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Norme - De la langue comme enjeu de pouvoir. Historien de la langue française, Philippe Caron nous éclaire ici sur l'évolution linguistique et statutaire de la langue française au XVIIe siècle. Entretien réalisé par Boris Lutanie, photo : Marc Deneyer
Norme - De la langue comme enjeu de pouvoir. Historien de la langue française, Philippe Caron nous éclaire ici sur l'évolution linguistique et statutaire de la langue française au XVIIe siècle. Entretien réalisé par Boris Lutanie, photo : Marc Deneyer
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Norme - De la langue comme enjeu de pouvoir. Historien de la langue française, Philippe Caron nous éclaire ici sur l'évolution linguistique et statutaire de la langue française au XVIIe siècle. Entretien réalisé par Boris Lutanie, photo : Marc Deneyer
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istorien de la langue française, Phi- H Comment s’opère le choix de la Ces dictionnaires sont-ils accessi- lippe Caron nous éclaire ici sur norme ? bles aujourd’hui ? l’évolution linguistique et statutaire de la A l’époque de Vauban, il ne fait plus de Depuis une vingtaine d’années, un des langue française au XVIIe siècle. La royauté doute que la variété de français de réfé- enjeux majeurs de la lexicographie con- cherche alors à codifier la langue fran- rence est celle qui est parlée à la cour – temporaine a consisté à passer du for- çaise et à élaborer une norme linguisti- par le roi et ses courtisans. C’est tout à mat papier à un format informatique. La que au sein de son royaume. La langue fait nouveau, car un siècle plus tôt, en France a effectué de gros efforts pour française devient dès lors l’instrument 1550, c’est à la fois le parlement (les doter la francophonie d’une bibliothè- véhiculaire du pouvoir royal. différents chambres du palais de justice) que virtuelle de dictionnaires qui sont et la cour qui font l’usage. Mais à la gratuitement consultables en ligne. Le L’Actualité. – Quelle est la situation faveur des grandes frondes du début du plus important d’entre eux est le Trésor de la langue française au XVIIe siècle ? XVIIe siècle, le pouvoir royal va mater les de la langue française en 16 volumes Philippe Caron. – Avant de répondre à oppositions, notamment les parlements, qui a été compilé pendant une quaran- cette question sur la langue française à et au terme de ces opérations, la langue taine d’années à l’Institut national de la l’époque de Vauban, il faut préciser la de la justice n’est plus qu’un jargon de langue française à Nancy, sous l’égide chose suivante : cela fait un peu plus métier qui n’a d’autorité qu’au prétoire et du CNRS. Il existe aussi un site gratuit d’un siècle que le français est devenu une dans les chambres. C’est donc la variété intitulé Dictionnaires d’autrefois sur langue de prestige, qui assume dans le mondaine de la cour qui va s’imposer deux serveurs à Nancy et à Chicago. Il royaume des fonctions administratives, comme le bon usage. permet de questionner et de consulter judiciaires et littéraires. Dans les scien- une bibliothèque virtuelle de huit dic- ces, la religion et l’enseignement, la pé- Cette codification fait-elle l’objet tionnaires. J’y ai personnellement in- nétration est plus lente mais régulière. Le d’un enjeu de pouvoir ? formatisé, en large partenariat, le Dic- français devient donc un outil de com- Dans une perspective de pouvoir absolu- tionnaire critique de la langue fran- munication transrégional utilisé par la tiste croissant, Richelieu va procéder en çaise de Jean-François Féraud. couronne de France comme moyen 1635 à la création de l’Académie fran- Les dictionnaires anciens sont assez chao- d’étendre son influence sur les différents çaise avec l’accord de Louis XIII. Cette tiques dans leur organisation, et on ne fiefs de la royauté. Il a supplanté le latin académie s’apparente dans l’esprit du peut pas les découper en items d’infor- dans ce rôle de prestige d’être la langue ministre à une forme de parlement, c’est- mations très fins sous peine de forcer le du droit, de l’administration, et c’est dans à-dire une chambre qui a délégation texte. La plupart du temps, ces diction- cette perspective que la question de sa- d’autorité royale pour la langue, qui dé- naires historiques de la tradition fran- voir quel était le bon français s’est posée. libère et qui préconise ensuite la variété çaise sont interrogeables plein texte. Ce Il se hisse graduellement vers le statut de de référence. Elle est placée sous sa pro- type d’interrogation permet de récolter langue haute, c’est-à-dire celle qui a tou- tection (bien malgré elle d’ailleurs) et parfois en une demi-seconde des infor- tes les attributions de prestige à la diffé- Richelieu demande à l’académie nais- mations éparses dans le ou les dictionnai- rence de la langue vernaculaire, c’est-à- sante d’écrire une grammaire, un dic- res virtuels, informations qu’on aurait dire ce que nous appellerions le patois, tionnaire, une rhétorique et une poétique. mis parfois des centaines d’heures à ré- bon pour la conversation, pour la rue, et L’idée étant de mettre ainsi tout le monde colter en parcourant soi-même, plume à le milieu familial. au pas du bien-dire royal. On entre alors la main, les colonnes les unes après les dans une phase de fixation et de codifica- autres. Nous touchons là une révolution tion qui se traduira à la fin du siècle par dans le travail de la recherche car la une éclosion d’entreprises lexicographi- capacité de traitement est telle qu’on ques concurrentes de celle de l’Acadé- accède à une masse de données en un mie : le Dictionnaire universel d’Antoine temps record. Données pré-triées qu’il Furetière, et le Dictionnaire de Pierre reste évidemment à interpréter. A ce der- LA GENTE POICTEVIN’RIE Richelet et de ses amis. C’est dans cette nier stade, évidemment, le chercheur a sa Les soixante-deux textes du Rolea, recueil de textes optique qu’il faut comprendre la poussée place, de même que dans la pertinence de anonymes en poitevin réunis en 1646 par Jean de la lexicographie en cette fin de siècle. ses requêtes. L’ordinateur en effet ré- Fleuriau, un imprimeur de Poitiers, soulignent avec Le pouvoir royal, via l’Académie, mani- pond à une demande mais ne devine pas une hardiesse colorée, parfois paillarde, la culture feste ainsi un désir de mainmise sur l’exer- encore ce que nous lui demandons en poitevine du XVIIe siècle. Pierre Gauthier, professeur de grammaire et de philologie française, a édité cice de la parole. plus ou à côté de notre requête… une version bilingue de cette anthologie. Ces textes semblent avoir été écrits par des notables. En effet à l’époque, la langue vernaculaire n’est pas reléguée dans les campagnes. Geste éditions, 320 p., 2002.