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Structures granulaires et formulation des bétons

Introduction

…diviser chacune des difficultés que j’examinerais en autant de parcelles qu’il se


pourrait, et qu’il serait requis pour les mieux résoudre…
…conduire par ordre mes pensées, en commençant par les objets les plus simples et les
plus aisés à connaître, pour remonter peu à peu, comme par degrés, jusques à la
connaissance des plus composés…
…faire partout des dénombrements si entiers et des revues si générales, que je fusse
assuré de ne rien omettre.

René Descartes
"Discours de la méthode", 1637

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Structures granulaires et formulation des bétons

Le but de ce livre est de proposer une approche cohérente, rationnelle et


scientifiquement fondée pour formuler un béton, préoccupation récurrente dans la
plupart des applications du génie civil. Il a été écrit sur la base des constats suivants,
qui ont sensiblement modifié la nature des problèmes rencontrés par nos
prédécesseurs (de René Féret et Duff Abrams, aux plus récents auteurs) :
 de nos jours, les bétons ne sont plus fabriqués seulement avec des granulats, du
ciment Portland et de l’eau ; ils incorporent très souvent, si ce n’est pas toujours, au
moins l’un des produits suivants : adjuvants organiques, additions minérales, fibres ;
 en plus de la résistance finale en compression, ces bétons doivent répondre à de
nombreuses spécifications relatives aux propriétés rhéologiques, aux caractéris-
tiques au jeune âge, aux propriétés de déformations et aux aspects de durabilité ;
 l’étendue des exigences possibles a augmenté de façon spectaculaire. Par
exemple, l’affaissement au cône varie de 0 (bétons de démoulage immédiat) à plus
de 25 cm pour les bétons autoplaçants. De même, les résistances requises à 28
jours en compression peuvent s’échelonner depuis des valeurs modestes, de l’ordre
de 10 MPa pour certains bétons de masse, à des valeurs très élevées, supérieure à
200 MPa et plus pour certains produits spéciaux préfabriqués ;
 enfin, une optimisation purement expérimentale et empirique est de moins en
moins possible, en raison notamment du grand nombre de paramètres impliqués (à
la fois en amont et en aval) et de la somme de travail que cela représente,
difficilement compatible avec les contraintes économiques et les délais imposées par
le monde industriel.
Cependant, à coté de ces aspects négatifs (vis-à-vis de la facilité à optimiser un
béton), il y a, heureusement, d’autres aspects positifs :
 la technologie du béton n’est plus une technologie jeune ; depuis le début du
siècle, de très nombreuses données expérimentales ont été publiées, qu’il est
possible d’exploiter et de synthétiser. La dernière édition du livre d’Adam Neville
fournit un aperçu exceptionnel de cette littérature [Neville 1995] ;
 le développement des ordinateurs permet au chercheur de traiter un grand
nombre de données expérimentales. Des lois physiques peuvent alors être déduites
de ces analyses, pour ensuite être exprimés par des modèles mathématiques semi-
empiriques, ajustés sur les données de bases [Kaëtzel & Clifton 1995] ;
 ces modèles, une fois transformés en logiciels conviviaux, deviennent aisément
utilisables par les praticiens, même si ceux-ci n’ont qu’une connaissance limitée de la
vaste complexité du système. Des réponses optimales peuvent alors être apportées
rapidement à des problèmes industriels concrets. Toutefois, au stade actuel du
développement de ces outils, des essais de convenance sur les formules proposées
sont encore nécessaires. Mais, déjà, les logiciels réduisent radicalement le nombre
de ces tests, ce qui permet au formulateur de mieux cerner les programmes
expérimentaux et de tirer le plus d’avantages possibles des nouvelles données
obtenues.
L’objectif de ce livre, déduit des constats précédents, est double :
 développer des modèles simples reliant la composition des bétons à leurs
propriétés, afin d’établir une solution analytique répondant aux différents problèmes
de l’optimisation. C’est aussi un moyen de démontrer les principales lois et

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tendances observées et, donc, de parvenir à une meilleur compréhension du


"système béton" ;
 construire des modèles plus complexes, mais aussi plus complets, qui soient
facilement programmables et utilisables pour formuler des bétons avec des
matériaux réels, pour des applications réelles.
Il est clair que formuler un béton est avant tout un problème de compacité. Toutes
les méthodes existantes reconnaissent implicitement ce principe en suggérant, pour
certaines, de mesurer les compacités des constituants (ACI 211) ou, pour d’autres,
de s’approcher d’une "courbe granulaire idéale" supposée donner la compacité
maximale avec les matériaux utilisés. A vrai dire, pour cette dernière approche,
chaque auteur propose différentes courbes (ou familles de courbes), ce qui soulève
des réserves quant à la pertinence du concept lui-même… Le chapitre 1 de ce livre
présente en détail une théorie développée par l’auteur et ses collègues, fruit de 12
années de recherches. C’est la première fois, à sa connaissance, que le problème
de la compacité d’un mélange sec est résolu dans toute sa généralité et avec une
précision suffisante pour des applications pratiques. La théorie concorde avec la
plupart des résultats classiques et elle montre que les proportions idéales d’un
ensemble de granulats dépendent non seulement de la granularité, mais aussi de la
compacité de chacune des tranches granulaires, y compris les fines.
Le chapitre 2 est consacré à l’analyse des relations entre la composition du béton et
ses propriétés. Les modèles développés se réfèrent souvent au concept de
compacité, en considérant soit la gamme entière des matériaux solides dans le béton
frais, soit uniquement le squelette granulaire dans le béton durci. La plupart des
propriétés d’usage sont traitées par ces modèles avec, toutefois, des
développements restreints pour ce qui concerne la durabilité. Cela ne signifie pas
que le sujet soit de moindre importance mais, simplement, qu’il n’existe jusqu’à
présent que peu de données disponibles couvrant la large gamme des bétons et
concernant des propriétés intrinsèques au matériau.
Le chapitre 3 inventorie les propriétés des constituants qui déterminent, dans les
modèles développés précédemment, les caractères du béton. Il convient de noter
que cette liste est limitée, par comparaison à l’imposante collection de paramètres
qui encombrent parfois certaines études.
Le chapitre 4 montre comment utiliser les modèles présentés au chapitre 2. Il
constitue en fait le cœur de ce livre. Le problème de l’optimisation est tout d’abord
résolu analytiquement à l’aide de modèles simplifiés. Cette approche qualitative met
en avant les plus importantes caractéristiques du "système béton". Une solution plus
raffinée est ensuite obtenue grâce à l’utilisation de modèles plus complets, faisant
appel à des outils informatique contenant un utilitaire d’optimisation ("solveur"). Les
questions générales se rapportant à la recherche des proportions optimales des
mélanges sont discutées à la lumière de diverses simulations numériques, et une
revue critique de quelques méthodes empiriques existantes est proposée.
Le chapitre 5 présente un certain nombre d’applications industrielles traitées grâce à
l’approche développée dans ce livre. Il y est montré que les arguments avancés
fournissent un cadre conceptuel s’appliquant à tous les matériaux granulaires
contenant du ciment, depuis les mortiers, jusqu’aux bétons compactés au rouleau ou
aux bétons projetés. Un accent particulier est mis sur le béton à hautes
performances, mais l’approche s’applique tout aussi bien pour beaucoup d’autres

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fournitures de type "béton courant". Des formules de béton réel, avec leurs propriétés
mesurées, sont comparées aux prédictions du modèle obtenues avec les mêmes
spécifications.
La conclusion souligne les recherches qui sont encore nécessaires pour améliorer
les modèles. Le problème de la durabilité est l’un de ceux qui demanderont le plus
d’efforts, car on est loin encore de savoir concevoir parfaitement un béton destiné à
la fois à une structure et à un environnement donné. Les raisons en sont que
certains modèles sont trop empiriques ou reposent sur des bases scientifiques
imprécises, issues parfois d’extrapolations hasardeuses. Rappelons cependant, si
cela peut constituer une justification, qu’un ingénieur se doit de résoudre chaque
problème qui lui est posé. Il utilise pour cela les moyens les plus récents et les plus
appropriés dont il dispose, même si ceux-ci comportent une part d’empirisme. Le but
des recherches futures sera de réduire le plus possible cet aspect des choses.
En complément des développements présentés dans ce livre, il est proposé, en
appendice 1, un formulaire d’aide à l’écriture des logiciels concernant les différents
modèles. De même, il est brièvement montré que les concepts présentés peuvent
être utilisés aussi bien pour concevoir de nouveaux mélanges que pour exercer un
contrôle de la qualité. D’ailleurs, dans un procédé industriel où les propriétés des
matières premières varient continûment, le "système béton" doit être remanié en
temps réel pour donner une production aussi constante que possible [Day 1995].
C’est probablement là l’un des plus grands défis de l’industrie du béton de demain,
au moins aussi important que le développement de nouvelles ‘recettes exotiques’.
Ce livre n’est pas un "état des lieux" sur la formulation des mélanges, c’est-à-dire
une compilation des connaissances existantes et publiées. Au contraire, il contient
pour l’essentiel le résultat de recherches originales menées par l’auteur et ses
collègues au Laboratoire Central des Ponts et Chaussées à Paris. En ce lieu, il a eu
la chance de passer 12 années dans un environnement scientifique exceptionnel
pendant lesquelles il a été au contact du "monde réel du béton", grâce notamment à
des échanges avec le réseau des Laboratoires Régionaux des Ponts et Chaussées.
L’approche proposée essaye ainsi d’être en avance sur les technologies courantes.
Toutefois encore, les points de vue présentés sont souvent personnels. C’est
pourquoi l’auteur espère que, par ce livre, la communauté scientifique et technique
adhérera à une partie des ses idées.
Une dernière remarque est adressée aux ingénieurs du génie civil : ce livre ne
contient que peu (sinon pas) de chimie1. C’est dû pour partie au fait que l’auteur n’est
pas chimiste de formation, mais surtout parce que le concept par lequel la
formulation du béton est envisagée est celui, primordial, de l’assemblage des
composants. Les faits relatifs aux phases des matériaux (par exemple les granulats
ou la pâte pure) sont pris comme des hypothèses ; seules les conséquences dans le
béton sont étudiées ici. Cependant, l’auteur est conscient qu’il faut aussi prendre en
compte l’aspect chimique, en particulier si une approche comparable doit être
étendue aux problèmes de la durabilité.

1
Cette remarque peut être considérée aussi bien négativement que positivement, selon la formation du lecteur…

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