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Olivier Duhamel : "Il faut arrêter la dégradation du


discours politique"

| 24.09.10 | 14h24 • Mis à jour le


24.09.10 | 14h47

L e discours politique s'est-il dégradé sous la présidence de Nicolas Sarkozy ?

Il ne cesse de se dégrader depuis un quart de siècle, principalement à cause de la "vidéocratie" : l'ère des écrans
accentue dramatiquement la crétinisation du politique. La présidentialisation d'un certain nombre d'institutions est un
facteur aggravant. Cela a commencé avec Ronald Reagan, a franchi une étape avec Bill Clinton et Tony Blair et a été
porté à un point d'incandescence, de ridicule parfois, mais aussi d'efficacité, par Silvio Berlusconi et Nicolas Sarkozy.

En France, cela a vraiment commencé avant Nicolas Sarkozy ?

Oui. Cela commence avec la combinaison "prédominance de l'image, personnalisation, présidentialisation". Il existe deux
modèles de pouvoir. Un modèle hiérarchique, vertical. L'homme politique, qui aspire à devenir homme d'Etat, veut être le
guide, engageant un dialogue démocratique avec le peuple pour lui montrer un chemin. Dans sa version authentiquement
démocratique et non présidentielle, c'est la conception qu'avait Pierre Mendès France. Elle ne peut plus fonctionner.

Mais il en demeurait des traces avec le général de Gaulle, Valéry Giscard d'Estaing et François Mitterrand. Tony Blair,
Silvio Berlusconi, Nicolas Sarkozy se placent, eux, dans un modèle horizontal, empathique. Ce leadership horizontal est
en harmonie complète avec notre époque d'horizontalité, de réseaux. En outre, il a des aspects démocratiques
sympathiques. Sarkozy prend le modèle postmoderne, télévisuel, d'identification du chef avec tout un chacun, et le pousse
à un point extrême. D'où l'hyperprésidentialisme : "Je vais faire tout pour vous". Et il ne fait rien.

Certains disent qu'il a désacralisé la fonction présidentielle et que les Français l'approuvent...

Au début, on pouvait apprécier le fait d'avoir ce président, dans notre pays engoncé dans des siècles de convention. Mais
il a poussé son attitude au ridicule, dans l'exhibition people qui est le contraire de l'empathie. Si on gère bien la
"vidéocratie", on peut mêler people et leadership empathique. Barack Obama sait le faire et le contrôler. Nicolas Sarkozy
ne contrôle pas. De temps en temps, on lui dit qu'il faut se représidentialiser, il le fait, et le lendemain il fait le contraire.
C'est comme si un acteur de cinéma décidait d'être tantôt Louis de Funès, tantôt Louis Jouvet. Cela n'aurait aucun sens.

Cette "libération" du discours au sommet de l'Etat a-t-elle changé pour tout le monde la notion de ce qui peut se
dire ou non publiquement ?

Nicolas Sarkozy a de grandes qualités, qu'il a gâchées. Il a gâché la désacralisation contrôlée de la fonction présidentielle.
Et la construction d'un nouveau discours politique, qui mènerait une discussion, non plus technique, mais simple et
profonde. Il lui a substitué la légitimation de la vulgarité et de l'injure. Et c'est contaminant.

Ses propos à Bruxelles, le 16 septembre, à l'égard de la commissaire européenne Viviane Reding et de José
Manuel Barroso, sont-ils une sorte de saut qualitatif dans cette dégradation du discours ?

Ce qui se passe depuis cet été est un saut qualitatif. Au bout d'un certain temps, presque inéluctablement, les
gouvernants deviennent impopulaires. La question est alors : comment redevenir populaire ? En France on a deux
exemples, François Mitterrand et Jacques Chirac. Certes, ils ont été aidés par la cohabitation qui a disparu, mais pas
seulement. Quel principal facteur ont-ils su utiliser ? Le temps.

Sarkozy fait l'inverse, à un point inimaginable. Si l'on prend la séquence de fin juillet, il commence en développant un
1 of 2 virage à l'extrême droite, avec la scandaleuse stigmatisation d'une population d'origine étrangère. Puis, le 20 septembre à
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l'ONU, il fait un virage à l'extrême gauche en prônant la taxe Tobin. Il ne sait pas où il va et se moque de nous. Ce ne sont
que des mots. Il ne sait pas choisir entre deux stratégies : se faire réélire sur une ligne Berlusconi d'alliance avec le
nouveau populisme, ou sur une ligne néo-blairiste d'alliance avec le centre et une partie de la gauche. Il est moins
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