus
favorables a cette culture que ceux du midi.
Les betteraves étant arrachées , on coupe le collet , qu'on
laisse sur la terre , et on les emmagasine dans des locaux où
elles soient à l'abri des gelées , dans des caves par exemple,
ou dans des fosses que l'on creuse de quatre à cinq pieds sous
terre , en ayant soin de recouvrir les racines d'une couche
de un a un pied et demi de terre.
Alors on les prend au fur et à mesure des besoins, pour
en extraire le jus ; et pour cela , on les soumet a l'action de
la râpe d'Odobel (i). Elles sont, par cette opération , ré
duites en pulpe bien divisée.

(i) La râpe de Burette est moins dispendieuse , et peut servir


58 TRAITÉ DE L'ART
On place cette pulpe sur la toile sans fin de la presse a
cylindre , décrite précédemment , pour en extraire le jus ; ou
mieux encore on la met dans des sacs de toile de lin solide ,
pour les soumettre en pile h l'action d'une presse a vis, à cric,
ou hydraulique. Cette dernière presse est préférable , parce
qu'elle réunit une plus grande force ; mais les autres sont
également bonnes, et l'on obtient, par ce moyen, une quan
tité de jus proportionnée a l'énergie de la machine employée.
Avec la presse a cylindre bien montée et bien menée, on
fieut , en y faisant passer deux fois la pulpe , obtenir en jus
'équivalent de 7o£dupoidsde la betterave brute ; mais pour
cela , après la première passe , il faut humecter le résidu avec
de l'eau, et le soumettre h une seconde expression.
Avec les presses a vis ou hydrauliques , on obtient d'un
seul coup , et sans repasser avec de l'eau , 65 , 7o , et même
8o | de jus , suivant l'énergie de la machine, et la qualité
plus ou moins aqueuse de la racine.
Ce jus alors, en supposant qu'on ne se soit pas servi d'eau ,
peut marquer de 5 a 9° a l'aréomètre, suivant les années et
l'espèce du fruit. 11 retient, comme la canne , deux sortes de
sucre, l'un concret, et l'autre liquide, c'est-a-dire de la ma
tière cristallisable et de la mélasse ; il contient en outre de
l'eau, un levain, et quelques matières extractives, parmi
lesquelles on en rencontre toujours une particulière, qui
donne à la betterave le goût acre qui la distingue et la pro
priété d'attaquer la gorge quand on la mange : elle ne perd
même pas entièrement cette propriété après la cuisson, ainsi
qu'on a pu le remarquer.
Cette matière est cause que le jus de betterave donnerait
une eau-de-vie très-àcre, si on ne lui faisait pas subir l'opé
ration de la rectification , dont nous parlerons en détail dans
notre troisième partie.
Le liquide , séparé par la presse , peut être mis immédia
tement en fermentation : il porte de la levure avec lui, et il
entre promptement en travail.

également à cet usage; mais elle emporte, pour la betterave , des


dispositions autres que pour la pomme de terre.
DE LA DISTILLATION. 5()
L'on peut récolter sur un bon terrain 8o a 1 oo milliers de
livres de betteraves par hectare. Le millier ne coûte pas ,
dans ce cas , au cultivateur , frais et bénéfices de culture pré
levés, plus de 5 a 6 fr. Mille livres de betteraves peuvent,
<?ans une bonne année et avec de bons iustrumens, donner
7oo liv. de jus, qui , pesant 9° , produisent, après avoir été
délayés a 5° aréométriques et fermentes, 3o litres d'eau-de-
vie de bonne qualité a 1 9*.
Je ne sache pas que les betteraves aient jamais été culti
vées dans le but unique de la distillation. On ne distille guère
de cette racine que les mélasses produites par l'extraction de
son sucre. On trouve plus d'avantages a en séparer d'abord
ce sucre, et le jus vierge n'en a été fermenté que dans les
années où ce fruit, cultivé pour la production du sucre, ne
pouvait remplir ce but avec succès ; la distillation alors of
frait une ressource très-heureuse. Mais l'on peut juger, par les
données ci-dessus , qu'une distillation de betteraves pourrait
donner de très-beaux résultats spéculatifs a un cultivateur qui
n'aurait pas les moyens pecuniaires d'établir une sucrerie.
J'ai cru pouvoir me permettre ces détails dans l'intérêt
de l'agriculture. La distillation agricole ne fait que de naî
tre ; ses conséquences sont la source d'une richesse incalcu
lable pour la production , et l'on ne peut trop propager les
connaissances et les moyens qui peuvent contribuer a la ré
pandre dans les campagnes.
La distillation des carottes est moins usitée encore que
celle des betteraves : on ne la connaît pas en France. For-
ster, qui la tenta en Saxe dans les années 177o et 1771 ,a
prouvé qu'elle pouvait être utile dans certaines circonstan
ces. Je ne signalerai pas les procédés qu'il a employés pour
l'effectuer , ils sont très-imparfaits v«t ne feraient naître
aucune idée neuve ni utile ; et si quelque cultivateur voulait
tenter la distillation de ce légume , je l'engagerais a suivre
exactement les mêmes procédés que je viens de décrire pour
la betterave. La carotte contient une quantité de matière su
crée assez grande ; mais , dans toutes les circonstances , la
betterave devrait lui être préférée pour la distillation 3 elle
a sous ce rapport une supériorité incontestable.

...
6û TRAITÉ DE L'ART

SECTION SIXIÈME.
De VÉràble.
L'érable (Acer saccharinum de Linnée) est tellement
répandu et cultivé au Canada et dans toute l'Amérique mé
ridionale ; qu'il pourrait y fournir tout le sucre nécessaire
aux besoins de l'Europe. 11 est encore assez commun en Al
lemagne ; mais nous le cultivons peu en France.
Cet arbre produit une espèce de sucre que l'on peut con
sidérer comme identique avec le sucre de cannes. Il s'en
trouve dans le commerce qui ne diffère de celui-ci que par
nn aspect plus pâteux, et un goût plus suave et plus mielleux ; •
aussi est-il plus recherché pour la fabrication des sirops.
L'érable , pour être exploité avec fruit , et donner un ve-
sou abondant, doit avoir végété pendant vingt ans au moins ;
alors on peut commencer a récolter sa sève , sans s'exposer
à le perdre, et l'on en retire annuellement , par incision ,
une quantité de jus assez considérable. Voici comment on.
procède à la récolle de ce jus, qui n'est rien autre que la.
sève du végétal , que l'on détourne en partie par un moyen
très-simple.
Vers les mois de janvier et de févriev, a l'époque où la fer
mentation commence a se reproduire dans les végétaux , on
fore l'écorce de l'érable jusqu'au bois , avec une tarière d'un
centimètre de diamètre , à-peu-près , et de trois côtés : au
levant, au midi et au couchant. On met dans chaque trou
une cannelle de bois de sureau , évidée de sa moelle , et s'a-
justant hermétiquement ; on lui donne une légère inclinai
son , de manière a ce que la sève s'écoule dans un vase placé
a cet effet au pied de l'arbre : cet écoulement de la sève ne
tarde pas à commencer , et son importance est proportionnée
a la hauteur de l'arbre et à son diamètre.
La densité de cette sève varie , a l'aréomètre , de 1o à
1 2° ; elle est tvès-douce , mielleuse et agréable ; soumise a
la fermentation ) el]e donne un produit alcoholique qui est
un véritabl^ rhum. Les habitans de l'Amérique méridionale
préparent ave<< çe liquide la presque totalité des liqueurs al
DÉ LA DISTILLATION. 6l
eohouques qu'ils consomment , et ils les préfèrent a tottf
autre.
On avait proposé, dans ces derniers temps, l'érable com
me un moyen 'de nous procurer du sucre , et l'on avait in
d1qué à nos cultivateurs , Vacer dalycarpum , comme celui
qui était le plus propre a prospérer chez nous. Nous devons
à M. Hermstaedt , chimiste de Berlin , et a M. Busch ,
professeur de chimie à Philadelphie , des recherches inté
ressantes sur ce végétal.
Quoi qu'il en soit , d'ailleurs , du mérite de l'érable , il
est certain qu'il ne peut soutenir la concurrence avec des
plantes qui , a l'exemple de la canne et de la betterave ,
n'exigent qu'un an de culture pour dédommager l'homme
de ses soins , de ses peines et de ses avances pécuniaires.
Au reste , les procédés que l'on suit pour mettre le jus de
l'érable en fermentation sont exactement les mêmes que pour
le jus de la canne.
Nous recommanderons aussi pour ce végétal , la méthode
de le délaver jusqu'à 5 à 6° aréométriques , pour le mettre
en fermentation. Il porte avec lui tous les élémens propres à
donner une bonne décomposition vineuse , c'est-à-dire , du
sucre solide , du mucoso-sucré , et un levain naturel.
SECTION SEPTIÈME.
D1iïLaii.
Si Ton se reporte a la condition essentielle de la fermen
tation alcoholique , et qu'on s'en rapporte à la saveur du
lait , on sera étonné que cette substance , de nature anima
le , puisse produire de l'eau-de-vie sans autre préparation
que la mise en fermentation , et que je la range dans ma
première classe de corps fermentescibles.
L'opinion des chimistes n'est pas encore fixée sur les lois
auxquelles est soumise la production de l'alcohol dans le
lait ; nous savons cependant que ce corps contient, outre les
matières butireuses , caséeuses et quelques antres principes
.qu'il est inutile d'énumérer ici , nous savons , dis -je , qu'il
contient une quantité notable d'un sucre particulier et d'a
G2 TRAITÉ DE i/ART
midon. Nous savons que ces deux substances sont les prin
cipaux éiémens de la fermentation.
M. Oseretskouskj , de Saint-Pétersbourg, a fait, sur
la fermentation du lait de vache , une série d'expériences qui
tendraient a démontrer que le lait ne peut subir cette fer
mentation que lorsqu'il retient encore ou sa matière buti-
reuse ou sa matière caséeuse, et que le petit-lait seul , qui
porte avec lui toute la matière sucrée du lait , n'est point ca
pable de passer a la décomposition vineuse , quoiqu'on lui
ajoute au reste un levain.
Quoi qu'il en soit d'ailleurs de la théorie de cette opéra
tion et de l'exactitude plus ou moins rigoureuse des faits an
noncés par M. Oseretskousky , le fait prouve que les Tarta-
res , les Kalmouks et plusieurs peuples du Nord , font avec
le lait une boisson vineuse qu'ils nomment kumis , et qu'ils
en retirent par distillation une liqueur spiritueuse qu'ils nom
ment arki ou ariki , et dont la qualité, très-mauvaise, pro
vient sans doute plus particulièrement des appareils qu'il»
emploient que de la matière elle-même.
Le lait qui leur sert pour cette fabrication est celui de ju
ment , quelquefois aussi celui de vache. Ils l'emploient tel
que l'animal le donne et sans en rien séparer. Ce fait pour
rait , sinon consolider l'opinion du chimiste russe , au moins
faire soupçonner que les matières butireuses et caséeuses du
lait jouent un rôle dans sa fermentation vineuse ; et je serais
porté à croire que s'ils ne fournissent pas eux-mêmes d'eau-
de-vie, ils servent a en déterminer la production au détri
ment du sucre et de la fécule. Nous trouverons un degré de
probabilité suffisant a cette supposition dans la fermentation
des fécules, dont nous parlerons plus tard.
Le lait étant recueilli , ils le déposent dans des vases de
peaux , qui leur servent généralement pour conserver les ma
tières liquides. Là , il subit une fermentation qui donne au
fluide une saveur aigrelette ; ils l'agitent avec des spatules en
bois , et il se forme a la surface une matière que nos voya
geurs ont sans doute désignée improprement sous le nom
de crème ; car nous savons que dès le moment où le lait s'ai
grit , le fromage s'en sépare. Il est donc d'autant plus pro
DE LA DISTILLATION. 63
bable que cette matière est un veïitable fromage que les
peuples qui le recueillent en fabriquant le kumis, font sécher
au soleil pour en faire une nourriture solide.
Lorsque le lait a ainsi subi la fermentation vineuse , il est
indubitable que la boisson qui en résulte doit contracter l'o
deur fétide des vases en peaux où elle a été créée, et que le
produit alcoholique qu'elle donne par la distillation , doit se
ressentir de cette odeur.
Le rapport de Jean Luc, dominicain, sur la fermentation
du lait, s'il n'est point exact et l'expression fidèle de la pra
tique des Tartares , indique au moins une manipulation qui
ne pourrait s'opposer en aucune manière au succès de la
production alcoholique dans le lait. Cet auteur rapporte que
les Tartares ajoutent au lait de jument une certaine quantité
de farine d'orge et de froment, avant de le soumettre à la
fermentation dans un tonneau qui a déja contenu du vin. Les
principes d'une semblable méthode sont parfaitement d'accord
avec tous ceux que nous professerons dans cet ouvrage ; et
je ne balance pas un moment à la signaler aux personnes
qui voudraient s'occuper de la distillation du lait.
Une semblable distillation ne pourrait convenir qu'aux
contrées qui, par les prairies qu'elles possèdent, peuvent
élever un grand nombre de bêtes à lait, et font en consé
quence une grande quantité de fromages. Tels sont, par
exemple, en France, la Brie et le pays de Hainaut, telles
sont encore la Hollande et la Suisse.
Dans ce dernier pays, on fabriquait, sous le règne du
système continental , une grande quantité de sucre de lait ,
qui provenait de l'évaporation du petit-lait que l'on obtient
par l'égonttage des fromages. C'est ce petit-lait qui produit
encore un vinaigre, faible a la vérité, mais qui démontre
suffisamment au reste que la matière qui le produit est capa
ble de subir la fermentation vineuse ; et c'est avec ce petit-
lait qu'on pourrait confectionner une boisson vineuse, en le
mélangeant avec une petite quantité de farine d'orge ou de
froment , et en aidant leur fermentation par l'addition d'u*
levain.
64 TRAITÉ DE L'ART
SECTION HUITIÈME.
Des Mélasses.
On donne ce nom dans le commerce aux eaux-mères qui
découlent de la purgation des sucres. .
Le travail des sucres en Amérique et dans l'Inde, produit
des masses considérables de mélasse, dont la majeure partie
est transformée en rhum par la fermentation et la distillation.
Les raffineries françaises produisent aussi de grandes quan
tités de mélasse, qui ont servi quelquefois à alimenter des
distilleries a l'époque où les produits alcoholiques avaient
{)lus de valeur. Les fabriques de sucre de betteraves recueil-
ent une mélasse qui ne peut servir a autre chose qu'a la
distillation. Nous allons parler de chacune de ces espèces de
mélasses et des procédés usités pour leur transformation
en eaux-de-vie.
Des Mélasses des Colonies.
Ce sont ces mélasses qui fournissent au commerce les liqueurs
alcoholiques connues sous les noms de tafia et de rhum.
Les procédés employés aux colonies pour ce genre de fa
brication sont très-imparfaits , de même que les appareils
qui servent a la distillation. Voici comment on opère.
On délaie les mélasses dans de vastes cuves , de manière a
les ramener a une densité de 1o a 12°. Ces mélanges se font
sans aucune précaution pour la température , parce que celle
du climat est toujours suffisante pour la fermentation. On
abandonne ces cuves à elles-mêmes ; et comme l'on n'a point
dans ces contrées de levures artificielles , et que celle que la
mélasse portait avec elle dans la canne a été dénaturée par
les opérations de cuisson et de défécation qu'exige la sépa
ration du sucre, ces cuves n'entrent que difficilement en
fermentation : elles ne subissent souvent même ce mou
vement que plusieurs jours après leur préparation. La fer
mentation n'éprouve pas cette seule difficulté ; et lors
qu'elle s'est manifestée , elle ne marche qu'avec peine , et
ne se termine que très-imparfaitement dans l'espace de huit
et même quinze jours. Il résulte de çes inconvéniens , qui
4

DE LA DISTILLATION. 65
appartiennent spécialement a l'absence de la levùre , une
production alcoholique très-minime.
L'appareil distillatoire employé aux colonies est conçu
sur le système de l'appareil simple décrit dans notre troi
sième partie. C'est , comme on pourra en juger par ce que
j'en dis , le plus imparfait et le moins économique.
Il arrive souvent que les colons n'épuisent pas leur vin
de tout son alcohol. Cette méthode n'est pas très-vicieuse
dans leur ordre de travail , parce qu'ils utilisent les vinasses
qui sortent de leurs chaudières pour de nouveaux mélanges
avec de la mélasse. Us ont remarqué que la petite portion
d'alcohol qui se trouvait ainsi ramenée dans la fermenta-
' tion , produisait de bons effets. Cette remarque pourrait bien
n'être pas dénuée de fondement, et je ne serais nullement
étonné que l'alcohol ajouté dans une cuve fermentante , fût
un levain. Il serait curieux sans doute que des distillateurs
intelligens s'occupassent de faire quelques recherches à ce
sujet.
Quoiqu'il en soit, d'ailleurs, de l'exactitude du fait re
marqué par les colons sur l'influence de l 'alcohol comme le
vain de fermentation , la pratique qu'ils ont déduite de cette
remarque n'est pas raisonnée , et laisse beaucoup à désirer
pour sa perfection , et je ne doute pas qu'ils n'obtiennent
des résultats bien préférables en opérant de la manière sui
vante.
Il faudrait d'abord délayer les mélasses avec de l'eau ou
,des vinasses peu acidifiées , dans un travail continu, de ma
nière à ce qu'elles ne portassent pas plus de 5 a 6° de den-
» site , et veiller à ce que la température fût établie , dès la
mise en travail, de 2o a 3o°. Pour activer la fermentation,
on pourrait préparer l'un desdevains artificiels dont je donne
la préparation dans le dernier chapitre de cette partie , ou
simplement ajouter à la cuve une petite portion de jus vierge,
que l'on aurait mis a fermenter isolément , et qui vînt ser
vir la comme piéd de levain. Je ne doute pas qu'en opérant
ainsi, la fermentation ne se détermine plus vite, ne s'achève
plus rapidement , et ne produise par la même une plus grande
quantité d'alcohol.
5
66 TRAITÉ DE L'ART
Les vinasses , avec cette marche , pourraient servir avec •
bien plus de succès a faire de nouvelles trempes ; en effet ,
elles seraient bien moins acides en provenant de fermenta
tions moins pénibles.
Le rhum des colonies n'a point , immediatement après la
distillation, ce goût que nous lui connaissons : c'est en le fai
sant séjourner pendant long-temps dans des barriques qui
ont contenu des mélasses , que l'on corrige l'àcreté qu'il pos
sède au sortir de l'alambic Les barriques imprégnées de si
rop , secondées par le temps , produisent ce changement
dans la saveur du rhum.
Mélasses des Raffineries.
Les mélasses des raffineries fermentent difficilement seules.
J'indiquerai pour les mettre en fermentation les mêmes pro
cédés que j'ai recommandés pour les mélasses des colonies ,
et j'insisterai sur l'emploi d'un levain quelconque, et surtout
sur celui de la bière , quand on pourra se le procurer. Du
reste , la marche du travail sera la même. Il serait possible
même qu'en appliquant à ces sortes de mélasses , les divers
procédés que je vais décrire pour les mélasses de betteraves,
il serait possible , dis-je , que Kon obtînt de bons résultats»
C'est a l'expérience a prononcer 'a cet égard.
,
Mélasses de Betteraves.
Les mélasses de betteraves , comme je l'ai déja annoncé,
n'ont pu , jusqu'a présent , trouver de débouchés que dans-
la distillation. La cause en est dans le mauvais goût qu'elles*,
portent avec elles , et qui les fait répudier dans le com
merce. Elles ne peuvent pas , en effet, être consommées en
nature comme les mélasses des raffineries ; elles n'ont rien
moins que la saveur mielleuse de celles-ci , et c'est en cela
seul que le sucre brut de betteraves diffère de celui de la
canne, avec lequel il est parfaitement identique, quand l'o
pération du raffinage les a épurés tous les deux de leurs mé
lasses. La mélasse de la betterave porte avec elle toute l'à
creté de la racine , et il arrive même très-souvent qu'elle a?
un goût fortement salé , a cause du nitrate de potasse ou sal-
bê la Distillation. 67
pètre que les betteraves contiennent souvent en quantité as
sez grande. Quoi qu'il en soit , cependant , du goût de ces
mélasses , qui , en apparence et a la simple dégustation ,
sont bien moins sucrées que celles des raffineries, elles sont
cependant de beaucoup préférables a celles-ci pour la quan
tité d'eau-de-vie qu'elles produisent. Le goût , il est vrai ,
ressemble moins à celui du rhum , et conserve toujours un
arome particulier 5 mais elle est agréable à boire , et pour
rait peut-être , avec certaines précautions , s'identifier davan
tage avec le rhum des colonies.
Méthode de M. Caflen
Voici une manipulation a suivre pour prédisposer les mé
lasses de betteraves a une bonne fermentation. J'en dois la
communication a un de mes amis, M. Cafier, fabricant de
sucre de betteraves et distillateur àDorignies, près de Douay,
département du Nord. Ce manufacturier éclairé, dont j'au
rai occasion de parler encore par la suite , distille toutes les
mélasses qui proviennent de sa fabrique ; et il a été conduit,
par les expériences qu'il a faites pour perfectionner son tra
vail , a reconnaître un grand avantage à opérer de la ma
nière suivante.
11 prend 1oo litres de mélasse, il les dépose dans une
cuve , et les mélange avec 1oo litres d'eau bouillante. Quand
le tout est bien battu , il recouvre sa cuve , et la laisse en
repos pendant 1 2 heures. Alors il y ajoute 2 hectolitres d'eau
bouillante et mélange de nouveau, puis laisse reposer encore
1 2 heures. A cette époque , il procède à la mise en fermen
tation en délayant sa masse avec de l'eau froide et chaude,
de manière à l'amener h la température voulue , et à lui don
ner 5 a 6 degrés aréométriques. 11 obtient ainsi avec un hec
tolitre de sirop 2o à 24 hectolitres de vin bien fermenté, qui
lui rendent environ 8o litres d'eau-de-vie a 19°.
Cette quantité diffère de celles annoncées dans divers ou
vrages» M. Chaptal annonce, par exemple , dans son excel
lent Mémoire sur le sucre de betteraves, 1821 , que la même
quantité de mélasse ne lui produit que 1 5 litres d'eau-de-
vie à 22°, qui équivalent à 18 litres à-peu-près d'eau-de-vie
68 TRAITÉ DE L'ART
à 19°. M. Mathieu de Dombasle, au contraire, assure en
avoir tiré constamment 1oo litres a 19°. Comment accorder
deux résultals aussi inégaux ? Je crois qu'on pourrait les ex
pliquer en admettant ce fait probable, que M. le comte
(.haptal, en épuisant mieux ses mélasses , les rend moins
productives à la distillation , et que M. Mathieu de Dom
basle a toujours opéré sur des mélasses plus riches en sucre,
moins dépouillées , et avec une connaissance plus parfaite de
ce genre de travail.
Quoi qu'il en soit , le résultat que j'ai annoncé ci-dessus
de 8o litres d'eau-de-vie a 19° tirés de 1oo litres de mélasse,
tient aux procédés que je viens de décrire pour la mise en
fermentation. M. Cafler , avant l'emploi de cette méthode ,
ne tirait pas à beaucoup près autant de ses mélasses.
Je dois avertir de plus ici , en passant, que l'un des avan
tages de ce mode d'opérer tient à l'emploi des vinasses pour
délayer les mélasses Cet emploi économise le combustible ,
en offrant des matières bouillantes a leur sortie de la chau
dière, et dont le calorique est ainsi utilisé. On trouve de plus
dans cet emploi tous les avantages que je développerai plus
loin en traitant de la transformation la plus parfaite du sucre
en alcohol.
Souvent encore M. Cafler a trouvé de l'avantage à ad
joindre a ses mélanges a raison de 5 a 7 kilogrammes de
grains pour 1oo litres demêlasse. Ce grain, concassé, et
formé d'un mélange de 2o kilogrammes d'orge maltée et de
8o àilogrammes de seigle , donne plus de nerf à la fermen
tation et la rend plus complète.
Méthode de M. de Dombasle.
Je viens de citer un produit étonnant en eau de-vie , que
M. Mathieu de Dombasle retire des mélasses de betteraves.
On lira sans doute avec intérêt la méthode suivie par ce
technologne distingué, pour obtenir un semblable produit.
Il l'a consignée avec quelques développemens Bans la se
conde édition d'nir excellent ouvrage sur le sucre de bette
raves. En voici quelques extraits : ils suffiront pour faire
connaître les particularités du travail de M. de Dombasle.
DE LA DISTILLATION. 69
q Je suppose maintenant, dît-il, qu'on veuille procéder a
>i mettre en fermentation im envier de 5o hectolitres de con-
» tenance ; la dose de farine pour le levain sera de 8o li-
» vres (1) et celle d'acide sulfurique de 1o kilogrammes. La
» veille, au soir, on préparera un levain de 4o livres de fa-
>) rine , c'est-a-dire de la moitié de la quantité totale ; dès le
» matin , on mettra dans le cuvier la quantité de mélasse
» nécessaire pour portera 7° de l'aréomètre l'eau que l'on
» aura a employer, ainsi qu'une quantité d'eau suffisante
» pour emplir le tiers du cuvier. On commencera par met-
» tre la mélasse dans le cuvier , et on y versera un peu d'eau
» bouillante, en agitant fortement pour la délayer. Lors-
» qu'elle sera dissoute, ce qui exige du temps et du travail ,
» on ajoutera de l'eau chaude et froide en quantité suffisante
» pour que le tiers de la cuve se trouve rempli de liquide
» a 7° de l'aréomètre et a 27° environ de température. On
» mettra alors 5 kilogrammes d'acide, on brassera, et enfin
» on ajoutera le levain, qu'on mêlera bien dans la masse,
i» et on couvrira le cuvier. La fermentation doit s'établir
» promptement; et, au bout de quelques heures, la surface
» du liquide doit être entièrement couverte d'écume.
» Le lendemain on fait le chargement du second tiers, en
» préparant , dès la veille, un levain de 2o livres de farine :
» on délaie d'abord la mélasse dans un cuvier a part , avec
» de l'eau chaude et froide , et on la met dans le cuvier , en
y) ajoutant de l'eau tiède , de manière a ramener la tempéra-
» ture au même degré que la veille. On ajoute alors la moitié?
» de l'acide restant , puis le levain , après avoir bien
» mêle* l'acide dans la masse , et on brasse encore soigneuse-
» ment après avoir mis le levain.
» Le jour suivant, on procède, pour le troisième ehar-
y, gement , comme on l'a fait pour le second , en employant
y) h reste de la farine et de. l'acide. On tient toujours le cu-
» vier bien couvert. . . .. '
» Si l'opération a été bien faite , la fermentation n'est pas

(1) Voyez la composition d'un levain de farine de seigle, dari*


le dernier chapitre de cette partie. C'est celui-là qui est désigne ici*
« m *
*
fJO TRAITÉ DE L'ART
» interrompue par le second et le troisième chargement ; elle
» prend , au contraire, beaucoup d'activité : le bruit qu'elle
» produit se fait entendre a une assez grande distance du
» cuvier , et il ne diminue que lorsque la fermentation ap-
» proche de sa fin , ce qui doit avoir lieu le second ou le
» troisième jour après le dernier chargement.
» On connaît que le cuvier est prêt a être distillé , lors-
» que les écumes sont tombées , et que le mouvement de
» la fermentation a cessé. Le liquide alors doit marquer de
» 1 a 2° a l'aréomètre : s'il marquait davantage , cela indi-
» querait que la fermentation n'a pas été complète ; mais il
» n'y aurait rien a gagner a attendre , dès l'instant qu'on
» observe les signes de la terminaison de la fermentation , et
» toutes les tentatives que l'on pourrait faire ensuite pour
» ranimer la fermentation seraient inutiles. En général, lors-
» que la fermentation n'a pas bien marché dans ses pre^
» mières périodes , elle languit ensuite de manière a durer
» 4 ; 5 ou 6 jours , et même davantage : dans ce cas , il
)) faut bien se déterminer à attendre , car j'ai toujours re-
» marqué qu'il devient impossible d'y apporter remède. Au
» reste, cette marche vicieuse est toujours le résultat de
» quelque faute commise dans le début de l'opération , en
» supposant qu'on ait employé de bonnes matières.
» Lorsque ta fermentation vineuse est terminée , il se pro-
.» duit cependant encore dans le liquide une espèce d'efFer-
» vescence, que les personnes peu expérimentées prennent
» souvent pour une continuation de la fermentation ; mais
» ce mouvement n'est que le commencement de la fermen-
» tation acéteuse, et il est fort important de ne pas s'y lais-
» ser tromper. Cette seconde fermentation présente des carac~
» tères tout- a-fait différens de ceux de la première: elle sema-
» nifeste par de grosses bulles, qui viennent de temps a au-
» tre crever a la surface , ou par un frissonnement très-dif-
» férent de celui que produit la fermentation vineuse. 11 suffit
»' d'avoir observé attentivement la marche de deux ou trois
» cuviers de fermentation , pour la distinguer facilement.
•» La dégustation est utile aussi pour connaître la marche de
j) la fermentation. La saveur sucrée diminue a mesure que
DE LA DISTILLATION. 7»
» la fermentation s'avance ; et lorsqu'elle est terminée , la
» saveur sucrée est remplacée par une saveur vineuse et
» d'une amertume remarquable dans toutes les fermenta-
» tions qui ont bien réussi. Dans ce dernier cas, on n'aper-
» çoit aucune saveur acide , et l'emploi de l'acide sulfuri-
» que présente la circonstance fort extraordinaire , que le
» vin , après la fermentation , se trouve beaucoup moins
» acide que lorsqu'on n'en a pas employé : il paraît que l'a»
» cide s'est décomposé, ou est entré dans une nouvelle com-
» binaison , pour former la substance amère et acerbe que
» le palais indique dans le vin.
» Lorsque la fermentation vineuse est terminée , on doit
» distiller le vin le plus promptement possible. »
Par cette méthode , M. de Dombasle assure avoir retiré
constamment, de 1oo litres de mélasse, volume égal de bonne
eau-de-vie a 19°.
L'emploi de l'acide sulfurique a la dose énorme de 1o
kilogrammes par cuvier de 5o hectolitres a 7° , paraît con
tradictoire avec les principes de la fermentation vineuse ,
dans laquelle la présence des acides est toujours nuisible.
Mais il paraîtrait qu'ici l'acide sulfurique ne resterait point
libre dans la liqueur , et qu'il y formerait une combinaison
amère. 11 serait possible que cette combinaison fût du sulfate
de chaux , et , dès lors , le phénomène s'expliquerait sans
difliculiés.En effet, les betteraves sont presque toujours trai
tées avec un excès de chaux pour la préparatiou du sucre :
nous savons que la chaux est trè6 soluble dans les dissolutions
sirupeuses ; nous savons de plus qu'elle est nuisible au déve
loppement de la fermentation alcoholique. Or , si la combi
naison de l'acide se faisait , dans le travail de M. de Dom
basle , avec la chaux , l'utilité de son emploi trouverait dans
notre théorie chimique une explication satisfaisante.
11 serait a désirer que l'auteur eût fait a ce sujet quelques
expériences concluantes , et nous avons d'autant plus de re
gret qu'il ne l'ait point fait, que ses connaissances le met
taient à même de nous fournir des observations exactes.
"7 a TRAITÉ DE L'ART
. SECTION NEUVIÈME.
Du. Miel.
On fabrique dans le Nord , avec le miel , une boisson vi
neuse connue sous le nom d'hydromel. C'est une dissolution
de miel dans l'eau, a laquelle on doune communement une
densité de 12 a 1 5° aréométriques. On la clarifie avec des
blancs d'œufs , on la laisse bouillir pendant quelque temps ,
puis on la met en fermentation dans des futailles, après l'a
voir laissée refroidir jusqu'à 2o ou 25°.
Cette espèce de moût que l'on confectionne avec toutes
espèces de miel , passe très-facilement a la fermentation al-
coholique , et en subit toutes les périodes a la manière du
jus de raisin. Il y a cependant cette particularité, qu'il n'est
pas inutile de signaler ici, c'est que le moût de miel , pré-
ftaré comme nous venons de le dire pour la fabrication de
'hydromel , reste souvent 4 a 5 jours en futaille , et même
quelquefois plus, suivant l'état de la température, sans don
ner le moindre indice de fermentation. C'est pourquoi cer
tains fabricans ont l'habitude d'ajouter une petite quantité
de levure de bière au moment de l'entonnage. Avec cette
pratique , la fermentation se manifeste 7 ou 8 heures après.
Le miel cependant porte avec lui tous les élémens de la
fermentation vinense , et l'addition de levûre , que je viens
de signaler , n'est utile que pour la déterminer plus tôt. Re
marquons bien ce fait , car sa connaissance est essentielle
pour le distillateur.
La cause du retard que les dissolutions de miel éprouvent
pour entrer en fermentation , appartient aux manipulations
qu'on leur fait subir. En effet , si l'on se bornait a dissoudre
le miel dans une quantité d'eau froide et chaude suffisante
pour donner au mélange 12 a 1 5° aréométriques , et une
température de 2o a 25°, sans la soumettre a l'ébullition ,
comme on le fait pour l'hydromel , il entrerait en fermen
tation dans les 12 heures , et cela a l'aide du levain naturel
que le miel porte avec lui. Il n'en est plus de même dès le
moment où le liquide a été soumis à une haute température ;
et tout porte a croire qu'alors la chaleur ne détruit pas la
DE LA DISTILLATION. ^3
levure naturelle , mais lui ôte momentanément ses proprié
tés. Ce raisonnement découle des faits eux-mêmes , et il est
applicable à tous les jus sucrés qui portent du levain avec
eux. C'est ainsi que l'expérience a prouvé que le jus de rai
sin et celui de la pomme , qui peuvent , dans leur état natu
rel , passer à la fermentation au bout de quelques heures ,
ne peuvent plus subir ce mouvement que 7 ou 8 jours après ,
quand on les a soumis a l'ébullition avant de les mettre en
travail. Nous reviendrons par la suite sur ce sujet en traitant
de la fermentation ; souvenons-nous seulement , pour le mo
ment, de l'effet que je viens de signaler de la chaleur sur
les propriétés de la levure.
Soumis à la distillation , l'hydromel donne une grande
quantité et une bonne qualité d'eau-de-vie ; mais comme la
préparation de cette espèce de vin est coûteuse , on ne s'oc
cupe point d'en fabriquer pour la distillation ; et je n'ai
.guère vu mettre en chaudière que des hydromels qui , par
quelques dégénérations , ne pouvaient plus être consommés
en boissons. La distillation alors offre une ressource utile.
Si d'ailleurs le prix de l'alcohol , comparé à celui du
miel , permettait l'emploi de cette matière dans une distille
rie, il serait inutile de préparer de l'hydromel pour cet objet;
il suffirait de délayer le miel dans de l'eau , absolument de la
même manière que la mélasse. ( Voyez ce que nous avons
dit a ce sujet dans la section précédente. )
L'eau-de-vie que l'on retire de la distillation du miel
porte , comme toutes les liqueurs alcoholiques , un atome
ftt un. goût particuliers , que l'on parvient a effacer pres
que complétement par l'opération distillatoire connue sous
le nom de rectification. ( Voyez la troisième partie de cet
ouvrage. )
SECTION DIXIÈME.
Des Eaux de lavage des raffineries.
Il y a dans toutes les raffineries un bac de bois d'une
grande dimension , et qui est constamment plein d'eau ; il
est destiné au lavage de tous les vases et outils de la fabri
que : de sorte qu'après une certaine succession d'opérations
^4 TRAITÉ DE L'ART
de cette nature , l'eau se charge de sucre et d'ordures en
quantité telle qu'elle doit être renouvelée , ce qui se fait
communément tous les 1 5 jours , et quelquefois plus sou
vent, suivant la capacité du bac et l'importance de l'établis
sement. Cette eau, ainsi chargée de sucre et d'impuretés,
contracte toujours dans le bac , et surtout en été , une fer
mentation assez active, qui n'est rien moins que favorisée,
pour sa perfection , par les circonstances qui l'enveloppent.
En effet , le vase est découvert , le liquide est continuelle
ment agité par le mouvement nécessaire au nettoyage des
ustensiles ; et ces circonstances , comme nous le verrons
par la suite , sont toujours très-nuisibles a la production al-
coholique.
Aussi ces eaux , quoique pourvues , par le fait des lavages
successifs , d'une densité que l'on peut estimer de 5 a 6°
aréométriques, sont-elles toujours très-pauvres en alcohoi.
Il existe plusieurs moyens de procéder a leur distillation.
A Paris, on les recueille dans de vastes foudres, qui con
tiennent jusqu'a 4o et 5o hectolitres , au fur et a mesure de
leur sortie des raffineries ; la on les abandonne a elles-mêmes
sans aucune précaution , et on les met en chaudière à mesure
que celle-ci peut les recevoir ; car il est rare que la chau
dière attende ces sortes de matières. Elles sont si abondantes
à Paris , que le fabricant en a toujours a sa disposition une
quantité plus grande qu'il n'en peut distiller. Traitées de
cette manière , ces eaux ne rendent pas plus de 5 a 6 1 de leur
volume d'eau-de-vie a 19°, qui ont l'arome du tafia, mais
qui conservent toujours un goût âcre. Les vinasses qui en
résultent sont fortement acides , et retiennent en outre une
quantité de sucre plus ou moins grande échappée a la fer
mentation.
D'autres distillateurs mettent ces eaux dans des cuves de
fermentation avec un peu de levure , de manière a suppléer
à l'insuffisance de celle qu'elles ont subie a la raffinerie. Par
ce moyen , ils augmentent légèrement la production alcoholi-
que ; mais cette augmentation de produit est souvent si légère ,
qu'elle dédommage a peine le fabricant des frais qu'elle né
cessite.
DE LA DISTILLATION.
J'ai vu encore employer ces eaux, dans la Flandre , mélan
gées avec des grains , pour la fermentation ; mais je crois que le
plus grand avantage que cette méthode présentait aux distilla
teurs, était plutôt comme moyen de fraude que dans l'augmen
tation de produits ; car je ne pense pas que le grain puisse
rendre, par ce mélange, la quantité d'eau-de-vie qu'il don
nerait étant bien traité avec de l'eau pure. Nous verrons plus
tard la théorie qui fonde mon opinion a cet égard, et je ne
crois pas qu'elle puisse être récusée. On peut concevoir fa
cilement comment cette manière d'opérer peut offrir au dis
tillateur les moyens de sauver les droits.
Celui- ci est obligé de rendre compte au gouvernement de
la quantité de grains qu'il met en travail , et de déclarer la
quantité d'eau-de-vie qu'il peut en retirer ; de sorte que s'il
délaie ce grain avec une matière liquide, qui peut déja ren
dre par elle-même 5 a 6 £ d'eau-de-vie , il augmente, dans
cette proportion , la production alcoholique de sa matière.
Au lieu de retirer d'une cuve 5o litres d'eau -de- vie , par
exemple , s'il en retire , par ce moyen , 7o , il peut fraudor
à l'administration les droits sur 2o litres ; et c'est en cela
uniquement que peut consister l'avantage de mélanger les
eaux sucrées au grain ; car V acide qu'elles retiennent n'est
nullement favorable a la fermentation vineuse.
Je pense donc que le moyen le plus simple de distiller les
éaux sucrées des raffineries , est d'opérer comme on le fait
à Paris ou même de mettre isolément en fermentation la li
queur , lorsque l'on juge, par sa densité a l'aréomètre et par
sa saveur saccharine et tout-a-la-fois peu acide et alcoholi
que, qu'une fermentation puisse être utile et productive. 11
est impossible d'établir une règle précise a cet égard , parce
que la qualité des eaux varie avec les raffineries, avec la tem
pérature a laquelle elles ont été exposées , avec les saisons et
avec leur âge. C'est au distillateur intelligent à s'enquérir
parfaitement de tous ces faits , et a opérer en conséquence ,
en se gudant , dans ses opérations , sur tous les principes
que nous donnons dans cet ouvrage.
Les raffineries peuvent , outre ces élémens de distillation ,
en fournir d'autres a -peu-près analogues ; je veux parler
76 TRAITÉ DE L'ART
des charbons qui ont servi a décolorer le sucre. Ces matiè
res , quoiqu'elles aient subi des lavages plus ou moins abon-
dans dans les fabriques, peuvent encore assez souvent don
ner par leur lavage , dans l'état où les raffineurs les abandon
nent , une eau marquant quelques degrés à l'aréomètre.
On peut les obtenir par divers moyens ; mais comme cela
est généralement peu important, je ne les décrirai point. Qu'il
me suffise de dire que ces moyens ayant pour but le lavage
des noirs et la séparation, par ce moyen, de la petite quan
tité de matière fermentescible qu'ils retiennent , on peut ob
tenir ce résultat avec de l'eau bouillante délayée avec le
charbon animal , que l'on jette dans cet état sur un filtre qui
retient le charbon et laisse passer l'eau.
Cette eau peut souvent porter 4 à 5° , et peut subir la fer
mentation vineuse , si on la place dans des circonstances fa
vorables avec un peu de levure de bière ; soit 1 litre de celle-
ci pour 8 a 1o hectolitres de liquide.
Mais ce liquide contracte toujours un goût putride et
une odeur nauséabonde , h cause du sang coagulé que le noir
porte avec lui 5 de sorte qu'il a une propension très-grande
à tourner a la fermentation acide. L'eau-de-vie qui en ré
sulte est toujours de mauvaise qualité , et ne peut , sous ce
rapport , qu'avoir peu de valeur dans le commerce ; aussi
ne l'ai-je vu fabriquer avec quelque succès que lorsqu'on
masquait son mauvais goût par l'arome des baies de geniè
vre , par les oranges amères ou autres fruits dont le goût et
le parfum dominent beaucoup dans les liqueurs alcoholiques.
On pourrait encore corriger le mauvais goût de ces sortes
d'eaux-de-vie par la rectification.
CE LA DISTILLATION. 77
SECTION ONZIEME.
De quelques autres végétaux de la première classe,
qui i dans plusieurs pays et dans diverses cir
constances } sont ou pourront devenir les maté
riaux d'une distillation.
Des Arbouses.
L'arbouse est le fruit de l'arbousier ( arbutus unedo de
Linnée ). Cet arbre vient spontanément dans plusieurs con
trées de l'Europe , en Italie , en Corse , dans le midi de la
France , et particulièrement en Espagne , où il est très-commun.
M. Àrmesto , qui a fait des essais sur la matière sucrée de
ce fruit , dit avoir retiré du marc , qui lui restait après l'ex
traction du jus , une liqueur vineuse qui , par la distillation,
lui a fourni une espèce de rhum dont le goût était délicieux.
M. Mojon , professeur de chimie pharmaceutique à
Gènes , s'est occupé , en 181o , de la fermentation du sucre
des arbouses ; et il a trouvé que, lorsqu'elles sont parfaite
ment mûres , elles rendent en eau-de-vie le dixième de leur
poids.
Voici un procédé indiqué par M. Piccini (Annales d'A
griculture de Tessier et Bosc , iom.LlV, pag. 73), pour
extraire le jus des arbouses : il consiste a les mettre dans des
sacs , quand elles sont parfaitement mûres , et à les soumet
tre ainsi a la presse ; cette pulpe , qui est très-glissante , coule
avec facilité a travers le tissu des toiles. Il la délaie dans une
quantité suffisante d'eau froide, l'y laisse macérer, en remuant
de temps en temps avec une cuillère de bois ; la matière
sucrée se dissout. Il verse ce mélange sur un filtre de laine :
la solution passe , et le parenchyme reste sur le filtre. Dans
cet état, la liqueur n'a besoin que d'être mise en cuve pour
subir la fermentation vineuse , et donner , à la distillation ,
une quantité d'eau-de-vie assez considérable.
Ces sortes de fruits , qui ne deviennent que rarement ,
dans les pays qui les produisent , la proie des animaux même
les plus affamés , paraissent être condamnés a pourrir sur
place, tandis qu'il paraît bien démontré qu'ils pourraient être
78 TRAITÉ DE I/ART
employes au profit de l'homme sous plusieurs formes utiles ;
leur conversion en alcohol est de ce nombre, et semble devoir
être la plus productive et la plus facile. Sous ce rapport ,
l'arbouse mérite une attention particulière de la part des habi
tons des contrées où on peut l'exploiter sans frais de culture.
Des Groseilles.
La groseille, maigré l'aigreur qui en fait l'un de nos fruits
les plus rafraîchissans et les plus utiles, contient, lorsqu'elle
est bien mûre , une quantité de sucre assez grande pour pou
voir donner un vin assez fort a la fermentation.
La cherté du vin aux Etats-Unis d'Amérique, fit cher
cher un moyen de le remplacer par une liqueur vineuse pré
parée avec une production du sol ; et ce fut la groseille qui ,
avec le sucre de canne , en fournit les élémens.
M. Antoine, pharmacien-major, en Espagne, a fait des
recherches sur les eaux-de-vie de divers fruits, et il en ai
retiré des groseilles rouges et blanches une assez bonne qua
lité, quoiqu'il la trouve, sous tous les rapports , bien infé
rieure a celle que lui ont donnée les pêches.
Quoi qu'il en soit, d'ailleurs , de la qualité de l'eau-de-vie
de groseilles , il est certain que la grande consommation que
l'on fait de ce fruit sous d'autres formes, laisse difficilement
espérer qu'il puisse devenir l'objet d'une distillation impor
tante. On ne pourrait guère s'en occuper que pour grossir ,
dans le commerce, le nombre des liqueurs alcoholiques qui,
par leurs goûts et leurs aromes particuliers, figurent sur les
tables des riches.
Les groseilles rouges , comme ayant généralement plus de
sucre que les blanches, devraient être préférées pour cet objet*
Des Prunes.
Les prunes se préparent de la même manière que les ce
rises pour être mises en fermentation.
On a quelquefois fait de l'eau-de-vie de prunes en France
et en Allemagne, et particulièrement en Westphalie. Les
fruits que l'on a employés pour ce commerce étaient d«
mauvaise qualité, et peu propres à être consommés en nature.
ÊE LA DISTILLATION.
L'eau-de-vie qui en résultait servait en France a falsifier
le kirsch-wasser , et lui donnait une propriété vénéneuse qui
a aitfré l'attention du gouvernement ; on a reconnu, en ef
fet , que le noyau de la prune contenait une matière parti
culière, dont l'action délétère est très-énergique.
11 serait donc convenable, si l'on voulait se livrer a ce
genre de fabrication, de ne point briser les noyaux du fruit
que l'on mettrait en fermentation ; il serait peut-être même h
propos de ne pas mettre ce noyau dans la cuve.
Les prunes les plus sucrées et les plus suaves, comme la
reine-claude, sont les plus propres à la fabrication de l'ean-
de-vie ; et la même cause qui fait rechercher ces sortes de
fruits pour la bouche , ne laisse 'a la distillation que celles
qui ne peuvent convenir à cet usage.
Le jus de la prune, pour être mis en fermentation d'après
nos principes, devrait être ramené à 5° aréométriques envi
ron , toutes les fois que sa densité serait supérieure a ce de
gré ; il porte son levain avec lui.
Des Pêches.
L'extraction du jus des pêches s'opère comme pour les
cerises.
On ne fait guère d'eau-de-vie avec ce fruit que dans la
Perse et l'Amérique méridionale , où il se trouve en abon
dance. L'eau-de-vie qu'on en retire , sans toutefois briser
les noyaux pour les mettre en fermentation , possède une sa
veur et un parfum très-agréables. Tel est au moins le rap
port des voyageurs, et la remarque de M. Antoine, qui a
fait des essais sur la fabrication de cette espèce d'eau-de-vie.
• . *
Des Cocos.
Le coco est le fruit du cocotier [Cocos milifer de Linnée).
Le cocotier qui croît naturellement dans l'Inde, en Afrique et
en Amérique , est l'un des arbres les plus utiles de ces pays.
Son tronc s'élève jusqu'à 6o pieds de hauteur. Son fruit est
dela grosseur d'une tête d'homme. Lisse a l'extérieur, il con
tient une amande k chair blanche et ferme comme la noisette
)
80 traité de l'art
dont elle a a peu-près le goût. Cette amande est entourée
d'un eliqueur claire, agréable et rafraîchissante.
C'est cette liqueur qui sert chez certains peuples de l'Inde
a la preparation d'une espèce de vin qu'ils nomment tari , et
qui leur fournit, par la distillation, une liqueur alcoholique
qu'ils appellent calou. Cette liqueur est dangereuse pour les
Européens, par la propriété qu'elle a de leur donner la dys-
senterie. Nous devons cette remarque a M. Méry-Darcy ,
ancien directeur de la compagnie des Indes.
Le cocotier , qui n'est qu'une espèce de palmier , croît
lentement ; mais il fructifie deux ou trois fois l'année. Lors
qu'on coupe l'extrémité de ses spathes, encore jeunes , il
distille de la plaie une liqueur blanche , douce , et d'un goût
très-agréable, qui se recueille dans des auges disposées a cet
effet au pied de l'arbre. Cette liqueur , appelée impropre
ment , dans l'Iude , vin de palmier , sert, comme celle qui
enveloppe l'amande du fruit, a la boisson des Indiens. Elle
est très-douce quand elle est fraîche, et devient plus rafraî
chissante encore en s'aigrissant par le repos; mais au bout de
24 heures elle fermente, et devient si aigre, qu'on ne peut
plus la boire : alors on la distille , et elle donne une eau-de-
vie d'une assez bonne qualité.
Des Dattes.
Les dattes sont les fruits du dattier , espèce de palmier qui
croît naturellement dans les terrains sablonneux de l'Inde ,
de l'Arabie , de l'Afrique , dans la partie méridionale
de l'Espagne , et dans les îles méridionales de la Méditer
ranée. On trouve même quelques pieds de dattiers en France
sur les bords de cette mer, mais ils y amènent rarement leur
fruit a maturité. C'est principalement en Arabie , et dans les
pays situés au-dela du mont Atlas , qu'ils croissent le mieuxf
qu'ils produisent les meilleurs fruits , et que l'on attache le
plus d'importance a leur culture.
Suivant les témoignages des Arabes , le dattier croît len
tement , et vit deux ou trois cents ans ; il fleurit an prin
temps , et ses fruits sont mûrs en automne. On compte sur
*

DE LA DISTILLATION. 8l
chaque arbre 1o a 2o spadix , qu'on appelle régîmes , et ou
les coupe à l'époque de la maturité du fruit.
On distingue trois sortes de dattes sur ces régimes , par
leur degré de maturité. Pour achever de mûrir celles qui ne
le sont pas encore complétement , on les expose au soleil.
Une partie des plus mûres ou des plus juteuses sont pressées
pour en tirer un suc mielleux très-agréable , qui , outre les
usages divers où on l'emploie comme édulcorant, sert en
core a faire un vin qui fournit une eau-de-vie très-bonne
et très-suave.
On tire encore du dattier une liqueur fermentescible , en
opérant d'une manière a-peu-près analogue a celle que nous
avons décrite pour l'érable ; mais cette méthode a l'incon
vénient de faire périr l'arbre.
Des Mures.
Ces fruits , assez communs dans le midi de la France , ont
servi souvent à la fabrication du vinaigre , et nous savons
que de temps immémorial on fait dans l'île d'Audros , avec
les mûres blanches , une eau-de-vie de bonne qualité.
Il suffit pour cela de cueillir les mûres quand elles sont
arrivées a maturité , de les réunir dans un fouloir comme ce
lui que nous avons décrit pour le raisin , de les écraser de
même , et de les mettre en fermentation. Celle-ci s'établit
moins rapidement, et se termine moins vite que dans le rai
sin , suivant l'observation de M. Reau , maire de Vares , ar
rondissement de Marmande ; mais la quantité d'eau-de-vie
qui en résulte est assez grande pour que la distillation des
mûres soit avantageuse dans certaines années de disette de
raisins ; aussi n'est-ce qu'a ce titre que nous la signalons.
La cueillette des mûres est très-facile ; il suffit de les abat
tre avec des lattes , et de les recevoir sur des toiles tendues
à cet effet sous l'arbre.
Le jus exprimé des mûres n'est que faiblement acide , et
il pèse, dans de bonnes années, 8 à 1o degrés•

6
82 TRAITÉ DE L'ART
Des. Sèves d'Acacia , Bouleau , Frêne et Noyer , et
Miélée des arbres.
m
Les sèves de ces quatre arbres , que l'on recueille par le
moyen employé pour l'érable, ont une saveur sucrée assez
franche et prononcée. 11 est encore Une foule d'autres arbres
qui donnent , même sans préparation , une sève connue sous
le nom de miélée des arbres ; mais qu'il me suffise de citer
ceux-la , qui Sont les plus importans : ils suffiront pour con
vaincre que tous les extraits des végétaux qui ont une saveur
douceâtre , sont susceptibles de fermentation.
Les Suédois retirent de l'eau-de-vie de la sève du bou
leau fermentée. La sève du frêne fournit un semblable pro
duit chez quelques peuplades sauvages du Nord ; et l'acacia
et le noyer pourraient nous fournir, au besoin , du vin et
de l'eau-de-vie.
Le varech , plante qui croît sur les bords de la mer , et dont
on se' sert pour la fabrication des soudes , produit aussi du
sucre ; mais il se trouve mélangé avec une certaine quantité
de sel marin , qui lui est fourni par le sol sur lequel il vé
gète. Cette plante pourrait donc aussi être susceptible de
fermentation vineuse.
De la Châtaigne.
Nous devons à M. Parmentier un excellent traité sur la
châtaigne. C'est lui qui, en annonçant le premier la présence'
du sucre dans ce fruit , conseilla , dès l'année 178o , d'em
ployer les châtaignes à la fabrication des liqueurs fermen-
tées et de l'eau-de-vie.
Le châtaignier est très-commun dans le midi de la France ,
dans le Limousin, lePérigord, le Quercy, dans les monta
gnes des Cevennes et de l'île de Corse , et dans les forêts de
la Ligurie , où son fruit constitue la principale nourriture
des habitans. Cet arbre vient bien dans les montagnes et dans'
les sols arides et pierreux où l'on ne peut cultiver ni les cé
réales ni les pommes de terre ; et , dans les années d'abon
dance, on en laisse pourrir des quantités considérables r
dont on pourrait tirer parti par la distillation*
«
DE LA DISTILLATION. 83
Ce végétal précieux contient , outre du sucre libre, une
très-grande quantité de fécule ; et, sous ce rapport, il ap
partient à l'une et a l'autre de nos deux classes. Nous en par
lerons donc d'une manière plus particulière, et nous indique
rons le meilleur procédé que l'on pourrait employer pour
en retirer le plus grand produit qu'il puisse fournir en eau-
de-vie , lorsque nous traiterons , dans notre seconde classe ,
des végétaux farineux qui subissent une préparation pour
devenir parfaitement fermentescibles.
Lorsque M. Parmentier conseilla de destiner à la distil
lation les châtaignes que la nourriture de l'homme ne réclame
point, il ne pouvait indiquer le meilleur moyen à suivre pour
cet objet. Aussi n'engagea -t-il à faire fermenter que l'eau
dans laquelle on avait fait dissoudre le sucre libre de la châ
taigne cuite , et divisée par un moyen mécanique. Mais on
verra par la suite qn'il est possible d'en tirer un bien plus
grand parti , en opérant différemment.
Je ne sache pas que, jusqu'a ce jour, le conseil deM. Par-
mentier ait été utilisé dans aucune des contrées qui récoltent
la châtaigne, quoique cependant il ait pu être très-avantageux
de le suivre dans bien des circonstances , et surtout lorsque,
dans des années peu abondantes en vin, l'extraction de l'eau-
de-vie fut favorisée par des prix élevés.
D'ailleurs , toutes les espèces de châtaignes ne contiennent
pas du sucre libre, et celles qui en ont, diffèrent encore beau
coup pour la proportion dans laquelle elles le retiennent.
Les espèces sauvages n'en donnent pas du tout. Tous les châ
taigniers ne sont donc pas également propres a la distilla
tion , et les sauvageons ne valent rien pour cet objet , quand
on suit la méthode indiquée par M. Parmentier. J'établis
cette restriction , parce que l'on verra plus bas qu'il serait pos
sible de consacrer les sauvageons a cette destination avec
autant de succès peut-être que les autres.
Des tiges de Maïs et de Millet.
Les tiges de maïs et de millet contiennent , avant le déve
loppement des fruits farineux qu'ils produisent , une quantité
de sacre assez grande 5 aussi les a- 1- on signalées, dans le
«< -
84 TRAITÉ DE L'ART
temps, comme deux végétaux propres à nous fournir des
équivalens du sucre de canne.
Mais ces propositions , faites a une époque où l'on tour
mentait tous les végétaux pour en retirer du sucre, n'a pas eu
de suite en spéculation, et l'on a objecté avec raison que c'eût
été une folie de sacrifier a la petite quantité de sucre contenu
dans la tige, la nourriture abondante que peut donner le
fruit, et plus particulièrement le maïs.
Cette objection recevrait ici une application tout aussi
heureuse , si on s'avisait d'indiquer ces tiges comme des élé-
mens de distillation , et elle prendrait aujourd'hui d'autant
plus de fondement , que la science et la théorie nous permet
tent de croire que le fruit du maïs pourrait fournir des maté
riaux a la distillation , capables d'entrer en concurrence avec
tous les céréales.
Nous nous bornerons ici a ajouter , pour la matière fer-
mentescible des tiges de maïs et de millet, qu'on peut l'isoler
comme celle de la canne, c'est-a-dire , en les écrasant entre
des cylindres.
Nous parlerons, dans notre seconde classe, des procédés
que l'on devrait suivre , pour tirer des grains de maïs une
grande quantité d'eau-de-vie.
Du Tilleul.
Margraff a découvert que les bourgeons et les fleurs du
tilleul contiennent une quantité notable de sucre, et que par
conséquent ils sont susceptibles de fermentation. Pour obte
nir ce résultat , il suffit de faire bouillir pendant une demi-
heure à-peu-près ces fleurs et ces bourgeons mélangés avec
de l'eau dans la proportion de 1 a. 4. Cela fait, l'on obtientun
liquide qui pèse à l'aréomètre 4a 5 degrés ; et il suffit de le
mettre en fermentation et de le distiller , pour en extraire une
eau-de-vie qui n'a point de mauvais goût, et qui conserve le
parfum du tilleul.
De tous lesfruits sucrés , Abricots, Fraises, Framboi
ses , Coings , Figues , etc.
Tous ces fruits sont susceptibles de passer a la fermenta
tion alcoholique sans subir d'autre opération préparatoire
DE LA DISTILLATION.
que celle qui consiste a déchirer leur tissu pour mettre leur
jus en liberté.
Cette opération varie suivant la texture plus ou moins den
se du fruit ; mais nous en avons dit assez , dans les sections
précédentes , pour diriger ceux qui voudraient s'occuper de
la distillation de ces végétaux , dans le choix de la machine
propre à chaque espèce. C'est ainsi, par exemple , qu'ici le
foufoir suffirait pour réduire les abricots, les fraises, les fram
boises et les figues, et qu'il faudrait une râpe comme celle
a pommes de terre , pour réduire les coings de manière à
pouvoir en extraire parfaitement le moût.
Ces fruits, d'ailleurs, sont plutôt du ressort de l'art du
distillateur-liquoriste que de celui du distillateur èn général.
Leur distillation ne peut pas être un objet important , parce
qae leur saveur et leur rareté leur donnent dans le commerce
une autre destination. Les eaux-de-vie que l'on retirerait de
ces fruits ne pourraient donc jamais être considérées que
comme liqueurs.
Quant à la densité à donner au liquide pour le prédispo
ser a la fermentation la plus prompte et la plus complète
possible, nous recommanderons toujours la densité de 5 à
6° arcométriques, comme étant la plus convenable.
Cette règle est générale et conséquente avec les principes
que nous établirons par la suite sur la fermentation.
Conclusion.
Toutes les fois qu'on rencontrera un végétal dont la saveur
sera douce et légèrement sucrée , l'on peut être Gertain qu'il
peut subir la fermentation alcoholique. Le jus que l'on ex
trait du bois de réglisse est même susceptible de Gette décom
position : il suffit pour cela de remplir les conditions exigées ,
c'est-a-dire ,
i°. De mettre la matière sucrée en liberté ;
2°. De l'étendre, si elle ne l'est naturellement, dans une
quantité d'eau suffisante pour la fermentation , et cette quan
tité paraît être la plus favorable à la production alcoholique
lorsqu'on la règle de manière que le liquide porte 5 à 6°.
86 TRAITÉ DE t'ART

CHAPITRE V.

Des Végétaux de la deuxième classe.

Nous rangerons dans cette classe, ainsi que nous l'a


vons annoncé précédemment, tous les végétaux qui ne por
tent que peu ou point de sucre au nombre de leurs matériaux
1mmédiats, et qui peuvent cependant, a l'aide de quelques
opérations préparatoires plus ou moins compliquées , pro
duire une graude quantité d'alcohol. Cette classe se compose
de végétaux dont la nature est essentiellement farineuse,
c'est-à-dire , dont l'élément le plus volumineux est la fécule
ou l'amidon.
On nommefécule une substance blanche , cristalline , ino
dore et presque insipide. Telle est la fécule de pommes de
terre. On nomme plus particulièrement amidon une sub
stance analogue a la fécule , et dont les caractères chimiques
et physiques sont à-peu-près les mêmes. Tels sont les ami
dons du commerce que l'on retire du froment et de tous les
céréales. Nous pouvons donc, dans l'art du distillateur, con
fondre sous une même idée les mots fécule et amidon ; aussi
les emploierons nous souvent l'un pour l'autre.
C'est à la fécule que les céréales , les pommes de terre ,
et presque tous les végétaux , .doivent leur propriété nour
rissante ; aussi sont -ils d'autant plus recherchés pour la
nourriture des hommes qu'ils contiennent plus de fécule.
Le principe une fois bien reconnu de la propriété exclusive
que possède le sucre d'affecter la fermentation vineuse , et
par conséquent de produire de l'alcohol par la distillation,
nos chimistes l'étendirent sans exception à tous les végétaux,
et ils n'admirent la production de l'eau-de-vie dans la dis
tillation des grains et des pommes de terre qu'en raison du
sucre que pouvaient contenir ces deux végétaux, 11 est bien
démontré cependant aujourd'hui que les grains et les pommes
DE LA DISTILLATION. 87
de terre ne cont1ennent point de sucre , et le fait prouve ,
d'un autre côté , que ces végétaux peuvent passer a la fer
mentation vineuse.
Des expériences bien faites et irrécusables ayant démontré
depuis , que la fécule peut être convertie en sucre par plu
sieurs moyens , tout s'explique dans la distillation des végé
taux farineux, sans renverser la théorie des conditions aux
quelles l'alcohol est soumis pour sa formation. C'est ainsi
que, dans les arts industriels , la pratique devance souvent
de beaucoup les règles théoriques , et que la manufacture
éloignée des observations du savant, peut créer pendant de
longues années avant que la science ne soupçonne la proba
bilité de cette création. En effet , l'on distillait les grains et
les pommes de terre long-temps avant que les doctrines chi
miques n'en admissent la possibilité.
Il n'est pas inutile de signaler ici toutes les découvertes
qui nous permettent de concevoir aujourd'hui toutes les opé
rations des arts qui amènent la fécule a l'état de sucre , et
Jui donnent ainsi la propriété fermentescible.
Kirchoff, chimiste célèbre de Samt-Pétersbourg, parvint,
à l'aide de l'acide sulfurique , de l'eau et d'une ébullition
prolongée pendant 36 heures environ , à convertir la fécule
en une espèce de sucre semi-fluide et semi -concret, qui,
placé dans des circonstances favorables, subit la fermenta
tion vineuse a la manière de tous les corps sucrés que la na
ture nous fournit. Cette expérience de Kirchoff a été trans
formée en France, et particulièrement à Paris , en opération
manufacturière facilement praticable. Nous indiquerons plus
bas la pratique de cette opération.
Le même chimiste prouva que la fécule convertie en em
pois avec 8 a 1o fois son poids d'eau , mélangée dans cet état
avec son poids de gluten sec et pulvérisé , et exposée pen
dant 12 à 1 5 heures dans une étuve a la température de 5o",
peut être transformée en une espèce de sucre analogue à
celui obtenu par le concours de l'acide sulfurique. Le gluten,
employé dans cette expérience comme véhicule de la trans
formation de la fécule en sucre, est une matière qui pré
tente un aspect membraneux quand elle est imprégnée d'eau:
88 TRAITÉ DE L'ART
desséchée , elle ressemble beaucoup a la gélatine connue
dans le commerce , sous le nom de colle claire de Hollande.
Le gluten se trouve, dans les céréales , dans une propor
tion variable : le froment est celui qui en contient le plus.
C'est cette matière qui enveloppe la fécule dans les grains,
et c'est elle qui les rend propres à la panification. En effet ,
la fécule pure , celle de pommes de terre , par exemple , ne
peut pas faire de pain ; et si le blé a sur tous les céréales
«ne supériorité remarquable pour la panification , c'est a la
proportion de gluten qu'il la doit.
Si les céréales ne contenaient point cette matière particu
lière , on pourrait en isoler la fécule par les procédés utili
sés pour les pommes de terre , c'est-à-dire , qu'une simple
réduction et quelques lavages suffiraient pour leur enlever
leur fécule, et c'est ce qui n'est point. On sait, en effet, que
l'opération première des amidonniers a pour but de détruire
le gluten , et de mettre par la même la fécule en liberté ;
les opérations de l'amidonnier deviennent dès ce moment
analogues à celles du féculiste , c'est a-dire qu'il suffit de la-
Ter la matière pour en séparer la fécule , qu'on livre ensuite
au commerce sous le nom d'amidon.
Pour détruire ce gluten, les amidonniers déposent leur
froment réduit en farine, ou simplement le son du froment;
quand ils opèrent sur cette matière , ils le déposent, dis-je,
dans de vastes citernes , où ils le délaient avec un mélange
d'eau fraîche et d'eau sure. 11 s'établit une fermentation avec
dégagement de gaz , et il y a formation d'acide acétique , ou ,
ce qui est la même ebose , de vinaigre, qui a la propriété de
dissoudre le gluten ; l'amidon devient libre par cette opéra
tion , et peut être facilement séparé. Remarquons bien cette
propriété de l'acide acétique, elle nous sera utile plus tard
pour l'explication des phénomènes de la fermentation des
grains.
Le gluten peut être facilement séparé de la farine du fro
ment ; mais comme il n'a point d'emploi dans le commerce ,
on ne s'occupe pas de sa préparation. Si l'on voulait se for
mer une idée exacte de sa nature et l'isoler, il suffirait de
prendre de la farine quelconque de céréales , mais mieux de
DE LA DISTILLATION.
celle du froment. On la convertit d'abord en pâte , pu1s on
la malaxe dans la main , en faisant tomber dessus un filet
d'eau continu. Cette eau coule d'abord très-blanche , et celte
couleur lai est donnée par la fécule qu'elle emporte. On
cesse de malaxer quand l'eau coule claire , et le résidu qui
reste dans la main est du gluten à-peu-près pur. C'est a
Beccaria , chimiste italien , que nous devons la découverte
de cette matière.
La découverte de la propriété que possède le gluten de
saccharifier la fécule cuite (c'est-à-dire convertie en empois),
par le seul concours prolongé de l'eau et de la chaleur ,
jeta sur la théorie de la distillation des grains les lumières les
plus vives. En effet, jusque-la on ne savait comment expli
quer la transformation de la fécule en sucre dans l'art du
distillateur des grains , et dès lors on supposa que c'était au
gluten que le grain devait cette propriété.
M. de Saussure a fait également sur la saccharification
des fécules des expériences curieuses, et ce savant recom-
mandahle a démontré jusqu'à l'évidence que la fécule conver
tie en empois et abandonnée à elle-même pendant un laps de
temps plus ou moins considérable , se métamorphosait d'au
tant plus complétement en sucre que l'empois avait été aban
donné plus long-temps à lui-même. Cette découverte n'a pas
reçu encore d'application en pratique ; mais nous pouvons
espérer qu'elle nous conduira tôt ou tard à quelque solution
avantageuse aux arts.
Le meme chimiste , en étudiant la découverte de Kirchoff
sur la conversion de la fécule en sucre par l'acide sulfuri-
que , est le premier qui en ait donné une théorie , qui me
paraît irrécusable. Il a démontré que l'acide sulfurique n'était
pas décomposé dans cette expérience, et que la fécule trou
vait les élémens de sa transformation dans l'eau avec laquelle
elle se trouve mélangée à l'état d'empois.
Cette théorie de la saccharification des fécules est applica
ble, non seulement à tous les cas où elle est saccharifiée ,
mais encore à tous ceux où elle se trouve dénaturée.
C'est ce que j'ai essayé de démontrer par l'expérience et
le raisonnement , dans mon Mémoire sur la saccharification

f
9« TRAITÉ DE L'ART
des fécules, couronné par la Société royale et centrale
d'Agriculture de Paris.
Je crois avoir fait voir suffisamment , dans ce Mémoire , l'in
fluence de l'eau sur la décomposition de la fécule , et le rôle
remarquable que la chaleur joue dans cette décomposition.
J'avais spécialement en vue dans ce travail, pour lequel
!"aî dû faire de nombreuses recherches, de jeter quelques
umières sur la distillation des végétaux amilacés en général,
et d'en déduire quelques règles théoriques et pratiques pro
pres a diriger les manufacturiers dans leurs travaux. C'est
ainsi que j'ai été conduit a légitimer l'emploi de l'orge dans
les distilleries de grains et de pommes de terre, a mettre son
mode d'agir en évidence, et à offrir un moyen précieux de
perfectionner la distillation des pommes de terre.
Le résumé et l'application des raisonnemens théoriques
et des expériences consignées dans mon Mémoire trouve
ront ici leur place naturelle , et je ferai en sorte de ne rien ,
laisser à désirer pour la pratique de l'art de distiller toutes.
espèces de végétaux amilacés,
SECTION PREMIÈRE, ' •

Des Céréales.
Les céréales sont , depuis de longues années , en posses
sion de fournir au commerce une espèce d'eau-de-vie con
nue généralement sous le nom d'eau-de-vie de grains.
Cette branche d'industrie est surtout répandue dans les
climats du Nord , comme un moyen facile de suppléer a la
privation de la vigne. L'Allemagne, la Hollande , l'Angle
terre , la Pologne , et le nord de la France , se sont occu
pés les premiers de la distillation des grains, et ce n'est que
depuis quelque temps que cette industrie , si utile à l'Agri
culture, commence a pénétrer dans quelques départemens de
l'est , de l'ouest et de l'intérieur de la France. Elle offre ,
comme la distillation des pommes de terre , l'avantage de
consommer, dans l'exploitation agricole, une portion des ré
coltes pour les convertir en produits d'une autre nature. L'un
de ces produits est l'eau-de-vie, qui, par sa vente , paie
DE LA DISTILLATION.
plus ou moins amplement au cultivateur , la valeur de sa ré
colte et les frais qu'elle exige pour changer de forme. L'au
tre est une nourriture abondante et saine , qui entretient ses
bestiaux , et lui procure un produit considérable , soit en
viande , lait , beurre , fromage , ou laine. A cette fabrica
tion se rattache l'un des principes les plus utiles que l'on ait
établis pour la production , et pour augmenter par la même
notre richesse territoriale. Il résulte en effet de la nourriture
des bestiaux dans une exploitation rurale , une masse con
sidérable d'engrais , qui meublent les terres , suppriment les
jachères , et augmentent considérablement la fécondité. L'u
tilité de l'introduction des alambics dans les campagnes est
trop bien consacrée aujourd'hui par l'expérience pour que
j'insiste davantage a en exposer les effets. Qu'il me suffise
de l'indiquer en passant , et d'offrir les moyens de pratiquer
ce genre de distillation avec tout le succès dont il est suscep
tible.
Nous ne possédons rien de bien satisfaisant sur cette ma
tière , et l'importance qu'elle présente dans les arts , mérite
bien , je crois , quelques développemens dans l'art du dis
tillateur , dont elle forme aujourd'hui une partie essentielle.
Je ne négligerai rien pour donner une connaissance exacte,
et de ses procédés, et des principes théoriques sur lesquels
ils sont fondés ; et je suis convaincu de rendre , par cette
ublication d'un art trop peu connu , un grand service a
industrie.
Parmi les graines céréales que l'on emploie plus spécia
lement pour la distillation , le seigle occupe le premier rang ;
l'avoine et le froment sont quelquefois employés avec succès,
et l'orge est presque toujours alliée dans une proportion va
riable avec ces autres graminées.
Du Choix des Grains.
Nous ne connaissons pas d'autre moyen de reconnaître la
valeur vénale des grains que par leur pesanteur spécifique ;
de sorte que , toutes choses égales d'ailleurs , celui qui , sous
un volume donné, un hectolitre par exemple , pèse le plus,
doit être préféré pour la distillation comme pour les autres
g2 TRAITÉ DE L'ART
usages : aussi leur prix varie-t-il surtout dans le commerce,
avec cette qualité.
11 n'est cependant pas indifferent de négliger les autres
qualités : telle est leur conservation parfaite , parce que ceux
qui sont échauffés rendent beaucoup moins d'eau-de-vie ,
leur fermentation ne pouvant pas être aussi bonne.
Quant au défaut que possèdent quelquefois les grains ,
que des chances agricoles ont fait germer avant leur ré
colte , ce défaut de qualité se reconnaît a l'œil et au poids :
ils pèsent moins que ceux qui n'ont pas subi cette altération.
Le froment n'est guère employé a la distillation , parce
qu'étant destiné a la nourriture de l'homme , sa valeur est
généralement toujours plus grande que celle des autres grains ,
et que les produits alcoholiques qu'il donne ne sont pas en
rapport avec cette valeur. L'avoine , pour une raison analo
gue , n'est guère plus recherchée pour la distillation ; elle est
d'ailleurs utile a la nourriture des chevaux.
Le seigle convient mieux , parce que son rapport en eau-
de-vie est considérable , et que sa valeur laisse une marge
convenable au distillateur. Ajoutez à cela que , peu propre a
la panification , il aurait, sans la distillation , un usage très-
borné.
Quant a l'orge , elle joue dans la fermentation un rôle que
l'on n'a point étudié jusqu'a ce jour , et qui donne a son em
ploi , combiné avec les autres grains , une utilité que la pra
tique a consacrée , et que nous tâcherons de mettre en évi
dence, quand il en sera temps.
Suivons maintenant les diverses méthodes que l'on em
ploie pour mettre ces grains en fermentation.
SECTION DEUXIÈME.
Opérations qu'il est toujours indispensable de pratiquer
pour la mise des grains enfermentation. ^
11 existe plusieurs méthodes pour prédisposer les grains a
la fermentation ; mais, quelles que soient d'ailleurs les nuan
ces qui différencient ces méthodes , il existe trois opérations
indispensables qui sont communes a toutes.

«
DE LA DISTILLATION. q3
Ces trois opérations sont pratiquées dans tous les ateliers:
la première est la mouture des grains, la seconde est con
nue sons le nom de trempe , et l'autre sous celui de macéra
tion. Elles présentent une telle importance dans l'art du
distillateur, que je crois devoir les décrire séparément, et
indiquer en même temps leur véritable but et leur utilité.
De la Mouture des Grains.
La mouture est, pour les grains, a-peu-près ce que le fou
lage est pour le raisin ; c'est-à-dire que tout grain qui échap
perait a la mouture serait perdu pour la fermentation.
Toute espèce de grains que l'on destine a la distillation
doit donc être réduite par l'appareil que j'ai décrit précé
demment. Ils ne doivent pas être moulus en farine bien divi
sée, mais seulement concassés : telle est la pratique dont
l'expérience a constaté l'utilité. Ce n'est pas qu'en divisant
beaucoup ce végétal , on ne puisse obtenir de fermentation ,
en utilisant du reste les préparations suivantes ; mais c'est que
ces préparations seraient alors d'une main-d'œuvre plus dif-
ficultueuse, et que le grain coûterait plus de frais de mou
ture. On évite ces inconvéniens en se bornant a réduire les
céréales en grosse farine. C'est par le degré d'écartement
des meules que l'on obtient ce résultat.
On est dans l'usage , dans les distilleries , de ne moudre
les grains qu'au fur et a mesure des besoins. Ceux-ci, en
effet, se conservent beaucoup mieux dans leur état naturel
que lorsqu'ils ont passé sous les meules. Ils sont moins sujets
à s'échauffer^ et nécessitent par la même moins de précau
tions pour leur conservation. Je recommanderai donc aux
distillateurs de suivre cette méthode, s'ils ne veulent pas
s'exposer a diminuer sensiblement leurs produits. Les grains
échauffés en nature ou en farine perdent sensiblement de
leurs propriétés fermentescibles,.
De la Trempe des Grains.
Supposons, pour l'intelligence plus parfaite de cette opé
ration, que l'on veuille traiter 1oo kilogrammes de matière.
Le grain étant choisi et réduit en farine grossière, on dépose
g4 TRAITÉ DE L'ART
les 1oo kilogrammes de cette farine dans une cuve de fer
mentation , de la capacité de 7 hectolitres environ , pour n'y
mettre que 6 hectolitres de matière , et conserver un vide
necessaire a la mousse et au chapeau que produit la fermen
tation. Alors on procède à la trempe. Elle s'opère en ver-
saut sur la farine un hectolitre, ou, ce qui est la même
chose , 1oo kilogrammes d'eau à 35 ou 4o°, suivant les sai
sons : l'eau doit être plus chaude en hiver qu'en été ; enfin ,
pour avoir un guide plus sûr pour la trempe, il faut jeter
sur le grain un mélange d'eau froide et bouillante tel , qu'é
tant bien battu et remué pendant dix minutes environ avec
la farine, le tout porte une température de 25 à 3o°, ce
qu'il sera très-facile d'obtenir en toutes saisons. Il suffit pour
cela de ne pas négliger l'emploi du thermomètre , qui est un
guide infaillible pour mener régulièrement cette opération.
Dans cet état, et lorsque Yon est certain qu'il ne reste
plus de grumeaux de farine qui aient échappé à la pénétra
tion de l'eau, lorsqu'enfin le mélange a été bien agité pen
dant dix minutes par un homme armé d'un râble , on recou
vre la cuve, et on la laisse en repos pendant une demi-heure ;
un quart-d'heure de repos est même suffisant.
Le but de cette opération est, comme le nom l'indique y
de tremper la farine et de l'amollir en lui faisant absorber
de l'eau : et la température 35 a 4o°, que l'on donne à
l'eau , sert a la rendre plus pénétrante. Cette température a
été reconnue en pratique comme la plus convenable à la
trempe. Si elle était plus basse , ses effets seraient plus lents,
et la farine pourrait , après un repos d'un quart d'heure à
une demi-heure, n'être pas suffisamment trempée. Si elle
était plus élevée , au contraire, on s'exposerait à cuire le
grain et à manquer l'opération ; tel serait, par exemple , l'ef
fet d'une température de 6o°. A ce degré, la fécule, enve
loppée de gluten , se cuit à la surface de chaque fragment de
grain, et forme une enveloppe solide, qui s'oppose à la pé
nétration facile de l'eau dans l'intérieur de chacun des frag-
mens ; et comme il est indispensable que cette pénétration
ait lieu avant l'opération qui va suivre , il résulte un mal
réeli quand on n'a pas procédé de manière à l'obtenir.
DE LA DISTILLATION. Ç)5
Il est encore essentiel, quand on commence une trempe ,
de ne pas jeter de suite dans la cuve toute l'eau qui lui est
nécessaire ; et l'on opérera toujours bien quand on l'amènera
par petites parties , tandis qu'un ouvrier sera occupé a agi
ter fortement la farine.
Ces règles, que je viens d'établir pour la trempe, sont
générales , et ne souffrent pas d'exceptions, quels que soient
la nature et l'état du grain sur lequel on opère.
De l'opération connue dans les distilleries sous le nom de
Macération.
La trempe de la farine étant achevée , on s'occupe de la
macération. Cette opération consiste à battre fortement le
grain trempé , pendant que l'on fait arriver graduellement ,
dans la cuve, de l'eau bouillante, jusqu'a ce que le mélange
ait acquis une température de 5o a 55°. L'agitation qu'on
lui fait subir avec un râble, doit être prolongée pendant cinq
minutes au moins. A cette époque , on recouvre la cuve et
l'on abandonne le mélange h lui-même pendant un laps de
temps qui varie de deux à quatre heures. Nous pouvons po
ser en principe à ce sujet, que plus le repos est prolongé ,
plus l'opération est parfaite ; c'est-a-dire que quatre heures
de repos valent toujours mieux que deux. Il y aurait cepen
dant quelquefois plus de perte que de profit a trop prolonger
le repos ; tel serait , par exemple , le cas où la masse aurait
subi un refroidissement qui eût fait tomber la température
au-dessous de 35°.
On procédera donc toujours bien toutes les fois qu'on s'ar
rangera de manière à ce que le liquide pâteux , pendant une
macération de trois a quatre heures , ne puisse pas tomber
au-dessous de 4o a 45°. Il suffira pour cela de couvrir la cuve
avec soin après la mise en macération. Mais on conçoit par
faitement que quelles que soient les précautions que l'on prenne
pour éviter la déperdition de chaleur, elle sera toujours très-
grande dans l'espace de quelques heures , n'eût-on même
que celle provoquée par les parois de la cuve. Cette déper
dition sera donc d'autant plus grande que l'on opérera sur
une plus petite masse , et vice versâ. Elle sera encore plus
g6 TRAITÉ DE L'ART
grande en hiver qu'en été. Le talent du distillateur , pour la
conduite de la maceration , consiste donc a savoir manier le
thermomètre. 11 donnera, par exemple, un peu plus de cha
leur a une petite cuve qu'a une grande, soit 55 a 57°pour une
cuve de 6 a 12 hectolitres , et 5o a 52° pour les cuves d'une
plus grande dimension ; il donnera aussi un peu plus de chaleur
en hiver qu'en été , et dans tous les cas il mettra la pâte en
fermentation aussitôt que la température sera tombée à 35°.
S'il attendait davantage , il s'exposerait a perdre toute la ma
tière par la fermentation acide , qui se développeïacilement
à cette température.
C'est pendant le repos de la macération qu'il s'opère dans
la cuve un phénomène que l'on n'avait jamais soupçonné,
avant les expériences que j'ai faites sur ce sujet , et qui sont
consignées dans le Mémoire dont j'ai déja parlé. J'ai reconnu,
en effet , que ce repos , pratiqué dans les distilleries sous le
nom de macération , avait pour but de saccharifier la fécule
du grain , et de la prédisposer ainsi a une fermentation qu'elle
ne pourrait pas subir sans cela. En effet, si l'on prenait de
la farine crue et qu'on se bornât a la délayer tout simplement
dans de l'eau à 3o° , pour avoir un liquide pâteux portant
2o a 25°, température convenable a la fermentation , celle-
ci ne se développerait point, ou au moins elle ne se manifes
terait que plusieurs jours après et avec une intensité très-faible.
Il n'en est pas de même quand on a utilisé la macération,
et la fermentation marche d'autant mieux que cette macéra
tion a été exécutée dans des conditions plus favorables.
Nous pouvons donc considérer la macération comme une
véritable saccharificatiou ; et, si l'on remarque l'analogie que
présente cette saccharification des céréales avec l'expérience
que j'ai signalée plus haut, et dans laquelle Kirchoff a sac-
charifié la fécule à l'aide de l'eau , du gluten et d'une tempé
rature de 5o° soutenue pendant 12 heures , on concevra fa
cilement la saccharification de la fécule des céréales dans la
macération des distillateurs. En effet , les céréales contien
nent tout du gluten , avec lequel la fécule est en contact
immédiat. On ajoute de l'eau dans l'opération et l'on expose
le mélange a. ime température de 5q°.
T>K LA biSïlLLA.TlOS. • gj
La température de ôo° est la pliis convenable a la macé
ration, c'est elle a laquelle la saccharification s'opère le pjus
rapidement. Ce n'est pas qu'elle ne puisse s'opérer à une
température plus basse, a 35" par exemple ; mais alors elle
ëst plus lente et l'on s'exposerait 'a voir tourner la masse à
l'acide , comme je viens de le dire, si ou la maintenait quel
ques heures a cette température , et ce Serait alors un mal
irréparable. Si l'on transgressait au contraire lâ température
de 5o°, il n'y aurait pas d'inconvénient à le faire jusqu'à 55
Ct même 58° ; mais a 6o° j le mal commence à se niauifester^
et au-dessus de 6o° on s'expose a nuire considérablement à
la fermentation : l'on n'en aurait même pas du tout si l'on
Approchait de 8o°. 11 paraît que le gluten , qui , dans cette
Opération , est le véhicule de la saccharification , ne possède
cette propriété que lorsqu'il n'a pas été exposé a une trop
haute température. La chaleur seconde beaucoup son action
et la rend plus intense ; mais j ië le répète , le maximum
utile de cette chaleur est 5o à 58° (î).
La proportion d'eau joue aussi Un rôle remarquable dans"
la macération ; et plus elle est grande , plus la saccharifica
tion est prompte et complète, toutes les autres conditions
étant d'ailleurs les mêmes. Prenons un exemple : générale
ment quand on veut traiter 1oo kilog. de farine , on fait la
trempe avec un hectolitre d'eau , et l'on ajoute environ 2
hectolitres | d'eau bouillante pour la macération. Celle-ci
alors marche bien dans l'espace de quatre heures ; mais si
l'on doublait la dose d'eàtt , c'est-à-dire que l'on employât 3
hectolitres pour la trempe et 4 pottf la macération , celle-ci

(1) Nous avons déjà signalé précédemment un effet analogue de


l'influence de la chaleur sur la levure. Celle-ci , en effet, perd mo
mentanément les propriétés qui la distinguent comme excitant de la
fermentation lorsqu'on l'expose a une température élevée , et elle
les recouvre ensuite ; il en est de même du gluten. Cette analogie
est très- remarquable , car lé gluten parait être, dans la sacehaiifi-
cation, ce que la levure est dans la fermentation. Remarquons aussi,
en passant, que la levure de bière ne paraît pas être autre chose
qu'un composé de gluten dénature par la fermentation alcohoiique.
7
Ç)8 1 TRAITÉ DE L'ART
pourrait être aussi parfaite que la précédente dans l'espace
de 3 a 2 heures et demie. Telle est l'influence de l'eau sur la
saccharifica tion .
Nous achèverons de démontrer ces divers phénomènes
plus tard , à l'aide d'autres exemples, et nous aurons l'occa
sion de les démontrer , surtout en traitant de la macération des
pommes de terre , lorsque nous parlerons de ces tubercules.
Lorsque la macération est achevée , c'est-à-dire après un
repos de 2 ou 4 heures , suivant que l'on a employé une
dose d'eau plus ou moins grande , et que l'on a conservé la
masse a une température plus ou moins voisine de 5o , alors,
dis-je , on s'occupe de la mise en fermentation : c'est en ajou
tant a la matière une nouvelle quantité d'eau , de manière a
ce que la farine se trouve plus délayée, que l'on termine ce'
opération. Je ne fixerai pas la proportion de cette eau ,
parce qu'elle dépend de celle que l'on a employée pour la
trempe et la macération ; mais , dans tous les cas , on doit la
mélanger en eau froide et chaude , de manière à ce que la ma
tière porte une température de i5 a 20° , suivant le volume
de liquide sur lequel on opère. On met alors en levain , et la
fermentation ne tarde pas à se manifester.
SECTION TROISIÈME.
Opération préparatoire des grains à la fermentation ,
connue sous le nom de Germination.
Nous avons signalé, dans la section précédente, les ma
nipulations qui sont communes aux diverses méthodes usitées
pour disposer les grains a la fermentation , et ces manipula
tions précèdent toujours immédiatement la fermentation ;
mais il arrive souvent que l'on fait subir aux grains que l'on
destine a la distillation une autre préparation préalable ,
connue sous le nom de germination. Je ne sache pas même
qu'aujourd'hui il existe une seule distillerie où l'on mette
en macération le grain cru pur , c'est-à-dire le grain non
germé. Tous les distillateurs français et anglais mélangent
toujours le grain cru avec du grain germé , et beaucoup de
distillateurs allemands opèrent sur des grains qui ont tous
DE LA DISTILLATION. gg
luhi la germmation. Il est donc essentiel d'indiquer en détail
les meilleurs procédés pour pratiquer la germination.
Cette opération se compose de plusieurs autres que je
vais décrire successivement.
De la Trempe*
On jette le grain dans la cuve a trempe que j'ai décrite
précédemment , en ayant le soin d'y laisser toujours un vide
égal au moins au huitième de la capacité de la cuve.
Le tuyau, placé a la base de la cuve , doit être bouché
extérieurement avec une broche quelconque ; et a l'intérieur
. on a soin de placer contre son orifice une poignée de paille
' pour que le grain ne puisse pas s'échapper , quand il est
nécessaire de déboucher le tuyau.
Alors on verse sur le grain une quantité d'eau fraîche
telle , qu'il en soit recouvert de quelques pouces. La qualité
de l'eau' employée n'est pas indifférente, et il est essentiel
qu'elle soit fraîche et limpide.
Cette opération , ayant pour but d'amollir le grain en
l'imprégnant d'eau dans toutes ses parties , nécessite , pour
être complète , un laps de temps proportionné à sa séche
resse et a sa température. Il doit donc être plus difficilement
pénétrable en hiver qu'en été, quand il est vieux que lors
qu'il est fraîchement récolté. Aussi faut-il moins se baser ,
pour la durée de la trempe , sur. un temps fixe que sur un
indice facile a reconnaître. L'on sera certain que le grain est
suffisamment trempé , lorsqu'en le roulant fortement entre
les doigts , il s'écrasera complétement sans laisser un noyau
solide et irréductible. Tous les autres moyens de reconnaî
tre le terme de la trempe sont analogues a celui-la ; c'est ainsi,
par exemple , qu'en le coupant avec l'ongle ou en l'écra
sant sous la dent , on peut , a l'aide d'un peu de pratique ,
s'assurer qu'aucune partie du grain n'a échappé a l'action
pénétrante et amollissante de l'eau : car tel est le but unique
de cette opération.
Pour guider le praticien , nous l'avertirons que généra
lement le grain est suffisamment amolli et pénétré après un
séjour de 5o a 4o heures dans l'eau , suivant les saisons et
7'
IOO TRAITÉ DE L'ART
suivant l'état de la matière. Nous le préviendrons de plus quê
dans les chaleurs ardentes de l'été , il arrive souvent qu'il
est nécessaire de renouveler l'eau une ou deux fois , parce
que s'il n'usait pas de cette précaution , il pourrait s'établir
dans le bac une fermentation toujours préjudiciable aux ré
sultats qu'on se propose.
Lorsque le grain est ainsi suffisamment amolli et placé
dans une des conditions nécessaires à sa germination, il est
fort gonflé , et la masse a augmenté de volume d'une ma
nière très-sensible. C'est pour cette raison que nous avons
recommandé de laisser un vide dans le bac. Alors on débou-
• che l'ouverture pratiquée a la partie inférieure du bâc dHf '.
côté de la pente , et l'eau s'écoule complétement , sahs pou
voir entraîner avec elle le grain , qui est retenu a l'intérieur
par la paille que nous avons recommandé d'y placer.
On laisse après cela égoutter la masse pendant 1o à 13
heures avant de procéder à la germination dont nous allons
parler.
De la germination proprement dite.
Le grain étant trempé convenablement , comme HoUs ve
nons de le dire , on le transporte dâns le germoir , près du
quel on doit , autant que possible , disposer le bac a. tremper
afin d'éviter une main-d'œuvre inutile. Voyez plus haut lâ
description de ce germoirw
On le dispose en tas sur ce germoir , et on l'abandonne
ainsi a lui-même , jusqu'a ce qu'il se soit échauffé d'une ma
nière sensible/Cette chaleur est produite par un commence
ment de travail dans le grain , et elle se manifeste générale
ment de 12 à 24 heures après la mise en tas. A cette époque,
on le dispose en couches de 4 à 6 décimètres de hauteur ,
suivant l'état calorifique du germoir. La température de 1 2
degrés convient bien pour cette opération. Alors lâ couche
!)eut avoir 5 décimètres : on lui donne plus de hauteur quand
a température est plus basse , et réciproquement on la di
minue quand la température est plus élevée.
L'influence de l'épaisseur de la couche est très-grande sut
le développement de la germination , par la chaleur que cette
BE LA DISTILLATION. fo1
épaisseur peut conserver au grain ; et il faut partir de ce
principe , que , sans chaleur , la germination ne s'opérerait
pas , et que dès le moment où le grain mouillé est échauffé
de 1 a à 1 5° par exemple , il commence à subir une altéra
tion intérieure , qui donne elle-même naissance a de la cha-
Jeur. Dès lors on conçoit facilement que cette chaleur doit se
conserver mieux dans une couche épaisse que dans une plus
mince ; aussi est-ce sur cette observation qu'est fondé le
principe que je viens d'émettre sur la hauteur variable que
l'on doit donner à la couche de grains sur le germoir.
* Cette fermeutation , qui se prononce ainsi dans le grain.
lacé dans des circonstances favorables , ne tarde pas a mor1r
au bout de chaque grain et surtout de ceux qui se trou
vent dans l'épaisseur de la couche , un petit point blanc qui
est l'indice d'un commencement de germination. Ce point
se manifeste ordinairement 25 à 3o heures après la mise sur
le germoir. A cette époque , il est important de retourner le
grain de manière a ce que celui qui se trouvait a la surface
de la couche revienne par-dessous ; et c'est ce que l'on ob-:
tient en changeant le grain de place, a l'aide d'une pelle de
bois. 11 serait même important , pour la bonne qualité de la.
drèche , de faire cette opération une fois ou deux avant la
manifestation du point blanc. Elle a pour but de régulariser
la chaleur dans toute la masse, de manière a ce que tous les
grains , se trouvant dans des circonstances égales pour leur
germination , puissent sùbir simultanément ce mouvement.
Le tas étant ainsi retourné, le point blanc observé sort du
grain , et présente des fibres déliées , qui ne sont rien autre
chose que la naissance des radicules de la plante. Alors il est
plus important que jamais de veiller soigneusement le grain,
de le remuer et le retourner fréquemment , comme nous l'a
yons dit ci-dessus , afin de régulariser la germination Ce
manége est essentiellement nécessaire ; car , sans lui , les ra
cines pousseraient inégalement avec la chaleur inégale qui
régnerait dans la masse , et il sera.it impossible d'assigner un
terme fixe pour la fin de la germination. Ce terme n'a pas ,
en effet , d'autre type que celui où les fibres ont acquis une
longueur de 6 à 7 lignes : alorç la décomposition esf parye
'1o2 TRAITÉ DE L'ART
nue dans le grain a un point qui a été reconnu le plus favo
rable à la drèche, parce qu'a cette époque la plumule qui
doit former la tige de la plante est sur le point de se mon
trer ; et si l'on prolongeait la germination de manière à don
ner à cette plumule le temps de sortir , le grain germé per
drait une grande partie de la substance propre a donner de
l'eau-de-vie.
' La germination provoque dans le grain un changement
qui favorise singulièrement le succès de la macération : il
devient douceâtre , et ce goût est dû à la saccharification
d'une petite portion de fécule ; le gluten est détruit en par
tie, et ce qui en reste devient soluble dans l'eau , d'insoluble
qu'il était avant la germination : la fécule devient par la
même libre , et le gluten devenu soluble possède des pro
priétés bien plus énergiques que dans son état naturel..
La germination a donc pour but de saccharifier une petite
portion de la fécule du grain , en même -temps qu'elle pré
dispose le reste a une saccharification plus prompte et plus
complète , en donnant au gluten la propriété de se dissoudre.
Toutes les époques de l'année ne sont pas également fa
vorables a la germination des grains ; les brasseurs, qui s'oc
cupent beaucoup de ce travail pour la préparation de leur
bière, préfèrent le mois de mars. Les grains germés pendant
ce mois sont toujours de meilleure qualité.
Le grain germé ne pourrait pas se conserver dans l'état
humide oû le germoir le fournit ; on ne pourrait pas non
plus le réduire en farine pour le soumettre a la macération ;
il est donc nécessaire de le dessécher , et l'on procède à cette
opération de la manière suivante.
De la Dessiccation du Grain.
La germination arrivée au degré voulu, on porte le grain
sur le parquet de la touraille , et la on l'étend en couches de
2 à i décimètres d'épaisseur environ ; puis on y fait du feu
avec un combusiible qui ne donne pas de fumée, parce que
sans cela le graiu en contracterait l'odeur , et pourrait la
tratismettre a l'eau-de-vie.
On fabrique pour la bière diverses sortes de malt , qui ne
DE LA DISTILLATION. Io3
diffèrent entre elles que par la température a laquelle elles
ont été desséchées sur la touraille Mais nous recommande
rons, pour le grain destiné a la distillation, de faire un feu tel
qu'il soit , autant que possible , desséché à la température de
5o à 55° ; c'est la plus favorable a la qualité du grain. En
effet , cette température , qui est aussi celle de la macéra
tion , favorise , dans le grain humide , une nouvelle for
mation de sucre , en petite quantité a la vérité ; mais cette
influence de la touraille n'est pas sans produire de bons effets
sur les opérations ultérieures , et c'est a la température de
5o à 55° qu'elle opère avec le plus de succès.
Les combustibles les plus généralement employés a la
dessiccation des grains sont le cock ou charbon de terre dis
tillé : tel est celui que fournissent les établissemens de gaz
hydrogène, ou bien encore celui qui provient des fourneaux
de la distillerie. Après cela vient le charbon de bois , quand
on peut se le procurer a bas prix , puis le charbon de terre
connu dans le commerce sous le nom de charbon de fresne.
Cette espèce de combustible ne donne que peu ou point de
fumée en brûlant , et il exhale des vapeurs sulfureuses qui ,
si l'on s'en rapporte à l'expérience des ateliers , pe nuisent
pas a la bonne qualité du grain.
Les céréales augmentent beaucoup de volume par cette
opération : on peut estimer cette augmentation d'un huitième
a un neuvième ; aussi leur poids spécifique diminue-t-il pro
portionnellement : je dis spécifique , parce que la perte réelle
en poids , provoquée par la fermentation du grain sur le ger-
moir , n'est pas bien sensible ; mais comme il occupe après
cette opération un plus grand volume sous un même poids ,
il est facile de concevoir qu'il ne pèse plus autant sous un
même volume : ainsi , un hectolitre d'orge , pesant 6o kilo
grammes lorsqu'elle est crue , occupe , après la germination ,
un hectolitre et un huitième environ ; un hectolitre d'orge
germée ne pèse donc que 53 à 54 kilogrammes.
10^ TRAITÉ DE L'ART

SECTION QUATRIÈME.
Application combinée des opérations décrites dans les
deux sections précédentes.
Maintenant que nous connaissons la macération et la ger
mination , leur pratique et leurs effets utiles , voyons a en
faire l'application.
Le seigle està-peu-près la seule des céréales qui soit em
ployée pour la distillation. Toutes les autres peuvent égale
ment servir; mais le seigle réunit en sa faveur, dans le calcul
de la question économique, le plus de causes de bénéfices.
On pourrait , à la rigueur, l'employer cru, et en obtenir
lme fermentation- vineuse, après l'avoir soumis convenable
ment a la macération ; mais l'expérience a démontré la ne%
cesssité de lui adjoindre une certaine quantité d'orge germée,
On fait, a cet effet, germer préalablement de l'orge,
puis on la mélange avec le seigle cru, dans la proportion de
2o kilogrammes d'orge pour 8o de seigle.. On soumet le mé
lange a la mouture, et l'on procède h la macération.
Le seigle, par cette méthode, produit beaucoup plus
d'eau-de-vie que par tout autre préparation. 11 en produit
plus que lorsqu'on l'emploie seul , cru, et même germé.
L'orge germée , qui, dans cet état, prend le nom de drè~
ehe, malt ou drèche-malt, possède la propriété de rendre le
seigle plus fcimentescible ; et ce n'est qu'en concourant, par
ses matériaux , à la saccharification de la fécule du seigle,
dans la macération et même dans la fermentation, qu'elle
produit ce résultat.
Les distillateurs remarquent surtout l'effet de l'orge sur le
seigle h la distillation. J'ai consulté plusieurs praticiens sur
l'opinion qu'ils se formaient du mode d'agir de l'orge, et
tous se sont accordés"a lui attribuer la propriété de donner du;
léger a leur pâte, lis ont reconnu, en effet, que lorsqu'ils
opèrent sur des grains crus purs , la fermentation est moins
bonne, et que, lorsqu'il s'agit de distiller, la matière pâteuse
qui se trouve en suspension dans le liquide, a une propen
sion très-grande a se précipiter au fond de l'appareil , et a
BE LA DISTILLATION.
s'y attacher. Le moindre inconvénient de cet accident est dé
donner un mauvais goût a la liqueur ; et il est arrivé souvent
même qu'il a provoqué la rupture de l'appareil. Il est donc
utile de prévenir cet accident , et c'est a l'aide du mélange du
grain cru avec le malt que l'on obtient assez bien ce résul
tat. C'est ainsi que les praticiens expliquent l'action du malt,
en disant qu'il donne du léger a leur pâte, et qu'il l'empê
che de tomber au fond de leur chaudière.
Cette explication , tout incomplète et routinière qu'elle
paraisse, est cependant l'expression .d'un fait avéré. En effet,
aussi long-temps que la fécule n'est pas sucre, elle forme avec
l'eau un empois qui a peu de fluidité , et qui , exposé au feu,
peut facilement s'attacher et brûler au fond des vases. Qu'ar-
rive-t-il quand on emploie l'orge maltée avec le grain cru?
Nous l'avons déja dit précédemment. L'orge a subi , par la
germination , un changement qui la rend plus apte a saccha-
rifier la fécule. Nous avons déja indiqué ce fait, et nous en
produirons des preuves irrécusables, en traitant des pommes
de terre. Or, saccharifier la fécule, c'est détruire l'empois
qui peut donner de la viscosité au liquide ; c'est fournir des
alimens à la fermentation : c'est ce qui arrive dans la distil
lation des grains par le malt, et c'est ainsi qu'en favorisant
la fermentation, on obtient le double avantage d'avoir une
liqueur moins pâteuse et plus facile a distiller.
Il arrive quelquefois que les distillateurs manquent de
malt ; alors ils sont contraints de distiller leur grain cru et
sans mélange. Pour obvier un peu aux inconvénient attachés
à cette méthode, ils ajoutent au grain , dans leur macération,
«ne certaine quantité de courte paille de blé (1). Ils attri
buent a cette courte paille une propriété analogue a celle du
malt, c'est-a-dire de donner du léger a leur matière. J'ai
reconnu en eflet que cette courte paille avait, sinon la pro
priété de saccharifier la fécule convertie en empois, au moins
celle de la fluidifier, et de la rendre plus facilement atta
quable par les agens saccharifians. Il est probable même que

(i) On donne ce nom à l'enveloppe du grain que l'on recueille


après le battage du froment.
TRAITÉ BE L'ART
l'orge , outre le gluten qu'elle contient , possède une autre
matière qui concourt, a l'exemple de la paille, mais d'une
manière plus energique, à la fluidification de la fecule. Cette
supposition est d'autant plus probable, qu'aucune autre cé
réale , même étant germée , ne possède au même degré que
l'orge la propriété de saccha1ifier la fécule. Aussi est-elle
toujours employée de préférence par les distillateurs et les
brasseurs.
La proportion de courte paille employée est de 5 a 4 li
vres par quintal de grain cru. L'effet de la paille a été tel
lement bien reconnu en pratique , que beaucoup de distil
lateurs l'ajoutent même a leur grain avec l'emploi du malt.
Les brasseurs se servent aussi de cette paille , et ils le font
parce qu'ils en ont constaté l'effet par des expériences com-.
paratives.
Les procédés que j'ai donnés précédemment pour la pra
tique parfaite de la macération , peuvent toujours être em
ployés sans restriction , soit que l'on opère sur des grains
crus , ou germés, soit encore que l'on opère sur des mélanges
de grains dans ces deux états. On a pu remarquer que la ma
cération, telle que je l'ai décrite , exige la mise en fermenta
tion de matières plus ou moins pâteuses, suivant la proportion
d'eau employée, et suivant encore que la macération a été
exécutée avec plus ou moins de perfection. En admettant
même que , dans la macération et la fermentation , toute la
fécule du grain fût dissoute , il resterait toujours en suspen
sion dans le liquide le parenchyme , et ce parenchyme est
assez volumineux. Il résulte de cette méthode que le distilla
teur doit mettre en chaudière une matière pâteuse , qui est
sujette a brûler malgré toutes les précautions que l'on prend
pour se prémunir contre cet accident. Cette méthode est la
seule usitée en France et en Belgique, malgré les inconvé-
niens qui y sont attachés. Nous en connaissons cependant une
autre pratiquée en Angleterre et en Allemagne , et qui sup
prime tout-à-fait la distillation des pâtes ; mais, soit qu'elle
entraîne quelques manipulations de plus , soit que nous ne
connaissions pas les moyens de la pratiquer avec succès , je ne.
sache pas qu'elle soit introduite en France dans aucun atelier.
DE LA DISTILLATION1. lO^
ïe crois convenable de décrire la méthode usitée en France ,
avec la marche la plus parfaite qu'elle comporte ; puis je dé
crirai celle pratiquée par les Anglais et les Allemands. On sera
par la à même de faire des expériences comparatives sur ces
deux méthodes , et de reconnaître celle qui est la plus fruc
tueuse.
Méthode française.
Supposons que l'on veuille opérer sur 1oo kilog. de grain.
Ce grain étant mélangé dans la proportion de 8o kilog. de
seigle et 2o de malt , on le réduit en grosse farine , puis on le
dépose, avec 2 ou 3 kilog. de courte paille, dans une cuve
de fermentation contenant 1 2 hectolitres ; on les trempe avec
3 hectolitres d'eau a 35° environ, puis on les fait macérer en
y ajoutant 4 hectolitres d'eau bouillante et froide mélangés,
de manière a ce que la masse mise en repos porte une tempé
rature de 5o a 55°. On recouvre la cuve , et on l'abandonne
h elle-même pendant 3 ou 4 heures ; à cette époque on achève
de l'emplir jusqu'a 6 ou 8 pouces du bord, avec de l'eau
^froide et chaude , mélangée dans une proportion telle que
toute la masse porte 2o° de température environ : on met
en levure avec un litre de bonne levure de bière liquide.
Quelques heures après, la fermentation commence, et par
court toutes ces périodes dans l'espace de 3o heures environ :
alors il est temps de mettre en chaudière.
Si l'on a bien opéré , et que la qualité du grain soit bonne ,
on doit retirer d'un semblable travail 45 a 5o litres d'eau-
de-vie à 19°.
Beaucoup de distillateurs sont loin d'en retirer autant ,
et il en est même qui n'obtiennent pas plus de 3o à 55 litres.
Plusieurs causes peuvent concourir à cette exiguité de pro
duits ; mais une des plus influentes est la proportion d'eau
employée , c'est-a-dire qu'au lieu d'employer 1 1 hectolitres
environ d'eau par 1oo kilog. de grains, ils n'en emploient
que 6.
Dans un travail continu , les vinasses qui sortent de la
chaudière doivent être déposées dans des tonneaux, ou dans
une citerne construite à cet effet : lk les matières solides
io8 TRAITÉ DE L'ART
gagnent le fond , et le liquide surnage. Ce liquide peut' être
employé avec succès dans d'autres travaux ultérieurs pour
étendre le grain après la macération. On trouve dans cette
pratique l'avantage de ramener a la fermentation une li
queur qui contient encore des matières fermentescibles échap
pées à un premier travail. On peut suivre cette marche pen
dant plusieurs opérations successives, c'est-à-dire pendant
3 , 4 et même 5 ; et on retire ainsi du grain jusqu'a 6o litres
d'eau-de-vie a 19° par quintal métrique , produit considéra
ble , que l'on ne peut pas obtenir en opérant autrement. On
cesse d'employer les clairs des vinasses lorsqu'après plusieurs-
opérations ils sont devenus tellement acides , qu'ils nuiraient
à la fermentation vineuse, au lieu de lui fournir des alimens.
Si l'on opérait avec une moindre proportion d'eau , on ne
pourrait pas suivre la même marche , ou au moins on ne
pourrait pas lui donner la même extension , parce qu'alors la
fermentation , exigeant 3 ou 4 jours au lieu de 3o heures ,
donne des vinasses fortement acides. .
Par cette méthode , qui commande la distillation de ma
tières pâteuses , on ne peut pas utiliser facilement les appar
reils perfectionnés ; aussi se sert-on de préférence de l'ap-r
pareil à chauffe-vin , décrit dans la troisième partie de cet
ouvrage.
Avec cet appareil il faut avoir la précaution de remuer la
matière dans la chaudière , pour la première charge , jusqu'a
ce qu'elle soit arrivée à une température voisine de l'ébulli-
tion, parce que, sans cela, elle pourrait s'attacher, et brûler
au fond de la chaudière. Ce danger disparaît quand la masse
est bouillante ; et comme , h l'aide du chauffe-vin , le liquide
pâteux , dans un travail continu , arrive constamment bouil
lant dans l'alambic , on conçoit qu'il suffit d'agiter la pre
mière charge.
Il serait cependant bien avantageux , dans ce genre de
travail , de pouvoir obtenir des grains toute la matière fer-
mentescible qu'ils retiennent , et de l'obtenir en dissolution
dans l'eau , de manière a pouvoir opérer la distillation sur
un liquide dégagé de parenchyme et de matière solide : on
éviterait alors la précaution gênante d'agiter la première
DÊ LA DISTILLATION. IOQ
charge ; on ne serait plus exposé à brûler le vin , a avoir de
mauvais produits , et l'on pourrait employer sans difficulté
les appareils distillatoires perfectionnés. On obtiendrait sang
doute de semblables résultats si l'on adoptait la méthode
suivante.
Méthode anglaisé.
Cette méthode consiste a traiter les grains dans une cuve
a double fond , pdur en faire un extrait, absolument de la
même manière que les brasseurs de bière. Voici comment les
Anglais opèrent.
Le grain étant mélangé en malt et seigle Cru, concassé
comme pour la macération par la méthode française , ils dé
posent dan» la cuve a double fond décrite précédemment j
une couche de courte paille de 2 centimètres environ d'épais
seur , soit environ 1o kilogrammes ; ils étendent par dessus
20o kilogrammes de graius mélangés et concassés.
Alors ils font arriver par le conduit latéral , qui commu
nique avec l'espace ménagé en're les deux fonds, 4oo kilo
grammes ou litres d'eaii , de 55 a 4ou de température ,
pendant qu'un homme ou deux , armés de râbles , sont occu
pés a brasser fortement : ce brassage dure 5 ou 1 o minutes en
viron , puis ils abandonnent la matière a elle-même pendant
Un quart d'heure ou une demi-heure , afin qu'elle se pénètre
bien d'eau. Cette opération est absolument la même et a le
même but que la trempe qui précède la macération dans la
méthode précédente ; il n'y a Ta de différence que dans la
construction de l'appareil employé*
Immédiatement après celte trempe , les ouvriers repren
nent leurs râbles et recommencent a brasser la masse, pendant
qu'on y fait arriver de nouveau, toujourspar le conduit de bois
latéral , 8oo kilog. d'eau bouillante. Le brassage , cette fois ,
doit durer Un quart d'heure environ , puis on laisse eu repos
pendant une heure au moins. A cette époque, le grain qui se
trouve noyé dans l'eau, doit être précipité au fond de la cuve,
et être recouvert d'une Couche de liquidé assez clair. On
ouvre un robinet qui communique avec l'espace vide qui se
trouve entre les deux, fonds ; et comme le fond supérieur
110 TRAITÉ DE i/ART
forme une espèce de filtre par les trous coniques qu'il porte
sur toute sa surface , tout le liquide s'écoule par le robinet,
et est reçu au dehors pour être transporté dans les cuves de
fermentation.
Cette première extraction finie, on amène, toujours par
le même conduit, 6oo kilogrammes d'eau bouillante, et les
ouvriers brassent encore pendant un quart d'heure ; on laisse
reposer une heure , et on soutire cette extraction comme
l'autre pour la mettre en fermentation. Le grain qui reste
sur le double fond après ces deux extractions , est assez bien
épuisé de sa substance fermentescible que l'eau a emportée
en dissolution a l'état de mucoso-sucré.
Cette opération , qui est une véritable macération bien en
tendue et bien faite , prouve jusqu'a l'évidence l'effet de
cette macération sur le grain ; elle prouve que c'est , comme
nous l'avons dit , une véritable saccharification.
Le liquide qu'on a obtenu, et que l'on a déposé dans les
cuves de fermentation , est mis en levain quand sa tempéra
ture est tombée suffisamment, c'est-a-dire a 2o ou 3o° ,
suivant la capacité de la cuve ; et l'on obtient ainsi un vin
sans dépôt qui peut être soumis à la distillation dans toutes
espèces d'appareils.
Si l'on trouvait que le grain restant sur le double fond ne
fût pas suffisamment épuisé, on pourrait lui faire subir une
troisième extraction.
Les Allemands suivent la même méthode pour la distil
lation des grains , et il n'y a de différence dans leur travail
qu'en ce qu'ils opèrent sur des grains qui ont tous subi la
germination. L'opération alors ressemble exactement à celle
de nos brasseurs , qui font également germer tout le grain
dont ils veulent faire des extraits.
Si l'on voulait utiliser cette méthode, il ne serait pas mal
d'augmenter la proportion d'eau employée pour les extrac
tions , ou au moins d'alonger les extraits avec de l'eau froi
de , de manière a élever la proportion d'eau employée * h
1o ou 12 fois le poids du grain. On aurait plusieurs avan
tages remarquables à procéder ainsi : i°. on obtiendrait une
fermentation plus complète , plus rapide } et partant moins
DE LA DISTILLATION. III
acide ; 2°. les vînasses bouillantes sortant de l'alambic pour
raient servir a faire de nouvelles trempes et de nouvelles
extractions ; et je ne doute pas que l'on ne retire ainsi de plus
grands produits alcoholiques d'une quantité de végétal
donné.
Je dois la connaissance de l'influence de la proportion
d'eau employée dans la distillation des grains, a M. Cafler ,
distillateur habile et expérimenté du département du Nord.
C'est d'après ses procédés que j'ai indiqué la marche a suivre
dans la méthode française ; car généralement on n'opère pas
tout-a-fait comme je l'ai dit. J'ai préféré décrire la pratique
de M. Cafler , parce que c'est celle que j'ai vu rendre les
plus grands produits.
SECTION CINQUIÈME.
Du Riz.
Nous connaissons en France deux qualités de riz bien dis
tinctes. Le meilleur et le plus recherché par les consomma
teurs nous vient de la Caroline, et il est connu sous le nom
de cette île ; l'autre nous vient du Piémont, où la culture eu
est considérable. Je ne sache pas que le riz soit , dans aucune
partie de l'Europe , l'objet d'une distillation ; la cause en.
est sans doute dans la grande consommation de ce végétal ,
qui lui donne , dans cette partie du monde , une valeur qui
ne permettrait pas a son produit alcoholique de soutenir la
concurrence de ceux du raisin et des céréales qu'on y cul
tive plus généralement.
Les Anglais cependant consomment beaucoup d'eau-de-
vie de riz , a laquelle ils ont donné le nom de rack ; mais ils
tirent ce produit de l'Inde et de toutes les colonies d'Améri
que , où le riz se trouve en telle abondance , qu'il constitue
à-peu-près la seule nourriture solide des hommes de peine.
Les nègres , en effet , reçoivent cette nourriture des agens de
la Compagnie des Indes, comme un salaire de leurs travaux.
Nous n'avons qu'une idée imparfaite des procédés usités
dans l'Inde pour disposer le riz a la fermentation. Cependant
nous savons qu'on le soumet pour cela a la germination ; et
I 13 TRAITÉ DE 1/ART
les connaissances que nous possédons sur les propriétés fer-
mentescibles des végétaux, nous permettent de concevoir
l'utilité de cette préparation. Le riz , en effet , ne contient pas
de sucre, et sa composition , suivant les analyses de M. Bra-
connot , paraît être essentiellement farineuse. Ce chimiste a
trouvé que les riz de Caroline et de Piémont contiennent 85 à
85 3 de leur poids de fécule ou amidon. '
Je ne m'arrêterai pas a répéter tout ce que les technolo-
gues ont écrit sur les précautions a prendre pour procéder
à la germination du riz. Les notions pareilles et incomplètes
qu'ils nous ont tous données h ce sujet , prouvent évidem
ment qu'ils se sont copiés les uns les antres. Cependant ^
comme la distillation du riz pourrait , dans plusieurs contrées
et dans plusieurs circonstances , occuper quelques manufac
turiers qui voudraient répandre dans le commerce une eau-
de-vie qui se distinguât par un goût particulier , j'indique
rai les moyens qui, suivant mon expérience , me paraissent
convenir à ce genre de fabrication.
Si l'on voulait faire du rack avec du riz pur , il faudrait
absolument le faire germer, et l'on suivrait pour ce travail
toutes les règles que j'ai prescrites pour la germination du
grain , c'est-à-dire qu'il faudrait l'amollir par la trempe ,,Ie
faire germer, le tourailler, et le réduire ensuite en grosse
farine. Toute la différence qui nuancerait ce travail de celui
des grains, serait dans un temps plus long , qu'exigerait le
riz et pour être amolli suffisamment et pour germer. La mar
che des opérations serait, du reste, la même.
Le riz , étant amené ainsi à l'état de malt concassé, est
propre a subir une bonne fermentation vineuse , soit qu'on
le fasse macérer et fermenter en pâte , soit qu'on en fasse un
, extrait comme dans la méthode anglaise , par la cuve à dou
ble fond. Le fabricant pourrait opter entre ces deux métho
des , selon qu'il voudrait distiller des matières pâteuses , ou
un liquide exempt de dépôt. Quant a la marche a suivre pour
mettre le riz en fermentation par ces deux méthodes , elle
est absolument la même que pour les grains. La macération
exige la même température , et la quantité d'eau a y ajouter
exerce la même influence sur les résultats alcokoliques.
DE LA DISTILLATION. Il3
Le riz ne diffère des graines céréales , dont nous avons
parlé, quant a ses propriétés fermentescibles , qu'en ce qu'il
ne peut pas subir la fermentation par la seule preparation
de la macération.
Cependant on pourrait se contenter de ne faire germer
qu'une partie du riz que l'on destine a la distillation , et le
faire macérer ensuite avec du riz cru mélangé dans la pro
portion de j ou de celui-ci ; la fermentation marcherait
également bien.
Voici encore une méthode qui m'a très-bien réussi , pour
prédisposer le riz à la fermentation : elle est basée sur la pro
priété remarquable que possède l'orge maltée , de sacchari-
fier les végétaux amilacés que l'on fait macérer avec elle.
Supposons que l'on veuille travailler 8o kilogrammes de
riz : on les fait réduire en farine très-ténue et très-divisée ;
on prend un cuvier de la capacité de 12 hectolitres environ ;
on y délaie la farine dans 8o kilogrammes d'eau a une tem
pérature telle , que le mélange bien battu et réduit en une
bouillie bien homogène , fasse monter le thermomètre a 18
ou 2o°. Alors on laisse reposer ce mélange pendant une demi-
heure environ ; en même-temps on fait tremper séparément
2o kilogrammes d'orge réduite aussi en farine , et bien dé
layée dans un poids égal d'eau a la température de 3o°.
Le mélange de riz ayant reposé le laps de temps indiqué
ci-dessus s on découvre la cuve , et on y fait arriver de l'eau
bouillante jusqu'à ce que la masse s'épaississe et prenne l'as
pect d'une bouillie. Pendant ce temps , un homme agite le
tout avec un râble, et l'on continue d'ajouter de l'eau jus
qu'a ce que la masse fasse monter le thermomètre de Rèau ,
mur a 7o ou 73°. Alors on procède a la macération, en je
tant dans la cuve l'orge germée trempée séparément ; l'ou
vrier continue a faire mouvoir son râble dans tous les sens,
pour bien identifier le mélange , et établir un contact parfait
entre l'orge et le riz. Lorsque l'on est certain que cette con
dition est remplie , on recouvre la cuve, et on l'abandonne
à elle-même pendant 3 on 4 heures.
A cette époque , un phénomène digne de remarque et bien
évident , s'est opéré dans toute la masse, et la cuve qui con
8
1 14 TRAITÉ DE L'ART
tenait , quelques heures avant , un melange pâteux et com
pacte, présente un liquide bien fluide, légèrement douceâtre
et sucré , et un dépôt peu considérable , formé du paren
chyme du riz et du grain , «t de quelques grumeaux de l'un,
et de l'autre végétal non décomposés.
Il suffit alors d'étendre le liquide avec de l'eau froide
pour l'amener a 5" de densité aréométrique et à la tempéra
ture voulue pour le mettre en levain. La fermentation mar
che très-bien , et donne un liquide vineux qui n'offre au
cune difficulté à la distillation , le dépôt pâteux étant si fai
ble qu'on peut le négliger sans préjudice sensible.
L'utilité du malt dans la fermentation des grains paraît
dans tout son jour dans cette opération , et il est évident ici
<;ue c'est lui qui a la propriété de convertir la fécule cuite
par l'eau bouillante , en une matière soluble qui présente
tous les caractères d'un véritable sucre-
On voit que ce moyen est très-praticable pour la distil
lation du riz. Il offre l'avantage inappréciable de donner de
plus grands et de meilleurs produits , en permettant de met
tre en fermentation et en chaudière une matière parfaitement
fluide.
SECTION SIXIÈME.
Du Maïs.
Nous avons déjà annoncé , en parlant des végétaux de la
première classe , la présence d'un suc fermentescible dans la
tige du maïs , et nous n'avons parlé de cette matière que
pour compléter la nomenclature des corps fermentescibles
les plus remarquables ; car ce suc , en effet , ne peut pas
fournir l'élément d'une distillation lucrative.
Il n'en est pas de même de la graine de ce végétal pré
cieux , dont la culture peut offrir de très-grands avantages
dans plusieurs contrées de notre France.
Le maïs , suivant les recherches de Parmentier , paraît
être originaire d'Amérique. « Il était le froment de ce nouvel
» hémisphère , dit ce célèbre économiste , et il ne servait
» pas seulement de nourriture aux Indiens, qui préparaient
» encore avec lui des boissons ferwentées ; le chiaea, cette
DE LA DISTILLATION. Ll5
» boisson sî célèbre parmi eux , était préparée avec ce grain
» et ils en tiraient de l'eau-de-vie par la distillation. »
Voila tout ce que nous savons sur la possibilité de faire un
vin de maïs et d'en tirer de l'eau- de-vie.
Cependant cette espèce de graminée commence à s'intro
duire dans notre agriculture avec quelques succès : déj'a on
a essayé de le mêler au froment pour la panification, et les
résultats en ont été favorables.
Le maïs paraît , dans sa composition , présenter une grande
analogie avec le riz ; c'est, comme lui , un végétal essentiel
lement farineux, et, comme lui, il ne peut servir isolément
a la panification, parce qu'il ne porte pas de gluten au nom
bre de ses matériaux.
Le maïs , a mon avis , n'est pas indigne de fixer l'atten
tion des distillateurs de grains, et le bas prix auquel on
pourrait le cultiver dans beaucoup de départemens , lui per
mettrait de soutenir la concurrence avec ces derniers.
11 est facile de concevoir que si l'on voulait distiller le
maïs seul, il faudrait, comme pour le riz, le préparer à la
fermentation par toutes les opérations qu'emporte avec elle
la germination, et il faudrait, du reste, opérer de même.
Mais je ne doute pas que la marche que nous avons indi
quée pour disposer le riz a la fermentation par l'orge maltée,
ne reçoive une application heureuse au maïs. Tout donne
lieu de croire que le même phénomène de fluidification et de
saccharification de la fécule , se présenterait , et qu'on y
trouverait tous les avantages que nous avons annoncés pour
le riz. Je n'ai point fait d'essai a ce sujet, mais je n'en suis
pas moins convaincu que cette marche serait la plus conve
nable pour la distillation du maïs.
Je la recommande donc aux distillateurs qui voudraient
entreprendre quelques essais sur ce genre de fabrication ;
tout me laisse espérer qu'on retirerait ainsi du maïs une très-
grande quantité d'eau-de-vie.
TRAITÉ DE L'ART
SECTION SEPTIÈME.
Des Châtaignes , Pois , Fèves , Haricots, Glands et
autres Végétaux farineux.
Le fait de l'action chimique de l'orge maltée sur les fari
nes converties en bouillie et mises en contact avec lui dans
une quantité d'eau suffisante et a la température de 5o°, étant
bien reconnu , il est bien facile , à l'aide de la marche que
j'ai indiquée pour le riz et des proportions de son mélange
avec l'eau, d'en faire l'application a tous les produits fari
neux que présente le règne végétal.
Les pois , les fèves , les haricots , etc. , traités de cette ma
nière, donneraient infailliblement des produits alcoholiques
de goûts et d'aromes différens. La distillation de ces légumi-
neux ne paraît pas pouvoir jamais être l'objet d'un gratd
commerce ; mais il est une foule d'autres produits, dans la
nature , qui souvent périssent sur le sol , et qui cependant
pourraient présenter a la distillation des matériaux abondans
pour la production de l'eau-de-vie.
De ce nombre sont les châtaignes, les glands , les mar1ons-
d'Inde, etc.
Les glands desséchés pourraient être réduits en farine
comme le riz , et être traités de même.
Mais les châtaignes et les marrons d'Inde devraient être
traités comme nous le dirons ci-après pour les pommes de
terre , c'est-a-dire être cuits a la vapeur, réduits en bouillie
et macérés dans cet état avec l'orge maltée.
De semblables applications ne sont pas sans intérêt , et j'ai
cru, a ce titre , pouvoir me permettre de les signaler.
SECTION HUITIÈME.
Des Pommes de terre.
Deux méthodes bien distinctes sont aujourd'hui connues
pour prédisposer les pommes de terre a la fermentation.
L'une est spécialement combinée avec l'engrais des bestiaux ,
et , a ce titre , elle est plus généralement répandue dans les
DE LA. DISTILLATION. II]
campagnes qui apprécient l'utilité de la distillation. L'autre,
qui a pour but unique la production d'une eau-de-vie fran
che de goût, n'était guère, dans ces derniers temps, prati
quée qu'à Paris, quoiqu'elle ne fût pas complétement incon
nue en province. La première a été décrite par M. Mathieu
de Dombasle, et l'autre n'a jamais été publiée avec quelques
développemens. C'est ce qui a été cause . sans doute , qu'elle
s'est aussi peu propagée dans nos provinces.
Nous allons donner successivement la description de ces
deux méthodes et de tout ce cp1i s'y rattache. Nous indique
rons de plus tous les perfectionnemens dont elles sont sus^
ceptibles. . .
Du choix des Pommes de terre et de leurs variétés.
Le choix des pommes de terre n'est pas indifférent dans la
distillation Nous avons déjà annoncé que les pommes de terre
ne donnaient d'eau-de-vie qu'en raison de la quantité de fé
cule qu'elles contenaient ; et comme cette fécule forme avec U
f1bre et l'eau unies entre elles dans des proportions variables,
la constitution de ce tubercule , il faudra se guider , pour le
choix, sur cette base , que celles qui contiennent le plus de
fécule sont les meilleures. Nous offrirons plus loin , en trai
tant de la fabrication de la fécule, le moyen de vérifier ainsi
la qualité des pommes de terre.
Pour guider le fabricant dans le choix des espèces , nous
lui donnerons ici le tableau des analyses faites par M. Vau-
(juelin sur 47 variétés de pommes de terre. Cependant il se
rait possible que ces analyses , vérifiées , ne donnassent point
partout des résultats équivalens ; car la pomme de terre,
comme toutes les autres productions végétales , est soumise
j1ux chances agricoles et à l'influence du sol et du climat,
Jl5 TRAITÉ DE L'ART
TABLEAU de la quantité de fécule contenue dans 10° parties de
pomme de terre.

NOMS DES ESPÈCES. COULEUR EXT, COULEUR INTERNE.

Hollande Rouge. . . . , Jaune-verdâlre


La daagicnne Idem. .... Jaune
Violette franche Idem Jaune-verdâtre
Idem dégénérée Idem Blanche-vein. de roug
Rouge longue Idem Idem
Borbourg Idem Blanche
Chair-rouge Idem Jaune et rouge
Decroisilles. Rosée Blanche- jaunâtre . . . .
Calcinger Rouge. .... Blanche
Bavière. . . . Idem Jaune
Patraque rouge Idem. .... Blanche-jaunâlre. . . .
Prime rouge lre levée. Idem Jaune et rouge
Idem 3 pieds. . Idem Idem
Truffe d'août Idem Jaune-veinée
Belle ardenne Idem Blanche-jaunâtre. . . .
Claire bonne Rosée Blanche-rosée ,
Belle-ocreuse Rougeàtre. . Blanche-;aunâtre. . . .
Coton • Ronge Jaune-veinée
Tardive ardenne Idem Jaune
Zelingcn Idem Idem
Divergente Idem Idem
Mouffin Idem Blanche-jaunâtre ....
Patraque blanche ... . Blanche-rosée. Blanche-veinée en rose
Beaulieu marbre Rosée Jaune
Long brin Idem Idem. . .
Brugcoise Jaune-rougeât Jaune-veinée
Patraque jaune Jaune Jaune
Grosse zélandaise. . . . Idem Idem
Jaune tardive Idem Idem
Champion Rosée Idem
Oxnobîe Blanche-jaun. Idem
Shan Idem verdât. Idem
Vainé à châssis Blanche-jaun, Blanche-jaunâtre ....
Petite hollandaise. • . Jaune Jaune.
L'épais buisson Idem Idem
L'orpheline Jaune et rouge. Idem
La chinoise Jaune Idem
Imbregme Idem ...... Blanche
Parmentière Idem Jaune
Jaune haricot, Idem Blanche
Kidney Jaune-verdât. Jaune-verdâtre
Violette Violette-^ Jaune
Bleue des forêts — Rouge-violaccej Blanche
Bleue de Zélande . • . Idem Idem
Autre Idem Idem Idem
Violette à chair roarb Violette.. . . Blanche-vein de violet
Bleue-noirâtre Violet foncé Blanche el violetle —
DE LA BISTILLATIOST. IIQ
La pomme de terre aime les terrains sablonneux et peu
humides ; elle y vient moins aqueuse , et par conséquent plus
farineuse , tandis qu'il n'en est pas ainsi dans des terrains
mouillés et argilleux. Elle exige peu de soins pour sa cul
ture ; on la plante en mars ou avril ; elle leve quinze jours
après , si le temps est favorable , et on la récolte dans le cou
rant d'octobre. Terme moyen . un hectare de terre cultivé
en pommes de terre en rend 44o hectolitres ou 35, 2oo ki
logrammes, en comptant l'hectolitre pour 8o kilogrammes.
11 faut , pour les semailles , le seizième de ce produit , c'est-
à-dire 22oo kilogrammes. Il reste donc pour produit , dé
duction faite de la semence , 33ooo kilogrammes de fruits ,
ou 413 hectolitres.
Les résultats présentés dans le tableau ci-joint sur le pro
duit farineux des diverses espèces de pommes de terre , va
rient , comme on peut s'en convaincre a la seule inspection ,
de 12 a 25 pour cent de fécule. Le reste est de l'eau et une
quantité de fibres , qui varie de 4 a 6 pour cent du poids des
tubercules, suivant les espèces. Mais, comme cette fibre con
tient encore elle-même dans son tissu une quantité notable de
fécule, on peut compter en dernière analyse que les pommes
de terre les plus pauvres contiennent au moins 14 a 15 pour
cent de leur poids en fécule , et que les plus riches peuvent
en donner 27 a 28 pour cent.
Il faut donc choisir l'espèce la plus riche en fécule pour
la distillation ; car c'est ceîle-la qui produira le plus d'eau-
de-vie, et l'on conçoit parfaitement que les frais de fabrica
tion sont les mêmes pour une pomme de terre pauvre que
pour une autre plus productive.
La parmentière est employée avee succès pour cette fa
brication , parce qu'elle contient peu de parenchyme , rela
tivement aux 2o pour cent de fécule qu'elle rend , soit 3 a 4
pour cent, et cela n'est pas indifférent aux succès de la distilla
tion, quelle que soit d'ailleurs la méthode qu'on utilise. Outre
cet avantage , la parmentière ne contient que faiblement ce
principe acre qui distingue particulièrement quelques espè
ces de pommes de terre , et cette qualité influe sur celle du
produit alcoholique, qui gagne x par la même, en douceur.
120 TRAITÉ DE 1/ART
Voila donc des règles fixes pour guider le distillateur dans
le choix de la pomme de terre. Celle qui étant cuite est la
plus farineuse et possède le goût le plus agréable , devra tou
jours être préférée.
L'époque la plus favorable pour la distillation des pom-
mes de terre est depuis le mois d'octobre , époque de leur ré
colte, jusqu'en mars , où elles commencent à germer. Cette
circonstance influe sur leur qualité , diminue la proportion
de leur fécule , et rend par conséquent leur production alco-
holique d'autant moins grande. .
La distillation des pommes de terre s'opérant , comme on
le voit , plus spécialement dans les mois d'hiver et de l'ar
rière-saison , les gelées qui viennent assez régulièrement a
cette époque pourraient exercer une action pernicieuse sur la
qualité des pommes de terre , si l'on ne prenait pas la pré
caution de les soustraire a leur influence. Il faut pour cela les
conserver dans des locaux où le thermomètre ne descende ja
mais jusqu'à zéro. Les caves sont très-propres a remplir ce
but , parce que la température y est a-peu-près constante , en
hiver comme en été, a 1o°.
Il existe deux méthodes pour prédisposer les pommes de
terre a la fermentation ; toutes deux ont pour but de saccha-
rifier la fécule , l'une par l'orge maltée , l'autre par l'acide
sulfurique.
PREMIÈRE MÉTHODE. . ■
Procèdes pour disposer les Pommes de terre à la
fermentation par l'orge maltée.
Cette méthode , quoique pratiquée dans les distilleries ur
baines , est plus généralement répandue dans les campagnes ,
à cause de la liaison intime qu'elle présente avec l'engrais
des bestiaux.
Elle se compose de trois manœuvres bien distinctes : 1". la
cuisson des pommes de terre; 2°. leur réduction en bouillie;
3°. leur macération par l'orge maltée. Nous allons décrire ces
trois opérations avec les nuances qu'elles présentent dans la
pratique.
DE LA. DISTILLATION. 121
Cuisson des Pommes de terre.
Le premier moyen que l'on ait employé, dès l'origine de
la distillation des pommes de terre, vers 177o , pour leur
cuisson, consistait a les soumettre a l'action de l'eau bouil
lante, comme on le fait encore dans les ménages, et pour
cela, on employait des chaudières de 3 a 4 hectolitres de ca-
{>acité ; mais la difficulté de retirer les pommes de terre de
a chaudière , et la dépense de combustible que cette marche
.entraînait, ne tardèrent pas a la faire abandonner, pour la
remplacer par la cuisson a la vapeur.
Ce mode de cuissou offre en effet en lui-même , et dans
la disposition des travaux d'une distillerie , une économie
considérable de main-d'œuvre et de combustible.
Différens appareils ont été imaginés et proposes pour cuire
les pommes de terre. J'ai décrit précédemment le plus par
fait. Voyez planche Ire. Les figures 5 , 6 et 7 représentent le
tonneau destiné a recevoir les pommes de terre. La chaudière
a vapeur, dessinée figure iro, fournit la vapeur nécessaire a
la cuisson ; l'extrémité D de son tube conducteur s'adapte a
cet effet a la partie F de la figure 5.
Cette figure 5 représente la coupe d'un tonneau cylindri
que calculée de manière a pouvoir contenir 128o litres de
matière. L'hectolitre de pommes de terre pèse 8o kilogram
mes environ : ce tonneau pourrait donc en contenir io24
lulogram. ; mais , comme il est nécessaire de ne jamais l'em
plir en pommes de terre crues , parce que celles-ci gonflent en
se cuisant, on ne le charge guère qu'a 1 1 hectolitres. 11 reste
ainsi un vide qui pourvoit à la dilatation. .
On peut , avec cet appareil et la chaudière a vapeur décri
te, faire une charge par heure , c'est-a-dire, cuire dans cet
espace de temps environ 9oo kilogrammes de pommes de
terre ; et comme la chaudière dépense 1 4 kilogrammes de
charbon par heure, on peut, sur ces données , calculer la dé
pense nécessaire a la cuisson : ce sera en estimant le charbon
& 5 centimes le kilogramme, 7o centimes de combustible
pour 9oo kilogrammes de pornmns de terre.
Il conviendrait d'ajouter a cette dépense celle de la main
122 TRAITÉ DE L'ART
d'œuvre , plus l'intérêt de l'appareil et les frais de réparation.
Il est convenable, pour l'économie, de luter les parties de
l'appareil qui pourraient, pendant le travail, livrer passage
a la vapeur. On le fait a l'aide de l'argile délayée avec du
crottin de cheval ou avec d'autres luts semblables.
La disposition la plus convenable qu'on puisse donner au
tonneau , c'est de le placer au-dessus de la tréuiie de la ma
chine a broyer dont nous allons parler.

Réduction des Pommes de terre.

Lorsque les pommes de terre sont amenées , comme nous


venons de le dire , à un état de cuisson convenable , elles oc
cupent un plus grand volume , et souvent même la dilatation
qu'elles subissent par ce changement , brise la pellicule peu
solide qui les enveloppe, et elles sont, dans cet état , très-
propres à être soumises à l'action de la machine qui doit les
réduire.
Cette machine est celle que nous avons décrite précédem
ment et dessinée planche II, fig. 1™. Les pommes de terre
cuites entrent dans sa trémie, passent sous l'effort de leur
propre poids entre les deux cylindres, et tombent dans la caisse
inférieure dans un état de division, peu complet à la vérité,
mais le plus parfait et le plus économique que nous ayons pu
obtenir jusqu'à ce jour.
Avant la découverte de cette machine, on réduisait les
pommes de terre dans une auge de bois à l'aide d'un lourd
pilon ; mais ce moyen grossier ne fut pratiqué que vers la
naissance de l'art.
Une des dispositions de la machine à broyer décrite, qui
influe le plus heureusement sur la division des pommes de
terre , est l'inégalité du mouvement de rotation qui est im
primé a ses cylindres , et qui entraîne ainsi un frottement
utile. On pourrait sans doute obtenir une division plus par
faite dans la pulpe , en disposant l'engrenage des deux cy
lindres de manière à ce que l'un Ht deux tours contre l'au
tre un.
DE LA DISTILLATION. 123
Macération.
Les pommes de terre réduites en bouillie sont soumises à
la macération avec l'orge maltée , de ia même manière que
nous l'avons dit pour les grains dans la méthode française ,
c'est-à-dire a la température de 5o à 55°.
Supposons que l'on veuille mettre des pommes de terre en
macération pour obtenir douze hectolitres de matière pâteuse
fermentescible.
On prend une cuve contenant au moins i3 hectolitres ;
on y dépose la pulpe cuite produire par 4oo kilog. ou 5 ^
hectolitres de pommes de terre. On ajoute a cette pâte 25
kilog. environ d'orge maltée, avec une quantité d'eau froide
et chaude convenable pour établir dans la cuve la tempéra
ture de 3o a 35° , nécessaire à la trempe du grain ; on agite
fortement le mélange avec un râble et on laisse reposer pen
dant un quart d'heure ou une demi-heure. Alors pendant
qu'un homme ou deux agitent fortemeut le mélange , on y
fait arriver de l'eau bouillante jusqu'à ce qu'il marque 5o
a 55° de température. On laisse macérer pendant deux ou
trois heures, puis on étenrl la pâte jusqu'à 12 hectolitres
avec de l'eau froide et bouillante , de manière à établir dans
la cuve la température de 2o à 25° , nécessaire à la fermen
tation.
On peut alors mettre en levain avec un litre environ de
bonne levure de bière, et la fermentation s'établit bien quel
ques heures après.
11 est à remarquer qu'ici , comme dans la macération des
grains, l'action saccharifiante de l'orge , déjà signalée dans
la macération du riz , est très-peu sensible. La pâte , après le
dernier repos, ne présente à sa surface qu'une petite quantité
de liquide douceâtre : de sorte que, dans cet état , toute la
fécule des pommes de terre n'est point saccharifiée. La cause
en est dans l'état de décomposition insuffisante où se trouve
la fécule dans la pomme de terre cuite à la vapeur. Cette fé
cule pour être liquéfiée et saccharifiée par l'orge maltée , a
besoin de lui être présentée dans un contact immédiat ; le
parenchyme et l'état granuleux , et encore cristallin que la
Ï24 • TRAITÉ DE L'ART
fécule affecte clans la pomme de terre cuite à la .vapeur , ne
remplissent qu'imparfaitement la condition necessaire a lasac-
charifica1iou complète que nous avons remarquée dans la
macération du riz. Cette saccharification s'achève dans la
fermentation , à une température plus basse à la vérité , mais
aussi avec plus de temps. Elle marche en effet avec la fer
mentation pendant toute sa durée.
A ce procédé, simple en lui-même, se rattachent tous les
inconvéniens inhérens à la distillation des pâtes. L'agricul
ture , que cette industrie intéresse , réclame depuis long
temps un moyen qui éloigne cette imperfection sans innova
tions trop brusques et sans nuire a la simplicité et a l'économie
que cette méthode comporte. L'innovation que je vais pro
poser a été soumise cette année a la Société d'Agriculture de
Paris, dans le mémoire qu'elle a daigné couronner.
Modifications importantes à la méthode précédente pour
la saccharification des Pommes de terre par le malt.
Ces modifications peuvent s'exécuter de deux manières ;
l'une consiste a isoler la fécule de la pomme de terre pour la
traiter par l'orge maltée ; l'autre évite la séparation de la fé
cule , en opérant directement sur les pommes de terre divi-•
sées par la râpe.
Comme la fabrication de la fécule nous sera utile , non-
seulement ici , mais encore dans la seconde méthode , nous en
donnerons la description telle qu'on la pratique a Paris pour
la distillation. J'établis cette restriction pour la fabrication
de la fécule, parce que , pour la distillation, elle n'exige pas
les soins et les manœuvres qu'on lui donne lorsque l'on veut
la livrer au commerce pour les usages domestiques.
Préparation de lafécule pour la distillation.
Cette fabrication se compose de deux opérations : 1°. du
râpage des pommes de terre ; 2°. de la séparation de la fé
cule. Quelquefois même , lorsque le distillateur ne fait pas
lui-même sa fécule et l'achète du féculiste, celui-ci lui fa1t
subir une troisième manœuvre, connue sons le nom d egout-
taSe-
DE LA DISTILLATION. I 23
Nous parlerons successivement de ces diverses opérations.
f)u Râpage. — Le râpage des pommes de terre a pour
objet de déchirer le tissu du végétal , qui renferme dans ses
cellules toute la fécule qu'il contient , de sorte que le râpage
sera d'autant plus parfait que le fruit sera mieux déchiré , et
plus a même par la , de donner une grande quantité de fé
cule.
La première machine que l'on ait employée pour cela était
une râpe en fer- blanc ; on a même, sur ce système, con
struit des râpes a cylindres d'une grande dimension, dans les
quelles on a essayé de remplacer le fer-blanc , par la tôle ;
niais une machine de ce genre présentait peu de solidité , et
les bavures faites au métal, percé par un poinçon, étaient
bien vite usées. On agrandissait les trous alors, pour former de
nouvelles bavures ; et l'expérience a prouvé que de sembla
bles appareils ont l'inconvénient grave de devoir être trop
souvent renouvelés.
On a donc cherché les moyens de créer une machine plus
durable , plus solide et plus expéditive. De toutes celles que
l'on a imaginées pour cet objet , la râpe de Burette, décrite
précédemment , paraît être ce que l'on a fait de mieux ,
quoiqu'elle laisse encore beaucoup à désirer pour la division
parfâite du parenchyme des pommes de terre.
La Société royale d'Agriculture de Paris, pénétrée de
l'utilité de trouver le moyen de perfectionner l'extraction
de la fécule , propose un prix depuis quelques années pour
cet objet.
Provisoirement, je le répète, nous n'avons pas de meil
leure machine à diviser que celle de Burette , et j'en recom
mande l'emploi aux fabricansqui seraient a même de l'utiliser.
Les pommes de terre que l'on veut râper sont jetées , par
un enfant ou une femme, dans la trémie de la machine ;
deux hommes la font mouvoir , et peuvent , en 1 o heures de
travail , en râper 2,5oo kilogrammes. Elles tombent alors
toutes divisées dans la caisse placée au-dessous du cylindre ,
d'où elles sont enlevées pour être immédiatement soumises a
l'opération suivante.
Séparation de la fécule. — On prend a cet effet un
126 TRAITÉ DE L'ART
grand tarais de crin de 2 pieds de diamètre sur 1 pied de
hauteur. On le charge d'une quantité de pulpe égale à-peu-
près aux deux tiers de sa capacité , et on le dispose au-dessus
d'un cuvier sur deux traverses de bois solides. Un ouvrier
malaxe fortement cette pulpe avec ses deux mains pendant
qu'on y fait arriver un filet d'eau continu proportionné a la
dimension du tamis. Pour un tamis de 2 pieds de diamètre
sur un pied de hauteur , le filet d'eau peut arriver par un
tuyau de 4 a 5 millimètres de diamètre. Cette eau, favorisée
par le mouvement imprimé a la pulpe par les mains de l'ou
vrier , la pénètre et s'écoule a travers le tissu du tamis , en
emportant avec elle dans la cuve la fécule. On continue cette
manœuvre sur la pulpe jusqu'à ce que l'eau qui s'écoule du
tamis soit claire et n'emporte plus rien avec elle. Alors, on
la jette de côté pour les bestiaux , et on la remplace par d'au
tre que l'on épuise de sa fécule de la même manière.
On obtient ainsi de 2.Goo kilog. de bonnes pommes de
terre, 5oo kilog. environ de fécule supposée sèche , ou 75o
kilog. de fécule égouttée, qui porte alors le nom defécule
verte. Celle-ci , en effet , est à la fécule sèche : : 3 : 2 ,
c'est-à-dire , qu'il faut 3 kilog. de fécule verte pour obtenir
2 kilog. de sèche. On obtient de plus 1 3 hectolitres de marc
ou pulpe de pommes de terre, qui retiennent à-peu-près la
même quantité d'eau que la pomme de terre crue, c'est-a-
dire, les ^ de leur poids ; de sorte que ces 13 hectolitres de
marcs retiennent à-peu-près 975 litres d'eau.
Ce marc , dans cet état , peut être donné aux bestiaux ;
mais il ne vaut pas , a beaucoup près , celui qui résulte de la
distillation des pâtes , et qui se trouve cuit et bien nourris
sant. Il serait possible cependant d'obvier a cet inconvénient
dans une distillerie , en cuisant ces pulpes avec les vinasses
bouillantes que l'alambic fournit.
J'ai vu une disposition plus convenable du tamis que celle
que je viens d'indiquer , et je crois, devoir la signaler ici.
Elle consiste à emplir de suite , avec de l'eau propre, jus
qu'à quelques pouces du bord, la cuve dans laquelle on veut
recueillir la fécule ; on suspend le tamis à la partie supé
rieure de la capacité de la cuve , avec quelques cordes là
DE LA DISTILLATION. I27
ches , de sorte que ce tamis , chargé de pulpe, immerge dans
l'eau , et qu'un ouvrier , en lui imprimant un mouvement de
va-et-vient , avec la main , enlève a la pulpe toute sa fécule ,
qui se réunit par son propre poids au fond du cuvier. 11
suffit, quand cette opération est terminée, d'arroser la pulpe
avec une petite quantité d'eau propre pour achever de l'é
puiser. Ceci n'est qu'une disposition modifiée que je crois
Utile , et qui ne change rien au reste du travail.
La fécule séparée de la pulpe par le moyen que je viens
de décrire, est entraînée au fond de la cuve , après une heure
de repos environ , quand cette cuve n'a qu'une hauteur de
6o a 7o centimètres ; elle s'y trouve réunie sous une couche
épaisse et assez solide. On débouche des trous pratiqués la
téralement a la cuve, jusques et compris celui qui se trouve
le plus voisin de la surface du dépôt. L'eau s'écoule, et la fé
cule reste. Alors , si, comme je l'ai déjà dit , on veut obtenir
cette fécule en morceaux ou en pains, on la fait égoutter de
la manière suivante.
Êgouttage de la fécule. — On se sert pour cette opé
ration d'un appareil nommé égouttoir : c'est une caisse de
bois ouverte d'un côtg , et qui est évasée coniquement vers
son ouverture ; elle est percée sur ses flancs et a son fond ,
d'une infinité de petits trous ; on la garnit intérieurement
d'une forte toile de lin ou de chanvre d'un tissu très-serré.
Cet égouttoir doit être placé au-dessus d'une cuve destinée
à recevoir l'eau que l'on veut séparer ; alors on dépose dans
cet égouttoir la fécule que l'on retire de la cuve , et la, dans
l'espace de 24 heures de repos , elle perd toute l'eau sura
bondante qu'elle retenait encore , et se présente sous l'aspect
d'une masse encore humide , il est vrai , mais assez solide
pour pouvoir être transportée sans se transformer en bouillie.
Quand on juge que la fécule est ainsi suffisamment égout-
tée , deux hommes prennent l'égouttoir , le retournent sur
une table disposée à cet effet , et la ils brisent la masse de
fécule en morceaux de moyenne grosseur et facilement ma
niables.
Cette opération n'est nécessaire, comme nous l'avons déjà
fait observer, que lorsque la distillerie est isolée de la fabri
128 TRAITÉ DE L'ART
que de fécule. On opérait ainsi à Paris , par exemple , ou
beaucoup de distillateurs achetaient leurs fécules des ami-
donniers féculistes.
On retire ainsi d'un quintal métrique de bonnes pommes
de terre 18 à 2o - de fécule sèche , ou , ce qui revient au
même , 27 à 3o~ de fécule verte. On ne doit , en manufac
ture , compter que sur ce produit , parce que le râpage n'est
point assez parfait pour obtenir le résultat numérique indi
qué par l'analyse chimique.

1" Modification.

Pour une cuve de 1 2 hectolitres , et 11 hectolitres de li


quide, l'on pèse 8o à 85 kilog. de fécule sèche , ou 12o à
125kilog.de fécule verte, ou bien encore l'on recueille toute
la fécule produite par 4oo kilog. , ou 5 | hectolitres de bon
nes pommes de terre. On la dépose dans la cuve, mélangée
avec de l'eau froide de manière h former une bouillie assez
claire, c'est-a-dire , mélangée avec deux fois son poids d'eau
à-peu-près : ce sera ici 2oo litres environ , mais il faut avoir
soin de la faire agiter par deux hommes, avec des râbles ,
parce que, sans cette précaution , la fécule étant plus pesante
que l'eau, se précipiterait promptement au fond de la cuve,
sous la forme d'une couche dure , difficile a entamer quand
on veut la remettre en suspension dans l'eau. Cet état de sus
pension de la fécule dans l'eau est nécessaire pour la suite de
l'opération.
On pourrait , pour la facilité du travail , employer une
cuve ronde, armée d'un agitateur semblable a celui que nous
avons décrit pour la cuve dessinée planche Ire, figure 3.
Tout étant ainsi disposé, et ayant pourvu au mouvement
nécessaire au mélange déposé dans la cuve , on y fait arriver
graduellement 5 à 6oo litres d'eau bouillante : avant que
toute cette quantité d'eau bouillante soit dans la cuve , toute
la masse s'est déjà épaissie et convertie en une bouillie con
nue vulgairement sous le nom d'empois. Cet empois prend
d'abord un aspect laiteux , mais lorsque les 6oo litres d'eau
lui sont complétement mariés, la chaleur qu'ils amènent ne
t)E LA DISTlLLATtOS. 12g
tarde pas a l'éclaircir et à lui donner une transparence très-
remarquable.
A cette époque , la fécule est bien disposée à la macéra
tion , et l'on y procède en lui ajoutant 2o à 25 kilog. d'orge
maltée, trempée séparément. Ici, l'action de l'orge maltée se
manifeste encore comme pour le riz, et pendant les 1o mi
nutes qu'exige le mélange parfait de l'orge avec l'empois ,
celui-ci est complétement fluidifié. On laisse alors en repos
pendant 3 ou 4 heures, comme dans la macération des grains,
et le liquide a pris , après ce repos , un goût sucré très-sen
sible. 11 suffit , dans cet état , de le délayer avec de l'eau ,
de manière a compléter les 11 hectolitres de matière, pour
le mettre en fermentation.
Il est facile de saisir l'avantage que présente ce mode d'o
pérer sur celui qui est généralement usité dans les campagnes.
Le liquide que l'on obtient après la fermentation est bien
fluide, et ne présente qu'un léger dépôt , formé du paren
chyme du grain et d'un peu de levure.
Il n'est pas inutile de faire observer que l'orge maltée em
ployée ici doit être réduite en farine, et non concassée. Son
action sur la fécule est alors plus énergique, plus parfaite
et plus prompte.
Le moût obtenu par ce moyen , et avec les proportions de
matière et d'eau indiquées, pèse environ 5° a l'aréomètre.
Un litre de bonne levure de bière suffit pour mettre 1 2 hec-
' ' ' , de ce moût en bonne fermentation.
2e Modification.
Cette 1* modification a spécialement pour but d'éviter la
main-d'œuvre nécessaire à l'isolement de la fécule du paren
chyme. Voici comment on-doit la pratiquer pour obtenir les
meilleurs résultats avec le plus d'économie possible.
On prend une cuve à double fond pareille à celle décrite
précédemment , et de la capacité de 8 hectolitres environ ;
on dépose sur son double fond 1 o a 1 2 kilogrammes de courte
paille, que l'on étend aussi également que possible sur toute
sa surface ; on ajoute par-dessus , en couches , la pulpe des
pommes de terre crues telle que la donne la râpe, soit celle
produite par 4oo kilogrammes ou 5 \ hectolitres de tuber
9
l3o TRAITÉ DE L'ART
cules. La , on la laisse égontter pendant un quart d'heure ou
une demi-heure, et elle rend ainsi sans manutention une por
tion de son eau de végétation, que l'on soutire par le robinet
qui communique avecl'intervalletnénagéentrelesdeux fonds.
Deux ouvriers alors s'aiment de râbles , comme dans la
méthode anglaise pour le travail des grains , et commencent
à agiter le mélange pendant qu'on y fait arriver de l'eau
bouillante jusqu'a concurrence de 4 a 5oo litres : toute la
masse , a cette époque , est épaissie par la conversion en em
pois de la fécule qu'elle retenait ; on macéra avec 25 kilo
grammes d'orge maltée et trempée , on laisse reposer pen
dant 3 on 4 heures , après avoir agité suffisamment ; alors
on soutire, a l'aide du robinet, tout le liquide que cette
masse donne par filtration sur le double fond , et on le con
duit dans la cuve de fermentation , qui peut ici ne contenir
que il hectolitres, dont un pour le vide. On laisse bien
égoutter pendant un quart d'heure environ , on soutire le
produit de cet égouttage, puis on fait arriver une nouvelle
quantité d'eau bouillante égale a 2 hectolitres. On brasse
de nouveau , on laisse égoutter , on soutire le produit , et
on le conduit avec l'autre dans la cuve de fermentation. Ce
manége refroidit fortement le liquide , et , pour achever de
le refroidir «t d'épuiser la pâte de la matière fermentescible
qu'elle peut contenir encore , on arrose toute la surface du
dépôt pâteux qui couvre le double fond avec 2 a 3 hectolitres
d'eau froide , qu'on enlève encore par égouttage , pour la
conduire dans la cuve a fermenter avec les autres extractions.
En opérant de cette manière, le parenchyme qui reste
dans la cuve à double fond est suffisamment épuisé ; il retient
seulement encore, après une heure de dernier égouttage , les
trois quarts à-peu-près de son poids de liquide faiblement
chargé de matière fermentescible qu'on pourrait négliger
dans une distillerie bien entendue, où l'on s'occuperait de la
nourriture des bestiaux.
Mais si , au reste , on voulait épuiser parfaitement cette
pâte de son liquide , on obtiendrait bien ce résultat en la
plaçant sur la toile sans fin de la presse a cylindre décrite.
On recueillerait ainsi en liquide une forte moitié du poids
DE LA DISTILLATION. l3l
3e la pulpe égouttée ; maïs un simple égouttage suffit, et
cette pratique de presser les résidus ne conviendrait que si
l'on employait pour la macération une masse d'eau moins
grande que celle que je recommande.
Dans un ordre semblable de travail, avec les refroidis-
scmens qui s'opèrent dans le liquide fermentescible par le
repos indispensable et par la transvasion qu'il exige, ce li
quide acquiert a la fin de l'opération la température conve
nable pour être mis en levain , et il donne a l'aréomètre une
pesanteur moyenne de 5° environ.
Voila donc trois moyens de saccbarifier les pommes de
terre par l'orge maltée. Si l'on voulait établir un parallèle
entre eux, il ne faudrait pas réfléchir long-tems pour recon
naître que le premier présente une infériorité marquée sur
les deux autres. Et en effet, sous quelque face qu'on l'envi
sage, soit sons le rapport économique des manipulations
et du combustible , soit sous le rapport de la quantité et
de la qualité des produits alcoholiques , il perdra toujours
a la comparaison. 11 nécessite une cuisson a la vapeur tou
jours indispensable , et cette vapeur , il faut la produire
exprès , et dépenser pour cela du combustible. Dans les
autres moyens , il ne faut plus de frais de combustible
pour la conversion de la fécule en empois propre a subir
la macération, en opérant comme nous l'avons dit pour
la macération des grains, c'est-a-dire en employant les
vinasses bouillantes au sortir de l'alambic pour la cuisson,
de la matière, soit que l'on opère sur la fécule isolée
ou sur la pulpe. Dans un cas , il faut broyer les pom
mes de terre entre deux cylindres ; dans les autres , il
ne faut que râper , et cette manutention n'est pas plus
coûteuse , si l'on considère le travail que peut faire une rà-
{>e mue par deux hommes. Dans un cas, on met dans l'a-
ambic une matière pâteuse plus volumineuse, plus difficile,
et plus coûteuse a chauffer, par l'emploi qu'elle nécessite
des agitateurs ; et mettant à part la rupture de l'appareil
qu'elle peut provoquer , on en obtient toujours une eau- de-vie
plus ou moins chargée d'empyreume. Dans les autres, on
agit sur une matière parfaitement fluide qui ne nécessite
TRAITÉ DE L'ART
aucune précaution pour la distillation , et qui donne un pro
duit de meilleur goût. La supériorité est donc de tous
points dans les deux derniers moyens que j'ai proposés ; et
de ces deux moyens , je ne balance pas un moment pour
donner la supériorité au dernier : 1oo kilogrammes de fé
cule de pommes de terre peuvent rendre ainsi dans un tra
vail continu 5o a 55 litres d'eau-de-vie a 19°.
Cette eau-de-Y1e porte , comme toutes les eaux-de-vie de
pommes de terre, un petit goût de fruit qui n'est pas agréable,
mais que l'on peut effacer par la rectif1cation.
DEUXIÈME MÉTHODE.
Procédé pour convertir la fécule en sirop par Vacide
sulfurique.
La découverte de ce procédé , que nous devons a Kirchoff,
célèbre chimiste russe, fut faite vers la fin de 181 1 à Saint-
Pétersbourg. Voici son moyen tel qu'il l'a indiqué.
On prend 2 kilogrammes d'amidon , on les délaie dans 8
kilogrammes d'eau aiguisée de 4o grammes d'acide sulfuri-
que a 66° aréométriques ; on fait bouillir le mélange pendant
36 heures dans une bassine de plomb ou d'argent, en ayant
soin de l'agiter avec une spatule de bois pendant la première
heure de l'ébullition pour l'empêcher de s'attacher. Au bout
de ce temps , la masse , devenant bien fluide , n'a plus besoin
d'être remuée que par intervalles : a mesure que l'eau s'éva
pore, elle doit être remplacée. Quand la liqueur a suffisamment
bouilli , on y ajoute de la craie ; on la laisse refroidir et dé
poser , ét elle possède alors une saveur sucrée franche et
agréable : étant clarifiée et évaporée jusqu'à consistance si
rupeuse , elle a une saveur saccharine très-intense , et peut
donner du sucre concret par le refroidissement.
Kirchoff, dans cette expérience, avait employé l'amidon
du commerce ; et dès sa publication , tous les chimistes , tant
français qu'étrangers , s'empressèrent de la constater et de la
perfectionner. M. fogel , à Paris, MM. Jtiner et Keller ,
a Fribourg , M. Lampadius, à Fribourg en Saxe, et plusieurs
autres savans, avaient, pendant l'année 1812 , publié les ré
DE LA DISTILLATION. l33
sultats de leurs expériences. Ce dernier avait substitué a
l'amidon de froment celui de la pomme de terre ; il avait de
plus changé le procédé de Kirchoff, de telle sorte qu'au lieu
de faire bouillir le mélange de fécule et d'acide dans des bas
sines de plomb, d'argent ou de cuivre étamé, ce qui n'était
pas sans inconvénient, il conseillait de le mettre dans un
vaisseau de bois, et de l'y chauffer au moyen de la vapeur
de l'eau mise en ébullition dans un alambic dont le bec , muni
d'une alouge , serait plongé perpendiculairement dans le
vaisseau contenant la liqueur a chauffer. Par cette disposi
tion , il créait déja l'art qui depuis a reçu en France une ap
plication si utile a la distillation des pommes de terre.
Jusqu'a cette époque, en effet, on ne connaissait point
d'autre moyen de distiller les pommes de terre que celui de
les cuire à la vapeur et de les faire macérer par l'orge. A ce
moyen était attaché l'inconvénient grave de distiller des pâtes.
L'espoir fondé de s'affranchir de ce joug, et de produire ainsi
des eaux-de-vie de meilleur goût, stimula l'activité des ma
nufacturiers et des savans, au point qu'aujourd'hui l'art de
saccharifier les fécules par l'acide sulfurique est devenu une
opération manufacturière très-simple et très-praticable.
On a beaucoup varié à Paris l'appareil et la marche in
diqués primitivement par Lampadius ; mais l'appareil que
j'ai représenté planche ïre , figure 5» , est , a mon avis , le meil
leur. Voyez précédemment la description que j'en ai donnée.
La cuve de cet appareil a une capacité égale a 2o hecto
litres ; elle peut facilement comporter ainsi le travail de 3oo
kilogrammes de fécule. Supposons que l'on veuille commen
cer une opération ; on amène dans la cuve 6oo litres d'eau ;
le feu étant mis sous la chaudière, on chauffe cette eau a la va
peur jusqu'a bo° environ. Pendant ce temps , on délaie sé
parément, dans une cuve disposée a cet effet, les 3 oo kilo
grammes de fécule avee 6oo kilogrammes d'eau et 6 kilo
grammes d'acide sulfurique du commerce , à 66°. Alors on
verse de cette fécule délayée dans la cuve a saccharifier , par
la trappe qu'elle porte a sa partie supérieure ; on la verse
fiar petites portions , et graduellement , en faisant mouvoir
Agitateur. La bouillie de fécule trouve ainsi, dans la cuve,
l34 TRAITÉ DE L'ART
de l'eau a une température suffisante pour la convertir en
empois , et l'acide sulfurique qu'elle porte avec elle ne tarde
pas à la liquéfier. Il est essentiel , pour la conduite parfaite
de l'opération et pour ne pas rencontrer de difficultés , de ne
pas verser la fécule en une seule fois. On peut, par exemple,
ici, la verser a trois reprises différentes, et en trois parties
égales. On verse la première portion , comme je l'ai dit ,
lorsque l'eau de la cuve a acquis une température de 8o°
à-peu-près, en ayant soin de battre le mélange ; on continue
le chauffage a la vapeur ; l'empois se liquéfie par le contact
de l'acide sulfurique, et la température, qui s'était abaissée
par le seul fait de l'addition de la bouillie , ne tarde pas à
remonter vers 8o°. A cette époque, on ajoute la seconde
portion de fécule délayée , on agite ; il y a de nouveau abais
sement de température , épaississement dans la masse , par
la formation de l'empois , puis enfin liquéfaction en même
temps qu'élévation de température. Quand la température
est revenue à 75° a-peu-près, on verse la dernière portion
de fécule, on agite, et tous les mêmes phénomènes se re
produisent ; on continue toujours à chauffer jusqu'a ce que
toute la masse ait pris la température de 8o°.
A cette époque , on ferme la trappe avec soin , on la lute
même si elle ne ferme pas assez bien , et l'on abandonne la
cuve à elle-même pendant six heures environ. C'est pendant
ce repos que la saccharification de la fécule doit s'opérer, et
elle a besoin d'être favorisée , non-seulement par la présence
de l'acide sulfurique , mais encore par le concours d'une
température maintenue à 8o°. C'est pour cela qu'à la nais
sance de cette branche d'industrie, au lieu de conserver la
chaleur dans la cuve pendant six heures, comme nous venons
de le recommander, on continuait d'introduire de la vapeur
Î1endant ces six heures , pour maintenir le mélange à l'ébul-
ition. Il a été bien reconnu depuis que cette ébullition est
inutile , et qu'il suffit d'en conserver la température pour ob
tenir un bon résultat. On peut concevoir facilement en quoi
consiste l'avantage de ce mode d'opérer , qui économise tout
le charbon nécessaire pour maintenir une chaudière à l'ébul-
lition pendant six heures de plus que l'opération ne l'exige.
DE KA DISTILLATION. i35
On a pu remarquer que j'ai recommandé d'employer 6 ki
logrammes d'acide sulfurique pour 3oo kilogrammes de fé
cule ; cela fait donc en acide 2 pour cent du poids de la fe'cule
à saccbarifier. On pourrait augmenter cette proportion d'a
cide, ainsi que l'a reconnu Saussure, sans préjudice au
succès de' l'opération. Ce chimiste a observé en effet que la
saccharification est d'autant plus prompte et complète que la
dose d'acide est plus grande. La proportion de 2 pour cent
est cependant convenable et suffisante, pourvu qu'on n'a
brège pas le terme de six heures que j'ai fixé pour le re
pos.
Il existe un seul moyen de reconnaître que la saccharifica
tion est complète , et qu'aucune partie de la fécule n'a échappé
à cette transformation , c'est d'essayer la liqueur par. Yiode.
L'iode est un corps qui a la propriété de colorer en bleu ou
en violet les fécules, soit qu'elles soient en suspension dans
l'eau a l'état solide, ou en dissolution h l'état d'empois. On
peut , à l'aide de ce réactif, reconnaître les diverses pério
des de saccharification de la fécule , dans l'opération que je
viens de décrire. En effet, prenez de la liqueur au moment
où il est temps de la laisser en repos , prenez-en, dis- je , une
petite quantité dans un verre; versez-y de la teinture d'iode,
le mélange se colorera fortement en bleu : la liqueur, traitée
quelques heures après de la même manière , se colorera beau
coup moins ; et après six heures dé repos prolongé à la tem
pérature de 8o°, elle ne changera plus de couleur. Ce type
annonce que la saccharification est complète dans le b'quide ,
et il est temps de procéder a d'autres opérations.
On ouvre alors la trappe, et l'on s'occupe dela neutralisa
tion de l'acide sulfurique. Cet acide , en effet , n'est nullement
décomposé dans le travail, et se retrouve dans la liqueur tel
qu'on l'y a mis. Il faut , pour le neutraliser , lui présenter
un corps qui fasse avec lui un composé insoluble. C'est ce
que l'on obtient avec la chaux , ou mieux encore avec le
carbonate de chaux , que l'on peut se procurer partout.
Si l'on employait la chaux , il faudrait prendre des pré
cautions pour en mettre une quantité précise, parce qu'une
dose minime ou maxime serait également préjudiciable a la
i36 TRAITÉ DE L'ART
fermentation. On évite cette difficulté de préciser l'agent
neutralisant , en se servant du carbonate de chaux (pierre a
chaux), et l'on peut, sans inconvénient , employer cette ma
tière en excès. Pour neutraliser les 6 kilogrammes d'acide
que nous avons employés ici , il faut à-peu-près dix kilo
grammes de carbonate de chaux ou craie réduite en poudre
fine ; on la délaie , dans cet état , dans deux ou trois fois son
poids d'eau , et l'on verse ce mélange graduellement dans la
cuve, en faisant mouvoir en même temps l'agitateur. Au
moment même où ce carbonate se trouve en contact avec l'a
cide sulfurique , il s'excite une effervescence très-grande,
provoquée par le dégagement du gaz acide carbonique du
carbonate, qui vient crever a la surface ; et il faut ajouter de
la craie jusqu'à ce que son addition au liquide n'y produise
plus d'effervescence : on doit arriver a ce point de satura
tion avec 1o kilogr. de craie pour 6 kilogiam. d'acide; s'il
n'y en avait pas assez avec cette dose , il faudrait en ajouter.
On pourrait se servir de papier teint avec le sirop de vio
lette ou le tournesol , pour reconnaître le moment où le li
quide est saturé , c'est-à-dire le moment où l'on doit cesser
d'ajouter de la craie. La couleur de la violette et celle du
tournesol sont changées en rouge par la présence des acides;
on sent donc qu'en plongeant dans la cuve du papier teint
avec ces végétaux , on reconnaîtra le moment où l'acide aura
disparu complétement ; on reconnaîtra parla même le moment
où l'addition dela craie sera suffisante. On ne se sert guère de
ce moyen dans les ateliers , parce que les manipulateurs ne
craignant pas de neutraliser l'acide avec une dose de carbo
nate trop grande, l'emploient toujours en excès; ils jugent
d'ailleurs facilement à l'œil le terme de saturation, par la
propriété que possède le carbonate de chaux de faire effer
vescence en neutralisant l'acide sulfurique. _
Je ne m'étendrai pas sur cette opération , qui est purement
fondée sur les affinités chimiqnes ; qu'il me suffise de dire que
le carbonate de chaux est décomposé par l'acide sulfurique ;
sa base acide se dégage à l'état de gaz , tandis que la chaux se
combine avec l'acide sulfurique, pour former du sulfate de
chaux (ou plâtre), qui, étant insoluble, se précipite au fond
DE LA DISTILLATION.
de la cuve a letatsolide, avec le carbonate employé en excès,
et qui est aussi insoluble»
La neutralisation de l'acide étant effectuée , on abandonne
de nouveau la cuve a elle-même pendant a-peu-près une demi-
heure ou une heure. Cette fois , il est inutile de conserver la
chaleur comme dans le repos nécessaire a la saccharification.
En effet, ce dernier repos n'a d'autre but que de permettre au
sulfate de chaux de se précipiter au fond de la cuve ; cette
précipitation peut être parfaite après une heure de repos.
La cuve est armée de deux robinets, comme nous l'avons
dit dans l'explication de la figure ; l'un est placé a fleur du
fond , et l'autre à 5 ou 4 centimètres au-dessus. On ouvre ce
dernier robinet pour s'assurer que la précipitation est com
plète : il en est ainsi quand le liquide qui en sort est limpide
et ne présente plus aucune matière en suspension. On soutire
alors par ce robinet toute la liqueur de la cuve , et on la
transporte dans les cuves de fermentation.
Le dépôt qui reste dans la cuve a sacchariCer se soutire
par l'autre robinet, et on le jette h égoutter sur une forte toile
de chanvre d'un tissu serré. Le liquide qui découle ainsi par
filtration est ajouté a l'autre.
Voyons maintenant quelle masse de liquide nous aurons
obtenue de 3oo kilogrammes de fécule.
Nous avons d'abord mis en cuve 6oo litres
d'eau ; soit 6oo
Nous avons délayé la fécule avec une sembla
ble quantité d'eau 6oo
Evaluant la pesanteur spécifique de la fécule à
i5oo grammes au litre, nous aurons pour le vo
lume de 3oo kilogrammes 2oo
Toute cette masse de matière, pour se chauffer,
a condensé une certaine quantité de vapeurs, qui,
suivant des données exactes que nous exposerons
dans notre troisième partie, est équivalente a 2oo
kilogrammes environ ; soit , 2oo

Ensemble i6oo/,v
138 TRAITÉ DE L'ART
Nous aurons donc un ensemble de 16oo litres de matière,
qui se composeront ainsi en poids :
Eau 14oo kilog.
Fécule . . . 5oo
Ensemble 17oo
Nos 16oo lit. auront donc à l'aréomètre une pesanteur
égale à 1122. , soit 1o65 grammes au litre, pesanteur qui
16oo
correspond a 9 degrés de Beaumé.
Beaucoup de distillateurs mettent ce liquide en fermen
tation à cette densité de 9° , et pour cela ils le laissent dans
la cuve de fermentation jusqu'a ce que la température de 2o
à 25° soit établie : alors ils mettent en levain.
Je ne doute pas qu'il ne soit avantageux, à plus d'un titre,
de délayer davantage cette fermentation , de l'amener , par
exemple , à 5 ou 6° tout au plus en la mêlant avec de l'eau
froide. On éviterait, par ce moyen, l'inconvénient de devoir
abandonner la liqueur à elle - même pour le refroidissement
nécessaire à la fermentation ; et l'eau froide , employée pour
délayer , établirait simultanément cette température. On
obtiendrait enfin de cette méthode tous les avantages que
j'ai signalés dans son application à la préparation des
grains ; la fermentation serait plus vite achevée , il
y aurait plus d'alcohol produit , moins d'acide formé , et
l'on pourrait employer les vinasses bouillantes , qui sortent
de l'alambic après la distillation , pour de nouvelles saccha*
rifications.
On retirait communément à Paris 2o à 25 litres d'eau-de-
vie a 19°, de 5o kilogrammes de fécule saccharifiée par l'acide
sulfurique. Tout me porte à croire que ce produit pourrait
être sensiblement augmenté par la pratique que je viens de
signaler , c'est- à -dire en délayant la fermentation jusqu'à
5 ou 6° de densité aréométrique , et en ramenant les vinasses
dans de nouvelles fermentations.
Nous pouvons être au moins convaincus que la quantité
d'eau-de-vie retirée jusqu'à. ce jour d'un poids donné de

1
1
DE tA DISTILLATION. l3g
fécule , n'est rien moins qu'approximative de celle indiquée
par la théorie. En effet , supposons que l'on ait travaillé 1oo
kilog. de fécule par l'acide sulfurique, et qu'on en ait retiré
5o litres d'eau - de - vie a 19°, comme on le fait à Paris ;
voyons combien ces 5o litres d'eau-de-vie à 19° contiennent
d'alcohol pur en poids. L'eau-de-vie a 1 9° Beaumé , pèse
955 grammes au litre ; les 5o litres pèseront donc 5oX 935 ,
c'est-a- dire 46,,7 5o grammes. Appliquant à ce cas les moyens
que nous avons donnés, en traitant des aréomètres, pour
calculer la composition en poids et en volume des liqueurt
alcoholiques , nous trouverons la composition des 5o litres
d'eau-de-vie à 935 grammes comme il suit :
Alcohol = 12,575 grammes.
Eau = 34,375
Ensemble 46,7 5o
Nous aurons donc retiré de 1oo kilogrammes, ou 1oo,ooo
grammes de fécule, 12,375 grammes d'alcohol.
Nous admettrons qu'en pratique, 1oo,ooo gram. de fécule
ne donnent que 1oo,ooo grammes de sucre ; nous savons que
le sucre, en se décomposant par la fermentation, donne h-peu-
près moitié de son poids en acide carbonique et l'autre moitié
en alcohol pur : or, sur 1oo,ooo grammes de fécule, si nous
obtenions la perfection mathématique, nous devrions retirer
5o,ooo grammes d'alcohol pur. Comparons maintenant ce
résultat avec celui que l'on obtient en pratique , et nous ver
rons que nous n'obtenons pas d'une quantité donnée de fé
cule , plus du quart de la quantité d'alcohol pur que la
théorie indique pouvoir en être retiré.
Tout nous fait donc supposer que nous avons encore beau
coup a faire pour perfectionner la transformation de la fécule
en alcohol.
TRAITÉ DE L'ART

CHAPITRE VI.

De quelques agens auxiliaires.


L'eau jouant souvent un rôle important dans la fermen
tation , nous allons nous en occuper , ainsi que des divers
levains que l'on emploie pour activer ou déterminer la fer
mentation.
SECTION PREMIÈRE.
Le VEau.
Dans le grand nombre des végétaux que l'on soumet a la
fermentation , il s'en trouve qui fournissent leur matière
sucrée mélangée avec une dose d'eau suffisante pour subir
une fermentation parfaite et prompte ; d'autres nécessitent,
pour cette perfection , une addition d'eau plus ou moins
grande ; d'autres encore , et ce sont tous ceux de notre seconde
classe, ne portent avec eux que peu ou point de ce liquide,
sans lequel la fermentation ne peut se produire.
Long-temps on a professé, sur les qualités de l'eau propre
à donner une bonne fermentation , des principes erronés
que j'ai combattus, je crois, le premier, dans un article in
séré dans les Annales de Chimie et de Physique , ier
numéro de l'année 1822.
Il résulte des observations signalées dans cette note , que
l'eau peut , dans une fermentation , exercer une influence
remarquable sur la production alcobolique.
Toute espèce d'eau , pourvu qu'elle soit potable et saine ,
peut servir a la fermentation ; mais nous pouvons établir ,
entre celles qui sont le plus généralement répandues, l'or
dre suivant.
L'eau distillée est la moins bonne ; après elle, vient l'eau
pluviale, puis l'eau de rivière.
Ces trois espèces, que l'on a souvent signalées comme
meilleures pour le succès de la fermentation , par cette rai
DE LA DISTILLATION. I^I
son, qu'elles sont les plus pures et les plus légères que l'on
puisse se procurer pour les besoins des arts , sont , par la
même , moins bonnes pour la distillation que celles fournies
par les sources ou les puits.
Celles-ci, en effet, contiennent souvent des matières en
dissolution, qui peuvent être très -utiles à la fermentation.
Celles de Paris contiennent beaucoup de plâtre et de pierre
à chaux en dissolution.
Celles qui ne contiendraient que de la pierre a chaux
seraient d'autant préferables pour la fermentation, qu'elles eu
contiendraient davantage.
Rien de plus facile que de reconnaître cette dernière espèce
d'eau ; elle dépose, dans les vases où on la fait bouillir , des
couches pierreuses assez épaisses , qui se forment aux dépens
du sel calcaire que l'eau retient en dissolution. Pour recon
naître si ce dépôt est de la pierre a chaux, il suffit d'en mettre
un morceau dans un verre , et de verser dessus une petite
quantité de vinaigre ; s'il en résulte une effervescence , c'est
que la pierre contient du carbonate calcaire ou pierre a chaux,
c'est la même chose j elle sera du carbonate calcaire pur , si
elle se dissout complétement dans le vinaigre avec efferves
cence, de manière a former avec lui un liquide clair et sans
dépôt ; l'eau qui l'aura produite pourra être considérée
comme la meilleure de toutes pour la fermentation. Nous en
verrons la cause quand nous traiterons de la fermentation.
L'influence que peut exercer la qualité de l'eau sur la fer
mentation a été trop peu étudiée jusqu'a ce jour, pour que
l'on puisse établir des règles précises et invariables sur son
choix ; il serait possible que les eaux de certaines sources et
de certains puits fussent moins favorables au succès de la
fermentation que celles de pluie et de rivière. Cette circon
stance trouverait sa cause dans la présence de quelques ma
tières qui , au lieu d'être , comme la pierre a chaux , favora
bles a la fermentation , lui seraient au contraire nuisibles.
Telles seraient , par exemple, des matières animales qui fa
voriseraient , dans le vin , les fermentations acides et putri
des. L'on trouve dans les eaux de Paris , puisées au-dessus
des couches calcaires , une quantité de matière animale assez
l42 TRAITÉ DE L'ART
considérable , qui rend ces sortes d'eaux peu propres a la
fermentation. Nous verrons ci-après , en traitant de la fer
mentation, quels phénomènes ces eaux ont quelquefois pro
duits. Dans tous les cas , on devra toujours les répudier des
distilleries.
Des expériences comparatives , faites avec soin , peuvent
seules guider le fabricant dans le choix des diverses espèces
d'eaux qu'il a a sa disposition ; seulement il est essentiel qu'il
soit bien convaincu que la qualité de l'eau n'est pas indif
férente.
SECTION DEUXIÈME.
Les Levains.
Parmi les végétaux fermentescibles , il s'en trouve t1n
grand nombre qui portent avec eux une matière particu
lière , connue sous les noms de levain , levure ou ferment.
C'est elle dont la présence détermine la fermentation alco-
holique dans les liquides , qui , sans son secours , ne pour
raient que passer a la fermentation acide ou putride.
Cette matière est donc toujours nécessaire à la production
de l'eau-de-vie ; et lorsque les liquides que l'on met en fer
mentation n'en contiennent pas , il faut y suppléer par un
levain que l'art sait composer ou recueillir.
De la la distinction que l'on établit dans les levains, en le
vains naturels et levains artificiels. Les premiers sont ceux
que les végétaux contiennent dans leur composition , et qui
leur donnent la faculté de fermenter seuls ; les autres sont
ceux que l'on recueille par la fermentation des végétaux , ou
encore ceux que l'on confectionne avec diverses matières.
Nous aurons peu de chose a dire des premiers , qui sont
retenus en dissolution dans les sucs de tous les fruits fermen
tescibles dans une proportion variable. Le raisin en contient
une très-grande quantité et dans une proportion convenable
pour la fermentation parfaite du sucre qu'il contient. Le jus
de la canne, des betteraves , les cerises, les poires, les pom
mes et tous les fruits doux et aigrelets , en contiennent aussi
plus ou moins ; et pendant leur fermentation , ce levain ou
ferment vient surnager à la surface de la cuve sous la form«
DE LA DISTILLATION. l43
d'écume. C'est ainsi qu'on peut l'enlever et le recueillir ,
pour l'ajouter aux végétaux qui n'en contiennent pas.
Ce levain , ainsi recueilli , ne possède pas une qualité tou
jours égale ; elle varie suivant la nature des végétaux qui
l'ont produit ; et le ferment artificiel le plus énergique que
les arts nous fournissent , est celui que l'on recueille dans la
fermentation de la bière , et qui est connu , dans le commerce,
sous le nom de levûre de bière : aussi est-il plus généralement
recherché et préféré. On ne le remplace par d'autres que
lorsque l'on se trouve dans des localités où l'absence des
brasseries ne permet pas aux distillateurs de se le procurer.
Après le ferment produit par la bière , celui que donnent
les grains dans leur fermentation occupe le premier rang. Ce
lui que donnent les pommes de terre , fermentées même
avec ~ de leur poids d'orge , est faible et peu énergique.
Un phénomène digne de remarque, et dont la connais
sance ne doit point être perdue de vue par un distillateur ,
c'est l'influence qu'exerce la température de l'eau bouillante
sur les propriétés du ferment.
Le jus du raisin , par exemple, qui contient le ferment
nécessaire à sa décomposition , fermente au bout de quelques
heures quand on le place dans des conditions favorables. Il
n'en serait plus de même si , avant de le mettre en fermen
tation , on l'eût porté a la température de l'ébullition , quoi
qu'on le ramenât d'ailleurs , par le refroidissement, a la tem
pérature nécessaire à la fermentation. Dans ce cas , le levain
perd momentanément sa propriété d'excitant , et ne la re
couvre que quelque temps après. Cependant il ne paraît pas
que ses propriétés excitantes soient altérées par cette expo
sition à la température de 8o° ; elles sont seulement suspen
dues , et il les recouvre au bout de quelques jours avec la
même énergie.
La levûre de bière est facilement putrescible , et elle a
besoin d'être bien conservée pour donner de bons résultats
dans la fermentation. Plus elle est liquide et exposée a une
température chaude , plus elle se corrompt facilement ; de
sorte qu'on la conserve moins bien en été qu'en hiver. En
été on peut la conserver saine pendant i5 jours au plus,
l44 TRAITÉ DE L^ARt
pourvu qu'on ait soin de la déposer dans des caves, ou au*
tres lieux qui maintiennent leur température a io°.
En hiver on peut la conserver pendant des mois entiers,
quand la température atmosphérique reste constamment au-
dessous de io°. Lorsqu'elle est gelée , elle peut être bonne ;
mais si on la laisse dégeler et reprendre une température
même inférieure a io°, elle ne tarde pas a se corrompre.
Pour la conserver plus long-temps , on la sépare le mieux
possible de l'eau qu'elle retient , et pour cela , on la laisse
égoutter , puis on la soumet , dans des sacs d'un tissu très-
serré, a l'action énergique, mais très-graduée, d'une presse :
on l'amène ainsi a l'état de pâte dure qui , en permettant de
la conserver plus long-temps , en facilite aussi le transport
d'un lieu a un autre.
Jl existe a Paris des levûrîers qui livrent au commerce de
la levure de bière desséchée. Mais cette levure a perdu, dans
l'opération de la dessiccation , une partie des propriétés qui
la font rechercher a l'état liquide.
Il faut donc , autant que possible, n'employer comme ex
citant de la fermentation , que la levure de bière fraîche , et
telle que la fournissent les brasseurs. Lorsque cette levure
sera bonne , on se basera, pour déterminer la dose, sur la
proportion suivante. • •
11 faut mettre dans une cuve , en bonne levûre de bière li
quide , de la 1 oe à la 1 2e partie , en volume , de la quantité
d'eau-de-vie a 1 9° que doit rendre la cuve a la distillation.
Ainsi , en supposant qu'une cuve doive rendre 5o litres
d'eau-de-vie à ce degré , il lui faudra employer 4 à 5 litres
de levûre. Cette quantité est nécessaire pour les matières qui
ne portent pas de levain avec elles , comme les pommes de
terre , les sirops de mélasse , les sirops de pommes de terre ;
mais pour les grains, on peut réduire cette quantité de levûre
de moitié.
Pour s'assurer de la qualité du levain , on l'essaie avant de
le mettre dans la cuve. A cet effet , on soutire dans un vase
séparé la 2oe partie a-peu-près du liquide de la cuve, et l'on
y délaie le levain qu'on lui destine ; on recouvre le vase , et
si le levain est bon, un quart d'heure après il doit s'être éta
DÉ LA DISTILLATION. 1^5
bli une fermentation très-active. Dans ce cas , on verse cette
liqueur d'essai dans la cuve , en ayant soin de la brasser , et
l'on peut être assuré du succès de l'opération. Mais , si le le
vain tardait davantage a produire tumultueusement ses effets
excitans dans le vase d'essai , le retard plus ou moins grand
qu'il éprouverait fixerait le fabricant sur la qualité de la le
vure. Dans ce cas , il faudrait continuer a en ajouter dans la
cuve d'essai , jusqu'a ce qu'elle présentât une fermentation
bien active et tumultueuse.
Ce moyen est le plus exact que nous connaissions pour es
timer tout-à-la-fois la force excitante du levain , et détermi
ner approximativement la quantité qu'il faut en mettre dans
une cuve pour obtenir de bons résultats.
Nous recommandons, en conséquence, ce moyen aux dis
tillateurs. 11 n'est pas indifférent à la production alcoholique
de mettre dans une cuve la quantité de levure nécessaire à la
décomposition parfaite du végétal ; et d'un autre côté , la va
leur souvent assez élevée de la levure de bière , et le goût
que son excès dans une cuve peut communiquer à l'eau-de-
vie, commandent de ne l'employer qu'à la dose la plus exacte
possible.
Les difficultés que l'on a , dans certaines contrées , pour
se procurer de la levure de bière fraîche, et à des prix qui eu
permettent l'emploi, ont fait chercher les moyens de la rem
placer. Voici les levains artificiels les plus efficaces.
Pâte aigrie ou Levain des boulangers.
Ce levain se trouve partout , et il est d'ailleurs très-facile
de le former.
En effet , il suffit , pour se le procurer , d'opérer comme
les boulangers , c'est-a-dire de mettre de côté une quantité de
pâte proportionnée a la quantité de levain que l'on veut
faire, et de la laisser aigrir. Au bout de 24 a 48 heures , cette
pâte, exposée a la température de 2o a 25° , qui règne ordi
nairement dans les laboratoires des boulangers , est suffisam
ment aigrie pour leurs opérations; mais, pour la distillation ,
il n'est pas mal de la laisser aigrir pendant 5 à 6 jours ; elle
acquiert alors une propriété excitante plus grande.
10
1^6 TRAITÉ DE L'ART
Lorsque ce levain est ainsi formé, on peut le conserver ,
même pendant un mois, a la température de 1o° , sans qu'il
se gâte : il suffit, pour cela, de le déposer dans un vase quel
conque et de recouvrir les surfaces qu'il présente au contact
de l'air, d'une petite couche de sel de cuisine.
Ce levain est au reste bien moins énergique que la levure
de bière ; et quoiqu'il soit à l'état de pâte solide , il faut tou
jours l'employer a volume au moins double de celle-ci , pour
obtenir des résultats équivalens.
Il présente en outre , sur la levure de bière, une infério
rité remarquable , inhérente a l'aigreur qu'il porte avec lui ;
cette aigreur est due à un acide , et les acides , étant des ex-
citans de la fermentation acide , nuisent toujours , par la
même, a la fermentation alcoholique.
Autre Levain.
On prend de la farine de seigle qui doit être moulu fin
et non égrugé ; on la délaie brute et sans en avoir séparé le
son, avec de l'eau froide, de manière a en faire une pâte
épaisse. On lui ajoute de la mélasse dans la proportion du
quart en poids de la farine employée, puis on y ajoute peu-
à-peu de l'eau bouillante, en agitant continuellement jus
qu'à ce que le tout arrive à la consistance d'une bouillie , et
qu'il porte en même temps une température de 2o a 25°. On
y délaie alors un peu de levure de bière, ou de la pâte aigrie
des boulangers ; on couvre le vase et on le conserve dans un
local où règne une température de afo° environ. Au bout d'une
heure à-peu-près la fermentation doit y être établie ; si cela
n'était point , il faudrait lui ajouter une nouvelle quantité de
levure. Lorsque la fermentation marche bien , ce levain se
gonfle beaucoup, et on doit l'employer lorsqu'il est au plus
haut point de sa fermentation, et avant qu'il soit aigre. C'est
ordinairement douze heures après qu'il a été fait , qu'il est
bon à être employé.
Ce levain est de beaucoup préférable à la pâte aigrie , dont
îl ne possède cependant pas les propriétés excitantes, à doses
égales , bien entendu. On peut remplacer avec succès la fa
rine du seigle par celle du froment, et la mélasse par le miel.
DE LA DISTILLATION. 1^7
Au reste, ce levain ne présente pas, comme le levain de
bière , l'inconvénient de donner un mauvais goût aux pro
duits de laTermentation quand il est employé en excès.
On peut donc craindre d'autant moins d'en forcer la dose
dans les cuves , que les matières qui les composent ne sont
. point perdues pour la production alcoholique, puisqu'elles sont
elles-mêmes transformées en eau-de-vie dans la fermenta
tion ; tandis que d'un autre côté , si l'on n'en employait point
passez , on nuirait proportionnellement a la décomposition du
végétal.
J'ai encore vu quelquefois composer un levain avec du su
cre et des œufs ; mais je ne suis point assez fixé sur les effets
de ce levain ni sur son emploi, pour en donner la composition
exacte et en recommander l'usage.

. DEUXIÈME PARTIE.

De la Fermentation.

On désigne sous le nom générique de fermentation , tout


mouvement intestin qui se manifeste dans les corps or
ganiques , et qui leur fait subir un changement de nature.
Nous reconnaissons aujourd'hui trois fermentations, bien
distinctes par les produits auxquels elles donnent naissance ,
et par la nature des matériaux sur lesquels elles s'exercent.
La première est la fermentation vineuse ou alcoholique ,
la deuxième est la fermentation acide , et la troisième est la
fermentation putride. Ces trois fermentations forment trois
périodes distinctes de la désorganisation des substances vé
gétales que peut utiliser le distillateur. A ces trois périodes il
serait convenable d'en ajouter une quatrième, que l'on a
nommée fermentation saccharine. Quoi qu'il en soit de
l'exactitude de cette dénomination , il n'en est pas moins vrai
311e le fait qu'elle exprime existe. C'est elle que nous avons
ésignée , dans notre première partie , sous le nom de sac-'
* 10.
1^8 TRAITÉ DE L'ART
charification , en prouvant que tous les végétaux farineux
ne peuvent passer à la fermentation vineuse sans subir dans
leurs élémens un mouvement qui transforme leur fécule en
sucre. Ainsi , lorsque l'on opérera sur cette fécule , il pourra
y avoir quatre périodes de décomposition : la première sera
la saccharification , la deuxième la fermentation vineuse , la
troisième la fermentation acide, et la quatrième la fermenta
tion putride. Ces quatre espèces de décomposition peuvent
marcher simultanément , et elles le feront même toujours, si
l'on n'y met obstacle par des précautions convenables. Toutes
les quatre peuvent être utilisées pour les besoins des arts ;
en effet, il peut souvent être avantageux de transformer la
fécule en sucre , pour l'approprier ainsi aux besoins du com
merce. Alors on bornera la la décomposition. Si l'on voulait
faire du vin , il faudrait utiliser de plus la fermentation al-
coholique, sans pouvoir se dispenser dela saccharification,
puisque l'alcohol ne peut se former sans sucre. La fermen
tation acide ne peut s'exercer que sur de l'alcohol : or, si
l'on opérait sur de la fécule pour la fabrication du vinaigre ,
qui est le résultat de la fermentation acide utilisée , on ne
pourrait le faire sans avoir préalablement procédé a la sac
charification et a la fermentation vineuse. Si I'oh abandonnait
le vinaigre a lui-même et dans des circonstances favorables ,
il passerait a la fermentation putride , et ne pourrait plus
alors être utile que comme agent de reproduction. Je crois
superflu de faire observer ici que si l'on avait en vue de
créer un engrais pour la reproduction, l'on ne s'aviserait
fias de se servir de la fécule , et encore moins de l'amener à
'état de vinaigre pour la rendre putride. Tous les végétaux
ne peuvent pas servir a la préparation du sucre , de l'alcohol
et du vinaigre, et tous peuvent arriver à la fermentation-
putride , pour être employés comme engrais.
La fermentation vineuse, dont il est ici spécialement *
question , a pour objet de transformer en eaux-de-vie les
corps qui en sont susceptibles, et de le faire avec le plus de
perfection et d'économie possible.
Dans la pratique de l'art de la vinification , on distingue
deux espèces de fermentation vineuse, ou, pour m'exprimer
DE LA. DISTILLATION. 1^9
d'une manière plus convenable , on divise la fermentation
en deux époques : on appellefermentation tumultueuse celle
que le moût subit dans la cuve, et l'on désigne sous le nom
de fenfêntation insensible , celle qu'il subit immédiatement
après dans les barriques. Ces deux fermentations ne diffèrent
nullement entre elles par leurs résultats ; leur but est le
même, la production alcoholique , et les phénomènes qui les
caractérisent ne se distinguent entre eux que par l'intensité.
M Dans la fermentation tumultueuse, le mouvement intestin
de la cuve est véhément ; et comme c'est a ce mouvement
Îu'est toujours proportionnée la quantité d'alcohol formé ,
en résulte que, dans ce cas , il y a production d'une grande
quantité d'alcohol. Le terme de cette fermentation est dé
terminé par l'abaissement du chapeau dela vendange. A cette
époque , la fermentation tumultueuse est achevée , et on dé
pose le vin dans des barriques. Mais dans cet état , quoique le
vin contienne déjà la plus grande partie de l'eau-de-vie qu'il
puisse acquérir, toute sa substance fermentescible n'est pas
décomposée, et il en retient encore une quantité assez grande
pour qu'il soit, dans bien des cas , utile a la valeur du vin
d'en achever la décomposition au profit de l'alcohol.
* C'est à l'aide de la fermentation insensible qu'on obtient
ce résultat , et le vin est a cet effet conservé en futailles pen
dant un laps de temps variable , et proportionné a la densité
du moût qui l'a produit. •
Cette fermentation insensible , ayant pour objet de déve
lopper dans le vin tout l'alcohol qu'il est capable d'acqué
rir , est toujours utile , soit qu'on veuille faire un vin de
boisson et de garde, soit qu'on veuille le mettre en chau
dière. L'alcohol, en effet, est l'agent conservateur des vins le
plus remarquable ; c'est sa présence dans ceux-ci, en quantité
suffisante, qui leur permet de supporter en futailles des trajets
f lointains. De la l'infériorité de quelques uns de nos vins,
qui, à l'exemple des vins rouges de Champagne, peuvent
rarement être transportés au loin. D'un autre côté, si les
vins sont destinés a la chaudière, ils gagnent en valeur, après
la fermentation insensible, ce qu'ils ont acquis par la même
en alcohoLEt ce fait est bien connu du vigneron et (ht dis
l5o TRAITÉ DE L'ART
tillateur , qui l'utilisent , entre autres moyens de fixer la valeur»
vénale des vins-
Dans les contrées qui , comme celles du midi de la France ,
récoltent beaucoup de vins destinés a la chaudière, le mode
de fermentation diffère peu , quelle que soit la destination de
ces vins. Les vins a brûler qui n'entrent pas en travail im
médiatement après la fermentation tumultueuse , au sortir
de la cuve , sont mis en barriques comme les autres , et su
bissent ainsi une fermentation insensible plus ou moins pro
longée et plus ou moins complète , suivant les besoins du fa
bricant et du vendeur.
Dans les distilleries où l'on opère sur d'autres végétaux ,
sur les grains , les pommes de terre , les mélasses , par exem
ple, il est très-important d'accélérer la fermentation , pour
diverses raisons que nous exposerons plus bas. De sorte que
non-seulement on ne peut pas faire subir a la liqueur la fer
mentation insensible , mais il est utile au succès de l'opéra
tion de restreindre la durée de la fermentation tumultueuse ,
de la rendre la plus parfaite possible dans l'espace de temps
le plus court, et de remplir ces conditions sans préjudice a
la production alcoholique.
L'art que ces conditions intéressent , a donc dû chercher
les moyens de les remplir. Nous les possédons aujourd'hui ;
la pratique a consolidé leur utilité , et la théorie des lois de
la fermentation explique parfaitement leur efficacité. Ces
moyens , qui sont impraticables dans la vinification des bois
sons, sont très-utiles pour la distillation ; et ils établiraient,
s'ils étaient généralement connus, appréciés et adoptés, une
marche différente pour la fermentation des vins destinés a la
chaudière, et particulièrement pour ceux que la pénurie de fu
tailles fait mettre en distillation au sortir de la cuve vinaire.
Quoi qu'il en soit de ces moyens , quant a leur applica
tion raisonnée aux vins de raisins , il n'en est pas moins con
stant qu'ils présentent un grand avantage dans toutes les ma
nufactures où la fabrication du vin marche simultanément
avec la distillation ; ils sont une application bien raisonnée
des lois qui président à la formation de l'alcohol, et nous les
exposerons ci-après en traitant de ces lois.
a

DE LA DISTILLATION.

CHAPITRE PREMIER.

Des conditions de la Fermentation.

La fermentation alcoholique ne peut avoir lieu sans le


concours combiné des conditions suivantes :
l°. La présence d'un corps sucré ou d'un équivalent.
3°. Idem de l'eau.
3°. Idem du calorique.
fc. Idem d'un levain.
5°. Idem de l'air.
La réunion de ces cinq agens est nécessaire et indispensa
ble a la formation de l'alcohol ; ils jouent chacun un rôle plus
ou moins important , et c'est de leur emploi et de leur com
binaison bien entendus que dépendent la possibilité et les
succès de la fermentation vineuse.
Supprimez un seul de ces agens , il n'y a plus formation
d'alcohol ; combinez-les dans différentes proportions, la fer
mentation variera selon qu'elles lui seront plus ou moins fa
vorables ; et il pourra même arriver que dans plusieurs cir
constances , l'alcohol sera spontanément formé et changé en
un autre corps ; ce sera le cas de fermentation acide. Sup
primez ou l'eau ou le calorique , H n'y aura plus de fermen
tation d'aucune espèce , et le sucre ne changera point d'état.
Nous allons donc étudier ces agens chacun en particulier ,
quant aux rôles qu'ils jouent dans la fermentation vineuse ,
et déterminer en même temps leurs emplois , leurs propor
tions et leurs modes d'agir respectifs.
t£ SECTION PREMIERE.
Du Sucre ou de ses êquivalens.
Sans sucre point de fermentation, et par conséquent point
d'alcohol ; c'est le seul élément matériel aux dépens duquel
l'alcohol puisse se former. Tous les autres élémens employés
. 4 f
l52 TRAITÉ DE l'aRT
dans cette fermentation ne sont que les agens et les véhicules
de la décomposition du sucre.
Le sucre , tel que nous le désignons ici , est supposé sec
et amené a l'état solide. On en distingue plusieurs espèces
par leurs caractères physiques et chimiques , et ces caractères
sont dans la pesanteur spécifique , l'aspect , la saveur et les
propriétés.
Le plus remarquable est celui qu'on amène par la cristal
lisation a l'état solide pour les besoins de l'économie domes
tique et des arts ; c'est le sucre de la canne. Il n'est pur
que lorsqu'il a subi les opérations du raffinage ; alors il est
blanc , cristallisé et inodore ; sa pesanteur spécifique est égale
à 1,6o6 grammes par décimètre cube, et sa saveur sucrée
est la plus intense de tous les sucres connus.
Le sucre de J 'érable ou de la betterave, raffiné, est iden
tique de tous points avec le sucre de cannes.
Le jus de raisins et la fécule de pommes de terre saccha^
rifiée par l'acide sulfurique, fournissent, à l'aide d'opéra
tions convenablement dirigées, un sucre solide ; mais il est
bien distinct de celui de la canne, par une saveur saccharine
plus faible, et par l'état pulvérulent et incristallisé auquel
seul on peut l'amener.
Un grand nombre d'extraits de végétaux peuvent aussi
fournir un sucre qui se rapproche plus ou moins de l'une
ou de l'autre des deux espèces que nous venons de signaler ;
et quoique plusieurs chimistes distingués n'admettent point
d'autres nuances dans les sucres solides , que ces deux espè
ces , je ne partage pas leur opinion , et je crois que le genre
sucre est le chef d'une famille nombreuse. Nous savons , en
effet, qu'il suffit d'une différence très-légère dans les propor
tions des principes constituans des corps, pour changer leurs
propriétés et leurs caractères. Nous avons même plusieurs
raisons de croire que les principes constituans peuvent , étant
réunis dans des rapports égaux , affecter des états de combi
naisons différens, qui reproduisent ainsi des nuances rela
tives dans les corps.
Quoiqu'il en soit d'ailleurs des différences qui peuvent
exister dans les sucres que l'art et nos besoins nous ont ap
.DE LA DISTILLATION1. l53
pris à extraire des végétaux , il n'en est pas moins vrai qu'ils
ont tous ce caractère analogue , qu'ils peuvent affecter la
fermentation vineuse, et donner de l'alcohol par distillation.
Il existe une autre espèce de sucres fermentescibles , bien
distincte des deux autres ; ils présentent eux-mêmes des
nuances de goût infinies, suivant les végétaux qui les pro
duisent. Ce sont des sucres qui ne sont ni cristallisantes ni
concrétables , et ou ne les emploie ordinairement qu'a l'état
fluide, c'est-a-dire mélangés avec l'eau sous la forme siru
peuse. On ne peut les amener a l'état solide qu'en les faisant
'évaporer d'abord a consistance de sirop , puis en les dessé
chant a une chaleur douce et suffisamment prolongée. Ce
sont de véritables extraits ; ils présentent alors une masse
solide et transparente a la manière de la gomme ; leur saveur
est plus ou moins sucrée , et leur couleur presque toujours
altérée en brun foncé , par la chaleur employée pour leur
dessiccation.
Tous les sirops-mères qui ont fourni du sucre cristallisé
ou concret, contiennent une grande quantité de sucre fluide,
mélangé encore a des portions d'eau et de sucre solide plus
ou moins grandes*
Tous les moûts de végétaux que l'on soumet a la fermen
tation contiennent donc toujours ou du sucre liquide seul ,
ou un mélange variable de sucre solide et liquide, et jamais
du sucre solide seul. Mais quand nous parlons du sucre
comme élément de la fermentation , nous voulons désigner
le sucre isolé de l'eau , avec laquelle il est toujours mélangé
dans les végétaux qui le produisent : nous traiterons séparé
ment du rôle de l'eau.
Malgré l'opération de la saccharification , utilisée, sous le
nom de macération, dans les distilleries de grains et de pom
mes de terre, cette opération , telle qu'elle est exécutée , est
loin, dans les procédés ordinaires, de convertir compléte
ment en sucre la fécule des végétaux employés , et l'on met
en fermentation des matières composées de sucre et de fé
cule. La saccharification alors marche simultanément avec la
fermentation vineuse. L'assertion que j'émets ici est toujours
vraie pour tous les cas où l'on met en fermentation des pâtes ;
TRAITÉ DE L'ART
elle ne l'est point pour ceux où l'on évite cet inconvenient
par les moyens que j'ai indiqués dans ma première partie. Il
est évident que dans le mode d'opérer qui introduit une por
tion de fécule dans la fermentation , cette fécule représente
alors un équivalent du sucre , puisqu'elle doit être transfor
mée en cette substance dans le cours de la fermentation vi
neuse ; et la production alcoholique doit être alors propor
tionnelle à la quantité de fécule mise en travail et non a la
quantité de sucre. La fécule est donc ici un véritable équi
valent du sucre , que nous pouvons évaluer comme tel dans
Dos calculs.
Le sucre , pour se transformer en alcohol , perd à-peu-.
près la moitié de son poids en gaz ; et nous avons déja fait
voir précédemment par quels moyens on peut évaluer la
quantité d'eau-de-vie a un titre quelconque que doit rendre
une cuve fermentante. Il suffit pour cela de-peser le liquide
de la cuve, avant la mise en fermentation, avec un aréomè
tre gradué par pesanteurs spécifiques , de calculer le poids
du sucre dissous dans la masse de ce liquide ; la moitié du
poids de ce sucre représentera le poids de l'alcohol pur qui
devra être produit par la fermentation , en supposant qu'elle
soit parfaite et qu'il n'y ait point de causes de pertes.
Soit, par exemple, 2o hectolitres de moût a io° Beaumé ,
ou 1o73 grammes au litre.
Un titre de ce moût se compose ainsi en poids :
Sucre i94 | grammes.
Eau 878 5
Pesanteur spécifique connue 1o73.
Les 2o hectolitres donnés contiendront donc 589 kilo
grammes 332 grammes, qui devront produire par distilla
tion , après fermentation complète, i94 kilogrammes 666
grammes d'alcohol pur , à 792 grammes au litre, soit 246 li
tres.
Ainsi, si l'on retire cet alcohol a 19° ou 935 grammes ,
on devra obtenir 787 litres ; a 22° ou 914 grammes , on en
aura 595 litres ; et à 33° ou 84a grammes , on retirera
324 litres.
DE LA DISTILLATION. i55
Si l'on considère que la densité du moût qui vient de ser
vir de base a nos calculs, n'etant que de io°, n'est rien moins
que celle des moûts qui , dans le Languedoc,, rendent de
| à ' de leur volume en ^ , puisque ces moûts pèsent jus
qu'a i6° ; si l'on considère d'un autre côté que les 324 litres
de 33°, que nous venons de trouver, doivent être le produit
de 2ooo litres de moût a io° , ce qui équivaut à-peu-près
& ? du volume, nous reconnaîtrons qu'on est loin en prati
que de retirer du vin tout l'alcohol que la théorie indique
pouvoir ptre produit.
11 est vrai de dire que , dans les moûts de raisin , le sucre
• n'est pas la seule matière qui concourt a la densité, et que le
tartre et autres matières y pèsent souvent pour une bonne
part. Si l'on ajoute a ces faits , qui compliquent le calcul d'é
valuation que nous venons de donner, tous ceux qui se pré
sentent dans la fermentation , tels que la formation des acides
et les causes de pertes inévitables , on concevra que l'esti
mation de la quantité d'alcohol que doit produire un moût
de raisin ne peut être qu'approximative. Ainsi , en réduisant
même a 28o litres de 33° la quantité d'alcohol que doivent
produire 200o litres de moût à 1o°, nous remarquerons que
la pratique ne donne pas encore un produit aussi considéra
ble. En effet, 2ooo lit. de moût a io°, fermentes et distillés,
sont loin de rendre 28o lit. d'alcohol a 53°.
Le moût de raisin paraît cependant être celui qui , de tous
les fruits connus , est le plus favorisé pour la production al-
coholique, c'est-a-dire pour la décomposition parfaite de
son sucre ; car lorsqu'un vin a été bien traité , qu'il a subi
une bonne fermentation tumultueuse et une fermentation in
sensible suffisamment prolongée, l'expérience prouve que
toute sa substance fermentescible est décomposée, et je ne
sache pas qu'aucun autre végétal puisse donner un sembla
ble résultat.
On pourra toujours , a l'aide de la marche que je viens
d'indiquer, estimer à-peu^près la quantité d'eau-de-vie que
l'on peut retirer d'un liquide fermentescible quelconque , et
reconnaître par la même si la pratique que l'on suit appro
che de la perfection possible. Cette vérification pourra en
l56 TRAITÉ DE L'ART V
apparence sembler indifférente; mais si on veut l'apprécier
avec quelque réflexion, l'on reconnaîtra qu'elle n'est rien
moins qu'inutile. En effet , c'est -toujours un très-grand
avantage , dans les arts industriels que l'on professe , de sa
voir si l'on touche la limite de perfection, ou si l'on ne fait
seulement qu'en approcher. Il est de l'intérêt de tout manu
facturier de s'occuper de faire mieux : être certain que ce
mieux est possible, c'est déja une chance de succès, si ce
n'en est pas une garantie.
Le moyen que je viens d'indiquer pour reconnaître la fa
culté productive des moûts en alcohol n'est applicable qu'aux
substances parfaitement fluides qui , en retenant la matière
fermentescible en dissolution , peuvent être mesurées par
l'aréomètre. Mais pour les matières pâteuses, où l'aréomètre
ne peut plus être d'aucune utilité, il faut avoir recours a
d'autres moyens pour les soumettre a une semblable évalua
tion. Tels seront les cas de la distillation des pommes de terre
cuites a la vapeur , de la distillation des céréales et de tous
les farineux que l'on n'aura pas préalablement convertis en.
matières solubles par la saccharification.
Si l'on opérait sur des pommes de terre , par exemple ,
on estimerait d'abord-, par une analyse très-facile a exécuter,
la quantité de fécule contenue dans l'espèce sur laquelle on
opère. On connaît la quantité de tubercules que l'on emploie t
soit, par exemple, 4oo kilogrammes. Supposons que ces
pommes de terre contiennent 25 5 de leur poids de fécule ,
soit 1oo kilogrammes, on pourra considérer ces 1oo kilo
grammes comme une quantité pareille de sucre qui , par la
fermentation , perdra comme lui moitié de son poids en gaz
acide carbonique , pour donner naissance a 5o kilogrammes
d'alcohol. Or 4oo kilogrammes de pommes de terre n'auront
pas rendu le maximum théorique d'alcohol qu'ils peuvent
produire , aussi long-temps qu'ils ne donneront pas 5o kilog,
d'alcohol pur a 792 grammes : soit 63 litres ou ses équiva-
lens, c'est-à-dire 2o1 litres de 19° , i52 litres de 22% ou
83 litres de 33°.
Ce résultat est encore loin de celui de la pratique ; car
l'expérience prouve qu'on ne retire pas communément plus
DÉ LA DISTILLATION. lS^
de 5o litres d'eau-de-vie a 19° des 4oo kilogrammes de
pommes de terre que nous venons de prendre pour exemple.
Il en sera de même pour les céréales. Soit, par exemple ,
1 oo kilog. de seigle mis en travail : l'analyse d'Einhof porte
h 5o | environ la quantité de fécule contenue dans cette
céréale. Ainsi nous n'aurons pour poids de l'alcohol pur que
a5 kilogrammes ou 32 litres, qui donneront 1o2 litres
d'eau-de-vie à 1 9°. Cette fois la pratique approche beau
coup plus de la perfection , car on a retiré jusqu'à 64 litres
de cette preuve d'une même quantité de grains. On voit néan
moins que la perfectibilité a encore de la marge pour s'exer
cer dans ce genre d'industrie.
SECTION DEUXIÈME.
De VE.au.
L'eau est l'un des agens les plus remarquables que la
nature emploie pour développer ou désorganiser les corps ;
son action , toujours subordonnée a celle du calorique , varie
suivant l'état du corps auquel elle est appliquée. Placés sous
l'influence de la vie , les végétaux et les animaux trouvent
dans l'eau un aliment indispensable a leur nutrition et a leur
existence ; privés de cette influence, ils trouvent alors dans
cette même eau une cause de destruction. Sans le secours de
l'eau , en effet , les animaux ne pourraient exister , les plantes
11e pourraient végéter , les semences ne pourraient germer ;
sans elle les cadavres desséchés ne pourraient passer à la fer
mentation putride et se conserveraient indéfiniment. C'est sur
ce principe qu'était fondée particulièrement la conservation
des momies chez les Egyptiens, et c'est encore sur ce principe
qu'est fondée chez nous la conservation des céréales , du
sucre , des»féculcs et d'une foule d'autres végétaux.
L'eau est donc un agent indispensable de toute espèce de
décomposition , et sa présence dans la fermentation vineuse
est non - seulement d'une nécessité rigoureuse , mais c'est
encore de la proportion dans laquelle elle s'y trouve que
dépend la transformation plus ou moins prompte } plus OU
moins parfaite , du végétal en alcohol.
l58 TRAITÉ DE L'ART
Veut-on précipiter ou retarder la fermentation , toutes les
autres causes influentes étant d'ailleurs les mêmes , il suffira'
d'augmenter ou de diminuer la dose d'eau. On l'augmentera
en en ajoutant au mélange ; on la diminuera en la faisant
évaporer ou en lui ajoutant du sucre sec , ou une dissolution
sirupeuse. Dans un cas comme dans l'autre, on trouve un
guide certain pour se diriger , dans l'aréomètre.
Pour mettre en évidence cette influence de l'eau sur la
décomposition vineuse , servons-nous d'un exemple. Suppo
sons trois cuves de fermentation, de la capacité de i3 hec
tolitres chacune , placées proche l'une de l'autre et numé
rotées 1 , 2 et 3 ; déposons dans chacune de ces cuves 4oo
litres d'un même mout de raisin portant 1 6° aréométriques
ou 1125 grammes et i5° de température; ajoutons aux cuves,
n°» 2 et 3, de l'eau aussi à i5° de température , ajoutons-en
4 hectolitres au n° 2 , et 8 au n° 3 ; nous aurons alors trois
cuves qui porteront la même température , la même quantité
de sucre et autres matières du raisin , et il n'y aura entre elles
de différence que dans la proportion d'eau. Le n° 1 présentera
une masse de 4 hectolitres à i6° aréométriques, ou H25
grammes ; le n° 2 contiendra 8 hectolitres de moût à 9° ou
jo65 grammes ;et le n° 5, 1 2 hectolit. a 6° ou io42 grammes.
Ces cuves étant placées dans un cellier favorable , la fer
mentation ne tardera pas a s'y établir. Elle se manifestera
d'abord dans la cuve n° 3 , puis dans le n° 2 , puis dans le
n° 1 , a un intervalle d'une ou deux heures de différence.
Elle sera plus active dans le n° 2 que dans le n° 1 , et plus en
core dans le n° 3 que dans le n° 2. Elle sera terminée pour les
trois cuves, et le chapeau s'y affaissera , dans l'ordre suivant :
i°. Dans la cuve n° 3 , après trente à trente-six heures
de travail a-peu-près.
2°. Dans la cuve n° 2 , après trois ou quatre jours.
3°. Dans la cuve n° 1 , après dix a douze jours.
Il est évident que l'eau seule a pu déterminer ces diffé
rences de durée dans la fermentation ; et l'on peut par ce
moyen gagner un temps toujours utile , sinon dans la dis
tillation des vins de raisin , au moins dans les distillations
d'autres végétaux.
M LA DISTILLATION. 15g
Maïs l'Influence de la proportion d'eau ne se borne pas a
ee bénéfice de temps ; elle supplée encore d'une manière très-
heureuse a la fermentation insensible ; et pour s'en convain
cre , il suffira de connaître les produits alcoholiques des trois
cuves ci-dessus.
La première rendra a-peu-près 9o *. a 22°.
La seconde 9^
La troisième 1oo id.
L'eau aura donc ici non-seulement accéléré considérable
ment la fermentation tumultueuse , mais elle aura de plus
favorisé la transformation plus complète du sucre en alco-
hol. Il est vrai que, dans ce cas , le liquide qui produit 1o0
litres d'eau-de-vie est deux fois plus volumineux que celui
qui en produit 9o , et qu'il nécessite par la même plus de
combustible pour sa distillation ; mais nous verrons par la
suite , en traitant des appareils distillatoires et de leurs ques
tions économiques , que l'augmentation de combustible , dans
ce mode d'opérer, est toujours grandement payée par l'aug
mentation des produits , surtout dans l'emploi des appareils
de distillation continue.
La cuve n" 3 aura rendu ici autant et même plus d'eau-
de-vie a 1-2° que n'aurait pu le faire le vin de la cuve n" 1 ,
s'il eût subi la fermentation insensible. On voit donc que pour
les vins destinés à la chaudière au sortir de la cuve, on pour
rait , en leur faisant subir la fermentation tumultueuse dans
une plus grande masse d'eau , suppléer ainsi en quelque sorte
a l'impossibilité où l'on est de leur laisser subir la fermenta
tion insensible , et récupérer en partie la perte d'alcohol que
cette circonstance entraîne toujours avec elle dans la mé
thode reçue.
Cette méthode , comme nous l'avons prouvé dans notre
première partie en traitant des farineux , est toujours utile et
praticable dans les distilleries de grains, fécule, etc. , où la
fabrication des vins marche de pair avec la distillation. Ou
tre l'économie de combustible qu'elle présente dans la con
tinuité du travail d'une distillerie , en permettant d'employer
plusieurs fois consécutives les vinasses comme eaux dans les
macérations , elle présente encore une économie de temps
TltAITÉ DE i/ART
dans la fermentation proportionnelle a cette économie de
combustible , et en outre elle permet de tirer d'un quintal
métrique de grains une quantité d'eau-de-vie qu'on ne pour
rait obtenir sans son secours. Prouvons ces assertions par un
exemple.
Supposons deux cuves a fermentation n°* i et 2 , de la
capacité de i3 hectolitres chacune ; mettons en travail dans
chacune d'elles 1oo kilogrammes de farine, mélangée en
grain cru dt orge maltée ; macérons et délayons le n° 1 avec
6oo litres d'eau ; prenons-en pour le n° 2, 12oo litres ; don
nons-leur a chacune une même température de 2o" , et met-:
tons-les en levain avec 2 litres de levure de bière, les deux
liquides contiendront ainsi la même quantité de matière fer-
mentescible , et ils ne différeront pour les conditions de la
fermentation , que par la dose d'eau. La cuve n° 1 présen
tera 7 hectolitres de liquide pâteux , et le n° 2 en contiendra
12. Supposons la température du local où elles sont placées
de 1 5° , la fermentation s'établissant quatre heures après la
mise en levain pour la cuve n° 2 , devra commencer deux
heures plus tard environ pour le n° 1 , c'est-à-dire six heu
res après la mise en levain. Elle sera plus active et plus tu
multueuse dans le n° 2 que dans le n° 1 , et cette fermenta
tion tumultueuse sera achevée au bout de 7 2 à 8o heures
pour le n° 1 , et au bout de 24 à 3o heures pour le n" 2 ,
c'est-à-dire que le chapeau sera affaissé dans les liquides
après ces laps de temps. Ces liquides vineux n'étant jamais
soumis à la fermentation insensible , il est évident que celui
qui rendra le plus d'eau-de-vie à la distillation , en étant mis
en chaudière après la fermentation tumultueuse , prouvera
par-la que les conditions de sa fermentation ont été mieux
remplies , et qu'elles ont favorisé la décomposition d'une
plus grande quantité de sucre au profit de Talcohol. Pour vé
rifier la différence qui existe sous ce rapport entre nos deux
cuves d'essais , il suffit d'en soumettre les vins à la distil
lation.
Le n° 1 rendant 5o litres d'eau-de-vie à 1 9° ,
Le n° 2 en rendra 55.
11 est certain que cette augmentation de produit dans la
t>É LA DISTILLATION. l6t
«uve n° 2 n'est due qu'a l'ensemble des influences heureuses
qu'exerce une proportion d'eau plus grande dans la fermen
tation. Elle supplée réellement ici a la fermentation insensible.
Outre cette inégalité de produits alcoholiques dans les
deux cuves , qui constate une inégalité relative dans la trans
formation de leur matière fermentescible en alcohol , il existe
un autre avantage en faveur de la marche suivie dans la cuve
n° 2 , avantage toujours dépendant de la proportion du mé
lange d'eau. Cet avantage est dans la possibilité d'employer
dans un travail continu les vinasses de la cuve n° 2 , pour
d'autres macérations , tandis que celles de la cuve n° 1 ne
peuvent pas être utilisées de même , et-cela pour les raisons
que nous avons exposées en traitant des grains. Cette mé
thode permet ainsi de représenter a l'action de la fermenta
tion la petite quantité de matière fermentescible échappée à
une première fermentation , et il résulte de cette marche ,
dans un travail continu , qu'un quintal métrique de grains
traité comme dans la cuve n° 2 , rend , en dernier résultat ,
au moins 1o litres d'eau-de-vie a J9° de plus que par la
méthode de la cuve n° 1. Je dis dans une succession de tra-
Taux, parce que, comme on a pu le voir ci-dessus, la com
paraison de deux opérations uniques par l'une et l'autre mé
thodes ne donne que 5 litres de différence.
On peut, par ces documens, juger des motifs qui, dans
l'exposé de toutes les opérations destinées a prédisposer les
végétaux à la fermentation , m'ont fait insister sur la propor
tion d'eau à mélanger à la matière. Quoique ce principe pré
sente un avantage réel dans son application , il ne faudrait
cependant pas lui donner une extension illimitée ; nous avons
signalé le degré 5 à 6° de l'aréomètre, comme la densité la
plus convenable a donner aux végétaux que l'on destine a
la distillation. Ce terme, discuté dans la question économi
que des résultats et des dépenses , concilie en sa faveur une
balance pécuniaire très-remarquable , même au cours actuel
des eaux-de-vie , qui est cependant très-bas. Dans les arts
industriels , ce point est le plus important de tous , et c^est
toujours celui que l'on doit d'abord calculer dans les inno
vations que l'on se propose. Je ne pense pas que l'on puisse
11
l62 TRAITÉ DE L'ART
réduire avec fruit le terme de 5 à 6° aréométriques dans la fer
mentation; il faut en tout un juste milieu. Et si l'on voulait
diminuer cette densité , l'on pourrait arriver à un point tel ,
que le combustible supplémentaire commandé par une aug
mentation de volume dans le vin , ne serait plus payé par
l'augmentation de produits alcoholiques ; mais, je me répèle.
En opérant comme dans la cuve n° a , on retire du grain la
plus grande quantité d'eau-de-vie qu'on ait pu en obtenir
jusqu'a ce jour , et cela avec moins de dépense de combus
tible que dans la cuve n° 1 , où les vinasses , vu leur acidité,
ne peuvent pas être employées avec succès dans les macéra
tions ultérieures. \
Quant a la qualité de l'eau la plus convenable pour la fer
mentation , nous avons exposé précédemment notre expé
rience a ce sujet. L'eau , suivant sa nature , peut exercer une
influence très-remarquable sur la production alcoholique.
Ainsi , toutes les fois que l'on s'occupera d'une distillation
qui commande une addition d'eai au végétal , le fabricant
ne devra pas être indifferent sur le choix de cette eau.
Les végétaux mêmes qui , comme le raisin , etc. , portent
avec eux l'eau nécessaire a leur fermentation , n'en ont point
tous une même qualité. Les eaux des sources et des puits va
rient avec la nature des terrains a travers lesquels elles se
sont infiltrées , avec la nature des pierres sur lesquelles elles
ont roulé dans le centre de la terre. Il en est de même de
l'eau que les végétaux portent avec eux. C'est ainsi , par
exemple, que le raisin, portant avec, lui une certaine quan
tité de tartre, qui est un composé d'acide tartarique et de
potasse, trouve ce dernier corps dans le sol qui l'a produit,
et les eaux des végétaux qui retiennent avec eux du carbo
nate de chaux ou pierre à chaux , le trouvent aussi dans la
couche de terrain sur lequel ils ont végété. Il en est de même
de tous les autres sels terreux que l'on rencontre dans tous
les végétaux ; ils leur sont toujours incorporés par l'eau dans
l'acte de la végétation , et celle-ci les puise dans le sol.
Cette nuance dans les qualités d'eau dépendante des sols ,
pourrait donc également influer sur la qualité plus ou moins
favorable des végétaux h la fermentation alcoholique , et l'on
DE LA DISTILLATION. l63
pourrait trouver ainsi une des causes pour lesquelles tels vé
gétaux ont plus de propension que tels autre» à tourner a la
fermentation acide , et partant , a produire une quantité plus
ou moins grande d'eau-de-vie.
Les qualités d'eau les plus préjudiciables a la fermentation
vineuse sont celles qui sont chargées de matières organiques.
Telles sont , par exemple , celles que l'onretire dans divers
quartiers de Paris , de puits creusés au-dessus des couches
calcaires. Ces eaux ont une très-grande propension a tour
ner a la fermentation putride. M. Clément nous a dit, dans
une de ses leçons publiques du Conservatoire, qu'il avait
souvent rencontré bien des difficultés à mener des fermenta
tions avec ces sortes d'eau. Il assure avoir trouvé de l'acide
nitreux dans les vins qu'il préparait pour la distillation avec
la fécule de pomme de terre et l'acide sulfurique. Nul doute
que formation de cet acide dans les cuves fermentantes
ne provînt des matières organiques que l'eau retenait en
dissolution.
M. Barré , ancien distillateur de fécule a Paris , m'a si
gnalé un phénomène, plus extraordinaire encore, qu'il a été
à même d'observer plusieurs fois dans ses fermentations de
sirop de fécule : c'est le dégagement d'un gaz inflammable.
Voila une anomalie réellement singulière , que nés théories
chimiques ne peuvent expliquer d'une manière bien satisfai
sante. M. Barré n'a pu me fixer sur la nature de ce gaz ;
seulement il m'a assuré qu'en présentant un corps' incandes
cent a la surface d'une cuve, il se produisait une inflammation
" qui gagnait les autres cuves, qualidie laboratoire en contenait
plusieurs. Il a remarqué aussi que toutes les fois qu'il y avait
production de gaz inflammable, les fermentations marchaient
mal , et donnaient de faibles produits «lcoholiques.
Il est probable que ce phénomène trouvait aussi sa cause
dans les matières organiques, qui développaient une ferment
tation putride dans la cuve. Dans cette hypothèse , il serait
possible que le gaz inflammable fût de l'hydrogène, puisque
ce gaz est l'un des produits de la fermentation putride.
Il est donc de la plus haute importance, dans la distilla
tion , d'éviter l'emploi des eaux qui peuvent contenir des
i64 TRAITÉ DE L'ART
matières organiques. A Paris, on obvieraita cet înconvénient
en creusant des puits jusqu'au-dessous des couches calcaires ,
et en revêtant les parois intérieurs du puits d'une maçonnerie
solide , qui ne permît pas aux eaux supérieures de se mêler
avec les inferieures. L'expérience prouve qu'a l'aide de cette
précaution , l'on obtient des eaux de qualité bien plus favora
ble a la fermentation. Tel est au moins le résultat des obser
vations que M. Clément a faites à ce sujet, et nous pouvons
avoir une entière confiance dans les observations de ce chi
miste distingué.
SECTION TROISIÈME.

Du Calorique.

La chaleur joue , dans la végétation et daDS la décompo


sition des corps , un rôle aussi important que l'eau ; sa pré
sence est toujours nécessaire à la vie comme à la destruction
des corps organiques ; sans elle la vie n'est plus dans les ani
maux ; sans elle les végétaux ne peuvent ni éclore ni se déve
lopper ; sans elle les uns et les autres ne peuvent se désorga
niser, quelles que soient d'ailleurs les autres circonstances
favorables dans lesquelles ils se trouvent placés. Les cadavres,
en effet , et tous les végétaux morts et en contact avec l'eau,
se conserveraient indéfiniment sans manifester le moindre
indice de corruption , si l'on pouvait les soustraire indéfini
ment a l'iiifluence destructive de la chaleur , en les conser
vant , par exemple , a la température de la glace. L'action
désorganisatrice de l'eau est donc dépendante de la chaleur ,
et vice versa. Aussi les principes de conservation comme
ceux de destruction sont-ils déduits de la connaissance de
ces faits.
Un corps végétal ou animal ne se désorganisera pas s'il
n'est soumis qu'à l'influence de l'un des deux agens décom-
posans, l'eau ou la chaleur. Un végétal d'une part sec et chaud,
de l'autre humide et a zéro degré de température , se conser
vera également bien.
La chaleur joue donc dans la fermentation vineuse un rôle
DE LA DISTILLATION.
important , et elle nous offre comme l'eau un moyen d'acti
ver ou de retarder cette fermentation ; celle - ci , en effet ,
sera d'autant moins tumultueuse et énergique que la tempe-
rature de la cuve sera plus basse. Cependant il ne faudrait
as étendre ce principe pour la chaleur aussi loin que nous
avons fait pour l'eau. L'espace de l'échelle thermomètrique
favorable aux diverses décompositions que peuvent subir
les corps, est entre le 1oe et le 5oe degré ; mais celui dans
lequel la fermentation vineuse marche bien , est entre le io°
et le 3oe degré ; au-dessous de 1o elle ne peut s'établir ; au-
dessus de 3o la fermentation acide s'exerce aux dépens de
l'alcohol , et il y a de plus déperdition d'une autre quantité
d'alcohol par évaporation. Ainsi , quand je dis qu'on peut , à
l'aide de la chaleur, activer ou relarder la fermentation alco-
holique , je parle uniquement de l'emploi de la température
de 1o à 3o°. Plus la température du liquide fermentant sera
voisine de 1 o° , plus la fermentation sera faible et lente ; plus
au contraire elle sera active et tumultueuse dans un degré
voisin de 3o.
Le degré de température a donner aux liquides que l'on sou
met a la fermentation , doit être fixé d'après leurs volumes.
Ainsi l'on se basera sur les données ci-après, et l'on donnera
à une cuve de 5 hectol. ........... 25 a 28°.
là. de 1o ... 2o à 25°.
là. de 2o ........ i5 a 2o°.
là. de 3o, 5o et iooVc<- et au-dessus 12 à îS".
On voit par ce tableau , que plus la cuve est petite , plus il
faut élever la température et réciproquement. La raison de
cette règle est dans ce principe : que la chaleur se conserve
mieux dans une grande masse' que dans une petite , et que si
l'on donnait à une petite cuve la température que l'on aurait
jugée être nécessaire a une grande pour terminer sa fermen-
1 tation dans un temps donné , il en résulterait , dis-je , qu'une
petite cuve ne conservant passa chaleur comme la grande ,
perdrait la température nécessaire a sa fermentation rapide ;
et au lieu de l'achever en deux jours , elle pourrait en exiger
au moins huit.
TRAITÉ DE L'ART
On peut juger par cet exemple et de l'influence de la cha
leur sur l'activité de la fermentation et de la raison qui motive
des temperatures différentes dans les cuves de capacités dif
férentes. Les températures que nous avons indiquées ci-dessus
Sont les résultats d'observations pratiques. On ne saurait
donner a ce sujet des règles plus certaines et plus fixes , et
c'est au praticien a se bien pénétrer de l'ensemble des lois
que nous établissons sur la conduite de la fermentation.
La chaleur que l'on donne a la cuve pour la fermentation
n'est pas la seule qui agisse pendant la durée de l'opération ;
la fermentation. elle-même produit de la chaleur , et cela
dans un rapport relatif à son intensité. L'intensité de la fer
mentation est l'expression exacte de la décomposition rapide
du sucre , bu bien encore de la formation rapide de l'alco-
hol ; de sorte que ces trois manières de s'exprimer signifient
absolument la même chose. Il en est de cette chaleur acquise
à la cuve dans l'acte de la fermentation, comme de celle
qu'on lai a donnée,, c'est-à-dire qu'elle se conserve d'autant
mieux que la cuve est plus grande. Ce développement
de chaleur qui croît avec l'intensité du mouvement intestin
de la cuve, a fait diviser la fermentation en trois époques
bien distinctes.
Première époque. La première époque est le moment où
la fermentation commence a s'établir. La chaleur développée
par ce mouvement est alors suffisante pour suppléer a celle
que le liquide peut perdre pàr ce refroidissement , de sorte
que la température de la cuve ne change point ; mais à me
sure que la fermentation augmente , la chaleur s'élève , et
l'on arrive enfin a la deuxième époque.
Deuxième époque. C'est celle où la fermentation est la
plus active , et par conséquent où la température de la cuve
est la plus élevée. Cette élévation de température varie avec
la capacité de la cuve et avec la richesse du moût , non pas
que dans Ce dernier cas la fermentation soit plus vive , mais
parce qu'un liquide plus dense perd moins facilement sa cha
leur qu'un autre qui est dans un état de fluidité plus voisin
de l'eau. L'élévation varie depuis un degré jusqu'à dix. A
mesure que la fermentation s'apaise, la chaleur baisse avec
DE LA DISTILLATION, 1G7
elle et finit par revenir a la température d'où elle était parr
tie ; c'est alors la troisième époque.
Troisième époque. La fermentation s'achève alors , le
chapeau tombe insensiblement , le 4iquide se met en équili
bre pour la chaleur avec le lieu où il fermente , et il finit
par en prendre la température.
Le refroidissement des cuves étant dépendant de l'état ca
lorifique du local pù se trouvent les cuves , il est essentiel au
succès de la fermentation de varier leur température avee
celle de ce local. Plus il sera froid, plus il faudra monter les
cuves en chaleur ; cependant il serait dangereux fa mettre
une cuve fermentante dans un lieu où il ne régnerait pas au
moins une température constante de io°, et le danger serait
d'autant plus grand que la cuve serait plus petite. Quant aux
températures atmosphériques supérieures a 3o°, elles ne sont
pas à craindre dans nos climats , de sorte qu'il est inutile de
signaler l'influence nuisible qu'elles exerceraient sur la fer
mentation.
Dans un grand nombre de distilleries , les celliers où s'o
pèrent les fermentations sont ouverts de toutes parts et sont
par la même exposés aux variations de température de l'été
et de l'hiver. Cette circonstance influe d'une manière telle
ment sensible sur la production alcoholique , lorsque l'on ne
varie pas en conséquence la température des cuves, que j'ai
vu beaucoup de distillateurs suspendre leurs travaux en été,
parce qu'ils ne tiraient plus alors autant d'eau-de-vie qu'en
hiver. Ce fait est facilement explicable, et l'on concevra par-
faitqpient la cause de la conduite erronée de ces distillateurs ,
lorsque l'on saura qu'ils opèrent toujours de la même ma
nière dans toutes les saisons ; ils n'ont de guide pour la tem
pérature a donner à leurs cuves qu'un mélange constant
d'eau froide et d'eau bouillante, et ils négligent ainsi l'usage
du thermomètre qu'ils ne connaissent même pas. Il en ré
sulte que si la température constante qu'ils donnent a leur
liquide fermentescible est convenable pour l'hiver, elle doit
devenir nuisible en été, en se trouvant alors beaucoup trop
élevée ; et de la nécessairement une perte notable d'alcohol
par évaporation et transformation d'une autre quantité ea
i68 TRAITÉ DE l'art
acide. Cela est tellement vrai , que j'ai vu moi-même , dans
une de ces distilleries , le vin de grain fermenter en été avec
tant d'activité , qu'une cuve de 6 hectolitres était soumise à
un mouvement presque aussi rapide qu'un liquide bouillant
sous l'influence d'un grand feu. Tout le cellier était plein de
vapeurs alcoholiques , comme si la cuve eût été déjà soumise
à la distillation. Est-il étonnant alors qu'un vin ainsi fermenté
rende moins a la chaudière qu'un autre qui serait fermenté
convenablement.
Il serait mieux , comme je l'ai vu pratiquer par des dis
tillateurs éclairés , de disposer les cuves a fermentation dans
un cellier fermé, dans lequel on maintient une température
constante , et qui doit être , quand on en est le maître , en été
comme en hiver , de quelques degrés au-dessous de la cha
leur de la cuve mise en fermentation. Si , par exemple, on
opère sur des cuves de 1o hetolitres , et qu'on leur donne
2o° de température , celle du cellier devra être de 17a 18°.
Ainsi , en été, cette chaleur pourra être acquise sans feu, puis
qu'elle est a-peu-près celle de l'atmosphère : seulement , il
ne faudrait pas que le cellier pût être chauffé par les four
neaux de distillation, parce que cette disposition , qui serait
économique en hiver , serait nuisible en été. Dans cet état et
avec cette disposition, l'on conçoit qu'avec des cuves de 1o
hectolitres, qu'on peut mettre en fermentations 2o° , on
pourra, en toutes saisons , faire le même mélange d'eau froide
et chaude sans préjudice sensible a la production alcoholi-
que , puisque la température du cellier pouvant être toujours
la même en toutes saisons , celle des cuves devra être aussi
la même. On ne pourrait pas obtenir ce résultat avec des
cuves qui contiendraient de 2o a 1oo hectolitres ou çlus de
matière ; c'est pourquoi je recommande ici les cuviers de
1o hectolitres, qui sont d'ailleurs plus maniables et plus
commodes. Si l'on avait des cuviers de 2o a 3o hectolitres,
le cellier fermé serait toujours avantageux pour l'hiver, parce
qu'alors on les soustrairait ainsi a l'influence nuisible des
grands froids ; mais en été il faudrait , pour obtenir des ré
sultats égaux, varier la chaleur de leur mise en fermentation,
et l'abaisser suivant que la température de l'air serait plus
• DE LA DISTILLATION. l6g
élevée. Prenons un exemple : si nous avions a mettre en fer
mentation une cuve de 4o hectolitres et que nous fussions
maîtres de régler la température du cellier , nous donnerions
a la cuve , suivant les règles que j'ai établies, 14° , et au cel
lier 12° à-peu-près ; mais si, comme en été, nous n'étions
plus maîtres de la température du local et qu'elle s'y élevât
jusqu'à 16°, il faudrait alors , autant que possible, mettre
la cuve en fermentation à 12° de chaleur : mais il faut le
dire ici , autant les grandes cuves sont avantageuses en hiver
par la faculté qu'elles ont de bien conserver leur chaleur ,
autant elles sont par la même nuisibles en été.
Toutes les règles que je viens d'établir pour la chaleur né
cessaire à la fermentation sont les mêmes pour les vins de rai
sins que pour les vins de grains , pris plusieurs fois pour
exemple, avec cette différence que les vins de raisins ne sont
mis a fermenter qu'a l'époque des vendanges , en automne ,
et qu'alors la température qui règne dans les vignobles est
assez régulièrement favorable à leur fermentation. Le moût
du raisin prend évidemment alors la même température que
l'air atmosphérique, et H est d'autant plus chaud, que le rai
sin a été récolté à Ja plus grande ardeur du soleil. On a fait
à ce sujet des remarques curieuses ; mais comme elles sont
du ressort de l'œnologie et que , sous ce rapport , elles ap
partiennent plus spécialement à l'art de faire le vin , je ren
verrai a l'ouvrage de M. Chaptal les personnes qu'intéresse
rait la fermentation des vins destinés à la boisson.
On a pu juger par l'exposé que je viens de donner de
l'influence de la chaleur sur la fermentation , que cette in
fluence est toujours combinée a celle de l'eau ; l'une et l'au
tre présentent cette analogie d'effets, qu'elles peuvent accé
lérer ou retarder la fermentation , et qu'en variant leurs
proportions , on peut obtenir des résultats semblables.
En effet, un liquide portant 15° de température et 1o° de
densité, ne fermente-t-il pas assez rapidement ; si la dose de
levure est suffisante d'ailleurs, il faudra, pour accélérer sa
fermentation , prendre de deux moyens l'un , ou 1°. y ajouter
de l'eau à la même température, ou 2°. chauffer la masse par
un moyen quelconque, de manière à en élever la tempéra
1^0 TRAITÉ DE L'ART
ture. De ce& deux moyens , le premier est préférable , parce
que tout a-la-fois il active la fermentation, et il augmente la
décomposition de la matière , dans un espace de temps beau
coup plus court, tandis que l'autre, en activant la fermen
tation, provoque une déperdition relative d'alcohol, qui est
d'autant plus grande que la chaleur ajoutée est plus grande
elle-meme : ce dernier moyen est d'ailleurs difficilement exé
cutable en pratique, et je ne le signale ici que pour l'utilité
du parallèle.
D'un autre côté, la fermentation marche-t-elle trop rapi
dement, on peut l'atténuer, 1°. en enlevant de l'eau a la
masse , ce qui est impraticable , et que l'on remplace par un
équivalent , c'est-à-dire qu'on lui ajoute du sucre sec ou une
dissolution sirupeuse ; 2°. en la refroidissant par un moyen
quelconque.
Cette analogie de propriétés du calorique et de l'eau daus
la fermentation n'est pas une connaissance inutile pour un
distillateur, il peut trouver tous les jours l'occasion de s'etn .
servir heureusement.
. s
SECTION QUATRIÈME.
De VÀir atmosphérique.
Nous devons a M. Gaj-Lussac d'avoir constaté par des
expériences exactes l'influence de l'air sur la fomentation ,
et nous ne conservons plus aujourd'hui aucun doute a cet
égard. L'air atmosphérique , en *0iïson de la quantité d'air
vital ou oxigène qu'il contient, est non-seulement l'aliment
de la vie, mais encore le véhicule de la décomposition des
corps. Et en effet, le moyen de M. Appert , le plus efficace
que nous connaissions aujourd'hui pour conserver sains et
intacts les végétaux et les viandes , est fondé sur ce principe ,
et il consiste à soustraire le corps que l'on veut conserver , à
l'influence de l'oxigène libre de l'air. M. Gay-Lussac, pour
constater l'action de l'air sur la fermentation vineuse , écrasa
du raisin dans On vase plongé dans une atmosphère de gaz
acide carbonique (c'est le gaz qui se dégage dans la fermen
tation). Toutes les précautions avaient d'ailleurs été prises
TJE LA DISTILLATION. l"Jl
pour prémunir le moût de raisin contre le contact de Pair; Ce
moût fut de plus placé dans les circonstances favorables à sa
fermentation ; il portait avec lui l'eau, le levain et toute la
matière du raisin , et on lui avait appliqué une chaleur conve
nable. Il resta ainsi pendant long-temps sans donner le moin
dre signe de fermentation ; mais dès le moment où il reçut
le contact de l'air , il s'y établit spontanément une fermenta
tion tumultueuse qui prouva manifestement le rôle de 1 air
dans la fermentation vineuse.
11 agit comme levain de cette fermentation , et dès le
moment où le mouvement intestin est imprimé a la cuve ,
non-seulement sa présence est inutile, mais elle pourrait
même être nuisible si l'on favorisait de quelque manière son
contact avec la masse fermentante.
L'influence première et indispensable que l'air exerce
comme agent déterminant de la fermentation, est rigoureuse
ment utile ; mais la connaissance de ce fait, qui intéresse plus
essentiellement la théorie de l'art <|ue la pratique, pourrait
imposer au manufacturier des précautions inutiles et même
nuisibles, si je ne m'expliquais pas a ce sujet.
J'ai vu en effet quelques distillateurs a qui ce principe
était connu et qui en conséquence se seraient bien gardés de
couvrir leur cuve de fermentation , de crainte d'intercepter
la communication avec l'air. Cette précaution est , sinon nui
sible en facilitant le refroidissement du liquide , au moins
tout-à-fait inutile , et jamais dans aucune circonstance cette
précaution ne pourra être nécessaire. Le contact de l'air est
indispensable , il est vrai , mais un liquide que l'on met en
fermentation retient toujours de l'air en dissolution ; et si
le moût du raisin encore renfermé dans les cellules du fruit
n'en contient pas , il en 'prend en dissolution une grande
quantité dans le foulage. La transvasion d'un liquide d'une
cuve à une autre dans l'air suffit aussi pour le charger de
cet air , s'il n'en est pas déja saturé ; les eaux de pluie , de
sources , de fontaines , de rivières , toutes les eaux possibles
contiennent de l'air , et elles en donnent ainsi aux liquides
que l'on met en fermentation avec elles. La quantité d'air
atmosphérique nécessaire pour déterminer la fermentation
17.2 TRAITÉ DE L'ART *
dans une cuve , même très-grande , est si minime , que tou-*
tes les cuves que l'on met en travail ne puisent point l'air
qui leur est necessaire dans la couche qui pèse sur elles , mais
bien dans celui qu'elles retiennent toujours en dissolution.
On fait donc une application mal entendue des principes
quand on se garde de recouvrir une cuve jusqu'a ce que la
fermentation soit établie ; cette précaution est aussi inutile
au but que l'on se propose , qu'elle peut être nuisible dans
bien des circonstances par le refroidissement qu'elle amène
toujours. Si d'ailleurs le liquide que l'on met en fermentation
lie contenait pas en dissolution dans sa masse , l'air néces-*
saire a la détermination de son mouvement fermeutescible ,
le vide qu'on doit laisser dans la cuve pour le chapeau , pré
sente toujours une .quantité d'air bien plus que suffisante
pour déterminer le mouvement. On peut donc , sans détruire
la condition indispensable de la présence de l'air dans la fer->
mentation, couvrir les cuves avec soin et prévenir ainsi, dès
le commencement de l'opération , l'inconvénient de laisser
l'atmosphère en communication immédiate avec le liquide
fermentescible.
Dès le moment où la fermentation est établie, la présence
de l'air dans le liquide devient nuisible a la fermentation alco-
holique. C'est l'air en effet qui favorise la formation des aci
des : ces acides , comme nous le savons, sont toujours créés
au détriment de l'alcohol , et sont eux-mêmes les levains les
plus énergiques de la fermentation acide. On doit donc
apporter un soin particulier pour éviter de favoriser cette
fermentation. Pour le vin , le moyen de l'éviter presque com
plétement, c'est d'éloigner le contact de l'ai*. On sait en effet
que lorsqu'une pièce de vin a dégénéré en s'aciditiant , ou
dit vulgairement qu'elle a pris l'âir ; cette expression est
exacte , et c'est effectivement en absorbant l'air que l'acide
a commencé à se développer. Cet acide une fois formé dans
le vin , sert dè levain a toute la masse , qui ne tarde pas a se
convertir complétement en vinaigre ; c'est sur ce principe
qu'est établie la fabrication du vinaigre a Orléans , et partout
où l'on s'occupe de confectionner ce genre de produit. Eu
effet , quand on veut favoriser l'acétification , on transvase
DE 1A. DISTlLlATION. I«3
souvent les vins) pour établir ainsi un contact parfait avec
l'air et arriver d'autant plus rapidement au but qu'on se
propose*
L'époque la plus dangereuse pour la formation de l'acide .
dans la fermentation des moûts de raisins, c'est vers la fin
de l'opération , parce que quand il n'y a pas d'alcohol formé
dans le moût , on ne craint pas encore l'acide ; et dès le mo
ment où la fermentation s'établit , le gaz acide carbonique
qui se dégage en abondance de la cuve , étant plus lourd que
l'air , remplit en raison de cette pesanteur le vide de la cuve,
et la préserve ainsi du contact immédiat de l'air atmosphé
rique. Aussi pendant la durée de la fermentation doit-on
s'abstenir , autant que possible, de découvrir la cuve et de
déterminer ainsi un mouvement qui puisse déplacer la cou
che interposée entre l'air et le vin. Mais lorsque la fermen
tation tumultueuse s'apaise, que la température de la cuve
baisse , et que le gaz acide carbonique ne se dégage plus que
faiblement , le vin a alors une très-grande disposition a ab
sorber de l'air pour tourner à la fermentation acide. Cela
est surtout vrai pour les vins faibles , et c'est alors que l'on
doit redoubler de soins pour éviter toutes causes d'acéti-
fication.
Pour les vins de grains , de pommes de terre , etc. , l'ex
périence prouve que ces vins non-seulement redoutent le
contact de l'air pour la fermentation acide , mais qu'ils y
sont d'autant mieux disposés. , que la nature même de leur
constitution ou peut-être même des manipulations employées
pour les mettre en travail , la favorise davantage. La fer
mentation acide marche pour eux de pair avec la fermenta;
tion alcoholique. Dès le commencement d'une fermentation
de vin de grains , et même dès les premiers mouvemens , il
y a formation d'acide. Ce que j'avance ici est le résultat d'ex
périences exactes faites avec des grains fermentés dans des
vases où l'air ne pouvait point avoir d'accès pendant la du
rée de la fermentation. Il serait donc abusif d'attribuer tou
jours la formation des açides qui est inséparable de la fer
mentation d'une foule de substances ; il serait abusif, dis-je,
d'attribuer uniquement cette formation au contact; de l'air
I"4 TRAITÉ DE L'ART
extérieur, puisque dans des appareils où ce contact est ri
goureusement impossible , l'acide s'y développe toujours en
quantité plus ou moins grande, et cela à toutes les périodes
de la fermentation.
SECTION CINQUIÈME.
Des Levains.
Quoique nous ne puissions pas expliquer d'une manière
bien satisfaisante le mode d'agir des levains dans la fermen
tation vineuse, nous savons cependant qu'ils sont d'une né
cessité indispensable. Nous savons de plus , théoriquement
parlant, que les matières fermentescibles n'exigent, pour se
transformer en alcohol , qu'une quantité très-minime de fer
ment. Il résulte , en effet , d'expériences faites avec exacti
tude , que cent parties de sucre changées en alcohol ne con
somment pour cela qu'une partie de ferment , supposé sec.
Et cependant , en pratique , on en met beaucoup plus dans
les cuves de fermentation ; l'excès qu'on en emploie alors ,
quoique perdu souvent avec les vinasses , a été reconnu
nécessaire.
Outre les levains que nous avons signalés comme étant
employés pour déterminer et activer la fermentation , il existe
encore, dans les végétaux fermentescibles, d'autres matières
qui font l'office de levains, et qui , dans l'acte de la fermen
tation , contribuent elles-mêmes a la formation des levains
que l'on peut recueillir a la surface des liquides fermentans.
Ces matières sont , dans les moûts de raisin et de tous les
fruits sucrés , un principe douceâtre , ou sucre liquide d'une
nature particulière. Ce principe doux se forme aussi avec
les sucres fermentescibles dans la saccharification des fari
neux par tous les procédés connus. Dans les céréales , c'est
une matière connue sous le nom de gluten , dont la décou
verte est due a Beccaria , chimiste italien.
Pour s'assurer de la présence du gluten dans les graines
céréales , et l'isoler , il suffit d'opérer, comme je l'ai dit dans
la première partie , par lixiviation.
Le gluten , nous l'avons déjà dit, joue un rôle important
V

DE LA DISTILLATION. 1^5
dans la saecharification des farineux , surtout dans l'orge
maltée ; c'est surtout aux dépens de ses élémens que se forme
la levure si énergique connue sous le nom de levure de bière ,
car le moût de bière eu retient une quantité notable en dis
solution.
Les autres matières qui dans les végétaux font office de
levain , en contribuant elles-mêmes a sa recomposition , sont
peu connues, et sont désignées en Chimie sous le nom gé
nérique et vague iïextractives.
Quoique nous ne connaissions pas le mode d'agir de ces
matières et les changemens qu'elles subissent pour se réunir
sous la forme d'écume ou de flocons a la surface et au fond
des liquides soumis a la décomposition alcoholique, nous sa
vons néanmoins que le ferment le plus énergique est celui
qui provient de la fermentation de substances qui contien
nent du gluten ; et nous savons de plus que ce gluten agit
d'autant plus puissamment lui-même comme levain, qu'il a
été plus altéré par la germination. D'insoluble qu'il est dans
les grains crus,, il devient très-soluble après la germination ;
la connaissance de ce fait est très-utile à la pratique des arts
qu'elle intéresse.

CHAPITRE II.

Des phénomènes de la Fermentation.

Après avoir traité isolément , dans chacune des sections


du chapitre précédent, des causes influentes de' la fermen
tation vineuse , et avoir offert les moyens de distribuer avec
discernement leurs forces, et de les combiner suivant les ré
sultats que l'on veut obtenir, nous devons, avant d'aborder
l'application pratique des règles de la fermentation, fixer
l'attention du distillateur sur les effets qui se présentent dans
la fermentation et sur les changemens qui s'opèrent dans
le liquide , et qui en sont de6 conséquences inséparables.
IHÔ TRAITÉ DE L'ART

SECTION PREMIÈRE. *' *;


Du dégagement du Gaz acide carbonique.
Le gaz acide carbonique , devant toujours se dégager d'ù1l
liquide dès le moment où la fermentation vineuse s'établit f
est un indice certain de cette fermentation. C'est lui qui ,
en s'échappant de tous les points de la masse fermentante ,
Î)rovoque cette espèce d'ébullition plus ou moins active que
'on remarque. Il ne se distingue point de l'air atmosphé
rique par la couleur ; il se mêle parfaitement avec lui , quoi
qu'il soit cependant plus pesant ; mais si l'on ne favorise
pas ce mélange par le mouvement, il sort des cuves de fer
mentation a la manière de l'eau et se déverse par-dessus leurs
bords pour venir se déposer en couche à la surface du sol.
Il ne se distinguerait point de l'air atmosphérique par l'odeur,
et il serait parfaitement inodore comme lui , s'il n'emportait
pas, en se dégageant de la cuve, une certaine quantité d'al-
cohol qui lui communique son arome.
Ce gaz est le même que celui qui se dégage d'un fourneau
chargé de charbons incandescenS, et il est a la connaissance de
tout le monde que ce dernier gaz tue les hommes et les animaux
ui le respirent, et provoque une mort connue sous le nom
a'asphyxie. Le gaz acide carbonique qui se dégage de la
fermentation est absolument de même nature , et il est aussi
dangereux à respirer. Qui ne connaît, en effet, les dangers
que l'on courrait a entrer dans un local mal disposé , où s'o
péreraient de grandes fermentations ? Dans les vignobles où ,
à l'exemple de la Bourgogne, le foulage s'exécute dans la
cuve même de fermentation, quand on récolte sous unetempé-
rature ardente, la fermentation s'établit dans le moût avant
que le foulage ne soit terminé ; alors l'ouvrier qui froisse le
raisin serait fortement exposé a être asphyxié par le gaz acide
carbonique qui se dégage , s'il n'avait soin de placer sa tête
hors de la cuve ; on a même vu souvent , malgré cette pré
caution , des ouvriers être attaqués des premiers symptômes
de l'asphyxie, qui se manifeste par des vertiges, et ils y eus
sent succombé si l'on n'eût eu l'attention de les retirer de la
cuve , pour les soustraire ainsi 'a l'influenceméphuique du gaz.

• * * J
t>È LA DISTILLAÏIOÏI. iJJ
Le gaz acide carbonique , par une analogie remarquable
qui existe entre la vie et la combustion , a la propriété d'agir
sur les corps enflammés , comme il agit sur la vie des hom
mes ; il tue les uns et il éteint les autres. De sorte qu'une
chandelle ou une bougie allumée, plongée dans une atmos
phère de gaz acide carbonique pur , s'éteint subitement.
Cette propriété nous offre un moyen certain de nous préser
ver des dangers du gaz acide carbonique , et il suffit pour
cela de ne jamais entrer dans un cellier où se trouvent des
cuves fermentantes, sans porter avec soi une bougie allumée $
si la flamme de celle-ci pâlit, il est temps de se retirer, la
Vie de l'homme est en danger. On doit porter la bougie de
vant soi, à une hauteur inférieure a la tête; si la flamme reste
vive, sans avoir de propension h s'éteindre, l'homme ne
court aucun danger.
On ne saurait trop recommander l'usage de ce moyen pré^
servatif, simple, et d'une exécution facile ; les exemples
d'asphyxies produites par le gaz acide carbonique, ont été
trop multipliés pour qu'on ne cherche point a les éviter , et
la gravité des dangers que l'on court en cette circonstance
est trop importante pour que l'on n'use pas de tous les
moyens de s'en garantir. Tout en recommandant l'usage de
cette précaution , nous nous proposons d'indiquer plus bas,
en parlant de la disposition des celliers de fermentation , le
moyen de les assainir, et d'éviter ainsi tous les dangers d'as
phyxie.
On peut, a l'aide d'une bougie , se convaincre de l'exac
titude du fait que j'ai émis ci-dessus , et reconnaître que le
gaz acide carbonique, eu raison de sa pesanteur spécifique,
forme une couche distincte de l'air atmosphérique quand on
n'a pas favorisé leur mélange , et que cette couche occupe
toujours la partie inférieure. Pour vérifier ce fait, il suffit de
présenter une bougie allumée au-dessus d'une cuve de fer
mentation découverte, et de l'abaisser doucement jusque
dans le vide de la cuve ; si celle-ci n'a point reçu de com
motion qui ait déplacé le gaz qui remplit son vide, et qu'elle
fermente bien , la flamme de la bougie n'arrivera pas pins
tôt au niveau des Lords de la cuve, qu'elle pâlira et s'étein
Ï3
1^8 TRAITÉ DE L'ART •
dra. Le pomt où elle pâlit est la ligne qui sépare la couche
de gaz de l'air atmosphérique. 11 en serait de mê1ue dans la
partie inférieure du cellier, si les fermentations proportion
nées à son importance étaient assez tumultueuses pour for
mer une couche au-dessus du sol , une bougie abaissée vers
la terre déterminerait la hauteur de la couche de gaz, par le
point où la flamme, en pâlissant, annoncerait qu'elle va s'é
teindre. On concoit que, dans ce cas, si la couche de gaz
avait 2 pieds de hauteur , par exemple , les chiens et tous les
animaux qui , par leur taille inférieure a 2 pieds de hauteur,
auraient les organes de la respiration plongés dans la couche
de gaz , seraient asphyxiés spontanément , tandis qu'un
homme, ayant à cause de sa taille la tête hors de la couche
de gaz , pourrait circuler impunément dans le local. C'est sur
Ce principe de la pesanteur du gaz acide carbonique et sur
ses propriétés délétères sur la respiration , que reposent les
phénomènes observés dans cette fameuse grotte qui se trouve
près de Naples, et que l'on connaît sous le nom de Grotte
du Chien. Cette grotte tue les chiens , parce qu'elle conserve
une couche coustaute de gaz acide carbonique de 2 pieds de
hauteur environ, lequel gaz lui est fourni continuellement
par les émanations souterraines.
Si un ouvrier entrait imprudemment dans un cellier plein
de gaz acide carbonique et s'y trouvait renversé, il faudrait
pour le sauver lui administrer promptement des secours , ce
qui n'est pas toujours facile. Il faudrait lui mettre sous le nez
de l'ammoniac ou alcali volatil , que l'on trouve dans toutes
les pharmacies. Ce remède, administré sur-le- champ, rap
pellera l'homme a la vie , si le jeu des poumons n'est pas
complétement éteint chez lui.
Si, en portant une bougie allumée devant soi en entrant
dans un cellier de fermentation, on reconnaissait laprésence
de l'acide carbonique, on pourrait l'assainir de deux manières:
1 °. En ouvrant la porte et les fenêtres du cellier, de manière
a établir un courant d'air qui chassât le gaz en peu de temps ;
a". En projetant dans le cellier de l'eau dans laquelle on
aurait délayé de la chaux vive.
. Une bougie allumée introduite dans le local , indique tou
DE LA DISTILLATION. f]Q
jours le moment oit l'assainissement est suffisant. La chaux
vive, dans le dernier cas, opère en s'emparant du gaz acide
carbonique, pour former avec lui un composé semblable à
celui qui produit la chaux, c'est-a-dire de la pierre a chaux,
ou carbonate calcaire.
Le gaz acide carbonique prouve non-seulement par son
degagement que la fermentation est établie dans une cuve ,
mais sa quantité annonce aussi l'activité de cette fermentation
et la quantité d'alcohol produit ; il se forme au détriment de
la même matière qui fournit l'alcohol , et cette matière c'est
le sucre, qui se change ainsi, dans la décomposition vineuse,
en deux corps nouveaux . l'alcohol et le gaz acide carboni
que. Si l'on avait le moyen de mesurer exactement la quan
tité de gaz acide carbonique qui se dégage d'une cuve, on
pourrait déterminer rigoureusement, par le calcul, la quan
tité d'alcohol que le liquide vineux contient. Voici approxima
tivement les données de ce moyen. Nous savons par les re
cherches de M. Gay-Lussac , que 1 oo parties de sucre
décomposées par la fermentation vineuse , donnent à-peu-
près 5 1 parties d'alcohol sur 49 de gaz acide carbonique.
Ainsi, connaissant la pesanteur du gaz acide carbonique, qui,
sous un litre de volume, pèse a-peu-près un gramme \ ; con
naissant de plus M pesanteur de l'alcohol bien pur , dont un
litre pèse 79a grammes, nous saurons si une cuve donne
1o,ooo litres de gaz acide carbonique, ou 15,ooo grammes
en poids , nous saurons , dis-je , que la quantité d'alcohol pur
formé sera égale a 15,6oo grammes a-peu-près, ou 2o litres
d'alcohol, qui équivaudront a 4o litres environ d'eau-de-vie
à 22 degrés. Je signale ce moyen , non pas pour en faire
une application pratique , qui serait possible sans doute , mais
d'une utilité peu remarquable en manufacture, je le signale,
dis-je, pour faire sentir au distillateur l'intimité que présente
la formation du gaz acide carbonique avec la formation de
l'alcohol.
Par la il sera facile de s'expliquer pourquoi une fermen
tation lente ne' donne qu'un faible dégagement d'acide car
bonique , et comment encore le dégagement de ce gaz peut
être un type invariable pour reconnaître le commencement
ï8o TRAITÉ DE i/ART
et le terme de la fermentation. Quand il ne se dégage plus, là
fermentation est achevée, et il est temps de mettre le liquide
en chaudière.
SECTION DEUXIÈME.
Du Chapeau de la Cuve.
Dans toute cuve en fermentation , il se forme à la surface
une écume plus ou moins forte , qui se manifeste dès les pre
miers mouvemens dela fermentation. On nomme cette écume
qui recouvre ainsi la surface du liquide, chapeau de la cuve;
dans les vignobles, on l'appelle chapeau de la vendange.
Elle est plus ou moins forte et plus ou moins épaisse, sui
vant l'époque de la fermentation et la nature du moût. Dans
tous les cas l'époque de la fermentation où elle est la plus
épaisse , est celle où la fermentation est la plus tumultueuse ;
en effet sa formation est due à la levure et aux matières qui
sont en suspension , et que le gaz acide carbonique charie de
tous les points de la masse fermentante où il se forme, jus
qu'a la surface. Dans les vendanges où l'on met dans la cuve
tous les matériaux du raisin , grappes, peaux et pepins, tous
ces débris viennent avec la levure faire corps dans le cha
peau, et présenter une couche épaisse de matières qui con
tribue a conserver la chaleur dans le liquide. Dans la fer
mentation des grains, des pommes de terre, des cerises, etc.,
ce sont les matériaux de ces fruits qui constituent le chapeau
aussi avec la levure ; enfin quand on met en cuve un liquide
parfaitement clair et limpide , ce liquide se trouble au mo
ment où la fermentation se prononce. Ce phénomène est dû
à la levûre, qui se précipite et qui est simultanément char
riée a la surface par le gaz carbonique, pour former seule le
chapeau : c'est ce qui arrive pour le moût du rai>.in séparé
par la presse, pour la bière, pour les extractions de grains et de
pommes de terre, pour le jus de betteraves, de cannes, etc.
Il est évident que le chapeau est soutenu à la surface de la
cuve par le dégagement du gaz acide carbonique qui l'y a
formé ; il est évident encore que dès le moment où le gaz acide
corbonique cessera de se dégager, ou, ce qui est la même
DE LA DISTILLATION. l8l
chose , dès le moment où la fermentation sera achevée , le
chapeau alors n'ayant plus rien qui le soutienne , cédera à soa
propre poids et tombera au fond de la cuve.
Aussi prend-on généralement pour indice du terme de la
fermentation vineuse le moment où le chapeau tombe en vertu
des fois de la pesanteur spécifique.
Cet indice est exact , il est parfaitement d'accord avec les
principes , et l'on peut s'en servir comme d'un guide sûr et
invariable.
11 arrive quelquefois , pendant la fermentation , quand
celle-ci est tumultueuse , et a sa période la plus élevée d'in
tensité , il arrive, dis-je , quelquefois que le chapeau se brise
sur plusieurs points et qu'il se trouve ainsi retourné dans la
cuve avec le liquide. Cet accident, qui est la conséquence
d'une faute antécédente , c'est-à-dire d'une fermentation trop
forcée en chaleur , pourrait , si la cuve n'était pas bien cou
verte , favoriser la fermentation acide , en facilitant le con
tact de l'air. 11 est essentiel de l'éviter. On l'éviterait en obser
vant soigneusement les règles que nous avons prescrites pré
cédemment pour la fermentation.
Quoi qu'il en soit de cet accident , le chapeau ne tarde
pas à se retablir quand la fermentation perd de son activité ,
et à offrir ainsi le moyen d'en juger le terme comme dans les
cas ordinaires.
SECTION TROISIÈME.
De la production de Chaleur.
Partout où il y a production de gaz acide carbonique , il
*«y a toujours production relative de chaleur. Ainsi , dans la
* fermentation vineuse , il y a production de chaleur en raison
directe de la quantité d'acide carbonique formé. Nous avons
déjà eu occasion de signaler ce fait et de parler de son
influence pratique , en traitant de la chaleur considérée
comme condition de la fermentation. Voyez ce que nous
avons dit à ce sujet. ,
C'est à cette chaleur produite que nous devons toujours
l'élévation de température dans les cuves de fermentation ,
TRAITÉ DE L'ART
ou au moins Ja conservation de la température donnée aux
cuve"s au moment de la mise en fermentation. Sans elle on
devrait toujours , et surtout en hiver , établir dans les cel
liers une température semblable à celle qu'on donne aux
liquides pour la décomposition vineuse. En effet, nous savons
que les moûts ont besoin de posséder une température d'au
tant plus élevée au-dessus du tempéré que l'on opère sur une
masse plus petite. Supposons que l'on opère sur une masse
de 2o hectolitres , la température la plus convenable dans
ce cas , sera de 2o°. Supposons que le cellier dans lequel la
cuve est déposée ait une température de io° , qu'arriverait-
ïl s'il n'y avait point de production de chaleur pendant la
fermentation ? celle-ci s'établirait d'abord sous l'influence de
la chaleur donnée ; mais les parois de la cuve étant constam
ment en contact avec une atmosphère a io° , tendraient a
mettre en équilibre la température de la cuve avec celle de
l'atmosphère , et présenteraient ainsi des causes de perte de
chaleur proportionnées a leurs surfaces et a la différence de
température de 2o a io°. 11 y a plus , le gaz acide carbonique
en se dégageant de tous les points de la masse fermentante ,
en sortirait en s'appropriant de sa chaleur , et présenterait
encore par la même une cause puissante de perte. Supposons
que la fermentation doive se prolonger pendant 5 jours, nul
doute qu'avec l'hypothèse que nous venons d'admettre , la
température de la cuve ne tombe , même dès le premier jour,
bien au-dessous de celle qui est nécessaire a la décomposition
vineuse , et dès-lors la fermentation ne pourrait s'achever.
Mais il n'en est pas ainsi , et la chaleur produite par la for
mation du gaz acide carbonique est presque toujours assez
considérable pour conserver la température donnée a la cuve
et au cellier , quand même elle ne s'élève pas.
Nous possédons aujourd'hui tous les élémens nécessaires
à l'évaluation de cette chaleur. Voici comment on peut les
calculer pour 2o hectolitres /de moût a io° ou 1o73 gram
mes au litre. ♦
2o hectolitres de moût à 1o73 grammes se composent de
1757 kilogrammes d'eau et 389 kilogrammes de sucre. Ce
sucre doit produire , par la fermentation, 19* et demi kilo
DE LA DISTILLATION. l83
grammes d'alcohol , et autant d'acide carbomque ; mais il
est reconnu, par expérience, qu'on ne retire en pratique pas
plus que l'équivalent de 175 kilogrammes d'alcohol. Ainsi
nous compterons qu'il n'y a que 175 kilogrammes d'acide
carbonique formé : avec cette réduction, nous n'exagérerons
pas notre évaluation,
*%ioo kilogrammes d'acide carbonique se composent de 65
kilogrammes d'oxigène ou air vital et de 27 de charbon.
Ainsi, 175 kilogrammes de gaz acide carbonique contien
dront 48 kilogrammes de charbon ; et comme la chaleur pro
duite par la formation de l'acide carbonique est égale a celle
produite par la combustion de tout le charbon qu'il contient,
H en résultera que nous aurons ici une quantité de chaleur
égale a celle que peut produire la- combustion de 48 kilo
grammes de charbon. On verra par la suite , dans notre troi
sième rpartie , qu'un kilogramme de charbon brûlé produit
assez de chaleur pour faire passer 7o kilogrammes d'eau de
o à 8o°. Ainsi la chaleur développée par la formation de 175
-kilogrammes de gaz acide carbonique , sera égale a celle qui
peut faire passer 48 X 7°j soit 336o kilogrammes d'eau de
*oà 8o". Cette quantité de chaleur est énorme , surtout si
l'on considère qu'elle est appliquée à 2ooo litres de liquide.
On sent bien cependant que l'on ne doit considérer ce cal
cul que comme un moyen fixe d'évaluation ; car il est de fait
que la température sous laquelle se forme le gaz acide car
bonique dans la fermentation, n'est jamais et ne peut pas être
de 8o° ; elle peut être tout au plus de 3o a 35° , et elle est ré
partie sur la masse du liquide pendant toute la durée de la
fermentation. On pourrait, avec ces notions et toutes les
données que l'on possède , prédire d'une manière très-ap
proximative la température qu'une cuve prendra dans ses
diverses périodes de fermentation ; mais la question se com
pliquerait ici de tant d'incidens , qu'il serait difficile a un
manufacturier de s'occuper avec succès d'une semblable éva
luation. Qu'il sache cependant qu'un liquide sucré a 1o°,
mis en fermentation a 2o% développe , pendant l'acie de cette
fermentation , une chaleur sept ou huit fois plus grande
que celhj qu'il possède en prenant o pour point de départ.
1 84 TRAITÉ DE i/aRT
On conçoit donc que cette chaleur est plus que suffisante
pour faire face aux pertes que la cuve subit pendant les 8
jours que peut durer la fermentation.
SECTION QUATRIÈME.
De la saccharification des Fécules ou de l'Amidon pen
dant la fermentation.
Il n'y a pas long-temps encore que nos chimistes , etran
gers même aux plus légères connaissances de l'art de distiller
les grains et les pommes de terre , prétendaient que si ces vé
gétaux pouvaient produire de l'alcohol par la fermentation ,
ce n'était qu'en raison du sucre qu'ils retenaient. Cependant
les grains crus ne portent avec eux qu'une trace de sucre,
les pommes de terre n'en contiennent pas du tout ; comment
pouvait-on admettre que ces deux végétaux , qui , en vertu
des théories chimiques, n'étaient capables de produire , l'un
qu'une trace d'alcohol , et 1 autre point du tout ; comment
pouvait-on admettre, dis-je , de semblables suppositions ,
quand on savait qu'ils étaient les matières premières de nom
breuses distilleries? 11 était bien plus naturel de rechercher
comment la propriété qu'ont ces végétaux de fournir de l'eau-
de-vie, pouvait s'accorder avec nos doctrines, qui ne recon
naissaient , a juste titre , cette propriété qu'aux corps sucrés.
C'est ce que fit Kirchoff, chimiste de Saint-Pétersbourg.
Il connaissait les opérations de l'art sur lequel il faisait
des recherches, et , par analogie avec l'opération de cet art
connue sous le nom de macération , il exposa a une tem
pérature prolongée de 5o° un mélange de fécule, convertie
en empois, et de gluten, à doses égales de l'un et de l'autre.
Après un contact suffisamment continué à cette température,
il remarqua que toute la fécule se trouvait convertie en sucre.
Cette expérience expliquait la possibilité de la fermentation
des fécules, et dès-lors nos chimistes l'admirent.
Ce gluten esl donc l'agent qui , dans la fermentation des
grains , favorise la transformation de la fécule en sucre , qui
sans cela ne pourrait être ferinentescible. Cette saccharifica
tion commence à la macération , et elle continue a marcher de
DE LA DISTILLATION*. l85
pair avec la fermentation alcoholique. Le gluten , pour sac-
charifier la fécule , a besoin d'être avec elle dans un contact
parfait , et cette condition est remplie le plus parfaitement
{)ossible lorsque la fécule est devenue soluble dans l'eau par
a cuisson , et que le gluten , soit par la germination du grain,
soit par son contact avec l'acide acétique dans la fermenta
tion, est devenue pas la même soluble. Dès-lors rien ne
s'oppose a la condition de la saccharification. C'est ce qui
arrive dans l'orge maltée qui sert au brasseur dans ses ex
tractions ; c'est ce qui arrive encore dans une fermentation
de grains faite avec un mélange de seigle cru et d'orge, ou
encore dans une fermentation de grain cru pur. La fécule des
grains crus, dans ces deux cas, est renfermée dans les cel
lules du grain et enveloppée de gluten insoluble. Cette fé
cule se trouve, a la vérité, convertie en empois dans la ma
cération ; elle est cuite, mais elle se convertit en sucre dans
cette macération , en quantité d'autant plus petite qu'elle se
trouve en contact avec une plus petite quantité de gluten so
luble. De la , l'avantage que présente dans la distillation
l'emploi d'une portion de malt. Dans la macération des grains
mélangés en crus et maltés , il y a saccharif1cation d'une
quantité de fécule proportionnée a la dose de malt , et à
celle de la fécule du grain mise en liberté ; dans la macéra
tion des grains crus purs , il n'y a qu'une saccharification fai
ble , à cause du contact peu prolongé des deux agens , et de
l'état insoluble où le gluten s'y trouve : de sorte que dans
un cas comme dans l'autre , il pourrait y avoir une grande
portion de fécule non saccharifiée , et par conséquent per
due pour l'alcohol , si dans la fermentation il ne se déve
loppait un phénomène qui favorisât la transformation de la
fécule en sucre. Ce phénomène , dont nous parlerons ci-
après , est la formation de l'acide acétique ou acide du vi
naigre , qui dans les grains se manifeste dès les premiers
mouvemens de fermentation. Cet acide dissout le gluten , et
remplit par la même une des conditions essentielles à la sac
charification de la fécule.
Dès lors, l'explication de la transformation de la fécule
en alcohol pendant la fermentation des grains, ne souffre
l86 TRAITÉ DE L'ART
plus de difficultés ; la macération a développé dans ces grains
«ne portion de sucre capable d'y déterminer la fermentation,
et cette fermentation , en provoquant toujours la formation
d'un peu de vinaigre qui dissout le gluten, met par la même
la fécule cuite en liberté , et en détermine la saccharification
sous une température, plus basse a la vérité , mais plus pro
longée que celle de la macération; efcelle trouve ainsi à tou
tes ses périodes une matière sucrée sur laquelle elle peut
s'exercer.
11 en est de même dans la fermentation des pommes de
terre cuites a la vapeur, écrasées et macérées avec l'orge
maltée. Toute la fécule de la pomme de terre ne se trouve
point saccharifiée a la macération , parce que , dans ce mode r
d'opérer , la réduction des pommes de terre en pulpe est si
imparfaite, que la fécule alors se trouve en grande partie en
veloppée par le parenchyme du végétal. Elle est ainsi sous
traite au contact immédiat avec le gluten de l'orge maltée, et
il n'en résulte qu'une saccharification imparfaite, qui se con
tinue à la fermentation. L'élat de 'cuisson dans lequel se
trouve ici la fécule , n'est pas non plus l'état d'empois , et par
conséquent l'état de solubilité parfaite dans l'eau ; elle con
serve encore son aspect cristallin ; elle est groupée en gru
meaux plus ou moins épais ; l'action du malt alors ne s'opère
que de couches en couches et lentement , et la saccharifica
tion lente et prolongée dans tout le cours de la fermentation
en est la conséquence.
Nous avons vu en effet , en traitant' de la macération des
divers végétaux , que les conditions de la saccharification de
la fécule par l'orge maltée ont été décrites en conséquence
des principes que je professe ici. Nous avons vu que la sac
charification de la fécule a été complète a la macération lors
qu'elle a été isolée parfaitement, réduite en empois dans une
quantité d'eau convenable , devenue par la même soluble ,
etmiseen contact avec l'orge maltée, a la température de 5o°f
lorsqu'enfin les conditions de sa transformationont été ainsi
remplies rigoureusement. Cette température de 5o° est néces
saire pour saccharifier la fécule dans l'espace de temps le
plus court i c'est-'a-dire , en quelques heures , lorsque d'ail
DE LA. DISTILLATION. 187
leurs aucune autre circonstance ne s'y oppose : mais la tem
pérature de la fermentation peut opérer cette saccharifica-
tion ; alors elle necessite en temps , pour être achevée , ce
qu'elle perd en température, et c'est ce qui arrive dans la
fermentation , qui , marchant de concert avec la saccharifi-
cation , dure au moins 24 a 3o heures sous la température
defao° environ.
SECTION CINQUIÈME.
Disparition du Sucre ou de ses équivalens.
Je ne répéterai ici que ce que j'ai eu occasion de dévelop
per plusieurs fois, et particulièrement en traitant du déga
gement du gaz acide carbonique. Je ne chercherai pas a dé
montrer que le sucre disparaît dans la fermentation , et que
de sa disparition, plus ou moins complète, dépend la for
mation d'une quantité plus ou moins grande d'alcohol ; cette
vérité a été suffisamment mise en évidence par le résultat
des recherches de M. Gay-Lussac , dont j'ai parlé plus
haut. Nous avons de plus exposé l'ensemble des moyens les
•plus efficaces pour opérer la décomposition la plus parfaite
du sucre au profit de l'alcohol ; seulement il nous reste quel
ques observations a faire sur le mode de décomposition du
sucre.
11 est évident que , toutes circonstances égales d'ailleurs ,
la fermentation d'un moût durera d'autant plus long-temps
que ce moût sera plus riche en sucre. Il est évident que ,
quelle que soit la pauvreté d'un moût en sucre, sa fermentation
devra toujours durer un laps de temps assezlongpour que l'on
puisse distinguer ses trois périodes de décomposition , son
commencement , son milieu et sa fin. Tout le sucre que con
tient un moût ne peut donc jamais , dans aucun cas , se
transformer instantanément en alcohol , et la circonstance
la plus favorable a la décomposition rapide du sucre que
l'on puisse admettre en pratique , est celle où un moût serait
tellement pauvre en sucre et placé dans des circonstances
tellement favorables a sa fermentation , que celle-ci resser
rerait sa durée dans l'espace de quelques heures , a partir
l88 TRAITE DE L'ART
• *
du premier mouvement. Nous devons donc conclure de ces
vérites que dans une fermentation, les agens décomposans
du sucre n'exercent leur action sur celui-ci que partielle
ment et successivement , comme nous pouvons concevoir
l'action du gluten dissous sur la fe'cule groupée en grumeaux
dans les pommes de terre cuites a la vapeur ; cette action ne
s'exerce que de couches en couches , et en raison des sur
faces de contact.
On peut , à l'aide de ce raisonnement , se former une idée
assez exacte de la marche a laquelle le sucre est soumis dans
sa transformation en alcohol.
M. le comte Chaptal, dans son excellent Traité sur la
vinification , recommande une pratique dans les vendanges ,
dont nous ne pouvons nous dispenser de parler ici ; elle inté
resse la régularité de la fermentation , et cette pratique , re
commandée pour les vins a boire , est également utile aux
vins de chaudière.
En traitant de l'opération du foulage dans les vignobles ,
opération qui s'exécute sur les raisins au fur et à mesure
qu'ils arrivent au cellier, le savant fait les réflexions suivan
tes sur la pratique de cette opération*
« Il serait, dit-il, plus avantageux de ramasser toute la
vendange qui est nécessaire pour emplir une cuve , et de ne
la fouler que lorsqu'elle peut fournir assez de moût pour une
cuvaison ; par ce moyen , en peu de temps on remplirait la
cuve, et la fermentation s'y ferait simultanément ; elle com
mencerait et finirait en même temps sur toute la masse , ce
ce qui est extrêmement avantageux pour le résultat. La
méthode contraire , qui consiste a fouler a mesure qu'on
apporte le raisin de la vigne , ne peut être indifférente que
dans les climats méridionaux , où le raisin , très - sucré ,
reste dans la cuve dix à quinze jours ; mais elle serait très-
préjudiciable dans les pays où le raisin , peu sucré , ne peut
fermenter long-temps. Aussi voit-on que dans tous ces der
niers vignobles , on emploie plusieurs hommes à fouler dans
la cuve dès que la vendange y est ramassée , et qu'on y fait
la cueillette du raisin le plus promptement possible. »
Ces principes du chimiste célèbre s'accordent parfaitement
DE LA DISTILLATION. 189
avec les principes que nous professons , et qui consistent a
ne point prolonger inutilement la durée de la fermentation.
On concevra encore mieux l'importance de l'observation de
M. Chaptal, si l'on se rappelle le danger que court un moût
en fermentation , quand on favorise son contact avec l'air
atmosphérique ; et c'est ce qui arrive dans les vignobles où
le foulage se compose d'une suite d'opérations successives
et très-espacées : il en résulte que, lorsque les derniers raisins
arrivent au fouloir , le jus des premiers est déja en grande
fermentation ; le foulage, comme nous l'avons dit , introduit
de l'air dans le moût , et dès lors on voit que les derniers
produits du foulage, en entrant dans une cuve fermentante,
y introduisent avec eux les germes de la fermentation acide.
Dans la fermentation des vins de grains et de pommes
de terre , nous avons expliqué précédemment comment la
fécule échappée a la saccharification opérée par la macéra
tion , comment celte fécule , dis~je , se trouve saccharifiée
pendant la durée de la fermentation. Dans un tel cas , tout
le sucre qui doit alimenter le fermentation, n'étant pas créé
dès les premiers mouvemens de cette fermentation , n'est
point exposé à son action décomposante, et cette circon
stance assimile la pratique dont nous parlons aux travaux
des vignobles où le moût arrive successivement dans la cuve,
dans l'espace d'un ou de plusieurs jours. Le sucre formé a la
macération en très-petite quantité , vu le volume de la mas
se , ne présente qu'un aliment très-faible à la fermentation ,
qui est par la même d'autant plus retardée que la saccharifi
cation est plus lente sous une température de 15 a 2o°. Ce
pendant , quoiqu'il soit avantageux de présenter spontané
ment a la fermentation , tout le sucre qu'on veut lui donner,
je crois que l'inconvénient que je viens de signaler pour les
grains , n'est pas aussi pernicieux que celui qu'entraîne avec
elle une cuve de moût de raisin chargée avec lenteur. Dans
les grains au moins, le sucre que la saccharification ajoute
pendant la durée de la fermentation n'y amène pas de l'air,
comme le fait le moût de raisin foulé et versé dans une cuve
en travail.
19O TRAITÉ DE L'ART

SECTION SIXIÈME.
Formation de VAlcohol.
Les distillateurs et les chimistes anciens paraissaient attri
buer au feu la formation de l'alcohol dans le vin ; ils s'ima
ginaient que le vin ne possédait point l'alcohol tout formé ,
et que c'était le feu qui , dans les repasses successives qu'ils
faisaient subir aux produits distillés pour les concentrer ,
leur donnait cette propriété particulière de s'enflammer ,
ce goût et cette force qui distinguent l'alcohol. Cette opinion •
était abandonnée, lorsque, dans ces derniers temps , un chi
miste toscan, M. Fabroni, s'avisa de la reproduire. M. Gay-
Lussac lui répondit d'une manière victorieuse, et prouva ,
par deux expériences concluantes , que l'alcohol recueilli par
la distillation du vin ne doit point sa formation au feu em
ployé dans cette opération. Il sépara en effet l'alcohol du vin
par une opération chimique d'une part ; et de l'autre il dis
tilla du vin dans le vide, a une température très-basse.
Tout ce que nous avons dit jusqu'ici de la fermentation ,
de ses phénomènes , de ses conditions et de ses lois , a dû
suffire , si l'on m'a bien suivi, pour faire concevoir les prin
cipes sur lesquels est fondée la formation de l'alcohol dans
un liquide sucré , et je crois inutile d'y rien ajouter. La pro
duction du gaz acide carbonique , la disparition du sucre et
la production de l'alcohol sont trois phénomènes qui ne
peuvent marcher l'un sans l'autre dans les fermentations
vineuses, et les trois effets qu'ils expriment sont toujours
relatifs, de sorte que l'intensité de l'un est toujours un
indice certain de l'intensité des deux autres.

SECTION SEPTIÈME.
Formation des Acides.
Nous l'avons déja annoncé plusieurs fois, et nous pou
vons le mettre en principe, l'air, dans les liquides qui con
tiennent de l'alcohol, est un agent indispensable de la. fer
mentation acide. Je dis l'air atmosphérique, quoique cépen-
dant cette expression soit impropre et inexacte ; je prends ici
DE LA DISTILLATION. IQl
le tout pour la partie. En effet l'air atmosphérique est com
posé de deux élémens connus sous les noms d'azote et d'oxi-
gène ; son principe vital n'est que dans ce dernier corps ,
l'oxigène , et c'est surtout par lui qu'il joue dans la nature
un rôle si important et si varié ; c'est encore par lui qu'il
est le levain de la fermentation alcoholique, et l'un des véhi
cules de la fermentation acide. Ainsi quand je parlerai du
rôle de l'air atmosphérique , ce sera toujours son oxigène
que je voudrai désigner.
11 est bien établi en théorie que l'air est absorbé dans la
transformation de l'eau-de-vie en vinaigre, et la pratique
de l'acétification est basée sur ce principe.
Dans toute fermentation, il y a toujours formation d'acide.
Les vins les plus exquis et les mieux faits en retiennent tou
jours avec eux une petite quantité ; et comme celui-ci ne
peut provenir que de la décomposition de l'eau-de-vie , il
est évident que lorsque dans une fermentation on pourra
prévenir sa formation , le vin y gagnera en alcohol ; et il
faut chercher à la prévenir complétement, à moins qu'a.
l'exemple de la fermentation des grains , cet acide ne soit
nécessaire, quant aux fonctions qu'il y remplit , pour la pro
duction du sucre.
Le raisin parait avoir été privilégié par la nature , pour
la confection du vin , non-seulement par l'union de ses
matériaux et la nature de son sucre , qui favorise une fer
mentation parfaite ; mais , soit par une conséquence de cette
faveur , soit par la nature des opérations qu'il exige pour
l'extraction de son moût , il est de plus bien moins sujet à
la d^génération acide que tous les autres liquides fermen-
tescibles.
Le cidre et le poiré trouvent, dans les acides qu'ils portent
avec eux, la cause de l'avantage qu'ils possèdent comme bois
sons rafraîchissantes. Aussi ces deux espèces de vins sont-elles
très peu propres a la distillation.
Toutes les substances qui , à l'exemple des grains , des
pommes de terre et de tous les farineux , nécessitent l'emploi
de l'eau bouillante pour leur macération , puis de l'eau froide
pour les étendre et les refroidir, ont une très-grande pr«
JQ2 TRAITÉ DE l'aRT
pension a s'acidifier, et nous avons déja signalé ce fait-
Cette acétifîcation commence chez eux avec la fermenta
tion alcoholique et va toujours en croissant jusqu'à la fin de
cette fermentation , a mesure qu'elle trouve à s'exercer sur
une plus grande quantité d'alcohol. Quelle peut être la cause
de la différence que présentent ces végétaux avec le raisin ?
C'est ce que nous ne pouvons expliquer d'une manière rigou
reuse dans l'état actuel de nos connaissances. Les causes peu
vent ici être complexes ; elles peuvent en effet exister dans la
nature des matériaux qui accompagnent la fécule dans la
constitution des divers végétaux ; et de plus , il serait possi
ble que leur propension a s'acidifier tînt a l'eau fraîche em
ployée pour étendre les liquides fermentescibles. Toutes les
eaux froides contiennent toujours une proportion assez grande
d'air atmosphérique et partant d'oxigène , et cet air ne dis
paraît que quand l'eau a été amenée à l'ébullition.
Il serait peut-être possible en pratique , en partant de ce
principe , d'atténuer cette cause d'acidification , en n'em
ployant que de l'eau bouillante ou de l'eau qui aurait bouilli,
pour étendre les cuves et les amener au degré aréométrique
voulu pour la fermentation ; mais l'expérience m'a prouvé
qu'en opérant ainsi on ne fait rien moins que détruire com
plétement la formation de l'acide dans les vins. Cette mar
che entraînerait donc des inconvéniens de travail et de de
pense que la question économique répudie.
Nous avons de plus annoncé que la présence d'un acide
faible est nécessaire dans la fermentation des grains , et l'on
conçoit que pour ceux-ci une manœuvre qui supprimerait
complétement l'acidification dans la masse fermentante pour
rait présenter plus de perte que de profit ; ce que l'on gagne
rait d'un côté en eau-de-vie non décomposée en acide, se
rait plus que perdu de l'autre par la soustraction d'une por
tion de fécule a la fermentation alcoholique.
Cependant , quoique nous établissions cette restriction
pour les grains et pour toutes les céréales qui contiennent du
gluten , il ne faudrait pas l'étendre aux autres végétaux qui,
comme les pommes de terre , le riz, les châtaignes-, etc.,
n'ont aucun besoin de la présence d'un acide dans leur fer-

4
DE LA DISTILLATION. Ig3
mentation. On peut, dans les opérations d'un art , établir
des règles générales ; mais cette marche utile n'exclut pas des
exceptions toujours indispensables et dépendantes des nuan
ces qui distinguent les différens végétaux sur lesquels on
opère. Nous ne pouvons, dans ce Traité, exposer toutes ces
exceptions, mais un homme intelligent trouvera dans tout ce
que nous avons dit des règles certaines et suffisantes pour se
diriger avec succès dans ses travaux.
Les deux acides qui se manifestent presque toujours de
concert dans les fermentations vineuses sont les acides con-
nus en Chimie sous les noms A'acide malique et d'acide acé
tique. Il est toujours facile de reconnaître la présence de l'a
cide dans un vin : un homme un peu exercé la reconnaîtra
sans peine a l'odeur et au goût; mais , sans avoir la moin
dre expérience , on peut reconnaître la présence des acides
dans un liquide, par un moyen fort simple que j'ai déja indi
qué, et qui consiste a essayer le vin avec des bandes de papier
.coloré avec le tournesol ou la violette. On trempe ce papier
dans le vin que l'on veut éprouver , et s'il contient un acide,
le papier se colorera en beau rouge. La promptitude avec la
quelle il passe au rouge et la vivacité de la couleur peuvent
indiquer d'une manière approximative si l'acide est en grande
quantité dans le- yin : quand le papier prend spontanément
une belle couleur rouge, c'est qu'il y a beaucoup d'acide ;
quand il ne rougit que lentement et faiblement, c'est une
preuve qu'il y en a peu.
On a remarqué généralement que les vins fortement char
gés d'acide communiquent leur acidité aux produits alcoho-
liques et leur donnent par la même un goût désagréable.
Pour éviter cet inconvénient , il suffit de neutraliser l'acide
après la fermentation, et pour cela on opère sur le vin,
comme nous l'avons dit en expliquant comment on neutra
lise l'acide dans la fabrication du sirop de pommes de terre
par l'acide sulfurique ; on jette dans le vin du carbonate de
chaux bien lavé jusqu'a ce que la liqueur ne fasse plus d'ef
fervescence. On pourrait employer la chaux pour cela, mais
le carbonate de chaux convient mieux.
11 arrive quelquefois que les vins de mélasses , de graius
»3
1g4 TRAITÉ DE L'ART
ou de pommes 3e terre sont tellement acides , que dans les
alambics ils moussent considerablement, et sont par la même
sujets a monter dans le chapiteau, d'où ils se rendent dans
le serpentin. Pour éviter cet accident , il suffit de jeter dans
la chaudière un morceau de chaux vive ; la distillation alors
marche seule, et l'on ne craint plus que le vin monte dans le
serpentin.
Ce moyen cependant n'est bon que lorsque les vinasses ne
doivent plus être employées, parce que dans un travail suc
cessif où ces vinasses doivent servir a de nouvelles macéra
tions) si la chaux était mise en excès et qu'elle fût ainsi intro
duite dans la fermentation, elle lui nuirait et réduirait rela
tivement la formation de l'alcohol.
Le mauvais goût que l'acide communique a l'eau-de-vie
provient quelquefois encore de sa combinaison avec le cuivre
des appareils distillatoires ; alors le goût de la liqueur est
non-seulement mauvais , mais celle-ci est de plus nuisible
à la santé. Il se forme alors du vert - de - gris ( acétat*
de cuivre) , dont tout le monde connaît la propriété vé
néneuse.
La formation des acides dans les vins de grains et de pom
mes de terre est d'autant plus grande que la fermentation
dure plus long-temps. C'est encore en conséquence de ce
principe qu'un moût délayé de 5 a 6° présente de plus
grands résultats en eatt-de-vie que des moûts plus riches ;
la fermentation en est plus vite terminée ; mais il faut , dans
ce cas , mettre en chaudière aussitôt que le chapeau s'affaisse,
parce que pour peu que l'on différât, le vin tournerait d'au
tant pluspromptement a l'acide qu'il proviendrait d'un moût
moins riche en sucre , et qu'il serait partant plus faible. Cela
se conçoit facilement ; l'alcohol est un principe conservateur
du vin , et il est palpable que le vin qui en contient le moins
doit se conserver le moins bien.
DE LA DISTILLATION.

SECTION HUITIÈME.

Décomposition de la Levûre,

Cent parties de sucre absorbent une partie de levure sup


posée sèche , pour se changer en eau-de-vie ; mais tous les
moûts fermentescibles doivent contenir , pour leur décompo
sition parfaite , une quantité de levure plus grande que celle
indiquée ci-dessus. Cette levure est non-seulement le levain
de la fermentation alcoholique, mais elle l'est aussi de la
fermentation acide. Dans une cuve fermentante, son action
se porte d'abord particulièrement sur le sucre ; et quand ce
lui-ci est épuisé et décomposé, la levure qui reste dans le viu
reporte alors son action sur l'alcohol pour le transformer en
vinaigre. De la la nécessité d'employer de la levure dans la
conversion du vin en vinaigre; de la encore la nécessité d'en
lever au vin la levure qui lui reste après la fermentation,
alcoholique , lorsqu'on veut le conserver et le préserver
de la fermentation acide. C'est en le collant et en le clarifiant
plusieurs fois successives qu'on obtient ce dernier résultat.
La levure alors se précipite avec toutes les autres matières
extractives du vin, au fond de la barrique, et on la sépare
ainsi par décantation.
L'influence de la levûre sur un vin où la fermentation al
coholique est achevée appuiera ici , par le raisonnement et.
la pratique, la recommandation que j'ai faite précédemment
de mettre les vins en chaudière immédiatement après l'affais
sement du chapeau ; sans cela la fermentation acide com
mence dès ce moment avec une intensité d'autant plus grande
que le vin est phis faible , qu'il est exposé a une température
plus élevée , et qu'il contient plus de levûre. Si cependant le
vin pouvait , comme en hiver , être refroidi a une tempé
rature basse , l'acidification serait alors bien moins a craindre.
196 TRAITÉ DE L'ART

CHAPITRE III.
Des Ennemis de la Fermentation.
La fermentation vineuse est une opération si delicate, tant
de causes imprévues et même inconnues peuvent nuire à son
succès , qu'on ne peut apporter trop de connaissances , de
discernement et de soins pour la diriger convenablement.
La fermentation acide est son plus grand ennemi. Nous
avons déjà signalé les deux causes capitales qui peuvent fa
voriser cette dégénération préjudiciable : l'air atmosphérique
et la levure. Il est à remarquer de plus que toutes les condi
tions qui favorisent bien la fermentation alcoholique sont
aussi favorables a la fermentation acide. L'une s'exerce sur
le sucre a l'aide de l'air , de l'eau, de la chaleur et de la le
vure ; et l'autre s'exerce sur l'eau-de-vie à l'aide des mêmes
agens. 11 n'y a de différence entre les deux fermentations
qu'en ce que l'air atmosphérique dans la vinification n'est
nécessaire que pour déterminer la fermentation ; après cela
il devient nuisible , par la même que dans l'acidification il
est indispensable pendant toute la durée de l'opération. Une
autre nuance , qui caractérise ces deux fermentations , c'est
la température. La fermentation acide trouve pour minimum
de température où elle commence à marcher rapidement , le
maximum de la fermentation vineuse , c'est-à-dire celle qui
ne peut être transgressée sans devenir nuisible à cette fer
mentation. Ainsi , la fermentation vineuse marche bien à la
température de 20 à 3o° , et la fermentation acide trouve la
chaleur qui lui convient le mieux de 3o à 4a% quoique ce
pendant elle puisse avoir lieu à la température de la fermen
tation vineuse. Mais , dans ce cas , elle marche avec beaucoup
plus de lenteur, et redoute elle-même une dégénération qui
est pour elle ce qu'elle est a la fermentation spiritueusc c'est
la fermentation putride.
Il faut donc éviter dans la fermentation vineuse une tem
pérature trop élevée , et la proportionner toujours à la di
mension de la cuve ; car si , par exemple , une cuve même
DE LA DISTILLATION. 197
moyenne atteignait dans sa fermentation la temperature d*
5o° ou plus, il en résulterait, non-seulement une perte no~
table d'alcohol volatilisé et emporté par le gaz acide carbo-
nique ; mais encore la fermentation acide serait singulière
ment favorisée par cette chaleur.
Par une raison contraire , un refroidissement accidentel
dans la cuve peut retarder et même détruire la fermentation.
Il faut donc mettre les cuves a l'abri de ce refroidissement
en les disposant dans un cellier fermé.
Une propreté extrême dans les appareils est encore une
condition indispensable de la fermentation vineuse, et il faut
avoir un soin particulier de bien laver et nettoyer les instru-
mens chaque fois que l'on s'en sert. Ces précautions sont in
dispensables pour éviter les fermentations acides et putrides
qui s'introduiraient dans des cuves malsaines. Lorsque l'on
est quelque temps sans se servir des appareils de macération
et de fermentation , il faut prendre , pour les entretenir et
les rendrejsains , les précautions usitées dans les vignobles.
Là , après une récolte , quand la vendange est cuvée et mise
en barrique , on lave les cuves de fermentation a grandes
eaux ; et lorsque l'époque.de la vendange suivante arrive ,
on lave de nouveau les cuves , et on les enduit d'une cou-•
che de chaux -vive , pour neutraliser l'acide qui pourrait s'y
être formé dans l'intervalle d'une vendange a l'autre. Après
cela, au moment de charger la cuve, on la lave encore, et
avec beaucoup de soins , pour enlever la couche de chaux ,
qui a produit son effet ; on y passe même assez souvent de
l'eau-de-vie , dont on asperge les parois et le fond. Cette
précaution de laver et d'enduire les surfaces des instrumens
d'une couche de chaux est très-simple et facile a exécuter ,
et je la recommande aux distillateurs, non-seulement pour
l'utiliser dans les interruptions qu'ils mettent dans leurs tra
vaux , mais encore pour la pratiquer de temps en temps dans
un travail continu. Elle régénère les ustensiles en détruisant
les germes d'acidité qu'ils peuvent avoir contractés , et dont
ils sont souvent fortement imprégnés dans les distilleries où
la propreté n'est pas bien observée.
La fermentation acide peut encore avoir une foule de eau-
iq8 tiîAité de l'art
ses accidentelles , dont nous ne pouvons pas bien nous rendre
raison. Toutes vibrations violentes dans l'air peuvent la déter
miner; c'est ainsi , par exemple, que les secousses du tonnerre
font tourner toute une cuve a l'aigre. Les distillateurs , en ef
fet, mettent l'orage au nombre des ennemis de la fermentation.
Les eaux croupissantes et fétides employées dans les mélan
ges, les miasmesputrides exhalés dans les celliers, nuisent aussi
d'une manière plus ou moins remarquable à la fermentation
vineuse.
Le célèbre chimiste anglais Hyggins, envoyé aux colonies
par le gouvernement anglais pour perfectionner la distilla
tion du rhum, remarqua que l'une des causes principales du
mauvais goût que ce produit alcoholique contractait sou
vent , provenait de la fermentation acide a laquelle le défaut
de précautions convenables laissait souvent faire des progrès
considérables avant la mise en distillation. Il indiqua, pour
prévenir cette fermentation et pour la corriger au besoin ,
un moyen que nous devons faire connaître ici.
11 consiste à suspendre dans la cuve plusieurs corbeilles
d'osier pleines de pierres a chaux réduites en petits morceaux.
Ces pierres doivent être préalablement bien lavées, parce
que , si l'on n'usait pas de cette précaution , elles pourraient
quelquefois introduire dans la fermentation des matières nui
sibles. On distribue ces corbeilles sur les divers points de la
masse fermentante, et leur fonction est de saturer les molécu
les acides au fur et a mesure qu'elles se forment , et de pré
server ainsi la cuve de la contagion. Ce moyen est praticable
comme préservatifet comme remède de la fermentation acide;
ainsi on pourra l'employer avec sécurité toutes les fois qu'on
voudra se prémunir contre cette fermentation. Ces pierres
calcaires opèrent ici , mais moins bien que lorsqu'elles sont
en dissolution dans l'eau, comme nous l'avons dit dans la
première partie, en parlant de la qualité des eaux ; et ce sont
elles qui donnent a l'eau une supériorité remarquable pour la
fermentation spiritueuse. Le mode d'agir est du reste le même
dans un cas comme dans l'autre. L'acide se combine avec la
chaux pour former un corps qui ne présente plus de pro
priétés nuisibles au parfait développement de l'alcohol.
DE LA DISTILLATION. 1gjj
La chaux vive opérerait bien ici un effet analogue ; mais
il faut bien se garder de l'employer , parce que si d'un côté
elle prévient et corrige la fermentation acide , elle est d'un
autre côté très-nuisible a la fermentation vineuse : ce fait est
constaté par l'expérience , quoique nous n'en connaissions
pas la cause.
Le succès complet de la fermentation paraît être quelque
fois dépendant du temps et de la pression de l'air ; ainsi le
baromètre pourrait sans doute nous expliquer quelquefois
des phénomènes irrésolus jusqu'a ce jour. On sait, par exem
ple , que la fermentation qui marche bien a l'air libre , se
trouve retardée et contrariée quand elle est comprimée dans
un vase hermétiquement fermé ; et comme l'air presse iné
galement sur la terre , et que ces inégalités de pression sont
indiquées et exprimées par la hauteur du mercure dans le
tube barométrique, nous pouvons en conclure que plus le
baromètre sera haut , pour me servir du langage vulgaire ,
f1lus la fermentation sera retardée ; et réciproquement , moins
'air pressera , plus la fermentation sera active.
Si l'on voulait corriger ces influences mécaniques du ba
romètre sur la fermentation , rien ne serait plus facile ; il
suffirait d'élever un peu la température quand le baro
mètre serait au-dessus du point désigné par variable , et
de l'abaisser au contraire quand il serait au-dessous de ce
point.
Si l'on doutait de cette influence de la pression de l'air sur
l'activité de la fermentation , il serait très-facile de s'en con
vaincre par l'expérience de l'appareil Gervais dont nous
parlerons ci-après. En effet , dans cet appareil , où la fer
mentation s'exécute sous la pression atmosphérique augmen
tée a-peu-près de ~ , c'est-a-dire , de 6 pouces d'eau ou de
5 lignes de mercure , cette légère augmentation de pression
est suff1sante pour doubler le temps nécessaire a l'achève
ment de la fermentation. Doit-on s'étonner maintenant , avec
la connaissance de ce fait, que la pression de l'air, qui présente
dans le baromètre des nuances d'un pouce et même quelque
fois plus de mercure , puisse être la cause des différences que
l'on remarque souvent dans la durée de la fermentation ?
200 TRAITÉ DE L'ART
&*tyiwtytywwwwrt vwwvtv^vwtyvûav vvl1vwww/vmhvvvw

CHAPITRE IV.

Des Moyens de la Fermentation.


Après avoir traité des conditions , des phénomènes et des
ennemis de la fermentation , voyons a appliquer les règles
que nous avons prescrites a la construction et a la disposition
des moyeus nécessaires a la fermentation.
SECTION PREMIÈRE.
Des Celliers de Fermentation.
Dans les pays vignobles, l'époque des vendanges étant or
dinairement favorisée par une douce température , c'est-a-
dire par une chaleur intermédiaire entre la plus ardente et la
plus froide qui régnent dans nos contrées , dans ces pays,
dis-je, le raisin est l'unique objet des fermentations, de sorte
que les fermentations n'ont lieu qu'à l'époque des récoltes ;
c'est pourquoi l'on prend peu de précautions pour garantir
les cuves de l'influence atmosphérique ; on les dispose dans
des celliers , ou même souvent sous des hangars,.où elles sont
exposées à tous vents ; et le temps n'est pas loin de nous en
core où, dans le midi de la France, aucun vigneron ne cou
vrait ses cuves de fermentation. Mais dans les distilleries ,
où les fermentations marchent toute l'année , et par consé
quent en toutes saisons , il est essentiel d'avoir un local spé
cialement consacré à la fermentation. On proportionne sa di
mension au nombre et aux dimensions des cuves que l'on
veut avoir .
Ce local , si l'on est maître de son exposition , ne devra
recevoir la lumière ni du nord ni du midi , mais bien de l'est
ou de l'ouest. Il devra avoir peu de bauteur , et être voûté ,
autant que possible , pour qu'il puisse conserver une tempé
rature constante ; le jour n'a besoin que d'y être suffisant
pour le travail que l'on y fait ; les fenêtres qui donneront
passage au jour devront bien fermer pour se point établir
DE LA DISTILLATION. 2o1
de courans d'air , et on les disposera de manière a pouvoir
les ouvrir au besoin. Ce local devra être contigu à la halle
aux chaudières , sans cependant pouvoir être chauffé par les
fourneaux de celles-ci. :, "
Pour assainir le cellier et s'opposer a ce que le gaz acide
carbonique finisse par le remplir , il suffira d'établir dans la
muraille , au niveau du sol, une ouverture d'un décimètre
de diamètre ; cette ouverture devra être faite sur l'un des cô
tés de la muraille qui communiquera avec l'air extérieur ,
parce que son but est de laisser écouler au dehors l'acide
carbonique , qui , en raison de sa pesanteur , vient se placer
en couche au-dessus du sol ; et l'on conçoit que si , par
exemple, cette ouverture communiquait avec l'atelier aux
chaudières, le cellier aux fermentations ne s'assainirait qu'au
détriment de celui-ci. Il faut donc que cette ouverture soit
en communication avec l'air extérieur. Par cette disposition ,
le gaz sort du cellier au fur et a mesure qu'il se dégage des
cuves, a la manière de l'eau qui se déverserait au-dessus des
bords de celles-ci et viendrait se rendre sur l'aire du cellier,
pour en sortir par l'ouverture de décharge.
En hiver, quand ces celliers sont bien proportionnés,
dans leurs dimensions , au nombre de cuves qu'ils contien
nent , ils arrivent toujours suffisamment à la température
qu'ils doivent avoir , et par la chaleur perdue dans la macé
ration et par celle développée par la fermentation , et que le
gaz acide carbonique répand dans l'atmosphère. Si d'ail
leurs la température n'en était pas assez élevée , il faudrait
y suppléer par une étuve en fonte placée au milieu du local;
un thermomètre indiquerait toujours , d'une manière exacte,
quand il serait nécessaire de faire du feu.
En été , au lieu de faire du feu dans le cellier , il faut au
contraire faciliter la déperdition de la chaleur que la macé
ration et la fermentation y développent , et il faut , pour cela,
ouvrir les fenêtres ; alors le cellier se met en équilibre avec
l'air extérieur pour la température. Ainsi , le maximum
de froid que l'on puisse y avoir en été est celui de l'air
atmosphérique.
2o2- TRAITÉ DE L ART
SECTION DEUXIÈME. 1
Des Cuves de Fermentation.
Les dimensions des cuves de fermentation peuvent varier
à l'infini , suivant le caprice du manufacturier et ses conve
nances; mais, généralement, on leur donne une hauteur
égale au moins à la largeur ; et si l'on change quelque chose
à ces proportions , c'est pour leur donner plus de hauteur
que de largeur. '
Les capacités peuvent varier depuis 5 ou 6 hectolitres
jusqu'a 2oo hectolitres , selon les besoins du fabricant.
On les fait ou en bois ou en maçonnerie.
Le midi de la France seul présente des cuves a fermenta
tion en maçonnerie. Elles sont formées d'abord avec de bon
nes pierres de taille , et les parois extérieures sont revêtues
d'un contre-mur épais formé de briques et de pouzzolane.
Ces sortes de cuves sont très-solides ; elles durent infiniment
plus long-temps que celles de bois, et elles sont sujettes a
moins de réparations et d'entretien.
Malgré cet avantage remarquable des cuves en maçonne
rie , il existe encore , dans le Languedoc , de nombreuses cu
ves en bois , et le bois est la seule matière qui entre dans la
confection des cuves en Bourgogne et en Champagne.
Ces cuves , de capacités variables , sont composées d'ais
solides de bois de chêne assemblés sous la forme cylindrique
par des cercles en fer très-épais. On peut voir le dessin
d'une de ces cuves , pl. III , fig. 1ie. Plus les parois de la cuve
ont d'épaisseur , plus elle est a l'abri des variations de tem
pérature de l'air. Ainsi , on ne péchera en aucune manière en
donnant, sons ce rapport, a la cuve une très-grande solidité.
Dans tous les cas , il est facile de concevoir que l'on doit né
cessairement varier l'épaisseur des parois des cuves et de
leurs cercles avec leur capacité.
Dans les distilleries de végétaux autres que le raisin , la
fermentation s'opère dans les cuves qui sont aussi de capaci
tés variables , et de formes et de dispositions différentes.
Leur capacité varie de 6 a 2o hectolitres , et on les pro
portionne ordinairement, sous ce rapport , a la contenance
DE LA mSTIIXATlOÎT. 2o3
des chaudières distillatoires , de manière qu'une cuve puisse
donner une charge complète de chaudière.
La matière qui les compose est du bois de chêne, ou de sa
pin. En Hollande, où l'on fabrique considérablement d'eau-
de-vie de grains, toutes les cuves a fermentation sont en
sapin mâle ; d'est une espèce très-résineuse.
On les fait rondes ou carrées, suivant la place dont on
peut disposer. Les rondes prennent plus de place dans leur
arrangement, et par conséquent elles en perdent davantage ;
mais, sous un autre rapport, elles sont préférables , parce
qu'elles conservent mieux la chaleur aux liquides qu'elles
contiennent, et cela uniquement à cause de leur forme cylin
drique. Les anglais, en effet, favorisent la déperdition de la
chaleur : c'est pour cela que les cuves carrées sont moins
bonnes pour la fermentation , que les cuves cylindriques ;
on conserve mieux , dans celles-ci , la température néces
saire au mouvement fermentescible, et on la conserve d'une
manière plus régulière dans toute la masse.
Cette supériorité des cuves rondes sur les cuves carrées,
quant à la propriété conservatrice de la chaleur, découle
d'ailleurs d'un principe mathématique, c'est-à-dire que la
forme ronde dans les vases est celle qui présente le moins de
surface pour une même capacité. En partant rigoureusement
de ce principe , en pratique , il en résultera qu'a masses éga
les et autres conditions aussi égales d'ailleurs , une cuve car
rée devra être mise en fermentation a une température un
peu plus haute qu'une cuve ronde , pour que la fermentation
puisse s'opérer dans les deux , sous l'influence d'une même
température. Si l'on n'opérait pas ainsi , et que l'on mît les
deux cuves en levain au même degré de chaleur , toutes les
autres conditions étant les mêmes , on remarquerait infailli
blement que la cuve ronde aurait plus tôt et plus parfaite
ment terminé sa fermentation que la cuve carrée. Cette diffé
rence de forme dans la cuve peut provoquer dans les cas
ordinaires une déperdition de 2 degrés de chaleur de plus
dans la cuve carrée que dans la cuve ronde.
En conséquenoe des principes que nous avons professes
jusqu'a présent sur l'influence de l'air sur la fermentation^
3o4 TRAITÉ DE l'aRT
l'on concevra facilement qu'il est toujours utile de couvrir
une cuve fermentante. Cette précaution, outre les avantages
qu'elle présente dans la vinification des vins a boire , en pro
cure d'incontestables dans la fermentation des bquides a dis
tiller. En effet , en couvrant la cuve avec soin , on garantit
le moût fermentant des vibrations et des secousses que l'air
reçoit , et qui pourraient favoriser son qontact avec le moût,
et la contagion acide qui en est la conséquence immédiate.
Par cette précaution , on mitige la déperdition de l'alcohol
qui , dans une cuve ouverte , est emporté rapidement par
l'acide carbonique , selon que la température de la cuve est
plus élevée. On évite de plus la déperdition d'une grande
quantité de chaleur , dont la conservation est nécessaire à la
cuve pour activer la fermentation. Cette conservation de
chaleur est si nécessaire a l'activité de la fermentation, que
toutes les causes qui peuvent la favoriser , procurent ce ré
sultat. C'est ainsi Par exemple que , dans le raisin , les
peaux , les pepins et la grappe , conservés dans la cuve ,
activent la fermentation ; c'est ainsi encore que dans la fermen
tation des grains et des pommes de terre , les peaux et les
Î)arenchymes de ces végétaux produisent le même effet. Que
'on ne s'imagine pas que ces agens exercent une action chi
mique sur le moût ; on se tromperait fortement : ils n'opèrent
la que mécaniquement , comme conservateurs de la chaleur,
et ils la conservent de deux manières.
1T Leur suspension dans la cuve contrarie le gaz acide
carbonique dans son ascension , et lui fait parcourir des si
nuosités qui le dépouillent plus parfaitement , en faveur du
liquide, de la chaleur qu'il produit en se formant ; en effet,
ce gaz emporte d'autant plus de chaleur avec lui qu'il tra
verse plus rapidement le liquide , et que la température de
ce liquide diffère moins de la sienne. Car , nous devons le
dire , dans la fermentation vineuse l'acide carbonique se
forme toujours sous l'influence d'une plus haute température
que celle du moût ; c'est pourquoi sa formation est toujours
accompagnée de chaleur.
2°. Les matières insolubles viennent former à la surface du
liquide avec la levure un chapeau d'autant plus épais qu'elles
DE LA DISTILLATION. 205
y sont en quantité plus grande. Ce chapeau établit sur le li
quide une espèce de couvercle qui s'oppose a la déperdition
de la chaleur de la cuve a-peu-près aussi efficacement que
le ferait un couvercle de bois.
Il est donc toujours utile de couvrir une cuve fermentante,
et cela est d'autant plus nécessaire que l'on opère sur une
matière plus fluide. Cela est plus nécessaire encore en hiver
qu'en été , surtout si les cuves ne sont pas placées dans un
eellier fermé où l'on puisse maîtriser par un calorifère la
température de l'air qui les entoure. ',*
On rémplit bien cette condition' en adaptant a la cuve un
couvercle en bois , et en le recouvrant de vieilles étoffes de
laine , ou bien encore , comme on le fait en Champagne , eu
interposant entre le couvercle et la cuve un tissu serré et épais
de paille.
Dans une distillerie , le nombre des cuves est proportionné
au nombre des chaudières. Dans un travail continu de 12
heures par jour , en supposant que les cuves contiennent une
charge de chaudière , et que les fermentations ne durent pas
plus de 24 a 3o heures , cinq cuves font bien le service d'une
chaudière , à moins que la chaudière n'expédie plus de 5 dis
tillations en 1 2 heures. On voit donc qu'il faut calculer le
nombre de cuves nécessaires au service d'une chaudière sur
la quantité de charges qu'elle peut faire dans un temps
donné, sur le nombre d'heures de travail par jour, et sur la
durée de la fermentation.
Nous indiquerons, en traitant des appareils distillatoires ,
les quantités de liquides qu'ils peuvent distiller dans un temps
donné , suivant leurs diverses dimensions. Avec ces données
et celles que nous avons produites sur la durée de la fermen
tation , il sera facile au distillateur de calculer le nombre de
cuves nécessaires à l'appareil qu'il voudra adopter, et il
pourra, deplus, calculer aisément de quelle dimension de
vra être son appareil distillatoire pour produire telle quan
tité d'eau-de-vie a tel degré qu'il voudra répandre dans le
commerce dans un temps donné.
Les cuves carrées s'établissent sur des bâtis de solives
quadrangulaire» , sur lesquelles on cloue des planches bien
TRAITÉ DE L'ART
nivelées et ajustées. Quelquefois même on les groupe quatre
\ quatre, alors on économise le bois , cette disposition don
nant aux cuves quatre faces communes deux à deux. En gé-
! néral , on n'emploie les cuves carrées que lorsque le local est
trop petit pour recevoir des cuves rondes , il n'y a que ce
motif qui puisse légitimer leur emploi ; sans cela on doit les
proscrire des distilleries pour leur préierer les cuves cylin
driques.

CHAPITRE V.

Des Appareils vinifieateurs. •

Dès long-temps déjà l'aspect d'une cuve en fermentation ,


l'odeur alcoholique qu'elle répand dans l'atmosphère, avaient
fait naître l'idée de créer différens appareils qui eussent ou
la propriété de préserver le mdftt du contact de l'air , ou de
condenser l'alcohol que l'acide carbonique emporte toujours
avec lui. Tel est le but qui a fait imaginer les diverses ma
chines dont nous allons parler.
SECTION PREMIÈRE.
Appareil signalé par Porta.
Porta (Jean-Baptiste) , napolitain, dès l'année 16o9 fît
imprimer un ouvrage sur la distillatio*, où il donne la des
cription d'un appareil qu'il présente comme l'idée première
des appareils distillatoires. Voici comment il s'exprime a ce
sujet :
« Des paysans observant les phénomènes qui se passent
dans la fermentation de leur moût , remarquèrent l'analogie
que présente la fermentation avec la distillation ; ils obser
vèrent ce liquide bouillant de son propre mouvement, et
exhalant par la même une grande quantité d'esprit , qu'ils
rassemblaient en plaçant des vases sur l'orifice du tonneau.
Us s'imaginèrent de le recueillir, et pour cela, lorsque le
DE LA DISTILLATION. 20^
moût donnait les premiers indices de travail, ils adaptaient
à l'ouverture du tonneau un tube creux de bois ou de grès ,
de 4 à 5 pieds de longueur ; ce tube était terminé par un cha
piteau dont le bec était superposé a un vase destiné à rece
voir les vapeurs spiritueuses condensées. »
Voila donc un appareil décrit par Porta , et dont le but
est de recueillir les vapeurs alcoholiques emportées par le
gaz acide carbonique pendant l'acte de la fermentation,
SECTION DEUXIÈME.
Soupape hydraulique de D. Casbois.
M. D. Casbois fit connaître en 1783 , par le Journal lit
téraire des Sciences et des Arts , une soupape hydraulique ,
qu'il annonçait être propre a faire fermenter sans danger le
moût de raisins dans des vaisseaux parfaitement clos.
« On conçoit, disait-il, que moins le vin en fermentation
communique avec l'air extérieur , moins il doit perdre de cette
partie volatile qui fait sa force , et que l'on nomme esprit.
Donc , pour avoir le vin le plus généreux , il faut le faire
fermenter dans des vaisseaux parfaitement clos.
Mais la fermentation produit du gaz, et ce gaz élastique
romprait les vaisseaux ou produirait du vin enragé, s'il ne
trouvait pas d'issue ; il faut donc, en fermant les vaisseaux,
faire en sorte que le gaz puisse en sortir : il n'y a qu'une
soupape qui puisse faire cet office. Voici ce que je propose :
C'est fln tuyau de fer-blanc d'environ un pouce et demi
de diamètre, courbé en forme de siphon, et communiquant,
par la branche la plus courte , a un vase qui lui est attaché.
La branche montante peut avoir 9 pouces de longueur, et
la branche descendante 7 pouces et demi : celle-ci commu
nique de haut en bas h un vase montant, qui doit être d'un
pouce et demi moins haut que le siphon ; il peut avoir 3 ou 4
pouces de diamètre.
Ces dimensions ne sont pas essentielles ; on peut les chan
ger en d'autres quelconques, pourvu que la première bran
che descende au-dessous du vase, pour être introduite dans
le tonneau sans toucher le vin , et que la partie droite du
TRAITÉ DE L'ART
siphon s'élève assez au-dessus pour que l'eau , dont on doit
remplir le vase, ne puisse descendre dans le tonneau.
Voici comment cette machine s'applique aux tonneaux :
je les suppose remplis de moût a 3 ou 4 pouces près du bon-
don, comme on le pratique lorsqu'on ne veut pas qTie le vin
fermentant jette sa mousse en dehors. On enveloppe de chan
vre ou de roseaux la partie supérieure de la première bran
che , de manière qu'elle puisse être ajoutée au trou du bon-
don, on l'y fait entrer avec force ; et pour nè laisser au
gaz d'autre issue que celle du tuyau , on lute cette partie avec
du mastic, ou simplement avec de la terre glaise, puis on em
plit d'eau le vase dont il s'agit.
Pendant la fermentation, le gaz est obligé de monter par
la branche supérieure, de descendre par l'autre branche,
et de remonter, en traversant l'eau, par le vase, d'où il
s'échappe et se dissipe dans l'air. L'eau , qui lui laisse un pas
sage libre, le refuse a l'air extérieur , de sorte que le vin ne
peut rien perdre de son esprit.
; Cette soupape hydraulique s'applique aux cuves avec le
même avantage ; mais il faut, 1°. que le raisin soit bien
foulé ; 2°. que la cuve n'en soit remplie qu'a 1 pied au plus
près du bord ; 3°. qu'elle soit fermée d'un couvercle assemblé
et joint comme le fond d'un tonneau ; 4°. que les joints de
ce tonneau soient empattés et recouverts de terre glaise ou du
meilleur lut, comme si l'on voulait conserver du vin ; 5°.
qu'il soit assujetti par le moyen de plusieurs étais , de ma
nière qu'il résiste a l'effort que fait le marc pour s'élever
pendant la fermentation ; 6°. enfin qu'il soit percé d'un trou
convenable , auquel puisse être adaptée la soupape hydrau
lique, comme sur les* tonneaux. On jugera de la fermentation
du vin par le bouillement de l'eau contenue dans le vase :
la cessation de ce bouillement fera connaître que la fermen
tation est complète.
Voila comment s'exprimait Cashois en 1783 ; et mal
gré l'inexactitude des avantages qu'il attribue a la soupape ,
ïl est facile de juger qu'elle pouvait être utile, en préservant
le moût du contact de l'air j et en détruisant ainsi une causa
d'acidification.

:
•DE LA DISTILLATION. 20Ç}

SECTION TROISIÈME.
Appareil vinificateur Gervais.
Nous ne doutons pas que mademoiselle Gervais ne connût
aucunement l'appareil signale par Porta, ni celui de Cas-
bois ; cependant c'est pour une machine qui n'est que la
combinaison des deux appareils ci-dessus décrits , que made
moiselle Gervais a obtenu, les i3 janvier 1819 et 12 oc
tobre 182o, deux brevets d'invention de cinq ans, lesquels
brevets viennent d'être prolongés de dix ans , par ordon
nance du Roi.
Voici la description de cet appareil , donnée par made
moiselle Gervais elle-même , avec l'exposé des avantages
qu'elle lui attribue. Voyez la pl. III , fig. 1 et 2 ; les mêmes
lettres désignent les mêmes pièces.
•u< L'appareil A est un vaisseau cylindrique de fer-blanc
plus ou moins grand, suivant la quantité de matières fermen-
tescibles sur lesquelles on veut opérer ; il se place sur le cou
vercle d'une cuve , sur le fond d'un foudre , ou sur la bonde
d'un vaisseau moins grand.
Dans sa partie inférieure est un chapiteau B ou tète de
Maure de même métal, alentour duquel le corps de l'appa
reil forme un réfrigérant, où l'on entretient de l'eau aussi
fraîche que possible.
Lorsque la fermentation s'opère , les vapeurs aqueuses ,
spiritueuses et balsamiques , que le gaz acide carbonique
emporte avec lui, s'élèvent jusqu'a la voûte du chapiteau ;
saisies par la fraîcheur, elles se condensent et découlent le
long de ses parois dans une rainure pratiquée intérieurement ;
et , par le moyen d'une échancrure G faite a l'un des points
de cette rainure , elles retombent dans la cuve suffisamment
saturée de gaz acide carbonique.
Par l'effet de cette condensation , les principes en esprit,
en gaz et en parfum, qui s'évaporent dans les méthodes ordi
naires, se trouvent comprimés et enlevés, pour augmenter et
enrichir le vin ; en même temps , la partie surabondante dit
gaz acide carbonique, qui ne peut se condenser, dépouillée de
ai
31 0 TRAITÉ DE l'ÂRT
ses principe» , se dégage avec impétuosité par le grand tuLe
C piatiqué a l'appareil , et va se noyer dans un \ aisseau D,
rempli d'eau et placé près de là cuve , sans que l'air atmos-
IAérique puisse traverser cette même eau pour prendre dans
a cuve la place du gaz.
Selon la générosité des principes du moût et lé volume de
ïa cuvée , la force de la fermentation tendrait a s'exalter y
mais la masse gazeuse qui remplit l'atmosphère de la cuve j
et qui, par sa nature, pèse constamment sur la vendange ,
ne lui permet qu'une fermentation modérée , non interrom
pue et toujours égale a la proportion des vapeurs qui se con
densent , ou du gaz qui s'expulse constamment de l'appa
reil ; de sorte que les vapeurs et le gaz qui remplissent le ciel
de la cuve se dirigent sans cesse vers l'appareil , pour s'y
épurer a leur tour, et sont successivement remplacés par une
égale quantité de vapeurs , tant que la fermentation en
produit.
Pendant que cette fermentation poursuit sa marche , la
condensation qui retombe , purgée de tout principe acre et
acerbe , comme une pluie précieuse , de la voûte de 1 appa
reil dans la cuve y est obligée de traverser le marc pour se
rendre dans le vin. Dans son trajet, elle rencontre la pellicule
du raisin , dans laquelle se trouve toute la partie colorante
du vin ; elle la pénètre, la dissout par l'alcohol qu'elle con- -
tient , et porte au vin cette robe éclatante , vive , brillante,
si agréable aux yeux, ainsi que le velouté et le bouquet qui
sont le charme de cette liqueuf.
Dans la méthode actuelle, c'est-a-dire a cuve découverte,
l'air atmosphérique , qui frappe le chapeau de la vendange
en proportion des vapeurs qui s'échappent et de la durée de
la cuvaison , y produit un acide acétique qui laisse dans le
vin un germe de décomposition : d'un autre côté, la déper
dition du gaz et des esprits, qui sont l'un et l'autre les prin
cipes conservateurs du vin, laisse a nu l'acide malique, dont
l'influence maligne agit tôt où. tard sur les meilleurs comme
sur les plus mauvais vins.
Par la méthode nouvelle , au contraire , Pair atmosphé
rique ne peut pénétrer dans la cuve j ét tous les esprits ga
DE LA DISTILLATION. 211
aeux et spiritueux y sont retenus; aussi lorsqu'on s'approche
de la vendange soumise a l'appareil , l'odorat n'est saisi par
aucune de ces émanations subtiles et vineuses qui remplis
saient nos celliers, nos vendangeoirs et leurs environs. Ces
vapeurs humides , ces esprits invisibles et expansibles rete
nus, doivent donc donner aux vins , soumis au procédé nou
veau , de la quantité et de la qualité.
La principale fonction de l'appareil étant de condenser et
de comprimer, comme on l'a vu , tous les principes aqueux^,
spiritueux et volatils du vin, ou des matières fermentescibles,
on sent que ces matières doivent être placées dans la cuve
autant que possible avant que la fermentation commence, si
l'on veut obtenir l'effet entier du procédé en recueillant la
totalité de l'évaporation ; autrement on n'en obtiendrait
qu'une quantité moindre.
L'égrappage du raisin donnerait sans contredit des résul
tats bien plus avantageux ; mais comme il n'est pas aussi
prompt et aussi facile que le foulage, on ne peut assez recom
mander de fouler le plus complétement possible le raisin.
Le couvercle de la cuve doit être fait en planches solide
ment assemblées a rainures et a languettes , si cela se peut s
et il est important qu'il en ferme hermétiquement toute la
circonférence ; il peut être posé sur un cercle cloué en dedans
et près de l'orifice du vaisseau. Les bois spongieux , tels que
le sapin et autres , laissent échapper le gaz et ne doivent pas
être employés.
An milieu de ce couvercle , on pratique une ouverture
proportionnée au diamètre du collet de l'appareil ; et lorsque
l'appareil est placé, on doit luter les bords du collet, toute
la circonférence du cercle et toutes les gerçures et nœuds du
bois avec du plâtre ou de la chaux , ou de la terre glaise en
tretenue fraîche, ou, mieux encore, avec de la chaux vive
et du sang de bœuf.
On s'assurera souvent, en promenant uneohandrlle allu
mée au-dessus de la cuve , si , malgré ces précautions , le gaz
ne s'échappe point par quelque fente inaperçue; si la lumière
s'affaiblit ou s'éteirit , c'est la preuve d'une évaporation j
qu'il faut arrêter sur-le-champ.
a4. !
BI2 TRAITÉ DE L'ART
II convient aussi de laisser dans l'intérieur de la cuve, en
tre le couvercle et la vendange , un intervalle égal au moins
à la dixième partie de la capacité de la cuve : c'est environ 1 1
pouces dans les cuves de 4o hectolitres, 13 dans celles de 6o,
et 15 dans celles de 8o et au-dessus.
Le robinet E, placé sur un des côtés de l'appareil , permet
de renouveler chaque jour l'eau dans le réfrigérant, ou du.
moins quand on s'apercoit qu'elle est échauffée par la fer
mentation intérieure de la cuve.
On peut connaître les progrès de la fermentation, par le
moyen du robinet F, qui communique avec la rainure dans
laquelle retombent les vapeurs condensées.
La liqueur produite par ces vapeurs augmente progressi
vement en force spiritueuse ; mais a mesure que la fermenta
tion approche de son terme , la liqueur prend un goût plus
aromatique et diminue en quantité : on est donc averti de ses
différentes périodes en goûtant la liqueur qui découle du ro
binet F.
Ce robinet F et la rigole à laquelle il communique ne
sont utiles qu'à satisfaire la curiosité de ceux qui veulent
suivre les progrès de la fermentation intérieure ; mais cet
avantage est atténué par la saveur métallique et la couleur
d'oxide que contracte facilement la petite portion de liqueur
condensée qui aboutit à l'embouchure du robinet, pour peu
qu'elle séjourne dans la partie inclinée de cette rigole de fer-
blanc. On peut donc supprimer la rigole et le robinet F sans
qu'il en résulte le moindre effet contraire à la destination
spéciale de l'appareil. On jugera d'ailleurs facilement des
progrès de la fermentation intérieure par l'accélération on le
ralentissement des bulles d'air que le gaz acide carbonique
développe dans le vaisseau D , où il vient dégorger.
Pour diminuer, autant que possible, le prix des appareils ,
on supprime ces deux parties dans ceux qui seront livrés
au public ; cependant on fournira des appareils à rainures
aux personnes qui en feront la demande expresse, moyen
nant une légère augmentation de prix.
La fermentation est plus ou moins longue , suivant que
le raisin est plus ou moins mûr, et que le climat est plus ou
DE LA DISTILLATION.
moins tempéré ; mais , toutes chances égales , elle est pres
que aussi prompte dans la cuve à appareil que dans la cuve
ouverte. On est certain que la fermentation est près de son
terme, quand on ne voit plus de bulles d'air s'échapper du
tube C qui plonge dans le vaisseau D.
Les propriétaires qui ne récoltent qu'une très-petite quan
tité de vendange et qui cependant veulent user de l'appareil ,
doivent remarquer que , la fermentation s'opérant moins vite
dans les petites masses que dans les grandes , il ne faut dé
cuver que quelques jours plus tard.
Un avantage tout particulier du procédé de mademoiselle
Gervais ) c'est que jamais le propriétaire n'est pressé de ti
rer son vin de la cuve , pourvu qu'il ne déplace pas l'appa
reil. Celui qui n'a pas snr-le-champ la quantité de tonneaux
nécessaires, celui même qui n'a pu se dispenser de faire ser
vir deux fois la cuve pendant la même récolte , peuvent re
tarder indéfiniment pour mettre leurs vins en tonneaux. Bien
loin que ce retard nuise aux vins , ceux-ei gagneront au con
traire en qualité et en limpidité, èt ils perdront le germe des
maladies, auxquelles ils sont sujets, lorsque la vendange est
tra1tée par le mode ordinaire et trop tôt décuvée. On doit
sentir combien cette facilité de laisser son vin dans la cuve
est précieuse , dans les années où les tonneaux sont rares.
Dans les cuvaisons ordinaires , le vin de pressurage est
dur , grossier et de qualité toujours inférieure ; dans celles
faites à l'appareil, au contraire, comme le marc n'a point
été altéré par le contact de l'air atmosphérique , qu'il a
retenu une certaine quantité des parties spiritueuses et bal
samiques qui l'ont traversé en tombant du chapiteau, le vin
de pressurage ne le cède en rien a celui de mère-goutte ,
et il est même de l'intérêt du propriétaire de le répartir sur
ce dernier vin , pour en augmenter la force , la bonté et la
quantité, après lui avoir cependant laissé déposer les corps
hétérogènes qui le laissent trouble au moment du pressu
rage. v
Les propriétaires qui sont dans l'usage de faire un second
vin, après avoir retiré le vin de mère-goutte ou de premier
décuvage , ne doivent pas déplacer l'appareil ; ils introdui
21 4 TRAITÉ DE 1/ART
ront an moyen d'un trou pratiqué au couvercle, et avec ua
entonnoir, la quantité d'eau qu'ils jugeront convenable , et
de la même manière qu'il va être dit pour la piquette.
Veut-on employer les marcs a faire une piquette , il faut
les replacer dans la cuve a mesure qu'ils sont pressés , les
arroser du cinquième environ de la quantité d'eau qu'on se
propose d'y mettre, replacer le couvercle et l'appareil , et
les luter comme on l'a dit précédemment.
Les autres - d'eau peuvent être répartis en quatre fois et
en quatre jours , a compter du troisième jour après la pose
de l'appareil , afin de laisser la fermentation s'établir gra
duellement ; il serait même bon , pour ne pas la ralentir , de
faire tiédir cette eau avant de l'employer.
Pour jeter l'eau sur le marc après que le couvercle et l'ap
pareil sont placés , il convient de pratiquer un trou de 9 à
1o lignes sur le couvercle, d'introduire dans ce trou un pe
tit tuyau de fer- blanc , fig. 4 , fermé a son extrémité et per
foré de petits trous latéraux ; ce tuyau s'adapte a celui d'un
entonnoir , de sorte que l'eau tiède étant versée avec force
dans l'entonnoir , est lancée et dispersée par le tuyau per
foré sur toute l'étendue de la cuve.
La fermentation de cette piquette est terminée au bout de
dix jours, et le marc qui l'a produite peut encore servir aux
usages de l'agriculture.
Tous les vins susceptibles de maturité sont destinés par la
nature a produire une grande quantité d'eau-de-vie ; mais
nos méthodes actuelles , en privant les vins d'une grande
partie de leur esprit , ne peuvent que donner des eaux^de-
vie faibles et défectueuses. -
Les eaux de-vie suivent sans doute la qualité des vins dont
elles sont extraites ; mais il est facile de sentir que si l'on
conserve aux vins les plus médiocres leurs parties spiritueu-
ses et balsamiques , si l'air atmosphérique n'imprime plus de
saveurs acides et pernicieuses au chapeau de la vendange ,
si l'acide raalique , qui seul est désagréable au goût et à l'o
dorat , n'est plus mis a nu par la déperdition du gaz , enfin
s'il n'y a plus de moisissure dans les marcs , on obtiendra
avec le même vin des eaux-de-vie infiniment préférables , et
BE. LA DISTILLATION.
en écoulera ainsi la surabondance des vins qui ne sont pas
assez recherchés pour la boisson usuelle.
L'expérience a prouvé que les eaux-de-vie tirées des marcs
cuvés au procédé sont aussi suaves et aussi douces que cel
les extraites du vin fait a la manière ordinaire.
Des épreuves faites ont donné une augmentation de 29
1>our cent dans le produit du marc du procédé sur celui de
a cuve ordinaire.
Le premier donnait une eau-de-vie de 8 pour cent envi
ron plus forte que le dernier. »
Voila ce que Mademoiselle Gervais a écrit de mieux sur
son appareil viuificateur. Mettant a part les erreurs et le lan
gage mystique dans lequel elle enveloppe la tbéorie de la fer
mentation, pour chercher a expliquer les avautages de son
appareil , erreurs contre lesquelles le lecteur sera suffisam
ment prémuni par les principes que nous avons exposés pré
cédemment, il nous siérait mal de vouloir répudier l'appareil
Gervais sans appel.
Loin de nous cette pensée : nous croyons au contraire que-
cet appareil , bien appliqué , peut être utile ; seulement , il
est bon que l'on sache que l'on a considérablement exagéré
ses avantages , et je partage , sous ce rapport, l'opinion des
hommes les plus recommandables par leurs connaissances
dans les sciences naturelles et l'économie industrielle.
L'importance que la fermentation occupe dans l'industrie
française peut laisser à l'inventeur d'un procédé utile sur
cette opération , l'espoir d'un lucre incalculable. Rien n'est
.plus juste qu'un homme qui consacre ses veilles et ses con
naissances a des recherches utiles , trouve dans l'exploita
tion d'un brevet la récompense que les lois accordent aux
.découvertes ; mais doit-on s'étonner qu'une invention qui
n'est qu'une reproduction de- moyens connus dès long-temps t
soit l'objet d'une revendication parlapropriété publique, sur
tout quand ces moyens sont reproduits sous des formes qui
sont si peu en harmonie avec nos connaissances actuelles ?
L'appareil Gervais n'est en effet que la réunion du conden
sateur de Porta a la soupape hydraulique de Casbois ; et
l'exécution dans laquelle mademoiselle Gervais a représenté
TRAITÉ DE L'ART
' ces deux découvertes est a ce qu'elle devrait être, ce que
dans les appareils distillatoires le vieil alambic a tête de
Maure est a la disposition heureuse du serpentin.
Doit-on s'étonner que des savans connus par leurs travaux
désintéressés sur les Arts se soient montrés publiquement ,
non pas les antagonistes de l'appareil Gervais , comme on a
voulu le faire croire , mais bien des juges éclairés, qui ont
dû dans leur conscience rectifier , par le concours heureux
du raisonnement et de l'expérience , les erreurs théoriques
dont mademoiselle Gervais voulait frapper la fermentation ,
dans la propagation de sa prétendue découverte ?
Pourra t-on en effet accuser l'opinion des G ay-Lussac , des
Vauquelin , d'un mobile spéculatif, comme on l'a fait injus
tement pour M. Delaveau , propriétaire de Bordeaux, homme
aussi recommandable par son amour pour les progrès des Arts
que par son instruction ? Et de quelle part peut-on attendre
avec plus de raison un jugement désintéressé , ou de celle qui
éclaire gratuitement l'opinion publique, ou d'une autre qui^
fondant sur la propagation d'un procédé l'espoir d'un lucre
immense , embrasse aveuglément tous les moyens de succès ?
Mademoiselle Gervais , en effet, ne s'est pas contentée
de vanter son appareil dans diverses notices de la force de
celle dont nous avons tout a l'heure présenté un extrait , elle
a encore accompagné ces notices de nombreux certificats
dont l'objet est de constater une augmentation de 9 a i5
pour | dans le volume des vins fermentés avec l'appareil.
Quoiqu'il en soit de l'exactitude rigoureuse des expériences
qui ont constaté cette augmentation énorme, faisons remar
quer un subterfuge blâmable employé par l'inventeur dans
toutes les expériences comparatives qu'elle a demandées.
On sait que , malgré les recommandations , faites déja de
puis long-temps par Rozier, de couvrir avec soin les cuves
fermentantes , et malgré même ces recommandations repro
duites de nos jours par un savant dont l'ouvrage sur l'œno
logie jouit partout d'une considération méritée , on sait , dis-
Je , que dans le midi de la France , un grand nombre de
vignerons, esclaves de l'habitude et de la routine , laissent
encore fermenter leurs vins a cuves découvertes , de sorte
DE LA DISTILLAnOSl 31"]
que dans ce mode d'opérer , ils trouvent tous les inconvé--
niens qui y sont attachés , tels que propension a l'acescence ,
évaporation du liquide , etc. Mais cette méthode n'est plus
généralement usitée en Champagne et en Bourgogne, où l'on
couvre avec soin les cuves fermentantes. Dans les vignobles
du Midi même , les vignerons éclairés usent de la même pré^
caution , et l'expérience a assigné a cette précaution un avan
tage réel.
Pourquoi donc mademoiselle Gervais présente-t-elle des
procès-verbaux d'expériences comparatives faites sur des
cuves découvertes et sur des cuves fermées par son appareil ?
Cette marche n'est point franche; et il est évident que pour
constater l'avantage de son appareil , elle ne devait le com
parer qu'aux meilleures méthodes usitées , et non pas a celles
que l'ignorance et l'impéritie ont pu seules conserver. Il ré
sulte donc d'expériences comparatives , faites sur des cuves
fermées a la manière ordinaire et sur celles fermées par l'ap
pareil Gervais, il résulte, dis-je, que ce dernier offre une
augmentation réelle de volume , dont l'importance peut va
rier avec les climats et la densité des moûts ; mais cet avan
tage est alors bien loin de ceux que mademoiselle Gervais
s'est plu à faire constater par de nombreux certificats. Il est
a-peu-près tel que M. Gay-Lussac l'a trouvé par le calcul,
c'est-a-dire de ^ environ. Et cette augmentation de volume
provient uniquement de la condensation des vapeurs plus ou
moins alcoholiques du moût, que l'acide carbonique emporte
avec lui pendant toute la durée de la fermentation.
L'augmentation d'eau-de-vie acquise a une cuve par le
nouvel appareil devient donc alors très-minime, quoique
l'inventeur annonce qu'elle soit de 8 pour Z
Un avantage plus remarquable que présenterait l'appli
cation de cet appareil a la fermentation , serait dans l'ac
complissement de la condition importante que nous avons
établie parmi les règles a suivre dans la décomposition alco*
holique, c'est-à-dire d'éviter le contact de l'air. Cette condi
tion serait parfaitement remplie dans l'appareil Gervais,
si elle ne l'était au détriment d'une autre condition qui est ,
Smon toujours intéressante dans la fermentation des vins,
TRAITÉ DE l'aRï*
au moins dans celle des végétaux destinés à la distillation.
En effet la soupape hydraulique , qui constitue l'une des
particularités de l'appareil , doit plonger dans l'eau a 6 pou
ces de profondeur au moins, suivant la recommandation de
l'auteur. On établit ainsi sur la cuve fermentante une aug
mentation de pression égale a 5 lignes de mercure, ou à
d'atmosphère, qui retarde beaucoup l'activité de la fer
mentation. L'expérience prouve en effet qu'elle dure ainsi
une et même deux fois plus long-temps que clans les métho
des ordinaires , quoique mademoiselle Getvais annonce ,
comme on a pu s'en convaincre plus haut, que la fermentation,
n'exige pas sensiblement plus de temps avec son appareil.
Cette circonstance peut être un inconvénient lorsque l'a
bondance des récoltes exige qu'une cuve serve plusieurs fois
pendant une vendange. Elle en sera toujours un , sous ce rap
port, dans les distilleries, et parce qu'elle exigerait des cuves
et des locaux doubles ou triples, et que de plus, pour une
foule de substances, elle favoriserait la formation acide,
comme le fait une fermentation lente dans les grains et les
pommes de terre.
Il est évident aussi que cette compression résultant d'un
obstacle opposé à l'échappement du gaz acide carbonique par
l'ouverture qu'on lui destine, n'est pas conséquente avec un
résultat remarquable que l'auteur veut obtenir avec son ap
pareil condensateur. En effet, le gaz éprouvant un obstacle
puissant qui contrarie son passage a travers cet appareil con
densateur, fuit en partie a travers les issues qu'il trouve dans
la porosité du bois de la cuve, et dans les fissures qui se for
ment toujours dans les luts aussi imparfaits que le plâtre et
l'argile, recommandés pour la clôture des joints que laisse
l'application du couvercle a la cuve. La portion de gaz qui
s'échappe ainsi par des ouvertures qu'on ne peut jamais lui
dérober parfaitement avec une semblable compression, sous
trait les vapeurs alcoholiques a la réfrigération, et constitue
un vice réel dans la disposition de l'appareil Geivais-, vice
qui donne un démenti formel aux résultats annoncés dans un
bon nombre de procès-verbaux que mademoiselle Gervais
donne au public comme pièces de conviction.
DE LA DISTILLATION. 2I§
La Société d'Agriculture de Paris , qui se compose d'hom
mes aussi instruits qu'ils sont animés d'un zèle éclairé pour la
}>ropagation des découvertes utiles , choisit dans son sein , a
a sollicitation de mademoiselle Gervais, une commission,
qui fut chargée de suivre une expérience comparative propre
à l'éclairer sur la validité des avantages du nouvel appareil.
Cette expérience fut faite chez MM. Nast, frères , proprié
taires a Chelles (Seine- et-Marne). Mademoiselle Gervais en
a consigné le résultat a sa façon dans une brochure intitulée
Société anonyme pour l'amélioration des procédés de vi
nification , imprimée en 1822. Il figure, sous le n°. i5 , au
nombre des certificats dont mademoiselle Gervais se prévaut
en faveur de son procédé. Voici comme il y est rapporté
textuellement.
N°. i5.
Expériences faites en 182o par MM. Nast, frères, mem~
bres de la Société d'encouragement de Paris , proprié
taires à Chelles ( Seine-et-Marne ).
« Pareille quantité de vin de même espèce a été mise dans
des cuves différentes.
L'appareil a été appliqué a l'une des deux , et la fermen
tation a eu lieu dans l'autre a cuve découverte- ,
La cuve de l'appareil a donné 1 6 pièces 4 de vin.
L'autre n'en a produit que. .14 s
Augmentation. ... 1 pièce ~
Le vin a été reconnu pour être plus spiritueux et infini
ment meilleur. »
Mademoiselle Gervais a donné dans ce certificat la me
sure de sa franchise , et du degré de confiance que l'on peut
accorder aux autres certificats, au nombre desquels celui-ci
figure.
En effet , cette expérience a été faite , comme je viens
de le dire , sous les yeux d'une commission chargée par la
Société royale d'Agriculture de Paris de lui faire un rapport
sur l'appareil Gervais. Ce rapport a été fait par les mem
I
320 TRAITÉ DE l'aRT
bres composant cette commission , avec l'inte'grité et les
lumières qui caractérisent des juges étrangers aux petites
passions de l'envie et de l'intérêt. Mais comme mademoiselle
Gervais n'y trouvait pas une attestation de ces phénomènes
magiques dont elle enveloppe sa découverte , elle a cru plus
convenable de rapporter sur cette expérience le jugement
vague de personnes dont la compétence en semblable ma
tière ne nous est pas connue, plutôt que de relater le rap
port de sa vans célèbres , dont les noms et les décisions se
recommandent a la confiance publique.
Le rapport fait a la Société d'Agriculture n'eut point en
effet une rédaction propre a donner a l'appareil Gervais le
relief que lui prête son auteur. Il conclut à le mettre au nomr
bre de ces découvertes dont l'utilité la plus remarquable est
d'attirer sur un point industriel important une attention sou
vent aussi utile que féconde en bons résultats. Mais quant a
l'appareil en lui-même, la commission ne lui reconnut aucun
des avantages marquans annoncés par l'auteur , comme aug
mentation de volume, amélioration de qualité, etc. M. Vau-
Îuelin fit même la remarque que , contradictoirement avec
'assertion de l'inventeur, le marc du chapeau de la cuve por
tait des traces sensibles de moisissure , provoquée par le long
laps de temps exigé pour l'accomplissement de la fermenta
tion. Nous ne pouvons nous rendre compte de la moisissure
observée par M. Vauquelin , mais nous ne pouvons non
plus révoquer en doute l'exactitude de l'observation d'un
des célèbres créateurs de la science chimique.
Cette observation de M. Vauquelin nous confirmerait en
core dans notre opinion sur la mauvaise exécution de l'appa
reil et sur sa conception imparfaite pour arriver aux résultats
qu'il se propose , et nous serions tout naturellement conduit
à croire que , par un vice inhérent a la disposition de l'appar-
reil, le contact de l'air qu'on veut y éviter n'y est pas com
plètement impossible, puisque s'il n'en était pas ainsi, la
moisissure n'eût pu se former. Ce serait une conséquence;
irrécusable de la compression établie par la soupape hydrau
lique sur la cuve, compression qui ouvre au gaz, dans les
luts des couvercles , des chemins qu'on ne lui destine point,
CË LA DISTILLATION. 321
et qnî , après une fermentation achevée lentement, donne
raient accès a l'air atmosphérique.
Mademoiselle Getvais annonce que le vin fait avec son
appareil a une couleur plus foncée. Cela est possible , et ou
expliquerait facilement cette augmentation de couleur, par
l'infusion plus prolongée que reçoivent dans la cuve les pel
licules du raisin , qui portent avec elles le principe colorant.
Mais cette intensité acquise au vin de l'appareil par une
fermentation plus longue est-elle réellement une qualité? Je
ne le pense pas , et je ne crois pas qu'on puisse la faire valoir
comme telle. Ce pourrait être tout au plus un avantage capa
ble d'augmenter la valeur des gros vins du Languedoc, qui
servent ou a fractionner les vins blancs faibles de nos vigno
bles de l'intérieur, ou au commerce des vins factices. Pour
quoi donc mademoiselle Gervais insiste-t-elle si fortement
dans tous les certificats sur l'intensité de couleur acquise par
son appareil ? Dans tous les cas , si parfois l'œil peut abusi
vement se laisser séduire par la robe un peu plus pourprée
d'un vin, il est certain que pour les vins à distiller en général
et de quelque espèce qu'ils soient , la couleur ne peut con
tribuer a leur donner plus d'alcohol , quoique cette couleur,
en décelant quelquefois leur origine, puisse par la même fixer
approximativement l'opinion sur leurs qualités alcoholiques.
Quant a la couservation de l'arome ou bouquet qui carac
térise les vins, et que l'appareil a, dit-on, la propriété de
conserver aux produits d'une manière plus marquée, il serait
difficile de la concevoir. Ce bouquet , en effet , provient ,
comme on le sait, d'une huile essentielle et volatile, qu'on n'a
pu encore recueillir jusqu'a présent. Or, si ce bouquet est
plus conservé dans l'appareil Gervais, cela ne pourrait pro
venir que de la condensation de ce principe aromatique avec
les vapeurs aqueuses et alcoholiques que le gaz acide carboni
que emporte avec lui ; et les reuseignemens exacts qui nous
sont parvenus sur l'odeur de ces vapeurs condensées et re
cueillies par le robinet F de l'appareil, ne nous permettent
pas d'admettrecette supposition.
Dans un moment où l'opinion publique est encore ballot
tée par les controverses multipliées auxquelles a donné lieu
222 TRAITÉ DE L'ART
l'appareil Gervais , nous avons cru devoir offrir une ana
lyse raisonnée de cet appareil et de ses effets. Les noms re-
commaudables sons lesquels il s'est présenté dans le com
merce , sollicitaient une attention particulière ; et certes il
n'est pas probable que M. Chaptal eût encouragé cette dé
couverte en la prenant sous sa protection toute-puissante ,
s'il n'eût pas reconnu consciencieusement qu'elle avait un
but réel d'utilité publique. Nous restons bien convaincu que
ce savant distingué n'a pris aucune part active a la descrip
tion des miracles que mademoiselle Gervais prête a son ap
pareil ; et dans cotte conviction , nous avons lieu de croire
que l'opinion de M. Chaptal , quoique favorable à cet ap
pareil , ne doit guère différer de la nôtre.
Nous persistons donc à convenir que l'appareil Gervais,
s'il était mieux conçu et mieux exécuté , favoriserait l'ac
complissement parfait de plusieurs conditions nécessaires a
la production alcoholique : i°. il condenserait au profit du
vin la petite quantité d'alcohol que le gaz acide carbonique
emporte avec lui ; 2°. il conserverait a la cuve plus de cha
leur , sans craindre l'effet trop actif de cette chaleur sur la
fermentation ; 3°. il préviendrait complétement le contact de
l'air atmosphérique : mais nous ne saurions en recomman
der l'emploi dans l'état où le propose mademoiselle Gervais.
Voici la construction que nous lui donnerions , et que
nous recommandons aux \ignerons qui seront d'avis d'ache
ter ou qui auraient déjà acheté de mademoiselle Gervais les
droits que son brevet lui a concédés ; c'est-à-dire ceux de
condenser , a l'aide d'un appareil quelconque , les vapeurs
que le gaz acide carbonique emporte avec lui dans toute es-
Î>èce de fermentation vineuse , et d'intercepter le contact de
'air à l'aide d'une soupape.
SECTION QUATRIÈME.
Modification utile à l'appareil vinificateur Gervais.
Pour la modification que je vais indiquer a l'appareil
Gervais , il n'est pas inutile d'annoncer , en sa faveur ,
que j'ai pour moi plusieurs expériences que j'ai faites , et
DE LA DISTILLATION.
Popinîon de M. Gay-Lussac , consignée dans les Ânnales
de Chimie , tome XV1I1 . page 38o.
Voyez planche 3. L'appareil est représenté appliqué a
une sérié de cuves en fermentation , qui contiennent un vin
destiné à la chaudière.
A , B , C , figure 5 , sont trois cuves vinaires : je n'en ai
représenté que trois , mais elles pourraient être plus nom
breuses pour un thème appareil condensateur. Elles sont
pleines jusqu'il la ligne pointillée ; elles portent à leurs bases
chacune un robinet de décharge, par lequel on soutire le vin
quand îl a suffisamment fermenté.
Ges cuves sont foncées des deux côtés , et confectionnées
en bois solide. Au fond supérieur se trouve un trou d'un
diamètre égal aux tuyaux c, cyc, qui établissent une com
munication entre l'atmosphère des cuves et le long tuyau
Horizontal Eb , qnarid leurs robinets sont ouverts.
Les tuyaux conducteurs et les robinets c , c , c , doivent
être aussi nombreux qu'il y a de cuves. On ouvre leurs ro
binets quand la fermentatidn commence , et ils conduisent
ainsi le gaz acide carbonique dans le long tube Eb , qui le
transmet lui-même au serpentin a , a , a , baignant dans le
réfrigérant D.
<fc Le grand tube Eb doit passer au-dessus de toutes les cu
ves pour lesquelles l'appareil condensateur D est destiné a
fonctionner.
Le condensateur D qui est représenté ici avec trois tours
de serpentin est une petite cuve en bois que l'on a
soin de tenir toujours pleine d'eau aussi froide qu'on peut se
la procurer. Le robinet G est destiné a renouveler cette eau.
"Le serpentin que contient ce condensateur est disposé de ma
nière que le gaz acide carbonique qui s'échappe de toutes les
Cuves , chargé d'une quantité-plus ou moins grande de va
peurs , entre par la partie supérieure b , et sort par l'extré
mité inférieure d. Gette extrémité inférieure est recourbée
en coude e , et plonge jusqu'au fond d'une petite cuve en
bois F, destinée a recevoir le produit de la condensation.
11 est facile de concevoir que , par cette disposition , on
recueille séparément les vapeurs condensées dans le conden
TRAITÉ DE L'ART
sateur D. Elles viennent se rendre dans la cuve F, d'où oh
les soutire au fur et a mesure , pour qu'elles ne fassent pas
soupape hydraulique avec l'extrémité e du serpentin.
Avec cette disposition , que je recommande a tous les
distillateurs , après qu'ils auront , bien entendu , traité avec
mademoiselle Gervais pour obtenir d'elle le droit d'exploi
ter son privilége , avec cette disposition , dis-je , on profite
de tous les avantages que peuvent donner les principes sur
lesquels mademoiselle Geivais a fait un appareil imparfait.
Il ne faut plus une multiplicité d'appareils pour chaque
cuve; un seul, de dimension convenable, suffit pour un
grand nombre de cuves. Le liquide froid, condensé dans
l'appareil , ne vient plus refroidir la masse fermentante , et
cela est au moins possible pour le distillateur, puisqu'on peut
mettre ensuite le liquide que donne la cuve F en chaudière.
Le serpentin offre ici un passage libre au gaz acide.carboni-
que , et son extrémité inférieure , ne plongeant que dans du
gaz acide carbonique , n'oppose plus d'obstacle à son échap
pement , et l'on évite ainsi les inconvéniens que nous avons
reprochés à l'exécution Gervais. Le liquide de la cuve fer
mente alors sous la seule pression atmosphérique , et le gaz
acide carbonique, trouvant un échappement facile par l'ou
verture e , ne cherche plus un passage à travers les pores du
bois ou les fissures de la cuve, et il soumet ainsi toutes ses va-
peHrs a l'action condensatrice de l'appareil. Le serpentin , en
divisant davantage le gaz et en se trouvant avec lui dans un
contact plus complet, donne plus d'espoir d'une condensation
parfaite que le réfrigérant adopté par mademoiselle Gervais.
Le gaz acide qui, en raison de sa densité, empliraitcon-
stnmment le vase F , laisserait d'autant moins craindre l'ab
sorption de l'air atmosphérique, que, dans la disposition que
j'indique ici, les cuves, se trouvant a des périodes de fer
mentation différentes , fourniraient toujours au vase F du gaz
acide carbonique en abondance. En effet, rappelons-nous
bien que l'application que je décris est faite pour une bat
terie de cuves de fermentation qui fonctionnent pour un ap
pareil distillatoire ; nous verrons ci-après comment ou doit
appliquer cet appareil aux cuves a raisin.
DE LA DISTILLATION.
Supposons ici que la batterie est composée de dix cuves,
et que la fermentation y dure couramment a4 heures ; il est
évident qu'alors il y aura constamment cinq des cuves qui
seront en fermentation tumultueuse , pendant que les autres
seront à leur fin. C'est ainsi que le gaz acide carbonique rem
plira toujours suffisamment le serpentin et le vase F , de ma
nière à prévenir le contact de l'air sans le secours d'une sou
pape hydraulique, qu'il serait d'ailleurs toujours très-facile de
créer dans cet appareil, si on le jugeait convenable, puis
qu'il suffirait pour cela de mettre de l'eau dans le vase F,
^e manière a ce que le coude e plongeât dans cette eau de
quelques lignes.
Lorsque dans cet appareil on veut juger de l'état d'une
cuve, comme voir, par exemple, si sa fermentation marche
bien ou est achevée , on ferme son robinet c , et on ouvre
une ouverture représentée en a,fig. 6. Cette figure représente
le fond supérieur de la cuve. Quand on juge que la fermenta
tion est achevée et qu'il est temps de mettre en chaudière, on
ferme le robinet c de la cuve que l'on veut décharger , et dès
ce moment elle cesse d'être en communication avec les autres
cuves ; on peut donc alors soutirer son vin par le robinet infé
rieur, et l'air atmosphérique peut entrer dans son intérieur
sans que les autres cuves puissent en recevoir quelque
influence nuisible. On peut après cela recharger la cuve de
matière fermentescible en ayant soin de n'ouvrir son robinet c
que lorsque sa fermentation est bien prononcée. C'est avec
ces précautions que , dans un travail continu , on charge et
décharge successivement les cuves.
Comme il est souvent nécessaire , dans une distillerie , de
nettoyer les cuves , on a pratiqué au fond supérieur une
trappe AB , figure 6 , que l'on enlève au besoin , et qu'on
lute soigneusement lorsqu'on la replace. Cette trappe n'est
bien utile que lorsque l'on opère sur des matières qui, à
l'exemple des grains, ne sont pas parfaitement fluides ; car,
dans les autres cas, l'ouverture a est suffisante pour l'intro
duction des matières comme pour le lavage de la cuve.
Comme il peut arriver aussi qu'une cuve ait besoin de
réparation , et qu'on doive la retirer, il faut que dans la
x5
TRAITÉ DE L'ART
disposition que j'indique, on puisse le faire sans que le travail
des autres cuves en souffre. Pour achever de faire concevoir
comment, dans cet appareil, chaque cuve peut, au besoin ,
être enlevée facilement , il suffira que j'explique comment le
tube c s'ajuste sur le fond de la cuve.
La figure 7 représente sur une grande échelle les pièces
nécessaires pour cela. B est une douille vue de côté, dont A
est le plan. On la fixe a demeure sur le fond supérieur de la-
cuve , en clouant le disque bc sur celle-ci , de telle manière
que l'ouverture a corresponde au trou pratiqué a la cuve
pour l'échappement du gaz, et dont elle a le diamètre. Le
tube d se trouve ainsi perpendiculaire au fond de la cuve. Il
est de diamètre égal au tube e de la pièce C, et ces deux tubes
doivent, quand l'appareil est monté, avoir leurs orifices en
regard , comme s'ils formaient un même tube cylindrique.
Alors, pour fermer le petit intervalle qu'ils laissent entre eux,
le cylindre D , d'un diamètre un peu plus grand, les recouvre
dans leur jonction ; et pour défendre complétement cette jonc
tion de l'accès de l'air ou de l'échappement du gaz , on lute
les extrémités du cylindre D sur les tubes c et d avec un mas
tic solide qui ne se fendille pas en séchant.
Avec cette disposition, quand on a besoin , pour une cause
quelconque , d'enlever une cuve et de la séparer de l'appareil,
il suffit d'enlever le lut, de relever le cylindre D le long du
tuyau e , et dès lors le robinet c étant fermé , la cuve peut
être enlevée sans établir aucune interruption dans la marehe
de l'appareil. On a soin, pour faciliter cet enlèvement, quel
quefois nécessaire, d'une ou deux cuves , de laisser entre
elles un intervalle suffisant pour que cette soustraction n'en
traîne aucun ébranlement dans les autres cuves de la batterie.
Le grand tuyau Ei de la figure 5 s'emmanche au ser
pentin du condensateur, au point b, et il est aussi nécessaire
de luter cet ajustage. On use de la même précaution pour
tous les points du fond supérieur qui pourraient la nécessiter.
Je ne recommanderai pour lut ni le plâtre ni l'argile ,
qui remplissent toujours fort mal cette fonction. On peut en
former plusieurs dont nous donnons la composition dans
notre troisième partie , avec la manière de let appliquer.
DE LA DISTILLATION. 227
Si l'on avait à appliquer cet appareil aux cuves vinaires
des vendanges , qui sont souvent isolées et d'une capacité
suffisante pour exiger chacune un appareil particulier, il se?
rait très-facile de le faire, et on pourrait l'appliquer de deux
manières , suivant que l'on voudrait ou non recueillir sépa*
rément la liqueur condensée. ;
1°. Si l'on voulait , comme mademoiselle Gervais le re
commande , faire retomber dans la cuve le produit de la
condensation , on adapterait au couvercle de la cuve l'ex
trémité e du condensateur D , fig. 5 , et l'on ajusterait a
l'extrémité supérieure b un tube courbé de manière a venir
Îlonger au milieu de la cuve F ; alors on pourrait a vo-
onté établir une soupape hydraulique dans cette cuve. ,
2°. Si l'on voulait recueillir séparément le produit de la
condensation , il faudrait conserver l'appareil tel qu'il est
représenté avec le vaisseau F, et établir une communication
entre la cuve et l'extrémité b du serpentin , par un tuyau de
diamètre égal a celui-ci.
Mademoiselle Gervais attache a la chute des vapeurs con
densées dans la cuve, une importance que son ignorance
complète des lois chimiques de la fermentation peut seule
expliquer. Cette dame , en effet , s'imagine que la liqueur
condensée , en retombant dans la cuve, est cause de l'inten
sité de couleur que le vin gagne avec son appareil. Nous
avons indiqué précédemment la cause de cette intensité de
couleur. La liqueur , condensée en retombant dans la cuve,
n'étant composée que de proportions variables d'alcohol et
d'eau , comme l'analyse l'a démontré , ne peut pas exercer
sur la fermentation d'autre action chimique que celle du vin
qui lui a donné naissance ; elle en augmente le volume , et
sa rechute dans la cuve , qui ne peut être opérée qu'a une
température plus basse que celle du liquide fermentant , ne
peut , sous ce rapport, que nuire a l'activité de la fermenta
tion, et elle lui nuira d'autant plus que son volume sera plus
considérable. Je pense donc qu'il serait plus avantageux de
recueillir isolément cette liqueur dans le vase F , en n'éta
blissant pas de soupape hydraulique pour tout le temps que
la fermentation conserve quelque activité, parce qu'alors on
15.
228 TRAITÉ DE l'art
ne peut en aucune manière craindre l'absorption de l'air.
La liqueur condensee serait mise de côté pour êlre ensuite
ajoutée au vin , et l'on n'établirait la soupape hydraulique
que pour les derniers jours de la fermentation , mais seule
ment avec une ligne ou deux de pression , de manière a ne
pas la gêner : a cette époque , la fermentation marchant en
décroissant est si faible , que le dégagement de gaz acide car
bonique ne favorise plus une déperdition notable de vapeurs
du vin , de sorte que ce qu'elle en fouruit pourrait être né
gligé sans préjudice.
On aurait d'autant plus d'avantage a opérer ainsi , crue la
disposition de l'appareil condensateur au-dessus du niveau
du liquide fermentant ne pourrait pas permettre a l'air at
mosphérique de s'y introduire ; la fermentation ne serait plus
retardée en aucune manière ni par la compression d'une sou-
fape ni par la rechute d'un liquide froid dans la masse , et
appareil de mademoiselle Gervais réunirait tous les avan
tages dont il est susceptible, sans présenter aucun inconvé
nient.
On sent bien qu'en supprimant la soupape hydraulique
ou en réduisant son immersion , les fissures laissées par le
lut sur le couvercle soustraîeraient bien moins de gaz a l'ac
tion du condensateur, puisque ce gaz, trouvant un passage
libre dans ce condensateur , s'y précipiterait sans aucune dif
ficulté pour y être dépouillé plus parfaitement des vapeurs
qu'il entraîne avec lui.
De cette manière , l'appareil Gervais me paraît être dé
gagé de ses imperfections , et il pourra produire tous les
avantages qu'il est permis d'en attendre. Ce n'est qu'en étant
exécuté ainsi que je pourrai , en bonne conscience , en re
commander l'emploi aux vignerons et aux distillateurs de
toutes espèces de végétaux , et je ne pense pas que made
moiselle Gervais , une fois payée des droits que lui donnent
ses brevets , veuille s'opposer a ce que l'on modifie son ap
pareil de la manière que je viens de l'indiquer.
Outre les deux appareils vinificateurs indiqués par Porta.
et Casbois, et signalés précédemment, d'autres hommes ont
encore reproduit de loin en loin l'idée de Porta. M. Goyon
DE LA DISTILLATION. 2Ô§
de la Plomharie entre autres a consigné, dans le Journal écc-r
nomique de novembre 1767, un appareil propre à condenser
les vapeurs qui se dégagent d'une cuve fermentante : c'était
un cône en bois terminé par un chapiteau semblable a celui
que mademoiselle Gervais a employé dans son appareil. Mais
cet appareil Goijon n'a pas été plus adopté que ceux da
Porta et de Casbois.

SECTION CINQUIÈME.
Souffleur œnologue.
Monsieur Decroizilles aîné, connu avantageusement dans
les arts par des travaux et des recherches utiles , a, dans une
Notice sur la fermentation vineuse ( Annales de l'Industrie,
tome VII , page 84 ) , signalé un instrument qu'il nomme
souffleur œnologue.
Cet instrument est nn syphon en étain semblable à celui
de Casbois , et il s'adapte aux cuves de la même manière.
M. Decroizilles , qui n'a pas besoin de cette découverte
pour asseoir sa réputation, n'a pas dissimulé en signalant
son souffleur qu'il connaissait les soupapes hydrauliques que
l'on a indiquées a plusieurs reprises.
Il a ajouté a cette soupape une disposition qu'il n'est paâ
• inutile de signaler ; elle consiste à restreindre oiii resserrer
avec un marteau l'extrémité du syphon qui doit être fixée
sur la cuve. Par ce moyen , si dans la fermentation tumul
tueuse le chapeau de la cuve montait assez pour engager
quelque matière dans le souffleur, on serait certain qu'elles
{louriaient en sortir librement par l'autre extrémité dont
'ouverture est évidemment plus grande avec cette disposition.
L'auteur a imaginé cet appareil pour prévenir le contact
de l'air ; et prévoyant aussi Sans doute l'inconvénient qu'il
aurait a opposer un obstacle trop grand a la fermentation ,
recommande de ne faire plonger le tube du syphon qu'à
un centimètre ou 5 lignes a-peu-près dans l'eau. Cette im
mersion est encore plus que suffisante, quoiqu'elle ne soit
que la quinzième partie de celle indiquée par mademoiselle
Geryais.

,
TRAITÉ DE 1/ART
Une autre utilité que M. Decroizilles assigne a son souf
fleur œnologue , c'est d'indiquer aux yeux et a l'oreille l'état
de la fermentation. C'est aussi a cause de cette fonction qu'il
remplit avec plus ou moins d'impétuosité aux diverses pé
riodes de la fermentation , que l'auteur lui a donné le nom
de souffleur. Il souffle en effet dans le liquide où plonge
l'une de ses extrémités ; et dès le moment où il ne souffle
plus , c'est que la fermentation est achevée , il est temps
de retirer le souffleur et de fermer le tonneau avec un bon-
don ; ou si c'est sur une cuve que Ton opère , il est temps de
la soutirer, et de procéder a la distillation.

TROISIÈME PARTIE.

De la Distillation proprement dite.

]^ ous avons développédans la première et la seconde partie


de cet ouvrage, toutes les règles et tous les principes propres
a guider le manufacturier dans la préparation des liqueurs
fermentées, destinées à la distillation. Il ne nous reste plus
maintenant, pour terminer la tâche que nous nous sommes
imposée, que d'enseigner les moyens les plus parfaits et les
plus économiques de séparer l'alcohol , et de donner en même-
temps tout ce qui se rattache à cette partie intéressante de
l'art.
Nous nous occuperons donc , dans cette partie, des appa
reils distillatoires , de leurs constructions et de la théorie sur
laquelle elles sont fondées. Nous croyons utile de faire précé
der ces notions par une esquisse rapide de l'histoire de la dis
tillation, pour fixer l'opinion des distillateurs sur les perfec-
. tionnemens principaux dont la science des appareils a été
l'objet depuis quelques siècles.
DE LA DISTILLATION . .^31

; CHAPITRE PREMIER.

Historique de la Distillation ( 1 ).

Les anciens ont connu l'art de faire des boissons ferrnentées


avec diverses substances. Les Grecs , les Romains , ont fait
des vins avec le jus des raisins, et nous ont même transrais
les règles pratiques qu'ils observaient pour cette fabrication.
Les Egyptiens connaissaient même la transformation des cé
réales en liqueurs vineuses, et la bière était l'une de leurs
boissons favorites.
Nous ne conservons aucun document qui puisse nous faire
soupçonner que ces peuples aient connu l'art de séparer des
vins ce corps particulier qui leur donne une propriété eni
vrante, et que nous avons nommée eau -de- vie, quintes
sence ou alcohol, suivant le degré de concentration auquel
nous l'amenons.
Les peuples de l'Asie connaissaient depuis un temps im
mémorial l'appareil distillatoire que nous appelons alambic ,
et ils s'en servaient pour séparer l'huile essentielle des plantes,
comme nous le faisons nous-même aujourd'hui ; mais il n'est
pas a notre connaisance qu'ils l'aient utilisé pour la séparation
de l'alcohol.
L'alambic est une invention arabe, et le nom lui-même a
ëté transporté chez nous de chez ce peuple avec l'appareil
qu'il désigne. Nous devons très-probablement cette acquisition
de l'alambic aux excursions que les Francs firent en Arabie, a
l'époque des croisades ; car c'est de cette époque que date
pour nous la connaissance de cet appareil. On sait en effet
que les croisades, ces guerres absurdes dirigées par la piété
de nos monarques contre l'hérésie asiatique, ne furent pas

. (1 ) Il serait convenable , pour l'intelligence parfaite de cette his


toire , de lire préalablement les chapitres suivans , qui traitent des
agens de la distillation.
TRAITÉ DE L'ART
sans produire quelques resultats heureux pour le développe
ment de nos connaissances et de notre industrie. L'Asie est
pour nous je berceau des arts et des sciences ; c'est la que pui
sèrent les Égyptiens qui , depuis , nous transmirent quelques
lambeaux des sciences de l'Inde, par l'intermédiaire des Grecs
et des Romains. Mais cette source , la plus reculée que noua
connaissions aux développemens de l'esprit humain, n'a point
tari subitement, et l'Egypte, la Grèce et Rome avaient brillé
a une époque où l'Asie conservait encore quelques traces de
sa splendeur antique.
Ce fut donc a l'époque où les croisés allèrent porter leurs
ânnes sur le sol natal des arts, que l'industrie s'enrichit chez
nous de nouveaux moyens et commença a prendre quelques
développemens. L'alambic fut une conquête de cette épo
que, et il servit chez nous aux mêmes usages qu'en Arabie,
jusqu'a ce que l'alchimie , qui suivit de près les croisades ,
s'empara de cet appareil pour la recherche de la pierre phi-
losophale.
L'Histoire ne nous a point transmis le nom de l'homme
industrieux qui, le premier, sépara l'alcohol du vin à l'aide
de l'alambic ; mais tout nous porte à croire que c'est à un
alchimiste que nous devons cette découverte. Avant le XII"
siècle, nous ne trouvons nulle part des documens qui puissent
nous faire soupçonner la connaissance de l'eau-de-vîe.
Arnaud de Villeneuve et Raymond de Lulle sont les
premiers auteurs qui aient donné la description des procédés
employés de leur temps pour la distillation des vins. Leurs
ouvrages datent du XIII° siècle ; ce .sont les plus anciens que
Bous ayons sur cette matière.
Le premier appareil employé pour cette opération fut
tout naturellement celui qui avait sans doute servi à la décou
verte. Il consistait en une cucurbite de verre, sur laquelle on
lutait un couvercle de même matière , qui portait intérieu
rement lme rigole a sa partie inférieure , pour recevoir les
vapeurs condensées et les transmettre , hors de l'appareil ,
par un bec disposé a cet effet , a la partie latérale. C'était
enfin l'appareil distillaloire en verre qui est encore usité-
aujourd'hui dans tous nos laboratoires de chimie.
DE LA DISTILLATION. s33
Insensiblement on le modifia ; on le construisit en métal ;
en augmenta ses dimensions ; de longs tuyaux de formes
variées furent adaptés au col de la cornue , en place du cha
piteau, et donnaient déjà l'idée du serpentin. Ces tuyaux, en
effet, étaient de véritables condensateurs a surfaces multi
pliées , et cette multiplication de surfaces était d'autant plus
utile alors, que l'air était seul employé à la condensation.
Lorsque nous observons la construction et la disposition de
ces appareils, nous y retrouvons l'application pratique des
notions précises que nous avons depuis utilisées, avec tant de
succès, dans nos alambics perfectionnés.Nous voyons en effet
ces longs tuyaux destinés a recevoir les vapeurs produites par
la cucurbite , s'élever d'abord a une hauteur assez grande et
redescendre ensuite de manière a ce que les vapeurs conden
sées dans le tuyau ascensionnel pussent retomber , par leur
propre poids , dans la chaudière , pour être soumises à une
nouvelle vaporisation , tandis que celles qui subissaient une
semblable condensation dans le tuyau descendant, étaient re
cueillies isolément. Par ce moyen , ou par une foule d'autres
analogues, les anciens avaient reconnu que l'eau-de-vie qu'ils
obtenaient était plus déflegmée. L'avantage de cette disposi
tion avait été tellement bien constaté par la pratique, que des
distillateurs poussèrent son application au point d'établir des
appareils où les vapeurs devaient parcourir toute la hauteur
d'un bâtiment, dans un tuyau condensateur ascensionnel,
avant d'entrer dans un autre tuyau descendant, où le résultat
de la condensation pouvait être recueilli séparément. Je ne
m'arrêterai pas a décrire toutes les variantes d'appareils con
struits sur ce principe; qu'il me suffise de le signaler et de faire
• remarquer qu'il était parfaitement d'accord avec les lois que
nous développerons plus bas sur la condensation des vapeurs.
On voit donc par la que les anciens connaissaient parfaite
ment cette propriété que possèdent les vapeurs aqueuses , de
redevenir liquides a une température où l'alcohol peut encore
conserver l'état aé1iforme. Cette découverte et son application
a la distillation n'appartiennent pas à notre siècle ; nous avons
seulement l'avantage de les avoir soumises à des règles plus
précises et d.e les avoir utilisées avec plus de succès.
L'eau ne tarda pas à remplacer l'air, comme réfrigérant,
et a diminuer considérablement, par son emploi, le volume
des appareils condensateurs. Nicolas Lefebvre , au XVII*
.siècle, commença d'abord par l'appliquer au chapiteau dans
un appareil que nos pharmaciens , nos parfumeurs et nos li-
quoristes emploient encore aujourd'hui ; c'était tout simple
ment un vase cylindrique destiné a contenir de l'eau dans
laquelle baignait le chapiteau ; du reste , la chaudière était la
même et communiquait au chapiteau par un col plus ou moins
long.
Un perfectionnement important que Nicolas Lefebvre ap
porta h cet appareil, fut de supprimer le réfrigérant du cha
piteau et de faire communiquer le bec de celui-ci avec un long
tuyau en cuivre qui traversait diagonalement un tonneau plein
d'eau , de manière a ce que les vapeurs liquéfiées dans le cha
piteau et le tuyau condensateur trouvaient une pente qui les
portait hors de l'appareil , dans un vase destiné à les rece
voir. - . ,
Glauber, dans le même siècle, outre les modifications heu
reuses qu'il fit subir aux appareils distillatoires , changea le
tuyau droit de Lefebvre , pour le remplacer par un tuyau
contourné en forme de serpent et qui circulait ainsi dans la
cuve pleine d'eau, en offrant a la vapeur plus de surfaces de
Condensation. Ce serpent avait déjà été utilisé par Porta,
pour la condensation des vapeurs par l'air ; mais Glauber fut
le premier qui l'immergea dans l'eau.
Ce fut ce même Glauber qui , le premier , imagina l'appa
reil distillatoire que Woulfcopia pour établir l'appareil chi
mique qui porte son nom , et qui donna depuis a Edouard
Adam l'idée de l'alambic, qui marqua une révolution com-1 v
plète dans l'art dela distillation.L'appareil d'Adam n'est donc
rien autre chose qu'une reproduction perfectionnée des appa
reils de Glauber ; car celui-ci fit aussi un appareil où une
simple cornue, placée dans un fourneau, fut destinée a chauf
fer a la vapeur le liquide vineux contenu dans un autre vase
avec lequel elle communiquait, et par conséquent a en opé
rer la distillation.
Jusqu'à cette époque, l'art d'extraire l'alcohol du vin fut
DE LA. DISTILLATION. 235
extrêmement limité , et 3a consommation de ce nouveau pro
duit ne commença à prendre quelques développemens dans
les arts et dans l'économie domestique , que vers le commen
cement du XVIII° siècle ; alors les appareils cessèrent d'être
l'ornement des laboratoires pharmaceutiques et des curieux ;
leurs dimensions augmentèrent à mesure qu'ils devinrent les
instrumens d'opérations manufacturières plus importantes ;
des fabriques nombreuses s'élevèrent dans nos contrées méri
dionales et contribuèrent puissamment a étendre la culture de
la vigne et a enrichir notre pays d'une branche de commerce
d'autant plus fructueuse, qu'elle est tout-a-la-fois agricole
et manufacturière.
Lorsque l'alcohol e» l'eau-de-vie furent ainsi devenus
d'une utilité générale, l'analogie qui existe entre les pro
priétés enivrantes du vin et des autres boissons fermentées
fit naître dans les contrées et chez les peuples qui n'ont point
de vignes , l'idée de soumettre à la distillation les boissons
qui pour eux faisaient l'office du vin. De la la distillation
des substances amilacées en Allemagne, en Angleterre, en
Hollande et dans le nord de la France ; de Ta la distillation
de toutes les substances végétales capables de subir la fermen
tation alcoholique , et de fournir par la une boisson vineuse.
Jusque vers la fin du dix-huitième siècle les appareils dis-
tillatoires utilisés dans les fabriques différèrent peu entre eux
quant aux dispositions principales ; il n'y avait surtout de
nuances sensibles que dans les proportions. C'était une chau
dière en cuivre surmontée d'un chapiteau , d'un diamètre
égal à-peu-près à la moitié de celui de la chaudière , et allant
un peu en évasant vers la partie supérieure; la se trouvait
latéralement un tuyau conique dont la partie la plus large
était fixe sur le chapiteau , et dont l'autre s'ajustait à l'ori
fice supérieur d'un serpentin qui faisait sept ou huit tours
en hélice dans une cuve en bois, et sortait par la partie
inférieure de manière à ce que les vapeurs condensées dans
l'intérieur du serpentin pussent couler au-dehors au fur et
à mesure de leur condensation dans un vase en bois nommé
bassiot.
11 est évident que, dans cette disposition, toutes les vapeurs
j. .J . -t.
230 TRAÏTÉ DE t'ART
aqueuses et alcoholiques produites par la chaudière entraient
dans le serpentin , et que le résultat de leur condensation par
la disposition de celui-ci se trouvait réuni dans le bassiot sans
que rien ne retournât à la chaudière , si ce n'est la petite
quantité de vapeurs que condensait le chapiteau par son libre
contact avec l'air. La cuve dans laquelle le Serpentin bai
gnait était constamment pleine d'eau qui s'échauffait en pro
portion de la condensation des vapeurs ; et comme l'eau
chaude, en raison de sa densité, venait toujours occuper
les couches supérieures, on la renouvellait a l'aide d'un
entonnoir de bois ou de métal dont l'ouverture évasée se
trouvait placée a quelques pouces au-dessus de la cuve, tan
dis que son orifice plus étroit plongeait jusqu'au fond de la
cuve de manière a y porter l'eau froide qu'on amenait ou
de temps en temps ou par un jet continu, dans l'orifice su
périeur de l'entonnoir. Cette eau froide arrivant ainsi au
fond du réfrigérant , déplaçait une quantité relative d'eau
chaude à la partie supérieure, où celle-ci trouvait un tuyau
de trop plein qui la portait hors de l'atelier.
Avec une semblable disposition, toutes les vapeurs four
nies par la chaudière devaient être refroidies et liquéfiées
par de l'eau que l'on devait toujours perdre au fur et a me
sure que sa température s'élevait. Cette eau , outre la chaleur
qu'elle emportait indispensablement en pure perte dans ce
mode de distillation, nécessitait une main-d'œuvre pour être
amenée dans la cuve. D'un autre côté , toutes les vapeurs
aqueuses se trouvaient condensées au sortir de la chaudière,
et mélangées avec les vapeurs alcoholiques , qui se conden
saient nécessairement après elle dans le serpentin , de sorte
que le premier produit de la distillation présentait une com
mune de liquide d'autant plus aqueux que le vin lui-même
contenait une proportion moins grande d'alcohol ; et pour
amener l'eâu-de-vie à son titre , il fallait , après la distil
lation du vin, repasser les produits une fois et même deux
fois a la chaudière. C'est cette opération que l'on connaît
encore aujourd'hui sous le nom de rectification. Elle a pour
but d'isoler d'autant plus l'alcohol de l'eau , qu'on la répète
davantage. Chaque rectification nécessitait non seulement une
BE LA DISTILLATION. 3.5'}
nouvelle dépense de combustible, mais encore «ne nouvelle
dépense de main-d'œuvre pour monter l'eau et soigner l'eu. s
semble du travail.
Le célèbre Argand , auquel nous devons plus d'une dé
couverte utile aux arts , en observant attentivement les im
perfections que nous venons de signaler dans l'appareil dis-
tillatoire employé de son temps, conçut vers l'année 1780
l'heureuse idée d'y remédier. A cet effet , il construisit l'ap
pareil chauffe-vin , qui porte son nom. 11 conserva l'an
cienne chaudière et le serpentin qui baignait dans l'eau ;
mais au lieu de faire communiquer directement le bec du
chapiteau avec ce serpentin , il disposa entre eux une cuve
dont le fond se trouvait au-dessus du liquide de la chaudière.
11 y plaça un serpentin dont l'orifice inférieur communiquait
avec le chapiteau pour recevoir les vapeurs de la chaudière ,
tandis que son orifice supérieur transmettait les vapeurs au
serpentin de la grande cuve. Cette cuve ajoutée prit le nom
de chauffe-vin , parce que sa capacité , égale a celle de 1 a
chaudière , était destinée a recevoir et a chauffer le vin avant
son entrée dans celle-ci. Ainsi dans un travail continu , le
vin contenu dans le chauffe-vin s'échauffait par la conden
sation des vapeurs qui traversaient le serpentin qu'elle bai
gnait, et il arrivait ainsi a un état voisin de l'ébullition, pen
dant que celui qui était en chaudière était soumis a la distil
lation. La position de ce chauffe-vin au-dessus de la chau
dière permettait, a l'aide d'un robinet de communication,
de faire passer sans main-d'œuvre le vin de l'un dans l'autre
aussitôt que la chaudière était déchargée de ses vinasses.
D'un autre côté, la disposition ascendante du serpentin que
ce chauffe-vin contenait permettait aux vapeurs qui s'y con
densaient de retourner dans la chaudière ; celles-laétaient les
plus aqueuses, tandis que les plus alcoholiques se rendaient
dans le serpentin condensateur , où elles se liquéfiaient pour
être recueillies au-dehors. Argand, par ce moyen , recueil
lait, par une seule chauffe, de l'alcobola un titre plus élevé,
et il économisait toute la chaleur nécessaire pour faire arri
ver le vin au terme de l'ébullition. Cette double innovatioa
était déja un perfectionnement digne d'un homme de génie.
L'exécution de cet appareil et sa conception étàient sans
doute le pas le plus difficile qu'il y eût à faire pour arriver
aux perfectionnemens importans que l'art des appareils a
subis depuis.
Argand avait utilisé en faveur du vin la chaleur pro
duite par la condensation des vapeurs ; il avait profité de
la propriété qu'ont les vapeurs alcoholiques de conserver
l'état aériforme a une température plus basse que les vapeurs
aqueuses , pour obtenir sans repasses apparentes de l'eau-
de-vie a un titre plus élevé , et cela par les moyens que nous
venons d'exposer. Edouard Adam, vers l'année 18oo,
voulut faire plus ; il voulut construire un appareil dans le
quel il pût non-seulement utiliser, pour le chauffage du vio
à distiller, la chaleur emportée par les vapeurs, mais encore
il voulut que par une seule chauffe on pût à volonté obte
nir de l'alcohol a tous les titres du commerce , depuis 18-
jusqu'a 35 et 36° aréométriques. Il prit pour cela une autre
marche Argand. Elle lui fut, dit-il, inspirée par l'appa
reil chimique de JVoulf, qu'il vit fonctionner dans un labo
ratoire à Nîmes. •
Auprès de sa chaudière distillatoire, et a un niveau supé
rieur, il disposa une série de vases en cuivre de formes-
ovoïdes , qui étaient placés les uns près des autres sur un seul
rang. Le nombre de ces œufs fut d'abord considérable , mais
il finit par les réduire a quatre. C'était une série de petites
chaudières a demi-pleines de vin, et qui communiquaient avec
la chaudière l'une par l'autre et de deux manières. Du milieu
de la chaudière , chargée aussi de vin , partait un tuyau en
cuivre qui en recevait les vapeurs et allait les porter au fond
du premier œuf, où elles se condensaient jusqu'a ce que le
vin contenu dans cet œuf fût a une température assez élevée
f)our les respecter. Ces vapeurs alors venaient se rendre dan»
e vide de l'œuf en traversant tout le liquide qu'il contenait.-
Voyez les principes que nous établissons plus loin sur la capa
cité des vapeurs aqueuses et alcoholiques pour la chaleur,
et raisonnons en conséquence les phénomènes qui se présen
tent dans l'opération que nous étudions. La chaudière con
tient du vin ou ï ce qui est équivalent, un mélange d'eau et
DE. LÀ DISTI
d'alcohol soumis à l'action du feu. Ce mélange ne tarde pas
à se chauffer et a prendre une température telle , qu'il se
t>roduit des vapeurs. Ces premières vapeurs produites sont
es plus riches en alcohol ; elles se rendent dans le premier
œuf par le tuyau de communication ; et la , comme elles ren
contrent du vin froid , elles s'y condensent pour y faire corps
avec lui, en constituant un vin qui devient partant bien plus
riche en alcohol , puisqu'il contient non-seulement celui
qu'il portait avec lui , niais encore celui qui est liquéfié par
la condensation des vapeurs les plus alcoholiques que le vin
de la chaudière puisse produire. Cependant un point arrive
où le vin de l'œuf , enrichi d'alcohol , a une température
telle , qu'il entre lui-même en distillation , et cela en raison
des nouvelles vapeurs qu'il reçoit de la chaudière. Alors
il est évident que les premières vapeurs que produira cet œuf
seront bien plus alcoholiques que celles qui ont servi à le
chauffer , puisque cette richesse des vapeurs en alcohol est
proportionnée a la richesse même du vin qui les produit. Ces
vapeurs plus riches du premier œuf, se rendront donc dans le
vide qu'il conserve encore a sa partie supérieure, et de la elles
seront portées au fond du second œuf par un tuyau en cui
vre qui établit entre ces deux œufs une communication abso
lument semblable a celle qui a porté les vapeurs de la chau
dière au fond du premier œuf. La s'opèrent une nouvelle
condensation et un nouveau chauffage de vin qui acquiert
ainsi une spirituosité bien plus grande que le vin du premier
œuf, puisqu'il est chauffé au détriment de la condensation des
vapeurs alcoholiques plus déflegmées^Les autres œufs com
muniquent ainsi de l'un a l'autre , et se chauffent de la même
manière, de sorte que dans un travail continu ils présentent
une série de chaudières chauffées à la vapeur, et dont les vins
sont d'autant plus riches en alcohol qu'ils sont contenus dans
œuf plus éloigné de la chaudière. Les vapeurs alcoholiques
donne le dernier œuf portent donc avec elles très-peu
apeurs d'eau , et elles sont conduites immédiatement dans
;hauffe-vin semblable a celui d'Argand , mais dont le
serpentin , au lieu d'être ascendant est descendant ; la elles
se condensent en chauffant le vin destiné a entrer en distil
TRAITÉ DE L'ART
lation ; et pour achever de refroidir a une température Basse
l'alcohol ainsi liquéfié dans le chauffe-vin , on le fait passer
dans un petit serpentin inférieur qui baigne dans de l'eau
que l'on renouvelle quand cela est nécessaire : on se sert a cet
effet de l'entonnoir dont nous avons parlé précédemment ,
c'est-à-dire qu'on fait arriver l'eau froide au fond dela cuve,
et qu'on fait sortir l'eau chaude par un trop plein.
On voit clairement qu'a l'aide de cette disposition , a la
quelle Adam n'arriva point tout d'un coup, l'on voit, dis-
je, qu'il utilisait en faveur du vin toule la chaleur produite
par la condensation des vapeurs alcoholiques et aqueuses ,
tandis qu'drgand , avec un seul chauffe-vin , ne pouvait
guère profiter que de la chaleur produite par la condensation
des vapeurs les plus aqueuses. Adam ne perdait donc que
la chaleur nécessaire pour refroidir l'alcohol , condensée de
la température de cette condensation jusqu'à celle à laquelle
cet alcohol sortait du serpentin refroidi par de l'eau. Cet
avantage était déja important ; mais il avait en outre celui
qu'il s'était promis, de pouvoir tirer du premier coup l'al
cohol à tel titre qu'il voulait, et cela à l'aide de dispositions
qu'on ne peut bien faire concevoir qu'à l'aide d'une f1gure,
et dont nous nous formerons une idée plus bas dans la des
cription de l'appareil perfectionné d'Adam et de Bérard.
L'annonce de la découverte d'Adam donna l'éveil à l'in
dustrie, et elle fut le précurseur des travaux immenses dont
les appareils distillatoires ont depuis été l'objet. Bérard, dis
tillateur au Grand-Gallargues (département du Gard), prit,
à la même époque qu'Adam , un brevet d'invention pour
un alambic qu'il annonça réunir tous les avantages de celui
de ce dernier. Cet appareil , en effet , était assez simple en
lui-même ; son exécution différait beaucoup de celle du
compétiteur ; et quoique au fond il résolût moins bien la ques
tion de l'économie de la chaleur , il n'y a point de doute
qu'il ne fût plus avantageux en pratique par sa simplicité.
Voici , au reste , quelle était sa construction.
Sur une chaudière ordinaire était appliqué un chapiteau
\ col un peu élevé. Ce chapiteau était en contact avec l'air
jibre, ainsi que le col et la partie supérieure de la chaudière ;
DE LA DISTILLATION.
de sorte que dans cette partie de l'appareil il y avait conden
sation de vapeurs , qui seraient retombées directement dans
la chaudière pour subir une nouvelle distillation , si elles
n'eussent rencontré dans cette rechute un obstacle qui con
stituait une des particularités les plus remarquables de l'ap
pareil Bérard. Cet obstacle, en effet, consistait dans plu
sieurs diaphragmes dont la disposition était telle , que la va
peur condensée dans le chapiteau venait surnager à la sur
face d'un plateau , et que celle produite par la chaudière
dans un travail continu devait traverser cette couche de li
quide avant d'arriver dans l'appareil. Par cette disposition ,
Bérard obtenait un très-petit diminutif des avantages
qu'Adam avait réalisés a l'aide de ses œufs , c'est-à-dire que
la petite portion de vapeurs condensées dans le chapiteau
par le contact de l'air étant mise en présence de vapeurs nou
velles , était ainsi soumise a une analyse qui les déflegmait
plus ou moins et les rendait proportionnellement plus ou
moins alcoholiques. Cette disposition de Bérard , remar
quons-le ici en passant , a depuis été modifiée de la manière
la plus heureuse dans l'appareil continu ; mais nous devons
dire aussi que c'est là son plus grand mérite, car l'inventeur
ne l'avait exécutée que d'une manière très-imparfaite , toute
la chaleur perdue par la condensation des vapeurs dans le
chapiteau n'étant point utilisée en faveur de la matière, ainsi
que l'avait fait Adam. Au sortir de ce chapiteau , les vapeurs
étaient portées dans un appareil cylindrique baignant dans de
l'eau. Là, dans une succession de cases qu'elles parcouraient
à volonté entièrement ou seulement en partie , elles subis
saient une condensation qui les déflegmait plus ou moins, et
dont le produit retournait à la chaudière pour subir une nou
velle distillation. Remarquons bien que cette condensation
était opérée par de l'eau , que c'était par la même autant de
chaleur perdue, et que le produit, en retournant dans la chau
dière reprendre de la chaleur au foyer , constituait une dou
ble perte de combustible. Ces deux parties de l'appareil Bé
rard étaient destinées à remplacer les œufs d'Adam, et à
en faire le service ; le reste était le même , c'est-à-dire qu'il
se composait d'un serpentin supérieur à la chaudière, bai-
TRAITÉ DE L'ART
gnant dans du vîn, et d'un autre inférieur baignant dans de
l'eau.
Si nous analysons maintenant comparativement les deux
exécutions d'Adam et de Bérard en ce qu'elles diffèrent,
nous reconnaîtrons facilement que l'un avait beaucoup fait
pour l'économie de la chaleur et que l'autre ne s'en était que
peu ou point occupé ; nous trouverons aussi que l'un avait fait
un appareil irès-compliqué, où l'on pouvait même redouter
les dangers de l'explosion, tandis que l'autre avait offert au
brûleur, peu familier avec les appareils chimiques, un alam
bic assez simple et d'un travail facile. Ne cherchons doncpoint
à établir un parallèle entre Adam et Bérard ; tous les deux
ont leur mérite, et ils ont fourni tous les deux les premières
exécutions des moyens que nous employons aujourd'hui avec
plus de connaissances et de succès dans l'art de la distillation.
Je ne parlerai point des appareils qui ont ou n'ont point
été l'objet de brevets d'invention, et qui ont mar qué l'époque
qui sépare la découverte d'Adam de celle de la distillation
continue, et je m'empresse d'arriver à celle-ci ., qui est de la
plus haute importance. Vers l'an 18o8, M. Cellier- Ulumen*
thaï. aidé des lumières que les travaux d' Adam et de Bérard
avaient jetées sur l'art qui nous occupe , conçut l'heureuse idée
d'introduire dans cet art la continuité et tous les avantages atta
chés à ce mode d'opérer,c'est-a-dire qu'il voulut quele vin en
trât d'un côlé dans son appareil par un jet continu , pour en sor
tir de l 'autre de la même manière, et privé complétement de son
alcohol. Il fit plus : il construisit un appareil qui pouvait non
seulement donner toutes les preuves par une seule chauffe ,
mais encore il obtint ces résultats sans le secours de l'eau ; le
vin seul opérait la condensation des vapeurs et la réfrigéra
tion de l'alcohol ; de sorte que toute la chaleur était utilisée
en faveur du vin , et qu'il n'y avait ici de perte que celle in
dispensable produite par les parois de l'appareil. M. Cellier
cuj donc ici le mérite d'enchérir, sous plusieurs rapports,
sur les travaux de ses prédécesseurs. Uue découverte aussi
heureuse eut pour son auteur les désagrémens que provoquent
trop souvent les inventions utiles , et auxquelles Adam lui-
même avait été en butte. M. Cellier eut des contrefacteurs,
DE LA DISTILLATION. 52 43
** * Vf
et dut soutenir contre eux des procès toujours ruineux. Ba-
glioni, entre autres, s'appropria le travail de M. Cellier dans
une machine qu'il répandit dans le Languedoc ; mais quel
que bonne qu'ait été cette dernière, je ne pense pas qu'elle
puisse valoir l'appareil Cellier perfectionné par M. Ch. De-
rosne. Cet économiste distingué a beaucoup amélioré l'in
vention dont il est aujourd'hui propriétaire; il l'a simplifiée,
et mise par la même au rang des instrumens de manufac
ture les plus maniables et les plus utiles. Comme un brevet
d'invention garantit à M. Derosne la propriété de son appa
I reil, pour le perfectionnement duquel il a dû faire des frais
considérables, il est juste qu'il trouve dans l'exploitation de
1 brevet un faible dédommagement de ses dépenses et de
travaux. Nous ne pourrons donc donner un plan achevé
cet appareil, qui coûterait d'ailleurs a un manufacturier,
beaucoups plus a établir que M. Derosneueh vend; n1ais nous
en donnerons , en temps et lieu , une description qui pourra
suffire pour faire concevoir toute la supériorité de son méca
nisme et tous ses avantages.
Notre intention n'est pointicid'entrer dans ce dédale de des-
cr iptions inutiles aux progrès de l'art , et au milieu desquelles il
faudrait se livrer à.des réfutations ton joursoiseuses dans un ma
nuel. Nous ne donnerons donc que les appareils les meilleurs
et les mieux concus, depuis le plus simple jusqu'a l'appareil
continu. Le distillateur trouvera dans ces descriptions les no
tions qui lui sont utiles pour pratiquer son art avec succès.

. . . CHAPITRE II.
Des diverses dénominations que Ton donne aux
produits alcol1oliques dans le commerce.
L'alcohol tel que le réclament les besoins les plus im-
'. portans du commerce, n'est jamais pur, et il est toujours mêlé
à une proportion d'eau que commande son emploi , et qui fait
varier son nom.
* Ces mélanges d'eau et d'alcohol sont mesurés d'une ma-
' ■* • 16.
244 TRAITÉ DE L'ART
nière assez exacte par l'échelle aréométrique ; et c'est par les
degrés de l'aréomètre que l'on désigne plus généralement les
divefses concentrations des liqueurs spiritueuses. Cependant
il existe dans le midi des dénominations empiriques qu'il n'est
{tas inutile de faire connaître en en donnant en même temps
a signification. Ainsi, par exemple , on nomme preuve de
Hollande le mélange d'eau et d'alcohol qui marque entre 18
et 1 9° a l'aréomètre de Cartier.
En partant de ce point, qui est le plus faible degré de con
centration auquel les produits alcohaliques se trouvent dans
le commerce , on nomme f le mélange qui , marié avec ~ d'eau ,
fait un entier a 19°. Le | est donc la fraction a laquelle il a
fallu réduire une quantité donnée de preuve de Hollande pol|?
l'amener à une concentration plus grande , et cette concen- v
tration correspond au 220 degré de l'aréomètre.
Cependant aujourd'hui les brûleurs évitent de donner 22*
à leur | , parce que l'administration des impositions indirec
tes prélève un droit plus fort sur tous les mélanges d'eau et
d'alcohol qui ont 22° inclusivement. Pour éviter ce supplé
ment de droit , on ne donne plus au | que 2 1 ° f. C'est le degré
que porte toujours la véritable eau-de-vie de Cognac ; et
dans le pays d'Armagnac , où l'on fait aujourd'hui des | façon
Cognac , on leur donne aussi ce degré.
Le | est la concentration la plus élevée que l'on donne aux
liqueurs destinées à la boisson ; elles portent aussi jusque-là
le nom d'eaux-de-vie. Passé ce titre , on les désigne sous le
terme générique d'esprit ou d'alcohol , qui se subdivise
comme je vais le dire.
L'esprit le plus faible , c'est-à-dire celui qui contient le
plus d'eau , est le *f , c'est-à-dire celui qui , mélangé avec
i- d'eau , donne \ ou un entier de preuve à 1 9°. 11 pèse 25°
environ. On le nomme encore preuve d'huile , parce que
l'huile qui surnage l'eau en vertu de sa légèreté, a le même V
poids qu'un mélange d'eau et d'alcohol marquant 23° , et
que par conséquent à ce degré l'huile cesse de rester à la-
surface de l'eau-de-vie et peut se mêler avec elle.
Après l'esprit à ce titre, vient le qui correspond à 25
j degrés ; puis le \, qui correspond à 27 ° ; puis le y, à *
DE LA DISTILLATION.
^9° ; le i , à 3o° ; le f , a 51° ; le -*j , à 32° ; le | , a 33° ;
le | à 35° J le |, a 38° ; et le \, a 42°.
De toutes ces espèces de mélanges , il n'y a guère que
le | que l'on fasse encore aujourd'hui , et qui soit bien con
nu et répandu dans le commerce ; de sorte que tous les autres
n'existent que de nom. Seulement il arrive quelquefois que
le | est un peu fort , et qu'il marque 34° au lieu de 33 ;
et plus souvent encore , affaibli par les freintes de longs
emmagasinages , il se trouve qu'au lieu de 33° il ne porte
plus que 32 , 3 1° , et même quelquefois moins encore. 11 est
bien entendu que les pesanteurs aréométriques dont nous
parlons sont celles de liqueurs supposées à 1o° de tempéra
ture ; car sans cela il faudrait tenir compte des degrés de
chaud ou de froid , comme nous l'avons dit en traitant des
aréomètres et de leur emploi.
Nous ne comptons donc dans le commerce que la preuve
de Hollande à 1 9° , et le 2 1 \ pour les eaux-de-vie , et
le \ pour l'esprit.

CHAPITRE III.

Des Moyens de la distillation.


Les vins, abstraction faite de quelques matières étrangères
qu 'ils portent avec eux et qu'ils enlèvent aux végétaux qui
les produisent , ne se composent que de deux liquides bien
distincts l'alcohol et l'eau ; c'est de la réunion de ces deux
corps dans des proportions variables que dépend cette qua
lité que l'on reconnaît aux liqueurs alcoholiques sous le nom
P de vinosité. Celles qui contiennent le plus d'alcohol sont
considérées comme plus vineuses et les plus productives pour
la distillation.
L'eau et l'alcohol n'existent point dans les vins a l'état de
combinaison ; ils sont seulement mélangés , et ce mélange est
* uniquement fondé sur la propriété que l'alcohol partage avec
une foule d'autres corps , d'être soluble dans l'eau.
p

246 TRAITÉ DE L'ART


Pour les séparer , il faut avoir recours à une opérat1on
connue sous le nom de distillation ; c'est le moyen le plus
simple et le plus expéditif que nous connaissions, c'est celui
qui est utilisé dans les Arts, non-seulement pour la sépa
ration de l'eau et de l'alcohol, mais encore dans une foule
d'autres circonstances où les corps se trouvent unis deux à
deux, trois a trois, etc.
La distillation des vins est fondée sur cette propriété qu'ont
les corps d'être vaporisables a des températures différentes ,
de sorte que la chaleur est toujours l'agent de la distillation ;
c'est la puissance mécanique que nous employons pour iso
ler les substances de nature différente.
Mais l'on conçoit parfaitement que cette distillation , qui
n'est qu'une véritable séparation, peut avoir deux objets dif-
férens , et comporter des modifications dans les appareils ,
suivant que son but est de recueillir la substance la plus
volatile, ou simplement de conserver celle qui l'est moins.
Ainsi, par exemple, pour le vinaigre, qui est essentiellement
un composé d'eau et d'acide acétique, l'eau étant plus vola
tile que ce dernier , si l'on soumet l'ensemble à la distillation,
l'eau commencera par se vaporiser, et l'acide restera dans
la chaudière. On conçoit parfaitement encore que si le mé
lange sur lequel on opérait n'etait composé que d'eau èt d'a
cide acétique, il suffirait, pour le distiller, c'est-à-dire pour
isoler l'acide de l'eau , il suffirait , dis-je , de faire bouillir le
vinaigre ; alors l'appareil se composerait d'une chaudière
évaporatoire scellée dans un fourneau , et l'opération serait
absolument analogue a celle qui a pour objet de séparer le
sucre, le sel, etc. , de leurs dissolutions ; ce ne serait ici
qu'une véritable vaporisation : mais la distillation du vi
naigre a souvent un autre but, c'est non-seulement d'enlever
à l'acide l'eau dans laquelle il est délayé , mais encore de le
séparer des diverses matières organiques avec lesquelles il est
mélangé. Ainsi, dans la distillation du vinaigre, il y a sou
vent séparation de trois corps au moins. Soumis à l'ébulli-
tion, le premier produit qui s'évapore est l'eau, qui n'era-
f>orte avec elle qu'une petite quantité d'acide ; le second est .
'acide acétique ; et l'on arrête l'opération lorsqu'il ne reste
DE LA DISTILLATION.
plus dans la chaudière que les matières végétales étrange i
res, sans lesquelles la distillation du vinaigre se réduirait,
je le répète, a une simple vaporisation.
Ou ne confond point , daus les Arts , la vaporisation avec
la distillation ; l'une se dit des analyses où l'on veut recueillir
seulement les substances les moins volatiles en laissant perdre
dans l'atmosphère celles qui le sont le plus ; l'autre désigne
l'analyse où l'on a pour objet de recueillir le produit le plus
volatil d'un mélange soumis a l'ébullitioo.
Ainsi, par exemple , pour purifier l'eau et l'isoler des ma
tières étrangères qu'elle porte toujours avec elle dans le sein
de la terre , on la distille, c'est-à-dire qu'on la transforme
en vapeurs , que l'on fait passer dans des conduits métalli
ques , pour leur enlever de la chaleur et les ramener à l'état
liquide; c'est ainsi qu'on obtient l'eau la plus pure pour les
besoins des Arts , c'est ainsi que l'on peut en mer se procurer
de l'eau douce par distillation.
Il en est de même dans la distillation des boissons alcoho-
liques : le corps que l'on vent recueillir dans ce cas n'est point
l'eau, c'est l'alcohol ; et comme celui-ci est beaucoup plus
volatil que l'autre, quand on soumet le vin à l'ébullition , il
commence par se vaporiser, en emportant , à la vérité, une
portion d'eau variable ; et l'on arrive à un point où les va
peurs qui se dégagent de la chaudière ne sont plus que des
vapeurs aqueuses. Ici une simple évaporation ne remplirait
point le but qu'on se propose ; il faut donc trouver un moyeu
de recueillir les vapeurs alcoholiques pour les ramener à l'é
tat liquide : c'est ce qui a fait naître l'idée des appareils dis—
tillatoiresi ,
Ces appareils ne sont donc qu'une réunion de machines ,
dont les unes servent d'inte.rmédiaires pour communiquer la
chaleur au vin et le convertir en vapeurs , et les autres sont
destinées a envelopper ces vapeurs et à les placer dans des
circonstances favorables à leur condensation. De la la réu
nion intime, dans les appareils distillatoires , i°. des chaudiè
res évaporatoires ou cucUrbites ; 2°. des condensateurs ; 3°.
des réfrigérans ou serpentins : les premières sont destinées a
contenir le vin pour l'exposer au feu et le faire évaporer , les
2 48 TRAITÉ DE L'ART
autres servent toutes à faire passer les vapeurs de l'état aérl-
forme a l'état liquide, et en même temps à refroidir le produit
condensé. . t
On voit donc, par ce simple exposé , que les appareils dis-
tillatoires ne sont que les agens médiats de la distillation , et
tout le mérite et la supériorité qu'ils peuvent avoir les uns
sur les autres, ne peut résider que la où ils utiliseront, avec
plus de succès , la chaleur qu'ils prennent dans le foyer : cette
chaleur est la seule puissance mécanique de la distillation.

CHAPITRE IV.

De la Chaleur considérée comme agent de la


distillation.

La chaleur est considérée , en physique, comme un fluide


impondérable , et aucun fait n'a pu démontrer sa matérialité
jusqu'a ce jour. Cependant, lorsqu'il s'agit d'évaluer sa pré
sence dans les corps , nous devons la traiter , dans le langage ,
comme un corps matériel ; c'est ainsi que l'on dit : produire
de la chaleur ; capacité des corps pour la chaleur, etc.
Nous connaissons plusieurs moyens de produire de la cha
leur ; mais le plus utile et le plus répandu dans les manu
factures est la combustion : il est fondé sur la propriété qu'ont
tous les corps organiques de mettre en liberté une très-grande
quantité de calorique par leur combustion. Ceux qui en pro
duisent le plus sont les meilleurs combustibles ; tels sont les
charbons , les bois, etc. C'est à l'aide de toutes les parties
qui constituent un fourneau, que nous aidons à cette com
bustion , que nous recueillons la chaleur et que nous l'appli
quons aux corps que nous voulons chauffer : ces moyens sont
soumis aujourd'hui à des règles assez fixes pour que nous
puissions raisonner leur perfection , et il est essentiel de les
connaître pour utiliser la chaleur avec succès et avec économie.
Nous nous occuperons donc de cette partie importante
DE LA DISTILLATION.
pour la distillation , dans ce chapitre , et nous traiterons en
même temps des differentes capacités que possèdent les corps
pour la chaleur , et des lois de sa transmission.

SECTION PREMIÈRE.
Comparaison de la force calorifique des divers Combus
tibles.
Le charbon de terre, le bois et le charbon de bois sont
les combustibles les plus généralement employés dans les
Arts. Ils ne possèdent pas des propriétés égales , c'est-à-dire
qu'ils n'ont point la faculté de concentrer , dans un même
espace, une température également élevée. De ces trois com -
bustibles, le charbon de terre est celui que l'on préfère tou
jours quand on peut se le procurer sans de grands frais
de transport, parce que, vu sa force calorifique, il est en
général le plus économique. 11 n'est pas possible, d'ailleurs ,
d'obtenir avec d'autres combustibles des effets aussi grands ,
soit que l'on veuille chauffer ou vaporiser les liquides.
Des expériences exactes on été faites de nos jours pour
fixer d'une manière précise la valeur vénale des combustibles.
Rumfort a le premier étudié cette matière importante, et ses
travaux ont été répétés et continués par MM. Petit et Du-
long , Clément et Desormes , etc. ; de sorte que nous ne
marchons plus sur des hypothèses. Ce n'est point ici le lieu
de nous étendre sur les moyens que les savans ont employés
pour déterminer, d'une manière suffisamment rigoureuse, la
chaleur comparative développée par la combustion des diffé-
rens corps organiques ; qu'il nous suffise d'indiquer les résul
tats.
Le charbon de terre de bonne qualité, c'est-a-dire celui
qui ne contient que peu de pyrites et qui, par sa combustion ,
ne rend que 5 £ de cendres à-peu-près, est le meilleur com
bustible : il ne développe pas plus de chaleur que le charbon
de bois ; mais comme il est plus dense et qu'il brûle plus ra
pidement avec flamme et dans un espace moins grand , il con
eentre davantage le calorique et produit par la même une
température plus élevée.

*
25o TRAITÉ DE l'aRT
Un hectolitre de charbon de terre de bonne qualité, mesuré
en morceaux de moyenne grosseur, pèse a -peu-près 8o kilo
grammes. Si l'on pouvait former un hectolitre de charbon
d'une seule pièce , c'est-à-dire de manière qu'il n'y eût point
de vide dans la mesure, il pèserait 133 kilogrammes environ, v
Près des fosses, ce combustible ne coûte pas bien cher : il
ne vaut pas plus de 2 fr. les 1oo kilogrammes ; mais a Paris,
il vaut jusqu'à 4 et même 5 francs.
Le bois , tel qu'on le vend , pèse environ 45o kilogrammes
le stère ; desséché convenablement , il se réduit a 4oo kilo
grammes. Cette quantité de bois vaut à Paris 15 fr. et ne pro
duit pas plus de chaleur que 2oo kilogrammes de charbon.
Onpeutvoir parla l'avantage qu'ily a d'employer du charbon
de terre, a Paris même, où ce combustible est encore fort
cher, vu les grands frais de transport qu'il nécessite pour y
arriver. Le charbon est donc bien plus économique que le
bois, et outre cela, il a, je le répète, sur ce dernier, l'avan
tage essentiel d'accélérer le travail. Nous nous attacherons
donc ici spécialement aux moyens employés pour la combus
tion du charbon de terre.
SECTION DEUXIÈME.
Des conditions de la Combustion,
%
Les combustibles , pour brûler , ont besoin du contact de
l'air, et la chaleur qu'ils développent étant proportionnée a
la rapidité de leur combustion , il est évident que plus on fa
vorise cette condition plus on obtient de chaleur.
Le charbon de terre, a cause de sa texture lamelleuse et
très-dense , ne s'enflamme pas aussi facilement que le bois ;
aussi a t-on besoin de dispositions particulières pour le brû
ler avec succès. 11 faut le placer dans un fourneau bien fer
mé et sur une grille à travers laquelle l'air atmosphérique
puisse passer librement ; et pour contraindre cet air à y pas
ser, il est utile d'avoir une cheminée d'un bon tirage.
Un fourneau se compose, 1°. du foyer, 2°. de la grille,
5°. de la cheminée, 4°. du cendrier. Voyons chacune de ces
parties en particulier.
DE LA DISTILLATION. 25 1
Du Foyer.
Le foyer est l'espace qui sépare la grille du fond de la
chaudière. Cet espace varie de dimensions avec l'importance
des chaudières ; mais il ne peut guère être réduit au-dessous
de 34 à 35 centimètres, ni excéder 5o centimètres. On donne
à ses parois des dispositions variables ; tantôt on les fait per
pendiculaires , tantôt inclinées , et cette inclinaison elle-même
varie de manière à ce que la coupe verticale du foyer repré
sente un cône tronqué dont la base est tantôt a la grille, tan
tôt au fond de la chaudière. Lorsque toutes les autres condi
tions sont bien remplies, ces nuances de disposition dans les
parois du foyer sont de peu d'importance ; elles ne tendent
pas a d'autre but qu'à faire refléter plus ou moins efficacement,
sur le fond de la chaudière , le calorique rayonnant ; et nous
savons que ce résultat, quelque séduisant qu'il paraisse en
théorie, est assez nul en pratique. La chaleur rayonnante dé
gagée d'un foyer de combustion est très-minime relativement
à la chaleur produite, puisque dans une cheminée ordinaire,
où l'on n'utilise que cette chaleur rayonnante , il est bien
démontré que Ton ne réalise que ^— de la chaleur produite.
Sur l'unedes faces du foyer doit se trouver la porte qui
sert d'introduction au combustible ; la dimension de cette
porte doit être déterminée par la commodité du travail. Ainsi,
souvent elle sera suffisante avec 4o centimètres de largeur
sur autant de hauteur. On peut cependant augmenter de beau
coup ces proportions pour de grands foyers, seulement il est.
toujours essentiel de les établir bien solidement sur des cham
branles , et de les faire exécuter avec assez de soin pour
qu'elles ne donnent que peu ou point arxès a l'air atmosphé
rique, celui-ci ne devant arriver dans le foyer que par les
ouvertures de la grille.
, De la Grille.
La grille est la partie du fourneau destinée à porter le
combustible ; c'est sur elle que s'opère la combustion. Elle
se compose de barreaux de fer battu ou de fonte placés les
uns près des autres à la distance d'un centimètre ; avec cette
332 TRAITÉ DE L'ART
disposition , elle ouvre passage a l'air atmosphérique néces
saire a la combustion des matières qu'elle porte. Générale
ment on donne a ses barreaux une épaisseur de 3 centimè
tres ; ainsi, la grille présente une surface d'ouverture égale
au quart de sa surface totale. Ces proportions paraissent;
être les plus convenables en pratique.
Le rapport une fois connu de la surface pleine a la sur
face vide de la grille , il est essentiel de savoir sur quelles
bases on doit se fixer pour déterminer la dimension , la forme
et les proportions de la surface totale.
La dimension est évidemment dépendante de la quantité
de combustible que l'on devra brûler dans un temps donné.
Ainsi , par exemple , si l'on avait a brûler dans une heure
1oo kilogrammes de charbon , la grille ne devrait pas être
de la même dimension que celle qui aurait été reconnue bonne
pour brûler 5o kilogrammes de charbon dans le même es
pace de temps ; elle devrait présenter une surface double.
L'expérience nous a appris que lorsque l'on a a brûler ,
par exemple, 1oo kilogrammes de charbon par heure, la
grille doit être chargée constamment de la moitié de cette
quantité de combustible , c'est-a-dire de 5o kilogrammes. Elle
nous a appris de plus que pour obtenir de bons résultats , il
est convenable de maintenir ce combustible a une hauteur
de 5 centimètres. Ainsi , comme nous savons qu'un hecto
litre de charbon mesuré pèse 8o kilogrammes , nous savons
par la même que 5o kilogrammes de ce même charbon occu
pent un volume de 62 litres. Nous devons donc maintenir
constamment sur notre grille un volume de combustible égal
a 62 litres, ou, ce qui revient au même, a 62 décimètres
cubes. Il est facile , sur ces données , de calculer que la sur
face totale de la grille qui doit porter constamment un volume
de 62 décimètres cubes sous une hauteur de 5 centimètres ,
sera égale a 125 décimètres carrés. Quant a la forme la plus
convenable, c'est celle quadrangulaire, et pour la commo
dité du' travail, on lui donne celle d'un carré long. Nous lui
donnerons ici une longueur de 1 mètre 5o centimètres ; or
nous aurons, pour sa largeur, 83 centimètres. Ainsi, avec
ces proportions, nous aurons une grille qui portera constam^
DE LA DISTILLATION. s*53
ment 5o kilogrammes de charbon étendus sous une couche
de 5 centimètres d'épaisseur , et qui en consommera dans
une heure 1oo kilogrammes.
Si l'on avait une quantité de combustible moins grande h
brûler dans le même laps de temps , soit 5o kilog. , par exem
ple , au lieu de faire une grille qui présente une surface
égale à 125 décimètres carrés, on la ferait de 62 - décimè
tres, et ainsi de suite. Quant aux intervalles des barreaux ,
ils doivent toujours être les mêmes, c'est-a-dire que leur en
semble doit former une surface égale au quart de la surface
totale de la grille.
Cette surface d'ouverture , représentée par la réunion des
intervalles que les barreaux laissent entre eux , est destinée
a laisser entrer dans le foyer la quantité d'air atmosphérique
nécessaire à la combustion ; mais illest facile de concevoir que
toute cette surface ne peut pas être utilisée complétement pour
sa destination, et que le combustible que la grille porte, en bou
che une grande partie ; de sorte que l'on se tromperait beau
coup si l'on croyait que toute cette surface ouvre un pas
sage libre a l'air. M. Clément , dont nous empruntons les
documens précieux que nous donnons ici, a calculé qu'une
grille qui présente une surface totale de 125 décimètres car
rés , et par conséquent une surface d'ouverture de 3 1 \ déci
mètres , n'offre réellement au passage de l'air a travers le
combustible, dans une succession de. travaux, qu'une sur
face libre égale a 5 j décimètres carrés, c'est-à-dire égale au
24e de la surface totale. Cette donnée est d'une utilité indis
pensable pour l'intelligence de l'harmonie qui doit exister
dans les proportions de toutes les autres parties du fourneau,
et nous l'utiliserons ci-après aux articles cendrier et chemi
née.
Nous avons fixé ici les moyens de calculer la dimension
que l'on doit donner a la grille, d'après la quantité de char
bon que l'on doit brûler dans un temps donné ; ce document
serait incomplet si nous n'avions pas les moyens de calculer
aussi la quantité de charbon qu'il est nécessaire de brûler pour
chauffer ou évaporer , dans un temps connu , une quantité
de liquide aussi connue : c'est ce que nous ferons connaître
254 TRAITÉ DE L'ART
plus bas. 11 faut donc , avant tout, lorsque l'on veut con
struire un fourneau de distillation , être fixé sur la propor
tion dans laquelle l'eau et l'alcohol sont unis dans le vin;il
faut savoir quelle quantité de liquide on veut chauffer ou va
poriser dans un temps donné. Sur ces documens, faciles
obtenir, le manufacturier calcule la surface de sa grille , et
par suile les proportions de toutes les autres parties du four
neau n'offrent plus de difficultés.
Du Cendrier.
On a souvent attaché, dans les fabriques, une importance
puérile a donner une grande dimension au cendrier. C'est
ainsi, par exemple, que l'on a établi au-dessous de la grille
de vastes caveaux , dans la vue de ne point gêner l'arrivée de
l'air dans le foyer. Le cendrier a, à la vérité, outre sa des-
t'nationde servir de magasin de cendres, la fonction de livrer
passage a l'air nécessaire au foyer ; mais si l'on se reporte a
ce que nous venons de dire de la surface libre qu'une grille
de 1 25 décimètres carrés présente au passage de l'air on con
cevra que , pour une grille de cette dimension , un cendrier
qui lui offrira une communication avec l'air par une surface
égale a 5 -g décimètres carrés sera toujours suffisant. Cette
condition sera remplie quand le cendrier aura une porte car
rée de 2 3 centimètres de côté. !|
11 est donc inutile d'établir ces vastes cendriers qui néces
sitent souvent de grands frais , à moins que l'on ne veuille les
faire servir spécialement de magasin de cendres ; sans cette
destination , les grandes dimensions sont tout-à-fait inutile^
elles n'exercent aucune influence sur le tirage du fourneau , ^
seulement il est convenable de leur donner une surface égale
à celle de la grilleet d'adapter une porte a l'ouverture qui li- - .
vrepassage a l'air. Al'aide de cette porte, on peut, au besoin ,*
diminuer l'intensité de la combustion en la fermant plus ou
moins. Un registre à. coulisse ferait encore bien ce service.
De la Cheminée.
La cheminée , outre l'utilité qu'elle présente comme tube
conducteur des vapeurs et de la fumée hors de l'atelier, va-

■'i
j£ - ...
DE LA DISTILLATION. 255
peurs qui 1ncommoderaient toujours les ouvriers, sert encore
à établir une colonne d'air chaud qui , par son ascension con
tinuelle dans l'atmosphère, en raison de sa pesanteur spé
cifique , est un moyen efficace , une puissance mécanique né
cessaire pour introduire l'air dans le foyer et le forcer a passer
plus ou moins rapidement a travers le combustible. C'est
d'elle seule que dépend la vitesse avec laquelle l'air passe a
travers le foyer, ou, pour m'exprimer d'une manière plus
exacte , c'est de la température et de la hauteur de la colonne
d'air chaud 'a laquelle elle livre passage que dépend cette
vitesse.
C'est pour cela que l'on dit d'une haute cheminée qu'elle
tire bien, parce que, toutes autres circonstances égales d'ail
leurs , celle qui sera la plus haute déterminera toujours une
introduction d'air plus grande dans le fourneau, et partant,
une combustion plus rapide, et partant encore, une tempé
rature plus élevée : nous aurons donc un moyen certain d'aug
menter le tirage d'une cheminée en augmentant sa hauteur.
L'ouverture de la cheminée n'est pas un point indilfére11t ,
et c'est d'après la surface libre de la grille que nous devons
la déterminer. Ainsi. par exemple, pour une grille de 126
décimètres carrés , qui présentera une surface libre de 5 |
décimètres carrés au passage de l'air, la cheminée devra don
ner passage a toute cette quantité d'air , dilatée suivant la
température a laquelle elle sort et chargée de vapeurs d'eau ,
* de charbon et diverses matières étrangères , de sorte qu'en
pratique nous pourrons donner a l'ouverture de la cheminée
une surface double de celle de la surface libre de la grille. Ce
serajci 1 1 décimètres carrés, c'est-a-dire un carré de 5 1 dé
cimètres de côté a-peu-près. Cette ouverture sera.plus que
suffisante pour donner un bon tirage dans le cas que nous ad
mettons.
Lorsque l'on opère bien, on ne fait pas passer directement
la flamme qui se dégage du foyer dans la cheminée , mais
on la &it circuler avant cela sous une partie du fond de la
chaudière ou au moins le long de ses parois latérales , quand
cela est possible, pour lui enlevee ainsi une plus grande quan
tité de chaleur en faveur du corps a chauffer ; mais on con
^56 ' TRAITÉ DE L'ART
çoit que si l'on obtenait une perfection mathématique dans
ce dépouillement de calorique que l'on fait subir a la flamme
et a l'air chaud qui se dégagent du foyer , on détruirait uue
des conditions essentielles de la combustion ; l'air que con
tiendrait alors la cheminée n'ayant pas une temperature plus
élevée que l'air extérieur , ne pourrait plus s'élever , et lé*
tirage de la cheminée deviendrait nul. Il faut donc toujours
perdre une portion de la chaleur dégagée par le foyer pour
servir de moteur à la combustion. Cette perte est inévitable ;
car, sans cela , il faudrait employer une autre puissance mé
canique, un soufflet, par exemple, pour forcer l'air à pas
ser a travers le charbon. Quant a la dimension que l'on doit
donner à l'ouverture des conduits qui forcent la flamme et
l'air chaud à lamper la chaudière avant de s'échapper dans
la cheminée , elle doit être au moins la même que l'ouver
ture de celle-ci , c'est-à-dire de 1 1 décimètres carrés de sur
face. Il faut aussi ménager des ouvreaux que l'on puisse
déboucher facilement et à volonté pour nettoyer ces conduits
de la cendre et de la suie qui , en s'y déposant , finiraient
par les obstruer. La cheminée elle-même doit être souvent
nettoyée ; sans cette précaution, les dimensions indiquées
ici étant calculées pour obtenir un bon tirage , finiraient par
se réduire beaucoup et par nuire proportionnellement à l'ac
tivité de la combustion.
f♦ ^
SECTION TROISIEME.
Des lois suivant lesquelles la chaleur se transmet à traver s
les corps.
Lorsque l'on met en contact deux corps dont l'an est
chaud et l'autre froid , la chaleur passe de l'un à l'autre avec
une vitesse proportionnelle aux points de contact que les .
deux corps se présentent et à la différence de température qui
existe entre eux. Ainsi lorsque l'on soumet de l'eau dans
une chaudière à l'action d'un foyer, elle se chauffera d'au
tant plus rapidement qu'elle présentera , par l'intermédiaire
de la chaudière, plus de points de contact à la chaleur déga
gée du foyer et que cette chaleur sera plus ardente.
?DE LA DISTILLATION.
Les pomts de contact que la chaudière offre à la chaleur
se nomment surfaces de chauffe. Le chauffage des liquides
»est donc proportionnel aux surfaces de chauffe des vases qui
les contiennent.
D'un autre côté, si le foyer est plus grand, si la masse
de combustible ardente est plus grande , les surfaces de
chauffe seront exposées à une plus haute temperature , la
transmission de la chaleur sera plus rapide , et elle s'opérera
toujours avec une vitesse proportionnée a la différence de la
température des surfaces de chauffe avec celle de l'eau que
l'on veut chauffer. Si nous estimons, par exemple, la tem
pérature moyenne que possède la chaleur qui enveloppe tou
tes les surfaces de chauffe d'une chaudière par 6oo", et que
celle de l'eau a chauffer ne soit que de io°, la chaleur pas
sera du corps chauffant au corps a chauffer avec une vitesse
égale a 6oo° moins i o° , c'est-a-dire a 59o". Cette vitesse
ne sera plus la même et diminuera dès le moment où l'eau
augmentera de température de manière à se rapprocher du
terme de l'ébullition, 8o° ; et a 7o°, par exemple, elle ne
sera plus exprimée que par 6oo moins 7o°, c'est-a-dire par
55o°. H est donc vrai de dire , en pratique comme en théorie ,
que l'eau se chauffe avec une rapidité proportionnelle à la
™ différence de sa température avec celle du corps chauffant.
Les conditions que nous venons d'établir pour le chauffage
de Teau sont les mêmes pour le chauffage de tous les corps ,
de tous les liquides , et même pour la production des va
peurs ; et il est essentiel de s'en bien pénétrer pour tirer le
plus de parti possible de la chaleur dégagée par la com-
& bustion , et pour ne point commettre de fautes dans la con
struction des appareils qui ont pour but le chauffage ou la
vaporisation des liquides.
* C'eSt en interprétant mal , c'est en concevant mal l'une de
ces conditions de la transmission dela chaleur, que des manu
facturiers, d'ailleurs éclairés, ont souvent commis des fautes
graves. J'ai vu, par exemple, des raffineurs de sucre pla
cer de grandes chaudières évaporatoires plates sur des four
neaux tellement petits , que l'ébullition du sirop ne s'opérait
que sur une petite portion de la surface qui devait être des-
17
â58 TRAITÉ DE L'ART
tinée a vaporiser le l1quide, de sorte qu'ils n'obtenaient pas
avec une grande chaudière une force vaporisante plus grande
que s'ils eussent placé sur le même fourneau une chaudière
beaucoup plus petite. Cette faute de construction provenait
évidemment d'une ignorance pernicieuse des lois qui pré-
sîdent a la vaporisation , qu'ils confondaient abusivement
avec l'évaporation. Ils étaient partis en effet, dans leur con
struction, de ce principe bien avéré qui admet que l'évapo-
ration des liquides est proportionnelle aux surfaces ; et en
conséquence de ce principe, ils s'imaginaient qu'en faisant
une chaudière évaporatoire qui présentait une grande surface
au contact de l'air atmosphérique , ils économisaient une
grande quantité de combustible. Mais on peut concevoir déjà
tout ce que ce raisonnement offrait d'absurde et d'inexact.
11 est avantageux sans doute de présenter un liquide sous une
très-grande surface a l'action dissolvante de l'air atmosphé
rique;, quand ce liquide ne doit pas recevoir d'autre agent
évaporant , et c'est ce que l'on fait dans les marais salans ,
où l'on parvient a volatiliser de grandes masses d'eau par
desséchement ; mais dans un liquide que l'on soumet a l'ac
tion du feu pour le réduire en vapeurs par ébullition , il est
évident que la vaporisation n'existera que sur les surfaces
de chauffe où le liquide prendra une température assez haute
pour bouillir. Il y a donc une différence très-grande dans la
signification des mots évaporation et vaporisation , quoique
l'on emploie toujours ces mots indifféremment l'un pour l'au
tre. L'évaporation est une vaporisation lente produite a la
surface d'un liquide que l'on présente a cet effet , sous Hne
grande couche , au contact de l'air , et son intensité est réel
lement proportionnelle a la surface ; mais la vaporisation
est la réduction d'un liquide en vapeurs par ébullition , et
il est évident qu'elle ne peut être que proportionnelle aux
surfaces de chauffe sur lesquelles cette ébullition se détermine.
Les liquides sont considérés comme de mauvais conduc
teurs de la chaleur, c'est-a-dire que celle-ci ne les pénètre
que difficilement. Rumfort , le premier , a mis cette vérité
en évidence, et il nous a prouvé que l'eau ne se chauffe qu'en
raison de la mobilité de ses molécules. L'eau , comme tout
* DÉ LA DISTILLATION. a5g
les corps, en se chauffant, augmente de volume ; elle devient
par la même spécifiquement plus légère, et dans un vase où
on la chauffe , elle puise sans cesse sa chaleur dans les cou
ches inférieures ; elle s'élève alors vers la partie supérieure
en raison de sa légèreté ; en s'élevant ainsi , elle est rempla
cée par d'autres couches plus froides qui viennent prendre de
la chaleur au fond du vase, pour s'élever à leur tour et
être remplacées par d'autres, jusqu'à ce qu'enfin toute' l'eau
ait acquis une température telle qu'elle ne puisse plus pren
dre de chaleur sans changer d'état : c'est le moment où elle
bout , c'est-a-dire où elle passe a l'état aériforme. 11 est fa»
4 cile de concevoir que l'eau ne pouvant s'échauffer ainsi que
par superposition, et en vertu de la pesanteur différente
qu'elle possède aux divers degrés de température qu'elle peut
prendre, il est facile de concevoir, dis-je, qu'il serait im
possible de chauffer de l'eau par-dessus. Les couches supé
rieures se chauffent bien alors ; mais , comme elles sont spé
cifiquement plus légères que les couches froides sur lesquelles
elles reposent, elles ne changent pas de place, et restent à la
surface du liquide absolument de la même manière que le fe^
rait un morceau de liége ou un corps quelconque qui serait,
comme celui-ci , moins dense que l'eau. De la , la pratique
reçue et bien entendue d'appliquer de préférence le feu au
fond des chaudières ; de la , l'explication de l'avantage de
ce mode d'opérer ; de Ta encore , l'explication des causes qui
assignent une infériorité réelle aux modes de chauffage qui
appliquent la chaleur aux parois latérales des chaudières.
Dans ce dernier cas , l'action calorifique du foyer ne s'exerce
que sur la colonne de liquide superposée a la surface de
chauffe.
SECTION QUATRIÈME.
Capacités de Veau , de Valcohol et de leurs vapeurs
pour la chaleur.
Dans un foyer où l'on a pour objet de chauffer des liquides
ou de les vaporiser, le combustible dégage une quant1té de
chaleur que l'on peut mesurer d'une manière exacte par la
4"

2<XJ TRAITÉ DE i/lRT


quantité d'eau qu'elle peut faire passer de o à 8o° ; mais toute
celte chaleur ne peut pas être utilisée. Nous avons déjà si
gnalé l'une des causes qui s'opposent a ce résultat, c'est la
perte qu'il faut nécessairement faire par la cheminée pour
établir le tirage et forcer par la même l'air atmosphérique a
passer à travers le foyer pour alimenter la combustion. Cette
cause de perte est déja complexe en elle-même , et varie sui
vant les résultats que l'on se propose. Veut-on chauffer de
l'eau ? il faudra perdre par la cheminée une quantité de cha
leur d'autant plus considérable qu'on voudra la chauffer a
une température plus élevée et le faire plus rapidement.
Veut-on réduire cette eau en vapeurs ? il faudra nécessaire- \
ment perdre une quantité de chaleur plus considérable en
core , parce qu'il faut maintenir dans le foyer une tempé
rature plus élevée pour volatiliser de l'eau que pour la chauf
fer. Toutes ces causes qui compliquent la déperdition de la
chaleur par la cheminée , entraînent la même complication
dans toutes les autres ; c'est ainsi, par exemple, que plus il
faudra produire une haute température dans le fourneau ,
pinson perdra de chaleur par les parois de la maçonnerie,
plus il faudra faire tomber dans le cendrier des matières
charbonneuses dont la combustion n'est pas achevée.
Les expériences exactes qui ont été faites sur la puissance
calorifique du charbon de terre et la capacité de l'eau pour
la chaleur, prouvent que pour faire passer 7o kilogrammes
d'eau de o a 8o°, il ne faudrait que la chaleur produite par la
combustion d'un kilogramme de charbon de terre, si on l'u
tilisait tout entière ; mais , en pratique , on est loin de pou
voir réaliser cette perfection mathématique, et il est bien re
connu que dans les fourneaux les mieux construits et dans
les dispositions les plus favorables , ou ne peut pas réaliser
plus des deux tiers de la chaleur produite , souvent même
en n'en utilise pas le tiers. Dans la circonstance la plus fa
vorable , et avec les meilleures dispositions , un kilogramme
de charbon ne peut donc pas faire passer de o a8o° plus de
46 kilogrammes d'eau.
L'eau en se vaporisant ne fait que changer d'état ; elle
passe de l'état liquide à l'état aériforme, et cela en s'appfo
DE LA DISTtLLATIOI».
priant une plus grande quantité de chaleur qu'elle ne peut
en prendre à l'état liquide. Ce seul raisonnement suffirait pour
faire concevoir que la vapeur doit porter avec elle une plus
grande quantité de chaleur que l'eau bouillante , si nous n'a
vions pas des expériences exactes qui constatent cette vérité.
En effet , nous savons que ce même àilogramme de charbon
qui peut , en pratique , faire passer 46 kilogrammes d'eau
de o h 8o% ne peut aussi , en pratique, que vaporiser 7 ki
logrammes d'eau. Nous savons de plus qu'un kilogramme de
vapeurs peut faire passer 6 \ kilogrammes d'eau de o a 8o°.
L'alcohol pur a 792 grammes ou 42°, bout a une tempé
rature moins élevée que l'eau ; son ébullition se prononce a
62° , et alors il ne peut plus prendre de chaleur sans passer a
Fétat aériforme : or, un kilogramme de charbon pourra, en
pratique, faire passer de a h 62° 6o àilogrammes d'alcohol
pur ou en vaporiser 18 àilogrammes. Un kilogramme de va
peur alcoholique pourra faire passer de o a 62° 3 \ kilogram
mes d'alcohol ; un kilogramme de vapeur d'eau fera passer
de o à 62% 8 ^ kilogrammes d'alcohol, et, vice versâ, un
kilogramme de vapeur alcoholique ne fera passer de o a 620
que 3 ^ àilogrammes d'eau.
On peut se convaincre, par ces diverses données, de l'exac
titude incontestable du principe sur lequel repose la distilla
tion des liqueurs vineuses. En effet, si l'eau avait autant de
capacité que l'alcohol pour la chaleur , ces deux corps entre
raient en ébullition a la même température , leurs vapeurs se
maintiendraient a l'état aériforme aussi à la même tempéra
ture ; et dès lors, en vaporisant un mélange d'eau et d'alco
hol , l'un n'aurait pas plus de propension a se vaporiser que
l'autre, et leurs vapeurs condensées simultanément donne
raient un liquide où l'alcohol et l'eau se trouveraient dans
les mêmes proportions que le liquide qui les aurait produites :
mais il n'en est pas ainsi, comme je viens de le prouver par
des exemples ; l'eau a plus de capacité pour la chaleur que
l'alcohol , et elle bout partant a une température plus élevée.
Les vapeurs des liquides ont la même température que les
liquides bouillans qui les ont produites; ainsi la vapeur d'eau
sous la seule pression atmosphérique ne peut faire monter.
2Ô2 TRAITÉ DE L'ART
le thermomètre qu'à 8o° , et celle de l'alcohol n'a que 6a*
de température. Aussi la vapeur alcoholique a-t-elle spéci
fiquement moins de chaleur que la vapeur d'eau. C'est ce
qui est encore suffisamment démontré par les données numé
riques que j'ai présentées ci-dessus.
La vapeur d'eau ne peut donc demeurer vapeur qu'aussi
long-temps qu'on lui conserve sa température de 8o° ; car
dès le moment où on lui enlève par un moyen quelconque
la quantité de chaleur qu'elle contient de plus qu'un même
poids d'eau bouillante , elle redevient eau bouillante. Cette
quantité de chaleur qu'un kilogramme de vapeur d'eau con
tient de plus qu'un kilogramme d'eau bouillante , est repré^
sentée par la quantité d'eau froide que ce kilogramme de va
peur peut faire passer de o a 8o° , et nous avons vu que
c'est 6 5 kilogrammes. Or, un kilogramme de vapeur a 8o°
contient sept fois et demie plus de chaleur qu'un kilogramme
d'eau a la même température.
Il en est de même de la vapeur d'alcohol ; celle-ci ne peu|
rester à l'état de vapeur qu'à la température de 6 2° ; et pour
la condenser avec de l'eau par exemple , il faudra lui pré
senter de celle-ci a o° une quantité telle que l'indiquera le
rapport déja signalé de la capacité de l'eau pour la chaleur
à celle de la vapeur alcoholique. Ainsi nous avons vu que
5 j kilogrammes d'eau a o° suffiraient pour condenser un ki
logramme de vapeur alcoholique a 62° , c'est-a-dire pour
la faire passer de l'état aériforme a l'état liquide. Il est fa
cile de déduire de ce fait que la capacité de la vapeur d'eau
pour la chaleur est a celle de la vapeur alcoholique comme
7 i est à 3 i-, ,:. • .; yr's-u. /MM**
Nous avons donc maintenant des données exactes sur la
quantité de charbon , pratique nécessaire pour chauffer sé
parément des quantités données d'eau et d'alcohol. Nous
avons aussi la quantité de charbon que nous devons brû
ler pour vaporiser séparément des quantités aussi don
nées d'eau et d'alcohol. Nous avons de plus les quanti
tés d'eau froide qui seront nécessaires pour ramener isolé
ment à l'état liquide des quantités connues de vapeurs
d'eau et d'alcohol. C'est dans ces potions très-simples
DE LA DISTILLATION. a63
en elles-mêmes que se trouve toute la science de l'ana
lyse des vins.
Un vin étant donné pour la distillation, il suffit de con
naître la proportion d'eau et d'alcohol dont il est formé pour
.calculer précisément la quantité de charbon qu'il nécessitera
pour sa distillation , et la quantité d'eau froide qui sera né
cessaire à la condensation des vapeurs.
Un vin, ou, ce que nous pouvons considérer comme la
.même chose ici, un mélange d'eau et d'alcohol, nécessitera
d'autant plus de charbon et d'eau pour sa distillation que la
proportion d'eau qu'il contiendra sera plus grande, et vice
versé. En effet, quand on soumet ce mélange au feu, plus il
contient d'eau , plus la température de son ébullition se rap
proche du terme de l'ébullition de l'eau, 8o°, en s'éloignant
en même temps proportionnellement du terme de l'ebullition
de l'alcohol pur, 62° ; et cette température sera justement
représentée par les rapports combinés des températures d'é-
bullition et des proportions d'eau et d'alcohol. Ainsi , par
exemple, un vin qui contiendra 9o parties d'eau sur 1o par
ties d'alcohol pur, entrera en ébullition a 78" : dans cette
circonstance, il est évident qu'il faudra une plus grande quan
tité de charbon pour produire cette température qu'il n'en
eût fallu si l'on eût agi sur de l'alcohol pur ; il est évident en
core que si l'on continue a lui appliquer de la chaleur pour
le vaporiser, l'alcohol se trouvera dans une circonstance bien
plus favorable a la vaporisation que l'eau elle-même , puis
que, pouvant bouillir a la température de 62°, il trouvera
non seulement de la chaleur pour se vaporiser sur les surfaces
de chauffe de la chaudière, mais encore dans l'eau même avec
laquelle il se trouvera mélangé : l'alcohol aura donc une tensioa
bien plus grande a se réduire en vapeurs que l'eau, et c'est ce .
qui arrive. En effet , dans la distillation , la vapeur qui se dé
gage du vin contient d'autant plus d'alcohol que le vin contient
celui-ci dans une proportion plus grande. Ainsi les vapeurs
qui se dégagent les premières sont toujours les plus alcoholi-
ques , et deviennent de plus en plus aqueuses jusqu'a la fin de
l'opération, jusqu'à ce qu'enfin elles ne donnent plus, par leur
condensation, que l'eau distillée sans aucune trace d'alcohol.
264 TRAITÉ DE LART
Dans la condensation des vapeurs alcoholiqueset aqueuses
mélangées , le même phénomène se présente ; et lorsqu'elles
sont soumises simultanément a la condensation dans un ré
frigérant , les vapeurs alcoholiques , qui peuvent rester a
l'état aériforme a une température plus basse que les vapeurs
aqueuses , sont celles qui se condensent les dernières.
Ainsi on voit que dans la vaporisation et dans la conden
sation des vapeurs, qui sont les deux fonctions que doivent
remplir les appareils distillatoires , on voit , dis-je , que tout
favorise la séparation de l'alcohol. Il suffit , pour bien diri
ger cette opération , de se bien pénétrer des principes que
nous venons de développer sur les capacités différentes que
l'eau , l'alcobol et leurs vapeurs ont pour la chaleur. Nous
verrons ci-après l'application de ces principes.
SECTION CINQUIÈME.
Transmission de la Chaleur à travers les surfaces
métalliques.
Pour faire passer la chaleur d'un foyer dans un corps li
quide , on ne peut pas appliquer immédiatement la chaleur
au liquide. il faut nécessairement se servir d'agens médiats,
que l'on confectionne ordinairement en métal; on se sert donc
de préférence des métaux pour la construction des chaudiè
res, parce qu'ils possèdent, sur les autres matériaux , la pro
priété d'être plus solides, et de transmettre la chaleur avec
plus de rapidité ; aussi sont -ils considérés comme de bons
conducteurs de la chaleur.
Cette conductibilité pour la chaleur varierait peu pour les
divers métaux employés dans les Arts, si l'on pouvait les
utiliser tous sous des épaisseurs égales ; c'est ainsi , par
exemple, que la fonte travaillée en chaudière a toujours une
épaisseur beaucoup plus grande que le cuivre et la tôle. Mais
comme on n'emploie que le cuivre dans les appareils distil
latoires, nous ne parlerons que de ce métal.
La transmission de la chaleur à travers le cuivre étant pro
portionnée , pour sa vitesse , a l'épaisseur des surfaces de
chauffe, il est évident que plus ces surfaces seront minces,
DE LA DISTILLATION. 265
plus elles transmettront rapidement la chaleur qu'on leur
appliquera d'une part, au liquide qu'elles toucheront de l'au
tre ; il serait donc très-avantageux, pour l'économie du com
bustible, de faire des chaudières ou cucurbites en cuivre très-
mince , si la dimension et la solidité des appareils ne com
mandaient souvent d'augmenter l'épaisseur. Les appareils
distillatoires ont besoin d'être souvent nettoyés ; et s'ils étaient
confectionnés en planches de cuivre trop faibles, celles-ci se
déformeraient facilement a la chaleur , et finiraient par pré
senter une foule d'inégalités qui , par l'action combinée du
feu et du nettoyage, hâteraient la destruction de l'appareil :
il faut donc un juste milieu dans l'épaisseur du cuivre ; il
faut, pour la déterminer, observer tout a la fois et l'écono
mie du combustible et la solidité. C'est donc surtout d'après
les dimensions de la chaudière que l'on doit fixer l'épaisseur
de ses parois. Généralement on est dans l'usage de faire le
fond en cuivre un peu plus épais que les parois latérales ,
parce que celui-la, étant exposé constamment a une tempé
rature plus élevée, a besoin de plus de solidité pour résister
à l'action délétère du feu : une différence de 1 à 2 millimè
tres est d'ailleurs suffisante pour cet objet.
Une chaudière de 2o hectolitres , par exemple , sera suf
fisamment solide étant construite avec du cuivre de trois mil
limètres d'épaisseur pour ses parois latérales , et de 4 milli
mètres pour son fond. Si , d'ailleurs , on voulait augmenter
ces proportions jusqu'a 5 ou 6 millimètres , la solidité y ga
gnerait , sans que la transmission de la chaleur en fût sen
siblement altérée.
On compte pour 5o kilogrammes la vapeur produite dans
une heure par une surface de chauffe d'un mètre carré sur
l'épaisseur susdite. Il est bien entendu , je pense , que cette
surface de chauffe est la moyenne de toutes celles qu'une
chaudière , montée sur un bon fourneau , offre et a l'action
directe du foyer et a l'air chaud qu'on fait circuler sur ses
parois.
Ces 5o kilogrammes de vapeurs produites par 1 mètre
carré de cuivre sont de la vapeur d'eau ; car si l'on opérait
sur de l'alcohol pur, il est évident qu'on en produirait beau
266 TRAITÉ DE L'ART '
coup plus ; ce serait alors à-peu-près 122 kilogrammes par
heure, au lieu de 5o. Or, dans un mélange d'eau et d'alco-
hol , on produira d'autant plus de vapeur dans un temps
donné que la proportion d'alcohol sera plus grande.
Voilà donc toutes les données qui nous sont nécessaires
pour construire une chaudière , et estimer , d'une manière
a-peu-près exacte , les dimensions qu'on doit lui donner pour
produire , dans un temps connu , telle quantité de vapeurs
que l'on voudra. Mais ce n'est pas tout ce qu'il nous faut sa
voir pour construire un appareil distillatoire ; après avoir
produit de la vapeur, il faut la condenser : et , pour cela, il
faut lui enlever la quantité de chaleur qui constitue son état
aériforme. Nous ne connaissons pas d'autre moyen d'enle
ver la chaleur a un corps que de l'en dépouiller en faveur
d'un autre ; ainsi , pour condenser de la vapeur , il faudra
nécessairement que nous chauffions un autre corps , et ici
viendront naturellement se placer , pour la condensation ,
toutes les règles que nous avons établies pour le chauffage.
Ainsi la vapeur se condensera en quantité d'autant plus
-grande qu'elle présentera plus de surface au corps réfrigé
rant , et que la différence de température sera plus grande
entre la vapeur et le corps condensateur. Or, sa liquéfaction
sera proportionnelle aux surfaces de condensation , si l'on
admet du reste une différence toujours égale de température.
Si , par exemple , on recueillait de la vapeur d'eau , au sortir
d'une chaudière , dans un serpentin , qui ne fût refroidi que
par de l'air ; si cet air était a o° de température , la vapeur
ferait passer 28 a 3o fois son poids d'air de o a 8o° avant
de redevenir liquide , parce que l'air a quatre fois moins de
capacité pour la chaleur que Veau , et qu'un kilogramme de
vapeur, mêlé avec 6 ^ kilogrammes d'eau, se condense en
tièrement pour former un ensemble de 7 ; kilogrammes d'eau
à 8o° , comme je l'ai déja dit précédemment.
L'expérience prouve qu'une surface d'un mètre carré de
cuivre , en contact , d'une part , avec de la vapeur d'eau ^
8o°, et de l'autre avec de l'air a o°, ne condense dans une
heure qu'un kilogramme de vapeur, tandis que lorsque cette
même surface, au lieu d'être exposée a l'action réfrigérante
DE LA DISTILLATION. 267
de l'air, se trouve en contact avec de l'eau que l'on conserve
constamment a la temperature moyenne de 23° , cette même
surface, dis-je, peut condenser dans le même laps de temps
1o6 kilogrammes de vapeurs. ï*.
Cet avantage des liquides , dans leur emploi comme con
densateurs des vapeurs, est bien connu dans la pratique de la
distillation , où ils sont seuls employés. Ainsi , par exemple ,
on peut déjà calculerdans quel rapport les surfaces de chauffe
d'une chaudière distillatoire doivent se trouver avec les sur
faces de condensation du serpentin ; c'est un peu plus de 2
mètres carrés de surface de chauffe pour un 1 mètre carré de
surface de condensation , liquéfiant 1 o6 kilogram. de vapeurs
Î)ar heure, en admettant toutefois que l'eau condensatrice, dans
aquelle baignera le serpentin , soit maintenue a une tempéra
ture moyenne de 23 degrés.
Tout ce que nous venons d'appliquer aux rapports qui
doivent exister entre les surfaces de chauffe et celles de con
densation pour la vapeur d'eau, ne souffre pas d'exceptions
pour les vapeurs alcoholiques ; car si , d'une part , 1 mètre
carré de cuivre vaporise plus d'alcohol que d'eau pendant
une heure , il peut , par la même raison , en condenser plus
-dans le même temps. Ainsi il n'y a la de différence entre
l'eau et l'alcohol que pour la quantité de vapeurs condensées,
qui , pour l'un comme pour l'autre , est relative à la quan
tité de vapeurs produites,
11 ne sera pas inutile de faire remarquer ici en passant
combien les appareils distillatoires primitifs sont restés im
parfaits aussi long-temps que l'on n'a employé que l'air comme
condensateur des vapeurs. En effet, il fallait aux distillateurs
anciens , dans ce système, une surface condensatrice de cui
vre 1oo fois plus grande que la surface de chauffe ; tandis
qu'avec de l'eau , la surface condensatrice , au lieu de de
voir être plus grande , n'a besoin que d'être la moitié de la
surface de chauffe. Aussi ne pouvaient-ils mener la distil
lation que très-lentement , ou bien il fallait que , sur une
chaudière très-petite , ils établissent un serpentin énorme.
Dans l'hypothèse que nous venons d'établir, admettons
qu'une surface de condensation d'un mètre carré puisse con
••

268 TRAITÉ DE L'ART


denser les vapeurs produites par 2 mètres carrés de chauffe 5
la vapeur n'est que condensée a l'état liquide , et conserve
encore la même température , de sorte que , dans la pratique
de la distillation , comme il est convenable de ramener la va
peur condensée a la température la plus basse , c'est-à-dire
à 1o°, qui est généralement le minimum de température des
eaux de source ou de puits , il est évident que, pour ob
tenir ce résultat , il faut établir une surface de condensation
beaucoup plus grande que celle qui est rigoureusement né
cessaire pour condenser la vapeur, parce que plus le liquide
condensé arrive a une température voisine de celle du li
quide condensateur , plus il faut de ce dernier liquide pour
le refroidir : c'est ce que l'on fait aussi en pratique, en don
nant au serpentin deux fois au moins plus de surface qu'a
la chaudière. Ainsi , par exemple , une chaudière qui aurait
4 mètres carrés de surfaces de chauffe exigerait un serpentin-
qui eût au moins 8 mètres carrés de surfaces de condensation.
Il est évident que sur ces 8 mètres de surfaces condensa-
trices , il n'y a réellement que 2 mètres employés a la con
densation ; c'est-à-dire que la vapeur , après avoir lampe une
surface de 2 mètres, a perdu toute la chaleur qui la tenait à
l'état aériforme ; de sorte que les 6 autres mètres restansT1e
donnent plus passage a de la vapeur , mais Mes à de l'eau
ou de l'alcohol , ou bien encore au mélange de lrun et de l'au
tre. Ce ne sont donc plus réellement des surfaces de conden
sation , puisqu'elles n'ont pour but que de refroidir un corps
liquide ; tandis que les deux autres mètres, agissant sur un
fluide aériforme , la vapeur , qui occupe 1 7oo fois plus de
place que l'eau qui l'a produite, donnent passage, dans un
espace de temps très-court, a une quantité de chaleur qui est
septfois plus grande que celle absorbée parles 6 autres mètres.
Ces raisonnemens sont extrêmement importans pour l'in
telligence parfaite de la distillation des vins et des appareils
exécutés ; c'est en s'en pénétrant bien , et en les variant même
à l'infini, que l'on pourra se former une opinion exacte sur
la valeur vénale des nombreux appareils distillatoires que
nous possédons. Tous ne diffèrent que par le parti plus ou
moins parfait qu'ils tirent de la chaleur ; et il nous serait
DE LA DISTILLATION. 269
impossible de les juger si nous ne connaissions pas bien préa
lablement les lois qui président a la transmission de la chaleur
d'un corps à l'autre , et leurs capacités relatives pour cette
chaleur , c'est-a-djre les quantités différentes qu'ils en exi
gent et pour bouillir et pour se vaporiser.
Pénétrons-nous donc bien de ces principes , que l'eau ,
pour bouillir et se vaporiser, exige plus de chaleur que l'al-
cohol ; que le chauffage et la vaporisation des liquides sont
toujours proportionnels aux surfaces de chauffe, que le re
froidissement des liquides et la condensation des vapeurs
sont aussi proportionnels aux surfaces de condensation. Con
cevons bien que , lorsque l'on soumet au feu un mélange
d'eau et d'alcohol , ce mélange prend pour se chauffer la
même quantité de chaleur que chacun de ces deux corps
prendrait isolément, et que le terme de leur ébullition est
donné par le rapport combiné de leurs termes d'ébullition
respectifs et des proportions de leur mélange. Ne perdons pas
de vue , pour la construction des appareils , qu'une surface
condensatrice peut condenser les vapeurs produites par une
surface de chauffe double, mais que cependant il faut, en
pratique , augmenter les surfaces de condensation pour le
refroidissement. Il y a plus , et il n'est pas inutile de le faire
observer ici pour l'entente de la distillation continue : c'est
que si l'on construisait un appareil pour la distillation du
vin , qui fût spécialement destiné a distiller un vin qui ne
contint que 1o pour cent de son poids d'alcohol pur, si l'on
établissait pour cet appareil les surfaces de condensation en
harmonie avec les surfaces de chauffe d'après les principes
que nous avons établis , on aurait toujours les mêmes résul
tats ,toutcs autres circonstances égales d'ailleurs , aussi long
temps qu'on ne mettrait dans l'appareil que du vin riche à -~a
d'alcohol pur ; mais si l'on y déposait, comme pour la recti
fication , un premier produit distillé qui contînt^ de son
Eoids d'alcohol pur , on obtiendrait alors des résultats sensi-
lement différens. En effet, dans une chaudière dont les sur
faces de chauffe sont calculées pour produire des vapeurs
d'eau pure, si l'on y mettait de l'alcohol, avec le même feu on
obtiendrait , dans un temps donné , une fois et demie plus de
TRAITÉ DE L'ART
vapeurs alcoholiques que de vapeurs aqueuses. Il est donc^
évident que , dans cette chaudière , on obtiendra , dans un
temps donné , d'autant plus de vapeurs que le mélange que
Ton y déposera contiendra plus d'alcohol , et c'est ce qui ar
rive dans l'hypothèse que nous avons admise. Dans ce mé
lange d'eau et d'alcohol , tout favorise la vaporisation de
l'alcohol en s'opposant relativement à celle de l'eau, et cela
uniquement a cause des différences qui existent entre les ter
mes d'ébullition de l'un et de l'autre liquide. L'alcohol , il
est vraij ne se trouve la en contact avec les surfaces de chauf
fe de la chaudière que dans un rapport proportionné à la
quantité d'eau avec laquelle il est mélangé, c'est-a-dire que
si le mélange contient 3 parties d'eau sur une partie d'alco
hol , nous pouvons admettre avec quelque certitude que l'eau
. se trouvera trois fois plus en contact avec les surfaces de
chauffe que l'alcohol , et qu'elle y prendra par conséquent
trois fois plus de chaleur. Mais dès le moment où la masse
prend la température de 6 2° , terme où l'alcohol ne peut
plus prendre de chaleur sans passer à l'état de vapeurs, l'eau
ne peut encore se vaporiser ; et comme les deux liquides sont
ici mélangés et par conséquent dans un contact immédiat ,
la chaleur enlevée par l'eau aux surfaces de cuivre n'est
point perdue pour l'alcohol , et celui-ci trouve même dans
cette eau , avec laquelle il est dans un contact parfait , une
foule de surfaces de chauffe qui lui communiquent la chaleur
nécessaire a sa vaporisation. Ainsi , par exemple , dans un
mélange de 3 parties d'eau et d'une partie d'alcohol pur qui
entrera en ébullition à la température de 75°, si on lui com
munique seulement une chaleur voisine de ce terme 75°, de
manière que l'ébullition ne se prononce pas, et qu'on le main
tienne a cette température , il y aura constamment une vapo
risation d'alcohol dans ce mélange, qui résultera non- seule-.
ment de la chaleur que celui-ci prendra aux surfaces de
chauffe de la chaudière, mais encore de celle qu'il enlèvera
à l'eau ; c'est pour cela que dans la distillation il n'y a point
vaporisation d'une quantité égale d'eau et d'alcohol ; cag ,
lorsque l'ébullition est prononcée , il y a nécessairement dé*
la vapeur d'eau formée sur les surfaces de chauffe , mais
DE tA DISTILLATION. 271
cette vapeur, en traversant la colonne de liquide pour venir
crever à la surface sous la forme de bulles , rencontre sur son
passage de i'alcohol en faveur duquel elle se dépouille de sa
chaleur, en vertu des lois que nous avons établies et qui n'ad
mettent l'état aériforme de l'eau qu'aussi long-temps qu'elle
ne rencontre pas un corps plus froid qu'elle. Or, dans ce
cas , le corps plus froid , c'est I'alcohol, qui , dans un mélange
bouillant, ne peut prendre une température supérieure à 6 2° ;
l'eau se dépouille ici en sa faveur d'une quantité de chaleur
qui est représentée par 8o° moins 62. Il en résulte, dans la
masse bouillante , condensation d'une portion de vapeur d'eau
et vaporisation relative d'une portion d'alcohol ; et il y aura
ici d'autant moins de vapeurs d'eau produites et par consé
quent d'autant plus de vapeurs alcoholiques formées , c'est-k-
dire que les vapeurs qui se dégageront du mélange contien
dront d'autant moins d'eau, que les vapeurs d'eau formées
sur les surfaces de chauffe , trouveront dans le mélange une
quantité d'alcohol plus grande avec lequel elles pourront
échanger leur chaleur. C'est ce qui arrive lorsque la vapeur
d'eau traverse un mélange plus riche en alcohol , ou , ce qui
revient à-peu-près au même, lorsque cette vapeur traverse
une plus haute colonne de liquide, qui d'ailleurs se trouve
rait moins riche en alcohol.
Ces principes sont d'une exactitude rigoureuse ; ils sont
dans une harmonie parfaite avec les connaissances que nous
possédons aujourd'hui sur la chaleur, et la pratique elle-même
suffirait pour les mettre dans tout leur jour, si le raisonne
ment ne venait les consolider. En effet, c'est sur ces princi
pes qu'Edouard Adam a conçu son appareil avec lequel il
obtenait, par une seule chauffe , des liqueurs plus alcoholi
ques ; c'est sur ces principes que sont conçus les meilleurs
appareils distillatoires , et c'est encore a l'aide de ces princi-
f)es que l'on a imaginé les appareils si ingénieux de la distil-
ation continue. On ne saurait donc trop les méditer , je le
répète , pour l'intelligence parfaite de l'art.
TRAITÉ DE L'ART

CHAPITRE V.

Des Appareils dislillatoires.

Les appareils distillatoires sont, comme nous l'avons déja


démontré, les moyens dont le distillateur se sert pour appli
quer la chaleur au vin et l'analyser. C'est a l'aide de ces ap
pareils que l'on chauffe, que l'on vaporise, que l'on condense,
et que l'on parvient ains1 a séparer l'alcohol.
Toute la science des appareils distillatoires consiste donc
dans une entente parfaite du chauffage, de la vaporisation
et de la condensation.
Nous avons exposé, dans le chapitre précédent, les lois
3ui président a chacune de ces opérations, et il nous reste à
onner une description des différens systèmes sur lesquels
on a conçu les machines les plus remarquables de la distilla
tion.
Ces systèmes peuvent être réduits à quatre principaux et
bien distincts qui présentent autant de perfectionnemens utiles.
Ce sont :
1°. La distillation simple ;
2°. La distillation à chauffe-vin ou à double effet ;
3°. La distillation à vapeurs et à rectificateur ;
4°. La distillation continue.
Chacun de ces systèmes a été l'objet d'exécutions nom
breuses et variées, qui nécessiteraient, pour être décrites avec
quelques détails , un grand nombre de volumes. Ce genre de
travail n'entre pas dans mon cadre, et je m'attacherai seule
ment à donner un exemple de chaque système, c'est-à-dire
l'appareil le plus parfait que chacun d'eux ait produit. On y
trouvera , avec les explications dont je les accompagnerai sur
leurs constructions , leurs manœuvres et leurs questions éco
nomiques , l'application des principes que j'ai exposés pré-.
cédemment.
DE LA DISTILLATION. 2^3
Chacun de ces systèmes sera l'objet d'un chapitre séparé.
Je donnerai aussi isolément quelques notions sur la dis
tillation au bain marie et sur la valeur et l'utilité de ce moyen,
auquel l'on a, à mon avis, attaché souvent trop d'impor
tance ; et pour compléter tout notre travail sur les différens
modes de distillation connus, je terminerai la partie des ap
pareils distillatoires par quelques considérations sur la possi
bilité de distiller dans le vide.

CHAPITRE VI.
il
I" Système. —De la Distillation simple.

La distillation simple peut être considérée comme le pre


mier système d'appareils que nous ayons eu ; car, jusqu'a la
découverte de ce système que nous allons décrire , la distilla
tion ne pouvait être considérée comme une opération manu
facturière de quelque importance. C'est le premier pas des
appareils vers les perfectionnemens importans dont ils ont
depuis été l'objet. Dans la distillation simple, on n'avait point
encore songé a tirer parti de la chaleur abandonnée par la
condensation des vapeurs pour l'approprier au vin , de sorte
qu'il est, sous ce rapport , le plus imparfait de tous les ap
pareils connus. Du reste, ses résultats diffèrent peu des au
tres, et il pourrait, avec des précautions convenables, donner
des produits d'aussi bonne qualité. L'économie du combus
tible est donc l'objet spécial des appareils distillatoires per
fectionnés , et a cette économie se rattachent implicitement
celles de main-d'œuvre et de temps.
L'exécution que nous allons donner de ce système d'ap
pareils est la plus parfaite. Nous l'avons dégagée des fautes
de construction dont elle était entachée à l'époque où on
l'employait, pour ne point produire d'exemples contradic
toires avec les principes que nous professons. Au reste, je
né donne cet appareil que pour nous servir de terme de com
paraison avec les autres , et l'on verra suffisamment par la
18
TRAITÉ DE l'aRT
suite, qu'il n'entre pas dans ma pensée d'en propager et d'ea
recommander l'emploi. La description de sa construction,
c;ui est la plus simple de toutes, nous facilitera l'intelligence
des autres qui sont plus compliquées ; sa manœuvre nous ser
vira aussi comme une sorte d'introduction a l'étude de ma
chines plus difficultueuses a conduire, et sa question écono
mique servira de base aux calculs comparatifs que nous vou
lons établir pour chacun des systèmes de distillation connus.

SECTION PREMIÈRE. * ,

Description d'un Appareil distillatoire simple.

Cet appareil , représenté planche IV , se compose d'une


chaudière A montée sur son fourneau. Elle communique avec'
le serpentin CC par un tuyau conducteur des vapeurs B , qui
s'emmanche sur celui-ci en D. La chaudière se charge par<
le robinet H , surmonté d'un entonnoir G ; on la charge jus
qu'a la ligne E, et un petit robinet I, que l'on ouvre, indi
que le moment où la charge est complète. Le robinet J, placé
au fond de la chaudière , sert a donner passage aux vinasses
lorsqu'elles sont suffisamment dépouillées de leur alcohol. Le
serpentin CC plonge dans une vaste cuve KK construite en
chêne solide. Cette cuve est constamment pleine d'eau jusqu'à
la ligne L, et on renouvelle cette eau au besoin par un long
tube N en bois , qui va la porter froide au fond de la cuve
en déplaçant à la partie supérieure une quantité relative d'eau
chaude qui sort par le trop plein M.
Les vapeurs, en traversant le serpentin, s'y condensent,
s'y refroidissent et sortent, par conséquent, a l'état de li
quide froid, par l'ouverture inférieure O, où on la recueille",
ou dans un bassiot, ou dans une barrique, ou dans une citerne
disposée à cet effet.
Le tuyau B, qui transmet les vapeurs de la chaudière au
serpentin , est supposé ici fixe sur un couvercle de cuivre
aa qui s'applique a écrous sur le col bb de la chaudière $ et
pour rendre l'ajustage plus parfait, on interpose entre ces
deux parties une rondelle, ou, pour m'exprimer d'une manière V

*
DE LA DISTILLATION. 37 5
plus exacte , un cercle de carton frit dans du beurre ou de la
graisse. A l'aide de cette précaution , il est impossible qu'il s'é-
chappe la moindre parcelle de vapeurs à travers cet ajustage.
Dans la majeure partie des appareils, on ne fait point pas
ser directement les vapeurs de la chaudière dans le serpentin
à travers un tube aussi étroit, et l'on couronne cette chau
dière d'un chapiteau que j'ai figuré ici a l'aide d'une ligne
pointillée ce. On a attaché, et beaucoup de personnes peu
familières avec les lois physiques qui régissent la condensa
tion des vapeurs, attachent encore abusivement une grande
importance a l'existence de ce chapiteau ; il offre , disent-
elles, un passage plus libre aux vapeurs ; mais nous sommes
bien
1)1 CI convaincus, aujourd'hui, que c'est du cuivre employé
en pure
p perte; ce chapiteau n'était qu'un petit magasin de va-
peuurs où celles-ci subissaient une légère condensation. Cela
est tout-a-fait inutile ici ; et dans les appareils que nous dé
crirons ci-après, ce serait une condition contraire a l'écono
mie de la chaleur. Nous avons donc cru devoir présenter cet
appareil simple sans chapiteau et avec une fermeture sembla
ble à celle que nous donnons aux appareils perfectionnés. Le
chapiteau est tout-a-fait inutile, nous le répétons; il ne ser
virait qu'a transmettre les vapeurs au serpentin , son bec finit
toujours par une ouverture égale au diamètre de celui-ci. 11
est donc plus simple de faire passer directement les vapeurs ,
comme nous l'avons fait ici , a travers un tuyau d'un calibre
égal a celui du serpentin.

SECTION DEUXIÈME.
Manœuvres de l'Appareil simple.
La chaudière étant chargée de vin jusqu'à la ligne E, on
ferme le robinet I , qui a indiqué la limite de la charge, et le
robinet H , qui a servi a l'introduction du vin , et l'on com
mence le feu.
Le vin ne tarde pas à se chauffer et a entrer en ébullition »
des vapeurs se produisent et prennent la seule issue qui leur
soit ménagée , c'est-a-dire celle que leur offre le tuyau B ;
elles entrent dans le serpentin CC , où elles se condensent et
18.
2^6 TRAITÉ DE L'ART
où elles coulent au fur et à mesure de leur condensation, dans
toute la longueur , jusqu'à l'issue extérieure O où on les re
cueille.
Les premières vapeurs condensées , c'est-à-dire la pre
mière liqueur que donne le serpentin est la plus alcoholique*.
Cette richesse en alrohol est proportionnée à la richesse du
vin lui-même ; mais , dans tous les cas , les produits distillés
d'une charge coulent d'abord avec une force alcoholique qui ,
diminue progressivement jusqu'à la fin de l'opération, jusqu'à
ce qu'enfin ils ne marquent plus à l'aréomètre que 1o° : alors
c'est de l'eau , et il est temps de suspendre l'opération pour
procéder a une nouvelle charge.
A cet effet , on ouvre le robinet J pour donner passage au
liquide qui se trouve dans la chaudière , et qui est dépouilté
de tout son alcohol. Pendant le même temps, il n'y a pas d'in-:
convériienla ouvrir les robinets G et 1. 11 est convenable aussi'
d'ouvrir la porte du fourneau pour atténuer momentanément
l'effet du foyer sur la chaudière. Lorsque le robinet J an
nonce qu'il ne reste plus que peu ou point de liquide dans
la chaudière , on la charge de nouvelle matière ; mais il faut
bien se garder de fermer de suite le robinet de décharge J gr
avant d'avoir commencé a introduire le nouveau vin, parce
qu'on s'exposerait alors à un accident grave. En effet, lorsque
les vinasses sortent de l'appareil, elles sont encore en ébul-
lition , et elles remplissent de vapeurs toute la capacité de la
chaudière; on sa1t que ces vapeurs sont de l'eau à l'état aéri
forme , et que l'eau , dans cet état , occupe un volume 1 7oo
fois plus grand qu'à l'état liquide ; on sait de plus que ces
vapeurs se trouvant en contact avec un corps froid, se conden
sent subitement et avec une vitesse considérable ( 1 ). C'est ce
qui arrive ici dans le moment où la décharge étant achevée ,
on procède à la charge : la chaudière est pleine de vapeurs^
le vin froid arrive par le robinet G ; et comme le contact est
parfait entre ce vin et la vapeur, il en résulte une conden-.

( 1 ) On estime que cette vitesse est de 14oo pieds par seconde,


carr elle est censideYée comme celle de la vapeur qui se précipite
dans le vide. . • ' '' » ' 4I«

1
DE LA DISTILLATION. 277
sation spontanée qui provoquerait la rupture de l'appareil,
si l'on ne ménageait pas' à l'air extérieur des moyens d'intro
duction suffisans pour venir remplacer, dans la chaudière,
le vide produit par la condensation. 11 ne faut point être
physicien pour concevoir ce phénomène, èt pour comprendre
que dans un vase plein de vapeurs qui se trouvent tout-a-
coup réduites à un volume 1 7oo fois moins grand, il se forme
un vide qui livre ce vase a toute la pression de l'atmosphère ,
et que si, comme dans les appareils distillatoires, le vase n'a
pas une solidité suffisante pour supporter l'effort de cette
pression , il doit en résulter un aplatissement qui le déforme
et le met hors d'état de servir sans réparations. Pour éviter
cet accident , on ne doit fermer le robinet J que quelques se-
.çondes après l'arrivée du vin froid dans l'appareil ; alors
l'air extérieur remplace la vapeur condensée, et la chaudière
se charge sans difficultés.
Le serpentin CC baignant dans de l'eau froide, cette eau
s'échauffe au fur et à mesure de la condensation des vapeurs ,
de sorte qu'il faut la renouveler de temps en temps, de ma
nière à ce que le liquide condensé sorte toujours du serpentin
à la température la plus basse possible , c'est-à-dire à 1 o°
envfron. Ce n'est pas, comme on l'a annoncé abusivement ,
qu'il puisse résulter une perte notable d'alcohol lorsque le
liquide ne sort pas à une température voisine de 1o° ; mais
cette réfrigération opérée a une température régulière, offre
la facilité de juger, à l'aide de l'aréomètre , le moment précis
où le vin de la chaudière est complétement dépouillé : et le
moyen le plus facile d'obtenir une réfrigération régulière, c'est
de la porter a son maximum , c'est-a-dire a 1o", qui est ,
eomme on le sait , la température des eaux puisées dans le
sein de la terre. Cette régularité de température dans les pro
duits condensés , est non-seulement utile dans cette circon
stance, mais elle est encore indispensable dans la rectificatior;,
pour fixer précisément le degré que l'on veut donner au pro
duit. En effet, si l'on voulait faire de l'eau-de-vie a 22°,
et que le serpentin ne la donnât point au tempéré 1 o°, qu'elle
sortît h 2o° de température, par exemple, si l'on se servait
dç l'aréomètre sans tenir compte de cette température dans
3^3 TRAITÉ DE l'aRT
la fixation du titre , on aurait une eau-de-vie qui ne serait
point reçue par le commerce pour du 22°. Le commerce fait
toutes ses transactions en spiritueux sur la température de 1 o°,
et lorsqu'il vend ou achète un produit alcoholique a un titre
aérométrique quelconque , il spécifie toujours le titre de ce
produit au tempéré. De sorte qu'une eau-de-vie qui pèserait
22° à l'aréomètre, avec 2o° de température , pourrait être
refusée par un acheteur , parce que cette eau-de-vie , rame- .
née au tempéré, c'est- à- dire a 1o°, ne pèserait en effet , a ^
l'aréomètre , que 2o° environ , au lieu de 22°. Il est donc es
sentiel, sous ce rapport, de refroidir les liqueurs dans le
serpentin au tempéré , non pas , je le répète , pour éviter une
perte d'alcohol, mais bien uniquement pour la régularité du
travail. Sans cette condition , 1l faudrait que le distillateurs,
en pesant ses produits dans la fabrication , tînt constamment
compte des nuances de températures.
L'eau se renouvelle dans la cuve du serpentin par le con
duit N qui la porte froide au fond de l'appareil, en dépla
çant la chaude qui sort par un trop plein M a la partie su
périeure. Par cette disposition , et par la propriété que l'eSU ^
froide a d'occuper les couches inférieures sans se mêler avec 1
la chaude qui la surnage en vertu des lois de la pesanteur ,
les conditions nécessaires a la condensation et a la réfrigéra- '
tion sont remplies dans cet appareil. En effet , l'eau plus ou^
moins chaude qui occupe les couches supérieures de la cuve
se trouve en contact avec les hélices du serpentin qui sont
les plus voisines du foyer de production de la vapeur. Elle
peut encore prendre de la chaleur a celle-ci , et par consé
quent la condenser avec une vitesse moins grande que si elle
était froide, mais reconnue suffisante cependant pour qu'une
surface de condensation égale à 1 , par exemple , puisse con
denser les vapeurs produites par une surface de chauffe égale*
a 2 , pourvu toutefois qu'on ne laisse pas monter la tempé
rature de l'eau réfrigérante de la couche supérieure de la
cuve a plus de 45 à 5o°. Dans le cas que nous observons
ici, la chaudière présente au foyer 1o mètres carrés de sur
face de chauffe , et le serpentin entier présente une surface
semblable a l'eau condensatrice, dans laquelle il baigne. Jj^
DE LA DISTILLATION. i"JQ
n'y a donc, d'après le principe que nous venons de repro
duire sur l'harmonie des surfaces de chauffe et de condensa
tion , que la moitié du serpentin employée a la condensation
réelle des vapeurs, et cette moitié est évidemment toute la
moitié supérieure de celle qui baigne dans l'eau la plus
chaude ; l'autre moitié , c'est-à-dire celle qui baigne dans
l'eau la plus froide , sert à refroidir les vapeurs condensées
pour les ramener à la température la plus basse possible ,
c'est-à-dire à io°. On conçoit donc que si l'on négligeait de
renouveler l'eau dans le serpentin , les couches supérieures
finiraient par prendre la température de l'eau bouillante, 8o".
Alors elles ne condenseraient plus de vapeurs , et celles-ci
^empiéteraient pour leur condensation sur les surfaces desti
nées à la réfrigération des vapeurs condensées, et elles pour
raient finir par sortir très-chaudes de l'appareil , jusqu'à ce
point que des vapeurs non-condensées sortiraient elles-mêmes
du serpentin pour se répandre dans l'atelier. Ce serait alors
une perte considérable. 11 faut donc , comme on le voit ,
pour diriger sciemment l'appareil distillatoire , même le
'plus simple, coordonner toutes les parties du travail , et les
mettre en harmonie avec la construction de l'appareil lui-
même.
Nous avons émis en principe qu'une surface d'un mètre
carré de cuivre peut vaporiser 5o kilogrammes d'eau en une
heure ; mais cette quantité ne peut évidemment pas toujours
être d'une exactitude rigoureuse, puisqu'elle dépend des
soins plus ou moins grands , plus ou moins bien entendus ,
que l'on donne au fourneau pour entretenir sur la grille une
quantité de combustible incandescent toujours constante, et
une régularité de combustion toujours égale. Cette quantité
de 5o kilogrammes de vapeurs produites par chaque mètre
carré de surface de chauffe est celle que l'on obtient dans
un fourneau bien conduit , c'est-à-dire dans un fourneau où
l'on a soin de n'entretenir sur la grille qu'une couche de
charbon de 5 centimètres de hauteur , de n'y jeter le char
bon que par petites quantités souvent répétées , de disposer
le charbon neuf sur le devant de la grille , et de le repous-
*er sur toute la surface chaque fois que l'on veut en ajou
28o TRAITÉ DE j/aRT
ter d'autre , d'éviter la, formation des mâchefers ou de les
enlever quand il y en a de formés, d'entretenir les canaux de
circulation et la cheminée elle-même dans un état constant
de propreté qui ne diminue pas leurs proportions en gênant
l'air chaud dans son ascension , ou , comme on le dit vul
gairement , qui ne diminue pas le tirage de la cheminée.
Toutes ces conditions ne peuvent pas être soumises en pra
tique a l'exactitude mathématique , et leur observation est
souvent confiée a des ouvriers peu habiles , de sorte que
les résultats doivent varier en conséquence. Il ne serait donc
pas étonnant qu'avec la chaudière de l'appareil qui nous
occupe et qui, avec 1 o mètres carrés de surface de chauffe ,
doit produire 5oo kilogrammes de vapeurs par heure, il nej.
serait pas étonnant, dis-je, qu'en prodiguant le combustible
d'une manière peu raisonnée , on ne pût augmenter .sensi
blement cette production de vapeurs ; et par la raison con
traire, on pourrait la réduire beaucoup en n'observant pas
les soins indiqués ou en opérant mal ; mais avec un peu
d'attention et de pratique on pourra arriver à un résultat
satisfaisant, c'est-a-dire à obtenir une production commune^,
de vapeurs a-peu-près constante dans un travail journalier.
Si d'un côté la production des vapeurs est dépendante
de la conduite du feu , d'un autre, leur condensation et leur
réfrigération parfaites sont dépendantes des soins que l'on a
apportés à alimenter la cuve dans laquelle le serpentin baigne,
d'une quantité d'eau froide toujours suffisante. Il existe la
un point fixe a observer, qu'il n'est pas indifférent à l'éco
nomie de déterminer. En effet, l'eau que l'on introduit dans
la cuve doit être puisée ; elle nécessite pour cela une dépense
de main-d'œuvre, de sorte que si on en consomme trop, c'est
une perte réelle. Sous un autre point de vue , si l'on ne re
nouvelle point assez l'eau de la cuve , on s'expose ou a ne
point condenser complétement les vapeurs , ou à se tromper
d'une manière préjudiciable, et dans la distillation, et dans
la rectification. Cependant il vaut mieux , de ces deux extrê-
nes, tomber dans celui qui introduirait dans la cuve du ser
pentin un renouvellement plus que suffisant. Cette irrégula.
ité présente en pratique moins d'mcanvémeas m
DE LA DISTILLATION. 2%l
économiserait outre mesure l'eau condeusatrice. Au reste ,
lorsque l'eau de la couche superieure du serpentin ne fera
pas monter le thermomètre a plus de 4o°, on sera certain ,
avec le nombre d'hélices que nous avons données ici a notre
appareil, on sera certain, dis-je, de condenser et de refroi
dir suffisamment les vapeurs et leur produit ; donc un ther
momètre placé a la partie supérieure de la cuve sera un
guide certain qui avertira constamment l'ouvrier de ses be
soins d'eau froide.

SECTION TROISIÈME.
Réflexions sur l'appareil simple.
Dans cet appareil, nous avons déja commencé a faire l'ap
plication des principes que nous avons établis sur la construc
tion des fourneaux ; èt quoique nous ayons accompagné la
figure d'une échelle métrique qui permette d'en connaître les
proportions, il n'est pas inutile cependant de donner quel
ques éclaircissemens qui puissent en faciliter l'intelligence en
exerçant en même temps le lecteur avec les raisonnemens que
nous avons déja variés sur les principes de l'art.
Nous avons dit tout a l'heure pourquoi nous avions sub
stitué au chapiteau inutile un tube du même diamètre que le
serpentin , et qui établit une communication suffisante entre
celui-ci et la chaudière. Ce n'est pas que dans cet appareil un
chapiteau eût un inconvénient , puisque 1 on perd ici toute la
chaleur produite par la condensation des vapeurs ; mais nous
avons admis ici, comme dans les autres appareils, le même
mode de jonction pour ne pas donner a l'artiste des notions
fausses et des exceptions inutiles. Nous le répétons, nous ne
donnons point cet appareil simple comme un modèle a sui
vre pour l'exécution , puisque nous n'en recommanderons
jamais l'emploi ; mais nous le donnons comme un terme de
comparaison et comme une introduction qui puisse faciliter
l'intelligence des autres appareils.
La chaudière , le serpentin , les tuyaux et les robinets sont
en cuivre ; les vis et les écrous qui unissent le couvercle et
V i:' sont en fer. Dans les appareils soignés , on a
282 traité de l'art
souvent la précaution d'étamer solidement a l'ammoniac et a
l'étain fin toutes les'parties intérieures de l'appareil ; mais
cela n'est pas rigoureusement nécessaire , et l'on peut s'en
dispenser, surtout quand l'appareil est destiné à fonctionner
d'une manière suivie. L'avantage de l'étamage est de pré
venir la formation du vert-de-gris et l'effet pernicieux de ce
poison actif, qui se forme toujours sur les surfaces de cuivre
humide ; mais il est bien reconnu aujourd'hui que dans les
appareils qui, comme le serpentin par exemple, ne se prê
tent pas au nettoyage , les surfaces étamées sont en peu de
temps privées de leur étain , et que le cuivre est mis à nu ;
le vert-de-gris peut alors se former , et les frais d'étamage
sont perdus. Ce n'est pas spécialement l'eau et l'alcohol qui
concourent dans la distillation à la destruction de l'étain et a
l'oxidation du cuivre , la cause en est dans un autre corps qui
existe toujours dans les liqueurs fermentées.
Nous avons vu dans les première et seconde parties de cet
ouvrage, que les végétaux fermentescibîes portaient avec eus
des acides, ou que ces acides se formaient dans la fermenta
tion avec une intensité différente, suivant la nature du végé
tal ou même des procédés. Ces acides, dans l'acte de la dis
tillation, quoiqu'ils soient plus pesans que l'eau, et que par
conséquent ils se vaporisent à une plus haute température ,
ne restent cependant pas complétement dans les vinasses , et
il est bien avéré qu'ils se vaporisent en petite quantité avec
l'alcohol et l'eau dans la distillation. Ces acides portent avec
eux , dans leur constitution, l'agent de l'oxidation du cuivre,
et partant de sa transformation en vert -de -gris ; de sorte
qu'il nous est impossible d'éviter complétement cet inconvé
nient, mais on peut le mitiger en évitant autant que possible
la formation des acides dans les vins. On peut le mitiger en
core en nettoyant souvent la chaudière dans un travail con
tinu , et surtout en maintenant l'appareil dans un état de sic-
cité parfaite dans les momens d'inaction ; car c'est moins dans
les momens de travail que dans ceux de repos quele vert-de-gris
se forme dans l'intérieur des alambics. Ce sont aussi les acides
qui , lorsque le cuivre est étamé , rongent l'étain et en neu
tralisent ainsi l'effet préservatif. Il est donc peu utile d'éla
DE LA DISTILLATION.
mer le cuivre, puisque dans la chaudière on peut maintenir
celui-ci dans un état constant de propreté par le nettoyage ,
et que , dans les parties de l'appareil qu'on ne peut nettoyer ,
l'étain une fois mangé, ce qui ne tarde pas a avoir lieu, ne
peut être remplacé.
Nous avons donné a la chaudière une forme ronde plus
large que haute, afin de tirer parti, autant que possible, de
cette loi qui régit la transmission de la chaleur de bas en haut ,
et pas autrement, a travers les liquides. La flamme, après
avoir été appliquée directement à tout le fond de la chau
dière , s'échappe par une seule ouverture et circule sur les
parois jusqu'a une certaine hauteur, avant de s'échapper
dans la cheminée.
Cette hauteur jusqu'a laquelle on peut faire circuler la
flamme autour de la chaudière dans la distillation , n'est pas
arbitraire ; elle est dépendante de la richesse du vin sur lequel
on opère, et c'est lui spécialement qui doit la déterminer. En
effet, la chaleur ne doit être appliquée a une chaudière que
sur les points qui doivent être constamment recouverts de li
quide ; car, si l'on n'observait pas cette condition, non-seu
lement on s'exposerait à détériorer le métal, mais encore il
pourrait arriver dans beaucoup de circonstances, si ce n'est
pas dans toutes , que les matières solides que peuvent conte
nir les vins, brûleraient contre les parois de la chaudière et
donneraient au produit un goût d'empyreume ou de feu, que
le commerce répudie comme un défaut de qualité. Cela arri
verait surtout dans la distillation des marcs de raisin et des
matières pâteuses telles que les grains et les pommes de terre.
J'ai dit que la richesse de la liqueur que l'on distille doit
déterminer la hauteur des surfaces de chauffe latérales de la
chaudière, et voici pourquoi.
Dans la/distillation en général , et sans particulariser ni
celle des vins proprement dits, ni celle des liqueurs fermentées
faites avec d'autres substances que les raisins, il existe des
nuances très-grandes de richesses en alcohol , puisque dans
le midi il y a des vins qui rendent jusqu'à ^ et même plus
d'eau-de-vie à 22°, tandis que dans les distilleries où l'on
fait le vin avec des grains ou autres substances , il arrive
•^84 TRAITÉ DE î/ART
souvent qu'où ne tire pas plus d'un 24" d'eau-de-vieau même
titre. Il est évident qu'avec un appareil simple , ces deux es
pèces de vins si inégalement riches en alcohol , commande
ront des nuances dans le travail ; l'un , celui du Languedoc ,
donnerait à-peu près son produit commun a 22° par une sim
ple distillation, tandis que l'autre nécessitera, outre sa dis
tillation , deux rectifications indispensables.
Supposons maintenant que successivement on remplisse
une chaudière distillatoire de ces deux sortes de vins, et qu'on
procède à leur distillation ; le premier qui contient j d'eau-
de-vie a 22° n'aura besoin que d'une distillation et d'une
rectification pour arriver au titre. Il faudra lui enlever, par
la distillation , le tiers de son volume en vapeurs pour ache
ver son dépouillement. Donc ce vin, dans la chaudière dis
tillatoire , se réduira d'un tiers, et la hauteur qu'il occupera
dans celle-ci après cette réduction, donnera celle des surfaces
de chauffe latérale. Cela est de toute évidence , puisque si
l'on donnait aux surfaces de chauffe la hauteur totale que le
vin non distillé occupe dans la chaudière, il en résulterait
qu'au fur et a mesure que le vin perdrait de son volume dans
la distillation , il y aurait une portion des surfaces de chauffe
latérales de la chaudière mises a nu par la réduction du vin ,
et sur lesquelles pourraient se déterminer les inconvéniens
signalés plus haut. Voila donc , pour un vin qui contient ^ de
son volume d'eau-de-vie a 22°, les surfaces de chauffe dé
terminées. Voyons maintenant celui qui n'en contiendrait
qu'un 24e.
Dans ce cas , il est évident que le volume , au lieu de se ré -
duire d'un tiers , se réduira moins : ce sera , par exemple ,
la réduction qui donnera pour produits premiers une com
mune de petites eaux de 1 2 à 13° aréométriques ; ce sera par
conséquent environ le quart du volume du vin a enlever par
distillation. Or ici les surfaces de chauffe latérales de la chau
dière devront avoir pour hauteur celle que le vin occupera
étant réduit, c'est-à-dire les | de son volume total. C'est sur
ce pied que nous les avons établies dans la figure qui nous
occupe.
"oit au reste , par cet exemple , que la hauteur des
DE LA. DISTILLATION.
surfaces de chauffe latérales ne difière pas considérablementi
même pour deux vins que l'on peut considérer comme les
extrêmes de richesse et de pauvreté alcoholique. 11 n'y a que
pour la rectification , qui est indispensable dans le système
que nous étudions, que la hauteur des surfaces subirait né
cessairement une réduction plus grande , puisque dans ce cas
les petites eaux que l'on rectifie doivent souvent être rédui
tes par vaporisation a plus de la moitié de leur volume. Mais
alors la vaporisation , s'efFectuant sur une portion d'alcohol
plus grande, nécessite un foyer moins ardent, et l'on court
partant moins de risques d'altérer les surfaces de cuivre qui
sont découvertes et privées de liquide d'une part , et de l'au
tre, en contact avec de l'air chaud. Il y a plus : c'est que,
dans ce cas , on ne craindrait pas de donner au produit dis-'
tillé le goût d'empyreume , puisque la matière sur laquelle on
agit n'est plus qu'un mélange d'eau et d'alcohol , qui sont
tous les deux des liquides très-vaporisables , et qui ne peu
vent, par conséquent, ni brûler ni donner de fumée pour in
fecter les produits. On pourrait d'ailleurs , a l'aide de deux
registres disposés convenablement, supprimer a volonté toute
une hélice du canal de circulation ; on l'ouvrirait au com
mencement et on la fermerait vers le milieu de l'opération.'
La hauteur des surfaces de chauffe latérales étant déter
minée comme je viens de le dire, on peut calculer la sur
face totale. Ici elle est de dix mètres carrés, qui, à raison
de 5o kilog. de vapeurs par heure, donnent 5oo kilogram
mes.
Maintenant , sur ces données et sur celles que nous avons
produites précédemment sur la force calorifique des combus
tibles , il est facile de construire l'ensemble du fourneau de
manière a brûler dans une heure la quantité de charbon né
cessaire a la production de 5oo kilogrammes de vapeurs par
heure. Il est vrai que , prenant pour base la vapeur d'eau ,
lorsque nous agirons sur un mélange d'eau et d'alcohol , nous
transgresserons d'autant plus cette quantité de 5oo kilogram
mes de vapeurs , que le mélange contiendra plus d'alcohol ;
mais cela ne nous fera point commettre d'erreurs . puisque
nous aurons admis le cas le moins favorable , c'est-à-dire
a86 TRAITÉ DE L'ART
celui qui exige la plus grande consommation de combustible.
11 est essentiel de procéder ainsi ; et en prenant pour base
de la construction du fourneau le cas qui exige le maxi
mum de chaleur, nous ne serons pas exposés à obtenir des ré
sultats moindres que ceux que nous désirons ; et, d'une au
tre part , quand nous agirons comme dans la rectification
sur des matières très-alcoholisées , il nous sera facile de di
minuer la combustion et la chaleur , soit en réduisant la quan
tité du charbon , soit en fermant plus ou moins le registre
de la cheminée pour en diminuer le tirage. Il est facile , dans
un fourneau, de diminuer la combustion , et par conséquent
la chaleur ; tandis qu'on ne peut pas , toutes choses égales
d'ailleurs , franchir aussi facilement le maximum de chaleur
d'après lequel on a calculé la grille , les tuyaux d'aspiration ,
et par conséquent la consommation du charbon a laquelle le
développement de chaleur est proportionné.
Or ici , pour 5oo kilogrammes de vapeurs d'eau par
heure, il faudra brûler, dans ce laps de temps, 7o kilogram
mes de charbon. Sur ces données , la grille devra avoir 1 mè
tre de longueur sur 56 centimètres de largeur. Comme elle
doit toujours présenter ^ de sa surface d'ouverture libre , et
que chacun des intervalles des barreaux doit avoir 1 centimè
tre de largeur , les barreaux devront évidemment avoir 3
centimètres de largeur : nous leur donnerons 4 centimètres
d'épaisseur pour la solidité, et nous les soutiendrons dans
leur longueur par deux traverses solides de fonte que nous
{ùacerons dessous, a distances égales des deux extrémités de
ongueur de la grille.
SECTION QUATRIÈME.
Question économique de VAppareil simple.
La question économique de la distillation proprement dite
se compose de trois parties bien distinctes :
i°. De la valeur de l'appareil employé ;
2°. Du combustible qu'il depense pour faire une quantité
de produits donnée ;
3°. De la main-d'œuvre qu'il nécessite pour marcher.
BE LA DISTILLATION. 287
Voyons chacune de ces parties isolément pour l'appareil
qui nous occupe.
Valeur de VAppareil.
Chaudière avec deux robinets , pesant 9oo kilog.
a4fr 56oofr.
Serpentin avec soudures , 6oo kilog. a 4 fr. . . 24oo
Grille , portes du foyer et du cendrier , registre
de la cheminée et autres ferrailles et garnitures. . . . 25o
Cuve en bois de chêne avec cercles en fer. 3oo
Maçonnerie pour le fourneau 15o
Total 67oo fr.
Intérêt annuel sur 67oo fr. , a raison de 15 pour cent,
pour détérioration et réparation de la machine. . . 1oo5 fr.
Intérêt journalier, en comptant sur 3oo jours de tra
vail 5 fr. 5o cent.

Dépense de Combustible.

Nous avons vu précédemment que nous avons construit


le fourneau en harmonie avec les surfaces de chauffe de la
chaudière, c'est-a-dire de manière a brûler la quantité de
charbon nécessaire pour entretenir, sur 1o mètres carrés de
surfaces de cuivre , une production de 5oo kil. de vapeur
d'eau par heure ; et nous avons vu que, pour ce résultat,
nous devrions brûler 7o kilog. de charbon par heure , c'est-
à-dire 84o kilog. en 12 heures de travail.
Notre dépense en combustible s'élèvera donc , si nous es
timons le charbon à 5 centimes le kilog., elle s'élèvera,
dis-je, a 4o fr.
Je dis 4o francs pour frais journaliers de charbon.
Voyons maintenant, avec cette dépense de combustible,
quelle quantité de produits nous pourrons fabriquer. Cette
quantité sera évidemment dépendante ici, comme dans les
autres appareils, de la richesse alcoholique du vin sur lequel
nous opérerons, et, de plus, du titre auquel nous voudrons
388 TRAITÉ DE L'ART
isoler le produit alcoholique ; car, plus nous voudrons avoir
d'alcohol a un haut titre, plus il faudra faire de repasses pour
la rectification, et, d'un autre côté, ces repasses devront être
aussi d'autant plus répétées que nous aurons un vin moins
riche, et vice versa.
Pour asseoir nos calculs d'une manière exacte, fixons nos
idees sous ces deux rapports, et supposons, par exemple,
deux cas moyens ; supposons, dis-je, que l'on veuille faire
de l'eau-de-vie a 22°, et que le vin sur lequel on opère conr
tienne de son poids de cette preuve.
Reportons-nous, de plus, a la composition de l'eau-de-
vie à 22°, voyons dans quelles proportions l'alcohol pur et
l'eau se trouvent melangés dans cette preuve , et nous trou
verons qu'elle contient a-peu-près, sur i oo parties en poids,
36 parties d'alcohol pur, et par conséquent 64 parties d'eau
douce. Donc un vin qui contiendrait • de son poids d'eau-
de-vie a 22° , contiendrait à-peu-près d'alcohol pur.
Avec un appareil simple, comme celui que nous étudions,
l'expérience prouve qu'on ne peut pas , par une simple dis
tillation, obtenir tout l'alcohol d'un vin richea £de22°, sans
lui enlever d'abord, en vapeurs, au moins les * de son poids.
Donc ces | de vapeurs condensées ne présenteront évidem
ment pas une eau-de-vie a la concentration de 2 2°, puisqu'il
n'eût fallu pour cela que lui enlever | de son poids. Dans
cet état, ces \ d'eau-de-vie prennent le nom de petites eaux
et nécessitent une opération connue sous le nom de rectifica
tion, pour arriver au titre voulu de 22°. C'est une nouvelle
distillation , dans laquelle on opère sur un vin plus riche ; ce
nouveau vin , composé uniquement d'alcohol et d'eau , pèse
en effet 17°. 11 contient a-peu-près moitié de son poids d'eau-
de-vie à 22° , et par conséquent * d'alcohol pur. 11 faut donc
faire ici deux distillations, la première sur une matière qui
contient ~ de son poids d'alcohol pur, et la deuxième sur
une matière qui en contient g. Nous ne pouvons confondre
ces deux opérations dans le calcul de la dépense de charbon
qu'elles nécessiteront , et nous en présenterons deux comptes
séparés. Nous appellerons le premier le compte de distilla
tion, et le deuxième le compte de rectification.
DE LA DISTILLATION. nSc)
Distillation. — Supposons que l'on ait à distiller 36oo
litres de vin qui contiennent j de leur poids d'eau-de-vie a
a2° , ces 3 6oo litres équivalent a 3 6oo kilogrammes ; il faut
leur enlever , en vapeurs mélangées , les * de leur poids , soit
8oo kilogrammes de petites eaux à 17% ou 96o grammes au
litre , qui se composeront de 6io kilog. d'eau et 1 6o kilog.
d'alcohol pur. Or nous savons quelle quantité de charbon ces
deux corps exigent en pratique pour être vaporisés. Répétons
ces données : ,
I kilog. de' charbon vaporise 7 kilog. d'eau.
Jd. Id. 18 kilog. d'alcohol pur.
II faudra ici pour vaporiser
l'eau 9 1 kilog. charb.

Pour l'alcohol, il faudra ; soit. . 9


10
Pour la vapeur , ensemble 1oo
Ce n'est pas la toute la dépense de
combustible qui sera nécessaire pour
opérer la distillation , puisque nous
avons en outre les vinasses , qui auront
dû être chauffées jusqu'au terme de l'é-
bullition. Ces vinasses ne sont plus que
de l'eau. Leur poids est évidemment
celui du vin employé, 36oo kilog. ,
moins les 8oo kilogrammes de va- .
peurs , soit 28oo kilog. ; et comme
nous savons qu'un kilogramme de char
bon peut amener , en pratique , 46 ki
logrammes d'eau a l'ébullition , 8o°,
nous aurons, pour dépense de char
bon , pour le chauffage des vinasses

Total...... 16o kilog. charb.


Or il faut, en pratique, 1 6o kilogrammes de charbon pour
*9
290 TRAITÉ DE L'ART
enlever, par distillat1on, a 36oo litres de vin, tout l'alcohoî
qu'il contient, quand il est riche a | de 22°, et l'on a alors
0o0 kilogrammes de petites eaux a 17° a rectifier.
Rectification.—8oo kilogrammes de petites eaux à 17° se
composent, comme nous venons de le dire, de 64o kilogram
mes d'eau et de 1 6o kilogrammes d'alcohol pur ; et comme
l'eau-de-vie a 22° que nous voulons en tirer par distillation
se compose de 36 d'alcohol pur sur 1oo, il est évident que
pour retirer de l'eau-de-vie à 2 2° des 8oo kilogrammes de
petites eaux a 1 7°, il faudra leur enlever^ en vapeurs, les 1 6o
kilogrammes d'alcohol qu'elles contiennent, plus 29o kilog.
d'eau , qui constitueront en effet un mélange de 45o kilo
grammes d'eau-de-vie à 22°, ou 914 grammes au litre. Donc
nous aurons pour frais de combustible nécessaire à la recti
fication :
\— k1l. d'eau 41 kil. charb.
Pour la vapeurs "~
j—^glàL d'alcohol 9
Pour chauffage des 35o kil. vinasses,
35o
nous aurons -rr : soit o
46 '
Ensemble....'. 58
Il faudra donc, pour rectifier 8oo kilogrammes de petites
eaux à 170, et leur enlever 45o kilogrammes d'eau-de-vie
à 22°, il faudra, dis-je, dépenser 58 kilogrammes de char
bon.
Réunissons ces frais de combustibles et nous aurons :
Charbon pour la distillation 16o kilog.
Idem pour la rectification 58
Total 218
218 kilogrammes de charbon à 5 centimes font 1o fr. 9o
cent.
On peut doue, avec une dépense de 1o fr. 9o cent, de
DE LA DISTILLATION. 29 1
charbou , dist1ller et rectifier 3 6oo litres de vin , de manière
à en obtenir 45o kilogrammes d'eau-de-vie a 22°, ou, ce qui
est la même chose, 49 2 litres, puisque l'eau-de-vie à 22°
pèse 914 grammes au litre.
Nous pouvons maintenant , avec cette donnée , calculer la
quantité d'eau-de-vie a 22° que nous pourrons faire jour
nellement avec notre appareil, où nous avons vu que la dé
pense du combustible doit s'élever aussi journellement à 4o
fr. Ce résultat sera donné par cette proportion. Si 1o fr. 9o
cent. de charbon donnent 49 2 litres d'eau-de-vie a 22° ,
combien en donneront 4o ? Ce sera 18o5 litres que l'on
pourra fabriquer communément jour pour jour avec l'ap
pareil distillatoire simple.
Main-d'œuvre.
La main-d'œuvre, pour cet appareil simple, est celle que
nécessite l'entretien du fourneau , la charge de la chaudière
et l'élévation de l'eau dans la cuve du serpentin.
L'entretien du fourneau n'exige pas tout le temps d'un
homme , mais la charge de la chaudière et de la cuve du ser
pentin exige au moins deux hommes pour son service , ainsi
que nous l'expliquerons plus bas. Nous admettrons donc un
garçon distillateur à 3 francs par jour et deux manœuvres à
1 fr. 5o c. ; cela fera un ensemble de 6 fr. pour main-d'œu
vre nécessaire a la confection de 18o5 litres d'eau-de-vie
à 22°.
Ce calcul n'est pas exagéré , surtout si l'on considère les
menus soins qu'exige ce genre de distillation , comme le net
toyage des machines , la surveillance du feu et celle des va
peurs condensées, qu'il faut observer souvent pour recon
naître l'épuisement des vinasses et fixer le degré du produit
dans la rectification.
Pour obtenir 18o5 litres d'eau-de-vie à 22° d'un vin ri
che à | , il est évident qu'il faut mettre jour pour jour dans
la chaudière 14,44o litres de vin, plus 3 20o litres de petites
eaux : cela fait un ensemble de 17,64o litres de liquide a peu-
près qu'il faut pomper pour les introduire dans la chaudière.
Ainsi, comme notre chaudière contient 47oo litres, nous
!9-
2f)3 TRAITÉ DE L'ART
aurons quatre charges à-peu-près par jour , dont trois de
distillation et une de rectification.
Nous avons dit précédemment que dans un travail bien
entendu il fallait combiner le renouvellement de ! eau dans la
cuve du serpentin , de manière a ce que l'eau de la couche
supérieure ne prît pas une température supérieure h 4o°.
Ainsi nous pouvons supposer que toute l'eau employée a la
condensation et a la réfrigération est chauffée à cette tem
pérature , et sort par le trop plein aussitôt qu'elle l'a ac
quise.
Nous savons que toute la chaleur que prend cette eau lui
est transmise par la condensation des vapeurs dans le ser
pentin ; nous savons de plus combien ces vapeurs perdent
de chaleur pour être condensées et refroidies a i o° ; il nous
est donc facile de calculer quelle quantité d'eau froide elles
pourront amener à 4o°. Ce sera environ 70,ooo kilogram
mes ou litres qu'il faudra journellement introduire daus la
cuve. Si l'on ajoute à cette masse d'eau réfrigérante les
1 7,6oo litres de liquide qu'il faudra introduire dans la chau
dière, on verra qu'il faut pomper journellement 87,6ooliti es
de liquides , et que deux hommes suffiront a peine pour ce
travail , surtout s'il faut puiser l'eau a une grande profon
deur.
Résumé des frais.
Intérêt journalier de l'appareil 5^'-3oe-
Dépense de combustible 4o oo
Main-d'œuvre 6 oo
Total 4g 3o
On dépenserait donc environ 5o fr. pour obtenir 1 8d5 li-
tres d'eàu-de-vie h 2 a° d'un vin riche a 4, Les pièces d'eau-
de-vie contiennent , terme moyen , 6oo litres ; par consé
quent , dans ce système de distillation , une pipe d'eau-de-vie
à 22° , de cette capacité , coûterait en frais de fabrication 1 6
fr. 33 c.
Si l'on opérait sur un vin plus riche, les frais du com
bustible qui figurent dans le compte ci-dessus seraient néces
DE LA DISTILLATION. 2Ç)3
saîrement moindres ; mais aussi ils seraient plus considéra
bles si le vin était plus pauvre.
En suivant la marche que j'ai détaillée dans le compte que
je viens de donner, il est facile d'estimer les différences de
frais que l'on aurait pour des vins a d'autres titres , plus ri
ches ou plus pauvres. Si , par exemple , le vin , au lieu d.î
contenir 't d'eau-de-vie a 22° , n'en contenait que 77 , il
faudrait ici une opération de plus, c'est-a-dire qu'il faudrait
une distillation et deux rectifications. La distillation ne don
nerait que des petites eaux tellement pauvres , qu'elles ne
seraient pas plus riches que le vin à i qui a servi de base a
notre compte. On voit donc qu'il faudrait ajouter aux résul
tats de ce dernier compte les frais que nécessiterait le pre
mier travail du vin riche à
On voit par la que ce mode de distillation est d'autant
plus onéreux que l'on opère sur des vins plus faibles , puis-
qu'alors les masses de liquide à vaporiser augmentent propor
tionnellement , et que ce sont les vapeurs et surtout les va
peurs aqueuses qui nécessitent une grande dépense de com
bustible. Les vapeurs d'eau prennent en effet six fois et demie
plus de chaleur pour se former que l'eau n'en prend elle-même
pour arriver à l'ébullition , tandis que les vapeurs alcoholi-
ques pures ne prennent que deux fois et demie plus de cha
leur que cette eau ; c'est-à-dire qu'un kilogramme de va
peurs alcoholiques a la température de leur production ,
62°, ne contient pas plus de chaleur que deux kilogrammes
et demi d'eau à 8o°.

CHAPITRE VII.

II* système. — Distillation à chauffe - vin ou à


double effet.

J'appelle ce système distillation à chauffe-vin ou à


double effet , parce qu'on y utilise la chaleur mise en li
berté par la condensation d'une partie des vapeurs pour le
agi tra1té de l'art
chauffage du vin destiné a entrer en distillation. Il y a évi
demment double effet, puisque la chaleur, après avoir servi
a la production des vapeurs , sert a amener a l'ébullition du
nouveau vin en même temps que l'on réalise l'une des con
ditions de l'analyse, la condensation.
Cet effet constitue la seule différence qui existe entre ce
système de distillation et la distillation simple , et la partie
de l'appareil qui le produit se nomme chauffe-vin. Du reste ,
l'appareil est le même et se compose , comme l'appareil sim
ple que nous venons de décrire , d'une chaudière évapora-
toire et d'un grand serpentin qui communique avec elle.
La première idée de ce chauffe-vin et sa première exécu
tion sont dues à Argand , économiste célèbre surtout par
l'invention des lampes a courant d'air. j;£
Le chauffe -vin d'Argand était semblable, abstraction
faite des dimensions , a celui que nous allons décrire, et sa
disposition était la même, c'est-a-dire que les vapeurs qui y
étaient condensées coulaient par la pente naturelle du ser
pentin dans le grand serpentin , qui faisait ainsi l'office de
réfrigérant , et elles étaient recueillies au-dehors.
Curaudeau, autre économiste distingué , reproduisit de
puis le chauffe-vin d'Argand, sous une disposition différente.
Il donna au serpentin de ce chauffe-vin une direction ascen
dante , la chaudière étant prise pour point de départ ; de>
sorte que les vapeurs qui y étaient condensées retournaient
dans cette chaudière , et que celles-la seules qui échappaient
à la condensation du chauffe-vin pouvaient entrer dans le
serpentin réfrigérant pour donner au-dehors le produit de
leur condensation. Cette -disposition permettait ainsi , en
vertu des lois que nous avons exposées sur la condensation
des vapeurs, de recueillir du premier coup des produits al-
coholiques plus concentrés. Nous pouvons facilement en con
cevoir la cause et reconnaître que, par cette disposition, le
chauffe-vin opérait une véritable rectification.
Dans la figure que je vais décrire d'un appareil à chauffe-
vin , je l'ai établie avec la disposition d'Argand , parce que
c'est la seule que je sache être encore employée aujourd'hui
dans quelques cas particuliers, tels que la distillation des ma-


DE LA DISTILLATION. SCj5
trères pâteuses ; c'est même, pour ainsi dire , le seul qui soit
usité en Hollande et dans toutes les contrées où la distil
lation des grains et des pommes de terre presente quelque
importance.
SECTION PREMIÈRE.
Description d'un Appareil à chauffe-vin. ( Voyez la
planche 5.)
La chaudière À et le serpentm R sont absolument les mê
mes que ceux de l'appareil simple de la planche 4. Leurs pro
portions sont les mêmes; la chaudière.est montée sur un four
neau absolument pareil ; et la consommation du combus
tible , la production des vapeurs et le rapport des surfaces
de chauffe de la chaudière aux surfaces de condensation du
serpentin , n'ont point été changés. Ces deux parties de l'ap
pareil sont enfin l'appareil simple, aveccette légère différence
qu'elles sont un peu plus espacées , pour permettre d'inter
poser entre elles le chauffe-vin C.
Le chauffe-vin C, placé a un niveau supérieur au liquide
de la chaudière , se compose d'une cuve en bois du même
diamètre que celle du serpentin. Dans son intérieur, circulent
deux hélices et demie d'un serpentin qui communique d'une
part a sa partie supérieure avec la chaudière par le tuyau D ,
et de l'autre à sa partie inférieure avec le grand serpentin.
La cuve de ce chauffe-vin est calculée pour contenir jusqu'a
la ligne aa une quantité de vin qui puisse emplir la chau
dière jusqu'à la ligne bb ; elle doit enfin contenir une charge
complète de chaudière. Elle communique avec celle-ci par
un robinet E, qui sert a l'introduction du vin.
Le robinet F sert, comme on le sait , a donner passage aux
vinasses.
J'ai représenté sur la même planche la coupe horizontale
du fourneau G , de manière a donner une idée de la maçon
nerie et de la surface de la grille.
J'omettais de dire que la cuve du chauffe-vin doit être
recouverte d'un couvercle mobile en bois que l'on double en
métal , et que l'on charge d'un poids pour qu'il ferme plus
parfaitement la cuve. Cette simple clôture est suffisante, parce
2Ç)G TRAITÉ DE L'ART
que les proportions du serpentin de ce chauffe-vin sont cal
culées de manière a ce que le vin n'y puisse pas bouillir. On
sent bien que s'il en était autrement, il faudrait que le chauffe-
vin eût uue disposition qui permît de recueillir les vapeurs
qu'il produirait; mais cette complication d'appareil ne pour
rait jamais offrir un grand avantage , et on l'évite autant
que possible.
SECTION DEUXIÈME.
Manœuvre de VAppareil à chauffe-vin.
On commence par charger la chaudière de vin jusqu'a la
ligne pointillée bb ; on charge de même de vin la cuve ou le
chauffe-vin C jusqu'a la ligne aa, c'est-a-dire de manière à
avoir une charge complète de chaudière. La cuve du serpen
tin B étant supposée pleine d'eau froide jusqu'a la ligne ce,*
on met le feu sous la chaudière.
Lorsque l'ébullition a commencé, les vapeurs montent par
le tuyau D et entrent dans le serpentin du chauffe-vin ; la
elles subissent une condensation qui échauffe le vin , et le
produit de cette condensation et les vapeurs qui lui échap
pent entrent dans le serpentin B pour venir ensuite se ren
dre par l'ouverture O dans un vase disposé pour les rece
voir.
Par celte disposition , le vin de la cuve C se chauffe » et -
a acquis une température voisine de l'ébullition au moment .*'
où le vin de la chaudière A est dépouillé de son alcohol.
Alors on ouvre le robinet F pour laisser écouler les vinas
ses ; et quand on juge que la chaudière est vide , on ouvre
le robinet E avant de fermer le robinet F, pour éviter,
comme je l'ai déjà dit en parlant de la charge de l'appareil
simple , les dangers de l'absorption produite par la conden
sation des vapeurs. Ce n'est pas que dans cet appareil, où le
liquide entre en chaudière a-peu-près bouillant , l'absorption
soit autant à redouter que dans l'appareil simple, où if en
tre tout froid ; mais nonobstant cette inégalité de dangers, il
est toujours bon d'opérer comme je viens de le dire, parce
que l'expérience et la théorie prouvent que cette précaution
est prudente et utile.
DE LA DISTILLATION. 297
Lorsque cette nouvelle charge est ainsi entrée bouillante
en chaudière , on ferme le robinet E , on amène dans le
chauffe-vin une nouvelle charge, et ainsi de suite.
Du reste , on procède absolument de la même manière que
je l'ai dit pour l'appareil simple.
SECTION TROISIÈME.
Réflexions sur l'Appareil à chauffe-vin.
Il est facile de concevoir maintenant en quoi cet appareil
diffère dans ses résultats de l'appareil simple.
Comme lui , il donne au-dehors de l'appareil toutes les
vapeurs condensées telles que la chaudière les a produites,
et sans leur avoir fait subir la moindre analyse ; de sorte que
son emploi nécessite autant de rectifications que la richesse
du vin et le titre qu'on désire dans le produit l'exigent dans
l'appareil simple ; il n'y a sous ce rapport aucune difference.
Mais, d'un autre côté, cet appareil présente plusieurs avan
tages remarquables sur l'autre.
i°. Il économise dans un travail continu tout le combus
tible qui, dans l'appareil simple, est employé a amener le vin
au terme de l'ébullition ;
2°. A cette économie de combustible se rattache celle du
temps nécessaire pour amener le vin a l'ébullition, puisqu'ici
il prend cette température pendant le temps que le vin de
la chaudière exige pour sa distillation, et cette économie de
temps permet d'augmenter le travail ( 1 ) ;
5°. Enfin il économise l'eau qui serait nécessaire pour
condenser les vapeurs que le vin condense lui-même , et par
conséquent il économise la main-d'œuvre qu'exige l'intro
duction de cette eau dans la cuve du serpentin de l'appareil
simple.
Nous calculerons ces trois économies ci-après en traitant
la question économique de ce système d'appareil.

( 1 ) C'est cette propriété qu'a le chauffe-vin d'accéléier le tra


vail qui, dans plusieurs contrées où on l'emploie, lui a fait donner
le nom de cuve de vitesse.

1
298 tra1té de l'art
Le serpentin qui baigne dans le chauffe-vin ne fait que
2 3 tours ; il présente au vin qu'il chauffe 2 -i mètres carrés
de surface : c'est donc le quart des surfaces de chauffe de
la chaudière, qui présente 1o mètres carrés a l'action du
foyer. Ce rapport des surfaces du serpentin chauffe-vin avec
les surfaces de chauffe de la chaudière n'est pas arbitraire ,
car si l'on augmentait ses proportions, si, par exemple, au
lieu de lui donner 2 mètres carrés de surface , on lui en
donnait 5, ce serait un vice réel : au moins si on le faisait sans
changer en conséquence l'appareil que j'ai décrit.
En effet , comme je l'ai déja dit, le chauffe-vin ne doit
pas présenter au vin assez de surface pour que ce vin puisse
prendre un mouvement d'ébullition qui y établisse un com
mencement de distillation. On obtient ce résultat en ne don
nant à son serpentin qu'une surface igale au quart des sur
faces de chauffe de la chaudière. Alors ce serpentin , au heu
de condenser la presque totalité des vapeurs produites par
la chaudière, comme il le ferait s'il avait ici 5 mètres carrés
de surface au lieu de 2 i, n'en condense qu'une forte moitié,
et la chaleur acquise au vin par cette condensation n'est ja
mais suffisante pour lui donner le plus petit mouvement d'é
bullition , ni même pour vaporiser une quantité notable de
son alcohol. Ces faits pourraient être facilement démontrés
par des calculs qu'il est inutile de produire ici ; on en trou
vera d'ailleurs les bases dans le compte que nous donnerons
tout a l'heure de l'économie de chaleur acquise parce chauffe-
vin. Qu'il nous suffise de savoir pour le moment que la plus
grande dimension que l'on puisse donner aux surfaces du
serpentin-chauffe-vin pour ne pas compliquer l'appareil ,
serait d'ajouter une hélice, ce qui lui donnerait 3 ~ mètres
carrés de surfaces , c'est-à-dire à-peu-près un fort tiers des
surfaces de chauffe de la chaudière; mais un quart suffit ,
ainsi que nous l'avons fait voir dans la figure que nous
avons donnée.
Si l'on voulait cependant augmenter ces surfaces jusqu'à
5 et 6 mètres , on pourrait le faire ; mais alors il faudrait
faire doubler la cuve du chauffe -vin r et lui donner un cou
vercle fixe garni d'un tuyau à son centre, lequel servirait
DE LA DISTILLATION. 299
à livrer passage aux vapeurs produites dans le chauffe-vin
pour les porter dans le serpentin condensateur. Alors il
faudrait aussi ajouter au couvercle métallique du chauffe-
vin un robinet à entonnoir pour la charge , et un petit ro
binet semblable a celui qui sert à déterminer la hauteur de
la charge de la chaudière de l'appareil simple, ou bien en
core un tube en verre qui puisse indiquer le niveau : tel est
celui que M. Ch. Derosne a employé dans l'appareil con
tinu dont nous donnerons bientôt une idée.
Cette dernière disposition serait surtout utile pour la rec
tification ; car dans cette opération , lorsque la cuve du
chauffe-vin n'est pas fermée hermétiquement , on la charge
avec de l'eau. En effet , si l'on n'opérait pas ainsi , et que
l'on y mît des petites eaux , celles-ci , étant toujours beau
coup plus riches en alcohol que le vin qui les a produites ,
pourraient entrer en distillation dans le chauffe-vin , et en
traîner une perte notable d'alcohol, Avec l'addition sus
mentionnée , on ne craindrait pas cette perte , les vapeurs
produites par le chauffe-vin étant portées dans le serpentin
et soumises à la condensation.
Si l'appareil distillatoire simple dont nous avons donné
la description pour servir de base a nos calculs comparatifs,
n'est plus du tout usité , il n'en est pas de même de celui-ci
qui lui est de beaucoup supérieur. Je ne sache pas cepen
dant que dans le Languedoc , où la distillation pratique est
Je plus perfectionnée , il soit encore employé ; mais en Hol
lande , en Belgique , dans le nord de la France et dans tou
tes les contrées où l'on s'occupe de distiller d'autres li
queurs que les vins de raisin , l'appareil distillatoire a
chauffe-vin est encore très-répandu , quoique l'on y con
naisse les appareils 'plus parfaits. Cet appareil chauffe-vin est
surtout d'une utilité remarquable lorsque les vins que l'on
distille contiennent des matières insolubles , comme les vins
de marc , les vins de grains et les vins de pommes de terre
traités en nature par l'orge maltée. Ce n'est point ici le
lieu d'expliquer la cause de cette utilité; nous y reviendrons
plus tard , lorsque nous traiterons de la distillation des
marcs de raisins, des liqueurs pâteuses , des difficultés et
des inconvéniens attachés à ces sortes de distillations.
3 o0 TRAITÉ DE l'ART
li n'est pas inutile de dire ici en passant que dans la distil
lation des grains et des pommes de terre, quoique le chauffe-
vin presente de grands avantages, nous ne voyons cepen
dant aucune impossibilité de le remplacer par d'autres appa
reils plus parfaits et plus economiques. 11 suffirait pour
cela de procéder a la macération par extraits , comme nous
l'avons expliqué dans notre première partie , et de confec
tionner par la même des vins fluides et dégagés de toutes
matières insolubles en suspension.
SECTION QUATRIÈME.
Question économique de l'appareil à chauffe-vin.
Nous avons , dans la question économique de l'appareiï
simple, tous les erremens propres à établir celle de l'appa
reil à chauffe-vin ; de sorte que nous n'aurons qu'a produire
les modifications que chacune des parties de la question
comporte.
Valeur de l'appareil.
L'appareil se composant de l'appareil simple , plus le
chauffe-vin , nous n'aurons qu'à ajouter à la valeur connue
de celui-la celle du chauffe-vin.
Valeur de l'appareil simple, suivantv
le compte produit précédemment. . . . 670o fr.
Chauffe - F1n.
Serpentin et soudures pesant 14o kilog. ,
à 4 fr. le kilog 4. 6oo
Cuve solide en bois de chêne avec cou
vercle doublé en cuivre mince. . . . 3oo
Total. 76oo
Intérêt annuel sur 75oo francs , que nous calculerons
au taux de 15 pour cent , pour tenir compte de la
détérioration annuelle que subit l'appareil et de ses répa
rations n25 f.
Intérêt journalier, en comptant
sur 3oo jours de travail 3 f. 70 c.

. I
DK- Ï.A . DISTILLATION. 3oi
Dépense de Combustible.
Pour cette partie dela question économique, nous ren
verrons le lecteur a tout ce que nous avons dit sur le même
sujet pour l'appareil simple. Les dimensions du fourneau et
de la grille élant les mêmes , il est évident que la consomma
tion du charbon sera aussi la même.
Elle s'élèvera donc à 7o kilogram. par heure, qui, pour
1 2 heures de travail , donnent 84o kilogrammes a 5 centi
mes : soit 4o fr.
Ce n'est donc pas dans la quantité du charbon brûlé,
{)our vaporiser une quantité de vin donnée, que se trouve
'économie calorifique du chauffe-vin , puisque le fourneau
et ses proportions sont ici les mêmes que dans l'appareil
simple, et qu'il n'y aurait qu'un changement, dans cette
partie de la machine, qui serait susceptible de provoquer une
économie directe de combustible ; cette économie est donc
acquise d'une manière indirecte, comme nous l'avons vu dans
la description de l'appareil , par le parti que l'on tire de la
chaleur produite par la condensation des vapeurs dans le
chauffe-vin , pour amener successivement a l'ébullition tout
le vin qui doit entrer en distillation : on ne brûle pas moins
de combustible , mais , dans un temps donné, on distille plus
de vin, et il est facile de concevoir que cet avantage équivaut
rigoureusement a une économie de charbon. D'un autre côté,
l'intérêt de la machine étant réparti sur le nombre de jours
de travaux, et la main-d'tiduvre étant supposée la même, il
est évident encore que l'appareil fournissant plus de produits
dans un temps donné, réalise par ces acquisitions un avan
tage d'autant plus remarquable qu'il touche à la fois les trois
parties de la question économique.
Voyons maintenant a préciser, par des nombres , l'aug
mentation de produits que procure le chauffe-vin.
Nous avons vu précédemment qu'avec l'appareil simple
on pouvait, en 13 heures de travail, avec la valeur de 4o
francs de charbon, confectionner 18o 5 litres -d'eau-de-vie a
32°, en partant de la supposition que le vin employé contint
g dé son poids de cette preuve. Admettons ici la même hy
302 TRAITÉ DE l'aRT
pothèse quant à la richesse du vin , et quant au titre auquel
on veut en retirer l'eau-de-vie , et rétablissons notre compte
de distillation avec le chauffe-vin ; celui de rectification res
tera le même, puisque dans ce cas, comme nous l'avons déja
dit, on ne peut pas tirer parti du chauffe-vin, a moins de
modifier l'appareil.
Distillation. — Soient 36oo litres de vin riche a J- de
22°. Le vin entrant ici dans la chaudière à la température
de l'ébullition , il n'y a évidemment de dépense de chaleur
a faire que celle qui est nécessaire pour la vaporisation des
petites eaux , c'est-à-dire la quantité de charbon que ces
petites eaux exigent pour passer du terme de leur ébuUition
à l'état de vapeur.
Lorsque Ton applique la chaleur développée par la com
bustion d'un kilogramme de charbon a de l'eau froide ou a de
l'alcohol pur froid, ce kilogramme peut faire passer, en pra
tique, a l'état de vapeur 7 kilogrammes d'eau ou i 8 kilogram
mes d'alcohol ; mais lorsque la chaleur de ce kilogramme
de charbon est appliquée a de l'eau ou à de l'alcohol qui
sont déjà chauffés jusqu'au terme de leur ébullition , il peut
alors vaporiser 8 kilogrammes d'eau ou 2 6 kilogrammes
d'alcohol. Calculons sur ces données.
Dans 3 6oo litres de vin riche à | , il y a 8oo kilog. de
petites eaux à vaporiser , qui se composent de 64o kilog.
eau et 16o alcohol pur.
6jo
g kilog. eau = 8o kilog. charbon.
16o
- kilog. alcohol = 7

Total . . . . = 87
Dans un travail continu avec le chauffe-vin, il n'y aura
donc que 87 kilogrammes de charbon à brûler pour distil
ler 3 6oo litres de vin , et obtenir 8oo kilog. de petites
eaux à 15°. Je ne compte rien pour le chauffage des vi
nasses , puisqu'il est évident qu'elles sont amenées à l'ébul
lition dans le chauffe-vin par la condensation des vapeurs.
La dépense de combustibles pour frais de distillation ne

1
DE LA DISTILLATION. 3o3
s'élève donc qu'à 87 kilogrammes de charbon, au lieu de
16o kilogrammes que nous avions dans la distillation avec
l'appareil simple.
Rectification. — Les frais de rectification sont les mê
mes que dans l'appareil simple , ainsi nous aurons pour eux
58 kilogrammes de charbon.
Réunissons ces frais.
Charbon pour la distillation 87 kilog.
Idem pour la rectification ...... 58
Total 145
145 kilogrammes de charbon, estimés à 5 centimes ,
font 7 francs 25 centimes.
On peut donc avec le chauffe-vin distiller et rectifier
36oo litres de vin , de manière a obtenir 45o kilogrammes
ou 492 litres d'eau-de-vie a 22° , et cela avec 7 francs 25
centimes de combustible.
Rapportant cette quantité d'eau-de-vie obtenue avec
la valeur de 7 francs 25 centimes de combustible à celle
de 4o francs que représentent les 84o kilogrammes de char
bon que nous brûlerons journellement dans notre appareil,
nous aurons cette proportion: si 7 francs 25 centimes don
nent 492 litres d'eau-de-vie a 22°, combien en donneront
4o francs? Et nous aurons pour résultat 2714, qui re
présenteront 2714 litres d'eau-de-vie à 22° , confection
nés dans 12 heures de travail par l'appareil à chauffe-vin.
L'appareil simple ne donne que 18o5 litres dans le même
laps de temps et avec la même consommation de charbon.
Donc nous avons ici une augmentation de travail repré
sentée par 9o9 litres, qui font a-pea-près 5o pour cent
de plus, et qui constituent par conséquent une supério
rité relative a l'appareil chauffe-vin sur l'appareil simple.
Par conséquent , on pourrait faire , dans l'un , avec un
tiers de moins de combustible et de main-d'œuvre , autant
de travail que dans l'autre.
Main-d'œuvre.
Nous supposerons que la main-d'œuvre est la même que
pour conduire l'appareil simple, et en cela nous ne nous
3o4 TRAITÉ DE L'ART
tromperons guère, puisque, s'il existe une difference, elle
ne peut être qu'en faveur de l'appareil chaufi'e-vin.
En effet, toute la chaleur que s'approprie le vin économise
une portion d'eau de condensation, et partant la main-d'œu
vre qu'elle exigerait pour arriver dans le serpentin. Nous
avoiis dit qu'avec l'appareil simple, il est convenable de ne
laisser chauffer l'eau dans le serpentin que jusqu'à la tempé
rature de 4o° ; ici , avec le chauffe-vin, on peut lui laisser
prendre une teropérature plus élevée, c'est-à-dire de 45 a
5o° , parce que les surfaces du serpentin étant les mêmes et
ayant moins de condensation de vapeurs à opérer , on peut
obtenir des résultats égaux en rejetant l'eau de la cuve a une
température plus élevée.
On peut déjà déduire de ce fait que si l'appareil simple
était de nature à jouir encore de quelque emploi dans les
manufactures , on pourrait, comme on l'^a fait effectivement,
le perfectionner d'une manière remarquable en augmentant
les surfaces du serpentin et la capacité de la cuve, en les
doublant par exemple; alors on obtiendrait les mêmes résul
tats de condensation et de réfrigération avec une quantité
d'eau froide bien moins considérable, c'est-à-dire avec pres
que la moitié moins, dans l'hypothèse où le serpentin et la
cuve seraient de dimensions doubles. On se convaincra de
cette vérité, quand on réfléchira qu'alors l'eau de conden
sation, au lieu de sortir du serpentin à 4o°, pourrait n'en
sortir qu'à un état voisin de 75°. L'eau, dans ce cas, rem
plissant une fonction condensattïce à-peu-près double, pour
rait donc être réduite de moitié, et l'on économiserait ainsi
toute la main-d'œuvre que comporterait cette réduction dans
la consommation de l'eau.
Le même perfectionnement a été appliqué à l'appareil
chauffe-vin qui dous occupe : il est vrai qu'alors le serpen
tin, ayant une dimension plus grande, occupe un plus grand
capital ;mais, d'un autre côté, la main-d'œuvre est réduite.
11 est beaucoup de localités où l'on n'a point la facilité de se
procurer de grandes masses d'eau sans creuser de vastes puits
de constructions dispendieuses , ou bien encore sans la pui
ser a une grande profondeur, qui nécessite plus de force et
DE LA DISTILLATION. 3o5
partant plus de dépense. Dans ce cas, il peut être très-avanta
geux au distillateur d'augmenter les dimensions du serpentin
condensateur, de manière h réduire le besoin de l'eau con-
densatrice.
Cette modification est si facile, que je ne crois pas devoir
m'étendre davantage à son sujet ; mais comme elle intéresse
essentiellement la main-d'œuvre, j'ai cru devoir la signaler
ici où elle trouve naturellement sa place.
Nous compterons donc , pour main-d'œuvre nécessaire a
l'appareil chauffe-vin de la dimension de celui que nous
avons décrit, la même somme que pour l'appareil distilla—
toire simple : soit 6 fr. pour salaire de trois hommes.
Résumé des Frais.
Intérêt journalier de l'appareil . 3 fr. 75 c.
Dépense journalière de combustible. . . . 4o
Main-d'œuvre journalière 6
Total. ..... 49 fr. 7 5 c.
0%voit donc que la dépense journalière de l'appareil a
chauffe-vin ne diffère de celle de l'appareil simple que de
45 centimes, qui touchent la seule partie de l'intérêt du ca
pital employé dans la machine.
Avec cette dépense, on aurai 1 2 7 1 4 litres d'eau-de-vie à 2 2 °.
Rapportant cette dépense a celle que nécessiterait une pièce
de 6oo litres, nous aurons pour coût de cette pièce, dans le sys
tème que nous étudions, 1 1 francs au lieu de 17 francs 16
centimes qu'elle coûte dans le système de la distillation simple.

CHAPITRE VIIL
II Ie. Système.—De la Distillation à fapeurs et
à Rectificateurs.
J'ai groupé , dans ce troisième système de distillation , les
découvertes A Adam et de Bèrard , et je me suis, sous ce
rapport, soumis a la pratique des ateliers, qui confond au
, 20
3o6 TRAITÉ DE L'ART
jourd'hui dans la construction de ses appareils les innova
tions de ces deux créateurs de la distillation perfectionnée.
En effet, la majeure partie des appareils distillatoires usités
dans le Languedoc pour la fabrication des f , sont des com
binaisons des appareils imaginés par Adam et Bérard.
Je ne m'attacherai pas rci a répéter ce que j'ai déja suffi
samment expliqué dans mon historique de la distillation , sur
les différences que présentent les exécutions d'Adam et
de Bérard ; elles sont bien distinctes Pune de l'autre, et
elles ont chacune des moyens utiles dont la combinaison peut
former un appareil assez parfait.
L'exemple dont je vais donner la description est de ee
genre, et il présente l'une des applications les mieux enten
dues des machines d'Adam et de Bérard ; il réunit le chauf
fage du vin par les vapeurs , qui s'analysent en même temps
par leur mélange avec lui. Cette partie de l'appareil, com
posée de deux chaudières, est prise a Adam. Il réunit de
plus l'analyse des vapeurs condensées a travers des surfaces
métalliques par le vin, dans un appareil qui, par sa dispo
sition , fait tout-a-la-fois les fonctions de rectificateur et de
chauffe-vin. Cette partie est imitée du condensateur de Bé
rard, dont elle est un perfectionnement. Le reste de l'ap
pareil est commun aux appareils S!Adam et de Bérard
c'est un chauffe-vin et un réfrigérant.
Plusieurs hommes distingués ont encore contribué a per
fectionner le système de distillation que nous étudions , et
nous devons au moins a leur zèle et à leurs travaux de citer
ici leurs noms. Ce sont MM . Solima/ii, Ménard, Carbone! et
Alègre, dont les appareils ne seraient sans doutepas indignes
de trouver place dans ce traité, si l'espace me permettait de
m'en occuper ; mais comme ils sont conçus a-peu-près sur
les mêmes principes que celui que je vais décrire , j'ai cru
pouvoir me dispenser de les donner. Les particularités qu'il*
présentent ne laissent d'ailleurs point de lacune préjudi—
ciable dans l'art de la distillation, en étant passées sous si
lence.
DE LA DISTILLATION.

SECTION PREMIERE.
Description d'un Appareil perfectionné J'Adam et de
Bérard.
Cet appareil , représenté planche VI , se compose de
Deux chaudières A et B,
D'un chauffe-vin C,
D'un rectificateur D,
Et d'un serpentin réfrigérant E.
La chaudière A , construite sur une plus petite échelle
que celle des appareils précédens , est montée sur son four
neau dela même manière. Chargée jusqu'a la ligne ra, elle
contient 46o litr. Elle est garnie extérieurement d'un tube de
verre bc , qui indique sa hauteur de charge et fixe constam
ment, dans un travail continu, la hauteur que le liquide oc
cupe. Le robinet c , qui communique toujours avec la partie
vide de cette chaudière , sert a reconnaître , comme nous le
ferons voir par la suile, le moment où le vin est dépouillé
de tout son alcobol.
Cette chaudière présente au foyer 1 mètre \ de surfaces
de chauffe, calculées, comme dans les appareils précédens,
sur l'hypothèse où le vin sur lequel on opère contient 'B de
son poids d'eau-de-vie a 22°. Elle est armée d'un robinet de
décharge F. Sur son orifice est adapté un couvercle qui porte
un tube G, destiué a donner passage aux vapeurs, et ce
couvercle est fixé sur la chaudière par des pinces en fer, qui
paraissent être plus commodes que les écrous indiqués dans
Pappareil simple et que la fermeture à chevilles que j'ai dé
crite dans l'appareil a chauffe-vin. Ces pinces sont formées
de morceaux de fer soudés angulairement deux à deux par
une extrémité, de sorte que pour serrer fortement l'un contre
l'autre le couvercle et le nord du col de la chaudière, il suffit
de quelques-unes de ces pinces, que l'on adapte aisément
à l'aide d'un marteau.
La chaudière B est de la même capacité que la chaudière
A; mais on ne la charge que jusqu'à la ligne dd, et jusque-
la elle contient 36o litres. Elle est enclavée dans la maçon
2o.
TRAITÉ DE L'ART
nerie, de manière à éviter la perte de chaleur qu'elle éprou
verait à l'air libre par ses surfaces. On pourrait même faire
passer sous son fond l'air chaud échappé à la première chau
dière, de manière à le dépouiller d'une plus grande quantité
de chaleur; mais cette disposition, qui peut être employée
avec succès dans la distillation continue, est inutile ici. Cette
chaudière B communique avec la chaudière A par le tuyau
et le robinet H. Elle communique de plus avec celle-ci par
le tuyau G, qui va prendre les vapeurs formées dans la
chaudière A pour les porter au fond de la chaudière B en
e. Le tuyau G- se termine en e par un pommeau d'arrosoir
destiné a diviser la vapeur. Le tube I sertà porter dans le
serpentin du rectificateur D les vapeurs produites par la
chaudière B. .
Le tube et le robinet J servent à donner passage au vin
du rectificateur D pour charger la chaudière B.
Le rectificateur D contient un serpentin à hélices vertica
les, dont les surfaces sont égales à la moitié des surfaces de
chauffe de la chaudière, c'est-à-dire a 7675 centimètres car
rés à-peu-près. La capacité de la cuve de ce rectificateur est
calculée pour contenir une charge égale à celle de la chau
dière B , et pour cela elle doit avoir intérieurement w
i45 centimètres de longueur,
5o centimètres de largeur, p
54 centimètres de hauteur.
Cette cuve doit être doublée en cuivre et munie d'une
ouverture a sa partie supérieure, pour faciliter le nettoyage.
Sa capacité communique avec le chauffe-vin C par le conduit
à robinet K, et de plus par le petit tuyau f. Son serpentin
communique indirectement avec le serpentin réfrigérant E
par le serpentin du chauffe vin E, ou directement par le con
duit à robinet L.
Le conduit MM communique avec chacune des 5 hélices
du serpentin rectificateur par les petits tuyaux g, h, i,j , k y
et porte 6 robinets 1 , 2 , 3 , 4, 5, 8.
Le conduit N sert a faire revenir à volonté , au fond de la
chaudière B, les produits condensés dans le rectificateur D.
Le chauffe-vin C renferme deux hélices de serpentin , et
DE LA DISTILLATION. 3o(J
contient, comme le rectifiesteur, une charge de la chaudière
B, c'esNa-dire 3 6o litres de vin.
Le serpentin E baigne dans de l'eau qu'on renouvelle au
besoin par le tuyau OP placé extérieurement. Cette disposi
tion extérieure du tube, nécessaire pour le renouvellement
.de l'eau de la cuve, est plus convenable que celle que j'ai in
diquée dans les appareils précédees , en ce qu*e)le permet
d'apporter l'eau au fond de la cuve sans qu'elle puisse pren
dre, en aucune manière, de la chaleur à l'eau chaude que
celle-ci contient dans ses couches supérieures.
L'orifice du serpentin R sert a recueillir le produit alco-
holique hors de l'appareil.
SECTION DEUXIÈME.
Manœuvre de VAppareil perfectionné d'Adam et de
Bérard. r . ..
On commence par pomper du vin dans le chauffe-vin
Ç, en laissant les robinets K, J et H ouverts. Ce vin vient
alors se rendre dans la chaudière A ; et lorsque le niveau
en verre bc indique que celle-ci est pleine jusqu'a 46o li
tres , c'est-a-dire jusqu'à la ligne aa , on cesse de pom
per et l'on ferme le robinet H. Pendant ce temps , on laisse
aussi le robinet c ouvert pour donner passage a l'air con
tenu dans la chaudière, au fur et a mesure qu'elle s'emplit
de vin. La chaudière A étant ainsi chargée , et le robinet
H fermé , on ferme aussi le robinet J , et l'on recommence
à introduire le. vin dans le chauffe-vin C jusqu'a ce que
Ja cuve du rectificateur D soit pleine. Quand il en est ain
si , on suspend encore l'introduction du vin dans le chauffe-
yin et l'on ouvre le robinet J pour décharger le rectificateur
P dans la chaudière B ; et celle-ci se trouve chargée con
venablement , puisque le rectificateur est la mesure de sa
charge. Cette opération étant terminée, on ferme le robi
net J ; on charge de nouveau le rectificateur D , comme
je viens de le dire, on tourne le robinet K et l'on emplit
Je chauffe-vin C. Nous supposerons aussi que la cuve du
ierpentin E est pleine d'eau.
3lO TRAITÉ DE L'ART
Le feu étant allumé sous la chaudière A , celle-ci ne
tarde pas a entrer en distillation. Ses vapeurs se rendent
daiis la chaudière B par le conduit Ge , et la elles se con
densent jusqu'à ce que le vin de cette dernière chaudière
ait pris la température de l'ébullition, jusqu'a ce qu'enfin ce
vin se soit saturé de chaleur , de manière a ne plus pou
voir en prendre sans changer d'état. Remarquons bien
maintenant la différence de richesse alcoholique qui doit se
trouver entre les chaudières A et B, au moment où cette
dernière a acquis la température de l'ébullition. Elles étaient
d'abord chargées d'un même vin , avec cette seule diffé
rence , que la chaudière A , contenait 4Go litres , tandis
que l'autre n'en contenait que 36o. Abstraction faite de la
dilatation , la chaudière A étant chauffée directement par le
feu , n'a point changé de volume pour arriver a la tempéra
ture de l'ébullition ; mais il n'en est pas de même de la
chaudière B , qui , chauffée par les vapeurs de l'autre ,
se trouve enrichie en même temps d'une quantité d'alcohol
d'autant plus grande , que les vapeurs qui ont servi a la
chauffer provenaient d'un vin plus riche.
Quelle que soit la richesse du vin sur lequel on opère ,
la quantité de liquide qu'il faut enlever en vapeurs à la
première chaudière pour la dépouiller de tout son alcohol ,
est toujours plus que suffisante pour amener a l'ébullition
le liquide de la seconde ; de sorte que cette seconde chau
dière commence toujours a entrer en distillation avant que
la première ne soit prête à être déchargée.
Qu'arrive-t-il dans ce cas ? C'est ce qu'il est très-facile
de prévoir , si l'on s'est bien pénétré des principes que
nous avons exposés précédemment. La chaudière B étant
enrichie de la plus grande partie de l'alcohol de la chau
dière A , avant d'entrer en distillation , ne peut subir ce
mouvement sans recevoir de nouvelles vapeurs de celle-ci ,
et c'est ce qui arrive effectivement ; mais ces vapeurs , qui
sont les dernières que produise la chaudière A , et qui sont
par conséquent très-aqueuses , ne peuvent travérser le li
quide de la chaudière B sans subir une analyse. Elles y
rencontrent une grande quantité d'alcohol a 62" , qui étant
DE LA DISTILLATION. 31 I
par conséquent plus froid qu'elles , opère leur condensa
tion en s'appropriant leur chaleur ; et la chaudière 13 , au
lieu de transmettre au rectificateur D les vapeurs aqueuses
telles qu'elles lui sont transmises par la chaudière A, les donne
au contraire aussi alcoholiques que pourrait les donner un
vin d'une richesse double a celui qui est employé.
Ainsi on peut déja concevoir en quoi consiste l'avantage
;tte partie de l'appareil , dont l'idée première est due
lam.ha seconde chaudière fait évidemment ici le même
ice que les œufs employé» par ce restaurateur de la
distillation. On sent donc que si l'on multipliait les chau
dières comme Adam avait multiplié ses œufs , et qu'on les
disposât par étages comme je l'ai fait ici, de manière a ce
qu'on pût les décharger l'une dans l'autre , on aurait un
appareil qui ne différerait de celui d'Adam que par cette
particularité que les œufs ou chaudières ne seraient point
placés sur une ligne horizontale ; et cette particularité con
stitue un avantage réel. En effet , dans l'appareil A'Adam ,
les œufs étant placés sur la même ligne , ne pouvaient
point être déchargés l'un dans l'autre, et il fallait atten
dre qu'ils fussent tous dépouilles de leur alcohol pour re
tirer les vinasses de la chaudière. Cet inconvénient était
grave en ce qu'il forçait ainsi a laisser occuper inutile
ment une grande partie de l'appareil par des vinasses pri
vées d'alcohol , et qu'à la f1n de chaque opération on avait
toujours beaucoup de petites eaux à repasser à la chaudière.
Adam eût effacé complétement cette imperfection de sou
appareil, s'il en eût étage les œufs.
La seconde chaudière 1} est donc une partie de l'appa
reil Adam ; c'est un œuf entouré d'une maçonnerie qui
détruit une cause de perte de chaleur. Le vin de cette se
conde chaudière est chauffé par la vapeur, qui se mélange
et fait corps avec lui ; et l'on trouve par cette disposition
simple l'avantage d'obtenir du premier coup des vapeurs
alcoholiques aussi riches que celles que produirait un vin
doublement riche. Ainsi, dans le cas que nous observons,
"Hudière A contenant 46o litres de vin supposé riche a
TRAITÉ DE L'ART
même vin, cette dernière chaudière donne des vapeurs alco-r
holiques aussi riches que si elle eût été exposée à l'action
directe du foyer étant chargé de 41o litres de vin riche à j
de 22°. Cet avantage est immense en ce qu'il évite des re
passes a la chaudière , et l'on sent quel parti on peut en ti
rer , ou lorsque l'on opère sur des vins faibles , ou lorsque
l'on veut tirer du premier coup l'alcohol à un haut titre. On
pourrait , par exemple, ajouter a l'appareil une troisième
même une quatrième chaudière, et l'on pourrait ainsi triplent
et quadrupler la richesse alcoholique du vin ; mais une troi
sième chaudière est toujours suffisante , et en voici la rai
son : on ne donne pas plus d'extension a ce principe pour
le vin de raisin, parce que celui qui est l'objet de la distilla
tion est toujours assez riche pour pouvoir , a l'aide d'une
troisième chaudière et du rectificateur dont nous parlerons
Jout a l'heure , donner par une seule chauffe de l'alcohol au
titre le plus élevé que le demande le commerce , c'est-à-dire
à 33°. On ne le fait pas pour les autres vins , parce que
ceux-ci nécessitent toujours l'opération de la rectification
pour des motifs que nous indiquerons par la suite en traitant
spécialement de cette opération ; et alors deux chaudières
sont suffisantes.
La seconde chaudière B a donc pour objet spécial de
doubler la richesse alcoholique du vin.
De cette chaudière , les vapeurs se rendent par le con
duit I dans le serpentin à hélices verticales du rectificateur
D ; là elles subissent une condensation plus ou moins grande,
suivant que le vin du rectificateur est plus ou moins chaud, et
le produit de leur condensation se rend dans le conduit MM
par les petits tubes g , h , i , j , k, dans ce conduit MM
on peut, en tenant ouverts les robinets 1,2, 3 , 4 , 5 ,
et fermé le robinet 6 , faire retourner dans la chaudière B
le produit alcoholique condensé dans toutes les hélices du
rectificateur. Les vapeurs condensées dans ce rectificateur
sont d'autant plus alcoholiques qu'elles sont condensées
dans une hélice plus éloignée de la chaudière , et vice ver
sa ; de sorte qu'il pourrait convenir de ne faire retourner
dans la chaudière que les liqueurs des trois premières hélices,
DE LA DISTILLATION.
par exemple , et de recueillir celles des deux autres. Alors
on fermerait le robinet 4 , et on ouvrirait les autres
3 , 5 et 6. Par cette disposition , on obtiendrait les résul
tats voulus, c'est-à-dire que la liqueur transmise au tube
MM par les tuyaux g , h, i, retournerait dans la chaudière
B , tandis que celle des tuyaux /' , k , se rendrait immé
diatement dans le serpentin réfrigérant E , pour être re-
,^'Ciieillie au-dehors par l'ouverture R. On peut ainsi , en
-'tenant tous les robinets ouverts à l'exception d'un seul ,
qui peut être a volonté l'un des six , faire passer complé
tement dans la chaudière ou dans le serpentin, le liquide du
serpentin reclificateur , ou le partager à volonté comme
nous l'avons expliqué ci-dessus.
Le serpentin du rectificateur D , recevant immédiatement
les vapeurs de la chaudière, ne tarde pas à chauffer le vin
que celui-ci contient, de sorte que la condensation y serait
très-inégale : elle y serait très-grande au commencement et
firesqne nulle à la fin, si l'on ne trouvait le moyen de la régu-
ariserà l'aide du vin du chauffe-vin C. Ainsi, par exemple,
si l'on ne veut pas que le vin y prenne une température su
périeure à 75°, on place un thermomètre à la partie supé
rieure de l'appareil, et on le dispose de manière que sa cu
vette plonge dans le vin du rectificateur et que son échelle
soit dehors. Lorsque l'on remarque que le thermomètre est
arrivé à 75°, on ouvre le robinet K; alors le vin du chauffe-
vin, qui est toujours pins froid que celui du rectificateur, des
cend dans celui-ci, vient en occuper les couches inférieures,
et en déplace à la partie supérieure une quantité égale, qui
sort par le conduit /, et va se rendre a la surface du chauffe-
vin. Cette manœuvre est très-facile , et l'on n'a besoin d'y
avoir recours que lorsque l'on se sert beaucoup du rectifica
teur, c'est-à-dire lorsqu'au lieu de faire passer directement
d;ms le serpentin les vapeurs condensées dans le rectificateur,
on les fait retourner toutes ou presque toutes dans la chau
dière B.
Au commencement d'une opération, il échappe peu de
vapeurs a la condensation dans le serpentin du rectificateur,
parce qu'alors le vin dans lequel il baigne est tout-à-fait
3i 4 TRAITÉ DE L'ART
froid ; mais dans un travail continu, le vin étant fourni au
rectificateur ;par le chauffe-vin C , où il a déja pris une cer
taine température, laisse sortir du serpentin rectificateur une
quantité de vapeurs plus ou moins grande : ces vapeurs sont
évidemment les plus alcoholiques , et elles entrent dans le
chauffe- vin C, où elles sont condensées en totalité, et d'où
elles passent dans le serpentin E pour être refroidies.
Lorsque l'on remarque sur le tube en verre bc que le li
quide de la chaudière A a subi dans son volume une réductions
assez grande pour qu'il soit dépouillé de tout son alcohol , un
Ïuart , par exemple, on ouvre le robinet c pour s'en assurer,
le robinet , communiquant avec la partie vide de la chau
dière , laisse échapper des vapeurs auxquelles on présente un
corps enflammé , une bougie ou une chandelle , par exemple;
et si ces vapeurs n'offrent aucun indice d'inflammation ou de
scintillation , l'on qouclut qu'elles ne contiennent plus d'al-
cohol , et l'on peut en toute sécurité décharger la chaudière ;
ses vinasses sont suffisamment dépouillées. D'ailleurs on con
naît presque toujours approximativement la richesse du vin
sur lequel on opère , et alors il est facile avec cette donnée
de reconnaître, a l'aide du tube bc , le moment où le vin s'est
assez réduit pour ne plus contenir d'alcohol. On sent bien
que si l'on opérait ainsi sans se servir du robinet bc , qui est
toujours un point de vérification utile et même indispensable,
il vaudrait mieux s'exposer a vaporiser le vin plus que moins.
Lorsqu'on s'est ainsi assuré que le vin de la chaudière A
.est séparé de son alcohol , on ouvre le robinet F pour la dé
charger, puis le robinet C étant aussi ouvert, on décharge
successivement la chaudière B dans la chaudière A, le rec
tificateur D dans la chaudière B, le chauffe-vin C dans le rec
tificateur D, comme nous l'avons dit pour l'appareil chauffe-
vin ; l'on amène dans le chauffe-vin C une nouvelle charge
de vin froid, et l'on continue de même pour les opérations
successives.
Quant a l'eau du serpentin E , elle n'a besoin que d'être
peu renouvelée ; car lorsque l'appareil est bien mené , il ne
doit pas servir a autre chose qu'a refroidir les vapeurs con
densées, et l'on sent que la chaleur produite par cette réfri
DE LA DISTILLATION. 315
gération est très-1uinime, si on lacompare à celle produite par
la condensation , et qui doit .ici profiter entièrement au vin
destiné a entrer en distillation.
SECTION TROISIÈME.
Réflexions sur V Appareil perfectionné J'Adam et de
Bérard.
A,près l'appareil continu , celui que nous venons de dé
crire est indubitablement le plus parfait et le meilleur sous
tous les rapports.
Ses avantages sur l'appareil a chauffe-vin consistent, 1"
en ce que toute la chaleur produite par la condensation des
vapeurs peut y être utilisée en faveur du vin^ 2° en ce que,
par une seule chauffe, on peut obtenir un produit alcoholi-
que ;à un titre plus élevé , et cela a cause de la double chau
dière et du rectificateur. Nous pourrions ajouter a ce double
avantage l'économie de temps qui rentre dans l'économie de
combustible, et l'économie de main-d'œuvre qui se rattache
elle--même à celle de temps.
Nous avons déjà expliqué comment la double chaudière,
marchant par un seul feu, permet d'obtenir des vapeurs al-
coholiques plus riches , et comment on pourrait encore au
besoin augmenter cette richesse en ajoutant une troisième et
même une quatrième chaudière. Comme je crois que l'on
a suffisamment conçu cette fonction des chaudières qui se
chauffent l'une par l'autre , je n'y reviendrai pas quant a ce
qui concerne les avantages qu'elles présentent. Je parlerai ci-
après de leurs inconvéniens et de leurs difficultés, car elles
n'en sont pas exemptes. Expliquons maintenant le rectifica
teur , et rendons-nous raison de ses véritables fonctions.
Si le rectificateur n'existait pas dans cet appareil , qu'ar
riverait-il? C'est que les vapeurs alcoholiques , au sortir de
la seconde chaudière, se rendraient immédiatement dans le
chauffe-vin pour y être condensées et recueillies dans cet
état au-dchors de l'appareil ; de sorte que si elles n'étaient
pas à un titre assez élevé., il faudrait procéder à la rectifica
tion ; et pour cela il faudrait , comme on le fait ordinaire
TRAITÉ DE L'ART
ment , repasser les liqueurs , en tout ou partie , a la chaudière ,
Ces repasses nécessitent toujours des frais de combustible et
de main-d'œuvre.
Or, que fait ici le rectificateur et jusqu'a quel point éco-
nomise-t-il ces frais? Cela s'explique facilement. Dans le
travail continu , il est évident que les vapeurs condensées
dans le rectificateur ne peuvent point y être refroidies, et
qu'elles y conservent une température voisine de l'ebulli1ion.
Admettant la supposition que le rectificateur soit utilise!
comme rectificateur, c'est-a-dire que l'on fasse retourner
dans la chaudière les vapeurs qu'il a condensées, il est évi
dent que ces vapeurs condensées y retournent presque bouil
lantes , et que l'on économise ainsi le temps et la chaleur
qu'il faudrait dépenser si , après avoir recueilli ces vapeurs
hors de l'appareil , on eût dû procéder a leur rectif1cation
par les autres procédés. Voila en quoi consistent tous les
avantages économiques du rectificateur ; car , du reste , il ne
joue pas ici d'autre rôle que celui d'un véritable chauffe-vin.
On peut concevoir combien est bornée cette fonction du
rectificateur, et l'on reconnaîtra, avec moi, qu'il ne présente
qu'un avantage économique très-faible , quand on remar
quera comment se rectifient les vapeurs alcoholiques qu'il a
condensées. Elles retournent en effet dans la chaudière qui
les a produites , et la elles se trouvent encore noyées dans
une quantité d'eau au moins aussi grande que celle avec la
quelle elles se trouvaient mélangées d'abord, lors de leur
production. 11 faudrait donc , pour tirer un parti bien rai
sonné de ce rectificateur et pour lui donner une destination
qui fût 'réellement conséquente avec le nom qu'il porte,
il faudrait , dis-je , interposer entre la seconde chaudière et
lui un vase indépendant du reste de l'appareil , et dans le
quel les vapeurs alcoholiques condensées) dans le rectifica
teur pourraient être recueillies isolément , et subir , par le
passage des vapeurs! de la seconde chaudière une analyse qui
les enriohîtd'une manière remarquable. Cette disposition a, je
crois, été exécutée, maisc'était en imitation de l'appareil conti
nu de M. Derosne, de sorte que je n'ai pas cru devoir la re
produire ici ; elle complique d'ailleurs beaucoup l'appareil
DE LA DISTILLATIO».
et rend la manœuvre plus difficile , ce qui n'est pas un fai
ble inconvénient.
La figure que nous avons donnée pourrait être suscepti
ble de modifications , suivant la richesse du vin sur lequel
on opérerait , combinée avec le titre auquel on veut retirer
l'alcohol ; mais cette modification frapperait uniquement sur
le nombre des chaudières, c'est-à-dire qu'au lieu d'en avoir
1deux , on pourrait en prendre, comme je l'ai déjà dit ,
trois et même quatre. Cette multiplication de chaudières
produirait toujours des vapeurs alcoholiques plus riches, et
ce serait un excellent moyen de distillation , si elles n'étaient
point inséparables d'une pression proportionnée à leur nom
bre. Ainsi, par exemple , dans l'appareil que j'ai décrit, le
tube qui établit une communication entre les deux chaudiè
res plonge jusqu'au fond de la seconde. La vapeur , pour
entrer dans celle-ci, rencontre donc un obstacle égal à la
hauteur du liquide qu'elle contient, et elle ne peut le sur
monter que lorsqu'elle a acquis une tension proportionnelle
à cet obstacle. il résulte de la une pression relative dans la
première chaudière ; et comme ici le tube Ge plonge com
munément dans le vin à une profondeur de 5o centimètres ,
la pression exercée sur les parois intérieures de la première
chaudière est représentée par le poids d'une colonne de vin
de 5o centimètres. Si les chaudières étaient au nombre de
quatre au lieu de deux , il y aurait alors trois tubes plon
geurs à 5o centimètres chacun ; ainsi la première chaudière
subirait une pression égale à 1 5o centimètres , la deuxième
en subirait une égale à 1oo , et la troisième une égale à 5o.
Cette pression , quoique peu considérable si on la compare
à celle des machines à vapeurs , serait cependant déjà assez
grande pour commander plus de solidité dans les chaudiè
res , et quelques précautions particulières , comme celles
des tubes ou soupapes de sûreté. J'ai figuré un de ces tu
bes Im à la chaudière A : c'est un tube en cuivre fixé sur
la partie supérieure de la chaudière. Il peut avoir un cen
timètre de diamètre , et même moins quand on opère sur
des matières fluides ; il plonge dans le liquide jusqu'au fond
de la chaudière et doit avoir en dehors une longueur au
3l8 TRACTÉ DE i/ART
inoins égale a celle dë la hauteur de liquide de la deuxième1
chaudière , c'est-à-dire que sa longueur , à compter du ni
veau du liquide dans lequel il plonge doit toujours être un
peu plus grande que celle de la colonne de liquide qui dé*
terruine la pression à laquelle est soumise la chaudière qui1
le porte. Ainsi , par exemple , ici il aura pour cette lon
gueur plus de 5o centimètres ; et' s'il' y avait quatre chau
dières , comme nous l'avons supposé ci-dessus , le tube de
la première devrait avoir , à compter du niveau de liquide ,
plus de 1 5o centimètres , celui de la seconde en aurait plus
de 1oo , et celui de la troisième plus de 5o.
Cette pression , outre l'augmentation de dépense qu'elle
nécessite pour la solidité de l'appareil , et outre les précau
tions qu'elle commande comme mesures de sûreté contre les
explosions , entraîne encore souvent une perte d'alcohol ,
quand toutes les parties de l'appareil ne sont point fermées
avec un soin extrême. C'est donc encore la un vice de la-
multiplication des chaudières. Lorsque l'on n'en a que deux>
il est plus facile de ne rien perdre , parce qu'alors tous les
soins du bouilleur peuvent être fixés sur la première chau
dière , où la pression n'est d'ailleurs que très-faible. Dans
ce cas , la seconde chaudière n'est évidemment soumise a
aucune pression extraordinaire.
Il - aurait cependant uu moyen de diminuer beaucoup
cette ression , ce serait d'opérer sur des masses de liqui
des moins grandes et d'avoir , par exemple , des chaudières
moins hautes. Alors les tubes de communications , en plon
geant dans le vin a une profondeur moins grande , dimi
nueraient relativement la pression, et l'on pourrait , sur
ce système , faire des chaudières qui ne contiendraient pas
constamment le vin à plus de 1 5 à 2o centimètres de hau
teur. Du reste , les phénomènes seraient les mêmes ; la
première chaudière , en chauffant la seconde , l'enrichi
rait de son alcohol ; celle-ci , en chauffant la troisième ,
l'enrichirait plus encore , et ainsi de suite ; de sorte que
la dernière chaudière produirait des vapeurs très-alcoholî-
ques. On pourrait même combiner le nombre de ces chau
dières avec la richesse du vin et le titre auquel on voudrait
DE LA. DISTILLATIOX. 3 1 1)
retirer l'alcohol , de manière à obtenir par leur seul secours
un titre assez élevé. Avec un vin riche et quatre chaudières ,
on pourrait par une seule chauffe obtenir une grande partie
de l'alcohol a 33° , sans avoir beaucoup de petites eaux a
repasser ; mais , avec des vins très-faibles , il faudrait mul
tiplier les chaudières d'une manière qui serait même pres
que impraticable en manufacture. Avec une semblable dis
position , un simple chauffe-vin suffirait pour la condensa-
lion des vapeurs , et L'on emploierait également un serpentin
baignant dans l'eau pour la? réfrigération des vapeurs. Je
crois inutile de donner une figure de cet appareil. On peut
facilement, par la description que j'ai donnée de l'appareil
perfectionné S1Adam et de Êérard, se faite une idée de
la disposition qu'on devrait lui donner. Toutes les chau
dières devraient être étagées, de manière a pouvoir être dé-
chargéesl'une dans l'autre ; elles devraient être enveloppées
de maçonnerie, pour éviter les causes de perte de chaleur,
et le chauffe-vin, contenant une charge, devrait être su
perposé a la dernière , pour le décharger facilement dans
celle-ci. Le serpentin de ce chauffe-vin devrait avoir une
disposition telle , que les vapeurs qu'il condenserait pour
raient s'écouler dans le serpentin réfrigérant.

SECTION QUATRIÈME.
Question économique de VAppareil perfectionné rf'Adam
et de Bérard.
Pour avoir toujours un moyen de comparaison avec les
appareils precédens, nous supposerons, pour celui-ci comme
pour ceux-la, que l'on opère sur un vin riche à l de 22%
et que l'on ne veuille obtenir l'alcohol qu'à cette preuve,
quoique l'appareil qui nous occupe, puisse, comme nous
l'avons dit, donner des preuves plus élevées par une seule
chauffe.
Valeur de VAppareil.
Deux chaudières à 2 millimètres d'épaisseur et clouées ,
pesant 8o kilogrammes chacune, donnent, en
cuivre 1Co kilog.
320 • TRAITÉ DE l'aRT
Report 16*o
Cu1vre pour le serpentin et la doublure du
rectificateur, non-compris le tuyau et les robi
nets de rétrogradation 45
Serpentin du chauffe-vin et soudures 14
Serpentin réfrigérant et soudures 5o
Autres tuyaux de communication 27
Total 296 kilog*
a96 kilogrammes de cuivre a 4 fr 11 84 fr.
1 1 robinets a 3o fr 33o
Bois des cuves et façon avec cercles et gar
nitures en fer.... 4 o0
Fourneau, grille, portes et maçonnerie.. . . 5oo
Total 221 4 fr.
Interêts a 1 5 pour cent sur 2214 fr. par an. 332 f. 1o c.
L'intérêt journalier sera donc, en comptant sur 3oo jours
de travail, de 1 fr. 1o cent.
Dépense de Combustible.
Le feu n'étant appliqué qu'a la première chaudière , et
celle-ci présentant un mètre et demi de surfaces de chauffe,
11 nous est facile de calculer la quantité de charbon que
nous devons brûler pour fournir a cette surface la chaleur
nécessaire à la production de 75 kilogrammes de vapeurs
par heure. Ce sera, d'après notre méthode, autant de kilo
grammes de charbon par heure que le nombre ?5 contient
de fois 7 ; ce sera plus de 1o kilogrammes ; soit 1o \. Or.
si dans une heure nous brûlons 1o j kilogrammes, nous en
brûlerons 126 en 12 heures.
126 kilogrammes de charbon estimés a 5 centimes le ki
logramme, donnent 6 fr. 3o c. de dépense par journée de
12 heures.
Voyons maintenant, avec cette dépense de combustible ,
quelle quantité d'eau-de-vie a 22° nous pourrons obtenir.
Notre vin étant riche a -g, de 2 2" et la chaudière A con-
DE LA DISTILLATION.
tenant 46o litres , nous aurons les | de cette chaudière de
vin en poids a vaporiser constamment : soit 1o2 kilogram
mes de vapeurs de petites eaux, qui se composeront
de 91 kilogrammes d'eau,
èt 1 1 id. d'alcohol.
11 nous faudra pour vaporiser ce mélange d'eau et d'al
cohol
w' d'eau =ii,5 de charbon.

Il"1- d'alcohol = o,5

Ensemble 12,o
Je dis 1 2 kilogrammes de charbon.
Or , comme cette quantité de charbon est à-peu-près celle
que nous consommons par heure dans notre fourneau , nous
distillerons donc précisément autant de charges de vin dans
la chaudière A que nous travaillerons d'heures. Il faut ce
pendant tenir compte ici de toute la dépense de charbon né
cessaire pour les frais de mise en train, et cette dépense se
compose de la chaleur qu'il faut employer a chauffer les
deux chaudières jusqu'a l'ébullition , jusqu'à ce qu'enfin les
vapeurs commencent à entrer dans le serpentin du rectifica-
teur.
Le calcul et l'expérience prouvent qu'ici il nous faudra
une heure et demie de temps avant que la distillation ne
puisse commencer dans la chaudière B ; il ne nous restera
donc réellement pour la distillation , c'est-à-dire pour le
temps pendant lequel le serpentin E nous fournira un pro
duit alcoholique , que 1o heures et demie.
Nous avons vu ci-dessus qu'une heure pouvait nous per
mettre de dépouiller de son alcohol 46o litres de vin ; nous
aurons pour le travail de dix heures et demie 483o litres.
Ces 483o litres contiennent ^ de leur poids d'eau-de-vie à
22° ; nous retirerons donc pendant 12 heures de travail
avec cet appareil 6o4 kilog. ou 66 1 lit. de cette preuve.
Cependant comme le compte que nous établissons main
tenant doit être mis ensuite en rapport avec celui de l'appa
32 3 TRAITÉ DR lAftT
reil chauffe-vin ; comme dans ce dernier compte nous n'a-
vons pas évalué la dépense de charbon nécessaire aux frais
de mise en train, nous en userons de même ici , et nous
supposerons 1 2 heures de travail continu pour la distillation,
en admettant que les frais de mise en train ont été faits
séparément. Nous aurons donc alors l2 heures de travail
a multiplier par 46o litres ; soit 552o litres de vin qui ren
dront 656 kilogrammes ou 7 1 8 litres d'eau-de-vie a 22°.
Main - d'œuvre.
• j 1
Cet appareil peut facilement fonctionner avec un homme;
mais comme H faut que cet homme ait de l'intelligence ,
nous compterons sa journée a raison de 3 fr.
Résurnç des Frais.
Intérêt journalier \f' 1o*
Dépense de combustible 6 3o
Main-d'œuvre 3 00 ^
Total 10 40
Je dis 1 o fr. 4o c, que nous devons dépenser journellement
pour obtenir 718 litres d'eau-de-vie à 22°. Ramenant cetie
dépense a celle d'une pipe de 6oo litres , nous aurons 8 f.
7o c. pour produit. On voit donc que cet appareil présente
encore une économie remarquable sur l'appareil a chauffe-
vin , où une pipe de 22° coûte , pour frais de distillation ,
i 1 fr. C'est encore a-peu-près une économie de 2o pour f .
Cette économie se compose évidemment de celle de l'appa
reil, du temps et du combustible. Elle serait bien plus grande
encore si nous avions pris pour base de nos calculs l'ex
traction de l'alcohol a 33° ; car telle est la supériorité des
appareils perfectionnés , que leur question économique pré
sente un avantage d'autant plus grand que l'on opère sur
des vins plus faibles et que l'on désire tirer l'alcohol a un
titre plus élevé. On sentira facilement l'exactitude de cette
assertion , quand on réfléchira que le but des appareils per
fectionnés est d'éviter les frais de repasses et de rectifica
tion. Nous reviendrons ci-après sur celte question intéres
sante de la distillation.
DE t.A DISTII.r.ATIOîf. 3 33

CHAPITRE IX.
IVe. et dernier système. — De la Distillation
continue.
M. Cellier-Blumenthal paraît être le premier inventeur
de ce système précieux de distillation , dont il a cédé la pro
prieté à M. Ch. Derosne. M. Cellier, dans la demande d'un
brevet pour cette découverte , fut devancé par M, Baglioni ,
qui obtint le certificat de sa demande pour un brevet de i o
ans, le 23 août x8i3. Il s'est élevé des débats depuis cette
époque entre MM. Cellier et Baglioni, au sujet de la prio
rité de l'invention , et les débats ont prouvé qu'elle appar
tenait au premier.
M. Mathieu de Dombasle , dont nous avons déja eu l'oc
casion de parler dans cet ouvrage, obtint en 1 8i 6 un brevet
de i o ans pour un appareil distillatoire nommé combineur
hydropneumalique. Cet appareil paraît être construit dans
le système de la continuité , en imitation de celui de M.
Cellier.
"L'appareil de distillation continue tel que nous allons le
décrire , a été presque entièrement reconstruit par M. De
rosne , qui n'en a pour ainsi dire conservé que l'idée pre
mière. Ce technologue ingénieux l'a ramené à une simplicité
et a une perfection qui laissent aujourd'hui peu de choses a
désirer et a faire. Il est peu compliqué et peu coûteux, vu la
grande masse de produits qu'il peut donner. Sa manœuvre
est aussi simple que le système le comporte, son exécution
présente une observation rigoureuse des principes théoriques
et pratiques les plus exacts, et sa question économique prouve
suffisamment, comme nous le verrons plus bas, qu'il tire de
la chaleur tout le parti possible.
Nous ne pourrons point donner une description aussi dé
taillée que nous le désirerions de cet appareil , parce que la
loi en garantit la propriété a M. Derosne, et qu'a lui seul
appartient le droit de le construire et d'en traiter. Nous n'en
21.
TRAITÉ DE T.'aBT
donnerons point non plus un plan achevé , parce qu'il serait
inutile au fabricant, et qu'il offrirait aux contrefacteurs., déjà
trop nombreux, les moyens de nuire illicitement aux intérêts
du propriétaire. Il est juste que M. Derosne , qui a consacré
ses lumières et ses capitaux au perfectionnement d'un appa
reil utile au commerce, trouve dans l'exploitation de son bre
vet un faible dédommagement de ses travaux et de ses
avances.
Nous donnerons cependant une idée suffisante de cet ap
pareil et de ses fonctions, pour faciliter l'fntelligence des
avantages qu'il présente.
SECTION PREMIERE.
Description de l'Appareil continu de M. Charles
Derosne.
Cet appareil se compose :
1°. De deux chaudières ; £|
2°. D'une colonne de distillation ; •
3°. D'un rectificateur ;
4°. D'un condensateur-chauffe-vin ;
5°. D'un réfrigérant ;
6°. D'un réservoir;
7°. D'un seau de vendange ou régulateur de pression ,
garni d'un robinet a flotteur.
Voyons chacune de ces parties successivement , et suivons
à cet effet la f1gure 1ro, planche 7.
1°. Des deux Chaudières.
La figure ne représente qu'une chaudière A. On pourrait
à la rigueur ne se servir que de cette seule chaudière ; mais il
est plus convenable d'en prendre deux , et pour l'économie
du combustible, et pour éviter les causes de perte que la né
gligence de l'ouvrier distillateur pourrait provoquer.
Ces deux chaudières doivent être placées l'une près de
l'autre, et étagées de manière à ce que la chaudière A puisse
être déchargée dans celle qui ne figure pas sur notre plan.
Elles doivent enfin être disposées comme celle de l'appareil
DE LA DISTILLATION.
perfectionné, planche 6, et communiquer comme elle par
un tube plongeur qui porte les vapeurs de la première dans
la seconde , qui sur notre plan est représentée en A.
Le foyer de combustion est placé sous la première chau
dière, et la flamme et l'air chaud, après avoir lampé son fond
et une partie de ses parois latérales, passe sous la seconde
chaudière A, où ils se dépouillent en faveur du vin d'une
nouvelle portion de chaleur échappée à la première.
Dans ce système de distillation , lorsque le travail est bien
conduit, les chaudières ne doivent jamais contenir que de
l'eau , puisqu'elles reçoivent constamment un jet de vinasses
bouillantes qui sont mises dehors immédiatement par le ro
binet de décharge ; mais s'il arrivait que l'introduction du
vin dans l'appareil fût par l'inattention de l'ouvrier dispro-
Îiortionnée a la quantité de vapeurs aqueuses produites par
a chaudière , on sent qu'alors on serait exposé a retirer de
l'appareil des vinasses qui ne seraient pas complétement dé
pouillées. A l'aide de la double chaudière, on obvie à cet in
convénient, et voici comment : les vinasses arrivent directe
ment dans la chaudière A, et la elles subissent une analyse
qui les dépouille au besoin du peu d'alcohol qu'elles peuvent
contenir encore , et cela par le passage des vapeurs aqueu
ses de la première chaudière, qui les leur communique par
l'intermédiaire du tube plongeur. Ces vinasses , au sortir de
la chaudière A , passent dans la première chaudière , où
elles sont soumises a l'ébullition et où leur alcohol serait
par -la même vaporisé , si elles en contenaient encore
quelque trace. Aussi a-t-on soin, a cet effet, de ne pas
tourner le robinet de décharge de la première chaudière
immédiatement après l'introduction d'une portion de vinas
ses , mais on ne le fait que par intermittence, c'est -a -
dire lorsque le tube en verre aby qui indique le niveau du li
quide de la chaudière A , annonce qu'il est temps d'ouvrir
son robinet de décharge pour transmettre une portion de ses
vinasses à la première chaudière ; on ouvre alors le robinet
de décharge de cette première chaudière , pour faire place à
la portion de liquide de la seconde qu'on se dispose à lui
donner. Les tubes en verre à niveau guident d'ailleurs d'une
3a6 TRAITÉ DE L'ART
manière exacte ce mauëge de décharge des deux chaudières.
Ces parties de l'appareil sont donc spécialement destinées
à fournir de la vapeur , et le vin , dans un travail bien con
duit, ne doit y arriver que dépouillé de tout son alcohol.
2". De la Colonne de Distillation.
La colonne de distillation BC est la partie de l'appareil
où s'opère réellement l'analyse du vin, ou, si on l'aime
mieux , la distillation proprement dite.
Cette colonne renferme un mécanisme ingénieux où le vin
se trouve mis a-peu-près bouillant en contact immédiat avec
les vapeurs produites par les chaudières. 11 rencontre à cet
effet des obstacles dans sa chute, et il présente lui-même a
l'ascension de la vapeur des obstacles multipliés qu'elle ne
peut surmonter sans le traverser, le diviser, et se mettre par
la même avec lui dans un contact tellement parfait , que dans
un espace très-court l'analyse du vin est complète. En effet ,
le vin arrive presque bouillant par le conduit DE dans cette
colonne , sans avoir encore rien perdu de son alcohol ; et
plus il descend en approchant de la chaudière A, plus il se
dépouille, jusqu'a ce qu'enfin il tombe dans celle-ci à l'état
de vinasse. Le contraire arrive pour les vapeurs fournies à la
colonne de distillation par la chaudière A : en sortant de
celle-ci elles sont purement aqueuses , et lorsqu'elles arrivent
au point C de la colonne, elles ont une richesse alcoholique
très-grande, quoique toujours proportionnée a la richesse
même du vin sur lequel on opère.
Le petit tube cd est un niveau en verre nécessaire pour
l'observation et la conduite du travail.
On voit donc que cette colonne de distillation , quoique
peu élevée, remplit ici les mêmes fonctions que la multipli
cation des chaudières. Elle donne de meilleurs résultats et
des effets plus grands avec une quantité de cuivre bien plus
petite, et elle présente de plus l'avantage inappréciable de la
continuité.
3°. Du Rectifieateur.
Le rectificateur est la partie CG ; il surmonte la colonne
de distillation, dont il n'esf qu'un prolongement. 11 renferme
DÇ LA DISTILLATION. 3^7
le même mécanisme qu'elle. Les vapeurs alcoholiqués , telles
que les fournit la colonne distillatoire , traversent toujours le
rectificateur pour se rendre , par le conduit H , dans le con
densateur-chauffe-vin dont nous allons parler tout-a-l'heure.
C'est la qu'elles s'enrichissent d'une nouvelle portion d'alco-
hol, quand le titre auquel on veut retirer le produit com
mande l'emploi de cette partie de l'appareil.
Voici comment s'opère cette rectification :
Les vapeurs condensées dans le condensateur-chauffe -vin
sont conduites par le tuyau hj, dans le serpentin réfrigé
rant, lorsqu'elles sont assez riches ; mais lorsqu'elles ne le-
sont pas assez, on peut, a l'aide des tuyaux de rétrograda
tion gi et gj , les faire revenir en tout ou partie dans le recti
ficateur. Là elles rencontrent dans leur chute des obstacles
semblables à ceux que le vin rencontre dans la colonne dis
tillatoire, et elles en opposent aussi de semblables à la Ta
peur alcoholique que fournit cette même colonne. 11 en ré
sulte donc, pour les petites eaux, une analyse pareille a celle
que le vin subit dans la colonne, c'est-a-dire que ces petites
eaux arrivent dans le rectilicateur avec une richesse bien plus
grande que celle du vin sur lequel on opère, et qu'elles en
sortent pour entrer dans la colonne avec une richesse égale
a-peu-près a celle de ce même vin. Il est évident alors que
cet appauvrissement des petites eaux dans le rectificateur ne
s'est effectué qu'en enrichissant proportionnellement les va
peurs alcoholiques qui les ont analysées. C'est ainsi qu'a
l'aide du rectificateur et des tuyaux de rétrogradation , on
peut élever et régulariser le titre de l'alcohol.
On peut déja remarquer ici combien cet appareil est conçu
avec art et combien il réalise avec succès les principes que
nous avons établis sur l'art qui nous occupe. En effet, les
vapeurs les plus aqueuses y sont toujours mises en contact
avec le vin le plus dépouillé, et réciproquement les vapeurs
les plus alcoholiques, quand on veut encore les enrichir, y
sont toujours mises en présence du liquide le plus riche en
alcohol. Tout concourt donc ainsi et a dépouiller le vin de
son alcohol sans jamais lui rendre un liquide plus riche que
lui , et à déflegmer les vapeurs sans jamais les mélanger uvec
% 9
328 TRAITÉ DE L'ART
un liquide moins riche qu'elles. Remarquons bien cet avantage,
car il appartient seul au système de la distillation continue;
je dirai plus, il appartient seul a l'exécution de M. Derosne.
Le tube en verre e/sert, comme le tube cd, a suivre le
mouvement du liquide dans la colonne.
4°. Du Condensateur-chauffe-vin.
Le condensateur-chauffe-vin QI a , comme dans l'appa
reil précédent, deux destinations : c'est 1°. de condenser les
vapeurs qui lui sont fournies pour les transmettre à volonté
ou au rectificateur ou au serpentin réfrigérant ; 2°. sa seconde
fonction est d'approprier au vin destiné à entrer en distilla
tion la chaleur que les vapeurs abandonnent en se conden
sant.
Il est évident que ces deux fonctions sont intimement liées.
Ce condensateur est un cylindre en cuivre dans lequel le
vin arrive continuellement par le conduit KL , pour sortir
aussi d'une manière continue par le tuyau DE. 11 contient
un serpentin a hélices verticales qui , chacune , communi
quent par leur partie inférieure avec les conduits hj et
gf par les tubes t , 2 , 5,4,5, 6, 7, 8, 9, to, n,
12, 13 et 14 ; et les vapeurs arrivent dans ce serpentin
par le conduit H au sortir du rectificateur GC , pour en
sortir toutes condensées ou par les quatorze tubes ou par
le conduit Im. De la , elles se rendent, en tout ou partie ,
à volonté, comme je l'ai déjà dit , ou dans le rectificateur ou
dans le réfrigérant. -
Dans l'exécution de ce chauffe-vin condensateur se pré
sentaient des conditions a remplir qu'il n'était pas aisé de
surmonter. Mais telle est la perfection de l'appareil de M.
Derosne, que presque toutes les difficultés y sont applanies
de la manière la plus ingénieuse.
Voici les difficultés :
Il faut , d'une part , dans ce système de distillation , que
la température moyenne du chauffe-vin ne soit jamais celle
de Fébullition , parce que , s'il en était ainsi , ce vin , qui
est toujours beaucoup moins riche en alcohol que les va
peurs qu'il doit condenser , ne pourrait point remplir cette
DE LA. DISTILLATION. 32Q
fonction , et cela en vertu des règles exactes que nous avons
posées sur la capacité de l'eau , de l'alcohol et de leurs va
peurs pour la chaleur. D'un autre côté , il faut que le vin ,
en entrant dans la colonne de distillation BC , y arrive a-
peu-près bouillant ; car, sans cette condition, au lieu de su
bir une analyse de la part des vapeurs alcoholiques qu'il
va y rencontrer , il en condenserait une partie pour arriver à
son maximum de température , et ce serait la un vice réel ,
puisqu'il en résulterait perte de temps , perte de chaleur, et
que l'espace qu'il parcourt dans la colonne étant calculé
pour opérer son analyse , en admettant qu'il entre de suite
en distillation , il en résulterait, dis-je , que cet espace n'é
tant pas assez grand pour le dépouiller , il pourrait entrer en
chaudière en portant encore avec lui une quantité notable
de son alcohol.
Voila d'abord deux conditions qui sont évidemment con-
tradictoiïes , puisque l'une exige que le vin n'acquière pas
la température de l'ébullition dans le chauffe-vin condensa
teur , et que l'autre exige au contraire qu'il en sorte dans un
état très-voisin de cette température.
Or , voici ce que M. Derosne a fait pour concilier ces
deux conditions dissidentes :
Il a divisé la capacité de son chauffe-vin en deux parties
inégales Q et I , par un diaphragme no qui , ménageant au
fond du condensateur une ouverture de communication ,
permet au vin qui arrive par le conduit KL, de passer con
tinuellement de la partie I dans la partie Q. Qu'arrive-t-il
alors ? Les hélices du serpentin condensateur qui bai
gnent dans le vin de la partie Q, sont celles qui sont les plus
aqueuses , comme nous le savons ; ce sont par conséquent
celles qui abandonnent le plus de chaleur par leur condensa
tion. Le vin de la partie Q est donc celui qui se chauffe le
plus de tout l'appareil. Il y a plus , c'est que ce vin , sortant
par la partie supérieure en D , est toujours celui qui est le
plus chaud , en vertu des lois que nous connaissons sur la
pesanteur.
On objectera peut-être qu'en vertu de ce dernier principe ,
il est vicieux , dans cette disposition , de puiser a la partie
TRAITÉ DE L'ART
inférieure de la section I le viu destiné a alimenter la section
Q, et qu'il eût été plus conséquent, avec l'observation du
{irincipe invoqué, de puiser ce vin a la partie supérieure de
a section 1. Cette objection serait fondée , et M. Derosne
ne l'eût point provoquée, si une autre cause , que je vais ex
pliquer , ne lui ôtait toute apparence de fondement.
Le vin arrive tiède par le tube conducteur KL , dans la
section I , et comme il y trouve une masse de vin qui porte
une température bien plus élevée , il se rendrait naturelle
ment a la partie inférieure de cette section pour former la
couche la plus froide , s'il n'y avait point , dans cette sec
tion de l'appareil , une disposition qui y maintînt constam
ment le vin à une même température. De cette manière , il
n'y a point de couches de vin différemment chaudes , et la
condensation s'opère également sur tous les points du ser
pentin condensateur. Cette régularité de température s'ob
tient , dans la section I , à l'aide d'un mouvement qui ne
coûte rien , c'est un moyen très-simple , qui n'offre , en pra
tique , aucune difficulté. On sent bien maintenant qu'avec
cette disposition, il est indifférent d'alimenter la section Q
par le vin de la partie supérieure ou inférieure de la section I.
Je crois inutile de faire observer que le mouvement qui
établit dans la section I une régularite de température , ne
s'étend point dans la section H , où il serait inutile et même
nuisible.
Pour avoir la facilité de nettoyer au besoin l'intérieur de
ce chauffe-viri , on a pratiqué , a sa partie supérieure, trois
ouvertures M, N, O , qui se ferment a couvercles.
Le robinet F sert a livrer passage au vin , quand , a la
fin d'un travail, on veut vider le condensateur-chauffe-vin.
5°. Du Réfrigérant.
Le réfrigérant P est un cylindre vertical en cuivre, dont
la capacité , destinée a livrer passage au vin , le reçoit a sa
partie inférieure par le conduit XR , et le transmet au con
densateur-chauffe-vin par le conduit KL, qui communique
avec sa partie supérieure.
"Ce réfrigérant contient un serpentin qui reçoit , d'uns
DE LA DISTILLATION. 33l
part, les vapeurs coodensées par le conduit lm, et les livre
refroidies par l'ouverture V. *
Le robinet W sert h vider le réfrigérant quand un tra
vail est terminé.
6°. Du Réservoir.
Le réservoir S contient le vin qui doit entrer en distilla
tion ; il porte un robinet dont on règle l'ouverture suivant
la quantité de vin que l'on veut fournir à l'appareil dans un
temps donné ; mais comme cette quantité de vin pourrait va
rier d'un moment a l'autre , suivant les pressions inégales
qu'exerceraient les hauteurs inégales du liquide que le réser
voir contient , on régularise cette hauteur, et par conséquent
la vitesse avec laquelle il fournit le vin; on la régularise,
dis-je , h l'aide du régulateur de pression dont nous allons
parler.
7°. Du Sèau de vendange ou Régulateur de pression.
Le seau de vendange U est destiné a recevoir le vin d'une
manière quelconque, c'est-à-dire qu'on peut l'y amener ou
h l'aide d'une pompe, ou l'y porter , ou même l'y faire cou
ler naturellement, si la disposition le permet.
Il porte , a sa partie inférieure , un robinet T, qui s'ouvre
ou se ferme suivant que le liquide baisse ou monte dans le
réservoir S. C'est a l'aide du flotteur q que Pou obtient ce
résultat. Ce flotteur est une boule creuse plus légère que le
vin ; il le surnage en conséquence ; et comme il est fixé
sur la clef du robinet T , dont la position est horizontale ,
quand le flotteur baisse , le robinet s'ouvre ; quand il s'élève,
le robinet se ferme. Remplaçons ici le mouvement du flot
teur par celui du vin auquel il est subordonné, et nous ver
rons que le robinet se ferme ou s'ouvre suivant que le vin
du réservoir S monte ou descend.
A l'aide de cette disposition , le réservoir S contient une
quantité de vin toujours constante.
332 TRAITÉ DE L'ART
SECTION DEUXIEME.
Manœuvre de l'appareil continu de M. Ch. Der-osne.
M. Ch. Derosne donne aux acquéreurs de ses appareils
une instruction détaillée sur la manière de les monter , de
commencer, de mener et de finir une opération. 11 indique
par conséquent le manége que l'on doit exécuter , pour obte
nir par une seule chauffe telles preuves que l'on désire. Je
ne pourrai donc entrer dans des détails à cet égard. Qu'il
me suffise d'ajouter sur les fonctions de cet appareil quel
ques notions qui , avec tout ce que j'ai dit en le décrivant ,
suffiront pour faire concevoir parfaitement son mécanisme.
L'appareil se charge par le réservoir U , qui domine tou
tes les autres parties Ainsi le vin vient se rendre dans les
deux chaudières jusqu'à des hauteurs voulues qu'indiquent
leurs niveaux en verre ; puis , la colonne de distillation se
charge de la portion de vin qui doit mettre obstacle au pas
sage libre de la vapeur. A cette époque, le condensateur el le
réfrigérant se trouvent pleins ; on suspend l'introduction
du vin et l'on ne la rétablit en ouvrant le robinet p , pour
fournir a l'appareil un filet de vin continu , que lorsque le
vin des chaudières est dépouillé de son alcohol, et que ce
lui du condensateur-chauffe-vin est assez chaud pour pou
voir être introduit dans la colonne.
Alors commence réellement la continuité , et tout le tra
vail antérieur n'est que préparatoire, quoique la distillation
ait commencé avant cette époque.
11 y a deux parties bien distinctes dans cet appareil : l'une
est celle où la vapeur mélangée avec le vin bouillant ou avec
les petites eaux , aussi bouillantes , subit par ce mélange le
changement le plus conforme au but de la distillation ; l'au
tre est celle où les vapeurs ne sont plus en contact avec le
vin que par l'intermédiaire des serpentins , et où elles se
condensent et se refroidissent en cédant leur chaleur au vin
destiné a entrer en distillation.
La première se compose évidemment de la colonne dis-
tillatoire et du rectificateur ; l'autre se compose du conden
sateur-chauffe-vin et du réfrigérant.
DE LA DISTILLATION. 333
Pour nous rendre un compte exact de l'effet de la pre
mière partie , rappelons-nous maintenant ce que nous avons
dit sur les différentes capacités de l'eau , de l'alcohol et de
leurs vapeurs pour la chaleur.
L'eau avons-nous dit, arrivée à 8o° , qui est le terme de
son ébullition , ne peut plus prendre de chaleur sans chan
ger d'état ; elle cesse alors d'être liquide , elle se transforme
en vapeurs, elle occupe un volume 17oo fois plus grand;
et quoique cette vapeur possède la même température que
l'eau bouillante qui l'a produite , c'est-à-dire quoiqu'elle ne
fasse monter le thermomètre qu'a 8o° , elle contient cepen
dant 8 fois plus de chaleur que l'eau , puisqu'un kilogramme
de vapeurs mélangées avec 7 kilogrammes d'eau froide
donne 8 kilogrammes d'eau à 8o°.
L'alcohol, quand il est pur, c'est-à-dire , quand il pèse
42° aréométriques , entre en ébullition à une température
beaucoup plus basse que l'eau , et c'est à 62° qu'il ne peut
plus prendre de chaleur sans passer à l'état de vapeur. Sa
vapeur dans cet état possède la même température que l'al
cohol bouillant , soit 62°, et elle contient bien moins de
chaleur que la vapeur d'eau puisqu'un kilogramme de va
peur alcoholique mêlée avec 3 kilogrammes ~ d'eau froide ,
est condensé entièrement , et que l'on obtient un mélange
d'eau et d'alcohol qui ne porte que 62° de température.
C'est sur ces principes bien avérés que repose la sépara
tion de l'eau et de l'alcohol dans la distillation. C'est a la
connaissance parfaite des phénomènes qui se présentent dans
un mélange de vapeurs alcoholiques avec un vin bouillant ,
que nous devons les bons appareils distillatoires que nous
possédons aujourd'hui. '
La vapeur d'eau ne pouvant rester vapeur qu'à la tempéra
ture de 8o° , se condensera à une température où l'alcohol
pourra conserver l'état aériforme. Dans de l'eau, par
exemple , qui aurait 62° de température , la vapeur d'eau
s'y liquéfiera , tandis que la vapeur d'alcohol y passera
sans subir la moindre condensation. Si au lieu de faire
passer cette vapeur d'eau dans de l'eau à 62° , on la fait
passer dans du vin bouillant , alors les phénomènes chan
334 TRAITE DE l'aRT
geront , l'eau s'y condensera en faveur de l'alcohol du vin ,
qui se vaporisera en quantité relative , et cela en vertu de
ce fait bien reconnu que , dans un vin bouillant , qui est
un mélange d'eau et d'alcohol , l'alcohol n'y prend que 62"
de température quoique l'eau y prenne 8o°. Or ici qu'arri-
ve-t-il ? La vapeur d'eau, en traversant le mélange, se con
dense parce qu'elle rencontre de l'alcohol qui n'a que 62%
et qui est par conséquent plus froid qu'elle ; et par suite ,
l'alcohol a 62° ne pouvant plus prendre de chaleur sans
se gazéifier , se vaporise a l'aide de la chaleur que lui cède
la vapeur d'eau en se condensant.
Supposons maintenant que la vapeur que l'on fait passer
dans un vin bouillant soit elle-même un mélange de vapeurs
d'eau et d'alcohol ; il est facile de prévoir ce qui arrivera :
la portion de vapeur alcoholique passera sans rien perdre
dans le vin et en sortira comme elle y est entrée, tandis
que la portion de vapeur d'eau y échangera sa chaleur avec
l'alcohol, en se condensant et en produisant une quantité
relative de vapeurs alcoholiques.
Tels sont les phénomènes qui se présentent dans les chau
dières de vins qui se. distillent l'une par l'autre. Tels sont
encore les phénomènes qui se présentent dans la colonne
distillatoire et dans le rectificateur de M. Ch. Derosne.
En effet nous pouvons considérer cette colonne et ce rec
tificateur comme la réunion d'un grand nombre de petites
chaudières qui contiennent constamment du vin bouillant.
Dans la colonne , les vapeurs sont d'autant plus chargée»
d'alcohol et elles y rencontrent un vin d'autant plus riche,
qu'elles s'approchent davantage du sommet. Donc , comme
ce vin le plus riche ne peut être que celui sur lequel
on opère, tel que le fournit le chauffe-vin , comme ces va
peurs sont très-alcoholiques quand elles sortent de la co
lonne pour entrer dans le chauffe-vin, on conçoit que la co
lonne a cet immense avantage sur les chaudières d'Adam ,
qu'elle sert uniquement et d'une manière continue à enri
chir les vapeurs alcoholiques sans jamais enrichir le vin ;
tandis que dans l'appareil d'Adam , il faut toujours com
mencer par enrichir le vin avant d'obtenir des vapeurs al
coholiques plus riches.
DE. LA DISTILLATION. * 335
Dans le rectificateur , le même phénomène se présente ;
les petites eaux que l'on y fait revenir offrent , il est vrai ,
à la vapeur un liquide bien plus riche en alcohol que celui
qu'elle a rencontré dans la colonne ; mais ces petites eaux
ne font que s'approprier l'eau de ces vapeurs , auxquelles
elles cèdent en échange une portion de leur alcohol. Ainsi ,
il est vrai de dire que dans la colonne et le rectificateur de
l'appareil continu , le liquide s'y appauvrit toujours au fur
et a mesure qu'il descend , sans jamais s'enrichir , tandis
que les v apeurs y font le contraire.
Les vapeurs alcoholiques, au sortir du rectificateur, en
trent par le conduit H dans le serpentin du condensateur
chauffe-vin. Dans cette partie de l'appareil , elles peuvent
encore être déflegmées ; mais cette déflegmation, qui a pour
but de séparer l'alcohol d'une nouvelle portion d'eau , borne
la ses fonctions. Il est essentiel de se bien pénétrer de la
différence qui existe entre le mode d'agir de la colonne dis-
tillatoire ou du rectificateur et celui du condensateur-chauffe-
vin.
Si, comme j'ai lieu de le supposer, on a bien conçu l'ex
plication que j'ai donnée des lois suivant lesquelles le vin et
les petites eaux subissent, dans la colonne et le rectificateur,
une véritable distillation, on concevra facilement la différence
que je veux expliquer ici.
En effet, dans la colonne distillatoire ou dans le rectifica
teur que nous pouvons considérer comme une seule et même
machine, dans la colonne distillatoire, dis-je, se trouvent
réunis a la fois les deux effets que se propose la distillation ,
c'est-a-dire , la vaporisation et la condensation : il v a con
densation de vapeur d'eau, et vaporisation relative d'alcohol;
ces deux effets sont intimement liés , puisqu'ils ne peuvent
exister l'un sans l'autre. De quel fait et de quelle cause uni
que dépend la combinaison de cesdeux effets dans la colonne?
C'est du mélange intime de la vapeur avec le vin bouil
lant , c'est de leur mélange immédiat sans aucun agent inter
médiaire. Or ici les vapeurs déja chargées d'alcohol subissent
non-seulement, en traversant la colonne, une analyse qui le»
déflegme en isolant davantage leur alcohol , mais encore elles
336 TRAITÉ DE L'ART
emportent avec elles une portion d'alcohol , qui est toujours
proportionnee a la quantité de vapeur d'eau qu'elles ont per
due. Il y a donc la double effet bien évident : c'est-a-dire
que les vapeurs ne peuvent se déflegmer sans s'enrichir d'al
cohol.
11 n'en est pas de même dans le condensateur-chauffe-
vin ; et si , comme le fait le prouve , les vapeurs condensées
dans chacune des hélices ont une richesse alcoholique diffé
rente, suivant qu'elles sont condensées dans les hélices plus
voisines de la colonne ou dans celles plus voisines du réfri
gérant, il n'en est pas moins vrai que les vapeurs alcoholi-
ques n'y prennent pas de Falcohol. Elles y deviennent plus
alcoholiques en perdant de la vapeur d'eau , mais elles ne
peuvent y prendre une nouvelle portion d'alcohol ; elles s'y
déflegment, mais elles ne s'y enrichissent pas, puisqu'elles
ne font qu'y perdre sans y rien prendre au fur et a mesure
qu'elles avancent. Le condensateur-chauffe-vin diffère donc
en cela de la colonne , que son mode d'agir sur les vapeurs
se borne a les déflegmer en les condensant , tandis que la co
lonne les déflegme et les enrichit simultanément.
La disposition verticale du serpentin du chauffe-vin offre
un moyen plus facile que tout autre de séparer a volonté les
I1etites eaux des premières hélices de celles condensées par
es dernières, quand cela est nécessaire aux résultats qu'on
se propose. Ce mécanisme du condensateur est tout entier ,
du reste, dans les conduits hj et gj , dont la manœuvre fait
passer en tout ou partie les vapeurs condensées dans le rectifi-
cateur ou dans le serpentin réfrigérant. Mettant a part cette
annexe du condensateur utile comme régulateur du titre de
l'alcohol , ce condensateur ne remplit plus d'autre fonction
que celle de chauffe-vin.
Dans cet appareil, tout est donc combiné pour que toutes les
vapeurs produites soient condensées dans le condensateur
chauffe-vin. Elles reprennent la l'état liquide ; mais comme
elles ne s'y trouvent en contact qu'avec du vin qu'elles ont
déja fortement chauffé, elles n'y peuvent être refroidies. C'est
dans le serpentin réfrigérant, où elles rencontrent du vin
froid , qu'elles subissent un refroidissement convenable
DE LA DISTILLATION.

SECTION TROISIÈME.
Réflexions sur l'appareil continu de M. Ch. Derosne.
Cet appareil , comme on a pu déjà s'en convaincre par
la description que j'en ai donnée, présente sur tous les au
tres précédemment décrits plusieurs avantages importans.
Le vin y arrive continuellement et sans exiger le manége
de cette multiplicité de robinets qu'il faut ouvrir et fermer
a chaque charge et décharge dans l'appareil perfectionné.
II n'est pas plus compliqué que ce dernier et il fait plus de
besogne dans un temps donné, parce qu'il n'y a ni temps
ni chaleur perdus, le vin destiné a la distillation faisant lui-
même tout le service de la condensation sans le secours de
l'eau.
M. Derosne distribue sur son appareil une note qu'il n'est
pas inutile de produire ici : elle donnera des avantages de
cet appareil une idée plus exacte que tout ce que je pourrais
en dire. La voici :
Notice de M. Ch. Derosne sur son Appareil.
» M. Ch. Derosne pharmacien de Paris , et mem
bre du conseil d'administration de la Société d'Encourà-
gement pour l'industrie nationale , a l'honneur de prévenir
MM. les distillateurs et propriétaires de vignobles, qu'il fait
établir dans ses ateliers de Chaillot, rue des Batailles, n° 7 ,
un nouvel appareil de distillation continue , dont les avan
tages sont tellement supérieurs à ceux des appareils les plus
perfectionnés, en usage jusqu'à présent dans les pays de
grande distillation, qu'il espère que, dans leur intérêt, MM.
les propriétaires et distillateurs s'empresseront d'adopter
celui qui leur est offert.
Les avantages de cet appareil sont :
1°. De pouvoir distiller dans un temps donné , selon la
grandeur relative de la chaudière, une beaucoup plus grande
quantité de vin qu'on ne peut le faire avec aucun des appa
reils connus jusqu'à présent, et en dépouillant complétement
ce vin de la totalité de l'esprit qu'il contient.
ai .
338 TRAITÉ DE L'ART
3°. D'être d'une manutention très-facile et nullement
pénible, puisqu'on est dispensé de charger les chaudières ,
et que deux hommes pourraient diriger a la fois deux ou
trois de ces appareils sans fatigue , n'ayant d'autre travail
que celui de surveiller et entretenir le fourneau de combus
tible, fonction peu pénible, vu la petite quantité qu'on en
emploie.
3°. D'être d'un prix très-modéré, comparativement à
celui des appareils connus jusqu'à ce jour, quoiqu'il fabrique
beaucoup plus d'esprit qu'aucun d'eux.
4". D'économiser une quantité très-considérable de com
bustible, puisque trois quintaux ou i5o kilogrammes de
charbon environ suffisent pour obtenir une pièce de 8o weltes
d'esprit ^, ou 1 2o weltes d'eau-de-vie à 2 1 ~ degrés, lors
qu'on distille les vins riches a un 6°.
5°. D'être très-simple dans sa composition, d'exiger très-
peu d'emplacement, de ne jamais s'obstruer , et d'être d'une
réparation très-facile , en supposant , ce qu'on n'admet pas ,
qu'il pût se déranger.
6°. De fournir a volonté les esprits les plus rectifiés ,
même du î par une seule et même opération , sans aucune
repasse , et également toutes les preuves inférieures jusqu'a
l'eau-de-vie , toujours avec la condition de distiller des vins
riches à un 6" d'eau-de-vie a 21° j.
7°. De donner des produits d'une qualité tellement supé
rieure, qu'au marché de Lunel , département de l'Hérault t
les eaux-de-vie obtenues avec cet appareil ont été recherchées
à 5o cent, au-dessus du cours pour 5 weltes.
8°. Enfin , ce qui distingue plus spécialement cet appareil,
et ce qui doit en déterminer l'adoption dans toutes les locali
tés , c'est qu'il n'exige pas l'emploi de la moindre quantité
d'eau pour la condensation des vapeurs ou la réfrigération
des esprits, le vin étant toujours plus que suffisant pour
absorber la totalité des vapeurs produites. %
Cet appareil , dont l'idée primitive appartient incontes
tablement a M. Cellier-Blumenthal , et qui, depuis sa pre
mière conception , a été successivement perfectionné par lui
et par M. Derosne, réunit en sa faveur les témoignages let
plu* honorables.

1
DE tA DISTlLtATIOt». 336
En considération du mérite de son invention , Son Exc.
le Ministre de l'intérieur a accordé gratuitement a ses in
venteurs , en 1818 , un nouveau brevet de i5 ans, pour
les perfectionnemens qu'ils y ont apportés.
La Société d'Encouragement pour l'Industrie nationale a
accordé a M. Cellier-Blumenthal , en 1816, une des qua
tre médailles d'or réservées aux perfectionnemens indus
triels les plus marquans depuis dix ans.
Lors de la mémorable exposition des produits de l'indus
trie française, en 1819, le grand jury, nommé par le Roi
pour cette solennité , a décerné a M. Ch. Derosne une mé
daille d'argent pour les perfectionnemens importans qu'il a
apportés a cet appareil, et en outre l'a présenté au Roi
comme un des artistes qui ont contribué aux progrès de l'in
dustrie française.
Depuis cette dernière époque, novembre 1819, M. Ch.
Derosne, aujourd'hui seul propriétaire des brevets accordés
soit à M. Cellier-Blumenthal, soit h lui-même, a demandé
et obtenu deux nouveaux certificats d'addition et de perfec
tionnement.
Quelque honorables que soient ces titres , et quelle que
soit la confiance qu'ils doivent inspirer aux propriétaires et
distillateurs , M. Derosne a pensé que la mise en expérience
de cet appareil dans les pays de grande distillation serait le
plus sûr moyen de convaincre les plus incrédules , et de met
tre fin aux calomnies que la jalousie ou la cupidité n'ont
cessé de répandre sur cet appareil depuis son invention.
En conséquence, il s'est rendu dans le Midi de la France,
et a établi deux de ses appareils , l'un dans la commune de
Massilargues , canton de Lunel, département de l'Hérault,
chez M. Dunal, propriétaire et savant distingué de Mont
pellier, l'autre a Pezenas, même département de l'Hérault,
chez MM. Plauche fils aîné et Gaudion, négocians, une des
premières maisons du Midi.
L'appareil placé chez M. Dunal a servi a faire une expé
rience comparative avec un appareil dit de Bérard, qui se
trouvait chez lui.
Il est résulté de cette expérience, pour laquelle on a em
22.
34o TRAITÉ DE l'aHT
ployé de part et d'autre 2364 lit. devin d'une qualité infé
rieure, que M. Dunal
a employé 26 heures de tems avee deux ouvriers ou 5? heu
res d'un seul r
a consommé 27 t kilog. de charbon d'Alais de très-boane
qualité,
a employé beaucoup d'eau pour condenser ou rafraîchir (la
quantité n'a pas été notée ) , ^
a obtenu 2o4 litres d'esprit | et quantité de petites eaux éva
luées a 31 litres d'esp1it :
Ensemble 235 litres J•
M. Derosne a employé t2 heures de temps avec deux
ouvriers , soit 34 heures d'un seul ; t
6o kilogrammes de charbon d'Alais , même qualité ;
Pas une goutte d'eau ; » . ,
II a obtenu 249 litres esprit J de qualité supérieure.
Le résultat de cette expérience comparative a donné , a l'a
vantage de l'appareil de M. Derosae , pour la distillation de
2 5 64 litres de vin,
14 litres esprit 2 en sus,
I I I kilog. de charbon employé en moins ,
28 heures d'ouvriers ou 14 heures de temps en moins,
Une grande quantité d'eau en moins ,
Une grande supériorité dans la qualité des produits ;
Pas de petites eaux tout le temps qu'a duré l'opération.
Tandis qu'avec l'appareil Bérard f M. Dunal avait re
cueilli a chaque chauffe «ne quantité considérable de pro
duits forts ou faibles , qu'on était obligé de repasser à la
chauffe suivante , à cause de leur mauvais goût.
Ces résultats paraîtront incroyables en raison de la petite
quantité de vin soumise a la distillation ; cependant l'expé
rience a été faite par M. Dunal lui-même , et a été suivie par
plusieurs personnes dignes de foi. Toutefois M. Serasne
n'insiste pas sur ces résultats, parce qu'il convient que l'ap
pareil dit de Bérard , tel qu'il était établi chez M. £>uaaly
ne peut pas être considéré maintenant comme un bon appa
reil , vu les perfectionnemens apportés successivement à l'ap
pareil à'Jdam ; il préfère citer l'expérience comparative
DE LA DISTrLLATIOî».
faite a Pezenas , parce qu'elle a eu lieu avec un appareil
Irès-perfectionnésur une plus grande quantité de vin, qu'elle
a été faite publiquement , vue par une foule de témoins , et
que des personnes dont l'attestation iriérite la plus grande
confiance, en garantissent l'exactitude et les résultats.
Ces personnes sont :
M. Dunal, docteur en médecine a Montpellier, et pro
priétaire distillateur ;
M. Henry Reboul , ex-législateur , manufacturier chi
miste ;
Tous deux correspondans de l'Académie des Sciences et
de l'Institut ;
M. Sales, ancien maire de Pezenas , et propriétaire dis
tillateur ;
MM. Plauche et Gaudion, associés de la maison Plauche
fils aîné et Gaudion, propriétaires distillateurs ;
M. Martin, pharmacien de Pezenas, et propriétaire ;
M. Largueze, distillateur, et inspecteur pour le com
merce des esprits a Pezenas ;
M. Hot fils , distillateur , associé de la maison Hot père
et fils, chez qui se fit l'expérience comparative, et qui avait
été désigné a cet (ffet par la commune renommée, comme
ayant un des meilleurs appareils d' Adam perfectionnés.
25,536 litres de vin proveuant des mêmes cuves ont été
partagés entre M. Hot et M. Derosne , en deux portions de
12,768 litres, et toutes les précautions ont été prises pour
constater exactement la quantité de charbon consommé et la
chaleur accumulée dans les fourneaux avant de commencer
l'opération.
M. Hot a employé pour la distillation de ces 12,768 litres
de vin ;
75 heures de temps avec deux ouvriers , ou 1 5o heures
d'un seul ;
990 kilogrammes de charbon de Neffiez (charbon de qua •
iité très-inférieure) ;
17o hectolitres d'eau pour condenser ou rafraîchir ;
Et il a obtenu 1622 litres esprit f , en estimant comme
g i5 titres de petite» eaux obtenues a 1 5" de l'aréomètre de
Cartier.
34 a traité de l'art
Pour la distillation de cette même quantité de vin, 13,768
litres.
M. Derosne a employé
53 heures 5 de temps avec deux ouvriers , ou 1 o7 heures
d 'un seul ,
4ao kilogrammes de charbon même qualité, de Neffiez,
Pas du tout d'eau :
Il a obtenu i64o litres d'esprit | reconnu d'une qualité
très-supérieure à celui obtenu par le concurrent sans une
goutte de petites eaux ou repasse, tandis qu'avec l'appareil
d'Adam, qui était en concurrence, on obtenait a chaque
chauffe, c'est-à-dire , toutes les 5 heures environ, 24 litres
de petites eaux ou de premier produit, qu'on était obligé de
r epasser a la distillation suivante.
Ainsi , quels que soient le prix d'achat du vin et le bénéfice
qui peut provenir de cet achat, comparativement aux prix
des esprits, il est résulté de cette expérience comparative
qu'il y a eu en faveur de l'appareil de M. Derosne pour la
distillation de 13,768 litres de vin :
18 litres d'esprit jj de plus,
57o kilogrammes de charbon en moins,
17o hectolitres d'eau en moins,
43 heures d'ouvriers ou 2 1 heures \ de temps de moins.
Toutes valeurs sujettes a variation , et dont chacun peut
assigner le prix suivant sa localité.
A l'époque de cet essai comparatif, fin de mars 1822,
l'esprit étant estimé à 73 francs 7o centimes l'hectolitre , le
charbon à 3 francs 63 centimes les 1oo kilogrammes , le vin
à 8 francs 2o cent, l'hectolitre, la journée d'ouvrier à 3 fr.,
les futailles pour l'esprit à 28 francs, cours de ces divers
objets à Pezenas, l'eau pour mémoire, il y a eu à l'avantage
de l'appareil de M. Derosne bénéfice de 59 francs 3o centi
mes pour 63 heures £ de temps, tandis que celui résultant
de l'appareil à'Adam perfectionné ne s'est élevé qu'à 20 fr.
57 cent, pour 75 heures, c'est-a-dire que, d'après ce même
compte , avec l'appareil Derosne , on aurait gagné par jour
26 francs 5à centimes, et avec l'appareil d'Adam seulement
6 francs 53 centimes.
DE LA DISTILLATION. 343
D'après ces mêmes élémens, le fabricant gagnerait, par
pièce d'esprit ^ de 8o weltes ou de 6o8 litres, 14 francs 7o
centimes de plus qu'en se servant de l'appareil d' Adam per
fectionné.
D'après ces mêmes calculs, la distillation de 1ooo hecto
litres de vin donnerait en 1 7 jours et demi un bénéfice de
464 francs , tandis qu'avec l'apareil d'Adam, en 24 jours et
«demi on n'en ferait qu'un de 16o francs 5 centimes. ( On
observe qu'à l'époque où l'essai comparatif a eu lieu , le prix
relatif du vin avec celui de l'esprit ne laissait que très-peu de
chances de bénéfice. )
On a fait un calcul basé sur cette expérience comparative ,
qui démontre que quelle que soit la valeur du vin , tout dis-
tillateur qui emploiera l'appareil Derosne se trouvera en
moins de 14o jours de travail plus que remboursé du prix
o"achat de l'appareil ( 26oo francs , prix de l'appareil de
moyenne grandeur), en conservant encore par devers lui tout
le bénéfice qu'il eût obtenu s'il se fût servi de l'appareil d'A
dam perfectionné.
Tels sont les faits que M. Derosne croit devoir citer pour
établir la supériorité de ses appareils. Depuis ces résultats
obtenus , M. Clément Desormes , professeur de Chimie ap
pliquée aux Arts industriels, an Conservatoire des Arts et
Métiers, a Paris, a proclamé hautement, dans son cours, que
cet appareil était fondé sur les principes de Physique les
mieux établis , et qu'il ne doutait nullement de sa supériorité
sur les autres appareils connus.
Pour répondre a toutes les objections, et démentir toutes
les fausses assertions répandues contre son appareil , M. De
rosne indiquera aux personnes qui le désireront les fabriques
où elles pourront le voir en activité , et s'assurer par elles-
mêmes de ses résultats : il observe que cet appareil peut s'ap
pliquer a la distillation de tous liquides quelconques, et même
à celle des matières pâteuses , liquides , comme les pommes
de terre en nature , les grains , etc. , en y faisant de légères
modifications.
S'adresser , a Paris , à M. Ch. Derosne, pharmacien , rue Saint-
Honoré , n° 1 15 , ancienne pharmacie Cadet et Derosne , ou à la
fabrique d'appareils , rue des Batailles , n" 7 , à Chaillot.
344 TRAITÉ DE 1.'aRT
On aura été frappé sans doute, en lisant cette note, de
l'augmentation de produits que l'appareil de M. Derosne
procure au fabricant. Ce fait devra paraître d'autant plus
extraordinaire que nous savons parfaitement que la distilla
tion proprement dite ne crée point d'alcohol et se borne à
isoler celui qui est tout formé dans le vin. Cependant, on pour
rait se rendre raison de cette différence de résultats dans deux
appareils distillatoires , par la perfection inégale de leur exé
cution , et peut-être même par la pression inégale qui pour
rait nuancer deux systèmes. En effet , toute imperfection dans
la jonction des parties d'un appareil peut être une cause de
perte de vapeur et par conséquent d'alcohol , et cette perte
doit être plus grande nécessairement quand la pression à la
quelle cette vapeur est soumise dans l'appareil , vient aug
menter la vitesse avec laquelle elle s'échappe souvent imper
ceptiblement à-travers les fissures qui lui sont ouvertes. Or,
dans les appareils d'Adam, la pression est toujours assez
considérable ; elle est d'autant plus grande que l'appareil est
plus compliqué : c'est ainsi que se cumulent les causes de
perte de vapeurs avec la complication de l'appareil , qui en
traîne nécessairement plus de pièces de jonction , qui peu
vent, en pratique, échapper à un lutage parfait. Nous ne
voyons pas d'autre moyen d'expliquer l'augmentation d'al
cohol que M. Derosne a obtenue avec son appareil , et il
cous est d'ailleurs impossible d'en suspecter l'exactitude. La
réputation de M. Derosne et celle des hommes présens à
l'expérience nous sont de sûrs garans de la vérité du fait.
Quoique la note que je viens de donner fournisse déja
quelques documens a la question économique, nous la trai
terons cependant encore suivant la méthode que nous avoDS
. suivie pour les autres appareils.
SECTION QUATRIÈME.
Question économique de VAppareil continu de M. Ch.
Derosne.
Cette question, telle que nous allons la donner, ne por
tant que sur la valeur de l'appareil , sa main-d'œuvre et ses
DE LA DISTILLATION. 345
frais de combustible compares au travail qu'il fait, présentera
une différence avec les calculs de M. Derosne, parce qu'il
n'entre pas dans notre méthode de calculer l'augmentation
de produits que ce monsieur a dû naturellement porter en
ligne de compte.
Valeur de VAppareil.
M. Derosne construit des appareils de trois dimensions :
des grands , des moyens et des petits.
Les grands peuvent distiller 1 o,ooo à 1 2,ooo litres de vin
en 24 heures, et coûtent 5ooo fr.
Les moyens distillent 6ooo litres de vin aussi en 24 heu
res, et coûtent 26oo fr.
Les petites distillent 3ooo litres de vin dans le même espace
de temps , et coûtent 1 8oo fr.
Ces quantités de vin que l'appareil continu peut distiller
dans un temps donné, sont uniquement proportionnelles aux
dimensions des machines. Au reste, quelle que soit la richesse
du vin sur lequel on opère , on n'obtiendra pas de différence
dans la quantité du vin distillé ; seulement , il est évident
que les produits varieront en raison de cette même richesse.
Nous prendrons, pour servir de base a nos calculs, l'ap
pareil moyen, qui coûte, pris chez M. Derosne, 26oo fr.
Nous supposerons que les frais de transport
et de fourneaux et accessoires, coûtent 4oo fr.
Nous aurons pour total 3ooo fr.
qui, pour l'intérêt d'un an, compté a raison de 1 5 pour cent,
donneront une somme de 45o fr.
En comptant sur 7oo fois 1 2 heures de travail , puisque
cet appareil doit fonctionner jour et nuit, nous aurons , pour
intérêt journalier de l'appareil, 65 centimes.
Dépense de Combustible.
Nous supposerons toujours que le vin , qui est l'objet de
notre distillation, est riche a g de son poids d'eau de-vie à
22°, et que l'on veut la retirer à cette preuve.
L'appareil moyen que nous avons pris pour fixer no»
*
346 TRAITÉ DE I.'aBT
idées, distille en 2 4 heures 6ooo litres de vin ; ce sera done
3ooo litres pour 1 a heures.
Nous pouvons prendre, comme nous l'avons fait jusqu'à
présent, ces 3ooo litres de vin pour 3ooo kilogrammes, qui
se composeront, comme nous le savons, de 134 kilogrammes
d'alcohol pur , et de 2866 kilogrammes d'eau ; ou , ce
qui revient au même, de kilogrammes d'eau-de-vie
à 22" et de 262.5 kilogrammes d'eau.
Voyons maintenant, dans ce mode de distillation, combien
nous devrons dépenser de chaleur. Le vin arrive froid d'un
côté de l'appareil, il en sort bouillant de l'autre, et dépouillé ;
tandis que son alcohol au titre désiré est rendu froid
par le serpentin réfrigérant. Il n'y a donc point eu ici de
chaleur perdue pour chauffer de l'eau , puisque le vin
lui-même , avant d'entrer en distillation , s'est approprié
toute la chaleur mise en liberté par la condensation des va
peurs et par leur réfrigération dans le serpentin ; et il est fa
cile de concevoir qu'il n'y a de chaleur dépensée dans ce sys
tème que celle indispensablement nécessaire pour amener
toutes les vinasses a l'ébullition.
Or, sur 3ooo kilogrammes de vin, nous avons 2625 ki
logrammes de vinasses. Nous savons qu'un kilogramme de
charbon suffit, en bonne pratique, pour amener a l'ébulli
tion 46 kilogrammes d'eau ; nous aurons donc ici autant de
kilogrammes de charbon a brûler que le nombre 2625 con
tient de fois 46. Ce sera 57 kilogrammes de charbon pour
1 2 heures de travail continu.
Estimant ce charbon a 5 centimes , suivant notre hypo
thèse admise pour les autres questions économiques, nous
trouverons que, pour obtenir avec l'appareil continu 375
kilogrammes d'eau-de-vie a 2 2°, d'un vin riche à g de cette
preuve, nous aurons dû dépenser en combustible 5j kilo
grammes multipliés par 5 centimes : soit 2 francs 85 cen
times.
Ramenons maintenant cette dépense an litre ; nous trou-,
verons que 375 kilogrammes d'eau-de-vie a 22° donnent
598 litres à ce titre, qui nécessiteront 2 francs 85 centimes
de combustible pour leur distillation.

*.
DB LA DISTILLATIOW. 347
Main-d'œuvre.
L'appareil de M. Ch. Derosne a cela de particulier ,
qu'il nécessite très-peu de main-d'œuvre , et qu'un homme
exercé et intelligent pourrait servir a la conduite de plusieurs
grands appareils. Ce côté de la question économique de l'ap-
{)areil continu présente donc d'autant plus d'avantages , que
a fabrication est plus importante. Ainsi, en fixant a 4 fr.
par jour les honoraires d'un homme nécessaire pour faire
marcher une machine, on conçoit que le produit coûtera
d'autant moins de main-d'œuvre , que la machine sera plus
grande, et même que cet homme sera occupé a en faire mar
cher deux ou trois. Il n'en coûtera donc pas plus de main-
d'œuvre pour distiller 3ooo litres de vin , qui représentent
le travail du plus petit appareil, que pour en distiller 3 6,ooo,
qui représentent le travail de trois appareils de la plus grande
dimension , qu'un seul homme peut conduire.
Nos calculs ayant été établis sur le moyen appareil et sur
1 2 heures de travail , nous ne devons compter pour main-
d'œuvre tout au plus que le tiers des honoraires d'un hom
me, puisqu'il peut facilement en diriger trois. Nous aurons
donc le tiers de 4fr. Soit 1 fr. 25 cent. pour distiller
kilogrammes ou 398 litres d'eau-de-vie a 2 2°.
Résumé des frais.
Intérêt journalier de l'appareil. o fr. 65 c.
Dépense de combustible 2 fr. 85 c.
Main-d'œuvre. 1 fr. 25 c.
Total. ...... 4 fr. 75 c.
Ces 4 fr. 7 5 cent. représenteront la dépense totale pour
obtenir 398 litres d'eau-de-vie a 22°. Ramenons cette dé
pense à celle que nécessitera une pipe de 6oo litres , nous
aurons pour résultat 7 fr. 16 c, qui seront les frais néces
saires à la distillation d'une pipe d'eau-de-vif à 22° de 6oo
litres. Ce résultat offre évidemment encore une économie sur
l'appareil précédent, avec lequel nous avons vu qu'une
pipe de 6oo litres nécessite 8 fr. 70 cent, de frais de distil
348 «U1TÉ DE LART
lation. II y a donc encore ici une économie de 1 fr. 54 cent.
par pipe.
Cette économie serait plus grande avec de grands appa
reils où la main-d'œuvre pourrait être réduite; car l'on
peut remarquer dans le résumé des frais de distillation , que
la main-d'œuvre figure pour une somme de 1 fr. 25 cent.,
somme qui est assez considérable , si on la compare au total
des frais. On remarquerait une différence plus grande en
core eh faveur de l'appareil continu , si nos questions éco
nom1ques comparatives eussent été établies sur la fabr1cation

SECTION CINQUIÈME.
Colonne absorbante de la Cascade chimique de M.
Clément.
La cascade chimique de M. Clément a été imaginée par
ce savant technologue, pour introduire la continuité dans
la préparation du chlore , dont on fait aujourd'hui une con
sommation considérable en Europe pour le blanchiment des
étoffes brutes et de leurs matières premières. Ce n'est pas ici
le lieu de donner une description de cet ingénieux appareil ;
mais, comme il présente une partie intéressante, et qui pour
rait sans doute être appliquée avec succès à la distillation ,
nous croyons devoir donner une idée de cette partie , que
M. Clément a appelée colonne absorbante.
Qu'on se figure la colonne distillatoire BC de l'appareil
continu de M. Derosne , planche VU ; qu'on se figure , dis-
je , cette colonne remplie de boules de verre de 2 à 3 cen
timètres de diamètre , et que l'on suppose toutes les autres
parties de l'appareil également disposées; la colonne placée
sur nne chaudière destinée a fournir des vapeurs aqueuses ,
et le vin arrivant bouillant , et par un jet continu , a la par
tie supérieure de l'appareil.
Qu'arrivera-t-il alors ? Les boules de verre opposeront
un obstacle a la«chute libre du vin dansla chaudière ; celui-ci
coulera lentement , en se divisant en couches très-minces
à la surface de ces boules , et il se présentera ainsi bouillant
et très-divisé au contact des vapeurs qui seront fournies con
DE LA DISTILLATION. 3ft}
tinuellement par la chaudière. Les vapeurs aqueuses ren
contrant un mélange bouillant d'eau et d'alcohol dans toute
la longueur de la colonne, se condenseront en faveur de l'ai—
cohol, qui sera par conséquent vaporisé eu quantité relative,
et présenteront enfin des phénomènes absolument pareils a
ceux que nous avons signalés pour la colonne distillatoire ;
c'est-à-dire que le vin , en descendant dans la colonne , se
dépouillera de sou alcohol , et que , d'un autre côté , les
vapeurs se déflegraeront en s'enrichissant proportionnellement
d'alcohol, de manière a sortir de la colonne avec une richesse
alcoholique très-grande. .
Quoique ce mécanisme ne soit pas celui employé par M.
Derosne , on peut concevoir qu'il lui ressemble beaucoup
et qu'il est une exécution du même système , puisqu'il pro
duit des phénomènes semblables. Tous les deux sont fondés
sur ce principe , que pour qu'il s'opère un échange parfait
entre la chaleur des vapeurs aqueuses et l'alcohol du vin ,
il faut que le vin se présente à la vapeur dans un état de di
vision très-grand ; il faut par conséquent qu'il y ait contact,
mélange parfait entre les vapeurs et le vin que l'on veut
analyser. Cette condition est parfaitement remplie dans la
colonne absorbante de M. Clément , où le vin se présente à
la vapeur sous des couches multipliées extrêmement minces,
et dont les surfaces se renouvellent constamment par le seul
faft de la chute. Il resterait maintenant a reconnaître par
l'expérience , si une légère compression n'est pas nécessaire
pour achever d'enlever au vin les dernières portions d'alco
hol , comme on l'a annoncé jusqu'à ce jour ; car telle est la
différence qu'il y aurait entre la colonne de M. Derosne et
celle de M. Clément que, dans la première, les vapeurs
sont de fait légèrement comprimées, tandis qu'elles ne le se
raient que peu ou point dans la seconde. Pour moi , je ne
pense pas que cette pression soit plus nécessaire pour ache
ver l'analyse du vin que pour la commencer. C'est à l'expé
rience à décider.
Je ne sache pas que l'on ait encore fait l'essai de la co
lonne de M. Clément pour la distillation , quoique ce Mon
sieur en prenant un brevet d'invention pour sa cascade, ait
35o TRAITÉ DE I.'ART
annoncé que sa colonne pouvait servir également à la distil
lation. Il y aurait d'ailleurs, dans cette application, matière
a contestation, puisqu'il est vrai que M. Derosne est breveté
pour la distillation continue, et que l'on ne pourrait imiter
son appareil sans enfreindre les garanties que les lois lui
donnent.
Je n'ai , du reste , en donnant la description de la colonne
absorbante de M. Clément, qu'eu l'intention de fixer l'opinion
du lecteur d'une manière plus claire sur le mécanisme de la
distillation continue , et sur l'effet que produit la colonne
dans l'appareil de M. Derosne.

CHAPITRE X.
Parallèle des Appareils dislillatoires que nous
venons de décrire.
Dans les quatre appareils que nous venons de décrire ,
nous nous sommes attachés spécialement a donner leur mé
canisme, leur manœuvre et leur question économique. Nous
avons mis en évidence , par des calculs et des raisonnemens ,
les perfectionnemens principaux que les appareils distilla-
toires ont subis jusqu'a ce jour ; et si l'on a bien conçu tout
ce que nous avons exposé à ce sujet, on aura pu facilement
en déduire que la distillation proprement dite ne laisse plus
rien a faire quant a l'économie du combustible, qui était
pour ainsi dire l'objet spécial de la multitude des inventeurs.
On pourrait peut-être encore simplifier l'appareil de M.
Ch. Derosne, surtout si on le spécialisait pour un genre
de travail particulier; mais, pour l'économie du combustible
et de la main-d'œuvre, nous pouvons être bien convaincus
qu'il n'y a plus rien a faire.
Les questions économiques que nous avons établies pour
chacun d'eux sur la base de la distillation d'un vin riche a
J de 22° et sur l'extraction de l'eau-de-vie a ce titre, pré
tentent une amélioration graduée.
»B LA DISTILLATION.
En effet, une pipe de 22° offre le» différences suivantes
de dépenses avec chacun d'eux :
Avec le premier elle coûte 16 fr. 33 cent.
Avec le second. 11 oo
Avec le troisième 8 70
Avec le quatrième 7 16
Il y a la entre le premier et le dernier une différence con
siderable, puisqu'une dépense de 16 francs 33 centimes se
trouve réduite à 7 francs 1 6 centimes. Cette différence serait
plus grande encore si, au lieu de prendre pour base de nos
calculs l'extraction del'alcobol a 2 2°, nous eussions pris celle
de l'esprit a 33° parce que l'appareil continu peut donner
cette preuve sans augmentation sensible de combustible et
que l'appareil simple exigerait des frais de rectification de
plus.
Aussi l'appareil de distillation continu est-il surtout avan
tageux dans la distillation des |. M. Ch. Derosne, en opé
rant sur du vin très-riche qui contenait de son volume de
33°, a obtenu par une seule chauffe et sans utiliser le rectifi-
cateur, un produit alcoholique qui portait 29°, c'est-à-dire
qu'en se contentant de dépouiller son vin dans la colonne
sans faire revenir de petites eaux sur le rectificateur, il a ob
tenu un produit qui portait un titre commun de 29°. On con
çoit qu'il eût fallu ne se servir que très-peu du rectificateur
pour obtenir une commune de 33°. Ce fait pourra achever
de faire sentir combien l'analyse du vin est parfaite dans la
colonne.
Lorsque M. Derosne annonça son appareil, il affirma que
cet appareil pouvait distiller tous les vins et donner avec tous
par une seule chauffe, tous les titres alcoholiques du com
merce sans le secours de la moindre quantité d'eau ; mais il
a reconnu depuis qu'il s'était trompé dans cette assertion. Il
a reconnu qu'un vin qui contiendrait plus d'un quart de son
volume d'esprit à 33°, ne pourrait pas seul et sans le secours
d'une certaine quantité d'eau, suffire à la condensation et à
la réfrigération des vapeurs produites , parce qu'alors la
quantité de chaleur que les vapeurs abandonnent en se
35a TRAITÉ DE L'ART
liquéfiant et en se refroidissant, est plus grande que celle que
les vinasses peuvent prendre pour conserver l'état liquide.
Cet état de richesse extraordinaire du vin , quoiqu'il ne se
présente pas fréquemment, se rencontre cependant quel
quefois dans le Languedoc, dans les bonnes années.
Pour obvier a cet inconvénient, M. Derosne a proposé
deux moyens , ce serait :
1°. De mélanger au vin une quantité d'eau ou de vinasse
froide qui diminuât sa richesse de manière a mettre la quan
tité de liquide a vaporiser dans une proportion convenable
avec les vinasses que l'on doit en retirer.
.2°. De chauffer et de vaporiser sur la surface supérieure
du réfrigérant une quantité d'eau ou de vinasses froides qui
prendraient ainsi la quantité de chaleur excédante produite
par la condensation des vapeurs.
Cet inconvénient que présente la distillation continue,
n'est rien moins qu'une preuve contre la perfection de l'exé
cution du système ; au contraire, il prouve qu'elle tire de la
chaleur tout le parti possible.
Le cas où le vin ne peut pas seul suffire a la condensation
des vapeurs et a la réfrigération n'est pas la seulement où
l'on retirerait a 33° l'alcohol d'un vin riche a plus de de
cette épreuve ; mais il est encore partout où la quantité de
liquide alcoholique recueillie au-dehors de l'appareil n'est
pas dans une proportion convenable avec la qantité de vi
nasses. Prouvons ces assertions par des exemples.
Rappelons-nous que dans la distillation continue toute la
chaleur dépensée est représentée par celle que les vinasses
bouillantes emportent avec elles en sortant de la chaudière.
Ainsi , si ces vinasses, qui ne peuvent prendre que la tempé
rature de l'ébullition , c'est-a-dire 8o°, ne sont pas assez vo
lumineuses pour absorber toute la chaleur abandonnée par
les vapeurs dans leur condensation, il est évident que le ser
pentin réfrigérant laissera sortir ou du liquide bouillant ou
même des vapeurs non-condensées , ce qui constituerait tou
jours une perte.
Ainsi un vin qui contiendrait j de son volume d'alcohol à
DE LA DISTILLATION. 353
35° , soit 3ooo litres de vin riche a 1 ooo litres de 33°, devrait
évidemment fournir, d'une part par le serpentin 10oo litres
d'esprit , et de l'autre par la chaudière 2ooo litres de vinas
ses. Les 1 ooo litres d'esprit devraient sortir froids conformé
ment aux principes établis, et les 2ooo litres de vinasses ne
pourraient sortir de la chaudière que bouillantes. Il y aurait
donc dans ce cas , a dépenser d'abord en chaleur toute celle
qui est nécessaire à la vaporisation de 1ooo litres d'alcohol a
33°. Calculons cette quantité de chaleur en charbon sur les
données exactes que nous possédons.
1ooo litres d'alcohol a 33° pèsent, a raison de 842 gram
mes au litre , 842 kilogrammes.
Ces 842 kilogrammes se composent ainsi en poids :
6o1 kilog. alcohol pur) o/ , ., ..
241 Id. eau / 842 kll°S- ensembl e.

Pour vaporiser ces quantités de liquides, il faudra :


6o1 kilog. alcohol divisés par 19 , égalent en
charbon 3 2 kilog.
24 1 kilog. d'eau divisés par 7, égalent en
charbon 34
Ensemble 66 kilog.
Je dis 66 kilogrammes de charbon pour la vaporisation
de l'alcohol a 33°.
Voyons maintenant combien de charbon consommeront
les 2ooo litres de vinasses pour arriver a l'ébullition, ce sera :
2ooo divisés par 46, soit 43 kilogrammes de charbon.
Ces deux mille litres de vinasses ne pourront donc pren
dre que la chaleur produite par 43 kilogrammes de charbon.
Or, puisqu'il y a ici une chaleur développée par 66 kilo
grammes, il est évident que les deux mille litres seront in-
suffisans pour déterminer la condensation parfaite , et qu'il
faudrait pour cela ajouter au vin riche a | de 33°, une quan
tité d'eau représentée par celle qui serait nécessaire pour ab
sorber la chaleur produite par 66 kilogrammes moins 43,
e'est-a-dire par a3 kilogrammes de charbon. Ce sera donc
23

1
354 TRAITE DE I.'a.RT
pour ce cas 23 multipliés par 46 ; soit 1 o58 kilogrammes
on litres d'eau ou de vinasses froides.
On voit donc par cet exemple que pour dépouiller un vin
et lui enlever tout son alcohol au titre de 33° par la distilla
tion continue sans besoin d'eau , il faut qu'il contienne iooo
l1tres d'alcohol à ce titre, contre 3o58 litres d'eau, ou ce
qui fait à-peu-près un vin riche à - de son volume d'alco
hol à 33°.
Si l'on opérait par la distillation continue et sans eau sur
un vin riche a j de son volume d'eau- de-vie à 22°, pour la
retirer à ce titre le même inconvénient se présenterait. Soi?,
par exemple, 4ooo litres de vin ; il est évident qu'ici il fau
drait vaporiser 1ooo litres d'eau de-vie à 2 2°, et que l'on
n'aurait pour opérer la condensation et la réfrigération des
vapeurs que la capacité de 3ooo lit. d'eau pour la chaleur.
Voyons de combien cette quantité d'eau serait trop faible.
Les 1ooo litres d'eau-de-vie à 22° pèsent 914 kilogram
mes , qui se composent ainsi :
327 kilog. alcohol ) . , ,,
687 Id. eau / 9' 4 k,,°S- ensemble-
Nous savons que ces 9 1 4 kilogrammes de mélange exige
raient, pour se vaporiser, les quantités de charbon suivantes:
alcohol, 327 kilog. divisés par 19. ..... . 17 kil. charb.
eau 587 Id. divisés par 7 84
Ensemble 1o1 kil. charb.
Les 5ooo litr. de vinasses, de leur côté, ne pourraient
prendre que la chaleur produite par 3ooo divisés par 46 ,
soit 65 kilogrammes.
Il faudrait donc ajouter au vin une quantité d'eau expri
mée par la différence de 1o1 à 65 multipliée par 46, soit
36 multipliés par 46 , soit enfin 1656 kilogrammes ou litres
d'eau.
Ainsi, pour qu'un vin destiné à fournir de l'eau-de-vie à
23° , par la distillation continue, puisse lui-même suffire à
la condensation et à la réfrigération des vapeurs , il faut
ne contienne pas plus de 1ooo litres de cette preuve
DE LA. DISTILLATION. 355
contre 4656 litres d'eau. Il faut donc qu'il ne soit pas riche
a plus de -~ de son volume de 22*. ,
Ces inconvéniens apparens de la distillation continue, que
l'on peut toujours faire disparaître par l'un des deux moyens
de M. Derosne , indiqués ci-dessus , ne peuvent se rencon
trer que dans le Midi , et même assez rarement ; car les vins
riches de ce pays , étant destinés a la fabrication des £ , por
tent même très-rarement ~ de cette preuve.
Dans toutes les autres circonstances, les vins que l'on
distille sont rarement assez riches pour ne pas pouvoir suffire
eux-mêmes a la condensation , même quand on tire a un
degré très-faible, a 19 , par exemple, qui est le titre le plus
bas des eaux-de-vie du commerce ; et il arrive plus fré
quemment que le distillateur a sujet de se plaindre de la
pauvreté de son vin que de sa richesse.

CHAPITRE XI.

Appendice aux systèmes de Distillations,

Pour compléter les notions que nous voulons donner aux


distillateurs sur les différens systèmes d'appareils , nous nous
occuperons, dans ce chapitre, de la distillation au bain-marie
et à la vapeur sans mélange , et de la distillation dans le vide.
SECTION PREMIÈRE.
De la Distillation au Bain-marie et à la Valeur
sans mélange.
En Pharmacie et dans les laboratoires de Chimie, quand
on veut opérer la distillation de corps qui sont vaporisables
h une température plus basse que l'eau , on se sert commu
nément d'un appareil nommé bain-marie. Cet appareil se
compose de deux chaudières de dimension» inégales. La
plus grande est fixe dans un fourneau , et elle est destinée à
recevoir l'autre dans sa capacité , de manière à ce qu'il resie
33.
356 TRAITÉ DE L'ART
entre elles un intervalle que l'on remplit avec de l'eau. Cette
dernière chaudière reçoit la matière que l'on veut distiller
et elle ne reçoit ainsi la chaleur du foyer que par l'intermé
diaire de l'eau. C'est la ce que l'on appelle chauffer au bain-
marie. On conçoit bien que dans cet appareil la matière a
distiller étant en contact avec un corps chauffant ( de l'eau)
qui. ne peut prendre une température supérieure a 8o°,
n'est pas susceptible d'être altérée par une haute tempéra
ture, comme cela arrive fréquemment dans un vaisseau
chauffé a feu nu. Aussi cet appareil est-il surtout usité pour
les opérations délicates où il faut ou chauffer ou vaporiser
une matière facilement altérable par la chaleur.
L'influence que les coups de feu peuvent souvent exercer
sur le goût des produits alcoholiques dans la distillation des
matières fluides, et -a plus forte raison des matières pâteu
ses, fit naître l'idée d'appliquer le bain-marie a la distillation
en grand. Voyez, pour de plus amples développemens sur
cette influence, ce que j'en dis ci-après en traitant des causes
des différens goûts des liqueurs alcoholiques.
Sur le modèle des petits appareils pharmaceutiques , on
construisit des machines distillatoires à double chaudière sur
une grande échelle, et l'expérience ne trompa point l'attente
des fabricans pour l'amélioration qu'ils voulaient donner
par la a leurs produits ; et les eaux-de-vie acquirent d'au
tant plus de qualité par cette méthode que les vins sur les-,
quels on opérait contenaient plus de matières autres que
l'eau et l'alcohol.
Mais si, de ce côté, l'attente d'un meilleur produit était
remplie, d'un autre, l'économie du combustible y avait perdu
considérablement, et, dans cette hypothèse, le bien ne
pensait pas le mal.
Pour nous rendre raison de ce désappointement des dis
tillateurs dans l'établissement des bains mar1e , il suffit de
nous reporter à ce que nous avons exposé précédemment
sur les conditions de chauffage et de vaporisation et sur la
transmission de la chaleur a travers les liquides et les sur
faces métalliques.
Nous avons dit que le chauffage et la vaporisation sont
de ,1a" distillation. 35?.
dépendans, pour leurs intensités, de la différence de tem-f
pératnre qui existe entre le corps' chauffant et le corps a
chauffer. Nous avons fait concevoir comment l'eau se chauffe
par superposition du bas en haut et en vertu de la mobilité
de ses molécules, et nous avons démontré comment le chauf
fage et la vaporisation des liquides sont proportionnés aux
surfaces de chauffe des vases qui les renferment» .
Or, qu'arrive-t-il dans une distillation au bain- marie? La
chaleur du foyer n'est transmise au liquide a vaporiser que
par l'intermédiaire de l'eau ,qui ne peut, sans compression ,
prendre une température supérieure a 8o°. La chaleur de ce
foyer se transmet donc a l'eau avec une vitesse proportion
née a la différence des températures de l'un et de l'autre, et
elle a une propension très-grande a réduire cette eau en va
peurs, qui se répandent ainsi en pure perte dans l'atmos
phère, quand on ne leur oppose pas d'obtacles. D'un autre
côté, le liquide à distiller ne pouvant prendre de chaleur que
, dans l'eau du bain , il ne peut y avoir la qu'une différence de
température très-minime, et par conséquent une force de trans
mission de chaleur presque nulle. Aussi en résulte-t-il que le
vin n'entre pas en ébullition et ne se distille qu'avec une ex
trême lenteur. On conçoit que, dans ce cas, les frais de com
bustible sont surtout faits pour vaporiser l'eau du bain sur
.^lequel s'exerce directement l'action du foyer, et que l'effet
qu'on en obtient dans le vin a vaporiser se borne a le mainte - "
nir constamment a une température voisine de son ébullition.
Il est facile de conclure de la, qu'on eût pu obtenir une force
vaporisante aussi grande dans le vin, avec une quantité de
combustible bien moins considérable, en plaçant la chaudière
a feu nu, et en combinant sa dimension avec celle du foyer,
de manière a ne brûler dans celui-ci que la quantité de com
bustible nécessaire pour maintenir le vin a la température
donnée par le bain-marie. Nul doute qu'avec une semblable
disposition on n'eût obtenu des effets à-peu-près égaux a
ceux du bain pour la qualité. du produit, et que d'un autre on
n'eût économisé considérablement le combustible. > v
D'autres appareils analogues au bain-marie ont aussi été
construits dans le même but, c'est-à-dire poui éviter que le
35S TRAITÉ DE L'ART
vin neTût exposé, dans la distillation, a une température ca
pable de torréfier les matières organiques qu'il porte pres
que toujours avec lui. La chaudière qui le contenait, au lieu
d'être immergée dans de l'eau bouillante, recevait constam
ment des masses de vapeurs qui l'enveloppaient et qui pour
voyaient à la chaleur nécessaire à la distillation du vin.
J'appelle ce mode de chauffage distillation à la vapeur
sans mélange, pour le distinguer du système d''Adam , où
le vin se chauffe par les vapeurs vineuses qui se mêlent pour
faire corps avec lui; et il est évident qu'ici les vapeurs aqueu
ses qui enveloppent la chaudière ne font que transmettre leur
chaleur au vin , a travers les surfaces métalliques , sans que
l'eau produite par leur condensation aille augmenter son vo
lume. C'est donc une distillation a vapeurs sans mélange.
Quoique ce moyen soit peut-être, en pratique , moins dis
pendieux que le bain-marie, il est facile de concevoir qu'il
ne pourrait pas plus que lui , en spéculation , entrer en lice
avec la distillation a feu nu par les appareils perfectionnés.
Le vin n'y est conservé qu'à une température voisine del'é-
bullition , mais sans que ce mouvement soit prononcé.
Dans chacun de ces deux modes de distillation au bain-
marie et à la vapeur, on a imaginé plusieurs moyens pour
obtenir une température plus élevée dans le corps chauffant.
On a, par exemple, comprimé l'eau du bain-marie, ou on ^
lui a ajouté un sel en dissolution pour élever la température!
d'ébullition et établir par-la même une force de transmission
de chaleur plus grande. On a usé des mêmes moyens pour
la vapeur ; mais on sent bien que , dans ce cas , la diffé
rence de température entre le vin a distiller et la vapeur ou le
bain chauffant , ne peut jamais être aussi grande que celle
qui existe entre ce vin et le foyer qui chauffe le bain ou qui
f)roduit la vapeur ; de sorte que la vitesse de transmission de
a chaleur est toujours beaucoup moins considérable. C'est
ce qui assigne a ce mode de chauffage une infériorité dans
la question économique, a laquelle aucun moyen ne pourrait'
remédier complétement.
Je ne sache pas que ce chauffage soit encore usité aujour
d'hui en France pour la distillation ; mais le chauffage des
SE LÀ DISTILLATION. 35g
chaudières a la vapeur sans mélange est très commun en An
gleterre. On l'y utilise non-seulement pour la distillation ,
mais encore pour l'évaporation de la bière , du sucre , etc.
Alors l'on emploie des appareils extrêmement solides et
dans lesquels la vapeur est soumise a une très-haute pression;
la température y est partant plus élevée , et elle peut ainsi
déterminer l'ébullition dans les liquides que l'on soumet a
son action, résultat qu'on ne pourrait obtenir sans cette com
pression. Des appareils de ce genre sont de construction dif
ficile et dispendieuse , et , malgré les précautions dont on
les environne, ils ne sont pas exempts des dangers attachés
à tous les vases où la vapeur est comprimée.
Il est probable que l'on attache en Angleterre plus d'im
portance qu'en France a la qualité des eaux-de-vie de grains,
et que le consommateur consent a payer l'augmentation de
frais que la distillation a la vapeur entraîne dans la valeur
des produits ; car , nous le répétons, tout autres circon
stances égales d'ailleurs, ce moyen de chauffage doit toujours
être plus dispendieux que le feu nu. 11 n'y aurait donc que
dans le cas où la qualité du produit trouverait dans le com
merce un dédommagement suffisant d'un supplément de f1 ais
de combustible, que l'on pourrait s'occuper de distiller a la
vapeur, comme on le fait en Angleterre : peut-être même
serait-il plus simple, dans ce cas, d'opérer a feu nu et d'u
tiliser la rectification ; on arriverait sans doute par cette mé
thode a un résultat aussi parfait. L'expérience des distilleries
de fécules de Paris nous donne au moins une sorte de garan
tie de succès. Nous reviendrons ci-après sur ce sujet..

SECTION DEUXIÈME.
De la Distillation dans le vide.
L'économie du combustible étant le problème le plus im
portant que les inventeurs d'appareils distillatoires aient
cherché a résoudre , en la combinant toutefois avec l'écono*
nlie de main-d'œuvre et la qualité des produits , a fait naître
l'idée à M. Lebon , l'un des ingénieurs les plus distingués
dont la France s'honore, d'appliquer à la distillation la dé
36o TRAITÉ DE L'ART •

couverte de l'immortel Lavoisier sur la vaporisation des li


quides dans le vide.
Lavoisier avait reconnu, en effet, l'influence de la pres
sion atmosphérique sur l'état que les corps affectent a la sur
face du globe ; et il avait démontré, par l'expérience, que
l'éther, qui à i'air libre apparaît a nos yeux sous la forme
liquide, se gazéifie spontanément sous la cloche de la machine
pneumatique dès le moment où l'on y fait le vide. Le même
phénomène se représente, quoiqu'avec moins de rapidité, lors
que l'on remplace l'éther par l'alcohol , l'eau ou toute espèce
de corps liquide. Cette belle découverte de Lavoisier, qui
démontre jusqu'à l'évidence l'influence de la pression sur
l'état des corps , vient d'être consolidée par des faits qui
achèvent de la mettre en évidence. M. Faraday , chimiste
anglais , a en effet publié récemment des expériences qui dé
montrent qu'en augmentant la pression atmosphérique , on
parvient à liquéfier et même a solidifier des corps que nous
ne pouvions obtenir qu'a l'état de gaz à l'air libre.
La pression atmosphérique est donc la seule puissance qui
maintienne les liquides dans cet état a. la surface du globe , et
il est bien démontré que si l'on pouvait supprimer cette pres
sion , toutes les eaux se vaporiseraient ; l'eau trouverait alors
dans sa chaleur propre et dans celle des corps environnans
moins vaporisables qu'elle une quantité de chaleur suffisante
pour opérer sa vaporisation. On conçoit donc que c'est la £
pression atmosphérique qui détermine le degré thermomé
trique de la vaporisation des liquides ; ainsi, l'eau qui se ga
zéifie sous la pression ordinaire à 8o° subit le même change
ment a une température d'autant plus basse qu'on la chauffe
sous une pression moins grande , soit en le faisant sur le som
met d'une montagne, ou sous une cloche dans laquelle on fait
le vide.
On peut donc opérer dans les liquides un même effet (la
vaporisation) par deux moyens ; on le fera en détruisant la presj
sion atmosphérique, et on l'obtiendra encore en appliquant
aux liquides une chaleur qui les dilate, écarte leurs molécules
et surmonte l'effort que la pression de l'air oppose à leur ga
zéification : ces deux moyens sont équivalens quant a l'effet

« I
DE LA DISTILLATION.
vaporisant, mais ils diffèrent quant aux effets qu'ils peuvent
produire sur la Dature des corps vaporisés. La cause de ce^
mode d'agir different sera suffisamment expliquee dans ce
que nous dirons ci-après en traitant des différens goûts des
liqueurs alcoholiques et de leurs causes ; et nous pouvons
déja pressentir, par ce que nous avons exposé dans la sec
tion précédente sur l'utilité de la distillation au baiu-marie
et a la vapeur , nous pouvons déja pressentir , dis-je , que
tout moyen qui opérera la vaporisation du vin sous l'influence
d'une température moins élevée , sera favorable à la qualité
des produits.
. Telle est la seule cause qui, en pratique , assignerait à la
distillation dans le vide une supériorité sur la distillation par
élévation de température. Cette face de la question n'est pas
susceptible de la moindre objection ; mais il n'en serait pas
de même, a mon avis, si l'on voulait faire valoir l'économie
de combustible.
En effet, le combustible dans la distillation est la seule
puissance mécanique que l'on emploie par les moyens ordi
naires ; mais si l'on voulait vaporiser dans le vide, il faudrait
employer une autre puissance mécanique pour faire ce vide,
et cette puissance exigerait évidemment une dépense propor
tionnelle à l'obstacle 'a surmonter : ce pourrait être un moteur
quelconque appliqué à un piston , qui recevrait un mouve
ment de va-et-vient dans un cylindre fixé sur l'orifice de la
chaudière. Le vide serait ainsi d'abord créé en quelque sorte
sur le vin a vaporiser ; et comme celui-ci subirait spontané
ment une vaporisation dont le produit viendrait remplacer la
couche d'air absorbée par le piston , il faudrait aussi enlever
constamment ce produit pour le soumettre a la condensation
dans un réfrigérant, et maintenir sur la chaudière le vide
nécessaire à une vaporisation continue.
Il est évident que, dans ce cas, les vapeurs, se produisant
hors de l'influence de la pression atmosphérique, occupe-.
raient un volume immensément plus grand. Que l'on juge
par-la de la dépense de force qu'il faudrait faire pour pom
per les vapeurs produites par 1oo lit. d'eau , par exemple,
qui, sous la pression atmosphérique, donnent déja un volume
de vapeurs égal a 1 7o,ooo l1tres.
36s TRAITÉ DE L'ART
On peut , il est vrai , réduire beaucoup cette dépense dff
force mécanique matérielle , en la combinant avec celle de
la chaleur , et opérer de manière a produire la vaporisation
à 4o ou 5o° de chaleur , comme le célèbre Howard l'a exé
cuté en Angleterre pour l'évaporation des dissolutions si
rupeuses des raffineries ; mais il resterait encore a calculer
ici , si la puissance mécanique nécessaire pour détruire une
partie de la pression atmosphérique , n'est pas déja beaucoup
plus dispendieuse que celle que l'on obtient par le combusti
ble seul. Je n'ai pas été a même de faire ce calcul sur des
données-pratiques certaines ; mais je n'en doute pas moins
un seul instant que le résultat de ce calcul ne fût tout entier
en faveur de la vaporisation par le calorique a l'air libre.
L'application que l'ingénieur Lebon avait la signalée, de
la découverte de Lavoisier, me paraît donc surtout faible et
impraticable aujourd'hui comme moyen d'économiser le
combustible. Ce serait économiser une puissance pour hV-?e-<-
produire, sous une autre forme , par une dépense plus con
sidérable. Aussi cette application est -elle demeurée sans
suite , même en Angleterre , où d'antres moyens industriels
plus difficultueux reçoivent chaque jour une extension éton
nante.

CHAPITRE XII.

De quelques moyens auxiliaires de la distillation


pratique.

Nous devons encore au distillateur quelques notions ac


cessoires sur difierens moyens que la pratique doit connaître,
pour procéder a la distillation. Ces moyens qui se rattachent
plus particulièrement a la pratique mécanique de l'art, de
vaient trouver ici leur place naturelle.
DE LA DISTILLATION. 363
SECTION PREMIÈRE.
Des moyens de reconnaître la quantité d'alcohol contenu
dans un vin.
Depuis long-temps ces moyens sont l'objet de constantes
recherches de la part des artistes et des manufacturiers qu'ils
interessent. Mais jusqu'a présent les résultats de ces recher
ches ont été peu satisfaisans. Cependant , de quel avantage ne
serait-il pas pour le brûleur et le distillateur en général, de
pouvoir apprécier, à l'aide d'un instrument facilement ma
niable, la quantité exacte d'alcohol contenu dans un liquide
quelconque ! Le brûleur pourrait ainsi déterminer , d'une
manière invariable, la valeur vénale des vins qu'il achète , et
marcher sur une base fixe dans ce genre de transactions , qui,
dans nos contrées méridionales , présentent , vu leur impor
tance, un haut degré d'intérêt.
Si les moûts que l'on soumet à la décomposition alcoho-
lique ne comportaient , dans leur constitution , que de l'eau
et du sucre, si ces deux corps, aidés du calorique, sans le
secours d'autres agens matériels, pouvaient subir une fer
mentation parfaite; si le sucre, dans cette fermentation, se
trouvait complétement métamorphosé en alcohol , rien ne
serait plus facile alors que de déterminer le titre alcoholique
d'un vin, d'une manière aussi exacte qu'on détermine dans
le commerce celui des eaux-de-vie et des esprits. L'aréomètre
pèse-liqueur pourrait servir h l'un comme il sert aux autres,
et il le ferait avec une perfection sinon mathématique , au
moins suffisante pour les besoins spéculatifs du commerce.
Pour bien se pénétrer de cette vérité, il suffira de se re
porter à ce que nous avons dit dans notre première partie
du pèse-liqueur , propre à déterminer la densité des liqueurs
alcoholiques ; et il est évident que si un vin ne contenait que
de l'eau et de l'alcohol , il rentrerait alors dans la classe des
eaux-de-vie , dont il ne différerait que par un moindre degré
de spirituosité. L'aréomètre s'enfoncerait ainsi d'autant plus
dans le vin , que celui ci contiendrait plus d'alcohol , et don
nerait une indication suffisante de sa richesse $ mais il n'en
est pas ainsi.
364 TRAITÉ DE L'ART .
Quelle que soit la vieillesse des vins , et par conséquent
quel que soit le degré de décomposition alcoholique qu'une
fermentation insensible et long-temps prolongée ait pu faire
subir a leur matière sucrée, celle-ci ne disparaît jamais com
plétement.
Il y a plus, les vins que l'on destine a la chaudière n'ont
jamais assez d'âge pour ne plus contenir qu'une trace peu
remarquable de sucre, et pour qu'ils soient complétement
dépouillés par la clarification du levain et des matières ex-
tractives qu'ils retiennent en dissolution; de sorte que cette
circonstance ne fait rien moins qu'atténuer l'imperfection
de l'aréomètre, comme moyen propre a remplir le but qu'on
se propose. Et si nous ajoutons a ces causes de difficulté la
présence plus ou moins volumineuse du tartre dans les di
verses espèces de vin, tartre qui contribue, comme le sucre,
à rendre la densité du liquide plus grande, on concevra
comment le calcul se complique et comment tous les inslru-
mens aréométriques offerts jusqu'a ce jour au commerce,
sous divers noms, ont une imperfection si grande, pour ne
pas dire une nullité presque complète.
Les plus remarquables ont été présentés au public sous
les noms d'alcoholomètre, œnomètre, pèse-vin, pèse-bière,
etc. ; et les fabricans les débitent encore comme des instru-
mens utiles. Je crois en avoir assez dit pour faire sentir a
ceux qu'ils intéressent toute l'insuffisance des indications
qu'ils donnent ; il me suffira d'ajouter un mot sur chacun
d'eux en particulier, et d'indiquer les seules circonstances
o11 ils puissent être employé?.
Alcoholomètre de M. Alègre.
Tel est le nom que M. Alègre a donné a une espèce
d'aréomètre qu'il destine a mesurer la quantité d'alcohol
contenue dans le vin. Sa construction , quoique ingénieuse
ment conçue, ne l'a point dégagé des vices inhérens à
ce genre d'instrumens ; elle est compliquée, et sous ce rapport
l'inventeur n'a fait qu'augmenter la valeur dé l'outil sans
lever aucune des difficultés. Nous ne signalerons donc l'al-
coholomètre a nos lecteurs que pour les mettre en garde
DE LA DISTILLATION. 365
contre une depense qu'ils pourraient faire inutilement pour
se procurer un mauvais instrument. L'alcoholomètre de M.
Alègre n'a pour lui que le nom de son auteur ; il devrait ,
pour remplir sa destination, être une mesure de l'alcohol,
mais c'est ce qui n'est point ; le principe sur lequel sa con
struction est fondee le fait rentrer dans la classe des aréo
mètres , et l'entache par conséquent de l'insuffisance attachée
à ce genre d'instrumens pour l'essai des vins.

(Enomètre, Pèse- Fin et Pèse-Bière.

Tels sont les noms que le charlatanisme a crée's pour


désigner un seul et même instrument qu'il destine à mesurer
la vinosité des diverses boissons fermentées. C'est une espèce
d'aréomètre qui ne diffère de celui de Cartier qu'en ce qu'il
a un tube gradué d'un diamètre plus petit, de manière a
pouvoir indiquer d'une manière plus sensible les diverses
nuances de pesanteur que peuvent présenter les vins ; mais
il ne détermine en aucune manière et ne peut pas plus dé
terminer que l'aréomètre de Cartier le titre alcoholique des
vins. Il peut seulement, pour ceux d'un même cru, indiquer
la supériorité que l'un a sur l'autre, quant à la quantité d'al-
cohol qu'il retient. Mais si l'on s'en servait comme d'un
moyen de comparaison entre les vins de crus différens, on
pourrait commettre des erreurs graves. Ces erreurs seraient
plus graves encore si l'on se servait du pèse-vin pour se
fixer sur la valeur alcoholique des vins de diverses contrées.
Dans les vins de Bourgogne et de Champagne , par exem
ple, l'œnomètre pourrait plonger jusqu'a 6 , 7 et même 8°;
tandis qu'il n'indiquerait qu'un degré dans les vins généreux
du Midi. Ce serait donc abusivement ici que, sur la foi de
cet instrument, on croirait les vins de Bourgogne et de
Champagne plus chargés d'alcohol que ceux du Midi ; cela
est évidemment contradictoire , puisque la distillation dé
montre que les vins du Midi rendent beaucoup plus d'eau-
de-vie que ceux de Bourgogne. La cause de cette erreur
pourrait être dans la décomposition plus complète du sucre
dans les vins de Bourgogne que dans ceux du Midi, et, d'un
366 TRAITÉ DE L'ART
antre côté, dans la présence d'une quantité de tartre bien.
plus considérable dans ceux-ci que dans les premiers. On
sait en effet que les vins de Champagne et de Bourgogne ne
contiennent qu'une quantité minime de tartre, tandis que
les autres en contiennent en abondance. On sait de plus , #
par les faits que nous avons émis précédemment, que les
vins de Bourgogne, étant fabriqués avec des moûts qui ne
pèsent que 8 a 1o°, ont bien plus vite décomposé leur sucre
que ceux du Midi, qui proviennent de moûts qui pèsent
jusqu'à 1 6° et plus a l'aréomètre.
On ne peut donc se servir de l'œnomètre que pour établir
une comparaison entre les vins d'un même cru et d'une
même essence. On peut juger par-la combien cet instrument
est imparfait et borné dans son usage. L'aréomètre de Car-
lier peut d'ailleurs pour ce genre d'indication être aussi utile
que l'œnomètre , le pèse-vin et le pèse-bière.
Pour les bières , les mélasses et toutes les autres matières
fermentescibles, l'œnomètre présente les mêmes inconvéniens
que pour les vins de raisins. En effet, dans les vins de ces
diverses substances, il reste toujours après la fermentation du
sucre non décomposé ou un corps qui , étant comme lui plus
pesant que l'eau, augmente la densité du vin de manière à
rendre l'emploi de l'aréomètre sinon impossible , du moins
inexact. Ce corps est souvent un mucilage ou un acide ap
partenant au végétal, ou formé pendant la fermentation vi
neuse.
L'œnomètre dans ce cas ne peut donc servir que de moyen
de comparaison entre les vins formés non-seulement avec un
même végétal , mais encore avec des mêmes qualités de ce
même végétal ; et l'aréomètre de Cartier peut aussi bien que
lui remplir cette fonction.
Dans tous les cas où l'on voudra se servir de l'œnomètre
ou de l'aréomètre , il sera toujours utile d'user , pour les li
quides que l'on voudra soumettre à l'épreuve, de la précau
t1on que nous avons indiquée pour l'emploi de celui-ci ;
c'est-a-dire qu'il faudra procéder de manière à ce que la
température des liquides soit toujours la même, et il suffira
pour cela de les ramener , comme nous l'avons dit , au tem-
... *

i
DE LA DISTILLATION. 067
péré , 1o°. Sans cette précaution, on pourrait commettre des
erreurs matérielles.
Petit Alambic d'essai de M. Decroizilles.
Quoique cet instrument laisse encore beaucoup a désirer
sous le rapport de la célérité avec laquelle il détermine la
valeur vénale des vins, je crois cependant devoir le recom
mander d'une manière particulière. 11 ne fonctionne pas , a
la vérité, d'une manière aussi facile et aussi prompte que le
ferait un aréomètre , mais il a au moins sur celui-ci l'avan
tage de l'exactitude et de la précision. Il ne parle pas aussi
vite qu'on pourrait le désirer dans les circonstances où l'on
a besoin de son secours , mais ce qu'il dit, il le dit bien.
Je produirai ici la description qu'en fait M. Decroizilles
lui-même, dans un ouvrage qu'il donne aux personnes qui
font l'acquisition de son appareil ( 1 ).
« Le petit alambic en étain fin est d'une forme agréable :
il réunit toutes les facilités pour les opérations auxquelles
il sert. Il n'exige aucun collement en papier, aucun lut, etc.:
toutes les jointures sont cependant très-exactement fermées.
Peu d'instrumens sont plus convenables que celui-ci pour
inspirer aux jeunes gens et aux personnes les moins
instruites, le désir d'étudier les arts du distillateur, du parfu
meur et du liquoriste, et par suite la Chimie générale.
Presque toutes les parties de cet instrument ont des en
veloppes de toile , au moyen desquelles on emballe le tout
en un moment, avec autant de facilité que de sûreté contre
leurs frottemens réciproques, dans un sac oblong qui, a son
tour, est mis dans une boîte cylindrique de fer-blanc, du
diamètre de 3 pouces et demi , et de la longueur de 16 pou
ces ; le couvercle de cette boîte est lui-même une partie essen
tielle de l'appareil distillatoire ; le tout enfin , mis dans un
dernier sac , est susceptible de se transporter sans accident
partout où on le désire. Le poids est d'environ 6 livres et
demie, y compris celui d'un vase en étain plein d'alcohol

( 1 ) Cet appareil se vend chez l'auteur , rue Neuve des Bons-


Enfan» . n°. 7 . à Paris. ,
368 TRAITÉ DE L'ART
et qui est essentiel à l'arrimage par lequel on évite les frot-
temens pendant le transport.
La figure 2 , planche 7 , est une coupe verticale et longi
tudinale du petit alambic monté comme il l'est pendant la
distillation.
a a, est le support ou réchaud : il consiste dans une feuille
de fer-blanc , roulée en forme de manchon et agrafée. Entre
les deux ouvertures horizontales supérieure et inférieure , il
se trouve antérieurement et postérieurement deux grandes
ouvertures ovales destinées a laisser passer la lampe à esprit
de vin b , et à donner a la flamme une grande affluence d'air ;
ce qui est indispensable pour qu'elle chauffe promptement
et avec économie.
ce, est la chaudière en étain, dont le fond ac est en
cuivre étamé.
dd, est un manchon en étain, sans fond , s'ajustant par
sa partie inférieure a la chaudière, a laquelle il sert de hausse
pour remédier aux gonflemens ou dégorgemens pendant la
distillation. Cette hausse offre a sa partie inférieure interne
un petit rebord saillant pour retenir au besoin une petite
plaque d'étain criblée de trous , et sur laquelle on pourra
placer du marc de raisin ou des fleurs , feuilles , semences
aromatiques , etc., qu'on y entasse sans craindre qu'ils se
brûlent, et qu'on recouvrira d'une plaque ou grille sembla*
ble.
E e, est le chapiteau en étain , offrant deux ouvertures ,
l'une latérale et l'autre verticale.
F, est un vase en fer-blanc ; il est destiné a fixer le sup
port G g du tuyau distillatoire et a recevoir l'eau qui s'é
coule du réfrigérant. Il sert aussi de couvercle à la boîte
cylindrique dans laquelle on enferme tout l'appareil pour le
transporter au loin.
Gg, est un support ou baguette d'étain : sa partie infé
rieure g est fendue , pour s'ajuster au vase de fer-blanc F ;
sa partie supérieure G est terminée par un croissant qui y
retient le tuyau distillatoire H h.
Hfe, est un tuyau conique d'étain, terminé vers h par un
coude qui s'ajuste au récipient de verre ou miliilitrimètre lit
de la Disnii-ATiow. 369
Ce tuyau est extérieurement revêtu d'une enveloppe de
toile , dont la couture offre a la partie supérieure une espèce
de goutière inclinée , destinée a l'écoulement provenant de
l'entonnoir Oo. '
hl, est un support en fer-blanc, servant a élever autant
que de besoin le récipient 1/ ; sa partie inférieure est un
manchon entrant à frottement dans la partie supérieure,
faile en forme de couvercle percé dans les trois-quarts de
son diamètre.
Mm, est un anneau d'étain avec deux pieds inégaux ,
dont un , le plus court m , entre dans l'enfoncement prati
qué au bouchon du chapiteau près de E. La figure 4 offre
une perspective de cet anneau destiné a porter l'entonnoir
Oo.
Oo, est un entonnoir fermé en o par un robinet qui s'ou
vre à volonté , pour en laisser écouler l'eau plus ou moins»
vite.
La figure 3 est une baguette d'étain un peu pointue et à
laquelle sont fixées quatre ou cinq rondelles ou disques ,
dont les diamètres décroissent a mesure q&'ils s'approchent
de la pointe. Cette partie da l'instrument s'appelle porte-dis
que ou modérateur. Elle est destinées être introduite dans
le tuyau distillatoire, pour obliger les vapeurs- qui le traver
sent a s'approcher de ses parois refroidies , où elles se coa»
densent avant d^arriver a l'extrémité h de ce tuyau.
Voici maintenant la manière de monter le petit alambic
et d'en faire usage, pour connaître la proportion d'eau-de-
vie que doit donner en grand le vin soumis à l'essai.
Il faut d'abord commencer pan abreuver d'eau toutes les-
jointures garnies de fil , qui par ce moyen se gonflent ,
consolident l'assemblage et s'opposent à la déperdition des
vapeurs ; ayez surtout bien soin d'abreuver d'eau avec les
mains mouillées la toile qui est fixée au tuyau Hk , et ce,
avant de mettre ce tuyau en place. Sans cette précaution^'eau,
qu'on laisse échapper de l'eutonnoir se distribuerait inéga
lement sur cette toile et ne prendrait pas l'écoulement con-
v enable.
Joignez ensuite la hausse dd\ la chaudière ce , et met-
24

,
ZfÙ TRAITÉ DK L'ART -
tez dans celle-ci au moins 2 décilitres et jamais plus Je 4
décilitres du vin à essayer : la dose la plus convenable est
de 5 décilitres.
Posez après cela le chapiteau E e , puis placez l'alambic
sur le fourneau on réchaud àà.
Placez la baguette ou support G g sur le vase F1
Introduisez le porte-disque, figure 3 , dans le tuyau Hft*
Ajustez ce tuyau au chapiteau Ee, et soutenez-le dans
-sa position inclinée au moyen du support G g.
Mettez en place l'anneau M m, figure 4 , garni de ses deux
pieds , dont le plus conrt doit être introduit dans l'enfonce
ment du bouchon du chapiteau , et le plus long sur le milieu
de la goutière de toile du tuyau H h.
Posez ensuite l'entonnoir O o , sur cet anneau, puis met
tez de l'eau -dans cet entonnoir dont le robinet ne doit être
ouvert qu'au moment où la distillation va commencer.
Mettez le récipient I £ sur le support L / et introduisez-y
le coude h du tuyau H h.
^Emplissez d'esprit de vin du commerce à 3o° au moias
la lampe A, garnie de son porte-mèche en cuivre et d'une
mèche bien fournie en coton filé , mettez-y le feu et placez-
la sous la chaudière &c.
Ordinairement au bout d'un quart-d'heure la distillation
commence et, un autre quart-d'heure après, elle est terminée.
Aussitôt que vous sentez le chapiteau s'échauffer , ouvrez
convenablement le robinet de l'entonnoir , pour produire
sur la toile qui enveloppe le tuyau un écoulement d'eau tel>
que la toile étant bien mouillée et l'eau s'évaporant en par
tie en (orme de fumée , il eH tombe encore continuellement
des gouttes dans le vase 'F.
Lorsque le chapiteau *t le gros bout du tuyau sont telle
ment chauds qu'on ne peut y tenir la main , on voit l'alco-
hol tomber par gouttes dans le récipient , tandis que l'eau.
qui tombe de l'entonnoir et qui s'évapore en partie , pro
duit le refroidissement nécessaire a la condensation.
Les bons vins ordinaires produisent le cinquième de leur
volume en ean-de-vie preuve de Hollande , c'est-a-dire aa
plus a 2o°. Mais dans une distillation simple comme celle-ci,
DE LA DISTILLATION.
on ne peut obtenir cette quantité que délayée dans une quan
tité excédante d'eau distillée , que le vin produit en même
temps sur la fin. Ordinairement donc , pour obtenir toute
l'eau-de-vie , il faut faire passer au moins le quart du vo
lume du vin mis en distillation. Les premières portions qui
passent sont les plus fortes : le reste s'affaiblit peu a peu.
Aussi voit-on que ce qui passe sur la fin étant plus pesant ,
c'est-a-dire plus aqueux , gagne le fond du récipient en
traversant sous la forme de stries l'eau-de-vie plus forte ,
c'est-à-dire plus légère, qui se tient a la surface, avant qu'on
en ait opéré le mélange en secouant un peu le tout.
La chaudière ce , contient un peu plus de 4 décilitres :
mais il ne faut jamais outre passer cette quantité , parce que,
si on en mettait au-dela de la jonction de la chaudière avec la
hausse , le vin s'écoulerait par cette jonction ; mais les va
peurs ne la traversent pas , n'étant pas comprimées comme
elles doivent l'être dans les grands alambics , lorsqu'on se
propose d'obtenir de l'eau-de-vie qui n'ait pas besoin d'être
concentrée par une seconde distillation.
Le récipient gradué en verre I i étant rempli jusqu'au haut
de son échelle, offre un vingtième de litre ou un demi- déci
litre. Les six mesures donnent 3 décilitres. Si vous avez mis
celte quantité de vin en distillation et si vous substituez mo
mentanément un verre ou un autre récipient, lorsque la li
queur distillée dans le récipient ordinaire aura atteint le haut
de son échelle, c'est-a-dire, lorsqu'il y aura un sixième de
ce volume passé en distillation , alors en secouant un peu
cette liqueur au moment où vous boucherez avec le pouce
l'orifice du récipient, et y plongeant ensuite le pèse-liqueur ,
vous pourrez voir que vous avez obtenu de l'eau-de-vie
donnant 18 degrés et plus.
Versez cette eau-de-vie dans une bouteille et replacez le
récipient ordinaire. Versez aussi dans cette bouteille l'eau-
de-vie plus faible qui sera dans le verre, et continuez la
distillation jusqu'a ce que vous aperceviez que ce qui passe
n'est plus que de l'eau. Les gouttes reçues sur le bout du
doigt que vous passerez ensuite sur la langue, vous donne
ront suffisamment cet indice.
34.
TRAITÉ DE L'ART
Mélangez ensuite tout le produit de la distillation , ef
voyez ce qu'il marque au pèse-liqueur ; mesurez aussi le
volume du produit. C'est dans cette occasion qu'on voit com
bien le tube récipient est une mesure commode pour les li
quides, par les subdivisions qu'il offre en millilitres et même
en demi-millilitres. »
Il serait inutile de transcrire ici tous les autres renseigne-
mens que M. Decroizilles donne sur l'emploi de son appa
reil. On peut juger par ce que je viens de citer de l'ouvrage
de l'auteur , que l'appareil remplit parfaitement son but.
SECTION DEUXIÈME.
Description d'une Éprouvette destinée à indiquer le
titre de Valcohol à toutes les périodes de la dis
tillation.
Dans un travail de distillation , le manége des appareils
perfectionnés dépend du titre auquel ou veut retirer l'alcohol,
et ce titre se mesure avec l'aréomètre. A cet effet, on remplit
de la liqueur a mesurer l'enveloppe de verre ou de métal qui
accompagne ordinairement l'aréomètre, et l'on recueille
cette liqueur immédiatement au sortir de l'alambic; l'on re
connaît ainsi si l'appareil la donne au titre voulu , et on le
dirige en conséquence ; c'est encore par ce moyen que l'on
reconnaît , dans la distillation simple , le moment où le vin
est épuisé de son alcohol ; il en est ainsi lorsque la liqueur
ne donne plus a l'aréomètre que le degré de l'eau.
Il est facile de concevoir que , dans un travail continu ,
l'ouvrier distillateur est souvent obligé de procéder à cette
épreuve , soit pour régulariser , soit pour reconnaître le
titre de sa liqueur. ,
Pour obvier a ces manipulations continuelles, l'on a
imaginé une éprouvette , qui doit se trouver constamment
placée à l'orifice extérieur du serpentin , et qui indique a
toutes les périodes du travail le titre aréométrique du li
quide que celui-ci fournit. Voici comment est construite et
disposée cette éprouvette :
C'est un tube cylindrique en fer-blanc, ouvert a sa
partie supérieure et fermé de l'autre comme les éprouvettes
DE I.A DISTILLATION. $j3
ordinaires; on lui donne 3 decimètres environ de hauteur
sur 3 a 4 centimètres de diamètre.
A la partie inférieure de ce cylindre et latéralement,
se trouve adapté un tuyau conducteur de même matière
soudé et coudé de manière a ce qu'il remonte verticalement
et parallèlement à l'éprouvette jusqu'au-dessus de son ni
veau supérieur, où il se termine par un petit entonnoir.
A la partie supérieure de l'éprouvette, se trouve un double
cylindre qui, par sa disposition et son application en forme
de double vase soudé sur celle-ci , est destiné a recevoir son
liquide par trop plein, et a le porter, par un petit tuyau
d'échappement , dans le bassiot ou autre vase où l'on veut
le recueillir.
Cet instrument se place ordinairement sons l'ouverture
inférieure du serpentin réfrigérant, de manière a ce que
celui-ci déverse son liquide dans l'entonnoir de l'éprouvette.
Qu'arrive-t-il alors? ce liquide arrive par le petit tuyau qui
/ait suite à l'entonnoir, entre par la partie inférieure du
cylindre de l'éprouvette, vient remplir sa capacité et se dé
verser par-dessus les bords jusque dans le double cylindre
•de trop plein, d'où il est transporté dans un réservoir quel-
.ooDque , soit un bassiot, une barrique ou une citerne.
On laisse continuellement dans le cylindre l'aréomètre ,
et, dans une succession de travail, ce cylindre contenant
toujours le dernier liquide fourni par l'appareil, l'aréomètre
en indique la densité, sans que l'ouvrier doive jamais se
donner d'autre peine que d'y jeter les yeux.
Cette disposition est très-utile et très-simple ; c'est une
application exacte du renouvellement des liquides dans les
vases en raison de leur pesanteur.
En effet, si l'on introduisait constamment la liqueur alco-
holique dans une éprouvette simple , et qu'il y eût abaisse
ment dans le titre, il y aurait un dédoublement continuel ,
qui pourrait induire l'ouvrier en erreur s'il n'avait pas la
précaution, a chaque nouvelle observation, de vider l'éprou-
vefte'pour la remplir du liquide qu'il veut mesurer; et, de
plus, le mouvement que la liqueur recevrait par sa chute
dans l'éprouvette ne laisserait point l'aréomètre dans un
TRAITÉ DE L'ART
repos qui faciliterait l'observation sans déplacement. On
évite ces inconvéniens en faisant arriver constamment la
liqueur alcoholique par le fond de l'éprouvette, et comme
le cas qui se représente le plus souvent dans la distillation
pratique est l'abaissement dans le titre, la liqueur la plus
lourde arrivant par le fond déplace la plus légère a la partie
supérieure, et vient ainsi se soumettre a une évaluation
aréométrique exempte de toutes causes d'erreur.
SECTION TROISIÈME.
Des Luts.
Lorsque l'on monte un appareil, il est essentiel de veiller
à ce que toutes ses parties soient parfaitement réunies, et
que les jonctions ferment bien et ne puissent pas donner pas
sage a la vapeur.
Pour les jonctions a brides qui se rapprochent a vis et a
écrous , on les ferme facilement et hermétiquement en inter
posant , comme nous l'avons déjà dit , des rondelles de car
tons frits entre les pièces qui doivent être serrées l'une con
tre l'autre ; ces cartons frits sont des cartons ordinaires que
l'on a découpés sur les parties mêmes où ils doivent être pla
cés, et que l'on a eu la précaution de faire frire dans un
corps gras, tel que l'huile , le beurre ou le suif, avant de
les employer. Par ce moyen , et si les collets sont d'ailleurs
bien traités , les jonctions sont parfaites et ne peuvent ,
en aucune manière , livrer passage à la vapeur.
Pour les autres modes de jonction par emboîtage, il est
indispensable d'employer des mastics connus sous le nom
de luts , que l'on enfonce entre les parties , ou que l'on ap
plique sur les fissures qu'elles peuvent laisser entr'elles.
L'on a varié beaucoup la composition des luts , nous ne
donnerons que les principaux.
Lut à la chaux et à l'albumine.
Ce lut est celui que l'on emploie plus généralement dans
Jes laboratoires pharmaceutiques ou chimiques ; on le forme
alors avec des blaucs d'œufs et de la chaux éteinte avec de
l'eau (hydrate de chaux ); on mélange ces deux matières
« «
. ra

*
DE tA DISTILLATION. SyS
dans des proportions convenables pour faire une bouillie
claire , que l'on étend sur des bandes de papier ou de linge t
pour les appliquer sur toutes les jonctions des appareils.
Ce lut a une propension très-grande a se g1 umeler , et il
faut l'employer aussitôt qu'il est préparé , parce que , dès
le moment où il se grumèle , il se prend en masse élastique,
et ne peut plus être d'aucun usage comme lut.
L'on pourrait diminuer la propension qu'a ce lut a se
grumeler en délayant les blancs d'œufs avant dé les employee
dans une petite quantité d'eau ; alors le lut sèche moins ra
pidement et se conserve plus long-temps liquide.
Le blanc d'œuf n'ayant la propriété de composer un lut
avec la chaux que parce qu'il contient de l'albumine , il est
évident que tous les corps albumineux auront la même pro
priété.
Aussi peut-on obtenir des résultats semblables en substi
tuant le sang aux œufs : cette substitution offrirait un grand
avantage en manufacture, si l'on devait faire un grand usage
de cette sorte de lut , à cause de la différence qui existe entre
la valeur du sang et celle des œufs.
Zut à la potasse et à l'albumine.
La potasse du commerce a la propriété de former un com*
posé avec l'albumine analogue a celui que forme la chaux.
Tous les corps divisés qui cont1endront de la potasse pour
ront donc composer un h1t avec les matières chargées d'al
bumine.
C'est ce que l'on obtient aveo économie dans les arts , en
formant avec le sang de bœuf et les cendres de bois non
flotté une bouillie épaisse , qui forme en séchant un mastic-
très-solide et très-dense.
Les blancs d'œufs délayés ou non délayés avec de- l'eau
formeraient avec les cendres un lut analogue.
Lut à la chaux ou à ta potasse combinées avec
la matière caséeuse.
La matière caséeuse appartient au lait , et c'est a cette
matière que le lait doit la propriété de donner du fromage.
TRAITÉ DE L'ART
Cette matière caséeuse , isolée du lait à l'état de fromage
frais et mélangée avec de la chaux fusée, forme l'un des
luts les plus solides que nous connaissions ; aussi est-il celui
que les chaudronniers appliquent de préférence sur les
jonctions de leurs chaudières clouées.
Les cendres de bois non flotté forment avec la matière
caséeuse un lut qui est assez solide , quoiqu'il ne présente
pas , après la dessiccation, toute la ténacité de celui qui est
préparé aveG la chaux. On sent que l'on pourrait substituer
sans inconvénient a cette matière caséeuse le lait qui la pro
duit ; il n'y aurait alors de différence que dans la consis
tance du lut, qui devrait être plus clair et plus lent à sécher.
Lut à la farine de froment.
La farine de froment , délayée avec de l'eau , à la consis
tance de pâte claire , forme une matière qui acquiert par
dessiccation une dureté assez grande : c'est ainsi que les
distillateurs de grains et de pommes de terre préparent gé
néralement le lut qu'ils appliquent sur les jonctions de leurs
appareils.
On peut appliquer cette espèce de lut comme tous les au
tres , ou en pâte consistante , que l'on enfonce dans les ou
vertures a luter ; ou en pâte claire , que l'on étend sur des
bandes de papier ou de linge.
On peut incorporer dans chacun de ces luts différentes
matières, tels que l'argile et le carbonate de chaux; elles
contribuent a leur donner moins de ténacité et d'adhérence ;
mais ces dernières matières, employées seules, formeront
toujours de mauvais luts pour les appareils distillatoires. Le
plâtre est dans la même classe, à cause de la propriété
qu'il a de sauter a la chaleur ; on devra donc aussi le pros
crire.
Dli LA DISTILLATION. 3y7

CHAPITRE XIII.
Des différens goûts qui caractérisent les liqueurs
alcoholiques.
Quo1que toutes les liqueurs alcoholiques soient , comme
les vins qui les produisent , des composés essentiels d'eau et
d'alcohol , le fait prouve cependant que les goûts de ces li
queurs sont aussi variés que ceux des vins et des fruits qui
sont susceptibles de subir la fermentation vineuse. Ainsi ,
non-seulement nous trouvons des nuances distinctes entre
les saveurs des eaux-de-vie de raisin , de cerises , de sucre
de canne, de riz, de grains, de pommes de terre; mais
encore ces nuances varient autant que les diverses espèces
d'un même fruit , les procédés de distillation étant d'ailleurs
les mêmes. De la , les distinctions que l'on fait entre les
eaux-de-vie de Languedoc, du Bordelais, d'Armagnac, de
Cognac, d'Aunis, de Saintonge, de la Rochelle, de l'Or
léanais, de Barcelone, de Naples, etc., quoique ces eaux-
de-vie soient toutes les produits de la distillation des vins
de raisin ; mais les raisins sont de qualités différentes, sui
vant les sols et les climats où ils sont cultivés ; et de même
que ces nuances de qualités s* reproduisent toujours dans
les vins, de même elles se représentent encore dans les pro
duits de la distillation de ces mêmes vins.
Ces faits sont incontestables et sont parfaitement connus
de tout le monde.
Ces particularités de goût et d'odeur qui nous offrent les
moyens de distinguer les liqueurs alcoholiques les unes des
autres, ne nous permettent pas plus de les considérer comme
identiques, que nous ne pouvons considérer comme tels la
foule immense de fruits qui peuvent les produire. Ainsi nous
distinguons le kirsch de l'eau-de-vie de raisin presque aussi
facilement que nous distinguons les cerises des raisins. Il
faut donc que dans les eaux- de-vie où nos moyens chimi
ques ne nous font reconnaître réellement que de l'eau et de
l 'alcohol purs, il faut donc qu'il y ait quelques corps par-
TRAITÉ DE L'ART « 1
ticuliers dont les proportions minimes échappent a l'analyse,
mais dont les propriétés sont assez énergiques pour affecter
nos organes et constater leur existence. Sans l'admission de
cette hypothèse , il faudrait supposer que l'alcohol , qui est
le principe constitutif et distinctif des liqueurs vineuses,
n'est pas identique dans toutes. Cette supposition pourrait
bien être fondée ; mais elle se refuse encore a une démon
stration saiisfaisante : elle intéresse d'ailleurs plus particu
lièrement la science que la pratique, et nous pourrons, sans
son admission, trouver dans notre théorie chimique des
moyens d'expliquer les causes des odeurs et des goûts variés
des liqueurs alcoholiques; ces moyens de solution se pré
senteront avec d'autant plus de vraisemblance, qu'ils trou
vent dans la pratique de l'art des preuves matérielles qui
les consolident. Nous considérerons les huiles essentielles et
les acides comme causes uniques des différences que nous
remarquons dans les produits alcoholiques, et l'on verra par
les applications auxquelles elles nous conduiront, que s'il
en existe d'autres, nous ne pouvons pas perdre beaucoup
en pratique à les ignorer. à
SECTION PREMIÈRE^
Ses Huiles essentielles considérées comme causes des
odeurs et des goûts des liqueurs alcoholiques.
Les caractères chimiques des huiles essentielles sont d'être
volatiles, odorantes et sans viscosité ; elles sont souvent
âcres et caustiques , et quelque fois douces ; elles sont peu
solubles dans l'eau, mais elles le sont beaucoup dans l'alcohol;
elles s'enflamment spontanément quand on leur présente un
corps en combustion ; et quoiqu'elles soient presque toute»
volatiles et plus légères que l'eau, elles ne peuvent cependant
se vaporiser qu'a une plus haute température qu'elle.
Les huiles essentielles sont connues vulgairement sous le
nom d'essences. Elles sont considérées comme les causes
matérielles des parfums des fleurs et des fruits, dont on par
vient même a en isoler un grand nombre a l'aide de la dis
tillation. Telles sont les essences de rose, de lavande , de
bergamotte , de citron , de uéroli , d'anîs , de genièvre , etc.
DE LA DISTILLATION.
Elles sonl de plus considérées comme les causes des odeurs
de la majeure partie des substances qui affectent l'odorat
d'une manière quelconque, soit en bien, soit en mal, même
pour celles dont on n'est pas encore parvenu à les séparer.
Ainsi les vins doivent leurs bouquets , leurs aromes et même
leurs goûts, a la présence des huiles essentielles. Rien de
plus conséquent alors que de reconnaître les mêmes causes
aux mêmes effets dans les produits distillés.
jfc En effet, l'existence des huiles essentielles une fois admise
dans les liqueurs vineuses , on conçoit que ces liqueurs étant
soumises a la distillation, les huiles essentielles sont placées
dans des conditions favorables a leur vaporisation , quoique
proportionnées a l'état du vin. Elles se vaporiseront 1à, ab
solument suivant les mêmes lois qui , dans un mélange d'al-
cohol et d'eau, favorisent la vaporisation de l'eau avec l'ai—
cohol dans une proportion variable ; et de même que , dans
cette circonstance, l'alcobol emporte avec lui une quantité
d'eau proportionnée a la richesse alcoholique du mélange ,
de même ces vapeurs mélangées emporteront une quantité
d'huile essentielle d'autant plus grande, que le vin en con
tiendra davantage. La vaporisation des huiles essentielles sera
aussi proportionnée a la température d'ébullition du mélange
d'eau et d'alcohol ; et comme cette température est elle-même
relative aux proportions d'eau et d'alcohol du mélange, nous
pouvons affirmer avec certitude que l'huile essentielle se va
porisera en quantité d'autant plus grande , que le mélange
ou le vin soumis a la distillation contiendra plus d'eau , et
vice versâ ; qu'elle se vaporisera en quantité d'autant moins
grande, que le vin contiendra plus d'alcohol. Retenons bien
ces faits ; leur connaissance est de la plus haute importance
pour l'entente parfaite de la distillation , et c'est sur eux que
sont fondées les opérations de la rectification, dont nous nous
occuperons tout a l'heure. ' •
% Ainsi , le goût et l'arome des vins se trouvant transmis
aux liqueurs alcoholiques avec l'huile essentielle , dans l'acte
de la distillation , il est évident que les vins qui ont un goût
et un arome agréables les transmettront a leurs eaux-de-vie ;
il en sera de même des vins qui ont des goûts désagréaLles.
38o TRAITÉ DE l'art
Si la distillation exerce quelque influence sur la conserva
tion de cet arome, le distillateur doit la connaître afm de ré
gler ses opérations en conséquence. 11 cherchera ainsi à opé
rer de manière a conserver à sa liqueur le plus d'arome pos
sible, quand cet arôme plaira au consommateur ; et il l'en
dépouillera autant que possible dans le cas contraire.
Avant de faire connaître l'influence de la distillation sur
le goût et l'odeur des liqueurs alcoholiques , il est bon de
nous livrer encore a quelques considérations propres à dé
montrer la présence des huiles essentielles dans les eaux-de-
vie. Nous avons beaucoup de faits d'admission en faveur de
celte hypothèse, et nous n'en connaissons pas contre elle.
Si les huiles essentielles n'étaient pas solubles dans l'eau
et dans l'alcohol , on pourrait affirmer que les liqueurs al
coholiques ne peuvent en contenir, puisque nous les possé
dons dans un état de limpidité parfaite ; mais il n'en est
pas ainsi , et nous savons par expérience que les eaux
de Cologne, qui sont très - limpides , ne sont rien autre
chose qu'un mélange de | et d'essences diverses. 11 y a
plus, c'est que dans la distillation des vins par les appareils
simples , avec lesquels on commence d'abord par avoir des
petites eaux faibles, ces petites eaux présentent souvent un
aspect d'autant plus nébuleux qu'elles sont moins riches en
alcohol, et cette nébulosité est elle-même encore dépendante
de la vitesse avec laquelle on distille ; c'est-à-dire qu'elles
sont plus nébuleuses quand on active fortement le feu, et que
l'on favorise par la la formation d'une surabondance de va-
{)eurs. Ces deux phénomènes sont facilement explicables avec
'hypothèse des huiles essentielles. En effet, celles-ci sont
beaucoup moins solubles dans l'eau que dans l'alcohol ; et
d'après la théorie que nous avons établie ci-dessus , sur leur
vaporisation, nous savons qu'elles se vaporisent en quantité
d'autant plus grande , que le vin est moins riche en alcohol ,
parce qu'elles sont alors exposées a une plus haute tempéra
ture. Ainsi , dans le cas que nous observons , tout concourt à
introduire dans les petites eaux une quantité d'huile essen
tielle plus grande que celle qu'elles peuvent dissoudre ; tout
concourt , dis-je , a la plus grande vaporisation de cette
DE LA DISTIIX'ATldN. 38 1
huile, et l'etat alcoholique du vin , et la température de son
ébullition, et la quantité d'eau qui se vaporise. De Ta l'état
nébuleux des petites eaux, qui est plus grand dans une dis
tillation tumultueuse où l'on vaporise plus d'eau en forcant
la température ; de la la disparition de cette nébulosité
dans la rectification, où les huiles essentielles trouvant d'ail
leurs moins de conditions favorables à leur vaporisation ,
trouvent aussi, dans une liqueur plus alcoholique, une con
dition plus favorable a leur dissolution. C'est ainsi que nous
nous expliquons, d'une manière tout-a-fait satisfaisante,
comment des petites eaux sont nébuleuses , comment , par
la rectification , elles donnent une eau-de-vie limpide , et
comment encore cette eau-de-vie plus limpide doit contenir
une quantité d'huile essentielle moins grande que les pe
tites eaux qui l'ont produite.
Goût de Marc. — M. ^ubergier, dans des expériences
exactes qu'il a faites pour reconnaître la cause du goût dé- ,
sagréable des eaux-de-vie de marc , a démontré que ce
goût est produit par une huile essentielle que la pellicule
du raisin porte avec elle, et qui lui est enlevée dans la dis
tillation , en quantité minime à la vérité , mais suffisante
pour infecter les produits distillés. 11 est parvenu a isoler
cette huile, et il a reconnu que son action est tellement ac
tive et énergique, que quelques gouttes suffisent pour donner
a une pipe de 6oo litres de bonne eau-de-vie le mauvais goût
que l'on connaît a celle des marcs. On ne doit donc pas être •
étonné maintenant, avec la connaissance précieuse de ce fait.
que l'on ne puisse que difficilement parvenir a séparer d'un
{)roduit alcoholique toute l'huile essentielle qui en détermine
e goût et l'odeur, puisqu'il suffit d'une quantité aussi mi
nime sur une grande masse de liquide pour l'aromatiser.
Ne savons-nous pas encore que c'est à l'aide des huiles
essentielles d'une foule de végétaux que les distillateurs li-
quoristes parviennent a augmenter immensément le nombre
des liqueurs alcoholiques , dont ils varient les goûts et les
parfums à. l'aide de ces moyens. De l'eau de rose seule , frac
tionnée avec de l'esprit de vin à 33° et édulcorée avec un
peu de sucre , donne la liqueur connue sous le nom dè

I 1
TRAITÉ DE L'ART
crème de rose , et ainsi des autres. Dans ce cas , le dist1lla
teur , maître de donner a la liqueur tels parfums de plantes
qu'il désire , ne lui donne que ceux qui affectent le goût et
l'odorat d'une manière agréable ; il travaille enfin pour le
consommateur , et le parfum qu'il donne à sa liqueur est
toujours assez énergique , par ses propriétés , sa quantité ou
sa qualité , pour masquer celui qui est naturel a l'alcohol
employé.
Ce moyen facile de donner à l'eau-de-vie un parfum
étranger est utilisé même dans de grandes fabrications. En
Hollande , par exemple , en Belgique et dans la Flandre-
Française , on est dans l'usage de masquer le mau
vais arome des eaux-de-vie de grains et de pommes de
terre a l'aide des essences de genièvre ou d'anis ; et pour
cela , on se contente de mettre dans la chaudière de rectifi
cation les graines qui produisent ces essences.
Goût d'empyreume. — Les eaux-de-vie de grains et
de pommes de terre, outre le mauvais goût et l'arome peu
agréable qu'elles possèdent , trouvent dans la distillation
des causes qui contribuent a leur donner une huile essen
tielle bien plus mauvaise encore que celle qu'elles puisent
dans leurs fruits. En effet, les systèmes de fabrication ré
pandus jusqu'a ce jour exigent que l'on opère la distillation
sur des matières pâteuses ; et malgré les précautions que
l'on prend pour empêcher ces matières de se précipiter au
fond de la chaudière, de s'y attacher sous forme de croûte
et d'y brûler , on est encore souvent exposé a cet inconvé
nient ; de la, le goût de feu , d'empyreume ou de brûlé que
l'on reconnaît souvent dans ces sortes d'eaux-de-vie, et qui
les entachent dans le commerce d'une dépréciation très-grande.
La cause de ce goût de feu, d'empyreume ou de brûlé,
trois dénominations qui signifient la même chose, la cause
de ce goût , dis-je , est encore la conséquence immédiate
d'une huile essentielle produite par la combustion des pâtes
au fond de la chaudière. Nous savons en effet que toutes
les substances végétales en se torréfiant donnent , entr'au-
tres produits, une huile essentielle infecte , connue sous le
nom d'huile empyreumatique. Or , c'est ce qui arrive ici :
DE LA DISTILLATION. 383
l'huile une fois formee se répand dans le liquide qui est en
distillation et passe avec l'eau et l'alcohol dans le serpentin.
C'est surtout ce goût d'empyreume qui a fait contracter aux
distillateurs de grains du Nord l'habitude d'aromatiser leurs
eaux-de-vie ; ils masquent ainsi en quelque sorte la mau
vaise odeur ; mais comme l'huile empyreumatique est acre
et Caustique et qu'elle n'est pas enlevée à la liqueur , celle-
ci conserve toujours un mordant qui ne peut plaire qu'aux
hommes habitués a son usage.
Ce goût d'empyreume, que l'on reconnaît si énergique
dans les produits de la distillation des pâtes , ne trouve pas ,
dans ce cas seul , une cause de production , et dans tous les
vins que l'on soumet à la distillation et qui contiennent encore
quelque matière dense en dissolution, soit du sucre, de la levure
ou tout autre matière organique, ces vins, dis-je, peuvent, dans
la distillation a feu nu, produire une huile essentielle empy
reumatique , dont le goût et l'odeur se reproduisent dans les
eaux-de-vie. En effet , lorsque l'on soumet un vin à l'action
du feu, sa température d'ébullition est représentée par les
rapports combinés de toutes les températures d'ébullition de
chacune des matières qui entrent dans sa composition, et
cette température est de plus dépendante de la proportion
dans laquelle ces matières sont mélangées ; de sorte que, lors
qu'un vin en distillation se compose de sucre, d'eau et d'al-
cohol , il a pour température d'ébullition la commune pro
portionnelle des températures que le sucre, l'eau et l'alcohol
prendraient isolément pour se vaporiser. Or , de ces trois
corps , le sucre est celui qui exige la plus haute température
pour se gazéifier, et l'alcohol est celui qui se gazéifie a la
plus basse. Un vin exigera donc une température d'autant
plus haute pour se vaporiser qu'il contiendra plus de sucre.
Dans ce cas, il est évident que le sucre prend dans le mélange
sa température d'ébullition, et que ce n'est qu'ainsi qu'il peut
élever celle du mélange. Le sucre est donc la dans une con
dition favorable a sa décomposition , que l'eau et l'alcohol
auxquels il est marié tendent constamment à neutraliser, en
vertu des principes que nous avons posés sur la transmission
de la chaleur.
. ' ' 'iii.
384 TBÂITÉ DE I.'ART '
Nous savons, d'un autre côté, par expérience, que le sùcrè,
comme toutes les matières organiques , ne peut se vaporiser
sans subir une analyse qui le dénature. C'est ainsi qu'il donne,
quand on le distille seul , de l'eau, du gaz acide carbonique,
de l'huile empyreumatique qui se vaporise, et du carbone
qui reste dans la cornue sous forme de couche noire.
Appliquons maintenant la connaissance de ces faits à la
distillation d'un mélange composé de sucre , d'eau et d'alco-
hol , et nous concevrons facilement comment le feu peut in
fluer sur le goût de l'alcohol. Le sucre subirait la une analyse
faible , a la vérité , mais suffisante pour donner naissance a
quelques atomes de tous les produits que nous avons énu-
mérés ci-dessus. Parmi ces produits, quels sont ceux qui peu
vent, en étant vaporisés avec l'alcohol, modifier son goût?
Ce n'est pas l'eau, puisqu'elle est insapide ; ce n'est pas le l.
gaz acide carbonique qui n'est pas condensable ; il faut donc
que ce soit l'huile empyreumatique.
Il est maintenant facile d'expliquer comment le feu nu peut
influer en mal sur le goût et l'odeur des produits distillés,
en donnant naissance a l'huile essentielle empyreumatique.
Cette influenee pernicieuse fera sentir encore combien il
serait important pour la qualité de l'alcohol d'opérer non-
seulement la distillation sur des matières fluides, mais encore
de le faire sur des matières où la décomposition alcoholique
est la plus parfaite possible.
On peut au reste être bien convaincu maintenant par les
faits que je viens de citer, que l'une des causes les plus in
fluentes des goûts et des odeurs des eaux-de-vie appartient
aux huiles essentielles des végétaux ou a celles qui se forment
pendant la distillation par la torréfaction des matières; orga
niques. Tout ce que nous dirons ci-après contribuera a con
solider cette conviction.
SECTION DEUXIÈME.
Des acides considérés comme causes des odeurs et des
goûts des liqueurs altoholitjues. .-•
Que l'on prenne une liqueur aïcoholique quelconque du
commerce , quel que soit d'ailleurs son degré ; que l'on y
DE LA DISTILLATIOM. 335
plonge une bande de papier d'épreuve, c'est-à-dire r une
bande de papier colorée en violet par les violettes, ou en bleu
par le tournesol. Après l'avoir laisse'e plongée dans la liqueur
pendant quelques minutes, si on l'observe, on remarquera
que sa couleur, de violette ou de bleu qu'elle était avant l'im
mersion , est devenue d'un rouge plus ou moins intense. Ce
changement de couleur est l'indice certain utilisé par les chi
mistes pour reconnaître la présence des acides. Ainsi , puis
que les produits distillés rougissent les couleurs de la violette
et du tournesol, nul doute qu'ils ne portent avec eux des
acides. Nous nous rendrons facilement raison de la présence
de ces acides, en nous reportant à ce que nous avons dit sur
la fermentation. Nous avons vu, en effet, en traitant de
cette par»:». <|e ]'art9 que tous les vins et tous les liquides
fermentés portent avec eux des acides en quantité plus ou
moins grande, et de natures variées, suivant que ces acides
leur sont fournis par les végétaux eux-mêmes ou suivant en
core qu'ils sont les résultats de la fermentation. Ainsi rien de
plus naturel que de trouver dans les vins de raisin de l'acide
tartarique puisque le raisin en contient au nombre de ses ma
tériaux immédiats ; les cidres , les poirés portent avec eux
tout l'acide malique des pommes et des poires qui les ont pro
duits ; les vins de cerises et de groseilles. présentent aussi
l'acide malique de leurs fruits, et dans les vins de grains, de
pommes de terre et de tous les farineux en général, on trouve
les acides malique et acétique, quoique ces sortes de végé
taux n'en contiennent point. Dans ce dernier cas, les acides
sont formés pendant la fermentation vineuse aux dépens de
l'alcohol. Les vins, quelle que soit leur nature, contiennent
donc toujours des acides ; et dès lors rien de plus explicable
que la présence de ces acides dans une proportion plus ou
moins grande dans les produits distillés.
Les caractères propres à cette espèce d'acides que l'on
groupe en Chimie sous le nom générique d'acides végétaux,
sont d'être spécifiquement plus pesans que l'eau, d'entrer
en ébullition a une plus haute température qu'elle, de rougir
plus ou moins fortement les couleurs de violette et de tour
nesol, d'être incolores, solubles dans l'eau et dans l'alcohol,
25
386 TRAITÉ DK L'ART
et d'avoir une saveur piquante plus ou moins forte. L'acide
acétique parait seul porter une odeur qui est connue de tout
le monde ; c'est celle du vinaigre.
Ce dernier acide que l'on retrouve dans tous les vins et
dans toutes les liqueurs alcoholiques , et qui est toujours un
produit de la fermentation spiritueuse , possède même une
propriété remarquable ; c'est de se combiner avec l'alcohol
et de former avec lui un corps particulier connu sous le nom
d'éther acétique. Je ne m'attacherai pas à rechercher si ce
corps ne pourrait point se trouver en petite quantité dans
les boissons spiritueuses du commerce, et modifier leurs
goûts et leurs odeurs. Ce point n'a pas été étudié et il serait
aventureux de se prononcer à ce sujet.
Qu'il me suffise ici d'avoir démontré que les acides existent
dans les liqueurs alcoholiques , et d'indiquer suivant quelles
lois elles s'y trouvent.
Les acides nécessitent comme les huiles essentielles pour
se vaporiser une plus haute température que l'eau, et tout
ce que nous avons dit des causes qui déterminent la vapori
sation des huiles essentielles dans la distillation des vins est
applicable aux acides. Ainsi, .les acides sont dans les vins
comme les essences dans des conditions à-peu-près éga
lement favorables à leur vaporisation, et toute opération
qui aura pour but de .conserver â l'eau-de-vie son arome,
lui conservera aussi son acide, de même que le contraire
arrivera quand on operera en sens inverse.
Souvenons-nous cependant que si les huiles essentielles
peuvent , suivant leur nature , affecter agréablement ou dé
sagréablement nos organes , il n'en est pas de même des
acides qui contribuent toujours à donner leur mordant à la
liqueur. C'est pour cela que les eaux-de-vie qui sont ex
traites de vins fortement acides, comme les poirés ou les
cidres, ont toujours une saveur piquante que l'on ne ren
contre pas dans les eaux-de-vie de raisins, les opérations
de distillation ayant d'ailleurs été conduites de même.
DR LA. DISTILLATION. " 38^
SECTION TROISIEME.
Influence de la distillation sur les goûts et les odeurs
des liqueurs alcoholiques.
Je De m'attacherai pas ici a rechercher si les acides et les
huiles essentielles , que nous considérons comme les causes
des goûts et des odeurs des liqueurs alcoholiques , sont
transmises a ces liqueurs dans l'état où elles se trouvent
dans les végétaux, et si elles ne subissent pas dans la fer
mentation ou dans la distillation des changemens qui altèrent
leurs caractères et leurs propriétés. Je chercherai encore
moins si ces huiks essentielles ne pourraient pas être souvent
le résultat des opérations préparatoires que l'on fait subir
aux végétaux avant de les amener à l'état de liqueurs spi-
ritueuses. De semblables recherches sortiraient de mon cadre,
et je laisse à la science l'étude d'une question qui lui appar
tient tout entière. Qu'il me suffise ici d'admettre que les
huiles essentielles et les acides se trouvent dans les liqueurs
alcoholiques, et qu'ils leur sont transmis par le vin.
Le midi de la France est en possession de nous fournir
la presque totalité des eaux-de-vie de raisins que nous con
sommons. Les eaux-de-vie qui jouissent de quelque répu
tation , celles de Cognac et d'Armagnac , par exemple ,
nous arrivent des pays de production dans l'état où elles
doivent être livrées a la consommation , c'est-à-dire , a 1 çj°
pour l'Armagnac et à 22° pour le Cognac. Le Midi .nous
fournit des masses d'eaux-de-vie dans cet état de 19 à 22°,
et nous les connaissons sous le nom de preuves. Ces dernières
sortes d'eaux-de-vie sont pour la plupart, au moins pour
celles qui nous viennent du Languedoc, extraites du même
vin avec lequel on y fabrique les masses énormes de J- que
ce pays fournit a toute la France et même à l'étranger.
Le but que se propose le distillateur dans cette fabrication
•du 3 est de réduire l'alcohol de poids et de volume, et d'é
conomiser ainsi pour le consommateur les frais de futailles
qui sont considérables, puisqu'une pipe de 6oo litres vaut
souvent de 4o a 5o francs, et d'économiser de plus les frais
de transport. Oc sait que ce l , abstraction faite de quelques
25.
388 TRAITÉ DS L'ART
opérations de» arts qui l'emploient dans cet état , on sait
dis-je, que la grande consommation s'en fait en boisson. A
cet effet , quand il est arrivé sur les lieux de consommation,
lejnégociant lefractionneavec des quantités d'eau différentes,
suivant qu'il veut en faire du 18 , du 19 et même du 22%
et il le livre ainsi aux consommateurs. Dès long-temps le
id1ple et par conséquent le commerce distingue cette sorte
s'eau-de.-vie faite avec du § et de l'eau , de celle qui arrive
en preuve du Midi. Quelle différence cependant se trouve-
t-il entre ces deux sortes d'eaux-de-vie? Elles proviennent
toutes les deux du même vin , et il n'y a la de différence
qu'en ce que celle qui arrive en preuve a subi une défleg-
mation moins grande que le | qui a servi a créer l'autre.
D'un côté , le vin a été dépouillé de son alcohol au titre de
19 a 22°; de l'autre, il en a été dépouillé a 33°. Si l'on
s'attachait, comme on l'a fait trop souvent d'une manière
abusive, a admettre que les liqueurs alcoholiques ne sont
rigoureusement que des mélanges variés d'alcohol et d'eau ,
on serait porté a croire qu'il ne doit pas y avoir de différence
entre ces deux eaux -de-vie, puisque le 5 à 33° ne serait
dans cette hypothèse que l'alcohol de l'eau-de-vie à 1 9 ou
22° privé d'une portion de son eau. Mais c'est ce qui n'est
pas , et le goût des consommateurs en distinguant parfaite
ment l'eau-de-vie de preuve de celle de g coupé , prouve
suffisamment qu'il y a la une différence dont nous devons
rechercher la cause.
Cette cause appartient encore a l'huile essentielle du vin
que le consommateur estime comme une qualité , parce
qu'elle paraît être de nature douce ; et il nous sera facile
d'expliquer comment une eau-de-vie séparée du vin aux
titres de 19 ou 22° doit nécessairement contenir plus d'huile
essentielle que celle fabriquée avec du | . Rappelons- nous
en effet des lois que nous avons établies dans la première
section de ce chapitre sur la v aporisation des huiles essen
tielles, et nous serons conduits a cette conséquence que plus
l'alcohol est retiré du vin a un titre élevé, moins il doit
emporter avec lui d'huile essentielle, par cela même qu'il
a nécessité une température moins haute pour sa vaporisation.
. • %
DU LA DISTILLATION. 38g
Or, c'est ce qui arrive ici où l'alcohol est tiré d'une part a
22", de l'autre à 33°; il n'est donc pas étonnant que l'eau-
de-vie de % ait moins de qualité que les preuves.
Voulons-nous d'autres témoignages de cette vérité théo
rique ? Nous les trouverons dans la pratique ; prenez de
l'eau-de-vie de Cognac, par exemple , au titre de 22° ;
rectifiez et dépouillez-la de son alcohôl au titre de 33° ;
fractionnez ensuite cet alcohol avec une quantité d'eau suffi
sante pour la ramener à 22°, et vous n'aurez plus de l'eau-
de-vie de Cognac de la qualité de celle qui vous aura servi
pour cette expérience , c'est-à-dire qu'elle aura perdu par
la rectification une partie de son bouquet et de son parfum.
C'est pour cela que ces sortes d'eaux-de-vie nous viennent
du Midi à l'état de preuves. Car s'il n'était pas bien dé
montré que leur transformation en f nuit à leur qualité , il
n'y a pas de doute qu'on ne les amenât a cet état pour éco
nomiser les frais de futailles et de transport.
Quant aux masses de vins que l'on transforme en | dans
les pays de grande production , comme le Languedoc , la
question économique dans ce cas commande cette transfor
mation ; c'est-à-dire que cette transformation en diminuant
la valeur de la marchandise , en augmente la consommation
dans les pays éloignés du foyer de production , et que le
peuple qui est le grand consommateur de l'eau-de-vie ne
voudrait pas tenir compte de l'augmentation de qualité
qu'acquérerait l'eau de-vie, si elle arrivait en preuve au lieu
d'arriver en §. Il ne veut pas la payer. Dès lors la grande
consommation porte sur le \ , et il est tout naturel que le
fabricant conforme ses travaux aux besoins du commerce.
Nous pouvons toujours établir en principe que , lorsque
l'arome d'une liqueur plaît au goût des consommateurs ,
le moyen de lè conserver est de ne la retirer du vin qu'au
titre le plus bas voulu par la consommation ; car si on la
transformait en -| pour la couper ensuite , on lui ferait per
dre par la une partie de sa qualité.
Cette règle que nous venons d'établir pour l'influence du
titre auquel on isole l'alcohol sur la vaporisation de l'huile
essentielle , ne souffre pas d'exception. Prenez une liqueur
TRAITÉ DE L'ART
alcoholique quelconque, saturée d'une essence quelle qu'elle
soit ; soumettez-la a la distillation , soit de l'eau de Cologne ,
par exemple ; le produit alcoholique que vous recueillerez
aura toujours perdu, par cette opération, une portion no
table de son huile essentielle et partant de son arome.
Ici se présentera sans doute une objection fondée sur la
présence des acides et sur les lois que j'ai signalées ci-dessus
être les mêmes pour leur vaporisation que pour celle des
huiles essentielles. On m'objectera que si, d'une part, les
eaux-de-vie de f perdent de leur arome et de leur bouquet
par la plus grande concentration qu'a subie leur alcobol ; de
l'autre, cette cause nuisible a l'arome doit être favorable au
goût , puisque l'alcohol retiré en \ doit contenir moins d'a
cide que celui qui est retiré en preuves ; cette objection serait
fondée , et la théorie cette fois serait en contradiction avec
la pratique, si nous ne trouvions pas, dans l'état du vin et
dans les faits eux-mêmes, une réponse satisfaisante a cette
objection. J'ai dit , en thèse générale , que tous les vins ,
quelle que soit leur nature, portaient aveG eux au moins un
acide : cette assertion est vraie, et l'on peut facilement s'en
convaincre à l'aide du papier teint par la violette ou le
tournesol. Mais ce que je n'ai pas dit, et ce que je dois an
noncer ici, c'est que le vin de raisin est de tous les vins conr
nus celui qui contient le moins d'acide , ce corps y est même
généralement en quantité si minime qu'on l'y trouve en
proportion bien moins grande que dans les produits alco-
holiques a 22° d'autres vins, tels que ceux de grains, de
cidre ou de poiré ; la nature même de l'acide peut égale
ment être différente et exercer une influence moins désagréa
ble sur la qualité de l'eau-de-vie. Ainsi, dans les procédés
de distillation , le goût des consommateurs et l'expérience
doivent nous apprendre a reconnaître si la conservation de
l'arome a l'alcohol lui est plus favorable que la perte de son
acide , et si , d'une part , en cherchant a lui enlever un vice
insignifiant représenté par une petite portion d'acide , on ne
lui enlève pas en même temps une qualité précieuse repré
sentée par l'arome. Il faut balancer ces deux alternatives >
et se prononcer pour le parti qui est le moins défavorable à la
DE LA DISTILLATION.
^valeur du produit. Ainsi , dans le cas que nous considerons ,
«'est-a-dire pour les eaux de-vie de raisin , l'acide faible et
presque nul est un petit défaut qui est suffisamment masqué
par la plus grande douceur que donne a la liqueur une plus
.grande proportion d'huile essentielle ; il est donc plus avan
tageux à la qualité du produit de conserver l'arome que
-d'enlever l'acide.
Pour tous les cas où l'huile essentielle -est une qualité
pour l'eau-de-vie , la difficulté que je -viens de signaler se
présente , et alors le distillateur doit balancer les inconvé-
niens d'après les lumières de son expérience et le goût des
consommateurs ; mais pour tous les autres cas , et ils sont
•très-nombreux , où l'huile essentielle partage avec les acides
l'animadversion du commerce , quand ils constituent enfin
.deux défauts de qualités d'une liqueur, comme ils le font
dans les eaux-de-vie de grains et de pommes de terre , la
-difficulté n'existe plus , et toute opération , qui aura pour
-objet de faire disparaître l'un des deux défauts , contribuera
jea même temps a faire disparaître l'autre.
SECTION QUATRIÈME.
De la Rectification considérée comme moyen correc
teur des goûts et des odeurs des liqueurs alcoholi-
ques.
Nous avons déja pu voir , en traitant des appareils dis-
tillatoires, ce que c'est que la rectification ; nous avons vu que
c'est a l'aide de x;ette opération que l'on parvient à élever le
titre de l'alcohol. Ainsi, dans tous les systèmes d'appareils,
toutes les dispositions qui ont pour but de déflegmier l'alcor-
hol, sont du ressort de la rectification.
Dans les appareils simples et a chauffe-vin, on rectifie en
faisant repasser successivement a la chaudière les liqueurs
jusqu'a ce qu'elles soient arrivées au titre voulu , et l'on sent
que, dans ce système, il faut faire d'autant plus de repasses
que le vin est plus faible , ou bien encore que l'on veut
retirer l'alcohol a un titre plus élevé , et vice versâ. Ce
.genre de repasses se nomme aussi cohobalions.
3ga TRAITÉ de l'art
Dans l'appareil perfectionné d'Adam et de Bérard, la
multiplication des chaudières qui se chauffent , s'enrichissent
et se distillent Tune par l'autre a l'aide de la vapeur fournie
constamment par l'une d'elles, est un véritable moyen recti-
ficateur ; et, eu effet, comme nous l'avons vu précédemment,
cette disposition permet d'obtenir des vapeurs alcoholiques
bien plus riches ; et la partie de cet appareil , appelée recti-
Jicateur, favorise aussi de deux manières la rectification,
1°. en déflegmant les vapeurs qui parcourent les hélices de
son serpentin ; 2°. en permettant de ramener en chaudière
les liqueurs faibles qui s'y condensent, pour les soumettre a
une nouvelle analyse.
Il en est de même dans l'appareil continu où la colonne
distillatoire , le rectificateur et le condensateur-chauffe-vin
sont autant d'agensde la rectification, comme nous l'avons
déja expliqué fort en détail en parlant de cet appareil.
II y a donc, en pratique, une différence remarquable en
tre le sens des mots distillation et rectification. Rigoureu
sement parlant , distiller c'est mettre du vin en ébullition et
ramener les vapeurs telles qu'il les produit à l'état liquide ,
sans leur faire subir d'autre changement , ainsi qu'on le
pratique dans les appareils simples et a chauffe-vin , et l'on
rectifie, toutes les fois que l'on isole, a l'aide d'un moyen
quelconque , la vapeur aqueuse de la vapeur alcoholique ,
pour obtenir une liqueur spiritueuse plus concentrée. Telles
sont au moins les nuances que l'on établit , dans les ateliers,
entre les mots distillation et rectification , et quoique ces
distinctions soient d'une exactitude peu rigoureuse, nous
ne devons pas moins les connaître pour entendre bien le
langage reçu.
Si l'on conçoit bien cette distinction de la rectification ,
l'on reconnaîtra , sans difficulté , que l'esprit de vin a 33°
n'est rien autre chose que de l'eau-de-vie rectifiée , puis
qu'il n'existe pas de vin assez riche pour pouvoir , par une
s1mple distillation , se dépouiller de son alcohol au titre de
55' } et , qu'avant d'arriver à ce titre , la liqueur passe à
.divers degrés intermédiaires , soit qu'on le déflegmeà l'état
liquide , soit qu'on le fasse a l'état acriforme suivant le sys
DE LA DISTILLATION. ÔQÔ
tème d'appareils employé. Ainsi on ne peut hausser le degré
d'une eau-de-vie sans la rectifier.
Nous avons l'ait voir , dans la section précédente , quelle
influence peut exercer la distillation sur le goût et l'arome
de l'alcohol. Ainsi nous avons fait remarquer la différence
de qualité que possède l'alcohol , suivant qu'il est extrait
du vin a 22° ou a 53° , et nous en avons expliqué les causes.
On peut déja concevoir combien la connaissance de ce
fait peut être utile au distillateur dans une foule de circon
stances. En effet , s'il n'est pas indifférent au goût et à l'o
deur des produits alcoholiques de les retirer a des titres
différens , le distillateur tient donc en ses mains un moyeu
efficace de conserver ou de détruire en partie ces goûts et ces
odeurs ; et ce moyen appartient tout entier a l'opération que
nous sommes convenus d'appeler rectification.
La rectification des liqueurs alcoholiques peut donc être
considérée, dans l'art du distillateur, sous deux aspects dif
férens : 1°. elle sert à concentrer l'alcohol ; 2°. elle sert
de plus à l'isoler des deux matières étrangères qui con
stituent spécialement les différens goûts et les différentes
odeurs qu'on lui connaît ; je veux dire les huiles essen
tielles et les acides.
Ainsi , cette double propriété de la rectification , ces
deux effets intimes , qui sont combinés dans son travail ,
étant une fois bien reconnus et bien appréciés , il ne s'agit
plus que d'en faire une application bien entendue a la pra
tique de l'art qui nous occupe.
Quand on opérera sur des vins qui , à l'exemple de ceux
de Cognac et d'Armagnac , possèdent un arome peu intense ,
quoique distinct , quand cet arôme pourra seul constituer
le mérite du produit distillé , ou cherchera à ne pas le per
dre par la distillation $ et , pour obtenir ce résultat , autant
qu'il est possible de le faire par les moyens connus , on ne
rectifiera l'eau-de-vie que jusqu'au titre que le commerce
exige pour livrer ce produit à la consommation ; soit 22°
pour le Cognac et l'Armagnac que l'on fait pour imiter le
Cognac ; soit 1 9° pour l'Armagnac proprement dit. Si l'on
voulait le rectifier a un plus haut line , à 33° par exemple ,
3g 4 TRAITÉ DE L'ART
pour le couper ensuite avec de l'eau, ces eaux-de-vie , dont
l'alr.ohol aurait subi une plus grande rectification , auraient
perdu par-la même une portion notable de leur huile essen
tielle, et, par consequent, une partie de leur arome, de
leur qualité et de leur valeur.
11 en est de même de l'eau-de-vie de presque tous les
vins de raisin , et si les brûleurs ne se conforment pas à
cette règle générale, et qu'ils transforment la majeure partie
de leurs vins en ^ an lieu de le faire en preuve , c'est que
la consommation pour laquelle ils travaillent , tombe plus
spécialement sur les eaux-de-vie de % que sur les preuves ;
non pas que celles-ci aient moins de qualité , mais, je le ré-
Ï)ète, parce que les frais de transport qu'elles exigent de plus
eur donnent un prix supérieur , que le commun des con
sommateurs ne veut ou même ne peut pas payer.
Pour ces sortes d'eaux-de-vie répétons-le aussi , la quan
tité d'acide qu'elles retiennent est si minime qu'elle n'en altère
pas sensiblement la valeur et qu'il vaut mieux, dans l'intérêt
de la qualité, lui laisser cet acide que de lui enlever son arome
par la rectification.
Pour les vins de marc qui contiennent beaucoup plus d'a
cide que les autres vins , et qui portent avec eux les pelli
cules qui sont le siége de l'huile essentielle infecte , on con
çoit que si l'on en retirait l'alcohol à 33° , pour le ramener
ensuite a 22° par son mélange avec de l'eau , on aurait une
eau-de-vie de meilleure qualité que si on l'eût retirée du vin
a son degré 22, par cela même qu'elle contiendrait tout a
la fois moins d'huile essentielle et d'acide. Ce cas est celui
de tous les vins qui portent avec. eux un arome désagréable
ou beaucoup d'acide , ou ces deux causes de mauvaise qua
lité a la fois.
Pour ces sortes de vins , il sera donc toujours avantageux
à la qualité du produit d'isoler l'alcohol au titre le plus élevé.
On pourrait même, en tirant de la rectification tout l'effet
qu'elle peut produire , la multiplier et la conduire de telle
sorte que l'on parviendrait a dépouiller presque entièrement
l'alcohol de ses causes de mauvaises qualités , c'est-a-dire
de son essence et de son acide.
DE LA DISTILLATION. 3q5
Ainsi , pour l'alcohol de marc , on ne se bornerait pas
seulement , comme an le fait dans le Languedoc , a : le re
cueillir à 33°, parce que dans cet état, cet alcohol ramené
avec de l'eau à l'état de preuve, donne des eaux-de-vie
qui ont encore fortement le goût de marc ; mais , après l'a
voir recueilli a ce titre, on procéderait a de nouvelles rec
tifications avant de le livrer au commerce. Ainsi , par
exemple, on le mêlerait à 33° avec son volume d'eau, et on le
rectifierait de nouveau, l'alcohol obtenu par cette rectifica
tion porterait déja avec lui moins d'huile essentielle et d'a
cide ; et en procédant ainsi a plusieurs dédoublemens avec
de l'eau pure et à plusieurs rectifications , on arriverait a
un résultat tel , que l'alcohol serait presque complétement
isolé du goût et du parfum qui en diminuent ordinairement
la valeur dans le commerce.
C'est ainsi qu'a Paris, dans les nombreuses distilleries de
fécule de pommes de terre , on parvenait a confectionner des
l presque dépourvus de l'odeur du fruit , et qu'on les ré
pandait dans le commerce sous le nom de \ de raisins , après
les avoir fractionnés par parties égales , ou à-peu-près avec
ceux-ci. Si l'on opérait sur des liqueurs alcoholiques dont
les frais de rectification ne fussent point amplement payés
par l'augmentation de valeur que leur donne cette opéra
tion , le fabricant agirait contre ses intérêts en s'occupant de
leur rectification. C'est a lui a faire ce calcul de la question
économique, et a mettre ses travaux en harmonie avec ses
intérêts. Pour nous, notre fonction se borne a signaler l'in
fluence de la rectification sur la qualité de l'eau-de-vie.
On sent bien déja , sans que j'aie besoin de le faire re
marquer , combien , sous le rapport de la rectification , les
appareils perfectionnés présenteraient encore d'avantages ;
c'est dans ce cas surtout qu'il serait, pour ainsi dire , indis
pensable de les utiliser.
Des distillateurs , conduits sans doute par des données
incomplètes sur la théorie de leurs opérations, ont cherché
à utiliser des alkalis, la potasse, la soude et la chaux, par
exemple , dans la rectification de leurs eaux-de-vie ; mais
je ne sache pas que ces agens aient produit les résultats at
3g6 TRAITÉ DE L'ART
tendus. D'autres encore ont employé, dans le même but, des
corps terreux, tels que la pierre à chaux, le plâtre, la magné
sie et l'argile ; mais je ne sache pas non plus que les effets
de ces agens aient été plus heureux, et je persiste à indiquer
la rectification et la concentration de l'alcohol comme le
meilleur moyen que le distillateur puisse employer pour iso
ler l'alcohol des acides et des huiles essentielles.
Qu'on n'aille pas croire cependant, par une fausse inter
prétation du but de la rectification, que l'on puisse, h l'aide
de cette seule opération, changer le goût et l'arôme des
éaux-de-vie diverses , de manière à pouvoir les transformer
les unes dans les autres, et livrer, par exemple, au com
merce de l'eau-de-vie de marc pour de l'eau-de-vie de preu
ves , du kirsch pour du rhum ; on se tromperait : la recti
fication dépouille l'alcohol de l'arome et du goût autres que
ceux de l'alcohol, mais elle ne lui en substitue pas d'autres.
Ainsi nous venons de voir que les distillateurs de fécule de
f1ommes de terre, a Paris, après avoir extrait l'alcohol et
'avoir amélioré par rectification , le fractionnaient avec de
l'alcohol de raisin pour le livrer au commerce sous le nom
de ce dernier. On sent que par cette mixtion de deux li
queurs , dont l'une seulement est dépouillée de ses qualités
distinctives, on doit obtenir un ensemble qui possède l'arome
et le goût de celle qui n'a pas subi le même dépouillement ,
avec cette différence cependant que cet arome et ce goût
étant alors répartis sur une plus grande masse, doivent être
sensiblement atténués; et c'est ce qui arrive ici. La plupart
des consommateurs ne distinguent guère les eaux-de-vie faites
avec le jj de raisin pur de celles qui proviennent de ce même
^ falsifié par l'alcohol de pommes de terre ; mais les con
naisseurs et les gourmets ne s'y trompent pas , quoique la
différence soit peu sensible.

i
DE LA DISTILLATION. 397

CHAPITRE XIV.

Des distillations spéciales et du choix de$


Appareils.

Les distillations spéciales peuvent être aussi nombreuses


que les végétaux capables de fournir des élémens a la fer
mentation. Nous avons pu remarquer dans le chapitre pré
cédent que la nature des vins sur lesquels on opère , et le
goût que l'on veut donner aux produits, peuvent commander
quelques marches particulières, suivant que l'on doit enlever
ou respecter dans les produits les causes des aromes et des
goûts. Mais si l'on a bien conçu le système sur lequel sont
fondés les moyens correcteurs et conservateurs, on aura
infailliblement remarqué qu'ils appartiennent exclusivement
a la rectification , c'est-a-dire a toutes les opérations méca
niques dont le but est de donner a l'alcohol une plus grande
concentration.
Le but des appareils perfectionnés étant d'opérer la rec
tification avec plus d'économie , il est évident que, sous ce
rapport, le choix des appareils ne souffre aucune difficulté
et que celui dont la question économique présentera le plus
de conditions remplies, devra être préféré. En effet, si
le but des appareils perfectionnés est de pouvoir donner par
une seule chauffe l'alcohol aux plus hauts degrés de con
centration que le commerce exige , ils n'en sont pas moins
bons, d'un autre côté, pour la préparation des titres in
férieurs. Ainsi, un appareil perfectionné pourra servir éga
lement à la préparation des | et des preuves ; et si dans le
premier cas son avantage économique sur les appareils sim
ples est bien plus grand que dans le second , ses avantages
dans ce dernier cas sont encore assez remarquables pour
commander une préférence.
Si nous voulions entrer dans le détail de toute» les dis
tillations spéciales, nous n'en finirions pas, et nous devrions
3g8 TRAITÉ DE I.'ART
reprendre chacun en particulier tous les vins formés avec
les substances fera1entescibles que nous avons présentées
dans notre première partie. On doit être maintenant en me
sure de diriger la distillation en harmonie avec les produits
que l'on veut fabriquer , et d'appliquer avec discernement
la rectification.
Nous ne nous occuperions même pas du choix des appa
reils, et nous croirions avoir offert un guide suffisant et irré
cusable dans nos questions économiques, s'il n'existait pas
une considération puissante , qui peut quelquefois balancer
dans le choix du distillateur l'opinion que la question écono
mique lui donne d'un appareil. Je veux parler des différens
cas où la distillation doit être opérée sur des vins qui con
tiennent des matières insolubles en suspension. Tel est celui
de la distillation des marcs , tel est encore celui de la distil
lation des grains et des pommes de terre en nature.
Cette particularité nous force a admettre une distinction
dans la distillation, et nous la subdiviserons en conséquence
en deux espèces : nous nommerons la première, distillation
des matières fluides; et la seconde , distillation des matières
semi-fluides , semi-solides.
Nous traiterons séparément de chacun de ces deux genres
de distillation, et nous leur assignerons les appareils et les
modifications qui leur conviennent. , •

SECTION PREMIÈRE.
Distillation des matières fluides.
La distillation des matières fluides est celle qui s'exerce
sur des vins qui ne portent que peu ou point de matières
organiques en suspension, quoiqu'ils puissent en contenir
une quantité plus ou moins considérable en dissolution. Tels
sont les vins de raisin, de mélasse, de fécule saccharifiée ,
les bières ou extraits de grains , etc.
Ces sortes de vins sont celles qui présentent le moins de
difficultés a la distillation; on peut l'opérer avec toutes es
pèces d'appareils distillatoires , de sorte qu'ici le choix peut
se fixer de suite sur le plus parfait, sans qu'aucune consi-


DE LA DISTILLATION. 3qq
délation dépendante de l'état dn vin puisse venir le gêner.
11 n'y aurait donc que quelques considérations dépendantes
de l'aptitude des ouvriers, qui pourraient éloigner le distil
lateur des appareils perfectionnés, qui nécessitent toujours
plus d'intelligence et des soins éclairés de la part du mani
pulateur, que les appareils moins compliqués. Je ne doute
pas cependant que dans tous les cas où le distillateur aura a
tirer l'alcohol à un haut titre ou à procéder à sa rectification
comme moyen de correction, je ne doute pas, dis-je, que
le distillateur ne trouve un avantage réel a supporter les
frais que nécessitera un ouvrier intelligent pour la conduite
d'une meilleure machine. Alors l'économie de combustible
et de bras acquise par cette meilleure machine , dédom
magera amplement le manufacturier du plus grand prix
attaché aux soins d'un ouvrier plus intelligent, surtout si
la distillerie comporte une certaine importance. Dans les
autres cas où l'on ne voudrait fabriquer que des preuves,
où Ton opérerait sur un vin riche , et où la rectification cor-
rective du goût et de l'odeur ne devrait pas être utilisée ,
dans ces cas, dis-je, il serait possible que le manufacturier
ne trouvât pas d'aussi grands avantages a employer les ap
pareils perfectionnés, surtout si l'établissement était assez
minime pour ne pas pouvoir comporter l'adoption de la con
tinuité ; alors un simple appareil a chauffe-vin pourrait suf
fire. Il appartient d'ailleurs plus particulièrement au manu
facturier de s'occuper de discussions de ce genre.
Le manufacturier une fois fixé sur l'appareil qu'il veut
employer, il ne s'agit plus que d'y combiner les travaux ;
de manière a donner a ses produits toutes les qualités exi
gées par la consommation , et de coordonner par conséquent
la manœuvre de son appareil avec l'état du vin sur lequel
il opère. Nous avons fourni toutes les données propres a
éclairer un semblable travail, dans le chapitre précédent.
Ainsi toutes les fois que le distillateur voudra conserver
à sa liqueur l'arome du fruit et du vin , il ne le distillera
qu'au degré voulu par la consommation. Dans tous les au
tres cas, il tirera l'alcohol au titre le plus élevé possible ; et
si cet alcohol , fractionné avec de l'eau pour revenir à l'état
TRAITÉ DE J.'ART
de preuve , n'a point encore acquis assez de qualité , il sou>
mettra de nouveau cette preuve a la chaudière pour en re
tirer encore l'alcohol a un haut titre. .
Cette opération sera surtout praticable avec l'appareil
continu , parce que tout se réunira dans cet appareil pour
la favoriser. Nous avons vu en effet que dans ce système
de distillation la seule difficulté que l'on ait rencontrée quel
quefois , était dans un vin tellement riche qu'il ne pouvait
pas opérer lui-même la condensation de ses vapeurs, et
qu'il faut toujours que la proportion d'eau soit d'autant plus
grande, toutes choses égales d'ailleurs, que l'on veut reti
rer l'alcohol a un titre plus bas. Or , comme il est impor
tant ici de retirer l'alcohol au titre le plus élevé possible ,
soit que l'on fasse une , deux ou même trois opérations ,
l'on sent que sous le rapport de la condensation nous aurons
ici en faveur de l'opération la circonstance la plus favorable.
Le contraire arriverait si, en opérant sur un vin trop riche
par l'appareil continu, on devait ne retirer le produit qu'a
19 ou 22° pour conserver toute la qualité. Alors il est
évident que si l'on devait ajouter de l'eau au vin , pour
rendre sa distillation praticable, il est évident, dis-je, qu'on
nuirait d'autant plus a la qualité de la preuve, que la
•quantité d'eau ajoutée serait plus grande.
Si l'on distillait avec l'appareil a chauffe-vin une boisson
fermentée, dont l'alcohol nécessitât les travaux de la recti
fication pour l'amélioration de la qualité , il est évident que
cette rectification devrait s'opérer par des repasses réeÛes
a la chaudière. Supposons que dans un cas semblable la
première rectification donne une partie de ses produits a 3o
et quelques degrés; il serait avantageux alors d'isoler cette
portion de produits forts , de celle qui coule après un degré
plus faible. On économiserait ainsi le combustible qui serait
nécessaire au chauffage et à la vaporisation de cet alcohol,
si on le ramenait en chaudière avec les produits plus faibles;
alors ces produits plus faibles sont soumis isolément a la
rectification. Il est vrai que pour procéder de cette manière ,
il faut n'avoir point a terminer opération a opération , et
pouvoir travailler d'une manière continue, parce qu'il1 '
DE LA DISTILLATION. $01
reste toujours a chaque rectification une quantité de liqueur
alcoholique trop petite pour former seule une charge de
chaudière.
Dans la fabrique de sucre de betteraves de M. le duc de
Raguse, a Châtillon- sur -Seine, où les mélasses sont sou
mises a la distillation , on procède a-peu-près comme nous
venons de le dire, et cela uniquement dans la vue d'amélio
rer la qualité du produit.
On sépare dans le travail l'alcohol qui coule a un degré
supérieur a 23 ou 24° de celui qùi coule a un titre inférieur ,
et ces deux produits recueillis isolément constituent deux
qualités différentes d'une même espèce de rhum, dont le
meilleur est celui qui est formé par l'alcohol obtenu au titre
le plus élevé et fractionné avec de l'eau pour revenir au ti
tre voulu par la consommation. Il doit être maintenant fa
cile de se rendre compte de cette nuance de qualité qui ap-
{)artient tout entière à l'influence de la rectification. En effet,
a mélasse de betteraves contient sans doute une huile essen
tielle désagréable , ou favorise par sa nature la formation
d'une huile empyreumatique dans la distillation; il se forme
aussi un acide dans la fermentation , et ces causes de mau
vaises qualités dans laliqueur alcoholique s'effacent , comme
on le sait, d'autant plus que l'on isole davantage l'alcohol
de l'eau avec laquelle il est mélangé dans le vin.
Les diverses substances qui peuvent être l'objet de distil
lations spéciales sont tellement variées et la proportion d'al-
cohol qu'elles peuvent rendre , est soumise a tant de modi
fications et d'exceptions , qu'il serait difficile d'en présenter
un tableau complet et exact. M. Brande a cependant donné
une table de la quantité moyenne d'alcohol contenu dans
diverses espèces de vins. Cetté table se trouve dans les An
nales de Chimie et de Physique, tom. VII, page 76. Nous
la présenterons ici comme le résultat de quelques expériences
comparatives dont les chiffres pourraient être susceptibles
de très-grandes variations :
Cette table est établie sur l'analyse de 1oo parties de vin
„.1 volume , et l'alcohol est évalué à la pesanteur spécifique
de 825 grammes au litre ou 36° de Cartier.
26
TRAITÉ DE L'ART
TABLEAU
Dp la quantité aValcohol à 8a5 grammes ou 36°
Cartier, contenue en volume dans 16o parties de
vins de diverses espèces , par Brande.

NOMS NOMS
DliS VIHS. ses vins.

a5,4i Constance rouge


Vin de raisin (raisin W ine) a5, 12 Lisbonne
Marsala 25, 9 Malaga de 1666 ........
Madère 22,27 Bucellas .... i ... .
Vin de groseilles 2°,5 Madère rouge
Xeres '9.'7 Muscat du Cap
'Tencriffc '9.79 Madère idem ri
Colares • ■9,;5 Vin de raisin
Laeryma-Clirisli ■9.7o Vin de groseilles à Maque
Carcavello i8.65 reau
Vidonia ,9,2S Vin d'oranges fait à Lon
Alba-Flora 17,26 dres
Malaga 17,26 Tokay *
Ermitage blanc 17.43 Vin de baies de sureau (El-
Roussillon i8,i3 der-Wine)...
Claret ou vin de Bordeaux. i5,io Cidre le plus spiritueux. . .
Malvoisie de Madère 16,4° ld. le moins spiritueux.
Luncl i5,52 Poiré •,,
Chtras 25,52 Hydromel
Syracuse 15,28 Aile de Burton (bière). . .
Sauterne 14,21 Aile d'Edimbourg
Bourgogne ■ 4,57 Aile de Dorchester
Hock( vin du Rhin) • a,08 Moyenne
Nice , ■ 4,63 Bierre forte brune (brown
JQarsac • 3,86 slout)
Tinto i3,3o Porter de Londres
Champagne. i3,8o Petite bière de Londres. .
Idem mousseux 12,61 Eau-de-vie
Ermitage rouge • 12,32 Rhum.
Grave l3,37 Genièvre (Gin)
Frontignan "•29 Whiskey d'Ecosse ( eau-
Côte-rôtie 13,32 de-vie de grains)
Constance blanc ■9.775 Whiskey d'Irlande
de la ctistilUxtuarc.
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tr-t cLb la, djfuUciUcm

X
Ai-t de la. distUlaii
DE LA DISTILLATION. 4°^
Les résidus de la distillation des matières fluides , c'est-
a-dire les vinasses, ne jouissent d'aucun emploi que je sache.
Les seules matières qu'elles peuvent contenir , outre quel
ques sels calcaires peu remarquables, sont du sucre non
décomposé , une matière gommeuse , des acides , et plus ou
moins d'extractif. Nous avons indiqué en traitant de la fer
mentation la marche a suivre pour dépouiller, le mieux pos
sible, les vinasses du sucre qu'elles peuvent contenir après
un premier travail et pour le faire au profit de l'alcohol. Ce
moyen qui n'est guère praticable que dans les distilleries où
la préparation du vin se succède d'une manière continue ,
laisserait a-peu-près dans les vinasses les seules matières
qui ne peuvent pas concourir directement à la production
de l'eau-de-vie, et en général ces vinasses sont presque tou
jours perdues au sortir de l'alambic. Il serait possible cepen
dant que dans une foule de circonstances , on pût en tirer
parti comme engrais ; et si les acides qu'elles contiennent
ne convenaient point a la nature du terrain auquel elles se
raient destinées, on pourrait les neutraliser par la chaux.
11 est de fait que les matières organiques que les vinasses
contiennent, ne pourraient qu'être utiles à la végétation. 11
. resterait à calculer dans cette application, si les effets d'un
•semblable engrais pourraient dédommager suffisamment le
cultivateur des frais de transport et de main-d'œuvre que
nécessiterait sa distribution.
SECTION DEUXIÈME.
Distillation des matières semi-fluides , semi-solides.
' Les vins dont la nature est semi-fluide semi-solide feu-
vent être assez nombreux, quoique de fait ils le soient moins1
que les vins fluides. Les plus remarquables et ceux qui par
leur importance sollicitent une attention plus particulière ,
sont les vins de marc et ceux de grains et de pommes de
terre que l'on ne macère point par extraits. Tout moyen de
perfectionnement appliqué a l'un ou a l'autre de ces vins
peut être également appliqué aux autres , et sous ce rapport
nous pourrions généraliser ce que nous dirons a leur sujet ;
4o4 TRAITÉ DE L'ART
maïs d'un autre côté il y a cette différence que les vins de
grains et de pommes de terre peuvent être pins facilement
et avec plus de succès transformés en vins fluides que ceux
de marc. Cette considération nous détermine a nous occuper
séparément de la distillation de ces vins et des appareils qui
leur conviennent.
Des Fins de Marc.
Nous avons vu précédemment que ces vins sont donnés
par la fermentation des débris du raisin , grappe , peaux et
pepins , avec de l'eau , soit que ces débris proviennent d'un
vin avec lequel ils ont déja fermenté, soit qu'ils proviennent
de la séparation du moût vierge par la presse. La matière
fermentescible que ces débris contiennent encore dans cet
état, surtout lorsqu'ils ont déja subi la fermentation, est
évidemment celle que le foulage a respectée et qui, étant
encore renfermée dans les cellules du fruit, a échappé par
la même a la décomposition alcobolique. Ce fait consolide
encore ce que nous avons déja dit de l'imperfection du fou
lage; et en effet, si cette opération pouvait être exécutee
avec la perfection pratique que nous obtenons même dans
une foule d'autres opérations manufacturières, on pourrait
presque éviter , sans préjudice , la préparation des piquettes
ou vins de marc.
Il est vrai de dire qu'alors nous ne pourrions encore nous
dispenser complétement de la distillation des marcs : car ,
en admettant même la perfection du foulage , il n'en fau
drait pas moins procéder a la séparation de l'alcohol que les
marcs contiennent encore en quantité assez grande, lors-
qu'après avoir subi la fermentation avec le moût , on les en
a séparés par la presse. Mais si la difficulté n'était pas com
plétement vaincue, elle serait au moins atténuée dans beau
coup de circonstances. . „
La difficulté que présente la distillation des vins de marcs
est dans les matières solides qu'ils retiennent en suspension.
Ces matières, qui sont plus denses que le vin, se précipitent
au fond des vases où on les dépose ; et si ces vases sont des
chaudières exposées a l'action directe du foyer, elles s'y at
DE LA DISTILLATION. 4o5
tachent, y adhèrent fortement, y brûlent et donnent ainsi
naissance a tous les produits de la combustion des matières
organiques , parmi lesquels l'huile empyreumatique se trouve
pour une bonne part. Nous connaissons l'influence qu'exerce
cette huile sur la qualité des liqueurs alcoholiques. Mais
outre cet inconvénient de la torréfaction, il est souvent ré
sulté un autre accident plus grave de la combustion des ma
tières solides sur le fond des chaudières distillatoires. Si l'ou
vrier distillateur ne s'aperçoit pas à temps de l'attache des
matières , elles s'y réunissent sous une couche extrêmement
épaisse, qui établit un obstacle a la transmission de la chaleur
de la surface de chauffe au liquide. La chaleur s'accumule
donc sur cette surface jusqu'a une température très-élevée,
tant qu'enfin la croûte de matières organiques se détache et
rétablit le contact entre le liquide et la surface chauffée a une
très-haute température, et dans ce moment il y a produc
tion d'une quantité de vapeurs assez considérable pour pro
voquer l'explosion de l'appareil.
On a donc imaginé plusieurs moyens pour éviter cet acci
dent. On avait reconnu par l'expérience, par exemple , que
lorsqu'un vin de marc a pris la température de l'ébullition
et que la vapeur se forme d'une manière continue sur le fond
de la chaudière , son mouvement ascensionnel détermine
dans celle-ci une agitation du bas en haut qui s'oppose a la
précipitation des matières solides et par conséquent a leur
torréfaction. Ce phénomène est facile à concevoir, je pense,
et n'a pas besoin de plus ample développement. En consé
quence de cette observation, l'on établit dans la chaudière
une tige verticale à son centre ; cette tige, a laquelle on mé
nagea extérieurement les moyens d'application du mouve
ment de rotation, faisait rouler sur le fond de la chaudière
une chaîne ou autre machine semblable, qui maintenait con
stamment les matières solides en suspension. Ce mécanisme
était un véritable agitateur, et l'on ne s'en servait que jus
qu'au moment où l'ébullition était prononcée. On reconnut
cependant que cette précaution n'était pas toujours efficace,
et que pendant la distillation même il pouvait arriver que
l'ouvrier négligeant d'alimenter son fourneau de manière à
4o6 . TRAITÉ DE l'aRT
maintenir sa chaudière dans un mouvement d'ébullition bien
prononcée, la matière solide n'étant plus soutenue se préci
pitait et provoquait l'accident dont nous venons de parler.
Nous reviendrons ci-après, en traitant de la distillation des
grains et des pommes de terre, sur ce moyen de distillation,
et nous expliquerons comment on l'utilise encore aujourd'hui
avec l'appareil a chauffe-vin.
Plusieurs auteurs proposèrent le bain-marie pour la dis
tillation des marcs ; ce moyen serait bon sans doute quant à
ses effets, si la question économique permettait de l'admettre.
Nous avons fait voir précédemment en traitant de ce système
de distillation , pourquoi il n'est réellement pas admissible en
manufacture.
On n'éviterait d'ailleurs par cette méthode que le goût
d'empyreume , et l'on n'obvierait point à celui de marc pro
prement dit, dont la cause a son siége ailleurs que dans la
torréfaction, comme nous allons le prouver tout a l'heure.
Mais pour le moment ne nous occupons que des moyens de
distillation propres à éviter la précipitation des matières so
lides et leur calcination.
On a proposé aussi la chaleur de la vapeur transmise à-
travers les surfaces métalliques ; mais ce moyeu a à-peu-près
les mêmes côtés faibles dans la question économique que le
bain-marie , de sorte que nous devons y renoncer.
Il n'en serait pas tout-a-fait de même de la distillation des
marcs à vapeurs mélangées, et ce moyen serait peut-être
le seul praticable pour obtenir, des vins de marc, tout l'al-
cohol qu'ils peuvent donner, en même temps que l'on évite
rait la torréfaction. 11 consisterait a déposer le vin de marc
dans un vase quelconque en bois, mais mieux en .métal, où
on le chaufferait a la vapeur d'eau par un tube plongeur,
semblable h celui qui établit la communication entre les deux
chaudières de l'appareil perfectionné d'Adam et de Bêrard,
que nous avons décrit précédemment.
11 faudrait pour cela une chaudière à vapeur, une autre
pour les marcs, un chauffe-vin et un serpentin réfrigérant.
Dans un travail continu, les marcs prendraient dans le chaufc
fe-vin la chaleur de l'ébullition , et partant, donneraient l'a
DE LA DISTILLATION.
vantage économique attaché a cette disposition. On pourrait
aussi porter jusqu'a deux et même trois les chaudières à marc,
en les faisant d'une petite dimension et en les étageant. Mais
la se borneraient à-peuprès toutes les complications que l'on
pourrait adopter sans inconvénient pour ce genre de travail.
La chaudière a vapeur devrait être alimentée par de l'eau,
et l'on sent qu'en conséquence de cette exigence, il faudrait
ici a chaque travail dépenser tout le combustible que l'eau
nécessaire a la distillation des marcs exigerait ; il faudrait
appauvrir ces mêmes marcs pour les chauffer , puisque la
vapeur d'eau qui remplirait cette fonction ne pourrait le faire
qu'en se condensant dans leur masse et en faisant corps avec
elle, jusqu'a ce qu'enfin l'ébullition commençant, cette va
peur déterminerait l'analyse voulue. Il est vrai qu'avec l'a
doption de trois chaudières la dépense serait peu considéra
ble ; mais elle serait évidemment toujours supplémentaire
de celle qu'exige la distillation des vins fluides par le même
système. Je recommande ce moyen de distillation aux per
sonnes qu'il intéresserait, ne fût-ce même que pour enlever
aux marcs exprimés que l'on obtient par l'autre moyen que
je vais indiquer, ne fût-ce même dis- je, que pour enlever a
ces marcs l'alcohol qu'ils retiennent encore après l'expres
sion.
Si l'on employait des appareils plus compliqués pour la
distillation des vins de marc , ceux qui , comme l'appareil
continu , par exemple , forcent le vm a de nombreuses cir
culations avant d'arriver à l'ébullition , il serait difficile ,
pour ne pas dire impossible, d'en obtenir de bons résultats ;
les matières solides se précipiteraient dans les angles des
appareils , obstrueraient les conduits , et présenteraient une
foule de difficultés semblables , que l'expérience ne nous
donne pas l'espoir de vaincre.
Voici l'autre moyen que l'on a proposé pour la distilla
tion des marcs :
II consiste a assimiler ces vins aux vins fluides , en sépa
rant d'abord par précipitation tout le liquide qu'ils peuvent
donner, et en soumettant les résidus solides à l'effort d'une
presse énergique.
. TRAITE DE L ART
Ce moyen serait précieux. et à l'abri de toute objection ,
si les marcs recueillis par la presse ne retenaient encore avec
eux, après cette opération, une quantité notable d'alcohol,
qu'on ne peut bien enlever que par la distillation.
Pour concevoir bien la cause de ce fait, il suffira de con
sidérer le mode d'agir des matières organiques chargées
d'eau , sur l'alcohol : des fruits , par exemple , que l'on
conserve dans l'eau-de-vie. Après un certain temps, ces
fruits s'emparent de l'alcohol de l'eau-de-vie , et leur cèdent
leur eau. La cause de ce phénomène n'est pas bien connue,
mais le fait n'en existe pas moins , et il n'aura sans doute
pas échappé à l'observation du lecteur. En effet , un fruit
conservé dans de l'eau-de-vie a toujours une saveur alco-
holique plus grande que la liqueur qui l'a conservé : c'est
ce qui fait dire vulgairement que le fruit boit l'eau-de-vie.
Le même phénomène se représente dans tous les vins qui
ont fermenté avec des substances solides , et celles-ci con
tiennent toujours plus d'alcohol , proportionnellement a leur
volume , que le liquide dans lequel elles nagent. Lorsque
l'on se borne à séparer les matières solides des vins de marc
par la presse, l'on nuit donc a la production alcoholique en
enlevant a la distillation les substances qui contiennent l'al
cohol dans la plus grande proportion : ce fait a été con
staté par des expériences comparatives pour les grains et les
f1ommes, ainsi que nous le dirons ci-après. D'un autre côté,
'eau-de-vie de marc produite par cette méthode acquiert
beaucoup en qualité , et la cause de cette acquisition s'expli
que facilement par les résultats des recherches de M. Au-
bergier, dont nous allons parler. On soustrait en effet par
ce moyen , à la distillation , les peaux du raisin , dans les
quelles est le siége de l'huile essentielle qui donne le goût
de marc proprement dit.
11 s'agirait donc de discuter ici pour le choix de la mé
thode à suivre pour la distillation des marcs , si , d'une part,
l'acquisition de qualité faite au détriment de la perte d'une
portion d'alcohol n'est pas plus avantageuse au lucre du
distillateur , que la récolte complète de cet alcohol
DE LA DISTILLATION.
duit, et enveloppée, de plus, de toutes les difficultés atta
chées a la distillation des substances semi-fluides , semi-so
lides.
Je crois fermement que la première de ces deux propo
sitions réunit le plus de causes propres à fixer le choix ; et
cette opinion est d'autant plus fondée , qu'en adoptant la
méthode qu'elle désigne, on pourrait en faire disparaître le
seul côté faible qu'elle présente.
En effet, supposons une quantité donnée de vins de marcs
transformés en vins fluides par la séparation des matières
solides par la presse. Les matières fluides seraient d'abord
soumises à la distillation par les mêmes appareils et les mê
mes procédés que les vins , dans la classe desquels ils rentre
raient par cette opération ; et l'on pourrait de plus distiller les
matières solides a la vapeur de l'eau , avec la disposition
que j'ai recommandée tout a l'heure comme moyen utile de
traiter les vins de marc.
Gn aurait ainsi deux qualités d'eau-de-vie , dont l'une ne
différerait guère de celle des vins fluides , et dont l'autre ,
entachée de tout le goût du marc, pourrait être améliorée
isolément par rectification. Je crois que cette marché conci
lie assez de chances de succès pour solliciter l'attention des
distillateurs de marcs ; elle est parfaitement conséquente
avec tous les principes que nous avons professés.
Quant aux recommandations que l'on a faites de saturer
l'acide des vins de marc par la craie, je la crois bonne ;
mais je pense que la se bornent les fonctions de la craie , et
qu'elle ne contribue nullement à neutraliser l'huile essen
tielle.
Les matières solides des vins de marcs peuvent, étant
desséchées et brûlées , donner un produit connu sous le nom
de cendres gravelées : cette opération est une véritable
incinération, dont on recueille les produits fixes. Parmi ces
produits fixes, qui sont tous de nature calcaire, le tartrate
acide de potasse se trouve pour une forte dose , et c'est a ce
corps, utile aux arts, que les cendres gravelées doivent
toute leur valeur.
Souvent encore on utilise les résidus de la distillation des
4 10 TRAITÉ DE L'ART
marcs comiue engrais , et cet agent de reproduction est assez
estimé dans les vignobles ; c'est en effet une véritable con
sommation sur les lieux de production qui assigne a ce mode
d'opérer tous les avantages qu'on lui reconnaît dans la
science et la pratique agricoles.
Nous terminerons cet article par l'extrait textuel fart par
M. Gay~Lussac d'un Mémoire de M. Aubergier, phar
macien à Clermont-Ferrand , sur l'eau-de-vie de marc de
raisin. Cet extrait, inséré dans les Annales de Chimie et de
Physique, tome XIV, page 21o, achèvera de donner tous
les éclaircissemens nécessaires à tout ce que j'ai dit dans ce
chapitre sur la distillation spéciale des marcs.
« On avait pensé jusqu'à présent que l'odeur et le goût
acre et pénétrant des eaux-de-vie de marc étaient dus a
une huile qui, suivant quelques-uns, se formait pendant
la distillation , et qui , suivant d'autres , existait toute formée
dans les pepins du raisin. D'après les observations de M.
AubergieT) cette huile aurait son siége dans la pellicule
même du raisin, et les faits qu'il rapporte rendent son opi
nion vraisemblable.
Les pepins seuls, distillés avec l'alcohol ou avec l'eau f
ont donné une liqueur d'une saveur très-agréable.
La grappe distillée n'a produit qu'une liqueur très-lé
gèrement alcoholisée, n'ayant ni l'odeur ni la saveur de
l'eau-de-vie de marc.
Mais l'enveloppe des grains de raisin , séparée des pépins
et de la grappe , soumise seule a la fermentation et distillée
ensuite, a donné une eau-de-vie tout-a-fait semblable à
celle de marc. '
Ainsi, il paraît démontré par ces expériences que c'est
dans la pellicule du raisin que réside l'huÛe qui communique
à l'eau- de-vie de marc ses mauvaises qualités.
M. Aubergier a obtenu cette huile en rectifiant de l'eau-
de-vie de marc a une chaleur modérée. Les premières
portions d'alcohol qu'il recueillit avaient beaucoup moins
d'âcreté que les suivantes : après avoir été rectifiées une
seconde fois, elles en étaient presque entièrement exemptes ;
cependant des rectifications multipliées ne purent leur donner
une saveur aussi agréable qu'à l'alcohol retiré du vin.
DE LA DISTILLATION. £l 1
Les dernières portions de liquide de chaque opération T
réunies ensemble «t distillées , donnèrent d'abord de l'ai—
<:ohol <jui ne se troublait pas avec l'eau, et qui contenait
peu d'huile ; la portion qu'on obtint ensuite était transpa
rente, mais elle se troublait lorsqu'on la mêlait avec l'eau ,
.enfin la troisième portion , qui resta laiteuse jusqu'a la fia
de l'opération , avait à sa surface une légère couche d'huile ^
quoiqu'elle marquât 23° à l'aréomètre de Baumé.
En réunissant ce dernier produit au second, et leur
ajoutant une quantité d'eau convenable pour les ramener à
15° de Baume, la liqueur devint aussitôt très-opaque, et
un quart-d'heure aprcs elle fut recouverte d'une assez grande
quantité d'huile. Cent-cinquante litres d'eau-de-vie en ont
produit plus de trente-deux grammes.
Cette huile a les caractères suivans :
Elle est très-limpide et sans couleur au moment où on la
sépare de l'alcohol ; mais la lumière lui fait prendre , quel
ques instans après, une teinte légèrement citrine. Sa fluidité
est très-grande ; son odeur est pénétrante, et sa saveur très-
âcre et insupportable. Soumise à la distillation , les premières
portions qui se volatilisent conservent leur arome ; mais le
produit ne tarde pas a contracter une odeur empyreumatiqUe:
ce qui fait soupçonner a M. Aubergier qu'elle pourrait
bien contenir une petite partie d'huile fixe propre au pepin
de raisin ( 1 ) ; la liqueur contenue dans la cornue prend en
même temps une couleur citrine qui s'augmente pendant
l'opératio n, et laisse à la fin un charbon très-léger peu con
sidérable. Elle se combine a l'eau dans la proportion d'un
millième , et lui communique son odeur et son âcreté ; elle
dissout le soufre lorsqu'elle est en ébullition et le laisse pré
cipiter par le refroidissement : enfin , avec les alcalis elle

( l ) Il n'est pas nécessaire , pour expliquer ce fait, d'avoir re


cours à la' présence d'une huile fixe dans l'huile qu'on retire de
l'eau-de-vie de marc ; car celle-ci, quoiqu'ayant de l'odeur et une
saveur trcs-âcre, est cependant beaucoup moins volatile que les
huiles essentielles.
No1e de M. Gay-Lussac.
4 12 TRAITÉ DE l.'ART
forme des savonnules. Cette huile est si acre et si pénétrante,.
qu'il n'en faut qu'une seule goutte pour infecter cent litres
de la meilleure eau-de-vie.
M. Aubergier conclut de ces observations que l'eau-de-
vie d'Audaye et de Cognac est supérieure aux autres par
cela seul qu'elle es* le produit de la distillation d'un vin
blanc qui, n'ayant pas fermenté sous la grappe, n'a pu se
charger de l'huile contenue dans la peau du raisin. 11 s'est
en effet assuré que du moût , tiré d'une cuve avant que sa
fermentation fût commencée, donne une eau-de-vie de meil
leure qualité que celles provenant du même moût laissé en
contact avec la pellicule, les pepins et la grappe, pendant
tout le temps de la fermentation. Il conclut en conséquence
que l'on augmenterait la valeur des eaux-de-vie en suivant
ce procédé de fabrication. Il est même parvenu "a retirer du
marc, de l'eau-de-vie de très-honne qualité, en faisant pas
ser successivement de l'eau sur du marc pressé , jusqu'a ce
qu'elle fût assez chargée de principes alcoholiques pour
être distillée. Comme l'eau n'avait pu enlever au marc toute
sa partie vineuse , il a été distillé , et on a obtenu une eau-
de-vie pareille aux eaux-de-vie de marc ordinaires.
M. Aubergier remarque que les alcohols qu'on retire des
divers fruits doivent leur odeur et leur saveur particulières
a un principe volatil huileux qui se trouve ordinairement a
la surface de chaque fruit , et qu'en enlevant cette surface ,
ils seraient tous a-peu-près semblables : qu'ainsi, en dépouil
lant les pommes, les poires, les prunes, les abricots, les
pêches et l'orge même de leur enveloppe, on en retirerait
des eaux-de-vie presque entièrement dégagées de la
particulière a chaque fruit ( 1 ). »

( I ) L'huile qui donne à l'eau-de-vie de marc ses mauvaises


qualités , et dont M. Aubergier place le siége dans la pellicule du
raisin , a été observée depuis long-temps , ainsi qu'on peut le voir
dans la Pharmacie de Baume , mais on n'était pas d'accord sur son
origine , et on s'était peu occupé de ses propriétés. Plusieurs per
sonnes attribuaient l'odeur et la saveur de l'cau-de- vie de marc à
la distillation même, pendant laquelle le marc s'attachait aux
DE LA DISTILLATION. 4l3
Des P^ins semi-fluides , semi solides de grains et de
pommes de terre.
Tout ce que j'ai dit de la distillation spéciale des marcs
et des appareils qui lui conviennent est également applicable
aux vins de grains et de pommes de terre. Les mêmes diffi-

parois des chaudières sur lesquelles il se carbonisait. Ce qui


prouve , en effet, l'influence de cette cause, c'est qu'en dis
tillant les marcs par les nouveaux procédés, c'est-à-dire avee la
vapeur d'eau , on obtient des eaux-de-vie bien plus agréables.
Cependant il n'en est pas moins certain que Peau-de-vie de
marc contient une huile particulière odorante et très-âcre qui en
altère beaucoup la qualité , et sur laquelle M. Aubergier a fait
d'intéressantes observations.
Cette huile, par son odeur, son âcreté , sa propriété de ne
point tacher le papier et de ne point se saponifier avec les alkalis,
doit être rangée parmi les huiles essentielles ; mais par son peu
de solubilité dans l'alcohol , sa propriété de brûler sans fumée ,
et par sa volatilité beaucoup plus faible que celle des huiles es
sentielles ordinaires, que j'ai constatée sur un échantillon de l'huile
obtenue par M. Aubergier, et qui m'a été remis par M. Mirault,
elle se rapproche aussi des huiles grasses.
Je ferai remarquer , pour détruire la confusion qui existe
encore dans l'histoire des huiles essentielles , et qui souvent donne
lieu à des erreurs , que toutes ces substances ne jouissent pas à
beaucoup près de la même volatilité : la plupart bouillent à en
viron 160 ; mais il en est d'autres , comme celle du vin , de cas-
sia , de grains , etc. , qui bouillent beaucoup plus tard , et tou
jours avant les huiles grasses. Le caractère le plus important des
huiles essentielles dérive donc moins de leur volatilité que de
leur odeur et de leur âcreté , et il serait peut-être convenable de
les diviser en deux groupes , d'après leur volatilité. Les plus
volatiles peuvent être distillées seules , sans décomposition ; mais
les autres se décomposent en partie, et on ne parvient a les dis-;
tiller que mêlées avec l'eau ou l'alcohol.
On ne trouve point, en général , les huiles essentielles très- vo
latiles dans les mêmes parties des végétaux que les huiles grasses ;
mais les huiles essentielles peu volatiles , tenant le milieu entre
ces deux espèces d'huiles , peuvent avoir un siège commun aux
unes et aux autres.
Noie de M. Gay+Lussac.
4l4 TRAITÉ DE L'ART
cultes se représentent , et des inconvéniens équivalent né-
cessitentles mêmes précautions ; je renverrai donc le lecteur,
que cette matière intéresse, a l'article qui précède, sur les
vins de marcs.
J'ajouterai cependant quelques notions particulières , qui
appartiennent au sujet qui nous occupe , et dont je trouverai
les élémens dans la pratique des ateliers. -
Je ne saurais trop recommander, pour la distillation des
grains et surtout des pommes de terre , les moyen» que j'ai
signalés dans ma première partie, pour assimiler les vins
qu'ils produisent aux vins fluides, et lever par-la même les
plus grands obstacles que leur distillation présente ; mais
comme il serait possible que la routine , l'ignorance , et
même quelques circonstances que je ne puis prévoir ni em
pêcher , forçassent le manufacturier a continuer d'opérer
de manière a devoir mettre en distillation des vins de grains
et de pommes de terre semi-fluides et semi-solides, j'indi
querai la méthode qui convient le mieux a ce genre de travail.
L'appareil distillatoire à chauffe-vin, que j'ai décrit pré
cédemment, est celui qui, a juste titre, est le plus généra
lement employé par les distillateurs de grains et de pommes
de terre.
Les cuves de fermentation, dans la méthode de travail qui
nous occupe maintenant, présentent toujours , après le mou
vement fini, une masse de matière pâteuse précipitée assez
considérable ; elle est communément du 5e au 6e du volume
de la cuve pour les grains , et du quart au tiers pour les pom
mes de terre.
Lorsque l'on veut commencer une distillation avec l'ap
pareil chauffe-vin, on dépose une charge dans la chaudière
et une autre dans le chauffe-vin ; on allume le foyer , et le
couvercle ou chapiteau de la chaudière n'étant point re
placé , un ouvrier remue avec un balai ou autre agitateur
semblable le liquide qui est ainsi exposé à l'action immé
diate du feu ; ce mouvement ayant pour but de mettre obs
tacle à la précipitation et a la torréfaction des matières so
lides au fond de la chaudière, est continué jusqu'a ce que le
vin ait acquis une température voisine de l'ébullition ; alors
DE .LA DISTILLATION. 4' 3
l'ouvrier retire son agitateur , replace convenablement le
couvercle ou chapiteau de la chaudière : l'ébullition donne
au vin un mouvement suffisant pour que la précipitation ne
s'opère point ; mais il est essentiel pour cela d'entretenir le
foyer dans un état constant de combustion , qui provoque
un bouillon continuel dans la masse du vin.
La distillation marche alors, et le vin du chauffe-vin ar
rive pendant l'analyse de la charge de la chaudière a un.
degré voisin de l'ébullition , sans que celle-ci se prononce ; il
se forme a la surface de ce chauffe-vin une croûte épaisse
de matière solide , qui lui sert comme d'un double couvercle
et qui le préserve d'une déperdition sensible d'alcohol. Lors
que, le liquide fourni par le serpentin annonce par sa densité
aréométrique , que le vin de la chaudière est dépouillé de
tout son alcohol , on ouvre le robinet de décharge qui doit
communiquer avec une citerne destinée a recevoir les vinas
ses ; puis , avant de fermer ce robinet , on ouvre, comme
nous l'avons déjà dit , le robinet de communication de la
chaudière avec le chauffe-vin , pour éviter l'absorption ; ce
lui-ci se décharge dans l'autre, et il est de nouveau rempli
par du vin froid, et ainsi de suite.
On sent que par cette disposition on évite l'emploi d'un
agitateur a chaque charge , en même temps que l'on réalise
une économie réelle de chaleur. Pénétrons-nous bien , en ef
fet, que l'ébullition d'un liquide lui imprime un véritable
mouvement , et cela par le fait de l'asceusion de la vapeur
qui , se formant sur la surface de chauffe que présente le
fond de la chaudière vient crever d'une manière continue h
la surface du liquide en traversant toute l'épaisseur de la
couche : c'est un mouvement vertical imprimé de bas en
haut ; et sa force et sa vitesse sont exprimées par le rapport
de la pesanteur spécifique de la vapeur , qui est a celle de
l'eau comme 1 est a 17oo a-peu-près.
Il est bon de dire aussi qu'à chaque décharge du chauffe-
vin dans la chaudière , il faut avoir soin d'agiter le liquide
pâteux de ce chauffe-vin pendant tout le temps de la dé
charge, afin d'être certain qu'il ne reste point de matière so
lide sur le fond et dans les angles de la cuve, et pour remettre
4l6 TRAITÉ DE L'ART
en même temps en suspension la croûte épaisse formée h la
surface par le seul mouvement du chauffage.
Ici viennent se présenter, contre ce mode de distillation ,
tous les inconvéniens que l'on a reprochés à son application
aux marcs. En effet, les dangers de la torréfaction dépen
dant, dans ce moyen , de la surveillance et des soins de l'ou
vrier, n'offrent pas une garantie suffisante de leur dispari
tion, et ils peuvent encore se reproduire assez souvent. Le
goût d'empyreume existe donc toujours d'une manière pius
ou moins intense dans les produits , et ceux-ci emportent en
outre toujours avec eux le mauvais goût et l'arome des fruits.
Il paraîtrait, en effet, que ces nuances particulières et dis-
tinctives appartiendraient a une huile essentielle , qui au
rait son siége principal dans les peaux du grain et de la
pomme de terre, et qu'elle est encore incorporée dans le
produit alcoholique d'une manière d'autant plus intense que
ces matériaux ont été introduits dans la fermentation et dans
la distillation.
On conçoit donc qu'ici le moyen correcteur le plus efficace
est celui que nous avons recommandé , et qui consiste à ne
mettre en fermentation qu'un extrait tien fluide. Un autre
moyen correcteur moins puissant consisterait a séparer le
liquide du solide par décantation et par la presse après la
fermentation ; mais ce dernier moyen essayé n'a point donné,
aux manufacturiers qui s'en sont occupés , un résultat écono
mique satisfaisant, a cause du grand volume des pâtes dans
les vins de grains et de pommes de terre , lesquelles pâtes
emporteraient avec elles , après l'expression , une quantité
d'alcohol assez considérable. Voyez ce que nous avons dit sur
la cause de ce phénomène en traitant des marcs.
Il faudrait donc, pour remplir les conditions- les plus fa
vorables a l'économie et a la qualité, dans ce dernier mode
d'opérer , suivre la marche que nous avons indiquée pour les
marcs , c'est-à-dire traiter le fluide et le solide séparément
pour confectionner deux qualités d'eaux-de-vie ; mais une
circonstance contribue puissamment, je pense, a éloigner
cette modification des manufactures déja existantes, de même
qu'elle éloignera, dans ces mêmes manufactures, tous les
DE LA DISTILLATION. 4 '7
changemens qui auraient pour but d'améliorer les produits.
• En effet , la distillation des grains et des pommes de terre
existe déja , depuis de nombreuses années , dans les pays qui
l'exploitent en grand ; elle a fait connaître aux consomma
teurs une liqueur, dont la qualité est soumise a l'empire de
l'habitude , et tel gourmet qui répudie les bonnes eaux-de-
vie de raisin , savoure l'empyreume et le goût de fruit des
eaux-de-vie de grains ; cette préférence tient uniquement au
goût établi par l'habitude, et je ne puis, sous ce rapport,
qu'approuver la conduite du manufacturier qui se guide sur
cette considération , dans la préparation de ses produits.
Je n'ai donc point pour but ici, dans la discussion dont
je m'occupe , de vouloir introduire des innovations préjudi
ciables dans les travaux des distilleries existantes , qui ne
pourraient les adopter sans froisser leurs intérêts ; je veux
seulement assigner les causes des qualités , et indiquer les
moyens de les maîtriser.
Il serait très-utile, par exemple, a un manufacturier qui
voudrait établir une distillerie d'amilacées dans une localité
habituée a la consommation des bonnes eaux-de-vie de raisin,
il serait très-utile, dis-je, de procéder de manière a donner
aux produits le moins de goût de fruit possible ; opérer de cette
manière ne serait point identifier la nouvelle boisson avec la
boisson connue et recherchée ; mais ce serait au moins être sur
la route de le faire. Témoin, l'expérience des distillateurs de
fécule parisiens.
Dans les contrées de grandes distillations d'eaux-de-vie
de grains et de pommes de terre, on incorpore d'ailleurs pres
que toujours une huile essentielle dans la liqueur , qui mas
que sinon les saveurs , mais au moins les odeurs particulières
acquises au produit par les fruits et par les procédés de dis
tillation. L'huile essentielle la plus utilisée est celle des graines
de genièvre, que l'on met en chaudière avec les petites eaux
en quantité d'autant plus grande que l'on veut donner a la
liqueur alcoholique un arome de genièvre plus dominant.
C'est ce qui a fait donner aux eaux-de-vie de grains que l'on
consomme en si grande quantité en Belgique et dans le Nord
de la France , le nom de genièvres ; on lenr donne ce nom
même lorsqu'elles ne portent aucun arome étranger.•
37.
4l8 TRAITÉ DE L'ART
Souvent encore on remplace la graine de genièvre par
d'autres madères odorantes, telles que les graines d'anis , les
oranges sauvages, etc., que l'on mélange avec les petites eaux
dans la chaudière, dans la dernière rectification. De sembla
bles moyens contribueraient aussi à donner moins d'utilité
aux opérations qui auraient pour but une amélioration réelle
dans la qualité des eaux-de-vie.
La distillation des grains et des pommes de terre est le plus
souvent combinée avec l'engrais des bestiaux ; et s'il existe
dans les villes des distilleries de ce genre , qui n'utilisent pas
elles-mêmes les résidus par ce moyen , c'est qu'elles trouveut
a les vendre aux nourrisseurs , qui en font généralement un
assez grand cas.
Les vinasses semi solides , semi-fluides des distilleries de
grains et de pommes de terre prennent le nom de drèches.
Le gros bétail en est très-avide et se maintient toujours dans
un bon état de santé avec cette nourriture ; mais si on vou
lait l'employer comme moyen puissant de produire de la vian
de, ilserait convenable de la fractionner avec des tourteaux ;
ceux de lin conviennent très-bien pour cet objet, et transfor
ment les drèches en nourritures très-consistantes. On peut
pa r ce moyen engraisser un bœuf bien portant dans l'espace
de trois mois.

CHAPITRE XV.

Appareil de M. Baglioni.

Je n'avais point l'intention de donner ce modèle d'appa


reil de la distillation continue lorsque je rédigeai cet ouvrage -,
le brevet qui en assurait la propriété a son auteur m'eût d'ail
leurs empêché de le faire, puisqu'il n'était pas expiré, et
qu'a ce titre je n'avais point le droit de le publier.
Ce brevet étant devenu , depuis , la propriété publique ,
par son extinction qui date du 13 août de l'année 1823 , j'ai
pensé que le public pourrait attacher quelqu'importance a
DE LA DI6TU.LATIOK. 4 '9
connaître un appareil qui a depuis une douzaine d'années fait
assez de bruit ; je me suis donc décidé à le donner comme un
hors-d'œuvre, qui n'est pas indispensable au complétement
de mon ouvrage. L'on pourra d'ailleurs s'assurer , en com
parant l'exécution de cet appareil avec celle de M. Derosne ,
que je n'ai rien sacrifié a la passion en lui donnant un degré
d'infériorité marqué sur cette dernière.
Les divers détails que je vais donner sur l'appareil distil-
latoire de M. Baglioni, ont été pris dans les documens mê
mes de l'inventeur , déposés dans les cartons de Son Excel
lence Monseigneur le Ministre de l'Intérieur. J'ai même
dressé le plan que j'en présente planche 8 , d'après le dessin
de M. Baglioni , annexé au dernier certificat d'additions et
de perfectionnemens qu'il a obtenu le 16 novembre 1816.
SECTION PREMIÈRE.
État primitif de VAppareil de M. Baglioni, suivant
le brevet délivré en août 1813.
Le premier appareil distillatoire-continu pour lequel M.
£a%lioni obtint un brevet de dix ans, en août 1813, se
composait : .
1°. D'une chaudière distillatoire, montée sur son fourneau.
2°. D'un cylindre ou colonne distillatoire dans laquelle
se trouvait placé un évaporateur.
3°. D'une cuve en bois fermant hermétiquement et con
tenant le condensateur conique du baron de Gedda.
4°. D'un réservoir supérieur a tout l'appareil et destiné
à lui fournir le vin par un jet continu.
5°. D'un réservoir a eau placé un peu au-dessus de la
chaudière et destiné a l'alimenter de l'eau nécessaire a la
distillation.
Voyons chacune de ces parties en particulier.
1°. Chaudière distillatoire.
La chaudière distillatoire de forme plus large que haute
avait le fond concave ; elle était armée de deux robinets ,
dont l'un placé à la partie inférieure servait a la décharge f
>7-
420 TRAITÉ DE L'ART
et l'autre placé a la partie supérieure servait de trop-plein
pour fixer le niveau de la charge. Comme cette chaudière
ne devait être alimentée que par de l'eau, elle portait un tube
injecteur qui plongeait jusqu'au fond de son liquide et sortait
en forme d'entonnoir, en formant tout-a-la-fois pour l'ap
pareil un tube de sûreté contre l'expansion. C'était par ce
tube que l'eau était transmise par intermittence a la chaudière
par le réservoir disposé a cet effet.
Cette chaudière portait de plus a sa partie supérieure
vers l'une de ses extrémités latérales une boîte a vis destinee
a faciliter le nettoiement. Son orifice , d'un diamètre égal h
celui de la base de la colonne dont nous allons parler , était
muni d'un rebord ou collet sur lequel s'adaptait herméti
quement et a brides la base de cette même colonne.
Au reste la chaudière dans cette disposition de l'appareil
ne recevait jamais de vinasses; elle ne contenait constam
ment que de l'eau pure, qu'elle transformait en- vapeurs
pour opérer la distillation du vin comme nous allons le dire
tout a l'heure.
2°. Du cyl1ndre à évaporateur, ou colonne disliUatoire.
Ce cylindre figuré doublement en C et en 8, planche 8,
est représenté à-peu-près la tel qu'il était dans sa construc
tion primitive. C'est une colonne en cuivre qui en renferme
a son centre une autre , dont le diamètre n'est que le tiers
du sien. Cette colonne intérieure ouverte à sa partie supé
rieure et fermée à sa base , était destinée à recevoir le vin
au fur et à mesure qu'il sortait de la cuve par un jet continu,
pour le déverser par trop-plein sur l'évaporateur interposé
entre les deux colonnes.
Cet évaporateur consiste en une double vis d'Archimède,
qui circule dans toute la hauteur de la colonne. Le vin dé
versé par la colonne intérieure s'épanche sur la double hélice
de la vis et circule lentement dans toute sa longueur sous
une couche extrêmement mince. Là , il rencontre de la va-
<peur qui le touche médiatement en-dessus et immédiatement
en-dessous à-travers le cuivre , et en admettant que le vin
arrive bouillant dans la colonne, on conçoit qu'il doit s'o
DE LA DISTILLATION.
pérer entre lui et la vapeur d'eau l'échange que nous-
connaissons ; c'est-h-dire que la vapeur d'eau se condense
en faveur de l'alcohol qui se vaporise. Nous verrons plus
loin comment le vin arrive dans cette partie de l'appareil ;
occupons-nous maintenant du mécanisme qui le rejette au
dehors, lorsqu'il est depouillé.
A la base de la grande colonne se trouvait, dans l'an
cienne disposition, un bassin circulaire qui avait pour grand
diamètre l'orifice de la chaudière et pour petit diamètre
celui de la colonne elle-même. La disposition des deux ex
trémités inférieures de la double vis était telle qu'elle portait
dans ce bassin le vin qui , après avoir parcouru toute la lon
gueur du cylindre, devait être dépouillé de son alcohol. De
la partie inférieure de ce bassin qui devait recevoir constam
ment les vinasses , partait un robinet que l'on ouvrait par
intermittence pour rejeter les vinasses au dehors.
-Il doit être facile maintenant avec cette explication , de
concevoir le mécanisme de cette partie de l'appareil, dans
laquelle seule devait s'opérer l'analyse du vin par la vapeur
d'eau. La chaudière communiquait avec les espaces formés
entre les deux colonnes par la double vis d'Arehimède ,
mais seulement pour la transmission des vapeurs, sans que
le vm pât y retomber. Ces vapeurs en parcourant toute la
longueur du double espace s'analysaient et arrivaient a la
partie supérieure dans un chapiteau où elles trouvaient un
passage dans un tube courbé en col de cigne, qui les con
duisait dans le condensateur de Gedda , renfermé dans la
cuve dont nous allons parler.
3°. De la cuve contenant le condensateur conique du
baron de Gedda.
Cette cuve était foncée des deux bouts ; sa base était
placée a la hauteur de la maçonnerie de la chaudière.
Elle portait un tube plongeur jusqu'à son fond qui ali
mentait sa capacité du vin nécessaire à la condensation
et a la réfrigération des vapeurs , comme dans les cuves à
serpentins que nous avons décrites précédemment. La capa
cité de cette cuve pleine de vin communiquait par la par
4a* tlUITÉ DË L'ART
de supérieure avec la colonne distîllatoire, et cette commu
nication. était établie par un tube légèrement incliné du côté
de la colonne et qui portait le vin dans la capacité de la
petite colonne intérieure. On conçoit que , pour que cette
transmission de vin eût lieu, il fallait que le niveau supérieur
de la cuve fût un peu au-dessus de l'extrémité de la colonne,
de manière à ce que celui-ci pût se déverser par trop-plein
dans le tube communicateur.
Au milieu de la capacité de cette cuve se trouvait le con
densateur conique du baron de Gedda , qui devait y faire
l'office de serpentin. Voici la description de ce condensateur
telle qu'elle se trouve dans le XXIX" tome des Annales
des Arts et Manufactures , page 92.
'. « Ce condensateur consiste en deux cônes tronqués et
renversés , passés l'un dans l'autre , laissant entre eux un
intervalle fermé haut et bas par des anneaux soudés aux cô
nes. C'est dans cet espace, qui est trois fois plus large en
haut qu'en bas, que s'opère la condensation des vapeurs al-
coholiques. Le cone inlérieur étant tronqué, laisse passer
l'eau du réfrigérant, laquelle frappant les surfaces intérieure
et extérieure du condensateur conique, refroidit très-promp-
tement la liqueur. Le diamètre supérieur du cône extérieur
est a son diamètre inférieur comme 7 est a 4. La hauteur des
cônes est au grand diamètre du cône extérieur , à-peu-près
comme 5 est a 2. Le petit diamètre du cône intérieur est à
celui du cône extérieur environ comme 18 est a 21, et la dif
férence de leurs grands diamètres est comme 2 1 est à 3o.
Ainsi dans les plus grands condensateurs , qui ont environ 6
pieds de hauteur et qui servent pour des alambics d'environ
cent pieds cubes de contenu , l'intervalle en bas n'est que
d'un pouce et demi , tandis que l'espace supérieur est de cinq
pouces environ. Les condensateurs de moindre dimension
sont établis d'après ces proportions. »
C'était dans cet appareil, qui était l'unique condensatenr
et réfrigérant de M. Baglioni, que les vapeurs alcoholiques
étaient portées au sortir de la colonne pour être liquéfiées
et refroidies.
Il ne faut pas être grand calculateur ni géomètre pour es
DE LA DISTILLATION. l^lZ
timer que cet appareil a. un degré d'infériorité marqué sur
le serpentin ; il ne peut pas dans un espace donné présenter
autant de surface rie condensation que celui-ci , et par la
même raison la réfrigération doit y être d'autant moins par
faite avec une même quantité de liquide , que les liqueurs
condensées , au lieu de circuler lentement comme elles le
font dans les hélices du serpentin , tombent de suite au fond
de l'appareil en cédant à leur propre poids dans une direc
tion presque verticale.
Cet appareil ne vant donc point le serpentin. Aussi ver
rons-nous par la suite que M. Baglioni l'a abandonné pour
revenir au serpentin.
Au reste , la cuve qui contenait cet appareil présentait les
mêmes phénomènes que le serpentin , c'est-à-dire que le
vin y étant mis en contact immédiat par les surfaces métal
liques , avec les vapeurs et les produits condensés , s'appro-
f1riait leur chaleur, et occupait dans la cuve les places qui
ui étaient assignées par les pesanteurs spécifiques différentes
que lui donnaient des températures différentes. C'est ainsi
que les couches les plus froides occupaient le fond , et que
les plus chaudes venant successivement se placer à la partie
supérieure, étaient celles qui dans un travail continu sor
taient par le tube de trop-plein pour entrer en distillation.
La capacité inférieure du condensateur portait un tube qui
sortait de la cuve pour verser au dehors les produits au fur
et à mesure de leur condensation.
La cuve portait de plus a fleur de son fond inférieur un
robinet de décharge , pour pouvoir a volonté en retirer le
vin , lorsqu'un travail était terminé.
4°. Réservoir à vin.
Ce réservoir dominait toutes les autres parties de l'appa
reil. C'était dans sa capacité que l'on montait au besoin tout
le vin qui devait entrer en distillation , et il le transmettait ,
par un robinet qu'il portait à sa base , à la cuve que je viens
de décrire.
C'était en variant l'ouverture du robinet de ce réservoir
que l'ou maîtrisait l'introduction du vin , et l'on conçoit
4a4 TRAITÉ DE L'ART
que c'était surtout sur ce robinet que devait être fixée l'at
tention du manipulateur. En effet , si l'introduction du vin
dans cet appareil eût été hors de proportion avec l'analyse
possible de la colonne , il est évident que l'on se serait ex
posé a rejeter hors de l'appareil des vinasses imparfaitement
dépouillées.
5°. Réseivoir à eau.
Ce réservoir muni d'un robinet à sa base , n'avait d'autre
but que d'offrir une disposition plus commode que tout au
tre pour introduire de l'eau dans la chaudière lorsque cela
était nécessaire. Son robinet était a cet effet superposé a
l'entonnoir du tube plongeur de la chaudière.
Faisons remarquer ici en passant que l'inventeur eût pu
ajouter une amélioration remarquable a l'économie de son
appareil , en transformant ce réservoir en une petite chau
dière , qu'il eût pu chauffer par la chaleur perdue par le
foyer de la grande. Il eût ainsi alimenté cette dernière avec
de l'eau bouillante ou presque bouillante, au lieu de le
faire avec de l'eau froide , comme cela était indispensable
avec sa disposition. Cette économie de combustible eût pro
curé un double avantage , en touchant tout a la fois la quan
tité de produits fabriqués par l'appareil dans un temps donné.
SECTION DEUXIÈME.
Des divers perfectionnemens apportés par l'inventeur à
l'appareil que je viens de décrire jusqu'au dernier cer
tificat d'additions et de perfectionnemens , qui lui a été
délivré en novembre 1816.
L'appareil que nous venons de décrire était sans doute
d'une simplicité remarquable, et il eût sous ce rapport
rendu le plus grand service à l'art, si d'un autre côté ses
résultats eussent été à l'abri de tous reproches et de tous
inconvéniens.
Rendons cependant cette justice à M. Baglioni, que si
le système de la continuité ne lui appartient pas de fait , il
eut le premier l'idée ingénieuse d'appliquer la colonne dis-
tillatoire au col de la chaudière ; application qui n'avait

-
DE LA DISTILLATION.
point été faite par M. Cellier Blumenthal , et que M. De-
rosne a depuis adoptée.
Arrivons aux imperfections de cet appareil et voyons com
ment M. Baglioni a cherché h y remédier dans l'espace de
trois ans.
La première imperfection était dans l'emploi de Peau
pour la distillation , qui nécessitait ainsi une dépense sup
plémentaire de combustible. Cette dépense en effet était évi
demment égale a tout le charbon nécessaire au chauffage ,
jusqu'à l'ébullition de l'eau qui réduite en vapeur devait
porter, a ce même degré d'ébullition , tout le vin a distiller.
Une autre imperfection dont la correction pouvait se lier
a celle que je viens de signaler , était dans le dépouillement
quelquefois incomplet des vinasses qui , a leur arrivée au bas
de la colonne dans le bassin destiné à les recevoir, étaient
immédiatement portées hors de l'appareil.
Pour remédier à ces deux imperfections, M. Baglioni sup
prima l'eau comme intermédiaire de la distillation, et monta
sa colonne telle qu'elle est représentée en C , planche 8 ;
c'est-ct-dire qu'il supprima aussi le bassin. Les vinasses alors
tombant dans la chaudière a leur sortie , des hélices y étaient
soumises a une ébullition qui achevait de les dépouiller , lors
qu'elles conservaient encore quelques traces d'alcohol.
Il multiplia aussi les hélices de la vis d' Archimède et les
porta jusqu'à 4 , afin que le vin , se trouvant distribué sur
une surface plus grande, pût subir, sous une même hauteur
de colonne, une analyse plus parfaite.
Il ajouta a la chaudière le tube de décharge X, dont le
mécanisme est facile à concevoir et qui , par sa disposition,
maintient la chaudière a un niveau constant, en créant en
même temps un véritable tube de sûreté contre l'expansion
et l'absorption. • •
Il surmonta sa colonne du chapiteau D dessiné au-dessus
de la colonne B.
Ce chapiteau D n'est que l'ancien recouvert d'une double
enveloppe hermétique L , qui forme ainsi avec lui un réser
voir qui reçoit le vin pour le transmettre a la colonne inté
rieure par un tube que j'ai figuré icijrar une ligne pointillée.
426 TRAITÉ DE L'ART
Ce dernier changement est d'ailleurs peu important, il
n'a d'autre but que de procurer au vin un peu plus de cha
leur , en le mettant en contact avec les vapeurs a travers les
Itarais métalliques du chapiteau. Il arrive ainsi dans la co-
onne avec quelques degrés de température de plus ; mais
aussi, d'un autre côté, cette température n'est acquise au vin
que par la condensation d'une portion de vapeur relative qui
retombe sur l'évaporateur , et revient ainsi faire corps avec
le vin, pour subir une nouvelle analyse.
M. Baglioni ayant reconnu, avec cet ensemble de dispo
sitions , que l'alcohol ne sortait point toujours de son conden
sateur a un degré de refroidissement suffisant, recommanda de
partager la cuve qui le contenait en deux parties , dont \a
supérieure continua de recevoir du vin, et dont l'inférieure
fut alimentée par de l'eau ; la cause de cette recommandation
fut sans doute dans la déflegmation peu parfaite des vapeurs
qui , sortant de l'appareil a un titre plus bas que ne le com
portait la richesse du vin pour opérer lui-même sa distilla
tion, présentèrent l'inconvénient que nous avons signalé en
traitant de l'appareil de M. Derosne. Nous avons vu en effet
que dans cet appareil, la richesse du vin doit être dans un
rapport connu avec le titre auquel on veut en retirer l'alco
hol, pour qu'il puisse opérer lui-même et la condensation et
la réfrigération.
M. Baglioni chercha aussi a améliorer le mécanisme évapo-
rateur de sa colonne, et il prit un certificat de perfectionnement
pour deux dispositions , qui avaient pour but de remplacer les
vis d''Àrchimède. L'une était une colonne dans laquelle se
trouvaient des calottes sphériques qui, en se contrariant dans
leurs dispositions, divisaient le vin et le faisaient tomber de
plateaux en plateaux sous la forme de nombreuses cascades.
Cette disposition fut aussi utilisée a-peu-près a la même épo
que par M. Derosne, qui depuis y a renoncé. L'autre dispo
sition de M. Baglioni, consistait dans un cube placé sur une
chaudière, et dans lequel se trouvaient des plaques de cuivre
a inclinaisons alternées ; ces plaques présentaient elles-mêmes
sur toutes leurs surfaces des espèces de cannelures qui op
posaient un double obstacle a la libre circulation du vin , et
DE LA DISTILLATION.
tendaient à le diviser sous des couches extrêmement minces.
Au reste, dans ces deux dispositions qui n'etaient, avec les
vis d'Archimède, que des applications variées des mêmes
principes, la marche des vapeurs et du vin étaient les mêmes,
c'est-a-dire que celle du vin était descendante, et celle des
vapeurs ascendante, et l'analyse ne s'y opérait de même qu'en
raison du contact et de la longueur du chemin parcouru.
Toutes ces dispositions n'acquirent point à l'appareil Ba-
glioni, des avantages hien remarquables, et sauf celles qui
avaient pour but de supprimer l'eau en alimentant la chau
dière par les vinasses, le reste n'a guère fait que compliquer
l'appareil sans rien ajouter à la perfection.
SECTION TROISIÈME.
Appareil Baglioni ( suivant le dernier certificat d'ad
ditions et de perfectionnemens obtenus par l'inven
teur en novembre 1816).
Jusqu'a présent nous avons pu remarquer que tout ce que
M. Baglioni avait ajouté a son appareil pour le perfection
ner, n'avait d'autre but que de soigner l'analyse du vin, sans
lui ajouter aucun mécanisme, à l'aide duquel on pût maîtriser
et varier le titre de l'alcohol ; de sorte que lorsque l'on vou
lait obtenir une commune d'alcohol à un haut titre , il fallait
mélanger des preuves avec le vin , et il est évident que cette
méthode équivalait, pour l'eau-de-vie repassée, a une vé
ritable rectification.
C'est surtout pour éviter cet inconvénient des repasses,
et pour pouvoir, avec le même appareil, retirer à volonté
de l'alcohol h tous les titres, que M. Baglioni construisit
l'appareil que nous allons décrire.
Nous rapporterons , sur la description et la manœuvre ,
le texte même de l'inventeur, pris dans son certificat d'ad
ditions ; puis nous nous livrerons a quelques réflexions par
ticulières.
Description de l'Appareil Baglioni.
Voyez la planche 8.
A chaudière double ayant une cloison en cuivre dans le mi
lieu ? qui forme une séparation du haut en bas ; il y a un
428 TRAITÉ DE L'ART
trou au bas de la cloison , pour que le liquide puisse com
muniquer de l'une à l'autre ;
B première colonne distillatoire ;
C deuxième colonne distillatoire ;
Chacune de ces colonnes contient tm évaporateur a vis
d'4rchimède double ;
D chapeau ordinaire de la première colonne ;
£ chapiteau à | ou condensateur , pour obtenir de fortes
preuves ;
F colonne du chapiteau qui contient un évaporateur à vis
i'Areàimède ;
G vide qui est dans le milieu du chapiteau , et qui recoit
l'eau nécessaire a la condensation des flegmes ;
H enveloppe de la colonne qui reçoit le vin froid par l'en
tonnoir J ;
I tube portant un robinet régulateur ; il conduit le vin de
la cuve R dans l'entonnoir J ;
J entonnoir qui porte le vin dans l'enveloppe H par un
tuyau à deux branches ;
K tube qui porte le vin de l'enveloppe du chapiteau dans le
bas de celle du chapeau ordinaire ; •
L tube qui introduit le vin de l'enveloppe du chapeau ordi
naire sur l'évaporateur de la première colonne ;
M col de cigne qui conduit les vapeurs spirituéuses de la
première colonne dans le haut de la seconde, qui les force
a son tour à monter dans les hélices du chapiteau ;
N tube qui conduit le vin de l'enveloppe du chapeau de la
première colonne sur l'évaporateur de la seconde ; ce tube
n'est ouvert que lorsque l'on veut faire de basses preuves ;
O col de signe qui porte les vapeurs spiritueuses du haut
du chapiteau dans le serpentin ;
P serpentin ;
Q cuve qui contient le serpentin ;
R cuve qui fournit le vin à l'appareil ; elle doit être ali
mentée par une cuve plus grande ;
S entonnoir suivi d'un tube , qui porte l'eau froide dans le
milieu de la colonne du chapiteau ;
T tube qui conduit l'eau dans l'entonnoir S ;
DE LA DISTILLATION. /\29
C tube d'air ;
V dalle qui reçoit les virasses au bas de la première co
lonne , et qui les porte par un tuyau dans la seconde chau
dière ;
W tube qui alimente la cuve R;
X entonnoir communiquant au dehors du fourneau par un
tube coudé a double équerre ; il sert a évacuer les vinas
ses, et celles qui se trouvent au-dessus de son niveau sor
tent de la chaudière ;
Y boîte a vis pour nettoyer la chaudière ;
Z portes du cendrier et du foyer $
N°. 1 robinet régulateur qui fournit le vin a l'appareil $
2 robinet pour vider l'enveloppe du chapiteau ;
3 robinet pour vider le milieu de la colonne du chapi
teau ; •
4 robinet pour porter le vin de l'enveloppe du chapeau
ordinaire sur l'évaporateur de la deuxième colonne ;
5 robinet pour vider l'enveloppe du chapeau ordinaire;
6 ld. pour vider la cuve du réfrigérant ;
7 Id. pour vider la chaudière ;
8 Id. pour la conduite de l'eau ;
9 ld. pour alimenter la cuve R.
Manœuvre de VAppareil.
« On remplit la chaudière jusqu'a la hauteur de l'enton
noir de trop-plein X ; ensuite on la met en ébullition , en
observant de ne point mettre de liquide dans les deux cha
piteaux.
Lorsque l'eau distillée a coulé pendant quelques instans
par l'ouverture du serpentin , c'est le moment de commencer
l'opération. On ouvre le robinet régulateur n°. 1 h demi à-
peu-près , pour qu'il ne livre passage qu'à la moitié de la
quantité de vin qu'il peut fournir, étant ouvert en entier ;
et l'on ouvre en même temps le robinet n°. 8, pour remplir
d'eau l'intérieur G du chapiteau , que l'on entretient plein
par un très-petit filet.
Le vin se rend par l'entonnoir J dans le milieu del'enve-
loppeH du chapiteau E, qui se remplit jusqu'a la hauteur du
43o TRAITÉ DB I-'ART
tube K ; il entre alors par ce tube dans le bas de l'enveloppe
du chapeau ordinaire , et lorsque celle-ci est pleine , elle
verse le vin a son tour par le tube L sur révaporateur , et la
distillation commence.
Le vin parcourt les hélices de la première colonne , sur
lesquelles il se distille; la vinasse arrive au bas de la colonne
en V où elle est reçue dans une dalle , qui la conduit , par
le tube extérieur , dans la seconde chaudière ; elle y reçoit
une forte ébullition, et revient dans la première chaudière
par le trou pratiqué a la cloison de communication.
Les vapeurs spiritueuses s'élèvent dans le chapeau D, et
sont conduites par le col de cigne M dans le haut de la se
conde colonne; elles montent ensuite dans les hélices du
chapiteau , dont on peut à volonté régler la condensation ,
et il n'y a que les parties les plus alcoholiques qui puissent
le traverser et se rendre dans le serpentin, tandis que les
flegmes condensées retombent sur les hélices de la seconde
colonne qui supporte le chapiteau, et éprouvent une nou
velle distillation avant d'arriver dans la chaudière.
Dans cette opération , on voit que le vin est distillé sur
les hélices de la première colonne , les flegmes le sod t sur
celles de la seconde, et les vinasses qui en résultent, tombant
dans la chaudière la plus éloignée de l'entonnoir qu1 les
évacue, ont le temps d'éprouver tout l'effet du calorique,
et de se dépouiller entièrement des parties spiritueuses qui
ne se seraient pas détachées pendant la distillation sur les
hélices.
Les différentes preuves s'obtiennent par le degré de re
froidissement que l'on donne au chapiteau au moyen du ro
binet qui fournit l'eau. Lorsque l'on désire de l'eau-de-vie
à 19°, l'on supprime l'eau en vidant la partie G du chapi
teau par le robinet n° 3 ; alors on ouvre un peu le robinet
n° 4 , afin de partager le vin qui se trouve dans le chapeau
par égale portion sur les deux colonnes : la condensation
est supprimée dans le chapiteau condensateur, et l'on obtient
de basses preuves.
On observe qu'au lieu d'une chaudière a séparation , Von
pourrait également se servir de deux chaudières montées
DE LA DISTILLATION.
soit sur le même fourneau , soit sur deux fourneaux séparés;
il faudrait alors qu'elles communiquassent de l'une à l'autre
par un tuyau, afin de suivre la marche indiquée plus haut. »
Réflexions sur cet Appareil.
La construction de cet appareil trouve , dans la dernière
exécution que nous venons de décrire , un surcroît de com-
f1lication qui, en l'éloignant de sa simplicité primitive, ne
ui acquiert point des avantages relatifs. En effet, nous
avons ici une chaudière d'une dimension double, une co
lonne de plus et de la même dimension que la première, un
chapiteau rectificateur et une multitude de tubes.
Il y a plus, contre cette dernière exécution, c'est que le
serpentin , au lieu de baigner dans du vin , est rafraîchi par
de l'eau, et le chapiteau rectificateur lui-mêmene peut opérer
la rectification qu'a l'aide de l'eau , ce qui constitue un dou
ble vice contre l'économie de combustible.
Il est facile de concevoir que ce dernier surcroît de com
plication a été uniquement provoqué par le désir de pouvoir
à volonté régulariser le titre de l'alcohol ; mais remarquons
ici combien ces dispositions sont loin de celles de l'appareil
de M. Derosne, où tout est réellement conçu avec une in
telligence à laquelle nous pourrons rendre d'autant plus de
justice que nous concevons mieux le mécanisme de la dis
tillation.
Faisons remarquer aussi une imperfection d'autant moins
pardonnable à l'inventeur de l'appareil a double colonne ,
qu'il eût été très-facile de la corriger , et qu'elle repose sur
l'oubli de l'un des principes qui doivent être les plus fami
liers au distillateur.
Chacune des deux colonnes B et C contient une petite
colonne intérieure fermée à la base et ouverte à la partie
supérieure; c'est dans cette colonne que le vin se rend avant
de se déverser sur les hélices évaporantes de la double vis.
Dans un travail continu, le vin, à son arrivée dans cette
petite colonne, est toujours plus froid que celui qu'elle con
tient; de sorte qu'il se précipite vers sa partie inférieure en
vertu des lois de la pesanteur spécifique : le vin le plus froid

'
43a TRAITÉ DE L'ART
est donc celui qui occupe le fond de la petite colonne , et ,
par conséquent, c'est ce vin-la qui est le premier en côïùact
avec les vapeurs dégagées de la chaudière. H résulte de cette
disposition, évidemment contradictoire avec les lois de
l'analyse parfaite , qu'il y a plus de vapeurs condensées le
long des parois de la petite colonne a la partie inférieure
qu'à la partie supérieure, tandis que le contraire devrait
arriver, afin de donner à ces vapeurs plus d'espace à par
courir sur l'évaporateur, et pour donner, par-là même,
plus de garantie d'une analyse parfaite avant la rechute dans
la chaudière.
- Je suis donc bien convaincu que cet appareil de M.
Baglioni est de beaucoup inférieur , sous toutes les faces de
la question économique, a celui de M. Derosnej et je ne doute
point que le lecteur ne soit maintenant également convaincu
de cette infériorité. Je ne m'étendrai donc pas davantage à
ce sujet : qu'il me suffise d'ajouter quelques considérations
sur la possibilité de tirer parti de cet appareil , et sur les
modifications qu'il nécessiterait à cet effet , sans entraîner
trop de complications. »
On pourrait reprendre pour cela sa construction pr1m1
tive , en la changeant comme je vais le dire :
On conserverait une chaudière surmontée d'une colonne
à double vis i'Archimède , dans laquelle on ne ferait cir
culer la vis qu'autour d'un axe , au lieu de le faire autour
d'une colonne intérieure , et Ton éviterait ainsi le vice que
j'ai signalé.
On continuerait d'alimenter la chaudière avec les vinasses;
on pourrait même , pour avoir une garantie plus certaine de
la perfection du dépouillement , adopter deux chaudières
communiquant par un tube plongeur , comme M. Baglioni
le propose lui-même, et comme M. Derosne l'a fait pour
son appareil ; le foyer , dans ce cas , devrait être placé sous
la chaudière qui ne porterait point la colonne ; mais il n'y
aurait point d'inconvéniens , et il serait même utile à l'éco
nomie du combustible de faire passer la flamme de la pre
mière chaudière sous la seconde.
La colonne devrait être surmontée d'un tube destiné à
DE LA DISTILLATION. 433
recevoir les vapeurs pour les porter dans le serpentin dont
nous allons parler.
A la partie supérieure et latérale de cette même colonne ,
serait adapté un tube destiné a l'introduction du vin , qui
devrait arriver par un jet continu , et être puisé dans la
couche supérieure de la cuve du serpentin.
Un vaste serpentin à hélices très-rapprochées serait placé
dans une cuve hermétiquement fermée , au fond de laquelle
le vin froid, porté par un jet continu par le moyen du tube
plongeur que nous connaissons , déplacerait constamment à
fa partie supérieure le vin chauffé par la condensation et
la réfrigération : ce vin coulerait ainsi par le tube de trans
mission dans la colonne , pour s'y présenter à une tempéra
ture qui en déterminât de suite l'analyse , c'est-a-dire à sa
temperature d'ébullition. Cette condition serait essentielle ;
car sans cela il faudrait alonger la colonne en conséquence.
La partie la plus difficile a régler dans cet appareil serait
la dimension de la colonne et par conséquent la course des
hélices évaporantes , desquelles serait nécessairement dépen
dante la concentration de l'alcohol , en admettant d'ailleurs
l'emploi d'un vin d'une richesse toujours constante. On con
çoit donc que pour déterminer la dimension de cette co
lonne , et la fixer de manière à ce qu'il n'y eût point de ré
sultats variables , il faudrait toujours la proportionner à la,
richesse du vin et au titre voulu dans le produit. Ainsi on
la ferait d'autant plus haute que le vin serait moins riche ,
et que l'alcohol devrait être isolé a un titre plus élevé ; et
réciproquement , on pourrait réduire d'autant plus sa hau
teur que le vin serait plus riche , et que l'alcohol devrait
être retiré a un titre plus bas.
Le seul moyen de donner une construction fixe à cette
colonne , de manière a ne point devoir tenir compte, pour sa
hauteur, de la richesse du vin et de celle du produit, serait
de la combiner de manière à ce qu'elle ^>ût analyser le vin
le plus pauvre, en donnant en même temps son produit au
titre le plus élevé voulu par le commerce.
Avec une semblable colonne, l'on conçoit que l'on pour
rait obtenir par une seule chauffe tous les titres possibles avec
28
*

T
'•43'{ TRAITÉ DÊ L'ART . i i|
tous les vins. 11 suffirait pour cela de coordonner le travail
eu conséquence. -.
On tirerait de celte disposition un avoniage d'autant plus
grand , que l'analyse d" vin s'y opérerait toujours à doutte
effet , c'est-à-dire qu'il n'y aurait jamais de condensation
d'eau , sans qu'il y eût en même temps vaporisation d'ako-
hol ; et ce resultat ne peut se réaliser que dans toutes les
disposions qui mettent les vapeurs et le vin h analyser
dans un contact immédiat. C'est ce qui arriverait ici où les
vapeurs n'étant en contact médiat avec le vin ^-travers les •
surfaces métalliques , que dans le serpentin , ne devraient
plus y subir que la condensation et la réfrigération pour être
portées au-debors, dans un état qui ne différerait de celui
où elles y seraient entrées que par la liquéfaction qu'elles y
auraient subie.
„ „

CHAPITRE XVI ET DERNIER.

Théorie de la Distillation.

Un de mes amis , aussi zélé pour les progrès des arts uti
les que savant et modeste, s'est occupé de soumettre la théo
rie de l'analyse du vin par la distillation aux formules algé
briques. 11 ne m'a point donné son travail comme une théo
rie précise, que des expériences ultérieures ne pourraient
point modifier , mais bien comme un exercice de calculs ,
dont les résultats , fondés sur des hypothèses vraisemblables ,
ne paraissent pas s'éloigner de la réalité. Bien pénétré de
l'utilité de l'investigation des sciences exactes dans le do
maine des arts industriels, j'ai pensé que ce travail, quoique
scientifique , serait un complément utile aux notions empy-
riques que j'ai déjà données sur la théorie de l'atalyse du
vin. Voici ce travail tel qu'il m'a été communiqué.
« La distillation a pour but de séparer deux ou plusiem
liquides mêlés ou combinés l'un avec l'aut— — J — • 1
combinaison cesse aussitôt qu'ils entrent en
DE t1k DISTIIMTÏON. 4^5
fondée sur ce principe , que lorsqu'un corps est susceptible
de se combiner avec deux autres pris séparément , mais dont
la combinaison avec l'un forme obstacle a la combinaison
avec l'autre , si ces corps sont mis en contact , de manière
à ce que la combinaison puisse avoir lieu , la double combi
naison n'est stable que lorsque les affinités se font récipro
quement équilibre. Ainsi , je suppose qu'à une température
déterminée , la vapeur de A puisse se dissoudre dans l'es
pace unitaire , jusqu'à ce qu'elle supporte la pression w ,
et la vapeur de A' , jusqu'à ce qu'elle éprouve la pression
nr. Si la pression que. peut éprouver le mélange de vapeur
11'a point de limites , et que A et A' soient en quantités suffi
santes, la pression II, qui a lieu quand la vaporisation cesse,
est égale hw + 'sr. Mais si cette pression est limitée, et
qu'elle ne puisse être supérieure a II, , la vaporisation ne

cesse que lorsque vr, + w,' = II, et que ^=^,. En effet,

l'affinité de l'espace pour une vapeur quelconque est dans le


rapport direct de la quantité qu'il en peut dissoudreet dans le
rapport inverse de la quantité qui y est déjà dissoute ; et
comme cette quantité est proportionnelle à la tension qui
en résulte , l'affinité que l'espace conserve encore pour la
vapeur de A peut être représentée par — , et celle qu'il

conserve pour la vapeur de A ' par ~, . Or, pour que


la vaporisation cesse, il faut que ces deux affinités se fassent
équilibre,
1 * il faut donc que — =—
* •ET, W, ,. Telle est la condition
que nous avons établie.
Afin de ne point embrouiller mes raisonnemens par des
signe.1 dont la valeur ne serait pas établie, je vais de suite
donner la désignation de ceux que j'aurai a employer.
Mélange
Liquide A. Liquide A.'. des deux liquide*.
densité..... = D a» D' D,.
28.
436 TRAITÉ DE L'ART
Mélange
Liquide A. Liquide A', des deux l1quides.
Proportion dans le mé
lange liquide = P = P'
Chaleur spécifique. . . =• G = G' C,.
Température de l'ébul-
lition = T = T' T,.
Chaleur absorbée par
la vapeur pour
passer de o° li
quide à l'état ac-
riforme = N = W
Tension maximum
pour la tempe -
rature t = F' == F ,
Tension quelconque à
la température = fi = fi
Densité de la vapeur
a 1oo° et à o,""76 de
pression , ramenée
à o° = d = m
Densité de la vapeur
au degré/ = S, = dV
Dépense de chaleur pour un mode de distillation. m.
Quantité de liquide réfrigérant nécessaire pour
ce mode..... w
Chaleur spécifique de ce liquide réfrigérant... X
Valeur relative de l'unité de chaleur à l'unité de
liquide réfrigérant y
Dépense totale exprimée en unités de chaleur. M.
On a, pour exprimer la tension maximum de la vapeur
de A a une température quelconque t, la formule
log F, = 1,88o82o1 — o,o15352728757»
— o,o0oo673 1995n'+o,ooooooo3374ra3 (A).
dans laquelle n = T — t. La même formule donnerait la
tension maximum de la vapeur de A'. On peut aussi exçri
mer une tensiou quelconque fi en fonction 'a tempéra*
et de la densité, au moyen de la formu'
DE LA DISTILLATION.

i/î = o",,76(1+to,oo375)^ (B).


Ces deux formules, qui vont nous être utiles, étant dé
montrées dans le Traité de Physique de M. Biot, je me con
tente de les citer.
Quand deux liquides sont combinés de telle manière que
leurs propriétés respectives ne soient point détruites , comme
c'est le cas des liquides qu'on soumet a la distillation , la
densité D du mélange est moyenne entre celles des deux
liquides composans ; elle peut donc être représentée par
DP -I- D'P'
D , = — 1" — ( 1 ). Il en est de même de la chaleur spé-

CP -4- C'P>
cifique qu'on obtient par la formule C, = _^X__

et de la température de l'ébullition du mélange, qui est don-


TCP -4- T'C'P'
née par la formule T, = -çp ^ C'P' - formule 1ui

indique que le mélange entre en ébullition quand il contient


la même quantité de chaleur qui serait nécessaire a P parties
de A et a P' parties de A', pour bouillir séparément.
Cela posé, examinons ce qui est relatif a la distillation,
qui offre trois cas distincts , savoir : 1°. celui où le mélange
étant soumis à une ébullition tumultueuse , la vapeur est re
cueillie, aussitôt que dégagée, dans un vase fermé où on la
refroidit ; 2°. celui où la vapeur, après sa formation, est
mise en contact avec le liquide qui lui a donné naissance,
maintenu à la température de l'ébullition ; 3°. enfin celui où,
après sa formation, elle est mise en contact avec le.mélange
liquide, ayant une température moindre que celle de l'ébul
lition. ..
^' Examinons d'abord le premier cas : celui où la vapeur ,
aussitôt formée , est recueillie dans un vase clos.
Au moment de sa formation , elle a la température T ,
pu convient pour faire bouillir le liquide au sein duquel
:11e s'est formée ; on connaît donc cette température par la
ormule.
/{38 TRAITÉ DE l/ART
T == TCPJ-TTCT'.
,— CP+'CT»'
Elle fait équilibre à la pression atmosphérique p et la den
sité des vapeurs partielles est proportionnelle aux liquides
simples qui leur ont donné naissance , puisque les liquides
A et À' sont de telle nature qu'ils restenT en combinaison ,
tant qu'ils ne se vaporisent pas. Cela donne le moyen de
déterminer quelle est la tension supportée par chacune des
vapeurs et leurs densités respectives ; on a én «ffet, en vertu
de la formule ('B )
/t, = o*, t«.( 1 + T , Ojo0375 )

et
f'% = o», 76 ( 1 + T, o,oo375 )'p

, , „ ' St, P

fournissent par l'élimination les équations Suivantes, qui in


diquent les tensions et les densités de chacune Àes Aeuï
vapeurs : • l!
Pd, P'd
/t , = p —'. — • f = p — ;
' "ptf^PW'/ FPd+Vd '
.Pd • '#
fa. = - ;„.«.
0,76(1 + T,o,od37«> -(Prf' 4- .?,-*>
/** 'P'd
*T, te S :
o, 76 ( « -^T,'o,ob375 ) ' ( P'rfH-CPV)
Qu'on opère alors son refroidissement h vase clos et qu'oit
l'amène a la température t. La tension maximum de A à
cette température s'obtient par la formule ('A ) d'où l'on tire
F,d

0,76 ( 1 + <o,oo375 )

1
DE LA. DISTILLATION. 4^9
Si l'on ne veut abaisser la température que jusqu'au point
où- la vapeur de A commencerait à se condenser , il faut que
t soit tel que S, = ^T, soit satisfaite , il faut donc que
F, d pd Vd
o,76( i + <o,oo375 ) o, 76 ( i + T, o,oo375 ) ( P cf + P' d)
équation dont le second membre est entièrement connu. 11
reste à donner à t une valeur telle que l'équation puisse
avoir lieu ; c'est a quoi l'on ne peut parvenir directement,
car F, est donné en fonction de t par une expression trans
cendante; mais on peut y arriver par tâtonnement.
Une fois t déterminé, on peut reconnaître quelle est la
densité S' t de la vapeur de A' au moyen de la formule
r — *1£ ,
' o,76(i+/o,oo375 ) qui est la même que (B), dans
laquelle F', s'obtient par la formule (A).
Il existe donc entre St et S\ le rapport suivant
S F
,yr^prjî tel est aussi le rapport de A et de A' dans le
produit, si on recueille alors la vapeur pour la condenser.
On peut encore déterminer la température t de manière
que le produit contienne des proportions déterminées de A.
et de A'> ; soit donc —P ce rapport, il faut que P

p
. ou que S, =-—ç-S'r Cette valeur de S, substituée dans la
i
formule (B) donne

/"t=o,76 (1+ t o,oo375 )

f, =o,76 (t -f- f o,Oo375,) rrp ;

qui divisées l'une par l'autre donnent j^— Comme


l'une des vapeurs a déja dû se condenser, pour celle-la la

-,
440 TRAITÉ DE L'ART
tension doit être à son maximum eu égard a la température.
Si donc c'est A' qui s'est déjà condensé, l'on a/', = ¥\. Si
]a vapeur de A n'a point encore éprouvé de condensation ,
5a densité n'a pas changé ; elle est donc exprimée par la
pi Pd' .
formule St=3r, =o^6(,+t)0)oo375) (PT+P^ » * 16 rap"

port — donne la relation suivante :

f'—p'—d!?,' .+
et comme
/4=o,76(1+fo,oo575) ~

0,76(1+ t 0,0o375) Pd'


~~ o,76(1+T,o,oo375)(P<f+P'd) P'
cette relation devient
(1 + 1 o,oo375) M p (V P t
(1+T,o,oo37S) (P<f-L.PW) F, 'PT
d'où
F'« _ PW p d P
~( 1-t-/o,oo375)~ ~~ (Pd'+P'rf) (1+T,o,oo375) tfly
équation dans laquelle le second membre est entièrement
connu. 11 reste a déterminer f de manière que l'équation
soit satisfaite , et cela ne peut encore se faire que par tâton
nement.
Si la vapeur de À et celle de A' s'étaient déja toutes
deux condensées en partie , il leur resterait a toutes deux
une tension maximum. et la formule £- =zi ~ devien-
f, d p.
F, rf'P * *
drait =J p' , devrait être satisfaite par la valeur
qu'on donnerait a t ; mais dans aucun cas, il ne peut conve
nir d'amener aussi bas la température ; il n'y a donc que les
deux cas précédens auxquels on doive avoir egard, pour
déterminer combien de dépense ce mode de disnfiation doit
DE LA DISTILLATION. 44 1
occasionner ; il faut examiner combien d'unités de chaleur
il exige , puis quelle quantité de liquide réfrigérant.
Le mélange liquide devant être entièrement vaporisé ,
on a '
wi=NP-fN'P\
En supposant que la portion de A' qu'on condense avant
de recueillir , se dégage a la température t , que le liquide
réfrigérant se dégage a la même température , et que le pro
duit soit recueilli a o°, température que je suppose être
celle du liquide réfrigérant au moment où on l'introduit dans
l'appareil, la quantité de liquide réfrigérant nécessaire pour
le cas où l'on n'abaisse la température que jusqu'au point
où aucune partie de A ne s'est encore condensée, s'exprime
par
(P— P,) (N'— CO + N'P, + NP .
Xi '
exprimant le nombre d'unités de chaleur absorbée par
le liquide réfrigérant ; d'après notre notation , on peut
exprimer w en unités de chaleur par
(P' — P, ) ( N' — Ct ) + N'P, + NP
icy r^z: y ———————________ .
La dépense totale peut donc être exprimée par

Voyons maintenant ce qui a lieu dans le second cas où la


vapeur , après sa formation , reste en contact avec le mélange
liquide qui lui a donné naissance ayant la même tempéra
ture T,. Après la formation de la vapeur composée des mê
mes proportions de A et de A' que le mélange liquide , si
l'espace qu'elle occupe conserve plus d'affinité pour la va
peur de A que pour celle de A', une portion de celle-ci se
condense et cède sa chaleur a une portion correspondante du
mélange liquide qui se volatilise. Cet échange a lieu tant que
les affinités de l'espace pour la vapeur de A et pour la va
peur de A' ne se contrebalancent pas ; mais par un contact
44^ TaAlTÉ DE l'àRT
convenablement prolongé , on finirait par avoir la relation
ft, Ft, *
z~=z,sr et y'T, 4"/T = P entre la tension /t, de A et la
jTt, Ft,
tension /'t, de A'.
Ces équations jointes aux équations (B) conduisent a
—— =r j.-ïj.T^ qui détermine les proportions de A et de A'
dans le produit, proportions auxquelles on n'arriverait pour
tant que dans le cas où le contact serait prolongé indéfini
ment ; ce rapport est donc une limite dont on approche d'au
tant plus qu'on prolonge davantage le contact, mais qu'on
ne peut atteindre rigoureusement.
Pour déterminer combien ce mode de distillation occa
sionne de dépense , il faut observer que l'on a. m —
(P' — P,) C'T,+N'P,-fM>, car il y a "a vaporiser une quan
tité P du liquide A , une quantité P, du liquide A' et à porter
à l'ébullition le reste P'—P du liquide A'. Le liquide réfrigé.
rant doit condenser la vapeur , et en supposant qu'on lui per
mette' de se dégager quand il a atteint la température t, il vient
N'P,+J*P ., « JTP.-f-NP
7 ^—- f=ï t», d'où sfy z=y-+-

et par suite
^^^^^(P'-P^'T,+N'P'+NP-l-y W'P,+NP.
. . • 1 .. • . %t
Examinons enfin ce qui a lieu pour le troisième et dernier
cas, celui oùla vapeur, après sa formation, est mise en con
tact avec le mélange liquide qui lui a donné naissance, ayant
une température moindre que T ,.
Soit t la température du liquide avec lequel la vapeur est
mise en contact au moment où elle est recueillie ; on a en-
.cote, comme dans le cas précédent, ^ = , équation qui,
'' 5' d F
jointe aux formules (B), donnerait zr= -y, ^ , limite du
à t a r 1
rapport de A et A' dans le produit pour estimer la dépense
DE LA DISTILLATION. ^43
faite clans ce cas ; il faut observer qu'il ne faut ici que por
ter à l'ébullition la partie qu'on ne recueille pas et qu'on
n'emploie "point d'eau de condensation ; on a doncwt =
M=(P'-P,) C'T,.
Telles sont les différentes questions qu'on peut se proposer
sur la distillation, dont tous les cas rentrent dans un des trois
que nous venons d'examiner ou en sont une complication.

FIN.
A\Wl/VVVVVVWWH.%*V

TABLE DES MATIÈRES.

INTRODUCTION, : Page i

PREMIÈRE PARTIE.
CHAPITRE I- Instruirions principaux et communs à toutes
(es opérations de l'art du distillateur , 7
Section I. Du Thermomètre , Ibid.
Sectioh II. De l'Aréomètre , 13
Pèse-liqueur , Ibid.
Pèse-sirop , 17
Sectioh III. Emploi combiné et indispensable du Thermo
mètre et de l'Aréomètre , ai
CHAPITRE II. Des Machines spéciales aux opérations qui
ont pour objet de prédisposer les végétaux à la fermenta
tion alcoàolique , 26
Sectioh I. Machine à égrappcr, Ibid.
Section II. Des Fouloirs , 27
Section III. Des Presses , Ibid.
Presses à raisins , 28-
Presses à cylindres , Ibid.
Section IV. Bacs à tremper les grains pour la germina
tion , 3o
Section V. Des Germoirs , 3i
Section VL Des Appareils propres à dessécher les grains ,
nommés tou railles ou tourelles , Ibid.
Section VII. Des Machines à concasser ou à moudre les
grams , 33
Section VIII. De la Cuve à double fond , >.. 34
Section IX. Chaudière à vapeur , Ai' 35
Section X. Cuve à saccharifier la fécule féÇl'acide sulfuri-
que 36
StcnoN XI. Tonneau destiné à cuire les pommes de terre en
natuie dans la distillation agricole , 37
Sï.ction ^11., Machine à réduire les pommes de terre cuites a
la vapeujf , 38
TABLE DES MATIÈRES. 44 5
jtcTion XIII. Râpe, Page 39
Râpe de Burette , pour les pommes de terre , 4°
Râpe iTOdobei , pour les betteraves , £1
CHAPITRE III. Des Végétaux fermentescibles et des opéra
tions qu'on leur fait subir pour les prédisposer à la fer
mentation , £2
CHAPITRE IV. Végétaux de la première classe , 43
Sectioh I. Du Raisin et des Marcs , 4£
Sectioh II. Des Cerises, £8
Sectioh III. De la Canne à sucre, 5o
Sectioh IV. Des Pommes et des Poires ; 5a
Sectioh V. Des Betteraves et des Carottes, 55
Sectioh VI. De l'Erable , 6o
Sectioh VII. Du Lait , 61
Section VIII. Des Mélasses , 64
Mélasses des Colonies Ibid,
Mélasses des raffineries, 66
Mélasses de betteraves , lbid.
Méthode de M. Cafler , 67
Méthode de M. de Dombasle ; 68
Section IX. Du Miel , 72
Sectioh X. Des Eaux de lavage des raffineries , 53
Sectioh XI. De quelques autres végétaux de la première clas
se, qui , dans plusieurs pays et dans diverses circonstances,
sont ou pourront devenir les matériaux d'une distillation, 77
Des Arbouses, lbid.
Des Groseilles , 78
Des Prunes , Ibid.
Des Pêches , 7g
Des Cocos , lbid.
Des Dattes, 80
Des Mûres , 81
Des Sèves d'Acacia, Bouleau , Frêne et Noyer,
et Miélée des Arbres, 82
De la Châtaigne , Ibid
Des Tiges de Maïs et de Millet , 83
Du Tilleul , 84
De tous les fruits sucrés , Abricots , Fraises,
Frambroises , Coings , Figues, etc. Ibid.
Conclusion , 85
CHAPITRE V. Des Végétaux de la deuxième classe, 86
Sectioh I. Des Céréales, 90
446 TABLE
Du choix des grains, P
Sect1on II. Opérations qu'il est toujours indispensable dé
tiquer pour la mise des grains en fermentation ,
De la Mouture des grains ,
De la Trempe des grains ,
De l'opération connue dans les distilleries sous le
nom de Macération ,
Sect1on III. Opération préparatoire des grains à la fermenta
tion , connue sous le nom de Germination , 98
De la Trempe ,
De la Germination proprement dite, • g9
ioo
De la Dessiccation du grain , 1o2
Sect1on IV. Application combinée des opérations décrites dans
les deux sections précédentes, 1o4
Méthode française , 107
Méthode anglaise , 1og
Ssct1on V. Du Riz , m
Sect1on VI. Du Maïs, n4
Sect1on VII. Des Châtaignes , Pois , Fèves, Haricots , Glands
et autres Végétaux farineux , 116
Sect1on VIII. Des Pommes de terre, lbid.
Du choix des pommes de terre et de leurs varié
tés, 1ij
I". méthode. Procédés pour disposer les pom
mes de terre à la fermentation parJVçema/1ée,1ao
Cuisson des Pommes de terre, 121
Séduction des Pommes de terre, 122
Macération, 123
Modifications importantes à la méthode précé
dente pour la saccharifîcation des Pommes de
terre par le malt, -' 124.
Préparation de la fécule pour la distillation , lbid.
Première modification , 128
Deuxième modification, 129
2". méthode. Procédé pour convertir la fécule
en sirop par l'acide sulfurique, 13i
CHAPITRE VI. De quelques agens auxiliaires, 14<>
Sect1on I. De l'Eau, lbid.
Sect1on II. Des Levains ,
Pâte aigrie ou Levain des boulangers, «45
Autre Levain, M»
DES MATIÈRES. 447

SECONDE PARTIE.
Station, Page i4?
I. Des conditions de la Fermentation , 151
Ju Sucre ou de ses équivalens , Ibid.
De l'Eau, 157
Du Calorique, «64
;V. De l'Air atmosphérique, 17o
V. Des Levains , 1^4
Ë II. Des Phénomènes de la fermentation , iy5
. Du Dégagement du gaz acide carbonique, 176
[ Du Chapeau de la cuve , 1 8o
îîf. De la Production de chaleur , 181
IV. De la Saccharification des fécules 011 de l'amidon
iier'ianl la fermentation , 184
Section V. Disparition du sucre ou de ses équivalens , 187
Section VI. Formation de l'alcoliol , i9o
Section VIL Formation des acides , Ibid.
Section VIII. Décomposition de la levure , i95
CHAPITRE III. Des Ennemis de la fermentation , ,96
CHAPITRE IV. DesMoycnsde la fermentation, 200
Section L Des Celliers de fermentation , ibid.
Section IL Des Cuves de fermentation , aoa
CHAPITRE V. Des Appareils vinificateurs , 206
Section 1. Appareil signalé par Porta , Ibid.
Section II. Soup:ipe hydraulique de D, Casbois, 207
Section III. Appareil vinificateur Gerçais , 2o9
Section IV. Modification utile à l'appareil vinificateur Ger-
VC&8, 322
Section V. Souffleur œnologue , 239
TROISIÈME PARTIE.
De la Distillation proprement dite, a3o
CHAPITRE I, Historique de la Distillation, 23i
CHAPITRE IL Des diverses dénominations que l'on donne
aux produits alcoholiques dans le commerce, 243
CHAPITRE III. Des Moyens de la distillation, 245
CHAPITRE IV. De la chaleur considérée comme agent de
la distillation , a£8
Section 1. Comparaison de la force calorifique des divers
Combustibles , 2£cj
Ection II. Des conditions de la Combustion , 25o
US TABLE
Du Foyer ,
De la Grille,
Du Cendrier,
De la Cheminée,
Section III. Des lois suivant lesquelles la chaleur se transmet>.r'
à travers les corps ,
Section IV. Capacités de l'eau, de Palcohol et de a56
peurs pour la chaleur, leurs va-
Section V. Transmission de la chaleur a travers les surfaces
métalliques ,•• 264
CHAPITRE V. Des appareils distillatoires, 272
CHAPITRE VI. Ier Système.— De la Distillation simple, 273
Section I. Description d'un Appareil distillatoire simple, 274
Section II. Manœuvres de l'Appareil simple, 275
Section III. Réflexions sur l'appareil simple, 281
Section IV. Question économique de l'Appareil simple, 286
Valeur de l'Appareil , 287
Dépense de Combustible , Ibid.
Main-d'œuvre, 291
Résumé des frais , 392
CHAPITRE VII. IIe Système.— Distillation à chauffe-vin ou
à double effet , 2g3
Section I. Description d'un Appareil à chauffe-vin, 295
Section II. Manœuvre de l'Appareil à chauffe-vin, a9G
Section in. Réflexions sur l'Appareil à chauffe-vin, 297
Section IV. Question économique de VapparciV a chauffe-vin, 3oo
Valeur de l'appareil Chauffe-Vin , lbid.
Dépense de combustible , 3oi
Main-d'œuvre , 3o3
Résumé des frais , 3o5
CHAPITRÉ VIII. III" Système.—Dela Distillation à vapeurs
et a rectificateurs , Ihia.
Section I. Description d'un Appareil perfectionné S!Adam et
de Bérard,
Section II. Manœuvre de l'Appareil perfectionné d'Adam et
de Bérard,
Section III. Réflexions sur l 'Appareil perfectionné d'Adam.
et de Bérard, 3i
Section IV. Question économique de l'Appareil perfectionné
d' Adam et de Bérard,
Valeur de l'appareil,
Dépense de combustible,
Main-d'œuvre,

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