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DEUXIÈME SÉRIE.

— TOME VI. 1904


TRENTE-SIXIÈMEANNÉE
REVUE
DE

L. deBar, professeur à l'université de Gcetiingue. R. Kleen, secrétaire de légation(de Suède et Norvège).


Th. Barclay, membre du barreau anglais (Paris). Ernest Lehr, iurisconsultede l'ambassadede France
H. Broohet* de la Fléchèrej professeur à l'nnïversïté en Suisse, secrétaire perpétuel honoraire de
(Genève). l'Institut de droit international.
Emilio Brusa, professeur à l'université de Turin. F. de Martens, membre permanent du conseil du
Georges Comil,professeurâ l'universitéde Bruxelles. ministère des affaires étrangères de Russie.
le chevalier DescampS, sénateur, professeur à l'uni- W.-A.-P. Martin, prés, du Tung-Wen Collège (Pékin).
versité de Louvain, secrétaire général de l'Institut J. B. ffloore, prof, au Columbia Collège (New-York).
de droit international. Gustave Moynier, président du comité international
Edouard Engelhardt,ministre plénipotentiaire français. de la Croix-Rouge, associé de l'Institut.
P. EsperSOtiiancien professeur â l'université de Pavïe. le marquis d'Olîvart, ancien professeur â l'université
J.-H.Ferguson,ancien ministre desPaj's-Bas en Chine. centrale de Madrid.
Féraud-Giraud, président honoraire â la cour de cas- K.d'01ivecrona,conseillerhonoraire â la cour suprême.
sation (France). Polydore de Paepe, conseiller honoraire â la cour de
Pasquale Fîore, professeur â l'université de Naples. cassation.de Belgique.
G. FlaîSChlen, cons. à la cour d'appel de Bucbarest. Pierantoni, sénateur, prof, à l'université de Rome.
C. Hilty, membre du conseil national, professeur à Pradier-Fodéré, conseiller à la cour d'appel de Lyon,
l'université de Berne- lord Reay, ancien gouverneur de Bombay.
T. E. Holland, K. C- professeurâ l'université d'Oxford. Âlbérïc Rolin, professeur à l'université de Gand.
le comte L. Kamarowsky,prof, âl université (Moscou). Ad. Sacerdotî, professeur â l'université de Padoue.
Kentaro KanekO. membre de la Chambre des pairs du H. Torres Campos, prof, a l'université de Grenade.
Japon fil. Vauthïer, professeur à l'université de Bruxelles.
Franz Kasparek, professeurâ l'université deCracovîe. Milenko R. VesnitCh, ancien ministre, Belgrade.
ET D'UN GRAND NOMBRE DE JURISCONSULTES ET D'HOMMES D'ETAT.

A-dministrateur gérant
M. PAJUT-, HTMANS,
9, rue d'Bgmont, à Bruxelles.

BRUXELLES
BUREAU DE LA REVUE : 9, RUE D'EGMOMT
LA HAYE PARIS
BELINFANTE FRÈRES A'. PEDONE
BERLIN, PUTTKAMMER & MÙHLBRECHT.

TOUS DROITS RESERVES.


LA DISTINCTION ENTRE LA POSSESSION
ET LA DÉTENTION.

ESQUISSE DE DROIT CIVIL COMPARÉ (]),

PAR

GEORGES CORNIL.

La manière de concevoir la relation entre la possession et la détention


a une importance capitale de legefereuda; car le législateur s'orientera
tout différemment, selon qu'il adoptera le point de vue de Savigny ou
celui de Jhering.
Pour Savigny, la possession et la détention sont deux institutions
placées exactement sur la même ligne : l'une est aussi régulière et
normale que l'autre; ce qui est exceptionnel et anormal, — et doit par
conséquent être réduit à sa plus simple expression, — ce sont les cas de
possession sans animus domini, les cas de possession dite dérivée.
Par contre, dans la conception de Jhering, la possession est la règle
et la détention est exceptionnelle; dès lors la détention ne doit être
admise par le législateur que pour des raisons péremptoires d'utilité
pratique, et plus les raisons, qui ont pu paraître péremptoires dans
l'état social romain, s'évanouissent aux yeux des législateurs sub-
séquents, plus le domaine de la détention doit aller se rétrécissant au
profit de celui de la possession (2j.
A cet égard l'histoire du droit confirme d'une façon éclatante la vérité
.du point.de vue de Jhering. On peut dire que, jusqu'à la fin du
xvme siècle, le dogme traditionnel de Vanimus domini a régné sans
partage sur l'esprit des légistes. Les faits cependant ont été plus forts

(!) Ces quelques pages sont extraites d'un livre, qui paraîtra prochainement chez
l'éditeur Fontemoing de Paris, sous le titre : Traité de la possession dans le droit-
romain, pour servir de base à une étude comparative des législations modernes.
(2) JHERING, Du rôle de la volonté dans la possession, trad.
par DE MEULENAERE
1891), p. 390-400
LA DISTINCTION ENTRE LA POSSESSION ET LA DÉTENTION. 6i7
que les théories. Sans doute le fétichisme général pour ce dogme de
Yanimus domini faisait maintenir intacte la distinction de principe entre
la possession et la détention. Mais nous aurons l'occasion de constater
que si d'une part on sauvait les apparences en respectant le critérium
de la distinction, d'autre part on ne se faisait pas faute de détruire la
portée de cette distinction théorique, en étendant de plus en plus la
protection possessoire aux cas de détention. Dès lors on pourrait dire
que, en fait, la possession avait crevé la vessie de Yanimus domini, dans
laquelle les théoriciens prétendaient la tenir enserrée, et qu'elle s'était
largement répandue sur le terrain réservé par ceux-ci à la détention.
Mais il y a plus : parmi les législateurs modernes, s'affirme et se
propage la tendance à s'affranchir complètement du dogme néfaste de
Yanimus domini, à rompre en visière avec la doctrine traditionnelle.
Dès lors tout rapport possessoire apparaît comme une possession propre-
ment dite, et la détention n'est plus qu'une institution exceptionnelle et
résiduaire.
Dans cette voie, la brèche a été ouverte par le code civil prussien de
1794. L'importante innovation du code prussien consiste à étendre
considérablement la notion de la possession, au point d'y comprendre,
non seulement les catégories que Savigny allait bientôt qualifier de pos-
session originaire et de possession dérivée, mais en outre la catégorie
que nous qualifions avec Jhering de détention intéressée (rapport pos-
sessoire des fermier, locataire, commodataire, etc.). Sans doute Svarez,.
l'auteur du Lindrecîit prussien, ne pouvait faire brusquement table rase
d'une théorie traditionnelle aussi solidement ancrée que celle de Yani-
mus domini; mais en réalité il lui a porté un coup mortel. Le code
prussien (J) distingue trois espèces de rapports possessoires : 1° la
possession parfaite, qui correspond à la possession originaire de Savigny
et implique par conséquent Yanimus domini (c. civ., pruss., 1, 7, § 7) :
2° la possession imparfaite, qui s'entend' de tout rapport possessoire
dans lequel le possesseur tout en reconnaissant un droit supérieur,
dispose delà chose dans son propre intérêt : ceci comprend donc tous
les cas de détention intéressée (c. civ. pruss., eodém, § 6); 3° enfin la
détention, qui correspond à notre catégorie de la détention par procu-
ration (c. civ. pruss., eodem, § 2).

(i)Le code civil prussien, Allgemeines Landrecht fur die preussischen Staaten, du
5 février 1794, consacre à la détention et la possession un titre qui ne comprend pas
moins de 250 paragraphes, le titre VII de la partie I".
648 GEORGES CORNIL.

Or, au point de vue de la protection possessoire le code prussien met


la possession imparfaite, c'est-à-dire la détention intéressée, sur la
même ligne que la possession parfaite, c'est-à-dire la possession avec
animas domini (c. civ. pruss., eodem, § 146). Bien plus, le simple déten-
teur lui-même, — c'est-à-dire le détenteur par procuration, — bénéficie
également de la protection possessoire; seulement il en bénéficie uni-
quement vis-à-vis des tiers et non vis-à-vis de celui au nom duquel il
détient (c. civ. pruss., eodem, § 144 et 146).
Il n'est peut-être pas inutile de remarquer que cette décomposition de
la protection possessoire (protection vis-à-vis de certaines personnes et
absence de protection vis-à-vis d'autres personnes) est un facteur con-
tribuant puissamment à faire disparaître du droit moderne la détention
pure, c'est-à-dire le rapport possessoire dénué de la protection posses-
soire. Les Romains ne connaissaient pas cette décomposition de la pro-
tection possessoire; à peine pourrait-on la signaler dans la matière
obscure et anormale du precarium (1. 17 D. de prec, 43, 26). Dès
lors pour maintenir le détenteur alieno nomine sous la dépendance du
dominus possessionis, les .Romains lui refusaient purement et simplement
la protection possessoire. Mais aujourd'hui que l'on fait la distinction
signalée, rien n'empêche de donner la protection possessoire vis-à-vis
des tiers, à ceux qui se trouvent dans un rapport possessoire pour autrui
et au nom d'autrui, ils deviennent ainsi de véritables possesseurs, et il
suffit de leur refuser la protection possessoire vis-à-vis de celui au nom
duquel ils possèdent.
Le code civil du canton de Zurich ( 1) et le code civil de l'empire du
Japon (2J se sont placés sur le même terrain que le Landreclit prussien.
A s'en tenir à leur définition de la possession, ils semblent même avoir,
fait un pas de plus et avoir rompu complètement en visière avec la
théorie de Yanimus domini; car ils n'exigent du possesseur d'autre
volonté que celle d'agir dans son propre intérêt (c. civ. zur., art. 64,
2"; c. civ. jap., art. 180, 205). De sorte que leur conception de la
possession embrasse même les cas de détention intéressée du droit
romain. Néanmoins on constate un retour offensif de Yanimus domini
dans l'article 66 du code civil zurichois et dans l'article 185 du code civil
japonais, où la possession à titre de propriétaire est distinguée des
autres possessions personnellement intéressées.
j1) Code civil du canton de Zurich de 1887, trad. par ERNEST LEHR (1890).
(2) Code civil de l'empire du Japon, du28avril 1896, trad. parMoTONoetToRxii(1898).
LA DISTINCTION ENTRE LA POSSESSION ET LA DÉTENTION. 649
Par contre, la théorie de Yanimus domini règne encore en maître dans
:
code civil français (*), art. 2229 (à rapprocher notamment de l'article 4,
3", de la loi belge du 25 mars 1876); code civil autrichien (2), § 309; code
civil néerlandais (3), art. 585, 594; code civil saxon (4), § 186, 194;
code civil italien (5), art. 686, 687; code civil espagnol (6), art: 430.
Le code civil allemand du 18 août 1896 ( 7) n'use plus d'aucun ména-
gement vis-à-vis du dogme décidément suranné de Yanimus domini, et
il s'-attaque directement à la distinction théorique traditionnelle entre la
possession et la détention. La première rédaction du code allemand res-
pectait, il est vrai, cette distinction théorique, mais étendait la protec-
tion possessoire à la simple détention. Dans la seconde rédaction et dans
le texte définitif, on s'est montré plus logique, en s'affranchissant d'un
-
préjugé traditionnel et en supprimant la distinction doctrinale surannée
entre la possession et la détention.
Aux yeux du législateur allemand tout rapport possessoire constitue
une possession proprement dite: est possesseur, quiconque se trouve
dans le rapport extérieur constitutif du corpus, rapport extérieur oue le
paragraphe. 854 enserre toutefois encore dans la formule traditionnelle
trop étroite du pouvoir physique. Sous réserve de cette dernière obser-
vation, il faut reconnaître que la nouvelle conception allemande de la
possession a le mérite à la fois de l'ampleur et de la précision; elle
englobe en elle la possession et la détention des Romains. Le possesseur
ainsi entendu est, pour le législateur allemand, le possesseur par excel-
lence, le possesseur direct, comme l'appellent les commentateurs aile.
mands bien que le code n'emploie point cette expression.
Concurremment à cette possession dite directe, le code allemand
admet l'existence d''unepossession indirecte, lorsqu'une chose est confiée

civil français du 21 mars 1804.


(J) Code
(2) Code civil autrichien, Das allgemeine bûrgerliche Gesetzbuch fur das Kaiserthum
Oesterreich, du 1er juin 1811.
(s) Code civil néerlandais de 1838, trad. par GUSTAVE TRIPELS (1886).
(J) Code civil saxon, Bûrgerliches Gesetzbuch fur das Kônigreich Sachsen, du 2 jan-
vier 1863!
(s) Code civil italien, du 25 juin 1865, trad. par PRUDHOMME (1896).
( 8) Code civil espagnol, du 24 juillet 1889, trad. par LEVÉ, 2e édition (1904).
(') Code civil allemand du 18 août 1896, trad. par DE MEUI.ENAERE(1897), DELÀ
GKASSERIE (1897) et GRUBER (1898). En outre une traduction annotée, publiée par
le
Comité de législation étrangère avec le concours de la Société de législation comparée,
est actuellement en cours de publication.
.
REVUE DE DKOIT INT. — 36* ANNÉE.
6S0 GEORGES CORNIL.

temporairement à autrui (§ 868). Dans ce cas, le rapport possessoire de


celui auquel la chose est confiée passagèrement était, en droit romain,
tantôt une possession (cas de possession dite dérivée), tantôt une déten-
tion alieno nomine; par contre, dans le code allemand c'est toujours une
possession proprement dite, une possession directe; mais en outre la
protection possessoire est assurée aussi dans une certaine mesure à celui
qui a confié sa chose temporairement à autrui, et à cet effet la possession
indirecte est .reconnue à celui-là. Le possesseur indirect bénéficie de la
protection possessoire contre les tiers, mais non contre le possesseur
direct (§ 869) (!).
Constatons cependant que le code allemand n'a pas été jusqu'au bout
dans son oeuvre de destruction de la détention. Il y subsiste un résidu
important dé la détention, c'est-à- dire du rapport possessoire dépourvu
de protection possessoire : le paragraphe 855 consacre encore la déten-
tion des personnes sujettes, c'est-à-dire des subordonnés qui tiennent
une chose pour un maître et chez un maître aux ordres duquel
ils ont à se conformer. N'est-il pas intéressant de constater à ce propos
que le siège, dont la détention sera délogée en dernier lieu, est précisé-
ment son siège originaire, à savoir l'intérieur de la maison.
Faut-il approuver le maintien de la détention, même dans ces étroites
limites? Nous sommes tenté de croire que non, et à notre sens il n'y
avait qu'un pas à faire pour que la suppression de ce dernier résidu de
la détention ne blessât les intérêts de personne. Il suffisait de recueillir
cette idée parfaitement saine, que le code prussien de 1794 appliquait
au détenteur, à savoir que la protection possessoire pouvait être donnée
contre les tiers sans être donnée contre celui pour lequel ou au nom
duquel on possède. Dès lors on eût pu, sans porter atteinte à l'autorité
du maître, reconnaître dans ces limites la possession à la personne
sujette : celle-ci eût eu la protection possessoire contre les tiers et non
contre le maître; sans compter que ce dernier eût bénéficié quand même
aussi de la protection possessoire contre les tiers, comme possesseur
indirect.
On soutient parfois que le code allemand n'a pas complètement

(') La distinction entre la possession directe et la possession indirecte trouve aussi


se
dans le projet du code civil hongrois du mois de juillet 1900 (Entwurfei?ies
unga-
rischen allgemeinen biirgerlichen Gesetzbuches, aus dem Ungarischen iibersetst im
Auftrage des hôniglich ungarischen Justizministers, 1901), §§ 523, 524, et dans
lavant-projet du code civil suisse, présenté par le département fédéral de justice et police
le 12 novembre 1900, art. 962.
LA DISTINCTION ENTRE LA POSSESSION ET LA DÉTENTION. 6blJ
sacrifié la théorie de Yanimus domini, et
que la disposition du para-
graphe 872, qui définit la possession à titre de propriétaire
ou posses-
sion en nom propre [Eigenbesitz), contient
un retour offensif de Yanimus
domini. Ceci est cependant loin d'être exact,
car la définition du para-
graphe 872 se réfère, non pas à la volonté subjective du
possesseur,
mais bien au titre du possesseur ou à la causa 2iossessionis, qui impri-
mera au rapport possessoire le caractère de possession en nom propre. Au
surplus ce caractère de la possession est tout à fait indifférent au point
de vue de la protection possessoire. C'est uniquement au point de vue
de l'acquisition de la propriété par occupation et prescription (§§ 900,
927, 937 et suiv., 958) et au point de vue de la disposition spéciale du
paragraphe 836 (*), qu'il importe de rechercher si la possession a le
caractère de possession en nom propre.
L'avant-projet du code civil suisse de 1900 a suivi la même voie que
le code allemand. Il persiste à définir, lui aussi, le corpus possessions,
un pouvoir physique (art. 961); mais en outre, lui aussi, supprime
toute distinction entre la possession et la détention ; il paraît même à
cet égard plus catégorique encore que le code allemand, car il ne repro-
duit pas la restriction du paragraphe 855 de ce dernier, qui consacre la
détention des personnes sujettes. Dans l'avant-projet suisse tout rapport
possessoire constitue donc une possession proprement dite, et quand une
chose est confiée temporairement à autrui, celui qui l'a confiée et celui
qui l'a reçue en ont tous deux la possession : le premier, la possession
originaire (possession indirecte du droit allemand), et le second, la pos-
session dérivée (possession directe du droit allemand) : art. 962 (2).

(*) § 836. — Si l'écroulement d'un bâtiment ou d'un ouvrage uni à un fonds .ou la
chute de parties isolées de ce bâtiment ou de cet. ouvrage causent la mort d'un
homme, lèsent le corps, nuisent'à la santé d'un homme ou endommagent une chose, le
possesseur du fonds, en tant que l'écroulement ou la chute est la suite d'un vice de
construction ou d'un défaut d'entretien, est obligé de réparer le dommage causé à la
personne lésée. L'obligation de réparer le dommage n'a pas lieu lorsque, en vue
d'écarter le danger, le possesseur a pris les soins requis dans la vie ordinaire.
Le possesseur antérieur du fonds est responsable du dommage lorsque l'écroulement
ou.la chute se produit dans l'année qui suit la fin dé sa possession, à moins que, pendant
la durée de cette dernière, il n'ait pris les. soins requis dans la vie ordinaire ou qu'un,
subséquent eût pu écarter le danger au moyen des mêmes soins.
.possesseur
Est possesseur dans le sens de ces dispositions,, celui.qui possède, à titre de proprié-
.

taire. ...
(2j Quant au projet.de. code civil hongrois, il est .semblable en tous points.au code civil-
allemand : la notion de la détention y est conservée dans l'intérieur de la maison; le
652 GEORGES COKNIL.
.

Le code civil allemand ne se contente pas de sacrifier la doctrine tra-


ditionnelle de Yanimus domini; il va même jusqu'à faire complètement
abstraction delà volonté dans la possession (§ 854, al- 1") : le rapport
extérieur ou corpus ne doit plus être l'expression ou la manifestation de
la volonté du possesseur ; quand bien même la volonté serait restée com-
plètement étrangère à l'établissement du rapport extérieur, il n'y en aurait
pas moins possession. Ce système supprime complètement la distinction
tranchée, que nous avons signalée dans le droit romain, entre le rapport
possessoire et le rapport de juxtaposition locale.
Il résulte des explications données au Reiclislag, que la pensée des
rédacteurs du code allemand, en supprimant de la possession tout élé-
ment intentionnel ou volontaire, était de couper court à toute discussion
au sujet de l'acquisition de la possession par les personnes dépourvues
de volonté et au sujet de l'acquisition de la possession des choses par-
venues sans notre coopération dans la sphère de notre pouvoir (dans
notre habitation, par exemple). Cette préoccupation du législateur alle-
mand était assurément légitime. L'avenir seul pourra nous apprendre si
la formule législative, inspirée par cette pensée, n'est pas un peu trop
absolue et dès lors susceptible de conduire, dans certains cas, à des
solutions fâcheuses. N'eùt-on pas trouvé une solution plus heureuse et
prêtant moins le flanc aux contestations, en se plaçant sur le terrain
suivant : la possession est toujours un rapport extérieur intentionnel
ou volontaire, mais la volonté de celui qui se trouve dans ce rapport
extérieur est toujours présumée ; ainsi la possession des choses parve-
nues chez moi sans ma volonté, me serait assurée provisoirement, jus-
qu'à ce que celui qui s'en prétendrait possesseur eût établi que je n'en
veux pas. Quant à la capacité de posséder des personnes dépourvues de
volonté, elle serait consacrée in terminis sous forme d'exception (1).

paragraphe 510 du projet de code civil hongrois est la reproduction presque textuelle
du paragraphe 855 du code civil allemand.
(*) Sur l'innovation du code allemand, voir notamment VVINDSCHEID, Lehrbuch des
;
Pandektenrechts, 8e édition, t. I (1900), p. 691 et suiv.; BEKKER, dans les Jahr-
bucher fur die Dogmatih, t. XXX (1891), p. 236 et suiv., 311 et suiv. Le pro-

jet de code civil hongrois (§§ 505, 508; et le projet de code civil suisse (art. 961V à
s'en tenir à la lettre de leur teste, semblent également faire abstraction de tout élément
intentionnel ou volontaire dans la possession. Mais il faut ajouter pounant
que, suivant
l'exposé des motifs de l'avant-projet suisse, si Yanimus domini est écarté, la volonté
«
d'exercer un pouvoir effectif sur la chose,
- reste toujours requise. Voir l'Exposé
des motifs, rédigé par le professeur Dr EUGÈNE HUBER, t. III (1902,
p. 290 et 299.

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