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LUCIUS CAECILIUS FIRMIANUS


LACTANTIUS
DIVINAE INSTITUTIONES
LACTANCE
INSTITUTIONS DIVINES.

LIBER TERTIUS. LIVRE III.


DE FALSA SAPIENTIA DE LA FAUSSE SAGESSE DES
PHILOSOPHORUM. PHILOSOPHES.
CAPUT PRIMUM. Veritatis I. Comme la vérité paraît encore
collatio cum eloquentia; cur eam enveloppée de quelque nuage, ce qui
non sunt assecuti philosophi: de arrive tant par l'ignorance du peuple qui
stylo simplici Scripturarum. est engagé en de vaines et ridicules
Vellem mihi, quando veritas in superstitions, que par la faute des
obscuro latere adhuc existimatur, vel philosophes dont le travail ne sert
errore atque imperitia vulgi, variis et souvent qu'à confondre les matières
ineptis superstitionibus servientis, vel qu'ils traitent au lieu de les débrouiller,
philosophis pravitate ingeniorum je souhaiterais avoir une éloquence non
turbantibus eam potius quam égale à celle de Cicéron, parce qu'elle
illustrantibus, etsi non qualis in Marco était tout à fait extraordinaire et
Tullio fuit, quia praecipua et admirabilis admirable, mais au moins approchant de
fuit, aliquam tamen proximam la sienne, afin de pouvoir apporter à la
eloquentiae contingere facultatem; ut vérité un secours d'une puissance égale
quantum veritas vi sua propria valet, à la sienne, et de répandre sa lumière,
tantum ingenii quoque viribus nixa, afin qu'elle dissipe entièrement les
exereret se aliquando, et discussis ténèbres et les erreurs que les peuples
convictisque tam publicis, quam eorum, et les philosophes ont semées parmi les
qui sapientes putantur erroribus, hommes. J'ai deux raisons qui me
humano generi clarissimum lumen portent à faire ce souhait. L'une est que
inferret. Quod quidem duabus ex causis la vérité sera peut-être plus capable de
fieri vellem: vel quod magis possent plaire aux hommes, quand elle sera
credere homines ornatae veritati, qui parée des ornements par lesquels le

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etiam mendacio credunt, capti orationis mensonge a coutume de les surprendre;
ornatu, lenocinioque verborum; vel l'autre que je serai bien aise de vaincre
certe, ut ipsi philosophi suis armis les philosophes avec les armes dans
potissimum, quibus placere sibi et lesquelles ils mettent leur principale
confidere solent, opprimerentur a nobis. confiance. Mais parce que Dieu a voulu
Sed quoniam Deus hanc voluit rei esse que la vérité fût plus agréable avec sa
naturam, ut simplex et nuda veritas seule beauté naturelle qu'avec ces
esset luculentior, quia satis ornata per se ornements étrangers qui ne serviraient
est, ideoque ornamentis extrinsecus qu'à la défigurer, au lieu que le
additis fucata corrumpitur, mendacium mensonge serait horrible si on lui avait
vero specie placeret aliena, quia per se ôté le masque dont il est couvert, je me
corruptum vanescit ac diffluit, nisi contente de la médiocrité démon esprit.
ornatu aliunde quaesito circumlitum Ce n'a pas été aussi dans mon
fuerit ac politum: aequo animo fero, éloquence, mais dans la vérité que j'ai
ingenium mihi mediocre fuisse mis ma confiance quand j'ai entrepris cet
concessum. Verum ego non eloquentiae, ouvrage. Il est peut-être au-dessus de
sed veritatis fiducia suscepi hoc opus, mes forces, mais quand je succomberais
fortasse majus quam ut possit meis sous le poids, j'espère que Dieu ne
viribus sustineri: quod tamen, etiamsi laisserait pas de faire triompher la
ego defecerim, Deo (cujus est hoc vérité. Si les plus fameux orateurs
munus) adjuvante, veritas ipsa perdent quelquefois des causes contre
complebit. Etenim cum sciam maximos des avocats médiocres, parce qu'alors la
quoque oratores a causidicis vérité a la force de se maintenir toute
mediocribus saepe victos, quod tanta est seule par l'évidence qui l'environne, quel
potentia veritatis, ut seipsam, quamvis sujet aurais-je de craindre qu’en cette
in rebus exiguis, sua claritate defendat: occasion, qui est une des plus
cur hanc ego in maxima causa, ab importantes qui se puisse présenter, elle
ingeniosis quidem illis ac disertis viris, soit opprimée par des hommes qui ont
sed tamen falsa dicentibus, oppressum beaucoup d'éloquence et beaucoup
iri putem? ac non illa, si minus oratione d'esprit, mais qui n'avancent que des
nostra, quae de tenui fonte admodum faussetés manifestes. La vérité paraîtra
exilis emanat, lumine tamen suo clara et fort claire, non de la clarté qu'elle tirera
illustris appareat? Nec si philosophi d'un discours aussi faible que le mien,
doctrina litterarum mirabiles extiterunt, mais de celle qu'elle a de son propre
ego etiam illis scientiam veri fonds. Quelque connaissance que les
cognitionemque concesserim, quam philosophes aient eue des sciences
nemo cogitando, aut disputando assequi profanes, ils n'en ont eu aucune de la
potest. Ne que ego nunc reprehendo vérité, parce qu'elle ne s'acquiert ni par

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eorum studium, qui veritatem scire la voie de méditation, ni par celle de la
voluerunt, quia naturam hominis Deus discussion. Je ne les blâme pas d'avoir
veri adipiscendi cupientissimam fecit: désiré de la connaître, parce que Dieu a
sed id arguo, id revinco, quod honestam mis ce désir dans le cœur de l'homme,
illorum et optimam voluntatem non sit mais je les condamne d'avoir travaillé
secutus effectus; quia neque quid esset inutilement, parce qu'ils ne savaient ni
verum ipsum sciebant, neque quomodo, où était la vérité, ni de quelle manière ou
aut ubi, aut qua mente quaerendum. Ita par quel esprit il fallait se conduire en sa
dum succurrere humanis erroribus recherche. Ainsi ils se sont engagés dans
cupiunt, ipsi se in plagas, et errores l'erreur au temps même qu'ils
maximos induxerunt. Ad hoc igitur me prétendaient en délivrer les autres. La
opus coarguendi philosophiam, suite naturelle de mon sujet m'oblige à
susceptae materiae ordo ipse deduxit. entreprendre dans ce livre-ci de les
Nam cum error omnis, aut ex réfuter. Il n'y a point d'erreur qui ne
religione falsa oriatur, aut ex sapientia, procède ou d'une fausse religion, ou
in eo convincendo necesse est utrumque d'une fausse philosophie. Ainsi, pour
subvertere. Cum enim sit nobis divinis renverser toutes les erreurs, il faut
litteris traditum, cogitationes ruiner ces deux principes. L'Ecriture
philosophorum stultas esse, id ipsum re nous ayant appris qu'il n'y a que de la
et argumentis docendum est: ne quis vanité dans les pensées des philosophes,
honesto sapientiae nomine inductus, aut il faut encore le faire voir par de solides
inanis eloquentiae splendore deceptus, raisons, de peur que quelqu'un surpris
humanis malit quam divinis credere; par le beau nom de la sagesse, ou ébloui
quae quidem tradita sunt breviter ac par le faux éclat de l'éloquence, n'écoute
nude. Nec enim decebat aliter, ut cum plutôt la voix des hommes que celle de
Deus ad hominem loqueretur, Dieu. Quand Dieu parle, il le fait
argumentis assereret suas voces, simplement et en peu de paroles. Et
tanquam fides ei non haberetur: sed, ut certes, il n'était pas à propos qu'il en
oportuit, est locutus, quasi rerum usât autrement, ni qu'il apportât des
omnium maximus judex, cujus est non preuves, comme s'il ne méritait pas
argumentari, sed pronuntiare. Verum d'être cru sans en apporter. Il a parlé,
ipse, ut Deus. Nos autem, cum ad res non comme un philosophe qui raisonne
singulas testimonia divinae vocis et qui dispute, mais comme un juge
habeamus, profecto monstrabimus, souverain qui prononce des arrêts. Pour
quanto certioribus argumentis possint nous, qui avons des passages formels de
vera defendi, cum etiam falso sic l'Ecriture par lesquels nous prouvons
defendantur, ut vera soleant videri. tous les points de notre religion, nous
Quare non est, quod philosophis tantum ferons voir qu'il est facile d'établir la

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honoris habeamus, aut eorum vérité puisque l'on parle quelquefois si
eloquentiam pertimescamus. Loqui enim avantageusement du mensonge qu'on le
bene potuerunt, ut homines eruditi, vere rend presque aussi croyable que la
autem loqui, nullo modo, quia veritatem vérité. Nous ne devons donc pas
non didicerant ab eo, qui ejus potens redouter si fort l'éloquence des
esset. Nec sane magnum aliquid philosophes. Ils ont pu passer pour des
efficiemus, quod illos ignorantiae hommes savants, mais ils n'ont pu
redarguemus, quam ipsi saepissime passer pour des hommes véritables en
confitentur in eo solo, quoniam his non leurs paroles, parce qu'ils n'ont pas
creditur, in quo solo credi debuit; appris la vérité de celui qui peut seul
conabor ostendere, nunquam illos tam l'enseigner. Ce ne nous sera pas un
veridicos fuisse, quam cum sententiam notable avantage de les convaincre
de sua ignoratione dixerunt. d'ignorance en un point où ils la
reconnaissent eux-mêmes, parce qu'ils
ne peuvent trouver de créance sur un
sujet où ils en devaient pourtant plutôt
trouver que sur un autre. Je tâcherai
seulement de prouver qu'ils n'ont jamais
rien avancé de si véritable, que quand ils
ont avoué franchement qu'ils ne
savaient rien.

CAPUT II. De philosophia, et II. Après avoir fait voir dans les deux
quam inanis fuerit ejus in livres précédents la fausseté de la
exponenda veritate occupatio. religion païenne et la source d'où cette
Nunc quoniam duobus prioribus fausseté procède, je tâcherai de
libris religionum falsitas demonstrata découvrir en celui-ci la fausseté de la
est, nec non origo ipsa totius erroris philosophie, afin que les nuages de
exposita: hujus libri munus est toutes les erreurs soient dissipés et qu'il
philosophiam quoque ostendere, quam n'y ait plus rien qui empêche la vérité de
inanis et falsa sit; ut, omni errore paraître avec l'éclat qui lui est propre. Je
sublato, veritas patefacta clarescat. commencerai par le nom de philosophie,
Ordiamur itaque a communi afin qu'ayant coupé la tête, il soit plus
philosophiae nomine, ut ipso capite aisé d'abattre le corps, si néanmoins on
destructo, facilior nobis aditus pateat ad peut appeler corps ce qui n'a que des
excidendum omne corpus: si tamen parties séparées et éparses, qui, étant
potest corpus vocari, cujus partes ac privées du principe de la vie, ne
membra discordent, nec ulla compage manifestent qu'un mouvement de

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inter se cohaereant, sed quasi disjecta et palpitation. Le nom de philosophie et
dissipata, palpitare potius, quam vivere l'explication que l'on en donne
videantur. Philosophia est (ut nomen d'ordinaire marquent assez qu'elle ne
indicat, ipsique definiunt) studium signifie autre chose que l'étude de la
sapientiae. Unde igitur probem magis sagesse. Quelle meilleure preuve
philosophiam non esse sapientiam, pourrais-je jamais avoir pour montrer
quam ex ipsius nominis significatione? que la philosophie n'est pas la sagesse,
Qui enim sapientiae studet, utique que celle qui se tire du nom même de
nondum sapit, sed ut sapere possit philosophie? Celui qui s'adonne à la
studet. In caeteris artibus, studium quid sagesse ne la possède pas encore, mais
efficiat, et quo tendat, apparet. Quas il l'étudie pour la posséder. Personne
cum discendo aliquis assecutus est, jam n'ignore le rapport que l'étude a avec les
non studiosus artificii, sed artifex autres arts que l'on étudie; de ce que
nominatur. At enim verecundiae causa l'on apprend un art on ne le sait pas
studiosos se sapientiae, non sapientes encore. C'est par retenue et par une
vocaverunt. Immo vero Pythagoras, qui honnête pudeur que les philosophes, au
hoc primus nomen invenit, cum paulo lieu de s'appeler sages, ont seulement
plus saperet, quam illi priores, qui se fait profession de rechercher la sagesse.
sapientes putaverunt, intellexit nullo Pythagore inventa le premier ce nom;
humano studio posse ad sapientiam car, étant un peu plus sage que ceux qui
perveniri, et ideo non oportere, croyaient l'être beaucoup, il jugea fort
incomprehensae atque imperfectae rei bien que l'homme ne saurait parvenir
perfectum nomen imponi. Itaque cum ab par son étude à la sagesse et ne crut pas
eo quaereretur, quemnam se devoir prendre le nom d'une chose à
profiteretur, respondit: philosophum, id laquelle il n'osait aspirer. Quand on lui
est, quaesitorem sapientiae. Si ergo demandait de quoi il faisait profession, il
philosophia sapientiam quaerit, nec ipsa répondait qu'il faisait profession de
sapientia est; quia necesse est aliud chercher la sagesse. Si la philosophie est
esse, quod quaerit; aliud, quod la recherche de la sagesse, elle n'est
quaeritur: nec quaesitio ipsa recta est, donc pas la sagesse ; car il y a différence
quia nihil potest invenire. entre la recherche et la chose
Ego vero ne studiosos quidem recherchée. La recherche n'est pas
sapientiae philosophos esse raisonnable quand elle a pour but ce qui
concesserim, quia illo studio ad ne peut se trouver. C'est pourquoi je
sapientiam non pervenitur. Nam si prétends que les philosophes ne
facultas inveniendae veritatis huic studio cherchent pas la sagesse puisqu'ils ne
subjaceret, et si esset id studium l'ont jamais trouvée. S'ils avaient pu la
tamquam iter ad sapientiam, aliquando trouver, ils l'auraient trouvée depuis le

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esset inventa. Cum vero tot temporibus, temps qu'ils la cherchent. Ainsi le temps
tot ingeniis in ejus inquisitione contritis qu'ils ont perdu et la peine qu'ils ont
non sit comprehensa, apparet nullam prise inutilement ne font que trop voir
esse ibi sapientiam. Non ergo sapientiae que la possession de la sagesse n'est ni
student, qui philosophantur: sed ipsi la fin ni le fruit de leur travail. Les
studere se putant; quia illud quod philosophes ne s'adonnent donc pas à
quaerunt, ubi, aut quale sit nesciunt. l'étude de la sagesse, bien qu'ils croient
Sive ergo sapientiae student, sive non s'y adonner. Ils se tourmentent
student, sapientes non sunt; quia inutilement à chercher sans savoir ni ce
nunquam reperiri potest, quod aut non qu'ils cherchent ni le lieu où il se trouve.
recte quaeritur, aut omnino non Enfin les philosophes ne possèdent pas
quaeritur. Videamus tamen id ipsum, la sagesse, soit qu'ils la cherchent ou
possit ne hoc studio reperiri aliquid, an qu'ils ne la cherchent pas ; car il est
nihil. certain que l'on ne trouve une chose que
si on ne la cherche point, ou si on la
cherche d'une autre manière qu'il faut la
chercher. Examinons pourtant si par
cette étude on ne peut rien trouver ou si
l’on peut trouver quelque chose.

CAPUT III. Philosophia quibus III. La philosophie semble ne


rebus constet; et quis fuerit comprendre que deux choses : la science
Academicae sectae auctor et la conjecture. La science ne procède
primarius. pas de l'esprit et ne peut s'acquérir par
Duabus rebus videtur philosophia le seul effet de la méditation et de la
constare, scientia et opinatione, nec ulla pensée. Il n'y a que Dieu qui ait dans lui-
alia re. Scientia ab ingenio venire non même la science de cette sorte. Les
potest, ne cogitatione comprehendi; hommes n'en ont aucune qui ne leur
quia in seipso habere propriam vienne du dehors. La divine providence
scientiam, non hominis, sed Dei est. nous a donné des yeux, des oreilles et
Mortalis autem natura non capit d'autres organes par où ce que nous
scientiam, nisi quae veniat extrinsecus. savons entre dans l'âme. Car prétendre
Idcirco enim oculos, et aures, et découvrir par conjecture ou par

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caeteros sensus patefecit in corpore raisonnement les causes des choses
divina solertia, ut per eos aditus scientia naturelles, et savoir, par exemple, si le
permanaret ad mentem. Nam causas soleil n'est qu'aussi grand qu'il paraît, ou
naturalium rerum disquirere, aut scire s'il est beaucoup plus grand que la terre,
velle: sol utrumne tantus, quantus si la lune est un globe ou si elle n'est
videtur, an multis partibus major sit, qu'un demi-globe, si les étoiles sont
quam omnis haec terra; item, luna attachées au firmament ou si elles ont
globosa sit, an concava; et stellae un mouvement libre au travers de l'air,
utrumne adhaereant coelo, an per quelle est l'épaisseur de la terre, et sur
aerem libero cursu ferantur; coelum quel fondement elle est affermie, ce
ipsum qua magnitudine, qua materia serait une témérité pareille à celle de
constet, utrum quietum sit et immobile, ceux qui entreprendraient de décrire une
an incredibili celeritate volvatur; quanta ville assise dans un pays éloigné, qu'ils
sit terrae crassitudo, aut quibus n'auraient jamais vue et de laquelle ils
fundamentis librata et suspensa sit. n'auraient jamais entendu que
Haec, inquam, disputando, et prononcer le nom; ce serait sans doute
conjecturis velle comprehendere, tale une folie de vouloir parler de la sorte sur
est profecto, quale si disserere velimus, un sujet sur lequel il serait aisé de nous
qualem esse arbitremur cujuspiam convaincre de fausseté. L'extravagance
remotissimae gentis urbem, quam de ceux qui se vantent de savoir des
nunquam vidimus, cujusque nihil aliud choses naturelles qu'il n'est pas possible
quam nomen audivimus. Si nobis in ea de savoir, est beaucoup plus
re scientiam vindicemus, quae non extraordinaire et plus étrange. C'est
potest sciri, nonne insanire videamur, pourquoi Socrate et les académiciens qui
qui id affirmare audeamus, in quo revinci l'ont suivi ont eu raison de nier qu'il y eût
possimus? Quanto magis, qui naturalia, aucune science, parce que, quand on
quae sciri ab homine non possunt, scire prétend parvenir à la science par le
se putant, furiosi dementesque sunt raisonnement, on ne fait que deviner. Il
judicandi. Recte ergo Socrates, et eum n'y a donc plus que des conjectures dans
secuti Academici scientiam sustulerunt, la philosophie, car dès que l'on a ôté la
quae non disputantis, sed divinantis est. science, il ne reste plus que les
Superest, ut opinatio in philosophia sola conjectures. On a des conjectures
sit. Nam unde abest scientia, id totum touchant les choses dont on ne sait rien
possidet opinatio. Id enim opinatur de certain. Ceux qui disputent sur la
quisque, quod nescit. Illi autem, qui de physique conjecturent que les choses
rebus naturalibus disputant, opinantur sont telles qu'ils se les feignent : ils ne
ita esse, ut disputant. Nesciunt igitur le savent donc pas ; quand on sait, on a
de la certitude ; quand on n'a pas de

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veritatem; quoniam scientia, certi est, certitude, on ne sait pas et on n'a qu'une
opinatio, incerti. conjecture. Servons-nous encore une
Redeamus ad illud superius fois de l'exemple que je viens d'apporter.
exemplum. Age, opinemur de statu et Raisonnons chacun selon notre opinion
qualitate urbis illius, quae nobis rebus de l'état d'une ville dont nous ne
omnibus praeter nomen ignota est. connaissons que le nom. Il y a
Verisimile est, in plano sitam, lapideis apparence, dira quelqu'un, qu'elle est
moenibus, aedificiis sublimibus, viis assise dans une plaine, que ses murailles
pluribus, magnificis ornatisque delubris. sont de pierres, que les maisons sont
Describamus, si placet, mores fort hautes, que les rues sont larges et
habitumque civium. Sed cum haec qu'il y a quantité de temples et
dixerimus, alius contraria disputabit; et d'ornements. Entreprenons encore de
cum hic quoque peroraverit, surget et décrire les mœurs et la manière de vivre
tertius, et alii deinceps, et opiniabuntur des habitants. Quand nous en aurons dit
multo disparia, quam nos sumus opinati. ce qui nous sera venu dans l'esprit, un
Quid ergo erit ex omnibus verius? autre en parlera tout autrement, et
fortasse nihil. At omnia sunt dicta, quae après lui un troisième, et d'autres après
in rerum naturam cadunt; ut necesse sit celui-là. Lequel de tous aura dit la
aliquid eorum esse verum. At nescietur, vérité? Aucun peut-être ne l'aura dite;
quis verum dixerit. Potest fieri, ut omnes mais on a dit tout ce qui se rencontre
ex parte aliqua erraverint, ex parte dans les villes, selon le cours commun
attigerint veritatem. Stulti ergo sumus, des choses et selon l'usage le plus
si hoc disputatione quaeramus; potest ordinaire. Ainsi il faut nécessairement
enim supervenire aliquis, qui opiniones que l'on ait dit au moins une partie de la
nostras derideat, nosque pro insanis vérité. S'il arrive que par hasard
habeat, qui velimus id, quod nescimus, quelqu'un ait dit une partie de la vérité,
quale sit, opinari. Verum non opus est on ne le pourra savoir. Peut-être que
longe posita conquirere, unde nemo tous se seront trompés en quelque chose
fortasse veniat, qui nos redarguat. Age, et qu'en quelque chose ils auront
opinemur, quid nunc in foro geratur, approché de la vérité. C'est donc une
quid in curia; longum est id quoque: extravagance de prétendre apprendre
dicamus, interposito uno pariete quid par raisonnement comment une ville que
fiat; nemo potest id scire, nisi qui nous n'avons jamais vue est faite. S'il
audiverit, aut viderit. Nullus igitur audet survenait quelqu'un qui y eût été, il se
id dicere, quia statim non verbis, sed re moquerait de notre folie de parler par
ipsa praesenti refutabitur. Atqui hoc conjecture d'une chose dont nous
idem faciunt philosophi, qui disputant in n'avons point de connaissance. Mais
coelo quid agatur: sed eo se id impune sans parler d'un pays si éloigné d'où

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facere arbitrantur, quia nullus existit, qui personne ne viendra pour réfuter ce que
errores eorum coarguat. Quod si nous en aurons avancé, disons
existimarent descensurum esse aliquem, maintenant par supposition et par
qui eos delirare ac mentiri doceret, conjecture ce que l'on fait ou dans le
nunquam quidquam de iis rebus. quas marché ou dans le palais. Si ces lieux-là
scire non possunt, disputarent. Nec sont encore trop éloignés de nous,
tamen ideo felicior putanda est eorum disons ce qui se fait dans une maison ou
impudentia et audacia, quia non dans un appartement qui n'est séparé
redarguuntur: redarguit enim Deus, cui que par une cloison du lieu où nous
soli veritas nota est, licet connivere sommes. Personne ne le peut savoir, s'il
videatur, eamque hominum sapientiam ne l'a vu ou entendu. Personne aussi
pro summa stultitia computat. n'est assez hardi pour le dire, parce que,
s'il le disait, on le convaincrait de
fausseté, non par un grand nombre de
paroles, mais par la seule évidence du
fait. Les philosophes qui disputent
touchant ce qui se passe dans le ciel
commettent la même faute. Mais ils
s'imaginent que personne ne les peut
reprendre, parce que personne n'a été
au lieu dont ils parlent. Si quelqu'un en
pouvait descendre, et faire voir leurs
impostures et leurs rêveries, ils se
garderaient bien de raisonner sur un
sujet dont ils ne peuvent jamais avoir de
connaissance certaine. Que s'il n'y a
point d'homme qui les reprenne, leur
témérité n'en est pas pour cela plus
heureuse, parce que Dieu, qui sait seul
la vérité, les reprend, bien qu'il semble
garder le silence et regarder leur
prétendue sagesse comme une véritable
folie.

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CAPUT IV. Scientiam a Socrate, IV. Zénon et les stoïciens ont eu
opinationem a Zenone esse raison de rejeter les conjectures ; car ce
sublatam. n'est pas en effet le propre d'un homme
Recte igitur Zeno ac Stoici sage, mais d'un extravagant et d'un
opinationem repudiarunt. Opinari enim téméraire de former des conjectures sur
te scire, quod nescias, non est sapientis, des sujets dont on ne peut rien savoir.
sed temerarii potius, ac stulti. Ergo si Que si l'on ne peut avoir aucune science,
neque sciri quidquam potest, ut Socrates comme Socrate l'a cru, et que l'on ne
docuit, nec opinari oportet ut Zeno, tota doive former aucune conjecture, comme
philosophia sublata est. Quid, quod non Zénon le prétend, voilà toute la
tantum ab his duobus evertitur, qui philosophie renversée. Mais elle ne l'est
philosophiae principes fuerunt, sed ab pas seulement par ces deux célèbres
omnibus; ut jam videatur, jampridem philosophes, elle l'est par tous les
suis armis esse confecta. In multas autres, et elle voit se lever contre elle les
sectas philosophia divisa est; et omnes armes de tous ceux qui sembleraient la
varia sentiunt. In qua ponimus devoir défendre. Elle est divisée en
veritatem? in omnibus certe non potest. plusieurs sectes qui sont différentes de
Designemus quamlibet: nempe in sentiments. En laquelle se trouvera la
caeteris omnibus sapientia non erit. vérité ? Il est clair qu'elle ne se peut
Transeamus ad singulas: eodem modo, trouver en toutes. Fixons-en une où elle
quidquid uni dabimus, caeteris se trouve. Elle n'est donc en nulle des
auferemus. Unaquaeque enim secta autres. Si nous les parcourons toutes,
omnes alias evertit, ut se suaque nous dirons toujours la même chose et
confirmet; nec ulli alteri sapere concedit, nous ne donnerons rien à l'une d'entre
ne se desipere fateatur: sed sicut alias elles que nous ne l'ayons ôté à ses
tollit, sic ipsa quoque ab aliis tollitur rivales. Une secte ne s'établit que par la
omnibus. Nihilominus enim philosophi ruine des autres sectes. Nulle ne veut
sunt, qui eam stultitiae accusant. accorder aux autres la sagesse, parce
Quamcumque laudaveris, veramque que nulle ne veut avouer qu'elle soit
dixeris, a philosophis vituperatur, ut tombée dans la folie. Mais comme
falsa. Credemusne igitur uni sese chacune renverse les autres, chacune
suamque doctrinam laudanti, an multis aussi est renversée de la même sorte.
unius alterius ignorantiam culpantibus? Cependant ce sont des philosophes qui
Rectius sit necesse est, quod plurimi accusent de folie les autres sectes de
sentiunt, quam quod unus. Nemo enim philosophes. Vous n'en sauriez louer une
potest de se recte judicare, quod nobilis qui ne soit blâmée par d'autres. Vous ne
poeta testatur. Ita enim comparatam sauriez lui accorder la vérité, que les
esse hominum naturam omnium, aliena philosophes ne la lui envient.

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ut melius videant, et dijudicent quam Ajouterons-nous foi à une seule qui
sua. Cum igitur omnia incerta sint, aut vantera sa doctrine, ou ajouterons-nous
omnibus credendum est, aut nemini: si foi à plusieurs qui l'accusent
nemini, sapientes ergo non sunt, quia d'ignorance? Le sentiment de plusieurs
singuli diversa affirmantes, sapientes doit sans doute être préféré à celui d'un
esse se putant: si omnibus, aeque non seul. Personne ne juge sainement de soi,
sunt sapientes, quia singuli ab omnibus et, comme a dit un poète célèbre, les
esse negantur sapientes. Pereunt igitur hommes sont faits de telle façon qu'ils
universi hoc modo, et tanquam sparti illi voient beaucoup mieux les affaires
poetarum, sic se invicem jugulant, ut d'autrui que les leurs propres. Tout étant
nemo ex omnibus restet: quod eo fit, incertain de la sorte, ou il faut croire tout
quia gladium habent, scutum non le monde, ou il ne faut croire personne.
habent. S'il ne faut croire personne, il n'y a
Si ergo singulae sectae multarum personne qui soit sage, bien que chacun
sectarum judicio stultitiae convincuntur, prétende l'être. S'il faut croire tout le
omnes igitur vanae, atque inanes monde, on peut dire de la même sorte
reperiuntur: ita seipsam philosophia que tout le monde n'est pas sage, parce
consumit, et conficit. Quod cum qu'il n'y a personne à qui tous les autres
intelligeret Arcesilas Academiae ne disputent l'avantage de la sagesse.
conditor, reprehensiones omnium inter Ainsi ils périssent tous, comme les
se collegit, confessionemque ignorantiae hommes de Cadmus qui se tuent les uns
clarorum philosophorum, armavitque se les autres, ainsi que le raconte la fable,
adversus omnes. Ita constituit novam parce qu'ils ont des épées et n'ont point
non philosophandi philosophiam. Eo de boucliers. S'il n'y a point de secte qui
igitur auctore, duo philosophiae genera ne soit vaine et absurde au jugement
esse coeperunt: unum, illud vetus, quod des autres, il faut nécessairement
scientiam sibi vendicat; alterum, novum qu'elles le soient toutes. Ainsi la
repugnans, quod eam detrahit. In his philosophie se ruine et se détruit elle-
duobus generibus video dissidium, et même. Arcésilas, chef des académiciens,
quasi civile bellum. Sapientiam, quae ayant fort bien prévu cette conséquence,
detrahi non potest, in qua parte amassa ce que chaque secte reprenait
ponemus? Si natura rerum sciri potest, dans les autres, et les confessions que
haec tironum caterva interibit; si non les plus fameux philosophes avaient
potest, veterani conficientur: si pares faites de leur ignorance, se déclara
fuerint, nihilominus peribit dux omnium contre tous et institua une nouvelle
philosophia, quia detracta est; nihil enim philosophie qui consistait à n'en
potest sine interitu sibi esse contrarium. admettre aucune. On a commencé à
Si autem, ut docui, nulla potest esse in avoir depuis lui deux sortes de

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homine interna et propria scientia, ob philosophie, l'ancienne qui prétend à la
fragilitatem conditionis humanae, gloire de la science, et la nouvelle qui y
Arcesilae manus vincit. Sed ne ipsa renonce. Je vois comme une guerre
quidem stabit, quia non potest omnino civile entre ces deux sortes de
nihil sciri. philosophie. À laquelle des deux
accorderons-nous la sagesse que l'on ne
saurait partager? S'il est possible de
pénétrer dans les secrets de la nature,
ces nouveaux philosophes sont perdus;
si cela n'est pas possible, les anciens
sont confondus. Si les deux partis se
maintiennent dans une force égale, la
philosophie qui est comme leur reine ne
laissera pas d'être ruinée, puisqu'elle
sera divisée, et qu'elle trouvera sa ruine
dans sa division. Si la faiblesse de notre
nature nous rend incapables d'aucune
science véritable, le parti d'Arcésilas a
l'avantage. Mais ce parti-là même ne
saurait entièrement subsister, parce
qu'il est impossible qu'on ignore tout.

CAPUT V. Multarum rerum V. Il y a plusieurs choses que la


scientiam esse necessariam. condition de notre nature et la nécessité
Sunt enim multa, quae natura ipsa des affaires nous obligent de savoir. On
nos scire, et usus frequens, et vitae pourrait mourir pour ne pas savoir ce qui
necessitas cogit. Itaque pereundum est, est utile à la conservation de la vie, ou
nisi scias, quae ad vitam sunt utilia, ut ce qui lui est contraire. Il y a d'ailleurs
appetas, quae periculosa, ut fugias et quantité de vérités qui ont été
vites. Praeterea multa sunt, quae usus découvertes par un long usage. Les
invenit. Nam solis ac lunae varii cursus, astronomes ont remarqué le mouvement
et meatus siderum, et ratio temporum du soleil, de la lune et des astres, et la
deprehensa est, et natura corporum a disposition des saisons. Les médecins
medicis, herbarumque vires, et ab ont appris à connaître les diversités des
agricolis natura terrarum, nec non tempéraments, de la force des herbes et
imbrium futurorum, ac tempestatum des remèdes. Les laboureurs
signa collecta sunt. Nulla denique ars connaissent la qualité des terroirs, les
est, quae non scientia constet. Debuit signes des pluies et des changements

13
ergo Arcesilas, si quid saperet, qui arrivent dans l'air. Enfin il n'y a point
distinguere, quae sciri possent, quaeve d'art où il n'y ait quelque chose de
nesciri. Sed si id fecisset, ipse se in certain. C'est pourquoi Arcésilas devait
populum redegisset. Nam vulgus faire distinction entre ce qu'on peut
interdum plus sapit; quia tantum, savoir et ce qu'on ne peut savoir. Mais
quantum opus est sapit. A quo si en faisant cette distinction il serait
quaeras, utrum sciat aliquid, an nihil, descendu au rang du vulgaire.
dicet se scire, quae sciat, fatebitur se Cependant ce vulgaire en sait
nescire, quae nesciat. Recte ergo quelquefois plus que les philosophes,
aliorum sustulit disciplinas, sed non parce qu'il ne sait que ce qu'il est obligé
recte fundavit suam. Ignoratio enim de savoir. Si on lui demande s'il ne sait
rerum omnium non potest esse rien ou s'il sait quelque chose, il déclare
sapientia, cujus est scire proprium. Ita franchement ce qu'il sait et avoue de
cum philosophos expugnaverit, ac même ce qu'il ne sait pas. Arcésilas a
docuerit eos nihil scire, ipse quoque donc bien ruiné les opinions des autres,
nomen philosophi perdidit; quia doctrina mais il a mal établi la sienne; car on ne
ejus est nihil scire. Nam qui alios saurait dire que la sagesse consiste à
reprehendit, quod nesciant, ipse debet tout ignorer. Au contraire, pour être
sciens esse. Cum autem nihil sciat, quae sage, il faut nécessairement savoir
perversitas, quaeve insolentia est, ob id quelque chose. Ainsi en combattant les
ipsum se philosophum constituere, philosophes et en faisant voir qu'ils ne
propter quod caeteros tollat? Possunt savaient rien, il a perdu lui-même cette
enim sic respondere: Si nihil nos scire qualité, puisqu'il fait profession de ne
convincis, et ideo non esse sapientes, rien savoir. Celui qui accuse les autres
quia nihil sciamus; ergone tu quidem es d'ignorance doit être savant. Que s'il ne
sapiens, quia te quoque confiteris nihil l'est pas, c'est un dérèglement et une
scire? Quid ergo promovit Arcesilas, nisi insolence de s'attribuer le titre de
quod confectis omnibus philosophis, philosophe, pour le même sujet qui le
seipsum quoque eodem mucrone fait le refuser aux autres. Les anciens
transfixit? qu'il attaque lui peuvent répondre de
cette sorte: « Si vous nous avez
convaincu de ne rien savoir, et que vous
prétendiez que, puisque nous ne savons
rien, nous ne sommes pas philosophes,
vous ne l'êtes pas plus que nous,
puisque vous avouez que vous ne savez
rien. » Quel avantage a donc remporté
Arcésilas, si ce n'est de s'être percé de

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la même épée dont il avait percé les
autres.

CAPUT VI. De sapientia, et VI. La sagesse ne se trouve-t-elle


Academicis et Physicis. donc nulle part? Elle se trouve parmi les
Nusquam ne igitur sapientia est? philosophes, mais aucun ne la reconnaît.
Immo vero inter ipsos fuit: sed nemo Les uns croient que l'on peut tout savoir,
vidit. Alii putaverunt, sciri posse omnia; et ceux-là n'ont pas la sagesse; les
hi sapientes utique non fuerunt; alii nihil, autres croient que l'on ne peut rien
ne hi quidem sapientes fuerunt; illi, quia savoir, et ceux-là ne l'ont pas non plus.
plus homini dederunt; hi, quia minus: Les premiers donnent plus à l'homme
utrisque in utramque partem modus que ce qui lui appartient ; les derniers lui
defuit. Ubi ergo sapientia est? Ut neque donnent moins. Les uns et les autres se
te omnia scire putes, quod Dei est, portent à des extrémités ridicules. En
neque omnia nescire, quod pecudis. Est quoi consiste donc la sagesse ? Elle
enim aliquod medium, quod sit hominis, consiste à croire que l'homme ne sait pas
id est scientia cum ignoratione conjuncta tout, parce que cela n'appartient qu'à
et temperata. Scientia in nobis ab animo Dieu, ni qu'il n'ignore pas tout, parce que
est, qui oritur e coelo; ignoratio a cela n'est propre qu'aux bêtes. Il y a
corpore, quod est e terra: unde nobis et comme un milieu entre ces deux
cum Deo, et cum animalibus est aliqua extrémités, qui est de savoir et d'ignorer
communitas. Ita quoniam ex his duobos quelque chose, et c'est le partage de
constamus elementis, quorum alterum l'homme. Il a une science mêlée
luce praeditum est, alterum tenebris; d'ignorance. La science vient de son
pars nobis data est scientiae, pars esprit qui a été tiré du ciel, l'ignorance,
ignorantiae. Per hunc quasi pontem de son corps qui a été fait de terre. Une
transire sine cadendi periculo licet; nam de ces parties qui le composent lui est
illi omnes, qui se in alteram partem commune avec Dieu, et l'autre avec les
inclinaverunt, aut dextro, aut sinistro bêtes. L'une a la lumière en partage, et
versus ceciderunt. Utraque autem pars l'autre n'a que les ténèbres. Nous avons
quomodo erraverit, dicam. Academici une partie de science et une partie
contra Physicos ex rebus obscuris d'ignorance. C'est là comme le pont où il
argumentati sunt, nullam esse faut passer pour éviter les précipices.
scientiam, et exemplis paucarum rerum Ceux qui ont pris un autre chemin sont
incomprehensibilium contenti, amplexi tombés de côté ou d'autre. Je dirai ici ce
sunt ignorantiam; tanquam scientiam qui a donné lieu à la chute de l'un ou de
totam sustulissent, quia in parte l'autre des partis. Quand les
sustulerant. Physici contra ex iis, quae académiciens ont vu qu'il y avait des

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aperta sunt, argumentum trahebant, choses obscures dans la nature, ils en
omnia sciri posse, contentique ont tiré cette conséquence contre les
perspicuis, retinebant scientiam; physiciens : qu'il n'y en a aucune qu'on
tanquam totam defendissent, quia ex puisse savoir. Les physiciens, ayant au
parte defenderant. Itaque neque hi contraire apporté un petit nombre de
clara, neque illi obscura viderunt: sed vérités claires et manifestes, en ont
utrique, dum solam scientiam consertis conclu qu'on n'ignore rien. Les premiers
manibus vel retinent, vel eripiunt, non n'ont pas tenu compte de ce qui est clair,
viderunt, in medio constitutam fore, et les seconds n'ont pas tenu compte de
quae illos ad sapientiam transmitteret. ce qui est obscur. Ils se sont tous
Verum Arcesilas ignorantiae efforcés les uns de chasser la science et
magister, cum Zenoni obtrectaret les autres de la retenir, et n'ont vu ni les
principi Stoicorum, ut totam uns ni les autres le chemin par où ils
philosophiam everteret, auctore eussent pu arrivera la sagesse.
Socrate, suscepit hanc sententiam, ut Arcésilas, le défenseur de l'ignorance,
affirmaret nihil sciri posse. Itaque qui parlait fort désavantageusement de
coarguit existimationem philosophorum, Zénon, chef des stoïciens, entreprit, par
qui putassent ingeniis suis erutam esse, l'avis de Socrate, de soutenir que l'on ne
atque inventam veritatem: videlicet, pourrait rien savoir ; ce qui tendait sans
quia mortalis fuerat illa sapientia, doute à la ruine de toute la philosophie.
paucisque ante temporibus instituta, ad Il réfuta l'opinion dont les philosophes se
summum jam incrementum pervenerat, flattaient d'avoir découvert la vérité par
ut jam necessario consenesceret, ac la subtilité de leur esprit. Comme il y
periret, repente extitit Academia, avait quelque temps que cette sagesse
tanquam senectus philosophiae, quae était née et qu'elle avait déjà fait de
illam conficeret jam deflorescentem. notables progrès, elle ne pouvait pas
Recteque vidit Arcesilas, arrogantes, vel être éloignée de sa décadence et de sa
potius stultos esse, qui putent, scientiam fin. L'Académie survint tout à propos
veritatis conjectura posse comprehendi. comme pour avoir soin de ses
Sed tamen falsa dicentem redarguere funérailles. Arcésilas reconnut fort bien
non potest, nisi qui scierit ante, quid sit qu'il y a de la témérité ou plutôt de
verum: quod Arcesilas veritate non l'extravagance à prétendre arriver par
cognita facere conatus, introduxit genus de simples conjectures à la connaissance
philosophiae ἀσύστατον quod latine de la vérité. Cependant on ne saurait
instabile, sive inconstans possumus réfuter la fausseté sans avoir quelque
dicere. Ut enim nihil sciendum sit, aliquid idée de la vérité. Arcésilas l'ayant
sciri necesse est. Nam si omnino nihil néanmoins entrepris, a introduit une
scias, id ipsum, nihil sciri posse, tolletur. sorte de philosophie où il n'y a rien de

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Itaque qui velut sententiae loco stable ni d'assuré. Car c'est savoir
pronuntiat, nihil sciri, tanquam quelque chose que de savoir qu'on ne
praeceptum profitetur et cognitum, ergo peut rien savoir. Si l'on ne savait rien du
aliquid sciri potest. tout, on ne saurait pas que l'on ne peut
Huic simile est illud, quod in scholis rien savoir. Quiconque prononce comme
proponi solet in asystati generis un axiome que l'on ne sait rien,
exemplum; somniasse quemdam, ne prononce que l'on sait quelque chose. Ce
somniis crederet. Si enim crediderit, tum que je dis est semblable à ce que l'on
sequitur ut credendum non sit. Si autem propose d'ordinaire dans les écoles,
non crediderit, tunc sequitur ut comme un exemple de proposition
credendum sit. Ita si nihil sciri potest, douteuse et ambiguë: que quelqu'un a
necesse est, id ipsum sciri, quod nihil songé qu'il ne faut pas ajouter foi aux
sciatur. Si autem scitur, posse nihil sciri, songes. Car s'il ajoute foi à ce songe-là,
falsum est ergo, quod dicitur, nihil posse il s'ensuit qu'il n'y en faut point ajouter;
sciri. Sic inducitur dogma sibi ipsi et s'il n'y en ajoute point, il s'ensuit qu'il
repugnans, seque dissolvens. Sed homo en faut ajouter. Ainsi s'il est vrai qu'on
versutus, caeteris philosophis voluit ne puisse rien savoir, il s'ensuit qu'on
scientiam eripere, ut eam domi sait qu'on ne peut rien savoir, et si l'on
absconderet. Nam sibi illam profecto non sait qu'on ne peut rien savoir, il est faux
adimit, qui aliquid affirmat, ut caeteris qu'on ne puisse rien savoir. Voilà
adimat: sed nihil agit; apparet enim, ac comment on avance une doctrine
furem suum prodit. Quanto faceret contraire à elle-même et qui se détruit.
sapientius ac verius, si exceptione facta, Mais cet homme fin et adroit a lâché de
diceret, causas rationesque duntaxat ravir la science aux autres philosophes,
rerum coelestium, seu naturalium, quia à dessein de la tenir comme cachée chez
sunt abditae, nec sciri posse, quia nullus lui. Car il est clair qu'en l’ôtant aux
doceat, nec quaeri oportere, quia autres, il ne se l'ôte pas à lui-même.
inveniri quaerendo non possunt. Qua Mais il ne réussit pas mieux dans ce
exceptione interposita, et physicos dessein, parce qu'il est aisé de découvrir
admonuisset, ne quaererent ea quae son artifice et son vol. Il aurait agi
modum excederent cogitationis beaucoup plus judicieusement s'il s'était
humanae; et seipsum calumniae invidia contenté de dire : que l'on ne saurait
liberasset; et nobis certe dedisset savoir les causes de ce qui arrive dans la
aliquid, quod sequeremur. Nunc autem nature et dans le ciel, qu'on ne les peut
cum ab illis sequendis nos retraxerit, ne apprendre, parce qu'il n'y a personne qui
velimus plus scire, quam possumus, non les puisse enseigner, et qu'on ne les doit
minus a se quoque ipso retraxit. Quis pas chercher, parce qu'il est impossible
enim velit laborare, ne quidquam sciat? de les trouver. En usant de cette

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aut ejusmodi suscipere doctrinam, ut réserve, il aurait donné un sage conseil
etiam communem scientiam perdat? aux physiciens de ne se point
Quae si doctrina est, scientia constet tourmenter inutilement dans la
necesse est; si non est, quis tam stultus recherche de ce qui est au-dessus de
est, ut discendum id putet, in quo aut leur esprit ; il aurait évité le blâme où il
nihil discitur aut etiam dediscitur? Quare est tombé d'avoir voulu discréditer
si neque omnia sciri possunt, quod toutes les sectes, et nous aurait laissé
physici putaverunt, neque nihil, quod des règles que nous aurions pu suivre en
Academici, philosophia omnis extincta sûreté. Mais en nous détournant de
est. suivre les autres, et de désirer savoir ce
qui peut être su, il nous a détourné de le
suivre lui-même. Car qui voudrait se
donner de la peine pour ne rien
apprendre, ou qui voudrait faire
profession d'une doctrine qui l'obligerait
de renoncer aux lumières les plus
communes? Si c'est une doctrine, en
l’étudiant on doit apprendre quelque
chose ; car qui aurait assez peu d'esprit
pour s'adonner à une étude où il n'y
aurait rien à apprendre et où il faudrait
oublier ce que l'on aurait appris
auparavant? La conclusion de ce
discours est : que, soit que l'on ne puisse
pas tout savoir comme les physiciens
l'ont reconnu, soit que l'on ne puisse rien
savoir comme l'ont prétendu les
académiciens, il n'y a plus de
philosophie.

CAPUT VII. De philosophia VII. Parlons maintenant de la morale


ethica et summo bono. qui est sans doute la partie la plus
Transeamus nunc ad alteram importante de la philosophie, et qui
philosophiae partem, quam ipsi moralem apporte la plus grande utilité, au lieu que
vocant, in qua totius philosophiae ratio la physique ne donne que du plaisir.
continetur; si quidem in illa physica sola Comme il n'y a point de fautes aussi
oblectatio est, in hac etiam utilitas. Et dangereuses que celles qui regardent les

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quoniam in disponendo vitae statu, mœurs, nous ne devons jamais avoir
formandisque moribus, periculo majori plus d'application que quand il s'agit de
peccatur, majorem diligentiam necesse les bien régler. Il y a d'autres matières
est adhiberi, ut sciamus quomodo nos auxquelles on ne prend pas si fort garde,
oporteat vivere. Illic enim potest venia parce que, quand on y réussit, on n'en
concedi; quia sive aliquid dicunt, nihil tire pas grand profit, et quand on se
prosunt, sive delirant, nihil nocent. Hic trompe, on n'en souffre pas grand
vero nullus dissidio, nullus errori est dommage. En matière de morale, il n'est
locus. Unum sentire omnes oportet, pas permis de suivre son caprice ni de se
ipsamque philosophiam uno quasi ore tromper. Tout le monde doit être uni
praecipere; quia si quid fuerit erratum, dans le même sentiment, parce que le
vita omnis evertitur. In illa priori parte ut moindre égarement est d'une grande
periculi minus, ita plus difficultatis est; conséquence pour la suite de la vie. Il y
quod obscura rerum ratio cogit diversa a moins de danger dans la recherche des
et varia sentire. Hic ut periculi plus, ita secrets de la nature, mais il y a aussi
minus dificultatis; quod ipse usus rerum plus d'obscurité, et plus de liberté de
et quotidiana experimenta possunt soutenir ce qui paraît le plus probable.
docere, quid sit verius, et melius. Au contraire, dans le règlement des
Videamus ergo, utrumne consentiant, mœurs, comme il y a plus de danger il y
aut quid nobis afferant, quo rectius vita a moins de difficulté, parce que l'usage
degatur. Non necesse est omnia circuire. et l'expérience nous enseignent ce qu'il
unum eligamus, ac potissimum, quod y a de plus véritable ou de meilleur.
est summum ac principale, in quo totius Voyons donc s'il y a quelque uniformité
sapentiae cardo versatur. Epicurus de sentiments parmi les philosophes
summum bonum in voluptate animi esse touchant la morale et touchant les
censet; Aristippus in voluptate corporis; préceptes qu'ils nous donnent pour la
Callipho et Dinomachus honestatem cum conduite de notre vie. Il n'est pas
voluptate junxerunt; Diodorus cum nécessaire de parcourir toutes les
privatione doloris. Summum bonum questions. Il n'y a qu'à choisir la
posuit Hieronymus in non dolendo; principale et celle d'où les autres
peripatetici autem in bonis animi, et dépendent. Epicure met le souverain
corporis, et fortunae. Herilli summum bien dans le plaisir de l'esprit, et
bonum est scientia; Zenonis, cum natura Aristippe dans le plaisir du corps.
congruenter vivere: quorumdam Calliphon et Dinomaque, Cyrénéens,
stoicorum, virtutem sequi; Aristoteles in joignent l'honnêteté au plaisir. Diodore
honestate ac virtute summum bonum fait consister le souverain bien à être
collocavit. Hae sunt fere omnium exempt de douleur. Hiéronymus à n'en
sententiae. In tanta diversitate, quem pas sentir. Les péripatéticiens

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sequimur? cui credimus? Par est in l'établissent dans les biens de l'esprit, du
omnibus auctoritas. Si eligere possumus corps et de la fortune. Hérille maintient
quod est melius, jam non est philosophia que le souverain bien est de savoir;
nobis necessaria, quia sapientes jam Zénon, que c'est de vivre conformément
sumus, qui de sapientium sententiis à la nature; quelques stoïciens, que c'est
judicemus. Cum vero discendae de suivre la vertu. Aristobée n'en
sapientiae causa veniamus, qui reconnaît que dans l'honnêteté et dans
possumus judicare, qui nondum sapere la vertu. Voila les sentiments des
coeperimus? maxime cum praesto adsit philosophes. Lequel suivrons-nous dans
academicus, qui nos pallio retrahat, ac une si grande diversité ? Leur autorité
vetet cuiquam credere, nec tamen est égale. Si nous sommes capables de
afferat ipse quod sequamur. prendre de nous-mêmes le bon parti,
nous n'aurons pas besoin de nous
adonner s l'étude de la philosophie,
parce que nous sommes montés au
comble de la sagesse, et que nous
sommes les juges de ceux qui font
profession de la chercher. Mais si nous
sommes encore au rang de ceux qui ont
besoin de s'instruire, comment
jugerons-nous de ce que nous n'avons
pas appris, surtout quand un
académicien nous retiendra comme il
fait par le manteau, et nous empêchera
d'ajouter foi à personne, bien que de son
côté il n'avance rien que nous puissions
croire.

CAPUT VIII. De summo bono, et VIII. Que nous reste-t-il à faire, si ce


animi corporisque voluptatibus et n'est de renoncer à des disputes pleines
virtute. d'opiniâtreté et de fureur, et de nous
Quid ergo superest, nisi ut, omissis soumettre à l'équité d'un juge qui
litigatoribus furiosis ac pertinacibus, décidera nos questions, qui nous
veniamus ad judicem illum, scilicet donnera de salutaires préceptes, et nous
datorem simplicis et quietae sapientiae? inspirera une sagesse pure et tranquille.
Quae non tantum formare nos, ac Ce sera de lui que nous apprendrons
inducere in viam possit, verum etiam de quel est le véritable bien de l'homme.
controversiis istorum ferre sententiam. Mais avant de faire voir en quoi il

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Haec nos docet, quid sit hominis verum consiste, il est à propos de réfuter les
ac summum bonum: de quo priusquam opinions que les philosophes ont eues
dicere incipio, illae omnes sententiae sur ce sujet, et de montrer qu'aucun
sunt refellendae, ut appareat neminem d'entre eux n'a approché de la sagesse.
illorum fuisse sapientem. Cum de officio Puisqu'il s'agit ici du principal devoir de
hominis agatur, oportet summum l'homme, il faut nécessairement que son
summi animalis bonum in eo constitui, souverain bien consiste en une chose qui
quod commune cum caeteris animalibus ne lui puisse être commune avec les
esse non possit. Sed ut feris dentes, autres animaux. L'homme doit avoir
armentis cornua, volucribus pennae, quelque chose qui lui soit propre et qu'il
propria sunt: sic homini aliquid suum ne puisse perdre sans perdre sa propre
debet adscribi, sine quo rationem suae nature, comme les loups ont les dents,
conditionis amittat. Nam quod vivendi les taureaux les cornes, et les oiseaux
aut generandi causa datum est omnibus, les ailes. La faculté de vivre ou de
est quidem bonum naturale; summum produire son semblable est un bien
tamen non est, nisi quod est unicuique naturel, mais il n'y a de bien souverain
generi proprium. Sapiens ergo non fuit que celui qui est commun à tous. Celui-
qui summum bonum credidit animi là n'était donc pas un véritable sage qui
voluptatem, quoniam illa sive securitas, a vu que le souverain bien consistait
sive gaudium est, communis est dans le plaisir de l'esprit, parce que, soit
omnibus. Aristippo ne respondendum que ce plaisir soit une joie ou un repos
quidem duco, quem semper in corporis et une sécurité, c'est un bien qui est
voluptates ruentem, nihilque aliud quam commun. Quant à Aristippe, je n'estime
ventri et Veneri servientem, nemini pas qu'il mérite qu'on lui réponde. La
dubium est hominem non fuisse; sic brutalité avec laquelle il s'est plongé en
enim vixit, ut nihil inter eum toute sorte de sales voluptés et la
pecudemque distaret, nisi unum, quod bassesse avec laquelle il s'est rendu
loquebatur. Quod si asino, aut cani, aut esclave des plaisirs des sens ne font que
sui facultas loquendi tribuatur, trop voir que ce n'était pas un homme et
quaerasque ab his, quid sibi velint, cum qu'il n'y avait aucune différence entre lui
feminas tam rabide consectantur, ut vix et les bêtes, si ce n'est qu'il avait l'usage
divelli queant, cibos etiam, potumque de la parole. Si les ânes, les chiens et les
negligant? cur aut alios mares violenter porcs pouvaient parler et qu'on leur
abigant, aut ne victi quidem absistant, demandât pourquoi ils suivent leurs
sed a fortioribus saepe contriti, eo magis femelles avec une ardeur si furieuse
insectentur? cur nec imbres, nec frigora qu'ils ne peuvent s'en séparer, qu'ils
pertimescant, laborem suscipiant, négligent pour cela les aliments, qu'ils se
periculum non recusent? Quid aliud battent contre les autres mâles, qu'ils ne

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respondebunt, nisi summum bonum se rendent pas lors même qu'ils sont
esse corporis voluptatem? eam se abattus, qu'ils méprisent la pluie, le
appetere, ut afficiantur suavissimis froid, le travail et le danger, que
sensibus; eosque esse tanti, ut répondraient-ils, si ce n'est que le plaisir
assequendorum causa, nec laborem sibi du corps est le souverain bien, et que
ullum, nec vulnera, nec mortem ipsam pour en jouir ils n'appréhendent aucun
recusandam putent. Ab hisne igitur mal et ne refusent ni de recevoir des
praecepta vivendi petemus, qui hoc blessures, ni de souffrir la mort.
idem sentiunt, quod animae rationis Recevons-nous des préceptes pour la
expertes? conduite de notre vie de ceux qui n'ont
Aiunt Cyrenaici virtutem ipsam ex point d'autres sentiments que ceux des
eo esse laudandam, quod sit efficiens créatures privées de raison ? Les deux
voluptatis. Verum, inquit obscoenus Cyrénéens disent que la vertu mérite
canis, aut sus ille lutulentus. Nam ideo d'être louée, quand ce ne serait que pour
cum adversario summa virium le plaisir qu'elle donne. « Nous
contentione depugno, ut virtus mea combattons, disent-ils, non comme des
pariat mihi voluptatem, cujus expers sim chiens ou des porcs pour le plaisir du
necesse est, si victus abcessero. Ab his corps, mais pour le plaisir de l'esprit qui
ergo sapere discemus, quos a pecudibus ne vient que de la vertu, et si nous
ac belluis, non sententia, sed lingua sommes vaincus nous serons privés de
discernit? Privationem doloris summum ce plaisir. » Recevons-nous des règles de
bonum putare, non plane sagesse de ceux qui ne sont différents
peripateticorum ac stoicorum, sed des bêtes qu'en la manière de parler
clinicorum philosophorum est. Quis enim plutôt qu'en celle de penser et de
non intelligat ab aegrotis et in aliquo concevoir. Il appartient aux cyniques
dolore positis esse hoc disputatum? Quid plutôt qu'aux péripatéticiens de faire
tam ridiculum, quam id habere pro consister le souverain bien dans
summo bono, quod medicus possit dare? l'exemption de la douleur. Chacun sait
Dolendum est ergo, ut fruamur bono, et que cette question a été fort agitée par
quidem graviter ac saepe, ut sit postea, les malades et ceux qui sentent du mal.
non dolere, jucundius. Miserrimus est Qu'y a-t-il de si ridicule que de prendre
igitur, qui nunquam doluit; quia bono pour le souverain bien, un bien qu'un
caret: quem nos felicissimum médecin nous peut procurer ? Pour jouir
putabamus, quia malo caruit. Ab hac de ce souverain bien il faut avoir souffert
vanitate non longe abfuit, qui, omnino du mal, et afin que cette jouissance soit
nihil dolere, summum bonum dixit. Nam plus agréable, il faut avoir senti les
praeter quod omne animal doloris est douleurs les plus aiguës et les plus
fugiens, quis potest sibi hoc bonum fâcheuses. Celui qui n'en a jamais senti

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praestare, quod nobis ut eveniat, nihil est très misérable parce qu'il est privé du
aliud possumus quam optare? Summum bien, qui consiste à ne plus sentir de
autem bonum non potest efficere douleur, au lieu qu'il semblait heureux
quemquam beatum, nisi semper fuerit in de n'avoir jamais eu de mal. Celui qui a
ipsius potestate: hoc autem non virtus cru que le souverain bien consiste à
homini, non doctrina, non labor, sed n'avoir jamais eu de douleur n'est pas
natura ipsa cunctis animantibus fort éloigné de l'extravagance de
praestat. Qui voluptatem cum honestate l'opinion dont je viens de parler. Car
junxerunt, communionem hanc effugere outre qu'il n'y a point d'animal qui
voluerunt, sed effecerunt repugnans n'évite autant qu'il peut la douleur, qui
bonum; quoniam qui voluptati deditus peut se promettre la possession d'un
est, honestate careat necesse est, qui bien qu'il n'est permis tout au plus que
honestati studet, voluptate. de souhaiter? Or, il est certain que pour
Peripateticorum bonum nimium être heureux, il faut avoir le souverain
multiplex, et exceptis animi bonis, quae bien en sa puissance, ce que ne peuvent
ipsa quae sint, magna contentio est, procurer ni la vertu ni la science, ni le
commune cum belluis potest videri. Nam travail, mais seulement la nature. Ceux
corporis bona, id est, incolumitas, qui ont joint l'honnêteté au plaisir pour
indolentia, valetudo, non minus sunt trouver le souverain bien de l'homme,
mutis, quam homini necessaria; ac ont voulu éviter les inconvénients des
nescio an etiam magis, quia homo et autres opinions, mais ils ont établi un
medelis, et ministeriis sublevari potest, bien contraire à lui-même. Car qui
muta non possunt. Item, quae appellant conque recherche le plaisir n'a pas
fortunae bona; nam sicut homini opibus d'honnêteté, et quiconque a de
ad vitam tuendam, ita illis praeda et l'honnêteté est privé du plaisir. Les
pabulis opus est. Ita inducendo bonum, péripatéticiens font consister le
quod non sit in hominis potestate, totum souverain bien dans un trop grand
hominem alienae ditioni subjugarunt. nombre de sujets et qui semblent
Audianeus etiam Zenonem; nam is communs aux hommes et aux bêtes, à
interdum virtutem somniat. Summum, la réserve des seuls avantages de
inquit, est bonum, cum natura l'esprit, touchant lesquels il y a de
consentanee vivere. Belluarum igitur grandes contestations. Les avantages du
nobis more vivendum est. Nam quae corps, comme l'intégrité des parties,
abesse debent ab homine, in iis omnia l'indolence, la santé ne sont pas moins
deprehenduntur: voluptates appetunt, nécessaires aux bêtes qu'à l'homme. Car
metuunt, fallunt, insidiantur, occidunt; quand l'homme en est privé, il trouve
et, quod ad rem maxime attinet, Deum dans les remèdes et dans la société des
nesciunt. Quid ergo me docet, ut vivam soulagements que les bêtes ne trouvent

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secundum naturam, quae ipsa in point. D'ailleurs quels sont les biens que
deterius prona est, et quibusdam l'on appelle les biens de la fortune ? ce
blandimentis lenioribus in vitia sont des biens qui ne viennent que du
praecipitat? Vel si aliam mutorum, aliam vol et du brigandage, comme les
hominis dicit esse naturam, quod homo commodités de la vie ne procèdent que
ad virtutem sit genitus, nonnihil dicit: des richesses. Ainsi, en introduisant un
sed tamen non erit definitio summi boni; bien qui ne dépend point de l'homme, ils
quia nullum est animal, quod non ont fait dépendre l'homme des choses
secundum naturam suam vivat. extérieures. Écoulons maintenant ce
Qui scientiam summum bonum qu'a dit Zénon, car il semble qu'il ait
fecit, aliquid homini proprium dedit: sed quelquefois quelque idée de la vertu. «
scientiam alterius rei gratia homines Le souverain bien, dit-il, consiste à vivre
appetunt, non propter ipsam. Quis enim conformément à la nature. » Il faut donc
scire contentus est, non expetens vivre de la même manière que les bêtes.
aliquem fructum scientiae? Artes ideo Mais elles vivent d'une manière dont
discuntur, ut exerceantur: exercentur nous devons être fort éloignés. Elles
autem, vel ad subsidia vitae, vel ad cherchent le plaisir, elles craignent, elles
voluptatem, vel ad gloriam. Non est espèrent, elles usent de ruses, tendent
igitur summum bonum, quod non des pièges, tâchent de tromper, de
propter se expetitur. Quid ergo interest surprendre et de tuer, et ce qui est plus
utrum scientiam summum bonum important, elles ne connaissent pas
putemus, an illa ipsa, quae scientia ex se Dieu. Qui est-ce donc qui m'enseigne à
parit, id est, victum, gloriam, vivre conformément à une nature qui ne
voluptatem? quae non sunt homini porte qu'au péché et qui n'a de charmes
propria, et ideo ne summa quidem bona. que pour engager dans le crime ? Que si
Nam voluptatis et victus appetentia non Zénon répond que la nature des hommes
homini solum, sed etiam mutis inest. est différente de celle des bêtes, en ce
Quid cupiditas gloriae? nonne in equis que l'homme est capable de la vertu,
deprehenditur, cum victores exultant, j'avoue que la réponse sera digne de
victi dolent? notre considération. Mais la définition
Tantus amor laudum, tantae est qu'il porte du souverain bien n'en sera
victoria curae. Nec immerito summus pas meilleure, parce qu'il n'y a point
poeta experiendum esse ait, d'animal qui ne vive conformément à la
Et quis cuique dolor victo, quae nature. Ceux qui mettent le souverain
gloria palmae. bien dans la science semblent accorder
Quod si ea, quae parit scientia, quelque chose de particulier à l'homme.
communia sunt cum aliis animalibus, Cependant les hommes ne recherchent
non est ergo summum bonum scientia. pas la science pour elle-même. Car qui

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Praeterea non mediocre hujus est-ce qui se contenir de l'acquérir, sans
definitionis est vitium quod scientia nuda en attendre quelque fruit ? On apprend
ponitur. Incipient enim beati omnes les arts pour les exercer. On les exerce
videri, qui artem aliquam scierint, immo pour le plaisir, pour le profit ou pour la
vero qui et res malas scierint; ut tam gloire. La science n'est donc pas le
beatus sit, qui venena didicerit souverain bien puisqu'on ne la recherche
temperare, quam qui mederi. Quaero pas sur elle-même, mais pour autre
igitur, ad quam rem scientia referenda chose. Quelle différence y a-t-il entre
sit? Si ad causas rerum naturalium, quae mettre le souverain bien dans la science
beatitudo erit mihi proposita, si sciero ou le mettre dans le plaisir, dans le profit
unde Nilus oriatur, vel quidquid de coelo ou dans la gloire que la science peut
physici delirant? Quid, quod earum apporter, c'est-à-dire dans des biens
rerum non est scientia, sed opinatio, qui, n'étant pas propres à l'homme, ne
quae pro ingeniis varia est. Restat ut peuvent jamais être souverains ? Le
scientia bonorum ac malorum summum plaisir et le soin d'amasser des vivres se
bonum sit. Cur ergo scientiam maluit, rencontrent dans les bêtes. Le désir de
quam ipsam sapientiam summum la gloire ne s'y rencontre-t-il pas? ne se
bonum dicere, cum sit utriusque remarque-t-il pas dans les chevaux, et
significatio et vis eadem? Nemo tamen ne voit-on pas qu'ils triomphent de joie
usque adhuc summum bonum dixit esse quand ils ont remporté la victoire, et
sapientiam, quod melius dici potuit. Nam qu'ils sont abattus de tristesse quand ils
scientia parum est ad bonum ont été vaincus? Ils semblent qu'ils
suscipiendum, malumque fugiendum soient sensibles à la gloire et qu'ils
nisi accedat et virtus. Multi enim aiment les louanges. Aussi un poète a-t-
philosophorum, cum de bonis, malisque il dit avec raison combien chacun sent
dissererent, aliter tamen, quam avec douleur sa défaite, avec joie son
loquebantur, natura cogente, vixerunt, triomphe. Si les biens qui procèdent de
quia virtute caruerunt. Virtus autem cum la science sont communs à l'homme et
scientia conjucta est sapientia. aux animaux, la science n'est pas le
Superest ut eos etiam refellamus souverain bien. De plus, on peut
qui virtutem ipsam summum bonum remarquer un autre défaut fort grave
putaverunt, in qua opinione etiam M. dans cette opinion, qui est que la science
Tullius fuit; in quo multum inconsiderati y est nommée d'une manière trop vague
fuerunt. Non enim virtus ipsa est et trop indéfinie ; car si le bonheur
summum bonum, sed effectrix et mater consistait dans la science, tous ceux qui
est summi boni; quoniam perveniri ad sauraient un métier seraient heureux.
illud sine virtute non potest. Utrumque Ceux mêmes qui en sauraient un
intellectu est facile. Quaero enim, mauvais, et ceux qui sauraient

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utrumne ad praeclarum illud bonum détremper des poisons ne seraient pas
facile perveniri putent, an cum moins heureux que ceux qui sauraient
difficultate ac labore? Expediant acumen préparer des remèdes. Je demande donc
suum, erroremque defendant. Si facile de quelle science on entend parler. Si
ad illud, ac sine labore perveniri potest, c'est de la science naturelle, j'en serai
summum bonum non est. Quid enim nos donc plus heureux quand je connaîtrai la
cruciemus, quid conficiamus, enitendo source du Nil, ou que j'aurai appris tout
diebus et noctibus? quandoquidem tam ce que les physiciens disent de ridicule
in promptu id quod quaerimus jacet, ut et d'extravagant touchant le ciel et les
illud quilibet sine ulla contentione animi astres. De plus, on n'a presque aucune
comprehendat. Sed si commune quoque science de ces matières; on n'a que des
ac mediocre quodlibet bonum non nisi conjectures qui sont aussi différentes
labore assequimur quoniam bonorum que les esprits. Il reste donc que ce soit
natura in arduo posita est, malorum in de la science du bien et du mal en
praecipiti, summo igitur labore summum laquelle consiste le souverain bien. Que
bonum assequi necesse est. Quod si ne disait-on plutôt qu'il consiste en la
verissimum est, ergo altera virtute opus sagesse? On aurait sans doute mieux dit,
est, ut perveniamus ad eam virtutem et cependant personne ne s'est avisé de
quae dicitur summum bonum; quod est le dire. Si la science n'est accompagnée
incongruens, et absurdum, ut virtus per de la vertu, elle sert de peu, soit pour
seipsam perveniat ad seipsam. Si non faire le bien ou pour éviter le mal.
potest ad ullum bonum nisi per laborem Plusieurs philosophes ont fait
perveniri, apparet virtutem esse, per d'excellents discours touchant le bien et
quam perveniatur; quoniam in le mal, et ont tenu une conduite fort
suscipiendis perferendisque laboribus, contraire à leurs sentiments, parce qu'ils
vis officiumque virtutis est. n'ont pas eu assez de vertu pour
Ergo summum bonum non potest réprimer les mouvements déréglés de
esse id, per quod necesse est ad aliud leurs passions. L'union de la vertu à la
perveniri. Sed illi, cum ignorarent quid science est ce qui fait la sagesse. Il ne
efficeret virtus, aut quo tenderet, nous reste plus qu'à réfuter l'opinion de
honestius autem nihil reperirent, ceux qui ont cru que la vertu est le
substiterunt in ipsius virtutis nomine, souverain bien. Cicéron a été dans ce
quam nullo proposito emolumento, sentiment, bien que plusieurs se soient
appetendam esse dixerunt, et bonum trompés en le voulant soutenir. La vertu
sibi constituerunt, quod bono indigeret. est plutôt un moyen pour arriver au
Aristoteles ab iis non longe recessit, qui souverain bien, qu'elle n'est le souverain
virtutem cum honestate summum bien. Ce que je dis est aisé à entendre ;
bonum putavit: quasi possit ulla esse car je demande s'il est nécessaire de

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virtus nisi honesta, ac non, si quid prendre beaucoup de peine pour arriver
habuerit turpitudinis, virtus esse à la possession d'un bien si excellent, ou
desinat. Sed vidit fieri posse, ut de si l'on y arrive sans peine. Que ces
virtute pravo judicio male sentiatur; et philosophes fassent paraître ici la
ideo existimatione hominum serviendum subtilité de leur esprit et qu'ils
putavit, quod qui facit, a recto bonoque soutiennent leurs erreurs. Si l'on
discedit, quia non est in nostra potestate parvient aisément à la possession de ce
ut virtus pro suis meritis honestetur. bien, ce n'est pas le bien souverain. Ce
Nam quid est honestas, nisi honor serait fort inutilement que nous nous
perpetuus ad aliquem secundo populi tourmenterions jour et nuit pour le
rumore delatus? Quid ergo fiet, si errore posséder, s'il était à la portée de tout le
ac pravitate hominum, mala existimatio monde, et s'il était permis d'en jouir sans
subsequatur? abjiciemusne virtutem, aucun travail. On n'a aucun bien sans
quia flagitiosa et turpis ab insipientibus peine, pas même le plus médiocre et le
judicetur? Quae quoniam invidia premi, plus commun. Le bien est comme au
ac vexari potest, ut sit ipsa proprium ac sommet d'une montagne, et le mal dans
perpetuum bonum, nullo extrinsecus la pente. Il faut donc nécessairement
adjumento indigere debet, quin suis per faire des efforts pour parvenir à la
se viribus nitatur, et constet. Itaque nec jouissance du souverain bien. S'il faut
ullum ei ab homine bonum sperandum faire des efforts, il faut de la vertu pour
est, nec ullum malum recusandum. les faire, et cette vertu-là par laquelle on
arrivera au souverain bien, sera autre
chose que le souverain bien même; ce
qui semble renfermer une contradiction,
en ce que l'on arriverait à la vertu par la
vertu même. Si l'on ne saurait arriver à
la possession du souverain bien sans
peine ni sans travail, c'est par la vertu
que l'on y arrive, parce que son devoir
est de prendre la peine et de supporter
le travail. La vertu n'est donc pas le
souverain bien, puisqu'elle sert à y
arriver. Ces philosophes ayant ignoré
quel est le propre devoir et la véritable
fin de la vertu, et ne trouvant rien de
plus honnête qu'elles s'y sont arrêtés,
ont assuré qu'il la fallait rechercher sans
intérêt, et l'ont prise pour le souverain

27
bien, quoique elle-même tendit au
souverain bien. Aristobée ne s'est pas
fort éloigné de ce sentiment, quand il a
soutenu que le souverain bien [consistait
dans la vertu jointe à l'honnêteté. La
vertu peut-elle être séparée de
l'honnêteté, et si elle avait quelque
chose de déshonnête ne cesserait-elle
pas d'être vertu ? Ce philosophe a
considéré que les hommes jugent
quelquefois peu favorablement de la
vertu, et il s'est accommodé à l'opinion
du peuple, bien que cela ne puisse se
faire sans blesser la raison et la justice,
parce que l'honneur de la vertu ne
dépend pas de notre suffrage. Cet
honneur est-il rien autre chose que la
louange que donne la multitude ? Si
cette multitude conçoit par légèreté ou
par méprise une fausse opinion sur
quelqu'un, la vertu deviendra-t-elle tout
d'un coup ou criminelle ou infâme? Elle
peut être persécutée par la haine et par
la jalousie des médians. Mais pour être
un bien solide et durable, il faut qu'elle
soit absolument indépendante, et qu'elle
n'ait rien ni à espérer ni à craindre.

CAPUT IX. De summo bono, et IX. Je commencerai maintenant à


de cultu veri Dei; atque Anaxagorae examiner la nature du souverain bien. Il
refutatio. faut convenir d'abord qu'il doit être
Venio nunc ad verae sapientiae propre à l'homme, et que les bêtes n'y
summum bonum, cujus natura hoc sauraient avoir part. En second lieu, il
modo determinanda est. Primum, ut réside dans l'esprit et non dans le corps.
solius hominis sit, nec cadat in ullum Enfin nul ne peut le posséder, qu'il ne
aliud animal; deinde, ut solius animi, nec possède aussi la science et la vertu. Ces
communicari possit cum corpore; trois conditions renversent toutes les
postremo, ut non possit cuiquam sine idées des philosophes; car ils n'avaient

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scientia et virtute contingere. Quae jamais rien conçu de pareil. Je dirai
circumscriptio illas omnes sententias maintenant en quoi consiste le souverain
excludit, ac solvit; eorum enim quae bien, et je ferai voir, comme je l'ai
dixerunt, nihil tale est. Dicam nunc, quid entrepris, que les philosophes n'ont été
sit; ut doceam (quod institui) que des ignorants et des aveugles, qui,
philosophos omnes caecos atque bien loin de le connaître ou de le
insipientes fuisse qui, quod esset homini comprendre, n'ont pu seulement former
summum bonum constitutum, nec une conjecture raisonnable sur ce sujet.
videre, nec intelligere, nec suspicari Comme l'on demandait un jour à
aliquando potuerunt. Anaxagoras, cum Anaxagore pour quelle fin il était né, il
ab eo quaereretur cujus rei causa natus répondit que c'était pour considérer le
esset, respondit, coeli ac solis videndi. soleil et le ciel. Tout le monde a admiré
Hanc vocem admirantur omnes ac cette parole et l'a trouvée digne d'un
philosopho dignam judicant. At ego hunc véritable philosophe. Je crois au
puto non invenientem quid responderet, contraire qu'il ne l'a dite que par hasard,
effudisse hoc passim, ne taceret. Quod ne sachant que répondre et ne voulant
quidem secum, si sapiens fuisset, pas se taire. Pour peu qu'il eût eu de
commentatum et meditatum habere sagesse, il devait avoir souvent pensé
debuit: quia si quis rationem sui nesciat, que quiconque ne sait pas pourquoi il est
nec homo sit quidem. Sed putemus non né, ne mérite pas de vivre. Mais
ex tempore dictum illud effusum. supposons qu'il ne fit pas cette réponse
Videamus, in tribus verbis quot et sur-le-champ et sans l'avoir préméditée,
quanta peccaverit. Primum, quod omne et examinons combien il fit de fautes en
hominis officium in solis oculis posuit, ces trois paroles. La première consiste
nihil ad mentem referens, sed ad corpus en ce qu'il a mis la principale ou plutôt
omnia. Quid si caecus fuerit, officiumne l'unique fonction de l'homme dans les
hominis amittet, quod fieri sine occasu yeux, et en ce qu'il a rapporté tout au
animae non potest? Quid caeterae corps sans rien laisser à l'esprit. S'il avait
corporis partes? num carebunt suis été aveugle, aurait-il perdu pour cela la
quaeque muneribus? Quid, quod plus est fonction que l'homme ne saurait perdre
in auribus, quam in oculis situm; sans perdre son être ? Mais si tout
quoniam et doctrina, et sapientia percipi dépend du ministère des yeux, les autres
auribus solis potest, oculis solis non sens demeureront-ils inutiles ? Les
potest. Coeli ac solis videndi causa natus oreilles servent plus en cela que les
es? Quis te in hoc spectaculum induxit? yeux. On peut acquérir les sciences et la
aut quid coelo rerumque naturae visio sagesse par l’ouïe seule, au lieu qu'on ne
tua confert? Nimirum, ut hoc immensum les peut acquérir par la vue. Vous êtes
et admirabile opus laudes. Confitere né, dites-vous, pour regarder le ciel et le

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ergo rerum omnium esse constitutorem soleil ! Qui vous a commandé de les
Deum, qui te in hunc mundum, quasi regarder, et quel intérêt avez-vous à le
testem laudatoremque tanti sui operis faire ? Est-ce pour louer la grandeur et
induxit. Magnum esse credis videre la beauté de cet ouvrage? Confessez
coelum ac solem: cur ergo gratias non donc qu'il y a un Dieu qui en est l'auteur,
agis ei, qui hujus beneficii auctor est? et qui vous a créés vous-même, afin que
cur non ipsius virtutem, providentiam, vous fussiez le témoin et l'admirateur
potestatem metiris animo, cujus opera des beautés du monde. Vous êtes
miraris? Etenim necesse est, ut multo persuadé que c'est un extrême avantage
mirabilior sit qui mirabilia perfecit. Si te de regarder le ciel et le soleil : que ne
quispiam vocasset ad coenam, in eaque rendez-vous donc de profondes actions
optime acceptus esses, num sanus de grâces à celui de qui vous tenez ce
viderere si pluris faceres ipsam bienfait ? Que ne faites-vous réflexion
voluptatem, quam voluptatis auctorem? sur la providence, sur la sagesse, sur la
Adeo philosophi ad corpus omnia puissance de celui de qui vous ne pouvez
referunt, nihil prorsus ad mentem; nec voir les ouvrages sans être surpris
vident amplius quam quod sub oculos d'étonnement ? Si quelqu'un vous avait
venit. Atqui, remotis omnibus officiis invité à souper, et qu'il vous eût offert
corporis, in sola mente ponenda est un magnifique festin, ne faudrait-il pas
hominis ratio. Non ergo ideo nascimur, que vous eussiez perdu l'esprit, pour
ut ea, quae sunt facta, videamus, sed ut estimer plus le plaisir que vous y auriez
ipsum factorem rerum omnium pris que la personne qui vous l'aurait
contemplemur, id est, mente cernamus. procuré ? Voilà comment les philosophes
Quare si quis hominem, qui vere sapiat, rapportent tout au corps et rien à
interroget, cujus rei gratia natus sit, l'esprit, et comment ils ne voient que ce
respondebit intrepidus ac paratus, qu'on peut voir par les yeux. Cependant
colendi se Dei gratia natum, qui nos ideo il faut faire cesser les actions des sens,
generavit, ut ei serviamus. Servire pour écouter ce que dicte la raison qui
autem Deo, nihil aliud est, quam bonis réside dans l'âme. Nous sommes nés
operibus tueri et conservare justitiam. non pour regarder les créatures, mais
Sed ille, ut homo divinarum rerum pour considérer le créateur. Il n'y a
imperitus, rem maximam redegit ad personne, pour peu qu'il ait de sagesse,
minimum, duo sola deligendo, quae sibi qui, si on lui demandait pour quel sujet
diceret intuenda. Quod si natum se esse il est né, ne fût prêt à répondre
dixisset, ut mundum intueretur, hardiment qu'il est né pour rendre au
quanquam omnia comprehenderet, ac Dieu de qui il tient la naissance le service
majori uteretur sono, tamen non qu'il lui doit, service qui ne consiste qu'à
implesset hominis officium: quia quanto conserver, par la pureté de ses actions,

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pluris est anima quam corpus, tanto l'innocence qu'il a reçue de sa grâce.
pluris est Deus, quam mundus, quia Mais ce philosophe qui n'était point
mundum Deus fecit et regit. Non ergo instruit des choses de Dieu a réduit
mundus oculis, quia utrumque est presque à rien le plus important de tous
corpus, sed Deus animo contemplandus les devoirs, quand il a dit qu'il n'était né
est: quia Deus, ut est ipse immortalis, que pour regarder deux créatures. S'il
sic animum voluit esse sempiternum. avait dit qu'il était né pour regarder
Dei autem contemplatio est, venerari et l'univers, il aurait embrassé un plus
colere communem parentem generis vaste sujet, et n'aurait pas encore rempli
humani. Quod si a philosophis abfuit, tous ses devoirs. Dieu étant plus élevé
projectique in terram fuerunt divina au-dessus de l'univers qu'il a créé et qu'il
ignorando, existimandus est gouverne, que l'âme ne l'est au-dessus
Anaxagoras, ad quae videnda natum se du corps, il ne faut donc pas s'arrêter à
esse dixit, nec coelum vidisse, nec regarder l'univers qui est corporel avec
solem. Expedita est igitur hominis ratio, les yeux qui sont aussi corporels; il faut
si sapiat: cujus propria est humanitas. élever l'âme qui est immortelle jusqu'à
Nam ipsa humanitas quid est, nisi la contemplation de Dieu qui est éternel,
justitia? quid est justitia, nisi pietas? et joindre à cette contemplation un
pietas autem nihil aliud est, quam Dei respect sincère qui lui est dû, comme au
parentis agnitio. père commun de tous les hommes.
Comme les philosophes, bien loin de
s'élever de la sorte, sont demeurés
attachés par leur ignorance à la terre, il
y a apparence qu'Anaxagore ne
regardait jamais le ciel ni le soleil, bien
qu'il ait dit qu'il était né pour les
regarder. J'ai expliqué en quoi consiste
le principal devoir de l'homme, et il n'y a
personne qui, pour peu qu'il ait de
sagesse, ne le puisse aisément
comprendre. Ce devoir n'est rien autre
chose que l'humanité ; l'humanité n'est
autre chose que la justice; la justice
n'est autre chose que la piété ; la piété
n'est autre chose que la connaissance de
Dieu, qui est notre père.

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CAPUT X. Proprium hominis est X. Le souverain bien de l'homme
Deum cognoscere et colere. consiste dans la religion, et les autres
Summum igitur hominis bonum in biens qui lui semblent propres lui sont
sola religione est; nam caetera, etiam communs avec les animaux. N'ont-ils
quae putantur esse homini propria, in pas des voix et des sons par lesquels ils
caeteris quoque animalibus reperiuntur. semblent parler et s'entretenir
Cum enim suas voces propriis inter se ensemble? Ne semble-t-il pas qu'ils rient
notis discernunt atque dignoscunt, quand ils caressent ou les hommes ou
colloqui videntur; ridendi quoque ratio leurs petits, avec divers mouvements
apparet in his aliqua, cum demulsis des oreilles, du nez, et des yeux ? N'ont-
auribus, contractoque rictu, et oculis in ils pas de l'amour les uns pour les autres,
lasciviam resolutis, aut homini alludunt, et ne font-ils pas beaucoup de choses
aut suis quisque conjugibus ac foetibus par le mouvement de cet amour ? N'ont-
propriis. Nonne aliquid amori mutuo et ils pas le soin de faire des provisions et
indulgentiae simile impartiunt? Jam illa de serrer de quoi vivre à l'avenir ? On
quae sibi prospiciunt in futurum, et cibos voit en plusieurs des signes de raison,
reponunt, habent utique providentiam. comme quand ils poursuivent ce qui leur
Rationis quoque signa in multis est propre ; qu'ils s'éloignent de ce qui
deprehenduntur. Nam quando utilia sibi leur est contraire ; qu'ils évitent les
appetunt, mala cavent, pericula vitant, dangers, et qu'ils se font des tanières à
latibula sibi parant in plures exitus différentes issues. Peut-on nier qu'ils
dispatentia, profecto aliquid intelligunt. n'aient quelque sorte de raison,
Potest aliquis negare illis inesse puisqu'ils trompent souvent les
rationem, cum hominem ipsum saepe hommes? Les abeilles font comme une
deludant? Nam quibus generandi mellis petite république dans leurs ruches;
officium est, cum assignatas incolunt elles y bâtissent des cellules avec un art
sedes, castra muniunt, domicilia merveilleux ; elles s'y fortifient ; elles y
inenarrabili arte componunt, regi suo obéissent à leur roi ; et l'on peut même
serviunt; nescio an non in his perfecta sit douter si elles n'ont pas une prudence
prudentia. Incertum est igitur, utrumne achevée. Il est donc probable que la
illa, quae homini tribuuntur, communia plupart des biens que l'on attribue à
sint cum aliis viventibus: religionis certe l'homme appartiennent aussi aux autres
sunt expertia. Equidem sic arbitror, animaux. Mais il est certain qu'ils n'ont
universis animalibus datam esse point de religion. Pour moi, je me
rationem, sed mutis tantummodo ad persuade que la raison a été donnée à
vitam tuendam, homini etiam ad tous les animaux; mais qu'au lieu qu'elle
propagandam. Et quia in homine ipsa n'a été donnée aux autres que pour
ratio perfecta est, sapientia nominatur: défendre leur vie, elle a été donnée aux

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quae in hoc eximium facit hominem, hommes pour la communiquer. Comme
quod soli datum est intelligere divina. cette raison est parfaite et consommée
Qua de re Ciceronis vera est sententia. « dans l'homme, on l'appelle sagesse, et
Ex tot, inquit, generibus nullum est c'est par elle qu'il connaît Dieu. Le
animal praeter hominem, quod habeat sentiment de Cicéron sur ce sujet est
notitiam aliquam Dei; ipsisque in très véritable. « Il n'y a, dit-il, que
hominibus nulla gens est, neque tam l'homme qui, parmi un grand nombre
immansueta, neque tam fera, quae non, d'animaux de différentes espèces, ait
etiamsi ignoret qualem Deum haberi quelque connaissance de la divinité. Mais
deceat, tamen habendum sciat. » Ex quo parmi les hommes il n'y a point de nation
efficitur, ut is agnoscat Deum, qui, unde si barbare, ni si farouche, qui ne sache
ortus sit, quasi recordetur. Qui ergo pas qu'il est celui qu'il faut adorer. » Il
philosophi volunt animos omni metu suit de là que quiconque se souvient de
liberare, tollunt etiam religionem, et son origine, reconnaît qu'il y a un Dieu.
orbant hominem suo proprio ac singulari Les philosophes, qui ont voulu délivrer
bono, quod est a recte vivendo, atque ab les esprits de toute sorte de crainte, ont
omni humanitate disjunctum: quia Deus, ôté toute sorte de religion. Il est certain
ut cuncta viventia subjecit homini, sic qu'ils ne pourraient rien faire de plus
ipsum hominem sibi. Nam quid est, cur contraire à l'humanité, ni à la raison ; car
iidem ipsi disputent, eo dirigendam esse comme Dieu a assujetti les animaux à
mentem, quo vultus erectus est? Si enim l'homme, il a assujetti l'homme à lui-
nobis in coelum spectandum est, ad nihil même. D'où vient que ces philosophes
aliud utique quam ob religionem. Si disent que nous devons élever notre
religio tollitur, nulla nobis ratio cum esprit au lieu même où nous levons les
coelo est. Itaque aut eo est spectandum, yeux, si ce n'est pour nous avertir de
aut in terram procumbendum. In terram nous acquitter des devoirs de la religion?
procumbere ne si velimus quidem S'il n'y a point de religion, quel rapport
possumus, quorum status rectus est. In avons-nous avec le ciel? Il faut nous
coelum igitur spectandum est, quo élever vers le ciel ou nous abaisser vers
natura corporis provocat. Quod si la terre. Nous ne saurions nous abaisser
constat esse faciendum, aut ideo est vers la terre quand nous le voudrions,
faciendum, ut religioni serviamus, aut parce que notre taille est naturellement
ideo, ut rationem rerum coelestium droite et élevée. Il faut donc regarder le
cognoscamus. Sed rationem rerum ciel. Mais on ne le peut regarder qu'à
coelestium cognoscere nullo modo dessein ou de s'acquitter des devoirs de
possumus: quia nihil ejusmodi potest la religion, ou d'apprendre le
cogitando inveniri, sicut supra docui. mouvement et le cours des astres. J'ai
Religioni ergo serviendum est quam qui déjà fait voir que nous ne saurions

33
non suscipit, ipse se prosternit in terram, découvrir, par nos pensées et par nos
et vitam pecudum secutus, humanitate raisonnements, quel est ce mouvement
se abdicat. Sapientiores ergo imperiti, et ce cours. Ce n'est donc que pour
qui etiam si errant in religione deligenda, s'acquitter des devoirs de la religion qu'il
tamen naturae suae conditionisque faut regarder le ciel ; et si on ne le
meminerunt. regarde, on rampe sur la terre comme
des bêtes, et on renonce à la dignité de
la nature humaine. Le peuple avec toute
son ignorance est plus sage que les
philosophes, parce que bien qu'il se
trompe dans le choix de la religion, il
n'oublie pas entièrement l'excellence de
sa nature et de sa condition.

CAPUT XI. De religione, XI. C'est une maxime reçue par le


sapientia, ac summo bono. consentement unanime de tous les
Constat igitur, totius humani peuples qu'il faut avoir une religion. D'où
generis consensu, religionem suscipi vient donc qu'ils s'accordent si peu dans
oportere: sed quomodo in ea erretur le choix? Je tâcherai de faire voir d'où
explicandum est. Naturam hominis hanc procède un égarement si général et si
Deus esse voluit, ut duarum rerum déplorable. Dieu a formé l'homme de
cupidus et appetens esset, religionis et telle sorte, qu'il lui a donné le désir de
sapientiae. Sed homines ideo falluntur, connaître la religion et la sagesse; mais
quod aut religionem suscipiunt, omissa la plupart se trompent, ou en ce qu'ils
sapientia, aut sapientiae soli student, embrassent une religion sans s'adonner
omissa religione, cum alterum sine à l'étude de la sagesse, ou en ce qu'ils
altero esse non possit verum. Cadunt s'adonnent à l'étude de la sagesse sans
ergo ad multiplices religiones, sed ideo prendre aucun soin de s'instruire de la
falsas, quia sapientiam reliquerunt, quae religion. Il fallait cependant joindre ces
illos docere poterat deos multos esse deux choses ensemble, parce qu'il est
non posse: aut student sapientiae, sed impossible que l'une subsiste sans
ideo falsae, quia religionem summi Dei l'autre ; ou ils s'engagent en diverses
omiserunt, qui eos ad veri scientiam religions, qui sont toutes fausses, parce
potuit erudire. Sic homines, qui qu'ils ont quitté la sagesse qui leur avait
alterutrum suscipiunt, viam deviam, appris qu'il est impossible qu'il y ait
maximisque erroribus plenam plusieurs dieux ; ou ils s'adonnent à
sequuntur, quoniam in his duobus l'étude d'une sagesse qui est fausse,
inseparabiliter connexis, et officium parce qu'ils n'ont pas embrassé la

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hominis, et veritas omnis inclusa est. religion du vrai Dieu, qui les aurait
Miror itaque nullum omnino conduits à la vérité : ainsi ils tombent
philosophorum extitisse, qui sedem, ac dans quantité d'erreurs en séparant la
domicilium summi boni reperiret. recherche de la religion de l'étude de la
Potuerunt enim sic quaerere. sagesse; au lieu qu'en les joignant, ils
Quodcumque est summum bonum, pourraient parvenir à la connaissance de
necesse est omnibus esse propositum. la vérité, et s'acquitter du plus important
Voluptas est, quae appetitur a cunctis: de tous les devoirs. Pour moi, je
sed haec et communis est cum belluis, m'étonne qu'aucun philosophe n'ait
et honesti vim non habet, et satietatem jamais pu découvrir en quoi consiste le
affert, et nimia nocet, et processu souverain bien ; car il leur était aisé de
minuitur aetatis, et multis non contingit; raisonner de cette sorte. Le souverain
nam qui opibus carent, quorum major bien doit être proposé et comme offert à
est numerus, etiam voluptate careant tout le monde. La volupté est peut-être
necesse est. Non est igitur summum proposée à tout le monde, car il n'y a
bonum, sed ne bonum quidem voluptas. personne qui ne souhaite d'en jouir;
Quid divitiae? Multo magis. Nam et mais elle ne convient qu'aux bêtes ; elle
paucioribus, et plerumque casu, et n'a rien d'honnête ; elle cause du dégoût
inertibus saepe, et nonnumquam scelere ; elle nuit par son excès ; elle diminue à
contingunt, et optantur ab iis qui eas jam mesure que l'âge avance, et elle ne se
tenent. Quid regnum ipsum? Ne id fait pas sentir A tout le monde, car ceux
quidem. Non enim cuncti homines qui ne sont pas riches, et ceux-là sont en
regnare possunt; et necesse est grand nombre, sont privés pour
universos summi boni capaces esse. l'ordinaire des plus douces et des plus
Quaeramus igitur aliquid, quod agréables voluptés. La volupté n'est
propositum sit omnibus. Num virtus? donc pas le souverain bien, ou ce n'est
Negari non potest, quin et bonum sit, et pas même un bien. Que dirons-nous des
omnium certe bonum. Sed si beata esse richesses ? elles le sont encore moins
non potest, quia vis et natura ejus in que la volupté. Elles sont possédées par
malorum perferentia posita est, non est un plus petit nombre de personnes, et
profecto summum bonum. Quaeramus quelquefois par des lâches qui ne les
aliud. At nihil virtute pulchrius, nihil méritent pas. Elles arrivent souvent par
sapiente dignius inveniri potest. Si enim hasard; souvent elles ne sont amassées
vitia ob turpitudinem fugienda sunt, que par des crimes, et quand on en a, on
virtus igitur appetenda est ob decorem. en désire encore davantage. Le
Quid ergo? Potestne fieri, ut quod souverain bien consistera-t-il dans la
bonum, quod honestum esse constat, possession des royaumes ou des
mercede ac praemio careat, sitque tam empires? Il est impossible qu'il consiste

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sterile, ut nihil ex se commodi pariat? en cela; car tout le monde ne peut pas
Labor ille magnus, et difficultas, et régner, et tout le monde doit aspirer à la
eluctatio adversus mala, quibus haec jouissance du souverain bien. Cherchons
vita plena est, aliquid magni boni pariat donc quelque autre chose où tout le
necesse est. Id vero quid esse dicemus? monde puisse prétendre, ne sera-ce
Num voluptatem? at nihil turpe ex point la vertu ? Mais si elle ne peut nous
honesto nasci potest. Num divitias? num rendre heureux, parce qu'elle consiste à
potestates? at ea quidem fragilia sunt, et supporter le mal, elle ne peut non plus
caduca. Num gloriam? num honorem? être le souverain bien. Cherchons donc
num memoriam nominis? at haec omnia quelque autre chose. Il n'y a rien de si
non sunt in ipsa virtute, sed in aliorum excellent que la vertu ; il n'y a rien qui
existimatione atque arbitrio posita. Nam doive être préféré à la sagesse. La vertu
saepe virtus et invisa est, et malo doit être recherchée pour sa beauté,
afficitur. Debet autem id bonum, quod comme on doit fuir les vices pour leur
ex ea nascitur, ita cohaerere, ut divelli laideur. Est-il possible que la vertu, qui
atque abstrahi nequeat; nec aliter est un bien si honnête, demeure sans
summum bonum videri potest, quam si récompense, et qu'elle n'apporte aucun
et proprium sit virtutis, et tale, ut neque avantage? Les peines et les fatigues qui
adjici quidquam, nec detrahi possit. partagent toute notre vie, les combats
Quid, quod in his omnibus contemnendis qu'il faut livrer sans cesse pour vaincre
virtutis officia consistunt. Nam le mal, méritent sans doute une
voluptates, opes, potentias, honores, récompense très considérable; mais
eaque omnia, quae pro bonis habentur, quelle sera-t-elle? Sera-ce la volupté ?
non concupiscere, non appetere, non Un si vil effet ne saurait procéder d'une
amare, quod caeteri faciunt victi si belle cause. Seront-ce les richesses ou
cupiditate, id est profecto virtutis. Aliud la puissance ? Ce sont des choses
ergo sublimius atque praeclarius efficit; passagères et périssables. Sera-ce
nec frustra his praesentibus bonis l'honneur, la gloire, la réputation? Ces
reluctatur, nisi quod majora, et veriora avantages-là ne se rencontrent pas dans
desiderat: non desperemus inveniri la vertu même ; ils dépendent du
posse, modo verset se cogitatio in jugement et de l'opinion des hommes.
omnia. Neque enim levia aut ludicra La vertu n'est que trop souvent le sujet
petuntur praemia. de la haine la plus envenimée et de la
persécution la plus cruelle. Or le bien,
qui est attaché à la vertu comme sa
récompense, doit ne pouvoir pas en être
séparé ; et il faut qu'il lui soit tellement
propre, que l'on n'y puisse rien ajouter,

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ni rien en retrancher. De plus, le
principal devoir de la vertu est non
seulement de ne pas souhaiter, mais de
ne pas rechercher et de ne pas aimer les
plaisirs, les richesses, les honneurs, les
dignités, le pouvoir de commander, et
tout ce que les hommes prennent pour
des biens. Le mépris qu'elle fait de
toutes ces choses ne procède que de
l'espérance qu'elle a d'en posséder de
plus excellentes. Ne perdons pas
courage, et faisons tous les efforts dont
nous sommes capables pour trouver ce
que nous cherchons. Le prix qui nous est
proposé vaut bien la peine que nous
prendrons ; il ne s'agit de rien moins que
de savoir pour quel sujet nous avons été
mis au monde.

CAPUT XII. De duplici pugna XII. Voici la méthode par laquelle on


corporis et animae; atque de peut reconnaître quel est l'effet de la
appetenda virtute propter vitam vertu. L'homme est composé de corps et
aeternam. d'âme : il y a des biens qui sont propres
Sed quaeritur quid sit, propter quod à l'âme ; il y en a qui sont propres au
nascimur; quid efficiat virtus, possumus corps; et il y en a qui sont communs à
sic investigare. Duo sunt, ex quibus l'un et à l'autre. La vertu est donc de
homo constat, animus et corpus. Multa cette dernière sorte, et quand elle
sunt propria animi, multa propria convient au corps, on l'appelle force,
corporis, multa utrique communia, sicut pour la distinguer de celle qui convient à
est ipsa virtus: quae quoties ad corpus l'âme. Si la vertu convient à ces deux
refertur, discernendi gratia fortitudo parties de notre être, elles sont toutes
nominatur. Quoniam igitur utrique deux obligées à combattre, et peuvent
subjacet fortitudo, utrique proposita toutes deux remporter la victoire. Le
dimicatio est, et utrique ex dimicatione corps, étant solide et palpable, combat
victoria: corpus, quia solidum est et contre des ennemis de même nature ;
comprehensibile, cum solidis et mais l'esprit, étant délié et invisible,
comprehensibilibus confligat necesse combat contre des ennemis que l'on ne
est; animus autem, quia tenuis, et peut ni voir ni toucher. Quel sont ces

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invisibilis est, cum iis congreditur ennemis, sinon les mauvais désirs, les
hostibus, qui videri tangique non vices et les crimes? Quand l'âme les
possunt. Qui sunt autem hostes animi, surmonte, elle conserve sa pureté. Par
nisi cupiditates, vitia, peccata? quae si où peut-on connaître quel est le prix de
vicerit virtus, ac fugaverit, immaculatus la victoire que remporte l'âme? On peut
erit animus, ac purus. Unde ergo colligi le connaître par la comparaison du prix
potest, quid efficiat animi fortitudo? de la victoire que remporte le corps.
Nimirum ex conjuncto, et pari, hoc est Quand le corps combat, la fin et la
ex corporis fortitudine, quod cum in récompense qu'il reçoit, c'est la
aliquam congressionem certamenque conservation de la vie; car, soit qu'il
venerit, quid aliud ex victoria quam combatte contre des hommes ou contre
vitam petit? Sive enim cum homine, sive des bêtes, il ne combat le plus souvent
cum bestia dimices, pro salute certatur. que pour la défendre. L'âme combat de
Ergo ut corpus vincendo id assequitur, ut la même sorte pour sa vie et pour son
non intereat: sic etiam animus, ut salut. Et comme le corps est pour
permaneat; et sicut corpus ab hostibus l'ordinaire privé de la vie quand il a été
suis victum, morte mulctatur: ita vaincu par ses ennemis, l'âme perd la
superatus a vitiis animus moriatur sienne quand elle se laisse vaincre par
necesse est. Quid ergo intererit inter ses vices; la seule différence qu'il y ait
animi corporisque dimicationem, nisi entre les combats de l'âme et ceux du
quod corpus temporalem vitam expetit, corps, c'est que les combats du corps ne
animus sempiternam? Si ergo virtus per tendent qu'à la conservation d'une vie
seipsam beata non est, quoniam in temporelle, au lieu que ceux de l'âme
perferendis (ut dixi) malis tota vis ejus tendent à la conservation d'une vie
est; si omnia, quae pro bonis éternelle. Si la vertu n'est pas heureuse
concupiscuntur, negligit; si summus ejus par elle-même, parce que sa principale
gradus ad mortem patet, quandoquidem occupation est de supporter la fatigue et
vitam, quae optatur a caeteris, saepe le travail, si elle méprise tout ce que le
respuit, mortemque, quam caeteri monde recherche avec la plus grande
timent, fortiter suscipit; si necesse est ut ardeur, si elle refuse souvent la vie, et si
aliquid ex se magni boni pariat, quia elle affronte la mort, qui est si
sustentati et superati usque ad mortem généralement redoutée, si de généreux
labores sine praemio esse non possunt; exploits ne peuvent manquer de
si nullum praemium, quod ea dignum sit, récompense ni en trouver sur la terre,
in terra reperitur, quandoquidem cuncta, parce que, sur la terre, il n'y a rien qui
quae fragilia sunt et caduca, spernit, les égale, il faut nécessairement que la
quid aliud restat, nisi ut coeleste aliquid vertu trouve sa récompense dans le ciel,
efficiat, quia terrena universa contemnit, et cette récompense n'est autre chose

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et ad altiora nitatur, quia humilia que l'immortalité. Euclide, philosophe
despicit? Id vero nihil aliud potest esse, célèbre, qui a fondé une secte
quam immortalitas. particulière à Mégare, a eu raison de dire
Merito ergo philosophorum non que le souverain bien est ce qui est
obscurus Euclides, qui fuit conditor toujours égal et toujours semblable à
Megaricorum disciplinae, dissentiens a soi-même. Il avait sans doute pénétré la
caeteris, id esse summum bonum dixit, nature du souverain bien, quoiqu'il ne
quod simile sit, et idem semper. l'ait pas expliqué, et c'est l'immortalité
Intellexit profecto quae sit natura summi qui ne peut recevoir de changement,
boni, licet id non explicaverit quid sit: id d'accroissement ni de diminution.
est autem immortalitas, nec aliud Sénèque a avoué, comme par mégarde
omnino quidquam; quia sola nec et sans y penser, que l'immortalité est
imminui, nec augeri, nec immutari l'unique récompense de la vertu. « Il n'y
potest. Seneca quoque imprudens a, dit-il, que la vertu qui nous puisse
incidit, ut fateretur, nullum esse aliud rendre immortels et égaux aux dieux. »
virtutis praemium, quam Les stoïciens, dont il a suivi les
immortalitatem. Laudans enim virtutem sentiments, soutiennent que l'on ne peut
in eo libro quem de immatura morte arriver à la béatitude que par la vertu.
conscripsit: « Una, inquit, res est virtus, On ne recherche donc pas la vertu pour
quae nos immortalitate donare possit, et elle-même, mais on la recherche pour la
pares diis facere. » Sed et stoici, quos béatitude qui en est la récompense. Les
secutus est, negant sine virtute effici stoïciens ont dû reconnaître par ce
quemquam beatum posse. Ergo virtutis raisonnement en quoi consiste le
praemium beata vita est, si virtus (ut souverain bien. Le temps de cette vie
recte dictum est) beatam vitam facit. n'est pas le temps de la béatitude, parce
Non est igitur, ut aiunt, propter seipsam que le corps est sujet à trop de misères.
virtus expetenda, sed propter vitam Épicure dit que Dieu est heureux, parce
beatam, quae virtutem necessario qu'il est incorruptible et éternel. Il faut
sequitur. Quod argumentum docere eos que la béatitude soit parfaite, et qu'il n'y
potuit, quod esset summum bonum. ait rien qui puisse l'altérer ni la changer;
Haec autem vita praesens et corporalis pour la posséder il faut être incorruptible
beata esse non potest, quia malis est et immortel. Que si l'homme est capable
subjecta per corpus. Epicurus Deum d'acquérir la vertu, comme tout le
beatum et incorruptum vocat, quia monde est obligé d'en demeurer
sempiternus est. Beatitudo enim d'accord, il est aussi capable de parvenir
perfecta esse debet, ut nihil sit, quod à la béatitude, car il est impossible d'être
eam vexare, ac imminuere, aut tout ensemble et vertueux et misérable.
immutare possit. Nec aliter quidquam S'il est capable de parvenir à la

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existimari beatum potest, nisi fuerit béatitude, il est capable de parvenir à
incorruptum. Incorruptum autem nihil l'immortalité. Il faut avouer que cette
est, nisi quod est immortale. Sola ergo immortalité est le souverain bien, qu'elle
immortalitas beata est, quia corrumpi ac ne convient à aucun autre animal qu'à
dissolvi non potest. Quod si cadit in l'homme, qu'elle ne convient pas même
hominem virtus, quod negare nullus à son corps, qu'elle ne peut être séparée
potest, cadit et beatitudo. Non potest de la science et de la vertu, de la
enim fieri, ut sit miser, qui virtute est connaissance de Dieu et de la justice. Il
praeditus. Si cadit beatitudo, ergo et est aisé de reconnaître, par le désir que
immortalitas cadit in hominem, quae nous avons de conserver la vie présente,
beata est. combien celui de parvenir à l'immortalité
Summum igitur bonum sola est tout ensemble et violent et
immortalitas invenitur, quae nec aliud raisonnable. De quelque misère que la
animal, nec corpus attingit, nec potest vie présente soit remplie, il n'y a
cuiquam sine scientiae virtute, id est, personne qui ne souhaite avec passion
sine Dei cognitione ac justitia provenire. de la posséder. Les vieillards ne le
Cujus appetitio quam vera, quam recta souhaitent pas moins que les enfants,
sit, ipsa vitae hujusce cupiditas indicat: les princes pas moins que les sujets, les
quae licet sit temporalis, et labore sages pas moins que les insensés. La
plenissima, expetitur tamen ab omnibus, vue du ciel et de la lumière est si chère,
et optatur; hanc enim tam senes quam selon l'avis d'Anaxagore, qu'il n'y a point
pueri, tam reges quam infimi, tam de fatigue que l'on n'essuie volontiers
denique sapientes quam stulti cupiunt. pour la conserver. Si tout le monde
Tanti est (ut Anaxagorae visum est) demeure d'accord que cette vie, si
contemplatio coeli ac lucis ipsius, ut courte et si misérable, est un grand bien,
quascumque miserias libeat sustinere. elle deviendra le souverain de tous les
Cum igitur laboriosa haec et brevis vita, biens, dès qu'il n'y aura plus rien qui
non tantum hominum, sed etiam borne sa durée ni qui trouble son repos.
caeterorum animantium consensu, Enfin personne n'a jamais méprisé la vie
magnum bonum esse ducatur: présente que par l'espérance d'en
manifestum est eamdem summum ac posséder une plus longue. Ceux qui se
perfectum fieri bonum, si et fine careat sont exposés volontairement à la mort
et omni malo. Denique nemo umquam pour le salut de leurs concitoyens,
extitisset, qui hanc ipsam brevem comme Ménecée à Thèbes, Codrus à
contemneret, aut subiret mortem, nisi Athènes, Curtius et les deux Décius à
spe vitae longioris. Nam illi, qui pro Rome, n'auraient jamais renoncé à la vie
salute civium voluntariae se neci présente s'ils n'avaient espéré d'en
obtulerunt, sicut Thebis Menoeceus, acquérir une immortelle dans l'esprit des

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Athenis Codrus, Romae Curtius et Mures peuples. Bien qu'ils ne sussent pas le
duo, numquam mortem vitae commodis chemin par où l'on va à l'immortalité, ils
praetulissent, nisi se immortalitatem n'ont pas laissé déjuger fort bien qu'il y
opinione civium consequi putavissent: avait une immortalité et qu'il y a un
qui tametsi nescierunt immortalitatis chemin qui y conduit. Si la vertu méprise
vitam, res tamen eos non fefellit. Si enim les richesses parce qu'elles peuvent se
virtus divitias et opes ideo contemnit, perdre; si elle méprise les plaisirs parce
quia fragiles sunt, voluptates ideo, quia qu'ils s'échappent promptement de nos
breves; ergo et vitam fragilem mains; si elle méprise la vie parce qu'elle
brevemque ideo contemnit, ut solidam est de peu de durée, c'est sans doute
et perpetuam consequatur. Ipsa ergo qu'elle en veut posséder une qui ne
cogitatio per ordinem gradiens, et finisse jamais. Voilà comment l'esprit,
universa considerans, perducit nos ad montant comme par degrés, parvient
eximium illud et singulare, cujus causa enfin à la connaissance du souverain
nascimur bonum. Quod si fecissent bien pour lequel nous avons été créés. Si
philosophi; si non, quod semel les philosophes avaient suivi cette
apprehenderant, tueri pertinaciter méthode, au lieu de soutenir
maluissent: profecto pervenissent ad opiniâtrement les sentiments dont ils ont
verum hoc, ut ostendi modo. Quod si été une fois prévenus, ils auraient pu
non fuit eorum, qui coelestes animas acquérir la connaissance de la vérité.
una cum corporibus extinguunt, illi Que si ceux qui croient que l'âme périt
tamen, qui de immortalitate disputant avec le corps n'ont pu reconnaître que la
animi, intelligere debuerunt; ideo vertu lui est commandée, afin qu'après
propositam nobis esse virtutem, ut, avoir dompté les passions et vaincu
perdomitis libidinibus, rerumque l'amour des biens de la terre, elle rentre
terrestrium cupiditate superata, purae comme en triomphe dans le sein de
ac victrices animae ad Deum, id est ad Dieu, qui est son principe, ceux au moins
originem suam revertantur. Idcirco enim qui la reconnaissent immortelle auraient
soli animantium ad aspectum coeli erecti pu le faire. L'homme a reçu seul, entre
sumus ut summum bonum nostrum in tous les animaux, une taille droite et
summo esse credamus. Ideo religionem élevée vers le ciel, afin qu'il regardât
soli capimus, ut ex hoc sciamus, Dieu en la possession duquel consiste
humanum spiritum non esse mortalem, son souverain bien. Il est seul capable
quod Deum, qui est immortalis, et des devoirs de la religion, et reconnaît
desiderat, et agnoscit. seul, par le désir qu'il a de l'immortalité,
Igitur ex omnibus philosophis, qui que son âme est exempte de la mort. Les
aut pro summo bono scientiam, aut philosophes qui ont regardé la science et
virtutem sunt amplexi, tenuerunt la vertu comme le souverain bien ont

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quidem viam veritatis, sed non approché de la vérité, mais ils ne sont
pervenerunt ad summum. Haec enim pas arrivés jusqu'à elle. La science nous
duo sunt, quae simul efficiant illud, quod découvre le lieu où nous devons tendre,
quaeritur. Scientia id praestat, ut la vertu nous y conduit; l'une ne sert de
quomodo, et quo perveniendum sit, rien sans l'autre La science nous éclaire
noverimus; virtus, ut perveniamus. pour pratiquer la vertu, et la pratique de
Alterum sine altero nihil valet, ex la vertu mérite la possession du
scientia enim virtus, ex virtute summum souverain bien. Le bonheur que les
bonum nascitur. Beata igitur vita, quam philosophes ont cherché, et qu'ils
philosophi quaesierunt semper, et cherchent encore, soit dans le culte des
quaerunt, sive in cultu deorum, sive in dieux, soit dans l'étude, est un bonheur
philosophia nulla est; et ideo ab his non imaginaire, et ils n'avaient garde de
potuit reperiri, quia summum bonum trouver le véritable, parce qu'au lieu de
non in summo quaesierunt, sed in imo. le chercher au ciel, où il est, ils le
Summum autem quid est, nisi coelum, cherchent sur la terre. Où peut être le
et Deus, unde animus oritur? Imum quid souverain bien ailleurs que dans le ciel
est, nisi terra, unde corpus est? Itaque et dans le sein de Dieu d'où l'âme est
licet quidam philosophi summum bonum sortie? Qu'y a-t-il, au contraire, de plus
non corpori, sed animo dederint, tamen, bas que la terre, dont le corps a été
quoniam illud ad hanc vitam retulerunt, formé ? Quoique quelques philosophes
quae cum corpore terminatur, ad corpus aient cru que le souverain bien était
revoluti sunt, cujus est hoc omne propre à l'âme, et que le corps n'y
tempus, quod transigitur in terra. Quare pouvait avoir aucune part, ils le lui ont
non immerito summum bonum non néanmoins attribué sans y penser,
comprehenderunt; quia quidquid ad quand ils en ont terminé la jouissance
corpus spectat, et immortalitatis est avec la durée de la vie mortelle que nous
expers, imum sit necesse est. Non cadit menons dans notre union avec le corps.
ergo in hominem beatitudo illo modo, Ainsi ils n'ont pas trouvé le souverain
quo philosophi putaverunt: sed ita cadit, bien, parce qu'ils l'ont cherché dans le
non ut tunc beatus sit cum vivit in corps où il n'y a rien que de vain, que de
corpore, quod utique, ut dissolvatur, faible et de périssable. La béatitude ne
necesse est corrumpi; sed tunc, cum convient donc pas à l'homme de la
anima societate corporis liberata, in solo manière que les philosophes l'ont cru.
spiritu vivit. Hoc uno beati esse in hac Elle ce lui convient pas durant la vie qu'il
vita possumus, si minime beati esse mené dans un corps corruptible et
videamur; si fugientes illecebras mortel, mais durant une autre, toute
voluptatum, solique virtuti servientes, in spirituelle et éternelle, qu'il mènera
omnibus laboribus miseriisque vivamus, quand il sera délivré de la servitude du

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quae sunt exercitia, et corroboramenta corps. L'unique moyen d'être heureux en
virtutis; si denique asperam illam viam cette vie, c'est de paraître malheureux,
difficilemque teneamus, quae nobis ad de se priver des plaisirs, de s'adonner à
beatitudinem patefacta est. Summum la vertu, de s'accoutumer aux exercices
igitur bonum, quod beatos facit, non laborieux qui la fortifient, et de n'être
potest esse, nisi in ea religione, atque jamais exempt de peine ni de misère. Le
doctrina, cui spes immortalitatis souverain bien qui nous rend heureux ne
adjuncta est. peut se trouver que dans la religion, à
laquelle l'espérance de l'immortalité est
attachée.

CAPUT. XIII. De animae XIII. Après avoir fait voir que le


immortalitate, deque sapientia, souverain bien consiste dans la
philosophia et eloquentia. possession de l'immortalité, l'ordre du
Res exigere videtur hoc loco, ut sujet que je traite semblerait m'obliger à
quoniam docuimus immortalitatem esse faire voir que l'âme est immortelle. Il y
summum bonum, id ipsum immortalem a eu de grandes contestations entre les
esse animam comprobemus. Qua de re philosophes sur cette matière. Mais ceux
ingens inter philosophos disceptatio est, qui ont été dans les véritables
nec quidquam tamen explicare, aut sentiments, n'en ont apporté aucune
probare potuerunt ii, qui verum de preuve, et n'ont proposé ni raison ni
anima sentiebant; expertes enim hujus autorités pour convaincre leurs ennemis.
divinae eruditionis, nec argumenta vera, Le dernier livre de cet ouvrage où je
quibus vincerent, attulerunt, nec parlerai de la vie heureuse, sera plus
testimonia, quibus probarent. Sed propre que celui-ci à l'examen de cette
oportunius hanc quaestionem question. Il ne reste plus que la
tractabimus in ultimo libro, cum de vita troisième partie de la philosophie, que
beata nobis erit disserendum. Superest l'on appelle logique et qui enseigne l'art
pars illa philosophiae tertia, quam de penser et d'exprimer ses pensées. La
vocant λογικὴν, in qua tota dialectica, et religion n'a pas besoin de cet art, parce
omnis loquendi ratio continetur. Hanc que la sagesse réside non sur la langue,
divina eruditio non desiderat: quia non mais dans le cœur, et que les choses
in lingua, sed in corde sapientia est; nec parlant d'elles-mêmes, elle peut négliger
interest, quali utare sermone: res enim, le choix des paroles. Nous ne cherchons
non verba quaeruntur. Et nos non de ni un grammairien ni un orateur qui ne
grammatico, aut oratore, quorum fasse profession que de bien parler; nous
scientia est, quomodo loqui deceat, sed cherchons un sage qui sache bien vivre.
de sapiente disserimus, cujus doctrina Si la physique ni la logique ne servent de

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est, quomodo vivere oporteat. Quod si rien pour nous rendre plus heureux, on
neque physica illa ratio necessaria est, ne peut plus avoir recours qu'à la
neque haec logica, quia beatum facere morale, à laquelle on dit que Socrate
non possunt: restat ut in sola ethica s'appliqua uniquement. Mais, comme j'ai
totius philosophiae vis contineatur, ad fait voir que les philosophes se sont
quam se, abjectis omnibus, Socrates trompés dans cette partie aussi bien que
contulisse dicitur. In qua etiam parte dans les autres, et qu'ils n'ont pu
quoniam philosophos errasse docui, qui comprendre en quoi consiste le
summum bonum, cujus capiendi gratia souverain bien pour lequel ils ont été mis
generati sumus, non comprehenderunt; au monde, il est clair que la philosophie
apparet falsam et inanem esse omnem ne contient rien que de vain et d'inutile,
philosophiam, quia nec instruit ad et qu'elle ne nous enseigne ni les règles
justitiae munera, nec officium hominis de la justice ni aucun de nos véritables
rationemque confirmat. Sciant igitur devoirs. Que ceux-là sachent qu'ils se
errare se, qui philosophiam putant esse trompent, qui s'imaginent que la
sapientiam: non trahantur auctoritate philosophie est la sagesse. Qu'ils ne
cujusquam; sed veritati potius faveant, défèrent en cela à l'autorité de qui que
et accedant. Nullus hic temeritati locus ce soit, mais qu'ils se rendent plutôt à la
est: in aeternum stultitiae poena vérité. C'est une matière où l'on ne se
subeunda est, si aut persona inanis, aut trompe pas impunément. Quand on a la
opinio falsa deceperit. Homo autem, témérité d'embrasser une fausse
qualiscumque est, si sibi credit, hoc est opinion, ou l'imprudence de suivre une
si homini credit (ut non dicam stultus, personne peu éclairée, on ne s'engage à
qui suum non videat errorem) certe rien moins qu'à subir un supplice qui n'a
arrogans est, qui sibi audeat vendicare, pas de fin. Si un homme, quel qu'il
quod humana conditio non recipit. puisse être, se fie à sa propre conduite,
Ille ipse romanae linguae summus ou il n'a pas l'esprit de s'apercevoir de
auctor quantum fallatur, licet ex illa son égarement, ou au moins il a
sententia pervidere: qui cum in libris beaucoup d'orgueil en s'attribuant un
officiorum philosophiam nihil aliud esse avantage qui est au-dessus de sa
dixisset, quam studium sapientiae, nature. Le plus éloquent des Romains
ipsam autem sapientiam, rerum tombe lui-même en des erreurs fort
divinarum et humanarum scientiam, grossières, et on ne saurait mieux les
tum adjecit: « Cujus studium qui reconnaître que par la lecture de ses
vituperat, haud sane intelligo quidnam Offices, où, après avoir dit que la
sit, quod laudandum putet. Nam si philosophie n'est autre chose que l'étude
oblectatio quaeritur animi, requiesque de la sagesse, et que la sagesse est la
curarum, quae conferri cum eorum science des choses divines et humaines,

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studiis potest, qui semper aliquid il ajoute ce qui suit : « Je ne sais ce que
inquirunt, quod spectet, et valeat ad peut louer celui qui blâme l'étude de la
bene beateque vivendum? Sive ratio philosophie ; car si c'est le
constantiae virtutisque ducitur, aut haec divertissement ou le repos que l'on
ars est, aut nulla omnino, per quam eas cherche, qu'y a-t-il que l'on puisse
assequamur. Nullam dicere maximarum comparer avec les études de ceux qui
rerum artem esse, cum minimarum sine n'ont point d'autre occupation que de
arte nulla sit, hominum est parum méditer sur les moyens de parvenir à
considerate loquentium, atque in une vie honnête et heureuse? Que si l'on
maximis rebus errantium. Si autem est désire de s'établir dans la solidité de la
aliqua disciplina virtutis, ubi ea vertu, il n'y a point d'autre art qui nous
quaeretur, cum ab isto genere discendi promette ce glorieux avantage. » Dire
discesseris. » Equidem tametsi operam qu'il n'y a point d'art qui nous mette en
dederim, ut quantulamcumque discendi cet état, et qu'il n'en faut point espérer
assequerer facultatem propter studium pour cet effet, au lieu qu'il y en a pour
docendi, tamen eloquens nunquam fui; les moindres choses, c'est n'avoir
quippe qui forum ne attigerim quidem: aucune attention à ce que l'on dit, et se
sed necesse est, ipsa me faciat causae tromper dans une matière fort
bonitas eloquentem; ad quam diserte importante. Que s'il y a quelque art pour
copioseque defendendam scientia apprendre la vertu, où le peut-on
divinitatis, et ipsa veritas sufficit. Vellem trouver hors des limites de la
igitur Ciceronem paulisper ab inferis philosophie? Bien que la profession que
surgere, ut vir eloquentissimus ab j'ai faite d'enseigner les belles-lettres
homunculo non diserto doceretur, m'ait donné quelque facilité de parler,
primum, quidnam sit, quod laudandum j'avoue pourtant que je ne suis point
putet, qui vituperat id studium, quod éloquent, et que jamais je n'ai fréquenté
vocatur philosophia; deinde, neque illam le barreau. Mais la bonté de ma cause
esse artem, qua virtus et justitia peut me donner de l'éloquence, et la
discatur, nec aliam ullam, sicut putavit; connaissance que j'ai du vrai Dieu,
postremo, quoniam est virtutis suffisent pour me faire plaider avec
disciplina, ubi quaerenda sit, cum ab illo autant d'ornements que de force. Je
discendi genere discesseris: quod ille voudrais que Cicéron pût sortir
non audiendi discendique gratia maintenant du tombeau, afin que le plus
quaerebat. A quo enim posset audire, célèbre orateur de l'antiquité fût instruit
cum sciret id nemo? Sed ut in causis par un homme qui n'a qu'une
facere solebat, interrogatione voluit connaissance médiocre des préceptes de
urgere, ad confessionemque perducere; la rhétorique. Je lui ferais voir
tanquam confideret responderi prorsus premièrement ce que pourrait louer un

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nihil posse, quominus philosophia esset homme qui blâmerait l'étude de la
magistra virtutis. Quod quidem in philosophie. Je lui ferais voir, en second
Tusculanis disputationibus aperte lieu, que la philosophie n'est pas un art
professus est, ad eam ipsam conversa par lequel on apprenne la vertu, et où il
oratione, tamquam se declamatorio faut chercher cet art et hors de la
dicendi genere jactaret. « O vitae philosophie. Il faut aussi demeurer
philosophia dux, inquit, o virtutis d'accord que Cicéron ne faisait point ces
indagatrix expultrixque vitiorum: quid questions là à dessein d'apprendre, et
non modo nos, sed omnino vita qu'il n'y avait personne en son temps de
hominum sine te esse potuisset? Tu qui il put attendre la résolution de ses
inventrix legum, tu magistra morum ac doutes. Il ne les faisait que par manière
disciplinae fuisti. » Quasi vero aliquid per de déclamation, dans l'assurance qu'on
se ipsa sentiret, ac non potius ille ne lui pourrait jamais rien répondre pour
laudandus esset, qui eam tribuit. Potuit faire voir que l'étude de la philosophie
eodem modo gratias agere cibo et potui, n'est pas une école de vertu. Il plaidait
quia sine his rebus vita constare non du même style et du même air, quand il
possit; in quibus ut sensus, ita beneficii voulait presser ceux à qui il avait affaire
nihil est. Atqui ut illa corporis alimenta et les faire tomber dans quelque
sunt, sic animae, sapientia. contradiction. Il en a usé de la sorte dans
les questions Tusculanes où il fait à la
philosophie cette apostrophe. «O
philosophie! qui nous conduisez dans le
cours de vie, qui exterminez les vices, et
qui autorisez la vertu, qu'auraient pu
faire sans vous tous les hommes ? Vous
avez inventé les lois ; vous avez formé
nos mœurs. Vous avez établi une
discipline. » Il lui adresse la parole
comme si elle eût pu l'entendre, et il lui
donne des louanges qu'il aurait mieux
méritées qu'elle. Il aurait pu remercier
de la même manière les aliments que
nous prenons, parce que sans eux nous
ne saurions conserver notre vie. Comme
il n'ont point de sentiment, ils n'ont point
aussi de dessein de nous obliger. La
sagesse est à l'égard de l'esprit, ce qu'ils
sont à l'égard du corps.

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CAPUT XIV. Quod Lucretius et XIV. Lucrèce a mieux fait quand il a
alii erraverunt, ac ipse Cicero, in loué celui par qui la sagesse avait été
statuenda sapientiae origine. inventée, bien qu'il se soit trompé en
Rectius itaque Lucretius, cum eum croyant qu'elle a été inventée par un
laudat, qui sapientiam primus invenit: homme. Est-ce qu'un homme, que ce
sed hoc inepte, quod ab homine poète loue comme un dieu, a trouvé la
inventam putavit. Quasi vero illam sagesse de la même sorte que des flûtes
alicubi jacentem homo ille, quem à une fontaine, selon le proverbe qui est
laudabat, invenerit, tanquam tibias ad dans la bouche des poètes.
fontem, ut poetae aiunt. Quod si
« Celui, dit Lucrèce, qui a inventé la
repertorem sapientiae, ut deum,
sagesse n'était pas un homme qui eût un
laudavit; ita enim dicit:
corps grossier et matériel comme les
Nemo (ut opinor) erit mortali
nôtres. L'excellence du sujet désire que
corpore cretus.
nous disions librement, mon cher
Nam si, ut ipsa petit majestas cognita
Memmius, qu'il était un Dieu. »
rerum,
Il ne faut pas même louer Dieu d'avoir
Dicendum est, Deus ille fuit, Deus,
inventé la sagesse, car ce serait lui ôter
inclyte Memmi: tamen non erat sic
une partie de la louange qui lui est due.
laudandus Deus, quod sapientiam
Il faut le louer d'avoir créé l'homme
invenerit, sed quod hominem fecerit, qui
capable de recevoir la sagesse. Lucrèce
posset capere sapientiam. Minuit enim
loue cependant l'inventeur de la sagesse
laudem, qui partem laudat ex toto. Sed
comme un homme, et l'élève en même
ille, ut hominem, laudavit, qui tamen ob
temps jusqu'au ciel, en disant que, bien
id ipsum deberet pro Deo haberi, quod
qu'il soit homme, il mérite d'être mis au
sapere invenerit. Nam sic ait:
nombre des dieux. Il y a apparence qu'il
Nonne decebit,
avait dessein de louer ou Pythagore, qui
Hunc hominem numero divum
avait pris le premier le nom de
dignarier esse? Unde apparet, aut
philosophe, ou Thalès de Milet, qui avait
Pythagoram voluisse laudare, qui se
recherché le premier les secrets de la
primus, ut dixi, philosophum nominavit;
nature. Mais en voulant relever la gloire
aut Milesium Thalem, qui de rerum
de l'homme, il rabaisse le mérite de la
natura primus traditur disputasse. Ita
sagesse, étant certain que son origine
dum hominem quaerit extollere, rem
est moins illustre si elle n'a été inventée
ipsam depressit. Non est enim magna, si
que par un homme. On peut néanmoins
ab homine potuit inveniri. Verum potest,
pardonner cette faute à Lucrèce comme
ut poetae, dari venia. At ille idem
à un poète ; on ne la peut excuser dans
perfectus orator, idem summus
Cicéron, le premier orateur de son siècle
philosophus, et Graecos reprehendit,

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quorum levitatem semper accusat, et et le plus excellent philosophe de la
tamen sequitur; ipsam sapientiam, république romaine ; car pour ne point
quam alias donum, alias inventum parler des Grecs, qu'il accuse souvent de
deorum vocat, poetice figuratam laudat légèreté et qu'il suit cependant comme
in faciem. Graviter etiam queritur ses maîtres, ne loue-t-il pas avec des
extitisse aliquos, qui eam vituperarent. expressions aussi figurées que celles de
« Quisquamne, inquit, vituperare vitae » la poésie la sagesse qu’il appelle un don
parentem, et hoc parricidio se inquinare et un présent des dieux ? Non content de
audeat, » et tam impie ingratus esse? » cela, il fait de grandes plaintes de ce qu'il
Nos ergo, Marce Tulli, parricidae s'est trouvé des personnes qui l'ont
sumus, et insuendi te judice in culeum, blâmée. « Y a-t-il quelqu'un, dit-il, qui
qui philosophiam negamus parentem ose tomber dans une méconnaissance si
esse vitae? An tu, qui adversus Deum pleine d'impiété, et commettre un
tam impie ingratus es (non hunc cujus parricide si détestable, que de blâmer la
effigiem veneraris in Capitolio sedentem, mère de la vie civile? » Nous sommes ces
sed illum qui mundum fecit, parricides qui nions que la philosophie
hominemque generavit, qui sapientiam est la mère de la vie, et qui méritons, à
quoque ipsam inter coelestia sua votre jugement, d'être enfermés dans
beneficia largitus est) magistram tu un sac. Et vous ne l'êtes point, vous qui
virtutis, aut parentem vitae vocas, ad commettez la plus odieuse de toutes les
quam si quis accesserit, multo sit ingratitudes et la plus exécrable de
incertior necesse est, quam prius fuerit? toutes les impiétés, non contre le dieu
Cujus enim virtutis? quae ipsa, ubi sita dont vous adorez l'image dans le
sit, adhuc philosophi non expediunt. Capitole, mais contre celui qui a fait le
Cujus vitae? cum ipsi doctores ante monde, qui a créé l'homme, et qui,
fuerint senectute ac morte confecti, parmi un grand nombre d'autres
quam constituerint quomodo vivi deceat. faveurs, lui a donné la sagesse. Vous
Cujus veritatis indagatricem profiteri appelez la philosophie la maîtresse de la
potes? qui saepe testaris, cum tanta vertu et la mère de la vie ; cependant
multitudo fueri philosophorum, personne n'entre dans son école qu'il
sapientem tamen extitisse adhuc n'en sorte plus rempli d'incertitude et de
neminem. Quid ergo te magistra illa doute qu'il n'était auparavant. De quelle
vitae docuit? An ut potentissimum vertu la philosophie est-elle la
consulem maledictis incesseres, eumque maîtresse? de quelle vie est-elle la
hostem patriae venenatis orationibus mère? Les philosophes disputent encore
faceres? Sed omittamus illa, quae pour savoir en quoi consiste la vertu. Ils
possunt excusari fortunae nomine. vieillissent et meurent tous les jours
Studuisti nempe philosophiae, et quidem sans avoir pu convenir de la manière

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sic, ut nullus umquam diligentius; dont il faut vivre. Quelle vérité pouvez-
quippe qui omnes cognoveris disciplinas, vous montrer que la philosophie ait
sicut ipse gloriari soles, eamque ipsam découverte, vous qui témoignez en
latinis litteris illustraveris, plusieurs endroits de vos ouvrages que,
imitatoremque te Platonis ostenderis. parmi une si prodigieuse multitude de
Cedo igitur quid didiceris, aut in qua personnes qui ont fait profession de
secta veritatem deprehenderis. In l'étude de la sagesse, il ne s'en est
academia scilicet, quam secutus es, jamais trouvé aucune qui l'ait possédée?
quam probasti. At haec nihil docet, nisi Qu'avez-vous appris vous-même de
ut scias te nihil scire. Tui ergo te libri cette maîtresse de la vie? Avez-vous
arguunt, quam nihil a philosophia disci appris d'elle à faire de sanglantes
possit ad vitam. Haec tua verba sunt: « invectives contre un consul qui avait
Mihi autem non modo ad sapientiam acquis une grande autorité, et à l'irriter
caeci videmur, sed ad ea ipsa, quae si fort par vos outrageuses
aliqua ex parte cerni videantur, hebetes exclamations, qu'il a été comme
et obtusi. » Si ergo philosophia est contraint de prendre les armes contre sa
magistra vitae, cur tibi ipse caecus, et patrie?
hebes, et obtusus videbare, quem Mais supposons que cette conduite
oportuit, illa docente, et sentire, et puisse être excusée par l'état où se
sapere, et in clarissima luce versari? At trouvaient alors les affaires de la
quam confessus fueris philosophiae république, vous vous êtes adonné à
veritatem, docent ad filium composita l'étude de la philosophie, et vous vous y
praecepta, quibus mones philosophiae êtes attaché avec une plus grande
quidem praecepta noscenda, vivendum application que nul autre. Vous vous
autem esse civiliter. vantez de savoir les opinions de toutes
Quid tam repugnans dici potest? Si les sectes, et vous avez écrit en latin à
noscenda sunt praecepta philosophiae, l'imitation de Platon. Déclarez-nous donc
ideo utique noscenda sunt ut recte ce que vous en avez appris, et nous dites
sapienterque vivamus. Vel, si civiliter en quelle secte vous avez trouvé la
vivendum est, non est igitur philosophia vérité? Est-ce dans celle des
sapientia; siquidem melius est civiliter, académiciens, que vous avez préférée
quam philosophice vivere. Nam si aux autres et que vous avez suivie
sapientia est, quae dicitur philosophia, comme la meilleure? Elle n'enseigne
stulte profecto vivit, qui non secundum rien, si ce n'est que l'on ne peut rien
philosophiam vivit. Si autem non stulte savoir. Il est aisé de vous convaincre par
vivit, qui civiliter vivit, sequitur ut stulte vos propres écrits que la philosophie ne
vivat, qui philosophice vivit. Tuo itaque nous peut rien enseigner qui contribue à
judicio philosophia stultitiae, la conduite de la vie civile. Voici vos

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inanitatisque damnata est. Idem in paroles: « non seulement nous n'avons
Consolatione, id est, in opere non point d'yeux pour voir la sagesse, mais
joculari, hanc de philosophia sententiam nous n'en avons que de faibles pour voir
tulisti: « Sed nescio quis nos teneat les objets les plus visibles. » Si la
error, aut miserabilis ignoratio veri. » philosophie est la maîtresse de la vie et
Ubi est ergo philosophiae magisterium? qu'elle vous éclaire dans votre conduite,
aut quid te docuit illa vitae parens, si d'où vient que vous êtes aveugle? Vous
verum miserabiliter ignoras? Quod si déclarez franchement quelles vérités
haec erroris ignorationisque confessio vous croyez que l'on puisse apprendre
pene invito tibi ab intimo pectore de la philosophie, lorsque entre les
expressa est, cur non tibi verum fateris règles que vous donnez à votre fils, vous
aliquando, philosophiam, quam tu nihil lui dites qu'il faut savoir les préceptes de
docentem in coelum laudibus extulisti, la philosophie, mais que dans la pratique
magistram virtutis esse non posse? il faut suivre les lois civiles. Peut-on
jamais avancer une contradiction plus
manifeste? S'il est nécessaire de savoir
les préceptes de la philosophie, c'est
sans doute pour vivre selon les lois
civiles; la philosophie n'enseigne pas la
sagesse, puisqu'il faut préférer l'autorité
des législateurs ou les coutumes reçues
parmi les peuples, aux avis des
philosophes. Si la philosophie et la
sagesse ne sont qu'une même chose,
c'est vivre en homme qui n'a point de
sagesse que de ne pas vivre selon la
philosophie. Si ce n'est pas vivre en
insensé que de vivre selon les lois civiles,
c'est vivre en insensé que de vivre selon
la philosophie ; ainsi voilà la philosophie
condamnée de folie par vous-même.
Dans le livre de la Consolation, qui est
un livre fort sérieux, vous avez parlé de
la philosophie en ces termes : « Nous
sommes dans l'erreur et dans une
misérable ignorance de la vérité ! » Où
sont donc les préceptes de la philosophie
? Où est ce que vous a enseigné cette

50
mère et cette maîtresse de la vie ? Que
si cet aveu si sincère de votre ignorance
et de vos erreurs vous est échappé de la
bouche, que ne reconnaissez-vous aussi
que la philosophie, que vous avez élevée
par des louanges si extraordinaires, ne
peut enseigner la pratique de la vertu ?

CAPUT XV. Senecae error in XV. Sénèque a été dans la même


philosophia: et quomodo erreur ; car qui pourrait demeurer dans
philosophorum oratio cum eorum le bon chemin pendant que Cicéron
vita pugnet. s'égare? « La philosophie, dit-il, n'est
Eodem ductus errore Seneca (quis autre chose que la manière de bien
enim veram viam teneret, errante vivre, que la science de vivre
Cicerone? « Philosophia, inquit, nihil honnêtement, que l'art de bien régler
aliud est quam recta ratio vivendi, vel ses actions. Nous ne nous tromperions
honeste vivendi scientia, vel ars rectae point, ajoute-t-il, si nous disions que la
vitae agendae. Non errabimus, si philosophie est une loi qui nous oblige à
dixerimus philosophiam esse legem vivre selon l'honnêteté et la vertu; et
bene honesteque vivendi. Et qui dixerit celui qui l'a appelée la règle de la vie
illam regulam vitae, suum illi reddidit. » humaine, lui a donné un nom qui lui est
Hic plane non respexit ad commune fort propre. » Quand Sénèque parlait de
philosophiae nomen, quae cum sit in la sorte, il ne conservait pas sans doute
plures sectas disciplinasque diffusa, l'idée de la philosophie prise en général,
nihilque habeat certi, nihil denique, de qui contient plusieurs sectes, qui
quo universi una mente ac voce n'enseigne aucune maxime dont tout le
consentiant, quid potest esse tam monde ne convienne, et qui renferme
falsum, quam regulam vitae une multitude prodigieuse de préceptes
philosophiam nominari, in qua diversitas qui ne peuvent apporter que du trouble
praeceptorum rectum iter impediat, et et de la confusion. Comment une
turbet? aut legem bene vivendi, cujus philosophie, si peu stable et si peu
capita longe dissonant? aut scientiam constante pourrait-elle, donner des
vitae agendae, in qua nihil aliud efficitur, règles certaines et invariables pour bien
contraria saepe dicendo, quam ut nemo vivre? Je demanderais volontiers à
quidquam sciat? Quaero enim, utrumne Sénèque s'il tient que la secte des
academiam philosophiam putet esse, an académiciens fasse profession d'une
non? Negaturum non arbitror: quod si véritable philosophie. Je me persuade
est, nihil ergo illorum cadit in qu'il n'en disconviendra pas. S'il est vrai

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philosophiam, quae omnia reddit que l'académie ne s'éloigne pas de la
incerta, legem abrogat, artem nullam vérité de la philosophie, celle-ci ne
putat, rationem subvertit, regulam saurait être la règle de la vie; car, selon
depravat, scientiam funditus tollit. Falsa l'académie même, elle n'a rien de certain
igitur illa omnia, quia in rem semper ni d'assuré, elle abolit toute sorte de
incertam et adhuc nihil explicantem règles, de lois et de science. Il n'y a donc
cadere non possunt. Nulla itaque ratio, point d'art ni de science qui nous
vel scientia, vel lex bene vivendi, nisi in enseigne à bien vivre, hors cette sagesse
hac unica, et vera, et coelesti sapientia sublime qui a été inconnue aux
constituta est, quae philosophis fuerat philosophes. Celle de la terre ne saurait
ignota. Nam illa terrena, quoniam falsa être que fausse, puisqu'elle est
est, fit varia, et multiplex, sibique tota incertaine, changeante et contraire à
contraria est. Et sicut unus est hujus elle-même. Il faut nécessairement qu'il
mundi constitutor et rector Deus, una n'y ait qu'une sagesse, comme il n'y a
veritas: ita unam esse ac simplicem qu'une vérité, comme il n'y a qu'un Dieu
sapientiam necesse est, quia quidquid qui a tiré l'univers du néant et qui le
est verum, ac bonum, id perfectum esse gouverne. Tout ce qui possède la vérité
non potest, nisi fuerit sin gulare. Quod si et la bonté dans un haut degré, ne
philosophia vitam posset instruere, nulli saurait être qu'unique. Si la philosophie
alii nisi philosophi essent boni, et qui nous donnait de bonnes règles pour la
eam non didicissent, essent omnes conduite de notre vie, il n'y aurait que
semper mali. Cum vero innumerabiles les philosophes qui vécussent en gens de
existant, et semper exstiterint, qui sint, bien. Ceux qui n'auraient pas étudié, ne
aut fuerint sine ulla doctrina boni, ex seraient que des scélérats. Cependant il
philosophis autem perraro fuerit, qui y a toujours en quantité de personnes
aliquid in vita fecerit laude dignum, quis qui, sans les secours des préceptes dont
est tandem, qui non videat, eos homines nous parlons, ont pratiqué la vertu, au
virtutis, qua ipsi egent, non esse lieu que nul de ceux qui ont fait
doctores? Nam si quis in mores eorum profession d'expliquer ces préceptes n'a
diligenter inquirat, inveniet iracundos, rien fait de digne de louange. Il est donc
cupidos, libidinosos, arrogantes, clair que les philosophes n'enseignent
protervos, et sub obtentu sapientiae sua pas les vertus, puisqu'ils ne les ont pas
vitia celantes, domi facientes ea quae in eux-mêmes. Si l'on examine leurs
scholis arguissent. mœurs, on trouvera qu'ils sont sujets à
Fortasse mentior accusandi gratia. la colère, à l'avarice, à la volupté, qu'ils
Nonne id ipsum Tullius et fatetur, et sont superbes et insolents, qu'ils cachent
queritur? « Quotus quisque, inquit, leurs défauts sous une fausse apparence
philosophorum invenitur, qui sit ita de sagesse, et qu'ils font dans leurs

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moratus, ita animo et vita constitutus, ut maisons ce qu'ils condamnent dans leurs
ratio postulat? qui disciplinam veram, écoles. On dira peut-être que le désir de
non ostentationem scientiae, sed legem les reprendre me fait passer les bornes
vitae putet? qui obtemperet ipse sibi, et de la vérité. Cicéron se plaint de ces
decretis pareat suis? Videre licet alios désordres, et prouve qu'ils ne sont que
tanta levitate et jactatione, ut his fuerit trop véritables. « Combien, dit-il, se
non didicisse melius: alios pecuniae trouve-t-il de philosophes dont l'esprit et
cupidos, alios gloriae; multos libidinum la vie soient réglés de la manière que la
servos, ut cum eorum vita mirabiliter raison le désire? Combien y en a-t-il qui
pugnet oratio. » Nepos quoque Cornelius ne fassent de leur profession un sujet de
ad eumdem Ciceronem ita scribit: « vanité, au lieu d'en faire la règle de leur
Tantum abest, ut ego magistram esse conduite ? Combien y en a-t-il qui
putem vitae philosophiam, beataeque s'accordent avec eux-mêmes et qui
vitae perfectricem, ut nullis magis pratiquent les préceptes qu'ils donnent?
existimem opus esse magistris vivendi, Il y en a de si extravagants et de si
quam plerisque, qui in ea disputanda emportés, qu'il serait à souhaiter qu'ils
versantur. Video enim magnam partem n'eussent jamais rien appris. D'autres
eorum, qui in schola de pudore et brûlent d'un désir incroyable d'amasser
continentia praecipiant argutissime, des richesses; d'autres ont une ambition
eosdem in omnium libidinum excessive et démentent leur doctrine par
cupiditatibus vivere. Item Seneca in leurs actions. » Cornélius Népos écrit à
Exhortationibus: « Plerique, inquit, Cicéron sur le même sujet en ces termes
philosophorum tales sunt, diserti in : « Bien loin de croire que la philosophie
convitium suum, quos si audias in enseigne à bien vivre et contribue à nous
avaritiam, in libidinem, in ambitionem rendre heureux, je suis persuadé que
perorantes, indicium sui professos plusieurs de ceux qui en font profession
putes, adeo redundant ad ipsos ont plus grand besoin que les autres
maledicta in publicum missa; quos non d'avoir des gouverneurs et des
aliter intueri decet, quam medicos, précepteurs qui veillent sur leur
quorum tituli remedia habent, pyxides conduite. J'en vois parmi eux qui, dans
venena. Quosdam vero nec pudor les écoles, donnent d'excellents
vitiorum tenet: sed patrocinia turpitudini préceptes de retenue, de modération et
suae fingunt, ut etiam honeste peccare de pudeur, et qui dans leurs maisons
videantur. Faciet sapiens, inquit idem s'abandonnent aux plus infâmes
Seneca, etiam quae non probabit, ut voluptés. » Sénèque écrit quelque chose
etiam ad majora transitum inveniat: nec de fort important dans ses exhortations.
relinquet bonos mores, sed tempori « La plupart des philosophes, dit-il,
aptabit; et quibus alii utuntur in gloriam, semblent n'avoir de l'éloquence que pour

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aut voluptatem, utetur agendae rei déclamer contre eux-mêmes. On ne
causa. » Deinde paulo post: « Omnia saurait les entendre parler contre
quae luxuriosi faciunt, quaeque imperiti, l'avarice, contre l'ambition et contre la
faciet et sapiens, sed non eodem modo, débauche, sans s'imaginer qu'ils
eodemque proposito. Atqui nihil interest prononcent leur propre arrêt; car toutes
quo animo facias, quod fecisse vitiosum les invectives qu'ils font en public
est: quia facta cernuntur, animus non retombent sur eux, et on ne les saurait
videtur. » regarder qu'à peu près comme on ferait
Aristippo Cyrenaicorum magistro des médecins qui n'auraient que des
cum Laide nobili scorto fuit consuetudo, poisons dans leurs boites, bien que les
quod flagitium gravis ille philosophiae inscriptions promissent des remèdes.
doctor sic defendebat, ut diceret, Quelques-uns n'ont aucune honte de
multum inter se et caeteros Laidis leurs crimes, et ne cherchent aucun
amatores interesse, quod ipse haberet prétexte pour les couvrir. — Le sage fera
Laidem, alii vero a Laide haberentur. O quelquefois, dit le même Sénèque, pour
praeclara et imitanda bonis sapientia! venir à bout d'une entreprise
Huic vero liberos in disciplinam dares, ut importante, des choses qu'il n'approuve
discerent habere meretricem? Aliquid pas. Il ne renonce pas pour cela aux
inter se ac perditos interesse dicebat; bonnes mœurs, mais il s'accommodera
scilicet quod illi bona sua perderent, ipse au temps. Enfin il emploiera pour faire
gratis luxuriaretur. In quo plane ses affaires les mêmes moyens que les
sapientior meretrix fuit, quae autres emploient pour jouir de leurs
philosophum habuit pro lenone, ut ad se plaisirs ou pour acquérir de la gloire. » Il
omnis juventus, doctoris exemplo et ajoute un peu après ce qui suit: « Le
auctoritate corrupta, sine ullo pudore sage fera les mêmes choses que font les
concurreret. Quid ergo interfuit, quo ignorants et les débauchés, mais il ne les
animo philosophus ad meretricem fera pas de la même manière ni avec la
famosissimam commearet, cum eum même intention. » Il importe peu à
populus et rivales sui viderent omnibus quelle intention on fasse ce qu'il n'eût
perditis nequiorem? Nec satis fuit ita pas permis de faire. On voit les actions,
vivere: sed docere etiam libidines coepit, mais on ne voit pas l'intention. Aristippe,
ac mores suos de lupanari ad scholam chef des Cyrénéens, tâchait de justifier
transtulit, disserens voluptatem corporis l'habitude criminelle qu'il avait avec la
esse summum bonum. Quae doctrina fameuse Laïs, en disant qu'il y avait
execrabilis et pudenda, non in corde grande différence entre lui et les autres
philosophi, sed in sinu meretricis est amans de Laïs, parce qu'il la possédait,
nata. au lieu que les autres étaient possédés
Nam quid ego de Cynicis loquar? quibus par elle. Oh! l'excellente sagesse et

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in propatulo coire cum conjugibus mos digne d'être imitée! Il faut lui mettre vos
fuit. Quid mirum, si a canibus, quorum enfants entre les mains, si vous désirez
vitam imitantur, etiam vocabulum qu'ils soient bien élevés. Ce philosophe
nomenque traxerunt? Nullum igitur in disait qu'il y avait cette différence entre
hac disciplina magisterium virtutis est, lui et les autres débauchés, qu'au lieu
cum etiam illi, qui honestiora que les autres dissipaient leur bien, il se
praecipiunt, aut non faciant ipsi quae divertissait sans faire aucune dépense.
suadent, aut si faciunt (quod raro Laïs était sans doute fort habile en son
accidit) non disciplina eos ad rectum, métier, de se servir ainsi d'un
sed natura perducat, quae saepius etiam philosophe, dont l'autorité et l'exemple
indoctos impellit ad laudem. attiraient chez elle une foule incroyable
de jeunes gens. Qu'importé donc à quel
dessein il fréquentât cette célèbre
courtisane, puisque le peuple et « es
rivaux voyaient qu'il était plus corrompu
que nul autre. Il ne se contenta pas de
vivre dans cet horrible débordement ; il
en fit des leçons publiques et enseigna
cette doctrine infâme et détestable qui
était sortie non du cœur d'un philosophe,
mais du sein d'une femme perdue : que
le souverain bien consiste dans la
jouissance des plaisirs. Que dirai-je des
cyniques, qui avaient accoutumé de
caresser leurs femmes devant tout le
monde? Ils ont justement mérité qu'on
leur donnât, comme on fait, le nom des
animaux dont ils imitent l'impudence.
Tout ce que je viens de dire fait voir
clairement, si je ne me trompe, qu'il n'y
a point de vertu à apprendre dans l'école
des philosophes, puisque ceux qui
donnent les plus excellents préceptes ne
les observent pas eux-mêmes, ou s'ils
les observent, ce qui est fort rare, c'est
moins en eux un effet de l'étude que du
bon naturel, qui porte souvent à des

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entreprises fort louables des personnes
qui ne sont point lettrées.

CAPUT XVI. Quod recte XVI. Ces philosophes doivent passer


docentes philosophi male vivant, pour des hommes fort inutiles, puisqu'au
teste Cicerone; unde non tam lieu de pratiquer la vertu, ils consument
philosophiae, quam sapientiae toute leur vie dans des conférences et
studendum est. dans des disputes. La sagesse qui
Verum cum se perpetuae desidiae demeure oisive ne peut être qu'une
tradant, nullamque virtutem capessant, sagesse vaine ou fausse. Cicéron a eu
et omnem suam vitam nihil aliud quam raison de préférer ceux qui gouvernent
in eloquendo peragant, quid aliud quam les États, qui fondent de nouvelles villes,
inertes putari debent? Sapientia enim, qui font de bonnes lois pour la police de
nisi in aliquo actu fuerit quo vim suam celles qui sont déjà toutes fondées, et
exerceat, inanis et falsa est; recteque qui y rendent la justice, aux professeurs
Tullius civiles viros, qui rempublicam de philosophie; car un homme de bien
gubernent, qui urbes aut novas doit être dans une pratique continuelle
constituant, aut constitutas aequitate des bonnes actions, bien loin de
tueantur, qui salutem libertatemque demeurer enfermé pour donner des
civium vel bonis legibus, vel salubribus préceptes, qui sont pour l'ordinaire plus
consiliis, vel judiciis gravibus mal observés par ceux qui les donnent
conservent, philosophiae doctoribus que par les autres. Ces philosophes
praefert. Bonos enim facere oportet s'étant éloignés des véritables devoirs, il
potius quam inclusos in angulis facienda est clair qu'ils ne sont engagés dans leur
praecipere, quae ne ipsi quidem faciunt, profession qu'a dessein d'y acquérir de
qui loquuntur; et quoniam se a veris la facilité de parler et de suivre le
actibus removerunt, apparet eos barreau. Or ceux qui se contentent de
exercendae linguae causa, vel advocandi parler sans faire ce qu'ils disent, ôtent le
gratia artem ipsam philosophiae poids à leurs paroles. Qui voudrait
reperisse. Qui autem docent tantum, nec observer les préceptes les plus
faciunt, ipsi praeceptis suis detrahunt salutaires, lorsque ceux qui les font
pondus; quis enim obtemperet, cum ipsi enseignent eux-mêmes, par leur
praeceptores doceant non obtemperare? exemple, à ne les pas observer? C'est
Bonum est autem recta et honesta une chose fort louable que de donner de
praecipere: sed nisi et facias, bons préceptes ; mais ceux qui les
mendacium est; et est incongruens donnent sans les observer sont des
atque ineptum, non in pectore, sed in imposteurs. Il n'y a rien de si
labris habere bonitatem. extravagant ni de si injuste que d'avoir

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Non ergo utilitatem ex philosophia, la vertu sur les lèvres, et de ne l'avoir
sed oblectationem petunt. Quod quidem pas dans le cœur. Tout ceci fait voir
Cicero testatus est: « Profecto, inquit, clairement que la plupart de ceux qui se
omnis istorum disputatio, quanquam sont adonnés à l'étude de la philosophie,
uberrimos fontes virtutis et scientiae au lieu de chercher à s'y instruire
contineat, tamen collata cum horum solidement, n'ont point eu d'autre
actis perfectisque rebus, vereor ne non dessein que d'y prendre du plaisir.
tantum videatur attulisse negotiis Cicéron le témoigne par ces paroles. «
hominum utilitatis, quantam Bien que leurs discours et leurs
oblectationem otiis. » Vereri quidem non conférences renferment des semences
debuit, cum verum diceret: sed quasi très abondantes de science et de vertu,
timeret, ne proditi mysterii reus a j'appréhende pourtant que quand on les
philosophis citaretur, non est ausus comparera avec leurs actions et avec
confidenter pronuntiare, quod fuit leurs mœurs, on ne juge qu'elles n'ont
verum, illos non ideo disputare, ut été qu'un agréable divertissement. » Il
doceant, sed ut se oblectent in otio: qui ne le devait point avancer avec crainte
quoniam auctores sunt rerum ni avec réserve; mais il n'a osé publier la
gerendarum, nec ipsi quidquam gerunt, vérité de peur que les philosophes ne se
pro loquacibus sunt habendi. Sed plaignissent de ce qu'il aurait révélé
profecto, quia nihil boni ad vitam leurs mystères, et de ce qu'il aurait
afferebant, nec ipsi decretis suis appris à tout le peuple qu'ils ne disputent
obtemperaverunt; nec quisquam per tot point à dessein d'enseigner la vérité,
saecula inventus est, qui eorum legibus mais à dessein de se divertir durant leur
viveret. Abjicienda est igitur omnis loisir, et que ne pratiquant aucune vertu,
philosophia, quia non studendum est bien qu'ils conseillent aux autres de les
sapientiae, quod fine ac modo caret: sed pratiquer toutes, ils ne doivent être
sapiendum est, et quidem mature. Non considérés que comme de vains
enim nobis altera via conceditur, ut, cum parleurs. Le peu d'utilité que leurs
in hac sapientiam quaeramus, in illa raisonnements ont eu pour la conduite
sapere possimus: in hac utrumque fieri de la vie humaine, a été cause que
necesse est. Cito inveniri debet, ut cito personne n'a suivi leurs conseils durant
suscipi possit, ne quid pereat ex vita plusieurs siècles et que dans la pratique
cujus finis incertus est. Ciceronis ils s'en sont éloignés d'eux-mêmes. Il
Hortensius contra philosophiam faut donc renoncer à une philosophie
disserens, circumvenitur arguta dont l'étude n'a ni règle ni fin, et
conclusione; quod cum diceret s'adonner de bonne heure à la sagesse.
philosophandum non esse, nihilominus On ne nous a point promis une autre vie
philosophari videbatur, quoniam où nous puissions jouir de la sagesse que

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philosophi est, quid in vita faciendum, nous aurons acquise en cette vie. C'est
vel non faciendum sit, disputare. Nos ab en celle-ci qu'il faut et acquérir la
hac calumnia immunes ac liberi sumus, sagesse et jouir d'elle. Il faut la trouver
qui philosophiam tollimus, quia et l'embrasser de bonne heure, pour ne
humanae cogitationis inventio est; perdre aucune partie d'une vie qui peut
sophiam defendimus, quia divina traditio finir à chaque moment. Hortensius
est, eamque ab omnibus suscipi discourant contre la philosophie dans un
oportere testamur. Ille, cum dialogue de Cicéron, se trouve
philosophiam tolleret, nec melius aliquid embarrassé d'une subtile objection qui
afferret, sapientiam tollere putabatur, lui était faite sur ce qu'il s'appliquait à
eoque facilius de sententia pulsus est: l'étude de la philosophie, bien qu'il
quia constat hominem non ad stultitiam, soutint qu'il ne s'y faut point appliquer.
sed ad sapientiam nasci. Cette objection ne nous touche point,
Praeterea illud quoque argumentum nous qui rejetons la philosophie comme
contra philosophiam valet plurimum, une invention de l'esprit humain, et qui
quo idem est usus Hortensius; ex eo ne maintenons que la sagesse, qui est
posse intelligi, philosophiam non esse un présent de Dieu. Quand Hortensius
sapientiam, quod principium et origo rejetait la philosophie sans apporter rien
ejus appareat. Quando, inquit, de meilleur, on l'accusait, avec quelque
philosophi esse coeperunt? Thales (ut fondement, de rejeter la sagesse, et il
opinor) primus, recens haec quidem était d'autant plus aisé de le convaincre,
aetas; ubi ergo apud antiquiores latuit qu'il est constant que l'homme a été créé
amor iste investigandae veritatis? Item non pour être insensé, mais pour être
Lucretius ait: sage. Hortensius s'est encore servi d'un
Denique natura haec rerum, autre argument extrêmement fort, pour
ratioque reperta est prouver qu'il y a une grande différence
Nuper; et hanc primus cum primis ipse entre la philosophie et la sagesse, qui est
repertus de faire voir l'origine et le principe de la
Nunc ego sum, in patrias qui possum philosophie. « Quand est-ce, dit-il, que
vertere voces. les philosophes ont commencé à paraître
Et Seneca: « Nondum sunt, inquit, ? Je pense que Thalès a été le premier.
mille anni, ex quo initia sapientiae mota Il n'y a pas fort longtemps qu'il vivait :
sunt. » Multis ergo saeculis humanum auparavant où était caché l'amour de la
genus sine ratione vixit. Quod irridens vérité dont les anciens brûlaient? »
Persius: Lucrèce dit : que les secrets de la nature
Postquam (inquit) sapere urbi ont été découverts depuis peu, et qu'il
Cum pipere et palmis venit; est le premier qui se soit rendu capable
tanquam sapientia cum saporis mercibus de les expliquer en latin. Sénèque a

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fuerit invecta: quae si secundum employé depuis la même preuve. « Il n'y
hominis naturam est, cum homine ipso a pas mille ans, dit-il, que l'on connaît la
coeperit necesse est; si vero non est, source d'où la sagesse est venue. » Les
nec capere quidem illam posset humana hommes ont donc vécu durant plusieurs
natura. Sed quia recepit, igitur a siècles sans aucun usage de la raison.
principio fuisse sapientiam necesse est; Perse semble faire allusion à cette
ergo philosophia, quia non a principio pensée, quand il dit en raillant : que la
fuit, non est eadem vera sapientia. Sed sagesse a été apportée à Rome avec le
videlicet Graeci, quia sacras veritatis poivre et les palmes. Si cette sagesse est
litteras non attigerant, quemadmodum conforme à la nature, elle est aussi
depravata esset sapientia, nesciverunt. ancienne que lui ; si elle n'y est pas
Et ideo cum vacare sapientia humanam conforme, il ne la saurait recevoir. Or il
vitam putarent, philosophiam commenti est certain qu'il l'a reçue ; elle était donc
sunt; id est, latentem atque ignotam sibi dès le temps où il a été créé, et dès le
veritatem disserendo eruere voluerunt, commencement, auquel il n'y avait point
quod studium, per ignorantiam veri, de philosophie, ce qui fait voir que la
sapientiam putaverunt. philosophie et la sagesse ne sont pas
une même chose. Les païens, qui
n'avaient rien lu des saintes Écritures, et
qui ne savaient rien de la manière dont
la sagesse s'est obscurcie, ont cru qu'il
n'y en avait jamais eu parmi les
hommes, et ont eu recours à la
philosophie pour lever les voiles dont la
vérité leur paraissait couverte ; et c'est
à cette occupation qu'ils ont donné le
nom de sagesse.

CAPUT XVII. A Philosophia ad XVII. Après avoir parlé de la


philosophos transit, initio ab philosophie avec toute la brièveté qu'il
Epicuro sumpto; et quomodo m'a été possible, je me tourne
Leucippum et Democritum habuerit maintenant du côté des philosophes, à
auctores erroris. dessein, non de les vaincre, parce qu'ils
Dixi de philosophia ipsa quam sont déjà vaincus et hors de combat,
breviter potui: nunc ad philosophos mais de les poursuivre après leur
veniamus; non ut cum his decertemus, défaite. La secte d'Epicure a toujours été
qui stare non possunt, sed ut eos plus célèbre que les autres; ce n'est pas
fugientes atque dejectos nostro campo qu'elle approche de plus près de la

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insequamur. Epicuri disciplina multo vérité, mais c'est qu'elle attire plus de
celebrior semper fuit, quam caeterorum; monde par le nom de la volupté. Comme
non quia veri aliquid afferat, sed quia elle sait qu'il n'y a personne qui ne se
multos populare nomen voluptatis porte naturellement au mal, il n'y a aussi
invitat. Nemo enim non in vitia pronus personne dont elle n'étudie et ne flatte
est. Praeterea, ut ad se multitudinem la mauvaise inclination. Elle exempte les
contrahat, apposita singulis quibusque paresseux de l'étude, les avares des
moribus loquitur. Desidiosum vetat libéralités qui se font au peuple, les
litteras discere, avarum populari timides des fonctions publiques, les
largitione liberat, ignavum prohibet lâches de l'exercice des armes : elle
accedere ad rempublicam, pigrum assure aux impies que les dieux ne se
exerceri, timidum militare. Irreligiosus mettent en peine de rien ; elle permet à
audit deos nihil curare; inhumanus, et ceux qui sont attachés à leur intérêt de
suis commodis serviens jubetur nihil ne donner jamais rien à personne, et
cuiquam tribuere; omnia enim sua causa leur enseigne que le sage ne fait rien que
facere sapientem. Fugienti turbam pour soi-même ; elle loue la solitude en
solitudo laudatur. Qui nimium parcus présence de ceux qui fuient la
est, discit aqua et polenta vitam posse compagnie. Si elle trouve un auditeur qui
tolerari. Qui odit uxorem, huic soit d'humeur à épargner, elle lui
enumerantur coelibatus bona: habenti enseigne à ne vivre que de pain et d'eau.
malos liberos orbitas praedicatur; Elle raconte les avantages du célibat à
adversus impios parentes nullum esse ceux qui ont aversion de leurs femmes;
vinculum naturae. Impatienti ac delicato elle représente les avantages de l'orbite
dolorem esse omnium malorum à ceux qui ont de méchants enfants, et
maximum dicitur: forti, etiam in elle dit à ceux qui ont de méchants pères
tormentis beatum esse sapientem. Qui que le lien de la parenté n'est pas un lien
claritati ac potentiae studet, huic dont il faille faire grand état; elle prêche
praecipitur reges colere: qui molestiam aux impatients et aux délicats, que la
ferre non potest, huic regiam fugere. Ita douleur est le souverain de tous les
homo astutus ex variis diversisque maux ; aux fermes et aux généreux, que
moribus circulum cogit, et dum studet le sage peut être heureux au milieu des
placere omnibus, majore discordia tourments; elle conseille à ceux qui ont
secum ipse pugnavit, quam inter se de l'ambition et qui aspirent aux dignités
universi. Unde autem disciplina ejus tota de faire leur cour aux princes, et permet
descendat, quam originem habeat, à ceux qui sont trop fins pour en souffrir
explicandum est. les rebuts, de s'éloigner de la cour. Voilà
Videbat Epicurus bonis adversa comment cet homme rusé s'est tourné
semper accidere, paupertatem, labores, de tous côtés pour contenter tout le

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exilia, charorum amissiones; malos monde, et s'est aussi peu accordé avec
contra beatos esse, augeri potentia, lui-même que ceux au goût desquels il
honoribus affici: videbat innocentiam tâchait de s'accommoder s'accordaient
minus tutam, scelera impune committi: entre eux. Examinons un peu de plus
videbat, sine delectu morum, sine ordine près l'origine de sa secte et de ses
ac discrimine annorum saevire mortem: opinions. Il avait remarqué que les gens
sed alios ad senectutem pervenire, alios de bien sont pour l'ordinaire les plus
infantes rapi, alios jam robustos interire, malheureux en ce monde; qu'ils y
alios in primo adolescentiae flore souffrent la honte et l'incommodité de la
immaturis funeribus extingui, in bellis pauvreté, l'exil, la perte des personnes
potius meliores, et vinci, et perire. qui leur étaient les plus chères ; que les
Maxime autem commovebat, homines in médians au contraire y croissent de jour
primis religiosos gravioribus malis affici: en jour en crédit et en pouvoir; que
iis autem, qui aut deos omnino l'innocence n'y trouve point de sûreté,
negligerent, aut non pie colerent, vel au lieu que les crimes y règnent avec
minora incommoda evenire vel nulla: insolence; que la mort enlève toute sorte
ipsa etiam saepe templa fulminibus de personnes sans distinction de
conflagrare. Quod Lucretius queritur, condition, d'âge ni de mœurs ; qu'elle
cum dicit de Deo: prend les uns dans le berceau, et qu'elle
Tum fulmina mittat, et aedes laisse parvenir les autres jusqu'à une
Ipse suas disturbet; et in deserta extrême vieillesse; qu'elle arrête les uns
recedens, dans la fleur et les autres dans la force
Saeviat exercens telum, quod saepe de leur âge ; que les plus considérables
nocentes par leur vertu sont le plus souvent
Praeterit, exanimatque indignos, inque vaincus et tués dans les combats. Mais
merentes. rien ne le touchait si fort que de voir que
Quod si vel exiguam veritatis auram les personnes de la plus grande piété
colligere potuisset, numquam diceret, étaient toujours plus mal traitées que les
aedes illum suas disturbare; cum ideo autres, et que ceux qui négligeaient le
disturbet, quod non sunt suae. culte des dieux ne souffraient aucun
Capitolium, quod est Romanae urbis et dommage, ou n'en souffraient que de
religionis caput summum, non semel, fort légers; que les temples mêmes ne
sed saepius fulmine ictum conflagravit. sont pas respectés par la foudre : c'est
Homines autem ingeniosi quid de hoc le sujet de la plainte que Lucrèce fait par
existimaverint, ex dicto Ciceronis ces paroles[1] :
apparet, qui ait, divinitus extitisse illam
« Que Jupiter lance le tonnerre sur les
flammam, non quae terrestre illud
temples, et qu'il les réduise en cendres ;
domicilium Jovis deleret, sed quae

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sublimius magnificentiusque deposceret. c'est où il doit jeter ses traits, qui
Qua de re etiam in libris Consulatus sui épargnent souvent les coupables et
eadem dixit quae Lucretius: percent les innocents. »
Nam pater altitonans stellanti nixus
Pour peu qu'il eût entrevu la vérité, il
Olympo,
n'aurait jamais dit que Dieu renverse son
Ipse suas arces, atque inclyta templa
palais; car il ne le renverse que parce
petivit,
que ce n'est pas le sien. Le Capitole, qui
Et Capitolinis injecit sedibus ignes.
est le principal siège de la religion
Pertinaci ergo stultitia non modo
romaine, a été plusieurs fois brûlé par le
vim majestatemque veri Dei non
feu du ciel. Cicéron a marqué le
intellexerunt: sed etiam impietatem sui
jugement que les hommes d'esprit
erroris auxerunt, qui templum coelesti
portaient sur ces accidents, quand il a dit
judicio saepe damnatum restituere
: que le feu du ciel n'avait réduit en
contra fas omne contenderint.
cendres ces temples que pour faire voir
Cum haec igitur cogitaret Epicurus,
que les dieux en demandaient de plus
earum rerum velut iniquitate inductus
magnifiques et de plus superbes. Dans
(sic enim causam rationemque ignoranti
les livres de son consulat, il a parlé de ce
videbatur) existimavit nullam esse
sujet à peu près dans le même sens que
providentiam. Quod cum sibi
Lucrèce, quand il a dit: que Jupiter avait
persuasisset, suscepit etiam
jeté du haut du ciel le feu sur le Capitole.
defendendum: sic in errores
Ceux qui ont entrepris de relever ce
inextricabiles se ipse conclusit. Si enim
temple qui avait été tant de fois abattu
providentia nulla est, quomodo tam
par l'ordre du ciel, ont été non seulement
ordinate, tam disposite mundus effectus
assez aveugles pour ne pas reconnaître
est? Nulla, inquit, dispositio est; multa
la grandeur de Dieu, mais encore assez
enim facta sunt aliter, quam fieri
impies pour s'opposer opiniâtrement à
debuerunt. Et invenit homo divinus,
ses volontés. Les réflexions que faisait
quae reprehenderet. Quae singula si
Epicure sur l'injustice qui lui paraissait
vacaret refellere, facile ostenderem, nec
dans cette conduite (car l'aveuglement
sapientem hunc fuisse, nec sanum. Item
où il était l'empêchait d'en juger
si nulla providentia est, quomodo
autrement), lui persuadèrent qu'il n'y
animalium corpora tam providenter
avait point de providence. Quand il en
ordinata sunt, ut singula quaeque
fut persuadé, il commença à le publier et
membra mirabili ratione disposita sua
à s'engager en des erreurs qu'il est très
officia conservent? Nihil, inquit, in
difficile de démêler; car s'il n'y a point de
procreandis animalibus providentiae
providence, comment le monde a-t-il été
ratio molita est; nam neque oculi facti
fait dans un si bel ordre et dans une si
sunt ad videndum, neque aures ad

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audiendum, neque lingua ad loquendum, juste harmonie? « Il n'y a point d'ordre,
neque pedes sd ambulandum: quoniam répond-il, dans le monde: les pièces qui
prius haec nata sunt quam esset loqui, le composent sont hors de leur place, et
audire, videre, ambulare. Itaque non il y a beaucoup de choses à réduire. » Si
haec ad usum nata sunt: sed usus ex illis j'avais le loisir de réfuter cette réponse,
natus est. Si nulla providentia est, cur je ferais voir que, bien loin d'être la
imbres cadunt, fruges oriuntur, arbusta réponse d'un homme sage, elle ne
frondescunt? Non, inquit, semper causa saurait être que d'un homme qui avait
animantium ista fiunt, quoniam perdu l'usage de la raison. De plus s'il
providentiae nihil prosunt: sed omnia n'y a point de providence, d'où vient la
sua sponte fieri necesse est. Unde ergo structure si merveilleuse des animaux et
nascuntur aut quomodo fiunt omnia les usages si différents de leurs parties?
quae geruntur? Non est, inquit, » La providence, réplique Épicure, n'a
providentiae opus; sunt enim semina per pris aucun soin de former ces corps, et
inane volitantia, quibus inter se temere les membres ne sont estimés à aucun
conglobatis, universa gignuntur atque usage; les yeux n'ont point été faits pour
concrescunt. Cur igitur illa non sentimus voir, ni les oreilles pour ouïr, ni la langue
aut cernimus? Quia nec colorem habent, pour parler, ni les pieds pour marcher:
inquit, nec calorem ullum, nec odorem; tous ces organes étaient faits avant
saporis quoque et humoris expertia sunt, qu'ils fussent propres à aucun de ces
et tam minuta, ut secari ac dividi usages. » S'il n'y a point de providence,
nequeant. d'où vient que les pluies arrosent la
Sic eum, quia in principio falsum terre, et qu'elles loi font produire une si
susceperat, consequentium rerum merveilleuse abondance de toute sorte
necessitas ad deliramenta perduxit. Ubi de fruits? « Ces fruits-là naissent d'eux-
enim sunt, aut unde ista corpuscula? Cur mêmes, répond Epicure, ils ne sont point
illa nemo praeter unum Leucippum faits en faveur des animaux, et la
somniavit? a quo Democritus eruditus Providence ne prend aucune part à leur
haereditatem stultitiae reliquit Epicuro. production. » Comment donc est-ce que
Quae si sunt corpuscula, et quidem naissent toutes les choses qui paraissent
solida, ut dicunt, sub oculos certe venire dans le monde? » Elles ne naissent point,
possunt. Si eadem est natura omnium, dit Epicure, par l'ordre de la Providence;
quomodo res varias efficiunt? Vario, elles sont produites par le concours
inquit, ordine ac positione conveniunt: fortuit des atomes qui volent dans l'air.
sicut litterae, quae cum sint paucae, » D'où vient que nous ne voyons et nous
varie tamen collocatae, innumerabilia ne sentons rien de ces atomes ? » C'est
verba conficiunt. At litterae varias qu'ils sont imperceptibles, qu'ils n'ont ni
formas habent. Ita, inquit, et haec ipsa couleur, ni chaleur, ni odeur, ni saveur,

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primordia; nam sunt aspera, sunt et que leur petitesse est si extrême qu'ils
hamata, sunt laevia. Secari ergo et dividi ne sont susceptibles d'aucune division. »
possunt, si aliquid inest illis quod Voilà les extravagances et les rêveries
emineat. Si autem laevia sunt et hamis où le réduit la nécessité de parler
indigent, cohaerere non possunt. conséquemment à un faux principe ; car
Hamata igitur esse oportet, ut possint enfin d'où viennent ces atomes et où
invicem concatenari. Cum vero tam sont-ils? Comment personne n'y a-t-il
minuta esse dicantur, ut nulla ferri acie jamais pensé que Leucippe ? de qui les
dissici valeant, quomodo hamos, aut avait reçus Démocrite, qui les a laissés à
angulos habent? Quos, quia extant, Epicure comme une succession d'erreur
necesse est posse divelli. Deinde quo et d'égarement ? Si ce sont des corps
foedere inter se, qua mente conveniunt, solides, comme on nous en assure, ils
ut ex his aliquid construatur? Si sensu doivent tomber sous les sens et être
carent, nec coire tam disposite possunt; visibles? S'ils sont tous de même nature,
quia non potest quidquam rationale comment produisent-ils des choses si
perficere, nisi ratio. Quam multis coargui différentes? C'est, dit-on, qu'ils se
haec vanitas potest! sed properat oratio. mêlent de différentes manières, et
Hic est ille, forment par ce mélange tous les corps
Qui genus humanum ingenio de la nature, de la même sorte que les
superavit, et omnes lettres, qui ne sont pas en grand
Praestinxit stellas, exortus uti aetherius nombre, fout par leur assemblage un
sol. nombre innombrable de mots. Les
Quos equidem versus numquam lettres ont différentes figures; les
sine risu legere possum. Non enim de atomes ont aussi des figures fort
Socrate, aut Platone hoc saltem dicebat, différentes, disent les épicuriens; il y en
qui velut reges habentur philosophorum: a qui sont rudes, et d'autres qui sont
sed de homine, quo sano et vigente, polis; j il y en a qui sont en forme de
nullus aeger ineptius deliravit. Itaque petits crochets. Ils peuvent donc être
poeta inanissimus leonis laudibus coupés et divisés: s'ils sont polis, ils
murem non ornavit, sed obruit et coulent et ne sauraient se joindre les uns
obtrivit. At idem nos metu liberat mortis, aux autres; il faut qu'ils soient faits en
de qua haec ipsius verba sunt expressa: forme de crochets, qu'ils s'attachent
« Quando nos sumus, mors non est: ensemble comme les chaînons d'une
quando mors est, nos non sumus; mors chaîne. Mais s'ils sont si petits qu'ils ne
ergo nihil ad nos. » Quam argute nos puissent être coupés ni divisés, ils n'ont
fefellit! quasi vero transacta mors ni crochets ni angles. S'ils en ont, ils
timeatur, qua jam sensus ereptus est, ac peuvent être coupés et divisés. Je
non ipsum mori, quo sensus eripitur. Est demande encore par quel mouvement ils

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enim tempus aliquod, quo nos etiamnum s'unissent pour former un corps naturel?
sumus, et mors tamen nondum est; S'ils n'ont point de sentiment, ils ne
idque ipsum videtur miserum esse, cum peuvent se joindre avec la justesse qui
et mors esse incipit, et nos esse est nécessaire pour composer ces sortes
desinimus. d'ouvrages. Il n'y a que la raison qui
Nec frustra dictum est: Mors misera puisse rien faire d'aussi raisonnable que
non est. Aditus ad mortem est miser: cela, et je pourrais apporter un grand
hoc est, morbo tabescere, ictum perpeti, nombre d'autres arguments pour réfuter
ferrum corpore excipere, ardere igni, cette extravagance, si je n'avais bâte
dentibus bestiarum laniari. Haec sunt d'achever cette matière. Voilà cependant
quae timentur, non quia mortem quel était cet Epicure qui, au jugement
afferunt, sed quia dolorem magnum. de Lucrèce,
Quin potius effice ne dolor malum sit.
N'a pas moins surpassé les autres
Omnium, inquit, malorum maximum est.
hommes en esprit, que le soleil
Qui ergo non possum non timere, si id,
surpasse les moindres astres en
quod mortem antecedit, aut efficit,
lumières.
malum est? Quid, quod totum illud
J'avoue que je ne saurais m'empêcher
argumentum falsum est? quia non
de rire quand je lis ces paroles de ce
intereunt animae. Animae vero, inquit,
poète, car il ne les a pas dites de Socrate
intereunt. Nam quod cum corpore
ni de Platon, qui sont respectés comme
nascitur, cum corpore intereat necesse
les princes des philosophes, mais d'un
est. Jam superius dixi, differre me hunc
homme qui a eu en pleine santé des
locum melius, et operi ultimo reservare.
rêveries plus extravagantes que n'en ait
ut hanc Epicuri persuasionem, sive illa
jamais eu aucun malade. Ce poète
Democriti, sive Dicaearchi fuit, et
ridicule a écrasé un rat en le voulant
argumentis, et divinis testimoniis
parer comme un lion. Le même Epicure
redarguam. Verum ille fortasse
tâche de nous délivrer de la crainte de la
impunitatem vitiis suis spopondit; fuit
mort par ce raisonnement. Tandis que
enim turpissimae voluptatis assertor,
nous sommes, la mort n'est point, elle
cujus capiendae causa, nasci hominem
n'est que quand nous ne sommes plus ;
putavit. Quis, cum hoc affirmari audiat,
elle ne nous regarde donc en aucune
vitiis et sceleribus abstineat? Nam si
manière : il y a un moment auquel nous
periturae sunt animae, appetamus
ne sommes plus et auquel la mort n'est
divitias, ut omnes suavitates capere
pas encore, le moment auquel nous
possimus: quae si nobis desunt, ab iis
cessons et auquel la mort commence, et
qui habent, auferamus clam, dolo, vi; eo
c'est ce moment-là qui nous rend
magis, si humanas res Deus nullus curat,
misérables! Ce n'est pas sans sujet que
quandocumque spes impunitatis

65
arriserit, rapiamus, necemus. Sapientis l'on a dit que la mort n'est pas un mal,
est enim malefacere, si et utile sit, et mais que le passage qui mène à la mort
tutum; quoniam si quis in coelo Deus en est un. On craint de languir de
est, non irascitur cuiquam. Aeque stulti maladie, d'être consumé par la fièvre,
est et benefacere; quia sicut ira non d'être percé par le fer, d'être déchiré par
commovetur, ita nec gratia tangitur. les dents des bêtes, d'être réduit en
Voluptatibus igitur, quoquo modo cendres, non parce que ces choses
possumus, serviamus. Brevi enim causent la mort, mais parce qu'elles
tempore nulli erimus omnino. Ergo causent une grande douleur. Il ne
nullum diem, nullum denique temporis suivrait pas de là que ce serait un mal de
punctum fluere nobis sine voluptate mourir, il s'ensuivrait que ce serait un
patiamur; ne, quia ipsi quandoque mal de sentir de la douleur : « C'est aussi
perituri sumus, id ipsum quod viximus le plus grand de tous les maux, dit
pereat. Epicure. » Comment donc ne craindrais-
Hoc ille tametsi non dicit verbo, re je pas la mort, puisque la douleur qui la
tamen ipsa docet. Nam cum disputat, précède et qui la cause est un mal ? Mais
omnia sapientem sua causa facere, ad il n'y a rien que de faux dans le
utilitatem suam refert omnia quae agit. raisonnement de ce philosophe, parce
Ita qui audit haec flagitia, nec boni que les âmes sont immortelles. » Au
quidquam faciendum putabit, quoniam contraire, elles sont mortelles, répond
benefacere ad utilitatem spectat Epicure, et tout ce qui commence avec
alienam, nec a scelere abstinendum, le corps, finit aussi avec lui. » J'ai déjà
quia maleficio praeda conjuncta est. promis de traiter amplement ce sujet
Archipyrata quisquam, vel latronum dans le dernier livre de cet ouvrage où je
ductor, si suos ad grassandum réfuterai, par autorité et par raison,
cohortetur; quo alio sermone uti potest, l'erreur de Démocrite et de Dicéarque.
quam ut eadem dicat, quae dicit Peut-être que ces philosophes se
Epicurus? Deos nihil curare; non ira, non promettaient par cette opinion l'impunité
gratia tangi; inferorum poenas non esse dans leurs crimes ; car ils permettaient
metuendas, quod animae post mortem les plus infâmes voluptés, et soutenaient
occidant, nec ulli omnino sint inferi; que l'homme n'était né que pour en
voluptatem esse maximum bonum; jouir. Peut-on s'abstenir des crimes,
nullam esse humanam societatem; sibi quand on est une fois persuadé de ce
quemque consulere; neminem esse qui sentiment? « Si l'âme doit périr, dit-on,
alterum diligat, nisi sua causa; mortem recherchons les richesses pour goûter
non esse metuendam forti viro, nec ensuite les plaisirs les plus doux et les
ullum dolorem, qui etiamsi torqueatur, si plus agréables. Si nous ne pouvons
uratur, nihil curare se dicat. Est plane, acquérir du bien par des moyens

66
cur quisquam putet, hanc vocem viri légitimes, volons-en par adresse ou par
esse sapientis, quae potest latronibus violence. S'il n'y a point de Dieu qui veille
aptissime commodari? sur nos actions, nous pouvons piller et
tuer avec une plus grande licence, et
nous assurer de l'impunité. Le sage ne
doit point faire de difficulté de se porter
au crime, quand il y trouve du profit et
de la sûreté. Quand il y aurait un Dieu
dans le ciel, il n'entrerait jamais en
colère contre personne. Il ne se mettrait
en peine ni de punir le vice ni de
récompenser la vertu. Ainsi ce serait une
aussi grande folie de faire le bien que de
s'abstenir du mal. Goûtons les plaisirs,
puisque dans peu de temps nous ne
serons plus. Ne laissons échapper aucun
jour ni aucun moment sans nous
divertir, de peur de perdre le temps de
la vie, comme nous perdrons bientôt la
vie elle-même. » Bien qu'Epicure ne dise
pas ceci en propres termes, il le dit dans
le fond, quand il assure que le sage
n'agit que pour soi et qu'il rapporte tout
a son intérêt. Quiconque sera infecté de
ces abominables sentiments, ne fera
jamais aucun bien, parce que le bien que
l'on fait tourne au profit des autres, et
ne s'abstiendra d'aucun mal, parce que
le mal est suivi de quelque avantage. Un
corsaire ou un chef de voleurs qui
voudrait les exhorter à piller, leur
pourrait-il dire autre chose que ce que
dit Epicure : que les dieux ne se soucient
de rien; qu'ils sont insensibles à la colère
; qu'ils ne font grâce à personne; que
l'âme meurt avec le corps; qu'il n'y a
point de peines après cette vie ; que la
volupté est le souverain bien; que

67
chacun doit veiller à ses intérêts sans
procurer le bien public; que l'on ne doit
aimer les autres que par rapport à soi-
même; qu'un homme de cœur ne doit
craindre ni la douleur ni la mort, et que
si on le brûlait tout vif et qu'on lui fit
souffrir les plus cruels tourments, il
devrait dire qu'il ne s'en soucie point ? Il
y a, sans doute, grand sujet de croire
que ces sentiments, qui conviennent
parfaitement à des voleurs et à des
brigands, sont des sentiments d'un
homme sage !

CAPUT XVIII. Pythagorici et XVIII. D'autres philosophes, et


Stoici, animarum immortalitatem principalement les pythagoriciens et les
statuentes, voluntariam mortem stoïciens, soutiennent au contraire que
inaniter persuadent. l'âme survit au corps. Bien qu'il n'y ait
Alii autem contraria his disserunt, rien à reprendre dans leur sentiment, ils
superesse animas post mortem; et hi ne sont pas néanmoins fort louables
sunt maxime Pythagorici ac Stoici: d'avoir trouvé la vérité par hasard plutôt
quibus etsi ignoscendum est, quia verum que par science ; ils ne sont pas même
sentiunt, non possum tamen non tout à fait exempts d'erreur. Car, pour
reprehendere eos, quia non sententia, éviter la force de l'argument par lequel
sed casu inciderunt in veritatem. Itaque on conclut de ce que les âmes naissent
in eo ipso quod recte sentiebant aliquid avec les corps, qu'elles meurent aussi
errarunt. Nam cum timerent avec eux, ils ont assuré qu'elles ne
argumentum illud, quo colligitur necesse naissent point avec les corps, mais
esse, ut occidant animae cum qu'elles passent de l'un dans l'autre. Ils
corporibus, quia cum corporibus se sont persuadés qu'il n'était pas
nascuntur, dixerunt non nasci animas, possible qu'elles survécussent au corps
sed insinuari potius in corpora, et de aliis si elles n'avaient été auparavant. Ils se
in alia migrare. Non putaverunt aliter trompent donc aussi bien que les
fieri posse, ut supersint animae post épicuriens. Mais il y a cette différence
corpora, nisi videantur fuisse ante que l'erreur des uns regarde le passé, au
corpora. Par igitur, ac prope similis error lieu que celle des autres regarde l'avenir.
est partis utriusque. Sed haec in Aucun d'entre eux n'a vu qu'encore que
praeterito falsa est, illa in futuro. Nemo les âmes naissent, néanmoins elles ne

68
enim vidit, quod est verissimum, et nasci meurent point, et aucun n'a découvert la
animas, et non occidere; quia, cur id raison et la différence. Plusieurs de ceux
fieret, aut quae ratio esset hominis, qui ont cru l'âme immortelle, se sont
nescierunt. Multi ergo ex iis, quia tués eux-mêmes comme s'ils eussent
aeternas esse animas suspicabantur, été assurés d'entrer dans le ciel.
tamquam in coelum migraturi essent, Cléante, Chrysippe, Zénon et plusieurs
sibi ipsis manus intulerunt: ut Cleanthes, autres, en usaient de la sorte.
ut Chrysippus; ut Zeno, ut Empedocles, Empédocle se jeta durant la nuit au fond
qui se in ardentis Aetnae specum d'une caverne enflammée du mont Etna;
intempesta nocte dejecit, ut, cum et parce qu'il ne parut plus depuis, on a
repente non apparuisset, abiisse ad deos cru qu'il avait été élevé au rang des
crederetur; et ex Romanis Cato, qui fuit dieux. Caton, qui avait affecté durant
in omni sua vita Socraticae vanitatis toute sa vie d'imiter la vanité des
imitator. Nam Democritus in alia fuit stoïciens, se tua lui-même. Bien que
persuasione. Sed tamen Sponte sua Démocrite fût dans un autre sentiment,
letho caput obvius obtulit ipse, quo nihil il ne laissa pas de se procurer la mort;
sceleratius fieri potest. Nam si homicida ce qui était sans doute la plus méchante
nefarius est, quia hominis extinctor est, action qu'il pût jamais faire. Car si
eidem sceleri obstrictus est, qui se l'homicide est un crime, c'est un
necat, quia hominem necat. Imo vero homicide de se tuer soi-même, et il est
majus esse id facinus existimandum est, d'autant plus énorme que Dieu s'en
cujus ultio Deo soli subjacet. Nam sicut réserve le châtiment. Nous ne devons
in hanc vitam non nostra sponte point sortir de nous-mêmes, de cette
venimus, ita rursus ex hoc domicilio vie, non plus que nous n'y sommes point
corporis, quod tuendum nobis entrés de nous-mêmes. Il faut attendre
assignatum est, ejusdem jussu que celui qui nous y a mis nous en retire.
recedendum est, qui nos in hoc corpus Que si l'on nous en chasse par violence,
induxit, tamdiu habituros, donec jubeat il le faut souffrir avec modération, dans
emitti; et si vis aliqua inferatur, aequa l'assurance que notre mort ne sera pas
mente id patiendum est, cum extincta impunie, et que nous aurons un
innocentis anima inulta esse non possit, protecteur qui saura bien la venger.
habeamusque judicem magnum, cui soli Ainsi ces philosophes, et Caton même, le
vindicta in integro semper est. plus sage des Romains, ont été des
Homicidae igitur illi omnes philosophi, et homicides. On dit que ce dernier, avant
ipse romanae sapientiae princeps Cato, de se plonger le poignard dans le sein,
qui antequam se occideret, perlegisse lut le livre de l'Immortalité de l'âme de
Platonis librum dicitur, qui est scriptus Platon, et fut excité à ce crime atroce par
de aeternitate animarum, et ad l'autorité de ce philosophe. Il faut

69
summum nefas philosophi auctoritate pourtant avouer que la crainte de la
compulsus est; et hic tamen aliquam servitude semblait lui pouvoir faire
moriendi causam videtur habuisse, souhaiter la mort avec raison. Mais
odium servitutis. Quid Ambraciotes ille, quelle excuse peut-on apporter en
qui, cum eumdum librum perlegisset faveur de Cléombrote qui, après avoir lu
praecipitem se dedit, nullam aliam ob le même livre de Platon, se précipita
causam, nisi quod Platoni credidit? dans la mer, sans aucun autre dessein
Execrabilis prorsus ac fugienda doctrina, que celui d'ajouter pleine et entière
si abigit homines a vita. Quod si scisset créance aux paroles de Platon.
Plato, atque docuisset, a quo, et Détestable doctrine qui prive les
quomodo, et quibus, et quae ob facta, et hommes de la vie ! Que si Platon avait
quo tempore immortalitas tribuatur, nec su qui est celui qui donne l'immortalité,
Cleombrotum impegisset in mortem à qui il la donne, de quelle manière, et
voluntariam, nec Catonem, sed eos ad en récompense de quelles actions, et
vitam et justitiam potius erudisset. Nam qu'il l'eût enseigné aux autres, bien loin
Cato videtur mihi causam quaesisse de porter ni Cléombrote ni Caton à se
moriendi, non tam ut Caesarem fugeret, procurer volontairement la mort, il leur
quam ut Stoicorum decretis aurait appris à conserver leur vie et à
obtemperaret, quos sectabatur, garder la justice. Il me semble que le
nomenque suum grandi aliquo facinore motif qui poussa Caton à se tuer, ne fut
clarificaret: cui quid mali accidere pas tant d'éviter de tomber entre les
potuerit, si viveret, non invenio. Caius mains de César, que de réduire en
enim Caesar, ut clemens erat, nihil aliud pratique les maximes des stoïciens, et
efficere volebat, etiam in ipso belli civilis de rendre son nom célèbre par une
ardore, quam ut bene mereri de action extraordinaire. Quand il serait
Republica videretur, duobus optimis demeuré en vie, je ne vois pas quel mal
civibus Cicerone et Catone servatis. Sed il lui en serait arrivé. César était clément
redeamus ad eos qui mortem pro bono de son naturel, et durant la plus grande
laudant. De vita quereris, quasi vixeris, chaleur de la guerre civile, il ne
aut umquam tibi ratio constiterit, cur souhaitait rien avec tant de passion que
omnino sis natus. Nonne igitur tibi verus de faire croire, en conservant Cicéron et
ille et communis omnium pater Caton, les deux meilleurs citoyens de la
Terentianum illud jure increpaverit: république, qu'il l'aimait sincèrement et
Prius disce, quid sit vivere; qu'il ne cherchait que l'occasion de la
Si displicebit vita, tum isthoc utitor. servir. Mais retournons à ceux qui louent
Indigaris te malis esse subjectum: la mort comme un grand bien. Vous vous
quasi quidquam merearis boni, qui plaignez de la vie, comme si vous n’en
patrem, qui dominum, qui regem tuum aviez jamais joui et comme si vous

70
nescis; qui quamvis clarissimam lucem n’aviez jamais su la raison pour laquelle
intuearis oculis, mente tamen caecus es, vous avez été mis au monde. Le
et in profundis ignorantiae tenebris véritable et le père commun de tous les
jaces. Quae ignorantia effecit, ut hommes ne peut-il pas vous répondre
quosdam dicere non puderet, idcirco nos avec raison en ces termes qui se lisent
esse natos, ut scelerum poenas dans Térence[2] :
lueremus: quo quid delirius dici possit,
Si la vie vous déplaît, apprenez
non video. Ubi enim, vel quae scelera
premièrement ce que c'est que la vie,
potuimus admittere, qui omnino non
et vous ferez ensuite ce qui vous plaira.
fuimus? Nisi forte credemus inepto illi
Vous vous fâchez de ce que vous y
seni, qui se in priori vita Euphorbum
souffrez beaucoup de mal, comme si
fuisse mentitus est. Hic, credo, quod
vous ne méritiez aucun bien, vous qui ne
erat ignobili genere natus, familiam sibi
connaissez pas votre père, votre maître
ex Homeri carminibus adoptavit. O
et votre roi, vous qui ne voyez rien en
miram et singularem Pythagorae
plein jour, et qui êtes enveloppé des
memoriam! O miseram oblivionem
ténèbres épaisses de l'ignorance ; ce qui
nostrum omnium, qui nesciamus, qui
a fait dire à quelques-uns: que les
ante fuerimus! Sed fortasse, vel errore
hommes n'ont été mis sur la terre que
aliquo, vel gratia sit effectum, ut ille
pour y souffrir les supplices dus à leurs
solus lethaeum gurgitem non attigerit,
crimes. Je ne vois rien que l'on puisse
nec oblivionis aquam gustaverit:
jamais avancer de plus extravagant que
videlicet senex vanus (sicut otiosae
cela. Quel crime avons-nous pu
aniculae solent) fabulas tamquam
commettre avant que d'être ? Si ce n'est
infantibus credulis finxit. Quod si bene
que nous voulions ajouter foi à
sensisset de iis, quibus haec locutus est,
l'imprudence avec laquelle cet
si homines eos existimasset, nunquam
impertinent vieillard a osé dire qu'il avait
sibi tam petulanter mentiendi licentiam
vécu dans un autre corps, et qu'il avait
vindicasset. Sed deridenda est hominis
été Euphorbe. Je me persuade qu'étant
levissimi vanitas. Quid Ciceroni
de basse naissance, il a voulu se glisser
faciemus? qui cum in principio
dans une famille qui avait été rendue
Consolationis suae dixisset, luendorum
illustre par les vers d'Homère. Que
scelerum causa nasci homines, iteravit
Pythagore a été heureux d'avoir si bonne
id ipsum postea, quasi objurgans eum,
mémoire, et que nous sommes
qui vitam non esse poenam putet. Recte
malheureux de l'avoir si mauvaise, que
ergo praefatus est, errore, ac miserabili
nous ne nous souvenons point de ce que
veritatis ignorantia se teneri.
nous avons été ! C'est peut-être par
mégarde ou par faveur qu'il s'est seul

71
exempté de boire de l'eau du fleuve de
Lethé. Ce vieux fou a inventé des fables
semblables à celles que les vieilles
content aux enfants. Que s'il avait eu
bonne opinion de ceux à qui il parlait, et
qu'il les eût pris pour des hommes fort
raisonnables, il n'aurait jamais osé leur
imposer avec une si horrible impudence.
Mais enfin la vanité mérite d'être raillée.
Que dirons-nous de Cicéron, qui, après
avoir écrit au commencement de la
Consolation : que les hommes ont été
mis au monde pour y porter la peine due
à leurs crimes, l'a encore répété, comme
pour reprendre ceux qui ne croiraient
pas que la vie de l'homme est toute
remplie de misères? il avait eu raison
d'avouer dès le commencement qu'il
était plongé dans l'erreur et dans une
misérable ignorance de la vérité.

CAPUT XIX. Cicero et alii XIX. Ceux qui disputent sur le sujet
sapientissimi animarum de la mort ne sachant rien de la vérité,
immortalitatem, sed infideliter raisonnent de cette sorte : s'il n'y a rien
docent; et quod bona vel mala mors après la mort, et pas même de
ex ante acta vita sit ponderanda. sentiment, la mort n'est point un mal ;
At illi, qui de mortis bono disputant que si l'âme vit après la mort du corps,
quia nihil veri sciunt, sic argumentantur: la mort est un bien, et elle est suivie de
Si nihil est post mortem, non est malum l'immortalité. Cicéron a expliqué ce
mors; aufert enim sensum mali. Si sentiment en ces termes : « Nous
autem supersunt animae, est etiam devons nous réjouir de ce que l'état où
bonum, quia immortalitas sequitur. nous met la mort est plus heureux, ou
Quam sententiam Cicero de Legibus sic au moins aussi heureux que celui de la
explicavit: « Gratulemurque nobis, vie présente. Car si l'âme conserve le
quoniam mors aut meliorem, quam qui sentiment après la perte du corps, elle
est in vita, aut certe non deteriorem mène une vie semblable à celle des
allatura est statum. Nam sine corpore dieux : si au contraire elle n'a point de
animo vigente, divina vita est; sensu sentiment, elle est exempte de mal. » Il

72
carente, nihil profecto est mali. » Argute, a cru raisonner fort subtilement, et que
ut sibi videbatur, quasi nihil esse aliud le dilemme qu'il proposait était fort
possit. Atqui utrumque hoc falsum est. juste. Cependant il ne contient rien que
Docent enim divinae Litterae, non de faux ; car l'Écriture sainte nous
extingui animas: sed aut pro justitia enseigne que l'âme est immortelle, et
praemio affici, aut poena pro sceleribus qu'elle reçoit une récompense ou une
sempiterna. Nec enim fas aut eum qui punition éternelle, n'étant pas juste que
sceleratus in vita feliciter fuerit, effugere les crimes qui ont été heureux sur la
quod meretur; aut eum, qui ob justitiam terre demeurent impunis, ni que les
miserrimus fuerit, sua mercede fraudari. vertus qui ont été persécutées soient
Quod adeo verum est, ut idem Tullius in privées de la couronne qu'elles méritent.
Consolatione non easdem sedes incolere Cette vérité est si constante, que Cicéron
justos atque impios praedicaverit. Nec a reconnu dans le livre de la Consolation
enim omnibus, inquit, iidem illi sapientes que les bons et les médians n'habiteront
arbitrati sunt, eumdem cursum in pas le même lieu en l'autre monde. « Ces
coelum patere: nam vitiis et sceleribus hommes, si éminents en sagesse, dit-il,
contaminatos deprimi in tenebras, atque n'ont pas été persuadés que le chemin
in coeno jacere docuerunt; castos autem du ciel fût ouvert à tout le monde. Ils ont
animos, puros, integros, incorruptos, enseigné au contraire que ceux qui
bonis etiam studiis atque artibus seraient souillés de crimes seraient
expolitos, levi quodam et facili lapsu ad plongés dans un bourbeux limon et
deos, id est, ad naturam sui similem couverts d'épaisses ténèbres; au lieu
pervolare. Quae sententia superiori illi que ceux qui auraient conservé leur
argumento repugnat. Illud enim sic pureté, qui auraient évité la corruption,
assumptum est, tamquam necesse sit, et qui se seraient adonnés aux sciences
omnem hominem natum immortalitate et aux arts, s'élèveraient par un vol léger
donari. Quod igitur erit discrimen jusqu'au sein des dieux. Il est certain
virtutis, ac sceleris, si nihil interest, que ce dernier sentiment ne se peut
utrumne Aristides sit aliquis, an accorder avec le dilemme qu'il avait
Phalaris? utrum Cato, an Catilina? Sed proposé auparavant; car il supposait que
hanc repugnantiam rerum toutes les âmes sont immortelles de la
sententiarumque non cernit, nisi qui même manière, et il ne mettait aucune
tenet veritatem. Si quis igitur nos roget, différence entre Aristide et Phalaris,
utrumne bonum sit mors, an malum? entre Caton et Catilina. Nul ne peut
respondebimus, qualitatem ejus ex vitae s'apercevoir de la contradiction de ces
ratione pendere. Nam sicut vita ipsa sentiments, s'il n'est pleinement instruit
bonum est, si cum virtute vivatur, de la vérité. S'il se trouvait donc
malum, si cum scelere: sic et mors ex quelqu'un qui nous demandât si la mort

73
praeteritis vitae actibus ponderanda est. est un bien ou un mal, nous lui
Ita fit, ut si vita in Dei religione transacta répondrions : que la qualité de la mort
sit, mors malum non sit; quia translatio dépend de celle de la vie. Comme la vie
est ad immortalitatem. Sin autem, est un bien quand elle se conforme à la
malum sit necesse est; quoniam ad vertu, et un mal quand elle est pleine de
aeterna (ut dixi) supplicia transmittit. crimes, on doit faire le même jugement
Quid ergo dicemus, nisi errare illos, de la mort qui suit l'une et l'autre. La
qui aut mortem appetunt, tamquam mort qui termine une vie qui a été
bonum, aut vitam fugiunt, tamquam employée au service de Dieu est un bien,
malum? nisi quod sunt iniquissimi, qui parce que ce n'est qu'un passage à
pauciora mala non pensant bonis l'immortalité; celle qui termine une vie
pluribus. Nam cum omnem vitam per criminelle est un mal, parce qu'elle
exquisitas et varias traducant commence un supplice qui n'a point de
voluptates, mori cupiunt, si quid forte his fin. Il est donc clair que ceux-là se
amaritudinis supervenit; et sic habent, trompent, qui souhaitent la mort comme
tamquam illis nunquam fuerit bene, si un bien, ou qui évitent la vie comme un
aliquando fuerit male. Damnant igitur mal ; et qu'ils n'ont pas assez d'équité
vitam omnem, plenamque nihil aliud, pour peser dans une juste balance les
quam malis opinantur. Hinc nata est biens et les maux qui leur arrivent. Après
inepta illa sententia, hanc esse mortem, avoir joui de toute sorte de plaisirs, ils
quam nos vitam putemus; illam vitam, souhaitent la mort dès qu'il leur survient
quam nos pro morte timeamus: ita la moindre disgrâce, et la moindre
primum bonum esse, non nasci, adversité leur fait oublier toute leur
secundum citius mori. Quae, ut majoris prospérité passée. Ils soutiennent qu'il
sit auctoritatis, Sileno attribuitur. Cicero, n'y a que du mal à souffrir dans le
in Consolatione: « Non nasci, inquit, monde; et c'est de là qu'est venue
longe optimum, nec in hos scopulos l'extravagante opinion de ceux qui
incidere vitae; Proximum autem, si prétendent que ce que nous prenons
natus sis, quamprimum mori, tanquam pour la vie est une mort, et que ce que
ex incendio effugere violentiam nous prenons pour la mort est une vie;
fortunae. » Credidisse illum vanissimo et que le premier et le plus grand
dicto exinde apparet, quod adjecit avantage que nous aurions pu avoir
aliquid de suo, ut ornaret. Quaero igitur, aurait été de n'être jamais venus au
cui esse optimum putet non nasci, cum monde, et le second d'en être sortis
sit nullus omnino, qui sentiat: nam ut aussitôt que nous y sommes venus. On
bonum sit aliquid, aut malum, sensus l'attribue à Silène pour lui donner
efficit. Deinde, cur omnem vitam nihil quelque poids. Voici comment en parle
aliud esse, quam scopulos, et incendium Cicéron, dans le livre de la Consolation.

74
putaverit; quasi aut in nostra fuerit « Le plus grand avantage, dit-il, qui nous
potestate, ne nasceremur, aut vitam pût arriver était de ne point naître et de
nobis fortuna tribuat, non Deus, aut ne point tomber dans les écueils de cette
vivendi ratio quidquam simile incendio vie. Le second était de mourir
habere videatur. promptement, et d'échapper à la
Non dissimile Platonis illud est. quod violence de la fortune comme à un
aiebat, se gratias agere naturae: funeste embrasement. » Les ornements
primum, quod homo natus esset potius, qu'il a recherchés pour embellir cette
quam mutum animal; deinde, quod mas pensée font voir qu'elle lui a paru
potius, quam foemina; quod Graecus, véritable. Je lui demanderai volontiers: à
quam Barbarus; postremo, quod qui c'est un avantage que de ne point
Atheniensis, et quod temporibus naître, puisque avant que de naître, il n'y
Socratis. Dici non potest, quantam a aucun sentiment? C'est le sentiment
mentibus caecitatem, quantosque pariat qui fait trouver ou de l'avantage ou du
errores ignoratio veritatis. Ego plane désavantage en quoi que ce soit, le lui
contenderim, numquam quidquam demanderai encore : pourquoi il
dictum esse in rebus humanis delirius. compare la vie à un embrasement et à
Quasi vero si aut Barbarus, aut mulier, un écueil? Dépendait-il de nous de la
aut asinus denique natus esset, idem recevoir? Est-ce de la fortune et non de
ipse Plato esset, ac non ipsum illud, quod Dieu que nous l'avons reçue? Enfin, quel
natum fuisset. Sed videlicet Pyhagorae rapport peut-elle avoir avec un
credidit, qui ut vetaret homines embrasement ? Platon disait quelque
animalibus vesci, dixit, animas de chose de semblable, quand il rendait
corporibus in aliorum animalium corpora grâce à la nature de ce qu'elle l'avait fait
commeare: quod et vanum et naître raisonnable plutôt que bête,
impossibile est. Vanum, quia necesse homme plutôt que femme, Grec plutôt
non fuit veteres animas in nova corpora que barbare, et enfin de ce qu'elle l'avait
inducere, cum idem artifex, qui primas rendu citoyen d'Athènes et
aliquando fecerat, potuerit semper contemporain de Socrate. On ne saurait
novas facere. Impossibile, quia rectae dire jusqu'où va l'égarement d'un esprit
rationis anima tam immutare naturam qui s'est une fois éloigné de la vérité.
status sui non potest, quam ignis aut Pour moi je soutiens qu'il n'y eut jamais
deorsum niti, aut in transversum, rien de si extravagant que cette parole
fluminis modo, flammam suam fundere. de Platon. S'il était né ou barbare ou
Existimavit igitur homo sapiens, femme ou âne, il n'aurait pas été Platon.
potuisse fieri, ut anima, quae tunc erat Il ajoutait peut-être foi aux rêveries de
in Platone, in aliquod mutum animal Pythagore, qui défendait de manger de
includeretur, essetque humano sensu la chair des animaux, et qui enseignait

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praedita, ut intelligeret ac doleret que les âmes pussent dans des corps de
incongruenti se corpore oneratam. diverses espèces, ce qui n'est ni
Quanto sanius faceret, si gratias agere nécessaire ni possible. Cela n'est point
se diceret, quod ingeniosus, quod docilis nécessaire, parce que celui qui a créé les
natus esset, quod in iis opibus, ut âmes peut en créer de nouvelles à
liberaliter erudiretur. Nam quod Athenis mesure que de nouveaux corps se
natus est, quid in eo beneficii fuit? An forment. Cela n'est pas non plus
non plurimi extiterunt in aliis civitatibus possible, et une âme raisonnable ne
excellenti ingenio atque doctrina viri, qui saurait changer de nature, et tendre en
meliores singuli, quam omnes bas comme l'eau. Ce célèbre philosophe
Athenienses fuerunt? Quanta hominum s'est imaginé que l'âme qui animait son
millia fuisse credamus, qui et Athenis corps pouvait passer dans celui d'une
nati, et temporibus Socratis, indocti bête, et qu'y conservant l'intelligence et
tamen, ac stulti fuerunt? Non enim aut la raison, elle s'y pourrait plaindre d'être
parietes, aut locus in quo quisque est si indignement loger. N'aurait-il pas
effusus ex utero conciliat homini mieux fait de dire qu'il remerciait la
sapientiam. Quid vero attinuit Socratis nature de ce qu'il avait de l'esprit, de la
se temporibus natum gratulari? Num docilité pour apprendre, ou bien pour se
Socrates ingenia discentibus potuit faire instruire ? Car quel avantage était-
commodare? Non venit in mentem ce d'être né dans Athènes plutôt que
Platoni Alcibiadem quoque et Critiam dans une autre ville? N'y a-t-il pas eu
ejusdem Socratis assiduos auditores dans d'autres villes des hommes qui ont
fuisse; quorum alter hostis patriae excellé en esprit et en science, et dont
acerrimus fuit, alter crudelissimus un seul a surpassé tous les Athéniens en
omnium tyrannorum. mérite? Combien y a-t-il eu d'Athéniens
au temps de Socrate qui n'ont été que
des ignorants et des insensés ! Le lieu de
la naissance ne contribue en rien à la
sagesse. Le temps n'y contribue pas
davantage, et il n'y avait pas sujet de se
vanter d'être venu dans celui de Socrate.
Ce philosophe donnait-il de l'esprit à
ceux qui n'en avaient point? Platon
avait-il oublié qu'Alcibiade et Critias ont
été des plus fidèles disciples de Socrate,
et que cependant l'un a déclaré la guerre
à sa patrie, et l'autre a opprimé la liberté
de ses concitoyens ?

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CAPUT XX. Socrates aliis XX. Voyons maintenant ce qu'il y
prudentior fuit in philosophia, avait dans Socrate de si rare et de si
quamvis in multis desipuerit. extraordinaire, qu'un homme sage eût
Videamus nunc, quid in Socrate ipso sujet de se tenir fort obligé à la nature
tam magnum fuerit, ut homo sapiens de ce qu'elle l'avait fait naître en son
merito gratias ageret, illius se temps. J'avoue qu'il a été plus sage que
temporibus esse natum. Non inficior ceux qui ont entrepris de pénétrer par la
fuisse illum paulo cordatiorem, quam lumière de leur esprit les secrets de la
caeteros, qui naturam rerum putaverunt nature. Il n'y avait pas moins d'impiété
ingenio posse comprehendi. In quo illos que d'imprudence dans la curiosité avec
non excordes tantum fuisse arbitror, sed laquelle ils avaient sonde l'abime
etiam impios; quod in secreta coelestis impénétrable de la Providence. On sait
illius providentiae curiosos oculos qu'à Rome ou ailleurs il y a des mystères
voluerint immittere. Romae, et in où il est défendu aux hommes d'assister.
plerisque urbibus scimus esse quaedam Ils s'en abstiennent très religieusement
sacra, quae aspici a viris nefas habeatur. ; et si quelqu'un y jette les yeux par
Abstinent igitur aspectu, quibus imprudence ou par hasard, on le punit,
contaminare illa non licet: et si forte, vel et on recommence la célébration du
errore, vel casu quopiam vir aspexerit, mystère. Que faut-il faire de ceux qui
primo poena ejus, deinde instauratione veulent apprendre ce qu'il ne leur est pas
sacrificii, scelus expiatur. Quid his facias, permis de savoir? Ceux qui
qui inconcessa scrutari volunt? Nimirum entreprennent de découvrir les secrets
multo sceleratiores, qui arcana mundi, et de la nature et qui profanent le temple
hoc coeleste templum profanare impiis de l'univers par l'impiété de leurs
disputationibus quaerunt, quam qui disputes, sont sans doute plus coupables
aedem Vestae, aut Bonae Deae, aut que ceux qui entrent dans les temples de
Cereris intraverint. Quae penetralia Vesta de la Bonne Déesse ou de Cérès.
quamvis adire viris non liceat, tamen a Ces temples-là, qui sont fermés aux
viris fabricata sunt. Hi vero non tantum hommes, ont été bâtis par des hommes.
impietatis crimen effugiunt: sed, quod Cependant ces philosophes, bien loin
est multo indignius, eloquentiae famam, d'être condamnés comme des impies
et ingenii gloriam consequuntur. Quid, si quand ils cherchent, par une
aliquid investigare possent? Sunt enim présomptueuse curiosité, ce qu'il y a de
tam stulti in asseverando. quam improbi plus caché dans les ouvrages de Dieu se
in quaerendo; cum neque invenire mettent en crédit, et font admirer leur
quidquam possint, nec defendere, esprit et leur éloquence. Ils seraient
etiamsi invenerint. Nam si verum vel peut-être excusables si leur travail leur
fortuito viderint, quod saepius contingit, apportait quelque fruit. Mais ils sont

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committunt, ut ab aliis id pro falso aussi malheureux dans le succès, qu'ils
refellatur. Non enim descendit aliquis de ont été téméraires dans l'entreprise. Ils
coelo, qui sententiam de singulorum ne trouvent point la vérité ; et quand ils
opinionibus ferat: quapropter nemo l'auraient trouvée, ils ne la pourraient
dubitaverit, eos, qui ista conquirant, défendre. Quand, par hasard, ils la
stultos, ineptos, insanos esse. découvrent, ils souffrent qu'elle soit
Aliquid ergo Socrates habuit cordis combattue par les autres. Car personne
humani, qui cum intelligeret haec non ne descend du ciel pour terminer leurs
posse inveniri, ab ejusmodi différends et pour juger quelle est la plus
quaestionibus se removit; vereorque ne véritable de leurs opinions. C'est
in eo solo. Multa enim sunt ejus non pourquoi personne ne saurait nier que
modo laude indigna, sed etiam leur occupation ne soit vaine, ridicule et
reprehensione dignissima, in quibus fuit inepte. Socrate a été fort prudent de
suorum simillimus. Ex his unum eligam, s'abstenir de ces questions inutiles; mais
quod ab omnibus sit probatum. Celebre j'ai peur qu'il ne l'ait été qu'en ce point-
hoc proverbium Socrates habuit: « Quod là seulement. En d'autres, il a ressemblé
supra nos, nihil ad nos. » Procumbamus aux autres philosophes, et bien loin de
igitur in terram, et manus nobis ad mériter des louanges, il n'a mérité que
praeclara opera datas convertamus in du blâme. Parmi ce qu'il a jamais dit de
pedes. Nihil ad nos coelum, ad cujus plus remarquable, je choisirai un mot qui
contemplationem sumus excitati; nihil a eu une approbation générale. « Ce qui
denique lux ipsa pertineat: certe victus est au-dessus de nous, a-t-il dit, ne nous
nostri causa de coelo est. Quod si hoc regarde point. » Couchons-nous donc
sensit, non esse de rebus coelestibus sur la terre, et marchons sur les mains
disputandum, ne illorum quidem qui nous ont été données pour faire de si
rationem poterat comprehendere, quae merveilleux ouvrages. Ne songeons ni
sub pedibus habebat. Quid ergo? num au ciel que nous devrions toujours
erravit in verbis? Verisimile non est: sed regarder, ni à la lumière qui nous éclaire.
nimirum id sensit, quod locutus est, S'il a cru ne devoir agiter aucune
religioni minime serviendum: quod si question touchant la nature du ciel, il n'a
aperte diceret, nemo pateretur. pas mieux connu ce qui était sous ses
Quis enim non sentiat, hunc pieds. Est-ce qu'il s'est mal expliqué? Il
mundum tam mirabili ratione perfectum, n'y a point d'apparence. Il est probable
aliqua providentia gubernari? qu'il a cru qu'il ne faut pas suivre la
quandoquidem nihil est, quod possit sine religion du peuple. Mais il n'a osé le
ullo moderatore consistere. Sic domus publier, de peur de soulever tout le
ab habitatore deserta dilabitur; navis monde. Car qui ne sait que l'univers, qui
sine gubernatore abit pessum; et a été créé par une sagesse si

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corpus, relictum ab anima, diffluit: merveilleuse, est gouverné par une
nedum putemus, tantam illam molem providence? On voit que rien ne peut
aut construi sine artifice, aut stare subsister que par les soins d'une
tamdiu sine rectore potuisse. Quod si intelligence; une maison qui n'est ni
publicas illas reli-giones voluit evertere, habitée ni entretenue, tombe en ruines;
non improbo, quin etiam laudabo, si ipse un vaisseau qui n'est pas conduit par un
quod est melius invenerit. Verum idem bon pilote, flotte au gré des vents ; un
per canem et anserem dejerabat. O corps qui n'a plus d'âme, se corrompt et
hominem scurram (ut ait Zeno se réduit en cendres: pourrait-on
epicureus) ineptum, perditum, s'imaginer qu'une si vaste machine pût
desperatum, si cavillari voluit avoir été faite et se conserver d'elle-
religionem; dementem, si hoc serio fecit, même? Si Socrate s'était contenté de
ut animal turpissimum pro Deo haberet! combattre la religion reçue par le peuple,
Quis jam superstitiones Aegyptiorum bien loin d'y trouver à redire, je me
audeat reprehendere, quas Socrates louerais d'avoir trouvé quelque chose de
Athenis auctoritate confirmavit sua? meilleur. Mais il jurait par un chien et par
Illud vero nonne summae vanitatis, quod une oie. Oh! l'impertinent, l'insensé et le
ante mortem familiares suos rogavit, ut désespéré, comme dit Zénon l'épicurien,
Aesculapio gallum, quem voverat, pro se s'il a eu intention de se railler de la
sacrarent? Timuit videlicet, ne apud religion! mais l'extravagant et l'insensé,
Rhadamanthum reciperatorem voti reus s'il a pris sérieusement un vilain animal
fieret ab Aesculapio. Dementissimum pour un dieu! Pourra-t-on reprendre les
hominem putarem, si morbo affectus superstitions des Égyptiens depuis que
periisset. Cum vero hoc sanus fecerit, Socrate les a autorisées dans Athènes
est ipse insanus, qui eum putat fuisse par son approbation et par son suffrage?
sapientem. En, cujus temporibus natum Peut-on s'imaginer une prière plus
esse se homo sapiens gratulatur. ridicule que celle qu'il fit à ses amis
avant de mourir, de sacrifier à Esculape
un coq qu'il lui aurait promis? Il
appréhendait sans doute d'être accusé
par Esculape devant Rhadamanthe
d'avoir manqué d'accomplir son vœu. S'il
était mort de maladie j'aurais cru qu'il en
aurait eu l'esprit affaibli. Mais puisqu'il a
fait, et qu'il a dit en pleine santé ce que
je rapporte, ce serait une folie de se
persuader qu'il ait jamais été fort sage.
Voilà cependant ce personnage, au

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temps duquel Platon se tenait fort
heureux d'être venu au monde.

CAPUT XXI. De Platonis XXI. Voyons ce que Platon a appris


doctrina, quae respublicas de Socrate, qui avait renoncé à la
destrueret. physique pour s'adonner tout entier à la
Videamus tamen, quid illum morale. Je ne doute point qu'il n'ait fort
Socrates docuerit, qui cum totam bien traité des devoirs de la vie, et qu'il
Physicam repudiasset, eo se contulit, ut n'ait donné à ses disciples de fort bons
de virtute atque officio quaereret. Itaque préceptes de vertu et de justice; Platon
non dubito, quin auditores suos justitiae lui aura sans doute oui dire que la justice
praeceptis erudierit. Docente igitur consiste dans l'égalité, et qu'il n'y a
Socrate, non fugit Platonem, justitiae aucune différence entre les hommes par
vim in aequitate consistere; siquidem le droit de leur naissance. « Pour être
omnes pari conditione nascuntur. Ergo parfaitement égaux, dit-il, comme la
nihil (inquit) privati ac proprii habeant: justice le désire, ils ne possèdent rien en
sed ut pares esse possint, quod justitiae particulier. » S'il ne parle en cet endroit
ratio desiderat, omnia in commune que de l'argent, cela se peut en quelque
possideant. Ferri hoc potest, quamdiu de sorte tolérer. Il me serait pourtant aisé
pecunia dici videtur. Quod ipsum quam de faire voir que cela n'est ni juste ni
impossibile sit, et quam injustum, faisable; mais supposant que cela est
poteram multis rebus ostendere. faisable, et que tous les hommes auront
Concedamus tamen, ut possit fieri. assez de sagesse pour mépriser l'argent
Omnes enim sapientes erunt, et et pour se mettre au-dessus de l'intérêt,
pecuniam contemnent. Quo ergo illum suivons, pour voir jusqu'où sera la
communitas ista perduxit? Matrimonia communauté qu'il veut introduire. Elle
quoque inquit, communia esse ira jusqu'au mariage. Plusieurs hommes
debebunt: scilicet ut ad eamdem s'assembleront comme des chiens
mulierem multi viri, tamquam canes autour d'une femme. Le plus fort en
confluant; et is utique obtineat, qui jouira, ou s'ils sont sages, et modérés
viribus vicerit: aut si patientes sunt, ut comme des philosophes, ils attendront
philosophi, expectent, ut vicibus, leur rang selon la police des lieux de
tamquam lupanar obeant. O miram débauche. Oh! la merveilleuse justice de
Platonis aequitatem! Ubi est igitur virtus Platon ! où est donc la continence? où
castitatis? ubi fides conjugalis? quae si est la fidélité des mariages? Sans elle il
tollas, omnis justitia sublata est. At idem n'y a plus d'équité ni de justice. Le même
dixit, beatas civitates futuras fuisse, si Platon a dit que les États seraient
aut philosophi regnarent, aut reges heureux lorsqu'ils seraient gouvernés

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philosopharentur. Huic vero tam justo, par des philosophes, et lorsque ceux qui
tam aequo viro regnum dares, qui aliis les gouverneraient s'adonneraient à
abstulisset sua, aliis condonasset aliena; l'étude de la philosophie. Il fallait donner
prostituisset pudicitiam foeminarum: un royaume à un homme si juste et si
quae nullus unquam non modo rex, sed équitable, qui avait ôté le bien à
ne tyrannus quidem fecit. quelques-uns pour le donner à d'autres,
Quam vero intulit rationem et qui avait entrepris de prostituer toutes
turpissimi hujus consilii? Sic inquit: les femmes, ce que jamais aucun roi ni
Civitas concors erit, et amoris mutui aucun tyran n'avait fait. Quelle raison a-
constricta vinculis, si omnes omnium t-il apportée pour faire recevoir un si
fuerint et mariti, et patres, et uxores, et infâme projet ? « Les citoyens, a-t-il dit,
liberi. Quae ista confusio generis humani vivront dans une plus parfaite
est! Quomodo servari potest caritas, ubi intelligence, et seront unis ensemble par
nihil est certum quod ametur? Quis aut le lien d'une plus étroite amitié, quand
vir mulierem, aut mulier virum diliget, les hommes seront maris de toutes les
nisi hahitaverint semper una, nisi devota femmes et pères de tous les enfants. »
mens, et servata invicem fides Quelle étrange confusion ! Une amitié
individuam fecerit charitatem? quae qui n'a point d'objet certain peut-elle
virtus in illa promiscua voluptate locum être fort grande? Comment un homme
non habet. Item si omnes omnium liberi et une femme s'aimeront-ils s'ils n'ont
sint, quis amare liberos tamquam suos point été longtemps ensemble et s'ils ne
poterit, cum suos esse aut ignoret, aut se sont point gardés une fidélité
dubitet? quis honorem tamquam patri réciproque? Quelle vertu se peut trouver
deferet, cum unde natus sit nesciat? Ex avec la licence effrénée de se divertir
quo fit, ut non tantum alienum pro patre indifféremment comme l'on veut ? Si les
habeat, sed etiam patrem pro alieno. enfants sont communs, qui les pourra
Quid, quod uxor potest esse communis, aimer, ne sachant pas s'il en est le père,
filius non potest, quem concipi non nisi ou ayant au moins sujet d'en douter?
ex uno necesse est. Perit ergo illi uni Comment un enfant honorera-t-il son
communitas, ipsa reclamante natura. père qu'il ne connaît pas? Il prendra un
Superest, ut tantummodo concordiae étranger pour son père, et son père pour
causa uxores velit esse communes. At un étranger. De plus, les femmes
nulla vehementior discordiarum causa peuvent être communes, mais les
est, quam unius foeminae a multis enfants ne le sauraient être. La nature
maribus appetitio. In quo Plato, si s'oppose à l'établissement de cette
ratione non potuit, exemplis certe potuit extravagante communauté. Il ne reste
admoneri, et mutorum animalium, quae plus aucun prétexte de la maintenir, si
ob hoc vel acerrime pugnant, et ce n'est celui d'une parfaite intelligence.

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hominum, qui semper ob eam rem Il est certain qu'il n'y a point de plus
gravissima inter se bella gesserunt. grand sujet de différends et de querelles,
que l'inclination que plusieurs hommes
ont pour une femme. Si Platon n'a pu
écouter la raison, il a pu voir les
exemples, et des bêtes qui se battent, et
des hommes qui livrent souvent de
sanglantes guerres pour ce sujet.

CAPUT XXII De Platonis XXII. Cette communauté n'était


praeceptis, iisdemque reprehensis. autre chose qu'une confusion
Restat ut communio ista nihil aliud monstrueuse de débauches et
habeat, praeter adulteria, et libidines; d'adultères, qui ne pouvait être réparée
propter quas funditus eruendas, virtus que par la vertu. Platon n'avait garde de
est vel maxime necessaria. Itaque non trouver la bonne intelligence qu'il
invenit concordiam, quam quaerebat; cherchait, parce qu'il ne s'apercevait pas
quia non videbat, unde oriatur. Nam qu'elle ne procède que de la justice, qui
justitia in extrapositis nihil momenti réside non dans les choses extérieures,
habet, ne in corpore quidem: sed tota in ni même dans le corps, mais dans le
hominis mente versatur. Qui ergo vult cœur. Quiconque veut établir une
homines adaequare, non matrimonia, parfaite égalité entre les hommes, doit
non opes subtrahere debet; sed leur ôter non leurs femmes ni leurs
arrogantiam, superbiam, tumorem, ut illi richesses, mais leur orgueil et leur
potentes et elati pares esse se etiam arrogance. Quand les riches seront
mendicissimis sciant. Detracta enim dépouillés de l'injustice et de l'insolence,
divitibus insolentia et iniquitate, nihil il n'y aura plus aucune différence entre
intererit utrumne alii divites, alii eux et les pauvres, et ils seront tous
pauperes sint, cum animi pares fuerint; égaux par une disposition d'esprit, que
quod efficere nulla res alia praeter la seule religion peut donner. Platon a
religionem Dei potest. Putavit igitur se ruiné la justice, dans le temps même
invenisse justitiam, cum eam prorsus qu'il se flattait de l'avoir trouvée, parce
everterit; quia non rerum fragilium, sed qu'il n'a pas reconnu que la véritable
mentium debet esset communitas. Nam communauté consiste non à posséder en
si justitia virtutum omnium mater est, commun des choses périssables, mais à
cum illae singulae tolluntur, ipsa n'avoir qu'un esprit et qu'un cœur. La
subvertitur. Tulit autem Plato ante justice est la mère des autres vertus;
omnia frugalitatem: quae utique nulla elle ne saurait subsister quand on les a
est, ubi proprii nihil habeatur. Tulit ôtées toutes. Or, Platon les a toutes

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abstinentiam: siquidem nihil fuerit, quod ôtées. Il a ôté la frugalité, parce qu'il n'y
abstineatur, alienum. Tulit a point de frugalité lorsque personne n'a
temperantiam, tulit castitatem; quae rien qui lui soit propre. Il a ôté
virtutes in utroque sexu maximae sunt. l'abstinence, parce que l'on ne s'abstient
Tulit verecundiam, pudorem, que du bien d'autrui, et qu'il n'y a plus
modestiam, si honesta et legitima esse de bien d'autrui quand tout est commun.
incipiunt, quae solent flagitiosa et turpia Il a ôté la continence et la chasteté,
judicari. Sic virtutem dum vult omnibus vertus qui sont de très grand usage et
dare, omnibus adimit. Nam rerum qui font le principal ornement des deux
proprietas, et vitiorum, et virtutum sexes. Il a ôté la pudeur et la modestie,
materiam continet: communitas autem en permettant comme honnêtes et
nihil aliud, quam vitiorum licentiam. légitimes des actions qui avaient
Nam viri, qui multas mulieres habent, toujours paru infâmes et criminelles ;
nihil aliud dici possunt, quam luxuriosi ac ainsi en voulant donner la vertu à tout le
nepotes. Item mulieres, quae a multis monde, il l'a ôtée à tout le monde. La
habentur, non utique adulterae, quia propriété et le domaine renferment la
certum matrimonium nullum est, sed matière des vices et des vertus, au lieu
prostitutae ac meretrices sint necesse que la communauté de biens donne la
est. licence de s'abandonner à toutes sortes
Redegit ergo humanam vitam ad de crimes. Les hommes qui ont plusieurs
similitudinem, non dicam mutorum, sed femmes ne peuvent passer que pour des
pecudum ac belluarum. Nam volucres débauchés et pour des perdus. Les
pene omnes faciunt matrimonia, et paria femmes qui ont plusieurs maris ne sont
junguntur, et nidos suos tamquam pas des adultères parce qu'elles n'ont
geniales toros concordi mente jamais contracté de mariage, mais ce
defendunt; et foetus suos, quia certi sont des prostituées. Il a donc réduit la
sunt, amant; et si alienos objeceris, vie des hommes à la condition de celle
abigunt. At homo sapiens contra morem des bêtes les plus basses elles plus
hominum, contraque naturam, stultiora méprisables ; car les oiseaux
sibi, quae imitaretur, elegit. Et quoniam s'accouplent avec quelque sorte de
videbat in caeteris animalibus officia fidélité. Le mâle et la femelle ont leur nid
marium foeminarumque non esse divisa, qu'ils gardent en commun, où ils élèvent
existimavit oportere etiam mulieres leurs petits ; ils les aiment parce qu'ils
militare, et consiliis publicis interesse, et sont assurés qu'ils sont à eux, et ils
magistratus gerere, et imperia enchâssent les autres. Cet homme sage
suscipere. Itaque his arma et equos a choisi pour modèle ce qu'il y avait de
assignavit: consequens est, ut lanam et plus extravagant, de plus contraire à la
telam viris, et infantium gestationes. nature et à la coutume. Ayant vu que les

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Nec vidit impossibilia esse, quae diceret; mâles et les femelles n'ont point de
ex eo quod adhuc in orbe terrae, neque fonctions séparées parmi les bêtes, il a
tam stulta, neque tam vana ulla gens jugé que les hommes et les femmes n'en
extiterit; quae hoc modo viveret. devaient point avoir, et que les femmes
devaient manier les armes, entrer dans
les conseils, exercer les charges,
posséder la souveraine puissance. Il
fallait qu'il mît entre les mains des
hommes le fil et la laine, et qu'il les
obligeât à porter les enfants entre leurs
bras. Je m'étonne qu'il ne se soit pas
aperçu que ces projets-là ne pouvaient
être réduits en pratique, et qu'il n'y a
jamais eu de nation qui se soit avisé de
se conduire par une police si
extravagante.

CAPUT XXIII. De erroribus XXIII. Après que les plus célèbres


quorumdam philosophorum, deque philosophes ont été convaincus de
sole et luna. soutenir des opinions vaines et ridicules,
Cum igitur in tanta vanitate ipsi que doit-on attendre des autres qui sont
philosophorum principes beaucoup au-dessous d'eux, et qui ne
deprehendantur, quid illos minores s'imaginent jamais être arrivés à un si
putabimus, qui numquam sibi tam haut point de sagesse, que quand ils se
sapientes videri solent, quam cum vantent de mépriser les richesses? C'est
pecuniae contemptu gloriantur? Fortis sans doute une grande force d'esprit.
animus. Sed expecto quid faciant, et quo Mais voyons où elle se termine. Ils
ille contemptus evadat. Tradita sibi a renoncent à la succession de leurs pères,
parentibus patrimonia tamquam malum comme si c'était un mal de la posséder.
fugiunt, ac deserunt. Et ne in tempestate Ils se précipitent dans la mer durant le
naufragium faciant, in tranquillo se ultro calme, de peur de faire naufrage
praecipitant, non virtute, sed perverso pendant la tempête. Leur force ne vient
metu fortes; sicut illi, qui, cum timent ne que de la crainte, au lieu de venir du
ab hoste jugulentur, ipsi se jugulant, ut courage. Ils ressemblent à ceux qui se
mortem morte devitent. Sic isti, unde tuent, pour n'être pas tués par l'ennemi,
possent gloriam liberalitatis acquirere, et qui ne trouvent point d'autre moyen
sine honore, sine gratia perdunt. d'éviter la mort que de se la procurer. En
Laudatur Democritus, quod agros suos pensant faire estimer leur libéralité, ils

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reliquerit, eosque pascua publica fieri perdent leur bien sans honneur et sans
passus sit. Probarem, si donasset. Nihil mérite. On loue Démocrite d'avoir
autem sapienter fit, quod si ab omnibus abandonné ses terres: je le louerais
fiat, inutile est ac malum. Sed haec plutôt s'il les avait données. Il n'y a point
negligentia tolerabilis. Quid ille, qui de sagesse à faire une action, qui
patrimonium in nummos redactum deviendrait inutile ou même mauvaise si
effudit in mare? Ego dubito utrumne elle était faite par tout le monde.
sanus, an demens fuerit. Abite, inquit, in Supposons néanmoins que cette
profundum, malae cupiditates; ego vos négligence puisse être excusée, que
mergam, ne ipse mergar a vobis. Si dirons-nous de celui qui, ayant vendu
tantus pecuniae contemptus est, fac son bien, en jeta le prix dans la mer? Je
illam beneficium, fac humanitatem, doute qu'il fût sage. « Allez, dit-il, au
largire pauperibus: potest hoc, quod fond de la mer, malheureuse cupidité; je
perditurus es, multis succurrere, ne vous perdrai de peur que vous ne me
fame, aut siti, aut nuditate moriantur. perdiez moi-même. » Si vous méprisez
Imitare insaniam saltem furoremque si fort votre bien, faites-en un bon usage
Tuditani; sparge populo diripienda. et l'employez au soulagement des
Potes et pecuniam effugere, et tamen pauvres. Ce que vous voulez perdre peut
bene collocare; quia salvum est quidquid servir à empêcher que plusieurs ne
pluribus profuit. meurent de faim, de soif ou de nudité.
Zenonis autem paria peccata quis Imitez au moins l'extravagance et la
probat? Sed omittamus id, quod est ab fureur de Tuditanus. Jetez votre argent
omnibus semper irrisum. Illud satis est au peuple, c'est un moyen de vous en
ad coarguendum furiosi hominis délivrer et de ne le pas perdre. Qui
errorem, quod inter vitia et morbos pourrait approuver l'égalité que Zénon a
misericordiam ponit. Adimit nobis prétendu mettre entre les péchés? Ne
affectum, quo ratio humanae vitae pene disons rien de cette ineptie dont tout le
omnis continetur. Cum enim natura monde s'est toujours moqué. Pour le
hominis imbecillior sit quam caeterorum convaincre d'erreur et de folie, c'est
animalium, quae vel ad perferendam assez de dire qu'il a mis la compassion
vim temporum, vel ad incursiones a suis au nombre des vices et des maladies. Il
corporibus arcendas, naturalibus nous ôte de la sorte une affection d'où
munimentis providentia coelestis dépendent les principaux devoirs de la
armavit: homini autem quia nihil istorum vie. L'homme étant né plus faible que les
datum est, accepit pro istis omnibus animaux, que la Providence a munis et
miserationis affectum, qui plane vocatur armés contre les injures de l'air et des
humanitas, qua nosmet invicem saisons et contre les violences qui leur
tueremur. Nam si homo ad conspectum peuvent venir de dehors, il n'a pour

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alterius hominis efferaretur, quod facere toute défense que la tendresse et
videmus animantes quarum natura l'humanité avec laquelle nous nous
solivaga est, nulla esset hominum secourons les uns les autres. Si l'homme
societas, nulla urbium condendarum vel entrait en fureur à la vue d'un autre
cura, vel ratio. Sic neque vita quidem homme, comme font les bêtes
satis tuta, cum et caeteris animalibus farouches, il n'y aurait plus de société,
exposita esset imbecillitas hominum, et plus de villes, plus de sûreté; nous
ipsi inter semetipsos belluarum more serions exposés à la rage des bêtes, et
saevirent. Non minor in aliis dementia. nous n'exercerions pas moins de
Quid enim dici potest de illo, qui cruautés les uns contre les autres que
nigram dixit esse nivem? quam les bêtes mêmes. Les autres philosophes
consequens erat, ut etiam picem albam n'ont point été moins extravagants. Quel
esse diceret! Hic est ille, qui se idcirco jugement peut-on faire de celui qui a dit
natum esse dicebat, ut coelum ac solem que la neige était noire? Il fallait qu'il dît
videret, qui in terra nihil videbat sole ensuite que la poix était blanche. C'est
lucente. Xenophanes dicentibus celui-là même qui disait qu'il était né
Mathematicis orbem lunae duodeviginti pour regarder le ciel et le soleil, et qui ne
partibus majorem esse, quam terram, voyait rien sur la terre en plein midi.
stultissime credidit; et quod huic levitati Xénophane fut assez simple pour croire
fuit consentaneum, dixit, intra ce que les mathématiciens lui disaient :
concavum lunae sinum esse aliam que la lune était vingt et une fois plus
terram, et ibi aliud genus hominum simili grande que la terre. Il ajouta que dans
modo vivere, quo nos in hac terra le creux de la lune il y a une terre habitée
vivimus. Habent igitur illi lunatici comme la nôtre. Les hommes de cette
homines alteram lunam, quae illis terre-la ont donc aussi une autre lune
nocturnum lumen exhibeat, sicut haec qui les éclaire durant la nuit ; et peut-
exhibet nobis. Et fortasse noster hic être que le globe que nous habitons est
orbis alterius inferioris terrae luna sit. la lune d'une autre terre. Sénèque
Fuisse Seneca inter Stoicos ait, qui témoigne que, parmi les stoïciens, il
deliberaret utrumne Soli quoque suos s'est trouvé un philosophe qui doutait s'il
populos daret: inepte scilicet, qui donnerait des hommes au soleil. Quelle
dubitaverit. Quid enim perderet, si raison avait-il de douter, puisqu'il ne
dedisset? Sed, credo, calor deterrebat, pouvait rien perdre en les donnant? Mais
ne tantam multitudinem periculo il appréhendait peut-être de les exposer
committeret; ne si aestu nimio au péril d'être brûlés, et il ne voulait pas
periissent, ipsius culpa evenisse tanta être la cause d'un si funeste incendie.
calamitas diceretur.

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CAPUT XXIV. De antipodibus, XXIV. Ceux qui tiennent qu'il y a des
de coelo ac sideribus. antipodes, tiennent-ils un sentiment
Quid illi, qui esse contrarios vestigiis raisonnable? Y a-t-il quelqu'un assez
nostris Antipodas putant, num aliquid extravagant pour se persuader qu'il y ait
loquuntur? aut est quisquam tam des hommes qui aient les pieds en haut
ineptus, qui credat esse homines, et la tête en bas; que tout ce qui est
quorum vestigia sint superiora, quam couché en ce pays-ci, soit suspendu en
capita? aut ibi, quae apud nos jacent, celui-là ; que les herbes et les arbres y
inversa pendere? fruges et arbores croissent en descendant, et que la pluie
deorsum versus crescere? pluvias, et et la grêle y tombent en montant? Faut-
nives, et grandinem sursum versus il s'étonner que l'on ait mis les jardins
cadere in terram? Et miratur aliquis, suspendus de Babylone au nombre des
hortos pensiles inter septem mira merveilles de la nature, puisque les
narrari, cum philosophi et agros, et philosophes suspendent aussi des mers,
maria, et urbes, et montes pensiles des villes et des montagnes? Cherchons
faciant? Hujus quoque erroris aperienda la source de cette erreur, et nous
nobis origo est. Nam semper eodem trouverons sans doute qu'elle procède
modo falluntur. Cum enim falsum aliquid de la même cause que les autres. Quand
in principio sumpserint, veri similitudine les philosophes, trompés par l'ombre de
inducti, necesse est eos in ea, quae la vraisemblance, ont une fois admis un
consequuntur, incurrere. Sic incidunt in faux principe, il faut qu'ils admettent
multa ridicula; quia necesse est falsa aussi les conséquences qui s'en tirent.
esse, quae rebus falsis congruunt. Cum Ils tombent de fausseté en fausseté; ils
autem primis habuerint fidem, qualia embrassent indiscrètement la première,
sint ea, quae sequuntur, non et au lieu d'examiner la seconde qui se
circumspiciunt, sed defendunt omni présente, ils la soutiennent par toute
modo; cum debeant prima illa, utrumne sorte de moyens, au lieu de juger de la
vera sint, an falsa, ex consequentibus première par la seconde. Comment donc
judicare. se sont-ils engagés à soutenir qu'il y a
Quae igitur illos ad Antipodas ratio des antipodes? En observant le
perduxit? Videbant siderum cursus in mouvement et le cours des astres, ils ont
occasum meantium; solem atque lunam remarqué que le soleil et la lune se
in eamdem partem semper occidere, couchent toujours du même côté et se
atque oriri semper ab eadem. Cum lèvent toujours de même. Mais ne
autem non perspicerent, quae pouvant découvrir l'ordre de leur
machinatio cursus eorum temperaret, marche, ni deviner comment ils
nec quomodo ab occasu ad orientem passaient de l’Occident à l'Orient, ils se
remearent, coelum autem ipsum in sont imaginé que le ciel était rond, tel

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omnes partes putarent esse devexum, que sa vaste étendue le fait paraître;
quod sic videri, propter immensam que le monde même était rond comme
latitudinem necesse est: existimaverunt, une boule, que le ciel tournai t
rotundum esse mundum sicut pilam, et continuellement, et qu'en tournant il
ex motu siderum opinati sunt coelum ramenait le soleil et les astres de
volvi, sic astra solemque, cum l'Occident à l'Orient. C'est ce qui les a
occiderint, volubilitate ipsa mundi ad portés à faire des globes d'airain, sur
ortum referri. Itaque et aereos orbes lesquels ils ont gravé des figures
fabricati sunt, quasi ad figuram mundi, monstrueuses auxquelles ils ont donné
eosque caelarunt portentosis quibusdam le nom d'astres. Le ciel étant rond, il
simulacris, quae astra esse dicerent. fallait que la terre, qui est renfermée
Hanc igitur coeli rotunditatem illud dans son étendue, fût aussi ronde. Que
sequebatur, ut terra in medio sinu ejus si elle est ronde, elle regarde le ciel de
esset inclusa. Quod si ita esset, etiam tous côtés de la même manière, et lui
ipsam terram globo similem; neque oppose de tous côtés des mers, des
enim fieri posset, ut non esset plaines et des montagnes. Il suit encore
rotundum, quod rotundo conclusum de là qu'il n'y a aucune partie qui ne soit
teneretur. Si autem rotunda etiam terra habitée. Voilà comment la rondeur que
esset, necesse esse, ut in omnes coeli l'on a attribuée au ciel a donné occasion
partes eamdem faciem gerat, id est d'inventer les antipodes. Quand l'on
montes erigat, campos tendat, maria demande à ceux qui défendent ces
consternat. Quod si esset, etiam opinions monstrueuses, comment il se
sequebatur illud extremum, ut nulla sit peut faire, que ce qui est sur la terre ne
pars terrae, quae non ab hominibus tombe pas vers le ciel, ils répondent :
caeterisque animalibus incolatur. Sic que c'est parce que les corps pesants
pendulos istos Antipodas coeli rotunditas tendent toujours vers le milieu comme
adinvenit. les rayons d'une roue, et que les corps
Quod si quaeras ab iis, qui haec portenta légers, comme les nuées, la fumée, le
defendunt, quomodo non cadunt omnia feu, s'élèvent en l'air. J'avoue que je ne
in inferiorem illam coeli partem; sais ce que je dois dire de ces personnes
respondent, hanc rerum esse naturam, qui demeurent opiniâtres dans leurs
ut pondera in medium ferantur, et ad erreurs, et qui soutiennent leurs
medium connexa sint omnia, sicut radios extravagances, si ce n'est que quand ils
videmus in rota; quae autem levia sunt, disputent, ils n'ont point d'autre dessein
ut nebula, fumus, ignis, a medio que de se divertir ou de faire paraître
deferantur, ut coelum petant. Quid leur esprit. Il me serait aisé de prouver,
dicam de iis nescio, qui, cum semel par des arguments invincibles, qu'il est
aberraverint, constanter in stultitia impossible que le ciel soit au-dessous de

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perseverant, et vanis vana defendunt; la terre. Mais je suis obligé de finir ce
nisi quod eos interdum puto, aut joci livre-ci, ce que je ne saurais faire
causa philosophari, aut prudentes et pourtant sans y ajouter auparavant
scios mendacia defendenda suscipere, quelques matières de grande
quasi ut ingenia sua in malis rebus importance. Comme on ne peut réfuter
exerceant, vel ostendant. At ego multis les erreurs de tous les philosophes, je
argumentis probare possem, nullo modo me contenterai d'en avoir représenté
fieri posse, ut coelum terra sit inferius, quelques-unes par lesquelles on jugera
nisi et liber jam concludendus esset, et des autres.
adhuc aliqua restarent, quae magis sunt
praesenti operi necessaria. Et quoniam
singulorum errores percurrere non est
unius libri opus, satis sit pauca
enumerasse, ex quibus possit qualia sint
caetera intelligi.

CAPUT XXV. De addiscenda XXV. Il ne me reste plus qu'à dire


philosophia; et quanta ad ejus quelque chose de la philosophie en
studium sint necessaria. général avant de finir ce livre. Le grand
Nunc pauca nobis de philosophia in imitateur de Platon a écrit : que la
commune dicenda sunt, ut confirmata philosophie n'était pas commune et qu'il
causa peroremus. Summus ille noster n'y avait que les savants qui pussent y
Platonis imitator existimavit aspirer. La philosophie est donc
philosophiam non esse vulgarem, quod distinguée de la sagesse, qui doit être
eam non nisi docti homines assequi commune à tous les hommes. Ces
possint. « Est, inquit Cicero, philosophia philosophes se rendent propre un bien
paucis contenta judicibus, multitudinem qui est donné indifféremment à tout le
consulto ipsa fugiens. » Non est ergo monde, et ils sont animés d'une si
sapientia, si ab hominum coetu maligne jalousie, qu'ils voudraient
abhorret: quoniam si sapientia homini pouvoir bander ou arracher les yeux aux
data est, sine ullo discrimine omnibus autres, de peur qu'ils ne voient le soleil.
data est, ut nemo sit prorsus, qui eam Les priver de la sagesse n'est rien moins
capere non possit. At illi virtutem qu'éteindre en eux une lumière divine.
humano generi datam sic amplexantur, La nature humaine étant capable de
ut soli omnium publico bono frui velle sagesse, toutes sortes de personnes, les
videantur, tam invidi, quam si velint paysans, les artisans, les femmes, les
deligare oculos aut effodere caeteris, ne enfants et les vieillards, enfin tous les
solem videant. Nam quid est aliud peuples, de quelque langue et de

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hominibus negare sapientiam, quam quelque pays que ce soit, la devraient
mentibus eorum verum ac divinum apprendre. Le mystère que l'on fait de la
lumen auferre? Quod si natura hominis philosophie, bien qu'il ne consiste le plus
sapientiae capax est, oportuit et souvent qu'à porter une longue barbe et
opifices, et rusticos, et mulieres, et un manteau, est une preuve
omnes denique, qui humanam formam convaincante que la philosophie n'est ni
gerunt, doceri, ut sapiant; populumque la sagesse ni le moyen de l'acquérir.
ex omni lingua, et conditione, et sexu, et Cette vérité a été reconnue par les
aetate conflari. Maximum itaque stoïciens qui ordonnaient aux femmes et
argumentum est, philosophiam neque aux esclaves de s'adonner à la
ad sapientiam tendere, neque ipsam philosophie, par Epicure qui exhortait les
esse sapientiam, quod mysterium ejus plus ignorants à l'étude, par Platon qui
barba tantum celebratur et pallio. avait jeté dans son esprit le plan d'une
Senserunt hoc adeo Stoici, qui et servis, ville qui n'aurait été composée que de
et mulieribus philosophandum esse sages. Leur projet était fort louable;
dixerunt; Epicurus quoque, qui rudes mais il est demeuré sans exécution. Il
omnium litterarum ad philosophiam est aussi fort difficile de parvenir à la
invitat; item Plato, qui civitatem de connaissance de la philosophie. Il faut
sapientibus voluit componere. premièrement apprendre à lire pour
Conati quidem illi sunt facere, quod pouvoir voir les livres, parce qu'on ne
veritas exigebat: sed non potuit ultra saurait recevoir de vive voix une si
verba procedi. Primum, quia multis prodigieuse variété de préceptes, ni en
artibus opus est, ut ad philosophiam conserver la mémoire. Il faut donner
possit accedi. Discendae istae ensuite beaucoup de temps à la
communes litterae propter usum grammaire pour apprendre à parler. Il
legendi, quia in tanta rerum varietate, n'est pas permis d'ignorer la rhétorique,
nec disci audiendo possunt omnia, nec parce que sans elle on ne saurait
memoria contineri. Grammaticis quoque exprimer ses pensées avec élégance. La
non parum operae dandum est, ut géométrie, la musique et l'astrologie
rectam loquendi rationem scias. Id sont nécessaires à cause de l'étroite
multos annos auferat necesse est. Nec liaison qu'elles ont avec la philosophie.
oratoria quidem ignoranda est; ut ea, Or tous ces arts ne peuvent être appris
quae didiceris, proferre atque eloqui ni par les filles, qui sont obligées
possis. Geometria quoque, ac musica, et d'apprendre durant leur jeunesse
astrologia necessaria est, quod hae artes quantité de choses nécessaires pour
cum philosophia habent aliquam l'usage de la maison, ni par les esclaves,
societatem: quae universa perdiscere qui sont employés à servir dans le temps
neque foeminae possunt, quibus intra qu'il faudrait donner à l'étude, ni par les

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puberes annos officia mox usibus pauvres, par les artisans et les gens de
domesticis profutura discenda sunt la campagne qui travaillent tout le jour
neque servi, quibus per eos annos vel pour gagner leur vie. Voilà pourquoi
maxime serviendum est, quibus possunt Cicéron a dit : que la philosophie fuit la
discere; neque pauperes, aut opifices, multitude. Si Epicure reçoit les plus
aut rustici, quibus in diem victus labore ignorants dans son école, comment leur
est quaerendus. Ob eam causam Tullius fera-t-il entendre ce qu'il enseigne
ait abhorrere a multitudine touchant les principes, et qui est si
philosophiam. At enim rudes Epicurus difficile et si obscur, qu'à peine peut-il
accipiet. Quomodo ergo illa, quae de être compris par les plus habiles ? Que
principiis rerum dicuntur, intelligunt, peut faire un esprit qui n'a aucune
quae perplexa et involuta vix etiam politi teinture des lettres dans une matière
homines assequuntur? épineuse d'elle-même, et qui a été
In rebus igitur obscuritate implicitis, encore embrouillée par la malice des
et ingeniorum varietate confusis, et philosophes qui l'ont traitée et déguisée
eloquentium virorum exquisito sermone par l'artifice des orateurs qui en ont
fucatis, quis imperito ac rudi locus est? parlé? Enfin les philosophes n'ont jamais
Denique nullas unquam mulieres enseigné la philosophie qu'à une seule
philosophari docuerunt, praeter unam ex femme, savoir à Thémiste, et à un seul
omni memoria Themisten; neque esclave, savoir à Phédon, qui, comme il
servos, praeter unum Phaedonem, quem servait mal son maître, fut acheté et
male servientem redemisse ac docuisse instruit par Cébès. On met aussi de ce
Cebetem tradunt. Enumerant etiam nombre-là Platon et Diogène, bien, qu'ils
Platonem, ac Diogenem; qui tamen servi fussent nés libres et qu'ils eussent été
non fuerunt: sed his servitus evenerat; pris. On dit que Platon fut racheté de huit
sunt enim capti. Platonem quidem sesterces par Anicéris. Sénèque lui dit
redemisse Anniceris quidam traditur des injures d'avoir mis à si bas prix un si
sestertiis octo. Itaque insectatus est excellent philosophe. Mais il me semble
conviciis hunc ipsum redemptorem qu'il y a de la fureur à se fâcher contre
Seneca, quod parvo Platonem un homme de ce qu'il n'a pas prodigué
aestimaverit. Furiosus, ut mihi videtur, son bien mal à propos. Il devait donner
qui homini fuerit iratus, quod non une aussi grande quantité d'or que celle
multam pecuniam perdidit: scilicet que Priam donna pour le corps d'Hector,
aurum appendere debuit, tamquam pro ou compter plus de pièces d'argent qu'il
mortuo Hectore, aut tantum ingerere n'en demandait. Entre tous les étrangers
nummorum, quantum venditor non ils n'ont enseigné la philosophie qu'à
poposcit. Ex Barbaris vero nullum, Anacharsis, Scythe de nature, qui ne
praeter unum Anacharsim Scytham, qui l'aurait jamais pu apprendre s'il n'avait

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philosophiam ne somniasset quidem, su auparavant la langue grecque et la
nisi et linguam, et litteras ante grammaire.
didicisset.

CAPUT XXVI. Sapientiam sola XXVI. La doctrine du ciel qui contient


doctrina coelestis largitur; et quam la véritable sagesse fait toute seule ce
sit efficax lex Dei. que les philosophes ont jugé qu'il fallait
Quod ergo illi poscente natura faire, bien qu'ils ne le pussent faire, et
faciendum esse senserunt, sed tamen qu'ils crussent qu'il ne pouvait être fait
neque ipsi facere potuerunt, neque a par les autres. Comment ceux qui ne
philosophis fieri posse viderunt, sola sont persuadés de rien pourraient-ils
haec efficit doctrina coelestis; quia sola persuader quelque chose ? Comment
sapientia est. Illi scilicet persuadere ceux qui obéissent à leurs passions, qui
cuiquam poterunt, qui nihil persuadent confessent qu'elles ont plus de force que
etiam sibi? aut cujusquam cupiditates leur raison, pourraient-ils réprimer celles
oppriment, iram temperabunt, libidinem des autres, modérer l'ardeur de leurs
coercebunt, cum ipsi et cedant vitiis, et désirs et apaiser les mouvements de leur
fateantur, plus valere naturam? Dei colère ? L'expérience fait voir au
autem praecepta, quia et simplicia, et contraire la grandeur du pouvoir que les
vera sunt, quantum valeant in animis commandements de Dieu, qui sont
hominum, quotidiana experimenta simples et véritables, exercent sur
demonstrant. Da mihi virum, qui sit l'esprit des hommes. Donnez-m'en un
iracundus, maledicus, effraenatus: qui soit sujet à la colère et accoutumé à
paucissimis Dei verbis: de grands emportements, je le rendrai
Tam placidum, quam ovem, aussi doux qu'un mouton dès que je lui
reddam. Da cupidum, avarum, tenacem: aurai dit quelques paroles du Sauveur.
jam tibi eum liberalem dabo, et Donnez-m'en un qui soit avare et
pecuniam suam plenis manibus insatiable, je le rendrai libéral, et je lui
largientem. Da timidum doloris ac ferai donner son argent à pleines mains.
mortis: jam cruces, et ignes, et taurum Donnez-m'en un qui soit délicat, et qui
contemnet. Da libidinosum, adulterum, n'appréhende rien tant que la douleur et
ganeonem: jam sobrium, castum, la mort, je lui ferai mépriser les
continentem videbis. Da crudelem et tourments, les feux, et le taureau de
sanguinis appetentem: jam in veram Phalaris. Donnez-m'en un qui soit
clementiam furor ille mutabitur. Da débauché, je le rendrai sobre et
injustum, insipientem, peccatorem: tempérant. Donnez-m'en un qui soit
continuo et aequus, et prudens, et cruel et qui aime à répandre le sang, je
innocens erit. Uno enim lavacro malitia changerai toute sa fureur en humanité.

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omnis abolebitur. Tanta divinae Enfin donnez-m'en un qui soit injuste,
sapientiae vis est, ut in hominis pectus déréglé et criminel, je le ferai devenir
infusa, matrem delictorum stultitiam tout d'un coup équitable, réglé et
uno semel impetu expellat: ad quod innocent. Il ne faut qu'un peu d'eau pour
efficiendum, non mercede, non libris, effacer tous les crimes. La sagesse de
non lucubrationibus opus est. Gratis ista Dieu agit avec une puissance si efficace,
fiunt, facile, cito; modo pateant aures, et que dès qu'elle entre dans un cœur elle
pectus sapientiam sitiat. Nemo vereatur: en chasse toute la folie. On ne demande
nos aquam non vendimus, nec solem rien en récompense : cela se fait
mercede praestamus. Dei fons gratuitement et en un instant. Que
uberrimus atque plenissimus patet personne n'appréhende d'approcher de
cunctis: et hoc coeleste lumen universis nous. Nous ne vendons ni l'eau ni le
oritur, quicumque oculos habent. Num soleil. La fontaine de Dieu est ouverte, et
quis haec philosophorum aut unquam sa lumière éclaire tous ceux qui ont des
praestitit, aut praestare, si velit, potest? yeux. Y a-t-il jamais eu, ou y a-t-il
Qui cum aetates suas in studio maintenant un philosophe qui en puisse
philosophiae conterant, neque alium faire autant ? Ils consument toute leur
quemquam, neque seipsos (si natura vie à l'étude, et ne rendent pas leurs
paululum obstitit) possunt facere disciples meilleurs, ni ne le deviennent
meliores. Itaque sapientia eorum, ut pas eux-mêmes, pour peu que
plurimum efficiat, non excidit vitia, sed l'inclination que les uns et les autres ont
abscondit. Pauca vero Dei praecepta sic au mal résiste aux préceptes. Tout l'effet
totum hominem immutant, et exposito que l'on peut attendre de leur sagesse,
vetere novum reddunt, ut non cognoscas c'est qu’elle cache les vices au lieu de les
eumdem esse. arracher. Les commandements de Dieu
apportent au contraire un changement si
surprenant qu'ils détruisent le vieil
homme pour former le nouveau.

CAPUT XXVII. Quam parum XXVII. Les philosophes ne donnent-


philosophorum praecepta conferant ils point de semblables préceptes ? Ils en
ad veram sapientiam, quam in sola donnent en grand nombre, et ils
religione invenies. approchent souvent de la vérité. Mais
Quid ergo? nihilne illi simile ces préceptes-là n'ont aucun poids,
praecipiunt? Imo permulta; et ad verum parce qu'ils ne procèdent que d'une
frequenter accedunt. Sed nihil ponderis autorité humaine. Personne ne les reçoit
habent illa praecepta, quia sunt humana, avec respect parce que ceux qui les
et auctoritate majori, id est divina illa, écoutent sont de même nature et de

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carent. Nemo igitur credit; quia tam se même condition que ceux qui les font.
hominem putat esse, qui audit, quam est De plus, il n'y a rien de certain ni de
ille, qui praecipit. Praeterea nihil apud constant dans ce que disent les
eos certi est, nihil quod a scientia veniat. philosophes. Ils n'ont souvent que des
Sed cum omnia conjecturis agantur, conjectures, et on trouve une
multa etiam diversa et varia proferantur, merveilleuse diversité dans ce qu'ils
stultissimi est hominis, praeceptis eorum avancent. Ce serait donc une folie de
velle parere, quae utrum vera sint, an suivre des préceptes, de la vérité et de
falsa, dubitatur; et ideo nemo paret, la justice desquels on a sujet de douter.
quia nemo vult ad incertum laborare. Personne n'y défère, parce que personne
Virtutem esse Stoici aiunt, quae sola ne veut travailler en vain. Les stoïciens
efficiat vitam beatam. Nihil potest verius assurent qu'il n'y a que la vertu qui
dici. Sed quid, si cruciabitur aut dolore rende la vie heureuse. Il n'y a rien de si
afficietur? Poteritne quisquam inter vrai. Mais si un homme avec sa vertu
carnifices beatus esse? Imo vero illatus souffre de la douleur, sera-t-il heureux
corpori dolor materia virtutis est: itaque au milieu des tourments et entre les
ne in tormentis quidem miser est. mains des bourreaux ? La douleur ne
Epicurus multo fortius. Sapiens, inquit, servira qu'à éprouver sa constance ; et
semper beatus est; et vel inclusus in quoi qu'il souffre, il sera toujours fort
Phalaridis tauro hanc vocem emittet: « heureux!
Suave est, et nihil curo. » Quis eum non Epicure va plus loin. « Le sage, dit-il,
irriserit? Maxime, quod homo est toujours heureux, et si on l'avait
voluptarius personam sibi viri fortis enfoncé dans le taureau de Phalaris, il
imposuit, et quidem supra modum, non dirait : je m'y trouve bien et j'y suis
enim fieri potest, ut quisquam cruciatus content. » Qui pourrait voir sans rire
corporis pro voluptatibus ducat, cum qu'un homme adonné à ses plaisirs
satis sit, ad officium virtutis implendum, contrefasse de la sorte l'homme de
perferre ac sustinere. Quid dicitis Stoici? cœur, et qu'il porte la générosité plus
Quid tu Epicure? Beatus est sapiens, loin qu'elle ne peut aller? Personne ne
etiam cum torquetur. Si propter gloriam trouve de plaisir dans la douleur, c'est
patientiae; non fruetur; in tormentis assez de la supporter avec constance.
enim fortasse morietur. Si propter Que prétendez-vous, stoïciens et
memoriam; aut non sentiet, si occidunt Epicure, quand vous dites que le sage
animae, aut si sentiet, nihil ex ea est heureux dans les tourments? Si c'est
consequetur. la réputation d'avoir méprisé les
Quis ergo alius fructus est in virtute? tourments qui le rende heureux, peut-
quae beatitudo vitae? ut aequo animo être qu'il mourra par l'excès de la
moriatur? Bonum mihi affertis unius douleur, et qu'il ne jouira pas du fruit de

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horae, aut fortasse momenti, propter sa patience. Si c'est la mémoire que la
quod non expediat in tota vita miseriis et postérité en conservera, il n'en saura
laboribus confici. Quantum autem rien s'il n'y a aucun sentiment après la
temporis mors occupat? quae cum mort, ou s'il y en a quelqu'un, il ne lui
veniat utrum aequo an iniquo animo servira de rien de le savoir. Quelle sera
eam subieris, jam nihil refert. Ita fit, ut donc la récompense de la vertu, et quel
nihil aliud ex virtute captetur, nisi gloria. bonheur possédera-t-il ? Il en mourra
Sed haec aut supervacua et brevis est, plus content. Voilà une belle récompense
aut pravis hominum judiciis non qui ne dure qu'une heure, ou peut-être
sequetur. Nullus igitur ex virtute fructus qu'un moment, et pour laquelle il
est, ubi virtus mortalis est et caduca. Ita faudrait nous rendre misérables durant
qui haec locuti sunt, umbram quamdam toute notre vie? La mort n'emporte pas
virtutis videbant, ipsam virtutem non beaucoup de temps. Quand son heure
videbant. Defixi enim fuerunt in terram, est venue, il importe peu que l’on soit
nec vultus suos in altum erigebant, ut content de la recevoir, ou que l'on ne le
eam possent intueri, soit pas. Ainsi on ne peut attendre
Quae sese a coeli regionibus aucune autre récompense de la vertu,
ostentabat. Haec causa est, cur que la gloire de l'avoir pratiquée. Mais
praeceptis eorum nullus obtemperet: cette gloire est souvent fort inutile.
quoniam aut ad vitia erudiunt, si Souvent elle se dissipe et s'évanouit en
voluptatem defendunt; aut si virtutem un instant, et elle dépend quelquefois du
asserunt, neque peccato poenam mauvais jugement des hommes, auquel
minantur, nisi solius turpitudinis, neque il ne faut avoir aucun égard. Il n'y a donc
virtuti ullum praemium pollicentur, nisi aucun fruit à recueillir d'une vie très
solius honestatis et laudis, cum dicant, faible et périssable, et ceux qui ont été
non propter seipsam expetendam esse dans ce sentiment, au lieu de voir la
virtutem. vertu, n'ont vu que son ombre. Ils sont
Beatus est igitur sapiens in demeurés attachés à la terre, au lieu de
tormentis: sed cum torquetur pro fide, lever les yeux au ciel où la vertu paraît
pro justitia, pro Deo, illa patientia doloris comme sur un trône. C'est pour cela qu'il
beatissimum faciet. Est enim Deus, qui s'est trouvé si peu de monde qui ait
solus potest honorare virtutem; cujus déféré à leurs préceptes. Car quand ils
merces immortalitas sola est: quam qui soutiennent la volupté, ils excitent au
non appetunt, nec religionem tenent, cui vice, et quand ils entreprennent la
aeterna subjacet vita, profecto neque défense de la vertu, ils ne s'en acquittent
virtutis vim sciunt, cujus praemium que très faiblement, parce qu'ils ne
ignorant; neque in coelum spectant, proposent point d'autre châtiment au
quod ipsi se facere putant, cum res non vice que le déshonneur, d'autre

95
vestigabiles quaerunt, quia ratio in récompense à la vertu que la louange,
coelum spectandi nulla alia est, nisi aut en disant qu'elle ne doit être recherchée
religionem suscipere, aut animam suam que pour elle-même. Le sage est donc
immortalem esse credere. Quisquis enim heureux au milieu des tourments, mais
aut Deum colendum esse intelligit, aut c'est quand il souffre pour le service de
immortalitatis spem sibi propositam Dieu, pour la défense de la foi et de la
habet, mens ejus in coelo est; et licet id justice. Il n'y a que Dieu qui puisse
non aspiciat oculis, animae tamen honorer la vertu, parce qu'il n'y a que lui
lumine aspicit. Qui autem religionem non qui lui puisse donner l'immortalité, qui
suscipiunt, terreni sunt; qui religio de est la seule récompense qui soit digne
coelo est, et qui animam putant cum d'elle. Ceux qui ne désirent pas cette
corpore interire, aeque in terram immortalité ne sont pas dans la véritable
spectant, quia ultra corpus quod est religion, qui tend à la vie éternelle
terra, nihil amplius vident, quod sit comme à sa fin. Ils ne connaissent ni la
immortale. Nihil igitur prodest hominem valeur de la vertu ni la récompense
ita esse fictum, ut recto corpore spectet qu'elle mérite. Ils ne regardent pas le
in coelum; nisi erecta mente Deum ciel quoiqu'ils croient le regarder quand
cernat, et cogitatio ejus in spe vitae ils y cherchent ce qu'ils n'y sauraient
perpetuae tota versetur. trouver, parce qu'il n'y a point d'autre
raison de regarder le ciel que pour
embrasser la religion qui en est venue,
ou pour espérer l'immortalité qui nous
est promise. Quiconque songe
sérieusement au service qu'il doit à Dieu,
et à l'immortalité qu'il espère, regarde le
ciel par les yeux de l'esprit, bien qu'il ne
le regarde peut-être pas par les yeux du
corps. Ceux qui n'embrassent pas la
religion qui est, comme je l'ai dit,
descendue du ciel, demeurent attachés
à la terre. Ceux qui croient que l'âme
meurt avec le corps, rampent sur la terre
de la même sorte, et ne voient rien au
delà du corps qui n'est lui-même qu'un
amas de terre. Il ne sert de rien à
l'homme d'avoir la taille droite et de
regarder le ciel, s'il ne songe à Dieu et

96
s'il n'a une ferme espérance de posséder
la vie éternelle.

CAPUT XXVIII. De vera XXVIII. L'unique devoir auquel toute


religione, deque natura; fortuna notre vie se doit rapporter, est de
num sit dea; et de philosophia. connaître le Dieu qui nous a mis au
Quapropter nihil aliud est in vita, monde et de le servir. Les philosophes
quo ratio, quo conditio nostra nitatur, ne sont jamais parvenus à la sagesse,
nisi Dei, qui nos genuit, agnitio et parce qu'ils se sont éloignés de cette fin
religiosus ac pius cultus: unde quoniam pour laquelle ils avaient été créés. Il est
philosophi aberraverunt, sapientes vrai qu'ils ont cherché la sagesse ; mais
utique non fuerunt. Quaesierunt illi loin de la trouver, ils sont tombés en des
quidem sapientiam: sed quia non rite erreurs très grossières. Ils ont aboli
quaerebant, prolapsi sunt longius; et in toute sorte de religion, lorsque, trompés
tantos errores inciderunt, ut etiam par une fausse image de vertu, ils ont
communem sapientiam non tenerent. tâché de délivrer les esprits de crainte.
Non enim tantum religionem asserere Ils ont couvert ce renversement de
noluerunt: verum etiam sustulerunt; religion du spécieux nom de Nature. Car
dum specie falsae virtutis inducti, comme ils ne savaient pas que Dieu a
conantur animos omni metu liberare: fait le monde ni aucun autre ouvrage, ils
quae religionis eversio naturae nomen en ont attribué la production à la Nature,
invenit. Illi enim, cum aut ignorarent, a ce qui est la même chose que s'ils
quo esset effectus mundus, aut avaient dit que toutes choses sont nées
persuadere vellent, nihil esse divina d'elles-mêmes ; en quoi il est certain
mente perfectum, naturam esse qu'ils ont fait voir une extrême
dixerunt rerum omnium matrem, quasi imprudence; car la Nature n'est rien
dicerent, omnia sua sponte esse nata: d'elle-même, si on la sépare de la
quo verbo plane imprudentiam suam providence et de la puissance divine.
confitentur. Natura enim, remota Que si par le nom de Nature ils
providentia et potestate divina, prorsus n'entendent que Dieu, quel étrange
nihil est. Quod si Deum naturam vocent, renversement de langage? que si par le
quae perversitas est, naturam potius mot de Nature ils entendent ou la
quam Deum nominare? Si autem natura manière et la nécessité de la naissance,
ratio est, vel necessitas, vel conditio ou les conditions auxquelles nous
nascendi, non est per seipsam sensibilis: venons au monde, ils n'entendent rien
sed necesse est mentem esse divinam, de sensible ni de palpable, et il n'y a en
quae sua providentia nascendi effet que la providence de Dieu qui
principium rebus omnibus praebeat. Aut préside à la naissance de toutes choses.

97
si natura est coelum atque terra, et Que s'ils donnent le nom de Nature au
omne, quod natum est, non est Deus ciel et à la terre, la Nature sera l'ouvrage
natura, sed Dei opus. de Dieu, et non pas Dieu même. Ils sont
Non dissimili errore credunt esse tombés dans une erreur semblable
fortunam, quasi deam quamdam res touchant la Fortune ; car ne sachant d'où
humanas variis casibus illudentem; quia leur venaient ni les biens ni les maux, ils
nesciunt, unde sibi bona, et mala ont inventé une déesse qui se joue du
eveniant. Cum hac se compositos ad sort des hommes. Ils se vantent d'être
praeliandum putant; nec ullam tamen tous les jours aux mains avec elle, bien
rationem reddunt, a quo et quam ob qu'ils ne sachent qui les a engagés dans
causam: sed tantum cum fortuna se ce combat, ni quel est le sujet de leur
digladiari momentis omnibus gloriantur. différend. Tous ceux qui ont entrepris de
Jam quicumque aliquos consolati sunt ob consoler ceux qui étaient affligés de la
interitum amissionemque charorum, perte de leurs proches ont fait de
fortunae nomen acerrimis sanglantes invectives contre la Fortune,
accusationibus prosciderunt; nec et jamais ils n'ont relevé le mérite de la
omnino ulla eorum disputatio de virtute vertu, qu'ils ne la lui aient opposé
est, in qua non fortuna vexetur. M. comme la plus irréconciliable ennemie.
Tullius in sua Consolatione pugnasse se Cicéron publie qu'il a toujours combattu
semper contra fortunam loquitur, la Fortune, qu'il l'a vaincue lorsqu'il a
eamque a se esse superatam, cum ruiné les entreprises des ennemis, et
fortiter inimicorum impetus retudisset; qu'il n'a pas été vaincu lorsqu'il a été
ne tum quidem se ab ea fractum, cum chassé de sa maison et de son pays.
domo pulsus patria caruit: tum autem, Mais il avoue lâchement qu'il en a été
cum amiserit charissimam filiam, victum vaincu, lorsqu'il a perdu sa chère fille. «
se a fortuna turpiter confitetur. Cedo, Je me rends, dit-il, et je pose les
inquit, et manum tollo. Quid hoc homine armes. » Y a-t-il rien de si misérable
miserius, qui sic jaceat? Insipienter, qu'un homme qui se soumet de la sorte
inquit: sed qui profitetur se esse : il avoue que c'est une folie, mais il
sapientem. Quid ergo sibi vult assumptio soutient en même temps que tout le
nominis? Quid contemptus ille rerum, monde n'est pas sage. Pourquoi donc en
qui magnificis verbis praetenditur? Quid prend-on le nom? Pourquoi cherche-t-on
dispar caeteris habitus? Aut cur omnino des termes si magnifiques pour exprimer
praecepta sapientiae datis, si nemo, qui le mépris des grandeurs du monde?
sapiat, adhuc inventus est? Et quisquam Pourquoi affecte-t-on un habit différent
nobis invidiam facit, quia philosophos de celui des autres? Enfin pourquoi
negamus esse sapientes? cum ipsi nec donne-t-on ces préceptes de sagesse, si
scire se quidquam, nec sapere fateantur. jamais personne n'a été sage? On ne doit

98
Nam si quando ita defecerint, ut ne pas tâcher de nous rendre odieux, sous
affingere quidem quidquam possint, prétexte que nous nions que les
quod faciunt in rebus caeteris: tum vero philosophes soient parvenus à la
ignorantiae admonentur, et quasi sagesse puisqu'ils reconnaissent eux-
furibundi exiliunt, et exclamant se mêmes qu'ils ne savent rien. Quand ils
caecos esse et excordes. Anaxagoras se trouvent embarrassés, et qu'ils ne
pronuntiat circumfusa esse tenebris peuvent rendre raison des matières
omnia. Empedocles angustas esse qu'ils traitent, ils s'écrient comme des
sensuum semitas queritur, tamquam illi furieux, qu'ils sont des ignorants et des
ad cogitandum rheda et quadrigis opus aveugles. Anaxagore déclare que toute
esset. Democritus quasi in puteo la nature est couverte de ténèbres.
quodam sic alto, ut fundus sit nullus, Empédocle se plaint que la voie du sens
veritatem jacere demersam; nimirum est étroite, comme si pour penser il avait
stulte, ut caetera. Non enim tamquam in besoin d'un chemin fort large, d'un char
puteo demersa veritas est, quo vel superbe, et d'un équipage magnifique.
descendere, vel etiam cadere illi licebat, Démocrite dit que la vérité est cachée au
sed tamquam in summo montis excelsi fond d'un puits ; mais il le dit avec la
vertice, vel potius in coelo, quod est même impertinence avec laquelle il dit
verissimum. Quid enim est, cur eam tout le reste. Elle n'est pas au fond d'un
potius in imum depressam diceret, quam puits où il avait pu descendre ou se
in summum levatam? nisi forte mentem jeter; mais elle est sur le sommet d'une
quoque in pedibus, aut in imis calcibus montagne, ou plutôt elle est dans le ciel.
constituere malebat potius, quam in Pourquoi ne disait-il pas qu'elle était en
pectore, aut in capite. haut au lieu de dire qu'elle était en bas,
Adeo remotissimi fuerunt ab ipsa si ce n'est qu'il avait l'esprit aux pieds au
veritate, ut eos ne status quidem sui lieu de l'avoir au cœur ou à la tête ? Les
corporis admoneret, veritatem in philosophes ont été si éloignés de
summo illis esse quaerendam. Ex hac trouver la vérité, qu'ils n'ont pu
desperatione confessio illa Socratis nata reconnaître par la structure et par la
est, qua se nihil scire dixit, nisi hoc disposition de leur corps le lieu où il
unum, quod nihil sciat. Hinc Academiae fallait l'aller chercher. Le désespoir et la
disciplina manavit; si tamen disciplina tyrannie ont arraché cette confession de
dici potest, in qua ignoratio et discitur et la bouche de Socrate : qu'il ne savait
docetur. Sed ne illi quidem, qui qu'une chose, qui est qu'il ne savait rien.
scientiam sibi assumpserunt, id ipsum, C'est de là qu'est venue la secte et la
quod se scire putabant, constanter discipline des académiciens, si toutefois
defendere potuerunt. Qui, quoniam ratio on peut donner le nom de discipline à
illis non quadrabat, per ignorantiam une secte où l'on fait profession de ne

99
rerum divinarum tam varii, tam incerti rien enseigner et de ne rien apprendre.
fuerunt, sibique saepe contraria Ceux mêmes qui ont prétendu savoir
disserentes, ut quid sentirent, quid quelque chose n'ont pu soutenir ce qu'ils
vellent, statuere ac dijudicare non croyaient savoir. L'ignorance où ils ont
possis. Quid igitur pugnes adversus eos été de tout ce qui regarde Dieu, les a
homines, qui suo sibi gladio pereunt? engagés dans une si merveilleuse
Quid labores, ut eos destruas, quos sua diversité d'opinions, et dans une si
ipsos destruit atque afficit oratio? étrange incertitude, qu'il est difficile de
Aristoteles, inquit Cicero, veteres discerner ce qu'ils admettent et ce qu'ils
philosophos accusans, ait eos aut approuvent. Qu'est-il donc besoin
stultissimos, aut gloriosissimos fuisse, d'attaquer ces hommes qui se détruisent
qui existimassent philosophiam suis d'eux-mêmes. « Aristote, dit Cicéron,[3]
ingeniis perfectam: sed se videre, quod a accusé les anciens philosophes de folie
paucis annis magna accessio facta esset, et de présomption, pour avoir cru que
brevi tempore philosophiam plane par leur esprit ils avaient porté la
absolutam fore. Quod igitur fuit illud philosophie à sa perfection; » et il a
tempus? quo more? quando est aut a ajouté: « qu'il reconnaissait pourtant
quibus absoluta? Nam quod ait qu'elle avait fait depuis de grands
stultissimos fuisse, qui putassent progrès en peu de temps, et qu'il
ingeniis suis perfectam esse sapientiam, prévoyait qu'elle serait bientôt à un point
verum est: sed ne ipse quidem satis où il n'y aurait rien à désirer. » Quand ce
prudenter, qui aut a veteribus coeptam, temps-la est-il arrivé, et comment est-
aut a novis auctam, aut mox a ce que la philosophie a été portée à sa
posterioribus perfectum iri putavit. perfection? Aristote a eu raison de se
Nunquam enim potest investigari, quod moquer de l'extravagance avec laquelle
non per viam suam quaeritur. les anciens s'étaient imaginé avoir
découvert par leur esprit le plus haut
point de la sagesse ; mais il n'a pas eu
beaucoup de prudence quand il a cru, ou
que les anciens avaient commencé une
si importante entreprise, ou que leurs
successeurs l'avaient heureusement
continuée, ou qu'enfin ceux qui
viendraient auraient la gloire de
l'achever. Or il est certain que jamais on
ne trouve ce que l'on ne cherche pas
comme il faut.

100
CAPUT XXIX. De fortuna iterum XXIX. Achevons ce que nous avons
et virtute. commencé. La fortune n'est rien, et il ne
Sed repetamus id quod omisimus. faut pas s'imaginer qu'elle ait aucun
Fortuna ergo per se nihil est; nec sic sentiment. Ce n'est qu'un accident
habendum est, tamquam sit in aliquo soudain et qu'un événement imprévu ;
sensu. Siquidem fortuna est accidentium mais les philosophes, de peur de
rerum subitus atque inopinatus eventus. manquer une seule fois de se tromper,
Verum philosophi, ne aliquando non ont affecté de faire paraître de la
errent, in re stulta volunt esse sagesse en un sujet où il n'y a que de la
sapientes; qui fortunae sexum mutant, folie, en changeant le sexe de la Fortune
eamque non deam, sicut vulgus, sed et disant qu'elle était un dieu, au lieu que
deum esse dicunt. Eumdem tamen le peuple la prend pour une déesse. Ils
interdum naturam, interdum fortunam appellent quelquefois dieu la Nature, et
vocant; « quod multa, inquit idem quelquefois ils l'appellent Fortune, « à
Cicero, efficiat inopinata nobis, propter cause, dit Cicéron, qu'il fait contre notre
obscuritatem ignorationemque opinion beaucoup de choses dont nous
causarum. » Cum igitur causas ignorent, ignorons les causes. » Si les philosophes
propter quas fiat aliquid, et ipsum qui ignorent les causes pour lesquelles une
faciat ignorent, necesse est. Idem in chose est faite, ils ignorent aussi celui
opere valde serio, in quo praecepta vitae qui l'a faite. Le même Cicéron, parlant de
deprompta ex philosophia filio dabat: « la Fortune dans un ouvrage fort sérieux
Magnam, inquit, esse fortunae vim in où il donne des préceptes à son fils pour
utramque partem, quis nesciat? Nam et, la conduite de la vie, dit : « Que la
cum prospero flatu ejus utimur, ad Fortune a un grand pouvoir; que quand
exitus pervenimus optatos; et, cum elle nous est favorable, nous venons
reflaverit, affligimur. » Primum, qui heureusement à bout de nos desseins, et
negat sciri posse quidquam, sic hoc dixit, que quand elle nous est contraire, nous
tamquam et ipse, et omnes sciant. avons le déplaisir de voir que rien ne
Deinde, qui, etiam quae clara sunt, nous réussit. » La première réflexion que
dubia conatur efficere, hoc putavit esse je fais sur ces paroles, est que Cicéron,
clarum, quod illi esse debuit vel maxime qui tient que l'on ne peut rien savoir, les
dubium; nam sapienti omnino falsum a avancées de la même sorte que s'il en
est. Quis, inquit, nescit? Ego vero nescio. eût été assuré et que tout le monde l'eût
Doceat me, si potest, quae sit illa vis, qui été avec lui. Je remarque ensuite que lui,
flatus iste, et qui reflatus. qui tâche pour l'ordinaire d'observer les
Turpe igitur est, hominem vérités les plus claires, prend, pour une
ingeniosum dicere id, quod, si neges, vérité claire, une proposition qui lui
probare non possit. Postremo, quod is, devait sembler fort obscure, et qui

101
qui dicit assensus esse retinendos, quod paraîtra absolument fausse à tout
stulti sit hominis, rebus incognitis homme sage. « Qui est-ce, dit-il, qui ne
temere assentiri, is plane vulgi et sait pas? » C'est moi qui ne sais pas.
imperitorum opinionibus credidit, qui Qu'il m'enseigne, s'il peut, quel est ce
fortunam putant esse, quae hominibus pouvoir de la Fortune, quel est ce vent
tribuat bona et mala. Nam simulacrum qui seconde ou qui renverse nos
ejus cum copia et gubernaculo fingunt, desseins? C'est une chose honteuse à un
tamquam haec et opes tribuat, et homme d'esprit d'avancer ce qu'il ne
humanarum rerum regimen obtineat. saurait prouver en cas que quelqu'un le
Cui opinioni et Virgilius assentit, qui nie. Enfin, ce que j'apprends dans
fortunam omnipotentem vocat; et Cicéron, est qu'après avoir écrit en tant
historicus, qui ait: Sed profecto fortuna d'endroits qu'il faut suspendre son
in omni re dominatur. Quid ergo caeteris jugement, et que c'est une folie de le
diis loci superest? Cur non aut ipsa porter sur des choses dont on n'est pas
regnare dicitur, si plus potest; aut sola parfaitement informé, il ajoute
colitur, si omnia? Vel, si tantum mala légèrement créance aux opinions du
immittit, aliquid causae proferant, cur, si peuple, et reconnaît avec les ignorants
dea sit, hominibus invideat, eosque une Fortune qui distribue le bien et le
perditos cupiat, cum ab his religiose mal aux hommes. On a mis une corne
colatur: cur aequior sit malis, iniquior d'abondance et un gouvernail proche de
autem bonis: cur insidietur, affligat, son image, pour marquer qu'elle répand
decipiat et exterminet: quis illam generi les richesses et qu'elle dispose des
hominum vexatricem perpetuam affaires.
constituerit: cur denique tam malam Cette opinion est favorisée par Virgile,
sortita sit potestatem, ut res cunctas ex quand il appelle la Fortune « toute
libidine magis, quam ex vero celebret, puissante, » et par un célèbre historien,
obscuretque? Haec, inquam, quand il écrit, « qu'elle exerce une
philosophos inquirere oportuit potius, domination absolue sur toutes choses. »
quam temere innocentem accusare Quel pouvoir reste-t-il donc aux autres
fortunam: quae etiamsi sit aliqua, nihil dieux, et pourquoi ne règne-t-elle pas et
tamen afferri ab his potest, cur ne reçoit-elle pas nos hommages toute
hominibus tam inimica sit, quam seule? Si elle n'envoie que du mal,
putatur. Itaque illae omnes orationes, pourquoi la vénère-t-on comme une
quibus iniquitatem fortunae lacerant, se déesse? Pourquoi envie-t-elle la
suasque virtutes contra fortunam prospérité à ceux qui lui offrent des
superbissime jactant, nihil aliud sunt, sacrifices? Pourquoi est-elle plus
quam deliramenta inconsideratae favorable aux médians qu'aux gens de
levitatis. bien? Pourquoi prend-elle plaisir à

102
Quare non invideant nobis quibus tendre des pièges, à tromper, à ruiner
aperuit veritatem Deus: qui sicut les hommes, et il les jeter dans des
scimus, nihil esse fortunam; ita scimus tristesses mortelles? Qui lui a donné
esse pravum ac subdolum spiritum, qui l'ordre et le pouvoir de faire une guerre
sit inimicus bonis, hostisque justitiae; si cruelle aux hommes, et de disposer de
qui contraria faciat, quam Deus, cujus toutes choses par son caprice et sans
invidiae causam in secundo libro aucune justice? Les philosophes
explicavimus. Hic ergo insidiatur devaient chercher l'éclaircissement de
universis; sed eos, qui nesciunt Deum, ces questions, plutôt que d'accuser
errore impedit, stultitia obruit, tenebris légèrement la Fortune, tout innocente
circumfundit, ne quis possit ad divini qu'elle est; car, quand il y aurait en effet
nominis pervenire notitiam, in quo uno une Fortune, ils ne sauraient rendre
et sapientia continetur, et vita perpetua. aucune raison de la haine si implacable
Eos autem, qui Deum sciunt, dolis et qu'ils lui attribuent contre les hommes.
astu aggreditur, ut cupiditate ac libidine Ainsi les plaintes continuelles qu'ils font
irretiat, ac peccatis blandientibus de son injustice, elles vains éloges dont
depravatos impellat ad mortem; vel, si ils relèvent leur propre vertu, ne sont
dolo nihil profecerit, vi et violentia que d'extravagantes rêveries, qui font
dejicere conatur. Idcirco enim in voir la faiblesse et la légèreté de leur
primordiis transgressionis non statim ad esprit. Qu'ils n'aient donc point de
poenam detrusus a Deo est, ut hominem jalousie de ce que Dieu a eu la bonté de
malitia sua exerceat ad virtutem: quae nous révéler la vérité. Comme nous
nisi agitetur, ni assidua vexatione savons qu'il n'y a point de Fortune, nous
roboretur, non potest esse perfecta; savons aussi qu'il y a un méchant esprit
siquidem virtus est perferendorum qui est l'ennemi déclaré de la justice, qui
malorum fortis ac invicta patientia. Ex persécute les gens de bien, qui s'oppose
quo fit, ut virtus nulla sit, si adversarius à tous les desseins de Dieu par le motif
desit. Hujus itaque perversae potestatis d'une jalousie dont j'ai rapporté le sujet
cum vim sentirent virtuti repugnantem, dans le second livre de cet ouvrage. Il
nomenque ignorarent, fortunae dresse des pièges à tous les hommes; il
vocabulum sibi inane finxerunt. Quod embarrasse aisément dans les filets de
quam longe a sapientia sit remotum, l'erreur ceux qui ne connaissent point
declarat Juvenalis his versibus: Dieu ; il les enveloppe de ténèbres; il les
Nullum numen abest, si sit accable du poids de leur propre
prudentia: sed nos extravagance, afin qu'ils ne parviennent
Te facimus, Fortuna, deam, coeloque jamais a la connaissance qui renferme la
locamus. sagesse et la vie éternelle; il use de ruse
et d'adresse pour surprendre ceux qui

103
Stultitia igitur, et error, et caecitas, connaissent Dieu, et pour les porter au
et, ut Cicero ait, ignoratio rerum atque péché par le plaisir; et quand ce moyen
causarum, Naturae ac Fortunae nomina ne réussit pas, il a recours à la violence.
induxit. Sed ut adversarium suum Dieu a différé à dessein le châtiment que
nesciunt: sic nec virtutem quidem mérite son péché, afin qu'il exerce notre
sciunt, cujus scientia ab adversarii vertu, qui ne saurait devenir parfaite que
notione descendit. Quae si conjuncta est par l'épreuve; car la vertu est la patience
cum sapientia, vel, ut ipsi dicunt, eadem qui a supporté le mal sans être vaincue.
ipsa sapientia est, ignorent necesse est Ainsi nous n'aurions point de vertu si
in quibus rebus sita sit. Nemo enim nous n'avions point d'ennemi. Comme
potest veris armis instrui, si hostem les philosophes ont senti la violence de
contra quem fuerit armandus, ignorat; cette puissance contraire et qu'ils en ont
nec adversarium vincere, qui in ignoré le nom, ils ont inventé celui de
dimicando non hostem verum, sed Fortune, ce qui est fort extravagant,
umbram petit. Prosternetur enim, qui comme Juvénal a eu dessein de le
alio intentus, venientem vitalibus suis marquer par ces paroles :
ictum nec praeviderit ante, nec caverit.
Il n'y a point de divinité sans la
prudence ; mais à l'égard de la Fortune,
nous la reconnaissons pour une déesse,
et comme telle nous la plaçons dans le
ciel.

Ce sont donc, comme Cicéron l'avoue,


la folie, l'erreur, l'ignorance et
l'aveuglement qui ont inventé les noms
de Nature et de Fortune : les philosophes
n'avaient garde de connaître la vertu,
puisqu'ils ne connaissaient pas l'ennemi
contre lequel ils la devaient faire
paraître. Si cette vertu est jointe à la
sagesse, ou si c'est la sagesse même,
comme ils le prétendent, ils ne savent en
quoi elle consiste. Quiconque ne connaît
pas son ennemi, ne saurait se préparer
comme il faut à le combattre; il ne
choisira pas des armes propres à
remporter la victoire. Au lieu de
poursuivre son ennemi, il ne poursuivra

104
que son ombre. Il sera infailliblement
vaincu, parce qu'il ne prévoit pas le coup
qui le menace et qui le percera de part
en part.

CAPUT XXX. Epilogus ante XXX. J'ai fait voir, autant que mon
dictorum; et qua ratione sit peu de suffisance me l'a pu permettre,
transeundum a vanitate combien les philosophes se sont éloignés
philosophorum ad sapientiam de la vérité. Je sais que j'ai omis
veram et veri Dei cognitionem, in beaucoup de choses ; mais aussi je
quo solo virtus est et beatitudo. n'avais pas entrepris de combattre
Docui, quantum mea mediocritas toutes leurs erreurs : j'avais seulement
tulit, longe devium philosophos iter a été obligé de montrer, comme en
veritate tenuisse. Sentio tamen, quam passant, qu'un si grand nombre
multa praeterierim, quia non erat mihi d'excellents esprits s'étaient
propria contra philosophos disputatio. misérablement consumés à la poursuite
Sed huc necessario divertendum fuit, ut du mensonge, pour empêcher que ceux
ostenderem, tot et tanta ingenia in rebus qui avaient reconnu qu'il n'y avait pas
falsis esse consumpta; ne quis forte a d'espérance de trouver la vérité dans les
pravis religionibus exclusus, ad eos se religions païennes, ne l'allassent
conferre vellet, tamquam certi aliquid chercher parmi des sectes si différentes
reperturus. Una igitur spes homini, una de ces sages de l'antiquité. Il ne reste
salus in hac doctrina, quam defendimus, donc aucune espérance ni aucun salut
posita est. Omnis sapientia hominis in que dans la doctrine que nous
hoc uno est, ut Deum cognoscat et colat: soutenons. Toute la sagesse consiste à
hoc nostrum dogma, haec sententia est. connaître Dieu et à le servir. J'élève ma
Quanta itaque voce possum, testificor, voix, autant qu'il m'est possible, pour
proclamo, denuntio. Hic, hic est illud, déclarer et pour publier : que nous avons
quod philosophi omnes in tota sua vita dans notre religion la vérité que les
quaesierunt, nec unquam tamen philosophes ont cherchée durant toute
investigare, comprehendere, tenere leur vie, et qu'ils n'ont jamais pu trouver
valuerunt, qui religionem aut pravam parce qu'ils n'ont aucune religion, ou
retinuerunt, aut totam penitus qu'ils n'en ont eu qu'une mauvaise.
sustulerunt. Facessant igitur illi omnes, Eloignons-nous de ces maîtres qui ne
qui humanam vitam non instruunt, sed font que nous troubler au lieu de nous
turbant. Quid enim docent? aut quem instruire. Que pourraient-ils nous
instruunt qui se ipsos nondum enseigner, eux qui n'ont rien appris? Qui
instruxerunt? Quem sanare aegroti, ces malades pourraient-ils guérir? Qui

105
quem regere caeci possunt? Huc ergo ces aveugles pourraient-ils instruire?
nos omnes, quibus est cura sapientiae, Que ceux qui désirent connaître la
conferamus. An expectabimus donec sagesse se rendent en foule à notre
Socrates aliquid sciat? aut Anaxagoras in religion. Attendrons-nous que Socrate
tenebris lumen inveniat? aut Democritus commence à savoir quelque chose,
veritatem de puteo extrahat? aut qu'Anaxagore trouve la lumière au
Empedocles dilatet animi sui semitas? milieu des ténèbres, que Démocrite tire
aut Arcesilas et Carneades videant, la vérité du fond du puits où elle est
sentiant, percipiant? cachée, qu'Empédocle élargisse les
Ecce vox de coelo veritatem docens, chemins des sens par où les objets
et nobis sole ipso clarius lumen entrent dans l'âme, enfin qu'Arcésilas et
ostendens. Quid nobis iniqui sumus? et Carnéade voient et comprennent? Une
sapientiam suscipere cunctamur, quam voix du ciel nous déclare la vérité ; une
docti homines, contritis in quaerendo lumière plus éclatante que le soleil nous
aetatibus suis, nunquam reperire la montre. Pourquoi sommes-nous assez
potuerunt? Qui vult sapiens ac beatus injustes envers nous-mêmes, pour
esse, audiat Dei vocem, discat justitiam, refuser la sagesse que les philosophes
sacramentum nativitatis suae norit; les plus célèbres de l'antiquité ont
humana contemnat, divina suscipiat, ut cherchée inutilement durant tout le
summum illud bonum, ad quod natus temps de leur vie ? Quiconque veut
est, possit adipisci. Dissolutis devenir sage et heureux n'a qu'à écouter
religionibus universis, et omnibus, la voix de Dieu, à apprendre la justice, à
quaecumque in earum defensionem dici méditer le sujet pour lequel il a été mis
vel solebant, vel poterant, refutatis, au monde, à mépriser tout ce qu'il y a
deinde convictis philosophiae disciplinis, sur la terre, à faire profession du culte
ad veram nobis religionem de Dieu, pour parvenir un jour au
sapientiamque veniendum est, quoniam souverain bien, dont la jouissance doit
est, ut docebo, utrumque conjunctum; faire tout son bonheur. Il faut pour cela
ut eam vel argumentis, vel exemplis, vel renoncer à toutes les autres religions,
idoneis testibus asseramus, et rejeter tout ce que l'on dit pour leur
stultitiam, quam nobis isti deorum défense, réfuter les erreurs de toutes les
cultores objectare non desinunt, ut sectes des philosophes. La vérité
nullam penes nos, sic totam penes ipsos s'élèvera sur les ruines du mensonge.
esse doceamus. Et quamquam prioribus Après avoir détruit les fausses religions,
libris, cum falsas arguerem religiones, et il est aisé d'établir la nôtre par des
hoc, cum falsam sapientiam tollerem, exemples, par des arguments et par des
ubi veritas sit, ostenderim; planius témoignages convaincants, et de faire
voir que l'extravagance que les

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tamen, quae religio, et quae sapientia philosophes nous attribuent ne se
vera sit, liber proximus indicabit. rencontre que parmi eux. Bien qu'en
réfutant leurs erreurs et en faisant voir
qu'ils ne possèdent point la véritable
sagesse, j'aie marqué assez clairement
le lieu où elle réside, je me suis proposé
de le prouver encore plus solidement
dans tout le livre suivant.

[1]
De la nature des choses, livre II.
[2]
Térence, Héautontimoruménos, acte V.
[3]
Tusculanes, III.

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