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TD 12 – Droit civil

Commentaire d’arrêt
La nomenclature Dintilhac deé fini le preé judice de souffrances endureé es comme eé tant
« toutes les souffrances physiques et psychiques ainsi que les troubles associés que doit endurer la
victime [...] ». C’est preé ciseé ment l’objet de cet arreê t qui souleè ve de nombreuses questions quant aè la
possible indemnisation d’un preé judice.

Une jeune femme aê geé e de seize ans a eé teé victime d’un accident mortel de la circulation.
Son deé ceè s n’a pas eé teé instantaneé car elle a eé teé eé jecteé e de la voiture suite aè la perte de controê le du
conducteur de son veé hicule dans un virage. Son corps n’a eé teé retrouveé que quelques instants plus
tard et son bras gauche a eé teé deé saxeé alors meê me que son pouls eé tait certes existant, mais
irreé gulier : elle eé tait inconsciente. Suite aè un changement de position de la victime, un crachement
de sang est survenu ce qui a mis un terme aè sa vie. Son agonie aura dureé e « au moins dix bonnes
minutes »

Les premiers juges du fond ont indemniseé les parents de la victime du fait des souffrances
physiques et morales endureé es par celle-ci avant son deé ceè s. Ils les ont eé galement indemniseé du fait
du preé judice reé sultant de son deé ceè s preé matureé .
L’assureur du preé venu deé clareé coupable d’homicide involontaire et tenu aè reé paration inteé grale a
interjeteé appel.
Les juges d’appel ont finalement reé duit l’indemnisation des parents pour les souffrances
physiques et morales endureé es par leur fille, avant son deé ceè s, mais ont rejeteé la demande
d’indemnisation du preé judice dit de « perte de vie » souhaiteé e par les parents de la victime.
Un pourvoi en cassation est alors formeé , mais il sera rejeteé .

La cour d’appel estime que l’indemnisation qui correspond aè la reé paration des preé judices
des souffrances physiques et morales subis par la jeune fille porteé e aè dix mille euros par les juges
du fond est trop eé leveé e. En effet, ils l’a diminuent aè hauteur de cinq mille euros du fait de
l’inconscience de la jeune fille lors de son agonie ; ils estiment que cet eé tat d’inconscience est de
nature aè diminuer le preé judice subit par cette dernieè re et par conseé quent, il est de nature aè
restreindre l’indemnisation perçue par ses parents.
La cour d’appel estime qu’il n’existe pas de preé judice de « perte de vie » puisqu’elle rejette la
demande des parents pour l’indemnisation de ce preé judice : elle affirme que le droit de vivre
jusqu’aè un certain aê ge ne prend pas en compte les aleé as de la vie (tel qu’un accident de voiture
comme dans le cas d’espeè ce) et que ce droit de vivre n’est pas un droit acquis qui serait entreé dans
le patrimoine de la jeune fille et qui pourrait eê tre transmis aux parents de la victime.

La cour de cassation fait face aè plusieurs questions dans cet arreê t. La premieè re est de savoir
si la cour d’appel eé tait en droit ou non de reé duire l’indemnisation (de 10 000€ aè 5000€) des
parents de la victime du fait du preé judice de blessure et d’angoisse de mort subit par leur fille
juste avant son deé ceè s.
La seconde est de savoir si la cour d’appel pouvait refuser l’indemnisation des parents de la
victime du fait de la « perte de chance de vie », comme eé tant un droit acquis et donc transmissible
aux heé ritiers.

C’est dans un arreê t de la chambre criminelle en date du 26 mars 2013 et aux visas des
articles 1382 et 731 du code civil et 591 et 593 du code de proceé dure civile que la cour de
cassation reé pond par la positive concernant la premieè re question, c’est-aè -dire aè propos du droit de

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la cour d’appel de reé duire l’indemnisation des parents du fait de l’eé tat d’inconscience de leur fille
lors de son agonie. Elle affirme en effet que la cour d’appel a proceé deé aè une appreé ciation
souveraine des faits et a justifieé sa deé cision.
En revanche, pour la deuxieè me question, la cour de cassation reé pond neé gativement et, tout comme
la cour d’appel, estime que le preé judice de « perte de chance de vie » ne donne pas lieu aè
indemnisation car ce n’est pas un droit acquis et a fortiori, ne creé er pas un droit d’agir en
indemnisation pour les parents de la victime deé ceé deé e.

Dans cet arreê t la Cour de cassation confirme bien que les droits aè indemnisation causeé s par
les preé judices physiques et corporels de la victime se transmettent aè ses parents heé ritiers (I) mais
qu’en revanche, le preé judice de perte de chance de vie n’est pas indemnisable (II).

I) Le droit à l’indemnisation des préjudices corporels et moraux limités pour les héritiers

La cour d’appel a affirmeé que le montant de l’indemnisation perçu par les parents devaient
eê tre diminueé (B) mais cette affirmation cache un principe constant du droit de la responsabiliteé
civile qui est celui de la transmission des droits aè indemnisation (A).

A) La confirmation de la transmission de l’indemnisation

« Les premiers juges ont indemnisé Mme Y… en qualité d’héritière de sa fille ». Les juge de
premieè re instances ont appliqueé un principe fondamental du droit aè reé paration : ces droits se
transmettent aux heé ritiers.
Cette solution est possible graê ce aè l’utilisation de la notion de victime par ricochet, qui peut eê tre
deé fini pa le tiers qui subit un preé judice en conseé quence des dommages causeé s aè la victime directe.
La victime par ricochet est en quelque sorte la victime indirecte du preé judice subit par la victime
directe. En l’espeè ce, les victimes par ricochet sont les parents de la jeune fille deé ceé deé e des suites
d’un accident de la circulation, qui elle est la victime directe.

Ainsi, les parents de la victime directe peuvent demander reé paration pour les preé judices
corporels et moraux que leur fille aè subi car deè s lors que la victime directe deé ceè de, ses heé ritiers
reçoivent ses droits aè indemnisation. C’est exactement ce qu’il s’est passeé dans cet arreê t de mars
2013 puisque, d’une part les juges de premier ressort ont octroyeé aux parents la somme de 10
000€, et d’autre part, la cour d’appel a valideé le principe de transmission des droits aè
indemnisation aux parents (nous verrons plus tard que son interpreé tation est plus limiteé e que
celle des premiers juges). En somme, les parents reçoivent dans leur patrimoine la creé ance de la
reé paration neé e aè l’occasion du dommage, ici le deé ceè s de la jeune fille et c’est l’art 731 du code civil
qui preé voie cette disposition.

Il est freé quent que la transmission des droits aè indemnisation pose probleè me du fait du lien
entre la victime directe et la victime par ricochet. La jurisprudence n’exige pas un lien d’alliance ou
de parenteé , mais elle admet « un lien de proximité » avec la victime immeé diate. Il est
compreé hensible que l’indemnisation soit plus eé leveé e pour la perte d’un enfant que pour celle d’un
parent ou d’un grand-parent ou d’un cousin ou d’un neveu ; ainsi, plus on s’eé loigne dans la famille
et moins le montant de l’indemnisation sera eé leveé . Cela est logique car il est probable que les
victimes ayant un lien de parenteé proche soient plus affecteé s par le deé ceè s de l’un des leurs plutoê t,
que celles ayant un lien familial plutoê t distendu.

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Ainsi, les preé judices subit par la victime sont divers : il y a tout d’abord des preé judices
corporels (« bras gauche désaxé », « corps éjecté », « crachement de sang » etc.). Ces derniers sont
plus facilement indemnisables aè la fois pour la victime (si elle eé tait encore en vie) que pour les
parents. En effet, meê me si le droit français ne retient aucune hieé rarchisation des preé judices, il est
constant qu’un preé judice corporel donnera lieu aè une indemnisation plus importante qu’un
preé judice mateé riel par exemple.

De plus, la victime deé ceé deé e a eé galement subi un preé judice moral avant sa mort. Ce dernier
preé judice est assez controverseé en doctrine car certains consideè rent qu’on ne peut pas « monnayer
ses larmes devant le tribunal » et d’autres pensent que sa prise en compte favorise la seé curiteé
juridique des victimes. En l’espeè ce, le preé judice moral a eé teé admis puisqu’il est dit que les parents
sont indemniseé s du fait « des souffrances physiques [susmentionneé es] et morales endurées par
Cassandra avant son décès ainsi que de la conscience de l’imminence de sa mort ».

C’est ce préjudice moral qui nous amène à l’explication de la cour d’appel qui justifie la
diminution de l’indemnisation des parents par l’état d’inconscience de la victime.

B) L’appréciation souveraine des juges du fond limitant le montant de


l’indemnisation

Les parents de la victime ont eé teé indemniseé , mais la cour d’appel, suite aè l’appel de
l’assureur du preé venu, a reé duit de 5000€ le montant des sommes qui leur ont eé teé alloueé s.
D’une part, la cour d’appel confirme la deé cision des juges de premieè re instance d’indemniser les
parent puisqu’elle eé crit « c’est à juste titre que […] le principe de réparation de la douleur devait
être reconnu ». En revanche, la cour d’appel estime que malgreé les conditions atroces de deé ceè s de
la victime, puisqu’elle eé tait inconsciente lors de son agonie et quelques minutes avant sa mort, son
preé judice moral en est atteé nueé . En effet, il y a une distinction aè faire entre la manieè re dont la
victime vit la situation (c’est-aè -dire ici qu’elle est inconsciente, donc finalement, elle ne se rend pas
compte de son eé tat) et la façon dont la situation est perçue par les autres : une sceè ne d’horreur.

La cour d’appel se fonde justement sur cette distinction que les juges de premieè re instance
n’avaient pas pris en compte. Toute la question est de savoir si la victime avait la conscience de sa
mort imminente ou non ; la Cour d’appel estime que, puisqu’elle eé tait inconsciente avant le
moment de son deé ceè s, « la douleur qu’à pu ressentir la jeune victime, a été particulièrement brève et
très amoindrie par son absence de conscience provoquée par la violence du choc ».

En somme, la dureé e de conscience de sa mort imminente est indexeé e au montant de


l’indemnisation qui sera perçu par ses parents. Les juges de premieè re instances n’ayant pris en
compte que la situation d’ensemble et non le reé el ressenti de la victime (c’est-aè -dire son eé tat
d’inconscience) ont alloueé aux parents la somme de 10000€, somme qui sera reé duite de moitieé
suite au raisonnement de la cour d’appel qui en a conclu que la victime est treè s peu resteé dans un
eé tat de conscience, c’est-aè -dire qu’elle n’a pu reé aliser la graviteé de sa situation que pendant un laps
de temps treè s court.

Concernant cette deé cision de reé duire l’indemnisation, la cour de cassation estime que la cour
d’appel est souveraine dans l’appreé ciation des faits et qu’elle est tout aè fait en droit de diminuer
cette indemnisation puisqu’elle justifie sa deé cision. Elle eé voque des « motifs procédant de son
appréciation souveraine » et estime que la cour a « justifié sa décision ».

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En revanche, les moyens du pourvoi (qui seront eé carteé s) aè propos du preé judice de
conscience de l’imminence de la mort de la victime disent le contraire. Ils affirment que le moment
preé ceé dent l’accident, la victime a subit un preé judice d’angoisse du fait de la conscience de sa mort
imminente avant meê me que l’accident ne soit soit produit aè proprement parleé .
Ici, nous pouvons faire un paralleè le avec le preé judice eé voqueé dans l’arreê t de la cour de cassation en
date du 3 mars 2015 rendu par la chambre sociale qui eé voque un « préjudice spécifique d’anxiété »
lieé aè une exposition aè l’amiante, meê me si les conseé quences sont relativement moins grave car dans
le cas eé tudieé , la victime est deé ceé deé en treè s peu de temps et dans la jurisprudence citeé e, il s’agissait
du potentielle deé veloppement d’une maladie qui pouvait creé er un tel preé judice.

Cet arrêt divisé en deux moyens nous a dons permis d’évoquer dans un premier temps
l’acceptation de l’indemnisation des parents, et nous étudierons ensuite le fait que la cour d’appel,
puis la cour de cassation, refuse le préjudice de perte de vie.

II) Le refus de la consécration du préjudice de perte de chance de vie par les juges

Le fait que la cour de cassation refuse de prendre en compte ce preé judice peut eê tre fort
dommageable pour la famille de la victime (B) mais ce refus s’explique par l’inexistence d’un droit
qui peut eê tre transmis (A).

A) Le refus fondé sur l’inexistence d’un droit acquis pouvant se transmettre

La cour de cassation, en confirmant l’arreê t d’appel, estime que le « le droit de vivre jusqu’à
un âge statistiquement déterminé n’est pas suffisamment certain […] pour être tenu pour un droit
acquis, entré dans le patrimoine de celle-ci de son vivant et, comme tel, transmissible à ses héritiers
lorsque survient un événement qui emporte le décès ». Le raisonnement des juges est treè s logique et
coheé rent.

Tout d’abord, la cour doute du « droit de vivre jusqu’à un certain âge ». En effet, ce « droit »
reviendrait aè dire qu’il y a un aê ge moyen de deé ceè s et que si le deé ceè s survient avant cet aê ge laè , les
proches des victimes pourraient eé ventuellement demander une indemnisation. Cela serait une
solution qui se placerait en faveur des victimes et favoriserait le droit aè l’indemnisation, mais
ouvrirait de façon trop large le contentieux.

Finalement, si l’on s’en tient aè une analyse juridique de la deé cision de refus de ce preé judice,
il faut d’abord noter qu’un preé judice doit eê tre certain, direct et leé gitime. Le premier caracteè re est
ici remis en cause pour ce preé judice. En 2010, par un arreê t du 14 octobre, la cour de cassation
retient la possibiliteé de reé paration en cas de perte de chance d’un avantage; si l’on applique cet
arreê t au cas d’espeè ce, ici la perte de chance est repreé senteé par la vie, qui la perte d’une eé ventualiteé
favorable. Mais le probleè me se pose quant aè la vie de la victime, aurait-elle eé teé treè s longue ? C’est
justement cela qui pousse la Cour de cassation a dire ce n’est pas « suffisamment certain au regard
des aléas innombrables de la vie ». Ainsi, il n’y a aucune preuve que la jeune fille aurait eu une vie
treè s longue. Indemniser cette perte de chance reviendrait aè indemniser un preé judice futur et
incertain qui ne peut eê tre appreé hendeé .

De plus, quant bien meê me ce preé judice eé tait indemnisable, il ne constitue pas un droit
acquis, c’est-aè -dire qu’il ne peut pas eê tre transmis aux parents de la victime car deè s lors que la
victime est deé ceé deé e, le droit se perd avec sa mort. Autrement dit, la creé ance est neé e au moment du
deé ceè s, et s’eé teint apreè s, ce qui explique l’impossible transmission de celle ci puisque, en deé finitive,

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la creé ance n’est meê me pas entreé e dans le patrimoine de la victime. Ainsi, les parents sont priveé s
d’un droit aè reé paration pour le preé judice de perte de chance de vie.

Finalement, la difficulteé tient au fait que ce preé judice de perte de chance de vie est aè la fois
un preé judice extra-patrimonial et personnel ce qui signifie que sa perception est treè s subjective.

L’interprétation de la cour de cassation ne se place pas dans une position favorable aux
proches de la victime dans cet arrêt puisqu’elle retient une interprétation très limité de l’existence ou
non du préjudice de perte de chance de vie.

B) Un refus de prise en compte de ce préjudice portant atteinte à la famille de la


victime

Afin de rejeter les pourvois, la cour de cassation, concernant le deuxieè me moyen, retient
une interpreé tation qui peut paraîêtre treè s stricte. En effet, elle affirme que le preé judice de la perte
de chance de vie n’existe pas. Cette position de la cour est une position constante puisque nous la
retrouvons aè diverses occasions dans ses deé cisions. Dans un arreê t du 29 avril 2014, la chambre
criminelle prend exactement la meê me position que dans l’arreê t aè eé tudier. De façon posteé rieur, nous
pouvons voir que cette position n’a pas eé volueé puisque la deuxieè me chambre civile juge en 20
octobre 2016 que « la perte de sa vie ne fait en elle-même naître aucun droit à réparation dans le
patrimoine de la victime » et « que seul est indemnisable le préjudice résultant de la souffrance
morale liée à la conscience de sa mort prochaine ».

Il y a lieu de faire une distinction entre des avis divergents au sein meê me des chambres de
la cour de cassation. Tout d’abord, la deuxieè me chambre civile estime que le preé judice de
souffrance et le preé judice de mort imminente sont indissociables : ils ne peuvent pas donner lieu aè
deux reé parations distinctes. En revanche, et contrairement aè la deuxieè me chambre civile, la
chambre criminelle a une position contraire et estime que les deux preé judices peuvent faire l’objet
de deux reé parations seé pareé es. Cet arreê t, si le preé judice de perte de chance de vie avait eé teé accepteé ,
aurait eé teé une preuve de l’application de cette theé orie puisque les parents auraient eé teé indemniseé s
aè la fois pour le preé judice de souffrance aè hauteur de 5000€ et aè la fois pour le preé judice de perte
de chance de vie.
Cette dispariteé entre les deux chambres peut donner lieu aè des deé cisions diffeé rentes ce qui peut
affaiblir la seé curiteé juridique des justiciables.

Cette interpreé tation stricte, du refus d’indemniser le preé judice de la perte de chance de vie
peut eê tre critiqueé e. En effet, la jeune fille de seize a brutalement perdu la vie et ce deé ceè s constitue
un choc pour ses parents et sa famille. Il est vrai que rien ne peut concreè tement prouver ou
eé valuer la souffrance des parents causeé e par cette mort, mais l’on comprend bien que ces victimes
par ricochets se trouvent dans une situation ouè il est fort probable qu’ils soient treè s affecteé par ce
deé ceè s. C’est pour cette raison que, afin de favoriser la seé curiteé juridique et la confiance dans le
systeè me de reé paration, il serait judicieux de proposer une indemnisation du preé judice de la perte
de chance de vie fondeé sur l’impossibiliteé de vivre c’est-aè -dire travailler, fonder une famille, ou
encore tout autre « plaisir de la vie » d’un montant qui ne soit pas non plus excessif, afin d’aider les
familles.
Le probleè me de cette proposition est qu’elle ouvre la possibiliteé d’une forte instrumentalisation du
fait de l’impossibiliteé de prouver le degreé de « tristesse » des familles.

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