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Le Droit Comme Lieu de Rencontre Entre Le Communautarisme Et Le Libéralisme PDF
Le Droit Comme Lieu de Rencontre Entre Le Communautarisme Et Le Libéralisme PDF
62 | 2011-2 :
L’homogène et le pluriel
L'homogène et le pluriel
Résumés
Français English Español
Partant d’une perspective aristotélicienne, l’auteur expose l’application du droit à des cas
péruviens qui sont ensuite comparés aux approches développées dans la troisième critique
kantienne. L’article se conclut par des réflexions sur le rôle du droit comme médiateur. Cette
approche permet à la fois de distinguer la rationalité technique de la morale ainsi que
d’illustrer le rôle articulateur du droit dans la formation d’une volonté politique universelle.
El artículo expone el tema de la aplicación del derecho a los casos singulares desde una
perspectiva aristotélica, primero, y luego la compara con la estética de la tercera crítica
kantiana, para concluir con algunas reflexiones sobre el papel mediador del derecho. Así, por
un lado, acerca la prudencia al juicio reflexionante y ayuda a distinguir la racionalidad técnica
de la moral y, por el otro, muestra el papel articulador del derecho en la formación de una
voluntad política universal.
Entrées d’index
Mots-clés : Aristote, Juge de paix, justice, Kant, libéralisme et communautarisme, Pérou,
rationalité technique et morale, ronde paysanne
Keywords : Aristotle, Communitarianism, Justice, Kant, liberalism, Moral and Technical
Rationality, Prudence, Reflexive Judgment, Universal or Political Will
Indice de palabras clave : Aristóteles, jueces de paz, justicia, Kant, liberalismo y
comunitarismo, prudencia y juicios reflexionantes, racionalidad técnica y moral, rondas
campesinas, voluntad universal o política
Texte intégral
« La justice ne demeure justice que dans une société où il n’y a pas de distinction entre
proches et lointains, mais où demeure aussi l’impossibilité de passer à côté du plus
proche ; où l’égalité de tous est portée par mon inégalité, par le surplus de mes devoirs
sur mes droits. L’oubli de soi meut la justice ».
Introduction
1 Sur les rives du communautarisme et du libéralisme on trouve des pensées qui sont à
la fois contradictoires et indispensables. Le libéralisme est purement formel, il prête
principalement son attention aux normes, alors que le communautarisme est
substantiel nous rappelant que la justice et les relations sociales dépendent de
conceptions partagées. Cette idée se retrouve dans le raisonnement d’Aristote lorsqu’il
affirme que la communauté préexiste (totalité originelle et naturelle) à l’individu
puisque celui-ci se forme en elle et passe par un processus de socialisation de ses
valeurs. Pour les communautaristes, comme pour Aristote, la justice au sein de la
communauté ne peut être comprise qu’en incorporant les conceptions substantielles du
collectif liées à sa propre définition du bien commun.
2 Le libéralisme, au contraire, affirme que toutes les conceptions substantielles
concernant le bien doivent être exclues puisqu’elles interdisent l’impartialité qui est le
principe fondamental de la justice. La justice ne peut pas être partialisée. Elle doit
fonctionner selon des procédures formelles qui doivent rester indifférentes aux
particularismes des sujets qui y sont soumis. C’est pour cela que le courant libéral est
souvent qualifié de procédural dans la mesure où il considère que la justice ne peut être
rendue qu’au travers de procédures impartiales et justes. Les libéraux insistent sur
l’importance de la formalité, l’égalité et l’impartialité pour défendre les droits de
l’homme. En résumé, nous pouvons écrire que, d’un côté, nous avons le libéralisme
dont la proposition de justice est formulée d’après l’impartialité et la formalité tandis
que le communautarisme insiste sur la pluralité des conceptions du juste et la diversité
des idées sur ce qu’est le bien.
3 Le désaccord entre ces deux tendances peut également être appréhendé depuis les
relations que maintiennent l’universalisme et le particularisme. Bien que ces deux
concepts soient, d’un certain point de vue, excluant, il existe un jeu de vases
communicants entre eux. Si l’on parie pour l’universalité, si toutes les différences
doivent être gommées, on peut se demander comment rendre justice lorsque les
différences sont négligées car il semble que la caractéristique propre de la justice est de
prêter une attention toute particulière à la singularité des situations. Mais d’un autre
côté, comme nous l’avons vu, la prise en compte des particularités et de la singularité
des situations nous feraient perdre de vue le facteur de l’impartialité. C’est cette
problématique que nous avons souhaité traiter dans les pages qui suivent en essayant
de comprendre ce que fait un juge dans l’exercice de ses fonctions.
La technique et la morale
11 Précédemment nous avons vu la différence entre le jugement moral et le jugement
technique. Aristote, lorsqu’il compare ces deux types de jugements, nous dit que même
si dans ces deux modalités il existe une structure composée de moyens et de fins, il n’en
demeure pas moins vrai que tous les deux procèdent de manière différente. Dans le
jugement moral l’application de moyens déterminés ne suffit pas à légitimer les fins
visées. Dans le jugement moral intervient la prudence dans le sens spécifique de
l’application de l’universel à une situation singulière. Aristote s’oppose à Platon pour
qui la vertu est seulement une connaissance théorique. D’autre part, Aristote signale
que lorsque nous délibérons sur une question technique, nous raisonnons sur les
meilleurs moyens d’atteindre nos fins et nous laissons de côté le problème moral des
objectifs visés. Il importe donc de nous arrêter sur quelques aspects de cette
délibération avant de traiter des considérations purement morales.
12 Aristote affirmait que l’essence de la condition humaine est l’obstacle de la
transformation de l’idéel en produit. Les hommes vivent dans un monde qui n’est pas
parfait. Il nous faut donc évaluer ce que nous faisons dans le cadre d’un jugement
technique. Nous souhaitons fabriquer un triangle et nous jugeons les moyens pour le
créer puisqu’il y a toujours une marge d’erreur. En effet, il y a toujours un décalage entre
ce à quoi nous aspirons et le résultat obtenu suite à la mise en pratique. Les facteurs qui
interviennent dans la réalisation pratique sont trop nombreux et il est difficile de
maitriser l’ensemble des paramètres qui altèrent le résultat pratique.
13 Dans le cas du jugement moral, aussi, il existe un vide pour ne pas dire un abîme entre
l’idéel qui est la norme et le réel, la situation particulière, qui s’impose à nous. Il existe
toujours une perfection mais celle-ci est conçue de façon distincte du jugement technique.
Alors que dans le cas du jugement technique, l’abime entre l’idéel et le réel entraine une
grande frustration et que notre unique recours est d’espérer l’amélioration des moyens et
des compétences pour atteindre nos fins ; dans le cas du jugement moral l’imperfection
réside dans la perfection même de la loi. En effet, l’excellence du droit et du jugement
implique, comme une imperfection, que nous ne pouvons pas subsumer parfaitement la
particularité d’une situation dans l’universel. Dans le cas du jugement moral nous
n’éprouvons pas, comme dans le cas du jugement technique, l’échec produit par la
rencontre de l’imperfection humaine ou du monde humain. Nous expérimentons
l’exigence de la perfection comme une exigence de concrétion. Ce qui veut dire que pour
être vraiment justes nous devons obligatoirement faire violence à la loi. La perfection de
l’application de la loi exige que nous allions au-delà de l’universalité de la loi et que nous
jugions le réel. Cependant, nous savons que les situations réelles ne se subsument jamais
parfaitement dans le cadre universel parce qu’il y a toujours une imperfection. C’est
justement ce cas particulier qui est rebelle à l’universel. L’imperfection existe mais ce n’est
pas une imperfection en soi sinon la recherche de la perfection du droit : juger
correctement (avec équité) le cas particulier.
14 Il s’agit d’une première approche de l’analyse de l’application du cadre universel à
une situation singulière. Il existe une injustice dans tout système juridique, bien qu’elle
soit parfaitement juste, celle de ne pas considérer le cas particulier du fait de s’être
donné l’universel comme cadre référent. C’est en ce sens qu’Aristote se réfère à la
prudence comme la vertu de l’excellence dans la mesure où elle invite à l’application de
la norme au cas concret. La perfection de la loi est son imperfection et cette
imperfection permet d’expliciter la loi et de la dévoiler pour finalement déterminer ses
conséquences pour le cas particulier. C’est ce que cherche le droit, cette imperfection,
cette explicitation de la loi qui lui permet de rejoindre la singularité d’une situation.
Le jugement esthétique
15 À la suite de la rédaction de La critique de la raison pure et La critique de la raison
pratique, Kant avait considéré que sa réflexion philosophique était achevée car elle
comportait les aspects théoriques et les aspects pratiques ou moraux de la raison.
Toutefois, cinq ans après, Kant publie La critique de la faculté de juger. Dans sa
troisième critique, Kant étudie le jugement esthétique. Nous considérons possible
d’étendre ses appréciations au champ de la morale et du jugement juridique.
16 Kant formule une affirmation pour le moins surprenante : le jugement esthétique est
un jugement sans concept. Lorsque nous énonçons un jugement esthétique (ceci est
beau), nous ne réalisons pas la même opération que dans le cas d’un jugement
théorique ou pratique. Dans le cas de l’esthétique, nous ne faisons appel à aucun
concept. C’est-à-dire que notre jugement ne dépend d’aucune norme. Nous ne partons
pas d’une norme universelle pour l’appliquer au cas particulier parce qu’il n’existe pas
un concept du beau. De fait, le beau dépend du goût. D’ailleurs, la « critique du
jugement » aurait pu également s’appeler la « critique du goût ». Qu’y a-t-il de plus
subjectif que le goût ? Dans l’exemple du beau nous sommes face à un jugement qui ne
dépend d’aucune norme ni d’une quelconque application mécanique. Comme nous
l’avons explicité auparavant, l’activité du juge n’est pas non plus une application
mécanique. Dans aucun des deux cas il ne s’agit simplement de partir d’une règle
universelle pour descendre à la concrétion du cas particulier. Par contre, ce qu’il y a
d’étrange dans le jugement esthétique c’est que lorsque quelque chose me paraît beau,
je présume implicitement que tout le monde la considère belle. Il y a une prétention
universelle dans le jugement esthétique même si celle-ci ne dépend pas et n’est pas non
plus une simple application mécanique d’une norme universelle. Comment passons
nous, dans ce cas, du jugement particulier (ceci est beau pour moi) à la norme (ceci est
beau pour tous) ? C’est justement la question qui a été posée par Kant dans sa dernière
critique et qui a directement avoir avec notre discussion.
17 Kant distingue deux classes de jugement : les jugements déterminants et les
jugements réflexifs. Les jugements déterminants se rapportent au processus que l’on
nomme par « juger » : où l’on part de l’universel (norme) pour atterrir sur le particulier
(application). A partir de la norme qui nous est donné il s’agit de déduire le particulier
au travers de certaines règles techniques. A l’inverse, le jugement réflexif part d’une
situation singulière et recherche la norme dans laquelle il pourra se subsumer. Ici, celui
qui juge bénéficie d’une marge de manœuvre telle que l’intention et l’invention. C’est ce
qui succède avec le juge qui ne se limite pas à appliquer mécaniquement la norme
universelle au cas particulier mais qui au contraire découvre depuis la particularité
d’une situation la norme qui lui correspond.
18 Ce mouvement du jugement réflexif est particulièrement complexe. Par exemple, il
existe un certain ordre dans la nature qui s’apparente à ce que recherche l’art : un ordre
dans lequel le tout donne un sens aux parties, une conformité des parties au tout
comme sa fin. Kant a recherché une intelligence de l’univers qui n’est pas celle qui peut
s’extraire des lois de cause à effet telle qu’elles sont plantées dans la critique de la
raison pure (on pourrait parler d’une compréhension mécanique) sinon d’une
intelligence qui prend en compte d’autre faculté de notre motivation : le plaisir et la
gêne qui nous fait sentir le « beau ».
19 Kant est intéressé par le beau de la nature parce que la beauté d’une fleur n’a pas de
concept et n’a pas de raison d’être. Pourquoi la beauté existe dans le monde ? Dans
l’art, le beau existe parce que l’artiste, comme créateur, a proposé quelque chose. Mais
dans la nature nous trouvons la beauté comme si elle était une finalité en soi qui ne
dépendait d’aucun artifice. Quelle explication a la beauté si ce n’est que d’être dirigée
vers nous les hommes ?
20 Et la nature, pourquoi a-t-elle produit cette beauté ? Apparemment, la nature ne vise
aucune finalité, pour elle-même, au travers de la beauté. Toutefois, selon Kant la beauté
nous renvoie à une hypothèse : tout se passe comme si le monde avait été fait par un
être rationnel en accord avec certaines fins parce que la beauté démontre une certaine
finalité même si nous ne pouvons pas trouver l’artifice de cette finalité où sa raison
d’être. La beauté nous indique une certaine finalité mais comme nous sommes
incapables de déterminer qui l’a produit nous devons effectuer un jugement réflexif et
nous demander comment créer un concept qui nous donne à comprendre le pourquoi
de cette beauté. Comme réponse nous avançons l’idée de l’existence de Dieu, un
créateur du monde qui s’est proposé, entre différentes choses, d’offrir aux hommes de
belles choses naturelles. Pour Kant, la beauté est analogue au bien. La beauté est la
visibilité du bien. Ce qui gouverne finalement le monde. Mais, évidemment, le bien ne
peut pas être perçu, c’est seulement un concept que nous utilisons pour comprendre un
cas particulier de la beauté dans le monde.
21 Ceci est l’apport de Kant pour notre problématique, la distinction entre le jugement
déterminant et le jugement réflexif. Kant ajoute : aucune théorie n’est complète sans un
champ et des normes d’application. La théorie peut être parfaite du point de vue logique
mais tant que nous ne déterminons pas son champ et ses normes d’application, elle est
inutile. D’une certaine manière, Kant nous dit la même chose qu’Aristote : les théories et
les normes débouchent sur l’application concrète. L’abime que l’on observe entre
l’universel et le particulier finit par s’amoindrir via l’imagination productive qui invente la
concrétion de la loi universelle dans le particulier et l’universalisation du particulier
jusqu’à la confluence de l’universel.
22 Quel est l’espace où l’on trouve la norme universelle suffisamment circonscrite et le
cas spécifique suffisamment universel pour que nous puissions émettre le jugement
« ça c’est comme ça » ? Comment déterminons-nous la loi universelle à partir du cas
particulier ? Nous avons vu que ces questions accompagnent le quotidien d’un juge. Le
processus par lequel le juge rend son jugement est un processus complet qui l’invite à
interpréter les faits ainsi que les normes pour définir le point de rencontre entre les
deux dimensions.
Bibliographie
ALERTANET- Portal de Derecho y Sociedad/ Portal on Law & Society.
http://www.derechoysociedad.com
ARISTÓTELES, Ética nicomáquea, Madrid, Gredos, 2003.
GADAMER (Hans), Verdad y método, Salamanca, Sígueme, 1988.
HONNETH (Axel), Crítica del agravio moral, Argentina, FCE, 2009.
KANT (Emmanuel), Crítica del juicio, Madrid, Espasa Calpe, 2007.
LEVINAS (Emmanuel), Autrement qu’être, Dordrecht, Kluwer, 1991.
TRAZEGNIES (Fernando), Ciriaco de Urtecho, litigante por amor.
Notes
* Traduit de l’espagnol par Nicolas Merveille (UARM).
Référence électronique
Antonio Perez Valerga, « Le droit comme lieu de rencontre entre le communautarisme et le
libéralisme », Droit et cultures [En ligne], 62 | 2011-2, mis en ligne le 04 mai 2012, consulté le
08 octobre 2017. URL : http://droitcultures.revues.org/2619
Auteur
Antonio Perez Valerga
Antonio Pérez Valerga est magister en philosophie de l’Université Catholique Pontificale du
Pérou. Après des études de doctorat de philosophie à l’Université Eberhard Karl de Tübingen
(Allemagne), il est professeur de philosophie à l’Université Antonio Ruiz de Montoya et
l’Université Catholique Pontificale du Pérou.
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