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Pisa University Press S.R.L.

LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE


Author(s): Annie Hourcade
Source: Studi Classici e Orientali, Vol. 52 (2006), pp. 107-139
Published by: Pisa University Press S.R.L.
Stable URL: http://www.jstor.org/stable/24187014
Accessed: 30-11-2017 15:17 UTC

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Annie Hourcade

LE PROBLEME DE LA RESPONSABILITE CHEZ EPICURE

Le but de cet article est essentiellement de réaffirmer le caractère


problématique de la responsabilité chez Épicure. User du terme de
'problème' à propos de la responsabilité morale chez Épicure
semble, il est vrai, aller de soi1. On connaît le débat, engagé de
longue date, à propos de ce fameux problème que pose la coexisten
ce, au sein des écrits épicuriens, d'une physique atomistique et de
l'affirmation selon laquelle il y a des choses qui dépendent de nous2.
La solution épicurienne à ce problème demeure inconnue, en raison,
peut-être, de la rareté et du caractère lacunaire des écrits épicuriens
parvenus jusqu'à nous; en raison du peu d'éléments dont nous dispo
sons à propos de la déclinaison3 qui constitue pourtant, sans doute,
un élément déterminant dans la solution du problème; en raison sur
tout de la difficulté inhérente au problème lui-même, celui qui impo
se de concilier, en un même système, atomisme et responsabilité hu
maine. En ce dernier sens, toute tentative de solution se heurte à
l'écueil majeur, comme l'a bien montré Jeffrey Purinton4, qui
consiste à sacrifier un aspect de la pensée épicurienne au profit de
l'autre. Soit que l'on minimise la place du libre arbitre, comme c'est
le cas pour les interprétations de Furley5, Fowler6, Englert7, aux
quelles on pourrait ajouter celle de Saunders8, soit au contraire que
l'on ne rende pas justice à l'atomisme et donc au déterminisme d'É
picure comme c'est le cas notamment de l'interprétation de Sedley9.

1 Cfr. Huby, Discovery, 353 et 359-361.


2 Épicure, Lettre à Ménécée, 133; Peri physeôs, 34,21 = Long-Sedley 20 C 1.
3 Comme on le sait, le terme de 'déclinaison' ne figure pas dans les écrits d'É
picure parvenus jusqu'à nous mais seulement chez Lucrèce II 251-293 et Lucrèce
lui-même n'explicite pas la nature du rapport entre la déclinaison et la libera volun
tas. Sur ce point, par exemple, cfr. Conway, Theory, 81.
4 Purinton, 'Free Volition', 256.
5 Furley, Aftwi/ste, 161-237.
6 Fowler, Lucretius.
7 Englert, Epicurus.
8 Saunders, Lucretius, 37-59.
9 Sedley, Anti-Reductionism, 297-327. On peut également mentionner l'in
terprétation de Annas, Epicurus, 53-71.

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108 ANNIE HOURCADE

Purinton lui-même appréhende le prob


fique en niant l'existence même d'une s
lui, l'incompatibilité entre le déterminis
de la responsabilité morale constitue bi
vain d'en rechercher la solution épicuri
cure n'a tout simplement pas réussi à r
sante, le problème par lui-même posé11.
Épicure l'origine des volitions doit être
toire des atomes, ce faisant, il opère, co
me12, un retour à l'interprétation ortho
de Bailey14. Cette interprétation pourtant
en son temps Furley15, incompréhensib
aléatoire au niveau de l'atome corres
'conscious chance'16 au niveau du compl
Y animus. Il est évident, pourtant, qu'il y a
être conscient qu'un événement arrive p
événement arrive. Pour Purinton, cette i
ne serait que le reflet de la faiblesse de
en quelque sorte échoué à rendre compte
la nature précise du lien entre d'une part
déviation aléatoire de l'atome et d'autre
considéré comme un acte libre ayant pou
Épicure n'aurait pas réussi à combler le f
physique et ce qui relève de la responsa
serait bien la cause de la responsabilité,
épicurien, ne permettrait d'expliquer d
ment s'opère effectivement le rapport entr
Une troisième voie, tracée en partie en
té de Purinton, a été ouverte récemmen
comme une 'nouvelle interprétation'17. I

10 Purinton, 'Free Volition', 256-257.


11 Là contre voir l'ouvrage de O'Keefe, Arg
semble à démontrer qu'Épicure n'a pas lui-même
et que, même s'il a contribué sans le savoir à sa f
peut en aucun cas en être considérée comme l'ori
12 Purinton, 'Free Volition, 255.
13 Giussani, Studi, 125 sqq.
14 Bailey, Atomists, 435-436; Bailey, De rerum
par Purinton).
15 Furley, Atomists, 164.
16 Bailey, De rerum natura, 1287, cité par Pur
17 Wendlandt, Baltzly, Freedom, 40. Voir a

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 109

nouvelle approche qui, outre l'attribution à Épicure d'une théorie


anti-réductionniste élaborée, propose d'aborder la thèse de la res
ponsabilité en se fondant non plus sur la physique atomistique mais
sur la théorie épicurienne de la connaissance et plus particulière
ment sur deux aspects spécifiques de cette théorie: l'analogie et
l'évidence18. Ce que l'on pourrait qualifier de véritable 'change
ment de perspective' conduit à proposer l'interprétation suivante: si,
au regard de la théorie des atomes et du vide, la responsabilité mora
le constitue bien un problème, au regard de la théorie épicurienne de
la connaissance, la responsabilité présente un caractère évident; la
difficulté majeure: faire en sorte qu'une déviation aléatoire de l'ato
me permette d'expliquer le caractère libre de l'action humaine, se
trouve levée dans la mesure où la liberté constituant une évidence,
elle n'a pas besoin d'être expliquée19. Ainsi, comme le soulignent

attribue à la déviation un rôle dialectique et purement négatif. Selon lui, Épicure in


troduit de l'indétermination dans sa physique afin de ne pas être astreint, par souci
de cohérence, à un déterminisme psychologique; la déviation ne joue et n'est sus
ceptible de jouer aucun rôle dans la volition. Cette interprétation est plus radicale
encore que celle de Wendlandt et Baltzly qui se contentent de considérer que la mi
se en évidence du lien entre déviation et volition ne présente pas un caractère né
cessaire pour Épicure. Ces deux perspectives ont cependant en commun leur rejet
de toute implication de la déviation dans une explication de la responsabilité et dif
fèrent en cela notablement des autres interprétations, y compris d'ailleurs de celle
de Furley, Atomists, 232, qui, même s'il soutient que la déviation «joue un rôle
purement négatif dans la psychologie épicurienne», lui attribue néanmoins un rôle
qui, pour être faible, n'en est pas moins effectif. Le rôle du clinamen se trouve ré
duit, pour Furley, à sa plus simple expression, la survenue d'une seule déviation
suffisant à échapper au déterminisme psychologique sans que la permanence du ca
ractère ne soit sérieusement menacée. Pour autant, il y a bien de la différence entre
attribuer à la déviation un rôle faible dans l'élaboration du caractère et la libre vo
lonté et ne pas lui en attribuer du tout ou considérer comme hors de propos toute
tentative d'explication en ce sens. En revanche, il me semble que l'approche mise
en œuvre par Morel, Épicure, 305 et 317, notamment en ce qu'elle fait fond, elle
aussi, sur l'évidence de la liberté et qu'elle nie également qu'il soit nécessaire de
trancher la question de la déviation - qualifiée de 'secondaire' et d' 'anecdotique' -,
s'inscrit dans une perspective très proche de celle de Wendlandt et Baltzly.
18 II convient de noter néanmoins que la thèse de Sedley, Anti-Reductionism,
notamment 314-316, accordait déjà une place centrale à l'évidence dans la concep
tion épicurienne de la responsabilité.
19 Voir sur ce point Morel, Épicure, 309: «Notons également qu'Épicure use
très rarement du concept même de liberté (έλευθερία) dans les textes conservés,
comme s'il était impossible - ou tout au moins très difficile - de saisir et d'expli
quer pour elle-même la réalité qu'il désigne, ou encore comme si la liberté n'avait
pas à faire pour elle-même l'objet d'une explication», ainsi que 312: «[...] nous
pouvons affirmer que nous sommes des agents véritables, physiquement et morale
ment, non pas à partir d'un examen positif des propriétés physiques de l'âme, ni par

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Lisa Wendlandt et Dirk Baltzly dans leu


tion qu'ils proposent permet précisémen
Purinton qui conduit, selon eux, à con
inept philosopher'20. Je cite: «[...] Purin
vainly tried to posit a property of atom
free action. But, unfortunately for Epicur
an explanation of the possibility of free
motions. This is a resuit of his anti-reductionist views about mental
states generally. We argue instead that it would be consistent with
Epicurus' epistemological and meta-philosophical views to simply
stop with the negative point that we are free and that determinism is
false. Given his theoretical commitments, he can simply refuse the
demand to explain how the swerve gives rise to free will»21.
L'interprétation proposée par ces deux chercheurs est, à bien des
égards, novatrice. La place qu'elle confère à l'approche gnoséolo
gique dans la réflexion épicurienne sur la responsabilité éclaire d'un
jour nouveau les recherches sur Épicure. Certaines des thèses qu'ils
soutiennent, notamment celle concernant le caractère évident de la
responsabilité, fournissent, sans aucun doute, de précieuses clés
pour comprendre la perspective d'Épicure. Ce qui me semble pour
tant contestable dans cette interprétation c'est l'affirmation selon la
quelle, je cite: «Epicurus' solution to the problem of reconciling ato
mism with freedom of the will was essentially one constructed from
his epistemology»22. Peut-on en effet légitimement parler ici de so
lution! En aucun cas, l'approche gnoséologique, telle que la présen
tent les auteurs, essentiellement fondée sur l'évidence, ne permet, en
elle-même, de résoudre de quelque façon le problème du rapport
entre atomisme et responsabilité. Elle permet, au mieux, de supposer
que le problème n'en était pas un pour Épicure: le caractère évident
de l'existence de la responsabilité ayant pour conséquence de rendre
inutile toute interrogation sur ses conditions de possibilité.
Pourtant, refuser de considérer que le rapport entre physique ato
mistique et responsabilité présente un caractère problématique pour
Épicure entraîne deux conséquences d'une grande portée non seule
ment pour la compréhension et l'interprétation du système d'Épicu
re, mais aussi pour l'orientation des recherches sur Épicure.

une véritable explication du processus du mouvement libre, mais parce que la thèse
contraire est infirmée par l'expérience morale».
20 Wendlandt, Baltzly, Freedom, 70-71.
21 Wendlandt, Baltzly, Freedom, 70-71.
22 Wendlandt, Baltzly, Freedom, 41.

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 111

Concernant la compréhension de la pensée d'Épicure, l'élimination


du problème de la responsabilité se fait au détriment d'aspects pour
tant majeurs du système épicurien. Elle conduit en effet à minimi
ser, de manière abusive, la place et le rôle de la physique atomis
tique dans le système d'Épicure et, de manière liée, du moins en
partie, à occulter l'importance que sa théorie de la connaissance ac
corde pourtant à l'étiologique23; elle conduit corrélativement à ac
centuer, jusqu'à la rendre presque exclusive, la dimension empi
rique de la pensée d'Épicure.
Concernant l'orientation des recherches sur Épicure, la négation
du caractère problématique de la conciliation entre atomisme et res
ponsabilité conduit à finalement renoncer à attribuer à Épicure
quelque solution que ce soit, à contester qu'il ait pu même en recher
cher une, en raison précisément de l'absence de nécessité, pour Epi
cure, d'une telle recherche. Cette deuxième conséquence, en particu
lier, est importante et mérite d'être soulignée. Il ne s'agit pas, en ef
fet, simplement d'une nouvelle hypothèse d'interprétation de
l'éthique d'Épicure et des rapports qu'elle entretient avec la physique
atomistique - même si les auteurs se rangent eux-mêmes dans le
camp 'anti-réductionniste' -, il s'agit d'un changement de perspecti
ve qui rend définitivement caduque, vaine et surtout infidèle à l'esprit
même de i'épicurisme toute tentative qui aurait pour but d'expliquer
comment, pour Épicure, la théorie des atomes et du vide peut rendre
compte du fait qu'il y a des choses qui dépendent de nous.
A tout prendre, la perspective de Purinton rend, me semble-t-il,
beaucoup plus justice à Épicure, et ce, en dépit de son apparente radi
calité, car elle porte à son crédit l'élaboration d'un problème, s'ins
crivant de manière toute naturelle dans le cadre de sa physique, pro
blème qui appelle la recherche d'une solution. Surtout, la conception
de Purinton selon laquelle Épicure a finalement échoué dans son en
treprise ne rend pas vaines toutes les hypothèses précédemment for
mulées et ne ferme pas, non plus, la porte à l'éventualité de la pour
suite des recherches, dans la mesure où rien ne permet de déterminer
jusqu'où Épicure est allé dans l'élaboration de sa solution.

23 L'importance qu'Épicure accordait à l'étiologie est particulièrement patente


dans ce passage du livre XXV du Periphyseôs lorsqu'il rend hommage à ceux qui
depuis le commencement, donnèrent des explications satisfaisantes des
causes (οί δ' α ί τ ι ο λ ο γ ή σ α ν τ ε ς έξ άρχής ίκανώς)» (34.26-30 = Long-Sedley 20
C), comme le souligne Sedley, Anti-Reductionism, 304.

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112 ANNIE HOURCADE

Introduction

La thèse selon laquelle la responsabilité selon Épicure ne présen


te pas un caractère problématique se fonde sur le fait que, pour Épi
cure, il existe une évidence de la liberté qui dispense de l'expliquer
et par conséquent de trancher la question du statut précis du clina
men24. Mon but n'est pas de contester l'idée selon laquelle l'éviden
ce joue un rôle dans la réflexion épicurienne et lucrétienne sur la li
berté - bien au contraire - mais de montrer préliminairement que
l'évidence ne peut légitimement être invoquée qu'en ce qui concer
ne deux types de témoignages fournis par les sens concernant de
manière seulement dérivée ce que l'on entend - de façon sans doute
toujours fautive lorsqu'il s'agit des Anciens - par 'liberté'. Il s'agit
d'une part du fait, directement et diversement observable dans la
nature, que les êtres animés changent spontanément de trajectoire
pour aller là où les conduit leur plaisir; d'autre part du fait, égale
ment directement observable par les sens, que les hommes formu
lent des éloges ou des blâmes à propos de la conduite des autres
hommes.
Ces aspects clarifiés, il conviendra d'insister sur le point suivant:
si le changement de trajectoire spontané de l'animal d'une part,
l'éloge et le blâme de l'autre, présentent un caractère évident quant
à leur existence cela n'est en aucun cas exclusif d'une exigence
d'explication de ces phénomènes qui se donnent de manière si évi
dente, exigence qui, précisément, est constitutive de leur dimension
problématique. La place centrale qu'occupe l'évidence au sein de la
théorie épicurienne de la connaissance n'est pas totalement indé
pendante de la spécificité même de la physique atomistique. C'est
précisément parce que la physique d'Épicure est une physique ato
mistique, parce que sa théorie de la sensation s'énonce en termes
atomistiques, que sa théorie de la connaissance peut faire fond sur
l'évidence.
Cette confiance qu'Épicure nous invite à accorder au témoignage
fourni par les sensations ou les affections est fondée et justifiée par
l'explication apportée par la théorie des atomes et du vide, théorie
qui elle-même n'est pas contestée par l'évidence sensible. Le point
de départ de l'investigation scientifique réside dans l'évidence sen
sible, il est vrai; l'évidence sensible elle-même ne conteste pas, en
définitive, l'explication fournie par la théorie des atomes et du vide;

24 Comme le soutiennent Wendlandt, Baltzly, Freedom; voir aussi Morel,


Epicure, 305.

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 113

mais jamais Épicure n'en reste au niveau de l'expérience phénomé


nale. La méthode d'investigation épicurienne a en effet toujours
pour vocation majeure de passer de l'évident au non-évident et en
cela elle se distingue, sans aucun doute, de celle des empiristes. On
peut par conséquent supposer que le caractère évident du change
ment de trajectoire spontané universellement partagé par les êtres
animés et la constatation de l'existence, dans toutes les sociétés hu
maines, de l'éloge et du blâme n'excluent en aucun cas une exigen
ce d'explication atomistique de ces phénomènes.
On pourra certes objecter qu'il y a une différence notable entre la
physique et la théorie de la sensation qu'Epicure reçoit toutes consti
tuées de Démocrite - dont on peut difficilement dire, par consé
quent, qu'elles sont purement et simplement inférées de l'évidence
sensible25 - et l'hypothèse du clinamen qui peut avoir été élaborée
par Épicure a posteriori26 afin de rendre la théorie des atomes et du
vide compatible avec la capacité des êtres animés de décliner et avec
l'existence de l'éloge et du blâme; cela ne justifie pas, cependant,
l'absence d'explication. Au contraire, on peut considérer comme
exemplaire de l'épistémologie épicurienne, dans sa spécificité, cette
inférence d'une propriété fondamentale des atomes à partir de l'ob
servation sensible et sa confirmation par l'expérience sensible. Car
il en va bien, effectivement, d'un aspect des éléments fondamentaux
du système: la capacité des atomes à décliner. La référence faite au
clinamen pour 'expliquer' la déclinaison spontanée des êtres animés
et l'existence de l'éloge et du blâme laisse en effet à penser que tout
recours aux explications multiples, comme c'est le cas concernant
les phénomènes célestes dans la Lettre à Pythoclès21, est, en l'occur
rence, exclu.
Affirmer que la responsabilité n'a pas besoin d'être démontrée -
et non pas expliquée (la distinction est importante) - parce que toute
démonstration la suppose, me semble en revanche parfaitement lé
gitime notamment au regard, encore une fois, de la théorie épicu
rienne de la connaissance. D'où le recours, par Épicure, à un procé
dé logique de réfutation au livre XXV du Peri Physeôs afin de com

25 Sur les difficultés posées par l'épistémologie démocritéenne et notamment


le rôle qu'elle accorde à la sensation on pourra se reporter à Weiss, Theory, 47-56;
voir aussi Mondolfo, Democrito, 1-18; Taylor, Democritus, 21; D'Alessandro,
Genesi, 375-392; Sassi, Percezione, 227; Romano, Democrito, 201-223-, Monta
no, Democrito, 263-291; Salem, Démocrite, 129-186; Morel, Démocrite, 145
163; Lee, Epistemology, 181-217.
26 Voir sur ce point, Wasserstein, Science, 484.
27 Épicure, Lettre à Pythoclès, 85-88 = Long-Sedley 18 C.

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114 ANNIE HOURCADE

battre ceux qui pensent que tout advie


cependant de faire remarquer qu'Épicu
se fonde pas là non plus sur l'éviden
construit sa réfutation en s'appuyan
plus originelle, que la prise de position
sans l'apercevoir au moment même où
blâmer.

1. De Γ évident au non-évident: du dec

Dans le passage du De la nature où


crèce affirme que l'animal n'est pas m
sité interne (son poids) ou par la néces
qu'il peut également 'infléchir' son
conduit son plaisir: declinamus item m
regione loci certa, sed ubi ipsa tulit m
la même façon nos mouvements non p
certains, mais là où notre esprit lui-m
doute, ce changement possible de traj
êtres animés présente un caractère év
qu'il est possible en effet de le consta
qu'il constitue un trait universellemen
més, à quelques rares exceptions près.
sur le témoignage fourni par les sens e
doute, parler d'évidence.
Dans la Lettre à Hérodote, Épicure pr
choses d'après nos sensations, et de fa
sentes focalisations, soit de la pensée,
critères, et pareillement d'après les aff
que nous ayons une base pour nos infé
de l'évidence encore attendue et du non

είτα κατά τάς αισθήσεις δει πάντα τ


σας έπιβολάς ε'ίτε διανοίας είθ' ότου
δέ και τα υπάρχοντα πάθη, δπως αν κ
άδηλον έχωμεν οις σημειωσόμεθα.

28 Lucrèce, De ta nature, II 259. On trouve d


mus notamment chez Fowler, Lucretius, 325
rer le terme en son sens le plus littéral.
29 Lucrèce, De la nature, II251 -293 = Long-
30 Lucrèce, De la nature, II259-260.
31 Lucrèce, Lettre à Hérodote, 38 = Long-Se

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 115

L'observation faite par Lucrèce s'appuie incontestablement sur


la sensation qui joue ici ce rôle que lui conférait originellement Épi
cure, de «critère de vérité fondé sur les impressions évidentes de
soi», τα κριτήρια τα κατα τας ενάργειας32
Mais il s'agit ici de passer de ce qui est évident à ce qui est non
évident. En cela, Épicure se distingue manifestement des empi
ristes. L'évidence, en effet, fournit un point de départ, mais il ne
s'agit pas de s'appuyer exclusivement sur des collections de cas
pour élaborer une vérité scientifique qui résidera en une simple gé
néralisation, mais d'accéder à ce qui est non évident, non pas seule
ment au sens d'une prévision à partir d'une évidence présente de ce
qui se manifestera dans le futur de manière tout aussi évidente aux
sens, το προσμενόμενον, mais aussi d'une inférence, à partir de
l'évident, de ce qui est non évident, το άδηλον, et le restera, de ma
nière définitive, en ce qui concerne les sens33. Qu'est-ce qui permet
à Lucrèce, fidèle sans doute à la méthode épicurienne, de passer de
l'évident au non-évident, du declinamus à l'existence du clinamen?
Il est utile ici de faire référence à l'œuvre de Philodème De
Signis34 qui développe plus particulièrement la notion de 'similari
té'. Cette méthode permet de passer du connu à l'inconnu, de l'évi
dent au non-évident. L'exemple utilisé par Philodème est celui se
lon lequel «[...] c'est à partir du fait que tous les objets qui se meu
vent près de nous, tout en présentant toutes sortes de différences,
ont en commun de se mouvoir à travers des espaces vides, que nous
concluons qu'il en est de même sans exception, même dans le do
maine des choses non évidentes (τοις άδήλοις)». En vertu du prin
cipe d'économie, selon lequel il ne convient pas de considérer qu'il
existe une différence entre le comportement des corps macrosco
piques et celui des atomes, il est ainsi possible, par similarité, de
connaître les principes à partir de l'évidence sensible. Le fait évi
dent selon lequel les corps macroscopiques se meuvent dans l'espa
ce permet d'inférer, par le biais de la méthode de similarité, qu'il en
est de même pour les êtres microscopiques, autrement dit, les
atomes, qui se meuvent dans le vide. Les phénomènes constituent
donc en ce sens les 'signes'35 des choses non évidentes. Peut-on, à
présent, supposer que l'élaboration de la notion de déviation aléa

32 Épicure, Lettre à Hérodote, 52 =Long-Sedley 15 A.


33
Sur ce point tout particulièrement voir Lettre à Hérodote, 38 = Long-Sedley

Voir De Lacy, Philodemus.


Cfr. Barnes, Signs, 91-134.

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116 ANNIE HOURCADE

toire de l'atome est le résultat de cette


milarité et transposer, par conséquent, l
affirmer l'existence du vide à celui qui c
ce du clinamen! Le fait que les êtres an
cliner sans y être contraints par une néc
re permettrait ainsi d'inférer l'existenc
indépendante de son poids (nécessité int
sité extérieure).
Deux problèmes pourtant se posent
constituent les éléments premiers de tou
semble concerner que les êtres animés.
ce sensible habituelle nous constatons e
scopiques, lorsqu'ils ne subissent pas un
bent de manière rectiligne. En ce sens,
(declinamus) dans le cadre de la mise en
similarité, on ne parvient pas à opérer
l'évidence sensible en tant qu'elle consti
part de l'investigation, mais sa non-cont
de la méthode scientifique d'Épicure sur
Étant contestée par l'expérience, l'hypo
être rejetée. Cette difficulté est cepend
l'on précise que l'atome ne dévie que d
pas ainsi en contradiction avec le témoig
Le deuxième problème concerne la dim
méthode de similarité. En ce qui conc
Philodème, si les corps macroscopiques
précisément parce qu'ils se meuvent d
microscopique, il y a du vide. Dans ce c
permet de considérer qu'il existe un rap
des atomes et du vide et celui des phé
même pour la déviation? Peut-on suppo
déviation de l'être animé et la déviat
simple analogie pour dénoter un rappor
d'affirmer que c'est en raison d'une dév
microscopique que les êtres animés dé
macroscopique?
Il est possible, afin d'apporter une rép
solliciter la seconde méthode scientif

36 Lucrèce, De la nature, II 216-250 = Long-Se


Des Fins 119; Du Destin, 22,46.

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 1 17

d'élimination. Philodème y fait référence dans le texte dont il est


question ici, mais il s'agit surtout pour lui de montrer que cette mé
thode est en fait dépendante de la méthode de similarité. Elles sont
en effet sans aucun doute liées, la méthode d'élimination pouvant
pourtant davantage être qualifiée de déductive. Cette méthode est
brièvement mentionnée par Épicure dans la Lettre à Hérodote (50
51), mais elle est cependant décrite de manière plus détaillée dans
un passage du Contre les professeurs37 dans le cadre duquel Sextus
explique certaines notions de la théorie épicurienne de la connais
sance, notamment les notions d' 'évident' et de 'non-évident', d' 'at
testation' et de 'non-contestation', de 'contestation' et de 'non-attes
tation'. Ce passage de Sextus est particulièrement intéressant car il
permet de mesurer l'importance qu'Épicure attache à l'évidence:
ενάργεια qu'il considère comme le fondement (κρηπίς et θεμέ
λιος) de toutes choses38. On mesure également, dans ce passage,
l'importance accordée par Épicure à l'expérience sensible à laquelle
l'évidence toujours s'attache. Cela est vrai concernant les opinions
que nous pouvons former à propos du sensible, cela est également
vrai concernant les thèses soutenues à propos de ce qui est άδηλον,
non évident. Dans les deux cas, l'évidence est critère, mais de ma
nière indirecte en ce qui concerne le non-évident.
Épicure ménage ainsi une distinction terminologique entre l'at
testation (έπιμαρτύρησις) et la non-contestation (ουκ άντιμαρ
τύρησις). L'attestation concerne exclusivement les rapports que les
phénomènes entretiennent entre eux; la non-contestation s'inscrit
dans le cadre du rapport entre ce qui est manifeste (το φαινόμενου)
et ce qui est non évident. C'est plus particulièrement à cette notion
qu'il convient ici de s'attacher parce qu'elle concerne le rapport
entre les phénomènes et les principes physiques de la théorie ato
mistique. L'exemple utilisé par Sextus pour illustrer la non-contes
tation est significatif dans la mesure où il s'agit du vide, c'est
d'ailleurs également l'exemple utilisé par Philodème. L'opinion se
lon laquelle le vide existe est non contestée par ce qui est manifeste,
à savoir: le mouvement. «La non-contestation, en effet, est la
conformité de ce que l'on suppose ou de ce que l'on croit à propos

37 Sextus Empiricus, Contre les professeurs, VII 211-216 = Long-Sedley 18 A


(Usener 247, passage repris seulement partiellement in Long-Sedley), sur ce passa
ge notamment, voir Asmis, Method, 144 sqq. Sur les difficultés posées par la réfé
rence à Sextus, cfr. Long, Sedley, Philosophers, 195-199 et Sedley, Sextus Empi
ricus, 44-56.
38 Sextus Empiricus, Contre les professeurs, VII 216.

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118 ANNIE HOURCADE

de ce qui est non évident avec ce qui est


τύρησες δέ εστίν άκολουθεα του ύπο
τος άδηλου τω φαενομένω). Par exem
vide existe, ce qui est non évident, le ga
se évidente: le mouvement (οίον ό' Επίκ
ό πέρ εστεν άδηλον, πεστοΰταε δε' έν
της κενήσεως), car si le vide n'est pas,
plus obligé d'être (μή οντος γάρ κεν
εεναε), le corps en mouvement n'ayant p
plein et compact»39. A rebours, la con
contestation dans la mesure où c'est l
par ce qui est non évident. Ainsi si le sto
pas, le phénomène doit en même temps
pas,
ir \
selon
~ 55/
la5fc»\/
nécessité,
/
le mouvement

οντος γαρ κενού κατ αναγκην ουοε κενησες γεγνεταε .
L'évidence est ici également critère, comme c'est le cas dans la
méthode de similarité, mais la méthode ne part pas de l'évidence
pour en inférer les principes mais consiste à opérer, à partir des prin
cipes, un retour vers l'évidence sensible. Une hypothèse sera non
contestée ou au contraire contestée par l'évidence sensible qui
constitue ainsi non plus le point de départ mais le point d'arrivée de
la démarche d'investigation scientifique. Philodème a probable
ment raison lorsqu'il affirme que la méthode par élimination est tri
butaire de la méthode par similarité. Cela apparaît de manière évi
dente dans le cas du vide. L'hypothèse du vide est en effet forgée à
partir de la constatation du déplacement des corps macroscopiques
dans l'espace. Cette hypothèse se trouve vérifiée dans la mesure où
son contraire implique élimination du mouvement, ce qui est natu
rellement contesté par l'évidence sensible.
Je voudrais insister cependant sur le fait que même si l'évidence
est ici critère - comme c'est également le cas dans la méthode de si
milarité - possédant, par conséquent, une forme de priorité gnoséo
logique sur ce qui est non évident, en revanche, il convient de parler
de priorité, sinon ontologique, du moins étiologique, du non-évi
dent - du caché - sur ce qui est manifeste. Ainsi, ce qui garantit
l'existence du vide c'est bien l'évidence du mouvement; il y a
conformité de ce que je suppose à propos du non-évident avec ce
qui est manifeste. Mais on reste ici au niveau de la connaissance, de

39 Sextus Empiricus, Contre les professeurs, VII 213. Je renvoie tout particu
lièrement ici à Sedley, Sextus Empiricus, 50 sqq.
40
Sextus Empiricus, Contre les professeurs, VII 214-215.

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 119

l'appréhension des choses. En ce qui concerne leur existence, le


rapport s'inverse. Cela ressort du développement sur la non-contes
tation et plus encore sur la contestation, laissant supposer l'exigence
d'une existence conjointe du non-évident et du manifeste, voire,
plus sûrement encore, d'un rapport de causalité entre le non-évident
et le phénomène. Si le vide n'est pas (είναι), alors le mouvement
n'advient pas (γίγνεσθαι). Le lien entre le non évident - le caché -
et le phénomène n'est pas seulement de similarité mais de causalité.
La perspective rapportée par Sextus est pleinement conforme à
l'énoncé, par Lucrèce, de la vocation même de l'épicurisme: expli
quer les phénomènes par les principes41.
Est-il possible d'appliquer la méthode d'élimination, telle qu'elle
est mise en œuvre à propos du mouvement des corps macrosco
piques, au mouvement spécifique des êtres animés? Wendlandt et
Baltzly construisent le raisonnement suivant: si nos choix sont le ré
sultat d'enchaînements atomistiques de causes et d'effets, nos choix
ne sont pas libres. Si les atomes sont seulement mûs par leur propre
poids et les chocs qu'ils subissent, alors nos choix sont le résultat
d'enchaînements etc. Mais l'évidence montre que parfois nous choi
sissons librement et que nous sommes par conséquent susceptibles
d'éloge ou de blâme en fonction de nos choix. Donc l'opinion que nos
choix sont le résultat d'enchaînements atomistiques etc. est contestée
par ce qui est évident par soi et est par conséquent fausse. Seule la dé
viation de l'atome est susceptible de constituer une cause de mouve
ment distinct du poids et des chocs. Donc les atomes dévient42.
Je ne conteste pas le fait qu'Épicure a supposé l'existence du cli
namen afin de rendre compte d'une évidence phénoménale. L'ana
logie ménagée avec l'élaboration de la notion de vide est, en ce
sens, sans aucun doute féconde et éclairante, même si rien n'atteste,
dans la tradition épicurienne, qu'Épicure a bien tenu un tel raisonne
ment. En revanche, il me semble qu'il est abusif de considérer que
le libre choix - tel qu'il est décrit au livre XXV du Peri physeôs -,
celui qui nous rend susceptibles de l'éloge ou de blâme, constitue ce
qui, dans le raisonnement rapporté par Sextus, pourrait en quelque
sorte tenir le rôle du mouvement. Que le libre choix et l'existence de
l'éloge et du blâme présentent, pour Épicure, un caractère 'évident'
est un point sur lequel je voudrais revenir. En tout état de cause, si
l'on tient à tout prix à ménager une analogie entre le raisonnement

41 Cfr. Lucrèce, De la nature, I 54-61; 127-130; 144-145; 949-950; II 60-61;


125-128; Ili 91-93; VI 39-42.
42 Wendlandt, Baltzly, Freedom, 63 et 67.

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120 ANNIE HOURCADE

qu'Épicure a tenu à propos du vide et


propos de la déviation, il me semble qu'
gitime pour jouer analogiquement le rôle
ce mouvement de déviation des êtres an
chissons de la même façon nos mouveme
en un lieu certains, mais là où notre espr
Il ne s'agit plus, à présent, de s'appuyer
mouvement des êtres animés macrosc
vertu du principe d'indifférence) des ato
évident au niveau macroscopique doit êt
microscopique - mais sur le fait que la
clinamen conduit à l'élimination du mouvement de déviation des
êtres animés.
En d'autres termes, si le clinamen n'existe pas, alors la déviation
macroscopique - si évidente chez les êtres vivants - n'existe pas
non plus; il convient, par conséquent, de l'éliminer. Or, l'évidence
sensible conteste cette absence de déviation macroscopique, en re
vanche, l'opinion selon laquelle le clinamen existe est non contestée
par ce qui est manifeste, donc le clinamen existe44. Nier en effet
l'existence du clinamen - en d'autres termes, affirmer que l'atome
est exclusivement mû par le poids et le choc - conduit à la contesta
tion de ce qui est non évident par ce qui est manifeste car si le clina
men n'est pas, «[...] si tout mouvement est toujours enchaîné, si un
nouveau vient d'un ancien dans un ordre déterminé [...] d'où vient
aux animaux, à travers le monde, cette volonté libre, d'où vient, dis
je, cette volonté arrachée au destin qui nous permet d'aller où nous
conduit notre plaisir?»45.

si semper motus conectitur omnis,


et uetere exoritur nouus ordine certo

libera per terras linde haec animantibus exstat,


unde est haec, inquamjatis auolsa uoluntas,
per quam progredimur quo ducit quemque uoluptas.

Il ne s'agit pas ici de discuter des difficultés que pose cette notion

43 Lucrèce, De la nature, II257-260.


44 Sur ce point, cfr. Fowler, Lucretius, 323-324 qui souligne que le passage de
Lucrèce, dans la mesure où il fait avec insistance appel à l'expérience (263 nonne
vides etiam, 269 ut videas, 277 iamne vides igitur) prend la forme d'un argument
du type σημείωσις άπό των φαινομένων. Il passe cependant directement de la
libre volonté au clinamen.
45 Lucrèce, De la nature, II251-252; 256-258.

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 121

de libera voluntas. Rappelons simplement trois considérations très


classiques à son propos. Tout d'abord, elle est toujours évoquée par
Lucrèce associée à un mouvement existant à côté et parfois contre
les autres types de mouvements macroscopiques, comme en té
moigne la suite du texte46 de Lucrèce: l'exemple des chevaux et ce
lui de l'individu qui résiste à la pression de la foule, l'un et l'autre
étant représentatifs de types de mouvements spécifiques dont la
cause n'est ni le poids ni le choc. Ensuite, le mouvement en ques
tion ne concerne pas tous les êtres macroscopiques, mais seulement
les animaux ou de manière plus large les êtres animés seuls capables
de ce mouvement spontané. On peut d'ailleurs, à cet égard, suppo
ser que la notion de libera voluntas est le résultat de l'observation
réitérée de cas particuliers de mouvements déclinants chez les êtres
vivants. En cela, la libera voluntas constitue bien une notion qui
puise son caractère évident et étranger à toute démonstration dans le
rapport qu'elle entretient avec l'expérience. Enfin, ce mouvement
présente, comme on le sait, un rapport d'analogie directe avec le cli
namen et ce, en plein accord avec la théorie atomistique de la
connaissance: l'opinion à propos de ce qui est non évident étant éla
borée à partir de ce qui est manifeste.
Je voudrais donc insister ici sur le fait que la déclinaison des êtres
animés, ce fameux declinamus associé à la libera voluntas par Lu
crèce, présente à la fois un caractère plus général et plus simple que
la responsabilité, celle qui fait qu'il y a bien des choses qui dépen
dent de nous et qui nous rend, par conséquent, susceptibles de l'élo
ge et du blâme, ainsi que l'affirme Epicure au livre XXV du Peri
physeôs. Il me semble en conséquence qu'affirmer qu'Épicure a in
féré le clinamen directement de la responsabilité, qui doit être
considérée plus vraisemblablement comme une notion47 et ne
concerne que l'homme, équivaut à oublier une étape intermédiaire,
celle de ce mouvement de déviation spontané des êtres animés, que
Lucrèce associe à la libera voluntas, qui fournit sans doute, en rai
son des caractéristiques que nous avons évoquées ci-dessus, un élé
ment intermédiaire entre la déviation des atomes et cette responsa
bilité qui nous rend - nous êtres humains - susceptibles d'éloge et
de blâme, alors que les animaux - pourtant eux-mêmes doués de li
bera voluntas - ne le sont pas48. Le clinamen serait alors la condi

46 Lucrèce, De la nature, II263-283.


47 Je développerai ce point infra, 125 sgg.
48 Sur le fait que les animaux dressés, à la différence des animaux sauvages,
peuvent cependant faire l'objet de blâme parce que leur comportement n'est pas

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122 ANNIE HOURCADE

tion nécessaire pour rendre compte d


maux et la condition nécessaire mais no
compte de la responsabilité chez l'homm
Il reste pourtant une difficulté concern
est évident et les atomes. On pourrait en
gner que la méthode de similarité comm
si elles permettent d'effectuer le pass
dent, le font peut-être 'd'un bond', de
mettant nullement d'instaurer entre eux
un rapport de continuité. C'est d'ailleurs
Wendlandt et Baltzly lorsqu'ils affirmen
to make is this: when an opinion is not c
it may explain what is évident. But i
termes, selon ces auteurs - cet aspect m
leur argumentation d'ensemble -, il con
démarche gnoséologique épicurienne, au
des méthodes successives de similarit
pour vocation exclusive d'expliquer l'évi
dent et que le caractère véridique, et pa
d'une opinion ne dépend pas de sa dime
lon ces auteurs, l'opinion selon laquelle
contestée par l'évidence du mouvement
plique pas; de même l'opinion selon l
n'est pas contestée par la liberté, mais n
Une telle perspective laisse une part tr

complètement déterminé par leur constitution in


19; sur ce point voir cependant aussi Verlinsky
merstaedt, Atomismo, 152 sqq.
49 Je me range ici complètement à l'avis de Pur
50 Wendlandt, Baltzly, Freedom, 67.
51 En cela, leur orientation ne diffère pas en
Bollack, Momen, 175, qui nie l'existence d'une r
atomes et le vide d'une part et le visible de l'au
menée à ses causes atomistiques - c'est l'interpr
rapporte les mouvements à une complexion propr
pas juste non plus de se dire, quand on a comp
que la 'déclinaison', dans le domaine psychologi
atomes dans le vide. Elle lui correspond seulem
que nous faisons subir à notre conduite (declin
avec le même mot, à la déviation minimale (de
elles sont 'libres' toutes deux. L'analogie porte seu
par le poids et le choc. Ainsi declinamus item, n
phore de la troisième cause».

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 123

t-il, à la dimension empiriste de la pensée épicurienne d'une part; el


le dépouille d'autre part la théorie des atomes et du vide de toute for
me de nécessité. Si la méthode de similarité se limite à mettre en évi
dence des rapports purement analogiques et non explicatifs entre
l'évident et le non-évident, alors la théorie des atomes et du vide res
te de l'ordre de la simple hypothèse, y compris si la méthode d'éli
mination garantit qu'elle n'entre pas en contradiction avec l'expé
rience sensible52. Si tel était le cas, on ne pourrait plus considérer
comme réellement scientifiques que les deux autres aspects des mé
thodes d'investigation épicuriennes: dans le cas de la méthode par
similarité celle qui permet d'induire à partir d'une évidence sensible
particulière réitérée une vérité universelle: ainsi de l'exemple choisi
par Philodème: «Ainsi, nous disons que l'homme, en tant qu'il est
un homme et en ce qu'il est un homme, est mortel, parce que nous
avons rencontré une grande diversité d'hommes sans avoir jamais
trouvé le moindre écart quant à un attribut accidentel de cette espè
ce, ni quoi que ce soit qui nous amène à l'idée opposée»53. Dans le
cas de la méthode plus particulièrement décrite par Sextus, l'attesta
tion qui concerne exclusivement le niveau des phénomènes, n'opé
rant pas, par conséquent, le passage vers le non-évident par soi,
c'est-à-dire les atomes et le vide, mais validant une opinion à propos
de ce qui est 'à venir (το προσμένον)'. «Par exemple, si Platon
s'avance de très loin, je forme l'opinion conjecturale, à cause de la
distance, que c'est Platon. Mais quand il s'est approché, l'attestation
s'ajoute que c'est bien Platon, maintenant que la distance est suppri
mée, et cela est attesté par l'évidence elle-même»54.
Il existe pourtant sans aucun doute une primauté, dans la théorie
épicurienne de la connaissance, des aspects de la méthode qui per
mettent de passer de l'évident au non-évident et de confirmer la
théorie élaborée à propos du non-évident par l'évident. La raison en
réside, comme je l'ai déjà indiqué, dans le fait que les atomes sont

52 Je suis sur ce point la perspective mise en œuvre par Long, Sedley, Philoso
phers, 196-197. Voir aussi sur l'analogie entre les phénomènes et les atomes et le
vide, Purinton, 'Free Volition', 272-273, passage dans lequel il souligne que le
rapport analogique entre niveau macroscopique et niveau microscopique, même
s'il permet de passer, par le raisonnement, du premier au second, constitue aussi la
marque chez Epicure du rapport de dépendance que les phénomènes entretiennent
avec les atomes et le vide. En d'autres termes, c'est parce que les phénomènes sont
causés par les atomes et le vide qu'il est possible de déceler un rapport analogique
entre ce qui est manifeste et ce qui est non évident.
53 Philodème, De signis, 34.29-36.17 = Long-Sedley 18 G.
54 Sextus Empiricus, Contre les professeurs, VII 211-216 = Long-Sedley 18 A.

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124 ANNIE HOURCADE

au fondement de l'évident, autrement dit,


ce qui tombe sous les sens. La méthode par
ce point, si le vide n'est pas, le mouvemen
le vide est la condition de possibilité du m
théorie épicurienne de la connaissance ne
une sorte de caution scientifique à des fi
core une fois, si l'épicurisme peut faire d
part et d'arrivée de sa démarche gnoséolo
parce qu'il s'agit d'un atomisme. Si les sen
de vérité, c'est parce que la sensation est,
en termes de contact direct avec les chose
tamment la théorie épicurienne des simul
perspective à la lettre, l'évidence même d
mé, indépendamment de son poids ou du
viation telle qu'elle apparaît aux sens, s
quoi que ce soit, est l'image même de ce q
voilà l'évidence56.
Si l'on entend à présent passer à ce qui e
des atomes et du vide, c'est de l'évidence
qu'il convient de partir puisque la réalité
d'atomes et de vide. Tout ce qui arrive, p
dement ontologique les atomes et le vide,
observables par les sens ne sont que le re
atomes et le vide. C'est pourquoi Lucrèc
«[...] d'où vient aux animaux, à travers le m
[...] qui nous permet d'aller où nous condu
dent, ce qui se manifeste: le fait précisém
vier de sa trajectoire de manière spontané
me le signe du non-évident qui en constit
té. Ainsi, au même titre que le vide const
vement dans la mesure où il constitue sa
même si l'hypothèse du vide n'épuise pas
vement et que d'autres facteurs entrent e
men est la condition de possibilité du mo

55 Épicure, Lettre à Hérodote, 46-53 = Long-S


ture, IV 256-268; 722-822 = Long-Sedley 15 C-D
professeurs, VIII 63 = Long-Sedley 16 F. Pour u
épicurienne selon laquelle toutes les sensations son
125-142.
56 Épicure, Lettre à Hérodote, 46-53 = Long-Sedley 15 A.
57 Lucrèce, De la nature, II256-257.

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 125

mal, meme si d autres facteurs interviennent - notamment le plai


sir58 - pour en rendre compte. En cela, sa fonction est explicative.
Ainsi, il me semble extrêmement difficile de soutenir que l'ana
logie possible entre l'évidence sensible et le non-évident ne re
couvre pas un rapport plus fondamental entre les principes et les
phénomènes. L'évidence sensible elle-même s'en trouve déconsidé
rée, se trouve entachée dès l'origine d'illusion puisqu'une part de ce
qui est senti ne se retrouve pas au niveau des principes, ou, plus pré
cisément, ne trouve pas une explication satisfaisante au niveau des
principes59. Dépouillée de sa dimension explicative, la théorie des
atomes et du vide n'aurait finalement de scientifique gue le nom et
s'apparenterait beaucoup plus certainement à ce qu'Épicure et ses
successeurs se sont pourtant employés à combattre: un mythe.
Le problème reste entier mais il ne laisse pas d'en être un. Quelle
forme prend l'explication du declinamus par le clinamerii Aucun
texte épicurien n'en développe clairement les aspects, toute pers
pective revêt par conséquent une dimension purement conjecturale.
Je voudrais simplement souligner ici la compatibilité de l'hypothèse
épicurienne du clinamen avec la dimension non téléologique du
système60. Seul le clinamen, propriété atomistique, permet de
rendre compte en terme de causalité efficiente - et strictement ato
mistique - du comportement animal et, à un niveau plus complexe,
comme nous le verrons, de l'action humaine.

2. Evidence première de Ι'επιτι,μωμεν et préconception


de la responsabilité
Au début de la Lettre à Ménécée61, Épicure évoque le fait qu'il y
a des choses qui dépendent de nous: «Qui, après tout, considères-tu
comme supérieur à celui qui [...] se moque du <destin>, dont cer
tains font le maître souverain de toutes choses, <mais qui voit que
certaines choses arrivent par nécessité>, que d'autres sont dues au
hasard, et que d'autres dépendent de nous, puisque ce qui est néces

58 Sur le rôle du plaisir cfr. Wolff, Clinamen, 35 sqq.


59 Ainsi de la couleur perçue qui, même si elle ne constitue pas une qualité des
atomes eux-mêmes, peut être expliquée de manière satisfaisante par la disposition
et la forme des atomes constituant le composé. Loin d'infirmer le caractère tou
jours véridique des sensations, la théorie des atomes et du vide permet de rendre
compte des apparentes illusions d'optiques. Sur ce point voir Lucrèce, De la
nature, IV 353-363 = Long-Sedley 16 G et 722-822 = Long-Sedley 15 D.
60 Cfr. Lucrèce, De la nature, IV 822-857.
61 Épicure, Lettre à Ménécée, 133 = Long-Sedley 20 A.

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126 ANNIE HOURCADE

saire n'est à mettre au compte de person


chose instable à considérer, alors que ce
le blâmable et son contraire sont natur
maître?»:

à δέ άπό τύχης, à δέ παρ' ήμάς, δί.ά τό τήν μέν άνάγκην άνυπεύ


θυνον είναι., τήν δέ τύχην άστατον όραν, τό δέ παρ' ήμάς άδέσποτον
ώ και τό μεμπτόν και τό εναντίον παρακολουθεί ν πέφυκεν...

On retrouve d'ailleurs une référence similaire au fait qu'il y a des


choses qui dépendent de nous associée, ainsi que le hasard, à la no
tion de clinamen dans le De Signis de Philodème: «en effet, il ne
suffit pas, pour accepter les déclinaisons minimales des atomes,
d'invoquer le hasard et ce qui dépend de nous; il faut montrer en
outre que rien d'autre, parmi les choses évidentes de soi, n'est en
conflit avec la thèse»62:

ού γάρ ίκανόν εις τό προσδέξασθαι τάς έπ' έλάχιστον παρενκλί


σεις των άτόμων διά τό τυχηρόν και τό παρ' ήμάς, άλλα δει προσεπί.
δείξαι και τό μηδ άλλο έν τούτωι μάχεσθαι των έναργών.

Considérer que le fait qu'il y a des choses qui dépendent de nous


présente un caractère évident semble attesté par ce passage de Philo
dème qui considère, semble-t-il, τό παρ' ημάς, ainsi d'ailleurs que le
hasard (τό τυχηρόν), comme figurant parmi les choses évidentes63.
Dans ce cas, de quel type d'évidence relève τό παρ' ημάς? Pour
Épicure, on le sait, ce qui présente pour nous un caractère évident ce
sont les sensations ou les affections - autrement dit plaisir et dou
leur - et les préconceptions. Le fait que des choses dépendent de
nous peut-il être considéré comme un affect? Cela semble très dis
cutable: de fait, il ne s'agit pas à proprement parler d'un plaisir ou
d'une douleur, même s'il est vrai que tout, pour Épicure, s'accom
pagne de l'un ou l'autre de ces affects; évoquer l'éventualité d'un
'sentiment' de liberté apparaît ici anachronique. Reste l'éventualité
d'une assimilation de la responsabilité à la préconception. Au livre
XXV du Peri Physeôs d'Épicure figure le terme de préconception
utilisé à propos de notre responsabilité. De nombreuses difficultés
s'élèvent pourtant d'emblée lorsque l'on fait référence au passage
dans lequel le terme s'inscrit, d'une part son caractère très lacunaire
qui rend toute interprétation difficile; d'autre part sa dimension

62 Philodème, De signis, 34.29-36.17 = Long-Sedley 18 G.


63 Sur ce passage et plus particulièrement la notion de hasard cfr. Long,
Chance, 86.

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 127

polémique sur laquelle je reviendrai. Je cite le passage de l'édition


Laursen: «se réprimander, se combattre, se réformer les uns les
autres comme si la cause se trouvait aussi en nous-mêmes et pas
seulement dans la constitution originelle et dans la nécessité méca
nique de ce qui nous entoure et nous pénètre. Car si quelqu'un attri
buait la nécessité mécanique aussi au fait de réprimander ou d'être
réprimandé et à ce qui se trouve en lui à un moment donné [...] blâ
mant ou louant, mais en agissant ainsi, alors qu'il laisserait subsister
l'action que nous avons à l'esprit en ce qui nous concerne confor
mément à notre préconception de la cause, il en changerait [seule
ment] le nom»64:

νουθετειν τ ' άλλήλους και μάχεσθαι και μεταρυθμίζειν ως


έχοντας και έν έαυτόϊς τήν αίτίαν και ούχί έν τήι έξ αρχής μόνον
συστάσει και έν τήι τοΰ περιέχοντος και έπεισιόντος κατά το αύτό
ματον ανάγκη, εί γάρ τις και τώι νουθετέϊν και τώι νουθετέισθαι
τήν κατά το αύτόματον άνάγκην προστιθείη και τοΰ ποθ' έαυτώι υ
πάρχοντος [...] συνιέναι μεμφόμενος ή έπαινών, άλλ' εί μέν τοΰτο
πράττοι, τό μέν έργον αν εΐη καταλειπον δ έφ ήμών αύτών κατά τήν
τής αιτίας πρόληψιν έννοοΰμεν, το δ' ονομα μετατεθειμένος.

S'il est en effet possible de considérer que la notion de préconcep


tion s'applique ici à la cause ou 'la cause par nous-mêmes', on se
trouve alors devant l'illustration d'un aspect fondamental de la théo
rie épicurienne de la connaissance: le fait que la préconception a
pour origine un ensemble de sensations dont l'empreinte réitérée
dans la mémoire conduit à la formation d'une image représentative
d'un 'type' général. Diogène Laërce, en ce sens, définit la précon
ception comme «une perception, ou une opinion droite, ou une no
tion, ou une pensée générale se trouvant en nous, c'est-à-dire le sou
venir de ce qui nous est souvent apparu en provenance de l'extérieur,
par exemple 'telle chose est un homme'. En effet, en même temps
que l'on dit 'homme' aussitôt par la préconception on pense à une
image de l'homme du fait que les sensations ouvrent le chemin»65:

τήν δέ πρόληψιν λέγουσιν οιονεί κατάληψιν ή δόξαν όρθήν ή


εννοιαν ή καθολικήν νόησιν έναποκειμένην, τουτέστι μνήμην, τοΰ
πολλάκις έξωθεν φανέντος, οιον τό τοιοΰτον έστιν άνθρωπος, άμα
γάρ τω ρηθήναι άνθρωπος εύθύς κατά πρόληψιν και ό τύπος αύτοΰ
νοείται προηγουμένων των αισθήσεων.

64 Laursen, Epicurus, 35, références du texte: 1191-10 sup./691, 4, 1, 2/1056,


7,1.
65 Diogène Laërce, X 33 = Long-Sedley 17 E.

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128 ANNIE HOURCADE

On sait que les préconceptions - co


sont l'origine - présentent, selon Épic
Dans quelle mesure peut-on considé
choses qui dépendent de nous, le fai
ponsables de ce que nous faisons, indé
et de la nécessité, présente un caractèr
tut de préconception? Quelles sensa
'conservées' dans la mémoire, sont à
tion de la responsabilité? On ne peut q
responsabilité, présente un caractère
table par la sensation. Il ne peut s'agir
nous-mêmes et par les autres, de l'élog
On trouve, en effet, dans le Peri phy
fait, pour l'homme, de louer et de blâm
culièrement à proximité de la référenc
me le soulignent Long et Sedley: «C'es
aux autres que se crée notre préconcep
tant qu'il est responsable de ses action
préciser ici que la préconception de la
constitue pas le résultat d'une expérien
d"intérieure' - Long et Sedley utilisen
trospection'70. Il me semble plus juste
patible avec l'époque à laquelle écrit Ép
qui présente un caractère évident et pr
est, à proprement parler, à l'origine d
ponsabilité, ce sont ces manifestatio
constituent l'éloge et le blâme auxquel
té de manière précoce, réitérée et néc
blâmé, soit que lui-même loue ou blâm
Ainsi convient-il - le Peri physeôs se
prendre avant tout en compte les exp
Il s'agit en effet, lisons-nous, de 'com
mander' et d' 'être réprimandé', tou
sous forme de verbe substantivé (το ν

66 Ibid:. έναργεΐς ούν είσιν αί προλήψεις.


67 Dans l'édition Laursen: 1191-22 inf./11
2/1191-21 inf./l 191-20 sup. (in Long-Sedley
p. 19; voir aussi 1191-20 inf./l 191-19/1191-18
68 Voir supra.
69 Long, Sedley, Philosophers, 212.
70 Long, Sedley, Philosophers, 184.
71 Cfr. sur ce point, par exemple, Dodds, Irra

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 129

θαα), au participe (μεμφόμενος ή έπαινών), soit, plus encore, à la


première personne du pluriel, conjuguées au présent (μαχόμεΟα
και έπιτί,μώμεν). Il est vrai que le style du passage est peut-être
tributaire de sa forme: un cours et non un traité, mais il reste que le
procédé est efficace dans la mesure où Épicure, par cette insistance
avec laquelle il associe louange et blâme - dans leur formulation ef
fective - à la responsabilité, retrace la généalogie de l'élaboration
de la notion de responsabilité en réactivant, en quelque sorte, les
différentes expériences sensibles qui en sont à l'origine et qui lui
confèrent, précisément, son caractère évident72. C'est en ce sens
parce que nous (nous) réprimandons, nous (nous) blâmons, nous
(nous) réformons les uns les autres, qu'il y a évidence qu'il y a des
choses qui dépendent de nous: παρ' έμας. Enfin, dernier point sur
lequel je reviendrai d'ailleurs dans la dernière partie de cette étude:
la réfutation même conduite par Épicure se fonde sur l'attitude que
son adversaire adopte précisément au moment où il parle (ici et
maintenant): le fait qu'il formule une critique de la thèse adverse, en
d'autres termes, qu'il la blâme.
On ne peut pas ne pas souligner ici que Lucrèce, lui aussi, lors
qu'il évoque ces expériences qui conduisent à supposer l'existence
du clinamen, le fait également en ayant recours, certes, à l'universa
lité, chez les êtres vivants, du changement de trajectoire, mais aussi,
comme Épicure dans le Peri physeôs, à la première personne du plu
riel. Je renvoie au passage référencé dans les développements qui
précèdent à propos des vers 257 et 258 du livre II du De la nature·.

per quam progredimur quo ducit quemque voluptas


declinamus item motus nec tempore certo.

On trouve dans la tradition épicurienne deux textes qui associent


expressément la responsabilité et la déviation de l'atome: il s'agit
d'une part du texte de Philodème cité précédemment selon lequel,
rappelons-le, le hasard et la responsabilité, qui présentent un carac
tère évident, ne suffisent pas à accepter la déviation minimale. Il
convient, en effet, de s'assurer que rien parmi les choses évidentes
ne combat cette thèse73. Ce passage fournit sans doute une illustra

72 II est vrai que cette place accordée à l'éloge et au blâme, outre sa fonction
gnoséologique, revêt indubitablement une portée éthique en ce qu'elle accorde un
rôle central à l'éducation. En cela, l'éthique d'Épicure, notamment par la place
qu'elle accorde ainsi à l'éloge et au blâme, présente des points de convergence
avec celle d'Aristote. Cette perspective cependant ne s'inscrit pas dans le cadre de
cet article.
73 Philodème, De Signis, 34.29-36.17 = Long-Sedley 18 F.

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130 ANNIE HOURCADE

tion de la méthode exposée par Philodèm


nation. Le point de départ et le point d'arr
les données fournies par la sensation.
Diogène d'Œnoanda insiste lui aussi sur
fondé sur l'évidence de ce qui se manifest
de l'existence de la déviation: 'Επίκουρ
παρενκλιτικήν ύπάρχουσαν, ώς έκ τ
σιν74. Diogène ne précise pas de quel typ
ici, il est possible, sans doute, d'opérer le
re classique, avec le passage de Lucrèce
tant de souligner, cependant, que dans la s
primande et à l'admonestation que Diogèn
un argument supplémentaire dans le sens
tion: τό δέ μέγιστον πιστευθείσης γά
πασανουθεσία και έπιτείμησις και ου
On touche ici au cœur même du probl
s'interroger sur la nature du rapport que
l'atome entretient avec les manifestation
ponsabilité. J'ai fait allusion, dans le préam
qu'il n'a pas été trouvé pour l'instant de s
faisante à ce problème. J'ai également év
sence pure et simple de solution en rais
quence de la pensée d'Épicure, comme le s
pos n'est pas de confronter ici ces différe
de solution) mais d'insister sur la prése
Peri physeôs - dans des passages qui incon
la responsabilité - de références réitéré
mais aussi aux atomes, ainsi que le met ré
manière extrêmement intéressante, Jiirge
volonté épicurienne, dans le cadre d'un
responsabilité, de fournir ce qu'il faut
tion', me semble un argument de poids po
quelle le caractère évident de la responsab
cher l'explication.
Il en va néanmoins autrement de la dém
dans les pages qui précèdent, de montrer
ponsabilité a fait l'objet, de la part d'Épic
d'une recherche d'explication élaborée,
moins que cette explication même conser

74 Diogène d'Œnoanda 32.1.14-3.14 = Long-Se


75 Hammerstaedt, Atomismo, 158.

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 131

tique. En revanche, j'aimerais à présent mettre l'accent sur la dis


tinction qu'il convient d'opérer, concernant la responsabilité chez
Épicure, entre une exigence renouvelée et peut-être non aboutie
d'explication, d'une part, et la vanité déclarée de toute forme de dé
monstration de la responsabilité, de l'autre, en vertu, précisément,
de son caractère évident.

3. Évidence de la sensation et évidence de la responsabilité

Au début de la Lettre à Hérodote, Épicure pose comme première


règle du connaître: «Pour commencer, donc, Hérodote, nous devons
saisir les choses qui sont sous-jacentes aux mots, de sorte que nous
puissions en disposer comme d'un repère en référence auquel juger
les matières d'opinion, de recherche et d'embarras, et que tout ne
sombre pas pour nous dans l'indécision au long de chaînes infinies
de preuves, ou que nous n'usions de mots vides. En effet, le concept
premier qui correspond à chaque mot doit être vu, sans aucun be
soin de preuve additionnelle, si nous devons avoir un repère auquel
référer les matières de recherche, d'embarras et d'opinion»76:

πρώτον μεν οΰν τά ύποτεταγμένα τοις φθόγγους, ώ Ηρόδοτε, δει


είληφέναι, όπως αν τά δοξαζόμενα ή ζητούμενα ή άπορούμενα εχω
μεν εις ταύτα άναγαγόντες έπικρίνειν, και μή άκριτα πάντα ήμΐν
εις άπειρον άποδεικνύουσιν ή κενούς φθόγγους έχωμεν. ανάγκη γάρ
τό πρώτον έννόημα καθ' εκαστον φθόγγον βλέπεσθαι και μηθέν ά
ποδείξεως προσδείσθαι, ε'ίπερ εξομεν τό ζητούμενον ή άπορούμε
νον και δοξαζόμενον εφ ό άνάξομεν.

Il n'est pas possible de déterminer ici si la notion de 'concept pre


mier' constitue une référence à la préconception77, mais la défini
tion même de la préconception, telle qu'elle apparaît dans le Ca
ηοηΊί, semble bien aller dans ce sens.
Au livre XXV du Peri Physeôs, ce qu'Épicure reproche à son ad
versaire - celui qui soutient que tout arrive selon la nécessité -, c'est
précisément cet aveuglement, cette incapacité à 'voir' le concept
premier qui correspond à chaque mot dont il est question dans le
passage de la Lettre à Hérodote mentionné ci-dessus. Pour autant,
afin de conduire son adversaire à voir le concept premier, Épicure

76 Épicure, Lettre à Hérodote, 37-38 = Long-Sedley 17 C; voir aussi 73-74.


77 Cfr. sur ce point le commentaire de Long, Sedley, Philosophers, en regard
du texte note 1, p. 181.
78 Citée supra.

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132 ANNIE HOURCADE

ne peut procéder par 'démonstration' dan


la est stipulé également dans le même
concept premier sans 'preuve additionnel
du concept est corrélative du caractère
miers, de l'inutilité - et peut-être de l
concerne le concept de responsabilité, de
sure où, précisément, toute démonstratio
par conséquent de procéder par voie de ré
raisonnement qui se résoudrait, en défin
tion de principe.
La démarche d'Épicure, pourtant, présen
qu'il convient ici de souligner en ce qu'ell
de retour aux sources originelles de la pr
lité afin de conduire son adversaire à 'voi
semble rester aveugle: l'évidence de la res
l'existence d'une cause qui ne soit pas la n
ne) mais qui doive nous être imputée, en
agents. C'est au plus près de l'expérienc
placer pour lire le texte d'Épicure. La p
sait, son évidence dans le fait qu'elle est
sensorielles réitérées qui conduisent à
d'une notion première à laquelle est ass
ment, pour l'adversaire d'Épicure, la préc
bilité ne présente pas un caractère éviden
une forme de confusion concernant les mots. Il convient donc de re
faire la généalogie même de la préconception en le conduisant à re
monter jusqu'à son origine: l'expérience sensorielle qui a présidé à
sa constitution, à savoir, le fait que nous blâmons, que nous nous
corrigeons mutuellement. Épicure, pourtant, n'en appelle pas à la
mémoire de son adversaire, il fait beaucoup plus, il le conduit à
prendre conscience qu'au moment même où il soutient sa thèse de
la nécessité - où par conséquent il en fait l'éloge en tant qu'il la
considère comme supérieure à la thèse opposée qu'il critique et
qu'il blâme - son attitude même manifeste le contraire de ce que
son argumentation semble soutenir et cette dernière se trouve par
conséquent réfutée.
Il est clair, en ce sens, que la responsabilité n'a nul besoin d'être
démontrée. Il convient pourtant de souligner la présence, dans le
texte, du terme έπιλογισμός. Il est peut-être possible, en ce sens,

79 Je renvoie sur ce point à Morel, Épicure, 313, qui suggère un rapproche


ment avec le livre Gamma de la Métaphysique d'Aristote.

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 133

de considérer que l'usage de ce terme80, qui est, comme on le sait,


distingué dans la Lettre à Hérodote (73) de la démonstration, a pour
but précisément d'insister sur le soubassement empirique de cette
réfutation épicurienne de la thèse de la nécessité, en ce qu'elle se
fonde, de manière directe, effective et exclusive, sur l'expérience
sensible de l'adversaire. Mais l'usage du terme est aussi, et plus en
core peut-être, significatif de la démarche spécifiquement épicu
rienne du passage de l'évident au non-évident et de fait, il me
semble, en ce sens, tout particulièrement éclairant de souligner que
conjointement à la réfutation logique de la thèse selon laquelle seule
existe la nécessité Épicure s'emploie à proposer un ensemble d'ex
plications dont le but est sans doute de rendre compte de la respon
sabilité, de passer, par conséquent, de l'évident au non-évident, no
tamment, comme je l'ai déjà souligné, par les références qu'il effec
tue aux atomes et aux fameux άπογεγεννημ,ένα dont on voit mal
pourquoi il ferait mention si la responsabilité n'avait nul besoin
d'être expliquée et réinscrite dans le cadre de la théorie des atomes
et du vide, dans sa dimension psychologique et physique81.
Notons enfin que ce passage du livre XXV du Peri physeôs pré
sente, comme cela a été fréquemment souligné, des points com
muns remarquables avec la défense épicurienne de la vérité des sen
sations82. Épicure, en ce sens, critique la conception mise en œuvre
encore une fois par Démocrite - ou plus vraisemblablement par ses

80 Sur επιλογισμός et les grandes difficultés d'interprétation qu'il implique,


cfr. notamment Arrighetti, Έπιλογίζομα,ι, 119-144; De Lacy, Έπίλογισμός,
179-183; Asmis, Method, 204-210 et notamment 205: «We have already noted Epi
curus' use of the term έπιλογισμός. This usage is in agreement with Philodemus'
explanation of έπιλογισμός as an analysis of the phenomena. It is true that Epicu
rus nowhere in his extant writings présents έπιλογισμός as a means of inferring
what is unobserved; but his use of induction implies that he, too, regarded έπ [.λο
γισμός as a means of knowing what is unobserved. This view of έπιλογισμός is in
striking contrast with that of the Empiricists; although the Epicureans agreed with
the Empiricists in using έπιλογισμός as a means of inference, the Epicureans held,
contrary to the Empiricists, that it is a means of discovering what is nonapparent by
nature».

81 Comme le souligne Annas, Epicurus, 55, à propos de ce passage, on note la


présence de plusieurs termes-clés: «Firstly we have 'we' or 'ourselves'. Secondly,
we have 'the constitution' [...]. Thirdly we have 'the nature'. Fourthly, we have
'the development(s)' [...]. Finally we have 'the atoms'». Elle poursuit en affir
mant: «Clearly, a good understanding of Epicurus' views on agency requires some
examination of these terms and how they are related».
82 Diogène Laërce, X 31; Doctrines capitales 23; Lucrèce, De la nature, IV
469-521.

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134 ANNIE HOURCADE

successeurs83 - selon laquelle toutes les se


texte de Lucrèce en constitue un témoi
points communs ont été plus particulièrem
side dans l'argument de l'auto-réfutation
ment dépendant du premier, réside dans l
entre en contradiction avec l'action qui l'
c'est le troisième point commun, les deux
mension exclusivement verbale des deux
possible d'en mettre en évidence un quatr
l'un et l'autre cas, s'inscrit dans le cadre
nature non pas polémique mais explicatif.
Ainsi, tout comme la réfutation mise en
prolonge et complète les explications qu
rendre compte de la responsabilité, la réfu
Lucrèce intervient au terme d'un long dé
faut bien également appeler une 'explicat
sensation par la théorie des atomes et du
ractère évident de la sensation n'exonè
causes atomistiques de la sensation, m
rendre compte des illusions des sens, en
pourquoi la sensation, parfois, semble nou
cise Lucrèce, si la raison échoue à trouver
tique satisfaisante afin d'étayer le caractè
tion, il convient d'en fournir une, même s
Lucrèce lui-même insiste-t-il sur la néc
quoi les objets carrés de loin apparaissent
plication est erronée (IV 500-504). On pou
s'appuyer sur ce passage pour montrer da
et Lucrèce privilégient l'expérience et ne

83 En ce qui concerne la réfutation de la thèse


tions sont fausses, la cible ne peut certainement pa
re où celui-ci considère lui-même la sensation com
tants de l'autre lignée abdéritaine, issue de l'hérit
Chio et Anaxarque, qui semble avoir abouti au s
vanche, la réfutation de la thèse déterministe peu
comme le souligne Sedley, Réfutation, 33.
84 Sur ce point, voir Burnyeat, Lucretius IV 472
85 Pour le texte du livre XXV, cfr. aussi O'Keef
Sedley, Philosophers, 223-224. Voir aussi chez
Sentences vaticanes 40.
86 Chez Lucrèce, De la nature, IV 507-510.
87 Lucrèce, De la nature, IV 511-512.

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 135

mistique que comme un moyen pour renforcer l'évidence qui s'y at


tache. Il demeure que Lucrèce ne se limite pas, dans le texte précité,
à considérer que l'évidence suffit. Au contraire, le texte laisse sup
poser une forme d'exigence systématique d'explication causale que
le caractère évident de la sensation et la production de l'argument
d'auto-réfutation ne suffisent pas à contenter.
On peut tirer comme conséquence de ce rapprochement entre les
deux textes que le livre XXV du Peri physeôs est également repré
sentatif de cette exigence d'explication dont témoignent, certes par
tiellement, les passages malheureusement lacunaires dont nous dis
posons, et que le caractère évident de la responsabilité, qu'illustre
bien l'argument d'auto-réfutation, ne dispense pour autant pas de
fournir une explication de cette responsabilité qui soit cohérente
avec la théorie des atomes et du vide.

Conclusion

Mon but était de tenter de clarifier certains aspects inhérents au


problème de la responsabilité chez Épicure dans la perspective de la
spécificité de la méthode scientifique épicurienne, telle qu'elle est
exposée, notamment, dans la Lettre à Hérodote. Un des éléments
déterminants de la gnoséologie d'Épicure: le témoignage des sens,
est au fondement de son approche de la nature et par conséquent de
son éthique. Ainsi, deux évidences issues de la sensation: la décli
naison spontanée des êtres vivants, la formulation de l'éloge et du
blâme, entretiennent-elles des rapports stricts avec les deux notions
qui en découlent: la libera voluntas de tous les êtres vivants et la
responsabilité qui concerne essentiellement l'homme. Le passage
de l'évident au non-évident constitue véritablement une exigence
gnoséologique et éthique de la philosophie épicurienne dans son en
semble. Ce passage s'opère de manière privilégiée entre le donné
fourni par les sens et les atomes et le vide. Les notions générales qui
résultent de ce témoignage des sens ne peuvent être considérées de
manière isolée, à l'exclusion de tout rapport à l'expérience sensible
qui en est à l'origine. Voilà pourquoi il me semble difficile de s'in
terroger d'emblée sur la notion de liberté chez Épicure sans en pas
ser par ce qui, pour lui, constitue pourtant un point de départ - et un
point d'arrivée - obligés: la sensation. Surtout, le caractère évident
de la responsabilité, s'il fait de toute tentative de démonstration une
entreprise non seulement inutile mais même vouée à l'échec - com
me en témoigne le recours d'Épicure, dans un contexte polémique,
à la réfutation - n'exclut pas l'exigence d'une explication physique,

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136 ANNIE HOURCADE

au demeurant problématique, comme on


En ce sens, il semble décisif de convoq
ment selon lequel, au sein même de cet
théorie de la connaissance et théorie phy
la vocation éthique du système. Comme
ce de trouble, mais cette suppression de
par la production de l'explication elle
lorsqu'elle concerne les éléments fondam
des formes multiples lorsqu'elle concern
par exemple - et en tant, bien sûr, qu
l'évidence. D'où l'injonction épicurienne
à Hérodote (37), de se consacrer sans re
nature, autrement dit d'opérer le passa
dent à des fins d'explication. Il prescrit
dans l'étude de la nature (το συνεχές
introduisant ainsi la tranquillité dans la
A la fin de cette même lettre (78 sqq.),
de l'étude de la nature est de préciser la
questions capitales afin, précisément, d
vivre heureux.

Ouvrages cités
Annas, Epicurus = J. Annas, Epicurus on Agency, in J. Brunschwig,
M. Nussbaum (ed.), Passions and Perceptions·. Studies in Hellenistic
Philosophy ofMind, Cambridge 1993,53-71
Arrighetti, ΈπΕλογίζομχί = G. Arrighetti, Sul valore di ζπιλογίζομσ.ι,
επιλογι,σμός, επιλόγισις nel sistema epicureo, «Par. Pass.» 7 (1952),
119-144

Asmis, Method = E. Asmis, Epicurus' Scientific Method, Ithaca and Lon


don 1984

Barnes, Signs = J. Barnes, Epicurean Signs, «Ox. St. Ane. Philos.», Sup
pl. Voi. (1988), 91-134
Bailey, Atomists = C. Bailey, The Greek Atomists and Epicurus, Oxford
1928

Bailey, De rerum natura = C. Bailey, Titi Lucreti Cari De Rerum natura


libri sex, Oxford 1947

88 Cfr. aussi chez Lucrèce le rôle que joue dans la tranquillité de l'âme «l'exa
men de la nature et son explication la (naturae species ratioque)» (I 148, II 61, III
93, VI41).

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LE PROBLÈME DE LA RESPONSABILITÉ CHEZ ÉPICURE 137

Bollack, Momen = M. Bollack, Momen mutatum. La déviation et le


plaisir (Lucrèce, II184-293), in J. Bollack, A. Laks (ed.), Études sur
/' épicurisme antique, "Cahiers de philologie" 1, Lille 1976,163-189
Burnyeat, Lucretius IV 472 = M. Burnyeat, The Upside-Down Back-to
Front Sceptic of Lucretius IV472, «Philologus» 122 (1978), 197-206
Conway, Theory = P. Conway, Epicurus' Theory of Freedom of Action,
«Prudentia» 13 (1981), 81-89
D'Alessandro, Genesi = A. D'Alessandro, La genesi dell'ipotesi ato
mistica nel pensiero di Democrito, «Ann. Fac. Lett. Filos. Bari» 19-20
(1976-1977), 375-392
De Lacy, ' Επιλογι,σμός = Ph. De Lacy, Epicurean επιλογισμός, «Amer.
Joum. Philol.» 79 (1958), 179-183
De Lacy, Philodemus = Philodemus, On Methods of Inference (De Si
gnis), Ed. with Transi, and Comm. by Ph. De Lacy, E. Allen De Lacy,
Rev. Ed. with the Coll. of M. Gigante, F. Longo Aurieehio, A. Tepedino
Guerra, Napoli 1978
Dodds, Irrational = E.R. Dodds, The Greeks and the Irrational, Berkeley
1959, trad. fr. Paris 1977
Englert, Epicurus = W.G. Englert, Epicurus on the Swerve and Volunta
ry Action, "American Classical Studies" 16, Atlanta 1987
Fowler, Lucretius = D. Fowler, Lucretius on Atomic Motion, A Commen
tary on De rerum natura 2.1-332, Oxford 2002
Furley, Atomists = DJ. Furley, Two Studies in the Greek Atomists, II,
Aristotle and Epicurus on Voluntary Action, Princeton 1967, 161-237
Giussani, Studi = C. Giussani, Studi lucreziani, Torino 1896
Hammerstaedt, Atomismo = J. Hammerstaedt, Atomismo e libertà nel
XXV libro ΠΕΡΙ ΦΥΣΕΩΣ di Epicuro, «Cron. Ere.» 33 (2003), 151-158
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