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Romantisme

L'Écriture sur l'art et le mythe de l'union des arts


Mme Marie-Claude Genet-Delacroix

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Genet-Delacroix Marie-Claude. L'Écriture sur l'art et le mythe de l'union des arts. In: Romantisme, 1990, n°69. Procès
d'écritures Hugo-Vittez. pp. 15-28.

doi : 10.3406/roman.1990.5666

http://www.persee.fr/doc/roman_0048-8593_1990_num_20_69_5666

Document généré le 20/10/2015


Marie-Claude GENET-DELACROIX

Ecriture sur l'art et mythe de l'union des arts

« Le romantisme réinterprète la doctrine académique en exaltant une " union


des arts " fondée à la fois sur la théorie des " correspondances " entre microcosme
et macrocosme et sur la pratique des synesthésies. » l Cette exaltation de l'union
des arts, que le XIXe et le XXe siècles ont acceptée à la suite du romantisme,
pose le problème du rapport entre art et écriture. Si union il y a, pourquoi
reviendrait-il à quelqu'un d'autre que le peintre ou le sculpteur d'écrire sur son art ?
Pourquoi des critiques, des écrivains d'art, des historiens d'art, en un mot des
professionnels de l'écriture sur l'art ? Comment l'artiste qui n'a pas choisi l'écriture
comme mode d'expression privilégié réagit-il face au pouvoir de l'écriture ? Ce
problème semble n'avoir été abordé que très récemment par des historiens d'art
perspicaces, comme Dario Gamboni, bien qu'André Chastel ait attiré l'attention
sur l'importance du discours sur l'art 2 : entendons ici le discours et son rôle dans
le processus même de la création artistique, et non le discours critique ou de
jugement de goût, qui renvoie à l'esthétique plutôt qu'à la création artistique 3.
Nous allons examiner ce problème en suivant Paul Valéry, qui a lucidement
analysé la domination de la littérature sur les autres formes de création artistique :
avec lui, nous verrons que, du fait de la disparition de l'idéal classique et de l'unité
rhétorique qu'il induit, il y a une crise de la représentation (et donc de sa
signification) en art 4 qui rend l'artiste dépendant des professionnels de l'écriture. Nous
verrons ensuite comment ceux-ci s'approprient le sens de l'œuvre artistique, à la fois
dans un but de création littéraire et de domination sociale. Enfin, nous verrons
comment les artistes réagissent, à la fois pour se réapproprier le sens de leur
œuvre et pour imposer eux-mêmes une définition de leur rôle et de leur statut
social ; nous prendrons cette fois l'exemple de deux artistes nés avec la Ille
République, le peintre Maurice Denis (né en 1870) et le sculpteur Paul
Landowski (né en 1875) qui nous ont, l'un et l'autre, laissé un journal
particulièrement révélateur.

A la lecture des textes du XIXe siècle 5, une impression d'ensemble se


dégage : la pensée semble osciller perpétuellement entre deux pôles, à la fois
contraires et indissociables. D'un côté, une ouverture aux changements, aux
renversements de la conjoncture, à la modernité des faits et des idées ; de l'autre, au
contraire, une crispation archaïsante, ancrée dans les profondeurs, une fermeture, un
immobilisme apparent, tantôt agissant comme un simple frein, tantôt glissant
dans l'irrationnel jusqu'à se muer en une véritable métaphysique. Les
circonstances, les expériences individuelles, les personnalités mettent en avant l'un ou
l'autre de ces aspects : la dualité persiste toujours.
16 % Marie-Claude Genet-Delacroix

Aussi bien le génie et la personnalité de l'artiste sont-ils au premier plan du


discours sur l'art, sans qu'il soit possible d'introduire une référence à une norme
centrale. Paul Valéry 6 laisse percer son désarroi devant ce phénomène qu'il
analyse, non sans morgue, avec une finesse qui justifie la longueur de la citation :

Aux époques classiques (antique, XVTIe siècle), on croyait principalement à la


possibilité de l'arbitraire. On ne pensait pas - généralement - que tout fût
déterminé, partiel ; [...] Alors, on mettait des lois, on construisait a priori une
similitude entre l'œuvre d'art et le fait naturel considéré comme produit du fatum
ou bien de la prescience et puissance divines.
La situation est renversée. Pas de volonté arbitraire, que subordination infinie
de lois impersonnelles. Alors, le fragment le plus quelconque de l'œuvre la plus
quelconque appartient forcément au grand mécanisme [...] Réalisme. Vitalisme.
Naturisme, enfin toutes les hérésies. Alors aussi, à quoi bon composer ? C'est
faire inutilement des faux. On ne sent plus la composition parce qu'on veut ou
on croit sentir la liaison de n'importe quoi avec Tout [...]
Aujourd'hui, il faut se résoudre à la personnalité - sacrée... ! Qui voudrait
s'incliner - et pourquoi ? - devant une régulation ? [...] L'égalité, qui est un
sentiment, aboutit à supprimer ce qui fut commun à tous les hommes. Mort de
la critique pour cause de talent et d'indiscipline 7.

Certes, il n'y a pas de substitution brutale d'un mode de pensée à un autre :


une évolution lente, progressive, des emprunts, des décalages dans les références
conceptuelles et dans leur utilisation, des transferts de notions et de concepts
effectués plus ou moins vite, plus ou moins intensément ou rationnellement. . .
D'où ce paradoxe : l'absolutisme érigeait un cadre, une structure externe apparente
et monolithique à laquelle chaque individu devait se conformer et par rapport à
laquelle toute distance était signifiante, du moins pour tous les créateurs et les
amateurs cultivés. Au contraire, avec le XIXe siècle, chaque individu tend à
devenir son propre absolu : l'expérience vécue et ressentie, la réalité historique
sont intériorisées par des processus qui créent un ordre transcendant pensé par
chacun comme absolu et qui détermine le regard, la perception, le raisonnement et
l'inspiration d'une nouvelle forme d'expression 8.
Les artistes, comme d'ailleurs l'intelligentsia tout entière, se montrent
particulièrement sensibles à ces pensées dogmatiques. Et, là encore, Valéry offre une
analyse très fine du phénomène. Pour lui, dans la poésie et la peinture classiques,
la valeur de l'œuvre naît de la distance entre l'idée initiale et l'expression finale :
elle doit être la plus grande possible, fruit d'un travail intellectuel de l'artiste qui
suscite en retour le travail de la sensibilité et de l'émotion du spectateur ou de
l'amateur. Ce double travail de pensée (penser et repenser, dessiner et redessiner,
construire et reconstruire) suppose une communication et une compréhension qui,
à leur tour, impliquent un idéal de perfection et d'harmonie entre l'homme et la
nature, l'ordre céleste et l'ordre social, pensé comme une donnée immuable et
éternelle. Cet idéal a volé en éclat avec la Révolution française : l'individu devient
la mesure et le critère du nouvel ordre des choses et du monde, de la société et
donc de la représentation même de cet ordre, pensé comme action, travail et
création en devenir.
L'art ne vise donc plus à l'expression de cet idéal de perfection, mais ce sont
bien plutôt la singularité et l'originalité qui expriment l'unicité de l'individu que
l'on recherche, copie, reproduit, exprime. La nouvelle valeur esthétique réside dans
L'écriture sur l'art 17

l'expression de la singularité de l'émotion ressentie et traduite par le créateur, en


fonction de son intensité et de sa nature. Le romantisme inaugure cette ère
nouvelle de l'expression esthétique : d'idéal à la fois transcendant et objectif, l'art est
devenu expression immanente et subjective d'un idéal qui lui reste extérieur et qui
est défini et légitimé en fonction des nouveaux principes politiques et juridiques
issus de la Révolution 9.
Nombreux sont les artistes qui ont senti ce basculement et, qu'ils soient
peintres ou musiciens (pensons notamment à Liszt 10), expriment leur dégoût
pour cette société et l'art qu'elle les oblige à produire. La haine du bourgeois et
des « Philistins » est un lieu commun u. L'artiste, pour retrouver l'espérance et
fonder la légitimité de sa mission et de sa fonction sociale, s'invente un nouvel
idéal, qui n'est plus de servir Dieu, l'Eglise ou la grandeur du souverain, mais
l'Homme, l'Humanité, la Société. Il place ainsi une foi nouvelle dans la vérité
profonde de l'art, qui a pour mission de révéler à la conscience humaine la
grandeur et la beauté de l'esprit et de la civilisation dans une conception moderne
du devenir de l'humanité 12.
Mais l'artiste n'est pas maître de son territoire. D'un côté, il se heurte à ces
écrivains et à ces intellectuels qui dominent le marché de l'art, parce que leur
position de professionnels du savoir en matière d'art et particulièrement en matière
d'histoire de l'art y est reconnue. De l'autre, il doit s'incliner devant la suprématie
de la science pour tout ce qui est découverte, observation, et représentation de la
nature 13. Enfin, il doit affronter les réalités de la production artistique, dominée
par deux puissances qui, quoique concurrentes, sont en réalité complémentaires :
le système des Beaux-Arts M et le marché de l'art 15.
Dans un tel combat, l'artiste se voit seul, isolé, vulnérable. Or, il n'est pas
besoin ici d'une analyse du statut social de l'artiste 1б pour savoir qu'il est en
général issu de la petite bourgeoisie urbaine artisanale et commerçante, et que son
instruction dépasse rarement le niveau primaire, ce qui contribue évidemment à
rendre d'autant plus difficile son ascension sociale. Trois stratégies, commandées
par son attitude à l'égard du système des Beaux- Arts et du marché de l'art 17,
s'offrent à lui : s'exclure volontairement de l'un et de l'autre, pactiser avec tous
deux, ou encore accepter le système des Beaux-Arts en refusant la tyrannie de la
mode et du goût (c'est-à-dire du marché). La première consiste à se réfugier dans
l'art, à intérioriser ses forces individuelles, son ambition de gloire et d'honneur,
son besoin de réussite sociale. Stratégie risquée : à moins d'être rentier ou
propriétaire, il faut bien vivre de son métier. La seconde admet le compromis, voire la
compromission. La troisième conduit l'artiste à se faire lui-même théoricien, à
conceptualiser son art et sa propre esthétique sans faire de concession au goût des
amateurs ou à la critique, mais en construisant et en développant son propre
circuit parallèle, intégré cependant au marché de l'art (contrôlé par les professionnels)
tout comme au système des Beaux- Arts (contrôlé par l'Etat).
Remarquons que les deux monopoles semblent être en contradiction avec
l'affirmation politique et juridique des droits de l'individu : la reconnaissance de la
propriété de l'artiste sur son œuvre et son droit moral sur sa création artistique
n'interviendront qu'après de multiples péripéties au début du XXe siècle 18. C'est
dire que la liberté de l'art s'oppose à celle de l'artiste 19, et cette opposition est au
cœur du discours sur l'art et des polémiques qui l'alimentent. A ce stade, le rôle
dévolu à l'écriture est évidemment central : elle conditionne non seulement le ju-
18 Marie-Claude Genet-Delacroix

gement porté sur l'œuvre, mais aussi sur sa valeur esthétique, historique ou
vénale20.
Aussi faut-il comprendre la fonction particulière assurée par le discours sur
l'art en tant qu'instance de jugement dans le système des Beaux-Arts et dans le
marché. Dans la mesure où la responsabilité du jugement n'incombe plus à
l'artiste lui-même mais au professionnel du discours, il faut s'attendre à ce que ses
critères glissent d'une appréciation technique sur la conception ou la méthode du
travail artistique à une recherche de la conformité aux normes discursives (respect
d'un style) ou aux normes esthétiques (respect d'un goût). L'œuvre est dès lors
perçue moins en objet concret, fruit d'une technique précise, qu'en objet
conceptualisé comme produit d'un travail rhétorique et idéologique.
« L'œuvre d'art nomme sans concept », et donc « l'artiste est celui qui
nomme sans concept » 21 : ces deux belles formules de Jacques Thuillier ouvrent
de vastes perspectives à l'historien d'art ; « puisqu'il dispose du discours
conceptuel [...] il a pour lui ce privilège : l'écriture ». Muet, inconscient, irresponsable,
l'artiste, ce mineur, est livré aux docteurs, aux exégètes, qui s'érigent ainsi en
tuteurs. Sans doute ne se substituent-ils pas au créateur, mais ils se réservent la
création de l'essentiel, la valeur, qui naît de leur jugement. Thuillier le dit en
clair : « l'historien d'art ne saurait conduire sa recherche sans le sentiment qu'elle
est par elle-même créatrice de valeurs ».
« Qui », en effet, « dans ce champ immense de la création non conceptuelle,
a pour charge de maintenir les significations ou de les restaurer dans leur première
évidence ? ». Question fondamentale, susceptible de multiples réponses, en
fonction des ambitions théoriques de ceux qui étudient l'art et la création
artistique : Dario Gamboni en a fait récemment une remarquable synthèse. Mais
ce qui est ici central, c'est le rôle spécifique de « l'exercice du jugement
normatif», à l'étude duquel l'historien d'art affirme avoir provisoirement
« renoncé » 22. Or n'est-ce pas - on vient de le lire sous la plume de J. Thuillier
- du jugement que naît la valeur de l'œuvre ? Quelle forme (critique ? rhétorique ?
théorique ?) revêt-il alors ? Quels critères et quelles références en fondent-ils le
sens, et quelle vérité atteint-il ?
Si l'invention révolutionnaire de « l'unité des arts » scelle l'unité des créateurs
et inaugure l'ère du Romantisme au XIXe siècle, elle divise beaucoup plus qu'on
ne le pense les artistes et restaure entre eux, mais d'une autre façon, une hiérarchie
fondée sur le style, et où l'image et les techniques de représentation sont l'enjeu
du sens et de la valeur. Le style devient une fin en soi alors qu'il n'était qu'un
moyen d'expression pour l'artiste classique : il s'est substitué au modèle idéal, et
devient à son tour un modèle que l'on peut reproduire grâce à une pédagogie
adéquate. L'esthétique du XIXe siècle découle de l'imitation du style de David, que les
modèles de nus, d'antiques, de sujets (sous forme de plâtres, gravures, puis
photographies) répertoriés, classés par thèmes et degrés de difficulté à l'Ecole des Beaux-
Arts, permettent d'acquérir en corrigeant sa manière et en perfectionnant son style.
Les artistes ainsi préoccupés de donner « du style » à tout ce qu'ils représentent
en fonction de leur manière et de leur goût n'expriment plus rien.
Ecrivains et critiques s'inquiètent de ne plus ressentir devant l'œuvre d'art
l'émotion inspirée par le spectacle de la nature ou par l'expérience affective dont
ils recherchent la représentation : désir conforme à la nouvelle rhétorique du
sentiment exprimée par les Romantiques et que, le premier, Stendhal a voulu forma-
L'écriture sur l'art 19

User en prenant les Beaux-Arts pour modèle °. Préfigurant les techniques de la


psychanalyse, Stendhal a tissé une nouvelle logique de représentation où l'image
est à la fois sujet du souvenir (à décrire) et objet de la connaissance de soi (à
découvrir). L'innovation littéraire réside également dans sa mise en scène de l'image
de soi qui découle de sa conscience - nouvelle pour l'époque - du rôle que joue le
regard d'autrui dans l'identification personnelle. L'intersubjectivité de la
représentation de soi ainsi décrite par Stendhal comble son désir de création que les formes
vides de la rhétorique ne pouvaient satisfaire : c'est sa manière d'être romantique et
d'être artiste (et non d'être un artiste) 24.
Dans les feuilletons critiques consacrés aux deux Salons de 1824 et 1827,
rupture essentielle dans l'histoire de l'art du XIXe siècle 2S, il cherche à formuler
les nouveaux principes de jugement et de goût qui doivent définir le Romantisme
comme l'expression achevée de l'individualité : il voit dans le jugement de
l'opinion publique le moyen radical d'écarter les ennuyeuses convenances du
classicisme et de l'académisme. De la sorte, une relation étroite est établie entre la
création et le goût, entre le créateur individuel et le public, entre l'artiste et la
société. Plus tard, pour la génération réaliste, Emile Zola, disciple de Taine en la
matière, va plus loin encore, faisant du tempérament individuel du créateur la
source même de la création : « l'œuvre est un coin de la création vu à travers un
tempérament » M. Le jugement est encore plus crucial. Mais l'expression de ce
jugement est du même coup une affaire de professionnel : il devient presque
l'objet d'une science, avec sa méthode et son système de référence, l'œuvre de
l'artiste devenant le plus souvent un prétexte ou un faire-valoir 27.
Entre les deux, Balzac a réduit l'artiste plasticien au rôle d'imitateur et de
copiste des modèles de représentation créés par les écrivains. Ecrivant Le Chef-
d'œuvre inconnu, commandé par Jules Janin pour la revue L'Artiste M, il entendait
valoriser la nouvelle conception romantique de l'artiste. Ne prétendant faire
connaître ni ses goûts ni ses jugements, il donne à voir les techniques du travail
artistique pour en dénoncer le caractère illusoire et mieux faire ressortir la capacité
exclusive de l'écrivain et de la littérature à atteindre la vérité de représentation.
L'affrontement des peintres aboutit au triomphe de l'écrivain, personnage
implicite qui s'accomplit dans et par le roman lui-même : le peintre reste un artisan qui
trouve la vérité de son art dans le travail de la matière ; seul l'écrivain atteint à la
représentation absolue. Pour Balzac, l'artiste ne peut plus vivre sans échouer ou
se compromettre dans une société bourgeoise et industrielle d'où artisanat et
système corporatif ont disparu a.
Romanciers et artistes plasticiens apparaissent donc comme rivaux ; peintres
et poètes seraient plutôt complices. Il est vrai qu'il s'agit ici non plus de
reconstruire pour représenter, mais de sentir. Baudelaire en déduit que ni le poète ni
l'artiste n'ont à se conformer à des règles de pure convenance sociale : la vérité de
l'art, en soi, est morale. Mais cette complicité ne va pas sans ambiguïté, et
Courbet et Delacroix le ressentiront vivement. D'une certaine façon, Baudelaire
critique d'art « invente » l'art de Delacroix comme poésie, transposant l'invention
picturale en recherche poétique : mais Delacroix, qui a lui-même constitué son
système des arts, est irrité devant les textes de Baudelaire qui ne lui paraissent pas
rendre compte de son projet créateur. Pour la même raison, Baudelaire se brouille
avec Courbet 30. Les couples Mallarmé-Redon et Mallarmé-Degas sont tout aussi
ambigus 31.
20 Marie-Claude Genet-Delacroix

Dans ce contexte d'incertitude esthétique, qu'ils le veuillent ou s'en défendent,


tous les artistes sont conduits à s'interroger sur la nature de leur travail créateur, et
donc sur sa valeur, car le génie individuel est devenu la fin de la création, alors
qu'il n'était qu'un moyen. Le jugement des artistes sur leur œuvre rie peut
correspondre à celui du public, qui juge en fonction d'une expérience artistique. Il
revenait aux artistes de définir des conduites, des styles de vie pour tenter de faire
valoir leurs propres critères et leurs propres normes de création, pour échapper à une
double domination exercée par les professionnels du discours sur l'art, domination
à la fois sociale et rhétorique. Pour cela, plusieurs stratégies sont possibles.
La plus simple est l'abandon. Elle consiste à intérioriser les contraintes
extérieures et, ce rôle assumé, à convertir la sujétion en liberté. L'astreinte morale à
laquelle Stendhal soumettait l'artiste est encore revendiquée un siècle plus tard par
l'écrivain d'art Marais Vachon dans un ouvrage qu'il adresse à tous ceux qui
prétendent « devenir artistes » 32. Dressant un inventaire de tous les devoirs moraux
qui leur incombent, il ne fait mention d'aucun impératif technique ou
professionnel, d'aucune exigence pédagogique ou méthodique ; seuls importent les devoirs de
l'artiste envers lui-même (volonté, énergie, patience, amour du travail etc.), puis
les devoirs de l'artiste envers son métier (conscience professionnelle, sens du pays
natal etc.), et enfin les devoirs envers la société (goût de la solitude, orgueil du
métier, indépendance et culte de l'amitié. . .).
Cette première figure de l'artiste - des plus conventionnelles - a un double
tout aussi mythique : celle mise en scène par le mythe de la vie d'artiste 33. Les
libertés remplacent ici les devoirs, mais cette figure est, elle aussi, construite par
et pour l'écrivain. L'artiste s'y trouve tout aussi dépossédé du sens et de la valeur
de son travail créateur et donc de son identité réelle.
Une troisième stratégie paraît alors s'offrir à l'artiste : devenir écrivain lui-
même et reconquérir ainsi, en abandonnant ses instruments, la maîtrise du
jugement artistique. Mais peut-il être son propre juge ? Paul Valéry, pourtant
favorable à cette attitude, ne le pense pas. A propos des écrits théoriques de Maurice
Denis, il avoue dans une lettre adressée au peintre en 1922 :

Je suis presque toujours choqué par les théories et les discussions des artistes.
Je les sens toujours viciés par Г arrière-pensée de la pratique immédiate et d'une
pratique individuelle. Il me semble qu'un artiste ne peut conduire jamais à sa fin
une théorie de son art, parce qu'un sentiment panique, une peur de lui-même, le
saisit toujours en pleine analyse et le rappelle presque physiquement aux actes.
La crainte de se retrouver nu sans son primitif avoir - l'idée de l'impuissance
consciente - assassine prématurément ses réflexions [...] Je ne puis pas ne pas
voir dans votre livre un pressentiment et un signe de temps qui s'approchent où
la théorie véritablement précédera tous travaux ; comme déjà s'accuse la
domination des sciences sur l'industrie [...] Ainsi, une distribution de couleurs peut
être un système et un problème complet lui-même. C'est un groupe fermé de
relations qui a sa logique et ses opérations propres 34.

Il y a deux manières d'envisager ces observation. Si l'interprétation privilégie


l'importance du métier et de la technique, la pratique est l'élément dominant de la
connaissance artistique et donc de la maîtrise du jugement : l'enseignement
devient déterminant et constitue l'enjeu fondamental. Mais on peut concevoir
l'inverse, et que la théorie décide de l'objet et de la pratique. Dans la suite de ses
lettres, Valéry fait appel à ces deux types d'interprétation. Le problème essentiel
L'écriture sur l'art 21

n'en demeure pas moins : quel est exactement l'objet du jugement des artistes sur
leurs propres œuvres ?
On ne peut en effet admettre, comme le font pourtant au moins
implicitement la plupart des professionnels de l'écriture sur l'art, que « l'artiste est celui qui
nomme sans concept ». Il faut poser une autre question : que jugent donc ces
écrivains dans l'œuvre ? Le projet créateur ? La maîtrise technique ? La réussite
sociale et le succès ? Car depuis la Renaissance, les « amateurs-connaisseurs » se
sont progressivement arrogé le droit de définir le bon goût (gusto) en niant le
jugement (giudizio) de l'artiste, réduisant ainsi l'œuvre au rang de signe 35.

L'artiste écrivain et théoricien du XIXe siècle peut-il rétablir à son profit


l'unité rompue depuis trois siècles ? Son projet peut-il trouver écho dans la
société et devenir réalité Зб ? La réponse ne peut venir que des écrits d'artistes, non
en tant que source d'information sur l'œuvre, mais comme expression et partie
intégrante du processus de création. Nous nous contenterons ici de confronter le
journal du sculpteur Paul Landowski 37 et celui du peintre Maurice Denis 38 :
même si Denis avait probablement l'intention de publier son journal, il s'agit
d'écrits intimes, spontanés, sincères. Ces deux artistes, si dissemblables par tous
leurs caractères sociaux, leurs origines, leur formation, leur carrière, leur
idéologie, et surtout leur art, sont pourtant très proches par leur culture, et
certains traits de leur personnalité. Tous deux entendent se libérer dans l'écriture
des multiples contraintes qu'ils subissent et définir le sens véritable de leur projet
créateur pour se convaincre de la fermeté de leur vocation artistique.
Landowski dit écrire pour « se trouver soi-même » : « il faut se dégager de
tout, du passé, de son temps, et de la mode » 39. Il dénonce avec insistance la
stupidité de l'enseignement qu'il a reçu et l'étroitresse d'esprit des professeurs qui le
lui ont dispensé. Mais, persuadé de son impérieuse vocation, il attend avec
impatience, dans le confort de la Villa Médicis (où il reste de 1902 à 1906), le moment
où son génie « bridé et retenu depuis plus de cinq ans » sera enfin libre. L'homme
est serein, il ne songe ni aux honneurs, ni à l'argent, et se demande même s'il est
ambitieux.
Maurice Denis envisage une libération toute différente. Venant d'échouer
partout où Landowski a réussi - à commencer par le concours de l'Ecole des Beaux-
Arts -, Denis doit se libérer du modèle traditionnel de l'artiste professionnel pour
se forger sa propre théorie et son propre système de création :

Je ne vais pas au Concours [...] c'est tout un avenir qui s'efface devant moi.
Mon Dieu, je ne serai donc point artiste ? Il faudra donc que j'adore la matière
et l'argent, il faudra donc que tous mes beaux rêves disparaissent en fumée [...]
J'ai été au Salon hier [...] Il n'y aura donc jamais une place pour moi ! Oui, il
faut que je sois peintre chrétien, que je célèbre tous les miracles du
christianisme, je sens qu'il le faut 40.

Il s'invente alors une vie d'artiste : il suit les cours du peintre brésilien Balla,
s'imaginant avoir découvert dans cet atelier parisien « la vie [qu'il a] rêvée, la vie
libre, la vie du philosophe et du poète » 41. Il déchante très vite : « au lieu du
cloître, j'ai trouvé l'atelier, l'atelier avec sa frivolité et sa débauche » 42. Il décide
alors de travailler chez lui et dans les musées (le Louvre, Saint-Germain) : « n'est-
ce pas là une méthode réellement artistique ? » 43 II inverse l'objet de son art, de-
22 Marie-Claude Genet-Delacroix

venu exaltation de son propre esprit créateur : il décide de « faire de l'art en masse,
en tout et partout. Je me gorgerai, je m'enivrerai de cette pure et sainte
jouissance, de cette douce vie, si désirée, d'artiste » **. Sa propre subjectivité devient
ainsi objet de sa recherche et de ses théories :

Ce qui importe, c'est l'émotion que nous donnent les choses, la subjectivité des
sensations... Tout devient ainsi motif de peinture, il ne faut pas choisir un
modèle, un motif, un sujet, même comme les réalistes et les impressionnistes.
Toute vision, toute contemplation, donnent lieu à une émotion qui peut être
représentée 45.

Il s'agit donc pour lui de styliser la traduction des émotions intimes du


peintre, et l'âme du peintre est le seul sujet de la peinture. Landowski peut bien
juger que sa technique est inexistante 46, pour Maurice Denis sa « gaucherie »,
comme il le dit lui-même, est précisément le signe de sa foi et de la
toute-puissance de son esprit :

c'est donc de peindre les objets d'après la connaissance que nous en avons na-
tivement au lieu de peindre d'après une idée préconçue du pittoresque [...] Ce
serait mon individualité intellectuelle transportée dans le domaine des
réalisations, ma manière (dans le bon sens des maîtres) 47.

Tout au contraire, Landowski, persuadé de l'ampleur de sa technique et de son


métier, qu'il perfectionne assidûment en dessinant jour après jour, littéralement
écrasé sous les honneurs et les commandes, poursuit son rêve de la Villa Médicis.
Il reste convaincu qu'un jour enfin il aura le temps de réaliser sa « vraie » œuvre :

Un jour, je sortirai de cette bousculade où je vis. Je pourrai peut-être


entreprendre complètement de réaliser mon rêve [...] C'est une joie immense en moi.
La force d'éternelle jeunesse me gonfle le coeur [...] Une sorte de ravissement
qui doit être un peu ce qu'éprouvent les croyants, les mystiques dans des
moments d'intense ferveur. Toute ma foi, toute ma pensée, l'œuvre de ma vie 48.

Il est alors déjà âgé de quarante-sept ans et songe toujours avec autant de
passion au « Monument du héros » ou « Le Temple de l'homme » (titre suggéré
par Valéry) ; il s'agit en effet de réaliser « l'union de l'idée et de la forme » 49 dans
une grande synthèse de tous les héritages spirituels et religieux de l'Occident,
depuis le mythe de Prométhee jusqu'à Calvin, en passant par le fils de Caïn,
David et Saint François. Tout comme Delacroix, il éprouve le besoin de se
construire une classification hiérarchique des arts où, en vrai classique, il place en
tête la poésie, avant même la sculpture 50, dont il estime pourtant qu'elle est le
premier des arts plastiques. On dirait donc qu'il a peur de sa propre subjectivité, et
qu'il s'efforce de construire son œuvre en dehors d'elle et contre elle 51.
En somme, les deux rêves aboutissent à des jugements diamétralement
opposés. Pour Denis, la réussite de l'œuvre se mesure au travail fait pour exprimer
l'émotion subjective, pour Landowski, elle dépend de celui fait pour la supprimer.
Pour le premier, c'est l'effort de volonté et la part de vie mise dans l'œuvre qui
comptent, pour le second c'est l'intelligence et la maîtrise technique. Mais pour
l'un comme pour l'autre, le travail d'écriture joue un rôle primordial. Landowski,
d'ailleurs, regrette de ne pas avoir été homme de lettres 52 et se plaint d'écrire diffi-
L'écriture sur l'art 23

cilement, tandis que Maurice Denis montre dans ses discussions avec André Gide
une volonté d'appliquer à la peinture les procédés de l'écrivain, inversant ainsi la
démarche des écrivains qui cherchaient depuis le Romantisme à représenter la
réalité avec les procédés du peintre 53.
Mais cette attitude rend-elle à Denis et Landowski la maîtrise du jugement
artistique, ce qui leur permettrait de rétablir l'unité entre leur projet créateur d'une
part et leur œuvre de l'autre ? Il semble que Maurice Denis ait complètement
intériorisé toutes les contraintes imposées par le jugement social du goût : il
pense « concilier son expression naturelle » (sa « gaucherie ») avec une « beauté
plus générale », et conçoit son œuvre comme la « continuation de l'œuvre de la
Création, l'harmonieuse loi de la vie universelle » 5*. Comme Eugène Carrière le
lui faisait remarquer, il s'agit d'un travail d'abstraction sur sa subjectivité : « plus
son œuvre résume des rapports, plus elle est intéressante ». La peinture est donc
pour lui un art essentiellement religieux et chrétien, et en créant sa propre école
d'art sacré 55, il a intégré sa culture, son mode de connaissance et ses méthodes
techniques et pédagogiques en un système cohérent. Il éprouve une joie profonde à
enseigner et à communiquer avec ses élèves. Il constate néanmoins avec
amertume : « Mon art n'a pas assez de souffle pour accomplir ce que je voulais :
ce beau rapport avec la noblesse de l'esprit et le charme précis du réel » 5é.
Paul Landowski, au contraire, n'a pas réussi ce double processus d'intégration
et d'intériorisation. Il en est conscient et en décèle lui-même les raisons : elles
tiennent d'abord, selon lui, aux conditions objectives d'exercice du métier de
sculpteur. Persuadé, nous l'avons dit, de la supériorité spirituelle de la sculpture
sur les autres arts plastiques, il confie à son journal :

Je ne souhaite pas qu'un de mes enfants soit sculpteur. Ce magnifique métier,


certainement le plus beau, dépend de trop de choses. Difficultés. Ténacité.
Efforts. Gagner la vie de tous les miens et l'argent nécessaire pour entreprendre
par mes propres moyens les premiers fragments du Temple [...] J'envie la
richesse qui permet de travailler libre, n'y pensons pas, c'est impossible 57.

Encore est-il conscient de ne pas être à plaindre ! Familier des grands salons
parisiens, ami de nombreux hommes politiques et des plus grands mécènes
américains, il ne parviendra pourtant jamais à réunir les dix millions nécessaires à
l'érection du Temple.
En fait, c'est au niveau de l'enseignement qu'il conçoit cette réunification de
la pratique, de la technique et de la théorie, en recréant une unité entre le métier -
tel qu'il était appris à l'atelier au temps de l'artiste-artisan - et la connaissance
théorique élaborée par les artistes de l'Académie : l'enseignement est essentiel dans
sa conception de l'art fondée avant tout sur la maîtrise technique, sur un héritage
de traditions, et donc sur une culture pédagogique. Pourtant, il n'en est guère
satisfait : il se plaint dans son journal de l'insuccès de son atelier, de l'incohérence
de la jeunesse et sent la nécessité d'une réforme de l'Ecole des Beaux- Arts S8. Ami
et lecteur assidu des philosophes - il lit Bergson et Lévy-Bruhl -, ouvert aux
progrès de la science et parfaitement au fait des courants les plus hardis de l'avant-
garde w, il ne parvient pas à rompre avec les structures et les valeurs d'un passé
dont il croyait pourtant pouvoir se libérer. Incontestablement, il a moins bien
réussi - de son propre aveu - que Maurice Denis à résoudre ce problème. Le
peintre et l'homme de lettres, il est vrai, sont moins dépendants de la « matière »
24 Marie-Claude Genet-Delacroix

et des conditions financières de la réalisation de l'œuvre que le sculpteur qui doit


accomplir un plus grand travail d'abstraction. Et l'enseignement, loin d'être une
aide, s'avère en tant que tradition culturelle intégrée au système des Beaux-Arts,
un obstacle supplémentaire. Valéry, encore une fois, l'exprime fort bien :

Je prétends que si des traditions ou routines scolaires ne nous empêchaient pas


de voir ce qui est et n'assemblaient les types d'esprit selon leur mode
d'expression, au lieu de les réunir par ce qu'ils ont à exprimer, une Histoire
Unique des Choses de l'Esprit remplacerait les histoires de la philosophie, de
l'art, de la littérature et des sciences 60.

Au total, ces deux exemples, pourtant très différents, nous montrent que, sans
doute, les artistes plastiques de la fin du XIXe siècle - et il serait facile de citer
d'autres noms - ont réussi à reconceptualiser l'objet de leur travail et donc de leur
création. Qui plus est, cette reconquête n'obéit pas à des règles rhétoriques et ne
s'opère pas en fonction des systèmes d'équivalence d'arts et des hiérarchies de
valeurs établies par les professionnels de récriture sur l'art. C'est au cœur même
de son expérience créatrice et dans son travail d'abstraction, qu'il soit objectif ou
subjectif, que l'artiste intègre théorie, pratique, culture et connaissance. Il
accomplit donc un travail de l'esprit, au sens où l'entendaient déjà Vinci ou
Poussin : à nouveau l'artiste est un intellectuel à part entière.

L'exemple exeptionnel de Maurice Denis et de Paul Landowski montre que le


système de références bien ordonné des professionnels de l'écriture sur l'art est
remis en question, et, avec lui, cet accord dont parle André Chastel « sur ce qu'on
appelle art, qui rend possible la communication [et qui est] la condition du
jugement » 61, mais le discours de l'artiste, le caractère intellectuel de cette écriture
sans commune mesure avec le travail plastique 6Z continue à être contesté. La
reconquête de Vingenio par l'artiste menace en effet les professionnels du discours
sur l'art, qui perdent le monopole de la médiatisation de l'acte de création et de sa
transformation en signe 63. Cette bataille, née avec le romantisme, a connu de
nouveaux développements à la fin du XIXe siècle. Et elle continue...

NOTES
1. D. Gamboni La Plume et le pinceau. Odilon Redon et la littérature, Ed. de Minuit,
1989, p. 11-12.
2. Interview accordée par André Chastel à Y. Chèvrefils-Desbiolles sur « Le bon goût de
la Revue de l'Art », Revue des Revues VI, 1988, p. 67-69 ; cf. le n° spécial d'Art Journal,
XLVin (4), 1989, intitulé Critical Issues in Public Art, notamment I.B. Spector, « Artists'
Writings : the Notebooks of John White », p. 349-353 ; ainsi que le n° spécial d'Art Studio,
1989, intitulé L'Art et les mots, notamment Cl. Frondisi, « L'image prise au mot», p. 12-23
et Ch. Domino, « Le discours à l'œuvre », p. 56-67. П s'agit bien d'écrits d'artistes, non de
critique artistique, ce qui est un tout autre sujet : voir par exemple Joseph-Marc Baiblé, éd.,
La Critique artistique, un genre littéraire, P.U.F., 1983.
3. F. Haskell, De l'art et du goût, jadis et naguère, Gallimard, 1989 (Past and Present in
Art and Taste, 1987) et F. Haskell et N. Penny, Pour l'amour de l'antique. La statuaire gréco-
romaine et le goût européen 1500-1900, Hachette, 1988 (Taste and the Antique, 1981).
4. Max Milner, « Le peintre fou », Romantisme, n°66, 1989, p. 5-21.
L'écriture sur l'art 25

5. J. Paris, « Syntaxe du visible », Change, n° 26-27, 1976, p. 7-32 Y.-A. Bois,


« La peinture comme modèle », Critique, n°468, mai 1986 p. 487-502 ; F. Thurlemann,
Analyse sémiotique des trois peintures, Paul Klee, Lausanne, L'Age d'homme, 1982.
6. Sur Paul Valéry, voir Paul Valéry. Approche du « Système », n° spécial de la Revue
des Lettres Modernes, 1979.
7. Paul Valéry, Correspondance Paul Valéry-André Gide, Gallimard, 1955, p. 394-395.
8. Principes et normes son érigés en dogmes, que les « dogmatiques » soient aussi
divers que de Maistre, Saint-Simon, Comte, Victor Cousin ou Guizot. Voir, pour leurs
positions sur l'art, J. De Maistre, Une politique expérimentale, Paris, 1940 ; M. Thibert, Le
Rôle social de l'art d'après les saint -simoniens, Paris, s. d. [1926] ; J. M. Le Lannou,
« L'esthétique d'Auguste Comte », Revue philosophique de la France et de l'étranger, oct.-déc.
1985, p. 489-500 ; D. Janicaud, « Victor Cousin et Ravaisson lecteurs de Hegel et
Schelling » Les Etudes philosophiques, oct. - déc. 1984, p. 451-466 et P. Rosanvallon, Le
Moment Guizot, Gallimard, 1985.
9. Sur le marché de l'art et son rôle juridique, voir M.-C. Genet-Delacroix, « Esthétique
officielle et art national sous la Troisième République», Le Mouvement social, 131, avr. -
juin 1985, p. 106-120.
10. F. Liszt, Correspondance, Lattes, rééd., 1987 ; voir en particulier ses lettres à
George Sand.
11. Voir l'excellent numéro de Romantisme consacré à ce sujet (n° 17-18, 1977) et deux
numéros (54, 55) qui évoquent souvent ce thème.
12. Cf. J.-M. Le Lannou, « L'esthétique... », art. cité.
13. G. Dubufé, La Valeur de l'art, 1905 ; c'est en artiste peintre que l'auteur répond à
l'ouvrage (qui vient de faire grand bruit) d'Henri Poincaré, La Valeur de la science.
14. C'est dans son sens objectif que nous reprenons le titre de l'ouvage d'Alain, qu'il
avait dédié aux artistes, pour désigner un système de perception, d'organisation, de gestion, de
conservation des Beaux-Arts, intégré, précisément, à la culture diffusée par le système
pédagogique.
15. R. Moulin, Le Marché de la peinture en France, Paris-La Haye, Mouton, 1967, et
« Le marché de l'art et l'avant-garde », dans Création et marché de l'art. Annexe aux
Mélanges de la Casa de Velasquez, Madrid, 1986, p. 31-39.
16. M.-C. Genet-Delacroix, « Le statut social de l'artiste professionnel aux XIXe et XXe
siècles », La Condition sociale de l'artiste du XVIe au XXe siècle, Actes du colloque СЛЛ/ř.S.,
1985, St-Etienne, C.I.E.R.E.C., 1987, p. 87-104.
17. M.-C. Genet-Delacroix, « Vies d'artistes : art académique, art officiel, art libre en
France à la fin du XIXe siècle », Revue d'Histoire Moderne et Contemporaine, janv. - mars
1986, p. 40-73.
18. M.-C. Genet-Delacroix, « Esthétique officielle... », art. cité.
19. Voir M.-C. Genet-Delacroix, Art et Etat sous la /Ile République, thèse Paris I, 1988,
I (3), p. 232-268.
20. Cf. Annie Becq, Genèse de l'esthétique française moderne, Pise, Pacini, 1984, t. П,
chap. 2 et D. Gamboni, La Plume..., éd. cit., p. 20-28.
21. J. Thuillier, Leçon inaugurale, Chaire d'Histoire de la création artistique au Collège de
France, Paris, Collège de France, 1978, p. 24 et 34 ; p. 15 et 34 pour les citations
suivantes.
22. D. Gamboni, La Plume, éd. cit., p. 246.
23. Dans La Vie d'Henri Brulard, Stendhal, butant sur l'expression rhétorique des images
directement issues de sa sensibilité, est fasciné par la liberté d'expression des artistes : d'où
sa tentative de s'autoreprésenter en utilisant les métaphores picturales inédites ; cf. Martine
Reid, « Représentation d'Henri Beyle », Poétique, n°65, 1986, p. 29-42.
24. Cf. J. Molino, « Quelques hypothèses sur la rhétorique au XIXe siècle », Revue
d'Histoire littéraire de la France, mars - avril 1980, p. 190 où il cite La Vie d'Henri Brulard ; et
José-Luis Diaz, « L'artiste romantique en perspective », Romantisme, n° 54, 1986, p. 5-17.
25. Voir Stendhal, Mélanges d'art, Le Divan, 1932 ; Henri Focillon, La Peinture
française au XIXe siècle, 1928.
26. Antoinette Ehrard, « Zola critique d'art », dans Baiblé (éd.), La Critique... ouvr. cité.
27. Voir M.-C. Genet-Delacroix, Art et Etat..., ouvr. cité, I, 3, p. 130-137 ; cf. Mes
haines et Le Roman expérimental, ainsi que Marbres et plâtres, dans E. Zola, Œuvres
26 Marie-Claude Genet-Delacroix

critiques, I, Lausanne, Le Cercle du Livre précieux, 1968, respectivement p. 23-167, 1173-


1401 et 197-237.
28. Chantai Massol-Bedoin, « L'artiste ou l'imposture : le secret du Chef-d'auvre
inconnu de Balzac », Romantisme, n°54, 1986, p. 44-57.
29. Ibid., p. 54-55 ; cf. P. Lambert, « Balzac et la sculpture », Gazette des Beaux-Arts,
mai-juin 1961. Voir aussi André Vanoncini, « L'écriture de l'artiste dans La Maison du chat-
qui-pelote », Romantisme, n°54, 1986, p. 58-66.
30. Sur Baudelaire, d'une façon générale, voir Y. Abé, « Baudelaire face aux artistes de
son temps », Revue d'art, IV, 1969, p. 85-89, D. Ternois, «Baudelaire et l'Ingrisme », dans
U. Finke, French XIXth Century Painting and Literature, Manchester, 1972, et Baudelaire.
Catalogue de l'Exposition organisée au Petit Palais du 23 nov. au 17 mars 1969, Paris 1969.
Voir aussi Ph. Berthier, « Des images sur les mots, des mots sur les images : à propos de
Baudelaire et Delacroix », Revue d'Histoire littéraire de la France, nov.-déc. 1980, p. 900-
915 : cf. la lettre de Delacroix à Thoré : « On nous juge toujours avec des idées de littérateur
et ce sont celles qu'on a la sottise de nous demander. Je voudrais bien qu'il soit aussi vrai que
vous le dites que je n'ai que des idées de peintre. Je n'en demande pas davantage » (cité par
Berthier, p. 905). Pour les réflexions de Delacroix, voir Journal : 1822-1863, Pion, 1931-
1932 (rééd. 1980) et O. Revault d'Allones, La Création artistique et les promesses de la
liberté, Klincksieck, 1973, p. 79-98. Sur Courbet, voir Fr. Gaillard, « Gustave Courbet et le
réalisme. Anatomie de la réception critique d'une œuvre : Un enterrement à Or nans », Revue
d'Histoire littéraire de la France, nov. - déc. 1980, p. 978-996 et H. Toussaint, « Le dossier
de l'atelier de Courbet », Catalogue de l'Exposition Courbert organisée au Grand Palais du 30
septembre 1977 au 2 janvier 1978, Paris, 1977, p. 241-272.
31. D. Gamboni, La Plume... ouvr. cité, chap. 11, et d'une façon générale, J. Dalançon,
«Le poète et le peintre (1870-1885). Les enjeux sociaux et culturels d'un face-à-face»,
Romantisme, n°66, 1989, p. 61-73.
32. M. Vachon, Pour devenir artiste, Paris, 1903.
33. Voir Romantisme, n°54 et 55 et le n° de Feuilles, VU, hiver 1983-1984, consacré à
La VU d'artiste.
34. Paul Valéry, Lettres à quelques-uns, Gallimard, 1952, p. 141-143.
35. Robert Klein, La Forme et l'intelligible, Gallimard, 1970 et en particulier l'article
« Giudizio et Gusto dans la théorie de l'art au Cinquecento », p. 341-352 et S. Deswarte,
« Commentaires sur l'artiste courtisan et le génie au XVIe siècle », Actes du colloque sur la
condition sociale de l'artiste, Université de Sainte-Etienne, 1987, p. 13-28.
36. П s'agit à nos yeux de liberté de création, non d'autonomie de l'artiste, comme le
laisse entendre D. Gamboni à la suite de Pierre Bourdieu.
37. Paul Landowski, né à Paris le 1er juin 1875, mort à Boulogne le 31 mars 1961, d'un
père médecin et petit-fils par sa mère du violoniste et compositeur Henri Vieuxtemps, fut prix
de Rome en 1900, Médaille d'Honneur en 1923, commandeur de la Légion d'Honneur en 1925,
membre de l'Institut en 1926, chef d'atelier à l'Ecole Nationale des Beaux-Arts en 1929,
directeur de l'Académie de France à Rome de 1933 à 1937, directeur de l'Ecole Nationale des
Beaux-Arts en 1937 : nous remercions infiniment sa fille, Madame F. Landowski-Caillé de
nous avoir permis de lire la version dactylographiée des 1700 pages du Journal inédit, tenu
quotidiennement de 1902 à 1940 par le sculpteur, qui a couvert de son écriture serrée les pages
de 39 cahiers d'écolier.
38. Maurice Denis, né le 25 novembre 1870 à Granville mais d'une famille fixée à Saint-
Germain-en-Laye, est mort accidentellement le 13 nov. 1943. Fils d'un employé des chemins
de fer, et d'une mère très pieuse. П fréquente les cours du soir de l'Ecole Nationale des Beaux -
Arts, l'Académie Jullian, voyage en Italie de 1895 à 1898 en compagnie d'André Gide;
chevalier de la Légion d'Honneur en 1909, fondateur du Salon d'Automne en 1903-1904 où il
crée la section d'art religieux, fondateur du Salon des Tuileries en 1925, commandeur de la
Légion d'Honneur en 1924, membre de l'Institut en 1932. Son Journal fut publié en 1957, aux
Editions du Vieux Colombier (trois volumes).
39. Journal, mai 1904, p. 14.
40. Journal, L I, mai 1885, p. 59.
41. Ibid., mai 1885, p. 60.
42. Ibid., févr. 1888, p. 69.
43. Ibid., fin 1885, p. 37.
44. Ibid., fin 1885, p. 33.
L'écriture sur l'art 27
45. Ibid., sept. 1897, p. 131.
46. И critique souvent le peintre mais apprécie l'écrivain pour sa culture ; quand Maurice
Denis présente sa candidature à l'Académie en 1932, il écrit dans son Journal : « II représente
un moment de l'art de notre époque, plus par son action écrite que par sa peinture » (p. 1257),
car il regrette son « impuissance à construire une figure. Ses toiles sont plus du coloriage que
de la peinture» (ibid.). A sa première tentative, en 1930, il notait déjà : « il vient à l'Ecole
et à l'Académie à la fin de sa vie. Sa faiblesse est d'avoir quitté l'Ecole trop tôt. Il faut
commencer par l'Ecole, y apprendre pour ensuite développer sa personnalité sur de solides
bases. L'Ecole n'a jamais détruit la personnalité de personne » (p. 1034).
47. Journal, t. I, janvier 1897, p. 117.
48. Journal, avril 1922, p. 377-378.
49. Ibid., juillet 1904, p. 16.
50. Ibid., juillet 1914, p. 49.
51. Ses réactions à l'égard de la musique et même de la peinture son symptomatiques. D
écrit que la sculpture est le premier des arts parce que « c'est le plus riche d'expression, le
plus noble, le plus synthétique », ensuite il place l'architecture, dont il reconnaît qu'elle
« devrait dominer la peinture et la sculpture », mais qui est « trop abstraite », ensuite la
peinture qui « est faite de trop de mensonges » et enfin la musique qui est « trop
spécifiquement nerveuse et physique » et qui a « une beauté trop spéciale ». Le jugement de
l'artiste peut surprendre, car l'homme aimait aller au concert écouter Ravel, Debussy et
Stravinsky, appréciait les Ballets Russes, fit donner une éducation musicale poussée à ses
enfants, s'émerveillant des dons précoces de son fils Marcel. L'hostilité de l'artiste demeure, et
en janvier 1931, à propos du centenaire des Concerts Lamoureux, il répète que «la musique
est un art qui agit trop sur les nerfs et qui a une action physique beaucoup plus qu'une action
intellectuelle et spirituelle [...] Je ne pense pas que ce soit une supériorité » ; la sculpture, au
contraire, « cet art si dépouillé, si esclave de la matière, qui obéit à des lois mathématiques et
géométriques, montre une valeur intellectuelle et spirituelle plus élevée» (p. 1187).
52. Journal, oct. 1922, p. 461. U a écrit une esquisse de pièce de théâtre, des discours,
des conférences, dont une sur Rodin, et un ouvrage Peut-on enseigner les Beaux-Arts ? ; mais
son rapport à l'écrit est ambigu. Les hommes de lettres qui écrivent sur l'art ou gèrent les
Beaux-Arts subissent sa vindicte ; au contraire, il aime lire les écrits d'artistes et ne sait que
penser d'une biographie qui lui a été consacrée. Mais son choix pour la carrière artistique a été
impératif : « Quand un homme se trouve doué également pour les lettres et les sciences et
qu'il l'est aussi pour un art, c'est toujours l'art qui l'emporte. L'art est-il donc la suprême
manifestation de l'intelligence ?» (janvier 1931, p. 1184).
53. Cf. Romantisme, n°54 et 55, Poétique, n°65, 1986, Littérature, n°57, fév. 1985,
Revue d'Histoire littéraire de la France, nov. - déc. 1980.
54. Journal, t. I, avril 1903, p. 195.
55. Ibid., t. П, Pâques 1920, p. 219.
56. Ibid., L П, p. 168.
57. Journal, oct. 1922, p. 461 et août 1922, p. 434.
58. P. Landowski, Peut-on enseigner les Beaux- Arts ?, Paris 1945.
59. D est effaré par le spectacle de la production de Duchamp Villon, mobilisé avec lui
en avril 1917 dans la section de camouflage (p. 121). Il signale ses visites de galeries (celle
de Paul Guillaume en février 1918 ne lui inspire pas confiance : les toiles de Matisse et de
Picasso qu'il y voit lui semblent «pleines d'ignorance», p. 113) et de salons (les
« Indépendants » de février 1919 ou l'« Automne » de novembre 1920 soulèvent son
indignation devant tant de « bêtise » ; p. 179 et 186). Il les visite chaque année et suit
l'actualité des expositons de peintres et de sculpteurs. fl lit beaucoup, et note les ouvrages qui
le marquent, comme L'Ame primitive de Lévy-Bruhl en mars 1931 (p. 1220), les livres de
Romain Rolland ou d'Henri Barbusse, son ancien condisciple du Collège Rollin.
60. Degas, Danse, Dessin dans Œuvres, « Bibl. de la Pléiade », t. П, p. 1205.
61. A. Chastel, L'Image dans le miroir, Gallimard, p. 469.
62. F. Thurlemann, ouvr. cité, dans son introduction à l'étude sur trois toiles de Paul Klee.
63. Ce signe fût -il plastique, comme le définit P. Francastel, « Pour une sociologie de
l'art : méthode ou problématique ? », Etudes de sociologie de l'art, Denoël, 1970, p. 7-41.
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Illustration non autorisée à la diffusion

Fig. Theodore Gčricault : /йш/ť ť/ď ť/cw pour 1м Radeau de la Méduse (Montauban,
Musée Ingres).

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