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UN INÉDIT DE GUSTAVE GEFFROY SUR LA MORT DE MIRBEAU
Au lendemain de l’effroyable bataille de la Somme, à la veille du repli stratégique del’Allemagne le long de sa ligne Hindenburg, Gustave Geffroy consacre sa chronique à la unede
 La Dépêche
 du vendredi 2 février !"!#, à la mort de son ami et confr$re %ctave &irbeau'(appelons qu’en !"!#, les réunions de l’Académie Goncourt ) dont Geffroy est présidentdepuis la démission de *éon Hennique, en novembre !"!2 ) sont tou+ours erratiques etclairsemées, pour cause de guerre' Henri arbusse s’est vu décerner le pri- Goncourt !"!. pour
 Le Feu
, d’abord publié en feuilletons dans
 L’Œuvre
 de Gustave /éry'0epuis décembre !"!!, l’auguste assemblée littéraire avait volontiers entériné leremplacement du d1ner en dé+euner, sollicité par &irbeau, dont la santé chancelante +ustifiaitun tel aménagement
!
' &ais si la production littéraire de &irbeau continue sur son erre audelàde cette date, force est de reconna1tre que son état de santé ira se délabrant, comme entémoignent les visites que lui rendra tr$s réguli$rement Geffroy, en compagnie de 3laude&onet, *ucien 0escaves, ou Georges 3lemenceau, fid$le +usqu’au- derniers +ours' 0e fait, le +our de la disparition de &irbeau, Alice tient instantanément au courantcelui en qui elle sait pouvoir placer sa confiance 4 à son tour, Geffroy se charge decommuniquer la sombre nouvelle à ses proches, au premier rang desquels *ucien 0escaves 5 
Cher ami,  Madame Mirbeau me fait savoir la triste nouvelle de la mort d’Octave Mirbeau survenue ce matin. i tu veu!, nous irions tous deu! dans la matinée voir Mme Mirbeau. Fais"moi savoir sicela t’est possible par un mot #ue $e recevrai demain matin %si tu n’es pas che& toi en cemoment'.  (ffectueusement ) toi,*ustave *effro+
 0e cette invitation à saluer la veuve, tout autant qu’à rendre une derni$re visite augrand écrivain sur son lit de mort, nous reste la belle évocation de &irbeau mort, 6
les +eu!clos, le visa-e calme, commenant le -rand vo+a-e de l’éternité
 7 qui ouvre l’hommage de
 La Dépêche
' %n comprend mieu-, à cette date fatidique de février !"!#, comment la tragédienationale et celle qui voit la perte d’un ami tr$s proche ont pu s’entrecroiser dans l’esprit deGeffroy, qui, comme tout un chacun, s’abandonne en partie à la lassitude générée par quelquetrente mois de conflit8 *es deu- événements y trouvent à coup s9r des résonances similaires,convulsives, suscitant un m:me pessimisme, singuli$rement dur à assumer pour celui quicherche à soulager la tristesse de certains de ses amis, comme 3laude &onet *ucien0escaves, ou André Antoine, angoissés par le sort de leurs fils respectifs envoyés sur le front'!
 6
 /our Mirbeau, il habite définitivement Cheverchemont par 0riel %eine"et"Oise', et c’est de l) #u’il viendra dé$euner le 12, ou le 1. C’est surtout lui #ui demande le dé$euner, et moi pres#ue autant #ue lui, car $e ne d3ne  pres#ue plus
 7, confie Geffroy à 0escaves, dans une lettre de novembre !"!!, iblioth$que de l’Arsenal'
2
 *ettre de Geffroy à 0escaves, datée de 6 ;endredi <!. février !"!#= 7, iblioth$que de l’Arsenal, &s !>?"@!2?@'
 
%n comprend mieu-, à cette date fatidique de février !"!#, comment la tragédienationale et celle qui voit la perte d’un ami tr$s proche ont pu s’entrecroiser dans l’esprit deGeffroy, qui, comme tout un chacun, s’abandonne en partie à la lassitude générée par quelquetrente mois de conflit8 *es deu- événements y trouvent à coup s9r des résonances similaires,convulsives, suscitant un m:me pessimisme, singuli$rement dur à assumer pour celui quicherche à soulager la tristesse de certains de ses amis, comme 3laude &onet *ucien0escaves, ou André Antoine, angoissés par le sort de leurs fils respectifs envoyés sur le front'3e que tait en revanche Geffroy, c’est la dimension conflictuelle des tractationsintenses qui débuteront d$s les obs$ques de &irbeau, et relatives à la succession de celuici àl’Académie Goncourt' Bardelà la mort, le grand polémiste continue à susciter tensions etcrispations, comme en témoignera Cean A+albert 5
C’est derri4re le convoi de Mirbeau #ue Descaves avait atta#ué *effro+ sur le chapitrede la succession 5 6 7l faudrait penser8  6 7l + a le temps8 6 9on8 7l faut frapper le coup tout de suite8 :n -rand nom pour le public8 6 ;ui < 6 Courteline8 6 9ous ne sommes pas l) pour ratifier les en-ouements du public8 Moi, $e vote pour  ($albert. 6 Oui, certainement, plus tard, ($albert8
=
Au plus fort de la lutte d’influences, une fois n’est pas coutume, Geffroy, ironiste d’un +our, ira +usqu’à faire preuve de cynisme afin de mettre en avant les chances de son poulain'Brosopopéen, il donne la parole à &irbeau, afin de rassurer son candidat, Cean A+albert ) quisera élu, de haute lutte'
 (vec >enni#ue, tes chances, naturellement, au-mentent. ?e crois Léon Daudet capable de voter pour toi. 7l te resterait ) décrocher la voi! de /. Mar-ueritte et de @osn+ $eune, 6 et les deu! vaudraient mieu! 6 te feraient une ma$orité vraiment imposante. At #ui sait si Mirbeau ne voudra pas voter pour toi B
2
 A+albert,
 Les M+st4res de l’académie *oncourt 
, DerencEi et fils, !"2", p' 2>?'
F
 *ettre de Gustave Geffroy à Cean A+albert, été !"!#, collection particuli$re'
 
n autre motif d’étonnement pour le lecteur tient tou+ours au silence de Geffroy, sur un autre point, cette fois, le tendancieu- pr:che de Gustave Hervé lors des obs$ques del’écrivain, littéralement oublié dans la chronique de celui que (osny surnomme Geff ) qui,selon toute vraisemblance, assista à l’inhumation, au cimeti$re de Bassy' Blus, la placeménagée par ce dernier au 6
testament
7 dit 6
 politi#ue
7 paru dans la presse témoigne de la profondeur du malentendu, à tout le moins de la confusion, entre le discours et la pensée de&irbeau' 3’est en toute bonne foi, à coup s9r, que Geffroy rappelle en ses grandes lignes ledernier te-te paru signé du nom de &irbeau' &ais à défaut d’instrumentalisation ) Geffroy,comme &irbeau, se fait une trop haute idée de son lectorat pour chercher à le manipuler ) ilappara1t évident que la récente et trop ostensible adhésion de &irbeau à la notion de patrietombe à point nompour contribuer au développement de l’argumentation volontiersnationaliste qui est celle de Geffroy d$s l’entrée de la Drance dans le conflit' 3ertes, l’unionsacrée +ustifie bien des rapprochements, mais il est opportun de rappeler les priorités deGeffroy, en tous points voisines de celle de son patron, 3lemenceau' %n a pu, à bon droit, parler de leur pensée +acobine, tant l’idée de devoir sacrifier tout sur l’autel de la patrie endanger animait les deu- hommes'
 La France héro#ue et ses alliés
, que Geffroy fait para1treen temps de guerre, avec la collaboration de ses deu- confr$res *éopold *acour et *ouis*umet, résume asseE bien l’adhésion compl$te de ces auteurs à la vocation historique de laDrance à endosser le rle e-emplaire de figure héroIque, d9telle passer par l’étape de victime propitiatoire sur le chemin qui la m$ne à la victoire' Bourtant, la prophétie teintéed’optimisme qui clt le prétendu 6 testament 7 de &irbeau sonne suffisamment mal avec sonJuvre antérieure pour que le lecteur avisé la consid$re avec une relative méfiance, quant à sasignificative valeur biographique ou littéraire,
a fortiori
 historique' Kuoi qu’il en soit, lerecours à ce te-te témoigne de l’oppressante atmosph$re que fait peser sur chaque individu,intellectuel ou non, un climat de guerre ressenti avec force à l’arri$re'&ieu- inspirées, car plus proches de la réalité, nous semblent :tre les paroles critiquesque consacre Geffroy à la littérature de &irbeau, et à ce qui lui survivra' *a comparaison à&aupassant, dont la déconcertante ma1trise du su+et incline à une sorte d’ob+ectivité, donne par contraste un relief supérieur à la dimension épidermique du style mirbellien' 3’est asseE bien vu, et &irbeau mérite bien entendu de survivre autant que l’auteur de
 el (mi
, grLce à laforce convulsive, volcanique, de son approche littéraire et esthétique' 0u reste, les référencesde Geffroy sont avant tout picturales, comme si la définition de l’art littéraire de &irbeaudépassait les codes classiques en vigueur' Ml est, selon Geffroy, un caricaturiste à l’ironie tanttféroce, tantt +oyeuse' Nt le fait est qu’une caractéristique du discours critique de Geffroy s’e-prime sous laconstante de l’e-c$s, décelé cheE &irbeau 4 en dépit des précautions oratoires, l’e-agérations’impose à Geffroy comme le dénominateur commun à tout l’Juvre génial de l’écrivain, àtelle enseigne que l’on serait peut:tre fondé à y voir une forme de désaccord avec sonesthétique personnelle' Nt les 6
#uel#ues pa-es véritablement e!cessives
 7 du
 ?ournal d’une femme de chambre
 font inéluctablement penser au +ugement d’AlainDournier révélé àCacques (ivi$re 5 6
C’est -rossier de toute faon, mais c’est rudement fort 
 
>
7'Samuel *AM( OOO
Octave Mirbeau
Ce l’ai vu étendu, pour son dernier sommeil, les yeu- clos, le visage calme,commenPant le grand voyage de l’éternité' Autour de lui, rien n’était changé' *es tableau-qu’il aimait montraient sur les murailles les images de la vie, des paysages de 3laude &onet,des fleurs de 3éEanne, des paysannes de Bissarro, un torse de fillette au visage rieur, de>
 3ité par 3laude HerEfeld,
 La Fi-ure de Méduse dans l’Euvre d’Octave Mirbeau
, QiEet, !""!, p' .2'

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