STRATÉGIE
75 idées
inspirantes
LEADERSHIP
INNOVATION
MARKETING pour réinventer
DIGITAL votre carrière
MANAGEMENT et votre entreprise
RH
M 04648 - 1H - F: 15,00 E - RD
3’:HIKOQE=]VZUUW:?a@k@k@b@f";
BEL : 15 € – CH : 25 CHF – Canada : 25 CAD – ESP : 15 € – LUX : 15 € – PORT. CONT. : 15 € – DOM : Avion: 15 € – Maroc : 160 DH – Tunisie : 35 TND – Zone CFA Avion : 9 800 XAF
Breguet, créateur.
Chronographe Type XXI 3817 avec retour en vol
Doté de la légendaire fonction “retour en vol”, spécificité des chrono graphes Type XX
produits par Breguet depuis 1954, le chronographe Type XXI 3817 présente les codes
techniques et esthétiques d’une authentique montre d’aviateur. Au dos, le fond saphir
dévoile dans ses moindres détails le mouvement mécanique pourvu de composants en
silicium et sa masse oscillante en or. L’histoire continue...
B O U T I Q U E S B R E G U E T – 6 , P L A C E V E N D Ô M E P A R I S + 3 3 1 4 7 0 3 6 5 0 0 – 2 6 , L A C R O I S E T T E C A N N E S + 3 3 4 9 3 3 8 10 2 2 – W W W. B R E G U E T. C O M
F R A N C E . B R E G U E T. C O M
SOMMAIRE
INTERVIEW P.8 STRATÉGIE P.14
L
e savoir, c’est le pouvoir. » Cet adage, pertinentes, les plus innovantes, contre-intuitives
dont la paternité revient au philosophe aussi et surtout les plus enrichissantes.
anglais Francis Bacon, considéré comme Que l’on parle de leadership, de stratégie, de digi-
l’un des précurseurs de la pensée scien- tal, de marketing ou de management ; que l’on soit à
ti�ique moderne, n’a jamais été autant la tête d’une entreprise ou d’une équipe ; que l’on
d’actualité à l’heure de l’Internet mon- s’intéresse à tout ou que l’on soit spécialiste d’un
dial, des réseaux sociaux et du Web 3.0. sujet, l’objectif de ce hors-série est de vous confronter
Depuis quelques années, on a vu apparaître de à d’autres points de vue et modes de pensée,
nouveaux concepts : on parle d’infobésité, de d’accroître vos connaissances et, ainsi, de vous faire
« Fomo », acronyme de « Fear of missing out », qui gagner en influence.
désigne la peur constante de manquer une nouvelle Car le vrai pouvoir aujourd’hui, c’est cela avant
ou un événement donnant l’occasion d’interagir tout, comme nous l’a con�ié Ilian Mihov, doyen de
socialement... Le Net, on le sait, est une mine de l’Insead, dont le MBA est, selon le « Financial Times »,
savoirs et d’opportunités. Mais comment identifier le meilleur du monde : « Un leader doit savoir donner
ce qu’il faut choisir, lire… En résumé, à quoi faut-il du sens, motiver et surtout avoir de l’influence sur les
consacrer du temps ? autres. » Sur les autres mais aussi sur votre carrière,
C’est de cette question qu’est née l’idée de ce pour la faire décoller ou lui faire prendre un nouveau
premier hors-série Expert. Sur les 600 chroniques virage, et sur votre entreprise, quelle que soit la posi-
de Hbrfrance.fr (le site Internet de Harvard Business tion que vous occupez dans l’organisation. Vous avez,
Review France), écrites depuis trois ans aussi bien entre les mains, le meilleur de Hbrfrance.fr. Nous
par des professeurs, des chercheurs, des DRH, faisons le pari que cela devrait vous aider à y parvenir.
des DG que des consultants, nous en avons Caroline Montaigne, Responsable éditoriale
sélectionné 75. Les 75 qui nous semblaient les plus du site Hbrfrance.fr
ESSAYEZ-LÀ
D A N S T O U T L E R É S E A U
triumphmotorcycles.fr
Nous
apprécions
que nos
étudiants, une
fois en poste,
gagnent très
bien leur vie,
mais nous ne
voulons pas
qu’ils ne
soient motivés
que par cela.
PHOTOS: CORENTIN FOHLEN
ILIAN MIHOV
DOYEN DE L’INSEAD
Harvard Business Review France�: Le années : les salaires d’embauche des étu-
MBA de l’Insead a été classé meilleur diants à la sortie de l’école et le niveau de
MBA du monde par le «�Financial Times�». notre recherche. Nous avons amélioré
Comment êtes-vous parvenu à ce notre position sur ce dernier point, car les
résultat�? professeurs de l’Insead ont publié davan-
Ilian Mihov�: Plusieurs facteurs y ont tage d’articles dans différentes revues aca-
contribué. L’une des forces de l’Insead est, démiques majeures. Mais le facteur le plus
depuis sa création en 1957, d’avoir toujours significatif est sans doute les salaires des
été très internationale. Les étudiants étudiants. C’est dû, je pense, au fait qu’ils
viennent du monde entier : on compte plus travaillent de plus en plus dans les mar-
de 90 nationalités. Mais deux autres élé- chés émergents. Or les rémunérations
ments ont pris de l’ampleur ces dernières dans ces régions ont augmenté.
« Nous avons
plus de 90
nationalités
à l’Insead :
les Français
ne sont que
6 à 7% »
Quel impact cette place de numéro1 a-t-
elle eu sur votre attractivité? Vous a-t-elle
permis de recruter de meilleurs profes-
seurs et étudiants?
L’Insead compte deux promotions de MBA
par an : la première débute en septembre, la
seconde en janvier. Si l’on considère celle
de janvier 2017 (le classement du « FT » a été
publié le 24 janvier 2016), nous observons
une hausse des candidatures de 23%. Ac-
tuellement, nous commençons le proces-
sus de sélection de la promotion de sep-
tembre 2017, et nous constatons déjà une
augmentation de 57%. Quant à celle qui a
commencé en septembre 2016, elle avait
un niveau de GMAT (« graduate manage-
ment admission test », le test de référence
pour tous les MBA) inégalé, de 708. Cet
examen n’est qu’un des critères de sélec- professionnels d’autres grandes écoles eu- leures écoles du monde et ont beaucoup
tion, car ce qui compte aussi, c’est la diver- ropéennes, mais, comme notre culture est d’atouts dans certains domaines, mais nous
sité au sein de nos classes. Les nationalités très différente, nous préférons en général sommes très différents. D’ailleurs, il m’ar-
les plus représentées – américaine et in- faire « grandir » nous-mêmes nos ensei- rive de décourager des étudiants de venir à
dienne – ne dépassent pas les 9%, donc gnants. Pour eux, ce qui importe avant tout, l’Insead lorsque je pense qu’ils n’y seront
chaque pays est une minorité. Les Français c’est l’environnement de recherche. Quand pas à leur place.
ne sont que 6 à 7%, tout comme les Chinois. un jeune professeur arrive chez nous, il Quand on demande à un étudiant d’où il
veut pouvoir écrire des articles et des livres, vient, son histoire est, en général, aussi in-
Et quant aux professeurs? être publié dans des journaux spécialisés, téressante que complexe : son père est ca-
Le recrutement dépend de chaque dépar- avoir le sentiment d’être utile aux étu- nadien, sa mère originaire d’Afrique du
tement. Il y a au total neuf domaines d’ex- diants… Aucun ne voudrait rejoindre une Sud, il a grandi en France et travaille au
pertise : finance, marketing, stratégie, en- école, même classée numéro 1 mondial, où Brésil… La plupart ont été élevés dans un
trepreneuriat... Nous identi�ions nos les relations entre collègues, par exemple, esprit d’ouverture sur le monde, avec l’idée
besoins en matière d’enseignement et de seraient mauvaises. de faire carrière dans différents pays.
recherche, puis nous recrutons de jeunes Les écoles américaines comptent environ
professeurs qui viennent de �inir leur Que pensez-vous de Harvard Business 65% d’étudiants américains. Quant aux
doctorat et qui ont envie d’évoluer au sein School (2e) et de Stanford (5e)? 35% restants, beaucoup veulent suivre un
de l’Insead. Il nous arrive de faire venir des Elles font sans conteste partie des meil- cursus aux Etats-Unis pour y rester par la
profils qui n’ont pas les moyens d’intégrer années et HBS de plus en plus (celle-ci
l’Insead et qui sont pourtant talentueux. projette même d’héberger des entre-
prises dans ses locaux)�?
ÉTUDIANTS ENTREPRENEURS Je pense même que nous avons plus de
Quel est l’objectif des étudiants au- liens avec le monde de l’entreprise que ces
jourd’hui�: faire carrière ou faire la carrière deux écoles. Notre portfolio Executive Edu-
dont ils ont envie�? cation Programmes (EEP) comporte, depuis
De plus en plus d’étudiants s’intéressent le début des années 1970, une partie consa-
aux questions sociales. Ils veulent créer crée aux entreprises (Company Speci�ic
des entreprises rentables et durables, mais Programmes). Le principe : nous travaillons
qui prennent aussi en compte ces problé- avec des entreprises sur des questions qui
matiques. Cette tendance a pris de l’am- les touchent de près. Nous avons ainsi été
pleur ces derniers mois. Un étudiant me les premiers à coopérer avec des sociétés
racontait, il y a quelques jours, qu’il avait comme Unilever, Microsoft, Google ou en-
déjà des propositions d’embauche mais core Société générale. Aujourd’hui, nous
qu’il cherchait une entreprise qui soit vec- comptons près de 200 collaborations. HBS
teur de sens à ses yeux. La nouvelle géné- n’en fait pas autant. Et l’ensemble des pro-
ration est différente des précédentes. C’est grammes exécutifs de Stanford est bien
l’effet millennials : pour ceux qui sont nés moins important.
dans les années 1990, la satisfaction est Par ailleurs, même si nous n’héber-
liée à des emplois qui ont du sens, qui sont geons pas d’entreprises, il arrive que des
suite. Alors que les étudiants de l’Insead, intéressants, dans des entreprises qui le étudiants créent leur propre structure tout
eux, sont prêts à travailler au Vietnam, au sont tout autant. Pas à des salaires élevés. en restant à l’Insead. Nous avons d’ailleurs
Mexique, en Indonésie ou en Afrique. Il BlaBlaCar, dont le créateur, Frédéric mis en place un incubateur à proximité de
sera difficile par exemple de convaincre un Mazzella, est un ancien étudiant de l’In- notre campus de Singapour, en Asie. Et
étudiant vietnamien de HBS de revenir sead, est un bon exemple. Il suffit d’aller nous voulons faire la même chose à Fon-
dans son pays. Or les grandes entreprises dans leurs bureaux pour comprendre la tainebleau, en Europe.
ont besoin de talents dans les marchés différence avec une entreprise classique :
émergents. les salariés ont l’air impliqués. Beaucoup Quelle est la part d’étudiants qui créent
Pour favoriser cette diversité, nous pro- d’étudiants commencent par intégrer un leur entreprise en sortant du programme
posons des bourses (le coût d’un MBA en un cabinet de consulting, pour rembourser MBA�? A Stanford, cela représente environ
an à l’Insead est de 73 500 euros) dont leur prêt étudiant, mais une bonne partie 16% des étudiants, et 9% à HBS.
peuvent bénéficier des étudiants étrangers – au moins 50 % – finit par lancer sa propre Chez nous, c’est de l’ordre de 7 à 8%. Ce
mais aussi français ou anglais, qui ont les activité. Aujourd’hui, ils n’ont plus envie n’est pas énorme en termes de pourcen-
capacités et l’ambition d’intégrer une busi- de rester à un poste ou dans une entreprise tage, mais, en nombre d’individus, ce
ness school mais qui n’ont pas forcément qui ne leur convient pas. chiffre est similaire à ceux de HBS et de
les ressources financières nécessaires. Nous Stanford, car nous comptons globalement
voulons créer davantage de bourses de ce Avez-vous beaucoup de liens avec les en- plus d’étudiants. Chaque année, à l’Insead,
type, car elles permettent d’attirer des treprises, comme Stanford depuis des un millier d’étudiants sont diplômés,
« Diriger un
orchestre en
dit long sur
notre façon
d’être. »
entreprise et, quand ils voient que leurs
solutions fonctionnent, ils se sentent ins-
pirés. Ce ne sont pas les résultats �inan-
ciers qui les animent.
Un autre élément important pour être
un bon leader est la « conscience de soi »,
la capacité à prendre du recul et à réflé-
chir sur la façon de prendre des décisions :
comment gère-t-on les angles morts et les
biais en tout genre ? Lorsqu’on assiste à
des dérives au sein des entreprises, ce
n’est pas parce que les dirigeants sont fon-
cièrement mauvais, mais plutôt parce
qu’ils ont fait des erreurs à cause de ces
angles morts et de ces biais, qu’ils ont pris
des décisions sans réfléchir suffisamment
aux effets néfastes qu’elles peuvent
produire. Si vous aidez les étudiants à
prendre de la hauteur – c’est d’ailleurs
l’un des points clés du programme de dé-
veloppement du leadership que nous
avons introduit récemment – s’ils
prennent conscience de leurs biais, ils
peuvent les combattre et prendre de meil-
leures décisions.
Les managers sont de plus en plus sous Analyser votre façon de négocier est aussi Comment voyez-vous l’Insead dans
pression, comment adaptez-vous vos pro- une façon d’en apprendre davantage sur dix ans�?
grammes à cette réalité�? vous. D’ailleurs, 90% des étudiants J’espère que les campus de Singapour et
Nous avons beaucoup de programmes choisissent ce cours parmi les enseigne- de Fontainebleau auront toujours autant
pour les top executives. Notre Advanced ments facultatifs. de poids. Et que nous aurons développé
Management Programme (AMP), qui dure Le deuxième cours le plus prisé s’intitule Abu Dhabi, notre troisième campus, ce qui
quatre semaines, a été lancé au milieu des « Les 100 premiers jours du manager ». Il permettra d’avoir une offre plus globale.
années 1960. Il a été construit, au départ, est basé sur de la simulation : on donne Même s’il y a une très forte activité aux
pour enseigner des savoirs clés comme la aux étudiants les commandes d’une entre- Etats-Unis, je ne pense pas que nous ou-
finance, la comptabilité, l’économie ou la prise qu’ils doivent redresser car elle perd vrirons un campus là-bas.
stratégie. Aujourd’hui, il comprend aussi de l’argent. On entre leurs décisions dans Une chose est sûre : dans dix ans, le di-
des enseignements autour du leadership un programme informatique et on voit ce gital aura pris encore plus de poids. Nous
et de la communication : autrement dit, qui se produit. Par exemple, il est 4 heures avons récemment introduit une période de
comment communique-t-on ? Comment du matin et un professeur vous appelle deux mois, appelée P zero (un MBA, à l’In-
influence-t-on les individus ? Comment pour vous dire que votre usine est en feu. sead, compte cinq périodes de deux mois) :
les motive-t-on également ? Les top ma- Vous devez résoudre ce problème au plus avant d’intégrer l’école, les étudiants
nagers qui suivent ce programme ne le vite. C’est un cours d’apprentissage qui peuvent suivre des cours en ligne
font pas pour acquérir des compétences vous apprend à gérer une entreprise. – quelques sessions en comptabilité, en fi-
de base, mais pour apprendre à mieux Nous avons aussi introduit de nou- nance, etc. – et s’entraîner sur des cas d’en-
communiquer. L’un des exerc ices veaux cours, nous ne savons donc pas treprise, pour travailler sur des questions
consiste à leur faire diriger un orchestre. encore s’ils seront appréciés : Transforma- de stratégie, de marketing ou encore sur
Cela peut paraître curieux, mais diriger tion digitale des entreprises, Marketing des problématiques de marque. Au sein de
un orchestre en dit long sur votre façon digital, Big data... Nous modifions régu- l’Executive Education Programmes, nous
d’être. On leur demande aussi de monter lièrement les cours facultatifs pour que proposons déjà des cours en ligne pour
sur scène et de jouer, par exemple, « Le les étudiants puissent adapter leur cursus Microsoft, Accenture ou d’autres grandes
Roi Lear », de Shakespeare. Dans ce genre aux demandes du marché. Nous identi- entreprises. Or il est certain que, dans dix
de situations, vous devez être particuliè- fions ce qui peut être intéressant pour eux ans, cela sera encore plus développé.
rement convaincant. Or cela passe forcé- grâce à nos Executive Education Pro- J’ai une vision assez duale de l’avenir
ment par votre façon de vous exprimer et grammes, qui ont une place majeure à de l’Insead. Certes, il y aura beaucoup de
l’image que vous renvoyez. l’Insead. Nous voyons très vite quelles contenus digitaux, mais il y aura toujours
sont les demandes des entreprises. Puis aussi une présence en classe, pour
TOUJOURS PLUS DE DIGITAL nous les adaptons pour proposer aux étu- permettre des échanges, des discussions.
Quelles sont les spécialités les plus diants des cours qui vont y correspondre. Certains cours, grâce à leur qualité,
choisies par les étudiants�? Et y a-t-il eu Le cours de marketing digital, par continueront à attirer les étudiants et à les
une évolution ces dernières années�? exemple, que nous avons introduit en inciter à se déplacer.
Dans les années 1970 et 1980, les cours de novembre 2016 dans le portfolio Execu-
marketing et de �inance étaient très tive Education Programmes affiche com-
populaires. Aujourd’hui, le cours où il y a plet, ce qui prouve qu’il correspond bien Propos recueillis par Caroline Montaigne
le plus d’inscrits est « La négociation ». aux besoins du marché. et Gabriel Joseph-Dezaize
O
rise par une stratégie reposant sur l’inno-
vation, la facilité d’utilisation et le design.
n dé�init souvent la alors qu’ils sont nécessaires pour atteindre Ce qui lui a permis de connaître des succès
stratégie comme un un haut niveau de performance ? avec l’iPod, l’iPhone et l’iPad. Et qui ex-
ensemble de choix per- La réponse réside sans doute dans le plique le succès de produits plus anciens
mettant d’atteindre ses « paradoxe de la stratégie », identi�ié par comme l’Apple II ou le Macintosh.
objectifs. Une entre- l’expert en management des affaires Mi- Toutefois, Apple a également connu
prise ne peut pas tout chael Raynor. Les choix qui permettent de des échecs. L’ordinateur Lisa ou l’assistant
faire. Il lui faut donc se singulariser doivent être faits dans un personnel Newton ont été des flops com-
répondre à des questions telles que : sur contexte d’incertitude. Ils impliquent plets, alors qu’ils reposaient sur la même
quels marchés voulons-nous être pré- donc une prise de risques. Une entreprise stratégie que ses plus grands succès. Pour
sents ? A quels clients voulons-nous nous qui refuse de faire ces choix a peu de une entreprise qui a une « véritable » stra-
adresser en priorité ? Quels produits ou chances de connaître un succès éclatant. tégie, il n’y a parfois pas loin du Capitole à
services voulons-nous proposer ? Com- Mais elle minimise aussi ses chances d'être la roche Tarpéienne.
ment voulons-nous nous positionner par confrontée à un échec cuisant ! Si avoir une stratégie accroît les chances
rapport à nos concurrents ? Bonnes et mauvaises décisions. En de connaître le succès, mais aussi de
Réticence à faire des choix. Pour- d’autres termes, les entreprises les plus connaître l’échec, ne pas en avoir est le
tant, la plupart des dirigeants se refusent à performantes ont souvent un point com- moyen le plus sûr d’aboutir à un résultat
faire ces choix. Lorsqu’on les interroge sur mun avec celles qui connaissent une fail- médiocre. Mais cela permet aussi d’éviter
leur stratégie, ils mettent en avant des ob- lite retentissante : elles ont une stratégie. les catastrophes. Or, de toute évidence,
jectifs (« devenir un acteur de référence de Dans le premier cas, les choix qu’elles ont c’est le choix que font de manière implicite
notre secteur »…) ou ils se contentent de faits se sont révélés être les « bons ». Dans de nombreux dirigeants.
formaliser sous le nom de « stratégie » ce le second, les « mauvais ». En revanche, les
que l’entreprise fait depuis des années. entreprises qui parviennent tout juste à Jérôme Barthélemy est professeur
Pourquoi cette réticence à faire des choix, survivre ont rarement une stratégie. de stratégie et de management à l’Essec.
AVOIR UNE STRATÉGIE NE SUFFIT PAS�: IL FAUT AUSSI AVOIR UNE RAISON D’ÊTRE !
© Gaston BERGERET -
Suivez-nous sur
Téléchargez notre app sur
BULLETIN DE SOUTIEN
PENSEZ-Y À compléter et envoyer sous enveloppe non affranchie à :
Les Restaurants du Cœur – Libre Réponse 53061 – 91129 PALAISEAU Cedex
— 30 € assurent un repas quotidien pour
une personne pendant 1 mois
M Mme P3211
— 90 € assurent un repas quotidien pour
une personne pendant tout l’hiver Nom Prénom
— 180 € assurent un repas quotidien pour une Adresse
maman et son enfant pendant tout l’hiver
Code Postal Ville
— 530 € aident une famille tout l’hiver
Email @
Les dons des particuliers aux Restos du Cœur Je demande à recevoir mon reçu fiscal par mail
bénéficient d’une réduction d’impôt de 75% Je ne souhaite pas recevoir d’informations des Restos du Cœur sur mon adresse mail
jusqu’à 530 € Je souhaite recevoir la documentation « Legs, donation et assurance-vie »
En application des articles 39 et suivants de la loi de 6 janvier 1978 modifiée relative à l’informaion et aux libertés (CNIL), vous bénéficiez d’un droit d’accès, de suppression et de rectification des informations qui vous concernent. Il vous suffit de
nous contacter à l’adresse service.donateurs@restosducoeur.org. Les Restaurants du Cœur ne pratiquent ni la vente, ni l’échange de fichiers.
STRATÉGIE
L
naturelle relève de la directive européenne
80/777 du 15 juillet 1980), établir des nu-
a stratégie d’entreprise est une core présents sur le marché pourraient merus clausus, interdire ou promouvoir
toute jeune discipline, dont les décider d’y investir. Si Coca-Cola lance son certaines activités, passer des marchés
fondements sont encore sujets eau Dasani en France, Evian et Vittel ver- publics, voire concurrencer directement
à polémique. Alors que la ges- ront leurs parts de marché amputées. les acteurs privés (notamment dans l’en-
tion des ressources humaines 4- La menace des substituts. Ce seignement, les transports ou la banque).
est aussi vieille que l’humanité, sont toutes les offres susceptibles de rem- Ne pas tenir compte de ce pouvoir dans
que la comptabilité est plu- placer celles des entreprises en présence. l’élaboration d’une stratégie reviendrait à
sieurs fois millénaire et que le marketing Si les consommateurs sont séduits par les négliger un critère majeur de rentabilité.
est au moins centenaire, la stratégie est jus de fruits, cela entraînera une baisse des Or Michael Porter s’oppose fermement
née au milieu des années 1960. Cepen- ventes d’Evian et de Vittel. à cet ajout. Selon lui, les pouvoirs publics
dant, celui qui lui a donné ses lettres de 5- L’intensité concurrentielle. Quel peuvent certes influencer les cinq autres
noblesse académiques est incontestable- est le niveau de rivalité entre les concur- forces, mais ils ne sauraient être considé-
ment Michael Porter, professeur à l’univer- rents présents ? Une guerre des prix ou une rés comme une force à part entière. Il
sité Harvard. Son principal fait d’armes ? surenchère publicitaire entre Evian et Vit- considère que leur rôle n’est intrinsèque-
Avoir réussi à transposer une série de tel peut entamer leurs marges. ment ni bon ni mauvais, et qu’ils se li-
concepts jusque-là utilisés en économie Il ne reste alors plus qu’à hiérarchiser ces mitent à réduire ou à accroître la menace
industrielle de manière à les rendre perti- cinq forces et à en déduire ce qu’il faut faire des entrants potentiels ou à renforcer le
nents pour les dirigeants d’entreprise. La
chaîne de valeur, la domination par les
coûts et les barrières à l’entrée ont ainsi
Même s’il est reconnu pour ses qualités,
rejoint la panoplie des stratèges. le modèle de Porter fait l’objet d’une
Parmi les outils qu’il a élaborés, le plus
célèbre est le modèle des cinq forces de la
singulière controverse transatlantique.
concurrence. Celui-ci prend pour principe
que la concurrence ne se limite pas aux ri- pour les contrecarrer. Bien des stratégies pouvoir des fournisseurs et des clients.
vaux directs (PSA pour Renault, Avis pour ont été élaborées grâce à ce modèle. Dans le Cependant, cette explication ne permet
Hertz, Kering pour LVMH…) : elle doit in- cas de l’eau minérale, on peut ainsi estimer pas de rendre compte du rôle de financeur,
clure tout ce qui pourrait affecter la renta- que le contrôle des sources (face au pouvoir de concurrent, de client ou de fournisseur
bilité des entreprises en présence. L’attrac- de négociation des fournisseurs), l’investis- des pouvoirs publics, sans parler des
tivité de toute société, de biens comme de sement publicitaire (face au pouvoir de né- normes, taxes ou subventions qui favo-
services, est ainsi déterminée, selon Por- gociation des acheteurs) et la diversification risent ou handicapent certains acteurs aux
ter, par cinq forces distinctes : dans d’autres types de boissons (face à la dépens d’autres. Dans certains secteurs,
1- Le pouvoir de négociation des menace des substituts) constituent des fac- les pouvoirs publics constituent même la
fournisseurs. Si les municipalités qui teurs clés de succès. Et c’est naturellement principale force de la concurrence.
possèdent les sources d’eau minérale re- ce que cherchent à faire Evian et Vittel. Le refus de Porter d’ajouter cette si-
voient le tarif des concessions d’exploita- Cependant, au-delà de ses indéniables xième force est vraisemblablement plus
tion à la hausse, les profits d’Evian et de qualités, ce modèle fait l’objet d’une singu- une question d’idéologie que de méthode.
Vittel diminueront d’autant. lière controverse transatlantique. Pour ana- Proche du Parti républicain, ancien conseil-
2- Le pouvoir de négociation des lyser le secteur bancaire, l’agroalimentaire, ler du président Reagan, Porter ne peut se
acheteurs. Si Carrefour ou Auchan les télécoms, l’enseignement, l’énergie, résoudre à considérer les pouvoirs publics
exigent des promotions sur l’eau minérale l’automobile, l’hôtellerie, la pharmacie, la comme une force légitime dans son modèle
à l’approche de l’été, Evian et Vittel de- défense, voire n’importe quel secteur d’acti- de la (très libre) concurrence.
vront s’y résoudre. vité, qu’il soit de biens ou de services, qu’il
3- La menace des entrants poten- s’adresse aux clients finaux ou à des inter- Frédéric Fréry est professeur à
tiels. Des concurrents qui ne sont pas en- médiaires, et qu’il relève de grands groupes ESCP Europe et à l’Ecole centrale Paris.
70%
LECTURE
20%
VIDÉO
OUBLIEZ
par un déplacement du champ concurren- limite. Le Cirque du Soleil a donné nais-
tiel n’est cependant pas nouvelle. Elle sance à de nombreux imitateurs, dont cer-
L
tien durable. Comment faire pour qu’une
LE BLEU PEUT VIRER AU ROUGE innovation stratégique ne soit pas copiée ?
a « stratégie Océan bleu » élabo- Pourtant, par-delà l’attrait immédiat de la Comment rendre son succès durable ?
rée par W. Chan Kim et Renée formule, l’approche Océan bleu souffre
Mauborgne, professeurs à l’In- d’une limitation intrinsèque qui en réduit EN FAIRE UNE MENACE
sead, consiste pour une entre- l’intérêt stratégique : loin d’être une garan- Une solution consiste à s’assurer que, du
prise à éviter la confrontation tie de succès, elle n’assure au mieux qu’un point de vue des concurrents, l’Océan bleu
directe avec ses concurrents avantage temporaire. ne sera pas considéré comme une opportu-
(l’Océan rouge), pour explorer Rechercher des territoires inexplorés nité, mais plutôt comme une menace. Pour
des marchés encore vierges (l’Océan bleu) : pour sortir de la concurrence frontale est cela, il convient d’adopter une stratégie
une ode stimulante à la différenciation, à certes pertinent, mais cela revient le plus certes pertinente, lucrative et séduisante
la créativité et à l’innovation stratégique. souvent à déplacer le jeu concurrentiel plu- pour les clients, mais que les concurrents
Le livre « Blue Ocean Strategy » (« Straté- tôt qu’à s’en extraire. Le pionnier qui iden- refuseront d’imiter. En fait, du point de
gie Océan bleu ») s’appuie sur des exemples ti�ie un nouveau marché, plutôt que de vue des concurrents, l’Océan ne doit pas
tels que le Cirque du Soleil, qui a révolu- rester le seul à en profiter, défriche le ter- être bleu, mais plutôt gris. Il s’agit, par
tionné l’industrie du cirque en Amérique rain pour tous ceux qui le suivront. Mieux exemple, de proposer une nouvelle offre
du Nord avec ses prodigieux acrobates, ou vaut d’ailleurs être un suiveur ef�icace qui les oblige à renier leurs engagements
le vin australien Yellow Tail, qui a imposé qu’un pionnier téméraire : on reconnaît le stratégiques les plus précieux et à sacrifier
la simplicité de sa marque auprès des pionnier aux flèches des Indiens plantées leurs positions acquises les plus favo-
clients anglo-saxons perdus dans le ma- dans son dos. En un mot, l’Océan bleu n’a rables. Ce type de reniement est générale-
quis des appellations viticoles. Le japonais pas vocation à rester bleu, et ce d’autant ment si coûteux – à la fois financièrement
Nintendo est aussi devenu un cas emblé- plus qu’il est attirant. On peut même pen- et psychologiquement – qu’il agit comme
matique, en prenant de court ses puissants ser que plus l’Océan est bleu, plus vite il une force de dissuasion. Sony a ainsi re-
concurrents Sony et Microsoft avec la Wii, deviendra rouge. fusé de suivre Apple sur l’Océan du MP3,
une console moins sophistiquée, mais plus Or, pour reprendre la célèbre formule de pourtant lucratif, car cela l’aurait contraint
ergonomique et grand public. Michael Porter, la stratégie consiste par es- à sacrifier sa maison de disques Sony Mu-
L’ouvrage « Blue Ocean Strategy » a sence à établir un avantage concurrentiel sic sur l’autel du peer-to-peer.
connu un succès phénoménal : traduit en décisif, durable et défendable. Il s’agit de Mais cela ne fonctionne que face à des
43 langues, vendu à plus de 3,5 millions créer un écart de performance significatif concurrents déjà en place. Pour dissuader
d’exemplaires… On n’imagine pas au- avec ses concurrents. En termes de straté- les nouveaux entrants, qui ont moins à
jourd’hui un cours de stratégie qui ne gie, une bonne idée n’est jamais une bonne perdre, il faut être encore plus subtil et
consacrerait pas une séance à l’Océan bleu idée longtemps : plus elle est pertinente, adopter un positionnement inacceptable
ou un manager qui ne s’en inspirerait pas plus vite elle est imitée et plus vite elle perd pour d’autres raisons : un niveau de risque
lors du lancement d’une nouvelle offre. De alors de son intérêt stratégique. C’est pour- financier jugé excessif, des interrogations
même, nombreux sont les dirigeants qui, quoi faire en sorte de ne pas pouvoir être éthiques, des incompatibilités culturelles,
face à la routine des modèles économiques imité facilement est un des leviers clés de etc. Les eaux de ce nouvel Océan doivent
établis, plaident pour la revigorante succès : les ressources uniques, les compé- sembler plus menaçantes qu’attirantes.
exploration d’un Océan bleu. L’image est tences distinctives, les barrières à l’entrée
séduisante, la démarche mobilisatrice, le ainsi que la propriété intellectuelle figurent Frédéric Fréry est professeur
propos stimulant. au premier rang de l’arsenal du stratège. à ESCP Europe et à l’Ecole centrale Paris.
La plupart des entreprises ont pour obsession de créer tats du prochain trimestre ». Deuxième li-
de la valeur rapidement. Mais cette posture court-termiste mite, plus embarrassante que la réduction
est souvent contre-productive. de l’horizon temporel des équipes diri-
C
geantes : ce mouvement les a entraînées
sur un terrain dangereux. Selon Roger Mar-
’est ce qu’on appelle (dans l’entreprise, il s’agit de l’équipe diri- tin, ce basculement de l’attention des en-
communément les « ré- geante) et le principal (les actionnaires). Il treprises en faveur de la « création de va-
sultats du prochain tri- semble donc possible de régler ce problème leur pour l’actionnaire » a en effet détourné
mestre ». Car le prochain en alignant la rémunération de l’équipe di- l’attention du top management des vrais
trimestre est l’objet de rigeante avec l’intérêt des actionnaires. marchés vers les marchés financiers.
toutes les attentions des C’est ce qu’ont fait les conseils d’adminis- En s’appuyant sur l’exemple du football
entreprises, surtout si tration, en accordant progressivement au américain, il démontre que cela reviendrait
elles sont cotées. Quoi de plus normal dans top management des rémunérations va- à intéresser financièrement les joueurs aux
un monde en perpétuel mouvement, où il riables de plus en plus importantes, sous résultats des paris sportifs plutôt qu’au jeu
est de plus en plus difficile d’avoir une vi- forme notamment de stock-options. lui-même. Cela aurait évidemment pour
sion à cinq ou même deux ans ? La volatilité Dans les Etats-Unis des années Reagan, conséquence que, tôt ou tard, les joueurs
de notre économie n’est pas seule en cause. la « création de valeur pour l’actionnaire » essaieraient de « truquer la partie » (« fixing
Les racines seraient bien plus profondes, est devenue le mantra des entreprises co- the game »), et c’est la raison pour laquelle
comme l’a observé Roger Martin, alors tées, et Jack Welch, le P�DG de General l’accès aux paris sportifs leur est interdit.
doyen de la Rotman School of Manage- Electric, son héros. Des chercheurs ont voulu véri�ier
ment, à Toronto, dans son livre « Fixing the depuis si d’éventuelles dérives se produi-
Game » (Harvard Business Review Press, UN TERRAIN DANGEREUX POUR saient vraiment en entreprise. Dans un
mai 2011). Selon lui, cette dérive court-ter- LES ÉQUIPES DIRIGEANTES article intitulé «Equity Vesting and Mana-
miste découle directement de la « théorie La solution mise en place pour régler le gerial Myopia» (août 2013), Alex Edmans
de l’agence », qui avait elle-même été expo- problème soulevé par la théorie de (London Business School), Vivian Fang
sée en 1976 par les universitaires Michael l’agence avait une première limite : pour (Carlson School of Management) et Katha-
Jensen et William Meckling dans le « Jour- des top managers, dont la durée de vie à rina Lewellen (Tuck School of Business)
nal of Financial Economics ». leur poste est limitée à quelques années, ont ainsi démontré que les P�DG réduisent
Selon cette théorie, il existe une diver- la « création de valeur pour l’actionnaire » les « vrais » investissements (tels que la
gence naturelle d’intérêt entre l’agent s’est naturellement transformée en « résul- R &D) quand les dates d’échéance de leurs
aux résultats des paris sportifs BlackRock (le plus important gestionnaire
d’actifs au monde avec 4 500 milliards de
plutôt qu’au jeu lui-même. dollars sous gestion), et d’autres dirigeants
de poids lourds du secteur (Fidelity Invest-
ments et T. Rowe Price) se sont réunis aux
stock-options approchent. Plus radicaux l’augmentation des plaintes au sein du SAV. côtés de l’homme d’affaires américain
encore, les professeurs de la London Autre variante de cette obsession pour Warren Buffett, à l’invitation de Jamie Di-
Business School, Dan Cable et Freek Ver- la création de valeur à court terme : un top mon, le patron de JPMorgan Chase. Une
meulen, ont montré dans « Stop Paying management qui répond « Je ne veux pas le des conséquences de cette réunion a été
Executives for Performance » (Harvard savoir » quand on lui fait remonter un pro- l’envoi par Laurence Fink, le 1 er février
Business Review, 23 février 2016) que les blème potentiellement grave. On a vu où 2016, d’une lettre à plus de 500 P�DG du
rémunérations variables attribuées au top cette approche a mené Volkswagen. monde entier pour leur demander d’arrê-
management, quelles que soient leurs Mais qui peut penser sérieusement que ter de se focaliser sur les résultats trimes-
formes (primes, stock-options…), ne pou- Steve Jobs a dédié 90% de son temps, au triels (« La culture hystérique centrée sur
vaient pas être reliées à la performance de cours de la période 2000-2007, aux réduc- les résultats trimestriels est totalement
l’entreprise, et qu’il vaudrait encore mieux tions de coûts et aux résultats trimestriels ? contraire à l’approche de long terme dont
pour tout le monde revenir à la plus simple Pour relancer Apple, il a dû consacrer l’es- nous avons besoin ») et de trouver des
des solutions : un salaire fixe. sentiel de son temps au développement choses plus pertinentes à faire avec leur
produit. Et ce sont justement l’iPod, l’iPad trésorerie que de racheter des actions de
LE TOP MANAGEMENT RÉPOND�: et l’iPhone qui ont permis à l’entreprise de leur entreprise.
��JE NE VEUX PAS LE SAVOIR�� devenir la plus importante capitalisation
Cette obsession pour la valeur créée pour boursière du monde entre 2012 et début RÉTABLIR L’ÉQUILIBRE
l’actionnaire a soulevé d’autres inquié- 2016 (Google occupe depuis la plus haute ENTRE EXPLORATION
tudes, y compris chez les figures embléma- marche du podium). ET EXPLOITATION
tiques de la stratégie d’entreprise. Comme Ironiquement, il semble bien que les Une lettre à 500 P�DG suf�ira-t-elle à
Michael Porter, professeur en stratégie entreprises qui privilégient l’exploitation, rétablir l’équilibre entre exploration et
d’entreprise à l’université Harvard, et Mark au détriment de l’exploration (pour re- exploitation, et à faire reculer l’obsession
Kramer, directeur général de FSG (un cabi- prendre les termes de James March, profes- pour « les résultats du prochain trimestre » ?
net de conseil à but non lucratif), qui ont seur émérite à Stanford), aboutissent à des Pas sûr. Laurence Fink avait déjà envoyé
cosigné sur ce sujet un article intitulé résultats inférieurs en termes de création une lettre similaire en 2015, et il faut croire
« Creating Shared Value », dont le sous-titre de valeur pour les actionnaires. Dans leur que peu de choses ont changé pour qu’il
était « How to Fix Capitalism» (Harvard article « Don’t Let Your Company Get Trap- éprouve le besoin d’en envoyer une
Business Review, édition américaine, jan- ped by Success » (Harvard Business Re- seconde.
vier-février 2011). Si l’attention du top ma- view, novembre 2015), Martin Reeves et La voie de l’exploration est difficile et
nagement est exclusivement consacrée à la Johann Harnoss, deux consultants du Bos- risquée. Si l’exemple de Steve Jobs, qui a
création de valeur immédiate pour l’ac- ton Consulting Group, ont montré que les aligné trois innovations incroyables en
tionnaire, qui va se soucier des intérêts des sociétés qui privilégient l’exploitation d’ac- sept ans, a pu en inspirer beaucoup, qui
autres parties prenantes, telles que la so- tivités maîtrisées ont connu, pendant la pourra reproduire un tel exploit ?
ciété ou l’environnement ? période 2004-2014, une croissance an- Dans le cas de la France, l’endogamie
Sur le terrain, rien n’a vraiment changé. nuelle moyenne de 4,7%, contre 10,4% entre la haute fonction publique et le top
Pour bon nombre d’entreprises, la manière pour les « explorateurs ». Quant au retour management des entreprises du CAC 40 ne
la plus efficace de créer rapidement de la sur investissement pour les actionnaires, il favorise pas l’arrivée aux commandes de
valeur est de… réduire les coûts. Résultat, est également supérieur pour les entre- visionnaires. Le fait que Laurence Fink,
les salariés des entreprises cotées se dé- prises exploratrices (11,5% par an, en dans sa dernière lettre, en appelle au gou-
battent plus que jamais avec des managers moyenne), comparé à celui des autres en- vernement américain pour l’aider à chan-
dont l’unique outil semble être une feuille treprises (9,1%). ger le cours des choses laisse penser qu’il
Excel et avec des départements achats qui Conclusion : au nom de la création de sera dif�icile, aux Etats-Unis également,
remettent aux calendes grecques l’acquisi- valeur pour l’actionnaire, les partisans de d’en finir avec le court-termisme.
tion de nouvelles machines ou changent de l’exploitation se tirent finalement une balle
sous-traitants tous les ans pour d’autres dans le pied.
moins chers, sans se soucier des consé- Il semble que les investisseurs eux- Bernard Buisson est coach
en entrepreneuriat à HEC Paris et
quences à moyen terme, comme la perte de mêmes soient fatigués des manœuvres des professeur de stratégie à l’Ecole de management
compétitivité, la perte de savoir-faire et P�DG pour « truquer la partie ». Et ceux qui Léonard de Vinci (EMLV) à Courbevoie.
L
professeur de stratégie à Stanford, parle de
la même chose quand il définit la grandeur
’histoire regorge d’exemples de l’entreprise ne disposait pas. Cela signifiait d’une entreprise comme le produit dérivé
compagnies hautement pros- aussi essayer de créer des revenus au tra- d’un processus de réinvention dynamique
pères (songez à Nokia et Kodak) vers d’un autre écosystème (appareils (« Built to Become : Corporate Longevity
qui paraissaient infaillibles et photo, logiciels et imprimantes) que celui and Strategic Leadership », mars 2015). Cet
auxquelles le temps a joué un des produits « jetables » (pellicules, papier et effort de longue haleine exige deux capaci-
mauvais tour. Leslie Hannah, produits chimiques), entièrement maîtrisé tés essentielles :
professeure d’histoire des af- par l’entreprise dans son marché. L’écosys- 1- la construction d’une «intention stra-
faires à la London School of Economics, a tème qui avait fait la réussite de Kodak est tégique de longue haleine» qui dépasse les
suivi les 100 compagnies bénéficiant de la aussi celui qui provoqua sa chute. objectifs financiers à court terme, et qui in-
plus importante capitalisation boursière en Chacun sait que le succès engendre des tègre de multiples parties prenantes ;
1912. En 1995, près de la moitié avaient dis- failles de compétences, mais aussi de l’arro- 2- une « capacité d’adaptation » qui per-
paru et, parmi celles qui avaient survécu, gance, de la complaisance et fait craindre mette à l’entreprise de gérer les change-
seules 19 faisaient encore partie du top 100. d’essayer quoi que ce soit de nouveau. ments massifs de son secteur, sans perdre
Selon une étude d’Innosight, l’espérance de Lorsque ces pathologies frappent, les socié- son âme au passage. Jean-Paul Bailly, an-
vie moyenne des sociétés de l’index tés comme Kodak prennent du retard dans cien P�DG de La Poste, disait : « Il faut savoir
S & P 500 a chuté de 61 à 25 ans (entre 1958 et le rythme d’évolution de leur secteur. changer pour rester soi-même. »
1980), pour s’établir à 18 ans. Au cours de son histoire, Google a fait
Aussi puissantes soient-elles, les entre- sien ce double impératif. Elle a su embar-
prises sont donc mortelles, et elles Les cadres passent quer un grand nombre de parties pre-
s’éteignent bien plus vite qu’on ne le croit
(leur durée de vie est d’ailleurs largement
��� de leur temps nantes dans une ambition à long terme,
sans cesser d’explorer et d’expérimenter
inférieure à celle des individus qui les com- à « créer le futur » de nouvelles approches pour acquérir le
posent). Pourquoi ? Les sociétés doivent, en
effet, répondre à trois impératifs qui se et ��� à gérer les droit de jouer sur les terrains qui lui per-
mettraient de continuer à exister. L’entre-
concurrencent :
1- fonctionner avec efficacité ;
affaires courantes. prise regorge de passionnés qui pensent
que leur travail changera le monde – à long
2- créer de nouvelles activités répondant terme. Autre atout, elle sait susciter le
aux opportunités futures ; L’histoire de Kodak montre aussi que les changement constant : sa culture d’entre-
3- se défaire de ce qui fut au cœur de entreprises qui réussissent �inissent par prise, ses méthodes de travail prônent à la
l’entreprise mais qui pénalise aujourd’hui être victimes de leur histoire : bon nombre fois la discipline et la liberté, la méritocra-
sa capacité à croître. d’entre elles rebondissent rapidement face tie, le droit d’essayer et d’échouer... Et le
Ce qui fait la réussite peut aussi aux changements auxquelles elles font fait de grandir (62 000 salariés aujourd’hui)
provoquer la chute. Si Kodak inventa le face, mais elles le font souvent en renfor- ne lui a pas fait renoncer à quelques-uns de
premier appareil photo numérique, l’entre- çant les stratégies et les pratiques du passé, ses principes clés.
prise ne sut pas exactement qu’en faire. ce que Donald Sull, professeur et chercheur Le Google que nous connaissions
Résultat, elle fut, trente-six ans plus tard, en stratégie au MIT Sloan School of Mana- jusqu’alors offrait toutes les caractéris-
placée sous le régime de protection contre gement, appelle « l’inertie active ». Les tiques d’une compagnie « construite pour
les faillites (chapitre 11 de la loi sur les fail- cadres font des choix et, si de bons résultats devenir ». L’avenir dira si Alphabet (en 2015,
lites aux Etats-Unis, NDLR). La raison ? Se business les valident, une recette du succès Google s’est restructuré en un groupe inté-
concentrer sur le digital signifiait prendre émerge – symboliquement d’abord (les his- gré, NDLR) peut conserver cet état d’esprit.
pour cible une base de clients bien plus toires que l’on raconte en interne), et puis Il serait dommage que Google devienne
large qu’auparavant, accepter de concevoir plus formellement sous la forme de poli- une entreprise comme une autre.
des photos digitales de moins bonne qualité tiques, de routines, de processus et de sys-
que celles obtenues alors grâce au film, et tèmes de valeur. Avec le temps, « la façon Cyril Bouquet est professeur de stratégie
développer de nouvelles compétences dont dont nous faisons les choses ici » devient à l’IMD de Lausanne (Suisse).
P
que, selon la théorie économique, la com-
pétition est censée favoriser un maximum
ourquoi privilégier la colla- produits et des services poussée à l’ex- d’innovations, elle peut dans certains cas
boration ? Que cela soit créa- trême, politiques de qualité drastiques conduire au mimétisme généralisé. Avec le
teur de valeur ne suf�it pas malgré la réduction permanente des coûts, risque que se développe un cercle vicieux :
toujours à initier des change- plans marketing et campagnes de commu- la compétition conduit à l’imitation, qui
ments. Voici un autre argu- nication qui, pour certains produits de renforce à son tour la compétition, chacun
ment de poids : les économies grande consommation, représentent l’es- luttant pour les mêmes positions.
en termes de coûts. Contraire- sentiel des coûts de mise sur le marché… Bons élèves. Les exemples de collabo-
ment aux a priori qui donnent à penser que De tels coûts existent également dans les ration entre entreprises sont pourtant
la collaboration est source de complexité et relations client-fournisseur, car vouloir nombreux, avec des modèles parfois divers
de dépenses inconsidérées, les avantages contrôler ses fournisseurs, ou a minima en fonction des cultures et des besoins :
pour les entreprises qui adoptent cette dé- disposer d’informations à leur sujet, repré- systèmes productifs locaux, districts in-
marche sont réels. sente un réel investissement. dustriels (ensemble de petites entreprises
Largement justi�iées par les théories Autre effet inattendu, cette concur- indépendantes spécialisées dans la même
classique et néoclassique, la compétition rence entre individus et entre organisations activité) en Italie, clusters aux Etats-Unis,
(entre concurrents) et les relations de mar- pôles de compétitivité en France. Avec,
50 %
ché (entre client et fournisseur) sont asso- selon les cas, différents degrés de collabo-
ciées à de multiples retombées positives, ration (échange de machines ou de person-
tant pour les acteurs concernés que pour la nel, partage des risques et des gains…).
société (il existe un processus naturel selon La recrudescence des risques variés
lequel la recherche par chacun de son inté- du chiffre d’affaires. joue aussi en faveur de la collaboration.
rêt personnel concourt à l’intérêt général, C’est le cas, par exemple, face à la rareté des
C’est ce que représentent
selon le mécanisme de la «main invisible» ressources. A l’heure où la sécurisation des
d’Adam Smith).
les achats dans certains approvisionnements devient une mission
En fait, la compétition est surtout
secteurs comme l’automobile centrale pour les acheteurs, nouer des liens
source de coûts cachés, comme les frais et l’aéronautique. avec les fournisseurs est vital.
d’hétéronomie (coûts de dépendance à En matière de collaboration, il peut être
autrui). Ces derniers poussent les entre- conduit à devoir constamment rendre des plus aisé d’ailleurs de se concentrer, au
prises à avoir comme référentiel les actions comptes en termes de performances, sous début, sur les fournisseurs : les achats au-
de leurs concurrents avérés ou potentiels peine d’être évincés par d’autres, qui au- près de ces derniers représentent, en
– pour les imiter ou pour s’en distinguer. Or ront su, eux, démontrer leur efficacité. Ces moyenne, plus de 50% du chiffre d’affaires
cette surveillance se traduit par un inves- coûts sont d’autant plus lourds que s’ajoute des entreprises. Dans certains secteurs
tissement en intelligence économique, en une pression pour la performance sociale comme l’automobile et l’aéronautique, ce
veille concurrentielle et, plus largement, et environnementale. chiffre peut atteindre ou dépasser les 80%.
pour maintenir un réseau de relations qui La mise en concurrence des prestataires Un préalable : il faut bien collaborer en in-
permet à l’entreprise de rester informée sur et des fournisseurs, qui devait aboutir à des terne. Les ingénieurs, les commerciaux et
son environnement. gains de productivité, conduit en �in de les acheteurs doivent définir ensemble, et
De plus en plus d’efforts. Ce besoin compte à une augmentation des coûts en tenant compte des compétences des
de protection s’illustre particulièrement lorsque la quantité d’informations à fournisseurs, les produits qui constitue-
bien dans les secteurs de pointe où la contrôler a tendance à augmenter. Dans un ront l’offre de l’entreprise. Cet esprit colla-
course aux brevets, le respect des droits système où la compétition repose sur une boratif aura un autre avantage : il décloi-
d’auteur et les frais juridiques qui y sont transparence des performances, l’image sonnera les services.
liés constituent une part croissante du publique et donc sa préservation prennent
budget des entreprises. En�in, se démar- une place prépondérante. Par peur du
quer de ses concurrents demande aussi de scandale ou d’une différence trop mar- Hugues Poissonnier est professeur associé
plus en plus d’efforts : personnalisation des quée, les acteurs peuvent faire le choix de à Grenoble Ecole de management.
L
elles aussi, été confrontées à différentes
vagues de concurrence via la distribution
e groupe Air France avait-il vrai- Adopter plusieurs business models au spécialisée, le hard discount, l’e-com-
ment le choix ? Pouvait-il rester sein d’une même activité pose certes de merce, etc. Dans ce type d’industrie, les
le même, et ne pas évoluer ? redoutables défis d’exécution. Mais cette effets de taille doivent de plus en plus se
L’option stratégique la moins tendance étant inéluctable, mieux vaut, conjuguer avec des logiques de porte-
déstabilisante à court terme vous aussi, vous y préparer. feuille. Les dynamiques stratégiques sont
était de préserver un seul mo- En général, la motivation la plus fré- diverses et se cherchent parfois, à l’image
dèle, celui de la compagnie aé- quente est défensive, comme dans le cas du groupe Carrefour qui a cédé sa branche
rienne historique. Mais vingt ans après d’Air France. Le mouvement d’intégration hard discount en 2011 pour �inalement
leur émergence dans le ciel européen, les
compagnies low-cost ont capturé 40% du
marché en volume. Selon une étude du
cabinet britannique York Aviation, les
compagnies à bas coût pourraient même
représenter 50 à 60 % du tra�ic passager
intraeuropéen d’ici à 2020. Et en raison des
percées de Lufthansa avec Germanwings,
de British Airways avec Vueling, les diri-
geants d’Air France n’avaient pas d’autres
choix que de poursuivre la transformation
de la compagnie, en optant pour une lo-
gique multibusiness models avec notam-
ment Transavia pour le low-cost et Hop!
pour l’offre régionale.
Mouvement stratégique. Face à la
révolution numérique, au développement
de l’économie de la fonctionnalité (qui vise
à remplacer la notion de vente du bien par
celle de vente de l’usage du bien), aux nou-
veaux concurrents dotés de business mo-
dels de rupture, de nombreuses entre-
prises doivent, comme Air France, intégrer
cette option : organiser et décliner une
même activité selon plusieurs business d’un nouveau business model est alors racheter Dia France trois ans plus tard, en
models. Ce mouvement stratégique n’est assez tardif. Des acteurs plus dynamiques 2014. Sans pouvoir se départir complète-
en soi ni une diversification (puisque l’en- ont déjà créé et préempté un nouvel es- ment du modèle de l’hypermarché, qui
treprise ne sort pas de son activité), ni une pace, devenu crédible en termes de valeur reste archidominant, le groupe Auchan
simple extension ou segmentation de aux yeux des clients. Ne pas être présent montre lui aussi des velléités de diver-
l’offre. L’action ne se limite pas aux leviers sur ce créneau n’est plus tenable. si�ication : création d’un modèle « self
commerciaux et marketing classiques. In- Les banques historiques, par exemple, discount » emboîté dans le modèle de
troduire un nouveau business model im- sont directement confrontées au dévelop- l’hypermarché, développement du drive, y
plique une nouvelle proposition de valeur pement de l’offre bancaire sur Internet. compris en unité distincte (Chronodrive),
et un nouveau modèle opérationnel, donc Certains acteurs ont été proactifs dans et lancement d’une entité internationale
BERNHARD LANG
d’autres modes de relation avec les clients, l’intégration de ce nouveau modèle, à dédiée à l’e-commerce.
d’autres manières de générer de la valeur l’image d’ING Direct, de Société générale Développer ainsi un véritable porte-
et d’autres prismes mentaux. avec Boursorama, de Crédit mutuel Arkéa feuille de business models deviendra de
plus en plus la norme, quel que soit le sec- BUSINESS MODELS ET PLATEFORMES: LE CAS DE RENAULT
teur. Cette évolution peut d’ailleurs inciter
les entreprises traditionnelles à se réinven- Certaines activités ont
ter en profondeur, à tous les niveaux. intérêt à s’appuyer sur des
écosystèmes ouverts et des Business Business
L’existence d’une filiale de banque en ligne model 1 model 2
partenariats économiques. Business Business
ne dispense pas, par exemple, de dévelop- Renault développe des (voitures citadines) (low-cost) model 3 model 4
per le cross canal au sein de la banque plateformes de partage (véhicules
électriques) (autopartage)
traditionnelle. entre ses business models,
Plateforme partagée entre certaines
Une chose est sûre, les entreprises y compris au sein de unités (actifs partagés sur véhicules
l’alliance avec Nissan et du à motorisation thermique)
doivent être de plus en plus proactives :
partenariat avec Daimler.
identifier différents modèles d’action et se L’autopartage s’appuie sur
structurer en conséquence – en vue d’ac- un partenariat avec Bolloré Plateforme commune à toutes les unités Plateforme
d'un
croître et d’optimiser l’espace occupé – (fabrication de la Bluecar, (actifs et expérience partagés sur tout véhicule) partenaire
préempter selon le bon tempo un nouveau offres communes sur des
contrats d’autopartage).
modèle, initier de nouvelles propositions
de valeur...
Elles doivent aussi comprendre un est… de la créer. Des groupes traditionnels mité), les centres low-cost Carter-Cash, la
point essentiel : vivre avec plusieurs busi- démontrent, à ce sujet, une réelle capacité vente en ligne Oxio-pneus.fr, etc. Cette di-
ness models ne signifie pas adopter diffé- à développer des espaces d’innovation versité de business models favorise une
rents positionnements tactiques portés économique à la fois sur de nouvelles pro- cohérence propre à chaque modèle en
par une même entité organisationnelle, positions et de nouvelles chaînes de va- termes de leviers opérationnels (offre, or-
mais faire coexister différentes proposi- leur, à l’image de Nespresso (remarquable ganisation, etc.). Elle permet également de
tions de valeur et unités opérationnelles innovation business model au sein du partager certains actifs ou certaines fonc-
au sein d’une même entreprise. Le groupe groupe Nestlé) ou de Michelin Fleet Solu- tions entre les différentes unités, comme le
Air liquide, à travers sa seule activité de tions. La vocation de cette entité (dont la sourcing ou l’achat des pneus.
fourniture de gaz médical et de services à position au sein du groupe Michelin n’ap- Les effets de synergie et de plateforme
domicile, déploie des modèles d’action et paraît pas stable) est de concevoir, de dé- entre business models d’une même acti-
des entités multiples : VitalAire pour la velopper et de commercialiser des mo- vité ne sont pas systématiquement réser-
prescription par les médecins, Orkyn pour dèles innovants et créateurs de valeur vés aux activités en amont de la chaîne de
la prescription par les pharmaciens et les pour ses clients professionnels, dans tous valeur (comme les achats ou la R & D). Le
spécialistes, Dinno Santé pour le diabète, les domaines qui touchent à la mobilité : partage d’actifs immobiliers et de pools de
etc. La multiplicité des business models location de pneus avec facturation au kilo- ressources entre les unités du groupe hôte-
est liée ici à une logique historique et per- mètre, solution Ef�ifuel pour réduire la lier Accor (Ibis, Novotel, Aparthotels Ada-
met une couverture optimale des espaces consommation de carburant… gio, Sofitel, etc.) apparaît logique. Les ef-
de marché. Attention à la dispersion. Ces nou- fets de plateforme peuvent du reste
Identifier de nouvelles propositions de veaux repères stratégiques con�irment toucher à la relation client : système com-
valeur ainsi que les business models qui y qu’être capable de gérer un portefeuille de mun de réservation, programme transver-
sont liés doit être une préoccupation business models sur la même activité est sal de �idélité Club AccorHotels (plus de
constante des entreprises. Car cela reste la devenu incontournable. Toutefois, la di- 15 millions de membres), partage d’outils
meilleure stratégie pour éviter d’être versité ne doit pas virer à la dispersion. et de mécanismes d’optimisation des prix
déstabilisé par de nouveaux entrants. Or la Afin de maximiser la valeur, les schémas proposés aux clients, etc. Etre ainsi ca-
meilleure façon «d’accrocher» une nou- d’exécution et d’organisation doivent pable d’organiser en plateforme les diffé-
velle vague d’innovation business model concilier pluralité des modèles et effets de rentes unités est aujourd’hui un levier es-
taille et de plateforme. Il s’agit, pour sentiel face aux nouveaux acteurs de
chaque business model, de distinguer : l’intermédiation, comme Booking.com.
Nespresso ou 1 - les opérations et les ressources Créer de la valeur et avoir une activité
O
du besoin et la manière d’y répondre. Il une impression de cohérence, mais plutôt
n’y a encore pas si longtemps, se procurer celle d’un « empilage » de modèles.
ffres hybrides, multi- un bien réalisant correctement une tâche A l’opposé, Uber, dont il a été beau-
c anales, collabora- basique, comme un aspirateur ou un coup question cette année, semble plus à
tives… Un puissant stylo, suf�isait à générer un honnête ni- l’aise avec cette notion d’écosystème :
vent de changement veau de satisfaction. Aujourd’hui, c’est • Uber ne s’adresse pas seulement à un
souffle dans les straté- l’expérience client qui prédomine – soit groupe déterminé d’individus (les
gies des entreprises. Il l’ensemble formé par le produit ou le ser- clients), comme le fait une compagnie
vise à répondre de fa- vice, son environnement ainsi que leurs traditionnelle de taxis (avec obligation
çon exhaustive (et de plus en plus rapide- composantes annexes et connexes. Ce de s’adapter), mais à une communauté
ment) aux multiples besoins et aux sou- n’est plus seulement le produit ou le ser- composée de ceux qui veulent se
haits des clients et utilisateurs. vice qui importe, mais l’univers dans le- déplacer et de ceux qui proposent un
Certains tirent parti de ce mouvement, quel est convié le client ou l’utilisateur. moyen de déplacement. L’ensemble de
d’autres plus difficilement. L’un des as- Mais attention, il ne suf�it pas ces parties prenantes étant intégré dans
pects marquants de cette évolution ? seulement de multiplier les offres, le même écosystème ;
Nous nous trouvons dans un cycle de comme la SNCF semble être tentée de le • l’offre est présentée de manière
l’offre qui combine élaboration d’écosys- faire : le modèle économique créé par particulièrement claire et ef�icace (le
tèmes et maîtrise de la conception-pro-
duction-distribution. En d’autres termes,
nous sommes en train de passer de
« simples » offres produits ou services à
des propositions globales, prenant en
compte l’ensemble des parties prenantes
et maillons de la chaîne de valeur, avec un
réel souci d’efficacité opérationnelle.
PREMIÈRE COMPOSANTE
DE CETTE OFFRE GLOBALE�:
L’ÉCOSYSTÈME
L’écosystème est un environnement ca-
BRUMBRUM (FLAME RED OAK)
Néanmoins :
Ce n’est plus seulement le produit ou • la stratégie sur le long terme de Jeff
Bezos, le fondateur d’Amazon, n’est pas
le service qui importe, mais l’univers très lisible et les relations qu’il entretient
ET SI L’ÉCONOMIE CIRCULAIRE
de villes aujourd’hui. Nous avons besoin
d’agir autrement. Peut-être en adoptant
S
sèques du matériau recyclé. Le circuit ou-
vert, ou « dévalorisation », par contraste,
ans doute avons-nous fait ment des ressources naturelles. Par consé- utilise des matériaux récupérés dont les
quelque chose de travers au quent, nous subissons non seulement qualités ont pu être dégradées. En consé-
cours des 250 dernières une augmentation du prix de ces res- quence, le circuit fermé est le seul recy-
années. L’amélioration de sources, mais nous les voyons aussi s’ame- clage qui respecte vraiment le principe du
nos niveaux de vie et de nuiser rapidement et diminuer en qualité. « berceau au berceau ».
richesse s’est faite à travers La qualité de notre environnement, Dell, par exemple, a mis en place une
l’exploitation et l’épuise- par exemple, se dégrade de jour en jour, chaîne logistique en circuit fermé afin de
INTERNATIONALISATION�: LE
performance, au-delà d’un certain niveau,
la performance des entreprises décroît. La
S
entreprises les plus avancées en matière
d’internationalisation au début de la dé-
i l’on en croit la plupart des d’une stratégie de diversification géogra- cennie tendent ensuite à réduire progressi-
chroniqueurs ou experts phique peuvent dépasser les bénéfices at- vement leur présence à l’étranger. Les opé-
économiques, le lien entre tendus, ce qui laisserait penser qu’il existe rations de recentrage géographique
internationalisation des une limite à ne pas franchir en matière observées dans certains grands groupes
entreprises et amélioration d’expansion internationale. Plusieurs élé- confirment l’existence d’un optimum en
des performances semble ments peuvent conduire à une explosion matière d’internationalisation et l’adapta-
évident. S’internationaliser des dépenses lorsqu’on met en place une tion des entreprises à cet optimum. Carre-
encore et toujours devrait permettre de stratégie d’internationalisation : des coûts four est donc loin d’être un cas isolé.
réduire les coûts de production, d’amélio- d’adaptation aux nouveaux marchés d’au- Au-delà de ce constat, quels sont les
rer son image, de tirer parti d’opportunités tant plus élevés que les conditions cultu- facteurs qui ont pu pousser de grands
nouvelles, de réduire les risques... En ré- relles et institutionnelles divergent entre groupes à réduire leur empreinte à l’inter-
sumé, l’internationalisation croissante se- national ? Un recentrage géographique
rait garante d’une meilleure performance
et le rempart le plus sûr contre une concur-
Certaines sociétés peut être lié à :
�. Un manque de ressources financières
rence devenue mondiale. ont opéré obligeant l’entreprise à réaliser des
Pourtant, de très grandes entreprises
multinationales, à l’instar du groupe Car-
un recentrage arbitrages ;
�. Une expansion à l’international trop
refour, n° 6 mondial de la grande distribu- géographique. rapide qui aurait eu pour effet de dégrader
tion (source : Deloitte 2016), ont procédé à la performance et aurait poussé l’entre-
des recentrages géographiques. La dé- les pays, des coûts de coordination et de prise à finalement revenir en arrière ;
marche stratégique n’est alors plus de gouvernance des différentes entités de �. Une intervention des investisseurs
poursuivre son implantation dans de nou- l’entreprise, une expansion dans des pays institutionnels – principaux actionnaires
veaux pays étrangers, mais au contraire de de plus en plus petits, lointains et risqués des grandes entreprises – qui ne valide-
se retirer de certaines zones géogra- (cela sera le cas notamment pour l’entre- raient pas la poursuite de l’internationali-
phiques. Le groupe Carrefour s’est ainsi prise ayant démarré sa stratégie d’interna- sation dans un plus grand nombre de pays
retiré, en 2012, de plusieurs marchés émer- tionalisation par une implantation dans les si cette stratégie n’est pas synonyme de
gents comme la Colombie, la Malaisie et pays les plus attractifs et profitables). rentabilité élevée à court terme ;
l’Indonésie, pourtant très prometteurs en L’étude que nous avons réalisée au �. Un avantage concurrentiel à la base
termes de croissance des ventes. Une telle cours de la décennie 2000 sur les 100 en- trop faible, en termes de coût ou de diffé-
stratégie pose immanquablement la ques- treprises les plus internationalisées en renciation, ne permettant pas à l’entre-
tion de la relation réelle entre internatio- matière d’actifs investis à l’étranger a tout prise de se développer à l’international.
nalisation et performance des entreprises. d’abord cherché à analyser la relation entre En définitive, vouloir aller trop loin, et
L’internationalisation est-elle vraiment internationalisation et performance. Nous trop vite, n’est pas forcément la solution.
une stratégie systématiquement garante nous sommes appuyés sur des données de Sans compter que, en qualité de neuvième
de performance ? la Conférence des Nations unies pour le puissance économique mondiale (selon le
Des coûts supérieurs aux béné- commerce et le développement (Cnuced), FMI, chiffres 2016), la France représente
fices. Si l’internationalisation représente qui présente chaque année un classement déjà un marché d’une belle envergure.
un certain nombre d’avantages (trouver de ces multinationales et fournit des don-
des relais de croissance, réduire la dépen- nées sur les ventes, les actifs et l’emploi à
dance au marché domestique, générer des l’étranger des entreprises. Pierre-André Buigues est professeur de
économies d’échelle, réduire les risques...), Cette étude empirique a mis en évi- stratégie à Toulouse Business School (TBS).
on a souvent tendance à sous-estimer les dence l’existence d’une relation en cloche Denis Lacoste est professeur de stratégie et
directeur de la recherche à TBS. Stéphanie
difficultés engendrées par une surinterna- entre internationalisation et performance : Lavigne est professeure de stratégie à TBS et
tionalisation. Parfois, en effet, les coûts si une internationalisation croissante dirige le laboratoire Entrepreneuriat et stratégie.
N
standardisé, le tout dans l’attente de ré-
sultats rapides et mesurables [simplicité
ous avons déjà tous as- environ, de multiples pratiques se sont et efficacité].
sisté à un séminaire, une succédé à intervalles plus ou moins régu- �- Les managers sont rationnels.
réunion où nombre de liers pour venir orienter – de façon signifi- Ils jetteraient en conséquence leur dé-
dirigeants employaient cative – les pratiques de gestion des firmes volu sur des dispositifs reposant sur des
le même champ lexical du monde entier. théories et des concepts en apparence
et s’appuyaient sur un Nombre de chercheurs se sont en scientifiques, en partie à cause de l’hy-
même outil, une même conséquence interrogés sur les motifs per-autorité des chiffres et des mesures
logique, émanant généralement d’une d’un tel phénomène. Une première expli- au sein de l’entreprise [rationalité].
firme ou d’un pays affichant une insolente cation suggère que les managers adoptent �- Les managers sont en quête de
croissance. Et quelques mois plus tard… une pratique car elle permet de répondre solutions nouvelles. Mais aussi de
plus rien. La solution miracle semblait déjà le plus simplement et efficacement pos- procédés inédits pour ampli�ier leur
remplacée par une autre formule idoine et sible aux contraintes techniques aux- performance et doubler la concurrence.
son cortège d’histoires incroyables. Les quelles ils sont confrontés. Les profes- Une pratique fondée sur une redéfinition
managers suivent aussi des modes et ont seurs en management stratégique des modalités traditionnelles aurait en
parfois, en la matière, des comportements Royston Greenwood et Bob Hinings, conséquence le double avantage de gé-
peu rationnels. coauteurs de « The Dynamics of Strategic nérer de l’espoir (la méthode n’a jamais
Change », observent toutefois que cette été testée) et de « ringardiser » les offres
UN RECOURS AVEUGLE explication n’est guère satisfaisante dans en présence [modernité].
AUX MATRICES la mesure où elle ne permet pas de com- �- Les managers sont soumis à de
Quels mécanismes sous-jacents induisent prendre pourquoi un grand nombre de puissants mécanismes mouton-
une telle uniformisation ? Sommes-nous managers adoptent de façon quasi simul- niers. Une pratique employée par une
de zélés suiveurs, soumis à une insidieuse tanée la même pratique, alors qu’ils ap- firme leader induirait par voie de consé-
industrie du prêt-à-penser ? Si oui, com- partiennent à des secteurs d’activité diffé- quence une adoption par les entreprises
ment procèdent au juste les architectes en rents, soumis à des logiques distinctes et suiveuses [contexte normatif].
question pour imposer leurs normes sur à des cycles économiques particuliers. �- Les managers sont sensibles à
le marché ? l’avis des experts. Leurs préconi-
Un cas d’école d’abord : en 1972, soit UN DISCOURS SIMPLE, sations agiraient à la fois en qualité
deux ans après le lancement officiel de la MODERNE, EFFICACE –d’assurance – elles séc uriseraient
matrice de portefeuille (qui est une La théorie néo-institutionnelle et la théo- politiquement le manager dès lors qu’il
représentation graphique des différents rie des modes managériales présentent ambitionnerait d’adopter une pratique
domaines d’activités stratégiques de néanmoins deux angles d’analyse en me- nouvelle – et de levier normatif – com-
l’entreprise dans le but d’évaluer sa sure de dénouer cette intrigue à travers la ment expliquer aux parties prenantes
compétitivité et d’en déduire une straté- mise en évidence de cinq facteurs expli- que l’on ne mobilise pas tous les moyens
gie), 100 multinationales américaines en catifs. Ils supposent que les managers – à sa disposition, qui plus est ceux
avaient adopté une. Et six ans plus tard, en partie à cause de la pression normative revendiqués par les experts et les gou-
75% des �irmes du fameux classement qu’ils subissent – convoiteraient en prio- rous comme étant performants ?
Fortune 500 avaient emboîté le pas. rité les pratiques étant présentées, lors du [contexte normatif].
Moult études ont pourtant démontré discours promotionnel, comme simples, Intégrer ces cinq facteurs, au sein du
que les entreprises ayant eu recours aux modernes, efficaces et rationnelles. Nous discours promotionnel, augmenterait de
matrices ont obtenu de moins bons avons identi�ié cinq raisons qui ex- façon signi�icative la probabilité qu’un
résultats que les autres. Et il ne s’agit ici pliquent un tel comportement. Ce sont manager adopte une pratique de gestion.
nullement d’un cas isolé : depuis un siècle schématiquement les suivantes : C’est ce que nous avons voulu tester.
�� �
2- Le manager calcule le score FRE en
s’appuyant sur une formule composée
d’additions et de multiplications ;
3- Le manager relie le score à l’une des
trois cases d’un tableau prévu à cet effet.
600
des
Et à chacune des cases correspond une
courte préconisation standardisée.
La cinquième et dernière étape, enfin, a
chroniques,
un accès
consisté à soumettre le modèle FRE, ac-
un modèle
pour le moins étonnant… plus de ��� des
répondants se sont en effet dit prêts à
adopter le modèle FRE dans le cadre de
visiblement leur activité. Certains l’ont même testé
avec admiration sur un projet en cours, là Tout l’univers de
inopérant. où d’autres ont mentionné leur impatience
de le présenter en réunion…
Il apparaît en conséquence plausible
Harvard Business
La pratique fictive fut intentionnelle-
ment conçue de sorte que ses défauts ma-
– en mobilisant les leviers suggérés par la
théorie néo-institutionnelle et la théorie
des modes managériales – de provoquer
Review France
jeurs soient clairement identifiables et ce,
dans un but : mettre en évidence l’effet du
l’intention d’adopter une pratique pour-
tant visiblement inopérante. Ce qui n’est
en un seul clic:
hbrfrance.fr
discours promotionnel sur l’attitude des pas sans poser d’épineuses interrogations,
managers. Nous avons en conséquence au premier rang desquelles : comment limi-
opté pour une pratique prétendument ca- ter – sinon neutraliser – la prolifération du
pable d’anticiper – avec certitude – l’issue prêt-à-penser au sein des organisations ? La
d’un projet de changement avant même question est d’autant plus sensible que les
que celui-ci n’ait encore démarré ! modalités de penser déterminent le fonc-
Nous avons, par ailleurs, mis sur pied tionnement opérationnel d’une �irme et,
un discours promotionnel décrivant cette par extension, sa capacité à dominer, ou
pratique comme étant simple, moderne, non, une concurrence aujourd’hui de plus
ef�icace et rationnelle. « Forecast of en plus vive et innovante.
Rational Efficiency » (FRE), c’est son nom,
a été présenté comme étant le résultat
d’une étude scientifique menée par des Ludovic François est professeur affilié
chercheurs de Harvard sous la direction à HEC, il est l’auteur de plusieurs livres
de Michael Porter. S’appuyant sur une sur la question de l’influence. Romain Zerbib
est enseignant-chercheur en stratégie au
série de fondements scienti�iquement Lara/ICD BS et chercheur associé au Cerege.
reconnus, ce modèle aurait notamment Il est directeur de «�Management & Data Science�».
LEADERSHIP
36 À QUOI RECONNAÎT�ON UN LEADER ?
Gérald Karsenti
Q
lieu et les circonstances de l’action font
alors toute la différence. Winston Chur-
u’est-ce qu’un leader ? En Plutôt que d’ordonner et de forcer l’exécu- chill n’aurait sans doute pas autant mar-
quoi se différencie-t-il de tion, il cherche l’adhésion. Bien entendu, qué le monde de son empreinte si les évé-
l’individu lambda ? Nous rien n’est aussi binaire. Pour réussir, le nements dramatiques de la Seconde
avons tous un a priori sur manager doit disposer d’une équipe moti- Guerre mondiale ne lui avaient pas offert
ces questions. On l’ima- vée et engagée derrière lui, et le leader la possibilité de s’illustrer en tant que Pre-
gine en Alexandre le n’aura pas d’autre choix que de devenir tôt mier ministre du Royaume-Uni.
Grand, l’illustre conqué- ou tard plus directif pour faire aboutir ses Vient enfin le « comment ». Certaines
rant macédonien, en Napoléon Bonaparte, projets. Les lignes qui les séparent sont personnes parviennent à atteindre leur
dans la peau d’un Steve Jobs ou d’un Bill néanmoins très marquées. cible par les moyens qu’ils utilisent. Ce
Gates – des visionnaires qui ont, chacun à sont alors leur méthode ou leur mode
leur niveau, changé le monde – ou encore DE MITTERRAND opératoire qui les distingue des autres.
en guide spirituel et politique. Mais dans À SARTRE Bien entendu, un même individu peut
tous les cas, le leader est quelqu’un qui sait En définitive, qui peut être un leader ? Si la être un « cumulard ». Nicolas Sarkozy, par
jongler avec les mots, entraîner, motiver, réponse est loin d’être simple, il existe exemple, est parvenu au sommet de l’Etat
qui inspire, qui est courageux et souvent
en rupture avec le statu quo. Logique, car
il ne se contente pas de gérer l’existant, il
crée de nouvelles brèches, des ouver-
De Gaulle avait un profil de
tures... Bien sûr, un leader est tout cela.
Mais pas uniquement.
leader très complet. Un « grand
Tout d’abord, parce qu’il ne suffit pas homme », au sens de Hegel.
de vouloir être un leader, il faut que les
autres vous voient ainsi. Tout est question
de perception. Personne ne peut donc s’at- néanmoins plusieurs angles d’approche en 2007 pour sa façon d’opérer, ses al-
tribuer ce label. On peut passer une vie à pour tenter d’en apporter une. Le leader- liances politiques, ainsi que sa manière de
vouloir le devenir sans jamais y parvenir, ship est souvent le fruit d’une conjonction communiquer et de gérer les situations. Il
et inversement être perçu comme tel sans d’éléments. s’est principalement illustré sur le « qui »
jamais l’avoir cherché. Sans compter que Il y a d’abord celles et ceux qui se voient et le « comment ». Cinq ans plus tard, au
cette reconnaissance n’est jamais définiti- affublés de ce titre pour ce qu’ils sont, ce cours de l’élection présidentielle sui-
vement acquise. qu’ils représentent. Le « qui » l’emporte vante, alors même qu’il possédait les
L’image que l’on prête au leader est gé- dans ce scénario. Ces individus présentent mêmes atouts, un élément est venu modi-
néralement positive. Alors qu’il n’en est des caractéristiques hors normes leur per- fier et perturber la donne : la crise de 2008
pas toujours de même pour le manager. mettant de s’imposer naturellement, est passée par là, noircissant au passage le
Cela n’est guère surprenant. Le manager a parmi lesquelles le charisme, véritable fac- tableau du « quoi ». Avec son style bien
pour mission de respecter une gouver- teur de différenciation. Exemples : Fran- installé, l’homme est dans l’action, le
nance, de piloter des opérations et plus çois Mitterrand ou Barack Obama. On mouvement. Il aime débattre, convaincre
globalement de gérer les tâches qui lui ont peut ou non les apprécier, mais ils sont et gagner. Il en agace certains pour ses
été confiées. Il doit atteindre certains ob- d’incontestables leaders. excès, est admiré par d’autres mais ne
jectifs définis dans un cadre délimité. En Il y a ensuite ceux qui sont des leaders laisse personne indifférent. Cependant, il
comparaison, le leader est supposé être pour ce qu’ils font. Nous sommes à pré- ne convainc pas par ses résultats. La pé-
l’artisan d’une vision, le catalyseur des sent dans le « quoi ». Ce qu’ils ont réalisé riode ne le place pas en position de force.
énergies et de l’innovation. Ce qui est for- les place au-dessus du commun des mor- Cela pèche à la fois sur le « quoi » et sur le
cément plus grati�iant. L’un incarne le tels. Jean-Paul Sartre en intellectuel chef « où », c’est-à-dire le situationnel.
contrôle, l’autre le changement. Le leader de file – pour ses œuvres et le courant in- Et c’est justement sur ces points que
inscrit son action dans un mouvement per- tellectuel qu’il a su inspirer – en est la par- François Hollande a fondé toute sa
pétuel. Il cherche davantage à convaincre. faite illustration. campagne de 2012. Les circonstances lui
NUMÉRO 1 OU NUMÉRO 2?
de l’entreprise pour que celui-ci soit connu,
compris et accepté de tous.
En tant que conseiller privilégié, le n° 2
doit, lui, consacrer 30 à 40% de son
Bien que complémentaires, ces deux positions sont temps… au n° 1. Il anticipe ses besoins,
très différentes. Et les profils qui y sont adaptés aussi. trouve des solutions aux problèmes qui se
R
posent… Quoique essentiel, il ne doit pas
s’attendre à obtenir de la reconnaissance,
ares sont les personnes ca- détecter les potentiels humains, tech- et cela ne doit pas faire naître chez lui le
pables d’être à la fois n° 1 et niques et technologiques indispensables à moindre ressentiment. Le n° 2 a le pouvoir
n° 2, car les qualités néces- l’évolution de l’entreprise... Les fonctions mais il ne l’exerce pas. Il est celui qui reste
saires pour tenir l’une et de n° 1 et de n° 2 correspondent souvent dans l’ombre quand le n° 1 est constam-
l’autre de ces positions sont aussi à des pro�ils psychologiques diffé- ment dans la lumière.
bien différentes. Et pour- rents, à des aptitudes et à des choix per- Bien entendu, certains n° 2 deviennent
tant, ces deux acteurs ma- sonnels distincts. d’excellents n° 1, mais c’est parce qu’ils pos-
jeurs de l’entreprise doivent fonctionner Ombre et lumière. L’entreprise est sédaient dès le départ l’éventail de compé-
en binôme, ce qui impose une logique aujourd’hui un média, son dirigeant un tences d’un n° 1, en plus des qualités d’un
claire de complémentarité et de synergie. porte-parole et son n° 2 le support de cette n° 2. On pense à Carlos Tavares, n° 2 de
En général, trois grands types de par- parole. Le n° 1 doit pouvoir s’adresser à Carlos Ghosn chez Renault, devenu patron
cours mènent aux fonctions de direction : toutes les strates de l’entreprise et donc du Groupe PSA. Et qui, depuis, a largement
– Le parcours «�chance�». Il est de avoir les qualités relationnelles requises : à fait ses preuves en tant que n° 1.
plus en plus rare dans les grands groupes. l’externe, il doit parler aux actionnaires, aux
Dans ce cas précis, le facteur décisif est banquiers, aux leaders d’opinion, mais éga-
Christian Pousset est dirigeant de
essentiellement… le hasard. Dans les en- lement aux clients et aux prospects ; en in- PeopletoPeople Group, cabinet de conseil
treprises familiales ou patrimoniales no- terne, il doit savoir s’exprimer devant l’en- et d’accompagnement de dirigeants.
tamment, le lien de parenté ou personnel
très fort avec un « héritier » garantissait la
succession. Le n° 2 apprenait du n° 1, en QUE DIT DE VOUS VOTRE VOIX?
attendant son tour.
– Le parcours de «�construction�».
Dans les entreprises occidentales, l’organi-
P our 9 personnes sur
10, le charisme est en
partie lié à sa voix (étude
réunion prend une
mauvaise tournure, raconte
Thierry Boiron, président
sonores, ce qui obligerait
le cerveau à travailler
davantage. Elles activent
sation est traditionnellement faite d’éche-
menée à EM Lyon auprès du conseil d'administration des zones généralement
lons, qu’il faut gravir. Ce type de parcours de 365 managers et des laboratoires du même sollicitées pour traiter
peut provoquer des insatisfactions, car professeurs). Et c’est nom, c’est ma voix qui des bruits complexes,
c’est souvent par l’expérience de l’échec d’autant plus vrai pour les calme le jeu. J’abaisse comme la musique. Et qui
qu’un individu découvre les limites de son dirigeants. Car que font les un peu le rythme et la dit «�analyse de bruits
évolution possible. patrons de leurs journées�? tonalité de façon à obliger complexes�» dit aussi «�plus
Selon des chercheurs de tout le monde à ralentir d’efforts�» pour le cerveau.
– Le parcours «�naturel ». C’est celui l’université Harvard et et à se calmer. » C’est pourquoi les voix
qui repose à la fois sur la connaissance de de la London Business Plus on monte d’ailleurs haut perchées peuvent
soi, la résilience et suffisamment d’humilité School qui épluchent, dans l’organisation, moins être fatigantes.
pour être dans une démarche d’amélio- depuis 2010, les agendas il y a de cadres à la voix Des chercheurs de
ration permanente. Pour suivre un tel de milliers de P-DG, le fluette. Comme si l’on l’université Duke, aux
parcours, il faut aussi une bonne dose dirigeant passe le plus clair partait du principe que le Etats-Unis, ont analysé
d’intelligence relationnelle, une certaine
de son temps à… parler. manager n’avait pas fini sa la voix de 800 dirigeants.
Pourquoi�? Parce qu’on lui mue et qu’il n’était donc Verdict�: ceux à la voix
vision stratégique ainsi qu’une réelle capa-
demande en permanence pas prêt à assumer des très grave sont à la tête des
cité à fédérer, animer et représenter son avis. Il est sans cesse responsabilités, ni à asseoir plus grosses entreprises et
l’organisation. amené à expliquer les son autorité. Pourquoi ont les salaires les plus
Quel que soit le parcours du dirigeant, choses, que ce soit lors une voix fluette est-elle un élevés. Ils restent aussi
le n° 2 doit avoir pour lui une fonction de d’une visite d’usine ou handicap�? Ce n’est pas plus longtemps en place
ressource : il doit être capable de gérer et d’une conférence. Sa voix qu’une question de que les dirigeants à la voix
peut même être un outil ressenti. Les voix aiguës plus aiguë.
de contrôler l’ensemble des dossiers, d'éta-
précieux pour désamorcer contiennent une gamme Christophe Haag, professeur
blir une cartographie des risques et des les conflits. «�Lorsqu’une plus importante d’ondes associé à EM Lyon.
opportunités, de piloter des activités, de
L
nis, ils seront contrariés et mécontents. Du
ressentiment s’installera, pesant sur le
es dirigeants sont soumis à une résoudre le problème. En réalité, il n’en est moral des collaborateurs, et le turnover
forte pression pour être empa- rien. Mieux vaut éviter de jouer les prolon- augmentera. Réfléchissez aussi à la réac-
thiques, humains et… gentils. gations en espérant que la situation s’amé- tion que pourraient avoir vos clients les
Et d’ailleurs, bon nombre liorera. Laisser quelqu’un s’enliser dans un plus fidèles s’ils constataient que d’autres
d’entre eux cèdent à cette ten- poste pour lequel il n’est manifestement profitent de vous. Votre réputation en pâti-
dance, car, après tout, il est pas fait ne rendra service à personne : ni à rait certainement.
plus agréable d’être apprécié. l’entreprise, ni au salarié. Ces problèmes deviennent de plus en
Peu d’individus ont envie, en effet, d’avoir plus difficiles à résoudre lorsqu’ils s’accu-
le mauvais rôle. Sauf que ce que l’on at- mulent. Etre en permanence dans un rap-
tend d’un dirigeant n’est pas d’être gentil,
mais d’être capable de prendre des déci-
C’est ainsi que port de force n’est pas forcément aisé mais,
pour que votre organisation conserve un
sions parfois dif�iciles, qui servent au des entreprises niveau élevé de qualité, vous devez faire
mieux les intérêts de l’entreprise ou du preuve d’un minimum de fermeté. Le fait
groupe. Or le fait d’être (trop) gentil peut adoptent des de fixer des règles vous facilitera du reste
aller de pair avec un comportement un
peu désinvolte, inefficace, voire irrespon- mesures la tâche lorsque vous devrez prendre des
décisions dif�iciles. Plus de retards, pas
sable et, en définitive, préjudiciable aux
salariés et à l’organisation.
absurdes, qui d’objections, pas de discussions.
�- Le manque d’introspection. Etes-
Se montrer gentil peut être bénéfique n’auraient vous trop laxiste envers vous-même? L’in-
uniquement si cette attitude s’accom- trospection est un outil ef�icace pour
pagne d’une réelle lucidité sur les objectifs jamais dû être améliorer notre leadership, mais nous
à atteindre et d’une capacité à prendre,
malgré tout, des décisions difficiles. Sinon prises. omettons souvent d’y avoir recours. En
vous interrogeant sur ce qui vous freine,
vous risquez d’aggraver la situation, vous et votre équipe, vous pourrez rééqui-
comme le montrent les quatre scénarios La solution ? Soyez courtois et clair, librer votre style de management pour le
suivants : mais ne soyez pas « gentil ». L’essentiel est faire progresser. En laissant à vos collabo-
�- L’hypocrisie polie. Vous avez sans d’agir avec respect. Pour cela, par exemple, rateurs la possibilité de formuler les
doute déjà participé à ces réunions de aidez l’individu concerné à se tourner vers choses, même si elles sont difficiles à en-
brainstorming dont l’objectif est de réflé- des missions pour lesquelles il a davantage tendre, sans crainte de représailles, des
chir tous ensemble à une problématique le profil, d’appétence et de compétences. points de vue pertinents pourront s’expri-
donnée. Soudain, quelqu’un de haut placé Avoir le réflexe d’affronter les problèmes mer et vous renforcerez, par la même occa-
énonce une idée absurde. Au lieu de le lui – plutôt que les ignorer – aura un effet po- sion, votre posture de dirigeant.
dire franchement, certains froncent les sitif sur votre image. Et vous attirerez des Il existe une différence majeure entre
sourcils, d’autres font des mouvements de collaborateurs ayant des valeurs et des un manager ef�icace, ayant un niveau
tête, on entend aussi des murmures de convictions proches des vôtres. élevé d’attente, et un autre qui se conten-
désapprobation mais personne n’ose dire �- L’absence de fermeté. Lorsque terait de régler les problèmes au fur et à
pourquoi cette idée ne semble pas très per- vous êtes trop gentil – envers des fournis- mesure, de manière désinvolte. Ne vous y
tinente. Et c’est ainsi que des entreprises seurs qui ne vous livrent pas à temps, en- trompez pas : être gentil ne fera pas de
adoptent des mesures absurdes, qui n’au- vers vos collaborateurs qui ne font pas vous un bon leader.
raient jamais dû être prises. correctement leur travail, envers des
�- Le lien qui s’éternise. Il arrive clients qui refusent de vous payer dans les
qu’un recrutement ne convienne pas. A temps – vous laissez en réalité les autres
Michael Fertik est P-DG et entrepreneur
première vue, il est plus facile de mainte- pro�iter de vous. Or ce laxisme risque du Web, il a fondé Reputation.com
nir le collaborateur à son poste que de d’avoir des conséquences sur d’autres, (maîtrise et contrôle de la réputation sur le Net).
� INCARNER LA MARQUE
Une entreprise, c’est une réputation,
une marque. Steve Jobs a longtemps in-
carné la marque Apple. A son décès, de réels
doutes sur la capacité de Tim Cook à prendre
la relève ont été émis. Or aujourd’hui, Tim
Cook incarne à son tour le renouveau de la
marque, en transformant l’entreprise en
network global et en s’ouvrant à de nou-
veaux secteurs.
� CRÉER DE LA VALEUR
FINANCIÈRE À MOYEN
ET LONG TERME
GREG VAUGHN � GETTY
L
transformant ainsi son modèle économique
et faisant passer le cours de l’action Alcatel
es entreprises les plus perfor- Gafa (Google, Apple, Facebook et Amazon) de �,�� à plus de � euros (à mi-octobre ����,
mantes ont à leur tête un diri- représentent à eux quatre l’équivalent du au moment de son départ).
geant charismatique, capable CAC 40 en matière de capitalisations.
d’incarner leurs valeurs, leur
stratégie et leur ambition. A ce
prérequis s’ajoute aujourd’hui
Le lien entre le dirigeant et la perfor-
mance globale de l’entreprise est donc plus
que jamais fondamental. Pour incarner au
� INTÉGRER LA RSE
AU PROJET D’ENTREPRISE
Le dirigeant ne peut transformer seul, il doit
la capacité du dirigeant à mieux son entreprise, le dirigeant dispose embarquer tous les collaborateurs dans le
transformer son organisation et à antici- d’un certain nombre de leviers. En voici changement. Les attentes de l’opinion pu-
per les mutations majeures des marchés. cinq qui sont fondamentaux : blique en matière de RSE imposent au diri-
A l’heure où l’uberisation de l’économie geant d'appréhender différemment la place
bouleverse les modèles, la valeur et la
performance de l’entreprise ne se me-
surent plus uniquement en termes de
� ACCOMPAGNER
LA TRANSFORMATION
DE L’ENTREPRISE
de son entreprise dans la société, le poussent
à impliquer ses collaborateurs dans le projet
global d’entreprise et constituent in fine un
produits, de nombre d’emplois créés, Une entreprise qui ne se transforme pas est relais de notoriété capital.
d’usines ou de localisation. La valeur aujourd’hui en danger. Si Airbnb ou Uber
réelle de l’entreprise réside dans son bouleversent l’équilibre de certains sec-
Christian Pousset est dirigeant de
image de marque et dans sa capacité à teurs, c’est parce qu’elles ont repensé le PeopletoPeople Group, cabinet de conseil
générer de la valeur financière. Ainsi, les rapport au client. Elles se sont focalisées et d’accompagnement de dirigeants.
C
plaire à l’heure actuelle est certainement
Carrefour. L’actuel numéro 6 mondial de la
ommençons par une évi- entreprise met en place un vaste plan de grande distribution a été miné par la pré-
dence qu'il est toujours réorientation stratégique, rendu néces- sence à son capital du fonds d’investisse-
bon de rappeler : un ac- saire par l’épuisement de son modèle éco- ment Colony Capital, adossé à Bernard
tionnaire n’est pas un nomique historique, par l’apparition d’une Arnault. Ces deux actionnaires, qui envisa-
propriétaire, mais un in- nouvelle concurrence ou par l’évolution de geaient une lucrative opération immobi-
vestisseur. La différence ses technologies, les restructurations né- lière consistant à céder les magasins à une
est de taille. En tant que cessaires se traduisent par une diminution société foncière, se sont fortement endet-
propriétaire, vous êtes responsable de temporaire des bénéfices, et donc des divi- tés pour la réaliser.
toutes les conséquences que pourrait dendes. Si les actionnaires refusent ce Le hard discounter Dia sacrifié. Or
provoquer ce qui vous appartient : si votre manque à gagner, ils peuvent empêcher la l’opération n’ayant pu être menée à bien,
chien mord votre voisin, vous devrez répa- mise en œuvre de la stratégie, au risque de ils ont prélevé pendant plusieurs années
rer les dommages. En revanche, un action- fragiliser l’entreprise, voire de compro- une part considérable des résultats de
naire voit sa responsabilité strictement mettre sa survie. Carrefour pour rembourser leurs dettes et
limitée à son apport financier : le pire qu’il Il existe ainsi une contradiction au ont orienté la stratégie du groupe afin de
puisse perdre, c’est ce qu’il a investi. cœur du capitalisme : la recherche de ren- dégager des dividendes exceptionnels. La
Lorsque la société BP a provoqué la plus tabilité immédiate est un frein à la crois- filiale de hard discount Dia – pourtant pro-
grande marée noire de l’histoire suite à sance et à l’innovation, et donc à la renta- metteuse – a ainsi été vendue en 2011. Les
l’explosion de la plateforme Deepwater bilité future. Deux exemples le prouvent : dirigeants qui se sont succédé à la tête de
Horizon en 2010, ses actionnaires ont Dell et le Club Med. Dans les deux cas, les Carrefour ne sont pas parvenus à résister à
seulement eu à subir une érosion de leurs dirigeants avaient annoncé de vastes plans leurs exigences, et l’entreprise s’est rapide-
placements. C’est le principe même de la stratégiques qui devaient mettre plusieurs ment retrouvée en situation de paralysie
responsabilité limitée. années à porter leurs fruits, un délai in- stratégique. Il a fallu attendre 2012 pour
Préoccupation récente. Il est égale- compatible avec les attentes des action- que l’actuel P�DG, Georges Plassat, affirme
ment utile de souligner que la priorité don- naires. Fin 2013, Michael Dell a donc dé- lors de sa nomination qu’il entendait bien
née à la création de valeur actionnariale cidé de racheter les actions de son redresser Carrefour en ayant les mains
est une préoccupation relativement ré- entreprise avec l’aide de Microsoft et, un libres, quitte à résister aux pressions de ses
cente, qui remonte aux années 1980. Avant an plus tard, le P�DG du Club Med, Henri actionnaires. Les résultats semblent lui
cela, le capitalisme a très bien vécu pen- Giscard d’Estaing, a fait appel à Axa et au donner raison : en 2015, pour la quatrième
dant deux siècles sans faire de la rémuné- chinois Fosun pour lancer une OPA ami- année consécutive, le chiffre d’affaires de
ration des actionnaires son obsession car- cale sur son propre groupe. Carrefour a progressé. Parallèlement, Co-
dinale. Et pour cause : l’évolution du cours Le courage du dirigeant. Doit-on lony et Arnault ont commencé à se retirer
de son action n’a aucune répercussion pour autant en déduire que la Bourse est le de son capital.
opérationnelle sur le fonctionnement cimetière des ambitions stratégiques ? Pas C’est peut-être là l’une des responsabi-
d’une entreprise. Si une action a été émise nécessairement. Après tout, il peut parfois lités les plus importantes du dirigeant :
à 100 et qu’elle est désormais valorisée à 10 être utile de faire appel au marché pour protéger l’entreprise de l’appétit de ses
ou à 1 000, elle est toujours comptabilisée trouver les fonds nécessaires à une straté- actionnaires. Faute de ce courage, les am-
à 100. Les seules conséquences pratiques gie. Tout le monde n’a pas les moyens d’un bitions stratégiques risquent de se réduire
sont le risque de rachat lorsque le prix de Michael Dell. Le point clé réside alors dans à la simple recherche de l’efficience opéra-
l’action devient trop faible et surtout le le courage du dirigeant, qui doit être ca- tionnelle. Or l’enjeu, pour une entreprise,
risque de renvoi du dirigeant si les action- pable de tenir tête aux exigences des ac- n’est pas d’optimiser la rentabilité actuelle,
naires sont mécontents. tionnaires a�in d’assurer la pérennité de mais de se donner les moyens de la perfor-
Or la primauté donnée depuis quarante son entreprise. mance future.
ans à la satisfaction des actionnaires rend On pourrait évoquer l’exemple de
les décisions stratégiques ambitieuses de Steve Jobs, qui n’a jamais versé le moindre Frédéric Fréry est professeur à
plus en plus difficiles. Souvent, lorsqu’une dividende à ses actionnaires (c’est son ESCP Europe et à l’Ecole centrale Paris.
Q
négligeable – est relativement équivalente
dans les deux échantillons ; les passages
u e l s r a p p o r t s e nt re- CAC 40 (président, P�DG, DG). A l’époque, des dirigeants de grande entreprise dans
tiennent les patrons et les pour des raisons méthodologiques, nous les cabinets ministériels et des déci-
politiques en France ? La n’avions pas pris en compte les cinq diri- deurs politiques en entreprise sont
question semble avoir été geants non français du CAC 40 : Thomas également de nombre équivalent.
largement explorée tant Enders (Airbus), Lakshmi Mittal (Arcelor- Un deuxième tableau établit
l’intérêt des entreprises à Mittal), Alex Mandl (Gemalto), Nicolas Boël le nombre de réseaux entre-
construire des stratégies (Solvay) et Robert Ter Haar (Unibail). tenus par les dirigeants
politiques pour obtenir une législation fa- Nous avons étudié leur présence dans d’entreprise et politiques.
vorable a été établi depuis les travaux des cinq lieux de réseaux relationnels : appar-
professeurs Amy Hillman et Michael Hitt tenance à un grand corps de l’Etat (X- Nombre de réseaux des
dirigeants et des politiques
(« Corporate Political Strategy Formulation: Mines, X�Armement, X�Ponts, X�Télécom,
Nb. réseaux 0 1 2 3 4 5
A Model of Approach, Participation, and Inspection générale des finances…), parti-
Dirigeants 21,74 28,26 15,22 28,26 6,52 0
Strategy Decisions », publié par l’Academy cipation par le passé à des cabinets minis-
of Management). tériels (« Cab » dans le tableau ci-dessous), Politiques 28,57 19,04 38,09 0 14,28 0
MAIS QU’ENTEND�ON
EXACTEMENT PAR INTUITION�?
SUIVEZ VOTRE GPS INTÉRIEUR Le docteur Jean-François Coget, chercheur
à l’université d’Etat polytechnique de
Californie, et moi-même avons étudié
sept réalisateurs de cinéma en plein tour-
De plus en plus de dirigeants osent faire appel nage pour essayer de mieux comprendre
à leur intuition quand ils ont des décisions à prendre. le phénomène « intuition ». Pourquoi nous
Et visiblement, ils ont raison. être intéressés au cinéma ? Parce qu’un
L
réalisateur est soumis aux mêmes lois
quasi gravitationnelles que celles qui
’intuition, ce n’est pas une pen- laisser vos émotions prendre le pas de s’exercent sur un chef d’entreprise clas-
sée magique qui ferait de temps en temps sur votre approche ration- sique : il doit « savoir décider », « prendre
chaque individu une Pythie en nelle des choses… Utiliser son bon sens, des risques », « agir sous de fortes pressions
puissance. L’intuition n’est pas écouter son intuition plutôt que les résul- temporelles et budgétaires », « jongler avec
de l’ordre de la prémonition, de tats sophistiqués d’un modèle. » Car au fi- des situations de crise ou d’urgence, à la
la divination ou encore de la nal, qui décide ? L’homme ou le logiciel ? fois complexes et incertaines »… Cette
mystique. C’est une forme de Ensuite, il y a eu, ces dernières années, étude empirique nous a permis d’observer
connaissance directe et immédiate. L’in- une prise de conscience du pouvoir de et de décrypter plusieurs formes d’intui-
tuition, et c’est sa force, donne la vision l’intuition. Les neurosciences ont connu tion. Or, parmi elles, deux sont particuliè-
globale d’une situation quand l’intellect un boom avec l’apparition d’outils du type rement efficaces.
permet d’en reconstruire le chemine- IRM fonctionnelle ou électroencé-
ment. » Le propos est de Tristan Farabet, phalographie, qui permettent de localiser �� L’INTUITION ��EXPERTISE��
ex-P�DG de Coca-Cola Entreprise France. Face à une situation que l’on a déjà rencon-
Les dirigeants français sont de plus en trée à plusieurs reprises dans le passé, le
plus nombreux à oser afficher leur « côté
intuitif » qui, jour après jour, les sert plus
Un grand chef cerveau va faire appel inconsciemment à
notre expertise pour prendre une décision.
qu’il ne les dessert. Qu’ils soient à la tête
d’une entreprise du CAC �� ou d’une PME,
peut vérifier L’expertise, c’est la maîtrise d’un ensemble
de connaissances spécifiques à une tâche
beaucoup reconnaissent avoir fréquem-
ment recours à l’intuition pour décider, la cuisson qu’un individu acquiert par une pratique
répétée et sans cesse étudiée et corrigée, le
communiquer, innover, recruter…
Pourtant, l’intuition n’a pas toujours d’un plat rien plus souvent dans le cadre professionnel.
C’est ainsi qu’un regard suf�it au grand
été en odeur de sainteté au sein du haut
management.
Alors pourquoi les dirigeants, dont
qu’à l’œil. chef pour savoir ce qui ne va pas en cui-
sine. « Simplement à l’œil, il est capable de
vérifier la cuisson d’un plat ou la tendreté
certains sont diplômés des plus grandes d’une viande », explique Christian Millau,
écoles, ont-ils viré leur cuti, qui plus est au les zones du cerveau sollicitées lorsqu’un le fondateur du « Gault & Millau ». C’est
pays de Descartes ? individu fait appel à son intuition. Il suffi- aussi à force d’entraînement que les
Tout d’abord, la crise �inancière de rait, selon Alex Todorov, professeur à Prin- joueurs d’échecs professionnels, notam-
���� a révélé les limites des outils mathé- ceton, de seulement ��� millisecondes au ment lorsqu’ils jouent en mode blitz (ultra-
matiques d’aide à la décision. Aucun de cerveau pour évaluer, avec une précision rapide), mobilisent leur intuition pour ten-
ces systèmes dits « intelligents » n’avait su remarquable, la fiabilité, la sympathie et ter de battre leur adversaire.
prédire ni éviter le grand fiasco. Pourtant, les compétences d’une personne en face Certains d’entre vous se souviennent
ils coûtent chaque année très cher à l’en- de soi. De �� millisecondes, selon des peut-être de cette partie d’échecs mémo-
treprise, en euros mais aussi en temps de chercheurs de Harvard, pour déterminer si rable entre Garry Kasparov et le superordi-
formation. C’est pourquoi certains un individu est menaçant (physiquement nateur Deep Blue d’IBM en ����. Dans une
dirigeants, parmi les plus cartésiens, ou psychologiquement) pour vous. De interview accordée à CNN, Kasparov, qui
semblent être revenus à l’essentiel, en quelques secondes pour évaluer la person- avait gagné en six parties cette année-là,
déclarant vouloir couper le cordon qui lie nalité d’un inconnu (extraverti/introverti, déclara que ce fut une victoire de « l’intui-
leur cerveau de décisionnaire aux outils optimiste/pessimiste, etc.), rien qu’en ba- tion contre la force brute du calcul ».
automatisés d’aide à la décision. C’est le layant du regard l’endroit où il travaille. De Une étude menée sur des joueurs de
cas de Jean-Pierre Mustier, ex-grand pa- moins d’une minute, simplement en écou- shogi, l’équivalent japonais des échecs, a
tron des activités de marché de la Société tant la voix d’un vendeur, pour déterminer démontré que les experts activent deux
générale et ancienne �igure de proue du intuitivement s’il réalise un bon chiffre régions cérébrales en particulier, le précu-
« tout rationnel » : « Il est important de d’affaires et si les clients sont satisfaits… néus pariétal (qui permet le traitement et
Le saviez-vous�?
– C’est sur la base d’une il est possible pour des juges expérience devenue célèbre même que l’idée
intuition et contre l’avis «�naïfs�» (comprenez des qui consistait à demander à d’intuition féminine était
de ses analystes financiers personnes qui ne sont pas des participants de discerner, une invention machiste.
que Louis Schweitzer, forcément des analystes sur des photos de visages – D’un point de vue
emblématique patron économiques aguerris) de humains, les sourires francs neurologique, un réflexe
de Renault de 1992 deviner intuitivement le niveau et les sourires simulés. est une simple réponse
à 2005, a commercialisé de performance financière de Interrogés avant l’expérience, neuromusculaire.
en 2004 la Logan. l’entreprise qu’elle dirige, sa plus des deux tiers des Une atteinte des réflexes est
– 53,6% des individus personnalité et ses qualités de femmes affirmaient avoir souvent due à un problème
utilisent autant leur intuition leadership («�She’s Got the beaucoup d’intuition, bien neurologique du système
qu’un raisonnement logique, Look�: Inferences from Female plus que ces brutes épaisses nerveux périphérique.
selon une étude réalisée Chief Executive Officers’ Faces de mâles, dont seulement Un instinct se réfère à un
auprès de 1�312 top managers Predict their Success�», 58% s’attribuaient cette mécanisme de type animal
de neuf pays («�Intuition: de N. Rule et N. Ambady). qualité. Au jeu du «�Tu souris (comme l’instinct de
The New Frontier of – L’intuition a-t-elle un pour de vrai�?�», les hommes conservation) plutôt que
Management�», de J.�Parikh, sexe�? Non. C’est en tout cas ont obtenu un taux de réussite de haut niveau cognitif.
A.�Lank, F.�Neubauer). ce que montrent les de 72%, contre 71% pour les En résumé, certains associent
recherches du professeur femmes… Autant dire que souvent l’instinct à un
– En observant quelques
Wiseman, psychologue anglais les compétences intuitives mécanisme inné, alors qu’ils
secondes la photographie
de l’université du Hertfordshire. des deux sexes se tiennent considèrent l’intuition comme
du visage d’une dirigeante
Il testa l’intuition des femmes dans un mouchoir de poche. un mécanisme acquis, et
(en supprimant toutes les
et des hommes à travers une Pierre Bourdieu soutenait donc un mécanisme évolué.
informations extrafaciales),
P
Convoité mais fragile, le charisme n’est pas un acquis. ar nature, le charisme est
On peut en avoir un jour... et le perdre le lendemain. éphémère et le leader charis-
matique voué à la dispari-
tion . Telle est la prophétie
formulée il y a un siècle par
celui qui, le premier, concep-
tualisa le charisme : le socio-
logue allemand Max Weber. Cette pro-
phétie en forme de tragédie résonne
étrangement avec le destin de certains
dirigeants et nous permet de répondre à
une question d’actualité qui tourmente de
nombreux leaders ayant connu la gloire :
comment conserver, voire regagner le
charisme que l’on n’a plus ?
GRÂCE ET DISGRÂCE DU
LEADER CHARISMATIQUE
Les histoires de dirigeants qui, du jour au
lendemain, se sont retrouvés dénués de
charisme sont nombreuses : en France, le
destin de Jean-Marie Messier illustre bien
ce type de retournement où un dirigeant
charismatique perd soudain son aura,
passant du statut de nouveau prophète à
celui de bouc émissaire, expulsé brutale-
ment de la communauté des affaires, le
tout dans une effervescence émotionnelle
aussi forte que celle qui présida à son
ascension. Quelques années plus tard,
Jean-Marie Messier a tenté un retour, sans
grand succès.
Il est vrai qu’il n’est pas aisé de redevenir
charismatique une fois que vous ne l’êtes
plus. Tous les dirigeants ne sont pas Steve
Jobs, qui retrouva un charisme intact dix
ans après avoir quitté Apple. Pourquoi est-il
si dif�icile de conserver un certain cha-
risme, ou de le retrouver une fois qu’il a été
perdu ? Et surtout, comment faire ?
Pour répondre à cette énigme, il faut
d’abord rappeler ce qu’est le charisme. En
grec, « charisme » signifie « grâce divine » :
le leader charismatique est celui qui est
touché par la grâce, ce virtuose doué de
multiples dons qui font de lui un être à part,
GREGG SEGAL
L
leurs sans supérieur hiérarchique, la satis-
faction de la clientèle est le meilleur indi-
’être humain est naturellement leur fréquence ou leur intensité, n’ont ja- cateur d’un travail bien fait.
enclin à accorder plus d’impor- mais été mises en évidence, car les cher- – Un bon climat social et des sala-
tance aux aspects négatifs que cheurs se sont focalisés en priorité sur le riés impliqués sont également de puis-
positifs de son existence. Cette négatif. C’est tout l’intérêt du travail réa- sants « satisfacteurs ». Ceci illustre qu’une
tendance est si forte que cela lisé par Amarok (observatoire à vocation ambiance sereine et constructive est, dans
est à l’origine d’une loi en psy- scienti�ique dont le but est d’étudier les les PME où les relations de proximité sont
chologie : « Bad is stronger croyances, les attitudes et les comporte- la règle, toujours une grande source de
than good. » Or elle se confirme en matière ments des dirigeants) qui a posé, tous les satisfaction.
de santé au travail. Par exemple, le compte mois pendant plus d’un an, entre 2012 et – Prendre des vacances est, pour le
de pénibilité, mis en place par le gouverne- 2013, une série de questions ouvertes à dirigeant, un facteur essentiel de bien-
ment en 2015 et qui compte les points de 357 dirigeants de PME : « Lors du dernier être. Si les dirigeants prennent significati-
pénibilité des salariés en fonction du poste mois, quel est l’événement qui vous a le vement moins de congés que le reste de la
qu’ils occupent, se focalise exclusivement plus marqué dans votre entreprise ? » ; population active, cette rareté rend l’évé-
sur les aspects négatifs du travail (poids, « Précisez si c’est en positif ou en néga- nement plus pro�itable en termes de
bruits, risques professionnels…). De ma- tif ? »... Il a ainsi répertorié les principales satisfaction.
nière générale, quand on s’intéresse aux sources de satisfaction au travail. L’échan- Dans le même registre des « satisfac-
événements de la vie professionnelle, on teurs » intenses mais cette fois-ci moins
constate une asymétrie béante entre le
traitement des aspects négatifs, très large- Les dirigeants fréquents, on trouve la bonne entente
entre associés (élément crucial en PME), la
ment abordés, et celui des aspects positifs,
totalement ignorés. Ce biais est si pro-
prennent moins formation et le coaching du dirigeant. Les
dirigeants se forment moins que les sala-
noncé que le terme « stressor » en anglais de vacances que le riés. Or, au vu des béné�ices pour leurs
(« stresseur » en français, autrement dit
qui est source de stress), à connotation reste des salariés. compétences comme pour leur moral, ils
devraient se libérer du temps pour le faire.
pathogène, s’est largement popularisé
(plus de 2,5 millions d’occurrences sur
C’est peut-être Par ailleurs, les « satisfacteurs » syno-
nymes de croissance (déménagement,
Google, une définition sur Wikipédia…), pour cette raison agrandissement des locaux) génèrent éga-
alors qu’un terme comparable à connota-
tion positive n’existe pas. qu’ils apprécient lement un fort niveau de bien-être, tout
comme la création d’une nouvelle entre-
L’objectif est d’introduire le concept
opposé, celui de « satisfacteur », un néolo-
autant leurs prise. Logique, car cela incite l’individu à
se projeter dans l’avenir, à faire preuve
gisme aussi simple que nécessaire afin de jours de congé. d’optimisme et d’endurance, et en défini-
rééquilibrer l’analyse du travail et de ses tive lui donne le sentiment de maîtriser
effets sur la santé. Un « satisfacteur » est un son destin.
événement positif, à caractère profession- tillon interrogé était composé à 82% A l’opposé, la catégorie « réponse posi-
nel ou encore personnel, qui génère de la d’hommes, pour un âge moyen de 45 ans. tive de l’administration » est le « satisfac-
satisfaction et dont on peut penser qu’il Les entreprises étaient multisectorielles, teur » le moins intense. Ce résultat laisse
affecte positivement de manière plus ou réparties sur toute la France, comprenant penser que les chefs d’entreprise n’ont pas
moins forte la santé mentale et physique p o u r 83 % d’e nt re e l l e s m o i n s d e d’attentes fortes vis-à-vis des pouvoirs
de l’individu. 50 salariés. publics. De manière plus surprenante, le
Inutile de dire que les « satisfacteurs » Les 2 299 verbatim recueillis ont permis triptyque intitulé « les bons chiffres » (ren-
des chefs d’entreprise sont nombreux, si- de faire émerger 28 « satisfacteurs » qui, trée de liquidités, hausse de l’activité com-
non peu de personnes oseraient entre- grâce à un algorithme, ont pu être regrou- merciale, bonne prospection) est un « sa-
prendre. Toutefois leur nature, comme pés en quatre classes principales (« le lea- tisfacteur » relativement peu intense. Ce
UNE PROFESSION ÉPARGNÉE Ce risque est amplifié dans les PME et En revanche, la fonction de dirigeant
Tout d’abord, une bonne nouvelle : le les TPE, où le dirigeant est la personne clé protège contre la dépréciation de soi (les
risque général de burn-out est faible chez au centre de tous les enjeux. Il s’expose dirigeants enregistrent en effet le score le
les dirigeants. La fonction d’entrepreneur de ce fait à de nombreux « stresseurs » de plus faible en moyenne et en écart-type à
n’expose pas les individus à un risque de natures diverses (surcharge de travail, la question « Vous sentez-vous sans va-
burn-out anormalement plus élevé que problèmes de trésorerie, retards de livrai- leur ou en échec ? »). Comme si l’évoca-
d’autres professions. Environ 90% des son…). En début de carrière, les pro- tion de cette pensée était contre nature
dirigeants suivis ont déclaré ne jamais, ou blèmes du quotidien semblent tous diffé- pour la fonction entrepreneuriale, qui
presque jamais, ressentir de signes rents et sont vécus comme autant de valorise sans cesse le succès. La norme de
d’épuisement. Pour autant, le risque zéro challenges à relever mais, au bout de la réussite personnelle joue ici comme un
n’existe pas : environ 10% de notre popu- quelques années, ils �inissent par user antidote à la dépréciation de soi et au
lation étudiée déclare en moyenne éprou- nerveusement et physiquement. Cette sentiment d’échec.
47 %
ver parfois (9%) ou souvent (0,9%) un état accumulation de « stresseurs », même
d’épuisement professionnel. Quelles sont NE PAS RESTER ISOLÉ
les principales causes de ce risque de Le burn-out des dirigeants ne vient donc
surmenage patronal ? On en relève trois pas d’une dépréciation de soi, mais d’une
en particulier : déception causée par les autres. Partant
1- Un sentiment de déception qui de ce constat, voici quatre conseils pour
découle d’attentes trop élevées éviter de craquer :
Les chefs d’entreprise donnent beaucoup �- Désillusionnez-vous�
de leur temps et de leur énergie pour leur des dirigeants Un salarié ne peut pas être aussi impliqué
entreprise. En moyenne, ils travaillent ��
à �� heures par semaine, et parfois le di-
dorment moins de qu’un dirigeant. Il n’est pas propriétaire
de l’entreprise dans laquelle il travaille, à
17 %
manche soir pour préparer le travail de la 6 heures par nuit et moins de l’impliquer en termes de patri-
semaine à venir. En échange de cet enga- moine et d’en faire un associé. Les sala-
gement total, ils ont tendance à attendre riés ne vous appartiennent pas. Ne tom-
beaucoup de leurs collaborateurs, peut- bez pas dans le piège du sentiment de
être trop. La démission d’un salarié, par trahison dès que l’un d’eux vous quitte.
exemple, est souvent vécue comme une �- Rendez votre vie profession-
trahison. Ils s’exposent ainsi à un fort nelle� plus diversifiée
risque de déception, qui résulte de l’écart moins de 5 heures. Le développement d’une nouvelle acti-
entre les attentes et la réalité. Plus cet vité au sein de votre entreprise sera une
écart est grand, plus le sentiment d’insa- C’est beaucoup moins source de diversi�ication des risques
tisfaction s’accroît, avec une question
majeure : qui porte la responsabilité de
que la moyenne de la aussi bien qu'un antidote à la lassitude.
�- Aérez votre esprit et gérez
cette déception ? Le dirigeant ou les population française. mieux votre fatigue�
salariés ? Exiger trop des autres est peut- Ne rognez pas sur votre temps de som-
être un des principaux dangers de la meil, car ce dernier est un bien précieux.
fonction patronale. lorsqu’il s’agit de petites contrariétés, fi- Eventuellement, octroyez-vous des
�- Une lassitude qui peut émous- nit par affecter les organismes les plus siestes pour regagner en tonicité dans la
ser les meilleures volontés robustes et par émousser les meilleures journée.
Le second risque est la lassitude. Malgré volontés. �- Renforcez vos liens sociaux
l’enthousiasme initial dont font preuve �- Une fatigue chronique due au Lorsqu’ils ne vont pas bien, les dirigeants
les entrepreneurs et le sentiment de fierté manque de sommeil ont tendance à s’isoler, augmentant ainsi
que suscite le fait de pouvoir pérenniser Les dirigeants dorment moins longtemps le risque de burn-out. Syndiquez-vous
une entreprise et garantir un salaire et moins bien que la moyenne de la popu- (Medef, CGPME, UPA…), adhérez à un
régulier à ses employés, diriger une entre- lation française : ��� comptabilisent réseau patronal (CJD, APM…). En résumé,
prise engendre aussi de la lassitude, des moins de � heures de sommeil par nuit et ne restez pas seul.
astreintes, voire des contraintes fortes. La ��� moins de � heures. Ils dorment
lassitude vient de cette sensation d’être moins pour travailler plus, et moins bien Olivier Torrès est normalien et agrégé
confronté toujours aux mêmes pro- car ils sont exposés à des « stresseurs » d’économie. Il a fondé Amarok, le premier
observatoire de la santé des dirigeants de PME
blèmes, aux mêmes types de comporte- insomniaques (les problèmes de trésore- et des entrepreneurs, implanté à l’université du
ments, aux mêmes revendications des rie, par exemple). Cette mauvaise qualité Kansai à Osaka (Japon) et à la Haute Ecole de
salariés, aux mêmes récriminations des du sommeil induit un état de somnolence gestion à Fribourg (Suisse). Thomas Lechat,
ingénieur de recherche au Labex Entreprendre
clients, aux mêmes injonctions de et une fatigue chronique qui augmentent de l’université de Montpellier-1 et à l’observatoire
l’administration… le risque de burn-out. Amarok.Il est décédé en juin 2015.
C
chef sans étincelle, l’autorité semble arbi-
traire. Il doit inspirer vision et con�iance
haque année, les soumise aux maîtres mais au savoir. » dans le projet. Sans oublier que, à l’ère de la
équipes de l’Institut de C’est vrai, jamais le savoir n’a été aussi marque employeur, il est également le
la qualité de l’expres- déterminant… coefficient multiplicateur, celui qui réalise
sion observent l’évolu- Mais alors, qu’est-ce que diriger en la synergie du groupe et augmente la
tion du langage dans 2016 ? C’est prendre conscience de l’enjeu somme des valeurs individuelles. A ce
dix secteurs d’activité. de ses prises de décision et de parole, éva- titre, il doit conjuguer les talents de chaque
Cet observatoire sé- luer les risques de diffusion d’une infor- collaborateur, être capable de les révéler…
mantique passe au crible, en particulier, mation à l’heure du fact-checking et d’In- Est-ce un hasard si, aujourd’hui, Serge
le lexique des ressources humaines. Or, ternet, qui fait frissonner une information Papin (Système U), Frédéric Mazzella
depuis plusieurs années, le thème de la (BlaBlaCar), Jean-Baptiste Rudelle (Cri-
disparition du chef, matérialisé par des
termes comme « le chef ? » ou « sans chef », Dans les mains teo) ou encore Elon Musk (Tesla Motors,
Space X) tweetent à propos de culture
est dans l’air du temps.
Aujourd’hui, la société et l’entreprise
d’un leader interne, de con�iance, de principes
éthiques partagés, d’innovations et d’in-
seraient managées plutôt que gouver-
nées. Dans une société hédoniste, le chef
sans étincelle, telligence collective. C’est un appel com-
mun « à sortir de sa tour d’ivoire », sou-
ne posséderait plus cette légitimité qui le l'autorité semble ligne Jean-Baptiste Rudelle.
liait au sacré. Avec le développement du
digital et de la transparence à tous les ni- arbitraire. Nouveaux rôles pour nouveau
chef�? A l’ère du numérique, un chef est
veaux, le pouvoir a été transféré au collec- un storyteller. Il doit pouvoir transporter
tif. De plus en plus, les notions de décloi- jusqu’au bout du monde en un instant... son auditoire, avoir un discours qui allie
sonnement et de travail partagé prévalent. Aujourd’hui, le dirigeant doit pouvoir se instinct, force et « dire juste ». Il sent
Et le chef, au sens de « caput », la tête, justi�ier de tout : combien gagne-t-il ? mieux que quiconque « ce qui se passe au-
l’homme du sommet, change de rôle. Quelles sont les raisons de ce choix straté- delà de la colline », convoque la raison
Pourquoi ce désaveu ? Sans doute gique ? A-t-il le droit de vendre cette pour convaincre et persuade grâce à
l’idée du « chef fort » est-elle associée à filiale ? l’émotion. Il doit séduire sans mentir.
des concepts vieillis, parfois inquiétants : Tout doit-il donc être immédiatement Hyperconnexion et big data semblent
le sacré, la tyrannie, la hiérarchie. « Les expliqué ? Un dirigeant ne doit-il pas res- faire prévaloir connaissance, prospective
valeurs sur lesquelles la société moderne ter maître des horloges et décider du juste et prédiction. La disparition du chef aura-
s’est construite – l’individualisme, la va- moment pour transmettre et donner les t-elle lieu ? Non. Il portera toujours le sens
leur travail, le rationalisme, l’utilita- raisons de ses choix ? et la direction de l’entreprise. Plus que ja-
risme – s’effondrent », observe le socio- Marcel Dassault, François Michelin, mais, sa parole incarnera la cohérence de
logue Michel Maffesoli. Antoine Riboud, Jean-Claude Decaux, ces l’écosystème complexe d’une entreprise
La fin des «�petits chefs�». Le temps grands dirigeants d’un autre temps ne devenue un média. Le pouvoir sera dans le
est venu d’une société collaborative. Dans commentaient pas toujours leur vision ou savoir, mais aussi dans le dire et le voir. Le
les entreprises, une transversalité qui leur intuition. Il leur arrivait d’être seuls, problème se situe plutôt ailleurs : le chef de
« désîlote » s’installe, crée de la transpa- mais ils avaient en commun cette force du demain devra être légitime et doté de tel-
rence et vient tuer les « petits chefs » retranchement. lement de qualités paradoxales qu’il risque
dénués de légitimité qui ne faisaient que Au pays des idées fécondes, un chef de devenir rare. Voire introuvable.
retenir l’information. doit penser vite, agréger des paramètres
Dans son livre « Petite Poucette » (édi- jamais réunis jusqu’alors : progrès, renta-
tions Le Pommier), paru en 2012, le philo- bilité et développement durable, effica- Jeanne Bordeau est conférencière,
professeure à la Sorbonne, à l’ESG et
sophe Michel Serres avait déjà cette for- cité, compétitivité et bien-être du colla- à l’Ecole Holden (Turin). Elle a fondé l’Institut
mule éloquente : « Notre époque n’est plus borateur, transparence et protection des de la qualité de l’expression.
V
ous avez certainement On suppose qu’elle découle de la re- rester dans la théorie, alors que l’innova-
déjà vu ces images : une cherche, qu’elle repose sur les dernières tion relève de la pratique.
tortue marine enfouit ses avancées technologiques, qu’on la mesure Une des définitions de l’innovation les
150 œufs sur une plage par le nombre de dépôts de brevets, qu’elle plus élémentaires – même si elle est
puis rampe péniblement implique des investissements considé- quelque peu radicale – provient de Lewis
vers la mer. Huit se- rables et qu’on la doit au talent de quelques Duncan, recteur de l’U.S. Naval War Col-
maines plus tard, les rares visionnaires, seuls capables de dé- lege : « L’innovation consiste à transformer
œufs éclosent et les bébés tortues se préci- clencher de véritables révolutions. A en des idées en factures. » Loin d’être une pro-
pitent vers l’eau. Rares sont ceux qui y par- croire le sens commun, c’est un processus vocation, cette dé�inition a le mérite de
viennent : la plupart sont dévorés par des à la fois exceptionnel, incertain, coûteux et souligner la question essentielle de la mise
prédateurs (frégates, corbeaux, crabes, radical. Or tout cela n’est qu’une série en œuvre, qui se traduit généralement par
rats), attirés par l’aubaine d’un festin. A d’idées reçues, qui peuvent se résumer à une mise sur le marché. Tant qu’une idée
bien des égards, ce redoutable processus de quatre confusions majeures : n’a pas débouché sur une offre nouvelle,
sélection est comparable à celui qui frappe c’est-à-dire sur une innovation, elle reste
les idées nouvelles dans les entreprises : �� L’INNOVATION, sans intérêt du point de vue de l’entre-
beaucoup éclosent, mais seules quelques- CE N’EST PAS LA CRÉATIVITÉ prise. Le reste n’est que discours.
unes deviennent des innovations. Contrairement à ce que l’on pourrait pen- Coût versus gain. Pour une entre-
Les entreprises ne manquent pas ser, innovation et créativité sont deux pro- prise, il importe beaucoup plus d’être in-
d’idées nouvelles mais, avant d’avoir pu cessus très différents. Etre créatif, c’est novant que d’être créatif. En effet, si la
déboucher sur une réalisation concrète, la avoir des idées. Etre innovant, c’est mettre créativité a généralement un coût, seule
plupart de celles-ci sont en effet impitoya- ces idées en œuvre. La créativité relève de l’innovation est susceptible d’apporter un
blement éliminées par de multiples la réflexion, alors que l’innovation relève, gain. Se focaliser sur la première en suppo-
obstacles : elle, de l’action. Si vous avez eu des mil- sant qu’elle débouchera nécessairement
– les inerties culturelles poussent à liers d’idées dans votre vie, vous êtes in- sur la seconde, c’est se mettre dans la posi-
considérer qu’on a toujours plus à perdre contestablement créatif. Cependant, si tion d’une tortue marine qui ne pondrait
qu’à gagner et que la nouveauté engendre vous n’en avez appliqué aucune, vous qu’un seul œuf : une suicidaire naïveté.
le désordre ; n’êtes pas un innovateur. Réciproque-
– les pressions budgétaires limitent les ment, si vous n’avez jamais eu qu’une �� L’INNOVATION,
expérimentations et privilégient l’ef�i- idée, votre créativité est assurément limi- CE N’EST PAS L’INVENTION
cience immédiate ; tée, mais si vous avez mis cette idée en Si l’invention consiste à mettre au point
– les choix d’investissement favorisent œuvre, vous avez innové. quelque chose qui n’existait pas aupara-
les projets les plus sûrs et écartent ceux Théorie versus pratique. La créati- vant (une découverte), l’innovation
dont la rentabilité est incertaine ; vité étant affaire de psychologie, elle peut concerne la diffusion de cette invention
– les ressources obtenues et les compé- être encouragée par diverses techniques auprès du public. Tant qu’un produit nou-
tences acquises sont considérées comme comme le brainstorming, le raisonnement veau est un prototype cantonné aux labo-
des atouts qu’il faut préserver, parfois au analogique ou les schémas heuristiques. ratoires de recherche, c’est une invention.
prix de l’inertie. L’innovation, à l’inverse, est affaire de Le jour où cette invention devient acces-
En dé�initive, tout comme les bébés management : il s’agit de passer à l’acte, de sible – le plus souvent grâce à une com-
tortues, bien peu d’idées survivent. Com- faire en sorte que les idées nouvelles ne mercialisation – cela devient une innova-
ment éviter cette ruineuse déperdition ? soient pas tuées par l’organisation, ses tion. L à e ncore , ce qui i nté re s s e
Comment accroître la capacité d’innova- routines, ses contraintes budgétaires et l’entreprise, c’est bien l’innovation et non
tion d’une entreprise ? Peut-être faut-il ses enjeux de pouvoir, et qu’elles trouvent l’invention.
commencer par se débarrasser d’une série le chemin du marché. Bien entendu, il faut Les inventions ne paient pas tou-
de confusions et d’idées fausses. s’assurer d’un flux d’idées nouvelles pour jours. Or le passage d’une invention à une
L’innovation est en effet un sujet qui irriguer le processus d’innovation. Cepen- innovation peut prendre un temps consi-
fait l’objet de nombreuses approximations. dant, se cantonner à la créativité, c’est dérable. Pour une entreprise, qui cherche
�� L’INNOVATION,
CE N’EST PAS
LA TECHNOLOGIE
La quatrième et dernière confusion repose
sur l’idée que l’innovation est indisso-
ciable de la technologie. De plus en plus,
on a tendance à croire qu’aucune innova-
tion ne peut voir le jour sans recourir à un
CHRIS WOOD
L COMME LATÉRALISATION
DE LA PENSÉE
PENSER COMME Deuxième règle : penser latéralement, pen-
UN ��ALIEN���: L’EXEMPLE
ser autrement, créer des relations entre des
domaines qui jusqu’alors n’avaient pas de
DE ��SOLAR IMPULSE��
lien entre eux. Quand Bertrand Piccard et
André Borschberg ont commencé à parler
d’un avion de l’envergure d’un Airbus A340,
aussi léger qu’une petite voiture, et de le
Le tour du monde de l’avion solaire suisse devait être bouclé faire voler jour et nuit à la seule force de
en cinq mois. Finalement, il lui en aura fallu dix-sept. l’énergie solaire, tous les spécialistes de
C’est pourtant un succès dont on peut tirer plusieurs leçons. l’aviation leur ont dit : « Impossible. » Il leur a
L
fallu chercher ailleurs, réunir d’autres com-
pétences pour aller au-delà des convictions
e 26 juillet 2016, « Solar Im- d’innovation. Elle est pourtant essen- de la branche aéronautique. Ce qui fait dire à
pulse » s’est posé à Abu Dhabi, tielle. C’est d’être capable d’observer la Bertrand Piccard : «Une innovation n’est pas
achevant ainsi le premier tour réalité comme un expert anthropologue, une idée nouvelle de plus, mais une vieille
du monde d’un avion fonc- de voir le monde, les problèmes et les certitude en moins. On ne peut créer qu’en
tionnant uniquement à l’éner- êtres humains comme ils sont et non pas envisageant les choses autrement.»
gie solaire. Un périple digne comme on voudrait qu’ils soient. « Solar Impulse » est né de l’association
des plus grands romans de Dans « Changer d’altitude » (Stock), d’un psychiatre-explorateur et d’un ingé-
Jules Verne, qui a fait passer l’appareil par Bertrand Piccard raconte comment il est nieur-entrepreneur qui n’avaient jamais
Hawaï, la côte ouest des Etats-Unis, venu à bout du refus de Pékin de l’autori- construit un avion de leur vie. Cela leur a
l’Espagne, Le Caire… Une aventure hu- ser à survoler la Chine au cours de son permis non seulement d’être tous deux
maine sans précédent et un message fort tour du monde en ballon avec « Breitling ouverts à d’autres idées, à d’autres techno-
en faveur des énergies renouvelables, des Orbiter ». Lors de ses deux premières ten- logies, mais aussi de fonctionner entre eux
cleantech et d’une économie globale qui tatives, l’équipe avait demandé l’autori- comme une pile qui fournit de l’énergie
se donne les moyens d’être propre. Mais sation au nom du droit. Les règlements grâce à ses pôles aux potentiels différents.
que cette réussite fut longue et difficile à internationaux sont clairs : chaque pays On ne peut pas innover seul. Il faut des
construire ! Intempéries, immobilisation doit délivrer une autorisation pour les spécialistes de plusieurs disciplines pour
de huit mois à Hawaï pour réparer les vols civils occasionnels. Ce qui n’avait pas développer un nouveau projet, un nou-
batteries... Cette aventure, qui devait veau produit.
durer à l’origine cinq mois, en a �inale-
ment pris dix-sept.
Ces deux I COMME IMAGINATION
Les péripéties de ces « savanturiers » « savanturiers » La troisième règle en découle. Il faut avoir
suisses, Bertrand Piccard et André Bor-
schberg, ne sont pas seulement passion-
n’avaient jamais de l’imagination, envisager un autre
monde, d’autres manières de penser, une
nantes pour les amateurs d’aventures construit un réalité différente. En deux mots, rêver
inédites. Elles sont aussi utiles pour com-
prendre les conditions qui rendent pos-
avion de leur vie. d’autre chose. Sur ce plan, Bertrand Piccard
a été gâté dès son enfance. « Captivé, j’écou-
sible l’innovation dans toute entreprise. tais les récits que mon père me faisait de la
A toutes les époques, ces «conquérants empêché Pékin de refuser. Après analyse conquête des pôles, de l’Everest, de l’es-
de l’impossible », qui partent à la décou- de la situation, Bertrand Piccard est allé pace, des abysses. » Sans compter que son
verte du monde, des pôles, de l’Everest en Chine pour rencontrer ses interlocu- père, Jacques Piccard, et son grand-père,
ou de la Lune, ont en effet appliqué les teurs et les écouter. Au lieu de chercher à Auguste, ont joué un rôle personnel dans
mêmes règles pour réussir. L’aventure de imposer « son » droit de survol, il a essayé, cette exploration des extrêmes. C’est à
Bertrand Piccard (psychiatre et aéro- selon ses propres termes, « de comprendre 11 ans, nous sommes alors en juillet 1969,
naute), d’André Borschberg (pilote pro- le problème et de trouver une solution que Bertrand Piccard décide que c’est le
fessionnel d’avion et d’hélicoptère) et du avec eux ». Et ça a marché. Les Chinois lui type de vie qu’il désire mener, lui aussi.
drôle d’oiseau qu’ils ont créé ne fait pas ont donné l’autorisation de survoler le Son père venait alors d’embarquer dans le
exception. pays dans les zones nord et sud, où leurs mésoscaphe (un sous-marin) qu’il avait
radars pouvaient suivre le ballon. Parce construit pour étudier le Gulf Stream. Et
A COMME ANTHROPOLOGIE que c’était là que résidait le nœud du pro- quelques jours plus tard, l’équipage
La première règle risque de décontenan- blème. La Chine de l’époque n’avait de d’« Apollo 11 » débarquait sur la Lune. Ce
cer car elle va à l’encontre de ce qu’on radars que le long de ses frontières et des genre de passion précoce se retrouve
imagine d’un passionné d’aventure ou couloirs de navigation aériens. d’ailleurs chez beaucoup de pionniers. A
PRENONS ELON MUSK. En différente. Bien sûr, certaines décoller. Pour innover, dans le domaine des systèmes
quelques années, il a bâti des personnes innovent là où on peut certes penser grand, de paiement ou des véhicules
entreprises prospères�: PayPal, d’autres préfèrent maintenir le mais il faut avancer par petits électriques. Mais n’est-ce pas
l’un des premiers systèmes de cap. Mais quand on s’intéresse bouts. C’est la théorie de justement ce manque
sécurisation des paiements au parcours d’Elon Musk, l’«�effectuation�», qui voit les d’expertise qui lui a permis de
en ligne, SolarCity, un fabricant on se rend compte qu’il n’y a entrepreneurs fonctionner en porter un regard neuf�? Il est
de panneaux solaires qui veut rien de magique dans ses lien étroit avec le marché afin difficile pour toute personne
apporter une réponse au démarches. Celles-ci peuvent de faire bouger leurs idées. devenue «�expert�» dans un
réchauffement climatique, être analysées de façon 2- Les révolutions ne se domaine de remettre en cause
ou Tesla, le constructeur de systématique, sans raccourcis mènent pas en dormant. Elon les croyances qu’elle a élevées
bolides électriques haut de mystiques. Au regard Musk est un patron exigeant au rang de vérités. Faudrait-il
gamme qui n’auront bientôt notamment de trois points. qui travaille près de cent exclure nos a priori du
plus besoin de conducteurs. 1- Les nouvelles opportunités heures par semaine et dont on processus d’innovation� ? Non,
On associe souvent de telles d’affaires ne s’inventent pas, dit qu’il n’est jamais satisfait. bien sûr. L’essentiel est de
avancées aux talents de leurs elles se créent. On dit souvent Ses critères de performance varier les points de vue avec
capitaines d’industrie�: des d’Elon Musk qu’il cherche à sont si élevés qu’il recherche, des équipes pluridisciplinaires
êtres à part, visionnaires qui «�réaliser l’impossible�». Mais il pour composer ses équipes, et de structurer les discussions
vivent dans le futur et qui ont œuvre aussi constamment à la des «�forces spéciales » d’un qui s’ensuivent pour éviter les
des idées géniales avant tout le concrétisation de ses projets, style proche de celles que l’on débats sans fin. Mais aussi de
monde. Elon Musk –�comme afin de les rendre moins fous. trouve dans l’armée. De telles remettre en question les
Henry Ford, Bill Gates ou Steve Pour construire une équipes fournissent des efforts postulats existants. Cela
Jobs avant lui�– fait partie de gigantesque usine de batteries incroyables, mais sur une demande une réelle liberté
ces héros magnifiques qui électriques au Nevada, période limitée. Faire parti d’un de pensée, un esprit non
donnent l’impression de créer il a organisé une compétition commando perd de son intérêt conformiste qui aide à sortir
le progrès pendant que entre les Etats susceptibles une fois le but atteint. du cadre. Car, selon Albert
d’autres s’occupent de la d’accueillir le site et ses 3- Pour innover, il faut penser Einstein, «�si une idée ne paraît
gestion des affaires courantes. 6�500��emplois. Une façon autrement – mais comment�? pas d’abord absurde, il n’y a
C’est une vision romantique du moderne de tester la valeur Elon Musk a étudié la physique aucun espoir qu’elle devienne
business, qui renforce le mythe de son idée, tout en mobilisant à l’université de Pennsylvanie. quelque chose�».
de l’entrepreneur «�surhomme�» les ressources et les fonds En apparence, ce parcours ne Jérôme Barthélemy,
schumpétérien. La réalité est susceptibles de la faire le prédestinait pas à innover professeur à l’Essec.
IRL (« in real life ») sont beaucoup plus maximiser les échanges et l’implication
riches que les interactions virtuelles. Le des usagers.
CRÉATIF, bilité de dimensions multisensorielles. Il seur Ikujiro Nonaka et son collègue No-
INSPIREZ-VOUS
favorise la socialisation, les relations em- boru Konno comme étant « un espace par-
pathiques et le sentiment d’appartenance. tagé de relations émergentes entre des
DES FUTURE
Par définition, les échanges dans un lieu individus et entre des individus et leur
réel sont aussi plus directs et donc plus environnement. Il leur permet de partager
P
doivent réunir, au sein d’un même lieu,
une grande diversité de fonctions (espace
Un design et une
ar nature, les lieux d’inno-
vation se doivent d’être ou-
de coworking, fablab, makerspaces, living
lab, incubateur de start-up…) et être parti-
configuration
verts sur l’extérieur. Les culièrement étudiés dans leur forme : ar- bien réfléchis
principes d’open innovation
impliquent qu’ils soient re-
chitecture, agencement, design, équipe-
ments et outils, mobilier, décoration…
ont une influence
liés à leur écosystème local.
Au-delà de ces relations de
Parce que créativité, prospective, design
thinking, cocréation, prototypage et expé-
déterminante
proximité, ils sont aussi connectés à la to- rimentation sont étroitement dépendants sur le degré
talité du monde extérieur. Car grâce à de
nombreux outils interactifs basés sur les
de la con�iguration même des espaces.
Cette prise de conscience ne s’est traduite
d'innovation.
technologies d’Internet et du virtuel, fron- qu’assez récemment par des recherches
tières et distances sont désormais abolies : dans ce domaine. L’entreprise Steelcase, donné lieu à la création de la Future Center
la montée en puissance depuis quelques spécialisée dans les espaces de travail, a Alliance (FCA), qui a pour vocation de
années des plateformes de crowdsour- montré dans une étude récente qu’une conduire des études sur ce thème et de
cing, collaboratives, d’échanges d’idées, configuration et un design bien réfléchis constituer une communauté de praticiens
de prototypage 3D et des réseaux sociaux ont une influence déterminante sur le de- dans ce domaine. Selon Hank Kune, un des
ont permis une extension infinie des es- gré d’innovation. Elle a identifié huit mo- fondateurs de la FCA, « un Future Center
paces. Et, paradoxalement, ces outils sont dèles d’innovation et a montré qu’à cha- est un espace organisationnel, physique,
utilisés non seulement pour établir des cun d’eux correspondait un certain type méthodologique et virtuel. C’est un espace
relations avec des communautés vir- d’espace. A chaque fois néanmoins, on mental, un espace affectif et surtout un
tuelles distantes, mais aussi de plus en retrouve les mêmes principes de base : espace humain ». Une définition qui cor-
plus au sein de dispositifs d’innovation – une réelle flexibilité grâce à une respond bien à l’image que l’on se fait des
qui fonctionnent en présentiel. Dès lors, reconfiguration simple destinée à encou- lieux d’innovation. Les entreprises au-
on pourrait penser que des espaces déma- rager la spontanéité des usagers et la po- raient donc tout intérêt à s’en inspirer.
térialisés peuvent suffire pour innover et lyvalence des lieux ; Actuellement, la FCA regroupe plus de
qu’un lieu réel n’est pas indispensable. – une atmosphère stimulante pour 150 Future Centers dans le monde, dont 30
Ce serait pourtant un leurre que de favoriser la créativité : une attention par- en Europe. En France, seul un projet a été
nier l’importance d’avoir un vrai ancrage ticulière doit être portée à la lumière, aux lancé. On mesure le chemin à parcourir
physique, car au contraire, à l’ère du couleurs, au confort du mobilier, etc. ; pour que nos entreprises prennent en
virtuel, les lieux réels jouent plus que – une infrastructure efficace grâce compte l’importance d’espaces physiques
jamais un rôle majeur pour qu’émergent notamment à des outils de travail spéci- conçus pour favoriser l’innovation.
et se déploient les germes de l’innovation. fiques et facilement accessibles, la possibi-
Les dernières avancées en sciences hu- lité d’intégrer de nouvelles technologies ;
Eric Seulliet est expert en open innovation,
maines, et notamment en psychologie – un climat favorisant la collabo- à la tête du Discovery Innovation Lab, créé
cognitive, montrent que les interactions ration et l’esprit de groupe, a�in de notamment par La Fabrique du futur et Epitech.
T
raditionnellement, les les mutations de son environnement. Car Ainsi, l’Incubator Program Of�ice de
entreprises considèrent aujourd’hui, aucun modèle économique Michelin a pour vocation d’identifier de
l’innovation comme ex- n’est à l’abri d’une rupture technologique nouvelles idées, de nouveaux business
trêmement stratégique ou de business. models, de nouvelles manières de travail-
et mettent cette activité Des entreprises comme Michelin, ler et de rendre les produits innovants at-
sous haute protection. Schneider Electric et Sanofi, ou des orga- tractifs pour les clients. De son côté, Aster
Un tel mode de fonction- nisations comme le Commissariat à Capital (ex-Schneider Electric Ventures)
nement repose notamment sur la fidélité l’énergie atomique et aux énergies alter- investit plus de 5 millions d’euros par an,
des ingénieurs et des collaborateurs qui se natives (CEA), sont en train de transfor- principalement dans des start-up du
sentent liés à vie à l’entreprise. En agis- mer leur modèle d’innovation en l’ou- green business, comme Solairedirect (ins-
sant ainsi, l’entreprise protège certes sa vrant à un écosystème. Elles se dotent de tallateur solaire) ou nke Watteco (spécia-
propriété intellectuelle, mais elle se prive dispositifs d’incubation corporate, parfois lisé dans l’efficacité énergétique).
aussi de sang neuf et de contacts exté- en partenariat avec des fonds de corpo- Ces entreprises l’ont bien compris, le
rieurs. Elle prend alors le risque de rater rate venture. modèle d’innovation fermée n’est plus
pertinent. Et ce, pour plusieurs raisons : Elles sont acheteurs des résultats de l’in- croissance potentielle, en prenant le risque
Une interdisciplinarité des savoirs novation qu’elles n’ont pas inventée ou de laisser émerger un concurrent.
scientifiques et techniques de plus en développée elles-mêmes (souvent par le D’un autre côté, la création d’une nou-
plus forte. La convergence des technolo- biais de l’acquisition d’une entreprise in- velle entreprise autour de cette solution
gies de l’information, des biotechnologies, novante). Elles sont aussi vendeurs dans la peut aussi s’avérer pro�itable. Bien que
des nanotechnologies et des sciences co- mesure où certains des fruits de l’innova- l’investissement en ressources soit plus
gnitives est un accélérateur d’innovation tion sont réalisés par une autre entreprise important, le spin-out permet de créer un
de rupture. avec un meilleur potentiel de développe- modèle d’affaires sur mesure, radicale-
Des collaborateurs qui s’engagent ment. L’une des entreprises qui illustre ment différent de celui de la société mère.
moins facilement et demandent un cette façon d’innover est Apple, avec l’iPod Il peut en effet être difficile pour l’entre-
nouveau style de leadership. Les inno- et sa plateforme iTunes. Apple a déve- prise existante de s’adapter aux besoins du
vateurs et créateurs de toute origine, hau- loppé ce projet en huit mois, en faisant nouveau produit ou de la nouvelle solu-
tement éduqués, membres d’une généra- appel à des tiers : à Alan Fadell, ex-General tion. Dans ce cas, il est pertinent de les
tion Y aux valeurs différentes de celles des Magic et Philips, qui a apporté une idée de développer ailleurs, dans une structure ad
décideurs, ont de nouvelles attentes. Ils concept, et à une plateforme de Portal hoc. Plus la solution est éloignée de la
sont mobiles et dépourvus d’une loyauté a Player, start-up de la Silicon Valley. compétence de l’entreprise, plus ce cas de
priori vis-à-vis de l’entreprise. Habitués à Cependant, pour les décideurs peu ha- �igure est probable. Philips ou General
fonctionner en communauté et en réseau, bitués à partager la propriété intellectuelle Magic, les deux ex-employeurs d’Alan
ils veulent un management collaboratif, de leurs connaissances, le modèle de Fadell, auraient-ils été capables de déve-
plus horizontal que hiérarchique. l’open innovation paraît parfois trop radi- lopper son projet de nouveau player MP3,
Une accélération de la production cal. Ils cherchent à dé�inir des modèles le futur iPod dont il avait la vision ?
et de la diffusion de l’innovation sous En ce qui concerne la motivation des
l’effet de la révolution digitale. Le cu- équipes, ce modèle permet d’observer que
mul des capacités numériques, le rythme Pour chaque la possibilité même de laisser partir cer-
des gains de productivité des NTI et
l’émergence d’un marché mondial de plus
nouvelle idée, la taines innovations constitue une source de
créativité en interne : les innovateurs sont
d’un milliard de consommateurs connec- même question se stimulés par la perspective de trouver
tés favorisent une explosion « darwi-
nienne » de l’innovation. pose : la garder ou l’idée qui fera leur succès et leur permettra
peut-être de créer leur propre structure.
Une démultiplication des sources
possibles de rupture technologique.
la laisser partir ? L’effet net peut s’avérer positif pour l’en-
treprise, même si elle ne retient qu’une
L’émergence de communautés scienti- partie des produits qui partent.
�iques au sein des Brics (Brésil, Russie, hybrides, à mi-chemin entre le modèle Elle doit toutefois mesurer l’enjeu de
Inde, Chine et Afrique du Sud), les straté- classique et l’innovation ouverte. Mais où l’effort (comme les capital-risqueurs qui se
gies nationales d’excellence en matière placer le curseur ? Quelle activité de re- posent la question de leur stratégie de sor-
d’innovation de certains pays (Finlande, cherche doit rester sous haute protection, tie en amont de leur décision d’investisse-
Israël, Singapour...) et le développement quelle partie peut être organisée de ma- ment) : dans quelles circonstances, et avec
au niveau mondial de clusters R & D dé- nière plus ouverte et participer au marché ? quelle probabilité, un nouveau produit
multiplient les sources externes possibles Quels sont donc les éléments détermi- créera-t-il plus de valeur s’il quitte l’entre-
d’innovation pour l’entreprise. nants qui devraient guider ce choix ? prise d’origine ? Tout dépend des spécifici-
Un changement de paradigme, de Pour chaque innovation, la même tés du secteur. Si les résultats attendus de
l’innovation produit à l’innovation de question se pose : la garder ou la laisser l’innovation dif�èrent sensiblement du
modèle d’affaires. Nombre d’entreprises partir, soit via un spin-out (en créant, de capital historique, mieux vaut choisir un
industrielles constatent un rendement manière planifiée ou spontanée, une nou- modèle plus ouvert. L’entreprise pourra du
décroissant ou stagnant de leurs investis- velle entreprise innovante à partir d’une reste profiter de la discipline et du génie du
sements en R & D tandis que le développe- société existante), soit via un acquéreur marché qui, à la différence des organisa-
ment de leurs services et de leurs solutions industriel. Pour l’innovateur, il peut être tions, sait mieux arrêter les pistes deve-
s’accélère. Comme le souligne le profes- intéressant que sa solution soit dévelop- nues obsolètes, et ressusciter celles aban-
seur américain d’innovation, inventeur du pée dans l’entreprise. Il bénéficie alors de données trop tôt.
concept d’« open innovation », Henry toutes les ressources de l’organisation, de
Chesbrough, ils doivent passer d’une inno- sa capacité financière et commerciale, et
vation centrée technologie à une innova- de toutes ses fonctions support. Idem pour André-Benoît de Jaegere
tion centrée modèle d’affaires. l’entreprise car, après tout, en laissant est vice-président de Capgemini Consulting.
Dans l’open innovation, l’innovation partir une innovation, elle perd également Ulrich Hege est directeur général de Toulouse
School of Economics. Jean-Michel Huet
est organisée comme un marché : les entre- les compétences des salariés qui la quittent est associé chez BearingPoint, spécialiste de
prises sont alors acheteurs et vendeurs. et elle se coupe d’une opportunité de l’Afrique et du développement international.
DES CAPACITÉS
ENCORE TROP LIMITÉES
Réduire les coûts, trouver de meilleures idées, gagner Deux étapes sont essentielles dans le
en performance… Voici comment tirer pleinement profit crowdsourcing. La première consiste à gé-
de cette approche qui fait de plus en plus d’émules. nérer des idées. Pour cela, une entreprise
A
peut mettre en place un processus de col-
laboration ouverte, où tous les membres
vec le développement diversifier et les plateformes Web dédiées peuvent voir les contributions de chacun,
des technologies colla- à cet exercice fleurissent à travers le les commenter ou en proposer d’autres.
boratives, les organisa- monde. On en compte des centaines : Elle peut également utiliser un modèle
tions publiques et pri- Freelancer.com, Innocentive.com, 99de- fermé, où les membres se retrouvent en
vées sont de plus en signs.com, Threadless.com, etc. (source : situation de compétition pour proposer la
plus amenées à explorer www.crowdsourcing.org). meilleure idée, sans avoir la possibilité de
de nouvelles idées au- Les entreprises y sont aussi de plus en voir les autres contributions.
delà de leurs frontières organisationnelles, plus sensibles : pour son 140e anniversaire, La seconde vise à sélectionner les meil-
en impliquant clients, partenaires, concur- Heineken a organisé un concours auquel leures idées. Pour y parvenir, l'entreprise
rents ou communautés en ligne. plus de 10 000 designers du monde entier peut demander aux membres de voter, for-
Ce phénomène de collaboration « ou- ont participé pour créer une bouteille en mer un jury d’experts pour effectuer ce
verte » est aujourd’hui connu dans la litté- édition limitée, sortie début 2014 ; KLM a travail de sélection ou le confier à une so-
rature managériale sous différentes appel- créé une plateforme en ligne, KLM Blue- ciété spécialisée.
lations : « collaboration de masse », lab, sur laquelle les PME néerlandaises Toutefois, ce nouveau mode de fonc-
« collaboration ouverte », « innovation ou- peuvent intervenir pour répondre aux tionnement n’est pas sans poser des pro-
verte », « intelligence collective » ou problèmes de KLM ou de ses clients, en blèmes de mise en œuvre, car il impose de
« crowdsourcing ». Le crowdsourcing serait proposant des solutions produits ou ser- passer d’un management traditionnel de
le terme le plus exact pour désigner ce vices. Elles sont mises en concurrence à groupes restreints, où la collaboration est
phénomène. Signifiant littéralement « ex- travers le vote des clients et la proposition planifiée et fermée, à un environnement
ternalisation vers la foule », il peut être gagnante peut se transformer en contrat dans lequel la collaboration massive,
défini comme un modèle de collaboration avec KLM. Objectif pour l’entreprise : émergente et non structurée, est la norme.
basé sur les technologies du Web social améliorer sa qualité de service. En�in, Les processus de génération et de sélec-
pour trouver des solutions aux problèmes Unilever a mis en place des discussions tion d’idées peuvent être difficiles en rai-
d’organisation, en partenariat avec les ouvertes avec certains de ses partenaires son de la nature de la collaboration de
communautés en ligne. pour améliorer ses produits ou même en masse et de la capacité limitée de l’organi-
créer de nouveaux. sation à gérer de tels projets. L’anonymat
AU PLUS PRÈS DES BESOINS Côté secteur public, les initiatives se des participants, la faiblesse des structures
DES CLIENTS concentrent généralement sur la mobilisa- de gouvernance pour gérer les participants
Le crowdsourcing doit permettre d’accé- tion en ligne des citoyens comme nouvelle en ligne et le manque de responsabilisa-
der à une multitude d’idées novatrices ; ressource pour innover et résoudre les tion vis-à-vis des résultats laissent place à
de collecter des idées pertinentes au plus problèmes des organismes gouvernemen- des idées frivoles, des commentaires lu-
près des besoins réels des clients ou des taux (Challenge.gov, Policypitch.com…). diques ou des avis génériques. Et même si,
citoyens ; d’atteindre de meilleures per- L’exemple du district de Columbia, aux dans le meilleur des cas, toutes les idées
formances que celles obtenues par les Etats-Unis, est révélateur. Depuis 2009, sont excellentes, les ressources limitées de
petites équipes d’experts de l’organisa- les développeurs indépendants, les entre- l’organisation ne permettent pas de toutes
tion. S’ajoute à cela l’indéniable avantage prises et les centres de recherche publics les examiner ou les exécuter. C’est pour-
de réduire les coûts et les délais de R & D, ou privés peuvent se mesurer les uns aux quoi, même si bon nombre d'organisations
parfois de façon drastique. autres lors d’un concours annuel, Apps reconnaissent le potentiel du crowdsour-
Collecter des avis ou des informations For Democracy. L’objectif est de créer des cing, beaucoup encore ne savent pas abor-
auprès de la « foule » pour innover, créer services innovants (applications pour der ce sujet de manière efficace.
un logo ou un slogan publicitaire, conce- iPhone, applications Web…), destinés à
voir une application mobile ou encore résoudre des problèmes concrets que les
Imed Boughzala est professeur en
tester un service client… Les applications administrés ont exprimés à travers les ré- systèmes d’information à l’Institut
du crowdsourcing ne cessent de se seaux sociaux. Les agences du district de Mines-Télécom�-�Télécom Ecole de management.
A
encouragent-ils le bon comportement ?
Dissuadent-ils du mauvais ? Donnent-ils
u cours des dix der- Comprenez ce qui bloque et em- l’aide et les ressources nécessaires, en
nières années, la mon- pêche d’adopter ces comporte- particulier dans les moments critiques ?
dialisation, le dévelop- ments. Vous devez être conscient que Source 5�: la motivation structu-
pement des moyens de nous agissons trop souvent comme si tous relle. Les récompenses (rémunération,
communic ation, les les problèmes importants n’avaient promotions, évaluations annuelles, avan-
consolidations au sein qu’une seule cause. Nous cherchons alors tages en nature, etc.) ou les sanctions
de groupes de plus en une seule et unique solution. Or il faut au sont-elles ef�icaces pour encourager les
plus larges ont conduit à une complexifica- contraire balayer l’ensemble des causes bons comportements et év iter les
tion importante des entreprises. Ces muta- qui empêchent d’adopter un comporte- mauvais ?
tions ont profondément modifié leur façon ment vertueux. Et se poser deux ques- Source 6�: la capacité structurelle.
de fonctionner : elles ont notamment en- tions essentielles : « A-t-on la capacité de L’environnement général (outils, condi-
gendré davantage de processus et de le faire ? » et « Cela en vaut-il la peine ? ». Si tions de travail, politiques, pratiques, ac-
consignes, des structures matricielles tou- les gens pensent qu’ils ne savent pas faire cès à l’information, processus, etc.) faci-
jours plus compliquées, des rôles et des lite-t-il le bon comportement ? Existe-t-il
responsabilités plus diffus… Ces boulever- suffisamment d’indicateurs pour aider les
sements étouffent aujourd’hui l’esprit
d’entrepreneur, essentiel à l’innovation Nous pensons individus à maintenir le cap ?
Une fois que vous aurez identifié l’en-
dans les entreprises.
Pourtant, pour se différencier et réussir
souvent que semble des éléments qui potentiellement
freinent l’innovation au sein de votre en-
dans un monde de plus en plus concurren-
tiel, l’innovation est incontournable. Que
les problèmes treprise, il sera possible d’élaborer une
stratégie adéquate, en lien avec ces six le-
faire alors quand la complexité freine la
créativité des équipes ?
ont une cause viers d’influence. Et ainsi créer une véri-
table culture de l’innovation : en trouvant
Le vrai challenge est avant tout de faire
de l’innovation l’affaire de tous. Comment y
unique. C’est le moyen de créer du lien entre le rôle que
peuvent avoir les individus dans ce proces-
parvenir ? Via un processus en trois étapes. pourquoi nous sus d’innovation et les valeurs person-
Définissez clairement les résultats
escomptés. Ils devront être mesurables, cherchons une nelles de chacun ; en donnant à tous les
compétences nécessaires pour atteindre le
spéci�iques, atteignables, pertinents et
définis dans le temps. En résumé, détermi-
seule solution. but voulu ; en donnant envie, grâce à l’in-
fluence sociale, d’adopter les réflexes qui
nez les indicateurs qui vous permettront favorisent l’innovation ; en adaptant à tous
de mesurer l’innovation dans votre entre- les récompenses et les sanctions en fonc-
prise (X nouveaux produits lancés d’ici X quelque chose, il est peu probable qu’ils tion des comportements attendus ; en fai-
mois, Y nouveaux projets…) tentent de le faire. Et s’ils pensent qu’ils sant en sorte que l’environnement soit le
Identifiez les comportements at- savent le faire mais que l’action ne mène plus favorable possible à une culture
tendus de la part de toutes les parties pre- pas à des résultats appréciés, il n’y a rien d’innovation.
nantes pour atteindre ces résultats. Il faut qui les encouragera à changer leurs Les recherches ont démontré que les
notamment évaluer si les salariés ont le habitudes. entreprises qui utilisent au moins quatre
réflexe d’échanger l’information, de Par ailleurs, vous devrez prendre en des six sources, de manière simultanée,
prendre des risques, de dire ce qu’ils compte six sources d’influence : ont dix fois plus de chances de réussir.
pensent, de challenger le statu quo, d’ex- Source 1�: la motivation person-
primer leurs idées et de les confronter aux nelle. Seuls, face à leur conscience, les in-
Cathia Birac est directrice associée d’Axel
autres, de mettre la critique hors jeu, de dividus sont-ils disposés à adopter le com- Performance. Elle a exercé pendant plus de
suivre leur intuition… portement attendu ? Cela leur plaît-il ? Y 17 ans des fonctions de direction à l’international.
L
venté ni le micro-ordinateur (mis au point
par la société française R2E en 1972), ni le
’innovation est bien souvent QUAND APPLE baladeur MP3 (lancé par le coréen Mpman
portée aux nues, car elle S’INSPIRA DE XEROX en 1998), ni le smartphone (proposé par
permet d’être le premier à En 1970, Xerox crée le Parc (Palo Alto Re- IBM dès 1992), ni la tablette (due à Grid
entrer sur un nouveau mar- search Center). Les ingénieurs du centre Systems, une entreprise américaine fon-
ché. Pourtant, l’imitation, bénéficient alors d’une liberté totale et de dée par un ancien de Xerox en 1979), soit
quant à elle, présente de budgets confortables pour créer des pro- aucun des produits qui font aujourd’hui
nombreux avantages. Elle duits innovants. Trois ans plus tard, ils son incomparable succès. En revanche,
coûte moins cher en R & D, puisque le mettent la touche finale à l’Alto, le pre- elle détient une capacité hors norme à
produit existe déjà. Les dépenses de mier ordinateur personnel. Ce produit transformer les idées – notamment celles
marketing sont également plus limitées, révolutionnaire comporte un système de des autres – en gains. Si Apple est peu créa-
les consommateurs étant déjà familiers navigation à fenêtres et une souris. tive, elle est remarquablement innovante.
avec l’offre proposée. En 1979, Xerox signe un accord avec Un bon « imovateur » n’est donc ni un
Comme le suggère le professeur d’éco- Apple, qui autorise Xerox à acheter innovateur pur, ni une entreprise qui
nomie Oded Shenkar dans son ouvrage 100 000 actions Apple au prix préféren- copie purement et simplement les pro-
« Copycats » (Harvard Business Press), il tiel d’un million de dollars. En échange, duits de ses concurrents. Il s’en inspire,
faut en fait sortir de cette opposition. En Steve Jobs peut effectuer plusieurs visites mais les améliore et innove sur d’autres
effet, les entreprises à succès n’innovent au Parc. C’est alors qu’il tombe sur l’Alto. caractéristiques. Tout l’enjeu de l’« imo-
pas forcément. Mais elles ne se contentent Cinq ans plus tard (et après avoir débau- vation » consiste à trouver le juste équi-
pas non plus de simplement copier les ché une quinzaine d’employés de Xerox), libre entre ces deux dimensions, imita-
produits de leurs concurrents. Le plus Apple commercialise le Macintosh. Or tion et innovation.
souvent, elles concilient imitation et in- son système d’exploitation n’est qu’une
novation. Ces sociétés sont ce qu’on ap- version améliorée de celui de l’Alto. Et Jérôme Barthélemy est professeur de
pelle des entreprises « imovatrices ». même si sa souris comporte un bouton au stratégie et de management à l’Essec.
3
Packard. A la fin des années lance. Malheureusement, société spécialisée dans les
1990, le chiffre d’affaires de Le piège de la
toutes ses initiatives se soldent consanguinité. Elles études de marché) pour l’aider
l’entreprise américaine s’élève par un échec. La raison? Si les préfèrent les activités qui à fixer le prix de vente de ce
à 30��milliards de dollars. Entre grandes entreprises éprouvent s’appuient sur des produit révolutionnaire. SRI lui
1939 et 1999, il a augmenté de
des difficultés à innover, c’est technologies éprouvées à rétorqua�: «Ce n’est pas une
18% par an, en moyenne.
souvent parce qu’elles celles qui utilisent des question de prix. Il n’y a pas
Les dirigeants utilisent alors
deux critères pour identifier tombent dans trois pièges�: technologies novatrices. de marché pour ce produit…�»
les opportunités qui lui
permettront de continuer
à croître�: la proximité avec
1 Le piège de la familiarité.
Elles favorisent les activités
qu’elles connaissent bien
Si Hewlett-Packard avait
adopté un tel état d’esprit
dès ses débuts, elle n’aurait
Mais Bill Hewlett ne se
découragea pas. Il fit fabriquer
un millier d’exemplaires de
les activités existantes par rapport à celles qu’elles jamais créé le marché de la HP-35, qui s’écoulèrent...
et la taille du marché. connaissent mal. la calculatrice scientifique. en quelques semaines. J. B.
SONT-ILS up qui se développent sur ce créneau. C’est vet protège une innovation sans présumer
UN OUTIL
aussi une branche d’activité majeure dans de son utilité, de son potentiel de marché,
la plupart des grands groupes, qui dé- ou de l’avantage réel qu’elle apporte à son
DE MESURE
fendent par ce biais leurs positions concur- détenteur. Certains sont immédiatement
rentielles et tentent de conquérir de nou- exploitables, d’autres le seront plus tard, et
L
naires doivent pouvoir juger de l’efficacité sements d’innovation passe par l’enrichis-
de leurs investissements et de leur impact sement des indicateurs observés. Le suivi
’innovation est un levier fon- sur l’activité, mais la nature même des tra- des brevets, par exemple, devient nette-
damental de croissance pour la vaux de recherche rend la chose difficile : ment plus nuancé dès lors que des notions
majorité des entreprises. Cette comment définir la part du business ou de d’efficacité et d’utilité y sont adjointes. En
réalité s’accentue même dans la croissance du chiffre d’affaires impu- observant le taux de succès des demandes
un contexte de concurrence table à ces efforts ? de brevet, on obtient une information utile
exacerbée, où la recherche de sur le niveau d’aboutissement des dossiers
monopoles devient nécessaire
à la sauvegarde des marges. La course aux
C’est une règle présentés et sur la réelle nouveauté des
concepts déposés. Nombreuses sont
dépôts de brevets à laquelle se soumettent
les entreprises les plus innovantes en est
bien connue des même les entreprises à recenser les cita-
tions de leurs travaux dans les publica-
une parfaite illustration et donne la me- directeurs R & D : tions scienti�iques et techniques, pour
sure de l’intensité concurrentielle actuelle
dans le domaine de la recherche.
seul un brevet avoir une vision plus précise de l’influence
de leurs brevets.
Mais le pilotage de l’innovation est une
science complexe, difficile à maîtriser. Les
sur 1 000 permet Le taux de renouvellement des pro-
duits est aussi un indicateur intéressant.
indicateurs sur lesquels il repose ne de dégager Seul, il ne donne qu’un aperçu biaisé de la
peuvent pas se résumer au seul suivi du
nombre de brevets déposés. Il faut mettre
de gros profits. performance de la R & D. Mais il apporte
une vision pragmatique orientée sur les
en place des moyens complémentaires résultats et complète intelligemment la
pour jauger l’efficacité réelle des activités L’achat d’une nouvelle machine permet vision très « R & D centrée » des modalités
de recherche et développement. d’augmenter de manière tangible les de suivi plus classiques. Il permet en outre
Une stratégie de R & D gagnante doit capacités de production ; le recrutement de rendre compte de la capacité des entre-
permettre, par une offre de produits et de d’un opérateur, de réduire visiblement les prises à assimiler les innovations issues de
services adaptés aux marchés, de se diffé- délais d’attente du service client ; mais leur environnement.
rencier de ses concurrents et de s’extraire, quels bénéfices peut-on réellement mesu- Le cycle d’innovation, qui démarre
même partiellement, des règles de compé- rer après une augmentation du budget d’une idée pour aboutir à sa mise en œuvre,
tition où les prix occupent une place pré- consacré à la recherche ? peut être modélisé comme un des proces-
dominante. C’est souvent à cette condition Le produit des activités de recherche sus clés de l’organisation. Les outils clas-
que les marges peuvent être préservées, étant généralement matérialisé par des siques de pilotage de processus, comme la
mais pour un temps seulement, car la nou- dépôts de brevets, leur nombre est bien mise en place de tableaux de bord et la
veauté est une notion qui se diffuse, inévi- souvent suivi comme principal indicateur nomination d’un pilote transverse, se
tablement. Rechercher la différenciation quantitatif de performance de la R & D. Les révèlent alors très efficaces.
par l’innovation s’apparente à une course avantages, dans la pratique, sont
de fond, où les succès d’un jour ne pré- indéniables : cet indicateur est simple à Antoine Decelle est consultant en
sagent pas des réussites du lendemain. calculer, sans ambiguïté. Il ne génère pas management à Colombus Consulting.
S
les consommateurs : quelles sont, par
exemple, les incidences des cigarettes ou
cience sans conscience 1- Devons-nous toujours répondre des alcools que je commercialise, ou des
n’est que ruine de l’âme », aux besoins des individus? ondes sur les clients de mes téléphones
af�irmait Rabelais au Si l’individu est par nature voué à inno- portables, réseaux Wi-Fi ou lignes à très
XVIe siècle. Pouvait-il ima- ver, c’est parce qu’il est continuellement haute tension ? Il convient d’aborder ces
giner que, près de cinq insatisfait. Rien ne semble pouvoir rassa- questions avec une certaine maturité, en
cents ans plus tard, cette sier sa soif de consommation et de pos- dépassant les simples limites économiques
question serait toujours session. C’est pourquoi les équipes mar- court-termistes.
d’actualité ? Quant à Descartes, il allait, le keting s’efforcent en permanence de
siècle suivant, inscrire ses contemporains détecter les besoins d’aujourd’hui et de 3- Quelles conséquences indirectes
dans la modernité en proposant de se demain et de juger s’ils constituent un nos innovations pourraient-elles avoir
« rendre comme maître et possesseur de marché justifiant de s’y investir. L’inno- sur la société?
la Nature ». vateur doit lui aussi s’interroger sur les Une innovation a des impacts qui dé-
C’est bien de ces deux dimensions besoins des consommateurs, mais égale- passent son cadre d’origine. Nous devons
proposées par Rabelais et par Descartes ment sur les réponses à y apporter. La intégrer l’idée que nous interagissons tous
qu’il faut partir pour comprendre ce question est : faut-il toujours répondre à les uns avec les autres. Ainsi, le lancement
qu’est l’innovation responsable, notion ces besoins, sous couvert d’intérêts �i- d’une innovation peut avoir un impact sur
qu’il ne faut pas confondre avec l’innova- nanciers ? Non, évidemment. les clients qui l’acquièrent, mais aussi sur
tion sociale ou sociétale. En France no- les autres qui ne s’en dotent pas. Il faut être
tamment, l’amalgame est courant.
L’enjeu de l’innovation sociale est Une innovation capable de rendre des comptes à quelqu’un
qui semble se trouver hors du champ di-
d’innover pour mieux appréhender les
problématiques des populations les plus
peut avoir un rect de l’innovation en question. Ainsi, un
nouvel avion plus rapide et plus puissant,
défavorisées, quitte à ne pas toujours être
responsable (on peut ainsi imaginer
impact sur mais générant des nuisances sonores im-
portantes, ne peut pas uniquement s’éva-
qu’une voiture à bas prix, donc accessible les clients qui luer en fonction des conséquences qu’il
au plus grand nombre, soit fabriquée avec
des matériaux polluants). L’innovation l’acquièrent, aura sur le personnel de bord, le personnel
au sol et les clients. Les nuisances qu’il
responsable, pour sa part, ne cherche pas
forcément à être sociale. Son objet est d’in-
mais aussi sur les provoque ont également un impact direct
sur les riverains, comme sur l’écosystème
tégrer, tout au long des processus d’inno-
vation, de la conception à la mise sur le
autres, ceux qui des aéroports.
Innover de façon responsable, c’est
marché, des mesures favorisant le respect ne l’achètent pas. donc faire preuve de maturité et de sa-
de l’environnement, l’utilisation de maté- gesse : innover, d’accord, mais pas à n’im-
riaux non polluants, le tri des déchets, le porte quel prix. L’innovateur doit avoir
recyclage, la protection des ouvriers, des 2- Quelles conséquences directes conscience de son rôle et de son impact sur
clients mais aussi des collaborateurs, etc. nos innovations pourraient-elles la société. Cela signifie agir conformément
Elle vise notamment à évaluer les consé- avoir sur les consommateurs? à des processus qui s’articulent autour de
quences d’une innovation. Cette question renvoie à l’incertitude qui la performance et du leadership, mais
Si le processus de l’innovation respon- accompagne la mise en place de toute aussi en phase avec des méthodes qui pré-
sable s’érige en plusieurs étapes définies innovation : se traduira-elle par un succès servent l’intégrité de l’écosystème.
et structurées, il peut être néanmoins ou un échec ? Elle est aussi liée à notre
résumé autour de trois questions phares incapacité à anticiper les conséquences à
permettant à la fois de comprendre cette long terme d’un produit ou d’un service Xavier Pavie est professeur, directeur
du centre iMagination et directeur
notion de façon opérationnelle et d’iden- sur la santé ou sur le mode vie de académique du programme Grande Ecole
tifier où il faut agir. l’utilisateur. Il est donc essentiel qu’une Singapour Essec Business School.
81 LES � RAISONS QUI FERONT RENONCER UN INTERNAUTE À ACHETER SUR VOTRE SITE
Ronald Boucher
Nicolas Glady
A
D’autres entreprises ont embrayé le
pas. De Fiat au Brésil à la RATP à Paris, ou
vant-hier, dans l’écono- mémoire, ses frustrations, ses désirs, son encore la marque de bagages Delsey, en
mie de l’offre et de la pouvoir de prescription et d’influence… lutte frontale contre Samsonite. Via une
demande, l’entreprise La conséquence pour les entreprises forte campagne publicitaire, elle a invité
générait des produits et est de taille. Désormais, l’offre seule ne ses clients à « inventer la valise de leurs
des services dans le plus commande plus. C’est l’écoute du client rêves » sur une plateforme ouverte. Entre
grand des secrets, pour qui prévaut. Cela a un impact sur tous les la prise jack et l’enceinte Bose intégrée qui
les fabriquer et les tester échelons du processus de création de transforme votre valise en chaîne hi-fi à
ensuite sur un marché territorialisé, secto- valeur puisque cela peut déboucher sur de peine arrivé à votre hôtel jusqu’au bagage
risé, identifié. Si la demande était au ren- nouvelles idées de produits, de promo- géolocalisable, les trouvailles des clients
dez-vous, l’opération était gagnante. De là tion, d’amélioration ou de services. Nestlé ont dépassé les attentes de l’entreprise.
est née la notion de « satisfaction client ». a ainsi créé un centre mondial d’écoute
Hier, le rapport de force a commencé à des réseaux sociaux, Amazon s’est trans- FAVORISER LA PRISE
évoluer. En se segmentant de plus en plus, formé en supermarché mondial, Nike D’INITIATIVE
de style de vie en catégorie socioprofes- fabrique et livre, pour 250 dollars, des Plutôt que de subir la remise en question
sionnelle, la demande est devenue multi- chaussures à l’unité en moins de quatre complète de son business model, l’entre-
forme. Ce qui nécessita, pour les entre- semaines, dans le monde entier. prise n’a plus d’autres choix que de bascu-
prises, d’adapter leur système en ler dans l’open innovation. Pour cela, elle
conséquence : diversi�ic ation des
gammes, packagings différenciés, publi-
Delsey a demandé doit agir à deux niveaux :
– en multipliant les partenariats, en
cité ciblée, « plus produit »… C’est à partir à ses clients développant des plateformes collabora-
de là qu’est apparu le concept de « relation
client ». Un premier niveau d’interactivité,
d’imaginer la « valise tives avec ses clients, des joint-ventures
avec des laboratoires, des start-up ou des
une nouvelle proximité voyait le jour. de leurs rêves ». centres de recherche, en faisant de l’incu-
bation de projets, en adoptant le « test and
PRESSION SUR LE PRIX Demain – dans un futur très proche – learn », le prototypage, etc.
ET LA QUALITÉ en pénétrant de plus en plus dans les orga- – en opérant une refonte radicale de
Aujourd’hui, le client n’attend plus nisations, le client fera imploser la chaîne ses systèmes managériaux afin de faciliter
patiemment, assis sur son canapé, en de valeur et ouvrira la porte à toutes les et de récompenser la prise d’initiative (et
feuilletant son catalogue de vente par parties prenantes (sous-traitants, médias, donc le risque), de responsabiliser les col-
correspondance, derrière le guichet ou ONG, concurrents, actionnaires, syndi- laborateurs, de transformer les réseaux de
dans le rayon d’un magasin, que l’entre- cats, collectivités, fournisseurs…), qui distribution en chambres d’écho actives,
prise veuille bien subvenir à ses besoins. Il n’hésiteront pas un instant à intervenir. de « veiller » en permanence, de partager
interpelle, se plaint sur les réseaux Cela va faire naître des entreprises à la fois la réflexion stratégique, qui est désormais
sociaux, dénonce les abus, réclame du sur- plus resserrées et plus ouvertes, qui n’au- l’affaire de tous les collaborateurs.
mesure, commande 24 heures sur 24, met ront plus de frontières, s’apparentant à de Cette nouvelle « économie des usages »
la pression sur les prix, se bat pour la qua- vrais écosystèmes. D’Unilever à Facebook, impose aux organisations de reconnecter
lité, la rapidité de livraison à domicile, im- ces géants organiques font en sorte d’être l’expérience vécue par le client avec celle
pose ses valeurs morales… C’est ainsi qu’est de plus en plus en phase avec leurs pu- vécue par le collaborateur. Une triple mu-
né le concept d’« expérience client ». Ce blics, quitte à leur laisser, le temps d’un tation est en marche : commerciale, mana-
dernier n’est plus seulement un consom- projet, les clés de la maison. Proc- gériale et anticipatrice.
mateur à un moment donné, il est désor- ter & Gamble a été parmi les premiers à
Nicolas Rousseaux dirige le cabinet
mais un tout, avec sa vie, ses rêves, ses remplacer sa direction R & D mondiale par de conseil en conduite du changement
tentations versatiles, son entourage, sa des plateformes Internet sur lesquelles la Mediation Consulting.
MARKETEUR
attention est captée qu’il le veuille ou non. A l’opposé de cette stratégie visant à
Par exemple, lorsqu’il va au cinéma et qu’il inscrire l’attention dans la durée, le socio-
est exposé aux spots public itaires logue français Dominique Boullier pro-
précédant le film qu’il est venu voir. C’est pose, dans son livre « Les Industries de
Les consommateurs étant également le cas des pop-up qui s’affichent l’attention : fidélisation, alerte ou immer-
de plus en plus sollicités, au moment de la consultation d’un sion », le « priming », qui consiste à générer
tout l’enjeu est de réussir contenu ou encore des bannières de retar- des alertes permettant d’obtenir des pics
à susciter leur intérêt et à geting, souvent perçues comme intrusives d’attention. Les réseaux sociaux, en parti-
retenir leur attention. Mais et polluantes quoique de plus en plus culier Facebook, en sont la nouvelle ex-
comment être présent sans personnalisées. pression et démultiplient les possibilités de
devenir «�trop présent�»�? – L’attention attractive�: c’est le cas captation de l’attention en lui donnant un
T
lorsqu’il y a un gain ou un plaisir en pers- caractère social (l’attention aversive). Le
pective. Par exemple, quand un individu téléphone mobile lui aussi devient un gé-
out individu « normale- décide de jouer à un jeu promotionnel sur nérateur d’alertes et de buzz. Mais si ces
ment » connecté est sou- Facebook. pratiques sont au cœur des stratégies ac-
mis à plus de 30 000 sti- – L’attention volontaire�: ce type d’at- tuelles des marques, on peut déjà en
muli commerciaux ou tention est le fruit d’un choix. Par exemple, craindre les effets pervers : à la fois pour le
publicitaires par jour, lorsqu’un individu décide d’utiliser ses consommateur, exposé à une saturation
contre seulement 500 en applications mobiles lors de ses trajets en cognitive inédite (avec un risque d’agace-
1970. Un constat qui ment et de fuite), et pour l’entreprise, qui
illustre l’emprise de l’économie de l’infor-
mation où nous sommes plongés depuis
Une «intimité sacrifie les principes de fidélité au nom de
l’« alerte permanente ».
l’essor d’Internet et des nouvelles techno- industrialisée », La troisième stratégie est celle de l’im-
TRANSFORMATIONS DE LA MARQUE
OU TRANSFORMATIONS PAR LA MARQUE?
Les marques ont un poids croissant, au point d’incarner pour devenir chef de marque. Mais depuis
l’entreprise, son ambition, sa vision et ses valeurs. que sa valeur financière se mesure, que le
Mais de la marque et de l’entreprise, qui influence qui�? simple fait de l’acquérir peut être inscrit au
bilan des entreprises, la marque intéresse la
direction �inancière. Elle crée de la
confiance chez les investisseurs, les parte-
naires potentiels. La marque est ainsi pas-
sée du tactique au stratégique. Elle n’est
plus l’apanage exclusif du marketing, elle
est prise pour ce qu’elle est : un agent clé de
la croissance des entreprises.
Hier, on parlait des marques de l’entre-
prise, désormais on parle de l’entreprise de
la marque. BSN n’est-il pas devenu Danone,
comme EADS est devenu Airbus ? Car au-
jourd’hui, la marque est porteuse d’une
ambition, d’une vision et de valeurs qui
imposent une unité et une finalité aux en-
treprises bien plus fortement que ne le fai-
saient tous les « mission statements » d’hier
LINUS MORALES
ou autres projets.
Culture de marque. Qu’est-ce que
R
Renault, si ce n’est le désir de porter haut la
marque au losange sur les marchés mon-
ien n’est plus difficile que de de la masse via une identité visuelle remar- diaux ? L’entreprise tout entière se mobilise
définir ce qu’est une marque. quable ; les publicitaires – sous la pression dans cette voie. Car la marque concerne
Chacun peut bien sûr citer du spot télévisé de trente secondes – ont désormais tout autant la production que la
des marques, mais l’énoncé réduit la marque à une promesse. vente, la logistique que la communication.
simple de ce qu’est une Créer de l’engagement. Face aux co- D’ailleurs, l’idée que l’on se fait de Renault
marque se dérobe. En réalité, pies de distributeurs, que reste-t-il aux tient tout autant à la qualité du produit
il existe plusieurs dé�ini- marques, si ce n’est ce que le produit seul ne (donc à la production) qu’au fait d’avoir été
tions, selon l’angle de vue retenu. La plus dit pas, cet intangible qui créé un surplus de livré dans les délais (donc à la logistique),
connue est juridique : un signe qui authen- valeur ? Aujourd’hui, Internet structure la qu’à l’accueil chez les concessionnaires.
tifie l’origine d’un produit et le différencie pensée, et la marque devient un agrégateur Culture d’entreprise signifie aujourd’hui
de ceux de la concurrence. Une autre de valeurs capable de créer de l’engage- culture de la marque, un agent majeur de
émane des designers : une identité qui dis- ment, en dehors même de tout achat. La transformation des sociétés elles-mêmes.
tingue. Une troisième a été inventée par les transaction commerciale n’est qu’une des C’est pour cela que de nombreux groupes
publicitaires : la marque est une promesse. finalités. La marque veut créer de l’engage- entreprennent des plans de transformation
Avec l’arrivée des marques de distributeurs ment, dont la première manifestation est majeurs. Cette démarche a conduit France
copiant au plus près les produits des que l’on interagisse avec elle sur le Net ou Télécom à acheter l’enseigne commerciale
grandes marques, la marque est devenue sur les réseaux sociaux, qu’on en devienne Orange et à en faire sa raison sociale, phase
un nom qui crée de la valeur au-delà de le porte-parole, l’ambassadeur. ultime d’une mutation programmée de
celle créée par les produits eux-mêmes. En parallèle de ces transformations, la longue date. On comprend aussi pourquoi,
Que retenir de l’évolution de ces défini- notion de marque a évolué au sein même en tant qu’agent majeur de changements, la
tions au fil du temps ? Elle témoigne de la des entreprises. Elle a gravi les échelons. marque est désormais un sujet incontour-
modification des préoccupations managé- Hier outil tactique du département publi- nable des comités exécutifs.
riales. Le droit est focalisé sur la défense de cité qui inventait des noms et des slogans,
Jean-Noël Kapferer est expert français
la propriété intellectuelle, l’authenti�ica- la marque est venue structurer le marke- des marques. Il est professeur à HEC Paris
tion ; le design doit faire ressortir les objets ting, le chef de produit prenant du galon et intervient auprès de nombreuses entreprises.
L
e temps où les marques ven- marques qui se distinguent le plus sont ces trois marques ? Avoir réussi à dépasser
daient uniquement un produit les « life changers ». Celles qui ont un leur rôle marchand.
ou un service est révolu. Les impact positif sur la société et les indivi- A�in de perdurer, les entreprises de-
consommateurs, qui sont de dus, qui sont passées d’une logique de vront de plus en plus s’interroger sur le
moins en moins attachés à la « service au consommateur » à celle de sens qu’elles veulent donner à leur(s)
propriété et de plus en plus « bénéfice pour la planète ». Comme Yves marque(s). L’un des éléments de réponse
séduits par la mutualisation Rocher avec son opération visant à pré- est peut-être là, dans la bienveillance.
des biens et des services – l’économie col- server les forêts, Leroy Merlin à travers
laborative – attendent autre chose. Que les son implication pour l’amélioration de
Gérard Lopez est président du directoire
marques, à travers leurs offres, leurs prix l’habitat ou encore Dove avec sa campagne de BVA. Patrick Mercier a fondé l’agence
et leurs actions, améliorent la vie des indi- sur l’estime de soi. Le point commun de de communication Change en 2009.
vidus et les traitent avec respect et consi-
dération. Autrement dit, qu’au-delà de
leurs ambitions commerciales elles fassent
preuve également de « bienveillance ».
Un nouvel outil, l’indice de la bienveillance�
Le rapport de force a changé. Les LES TOPS…
marques ne peuvent plus se permettre Honneur à l’économie collaborative avec une 1re place attribuée à BlaBlaCar, partagée avec
d’être dans un rapport dominant-dominé, Europ Assistance. En 3e position, on trouve un acteur installé de la distribution, Decathlon.
autrefois la norme. C’est dans ce contexte 1 1
qu’est né, en 2015, l’observatoire annuel de
la bienveillance des marques, créé par
3 4 5 6
l’agence de communication Change, en
partenariat avec BVA. Chaque année, un
échantillon de 5 000 personnes, représenta-
tif de la population française, sera interrogé Le podium change lorsqu’on interroge seulement les consommateurs des marques. Europ
sur le Web. La première enquête a eu lieu en Assistance serait donc mieux perçu auprès de la population qu’auprès de sa clientèle.
décembre 2015 : 150 marques issues de 1 2
20 secteurs – grande consommation, distri-
bution, restauration, high-tech, banque, 3 4 4 4
téléphonie, médias, transport… – ont été
évaluées et passées au crible d’un « indice
4 4 4 10
de la bienveillance » (IDB).
Sans surprise, les résultats ne sont pas
les mêmes d’un secteur à l’autre. Si le retail
bricolage (Leroy Merlin, Castorama, Brico … ET LES FLOPS
Dépôt…) et l’alimentaire s’en tirent plutôt On retrouve des enseignes de la restauration rapide, des marques touchées par des
bien (avec une seule enseigne qui « manque scandales comme Volkswagen et, de manière plus surprenante, les réseaux sociaux.
de bienveillance », Sodebo), le secteur des 136 136
médias compte, lui, essentiellement des
marques dans le rouge (BFMTV, Canal+,
138 139 139 141
TF1…). Seul épargné, Google. Même chose
pour les banques, visiblement très mal
perçues quand on parle de bienveillance. 142 143 144 145
Dépasser leur rôle purement
marchand. Quel que soit le secteur, les
L
de création, dans la mesure où il a une vo-
cation essentiellement interne.
e nom de code est le nom auto- Dans le commerce et l’industrie, le nom Sur le plan industriel, le nom de code
risé pour désigner de manière de code se rencontre dans les phases de permet de bien décorréler les phases ini-
distinctive, con�identielle et développement des produits, notamment tiales du projet (souvent à fort risque
concise – mais sans précisé- pour les protéger de la concurrence. d’échec) des phases de développement
ment le nommer – un projet, Ce fut le cas de la Twingo et de la Mé- plus abouties, en trouvant un premier nom
un concept, une personne ou gane, appelées X06 et X95, ou de l’A380, pour le projet, puis un nom dé�initif,
une activité. Il sert à faciliter préalablement désigné par A3XX. Les SSII lorsque ce dernier est suf�isamment
l’échange entre les parties impliquées, en charge de projets informatiques en avancé. Les noms de code sont souvent
mais ce n’est pas sa seule fonction. font également un usage fréquent. Micro- utilisés pour désigner les projets afin d’im-
Utilisé dans les services de renseigne- soft a ainsi utilisé des noms de villes ou de pliquer plus facilement les équipes in-
ments pour garantir le secret, le nom de lieux pour ses systèmes d’exploitation : ternes autour de noms totems, mais aussi
code l’est également dans le monde mili- Memphis (Windows 98), Daytona (Win- les acteurs externes (fournisseurs, inves-
taire pour désigner des missions et des opé- dows NT 3.5), Whistler (Windows XP), tisseurs...), sans trop en dévoiler.
rations : lors de la Seconde Guerre mon- Longhorn (Windows Vista), Blackcomb
diale, l’opération allemande Barbarossa (Windows 7), même si, plus récemment, UN ENJEU DE POUVOIR
visait à envahir l’Union soviétique, l’opéra- l’inspiration est venue des jeux vidéo « L’effet mystère » du nom de code suscite
tion américaine Overlord devait orchestrer « Halo » ou « Minecraft » avec Threshold et souvent la curiosité. Son existence laisse
le débarquement allié en Normandie (la Redstone (Windows 10). De son côté, entendre que le projet n’est pas une simple
procédure aurait voulu que le débarque- Apple a préféré le registre animalier : Pan- nouvelle version d’un produit déjà pré-
ment du 6 juin 1944 ait pour nom Mothball, ther (MacOS X 10.3), Tiger (Mac OS X 10.4), sent, mais bien une offre distincte. Si cer-
« boule de naphtaline », mais Winston Chur- Leopard (Mac OS X 10.5) ou encore Snow taines entreprises ne diffusent pas les
chill intervint pour faire renommer l’opéra- Leopard (Mac OS X 10.6). noms de code de projet à l’extérieur,
tion), et le projet de recherche Manhattan Recourir à un nom temporaire (nom d’autres au contraire les laissent s’échap-
devait conduire à la fabrication de la d’attente ou pré-nom) permet de ne pas per pour créer du buzz autour du projet.
première bombe atomique. révéler trop vite la véritable intention du Cela permet en retour d’exploiter le sou-
C
place et de poids dans les prochaines an-
nées. L’écoute continue sur plusieurs an-
omment les marques et en parlent de façon positive ou négative ; nées ajoute une précision notable : la vi-
les entreprises peuvent- est-ce que la marque est associée à des tesse à laquelle l’intérêt pour un sujet
elles tirer le meilleur problèmes ou à des questions de société augmente, ainsi que les endroits où cet
parti des médias so- qui pourraient s’avérer des challenges po- intérêt se manifeste le plus fortement, per-
ciaux ? Quelle plate- tentiels… et ainsi donner aux managers mettant ainsi aux entreprises de localiser
forme utiliser, comment des informations clés pour les aider à les marchés sur lesquels les nouveaux pro-
créer du contenu « viral » prendre d’éventuelles mesures correctives duits devraient avoir le plus de succès.
ou comment générer de l’engagement à court terme. Par exemple, si une entre- Effet dégradé et joli coup commer-
consommateur ? Bien que, ces dernières prise de luxe se rend compte que les cial pour L’Oréal. Pour être efficace, une
années, les entreprises se soient considé- consommateurs parlent de plus en plus stratégie de médias sociaux doit être déci-
rablement familiarisées avec les réseaux des contrefaçons liées à sa marque sur les dée et intégrée à tous les niveaux de l’en-
sociaux, toutes ces questions restent en- médias sociaux, elle pourra évaluer l’im- treprise. Après avoir mis en place des ou-
core d’actualité. pact potentiel sur son image et, le cas tils de veille il y a quelques années, L’Oréal
Adopter une bonne stratégie marketing échéant, appliquer une stratégie de com- Paris a découvert un intérêt croissant pour
digital est crucial, car cela permet aux en- munication visant à corriger cette percep- un nouveau type de soin capillaire. En
treprises de promouvoir plus efficacement tion du côté des consommateurs. s’appuyant sur des données à la fois quan-
et plus rapidement leurs produits et leurs Le second niveau est celui de l’entre- titatives (augmentation du nombre de re-
services. Cependant, l’accent mis sur ces prise et de la concurrence. L’écoute des cherches sur Google) et qualitatives
questions se fait souvent au détriment conversations peut donner des indica- (augmentation du nombre de vidéos de
d’une autre utilisation tout aussi impor- tions intéressantes sur la façon dont une consommateurs potentiels et fans associés
tante des médias sociaux : l’écoute et l’ana- marque se démarque de ses concurrents à cette coiffure sur YouTube), l’équipe
lyse des conversations sur ces plateformes. au fil du temps, et ce en comparant direc- marketing a décidé de créer un produit
En effet, l’écoute et l’analyse systématique tement la marque avec ses concurrents sur répondant directement à la tendance iden-
des innombrables conversations on line de plusieurs niveaux (produit, prix, position- tifiée et de concentrer ses efforts promo-
consommateurs sur les marques, mais nement marketing…). Si une marque tionnels sur les médias sociaux et les
aussi sur les activités dans lesquelles ils s’aperçoit que les consommateurs uti- consommateurs potentiels ayant exprimé
s’engagent quotidiennement, est une lisent de plus en plus de mots similaires un intérêt pour ce soin. Rapidement, le
source de création de valeur car elle per- pour parler d’elle et des marques concur- nouveau produit, un colorant pour che-
met aux entreprises de mesurer et d’antici- rentes, cela peut constituer un signal de veux qui donne un effet dégradé dé-
per les réactions non seulement des danger dans la mesure où cela signifie que nommé « ombré », s’est imposé sur le mar-
consommateurs, mais aussi d’acteurs clés les consommateurs perçoivent de moins ché et a connu une croissance continue à
des marchés sur lesquels elles opèrent. en moins ses particularités. deux chiffres.
Que faire de toutes ces données ? Le troisième et dernier niveau est celui Mais comment écouter les consomma-
Comment les entreprises peuvent-elles ti- de l’industrie ou du secteur. La façon dont teurs et les autres acteurs clés sur les mé-
rer parti de ces énormes quantités de don- les consommateurs parlent des différentes dias sociaux ? Un certain nombre d’outils
nées désormais accessibles ? L’écoute de activités (par exemple, la recherche et le d’écoute des médias sociaux, comme Digi-
l’ensemble du big data des médias sociaux choix des hôtels pour les vacances) peut mind, Isentia, Crimson Hexagon, Synthe-
peut créer de la valeur à trois niveaux. donner des indications sur une industrie et sio ou YouWatch, permettent de quantifier
Le premier est celui de l’entreprise elle- sur l’évolution qu’elle vit. Ce sera le cas, ce que le commun des mortels fait sur In-
même. Cela peut, en effet, fournir des indi- par exemple, si les acheteurs de voitures ternet (mention sur les médias sociaux,
cations en temps réel sur la réputation de tiennent de plus en plus compte des impli- conversation, etc.). La plupart de ces outils
la marque : est-ce que les consommateurs cations environnementales lorsqu’ils indiquent la quantité de contenu générée
le nombre
précis ainsi que des informations sur la s’appuyer sur d’autres sources, ne pas
nature de ce contenu (degré de positivité hésiter, par exemple, à compléter cette
ou d’émotion, les mots clés associés qui écoute en ligne par des recherches « off
reviennent le plus souvent, le rythme de
production de ces contenus...).
de tweets line » (un questionnaire consommateur…)
pour con�irmer ou in�irmer la tendance
Ce type d’analyses sert à quantifier et à
qualifier l’intérêt des consommateurs pour
positifs sur observée.
Les stratégies de médias sociaux les
une marque ou un produit : en comparant,
par exemple, le nombre de #chanel versus Chanel et plus créatrices de valeur sont celles qui
sont à la fois réactives et proactives.
le nombre de #dior ou encore le nombre de
tweets positifs sur Chanel et sur Dior. sur Dior Lorsqu’elle est menée habilement, l’écoute
des médias sociaux peut fournir des infor-
D’autres sites plus sophistiqués,
comme Tsquared Consulting, combinent pour évaluer mations clés aussi bien sur l’entreprise et
son environnement compétitif que sur
l’intérêt
l’analyse des médias sociaux avec celle des l’avenir de son secteur industriel et de son
données de recherche de moteurs tels que marché. Cela peut permettre à une marque
Google ou Baidu, offrant ainsi un prisme de rester en phase avec ses clients, mais
d’analyse et un niveau de granularité en-
core jamais atteint. Cela peut être utile
des clients aussi de repérer les premiers signes d’un
nouveau levier de croissance.
DU BAD BUZZ?
passagers, qui ont fait part de leur mécon-
tentement sur les réseaux sociaux. Le
P�DG a non seulement choisi de s’excuser
sur YouTube mais il est allé plus loin, en
Les marques doivent agir comme si elles étaient des annonçant la mise en place d’une « bill of
boutiques de petite ville soucieuses de leur réputation. rights », une charte donnant des droits aux
S
consommateurs en cas d’annulation de
vol ou de retard important. Un engage-
i, aujourd’hui, une marque campagne de Greenpeace dénonçant ment aussitôt salué par la Bourse : les ac-
se doit d'être présente sur l’utilisation de l’huile de palme dans ses tions de JetBlue, qui étaient passées de
les réseaux sociaux, ce barres Kit Kat. 4,30 à 3,40 dollars pendant cette semaine
n’est toutefois pas sans Pendant�: réagir rapidement et de chaos, ont dépassé les 6 dollars immé-
risque. Faut-il accepter efficacement. diatement après les excuses du P�DG.
d’être vulnérable ou tenter Si on détecte un bouche-à-oreille négatif Après : remédier véritablement à
de se protéger ? Pour éviter qui peut se transformer en bad buzz, il la cause du problème.
tout bad buzz, il existe des solutions à faut réagir sans tarder. En cas de faute, A moyen et à long terme, la seule solution
mettre en place avant, pendant et après d’erreur ou de manquement, les marques pour remédier à un bad buzz est de corri-
tout épisode de crise. peuvent s’excuser et promettre des amé- ger concrètement l’erreur ou la faute qui a
Avant�: créer des relations de liorations. Mais attention, « s’excuser pour déçu la communauté. Les médias sociaux
confiance et mettre en place un sys- s’excuser » n’est pas suffisant, comme l’ont poussent à la transparence, mais ils
tème de détection rapide. démontré plusieurs études, notamment amènent aussi les entreprises à devenir
Pour être prêt à faire face une situation de celle de Daryl Koehn, professeur spécia- plus authentiques et socialement respon-
bad buzz, les marques ont intérêt tout liste des questions éthiques dans le busi- sables. C’est le cas de Versace et d’Armani
d’abord à se constituer un puissant réseau ness. Publiée dans « Business Ethics Quar- qui, après que des révélations sur le « sa-
d’ambassadeurs, avec qui elles nouent de terly », sa recherche souligne que, pour blage » de leurs jeans eurent été relayées
fortes relations de con�iance. Une arme être ef�icaces, les regrets doivent appa- sur Facebook, ont décidé de mettre un
toutefois à double tranchant, car ces raître sincères, et pour cela il faut les faire terme à cette méthode à l’origine de nom-
mêmes internautes sont aussi ceux qui suivre d’engagements immédiats pour breuses maladies, voire de décès parmi
peuvent se sentir le plus trahis par une préserver l’éthique de l’entreprise. Dans ce leurs ouvriers souvent employés dans des
marque en cas de faux pas. S’inspirer des genre de situation, il faut également pays à la main-d’œuvre peu coûteuse. Le
« règles d’une petite ville » peut permettre activer le réseau d’ambassadeurs de la sablage est une technique utilisée pour
d’éviter ce type d’écueil. Ces « Small Town marque pour qu’ils puissent contre- conférer un aspect vintage au denim. Elle
Rules » (ouvrage de Barry Moltz et de attaquer avec des messages positifs et, in consiste à pulvériser du sable à très haute
Becky McCray, deux spécialistes de l’en- fine, affaiblir le bad buzz. pression, avec le risque que les travail-
�� %
trepreneuriat) suggèrent que les marques, leurs inhalent des particules invisibles et
aussi grandes et connues soient-elles, contractent ainsi la silicose, une affection
doivent toujours anticiper les consé- pulmonaire mortelle.
quences de leurs actions, à l’instar des En�in, même lorsqu’une marque est
gérants d’une petite boutique de quartier dans son droit et que l’initiateur d’un bad
dont la réputation leur collera toujours à la buzz a tort, il est vivement déconseillé
peau, et ce quoi qu’il arrive. d’engager des procédures judiciaires.
En parallèle, il faut mettre en place un des internautes D’une part, cela pourrait être perçu
système de détection composé d’équipes comme une attaque injuste et dispropor-
de veille et de tableaux de bord. Grâce à expriment en tionnée de Goliath contre David. D’autre
leurs nombreux indicateurs, ces derniers
permettront de savoir ce qui se dit sur la
priorité leur part, une telle démarche risque de créer in
�ine encore plus d’échos négatifs sur les
Toile à propos d’une marque et de ses mécontentement réseaux sociaux, et donc d’être contre-
concurrents. Un tel dispositif sonnera
immédiatement l’alerte en cas de bouche-
sur Twitter, contre productive.
à-oreille négatif. C’est ce qu’a fait Nestlé 31% sur Facebook. Andreas Kaplan est enseignant-
chercheur en marketing à ESCP Europe,
après s’être retrouvé au cœur d’une SOURCE : VISIBRAIN expert des réseaux sociaux et du digital.
L
pour les idées des autres. Les idées les plus
appréciées sont celles dont Barilla va étu-
es consommateurs fidèles sont qu’ils aiment. « Je pose une journée ou je dier la faisabilité. La première phase, très
souvent mobilisés par les entre- m’arrange, raconte un volontaire d’un pro- rapide, est dite d’évaluation : il s’agit de
prises pour promouvoir leurs gramme de collaboration de Decathlon. Je voir si cette idée n’est pas similaire à une
offres par le bouche-à-oreille. teste du matériel, je donne mon avis. autre idée déjà écartée par le passé pour
On parle ainsi d’ambassadeurs J’adore ça, pouvoir dire ensuite, une fois les des raisons d'infaisabilité.
et même d’évangélistes de la produits lancés – comme dans le cas du tee- La seconde phase, dite d’estimation,
marque. Un pas supplémen- shirt pour lequel j’ai suggéré un déplace- permet à Barilla d’effectuer des premiers
taire semble cependant avoir été franchi ment de la poche – “C’est grâce à moi !” » tests produits avant d’entrer en phase de
ces dernières années avec des consomma- réalisation.
teurs qui acceptent de « travailler » béné- RÉDUIRE LES COÛTS La troisième et dernière phase, dite de
volement pour des marques. DE MARKETING réalisation, est celle qui prend le plus de
Ces individus sont plus que de simples Cet engagement gratuit peut s’expliquer temps ; en moyenne, la mise en production
consommateurs, ce sont des adeptes, des par le besoin de reconnaissance qui nous d’un nouveau produit demande entre
fans, des amoureux d’une certaine taraude dans les sociétés actuelles ; douze et vingt-quatre mois. Les idées les
marque. Cela va des ducatistes (fan des quand ce besoin n’est pas satisfait au tra- plus plébiscitées sont récompensées par
motos Ducati) ou porschistes (fan des vail, on va le chercher en dehors, dans un l’envoi d’une « montagne » de biscuits.
voitures Porsche) aux Apple fans, Afols hobby ou dans le volontariat. Les indivi- Parmi celles mises en production par Ba-
(Adults Fans of Lego) et autres. Ils vouent dus sont de plus en plus nombreux à affir- rilla à partir de la plateforme de volonta-
un culte à leur marque préférée et ont pris mer exister grâce à leur engagement dans riat, on peut citer : la transformation du
l’habitude, grâce à Internet, de se regrou- un volontariat dit de loisirs. paquet de Pan di Stelle (« pain des étoiles »)
per et d’organiser des actions en faveur de En outre, gros avantage pour les entre- avec des étoiles phosphorescentes permet-
cette marque. Ils travaillent ainsi pour elle prises, les volontaires de marque trouvent tant aux enfants de jouer dans le noir ; de
en dehors de toute organisation. assez de satisfaction intrinsèque dans ces nouvelles offres de produits comme le
Certaines entreprises ont vu là un phé- tâches volontaires pour ne pas chercher croissant à la cerise ou les biscottes mille
nomène à organiser afin de faire baisser les ou demander de satisfaction d’ordre ex- grains ; un concours de fables pour une
coûts de production et augmenter l’aura trinsèque (réductions, cadeaux, rétribu- nouvelle gamme de biscuits...
de leurs produits. Barilla, Decathlon et tion financière, etc.). Grâce à ces idées mais aussi à l’engoue-
Fiat, par exemple, font appel à ces fans ment généré par la plateforme, Mulino
pour tester de nouvelles approches de Bianco a retrouvé sa place de marque la
marketing collaboratif, respectivement
PALMARÈS DES MARQUES plus populaire en Italie en 2015 (selon le
pour Mulino Bianco, Kalenji et Alfa Romeo.
LES PLUS POPULAIRES EN ITALIE rapport Brand Footprint de Kantar World-
Elles leur proposent d’intégrer des pro- Mulino Bianco est la marque favorite des panel), après avoir été devancée par Nu-
grammes de collaboration formalisés en Italiens, après avoir été devancée durant tella et Illy pendant plusieurs années. Elle
tant que volontaires de marque.
plusieurs années par Nutella et Illy. a aussi augmenté sa pénétration des
Alors que, jusqu’à aujourd’hui, le volon- foyers transalpins pour atteindre un taux
tariat renvoyait à une organisation à but record de 92%. De plus, Barilla a fait dras-
non lucratif, ces organisations à but lucratif tiquement baisser ses dépenses d’études
demandent à des consommateurs de pro- et de tests de marché maintenant qu’elle
duire un travail non rémunéré pour le déve- bénéficie d’un immense focus group per-
1
loppement d’une marque. Et ça marche ! manent de 50 000 consommateurs dispo-
2 3
Les fans de marque vont jusqu’à prendre un nibles pour répondre à des questions dans
jour de congé pour travailler gratuitement la section Rispondi al Mulino (« réponds
pour l’entreprise qui produit la marque au moulin »).
Si une entreprise veut mobiliser propre- programme de collaboration avec les al- peuvent arguer du fait que le temps passé à
ment des volontaires autour de sa marque, fistes (fans d’Alfa Romeo), a vu les volon- faire du volontariat par le consommateur
elle ne doit pas chercher à les satisfaire taires le déserter. Et Dell, qui n’avait pas est insignifiant par rapport au temps nor-
comme des consommateurs ou à les moti- organisé un niveau d’interaction assez si- mal de travail d’un employé.
ver comme des employés, mais à les mobi- gni�icatif entre ses volontaires et ses em- En fait, ce volontariat de marque modi-
liser dans un programme de collaboration ployés sur sa plateforme collaborative Dell fie la notion de volontariat telle qu’elle était
qui répond aux sept clés suivantes : l’entre- Idea Storm, a dû faire face à un mouvement perçue jusqu’à présent pour des organisa-
prise remercie et récompense les volon- de contestation. tions à but non lucratif. Bien sûr, cela crée
taires pour leurs efforts ; elle s’assure de de nouveaux risques et de nouveaux pro-
mettre en jeu les compétences les plus adé- UNE PRATIQUE blèmes juridiques pour les entreprises : la
quates de chacun ; elle organise le pro- RÉPRÉHENSIBLE? loi devra s’adapter, de façon à prendre acte,
gramme de manière flexible de façon à Les fans de marque sont satisfaits de ce vo- d’une manière ou d’une autre, du fait que la
s’adapter aux préférences personnelles de lontariat d’un nouveau genre ; les entre- passion des consommateurs pour les
modes de collaboration ; elle reconnaît le prises aussi, bien évidemment. Doit-on marques se développe et que ces derniers
travail effectué par tous ; elle génère un néanmoins considérer que cette nouvelle sont délibérément prêts à collaborer avec
attachement émotionnel au programme et approche ne pose pas de problème ? Les des organisations à but lucratif.
aux autres volontaires ; elle explique le sens entreprises qui font appel à ces volontaires Aujourd'hui, les individus sont moins
moral de l’action collective ; enfin, elle dé- sont-elles en infraction ? C’est théorique- enclins à se mobiliser pour de grandes
veloppe chez les volontaires la fierté de par- ment le cas en France comme aux Etats- causes, comme dans les années 1970. Mais
ticiper à ce programme. Unis. Outre-Atlantique en effet, le Fair ils sont prêts à s’engager pour les marques
Ne pas intégrer l’une de ces sept clés Labor Standards Act (1938) affirme claire- qu’ils aiment tout en étant critiques vis-à-
peut rapidement entraîner une baisse de ment que le volontariat pour une entreprise vis des entreprises qui les possèdent,
l’engagement des volontaires de marque, à but lucratif est condamnable. Toute per- lorsque ces dernières font des erreurs.
tant quantitatif (moins de volontaires) que sonne travaillant pour une entreprise à but
qualitatif (moins d’idées pertinentes ou lucratif doit être rémunérée en fonction du Bernard Cova est docteur en sciences
de gestion. Il est enseignant-chercheur
d’implication). Ainsi Alfa Romeo, qui avait temps passé et quel que soit le type de tra- en marketing et sociologie de la consommation
organisé de manière trop taylorienne son vail effectué. Cependant, les entreprises à Kedge Business School.
....................................................................................................................
....................................................................................................................
....................................................................................................................
....................................................................................................................
....................................................................................................................
DES LIVRES POUR RÉFLÉCHIR
....................................................................................................................
....................................................................................................................
....................................................................................................................
....................................................................................................................
T
de rupture le plus courant : le produit pro-
posé ne sera disponible que dans plusieurs
out parcours d’achat dé- recherche de la bonne affaire. Mais atten- semaines... Quelques sites de meubles
bute naturellement par un tion, cela ne suffit pas. Car une modifica- design ont ainsi perdu beaucoup d’occa-
point de contact entre l’in- tion non justifiée du prix initial entre l’an- sions lorsque les internautes ont été infor-
ternaute et le site. Il peut nonce sur un moteur de recherche et la més des délais de production et de livrai-
prendre plusieurs formes : page produit, ou entre la mise au panier et son, et ce malgré un prix très attractif.
contenu rédactionnel sur la validation du paiement, entraînera une Pouvoir délivrer immédiatement le pro-
d’autres sites et blogs d’ex- rupture dans le cycle d’achat. Proposer des duit qui a été acheté fait partie aujourd’hui
perts, partenariats, display… Toutefois, produits complémentaires (options de des problématiques des sites Internet.
dans plus de 95 % des cas, le référencement customisation, ventes additionnelles,
SEA (search engine advertising, publicité montées en gamme…), entraînant une E COMME ERGONOMIC
sur les moteurs de recherche)/SEO (search augmentation significative du prix, risque La fluidité de la navigation contribue aussi
engine optimization, optimisation pour les tout autant de faire fuir l’internaute. à une expérience réussie. Une ergonomie
moteurs de recherche) reste la première Dans ce contexte, le prix à fixer pour les des menus mal pensée, un parcours
source de contact. C’est une fois que ce pre- frais de livraison est une question cruciale. d’achat ou de paiement trop compliqué
mier lien a été établi que l’internaute peut Combien est-on prêt à payer pour se faire peuvent nuire à la transaction.
décider de « churner », c’est-à-dire « change livrer un album de Tintin à 10 euros ? Une En outre, un trop grand nombre
to turn » pour un autre site, ou de changer machine à laver ? Cela dépendra de la va- d’étapes pour finaliser la vente pourrait
d’avis quant à ses motivations d’achat. leur d’usage. Mais si les frais sont trop éle- entraîner une certaine lassitude. L’idéal
Quelles en sont les raisons ? Il en existe vés, l’internaute n’hésitera pas à aller est de limiter les étapes intermédiaires,
cinq, résumées sous l’acronyme Appel : « benchmarker » d’autres sites. en proposant plusieurs façons d’aboutir à
la requête du client : moteur de recherche
A COMME AFFECTIVE P COMME PHYSICAL interne, doubles menus et sous-menus,
On touche à l’émotionnel, au ressenti. Une Le terme « physique » peut être interprété sitelinks (liens affichés sous certains sites
annonce sur un moteur de recherche qui de trois façons lors du parcours digital : la dans les résultats de recherche de Google)
ne correspond pas au contenu du site, une technique, le déplacement et le stock. pertinents…
offre à – 60% qui n’est pas reprise sur la L’aspect technique concerne l’en-
homepage, un produit proposé qui n’existe semble des problèmes liés au hardware et L COMME LEGAL
plus… Tout cela sera perçu comme une au software lors de la connexion. Une page L’internaute étant en mode « total access »
duperie. L’internaute quittera le site avec qui se charge difficilement, un navigateur dans un univers d’e-commerce mondialisé,
une image négative et peut-être le qui bugge, une page de paiement qui ne l’achat sur un site étranger est devenu mon-
« blacklistera »-t-il définitivement. répond pas, sont autant d’exemples de naie courante : le produit est-il conforme à
Un descriptif trop court ou « copié- « churn software ». Le hardware, quant à la législation, aux normes et aux certifica-
collé », qui ne donne pas la possibilité de se lui, regroupe l’ensemble des pannes maté- tions ? Avec certains mots clés de l’univers
projeter avec le produit, une mauvaise rielles venant de l’internaute (ordinateur des marques de luxe, la page de résultats
compréhension du positionnement de défaillant), du réseau (pannes physiques, des moteurs de recherche présente jusqu’à
l’offre ou encore une page « paiement » non coupures de câble…) ou de l’hébergeur, 40% de sites de contrefaçon. L’internaute
conforme ou ne présentant pas les garan- qui peuvent elles aussi générer de véri- risque, malgré lui, des déconvenues avec la
ties classiques de sécurité auront eux aussi tables ruptures. justice, et c’est pourquoi, là encore, il préfé-
pour conséquence de freiner l’achat. Le déplacement, ensuite, correspond à rera abandonner la transaction.
l’effort physique que va fournir l’inter-
P COMME PRICE naute pour obtenir son produit. Il sera plus Ronald Boucher est titulaire d’un doctorat
Le prix sur le Net représente un enjeu réel. important si le bien est livré dans un Point en sociologie des organisations et
d’un DEA en marketing et NTIC. Il est professeur
Apparaître compétitif au premier abord a Relais plutôt qu’à son domicile. Opter pour associé au Cnam Paris et chercheur à l’Istec.
toutes les chances d’attirer l’internaute à la la livraison à domicile ou pour l’achat sur Il dirige le cabinet de conseil Simbiotic.
R
une promotion lorsqu’on se rend compte
de son impact négatif, un tel rétropédalage
ien qu’en 2015, les fabri- le shampoing d’une certaine marque pour peut être dommageable en termes d’image
cants américains ont distri- toute la famille. La consommation de ce et de relation client.
bué 323 milliards de dollars produit ne dépendra pas de la quantité dis- A utiliser à bon escient sur le long
de bons de réduction. Au- ponible, mais plutôt du nombre d’utilisa- terme. Les bons de réduction restent tou-
delà des économies qu’ils tions par tous les membres de la famille. tefois un élément puissant du mix marke-
permettent aux consomma- Or, s’il est possible de bénéficier d’un bon ting (qui combine politique de produit, de
teurs de réaliser, les bons de de réduction temporaire, le chef de famille prix, de distribution et de promotion). Il
réduction ont aussi un impact sur les avisé pourra acheter plus de shampoing faut donc dé�inir quand ils sont pro�i-
ventes. Puisque le prix est moindre, des que d’habitude et le stocker pour un usage tables, et quand ils ne le sont pas. Pour
consommateurs qui ne pouvaient pas ac- ultérieur. Lorsque la promotion ne sera cela, le processus doit être analysé dans
quérir un produit sont désormais en me- plus disponible, la famille en question son ensemble. Il ne faut pas regarder les
sure de l’acheter, et les clients habituels pourra alors compter sur cette réserve et résultats d’une campagne promotionnelle
peuvent en prendre de plus grandes quan- limitera les dépenses en la matière pen- de manière isolée, mais mesurer les inter-
tités qu’à l’accoutumée. dant un certain temps. actions entre le nombre d’unités vendues,
Les bons de réduction sont particuliè- Un impact négatif à moyen terme. les revenus et le nombre de clients tou-
rement pertinents pour les entreprises Il y a donc une dynamique en deux temps. chés, dans le temps. En définitive, ce sont
dans deux cas : pour acquérir de nouveaux La promotion peut d’abord avoir un im- les résultats en fin d’année qui diront si les
clients, et pour les conserver par la suite. pact positif sur le volume des ventes, en actions marketing ont été bénéfiques.
Lorsqu’un consommateur hésite à acheter particulier sur le nombre d’unités ven- Pour mettre en place des campagnes
un produit qu’il ne connaît pas, une baisse dues, au détriment d’une diminution lé- efficaces, il faut donc analyser le compor-
de prix peut l’encourager à vouloir le tes- gère de la marge. Mais ensuite, le risque, tement individuel du client et sa réaction
ter. Et si, lors de chaque achat, les clients en fonction du type de produit, des capaci- face aux différentes actions, mais aussi
existants reçoivent un bon de réduction tés de stockage des ménages et d’autres sélectionner avec soin les produits concer-
pour l’achat suivant, il sera d’autant plus facteurs, est que la quantité vendue dimi- nés et cibler ceux qui pourront bénéficier
dif�icile pour un concurrent de proposer nue au prorata des ventes supplémentaires de ces promotions. Faut-il faire connaître
une offre plus attractive. C’est donc un bon qui avaient été générées précédemment. A le produit ? Est-on dans un marché où le
moyen d’acquérir de nouveaux clients, ou terme, si on observe les achats sur la du- client va chercher à varier sa consomma-
de retenir les anciens. rée, l’effet du bon de réduction peut donc tion ? Le produit est-il facile à stocker ? Est-
Un risque pour les marges. Cepen- s’avérer négatif : le nombre d’unités ven- ce un achat régulier, qui devrait être fait de
dant, pour la plupart des produits, et en dues n’a pas augmenté sur le cycle entier toute façon ? Est-ce qu’avec l’usage, l’expé-
particulier ceux qui sont sur le marché mais la marge globale a, elle, diminué. Ce rience ou l’habitude, le client aura envie
depuis longtemps, cet effet n’est que tem- mécanisme pourrait même être très dom- d’en consommer plus ? Le timing de la pro-
poraire. Dès que le bon aura été utilisé, les mageable pour les vendeurs si les ménages motion est-il prévisible? N’encourage-t-il
consommateurs reviendront à leurs an- parviennent à anticiper ces promotions et pas les comportements opportunistes ?
ciennes habitudes. Bien sûr, il est possible à faire leurs achats uniquement lorsque les C’est seulement en mesurant l’ef�icacité
de répéter l’action de manière régulière, prix sont au plus bas. des opérations d’une manière rigoureuse
mais cela reviendrait à baisser le prix en Prenons l’exemple de la plateforme et en ciblant les actions d’une façon intel-
permanence et donc à diminuer la marge d’achat de jeux informatiques Steam, qui ligente que les promotions en tout genre
pour le vendeur ou le fabricant. « casse » les prix en été. Les joueurs ont pourront permettre de vendre plus et à des
Pour ces produits dits « matures », qui ne compris qu’il suffisait d’attendre pour avoir marges intéressantes.
peuvent plus bénéficier d’un effet de lance- des réductions considérables. Et le pro-
Nicolas Glady est docteur en économétrie
ment, que risque-t-il de se passer ? Imagi- blème peut être le même quand l’objectif et professeur à l’Essec, où il est titulaire de
nons qu’un ménage achète régulièrement de la réduction est d’attirer de nouveaux la chaire Accenture Strategic Business Analytics.
L
profondeur), alors que notre œil se contente
d’additionner les dimensions au lieu de les
’accent mis actuellement sur consommateurs et les industriels, du moins multiplier lorsque nous cherchons à esti-
l’amélioration de la qualité nu- sur le court terme et si on oublie ses effets mer, subjectivement, le volume. Par
tritionnelle des aliments se fait indirects sur la santé. exemple, alors qu’une augmentation de
au détriment d’une réflexion 26% de la hauteur, de la largeur et de la pro-
indispensable sur la quantité de GAGNER PLUS fondeur double le volume d’un objet (1,26 x
l’apport énergétique et la taille EN VENDANT MOINS 1,26 x 1,26=2), le volume perçu n’augmente
des portions. Il ne suffit pas de Les maxiportions sont si rentables que l’on que de 78% car notre œil fait l’addition sui-
s’interroger sur ce que l’on mange ; il faut peut douter de la possibilité de concilier vante : 26+26+26=78%. Ceci explique no-
aussi réfléchir à la quantité de ce que l’on santé publique et santé financière des en- tamment que nous sous-estimons davan-
mange. Or, c’est un fait, nos portions ali- treprises du secteur. Heureusement, des tage la taille des portions ou des emballages
mentaires ont explosé au cours des der- solutions existent. Pour commencer, il faut alimentaires lorsque les trois dimensions
nières décennies. rappeler une évidence : non, les entreprises augmentent (par exemple, les gobelets de
Les portions alimentaires servies dans de l’agroalimentaire n’ont pas vocation à soda dans les fast-foods) que lorsque l’aug-
les restaurants, en particulier dans les vendre toujours plus de calories, et encore mentation porte sur une seule dimension
chaînes de fast-foods, mais également à la moins à faire grossir leurs clients. Leur ob- (par exemple, pour des tubes de Pringles).
maison, sont devenues deux à trois fois jectif est de croître tout en gagnant de On peut bien sûr tenter d’améliorer
plus grosses que ce qu’elles étaient à la fin l’argent. Dès lors, pourquoi ne pas essayer notre acuité visuelle. Un autre doctorant,
des années 1970 (voir « Des sodas de plus de gagner plus en vendant moins ? Yann Cornil, et moi-même avons montré
en plus XXL »). Il est aujourd’hui acquis La solution de cette énigme passe par les que les estimations des volumes s’amé-
que l’augmentation de la taille des por- travaux que j’ai menés avec mon ancienne liorent lorsque les consommateurs sont
tions a joué un rôle critique dans ce que doctorante Nailya Ordabayeva, aujourd’hui ambivalents vis-à-vis du produit, c’est-à-
l’on appelle l’« épidémie d’obésité », no- professeure au Boston College. Nous nous dire lorsqu’ils le désirent tout en sachant
tamment aux Etats-Unis. A plat équiva- sommes rendu compte que la plupart des qu’il n’est pas très bon pour la santé.
lent, les portions sont en moyenne plus
importantes de 70% dans les restaurants
chinois aux Etats-Unis que dans les res-
DES SODAS DE PLUS EN PLUS XXL
taurants chinois en France.
Mais pourquoi les portions ont-elles au- La taille enfant d’un soda vendu aujourd’hui dans les fast-foods
tant augmenté ? Dans la restauration, une (25�cl) est supérieure à ce qui était la taille normale (19 cl) d’une
grande partie des coûts est fixe (immobilier, petite bouteille de Coca-Cola jusque dans les années 1970.
main-d’œuvre…). Avec les gains importants
Les tailles maximales proposées sont sans cesse
plus grandes : jusqu’à près de 2 litres aux Etats-Unis.
de productivité dans l’industrie agroali-
mentaire (à l’exception majeure des fruits et
des légumes), cela ne coûte aujourd’hui pas 190cl
grand-chose d’ajouter quelques décilitres 817cal
120cl
de soda ou quelques dizaines de grammes 516cal
100cl
de frites. Mais si le coût marginal des ali- 50cl 430cal
ments est faible, la valeur perçue par les 40cl 215cal
consommateurs d’une augmentation de la 172cal
25cl
quantité est bien réelle. Dans ce contexte, 108cal
une maxiportion pour quelques centimes 19cl
de plus est une bonne affaire pour les
81cal
Néanmoins, ce phénomène reste mesuré. réalité, le rayon compte à la puissance 2 ATTENTION À ��L’EFFET
Alors qu’en moyenne les consommateurs dans le calcul du volume d’un cylindre,
sous-estiment de 65% la taille d’une grande mais pas la hauteur ! Nous avons ainsi aidé
DE HALO SANT��
portion de chips, les individus « ambiva- un fabricant à réduire de 38% la taille d’un
lents » ne la sous-estiment que de 40 %. emballage alimentaire sans que celui-ci En trente ans, le nombre d’Américains
perde en attractivité face à la concurrence. considérés comme cliniquement en
JOUER SUR LE PACKAGING Bien évidemment, cette approche peut surpoids par l’OMS est passé de 45 à
Une meilleure approche consiste à conce- être taxée de « paternaliste ». A cette cri- 65%. En France, ce n’est guère mieux,
voir des emballages et des portions qui tique, il faut néanmoins rappeler qu’actuel- avec une augmentation de 30 à 40%
tirent avantage des biais de perception vi- lement les consommateurs sous-estiment
de la population. Bien que les causes
soient multiples (environnement, modes
suelle pour inciter les individus à moins la taille des portions qu’ils achètent et donc
de vie…), le marketing alimentaire
consommer. Par exemple, en utilisant ce surconsomment sans s’en rendre compte, porte sa part de responsabilité.
que nous savons sur la perception des vo- ce qui constitue un gâchis pour tous : le fa- Pour répondre à ces critiques, de
lumes, il est possible de réduire la taille des bricant, dont les maxiportions ne sont pas nombreuses start-up, imitées par des
portions d’un quart sans qu’on puisse s’en valorisées à leur juste taille, mais aussi le géants comme Danone, PepsiCo,
rendre compte. Pour cela, il suffit de réduire consommateur, qui se trompe sur ce qu’il Unilever ou McDonald’s, ont réagi en
reformulant leurs recettes avec moins
les portions en af�inant (beaucoup) et en consomme et ne réussit pas à maîtriser sa
de gras, de sucre et de sel. Cependant,
allongeant (un peu) le packaging. Comme consommation. une telle approche a des limites en
pour les « slim cans », ces canettes longues raison de l’effet de halo santé. C’est la
et étroites de 25 cl proposées par Red Bull. tendance que nous avons à catégoriser
Pierre Chandon est professeur de
Elles semblent presque aussi volumineuses marketing à l’Insead, titulaire de la chaire
un aliment comme «�bon pour la santé�»
que les canettes classiques de 33 cl. Or, en L’Oréal Marketing, innovation et créativité. dès lors qu’il met en avant un seul
attribut perçu comme tel. Des
recherches ont prouvé, par exemple,
que l’on pense qu’une canette de jus de
PORTIONS RÉELLES ET PORTIONS PERÇUES pomme Minute Maid «�sans sucres
ajoutés�» contient 43% moins de calories
Plus le nombre de calories est élevé, plus la perception est faussée. qu’une canette de Coca-Cola, alors
Par exemple, les consommateurs attribuent 700 calories à un menu de restauration qu’elle en compte en réalité 10% de plus
rapide qui en compte en réalité 1�150, soit 450 calories de plus. (139�calories pour le Coca-Cola contre
154 pour le Minute Maid). De même,
2�000
il suffit qu’une marque soit associée
à la protection de l’environnement
pour que les consommateurs sous-
estiment les calories de ses produits et
en consomment jusqu’à 3% de plus.
Au cours d’une expérience, des M&M’s
1�500 labellisés «�à teneur réduite en matière
grasse�» ont été donnés à des
ais
1�000
de la consommation de 16% en
moyenne, et jusqu’à 46% pour les
consommateurs en surpoids.
Pour concilier les intérêts de l’industrie
agroalimentaire et les objectifs de santé
publique, il est donc impératif de
500 combiner une approche quantitative
(relative à la taille des portions) à une
approche qualitative (relative aux
recettes et ingrédients). On ne peut plus
se contenter de changer les recettes,
et cela d’autant plus que diminuer la
0 teneur en sucre, en gras ou en sel peut
0 500 1�000 1500 2�000 appauvrir le goût des aliments, qui reste
CALORIES RÉELLES le premier critère de choix. P. C.
Répondants avec un poids normal
Répondants en surpoids
E
où l’ensemble des variables de fonctionne- conservation d’énergie, soucieux d’animer
ment sont prises en compte, afin de former le marché avec un moyen original de pro-
ntre 2010 et 2015, le nombre de un tout cohérent et autonome – alors que duire et de consommer de l’électricité.
salariés de Tesla a été multi- ses concurrents suivent des business mo- Bilan : Tesla démontre ainsi son apti-
plié par 15, passant de 899 à dels traditionnels. tude à répondre de manière différenciée à
14 000. Quant à la production, des besoins essentiels, tout en définissant
elle devrait passer d’un peu PROPOSER DE LA SIMPLICITÉ des systèmes économiques rémunérateurs
plus de 50 000 exemplaires en AUX UTILISATEURS – sorte de chaîne de valeur vertueuse où
2015 à 90 000 en 2016. La technologie mise en œuvre par Tesla est chaque offre supplémentaire vient à la fois
Alors que ses concurrents directs de bon niveau – elle est même excellente. légitimer l’existant et défricher de nou-
comme Fisker sont en quasi-déconfiture et Batteries, moteurs, systèmes de gestion ou veaux territoires de croissance.
que les plus grands groupes automobiles interfaces, l’utilisateur se trouve devant A ces atouts, on pourrait opposer les
n’ont toujours pas résolu l’équation per- une accumulation de technologies rare- points faibles de l’entreprise – des prix de
mettant d’atteindre une pénétration et une ment rencontrées dans un seul véhicule. vente que certains estiment trop élevés,
rentabilité satisfaisantes (véhicules hy- Pourtant, quelle que soit la masse d’in- une �inition intérieure pas toujours pre-
brides mis à part), Tesla enchante le mar- formations nécessaires pour faire avancer mium ou une percée en Chine laborieuse,
ché par son optimisme et son dynamisme la voiture, le conducteur a juste à faire glis- même si la situation s'est améliorée en 2015
– même si Elon Musk, l’un des cofonda- ser son doigt sur un écran tactile où sont avec 3 000 véhicules vendus.
teurs et actuel dirigeant, n’escompte pas présentés avec clarté et fluidité les para- Mais qui, hormis Tesla, a su rendre la
réaliser de pro�its avant 2020. Sa force ? mètres afférents au voyage (navigation, voiture électrique si évidente, si élégante,
Avoir réussi à se démarquer, en particulier climatisation, connexion Internet, re- et en même temps si singulière ? Cela
sur trois points. cherche de Superchargers, etc.). constitue la véritable leçon de marketing de
Cette facilité d’usage, qui nous est fami- Tesla : avoir défini ses propres lois marke-
PENSER EN TERMES lière avec Apple – la performance intrin- ting, en jouant sur une vision spécifique du
D’ÉCOSYSTÈME sèque n’est pas intéressante, seul le résultat besoin, une maîtrise technologique inédite
Le contraste est significatif : d’un côté, des compte – est relativement inédite dans le et la construction d’un univers au centre
fabricants qui raisonnent par sous-en- secteur automobile. duquel se trouve l’utilisateur. Ce qui corres-
sembles dans une logique prioritairement Bilan : en décidant de garder la com- pond à une configuration qui sera amenée
économique, a�in de combler une éven- plexité du côté fabricant et d’offrir unique- à se développer : la production d’écosys-
tuelle demande du marché de disposer ment la simplicité à l’utilisateur – c’est le tèmes – ou éco-industries – où ce n’est plus
d’un véhicule électrique ; de l’autre, Tesla, concept de la complexité simplifiée – Tesla la seule fabrication du produit qui importe,
qui impose d’entrée de jeu une stratégie se positionne comme une marque de réfé- mais l’ensemble composé de l’utilisateur,
reposant sur le fait que l’électrique n’est pas rence du point de vue de l’utilisateur. du produit et de son environnement, orga-
une solution alternative au moteur ther- nisés de telle sorte que cet ensemble s’in-
mique, mais une façon de penser autre- AVOIR UNE STRATÉGIE tègre de façon utile, plaisante, éthique et
ment, et globalement, la mobilité. D’OFFRE OPPORTUNE profitable dans un contexte postindustriel
Autant dire que Tesla ne répond pas à Cantonnée depuis 2012 à un seul modèle en forte évolution.
un prétendu besoin de « rouler électrique », (la Model S, une berline familiale), la
mais considère le besoin de déplacement gamme s’est étoffée, en 2015, avec la Christophe Chaptal de Chanteloup est
dans son ensemble. Le constructeur Model X pour prendre pied dans le segment designer de formation (ESDI), diplômé de
l’Insead et ex-directeur marketing dans l’industrie.
propose, dans cette optique, une offre tant en forte croissance du crossover. Admet- Il a fondé le cabinet en stratégie et organisation
produit que service, composée d’un tons que c’est là un travail de segmentation CC�&�A, et dirige l’hebdomadaire «�Design fax�».
Kévin Carillo
PAS UNE FIN EN SOI voie, il faut donc d’abord identifier pour-
quoi il est important d’y aller.
D
duits et de services. Pour cela, de nou-
velles plateformes, entièrement digitales,
igital », « digitalisation », digitalisée » tant en interne qu’en externe. proposent à des inventeurs d’échanger
« transformation digi- Cela explique pourquoi toutes les entre- avec des concepteurs pour passer de l’idée
tale », « entreprise numé- prises, petites et grandes, doivent être au- à l’innovation. Sur Quirky, une plateforme
rique »… Depuis déjà plu- jourd’hui dotées d’experts du digital, les lancée en 2009, toute personne peut sou-
sieurs années, ces notions fameux « chief digital officer » (CDO). Pour mettre une idée à la communauté, en es-
font partie de toutes les autant, quel est clairement leur rôle ? En pérant que son invention sera sélection-
conversations, et ce phé- quoi ces transformations digitales sont- née, développée et lancée sur le marché.
nomène va certainement encore s’accen- elles réellement essentielles pour rendre Sur InnoCentive, une plateforme d’in-
tuer. Beaucoup d’entreprises se sont do- les entreprises plus compétitives et à novation ouverte, des entreprises ou des
tées d’un responsable digital. C’est même l’écoute de leurs clients ? Quelle est l’in- institutions, dépensant pourtant déjà des
devenu une compétence transverse re- fluence réelle du digital sur la réactivité millions d’euros en R & D, comme Proc-
cherchée puisque les connaissances tech- des organisations ? S’agit-il d’un phéno- ter & Gamble, AstraZeneca ou la Nasa, sol-
niques les plus attendues d’ici à 2020 sont, mène de mode ou d’une lame de fond ? licitent l’intelligence collective pour ré-
en plus de la maîtrise de la relation client et soudre des problèmes des plus complexes.
de la maîtrise de l’innovation, la maîtrise UN OUTIL AU SERVICE Quelques heures seulement après la créa-
des technologies digitales (selon une étude DU… SERVICE tion du défi, des milliers de personnes se
Ernst & Young et LinkedIn). D’ailleurs, 67% Il ne s’agirait pas d’oublier que les entre- retrouvent déjà à réfléchir simultanément
des managers reconnaissent que le numé- prises digitales en pointe sur ce sujet, à pour tenter de remporter le grand prix.
rique les a conduits à faire évoluer leur l’instar des Gafa mais aussi d’Uber, La plateforme Clarity propose, elle,
mode de management (étude IDC France d’Airbnb, de Trainline (ex-Capitaine d’être mis en relation avec des experts. Le
pour Microsoft). Quant aux collaborateurs, Train) ou de BlaBlaCar, sont avant tout but ? Aider les entrepreneurs à relever les
ils sont 69% à considérer que la généralisa- exemplaires comme organisation de ser- défis auxquels ils sont confrontés en leur
tion des compétences numériques est un vices. Et ce n’est pas parce que les sociétés offrant la possibilité d’appeler directement
avantage concurrentiel déterminant pour traditionnelles de taxi vont ouvrir un les spécialistes référencés par le site : in-
leur entreprise, et 61% d’entre eux sou- compte sur Facebook, qu’Accor va rendre vestisseurs, professeurs émérites… Il est
haitent consacrer une partie de leur temps accessible ses réservations sur mobile ou ainsi possible de contacter des spécialistes
libre à acquérir ces compétences (étude que la SNCF va se déclarer digitale que les de l’entrepreneuriat comme Eric Ries, le
VMware de décembre 2015). uns vont acquérir un esprit de service, les père de la théorie du lean start-up, ou du
Dans un contexte de mondialisation autres multiplier les chambres d’hôtel marketing comme Dave McClure, ex-direc-
des marchés et des fournisseurs, de chez l’habitant ou améliorer leur ponc- teur marketing de PayPal.
concurrence de plus en plus accrue, toute tualité. Le digital n’est qu’un moyen. S’il En définitive, le digital dans l’innova-
tentative semble utile pour aider les orga- peut contribuer à faire progresser l’entre- tion, c’est surtout la capacité de dévelop-
nisations à être plus réactives et à se diffé- prise vers une meilleure relation client, per un réseau, un écosystème qu’il n’au-
rencier, tout en se rapprochant du client. s’il peut permettre de faire gagner en rait pas été possible d’appréhender sans
Dès lors les nouvelles technologies, la dé- flexibilité ou encore d’accroître la rentabi- cet outil.
matérialisation et le digital au sens large lité, pourquoi pas ? Mais à la base, tous ces
apparaissent comme des facteurs qui enjeux n’ont rien à voir avec le digital. QUID DE L’EXPÉRIENCE
peuvent aider les entreprises à être plus Bon nombre d’actions permettent d’amé- CLIENT�?
performantes. Même les structures les liorer la flexibilité, la rentabilité et la rela- Une expérience client réussie est une ex-
plus traditionnelles se sentent concernées. tion client sans passer obligatoirement périence qui répond aux attentes des
La SNCF, par exemple, a lancé un plan de par le digital. Et un mauvais service, aussi consommateurs, parce qu’en connaissant
transformation digitale – #Digital SNCF – digitalisé soit-il, est condamné à n’avoir bien ces derniers on peut mieux les cibler.
qui a pour objectif de faire de l’entreprise aucune existence, ni aucun avenir. En ré- Le digital peut avoir un rôle à jouer dans ce
publique « une organisation totalement sumé, le digital n’existe pas s’il ne vient domaine s’il ne cherche pas simplement à
5 0billets
00
unique » et « simplification » en fonction de pas moins innové en construisant autour
l’accès au client. Autrement dit, il faut fu- d’elle un réseau, composé d’acteurs du fer-
sionner les différents modes de commer- roviaire. Et elle a tout autant veillé à l’expé-
cialisation grâce à une stratégie où omni- rience client : outre une accroche originale,
canal rime avec choix et cohérence. Car un billet « simplement, rapidement et avec
chaque canal joue un rôle différent : de la beaucoup d’amour dedans », la fonction-
recherche d’informations en ligne à l’expé- nalité du service est un atout majeur car il
rimentation in situ sur le lieu de vente, il est possible de réserver son billet en cin-
peut y avoir des dizaines de points de
contact entre l’entreprise et le client. Et
C’est ce que vend quante-six secondes. Le site est simplifié à
l’extrême pour que la navigation soit
chacun d’eux est une occasion de solliciter
la raison autant que l’émotion des pros-
chaque jour fluide. Rendu possible grâce à l’ouverture
des données de la SNCF, le site vend aux
pects. C’est ce qu’a compris Burberry qui Trainline. alentours de 5 000 billets par jour.
La start-up
cherche à faire ressentir à ses clients les Ne succombons donc pas naïvement
mêmes émotions, que l’achat se fasse en aux sirènes du digital. Si en tant que
ligne ou en magasin. On retrouve ainsi
dans le Burberry digital store à Londres
ne pèse pas banque vous fermez à 17 heures, si votre
community manager ne répond pas après
des écrans interactifs qui se confondent
avec des miroirs, ainsi que des tablettes
lourd face au 19 heures ou si ses réponses invitent à
contacter les conseillers aux heures d’ou-
permettant de concevoir le vêtement idéal mastodonte verture, vos efforts sur le digital ne servi-
SNCF, mais la
que l’on a pu imaginer chez soi. Les ven- ront à rien. Et c’est pour cela que les orga-
deurs peuvent accéder au profil du client, nisations doivent bien réfléchir au
à ses goûts, à ses précédents achats – en
résumé à son histoire – afin de lui faire des
simplicité de son positionnement du chief data of�icer, le
directeur des données : doit-il être rattaché
suggestions, à la manière d’Amazon.
Le message délivré à chaque point de
site (réservation au marketing ou à l’innovation ? Ou encore
à la DSI ? Si ce que souhaite le client, c’est
contact au �il du parcours d’expérience d’un billet avoir une chambre chez l’habitant, un bil-
en 56 secondes
client n’est pas une redite, il est complé- let de train pour voyager, une voiture pour
mentaire du contact précédent. Le client se promener, on se rend compte alors que
est toujours accompagné, valorisé, et vit
une expérience positive et « différen-
seulement) le digital n’a pas d’existence propre : il est
au service du service. L’objectif est qu’il
ciante ». Cependant, ne nous trompons
pas, le succès de Burberry ne tient pas à la
séduit. prenne naturellement sa place aux côtés
d’autres outils de la relation client, qui
simple mise en place d’outils numériques vont du CRM à l’application mobile, en
sur le mobile, sur Internet ou en magasin. passant par le site Internet.
La marque a transformé l’ensemble de
l’expérience dans le point de vente certes Xavier Pavie est professeur, directeur
du centre iMagination et directeur
grâce à des outils technologiques, mais académique du programme Grande Ecole
elle a tout autant modifié sa supply chain Singapour Essec Business School.
TRADITIONNELLE
s’octroyer une plus large part du gâteau et
de ne laisser que des miettes à ceux qui
n’auront pas su s’adapter.
La question de la transformation digi-
Les secteurs industriels traditionnels sont l’un des tale dans l’industrie n’est donc pas tech-
derniers bastions encore peu touchés par la transition nologique, mais bel et bien stratégique,
numérique qui s’opère dans le monde des affaires. puisqu’il s’agit, pour survivre, de repen-
Mais cela pourrait bien changer. ser son positionnement et sa proposition
E
de valeur dans un environnement en
mutation accélérée. Pour cela, l’entreprise
n 2003, en lançant l’iTunes rique. Pourtant, ces digues apparaissent pourra capitaliser sur ses forces – clien-
Music Store, Apple s’apprê- aujourd’hui de moins en moins solides, tèle, savoir-faire, propriété intellectuelle,
tait sans le savoir à établir montrant déjà par endroits d’inquié- image de marque, réseau de parte-
un cas d’école en matière de tantes fragilités. Tout indique que le naires… – mais il lui faudra aussi gommer
rupture digitale. Initiale- moment est venu pour l’industrie, même certains travers culturels.
ment conçue pour faciliter dans ses activités les plus lourdes, d’es- En interne comme avec l’extérieur, la
le téléchargement légal afin suyer à son tour l’ouragan digital. nécessité d’innover et de se tourner da-
de doper la demande d’iPod, la plate- Pour les industriels, la menace est de vantage vers le client impose notamment
forme a révolutionné l’industrie musi- deux ordres. Tout d’abord, de nouveaux de décloisonner les organisations, les pro-
cale en devenant un intermédiaire incon- acteurs très innovants, aux �inances cessus et, surtout, les mentalités. Ce qui
tournable, c apable d’imposer à ses solides, peuvent faire irruption sur leur sera peut-être le dé�i le plus ardu. Des
fournisseurs les exigences de ses clients marché, bousculant les codes et les initiatives stratégiques, comme le lance-
(achat de morceaux à l’unité plutôt que modèles. ment par General Electric de son cloud
par album, abandon des « digital rights
management », ou DRM, c’est-à-dire la
gestion des droits numériques comme la
protection des droits d’auteur et de re-
Longtemps, les entreprises
production dans le domaine numé- industrielles ont regardé de loin
rique…) A l’époque, cinq majors se parta-
geaient le marché du disque ; elles ne les turbulences qui secouaient
sont plus que trois.
Depuis, ce scénario exemplaire s’est
les transports ou l’hôtellerie.
répété dans d’innombrables secteurs de
façon quasiment identique : grâce au di- C’est le cas le moins probable, mais les industriel Predix (une plateforme digitale
gital et à une approche renouvelée du exemples de SpaceX et Blue Origin dans le disponible sur le cloud Azure de Microsoft
métier, un nouvel entrant s’insère dans spatial ou de Tesla et Faraday Future dans en 2017 et avec laquelle GE ambitionne de
la chaîne de valeur, capture la relation l’automobile prouvent que certaines bar- devenir le champion mondial de l’Internet
client, définit un nouveau standard d’ex- rières à l’entrée ne sont pas aussi infran- industriel des objets) ou l’apparition dans
périence et s’accapare les marges, ne chissables qu’on pouvait l’imaginer. les organigrammes de certains grands
laissant d’autre choix aux acteurs tradi- Ensuite, l’accélération de l’innovation groupes de pro�ils issus du numérique,
tionnels que de s’adapter ou de mourir. et la montée en puissance de la donnée témoignent d’une certaine prise de
Longtemps, les entreprises industrielles peuvent bouleverser l’équilibre des conscience. Mais au vu de l’urgence et de
ont regardé d’assez loin ces turbulences chaînes de valeur. La capacité à recueillir l’ampleur de la tâche, celle-ci semble
qui emportaient tour à tour la distribu- de l’information et à la monétiser sous encore bien (trop) timide.
tion, la banque, l’hôtellerie ou les trans- forme de ser vices deviendra ainsi
ports. Elles se sentaient protégées par prépondérante par rapport à l’activité in-
leurs années d’expérience, l’importance dustrielle proprement dite, qui se verra
des investissements nécessaires pour potentiellement reléguée au rang de com- Albert Meige est le fondateur
entrer sur leur marché et l’absence de modité. L’association ingénieuse de l’In- et le DG du cabinet Presans. Il détient
un MBA d’HEC et un doctorat en physique
relation directe avec les clients �inaux, ternet des objets, du cloud et du big data, de l’Australian National University. Il résout le
vrais catalyseurs de la révolution numé- mais aussi les stratégies de plateformes, la Rubik’s Cube en moins de 50�secondes.
L
mobilisé sur le numérique. Si certaines
actions boivent la tasse comme le « cloud
e XXIe siècle sera digital. C’est L’approche par l’usage et le projet est souverain » (qui devait offrir la possibilité
une réalité, avec le risque pour d’autant plus cruciale que la mutation des pour l’internaute de garder le contrôle de
beaucoup d’entreprises d’être entreprises doit s’accompagner d’un travail ses données, hébergées sur le territoire
marginalisées sur leur propre de fond sur les méthodes de travail. national ou, du moins, sur un serveur fran-
marché. Les « early adopters » Cycle en V contre Scrum. Par çais), d’autres plus axées sur de l’accompa-
ont déjà fait leur mue et chal- exemple, le modèle du cycle en V (un mo- gnement génèrent de belles réussites,
lengent les acteurs historiques. dèle issu du monde de l’industrie et de- comme la French Tech, les actions de la
Dans le même temps, la société s’ap- venu, depuis les années 1980, un standard région Ile-de-France et de la CGPME. La
proprie le numérique et l’intègre à son du secteur du logiciel), encore beaucoup branche CGPME Rhône, par exemple, a
quotidien, générant ainsi de nouveaux utilisé aujourd’hui, devra dans certains cas mené une expérience grandeur nature
modes de consommation. BlaBlaCar en est s’incliner face à d’autres modes de gestion pour accompagner le développement des
une bonne illustration : le digital a permis de projets plus agiles, comme Scrum. L’ap- PME via le numérique. A l’origine du dis-
au covoiturage de concurrencer les autres proche structurée du cycle en V, où tout est positif, un constat étonnant : 80% des ad-
acteurs du transport, y compris un masto- défini depuis le début dans un cahier des hérents – essentiellement des PME
donte comme la SNCF. charges très complet, est remise en cause – n’avaient aucune démarche numérique.
Si les entreprises se numérisent, elles par des approches plus itératives tel Depuis, la confédération organise des ren-
le font, pour la plupart, en douceur. Les Scrum, où, en fonctionnant par petits pas, contres entre acteurs « classiques » et
dirigeants, issus de générations anté- on apprend au fur et à mesure. On évite jeunes start-up. L’objectif : l’hébergement
rieures à celles des digital natives, sont ainsi l’effet tunnel en adaptant au �il de dans leurs locaux des uns contre le partage
encore timides sur la question et ont sur- l’eau le produit final. de connaissances et d’expériences des
tout la tête dans le guidon. Heureuse- autres. Une incubation mutuelle qui a
ment, il n’est pas trop tard. Le cas des
supermarchés physiques, désormais im-
80% des PME pour ambition de créer de la valeur de ma-
nière partagée, en insufflant une démarche
plantés à la fois sur le terrain et sur la n’avaient aucune d’open innovation dans les entreprises.
Toile, montre que la disruption de leur
activité n’est pas inéluctable. démarche Pas seulement des montres et des
balances. L’enjeu est de taille car, si vous
Faire évoluer les usages. L’enjeu
majeur pour les dirigeants consiste à com-
digitale. ratez le coche du numérique, vous risquez
de rater celui de l’Internet des objets. Un
prendre les évolutions actuelles et à s’en- marché jeune mais en plein essor.
tourer de compétences qui maîtrisent les « Mon grand-père a créé l’entreprise, mon Ne vous laissez pas berner par les pre-
solutions adaptées à cette mutation. Il est père l’a industrialisée et mon rôle est de mières applications, l’Internet des objets
plus que jamais nécessaire pour eux et l’accompagner dans l’ère du numérique, ne se limite pas à des montres ou à des
leurs équipes de combler ainsi les fossés raconte Alexandre Lacour, directeur exécu- balances connectées. Le potentiel est
culturels existants, de créer des liens avec tif de Someflu (conception et fabrication de énorme. Sigfox, un opérateur télécom du
les experts, d’être en mesure d’échanger… pompes centrifuges). Les opportunités secteur, a d’ailleurs levé, il y a quelques
Devenir numérique, ce n’est pas juste sont extraordinaires et le challenge d’autant mois, 100 millions d’euros pour �inancer
gérer une page Facebook ou un compte plus passionnant que l’entreprise vit en son développement à l’international. Pas
Twitter. Ces outils doivent être perçus même temps une transition intergénéra- mal pour une petite start-up toulousaine
comme un support au service des activités tionnelle. » Pour Cyril Ihssan El Younani, créée en 2009.
de l’entreprise. Il faut aborder cette transi- responsable de la nouvelle économie à
tion numérique en faisant évoluer les CGPME Rhône, « les entreprises doivent sa-
usages, via des projets, des ROI (retour sur voir ce qu’elles veulent être à l’horizon 2020. Cyril Pierre de Geyer est directeur
des Executive MBA du groupe Ionis
investissement), et non plus sous l’angle Se remettre en question a toujours été et professeur affilié au département
technologique, comme par le passé. nécessaire, et l’est davantage aujourd’hui. » Entrepreneuriat et innovation d’HEC.
L
’économie digitale pourrait sont encore à l’aube de leur transforma- sente déjà plus de 26% du PIB (contre 25%
générer 2 000 milliards de dol- tion. Mais où et comment investir pour en Allemagne et 33% aux Etats-Unis).
lars de revenus supplémen- tirer parti de ces opportunités ? L’étude Cependant l’innovation, même expo-
taires dans le monde d’ici à d’Accenture Strategy, présentée au Forum nentielle, n’a pas un impact instantané sur
2020 (« Digital disruption : The de Davos �in janvier 2016, délivre trois l’économie d’un pays. En France, les
growth multiplier », une étude messages qui ont l’ambition d’éclairer quelques brillantes réussites d’entreprises
d’Accenture Strategy et d’Ox- cette problématique. dites « digital natives » (Vente-privee.com,
ford Economics). Et pourtant, les entre- BlaBlaCar, Criteo…) n’ont pas transformé
prises affirment que la moitié de leurs in- UNE MUTATION D’UNE l’économie de notre pays ni son rapport à la
vestissements digitaux sont perdus ou AMPLEUR INSOUPÇONNÉE croissance. Aujourd’hui, les entreprises tra-
inefficaces… Comment combler le déca- L’économie digitale prend rapidement ditionnelles ont, à leur tour, l’ambition de
lage entre ce potentiel extraordinaire et une dimension que nul n’aurait pu antici- devenir digitales : L’Oréal investit fortement
cette perception ? En ciblant mieux les per. Elle représente désormais 22,5 % de dans le marketing digital, le président d’En-
investissements en fonction de leur effet l’économie mondiale alors que son po- gie affirme que « le futur est digital », Publi-
démultiplicateur sur la croissance. tentiel de création de valeur est loin cis rachète des acteurs experts du secteur
La transformation digitale de l’écono- d’avoir été complètement exploité. D’ici (comme l’américain Sapient, spécialisé
mie mondiale est certes en marche, mais à 2020, la part de l’économie digitale dans dans le marketing et la communication
elle manque encore de maturité : il existe le produit intérieur brut (PIB) devrait numériques, acquis en novembre 2014)…
ainsi de fortes opportunités de croissance croître de 2,1% dans la plupart des pays Bien sûr, certains secteurs sont plus
pour les secteurs traditionnels, qui en développés. En France, cette part repré- touchés et/ou avancés que d’autres. Les
E
d’un processus qui existerait sans lui mais
de se mettre à son service. C’est le service
lles s’imposent dorénavant en essayant au passage de monétiser le qui doit s’adapter – se déplacer – et ac-
comme le nouveau modèle contenu. C’est donc une activité centrali- compagner le client, et non l’inverse. Le
économique dont chaque sée et qui, en pratique, tient peu compte centre de l’activité économique n’est plus
secteur doit tenir compte : d’une logique en réseau. l’entreprise mais le client. C’est une révo-
d’Amazon à Uber en passant Comme le soulignent David Evans lution copernicienne.
par Airbnb, les plateformes (président du Global Economics Group au Et puisqu’il s’agit de s’appuyer sur une
semblent le nouveau stan- bureau de Boston) et Richard Schmalen- logique en réseau, il faut même chercher
dard. Les entreprises établies s’inté- see (professeur de management et d’éco– à se mettre au service d’échanges entre
ressent donc à ce modèle. Mais quelles nomie au MIT Sloan School of Manage- utilisateurs ou clients qui pourraient exis-
sont les erreurs à éviter ? ment) dans « Matchmakers : The New ter sans nous… mais que nous pouvons
Economics of Multisided Platforms » (2016), faciliter et accélérer.
ERREUR ��: CONFONDRE les conditions du succès du lancement Prenons le cas d’Uber. En arrivant à
PLATEFORME ET PORTAIL WEB Paris en 2008, le créateur de la firme amé-
Les plateformes sont au cœur de l’écono-
mie participative. Uber n’est propriétaire
Le centre de ricaine n’arrivait pas à trouver un taxi lors
d’une soirée enneigée : « Si seulement un
d’aucune voiture, Airbnb d’aucune
chambre et Spotify ne produit aucune
l’activité service automatisé de mise en relation
pouvait m’aider à trouver quelqu’un qui
musique. Les plateformes sont des archi- économique n’est pourrait m’emmener à destination… »
plus l’entreprise
tectures qui animent et valorisent des Uber était né. Et BlaBlaCar suit exacte-
contenus ou des services qu’elles ne ment la même logique. Mais pour que ces
créent pas. Uber et Airbnb sont des plate-
formes de mise en relation (matchma- mais le client. plateformes soient pérennes, il faut main-
tenir un équilibre entre les deux types
king), eBay ou l’App Store d’Apple des d’acteurs : cela implique qu’il y ait assez
places de marché (marketplace). Ces mo- d’une plateforme sont multiples, mais de personnes à transporter pour que ce
dèles ont en commun de s’appuyer sur la peuvent se résumer à deux objectifs com- soit intéressant pour les chauffeurs, et
création d’autrui : particuliers ou entre- plexes : animer un écosystème aussi large qu’il y ait assez de chauffeurs pour que la
prises. La génération de contenus ou de que possible (et donc s’appuyer sur de plateforme soit utile aux clients transpor-
services n’est donc pas le fait d’un acteur l’innovation ouverte) et se mettre au ser- tés. Un équilibre qui, en pratique, est bien
central, elle est décentralisée et se met au vice des échanges entre les participants difficile à atteindre et à maintenir.
service des réseaux qu’elle anime. de cet écosystème. Geoffrey Parker (professeur de mana-
A l’inverse, un portail Web n’est que gement à l’université Tulane), Marshall
très rarement participatif. Le plus sou- ERREUR ��: NE PAS TRAITER Van Alstyne (professeur à l’université de
vent, il s’agit de mettre à disposition des SES UTILISATEURS Boston) et Sangeet Paul Choudary (spé-
services que l’entreprise propriétaire du POUR CE QU’ILS SONT cialiste des plateformes, des effets de ré-
portail a conçus par ailleurs ou a été cher- Que signi�ie « se mettre au service des seaux et de la transformation digitale des
cher elle-même sans faire appel à des par- échanges entre les participants de son business models), coauteurs de « Platform
ties tierces. Par exemple, MSN avait pour écosystème » ? Il faut d’abord s’entendre Revolution » (2016), ont mis en évidence
but de faciliter l’accès aux services de sur le concept de « customer centricity », que les plateformes permettaient d’auto-
Microsoft. Les opérateurs mobiles tels qui est souvent mal compris. Chercher à matiser des échanges qui auraient eu lieu
qu’Orange ou SFR ont aussi utilisé ce mo- « mettre le client au centre de son proces- par ailleurs. Leur rôle est alors de réduire
dèle pour distribuer leurs produits et ser- sus » amène souvent à bien des frustra- les frictions qui pourraient survenir au
vices. Le principe était simple : contrôler tions ; à la fois pour le client et pour l’en- cours de ces échanges et donc de faciliter
un accès unique des clients à des services, treprise qui s’épuise à essayer d’amener ces derniers. Mais elles doivent aussi
C
des plateformes existantes ou à venir ? sur la pertinence de son positionnement,
Prenons le cas de Transavia, la filiale low- savoir le faire évoluer et s’adapter en per-
’est sans doute la plus cost d’Air France-KLM. Devenir une plate- manence : autrement dit, appliquer le « test
grande mutation macro- forme de réservation de voyages n’est pas and learn » à toute l’organisation. Certains
économique depuis la l’axe stratégique qu’elle a choisi. En re- �inancements seront peut-être investis à
révolution industrielle : vanche, la compagnie aérienne veut inté- perte, car il faut accepter de se tromper.
les nouveaux business grer ses services aux plateformes de Cette approche de type « lab » est particuliè-
models fondés sur les voyages ou de déplacements. Pour cela, rement efficace pour avancer. Et lorsque ce
plateformes. Airbnb, Transavia a investi pour faire connaître « lab » a démontré qu’il était capable de gé-
Amazon ou Google en sont les exemples ses services de réservation, ses vols et sa nérer de nouveaux revenus, il rejoint le
emblématiques. Ces « digital natives » sont politique de prix. Une entreprise qui veut cœur de métier de l’entreprise.
des précurseurs, mais toute entreprise doit les inclure dans son offre en fait la de- BMW Labs permet aux propriétaires de
désormais se poser la question de sa straté- mande et s’identifie sur un portail dédié. BMW d’expérimenter et de béné�icier de
gie de plateforme : quelles sont les options Transavia ne veut pas créer de plateforme, nouveaux services liés à la voiture connec-
pour se positionner ? Comment faire pour mais s’arrange pour avoir une existence tée. Pour cela, BMW Labs a récemment si-
ne pas passer à côté d’opportunités ? dans les écosystèmes de partenaires valo- gné un accord avec IFTTT (If This Then
«�Plateformisation du business�». risés par les plateformes en devenant une That) : cette plateforme innovante et
L’économie des plateformes est une ques- « easy to do business with » compagnie. simple à utiliser crée des interactions iné-
tion technologique mais surtout straté- S’associer pour innover et créer dites entre un grand nombre de partenaires
gique. Les API (Application Programming de la valeur. En résumé, il existe pour développer des services à valeur ajou-
Interface) permettent d’ouvrir les systèmes aujourd’hui deux grands types de plate- tée. Par exemple, en utilisant IFTTT, un
d’information et d’encourager ainsi une formes : conducteur de BMW peut recevoir dans sa
vraie collaboration entre fournisseurs, dis- – les plateformes sectorielles : elles voiture les grands titres du « New York
tributeurs, partenaires... qui construisent excellent sur une niche et n’opèrent que Times » dès leur publication.
une offre commune pour des clients. sur un secteur d’activité, comme Airbnb. Chaque société doit déterminer sa stra-
Cette tendance à la « plateformisation Combien de temps une entreprise peut- tégie de plateforme, ne serait-ce que pour
du business » nécessite bien sûr une tech- elle vivre sur un marché de niche ? Ce trouver sa juste place dans des écosys-
nologie digitale innovante. Mais Airbnb débat sur l’avantage concurrentiel est tèmes pilotés par d’autres entreprises. Ou
(qui ne se contente pourtant que de faire le bien antérieur à l’ère digitale et oblige simplement pour prendre une position
lien entre des propriétaires de biens immo- l’entreprise à constamment innover. défensive. Adopter ces nouveaux business
biliers à louer et des voyageurs) est allé plus – les plateformes intersectorielles : models ne signi�ie pas abandonner les
loin, en proposant une forme inédite d’in- elles servent de socle pour créer des par- anciens, qui s’appuient sur une chaîne de
termédiation, à la fois plus pertinente et in- tenariats entre entreprises ou secteurs valeur éprouvée et représentent de solides
novante que celle proposée par les agences d’activité. Une banque peut concevoir fondations pour construire ces plate-
de voyages en ligne il y a dix ou quinze ans. une plateforme de paiement et s’associer formes. Une entreprise comme Philips, par
Comment le secteur de l’hôtellerie se posi- à un acteur de la grande distribution pour exemple, qui a lancé Healthcare avec ses
tionne-t-il face à cette offensive ? AccorHo- gérer son programme de fidélité. partenaires pour améliorer le suivi des
tels a choisi d’inviter sur sa propre plate- Pour les plateformes intersectorielles, patients, reste d’abord un fournisseur de
forme de réservations, Accorhotels.com, c’est l’ampleur de l’audience et des parte- matériel médical.
des offres d’établissements indépendants nariats qui crée la valeur. Ces derniers
pour accroître sa couverture géographique vont permettre d’accroître le volume de Pascal Delorme est directeur exécutif
et améliorer ainsi l’audience du site. transactions et d’imaginer de nouveaux d’Accenture Digital en France et au Benelux.
L
d’usage ? Bien que 57% des cadres diri-
geants interrogés voient dans l’IIoT une
’IIoT (Industrial Internet of passer à côté du potentiel le plus important opportunité de croissance des revenus à
Things ou Internet industriel de l’IIoT : grâce aux objets connectés, nous long terme, 73% d’entre eux reconnaissent
des objets) représente pour les passons d’une économie centrée sur les que leur entreprise n’a pas encore réalisé
entreprises à la fois un fort po- produits à une économie centrée sur les d’investissements dans ce domaine. Pour-
tentiel de gains de productivité usages. C’est une opportunité pour créer de quoi ce décalage entre perception et réalisa-
et une source de nouveaux re- nouvelles sources de revenus, mais qui im- tion ? Parce que cette évolution constitue
venus. Pourtant, seule une mi- plique une révolution culturelle du côté des une remise en cause du modèle écono-
norité porte cette réflexion de façon proac- industriels. Il ne s’agit plus de fabriquer et mique de nombreuses entreprises mais
tive et articulée, ou en mesure tous les de vendre des produits avec un rapport aussi de leur �inalité. D’où la dif�iculté à
impacts sur ses marchés. Pourquoi cette qualité-prix-service compétitif, mais d’of- dépasser les conservatismes.
frilosité ? Et comment y remédier ? frir une valeur d’usage de bout en bout. Il Par où commencer? En premier lieu,
Les dirigeants interrogés sur les avan- ne s’agit plus de vendre des pneus, mais le dirigeant doit porter ce changement de
tages de l’Internet des objets pour leur en- d’apporter des solutions pour réduire la paradigme, du produit à l’usage. Il doit
treprise citent en priorité la hausse de pro- consommation d’essence ; de vendre des « embarquer » ses équipes de direction en
ductivité et l’optimisation des actifs (46%), machines-outils, mais des objectifs de pro- leur montrant, par des exemples concrets,
suivies de la réduction des coûts (44%) et ductivité. C’est à la fois tout un univers de que le sujet est beaucoup plus mûr qu’elles
de l’amélioration de l’efficacité opération- valeur ajoutée qu’il faut appréhender et de ne le pensent. S’intéresser aux usages po-
nelle (43%), selon une étude d’Accenture de nouveaux modèles de revenus et de profits tentiels n’est pas suffisant, il faut agir. Com-
2015, « L’Internet des objets pour définir les qu’il faut réinventer. ment ? D’abord, en incitant les expérimen-
stratégies futures des entreprises ». Equipés Exploiter en temps réel quantité tations de proximité dans chacun des
de capteurs intelligents, les entrepôts et d'informations. Les entreprises ont, de- métiers. Inventer les valeurs d’usage de
magasins peuvent collecter et transmettre puis plus de vingt ans, développé des stra- demain doit être au cœur du dialogue stra-
des informations en temps réel pour ré- tégies pour offrir toute une gamme de ser- tégique entre la direction et les patrons de
duire de plus de 30% le coût lié au contrôle, vices autour de leurs produits : elles métiers. Ensuite, en facilitant la démarche
au suivi et aux pertes de stocks. Ces cap- proposent du conseil avant-vente, du �i- des métiers par la création d’une structure
teurs permettent aussi à des opérateurs de nancement, du service après-vente… des centrale regroupant technologie, incuba-
production connectés de gagner en produc- activités souvent plus lucratives que les tion, conformité ; d’un centre de compé-
tivité sur leur ligne : par exemple, une éco- produits eux-mêmes. En quoi l’IIoT trans- tences permettant d’accélérer la mise en
nomie de temps de 20% pour aligner parfai- forme-t-il cette situation ? Il permet de re- œuvre et de partager l’expérience au sein
tement des sièges d’avion ou de 30% pour monter et d’exploiter en temps réel quan- du groupe ; et, en�in, d’écosystèmes avec
régler un problème dans un data center. tité d’informations sur les usages que les l’extérieur (fournisseurs, start-up…).
Secteurs industriels en tête. Les sec- clients font des produits. Les industriels Il reste alors à la direction à choisir les
teurs les plus actifs en matière d’IIoT sont doivent alors repenser leurs offres et leurs usages sur lesquels positionner l’entreprise
les secteurs industriels ayant des carnets de services pour qu’ils correspondent au comme acteur de référence. Quelle place
commandes sur le long terme ou travaillant mieux aux besoins des clients, voire qu’ils occuper au sein de l’écosystème (position
en flux tendu, qui peuvent facilement les devancent. dominante ou non) ? Comment passer au
transformer des gains de productivité en Cela incite les entreprises à nouer des stade industriel ? Quels sont les usages pour
hausse du chiffre d’affaires. Par contre, partenariats avec d’autres acteurs des lesquels l’entreprise doit intégrer des parte-
dans d’autres industries pour lesquelles la services. Si un industriel ne vend plus, par naires ? Tout en veillant, bien sûr, à préser-
matérialisation des gains de productivité exemple, une machine mais un nombre ver sa valeur ajoutée.
est une question plus sensible, on constate d’heures de fonctionnement à l’année, il va
encore des hésitations et des résistances. devoir intégrer des réseaux de maintenance
Fabrice Asvazadourian est directeur
Nous focaliser uniquement sur la pro- dans la prestation pour garantir une conti- général d’Accenture Strategy France
ductivité risque toutefois de nous faire nuité de service. Mais comment couvrir le et Benelux.
O
n dit partout que « data n’est aussi simple. En effet, quelle est la achats des clients de la Fnac, elle en tire-
is the new oil ». Or, si valeur d’une base de données ? L’écono- rait certainement avantage. Alors que ces
l’ère du big data est miste pourrait répondre que la valeur mêmes données auraient très peu d’inté-
certes prometteuse, d’un bien est liée à sa valeur d’échange : rêt pour Danone, par exemple. Sans parler
elle renverse les bases le montant auquel les données seraient du fait que les informations provenant
de la vieille économie. vendues ou achetées. Malheureusement, des consommateurs d’un pays ont une
Comparer la data au il n’y a pas (encore) de marché de la don- valeur pratiquement nulle pour une en-
pétrole est donc inadéquat. Lorsqu’on née. Certaines initiatives (comme Datave- treprise qui n’y a pas d’activité. A l’in-
parle d’économie numérique, les réfé- nue) visent à mettre les données de cer- verse, un baril de pétrole a une valeur
rences aux révolutions industrielles pré- taines entreprises en commun, mais on quasiment identique à Paris ou à Berlin.
cédentes sont trompeuses et nous in- est encore loin d’un marché transparent Contrairement au pétrole, la donnée
duisent en erreur quant à ses enjeux et et accessible à tous. n’a pas une valeur objectivement et
l’approche à adopter. On pourrait ensuite s’intéresser à la globalement quantifiable. Mais elle n’en
Il n’y a pas (encore) de cours offi- valeur d’usage de la donnée. Mais là où reste pas moins précieuse pour prendre
ciel de la donnée. Il existe un cours du elle pourra être très utile à une première des décisions. Et, à l’instar de nombreux
pétrole. Sa valeur – même si elle est chan- entreprise, cette même donnée pourra biens numériques, elle permet bien
geante – est une réalité factuelle mesu- avoir une valeur très faible pour une souvent de dégager des externalités posi-
rable mondialement. Pour la donnée, rien autre. Si Amazon pouvait analyser les tives (le fait de procurer à autrui, par son
L’ENTREPRISE EN PROFONDEUR
C’est le cas de Netflix. Grâce à l’analyse
de plusieurs années de données sur le
comportement de ses utilisateurs, l’entre-
prise américaine est passée avec succès
Une organisation qui convertit les flux de données en d’un simple fournisseur de contenu en
information stratégique, qui est en prise directe avec son ligne (des séries et des films accessibles en
environnement… Voici le visage de l’entreprise de demain. streaming) en créateur de contenu, en pro-
L
duisant, par exemple, des séries telles que
« House of Cards ».
e big data est souvent présenté Blu-ray). Rajoutons à cela l’augmentation Big data, better decisions�? Le rôle
comme la solution miracle qui du nombre d’appareils connectés par indi- prépondérant donné à la data dans le fonc-
pourrait permettre aux entre- vidu : on en comptera, en moyenne, 2,5 par tionnement des entreprises n’est toutefois
prises de créer de la valeur et personne sur Terre en 2017. pas synonyme de recul du facteur humain.
d’acquérir un avantage com- Finalement, l’intégration de systèmes Le big data offre la possibilité aux diri-
pétitif. Mais au-delà du buzz, d’identi�ication électronique dans un geants et aux managers de mesurer, de
y a-t-il une réalité « big data » ? nombre grandissant d’objets engendre un manière très précise, les activités d’une
Et comment ce phénomène peut-il redéfi- bouleversement massif d’Internet, baptisé entreprise. Cette prise directe d’informa-
nir le fonctionnement et la nature même Web 3.0 par certains et Internet des objets tion a un effet immédiat sur la prise de
des entreprises ? par d’autres. Les maisons sont de plus en décision. A l’avenir, au lieu de s’appuyer
La nature insaisissable du big data plus « smart » et connectées par le biais de sur l’expérience et l’intuition, les décisions
semble en partie due à l’usage même de ce vont avoir une dimension plus scienti-
terme dont l’origine est jusqu’à ce jour tou-
jours débattue. S’ajoute à cela une allusion
20 000 disques fique, grâce au recours à ces données. Cela
aura en outre un impact direct sur la fonc-
indirecte à Big Brother, soulevant une Blu-ray tion de manager. Celui-ci devra être ca-
touche d’hostilité quant à la perception du
big data par les médias et le grand public. Il de données pable d’évaluer le potentiel de certaines
données et d’identifier les problématiques
est donc important de s’affranchir du buzz
big data si l’on veut appréhender le chan-
transitent métier qui y sont liées.
Déjà en 2011, un rapport McKinsey
gement en train de s’opérer dans le monde
de l’entreprise et plus globalement dans
chaque jour avait fait part de son inquiétude quant au
manque d’expertise et de compétences
notre société. par Facebook. « big data » au sein des entreprises, permet-
A l’origine du phénomène big data. tant d’organiser les données, d’en extraire
Plusieurs phénomènes technologiques divers appareils (télévision, réfrigérateur, des informations pertinentes et d’en tirer
sont responsables de ce volume toujours machine à laver, mais aussi thermostat et des décisions stratégiques.
plus important de données. Tout d’abord, compteur électrique…). Néanmoins, l’In- Cette prise de conscience de l’impor-
grâce au Web 2.0, Internet est passé d’une ternet des objets va bien au-delà des tance de la data va bouleverser les règles
phase statique où le contenu Web était foyers. Ainsi, la quasi-totalité des équipe- de compétitivité. La data a franchi un cap,
figé et uniquement produit par des déve- ments des avions – moteurs, volets, trains passant de fonction support à celle de res-
loppeurs et autres webmasters à une d’atterrissage – possède une connexion à source stratégique, ce qui transforme en
phase dynamique dans laquelle les utili- Internet et génère des données. Selon profondeur les organisations. Les straté-
sateurs ont acquis la capacité de générer Virgin Atlantic, un Boeing 787 fournit ainsi gies d’entreprise seront de plus en plus
du contenu via les blogs, les sites de par- près de 0,5 téraoctet de données par vol. « data-driven », car le big data est un mo-
tage de vidéos et bien évidemment les Les capteurs ont envahi les chaînes de pro- teur d’innovation. L’entreprise de demain
réseaux sociaux. duction, tandis que les villes elles aussi sera une « entreprise quantitative », en
Le succès de Facebook (plus de 1,7 mil- deviennent smarts et connectées. prise directe avec son environnement. Une
liard d’utilisateurs actifs) et de Twitter Le nouveau carburant de l’inno- entité en constante évolution dont la res-
(313 millions) est un autre facteur vation. Etre capable de traiter, de stocker source la plus précieuse sera sa data.
ampli�icateur du nombre de données par ou encore d’analyser ces vastes flux de don-
utilisateur : 500 téraoctets de données tran- nées continus offre une in�inité de possi-
sitent chaque jour par les serveurs de Face- bilités nouvelles permettant d’accompa- Kévin Carillo est professeur en systèmes
book (soit l’équivalent de 20 000 disques gner les prises de décision, d’acquérir des d’information à Toulouse Business School.
Céline Laurenceau
À LA FRANÇAISE
reste donc qu’un tiers des cadres pour
supporter le changement : moitié moins
L
indispensable de comprendre les causes
de cette situation.
e modèle économique et so- trouvent fragilisés. Les modèles de déve-
cial français perd jour après loppement agiles et agressifs de la « nou- UN MÉPRIS
jour son efficacité tant au plan velle économie» mettent en souffrance la DE L’ÉCONOMIE
macro que microéconomique. plupart des organisations historiques. Il existe des réactions nationales très dif-
La précarisation des emplois Elles vont avoir besoin de ressort et de férentes face au changement. Dans
et le chômage de masse en tonus social pour affronter cette nouvelle nombre de pays, il est d’abord vu comme
témoignent. Mais ce n’est pas donne. Or, dans les organisations fran- une opportunité (pour plus de 70% des
tout. Selon une étude de Capgemini çaises, près de la moitié des salariés sont salariés aux Etats-Unis, au Brésil, en
Consulting, le désengagement des cadres « désenchantés », en retrait vis-à-vis de Chine, en Allemagne…). C’est beaucoup
est de plus en plus massif, surtout dans les leur entreprise, et 50% considèrent avoir moins le cas en France.
grandes organisations – de plus de un « retour sur investissement » perdant. On sait que, de longue date, les dyna-
1 000 salariés. Désengagement que l’on Côté management, le constat n’est pas miques économiques ont été assujetties à
n’observe pourtant dans aucun des six plus brillant. Pour 25% des managers des une tutelle politique d’un Etat centralisa-
autres pays étudiés (Etats-Unis, Espagne,
Grande-Bretagne, Allemagne, Brésil et
Chine). Peut-on s’y résigner ? Certaine-
ment pas. Car il n’est pas là seulement ET SI NOUS REVENIONS AUX FONDAMENTAUX?
question du « moral » des salariés français.
Mais aussi de la compétitivité de nos orga-
nisations et de leur capacité à s’adapter. C ertes, le management
est un art difficile, qui
doit composer avec la
entreprise ; seuls 23%
estiment que l’évaluation
managériale de leur
reflétant la logique
du «�toujours plus�».
En fait, c’est la logique
Des pistes concrètes existent, qui re-
réalité du fonctionnement performance est contractuelle profonde
quièrent certes des changements d’atti- d’un groupe humain, des efficace et pertinente. qui a disparu, et avec
tude et de pratiques, mais qui restent modes d’organisation Et lorsqu’on regarde elle la confiance sans
néanmoins à portée de main. Une chose contraignants et des la perception des laquelle il est difficile
est sûre, certaines de nos méthodes de exigences de résultats qui managers, on frôle la de poursuivre un but
management sont à revoir. Sans attendre. ont un impact sur chacun. schizophrénie: 82% partagé. La solution�:
Il est assez naturel que les déclarent s’intéresser revenir aux fondamentaux
collaborateurs –�comme au développement du management,
UN MODÈLE HISTORIQUE les managers�– n’aient pas professionnel de leurs avec un esprit positif
À BOUT DE SOUFFLE une perception «�toute équipes et, en même sur la déclinaison
Le modèle économique et social français rose�» de ce qu’ils vivent temps, ils ne sont plus projet-stratégie-missions-
construit dans l’après-guerre a soutenu les au quotidien. Néanmoins, que 33% à estimer qu’ils objectifs-tâches�; et en lieu
succès des Trente Glorieuses. Puis, choc la perte de repères semble évaluent de manière et place du «�command
après choc (choc pétrolier, mondialisa- atteindre une cote d’alerte efficace et pertinente and control�», développer
significative. C’est en tout la performance de un leadership de proximité
tion, révolution numérique…), il a perdu
cas le constat dressé par leurs collaborateurs. fondé sur le triptyque
de sa superbe. Il montre aujourd’hui des ADP, spécialiste en gestion Une chose est sûre, c’est confiance-autonomie-
signes élevés d’inef�icacité collective au des ressources humaines. que le management s’est responsabilité. Le reste
moment même où nous devons affronter Et pour cause, seuls 26% dilué progressivement n’est que mauvaise
un monde en mutation majeure. des salariés se déclarent dans diverses pratiques de littérature.
Avec l’ère numérique, nous sommes satisfaits de la culture supervision plus ou moins
entrés dans une phase de transition accé-
managériale et désincarnées, avec des Patrick Bouvard est rédacteur
organisationnelle de leur techniques de pression en chef de «�RH info�».
lérée où les équilibres traditionnels se
SE SENTIR UTILE
Ce constat vient souligner que la première
responsabilité sociale des entreprises
consiste non seulement à créer des emplois,
mais aussi des emplois de qualité permet-
tant à ceux qui les occupent d’y trouver des
voies d’accomplissement et des motifs de
fierté. Pour les managers, il convient donc
de s’interroger : qu’est-ce qu’un emploi de
qualité et sous quelles conditions le travail
peut-il apporter – à ceux qui l’accom-
plissent – une légitime satisfaction ? La
question m’a semblé suffisamment impor-
tante pour que je me risque à y apporter
quelques éléments de réponse tirés de ma
propre expérience de manager.
Le premier point clé me semble être la
question du sens. Quelle que soit la posi-
tion hiérarchique qu’il occupe, un travail-
leur a besoin de vérifier que ses efforts sont
TERESA MAIRAL-BARREU
L
haute valeur ajoutée mais bel et bien tous
les emplois. Et cela vaut en tous lieux et en
’information n’a pas obtenu XXIe siècle. Après avoir suivi quelque toutes circonstances. Une expérience me-
toute l’attention qu’elle méri- 6 000 volontaires pour observer les effets du née dans une cafétéria par des chercheurs
tait. Une étude publiée dans la chômage sur la santé, Pierre Meneton et son en management de la Harvard Business
revue médicale « International équipe ont montré que les personnes pri- School et de l’University College de
Archives of Occupational and vées d’emploi présentaient une surmortalité Londres a démontré que les cuisiniers pré-
Environmental Health » a établi presque trois fois supérieure à celle des per- paraient de meilleurs plats lorsqu’ils pou-
que « le chômage tuerait entre sonnes actives, notamment en raison de la vaient voir leurs clients. Et que, dans cette
10 000 et 20 000 personnes par an en dimension psychologique du chômage. configuration, ils se montraient plus fiers
France » (« Unenmployment is associated Ces résultats rappellent que la bataille de leur travail et plus enclins à prendre des
with high cardiovascular event rate and in- pour l’emploi doit être une priorité. Ils sou- initiatives pour l’améliorer.
creased all-cause mortality in middle-aged lignent aussi que le travail est plus qu’une
socially privileged individuals », de Pierre simple source de revenus. Comme l’ont MOINS DE CONTRÔLE,
Meneton, Joël Ménard et alii, janvier 2014). observé nombre de psychologues et de so- PLUS DE CONFIANCE
Voilà de quoi remettre en cause de nom- ciologues, il est aussi une indispensable Cette observation mène à un second
breuses idées reçues et nous inciter à chan- source de bien-être et de plaisir. A rebours constat d’importance : comme les cuisiniers
ger de regard sur le monde du travail au d’un certain discours dominant, cette étude de cette cafétéria, tous les travailleurs
ou de résoudre des problèmes qui se com- les moyens alternatifs comme le télé-
REMÉDIER AU
emploie 1 000 salariés, que le coût horaire participants : 88% des individus consi-
du travail est de 27 euros en moyenne et dèrent que les réunions dans leur forme
D
interrompus qu’il devient de plus en plus personnes estiment ne pas trouver les infor-
difficile de faire la différence entre ce qui mations qu’elles cherchent dans leur entre-
ans un monde de plus en est urgent, important, et ce qui relève du prise, car les systèmes d’information sont
plus connecté, où les détail. Or les organisations peinent à ré- complexes et rarement centralisés. De plus,
entreprises mondiales ne
J
C’est le cas, par exemple, dans le monde
militaire. Au cours des recherches que
ustice, exemplarité… Autant dirigeants à ce sujet sont scrutés et doivent nous avons menées, l’impératif d’exem-
de thèmes qui irriguent la être irréprochables sous peine de créer in- plarité – ou les méfaits de la contre-exem-
recherche et la pratique ma- satisfaction et rejet. plarité – sur l’engagement et la coopération
nagériales mais qui, parado- Pour autant, aucun manager ou diri- des militaires s’est révélé essentiel. Lors de
xalement, restent difficiles à geant ne peut être exemplaire sur tout et en nos interviews avec les membres des
mettre en œuvre en entre- toutes circonstances. Il doit donc choisir forces spéciales, l’exemplarité est revenue
prise. Les contre-exemples stratégiquement les comportements qu’il systématiquement comme élément clé
ne manquent pas. En 2015, la démission cherche à promouvoir autour de lui et les pour inciter l’ensemble des commandos à
exigée d’Agnès Saal de la présidence de incarner impérativement. s’impliquer. Malgré un danger et une in-
l’INA (et son retour mouvementé au minis- Pourquoi un tel besoin aujourd’hui�? certitude très forts, le fait que leur chef soit
tère de la Culture) a rappelé à quel point, en Malgré la simplicité du concept d’exempla- avec eux au combat et s’expose aux mêmes
situation de crise économique, le manque rité managériale et son évident bon sens, il risques et aux mêmes exigences person-
d’exemplarité des dirigeants et des mana- faut admettre que certains managers ou nelles de courage et d’abnégation au nom
gers est inacceptable pour le corps social dirigeants en oublient parfois l’impor- du collectif pousse les militaires à dépasser
dans son ensemble. tance. Il est vrai que la tradition française a leurs intérêts personnels. A contrario, le
Mais que signi�ie être exemplaire, et souvent conduit la société à accepter que manque d’exemplarité – c’est-à-dire le fait
pourquoi est-ce si important aujourd’hui ? ses élites bénéficient de conditions d’exer- que le chef ne soit pas soumis aux mêmes
Au niveau philosophique, l’exemplarité cice de leur fonction différentes de celles exigences que ses soldats – a un effet délé-
comporte l’idée de modèle souvent associé du commun des salariés. Pendant long- tère sur l’engagement et la capacité à gérer
à une exigence éthique. Pour Christian temps, même si l’exemplarité a toujours le stress. Exemple, la différence de règles
Giordano, auteur de « Gérer l’exemplarité été une caractéristique des plus grands di- d’engagement entre l’armée américaine et
en (re)mettant l’histoire à jour » dans rigeants et managers, elle n’était pas une australienne pendant la guerre du Viet-
« Saints, sainteté et martyre, la fabrication nécessité absolue pour garantir la coopéra- nam : côté américain, les officiers étaient
de l’exemplarité » (éditions de la Maison tion des salariés. Les salariés constataient présents six mois sur le terrain, contre
des sciences de l’homme), elle peut se défi- les écarts, pouvaient les critiquer, mais cela douze mois pour les soldats du rang. Alors
nir comme l’« ensemble de vertus destinées n’entravait pas pour autant leur intention que, côté australien, ces durées étaient
à être admirées et si possible imitées ». de réaliser leur travail correctement. identiques. Résultat, le taux de trauma-
Dans ce cas, l’exemplarité renvoie à la no- Aujourd’hui, à l’heure où les ressources tismes au sein de l’armée australienne s’est
tion de bonté, de qualité d’âme. redistribuées aux salariés fondent comme avéré largement inférieur à celui de l’ar-
Montrer le chemin à suivre. Au ni- neige au soleil, la volonté de coopérer dans mée américaine.
veau managérial, nous définissons l’exem- un contexte de manque d’exemplarité se Les mondes civil et militaire partagent
plarité de manière plus circonstanciée, fait rare. Or, face au changement quasi des caractéristiques bien particulières : des
comme la capacité d’une figure d’autorité continu que les entreprises connaissent demandes d’engagement et d’adaptation
(manager, dirigeant, politique) à mettre en (fusions acquisitions, réorganisations in- très fortes combinées à des ressources hu-
œuvre à son niveau les comportements ternes, révolution digitale et refonte asso- maines et �inancières en diminution qui
qu’il/elle déclare attendre du reste des sala- ciée des métiers), la coopération des colla- placent les hommes et leur volonté de coo-
riés ou des citoyens. L’exemplarité, c’est borateurs est vitale. Une simple résistance pérer au cœur de la réussite, voire de la
pouvoir montrer à travers ses propres com- passive peut en effet mener à l’échec ; on survie de ces organisations.
portements ce qui est attendu et le chemin parle alors de problèmes liés au « facteur
à suivre à l’ensemble du corps social. En humain » pour expliquer les échecs des
période de restrictions budgétaires, par programmes de changement.
exemple, lorsqu’il est attendu de l’en- Du monde militaire au monde civil�: Tessa Melkonian est professeure en
comportement organisationnel et
semble des salariés des efforts d’économie, une même attente. Cette nécessité responsable du département Management,
les comportements des managers et des d’exemplarité comme préalable à une droit et ressources humaines à EM Lyon.
PHILIPPE RAMETTE � EXPLORATION RATIONNELLE DES FONDS SOUS�MARINS : PROMENADE IRRATIONNELLE � ���� � ADAGP,
gérer la désillusion générale des collabora-
teurs, mais aussi la leur, vis-à-vis du monde
du travail qui ne peut plus offrir ni la sécu-
rité ni la stabilité dont il était jadis porteur,
sans avoir forcément d’alternatives satis-
faisantes à proposer.
Abandon de poste. Ce qui est plus
alarmant, c’est que, face à ces difficultés, de
nombreux managers sont aujourd’hui ten-
tés par une logique de retrait, qui peut
L
prendre plusieurs formes : un retour vers PARIS, ���� � CLICHÉ : MARC DOMAGE � BANQUE D’IMAGES DE L’ADAGP
I ntelligence collective,
entreprise libérée,
management agile… autant de
Première étape : l’audit. Arbre
de connaissances, cartographie
de toutes les compétences
possibilité de sortir de son
périmètre, d’utiliser
différemment ses acquis et de
plus exigeantes dans leur
processus de recrutement.
Ce processus est basé sur
mots qui, à force d’être –�allant au-delà des intitulés de monter en compétence. un double engagement�: celui
employés à tort ou à raison, postes souvent restrictifs�– Deuxième étape : repenser de l’employeur qui promet
ont perdu de leur sens et de permettent de disposer de les équipes, une fois le un espace propice au
leur valeur. Tant et si bien données précises et, surtout, concept balisé et les gains développement de l’individu,
qu’on en arrive à les confondre, exploitables. Dès lors, ce sont escomptés mesurés. celui du salarié qui accepte
ce qui complique leur mise les compétences et Comment transformer un les codes et le projet de
en application. Pourtant l’expérience qui priment sur le simple groupe d’individus en l’organisation. Cela engage
l’intelligence collective, périmètre du poste. Ces un écosystème vertueux ? l’entreprise autant que cela
c’est-à-dire l’addition des données devront être suivies Peut-on mesurer l’intelligence responsabilise le salarié.
compétences de chaque dans le temps grâce à de collective ? C’est la question Dernière étape : l’application.
collaborateur, est un levier nouvelles applications de que s’est posée l’American La SNCF, par exemple, met en
d’efficacité sans pareil. collecte et de visualisation. Association for the place des séminaires, où ses
Ce n’est pas un concept Que ce soit en faisant appel à Advancement of Science. Il en managers se retrouvent à un
abstrait, c’est une des géants de l’informatique, ressort que certains facteurs moment et dans un lieu
mutualisation ordonnée, comme Information Builders ou comme la constitution des déterminés pour échanger sur
structurée et réfléchie qui, Oracle, ou à de petites start-up équipes, la sensibilité sociale leurs problématiques, gagner
comme toute construction, comme Ligamen, qui utilise du groupe, l’égalité du temps en efficacité et in fine répondre
doit se faire avec une idée bien l’analyse topologique (l’étude de parole ou la mixité sont des aux défis de l’entreprise. Cette
précise de la finalité, et même des données communes à des leviers de succès. Au-delà de réponse peut prendre la forme
de la rentabilité. Cela implique entreprises et/ou à des ces critères, il faut souligner d’un plan d’action ou même
aussi de responsabiliser individus). Faire appel à l’importance du contrat passé d’une application mobile.
l’ensemble des acteurs, l’intelligence collective est entre l’entreprise et le salarié. Mettre en place ces nouvelles
entreprises et salariés. source de plus-value. Pour Favoriser et développer politiques, c’est prendre
Chacun doit connaître son rôle l’entreprise�: mobiliser les l’intelligence collective, c’est aujourd’hui un avantage qui
dans le projet d’entreprise. personnes les plus adaptées au aussi s’assurer en amont que sera décisif demain.
Dès lors, comment traduire projet, les plus à même de culture et projet d’entreprise
cette nouvelle approche proposer des solutions et de sont en adéquation avec le Christian Pousset est à la tête de
concrètement�? Avec un les mettre en œuvre. Pour le profil du candidat. Ainsi, les PeopletoPeople Group (conseil et
programme en trois temps. collaborateur�: avoir la Gafa sont parmi les sociétés les accompagnement de dirigeants).
P
d’une profession, en particulier dans le re-
crutement des talents, où la réputation se
lus de 4 000. C’est le nombre outils ; elle résulte d’un état d’esprit nou- construit aussi lentement qu’elle peut être
de participants qu’a réuni veau, disruptif, que l’on peut résumer en instantanément détruite. L’effort nécessaire
l’événement Talent Connect, quatre lois contre-intuitives, mais simples. pour réinventer en permanence ces codes
organisé par LinkedIn à Las Règle n°�1�: ayez un discours attrac- exige des compétences contraires à celles
Vegas en octobre dernier. tif sur votre secteur et n’écornez pas consistant à installer des processus robustes
Mais au-delà de l’affluence l’image du métier en critiquant vos sur le long terme, stratégie privilégiée par
suscitée par cette conférence concurrents. La compétition pour acqué- les leaders. Par ailleurs, lorsqu’une entre-
dédiée aux professionnels du recrute- rir des talents ne doit pas détruire l’attrac- prise a déjà une taille conséquente et une
ment, ce sont les titres figurant sur leur tivité globale du secteur. Prenons le cas réputation bien installée, il se peut qu’elle
carte de visite qui méritaient d’être obser- des sociétés d’audit. Elles béné�icient attire moins les personnalités créatives, ce
vés en premier lieu. Il y a cinq ans, jamais d’une image de « troisième cycle profes- qui, là encore, n’incite pas à s’extraire des
vous n’auriez croisé autant de personnes sionnel » et attirent plus que de raison un codes et des conventions.
portant le titre de Senior Vice-President Si les grands groupes ont du mal à
Talent Acquisition. Des « campus mana- s’émanciper, les challengers ont aussi un
Etre un leader
gers », sans aucun problème : jeunes, à travers : beaucoup pensent qu’il est judi-
l’aube de leur carrière, séparés de quatre cieux d’adhérer aux standards de la profes-
étages du patron des RH et ne bénéficiant sion qu’imposent les leaders (une carrière
d’aucun accès aux dirigeants. Mais au-
jourd’hui, les plus grandes entreprises ont
innovant, prédictible, une évolution régulière, des
opportunités de mobilité, etc.), en espé-
créé des postes de cadres dirigeants en
charge « d’acquérir » les talents, avec tout
c’est usant. rant ainsi leur ressembler. Or ce n’est pas
un bon calcul, car ils ne seront que de pâles
ce que ce terme comporte comme enjeux.
Comme souvent, ce sont les grandes en-
Mais être un suiveurs. Mieux vaut, pour se distinguer et
être attractif, jouer la carte de la disrup-
treprises qui dictent les bonnes pratiques.
En matière de stratégie d’acquisition de
challenger tion, avec une offre en décalage par rap-
port à l’offre conventionnelle des leaders.
talents, il existe toute une littérature au-
tour de la « marque employeur », qui s’ap-
conventionnel, Règle n°�3�: faites confiance aux
jeunes talents pour attirer les jeunes
puie sur un phénomène observable dé-
sormais à l’œil nu : la convergence
c’est idiot. talents. Quand vous êtes un challenger,
les recruteurs que rencontrent les candi-
croissante de la marque employeur et de dats comptent plus que votre marque. Ils
la marque globale. sont la marque.
Pourtant, s’il y a un type d’entreprise nombre élevé de diplômés des meilleures Nous connaissons tous des représen-
pour qui cette question est cruciale, ce écoles. Si vous êtes un challenger des Big tants des leaders sur les campus qui trans-
sont les challengers, pour la simple et Four, vous devez veiller à profiter de l’effet pirent l’arrogance et pour autant restent
bonne raison que pour eux, par définition, d’attractivité des métiers d’audit et du attractifs : leur marque suffit. En revanche,
la marque ne suffit pas. Pour eux, la révo- conseil, et ne pas développer un position- si vous êtes un challenger, ne jouez pas la
lution digitale appliquée au recrutement nement qui critiquerait implicitement la carte de l’arrogance, y compris envers les
représente une opportunité nouvelle de nature même du métier d’auditeur ou de leaders. Mettez en face des talents des
construire une stratégie d’acquisition de consultant en pensant juste écorner recruteurs qui ne sont pas dans l’entreprise
talents beaucoup plus puissante et efficace l’image des leaders. C’est votre capacité depuis trop longtemps et qui gardent de ce
que ne le permettaient jusqu’alors les d’attraction que vous endommageriez. fait une capacité de recul, y compris dans
moyens coûteux mis à leur disposition. Règle n°�2�: ne cherchez pas à suivre l’acte de promotion de l’entreprise. Ces
Mais cette ef�icacité n’est pas liée aux les conventions à la lettre. Etre un leader phénomènes correspondent à des attributs
L’ENTREPRISE DU XXIE SIÈCLE, C’est au contraire une Il faut aussi être deux pour «�comment�» ne peut pas se
soumise à des nécessités relation forte, mais qui n’a qu’il puisse être conduit. construire sans que l’exécutant
d’agilité et d’adaptabilité, simplement rien à voir Cela implique qu’il y ait d’un s’approprie ledit «�cadre de
pousse souvent ses salariés avec le contrôle de l’action. côté un responsable avec sens�». Or cette appropriation
à être autonomes dans leur Autre constat, l’autonomie, suffisamment d’autorité est en soi une activité.
travail. Cette injonction ce n’est pas faire ce que l’on et qui obtient de ses équipes La psychologie du travail
d’autonomie est, à première veut, c’est vouloir ce que l’on qu’elles fassent volontairement a depuis longtemps montré
vue, paradoxale�: «�J’exige que fait. Dans autonomie, il y a ce qu’il leur demande�; et de que la prescription donnée
tu sois libre de décider.�» «�nomos�», c’est-à-dire «�la loi�» l’autre, un collaborateur qui à un opérateur ne peut
En réalité, le salarié n’est pas en grec, et par extension veut ce qu’il fait. pas être transformée en acte
là pour faire ce qu’il veut, la règle, qui peut être vue Pas si facile. D’une part, tant qu’elle n’a pas fait
mais pour faire ce qu’on lui comme une contextualisation parce que la véritable autorité l’objet d’un travail
demande de faire. Cette de la loi. Etre autonome, c’est suppose un «�non-agir�» de la d’appropriation, autrement
injonction paradoxale inhibe avoir intégré et fait siennes les part du chef. Or c’est une dit de «�represcription�».
l’action du collaborateur tant lois et les règles de son action. posture complexe�: ce n’est pas Cette represcription,
que n’a pas été clairement Si un ouvrier métallurgiste «�ne rien faire�», c’est faire généralement silencieuse et
contractualisé ce qu’est met ses chaussures de sécurité l’effort d’être suffisamment conduite de manière intuitive
l’autonomie dans une relation parce qu’il a peur de la présent et attentif pour trouver par l’opérateur, a lieu en
de subordination. sanction, il n’est pas le petit geste approprié, confrontant sa représentation
Quel manager ne s’est pas autonome. On peut dire qu’il la bonne question qui, de la prescription et la réalité
donné comme objectif de est «�hétéronome�», il dépend au bon moment, agira comme de l’action qu’il conduit à partir
rendre ses collaborateurs de la loi d’un autre. l’aiguille de l’acupuncteur pour de cette représentation.
réellement autonomes�? L’hétéronomie appelle le que les problèmes se Cette confrontation lui
Malheureusement, ce n’est pas pouvoir sanctionnant et dissolvent avant de devenir permet, en outre, de réguler
si simple. «�Je voudrais bien jugeant. Mais si ce même de véritables casse-tête. plus efficacement son
que mes collaborateurs soient ouvrier met ses chaussures de D’autre part, parce qu’être comportement et d’ajuster
autonomes�» cache souvent sécurité parce qu’il pense que autonome, c’est être capable, sa compréhension de la
une autre demande moins c’est nécessaire, dans ce cas en tant que collaborateur, prescription. Il pourra ainsi
politiquement correcte�: il est autonome, car il a intégré de se confronter à son chef mieux comprendre
«�J’aimerais qu’ils se les lois de son action. et de remettre en question «�comment�» s’y prendre
débrouillent seuls et qu’ils me Ses actes ne sont pas guidés sa manière d’encadrer. et agir plus efficacement.
laissent tranquille.�» par une contrainte extérieure Le leader est responsable du
Denis Bismuth est psycho-
Mais être autonome, ce n’est mais par une contrainte «�pourquoi�», du «�cadre de pédagogue, fondateur et directeur
pas laisser son chef tranquille. choisie�: il veut ce qu’il fait. sens�», et l’exécutant est du cabinet Métavision. Il accom-
L’autonomie n’est pas Par définition, le contrat chargé, lui, du «�comment�» pagne le management intermédiaire
une absence de relation. d’autonomie se signe à deux. du process. Mais le des grands groupes industriels.
N’AYEZ PAS
dualités talentueuses et charismatiques. autre plus fluctuant, plus incertain, où
N’est-ce pas ainsi qu’Abraham Lincoln a l’échec – sans être recherché – est utilisé
B
formance. La troisième tient à notre édu- jamais primordiale et de sa construction
cation et à notre modèle de référence dépend en réalité notre futur.
arack Obama faisait souvent culturelle. Celles et ceux qui sont aux com- Mode d’emploi pour constituer une
référence, durant ses deux mandes aujourd’hui ont été formés pour équipe. Il n’y en a pas, bien sûr. Mais il est
mandats, à l’un de ses il- gérer un monde qui n’existe plus. Ils ont des travaux auxquels on peut se référer :
lustres prédécesseurs, Abra- été formatés pour se cloner, comme s’il ceux du psychologue américain Daniel
ham Lincoln, qui eut l’intel- était plus confortable de n’avoir autour de Goleman sur l’intelligence émotionnelle et
ligence et le courage de soi que des semblables. Même culture, les styles de leadership, ou ceux du psycha-
s’entourer de rivaux, ceux-là même formation, même comportement, nalyste néerlandais et professeur de leader-
mêmes qui l’avaient combattu. Etrange. Et mêmes réflexes. Cela aurait pu durer éter- ship à l’Insead Manfred Kets de Vries et ses
potentiellement dangereux. Pourquoi nellement, sauf que le monde a évolué. archétypes du dirigeant. Connaître ces
prendre le risque de voir son autorité re- Le philosophe et historien Michel Serres théories permet de constituer ou de renfor-
mise en cause à la moindre occasion ? Mais a déclaré, à propos de ce que nous vivons cer une équipe en prenant soin de s’entou-
à bien y réfléchir, n’est-ce pas le rôle même depuis quelques années, que « ce n’est pas rer de profils complémentaires et d’esprits,
d’un leader que de faire passer la cause une crise, c’est un changement de monde ». certes brillants, mais avant tout libres. Ca-
commune au-dessus de tout le reste ? S’il Avant la Seconde Guerre mondiale, on en- pables de sortir du champ habituel, d’ac-
faut s’entourer de certains de ses ennemis censait les « bacs philo ». Après le chaos, les cepter l’incertitude, la prise de risque et la
d’hier pour le bien de tous, il n’y a pas trop ingénieurs ont pris le contrôle et les mathé- remise en cause permanente.
à hésiter. Il faut savoir faire fi de ses senti- matiques sont devenues le critère principal C’est d’autant plus fondamental que
ments, choisir les meilleurs talents, accep- de sélection. La nécessité de reconstruction manager de nos jours n’est pas aussi simple
ter le risque d’être bousculé dans ses opi- allait donner aux Trente Glorieuses une qu’hier. Le management n’est plus statique
nions les plus arrêtées... teinte très cartésienne. On s’est attaché à mais dynamique. On pilote des équipes à
Un leader ne doit pas avoir peur d’être former des bataillons de têtes bien faites, distance qui de fait ont besoin de plus d’au-
entouré par d’autres leaders. Il ne peut d’esprits binaires particulièrement adaptés tonomie. Le leader moderne doit faire
qu’en être enrichi et donc renforcé. Abra- à la réindustrialisation du pays et à l’émer- con�iance, rendre les membres de son
ham Lincoln n’a jamais abandonné une gence informatique. Mais hier était hier. Il équipe responsables de leurs engagements
once de son pouvoir. Mais il a vite compris convient à présent de substituer à ces QI et leur donner les moyens de les tenir.
qu’il lui était impossible de gouverner flamboyants d’autres formes d’intelligence, En choisissant nos dirigeants actuels, les
seul, sans l’appui de ceux qui font la diffé- des talents en rupture, créatifs, capables de conseils d’administration feraient bien
rence dans leur domaine respectif, peu donner des coups de pied au statu quo am- d’être vigilants, car ce sont eux qui identi-
importe �inalement qu’ils soient dans biant et d’évoluer dans des organisations �ient, forment et propulsent nos futures
l’autre camp. Ces nobles principes sont matricielles aux pouvoirs répartis, des élites. En sont-ils seulement capables ?
toujours valables aujourd’hui, que l’on soit structures où agilité, réactivité et vitesse
aux commandes d’un Etat ou d’une entre- sont devenues les facteurs de réussite. Gérald Karsenti est P-DG de
Hewlett-Packard France, professeur affilié
prise. Diriger ne signi�ie pas évoluer au Nous avons quitté un univers structuré à HEC Paris où il enseigne le leadership, la
milieu d’une « bande de copains », mais et prévisible – où la recherche de perfection transformation des entreprises et le changement.
M
laborateurs lors du changement et ne pas
dire : « Tu verras, cela va aller mieux. Cette
aximilien Ringel- L’effet Ringelmann. On parle ici de nouvelle recrue va te soulager », car cela
mann, agronome force physique, mais peut-on transposer envoie un message inconscient qui va géné-
français du début ce résultat à une équipe ? Avez-vous déja rer l’effet Ringelmann. Optez plutôt pour :
du XXe siècle, a réa- constaté que vous réussissiez à réaliser des « Nous faisions 100 à 4, avec ce recrute-
lisé une expérience miracles en période de tension, voire de ment, j’espère que nous ferons 130 à 5, car
où il demandait à de sous-effectif ? Dans le domaine du sport, nous devrions gagner en productivité. »
jeunes hommes de une équipe qui perd un joueur et en a donc 3- donner l’exemple en tant que mana-
tirer le plus fort possible sur une corde, un de moins que son adversaire devrait ger. L’idée ? Se fixer des objectifs et les tenir,
seul, par deux, par trois ou par huit. Il avait perdre dans 100% des cas. Or il est courant mais aussi montrer que le travail à 150%
constaté qu’un individu moyen pouvait de voir le contraire se produire. n’est pas votre vocation. Etre capable de
exercer une force moyenne de 63 kilos. Avez-vous déjà constaté que l’em- partir tôt est aujourd’hui une qualité recon-
Deux personnes qui tirent ensemble la bauche d’un collaborateur supplémentaire nue des leaders. Un bon manager attire
corde devraient donc exercer une force de n’apportait pas forcément la création de l’attention, pas la tension.
126 kilos, trois personnes une force de valeur attendue ? Dans une agence ban- 4- construire les missions avec les
189 kilos, etc. En théorie car, en pratique, caire, le recrutement d’une personne de- équipes : si vous embauchez une personne,
les résultats ont montré que plus le nombre vrait réduire le temps d’attente en caisse, responsabilisez votre équipe avec une
de personnes augmentait, moins les ef- par exemple. Or ce n’est pas toujours le forme de mentoring inversé. Valider en
forts individuels fournis étaient impor- cas. Là encore, c’est l’effet Ringelmann. commun les futurs objectifs et missions
tants. Tout se passe comme si les membres Cela démontre que le corps social va justement garantir une hausse de la
du groupe réduisaient leurs efforts en fai- s’organise de lui-même et « dilate » le travail productivité.
sant reposer le travail à fournir sur les pour que chacun donne l’impression d’être
autres. Ce phénomène de paresse sociale très sollicité, voire happé par la tâche. Nicolas Dugay est directeur général
s’accentue d’autant plus que le nombre de Puisque la nature a horreur du vide et qu’il de Booster Academy. Conférencier
en préparation mentale et en performance
personnes dans le groupe augmente, en- faut désormais être débordé pour justifier commerciale, il accompagne des dirigeants
traînant ainsi une perte d’efficacité. son poste, ce sont ces deux facteurs conco- et des sportifs professionnels.
L
eu l’occasion de travailler ensemble.
La deuxième préconisation est d’utiliser
e 23 septembre 1999, la sonde en face-à-face : elle permet d’évacuer les au maximum les outils qui permettent de
« Mars Climate Orbiter » se dé- ambiguïtés qui menacent toute communi- communiquer de manière synchrone (vi-
sintégrait dans l’atmosphère cation humaine. Froncements de sourcils, déoconférence) et de visualiser les choses
martienne et, avec elle, 125 mil- acquiescements et autres expressions non (écrans partagés, tableaux interactifs). Le
lions de dollars investis par la verbales sont autant de signaux qui per- but est de se rapprocher des conditions de
Nasa. La raison ? Un simple mettront à chacun de s’ajuster et de clari- la collaboration en face-à-face. Le réflexe
malentendu sur les unités de fier ce qui doit l’être avant que ne grandisse naturel, lorsqu’on communique à distance,
mesure. Le logiciel qui calculait la force de le malentendu. est de privilégier les e-mails ou les forums
propulsion requise générait des données en Attention à Thanksgiving. Lorsque la de discussion. C’est compréhensible, car
unités anglo-saxonnes (livres), alors qu’un collaboration se fait à distance, le socle com- planifier une réunion peut rapidement virer
autre logiciel les utilisait en supposant mun est dif�icile à construire. Ignorant le au casse-tête lorsque plusieurs fuseaux
qu’elles étaient exprimées en unités mé- contexte dans lequel évolue l’interlocuteur, horaires sont concernés. Mais il faut com-
triques (newton). Ces couches logicielles on émet des hypothèses – souvent fausses battre ces habitudes et instaurer des vidéo-
avaient été conçues par des équipes diffé- – sur le sens de certains de ses propos ou de conférences régulières tout au long du pro-
rentes, distantes l’une de l’autre de 1 500 ki- ses actes. Exemple, le calendrier des jours jet. Le manager doit aussi, en amont d’un
lomètres. Chaque équipe avait fait sa part fériés, qui varie énormément en fonction projet, consacrer du temps pour élaborer
du travail en pensant que l’autre utilisait le des pays. Connaissez-vous, par exemple, le avec son équipe une charte qui définit clai-
même langage et, malgré les échanges, ja- jour exact de Thanksgiving ? Si votre colla- rement les règles de communication : tech-
mais cette divergence n’avait été mise au borateur est localisé aux Etats-Unis, il ne nologie utilisée, fréquence, délais de ré-
jour. Illustrant à merveille la difficulté que faudra attendre aucune réponse ce jour-là. ponse requis, etc.
représente la collaboration à distance, cette Sans cette information de contexte, vous User de subterfuges. La troisième
histoire est aujourd’hui un cas d’école. interpréterez peut-être son silence comme piste est d’inventer des subterfuges pour
Entre-temps, bien sûr, la technologie de la du désintérêt. Pire, vous pourriez le consi- que la compréhension et la con�iance se
collaboration à distance a progressé : outils dérer comme une approbation tacite et pas- construisent malgré la distance. L’idéal est
de partage de documents et d’agendas très ser à l’étape suivante. De retour de congé, il d’assortir la collaboration virtuelle de
fluides, systèmes de vidéoconférence ultra- vous reprochera de n’avoir pas pris en quelques rencontres, même rares.
réalistes, etc. Mais les dysfonctionnements compte son avis. Ainsi peuvent naître des Enfin, les défis que pose la collaboration
subsistent dans toutes les entreprises un conflits. Le phénomène est d’autant plus à distance ne doivent pas occulter ses avan-
tant soit peu globalisées, suggérant que le pervers que, en l’absence de discussions tages. Il a été prouvé qu’en utilisant davan-
progrès technologique ne suf�it pas : les informelles régulières, l’abcès ne peut pas tage l’écrit dans la communication (e-mail,
comportements aussi doivent s’adapter. être crevé aussi facilement : la communica- échanges de documents…) on a tendance à
Une valeur inestimable. Partager un tion se dégrade et de nouveaux conflits mieux expliquer ses idées. De même, elle
même espace physique avec ses collabora- peuvent apparaître. atténue la part non verbale de la communi-
teurs permet des interactions informelles Comment éviter ces écueils ? La re- cation, certes pour le pire, mais aussi parfois
répétées, qui ont une valeur inestimable. cherche en management montre plusieurs pour le meilleur. Les équipes géographique-
Elles permettent de s’imprégner de leur voies. La première est liée à la composition ment dispersées sont moins sujettes au
manière de penser, de leurs croyances, des équipes : les qualités relationnelles et le phénomène de « pensée de groupe » et l’im-
mais aussi de comprendre les contraintes savoir-être doivent être pris en compte bien portance du statut des interlocuteurs s’atté-
qui sont les leurs (équipements à disposi- plus que dans une équipe classique, où l’ex- nue, ce qui permet de libérer la parole.
tion, conditions de travail…). Se construit pertise pure pourra être privilégiée. L’empa-
alors un socle de références partagées, qui thie, la capacité à comprendre et à s’intéres-
sera la « toile de fond » permettant aux dis- ser au contexte dans lequel évolue son Barthélemy Chollet est professeur
associé à Grenoble Ecole de management,
cussions futures d’être correctement inter- interlocuteur sont autant de compétences où il enseigne le management de l’innovation
prétées. Autre avantage de la collaboration qui limiteront les dommages causés par la et la gestion des opérations.
L
sait faire preuve de patience.
L’un des concepts les plus solides pour
orsqu’on demande à des spé- Resistance to Change », de Jeffrey Ford et les experts est celui de « valley of despair »
cialistes de conduire le chan- Laurie Ford). Dans tous les cas, permettre (« vallée du désespoir »). Avant de porter
gement de manière ef�icace aux individus de partager leurs points de ses fruits, tout changement implique des
dans une organisation, ils vue peut être plus efficace que d’investir coûts ainsi qu’une perte initiale de perfor-
mettent d’abord l’accent sur la dans une vaste campagne de communica- mance. Les managers expérimentés ne
manière dont les managers tion descendante. doivent pas être découragés par ce phéno-
doivent agir pour convaincre La culture est plus flexible qu’on mène, mais plutôt se raccrocher à la lo-
l’ensemble des collaborateurs que le ne le pense. L’inadaptation culturelle gique économique qui a conduit initiale-
changement est important et inévitable. est souvent citée comme l’une des raisons ment au changement.
Ensuite, ils pensent à la manière dont ils de l’échec du changement : « Cette réorga- Planifier, planifier et planifier. Un
doivent s’adresser à tout le monde afin de nisation ne correspondait pas à la culture programme de conduite du changement,
créer un sentiment d’urgence et de de la structure », « On ne peut pas changer c’est d’abord un processus organisation-
consensus. Or la réalité est bien diffé- du tout au tout ». Même si la culture et nel qui repose sur une planification rigou-
rente : il n’est pas toujours possible d’arri- l’identité peuvent représenter de fortes reuse, un personnel qualifié et des actions
ver au consensus ni de faire en sorte que contraintes, les chercheurs commencent clés en matière de communication, de
chacun adapte ses habitudes. Et pour à comprendre que la culture d’entreprise formation et d’accompagnement à chaque
cause, changer ses pratiques nécessite un est en réalité plus flexible et complexe étape. Même si de plus en plus d’entre-
effort qui, chez la plupart des individus, qu’on peut le penser, et que son analyse prises ont compris qu’instaurer un chan-
n’est pas inné. approfondie permet de donner du sens au gement est un enjeu complexe et que le
Mais alors, que doit faire le manager changement à venir et de le façonner dans « facteur humain » peut constituer une
lorsqu’il est impératif d’instaurer un la continuité des priorités et des valeurs menace, y compris pour des technologies
changement (mise en place d’une nou- de l’entreprise. éprouvées, la plupart d’entre elles n’ap-
velle technologie, d’une nouvelle organi- Plus d’actions, moins de paroles. préhendent pas la conduite du change-
sation…) et que les salariés s’y opposent ? Les personnes changent plus en agissant ment comme un projet stratégique. Elles
Si la recette miracle n’existe pas, certaines d i f fé re m m e nt q u’e n r é fl é c h i s s a nt s’imaginent qu’un bel événement d’entre-
idées peuvent contribuer à trouver un différemment. Traditionnellement, les prise peut contourner toutes les difficul-
équilibre entre le nouveau et le familier. patrons cherchent à convaincre en amont tés et accélérer l’apprentissage. Or le
L’écoute, plus que le discours. Les les individus des bienfaits du change- changement est l’aboutissement du tra-
individus ont tendance à penser que, à ment, au risque que ces derniers refusent vail acharné d’une équipe spécifique.
force de répéter que tel changement est d’emblée. Leur faire vivre le changement Les nouveaux managers du change-
important, ils finiront par convaincre les peut être un moyen plus ef�icace. Dans ment doivent se considérer moins comme
individus d’abandonner leurs vieilles ha- certains cas, mettre en œuvre le change- de puissants évangélistes, dont la mission
bitudes. Pourtant, des recherches mettent ment sans préambule et avec une cer- serait de convaincre les collaborateurs les
en évidence que les salariés se laissent taine autorité peut s’avérer la voie à plus sceptiques, et davantage comme des
plus facilement convaincre du bien-fondé suivre pour en garantir l’ef�icacité et la facilitateurs capables de comprendre,
d’un changement lorsqu’ils ont la possibi- durabilité. C’est ce qui s’est passé chez d’écouter et de planifier correctement le
lité de s’exprimer et ont le sentiment 3M au début des années 2000, lors de la changement voulu.
d’être écoutés. En outre, la résistance mise en place de la méthodologie Six
d’un salarié n’est pas forcément négative, Sigma. Le changement a été brusque,
Anna Canato est professeur-chercheur,
elle peut cacher des informations pré- mais positif pour l’organisation, qui a par directrice du département Management
cieuses pour le manager (« Decoding ce biais gagné en ef�icacité dans ses à l’Ieseg School of Management (Lille et Paris).
A
dé�iance et se contentent souvent, par
réaction, de se conformer a minima aux
près les robots de Spirale négative. Prenons l’exemple normes ou aux procédures. Les outils
science-�iction, puis de cette grande entreprise dont les diri- comme les prévisions ou le CRM (custo-
ceux de l’industrie, une geants ont souhaité, pour réduire cer- mer relationship management), qui
nouvelle génération taines dérives �inancières, mettre en pourraient être perçus comme des leviers
d’automates est en place une procédure de service après- pour favoriser la coopération et respon-
train de voir le jour : vente plus économe, mais également sabiliser, apparaissent au contraire
drones, automobiles plus défavorable au client. Peu confiants comme des dispositifs de contrôle. Cette
sans chauffeur, agences bancaires sans d a n s l a c a p a c ité d u m a n a ge m e nt supervision excessive engendre un
employés, ateliers sans ouvriers, etc. intermédiaire à mettre en œuvre cette double coût : celui du contrôle lui-même
L’homme se voit exclu de bien des nouvelle procédure dans toute sa rigueur, et celui des conséquences négatives qu’il
domaines. On évoque même très sérieu- ils ont fait en sorte que les opérateurs génère. Cela va du renoncement à cer-
sement des conseils d’administration soient contraints à l’appliquer, notam- taines innovations, par souci de confor-
robotisés grâce à des systèmes de prise de ment en modi�iant leur outil informa- mité aux standards, à la constitution de
décision automatiques et infaillibles. tique. Résultat, les promoteurs du projet provisions cachées, pour anticiper les
Neuf accidents de voiture sur dix. se sont coupés du feed-back remontant et moments difficiles. Sans compter le coût
Si indéniablement cette évolution vise à li- donc des possibilités de concertation et du désengagement.
bérer l’individu de tâches pénibles, il est d’ajustement du processus à la réalité du La persistance de cette vision péjora-
difficile de ne pas y voir aussi la confirma- terrain. Les défauts non corrigés ont gé- tive paraît en contradiction avec les cou-
tion d’une tendance à considérer ce dernier néré à la fois des insatisfactions du côté rants des sciences humaines qui, depuis
comme un facteur de risque, un fauteur de des clients et un désengagement de la des années, tentent de s’implanter. Dé-
trouble, qu’il faudrait essayer de contrôler part des opérateurs. Les managers inter- marches participatives, projets d’entre-
autant que possible. Il est vrai que l’erreur médiaires, court-circuités, ont été discré- prise, leadership humain, se multiplient,
humaine est souvent la cause d’accidents dités aux yeux de leurs collaborateurs. Et sans que les mécanismes produisant un
(neuf accidents automobiles sur dix se- ainsi de suite... effet contraire aient été supprimés. Cette
raient liés à une intervention de l’homme). Il ne s’agit pas d’un cas isolé. Le mo- contradiction déroute encore plus le per-
Lorsqu’il s’agit d’évoquer les erreurs com- dèle standard de management traite, de- sonnel des entreprises.
mises par un être humain aux cours d’un puis ses origines, le facteur humain Pour restaurer la confiance et la crédi-
processus qui, sans lui, se déroulerait par- comme un problème. Au XVIIe siècle, bilité des équipes de management, il ap-
faitement (catastrophes industrielles, acci- Vauban disait déjà : « La surveillance du paraît nécessaire de prendre conscience
dents du travail…), on utilise le terme de travail coûte moins cher que la diminu- des effets négatifs des préjugés et de re-
« facteur humain ». Il est le plus souvent tion de travail résultant d’une absence de mettre en cause les règles explicites et
employé de manière négative et on lui asso- surveillance. » Dans son organisation implicites de fonctionnement. Deux
cie spontanément l’idée de faute. scientifique du travail, l’ingénieur améri- compétences sont pour cela nécessaires
Dans la conduite des entreprises, la cain Frederick Winslow Taylor était, aux managers : savoir détecter dans les
méfiance vis-à-vis du facteur humain peut quant à lui, motivé par la volonté de lut- pratiques et les comportements ce qui
être liée à une croyance absolue et quasi ter contre la « flânerie » naturelle des ou- relève d’un réflexe de défiance non justi-
mystique en la technique. Elle peut aussi vriers. Dans une culture technicienne et �ié ; intégrer véritablement l’apport des
résulter d’une crainte que l’économiste rationaliste, l’homme est source d’incer- sciences humaines en mettant en accord
écossais Adam Smith formulait ainsi vis-à- titude. On ne peut pas lui faire confiance. les pratiques et les discours.
vis des gestionnaires : « Il ne faut pas s’at- Il est l’esclave de ses passions, de sa pa-
tendre à ce que les régisseurs de l’argent resse, de son ignorance. A défaut de pou-
Valérie Ader est présidente et responsable
d’autrui y apportent autant de vigilance voir tout surveiller directement, le diri- du développement du cabinet de conseil en
que les actionnaires. » geant met donc en place des systèmes de management Colombus Consulting.
C
les managers et les machines intelligentes ?
Il faut non seulement accélérer l’introduc-
ertaines entreprises ont donc pas étonnant que les directions d’en- tion des nouveaux systèmes, mais aussi
déjà commencé à inté- treprise partagent l’optimisme de leurs col- encourager les expérimentations de façon
grer l’intelligence artifi- laborateurs. Il reste cependant un défi de à ce qu’ils s’intègrent parfaitement au sein
cielle dans leur organisa- taille à relever. Les managers, qui sont des équipes et des processus existants.
tion et doivent faire chargés de mettre en œuvre ces change- Cette approche montrera que le digital
face, en conséquence, à ments, se retrouvent en position délicate, n’est pas « quelque chose qui arrive aux
de nouveaux dé�is ma- pris entre les impératifs de changement et collaborateurs », mais une dynamique
nagériaux. Selon une enquête mondiale leurs collaborateurs à qui ils doivent les qu’ils mettent eux-mêmes en œuvre pour
menée par Accenture Strategy, la grande faire accepter. Ils sont d’ailleurs ceux qui, le bien de leur organisation.
majorité des collaborateurs accueille posi- en général, se montrent le plus préoccupés Savoir motiver et évoluer en per-
tivement les technologies digitales. En par ces évolutions. manence. L’autre étape cruciale sera de
France, ils sont environ quatre fois plus à Pourtant, beaucoup d’activités qui ac- déterminer les qualités essentielles des
penser que le digital va améliorer leurs caparent le temps des managers se prêtent managers de demain. Il semble, en effet,
perspectives d’emploi, par rapport à ceux très bien à une certaine forme d’automati- que ces derniers appréhendent mal toute
qui estiment qu’il va les détériorer. sation : plani�ication et coordination des l’étendue des nouvelles compétences re-
Aujourd’hui, cependant, les salariés travaux, suivi et reporting, application des quises. Si un tiers estime que les compé-
n’ont pas encore toutes les compétences normes et des règlements… Le développe- tences digitales et technologiques feront
nécessaires pour exploiter tout le potentiel ment de l’intelligence artificielle va les li- partie des exigences clés au cours des cinq
de la transformation digitale. Il est vrai que bérer de ces tâches chronophages, leur prochaines années, seulement la moitié
la montée en puissance de la génération Y, permettant ainsi de se focaliser sur des d’entre eux (soit environ 17%) cite la créa-
par exemple, aura vraisemblablement activités mobilisant des compétences plus tivité, l’expérimentation, le développe-
pour effet de conduire à une plus grande humaines, nécessitant un jugement per- ment personnel, le coaching ou encore la
acceptation des machines intelligentes et sonnel, de la réflexion ou des raisonne- maîtrise des réseaux sociaux comme des
de l’intelligence arti�icielle. Certains do- ments complexes : par exemple, en offrant compétences essentielles.
maines d’activité ont déjà pris de l’avance : des services sur mesure à ses clients ou en Or les qualités interpersonnelles seront
dans le secteur agricole, de nouveaux sys- proposant un soutien personnalisé à cer- primordiales : les managers devront savoir
tèmes intelligents permettent déjà d’opti- tains collaborateurs. Les managers pour- motiver et diriger des équipes moins
miser non seulement la productivité mais ront aussi se focaliser davantage sur la structurées, évoluer en permanence, tout
aussi la précision des tâches, grâce aux créativité et l’innovation. en gérant en parallèle l’arrivée de nou-
capteurs, drones et autres technologies. Résistance et déficit de confiance. velles technologies. Toutes ces compé-
Dans le secteur financier, des robots-ana- Pourtant, il ressort que 56% des managers tences, relativement dif�iciles à trouver,
lystes prodiguent des conseils financiers interrogés en France ne sont pas sûrs de feront l’objet d’une forte demande, car les
aux clients bancaires. Il existe aussi des posséder les compétences requises pour entreprises auront besoin de managers
lunettes intelligentes qui aident le person- réussir dans leur fonction au cours des capables de faire progresser leurs collabo-
nel d’intervention technique à accéder aux cinq prochaines années. Beaucoup d’entre rateurs et de les aider au fur et à mesure
données et aux instructions dont ils ont eux se montrent préoccupés par l’impact qu’ils apprendront à travailler avec des
besoin pour effectuer leurs tâches de de l’intelligence artificielle sur leur emploi. machines intelligentes.
maintenance et de réparation. Il semble que cette réticence s’explique en
Ces innovations ne font pas de partie par un dé�icit de con�iance.
nous des «�superhumains�». Elles Lorsqu’on leur demande s’ils se fieraient
rendent simplement les humains « super- aux conseils fournis par des systèmes
Céline Laurenceau dirige l’activité
ef�icaces ». L’intelligence arti�icielle leur intelligents pour prendre des décisions conseil en gestion des talents d’Accenture
permet de travailler mieux et plus : il n’est d’affaires, seuls 13% des managers français Strategy France.
recruteurs à accorder trop d’importance entre les mains des individus issus de
B
De nouveaux outils et de nouvelles pro-
cédures d’embauche peuvent aider les
ien que nous soyons entou- recruteurs à trouver des profils plus diver-
rés par une foule de nou- sifiés et à atteindre des candidats qui au-
velles technologies et d’ap- raient pu autrefois être ignorés. Si les ca-
plications perturbatrices, les binets de recrutement accordaient moins
ressources humaines n’ont
toujours pas amélioré leur Plus d’un d’importance aux CV et s’intéressaient,
par exemple, davantage aux traits socio-
million.
façon d’évaluer les candi- affectifs, cognitifs et comportementaux
dats à l’embauche. Or les procédures tra- des candidats, ceux issus de milieux éco-
ditionnelles centrées sur les CV ne suf- nomiquement défavorisés bénéficieraient
�isent plus : en effet, elles n’identi�ient
pas les qualités requises des dirigeants
C’est le nombre de perspectives d’emploi bien plus éten-
dues. Cela entraînerait une plus grande
d’aujourd’hui, et leurs critères dépassés de CV que reçoit ef�icacité professionnelle ainsi qu’une
empêchent de repérer de nombreux pro-
fils talentueux.
chaque année meilleure répartition et diversi�ication
des couches sociales de la main-d’œuvre.
Pas de distinction entre compé- L’Oréal, dans Certaines entreprises ont déjà ouvert la
tences et aptitudes. Pourtant, les CV
n’ont rien de mauvais en soi : ils sou-
les 130 pays où le voie, dont de grandes multinationales
telles Coca-Cola, qui se sert de stratégies
lignent l’accomplissement et l’expérience numéro 1 mondial analytiques pour accroître l’innovation
passés du candidat. Le problème est que,
s’ils sont efficaces lorsqu’il s’agit de pré-
des cosmétiques dans son QG d’Atlanta, des start-up comme
Seedcamp, qui utilisent la psychographie
senter les compétences formelles d’un est présent. (étude de la personnalité, des centres d’in-
individu, ils ne sont guère utiles pour térêt, etc.) pour identifier les équipes ayant
identifier les valeurs et le comportement C’est ainsi qu’à l’inégalité des revenus les plus grandes chances de réussir, ou
d’un candidat. En général, les CV ne font s’ajoute l’inégalité des perspectives de car- encore des sociétés de technologie comme
pas la distinction entre les compétences rière. Avec ce mode de fonctionnement, Kestral, en Australie, qui identifie les can-
(savoir faire quelque chose) et les apti- les recruteurs manquent du reste l’occa- didats les plus performants grâce à des
tudes (le faire vraiment bien, avec une sion d’exploiter une plus grande réserve de processus d’optimisation des équipes.
grande �iabilité et facilité). Par consé- talents. Même s’ils prétendent vouloir Des algorithmes pour gérer les res-
quent, ils ne font ressortir que l’admissi- trouver ces derniers dans un vaste éventail sources humaines. Une embauche réus-
bilité et non la pertinence d’un candidat. de milieux sociaux, l’utilisation des CV sie dépend beaucoup également de « l’adé-
Et bien qu’un CV permette de savoir si un pour sélectionner les candidats exclut sou- quation » entre le candidat et l’entreprise.
candidat possède les compétences qui vent ceux qui ne peuvent se permettre de Les recruteurs doivent donc prendre en
correspondent à un poste, il ne peut pas suivre de longues études ou d’effectuer considération d’autres éléments ne figurant
prévoir de quelle façon celui-ci s’entendra des stages en entreprise non rémunérés. pas dans le CV. L’entreprise londonienne
avec ses futurs collègues et intégrera la C’est pourquoi ils se retrouvent, en géné- Saberr s’intéresse aux valeurs fondamen-
culture de l’entreprise. ral, dans des emplois moins bien payés, tales des candidats, à leur comportement et
D’inégalités de revenus en inégali- aux perspectives d’avenir limitées. Ainsi, à leur personnalité, afin de créer une « car-
tés de carrière. Les CV ont conduit les les meilleurs postes ont tendance à rester tographie métrique individuelle ». Celle-ci
ENVIRON ��% DES CADRES EN POSTE RENONCENT À LEUR du big data et un accès aujourd’hui plus facile aux technologies
CANDIDATURE AVANT L’ÉTAPE DE LA SHORTLIST. La mobilité de collecte et de traitement des données, cette technique
interne est évidemment plus sécurisante que l’aventure du se généralise de plus en plus. Et c’est bien là que l’affaire se
départ. Mais, à y regarder de plus près, la méthode de complique.
recrutement n’est sans doute pas étrangère à cette sédentarité. La corrélation statistique n’a ni conscience ni morale. Le
De l’annonce à l’entretien, en passant par les tests d’évaluation, logiciel de traitement de données n’est pas sensible au ridicule,
les processus de recrutement sont l’appartement témoin de même lorsqu’il affirme qu’il y a un lien entre la couleur des yeux
l’entreprise. Confiance ou défiance commencent ici�: description et la mention obtenue au baccalauréat. A l’arrivée, le risque est
claire ou survente du poste, transparence ou usage écervelé donc de favoriser les stéréotypes et les discriminations. Par
d’outils sans validité... C’est pourquoi le recrutement prédictif est exemple, on sait que l’adresse ou l’origine ethnique du nom de
bien plus qu’une mode �: c’est la promesse de plus de fiabilité famille déterminent le succès par le jeu des discriminations. Mais
dans l’évaluation. Mais de quoi s’agit-il exactement�? Cette évidemment ni l’adresse ni le nom n’influencent la performance.
technique permet, grâce à des outils statistiques, de comparer Or une lecture approximative, erronée ou malhonnête des
un candidat avec un échantillon de salariés performants dans données pourrait suggérer que les habitants d’une banlieue ayant
l’entreprise qui recrute. Elle devrait donc aider à identifier mauvaise réputation feraient de fort mauvaises recrues. Alors
aisément les bons profils et, finalement, à rendre plus fiables qu’une interprétation plus théorique dirait qu’ils sont victimes de
les décisions de recrutement. discriminations dues à leur appartenance sociale. Dans ce
Sur le papier, le principe est simple. Il s’agit de trouver des contexte, le risque est grand que les maigres informations qui
liens statistiques significatifs entre deux familles de données. se dégagent ne soient que des tautologies, des stéréotypes
D’un côté, des indicateurs de performance (rémunération, ou des liens illusoires. Dans ce cas, le recrutement ne serait que
chiffre d’affaires, atteinte des objectifs...) et, de l’autre, des du «�data washing »�: une illusion de scientificité.
caractéristiques individuelles (personnalité, informations Or les candidats sont très sensibles aux stéréotypes et aux
biographiques...). Tout l’enjeu est de trouver les caractéristiques discriminations qui les menacent. L’emploi massif des tests de
des salariés qui déterminent leur performance pour en faire personnalité nuit d’ailleurs à la crédibilité des recruteurs �: les
des critères de sélection lors de recrutements futurs. cadres craignent que ces interprétations aléatoires, qu’elles leur
Le tout en tenant compte du contexte particulier, celui d’une soient favorables ou défavorables, ne servent à rationaliser des
entreprise donnée��: le principe est donc de déterminer décisions pas très éthiques.
les clés du succès dans un métier, une culture et/ou un mode Pour que ces interprétations soient pertinentes, il faut donc
de management spécifique. qu’elles écartent les croyances et les fausses évidences. C’est
Cette idée, même si elle paraît étonnante, n’est en fait pas aussi à cette condition que le recrutement prédictif pourra être
particulièrement innovante �: l’étude des prédicateurs du succès source de confiance entre candidats et recruteurs.
de carrière est même un sujet plutôt classique en psychologie
expérimentale et en management. La nouveauté réside dans Jean Pralong est professeur associé de gestion des ressources humaine
la démocratisation de ce processus�: avec le développement et titulaire de la chaire Nouvelles Carrières à Neoma Business School.
D
Puis acceptez le poids du hasard et même
de l’accident. Parce qu’il peut y avoir de
ans une époque de crise, il travail ce qui nous déplaît, nous �âche et vraies difficultés et de vrais défauts. Pour-
est de bon ton de se nous déçoit. On programme notre esprit à quoi ne pas les voir comme des accidents
conformer à l’air du ne repérer que le négatif. Et une fois l’habi- de parcours, des étapes incontournables,
temps, et donc de parler tude prise, on cherche aussi les défauts de des aspérités normales ? L’objectif : ne plus
davantage de ses difficul- ceux qui nous entourent : collègues, fa- se considérer comme maudit du destin ou
tés que de ses réussites. mille, amis... prisonnier de sa nature. Et surtout, ne plus
C’est une forme de mo- Cette critique permanente n’est se dire que tout ce qui nous arrive de mau-
destie, certes, mais qui contribue à long pas productive. Au contraire. L’éduca- vais est mérité.
terme au pessimisme et à la perte d’envie. tion comme le progrès économique se
A force de ne raconter que ses échecs, on nourrissent plus d’encouragements et de Michel Lejoyeux est professeur de
psychiatrie à l’université de médecine Paris
ne risque pas d’avoir l’esprit d’entreprise. grati�ications que de menaces. Nous ne Diderot. Son dernier ouvrage, «�Les quatre saisons
Peu à peu, on cherche en soi et dans son nous améliorons pas sous l’effet des de la bonne humeur�», est paru chez Lattès.
I
gagnants�» qui permettent d’avoir plus
d’impact. Tout d’abord, essayez d’obtenir
l n’est pas toujours facile de trouver le rents. Posez des questions ouvertes, cela plus d’informations. Puisque derrière les
bon mot, la réplique appropriée vous permettra de trouver le véritable mêmes mots peuvent se cacher des réalités
lorsqu’on est confronté à la critique. point à traiter pour rassurer votre interlo- différentes, le premier réflexe est de cher-
Bien souvent même, on fait exactement cuteur. Mais cela ne sera possible que si cher à en savoir plus : « C’est-à-dire ? »,
ce qu’il ne faut pas faire. On a tendance vous n’êtes pas déjà parti bille en tête sur « Pouvez-vous m’en dire plus ? », « Qu’est-ce
à se justifier un peu trop, à se défendre une réponse en vous justifiant. que vous entendez par là ? » Ensuite, refor-
à tout prix, à trop parler également… Et Deuxième enseignement�: se maî- mulez. La reformulation est l’occasion de
surtout à adopter tout à coup une posture triser, ça s’apprend. Si vous êtes stressé valider votre compréhension des enjeux.
rigide ou à vous recroqueviller, ce qui for- par la peur de l’échec ou si vous doutez de Elle permet aussi à votre interlocuteur de
cément ne met pas en valeur. vos compétences, vous ne serez pas assez compléter, voire de faire un focus sur un
Il faut voir cette critique, cette objec- ouvert. Il y a alors un travail de fond à point. C’est aussi le moment où il va relâ-
�� %
tion, quelle qu’elle soit, comme un coup cher la pression car il se sentira écouté. Ce
porté lors d’un combat en art martial. Celui seront autant de points marqués en ma-
qui reçoit le coup, s’il se rigidifie, prend de tière de ressenti. Or, on le sait, le feeling sur
plein fouet l’impact. Alors qu’au contraire les postes de direction pèse pour quasi-
celui qui sait être souple, absorber le coup ment 50% dans la décision.
et utiliser l’énergie de son adversaire pour En�in, parlez de faits concrets. Plutôt
réagir va être plus percutant. L’objectif est que dire « J’ai telle ou telle compétence »,
donc d’acquérir cette souplesse. Mais pour
y parvenir, plusieurs choses sont à savoir.
des DRH ont prouvez-le en décrivant ce que vous avez
réalisé et réussi. C’est la meilleure justifica-
Il y a une intention derrière chaque besoin de faire tion possible, qui, du reste, vous procure
critique, et il faut la décrypter. Lors du
processus de sélection, les recruteurs su- passer entre 1 et un double avantage. Tout d’abord, cela
vous replace dans votre domaine de com-
bissent eux aussi un certain stress. Car ils
prennent un risque : recruter représente
3 entretiens avant pétences, ce qui au passage améliore sou-
vent la posture ; ensuite, cela donne à votre
un investissement financier important, il d’embaucher un interlocuteur une vision de vous en poste.
s’agit donc de ne pas se tromper. Au risque
de se décrédibiliser aux yeux de sa hié-
candidat, 36,5% Et dans ce cas, c’est déjà à moitié gagné.
L’objectif est de gagner en fluidité, de
rarchie. Ainsi, toutes les objections du entre 3 et 6, savoir s’adapter à différents « adversaires »,
type : « Vous êtes trop cher », « Vous n’avez
pas telle expérience », « Vous ne connais-
et 4,5% plus de de ne pas être dans un rapport de force
mais, au contraire, de créer un climat de
sez pas assez ce secteur »… cachent en 6 entretiens. confiance. Ce qui, au départ, pouvait s’ap-
réalité un doute, une peur bien réelle �SOURCE�: ROBERT HALF� parenter à une objection se transformera
mais qui parfois n’a rien à voir avec la ainsi en opportunité. Opportunité de ga-
question posée. Tout l’enjeu est de cher- réaliser. Au niveau mental, tout d’abord. gner des points en ce qui concerne vos ca-
cher ce qui se cache derrière cette cri- Quelles sont les pensées qui vous agitent ? pacités relationnelles mais aussi vos com-
tique. Par exemple, une objection sur le Quelles sont vos croyances sur vos com- pétences, en particulier celles qui n’avaient
manque de connaissance du secteur peut pétences ? Etes-vous sûr de pouvoir occu- pas encore forcément été décelées par le
signifier que le DRH se pose des questions per ce poste ? Avant d’aller à un entretien, recruteur.
sur votre légitimité future auprès des préparez-vous : renseignez-vous sur vos
équipes, ou sur votre capacité à avoir une interlocuteurs, l’entreprise, le secteur, et
réelle vision stratégique. anticipez les questions délicates. Faites Marianne Robert de Massy est
consultante, coach et psychologue
Derrière les mêmes mots peuvent se une liste de ce que vous apporteriez à au sein du cabinet de conseil en évolution
cacher des questionnements très diffé- l’entreprise si elle vous recrutait, qu’il professionnelle L’Espace dirigeants.
V
les répercussions négatives qu’aura votre
moindre implication dans vos projets quo-
ous n’avez pas de pers- RAISON 2�: si vous cherchez en tidiens : tensions internes, impact sur
pectives d’évolution étant en poste, vous aurez les mains l’estime que vous avez de vous-même si
dans votre entreprise ? liées. Vous serez gêné(e) pour mener vos vous devenez moins performant(e)… Et si
Vous percevez des si- entretiens ou pour rencontrer des votre relation avec votre employeur de-
gnaux négatifs émis par membres de votre réseau, puisque vos vient compliquée, les références dont
votre environnement démarches ne doivent pas remonter aux vous auriez pu béné�icier seront moins
professionnel ? Dans les oreilles de votre employeur. Or la probabi- positives. Or en shortlist, ce ne seront pas
deux cas, votre premier réflexe est sans lité pour un cadre supérieur ou un diri- vos compétences qui feront la différence :
doute de tenir bon : vous voulez maîtriser le geant de trouver son futur poste via son vous aurez sans doute un niveau d’exper-
timing de votre départ et êtes convaincu(e) réseau est de l’ordre de 80%. Si vous re- tise très proche de celui de vos concur-
que vous trouverez plus facilement un nou- noncez à rencontrer une bonne partie de rents. Ce sera l’envie que vous donnerez
veau poste si vous en avez encore un. vos contacts, ce seront autant de car- de travailler avec vous. C’est pourquoi
Une solution radicale consiste juste- touches en moins pour atteindre vos ob- votre enthousiasme et votre confiance en
ment à prendre l’initiative d’un départ né- jectifs. En outre, beaucoup de démarches vous doivent rester intacts.
gocié. A une situation subie, vous substi- seront délicates à mener discrètement RAISON 3�: quitter une entreprise
tuez une décision délibérée qui vous (passer des appels téléphoniques, hono- pour une autre sans passer par la
permet de réaliser une coupure nette entre rer des rendez-vous…). Vous ne pourrez case négociation n’est pas forcément
les deux périodes, celle du poste que vous utiliser des outils tels que LinkedIn un bon calcul, notamment si vous
occupez et celle de la préparation de votre qu’avec précaution. Le risque, en effet, avez été poussé(e) vers la sortie. Si
prochaine étape. Risqué, pensez-vous ? est qu’une forte activité sur votre profil, vous entamez une négociation avec votre
Voici trois raisons qui pourraient vous inci- l’apparition de mots clés judicieusement employeur, vous pourrez sans doute ob-
ter à vous lancer. choisis ou une mise en avant des résultats tenir une transaction qui vous octroie
RAISON 1�: le regard des recruteurs que vous avez atteints ces derniers mois quelques mois de salaire supplémentaires
a changé sur le cadre supérieur ou le n’éveillent les soupçons. et souvent un outplacement. Cette pres-
dirigeant en recherche d’emploi. Il y a Le temps de préparation dont vous dis- tation peut vous permettre de gagner plu-
dix ans, un cadre qui se faisait licencier était poserez sera aussi plus limité. Or des sieurs mois dans votre recherche d’em-
dans la plupart des cas vaguement suspect études montrent que les conditions opti- ploi. Vous serez accompagné(e) par un
aux yeux de potentiels employeurs. Sans males pour retrouver un emploi résident professionnel qui vous aidera à définir ce
doute avait-il démérité, se disaient-ils. Au- dans la régularité et l’intensité des dé- que vous voulez vraiment et à structurer
jourd’hui, les choses ont changé, chacun marches de prospection et de networking. votre démarche. Il vous fera aussi bénéfi-
sait qu’un dirigeant peut être licencié sans Il est donc indispensable d’y consacrer de cier de son réseau.
que ses compétences soient remises en l’énergie et du temps. Il faut, en moyenne, Certains salariés peuvent considérer
cause et nous avons tous dans notre entou- contacter 100 personnes de son réseau qu’il est déloyal de négocier une indem-
rage plusieurs amis talentueux qui restent pour identi�ier 10 pistes et aboutir à un nité de départ alors que la volonté de par-
quelques mois sur le marché de l’emploi. emploi. En étant en poste, vous aurez peu tir vient d’eux-mêmes. Dites-vous que,
Dans ce contexte, les a priori négatifs des de temps pour préparer vos entretiens. Et votre entreprise n’ayant pas de solution à
chasseurs de têtes se sont considérable- si vous les ratez, vous risquez de perdre vous proposer pour évoluer en interne,
ment allégés, surtout vis-à-vis des diri- confiance en vous et de renoncer. mieux vaut un salarié qui négocie son
geants dont on sait qu’ils sont facilement En�in, le manque de satisfaction que départ qu’un salarié démotivé qui s’ac-
sur un siège éjectable en cas de changement vous ressentez dans votre poste risque croche à son poste.
de stratégie. Ainsi, prendre le risque d’être d’avoir un impact sur vous et donc sur
Isabelle Sathicq-Ruffin est experte en
« sur le marché » n’est plus l’obstacle que l’image que vous renvoyez. En effet, votre outplacement de cadres et de dirigeants,
cela a pu représenter auparavant. démotivation professionnelle ou encore coach certifiée, associée à L’Espace dirigeants.
E
connaissent pas ont tendance à mieux
réussir. Pourquoi ? Parce que leur réseau les
n quelques années, l’expres- travaillé pour des clients, etc. Vous avez connecte à des sources d’information et à
sion « faire carrière » a complè- ainsi accumulé une somme considérable des opportunités plus variées. Chaque
tement changé de sens. D’un de relations : il ne vous reste plus qu’à les contact y joue un rôle particulier, sans au-
côté, les entreprises ne sont entretenir ! Ce réseau-là est particulière- cune redondance avec les autres. Ces résul-
plus en mesure d’offrir à leurs ment solide, car il est composé d’individus tats con�irment que le véritable enjeu
collaborateurs suffisamment qui vous ont vu à l’œuvre et qui seront d’une relation, c’est sa capacité à vous ou-
de perspectives d’évolution donc plus enclins à partager avec vous des vrir l’accès à d’autres milieux que celui que
pour nourrir une vie professionnelle en- opportunités. Restez notamment en rela- vous côtoyez au quotidien.
tière. De l’autre, les salariés sont moins at- tion avec vos anciens managers. Une étude N’évaluez pas vos contacts à l’aune
tachés à leur entreprise, n’hésitant plus à réalisée pour l’Apec (« Six questions pour de ce qu’ils peuvent vous apporter
opter pour des « carrières nomades » et à évaluer votre réseau professionnel ») dans l’immédiat. Une vision court-ter-
réévaluer constamment leur situation, montre que garder le contact avec ses miste et hyperutilitariste est rarement
quitte à aller chercher ailleurs de nouvelles payante. Il est impossible de savoir au-
opportunités. Dans ce contexte de mobi- jourd’hui quelles portes vous ouvriront un
lité accrue, le réseau de relations person- Garder le contact contact dans cinq ou dix ans. Les bons ré-
nelles et professionnelles constitue un
complément indispensable à vos compé- avec ses anciens seauteurs sont ceux qui entretiennent
leurs relations comme un ensemble d’op-
tences et à vos expériences pour accélérer
votre carrière. C’est souvent votre réseau
chefs améliore tions, dont la valeur se révélera à terme, au
gré des événements, et pas forcément par
qui vous informe d’une opportunité d’em- les perspectives le biais de coups de pouce tangibles. En ef-
bauche, qui vous conseille sur la stratégie
à adopter ou qui vous recommande aux de carrière. fet, les gens qui vous entourent constituent
de manière inconsciente une source d’ins-
bonnes personnes. Comment en profiter piration déterminante dans vos choix. En
au mieux ? Si le développement de plate- anciens supérieurs hiérarchiques améliore offrant des points de comparaison, des
formes telles que LinkedIn ou Viadeo fortement les perspectives de carrière. exemples de choix professionnels auda-
semble faciliter les choses, il est nécessaire Evoluant dans d’autres sphères que la cieux, ils influencent vos décisions de car-
de commencer par se débarrasser de vôtre, ils ont accès à des informations que rière. Songez à ce qui se passe en nous
quelques idées reçues. vous n’avez pas. Ils vous connaissent et lorsqu’une vieille connaissance nous ap-
Privilégiez la qualité de vos occupent généralement des positions im- prend qu’elle vient d’accéder à un poste à
contacts plutôt que la quantité. Vous portantes (souvent plus encore que lorsque haute responsabilité, ou qu’elle va « tout
pensez que la meilleure manière de déve- vous avez fait leur connaissance), des- quitter » pour changer radicalement de
lopper votre réseau consiste à être quelles ils peuvent intervenir en votre fa- métier. Cela déclenche généralement un
constamment à l’affût de nouveaux veur. Faites le test : dénombrez toutes les questionnement très bénéfique sur nous-
contacts, à écumer les salons profession- personnes qui vous ont supervisé depuis le même : « Et moi, suis-je à ma place ? Suis-je
nels pour engranger les cartes de visite et à début de votre carrière. Avec combien satisfait de ce que j’ai ? » Etre entouré de
« inviter » systématiquement de nouvelles d’entre elles êtes-vous encore en relation gens brillants, originaux et inventifs a par-
personnes sur LinkedIn ou Viadeo ? Erreur. aujourd’hui ? Si ce nombre est bas, il est fois plus d’impact sur le long terme que
Plusieurs recherches ont montré qu’une temps d’y remédier . connaître quelques personnes haut placées
heure consacrée à essayer de créer des re- Evitez de vous enfermer dans un dont vous pouvez espérer les faveurs.
lations nouvelles est en fait bien moins cercle restreint. Parmi les dix personnes
béné�ique que la même heure passée à que vous considérez comme les plus im-
entretenir ses relations existantes. Tout au portantes pour votre carrière, combien
Barthélemy Chollet est professeur
long de votre parcours, vous avez participé sont déjà connectées les unes aux autres ? associé au département Management
à des projets, appartenu à des équipes, La réponse à cette question en dira long sur et technologie à Grenoble Ecole de management.
PETIT ÉLOGE
DU ��PAS
GENTIL�»
La gentillesse est à la mode.
Pourtant, ce qui est perçu
comme une qualité peut,
dans certaines situations,
s’avérer un handicap.
D
ans le langage des sciences
psychologiques, la gentil-
lesse correspond au trait
appelé « amabilité », qui
représente l’une des cinq
grandes dimensions de la
personnalité, appelées
aussi les Big Five. L’acronyme Ocean per-
met de s’en rappeler facilement : ouver-
ture, conscience, extraversion, amabilité
et névrosisme (appelé aussi instabilité
émotionnelle). On les mesure au moyen
d’instruments psychométriques validés.
Or, depuis plusieurs dizaines d’années,
il est connu que ces grands traits se trans-
mettent de génération en génération et
sont la cause de comportements très di-
vers. Par exemple, les personnes conscien- ont été rémunérés 40 euros pour prendre chaque fois qu’il se trompait. Les électro-
cieuses sont non seulement plus métho- part à un pilote de jeu télévisé nommé « La chocs (�ictifs, comme l’étaient les cris et
diques et organisées, mais elles adoptent Zone extrême ». Grâce à une mise en scène supplications de la victime) ont été regrou-
des modes de vie qui les amènent à avoir ayant nécessité un studio de télévision pés en sept zones, de « choc léger » (20 volts)
une espérance de vie supérieure aux avec les décors du jeu, une équipe tech- à « XXX » (460 volts).
autres. Qu’en est-il des personnes ayant un nique, des effets sonores et des projec- «�Ne vous laissez pas impression-
niveau élevé d’amabilité ? Les études teurs, un public d’une centaine d’individus ner.» Ceux qui rechignaient à poursuivre
montrent qu’elles se montrent plus coopé- et la complicité d’une vedette de télévi- étaient rappelés à l’ordre : « Ne vous laissez
ratives, moins agressives et font plus faci- sion, 80 personnes ont été amenées à pas impressionner, il faut continuer »,
lement con�iance aux autres. Jusqu’ici, croire qu’elles venaient tester un nouveau « Vous devez continuer, c’est la règle », ou
tout va bien. Mais que se passe-t-il quand jeu télévisé. Après un faux tirage au sort, encore « La logique du jeu veut que vous
une personne aimable accorde sa confiance les vainqueurs devaient faire passer un test continuiez ». Plusieurs variantes de l’expé-
à mauvais escient ? Par exemple, à une au- de mémoire à un candidat (en réalité un rience ont été réalisées. Dans un cas, les
torité qui exigerait d’elle une coopération comédien). Le sujet sélectionné lisait au participants pensaient participer à un test
sans faille et dont les conséquences se- comédien une liste de paires de mots (par qui ne passerait pas à la télévision, dans
raient néfastes pour un tiers ? exemple « fortune colossale »). Puis il pro- un autre on leur a dit qu’ils passeraient
Dose mortelle. Cette troublante ques- posait successivement 27 paires de mots et vraiment à la télévision. Dans une troi-
tion a été posée lors d’une expérience me- le partenaire-comédien devait reconnaître sième variante, une (fausse) assistante du
née en France, en 2010, sur la soumission à l’association parmi quatre : fortune im- producteur se présentait (quand les dé-
l’autorité, inspirée d’une célèbre étude de mense, insoupçonnée, colossale ou ca- charges administrées atteignaient
LAURA ZALENGA
psychologie sociale de l’université de Yale chée. Le faux partenaire était attaché dans 200 volts) et contestait le principe du jeu,
dans les années 1960. Les participants, re- une cabine capitonnée et le participant demandant que l’on arrête le « dérapage »,
crutés parmi un panel de 13 000 personnes, devait lui administrer un choc électrique à puis se retirait après avoir été remise à sa
NON, BIEN AU CONTRAIRE. salaire. Il est vrai que, si les à leurs intérêts. En tout cas, fiche de paie�: les salariés
C’est en tout cas ce que révèle personnes considérées comme plus souvent que leurs pénibles gagneraient 18%
une étude américano- gentilles et serviables ne collègues un peu rustres. de plus que leurs collègues
canadienne de trois finissent pas toujours en queue Ainsi, lors des négociations, plus conciliants.
chercheurs, Beth Livingston de peloton, on les retrouve salariales ou autres, les Mais qu’entend-on par «�peu
(université Cornell, Etats- rarement sur le podium. personnes peu aimables aimable�»�? Il ne s’agit pas de
Unis), Timothy Judge Pourquoi�? Parce qu’elles ont obtiennent des règlements personnes égoïstes qui n’ont
(université Notre-Dame, tendance à privilégier individuels souvent plus aucun respect pour les autres.
Etats-Unis) et Charlice Hurst «�l’harmonie sociale�». Elles favorables. Alors que les De manière générale, elles
(université de Western sont donc moins enclines à autres salariés, qui sont même plutôt affables,
Ontario, Canada)�: «�Do Nice remettre en question les entretiennent de bons mais, à la différence des
Guys - and Gals – Really Finish normes en place et cherchent, rapports avec leurs collègues, personnes aimables, elles
Last ? The Joint Effects of Sex avant tout, à éviter le conflit. exigent moins et donc deviennent désagréables dans
and Agreeableness on� Par conséquent, elles sont obtiennent moins à court certaines situations, comme
Income.�» Selon eux, l’amabilité susceptibles de faire des terme. A l’arrivée, la différence lorsqu’elles défendent leur
a même un effet néfaste sur le concessions qui peuvent nuire est bien réelle en bas de la position lors d’un conflit.
B
forme, c’est le fond qui remonte à la sur-
face », disait Victor Hugo.
ien formés, travailleurs, Erreur n°�3�– L’abus de certitudes :
intelligents, les « hauts «�J’ai raison, il n’est donc pas néces-
potentiels » sont avidement saire de me fatiguer à convaincre.�»
recherchés par les em- L’école enseigne des vérités scientifiques.
ployeurs. Pourtant, très L’entreprise est une organisation hu-
souvent, lors de leurs pre- maine, et donc politique. Bien souvent, le
miers pas, ces pro�ils ont haut potentiel, parce qu’il est convaincu
des comportements problématiques de ses connaissances et de son intelli-
envers leur manager ou leurs collègues… gence, rencontre bien des difficultés d’in-
La raison ? Trois erreurs qu’ils com- teraction avec ses collègues. Un compor-
mettent en général et qui les empêchent tement du type « Je sais qu’ils ont tort, ils
de s’intégrer. n’ont qu’à faire comme je dis » n’aboutira
Erreur n°�1�– Ne pas assez commu- certainement pas à des relations saines et
niquer avec son manager direct. risquera même de conduire à des blo-
Le jeune salarié à haut potentiel a typi- cages à moyen ou à long terme.
quement été un étudiant très performant. La première qualité des grands leaders
Il suffisait de lui donner un exercice, un est leur capacité à convaincre. Car si vous
travail ou un devoir, et, quelques jours avez raison tout seul, vous n’irez pas bien
plus tard, il revenait avec une copie im- loin. C’est pourquoi vous devez ap-
peccable. Il ne posait pas de question prendre à identi�ier les arguments qui
idiote au professeur et faisait preuve touchent, et donc ceux qui sont adaptés à
d’une autonomie exceptionnelle. votre audience.
Or ce qui était alors une qualité risque Tous ces problèmes ont un point com-
d’être un problème lors de son premier envisager la situation dans son ensemble mun : le manque de capacités relation-
poste. Habitué à travailler seul, le haut fait qu’il choisira une approche trop théo- nelles, les fameuses « soft skills ». En
potentiel pense que ce que l’on attend de rique et déconnectée de la réalité. Et France, cet aspect est bien souvent mis
lui, c’est qu’il soit autonome, capable de comme il s’isolera pour travailler, cela ne de côté, y compris au sein des formations
se gérer seul, sans poser de questions : fera qu’empirer les choses. les plus réputées. Il est toutefois possible
lorsqu’on lui donne une tâche, il pense La solution ? En tant que débutant, de progresser en se mettant en situation
qu’il lui suf�it de ramener une copie soyez proactif dans votre communica- concrète. C’est toute la force du « learning
impeccable quelques jours plus tard, tion, surtout auprès de votre manager di- by doing », car l’expérience s’acquiert en
comme il le faisait lors de ses études. rect. Il ne s’attend pas à ce que vous pratiquant et au fil du temps.
Erreur. Ce comportement n’est pas connaissiez tout, tout de suite. En re-
HENRIK SORENSEN � GETTY
adapté au monde de l’entreprise. Pour vanche, il voudra que vous lui fournissiez
plusieurs raisons. D’abord, parce qu’il des rapports réguliers sur les tâches ac-
manque d’expérience, il risque de complies et en cours. Souvenez-vous de
Nicolas Glady est docteur en économétrie
s’engager dans une voie sans issue ou l’adage : « Il n’y a de mauvaise nouvelle que et professeur à l’Essec, où il est titulaire de
absurde. En outre, son incapacité à celle dont on a été informé trop tard… » la chaire Accenture Strategic Business Analytics.
I
nique a cependant des limites, car des per-
sonnes n’ayant jamais travaillé ensemble
l y a encore quelques années, parler « moderne » d’un influenceur de l’« ancien peuvent se recommander et ainsi fausser
d’influence dans le monde profession- temps », la présence dans la presse aurait l’impression qu’aura le lecteur.
nel était un sujet tabou réservé aux été remplacée par une présence sociale D’autres éléments donnent une idée
seules relations publiques. L’influence intense qui aurait pour point commun plus précise de la légitimité d’un individu :
était cachée et il était difficile d’en per- l’expertise. les récompenses dans son domaine d’ex-
cevoir les mécanismes. Pourtant, avec Souvent, l’identi�ication des influen- pertise ; les responsabilités au sein d’asso-
la mondialisation de notre société et la ceurs dans le monde numérique est sim- ciations professionnelles qui reflètent la
communication qui l’accompagne, cette plifiée par l’utilisation de « scores » quanti- confiance accordée par des pairs ; les inter-
notion est rapidement entrée dans les tatifs qui reflètent l’impact de la présence ventions dans les écoles et les universités
mœurs et s’est presque banalisée. digitale de chaque personne. Ainsi, les qui illustrent la capacité à faire passer des
LinkedIn a même matérialisé, début Klout, Kred, Social Selling Index et autres idées ; les publications, interviews et cita-
2016, la notion d’« influencer » en sélec- tions dans les médias qui traduisent l’im-
tionnant dans chaque pays les internautes
qui représentaient le mieux ce concept.
Un influenceur, c’est pact sur certaines thématiques ; la partici-
pation à des conférences qui prouvent une
Au-delà de cet exemple, il est souvent un relais d’opinion, certaine aisance à l’oral…
complexe d’identifier les influenceurs, car
ils vont de plus en plus au-delà des cercles
dont l’avis guide Malgré tous ces éléments accessibles en
quelques clics, l’appréciation humaine
des dirigeants les plus connus. A l’heure un grand nombre reste souvent l’élément le plus fiable pour
où les réseaux sociaux ne cessent d’étendre
leur toile, il est intéressant de s’interroger
d’individus. distinguer un influenceur parmi une foule
d’experts. Dans l’univers réel, le bouche-à-
sur les méthodes qui existent pour identi- oreille, la présence dans les médias ou
fier les influenceurs, qu’ils soient numé- outils de scoring classent les utilisateurs en dans les événements professionnels per-
riques, réels, ou le plus souvent… les deux. fonction des résultats d’algorithmes im- mettront de les identifier. Dans l’univers
Un influenceur, c’est un relais d’opinion plémentés par ces plateformes. Mais ces numérique, l’engagement sera le critère le
qui, par sa notoriété, son expertise, son cotations trouvent rapidement leurs li- plus important, c’est-à-dire l’interaction
charisme ou une activité sociale intense, a mites en n’étant pas assez précises en de- générée par leurs tweets ou publications,
un avis qui guide un grand nombre d’indi- hors de l’étude de profils hyperspécialisés au-delà du nombre de followers qui n’est
vidus. Avant le développement d’Internet, en communication ou en marketing. pas le critère le plus pertinent.
c’est par les relations presse et les relations Une autre approche repose sur des mo- L’influence d’une personne se caracté-
publiques que les relais d’opinion exer- teurs d’analyses thématiques. Des outils rise aussi par la diversité de ses relais et sa
çaient leur influence sur la société. Depuis, comme Traackr ou Augure offrent une ap- faculté à propager un signal le plus loin
le pro�il de ces individus a beaucoup proche plus ciblée en classant les experts possible. La présence numérique accentue
changé, notamment avec l’arrivée de nou- en fonction de critères de recherche déter- la visibilité d’un influenceur, mais ne la
veaux outils destinés à véhiculer et à par- minés par leurs utilisateurs (généralement crée pas, car la notoriété est d’abord étroi-
tager leur avis sur un sujet précis ; on parle des agences ou des entreprises). Ce type tement liée à l’expertise. Le meilleur indi-
désormais d’influenceur électronique. d’analyse est complémentaire de la tech- cateur sera sa capacité à générer de l’au-
La question de la légitimité est le nique des scores et donne une vision plus dience dans des lieux très différents. Plus
premier élément qui explique le passage exhaustive des différents types d’influen- son impact sera étendu et varié, plus la
du statut de simple internaute à celui ceurs sur les réseaux sociaux. probabilité qu’il soit vu comme un influen-
d’influenceur électronique. En effet, Une méthode complètement diffé- ceur sera forte.
l’expertise ou la notoriété rend un individu rente, et souvent manuelle, consiste à
plus légitime aux yeux des autres inter- consulter les pro�ils dans une CVthèque Alban Jarry est spécialiste en stratégies
nautes. Pour distinguer un influenceur détaillant l’expertise de ses membres numériques et intervenant à HEC.
L
a plupart des gens ont du mal à et nous conduit vers des positions de dé- nous. Lorsque les émotions prennent le
garder leur sang-froid face à un fense ou de fuite. Cette partie primitive du dessus, que vous êtes agacé, voire blessé
problème ou à un danger. cerveau prend également le dessus par la tournure que prennent les échanges,
Cette difficulté se fait plus for- lorsqu’une discussion s’envenime ou voilà trois questions qui pourront vous
tement sentir lorsqu’ils ont af- qu’un sujet délicat apparaît au cours d’un éviter qu’une conversation ne dérape et
faire à des personnes qui ne échange : la montée d’adrénaline et l’af- vous permettre de faire face rapidement à
partagent pas leur vision des flux sanguin vers nos membres supérieurs des discussions difficiles : est-ce que mon
choses. Ces moments peuvent devenir et inférieurs réduisent alors notre capacité comportement reflète ce que je veux ?
source de conflits et faire perdre leurs de raisonnement et le contrôle de nos Qu’est-ce que je veux vraiment ? De quelle
moyens même aux plus talentueux d’entre émotions, et nous conduisent à réagir de manière dois-je agir pour y parvenir ?
nous. Emotions, enjeux, risque de désac- manière impulsive et irréfléchie. Tout Revenir aux faits tangibles. Quand
cord… Les débats s’enveniment, s’enlisent choix logique semble difficile. « C’est dans nous sommes sous l’emprise des émo-
ou tournent court. les moments qui comptent le plus que les tions, nous avons en général tendance à
Décoder le processus de la pensée. gens se comportent sous leur plus mau- attribuer notre réaction à la façon de se
Si vous faites face à des dysfonctionne- vais jour et font le plus d’erreurs », affirme comporter de notre interlocuteur. L’ex-
ments au sein de votre entreprise, des re- l’auteur à succès et consultant américain plication est pourtant tout autre : le point
tards opérationnels ou des conflits, il est Joseph Grenny. Et pourtant il suf�irait, de départ de toute pensée se trouve dans
fort probable que vous viviez les effets de selon les neurosciences, de réactiver notre un événement que nous observons, une
certaines conversations mal gérées. cerveau pour tout faire rentrer dans situation que nous vivons, des propos
Lorsque certaines personnes s’évitent, se l’ordre : le secret pour maîtriser ses émo- que nous entendons, des choses que
ferment car elles sont en désaccord ou au tions et garder le contrôle d’un instinct nous voyons. Il s’agit là d’éléments fac-
contraire s’agressent, il est intéressant de impulsif est de « nourrir » notre cerveau tuels qui peuvent être vérifiés, puisque ce
décoder le processus de pensée et les élé- reptilien en se posant des questions. Cette sont des faits tangibles ; la pensée hu-
ments qui ont perturbé la conversation, simple activité permet, en effet, de rediri- maine a la capacité immédiate d’analyser
créé des émotions négatives et conduit à ger le flux sanguin vers le cerveau, de cet événement. Elle interprète, suppose,
ces attitudes passives ou défensives. prendre conscience de nos réactions et de évalue, juge, tire des conclusions. Il s’agit
Face à un danger, c’est la partie « repti- réorienter notre comportement en fonc- là d’histoires que l’homme se raconte
lienne » du cerveau qui guide nos réactions tion de ce qui compte réellement pour pour mieux comprendre une situation.
À FORCE D’EN ENTENDRE interlocuteur. Et de mieux menée en France par Hugues d’années ? Parce que même
PARLER, on pourrait croire que communiquer avec lui. Duffau. Ce neurochirurgien a si elle est fausse –�du moins
le concept du «�cerveau Du moins le pensait-on… mis au point un protocole le semble-t-il�– il est juste de
droit�-�cerveau gauche�» est En fait, ce concept ne serait médical pour retirer des penser que des personnes
validé scientifiquement. Or qu’une coquille vide. Deux tumeurs cérébrales. Il endort rationnelles préfèrent être
c’est loin d’être le cas. De quoi études tendent à le prouver. le patient, puis le réveille avec rassurées par des personnes
parle-t-on�? D’une théorie Des chercheurs de l’Utah l’aide d’un anesthésiste. rationnelles, et que des
affirmant que nous utilisons en ont observé les cerveaux L’intérêt ? Opérer en s’assurant individus dits émotionnels sont
priorité l’un ou l’autre de nos de 1�000��volontaires, âgés de immédiatement que le retrait plus en phase avec des êtres
deux hémisphères pour 7 à 29�ans, grâce à des IRM. de la tumeur n’a pas d’impact proches de leur mode de
réfléchir et agir. On dit des Pour chaque candidat, sur le patient et n’altère fonctionnement. Cette logique
personnes à dominante ils ont analysé l’activation pas ses capacités (logique, est bonne intellectuellement,
«�cerveau droit�» qu’elles sont d’environ 7�000��régions de la langue natale, réflexion…). même si elle est
plutôt créatives et que leur matière grise. Or selon eux, Son verdict est clair�: cette scientifiquement erronée.
logique est plus émotionnelle il n’y a pas de preuve tangible théorie n’est pas fondée. Mais les progrès de la
que rationnelle ; et des qui valide ce concept. Il y (Hugues Duffau a ôté l’aire de recherche font évoluer les
personnes à dominante aurait même une corrélation Broca, dite l’«�aire du langage�», concepts, quitte à remettre
«�cerveau gauche�» qu’elles entre les deux hémisphères : chez plus de 100��patients, en cause ce qui jusqu’alors
sont plutôt analytiques, avec une connexion côté gauche sans qu’ils subissent de paraissait brillant et juste.
une logique rationnelle. entraînerait simultanément séquelles, NDLR.) Nicolas Dugay est directeur
Ce concept permet, a priori, une connexion côté droit. Pourquoi alors a-t-elle fait général de Booster Academy
d’adapter son discours à son La seconde étude a été référence pendant tant (performance commerciale).
Q
prise ou d’une filiale de multinationale sur
un marché émergent, par exemple. Celui
u’entend-on par réussite ? qu’en est-il alors de tous les autres ? Et qui aura lancé son entreprise devra prou-
Bien souvent, la réussite lorsqu’ils se retrouvent au sommet, quelles ver qu’il est capable de se renouveler, de se
professionnelle se me- opportunités s’offrent à celles ou ceux qui lancer sur de nouveaux marchés ou
sure au nombre de ont « réussi » ? d’acheter de nouvelles entités pour se dé-
marches que l’on a su velopper. Nouveaux challenges profes-
gravir pour « monter » LA RÉUSSITE N’EMPRUNTE PAS sionnels, nouveaux défis personnels.
dans la hiérarchie. Celui TOUJOURS UN CHEMIN VERTICAL Une idée reçue et solidement ancrée
ou plus rarement celle qui aura accédé au De nombreux dirigeants se retrouvent dans l’inconscient collectif est que la réus-
sommet, assis(e) aux commandes d’une confrontés à cette question à un moment site naît nécessairement d’un chemin
entreprise de plusieurs centaines ou mil- de leur carrière, une fois la montagne gra- tracé vers le haut. Est-il impensable que
liers de salariés (si possible), aura réussi. vie et les sommets apprivoisés : que faire ? l’on puisse réussir en empruntant des
Une question peut cependant se poser : Est-il possible de se renouveler sans cesse chemins de traverse ?
R
ternalisation ou le développement de
certaines technologies, des pans entiers de
etour dans un passé loin- salariés et celles requises par l’économie. l’économie (taxi, librairie, banque, hôtelle-
tain... en 1997. A l’époque, L’automatisation. Tout d’abord, l’au- rie, éducation…) doivent revoir leur busi-
« Les Guignols de l’info » tomatisation progresse, essentiellement ness model, ce qui implique que les sala-
riaient de Jacques Chirac, sous forme de machines ou d’algorithmes, riés s’adaptent à l’évolution des besoins
alors président, qui disait et s’étend à de nouveaux types d’emplois. des employeurs.
que l’employabilité devait La révolution des robots (ou « robolution ») Ces trois grandes transformations sont
être une priorité. Ce terme est en marche. D’après une étude de cher- connues, mais leur impact sur le marché du
n’était pas encore entré dans le langage cheurs à Oxford, 47% des emplois aux travail reste sous-estimé, aussi bien en
courant. Si bien que l’émission satirique de Etats-Unis seraient susceptibles d’être au- termes d’emplois que de compétences.
Canal+ voyait la notion d’employabilité tomatisés d’ici à vingt ans (« The Future of Elles font l’objet de peu de débats en
comme un néologisme aussi loufoque que Employment : How susceptible are jobs to France, contrairement aux Etats-Unis. Une
l’« employabilisme », l’« employabilitude » computerisation ? » [2013], de Carl Benedikt étude, « L’emploi à vie est mort, vive l’em-
ou encore la « chômatisation ». Frey et Michael Osborne). ployabilité ! », publiée par le think tank
Pourtant, la notion d’employabilité est l’Institut de l’entreprise, montre, en s’ap-
presque vieille d’un siècle, même si, puyant sur divers travaux de prospective,
comme le souligne l’économiste du travail
Bernard Gazier, sa définition a varié tout au
Remplacer une que ce ne sont pas nécessairement les
emplois les moins quali�iés qui seront
long du XXe siècle. Aujourd’hui, l’employa- aide-soignante amenés à évoluer le plus. Par exemple,
bilité peut être définie comme la capacité
d’un individu à obtenir un emploi accep- par un robot nous aurons toujours besoin de déména-
geurs : aucune machine ne peut réellement
table au regard de l’adéquation entre ses
caractéristiques personnelles, en particu-
n’est pas encore prendre le relais de ce type de tâches non
industrialisables puisque chaque déména-
lier ses compétences, et les besoins du mar-
ché du travail. Pourquoi l’employabilité
d’actualité. gement est singulier. De même, remplacer
une aide-soignante par un robot n’est pas
devrait-elle être plus que jamais au centre encore d’actualité.
des préoccupations ? Parce que divers phé- L’évolution de l’organisation du tra- Alors, quelles sont les activités les plus
nomènes viennent potentiellement affai- vail. Ensuite, les nouvelles technologies menacées ? Celles dites routinières, qui
blir l’adéquation entre les compétences des bouleversent l’organisation du travail et la suivent des processus clairs et prédéfinis et
C’EST UNE DONNÉE ENCORE PEU CONNUE, car les études à ce de remiser en partie sa casquette d’exécutant.
sujet sont rares. Et pourtant, l’obsolescence des compétences est Consciente et maîtrisée, cette obsolescence offre des
un phénomène qui s’impose dans la vie professionnelle d’un actif, perspectives : elle permet au salarié d’une part d’enrichir son
particulièrement chez les professionnels du numérique. Négligée, bagage professionnel et, d’autre part, de se renouveler et d’avoir
elle peut avoir des conséquences fatales sur sa carrière. Alors une activité plurielle tout au long de sa carrière. Mais encore
que, appréhendée à temps, elle peut offrir des perspectives faut-il prendre le temps de lever la tête du guidon pour observer
d’épanouissement et d’évolution. et comprendre les changements qui s’opèrent. La veille
Le fait d’estimer que ses compétences sont hors d’usage n’est sectorielle est donc indispensable, mais nécessite un effort
pas réellement une nouveauté. Mais hier, cela pouvait se d’organisation. Il faut scanner un spectre suffisamment large mais
manifester à seulement quelques heures de la retraite. également assez spécifique en termes de contenus pour en tirer
Aujourd’hui, tout va très vite. Et l’émergence de nouvelles des enseignements pertinents. «�Demandez à quelqu’un les
technologies n’a de cesse d’accélérer le jeu. Dorénavant, newsletters qu’il reçoit et vous pourrez dire qui il est�», observe
l’obsolescence des compétences menace tout collaborateur dès Marc Drillech, ancien président de Publicis Etoile et de Publicis
lors qu’il a passé quelques années en entreprise. Elle peut Dialog, directeur général de Ionis Education Group. Autre
survenir à la suite d’une évolution technologique, professionnelle, impératif, cette veille doit être suffisamment concise pour ne pas
ou simplement à cause d’un changement de mode. conduire à la noyade par l’information. Autre levier et non des
Dans le domaine du numérique, l’obsolescence est d’autant moindres, la formation professionnelle : elle enrichit de façon
plus d’actualité que l’évolution technologique est exacerbée. pragmatique et ciblée le panel de compétences du salarié.
Certaines approches évoluent presque tous les six mois. La façon Toutes ces remises en question sont autant de pistes pour
de créer un site Web, aujourd’hui, diffère complètement de la repousser les limites du «�principe de Peter�», selon Laurence
procédure utilisée il y a seulement quelques années. Et que dire Peter et Raymond Hull, suivant lequel tout employé a tendance
des méthodes de communication... Il y a un an, on parlait à peine à s’élever jusqu’à son niveau d’incompétence, avec pour corollaire
de «�growth hacking�» (ensemble de techniques de marketing que, avec le temps, tout poste sera occupé par un salarié
permettant d’accélérer rapidement et significativement la qui sera incapable d’en assumer la responsabilité.
croissance d’une start-up). Or c’est devenu l’un des sujets favoris
de l’e-marketing. La mise hors d’usage de savoir-faire peut aussi Cyril Pierre de Geyer est directeur des Executive MBA
se produire lors d’une promotion hiérarchique, par exemple. du groupe Ionis et professeur affilié au département
Le fait d’accéder à une fonction de direction implique, en effet, Entrepreneuriat et innovation d’HEC.
ROULEMENT DES ÉPAULES ÉTIREMENT DU COU ÉTIREMENT OUVERT TORSION POSITION ASSISE
(2 MINUTES) (1 MINUTE) DU BUSTE (1 MINUTE) (2 MINUTES)
• Asseyez-vous bien droit, • Asseyez-vous bien droit sans • Asseyez-vous sur le bord • Asseyez-vous sur le bord de la
levez votre épaule droite que votre dos soit en contact de votre chaise et croisez chaise. Tournez vos hanches
vers votre oreille. avec le dossier de votre les doigts derrière vous, du côté droit de façon
Enroulez-la doucement chaise. Maintenez votre tête paume contre paume. être assis(e) en diagonale.
vers l’arrière en l’éloignant dans le prolongement de la • Penchez-vous lentement S’il y a un accoudoir,
de votre oreille. colonne vertébrale, comme en avant en levant les bras approchez-en votre cuisse
Faites de même avec votre si un fil la tirait vers le haut. jusqu’à sentir l’étirement gauche le plus possible.
épaule gauche. • Penchez votre oreille droite dans la poitrine. • Passez votre bras droit à
• Répétez ce mouvement trois vers votre épaule droite • Inspirez en relevant le buste. l’arrière de la chaise et
fois, en alternant épaule sans lever l’épaule ni tourner Expirez et relâchez les attrapez le dossier avec votre
gauche et épaule droite. la tête. épaules en les éloignant main. Avec la main gauche,
• Levez les deux épaules vers • Inspirez et expirez plusieurs des oreilles. attrapez votre genou droit ou
vos oreilles et maintenez fois en ressentant l’étirement • Tenez la position pendant l’accoudoir. Respirez
la position le temps d’une du côté gauche du cou. 10�à 15 respirations. profondément en cherchant
respiration. Abaissez-les en • Pour accentuer l’étirement, Puis relâchez doucement à étirer votre colonne
les enroulant doucement passez votre main droite vos mains et ramenez-les vertébrale.
vers l’arrière. par-dessus votre tête et sur les côtés. • Tournez-vous vers la droite et
• Recommencez cinq fois posez-la sur le côté gauche appuyez plus fortement sur le
puis relâchez. de votre visage. Maintenez dossier pour accentuer
la pose pendant au moins l’étirement. Abaissez vos
cinq respirations. Relâchez omoplates au maximum.
la main et replacez la • Respirez en remplissant puis
tête droite en vous massant en vidant complètement vos
doucement le cou et les poumons. Maintenez la pose
épaules avec la main gauche. pendant 15 respirations.
• Faites à nouveau l’exercice • Replacez-vous au centre.
du côté gauche. Faites à nouveau l’exercice
du côté gauche.
+ EN CADEAU
POURSUIVEZ L’EXPÉRIENCE AIR
EN TÉLÉCHARGEANT GRATUITEMENT L’APPLICATION* 36