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Table des matières

Couverture

Page de titre

Préface

Remerciements

Introduction

CHAPITRE 1. Marketing expérientiel 1re génération : la création d’expérience


Section 1. La création d’expérience au cœur des travaux pionniers
1. Consommation expérientielle et économie de l’expérience
2. Roue et habillage expérientiels
3. Valeur expérientielle et expérience totale
Section 2. La figure désenchantée d’un consommateur passif à réenchanter

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1. Du désenchantement au réenchantement par la consommation |/\
2. Le consommateur postmoderne figure du marketing expérientiel « 1re génération »
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Section 3. Les écueils du marketing de la création d’expérience
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1. L’émergence d’un consommateur suspicieux


2. L’usure des contextes expérientiels et les difficultés de la capture de l’expérience
3. Vers une remise en cause du marketing expérientiel des débuts
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CHAPITRE 2. La « cocréation » au cœur du marketing expérientiel « nouvelle génération »


Section 1. Formes de participation et cocréation de l’expérience
1. Le consommateur créatif et collaboratif
2. Les dimensions de l’expérience et la cocréation
3. La conceptualisation des formes de participation à l’expérience
Section 2. Cocréer pour réenchanter
1. Réenchanter par l’infraordinaire et l’authentique
2. Réenchanter par la culture ou le sport
3. Le bonheur comme réenchantement ultime
Section 3. Pilotage et limites de la cocréation
1. L’impact de la cocréation sur la valeur de l’expérience
2. La cocréation comme source d’avantage concurrentiel
3. Proposition d’une grille d’analyse de la cocréation

CHAPITRE 3. Défis du marketing expérientiel « nouvelle génération » : métaexpérience de la marque et omnicanal


Section 1. Penser l’expérience de la marque et la métaexpérience du client
1. Sémiotique et expérience de la marque
2. Cerner la métaexpérience du client
3. Cartographier l’expérience de la marque
Section 2. Passer d’une expérience multicanale à une expérience omnicanale
1. De l’approche en silos de l’entreprise vers le consommateur
2. De l’approche holistique du consommateur vers l’entreprise
3. Vers un marketing expérientiel omnicanal
Section 3. Des idées en action pour revisiter l’expérience omnicanale
1. Comment favoriser l’expérience cross canal ?
2. Comment accompagner la mutation du magasin physique ?
3. Comment favoriser la convergence du physique et du numérique ?

Conclusion

Glossaire

Bibliographie

Index

Page de copyright

Résumé du livre

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Préface

Depuis plus de 50 ans, JCDecaux, désormais numéro 1 mondial de la communication extérieure, offre aux citoyens des services
financés par la publicité. La ville est un espace concret et vivant où se côtoient 80 % des Français et plus de la moitié de l’humanité.
En 2050, la population mondiale sera urbaine à plus des deux tiers. Pour les marques, les métropoles mondiales en évolution
permanente représentent un territoire d’expression ouvert à tous les possibles et parfaitement en phase avec leurs stratégies de
communication. Ce vaste forum qu’est la ville constitue une sorte de palimpseste sans cesse réécrit, véritable creuset d’histoires fortes
à partager avec les consommateurs. Accompagner le développement de nos clients, en orchestrant des rencontres de qualité entre les
consommateurs et les marques au sein de cet espace urbain au périmètre toujours plus large, est notre métier.
Au quotidien, nous créons ainsi, pour nos clients/annonceurs, des expériences de marques sans équivalent qui sont autant de points
de contact qualitatifs engageant le consommateur dans des univers tout aussi réels que chargés de symboles. Parce qu’il est mouvant
et adaptable, l’espace urbain s’enrichit des foules qui le traversent, se l’approprient et le transforment. Il s’exprime par un système de
signes qui forment une histoire sans cesse renouvelée au sein de laquelle l’individu vit des expériences jamais ordinaires et parfois
extraordinaires.
Grâce à un rapport privilégié et dynamique avec la ville, nous savons l’embellir, l’accompagner dans ses mutations, la rendre
agréable aux citadins et profitable aux marques. Nous contribuons à en faire un lieu expérientiel majeur pour offrir plus de valeur à
ceux qui y résident, y travaillent ou la visitent. Pour que l’expérience opère, nous invitons le citoyen à être exposé, dans tous ses modes
de mobilité et dans d’excellentes conditions, aux messages de la marque, mais également à interagir avec elle selon ses désirs. Notre
objectif est de lui offrir l’opportunité de cocréer (avec nous) son expérience urbaine. Grâce au développement d’Internet qui a

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profondément changé la nature de la relation entre les marques et les consommateurs, ceux-ci, ayant désormais accès à toutes les
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sources d’information, ont pris le pouvoir. D’où leur volonté de converser avec la marque, de donner leur avis, d’être consultés et
entendus. Tous ces sujets essentiels qui nous passionnent, nous et tous nos clients, sont analysés et traités dans Marketing expérientiel :
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Vers un marketing de la cocréation.
L’ouvrage de Claire Roederer et Marc Filser propose une synthèse riche et claire de trente ans de marketing expérientiel. Il ouvre
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sur des perspectives particulièrement enthousiasmantes, en particulier le passage d’un marketing de la création d’expérience à un
marketing de la cocréation. Les auteurs analysent les changements récents liés à la révolution numérique, et ceux que l’avènement de
l’économie du partage et de la fonctionnalité annonce. Ils brossent le portrait d’un consommateur postmoderne, ne se déplaçant plus
sans sa « technologie embarquée », en l’occurrence son smartphone, qui lui assure une mobilité connectée en tout lieu et en toutes
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circonstances. Ils placent au cœur de leur réflexion la participation du consommateur à l’expérience, pour expliquer ce glissement d’un
marketing de la création d’expérience à un marketing de la cocréation.
Chez JCDecaux, nous offrons au travers de nos campagnes innovantes et interactives, de nombreuses opportunités de cocréation
appliquée. Ainsi, les affiches intelligentes, photographiées par le consommateur, permettent grâce à l’application USNAP d’accéder à
des contenus qui prolongent et enrichissent l’expérience. Et si, et seulement si, le consommateur le veut bien, nous proposons des
possibilités de connectivité très développées dans nos Abribus, de l’échantillonnage jusqu’à l’achat.
À côté des nombreux encadrés de chercheurs en marketing proposés au fil des chapitres pour approfondir différentes thématiques,
les auteurs mettent en perspective ce que la marque entend mettre en œuvre, et ce que le consommateur en retient au travers du
concept de la métaexpérience, façonnée et colorée par l’accumulation de points de rencontre entre la marque et son client. Enfin, dans
la dernière partie de l’ouvrage, les auteurs décodent le passage d’un marketing multicanal à un marketing omnicanal qui vise à offrir
des expériences de marques, d’une grande fluidité, sans « coutures apparentes », condition sine qua non de stratégies expérientielles
réussies.
Cet ouvrage est indispensable pour comprendre le concept d’expérience qui implique à la fois un cadre théorique solide et des
pratiques managériales innovantes. Il intéressera tout autant le manager que l’étudiant en marketing… Bonne lecture !

Jean Muller
Directeur Général Délégué
Commerce et Développement JCDECAUX
Remerciements

Les auteurs tiennent à remercier vivement pour leurs précieuses contributions à cet ouvrage leurs
collègues (par ordre alphabétique) :
Blandine Anteblian, Maître de conférences, CREGO, Université de Bourgogne
Bertrand Belvaux, Professeur des universités, CREGO, Université de Bourgogne
Nathalie Benet, Docteur en sciences de Gestion, GRM, Université de Nice Sophia Antipolis
Dominique Bourgeon-Renault, Professeur des universités, CREGO, Université de Bourgogne
Bernard Cova, Professeur, Kedge Business School
Christian Derbaix, Professeur ordinaire émérite, Louvain School of Management, Mons,
Belgique
Souad Djelassi, Maître de conférences, Université de Lille 2
Michaël Flacandji, Doctorant, CREGO, Université de Bourgogne

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Laurence Graillot, Maître de Conférences, CREGO, Université de Bourgogne
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Ericka Hénon, Doctorante, CREGO, Université de Bourgogne
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Tatiana Henriquez, Professeur, ESC Troyes
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Jean-Luc Herrmann, Professeur des universités, CEREFIGE, Université de Lorraine


Christine Kratz, Professeur, ICN Nancy
Jean-François Lemoine, Professeur des universités, Université Paris I Panthéon Sorbonne,
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ESSCA École de Management.


Ulrike Mayrhofer, Professeur des universités, Magellan, Université de Lyon 3
Rémi Mencarelli, Professeur des universités, Irege, Université de Savoie
Jean-François Notebaert, Maître de conférences, CREGO, Université de Bourgogne
Philippe Odou, Professeur des universités, Université de Reims Champagne-Ardenne
Jessie Pallud, Professeur des universités, Humanis, EM Strasbourg, Université de Strasbourg
Daria Plotkina, Doctorante, Humanis, EM Strasbourg, Université de Strasbourg
Mathilde Pulh, Maître de conférences, CREGO, Université de Bourgogne
Eric Rémy, Professeur des universités, Université de Rouen
Robert Revat, Professeur EM Lyon, Directeur de Nova 7 Lyon
Introduction

Le champ du marketing s’est constitué à partir d’un modèle issu de l’économie, fondé sur les
échanges de biens tangibles. Cette perspective centrée sur la valeur intrinsèque des ressources
échangées a été qualifiée de logique good-dominant (dominée par les marchandises). Les
économies contemporaines sont cependant largement dominées par les services, et la révolution
numérique n’a fait qu’accentuer le phénomène. En analysant ces évolutions récentes, Vargo et Lusch
(2004) appellent le marketing à se refondre pour mieux prendre en compte cette logique révisée
centrée sur les échanges de ressources intangibles et sur la cocréation de la valeur. Ils invitent les
marketeurs à passer d’une logique good-dominant à une logique service-dominant (dominée par les
services). L’intégration de la logique service-dominant n’est pas simple. Malgré les appels répétés
des chercheurs en marketing, l’enseignement du management et, par conséquent, les managers
formés par cet enseignement perpétuent la croyance que les économies actuelles sont encore régies
par une logique fondée sur la production de biens. Le faible nombre de pages consacrées à cette

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thématique dans les principaux manuels d’enseignement et les rares articles académiques sur le
sujet attestent de cette situation. |/\
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Ford et Bowen (2008) identifient plusieurs principes susceptibles de donner à la logique service-
dominant la place centrale qu’elle mérite. Le premier de ces principes consiste pour l’entreprise à
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produire, non des produits ou des services, mais des solutions clients au travers d’expériences
mémorables. Pine et Gilmore, pionniers de l’expérientiel, font le même constat dès 1999. Le
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deuxième principe consiste à gérer la coproduction avec le consommateur et la cocréation globale


de valeur : Prahalad et Ramaswany (2004) préconisent la même démarche. Les autres principes mis
en avant insistent sur la nécessité de mettre en place des pratiques organisationnelles, reposant sur
une approche cross-fonctionnelle, ainsi qu’une culture de l’organisation qui soit à la fois source de
contrôle et d’inspiration.
Bowen et Ford (2008), qui ne sont pas des chercheurs en marketing, insistent sur le fait que les
stratégies expérientielles et leur mise en œuvre, indissociables de la logique service-dominant,
dépassent le périmètre du marketing, et nécessitent une efficacité de l’ensemble de l’organisation.
Cette perspective élargie nous permet de situer notre ouvrage. Si nous nous plaçons clairement dans
le champ du marketing, nous pensons que la nature stratégique des approches expérientielles fait
qu’elles concernent à terme le pilotage de toute l’organisation. Pour le dire autrement, l’expérience
client est trop stratégique pour n’être que l’affaire du marketing, elle devrait être, de façon
transversale, la préoccupation de tous les acteurs de l’entreprise.
Pourquoi doit-on parler d’un marketing expérientiel « nouvelle génération » ?
Le marketing expérientiel peut se définir comme une démarche marketing qui vise à développer
des contextes expérientiels pour différencier la marque en délivrant plus de valeur au client. Le
marketing expérientiel place, par conséquent, l’expérience client au cœur de la stratégie marketing.
Le cadre théorique du marketing expérientiel a une trentaine d’années. Le concept d’expérience est,
quant à lui, beaucoup plus ancien, et l’on conviendra qu’il n’appartient pas aux marketeurs. Les
travaux pionniers en marketing expérientiel insistaient beaucoup sur la scénarisation de
l’expérience comme outil de différenciation et sur la (sur)stimulation sensorielle, déclinée dans un
registre intense et si possible extraordinaire. Ainsi les marques pouvaient-elles, en créant des
expériences mémorables, se fabriquer des avantages concurrentiels. On s’inscrivait clairement dans
le paradigme de la création d’expérience par l’entreprise, de l’entreprise « architecte de
l’expérience de la marque ».
Qu’est-ce qui a changé ?
Un monde hyperconnecté et surinformé
Nous ne consommons plus comme avant, nous opérons dans un monde hyperconnecté et
surinformé. Les technologies de l’information redéfinissent l’espace et le temps. Nous évoluons
dans un contexte où l’immédiateté prévaut. Nous sommes reliés à tout le monde, en tout lieu, à tout
moment.
Les contextes expérientiels se sont, ces dernières années, enrichis de toutes les possibilités liées à
« Internet-espace d’expression et terrain de jeu » et « Internet-galerie marchande ». Cette
configuration pose des problèmes inédits, et rares sont les entreprises qui ne sont pas en train de
« résoudre l’équation du numérique » ou d’« opérer leur révolution digitale ». Le marketing
expérientiel « nouvelle génération » doit intégrer ces changements. Ainsi, l’expérience de

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magasinage (shopping experience) ne se réduit plus aujourd’hui à visiter un magasin, mais implique
aussi la recherche de plusieurs lieux de vente, la comparaison des prix et de nouveaux
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enchaînements de séquences (research online et purchase offline, research offline et purchase
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online, ou research online et purchase online). Les consommateurs ne se contentent plus du bouche-
à-oreille à l’ancienne, tel qu’il a toujours existé, mais formulent aujourd’hui leurs opinions sur les
sites de marques et sur les réseaux sociaux.
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Un consommateur mobile et coproducteur


Les consommateurs ont modifié leurs comportements, à la faveur d’une crise qui n’en finit pas et
les incite à devenir de plus en plus astucieux pour continuer à consommer. Ils apprennent vite,
modifient leurs habitudes d’achat et de consommation, sont parfois plus en quête de solutions que
de produits et de services à proprement parler. Plus largement, le consommateur « bricolant entre
les mailles du filet » (De Certeau, 1990 ; De Certeau et al., 1994) est plus que jamais actuel,
comme en témoigne par exemple le succès de la sharing economy, avec Airbnb ou autres Uber.
Avec l’économie collaborative, le consommateur se transforme en producteur à temps partiel. On
assiste ainsi au triomphe de l’amateur, ou à son sacre pour reprendre le titre de l’ouvrage de De
Flichy (2010). Amateurs, les consommateurs s’approprient des rôles autrefois dévolus à
l’entreprise pour créer du contenu à propos de la marque, et s’octroyer ainsi une partie de la
gestion de la marque sous la forme de ce que Fournier et Avery (2011) nomment l’open source
branding. Aujourd’hui, certains consommateurs vont jusqu’à emprunter aux marketeurs des
techniques de branding en pratiquant l’ego surfing sur Internet afin de piloter leur e-réputation.
Le marketing expérientiel « nouvelle génération » doit intégrer cette donne et la montée en
puissance d’un consommateur aux visages multiples, tantôt rétif aux vieilles ficelles du marketing,
pouvant recommander ou nuire à grande échelle, tantôt capable de se regrouper pour négocier,
capable aussi de s’enthousiasmer. On a affaire à un consommateur post et/ou hypermoderne, pour
lequel les marques les plus habiles continuent à faire office de prothèses identitaires, pourvoyeuses
de symboles, d’histoires et de sens.
Que ce soient on ou offline, les points de contact entre la marque et le consommateur se sont ainsi
multipliés et complexifiés. Ces points de contact regroupent des contextes qui touchent à la fois à la
distribution de l’offre et à la communication de la marque. Ce sont autant de contextes expérientiels
à piloter.
De la production d’expérience à la coproduction
Le marketing expérientiel « nouvelle génération » n’a pas renoncé à scénariser des offres. Mais
de marketing de la création d’offre, il est devenu de plus en plus clairement un marketing de la
« cocréation » avec le client. La participation du client est une thématique déjà ancienne et installée
en marketing des services depuis des décennies. Cependant, la problématique de cocréation de
l’expérience, qui y est intimement rattachée, s’est fortement développée dans le champ du marketing
expérientiel à la faveur de la démocratisation de l’Internet, dotant le consommateur de nouveaux
pouvoirs1. Quoi que puisse envisager l’entreprise, il existe une condition sine qua non au marketing
expérientiel « nouvelle génération » : c’est une forme de collaboration, coproduction, cocréation
minimale de la part du consommateur.
Le marketing expérientiel « nouvelle génération » est centré sur la cocréation de l’expérience, qui

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se décline selon différentes formes de participation. Il se centre sur l’expérience de la marque, dans
un contexte de plus en plus « brandé »2.
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De l’expérience à la métaexpérience
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La diversité des contextes expérientiels, et la prise en compte de l’expérience comme un


processus, a fait émerger la notion de métaexpérience, qui regroupe l’ensemble des expériences de
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la marque qu’un individu (qu’il soit client ou simplement exposé à la marque) est amené à vivre sur
une période donnée. Le concept de métaexpérience permet d’envisager une perspective globale du
vécu du consommateur, et du périmètre élargi de l’expérience que le manager est amené à gérer. Le
concept de métaexpérience, est attaché au marketing expérientiel « nouvelle génération » car il
permet au manager de surmonter les écueils d’une approche en silos des différents canaux de
distribution auxquels le consommateur a aujourd’hui accès (virtuel, physique, permanent,
éphémère).
Cet ouvrage propose un état des lieux des évolutions récentes du marketing expérientiel.
L’analyse qui y est développée se fonde sur un rappel des travaux pionniers du courant
expérientiel (chapitre 1), puis aborde la question de la cocréation au cœur du marketing
expérientiel, en décryptant les formes de participation (chapitre 2). Enfin, ce qui nous semble
constituer les principaux défis du marketing expérientiel « nouvelle génération », résidant dans le
pilotage de la métaexpérience de la marque dans un contexte omnicanal, est abordé (chapitre 3).
Cet ouvrage a pour objectif de répondre aux questions que se posent les managers et les étudiants
en marketing sur la mise en œuvre de stratégies expérientielles autour de la marque.
Il s’adresse aussi aux managers déjà engagés dans des stratégies expérientielles et qui
souhaiteraient renouveler leur perspective et leurs grilles de pilotage sur le sujet. Il adopte une
optique managériale et intègre une perspective récente au travers de témoignages d’observateurs
privilégiés, de travaux de recherche récents sur cette thématique, et d’exemples d’entreprise. Par
conséquent, il s’adresse également aux étudiants qui abordent le marketing stratégique, le marketing
des services – expérientiels par nature – et le marketing de la marque.

1. La notion d’empowerment désigne la montée en puissance du consommateur connecté, qui peut facilement prendre la parole sur les
marques via tous les espaces disponibles sur Internet (forum, avis en ligne…), qui peut, équipé de son smartphone, se connecter sur
le lieu de vente à un comparateur de prix…
2. On pardonnera cet anglicisme, utile pour indiquer les contenus dominés par la présence de marques fortes.

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CHAPITRE 1

Marketing expérientiel 1re génération : la


création d’expérience

Cette partie a pour objectif de rappeler les principaux travaux du courant expérientiel. Ces
travaux sont fondés sur l’hypothèse forte que l’entreprise crée des expériences, à l’attention de
segments de consommateurs ciblés. On reste dans une vision traditionnelle du marketing, selon
laquelle la valeur se crée à l’intérieur de l’entreprise, à destination du marché. Par ailleurs, l’offre
d’expérience s’adresse à un consommateur en quête de sensations, de plaisir et d’imaginaire : un
consommateur postmoderne désenchanté qui cherche au travers de la consommation la stimulation
de ses sens et est sensible au caractère extraordinaire de l’expérience.

Section 1. La création d’expérience au cœur des travaux

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pionniers |/\
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L’entreprise peut-elle créer de l’expérience ? Oui, répondent les pionniers de l’expérientiel.
L’entreprise peut, et doit le faire si elle souhaite délivrer plus de valeur au consommateur et se
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différencier de ses concurrents. Dans la partie qui suit, les étapes de l’émergence du concept
d’expérience dans le champ de la recherche en comportement du consommateur (consumer
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research) sont retracées, et quelques contributions phares rappelées.


Dans les sciences dites « dures », l’expérience est synonyme d’expérimentation. On conduit des
expériences pour établir une connaissance universelle. En comportement du consommateur, le terme
désigne un vécu personnel chargé d’émotions, générées par des stimuli dont les produits et les
services sont porteurs. L’expérience aboutit à une connaissance intime et individuelle. Le concept
d’expérience du consommateur est apparu au milieu des années 1980 dans le champ du
comportement du consommateur. Les travaux d’Holbrook et Hirschman sont le plus souvent cités
pour situer les débuts de l’expérientiel. Ils sont considérés comme fondateurs d’un courant qui s’est
ensuite développé dans deux directions : les lectures expérientielles des phénomènes de
consommation (consumer culture theory) d’une part et le marketing expérientiel dans une approche
plus managériale d’autre part.

ZOOM
Qu’est-ce la consumer culture theory ?
La consumer culture theory – CCT – (Arnould et Thompson, 2005) est un courant de recherche qui mobilise représentations
sociales et pratiques culturelles pour étudier le comportement du consommateur. Cette façon d’aborder le consommateur
représente une rupture radicale avec son approche sous l’angle de la transaction commerciale (choix des marques, achat,
réactions post-achat). La CCT postule que nous consommons des produits pour leur dimension symbolique, pour le plaisir
de consommer, dans un cadre temporel donné, sous la forme d’expériences. Il en résulte qu’il n’est pas possible de
comprendre le consommateur sans prendre en considération toutes les dimensions de la consommation : idéologique,
sociale, culturelle, symbolique, expérientielle. La CCT a permis de diversifier les méthodologies de recherche, en mobilisant
des approches interprétatives pour être au plus près de l’expérience du consommateur.

Le terme expérientiel, associé aux termes marketing ou consommation, est de plus en plus fréquent
à partir des années 1990 dans la littérature académique et managériale ainsi qu’en témoigne le
nombre croissant d’occurrences de ces termes dans le corpus des textes numérisés par Google
Books.

ZOOM
Les occurrences des expressions experiential marketing et experiential consumption dans le corpus Google
Books
Les données statistiques recueillies sur Google Ngram Viewer, logiciel de mesure des occurrences de mots ou d’expressions
au sein des textes numérisés par Google Books, sont édifiantes. Dans le corpus anglophone, un décollage des expressions
experiential marketing et experiential consumption est net dans les années 2000-2005. Cela correspond aux publications
des ouvrages de Pine et Gilmore (1999) et Schmitt (1999). L’expression marketing expérientiel (experiential marketing) est
d’ailleurs beaucoup plus citée que celle de consommation expérientielle (experiential consumption), ce qui traduit un
intérêt pour les applications managériales possibles de ce nouveau marketing.

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De nombreuses contributions sont venues enrichir le champ depuis, parmi lesquelles on peut
identifier quelques repères clés.
1. Consommation expérientielle et économie de l’expérience
A) La consommation expérientielle selon Holbrook et Hirschman
Holbrook et Hirschman (1982) mettent en avant les aspects expérientiels de la consommation en
reconnaissant la place des émotions dans la consommation et la valeur constitutive de l’expérience.
Ils observent que les activités de loisirs, les plaisirs liés aux sens, le plaisir esthétique ou les
réponses émotionnelles du consommateur sont laissés de côté dans les modèles fondés sur le
traitement de l’information rendant compte du comportement d’achat du consommateur. Ils
renouvellent ainsi la compréhension de phénomènes de consommation peu étudiés jusqu’alors
comme toutes les formes de consommation culturelle et touristique. Ils mettent en avant la
consommation hédonique, dont la finalité est la recherche de plaisir, et la définissent comme une
facette du comportement du consommateur générée par la stimulation sensorielle et émotionnelle
que recèlent certaines expériences. Les principaux motifs expliquant la recherche d’expérience sont
aussi identifiés : quête de nouveauté, recherche de sensations ou de savoirs, ressortent comme les
principaux moteurs de la recherche d’expérience.
L’expérience est alors modélisée de deux manières. Le modèle d’Holbrook et Hirschman (1982)
présente l’expérience comme l’ensemble des réponses du consommateur aux stimuli auxquels il est
exposé, caractérisé par l’enchaînement des phases cognition-affect-behavior-satisfaction (CABS).
Dans ce modèle, la satisfaction apparaît comme une conséquence de l’expérience. Dans le modèle
thoughts-emotions-activity-value (TEAV) (Holbrook et Hirschman, 1986), l’expérience est figurée
par un réseau d’interactions entre les pensées du sujet, ses émotions, son activité (actions et
réactions) et la valeur de ces interactions. La valeur est partie intégrante de l’expérience et pas

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seulement un de ses résultats. L’expérience engage le consommateur sur des plans rationnel,
émotionnel, sensoriel, physique, voire spirituel.
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ZOOM
Fantaisies, feelings and fun : Les 3 Fs d’Holbrook et Hirschman
Dans un article datant de 1982, Holbrook et Hirschman développent un cadre général pour mettre en relief les aspects
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expérientiels de la consommation. Ils reprennent les variables comportementales prises en compte dans les modèles issus de
la microéconomie et les contrastent avec la perspective expérientielle.
Ils envisagent l’expérience de consommation comme « un état subjectif de conscience caractérisé par un ensemble de
significations symboliques, de réponses hédoniques et de critères esthétiques » et mettent en avant la quête d’imaginaire,
de sensations et d’amusement (fantaisies, feelings and fun) qui caractérise la consommation expérientielle. Ils battent ainsi
en brèche la perspective dominante, qui postule un consommateur prenant des décisions rationnelles pour consommer, et
mettent en avant le rôle des émotions dans la consommation.

Si le concept d’expérience émerge, dans les années 1980, comme un concept susceptible de mieux
rendre compte du vécu du consommateur, il faut cependant attendre les années 1990 pour que
l’expérience devienne une thématique managériale centrale. On voit alors se multiplier les ouvrages
à vocation managériale et les contributions académiques centrées sur la production d’expérience
par l’entreprise.
B) L’économie de l’expérience de Pine et Gilmore
Dans The Experience Economy, work is theatre and every business a stage, Pine et Gilmore
(1999) annoncent une nouvelle ère économique, l’économie de l’expérience, dans laquelle les
expériences sont amenées à supplanter les offres de produits et de services. Depuis cet ouvrage,
l’expérience désigne une nouvelle catégorie d’offre orchestrée par l’entreprise. Les expériences
adviennent dès lors qu’une entreprise, ou une organisation, les élabore intentionnellement, dans le
but de délivrer plus de valeur au consommateur. Une expérience, dans la perspective de Pine et
Gilmore, n’est jamais aléatoire ou accidentelle, mais bien conçue et contrôlée par l’entreprise ou
l’organisation. Pine et Gilmore identifient différents domaines de l’expérience fondés sur le degré
de participation du consommateur (participation active ou passive) et sur le rapport que l’individu
développe avec l’environnement dans lequel se déroule l’expérience, environnement qui peut
l’absorber ou bien dans lequel il s’immerge. Cette articulation permet de définir une composante
éducative, de divertissement, esthétique ou d’évasion (escapism), que peut investir l’expérience.
Pour les auteurs, les meilleures expériences sont capables d’investir les quatre domaines. De la
même façon, une expérience peut être réinventée ou redessinée en insistant sur l’un des quatre
domaines.

ZOOM
La pyramide de Pine et Gilmore (1999)
Dans leur ouvrage de 1999, Pine et Gilmore adoptent une perspective évolutionniste capturée visuellement dans une
pyramide figurant à sa base les matières premières que l’on extraie, puis les marchandises que l’on développe et que l’on
fabrique, les services que l’on délivre, et en haut de la pyramide les expériences que l’on met en scène. La pointe de la
pyramide correspond au sujet que l’on guide et que l’on transforme. Leur analyse, même si son caractère évolutionniste a

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pu être critiqué, met en valeur l’expérience comme une offre combinant produits et services. L’expérience est supposée être
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extraordinaire et mémorable. Quant à la transformation du consommateur, elle correspond à ce que beaucoup d’individus
recherchent dans des expériences intenses.
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Figure 1. Source : Pine et Gilmore (1999, p. 177)

C) Le marketing mix expérientiel de Schmitt


Schmitt, dans son ouvrage Experiential Marketing (1999), critique quant à lui le marketing
traditionnel. Il lui reproche d’être trop fondé sur les caractéristiques et les attributs fonctionnels des
produits (features and attributes), sur une définition trop étroite des catégories de produits et de la
concurrence, ce qui consiste à se mettre des œillères par rapport à la réalité d’un marché, et enfin
sur l’hypothèse d’un consommateur strictement rationnel et sur des méthodes de recherche trop
analytiques et quantitatives. Il propose à la place un marketing expérientiel centré sur l’expérience
du consommateur. La consommation y est envisagée comme une expérience holistique, et les clients
comme des êtres à la fois rationnels et émotionnels, enfin, le marketing expérientiel s’appuie sur
des méthodes de recherche éclectiques.
En distinguant les experience providers (fournisseurs d’expérience)et les SEM (strategic
experiential modules), Schmitt refonde le marketing traditionnel basé sur les attributs et les
bénéfices des produits, au profit d’un marketing expérientiel fondé sur une approche holistique du
vécu du consommateur.
Schmitt (1999) appelle fournisseurs d’expérience (experience providers) des éléments que l’on
retrouve, en partie, dans un mix marketing classique (communication, identité visuelle, produits,
sites Internet, cobranding). L’intitulé experience providers présente l’avantage de rappeler que ces
leviers d’action génèrent in fine de l’expérience du point de vue du consommateur. Schmitt
considère que les experience providers doivent être mis au service de ce que la marque entend
faire vivre au client. Il nomme les strategic experience modules les axes de l’expérience que la
marque cherche à faire vivre au client (sense, feel, think, act, relate) c’est-à-dire le faire sentir,
ressentir, réfléchir, agir ou se sentir proche de l’univers de la marque.
La campagne de communication Dove Real Beauty Sketches, de 2013, permet de comprendre

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comment les strategic experience modules peuvent être mobilisés par une marque. La campagne
active ainsi les SEMS : feel et think. En effet, Dove a invité des femmes à se décrire pendant qu’un
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spécialiste des portraits-robots les dessinait. Ensuite, d’autres personnes ont décrit ces mêmes
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femmes et le portraitiste a réalisé un second dessin sur la base de ces nouvelles descriptions. La
différence entre les deux portraits est flagrante. Lorsque ces femmes sont décrites par d’autres
personnes qu’elles-mêmes, elles apparaissent beaucoup plus jolies que le portrait qui résulte de
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leur propre description. Les femmes, très critiques vis-à-vis d’elles-mêmes, ont tendance à mettre
en avant leurs défauts lorsqu’elles se décrivent. Ce résultat et la vidéo de la campagne disponible
sur Internet font à la fois réfléchir et ressentir des émotions. Cette campagne est en cohérence avec
la stratégie de la marque qui consiste à promouvoir des messages bienveillants et rassurants autour
de la beauté et l’estime de soi.
Chacun des modules stratégiques identifiés par Schmitt peut être travaillé de façon spécifique.
Les modules sense et feel sont par exemple de plus en plus investis par les marques autour de la
dimension olfactive, jusqu’à devenir parfois une véritable signature de la marque.

Parole d’expert
Sense and Feel : la place de l’olfactif dans l’expérience
Par Daria Plotkina, Doctorante, Humanis, EM Strasbourg, Université de Strasbourg
L’odorat est un sens inné, plus fort que la vision, qui détermine l’expérience et influence les attitudes et les choix du
consommateur. Les odeurs sont automatiquement et très bien mémorisées. L’impact des odeurs ou de parfums sur
l’expérience dans le contexte commercial n’est pas nouveau (Bone & Ellen, 1999). Les odeurs agréables (Spangenberg et
al., 1996) améliorent les intentions comportementales des consommateurs. Différentes études prouvent que l’odeur
impacte la qualité perçue du produit (Bone & Jantrania, 1992), les évaluations, l’attention, la mémoire de la marque
(Morrin & Ratneshwar, 2003) et les décisions du consommateur (Mitchell, Kahn & Knasko, 1995). Ces résultats sont mis
en pratique dans les magasins de mode et de parfumerie. Ainsi, Nina Ricci, lors de ses défilés, parfume la salle avec un
parfum de la marque, et Abercrombie & Fitch signe d’un parfum masculin ses magasins.
Aujourd’hui, les marques travaillent à la conception d’odeurs, qui, sans être des parfums, impactent fortement
l’expérience associée au produit. Les spécialistes élaborent la composition de ce que l’on peut appeler l’ADN olfactif d’un
objet (produit) ou de la marque. Comment sent Peugeot ? Selon Scentys, c’est « le bouquet de poudre d’iris, musc
transparent et mélange subtil de cèdre chinois avec des traces du vétiver ». PSA Peugeot Citroën a déjà développé un
diffuseur de parfum sur de nombreux modèles mais travaille désormais sur un système capable de diffuser une senteur
correspondant à l’ambiance choisie par l’usager. Le parfum de l’ambiance est le nouveau transmetteur de l’image de la
marque au consommateur au niveau subconscient. En 2014, le magasin de Peugeot sur les Champs-Élysées fait peau
neuve. Scentys y développe un parfum signature, Peugeot Avenue Fragrance, « un duo de gingembre et de lavande,
pour un départ frais et joyeux. L’accord “ Asphalte chaud ” fait vibrer la note, tandis que l’iris et le safran tracent un noble
sillage cuiré et poudré. Copeaux, sciures et lait de bois de cèdre, santal et fève tonka se déclinent en différentes textures
pour une plus grande sensorialité ».
(Source : www.scentys.com).

La création d’expérience ne se limite bien entendu pas aux contextes physiques, mais trouve dans
les sites Internet des terrains d’expression qui doivent décliner en ligne des atmosphères en
cohérence avec l’expérience offline. Travailler leurs sites I nternet permet aux marques d’activer
différents SEMS, en particulier think, act, relate.

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Parole d’expert
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Atmosphère d’un site Internet et expérience de navigation
Par Jean-François Lemoine, Professeur des Universités, Université Paris I Panthéon Sorbonne, ESSCA École de
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Management.
Face à l’augmentation croissante du nombre de sites Internet marchands, la manière de les différencier durablement
constitue une préoccupation majeure pour les entreprises. Parmi les sources de distinction envisageables, l’expérience de
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navigation associée à l’atmosphère du site en est une. Sont considérés comme des composantes atmosphériques d’un
site Internet les éléments d’ambiance (la musique, la couleur, la typographie, les images), de design (l’architecture du site,
l’accessibilité aux produits) et les facteurs sociaux (les foires aux questions, les forums de discussion, les avis en ligne, les
agents virtuels) (Lemoine, 2008). À charge pour les entreprises de sélectionner les dimensions atmosphériques des sites
qui vont impacter positivement les émotions éprouvées lors de la navigation et, en conséquence, la valeur perçue de
cette dernière. D’une manière générale, l’atmosphère d’un site Internet apparaît comme un outil marketing permettant
aux managers d’offrir aux internautes des gratifications hédoniques, sensorielles, sociales et émotionnelles susceptibles
de rendre l’expérience de navigation la plus agréable, et donc la plus mémorable, possible (Lemoine et Notebaert, 2011).
Les composantes atmosphériques d’un site Internet permettent donc aux praticiens d’élaborer des stratégies de
positionnement expérientiel, sources de valeur pour les internautes (voir, à titre d’exemples, les sites Internet de Build a
Bear et de Michel et Augustin).

2. Roue et habillage expérientiels


A) La roue expérientielle d’Hetzel
En France, Hetzel (2002) analyse un ensemble d’innovations mises en place par des marques
comme Nature & Découvertes, Ralph Lauren ou Planet Hollywood, qui ont opté pour des stratégies
expérientielles sur le lieu de vente. Il développe une roue expérientielle regroupant des principes
pour mettre en place une expérience délivrant de la valeur aux clients : surprendre, stimuler les
cinq sens, proposer de l’extraordinaire, créer du lien avec le consommateur, utiliser ce à quoi
renvoie la marque. Il met l’accent sur les lieux de distribution qui constituent des espaces de
prédilection pour scénariser l’univers de la marque dans un espace physique.

ZOOM
La roue expérientielle d’Hetzel (2002)
Hetzel (2002) développe le concept de roue expérientielle pour aider les managers à mettre en place des stratégies
expérientielles. La stimulation sensorielle, la surprise et l’extraordinaire sont convoqués pour créer un lien spécifique entre
l’univers de la marque et le consommateur.

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Par exemple, en 2013, le distributeur Lidl opère un changement de positionnement. L’enseigne ne souhaite plus être perçue
comme une enseigne de hard discount mais comme un distributeur qualitatif positionné en termes de prix. Parmi les
initiatives destinées à accompagner ce repositionnement, on peut noter l’opération conduite en Suède sous la forme d’un
restaurant éphémère gastronomique. Le restaurant « pop-up », appelé DILL, propose un menu gastronomique à 78 $
réalisé à partir de produits Lidl, imaginé et réalisé par le chef Michael Wignall, étoilé au guide Michelin. Cette opération
combine la stimulation des 5 sens, la surprise, l’extraordinaire, car qui eût pensé que l’enseigne ait un lien avec la haute
gastronomie ?
Cette stratégie expérientielle annonce d’une façon originale (jeu avec les lettres du nom Lidl → Dill) le nouveau
positionnement souhaité par l’enseigne, sophistiqué et surprenant.

B) L’habillage expérientiel de Filser


Filser (2002) souligne que la perspective expérientielle permet d’enrichir le positionnement de
l’offre (produit ou service) en travaillant ses composantes expérientielles en proposant un
continuum avec, à une extrémité, les produits à contenu expérientiel faible et, à une autre extrémité,
les produits à fort contenu expérientiel. Les produits à habillage expérientiel se situent entre ces
deux pôles et l’on comprend qu’avec de l’imagination et des moyens, l’entreprise peut créer un tel
habillage quelle que soit au départ la nature du produit ou du service envisagé. La métaphore
théâtrale (décor, intrigue, action) permet d’expliquer le mécanisme d’un habillage expérientiel. Le
décor mis en scène par la marque lui sert d’écrin pour y dérouler un récit à destination du
consommateur. L’intrigue désigne le récit élaboré autour du décor. Ce récit déroule une histoire
autour du produit et de la marque susceptible d’intéresser le client et d’établir un lien avec lui. La
construction de l’expérience s’achève avec le volet « action » qui consiste à relier le client au
décor et au récit qui l’accompagne.

EXEMPLES
La chambre aux confitures : habillage expérientiel sucré
La marque La chambre aux confitures, créée en 2011, commercialise des confitures dans des boutiques très scénarisées. La
marque complète l’habillage expérientiel en ligne avec le récit de son histoire, qui relève de la mise en intrigue (Filser, 2002) :
« Bienvenue dans La Chambre aux Confitures, petit écrin précieux et nouveau grand temple de la gourmandise. […] Lise
Bienaimé, gourmande née, a composé avec amour et humour sa collection de confitures, festive et bigarrée, des grands
classiques aux mélanges les plus singuliers. […] Avec la création de La Chambre aux Confitures, Lise s’inscrit dans la lignée de
son arrière-grand-père, qui avait son propre commerce de produits fins, au 139, rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris. »
(Source : http://www.lachambreauxconfitures.com/blog/category/notre-histoire/)
L’hôtel Le Collège à Lyon
L’hôtel Le Collège, situé dans le quartier du Vieux Lyon, combine design et nostalgie sur le thème de l’école. L’habillage
expérientiel y est très abouti. Le décor est décliné dans les moindres détails dans les salles de réunion : « La bibliothèque »,

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« L’amphi » et « La salle de classe ». On prend son petit-déjeuner assis sur d’authentiques pupitres d’écoliers, on regarde
dans l’ascenseur de vieilles photos de classe. L’intrigue renvoie à une nostalgie reconstruite autour de la salle de classe, des
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odeurs de craie à l’ancienne, et permet de se plonger dans une mémoire sociale de la salle de classe d’autrefois. Précisons
que le bâtiment n’est pas une ancienne école, mais le décor se révèle si convaincant qu’on se croirait presque dans le film
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Les Choristes ou encore dans un ouvrage de Pagnol.


(http://www.college-hotel.com/)
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Filser (2002) distingue deux stratégies expérientielles génériques. La création d’offres


d’expériences et la différenciation de l’offre par l’expérience. Cette articulation est déterminante
pour comprendre que toutes les entreprises peuvent être concernées par les stratégies
expérientielles, que leur offre soit expérientielle par nature (par exemple, dans un parc à thème de
type Disneyland) ou par choix (par exemple, Ikea est un bon exemple de distributeur qui se
différencie en proposant une expérience d’achat résolument travaillée dans ses composantes
expérientielles).
Figure 2. Le concept d’habillage expérientiel dans le continuum
de la production d’expérience (Source : Filser, 2002, p. 20)

Ikea propose ainsi une promenade très expérientielle dans ses magasins figurant différents
intérieurs au design soigné, dans lesquels le client se projette facilement avec amis et enfants. Un
véritable programme de vie est implicitement inscrit dans le parcours d’un magasin. Au début du
magasin, la piscine à balles pour les enfants suggère le jeu et l’amusement. Lorsque le client est
bien rentré, physiquement et métaphoriquement, dans le décor et l’intrigue suggérée, il peut passer à
l’action en trouvant lui-même son produit dans la partie entrepôt beaucoup moins amusante mais
très efficace.
3. Valeur expérientielle et expérience totale
A) La valeur expérientielle de Lasalle et Britton
Lasalle et Britton (2003) proposent de transformer des produits ordinaires en expériences
extraordinaires, en structurant leur analyse autour de la valeur supérieure délivrée au client,
fondement d’une stratégie expérientielle réussie. Elles distinguent plusieurs sources de valeur de
l’expérience physique, émotionnelle, intellectuelle ou encore spirituelle, puis décryptent l’évolution
de la valeur selon les business models de l’entreprise.

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Tableau 1. L’impact de l’évolution de la valeur sur le modèle d’affaires
(Source : Lasalle et Britton, 2003, p. 25)
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Débuts du consumérisme
Les années de transition Le nouveau millénaire
(du début jusqu’à
(1960-1990) (années 2000 et au-delà)
la moitié des années 1900)
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Business L’entreprise La concurrence Le consommateur


Focus

Business La productivité La part de marché ou la différenciation La valeur expérientielle


Model

Le marché De masse De segments (groupes) individuel

Le rôle Consommateur Client Participant


du client

Le point de La conception (engineering) et la La conception (engineering) et la Toute l’entreprise avec le


création de production industrielle production industrielle consommateur comme cocréateur
valeur (manufacturing) (manufacturing) et le service de la valeur

Les leviers Le coût et la fonction du produit Le volume, les attributs du produit, le Les expériences impliquant et
de service et la qualité entourant le produit et la marque
productivité (company)

Les Le nombre de consommateurs Le nombre de consommateurs et la La fidélité du consommateur


indicateurs satisfaction du consommateur
de succès

L’approche de Lasalle et Britton (2003) s’inscrit dans la perspective évolutionniste de Pine et


Gilmore (1999), puisque, selon les auteurs, les business models fondés sur la valeur expérientielle
succèdent aux modèles fondés sur la productivité. L’approche expérientielle est par ailleurs
associée au nouveau millénaire et supposée favoriser la fidélité du consommateur ou du client.
Pour piloter l’expérience, des concepts développés en marketing des services sont mobilisés.
Ainsi le parcours client permet de comparer l’expérience à un voyage, dont l’entreprise doit
investir toutes les étapes. Le processus d’engagement dans l’expérience (the experience engagement
process) est décomposé en cinq étapes (découverte, évaluation, acquisition, intégration, extension)
qui sont encore très centrées sur l’expérience d’achat.

Parole d’expert
La valeur de l’expérience hôtelière
Par Nathalie Benet, Docteur en Sciences de Gestion, Université Nice Sophia Antipolis
La valeur d’une expérience peut se créer selon différentes modalités. La forte orientation marché du secteur hôtelier
amène de plus en plus les managers à reconsidérer le positionnement de leur établissement pour formuler des
propositions de valeur correspondant à des attentes changeantes des clients. À partir d’une étude du secteur hôtelier en
région Provence-Alpes-Côte-d’Azur, nous avons pu identifier quatre dimensions de l’expérience d’interaction de service
qui constituent les fondements de la création de valeur à destination des clients.
La première est le caractère utilitaire et individuel de l’expérience d’interaction de service, qui fait référence aux aspects
fonctionnels d’un hôtel et à l’accomplissement de ses fonctions de base : fournir au consommateur un endroit où dormir.

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La deuxième est l’évasion qui implique une offre d’expérience tournée vers le dépaysement, la rupture avec le quotidien.
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La troisième est liée aux interactions sociales. Elle fonde l’expérience sur les relations sociales avec le personnel en contact
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et les autres clients, et met l’accent sur le loisir dans et en dehors de l’hôtel.
La quatrième est le caractère récréatif de l’expérience proposée par l’hôtel, qui s’illustre par les installations et les services
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proposés.
L’application de ces quatre dimensions de l’expérience d’interaction de service au secteur hôtelier en PACA permet
d’identifier trois modèles de création de valeur :
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– les hôtels familiaux qui mettent l’accent sur une ambiance et un accueil familiaux ;
– les hôtels à services ajoutés qui fondent leur création de valeur sur une gamme de services supérieure et étendue, liée
au divertissement et à la relaxation ;
– les hôtels utilitaires de standing qui centrent leur offre sur le service d’hôtellerie de qualité dans un cadre luxueux.

B) L’expérience totale selon Sundbo et Darmer


Sundbo et Darmer (2008) réfléchissent aux différentes manières de créer de l’expérience dans
l’économie de l’expérience. Pour classer les expériences produites, ils développent une taxonomie,
distinguant les expériences « à distance » (distant experiences) qui sont distribuées à partir d’un
point de production puis diffusées aux consommateurs (télévision, film…) et les expériences « de
proximité » (close experiences) qui supposent que le consommateur se déplace vers l’endroit où
l’expérience se déroule (par exemple, une nuitée dans un hôtel de designer). Ils croisent cette
première dimension avec une seconde en distinguant les expériences technologiques (fondées sur
les technologies de l’information) et les expériences personnelles.
Ils constatent que les expériences à distance fondées sur de la technologie prennent une part
croissante dans les économies développées.
Les auteurs développent ensuite un modèle de l’expérience totale (the total experience product,
Sundbo et Darmer, 2008, p. 98), qui est en quelque sorte la superposition d’une expérience centrale
et d’une expérience périphérique. La distinction entre éléments centraux et périphériques est établie
depuis longtemps en marketing des services, mais fonctionne bien pour expliquer que la production
d’expérience doit se préoccuper de l’ensemble de l’expérience vécue.

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Figure 3. L’expérience totale de Sundbo et Darmer (2008)


(Source : figure adaptée de Sundbo et Darmer, 2008, p. 98)

Ce rapide tour d’horizon permet de souligner le dynamisme du champ académique et la richesse


des applications managériales du marketing expérientiel. Aujourd’hui, le courant expérientiel a une
histoire, déjà longue, avec des contributions portant sur le secteur de la distribution et des services
en général, le tourisme, l’industrie du divertissement et de l’hospitalité (Tynan et McKechnie,
2009).
Si l’on prend du recul par rapport aux travaux fondateurs, on peut considérer qu’ils ont en
commun :
– de dissocier l’achat de la consommation ;
– d’envisager l’expérience dans un processus ;
– d’aborder l’expérience comme une unité d’offre que l’entreprise développe et propose aux
consommateurs ;
– d’envisager l’expérience comme une source de valeur pour le consommateur ;
– de rester assez centrés sur l’expérience d’achat dans des lieux scénarisés déclinant l’univers de
la marque.
Dissocier l’achat de la consommation permet d’envisager l’expérience comme un processus, et
d’envisager des expériences marchandes et non marchandes. L’expérience comme processus débute
dès lors qu’un assemblage de stimuli déclenche une interaction entre un sujet et un objet consommé
et que cette interaction est jugée suffisamment signifiante pour que le sujet s’en souvienne. Le
nombre de phases du processus expérientiel varie selon les auteurs. Arnould, Price et Zinkhan
(2002) le décomposent en quatre phases :
1.Consommation anticipée (Anticipated experience).
2.Expérience d’achat (Purchase experience).
3.Expérience de consommation (Consumption experience).
4.Souvenir de l’expérience (Remembered consumption).
Tynan et McKechnie (2009) n’en identifient que trois :
5.L’avant-expérience (Pre-experience).
6.L’expérience du consommateur (Customer experience).
7.L’après-expérience (Post-experience).

ZOOM
Le processus expérientiel
L’un des apports majeurs de l’approche expérientielle réside dans la dissociation de l’achat et de la consommation

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proprement dite.
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Il en découle le concept de processus expérientiel qui permet d’identifier un ensemble d’étapes qui sont autant de points de
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contact possibles entre la marque et le consommateur.
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Les modèles de comportement du consommateur, dits de traitement de l’information, sont fondés sur la résolution de
problème, en se focalisant sur le processus d’achat et l’enchaînement de phases suivantes : reconnaissance du problème,
recherche d’information, évaluation des alternatives, décision d’achat (choix du produit, choix du point de vente, choix du
moment, choix du budget), comportement post-achat (satisfaction/fidélité).
Dissocier l’expérience d’achat de l’expérience de consommation permet de prendre en compte des phénomènes qui vont au-
delà de l’achat proprement dit, en intégrant la consommation du produit mais aussi, selon les cas, la façon dont le
consommateur en dispose (en le transformant, le donnant, le revendant…).

L’idée que l’entreprise est en mesure de produire de l’expérience, puisque l’expérience est une
nouvelle unité d’offre, caractérise les travaux pionniers du champ expérientiel. L’offre d’expérience
« à vivre », délivrant plus de valeur car mémorable, plaisante et extraordinaire, est ensuite
proposée au marché.
Dans la conception traditionnelle du processus de création de la valeur, bien capturée par la
chaîne de valeur de Porter (1985), la valeur se crée à l’intérieur de l’entreprise. C’est d’ailleurs
cette hypothèse qui sous-tend la logique good-dominant (Vargo et Lusch, 2004). L’entreprise
conçoit et produit l’offre, tandis que le consommateur l’achète et la consomme. L’hypothèse sous-
jacente est que l’entreprise agit de façon autonome, en concevant son offre, en élaborant une
communication adaptée pour la commercialiser, en contrôlant ses canaux de distribution, tout ceci
sans interaction avec le consommateur. Dans cette perspective, le consommateur intervient
seulement au moment de l’échange (achat), il est une cible marketing assez passive.
Curieusement, cette vision est implicite dans les travaux pionniers sur le marketing expérientiel.
Nous employons le terme curieusement, car la notion d’expérience est si intiment liée au
consommateur qu’on aurait pu imaginer que le fait même de la mobiliser modifie la donne. Or, il
n’en est rien. On reste dans une vision très classique d’un marketing qui se pense à l’intérieur de
l’entreprise et délivre de la valeur aux segments de consommateurs ciblés. Lasalle et Britton
(2003), dans leur analyse de l’impact de l’évolution de la valeur, décrivent le consommateur
comme cocréateur de la valeur avec l’entreprise. Prahalad et Ramaswamy (2004) insistent sur cette
évolution. De cible passive, le consommateur sera de plus en plus envisagé, ainsi que nous le
développerons largement dans la suite de l’ouvrage, comme un acteur coproducteur de
l’expérience.

À RETENIR
La chaîne de valeur développée par Michael Porter, dans son ouvrage L’Avantage concurrentiel (1985), permet de visualiser
la contribution de l’ensemble des grandes fonctions de l’entreprise à la création de valeur. L’idée sous-jacente à la chaîne de
Porter est que la valeur se crée à l’intérieur de l’entreprise.

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ZOOM
Les principaux champs d’application du marketing expérientiel 1re génération
La théâtralisation de l’offre marchande a constitué le vecteur principal de la proposition d’expériences pilotées par
l’entreprise. Le commerce de détail et la restauration ont été des terrains propices au développement de ces formes
d’expériences.
Un centre commercial régional (mall dans la terminologie anglo-saxonne) est un environnement favorable à la proposition
d’une expérience globale. Le caractère fermé du centre permet de contrôler les variables d’environnement (lumière,
ambiance sonore, ambiance olfactive), et le management centralisé de l’espace permet de définir une thématique (décor,
ambiance) qui soutient le positionnement du centre par rapport à ses concurrents. L’association d’activités commerciales et
d’activités de loisirs permet également de conférer à l’expérience de visite un contenu non exclusivement marchand. Le
centre Xanadu de Madrid inclut ainsi une piste de ski intérieure fonctionnant toute l’année.
Nike a développé ses magasins Niketown pour proposer un récit de l’histoire de la marque à travers son association à des
exploits sportifs. Le magasin devient ainsi une composante du storytelling mis en œuvre par la marque pour se doter d’un
statut mythique. La performance commerciale du magasin est alors beaucoup moins importante que sa fonction de
communication. Dans les (rares !) villes qui accueillent un Niketown, le statut de ce point de vente est alors assez proche de
celui d’un musée.
L’enseigne Abercrombie & Fitch a développé un merchandising qui décline le positionnement transgressif de la marque :
absence de signalétique à l’extérieur du magasin, éclairage très faible, musique assourdissante, personnel de vente invité à se
livrer à des danses évocatrices de l’ambiance d’une boîte de nuit…
La restauration à thème est propice à la construction par l’enseigne d’une expérience de consommation. La chaîne Hard
Rock Café a été une pionnière de la proposition d’une ambiance illustrée par des collections de reliques de l’âge d’or du rock.
Même sur le marché du fast-food, la chaîne Long John Silver’s propose des produits à base de poissons dans un décor d’île
au trésor.

À RETENIR
Du point de vue de l’entreprise, produire de l’expérience consiste à mettre en place des contextes expérientiels qui forment
l’offre proprement dite (quand l’entreprise commercialise des expériences) ou aident à mieux la positionner dans l’esprit du
consommateur et à délivrer plus de valeur, en « expérientialisant » certaines variables de son mix marketing.

Nous venons d’évoquer les premiers travaux du courant expérientiel. Dans la partie qui suit, nous
abordons la représentation du consommateur qui leur correspond.

Section 2. La figure désenchantée d’un consommateur


passif à réenchanter

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Sous-jacente aux travaux pionniers du courant expérientiel, on trouve la figure d’un consommateur
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un peu désenchanté, en perte de repères, qu’il est relativement facile de divertir au travers d’une
offre expérientielle saturée de stimuli sensoriels, et dont on parvient ainsi à gommer la rationalité.
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Il est utile d’approfondir la notion de désenchantement pour comprendre celle de réenchantement


par la consommation.
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1. Du désenchantement au réenchantement par la consommation


Les premiers travaux sur l’expérience développent une perspective hédoniste de la consommation
et insistent sur le caractère extraordinaire de l’expérience. Selon Ritzer (2004), la logique
fonctionnelle dominante mène à terme à un désenchantement de la consommation. Or, une
consommation désenchantée freine la demande, moteur de la croissance économique. Pour relancer
cette croissance, il convient alors de réenchanter la consommation.
Pour comprendre l’idée que l’expérience constitue potentiellement un vecteur de réenchantement
du consommateur, il convient de s’intéresser à la notion de désenchantement (Weber, 1970 ;
Gauchet, 1985). Le désenchantement du monde (Entzauberung der Welt) correspond à « un
processus religieux de rupture avec la magie ou la rupture avec des moyens magiques pour obtenir
le salut » (Vincent, 1995, p. 95). La religion abandonne peu à peu ses dimensions sensibles-
sensuelles. « Les explications magiques ou mythologiques du monde cèdent peu à peu la place à des
explications scientifiques qui permettent des pratiques rationnelles et la mise au point de techniques
de travail efficaces » (Vincent, 1995, p. 95).
La rationalisation, qui est un des ressorts puissants de la modernité, marque nécessairement une
rupture avec les habitudes et les croyances ancestrales. Le monde désacralisé de la modernité finit
par devenir un monde désenchanté, moins mystérieux et moins poétique.
On retient souvent de Max Weber la métaphore de la cage d’acier, qu’il mobilise pour décrire la
civilisation capitaliste industrielle moderne. On comprend que l’approche expérientielle ouvre de
nouvelles perspectives à un consommateur désenchanté, pris au piège de la cage d’acier de la
rationalité, et disposé à saisir les opportunités de s’évader au travers d’expériences au caractère
magique.
Le terme réenchantement désigne ainsi un phénomène de retour à l’irrationnel, au mystique et au
magique dans les sociétés occidentales et le rejet d’un monde moderne ne laissant que peu d’espace
à la fantaisie et au merveilleux.

EXEMPLE
Une consommation réenchantée : le rayon vert de la cathédrale de Strasbourg
La cathédrale de Strasbourg, chef-d’œuvre de l’architecture gothique, attire chaque année plus de quatre millions de
visiteurs. Au-delà de l’histoire de l’édifice, les visiteurs sont friands d’anecdotes mystérieuses, chargées symboliquement, qui
les intriguent et les enchantent. Il en va ainsi de son célèbre rayon vert.
Chaque année, au moment de l’équinoxe de printemps (le 20 ou 21 mars à 11 h 38) et de l’équinoxe d’automne (le 22 ou
23 septembre à 12 h 24), les rayons du soleil traversent en effet un vitrail de la première fenêtre de la quatrième travée
représentant Juda (non le traître, mais l’ancêtre du Christ et fils de Jacob, fondateur d’une des douze tribus d’Israël ayant
donné son nom à la Judée). Les rayons du soleil passent par son pied gauche et « après avoir traversé la nef, un rayon
coloré par le vitrail produit un spot vert. Celui-ci se pose sur le Christ représenté sur l’avant du tablier de la chaire, chacun

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des six jours qui suivent l’équinoxe de printemps. Il en va de même chacun des six jours qui précèdent l’équinoxe d’automne.
Le jour des équinoxes, le rayon vert est situé exactement sur le dais de pierre qui surplombe le Christ »
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(Source http://www.cathedrale-strasbourg.fr/, consulté le 9 avril 2015).
Ce rayon n’a été remarqué qu’en 1972 par l’ingénieur Maurice Rosart, et il semblerait que l’effet ait été façonné par des
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maîtres verriers dans les années 1870. Peu importe, la magie opère et les interprétations se multiplient. Le mystère qui
entoure le rayon vert constitue pour beaucoup de visiteurs une façon de s’intéresser à la Cathédrale de façon anecdotique
et divertissante.
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La consommation réenchantée d’un lieu, d’un édifice ou d’une destination repose souvent une clé d’entrée accessible au
plus grand nombre.
Dans la même veine, les ouvrages de Dan Brown s’inscrivent dans cette culture lowbrow (Levine, 1988), qui permet à tout
un chacun d’accéder par la voie du merveilleux et de l’inexplicable à une forme de réenchantement des lieux historiques et
sacrés par ailleurs difficiles à appréhender par les non spécialistes.

Le réenchantement de la consommation consiste donc à réintroduire une dimension magique et


spectaculaire dans l’offre commerciale pour enrichir le vécu du consommateur, le réinvestir de
sens, de surprise, voire de mystère. L’offre d’expériences constitue dès lors une unité d’offre et un
vecteur de réenchantement pour un consommateur en quête de plaisir, d’émotions et de sensations.
A) L’hyperréalité comme vecteur du réenchantement
Baudrillard a proposé l’hypothèse de l’hyperréalité pour illustrer la quête de réenchantement à
travers la consommation. La rationalisation de la société industrielle rend nécessaire le
développement de ce que Ritzer (1999) a appelé les « moyens de consommation », prolongement
contemporain des « moyens de production » de l’ère industrielle. La construction d’une
hyperréalité, environnement artificiel stimulant la consommation, fait partie de ces moyens. Pour
Baudrillard, l’hyperréalité est un environnement imaginaire caractérisé par la fusion des espaces et
l’implosion du temps. Un environnement hyperréel mélange des symboles empruntés à différents
lieux et différentes époques.
Ainsi la ville de Las Vegas réunit dans un espace concentré des représentations de toutes les
époques de l’histoire et de toutes les contrées du monde : de Venise (casino The Venetian) à New
York en passant par Paris, de la conquête de l’Ouest américain à celle de l’espace.
Le consommateur désenchanté est déçu par son environnement réel et l’offre marchande va lui
proposer des simulacres (Eco, 1987) d’environnement qui seront sources de gratification en
l’immergeant dans un spectacle constamment renouvelé (la « société du spectacle » de Guy Debord,
1967).

Parole d’expert
Réenchanter par l’extraordinaire
Par Laurence Graillot, Maître de conférences, Crego, Université de Bourgogne
Pour produire des expériences extraordinaires, les resorts de Las Vegas exploitent principalement les caractéristiques
présentées par les environnements hyperréels.
Ces resorts sont souvent conçus autour d’un thème facilitant l’immersion des visiteurs. Le Luxor expose une
reconstruction de l’« égyptianité », le Paris exhibe la « frenchité »…
Des composants hétérogènes sont juxtaposés pour faire perdre aux visiteurs leurs repères. Le vrai et le faux sont
combinés comme au Wynn dont les jardins réunissent des fleurs naturelles et une pelouse artificielle. Le retailtainment

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est à son apogée. Le Bellagio propose des activités commerciales – pratiquées par les boutiques de luxe de la Via Bellagio
– et des activités de loisirs et culturelles comme les jeux de hasard, des spectacles, la visite d’une galerie des beaux-arts,
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la restauration… Les visiteurs peuvent aussi applaudir des spectacles de magie, tel le show de David Copperfield au
MGM Grand. La confusion temporelle est entretenue. Le Luxor propose de voyager dans le temps en visitant l’exposition
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consacrée au Titanic. Au Caesar’s Palace, les couleurs du plafond et les lumières du Forum Shops changent
imperceptiblement chaque heure afin de simuler le déroulement d’une journée. En outre, l’absence d’ouvertures conduit
à ne plus savoir si dehors il fait jour ou nuit. La confusion spatiale est aussi cultivée, la ville permettant de visiter des
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villes/pays représentés par leurs icônes : la tour Eiffel de Paris, le sphinx et une pyramide pour l’Égypte…
Les resorts proposent de vivre des expériences en toute sécurité pour que l’immersion des visiteurs, voire leur
régression, soit facilitée. Ils peuvent ainsi assister à une éruption volcanique au Mirage, éprouver des sensations fortes au
Stratosphere. La régression est recherchée car des adultes infantilisés deviennent de meilleurs joueurs/consommateurs,
l’infantilisation se traduisant par une suspension volontaire du contrôle (Belk, 2000). La démesure et le spectaculaire sont
valorisés car leur association à la miniaturisation produit de la fascination qui crée des désirs de consommation. Le sphinx
du Luxor représente deux fois la taille de l’original (Belk, 2000). Le MGM Grand abrite plus de 5 000 chambres. Les
resorts investissent des moyens considérables dans les shows, mettent en jeu des sommes d’argent colossales dans les
casinos.
Finalement, tous ces leviers cherchent à générer un sentiment de communitas entre des membres d’un groupe de
visiteurs. Ce sentiment se révèle en effet nécessaire pour que l’expérience vécue puisse être qualifiée d’extraordinaire et
devienne inoubliable.

2. Le consommateur postmoderne figure du marketing expérientiel « 1re


génération »
A) Les figures du nouveau consommateur
Pour se renouveler, le marketing s’appuie toujours sur des représentations d’un consommateur qui
reflètent les préoccupations et l’esprit du temps. L’étude des figures du « nouveau consommateur »
permet de comprendre comment un courant émerge et s’installe dans un champ. Ainsi différentes
figures du « nouveau » consommateur correspondent à différents courants marketing. C’est autant le
regard porté par les chercheurs et les managers sur le consommateur et les méthodes pour l’étudier
qui se renouvellent que le consommateur lui-même. Il s’agit de constructions découlant du discours
marketing du monde académique et managérial (Cova et Cova, 2009). Le début des années 1990 est
ainsi marqué par la figure d’un consommateur individualiste, auquel s’adresse le marketing
relationnel avec sa déclinaison personnalisée du marketing one to one. La fin des années 1990 et le
début du nouveau millénaire correspondent à un consommateur hédoniste, en quête de stimulations
sensorielles et émotionnelles, auquel correspondent bien les approches expérientielles. Cova et
Cova (2009) annoncent, au milieu des années 2000, la figure émergente du consommateur créatif
auquel répondent les approches de marketing collaboratif qui correspondent au marketing
expérientiel nouvelle génération.

ZOOM
Évolution des figures du nouveau consommateur

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Figure 4. Les figures du nouveau consommateur 1990-2015


(Source : d’après Cova et Cova, 2009)

Cova et Cova (2009, p. 83) identifient trois périodes sur les vingt dernières années correspondant à trois approches du
marketing et à trois figures du nouveau consommateur.
Les années 1990 avec les approches one to one (Peppers et Rogers, 1999), ou les approches en marketing relationnel,
supposent un nouveau consommateur individualiste qui veut développer des relations sur mesure avec les marques qu’il
choisit.
La fin des années 1990 et le début des années 2000 voient le développement des premiers travaux en marketing
expérientiel (Schmitt, Pine et Gilmore, Hetzel). Depuis le milieu des années 2000, un glissement de perspective s’opère, le
consommateur n’est plus envisagé comme passif, mais collaboratif et créatif.

Si le consommateur a longtemps été considéré comme un être rationnel gérant son budget et
faisant des choix réfléchis, la figure, implicite aux approches expérientielles, est plus incarnée que
l’être rationnel présupposé dans les modèles dits de traitement d’information. La quête hédoniste
est identifiée comme une caractéristique centrale de la société postmoderne (Lyotard, 1979 ;
Maffesoli, 2003 ; Lipovetsky et Charles, 2004 ; Lipovetsky, 2006) et l’individu postmoderne
recherche, dans l’expérience de consommation, plaisirs, émotions et sensations.
L’approche expérientielle a permis de tenir compte d’une consommation affective expliquant des
comportements émotionnels. Les travaux pionniers du courant expérientiel s’appuient sur la
représentation, un peu régressive, d’un consommateur qui recherche activement des gratifications
hédoniques parce qu’il est, par ailleurs, en perte de repères, quelque peu désenchanté et sceptique
par rapport aux grandes valeurs qui structuraient l’ère moderne.
B) Postmodernité et consommation
Le terme postmoderne est utilisé pour qualifier une phase dans laquelle les sociétés occidentales
se trouveraient depuis la deuxième moitié du XXe siècle. Le préfixe post explique que la
postmodernité se définit par rapport à l’ère moderne. On considère que l’ère moderne correspond
au siècle des Lumières (XVIIIe siècle) et à la révolution industrielle (XIXe siècle), jusqu’aux Trente
glorieuses du XXe siècle. L’ère postmoderne débute après les années 1970 (Lyotard, 1979), pour se
poursuivre jusqu’à nos jours.
L’ère moderne est associée au progrès, à l’optimisme, à la rationalité, à la quête d’un savoir

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absolu et universel par la science, dans le domaine social et en politique. L’esprit de la période dite
moderne se caractérise par une croyance très forte dans le progrès et une foi inébranlable dans la
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perfection possible de l’humanité. Parmi les philosophes associés à l’ère moderne, on peut citer
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Kant, Hegel, Voltaire (Ward, 2004). A contrario, la société postmoderne aurait perdu la foi en ces
idéaux et elle est associée à l’épuisement (des ressources), au pessimisme, à l’irrationalité et à la
perte des illusions par rapport au savoir absolu.
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Il y a une idée de déclin associée à la postmodernité, déclin que certains observateurs célèbrent
car ils y voient l’émergence d’aspects nouveaux non dépourvus d’intérêt :
– érosion entre les distinctions habituelles entre culture élitiste et culture populaire ;
– fascination pour la façon dont nos vies sont dominées par les médias visuels ;
– porosité entre la sphère intime et la sphère publique ;
– sentiment que la définition même de l’identité (humaine) est en train de changer ;
– scepticisme fort par rapport aux grands récits (ou métarécits) (Lyotard, 1979), structurant une
société.
La postmodernité se définit une époque marquée par :
• Le culte du présent, rendu accessible à la grande majorité grâce à la révolution de la
communication et de la consommation de masse.
• Le triomphe des valeurs hédonistes du bien-être et de l’accomplissement de soi, le goût des
loisirs, l’individualisme hédoniste comme valeur phare des sociétés démocratiques (Lipovetsky,
1983).
Le sociologue Anthony Giddens ne parle pas, quant à lui, de société postmoderne, mais de
modernité tardive (late modernity), et distingue les sociétés prémodernes traditionnelles des
sociétés modernes post-traditionnelles. Ce que certains appellent postmodernité correspond pour
Giddens à des exemples extrêmes d’une modernité aboutie (Gauntlett, 2008). Les repères pour
l’individu sont très présents dans les sociétés traditionnelles. L’individu n’a pas à s’interroger sur
ce qu’il a à faire, il lui suffit de respecter les traditions. Dans les sociétés post-traditionnelles,
l’héritage, les valeurs et les traditions des générations précédentes importent peu, les choix sont
ouverts, mais les repères flous pour l’individu.
À la fin des années 1990, le sociologue Zygmunt Bauman (2000) propose de substituer au concept
de postmodernité celui de « modernité liquide ». La métaphore de la société liquide entend capturer
les fluctuations permanentes qui caractérisent la vie moderne. Dans la société liquide, l’individu se
définit par ses actes de consommation. Son statut social, son identité et sa réussite ne cessent de
changer. Il n’y a plus rien de permanent ou de solide, la fluidité des structures et des rapports
humains prédominent.

EXEMPLE
Le selfie, un réflexe très postmoderne
En 2013, plus de 50 millions de photos avec le hashtag #selfie ont été partagées sur Instagram. Désigné « mot de l’année
2013 » par le dictionnaire Oxford, le selfie, autoportrait pris avec son smartphone, envahit Twitter en 2014 : « L’autoportrait
d’antan est devenu l’égoportrait de la génération numérique. »
(Source : http://branchez-vous.com, consulté le 17 mai 2015.)

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L’application Snapchat permet aujourd’hui d’envoyer des instantanés qui se détruisent au bout de quelques secondes,
nouvelle manière de se mettre en scène de façon plus éphémère. Le selfie célèbre l’ego décomplexé du consommateur
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postmoderne/hypermoderne, hyperconnecté, hypernarcissique, et illustre bien la fascination pour la façon dont nos vies
sont dominées par les médias visuels et les images.
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C) De la postmodernité à l’hypermodernité
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Nous serions à présent entrés dans l’ère de l’hypermodernité (Aubert, 2006), définie comme la
modernité sans illusion et sans concurrence, c’est-à-dire une modernité radicale caractérisée par
l’exacerbation et l’intensification de la logique moderne (Charles, 2005). « Plusieurs signes
laissent à penser que nous sommes entrés dans l’ère de “ l’hyper ” qui se caractérise par une
hyperconsommation, […], une hypermodernité qui fait suite à la postmodernité, et un
hypernarcissisme. » (Lipovetsky et Charles, 2004, p. 33). La pratique assez répandue du phubbing1,
illustre bien cette hypermodernité décomplexée. Le phubbing consiste à se soustraire des personnes
présentes dans le contexte où l’on est physiquement, en s’absorbant dans la consultation de son
smartphone. Cette quête d’ubiquité et de saturation sensorielle via la technologie caractérise bien
l’hypermodernité. Il résulte de ces nouveaux comportements de nouvelles dépendances, puisque,
selon un sondage Ifop de 2013, plus de 40 % des possesseurs de smartphone, se considèrent
nomophobes2. Le smartphone est devenu une extension d’eux-mêmes, voire une sorte de doudou
numérique dont ils se sentent inséparables.

À RETENIR
En intégrant les états affectifs du sujet, la perspective expérientielle brosse le portrait d’un consommateur en quête de
plaisirs, d’émotions et de sensations. Cette figure d’homo ludens, « homme qui joue » (Huizinga, 1988) en rupture avec
l’homo economicus des modèles antérieurs, correspond à un consommateur postmoderne (Lyotard, 1979 ; Firat et
Venkatesh, 1995), voire hypermoderne (Lipovetsky et Charles, 2004 ; Aubert, 2006) en perte de repères (Ritzer, 1991 ;
Lipovetsky, 1983 ; Bauman, 2000) que la consommation permet de réenchanter au fil d’expériences hédoniques et
extraordinaires.

Section 3. Les écueils du marketing de la création


d’expérience
La stratégie d’enrichissement de l’offre par la proposition d’une expérience devait, selon Pine et
Gilmore, permettre à l’offre de se doter d’un avantage concurrentiel dans un contexte de marché où
la différenciation à travers l’image de la marque et l’adjonction de services ne suffisaient plus à se
distinguer de la concurrence. Certes, la stratégie d’image, puis la stratégie d’adjonction de
services, a permis d’établir une différenciation perçue, mais celle-ci n’est que très rarement
durable dans un environnement concurrentiel mondialisé. On peut donc légitimement douter de la
capacité du marketing de création d’expérience à établir une barrière plus durable face à la
concurrence. Et, en effet, cette stratégie atteint elle aussi rapidement ses limites.
Une première limite tient à la réaction du consommateur face aux promesses souvent superlatives
des propositions d’expérience : tout cela est-il bien crédible ? Ne convient-il pas au contraire
d’être prudent ? Le consommateur rendu suspicieux va poser une première limite à la longévité des
stratégies de création d’expérience.

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Une deuxième limite résulte de l’inadéquation de la forme de l’expérience, et notamment de
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l’habillage expérientiel, aux attentes profondes du consommateur. On peut rapprocher ce processus
des résultats des recherches consacrées à la communication persuasive, qui ont montré que
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l’habillage du message ne parvenait généralement pas à masquer l’absence de réalité de la


promesse qu’il véhiculait : pour faire référence à la théorie issue de ces recherches, la route
périphérique de la persuasion ne peut fonctionner que si la route centrale existe ! Or il en est des
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propositions d’expériences comme des messages publicitaires : le designer de l’expérience peut


avoir imaginé un très beau décor et raconter une très belle histoire, encore faut-il que le
consommateur perçoive quel bénéfice il va retirer de la consommation du produit ou du service.
L’échec de la stratégie déployée par Carrefour lors de l’expérience du format Planet dans ses
hypermarchés illustre ce risque d’atteindre trop vite les limites de la théâtralisation de l’offre. Le
client de l’hypermarché recherche la disponibilité des produits au meilleur prix, et il est dérouté
lorsque le point de vente adopte des formes de théâtralisation qui suggèrent une offre spécialisée et
coûteuse. Plus récemment encore, la tentative de repositionnement par Vivarte de son enseigne La
Halle s’est heurtée au même conflit entre une promesse « discount » et une mise en scène trop
spectaculaire de l’assortiment.
Enfin une troisième limite résulte de la rapidité avec laquelle le consommateur se lasse d’une
offre et exige son renouvellement. La principale clé du succès d’une proposition d’expérience tient
à sa nouveauté et à la rupture qu’elle établit par rapport à son environnement concurrentiel. Mais
passé l’effet positif de cette surprise, le consommateur va très vite s’habituer à ce qui n’est plus une
nouveauté, contraignant l’offreur à imaginer une nouvelle proposition d’expérience. Pour que celle-
ci réussisse, il devra sans doute céder à la pression de la recherche de ce que Umberto Eco
appelait dans une expression devenue célèbre la recherche du « more of » : il faut toujours plus
d’effets spéciaux, toujours plus de surprise, toujours plus de sollicitation sensorielle. Les
exploitants des parcs d’attraction savent bien que l’absence de renouvellement de leur offre induira
nécessairement la fuite de la clientèle. Le directeur d’un grand magasin parisien confiait il y a
quelques années qu’il était consterné de devoir casser tous les deux ans le marbre rose en très bon
état au rez-de-chaussée de son établissement pour le remplacer par du marbre noir, mais c’était la
condition (coûteuse) pour rappeler aux chalands qu’ils allaient justement vivre une expérience
inédite… L’expérience proposée par l’offre s’use très vite, et plus la marque fait reposer sa
promesse commerciale sur le contenu de l’expérience, plus elle sera contrainte à la renouveler
régulièrement.
1. L’émergence d’un consommateur suspicieux
Le consommateur postmoderne est facilement sceptique et critique, il est par conséquent logique,
qu’exposé aux dispositifs marketing (publicités, mises en scène d’espaces scénarisés), il ait peu à
peu développé une forme de méfiance par rapport à certains artifices publicitaires, tout en
demeurant capable d’y succomber. L’idée de résistance, méfiance, distance critique fait cependant
son chemin, et il convient d’en rendre compte. Le marketing 1re génération avait affaire à un
consommateur un peu plus « bon enfant » que le marketing expérientiel « nouvelle génération ».

Parole d’expert

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Le consommateur suspicieux |/\
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Par Jean-Luc Herrmann, Professeur des Universités, Cerefige, Université de Lorraine
L’exposition répétée des consommateurs aux pratiques marketing et commerciales les conduit inexorablement à une
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meilleure connaissance des tactiques de persuasion utilisées. Cette accumulation de connaissances, et le développement
de représentations en matière de persuasion qui l’accompagne au gré des expériences d’interactions commerciales
vécues par les consommateurs, accroissent la capacité de ces derniers à détecter les tentatives de persuasion dont ils
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font l’objet (cf. le persuasion knowledge model de Friestad et Wright, 1994). La détection de ces tentatives modifie
progressivement leurs perceptions des informations et autres stimuli auxquels ils sont sans cesse exposés : non plus
comme autant de stimulations multisensorielles plaisantes, mais avant tout comme autant d’éléments destinés à les
influencer.
Ce « changement de signification » (« The Change-of-Meaning Principle » selon Friestad et Wright, 1994) peut
conduire les consommateurs à être suspicieux à propos des objectifs affichés du marketeur, c’est-à-dire à leur faire
percevoir des hypothèses rivales – par exemple réellement les satisfaire ou seulement réaliser une vente et du profit –
quant aux arrière-pensées qui animent finalement le marketeur (Campbell and Kirmani, 2000 ; Fein, 1996).
En référence à Fein, Hilton, et Miller (1990), la suspicion d’arrière-pensées peut être définie comme l’interrogation à
propos des motifs qui guident les comportements d’une autre personne et de leur sincérité. Le consommateur
suspicieux aura donc tendance à percevoir des explications alternatives (« arrière-pensées intéressées ») à la bienveillance
affichée par exemple par le vendeur avec lequel il interagit, tandis que le consommateur non suspicieux tendra lui à
percevoir les discours et comportements du vendeur comme sincères, et ce malgré la nature commerciale de la situation.
Étudiée dans le contexte des messages persuasifs, en particulier ceux délivrés par les vendeurs, la suspicion peut conduire
le consommateur à avoir une attitude moins favorable à l’égard du vendeur (Campbell and Kirmani, 2000), et à réduire
ses intentions d’achat (DeCarlo, 2005). L’attribution par le consommateur d’arrière-pensées intéressées au vendeur
constitue le processus sous-jacent à ces effets. Alors que l’on pourrait par conséquent s’attendre à l’absence de ces effets
négatifs lorsque l’attribution de telles arrière-pensées ne demeure guère plausible (par exemple au regard d’autres
facteurs situationnels), les travaux de Main, Dahl et Darke (2007) montrent que de tels effets négatifs de la suspicion
sont néanmoins susceptibles de se produire (à tort, sans arrière-pensée plausible) via l’activation de buts défensifs et des
processus automatiques conduisant finalement le consommateur à des jugements biaisés par (et confirmant in fine) son
état de suspicion initial.
En France, dans le cadre de ses travaux sur les phénomènes de résistance des consommateurs, Roux (2007) souligne
l’intérêt d’explorer « la manière dont les consommateurs évaluent les dispositifs expérientiels des enseignes de
distribution, décodent ou non les stratagèmes et les ressorts psychologiques employés – design d’enseigne,
théâtralisation, mise en œuvre du marketing sensoriel – et catégorisent les effets qu’ils leur prêtent » (Roux, 2007, p. 75).
De ce point de vue, plusieurs recherches étudient les effets contre-productifs susceptibles d’être engendrés par
l’utilisation de facteurs d’atmosphère dans le point de vente. Lunardo, Saintives et Roux (2012) soulignent combien le
recours aux facteurs d’ambiance dans les points de vente peut conduire les consommateurs à douter de leur authenticité
et à leur faire percevoir ces pratiques comme autant de moyens de les influencer, avec à la clé le risque de conséquences
très préjudiciables pour le distributeur.
Lunardo et Mbengue (2013) et Lunardo (2012) montrent ainsi que lorsque les consommateurs ne s’y attendent pas,
sont rendus sceptiques par la présence d’odeurs attrayantes, et perçoivent une intention de manipulation, ils tendent à
éprouver moins de plaisir au sein du point de vente, juger le détaillant moins intègre, lui attribuant davantage l’objectif
d’être avant tout intéressé à « faire de l’argent » (par opposition à se préoccuper de l’intérêt de ses clients), et ont
finalement une attitude moins favorable à l’égard de ce même détaillant.
De même, le scepticisme des consommateurs, cette fois à l’égard de la promotion, peut avoir des répercussions sur leurs
perceptions des réductions de prix, et in fine réduire leurs intentions d’achat des offres promotionnelles concernées (De
Pechpeyrou et Odou, 2012).
Appelant à un développement des recherches dans ce domaine, ces premiers résultats invitent les détaillants à être
particulièrement vigilants à la suspicion que pourraient activer les dispositifs expérientiels mis en œuvre dans leurs points
de vente. L’évidence commande d’éviter de chercher à tromper le consommateur. Elle recommande tout autant de
chercher à mesurer la suspicion susceptible d’être éveillée par les pratiques de marketing expérientiel afin de pouvoir la

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contrôler et ainsi d’en éviter les effets particulièrement préjudiciables.
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2. L’usure des contextes expérientiels et les difficultés de la capture
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de l’expérience
Au-delà du consommateur suspicieux, qui, on l’aura compris, complique passablement la vie du
marketeur souhaitant produire des expériences de consommation mémorables pour différencier sa
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marque de la concurrence, deux autres phénomènes remettent en question le marketing expérientiel.


Il s’agit d’une part de l’usure des contextes expérientiels et d’autre part des difficultés liées à la
capture proprement dite de l’expérience vécue.
Les contextes expérientiels désignent des assemblages de stimuli intentionnels mis en place par
les marques ou les distributeurs pour générer des expériences de consommation. Un film
publicitaire, un placement de produit dans un film, un concept store, un pop-up store, une borne
interactive, un personnel de contact formé, sont autant d’exemples de contextes expérientiels.
Schmitt (1999) les appelle des générateurs ou fournisseurs d’expérience (experiential providers).
Les contextes expérientiels recouvrent les lieux de vente et de consommation ainsi que tous les
moyens de communication média et hors média, mobilisés par une marque, une entreprise ou une
organisation (Carù et Cova, 2006). Ils constituent des dispositifs essentiels sur lesquels reposent
les stratégies expérientielles. Des travaux récents ont permis de montrer qu’ils s’exposaient à des
phénomènes d’usure dans le temps (Roederer et Schwarzberg, 2015).

EXEMPLE
Cycle de vie d’un contexte expérientiel : le parcours artistique du tramway de Strasbourg
Le tramway de l’agglomération strasbourgeoise, démantelé dans les années 1960, renaît en 1994. Sa réhabilitation donne
lieu, dès 1991, à des créations, financées par la commande publique. La démarche d’art contextuel voulue par la municipalité
cherchait à créer un patrimoine artistique, à sortir l’art des musées, et à signer le paysage urbain d’une réalisation technique
et esthétique contemporaine. Vingt ans après sa mise en place, comment l’art a-t-il modifié l’expérience de transport
urbain ? Les résultats indiquent une forte rupture dans les perceptions des usagers entre la mise en place du contexte et la
perception actuelle, et permettent d’identifier un cycle de vie du contexte formé de trois phases (mise en œuvre, réaction,
dilution). Plus largement, cette recherche montre que les contextes expérientiels s’usent. Ces phases suggèrent des
stratégies de pilotage, pour réamorcer la capacité du contexte à surprendre et intéresser les usagers/voyageurs.
(Roederer et Schwarzberg, 2015)

Un contexte expérientiel peut être daté, ne plus être remarqué par la cible à laquelle il s’adresse,
ou rendu obsolète par des concurrents plus audacieux. À l’instar des produits, les contextes
expérientiels semblent suivre des cycles de vie dont trois phases ont pu être identifiées. Ces trois
phases sont : la mise en œuvre du contexte, la réception du contexte par les consommateurs et la
dilution du contexte. Le cycle de vie du contexte expérientiel et son usure implicite constituent une
remise en question des stratégies expérientielles.
Les stratégies expérientielles sont donc confrontées à la fois à l’usure des contextes expérientiels
mis en œuvre, mais peuvent aussi avoir affaire à l’usure d’une formule proprement dite. Au-delà
d’une absence de moyens financiers suffisants mobilisés par l’entreprise, ces phénomènes d’usure
s’expliquent par le regard porté par le consommateur, et donc par les courbes d’expérience des
consommateurs par rapport aux propositions expérientielles faite par l’entreprise ou la marque.

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Au-delà des phénomènes d’usure des contextes expérientiels mis en place par l’entreprise ou
l’organisation, se pose la question de la capture de l’expérience. Même si les travaux pionniers du
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courant expérientiel ont favorisé l’usage du terme expérience en management et en recherche, il
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convient de souligner que la capture de l’expérience reste un chantier ouvert. La plupart des
chercheurs en marketing travaillent sur l’expérience en mobilisant des dispositifs fondés sur
l’utilisation du langage (échelles de mesure, focus groups, entretiens, récits de vie…), tout en ayant
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conscience des limites de ces outils. Schématiquement, lorsque l’on travaille sur l’expérience à
partir de la parole d’un sujet, on transforme la nature même de l’objet que l’on entend étudier, d’une
part en s’exposant au biais du langage et d’autre part en se situant toujours a posteriori. Cependant,
la recherche en comportement du consommateur s’enrichit aujourd’hui de pratiques issues d’autres
champs dont celui des neurosciences. On recense ainsi pour l’étude des émotions, si centrales dans
l’expérience, trois grandes familles de méthodes : le rapport verbal déjà évoqué, l’approche
psychophysiologique et l’imagerie cérébrale.
L’approche psychophysiologique permet de mesurer la réaction du système nerveux périphérique
d’un sujet, par exemple en mesurant la résistance électrique de la peau, ou activité électrodermale
(AED) (mesure indirecte de la sueur) (Droulers, Lajante et Lacoste-Badie, 2013), la température, la
respiration ou le rythme cardiaque. On peut aussi placer des capteurs sur les muscles du visage
pour mesurer les mouvements des zygomatiques (électromyographie faciale) ou des capteurs au
niveau du scalp pour mesurer les variations du champ électrique émis par l’activité cérébrale
(électroencéphalie). Enfin, l’imagerie cérébrale, ou imagerie par résonance magnétique
fonctionnelle (IRMf), utilise les scanners pour mesurer les variations du débit sanguin dans le
cerveau et identifier les zones du cerveau activées pendant l’exposition à un stimulus (Petit, 2014 ;
Petit et al., 2014).
Les approches psychophysiologiques et l’imagerie cérébrale dépassent le biais du langage pour
mesurer des manifestations physiologiques à l’œuvre chez le sujet, et les capturent au moment où
elles se produisent, mais forcément dans le contexte d’un laboratoire. Elles peuvent à ce titre
compléter utilement les méthodes fondées sur la verbalisation. Elles soulèvent cependant des
questions éthiques (brain privacy), méthodologiques et financières (Petit et al., 2014). De la même
façon que l’expérience ne se réduit pas à son récit, elle ne se résume pas non plus à un ensemble
des réactions physiologiques.
3. Vers une remise en cause du marketing expérientiel des débuts
Le caractère contingent de la proposition d’expérience rend difficile (voire impossible) son
prétest, surtout si l’objet auquel elle s’applique est unique. On imagine mal le musée du Louvre
prétestant un nouvel aménagement de ses accès par la Pyramide… Dans de nombreux cas où l’offre
est unique, la conception de l’offre d’expérience est un pari : l’organisation qui la propose fait
l’hypothèse qu’elle a acquis une connaissance suffisamment fiable des attentes de sa clientèle pour
imaginer une offre d’expérience en phase avec ses attentes, tout en étant fortement différenciée de
l’offre des concurrents. On observera que cette démarche présente plus d’analogie avec le
fonctionnement des industries créatives qu’avec le marché de produits de grande consommation ! Il
est logique dans ces conditions que le succès ne soit pas toujours au rendez-vous : l’analogie avec
l’innovation produit est suffisamment présente pour que l’on imagine le niveau de risque auquel

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l’offre s’expose si elle est mise en marché sans test préalable… Il faut donc garder présent à
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l’esprit le risque associé à une stratégie de proposition d’expérience : il est possible que la cible
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n’ait pas du tout la même perception que ceux qui ont imaginé le design de l’expérience… C’est une
première source de remise en cause de la capacité de l’organisation à piloter la création
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d’expérience.
Il est également possible que l’organisation ait imaginé, grâce à une intuition géniale, un scénario
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de proposition d’expérience parfaitement adapté à sa cible. Là encore, l’analogie avec le secteur


des industries créatives n’est pas dépourvue de pertinence : si un film rencontre son public dans des
proportions inespérées, il est possible de proposer à ce public plusieurs épisodes supplémentaires,
et le succès est souvent au rendez-vous. Une firme peut imaginer une proposition d’expérience qui
trouve elle aussi son public, peut être répliquée dans différents pays, et assurer la prospérité de la
marque. Jusqu’au jour où la clientèle se lasse de cette expérience, et où la monotonie remplace la
surprise. Il faut alors renouveler l’expérience, imaginer un autre récit… Le succès est rarement au
rendez-vous de ces tentatives de renouvellement de l’expérience pilotée par l’offre.
Ajoutons à ces limites le constat d’une accélération générale du rythme des marchés, qui se traduit
par des cycles de vie de plus en plus courts des expériences réussies, qu’il s’agisse d’un jeu vidéo,
d’une marque de prêt-à-porter ou d’un réseau social : qui se souvient encore en 2015 de Second
Life ?

Parole d’expert
Les limites de la théâtralisation d’Arc 1950
Par Rémi Mencarelli, Professeur des Universités, Irege, Université de Savoie
La théâtralisation est souvent présentée comme le levier le plus efficace du marketing expérientiel. Il est donc
massivement mobilisé dans le cadre de contextes expérientiels contrôlés par l’entreprise à l’image de la station de ski Arc
1950 (domaine skiable des Arcs). En effet, au-delà des éléments de service destinés à faciliter le séjour des clients
(parking sous-terrain avec accès direct aux résidences, commerces sélectionnés…), « l’expérience 1950 » est avant tout
liée « à son décor, ses façades aux couleurs chatoyantes, au charme de ses places », autant d’éléments destinés à faire de
cette station « un lieu harmonieux où la douceur de vivre des villages d’antan se conjugue avec les facilités de la vie
moderne » et où les touristes repartiront avec « d’inoubliables souvenirs »
(http://www.lesarcs.com/).
Cependant, les résultats d’une étude quasi expérimentale permettant de comparer les expériences vécues par 244
touristes d’Arc 1950 et 297 touristes d’Arc 1800 (station non théâtralisée sur le même domaine skiable) conduisent à
rejeter l’idée d’un effet positif de la théâtralisation. Par comparaison avec Arc 1800, l’offre proposant un environnement
théâtralisé (Arc 1950) ne génère pas d’effets additionnels sur les émotions, sur les jugements post-consommatoires
(valeur perçue, satisfaction) et sur les intentions de fidélité des touristes. Ces résultats viennent remettre en cause
l’efficacité supposée de la théâtralisation. Si ces formes d’enrichissement expérientiel ont des potentiels d’attraction
élevés, notamment auprès des primo visiteurs, elles ne semblent pas en capacité de générer une expérience vécue de
façon plus intense. Ce résultat mérite d’être souligné au regard des investissements engendrés par ces stratégies
(250 millions d’euros pour Arc 1950).

Parole d’expert
Changement de stratégie expérientielle chez Abercrombie & Fitch
Par Ulrike Mayrhofer, Professeur des Universités, Magellan, Université de Lyon 3

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Le groupe Abercrombie & Fitch commercialise des vêtements et des accessoires pour femmes, hommes et enfants. La
société a connu un développement rapide aux États-Unis avant de poursuivre son expansion sur les marchés
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internationaux : en 2014, elle détient 843 magasins aux États-Unis et 163 points de vente à l’étranger. Le groupe
possède quatre marques : Abercrombie & Fitch (A&F), Abercrombie kids, Hollister Co. et Gilly Hicks. En 2013, il réalise un
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chiffre d’affaires de 4,117 milliards de dollars US et un bénéfice net de 54,6 millions de dollars US.
L’enseigne Abercrombie & Fitch est connue pour sa stratégie expérientielle misant sur ses lieux de vente pour y décliner
les valeurs de la marque. Une importance particulière est accordée aux points de vente : l’expérience en magasin (in-
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store experience) est considérée comme le premier outil marketing de la marque. L’entreprise travaille la mise en scène
des produits, l’éclairage, la musique, les parfums et le rôle de son personnel de contact qui se consacre à créer une
ambiance festive dans le magasin.
En 2014, l’enseigne possède 253 magasins aux États-Unis et 22 points de vente à l’étranger. Malgré les investissements
importants réalisés, notamment sur le marché européen, la stratégie d’internationalisation n’a pas porté les fruits
escomptés. En effet, la concurrence de Zara, Forever 21 ou H&M est redoutable et les résultats du groupe s’en
ressentent. Par ailleurs, la marque doit affronter de nombreuses critiques et plusieurs procès pour discrimination à
l’embauche.
Face à la détérioration des résultats et les critiques émises à l’égard de la stratégie menée, le PDG historique du groupe
Abercrombie & Fitch, Mike Jeffries, décide de quitter ses fonctions à la fin de l’année 2014. Ce départ marque le début
d’une nouvelle stratégie de développement pour la société.
Vers une nouvelle stratégie expérientielle de la marque : plus de simplicité et de mode !
En 2015, Abercrombie & Fitch abandonne la stratégie de l’exhibition et de la communication agressive au profit d’une
stratégie expérientielle plus classique. La marque revient à plus de simplicité : elle abandonne son positionnement casual
luxury au profit d’un style américain, facile et sans complication (effortless, all-American style). Ce nouveau
positionnement se traduit dans ses produits et ses points de vente. L’entreprise propose désormais des vêtements plus
simples, comme des hauts en néoprène, avec des logos plus petits et discrets. Dans les magasins, on trouve plus de
lumière, une musique moins forte et moins de parfums.
La nouvelle stratégie d’Abercrombie & Fitch propose une expérience de la marque centrée sur la mode et s’appuie sur
des collaborations avec d’autres marques (Superga, Dolce Vita, Baggu).
La marque continue son expansion internationale (ouverture d’une boutique en Chine) et investit dans le commerce en
ligne tout en fermant certains points de vente peu rentables (60 magasins américains fermés en 2014 ainsi que le
magasin amiral de Los Angeles en février 2015). Parallèlement, elle renforce son marketing digital pour être présente sur
les réseaux sociaux (Instagram, Snapchat).
Peut-on dire qu’Abercrombie & Fitch ne fait plus de marketing expérientiel ? Non, la marque active les mêmes leviers
mais dans des polarités différentes pour se repositionner auprès de la cible des jeunes qui préfèrent désormais des
vêtements moins identifiables, à petits prix, afin de pouvoir les renouveler souvent et créer leur propre style.
(Sources : Abercrombie & Fitch (2013), Annual Report. Le Figaro, « Abercrombie & Fitch abandonne ses gros logos sur
les vêtements », 13 décembre 2014. Les Échos, « Abercrombie & Fitch perd son PDG », 9 décembre 2014. U. Mayrhofer
et C. Roederer, Abercrombie & Fitch : le marketing expérientiel à l’international, 2013, Paris, Centrale de cas et de
médias pédagogiques)

Dans ce premier chapitre, nous avons resitué les travaux pionniers du courant expérientiel et
brossé le portrait du consommateur postmoderne qui y est associé. Nous avons identifié certaines
limites auxquelles les entreprises et organisations engagées dans des stratégies expérientielles
affirmées ont pu se heurter : consommateur suspicieux, contextes qui ne fonctionnent pas ou qui ne
fonctionnent plus.
Dans le chapitre suivant, nous envisageons la cocréation comme changement de paradigme du
marketing expérientiel, et proposons d’analyser la notion et son impact sur le pilotage de
l’expérience.

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1. Contraction de phone (« téléphone ») et de snubbing (« snober, repousser »).
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2. La nomophobie est la peur excessive d’être séparé de son téléphone mobile.
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CHAPITRE 2

La « cocréation » au cœur du marketing


expérientiel « nouvelle génération »

Le vocabulaire autour de la cocréation de l’expérience par le consommateur/client n’est pas


encore stabilisé. Les formes de participation sont désignées par des termes variés allant de
cocréation, coproduction à collaboration. Pour tenter de poser les choses, on peut revenir à des
questions simples : que fait le client pendant l’expérience ? Et pour qui ? Pour l’entreprise ? Pour
lui-même ? Ce qu’il fait ou ce que l’on lui fait faire est-il plaisant, créatif ou au contraire le fait-on
simplement travailler pour le compte de l’entreprise ?
Un retour sur la notion de participation à l’expérience et sur ses formes variées permet de
comprendre la cocréation comme une forme de participation valorisante.
Les stratégies expérientielles réussies se fondent sur un design poussé de la cocréation avec le

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client. Même si une partie de la cocréation échappe à la marque ainsi que l’illustrent de
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nombreuses cyberexpériences, dont les marques aimeraient bien se passer.
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Section 1. Formes de participation et cocréation
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de l’expérience
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S’il existe aujourd’hui un consensus pour définir l’expérience comme une interaction « personne –
objet – situation (lieu-moment) » signifiante pour le sujet, de nombreuses nuances ont été apportées
pour préciser le contexte, l’intensité ou le but de l’expérience. La littérature en sciences de gestion
a développé depuis les débuts du courant expérientiel un vocabulaire riche pour qualifier
l’expérience. Ce vocabulaire reflète l’évolution du champ. Ainsi Carù et Cova (2006) réservent
aux expériences de consommation marchandes, les termes expériences de consommateur, afin de les
distinguer des expériences de citoyen, de famille, d’amitié, qui se déroulent hors du marché.
Les termes expérience de magasinage (shopping experience) s’appliquent aux expériences de
consommation qui se déroulent dans des lieux de vente ou de consommation (magasins, centres
commerciaux, sites Internet) et concernent la sphère marchande. Cependant, les cyberexpériences
existent aujourd’hui dans des déclinaisons marchandes et non marchandes.
Certains adjectifs servent à qualifier l’intensité de l’interaction. À ses débuts, le courant
expérientiel a beaucoup insisté sur le caractère extraordinaire de l’expérience. Dans cette direction,
les peak experiences désignent des moments de nature mystique, marqués par des sensations de
bonheur intense et d’émerveillement. Les expériences optimales (Csikszentmihalyi, 1997) amènent
l’individu à l’état de flow dans lequel il perd ses repères spatio-temporels, tant ce qu’il est en train
de faire l’absorbe d’une façon agréable. La navigation sur Internet conduit certains sujets à l’état de
flow. Aujourd’hui, les expériences ordinaires, voire infra-ordinaires, intéressent chercheurs et
managers (Badot et Filser, 2007).
D’autres qualificatifs ont été mobilisés pour qualifier le but associé à l’expérience. Ainsi
l’expérience instrumentale est recherchée pour atteindre un but extérieur à elle-même, et
l’expérience autotélique est entreprise pour elle-même. On peut ainsi vivre des shopping
experiences autotéliques (shopping as a goal) ou instrumentales (shopping with a goal) (Babin et
al., 1994).
Enfin, les travaux sur le contenu de l’expérience ont permis de bien établir la différence entre
expérience produite (par l’entreprise) et expérience vécue par le consommateur.
Aujourd’hui, un vocabulaire abondant centré sur le rôle du consommateur dans l’expérience a fait
son apparition. Des qualificatifs précisent la place du consommateur ou de l’entreprise dans le
pilotage de l’expérience (Carù et Cova, 2007). Le préfixe co- est omniprésent. Les expériences
sont désormais envisagées comme étant pilotées par le consommateur et l’entreprise, ou encore
cocréées, coconstruites, coproduites.
La finalité de ce vocabulaire est de clarifier les rôles respectifs du consommateur et/ou de
l’entreprise dans la production de l’expérience, en insistant sur le rôle du consommateur. Ces
termes renvoient au consommateur collaboratif et créatif identifié comme figure émergente du
nouveau consommateur et à ce que fait le consommateur pendant l’expérience, donc in fine à la
façon dont il contribue à la faire exister.

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1. Le consommateur créatif et collaboratif
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La figure du consommateur passif a progressivement cédé la place à celle d’un consommateur
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actif, créatif, collaboratif (et parallèlement à l’émergence de sa figure opposée, dark side, résistant
et suspicieux). Dès les années 1980, Toffler, dans La Troisième Vague, introduit la figure du
prosumer, contraction de producer et consumer, à la fois producteur et consommateur. L’ère
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postmoderne s’accompagne de l’inversion des rôles producteurs et consommateurs (Firat et al.,


1995). Cova et Cova (2009) évoquent la figure du consommateur créatif. S’il est créatif, le nouveau
consommateur est aussi doté de nouveaux pouvoirs : le consommateur empowered fait son entrée.
Ces nouvelles figures expliquent l’importance prise par la thématique de la participation du client à
l’expérience. Le concept d’empowerment est utilisé dans beaucoup de champs : études politiques
(empowerment par la démocratie participative) (Bacqué et Biewerner, 2013), management,
recherche en système d’information et comportement du consommateur. En management,
l’empowerment est synonyme de partage de pouvoir avec des subordonnés (management
participatif) ; en ce sens, on peut définir l’empowerment comme un pouvoir ou contrôle perçus
qu’un individu ou une structure organisationnelle est en mesure d’exercer sur d’autres. Au-delà de
cette notion de pouvoir relatif perçu d’un agent sur un autre agent, l’empowerment peut se
conceptualiser comme tout moyen renforçant le sentiment d’autodétermination que peut développer
un individu. Dans le champ du comportement du consommateur, on peut donc définir
l’empowerment de deux façons, du point de vue du consommateur et du point de vue de
l’entreprise. Du point de vue de l’individu consommateur, l’empowerment est le processus par
lequel le consommateur acquiert des ressources (dont des ressources psychologiques) pour lui
permettre d’atteindre un objectif (Amichai-Hamburger et al., 2008). Du point de vue de
l’entreprise, l’empowerment peut être compris comme une stratégie consistant à transmettre au
consommateur un sentiment de contrôle sur le processus de sélection d’un produit, en lui permettant
de choisir collectivement les attributs de ce dernier (Füller et al., 2009).
Il convient de souligner que les thèmes de la participation du consommateur à l’expérience et son
rôle d’acteur ont clairement été identifiés dès le début du courant expérientiel. Pine et Gilmore
définissent ainsi les domaines de l’expérience autour de la participation active ou passive du
consommateur et autour de la relation du consommateur au contexte expérientiel.

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Figure 5. Les domaines de l’expérience selon Pine et Gilmore


(Source : figure adaptée de Pine et Gilmore, 1999, p. 30)

Cependant, l’importance de l’agence ludique (Kozinets et al., 2004) qui se met en place lorsque
le consommateur s’approprie les contextes expérientiels orchestrés par l’entreprise, n’a pas été
suffisamment envisagée au début du courant expérientiel. La notion d’agence ludique rend compte
du fait que le consommateur renégocie en permanence son rapport à l’organisation et au cadre de
participation proposé. Mais les consommateurs d’aujourd’hui participent, inventent, voire se
substituent à l’entreprise. Wikipédia est un exemple d’innovation ouverte fondée sur le partage et la
coopération libre autour de l’idée de créer une encyclopédie en ligne faite par tous et pour tous. La
sharing economy, l’« open source » et le mouvement du « libre » reposent sur ces consommateurs
créatifs, collaboratifs qui cherchent à évoluer dans des contextes dont ils redéfinissent en partie les
modalités, en tentant d’échapper au marché ou de s’y inscrire selon de nouvelles règles.

EXEMPLE
La gare Remix à Lyon Saint-Paul, trois jours pour réinventer la gare de demain
En partenariat avec le Grand Lyon et la SNCF, cette opération originale fait appel à la créativité collective, et invente une
nouvelle façon de travailler avec les collectivités. L’objectif est d’imaginer des nouveaux services ou un nouveau décor autour
de ce bâtiment pour que le lieu devienne attractif et qu’il puisse servir de différentes façons aux usagers de la gare et aux
habitants du quartier. Pendant trois jours, 42 personnes réparties en 7 équipes vont inventer de nouveaux services, sur la
base du volontariat et de la collaboration. Le dernier jour les prototypes sont exposés au public.
Dans la lignée des fablabs et des living labs, Gare Remix propose une expérience éphémère et collective pour inventer des
solutions inédites, en mêlant art, nouvelles technologies et hacking urbain. Parmi les prototypes développés par les mixers,
un parcours « aiguillage aléatoire » permet une découverte ludique du quartier Saint Paul, un dispositif « brise-glace »
favorise la discussion entre les usagers de la gare qui se côtoient sans se connaître. Un projet de jardin d’été, le long du mur
de soutènement de la colline, propose un bar autogéré, un toboggan géant, un jardin partagé. Enfin, Le jeu Compos’Ter
permet de gagner des billets de tram-train à destination de l’Ouest lyonnais, en échange de déchets triés (compost et
déchets plastiques). Les idées mêlent nouveaux services et poésie.

Le consommateur collaboratif et créatif est donc à la fois une figure construite et une réalité que
certaines entreprises parviennent à mettre à profit. Ainsi, en 2015, l’entreprise JCDecaux France,
leader de l’affichage urbain, a créé son City Lab, un panel exclusif de consommateurs citoyens qui a
pour objectif de décrypter les nouvelles attentes des usagers de la ville et l’impact de l’affichage
sur l’expérience de la ville pour accompagner les marques dans leur communication extérieure.

Parole d’expert

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Le consommateur collaboratif
Par Éric Rémy, Professeur des Universités, Université de Rouen
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Si l’on peut, depuis au moins l’école de Francfort, supposer l’aliénation des consommateurs par des marchés massifiés,
dominés par des offreurs et marketeurs omnipotents, il est possible à l’inverse, avec De Certeau notamment, de conférer
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à ces victimes potentielles un rôle plus actif, voire plus productif. Dans cette veine, de nombreux travaux en consumer
research, et plus particulièrement en consumer culture theory (CCT), mettent régulièrement en avant l’idée que les
consommateurs sont in fine des producteurs de sens et d’identités.
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Cette idée bien entendu ne laisse pas indifférent un nombre croissant d’entreprises qui font désormais le choix de la mise
en place d’un marketing qui vise à encadrer cette part créative du consommateur (Divard, 2010).
Prendre en compte ce consommateur créatif, c’est alors concevoir son offre comme un assemblage de ressources et
dispositifs qui vont permettre au client d’exprimer un certain nombre de ses compétences et, plus encore parfois, de
relater sa relation à la marque ou au produit. On le voit par exemple avec les derniers développements de fablabs portés
par Leroy Merlin : l’entreprise met au service de ces clients des moyens d’expression (imprimantes 3D, fraiseuses,
machines à bois à broderie, cabines de peinture etc.) qu’ils ne pourraient avoir sans elle.
Allant plus loin, et toujours dans une lecture de type CCT, on s’intéresse depuis quelques années à la dimension
collaborative de la consommation. Ici, on peut considérer que l’impulsion productive et organisatrice n’est même plus du
côté des offreurs, mais du côté des consommateurs. Ces derniers peuvent alors s’(auto)organiser, s’entendre pour
partager leurs expériences et leurs relations vis-à-vis, et parfois contre, des offres marchandes.
Les acteurs classiques du marché se trouvent alors devant de nouvelles concurrences productives venant bouleverser les
équilibres en place. C’est le cas dans le tourisme avec les échanges de maison, Airbnb ou le couchsurfing. Prendre en
compte ce consommateur collaboratif, c’est chercher de nouveaux mélanges, arrangements ou systèmes avec d’autres
acteurs qui traditionnellement proposent trois modes d’échange : le marché, l’état et le don (Cova et Rémy, 2014).
Les consommateurs créatifs ou collaboratifs ouvrent de nouvelles perspectives qui viennent bousculer dans plusieurs de
ses fondements un espace marchand qui croyait sa domination immuable. Pour répondre à ces défis il faut peut-être
changer de paradigme.
• Il faut savoir donner, offrir des ressources pour laisser les consommateurs s’approprier l’offre, devenir de véritables
entrepreneurs du don.
• Il faut savoir jouer avec les auto-organisations productives, qui ne sont pas sans rappeler des constructions
coopératives, voire des sortes d’anarchies consommatoires.

2. Les dimensions de l’expérience et la cocréation


Au-delà de la figure d’un consommateur créatif et collaboratif que nous venons de présenter,
l’expérience vécue proprement dite peut se définir comme une interaction entre un sujet et un objet
consommé, dans une situation et un moment donnés, articulée autour de dimensions. Ces dimensions
sont liées au plaisir ou au déplaisir (dimension hédonico-sensorielle), à la signification de
l’interaction (dimension rhétorique socioculturelle), au temps de l’interaction (dimension
temporelle) et à l’action du sujet pendant l’expérience (dimension praxéologique) (Roederer,
2012). Ces quatre dimensions sont repérables quel que soit le contexte dans lequel se déroule
l’expérience. Si la dimension « hédonico-sensorielle » correspond à une lecture sensible et à une
évaluation du contexte, la dimension « rhétorique socioculturelle » est attachée au sens que
l’expérience revêt pour la personne qui la vit, ou à la valeur de signe de l’expérience. La dimension
« rapport au temps » de l’expérience correspond à la perception que le sujet a du temps de
l’expérience, temps linéaire ou temps de l’action, ou encore acmé du moment vécu. Enfin, la
dimension « praxéologique » traite des actions ou activités réalisées par le sujet pendant
l’expérience.

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Tableau 1 : Dimensions du contenu de l’expérience
(Source : d’après C. Roederer, 2012)
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Catégorie Description
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Concerne les actions et les activités :


Dimension praxéologique – actions sur l’objet consommé ou interaction avec l’objet consommé ;
– interactions avec d’autres personnes présentes pendant l’expérience.
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Concerne les aspects physiques et sensoriels du contexte expérientiel (positifs ou négatifs) :


Dimension hédonico- – plaisir ;
sensorielle
– déplaisir associé à l’expérience.

Concerne le sens attribué à l’expérience :


– valeur symbolique d’un élément du contexte (produit consommé, lieu de consommation,
Dimension rhétorique
compagnons…) ;
– sens plus global de l’histoire que « raconte » l’expérience, l’expérience comme métaphore.

Concerne le thème du temps :


– temps durée (chronos) ;
Dimension rapport au – temps de l’action (kairos) ;
temps – acmé de l’expérience ;
– temps rythme ;
– temps ressource à contrôler.

Les dimensions mentionnées forment un système expérientiel activé par le sujet au fil de son
interprétation d’un contexte expérientiel donné. Les consommateurs « hédonistes » sont ainsi plus
réceptifs aux stimulations sensorielles et les consommateurs « orientés vers l’action » plus
sensibles aux dimensions comportementales de l’expérience. Les consommateurs « holistiques »
sont réceptifs à l’ensemble des dimensions d’une expérience de la marque (sensorielle, dirigées
vers l’action, sollicitant la réflexion), tandis que les consommateurs inner directed (centrés sur
l’intérieur) vont particulièrement faire attention aux processus internes se déroulant pendant
l’expérience (sensations, émotions, pensées). Enfin, les consommateurs « utilitaires » sont moins
sensibles aux stimuli de l’expérience de marque proposée (Zarantonello et Schmitt, 2010).
Les dimensions de l’expérience peuvent être envisagées comme des leviers d’action pour
développer ou restaurer des avantages concurrentiels (Roederer, 2012). Les stratégies
expérientielles consistent à proposer au client des expériences physiques, mentales, sensorielles et
émotionnelles mobilisant un ou plusieurs contextes expérientiels au bénéfice d’une entreprise, d’un
produit ou d’une marque.
La proposition faite au client active le système expérientiel formé des quatre dimensions de
l’expérience, et elle est supposée créer plus de valeur et de différenciation. L’entreprise peut
cependant se tromper dans l’élaboration d’une stratégie expérientielle de création d’offre
d’expérience ou dans le choix de l’élément de différenciation de son offre par l’expérience. Ainsi,
en 2015, Starbucks et son CEO (chief executive officer) emblématique Howard Shultz décident de
revisiter l’expérience Starbucks en incitant ses baristas américains à entamer avec les clients des
débats sur la question raciale tandis qu’ils leur tendent un gobelet avec la mention écrite à la main
« Race together1 ».
On peut analyser cette tentative comme une façon de différencier l’expérience Starbucks en

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l’enrichissant de sens pour développer « l’âme » de ce troisième lieu entre la maison et le lieu de
travail. Pourtant, si l’on en croit les nombreuses réactions peu enthousiastes sur les réseaux
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sociaux, cette stratégie expérientielle est mal perçue et se trompe sur la façon dont la proposition
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active les dimensions de l’expérience vécue. Les clients ne voient pas leur Starbucks comme un
café du commerce où refaire le monde (dimension rhétorique), et souhaiteraient plutôt une file
d’attente mieux gérée (dimension rapport au temps). Les dimensions de l’expérience sont à la fois
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des clés de compréhension du consommateur permettant de construire des avantages concurrentiels


mais aussi des éléments subtils parfois difficiles à travailler.
3. La conceptualisation des formes de participation à l’expérience
A) Le lien entre dimension praxéologique et cocréation de l’expérience
Une des dimensions les plus intéressantes de l’expérience vécue nous semble être la dimension
praxéologique. En effet, cette dimension traite des actions ou activités du sujet pendant
l’expérience, et englobe par conséquent les modalités de participation à l’expérience et toutes les
formes de cocréation de l’expérience par le consommateur.
La dimension praxéologique de l’expérience renvoie à la notion de praxis, du « faire » de
l’individu, pilote de l’expérience. Elle regroupe : les actions impliquant le produit ou les supports
physiques d’un service, les interactions impliquant d’autres personnes (personnel de contact ou
autres clients) et les actions sur le temps de l’expérience.
L’action peut se définir comme un comportement intentionnel constituant une réponse donnée par
l’individu à son environnement. La dimension praxéologique regroupe, par conséquent, les actions
conduites lors d’une expérience de consommation ainsi que les manières de faire, parfois
ritualisées, qui caractérisent les pratiques de consommation.
Le consommateur ne joue pas toujours le même rôle dans les expériences de consommation. Il est
parfois l’employé partiel de l’entreprise, par exemple lorsqu’il range son caddie pour récupérer
l’euro qu’il y a glissé. Il contribue dans certains cas directement à la production du résultat final de
l’expérience délivrée et à sa propre satisfaction. Ainsi, un adhérent de Weight Watchers qui ne
parvient pas à suivre le plan alimentaire prévu par la marque, compromet ses résultats, et par là
même la satisfaction qu’il retire de l’expérience Weight Watchers proprement dite. Enfin, l’action
du consommateur se substitue dans certains cas à celle de l’entreprise lorsqu’il décide de « faire
lui-même » au lieu de recourir aux services d’une entreprise.
La dimension praxéologique de l’expérience est directement liée à la participation du
consommateur dans l’expérience. Antéblian, Filser et Roederer (2013) proposent une typologie des
formes de participation à l’expérience en distinguant : la collaboration interprétative,
l’autoproduction dirigée et la coproduction créative.
B) La collaboration interprétative
Un premier niveau de participation réside dans le travail d’interprétation accompli par le
consommateur pour associer du sens au contexte auquel il est exposé. Un contexte expérientiel avec
ses éléments physiques, sa matérialité, constitue un maillage de stimuli que le consommateur
capture et interprète comme autant d’indices, pour construire sa perception du contexte et ainsi se

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l’approprier. Ce type de participation correspond à une activité mentale de construction de sens et à
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des réponses émotionnelles qui peuvent entraîner des comportements observables d’approche ou
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d’évitement par rapport à un contexte donné.
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C) L’autoproduction dirigée
Un deuxième niveau de participation du consommateur regroupe les actions qu’un consommateur
accomplit pour exécuter ce qui est attendu de sa part, par l’entreprise ou l’organisation. Dujarier
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(2008) nomme ce type de participation l’autoproduction dirigée. Le consommateur joue dans ce cas
un rôle actif, mais sur lequel il n’a pas de liberté d’improvisation.

ZOOM
Exemple d’autoproduction dirigée sans contrainte, le nudge marketing
Les nugdes, sortes de coups de coude incitatifs mais non obligatoires, se multiplient dans les entreprises et les organisations.
Un nudge consiste, par exemple, à proposer au client de ne pas faire changer ses serviettes de bain tous les jours dans un
hôtel pour respecter l’environnement. De même, indiquer le nombre de voisins pratiquant le tri sélectif est une façon
d’encourager tous les foyers à trier leurs déchets et constitue un autre exemple de nudge.
Les nudges reposent sur l’idée que le consommateur est prêt à changer ses habitudes, donc sa façon de consommer et
l’expérience qui en résulte, si on lui donne une bonne raison de le faire. Il s’agit d’une forme autoproduction dirigée fondée
sur le consentement.
Le concept de nudge a été proposé par Thaler et Sunstein en 2008. Son mécanisme fait appel à la collaboration
interprétative du consommateur, en proposant de donner du sens au changement suggéré, et sur le pari que le
consommateur collaborera si on fait appel à sa réflexion.
(Source http://lentreprise.lexpress.fr, consulté le 10 juillet 2015)

D) La coproduction créative
Un troisième niveau de participation du consommateur sollicite son intelligence, ses compétences,
sa créativité et lui confère un bon degré d’autonomie. On peut parler de coproduction
créative lorsque le consommateur s’implique profondément et construit le sens par son action au
cours de l’expérience. Les expériences qui permettent au consommateur de faire des choses
intéressantes, non standardisées, qui ont du sens et qui lui plaisent dans le cadre de l’expérience,
mobilisent la coproduction créative.

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Figure 6. Pyramide des formes de cocréation


(Source : d’après Antéblian, Filser, Roederer, 2013.)

La collaboration interprétative concerne en premier lieu la dimension rhétorique de l’expérience,


à la fois sa valeur de signe et son sens métaphorique. L’autoproduction dirigée, scénarisée de façon
plaisante, peut activer la dimension hédonico-sensorielle et le rapport au temps de l’expérience.
Enfin, la coproduction créative peut potentiellement activer le système expérientiel dans son
ensemble, c’est-à-dire les dimensions de l’expérience (plus spécifiquement les dimensions
hédonico-sensorielle, rhétorique, rapport au temps). La coproduction créative constitue un axe de
différenciation utile pour le design d’expériences de magasinage, tant physiques que virtuelles. Il
est important de souligner qu’une même expérience combine plusieurs formes de cocréation et que
la collaboration interprétative est une forme de participation présupposée à toute expérience.
Pour aller plus loin, on peut envisager des formes plus détaillées d’autoproduction du
consommateur (cf. l’encadré Parole d’expert suivant).

Parole d’expert
Les formes de l’autoproduction du consommateur
Par Bernard Cova, Professeur, Kedge Business School
L’autoproduction du consommateur, entendue comme production pour soi et pour les siens, prend différentes formes
liées au rapport entre l’organisation et le consommateur :
• L’autoproduction dirigée. Dans l’autoproduction dirigée, l’organisation définit précisément le type de participation
attendu du consommateur à la réalisation du service ou du produit. Au-delà du self-service, le montage des meubles
Ikea en est l’exemple typique.
• L’autoproduction accompagnée. Dans l’autoproduction accompagnée, l’organisation accompagne le
consommateur dans le processus d’autoproduction afin de l’aider à (re)développer ses compétences, à l’exemple des
self-garages où le consommateur vient à la fois réparer et apprendre à réparer son véhicule.
• L’autoproduction facilitée. Dans l’autoproduction facilitée, l’organisation fournit non pas un support directif comme
dans le cas du self-service, mais plutôt une plateforme offline (magasin) ou online (site Internet) sur laquelle vont
pouvoir s’agréger les consommateurs pour autoproduire leurs expériences, comme dans le cas de BlaBlaCar.
• L’autoproduction émancipée. Cette forme d’autoproduction récente est à l’initiative du consommateur qui
s’approprie le système d’offres de l’organisation pour mener ses propres aspirations créatives et celles d’autres
consommateurs. C’est ce l’on trouve dans les autoproductions de passionnés de Lego qui inventent de nouveaux
montages originaux des fameuses petites briques.

L’articulation entre les formes de cocréation peut se comprendre en les situant sur une matrice
ayant comme axe horizontal la collaboration interprétative et comme axe vertical un résumé de

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l’action du consommateur pendant l’expérience.
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Figure 7. Matrice des formes de cocréation de l’expérience

Le consommateur consent ou non à collaborer en interprétant le contexte expérientiel proposé par


la marque. Ces deux positions (accepte/refuse) sont représentées sur l’axe horizontal. Par ailleurs,
le consommateur accomplit des actions prévues par l’entreprise ou invente de nouvelles choses
(pour son propre compte, ou pour l’entreprise). Ces deux positions sont représentées sur l’axe
vertical (exécute/invente). On obtient ainsi quatre quadrants. Le quadrant « accepte-exécute »
correspond à l’autoproduction dirigée et à l’autoproduction accompagnée (Cova, 2015), le quadrant
« accepte/invente », correspond à la coproduction créative (voire à l’autoproduction facilitée-
émancipée). Le quadrant « refuse/exécute », ou refuse d’exécuter, correspond aux clients qui ne se
plient pas à la règle ou aux formes de socialisation organisationnelle attendues par l’entreprise.
Enfin, le quadrant « refuse/invente » correspond, par exemple, aux formes de résistance créative et
de détournement de la marque.
La matrice propose ainsi une vision dynamique des formes de cocréation, et indique visuellement
que toutes les formes de cocréation ne vont pas dans le sens souhaité par l’entreprise. Il est aussi
nécessaire de souligner qu’une même expérience peut combiner plusieurs formes de cocréation,
mais que le plus souvent une forme prédomine.
La matrice capture visuellement différentes actions mises en œuvre par le consommateur pendant
l’expérience. Elle permet de comprendre que certaines actions du consommateur (refuse d’exécuter,
ou refuse et invente) peuvent contrarier clairement la stratégie de la marque. Néanmoins certaines
formes de cocréation peuvent constituer des axes de différenciation et de création de valeur :
l’autoproduction bien conçue peut créer de la valeur pour le client, tout comme la coproduction
créative.
E) Les cybercontextes, des espaces privilégiés de cocréation
Les cyberexpériences, ou expériences en ligne, recouvrent les expériences de consommation,

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marchandes ou non marchandes, se déroulant via Internet. Elles nécessitent une interaction individu-
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écran et concernent n’importe quelle catégorie de produit ou service.
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Un rapide examen de quelques cyberexpériences types permet d’illustrer les formes de cocréation
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de l’expérience.
Nous avons vu précédemment que la collaboration interprétative est un présupposé à toute
expérience, c’est a fortiori le cas pour les cyberexpériences. La médiation individu/écran suppose
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un minimum de compréhension et d’acceptation de la part du consommateur pour que l’expérience


puisse se dérouler. Que fait le consommateur ? Il produit un effort cognitif pour naviguer. Il exerce
pour cela certaines compétences. Les consommateurs ne sont pas tous égaux par rapport aux usages
d’Internet, et au pouvoir potentiel qu’ils recèlent. La familiarité avec l’informatique, la
représentation que se fait le consommateur de la technologie, ainsi que son capital culturel et son
âge, affectent la collaboration interprétative que l’internaute est en mesure d’apporter à
l’expérience.

EXEMPLE
Les cyberexpériences dépendent du pays dans lequel on se trouve
L’indice européen de l’économie digitale (digital economy and society index) montre ainsi des disparités fortes entre les
pays européens.
L’indice comporte :
• Des critères de connectivité (connexion fixe [fixed broadband], connexion mobile [mobile broadband], vitesse [speed],
accessibilité [affordability]).
• Des critères liés aux talents digitaux dans les pays étudiés (pourcentages d’utilisateurs basiques d’Internet [basic Internet
users] ou pourcentage des spécialistes en informatique).
• Des critères liés aux activités en ligne (information, musique, jeux vidéo, télévision par Internet), à la communication
(appels vidéo, présences des individus sur les réseaux sociaux), aux transactions (services bancaires en ligne, achats en
ligne), à l’intégration des technologies digitales (digitalisation du monde des affaires et e-commerce), et aux services
publics digitaux.
Le Danemark est en tête du classement de l’indice européen de l’économie digitale, la Roumanie se situe à la fin du
classement. La France est 14e sur 28 pays en 2015.
(Source : https://ec.europa.eu/digital-agenda/en/digital-economy-and-society-index-desi, consulté le 1er avril
2015)

1) L’autoproduction dirigée
On retrouve cette forme de participation à l’expérience dans les cyberexpériences strictement
marchandes et les cyberexpériences à la fois marchandes et non marchandes.
De l’achat sur Amazon.com à la réservation d’une chambre d’hôtel via Booking.com, au
téléchargement d’une musique via iTunes, ces cyber-expériences correspondent à un échange
marchand. Elles impliquent la plupart du temps consommateur et entreprise, mais peuvent concerner
la vente en C2C, avec les sites d’enchères en ligne comme eBay.
Plusieurs formes de cocréation se combinent dans ce type d’expérience : collaboration
interprétative pour comprendre l’arborescence du site, autoproduction dirigée lorsque le
consommateur donne un ensemble d’informations le concernant pour pouvoir terminer son achat. Le
design de l’expérience utilisateur peut intégrer des éléments facilitant l’autoproduction dirigée.

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2) La coproduction créative |/\
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La coproduction créative est caractéristique du consommateur collaboratif et créatif, que nous
avons décrit précédemment, et représente pour lui une façon nouvelle de dialoguer et/ou de se faire
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entendre des marques. Le manifeste Cluetrain (Levine et al., 2000), à l’aube du nouveau millénaire,
avait annoncé avec sa première proposition, « Markets are conversations », les changements
radicaux qu’impliquerait l’avènement d’Internet, en particulier le remplacement partiel des outils
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de mass-marketing par de formes inédites de conversations entre les consommateurs et les marques.

Figure 8. Formes de coproduction créative dans les cyberexpériences

Les cyberexpériences impliquant les marques permettent ainsi d’observer ces nouvelles formes
de conversation, cocréées de façon parfois très créative par le consommateur. Ces formes de
participation à l’expérience ne sont pas nécessairement souhaitées par l’entreprise, mais elle doit y
faire face. Le consommateur utilise les outils à sa disposition pour transformer son rôle
traditionnel, prendre la parole ou s’organiser de façon nouvelle. On peut en effet repérer des
pratiques impliquant la production par le consommateur d’un discours sur la marque, les pratiques
affectant une phase du processus décisionnel d’achat et enfin les pratiques affectant le statut
traditionnel du consommateur.
Ces expériences témoignent du dynamisme des formes de coproduction créative auxquelles le
consommateur a accès dans le cyberespace.
3) La production de discours impliquant une marque
Le commentaire à propos d’une marque – Ce type de discours peut adopter différentes formes,
essentiellement textuelles, mais aussi visuelle et sonore (images, vidéos…), et différentes
intensités, différents degrés de sophistication. La mise en ligne de ces discours implique leur
accessibilité à un nombre potentiellement élevé d’autres consommateurs, un décloisonnement
géographique et l’immédiateté de l’accès au message. L’individu peut communiquer à plusieurs
niveaux : personnel (du consommateur à l’entreprise), dyadique (d’un consommateur A à un
consommateur B), en groupe (d’un consommateur A à un groupe de consommateurs) ou en
communauté. Ces niveaux de communication correspondent à différents espaces virtuels, réseaux
sociaux (type Facebook), forums, blogs, communautés virtuelles (virtual communities ou online
communities). Il s’agit bien d’une forme de coproduction créative car le consommateur choisit de
s’exprimer librement à propos d’une marque. La marque est parfois le pilote de cette expérience et
parfois la cible impuissante de cette forme de discours.

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EXEMPLE
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L’« Énervée » pose de drôles de questions aux marques
Le site de l’énervée (http://lenervee.com/) met en scène le personnage imaginaire d’une consommatrice qui écrit aux
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services clients des marques leur posant des questions saugrenues : Comment différencier le Tic et le Tac d’une boîte de Tic
Tac ? Peut-on prendre le volant après avoir avalé des Mon Chéri ?
Les remarques de l’énervée tournent en dérision les discours publicitaires de certaines marques et illustrent la cocréation
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inscrite dans la résistance et le détournement, très 2.0. La rhétorique des marques est mise à mal par des questions d’un
bon sens indiscutable.
Les marques répondent une fois sur deux en adressant aux auteurs des bons de réductions !
Ferrero a choisi l’humour pour répondre à l’énervée à propos des Tic Tac : « Rassurez-vous, votre courrier ne fera pas
souffler le chaud et le froid sur nos pastilles, ils sont tous deux indissociables et feront toujours partie de la même boîte. Tac
est simplement un peu énervé que vous puissiez le croire plus calorique que Tic. Mais l’amitié qui les anime depuis près de
40 ans reste pérenne. Vous comprendrez donc, chère Énervée, que leur union indéfectible nous empêche de répondre
favorablement à votre demande d’identification du Tic et du Tac. »
(Source : Le Figaro.fr, consulté le 31 décembre 2014)

Régulation des commentaires par d’autres clients – Par une forme de mise en abyme, le client
commente les commentaires d’autres clients, toujours à propos des marques. Ainsi des sites comme
Ciao (http://www.ciao.fr/) regroupent des commentaires de consommateurs, notés et jugés par d’autres
consommateurs. On est là dans des expériences qui échappent clairement au contrôle de la marque,
et relèvent de l’autoproduction émancipée.
Le commentaire professionnalisé – Certains consommateurs ont poussé l’autoproduction
émancipée très loin, puisqu’ils ont su transformer une pratique amateur en un métier à part entière.
On trouve des exemples sur les blogs dédiés à la mode, à la beauté ou à la cuisine. Cette
professionnalisation de la prise de parole sur Internet, reconnue par les marques, constitue en
quelle sorte la forme la plus aboutie de coproduction créative touchant à l’autoproduction
émancipée de l’expérience.
4) Les pratiques affectant l’organisation de l’achat
Ces cyberexpériences impactent l’une ou l’autre phase du processus décisionnel d’achat.
On peut considérer que les outils d’Internet sont utilisés par le consommateur à des fins
stratégiques pour optimiser les informations sur le produit, voire pour augmenter son pouvoir de
négociation vis-à-vis de l’entreprise, donc pour gagner du pouvoir.

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Figure 9. Formes de coproduction créative


dans l’organisation de l’achat
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5) La recherche d’information
Dans son ouvrage The Search, Battelle (2005) considère, en retraçant l’histoire de Google, que
l’activité de recherche d’informations constitue un changement culturel majeur transformant la façon
d’envisager l’échange marchand. La recherche d’informations sur Internet est en quelque sorte le
début de n’importe quelle cyberexpérience. La facilité d’accès à l’information a des implications
fortes sur la façon de consommer et constitue indéniablement une nouvelle source de pouvoir à la
disposition du consommateur. Les consommateurs ne se contentent pas de chercher de l’information,
ils sélectionnent leurs sources. Ainsi que le montre une étude récente menée par Lightspeed
Research (groupe WPP), si les réseaux sociaux sont un mode de communication très populaire, ils
ne réussissent pourtant pas à capter les acheteurs en ligne en quête d’avis sur un produit. La
majorité des internautes français (72 %) préfèrent se tourner vers les moteurs de recherche, les
sites marchands comme Amazon (56 %) ou les associations de consommateurs (36 %). Les Anglais
privilégient les sites marchands (72 %) suivis par les moteurs de recherche (70 %), tandis que les
Allemands consultent en priorité les moteurs de recherche (76 %) et les associations de
consommateurs (65 %). La recherche d’informations constitue une forme de coproduction créative
de l’expérience, que le consommateur personnalise par le choix de ses mots clés pour cibler
l’information recherchée.
6) Se regrouper pour mieux acheter
Les sites d’achats groupés (par exemple groupon.fr, discounteam.com) proposent soit de négocier
pour les consommateurs des tarifs avantageux, soit aux internautes de se regrouper sur le forum du
site et de négocier les prix de façon autonome pour l’achat concerté d’un même produit.
L’achat en équipe (tuangou) possède peut-être des dimensions culturelles, si l’on en croit l’essor
de cette pratique en Chine (Wang et Zhao, 2009 ; Areddy, 2006). Partant du même principe de se
regrouper grâce aux forums sur Internet, la version chinoise du Team Purchase se poursuit par un
face-à-face en magasin, où des groupes de consommateurs se retrouvent pour faire baisser les prix,
de façon parfois assez agressive. Les consommateurs utilisent Internet pour être nombreux et ainsi
augmenter leur pouvoir de négociation vis-à-vis de l’entreprise.
7) Les pratiques affectant le rôle traditionnel dévolu au consommateur
Enfin, d’autres cyberexpériences bouleversent le rôle traditionnel du consommateur. En effet,
celui-ci peut être amené à mettre sa créativité au service de l’entreprise pour créer des films
publicitaires célébrant la marque, se transformer en producteur pour fabriquer l’offre qui lui plaît,
voire être intégré dans le processus de création de l’entreprise.

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Figure 10. Formes de coproduction créative transformant


le rôle du consommateur

La publicité participative transforme le rôle traditionnel dévolu au consommateur et sollicite sa


créativité au service de la marque : on pense à la marque Doritos et à ses publicités célèbres du
Superbowl, réalisées par des internautes. Le consommateur est invité à produire lui-même des
communications autour de la marque, voire à écrire des scénarios de films publicitaires
(Nespresso) ou à décider des meilleurs films. Pour sa dernière campagne, EDF collabore avec
l’humoriste Éric Judor, pour une série de sept épisodes. L’objectif est d’illustrer par l’humour les
attentes et préoccupations des clients EDF. Avec 26 millions de vues et 88 % de personnes
appréciant la campagne, selon une enquête TNS Sofres, la campagne est un succès. Elle s’inspire
de l’univers de la série Platane diffusée sur Canal+ depuis 2011. Pour clore cette série de sept
épisodes, la marque propose aux internautes de voter sur le site Saga Electric pour leur épisode
préféré. Cet épisode sera ensuite rediffusé le 14 décembre sur TF1, M6 et Canal+ (source :
www.webmarketing.com consulté le 27 novembre 2014).
Mais les consommateurs se transforment également en producteurs à part entière, en finançant des
artistes ou des auteurs. L’exemple emblématique de MyMajorCompany.com n’est pas unique, et le
crowdfunding permet aux consommateurs d’accompagner leurs coups de cœur financièrement. Par
ailleurs, l’internaute peut être intégré dans le cadre du processus de développement d’un nouveau
produit au travers de la mise à disposition de tool kits sur Internet ou en participant à du
crowdsourcing.

Parole d’expert
Les différentes expériences associées au crowdsourcing
Par Souad Djelassi, Maître de conférences, Université de Lille 2, et Philippe Odou, Professeur des Universités,
Université de Reims Champagne-Ardenne
Le crowdsourcing peut être défini comme l’externalisation d’une fonction ou d’une tâche, initialement effectuée par les
employés de l’entreprise, à un réseau indéfini et large d’individus sous forme d’un appel ouvert (Howe, 2006 ; 2008). Si le
crowdsourcing a connu un tel succès ces dernières années, c’est qu’il est ancré dans une logique de cocréation de
valeur. En s’appuyant sur le crowdsourcing, le marketeur ne se contente pas de s’adresser aux consommateurs, mais il
les fait participer à la construction ainsi qu’à la valorisation de l’offre. Le crowdsourcing améliore non seulement le
niveau de performance de l’entreprise, mais il peut également être à l’origine de nouveaux business models tout en
enrichissant l’expérience du consommateur (Djelassi et Decoopman, 2013). Plusieurs exemples illustrent les formes très
variées que le crowdsourcing a pu prendre ces dernières années :
• Le crowdsourcing comme moyen d’expression : Témoins BFMTV permet aux consommateurs de diffuser leurs vidéos

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et leurs photos relatives à des événements d’actualité dans différents médias. La réponse à l’appel de Témoins BFMTV
est aussi l’occasion pour exprimer son talent, sa créativité en photo et/ou en production vidéo.
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• Le crowdsourcing comme expérience ludique et de réalisation de soi : le plaisir et l’excitation de mettre en compétition
ses réalisations (idées, designs, productions publicitaires…) mais également la fierté d’aider une entreprise très connue,
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peuvent constituer des bénéfices importants pour le consommateur. Le groupe PepsiCo a offert aux deux finalistes de
l’opération « Crée ton Goût », lancée en Belgique en 2012, la possibilité de travailler en étroite collaboration avec les
équipes internes de l’entreprise et ce tout au long du processus du développement du produit : l’idée du goût, le
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design, le packaging et la commercialisation du produit. Les photos des finalistes ont été aussi affichées sur les
packagings. Outre le plaisir de collaborer avec des professionnels de l’entreprise, ce type d’expérience répond
également à un besoin de reconnaissance du consommateur.
• Le crowdsourcing comme expérience de partage : l’association OpenStreetMap, via sa plateforme, propose aux
consommateurs de partager des données cartographiques dans le but de contribuer à la création d’une « carte libre
du monde ». En partageant ses informations, le consommateur a le sentiment d’être utile à la communauté.
• Le crowdsourcing comme expérience aux bénéfices multiples : Quirky, créé en 2009 par Ben Kaufman, représente un
business model basé à 100 % sur le crowdsourcing. Le consommateur peut participer aux différents aspects du
développement du produit : idée du produit innovant, design, matériaux, logo, nom… Tous les participants sont
rémunérés en fonction de leur part d’investissement dans la réalisation du produit. Tous auront leur nom cité dans la
documentation livrée avec le produit. L’inventeur (celui qui a proposé l’idée) est payé en royalties et voit même sa
photo sur le packaging. Jake Zien, l’inventeur de Pivot Power est devenu à la fois millionnaire (1 million de dollars en
royalties en 2013) et célèbre (ses photos dans de nombreux articles de presse, des interviews et des articles lui ont été
consacrés).

Nous venons de présenter différentes formes de cocréation de l’expérience, en prenant le parti


d’illustrer notre analyse avec des exemples portant sur des cyberexpériences. Il est important
cependant de souligner que les trois formes de cocréation identifiées s’appliquent à n’importe quel
contexte expérientiel physique ou virtuel. Les exemples développés témoignent de cadres de
participation du consommateur à l’expérience en pleine évolution. Le rôle changeant et complexe
du consommateur dans l’expérience constitue un axe de recherche important dans la littérature
récente sur l’expérience. Il peut s’agir de clarifier l’autoproduction du consommateur (Troye et
Supphellen, 2012 ; Cova, Ezan et Fuschillo, 2013), ou les mécanismes de la construction identitaire
au travers d’expériences de mondes virtuels (Parmentier et Rolland, 2009), voire le rôle de
l’identité et la culture du sujet dans la cocréation de l’expérience (Lugosi, 2014).
Clarkson, Janiszewski et Melissa (2013) abordent l’expertise expérientielle du sujet. Russell et
Levy (2012) s’intéressent à la répétition d’expériences hédoniques (relecture d’un livre,
revisionnage d’un film, visite répétée d’un lieu) et identifient différentes formes de reconsommation
(régressive, progressive, reconstructive, relationnelle et réflexive), fondées sur l’orientation
temporelle (passé/futur) et l’orientation focale (centré sur soi/centré sur l’objet/centré sur relation
aux autres) du sujet. Enfin, Yang, Mao et Peracchio (2012) distinguent le processus de l’expérience
de son résultat pour montrer que l’évaluation du résultat de l’expérience dépend du rôle joué par le
consommateur pendant le déroulement de l’expérience (participant ou spectateur) et du caractère
indépendant ou interdépendant du sujet. Le rôle du consommateur dans l’expérience et le type de
participation mise en œuvre par le sujet impactent les éléments (processus et résultat) sur lesquels
l’expérience est évaluée par le consommateur.
Après avoir analysé différentes formes de cocréation de l’expérience, nous abordons dans la
partie qui suit, la notion de réenchantement, qui capture en quelque sorte le but final d’une

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expérience réussie. Nous verrons que de multiples voies existent pour tenter d’atteindre cet état très
désirable pour le consommateur.
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Section 2. Cocréer pour réenchanter


Le réenchantement, défini dans le chapitre 1, voire l’émerveillement (delight) (Oliver, Rust et
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Varki, 1997 ; Vanhamme, 2008 ; Alexander, 2010) dépendent en partie des formes de cocréation
mobilisées pendant l’expérience. Pour le dire autrement, les différentes formes de cocréation de
l’expérience sont susceptibles de renouveler les sources de valeur et de différenciation, pour
amener le consommateur à un état de réenchantement.
Il existe cependant de nombreuses façons de réenchanter le consommateur. Sans prétendre à
l’exhaustivité, nous avons repéré deux catégories de réenchantement. Tout d’abord, une forme de
réenchantement du coin de la rue par des expériences quotidiennes ou par la quête d’authenticité, et
le réenchantement qui se fonde sur l’activation forte des émotions, auquel on parvient en vivant des
expériences culturelles ou sportives.
Enfin, nous abordons la quête du bonheur comme une forme émergente de réenchantement, et peut-
être la quête ultime à la clé des meilleures expériences à vivre, voire une nouvelle manière
d’envisager la valeur de l’expérience, à l’aune du bonheur ou du bien-être qu’en retire le
consommateur.
1. Réenchanter par l’infraordinaire et l’authentique
La première génération des stratégies de proposition d’expérience s’est attachée à une seule
facette du réenchantement : la création de surprise à travers le caractère extraordinaire de l’offre.
Mais si le désenchantement de la consommation peut en effet trouver son origine dans le caractère
peu surprenant de l’offre, il a aussi d’autres causes, et notamment le caractère presque
exclusivement marchand des relations que l’individu entretient avec son environnement. Comme l’a
souligné Naomi Klein (2002) dans sa virulente critique de l’omniprésence du marketing dans la
cité, la sphère marchande ne laisse plus aucun espace à d’autres formes d’interaction de l’individu,
non seulement avec l’environnement, mais plus fondamentalement avec ses semblables.
On peut utilement rappeler à cet égard les apports des analyses de la fin de la modernité. La
modernité se caractérise par la primauté du rationnel : il est toujours possible de définir quelle est
la meilleure réponse à apporter à chaque situation de la vie de l’individu, notamment par le recours
aux mécanismes de marché qui permettent de déterminer le prix que l’individu est disposé à
investir pour résoudre un problème. L’extension du champ de la sphère marchande reflète cette
recherche générale de l’optimisation de toutes les activités humaines.
Cette rationalisation est la cause du désenchantement du monde, prophétisé par Max Weber. Dans
ce monde organisé selon les principes de la modernité, il n’y a plus de place pour la surprise,
qu’elle soit mauvaise… ou bonne. L’hypothèse de la fin de la modernité propose donc d’imaginer
la façon dont l’environnement socio-économique peut proposer à l’individu une alternative. Deux
options sont envisageables.
L’hypothèse de l’hypermodernité (Pagès, 2004 ; Lipovetsky, 2006) est la plus pessimiste. Selon
ses auteurs, la contrainte économique est tellement puissante que le système social ne peut plus

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échapper à la quête continue de la rationalisation. Si la modernité fait l’objet de critiques, c’est
justement parce que son objectif d’organisation optimale de toutes les sphères de la vie sociale
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n’est pas encore atteint. Il faut donc étendre encore le champ de la sphère marchande, pour aider
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l’individu à atteindre l’optimisation de tous les compartiments de sa vie. Alors que la modernité se
caractérisait par l’optimisation des organisations (notamment des entreprises et des organisations
publiques), l’hypermodernité doit faire émerger un individu optimum. On observera que ce discours
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est massivement véhiculé dans le domaine de la beauté et de la forme physique, mais aussi du
développement personnel, comme l’illustre la folie du coaching généralisé. Dans la sphère de la
consommation, l’hypermodernité se traduira par exemple par une multiplication d’épisodes de
consommation procurant la stimulation et la surprise, notamment grâce à l’extraordinaire. La
première génération des stratégies de propositions d’expériences extraordinaires s’inscrit bien dans
ce cadre théorique. La ressource la plus rare dont dispose l’individu est le temps, et il convient
donc de planifier son utilisation avec un soin maximum afin d’en retirer un maximum de
gratifications. On peut d’ailleurs observer que la sphère marchande a remarquablement développé
les offres permettant d’acheter du temps gagné, qui sera réinvesti dans d’autres activités maximisant
la stimulation. Le texte de la chanson Foule sentimentale d’Alain Souchon est un intéressant reflet
de l’existence du consommateur hypermoderne…
La seconde hypothèse de l’après-modernité est celle de la postmodernité (Lyotard, 1979 ; Eco,
1987 ; Maffesoli, 2007). Pour les auteurs de ce courant, l’individu peut accéder au réenchantement
en abandonnant l’objectif de rationalisation, et en limitant la place de la sphère marchande au profit
d’autres activités qui seront sources de gratification par d’autres voies que l’extraordinaire et le
spectaculaire, notamment en redonnant à l’individu le sens de son existence. Pour les auteurs du
courant de la postmodernité, la relation non marchande sera l’un des principaux supports de cette
quête du sens. Et symétriquement, là où l’hypermodernité privilégie la quête de l’extraordinaire, la
postmodernité est tournée vers la valorisation de l’ordinaire : le quotidien peut apporter son lot de
gratifications, de surcroît gratuites : c’est le monde selon Amélie Poulain (Le Fabuleux Destin
d’Amélie Poulain, 2001), ce qui peut d’ailleurs contribuer à expliquer l’extraordinaire succès de ce
film, mais aussi d’autres productions comme Bienvenue chez les Ch’tis (2008), qui mettent en
valeur les voies du réenchantement ordinaire.
Les travaux de Michel de Certeau ont remarquablement exploré cette sphère de la vie ordinaire,
dans laquelle une multitude de micro-expériences d’interactions sociales sont autant de sources de
gratification et de construction du sens de l’existence de l’individu. Plus récemment, l’analyse de la
vie marchande du quartier Barbès par Emmanuelle Lallement a montré comment le jeu de rôles
auquel se livrent chalands et commerçants contribue à la construction d’un puissant réseau de
relations, certes informelles, mais conférant à l’individu une irremplaçable formalisation de sa
place et de son statut dans un réseau complexe d’interactions porteuses de sens.
Les magasins – comme dans le cas de Barbès – constituent fort logiquement un théâtre majeur
pour ces interactions ordinaires qui vont contribuer à l’enrichissement de l’expérience quotidienne.
Il est toujours frappant de constater que lorsque les clients d’une grande surface – figure
emblématique de la modernité – évoquent leur relation avec cette institution dans un protocole
d’interrogation peu structuré, ce sont très vite les interactions ordinaires qui sont évoquées comme
sources de gratifications, et non les avancées technologiques dont l’enseigne est très fière.

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Parole d’expert
L’expérience ordinaire : la fonction sociale des courses
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Par Blandine Antéblian, Maître de conférences, Université de Bourgogne


L’analyse des courses effectuées en grande surface alimentaire révèle la richesse des expériences vécues : simples,
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ordinaires mais signifiantes pour les chalands. La fierté de dénicher de bonnes affaires ou des produits nouveaux, les
échanges de conseils ou de bons plans avec d’autres clients, les interactions avec le personnel de vente jusqu’à de
véritables complicités, le besoin de lien social, sont des atouts majeurs du commerce physique.
Le lien social des relations consommateur-personnel de vente, dans le cas du commerce de proximité mais aussi des
supermarchés, enrichit l’expérience du shopping, notamment auprès des seniors. Le magasin permet de rencontrer des
gens, aussi bien ses ami(e)s que le personnel de vente, et d’engager des discussions. « Je connais toutes les caissières. »
« Cela me permet d’avoir une vie sociale. » Sortie unique de la journée et seul moment de contact humain, les courses
ordinaires se révèlent être des expériences du quotidien très riches.
Mais la fonction sociale du commerce concerne aussi d’autres cibles de clients. Des enseignes spécialisées dans la mode
parient sur une grande complicité entre le personnel de vente et les clients qui se confondent (exemple du Citadium à
Paris) « Ils doivent être lookés » (direction de Citadium). Dans d’autres cas, les vendeurs deviennent de véritables
coaches (par exemple, Nike Store pour la performance sportive, Castorama pour l’animation de stages de bricolage,
Cultura pour les loisirs créatifs, ou des cours gratuits de yoga chez Lululemon Athletica au Canada). Cette proximité
retrouvée entre les enseignes et les clients constitue un élément utile de différenciation du commerce en ligne (Barth et
Antéblian, 2011).

Le chaland est très attaché à ses relations avec « sa » caissière ou « son » boucher du rayon
traditionnel. Il apprécie la commodité que procure le magasin pour retrouver ses connaissances lors
des courses du samedi après-midi : le rayon « fruits et légumes » de l’hypermarché se transforme
ainsi en « place du village » et reconstitue le point de rencontre que la dispersion des habitants
dans la métropole éclatée a fait disparaître.
Le thème de la consommation responsable est souvent perçu comme l’antithèse absolue de la
consommation expérientielle. Il est vrai qu’un certain nombre de promoteurs de cette consommation
alternative ont adopté une posture de prédicateurs déclarant la guerre au mal incarné par la société
marchande. Cette conception oublie que l’une des caractéristiques principales de l’expérience est
d’être porteuse de sens pour le consommateur. Il est donc non seulement possible, mais même très
probable, que l’adoption d’un mode de consommation plus respectueux des principes du
développement durable soit une source de gratifications expérientielles pour les consommateurs.
La ville de San Francisco, qui sera sans doute l’une des premières métropoles à maîtriser
l’épineuse question de la maîtrise des déchets, illustre de manière remarquable la contribution de
l’adoption de comportements « verts » à un mode de consommation qui reste l’un des plus opulents
de la planète. Ce qui a été parfaitement réussi par les artisans de cette révolution californienne,
c’est la communication des bénéfices que l’adoption de nouveaux comportements apportait aux
individus, à travers justement la réponse à la quête de sens. Ce n’est pas l’un des moindres
paradoxes du marketing expérientiel « nouvelle génération » que de contribuer à corriger les excès
de la culture marchande !

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Paroles d’experts
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Consommation verte et marketing expérientiel : conflit ou compatibilité ?
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Par Jean-François Notebaert, Maître de conférences, Université de Bourgogne
La consommation verte se veut véridique, pure, en un mot, éthique. Est-ce compatible avec une démarche marketing
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mettant à la disposition du consommateur un fort contenu expérientiel ? En d’autres termes, derrière une démarche
marketing axée sur l’émotion, se cache-t-il forcément une tromperie censée émouvoir le consommateur afin de lui faire
perdre ses capacités cognitives ? Il semble que non, dès lors que l’entreprise ne se lance pas dans une campagne
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d’écoblanchiment.
À travers les AMAP pour l’alimentation ou bien encore l’association Accueil Paysan pour passer des vacances, se
développent des offres à forts contenus expérientiels axés sur la consommation verte. Par exemple, dans la ferme-
auberge de Ker Madeleine, située dans le département de la Loire-Atlantique et estampillée Accueil Paysan, les hôtes
rencontrent les agriculteurs Chris et Flo qui leur préparent à manger, leur font visiter la ferme pédagogique et découvrir
les animaux, leur expliquent avec passion leur métier. Les clients dégustent uniquement des produits biologiques, issus
essentiellement de la ferme, au milieu d’un espace sans voiture, avec une vue sur les vaches, les moutons, les cochons,
les chevaux et les volailles en liberté. Le décor de cette ferme est bien un lieu théâtralisé, car sortant de l’ordinaire, inscrit
dans le passé, la mémoire collective, mais aussi dans l’avenir, car les paysans ont encore une carte à jouer face à
l’agrobusiness.
La ferme a une histoire que les agriculteurs partagent, les produits sont naturels et accessibles. Les relations entre Chris
et Flo, les clients et les produits qu’ils consomment sur place, ou qu’ils achètent avant de partir, sont fortes. Nous
sommes bien en présence des trois composantes de la modélisation de l’expérience évoquées par Filser (2002) : le récit,
l’intrigue, l’action et une consommation verte.
Réenchanter l’espace urbain : le tube modes doux du tunnel de la Croix-Rousse
Par Robert Revat, Professeur à l’EM Lyon, directeur de Nova 7
Conséquence de l’incendie du tunnel du Mont-Blanc en 1999, la réglementation a rendu obligatoire le percement de
galeries de sécurité dans les tunnels. Celui de la Croix-Rousse, qui relie le Rhône à la Saône en amont de la ville de Lyon,
n’a pas fait exception à la règle. L’idée originale qui a prévalu à ces travaux a été de doter cette galerie d’évacuation
d’une autre fonction que celle de la sécurité, à savoir le passage des véhicules non motorisés et des transports en
commun : c’est ainsi qu’est né le tube « modes doux » qui offre, en plus de cette voirie spécifique, une animation
artistique lumineuse destinée à égayer la traversée d’une galerie longue de 1 800 m et dont la configuration en courbe
ne permet pas d’entrevoir la sortie quand on y entre.
L’équipe Nova 7, en charge du pilotage de l’expérience dans ce contexte, a dû faire face à un double défi. Le premier a
été d’offrir, via des équipements, des informations et des services, toutes les aménités destinées à rendre l’expérience de
visite agréable, ou, au minimum, non anxiogène. Le second défi est celui du marketing public, qui ne peut s’autoriser, à
l’inverse du marketing classique en milieu marchand, à cibler telle catégorie de public pour lui plaire, en assumant de
déplaire à d’autres catégories, et, partant, de les exclure. Il a fallu pour cela trouver des solutions pour satisfaire des
usages pourtant contradictoires. Par exemple, les animations lumineuses, attractives pour les touristes, présentaient une
gêne pour les cyclistes ayant à traverser le tube pour leurs déplacements domicile-travail ; des plages horaires ont dû
être trouvées pour satisfaire tous ces usagers. De même, on a choisi de ne faire circuler que des bus électriques dans le
tube, ce qui permettait de satisfaire à la fois les attentes de type utilitaires (traverser rapidement) et les attentes de type
citoyennes (ne pas polluer).
Cet exemple de réenchantement des non-lieux illustre une application nouvelle du marketing expérientiel : la
théâtralisation d’une expérience peu agréable a priori d’une part, le refus de cibler, donc de recourir aux règles classiques
du positionnement d’autre part.

Enfin, en poursuivant la recherche des sources les plus microscopiques d’expériences, il est
intéressant de se pencher sur les « non-lieux » repérés par les sociologues et les urbanistes dans
l’environnement quotidien du consommateur. Lorsque l’individu fait le récit d’une journée
ordinaire, il retient souvent des épisodes négatifs d’autant plus mémorables qu’ils se répètent

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chaque jour. Transformer en épisodes gratifiants ces parenthèses négatives est un autre champ
d’application, virtuellement sans limites, de la proposition d’expériences ordinaires.
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2. Réenchanter par la culture ou le sport
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L’explication des comportements dans la sphère culturelle reste très influencée par les travaux de
Bourdieu et notamment sa théorie de la distinction. L’individu a besoin de manifester à travers sa
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consommation – entendue au sens le plus large – la position qu’il occupe dans la structure sociale.
La consommation d’activités culturelles, notamment les plus savantes, constitue alors l’un des
vecteurs les plus puissants de la communication d’une position sociale élevée.
Cette opposition entre pratiques culturelles distinctives et ordinaires a certes été réfutée par les
travaux de Lahire, qui ont montré que les individus qui ont les pratiques culturelles les plus
intensives combinent à la fois des pratiques savantes (opéra, musique classique, musées d’art…) et
des pratiques plus ordinaires (cirque, spectacle de variétés…).

Paroles d’experts
Réenchanter par la culture : mise en scène des grands châteaux de France
Par Dominique Bourgeon-Renault, Professeur des Universités, Université de Bourgogne
Les grands châteaux de France ont décidé d’accompagner leurs collections permanentes et temporaires de concerts,
spectacles de théâtre et de danse dans un but de diversification et d’élargissement des publics.
Château de Versailles Spectacles (CVS) est une société, filiale (100 %) de l’EPA Musée et Domaine national de Versailles.
Ses missions sont d’élaborer, de produire, de réaliser, de promouvoir et de commercialiser des spectacles (musicaux, de
théâtre, d’opéras et de ballets) et d’exposer de l’art contemporain. Elle a été créée pour perpétuer le spectacle des
Grandes eaux, fondé sur le réenchantement, et offrir au public, à travers des genres culturels éclectiques, une expérience
à vivre très diversifiée.
Le Château de Versailles conserve son authenticité et continue d’être un écrin d’une vie culturelle et événementielle très
variée. Les activités de CVS sont multiples : les Grandes eaux musicales et les Jardins musicaux, les Grandes eaux
nocturnes, les grands spectacles d’été (par exemple, le Grand carrousel royal en 2013), la saison de l’Opéra royal depuis
septembre 2009 et les expositions d’art contemporain (première exposition, en 2008, d’un artiste américain, Jeff Koons).
Tous ces événements alternatifs complètent la visite du château, en lui donnant un éclairage nouveau, et permettent aux
individus de vivre une expérience extraordinaire.
Le Château de Fontainebleau mène une politique active de mise en place d’expositions temporaires ayant pour objectif
de valoriser le patrimoine historique et artistique du domaine. À l’occasion de ces événements, des spectacles (opéras en
plein air, concerts…) sont proposés aux adultes et jeunes publics. Par exemple, l’exposition « Rosso Fiorentino » organisa
en 2013 des visites thématiques, un spectacle autour de Gargantua (par la compagnie Le Bal de Saint-Bonnet) et un
concert « qui se mange » (rencontre entre musique et gastronomie de la Renaissance). D’une manière générale, des
services périphériques sont proposés : boutique, restauration et activités dans le jardin (balades en calèche de vingt
minutes pour découvrir le Grand Parterre et le parc, activité de jeu de paume, survol en montgolfière du château, de la
forêt et des environs).
Toute cette offre périphérique contribue à offrir aux visiteurs une expérience de consommation culturelle exceptionnelle
dans une ambiance familiale et plaisante.
Réenchanter par la culture : l’expérience du festival
Par Mathilde Pulh, Maître de conférences, Université de Bourgogne
Les festivals constituent une offre culturelle intrinsèquement très expérientielle dans la mesure où, par définition, ils
plongent leur public au cœur d’une multitude de spectacles dans un espace-temps relativement réduit. Si cette
dimension événementielle contribue à intensifier l’expérience vécue par les spectateurs, les organisateurs cherchent
cependant continuellement à l’enrichir en développant des dispositifs d’habillage expérientiel capables de

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« surthéâtraliser » leur manifestation.
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Cette théâtralisation peut concerner l’offre centrale du festival. Au-delà des choix de programmation, le choix du lieu de
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la manifestation en tant que « décor » de l’expérience vécue est essentiel : le déménagement du Main Square Festival de
la Grand-Place d’Arras vers la Citadelle, classée au patrimoine mondial de l’Unesco, a ainsi contribué à donner un
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supplément d’âme au festival en immergeant le public dans un lieu hautement symbolique.


L’habillage expérientiel peut également toucher les services périphériques de la manifestation. Le festival Chalon dans la
rue a très rapidement théâtralisé ses « lieux de convivialité » pour créer une continuité dans l’expérience festivalière.
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Autrefois pensés comme de simples lieux de repli très fonctionnels, les lieux de restauration sont désormais thématisés
pour prolonger l’offre centrale de spectacles. Le festival Rock en Seine a quant à lui mis en place une garderie pour les
enfants des festivaliers, fidèle au positionnement « rock » de la manifestation : elle offre ainsi des activités (initiation
musicale, concerts, démonstrations de mix, « booms »…) pour que les enfants vivent une expérience équivalente à celles
de leurs parents.
Cette théâtralisation peut également chercher à engager le spectateur dans la construction de l’offre. En organisant des
concours de création d’affiches (Edinburgh Festival Fringe), en mettant en place des dispositifs d’interaction (comme la
zone de libre expression dessinée où les participants du festival de la bande dessinée d’Annecy peuvent laisser leur
croquis), les manifestations rendent unique le vécu des festivaliers et s’assurent une plus grande proximité avec eux.
Enfin, de façon plus globale, la structuration même de l’offre peut être un moyen de renforcer le vécu des spectateurs.
Les festivals d’arts de la rue illustrent parfaitement ce décloisonnement extrême de l’offre qui permet au public de
construire son expérience librement, les spectacles étant très nombreux, disséminés partout dans la ville et le plus
souvent totalement gratuits, les spectateurs peuvent choisir de programmer minutieusement à l’avance leur journée ou
alors de déambuler en recherchant aléatoirement un spectacle, voire d’attendre que le spectacle vienne à eux. Le
festivalier peut ainsi personnaliser son vécu.

Le secteur culturel, et notamment les institutions les plus distinctives, reste attaché à une fonction
éducative de la fréquentation de l’institution. Comment concilier proposition d’expérience et
fonctionnement de l’institution culturelle ?
Cette question revêt une importance cruciale dans un contexte économique caractérisé par la
réduction constante des ressources allouées par l’État et les collectivités territoriales au secteur de
la culture. Celui-ci doit donc désormais faire évoluer son modèle économique pour augmenter la
part de ses ventes dans ses ressources, ce qui se traduit directement par un impératif d’augmentation
du nombre d’entrées ou de visites. Le secteur des musées est particulièrement intéressant dans la
mesure où un musée contient traditionnellement une collection permanente et des présentations
temporaires destinées à inciter le public à renouveler sa visite. Comment cette combinaison peut-
elle être construite à partir des principes de la proposition d’expérience ?
La multiplication des festivals a été l’une des évolutions les plus spectaculaires du secteur de la
culture en France. Ce phénomène a été favorisé par la conjonction de trois facteurs : la recherche
par les collectivités territoriales d’attracteurs de trafic permettant d’alimenter en chalands le
secteur marchand du territoire, la multiplication des structures artistiques élaborant une offre et
cherchant un cadre favorable pour sa présentation, et une évolution des attentes des touristes qui
souhaitent associer loisirs et enrichissement culturel. La progression exponentielle du nombre de
festivals est une conséquence directe de l’interaction de ces facteurs.
Le caractère concentré dans le temps du festival et la diversité des publics, qui se retrouvent pour
un bref épisode de socialité dans un espace géographique restreint, contribuent à faire du festival
une expérience très spécifique, dont les caractéristiques peuvent également éclairer la réflexion
autour de la production d’expériences dans la sphère marchande.

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ZOOM
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Réenchanter par le patrimoine gastronomique
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Situé à Geispolsheim, près de Strasbourg, le musée du chocolat invite les passionnés à découvrir l’histoire du cacao. Ouvert
en 2003, sur le site de production de la chocolaterie Schaal, le musée accueille tous les ans 40 000 visiteurs. Depuis 2012,
Tony Valentini, directeur du musée, travaille avec ses équipes la scénarisation de la visite, pour y intégrer de nouveaux
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contenus et délivrer plus de valeur au visiteur.


L’idée est d’apprendre à déguster le chocolat comme on dégusterait un grand vin. Une réglette contenant 4 chocolats
différents est remise à chaque visiteur, qui pénètre ensuite dans un amphithéâtre où une vidéo interactive accompagne la
dégustation. Le visiteur apprend ainsi à déguster chaque chocolat en deux temps afin de se concentrer sur les parfums, les
textures et la sensation du chocolat fondant lentement dans la bouche. Il peut ainsi faire la différence entre pralin et
ganache, tout en découvrant chemin faisant leur processus de fabrication.
La suite de la visite ? Un magicien est présent pour faire découvrir l’histoire du cacao sous une forme ludique, autour du
parcours thématique qui va de l’origine des fèves de cacao à la réalisation des bonbons de chocolat et des moulages. Un
laboratoire permet d’apprendre à faire soi-même du chocolat, sous la direction d’un maître chocolatier.
L’expérience, hautement sensorielle, est à la fois amusante et instructive et contribue subtilement à promouvoir un certain
art de vivre à la française. La prochaine étape ? Une authentique voiture-restaurant du mythique Orient Express est installée
dans la cour du musée. Ce contexte expérientiel insolite peut devenir un décor idéal pour des soirées thématiques autour du
voyage ou des romans policiers d’Agatha Christie, en mêlant toujours gastronomie et culture.
Le réenchantement se traduit dans les chiffres puisque, depuis la mise en place des visites-dégustations, le nombre de
visiteurs a augmenté de 15 % par an.

La manifestation sportive est le parfait prototype de l’expérience. Elle est une source de
stimulations intenses et plaisantes, elle est mémorable, et elle est productrice de sens : le spectateur
(a fortiori le supporter) s’identifie à l’athlète ou à l’équipe, au point d’adopter des comportements
extrêmes.
Si la dimension marchande est depuis longtemps très présente dans certains sports, le discours
des spectateurs fait abstraction de cet aspect pour mettre au contraire l’accent sur la transformation
que procure à l’individu l’expérience sportive. Tous les ingrédients de la quête de réenchantement
sont réunis, avec une particularité : si les organisations sportives n’hésitent pas à investir des
ressources considérables dans la production de contextes expérientiels démesurés (arenas géantes,
spectacles pyrotechniques, théâtralisation de la mi-temps comme lors de la finale du Superbowl aux
États-Unis…), les spectateurs et supporters parviennent à vivre dans cet environnement superlatif
des expériences individuelles très intenses.
Nous avons vu que la quête de réenchantement, pilotée par l’entreprise ou l’organisation, pouvait
prendre différentes formes. Cependant, des contributions récentes laissent entrevoir une nouvelle
forme de réenchantement qui ne se contenterait plus simplement de délivrer de la valeur au
consommateur, mais bien, de façon somme toute assez ambitieuse et étonnante, du bonheur.

Parole d’expert
Le réenchantement par le sport : l’expérience sportive
Par Christian Derbaix, Professeur ordinaire émérite, Louvain School of Management, Mons, Belgique.
Le football est le sport le plus populaire au monde, attirant de plus en plus de spectateurs et déclenchant souvent les

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passions. Deux chercheurs (voir références ci-dessous) se sont immergés pendant 5 ans dans la sous-culture des fans de
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11 grands clubs de football de France, d’Espagne et de Belgique. Les fans dysfonctionnels (hooligans dans la
terminologie anglo-saxonne) n’ont pas été repris dans l’échantillon de fans suivis. La question de départ était : pourquoi
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et comment les fans de football consomment-ils de plus en plus d’écharpes, de casquettes, de maillots, de drapeaux…
aux couleurs de leur club favori ? Le merchandising représente en effet aujourd’hui des sommes astronomiques pour
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des clubs tels que le Real Madrid, Manchester United, le FC Barcelone, le Bayern de Munich ou encore le Paris-Saint-
Germain. Ce merchandising doit d’ailleurs s’actualiser sans cesse en proposant les maillots des stars nouvellement
transférées à prix d’or, en élargissant les gammes de produits proposés tenant compte de la diversité (âge, genre) des
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spectateurs. Parallèlement, on constate une théâtralisation croissante du jeu devenu un spectacle épique sur et autour
des terrains. Durant ces spectacles,
cocréés par les supporters, on assiste à une surenchère des fans les uns vis-à-vis des autres, par exemple à travers leurs
accoutrements et la production de tifos (grands calicots/grands drapeaux porteurs de « messages d’ambiance »). Cela,
ainsi que les olas, les chants et les rites, contribuent à des expériences hédonistes hors du commun, telle une joie
collective incontrôlée, voire une communion entre tous lorsqu’un but est inscrit. Le football est donc pour beaucoup une
consommation fanatique portée par des possessions matérielles, dont la panoplie du « parfait supporter ». Lors de ces
expériences les fans arborent fièrement les couleurs de leur club, couleurs qui remplissent quatre fonctions :
l’identification, la socialisation, l’expression et la sacralisation. Ces fans se basent sur ces expériences de consommation
pour se construire une identité privée et une identité collective.
(Decrop et Derbaix, 2009 ; Derbaix et Decrop, 2011)

3. Le bonheur comme réenchantement ultime


Au travers des exemples précédents, nous avons mis en avant différentes voies de
réenchantement, que ce soit par la quête d’authenticité, d’élévation spirituelle par la culture, ou de
communion dans la pratique sportive. Les exemples pourraient être multipliés, mais l’idée centrale
réside dans le fait que ces formes de cocréation, aussi diverses soient-elles par le contexte dans
lequel elles se déroulent, doivent permettre au consommateur d’atteindre une forme de
réenchantement. Schmitt, qui dans les années 2000 conceptualisait le marketing expérientiel,
franchit une étape supplémentaire en proposant le bonheur du consommateur comme un nouveau
business concept.
Schmitt et van Zupthen (2012) font en effet le lien entre les travaux sur l’économie du bonheur et
les approches expérientielles pour proposer un modèle fondé sur le plaisir, le sens et l’engagement
(pleasure, meaning et engagement, PME), afin de tendre non pas seulement vers la satisfaction du
consommateur, mais vers son bonheur. Ils s’appuient pour cela sur des expériences hédoniques, qui
ont du sens et engagent le consommateur activement.
Cette perspective s’inspire du courant de l’économie du bonheur qui date d’une quinzaine
d’années. Les travaux en économie du bonheur combinent l’économie, la psychologie et la
sociologie pour mesurer le bien-être, la qualité de vie et la satisfaction par rapport à sa propre vie
(life satisfaction). Schmitt et van Zupthen (2012) mobilisent la psychologie positive
(Csikszentmihalyi, 1997 ; Seligman, 2011) et la théorie de la motivation (Maslow, 1964) pour
développer leur modèle PME.
D’autres recherches récentes étudient l’effet que peut avoir la consommation d’expériences
immatérielles sur la santé psychologique et le bien-être de l’individu en le comparant à la
consommation (achat et accumulation) de biens matériels. Ces recherches s’inscrivent dans le
courant de la transformative consumer research (recherche sur la transformation du consommateur)
qui questionne le matérialisme (Burroughs et al., 2013 ; Mick et al., 2012 ; Richins, 2013) et de la

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transformative service research (recherche sur la transformation des services), qui se focalise sur
les services qui transforment le consommateur.
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Ces travaux ouvrent des perspectives intéressantes. La recherche du bonheur et la transformation
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du consommateur s’inscrivent dans la lignée des travaux de Pine et Gilmore (1999) qui plaçaient au
sommet de leur pyramide la transformation du consommateur. La transformative consumer research
semble traduire la volonté de certains chercheurs de réintégrer l’éthique dans le champ du
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marketing et de proposer de nouveaux objectifs partagés (la quête du bonheur ou du bien-être


individuel et sociétal) au consommateur en quête de nouveaux repères (Salerno et al., 2013).
La transformative service research trouve ses origines dans la transformative consumer research,
dont l’ambition est de favoriser une nouvelle génération de travaux en consumer research centrée
sur le bien-être qui soit à la fois riche conceptuellement, solide méthodologiquement, et vecteur
d’influence (Anderson et al, 2011).
Mick (2006) développe le concept de transformative consumer research, en mettant en avant les
influences négatives que le monde des produits et des services peut avoir sur le consommateur et
sur l’environnement. Il invite les chercheurs à utiliser le champ de la consumer research pour aider
à améliorer la vie des consommateurs et leur façon de consommer. Parmi les problèmes envisagés,
on trouve les formes de consommation qui mettent en danger la santé du consommateur sur le long
terme, soit par manque d’accès à la consommation (pauvreté, bottom of the pyramid2), soit par
excès de consommation.
Les services sont par nature centrés sur le consommateur, expérientiels et cocréés. On pense bien
sûr ici dans la typologie classique des services comme des processus, et on distingue les services
dont le récepteur direct du service est un individu, des services dont le récepteur direct est un bien.
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Figure 11. Typologie de processus de services
(Source : d’après Lovelock et al., 2008)
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Les effets transformatifs pour le consommateur résultent de l’interaction entre la servuction et le


consommateur, c’est-à-dire de la cocréation pendant le déroulement du service. Pendant
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l’interaction, l’apport de chacune des parties prenantes (consommateur, fournisseur du service) peut
contribuer à la réussite ou à l’échec de la proposition de service. La transformative service
research reconnaît aussi la vulnérabilité du consommateur, son manque de contrôle sur la situation
de service et son manque d’expertise comparée à celle du professionnel qui délivre le service.
Les travaux de la transformative consumer research et de la transformative service research sont
révélateurs d’une évolution de l’approche expérientielle, plus soucieuse du résultat (améliorer le
bien-être et le bonheur), respectueuse des individus et de l’environnement, que des paillettes et de
l’étourdissement du marketing expérientiel 1re génération.

Section 3. Pilotage et limites de la cocréation


Retournons un instant aux fondements théoriques de la stratégie de proposition d’expérience. Pine
et Gilmore considèrent que l’intensité de l’affrontement concurrentiel rend illusoire la préservation
durable par une organisation de son avantage concurrentiel. Développer une nouvelle
différenciation perçue par la clientèle exige donc de dépasser le produit pour proposer la marque,
puis le service, et enfin l’expérience. Il ne faut donc pas perdre de vue cette contrainte
fondamentale : la proposition d’expérience a pour objectif de renforcer la position concurrentielle
de l’organisation.
La première génération des stratégies de proposition d’expérience a atteint ses limites d’une part
en raison de l’usure des scripts de proposition d’expériences, et d’autre part en raison de
l’émergence de comportements de résistance d’un consommateur qui accepte plus difficilement de
se voir imposer une offre formatée sur laquelle il n’a pas de prise.
Très logiquement, puisqu’il s’agit de mieux répondre aux attentes du client que les concurrents,
l’organisation va chercher à prendre en compte les aspirations des clients à un plus grand contrôle
de leur expérience de consommation. Il est donc tentant de les associer de plus en plus étroitement à
la création de cette expérience.
Le courant de la théorie de la culture de consommation va dans ce sens, puisqu’il théorise
l’expérience de consommation comme la réunion de ressources proposées par la firme et de
ressources apportées par le consommateur pour créer de la valeur.
Nous assistons donc – ce qui est rare ! – à une parfaite convergence du cadre théorique et de
l’orientation managériale : la cocréation de l’expérience serait le nouveau Graal du marketing.
N’est-ce pas un peu trop beau pour être vrai ?
Sur le plan managérial comme sur le plan théorique, on peut en effet très vite percevoir la limite
sur laquelle va buter la cocréation de l’expérience : quel rôle va-t-il rester dans ce cadre à
l’organisation ?

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N’oublions pas que le marché repose fondamentalement sur l’idée d’une interaction d’une offre et
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d’une demande. Si l’offre de l’organisation marchande se réduit au point de ne plus être qu’un
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vague accompagnement de la capacité créative du consommateur, elle disparaît. Ou plus
exactement, c’est le consommateur qui devient offreur…
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Ce scénario n’est pas si extrémiste qu’il y paraît. Internet a déjà permis au consommateur de
devenir un offreur à grande échelle : il produit des masses d’informations sur les produits (les
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forums et les blogs), il est revendeur de produits d’occasion, collecteur de ressources (le
crowdfunding par exemple), et va sans doute devenir producteur de maquettes numériques destinées
à l’impression 3D, tandis qu’il est déjà un énorme offreur de prestations de prestations de services
(covoiturage, échange d’appartements, couchsurfing…).
Associer le consommateur à la production d’expérience est certainement nécessaire. Mais
l’organisation doit rester capable de signer de sa marque cette expérience, sous peine de perdre sa
légitimité sur le marché et de devenir en quelque sorte un simple sous-traitant du consommateur. Il
convient donc d’aborder avec une extrême prudence ce thème de la cocréation, qui constitue peut-
être une opportunité de développement de l’organisation, mais aussi une source potentielle de
marginalisation de sa place sur le marché.
1. L’impact de la cocréation sur la valeur de l’expérience
Même si nous plaçons la cocréation de l’expérience au cœur du marketing expérientiel « nouvelle
génération », il convient de souligner que le concept, en l’état actuel des choses, pose un certain
nombre de questions.
La cocréation de la valeur par le consommateur et l’entreprise est à la fois un paradigme ancien et
émergent (Leher et al., 2012). Ancien, car la participation du client est une notion inscrite au cœur
du marketing des services depuis des décennies, émergent car la logique Service-Dominant
développée par Vargo et Lusch (2004) a installé l’idée que tout était service, et que les services et
la valeur qu’ils procurent se coproduisent de facto avec le client/consommateur.
La cocréation de la valeur s’est ainsi transformée en un nouveau mantra managérial. Cependant,
les définitions de la cocréation sont nombreuses, pas toujours unifiées, et par ailleurs l’impact réel
de la cocréation sur la valeur de l’expérience reste encore un chantier ouvert.
Nous avons présenté une typologie des formes de participation à l’expérience (Antéblian, Filser,
Roederer, 2013) pour précisément tenter d’établir une distinction claire entre ce qui relève de
l’autoproduction dirigée (par l’entreprise) et ce qui peut s’apparenter à la coproduction créative
qui laisse plus de liberté et de plaisir au consommateur. Mais certains auteurs appellent
coproduction l’autoproduction dirigée et cocréation de l’expérience, ou autoproduction émancipée,
ce que nous appelons coproduction créative. Il convient donc, si l’on veut garder les idées claires,
de choisir la définition qui rend bien compte de ce que le consommateur fait ou de ce qu’on lui fait
faire dans un contexte donné et s’y tenir.
Concernant ce que génère la cocréation et ce qui en résulte, là encore tout n’est pas stabilisé.
Ainsi Jeon (2012) ne confirme pas l’impact de la cocréation comme déterminant des intentions
comportementales du consommateur. Il n’est ainsi pas sûr que la cocréation fidélise le client.
Bilstein et al. (2014) notent le recours croissant à la coproduction comme pratique managériale. Il
s’agit, selon notre terminologie, plutôt d’autoproduction dirigée. Ils constatent qu’elle se généralise

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dans des servuctions fondées sur une interface numérique (check-in à l’aéroport, scannage des
produits dans un supermarché), mais également dans d’autres contextes (restauration). Les
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consommateurs sont alors des employés à temps partiel de l’entreprise. Parfois, une compensation
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financière leur est proposée sous la forme d’une réduction de prix. Les auteurs s’interrogent sur
l’impact de la coproduction sur l’intention de payer (willingness to pay), en faisant la distinction
entre la coproduction non transférable car indissociable du consommateur (par exemple, une visite
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chez le médecin ou chez le coiffeur), et la coproduction transférable (qui pourrait être réalisée par
d’autres personnes que le consommateur). En creux, ces travaux posent la question de la
rémunération du client lorsqu’il coproduit l’expérience pour l’entreprise.
Simpson et Radford (2011) mettent en avant le fait que les consommateurs sont plus disposés à
coproduire lorsque c’est pour une cause qui leur semble juste (par exemple le développement
durable). Les consommateurs seraient ainsi prêts à accepter des compromis s’ils y voient du sens.
Enfin Lehrer et al. (2012) questionnent l’orthodoxie de la cocréation de valeur en montrant
comment, dans le cadre de développement de nouveaux produits, l’entreprise peut être amenée à
réguler le niveau de coproduction. Ils soulignent qu’à certaines étapes du processus moins de
coproduction améliore le résultat final du processus, et, paradoxalement, génère plus de valeur.
2. La cocréation comme source d’avantage concurrentiel
Compte tenu de la multiplicité des définitions et des effets non garantis de la coproduction et de la
cocréation sur la valeur de l’expérience, il nous semble pertinent d’aborder la question du cadre de
participation du client à l’expérience, sous l’angle de l’avantage concurrentiel commercial. Le
détour par l’avantage concurrentiel permet de ne pas s’égarer en voyant dans le paradigme de la
cocréation une panacée, mais en même temps permet d’intégrer le fait que le cadre de participation
du consommateur à l’expérience peut être source de différenciation. La notion d’avantage
concurrentiel englobe les différentes manières dont une entreprise résiste à la concurrence (Porter,
1985). Les avantages concurrentiels se créent en développant des manières de faire mieux que la
concurrence au sein d’un secteur donné. Ainsi, la capacité de piloter les formes de participation à
l’expérience peut constituer une source d’avantages concurrentiels.
Rappelons qu’un avantage concurrentiel commercial est un élément perceptible par le client.
Tout avantage concurrentiel commercial présuppose, pour pouvoir être délivré, l’existence d’un
avantage concurrentiel stratégique, qui en est le soubassement et qui n’est pas visible par le client
final.
Une stratégie expérientielle peut être considérée comme réussie dès lors que le consommateur
perçoit que l’offre considérée délivre une valeur supérieure à celle des offres concurrentes et qu’il
est disposé à payer pour la valeur supérieure délivrée. Les dimensions de l’expérience ont pu être
identifiées comme des leviers actionnables pour développer des avantages concurrentiels
commerciaux. Mais il convient ici, au-delà des dimensions de l’expérience, d’envisager le cadre de
participation à l’expérience un peu plus attentivement.
La figure 12 présente les trois entités qui interagissent sur un marché (l’entreprise, ses clients, la
concurrence) et le cadre de participation proposé au client.

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Figure 12. La cocréation comme source d’avantage concurrentiel


(Source : figure adaptée de Trinquecoste, 1997, p. 1965)

L’offre de l’entreprise repose sur une proposition faite au consommateur d’une expérience,
mobilisant un ou plusieurs contextes expérientiels. Nous avons vu, au début de ce chapitre, que le
terme expérience s’appliquait à de nombreuses interactions « personne × objet × situation » très
différentes les unes des autres. Néanmoins, on ne peut contester le fait que tout design d’expérience
piloté par l’entreprise implique un cadre de participation du consommateur.
Ce cadre peut mobiliser une ou plusieurs formes de participation. La collaboration interprétative
est toujours mobilisée, puisqu’elle désigne l’effort cognitif mis en œuvre par le consommateur pour
comprendre et accepter l’intention de l’entreprise (que ce soit pour comprendre une publicité ou un
processus de commande sur un site Internet).
L’autoproduction dirigée et la coproduction créative sont deux formes de participation qui
peuvent ou non faire partie d’un design d’expérience.
On peut donc envisager la combinaison de formes de cocréation à l’œuvre dans une expérience
donnée, et se demander si elle constitue in fine un avantage concurrentiel commercial. Pour le
savoir, on peut se poser les quatre questions suivantes : la cocréation proposée correspond-elle aux
attentes du consommateur ? La cocréation proposée porte-t-elle sur un aspect de l’expérience
auquel le consommateur est sensible ? La cocréation proposée permet-elle de délivrer, de façon
perceptible par le consommateur, plus de valeur que les offres concurrentes ? La cocréation
proposée est-elle bien pilotée par l’entreprise ou la marque ?
Pour compléter ce premier niveau d’analyse, nous proposons dans la partie qui suit une grille plus
détaillée pour approfondir le travail de réflexion sur la cocréation de l’expérience.
3. Proposition d’une grille d’analyse de la cocréation
La grille d’analyse de la cocréation de l’expérience doit aider le marketeur à s’interroger sur les

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mécanismes sous-jacents aux formes de cocréation retenues dans un design d’expérience ou dans un
système de production d’expérience. La grille est organisée en quatre temps mais la démarche
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proposée est de nature itérative. La première étape concerne le design initial de l’expérience. La
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deuxième étape est consacrée à la réception du contexte expérientiel par le consommateur. La


troisième étape a pour objectif d’apprécier l’impact de la cocréation sur la valeur de l’expérience.
Enfin, la quatrième étape ouvre sur les actions à mener pour repenser l’expérience.
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Tableau 2. Structure de la grille d’analyse de la cocréation

GRILLE D’ANALYSE DE LA COCRÉATION

ÉTAPE 1 : Intention du contexte et design de l’expérience

CARACTÉRISER LE CADRE DE PARTICIPATION

Quel contexte expérientiel ?

Magasin physique

Site Internet

Autre contexte

Finalité de l’expérience ? (perspective entreprise)

Finalité de l’expérience ? (perspective consommateur)

Expérience autotélique

Expérience instrumentale
Que fait le consommateur pendant l’expérience ?

Quelle participation est la plus mobilisée pendant l’expérience ?

Collaboration interprétative

Autoproduction dirigée

Coproduction créative (autoproduction émancipée)

ÉTAPE 2 : Réception du contexte

QUALIFIER l’ACTIVATION DU SYSTÈME EXPÉRIENTIEL


en notant de 0 à 10 (0 = pas du tout d’accord, 10 = tout à fait d’accord)

Les sens sont stimulés par ce que fait le consommateur pendant l’expérience ? (dimension hédonico-
sensorielle)

Ce que le consommateur fait pendant l’expérience est valorisant et a du sens pour lui ? (dimension
rhétorique socioculturelle)

Le consommateur a-t-il le contrôle sur le temps qu’il consacre à l’expérience ? (dimension temporelle)

ÉTAPE 3 : Impact de la cocréation sur la valeur

LA COCRÉATION COMME AVANTAGE CONCURRENTIEL

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en notant de 0 à 10 (0 = pas du tout d’accord, 10 = tout à fait d’accord)

La forme de cocréation dominante est-elle recherchée par le consommateur ?


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Cette forme de cocréation génère-t-elle du réenchantement chez le consommateur ?
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Cette forme de cocréation est-elle valorisante pour le consommateur ?

Cette forme de cocréation nous différencie-t-elle de notre concurrent principal ?


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ÉTAPE 4 : Repenser la cocréation et le design de l’expérience

Si nous devions repenser le design de la participation du consommateur, quelle combinaison de formes de participation
devrions-nous modifier ? Quelles dimensions de l’expérience devraient être accentuées pour délivrer plus de valeur ?

Si l’on rentre dans le détail du volet consacré au design initial de l’expérience, l’idée centrale est
de caractériser le cadre de participation du consommateur, en identifiant la combinaison des formes
de cocréation qui lui sont proposées, et la forme de cocréation dominante qui ressort de l’analyse.
La partie consacrée à la réception du contexte par le consommateur se fonde sur les dimensions
de l’expérience (en dehors de la dimension praxéologique qui est au cœur même de la participation
du consommateur à l’expérience). L’idée est de repérer les dimensions qui sont le plus activées au
cours de l’expérience, en notant de 0 à 10, trois questions portant sur chacune des dimensions.
Enfin, à la troisième étape, quatre questions servent à établir si la forme de cocréation à l’œuvre
dans l’expérience étudiée constitue un avantage concurrentiel commercial. Là aussi, il s’agit de
noter des affirmations de 0 à 10. Plus le total des points est élevé, plus l’avantage concurrentiel est
avéré.
Nous proposons deux exemples d’utilisation de la grille. Le premier exemple porte sur une
expérience de magasinage largement dominée par de l’autoproduction dirigée. Le contexte
expérientiel est un supermarché plutôt qualitatif.
Tableau 3. Exemple 1 : stratégie d’autoproduction dirigée

GRILLE D’ANALYSE DE LA COCRÉATION

ÉTAPE 1 : Intention du contexte et design de l’expérience

CARACTÉRISER LE CADRE DE PARTICIPATION

Quel contexte expérientiel ?

• Magasin physique : courses au supermarché Simply. x

• Site Internet

• Autre contexte

Finalité de l’expérience ? Perspective entreprise : offrir une expérience de magasinage fluide et agréable.

Finalité de l’expérience ? Perspective consommateur : faire ses courses.

• Expérience autotélique ? NON

• Expérience instrumentale ? Clairement instrumentale, même si le magasin est agréable. OUI

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Que fait le consommateur pendant l’expérience ?
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Gare sa voiture sur le parking (garde le ticket pour le présenter en caisse, il est remboursé). Prend un caddie, déambule
dans le magasin, choisit des produits, fait peser des fruits et légumes, attend à la charcuterie, attend en caisse, repère une
$!
caisse en autoscannage, se met à scanner son caddie, paie avec sa carte bleue, récupère un ticket pour ne pas payer le
parking, range ses courses, repart du magasin
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Quelle participation est la plus mobilisée pendant l’expérience ?

• Collaboration interprétative X
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• Autoproduction dirigée XXX

• Coproduction créative (autoproduction émancipée)

ÉTAPE 2 : Réception du contexte

QUALIFIER l’ACTIVATION DU SYSTÈME EXPÉRIENTIEL


en notant de 0 à 10 (0 = pas du tout d’accord, 10 = tout à fait d’accord)

Les sens sont stimulés par ce que fait le consommateur pendant l’expérience ? (dimension hédonico-
sensorielle) 5
Oui, en regardant les fruits et légumes en particulier.

Ce que le consommateur fait pendant l’expérience est valorisant et a du sens pour lui ? (dimension
rhétorique socioculturelle) 0
Pas du tout, c’est une corvée.

Le consommateur a-t-il le contrôle sur le temps qu’il consacre à l’expérience ? (dimension temporelle)
2
Seulement au moment du choix de ne pas attendre en caisse.

ÉTAPE 3 : Impact de la cocréation sur la valeur

LA COCRÉATION COMME AVANTAGE CONCURRENTIEL


en notant de 0 à 10 ( 0 = pas du tout d’accord, 10 = tout à fait d’accord)
La forme de cocréation dominante est-elle recherchée par le consommateur ? 1

Cette forme de cocréation génère-t-elle du réenchantement chez le consommateur ? 2

Cette forme de cocréation est-elle valorisante pour le consommateur ? 1

Cette forme de cocréation nous différencie-t-elle de notre concurrent principal ?


Le magasin est beau, donc le contexte est différent de la concurrence, mais ce que le consommateur fait n’est pas 3
différent.

ÉTAPE 4 : Repenser la cocréation et le design de l’expérience

Si nous devions repenser le design de la participation du consommateur, quelle combinaison de formes de participation
devrions-nous modifier ? Quelles dimensions de l’expérience devraient être accentuées pour délivrer plus de valeur ?
Intégrer un peu de coproduction créative et de reconnaissance du client lors des interactions avec le
personnel de contact.

Le second exemple proposé porte sur un jeu concours lancé par Ikea.
Contexte : Au printemps 2015, Ikea lance « Avec Ikea, tout ça range », concours qui consiste
pour l’internaute à prendre des photos de pièces en désordre à son domicile ou dans son bureau
puis à les publier avec le hashtag #IKEArangetonbazar sur Instagram ou Twitter, en mentionnant le
compte de la marque, ou l’application dédiée sur la page Facebook Ikea France. Un jury désignera
les 5 photos gagnantes, qui permettront de remporter une solution de rangement Ikea personnalisée,

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à hauteur de 500 € chacune. |/\
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Tableau 4. Exemple 2 : stratégie de coproduction créative
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GRILLE D’ANALYSE DE LA COCRÉATION

ÉTAPE 1 : Intention du contexte et design de l’expérience


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CARACTÉRISER LE CADRE DE PARTICIPATION

Quel contexte expérientiel ?

• Magasin physique

• Site Internet

• Autre contexte X

Finalité de l’expérience ? Perspective entreprise : campagne de communication digitale sur les réseaux sociaux

Finalité de l’expérience ? Perspective consommateur : jeu concours

• Expérience autotélique ? C’est fun de participer. OUI

• Expérience instrumentale ? On participe pour gagner une solution de rangement. OUI

Que fait le consommateur pendant l’expérience ?


Prend des photos de son désordre personnel (symboliquement et visuellement dit qu’il a besoin de la marque pour s’en
sortir…).

Quelle participation est la plus mobilisée pendant l’expérience ?

• Collaboration interprétative : comprendre le mécanisme du jeu. X


• Autoproduction dirigée : respecter le règlement du jeu. X

• Coproduction créative (autoproduction émancipée) : être créatif dans la façon de mettre en scène son propre
XXX
désordre.

ÉTAPE 2 : Réception du contexte

QUALIFIER l’ACTIVATION DU SYSTÈME EXPÉRIENTIEL


en notant de 0 à 10 (0 = pas du tout d’accord, 10 = tout à fait d’accord)

Les sens sont stimulés par ce que fait le consommateur pendant l’expérience ? (dimension hédonico-
sensorielle) 10
La vue

Ce que le consommateur fait pendant l’expérience est valorisant et a du sens pour lui ? (dimension
rhétorique socioculturelle)
6
Ce n’est pas forcément valorisant d’avouer son propre désordre mais cela a du sens, dans le genre prise de bonne
résolution !

Le consommateur a-t-il le contrôle sur le temps qu’il consacre à l’expérience (dimension temporelle)
6
Oui, mais dans le cadre d’un jeu qui a une durée limitée.

ÉTAPE 3 : Impact de la cocréation sur la valeur

LA COCRÉATION COMME AVANTAGE CONCURRENTIEL


en notant de 0 à 10 ( 0 = pas du tout d’accord, 10 = tout à fait d’accord)

|
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La forme de cocréation dominante est-elle recherchée par le consommateur ? 10
$!
Cette forme de cocréation génère-t-elle du réenchantement chez le consommateur ? 10

Cette forme de cocréation est-elle valorisante pour le consommateur ? 7


4$

Cette forme de cocréation nous différencie-t-elle de notre concurrent principal ?


10
ce type d’opération n’a pas été mis en œuvre à ce jour par d’autres acteurs du secteur.
By

ÉTAPE 4 : Repenser la cocréation et le design de l’expérience

Si nous devions repenser le design de la participation du consommateur, quelle combinaison de formes de


participation devrions-nous modifier ? Quelles dimensions de l’expérience devraient être accentuées pour
délivrer plus de valeur ?
Pas de raison de changer, c’est un dispositif astucieux car il fait participer et gagner le
consommateur autour du cœur de métier de la marque, et cela crée un buzz sympathique sur les
réseaux sociaux.

La grille d’analyse de la cocréation est un outil simple d’utilisation qui peut permettre de faire le
point en interne sur les mécanismes sous-jacents aux stratégies expérientielles mises en œuvre par
l’entreprise, voire de partager un vocabulaire commun à propos de l’expérience voulue pour le
client, ce qui est un outil précieux pour cultiver la transversalité indispensable à la réussite des
stratégies expérientielles. La grille peut servir à auditer une stratégie en place et à revoir un
mécanisme expérientiel qui n’atteint pas son objectif. Elle est conçue pour être utilisée dans
n’importe quel type de contexte.
Dans ce deuxième chapitre, nous avons d’abord brossé la figure du consommateur créatif et
collaboratif, et présenté la dimension praxéologique de l’expérience comme socle du cadre de
participation du consommateur à l’expérience. Nous avons proposé une typologie des formes de
cocréation (collaboration interprétative, autoproduction dirigée, coproduction créative). Nous
avons ensuite suggéré que l’état de réenchantement du consommateur était la finalité de la
cocréation de l’expérience et qu’il existait de nombreuses déclinaisons du réenchantement. Enfin,
nous avons exposé les limites de la cocréation et proposé une démarche de pilotage de la
cocréation comme avantage concurrentiel. La prise en compte des mécanismes de cocréation de
l’expérience permet à l’entreprise ou à la marque de passer à un marketing expérientiel plus centré
sur le client en surmontant certaines des limites du marketing expérientiel « 1re génération »
(chapitre 1). En effet, reconnaître différentes formes de cocréation revient à rendre au
consommateur sa part réelle dans la production d’expérience, en renonçant à l’envisager
simplement comme une cible passive à manipuler.
Dans le chapitre suivant, nous abordons les défis du marketing expérientiel « nouvelle
génération ».

1. Race together a un double sens : « les races ensemble », mais aussi « faire la course ensemble ».
2. En économie, le bas de la pyramide (bottom of the pyramid) désigne le sociogroupe le plus grand et le plus pauvre au monde.
Globalement, le bas de la pyramide regroupe 3 milliards d’individus qui vivent avec moins de 2,5 dollars US par jour.

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CHAPITRE 3

Défis du marketing expérientiel « nouvelle


génération » : métaexpérience de la marque
et omnicanal

Dans le chapitre 2, nous avons analysé la participation du consommateur dans l’expérience. Dans
ce chapitre, nous changeons de perspective pour aborder quelques clés du management de
l’expérience.
Tout d’abord, nous partons du constat que le consommateur évolue dans un contexte de plus en
plus « brandé » et nous définissons l’expérience de la marque. L’expérience de la marque permet de
faire la transition entre ce que vit le consommateur (expérience du client) et ce que l’entreprise
souhaiterait qu’il vive (expérience de la marque). Du point de vue du consommateur, l’expérience
de la marque ne se limite pas à une interaction unique avec la marque, mais il s’agit bien d’un

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ensemble d’interactions : on parlera de métaexpérience de la marque pour désigner cette
expérience globale. Du point de vue du marketeur, l’expérience de la marque doit être pilotée dans
$!
un nombre croissant de points de contacts virtuels et physiques.
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Il en résulte un double défi pour le marketing expérientiel nouvelle génération : le pilotage de la


métaexpérience, dans un contexte omnicanal (omnichannel).
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Section 1. Penser l’expérience de la marque


et la métaexpérience du client
1. Sémiotique et expérience de la marque
La finalité du marketing expérientiel consiste à élaborer des stratégies expérientielles au service
de la marque. La réponse aux stratégies expérientielles s’exprime par l’activation des dimensions
de l’expérience, et par la valeur que le sujet retire de l’expérience. Cette réponse dépend en grande
partie de la façon dont le consommateur comprend, interprète et traduit les contextes expérientiels
mis à sa portée par les marques. Pour le dire autrement, la marque au sein du brandscape dans
lequel elle évolue propose, tandis que le consommateur dispose. Dans l’économie de l’attention
(Citton, 2014) dans laquelle nous évoluons, les marques tentent de se différencier en proposant des
expériences en cohérence avec leur identité, leurs valeurs et leur positionnement. Les
consommateurs vivent des expériences de la marque qui ressemblent (ou non) à ce que celle-ci
avait envisagé initialement pour eux. Dans le meilleur des cas, ils en retirent de la valeur et une
relation renforcée à la marque. Cependant, il existe toujours un écart entre l’expérience voulue par
la marque et l’expérience vécue, et c’est le propre d’un marketing expérientiel agile que de réduire
au maximum cet écart.
Pour comprendre les mécanismes sous-jacents à l’expérience de la marque, il convient de
s’intéresser à la sémiotique de la marque, et au branding expérientiel qui correspond à la mise en
récit de l’expérience de la marque.
A) La marque comme système de signes
Semprini (1992) définit la marque comme une instance sémiotique1, c’est-à-dire un espace de
signes, véhiculant un discours coproduit par l’entreprise, ses clients, ses prescripteurs. La marque
est d’abord un nom, une identité visuelle attachée à un produit. La marque enrichit le produit de
sens en y associant des valeurs, une histoire et un ensemble de représentations. Elle permet
d’installer le produit dans un univers de signes et de significations qui transcende sa simple valeur
utilitaire, en combinant « des bénéfices tangibles et intangibles, mais aussi des idées, des émotions,
des valeurs » (Heilbrunn, 2000, p. 3). La marque constitue par conséquent un vecteur puissant de
sémantisation qui transforme le produit en instance signifiante. Il en résulte que la marque nécessite
un travail d’interprétation, de traduction de la part du consommateur pour que le sens dont elle est
porteuse puisse être compris, et éventuellement ardemment recherché par le consommateur, afin de
nourrir son propre imaginaire et son identité.
Ce travail d’interprétation-appropriation de la marque par le consommateur est le socle de
l’expérience de marque. Pour que la marque parvienne à faire vivre au consommateur « une

|
expérience de la marque » désirable, la collaboration interprétative de ce dernier est indispensable.
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Il faut qu’une forme de transport narratif (Green et Brock, 2000 ; Van Laer et al., 2014) opère pour
$!
que le consommateur parvienne à se projeter dans l’univers symbolique et nécessairement
fictionnel de la marque, comprenne et adhère à l’histoire que celle-ci lui raconte et se l’approprie
4$

en achetant, consommant la marque ou en s’en faisant l’avocat. La persuasion narrative (Phillips et


McQuarrie, 2010) souvent mobilisée en publicité n’a d’autre finalité que de favoriser
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l’appropriation de l’univers symbolique de la marque pour la transformer en expérience d’achat


effective du produit.
La marque renvoie à un niveau signifiant qui se traduit par ses dimensions matérielles (logo,
identité visuelle, slogan) et à un niveau signifié, qui englobe toutes les significations symboliques.
Heilbrunn (2000, p. 3) envisage trois dimensions communicationnelles qui fondent une marque : une
dimension physique que le consommateur perçoit par ses sens, une dimension pragmatique qui
renvoie à la capacité de la marque à faire agir le consommateur et une dimension rhétorique qui
renvoie plus spécifiquement aux significations symboliques associées à la marque.
Heilbrunn se concentre sur la dimension rhétorique de la marque en considérant sa composante
métaphorique. Figure de style qui, par analogie, associe à un mot un sens qu’on attribue
généralement à un autre, la métaphore est employée par la marque pour transporter le sujet dans son
univers, tout en créant, ce faisant, un écart avec les marques concurrentes. Les métaphores
nourrissent la portée symbolique des marques, et précisent les signes d’altérité ou de distinction
dont elles sont porteuses. « La métaphore peut être conçue comme une tentative de redécrire la
réalité » (Heilbrunn, 2000, p. 4) par laquelle les marques procèdent à un partage du sens pour se
faire remarquer dans des univers banalisés.

ZOOM
Heilbrunn (2000, p. 6) classe les marques en fonction d’un degré de métaphorisation croissant qu’elles mobilisent, en
distinguant :
– les marques dont le nom indique l’origine du produit : eau de Cologne, Sel rose de l’Himalaya ;
– les marques qui décrivent le produit de façon figurée : Cracotte, Velours Noir, Apple ;
– les marques qui suggèrent l’effet induit sur le consommateur : Taillefine, Sveltesse, La vie est belle (Lancôme), Nickel
(cosmétiques pour homme) ;
– les marques qui renvoient à un style de vie spécifique : Égoïste (Chanel), Only the Brave (Diesel) ;
– les marques qui recourent à l’allégorie par référence à la littérature : Poème (Lancôme) ou à la mythologie (Hermès, Clio).
Chacune de ces métaphores recèle les mécanismes d’une histoire liant le consommateur au produit, qui fonde l’expérience
de la marque.

La marque de confitures et d’épicerie Bonne Maman encapsule dans son nom une métaphore
évoquant littéralement, en deux mots, le charme suranné de la grand-mère d’autrefois, et tout
l’univers sucré, tendre et patient, qui s’y rattache dans l’inconscient collectif. L’identité visuelle, le
packaging au vichy rouge et les recettes contribuent à proposer une expérience de la marque centrée
sur le goût(er) de l’enfance retrouvée : on n’est pas très loin de la Madeleine de Combray de
Marcel Proust. Autre exemple, la marque de montre Swatch enrichit le produit de signes et de
significations. Le nom Swatch n’est pas à proprement parler une métaphore, car le nom est formé

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par la contraction de swiss et watch, mais fonctionne, en anglais, comme une injonction. En effet,
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Swatch peut se comprendre comme l’objet qu’elle désigne, une montre en anglais, mais aussi
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comme le verbe regarder (to watch). La marque peut être comprise comme une injonction (« Psst…
Regarde ! »), qui renvoie à un côté décomplexé, anticonformiste et fashion inscrit dans l’identité de
4$

la marque. Cette double signification est complétée par la croix suisse, comme un point
d’exclamation revendiquant à la fois l’ancrage géographique et le made in Swiss, tout en conférant
du rythme à l’ensemble.
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Du point de vue du consommateur, l’expérience de la marque se résume ainsi en un décodage de


sens (mobilisant la collaboration interprétative, cf. chapitre 2) suivi, dans le meilleur des cas,
d’une phase d’appropriation qui génère une expérience signifiante pour le sujet, mais peut selon les
cas aboutir à de l’indifférence, voire du rejet. On pense par exemple à la marque Benetton qui, à
force de transgresser les valeurs morales avec les photos d’Oliviero Toscani, a détourné d’elle de
nombreux consommateurs.
L’expérience de la marque suppose un transport/transfert du consommateur dans l’univers
symbolique et fictionnel qu’elle propose. C’est bien de la façon dont le consommateur s’arrange en
quelque sorte des sollicitations qui lui sont adressées ou auxquelles il est exposé que naît
l’expérience de la marque. L’expérience de la marque n’est d’ailleurs pas forcément associée à
l’achat ni même à la possession d’un produit de la marque. Ainsi, on peut très bien vivre une
expérience de Lamborghini, en se projetant dans l’univers symbolique de la marque, sans jamais en
conduire une.
Du point de vue de l’entreprise, l’expérience de la marque, au-delà de sa dimension
métaphorique, est conçue comme un ensemble de points de contact parfois très prosaïques,
supposés se conformer à l’univers symbolique, aux valeurs et au discours associés au produit.
B) Expérience de la marque
On retiendra donc que l’expérience de la marque peut se définir comme l’ensemble des réponses
suscitées chez les consommateurs par les stimuli générés par la marque. Ces réponses subjectives
et internes incluent également les réponses comportementales du consommateur, observables. Les
stimuli associés à la marque regroupent son design, son packaging, ses lieux de distribution et toute
la communication de la marque, c’est-à-dire l’ensemble des contextes expérientiels pilotés par la
marque.
L’expérience de la marque fait l’objet de nombreuses contributions récentes, qui visent à définir
et mesurer ses composantes, pour ensuite en apprécier l’impact sur le comportement du
consommateur (en particulier sa fidélité à la marque) dans des approches multicanal.

À RETENIR
L’expression expérience de la marque peut être employée de deux façons :
• L’expérience de la marque vécue par le client/consommateur regroupe l’ensemble de ses réponses aux stimuli générés par
la marque.
• L’expérience de la marque du point de vue de l’entreprise désigne ce que de la marque souhaite faire vivre à ses clients.
C’est une façon synthétique de parler de l’univers et des intentions de la marque, complémentaires des concepts d’image,
d’identité ou d’ADN de la marque.

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Il existe plusieurs échelles de mesure de l’expérience de la marque. Celle-ci ressort comme un
construit pluridimensionnel avec des dimensions sensorielle, affective, comportementale et
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intellectuelle (cognitive) (Brakus, Schmitt et Zarantonello, 2009), qui permet de segmenter les
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consommateurs (Zarantonello et Schmitt, 2010).


Les quatre dimensions de l’expérience de marque ne doivent pas être confondues avec les
dimensions de l’expérience (Roederer, 2012). Les composantes de l’expérience de la marque
By

traduisent le vécu du consommateur par rapport à une marque considérée, tandis que les dimensions
de l’expérience sont acontexuelles. On peut cependant les rapprocher : la dimension sensorielle est
proche de la dimension hédonico-sensorielle, la dimension comportementale de la dimension
praxéologique.

Tableau 5. Échelle de l’expérience de la marque


(Source : Brakus et al., 2009)

Dimension de l’expérience de la
Items de l’échelle
marque

Cette marque me fait une forte impression visuelle et sur mes autres sens
aussi.
Sensorielle
Je trouve cette marque intéressante d’un point de vue sensoriel.

Cette marque ne stimule pas mes sens.

Cette marque déclenche des émotions et des sentiments.

Affective Je n’éprouve pas d’émotions fortes à l’égard de cette marque.

Cette marque est une marque fondée sur l’émotion.


Je suis engagé(e) dans l’action quand j’utilise cette marque.

Comportementale Cette marque est associée à des expériences physiques.

Cette marque n’est pas orientée vers l’action.

Je réfléchis beaucoup lorsque je suis en présence de cette marque.

Cette marque ne me fait pas réfléchir.


Intellectuelle
Cette marque stimule ma curiosité et mon goût pour la résolution de
problème.

Nysveen, Pedersen et Skard (2013) appliquent les échelles de l’expérience de la marque dans un
contexte de service, et proposent une dimension supplémentaire d’expérience relationnelle.
Du point de vue de l’entreprise, l’expérience de la marque doit être déclinée sur l’ensemble des
points de rencontre avec le consommateur, physiques ou virtuels, pour enrichir et pérenniser la
relation avec lui et contribuer ainsi au capital de la marque (brand equity) (Zarantonello et Schmitt,
2010).
C’est la finalité du branding expérientiel de mettre en place l’expérience de la marque. La
signification des marques évolue depuis plusieurs décennies vers une logique collaborative de

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création de la valeur de la marque par les différentes parties prenantes. Le branding expérientiel
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renvoie à un nouveau rôle du consommateur, auquel Internet et les technologies numériques en
$!
général confèrent une forme de pouvoir. Le branding expérientiel consiste à mettre en œuvre des
expériences de la marque cocréées avec le client. Cette perspective rejoint en partie le concept
4$

d’open source branding (Fournier et Avery, 2011).


L’expérience de la marque suppose par conséquent le pilotage d’un vécu polymorphe, déclenché
By

par la marque, et qui regroupe l’ensemble des points de contact entre le client/consommateur et la
marque. Réussir ce pilotage passe par la compréhension de la métaexpérience ainsi que nous allons
le développer dans la partie qui suit.
2. Cerner la métaexpérience du client
A) Origine du concept
Les métaémotions2 et la métacognition font l’objet de travaux dans le champ de la psychologie
(Norman et Furnes, 2014). Les métaémotions désignent les émotions que génèrent chez un sujet ses
propres émotions. Toute expérience possède un niveau direct et un niveau méta plus réflexif qui
permet au sujet une prise de recul sur le niveau direct de l’expérience. Mayer et Gaschke (1988)
analysent l’expérience associée à l’humeur (mood) et distinguent l’expérience directe de l’humeur
(bonne, maussade…) et un méta niveau de l’expérience qui correspond aux pensées et sentiments
que le sujet développe à propos de l’humeur qu’il ressent. De la même façon, la métacognition se
définit comme la réflexion qu’un sujet développe à propos de sa propre manière de penser, ou
autrement dit ce qu’il pense de la façon dont il pense.
Le niveau méta correspond d’une façon générale à une perspective réflexive, résultant d’une prise
de recul du sujet par rapport à son vécu direct, et qui porte sur ses émotions (métaémotions), son
humeur (meta-mood), ou sa façon de réfléchir (métacognition). Dans le champ du marketing, le
concept de métaexpérience a émergé de l’analyse des expériences de magasinage dans des
contextes multicanaux (Antéblian et al., 2013). Nous proposons ici d’approfondir le concept de
métaexpérience pour l’appliquer à l’expérience de la marque.
B) Définition de la métaexpérience
On peut ainsi définir la métaexpérience de la marque comme l’ensemble des interactions avec une
marque, dont le consommateur se souvient. La métaexpérience correspond à ce qui résulte d’un
effort réflexif du consommateur pour synthétiser les interactions qu’il a eues avec une marque sur
une période donnée, et qu’il consent à expliciter. Il convient de souligner que le concept, tel que
nous l’entendons, désigne ici le vécu global de l’expérience d’une marque tel que le consommateur
peut se le remémorer lorsqu’il pense à la marque, et non pas un niveau méta au moment même de
l’expérience.
La métaexpérience intègre, selon les cas, des expériences d’achat dans différents canaux de
distribution, des expériences de consommation réelles ou fictionnelles, des interactions avec les
contextes expérientiels, que la marque met en place et que le consommateur a pu accumuler sur une
période donnée.
Les contextes expérientiels mis en place par la marque, et les canaux de communication ou de
distribution virtuels ou physiques gérés par la marque, peuvent potentiellement contribuer à nourrir

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la métaexpérience sur les étapes du processus expérientiel. Il en va de même d’éléments que la
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marque ne contrôle pas (bouche-à-oreille, user-generated content, avis en ligne, détournements de
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la marque…).
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Les travaux sur le contenu de l’expérience ont montré qu’un des accès à l’expérience d’autrui
passait par la restitution du souvenir que le sujet en construisait. Pour raconter une expérience, le
sujet se situe de fait à un niveau méta en fournissant un effort de réminiscence et de réflexivité. Il
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transforme ensuite les éléments remémorés en un récit intelligible. Recourir au souvenir comme clé
d’accès à l’expérience d’autrui suppose un niveau méta de réflexion sur les émotions, humeurs et
réflexions ayant façonné l’expérience.
C) Deux exemples de récits de métaexpériences
Afin d’illustrer le concept de métaexpérience, nous en donnons deux exemples au travers de deux
extraits de récits contrastés.

EXEMPLES
Métaexpérience sur 40 ans de consommation
Par Jeanne, 53 ans, cadre commercial, mère de deux garçons
« Quand je pense à Nutella, je me souviens que ma mère ne voulait pas qu’on en achète parce que cela faisait grossir, mais
on en avait tout de même un pot, à la chandeleur pour tartiner les crêpes ou aussi au ski quand on partait en location avec
mes parents. Cela faisait partie des courses qu’on montait parce que c’était moins cher que dans l’épicerie de la station !
(rires) On se disait qu’après une journée de ski on pouvait en manger ! (rires)
Plus tard, lorsque j’étais étudiante à Berlin dans les années 1980, je me souviens d’un jour où j’avais acheté un pot énorme
de Nutella et que je m’empiffrais littéralement à la cuillère quand je déprimais… et je me souviens que cela avait choqué un
ami à l’époque que je mange le Nutella à la petite cuillère ! genre vraiment régressif… C’est vrai qu’aujourd’hui, trente ans
après, je ne ferai plus cela, mais à l’époque, je ne sais pas… c’était réconfortant !
Ils ont quand même une recette exceptionnelle ! Après, pour moi, qui ai travaillé en grande distribution, je me souviens que
les commerciaux de la marque remplaçaient les produits en magasin dès qu’il pouvait y avoir le moindre souci de qualité, ils
étaient fiers de leur produit et de la recette secrète, et ne plaisantaient pas avec la qualité.
Aujourd’hui, je n’achète jamais de Nutella, et d’ailleurs je n’achète aucune autre marque de pâte à tartiner, je suis
constamment au régime. Mais j’aime bien la marque et surtout leur pub, ils dansent sur un pot géant… et puis j’ai vu qu’on
pouvait avoir son pot personnalisé avec son nom ou un petit message dessus… Moi je verrai plutôt un pot avec le nombre
de kilos gagnés grâce à Nutella, du genre « Jeanne + 10 kilos. » (rires).
Nutella pour moi c’est l’enfance, la gourmandise, une marque que je connais depuis toujours et un produit de qualité, c’est
délicieux et interdit. »

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Une métaexpérience embryonnaire
Par Pierre, 42 ans, enseignant
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« J’étais en train de lire dans Le Monde un article sur un jeune DJ qui remixe des vieux tubes, c’est un gars du sud, et il a pris
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un pseudo The Avener ou the Avenger, je ne sais plus trop, bref, je commence à lire l’article, et là il est écrit, qu’il porte de
baskets d’une marque que je ne connais pas… Barons Papillom, et ce qui m’a fait sourire c’est le nom de la basket : « Le
triomphe modeste »… tout un programme… Je ne sais pas… ça m’a intrigué.
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Cela m’a fait penser au Vaudou avec Baron Samedi… J’ai tout de suite « googlisé » Barons Papillom, c’est pas Papillon, hein…
c’est avec un « m » à la fin, bref, ce n’est pas vaudou, c’est une marque française de baskets plutôt luxueuses, et leur
particularité c’est qu’à l’arrière de la basket il y a un scratch, qui permet de les enfiler par le talon… je les ai trouvées un peu
tape à l’œil, mais sympa quand même… je suis pas dans la cible mais je vais voir où l’on peut en trouver. »

Tableau 6. Métaexpérience et processus expérientiel


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D) Dynamique cumulative de la métaexpérience


La métaexpérience présente l’intérêt d’envisager l’expérience comme un ensemble d’épisodes
entre le consommateur et la marque. Les travaux des débuts du courant expérientiel ont eu tendance
à aborder l’expérience comme une interaction ponctuelle. Pourtant les consommateurs ne sont pas
des tablettes de cire vierges de toute information, ils accumulent les expériences et en répètent
certaines. Les points de contact avec les marques se sont par ailleurs multipliés online et offline. Le
concept de métaexpérience permet de tenir compte de ces évolutions. La métaexpérience repose en
effet sur une dynamique cumulative d’épisodes signifiants pour le consommateur. Son analyse
permet d’appréhender plusieurs interactions marquantes que le consommateur a eues sur une
période définie avec une marque donnée, et de comprendre comment ces interactions s’agencent
pour former son expérience globale et subjective de la marque.
Le consommateur frôlerait l’épuisement psychologique s’il devait se souvenir de toutes les
interactions qu’il a eues avec une marque donnée. La métaexpérience ne regroupe pas toutes les
interactions qu’un consommateur a pu avoir avec une marque sur une période donnée, mais se fonde
sur quelques interactions marquantes3 pour le sujet.
La métaexpérience peut se comprendre comme la réponse subjective et globale d’un
consommateur aux efforts polymorphes de la marque dans sa direction, dans un paysage où d’autres
marques coexistent et génèrent elles aussi des expériences.
E) Métaexpérience et distance temporelle
La métaexpérience est une sorte de compression dans le temps de quelques épisodes marquants
pour le consommateur d’interactions avec une marque donnée. La métaexpérience peut porter sur
des cadres temporels variables. Dans les deux exemples mentionnés précédemment, la
métaexpérience de Jeanne s’étend sur des décennies, tandis que Pierre vient de découvrir la marque

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dont il parle. |/\
Le cadre temporel de la métaexpérience est par conséquent très élastique. Plus une marque est
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installée sur un marché et dans l’imaginaire des consommateurs, plus les métaexpériences peuvent
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couvrir des périodes longues dans la vie des consommateurs.


Au-delà du cadre temporel qui peut varier, la distance temporelle par rapport au recueil de la
métaexpérience n’est pas neutre. Plus cette distance est réduite, plus les éléments rapportés sont
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précis dans l’esprit du consommateur. Si l’on s’éloigne dans le temps, quelques éléments saillants
sont mis en avant par le consommateur pour colorer le récit qu’il construit de la métaexpérience.
Pour cette raison, il est possible qu’en recueillant à plusieurs reprises espacées dans le temps la
même métaexpérience, le récit en soit changé.
F) Lien de la métaexpérience avec les moments de vérité
Quels liens peut-on établir entre la métaexpérience et les moments de vérité ? La notion de
moment de vérité (moment of truth, MOT), bien connue en marketing des services, désigne les
points de rencontre avec la marque décisifs pour le consommateur. Les moments de vérité sont
associés à des points de contact avec la marque. Ils peuvent concerner des interactions avec
n’importe quel élément d’un contexte expérientiel (qu’il s’agisse d’un site Internet ou de personnel
de contact dans une servuction). Les moments de vérité (surtout s’ils se déroulent mal) marquent
durablement le consommateur et créent un avant et un après, allant parfois jusqu’à une rupture
définitive. Par conséquent, ils structurent nécessairement les métaexpériences de marque.

ZOOM
Évolution de la notion de moment de vérité
“We have 50,000 moments of truth every day.” Jan Carlzon l’emblématique CEO (chief executive officier) de la SAS
Scandinavian Airlines, dans les années 1980 et auteur de Moments of Truth, considérait que chaque rencontre entre le
personnel de contact et un client constituait un moment de vérité.
Par extension, tous les points de contact peuvent potentiellement devenir des moments de vérité entre la marque et le
consommateur et donc alimenter la métaexpérience de la marque. Ainsi, en 2005, Procter & Gamble intitule « premier
moment de vérité » (First Moment of Truth, FMOT), le moment où le consommateur prend la décision d’achat d’une
marque donnée.
Le « second moment de vérité » (Second Moment of Truth, SMOT) désigne le moment de consommation effective du
produit, l’expérience de consommation proprement dite.
En 2012, Google édite le ZMOT handbook, Zero Moment of Truth, considérant que la recherche en ligne correspond au
moment zéro de vérité, moment qui suit l’exposition à un contenu (publicité, information) qui en théorie déclenche l’envie
ou fait prendre conscience au consommateur de son besoin pour cette catégorie de produits ou ce produit en particulier.
Enfin, le troisième moment de vérité (Third Moment of Truth, TMOT) correspond à la décision du consommateur de
partager (ou non) son expérience de la marque sur Internet (Moran et al., 2014).

G) Métaexpérience et relation à la marque


Les marques ne suscitent pas toutes des métaexpériences spectaculaires, et toutes les marques ne
partagent pas la même orientation relationnelle, c’est-à-dire la volonté de créer une relation forte
avec leurs clients. Du point de vue du consommateur, il n’est pas nécessaire, ainsi que nous l’avons
vu, d’avoir une longue relation à la marque pour développer une métaexpérience de celle-ci.

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La marque a pu être conceptualisée comme un partenaire relationnel (parfois un compagnon de
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vie) du consommateur, doté d’une personnalité à part entière (Aaker, 1996). Les travaux de
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Fournier (1998) sur la relation du consommateur à la marque ont permis d’identifier six facettes
expliquant ce type de relation : l’amour/passion, la connexion au concept de soi, l’interdépendance,
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l’engagement, l’intimité et la qualité de la marque comme partenaire.


Les consommateurs développent ainsi différents types de relation aux marques. Avery et al.
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(2014) en identifient six : échange basique, partenaires commerciaux, fling (passade), meilleurs
amis, copains et maître-esclave.
Quels liens peut-on établir entre la métaexpérience et la relation à la marque ? La métaexpérience
a une influence déterminante sur le type de relation que le consommateur développe par rapport à la
marque, et par conséquent sur le type d’engagement à la marque. Ainsi, si l’on reprend l’exemple
de Jeanne et Nutella, la métaexpérience rapportée laisse supposer une relation de type « copains »
ou « meilleurs amis », mais qui ne s’accompagne plus de consommation. Quant à Pierre, intrigué et
séduit par Barons Papillom, on peut imaginer une évolution vers une relation de type « fling » ou
« meilleurs amis ».
Cependant, la métaexpérience n’est pas la relation. La relation qualifie un lien entre deux entités
(le consommateur et la marque), la qualité de ce lien et l’engagement qui en résulte. La
métaexpérience désigne le récit d’un vécu portant sur un laps de temps variable. Elle nourrit la
relation à la marque. Les marques mettent en place des contextes expérientiels, avec lesquels le
consommateur interagit ou non. C’est bien l’accumulation d’interactions avec la marque et la façon
dont le consommateur s’en souvient qui génèrent la métaexpérience de la marque. Toutes les
marques, quelle que soit leur notoriété, sont par conséquent susceptibles d’être à l’origine d’une
métaexpérience. On peut donc proposer une autre façon de représenter la métaexpérience de la
marque :
EXEMPLE

= Jeanne consomme Nutella enfant  Jeanne consomme Nutella adulte  Jeanne voit les responsables de la marque en
grande distribution prendre soin des produits  Jeanne voit la pub Nutella et l’aime bien mais ne consomme plus  Jeanne
remarque les pots personnalisés Nutella, trouve cela bien, mais ne consomme plus la marque.
Le type de relation que l’on peut induire de la métaexpérience rapporté par Jeanne, s’apparente à une relation de type
copain. En effet, la marque est mentionnée avec affection et associée par Jeanne à beaucoup d’émotions. Néanmoins la
relation s’est délitée dans le temps, puisque Jeanne aime bien la marque mais sans la consommer. On peut donc considérer
que la relation est de type amical, mais qu’elle est perdue de vue. Le fait de décrire la métaexpérience comme une somme
d’interactions ne permet pas de qualifier la relation à la marque automatiquement. Il est nécessaire d’analyser la façon dont
ces épisodes s’organisent pour façonner la relation.

H) Métaexpérience et pilotage de l’expérience


Le concept de métaexpérience intéresse le marketing expérientiel, car il rend compte de

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l’expérience de la marque vécue au travers d’une multitude de points de contact.
L’intérêt du concept est de dépasser une vision ponctuelle d’une interaction « personne × objet ×
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situation » pour aborder la façon dont un consommateur a accumulé les interactions pour en
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fabriquer une expérience globale de la marque.


Le concept est particulièrement utile dans des contextes où le nombre de points de contact avec la
marque augmente du fait de la multiplication des canaux de distribution et de communication.
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La métaexpérience a ceci d’intéressant qu’elle peut être étudiée selon différents cadres temporels.
I) Recueil de la métaexpérience
Le récit de vie est un outil bien adapté au recueil de la métaexpérience de la marque. Il n’est pas
nécessairement fidèle aux faits, mais aux interprétations que les acteurs en livrent (Bertaux, 2005 ;
Özçağlar-Toulouse, 2009). L’analyse de la métaexpérience de marque est centrée sur les
significations que le consommateur attribue aux événements liés à la marque et à ses propres
actions.
La façon dont le consommateur se remémore les interactions avec la marque peut varier en
fonction de la forme de réminiscence et de la forme de récit qu’il en livre. Quant aux formes de
récits mobilisés, les travaux sur le contenu de l’expérience ont montré que trois formes de récit
pouvaient se présenter : le récit d’activités, le rituel décrypté et l’épisode bouleversant (Roederer,
2012). L’épisode bouleversant sera centré sur un moment de vérité fort, dont le consommateur se
souvient clairement et qui impacte fortement sa relation à la marque. Le rituel décrypté, s’il
structure la métaexpérience de la marque, indique que la marque est utilisée par le consommateur
pour nourrir une dimension symbolique de l’expérience. Enfin, le récit d’activités permet de
comprendre, sur un mode analytique, la façon dont l’individu interagit avec différents points de
contact.
EXEMPLES
Récit d’activités
« J’ai commandé mon billet sur le site Voyages SNCF. J’ai réussi à naviguer sans difficulté sur le site. J’avais mon numéro de
carte de fidélité pas loin. J’ai pu choisir un siège en couloir et dans le sens de la marche. J’ai imprimé mon billet et je n’ai
même pas été contrôlé sur tout le trajet Strasbourg-Paris. Je trouve les prix chers, mais sur le site, rien à dire, il est très bien
conçu. »
Rituel décrypté
« Dans la famille, dès que c’est la saison des asperges, nous filons en manger dans un petit village, Hoerdt, au restaurant La
Charrue. C’est une tradition, un kilo d’asperges par personne, le jambon à l’os et celui de la Forêt-noire, les trois sauces et
l’ambiance très villageoise, c’est un peu une façon de retrouver nos racines… On s’amuse, on savoure et on recommence
chaque année en se disant qu’on a beaucoup de chance d’habiter là. »
Épisode bouleversant
« Arrivé à l’aéroport de Bordeaux-Mérignac, je tends mon billet imprimé et ma carte d’identité à l’hôtesse, qui n’avait pas
l’air très vive. Elle regarde attentivement et me dit que je n’ai pas l’option bagage en soute pour le retour. Je lui explique
que, comme je l’avais à l’aller, c’est logique que ce soit la même chose au retour. Elle m’explique que non, qu’il fallait que je
coche par voyage l’option et que maintenant je vais payer le double que c’est comme cela chez Hop ! Je commence à
m’énerver en lui disant que c’est facile de faire un design de site pourri pour que les gens se trompent et ensuite les
rançonner à l’aéroport. Manifestement je n’étais pas le seul dans le cas, car plusieurs clients se plaignaient en même temps.
En gros, on nous fait travailler et on nous punit si on se trompe ! Au lieu de se taire, elle a essayé de justifier la politique de
Hop ! en me disant d’écrire pour me plaindre. Non mais franchement ! Là j’ai perdu pied, j’avoue, mais bon cela m’a bien

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soulagé ! » |/\
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Que faire des métaexpériences recueillies ?
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Le recueil de métaexpériences permet de brosser des portraits assez précis, voire intimistes, de
consommateurs de la marque en mettant au jour les points de contact et moments de vérité qui
comptent pour chacun de ces consommateurs. Le récit d’une métaexpérience et son analyse
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constituent une bonne approche pour se placer dans la tête du client.


Un corpus de vingt à trente récits d’expériences de la même marque, en cherchant une bonne
variété dans les profils de consommateur, permet d’apprendre beaucoup.
Un premier niveau d’analyse consiste à rechercher ce que les métaexpériences ont en commun (en
dehors du fait qu’elles portent sur la même marque) et ce qui permet de les contraster. On
distinguera à ce stade les métaexpériences très positives de celles qui le sont moins, pour identifier
les moments de vérité qui ont posé problème au consommateur. Un retour sur les dimensions de
l’expérience (cf. chapitre 2) permettra d’identifier celles qui sont le plus sollicitées et celles qui
seraient négligées dans les différents épisodes formant la métaexpérience. Cela correspond-il à
l’intention de la marque et au design de l’expérience par la marque ? Comment sont comprises et
vécues les formes de cocréation proposées au consommateur ?
L’analyse des points de contact et des contextes expérientiels cités dans les récits de
métaexpérience est susceptible d’apporter des informations précieuses sur la fluidité de
l’expérience entre les différents canaux de distribution et de communication investis par la marque
et d’identifier des points de contact problématiques, à travailler en priorité. L’analyse de la
métaexpérience n’exclut pas d’autres niveaux d’analyse, mais permet d’avoir accès à un rendu
global des efforts de la marque en direction du consommateur. Il est toujours possible de compléter
ce travail par d’autres indicateurs bien établis comme la satisfaction ou la valeur.
3. Cartographier l’expérience de la marque
En complément de l’analyse de la métaexpérience au travers de récits d’expérience, il est
possible et souhaitable de visualiser de façon synthétique l’expérience. La carte d’expérience
poursuit cet objectif, en identifiant les principaux points de contact, au fil des étapes d’un processus
expérientiel.
A) Qu’est-ce qu’une carte d’expérience ?
Une carte d’expérience est un outil de pilotage de l’expérience client, qui figure le processus
expérientiel, les points de contact mis en place par la marque et les dimensions de l’expérience
vécues par le consommateur. La carte d’expérience combine plusieurs outils connus en marketing
des services : parcours utilisateur, processus de service, résumé du cadre de participation du
consommateur à l’expérience.

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Figure 13. Métaexpérience et carte de l’expérience

Développées dans le domaine des systèmes d’information4, les cartes d’expériences peuvent être
envisagées comme la combinaison d’un logigramme et d’un parcours client. Bien entendu, la carte
n’est pas le territoire ! Et le recours à la carte d’expérience, s’il peut constituer un bon outil pour
penser le design d’expérience, voire manager le personnel de contact intervenant dans le
déroulement de l’expérience, ne rend pas compte du vécu subjectif de l’expérience comme peut le
faire un récit de métaexpérience de la marque. Il s’agit donc de deux approches complémentaires à
mobiliser selon les objectifs poursuivis. La carte d’expérience figure la façon dont l’expérience
doit se dérouler, permet de faire adopter un vocabulaire commun et une manière de penser très
centrée sur le consommateur, et peut à ce titre constituer un outil intéressant pour partager cette
vision avec tous les acteurs de l’entreprise. Le récit de la métaexpérience rend compte d’un vécu
subjectif et de la façon dont le consommateur s’est approprié d’une certaine façon le contenu de la
carte d’expérience.
B) Comment réaliser une carte d’expérience ?
On distingue trois étapes.
• Faire l’inventaire des principaux contextes expérientiels et points de contact mis en place par la
marque.
• Placer les points de contact sur les phases du processus expérientiel
• Expliciter les cadres de participation et les dimensions de l’expérience mobilisées.
L’élaboration d’une carte d’expérience débute par l’inventaire des principaux points de contact
auxquels le client est exposé. Puis on les situe aux différentes étapes du processus expérientiel. Le
tableau suivant propose une liste non exhaustive des points de contact que peut proposer une
marque. En amont de l’expérience d’achat ou de consommation proprement dite, on trouve des
outils marketing classiques (publicité, RP, catalogues…), mais aussi les médias sociaux et les avis
en ligne. Les points de contact associés à l’expérience d’achat sont naturellement les espaces de
vente physiques ou virtuels, permanents ou éphémères et le personnel de contact s’il existe.
L’après-expérience d’achat peut être marquée par des points de contact générés par l’entreprise
(facture, relances téléphoniques), mais les points de contact de l’avant-expérience sont toujours
pertinents sur la phase « après-expérience ». Le nombre de points de contact est important et tous
les points de contact ne sont pas gérés par l’entreprise.

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Tableau 7. Exemples de points de contact de la marque
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et processus expérientiel
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Avant-expérience Expérience d’achat Après-expérience

Médias sociaux Magasins physiques permanents ou éphémères Facture


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(pop-up stores)

Avis en ligne Sites Internet E-mails liés à la transaction


Application smartphone

Avant-expérience Expérience d’achat Après-expérience

Témoignages Personnel de contact (caissiers ou vendeurs) Service après-vente

Placement de produit Autres clients de la marque présents sur le lieu de Standard téléphonique de l’entreprise
vente

Publicité (TV, Internet, Carte de fidélité


affichage)

Relations publiques de la Relance téléphonique


marque

Catalogues Questionnaire de satisfaction

Ensemble des points de contact avant-


expérience

On se limitera donc aux principaux points de contact pilotés par la marque pour élaborer la carte
d’expérience. Il existe plusieurs façons de figurer les dimensions de l’expérience. Une option assez
simple consiste à figurer un déroulement linéaire du processus expérientiel et une forme abrégée
des dimensions de l’expérience résumées par doing, thinking, feeling. L’entrée doing permet de
décrire ce que fait le consommateur à l’étape considérée, ce qui revient à parler de façon
synthétique du cadre de participation à l’expérience (dimension praxéologique, forme de
cocréation). L’entrée thinking permet de rappeler brièvement qu’elles peuvent être les pensées qui
animent le consommateur à cette étape du processus expérientiel. Cette entrée permet de rendre
compte des motivations associées à chacune des étapes de l’expérience. Enfin, l’entrée feeling fait
état des émotions et/ou de l’état d’esprit et humeur probables du consommateur. On peut aussi
utilement indiquer les moments de vérités (ZMOT, 1st MOT, 2nd MOT, 3rd MOT), qui présentent
l’intérêt de mettre en avant les enjeux associés à chacune des étapes de l’expérience et les risques
associés si le moment de vérité ne se déroule pas selon le script expérientiel prévu. Le tableau 8
propose un modèle de carte d’expérience, assez simple, qui peut être affiné selon le contexte
considéré. Bien sûr, si l’on détaille toutes les modalités de chacune des étapes du processus, la
carte se complexifie. Il peut être justifié de le faire, tout dépend de la finalité. L’idée est d’adopter
une perspective nécessaire et suffisante par rapport à la problématique posée. Aller dans trop de
détails peut être contre-productif. La carte d’expérience est un outil précieux pour identifier les
points qui risquent de poser problèmes, ou ceux sur lesquels se différencier grâce à un ensemble de
questions proposées en bas de la carte.

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La première question, sur la destruction de valeur, est très importante, car elle permet d’identifier
des points problématiques. Il peut s’agir d’un lieu de passage peu ergonomique dans une servuction,
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d’un site Internet sur lequel la navigation pose problème, mais aussi de l’accueil en magasin qui
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n’est pas cohérent par rapport au positionnement de l’enseigne. La question de la destruction de


valeur est une façon d’analyser ce qui est mis en place par l’entreprise avec les yeux d’un
consommateur un peu difficile, qui ne comprend pas tout, et n’accepte pas tout.
By

La question « Comment rendre cette étape positive ? » est orientée vers l’action et permet
d’imaginer des solutions opérationnelles. La question « Comment faire de ce moment de vérité une
raison pour le client de revenir ? » cherche clairement les sources de création de valeur et de
différenciation, sur des points de contact très précis. Cela permet de se limiter à des considérations
générales et d’être en mesure de penser des solutions précises sur des aspects détaillés du
processus expérientiel. La question « Comment rendre le processus global plus fluide ? » cible plus
particulièrement l’expérience au moment où le consommateur passe d’un canal à l’autre. Ce
passage est-il facile, fluide ou crée-t-il au contraire des freins à l’achat ? Enfin, la dernière
question porte sur le choix d’un indicateur de mesure permettant d’apprécier les progrès accomplis.

Tableau 8. Modèle de carte d’expérience

Avant- Expérience Expérience de Après-


Processus expérientiel expérience achat consommation expérience
« before » « before » « during » « after »

Touch point/contexte expérientiel

Moments de vérité ZMOT 1st MOT 2nd MOT 3rd MOT

Doing
Que fait le consommateur ?

Thinking
Que pense le consommateur ?

Feeling
Que ressent le consommateur ?

Existe-t-il un point de contact où nous détruisons la


valeur ?

Comment peut-on rendre cette étape plus positive ?

Comment faire de ce moment de vérité une raison


pour le client de revenir ?

Comment rendre le processus global plus fluide ?

Quel indicateur de mesure pour apprécier le progrès ?

La carte d’expérience peut être développée selon diverses optiques. Si l’on dispose de plusieurs
profils de clients type, on peut élaborer des cartes d’expérience en favorisant à chaque fois la
perspective d’un segment particulier (mère de famille avec enfant, personne âgée…).
S’il existe différentes formes de carte d’expérience, on doit toujours y retrouver le processus

|
expérientiel, sous une forme ou une autre, décomposé en un certain nombre de phases. Le processus
|/\
expérientiel est désigné souvent par la métaphore du voyage du consommateur (consumer journey).
$!
Le tableau 9 propose une illustration d’une carte d’expérience partielle portant sur l’organisation
d’un voyage, avec les étapes préparatoires de recherche d’informations et d’organisation de
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l’itinéraire, jusqu’à la réalisation du voyage proprement dit et l’après-expérience. L’exemple du


voyage est intéressant dans la mesure où il combine les étapes très classiques de traitement
By

d’informations, et la consommation par nature expérientielle du séjour. L’idée n’est pas de détailler
tous les aspects du processus, mais d’éclairer certains points de contact que l’entreprise ou
l’organisation peut souhaiter améliorer pour se différencier de la concurrence.

Tableau 9. Carte d’expérience d’un voyage

Expérience de
Processus Avant-expérience Expérience achat Après-expérience
consommation
expérientiel « before » « before » « after »
« during »

Recherche et Réservation et achat Voyage Partager expérience


organisation du voyage aller/séjour/voyage
retour

Touch Sites Internet Agence de voyages, sites Aéroport, avion, Forums sur les destinations,
point/contexte (Booking) compagnies bus, taxi blogs, avis en ligne…
expérientiel aériennes, hôtels… Hôtels,
excursions…
Aéroport, avion,
bus, taxi

Moments de ZMOT 1st MOT 2nd MOT 3rd MOT


vérité
Doing Rechercher, comparer, Valider les dates, tarifs, Prendre part aux Diffuser un avis en ligne,
Que fait le discussion entre amis, itinéraires, décider, payer différentes commenter la destination…
consommateur ? sur des forums, vérifier servuctions dont
information est constitué le
séjour

Expérience de
Processus Avant-expérience Expérience achat Après-expérience
consommation
expérientiel « before » « before » « after »
« during »

Thinking Quelle est la façon pour Ce tarif est-il correct ? Est-ce que cela Dire ce que j’ai pensé de tout
Que pense le moi de visiter cette Toutes les démarches correspond à ce cela (polarité + ou –).
consommateur ? destination ? Pendant administratives ont-elles été qui était prévu ?
combien de temps ? faites ? L’hôtel est-il
Quelles activités faire ? conforme à ce que j’ai
demandé ?

Feeling Plaisir anticipé, peur de Agréable si la navigation sur Surprise, joie, Dépend du souvenir que le
Que ressent le se tromper, de rater les sites est facile, ennui, ennui, fatigue. consommateur a développé et
consommateur ? quelque chose irritation si ce n’est pas le des différents moments de
cas. vérité.

Existe-t-il un Exemple : stand au Exemple : ergonomie du site Exemple : Exemple : nous ne sommes pas
point de contact dernier salon du (Sncf, Booking, Hop!…). commentaires assez réactifs par rapport à des
où nous tourisme. client sur la qualité commentaires « post voyage »

|
détruisons la
valeur ?
|/\ d'accueil à
l'aéroport sur une
négatifs.
$!
destination.

Comment peut- Prévoir une Revoir le parcours visiteur Former le Respecter un délai de
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on rendre cette scénarisation plus forte sur site. personnel de 12 heures maximum pour
étape plus du stand. contact à l'aide formuler une réponse à un
positive ? d'un script précis. commentaire négatif en ligne.
By

Comment faire Jeux et conférences sur Créer un espace de Prévoir un cadeau Prévoir de contacter
de ce moment le stand, dispositif discussion en direct avec le accueil, un cadeau directement le client et
de vérité une lunettes 3D pour visiteur pour répondre en départ. proposer une solution sur
raison pour le découvrir une temps réel aux questions. mesure au problème soulevé.
client de destination phare. Informer le client de la suite
revenir ? donnée.

Expérience de
Processus Avant-expérience Expérience achat Après-expérience
consommation
expérientiel « before » « before » « after »
« during »

Comment Prévoir un audit de Faire connaître l'existence de Cahier des charges Respect du délai de réponse,
rendre le l'ensemble des points de cet espace, inciter le visiteur du script d'accueil. élaborer un ensemble de
processus global contact à s'y rendre. scénarii pour standardiser les
plus fluide ? virtuels/physiques et réponses aux problèmes les
leur cohérence. plus fréquents.

Quel indicateur Nombre de visiteurs sur Évolution du nombre Baromètre qualité Analyse du contenu des appels
de mesure pour le stand, sur le site. d'interactions sur site, d'accueil. téléphoniques, échanges par
apprécier le nombre de questions mail.
progrès ? traitées, analyse du contenu Baromètre de satisfaction.
des thématiques abordées. Administration échelle POMP 4
X/an.
C) Quelle mesure pour accompagner la carte d’expérience ?
La mesure de l’expérience est un sujet assez complexe et qui fait encore débat. Nous avons vu
précédemment des échelles de mesure de l’expérience de la marque (Brakus et al., 2009).
Cependant, les approches de la qualité totale dans les services (total quality management, TQM)
des années 1980, ont récemment été mobilisées pour tenter de renouveler les indicateurs de mesure
de l’expérience et son impact sur la fidélité, la qualité de la relation avec l’entreprise dans des
contextes B to B et B to C (Lemke, Clark et Wilson, 2011 ; Maklan et Klaus, 2011, Klaus et Maklan,
2012, 2013).
Étudiant les pratiques dans le domaine des services, les auteurs considèrent que les indicateurs
comme la satisfaction ou le net promoter score5 ne suffisent pas à mesurer l’expérience. Ils
proposent une échelle de la qualité de l’expérience (customer experience quality, EXQ) à quatre
dimensions : expérience produit, focus sur les résultats, moments de vérité et paix de l’esprit
(product experience, outcomes focus, moments of truth and peace of mind, POMP) (Maklan et
Klaus, 2011). La mesure de la qualité de l’expérience semble avoir un pouvoir prédictif de la
fidélité et de l’intention de recommander l’entreprise, supérieur à la mesure de la satisfaction
(Klaus et Maklan, 2013).
L’intérêt des dimensions de l’échelle POMP est qu’elle mesure à la fois l’expérience de

|
consommation du produit (service), l’état d’esprit du consommateur, les moments de vérité qui ont
|/\
ponctué le processus expérientiel et les résultats proprement dits de l’expérience. Si l’échelle a été
$!
développée dans le contexte de produits financiers, ses dimensions peuvent être adaptées à d’autres
contextes.
4$

Nous proposons ci-après une traduction des items de l’échelle POMP (Maklan et Klaus, 2011)
qui peut être utilisée pour mesurer la qualité de l’expérience délivrée. Cette échelle a été
By

développée dans le cadre de la souscription d’une hypothèque auprès d’institutions bancaires. On


est donc très loin d’un univers expérientiel et de la consommation hédonique. Néanmoins, ce qui
intéresse dans cette échelle, plus que son contexte, est sa construction autour des dimensions qui
peuvent facilement être adaptées à d’autres expériences. Ces quatre dimensions capturent en effet le
processus expérientiel et le résultat proprement dit, et en ce sens sont bien adaptées à la nature
même de l’expérience.

Tableau 10. Échelle POMP de la qualité de l’expérience


(Maklan et Klaus, 2011)

Dimension Attribut Définition

Expertise J’ai confiance dans l’expertise (de la marque X), ils savent ce qu’ils font.

Facilité du processus Le processus global a été si facile, ils se sont occupés de tout.

Relation plutôt que Ils ne se préoccupent pas que du moment présent, l’entreprise s’occupe de moi.
transaction
Paix de
l’esprit La rétention par confort Je suis déjà client, ils me connaissent et s’occupent bien de moi. Pourquoi irais-je
voir ailleurs ?

Familiarité J’ai déjà traité avec eux auparavant, alors obtenir (service acheté) était vraiment
facile.

Conseil indépendant Je les ai choisis parce qu’ils donnent des conseils objectifs.

Inertie Oui, il y a d’autres entreprises, mais je préfère rester avec la mienne, cela facilite
grandement le processus.

Focus sur les résultats C’est mieux d’obtenir (service acheté) que de faire le tour pour obtenir un meilleur
Focus sur (taux) prix.
le résultat
Expérience passée Je reste avec cette (marque/entreprise) car je ne fais pas confiance à d’autres
fournisseurs.

Points en commun C’était important que le conseiller consomme également le même (produit/service),
il/elle connaissait ce par quoi je passais.

Flexibilité C’est important que l’entreprise soit souple quand elle traite avec moi et prenne en
considération mes besoins.

Proactivité C’est important qu’ils me tiennent au courant et m’informent sur les nouvelles
options.

Moments Perception du risque Je veux avoir affaire à une entreprise fiable, par ce que (produit/service) représente
de vérité beaucoup d’argent.

|
Talents interpersonnels C’est important que les personnes avec lesquelles j’ai affaire soient des gens bien :
|/\
ils écoutent, ils sont polis et me font me sentir à l’aise.
$!
Service recovery (service La manière dont ils m’ont traité quand les choses sont allées mal va me faire
de recouvrement) décider si je leur reste fidèle ou non.
4$

Liberté de choix Je souhaite choisir entre différentes options pour être certain que j’ai la meilleure
offre.
By

Comparaison cross- Il est important pour moi de recevoir différentes offres (du service considéré)
Expérience produit d’autres compagnies.
produit
Nécessité de comparer Je ne saurai pas quelle est la meilleure offre pour moi, si je ne compare pas
différentes options.

Gestion du compte Ce serait bien si je pouvais traiter avec un seul contact dédié pendant tout le
processus d’obtention du (service).

Section 2. Passer d’une expérience multicanale à une


expérience omnicanale
Selon une étude Médiamétrie de 2014, les deux tiers de la population française possèdent un
téléphone de type smartphone. La France compte 27 millions de mobinautes6, qui pour 79 % d’entre
eux utilisent leur smartphone pour des activités liées aux achats en ligne. Les smartphones sont
consultés en moyenne 160 fois par jour, le temps moyen passé sur téléphone hors appel est de
36 minutes par jour en moyenne (Cabezon, 2014). Les utilisateurs français ont d’abord recours au
smartphone pour demander conseil lors d’un achat via un coup de fil (32 %), puis pour
photographier un article (26 %) et enfin pour étudier les prix (24 %). Par ailleurs, 70 % des
consommateurs surfent alors même qu’ils se trouvent dans le point de vente physique. Le mobile est
dans bien des cas le dernier point de contact avant l’achat.
Ces nouvelles pratiques affectent considérablement l’enchaînement des étapes d’un comportement
d’achat traditionnel. L’information que l’internaute est susceptible d’obtenir en quelques clics
affecte son comportement et, par voie de conséquence, l’ensemble des variables d’un mix
marketing classique : le prix devient ce que le consommateur accepte de payer, la promotion est de
plus en plus déterminée par ce que les consommateurs disent du produit en ligne. Des dispositifs de
géorepérage (geofencing) en intérieur permettent aujourd’hui d’adresser des alertes push
(promotions, informations, jeux) sur les mobiles des clients à leur arrivée dans un centre
commercial. Le déploiement de nouvelles technologies (smartphones et réseaux sociaux) et
l’importance grandissante des solutions technologiques in-store créent des opportunités et des défis
pour les marques et les distributeurs. La frontière entre les canaux physiques et virtuels tend à
s’estomper au profit d’une nouvelle approche : l’omnicanal, qui a pour but de délivrer une
expérience client homogène et fluide quel que soit le canal utilisé.
1. De l’approche en silos de l’entreprise vers le consommateur
Le thème de la multiplication des canaux de relation avec le consommateur est revenu au centre
des réflexions académiques et des interrogations managériales avec le développement d’Internet.
La distribution multicanale n’est pourtant pas un phénomène nouveau.

|
Dès la fin du XIXe siècle, les enseignes pionnières du grand magasin aux États-Unis inventaient la
|/\
vente par catalogue pour desservir les immenses étendues du territoire américain trop peu peuplées
$!
pour justifier l’ouverture de magasins physiques : c’est ainsi que Montgomery Ward et Sears
devinrent des géants de la distribution, combinant le canal « magasin » et le canal « catalogue ». La
4$

même voie fut suivie quelques décennies plus tard par les grands magasins européens. En France,
par exemple, Le Bon Marché et Les Galeries Lafayette développèrent – certes avec peu de succès –
By

leurs catalogues de vente à distance. La célèbre Manufacture d’armes et cycles de Saint-Étienne


associa pendant un siècle son légendaire catalogue Manufrance et un réseau de magasins dans les
principales villes françaises.
Les grands magasins connurent plus de succès avec une autre diversification de leur canal initial
lorsqu’ils ouvrirent dans les années 1930 des magasins populaires : en France, Monoprix pour les
Galeries Lafayette, Prisunic pour le Printemps, Parunis pour les Dames de France ; en Allemagne,
Kaufhalle pour Kaufhof ; et aux Pays-Bas, Hema pour De Bijenkorf…
Symétriquement, les enseignes de vente par catalogue, qui connurent en Europe une expansion très
importante après la Seconde guerre mondiale, reconnurent très vite la nécessité de disposer d’une
présence « physique » auprès de leur clientèle. La Redoute exploita dans les années 1970 un
important réseau de grands magasins en centre-ville ; les 3 Suisses expérimentèrent des boutiques
de meuble et de décoration ; en Allemagne, le leader Quelle ouvrit des grands magasins dans les
principales villes…
Il est intéressant de constater que, dès cette époque, la coexistence de ces canaux sous une même
enseigne fut problématique, et les échecs retentissants. En dehors des grands magasins et des
magasins populaires qui ne partagèrent plus que le même actionnaire, sans aucune recherche de
coordination des offres – ce qui explique peut-être la longévité de ces deux formules –, les grands
magasins abandonnèrent très vite leurs catalogues, et les vépécistes leurs magasins. La retentissante
faillite du géant allemand Karstadt-Quelle, dernier vestige de cette quête de l’intégration du grand
magasin et du catalogue, sonna définitivement le glas de cette première génération de distributeurs
multicanaux.
Le développement spectaculaire des activités commerciales sur Internet a relancé le débat sur les
canaux multiples. En effet, à l’opposition initiale des pure players n’opérant que sur le net, et des
brick and mortar exploitant les magasins physiques, a très vite succédé une vision hybride click and
mortar qui envisageait la combinaison des activités dans les mondes réel et virtuel.
On pouvait encore parler d’expérience multicanale tant que l’accès à Internet passait par
l’ordinateur fixe du domicile. Mais le développement de l’Internet mobile, à travers les
smartphones et les tablettes, a imposé les termes expérience omnicanale, pour rendre compte de la
diversité des supports à travers lesquels le consommateur entre en relation avec l’offre des
détaillants.
Au-delà de l’évolution terminologique, le passage du multicanal à l’omnicanal exprime une
transformation plus profonde qu’il n’y paraît de la proposition d’expérience par la firme. Dans une
approche multicanale, qui fut notamment celle des détaillants « réels » au début des années 2000,
l’activité Internet est développée en la laissant assez largement déconnectée de l’activité des
magasins physiques. L’observation est anecdotique, mais le fait que Carrefour ait d’abord
développé ses activités Internet sous la marque Ooshop (et que Cora le fasse encore sous

|
|/\
l’enseigne Houra) illustre la profondeur du fossé qui séparait les activités click et les activités
brick dans cette première exploration de l’offre multicanale.
$!
Au contraire, une offre omnicanale exige une parfaite interopérabilité des opérations dans la
4$

sphère physique et la sphère virtuelle. Aux États-Unis, l’enseigne de chaussures DSW a été
distinguée comme la meilleure enseigne « omnicanale » en 2014, essentiellement pour la qualité du
service qu’elle est capable de proposer à ses clients grâce à l’intégration totale de ses stocks en
By

entrepôts et dans tous ses magasins, ce qui permet de garantir une rapidité de mise à disposition de
n’importe quel modèle (et de n’importe quelle pointure) en un minimum de temps. On observera
que cette expérience est fondamentalement fonctionnelle : il n’y a pas de promesse de magie ou de
réenchantement, mais plus prosaïquement une qualité exceptionnelle de réalisation de l’activité la
plus élémentaire du détaillant : mettre à la disposition du client le plus rapidement possible (et au
meilleur prix) le produit recherché…
Le multicanal renvoie à une vision compartimentée entre les magasins physiques et le magasin en
ligne. L’omnicanal fait l’hypothèse que les clients circulent librement entre les outils en ligne, les
appareils mobiles et le magasin physique, tout cela à l’intérieur du processus d’une même
transaction. Les canaux mobiles et ceux des réseaux sociaux s’ajoutent au canal « traditionnel » en
ligne et aux canaux physiques. Mais, en même temps, la circulation du consommateur au travers de
ces différents canaux doit être lisse pour aboutir à une expérience sans accroc, délivrant de la
valeur au consommateur indépendamment des séquences de canaux utilisés.
Les stratégies expérientielles se limitent trop souvent à la scénarisation des lieux de vente, voire à
la communication ou à la création d’événements alors qu’il convient de développer une approche
élargie de l’expérience client par l’ensemble des fonctions de l’organisation. Wright et Franks
(2013), étudiant les pratiques de 500 responsables marketing dans le monde, observent que les
entreprises les plus performantes ont en commun de nourrir une vision élargie de l’expérience du
consommateur. Elles s’attachent à délivrer des expériences cohérentes dans l’ensemble des canaux
où la marque est présente. Elles pilotent l’expérience en collaborant avec toutes les fonctions de
l’entreprise, pour aligner la compréhension de la marque à travers l’organisation et définir la
contribution de chaque fonction à l’expérience de la marque du point de vue du client. Le pilotage
de l’expérience a en effet de nombreuses implications qui dépassent le strict périmètre du
marketing. On peut citer les aspects de ressources humaines qu’implique le management des
équipes en contact avec le client, ou encore le rôle de la supply chain et de la logistique pour
harmoniser les différents canaux par lesquels la marque est accessible. La réussite des stratégies
expérientielles passe par conséquent par l’abandon de l’approche multicanale au profit d’une
perspective omnicanale, c’est-à-dire d’une vision décloisonnée et globale de l’expérience client.
2. De l’approche holistique du consommateur vers l’entreprise
Les mondes physique et digital s’imbriquent de plus en plus. Du point de vue du client, il ne s’agit
pas de mondes distincts puisqu’ils sont fédérés par un même nom de marque. Les clients, quel que
soit leur point d’entrée avec la marque, s’attendent à vivre une expérience homogène. Les marques
doivent par conséquent travailler leurs différents canaux dans une perspective holistique qui
correspond à la façon dont le consommateur les perçoit de l’extérieur. Elles peuvent y parvenir en
capitalisant sur le meilleur et sur la complémentarité des sphères physique et digitale au service

|
d’une expérience client optimale. C’est le sens même d’une approche omnicanale. Le concept
|/\
omnicanal constitue une évolution du concept multicanal. Rigby (2011, p. 11) définit l’omnicanal
$!
« comme une expérience de vente intégrée qui fusionne les avantages des magasins physiques avec
l’expérience riche en informations de l’achat en ligne ». Tandis que le multicanal renvoie à une
4$

juxtaposition de canaux, l’omnicanal correspond à une intégration du virtuel et du physique.


L’omnicanal se préoccupe de servir le consommateur, de la façon dont il le souhaite (en ligne, dans
By

des magasins physiques), sur l’ensemble des étapes du processus expérientiel ou du « voyage du
consommateur » (consumer journey) composé des étapes de découverte, d’essai, d’achat, de
livraison, ou pick-up, et de retour (discovery, trial and test, purchase, delivery or pick up, return).
Toutes ces étapes mettent à l’épreuve l’entreprise dans sa capacité à piloter une expérience
holistique de la marque. L’acronyme ATAWAD (Any time, anywhere, any device)7 résume bien la
perspective du marketing omnicanal.

Paroles de consommateur
En quête d’expérience ATAWAD
« Ce qui me plaît dans le commerce traditionnel (en magasin) :
– pouvoir toucher les produits ;
– pouvoir discuter avec un vendeur(se) et échanger librement ;
– pouvoir repartir immédiatement avec la marchandise.
Ce qui me plaît dans l’e-commerce (comme tout le monde) :
– pouvoir commander depuis mon salon ;
– à n’importe quelle heure ;
– même avant que le produit existe.
Ce qui me déplaît dans l’e-commerce actuel :
– le spamming intensif de certaines marques (l’éthique ou e-tiquette) pour m’inviter à revenir ;
– lire des kilomètres de posts sur un forum pour savoir si un produit est bon (mais c’est mieux que de ne pas avoir
d’informations).
Bilan : j’espère que l’e-commerce ne tuera pas le commerce traditionnel, avec ses magasins, ses vitrines… Pour moi, ils
sont complémentaires. J’aime bien le concept GrosBill et ses entrepôts connectés (avec magasins). Je commande de mon
salon et peux aller la marchandise immédiatement (si je veux). »
(Verbatim tiré du crowdstorming http://fevad.fanvoice.com/, consulté le 11 juin 2015)

Parole d’expert
L’expérience omnicanale du consommateur connecté
Par Jessie Pallud, Professeur des Universités, Humanis, EM Strasbourg, Université de Strasbourg
En 2014, plus de 3 milliards d’internautes ont été recensés dans le monde. En France, ce sont près de 82 % des ménages
français qui ont accès à Internet selon les chiffres de la Fédération e-commerce et vente à distance (FEVAD). Plusieurs
études publiées par des instituts de recherche notent également une explosion du nombre d’objets connectés à Internet.
Cette utilisation massive et généralisée d’Internet a notamment contribué à l’émergence d’un consommateur connecté,
mobile, mieux informé et donc plus exigeant. Ces mutations sociales et économiques liées aux technologies nécessitent
donc d’être prises en compte pour répondre aux nouvelles attentes des consommateurs.
Dans le secteur bancaire, l’érosion de la fréquentation des banques au profit d’Internet a encouragé ces dernières à

|
développer des services de mobile banking. Ainsi, des banques, telles que La Caisse d’Épargne, la Société Générale ou
|/\
Boursorama (un pure player), proposent leur application mobile pour gérer les comptes à distance, faire des simulations,
échanger avec un conseiller, consulter la Bourse… Depuis septembre 2014, BNP Paribas propose aussi une application
$!
bancaire pour montre connectée appelée « Hello Watch » afin de se positionner sur un marché en pleine croissance.
4$

Afin de répondre aux attentes du consommateur connecté, appelé aussi digital omnivore, les entreprises déclinent leurs
offres sur plusieurs supports : tablettes, ordinateurs et smartphones. Des offres telles que celles proposées par Relay.com
permettent l’abonnement à des journaux et à des magazines qui sont ensuite téléchargeables et consultables sur le
By

support de son choix.


Néanmoins, une grande difficulté rencontrée par les entreprises est de réussir à donner de la cohérence à tous ces
canaux de communication. Warner Bros a donc mis au point une stratégie visant à intégrer tous ses dispositifs
technologiques (page Facebook, site Internet, newsletter…) afin de créer un « réseau d’expérience sociale » selon les
explications données par Emmanuel Durand, vice-président marketing de Warner Bros. L’entreprise se sert notamment
des différents médias pour offrir du contenu à forte valeur ajoutée (par exemple, des actualités exclusives, jeux concours,
interviews d’acteurs, produits inédits…), mais aussi pour collecter des données à chaque étape du parcours client et ainsi
créer une relation durable avec ses clients.

3. Vers un marketing expérientiel omnicanal


Quels sont les enjeux d’un marketing expérientiel omnicanal ?
Le schéma suivant décrit le processus suivi par un acheteur de prêt-à-porter. Cette séquence est un
enchaînement d’expériences élémentaires qui vont mobiliser plusieurs canaux, à la fois pour
collecter de l’information, mais aussi la diffuser. L’une des principales innovations introduites par
l’environnement « omnicanal » réside en effet dans la possibilité dont dispose désormais le client
d’interagir en permanence avec son environnement social, même distant. L’acheteuse n’est plus
seule dans la cabine d’essayage : un équipement numérique peut lui permettre de simuler le port du
vêtement en mouvement ; elle peut envoyer sa photo à son réseau social pour recueillir
instantanément les avis de son entourage ; et elle peut, tout aussi instantanément, poster sur un
réseau social son évaluation du produit et du magasin…

Figure 14. Les phases de l’expérience de l’achat


à l’utilisation et la revente

Cet exemple illustre les bouleversements que l’environnement omnicanal induit dans la pratique

|
du marketing. Celle-ci reposait sur des distinctions bien établies : communication/distribution ;
|/\
recherche d’information/prise de décision ; en magasin/hors magasin ; achat/consommation… La
$!
pertinence de ces distinctions s’estompe dans un contexte omnicanal.
La frontière entre communication et distribution est totalement brouillée. L’application Shazam
4$

permet d’ores et déjà de capter une musique dans l’environnement sonore (par exemple un message
publicitaire) et d’être mis en relation avec un site qui vend cette musique. Des extensions de cette
By

application sont en cours de test pour permettre par exemple de « shazamer » un article décrit dans
une page de publicité magazine pour le commander directement. Le vecteur de communication est
alors en même temps un canal de distribution. Et la technique des beacons permet de diffuser une
information ciblée vers un client qui passe à sa proximité à l’intérieur du magasin : la surface de
vente devient alors un canal de communication ciblée.
Les modèles du comportement du consommateur retiennent une distinction entre une phase de
recherche d’informations, puis une phase de prise de décision, notamment dans la surface de vente.
L’hypothèse implicite sous-jacente est que le consommateur a plus de latitude pour le choix de ses
sources d’informations dans la phase de recherche. Au contraire, lorsque la prise de décision se
déroule dans le magasin, il est davantage soumis à l’influence du merchandising du point de vente et
des vendeurs et sa latitude de choix se trouverait réduite. L’environnement omnicanal efface cette
distinction, puisque le chaland peut accéder exactement à la même diversité de sources
d’informations à tous les stades de son processus d’achat.
La distinction entre un contexte « en magasin » et un autre « hors magasin » n’a plus de raison
d’être. Le magasin est constamment à la portée de l’acheteur, puisque celui-ci peut instantanément
disposer partout de toute l’information sur l’offre du point de vente. Et réciproquement, le chaland
dispose à l’intérieur du magasin de la même information qu’à l’extérieur. La pratique du
showrooming est une conséquence directe de cette évolution de l’environnement de l’acheteur.
Lorsque celui-ci a repéré en magasin un article qui répond à ses attentes, il peut instantanément
connaître via son smartphone ou sa tablette le prix auquel le même produit est proposé par les
concurrents, y compris en visitant le site d’un comparateur de prix…
Les théories du comportement du consommateur considèrent généralement la phase d’achat
comme un point de passage obligé, mais ingrat et porteur de peu de gratifications, à la différence de
l’activité de consommation qui est la principale source de bénéfices pour l’individu. Ces mêmes
théories n’ont intégré qu’assez récemment la phase ultime du processus de consommation, c’est-à-
dire la fin de l’utilisation du produit. L’environnement omnicanal induit une remise en cause de
cette conception : toutes les étapes de la séquence achat/consommation/élimination du produit
peuvent en effet être des sources de bénéfices pour le consommateur. Il suffit d’analyser les
verbatims relatant des expériences de revente d’un produit d’occasion pour identifier la richesse de
cette expérience : bénéfice économique de la revente, plaisir de la négociation, fierté d’avoir évité
un gaspillage inutile…

Paroles d’experts
L’expérience de revente d’un bien par le consommateur
Par Ericka Hénon, Doctorante, Cermab, Université de Bourgogne

|
Dans le cas de la revente, l’expérience est par essence produite par le consommateur. Le désir de contrôle de l’expérience
|/\
du consommateur peut résulter de motivations fonctionnelles mais aussi symboliques, liées aux dimensions
psychologiques intervenant dans le processus de cession et aux dimensions expérientielles de certains circuits.
$!
Si le consommateur est capable de s’affranchir des réseaux de distribution classiques au profit d’un échange C to C, nous
4$

assistons, paradoxalement, à une institutionnalisation du marché de l’occasion grâce au développement de nombreuses


formes d’intermédiation. La revente est une activité qui revêt un caractère aventurier, une aventure sociale et stimulante,
mais aussi très imprévisible.
By

L’incertitude est omniprésente sur le marché d’occasion, en raison de l’opacité informationnelle de celui-ci et des
dimensions personnelles intervenant lors des échanges. Ainsi, les intermédiaires ont un rôle important à jouer dans
l’expérience du consommateur. La réussite du Bon Coin est un exemple pertinent pour appréhender les fonctions de ces
intermédiaires. Ce site propose un contexte expérientiel alliant dimensions marchandes et non marchandes de
l’expérience. Le système de localisation de l’offre et de la demande par région permet au consommateur de réaliser des
transactions efficacement, car elles sont directes donc plus sûres et rapides. La configuration du site s’appuie sur une
économie locale. Les échanges sont ainsi perçus comme plus humains, authentiques et écologiques.
Ce succès peut également s’appréhender par l’espace de liberté laissé au consommateur, espace qui lui permet de piloter
son expérience (l’individu n’est pas contraint par une procédure type de mise en vente, de mode de paiement ou de
livraison) tout en bénéficiant d’un support favorisant son autonomie et sécurisant la transaction (mise à disposition de
conseils) sans toutefois rationaliser l’expérience de revente.
Citröen envisage l’expérience de ses marques comme un écosystème Web complet
Interview de Laura Pons, responsable marketing digital et CRM de Citröen et DS France
Nos sites Internet sont de véritables générateurs d’opportunités commerciales VN, VO (voitures neuves, voitures
d’occasion) et après-vente. Les clients qui arrivent dans les showrooms ont changé : ils sont de mieux en mieux informés
et sont dans une démarche d’achat à plus court terme.
La marque aligne sa stratégie digitale avec sa promesse « creative technologie » en proposant : le site Citroën Carstore
qui permet de consulter les véhicules en stock, le portail communautaire Citroën Community qui récompense la fidélité
après-vente et le parrainage et le site Citroën Reprise qui permet les estimations de reprises de véhicules en quelques
clics.
L’écosystème se prolonge avec la mise à profit du digital comme levier de communication avec le site Citroën Advisor,
site d’avis en ligne des clients à propos de prestations en points de vente lors de l’achat d’un véhicule neuf ou après un
passage à l’atelier.
Enfin, le dispositif repose sur une présence active sur les réseaux sociaux : Facebook, Twitter, YouTube, LinkedIn,
Google+, Instagram, Pinterest, Snapchat et Vine avec l’objectif de faire aimer la marque en multipliant les interactions.
(Source : http://auto-infos.fr/Citroen-et-DS-une-strategie,6118, consulté le 9 décembre 2014)

Lorsque les individus racontent leurs achats sur les réseaux sociaux, leur discours est bien éloigné
de la phase contrainte d’achat procurant moins de gratifications que la phase de consommation.
Au-delà de la seule fonction de distribution, c’est bien l’ensemble des activités du marketing qui
sont impactées par la notion d’expérience omnicanale.

Section 3. Des idées en action pour revisiter l’expérience


omnicanale
Nous avons souligné les difficultés que les entreprises, tous secteurs d’activités confondus,
rencontraient à faire adopter la logique service-dominant par l’ensemble de l’organisation. Le
prisme de l’expérience, n’est pas toujours adopté de façon suffisamment large par l’ensemble des
fonctions de l’entreprise ou de l’organisation. Aussi afin de contribuer à une lecture élargie des

|
|/\
stratégies expérientielles, nous proposons dans la partie qui suit une ouverture sur l’omnicanal, qui
est par nature une perspective transversale. Comment revisiter l’expérience du consommateur à
$!
l’heure de l’omnicanal ? Sans prétendre à l’exhaustivité, on peut organiser les idées en action
autour de deux thématiques. La première thématique porte sur ce que l’entreprise peut mettre en
4$

œuvre pour contribuer à la fluidité globale de l’offre d’expérience de la marque en intégrant de


façon volontaire le parcours cross canal du consommateur. Une seconde thématique concerne la
By

mue du magasin physique, c’est une thématique au cœur des préoccupations des distributeurs
comme des marques. Comment lui conserver sa pertinence à l’heure numérique ? Quel rôle lui
donner alors que les parcours d’achat sont en pleine transformation ? Nous verrons que les idées ne
manquent pas entre collections capsules, pop-up stores et drives.
1. Comment favoriser l’expérience cross canal ?
Pour appréhender la notion d’expérience cross canal, il est intéressant d’analyser l’évolution de
l’offre de détaillants qui évoluent d’un modèle all click vers un modèle click and mortar.
Prenons l’exemple d’une start-up canadienne qui connaît un développement spectaculaire sur le
marché difficile du prêt-à-porter pour hommes : Frank & Oak. Cette enseigne, née à Montréal, a
développé sur Internet une offre de produits de mode de qualité grâce à une équipe de designers
exclusifs installés dans le quartier tendance de Mile End à Montréal. Même si la commercialisation
des produits sur Internet a été un succès, l’enseigne déjà ouvert deux magasins flagships à Montréal
et à Toronto. Les dirigeants de l’entreprise justifient cette évolution par deux facteurs : d’une part
l’accès à de nouveaux segments de clientèle (et notamment, selon eux, à la clientèle féminine !), et
surtout d’autre part la nécessité d’enrichir l’expérience, notamment émotionnelle, grâce à
l’environnement multisensoriel que seul le magasin peut proposer. Les deux premiers magasins
intègrent ainsi un salon de coiffure…
Sur un segment de marché radicalement différent, la marque américaine Nasty Gal, emblématique
pour les adolescents, a connu une expansion fulgurante sur Internet, mais a ouvert à l’automne 2014
sa première boutique à Los Angeles. Les dirigeants de l’enseigne expliquent que la communauté
créée en ligne autour de la marque avait besoin de trouver un prolongement dans le monde social
réel, et que seuls les magasins pouvaient servir de cadre à cet enrichissement de l’offre. On ne
trouve pas de salon de coiffure chez Nasty Gal, mais une bibliothèque de magazines de mode… et
un jardin de cactus.
Reprenons une décomposition classique de la relation du client avec le commerce de détail,
adoptée aussi bien par les chercheurs que par les praticiens. Un chaland retire trois catégories de
bénéfices de la fréquentation d’un détaillant : des informations, des émotions (le coup de cœur ou
l’effet « wouaouh ! »), et la mise à disposition du produit. Le tableau suivant résume les forces
relatives du magasin physique et d’Internet pour ces trois catégories.

Tableau 11. Comparaison magasin physique et Internet/bénéfices


de la fréquentation

Accès à l’information Émotions Mise à disposition du produit

Magasin physique + +++ ++

|
Internet +++ |/\+ +
$!
La conclusion que l’on peut tirer de ce tableau est immédiate : ni le canal physique ni le canal
4$

virtuel ne peuvent seuls procurer une expérience optimale. L’idée d’expérience cross canal en
découle logiquement : l’intégration des canaux physiques et virtuels doit permettre au client
d’accéder à une expérience optimale en combinant la fréquentation de ces deux familles de canaux.
By

Si le constat est aisé, sa mise en œuvre est complexe et explique sans doute les désillusions dont
font souvent état les détaillants qui se sont lancés dans l’aventure du cross canal. Voici quelques
écueils à éviter :
• Le personnel de vente est une ressource irremplaçable en magasin, plébiscitée par les clients.
Mais il ne faut pas imaginer que ce personnel pourra rivaliser avec Google ou Amazon pour
fournir au client une information sur le produit, surtout s’il s’agit d’une caractéristique
technique. En revanche, lui seul pourra présenter le produit à travers un storytelling adapté au
client qu’il a en face de lui. Et ce récit sera d’autant plus convaincant qu’il s’inscrira dans une
interaction sociale réelle, entre individus pouvant avoir les mêmes centres d’intérêts. Il n’est
pas très utile de mettre l’accent sur la compétence informationnelle du vendeur : muni d’une
tablette interactive, il aura accès aux mêmes informations que le client, sans plus. Mais dans le
cadre de l’interaction qu’il développe avec le client, sa capacité d’empathie peut faire la
différence. Il vaut donc mieux développer ses compétences d’acteur racontant une histoire plutôt
que sa compétence technique.
• Placer en magasin les derniers équipements interactifs ne servira pas à grand-chose si leur
exploitation n’est pas incorporée à la trajectoire du client dans le magasin. Et, là encore, le rôle
du vendeur est irremplaçable. Placez une borne interactive au milieu du magasin : vous verrez
très vite que ce sont surtout les enfants des clients qui viennent la manipuler pour passer le
temps. Si au contraire c’est le vendeur qui oriente le chaland vers la borne et l’accompagne
dans son exploration, l’effet sur les ventes se fera sentir. Une remarque triviale en complément :
si personne n’est là pour vérifier que la borne fonctionne, elle ne servira pas beaucoup…
• La promesse de l’expérience cross canal doit être tenue : si le client consulte sur son
smartphone la disponibilité d’un produit en magasin, et ne le trouve plus dans ce magasin
quelques minutes plus tard, l’effet est désastreux. Le backoffice, et notamment la logistique, est
la condition absolue du succès de l’expérience cross canal promise au client. Si le niveau de
maîtrise de cette intégration logistique n’est pas suffisant pour promettre le cross canal, ne le
promettez pas…
• De même que le site Internet ou l’application ne peut pas se contenter de reproduire le magasin,
et doit proposer une offre différente, le magasin ne doit pas être calqué sur le site Internet et
l’application. En d’autres termes, puisque c’est la dimension émotionnelle de la visite qui est la
principale compétence distinctive du magasin, il faut rechercher des offres complémentaires,
non réplicables sur Internet, et sources de gratifications hédonistes pour le client. Le superlatif
n’est pas la seule option : nous avons déjà souligné les limites de l’offre d’expériences
extraordinaires, et symétriquement les bénéfices potentiels associés à une offre minimaliste. La
banalisation de ces offres périphériques est également un danger. La librairie Dialogues de
Brest a été l’une des premières en France à installer un coin « café » dans son espace de vente,

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ce qui lui a valu un grand succès. On ne compte plus les librairies qui l’ont imitée, souvent avec
des résultats très décevants. La raison ? Les concepteurs de Dialogues avaient imaginé les
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parcours des différents segments de visiteurs, aménagé les différents espaces de la librairie en
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fonction des pratiques de ces différents groupes, et implanté le café au point rencontre de ces
différentes trajectoires : l’offre complémentaire n’est donc pas plaquée sur l’offre de base, elle
y est au contraire totalement intégrée.
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Parole d’expert
Expérience virtuelle et expérience en magasin : comment créer une expérience cross canal ?
Par Bertrand Belvaux, Professeur des Universités, Université de Bourgogne
Face à l’adoption de comportements cross canaux des consommateurs (c’est-à-dire fréquentant plusieurs canaux au sein
d’un processus d’achat), les distributeurs tentent d’articuler les différentes expériences proposées. L’objectif est souvent
transactionnel, chaque canal ayant pour but de faire progresser le consommateur dans le tunnel d’achat (modèle du
consumer journey par exemple). Il s’agit alors de répartir les différentes activités proposées (information, test produit,
échanges sociaux, jeux, achat, disponibilité du produit…) sur les canaux les plus appropriés.
Cette logique de spécialisation peut néanmoins accroître l’écart entre les canaux et par conséquent freiner le passage de
l’un à l’autre. Il est important pour le consommateur de retrouver une certaine cohérence entre les canaux, notamment
sur les dimensions de l’offre (assortiment, prix, promotions…), du design (interface et magasin) ou du service client. Les
activités effectuées ne doivent pas être perdues lors d’un changement de canal. Les réponses reposent donc sur un
savant mélange de standardisation et de spécialisation des canaux.
Deux nouvelles voies se développent dans l’offre d’expérience cross canal. La première repose sur l’utilisation conjointe
des canaux digitaux et physiques pour développer de nouvelles expériences (par exemple avec le smartphone en
magasin : services informationnels, réalité augmentée). La seconde consiste à apporter une valeur ajoutée qui se déroule
dans le temps (utilitaire, temporelle, hédonique, psychologique, sociale…). Celle-ci s’appuie sur l’écosystème de canaux et
favorise la différenciation de l’entreprise (stratégies de brand content ou communautaires, par exemple).
2. Comment accompagner la mutation du magasin physique ?
Selon une étude AT Kearney de 2014, les magasins physiques (brick and mortar) demeurent le
fondement d’une stratégie omnicanale réussie. Les magasins physiques offrent en effet les
conditions d’une expérience sensorielle des produits dans leur matérialité, une immersion dans
l’univers de la marque et des interactions avec du personnel de contact que ne permet pas l’achat en
ligne. Le magasin physique joue un rôle clé même dans l’achat en ligne, puisque deux tiers des
clients en ligne utilisent le magasin physique avant ou après la transaction. La source de création de
valeur doit être distinguée de la place où la capture de la valeur (la transaction) a lieu. Le futur de
la distribution semble ancré dans le magasin physique.
Le débat ne porte pas tant sur le physique contre le digital, mais sur le physique avec le digital, en
intégrant de façon personnalisée la façon dont le consommateur « tricote » l’ensemble des points de
contact mis à sa disposition.
Le magasin physique est en train de muter pour s’adapter à la nouvelle donne numérique. Il doit
demeurer un contexte expérientiel suffisamment attractif pour délivrer une expérience recherchée
par le consommateur. Mais pas une instance isolée de l’ensemble des canaux pilotés par la marque.
Un des enjeux du marketing expérientiel est d’utiliser le magasin physique comme un lieu capable
de fournir une expérience personnalisée, quel que soit le canal par lequel le consommateur parvient

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au magasin physique.
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Un commerçant sait que le succès de son point de vente repose sur deux variables : l’attraction
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qu’il est capable d’exercer sur la population pour créer du trafic, et sa capacité à convertir ce trafic
en transactions. Le marketing omnicanal ne modifie pas cette équation de base. Il offre simplement
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de nouveaux leviers pour créer du trafic en magasin, puis pour améliorer le taux de conversion des
visiteurs en acheteurs.
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Pour augmenter le trafic, le magasin peut chercher à capter de nouveaux clients. Il peut aussi
augmenter la fréquence de visite de la même base de clientèle : l’enseigne Zara, considérée par les
professionnels du prêt-à-porter comme l’une des initiatrices de la fast fashion a ainsi utilisé le
rythme très rapide de renouvellement de son assortiment comme principal argument d’attraction et
de création de trafic. Les réseaux sociaux constituent un puissant outil de création de trafic :
l’information est relayée instantanément à une échelle considérable, à condition que cette
information présente un intérêt pour les consommateurs. Le point de vente doit donc créer des
événements susceptibles de retenir l’attention des clients actuels, mais aussi, si possible, de
nouveaux prospects. Dans le domaine du prêt-à-porter, les collections capsules ont démontré leur
capacité remarquable à créer du trafic, et un excellent taux de conversion des visiteurs en
acheteurs !

Parole d’expert
La collection capsule pour pimenter l’expérience de la marque
Par Christine Kratz, Professeur, ICN Nancy Metz
Les collections exclusives (ou collections capsules) sont des offres ponctuelles, spécifiquement conçues par des créateurs
pour des enseignes. Elles se sont largement développées ces dernières années. Citons, dans le domaine de la mode et du
prêt-à-porter, l’exemple de H&M : de nombreuses collaborations (Jimmy Choo, Sonia Rykiel, Lanvin, Versace, Isabel
Marant… et plus récemment Alexander Wang) ont suivi le lancement de sa première collection limitée avec Karl Lagerfeld
en 2004.
Les effets produits sur les clientes et le succès de ces offres (ruptures de stock rapides, files d’attente) peuvent s’expliquer
par l’expérience de consommation vécue. En effet, la collection exclusive permet à la cliente d’accéder à une marque de
créateur à un prix abordable, de posséder une pièce aux éléments iconiques du designer. Les bénéfices ressentis vont au-
delà des attributs physiques et peuvent être de natures hédoniques, esthétiques, voire statutaires.
La mise en scène dans le magasin avec un merchandising valorisant les codes du créateur, les effets de foule et les
interactions entre les chalands dans le magasin, créent une expérience sur le lieu de vente.
Enfin, les différents échanges sur les réseaux sociaux (avis et témoignages des acheteuses et non-acheteuses, posts de
photos ou de vidéos mettant en scène les vêtements griffés…) prolongent l’expérience de consommation, souvent de
manière autonome par rapport à l’enseigne.
Ainsi, dans un contexte fortement concurrentiel, ces offres limitées représentent pour les enseignes, un moyen de se
différencier, de créer et de maintenir des liens avec leurs clientes et même de les surprendre.

Le coût foncier constitue une barrière infranchissable pour des enseignes qui souhaitent
s’implanter dans des localisations qui pourraient leur conférer une forte visibilité. Par exemple, des
enseignes présentes en périphérie des villes dans les retail parks ou les centres commerciaux ne
peuvent pas toucher les chalands des centres-villes. Simultanément, les infrastructures de mobilité
(gares, aéroports, stations de métro) enregistrent quotidiennement des flux qui se mesurent en

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centaines de milliers de passages. Il est donc tentant pour une enseigne d’implanter pour une courte
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durée un magasin éphémère dans un de ces environnements caractérisés par un fort trafic : l’objectif
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sera assez peu de vendre, mais plutôt de donner de la visibilité à l’enseigne, en donnant au chaland
l’occasion de vivre dans ce pop-up store une expérience gratifiante.
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Les collectivités locales, et notamment les « managers de centre-ville » voient aussi dans ces
pop-up stores un moyen de revitaliser des cellules vacantes, et ainsi de recréer du trafic dans les
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artères concurrencées par le commerce de périphérie.

Parole d’expert
Le pop-up store au service de l’expérience de la marque
Par Michaël Flacandji, doctorant, Université de Bourgogne
Dans leur description la plus simple, les magasins éphémères (pop-up store ou pop-up retail dans la terminologie
anglo-saxonne) se définissent comme des boutiques ouvertes pour une durée limitée dans le temps.
La finalité marchande de telles boutiques, bien qu’elles se voient attribuer la dénomination de magasins, n’est pas
systématique. En effet, de nombreuses marques voient en ce phénomène une aubaine pour expérimenter à moindre
coût divers lieux, concepts ou produits en situation réelle, mais surtout un excellent moyen pour se rapprocher de leurs
clients et ainsi affirmer ou réaffirmer leur positionnement.
Du magasin Hema installé sur le parvis de la gare de Lyon à Paris, à celui de Nutella proposant des dégustations de sa
célèbre pâte à tartiner, en passant par le Bar à bonnets de la marque Cabaïa implanté dans le centre commercial de
Vélizy 2, le Barber Shop parisien de Nike ou bien encore Snoozebox et ses hôtels itinérants, les exemples ne manquent
pas.
Les magasins éphémères se différencient tant par la diversité des marques à l’origine de l’événement, la clientèle ciblée, le
lieu d’implantation, que par le contenu même de l’expérience de marque proposée. Combinée à l’effet de rareté et au
buzz qui l’accompagnent, l’expérience plus ou moins unique, ludique et extraordinaire qu’il est possible de vivre dans un
magasin éphémère a pour vocation de renforcer la relation unissant le consommateur à la marque.
Naturellement, et ce malgré l’engouement actuel des consommateurs pour cette forme de communication et/ou de
distribution (Étude Ipsos sur les boutiques éphémères, décembre 2014), cette dernière n’a de sens que si elle s’intègre
parfaitement dans la stratégie globale de la marque.

La distinction entre des formes de vente procurant principalement des bénéfices fonctionnels
d’approvisionnement et des formes de vente plus récréatives est habituelle, aussi bien dans la
presse professionnelle que dans les travaux académiques. Pour les managers, un commerce
« utilitaire » doit optimiser la réalisation de la transaction, et en particulier la rendre la plus rapide
possible. Il est tentant de considérer qu’une transaction de ce type ne peut pas être une source
d’expérience pour le client, au-delà de la seule fonction d’approvisionnement.

Parole d’expert
L’expérience de l’interaction minimale : la formule du drive
Par Tatiana Henriquez, Professeur, ESC Troyes
Dans un contexte de forte intensité concurrentielle, le développement d’innovations commerciales est un enjeu
important pour les grandes enseignes de distribution. Ainsi, le drive, initié en 2000 par Auchan, constitue un relais de
croissance non négligeable pour l’enseigne. Pour autant, la question de son adoption par le client reste ouverte. Le rôle
crucial du personnel en contact dans le processus d’apprentissage et d’adoption par le client de cette nouvelle façon de
faire ses courses a pu être confirmé par des travaux récents. Le client adopte d’autant mieux la formule drive qu’il est en

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contact avec un personnel ayant parfaitement intégré ce nouveau mécanisme. Au début de la relation entre l’enseigne et
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son client, ce dernier a besoin d’être guidé dans la nouvelle servuction que constitue le drive. L’influence de la
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socialisation organisationnelle du client semble ensuite perdurer à travers l’effet de la connaissance du drive et de la
maîtrise de son rôle par le client. Ces effets semblent se prolonger longtemps. En ce sens, il est intéressant de constater
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que le client ne cherchera la transaction et le gain de temps qu’une fois qu’il aura atteint un certain seuil de socialisation
organisationnelle vis-à-vis du drive.
Ces résultats suggèrent donc que, dans le cas du drive, souvent présenté comme une vente « deshumanisée », le
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personnel est important dans l’apprentissage de la nouvelle forme de vente. Les employés en contact avec le client
constituent pour la mise en place réussie du drive un facteur clé de succès indispensable et leur nombre ne devrait pas
être réduit.

Le drive est une traduction exemplaire de cette focalisation du point de vente sur sa seule
composante fonctionnelle. L’objectif de ce point de vente est de minimiser le temps passé par le
client entre son arrivée et son départ. Le client aura une seule interaction humaine avec le point de
vente, à travers le livreur qui lui apporte sa commande pour la charger dans le coffre de sa voiture.
Une recherche doctorale récente montre pourtant que même dans cette interaction minimale, les
différentes dimensions de l’expérience en magasin sont présentes.
3. Comment favoriser la convergence du physique et du numérique ?
Le fil conducteur des pratiques mises en œuvre par des enseignes ou des marques est de tirer parti
des technologies numériques au cœur du point de vente, pour les intégrer au design de l’expérience
proposée, et en faire un élément de différenciation délivrant plus de valeur au client. Le néologisme
phygitalisation8 désigne ainsi les démarches qui visent à combiner le meilleur du physique et du
digital pour délivrer des expériences sensorielles et émotionnelles fluides entre les différents
canaux, ou à matérialiser physiquement une expérience digitale.
Dans le contexte de la distribution ou de l’expérience de la marque, l’idée est de capitaliser sur
les avantages des surfaces de vente traditionnelles en enrichissant l’expérience globale comprise
dans toutes les déclinaisons ROPO (research online purchase offline, research offline purchase
online), à l’aide de technologies numériques. De nouvelles formes de merchandising sont mises en
œuvre par les distributeurs, afin de limiter le showrooming, qui consiste, pour le client, à aborder
le magasin physique comme un showroom, dédié à l’exposition des produits, où l’on regarde sans
acheter, pour ensuite finaliser en ligne ou ailleurs la transaction.
Mais la démarche de phygitalisation ne se cantonne pas à injecter plus de digital dans des lieux de
vente physiques, elle rentre dans le domicile du consommateur avec les catalogues 3D, voire
investit l’espace urbain avec les vitrines intelligentes.
A) Enrichir avec le digital les lieux de vente physiques
1) Le bar numérique de la Fnac
La Fnac a développé un bar numérique permettant au visiteur de découvrir l’offre musicale de
l’enseigne. Une application, relayée sur des tablettes, permet de piloter l’expérience du client. Le
client peut explorer de façon ludique, et dans un environnement high-tech, l’offre et faire son choix,
puis acheter. L’application accompagne l’ensemble du processus d’achat. L’expérience interactive
est fondée sur une gestuelle intuitive (feuilletage, tap pour retourner le CD) qui vise à faire oublier
la technologie au profit de la stimulation sensorielle et émotionnelle, tout en la célébrant par le

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design épuré du lieu. La forme de cocréation de l’expérience, implicite à ce type de proposition,
relève de l’interprétation collaborative et de l’autoproduction dirigée (puisque le visiteur doit
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s’orienter dans les menus figurant sur les tablettes). Mais le résultat obtenu délivre bien une valeur
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supplémentaire au visiteur auquel l’enseigne propose une third place, dans laquelle établir des liens
sociaux et se détendre en se cultivant.
2) Bornes digitales et Undiz machine
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Dans un autre registre, la marque de lingerie Undiz a également travaillé un merchandising digital
original autour de la Undiz machine. À partir de bornes digitales, le client peut commander les
références souhaitées, tout en les voyant arriver peu de temps après, de façon assez spectaculaire, à
l’intérieur de capsules transparentes aéropropulsées, parcourant des tuyaux transparents. Il y a dans
cette mise en scène un clin d’œil aux machines compliquées du monde industrialisé, revisitées sous
l’angle de la performance artistique.
Dans cet exemple, la technologie est bien présente, permettant de présenter sur les bornes
interactives l’ensemble de la collection, qu’il serait difficile, voire impossible, d’exposer
physiquement dans son intégralité, et la livraison du produit proprement dit est dramatisée. La
forme de cocréation proposée au client est assez limitée, mis à part l’effet de surprise de
l’acheminement des capsules, assez gadget. Mais la valeur délivrée réside dans la capacité de
présenter un choix étendu dans un espace restreint. Les contraintes physiques sont levées grâce aux
bornes interactives. L’idée directrice est d’inscrire les avantages de l’e-commerce au cœur du
magasin physique. Plus d’informations, plus de choix, mais aussi une expérience que l’on ne peut
pas trouver ailleurs.
3) La Karl’s booth
Les efforts pour digitaliser les lieux de vente s’observent aussi et assez naturellement dans le
domaine du luxe. Ainsi Karl Lagerfeld, dont la marque existe depuis 1984, s’est lancé en 2012,
dans une digitalisation affirmée de ses boutiques, bien en phase avec la personnalité du créateur.
L’idée était de différencier l’univers de KL des autres marques dont il signe les collections (Chanel
et Fendi).
Parmi les innovations mises en place dans les dix boutiques à travers le monde, y compris dans le
concept store de 200 m² du boulevard Saint-Germain à Paris, la Karl’s booth marque les esprits.
Grâce à un Ipad dont elle est équipée, chaque cabine d’essayage se transforme en cabine photo, en
écho avec la passion de Karl Lagerfeld pour la photographie. Le client peut se prendre en photo
avec le vêtement essayé et diffuser sur ses réseaux sociaux l’image afin de collecter des
commentaires ou simplement des likes. Les photos prises par les clients dans la Karl’s booth sont
accessibles dans toutes les boutiques, et chaque semaine une photo est désignée « pic of the week »
(Cabezon, 2014, p. 233). Les portants de vêtements sont munis d’Ipad mini permettant de voir les
silhouettes complètes de la collection (The Kollection). Enfin, un livre d’or digital permet de
laisser son commentaire à l’attention du créateur.
La digitalisation de la boutique est mise au service de l’expérience de la marque et enrichit
l’expérience en magasin en la prolongeant de différentes manières. La forme de participation relève
de la coproduction créative puisque le dispositif sollicite la créativité du consommateur, qui se met
lui-même en scène avec les vêtements de la marque et s’expose, et favorise le lien en partageant

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l’artefact sur les réseaux sociaux sous une forme de commerce social9 version luxe.
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4) Les cintres connectés de C&A
Toujours dans le domaine de la mode, C&A au Brésil teste des cintres connectés en les reliant à
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Facebook pour montrer au client le nombre de likes obtenus par chaque vêtement.
L’idée est de capitaliser sur le dynamisme des réseaux sociaux pour mettre en scène le vêtement
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dans la boutique traditionnelle, tout en suscitant chez le visiteur la curiosité et une forme de jeu.
5) Le miroir intelligent d’Optic 2000
Dans le domaine de l’optique, la marque Optic 2000 et JCDecaux mobilisent un miroir intelligent
pour scanner les clients et leur proposer de créer leur profil afin de choisir une paire de lunettes qui
les rend « inimitables » (d’après le nom de la gamme Optic 2000).
Le design d’expérience fonctionne en trois temps. D’abord il s’agit de montrer au passant qu’il
n’est pas inimitable, puisqu’en le scannant on crée de fait son avatar. Pour devenir « inimitable », le
client doit passer de l’autre côté du miroir. Dans un troisième temps, le client choisit une paire de
lunettes qui le rend « inimitable ». La scénarisation de l’expérience proposée combine une
technologie innovante et assez spectaculaire qui met en scène le client et le produit sur le lieu de
vente.
L’idée, là encore, est de prendre les codes de ce qui peut être vécu en ligne, au service d’une
expérience valorisante et personnalisée dans la boutique physique.
6) Les lunettes 3D de Thomas Cook
Dans un autre domaine, le tour-opérateur britannique Thomas Cook revisite sa manière de vendre
du voyage en testant des lunettes 3D avec la technologie « Oculus Rift », proposant une image 3D et
une vue à 360° des destinations envisagées. On retrouve là la même idée de matérialiser une
expérience à venir. Les lunettes 3D deviennent des acteurs à part entière du design de l’expérience
d’immersion proposée (voir le zoom suivant).

ZOOM
Théorie de l’acteur réseau et phygitalisation des contextes expérientiels
La théorie de l’acteur réseau (actor-network theory, ANT) et la sociologie de la traduction permettent une analyse
renouvelée les systèmes de production d’expérience. Pour Svabo (2008), les artefacts (éléments physiques d’un contexte
expérientiel) peuvent être envisagés comme des acteurs à part entière.
Dans cette approche, il n’y a pas que les humains qui peuvent agir. Un contexte peut se lire comme un réseau d’actions
entre acteurs humains et non humains. Ainsi les exemples étudiés : un bar à Ibiza, dans lequel les commandes sont prises
par un gobelet lumineux sur chaque table, et une cabine de la marque Prada, équipée de technologies permettant au
personnel de contact de connaître en temps réel les informations nécessaires pour servir de façon très personnalisée les
clients, montrent que les éléments physiques et « non humains » d’un contexte expérientiel sont des acteurs à part entière
qui interagissent avec les acteurs humains (personnel de contact et client).
Selon la théorie de l’acteur réseau (ANT), les choses, à l’instar des humains, disposent d’une agence et fonctionnent comme
des acteurs. Latour (2005) considère que quelque chose qui modifie un état de fait, en apportant une différence, peut être
considéré comme un acteur. Donc, si on suit cette logique, tout élément tangible d’un contexte expérientiel (mobilier, chaise)
participe à l’action.
La théorie de l’acteur réseau n’a pas été très mobilisée en marketing pour analyser les designs d’expérience ou le vécu du
consommateur. Cependant, cette théorie ouvre des perspectives intéressantes pour mieux lire les mécanismes de cocréation

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à l’œuvre et comprendre la digitalisation de lieux de vente ou de consommation, ainsi que tous les contextes où la
médiation numérique est de plus en plus présente.
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B) Entrer chez le consommateur
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1) Le catalogue en 3D d’Ikea
Les outils numériques sont précieux pour intensifier et enrichir le parcours client d’une note
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ludique. La réalité augmentée est ainsi un dispositif bien adapté pour enrichir l’expérience client.
En 2014, Ikea a proposé un catalogue en réalité augmentée. Le catalogue papier est toujours
distribué au client, mais ce dernier peut dorénavant télécharger, sur son smartphone ou sur sa
tablette, une application permettant de scanner un code et de placer le catalogue dans la pièce
envisagée. Sur l’écran apparaissent, en 3 D, l’image de la pièce et l’objet sélectionné.
Ce type de démarche est extrêmement séduisant, car l’objet rentre en quelque sorte déjà chez le
consommateur, et permet à la fois de combiner l’intérêt du catalogue old school et de faire vivre
une expérience virtuelle totalement customisée au consommateur. On peut considérer dans ce cas de
figure que la coproduction créative est mobilisée, puisque le catalogue en réalité augmentée permet
au client de réfléchir à une nouvelle décoration et à faire montre d’imagination pour ce faire.
En 2015, Ikea améliore encore l’application en proposant 300 meubles en réalité augmentée ;
l’application permet également de créer une liste d’achats pour optimiser la visite en magasin.
L’enseigne cherche à investir les différentes phases de l’achat grâce à ce nouveau dispositif, tout en
maintenant ses magasins physiques très expérientiels.
C) Rendre tangibles les pure players
Tandis que les marques et les distributeurs investissent de l’imagination et l’argent pour tirer
profit du numérique dans le magasin physique, certains acteurs pure players investissent dans des
magasins physiques.
En 2014, Amazon a ouvert un premier magasin physique à New York. Il s’agit d’un magasin qui
fait office de mini-entrepôt et de surface d’exposition, permettant aux clients de venir retirer des
commandes de dernière minute réalisées en ligne, ou de rapporter des produits à échanger. La
même année, Birchbox, site e-commerce de produits de beauté, a ouvert sa première boutique à
New York. En se dotant d’un point de contact qu’il pilote entièrement, ce pure-player entend
développer les interactions avec le client, mais en capitalisant sur des technologies pour être en
ligne avec le site Internet, et en proposant une forte customisation de l’achat (personnalisation
instantanée des messages). L’idée est de proposer une expérience client fondée sur la découverte et
l’exploration, autour du concept de « la trousse de toilette de votre meilleure amie », le tout sur une
surface de 418 mètres carrés (http://www.lsa-conso.fr).
Tous les pure-players n’ouvrent pas nécessairement de magasin, mais ils cherchent à améliorer
l’expérience d’achat par rapport à son déroulement strictement en ligne. L’enseigne britannique de
mode Asos a testé en 2014 un nouveau dispositif de livraison, en combinant un point click & collect
et une cabine d’essayage Parcelpod. Il s’agit d’une cabine d’essayage dans le point de collecte de
colis, qui permet d’essayer le vêtement et de le laisser s’il ne convient pas. Cette initiative peut
avoir un impact positif sur la réduction des coûts de retours, qui pèsent sur la rentabilité des e-
commerçants, tout en rassurant le client.

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D) Investir l’espace urbain |/\
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1) Le flash and get d’Ikea
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Les exemples que nous venons de présenter illustrent les efforts des distributeurs et des marques
pour faire converger leurs différents canaux en une expérience fluide et globale. En 2015, Ikea
franchit une étape supplémentaire grâce à la mise en œuvre, à Lille, d’une application mobile
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permettant de photographier n’importe quel meuble (tous concurrents confondus). Ikea en retour
propose un meuble de ses collections, se rapprochant le plus possible de la photographie prise par
le client. Si la proposition convient, le client peut acheter le meuble depuis son mobile et aller le
récupérer dans des casiers de livraison installés dans différents lieux de la ville (et non pas
uniquement dans le magasin Ikea).
Sans présager du succès de ce « shazam du meuble » testé par l’enseigne, on peut souligner que
l’application, dans sa conception, apporte une solution inédite très intéressante à la problématique
cross canal interne à Ikea, mais aussi cross enseignes (Ikea versus ses concurrents), en capitalisant
sur ce qu’aurait pu voir et aimer un client, donc une solution par essence très customisée.
Les différents exemples présentés ne prétendent pas à l’exhaustivité et auraient pu encore être
multipliés. Ils traduisent cependant un réel dynamisme dans la façon dont les marques scénarisent
différentes étapes de l’expérience d’achat, dans différents lieux et dans des contextes où le digital
permet d’enrichir certaines étapes, mais où le magasin physique conserve un rôle important.
2) Les campagnes Usnap de JCDecaux
Usnap est une application gratuite pour smartphone, développée par JCDecaux, qui repose sur la
technologie de reconnaissance d’image. Cette application permet aux marques de prolonger leurs
campagnes de communication extérieure à partir de photo d’une affiche interactive dans un abribus.
À partir de la photo prise avec le smartphone, le consommateur accède à des contenus digitaux sur
la marque. Ce dispositif enrichit l’expérience de la marque en s’adressant au consommateur dans
l’espace urbain, et en lui donnant la possibilité d’accéder à plus d’informations s’il le souhaite.
On est donc dans une forme de cocréation de l’expérience, fondée sur un dispositif numérique
mais nécessitant le consentement (la collaboration interprétative du consommateur) pour
fonctionner, et qui mobilise une gestuelle à laquelle le consommateur connecté est très habitué.
C’est un design de communication non intrusif et donc respectueux du consommateur.
3) En conclusion
Dans ce chapitre, nous avons analysé les défis du marketing expérientiel, qui consistent pour
l’entreprise ou la marque à comprendre et à gommer les écarts entre l’expérience de la marque et la
métaexpérience vécue par le client dans un contexte omnicanal. Nous avons proposé une
conceptualisation de la métaexpérience, ainsi que des outils pour la recueillir et la piloter. Nous
avons ensuite analysé la nécessité, pour l’entreprise, de passer d’une perspective multicanale à une
approche omnicanale, en présentant un certain nombre de pratiques qui renouvellent
considérablement l’expérience dans ce contexte. L’approche omnicanale peut être envisagée comme
la réponse adaptée à la prise en compte de la métaexpérience du client.
La Figure 15 et le tableau qui suit permettent de comparer la perspective de l’entreprise et celle

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du consommateur par rapport à l’expérience produite et vécue. L’entreprise, d’une part, pilote
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l’expérience de la marque, en pensant son offre commerciale et ses différents contextes
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expérientiels dans une approche omnicanal (qui concerne autant les canaux de communication que
de distribution). Le consommateur, d’autre part, interagit avec certains des points de contact
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proposés par la marque et il cocrée l’expérience en mobilisant ses ressources pour comprendre
l’intention de la marque, voire mobilise selon les cas d’autres formes de cocréation.
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L’output du point de vue de l’entreprise est une expérience de marque conçue et pilotée du mieux
possible pour se différencier dans un environnement concurrentiel donné. L’output du point de vue
du client est une métaexpérience qui doit se comprendre comme l’accumulation d’interactions
(personne × marque × situation), signifiantes pour le sujet. Le marketing expérientiel de la
cocréation est très centré sur le consommateur et s’adapte à cette dynamique cumulative de la
métaexpérience du client, dans des contextes on et offline qui ne peuvent pas être totalement
contrôlés par l’entreprise mais qui peuvent être accompagnés de façon agile et respectueuse du
consommateur.
Figure 15. L’expérience perspective entreprise-perspective
consommateur

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1. La sémiotique étudie la vie des signes et le langage sous toutes ses formes. Étymologiquement, les mots sémiotique et sémiologie
viennent tous deux du grec semio qui signifie « signe ».
2. Méta- est un préfixe qui provient du grec meta qui signifie « après, au-delà de ».
3. Selon les terrains, les consommateurs se remémorent volontiers de un à cinq ou six épisodes dans un récit de métaexpérience.
4. Source : http://adaptivepath.com/ideas/the-anatomy-of-an-experience-map consulté le 30/4/2015.
5. Le net promoter score permet de calculer la différence entre les clients qui sont prêts à recommander la marque à leurs amis ou à
leurs collègues (promoters) et ceux qui ne la recommanderaient en aucune façon (detractors), Reichheld, 2003.
6. Un mobinaute est une personne qui navigue sur Internet à partir d’un appareil mobile. Selon les chiffres de la FEVAD (fédération e-
commerce et vente à distance), 4,6 millions de Français ont déjà acheté à partir de leur mobile. Les ventes sur l’Internet mobile
(smartphones et tablettes) sont estimées à 2,6 milliards d’euros, en progression de + 160% par rapport à 2013.
7. Proposé par la consultant Xavier Dalloz (http://www.journaldunet.com)
8. Contraction de physical et digital, phygital qualifie les démarches qui consistent à créer une expérience utilisateur interactive en
utilisant la technologie pour franchir la barrière entre les mondes réel et digital, et l’ensemble de la démarche est appelée en franglais
physidigitalisation (source : http://physidigital.com, consulté le 3 juin 2015).
9. Le commerce social, ou social commerce, est une partie du cybercommerce intégrant les médias sociaux.
Conclusion

La littérature sur la production d’expérience des débuts du courant expérientiel (Pine et Gilmore,
1999 ; Schmitt, 1999, 2003) reposait sur l’idée qu’en stimulant les sens du consommateur et en
scénarisant des expériences mémorables à vivre, l’entreprise pouvait différencier son offre, ce qui
supposait implicitement un consommateur plutôt passif et malléable. Un frein, voire une limite, aux
approches expérientielles serait de rester dans ce schéma des débuts. Des contextes expérientiels
bien scénarisés ne suffisent pas à « produire de l’expérience ». Une compréhension approfondie du
rôle du consommateur dans l’expérience, la proposition de valeur qui lui est faite, et l’intelligence
des mécanismes de collaboration proposés par l’entreprise sont une condition sine qua non au
succès des stratégies mises en œuvre. Le consommateur, pilote de l’expérience (Carù et Cova,
2006) dont il convient de rechercher l’engagement, est une figure différente du consommateur facile
à griser par une surstimulation sensorielle. Il convient de l’intégrer à toute réflexion sur les
stratégies expérientielles.

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L’expérience, avec la valeur et la relation client, compte parmi les concepts qui ont marqué la
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recherche en marketing, ces vingt dernières années. D’une façon schématique, les travaux sur la
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valeur ont enrichi les mesures post-achat et post-consommation ainsi que la valorisation monétaire
du client (customer lifetime value). L’étude de la relation client a conduit aux nombreux travaux sur
4$

la fidélité et a trouvé dans les outils CRM des développements managériaux. On doit à l’approche
par l’expérience d’avoir renouvelé les modèles de comportements d’achat, en intégrant tous les
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aspects de la consommation, en particulier les émotions et les aspects symboliques de la


consommation. Mais on peut aussi considérer que la valeur est partie intégrante de l’expérience et
de sa mesure, tandis que la relation se fonde sur une somme d’expériences.
Les rédacteurs en chef de la revue Décisions Marketing, à l’occasion du numéro célébrant les 20
ans de la revue, ont récemment recensé d’autres thématiques auxquelles le marketing s’est attelé au
cours des deux décennies écoulées. De cette analyse ressortent l’empowerment du consommateur,
l’intégration du big data, la prise en compte des réseaux sociaux et de la sphère Internet, l’étude de
nouveaux champs d’application du marketing tels les consommateurs âgés, le marketing culturel ou
le marketing du luxe. Enfin, la notion d’accountability, qui brosse la figure d’un marketeur
« comptable » non seulement d’une partie de la performance économique de l’entreprise mais aussi
de l’impact de son action sur la société, émerge (Salerno et al., 2013).
Cependant, ces thématiques relèvent plus de champs d’application du marketing (marketing des
personnes âgées, marketing culturel), ou de prises en compte de nouvelles donnes dans
l’environnement (big data, Internet, réseaux sociaux), de nouvelles figures du consommateur
(empowered) ou du marketeur (responsable), que de nouveaux cadres conceptuels.
Il nous semble par conséquent que, pour intégrer les évolutions du tableau brossé ci-dessus, le
potentiel de l’approche expérientielle est loin d’être épuisé, tant dans son volet consommation
expérientielle que dans ses applications managériales (marketing expérientiel). En effet, la
perspective expérientielle offre des clefs de lecture de phénomènes de consommation complexes et
émergents encore insuffisamment étudiés (comportements sur Internet, comportements cross canaux,
comportement des consommateurs âgés), doit encore être déclinée dans de nombreux
domaines/secteurs (B to B), et recèle de vrais enjeux méthodologiques (capture et mesure de
l’expérience) et stratégiques (management transversal de l’expérience) qui peuvent passionner tant
le chercheur en marketing que le manager.
Dans un article publié en 2003, Wilkie et Moore identifiaient quatre étapes dans l’histoire du
marketing. Entre 1900 et 1920, la notion même de marketing apparaît, à la fois dans la pratique de
quelques organisations et dans les premiers cours consacrés à cette fonction dans les universités
américaines. Entre 1920 et 1950 sont formulés les principes fondateurs du marketing : l’impératif
de la compréhension du consommateur et de ses attentes, la prise en compte des spécificités des
différents marchés, les variables d’action à la disposition de l’entreprise (et notamment la
communication). Suit, entre 1950 et 1980, la vague du « marketing management » : une approche
scientifique, recourant massivement aux méthodes quantitatives, et visant à la modélisation des
marchés. Les limites de cette vision déterministe apparaissent dès 1980 et ouvrent la voie à une
phase que les auteurs qualifient de « fragmentation » du marketing ; l’objectif d’une vision unifiée
s’éloigne, en même temps que le caractère persistant de la crise économique devient une contrainte
pour les organisations. La recherche de nouveaux leviers d’action pour les entreprises sur leurs

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marchés devient un impératif. |/\
C’est dans le contexte de cette « ère de la fragmentation » qu’est né le marketing expérientiel. Et
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le développement des recherches académiques qui lui ont été consacrées ainsi que la pratique des
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organisations illustrent cette fragmentation.


L’entrée de la notion d’expérience du consommateur dans le vocabulaire des chercheurs en
marketing est datée : l’article de Holbrook et Hirschman (1982) est considéré comme la publication
By

fondatrice du courant de recherche sur l’expérience de consommation. Il faudra pourtant une dizaine
d’années pour que ce courant de recherche se structure et propose des grilles d’analyse des
comportements de consommation exploitables par les praticiens. Il sera notamment difficile de
mettre en évidence la portée de cette notion d’expérience de consommation pour tous les secteurs
d’activités, et pas seulement pour les arts, la culture et les loisirs. Ce courant académique de
l’expérience est centré sur le consommateur : il mettra en évidence l’importance des états affectifs
dans la prise de décision, contribuant à populariser, dans le champ du marketing, les apports des
travaux en neurosciences, popularisés notamment par le célèbre ouvrage de Damasio, L’Erreur de
Descartes. Il a aussi bénéficié des apports des recherches qui abordent la consommation comme un
phénomène social, le consommateur étant encastré dans des réseaux complexes d’influences, dont
les réseaux sociaux seront une illustration spectaculaire. Ce courant de recherche peut être résumé
par l’interaction des deux concepts d’expérience de consommation et de valeur de consommation.
Comme le résume brillamment Marion (2013), une expérience de consommation produit
simultanément trois formes de valeur pour le consommateur : une valeur fonctionnelle étroitement
liée à l’usage du produit ou service, une valeur symbolique individuelle (surprise, plaisir,
émotions…) et une valeur symbolique sociale (contribution au projet identitaire de l’individu dans
son environnement).
Les praticiens ont plutôt découvert la notion d’expérience sous l’angle stratégique inauguré par
Pine et Gilmore (1999). Pour ces auteurs, la proposition d’expérience est une stratégie de
différenciation qui doit permettre à la marque de compléter sa proposition de valeur fonctionnelle
par un maximum de sources de valeur symboliques. Il ne faut pas négliger l’hypothèse avancée par
ces auteurs d’une phase suivante dans la stratégie de l’entreprise, celle du marketing transformatif,
qui doit fournir au consommateur des ressources lui permettant de dépasser ses limites et de se
construire conformément – justement – à son projet identitaire.
La « fragmentation » chère à Wilkie et Moore (2003) est donc bien présente au cœur même des
travaux sur le marketing expérientiel : les recherches centrées sur l’expérience du consommateur
sont les plus nombreuses, tandis que le volet stratégique de la proposition d’expérience par les
organisations est davantage abordé par la littérature managériale.
Une autre ligne de fragmentation apparaît dans les travaux contemporains en marketing : elle
sépare une vision du consommateur souverain, parfaitement informé, exerçant son libre arbitre et
tirant le meilleur parti possible de son activité de consommation pour construire son projet
identitaire, et une vision plus pessimiste d’un consommateur manipulé par l’environnement
économique et social afin d’assurer la pérennité d’un certain mode de production post-capitaliste.
Le marketing est directement concerné par cette fragmentation. Si des auteurs comme Firat,
Dholakia et Venkatesh (1995) considèrent que l’évolution de l’offre, en particulier de l’offre
d’information grâce à Internet, redonne au consommateur des sources de pouvoir sans précédent,

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d’autres, et notamment Ritzer (2004) interprètent les pratiques du marketing expérientiel comme une
simple variante – certes plus sophistiquée – des méthodes déployées par les organisations
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marchandes pour préserver leur pouvoir de marché : les « moyens de consommation » se sont
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substitués aux « moyens de production » pour soutenir la croissance de cette consommation.


Aborder le marketing expérientiel conduit donc inévitablement à se poser la question de la
répartition des rôles entre le consommateur et l’organisation marchande. Cet ouvrage a tenté de
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distinguer trois étapes d’évolution de cette répartition.


Le marketing expérientiel « originel », pour simplifier, dans la mouvance de Pine et Gilmore,
accorde un rôle central à l’offre, qui doit « proposer » une expérience strictement formatée, selon le
schéma le plus proche de la « macdonaldisation » selon Ritzer. Le visiteur de Disneyland qui
découvre l’attraction Pirates des Caraïbes vit une expérience mécaniste (au sens propre, puisque sa
découverte est cadencée par le déplacement du navire dans lequel il est placé !), sur laquelle il
n’exerce aucun contrôle. Cela ne signifie pas qu’il n’en retirera pas d’intenses gratifications
émotionnelles, au contraire. Et le caractère mémorable de l’interaction, qui est constitutive de
l’expérience, est lui aussi assuré. Il faudrait donc se garder d’associer trop vite à la proposition
d’expérience formatée par l’organisation des qualificatifs négatifs. Elle peut être très plaisante pour
le consommateur. Mais elle présente aussi la faiblesse de toute offre standardisée : le
consommateur s’en lassera vite, ce qui contraint les offreurs à une perpétuelle course en avant pour
renouveler le contenu de l’expérience, ce qui passe en général par le more of théorisé par Umberto
Eco, donc plus d’investissements, et une rentabilité de plus en plus incertaine. Les sociétés
foncières qui développent malls et centres commerciaux connaissent bien cette dérive, les
exploitants de parcs d’attractions aussi…
La deuxième forme du marketing expérientiel propose de rétablir l’équilibre entre l’offre et la
demande, donc entre la proposition d’offre par l’organisation marchande, et la préservation d’un
espace d’autonomie pour le consommateur, propice à l’appropriation de l’offre. Le succès de
l’enseigne Picard, l’une des préférées des consommateurs, mais aussi l’une des plus rentables, tire
peut-être une partie de sa réussite de sa capacité à concilier un rythme élevé d’innovations produits
qui sont autant de propositions d’expériences pilotées, et une proposition aussi importante de
suggestions qui accompagnent le consommateur dans la construction de son expérience personnelle.
La valeur symbolique interpersonnelle procurée par l’enseigne au consommateur est certainement
l’un des principaux bénéfices qu’elle promet : votre entourage social va vous percevoir comme un
grand chef, sans que vous ayez pris de risque dans la confection du repas !
Il est naturellement tentant et logique d’aboutir à la troisième forme du marketing expérientiel :
celle dans laquelle le consommateur pilote intégralement l’expérience. L’essor d’Internet a donné
un fantastique coup d’accélérateur à cette nouvelle étape de la proposition d’expérience. Car le
consommateur peut désormais, par l’entremise de nouveaux intermédiaires informationnels, devenir
non seulement le producteur de ses propres expériences, mais aussi proposer à ses pairs de les
partager : qu’il s’agisse du covoiturage, du partage de biens d’équipement, ou d’hébergement en
bed and breakfast, la liste ne cesse de s’allonger de ces activités dans lesquelles le consommateur
semble être devenu l’unique acteur du marché. Cette interprétation est naturellement fausse, car le
nouveau rôle du consommateur n’est rendu possible que par l’existence de formes très organisées
(et marchandes !) d’intermédiation. Mais la réaction des professions les plus directement menacées

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par ces nouvelles formes de coconstruction d’expérience (les taxis avec Uber, les hôteliers avec
AirBnB…) doit être prise très au sérieux par les entreprises qui ne jurent que par l’expérience
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pilotée par le consommateur : quel rôle l’organisation pourra-t-elle conserver dans la nouvelle
chaîne de valeur ? Quelles seront les sources de proposition de valeur au consommateur qu’elle
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pourra maîtriser ?
La roue du marketing expérientiel continue de tourner… Si la proposition d’expérience a permis
By

aux marques de renouveler leur offre dans un environnement concurrentiel dans lequel tout le
monde proposait à peu près la même chose, il est probable que la différenciation par l’expérience
atteindra elle aussi ses limites, notamment lorsque les organisations marchandes auront délégué trop
d’initiative – et de pouvoir – aux consommateurs. Il sera alors temps de revenir à la rupture
révolutionnaire de l’innovation théorisée par Schumpeter. Pour les organisations, il y a une bonne et
une mauvaise nouvelle. La mauvaise nouvelle, c’est que le marketing expérientiel n’est pas une
panacée. La bonne nouvelle, c’est que les sources de valeur sur lesquelles l’organisation peut
s’appuyer sont suffisamment nombreuses pour que la créativité des marketeurs s’exprime…
Glossaire

Accountability : appliqué au marketeur, le terme renvoie à l’idée que le marketeur est comptable d’une partie de la performance de
l’entreprise, mais aussi de l’impact de ses actions sur l’ensemble de la société.
Brick and mortar : désigne un détaillant qui exploite seulement un réseau de magasins physiques (« en briques et en ciment »).
Click and mortar : désigne un détaillant qui combine une offre digitale et des magasins physiques.
Communitas : communauté d’individus n’ayant pas forcément de liens préalables entre eux mais qui développent une grande
proximité pendant l’expérience qu’ils partagent. Voir, par exemple, l’article River Magic de Arnould et Price (1993) : les personnes
étudiées dans cette recherche, qui pratiquent le rafting sur le Colorado, forment, le temps du séjour, des communitas fondées sur un
vécu fort.
Consommation expérientielle : phénomènes de consommation envisagés sous l’angle des expériences que le consommateur
recherche pour le plaisir, l’évasion, les émotions qu’elles lui apportent.
Consommation hédonique : consommation visant la quête de plaisirs (la consommation culturelle est souvent de nature
hédonique).
Consumer culture theory : courant théorique d’analyse du comportement du consommateur qui propose de dépasser l’approche
individuelle traditionnellement adoptée par le marketing, pour prendre en compte l’influence que l’environnement culturel exerce à
travers un système de normes.
Cross canal : élaboration de l’offre d’une entreprise qui permet au client de passer du canal physique au canal digital – et

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réciproquement.
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Engagement (commitment) : c’est l’intention du consommateur de maintenir une relation durable avec la marque. Il est influencé
par la confiance qu’il éprouve à l’égard de la marque et par son évaluation de la valeur que lui procure la marque.
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Good dominant logic : conception de la fonction marketing centrée sur les produits proposés et leurs caractéristiques, notamment
par rapport à l’offre des concurrents.
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Multicanal : proposition de l’offre de l’entreprise à travers des canaux digitaux et réels qui voisinent, sans que leur intégration soit
réalisée.
Nudge : incitation destinée à faire adopter des comportements vertueux aux consommateurs en leur communiquant une bonne
By

raison de le faire (par exemple : « ne pas changer sa serviette tous les jours dans un hôtel pour respecter l’environnement est un
nudge »).
Omnicanal : proposition de l’offre de l’entreprise à travers des canaux digitaux et réels qui se caractérise par une intégration stricte
de tous les canaux, de telle sorte que le client perçoit une offre absolument homogène sur tous les canaux.
Open source branding : en référence au mouvement du logiciel libre, Fournier et Avery (2011) proposent la terminologie d’open
source branding pour désigner les initiatives prises par des consommateurs ou des internautes concernant la marque. Le user
generated content (contenu généré par le consommateur) ou les parodies de publicité sont des exemples d’open source branding. Ce
dernier capture l’idée qu’une partie du branding échappe désormais à la marque.
Pure player : détaillant qui propose exclusivement une offre digitale, sans recourir à un magasin physique.
Sémiotique : science des signes, c’est-à-dire celle du rapport entre l’objet de la communication (le signifié) et le vecteur de cette
communication (le signifiant). La sémiotique peut être mobilisée pour identifier les dimensions symboliques d’un objet pour un individu.
Service dominant logic : conception de la fonction marketing centrée sur les ressources que l’offre de l’entreprise procure au
consommateur afin de réaliser ses objectifs.
Transformative consumer research : courant de recherche en comportement du consommateur visant à étudier les formes de
consommation qui transforment le consommateur (en lui apportant plus de bien-être, voire plus de bonheur). Le courant de la
transformative consumer research, encore récent, est associé au transformative service marketing, qui explore un marketing fondé sur
les services et visant le bien-être du consommateur.
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Index

A
ATAWAD 1
avantage concurrentiel 1

C
close experiences 1
consommateur collaboratif 1
consommateur suspicieux 1
consommation expérientielle 1
consumer culture theory 1
crowdsourcing 1
cyberexpériences 1
cycle de vie d’un contexte expérientiel 1
D

|
dimensions du contenu de l’expérience 1
distant experiences 1
E
|/\
$!
échelle POMP 1
4$

économie de l’expérience 1
empowerment 1
expérience cross canal 1
expérience de la marque 1
By

expérience de magasinage 1
experience engagement process 1
experience providers 1
F
figures du nouveau consommateur 1
flow 1
H
habillage expérientiel 1
hypermodernité 1
hyperréalité 1

M
matrice des formes de cocréation 1
moment de vérité 1

N
nudge marketing 1
P
phygitalisation 1
pop-up store 1
postmodernité 1
processus expérientiel 1
pyramide des formes de cocréation 1

R
réenchantement 1
roue expérientielle 1

S
strategic experience modules 1
stratégies expérientielles génériques 1

T
transformative consumer research 1

V
valeur expérientielle 1

|
|/\
$!
4$
By
Le marketing expérientiel
par Claire Roederer et M arc Filser.

© Vuibert – octobre 2015


5, allée de la 2e DB – 75015 Paris
Site Internet : www.vuibert.fr

978-2-311-40237-7

M ise en page intérieur : Hervé Soulard


Responsable éditoriale : Caroline Roucayrol

Cette œuvre est protégée par le droit d'auteur et strictement réservée à l'usage privé du client. Toute reproduction ou diffusion au profit de tiers, à titre gratuit ou
onéreux, de tout ou partie de cette œuvre, est strictement interdite et constitue une contrefaçon prévue par les articles L.335-2 et suivants du Code de la Propriété
Intellectuelle. L'éditeur se réserve le droit de poursuivre toute atteinte à ses droits de propriété intellectuelle devant les juridictions civiles ou pénales...

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By
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