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TEXTE 1

La fausse bonne idée du vote obligatoire


ABEL FRANCOIS NICOLAS SAUGER | LE 07/05/15 LES ECHOS
Depuis 1945, aucune démocratie consolidée n'a introduit le vote obligatoire. Ce
dispositif existe dans plusieurs pays, du Brésil à l'Australie ou, plus près de nous,
en Belgique, mais la tendance est plutôt à sa suppression (aux Pays-Bas, en 1967,
au Venezuela, en 1993). Pourtant, le rapport remis récemment par le Président de
l'Assemblée Nationale au Président de la République inclut une nouvelle fois cette
proposition. Pourquoi ?

Plusieurs arguments plaident pour l'instauration d'un vote obligatoire. D'abord, s'il
est assorti de sanctions fortes, il est très efficace pour augmenter la participation.
D'après les expériences des Pays-Bas ou de la Belgique, on estime à près d'une
dizaine de points ce surcroît de participation lors des élections législatives.

Plus globalement, la défense du vote obligatoire souligne que le vote est un devoir
et pas seulement un droit. Le résultat de l'élection, et notamment les politiques
publiques qui en découlent, sont un bien commun. Un autre argument part du
constat que les taux de participation ne sont pas identiques entre les groupes
sociaux. Ces taux différenciés de participation posent un problème pour la qualité
de la représentation électorale. Pour autant, le vote obligatoire ne va pas résoudre
les problèmes de légitimité et de représentation. De manière évidente, d'abord,
l'obligation conduit à une hausse du nombre de bulletins blancs. De plus,
l'abstention peut être vue comme l'expression du mécontentement soit par rapport
au fonctionnement du système politique lui-même soit par rapport à l'offre
électorale du moment. Interdire l'abstention rendrait plus probable le soutien à des
candidats faisant de la contestation du système politique le coeur de leur
positionnement électoral.

La suppression des différentiels d'abstention entre groupes sociaux par l'obligation


ne conduit pas non plus forcément à leur meilleure représentation. En effet, le vote
obligatoire peut s'accompagner de comportements électoraux erratiques dans la
mesure où l'obligation de vote n'augmente pas mécaniquement l'information et
l'intérêt pour l'élection. Ajoutons aussi que les abstentionnistes ne sont pas si
différents du reste de la population ! Dans le cadre d'une recherche du LIEPP, des
simulations réalisées lors des élections européennes montrent ainsi qu'un vote
obligatoire ne changerait les résultats finaux que de moins de 2,5 points. Ces
différences se feraient systématiquement aux dépens des partis de gouvernement
et au profit des partis protestataires, notamment du Front National.

Au final, les effets attendus de l'instauration du vote obligatoire sont mitigés et il


ne s'agit en aucun cas de la solution miracle aux difficultés rencontrées par le
système politique français.

En revanche, la mise en oeuvre du vote obligatoire soulève plusieurs difficultés.


Celle d'abord de rendre l'obligation effective. Cela suppose de disposer d'un fichier
électoral national mis à jour en continu , de charger police ou justice de vérifier la
réalité de la participation et de décider de la sanction (les policiers et les juges en
ont-ils vraiment le temps aujourd'hui ?). Si les sanctions sont trop faibles ou pas
systématiques, elles sont peu efficaces. Plus lourdes, elles sont difficiles à faire
accepter. A l'inverse, regrouper les scrutins à faible visibilité en une date unique
permettrait très probablement une hausse significative de la participation, et ce à
moindre coût. Des élections départementales en mars distinctes d'élections
régionales en décembre semblent le plus sûr moyen de provoquer la
démobilisation.
Abel François et Nicolas Sauger sont chercheurs au Laboratoire interdisciplinaire
d'évaluation des politiques publiques, www.sciencespo.fr/liepp

TEXTE 2

Contre le vote obligatoire et la domestication de

l’électeur
Publié le 16/04/2015 , Jérémie Moualek
Jérémie Moualek est chercheur en sociologie politique (Centre Pierre Naville –
Université d’Evry). Il poursuit actuellement une thèse sur le vote blanc et nul.
Pour "refonder le lien civique", le président de l'Assemblée nationale, Claude
Bartolone, préconise l'instauration du vote obligatoire. Une fausse bonne idée selon
l'universitaire Jérémie Moualek. Pour lui, vouloir "mettre les électeurs à marche
forcée" relève d'une bien curieuse "conception de la démocratie".
Le rapport « Libérer l’engagement des Français et refonder le lien civique » présenté
mercredi matin par Claude Bartolone (président de l’Assemblée nationale) à François
Hollande préconise une idée supposée neuve : le vote obligatoire !
Déjà promu le 18 mars dernier par les écologistes dans le cadre d’une proposition de
loi, le vote obligatoire est en réalité une vieille rengaine que les politiques aiment ressortir
de temps à autre. Ainsi, pas moins de 53 propositions de loi visant à introduire le vote
obligatoire ont été émises depuis la IIIe République, dont quatre depuis 2002 !

Dépassant ce qu’il semble rester du clivage gauche/droite, l’idée séduit ceux qui pensent
qu’elle aurait des vertus civiques… En réalité, le vote obligatoire ne lutterait pas contre
l’abstention, il la supprimerait ! Cela signifierait alors que le problème n’est pris que dans
un sens, en incombant la responsabilité du manque de participation politique à l'électeur
plutôt qu'aux gouvernants. Dès lors, s’intéresser davantage aux symptômes qu’aux causes
pourrait mener à la production d’un faux remède à la crise de légitimité des élus (dont ils
sont plus coupables que victimes) : un piètre placebo qui ne ferait pas longtemps
illusion…

Et, c’est la conception même du rôle de l’électeur (et de l’élection) qui serait alors remise
en question.

En effet, le vote obligatoire constituerait une forme d’achèvement de la domestication de


l’électeur conduite depuis les prémisses du suffrage universel. L’uniformisation de l’acte
de vote réalisée par ce qui constitue nos bureaux de vote aujourd’hui (isoloirs, urnes
normalisées,…) et par la mise en place d’instruments (bulletins imprimés standardisés,
touches sur les machines à voter) à la pauvreté expressive assumée (qui fait que plus une
opinion est complexe, plus elle est « censurée ») fait déjà que le citoyen se doit de
répondre positivement aux attendus normatifs qui pèsent sur lui au cas où il souhaite
exprimer son opinion. L’ajout de l’obligation supplanterait même toutes ces dispositions
et rendrait obsolète la carte d’électeur que nous connaissons et sur laquelle il est inscrit :
« Voter est un droit, c’est aussi un devoir civique ». Le vote obligatoire changerait tout
simplement le sens du vote : il en ferait un devoir bien davantage qu’un droit.

Enfin, certains se rassurent en espérant qu’ainsi le vote blanc (toujours pas comptabilisé
dans les suffrages exprimés) pourra obtenir la (vraie) reconnaissance que les électeurs qui
en usent méritent. Mais le vote blanc d’aujourd’hui ne serait pas celui de demain.
Phénomène politique croissant depuis le début des années 1990, le vote blanc est « le droit
de choisir de ne pas choisir » qui s’inscrit – dans le même temps – dans une volonté de
ne pas renoncer à voter malgré la possibilité (pour ne pas dire « liberté ») donnée à
l’électeur de le faire.

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