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Cahiers d'études africaines

La construction d'une mémoire historique à la Martinique : du


schœlchérisme au marronisme
Madame Marie-José Jolivet

Abstract
M.-J. Jolivet — The Construction of an Historical Memory in Martinique.
In making Schoelcher the white liberating hero, embued with the power of cleansing the colonial power of its sin of slavery,
officiai history responded to the neces-sities of the politics of assimilation. The construction of a particularly ' Creole' identity, i.e.
rooted in the slave trade (but not merely the African slave trade), requires an entirely different representation of this history.
Lacking a singular hero who could be seen as responsible for a founding epic, the people of Martinique reorganized their
'historical memory' around the collective hero constituted by the slaves in each of their revolts. But in privileging only the hitherto
obscured bright moments of the past, this memory maintains contradictory relations with the collective memory which resulted
from the daily experience of servile reality and the plantation System. The future of Martinique's identity no doubt rests largely on
the evolution of these relations.

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Jolivet Marie-José. La construction d'une mémoire historique à la Martinique : du schœlchérisme au marronisme. In: Cahiers
d'études africaines, vol. 27, n°107-108, 1987. Mémoires, Histoires, Identités. pp. 287-309;

doi : https://doi.org/10.3406/cea.1987.3407

https://www.persee.fr/doc/cea_0008-0055_1987_num_27_107_3407

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Marie-José Jolivet

La construction une mémoire

historique la Martinique

du sch lcberi me au marronnisme

Bien axé sur exemple de la Martinique cet article inscrit dans une
perspective comparative faisant référence aux trois autres pays de la
Caraïbe Guadeloupe Guyane et Haïti durablement colonisés par
la France
Parmi ces quatre pays est évidemment Haïti qui se distingue des
autres au premier chef puisque cette partie occidentale de ancienne
île de Saint-Domingue est indépendante depuis près de deux siècles
alors que la Guadeloupe la Guyane et la Martinique longtemps considé
rées comme de vieilles possessions fran aises sont devenues en vertu
de la loi assimilation de 1946 des Départements outre-mer âî
ou parfois Départements fran ais Amérique )1
La Martinique possède cependant une particularité non négligeable
du point de vue qui nous intéresse ici celle de avoir pas vécu pleinement
les contrecoups de la Révolution fran aise Occupée par les Anglais de
1794 1802 elle fut en effet soustraite la première abolition de escla
vage qui durant la même période introduisit des modifications sensibles
dans le paysage socio-politique des autres colonies fran aises de la Caraïbe
en Guyane économie de plantation encore balbutiante perdit toute
possibilité de se renforcer réellement en Guadeloupe les planteurs blancs
virent leur positions affaiblir considérablement et ne purent jamais
retrouver leur hégémonie antérieure Saint-Domingue débuta alors
une lutte au terme de laquelle fut proclamée indépendance 1803)..
De plus en Guadeloupe et surtout Saint-Domingue la période
révolutionnaire révéla des hommes qui allaient devenir de grands noms
de histoire de la Caraïbe Toussaint Louverture est un des plus connus
Premier artisan de indépendance haïtienne il ne put en voir avènement
il mourut en France au fort de Joux dans le Jura où Napoléon avait

Cette expression est plus couramment employée pour la Guyane

Cahiers tudes africaines 107-108 XXVII-3-4 1087 pp 287-309


288 MARIE-JOS OLIVET

fait enfermer huit mois avant la proclamation de indépendance de


son pays mais il sut en réunir les conditions en organisant une véritable
armée formée esclaves rebelles ceux on appelait les nègres mar
rons parce ils enfuyaient des plantations dont ils refusaient le
régime esclavagiste pour aller vivre dans les bois et le brouillard des
mornes2 écrivain haïtien René Depestre 1980 171 écrit propos de
Toussaint Louverture La lutte armée trouva sa valeur et son efficacité
avec entrée en scène un nègre génial qui ouvrit au vieux marronnage
des perspectives tactiques et stratégiques irréversibles
Mais ce ne fut pas seulement un chef militaire Son principal titre de
gloire nous explique encore Depestre ibid 172 est avoir su arracher
abolition locale de esclavage au commissaire de la République dès le
mois août 1793 puis avoir exigé pour le ralliement définitif de ses
troupes aux forces républicaines que cette abolition soit ratifiée par la
Convention ainsi peut-il apparaître comme initiateur de la première
abolition de esclavage dans les colonies fran aises Le février 1794
la Convention vota dans enthousiasme abolition de esclavage
Saint-Domingue comme en France on sait que cette victoire historique
est uvre de Toussaint Louverture ibid.)
En Guadeloupe ce fut en 1802 lorsque commen se propager la
nouvelle un rétablissement imminent de esclavage que Delgrès prit
la dimension un héros Chef militaire lui aussi il était commandant
de bataillon en 1799 Delgrès ne parla jamais indépendance Mais au
plus fort de sa lutte contre Richepance le chef de expédition militaire
envoyée par Bonaparte pour soumettre île au nouveau pouvoir il
incarnait il exigea que son ralliement au Consulat fasse objet un
véritable traité rendant notamment impossible tout retour de esclavage
il comprit il avait perdu la partie il préféra faire sauter habi
tation où il était réfugié avec ses troupes plutôt que de capituler Sa
popularité est maintenue nos jours partir de deux phrases
restées célèbres Préférons la mort esclavage aurait-il déclaré
ses troupes en apprenant les arrestations opérées par Richepance3
Vivre libre ou mourir aurait-il encore écrit4 selon le cri de ralliement
de ses soldats
Durant la même période de la Révolution Empire la Martinique
et la Guyane ont pas vu naître de semblables héros susceptibles de
passer la postérité Trop faiblement peuplée la Guyane ne disposait
pas de concentrations humaines suffisantes pour favoriser ce type émer
gence Au reste en eût-elle disposé que selon toute vraisemblance elle
eût plutôt connu instar du Surinam voisin les grands mouvements de

Mot créole employé aux Antilles pour désigner les collines et les petites
montagnes
après Lacour historien guadeloupéen du xixe siècle cité par AD LA DE-
MERLANDE 1986 130)
Toujours après Lacour cité par AD LA DE-MERLANDE 1986 139)
DU SCH LCH RISME AU MARRONNISME 289

marronnage avec reconstitution de tribus indépendantes5


auxquels immensité des grands-bois formant arrière-pays pouvait
inciter
Quant la Martinique elle fut sans doute privée par efficacité du
maintien de ordre sous occupation anglaise de toute occasion de voir
se développer une révolte révélatrice de fortes personnalités6 Ce était
là toutefois que simple conjoncture Pas plus une autre cette île ne
pouvait être durablement abri des révoltes esclaves son histoire en
fut jalonnée Mais celle du 22 mai 1848 en quelque sorte surclassé
les autres en imposant récemment au rang des souvenirs commé
morer Elle seule en effet pouvait avoir la charge symbolique un
Delgrès ou un Toussaint Louverture il agissait toujours de lutte
pour vivre libre Encore fallait-il que le symbole prenne place face au
mythe de Sch lcher

Comme on pu déjà entrevoir plutôt que sur histoire proprement


dite telle celle de historien pratiquant la critique des sources mon
interrogation porte surtout sur les représentations dont le passé peut
faire objet est ailleurs dans cet esprit que entreprends analyser
le sch lchérisme qui devra donc ici être compris au sens large de
système de représentations
Les représentations du passé se sont modifiées au fil des temps
Toujours étroitement liées par nature7 la question de identité elles

Tels les Djuka et les Saramaka qui obtinrent leur indépendance vers le milieu
du xvnie siècle et que HERSKOVITS 1966 prend notamment comme
exemples de groupes de Noirs du Nouveau Monde particulièrement marqués
par la persistance africanismes fanti-ashanti en occurrence tels
encore les Boni qui dans les années 1770 demandèrent aux autorités fran aises
de les accueillir sur la rive droite du Maroni car ils étaient chassés du Surinam
par les deux précédents groupes alliés pour occasion aux troupes du gouverneur
de Paramaribo et dont le géographe HURAULT 1961 également
montré tous les africanismes Mais comme le souligne BASTIDE 1967)
ces tribus ne correspondaient pas la simple reconstitution ethnies afri
caines elles impliquaient des syncrétismes et des adaptations..
Il faut signaler ce propos que il est illustré en Guadeloupe au point
mettre en jeu sa vie et si en conséquence est dans cette île il est devenu
célèbre Delgrès est né en Martinique On sait peu de chose sur son passé
Peut-être est-il engagé nous dit AD LA DE-MERLANDE 1986 9) dans les
troupes levées la Martinique en 1793-1794 en vue de défendre île contre
les Anglais On le retrouve en Guadeloupe en 1795 mais venant de France
avec le bataillon des Antilles ajoute historien qui explique encore que fait
prisonnier par les Anglais en 1796 envoyé en Angleterre puis libéré en 1797
Delgrès revient en Guadeloupe en 1799 ibid io)
tant entendu il agit là une manière très fran aise de lier iden
tité histoire par une relation de nécessité manière indéniablement moins
usitée aux tats-Unis mais qui curieusement fait retour sous la plume de
HERSKOVITS 1966 212 il écrit précisément propos des Noirs
du Nouveau Monde Un peuple sans passé est un peuple que rien ancre dans
le présent
290 MARIE-JOSE JOLIVET

le sont fortion hui dans les trois DOM de la Caraïbe où les


populations sont confrontées au besoin une véritable reconstruction
identitaire Longtemps fascinées par un processus intégration que
exception faite du groupe Légitime défense en 1932-1933 et de sa
vigoureuse dénonciation de assimilation coloniale nul vraiment
songé dénoncer avant les années 1950 tant il semblait porteur de
justice et de progrès ces populations prennent en effet de plus en plus
largement la mesure du leurre auquel est finalement réduite idée
assimilation ainsi chargée Alors vient le temps des répliques..
cet égard exemple offre la Martinique est très démonstratif
la diversité du rapport que les gens peuvent établir avec Sch lcher et le
22 mai une part la difficulté il peut avoir faire coïncider la
nouvelle mémoire historique autoconstruite avec la mémoire collective
fa onnée par une longue histoire où domination et résistance enche
vêtrent autre part font clairement apparaître les embûches et les
enjeux de la construction identitaire dans ces régions
On examinera donc la construction et la portée de histoire officielle
organisée autour de Sch lcher puis les voies une mémoire historique
con ue comme nécessaire la réappropriation de identité avant abor
der le problème du rapport entre cette mémoire historique et la mémoire
collective

Sch lcher et histoire officielle

Personnalité de premier plan dans histoire de la France de la monarchie


de Juillet la Troisième République Victor Sch lcher8 1804-1893 est
avant tout connu pour sa lutte contre esclavage et son rôle décisif au
moment de abolition Son combat pour le rétablissement de la répu
blique sous Napoléon III qui lui valut vingt ans exil puis son action
aux côtés de Jules Ferry en faveur de école laïque et de la démocratisa
tion de enseignement sa prise de position enfin contre la peine de mort
largement en avance sur son temps autant éléments qui ajoutés aux
précédents lui ont valu de devenir une grande figure du mouvement
progressiste..
est dans Amérique des plantations en Louisiane il visita dès
1829 et la Martinique où il se rendit quelques années plus tard que
Sch lcher trouva la raison de sa première et principale indignation
esclavage Affichant ses idées républicaines il défendait avec force les

Il est évidemment pas question de retracer ici la vie et uvre de Sch lcher
ailleurs assez bien connues les textes choisis par Tersen SCH LCHER 1948
constituent une bonne entrée en matière Empruntés diverses sources
directes ibid. et indirectes CHAULEAU 1973 ELISABETH 1983 BRUHAT
I975a- l()75 )> les éléments qui suivent ne prétendent une approche suc
cincte et par là même approximative dont le seul but est introduire le
problème du sch lchérisme
DU SCH LCHERISME AU MARRONNISME 291

principes pour lui vitaux de liberté et égalité que bafouait esclavage


La liberté un homme est une parcelle de la liberté universelle vous
ne pouvez toucher une sans compromettre autre tout la fois
écrivit-il notamment in Chauleau 1973 254)
abord membre de la vieille Société des amis des Noirs créée sous
la Révolution Sch lcher prit bientôt des positions plus radicales très
vite il était déclaré en faveur de abolition immédiate dans le cadre
du Comité pour la libération des Noirs en 1832 puis de la Société pour
abolition de esclavage fondée en 1834
Au lendemain de la révolution de février 1848 au moment où Fran
ois Arago9 quoique partisan déclaré de abolition hésitait encore quant
aux modalités précises de cette mesure importance Sch lcher sut par
sa conviction emporter la décision qui allait donner lieu au décret prépa
ratoire du mars proclamant le principe de abolition immédiate puis
au décret du 27 avril proclamant abolition définitive
Tels sont les faits peu contestés en eux-mêmes10 mais qui en
occasionnent pas moins des lectures très diverses selon esprit avec
lequel on considère ensemble des événements qui ont constitué aboli
tion et notamment ceux qui sur le terrain ont suivi les décrets établis
Paris pour en accélérer ou provoquer question de lecture juste
ment la mise en application
Cependant Sch lcher étant un homme politique sa popularité aux
Antilles put se mesurer dès les élections de 1848 où Martiniquais et
Guadeloupéens unisson voulurent en faire un des trois députés que
chaque île devait envoyer Assemblée constituante il opta alors pour
la Martinique Mais année suivante aux élections législatives les Mar
tiniquais lui préférèrent un homme du pays Bissette célèbre pour
avoir lutté dès la Restauration en faveur de égalité des droits pour les
hommes de couleur libres dont il faisait partie et pour avoir ensuite
rallié les thèses abolitionnistes approche des élections de 1849
Bissette nt alliance avec les planteurs blancs ce qui le fit par la suite
désigner comme traître la cause des esclaves libérés et supplanta
Sch lcher qui fut néanmoins réélu par les Guadeloupéens Exilé pendant
toute la durée du Second Empire Sch lcher redevint député de la
Martinique11 après la chute de Napoléon III..

Alors ministre de la Marine et des Colonies dans le cadre du Gouvernement


provisoire qui venait de proclamer la Deuxième République Connu en France
pour ses travaux de physique et astronomie ainsi que pour son rôle politique
en 1830 et 1848 Fran ois Arago 1786-1853 est surtout aux Antilles et en
Guyane pour être un des signataires du décret abolissant esclavage est là
ce qui lui vaut avoir une rue portant son nom tant Fort-de-France
Pointe-à-Pitre ou Cayenne
Au moins par les gens qui intéressent assez près la question En revanche
parmi ceux qui en tiennent aux échos des débats actuels on peut rencontrer
des cas de complète remise en cause en donnerai un exemple ultérieurement
il Il avait été désigné aussi par la Guyane et avait opté cette fois encore pour la
Martinique
292 MARIE-JOSE OLIVET

est sous la Troisième République que commen prendre forme


le sch lchénsme en tant que système de représentations Lié la popu
larité de abolitionniste le phénomène fut le produit un glissement
auquel Sch lcher lui-même bien que ce fût de son vivant demeura
sans doute étranger et que on ne saurait comprendre dans toutes
ses dimensions sans avoir très présentes esprit les lignes de force de
époque et leurs conséquences en matière de politique coloniale12 Les
débuts de la Troisième République sont en effet caractérisés par deux
grands mouvements qui hui peuvent sembler esprit contraire
sur certains points mais qui étaient alors parfaitement compatibles
impérialisme et le réformisme celui que les radicaux désignaient
toutefois comme opportuniste et qui de fait se distinguait du réfor
misme radical dit intransigeant
Un homme incarna un et autre la fois Jules Ferry La politique
expansion qui conduisit la constitution du second empire colonial
fran ais se mit en place dès les années 1870 sous son impulsion Il pensait
notamment que La politique coloniale est une manifestation interna
tionale des lois éternelles de la concurrence Bruhat i975b 710) et
que Les races supérieures ont un droit vis-à-vis des races inférieures
et aussi le devoir de civiliser les races inférieures Bruhat i975a 705)
Ce fut dans la doctrine assimilationniste sans doute au début essen
tiellement administrative mais qui en contenait pas moins les germes
une assimilation culturelle des colonisés comme le montrent par
delà leur racisme évident les propos qui viennent être cités que
Jules Ferry trouva la cohérence des deux éléments apparemment peu
harmoniques de la politique il mit en uvre entre 1879 et 1885
expansion coloniale une part et de autre la démocratisation de
enseignement primaire compris dans les colonies qui devint
gratuit obligatoire et laïc13 On sait que Victor Sch lcher appuya Jules
Ferry dans sa lutte pour la laïcité et plus particulièrement pour appli
cation aux colonies des mesures favorisant extension de enseignement
primaire Conformément esprit de époque il ne pouvait concevoir
la possibilité effacer les séquelles de esclavage et de réduire un peu les
inégalités de cette société la hiérarchie alors si rigide travers
une assimilation en profondeur que seule la fréquentation généralisée de
école fran aise était ses yeux en mesure assurer
Par ailleurs les tenants de école confessionnelle se recrutaient parmi
les conservateurs royalistes ou bonapartistes Mais très logiquement
étaient aussi ceux-là qui dans les anciennes colonies telle la Martinique
tout particulièrement refusaient assimilation ils en craignaient évi-

12 Là encore les éléments qui suivent empruntés notamment aux articles de


BRUHAT i975a iQ75b ne constituent une présentation sommaire
uniquement destinée éclairer le propos spécinque
13 Lois de 1881 et 1882
DU SCHGSLCHERISME AU MARRONNISME

demment les effets de délitescence sur les barrières sociales qui garantis
saient la reproduction de leur position dominante Ils étaient donc amenés
revendiquer la reconnaissance des spécificités locales étant entendu
que les structures sociales propres au système de la plantation ils
dominaient étaient pour eux la spécificité essentielle maintenir
Assimilationnisme progressiste ou autonomisme conservateur telle
était donc alternative la fin du xixe siècle
certains égards on peut donc dire la Martinique le sch lché-
risme dans ses prémices fut expression de la lutte du pouvoir central
réformiste14 contre le lobby béké10 conservateur Et de ce point de vue
il était alors parfaitement conforme au sens de la lutte de Sch lcher Il
agissait en effet organiser adhésion des populations aux valeurs
républicaines vis-à-vis desquelles les planteurs tentaient au contraire
entretenir la méfiance ou mieux encore ignorance école publique
étant dans un tel contexte un enjeu de premier plan
Mais le passage de expression une lutte somme toute marquée
par son humanité un simple moyen de conditionnement allait ensuite
opérer le véritable sch lchérisme qui il avait plus grand-chose
voir avec Sch lcher avait devant lui un immense avenir était en train
de naître Il utilisait la popularité de Sch lcher liée on dit son
action abolitionniste dont le souvenir était inscrit dans la mémoire
collective pour en faire instrument un nouveau credo celui de la
grande et généreuse Mère-Patrie On ne peut plus alors parler du sch
chérisme sans interroger sur ses promoteurs Qui avait intérêt trans
former la popularité de Sch lcher en mythe faire du juste hommage
qui lui était rendu un culte agissait-il exclusivement des progres
sistes fran ais qui dominaient alors la scène métropolitaine
la fin du xixe siècle il est vrai le terme de progressiste faisait
avant tout référence idée républicaine par opposition idée monar
chique encore très présente le contenu social que on affecte hui
au concept de progressisme mais est là un néologisme qui apparut
au xx siècle entre les deux guerres ne teintait guère le réformisme
de cette époque ailleurs les progressistes étaient jamais que les
anciens opportunistes 16 toutefois les radicaux malgré des divergences
suffisamment importantes pour provoquer la chute de Jules Ferry
en 1885 restaient forcément pris dans le bloc républicain face au danger
que constituait la tentation monarchique directe ou déguisée comme
elle le fut dans la démarche du général Boulanger ils avaient un
moment pris pour un des leurs

14 il soit opportuniste avec Ferry ou intransigeant la manière des


radicaux
15 Longtemps teinté une nuance péjorative ce mot qui désigne le groupe des
Blancs créoles la Martinique est hui un emploi banalisé
16 Il faut cependant noter que ce fut sous Jules Ferry que fut instaurée la liberté
syndicale loi de 1884 Au demeurant la réforme de enseignement passait
alors pour être la meilleure manière de résoudre la question sociale
294 MARIE-JOSE OLIVET

En réalité progressistes ou radicaux les républicains en tant


assimilationnistes avaient tout pour séduire la Martinique la classe
montante issue de ancien groupe des gens de couleur libres était-ce
pas pour assimilation en tant accès égalité des droits avec les
Blancs ils avaient cessé de lutter depuis la Restauration était-ce
pas pour assimilation totale dont les décrets de 1848 relatifs abo
lition de esclavage avaient fait que poser le principe ils avaient
ensuite continué se battre était-ce pas enfin par assimilation
en tant que mode appropriation de la culture fran aise ils étaient
parvenus construire leur stratégie ascension sociale contournant
ainsi obstacle que dressaient obstinément devant eux les colons blancs
restés propriétaires de la quasi-totalité des terres cultivables dans de
bonnes conditions et par là même seuls maîtres du système de la
plantation
Car il avait la Martinique et ailleurs aussi dans les deux autres
colonies Amérique une bourgeoisie de couleur 17 qui investissait de
plus en plus largement le secteur des professions libérales et des emplois
administratifs ainsi que des domaines comme enseignement où juste
ment maîtriser la culture fran aise diplômes appui était la fois
nécessaire et suffisant Cette classe tendait désormais occuper également
la scène politique en particulier la Martinique où Les métis ou
mulâtres sont hui la classe dirigeante écrivait le vice-recteur
Garaud la fin du xixe siècle in Chauleau 1973 267)
Profondément républicaine pour les raisons on vues la bour
geoisie de couleur retrouvait aussi les clivages propres la métropole
entre opportunistes ou progressistes et radicaux Ainsi après une
période entente alors Paris Clemenceau faisait tomber Ferry les
deux députés elle envoyait au Parlement18 laissaient éclater leurs dis
sensions lu du nord de île et notamment de Saint-Pierre Hurard le
modéré recrutait ses électeurs dans la petite bourgeoisie de couleur
tandis que le radical Deproge élu du sud et de Fort-de-France recrutait
les siens parmi la nouvelle couche supérieure de cette même bourgeoisie
Mais un et autre de toute fa on concouraient enracinement local
de idée républicaine et de appartenance la République fran aise
dont la bourgeoisie considérée était précisément le produit
Finalement le sch lchérisme en tant que système de représentations

17 est le mot par lequel se désigne le plus souvent le groupe social considéré mais
on rencontre aussi expression bourgeoisie mulâtre Sans vouloir aborder un
domaine un peu éloigné de mon présent propos je rappellerai néanmoins toute
importance du phénotype dans la hiérarchie sociale antillaise
18 Sur la question des élus martiniquais cf TERR 1980 334 sq. Signalons
simplement que absentéisme des milieux populaires resta tel la nn
du xixe siècle que les élus furent alors nécessairement ceux de la bourgeoisie
voire même de la seule bourgeoisie de couleur laquelle les Blancs créoles
abandonnèrent le pouvoir politique tant ils crurent une possible
restauration
DU SCH LCHERISME AU MARRONNISME 295

fait exprimer cette situation en lui donnant toutefois les nobles


fondements que permettait une certaine utilisation de oeuvre politique
de Sch lcher et de sa popularité En autres termes histoire de la
Martinique au moment de abolition dans cette version officielle qui
prit corps sous la Troisième République et resta en vigueur jusque dans
les années 1970 correspond une sorte anachronisme au sens où
elle se sert une situation pour en traduire et prolonger une autre
dont on ne peut saisir la signification en se pla ant sur le terrain de
historicité
Cette histoire officielle peut être résumée en quelques mots idée
première est la suivante est Sch lcher que les esclaves ont dû leur
émancipation en 1848 cet homme grand et généreux qui fut donc leur
libérateur les intéressés ont voué une infinie reconnaissance Mais for
mulée usage des générations suivantes auxquelles elle adresse en fait
cette histoire peut abord être dite ainsi symbole de la France républi
caine le grand et généreux Sch lcher est le libérateur des Antillais qui
lui doivent une reconnaissance éternelle Puis lorsque la République est
plus menacée elle peut devenir explicitement incarnation de la grande
et généreuse Mère-Patrie Sch lcher est le libérateur des Antillais qui
doivent donc cet homme et ce il représente une reconnaissance
éternelle
Sans doute est-ce là manière de dire pour abréger Mais on peut
trouver dans les discours officiels quand la mise en place de la départe
mentalisation provoque la grande recrudescence du sch lchérisme19 des
formules toutes semblables la dernière évoquée est aussi ce que les
enfants apprennent depuis longtemps sur les bancs de école Et ces
souvenirs ont cessé de inscrire dans la mémoire collective De plus
Fort-de-France la rue Sch lcher le lycée Sch lcher la bibliothèque
Sch lcher20 et quelques kilomètres plus loin la commune de Sch
cher où est ailleurs installé le campus universitaire sont là pour sou
tenir la mémoire Au centre-ville les rues Arago Lamartine Garnier-

19 Le mouvement prend alors une telle ampleur que certains tel LUCR CE
1981 qui souligne la prolifération des hommages rendus Sch lcher occa
sion du centenaire de abolition et dans les années suivantes voient les vrais
débuts du sch lchérisme Il est évident on atteint là une sorte de paroxysme
mais il est non moins sûr que le phénomène est solidement ancré dans la mémoire
collective Il est que de rappeler les principes sch lchéristes auxquels se
réfère le député Lagrosillière cf in dans son manifeste de 1919 qui vise
rallier les républicains autour des idées et des traditions de immortel
philanthrope pour en saisir la profonde résonance Toutefois il se peut que
le sch lchérisme ait connu un retrait entre les deux guerres est tout au moins
ce que signale Césaire dans un discours de 1945 SAIRE 1978 Mais alors
explique autant mieux sa force quand vient la départementalisation est
celle une résurgence
20 Son fonds initial est dû un legs de Sch lcher de ooo titres si on
en croit CHAULEAU 1973 258 Quant au lycée il fut ouvert en 1902 pour
remplacer le lycée Sch lcher de Saint-Pierre après la destruction de cette ville
par son volcan
296 MARIE-JOS JOLIVET

Pages etc. renforcent le dispositif mnésique Et si tous ne savent peut-être


plus qui est Gamier-Pages en tout cas tous connaissent Sch lcher
En faisant de Sch lcher incarnation de la France républicaine
puis de la France entière les pouvoirs publics et leurs représentants
locaux ont réussi la Martinique un véritable tour de magie faisant
rejaillir la gloire de un sur autre dans la dernière formule évoquée
ce est plus seulement Sch lcher qui est grand et généreux est la
Mère-Patrie laquelle les Antillais doivent donc aussi toute leur recon
naissance sans réticence aucune puisque cette Mère-Patrie finalement
su leur apporter et la civilisation et le droit en jouir librement Ainsi
par érection du culte de Sch lcher en tant que symbole de la Mère-
Patrie le colonisateur se trouve lavé du péché esclavagisme il ne reste
plus de lui que le civilisateur porteur des grands principes de liberté
égalité et de fraternité
une logique imparable bien des égards cette représentation
est avérée longtemps particulièrement pregnante il est que écouter
hui encore21 certains Martiniquais issus de milieux simples
parler de leurs origines pour mesurer ampleur du phénomène

Au début il eu esclavage Les gens étaient pas civilisés ... est Sch lcher
qui libéré les esclaves Et après petit petit avec école tout ils ont appris
la civilisation dit par exemple une femme environ 70 ans ancienne man uvre
sur les champs de canne qui explique ensuite que les Martiniquais doivent tout
la France ils appartiennent la France depuis si longtemps 2a

Comme le montrent clairement ces propos est fondamentalement


la question de identité qui est posée par la longue intériorisation du
sch lchérisme on peut dès lors définir comme le mythe fondateur de
la situation assimilation

Les voies une mémoire historique

La situation assimilation trouvé son apogée avec la départementa


lisation qui en parallèlement révélé la nature profonde
Durant la période coloniale post-esclavagiste et plus précisément
la guerre de 1914-1918 assimilation est restée avant tout
affaire de la bourgeoisie de couleur en tant que revendication et
moyen ascension sociale la fois Après la Première Guerre mondiale
la base sociale de la revendication assimilationniste est très nettement
élargie Les socialistes et les communistes en particulier ont joué cet
égard un rôle important

21 Ou tout récemment au moins car il est possible que les débats publics autour
du 22 mai dont on parlera plus loin aient déjà amorcé la modification de ces
représentations
22 Entretien effectué dans un quartier populaire de Fort-de-France en 1982
DU SCH LCHERISME AU MARRONNISME 297

Plusieurs représentants politiques de diverses tendances inter


vinrent en ce sens sur la scène nationale Pour la Martinique23 on peut
citer le député socialiste Lagrosillière en 1915 et le sénateur radical
Lémery en 1923 Le Conseil général intervint également deux reprises
pour une assimilation mitigée en 1925 et pour une assimilation
intégrale 24 en 1938 Sur place Jules Monnerot le leader du groupe
Jean Jaurès qui devait donner naissance quelques années plus tard
la fédération puis section martiniquaise du Parti communiste affichait
même des positions résolument assimilationnistes encontre des
recommandations de la toute jeune Internationale communiste et de sa
section fran aise époque exclusivement favorables indépendance
des colonies25
La revendication assimilation était toutefois pas le fait de la seule
classe politique qui au demeurant se recrutait toujours très largement
dans les rangs de la bourgeoisie de couleur 26 Les travailleurs avaient
reprise leur compte Quelles étaient exactement leurs aspirations
Dans un article consacré la question de la départementalisation
J.-C William 1980 58 écrit ce propos

II importe de souligner que le dynamisme des travailleurs martiniquais est aussi


le reflet de leur volonté assimilation Ce trait se remarque abord au plan de
organisation en 1937 est créée la Martinique union des syndicats CGT Quant
aux luttes elles marquent une volonté améliorer les conditions des travailleurs
et de les voir bénéficier des lois sociales applicables aux travailleurs fran ais

une manière générale dans les explications données hui


sur la large adhésion au principe de assimilation il semble avoir
accord sur le fait que les travailleurs aspiraient fortement parce ils
voyaient le moyen une meilleure justice sociale27
La revendication assimilationniste avait en tout cas cessé être
apanage de la bourgeoisie de couleur au lendemain de la Seconde
Guerre mondiale le consensus était total est pourquoi Bissol

23 Les interventions étaient généralement faites par un Martiniquais et un Guade-


loupéen conjointement
24 Il agissait là des deux formules assimilation mitigée et intégrale) parmi les
solutions proposées par le rapport Leconte établi en 1925 la demande du
ministre des Colonies après consultation des gouverneurs et des assemblées de
Martinique Guadeloupe et Guyane pour résoudre la question sans cesse
reposée du statut
25 Cette position allait ensuite évoluer vers idée une possible assimilation des
vieilles colonies qui est cristallisée au moment du Front populaire
26 Ouvrier ébéniste Leopold Bissol un des pionniers du communisme en Mar
tinique crée un précédent il est élu au Conseil général en 1937
27 est notamment ce qui apparaît travers les divers articles que regroupe
Historial antillais sur cette période ou travers les textes de DARSI RES 974
et de de PINE 1978) dont on reparlera plus loin
298 MARIE-JOS JOLIVET

nouveau député de la Martinique déposait au nom des deux îles antil


laises et en même temps que Monnerville pour la Guyane et Vergés
pour la Réunion une proposition de loi en faveur du passage de ces
colonies au statut de départements fran ais tandis que Césaire autre
nouveau député de la Martinique en faisait le rapporteur devant
Assemblée nationale
Le 19 mars 1946 la loi assimilation loi no 46-451 était votée
elle précisait notamment que

Article Les lois et décrets actuellement en vigueur dans la France métropolitaine


et qui ne sont pas encore appliqués ces colonies feront avant le Ier janvier 1947
objet de décrets application ces nouveaux départements

Article Dès la promulgation de la présente loi les lois nouvelles applicables la


métropole le seront dans ces départements sur mention expresse insérée aux textes

Le dernier article ouvrait en fait la voie toutes les restrictions


Césaire fut le premier en faire amer constat Et ceux qui aujour
hui lui reprochent son action de 1946 il rétorque

Tout mot ordre est situé historiquement et répond des aspirations très précises
En 1945 tous les ressortissants de ex-empire voulaient devenir citoyens et cesser
être des sujets était déjà la philosophie du xixe siècle Jamais aucune loi ne fut
aux Antilles plus populaire que celle qui instituait la départementalisation Pour
les Antillais cette mesure signifiait la fin de arbitraire accès aux salaires euro
péens et la Sécurité sociale la substitution de la loi au décret Par le régime
départemental ce qui était recherché était naïvement sans doute mais sincère
ment égalité des droits Mais la France demeura réticente appliquer ce elle
avait voté ai alors réalisé que nous avions passé un marché de dupes et que la
départementalisation était une nouvelle forme de domination Si erreur il eut
elle fut collective. 28

La départementalisation toutefois dans esprit des intellectuels


martiniquais des années 1940 ne devait pas être perte identité Depuis
époque du journal Etudiant noir créé Paris en 1934 par un groupe
animaient Leopold Sedar Senghor Aimé Césaire et Léon-Gontran
Damas29 époque où idée de négritude émergeait comme rassemble
ment sur la base de appartenance une seule et même race noire
face Occident donc30 et par delà les contingences de histoire colo-

28 Entretien réalisé par Decraene le dec 1981 cf DECRAENE 1984)


29 Moins connu que Senghor et Césaire le poète guyanais Damas participa aussi
très activement la construction de idée de négritude
30 Dans une étude il consacre la négritude BL RALD 1981 29 insiste
sur le fait que le mouvement de 1934 tire sa raison être du dogme de identité
noire croyance qui exige dans un premier temps le rejet absolu de toutes les
conceptions occidentales
DU SCH LCHERISME AU MARRONNISME 299

niale la question de identité avait sans doute évolué31 mais en 1946


encore Césaire utilisait les armes miraculeuses du surréalisme pour
obtenir le jaillissement espéré du moi nègre Decraene 1984)
Le rôle joué par Césaire dans la mise en place de la départementa
lisation fait objet de nombreuses controverses et le débat sans doute
est pas entièrement clos Mais mon propos ici est pas de ordre de
cette polémique encore elle traduise finalement le problème de la
diversité de lectures dont tout fait historique peut être occasion32
en 1946 la question de identité ait été trahie comme certains es
timent ou elle soit simplement restée arrière-plan elle ne tarda
pas de toute fa on réoccuper le devant de la scène martiniquaise et
avec elle interrogation sur le passé en termes historicité est-à-dire
en tant que mode spécifique une société de se produire et être
sujet de son histoire
De ce point de vue deux voies peuvent être distinguées une part
de la négritude comme retour authenticité des origines africaines
autre enracine dans histoire coloniale
Dans le mouvement de la négritude au moins ses débuts histoire
reste présente mais est histoire avant la traite exclusivement
africaine ce qui veut dire ni européenne amérindienne et ressaisie
travers les travaux des ethnologues européens Frobenius notamment
Bastide 1967 219 montre que la négritude ainsi comprise correspond
avant tout un marronnage idéologique et ne peut faire référence
une Afrique mythique est là une première forme de mémoire
historique renouant avec un passé enfoui sous trois siècles de colonisa
tion un passé dont toutefois on ne cherche pas les marques dans la
mémoire collective qui se vit au présent mais que on reconstruit in situ

31 Pour BL RALD 1981 évolution fut radicale ..métamorphosée en


humanisme la négritude aspirait la collaboration des cultures Révolue la
période du refus absolu des apports de Occident
32 En fait est surtout au niveau du rapport la lutte des classes que Césaire est
attaqué BL RALD 1981 reproche la négritude être une mystifi
cation idéaliste de planer par-dessus les structures spécifiques de classes
issues des rapports coloniaux NIL 1981 72) qui pourtant participa
étroitement la revue Tropiques que Césaire fit paraître la Martinique pen
dant la guerre mais qui il est vrai fut aussi un des principaux animateurs de
Légitime défense dont les prises de position déjà fondamentalement
marxistes contre le fait colonial et assimilation étaient particulièrement
violentes écrit ce sujet ..les thèses politiques de la négritude ont été
élaborées de fa on explicite et consciente pour escamoter la lutte des classes
pour condamner le communisme et se concilier appui de la bourgeoisie indi
gène et de impérialisme Il faut toutefois noter que Ménil tire essentiellement
ses arguments de la lettre de démission que Césaire adressa au Parti communiste
en 1956 lettre qui marque indéniablement la rupture vis-à-vis de la stratégie
de la lutte des classes comme moyen émancipation des peuples colonisés mais
qui signe aussi acte de naissance de autonomisme tant au niveau de la
doctrine politique qui va donner naissance au Parti progressiste martiniquais
au niveau de la quête identitaire qui va passer de la négritude la singula
rité antillaise
300 MARIE-JOSE JOLIVET

en lui assignant unique fonction purement symbolique de rappeler la


grandeur des origines que le colon cessé de rabaisser et il paraît
désormais urgent de revaloriser
Par ailleurs chez Césaire en tout cas cette mémoire exclut pas celle
de la période coloniale avec toutes les horreurs de esclavage avec ses
héros aussi Toussaint Louverture bien sûr mais également Sch lcher

en arrive la plus belle uvre de Sch lcher Une uvre non écrite et pourtant
vivante Une uvre publiée par des milliers de visages et imprimée dans des milliers
de urs le 27 avril 1848 un peuple qui depuis des siècles piétinait sur les degrés
de ombre un peuple que depuis des siècles le fouet maintenait dans les fosses
de histoire un peuple torturé depuis des siècles un peuple humilié depuis des
siècles un peuple qui on avait volé son pays ses dieux sa culture un peuple qui
les bourreaux tentaient de ravir au nom homme ce peuple-là le 27 avril
1848 par la grâce de Victor Sch lcher et la volonté du peuple fran ais rompait ses
chaînes et au prometteur soleil un printemps inouï faisait irruption sur la grand-
scène du monde 33

Discours public dont le ton est sans doute pas indifférent atmos
phère de immédiat après-guerre ce texte de Césaire révèle bien le mode
attention alors porté au passé colonial Dans cette vision un peuple
qui piétinait sur les degrés de ombre ou relégué dans les fosses de
histoire semble être désigné ce que autres appellent infra-histoire
voire absence historicité On trouve néanmoins un élément qui
annonce le passage vers une nouvelle approche idée de irruption
sur la grand-scène du monde Contrairement autres pour qui aliéna
tion reste la trame principale de histoire antillaise depuis abolition
nos jours ou qui encore tel Glissant 1981 130-131 ne voient
dans histoire qui commence avec la traite que ruptures chocs contrac
tions explosions est-à-dire discontinuité impossible cerner non-
histoire par raturage de la mémoire collective Césaire voit en 1848
émergence un peuple désormais entièrement sujet de son histoire
esclavage il empêche reste la situation qui prélude cette
émergence La fuite dans le passé avant la traite vers laquelle tend la
négritude montre alors ses limites la revalorisation ne peut plus toucher
seulement les vieilles civilisations africaines il faut elle touche encore
le passé plus récent où se joue le réenracinement en terre américaine Et
partir de là impose la nécessité une autre mémoire historique
Dans un premier temps des héros comme Toussaint Louverture
Dessalines Delgrès... semblent suffire haïtiens ou guadeloupéens ils
appartiennent tous Puis vient un moment où affirmation de la singu
larité martiniquaise paraît souffrir de absence de héros propres propos
de la fête de la Caraïbe dite Carifesta créée en 1976 dans le but une

33 Extrait du discours prononcé par Césaire le 21 juillet 1945 jour de la Saint-


Victor traditionnellement consacré la mémoire de Sch lcher SAIRE
1978)
Dû SCH LCHERISME AU MARRONNISME 301

célébration commune des héros antillais Glissant 1981 135 écrit

La communion populaire consacrait là de manière spectaculaire et massive ce qui


avait alors été un rêve intellectuels En ce sens la Carifesta faisait
passer dans la conscience de tous la pulsion de quelques-uns
Une publication pamphlétaire de la Martinique fait en 1979 reproche aux
intellectuels séparatistes de ce pays de nourrir un complexe de Toussaint
est-à-dire de tenter de compenser par adoption des héros autrui absence en
Martinique même un grand héros populaire Et il est vrai que cette absence
contribue frapper une collectivité un manque-a-vaincresi paralysant

Comme on le voit on en est ici une étape ultérieure de la quête


identitaire retrouver union mais caraïbe est-à-dire exclusivement
inscrite en Amérique par delà la singularité Néanmoins le problème
des héros est posé et auteur en dit encore ibid 136

Toussaint Louverture est un marronneur de la même espèce allais dire de la


même race que le plus obscur et le plus méconnu des Nègres marrons de Fonds-
Massacre en Martinique Il agit du même phénomène Mstoriques Et est parce que
le peuple martiniquais pas mythifié les défaites de ses Nègres marrons mais les
entérinées purement et simplement il lieu encore hui argumenter
autour de Toussaint

apologie du marronnage peut alors se substituer apologie du


héros traditionnel est ce marronnisme que certains reprochent
Glissant Pour lui le marronnage est pourtant que une des deux
formes de la résistance populaire la première qualifiée de coutumière
étant organisation une économie de survie et important est
sans doute davantage dans son non-aboutissement36 son impossible
inscription dans la mémoire collective
On remarquera cependant que glorieux ou obscurs les nègres
marrons sont plutôt appréhendés comme héros singuliers que comme
collectif même il agit un groupe est la ran on de cette lutte
en forme éclats et est pourquoi la médiation du mythe comme
trame jouant le rôle de continuum peut apparaître autant plus
nécessaire leur éventuelle résonance identitaire37 En revanche dans la
construction du héros collectif ce est plus au mythe de jouer ce rôle
est histoire

34 Souligné par auteur


35 Souligné par auteur
36 Ainsi la résistance ne manqua pas mais ses prolongements furent par force
incertains elle ne permit jamais éclosion de la nation GLISSANT 1981 yi)
37 On peut noter par exemple que la légende construite autour du personnage de
Beauregard entre 1942 et 1949 depuis les mornes où il était réfugié comme
les marrons antan il nargua la gendarmerie qui le recherchait pour un délit
dont un béké accusait fait de ce rebelle un héros positif toujours présent
dans la mémoire des Martiniquais Récemment un film est ailleurs venu
consacrer le héros
302 MARIE-JOSE JOLIVET

Les événements du 22 mai 1848 constituent très précisément occasion


de construire ce héros collectif Mais il est pas facile en retracer le
déroulement tant ils prêtent lectures passionnelles troubles émeutes
révolte révolution... déjà les mots pèsent bien au-delà de leur sens quand
il agit simplement de nommer cette journée totalement ignorée par
histoire officielle38 Que se passa-t-il ce 22 mai Les faits en eux-mêmes
ont en occurrence beaucoup moins importance que les interprétations
dont ils sont hui objet et qui placent la question sur le terrain
de historicité Je réduirai donc exercice périlleux en absence de
recherches historiques personnelles de leur relation au strict minimum
celui des éléments sur lesquels tous accordent peu près
Les événements proprement dits commencent au matin du 22 mai
dans la région de Saint-Pierre au nord de île Un témoin39 parle un
grand mouvement populaire auquel participent tous les esclaves des
ateliers qui entourent la ville Ils veulent la libération de un entre eux
un planteur fait emprisonner esclave est libéré mais le mouvement
ne arrête pas et le soir dans le proche bourg du Prêcheur et au ur
de Saint-Pierre il prend la forme violente une émeute au cours de
laquelle des hommes sont tués On parle désormais émancipation
immédiate40 Le 23 mai des esclaves se rassemblent également Fort-de-
France Alors dans la soirée le gouverneur décrète abolition en ces
termes

Considérant que esclavage est aboli de droit et il importe la sécurité du


pays de mettre immédiatement exécution les décisions du Gouvernement de ta
Métropole pour émancipation générale dans les colonies fran aises Arrête
esclavage est aboli partir de ce jour la Martinique
Le maintien de ordre public est conné au bon esprit des anciens et des
nouveaux citoyens fran ais 41

Au niveau des faits eux-mêmes importance imputable aux initiatives


respectives des esclaves du conseil municipal de Saint-Pierre et du
gouverneur dans la promulgation sans délai du décret abolition varie
selon les sources Nul ne saurait nier toutefois que le grand mouvement
populaire de Saint-Pierre en ait été le facteur déclenchant Mais
partir de là les interprétations divergent cette page histoire se prête
en effet tout particulièrement élaboration de représentations aussi
opposées que le sont les postures identitaires des Martiniquais au moment

38 Mais non pas par Sch lcher qui est le premier avoir intégré cette journée dans
sa relation des faits
39 Cité par ELISABETH 1983 59)
40 Le conseil municipal de Saint-Pierre formule alors en ce sens une demande au
gouverneur de la colonie
41 Journal officiel du 24 mai 1843 ELISABETH 1983 76)
DU SCH LCHERISME AU MARRONNISME 303

où ce passé est exhumé fin des années 1960) moment qui est évidem
ment pas le produit du hasard le système de la plantation est alors en
pleine crise..
Sans parler des lectures minimales du 22 mai attachant inscrire
dans le cadre déjà vu des représentations sch lchéristes citons plutôt
en premier lieu Camille Darsières secrétaire général du Parti progressiste
martiniquais PPM et dauphin de Césaire Son livre illustre une des
lectures nationalistes du 22 mai Il est que de lire les premières pages de
son introduction pour saisir la motivation de son propos 1974 11-12
..durant 122 ans nous avons célébré le 27 avril en tant que journée de libération
de esclave tout bonnement parce que ce jour-là en 1848 fut signé Paris ... le
décret qui ... déclarait esclavage entièrement aboli ...]
Durant 122 ans nous avons admis et répété que sans ce décret uvre essentielle
du démocrate Victor Sch lcher Nous Martiniquais serions demeurés dans les
fers vils meubles objets de commerce sans patrimoine comme sans âme Et nous
avons été tentés sur le moment de transmettre aux générations qui en eussent été
confondues de reconnaissance que Sch lcher était le libérateur exclusif
Durant 122 ans comme corollaire nous avons considéré nos ancêtres de 1848
comme passifs masse résignée poursuivre enfer de enterrement physique
social moral.

Et Darsières de citer ensuite le discours prononcé par Césaire en tant


que maire de Fort-de-France le 22 mai 1971 occasion de inauguration
une statue de la liberté et une place du 22-Mai discours dont une
phrase notamment éclaire le sens de entreprise ibid 12

..voilà événement que nous célébrons hui ... une liberté non pas
octroyée mais arrachée de haute lutte une émancipation non pas concédée mais
conquise et qui enseigne tous et abord aux Martiniquais eux-mêmes que il
est vrai que la Martinique est une poussière il cependant des poussières habitées
par des hommes qui méritent pleinement le nom hommes*2 Et cette assurance
voyez-vous est de celles qui nous autorisent regarder le présent avec plus de
fermeté et toiser avenir avec plus insolence

Est ici livré un des principaux uds du problème de identité en


Martinique dans le rapport présent la situation première esclavage
Darsières ibid 31 ne parle-t-il pas de empreinte ineffa able de escla
vage Et il est un Frantz Fanon 1952 pour écrire en conclusion
de Peau noire masques blancs
Je ne suis pas prisonnier de Histoire Je ne dois pas chercher le sens de ma
destinée ... Je ai pas le droit de me laisser engluer par les déterminations du
passé Je ne suis pas esclave de Esclavage qui déshumanisa mes pères

attitude reste rare Il semble-t-il43 peu de Martiniquais pour qui

42 est moi qui souligne


43 Sans doute ne agit-il que une appréciation portée de extérieur mais
hypothèse le mérite éclairer la cohérence attitudes apparemment
contraires
304 MARIE-JOSE OLIVET

esclavage ne constitue pas toujours et encore le drame conscient ou


inconscient des origines une sorte de péché il convient de racheter
est en ce sens il faut comprendre et la fuite dans assimilation ou
dans la négritude européanité ou africanité exclusives permettant
dans leur inversion le même oubli du temps honni de la rencontre
et la nécessité de la référence un héroïsme partir duquel ressaisir le
passé
Certains tel Ménil 1981:52) en font analyse en termes de contre-
mythologie expression de la réaction la mythologie coloniale sans
différenciation

Dans la crise actuelle de nos sociétés en mal de décolonisation les Antillais sont en
quête une haute ascendance historique de grands héros du passé des morts
vénérables ... Poètes romanciers critiques historiens antillais évoquent ombre
des Ancêtres pour ils revivent dans les Antillais aujourdhui les Marrons
Toussaint Louverture ... les Insurgés de 1848 ...] etc Et pardessus espace et le
temps antillais Ombre des ombres Afrique mère des Origines
Cette mythologie ... est pas autre chose que la recherche polémique une
nouvelle paternité et donc une identité nouvelle qui puisse être le fondement de la
foi des Antillais dans leur destin

De son côté de Lépine 1978) qui répond plus directement


Darsières et dont le propos est plus immédiatement politique que celui
de Ménil stigmatise cette obsession des origines En ancien communiste
exclu de son parti en 1971 mais demeuré marxiste il reproche Darsières
une conception trop utilitariste de histoire et propose une approche
beaucoup plus globale du phénomène abolition Mais surtout il souligne
ibid 137 le point crucial de cette construction identitaire autour de
apologie du 22 mai comme révolution ayant arraché abolition44

Les esclaves guadeloupéens réunionnais guyanais dominicains sainte-luciens


barbadiens trinidadiens jamaïcains ou cubains sont-ils donc moins dignes de notre
admiration que les insurgés de Saint-Pierre parce que leur libération été le résultat
immédiat une décision de leurs métropoles et non une insurrection victorieuse

En réalité de Lépine entend développer une idée plus caraïbe que


martiniquaise et est pourquoi il inscrit son argumentation dans un
contexte plus large historiquement et géographiquement Pour lui
insurrection du 22 mai est indissociable de la Révolution de février 1848
une part de ensemble des insurrections qui ont soulevé la Caraïbe
durant les décennies précédant abolition autre part Et dans un tel
dispositif le recours héroïsme devient inutile Pourtant ce recours

44 Mais il préalablement signalé le panache et le sens de initiative historique


PINE 1978 4i des insurgés qui ses yeux révèlent en occasion la force
que constitue la classe des esclaves
DU SCH LCHERISME AU MARRONNISME 305

prend son sens dans la construction une mémoire historique popu


laire 45 il faut alors comprendre dans son rapport la mémoire
collective

Mémoire historique mémoire collective

II serait absurde de prétendre apporter une conclusion au problème de


identité aux Antilles problème dont on vu il est au ur de toute
interrogation sur la mémoire et sur histoire mais qui ce point de la
réflexion appartient avant tout ceux qui en sont les acteurs directs
Il est cependant un niveau auquel anthropologue pourrait utilement
intervenir celui du mode habituel approche de la mémoire collective
dans la réflexion antillaise Quand Glissant 1981 131 parle de ratu
rage de la mémoire collective quand de Lépine 1978 13 parle de
tragique amnésie collective pour désigner cette même mémoire
autres décrivent la question en termes de vide culturel 46 et par là
même vont au bout de cette logique Car existence une culture
sans mémoire collective est difficilement concevable moins que de
rejeter entièrement la culture dans inauthenticité du folklore 47 ce
dont précisément se garde bien un auteur comme Glissant qui au
contraire ur de débusquer la folklorisation
une certaine manière ce problème nous ramène au vieux débat
engagé par Herskovits dans les années 1940 aux tats-Unis pour la
défense des africanismes comme résistance culturelle esclavage
face aux théories plus intégrationnistes du vide Mais la situation
martiniquaise peut paraître plus grave encore puisque aux ravages de
esclavage sur africanité constitutive ajoutent les ravages de assi
milation sur les tentatives post-esclavagistes de reconstruction identi
taire Est-ce dire que assimilation imposé sa loi et que aux Antilles
ou en Guyane les sociétés créoles sont devenues de pures sociétés
occidentales
Tout observateur un peu attentif de la réalité socio-culturelle dans
ces pays sait évidemment il trouve des manières être et des
pratiques impossibles réduire la dimension un folklore exotique Là

45 Et de Lépine le sait bien puisque dans son livre il accuse précisément le


PPM de national-populisme
46 Hospice citée par GLISSANT 1981 214 Régression et stagnation de
économie colonisée extermination culturelle oppression et domination poli
tique ont bloqué et figé les mécanismes et processus internes enrichissement
de la pratique collective la sédimentation de ses traditions la construction de
son histoire Ce vide culturel est un atout maître des forces coloniales.
47 Le mot étant pris ici non pas au sens propre que lui donnent les ethnologues
mais au sens dérivé et péjoratif de la langue commune
MARIE-JOS JOLIVET

se tisse la trame parfois ténue mais toujours présente une véritable


mémoire collective au sens que définit Halbwachs 1951 1975) est-à-
dire accrochée des réalités vivantes lesquelles en occurrence ont nom
par exemple créole la langue) mais aussi quimbois 48
Il faut noter que si ces dernières années la langue créole fait objet
un mouvement de revalorisation particulièrement vigoureux et appa
remment assez efficace en revanche les pratiques magiques qui certes
surtout aux Antilles49 ont pas besoin être revalorisées tant elles
demeurent prégnantes occupent pas dans les réflexions sur assimi
lation et aliénation une place correspondant leur poids réel50 Mais la
magie est le lieu de bien des ambivalences et ceux-là mêmes qui se pla ant
un point de vue plus anthropologique voient dans ces pratiques le
ur vivant de la culture antillaise sont souvent ceux qui ont pris les
plus grandes distances vis-à-vis elles
En fait le rapport de la mémoire historique la mémoire collective
est contradictoire Dénoncer le raturage ou amnésie est avant tout
déplorer que la mémoire collective ne soit pas ce on voudrait elle
soit est-à-dire cette mémoire historique que on fait hui
surgir de ombre où la rejetait histoire officielle Dénoncer les contre-
mythologies et dire en même temps que

Nos historiens ne parviennent pas constituer de notre passé un film continu Ce


qui nous est offert ce sont des visions fugitives lacunaires isolées au mieux des
chroniques 1823 Bissette 1834 la Grande Anse 1848 la révolte des esclaves et
abolition de esclavage 1870 insurrection du Sud etc.51 Ménil 1981 45)

dévoile bien la contradiction laquelle est nécessairement confronté


celui qui au-delà des temps forts on lui restitue enfin doit encore
assumer les interstices cette quotidienneté de la situation esclavage et
de la vie sur la plantation où est précisément tramée la mémoire
collective
Une mémoire historique glorieuse une mémoire collective hon
teuse telle risque de devenir la nouvelle donne en cette phase où la
hiérarchie des valeurs intériorisée au cours de trois siècles de domination
occidentale est en train de vaciller non plus seulement pour quelques-uns
comme aux premiers temps de la négritude mais pour une population
de plus en plus large Le problème serait alors de savoir comment réconci
lier ces deux mémoires comment les incorporer en un seul et même
ensemble où les interstices viennent étayer les temps forts au lieu de
paraître les contredire

48 Désignation des pratiques de sorcellerie la Martinique


49 Elles sont indéniablement moins omniprésentes chez les créoles guy anais
50 Le récent ouvrage de MIGEREL 1987) consacré la magie antillaise en
France ouvre peut-être la voie autres réflexions
51 auteur ne signale là que les temps forts de la résistance esclavage ou aux
planteurs
DU SCH LCHERISME AU MARRONNISME 307

Par ailleurs la tentation de inversion demeure grande elle est en


prise directe sur la réaction naturelle des gens Une jeune fille explique

arrêté
histoire
de nous
du tromper
22 niai On nousfaitdit
comprendre
est Sch lcherécole
qui vous
et partout
donnéon
la liberté
pas
était pas vrai est-ce il fait Sch lcher Simplement mettre sa signature
en bas un bout de papier abolition de esclavage est nous personne autre
... Il aurait fallu ils le disent avant Maintenant on ne peut plus rien croire
Tout est faux Tout ce on nous appris école Et même les parents parce
que les parents croyaient tout ce que disaient les Blancs 52

Ce discours montre que la perte de confiance peut étendre de proche


en proche reproduire un autre niveau cela même on entend
corriger Cette jeune fille en arrive-t-elle pas reprocher ses parents
une crédulité et une soumission elle vient tout juste apprendre ne
plus reprocher aux esclaves antan
Et il est vrai que la génération socialisée au temps de assimilation
triomphante ne pouvait transmettre une mémoire forcément marquée
par cette situation Mais cette même génération pour qui nègre marron
demeurait synonyme de bandit et qui voyait en Sch lcher le grand
libérateur était évidemment capable autant de résistance que les
générations antérieures Il est pour le comprendre que étudier
certains moments histoire récente telle la constitution au cours des
années 1960-1970 du quartier de Volga-Plage la périphérie de Fort-de-
France la normalisation progressive de cet ancien bidonville pu se
faire partir des luttes et de la vigilance sans relâche de ses habitants
longtemps menacés expulsion par les pouvoirs publics Et cet exemple
est pas isolé..

Pour terminer peut-être faut-il insister sur toute importance que revêt
le contexte économique et socio-politique dans le devenir de ces mémoires
Déjà la fin du système de la plantation la montée corrélative de éco
nomie de transferts induite par la départementalisation et toute
évolution sociale par là même impliquée ne sont pas sans rapport avec
émergence des deux processus de revalorisation évoqués un concernant
certains éléments de culture traditionnelle nés un monde hui
en disparition celui de la plantation dont on peut désormais revendiquer
acquis culturel dans la mesure où il se trouve enfin débarrassé de sa
charge de misère autre concernant certains pans histoire coloniale

52 Entretien effectué Fort-de-France en 1982 La jeune nile qui parle alors


17 ans Elle est en classe de troisième Sa mère fait des ménages son père est
man uvre
308 MARIE-JOS JOUVET

et travers eux enjeu une identité moderne Cette relation étroite


et nécessaire vient rappeler que la contradiction entre la mémoire collec
tive et la mémoire historique est aussi le produit une situation évolu
tive du rural vers urbain notamment qui en modifie peu peu les
termes En ce sens il faut envisager que viendra inéluctablement efface
ment de certains éléments de mémoire collective peu peu obsolètes
faute de support vécu et que cet effacement dès lors libérera la mémoire
historique de la nécessité de se focaliser sur inversion qui la guide
hui Ce est sans doute une question de temps Mais le
problème sous-jacent de identité peut-il attendre

Paris ORSTOM

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