La patience
du Concept
Essai
sur le Discours hégélien
GALLIMARD
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réservés pour tous les pays, y compris l'U.R.S.S.
© Éditions Gallimard, igys
Pour Joao Carlos Quartim De Mor
!
L
ii
« ... Vorstellungen und Reflexionen...
die uns zum Voraus in den Weg kom-
men kônnen, jedoch, wie aile andere
vorangeliende Vorurteile, in der Wis-
senschaft selbst ihre Erledigung finden
müssen, und daher eigentlich zur
Geduld hierauf zu verweisen wàren. »
W. Logik, IV, 73.
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AYANT-PROPOS
12 La patience du Concept
i
i6 La patience du Concept
NOTES
l
I
La critique du visible
« L’œuvre d’art est posée pour l’intuition comme n’importe quel objet
extérieur qui ne s’éprouve pas et ne se sait pas lui-même. La forme, la
subjectivité que l’artiste a donnée de son œuvre est purement extérieure;
elle n’est pas la forme absolue du sujet qui se sait, de la conscience de soi.
Cette conscience de soi tombe dans la conscience subjective, dans le sujet
intuitionnant8.»
IX
« Ce qui doit être expression est bien expression, mais est en même
temps aussi seulement comme un signe, de sorte qu’au contenu exprimé
la constitution de ce au moyen de quoi il est exprimé est pleinement
indifférente. L’Intérieur est bien dans cette manifestation un Invisible
visible (das Innere ist in dieser Erscheinung woKl sichtbares
Unsichtbares), mais sans être pourtant lié à cette manifestation; il peut
aussi bien être dans une autre manifestation, comme réciproquement un
autre Intérieur peut être dans la même manifestation 3S, »
compte (et le fait qu’il n’y ait encore qu’annonciation est, comme
on le verra, le dernier décalage qui sépare la Religion absolue de
la philosophie) que Dieu n’est présent que lorsqu’il n’est plus
représenté (vorgestéllt) ni comme essence ni comme homme. Elle
nous contraint ainsi à reconnaître que la « Représentation » n’est
pas la trame de tout Savoir, tout au plus, un moment
arbitrairement détaché dü mouvement de YOffehbarung.
C’est parce qu’il ri’en avait pas encore pris Conscience
38 La patience du Concept
ni
Sur un point, au moins, l’interprétation hégélienne de la
pensée grecque rencontre celle de Heidegger : la coupure
traditionnelle entre eïvai et <patvscr0ai n’est pas révélatrice de
l’essence de la pensée grecque.
« Ce n’est que dans la sophistique et chez Platon que l’apparence est
déclarée trompeuse et, comme telle, abaissée. Du même coup, l’être est
élevé comme I8éa en un lieu suprasensible. La cassure, Xopiatiéç, est
marquée entre l’étant purement apparent ici-bas, et l’être réel quelque
part là-haut 4?. »
Mais la similitude des diagnostics, bien sûr, s’arrête là : loin de
saluer dans 1’ « enchevêtrement » de l’être et de l’apparence « la
grande époque du Dasein grec » qui précéda sa défaillance «
métaphysique », Hegel y décèle la première forme historique de
la Finitude. C’est cette compréhension de la philosophie antique
que critique Heidegger notamment dans l’article Ile gels Begriff
der Erfahrung. A en croire Hegel, les Grecs pensaient le réel «
seulement comme l’étant », entendu comme « ce qui dans la
représentation immédiate, devient objectif à la conscience ?0 ».
Anachronisme qui nous en apprend plus long sur Hegel que sur
les Grecs : il est symptomatique que ceux-ci soient jugés tout
naturellement comme si le partage « sujet-objet » était sur le
point d’avoir un sens pour eux. Il est vrai que cet aveuglement
était inévitable chez celui qui portait la « subjectivité » à son plus
haut point d’accomplissement. Hegel, penseur de la « subjectivité
», ne pouvait ordonner la pensée antique qu’à l’avènement de
celle-ci.
On sait que cette critique, qui revient à passer sous silence le
concept hégélien de Finitude, ne manque pas d’arguments. Il est
vrai que Hegel juge de la fragilité de la pensée grecque par
l’insouciance où elle demeure à l’égard de la « conscience de soi ».
Le « Connais-toi toi- même », remarque-t-il, ne fut que « le
surgissement de la clarté spirituelle 61 », et le destin de Socrate
montre avec éclat que la cité grecque n’était pas faite pour
l’accueillir. Le vrai principe hellénique, c’est la Beauté et l’Esprit
n’y trouve pas encore son assise : « la Pensée apparaît donc ici
comme le principe de la corruption ». On situera donc la Grèce
au plus haut de la préhistoire esthétique de l’Esprit, moment de
la clarté objectivée devant une
46 La patience du Concept
S’il en est ainsi, il est aisé de situer la critique que fait Hegel
du «palvecrSai et même de toutes les formes de la Représentation
: on y verra l’un des effets de la survivance de la Métaphysique
classique, une condamnation prononcée une fois de plus contre
le sensible par une subjectivité pure. Mais est-il sûr qu’il en soit
ainsi? La certitude de soi du Savoir, son mode de présence à
lui-même demeurent-ils, chez Hegel, de style aussi obstinément
cartésien? Il faut bien reconnaître que ces questions peuvent
paraître tout à fait vaines, tant Heidegger nous a japris à
comprendre le Savoir absolu comme un des derniers traves-
tissements — et le plus majestueux — du subjectum qui
s’explicitait dans l’ego cogito. Sous cet éclairage, la présence
tenace du subjectum, si malaisément déracinable, assure, on le
sait, l’appartenance à la « Métaphysique » des penseurs qui
croyaient y mettre un terme (Hegel) ou même rompre avec elle
(Nietzsche). Et ce fil conducteur est précieux pour qui entend
continuer à visiter le pays de la « Métaphysique » ou ce qu’il est
devenu, une fois que les philosophes ont cessé de se dire
métaphysiciens. Mais, si l’on préfère poser au départ que les
significations, d’un penseur à l’autre, sont en droit homonymes,
si l’on est attentif — au moins « pour voir... » — à la volonté,
explicite chez Hegel, de n’avoir pas à clore la Métaphysique ni à
achever son parcours, si l’on se refuse à admettre comme allant
de soi que la même « Subjectivité » se déploie de la seconde
Méditation à la Logique du concept, on s’aperçoit alors que
l’interprétation de Heidegger n’est lumineuse qu’au prix de
La critique du visible 47
IV
de la voix : le poème doit être récité. Reste qu’il peut aussi bien
être lu en silence et né plus garder alors d’objectivité esthétique
que celle des signes écrits — on en conviendra, dérisoire 84. Il
suffit que nous lisions un poème sans le murmurer pour que «
l’Art appartienne au passé ». La répartition, alors, est nette : là,
des signes imprimés, « de la visibilité pour l’œil », — ici,
l’intelligibilité. L’aïsthesis est passée au rang de simple occasion :
le mirage esthétique s’est dissipé, son Apparence est dénoncée
comme une forme représentative dont l’Esprit doit finir par se
délivrer.
Nous avons vu pourtant que, dans cette Apparence, le signifié
parvenait à s’investir intégralement dans le signe. Pourquoi donc
l’Apparence, en définitive, constituait-elle un blocage? Et à quoi
faisait-elle obstruction? L’Apparence était l’existence portant en
elle sa négation, s’exposant comme existence niée. Mais la
contemplation esthétique atteste que ce sacrifice est équivoque :
il est heureux (spéculativement parlant) qu’il n’y ait plus
d’immédiat ~ et c’est en quoi esthétique et spéculatif convergent;
mais plus heureux encore (esthétiquement parlant) que
l’immédiat, dans les œuvres, ne cesse pas de se supprimer — et
e’est en quoi esthétique et spéculatif divergent. Pour mesurer
cette divergence et déceler en quoi, au juste, l’Apparence
esthétique est un obstacle, il suffit de comparer signal esthétique
et signe linguistique. Ce n’est pas exactement de la même façon
que l’immédiateté s’y supprime. En celui-là, l’étant immédiat se
nie : il est là pour être supprimé (idéalisé). En celui-ci, l’étant
immédiat se nie également : il est purement et simplement
supprimé 8B. L’Apparence est sans doute l’existence annulée, mais
non jusqu’au point où cette annulation deviendrait parole. Et
cette infériorité commence à devenir sensible lorsque l’
Apparence s’amenuise en sonorité, puis en parole-poétique. On
ne peut éviter, alors, de juger l’art comme un para- langage, et,
du même coup, il apparaît comme un infra- langage. Ainsi la
musique, annulatrice de la spatialité et de tout support
représenté, nous oblige à apprécier l’art comme moyen de
communication. Or, du fait qu’elle traite le son comme un
élément matériel, elle n’est encore qu’un brouillage de la
communication : « Les sons présentent bien une certaine
correspondance avec les mouvements de notre âme, mais tout se
borne à une Certaine sympathie... » A partir du moment où ce
décalage entre l’apparaître et le dire est devenu évident, l’art
n’est de plus en plus
Là critique du visible 61
NOTES
wesentlich jetzt) » (Ph. Gesch., XI, 120; trad., 66). Le jetzt est évidemment
métaphorique et ne désigne pas l’instant ponctuel, mais il a l’inconvénient do
dissimuler l’a-temporalité de la Présence. Or, c’est i'auto d’avoir prêté
attention à cette mutation du concept de Gegenwàrtigkeit qu’on a accusé
Hegel de s’être placé arbitrairement d’un point de vue éternitaire, du haut
duquel on verrait l’histoire passée se déployer en sa vérité. Mais le problème
n’est nullement de savoir où on se place pour connaître la vérité de l’histoire
passée; il est de savoir, au contraire, comment le Vrai peut avoir, en
apparence, un passé et une histoire (cf. Gesch. Philo., XVII, 35-36).
65. Phèno., trad., II, 209; II, S. 523.
66. Ph. Religion, XVI, 3x5.
67. Aesthetik, XIII, 63; trad., II, 193. « La vue est, comme l’espace, un
indécoupable, un idéal non perturbé, l’extension absolument vide de
détermination, sans réflexion en soi, et, dans cette mesure, sans intériorité.
La lumière manifeste l’Autre et ce Manifester forme son essence; mais, en
soi-même, elle est l’identité abstraite avec soi, le contraire de l’être-
extérioi’isé de la nature, surgissant à l’intérieur de la Nature même... (Dans la
vision), nous ne nous comportons par rapport aux choses que d’une façon
pour ainsi dire théorétique et pas encore pratique; en les voyant, nous les
laissons paisiblement subsister comme des étants et nous ne nous
rapportons qu’à leur côté idéal. Du fait de cette indépendance de la vue par
rapport à la corporéité proprement dite, on peut bien la nommer le sens le
plus noble. Mais, d’un autre côté, c’est un sens très incomplet puisqu’il ne
nous présente pas le corps comme totalité spatiale; il ne le présente pas
immédiatement comme corps, mais toujours seulement comme surface,
d’après les deux dimensions de la longueur et de la largeur, de sorto que nous
nous donnons sur le corps différents points de vue et que nous ne réussissons
à le voir en sa forme totale qu’après avoir parcouru toutes ses dimensions
l’une après l’autre » (System,, § 401 ; Zus., X, I3O-I3I). « La lumière n’est
donc pas conscience de soi, parce qu’il lui manque l’infinité du retour à soi;
elle est manifestation de soi, mais non pour soi-même, seulement pour
l’Autre. Il lui manque donc l’unité concrète avec soi que possède la
conscience de soi comme point infini de l’être-pour-soi; et, de ce fait, la
lumière n’est qu’une manifestation de la Nature, non de l’Esprit » (ibid., §
276; Zus., IX, i58).
68. La Bildung hégélienne ne désigne pas tant un cheminement que
l’effectuation du Concept qui se donne explicitement comme l’articulation de
la « réalité » qui somblait lui être opposée : « Nous nommons justement
culture le Concept appliqué dans la réalité, dans la mesui’e où il n’apparaît
plus dans sa pure abstraction, mais unifié avec le contenu multiple de toute
représentation » (Gesch. Philo., XVIII, 8). Du côté de l’individu, la Bildung
aura donc l’allure d’une asoèse; elle est moins marquée par une acquisition
que par la renonciation au représentatif : se cultiver, c’est mourir à
l’immédiateté sous toutes ses formes. « Un homme est d’autant plus cultivé
qu’il vit moins dans l’intuition immédiate, mais qu’il se souvient en même
temps qu’il intuitionne; aussi voit-il peu de choses totalement neuves ; le
contenu substantiel de la plupart des choses neuves lui paraît plutôt quelque
chose de bien connu. De même, un homme cultivé se satisfait principalement
des images qu’il a, et sent rarement le besoin de l’intuition immédiate »
(System, § 454; Zus. X, 334). « Un homme est d’autant plus cultivé qu’il entre
moins de personnalité, donc de contingence, dans son comportement #
(Ibid., § 3q5, X, 88). Cf. Phèno,, trad., II, 55-57; II, s. 578-579.
69. « De là le goût de Mallarmé pour tout ce qui est enoore virtuol,
68 La patience du Concept
ii
Eeua durée,
à peu et qu’elle s’augmente par degrés? » (Méd., III ).e
Ïue’ Entendement
le domaine du « connaître » est disjoint de la pratique.
accepte que quelque chose soit vrai « dans ma
tête 19 » et que le « savoir » se réduise à une distribution des
contenus dans un ordre que je peux aisément parcourir. Savoir
limitant, il se résigne à n’être qu’un savoir de surface (mais à la
surface de quelle « profondeur »?). Bref, il ne s’offusque pas de
laisser autre chose en dehors de lui 20.
Savoir falsifiant, donc, et non faux. Que les contenus de
pensée soient posés comme fixes et invariables, ce n’est pas tout à
fait une erreur. Ce n’est pas la forme même de l’invariabilité qui
est à récuser ni le passage au concept qui est abstrait : en
l’affirmant, sans préciser davantage, on aurait vite fait d’opposer
la pauvreté du concept à la richesse de l’intuition.
L’Entendement n’est coupable de rien.
salité, la consistance fixe (das fixe Bestehen) à ce qui est en soi et pour soi
instable, ce n’est donc pas la faute de VEntendement s’il n’est pas allé plus loin.
C’est une impuissance subjective de la Raison qui laisse les déterminités en
cet état et n’est pas capable de les ramener à l’unité au moyen de la force
dialectique qui est opposée à cette universalité abstraite 21, »
ni
pas terre et que le lecteur ne soit pas tenté de s’attarder sur ses
beautés 48 : ainsi de certaines pages de Stendhal ou d’Hemingway
où tout est dit, donc vite dit et sans trace. De ce que Hegel entend
par « Subjectivité », la IIe Méditation n’est cju’une des esquisses :
la Subjectivité est avant tout ce plein soleil qui rend dérisoires
allusions et énigmes, confessions et secrets du cœur, toute la
part religieuse de notre culture. Gomme il y a des résolutions qui
d’elles mêmes, effacent tout scrupule, il y a une présence du sens
qui rend aberrante l’idée même de pénombre.
C’est dire que le Savoir est la critique radicale d’une
connaissance par signes. Ne croyons même pas qu’il la remplace
et substitue à un mode d’expression impropre un mode
d’expression enfin approprié : l’Offenbarung est
l’auto-suppression de l’expression. A l’opposé du langage de la
mysticité, le sien abolit tout mirage de profondeur: « Le secret
cesse quand l’Essence absolue est, comme Esprit absolu, objet de
la conscience... le révélé émergeant entièrement à la surface est
justement en cela le plus profond 49. » Autrement dit, la
complétude atteinte réfute toute croyance en quelque chose de si
profond qu’il ne pourrait y en avoir qu’approximation ou
dévoilement impromptu. Le but auquel s’ordonnent les figures
de la Phénoménologie « est la révélation de la profondeur (die
Offenbarung der Tiefe) et celle-ci est le Concept absolu : cette
révélation est donc la suppression de la profondeur ».
On comprend mieux alors pourquoi Hegel ne juge pas
nécessaire, comme Schelling, de s’astreindre à ne rechercher
l’esprit qu’au seul niveau de la lettre, et jamais en dehors d’elle.
Que le sens soit seulement dans le texte ou en dehors de lui, là
n’est pas le vrai problème. Et, en s’obligeant à choisir entre les
deux termes de cette alternative, on montre surtout qu’on n’a
pas critiqué celle-ci, — qu’on a donc laissé hors de contestation
l’idée traditionnelle qu’on se fait d’une « signification ».
« L’Esprit ne consiste pas à être signification, à être VIntérieur, mais
à être l’effectif, » Il
IV
C’est alors, pense Hegel, que les dés seraient pipés dès le
départ. Le Fini par rapport à l’Infini, la société civile par
rapport à l’État, jpas plus que le petit esclave de Ménon par
rapport à la géométrie, ne sont les enveloppes de contenus qui y
séjourneraient déjà. Pas plus qu’il ne chemine vers un terme, le
Savoir ne déterre une vérité déjà présente. On ne doit pas plus
l’accuser de brûler les stations que de se donner en sous-main
ce qu’il ferait mine
102 La patience du Concept
« Tout ainsi que quand nous jetons les yeux sur une carte où il y a
quelques traits qui sont disposés et arrangés de telle sorte qu’ils
représentent la face d’un homme, alors cette vue n’excite pas tant en nous
l’idée de ces mêmes traits que celle d’un homme : ce qui n’arriverait pas
ainsi si la face d’un homme ne nous était connue d’ailleurs, et si nous
n’étions pas plus accoutumés à penser à elle que non pas à ses traits... 97. »
NOTES 1
ne s’y sente pas à l’aise et demande ce que peut bien signifier cette pure
détermination. Soit les déterminations “ unité du subjectif et de l’objectif
”, “ unité du réel et de l’idéal ”; on peut bien comprendre et savoir ce que
sont, chacun pour soi, “ unité ”, “ objectif ”, “ subjectif ”, etc., et, pourtant,
on peut bien dire que nous ne comprenons pas cette détermination. Dans
ce cas, la “ signification ” est l’opposée de la manière dont nous
l’envisagions tout à l’heure. Ce qu’on exige, maintenant, c’est une
représentation de la détermination- de-pensée, un exemple pour le
contenu qui n’a d’abord été donné qu’en pensée. Si nous trouvons un
contenu de pensée difficile, la difficulté vient de ce que nous n’en avons
pas de représentation; c’est par l’exemple qu’il se clarifie et que l’esprit se
rend ainsi présent dans ce contenu 4. »
Est-ce là seulement la marque de la limitation de l’esprit fini?
Il ne le semble pas, d’après la suite du texte. Ce serait surtout la
marque d’un esprit pédant et futile que de se contenter de la «
simple pensée » ou de la « simple signification », d’affirmer, par
exemple, que « Dieu est Esprit », alors que l’Esprit — sans
guillemets—est justement l’abolition de cette « simple
signification », mouvement d’apparaître et de se donner
l’objectivité 6.
Il serait donc bien hâtif de prendre pour un défaut de la forme
religieuse ce qui, en elle, est exigence de complétude. La Religion
n’est pas seulement un supplément à l’usage des ignorants. On ne
comprendrait pas la nature de l’Idée divine, si l’on en restait à la
définition sans doute littéralement correcte de ce qu’est « Dieu »
(« division d’avec soi et récupération de soi ») sans que cette
indication soit développée, c’est-à-dire vécue par une conscience
religieuse. Le culte le plus naïf vaut mieux, ici, que la théologie la
plus savante, et Hegel oppose souvent la nébulosité de la
théologie de son temps à la vérité que recèle la ferveur °. Les
théologiens peuvent bien se payer de prédicats à majuscules (la
Vérité, l’Éternel, l’Ürnté- essentielle) ces paroles restent des
paroles tant qu’elles ne sont pas entrées « dans l’élément de la
conscience et de la représentation 7 ».
« Cette Idée est bien la vérité absolue, celle-ci est pour la pensée; mais,
pour le sujet, l’Idée ne doit pas être seulement vérité; le sujet doit avoir
aussi la certitude de l’Idée, à savoir la certitude qui est le propre de ce
sujet comme tel, sujet fini, empiriquement concret, sensible 8. »
Toutefois, si nécessaire que soit cette actualisation de Dieu, il
n’est pas moins vrai qu’elle nous fait passer de
« Ce vieux mot d'athéisme... »
« ... Mais, dès lors, l’Esprit n’est médié que par la conscience ou
l’Esprit fini, de sorte qu’il doit se finitiser afin de devenir savoir de
lui-même par cette finitisation. Ainsi la Religion est le savoir de soi de
l’Esprit divin par la médiation de l’Esprit fini. »
ce n’est pas être Dieu, mais avoir Dieu. » On traduira ainsi à leur
usage le mouvement spéculatif auquel ils n’ont rien compris.
même, la Singularité est bien Esprit, mais, en tant qu’être-autre, elle l’est
à l’exclusion de tous les autres, elle est esprit fini ou humain (car d’autres
esprits finis que les hommes ne nous concernent en rien). Lorsque
l’homme singulier est en même temps compris dans son unité avec
l’essence divine, il est l’objet de la Religion chrétienne, et c’est ce qu’on
peut exiger de plus prodigieux de celle-ci. La troisième forme qui nous
occupe ici, l’Idée dans la Particularité, c'est la Nature, qui se situe entre
les deux extrêmes. Cette forme est celle que l’Entendement tolère le
mieux: tandis que l’Esprit est posé comme la contradiction existant pour
soi, puisque l’Idée infiniment libre est en contradiction objective avec
l’Idée sous la forme de la singularité —- dans la Nature, au contraire, la
contradiction est seulement en soi ou pour nous, car l’être-autre apparaît
dans l’Idée en tant que forme paisible 40. »
ni
« Le monde fini est le côté de la Différence par rapport au côté qui reste
dans son unité; il se divise ainsi en monde naturel et en monde de l’Esprit
fini. La Nature entre seulement en rapport avec l’homme, elle n’entre pas
pour soi en rapport avec Dieu, car la Nature n’est pas Savoir; Dieu est
l’Esprit, la Nature ne sait rien de Dieu. Elle est créée par Dieu, mais elle
n’entre pas d’elle-même en rapport avec Lui, en ce sens qu’elle n’est pas
connaissante. Elle n’a de rapport qu’à l’homme, et ce qu’on nomme le côté
de sa dépendance consiste dans ce rapport à l’homme 4S. »
spéculatif en celle-ci. Sa
1 aimant « présente de ma
conceptuelle, mais des exemples de cette sorte n’autorisent
nullement à mettre systématiquement en correspondance
i5a La patience du Concept
ment la Nature n’a pas le poids ontique qu’on lui avait accordé et,
devenue moment du discours, elle doit confesser sa néantité.
Hegel parle de la pesanteur comme de « l’aveu que fait la matière
de la nullité de son être-en-dehors- de-soi (das Bekenntnis der
Nichtigkeit m) ». Roman sur la physique, peut-être, mais non «
roman de physique » : prétendre éclairer le sens d’un
pseudo-objet n’est pas prétendre redoubler le savoir positif de
cet objet.
b) le dédain envers la Nature, dit-on encore, serait le signe
d’un brutal parti pris « idéaliste ». C’est ce que soutient, par
exemple, le jeune Marx : « Pour le penseur abstrait, la Nature, en
tant qu’elle se distingue de la pensée, de l’abstraction, est une
essence déficiente en soi- même; elle a quelque chose hors de soi,
qui lui manque... » Cette critique présuppose comme allant de soi
l’autonomie du secteur « Nature » : l’annulation de la signification
« Nature » en tant qu’elle désignerait un étant est comprise
comme la dévalorisation arbitraire d’une Nature qui garderait,
néanmoins, la place (incontestée )d'objet. Or la Nature, selon
Hegel, n’est pas une moindre chose, un fantasme que le
philosophe aurait à replacer dans l’Esprit. En imaginant ainsi la
critique de la signification « Nature », on laisse intacte « la
Nature en tant qu’elle se distingue de la pensée », c’est-à-dire la
division Esprit-Nature, que la dialectique a justement pour objet
de faire éclater. Cette interprétation revient encore à prendre
pour une théorie de la connaissance, assez proche de Berkeley ou
de l’image qu’on s’en forge, un questionnement sur la validité
d’une ontologie. Certes, les textes incitent parfois à commettre ce
contresens, mais il est rare qu’alors l’auteur ne le prévienne pas.
Ainsi, dans cette page des Preuves :
« La Nature est contenue dans l’Esprit, créée par lui et, en dépit de
l’apparence de son être immédiat, de sa réalité indépendante, elle n’est en
soi que posée, créée, idéelle dans l’Esprit... »
« La Nature dans l’Esprit? » La cause est jugée : Hegel est «
idéaliste ». Mais la phrase suivante rétablit aussitôt le véritable
enjeu :
« . . . Lorsque, dans le cours de la connaissance, on est passé de la
Nature à l’Esprit et que la Nature a été déterminée comme n’étant qu’un
moment de l’Esprit, ce qui surgit alors n'est pas une véritable
pluralité, une dualité substantielle dont un terme serait la Nature et
l’autre terme l’Esprit, mais l’Idée, qui est la substance de la Nature, s’est
approfondie en Esprit; elle retient en elle ce contenu,
« Ce vieux mot d’athéisme... » i55
dans cette intensité infinie de l’idéalité, et s’est enrichie, du fait de la
détermination de cette idéalité même qui, en soi et pour soi, est l’Esprit
°7. »
IV
« La Religion est la vérité pour tous les hommes; la Foi repose sur le
témoignage de l’Esprit qui, en qualité de témoin, est l’Esprit dans
l’homme. Ce témoignage, en soi substantiel, se saisit d’abord, dans la
mesure où il est porté à s’expliciter, dans la formation qui se trouve être la
formation ordinaire de sa conscience et de sou entendement mondains;
c’est pourquoi la vérité retombe dans les déterminations et les rapports de
la Finitude en général. Cela n'empêche pas que l’Esprit garde ferme son
contenu (qui, eu tant que religieux, est essentiellement spéculatif) contre
cette Finitude même, dans l’usage qu’il fait des représentations sensibles
et des catégories finies de la pensée — (cela n’empêche pas) qu’il fasse
violence à celles-ci et soit inconséquent avec elles. Par cette inconsé-
quence, il corrige ce qu’elles ont de déficient74. »
« Le mur est, c’est une chose, une chose est un universel et j’en sais
autant de Dieu. Des autres choses, nous en connaissons bien davantage.
G’est seulement lorsque nous faisons abstraction de toutes leurs
déternainités, c’est justement lorsque nous nous contentons de dire du
mur qu'il est, que nous en savons d’elles autant que de Dieu 86. »
NOTES 1
62. « Ce serait une pensée non philosophique que de vouloir montrer qu’une
forme conceptuelle existe dans la nature comme si elle devait exister en général
dans la détermination qui est la sienne en tant qu’elle est une abstraction. La
Nature est plutôt l’Idée dans l’élément de l’extériorité; aussi maintient-elle et
présente-t-elle dans la réalité les moments conceptuels à l’état dispersé, tout en
unifiant dans les choses supérieures, les formes conceptuelles différentes dans
leur plus haute concrétion #
(System, § 3ia, IX, 273). Cette présentation en discontinuité de ce qui est
continu dans le contenu conceptuel (cf. XVI, 354) interdit également les
unifications hâtives des règnes naturels ou de phénomènes naturels. Cf, les
réserves sur l’identification (romantique) du magnétisme, de l’électricité et du
chimisme in § 313, IX, 284.
03. Gesch. Philo., XVIII, 34o. Analyse de la question « Was ist die Natur? »
in IX, Einleitung. S. 34.
64- « Ils expulsèrent ces objets, ces représentations que la superstition est
capable de nommer divines et poétiques; ils les rabaissèrent au-rang de ce que
l’on nomme choses naturelles. Car c’est dans la Pensée que l'Esprit se sait
comme l'étant, l’effectif,,, et il ravale alors le non-spirituel, l’extérieur en
choses, en négatif de l’Esprit. Aussi ne faut-il pas regretter la perte de cette
conception, comme si nous avions perdu avec elle l’unité avec la Nature, la
pureté innocente et l’état d’enfance de l’Esprit,.. La Raison est justement la
sortie hors de cette innocence, hors de l’état d’unité avec la Nature » (Gesch.
Philo., XVII, 4o5). « Les excentricités de la Philosophie de la Nature viennent
en partie de cette représentation : même si les individus d’aujourd’hui ne se
trouvent plus en cet état paradisiaque, il y aurait pourtant des âmes bénies
auxquelles Dieu communiquerait, pendant leur sommeil, la vraie connaissance
et la science. Ou encore l’homme, même sans être béni do Dieu, pourrait se
replacer, grâce à la Foi, en ces moments où l’Intérieur de la Nature est de
lui-même immédiatement manifeste, s’il se confie seulement à son inspiration,
o’est-à-dire à sa fantaisie, pour exprimer prophétiquement le Vrai. On tient cet
état de plénitude, dont on ne peut donner aucune autre source, pour
l’accomplissement de la capacité scientifique. Et l’on ajoute que cet état de
science parfaite a précédé l’histoire actuelle du monde, et que, depuis la Chute
hors do cette unité, des vestiges subsistent de cet état spirituel lumineux, et de
lointaines brumes dans les mythes, dans la tradition, sur d’autres pistes
encore. La culture du genre humain s’y rattache dans la Religion, et c’est de là
que toute connaissance scientifique doit prendre le départ. S’il ne coûtait à la
conscience, pour connaître la vérité, que de s’asseoir sur le trépied et de
proférer des oracles, le travail de la pensée nous serait assurément épargné »
(System, § 246; Zus., IX, 4»
4l).
65. System, § 381 ; Zus., X, 28-29. A chaque étape, le bénéfice consiste donc
dans le déclin (Untergang) et l’aveu de néantité de l’étape précédente (cf. le
passage du processus chimique au monde organique in § 338, IX, 448). Certes,
on peut dire que l’Esprit trouve en la Nature son reflet (§ 246; Zus., IX, 48),
mais dans l’étude de la Nature, la tâche du Concept est de « se libérer en elle »
(ibid.). La Nature n’est pas un calme miroir ; elle n’annonce véritablement
l’Esprit qu’en se niant, et non en l’anticipant ici ou là.
66. System, § 262, IX, g5.
67. Ph. Religion, XVI, 412; trad., Preuves, p. g3.
68. System, § 38l; Zus., X, 25.
69. Ph. Religion, XV, 3o2,
« Ce fieux mot d’athéisme... » *79
70. Aesthetik, XIII, 138 ; trad., II, p. 258-25g.
71. Ph. Religion, XVI, 3io et 3l4.
72. Phéno., trad., II, p. 290; II, S. 601.
73. Que la Religion soit une figure de la conscience est d’ailleurs une
survivance de sa forme naturelle : « La Religion naturelle est la Religion
seulement du point de vue de la conscience; ce point de vue est bien présent
dans la Religion absolue, mais en tant que moment transitoire, alors que,
dans la Religion naturelle, Dieu est représenté comme Autre, à travers une
figuration naturelle : la Religion a seulement la forme de la conscience » (Ph.
Religion, XVI, 3oi).
74. System, § 578, X, 45g-46o.
75. « La théologie nouvelle traite plus de la Religion que de Dieu : on
exige seulement que l’homme ait une religion, c’est là l’essentiel, et on tient
pour indifférent qu’il connaisse ou non quelque chose de Dieu; ou encore, on
soutient que ce savoir est quelque chose de tout subjectif et qu’on ne sait pas,
à proprement parler, ce qu’est Dieu » (Ph. Religion, XV, u4). Cf. XV, 59-61.
76. « Tant que la théologie n’offre qu’une simple énumération et exposi-
tion des doctrines religieuses, elle n’est pas encore science. Elle n’acquiert pas
non plus le caractère de scientificité par le traitement simplement historique
de son objet, procédé qu’on prise tant de nos jours (en rapportant, par
exemple, ce qu’a dit tel ou tel Père de l’Église). (La scientificité) n’advient que
par la progression vers la pensée conceptuelle, ce qui est la tâche de la
philosophie. La vraie théologie est ainsi essentiellement en même temps
philosophie de la Religion; elle l’était aussi au Moyen Agé » (System, § 36;
Zus., VIII, Ii3). Mais cette philosophie de la Religion n’était, alors, il est vrai,
qu’une esquisse de la pensée spéculative : « Les idées des Pères de l’Église,
qui ont pensé à l’intérieur de la doctrine de l’Église, sont très spéculatives;
mais le contenu n’est pas justifié par la pensée comme telle. La philosophie se
trouve ici à l’intérieur d’une doctrine fixée; ce n’est pas la pensée qui part
librement d’elle-même. Chez les scolastiques, la pensée ne se construit pas à
partir de soi, elle se rapporte à des présuppositions » (Gesch. Philo., XVII,
125).
77. Ph. Religion, XV, 43.
78. Ibid., id. ; cf. JEnzykl., § 17, VI, 37.
79. Ueber Jacobis Werke, VI, 3l5; cf. Phéno., trad,, II, 287; II, 597-
598.
80. Ibid., VI, 3I3-3I4 et 34o-34i.
81. « L’une des présuppositions absolues dans la culture de notre temps
est que l’homme ne sait rien de. la vérité. L'entendement éclairé n’est pas tant
venu à prendre conscience et à exprimer ce résultat qu’il y a été amené.
Comme on l’a vu, son point de départ a été l’exigence de libérer la pensée des
chaînes que lui imposait l’autre Entendement, celui qui a planté ses finités
sur le sol de la doctrine divine elle-même et a voulu utiliser l’autorité divine
absolue pour faire pulluler cette mauvaise herbe,
-— l’exigence d'instaurer la liberté obtenue de la Religion de la vérité et de la
rendre à son pays natal. Il s’est donc proposé en premier lieu d’attaquer
l’erreur et la superstition. Et ce no fut pas tant la Religion qu’il réussit à
vraiment détruire que cet Entendement pharisien qui opine sur les choses
d’un autre monde avec la même sagesse que s’il s’agissait de celles de ce
mondo-ei et pense pouvoir appeler cette sagesse doctrine de la Religion. Il n’a
voulu éearter l’erreur que pour laisser le champ libre à la vérité; il a cherché et
reconnu des vérités éternelles et a placé
180 La patience du Concept
!
la dignité do l’homme dans le fait que lui seul, et non l’animal, accède à ces
vérités. Dans cette perspective, il faut que cos vérités soient fermes et
objectives à l’encontre de l’opinion subjective et des pulsions du senti- |
ment, et que les opinions et sentiments n’aient de légitimité qu’en tant qu’ils
sont essentiellement conformes à l’évidence de la Raison, qu’ils y soient
soumis et qu’ils soient guidés par elle. Toutefois, le développement
conséquent et indépendant du principe de l’Entendement le conduit à
comprendre toute détermination et, dès lors, tout contenu seulement ,
comme une finitude, de sorte qu’il a anéanti la conformation et la déter-
mination du divin. Inconsciemment, cette formation a rabaissé la vérité
objective, qui devait être sa fin, et l’a réduite à une extrême minceur; c’est en
cet état que la philosophie kantienne la porta à la conscience et qu’on dut
alors la déterminer expressément comme la fin de la Raison » I
(Hinrichs Religionsph, XX, I3-I4).
82. Ueber Jacobis Werke, VI, 34o.
83. « Comme on comprenait le divin, ce qui est en et pour-soi, de cette
manière finie, comme on pensait le contenu absolu de manière finie, il arriva
que les doctrines fondamentales du christianisme disparurent,
en grande partie, de la dogmatique. La philosophie, aujourd’hui, n’est :
pas seule à être orthodoxe, mais c’est elle surtout qui l’est essentiellement; !
c’est elle qui conserve et préserve les propositions qui ont toujours été en
valeur, les vérités fondamentales du christianisme » (Ph. Religion,
XVI, 207).
84. M. Gilson on attribue la paternité au cartésien Clauberg (1647)- Cf.
Être et Essence, p. 168 (note).
85. Ph. Religion, XV, I35-I36. j
86. Woliï, Ontologia, § 7, n et 12 (éd. Ecole). Cf. Gilson, op. cit., p. 167
sq. ' '
87. « La nature du logique et le point de vue auquel s'est placée la
connaissance scientifique reçoit son éclaircissement préalable à partir de la
nature de la Métaphysique et de la philosophie critique, par laquelle la
Métaphysique atteignit sa phase finale. C’est dans ce but que le conoept
de ces soiences ainsi que le rapport qu’il a au logique doit être exposé
|
plus en détails. — Par rapport à l’histoire de la philosophie, la Métaphysique
est, du reste, quelque chose du passé; pour soi, elle est ce qu’elle est devenue
ces derniers temps la simple vue que prend l’Entendement sur les objets de
la Raison » (Enzykl., VI, § 18, S. 38).
88. Logik, IV, 65.
8g. Nous nous inspirons ici de l’article do M. Victor Goldschmidt dans '
la Revue des Études grecques, LXIII, ig5o, p. 20 sq., — qu’on trouvera dans V.
Goldschmidt. Questions platoniciennes (Vrin), p. 144 S(I- — Inspirer, i
d’ailleurs, est peu dire : ce texte nous fut essentiel.
go. « De même, en effet, que le divin surpasse (èÇfjpyjToa) la nature
entière, ainsi, je pense, convient-il que le discours théologique, lui aussi,
reste entièrement pur de toute considération relative à la nature » (Proclus,
Théologie platonicienne, I, 4, P- n). La classe des dieux n’est saisissable j
ni par la sensation ni par l’opinion ni par l’activité de l’intelligence aooom- )
pagnée de la raison (oQ-re vofjosi ps-ra Xéyou), car ce genre de connais- f
sance est relatif aux êtres réellement êtres, tandis que la pure existenoe des |
dieux surmonte le domaine des étants (èiroj^EÏ'rou -cou; o3oi) et se définit !
par l’unité même de toutes choses » (ibid., I, 3, p. 6) (Bridé, trad., Saffrey et Westerink).
j
91, Ph. Religion, XVI, 223.
[
1
« Ce vieux mot d’athéisme... » 181
9a, Enzykl., § 17, VI, 37-38,
93. « On peut bien dire qu’on doit toujours commencer par l’Absolu, de
même que toute progression n’est que la présentation de celui-ci, dans la
mesure où l’étant-en-soi est le Concept. Mais, parce qu’il n’est qu'en-soi, on
peut aussi bien dire que ce n’est pas l’Absolu, ni le Concept posé, ni même
l’Idée, car celle-ci, justement, consiste en ce que l’être-en-soi n’y est qu’un
moment abstrait, unilatéral. Le progrès n’est donc pas une sorte d’excès; cela
serait, si le commençant était, en vérité, déjà l’Absolu. La progression
consiste plutôt en ce que l’Universel se détermine lui- même, en ce qu’il est
Universel pour-soi, c’est-à-dire aussi bien Singulier et Sujet » (Logik., V,
334).
94. System, § 83; Zus., VIII, 199-200.
95. On s’en aperçoit par exemple à la critique que fait Hegel de l’idée de
séparation du laïque et du religieux : « On peut donc bien dire que la
constitution de l’État reste d’un oôté et la religion de l’autre, mais on
s’expose alors au danger que oes principes no soient entaohés
d’unilatéralité. Nous voyons ainsi présentement le monde rempli du
principe de liberté, particulièrement en ce qui concerne la constitution de
l’État. Principes correots, mais qui sont des préjugés, s’ils sont afïootés de
formalisme, tant que. la connaissance n’est pas allée jusqu’au dernier
fondement; c’est là seulement qu’il y a réconciliation avec le substantiel pur
et simple » [Ph. Religion, XV, 264).
96. « On pourrait encore demander pourquoi, si le Concept a, dans la
Logique spéculative une signification si différente de celle qu’on lie
d’habitude à cotte expression, on continue de nommer Concept quelque
chose d’aussi différent, donnant ainsi prise au malentendu et à la confusion.
A quoi l’on répondra que, si grande que soit la distance entre le concept do la
logique formollo ot celui de la logique spéculative, il s’avère, en y regardant
mieux, que la signification plus profonde de « Concept » n’est pas aussi
étrangère qu’il pourrait d’abord sembler à l’usage général de la langue
courante » (System, § 160; Zus., VIII, 354; cf. § 9; VIII, 53).
97. Enzykl., § 22, VI, 39-40. L’illusion que Hegel dénonce de préférence
est celle qui provient du respect de la lettre. On en vient à regarder celui-ci
comme gage suffisant d’objectivité, sans soupçonner que du sens se glisse
toujours, malgré nous, dans l’examen littéral. D’où les sarcasmes envers les
philologues et le peu do cas que fait Hegel de l’exégèse scrupuleuse. Cf. Ph.
Religion, XV, 46 et 23O-23I ; XVI, 204-207.
98. Ph. Religion, XV, 72; cf. XVI, 466-467.
99. Ibid., id.
100. Ueber Jacobis Werke, VI, 34o.
IY
L’éclatement de la Finitude
« Dieu sait que le Fini comparé à Lui n’est rien et ne doit être compté
pour rien. Il juge donc que nous ne pouvons point avoir de rapport ni lier
de société avec Lui. Or Dieu n’a pas pu créer un monde qui n’eût avec Lui
aucun rapport 3. »
« ... mais Dieu n’est pas étendu comme les corps, car II n’a
pas les limitations et les imperfections de ses créatures 6 ».
Et Descartes, encore, à Morus :
L’éclatement de la Finitude 185
« Je n’ai pas coutume de disputer sur les mots; c’est
pourquoi si 1 on veut que Dieu soit en un sens étendu parce
qu’il est partout, je le veux bien; mais je nie qu’en Dieu, dans
les anges, dans notre âme, enfin en toute autre substance qui
n’est pas corps, il y ait une vraie étendue et telle que tout le
monde la conçoit 7. »
Il suffit donc d’attirer l’attention sur l’usage analogique ou
même franchement homonymique qu’on fait des mots pour
rétablir, avec la distinction sémantique, celle des régions
ontologiques. Ou encore, pour accuser le clivage, on appliquera à
l’infini la prose au fini de façon à faire surgir les paradoxes :
<( Ceux qui conjoignent les discours élevés de la philosophie
avec les contemplations sublimes de la théologie disent
saintement et divinement que Dieu est dedans le monde n’y
étant point enclos, qu’il est dehors le monde n’en étant point
exclu, qu’il est par-dessus le monde n’en étant point plus élevé
8... »
pain, le vin et les Apôtres qui les consomment dans la belle unité
que décrivait L’Esprit du christianismen. Dans le premier cas, il
s’agirait de concilier l’union avec la différence subsistante, dans
le second, de rendre l’union subsistante aux dépens de la
différence : ce qui reviendrait, ici et là, à maintenir l’opposition
des catégories d’« Identité » et de « Différence ». Ce qui reviendra
aussi, chez les détracteurs de la dialectique, à la juger comme si
elle laissait subsister les deux (le Fini identifié à l’Infini, le Fini
séparé de l’Infini) et nous donnait le droit de passer
incessamment de l’un à l’autre de ces inconciliables ou de les
poser à la fois (zugleich, et non zusammen) : le dialecticien
accepterait en droit la séparation et la transgresserait en fait.
Or, tant que la séparation est posée sans plus de scrupules
comme subsistante, la Réflexion « fait la loi » et « elle a le droit de
ne faire valoir qu’une unité formelle, puisque l’on a concédé et
admis son œuvre, la scission entre Fini et Infini12 ». La vérité est
qu’alors nous qui parlons du Fini et de l’Infini soit pour les
scinder soit pour les unifier soit pour maintenir ces deux mouve-
ments « à la fois », ne savons même pas ce qu’est 1’ « Identité » et
ce qu’est la « Différence ». C’est vers cette critique des « pures
essentialités » que s’orientait Platon :
11
in
« Cette humilité est plutôt orgueil, car j’exclus de moi le Vrai, mais
c’est de sorte que moi seul dans l’en deçà suis l’affirmatif et l’étant en-soi
et pour-soi, par rapport auquel tout Autre disparaît. L’humilité véritable
renonce plutôt à soi, à Celui-ci comme affirmatif et ne reconnaît pour
affirmatif que le Vrai et l’étant en-soi et pour-soi. Cette fausse humilité,
au contraire, tout en reconnaissant le Fini comme le négatif, comme le
limité, en fait en même temps le seul affirmatif, l’Infini et l’Absolu : Moi,
Celui-ci, je suis le seul essentiel. Moi, ce Fini, je suis l’Infini3S. »
IV
« Plus tard, nous pensons : ceci n’est que son nom, la chose elle- même
est quelque chose de bien différent, c’est-à-dire que nous retombons alors
dans la représentation sensible •—■ ou bien (nous pensons : ce n’est)
qu’un nom dans un sens plus haut, car le nom est l’être spirituel, mais
très superficiel seulement41. »
fteley.
iassent Hylas et Philonoüs, à la fin du dialogue de Ber-
Hylas consent à ne plus associer au mot matière
« une sorte d’indépendance, une existence distincte de la
perception par une intelligence ». En échange, Philonoüs
ne lui interdira pas de continuer à employer le mot ainsi
désamorcé : « si, par matière, on entend une chose sensible
dont l’existence consiste à être perçue, alors il y a une
matière ». La concession semble dérisoire, et Philonoüs
la fait de bon cœur : n’indique-t-elle pas, pourtant, qu’il
y a eu seulement déplacement d’un sens qui, d’un commun
accord, et pour la commodité de cette conversation sur
des objets idéaux, doit rester fixe et immodifiable, qu’il
n’y a donc pas eu critique de la donation de sens comme
2Ï4 La patience du Concept
« Celui qui dit une chose infinie attribue à une chose qu’il ne comprend
point un nom qu’il n’entend pas non plus... Ni celui qui dit éternel
n’embrasse par sa pensée l’étendue de cette durée qui n’a jamais eu de
commencement et qui n’aura jamais de lin, ni celui qui dit tout-puissant ne
comprend pas toute la multitude des effets possibles ; et ainsi des autres
attributs 6®. »
d’affirmer que tel mot ouvre sur une « connaissance ». Comme s’il
avait pris au sérieux l’exigence de Gassendi et s’était soucié de
relever son défi au lieu de l’écarter, il élabore un discours dans
lequel chaque concept doit « parcourir et montrer la totalité de
ses déterminations ». Sans ce développement qui lui donne toute
sa signification ou, plus simplement, sa signification, la
conception ne mérite même pas d’être appelée partielle ou
imparfaite : elle est nulle. « Dieu est l’éternel... On commence, dans
une proposition de cette espèce, avec le mot Dieu. Pris pour soi,
c’est là un son privé de sens, rien qu’un nom 67... » Il y a peu de
différence, pense Hegel, entre cet « Être infini » et l’abstraction de
Brahma :
(( La détermination métaphysique de Brahma est aussi connue qu’elle
est simple; comme on l’a déjà indiqué, Brahma est l’Être pur, la pure
Universalité, suprême being, l’Être suprême. L’essentiel et le plus
intéressant en cela est que cette abstraction est maintenue à l’écart du
remplissage, que Brahma est seulement l’Être pur, sans aucune
détermination concrète en soi. Lorsque nous autres, Européens, disons
que Dieu est l’Être suprême, cette détermination, il est vrai, est aussi
abstraite et aussi pauvre, — et la métaphysique de l’Entendement qui
refuse de connaître Dieu et de rien savoir de ses déterminations exige que
la représentation de Dieu se limite à cette abstraction, qu’on ne connaisse
rien de plus de Dieu que ce qu’est Brahma 08. »
Une légère différence, pourtant, mais significative, entre
l’Europe et l’Inde. En préférant dire Dieu plutôt que Y Être infini
ou l’Éternel, nous pressentons que notre langage n’est pas un
inventaire d’entités. Dieu, sans doute, n’est rien qu’un mot, mais
ce mot désigne une personne, la promesse d’une action et d’une
histoire; il ne se donne déjà plus tout à fait pour la marque d’une
chose disponible, même si la répartition syntaxique continue à le
laisser croire.
« Par la présence de ce mot, on veut justement indiquer que ce n’est
pas un être ou une essence (nicht ein Sein oder Wesen), un universel en
général qui est posé, mais quelque chose de réfléchi en soi-même, un sujet.
Cependant, cela n’est encore qu’une anticipation. Le sujet est pris comme
à un point fixe, et à ce point comme à leur support les prédicats sont
attachés... 89. »
Nous avons vu, tout à l’heure, que la métaphysique, par la
place qu’elle concédait au Fini, contenait en germe les négations
futures de l’Infini (Aufklarung et kantisme).
Uéclatement de la Finitude 217
Mais ce diagnostic (d’histoire de la philosophie) était encore
insuffisant, car nous analysions les concepts philosophiques sans
tenir compte du type de discours dans lequel ils fonctionnaient. «
Fini », « Infini » : tout change si on replace les mots entre
guillemets et qu’on revienne à la façon dont on croyait vivre les
significations. On s’aperçoit alors que la signification « Infini »
elle-même ne recouvrait rien et n’avait d’autre titre de créance
que celle que lui donnait le discours, du fait qu’il situait dans
l’Être ce qu’il proférait. Il était donc dangereux de dire
simplement que la philosophie n’a jamais su éliminer le Fini, à la
manière dont un historien ou un géographe n’ont jamais su
corriger une erreur de fait. La philosophie n’a jamais opté pour
la Finitude; elle n’a cessé de parler dans la Finitude. Activité de
désignation et de nomination, elle se comportait par rapport aux
significations comme, dans « le Règne du Père », la religion
envers Dieu, — vouée comme elle à rendre lointaines les choses
proches et étranger le Dieu qu’elle disait « vivant ». C’est cette
distorsion immanente au discours que fait cesser la spéculation :
« Quand nous disons Dieu, nous n’avons dit que son abstraction — ou
Dieu le Père, l’Universel, nous ne l’avons dit que dans sa Finitude. Son
infinité consiste justement à supprimer cette forme de l’universalité
abstraite, de l’immédiateté, — à poser, dès lors, la différence, mais aussi
bien à supprimer cette différence. C’est seulement alors qu’advient
l’effectivité vraie, la vérité, l’infinité î0. »
NOTES 1 11
11. Cf. Esprit du Christ, trad., p. 72; Différent, I, 123-124; trad., p. i4o-
12. Different, I, 127; trad,, p. 142.
13. Gesch. Philo., XVIII, 236-237.
14. Kant. ICPV., Ak-Aus., V, III-2; trad., p. 121.
15. Kant. KRV., B-4.08-409.
U éclatement de la Finitude
— Mais il serait peut-être plus légitime de distinguer deux plans, sur lesquels
Hegel se place alternativement : i ) critique des interprétations que la pensée
finie donna de Platon (comparable à la critique du spinozisme comme
panthéisme) : ces interprétations, grevées de préjugés réflexifs,
méconnaissent que le platonisme fut la première thématisation de l’Uni-
versel. s ) Mise en place du platonisme comme philosophie de la Finitude
(plus abstraite, par exemple, que celle d’Aristote, un peu de la façon dont le
Dieu de Spinoza « reste en arrière » du Dieu chrétien). Dans cette perspective,
il n’y a plus de partialité hégélienne : l’apparente « réhabilitation » des
auteurs correspond au souci de les arraoher à l’histoire historisante des
systèmes et de leur rendre une place dans le langage du Savoir, — leur
apparente « condamnation » à l’exigenee de leur assigner ensuite le site exact
qui leur revient
4.0. Platon, Sophiste, a58 e.
41. Aristote, Métaphysique, N 2.1089 b 20.
42. System, § 88; Zus., VIII, 214.
43. Logik, IV, 100.
44. D’où les protestations contre ceux qui combattent la philosophie
spéculative en la confondant avec le système de l’Identité abstraite : « On a
déjà remarqué que, si l’on entend souvent la nouvelle philosophie être
désignée ironiquement comme philosophie de l’identité, c’est justement la
philosophie — et en premier lieu la logique spéculative qui dénonce la nullité
de l’identité d’entendement, de l’identité qui fait abstraction de la différence;
ensuite, il est vrai, elle insiste tout autant sur le fait qu’on ne saurait s’en tenir
à la simple diversité, mais qu’il faut connaître l’unité interne de tout ce qui est
présent » (System, § 1 1 8 ; Zus., VIII, 275; cf. § lo3; Zus., VIII, a45)- « L’auteur
(Gôschel) garde très bien en vuo ce non-être de la pseudo-égalité à soi-même,
de l’identité abstraite, dans laquelle persévèrent oeux qui, en combattant la
philosophie spéculative, n’ont pas le front de la nommer système de l’Identité.
Il établit fermement que le principe de Jaoobi n’est rien que cette Identité qui
est d’abord le nihilisme de l’Être seulement infini, — puis, sous sa forme
affirmative, le panthéisme, que Jaoobi a très précisément exprimé ailleurs en
disant que “Dieu est l’Être en toute existence”, c’est-à-dire qu’il est cette abs-
traction immanente et, en même temps, tout à fait indéterminée » (Gôschels
Aphorismen, XX, 285).
45. Logik, IV, 208-204.
46. « Jacobi s’attache surtout à ce rapport sous sa forme seulement
affirmative, conçu comme rapport entre deux étants, lorsqu’il combat la
preuve (de l’existence de Dieu) de l’Entendement; il lui fait le juste reproche
de chercher des conditions (le inonde) pour l’inconditionné et, de la sorte, de
représenter l’Infini (Dieu) comme fondé et dépendant. Mais cette élévation,
telle qu’elle est dans l'Esprit, corrige elle-même cette apparence ; tout son
contenu, plutôt, est la correction de cette apparence. Mais Jacobi n’a pas
reconnu cette nature véritable de la pensée essentielle qui consiste à
supprimer dans la médiation la médiation même et c’est pourquoi il a
faussement pris le reproche mérité qu’il adresse à l’Entendement seulement
réfléchissant pour un reproche qui atteindrait la pensée en général et par suite
aussi la pensée rationnelle » (System, § 5o, VIII, 14?) -
47. Glauben und Wissen, I, 3o6; trad. p. 2i3.
48. Exemple de ce dépistage des fausses évidences : « Si des contradic-
tions adviennent, à quel emplacement elles adviennent, tout cela dépend des
présuppositions qui ont été faites. Or l’auteur n’y regarde pas d’assez près : il a
trop beau jeu de recommander au lecteur do ne pas donner
L’éclatement de la Finitude 227
crédit aux assomptions qui doivent produire des contradictions. Déjà au
début (§ 17), où on doit montrer que ni la Nature pour soi ni l’Esprit ne sont
la source des contradictions, l’auteur se permet, sans plus de forme, une de
ces assomptions non évidentes. Elle a trait à la nature de la contradiction
elle-même, et il aurait bien dû, à ce propos, observer avant toutes choses ee
qu’il recommande au § 5, à savoir d’oublier ou de laisser provisoirement de
côté tout ce qui a été jusqu’ici objet de croyance ou d’opinion. « Dans la
nature, dit-il, il ne peut y avoir de contradictions, car ce qui se contredit se
supprime et ne peut exister »; or la nature doit exister. De même « l’esprit ne
pense rien qui se contredise et cette propriété est la cause qui nous fait
apercevoir les contradictions et tenter de les résoudre ». — L’auteur pourrait
s’estimer heureux si le monde, la nature comme les actions, les occupations
et la pensée des hommes n’offraient aucune contradiction, — si ne pouvait
s’offrir à lui aucune existence qui se contredit elle-même. Il dit justement : «
La contradiction se supprime », — mais il ne s’ensuit pas qu’elle n’existe pas »
(Ohlerls Schrifl « Der Ideal- realismus », XX, 399-400).
49. Cf. System, § 9, VIII, 53.
50. Encycl., § 22, VI, 4°-
51. Aristote, Métaphysique, T, ioo5 b i5.
5a. Phéno., trad. I, 53; II, S. 5j.
53. Logik, V, 67.
54. Phéno., trad., I, 84; II, S. 84.
55. Ibid., trad., I, 55; II, S. 58.
56. « Le signe est une certaine intuition immédiate qui représente lin
contenu tout à fait autre que celui qu’elle a pour soi, — la pyramide dans
laquelle une âme étrangère est transportée et conservée. Le signe diffère du
symbole; celui-ci est une intuition, dont la déterminité propre, selon son
essence et son concept, est plus ou moins le contenu qu’elle exprime comme
symbole. Dans le signe, au contraire, le contenu propre de l’intuition ne
regarde en rien ce dont elle est le signe » (System, § 458, X, 345). Cette
rupture entre l’intuition et le sens renvoie à la scission entre le sujet
représentant et l’objet, c’est-à-dire à l’avènement de la subjectivité
représentative (ou de la civilisation). Elle est donc foncièrement représen-
tative, même si elle marque l’extinction de la représentation par simple
ressemblance.
57. System, § 53, X, 356.
58. Cf. Hyppolite, Logique et Existence, p. 38 sq.
5g. Realphilosophie, trad., in Koyré, Éludes d’Histoire, p. 182.
60. Hyppolite, ibid., p. 38 (c’est nous qui soulignons).
61. In Koyré, ibid., p. 182.
62. Feuerbach, Manifestes, p. 38 (trad. Althusser).
63. Cf. Seconde Méditation: « Car, encore que sans parler je considère tout
cela en moi-même, les paroles toutefois m’arrêtent, et je suis presque trompé
par les termes du langage ordinaire ; car nous disons que nous voyons la même
cire, si on nous la présente, et non pas que nous jugeons que c’est
la même .......... des hommes qui passent dans la rue à la vue desquels je
ne manque pas de dire que je vois des hommes, tout de même que je dis que je
vois de la cire; et cependant, que vois-jc de cette fenêtre...?. »
64. Phéno., trad., I, p. 57 et p. 21.
65. Ibid., p. 19; II, S. 24.
228 La patience du Concept
« en mettant les choses au mieux, les mots nous invitent à chercher les
objets, mais ils ne les présentent pas de telle sorte que nous les
232 La patience du Concept
tous les deux sont plutôt supprimés : le Mal en général, l’être pour-soi
concentré en soi-même, — et le Bien, le Simple privé du Soi 2S. »
II
in
I
préjugé du monde et de l’en-soi. En dernière instance, [
pourtant, on met toujours à l’abri un domaine où soit ’
• préservée la validité des principes de contradiction et du
tiers exclu. Dans cette mesure, il est permis d’y voir des
positions de repli du « dogmatisme » (Hegel emploie sou- i vent le
mot à propos de Kant) — mieux vaudrait dire
1 aujourd’hui : des positivismes, « si, par positivisme, on
entend l’effort, absolument libre de préjugé, pour fonder i toutes les
sciences sur ce qui est positif, c’est-à-dire suscep- I
tible d’être saisi de façon originaire 64 ». Et le jugement !
porté sur la Skepsis est ici un bon critère.
Analysons celui que porte Hussarl. On peut ramener à trois postulats son
attitude face au scepticisme. !
; P i) La Skepsis fut l’avènement, en philosophie, du
|
« subjectivisme ». Elle inaugure, à son insu, le motif i
transcendantal.
1 I
i
•
profonds paradoxes des sceptiques, dans leurs argumentations, dont on ne sait pas au
juste jusqu’où elles doivent être prises au sérieux, !
i surgit, sous une forme enoore primitive et vague, un motif tout à fait |
' nouveau qui sera de la plus universelle signification dans la conscience j
philosophique de l’humanité Pour la première fois la prédonation naïve du monde
)
i
244 La patience du Concept
IV
Ce n’est pas parce que le Fini est que l’Infini est, nous le
savons. Si l’on s’en tient là, c’est au contraire l’insurmontable
équivocité de 1’ « Être » qui est mise en évidence. C’est
seulement dans la mesure où le Fini « passe » et montre qu’il n’a
pas son être en lui qu’apparaît une chance de rétablir
l’univocité de « l’Être ». Mais si « passer » signifie pure et simple
suppression, sortie de soi pour se perdre en l’Autre, cette
chance est aussitôt perdue, et nous revenons à la même
situation aporétique : l’Infini, à nouveau, est pensé comme un
éîre-ailleurs. Il risque même de n’avoir d’autre statut que celui
de négation abstraite du Fini, d’au-delà dans lequel nous
pourrons perpétuellement transgresser celui-ci et où il sera
toujours possible d’inscrire une nouvelle limite, puis une
autre... Il suffirait d’ailleurs d’analyser le mécanisme de ce «
dépassement dans l’indéterminé (ins Unbestimmte
Hinausgehen) » pour entrevoir en quoi consiste le véritable
Infini. Il se décompose en deux mouvements 83 :
— par le fait de dépasser le Fini, je rencontre l’Infinité,
mais, comme je trace une limite nouvelle, je brise cette
indétermination et rentre à nouveau dans le Fini;
— mais la limite nouvelle qui a nié F Infini a le même sort
que l’autre : en posant une autre limite nouvelle au-delà d’elle,
je donne la preuve que l’Infini existe toujours au-delà et je fais
retour à celui-ci.
Or, si l’on ne se laisse pas abuser par cette alternance, au lieu
de dire qu’en premier lieu, le Fini retourne à lui- même, puis
qu’en second lieu, l’Infini retourne à lui-même, on reconnaîtra
plutôt que chacun est à la fois l’un et l’autre de ces deux côtés
que nous tenions à distinguer. « Seul le faux infini est l’au-delà
parce qu’il est seulement la négation du Fini posé comme réel. »
Mais l’Infini véritable n’est pas plus un au-delà que le Fini n’est
un en-deçà : il est, plus généralement (et une fois dépassée cette
répartition arbitraire des contenus) ce qui fait retour à soi en
devenant l’autre. C’est pourquoi son image est le cercle, ligne
close et « tout entière présente, sans commencement ni fin ». —
Aristote remarquait dans la Physique qu’on appelait #7Teipov
les anneaux tels qu’ « en poussant toujours
a5a La patience du Concept
Que, sur le cercle, « il n’en aille pas ainsi », cela veut dire que
chaque point y est à la fois commencement, milieu et fin 85 et
qu’on n’y rencontre plus de point toujours autre. Le cercle rend
donc impensable la progression à l’infini; il est l’exemple de
l’achevé TSASEOV et du limité 7TS7rspaopivov en dehors duquel
il n’y a rien en droit. En somme, Aristote avait presque tout vu,
si ce n’est qu’il réserva au mot Ünetpov le sens d’incomplet par
nature, de « ce en dehors de quoi il existe toujours quelque
chose ». Or, « ce en dehors de quoi il existe toujours quelque
chose », c’est plutôt le Fini ou, plus exactement, la « mauvaise
infinité » qui fait se dissoudre incessamment le Fini sans faire
éclater sa signification. Certes, Aristote refusait l’être à l’Infini
ainsi entendu, mais c’était déjà trop que d’entendre seulement
par $7rstpov le « mauvais infini ». Par nsnspaap.évov, les Grecs
n’entendaient pas ce que nous entendons par Fini88; mais ils
avaient déjà mis en place l’opposition radicale du Limité et de
l’illimité, de façon à rendre impensable le passage de l’un dans
l’autre. C’est par là que la Finitude (la vraie, celle qui bloque à
l’avance les significations) habite la pensée grecque, et non
parce que TOpaç y est synonyme de « parfait ».
La reconnaissance de l’incomplétude ou même delà nullité du
Fini ne suffit donc pas à garantir l’accès à l’Infini. La
dialectique d’Entendement peut certes montrer l’auto- négation
du Fini, mais non pas nous en faire réviser la signification,
puisqu’elle ignore que la Finitude qu’elle dénonce en réalité est
celle des catégories et qu’elle-même procède encore avec des
catégories finies. Dans cette « nuit de la simple Réflexion », où
voir poindre le « plein midi »?
Revenons donc à la critique de 1’ « Être » qui nous avait paru
s’imposer. Une chose est sûre : celle qu’effectue le scepticisme
est encore superficielle. Tant qu’on laisse
La dialectique dans les limites de la simple Raison 253
« jetzt » dieses und « dann » ein Anderes). L’essentiel est que tout
différent, tout particulier est différent d’un Autre, — non pas,
abstraitement, de n’importe quel autre, mais de son Autre;
chacun n’est que dans la mesure où son Autre est contenu en
soi dans son concept... A l’harmonie appartient une
opposition déterminée, son opposé, comme dans l’harmonie
des couleurs. La subjectivité est l’Autre de l’objectivité, et non
d’une feuille de papier. Ici, l’absurdité apparaît autant : (le
terme) doit être son Autre, et c’est en quoi consiste son
identité; chacun est ainsi l’Autre de l’Autre, comme de son
Autre 06. »
Il ne s’agit pas d’ « un devenir-autre, maintenant ceci, et puis
autre chose ». Entendons que le flux appelé à contresens «
héraclitéen » est une des premières trahisons de la dialectique
en relativisme. Cette trahison, d’ailleurs, est double et il faut en
distinguer les deux moments.
j) Le concept de temps auquel on a recours comme condition
de possibilité de Y Anderswerden est arbitrairement forgé pour
rendre raison de la liaison des exclusifs, — « l’ordre des
possibilités inconsistantes qui ont pourtant de la connexion »,
comme le définira Leibniz. Kant estimait inutile et équivoque de
mentionner le temps dans la formulation du principe de
contradiction, puisque la fonction (strictement logique) de
celui-ci est d’expliciter le prédicat comme constitutif du concept
(« aucun homme ignorant n’est instruit »j et non d’écarter
l’opposition des prédicats (« un homme ignorant n’est pas en
même temps instruit »). Il excluait donc le mot zugleich de
l’énoncé du principe 9G, mais sans contester la fonction de
compromis exercée classiquement par le temps. Or c’est à elle
que s’attaque Hegel. Il est impossible de reconnaître la
structure du Temps dans un concept élaboré uniquement pour
qu’en lui, comme en un contenant, certains prédicats puissent
n’être pas posés ensemble. « Dans le temps, dit-on, naît et passe
toute chose; mais, si l’on fait abstraction de tout, à savoir de ce
qui remplit le temps comme de ce qui remplit l’espace, alors il
ne reste que l’espace et le temps vides. Il n’est pas vrai que tout
naisse et passe dans le temps : c’est le temps lui-même qui est ce
devenir, cette naissance et cette disparition, l’abstraction étant,
Chronos engendrant et détruisant ses enfants B7. » — Avant
Bergson, Hegel critique donc la spatialisation du temps. Mais il
ne s’agit nullement de distinguer la succession indistincte et la
succession étalée dans l’extériorité, car ces deux formes ne
seraient jamais, pour Hegel, que deux types de « multiplicités »,
deux représentations
La dialectique dans les limites de la simple Raison 257
NOTES
les mathématiques n’est pas inclus dans le statut eidétiquc des propositions
mathématiques elles-mêmes » (Ideen I, § 64), La question sora reposée, il
est vrai, au § 34 de la Krisis, lorsque Husserl dénoncera l’abstraction de
l'épochô des Ideen (S. l5o et 158). Tant que nous n’avons pas englobé le
LebensweU dans l’épochô, nous ne sommes pas devenus réellement
philosophes (S. 134) Umkehrung
■ L’époohè (§ 35) quiune
requiert la
détache sans ambiguïté de tout intérêt théorétique, de toute « vocation
civile » (bürgerliche Berufen).
71. Pascal, Entr. Saci, Brunschv. p. ï5q.
72. Phdno., II, i65; I, 175 (Hyppolite).
73. System, § 74, VIII, 180.
74. Logik, IV, 490.
75. Spinoza, Traité Réforme, § 47. Texte de Montaigne : « Je vois les
philosophes pyrrhoniens qui ne peuvent exprimer leur générale conception
en aucune manière de parler; car il leur faudrait un nouveau langage; le
nôtre est avant tout formé de propositions affirmatives qui leur sont du tout
ennemies; de façon que quand ils disent « Je doute », on les tient
incontinent à la gorge, pour leur faire avouer qu’au moins assurent-ils et
savent-ils cela, qu’ils doutent » (Apol. Sebonde).
76. Cf. Gesch. Philo., XVIII, 579.
77. « C’est elle (la vérité de l’Évangile) qui accorde les contrariétés par
un art tout divin et, unissant tout ce qui est de vrai et chassant tout ce qui
est de faux, elle en fait une sagesse véritablement céleste où s’accordent ces
opposés, qui étaient incompatibles dans ces doctrines humaines, Et la
raison en est que ces sages du monde placent les contraires dans un même
sujet; car l’un attribuait la grandeur à la nature et l’autre la faiblesse à cette
même nature, ce qui ne pouvait subsister; au lieu que la foi nous apprend à
les mettre en des sujets différents: tout ce qu’il y a d’infirme appartenant à la
nature, tout ce qu’il y a de puissant appartenant à la grâce » (Saci, p. 160,
Brunschvicg). Cf. la critique du stoïcisme et de l’épicurisme à la lumière du
christianisme au chapitre v de la Dialectique de la Raison pratique.
78. Gesch. Philo., XVIII, 54o.
79. Kant, Preissclirift, Ak-Ausg., XX, 282.
80. Kant, Eberhard, VIII, 236.
81. Phéno., trad,, I, 3o.
82. System, § 36, VIII, 112.
83. Cf. Logik, IV, 170-173.
84. Aristoto, Physique, III, 207 a 1-5.
85. Ibid., VIII, 265 b.
86. « Pour les anciens philosophes, la limite était pire, semble-t-il, que
l’éBreipov. Avec Platon, c’est l’inverse : c’est le rtépaç qui est le vrai.
L’illimité est encore abstrait — le limité, l’auto-déterminant, le limitant est
plus élevé » (Gesch., Philo., XVIII, a3g), Hegel admet donc parfaitement
l’équivalence aristotélicienne du « limité » et du « meilleur », à condition
que l’on entende par Treropaopiivov non plus limité intuitivement, mais
informé. (Cf. Aristote, Physique, VII, 269 a.)
87. Logik, IV, 92.
88. Aristoto, De Generalione, 3iy b.
89. Ibid., 318 a, 29.
90. Logik, IV, 90.
i
I
VI
La négation de la négation
Certes, pense Hegel, tout n’est pas faux dans cette attitude : il
est vrai que la contradiction est intenable et que les crises
doivent être résolues. Mais dissolution ne veut pas dire
annulation d’ofïiee, et l’on aurait tort de croire qu’exorciser la
contradiction dispense d’en décrire le mécanisme.
1
Lorsqu’on déclare que les opposés sont incompatibles, on se
donne d’entrée de jeu un sujet singulier par rapport à
l’ensemble des prédicats possibles. Et l’on prétend que ce sujet
A doit posséder nécessairement un des prédicats
contradictoires ^détermination complète) et ne saurait
posséder à la fois deux prédicats contraires.
Mais, d’autre part, nous pouvons séparer par la pensée le mode de cette
totalité : il est donc existence-dépendante j
aussi bien qu’indépendante, partie intégrante aussi bien que
partie totale, comme l’indique Spinoza à Oldenburg :
« La chose est évidente par elle-même. En effet, celui qui dit que le
blanc et le noir s’accordent seulement en ce que ni l’un ni l’autre n’est
rouge affirme, absolument parlant, que le blanc et le noir ne s’accordent
en rien... Car les choses qui s’accordent dans la seule négation,
autrement dit dans ce qu’elles n’ont pas, ne s’accordent eu réalité en
riena6. »
« Le procès n’est pas encore saisi comme I’Universel. Héraclite dit bien
que tout s’écoule, que rien n’a de consistance, que seul l’Un demeure.
Mais par là la vérité, l’universalité n’est pas encore exprimée; c’est le
concept de l’unité étant dans l’opposition, non de l’unité réfléchie en soi
37. »
rr
J
identité à soi qu’en
>assant entièrement dans son Autre et en ne regagnant de
a sorte, semble-t-il, qu’une « identité » dérisoire et même
aberrante, puisqu’il l’échange contre son état civil. Si l’on
s’arrête à ce premier aspect (le plus spectaculaire) de la
contradiction, on peut résumer ce mouvement de la façon
suivante : « loin de recouvrer son indépendance, chaque
moment, désormais, se pose comme être-posé de fond en
comble, — mieux que dépendant d’un Autre, n’étant
intégralement que le Paraître de son Autre, — bref, se
détruisant purement et simplement comme indépendant ».
C’est sur ce renversement de principe du Même en Autre
et de l’Autre en Même que Hegel, dans la Logique d’Iéna,
projette l’éclairage le plus vif. Vous prétendez penser
l’opposition comme une co-présence de deux moments?
Ce schéma est intenable : l’identité de ces moments, c’est
leur altérité, — leur être-pour-soi, c’est la suppression
de leur être-pour-soi, etc. Ne dites donc plus d’un terme
de l’opposition qu’il est, dites qu’il se supprime.
«... L’opposition ne peut pas en rester à son être, mais son essence est
l’inquiétude absolue de se supprimer. Son être, ce seraient ses membres,
mais ceux-ci ne sont seulement que rapportés l’un à l’autre, c’est-à-dire :
ils ne sont pas pour soi, ils sont seulement comme supprimés; ce qu’ils
sont pour soi, c’est de ne pas être pour soi70. »
« Ce qui, en vérité, est posé dans l’infini, est donc qu’il est le vide dans
lequel tout se supprime... »
IV
« dès qu’un terme est posé, on peut toujours montrer qu’un autre
terme est par là même non posé, exclu. Or il faut arrêter une fois pour
toutes ce chassé-croisé interminable d’une expression à l’autre en
faisant remarquer que ce qui, par exemple, a été désigné plus haut par
l’expression union de la synthèse et de Vantithèse n’est pas un
produit de la Réflexion, de l’Entendement; au contraire, sa seule
caractéristique aux yeux de la Réflexion est précisément d’être en
dehors de la Réflexion 62. »
« En tant qu’il est limité par le Non-moi, le Moi est fini; mais, en
lui-même, et, tant qu’il est posé par sa propre activité absolue, il est
infini. Il faut donc concilier en lui le fini et l’infini. Or une pareille
conciliation est, en-soi, chose impossible 98. »
La négation de la négation 3II
« nulle part peut-être plus qu’ici la Raison kantienne n’a porté plus
visiblement le stigmate de l’Entendement, n’a été plus étroitement
commandée par ses besoins, subordonnée à ce que Hegel appelle son
identité vide 108. »
NOTES
1. Hamelin, Essai, p. n,
2. Ibid., p. 12.
3. Beweise, XVI, 5i3; trad., p. i83.
4. Logik, IV, 549-55O.
5. System,., § 119 ; Zus., 2., VIII, 280.
6. Ibib„ VIII, 277.
7. Hamelin, Essai, p, 29.
8. Propèdeutique, trad, p. 141 -
9. Kant, Critique, Idéal Transcendantal, B-387.
10. Lorsque Leibniz écrit : « La substance simple, bien qu’elle n’ait pas
on soi d’étendue, a cependant une position, qui est le fondement de
l’étendue.,. » (à des Bosses, Ph. Sch., II, 339), veut dire que l’espace, et par
conséquent l’étendue, n’auraient aucun statut, — et que le « situs » ne serait
qu’un mot, s’il n’était pas la marque extérieure d’une différenciation
primitive. D’où la comparaison entre les points (abstraits) et les Monades ;
les points ne seraient rien, s’ils n’étaient pas plusieurs; mais comment la
pluralité pourrait-elle advenir, si elle n’était la transposition d’une
différenciation ontologique? Cette pluralité témoigne donc en faveur de
l’existence d’un rapport d’exclusion fondamental. Celui-là même qui, dans
la Monadologie (§ 8-9) permet de donner la première caractéristique de ce
que peuvent être les Atomes non-imaginatifs : « Si les substances simples
ne différaient pas par leurs qualités... Il faut même que chaque Monade soit
différente de chaque autre... » Sans cette différenciation originelle, pas de
multiplicité.
11. Kant, Régions de l’Espace, Ak-Aus., II, 377-378. M. Deleuze voit là
une raison d’atténuer l’opposition traditionnelle entre Kant et Leibniz : « Si
Kant reconnaît dans les formes de l’intuition des différences extrinsèques
irréductibles à l’ordre des concepts, ces différences n’en sont pas moins
internes, bien qu’elles no puissent être assignées par un entendement
comme intrinsèques et ne soient représentables que dans leur rapport
extérieur à l’espace entier » (Différence, p. 4°).
12. Logik, IV, S19-520.
13. « Elles sont rapport do l'une à l’autre, de sorte que l’une est ce que
l’autre n’est pas; l’Égal n'est pas l’inégal et l’inégal n’est pas l’Égal; tous deux
ont essentiellement ce rapport et, hors de lui, aucune signification; en tant
que déterminations de la différence, ohacun est ce qu’il est en tant que
différent do son Autre » (Logik, IV, 5 20).
La négation de la négation 319
jusqu’à l’exiger. On pose une limite, donc l’unité pure est supprimée —
l’unité pure est rétablie, donc la limite est supprimée. Ainsi, dans la
pluralité infinie, chaque déterminité va au-delà d’une autre et celle-ci, de
même, au-delà de celle-là. Au-delà des qualités multiples comme des
quanta multiples, il y a l’au-delà d’une unité qui n’est pas reçue en eux et
qui, si elle y était roçue, supprimerait leur existence; la pluralité, pour
subsister, ne peut recevoir en elle oet au-delà, mais elle est également
incapable de se libérer de lui et de cesser d’aller au-delà d’olle-même.
Comme les déterminités ou limites posent l’unité en dehors d’elles comme
un au-delà, elles semblent se conserver; mais, comme cet être-au-delà de
l’unité est nécessaire pour qu’elles se conservent ou gardent leur consis-
tance, elles y sont essentiellement rapportées, et le fait qu’elles exoluont
cette unité ou encore qu’elles se maintiennent est en vérité leur unification
(avec cette unité). Ou encore : ce qui est posé, c’est la vraie infinité ou la
contradiction absolue » (Jenenser Logik, Lasson, S. 28).
66. Schelling, System des transe. Idealismus, éd. Meiner, S. 381-382.
67. « Le négatif, considéré pour soi à l’encontre du positif, est l’être-
posé comme réfléchi en soi dans l’inégalité, le négatif comme négatif »
(Logik, IY, 536).
68. Ibid., IY, 537.
69. Ibid., IV, 538.
70. Jenenser Logik, Lasson, S. 3I-32; traduit par J. Hyppolite in Logique
et Existence, p. 125.
71. Ibid., S. 32.
72. Dans la Logik, la reconnaissance de la contradiction est présentée
comme étape vers la prise de conscience du Concept : « La Réflexion
intelligente, pour la mentionner ici, consiste au contraire dans la saisie et
l’expression de la contradiction. Bien qu’elle n’exprime pas le Concept do la
chose et de scs rapports et no possède pour tout matériel et contenu que des
déterminations représentatives, elle porte celles-ci dans une relation qui
contient leur contradiction et, à travers celle-ci, laisse transparaître leur
Concept » (Logik, IV, 549) •
73. Phèno., II, 3go; Hyppolite, II, 69.
74- Logik, V, 34o.
75. Dufrenne, Notion d'a priori, p. 44-45. Hamelin, lui aussi, insiste sur
ce retour final à l’immédiat qui serait le dernier mot de la dialectique. « La
contradiction doit être effacée, la contradiction doit être conciliée,
expressions qui reviennent sans cesse... Hegel a pris pour accordé que le
Fini est contradictoire on soi et il a voulu en même temps faire droit au
principe de contradiction : cela même est sa méthode » (Essai, p. 29). Mais
l’expression « faire droit au principe de contradiction » est équivoque.
Hegel n’obéit pas au principe de contradiction, principe du Fini; il montre
que la « contradiction », au nouveau sens, est à la fois suppression de la
détermination et rétablissement de son identité. En confondant contra-
diction classique et contradiction hégélienne, on est amené à comprendre la
négativité comme une épreuve à traverser, un paroxysme qui doit être
surmonté. Dès lors, la synthèse de l’immédiat et de la médiation apparaît
surtout comme un retour à l’immédiat initial.
76. « Le passage dans l’Autre est le procès dialectique dans la sphère do
l’Être, le paraître dans l’Autre dans la sphère de l’Essence. Le mouvement
du Concept est au contraire développement (Entwicklung) par lequel n’est
posé que ce qui est déjà en soi présent » (System, § 161 ; Zus., VIII, 355).
La négation de la négation 32 3
77. Glockner parle d’une pensée « bi-dimensionnelle » et « non-plast,i-
que » (of. Vorwort au T. VIII, S. XXXII-XXXIII).
78. Cf. Ph. Religion, XV, 204.
79. Logik, V, 345.
80. Mallarmé, Œuvres, p. 368 (Pléiade).
81. Cf. Logik, V, 345.
82. Cf. System, § 1 1 2 ; Zus., VIII, 264.
83. Logik, IV, 478.
84. « Nous faisons de nous-même quelque chose de fini en accueillant
un Autre dans notre conscience. Mais, dans la connaissance que nous
avons de cet Autre, nous franchissons cette limite. Seul est limité celui
qui ne sait pas, car il ne connaît pas sa limite; celui qui la connaît, au
contraire, ne la connaît pas comme une limite de son savoir, mais comme
quelque chose de connu, appartenant à son savoir. Seul le non-connu
serait une limite du savoir; la limite connue n’en est pas une; connaître
sa limite signifie donc : connaître son illimitation » (System, § 386,
Zus., X, 44)-
85. Cf. Phèno., II, 146; Hyppolite, I, 152; Ph. Religion, XV, 193-194;
System-fragment, Nôhl, S. 349, <fu* décrit le sacrifice religieux comme
une esquisse de l’anéantissement complet, donc désintéressé, de l’objec-
tivité. « C’est seulement grâce à cette destruction gratuite, à cette destruc-
tion pour la destruction que (l’homme) rachète les destructions qu’il a
commises pour ses intérêts particuliers... Si la nécessité d’un anéantisse-
ment intéressé des objets demeure, cotte destruction gratuite des objets
se produit périodiquement et se révèle être la seule façon religieuse de se
comporter à l’égard des objets absolus » (trad., Papaioannou in Hegel,
p. 127-128).
86. « Que ce troisième soit l’unité ou encore que toute la forme de la
méthode ait la forme d’uno triplieité n’est que le côté extérieur, superficiel
du mode de connaissance... » (Logik, V, 344).
87. System, § 74 , VIII, 179-180.
88. Sur la différence entre le « rationnel-positif » et lo « dialectique »
cf. System, j) 82, VIII, 196; Prop&deutik, III, 170-171.
89. Enzyklopâdie A, § 15, VI, 35.
90. Jenenser Logik, S. 33-34; trad., Koyré in Études d’Histoire, p. i53.
91. Nohl, 347.
92. Systemfragment, Nohl, 347; trad., in Papaioannou, Hegel, p. 125.
g3. Cité in Rohrmoser, Théologie et Aliénation, p. 5o,
94. Glauben und Wissen, I, 401 ; trad., p, 277.
g5. Ce que Sartre laisse de côté quand, dans L'Être et le Néant, il
rapproche la négativité du doute méthodique ou du doute sceptique,
comme autant d’attestations que « la réalité humaine est arrachement à
elle-même » : « C’est ce que Desoartes avait vu, qui fonde lo doute sur la
liberté en réclamant pour nous la possibilité de suspendre nos jugements
—• et Alain après lui. C’est aussi en ce sens que Hegel affirme la liberté de
l’esprit, dans la mesure où l’esprit est la médiation, c’est-à-dire le négatif »
(p. 61-62, c’est nous qui soulignons).
96. « La manière la plus exacte de considérer la philosophie kantienne
est do voir qu’elle a saisi l’Esprit comme conscience et qu’elle ne contient
3a4 La patience du Concept
les récuse; c’est le cas ici. Mais cela est dur pour l’Entendement, car, par
le fait d’avoir usé de ces rapports, il pense avoir acquis un droit. Or, c’est
faire un mauvais usage de ces relations que de dire, comme ici : “ 3 est i ”.
Il est alors facile de montrer en ces Idées des contradictions, des
différences qui vont jusqu’à l’opposé a. »
gteutn’allons
lui être présente que sous forme de l’autorité des parents.
pas entendre que ceci est le complément ou la
rançon de cela, ■ — c e serait encore parler en termes d’ « ou
bien... ou bien ». Non, ceci est cela : il n’y a pas deux états
complémentaires qui s’appelleraient l’un l’autre, il y a deux
faces de la même abstraction. Mais on ne dissipe pas à si peu de
frais les prestiges de la Finitudel On peut bien renvoyer
l’Entendement d’un contenu à l’autre et lui montrer que A et B
disent la même chose : la pensée d’Enten- dement traduira
encore en un passage cette alternance de deux points de vue. En
bloquant chaque côté dans sa différence, elle refusera de voir
que chacun ne fait que représenter, à sa manière, la totalité des
deux.
E"'d’un
n d’une intelligibilité qui exclurait jusqu’à la possi-
dépaysement. Au long de la Phénoménologie,
ce bei sich n’a pas encore de sens. Dans les deux premiers
règnes de la Logique, son statut est en instance : on n’assiste
jamais qu’à l’éclatement, éminemment déconcertant, de
déterminations dont on ne pressent pas ce qui va les
rassembler, puisqu’on n’entrevoit pas ou qu’on entrevoit à
peine ce qui commande la fragilité des figures d’altérité
dans lesquelles elles entrent. Nulle « arche » ne nous assure
encore qu’il ne s’agit pas d’une dispersion sans terme et
sans mesure, la dialectique demeure une mécanique mysté-
rieuse. C’est cette phase que le § 82 de Y Encyclopédie
désigne comme das dialektische Moment proprement dit,
à savoir « l’autosuppression de telles déterminations finies
et leur passage dans leurs opposées 22 ». Le mot « dialec-
tique », Hegel le réserve alors à la pure et simple dénoncia-
tion des déterminations finies. Mais il semble qu’il revienne
sur cette décision dans la Philosophie du droit: « la dialec-
tique », cette fois, englobe le moment que Y Encyclopédie
nommait « spéculatif ou rationnel-positif ».
« Le principe moteur du Concept, en tant qu’il ne dissout pas
seulement les particularisation de l’Universel, mais aussi en tant qu’il
produit celles-ci, je l’appelle la dialectique 23. »
Cette formulation nouvelle réinscrit donc explicitement le jeu
des déterminations qui s’éliminaient l’une l’autre ou se
complétaient l’une en fautre dans le mouvement dont elles
étaient, à leur insu, les épisodes — ou encore dans le
mouvement qui les produisait, entendons : qui les gardait
secrètement d’être une simple dissémination. Par-delà les
figures seulement polémiques du Passage (Être) et du Paraître
(Essence), le Développement (Entwicklung) du
« La plus haute dialectique » 333
il