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MIMESIS

'N

n ilfiirr, t i A l jl í
© Flammarion, 1975.
Printed in France
ISDN 2-08-212015-5
D es articu lation s d e la m im eu se

Pour introduireácelivre, ilaurait fallu présenier


son objet — la mimesis — , el son mode de composition — ¡'as­
semblage de six tex tes différents. II aurait done fa!lu que d'une
maniere ou d'une autre ce livre se donndt, sur ¡ ’un et
son unite. II ne Va pas fait — et ce manque constitue un effet á ¡a
fots volontaire et involontaire. Prendre en compte de tels eíTets,
avec ce qu'ils impliquen!de dérangé ou de dé tourné par rapp
á l'ordre établi de la production philosophique, c'est un des
propos de cette collection (et, entre autres, d'une serie de travaux
collectifs que ce livre voudrait inaugurer) . Cela n'interdi i pas,
bien au contraire, de chercher á s'en expliquer — meme s'il
ne s'agit pas d'expliquer ces effets eux-mémes, c'est-á-dire de
les réduire pour les resorber dans l'ordre en question.
Le choix de « mimesis » était délibéré — un peu, si l'on veut,
comme le choix d'un théme qui semblait s'imposer aujourd'hui
et itnposer de nombreuses variations. Ce qui était beaucoup moins
délibéré, et qui ne s'est avéré qu'au fil des travaux, c'est que
« mimesis » ne se laisse pas enfermer dans le statut d'objet, ou
de théme. Si l'on peut entendre sous « mimesis », en premiere
approximation, la question genérale de la reproduction ( une
« question » que l'on aura déjá du mal á ¡soler, d distinguer de
la question la plus générale...), on ne peut pas éviter de toucher
tres vite á une espéce de limite : cette « question » met en jen,
ou met au défi, la production et la position du discours qui la
formule. J y rcviendrai — en fait, je ne cesserai pas revenir.
Quant á la composition du livre, il s'est produit quelque chose
6 MIMESIS DESARTICU

d'analogue. Nous a v i o n schoisi desen rai


de leursdifferences (de nature, d'allure, de signature), et sons
doute seion l'idée courantc du travail collectif, cette idée
nomique quirenvoie toujours d un benefice que l'on escompte de
¡ ’addition ou de la multiplication des « apports ». Ce qui suppose
que/que lieu common oü l'on puisse capitaliser ce bénéfice.
« Mimesis» ne est'pas tout á fait prétée á ce role. Nos textes
sc « rejoignent » ou sc « re coupon t », s ’ils le font, sur la fuitc ou
le débordementde leurobjet comLes differences font
plus que subsister, elles devierment peut-étre méme extremes, et
ellesne sc prctent plus au calcul par rapport d une reference
unique et positive. Elles ne s'additionnent pas plus qu'elles ne
s ’annulcnt.— Qu'est-ce done que ce livre? que le
travail philosophiquelorsqu'il est ainsi contraint de se dérouter ?
de quelle production, ou reproduction, s'agit-il? Id encore, il
faudra y revenir, lí faudra y revenir , mais peut-étre surtout
ailleurs : que l'on y vote ou non un paradoxe, ces questions sont
encore excessives pour ce livre.
C'est ce dont témoigne, au moins, le sort singulier de cette
introduction. II est temps de le dire : nous avions decide d'une
« partie commune » oü nous marquerions ensemble des articu­
lations de nos textes. Mais il faut croire que Ies concepts de
« partie » et de « communauté » se sont dé robes, puisque je
suis resté seu! avec cette serie de paragraphes, á vrai dire de
fragments, que je comptais articuler avec ceux des autres — et
qui dotvent done se résigner á teñir lieu des autres et des arti­
culations.

*

Je poursuis done, ou plutót je recommence...

... 1'objetde'ce livre se ¡aisse identifier sans : mime­


sis. Pour une f o í s , le titre ne dissimule aucun appel á quelque
ressort d'intelligibilitéque seul ferait surgir le cours de la lec­
ture. On sait tout de suite ce qui est en jeu : non la mimesis de
ceci ou de cela, done pas une mimesis déterminée par un objet ou
un régim e; et pas non plus la mimesis, concept ou théme prélevé
dans de grandes configurations discursives ou culturelles. Mais
bum de mimesis elle-méme, et de Mimesis, c'est-á-dire
du persomage éponyme de toutes les mimesis, de tous les
concepts, themes ou formations théoriqueset pratiques qui relé vent
DES ARTICULATIONS M EA m m V S E ^

is z s z * * - - * * *
culiers. . mot\f gértéral — mais non e.i
Autrement (lit encore, e C¿J/W/ ¿ ’une insujfisance e
bérí - qui common* c e hvpar
traduction : M im cs.s ne se lause P ¡on , mise en
reproduction, simulation, ressemb■ . Mimesis, «km
írfne, analogie, etc. Tout ce a P° ¡.grinnalité, la production.
ceUe-ci es, aussi bien imphquee don ongma,^ . ^ ^
1 Vauthenticiti,lo proprieli. etc . / ) U , , J autant de
salt d'entrée de jeu de qui ti s agit, saris í P
quoi.

. . cela est-il la cause de ceci — ou ? — ne
sais : en tout cas, les six textes qui suivent n o n t entre eu x d a r­
ticulation que celle de mimesis, lis met tent six fo ts Mimesis en
s c e n e .Ce qui revient peut-étre á parioder une scéne connue,
sous (e litre de « S ix auteurs en quéte d'un personnage ». E ncore
faudrait-il qu'il y ait ici six auteurs, et dramatiques de surcroit.
On verra que i/n une ni 1'autre
remplies.

...ainsi peut-étre n'était-il guére possible cette partie


commune. Peut-étre était-il nécessaire que chaqué M im esis
tierme seule son role. Essayer d 'écrire « ensem ble » m ontre sans
doute á la fois : 1 ) qu'on écrit toujours seul, si peu ou si m al
qu'on écrive — et que c'est iá un fa it de mimesis : il fa u t b ien ,
quelque part,s'im iter; 2) qu'une autre écriture, ou une
altérée implique une autre socialité , une autre économ ie, d 'a u tres
rapports de production et de consommation des textes, des
livres, de «V éietcu
r » aussi.C ' un autre regim e d e
mimesis que celuique l'histoire nous a fa it. II est certain que
livre polycéphale ne manquera pas de produire tous les effets
d un livre, alors m ém e qu'il ne peut pas éviter d 'e tre trouble
par tout autre chose : par le besoin de rire d 'u n e p a ro d ie de
d " rire ,el Chose s'y inquiéte e , s y

r P a 7 C O m m u n e
annotation ebauchée, discontinue <
MIMESIS DES ARTICULATIONS
8
suivieá ¡a fois,ácolédes modeles -
migues du eommun et du porticulier, Ce qui ne supprime pos rout
modéle : por exemple celui des «fragm ents " On
peut done déjá rire de ce texte obstinément harcefé par la mimesis,
par plusieurs mimesis. Et Ton peut nous demander : qu avez~
vous done fait í/'autre, en écrivant ensemble sans texte
eommun ? Peut-étre faut-ii repondré ceci : ¿ tout /e moins, nous
avons été empéehés, dans une certaine mesure, d'écrire un autre
livre, un livre deplus.Je veuxaire a e
dire en ¡'occurrence de boucler un traité de la mimesis. Quant d
la figure collective d'un te!livre, ce n ’est sans do
basard que la mathématique s'est jusqu'ici reservé le pouvotr
bourbakiste ¿/’une signature collective. C'est que sons doute
( jusqu'á un certain point du moins) M alhesis n'est pas Mimesis.
Mimesis m'aura ¡aissésur te souci d'un livre altéré — d'un livr
narrivant pas tout á fa it á son propre savoir, ni á sa propre
communauté.

...altérer les livres, les textes, leurs économies — un peu, ou


un peu plus si l'on pouvait —, froisser ¡es écrits, froisser les
auteurs : c'est quand méme ainsi, de tout l'enjeu d'une élhique
que Mimesis nous inquiéte...

... il est évident que nous jouons id nos roles convenus : de


u philosophes », de « collaborateurs » d'un ensemble théorique,
etc. Et pourtant, nous n 'avons pas pu tout á fait nous teñir sur
¡a scéne, füt-elle parodique. L'éihique de Mimesis ordonne d'en
descendrey ou de s'en écarter, L'espace de jeu de Mimesis n'est
celui d'aucune scéne — si ce que l 'on designe ou découpe aujour-
d'hui comme « scéne » (historique, économique, littéraire,
théátrale, que sais-je ?) répond toujours au modéle general que
Bernard Pautrat, avec Brecht, met á vif ici, et dont la fonciion
est toujours de satisfaire quelque savoir. Mimesis ne comble pas
Mathesis : c'estc e l a ,cette insatisfaction, cette irritation qui est
mise á vif.

... avec Mimesis, il se trouve qu'il s'agit sans doute de la


scéne méme : je veux dire de cel/e qui n 'est pas une scéne, mais
qui n'a plutót pour « étre » que la stéJe ici décrite ou déclinée
par Philippe Lacoue-Labarthe, et sur laquelle une typographic
mimétique inscrit, avec et malgré Heidegger, la question de l'itre.
DES ARTICULATIONS DE LA MI MEUSE

... on y amonte, et représente ce qui devait done devenir a


« scéne philosophique », c'est-á-direIes scénes
raire, productive, purgative, morale, scientifique, etc. 11 y en a
bien d'autres : je ne savais comment chaisirt et d'ailleurs il ne
pouvait en étre question. L ’éthique de Mimesis n est pas celle
du choix et du libre-arbitre. II n'y a done pas eu, pour composer
ce livre, de repartition de dom
ainesil a pas eu de ver
economic d'ensemble. L 'économimesis uv Jacques Derrida fait
simultanément Téconomie et la dépense des , attribu­
tions et rétributions.

... pour ce qui est des articulations, la chose s'est done faite
sans trop d'anatomie. On trouve par exemple, ici, Platon, et Id,
Platon encore. Cependant, ce n'est jamais le méme : tan tot
metteur en scéne et tantót mis en scéne, on verra que « Platon »
n'assure peut-étre que par mimesis l'instauration anti-mimé-
tique de la philosophic. Et que le texte du Sophiste, tel que Jean-
Luc Nancy en subit les manipulations, n'est pas moins fantas-
tique que les Élixirs du diablc avalés par Sarah Kofman. L'un
comme I'autre programment Linsatisfaction du lecteur avec sa
satisfaction. Le Sophiste pourrait étre conté par Hoffmann :
inquiétame étrangeté de ce ventrilo que démoniaque, ou de ce
loup blessé au ventre par quelque vampirique aleu!, ou par
quelque vautour...

mais que^veui dirs^ici_ la que veut dire :


C'est, en somme, ce que lout ce livre~dürait
comme sa question. Platon ne ressemble pas plus á Hoffmann
qu'á « Platón ». M j i n e s j s jfj ^ t J a n a is c'est
pourquoi elle a toute une histoire, toute l'histoire de sa « propre »
reproduction.R e s t e r a i t a l o r s —
du lecteur...) tout un réseau d histoires et de differences á
re tracer : par exemple, d'une philosophle du phantasma á une
littérature fantastique ; d'un auteur qui se dérobe á un auteur
qui signe sa duplicité (et que soussigne cette autre : Hoffmann,
Kofm an); de Freud qui n'a pas lu le parricide de á
Freud qui a lu de Vanalyse dans les Élixirs; et encore : de Freud
qui lit ou qui écrit á Freud qui, au thédtre, veut comprendre pour
jouir, et que Pautrat soumet á la question matérielle (á plus d'un
litre) . qu est-ce qu un theatre oil l'on se désaltére?
10 MIMESIS DES ARTICULATIONS

... ainsi mis en scéne (peut-étre seton Íes principes d'un Petit
Organon^, ces personnages laisseront !e
tateur (le théoricien). La distanciation penétre dans Mimesis
eHe-mémer,et n'est peut-étre pas autre chose que cette distance
•qui i'affectc <Pentree de jeu dans le mimétisme de Lacoue-
Labarthc : dans un mimétisme préccdla théoric de
* un mimétisme tea
n
,d
c c'est-á-dire anticipant et excédant
mimétique.

... un broudlage excessif des mimiques s'opére. On montre ici,


par exem
pie(par excmple , Socrate. On montre le montage
savant — mimesis du coup présque mathématique — de son
m asque; puis on montre ce masque multipliant ses masques.
Mais on montre aussi bien le vrai Socrate de la philosophte :
Sylviane Agacinski le remet quelque part en scéne (et á cet en-
droit, Parménide entre sous le masque de Wittgenstein « ce
n'est méme pas dirc que de s'ejfforcer á prononcer le nonsens ») ■■■

, ... le défilé des masques parait tourner á la confusion et au


désordre. J'observe pourtant, avec surprise, combien leur cor-
tége — leur théoric — est bien ordonné par des signa­
tures :
A) oncommence par découper, dans le Traité général du
sens, le sens de mimesis;
D ) on énonce la lot générale de sa production particuliére de,
.—. plaisir ;
K ) on peut alors analyser sa reproduction dans un récit de la
reproduction ;
L) ce qui legitime la question du sujet mimétique et de sa
figure;
N) d ’oii l'examen du sujet philosophique en proie á ¡a mimique
de son logos;
P) on peut enfitt assignor Vessence de la mimesis dans le jeu
méme de sa désidentification.

... qu'on naille pas croire que cette deduction de l'ordre théo-
nque á partirde l'alphabétique soit pure parodie. Chez Mimesis,
ríen n ariveá étre pur. On aurait sans doute plutót á observer
tci l énoncé d ’une loi étrange :quel que soit le désord
traire des elements,un ordre théorique s'y laisse toujours
D E S ARTICULATIONS DE LA MINIE USE

- * - # s
/a puissance propn “ /acuelle , / , mon Jc s'esl soustrait,
cene « >” f .y ^ J ¿ 7 e n ¿ r l r e an moins fe
n'ai pu eviter, a i instan ,

■„'# « mii vient de se passer cette minfiz


... mais on
volt aussitot ce qut \iuu v - - .
ose ¡a question de s e que mime, en general j ord
que de plan pose la question
nc dfquelque 'chose qui le precederán, qui «
h i Vnrdre théorique a abso-
derait » le c o m m e n c e m e n t absolu d o n t ¡o ra re tneor
Turnea, besa,a. Tctte es, T éM que de M ,m« , s : com m ands
quelque chose — et quelque part — d a v a n t la loi.

n )certaine an térigrítexornáis
assignéjeu que satis concertation — .Mimesis semble notís
[ de force t reconduits. L'ordre se mime alors dans ce concert
déconccrtant dont le programme porteratt en quelque sorte .
partition de /'antériorité inouíe, et d'ailleurs inaudible, dfurtg
proposition sur toute proposition, d'un signe sutL tojtliL^sign ifi-
cation, de Vantériorité (transcendantale?) d'une représentation
générale sur toutes les images et sur tous les comme de la vérité,
d'un Tractatus sur tout traité.Cette acoustiqu
que fait entendre Agacinski, ce tour de force « irréalisable » —
ce tourbillon entrainant le logicien vers un fondement introuvable
jusqu'á ce que, soupfonnant enfin le mauvais tour, il s'aban-
donne á la sorcellerie d'un indécombalai —
autre que le tour de Mimesis (tour , pu dire
Derrida). Mais n’étant pos, il ne serait ríen d'autre que le tour
d Hoffmann ressaisissant sa propre écriture dans la multipli­
cation de ses copies, images de copies, copies de surchargeq
et regrattages sansfin. Ou bien — el comme á l'autre extrémité__
le tour de celui qui, tous les masques otes ou tombés, ou masaués
fimt par dire, mais d'une voix de fou, Ecce Homo. *

... avant (mais que veut dire « avant » ir i ?) , ;


tout thédtre, ,ou, geste, tou, poríraü i T f ‘í , w ^
non articulé, mimerait. Quoi? ríen Mn , mesis>
dont se font les créations.Pas méme P° í **
due, e , pour,an,, ou justement, ce «.ríen >. ,,V c,
se passe pintó, comme si Brecht ¡ L ■ P° S n e n - C e,a
IT rtéslstíb k histoire de la creation i * í m e m it m scéne
dra“ par m m P'e. d'une Votx distanciée T /M é e 1
cette replique :
12 MIMESIS DES ARTICULATIONS

« Out / c'est unétre divln que ¡'enfant, aussiquil


n'a pas pris la couleur cuméléon des hommes » ( llülderhn,
Hyperion ) . — C'est bien de q u o i ¡ a complicité radicaic —
ou ¿radicante — de la mimesis et de l'ontologie. Rcmarquons
aprés coup qu'en racontant les crimes du Sophiste
au titre de la mimontologie, Nancy n 'a fait que relire ou relamer
Tépigraphc de Scín und Zeit (dont était á son tour frappé le
seuil de la G ram m atologiej — en quelque facón, du moins.

...pour autant que cette antériorité produise, elle serai t


mique. On verra comment s'est engendrée ici, comme par gene-
ralio aequivoca, une prolifération déconcertante des économies.
Une économie antérieure prodigue — et r aréfie — les signes, ¡es
equivalents mimétiques : lá non plus, nous n'avons pas pu arréter
¡es comptes. Et de méme ont proliféré les histoires de famille —
¡es économies domestiques — dans une circulation plus que
fam iliale du sang, oü nulle domesticité n'a lieu sans mimesis,
c'est-á-dire sans apport de sang étranger et sans per te de sang
propre .

, — ¡a question du pur-sang aurait pu étre notre question. Elle


ne l'a pas été. Les animaux marquent au contraire la limite de ce
livre — et non seulement parce que le mimétisme animal n'y
est pas traité (ce sera pour une autre fots). Mais plutól seIon
cette lot qui veut qu'une limite se referme toujours aussi sur ce
qu'elle excluí. Des animaux — , singes, chouettes —
hantent ces heux sans s'y laisser prendre. Comme le chow-chow
qui hantait, pas toujours avec décence, le cabinet de Freud. Les
mceurs des animaux ne sont pas les nótres ; et c'est bien ¡á que ce
livre devrau faire entrevoir l'éthique de Mimesis, c'est-á-dire
i éih/que méme. Car ¡es professeurs d'éthique le savent bien :
« Le terme « éthique » vient du grec r, 0o<; (á 1'origine : habita­
tion, étable) . » (Karl Barth, Dogmatique, II, 2, § 36) — et
le dictionnaire le confirme : « ... séjour Heux accou-
tumés d'animaux, por es, lions, poissons, etc., plus rarement
d hommes ». L'ethos animal est le reste, inquiétant, de ce livre:
car cet ethos dont nous ne savons parler qu'en mimant le notre,
de quoi est-il la mimesis ?

... il joue sans doute ici le role qu'on verra jouer au chien-loup
jamais vraiment exclu du Sophiste, et qui tout á ¡a fois régle
DES ARTICULATIONS DE LA Ml MEUSE 13

t'économic, la reproduction, et toujours dérégle ¡a pure production


(te pur-sang, il faut bien le dire, c'est en fait le produit d un
croiscmcnt de races) — et par exemple, la production togique ou
phiiosophiquc, ici, d'un ou de pluslcurs concepts de mimesis. Le
concept de production fui-méme, s ’il détenait une identité hors
du travail et de la politique qu'on lui fait faire, accrédité
par l'économimesis?Et quel rapport entre la production écono-
mimétique et / ’exemploralité : autremenl dit que. serait un théátre
oü l'on vomirait effectivement? Et rnieux ou pire : oü / 'envíe de
vomir sublimerail encore ? On verra que des questions de ce type
concernent ce que Kant nomme « existence anímale », et doivent
passer par la gorge d'un rossignol.

... les animaux n’ont cessé de fuir, pareils (pareils?) au gibier


que chasse Platon, á la béte mimétique. Au Banquet des sophis-
tes, on cite Caméléon d'Héraclée, le grammairien qui a tant écrit
sur tant d'auteurs, et dont il reste trois fois rien. Les mimé-
ticiens toujours s'éloignent comme un reve: Antiphon le Sophiste,
rapporte Artémidore (que Freud avail bien lu), connaissait le
reve de la seiche qui fuit dans un nuage Ainsi,
l ’homochromie philosophique...

...une antériorité a done partout reculé, sans pour autant


devenir plus originaire. Pas plus qu'une mimique anímale n'est
l'originede celle de l ' h o m m e ,ni I'inverse
plus l'écrivain que l'écrivain ne crée la seiche, et c'est ce qui les
rend indiscernables. Mimesis se dérobe á toute prise. Elle se
retracte au toucher dudiscours. A ai (á vrai dire?) ce n'est
méme pas un animal, si l'animalité risque d'etre confondue avec
une zoologie constitutive du discours ¡ui-méme. Je verrais plutót
la mimesis qui fuit, et ces textes ici avec elle, agites de
ments á peine animés, d'espéces de tropismes, de réactions
élémentaires, de pulsions discretes. Ce serait tout au plus la
mimique anímale de ces plantes que l'on appelle sensitives mais
que l'on nomme aussi, pour la ressemblance de leurs mouvements
(quandon les touche) avec les grimaces d'un mime, des mimeuses.
Le mimosa, par exemple, est une variété de mime use. Toutes
ces pages ici sont parsemées de mimosas.
■•

...tamimeuse s e rélracte: ond ’un ríre a


epargne mal la tension qu’il décharge. Mimesis est impayable —
14 MJMLS'tS DESARTICULATIONS

aussi gacdc^t-elíetoujours- une créance sur nos discours. La


créante d'une éthique a laqucilc les discours tenus dans cespages
ne peuvent, comme reís, qu'avoir manque* « It nc peut pas non
plus v avoir de propositions éthiques » ; cette proposition est
elle aussi dicoupée du Tractatus. JLamoca[eJist peut*£tULtpM‘
jours d'imitation: Mimesis en revanche trace ou retrace Jes
gestes d'une autre éthique, d'un autrqeode ou d ' u n e prescription
oltérée. On ne ¡ira pas cette éthique dans ces textes\ Mais
l'effet de leur agencement, leur manque de partie commune
entre autres, pourrait étre (je l'espére) cette sorte d'effet végétal,
animal-végétal, du á leurs mi-mcmrs. (Le caméléon luLmémc
(lui-méme?) est une, et méme plusieurs varietés de plantes
grecques; voy. P/ine, H.N., 22.47\)

... la mi/neusc^se^rjtráete: on rtt... au contact Pun de ¡'autre,


ces textes qui auraéent pu exposer et traiter la mimesis — et
qui n'ont sans doute á peu prés jamais parlé de la méme chose —
pourraient se rétracter, se recroqueviller. Dans les inter valles
ainsi découveris par ¡es mimosas pourrait jouer Mimesis, pour­
rait s'ébaucher, ailleurs, un geste, une mimique, une musique de
scéne déjá plus vieille, plus jeune que ces discours, des figures
d'acteursprenant ¡a pose (aussipour écrire Mimesis^, des mou-
vements de spectateurs insatisfaits parcourant ¡a scéne, des
bruits, des rumeurs de rué, des cris d'animaux, des froissements
de plantes. Mimeuse, volume involutifolié qu'on ne pourrait plus
trés bien ¡iréf parce que son ethos commanderait de ne plus sim-
plement lire.

... « Que l on rende raison de /'impression qui nous saisit


lorsque le mimosa, sous un attouchement, replie par couples
ses feu tiles empennées pour finir comme avec industrie par recro­
quevdler son pédoncule. Cette impression, a ¡aquelle je ne veux
point donner de nom, s yaccroít encore au spectacle de l'Hedy-
sarura gyrans qui balance ses foliotes sans aucune impulsion
visible, et semblejouer avec soi-méme comme avec nos concepts. »
Gathe, Dichtung und Wahrheit, IVt 16.,.

Agacinski, Derrida, Kofman,


Lacoue-Labarthe, Nancy, Pautrat
Sylviane A
D ÉCO VPAG ES D U T R A C T A T U S

Jacques Derrida
EC O N O M IM E SIS

Sarah Kofman
0V
) AUTOUR R O U G E

Philippe L acoue-L abarthe


T Y P O G R A P H IE

Jean-Luc N ancy

L E V E N T R IL O Q U E

Bernard P au trat

P O LITIQ U E E N S C E N E : BRECHT

A la faveur d'une indétermination réglée, la morahte pure
et le culturalisme empirique font alliance dans a c r *
tienne des jugements de goQt pur. Bien qu elle n y occupe
jamais le devant de la scéne, une politique agit doncce discours.
On doit pouvoir la lire. Une politique et une économie poli­
tique sont impliquées, certes, dans tout discours sur 1 art et
sur Ie beau. Mais comment discerner la spécificité la plus aigué
d'une telle implication? Certains de ses motifs appartiennent
h une sequence longue, á une puissante chame traditionnelle
reconduisant á Platon ou á Aristote. Entrelacées avec eux de
maniere trés stride mais au premier abord indémélable, d ’au­
tres sequences plus étroites seraient irrecevables dans une poli­
tique de Part platonicienne ou aristotelicienne. M ais il ne
suffit pas de faire le tri ou de mesurer des longueurs. Pliées
á un nouveau systéme, Ies grandes séquences se déplacent,
changent de sens et de fonction. Une fois introduit dans un
autre reseau le « m é m e » philosophéme n’est plus le méme

S d o t ; : » ! crimes “L i ' N ° US
spécificité philosophique des llndt*"* decider d ’une
ou le propre d’un Tvs’tcme T e" Cadrant Un
nutation appartient lui-méme d é i T ^ Ü U" e teUe déli‘
* eJa » a un ensemble qui
MIMESIS DES ART TiONS

reste h pcnser Et le concept d ’appartcnance (á un ensemble)


se laisse travaíller, voire disloquer, par la structure du
parergon l.

La production comme mimesis

Cela nous incite une fois de plus á feindre le point de depart


dans des exempJes, en tous cas dans des Jieux trés particulars,
selon une operation qui, pour des raisons déjü reconnues,
n ’est ni empiríque, ni metempirique.
Ces Jieux, ici, main tenant, sont deux. Choix motivé par le
concept á 'economimesis. Apparemment, mimesis et oikonomia
n ’ont rien á faíre ensemble. II s’agit de montrer le contraire,
d ’exhibcr le lien de systéme entre Ies deux. Non pas entre tellc
économie politique détermince et Ja mimesis : celle-ci peut
s ’accommoder de systémes d'économie politique different?,
voire opposes en apparence. Et nous ne déterminons pas encore
J ’économie en economic de circulation (économic restreinte)
ou en éconorme genérale, toute la difñculté se resserrant ici
dés Jors que, telie est l’hypothése, il n ’y a pas d’
possible entre ces deux économies. Leur rapport ne serait ni
d ’identiíé ni de contradiction mais autre.
Les deux lieux particuliers se signalent par des énoncés ceo-
nomiques au sens courant. íl y est question chaqué fois de
saiaire. De telles remarques sont rares dans la troisiéme Cri­
tique. Ce n ’est pas une raison, au contraire, pour Ies considérer
comme insignifiantes. Est-ce un hasard de construction, une
chance de composition sí toute la théorie kantienne de la
mimesis s enonce entre ces deux remarques sur le saiaire?
L u n e se tro uve au paragraphe 43 (D e Van en generalJ:
c ’est Ja definition de J’art libre (ou liberal : opposition
á J ’art mercenaire ( Lohnkunst).L 'autre au paragraph
il s ’agií d'une parenthése. II y est declaré que dans les Beaux-
Arts 1’esprit doft s ’occuper, s ‘exciter et se satisfaire sans songer
á aucun but et indépendamment de tout saiaire.
La premiere remarque intervient au cours d'une definition
de J ’art en general. Définition assez tardive dans íe livre, Jus-
qu ici on a traité du beau et des jugements de goQt et si des
exempies ont été empruntés á í ’art, Ja beauté naturelle aurait
aussi bien pu les fburnir pour une théorie des jugements de

I. Cf. Le parergon, in Digraphe 2 et 3,


e c o n o m im e s is

goat. Au paragraphe prícédcnl, la supériorité de la beaulí


naturclle avait été justifiée d ’un point de vue moral et p
rccours á une analogic entre le jugement de goüt et le Pgem ent
moral. Sur le fond de cette analogic on lit le « lanpge chiftré
(C hiffreschrift) que la nature « nous parle figurément f/tgttT-
lichj á travers ses belles formes », ses signatures réclles qui
nous la font considércr, elle, comme production d ’art. La
nature se fait admirer comme un art, selon des lois or onn es
et non par accident. Si Hegel semble diré ici le contraire, et
qu’il n’y a de beauté que de Kart, Fanalogie entre la nature et
Fart fournít comme toujours un principe de réconcilíation.
Qu’est-ce que Fart? Kant semble commenccr par repondré :
Fart, ce n’est pas la nature, souscrivant ainsi á Fopposition
héritée. durcie, simplifiée entre tekhné et physis. Du cóté de
la nature, la nécessité mécanique, du cote de Fart, le jeu de
la liberté. Dans Fintermédiaire toute une série de détermina-
tions secondaires. Mais Fanalogie annule cette opposition.
Elle met sous la dictée de la nature ce que Fart produit de plus
sauvagement libre. Le génie est le lieu d ’une telle dictée t ce
par quoi Fart re?oít de la nature ses régles. Toutes les propo­
sitions de forme anti-mimétique, tous les réquisitoires contre
l’imitation seront en ce point minés. On ne doit pas imiter
la nature mais celle-ci, assignant ses regles au génie, se plie,
revient á elle-méme, se réfléchit á travers Fart. Cette flexion
spéculaire donne á la fois le principe des jugements réfléchis-
sants — la nature garantissant la légalité dans une demarche
procédant depuis le particulier — et le recours secret de la mime­
sis : non pas d ’abord une imitation de la nature par un art
mais une flexión de la physis, le rapport á soi de la nature. Plus
ici d ’opposition entre physis et mimesis, et par consequent
entre physis et tekhné, c'est du moins ce qu'il faut maintenant
vérifier.
Debut du paragraphe 43 : « L ’art se distingue de la nature,
comme faire (Thun) (/a cere) se distingue d'agir ( Handeln)
ou d ’etTectuer (W irken) en general (a g ere) et le produit
(Produkt) ou la conséquence du premier, com m e ceuvre
(W erk) (opus) se distingue du produit de l'autre com m e eíTet
( Wirkung ) ( effect us) . »
Ces analogies de proportionnalité sont construites sur un
certain nombre d 'oppositions apparemment irreductibles.
Comment vont-cllcs fmalement, comme toujours, s'eflacer?
Et au profit de quelle économie politique?
I'our s'eflacer, comme toujours, I'opposition doit se produire,
60
MIMESIS DES ARTICULATIONS

se propager et se multiplier. C ’est un procés qu il faut suivre.


A I’intcrieur de I'art en général (I'un des dcux termes de
I ’opposition précedcn te), un autre clivage engendre une série
de distinctions. Leur structure logique n ’est pas insignifiante :
aucune symétrie entre Jes termes, une htérarchic réguliére
plutót, si bien qu’á distinguer entre deux, on classe aussi
un plus et un moins. On propose de definir deux arts distinets
mais pour mettre en evidence deux phénoménes dont J un est
plus proprement « art » que I'autre.
Aussitót apres avoir distingue I'art de la nature, Kant
precise ainsi qu’on ne dcvrait appeler « art » que Ja produc­
tion de Ja liberté, par Ja liberté Frei-
heit). L ’art proprement dit met en ceuvre le libre-arbitre
(Wiilkür) et place la raison au fondement de ses actes. II n ’y
a done d ’art, au sens propre, que d ’un étre libre et logon ekon :
le produit des abeilles (« les rayons de cire réguliérement cons­
truís ») n'est pas ceuvre d ’art. Ce qu’on aperfoit á travers cet
infatigable ressassement du théme humaniste, comme de i ’onto-
théologie qui se confond avec lui, á travers ce bourdonnement
obscurantiste qui traite toujours de l ’aninialitc en général,
selon un ou deux exemples scolaires, comme s ’il n ’y avait
qu’une seule structure « a n im ó le » opposable á I’liumaine,
bien pourvue en raison, en liberté, en socialite, en rire, en
langage, en loí, en symbolique, en conscience ou en inconscient,
etc., c ’est que le concept d ’art est aussi construit en vue d ’une
telle assurance. II est lá pour ériger l ’homme, c ’est-á-dire,
toujours, Ihomme-dieu, pour éviter la contamination par le
« bas » et marquer une limite infranchissable de la domes-
ticité anthropologique, Toute i ’economimcsis (Aristote : seul
I 'homme est capable de mimesis)se represente e
ruse et sa naiveté — la logique de Thomme — c ’est que pour
sauver le privilege absolu de i emergence art, liberté, langage,
etc.), il faudra Ja fonder dans un naturalísme absolu et dans un
indifférentiaíisme absolu, renaturaliser quelque part la produc-
íiv/té bumaine, e/facer Ja difFérencfation dans I ’opposition.
Done Jes abeilles n ’ont pas d ’art. Et si Ton nommait leui
production « oeuvre d ’art », ce serait « seulcnient par analogie »
(nur wegen der Analogie). L'ceuvre d ’art est toujours de
I'homme (ein Werk der Menseben) .
Pouvoir, aptitude, propriété, destín de Thomme ( Geschic-
klichkeitdes M enseben), I'art se distingue á son tour de la
sc/ence. Le savoir scieníifique est un pouvoir, I’art, c ’est ce
qu ü ne suffir pas de savoir : pour savoir faire, pour pouvoir
61

ECO NO M IM ESIS
('dire. Dans la région dont Kant est originairc, du
eommunne s’y trompe pas. Résoudre le probléme de l ’oeuf de
Colomb, c'est de la science, il sufñt de savoir pour savoir t.iire.
H en va de méme pour ¡a prestidigitation. Quant á danser sur
une cordc, c ’est autre chose : faut le faire et il ne sufñt pas de
savoir (passage tres bref d'un funambule dans une note confi-
denticllc, « In meinen Gegenden... ». Pour qui veut faire le
saut et y mettre du sien : Kant, Nietzsche, Genet).
istinct de ¡a science, I'art en général (il n'est pas encore
^CS ^faux'^sts) ne se réduit pas au métier (H and­
l e r /• elui-ci échange ¡a valeur de son travail contre un saiaire.
cc ’est
est un art mercenaire (Lohnkunst). L'art proprement dit
un art mercenaire , ^ ^ ¿ ¿ c t i o* n ne doit oaspas entrer
est libre ou libéral (freie), sa p ¿g foffre et de
dans le cercle économique d u ¿ ’art libéral et l’a rt
demande, elle ne doit pas s Changer d ,opposés L *un est
mercenaire ne forment done pas u utre ¡i a plus de valeur
plus haut que I’autre, plus « art » q ’ propre,
de n’avoir plus de valeur ico n o » ,ique. S. 1 a r t da va n.
e st« production de la ¡ ' ^ r' = ,> ^ ar n .appart¡ent á l'a rt que
tage á son essence. L art mercena P _ p r o d u c tiv ité
par analogie. Et si l’on suit ce jeu de «. g > . de
mercenaire ressemble aussi á celle des abetlles . q ^
liberté, fmalité déterminée, utilité, fimtude du c ,
programme sans raison et sans jeu de 1 imagina ion.
de métier, le travailleur, comme l’abeille, ne joue pas. E t
fait, l’opposition hiérarchisée de l’art libéral et de 1 a rt m er­
cenaire, c ’est celle du jeu et du travail. « On considere le
premier comme s ’il ne pouvait avoir de la finalité (réussir)
que comme jeu, c ’est-á-dire comme activité qui plait p ou r
elle-méme; le second comme un travail, c ’est-á-dire une a c ti­
vité qui est déplaisante (pénible), attrayan te p ar son eífet
seulement (par exemple le saiaire), et qui peut par con seq u en t
étre imposée par contrainte ( zwangsmássig) . »
Suivons la loi de l ’analogie.
1. Si l’art est le propre de l’homme en tan t que liberté, l ’a r t
libre est plus humain que le travail rém unéré, to u t c o m m e il
est plus humain que l ’activité dite instinctuelle des abeilles.
L íl0™mc ]; bre>1’artiste en ce sens, n ’est pas hom o a co n o m icu s.
2. De meme que tout dans la nature p rescrit I’u tilisation de
l orsan.sai.on anímale par l'hom m e (§ 63 ) , de m ém e l ’h o m m e
libre devrait pouvoir utiliser, füt-ce p ar la c o n tr a in te le t r a
rad de 1 homme en tant qu’il n ’est pas libre L ’a r t H W , i .
wuvoir ainsi utiliser . ’art m ercenaire (san s y toucher" c ’e s t ^ -
62 MIMESIS DES A R

dire saos s*y impliqucr), I’anéconomie doit pouvoir utiliser


(rendre utile) l’économic de travail.
3. La valeur de jeu définit la productivity pure. Lc beau
ct J'art proccdant de 1 'imagination, il fallait encore distingucr
entre f'imagination reproductive et I'imagination productive,
spontanée, libre, joucusc : « Si I’on tire le résultat des analyses
précédcntcs, on trouvera que tout y aboutit au concept du
goüt : á savoir d'une faculté de juger d'un objet dans son rap­
port á la légalité Ubre de I'imagination. S ’il faut maintenant
dans le jugement de goút, considérer I'imagination dans sa
liberté, on ne la prend pas en premier lieu comme reproduc­
tive (rep
o
d
u
ctiv
e, n tant que soumise aux lois de l'association,
mais comme productive (produciiv) et spontanée (selbstthálig)
(en tant que créatrice des formes arbitraires d intuitions pos­
sibles; et quoiqueJie soit lice ( quand elle saisit
par les sens un objet donné, á une forme déterminée de cet
objet et n ’ait done pas, dans cette mesure, de liberté de jeu
(freies Spiel) (comme dans la poésie), on comprend fort bien
que 1 objet puisse justement lui rendre disponible une forme
qui contienne une composition d elements varies telle que
J'#" i' *
imagination, lívrée á elle-méme, pourrait en tracer l'esquisse
(entwer/en),en accord avec Ies lots de Ventendement en général.»
(Remarque genérale sur la premiere section de
La poésie, sommet du bel art comme espéce de I’art, pousse
á son extreme, en haut de la hiérarchie, la liberté de jeu qui
s annonce dans J imagination productive. Or la mimesis inter-
vient non seulement, comme cela va de soi, dans Ies operations
reproductives, mais aussi dans la productivity libre et pure
de i ’imagination. CeiJe-ci ne déploie la puissance sauvage de
son invention qu a écouter la nature, sa dictée, son diet. Et le
concept de nature fonctionne ici Iui-méme au service de cet
humanisme onto-théologique, de cet obscurantisms de I'eco-
nomie qu’on pourrait appeler libérale dans son époque *
klártmg,Le génie. instance des Beaux-Arts, (« Ies Beaux-Arts
doívent étre nécessairement considérés comme des arts du
génie ». § 46) porte au plus haut point la liberté de jeu et la
productivité pure de 1’imagination. II donne des régles ou du
moins des exempíes, mais il se fait lui-méme dicter ses régles
par Ja nature ; si bien que la distinction entre art libre et art
mercenaire, avec tout J'appareil de subordination hiérarchique
qu’elle commande, reproduit la nature dans sa production, ne
rompí a 'c e la ies,comme imitation de ce qui est, que pour
m
s identifier au libre déploiement-reploiement de la physis.
63
ECONOMIMESIS
On doit analyser de prés Ic paragraphs qui ex p lo .tela fauss*
opposition de Cart libre et du metier. L art libre “n
nation agréablc en soi. L ’artiste libéral — celui qui nc travaille
Ms contrc un salaire - jouit et donne i jouir. Imméd.atemeo
Le mercenaire ne jonit pas en tant qu'il prat.que son a rt M a o
con,me il s'agit ici d une hiérarehie á rintén eu r d une orgarn-
sation genérale commandéc par la loi umverselle de la nature,
la non-jouissance du mercenaire (son travail) est au service
de la jouissance libérale. E t ce qui impose Part mercenaire
par la force, en derniére instance, e ’est la nature, qui com m ande
au génie et qui, á travers toutes sortes de médiations, com m ande
á tout. Parlant aussitót aprés de « hiérarehie »
dans les corps de métier, Kant se demande si Pon doit considérer
tclle activité, Phorlogeric, com m e un art (libre) ou córam e
un artisanat (mercenaire). Question difficile aussitót écartée .
il faudrait se placer á un «.autre point de vue
« proportion des talents ». Le critére rigoureux fait défaut.
De méme Kant « ne veut pas parler ici » de la question de
savoir si des sept arts dits libéraux, quelques-uns pourraient
étre ranges parmi Ies sciences et d'autres parmi les métiers.
Les arts libéraux enseignés dans les facultés des arts du Moyen
Age (trivium: grammaire, dialectique, rhétorique; quadri-
vium:arithmétique, géométrie, astronomic, musique) sont les
disciplines qui accordent la plus grande part au travail de
Pesprit, par opposition aux arts mécarfiques qui requiérent
surtout un travail manuel. Or il faut que dans l ’exercice de
Part libéral (de I esprit libre) une certaine contrainte soit a
Pceuvre. Quelque chose de contraint (« » est
aussí le mot utilise pour désigner la contrainte imposée au mé­
tier) doit intervenir comme « mécanisme » Sans
ce resserrement contraignant, sans ce corsage strict, Lesprit
qui anime Part libéral « n'aurait pas de corps et s'évaporerait
completement». Le corps, la contrainte, le mécanisme, par
exemple pour la poésie. le plus élevé des arts libéraux. ce serait
la justesse ou la richesse Iexicale ( Sprachrichtigkeit, Sprach-
reichtuni), la prosodie ou la métrique. L a liberté de P art
libéral se rapporte au systéme de contraintes, á son propre
mécanisme, comme Lesprit a son corps ou le corps vivant á son
corset, celui-ci, comme toujours et comme son nom Pindique,
donnant corps. II taut y étre attenut pour saisir le lienoreanique
du systéme : les deux arts (libéral et mercenaire) ne sont pas
deux totalités independamos ou Pune i) Pautre indifférentes.
L art liberal se rapporte á 1 art mercenaire com m e l esprit
MIMESIS DES A RTICULATl ONS
64

au corps, ct il ne pcut se produirc, dans sa liberte, sans ccla


mcme qu’il se subordonnc. sans la force de structure mécanique
qu*á tous Ies sens de ce mot tl suppose, I'instance mécamque,
mcrccnairc, laborieusc, privée de jouissancc. D ’oü la reaction,
dtíjá, A toute pedagogic non-directive : «p lu s d*un éducalcur
modeme croit hfltcr de son micux Ies progrés de l’art libéral
en fui ¿pargnant toute contrainto (Zw ang) ct en y transfor­
mant le travail en jeu pur ». (Ib id .)
On a dit tout A l ’heure que le libre jcu de Part libéral, A la
d i f f e r e n c e tjc r a rt mercenairc, donne A jouir. C o s t encore
vague. ÍI faut dislingucr le plaisir de la jouissancc. Dans cc
contextc ct de maniere un peu conventionnelle, pour marquer
deux concepts different^, Kant oppose Lust ct Genuss. Et prc-
cisément A 1‘instant oü il déíinit les Beaux-Arts, le bel art
( schdne Kunst) . Cette définition, une fois de plus, nc procóde
pas par opposition symétrique, par classification de genre et
d ’esptVc. Les Beaux-Arts sont des arts libres, ccrtcs, mais ils
n ’apparticnncnt pas tous aux arts Jibéraux. Certains d ’entre
ces dcrniers font partie des Beaux-A rts, d ’autrcs des Sciences.
Q u’est-ce qui caractcrise done Ies « Beaux-Arts » ?
La locution, si familiére pourtant, ne va pas de soi. Y a-t-il
une raison pour qu’on appelle « beau » un art qui produit le
beau? Le beau est I'objet, l'opus, Ja forme produíte. Pourquoi
Part serait-il beau? Kant ne pose jamais cette question. Elle
semble appelée par sa critique. Si on íransférc A l ’art un pre­
dicar qui ne convíent en toute rigucur, semble-t-il, qu’A son
produit, c'est que le rapport au produit ne peut pas, structu-
reí/ement, se couper du rapport á Ja subjectivité productrice,
si indéterminée, voirc anonyme soit-clíe : implication de signa­
ture qui nc se confond pas avee Jes requétes extrinséques d ’un
empirisme (psychoíogique, socioJogique, historique, etc.). Le
beau serait toujours l’ceuvre (acte autant qu’objef, i ’art dont la
signature reste marquée á la limite de Pceuvre, ni dedans ni
deiiors, dehors et dedans, dans Pépaisseur parergonale du
cadre. Si le beau ne se dit jamais simplement du produit ou
de 1 acte producteur, mais d ’un certain passage á la limite entre
les deux, il tíent, pourvu d u n e autre elaboration, á queique
e/Tet parergonal : íes Beaux-Arts sont toujours du cadre et de
la signature. Kant ne signerait sans doute pas ces propositions
qui pourtant ne paraissent pas tout á fait incompatibles avec
sa problémafique de la subjectivité esthétique.
Quand on dit qu un art est beau, on ne se référe pas á une
smgularité, a tel acte producteur ou á telle production unique.
BCONOMIMESIS te|com positeur)
La généralilé (la « « * * * * » » b e U rt,. a d p g j.
i,„p|iquc, dans I'ensemble d
ai p o de re c o m m e n c e r . C e « e
ration, une rípítition, n n e p . méme des « B ean x-A Jts .
itérabiUté apparticnt au eon P éponse á la d “ estl° '
La rdpetition est d'un plats - D o n (< U ne belle
une science peut-elie etre belle ? et une n on -ch o se
science » serait une absurdi t , de belles cltoses a u to u r
(Uniting) :rien. On peut cer|'-í\, aussi m cttre en oeuvre
de l'activité scientdiquc; un art, P ou un objet
u„ savoir scion.,fique. Mais en tan . „ e s a u r a ient
de science, par exemple un enonce w e n t ,1Sqw
6tre beaux. Pas plus qu'on ne peut parle de l a v a ^
fique d'un art. Ce serai. U du balvar„dag^ , L d c ^ ( sen ten ces
énoncé seientifique serait de 1 ordre du B ° n ' Au \xnrüche
d ’un goflt exquis (de bons mots) ( geschm acksvolle A p
( Bonmots) ) ». .
Si Ic Witz en tant que tel ne peut avoir de valeur seientifique,
Ja science doit s ’cn priver pour étre ce qu elle est. Elle o it
par la se priver d ’art, de beauté et, indissociablcm cnt, de plaisir.
Ellc ne doit pas procéder en vue) du plaisir, ni en p ren d re ni
en donner.
Une remarque au passage, dans 1’Introduction , re co n n a issa it
pourtant le plaisir á Toriginc enfouie de la c o n n a is s a n c e :
« mais ce plaisir [de connaitre] a sürem ent existe en so n te m p s ,
et seulcment parce que sans luí Texpérience la plus c o m m u n e
ne serait pas possible, il s ’est peu á peu co n fo n d u a v e c la sim p le
connaissance et n ’a plus été p articu liérem en t r e m a r q u é » .
Si cn un temps im m em orial, qui ne peu t e tre un te m p s d e
la conscience, !e plaisir ne se laisse pas sé p a re r de la c o n n a i s ­
sance, on ne peut plus exclure de la scien ce le r a p p o r t á la
beaute, au Witz,comme á toute l ’é co n o m ie d u p la isir ( r e t o u r
meme. reduction de I hétérogéne, re c o n n a is s a n c e d e la loi
.)-. Mieux, on doit adm ettre que dans le b o n m o t , la f o r c é
recondttit a 1’origine en fou ie ou re fo u lé e d e la s c ie n c e

í t s í í t e * p o in t o ü to u te s
tienne perdent leur pertinence* i n m o o r t ^ ^ -'a c n t i q u e
sif de ce problém e au lieu o ü le t e b S T ' ’* ? "

CL Le ¡w ergon (II) (L e sa** a i


lacoapure pure), p. 27
66 MIMESIS DES ARTICULA TlONS

rien de scientifique, les sciences rien de beau ou d'artistique.


Les Bcaux-Arts procédcnt et donnent du plaisir, non t e a
jouissance. La science : ni plaisir ni jouissancc. Le bel art :
plaisir sans jouissancc. Tout art néannioins ne procure pBS e
plaisir. Ue nouvelle séric de distinctions s impose.
n
Un art qui se conforme á la connaissance d ’un objet possible,
qui cxécutc les operations nécessaires pour le réaliser, qui sait
d 'avance qu’rl doit produire et le produit en consequence, un
tel art m écanique ne recherche ni ne donne le plaisir. On sait
comment imprimer un livre, fabriquer une machine, on dispose
d un modéle et d'une finalité. A I'art mécanique, Kant oppose
J ’art esthétiquc. Celui-ci a sa fin immediate dans Je plaisir.
Mais J’art csthétique se scinde á son tour en deux espcces
hiérarchisées. Tout art csthétique n ’est pas un bel art. II y a
done de i ’art csthétique qui n ’a pas affaire au beau. Parmi les
arts esthétiques, certains, íes arts agréables, recherchent la
jouissance (G enuss). Les Beaux-Arts recherchent le plaisir
(L ust) sans jouissance. Kant les définit de deux Jignes sévéres
et sans parenthéses apres avoir complaisamment décrit l'art
de jouissance (quatorze lignes dont une longue parenthése),
I ’art de la conversation, la plaisanterie, le ríre, lagaieté, l'étour-
derie, le bavardage irresponsable autour d ’une table, I’art de
servir, la musique pendant le repas, les jeux de société, etc.
Tout cela est tendu vers la jouissance. « Le bel art au contraire
est un mode de representation qui a sa fin en soi et qui, quoique
sans but (ohne Z w eck ), favorise Ja culture des facultes de 1'es­
prit en vue de la communication sociale. » (§ 44.)
Socialite, communícabiíité universelle : il ne peut s’agir
que du plaisir, non de la jouissance. Celle-ci engage une sensi-
bilité empírique, comporte un noyau de sensation incommu­
nicable. Le plaisir pur, sans jouissance empírique, tient done au
jugement ct á la reflexión. Mais le plaisir du jugement et de la
reflexión doit étre sans concept, pour des raisons déjá reconnues.
Ce plaisir fait done son deuii et du concept et de Ja jouissance.
II ne peut étre donné que dans le jugement réfléchissant. Et
seíon l ’ordre d ’un certain sodas, d'une certaine intersubjec-
tivité réfíéchissante.
Quel rapport avec I 'economímesis? Pouvoir prendre du plaisir
dans une predication réfíéchissante, sans jouir et sans concevoir,
c ’est, bien sur, le propre de J’homme. De I’homme libre :
capable de productjvité pure, c ’est-á-dire non ¿changeable.
aogea ¡>Ie en termes de choses sensibles ou de signes
de choscs sensibles (i'argent par exemple), non ¿changeable
67
e c o n o m im e s is

en termes de jouissancc. Ni córame valeur d'usage. ni córame

V'1 a r p o u " t,e p r o d u c tiv e pure, de n n éch an geab ,e


libére une sorte de commerce immaculé Échange rM ech.ssant.
la com m unicabilité univcrsellc entre k s suje s
1’espace de jeu des Beaux-Arts. II y a I¿ une s o r t e d econom ic
pure oú Voikos, le propre de I’hom m c sc reflech.t dans sa
liberté et dans sa productivitc purés.
Pourquoi done, ici, la mimesis ?Les productions
Arts ne sont pas des productions de la nature, cela va de soi
et K ant le rappelle sans cesse. Facere et non agere. M ais un
certain quasi, un certain ais ob rétablit la mimesis analogique
au point oú elle paraissait coupée. Les oeuvres des B eau x-A rts
doivent avoir l ’apparence de la nature ct prccisém ent en ta n t
que productions (fagons) de la liberté. Elle doivent rcssem bler
á des effets de Vaction naturellc au m om en t oú elles so n t, le
plus purement, des oeuvres ( opera) de tactu re artistique. « E n
face d une production des B eau x-A rts, il faut avoir conscien ce
q u’il s ’agit la de Part et non de la n a tu re ; cependant la finalité
dans sa forme doit paraitre (scheinen) aussi libre de to u te
contrainte ( Zwang) de regies a rb itra g e s que si (ais ob) c ’était
un produit de la pure nature. C ’est sur cc sentim ent de liberté
dans le jeu de nos facultés de co n n a ttrc, lequel d o it étre en
méme temps finalisé, que repose le plaisir (L u s t) qui seul est
universellement com m unicable sans se fo n d er cep en d an t su r
des concepts. »
Quelle est la portée du com m e si ?
La productivité pure et libre doit ressembler á celle de la
nature. Et elle le fait précisément parce que, libre et pure, elle
ne dépend pas cíes lois naturelles. Moins elle dépendde la nature,
plus elle ressemble á la nature. L a mimesis n'est pas ici la
représentation d ’une chose par une autre, le rapport de ressem-
blance ou d ’identification entre deux étants, la reproduction
d ’un produit de la nature par un produit de l ’art. Elle n’est pas
le rapport de deux produits mais de deux productions. E t de
deux libertes. L ’artiste n ’imite pas les choses dans la nature,
ou si Ton veut dans la natura naturata, mats les actes de la
natura naturans, les operations de la physis. M ais puisqu’une
analogic a deja fait de la natura naturans l'a rt d ’ un sujet auteur
et, on peut méme le dire, d'un dieu artiste, la mimesis déploie
1’identification de Pacte humain a Pacte divin. D ’une liberté i
une autre. Communicabilité des jugements purs du goüt,
echan ge (univcrsel, infini, sans limite) entre les sujets au x mains
68 MIMESIS DES AR TIC ULA
. I i . l V¿. H Lr® . f La
libres dans 1 ‘exercice ou I’appréciation du bcl art, tout ccla
suppose un commerce entre J'artiste divin ct I'artiste humain.
Et cc commerce est bien une mimesis au sens strict, scéne, mas­
que. identification A I'autre sur Ja scéne, et non I’imitation d'un
objet par sa copie. La « vraie » entre deux sujets
producfeurs et non entre deux choses produitcs. Impliquée par
troisiéme ieq
Cr, bien que le théme cxplicite, encore
tu
moins le mot. n ’y apparaisse jamais, une telle mimesis requiert
la condamnation dc Limitation, toujours qualifiéc dc servile.
Premier cíTet de cctte mimesis anthropo-théologique : la
féíéologie divine garantit Lcconomie politique des Beaux-Arts,
l’opposition hiérarchique de I ’art libre et de 1’art mercenaire.
I. 'economimesismet tout en place, depuis le travail instinctuel
des animaux sans langage jusqu’á Dieu, en passant par les
arts mécaniqucs, Kart mercenaire, les arts libéraux, Ies arts
esíhétiques et les Bcaux-Arts.
Au point oil nous sommes, la structure de la efface
I opposition entre la nature et I’art, et le facere. Et
nous retrouvons peut-étre la racine d ’un plaisir qui, avant
d ’etre reservé á I'art et au beau, reviendrait A la connaissance.
Comme pour Aristote, la mimesis est le propre de i ’hommc.
Kant parle de 1’imitation comme «singerie» : le singe sait
imiter mais il ne sait pas mimer au sens olí seule la liberté d ’un
sujet se mime. Le singe n ’est pas un sujet et n ’a pas de rapport
— fut-il d'assujettissement — á 1’autre comme tel. Et la
tique place la mimesis á 1 ’origine conjointe de !a connaissance
et du plaisir ; « La poésie semble bien devoir son origine á
deux causes, et deux causes naturelles (physikai). Imiter
( mimeisthai) cst nature! (symphyton: inné, fcongénitaI) aux
hommes et se manifesté des Jeur enfance — I'homme différe
des autres animaux en ce qu’il est trés apte ¿Lim itation
tikotaton) et e ’est au moyen de cel!e-ci qu ’il acquiert ses pre-
miéres connaissanccs (matheseis protas) — , et en second lieu
tous les hommes prennent plaisiraux imitations (khairein tois
minternasi pantas). » (1448 b.)
II faut encore expliquer, pour analyser aussi loin que possible
une soudure traditionnelle, que la Poéíique associe le plaisir
et la connaissance ators que, dans le méme espace de la mimesis,
la fro/siéme Critique paraií les dissocier. C ’est qued ’une part
1 unite du plaisir et de la connaissance, nous Lavons vu. n’y est
pas excluemais renvoyée á 1’inconscience d ’un temps immé-
Jte°un art d autrepart,ido
re, bjet de connaissance, aura
tu
a
n
un art, objet de plaisir; et la beau té naturelle aura été la
ECONOMIMESIS ie sig n a i<.,

production d'un art


qu’il renvoie i un « plus-h . . <{ c ’est sur ce sen time
tion originaire. A la suite du V
¿ onnaitre,
c lequel doit etre
liberté dans le jeu de nos k c u lté s d e ^ ^ £st um ver-
en méme temps finalise, que rep ■ der cependant sur des
sellement communicable sans sc d n n a jt a v o i r sim ul-
concepts. La nature Z t sie zugleich
tanement comme art ( On N
ra
iu
S 1 nOUS

a h Kunsi aussah) ct i'art ne pen‘ ü s e d o n n e ft


avons conscience que c ’est de I art et si cepenuu
voir, pour nous, comme nature. » «m H n rtrice
La seulc beauté reste done celle de la nature p ro d u ctricc.
L ’art est beau dans la mesure oü il est p rod u cteu r com m e la
nature productrice, oil il reproduit la production et non le p r o ­
duit de la nature, oil celle-ci a u ra été (était), avant la d isso ­
ciation critique et avant un certain oubli á d éterm in er, belle.
L ’analogie reconduit á ce temps précritique, an térieur to u te s
les dissociations, oppositions et délimitations du d is co u rs
critique, plus « vieux » méme que le temps de l ’e sth étiq u e
transcendantale.
Le beau rapporte la nature productrice á elle-méme, il
qualifie un spectacle que la nature artiste s ’est donné. D ieu
s ’est donné en un spectacle, comme s’il s ’était masqué — dé-
montré — lui-méme. Théomime, physiomime, pour le plaisir
de Dieu. Immense liberalité qui ne peut pourtant que se donner
á consommer, elle-méme á elle-méme.
Si Veconom
im
esinstitue un rapport spéculaire entre deux
libertes, Iisibie dans le jugement réfiéchissant et dans le gustus
reflectens, comment la liberté de l ’homme peut-elle ressembler
a Ja liberte de Dieu? Savons-nous ce que c ’est que la liberté
“ ? “ * * " { ,d;re ,iberJ é avant d« Penser la physis com m e m im e-
Vh r f r , ptl que SCdonne dans un tniroir ? Comment la
liberte de l'homme (dans l ’économ ie libérale! M „ , T .
sembler á la liberté de Dieu qui se r e s e m h t Peut' elle « * -
elle? Elle lui ressemble précisément en ne H m U a m o a T T
mamére pour une liberté de ressembler i 1’ ™ PaS> SCUle
Le passage de la mimesis ne peut proceder m r
mais seulement — entre libertes _ L a c o n c e P‘ s
valeur réfléchissante, productions n, « e m p la ire s á

L instance origínale est H i , « ,

«l i >bh f maiS naturaI¡se du méme^out)Ut8e? e'i'EMecapiuüise


Le bel art est l ’art du génie >, (§ ? * .'
19 }' L mSeMumest naturel,
7Q MIMESIS DESARTICULA TIONS

c'est un talent naturcl, un don de la nature ( ^ atu^ abe)- Ins­


tance productrice et donatrice, le génie est lui-memc produ
et donné par Ja nature. Sans ce don de la nature, sans ce p
sent d ’une liberté productrice, il n y aurait pas e c ar .
nature produit ce qui produit, elle se produit la Ii x r t c se
donne. En donnant des régles non conccptuelles á I’art (regles
«abstraitcs de l ’acte, c ’est-á-dire du produit »), en produisant
des « exemplaíres », le génie ne fait que réfiéchir la nature, a
représenter á la fois comme son legs ou son delegué et comme
son image fidéle. « Le génie est la disposition innée de l’esprit
(i n g e n i u m ),par laqusllela nature do
ff 46.)
Larégle non-conceptuelle, lisible dans 1 acte et sur exem-
píaire, ne procéde pas d ’une imitation (Je génie est incompa­
tible avec « J’esprit d ’imitation »). Le génie ne s ’apprend pas.
« Apprendrece n ’est rien d'autre qu’imiter. » Outre que par cette
derniére proposition (§ 47), on retrouve le langage de la Poe-
fique, I’affinité se confirme encore du fait que l ’originalité du
génie et J’exemplarité de ses produits doivent appeler á une
certaine imitation. A une bonne imitation : qui ne répéte pas
servilement, qui ne reproduit pas, qui evite la contrelacon
et Je píagiat. Cette imitation libre d ’une liberté (celle du génie)
qui imite librement la liberté divine, c'est un point « difficile
á expliquer». Les idees de I’artiste « éveilíent », suscitent,
excitent des « idées semblabies », voisines, apparentées, ana­
logues (ahnliche). L a nuance difficile qui rapporte la bonne
á la mauva/se imitation, la bonne á la mauvaise repetition, se
fixc briévement dans 1 ’opposition entre Vimitation et la -
fa$on, entre Nachahmung et Nachmachung. L ’insaisissable de
l ’écart, qui va pourtant du tout au tout, se répéte, imite ou
contrefait dans le signifiant : inversion anagrammatique par-
faite, á / ’exception d ’une seule lettre.
Des lors que la nature détache le génie pour la représenter et
donner ses régles á I'art, tout se trouve naturafisé, immédia-
tement ou non, tout est interpreté comme structure de natu-
raíité ; le contenu du culturalisme empirique, I’économie
politique de I ’art. ses propositions trés paríiculiéres, depuis Ies
vers de Frédéric le Grand jusqu'aux énoncés sur Féchelle des
S3Íaires.
La deuxiéme remarque sur le saiaire appartient au chapitre
« Sur ¡a division des Beaux-Arts (§ 51) : « Tout ce qui est
recherché et pénible doit done étre evité [dans les Beaux-Arts];
;ar le bel art doit étre art Jibre en un double sens .* il ne doit pas
71
ECONOMIMESIS

étre, certes, sous la forme de ^Tuer I f C u n é


chSfO. t o travail dont la quaame s= Ia.sse « a ou rfttib oer
mesure déterminée, se laisse imposer ( - g occupc.
(bezahlen); mais il faut ausst bien que 1 esprit se sen P
quoique apaisé et excité sans viser aucun autre but (mdepe
damment de salaire). t na-
« L ’orateur donne done quelque chose qu il ne pro P »
á savoir un jeu attrayant de Im a g in a tio n ; mais il rogne quelque
peu sur ce qu’il promet et sur ce q u ’il annonce com m e etant
son affaire, á savoir de s ’occuper de Tentendement con lorm c-
ment á un but. Le poéte cn revanche prom et peu et annonce
un simple jeu d ’idées, mais il effectue quelque chose qui a la
valeur d ’une occupation sérieuse, á savoir de tournir, en jo u a n t,
une nourriture á l’entendement et de donner vie á ses concepts
grace á I'imagination : au fond, celui-ci donne am a pius, celui-
1& moíns que ce q u ’il pro met. »
Au sommet le poete. Analogue, et précisément par un retou r
de logos, á Dieu : il donne plus q u ’il ne prom et, il ne se sou m et
pas au contrat d ’échange, sa surabondance rom pt g¿nércu*
sement l ’économie circulaire. L a hiérarehie des B eau x-A rts
signifie done q u ’une puissance interrom pt l ’éco n om ic (circu -
laire), gouvcrne et sc place au-dessus de 1 économ ie politique
(restreinte). L a naturalisation de l'écon o m ie politique su b o r-
donne la production et le com m erce de 1 ’a r t k une tran s-
éconoinie.
L 'economimesisn’cn souffre pas, au contraire. Elle s’y dé-
ploie á l’infini. Elle le souffre pour passer a 1’infini. Comme le
« kantisme » en un « hegelianisme ». Un cercle infini se jouc
et se scrt du jeu humain pour se réapproprier le don. Le poete
génial re?oit de la nature ce qu’il donne, certes, mais il re?oit
d'abord de la nature (de Dieu), outre le donné, le donner, le
pouvoir produire et donner plus qu'il ne promet aux hommes.
Le don poétique, contenu et pouvoir, richesse et acte, c ’est un
en-plus donné comme un donner par Dieu au poete qui le
transmet pour permettre á cette plus-value supplémentaire de
faire retour vers la source infinie ; cellc-ci ne peut pas se perdre.
Par définition, si on peut le dire de I’infini. T ou t cela doit passer
par la voix. Le poete génial est la voix de Dieu qui lui donne
voix, qui se donne et en donnant se donne, se donne ce q u ’il
donne, se donne le donner (G abe et joue librement
avec lui-meme, ne rompt le cercle fini de l ’éch an gecontractuel
que pour contracter avec lui-méme un pacte infini. Dés que
1 infini se donne (á penser), Vopposition tend á s ’effacer entre
72 MIMESIS DES AH TICELA TiONS

I 1‘économierestreintecttic généraJc, entre la circula-


I tion ct la prod ucti vité dependiere. C ’estsiIonpeut
I encore dire, la fonction du passage á l ’infini : passage de I’ín-
I fini entre don et dette.
I En tant que te!, Je poete donne plus qu’il ne proxnet. Plus
/ qu’on ne luí demande. Et ce plus appartient á J’entendement :
f iJ annonce un jeu et il donne du concept. C ’est sans doute un
pJus-de-íoi, mais produit par une faculté dont le caractére
essent/el est la spontanéité. Donnant plus qu’il ne promet ou
qu ’il ne lui est demandé. Je poete genial n *est payé, de ce plus,
par personne, du moins dans l ’économie politique de J’homme.
Mais Dieu i ’entretient, II s ’entretient avec lui par la parole, et
contre reconnaissance il lui fournit son capital, produit et
reproduit sa force de travail, lui donne de la plus-value et de
quoi donner de la plus-value.
Commerce poétique car Dieu est poete. II y a un rapport
d 'analogic hiérarchique entre faction poétique de I’art parlant,
au sommet, et I action de Dieu qui dicte la Dichtung au
poete.
Cette structure de I'economimesis a nécessairement son ana-
logon dans la cité. Pendant qu’il n ’écrit ni ne chante, le poéte,
homme parmi fes hommes, doit aussi manger. II doit entretenir
Ja force de travail (mécaníque) dont Kant montre que la poésie
ne peut se passer. Pour qu alors il n'oublie pas que sa richesse
essentieile lui vient den haut, et que son vrai commerce Je
lie á Ja hauteur de J'arí libre et non mercenaire, il re^oit des
pensions du roi-soleil ou du monarque éciairé-édairant, du
roi-poéte analogue au dieu-poéte : de Frederic le Grand, sorte
de caisse nationale des lettres qui vient adoucir la rigueur de
l ’offre et de Ja demande en économie libérale. Mais ce puis­
sant schéme ne se dépJace pas nécessairement dans une autre
organisation de / ’economic restreinte. L 'economimesis peut s ’y
retrouver dans ses comptes.
Frederic le Grand, le « grand roi » : presque le seul poéte
cite par la troisíéme Critique. Prévenance servile et mauvais
goút du phi/osophe, ironise-t-on souvent. Mais ces vers, comme
Je commentaire qui Jes entoure tres rigoureusement, décrivent
la genere use surabondance d ’une source solaire. Le Dieu, le
Roí, le Solcil, !e Poéte, le Génie, etc. se’donnent sans compter. Et
si lerapport d ’aítérité entre 1’économie restreinte et J economic
génerale n ’est surtout pas un rapport d opposition, les héiio-
poctiques phtonicienne, kantienne, hegelienne, nietzschéenne
(e jusqu a celle de Bataille) forment une chaine d’apparence
73
e c o n o m im e s is ^

analogique. Aucune logiquc ds 1 “PP041 .


pour en dissocicr les themes. *nsj ¿aas une se> pofo.es .

urons sans regret


bienfaiti.
-1A "
jour au bout de sa c a . . - - -
Répand sur i u u « « ~
Hnuce lunuere,
^ Ies airs

£ Í 5- £ S 2 S * S $ * á ’•
il anime son idee de la raison d un b^ ° ^ j ' “¿ ag in ati ^ . . . »
encore au terme de sa vie, p ar un a - tej e^tuel p eu t servir
Inversement, précise K ant, un concep . { \c
d ’attribut á une representation sensible e t 1 a ^
soleil iaillissait com m e le calm e jaillit de la s e r »
Sonne quoll hervor, m e Ruh aus T ugend quillt » ) a la ^ n ^
de recourir á la conscience sensible du suprasensible.
note : « Peut-etre n ’a-t-on jamais rien dit de plus sublime, ou
_ * i ^ .1.. ^ V»TifT*i3 ni1P Tn S _L.
inscription sur Ie temple d'Isis Oa mere A ) : Je suis to u i
ce qui est. a éte et sera, et aucun mortel n ’a souleve mon voile. »
Entre la citation du soleil jaillissant et la note sur le voile de la
mere Nature, analyse de Kant i « L a conscience de la -ertu.
méme si Ton se met seulement par la pensée á la place d ’un
homme vertueux, répand dans I'esprit une ioule de sentiments
l .-_ . . _____;_____
suoumes ci a pa isa ms, ____ ___
unc _______ ____
perspecii'e uiimitee sur un
avenir heureux que jamais n ’atteint pleinement aucune expres­
sion proportionnée á un concept déterminé. »

*„*
L\

Peut-etre nous approchons-nous de I’em bouchu re, sinon de


la mer.
Qu esí-ce qui d une em bouchure pourrait ou vrir á lVco/m-
mimesis ?
Nous avons reconnu le pli de la mimesis i 1 origin e de 1;
pro uctivite pure, sorte de don pour soi de D icu qui de lui
raeme se fart cadeau, avant méme la stru ctu re re -p ro d u c tlv
“ ™ tlV' 0! tra,agére ct m f¿rieure a u x B e a u x -A rts l : le géni

S £ : i: í i s ü i " ~ r ivt * d " “ “


i „ MIMESIS DESAR T/CVI'A TtONS
’i .ifii* m i i n v a r t i i M i
e post et m géoérolf Apiiotuen ~i .1
n . ) |aissons la
imlducllbfc, h «Me loglque do 1 ‘econominieiill

Z n Z Z n Z n * * * * %
n
d
ra
p *
O u etM ó libre. 1,. ,*..« % e ..i.e I1ÉM el le M W . 11 « '
lenient iim r.ipporl ilc propcirnunimlltd o " un I .
deux - deux sujels. deux origine* deux pnulu'Ciron».. U p* »
umifiigique exl auai une rcmonlde ver» le togas. 1 ori» ™ g }
le logos. L ‘origine dc 1 ‘nmdogie, ce donl procede el ve . I
fall , clour l ’analogie, c'cJt le logos, raison el parole, source
commc bouchc ct embouchure.
il faut main tenant le démontrer.
La nature fournit des róglcs h Hirt du f-éme. N«.n |»as des
concepts, des iois dcscriptives, mais des réglcs précisémcnt, es
normes singuliércs qui sont aussi des ordres, des énonc s impt
ratifs. Quand Mcgel reproche á la troisieme Critique d'en rester
au « tu dois », il met bien en evidence I ordre moral qui sou
ticnt J ’ordrc csthétique. Cct ordre procéde d ’une liberte á une
nutre, il se donne dc l ’unc á i ’autrc .* ct commc discouWg
travers un éiément signífiant. Chaqué foís que nous lencontrons
dans ce texte quelque chose qui rcsscmblc á une métaphore
discursive da nature dit, dicte, prescrit, etc,), ce ne sont pas des
méíaphores parmi d'autres mais des analogies d analogies,
pour dire que le sens propre est analogiquc .' la nature est pro-
prement logos auqueí il faut toujours remonter, L analogic est
toujours du Iangage.
Par exempJe, on lit (fin du § 46) que « la nature, á travers
le gente, prescrit ( vorschreibe) des régles non á Ja science mais
á J’art,.. ». Le génie transcrit la prescription et son Vorschretben,
ií J’écrit sous Ja dictée de Ja nature dont il assume librement le
secretariat. Au moment oü ií écrit, iJ se laisse Jittéralement
inspirer par Ja nature qui luí dicte, qui Jui dit sous forme d ordres
poétiques ce qu’iJ doit écrire et á son tour prescrire : et sans
qu’iJ comprenne vraiment ce qu’ií écrit. ÍJ ne comprend pas Ies
prescriptions qu'iJ transmet, iJ n ’en a, en tous cas, ni le concept
ni Ja science. « ... J auteur d ’un produit qu’il doit á son génie
ne sait pas Jui-meme d ’oü lui viennent les idees et il n ’est pas en
son pouvoir d'en concevoir á voíonté ou d ’aprés un plan, ni
de íes communiquer á autrui dans des prescriptions
ten) qui Jes metfraient á méme de produire ( hervorbringen)
des produits (Producte) sembíabJcs. » Le génie prescrit, mais
sous Ja forme de régles non-conceptuelles qui interdisent la
repetition, la reproduction imitative.
75
ECON OhilMES IS
A u m.iment oí, cite donn. . i h . c m e n . d «
M r 1.1 vol. du ginle. lu n..mro csl d ij*. « » mum . |)c ^
hi production du génle divin. Au n'<> ,¡ iwmnlii «I'd
déji. «I...» u.» -'tuutlon analogue A ceHe
prodi.il d'alllour» lui-m ín» une J * 6 0 " ' s or t e» ( g l t l d f
producid*» » U \ PU ÍI^Wnrf* ili!
do crcor
crccr « cn ciuoicjuc
l Bone \h
s<m>) « une nutre nature » ( S O HCComj0
rn Ain Ainloiile done, entre le géme qui crec unt *<-
nttUiro cn ..U V lv .n l « r . ...... . d e . rdgle. n u . « M l
" en « " a t u r e «,«¡ diclc H . prescription, nu
o . críe b prendí.c nature cl produit I'urchdtype qui »erv,.a
d ’cxcmplc ct de régle. Telle ......logic l.iérarchiquc ormc une
,„clété d.l logos, ...» sod. .In gel.» ...» logo c h u D tM
to... ic. . h chaqué marohe de I analogic, su pai •
ordonnc, la nature parte pour transmettre au gdnie, 1c plus haut
genic est le génic parlant, Ic poéte.
' L ‘analogic est la régle. Qu’cst-ce quc 9a vcut dire . <,«1 vcut
dire quc 9a vcut dire ct que 9a dit quc 9a vcut dire quc 9a vcut
ct que 9a vcut ce que 9a vcut par cxcmplc.
Par cxcmplc. C ’cst par excmplc quc 9a vcut dire que 9a vcut
dire ct que 9a dit quc 9a vcut dire que 9a vcut ct quc 9a vcut cc
quc 9a vcut par cxcmple.
Par cxcmple, l’analogie est la regle, cela veut dire que Tana-
logic entre la régle de Tart (du bel art) ct la regie morale, entre
1’ordrc csthetique et 1’ordre moral, cctte analogic est la regie.
Elle consiste en une regle. II y a une « analogic » (A nalogie)
entre le pur jugement de goüt qui, sans dépendre d ’un intérét,
provoque un Wohlgefalien convenant a priori á Thumanité,
et le jugement moral qui agit de méme au moyen de concepts
(§ 42 , L ’intérét intellectuel du beau). Cctte analogie confére
un intérét égal et immédiat aux deux jugements. Le jeu articulé
de cette analogie t)se soumet lui-méme á une loi
u
lJG
h
o
(W
de supplémentarité : nous admirons la nature « qui se m ontre
en tant qu*art dans ses belles productions » et « en quelque
sorte á dessein », mais dans Texpérience esthétique la fin de
cette finalité ne nous apparait pas.
C ’est le sans-fin qui nous reconduit au-dedans de nous-
mémes. Parce que le dehors apparait sans-fin, nous cherchons
la fin au-dedans. It y a la comme un mouvement de suppleance
interiorisante, une sorte de su<;otement par lequel, sevrés
de ce que nous cherchons au-dehors, d'une fin suspendue au-
dehors, nous cherchons et nous donnons au-dedans, de fa^on
autonome, non pas en nous léchant les babines, en nous m or-
76 MIMESIS DES A R17 C VL A HONS

dant les lóvrcs ou en jouant dans Jc palais mais, ce qui n est pas
tout ¿ fait autre chose, en nous dormant des ordres, dcs impc-
ratifs catcgoriques, cn nous causant a travers des scfiémes
universcls dés lors qu’ils ne passent plus par Ic dehors.
Kant décric ce mouvemení d ’intériorisation idéalisante :
«A quoi s'ajoute encore I’admiration pour la nature qui se
montre comme art dans ses belles productions, non seulcment
par accident mais en quelque sorte á desscin, selon unc ordon-
nance conforme á des lois et comme finalité sans fin : laquelle
fin, dés lots que nous nc la trouvons nulle part au-dehors,
nous la cherchons naturellement en nous-mémes, precisement
dans cela méme qui constitue la fin derniere de notrc existence
(Dasein),A savoir la destination morale Bestim-
mung) (’mais c ’cst dans la téléologie qu’il sera question du fon-
dement de la possibilitcd’une telle finalité de la nature). » (§ 42,)
Ne trouvant pas dans l'expériencc esthélique, ici premiére,
la !in déterminée dont nous sommes sevrés et qui se trouve
trop loin, invisible ou inaccessible, la-bas, nous nous replions
vers la fin de notre seD
ia
n. Cette fin intérieure
disposition, elle est nótre, nous-mémes, elle nous appelle et
nous deterni ne du dedans, nous sommes la (da) pour repondré
á une Bestimmungá, une vocation d'autonomie. Le Da
notrc Daseinest d abord déterminé par cette fin qui nous e
présente, que nous nous présentons a nous-mémes comme la
noire et par laquelle nous sommes á nous-mémes présents
comme ce que nous sommes. Une existence ou une presence
(D asein) libre, autonome, c'est-á-dire morale.
Notre D a s ’appelle ainsi et cela doit passer parla bouche. Le
Da du Sein se donne ce qu’il ne peut consommer au-dehors,
ne pas consommer formant la condition de possibility du gofit
en tant qu’il nous rapporte au sans-fin.
f>r c ’est dans ce chapitre que se muitiplient Ies « analogies »
sur Jc íangage dc la nature. JJ s ’agit d ’cxpliqucr pourquoi
nous devons prendre un interet moral au beau dans la nature,
un jntércí moral a ccíte experience désinteressée. 11 faut que
Ja nature abrtíe en elle un principe d ’accord ( Übercitistinunung)
entre ses productions (Producte) et notre plaisir dcsintcressc.
Bten que cciui-ci soií purement subject/f et reste coupé de
toute fin déterminée, ii faut bien qu’une certaine entente régne
entre Ja finalité de la nature et notre Woblgefallen. Le Wohl
ne seratt pas explicable sans cette harmonic. Comme cette
entente ne peut etre montréc ni démontrée par concepts, elíc
doit bien s unnoncer autrement.
ECONOMIMESIS s,aanonce, a u tre m e n t

Comment »’»nn° “^ £ d h l e n c e et )a n o n -ad h eren ce^ .^


roHherence entre I
dit, I adnercntc A * lieu propre,
reCOnnait le lieu f _ P
Par des signes. Ici st trr,iciéme Critique- ®
lieu de la signification dans la r“ donc, nous a n n o n c e ,
fication ultérieure en dépendra. U na doit y avo, r
par signes et traces & ne P ^ f ^ e n t e réciproque
accord, correspondance concer , res p ro d u c tio n s et
einstim m ung) ,entre la finable de J « -m i-o i parait
notre W
ohigefialiendéstntéressé alors t n e m ^ de ,a
coupé de la fin. « Mais comme i provoque, dans le
raison que Ies idees (pour lesque aussi une réalité
sentiment moral, un intérét imme ta ^ mojns une trace
objective, c'est-4-dire que la nat fa¡t lut6t
(Spur) ou donne un signe W
i[nk . s i p q aW rtic*ement
sílencíeusement, un signal ou un clin d cei , u rn n rient
bref et discret au lieu d’un discours] indiquant qu elle contient
en elle-mame quelque chose comme un fondement a adm ettre
un accord (Übereinstimmung) de ses productions avec notre
plaisir indépendant de tout intérét (plaisir que nous reconnais-
sons comme loi a priori pour chacun sans pouvoir le fonder sur
des preuves), la raison doit prendre un intérét á toute extério-
risation (Áusserung), par la nature, d ’un pareil acco rd ; par
conséquent 1'esprit ne peut méditer sur la beauté de la nature
sans s ’y trouver par lá intéressé. Mais cet intérét est apparenté
á un intérét moral ( d e r V e r w a n d s c h a f t rtach
La meditation d ’un plaisir désintéressé provoque d on e un
intérét moral pour le beau. Étrange m otivation, intérét pris
au dési ntéressement, intérét du sans-intérét, revenu m o ral tiré
d’une production naturclle pour nous sans intérét, á laquellc
^n prend du bien sans intérét, singuliére plus-value m o ra le du
tans de la coupure pure ; tout cela garde un ra p p o rt n écessaire
ivee la trace (Spur) ct le signe (W in k ) de la n atu re. Celle-ci
íous laisse des signes pour que nous puissions nous se n tir
issurés, dans le sans de la coupure pure, d ’y tro u v e r encoré
lotre compte de satisfaire notre fin, de voir nos actions e t n os
leurs i la hausse
•VMi J II 11,4 1LUU33W morale.
1UW1UIO. et nos
Et pour repondré á ceux qui trou veraien t ce tte a rg u m e n -
ion subtile, spécicuse, laborieuse (stu d irt) , K ant p re cise
nalogic entre jugem ent de goüt ct ju g em e n t m o ra l : « On
a : cette interpretation (D e u t u n g ) des ju g e m e n ts esthótiques

3 Sur cette question ct sur col 1c du sans de sans-ün cf l e Darervnn


II (Le sans de la coupure pure), parergon t
78 \Í1MESIS DESARTICETIONS

reposant sur sa párenle avec fe sentiment moral parait trop


subtile pour étre consideré? comme la vraie interpretation
(Auslegung) de I'écriture chiffrée (Chtjjreschrift) par IsQU ®
la nature nous parle (uns figurément (figürlich) dans
ses bolles formes. Mais... »
Les befles formes, qui ne signifient ríen et n ont pour nous
aucune fin déterminée, sont done aussi, et par ¡á méme, des
signes eryptés, une écriture figúrale déposée dans la production
naturelle. Le sans de la coupure pure est en vérité un langage
que la nature nous parle, elle qui aime á se cryptcr et á dis­
poser sa signature dans les choses. Essayez d ‘improviser un
cadre épistémique pour cette proposition commune á Hera-
cíite, au champ de la signatura rerum et á la configuration de la
troisiéme Critique, vous verrez que 9 a n entre pas tout seul ct
que 9 a fait souffrir le parergon.
Aínsi le non-Iangage in-signifiant des formes qui n'ont aucunc
fin et aucun sens, ce siJence est un langage entre la nature et
I 'homme.
Ce ne sont pas seulement Jes belles formes, Ies beautés pure-
ment formeIJes qui semblent causer, ce sont aussi les atours
et Ies attraits que trop souvent, a tort selon Kant, on confond
avec Ies bciíes formes. II s ’agit par exemple des couleurs et des
sons. Tout se passe comme si ces attraits avaicnt une « signi­
fication plus h a u te » (einen kohcomme si ces m
fications des sens ( Modificationender avai
plus elevé ct détenaient « en quelque serte un langage »
(gleicftsameine Sprache). Le bíanc du lis parait «d isp o ser»
(sttmmen)I'esprit á I'idée d 'innocence, les sept couleurs, du
rouge au violet, donnent respectivement I’idée du sublime
(rouge done), du courage, de la franchise, de l’a Habilité, de la
modes tie, de la fermeté, de la tendresse.
Ces significations ne sont pas posees comme des vérités objec­
tives. L'intérét moral que nous prenons d ’aillcurs á la beau té
suppose que la trace et le clin d'ceií de la nature n’aient pas á
étre object ivement controles par la science conceptuclle. Nous
interprétons Ies couleurs comme un langage nature! ct c ’est
cet intérét hcrmcncutique qui importe : il ne s’agit pas de
savoir si la nature nous parle et veut nous dire ceci ou cela, mais
de notre intérét a ce quelle le fasse, á J’impliquer nécessai­
rement, ct de I ’intervention de cet intérét moral dans le désinté-
ressement csthétiquc. II appartient á Ja structure de cet intérét
que nous croyions l\ la sincérité, á la loyauté, a I’authcnticité
du langage chilfré, méme si le contróle objcctif en reste impos-
79
ECOSOMIM ES IS
sible Et KaDt le dirá plus loin de la poésie : elle n est pas ce
qu'eUe « t « o s loyau.é ou suns sinoérité Ce qui
bouche du poéte comme par la bouche de la nature,J *
dicté par leur voix. s ‘écrit de leur main, doit etre autfaenüque
et véridique. Par exemple quand la voix du poete celebre
elorifie le chant du rossignol, dans le buisson solitaire, par une
soirée d ’été silencieuse, á la douce lumiére de la lune, le bouc e
á bouche ou le bec á bec des deux chants doit étre authentique.
Si un farceur contrefait le chant du rossignol, « un roseau ou
un jone á la bouche », tout le monde trouvera la superchene
insupportable dés qu'elle aura été découverte. D ans le cas
contraire. si vous aimez ?a, c ’est que votre sentiment est grossier
ou sans noblesse. Pour caractériser ceux qui sont prives du
« sentiment de la belle nature », K an t recourt encore i un
exemple oral. — Et c ’est d'une certaine exem ploralité qu'il est
ici traite. — Nous jugeons grossiére et sans noblesse la « m a­
niere de penser » de ceux qui n ’ont pas le sentiment de la belle
nature et qui « se contentent á table ou aupres de la bouteille
de jouir de simples sensations des sens ». D an s la premiere
exemploralité, dans l’oralité exemplaire. il s ’agit de ch an ter ct
d ’ouTr. de voix sans consomraation ou de con som m ation idéale,
d ’une sensibilité élevée ou intériorisée, dans le deuxiéme cas
d'une oralité consommatrice qui en tant que telle, comme goút
intéressé ou com m c dégustation, ne saurait avoir aftaire au
gout pur. Ce qui déjá s ’annonce, c'est une certain e allergic,
dans la bouche, entre le goüt pur et la dégustation. I a question
nous attend de savoir oil inseriré lo dégoüt. C elui-ci, a se rctour-
ner cen tre la dégustation, ne serait-il pas aussi l’origine du
goüt pur, sclon une sorte de c a ta s tro p h e ?
La bouche en tous cas n ’occupe plus ici une place parmi
d ’aiUres. Elle n ’est plus situable dans une topologie du corps
mais tente d ’organiser tous les licux ct de localise tous les
organes. L os du systéme, tic.lt de gustation ou dc consumma­
tion mais aussi production cmcttrice du logos, cst-ce encore un
termo dans une analogic? Pourra-t-on, par figure, com parer la
bouche i\ ccci ou a cela, a tel autre orifice, plus bas ou plus
haut? N ’est-elle pas elle-mémc I’analogie, vers laquelle tout
remonte comme vers le logos m ém e? L ’or par exemple n ’cst
plus un terme substituable t\ l ’anus, mais se determine, hiérar-
chiqucment, commc absolu de tout annlogon. I7.t le clivagc
entic tomes les valeurs opposécs á un moment ou íi un autre
passera par la bouche : ce qu’elle trouve bon ou ce q u ’elle
trouve mauvais, sclon la sensibilité ou P id é a lité , com m e entre
MIMESIS D E S ARTICULATIONS
80
deux maniéres d ’entrer ct deux manieres de sortir de la bouche :
dont l'unc serait expressive et émettrice (du poéme dans le
meilleur des cas), l'autre vomitive ou émétique.
II faut pour le montrer taire un détour. f*ar la division des
Beaux-Arts (§ 51). Avant ce chapitrc, par un cflet de cadrage
que nous ne cessons de suivre, Kant avait déterminé le goüt
comme un quatriéme ícrme qui vient unifier Ies trois facultes
requises par Jes Beaux-Arts, l ’imagination, I’entcndemcnt ct
Tcsprít : « Les trois premiéres facultes n'cn viennent á leur
unification que par la quatriéme. »
Le chapitrc sur la division des Beaux-Arts nous intéressera
sclon trois de ses motifs majeurs. I. II met en ccuvre Ja caté-
gorie d expression. 2. II se iaisse guider par I ’organisation expres­
sive du corps humain. 3. Pour ces deux raisons, il organise
la description des arts cn hierarchic. Ces trois motifs sont insé-
parabíes.
II y faut des coups de force, toute une violence d ’encadre-
ment dont la rhétorique de Kant porte Ies marques. Premiere
phrase : « On peut en general appeier beauté (qu’elle soit de la
nature ou de Part) I 'expression d ’idées esthétiques. » Dans les
Beaux-Arts, íe concept de I objet préexiste á I ’expression ;
cela n ’est pas nccessaire dans Ja nature, mais I'absence du
concept n ’empéehc pas de considérer Ja beauté naturelle comme
J 'expression d ’une idee.
A/ors pourquoi expression? Pourquoi « on peut appeier»
ceJa expression? Qui, on? De quel droit? Et pourquoi une
expression d ’idée?
Kant ne le dit pas. Cela va de soi. fí dit settlement ce qu’il
dit, k savoir que ga exprime et, comme cela ne lardera pas á
se confirmer, que leplus h
aut
ga dit ce que gaexprime et que passe par Ja bouche, une
bouche qui s ’affecte elle-méme puisqu’eJIe ne prend ricn au-
dehors et prend piaisir á ce qu’eIJe met dehors.
De ce diktat qui pose en axiome que le beau est expression
(méme s ’il ne signiíie ríen) suit tout naturcilement une divi­
sion des Beaux-Arts referee aux organes dits d’expression chez
I homme. 11 a été reconnu en effet que Jes Beaux-Arts nc pou-
vaient etre que des arts de 1 homme. En expliquant qu’il va
ECONOMIMe S íS serven t dans
dont Ies bom nieS . parfaitement
d’expression commumquer, j ieUrs
t’esp¿cc <J
langage _pour e “ leurs
urs con
c o ocep
c tPts .cmbarras
» ™ - ' rern b arras ::
que possible, no ^ ^QtcGü se r division possible
sensations. » Appe cette esquissc , . /~e n ’est lá Que
« Le lecteur ^ J ^ f u n projet de théorie ^ „
des Beaux-Arts co ^ peUt et o tement la
pun des multiples essais q pour d,re
Une autre note, a la page s ^
méme chose. „ w ; e et une analogie tr
Le principe est done 1’ani> '° f c CtJ ec le iangage et avec ses
Iiére : l’analogie avec le Spreche , ^ produite par le
modes. Tout remonte au lan^ 8^’ avec iui-méme, a la fots
langage qui, done, met tout en rapp
raison du rapport ct termc du rap p ^ je geste et le ton.
Le langage décom pose, on y ro DeaUK_Arts : le p arlan t
,1 n'y aurait done que trois.espece« de Beaux A ^ sensa.
{ redende), !e figuratif (tilden t j ¡moressions externes
dons » (Spiel der Empfindungen ) comme impressions

^ L e T a r ts discursifs á leur tour se réduisent a


(Beredsamkeit) et á la poésie ( Dichtkunst) . con cep t d o n t a
tres grande généralité explique qu'il ne soit question
autre art littéraire. Mais concept aussi tres pur : on o b tie n d ra ,
par des combinaisons complexes, des genres poétiques c o m m c
la tragédie, le poeme didactique, l ’o rato rio , etc. L o ra te u r et le
poéte se croisent et échangent leur m asque, le m asque d un
comme si. Tous les deux feignent, mais le comme si de l ’un v a u t
plus et mieux que le comme si de I’autre. Au service de la v érité,
de la loyauté, de la sincérité, de la liberté p ro d u ctrice, le co m m e
si du poéte qui dés lors exprime plus et mieux. C clui de P o r a t c u r
trompe et machine. C est justem ent une m ach in e ou p lu tó t un
« art fourbe » qui manie les hom m es « co m m e des m a ch in e s »
(§ 53 ». L ’orateur annonce une Affaire sérieuse et la traite c o m m e
>i c ctait un simple jeu d ’idées. Le poete p ro p o se un jeu d ’idées
it l’ait comme s ’il traitait une affaire de le n te n d e m e n t. L ’ o r a -
eur donne ccrtcs ce q u ’il n ’av ait pas p ro m is, un jeu de T im a -
imation mais ¡1 retient aussi ce qu'il s 'é ta it engagé á donner o u
¿ a ir e ^cn reteñir 1 entendem cnt c o m m e il convicnt. Le poéte
lit le contraire. ,1 annonce un jeu et il fait oeuvre sérieuse
onne i - "'«dig).L ’orateur promct l’entendement et
1 imagination, le poéte promet de in n er ! “ ? » * . et
on alors qu’il nourrit 1’entcndcment et donne o' lm aB*na-
« metaphorcs nourricicres jc i „ V,° aUX ConccPls'
res, je nc les impose pas it K ant. C ’cst
82 MIMESIS DES A RTICULA TIONS

une nourriture ( Nahrung) que le poéte apporte en jouant á


J’eníendement eí ce qu'il fait ainsi, c est donner vie ( e en zu
gebena) ux concepts : conception par l ’imagination et par
i ’oreiiJe, nutrition de bouche á bouche et de bouche é oreille
qui déborde le contrat finí cn donnant plus qu’clle ne promet.
Au plus haut du plus haut des arts parlants, la poésie. Elle
est au plus haut (den obersten Rang) parce qu clic ¿mane
presque totalement du génie. Elle se tient done au plus prés, par
son « origine », de cette productivité libre qui rivalise avec celle
de la nature. C'est l ’art qui imítele moins et qui, done, ressemble
le plus á Ja productivité divine. Elle produit plus en libérant
1 'imagination, elle jo
ue davantage parce que les
nature sensible externe ne viennent plus la limiter. Débon-
dant rimagination productrice, elle fait sauter Jes limites íinies
des nutres arts. « Elle élargit l ’esprit en mettant I'imagination
cn liberté et en présentant (darbietet) dans Jes limites d’un
concept donné ct dans la diversité sans limite des formes qui lui
convienncnt, ceJJe qui lie (verknüpft) la presentation (Darstel-
¡ung) de ce concept á une plénitude de pensée (Gedanken-
fu lle )á laquellc aucune expression du langage -
druck)n ’est pleinement adequate (vóllig adáquat) et qui
s ’é/éve (sich erhebtp
) ar suite csthétiquement ¿i des idées.
foríi/ie i ’esprit en luí faísant sentir sa faculté libre, spontanée,
indépendante de la determination de la nature... »
Les critéres sont ici de presentation (darbieten, darstellen).
La poósie présente plus ct mieux — la plénitude. Elle lie la
presentation (du cóté de J'expression) a un pleín de pensée.
Elle « lie » mieux le présentant au présente dans sa plénitude.
Elle présente plus ct mieux le pie in, Je plcin de pensée conccp-
tu elleou le plcin d ’idée, cn tant qu’ei/e nou.s libére des limites de
la nature sensible. Restunt un art, un bel art, elle dépcnd encoré,
ccrtes, de ¡'imagination. Et comme tout langage, elle est cncorc
inadequate a la plénitude absoluc du non-sensible. Et Kant
parle aussitót aprés du « schéme » du suprasensible. L ’imagi­
nation est bien le ¡¡cu du schématismc ct le nom de cet art
qui sc cachedans les profondeurs de J’áme, mais on comprend
mieuxici que cet art soit « parlant » ct par « poé-
tique ».
Pourquoi ce privilege du poétique? Au-dclá de ce que la
poésicpartage avec les arts par/ants cn genéraí ct qui tient á la
structure (bouchc-orcille) du s ’cntcndrc-parler, qu’cst-cc qui
j3 met au-dessus de 1 ólocjucncc?
Son rapport a la veri tét plus précisément aulhenlicité,
83
e c o n o m im e s is

sa sincéritc at sa loyauté, sa fidéle a d é q u a ti^ á ^ a m a


á son contenu intérieur sinon ad rem : ce qui assure, <£n
presentation, le plein de sens, plein de pensec P r^ n^ *
valeurs ne sont pas étroitement ou immediatement m orales.
L ’instance morale elle-méme dérive ou dépend de la valeur de
presence plcine ou de parole pleine. Quand le poete donne p us
qu’il ne promet, il donne bien un présent, un don authentique.
Don de vérité et vérité du don. 11 ne trom pe pas puisqu i
présente une plenitude de pensée ( Gedankenfftlle) mais aussi
parce q u ’il avoue qu’il joue avec I’imagination et avec des
schémes inadéquats : « La poésie jo u c avec Eapparence qu elle
élabore (bewirkt) á volonté, sans trom per cependant p ar-la
car clic declare elle-méme son ceuvre com m e un simple jeu qui
peut toutefois étre utilise par l ’entendement de fagon co n fo rm e
á ses propres opérations. » L a poésie ne trom pe pas en disant
qu’elle jouc et de surcroít son jeu , auto-affection qui élabore
l’apparence sans limitation externe, « á volonté » , se tient
sérieusement au service de la vérité. L a valeur de présence
pleine garantit á la fois la vérité et la m oralité du poétique. L a
plenitude ne peut s'accom plir que dans I'intériorité du s ’enten-
dre-parler ct la formalité poétique favorise l'in tério risatio n :
elle se passe du sccours de tout con tenu sensible extern e.
L ’éloquence au contraire définit un art de tromper, de frustrer
par de belles apparences, par des artifices de presentation sen­
sible ( sinnliche D arstellung) , par des machines dc persuasion
(M aschinen der Überredimg) . La condamnation classique dc la
machine signific justement que le discours produit des eiTets
sur l'autrc sans que Lintention vienne animer et remplir la
parole. 1 ausse vic, symbolismc vide dc ces sophis-
tiques.
Si l’art est expressif, si la parole exprime plus que les autres
modes d ’cxpression, la parole poétique est & son tour la parole
la plus parlante. L intériorité s y produit ct s y garde mieux
dans sa plenitude. Et elle produit non seulement le plaisir
désintéressé le plus moral ct le plus vrai, le plus present le
Plus ¿levé mais aussi le plus positif. Un plaisir sans prix. A
rompre 1 echangc des valcurs, á donner plus qu'on ne !ui
demande el plus qu'cllc ne promet, la parole poétique est á la
fois hors commerce, hors com m erce finí du moins, sans valeur
déterminéc, et de valeur infinie. Elle est Eoriginc dc la valeur

EHe « t l T Ur* f ‘ CCl'CllC d° '" eU® OCCU',e la A uteur absolue’


r ! " * ' elj'llvalcnl analogique général ct la valeur des valeurs
C cst en elle que le travail du deuil, transformant
I E M E S IS DESARTICVLATIONS
84
.ffccdon cn suto-afTccLoo, produi. le maximum de p la i*

3 f e s s s s k j g s
dents le cosier, opposition entre gustus reflectus et gustos
etc.) d une part, avec le s’entendre-parler d autre
part? Ht quelle est la place du négatif, singulí¿cen»flt dtt
* plaisir négatif » dans ce procés ?
L ouie détient un certain privilege parmi les cinq sens. La
classification de I'Anthropologie la range parmi les sens objec­
t s (tact, vote et ouíe) qui donnent une perception mediate
de 1 objet (vue et ouíe). Les sens objectifs nous mettent en
rapport avec un dehors. Ce que ne font pas le goút et J odorat .
le sensible s’y melange, par exemple avec la salive et penétre
i*o'£ane sans garder sa subsistance objective. La perception
objective mediate est réservée á la vue et á I’oule qui requiérent
la mediation de la lumiére ou de I’air. Le tact est, Iui, objectif
et immédiat.
II y a done deux sens objectifs médiats, 1'ouíe et la vue. En
quoi ] 'ouíe 1’emporte-t-elle sur la vue? Par son rapport á
Pair, e ’est-a-dire a la production vocale qui peut le mettre en
mouvement. Le regard en est incapable. « C ’est précisément
par cet éíément, mis en mouvement par 1’organe de la voix,
la bouche, que les hommes peuvent, plus facilement et plus
complement, entrer avec les autres dans une communauté de
pensée et de sensations, surtout si Ies sons que chacun donne á
entendre aux autres sont articulés et si, lies par I’entenderaent
seíon une loi, iís constituent une langue. La forme de Pobjet
n ’est pas donnée par Pouíe et lessons íinguistiques (Sprach-
¡ante) ne conduisent pas immediatement á la representation
de Pobjet, mais par lá méme et parce qu’iís neí sígnifient ríen
en eux-mémes, du moins aucun objet, seulement, á la rigueur,
des sentiments intérieurs, iís sont le moyen Je plus propre á la
caractérisation des concepts, et les sourds de naissance, qui
doivent par suite rester aussi muets (sans íangage), ne peuvent
jamais acceder á quelque chose qui soit plus qu’un analogon
de la raison, » {Anthropologie, § IS.)
« Plus facilement et plus compié te men t » : aucun moyen
extérieur n'est nécessaire, rien d ’extérieur n ’y fait obstacle. L a
communication y est plus proche de la liberté et de la sponta-
nene. Plus complete aussi puisque J ’intériorité s ’y exprime
Plus umverselle pour toutes ces raisons. Parlan?
fois du ton et de la modulation, la troisiéme Critique y
, „ , , nzue uníversel!e * . Et dés l o » ? u i
reconnalt une sorte d - l a g > _ - ¿ s t a t i o n nam relle av e c
les sons n'ont auetm raP?^ pi as f a c d a n a r t 4 la
les cboses sensibles e x te rn » . P foum isseat m fan-
spontanéíté de I 'arbitraire da signi-
gage accorde a ses lots. U ySém ent de )a
fiant vocal. II appartient a ¡déaux : conceptuéis.
done avoir que des s.gn.fies m t e r t e a r o u . ^ ^ n n [e ,.
Entre le concept et le systeme du s d|r£_ ,e s -entendre-
ligible et la parole, e au to . a ffective. la bouche
parler parce que cette structure est jointure
et 1-omite ne peuvent s'y dtssocter. E t la p r e u v e J
de 1’empirique et du metemp.nque. c est que les
muets. IIs n'ont pas accés au logos m em e P ar L s autres s
et les autres organes, ils peuvent ¡miter le logos. ^ ™ 'ttr
lui dans une sorte de rapport vide ou exten eu r. Ils n decedent
qu’á un analogon de ce qui regie toute analogie et qui n e
lui-méme anaiogique, formant la raison de 1'an alogie, le logos
de l’analogie vers lequel tout rem onte mais qui se tient, lui,
hors systeme, hors du systeme qu'il oriente co m m e sa fin e t so n
origine, son embouchure et sa source. C ’est pourquoi la bouche
peut avoir des analogues dans le corp s en chacu n des orifices,
plus haut ou plus bas qu’elle, mais n ’est pas sim plem ent ¿ ch a n ­
geable avec eux. S ’il y a une vicariance de tous Ies sens c ’est
moins vrai de celui de I’ouie. C ’est-a-dire du s ’en ten d re-p arler.
Celui-ci a une position unique dans le systeme des sens. Ce n ’est
pas le plus « noble » des sens. L a plus grande noblesse revien t
i la vue qui eloigne le plus du toucher, se laisse m oins que d ’a u -
:res affecter par I'objet. En ce sens le beau a un ra p p o rt essen-
iel avec la vision en tant qu’elle co n so m m e m oins. L e deuil
uppose la vue. La puichritudo vaga se d onn e s u r to ut á v o ir e t,
n suspendant la consom m ation p o u r le , elle fo rm e
Ians la nature un objet de goQt pur. L a poésie, en ta n t que bel
rt, suppose un concept préaiable et d on n e lieu á une b e a u té
lus adhérente dans un horizon de m o ra lité plus p re se n t
Mais si l'oute n'est pas le sens le plus n o b le , elle tient son
riHláge absolu d etre le m oins rem p lag ab le. E lle to le r e m al
substitut et se soustrait presque á toute vicariance.

j s ü í s s í ^ m c a ria t - c e s ..
la place d ’un au tre’ Ouand ,* ^ VUC de Iui fairc P rendr<
biüté d'en.endrc on S 0 ^ , & aUUef° is la * * *
sráce i la vue, tirer deTui i e I a n t L ? T * \ " P ar COnsé1 uen
gage habituel; pour ce qui relév
86 MIMESIS DES A RTIC VLA TIOSS

de I'observation du mouvement des lévres, la sensa ion


de leur mouvement dans Pobscurité peut pro ujrc c me c
eíTet. Mais chez un sourd de naissancc, la vue doit partir u
mouvement des organes de phonation, ct convertir es s°ns
obtenus par I’éducation en un sentiment des mouvcmcnts o
ses propres muscles; toutefois cela ne peut le conduire a es
concepts c/Tectifs (h
riw
ek
pcn
l uisque Jes signes dont
il doit faire usage ne sont susceptibles d aucune universalité.
(...) QucJIe est I'absence (M angel) ou la perte sensorielle qui a
Je píus d ’im portance, celle de J'ouTe ou celle de la v u c ? La pre-
m iérc, si elle est innée, est de toutes Ja moins rempla?able
(ersetzlich) . . . » (§ 22, tr. M . Foucault modifiée.)

Dés Jors, par sa place unique, son intolérance á la prothése,


ía structure auto-affective qui le distingue de la vue, sa proxi-
mité au dedans et au concept, le s ’entendre-parler qui la
constitue, Fouíe n ’est pas un sens parmi d ’autres. Ce n ’est
méme pas, malgré Jes classifications en cours, un sens externe.
II a un rapport d ’affinité évident avec ce que Kant appelle
Je sens interne. Or celui-ci est unique et son élément, sa « forme »
est le temps. Comme le s ’entendre-paríer. II ne reléve pas pro­
prement, comme les autres sens, de 1 ’anthropologie mais
de la psychologíe. Ainsi le s'entendre-parler, dans son rap­
port singuíier á Fuñique sens interne et par la place ¿mínente
qu'il occupe dans Ja troisiéme Critique, arrache la probíé-
matique á son espace anthropologique pour ía faire passer,
avec toutes Jes conséquences que cela peut induire, dans un
espace psychologique.

« § 24. Le sens interne n'est pas l’aperception pure, une cons­


cience de ce que l ’homme fait, car celle-ci reléve du pouvoir de
penser, mais de ce que l’homme éprouve dans la mesure oü il est
affecte par fe jeu de sa propre pensée. L ’intuition interne, par
conséquent le rapport des représen tat ions /dans le temps
(qu’elles soient simuítanées ou successives), est au fondement
de cette conscience. Ses perceptions, et Fexpérience interne
(yraie ou apparente) composée par leur liaison, ne relévent pas
simpíemení de Vanthropologie, oü Fon néglige la question de
savoir si l ’homme a une ame (comme substance incorporelle
singuliére) ou non, mais de la psychologíe, oü Fon croitpercevoir
en so/ quelque chose de teí, et oü Fesprit, représente á titre de
pure faculté de sentir et de penser, est considéré comme subs­
tance particuiiére habitant en Fhommc. — Dés lors il n’y a
qu'un seui sens interne, car il n ’y a pas d ’organes différents par
(Ibid) me fCÍ0,t une imPrcssí°n interne de lui-méme... »
87
e c o n o m im e s is
Si le s'entendre-parler, en tant qu il Pa ^ c a^ S^ P ^ - jie
certain e bouche, transforme tout en
tout en 1 ‘idéalisant dans rín térionte, m aitnse tout en en la
am son deuil, renongant á le toucher, ále d ig é re r naturellement
mais I<f digére idéalement, consom m e ce q u ’il ne con som m e
pas et vice versa, produit le désíntcressement dans a P os
bilité d ’énoncer des jugements, si cette bouche-lá co m m an e
un espace d ’analogie dans lequel elle ne se laisse pas in d u re,
si c ’est depuis la place irremplagable de cet enorm e « phan-
tasme » (mais on ne sait pas ce q u ’est le phantasm e avant e
systéme de ces effets) qu’elle ordonne le plaisir, quel est le
bord ou le débord absolu de cette p rob lém atiq u e? Quel est
le bord (interne et externe) qui dessine sa limite et la cad re
de son parergon? Autrem ent dit : q u ’est-ce qui n ’entre p as
dans cette théorie ainsi cadrée, hiérarchisée, o rd on n ee ? Q u est-
cc qui en est exclu et qui, depuis cette exclu sion , lui d onne
forme, limite et co n to u r? E t quoi de ce d éb ord q u an t á ce
q u ’on appelle la bouche? Puisque la b ou che o rd o n n e un
plaisir tenant á I’assimilation, á l ’au to-affection idéale, q u ’est-
ce qui ne se laisse pas tran sform er en au to -affectio n ó ra le ,
tenant Vos pour telos? Q u ’est-ce qui ne se laisse pas o rd o n n e r
par l ’exem ploralité?
II n'y a pas de réponse á une telle question. On ne pourra
pas dire : c'est cecí ou cela, telle ou telle chose. On verra pour-
quoi. Et l'impossíbilité de trouver des exemples dans ce cas,
l ’incapacité oü se trouve Kant d'en fournir á un certain
moment sera trés marquante. De méme que nous avons sou-
vent eu á traiter d ’exemples précédant la loi de maniére réfté-
chissante, nous allons découvrir une sorte de loi sans exem ple;
et d’abord énoncer notre réponse dans une forme tautologíque,
comme la duplication inversée de la question.
Ce qu exclut ce systéme logo-phonocentrique, ce n ’est
méme pas un negatit. Le négatif est son affaire et son travail.
qu il exclut, ce que ce travail méme exclut, c ’est ce qui ne
;e laisse ni digérer, ni représenter, ni dire : qui ne se laisse
>as transformer en auto-affection par l'exem ploralité. H été-
ogeneite irreductible qui ne se laisse manger ni sensiblement
u ■dWemení et qui - Cest la tautologie _ ne se laissant
amais avaler doit done se fa ire vomir.
Le vomi donne sa forme á tout ce systéme. A partir de son

ue°!e scTéme 11 faut d o " c m on trer


,ue le scheme de la vomissurc, com m e cxpérience du déeoQt
est pas un exclu parmi d ’autrcs.
88 MIMESIS DES ARTICULATIONS

Qu’en est-il done du rapport entre le dégofit et íc vomi?


JJ s ’agit bien du vomi plutót que du vomir ou du vomísse-
ment, moins dégoútants que le vomi en tant qu’ils impüquent
une activité, une initiative ou le sujet peut encore au moins
mímer, rever la maítrise dans i ’auto-affection et croire qu’il se
fa it vomir. L ’hétéro-affection ne se donne méme plus ici á
pré-digérer en un se-faire-vomir.
Pourquoi le vomi, done, comme parergon de la troisiéme
Critique en tant que synthése genérale de 1’idéalisme trans­
cendental?
Je pars de la place du négatif. Kant admet la possibilité
et le concept du plaisir négatif. Par exemple le sentiment du
sublime. Tandis que « le beau fait naítre directement par lui-
méme un sentiment ¿'intensification de la vie et peut s’unir
par suite avec Ies attraits et le jeu de I’imagination, celui-ci
[le sentiment du sublime] est un plaisir qui ne jaillit (entspringt)
qu'indircctement, á savoir de telle sorte qu’il est produit par
le sentiment d ’une inhibition mung: d ’un arrét, d ’une
rétention) instantanée des forces vitales aussitót suivi d ’un
épanchemcnt (Ergiessung: déversement) d ’autant plus fort de
ces mémes forces fíe scheme corporel, ici, puisqu’il y a Wohl-
gefallen et plaisir, c ’est celui de l ’éjacuíation plutót que celui
du vomissemenr auquel cet épanchement pourrait ressembler
d ’abordj, émotion, poursuit Kant, qui paraít done ne ríen
avoir du jeu, mais consister en une occupation sérieuse de
I imagination. Bile ne peut done se laísser concííier avec l’at-
trait, et I esprit y étant non seuíement attiré par I ’objet mais,
inversement, toujours de nouveau repoussé, le Wohlgefallen
du sublime contient moins un plaisir positif que de l ’admi-
ration ou du respect, c ’est-á-dire qu’il mérite d ’etre nommé
plaisir négatif ». (§ 23.)
Bien que repoussant par une de ses faces, le sublime n’est
pas i ’autre absolu du beau, fl provoque encore un certain
plaisir. Sa négativité provoque certes un désaccord entre Jes
facultes ctun désordre dans l ’unité du sujet. Mais elle est
encore productrice de plaisir ct le systéme de Ja raison peut
en rendre compte. Une négativité encore interne ne réduit
pas au silence, el le se iaísse dire. Le sublime lui-meme peut
pom re dans I art Le silence qu’il impose á coupcr Je souffle

i r , Z r tr , Upar0lc est raoins que jamais hélérogéne


¿ /esprit et a la bberté. t e mouvement de réappropriation
} est au contraire plus act/f. Ce qui y opére contri- n L
ou contre nos mtéréts sensibles (resistance et sacrifice, dit Kant)
89

ECO N O M IM Es!S p o u v o ir. L e


intension d ’un domai°c ® * tra-
cardc en vue 1 extcnsi so0liation r iW » ^ .tr e n t d ’ac-
sacrifice ( Aufopferung) w higefalten négaíi^ F^ q a ’on
vers ] 'experience d un IW rt*» ^ supeneurs a ce j
auérir un domaine et un ^ 1'exposition des J 8
’£ / Qontnraue Icsubli^^*
S S S . ‘
II en va de méme pour tou e sorte d les ressen t .
plaisirs qui déplaisent a celui q P n a tu re l, q u a n t
par exempie I’individu pauvre ma s d ^ ^ ,a
á l’héritage d'un póre qu, I a.me mais 9 . ^ ,u , p|att alors
au moment oü meurt son man . rexem p |e précédent et
que le plaisir de I'orpheltn J. ^ ^
contraire, le laisait souffrir. (§ ■^ ;r négatif ou négatif
reviennent ou non au me , y , .. n 'est pas absolu-
du plaisir mais plaisir, et le travail du deuil n pa
ment entravé, impossible, exclu. h e n u té á
De méme les Beaux-A rts peuvent d o n n e r d e la beaute a
des choses laides ou déplaisantes, et C e s t lá leu r s u p e r i o r , ^
ff 48 .) Le laid, le mal, le faux, le monstrueux, le negatif en
général peuvent étre assimilés par l'art. Vieux topos: les funes,
les maladies, les ravages de la guerre, etc., peuvent fournir
de belles descriptions et « méme étre représentées dans des
peíntures ». Le laid, le mal, l’horrible, le négatif en general ne
sont done pas inassimilables au systéme.
Une seule « chose » est inassimilable. Elle form era done le
transcendantal du transcendantal, le non-transcendantalisable,
le non-idéalisable, et c ’est le dégoütant. I! se présente, dans le
discours de Kant, comme une « espéce » ( ) du hideux ou du
haíssable mais on constate vite que ce n ’est pas une espéce
qui appartiendrait paisiblement á son genre. « U n e seule
espéce de laideur ( Ifdsslichkeit) ne peut étre représentée d ’ap rés
nature sans anéantir [envoyer par le fond : zu G runde zu r ic h -
ten] toute satisfaction esthétique et par suite la b eau té a rtis-
tique : á savoir celle qui excite le (E c k e l). »
II ne s agit done plus de l’une de ces valeurs negatives, un
<¡!S .°-bí®tS 1;lidS 0U néfastes que l’art peut représenter et
Mr- a i ealiser. Cci exclu absolu ne se laisse méme pas conférer
e statut d objet de plaisir négatif ou de laideur sauvée par la
epresentation. II est irreprésentable. Et en méme temps innom
dan,s sa singularité. Si on p ou vait le re p ré se m e o u t
lommer, il commencerait á entrer rim e i i
le la malt rise ou de la r é a n n t „ ce rcle a u to -a (T ectif
'ossible. L 'X dégoütant ne p e u ^ m f ' ° n ’ * é c o n o m ‘e s c r a i t
k « m ne peut meme pas s’annoncer com m e
90 MIMESIS DES a R TICULA TIONS

objet sensible sans étre aussitót en tram é dans une


téléologique. II est done in-sensib!e et
sentable et innommable, c est 1 autre abso u „ Hhon a
Pourtant Kant parle bien d'une certaine rePréscIlt/ l‘° "
son sujet : « En effet. dans cette sensation singultére (son
baren) qui repose sur la pure imagination [done 1 n >
pas], i'objet est représente en quelque sortc G egcns anc
gíeichsam ... vorgestellt wtrd) comme sil s imposait a a jouis
sanee [a h ob cr sich m
zu eGnusse tedégoQtant, ic
vomi d 'avance est representé comme s il forfait a jouir, ct c est
pourquoi il dégoúte] alors que nous luí resistons avee force
(w ider den wtr doch m it Gewalí sí roben ) ; la représenla lion artis-
tique dc I"objet ne se distingue plus, dans notre sensation, dc
la nature de cct objet et elle ne peut plus alors clrc tenue pour
belle. »
Le vomi a rapport ó la jouissance, sinon au plaisir. II repré­
sente méme ce qui nous force ti jouir : notre corps .
Mais cette representation s 'anmile elle-méme, ct c ’est pourquoi
le vomi reste ireprésen table *. En violant notre jouissancc
sans limite, sans fui laisser aucune limite déterminante, 11
abolit Ja distance representative — la beauté du méme coup
—• et interdit le deuil. II pousse irrésistiblcment á la consom-
mation, mais sans laisser aucune chance ó l ’idéalisation. S ’il
reste irrepresen table ou índiciblc, absolument héterogéne,
ce n'esl pas parce qu'il est ccci ou cela. Bien au contrairc.
/ errant á jouir ilsuspendle suIn non-consom
qu'csl le plaisir lié par la representation (VorsteUung), le
plaisir lié au discours, au poctiquc en son plus haut. fl nc peut
étre beau, ni luid, ni sublime, donner líeu á un plaisir positif
OU négatif, intéressé ou désinté ressé. II donne írop h jouir
pour cela ct brúle tout travail commc travail du deuil.
Qu 'on J ’entcnde en tous les sens : cc qui se dó-nomme sous
le m ot dégoútant, c*est c c dont on ne peut pas fairc son deuil.
Ia si le travail du deuil consiste toujours a manger le mors,
le dégoütant nc peut étre que vomi.
On cJira : tout cela est tautologíque. II est bien normal que
I ’nutre du systéme du goüt son le dé goüt. Et que si le goüt
m étip h o rm I ’exemploralité, le dégoüt aít la méme form e,
mais in versee; on n'a ríen apprh.A moins d ’intcr

4.Pcpréwntatíoodc Eírrcpríscntablc,présentatíon dc l ’ímpréscn-


tabJe, c c*.' s're.i Ja •.rructure du colossal, fellc q u ’elle c’.t dccritc ou contour*
nce au j 26, Cf. Le colossal (á para Itre).
91
e c o n o m im e s is

ger autrement la nccessité tautologiquc. E t de se


si la structure tautologique n ’est pas la for
nu6 constmit 1 exclusion* 4 , « ^ „r^
S ’il peut se confirmer que tout peut etre dit (assimile, r p -
senté intériorisé, idéalisé) par ce systéme logocen tn q u e sau f
le vomi, c ’est bien que le rapport oral goü t/d ego ü t constttue
autrement que com m e une m ctaphore to u t ce discours s
Ic discours, toute cette tau to lo g y du logos co m m e le me .
E t pour le confirmer, i! faut s ’assurer que le m o t égou ( ^
ne designe pas le repugnant ou le négatif en général. II s agit
bien de ce qui donne envíe de vomir. C o m m en t avoir en vie
de v o m ir ? 5
Or une fois fixé en son « sens propre » par 1 Anthropologie,
le m ot dégoütsc voit cntraíné dans une derivation analogique.
II y a pire que le dégofltant littéral. lit s ’il y a pire c est que le
dégoütant littéral est m aintenu, par sécurité, i\ la place du
pire. Sinon de quelque chose de pire, du m oin s d ’ un « á la
place », h la place du rem placem ent sans lieu p ro p re , sans
trajet propre, sans rcto u r écon om iq u e et c ircu la irc . A la place
de la prolhésc,
Tout cela ne pent plus sc passer entre les sens « objeclil's »>
(ouíc, vuc, tact) mais entre les sens « subjectifs » ; ct cela ne
tient plus íi la mécantquc mais it la chimic :

« § 20. Les sens du goüt ct de l’odorat sont tous deux plus


subjectifs qu’object ifs; 1c premier consiste dans le contact de
i'organe de la langue,Ou gosier ct du palais avec les objet
ricurs, 1c second duns l'aspirution ties cxhalaisons étrangéres qui
sont mélées ii I*aír, el qui peuvent émaner d ’un corps fort
éloigné de J’organe. Tous les tleux sont prochcs parents et, fi
I'odor,it fail tléfaut, Ic goDt nc peut tit re qu’émoussé. On peut
dire que tous les deux sont aii'eelcs par les (fixes ou volá­
tiles; d-uii les tinsdoivcnt 6frcdiv,ou\ par la salive d a n s la bouthe,
les autres par I'air; ccs sets doivcnt pénétrer dans 1'organc pour
quc cclui-ci éprouvc sa sensation spéclfiquc.
Remarquegenérale sur lessens
« § 21. On peut partagcr les impressions dcs sens externes en
cclles qui relévem d ’une influence m6caniquc ct cclles qui rel6-
vent d’une influence chímiquc. Kclévent de l’action mécanique
les tro is premiers sens j dc I action chimiíjue les deux dcrnicrs. —
Ccux-lá sont les sens de la perception (en surface), ceux-ci ccux

5. C ’est unc question (ccllc précisémcnt de VEckel) uue / ’irathnnMri


ftroiíiémc paswgc) nc ccsse de rumincr. q
MIMESIS D ES A R TIC U LA TIO N S
92
de Ja jouissancc (Genusses) (l’ingcstion la plus mténcurc).
C'cst pourquoi le dégoüt (Eckel), excitation á se débarrasser de
(entledigen()á vomir : sich zu erbrechcn) ce qu on a c
fdont on a joui : Genosscnen], par la voie la plus courtc du cana
alimcntaire, a ¿té offert i l ’hommc comme une impression
vítale si puissante, d¿s lors que cette ingestión interne peut deve­
nir dangcrcusc pour Pexistence anímale.
Mais parce qu'il y a aussi une jouissance spirituelle { Geistes-
genussq) ui consiste á communiquer ses pensées, l’esprit
toutefoisccla rebutant quand c ’est imposé á nous funs aufgedrun-
gen) et n’cst pas profitable néanmoins comme nourriture de
J’esprit (comme par exemple la repetition toujours uniforme
de traits qui devraíent étre spirituels ( witzig) ou drdles peut, par
cette uniformité méme, nous étre sans profit); alors cet instinct
naturel á se débarrasser se nomme parcillement, par analogie,
dégoút, bien qu’il appartienne au sens interne.
L'odorat est une sorte de goüt á distance, et Ies autres sont
contraints de prendre part á Ja jouissancc zu gen iessen ),
qu’ils le veuillent ou non, en quoi, contraire á la liberté, il est
moins social que le goüt; quand il goütc, le convive peut choisir
les bouteilles et les plats á son aise sans que les autres soient
forces de prendre part á sa jouissance. — La saleté paralt
moins éveiller le dégoüt par ce qu’elle a de rebutant pour Ies
yeux et pour Ja Jangue que par la puanteur qu'elle laisse supposer.
Car I’ingestion par l ’odorat (dans les poumons) est encore plus
intéríeure que celle qui passe par Jes cavités réceptrices de la
bouche ou du gosier. » (tr. M. Foucault modifiée)

U y a done plus dégoütant que íe dégoütant, que ce qui


dégoüte Je goüt. La chimie de l ’odorat excede la tautologie
goüt/dégoút. Le dégoüt n ’est J’inverse symétríque du goüt,
Je propre négatif du systéme que dans Ja mesure oü un inté­
rét en souíient J ’excellence, comme ceJfe de Ja boucJie eJIe-méme
— Ja chimie du verbe — , et interdít qu’on Jui substitue un
anaJogue non oraJ. Le systéme a done intérét á déterminer
J’autre comme son autre, á savoir comme iittéralement dégoü-
tant.
Ce quí est done absoJument forclos, ce n est pas Je vomi,
mais d ’abord Ja possibiJité d ’une vicariance du vomi, de son
rempJacement par tout autre irreprésentable, innommable,
inintelligible, insensible, inassimiJable, obscéne, tout autre
qui force la jouissancc et dont Ja vioíence irrepressible vient
ü défatre 1 autorite hicrarchisante de 1 ana logoccntrique .*
son pouvoir d 'identification.
La. vicariancenc scrait ü son tour rassurante que si eJJe
93
e c o n o m im e s is

substituait un terme identifiable a i un t ^


permcttait de sm airrter
dcde1 sb im c vcjye
I’ahune cela etre
i,t,i,Icuaa " , fandrait pour ceia c u e
___________
ressée Mais if
¿ge. Mats
á quelque manége. lu 1
il lui f depujs ce{.
elte-méme ct
elle-méme sc représenter com m e tell
et se telle . y nrocés.
impossible que Feconomimesis est contrain e , ne c hose
Cet impossible : on ne peut pas dire q u e c ’est Q u iq u e chose,
un sensible, un intelligible, ce qui viendrait a om
tel ou tel sens, sous tel ou tel concept. On ne peut le n o
dans le systéme logocentrique — dans le nom —- qui ui ne
peut que le vomir et en lui se vomir. On ne peut m ém e pas dire .
qu’est-ce que c ’est? Ce serait co m m en cer á le m anger o u ,
ce qui n'est plus absolument autre, le vomir. L a question
qu'est-ce que c'est? arraisonne déjá com m e un p a re rg o n , elle
construit un cadre qui capte I’énergie du tout au tre inassim i-
lablc ct absolument refoulé. I'oute question p h ilo s o p h iq u e
determine déjá, quant a cet autre, un p a rerg o n p arég o riq u e.
Un remede parégorique adoucit par la parole, il co n so le , il
exhorte avec le verbe. Le nom l ’indique.
l.e mot vomi arréte la vicariance d ’un d égoüt, il m e t la
chose a la bouche, il substitue, mais seu lem en t p a r exem p le,
l ’oral ái 1 anal. II est determiné par le systéme du b eau , « sy m -

nhi/1 Ia moralité * ’ comme au ,re : c ’est d o n e p o u r la


Sophie, encore, un elixir, dans son m auvais s o ü t m é m e .

Jacques Derrida

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