N° DâIDENTIFICATION : 2006PA010025
Jury :
Mes remerciements sâadressent tout dâabord au Professeur Roland Lantner qui a dirigĂ© cette
thĂšse. Je lui exprime ma plus grande gratitude pour mâavoir suivi, encouragĂ© et surtout
soutenu tout au long de ces (longues) annĂ©es. JâespĂšre que ce travail est Ă la hauteur de ses
attentes et quâil rend compte de la dette intellectuelle immense que jâai vis-Ă -vis de ses
recherches, et notamment de lâouvrage fondateur de 1974.
Mes remerciements vont ensuite Ă Didier Lebert, doctorant Ă Paris 1, et Fabrice Lequeux,
MaĂźtre de ConfĂ©rences Ă lâUniversitĂ© de Paris-Sud XI. Les connaissances prĂ©cises et Ă©tendues
du premier concernant la thĂ©orie des organisations dâune part, la thĂ©orie des graphes
dâinfluence dâautre part, ont Ă©tĂ© prĂ©cieuses durant les Ă©tapes de construction de la thĂšse. De
plus, sa disponibilitĂ© totale lorsque jâentamais les calculs du chapitre 5 et lors des phases de
relecture mâa permis dâachever le travail dans de bonnes conditions. Jâai Ă©galement souvent
travaillé avec le second tout au long de ces années, avec notamment comme résultat la
publication dâun article dans une revue scientifique. Le chapitre 4 de ce travail est largement
le fruit des journĂ©es passĂ©es Ă dĂ©cortiquer avec lui les structures dâĂ©changes et les thĂ©orĂšmes
de « la théorie de la dominance économique » écrit par notre Directeur de thÚse. Je souhaite
évidemment pouvoir partager avec eux un certain nombre de développements futurs issus de
ce travail.
Toujours parmi mes collĂšgues, je tiens Ă remercier aussi Annick Bertolotti qui a fourni un
soutien logistique déterminant en ce qui concerne les recherches bibliographiques, ainsi
I
quâune aide prĂ©cieuse sur la premiĂšre phase de relecture. Martial Le Berre et Alain Auneau
mâont aidĂ© quant Ă eux au tout dĂ©but de lâanalyse empirique, lorsquâil sâagissait de traiter les
donnĂ©es brutes sortant du serveur. Quâils en soient ici chaleureusement remerciĂ©s.
II
Sommaire
III
Section 3. LâintĂ©gration des phĂ©nomĂšnes de pouvoir dans le mainstream .............................. p. 108
1/ Les activitĂ©s dâinfluence .............................................................................................. p. 109
2/ La dĂ©lĂ©gation de lâautoritĂ© ........................................................................................... p. 120
3/ Pouvoir et politique dans la firme ................................................................................ p. 123
IV
1/ DĂ©terminant dâune matrice et Graphes Partiels Hamiltoniens ....................................... p. 212
2/ Le théorÚme des boucles et des circuits........................................................................ p. 215
Section 4. Cheminement de lâinfluence dans une structure au niveau global .......................... p. 217
1/ Structures autarciques et diffusion minimale de lâinfluence.......................................... p. 218
2/ Le rĂŽle des circularitĂ©s dans la diffusion globale de lâinfluence.................................... p. 221
3/ Les structures circulaires et la diffusion maximale de lâinfluence ................................. p. 226
4/ Les structures triangulaires et lâabsence totale de circularitĂ©......................................... p. 232
V
INTRODUCTION
GENERALE
1
Introduction générale
LâĂ©conomie de lâinformation constitue dans une large mesure la cĂ©sure la plus importante en
ce qui concerne les avancées du siÚcle dernier en sciences économiques (Stiglitz, 2000, 2003,
2004).
Ainsi, le fait « de reconnaĂźtre » que lâinformation est imparfaite, que son acquisition peut ĂȘtre
coĂ»teuse, quâil existe dâimportantes asymĂ©tries dâinformation et enfin que lâĂ©tendue de ces
asymétries dépend des actions conjointes des entités économiques, a eu des implications
fortes à la fois sur les modÚles de représentation des phénomÚnes économiques et sur la nature
des explications données à ces phénomÚnes1.
La modification des appareils thĂ©oriques induite notamment par la levĂ©e de lâhypothĂšse
dâinformation parfaite, a concernĂ© principalement deux objets dâĂ©tude qui sont dâun cĂŽtĂ© le
marchĂ©, de lâautre la firme. Sâil est vrai que lâanalyse des marchĂ©s a Ă©tĂ© profondĂ©ment
transformée et enrichie depuis le débat initié notamment par Hayek (1945) sur la nature
informationnelle du systĂšme de prix (Kirman, 1998), il faut reconnaĂźtre que lâanalyse de la
firme, dans un contexte de prise en compte des diffĂ©rentes dimensions liĂ©es Ă lâinformation, a
mis plus de temps à se développer et a concerné des programmes de recherche trÚs
hétérogÚnes regroupés sous des appellations diverses - « théorie de la firme », « économie
des organisations » - qui tendent eux-mĂȘmes Ă sâintĂ©grer dans un champ plus large qui est
celui de la « théorie des organisations »2.
Une caractĂ©ristique intĂ©ressante de ce (vaste) champ de recherche rĂ©side dans le fait quâil a
donnĂ© lieu Ă un certain nombre dâĂ©changes fructueux entre diffĂ©rentes disciplines des sciences
sociales, parmi lesquelles la sociologie et la psychologie, qui ont donné à la science
économique deux de ses plus brillants « collaborateurs » : March et Simon. Au sein de cet
ensemble hétéroclite, dont la synthÚse est actuellement impossible selon Brousseau (1998), on
dispose de modĂšles analytiques reposant sur des hypothĂšses divergentes et sâintĂ©ressant Ă des
questions particuliĂšres et partielles. Lâarticulation entre information et firme-organisation est
ainsi diversement traitĂ©e selon que lâon sâintĂ©resse Ă la nature de la firme, Ă lâidentification
des formes économiquement efficientes, ou encore au processus de prise de décision.
1
Stiglitz (2000, p. 1461) : « Beaucoup de ce Ă quoi les Ă©conomistes croyaient, ce quâils pensaient ĂȘtre vrai sur la
base de la recherche et de lâanalyse couvrant presque un siĂšcle, sâest rĂ©vĂ©lĂ© nâĂȘtre pas robuste au regard de
considĂ©rations sur les imperfections de lâinformation, mĂȘme lĂ©gĂšres ».
2
Qui tend Ă ĂȘtre une « thĂ©orie de lâinformation » si lâon suit Cremer (1998).
3
Néanmoins, il nous paraßt possible de tracer les grandes lignes des modifications de la théorie
nĂ©o-classique de la firme, la « boĂźte noire », Ă partir dâune part de lâidentification des trois
problĂšmes informationnels majeurs (imperfection de lâinformation, asymĂ©trie de lâinformation
et rationalitĂ© limitĂ©e), dâautre part des reprĂ©sentations du processus de dĂ©cision qui sont
lâobjet dâun va-et-vient entre les analyses normatives du mainstream et celles des sociologues.
En ce qui concerne le premier point, il revient Ă Coase (1937) dâavoir proposĂ© sur la base de
lâhypothĂšse dâinformation imparfaite une explication de lâexistence de la firme, en tant
quâentitĂ© de coordination alternative au marchĂ©. Ses travaux ont donnĂ© lieu Ă un courant de la
théorie des organisations qui aboutit dans la littérature moderne à ceux de Williamson, au
moins jusquâĂ son ouvrage Markets and hierarchies (1975). LâhypothĂšse dâasymĂ©trie
informationnelle va quant Ă elle ĂȘtre introduite de maniĂšre plus diluĂ©e, globalement Ă partir
dâArrow (1963), dans un certain nombre de travaux qui ouvriront dâun cĂŽtĂ© la thĂ©orie des
droits de propriĂ©tĂ© (Alchian & Demsetz, 1972) et de lâautre la thĂ©orie de lâagence (Ross,
1973). Dans cette derniĂšre, il faut distinguer une branche normative qui sâintĂ©resse aux
moyens de dĂ©passer les asymĂ©tries informationnelles dâindividus (parfaitement) rationnels en
vue de coordonner les échanges, et une branche positive (Jensen & Meckling, 1976) qui a
principalement pour vocation (autoproclamĂ©e) dâexpliquer le fonctionnement des
organisations concrÚtes. En marge de ces diverses préoccupations, les travaux de Simon
(1978) expliquent lâexistence de la firme par les limites cognitives des individus qui la
constituent. Les frontiĂšres entre ces approches sont devenues extrĂȘmement poreuses au fur et
à mesure de la modification des appareils théoriques et on note une convergence des
approches prĂ©-citĂ©es vers une vision de la firme « nĆud de contrats » (Cheung, 1983), dont la
spĂ©cificitĂ© par rapport au marchĂ© tend Ă sâestomper au sein dâune « thĂ©orie des contrats »
regroupant Ă la fois Williamson (1985) et les deux branches de la thĂ©orie de lâagence. Une
fois expliquĂ©e et discutĂ©e lâexistence de la firme sous des formes variĂ©es en rĂ©action aux
imperfections informationnelles, lâanalyse des processus de dĂ©cision au sein de lâorganisation
constitue une avancée supplémentaire dans la compréhension des mécanismes en jeu dans la
« boßte noire ». Dans ce domaine, on distingue habituellement les travaux normatifs issus de
la thĂ©orie statistique de la dĂ©cision, basĂ©s sur lâhypothĂšse que les membres de lâorganisation
partagent des buts communs, et les travaux dâinspiration sociologique centrĂ©s autour dâune
théorie de la firme insistant sur les comportements collusifs et conflictuels des individus
(Cyert & March, 1963). Dans le premier cas, les processus dâidentification des rĂšgles de
décision optimale réalisée par la théorie des équipes de Marschak & Radner (1972) et leurs
hĂ©ritiers vont dĂ©boucher sur lâanalyse de lâefficience des diffĂ©rentes structures
4
informationnelles (centralisées, décentralisées). Il revient principalement à Sah & Stiglitz
(1986), Radner (1993), Bolton & Dewatripont (1994) et Van Zandt (par exemple 1999)
dâavoir Ă©laborĂ© des outils analytiques dans ce domaine3. Dans le deuxiĂšme cas, ces approches
vont ĂȘtre discutĂ©es au niveau de leur capacitĂ© Ă expliquer et dĂ©crire le monde rĂ©el mais
Ă©galement au niveau conceptuel, au sujet notamment du statut de lâinformation, par des
modÚles tels que celui de la « corbeille à papier » (Cohen, March & Olsen, 1972) qui reste
aujourdâhui un classique de cette littĂ©rature. Si lâinformation y conserve le statut de signal que
lui attribue la théorie statistique de la décision, elle est également un symbole de pouvoir
(Feldman & March, 1981).
Au-delà des différences théoriques, ce double mouvement qui articule information et
organisation aboutit, à la suite de Fransman (1994), à caractériser la firme-organisation
comme « processeur dâinformation », vision discutĂ©e depuis quelques annĂ©es par un certain
nombre dâauteurs pour la plupart inscrits dans les approches dites Ă©volutionnistes (Nelson &
Winter, 1982). Parmi eux, Fransman (1994) et Cohendet (1998) revendiquent une vision de la
firme « processeur de connaissances » et mettent en cause la pertinence de la distinction
analytique entre information dâun cĂŽtĂ© et connaissance de lâautre, respectivement dĂ©finies par
Machlup (1962) comme « flux » et « stock ». Lâobjectif de notre thĂšse nâest pas de proposer
un concept thĂ©orique dâinformation qui permette dâintĂ©grer lâensemble de ces
représentations4. Par conséquent, nous approfondirons dans la suite de ce travail la conception
de la firme processeur dâinformation parce quâil est selon nous possible de proposer dans ce
cadre une approche quantifiable du pouvoir intra-organisationnel.
Il faut au prĂ©alable dĂ©terminer lâapproche qui nous apparaĂźt comme Ă©tant Ă la fois la plus
reprĂ©sentative de lâexpression « processeur dâinformation » et la plus susceptible de
dĂ©veloppements fructueux. Câest dans le cadre de la thĂ©orie des Ă©quipes, ou en tout cas de ses
prémisses, que nous la trouvons. En effet, Marschak (1959, 1960) propose dans deux articles
méconnus une représentation de la firme en termes de matrice entrée-sortie. Plus précisément,
la firme y est envisagée comme une structure de communication de messages dans laquelle
les agents sont Ă la fois des Ă©metteurs et des rĂ©cepteurs dâinformation, celle-ci Ă©tant dĂ©finie
comme « lâensemble des messages potentiels associĂ©s Ă une source ou Ă un canal »5. En
admettant lâinformation-donnĂ©e comme postulat de dĂ©part de lâanalyse, nous remarquons
3
Pour une revue récente de la littérature, voir Mookherjee (2003).
4
Cf. notamment LeMoigne (1998) et les contributions dans Petit (1998).
5
Marschak (1960, p. 81).
5
simplement quâen choisissant de se concentrer exclusivement sur le concept de « forme
organisationnelle », dĂ©fini comme lâensemble des rĂšgles optimales de dĂ©cision, Marschak
laisse de cotĂ© deux dimensions centrales de lâanalyse de la firme qui dĂ©coulent de son
approche centrée sur les processus de décision :
- la premiĂšre dimension concerne lâanalyse des relations entre des agents Ă©conomiques
dans la structure dâĂ©change dâinformation. Elle a Ă©tĂ© largement couverte comme nous
venons de le préciser par les travaux de Radner, Bolton & Dewatripont et Van Zandt
mais dans le cadre de modĂšles oĂč les agents poursuivent par hypothĂšse un objectif
commun.
- la deuxiĂšme dimension est liĂ©e Ă lâintroduction de divergences dâintĂ©rĂȘt entre les
agents en situation dâasymĂ©trie informationnelle et concerne le potentiel
dâidentification des relations de pouvoir informationnel qui y serait associĂ©.
6
La thĂ©orie de lâĂ©change contestĂ© dĂ©veloppĂ©e par Bowles & Gintis (1993, 1999) est
représentative de cette approche ;
- dans une deuxiĂšme Ă©tape nous proposons dâĂ©largir la portĂ©e analytique du concept de
pouvoir intra-organisationnel en reprenant à notre compte la notion de « potentiel de
pouvoir » introduite par Bartlett (1989). Nous fondons sur celle-ci lâĂ©bauche dâun
programme de recherche sur le pouvoir intra-organisationnel qui part de lâidentification
des conditions nécessaires pour traiter de ce thÚme dans un cadre mainstream en économie
des organisations ;
- cette progression nous amÚne à distinguer deux approches complémentaires du « potentiel
de pouvoir intra-organisationnel » en microéconomie des organisations contemporaine,
plus précisément en théorie des incitations. Alors que cette théorie focalise
essentiellement son attention sur lâincitation Ă lâeffort, la rĂ©vĂ©lation dâinformations privĂ©es
et lâacquisition de compĂ©tences spĂ©cifiques6, une littĂ©rature rĂ©cente dans ce champ analyse
des mécanismes incitatifs que nous pouvons qualifier de « politiques ». Une premiÚre
approche a pour objet dâĂ©tude lâallocation du pouvoir / de la responsabilitĂ© / de lâautoritĂ©
formelle entre les membres de lâorganisation7. Dans cette perspective, la dĂ©lĂ©gation de
pouvoir constitue une incitation pour lâagent qui en est bĂ©nĂ©ficiaire Ă suivre lâintĂ©rĂȘt du
principal, sous réserve que soient mis en place des mécanismes de contrÎle qui permettent
de prĂ©server le principal dâĂ©ventuels abus. Une deuxiĂšme approche regroupe notamment
les thĂ©ories des coalitions en organisation (Tirole, 1986), des activitĂ©s dâinfluence
(Milgrom & Roberts, 1988), des transactions informelles (Breton, 1995), des conflits en
organisation (Rotemberg & Saloner, 1994), et de la bureaucratisation des organisations
(Martimort, 1997). Sur la base dâune hypothĂšse selon laquelle lâallocation des
responsabilitĂ©s dans lâorganisation est donnĂ©e, ces thĂ©ories dĂ©veloppent la problĂ©matique
des dynamiques sociales informelles liées à la recherche de quasi-rentes positionnelles et
informationnelles de la part des agents, et des moyens mis en Ćuvre par le principal pour
les limiter ou les orienter.
La confrontation entre ces deux approches suggĂšre une tension potentielle dans lâorganisation
entre « autorité » (comprise comme capacité à prendre des décisions qui orientent les actions
des autres) et « discrĂ©tion » (comprise comme capacitĂ© pour un agent de contrĂŽler lâusage des
ressources mises à sa disposition et sur lesquelles il ne possÚde aucun droit de propriété, ainsi
6
Voir les synthĂšses de Gibbons (1998) et de Prendergast (1999).
7
Les termes « pouvoir » (par ex. Ortega, 2003), « responsabilité » (par ex. Prendergast, 1995), et « autorité
formelle » (par ex. Aghion & Tirole, 1997) sont le plus souvent utilisés comme des synonymes dans cette
littérature.
7
que de contrĂŽler lâusage de sa propre force de travail)8. Peu de travaux en Ă©conomie des
organisations sâintĂ©ressent formellement Ă lâinteraction entre autoritĂ© et discrĂ©tion, Aghion &
Tirole (1997), Baker et al. (1999), Dessein (2002) et Subramanian (2005) constituant des
exceptions notables. Les travaux de Rotemberg (1993) et de Rajan & Zingales (1998, 2001)
représentent, selon nous, les pistes de recherche les plus intéressantes pour progresser dans
lâĂ©tude des potentiels de pouvoir. Le premier auteur combine les problĂ©matiques de dĂ©lĂ©gation
de lâautoritĂ© et dâattribution de la discrĂ©tion, sans cependant sâintĂ©resser aux stratĂ©gies
préalables développées par les agents pour obtenir du « pouvoir ». Les seconds analysent les
capacitĂ©s dâun agent Ă utiliser, ou Ă travailler avec, des ressources critiques de lâorganisation
comme un mécanisme incitatif à la fois alternatif et complémentaire à la propriété des actifs.
Ils élaborent à partir de là une série de propositions relatives à la structure et à la dynamique
des organisations Ă©conomiques. Si toutes ces approches tendent Ă rĂ©concilier lâanalyse de la
firme avec la notion de pouvoir, un problĂšme dans cette littĂ©rature est quâelle dĂ©finit la notion
de pouvoir de maniÚre relativement ambiguë en adoptant comme synonymes les notions
dâautoritĂ© formelle, dâinfluence, de pouvoir et de responsabilitĂ©. Ensuite, elle ne considĂšre pas
explicitement la firme comme structure de communication (dâĂ©change dâinformation) ou alors
sur la base de relations dyadiques qui négligent une vision globale de la firme processeur
dâinformation.
DĂšs lors, si le programme initiĂ© par Marschak (1959)9 a Ă©tĂ© prolongĂ© partiellement dâun cĂŽtĂ©
par des travaux traitant explicitement du choix des structures et de lâautre par des recherches
explicitant les relations entre agents en termes de pouvoir, il faut avouer que ces deux
dimensions nâont pas encore fait, Ă notre connaissance, lâobjet dâune approche intĂ©grĂ©e.
La thĂšse que nous dĂ©fendons dans les dĂ©veloppements qui suivent est quâil est possible
dâarticuler dans le cadre de la vision Ă©conomique de la firme, dĂ©finie comme processeur
dâinformation au sens de Marschak (1959), une approche Ă©conomique de la firme en tant que
structure dâĂ©changes et une approche Ă©conomique du pouvoir intra-organisationnel qui lui est
consubstantielle.
Une telle approche doit se positionner dans le prolongement, et non en opposition, avec la
vision Ă©conomique de la firme processeur dâinformation. Câest ainsi que lâarticulation que
8
Pour une présentation alternative de cette tension autorité / discrétion, voir Foss & Foss (2002).
9
Ce programme est dĂ©fini plus largement dans lâarticle de 1968.
8
nous proposons entre lâanalyse de la structure dâĂ©changes et lâĂ©tude des relations de pouvoir a
plusieurs objectifs :
- elle doit ĂȘtre en mesure de proposer un concept opĂ©rationnel de pouvoir permettant
dâidentifier les diffĂ©rentiels de pouvoir des agents Ă©conomiques. Autrement dit elle doit
ĂȘtre capable dâexpliquer quel agent ou catĂ©gorie dâagents « domine » dans la structure en
fonction des critĂšres quâelle se donne ;
- par ailleurs, elle doit affiner la compréhension des mécanismes complexes en jeu dans la
« boßte noire » en dépassant le niveau des simples relations dyadiques (ou bilatérales) qui
sont dĂ©jĂ parfaitement dĂ©crites dans les thĂ©ories de lâagence ;
- enfin, son objectif nâest pas dâĂ©tablir une nouvelle thĂ©orie normative de la firme, centrĂ©e
sur la détermination des décisions individuelles optimales et la caractérisation des
structures efficientes10, mais bien de proposer un cadre qui serve dâanalyse aux structures
concrÚtes. Ce faisant, elle rejoint les préoccupations des théories économiques
contemporaines de la firme processeur dâinformation.
Pour mener Ă bien cette dĂ©marche, nous proposons dans la suite de ce travail dâadopter une
dĂ©marche pragmatique de lâĂ©conomie des organisations, qui consiste Ă aller chercher en
dehors des frontiÚres de la science économique quelles sont les propositions ou les faits
stylisĂ©s susceptibles dâenrichir les dĂ©veloppements Ă©conomiques formels. Cette posture est
courante en économie des organisations. La démarche de Lazear (2000) est trÚs
caractĂ©ristique de ce point de vue. Selon lui, lâapproche Ă©conomique de lâorganisation du
travail est plus rigoureuse, plus rationnelle et sans doute meilleure en termes de prédictions
que celles des autres sciences sociales. Cependant, quelquefois, cette approche économique
est moins pertinente en termes de description des phénomÚnes. Dans ce cas, les autres
sciences sociales (la sociologie des organisations et les sciences de gestion essentiellement)
ont dĂ©veloppĂ© des concepts et fourni des donnĂ©es qui peuvent sâavĂ©rer utiles Ă lâĂ©conomiste
pour dĂ©velopper ses propres outils analytiques. Il sâen suit quâil est faux selon Lazear
dâaccuser la microĂ©conomie de la firme (« lâĂ©conomie du personnel », en particulier) dâune
10
Bien que, comme nous le verrons notamment au quatriÚme chapitre, la méthodologie générale qui est
dĂ©veloppĂ©e puisse ĂȘtre utilisĂ©e Ă cette fin.
9
part dâĂȘtre stĂ©rile et irrĂ©aliste, et dâautre part dâignorer les enseignements des autres sciences
sociales.
11
Dahl (1957, pp. 202-203) : « A a du pouvoir sur B dans la mesure oĂč il peut faire faire Ă B quelque chose que
B nâaurait pas fait autrement ».
10
La thĂ©orie des graphes dâinfluence (Lantner, 1974) permet de combiner la thĂ©orie des graphes
et la mĂ©thodologie input-output. Cette thĂ©orie se prĂȘte selon nous de maniĂšre pertinente Ă la
réalisation des objectifs de notre thÚse. En effet, son objet est de « jeter un pont » entre ces
diverses thĂ©ories « en dĂ©voilant les modalitĂ©s de la dĂ©pendance et de lâinterdĂ©pendance
gĂ©nĂ©rales, liĂ©es au processus de diffusion quantitative de lâinfluence et aux dĂ©terminations
structurelles qui lâentravent, en dissociant les effets directs et indirects de dominance et en
dĂ©terminant leur importance respective » (pp. 74-75). Parce quâelle permet Ă la fois de
combiner diffĂ©rents niveaux (global, local, bilatĂ©ral) dâanalyse de la structure dâĂ©change et de
quantifier les relations de dépendance-interdépendance entre les agents membres de la
structure, elle constitue pour notre objet un outil pertinent.
Nous utiliserons cet outil pour quantifier le pouvoir intra-organisationnel dans une structure
dâĂ©change concrĂšte. Nous proposons Ă cet Ă©gard une illustration fondĂ©e sur les flux
dâĂ©changes de courriers Ă©lectroniques (mails) dans une organisation intensive en information.
Les donnĂ©es brutes utilisĂ©es pour lâĂ©tude sont les mails envoyĂ©s et reçus par les 122 membres
dâune organisation rĂ©elle12 Ă dâautres membres de lâorganisation pendant la semaine du 9 au
15 septembre 2005, pour un total de 3841 mails. Cette illustration présente pour nous
plusieurs avantages. Elle est tout dâabord cohĂ©rente avec la dĂ©finition de lâinformation que
nous avons retenue, adaptĂ©e de Marschak (1960), Ă savoir « lâensemble des messages associĂ©s
à un canal ». Elle permet ensuite de quantifier le pouvoir intra-organisationnel à partir
uniquement des flux sans présager du contenu des messages.
Par ailleurs, lâĂ©tude de la technologie email et des flux dâinformation quâelle engendre dans la
structure organisationnelle nous semble particuliÚrement pertinente pour repérer la diversité
des relations envisageables entre autorité et discrétion. Ces flux permettent ainsi à de
nombreux auteurs de repérer la topologie et la dynamique de « communautés de pratiques »
au sein des organisations (Tyler et al., 2003), câest-Ă -dire de relations intenses entre des
individus qui poursuivent des objectifs similaires et qui ont une compréhension partagée de
leur activité productive ; ils permettent de repérer, plus largement, la topologie et la
dynamique de rĂ©seaux de collaboration et dâĂ©changes de connaissances (Wellman, 2001).
Autrement dit, ces flux constituent selon ces auteurs un moyen privilégié pour identifier les
construits de coopération et de dominance qui traversent et modÚlent les structures sociales
qui les supportent. Garton & Wellman (1995), à travers une large revue de la littérature sur
12
Une Institution Française dâEnseignement SupĂ©rieur en Management, membre de la ConfĂ©rence des Grandes
Ecoles.
11
lâimpact des courriels dans les organisations, synthĂ©tisent ainsi les particularitĂ©s de cette
technologie de communication : les dynamiques sociales et cognitives quâelle impulse
rĂ©sument aussi bien la nature de lâactivitĂ© productive, des perceptions des utilisateurs quant
aux capacités de la technologie à répondre à leurs besoins, des relations interpersonnelles, des
structures organisationnelles (formelles et informelles) de pouvoir, que des média privilégiés
par les directions dans leur systĂšme interne de communication.
Ces études, qui utilisent souvent les mesures traditionnelles de centralité (voir le chapitre
trois), aboutissent à des résultats qui reflÚtent la diversité des articulations autorité /
discrétion : alors que Sproull & Kiesler (1986, 1992) constatent que la technologie email
contribue Ă rĂ©duire les distances entre les membres de lâorganisation en court-circuitant les
relations dâautoritĂ© formelle et en constituant des « coteries » transversales, Tyler et al. (2003)
trouvent que la structure dâĂ©change de courriels dans lâorganisation quâils Ă©tudient calque en
grande partie la structure formelle, et les rĂ©seaux transversaux quâils identifient se superposent
pour la plupart à des projets impulsés par la direction.
Finalement, les objectifs que nous nous sommes fixés dans le cadre de notre thÚse peuvent se
décliner dans un développement en cinq étapes.
- Lâobjectif du premier chapitre est de revisiter, Ă partir dâune revue large de la littĂ©rature
Ă©conomique, les thĂ©ories de la firme processeur dâinformation afin dâen proposer une
définition générique qui serve de base à une quantification des relations entre information,
organisation et pouvoir.
- Lâobjectif du deuxiĂšme chapitre est de dĂ©terminer si les approches modernes qui traitent
des relations entre information et organisation ont produit un concept économique de
pouvoir qui puisse sâintĂ©grer dans notre dĂ©marche. Nous proposons dâĂ©largir la portĂ©e
analytique du concept de pouvoir intra-organisationnel à partir de la notion de « potentiel
de pouvoir » (Bartlett, 1989), câest-Ă -dire de lâidentification des conditions nĂ©cessaires
pour traiter de ce thÚme dans un cadre mainstream en économie des organisations. Dans
cette perspective, les travaux de Rajan & Zingales (1998, 2001) questionnent la possibilité
dâĂ©laborer une thĂ©orie gĂ©nĂ©rale du pouvoir intra-organisationnel intĂ©grant les
problématiques de structure.
12
- Face au besoin de prolongement que nous identifions sur la base de ces travaux, notre
démarche pragmatique nous amÚne dans le chapitre trois en dehors des frontiÚres de la
science Ă©conomique vers lâanalyse du pouvoir dans dâautres sciences sociales (Brass,
2002).
La thÚse que nous défendons dans ce chapitre est la suivante : au cours de ces derniÚres
dĂ©cennies, dans la littĂ©rature des sciences de lâorganisation, la problĂ©matique du pouvoir
intra-organisationnel a été influencée par un double mouvement concomitant au niveau
thĂ©orique dâune part, au niveau mĂ©thodologique dâautre part. Au plan thĂ©orique, la genĂšse,
le dĂ©veloppement puis lâĂ©clatement des thĂ©ories des contingences structurelles, fondĂ©es
sur la définition du pouvoir donnée par Emerson (1962), ont provoqué une reformulation
de la problématique du pouvoir intra-organisationnel. Au plan méthodologique, les
tentatives de mesure du pouvoir en organisation se sont réorientées vers des techniques
« structurales » qui concernent les concepts de centralité et de connectivité, développées
par les approches modernes « des réseaux sociaux », ou inspirées de la méthodologie
input-output. Si lâusage de ces nouvelles techniques reste aujourdâhui confinĂ© aux
sociologues et psychosociologues de lâorganisation qui les ont dĂ©veloppĂ©s de maniĂšre
féconde13, nous essayons de montrer dans les deux derniers chapitres de ce travail que ces
techniques structurales peuvent servir de base à un discours économique sur le pouvoir
produit par lâasymĂ©trie dâinformation en organisation.
13
LâĆuvre de Noah Friedkin est sans doute la plus reprĂ©sentative de la richesse de ces dĂ©veloppements (par ex.
Bonacich & Friedkin, 1998, Bourgeois & Friedkin, 2001, Friedkin & Johnsen, 1999, Friedkin, 2003).
13
de transmission de lâinfluence, alors que les propriĂ©tĂ©s identifiĂ©es cette fois-ci au niveau
local affinent encore notre compréhension des rÚgles de fonctionnement du processus
étudié.
14
CHAPITRE 1
INFORMATION ET ORGANISATION
15
Chapitre 1
Information et organisation
Introduction
Les articles pionniers de lâĂ©conomie de lâinformation (Hayek, 1945, Stigler, 1961, Akerlof,
1970) sâinscrivent largement dans la lignĂ©e du modĂšle fondateur dâArrow & Debreu (1954) en
ce sens quâils sâintĂ©ressent aux comportements individuels dâagents Ă©conomiques en situation
dâinteraction sur des marchĂ©s. De ce point de vue, lâintroduction des problĂšmes
informationnels, si elle modifie la vision économique des marchés, ne remet pas
fondamentalement en cause la figure de lâentreprise. Celle-ci est circonscrite Ă lâentrepreneur,
une sorte dâarbre qui cache la forĂȘt des mĂ©canismes de coordination autres que marchands
observés dans le monde réel.
LâentrĂ©e dans « la boĂźte noire » va pourtant ĂȘtre une consĂ©quence durable de la prise en
compte des phĂ©nomĂšnes Ă©conomiques liĂ©s Ă lâinformation, quand bien mĂȘme, comme le
souligne Stiglitz (1991), on peut avoir lâimpression que ce domaine dâinvestigation a Ă©tĂ©
« abandonné » par les économistes aux sociologues ou gestionnaires. Comme nous allons le
voir, il nâen est rien, mĂȘme si dans ce champ de recherche particulier, la prise en compte des
problÚmes informationnels va amener les chercheurs en science économique à puiser, peut-
ĂȘtre plus que dâordinaire, dans les autres sciences sociales pour enrichir leurs analyses.
Lâobjet de ce premier chapitre est dâessayer de comprendre comment les Ă©conomistes ont
Ă©toffĂ© leur reprĂ©sentation de la firme jusquâĂ entrer dans la « boĂźte noire » pour en dĂ©crire les
mĂ©caniques dâagencement interne. Le dĂ©veloppement articule deux dimensions
complĂ©mentaires de ce quâĂ la suite de Fransman (1994) ou Cohendet (1998), nous appelons
la « firme processeur dâinformation » de la thĂ©orie Ă©conomique.
La premiÚre dimension, traitée dans la section 1, englobe les réponses apportées à la question
centrale sur la nature de la firme Ă la suite de Coase (1937). Les prolongements de cet article
séminal se déclinent en axiomatiques dont les frontiÚres sont parfois poreuses, comme le
montrent les nombreuses tentatives de revues de la littérature auxquelles elles ont donné lieu
(Brousseau & Glachant, 2000). Ce qui nous intéresse ici est de savoir comment elles associent
les trois problĂšmes informationnels majeurs â imperfection de lâinformation, rationalitĂ©
limitĂ©e et asymĂ©trie informationnelle â avec lâorganisation Ă©conomique appelĂ©e « firme ».
17
La deuxiĂšme dimension, dĂ©veloppĂ©e dans la section 2, concerne lâĂ©tude des processus de
dĂ©cision qui placent lâinformation au cĆur des organisations, au point de suggĂ©rer parfois que
la thĂ©orie des organisations est elle-mĂȘme devenue largement ces derniĂšres annĂ©es une thĂ©orie
de lâinformation (Cremer, 1998). LâĂ©tude des ces processus oppose assez largement les
travaux des Ă©conomistes Ă ceux dâinspiration plus sociologiques, notamment en ce qui
concerne la dĂ©finition et le statut de lâinformation. La mise en perspective de ces approches
nous permettra de prĂ©ciser dans la section 3 la notion de « firme processeur dâinformation » et
le concept dâinformation qui lui est associĂ©, ceci afin de dĂ©finir le cadre dans lequel sera
développée la suite de notre travail.
18
Section 1 : Existence de la firme et problĂšmes informationnels
La reprĂ©sentation Ă©conomique de la firme sâest dĂ©veloppĂ©e sur les bases de la « boĂźte noire »
de la thĂ©orie standard qui sâest progressivement Ă©toffĂ©e au fur et Ă mesure de la levĂ©e des
hypothĂšses les plus contraignantes qui la fondaient.
Il nây a pas Ă proprement parler de thĂ©orie de la firme dans la thĂ©orie nĂ©o-classique, elle nâest
quâune composante de la thĂ©orie des prix et de lâallocation des ressources. La conception de la
firme découle dans ce cadre des hypothÚses générales du modÚle : dans son environnement,
lâinformation et la concurrence sont parfaites, sa technologie est donnĂ©e et elle se comporte de
maniĂšre parfaitement rationnelle en maximisant son profit. Dans ce contexte, la fonction
principale des firmes est de transformer des inputs en outputs, Ă partir de la seule information
dont elles ont besoin, Ă savoir le prix des facteurs de production. Selon lâexpression
consacrée, la firme est une « boßte noire » qui transforme des ressources, son organisation
interne nâest pas dĂ©finie1. Câest un acteur qui applique mĂ©caniquement les rĂšgles du calcul
Ă©conomique au mĂȘme titre que le consommateur individuel (Coriat & Weinstein, 1995).
Demsetz (1998, p. 34) justifie cette approche dans le modÚle décentralisé2 par le fait que le
rÎle assigné aux ménages et aux firmes est uniquement de montrer comment le marché, par
lâintermĂ©diaire du systĂšme de prix, arrive Ă coordonner leurs choix de consommation et de
production : « la seule raison dâavoir construit les firmes est de sĂ©parer la production de la
consommation ». Dans ce cadre, les problĂšmes dâorganisation interne sont sans importance :
« la firme de la thĂ©orie nĂ©o-classique nâest pas autre chose quâune unitĂ© spĂ©cialisĂ©e dans la
production [âŠ] », au sens oĂč sa seule fonction est de produire pour autrui. Les marchĂ©s ne
1
Gabrié & Jacquier (1994, pp. 20-22) notent que la firme néo-classique est définie à la fois du point de vue
technologique (centre de production) et Ă©conomique (centre de dĂ©cision) et nâest apprĂ©hendĂ©e quâĂ travers ses
relations avec le marchĂ© (achats dâinputs et vente dâoutputs). Ils remarquent que la technologie nâest pas
sélectionnée de maniÚre efficiente (elle est donnée) et que le traitement des facteurs de production suppose deux
hypothĂšses implicites :
- la symétrie : capital et travail sont traités de maniÚre analogue, ce qui suppose que les formes sociales
de lâentreprise nâont aucune importance. Cela Ă©vacue donc le problĂšme de lâorganisation ;
- la passivitĂ© des agents : lâexĂ©cution du contrat de travail est considĂ©rĂ©e comme non problĂ©matique.
« La reprĂ©sentation nĂ©oclassique de lâentreprise Ă©vacue ainsi les problĂšmes de choix technologique et le
problĂšme du contrĂŽle et de la direction de la main-dâĆuvre ». En tant que centre de dĂ©cision, la firme est
supposĂ©e en situation dâinformation parfaite avec pour seul objectif la maximisation du profit.
2
Il prĂ©cise mĂȘme que ce modĂšle repose sur une dĂ©centralisation et sur une interdĂ©pendance « extrĂȘmes ».
19
produisent pas, ils ont pour rĂŽle de faire coĂŻncider offres et demandes, dâĂ©changer les titres de
propriĂ©tĂ© et de rĂ©vĂ©ler les prix qui permettent ces Ă©changes. Dans un contexte oĂč lâinformation
est complÚte à propos des prix et des technologies, « les prix ne coordonnent pas ; ils
fournissent de lâinformation ».
Ce nâest que lorsque lâinformation devient imparfaite que se pose le problĂšme de
lâorganisation interne, qui va ĂȘtre selon lui une façon efficiente dâutiliser le savoir spĂ©cialisĂ©.
Câest ainsi la levĂ©e de lâhypothĂšse dâinformation parfaite qui va ĂȘtre dans ce cadre
lâexplication dâun besoin de coordination des activitĂ©s en dehors du marchĂ©. Elle va ĂȘtre
complétée dans la théorie des coûts de transaction par la prise en compte de trois hypothÚses
complĂ©mentaires qui sont lâopportunisme, la rationalitĂ© limitĂ©e et lâasymĂ©trie
informationnelle3.
Coase (1937) veut proposer une définition de la firme « à la fois réaliste et manipulable pour
les Ă©conomistes », câest-Ă -dire une dĂ©finition qui sâinscrive dans la dĂ©marche micro-
économique standard, celle qui mobilise le raisonnement à la marge.
Cette dĂ©marche est motivĂ©e par les diffĂ©rences observĂ©es lorsque lâon compare le mode de
coordination sur le marché et le mode de coordination dans la firme : les économistes pensent
le systÚme économique comme étant coordonné par le mécanisme de prix5 mais cela ne
correspond pas Ă ce que lâon observe Ă lâintĂ©rieur de la firme, oĂč « un travailleur qui passe
dâun dĂ©partement Y Ă un dĂ©partement X ne le fait pas Ă cause dâun changement dans les prix
relatifs mais parce quâon le lui ordonne »6.
3
Cette prĂ©sentation a lâavantage de faire intervenir Williamson aprĂšs Coase et de terminer par la thĂ©orie de
lâagence. La structure prĂ©sentĂ©e par Fransman (1994) identifiant asymĂ©trie dâinformation et imperfection
dâinformation nous paraĂźt forte dans la mesure oĂč comme lâasymĂ©trie nâest pas un problĂšme traitĂ© explicitement
par Coase, il ne peut fonder sur elle sa théorie de la firme. Par contre, ajouter cette hypothÚse à son modÚle
augmente bien les coĂ»ts de transaction quâil identifie.
4
Nous avons travaillĂ© sur la reproduction de lâarticle original donnĂ©e dans Williamson & Winter (1993) et les
numéros de page font référence à cet ouvrage.
5
Coase (1993, p. 19) : « le systÚme économique fonctionne tout seul ».
6
Coase (1993, pp. 64-65) considĂšre que ce point de dĂ©part (« lâutilisation de la relation employeur/employĂ©
comme archĂ©type de la firme ») pour illustrer la distinction entre firme et marchĂ© est « lâune des faiblesses
20
Pour dépasser cette représentation qui est selon lui incomplÚte, il distingue alors deux
mĂ©thodes alternatives pour coordonner la production. A lâextĂ©rieur de la firme, les
mouvements de prix déterminent la production, cette derniÚre étant coordonnée par des
transactions marchandes, alors quâau sein de la firme, ces transactions marchandes sont
Ă©liminĂ©es et en lieu et place de la structure de marchĂ©, on trouve « lâentrepreneur-
coordinateur » qui dirige la production.
Il en conclut que « la marque distinctive de la firme est le remplacement du mécanisme de
prix »7.
1) Le coĂ»t le plus Ă©vident est celui de dĂ©couverte des prix pertinents, pouvant ĂȘtre rĂ©duit
par le recours à des spécialistes qui vendraient cette information.
2) Les coûts de négociation et de conclusion de contrats séparés pour chaque transaction
prenant place sur un marché sont un autre type de coût. Cette multitude de contrats est
remplacée dans la firme par un contrat unique par lequel le facteur de production
accepte dâobĂ©ir Ă un entrepreneur « dans certaines limites » en Ă©change dâune
rĂ©munĂ©ration. Celle-ci est fixe ou variable : « lâessence du contrat est quâil devrait
seulement Ă©tablir les limites des pouvoirs de lâentrepreneur ».
3) Le coĂ»t de renouvellement de contrats courts peut ĂȘtre rĂ©duit par lâĂ©tablissement dâun
contrat Ă long terme au sein de la firme.
DĂšs lors, la dĂ©lĂ©gation de la direction des ressources Ă une autoritĂ© permet dâĂ©conomiser
certains coĂ»ts de marchĂ©. Pourquoi dans ces conditions la production nâest-elle pas
entiÚrement réalisée par une seule firme ?
principales » de son article de 1937, dans la mesure oĂč il se concentre en effet sur la vision de la firme comme
acheteur des inputs quâelle utilise en nĂ©gligeant que la nature de la firme est de « faire tourner des affaires ».
7
Coase (1993, p. 20).
8
Coase (1993, p. 21).
21
1.2.2 / Lâexplication de la taille de la firme
Coase va donner deux types dâexplications, une fondĂ©e sur lâidĂ©e de « rendements
dĂ©croissants du management »9, lâautre basĂ©e sur lâĂ©volution des prix des facteurs de
production.
Sur le premier point, Coase suggĂšre ainsi que la fonction de lâentrepreneur est Ă rendements
décroissants pour deux raisons :
1) au fur et à mesure que la firme croßt et génÚre des transactions supplémentaires, les
coĂ»ts dâorganisation de ces transactions augmentent Ă©galement. Le processus sâarrĂȘte
lorsque les coĂ»ts gĂ©nĂ©rĂ©s par lâorganisation dâune transaction supplĂ©mentaire sont
égaux aux coûts de réalisation de cette transaction sur le marché ;
2) lorsque les transactions quâil faut organiser augmentent, lâentrepreneur nâutilise plus
les facteurs de production de maniĂšre optimale, si bien que le nombre de transactions
va augmenter jusquâau moment oĂč la perte gĂ©nĂ©rĂ©e par le gaspillage des ressources est
égale aux coûts de réalisation de la transaction sur le marché.
La deuxiĂšme explication suggĂšre que les prix des facteurs de production (principalement celui
du travail) vont croĂźtre avec la taille de la firme parce que le coĂ»t dâopportunitĂ© de ne pas
travailler dans une firme plus petite va devenir plus important10.
Finalement, le message central de son explication est quâune firme va tendre Ă se dĂ©velopper
« jusquâĂ temps que les coĂ»ts dâorganisation dâune transaction supplĂ©mentaire au sein de la
firme deviennent Ă©gaux aux coĂ»ts de rĂ©alisation de la mĂȘme transaction au moyen dâun
Ă©change sur le marchĂ© ou des coĂ»ts dâorganisation dans une autre firme »11. Au sujet des coĂ»ts
dâorganisation, il prĂ©cise enfin sans les caractĂ©riser explicitement quâils sont susceptibles
9
Coase (1993, p. 23). Cette idée a déjà été développée par Knight (1921) comme le fait remarquer également
Demsetz (1998).
10
Cet argument est expliquĂ© dans Coase (1993, pp. 48-60) : la notion de « prix dâoffre croissant » est relative
« au fait que les gens travaillant dans une grande firme trouveront les conditions de travail moins attractives que
celles dâune petite firme et quâils demanderont ainsi une rĂ©munĂ©ration plus Ă©levĂ©e en guise de compensation ».
Le facteur de production coûtera donc plus cher dans une grande firme.
11
Coase (1993, p. 24). « Toutes choses Ă©gales par ailleurs, dĂšs lors, une firme va tendre Ă ĂȘtre dâautant plus large
que : a) les coĂ»ts dâorganisation sont faibles et quâils croissent faiblement avec le nombre de transactions Ă
organiser ; b) lâentrepreneur a une propension faible Ă faire des erreurs et le nombre dâerreurs commises croĂźt
faiblement avec le nombre de transactions Ă organiser ; c) le prix des facteurs de production croĂźt faiblement
pour des firmes de grande taille ».
22
dâaugmenter avec lâaugmentation de la distribution spatiale des transactions, la diffĂ©renciation
des transactions12, et de la probabilité de changement des prix pertinents.
Coase (1937) va ainsi définir la firme comme mode de coordination alternatif au marché en
prĂ©sence des coĂ»ts de transaction gĂ©nĂ©rĂ©s principalement par les problĂšmes dâaccĂšs Ă
lâinformation liĂ©s Ă lâimperfection de lâinformation. De ce point de vue, câest bien la
disponibilitĂ© de lâinformation et son coĂ»t qui dĂ©terminent lâexistence de la firme.
12
Cette notion renvoie à la notion plus actuelle de « spécificité des actifs ».
13
Cf. Simon (1947, p. 70), cité par Parthenay (1995), pour une présentation.
14
Simon (1959, p. 273) : « Une décision dans la vie réelle comprend quelques buts ou valeurs, quelques faits en
ce qui concerne lâenvironnement, et quelques infĂ©rences tirĂ©es des valeurs et des faits. Les buts et les valeurs
peuvent ĂȘtre simples ou complexes, cohĂ©rents ou contradictoires ; les faits peuvent ĂȘtre rĂ©els ou supposĂ©s, basĂ©s
sur des observations ou des rapports rĂ©alisĂ©s par dâautres ; les infĂ©rences peuvent ĂȘtre valides ou fausses ».
23
1000 bits par seconde et probablement moins »15. DĂšs lors, lâagent prendra ses dĂ©cisions sur la
base dâune reprĂ©sentation subjective du monde rĂ©el, inscrite dans le contexte social dans
lequel lâindividu est immergĂ©16, et supportera un niveau dâĂ©cart plus ou moins important entre
les conséquences attendues de ses actions et la réalisation effective de ses buts.
Pour Simon, lâorganisation permet de rĂ©aliser dans de bonnes conditions les activitĂ©s de
production pour trois raisons19.
Tout dâabord, elle permet la crĂ©ation et lâutilisation de procĂ©dures routiniĂšres et formalisĂ©es
pour faire face Ă lâincertitude. Par exemple, le contrat de travail, en autorisant lâemployeur Ă
15
Simon (1959, p. 273).
16
Selon March & Simon (1958, pp. 136-137), « le milieu organisationnel et social dans lequel se trouve la
personne qui prend une dĂ©cision dĂ©termine les consĂ©quences auxquelles elle sâattendra, celles auxquelles elle ne
sâattendra pas ; les possibilitĂ©s de choix quâelle prendra en considĂ©ration et celles quâelle laissera de cĂŽtĂ© ».
17
Cf. Simon (1955) qui traite de maniÚre formelle de la prise de décision à partir de la rÚgle de maximisation de
lâutilitĂ© espĂ©rĂ©e. Cet article est une rĂ©ponse Ă Friedman (1953) au sujet du rĂ©alisme des hypothĂšses du modĂšle
standard.
18
MĂȘme si Ă lâinstar de Hayek (1945), Simon reconnaĂźt quâil rĂ©duit le besoin dâinformation des agents grĂące au
mécanisme de prix.
19
Comme le remarque Fransman (1994, p. 159), Simon veut fournir une explication « intentionnelle » de
lâexistence de la firme, et pas une explication causale. Autrement dit, il observe les firmes comme donnĂ©es sans
essayer dâexpliquer leur Ă©mergence, ce qui diffĂ©rencie significativement sa dĂ©marche de celle de Coase.
24
choisir lâaction appropriĂ©e que doit effectuer lâemployĂ©, dĂ©finit une relation dâautoritĂ© qui
permet dâimposer aux employĂ©s ces procĂ©dures (Simon, 1951)20. Ces derniers prennent leurs
dĂ©cisions en accord avec les objectifs de lâorganisation dans la limite dĂ©finie par le contrat de
travail. La formalisation du processus de recherche économise les ressources et sa
hiérarchisation permet de dépasser les limites individuelles de la rationalité, si bien que la
recherche dâune dĂ©cision satisfaisante en est facilitĂ©e.
Ensuite, lâorganisation permet de diviser le processus de dĂ©cision entre plusieurs agents. Elle
reproduit ainsi le processus de décomposition des problÚmes utilisé par un individu confronté
Ă une situation complexe. Dans lâorganisation, les dĂ©cisions sont divisĂ©es en sous-buts
opérationnels et réparties entre les individus pour tirer bénéfice de la spécialisation grùce à la
division du travail. La cohĂ©rence de lâensemble est assurĂ©e par la relation dâautoritĂ©.
Enfin, le fractionnement de la prise de décision entre plusieurs individus dilue les risques
dâerreur.
Finalement, lâorganisation assure de maniĂšre efficiente la coordination des actions de ses
membres ; ces actions consistant essentiellement Ă traiter de lâinformation, grĂące aux
procĂ©dures formalisĂ©es et routiniĂšres quâelle met en Ćuvre et par le fractionnement des
objectifs Ă atteindre qui sont ensuite rĂ©partis entre les membres. LâautoritĂ© issue du contrat de
travail assure la cohĂ©rence de lâensemble mais ce sont bien les processus de prise de dĂ©cision,
donc du traitement de lâinformation, qui caractĂ©risent Ă la fois les individus et les
organisations.
La thĂ©orie des coĂ»ts de transaction va sâappuyer Ă la fois sur Coase (1937) et sur les travaux
de Simon pour dĂ©finir lâexistence de la firme. Son objectif est de montrer comment la firme et
les diffĂ©rents arrangements contractuels peuvent ĂȘtre expliquĂ©s par leur efficience supĂ©rieure
sur les formes alternatives21.
20
Simon (1947, p. 112), citĂ© par Parthenay (1995), dĂ©finit lâautoritĂ© comme « le pouvoir de prendre les dĂ©cisions
qui orientent lâaction dâautrui. Câest une relation entre deux individus, lâun âsupĂ©rieurâ, lâautre âsubordonnĂ©â. Le
supĂ©rieur Ă©labore et communique ses dĂ©cisions en prĂ©voyant quâelles seront acceptĂ©es par ses subordonnĂ©s ». La
définition de Simon (1951, p. 294) est plus formelle et adaptée au développement de son modÚle.
21
Comme le font remarquer un certain nombre dâauteurs (GabriĂ© & Jacquier, 1994, Coriat & Weinstein, 1995),
il y a deux pĂ©riodes dans la thĂ©orie des coĂ»ts de transaction : jusquâĂ Markets and Hierarchies (1975),
Williamson va rester sur la distinction firme/marchĂ© dans lâesprit de Coase (1937), ensuite il dĂ©veloppera un
certain nombre de formes intermĂ©diaires dans une approche plus large de la firme « nĆud de contrats », bien
identifiée dans The Institutions of capitalism (1985). Finalement, pour Coriat & Weinstein (1995) la théorie de la
firme des coĂ»ts de transaction est schizophrĂšne : elle part dâune conception hiĂ©rarchique des rapports entre
membres et de lâimportance de lâautoritĂ© comme fondement de la firme puis sâoriente vers une firme « nĆud de
25
A partir dâune redĂ©finition prĂ©cise des diffĂ©rents coĂ»ts de transaction, dâune analyse fine des
transactions et de deux hypothÚses comportementales, il va élaborer une théorie des formes
institutionnelles.
En ce qui concerne tout dâabord les coĂ»ts de transaction, il va distinguer les coĂ»ts avant la
signature du contrat (ou coûts ex ante) et les coûts aprÚs signature (ou coûts ex post).
Les coûts ex ante sont globalement les coûts de négociation et de rédaction des contrats et ils
incluent :
- les coĂ»ts de recherche dâun partenaire Ă lâĂ©change ;
- le coĂ»t dâĂ©laboration des contrats ;
- le coût des garanties accompagnant la transaction.
Enfin il va établir deux hypothÚses quant au comportement des agents : ceux-ci ont une
rationalitĂ© limitĂ©e et sont susceptibles dâĂȘtres opportunistes ; lâopportunisme nâĂ©tant dĂ©fini
contrats », conçue comme un systÚme de contrats libres entre agents égaux, dans la veine de ce que propose la
thĂ©orie de lâagence.
26
que comme une manifestation particuliĂšre de la recherche de lâintĂ©rĂȘt individuel dans le cas
oĂč lâobjet de la transaction implique un actif spĂ©cifique. Pour illustrer lâopportunisme au sens
de Williamson, considérons une firme A qui, pour fournir une firme B, doit réaliser des
investissements spĂ©cifiques qui nâont aucune valeur pour A en dehors de la fourniture de
services Ă B. On peut identifier alors deux types dâopportunisme, celui de B et celui de A :
Face Ă ce type de comportement, la question est alors de savoir dans quels cas le contrat de
long terme est le plus appropriĂ© et dans quels cas câest lâintĂ©gration verticale (Klein, Crawford
& Alchian, 1978)22.
22
Pour Coase (1993, pp. 69-72), cela ne dĂ©pend pas dâune quelconque hypothĂšse dâopportunisme mais
simplement de la comparaison des coûts associés aux deux solutions dans le contexte spécifique étudié. Il
relativise lâhypothĂšse de comportement opportuniste liĂ© Ă la spĂ©cificitĂ© des actifs, dâune part parce que ce type de
comportement menace les affaires futures (rĂ©putation), dâautre part parce quâil existe des arrangements
contractuels qui limitent la profitabilité de tels comportements. Ménard (2004, p. 25) précise par ailleurs que le
modĂšle peut se passer des hypothĂšses de rationalitĂ© limitĂ©e et dâopportunisme qui « viennent juste renforcer la
probabilité de hasards contractuels ».
23
On retrouve ce principe dans Williamson (1996, chapitre 4).
24
Cf. sur ce point Hart (1995) pour une bibliographie et Brousseau & Glachant (2000) pour une revue de la
littĂ©rature et lâarticulation de cette thĂ©orie avec les autres branches de la thĂ©orie des contrats.
27
présenter maintenant deux approches qui définissent également la firme « processeur
dâinformation » Ă partir des asymĂ©tries informationnelles25.
Alchian & Demsetz partent du postulat selon lequel dans une économie décentralisée, « les
propriĂ©taires des ressources augmentent la productivitĂ© par le biais dâune spĂ©cialisation
coopĂ©rative et cela aboutit Ă une demande dâorganisations Ă©conomiques qui facilitent la
coopération »29.
DĂšs lors une thĂ©orie de lâorganisation Ă©conomique doit expliquer Ă la fois dans quelles
conditions les gains de la spécialisation sont obtenus dans la firme ou sur les marchés et
quelle est la structure de lâorganisation choisie.
25
HypothÚse non formulée par la théorie des contrats incomplets.
26
Brousseau & Glachant (2000) remarquent Ă ce sujet que lâon parle dans ce type de modĂšle de sĂ©lection adverse
si la variable Ă lâorigine de lâasymĂ©trie est exogĂšne (non manipulable par celui qui la dĂ©tient) et dâalĂ©a moral si
cette variable est endogĂšne.
27
Ce dernier modĂšle relĂšve de la thĂ©orie positive de lâagence, par opposition Ă la thĂ©orie normative de lâagence
représentée par la théorie des incitations. Ce choix est celui qui est la plupart du temps retenu dans la littérature
en théorie des organisations à cause de son niveau de formalisation moindre.
28
Lâimportance que revĂȘt cet article dans la littĂ©rature moderne sur lâĂ©conomie de la firme justifie selon nous les
passages assez longs que nous sommes amenés à citer.
29
Alchian & Demsetz (1972, p. 777). La production en équipe est donc une hypothÚse de départ. Remarquons
les erreurs dans les références de pagination (pour A & D et pour J & M) dans Fransman (1994).
28
1.5.1.1/ La remise en cause du rĂŽle de lâautoritĂ©
Un point essentiel de leur analyse est que ce nâest pas la relation dâautoritĂ© qui distingue la
firme du marché : « Il est commun de voir la firme caractérisée par le pouvoir de régler des
questions par dĂ©cret, ou par lâautoritĂ©, ou par une action disciplinaire supĂ©rieure Ă celle
disponible sur le marchĂ© traditionnel. Câest une illusion. La firme nâest pas propriĂ©taire de
tous ses inputs. Elle nâa pas plus de pouvoir de dĂ©cret, pas plus dâautoritĂ©, pas plus dâaction
disciplinaire que la contractualisation marchande entre deux personnes »30.
Ils expliquent alors que la différence entre les deux types de relations contractuelles « réside
dans lâutilisation conjointe (en Ă©quipe) des inputs et la position centralisĂ©e dâune des parties
dans les arrangements contractuels de tous les autres inputs. Elle rĂ©side dans lâagent
contractuel centralisé dans un processus productif en équipe, pas dans le pouvoir directif
autoritaire supérieur ou le pouvoir disciplinaire ».
30
Alchian & Demsetz (1972, p. 777).
31
Cette dĂ©finition est donnĂ©e p. 779 avec un certain nombre dâautres hypothĂšses complĂ©mentaires dans le cas
dâun propriĂ©taire unique :
- lâesclavage est interdit ;
- lâaversion au risque est une raison pour quâune personne nâemprunte pas assez pour acheter tous les
actifs ou prestataires de service plutĂŽt que de les louer ;
- les coûts de propriété à court terme sont supérieurs aux coûts de location.
Ils prĂ©cisent par ailleurs (pp. 790-791) quâune Ă©quipe est meilleure lorsque existe de la loyautĂ©, Ă cause de la
rĂ©duction du resquillage que cela induit. La difficultĂ© est de justifier Ă©conomiquement cet esprit dâĂ©quipe et cette
loyauté.
29
- le produit nâest pas une somme de produits sĂ©parables rĂ©alisĂ©s par chaque ressource
qui coopĂšre ;
- toutes les ressources utilisĂ©es dans la production en Ă©quipe nâappartiennent pas Ă une
personne.
Cette forme particuliĂšre va ĂȘtre utilisĂ©e lorsquâelle gĂ©nĂšre un produit suffisamment grand
(comparativement à la somme des productions respectives) pour couvrir les coûts
dâorganisation et de discipline des membres de lâĂ©quipe, ces coĂ»ts Ă©tant gĂ©nĂ©rĂ©s par le
problĂšme dâĂ©valuation des productivitĂ©s marginales.
Le problĂšme est quâil est difficile Ă partir de la seule observation de lâoutput total de
dĂ©terminer les contributions individuelles des inputs Ă lâoutput, dans la mesure oĂč ce dernier
est par dĂ©finition diffĂ©rent de la somme dâoutputs sĂ©parables qui seraient rĂ©alisĂ©s par chacun
des membres. Un indice de la productivitĂ© de chaque input peut ĂȘtre donnĂ© par lâobservation
du comportement des inputs individuels mais cette observation a un coût. Dans ces
conditions, chaque propriĂ©taire dâinput a « davantage dâincitation Ă âtirer au flancâ quand il
travaille comme membre dâune Ă©quipe ».
Alchian & Desmetz suggĂšrent alors un sens de causalitĂ© inverse, câest-Ă -dire que câest le
systÚme particulier de rémunération qui va générer une réponse spécifique en termes de
productivitĂ©. La question essentielle est alors de savoir quelles sont les formes dâorganisation
de la production en équipe susceptibles de baisser le coût de détection de la performance (de
la productivité marginale).
32
« Le problĂšme de lâorganisation Ă©conomique, le moyen Ă©conomique pour mesurer la productivitĂ© et les
rĂ©munĂ©rations, nâest pas traitĂ© directement dans lâanalyse classique de la production et de la distribution. Au lieu
de cela, cette analyse tend Ă supposer des moyens suffisamment Ă©conomiques â ou Ă coĂ»t zĂ©ro - comme si la
productivité créait automatiquement sa rémunération » (Alchian & Demsetz, 1972, p. 778).
30
1.5.1.4/ La firme : une structure de droits de propriété particuliÚre
Deux raisons vont cependant empĂȘcher ce mĂ©canisme. Dâune part, les postulants Ă une Ă©quipe
doivent savoir dans quelle mesure ils seraient capables de remplacer avantageusement un
membre qui tire au flanc, ce qui suppose quâils puissent identifier le problĂšme lorsquâil se
pose et son impact sur lâactivitĂ© de lâĂ©quipe. Or, par dĂ©finition, la dĂ©tection des tire-au-flanc
par lâobservation du produit de lâĂ©quipe est coĂ»teuse. Dâautre part, si on suppose quâexistent
des coûts de détection et que, pour assurer sa place, un postulant doit accepter une plus faible
rĂ©munĂ©ration (ou de faire la promesse quâil produira plus), son incitation Ă tricher sera au
moins équivalente à celle des inputs remplacés. Dans ce cas en effet, il supporte toujours
moins que la rĂ©duction totale du produit de lâĂ©quipe dont il est responsable.
La méthode pour réduire les incitations à tirer au flanc proposée par Alchian & Demsetz
consiste alors à nommer un contrÎleur chargé de surveiller le niveau de production effectif
des membres de lâĂ©quipe. Pour rĂ©soudre le problĂšme du contrĂŽle du contrĂŽleur, la solution
choisie consiste Ă intĂ©resser le contrĂŽleur aux performances des membres de lâĂ©quipe quâil est
chargé de surveiller, en lui attribuant un certain nombre de droits34.
33
Alchian & Demsetz (1972, p. 781).
34
Alchian & Demsetz (1972, p. 783).
35
Coriat & Weinstein (1995).
31
3) « le droit Ă ĂȘtre la partie centrale commune Ă tous les contrats avec les inputs »36 ;
4) « le droit de modifier lâappartenance Ă lâĂ©quipe » ;
5) « le droit de vendre les droits précédents ».
Ainsi, pour Alchian & Demsetz, cet ensemble de contrats bilatéraux centralisés émerge parce
quâelle rĂ©sout les asymĂ©tries informationnelles de la production en Ă©quipe « de maniĂšre plus
satisfaisante que ne le fait lâarrangement contractuel dĂ©centralisĂ© ». Il forme « la base de
lâentitĂ© appelĂ©e firme, spĂ©cialement appropriĂ©e pour lâorganisation des processus de
production en équipe ».
Cette structure contractuelle Ă©merge comme moyen dâaugmenter lâorganisation efficace de la
production en équipe, en particulier la capacité à détecter les tire-au-flanc. Les coûts de
détection sont réduits et la discipline (par la révision des contrats) est rendue plus
économique.37
La thĂ©orie de lâagence est constituĂ©e de deux courants qui sont la branche normative (thĂ©orie
des incitations) et la branche positive (Jensen & Meckling, 1976).
Parmi les hypothÚses centrales de ce type de modÚle38 on trouve la rationalité parfaite, les
calculs se font sans coĂ»t. La thĂ©orie des incitations39 qui est dominante aujourdâhui renvoie Ă
36
Alchian & Demsetz (1972, p. 783) : « La relation qui lie le propriétaire de la firme à chacun des membres de
lâĂ©quipe est simplement un contrat âquid pro quoâ par lequel chacun fait un achat et une vente : nâimporte lequel
des co-contractants peut la terminer ».
37
Les auteurs suggĂšrent Ă la fin de leur article que la firme nâest finalement pas autre chose quâune forme de
marché particuliÚre. Les auteurs concluent en effet par une conjecture : « comme conséquence du flux
dâinformation vers la partie centrale (lâemployeur), la firme prend la caractĂ©ristique dâĂȘtre un marchĂ© efficace en
ce sens oĂč lâinformation sur les caractĂ©ristiques productives dâun ensemble Ă©tendu dâinputs distincts est
maintenant disponible moins cher ». En consĂ©quence, lâefficacitĂ© des combinaisons dâinputs est meilleure dans
ce cadre que par la recherche habituelle sur les marchés. La seule différence est que les inputs se concurrencent
les uns les autres au sein et via la firme plutĂŽt que seulement sur les marchĂ©s, Ă partir dâune conception de la
concurrence comme « la rĂ©vĂ©lation et lâĂ©change de connaissance ou dâinformation au sujet des qualitĂ©s, des
utilisations potentielles de différents inputs dans différentes utilisations potentielles ». Finalement, la firme est
autant un mĂ©canisme dâaugmentation de la concurrence entre des ressources quâun mĂ©canisme pour rĂ©compenser
plus efficacement les inputs. La firme peut alors ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme un marchĂ© en propriĂ©tĂ© privĂ©e : la firme
et le marché « ordinaire » sont des types concurrents de marché (Alchian & Demsetz, p. 795).
38
On se réfÚre ici principalement à Brousseau & Glachant (2000).
39
Pour une revue de littĂ©rature des problĂ©matiques traitĂ©es, cf. Sappington (1991), SalaniĂ© (1994) et lâouvrage de
Bolton & Dewatripont (2005).
32
une situation type appelée « principal-agent » dans laquelle la partie sous-informée (le
principal) construit un schĂ©ma dâincitation pour que la partie informĂ©e (lâagent), soit lui rĂ©vĂšle
son information privĂ©e (dans le cas dâanti-sĂ©lection), soit fournit le niveau dâeffort conforme Ă
ses intĂ©rĂȘts (cas dâalĂ©a moral). Le schĂ©ma dâincitation est fondĂ© sur une rĂ©munĂ©ration
conditionnelle aux signaux renvoyant une information sur le comportement de lâagent.
Deux hypothĂšses centrales garantissent lâexistence dâun tel schĂ©ma :
1) le principal (sous-informĂ©) connaĂźt la loi de probabilitĂ© de la variable quâil nâobserve
pas ainsi que la fonction de prĂ©fĂ©rence de lâagent. Cela lui permet de prĂ©voir
(anticiper) les rĂ©actions de lâagent face aux diffĂ©rents contrats incitatifs possibles et
donc de choisir celui qui sera optimal pour lâagent ;
2) le cadre institutionnel assure le respect des engagements pris par le principal (câest une
hypothĂšse implicite), ce qui assure la crĂ©dibilitĂ© du principal vis-Ă -vis de lâagent. De
plus le schéma de rémunération repose sur une information supposée observable par
un tiers (qui est dans la plupart des cas un tribunal).
Les raffinements apportés au cadre initial ont été nombreux, parmi lesquels les modÚles
combinant aléa moral et sélection adverse, les modÚles multi-agents (à principal unique), les
asymétries informationnelles portant sur plusieurs variables, les modÚles de théorie des jeux
avec répétition des interactions (introduisant les problÚmes de crédibilité et de réputation).
Une limite de tous ces raffinements repose sur la difficultĂ© dây associer des Ă©tudes empiriques.
Dans ce courant, les travaux de Jensen & Meckling (1976) prolongent les travaux dâAlchian
& Demsetz (1972) auxquels ils reprochent dâavoir circonscrit lâĂ©tude de la firme au seul cas
de la production en équipe. Leur objectif est de développer une théorie de la structure de
propriĂ©tĂ© pour la firme. Un de leurs apports rĂ©side dans la dĂ©finition de la relation dâagence et
des coĂ»ts dâagence associĂ©s qui aboutissent Ă la vision de la firme « nĆud de contrats ».
40
On trouvera une analyse détaillée de ce courant dans Charreaux (1999, 2000), qui insiste notamment sur les
interprĂ©tations selon lui « erronĂ©es » que lâon fait habituellement de cette approche. Cette difficultĂ©
dâinterprĂ©tation est bien exprimĂ©e par Brousseau & Glachant (2000) qui, aprĂšs avoir prĂ©sentĂ© la thĂ©orie des
incitations, celle des contrats incomplets et la théorie des coûts de transaction, présentent la théorie positive de
lâagence comme « une forme hybride des trois prĂ©cĂ©dentes ».
33
Une relation dâagence concerne la dĂ©lĂ©gation dâautoritĂ© entre un principal et un agent. Si tous
deux cherchent Ă maximiser leur utilitĂ©, on peut supposer que lâagent nâagira pas toujours
dans lâintĂ©rĂȘt du principal. Ce dernier peut limiter les divergences dâintĂ©rĂȘt en trouvant des
incitations appropriĂ©es pour lâagent et en Ă©tablissant des coĂ»ts de contrĂŽle, qui sont Ă la fois
des coĂ»ts de mesure et dâobservation du comportement de lâagent et des efforts de la part du
principal, sous forme par exemple de restrictions budgĂ©taires, fixation de rĂšgles etc. Lâagent
pourra aussi supporter des coĂ»ts dâengagement afin de sâassurer que le principal sera satisfait
de ses décisions. Enfin, la « perte résiduelle » est définie dans ce type de relation comme la
perte de bien-ĂȘtre du principal gĂ©nĂ©rĂ©e par les dĂ©cisions de lâagent et par rapport aux dĂ©cisions
qui auraient maximisĂ© le bien-ĂȘtre du principal.
Ils dĂ©finissent ainsi les coĂ»ts dâagence comme la somme :
- des « dépenses de contrÎle » engagées par le principal,
- des « dĂ©penses dâengagement par lâagent », qui recouvrent deux types de coĂ»ts : dâune
part ceux que lâagent devra engager pour garantir au principal quâil se conduira bien
conformĂ©ment aux intĂ©rĂȘts de celui-ci, dâautre part les coĂ»ts de dĂ©dommagement quâil
devra supporter sâil faillit dans cette tĂąche
- la « perte rĂ©siduelle », qui est lâĂ©cart entre le rĂ©sultat de lâaction effectivement prise
par lâagent et le rĂ©sultat de ce quâaurait Ă©tĂ© lâaction optimale pour le principal41.
Selon eux, ces coĂ»ts dâagence Ă©mergent non seulement dans des relations dâagence mais aussi
dans toute situation impliquant un effort de coopération comme la production en équipe
décrite par Alchian & Demsetz (1972), ils ont donc une portée trÚs générale.
Ensuite, contrairement Ă la branche normative de lâagence, Jensen & Meckling (1976) se
concentrent « exclusivement sur les aspects positifs de la thĂ©orie »42 câest-Ă -dire quâils
supposent que les individus rĂ©solvent les problĂšmes normatifs et sâintĂ©ressent aux Ă©lĂ©ments de
la forme contractuelle dâĂ©quilibre caractĂ©risant la relation entre un manager (lâagent) et les
propriĂ©taires (principals). La thĂ©orie positive de lâagence a pour objectif principal dâessayer
de comprendre et dâexpliquer la structure et le fonctionnement des organisations rĂ©elles.
Enfin, un point central de leur thĂ©orie est leur vision de la firme comme « nĆud dâun
ensemble de relations contractuelles entre individus ». Dans ce cadre, la firme « nâest pas un
individu. Câest une fiction lĂ©gale qui sert de point de convergence pour le processus complexe
dans lequel les objectifs conflictuels dâindividus (certains dâentre eux pourraient reprĂ©senter
41
Coriat & Weinstein (1995) associent ce dernier coĂ»t Ă un coĂ»t dâopportunitĂ©.
42
Jensen & Meckling (1976, p. 306).
34
dâautres organisations) sont amenĂ©s Ă lâĂ©quilibre dans un modĂšle de relations contractuelles.
Dans ce sens, le âcomportementâ de la firme est comme le comportement du marchĂ©, câest-Ă -
dire le rĂ©sultat dâun processus dâĂ©quilibre complexe ».
Lâobjectif dâune telle thĂ©orie est alors de dĂ©terminer pour toute relation dâagence la
configuration optimale, autrement dit celle qui permet de minimiser les coĂ»ts dâagence43. On
est donc bien ici dans le cadre dâune approche qui fonde lâexistence de la firme « nĆud de
contrat » Ă partir des problĂšmes dâinformation (notamment lâasymĂ©trie entre principal et
agent)44.
Finalement, quels que soient le statut et la nature de la firme par rapport au marché (substitut,
complément), la plupart des analyses économiques de la firme dans la science économique
moderne convergent sur un point : la firme est largement définie comme un processeur
dâinformation, dont lâexistence peut ĂȘtre expliquĂ©e par les problĂšmes dâimperfection et/ou
dâasymĂ©trie informationnelle et de traitement de lâinformation. Une fois Ă©tabli et expliquĂ© la
genÚse de ce mode de coordination , il nous reste alors à étudier plus avant les procédures de
prise de décision décrites dans la littérature pour pouvoir identifier plus précisément les
différentes dimensions informationnelles des organisations.
La prise de dĂ©cision dans les organisations est certainement un des objets dâĂ©tude qui marque
le plus distinctement lâopposition entre les formalisations des Ă©conomistes dâune part, et celle
des sociologues dâautre part, quand bien mĂȘme les grands auteurs de cette derniĂšre discipline
sont aujourdâhui largement apparentĂ©s Ă ce quâon pourrait appeler une « science Ă©conomique
élargie » pour paraphraser le concept de « théorie standard élargie » de Favereau45.
43
Demsetz (1998, pp. 57-58) affirme que le coĂ»t dâagence nâest pas un problĂšme en soi : « le degrĂ© correct de
dissĂ©mination du capital de la sociĂ©tĂ© et, par implication, la difficultĂ© correcte du problĂšme dâagence, sont
fonction du comportement dâoptimisation tel quâil est supposĂ© par la thĂ©orie nĂ©o-classique » qui arbitre entre
coĂ»t du risque du capital (qui augmente lorsque lâon a un « recours insuffisant aux capacitĂ©s des dirigeants
professionnels » et coĂ»t de surveillance de ces mĂȘmes dirigeants. Selon lui, lâobjectif ultime ne peut donc ĂȘtre en
aucun cas la recherche de coĂ»ts dâagence minimum.
44
MĂȘme si les approches dominantes tendent Ă nier finalement lâexistence dâune organisation appelĂ©e firme
distincte du marché. Comme le précise notamment Coriat & Weinstein (1995), chez Jensen & Meckling « la
firme nâa pas dâexistence vĂ©ritable ».
45
Une bonne illustration en est le prix Nobel accordé à Herbert Simon dont les travaux initiaux concernent
davantage la psychologie et mĂȘme la science politique â cf. un certain nombre de rĂ©fĂ©rences dans Dahl (1957) -
que la science économique au sens strict.
35
A la suite de Gibbons (2003, p. 761), il nous paraßt pertinent pour présenter ce thÚme de partir
de « deux approches polaires » qui sont dâune part la thĂ©orie des Ă©quipes de Marschak &
Radner (1972) et dâautre part la thĂ©orie des « poubelles » (garbage cans) de Cohen, March &
Olsen (1972). Ces deux approches nous permettront de présenter les prolongements respectifs
qui y sont affiliés, le modÚle de Sah & Stiglitz (1986) et les modÚles de traitement
dĂ©centralisĂ©s de lâinformation dâun cĂŽtĂ©, une Ă©tude dĂ©taillĂ©e du rĂŽle de lâinformation dans les
organisations rĂ©elles de lâautre.
2.1/ La théorie des équipes de Marschak & Radner (1972) et ses prolongements
Pour Marschak & Radner (1972, p. 4) « en substance, la thĂ©orie de la dĂ©cision peut ĂȘtre
appelĂ©e science Ă©conomique de lâinformation », ce qui justifie selon nous la place que nous
allons y consacrer dans cette section.
Les auteurs partent du constat que les actions mises en Ćuvre dans les organisations sont
diffĂ©rentes des actions prises par une personne seule (« lâentrepreneur » de la firme du modĂšle
standard par exemple), et ceci Ă cause de deux Ă©lĂ©ments qui sont dâune part lâasymĂ©trie
dâinformation entre membres dâune organisation, dâautre part la divergence dâintĂ©rĂȘt (et de
croyance) entre les entitĂ©s individuelles de lâorganisation et lâorganisation dans son ensemble.
Evacuant dĂšs le dĂ©but de lâanalyse les problĂšmes spĂ©cifiques liĂ©s Ă la divergence dâintĂ©rĂȘt,
Marschak & Radner vont sâintĂ©resser au cas particulier dâune organisation dont les membres
ont les mĂȘmes intĂ©rĂȘts46 mais ne partagent pas la mĂȘme information, et quâils dĂ©finissent sous
le nom « Ă©quipe ». Leur modĂšle est donc fondĂ© sur lâhypothĂšse dâasymĂ©trie informationnelle
et a pour but de dĂ©terminer lâallocation optimale des tĂąches de recherche et de communication
dâinformations entre les membres de lâĂ©quipe.
Il sâagit dâun modĂšle fondĂ© sur la thĂ©orie de la dĂ©cision statistique Ă©laborĂ©e par Von Neumann
& Morgenstern et Savage47 qui procĂšde en deux temps : les quatre premiers chapitres
définissent les concepts centraux de la prise de décision individuelle qui sont étendus dans le
46
En ce qui concerne ces intĂ©rĂȘts, Marschak & Radner (1972, p. 124) prĂ©cisent : « ils sont habituellement
identifiĂ©s par les buts ou mieux, par la hiĂ©rarchie des buts, qui expriment lâordre de prĂ©fĂ©rence parmi les
consĂ©quences des actions. Les intĂ©rĂȘts sont ici dĂ©finis Ă la fois par les goĂ»ts et les croyances ».
47
Dont les grands principes sont rappelĂ©s dans lâannexe 1.
36
reste de lâouvrage Ă la prise de dĂ©cision dâune Ă©quipe. Nous adaptons ici un exemple tirĂ© de
Marschak & Radner (1972, p. 87 et suivantes) qui a lâavantage de prĂ©senter un problĂšme de
dĂ©cision individuel reprenant les concepts clĂ©s de lâanalyse48.
Les données du problÚme consistent donc en une description de quatre éléments qui sont :
- lâensemble X des Ă©tats possibles x de lâenvironnement ;
- la distribution de probabilité sur X ;
- lâensemble A des actions alternatives a ;
- la fonction de paiement.
48
Nous renvoyons Ă lâannexe 2 pour un traitement complet dâun problĂšme dâĂ©quipe, qui reprend lâexemple
fameux des docks dĂ©crit pour la premiĂšre fois dans lâarticle fondateur de Marschak en 1959.
49
Marschak & Radner (1972, p. 45).
37
Elles peuvent ĂȘtre complĂ©tĂ©es par des signaux dâinformation, chacun dâeux ne donnant quâune
description partielle de lâĂ©tat du monde : chaque signal dâinformation y (Ă©lĂ©ment dâun
ensemble Y) correspond Ă un sous-ensemble particulier de lâensemble des Ă©tats X. Lâanalyse
est enrichie par un concept supplĂ©mentaire50, celui de « structure dâinformation », qui est
dĂ©finie comme une partition de lâensemble X des Ă©tats de la nature, certains signaux (ou
symboles) correspondant à des sous-ensembles identifiés de X51. Un point intéressant
concerne lâhypothĂšse selon laquelle cette structure dâinformation reprĂ©sente une mĂ©thode
particuliĂšre dâaccumulation dâinformation. Elles sont dĂ©finies formellement comme suit :
« Soit Y lâensemble des signaux dâinformation alternatifs possibles. Pour chaque Ă©tat de la
nature xâX correspond un signal yâY et une mĂ©thode dâaccumulation dâinformation
particuliĂšre est associĂ©e Ă une fonction η de X dans Y, appelĂ©e structure dâinformation, telle
que y = η(x) ».
Autrement dit, pour une structure dâinformation donnĂ©e η, chaque signal y correspond Ă un
sous-ensemble de x, câest-Ă -dire un ensemble dâĂ©tats x qui vĂ©rifient : η(x) = y.
Il sâen suit que chaque structure dâinformation induit une partition de X en une famille
exhaustive de sous-ensembles mutuellement exclusifs, chaque sous-ensemble étant identifié
par un signal dâinformation particulier52. Lâintroduction de la structure dâinformation modifie
50
Que lâon retrouve en science Ă©conomique de lâinformation avec des sens diffĂ©rents (cf. annexe 1).
51
Marschak & Radner (1972, p. 48) : un signal dâinformation reprĂ©sente un sous-ensemble des Ă©tats de
lâenvironnement. Dans la formulation dâun problĂšme de dĂ©cision, les Ă©tats doivent ĂȘtre dĂ©crits avec
suffisamment de détails pour représenter non seulement les aspects pertinents pour la fonction de paiement, mais
aussi les aspects pertinents sur le type dâinformation sur lequel les dĂ©cisions seraient basĂ©es. Par ailleurs, lorsque
la dĂ©cision est fondĂ©e sur de lâinformation qui nâinfluence pas le paiement, on dira que cette information est du
bruit.
52
Ajoutons Ă cela le concept de « fineness » (que lâon traduit gĂ©nĂ©ralement par « finesse ») de la structure
dâinformation, dĂ©finie par un thĂ©orĂšme p. 57 et suivie dâune remarque intĂ©ressante concernant lâinformation au
sens de Shannon : On dira de deux structures dâinformation η1 et η2, que η1 est aussi fine que η2 si η1 est une
sous-partition de η2, câest-Ă -dire si chaque ensemble de η1 est contenu dans des ensembles de η2. Par exemple
soit X lâensemble de tous les nombres entre 0 et 1, η1 partitionne X en 10 intervalles Ă©gaux, η2 partitionne X en
100 intervalles égaux : η2 est plus fine que η1.
La structure dâinformation la plus fine possible est lâinformation complĂšte, dĂ©finie par : η(x) = {x} pour tout
xâX, dans cette partition, chaque ensemble reprĂ©sente un Ă©tat unique. La structure dâinformation la moins fine
possible est la partition consistant dans lâensemble x lui-mĂȘme. Cette structure dâinformation ne donne aucune
information et une fonction de dĂ©cision basĂ©e sur cette structure est constante, câest-Ă -dire que la mĂȘme action
est prise quel que soit lâĂ©tat x. Ils Ă©tablissent p. 54 le thĂ©orĂšme suivant : « soient η1 et η2 deux structures
dâinformation distinctes ; si η1 est aussi fine que η2, dans ce cas et seulement dans ce cas η1 a au moins autant de
valeur que η2, pour chaque densitĂ© de probabilitĂ© et pour chaque fonction de paiement, câest Ă dire :
⊠* (η1 ; Ï, Ï) ℠⊠* (η2 , Ï, Ï) pour tout Ï et Ï Â».
(pp. 57-58) « Un corollaire intĂ©ressant de ce thĂ©orĂšme est quâil est impossible de dĂ©finir une mesure unique de la
quantitĂ© dâinformation (sans rĂ©fĂ©rence Ă la fonction de paiement) telle que, si une structure dâinformation ajoute
un montant dâinformation plus grand quâune autre, la premiĂšre sera de plus de valeur que la seconde, pour
chaque fonction de paiement. Une mesure de la quantitĂ© dâinformation indĂ©pendante de la fonction de paiement
38
le programme du dĂ©cideur puisque son choix dâaction devient dĂ©pendant de la structure
dâinformation donnĂ©e.
La combinaison dâune structure dâinformation ainsi dĂ©finie avec la rĂšgle de dĂ©cision compte
tenu de cette structure est appelée « forme organisationnelle ».
Un aspect central de leur thĂ©orie est lâintroduction explicite des problĂšmes de coĂ»t et de
valeur de lâinformation. A lâinstar du montant dâinformation de Shannon (1948), le coĂ»t de
lâinformation ne dĂ©pend pas des propriĂ©tĂ©s mathĂ©matiques de lâensemble de signaux Y, ni de
la distribution de probabilité sur cet ensemble. Il dépend par contre de la structure
dâinformation η et de la distribution de probabilitĂ© sur lâensemble X des Ă©tats de la nature.
Cependant, deux systĂšmes de signaux avec les mĂȘmes distributions de probabilitĂ© vont induire
des coĂ»ts diffĂ©rents parce que le coĂ»t en temps passĂ© Ă chercher lâinformation pour le
dĂ©cideur, ou le coĂ»t monĂ©taire payĂ© sur le marchĂ© des services dâinformation, dĂ©pend de
facteurs supplémentaires comme par exemple les positions de négociation relatives des
vendeurs et des acheteurs de tels services. Au final, la valeur dâune structure dâinformation
donnĂ©e, pour les autres utilisateurs de ce type dâinformation comme pour le dĂ©cideur,
influence le coĂ»t dâinformation.
Marschak & Radner (1972, pp. 84-85) proposent une représentation de la fonction de coût en
termes dâutilitĂ© : la fonction de paiement (qui dĂ©pend pour chaque Ă©tat x de la fonction de
dĂ©cision et de la structure dâinformation) devient ainsi une diffĂ©rence entre lâutilitĂ© apportĂ©e
par une prise de dĂ©cision (le paiement consĂ©cutif Ă une action) et lâutilitĂ© Ă laquelle on
renonce (le sacrifice en termes dâutilitĂ© ou coĂ»t dâopportunitĂ©) par ce choix. Ils justifient ce
choix par les avantages méthodologiques que procure cette distinction53.
et dépendante seulement des probabilités des signaux alternatifs y, a été proposée par C. Shannon. Dans le cas
simple oĂč les signaux sont de nombre fini et Ă©quiprobables, la mesure de Shannon est une fonction croissante (le
logarithme) du nombre de signaux. Par exemple, si x est uniformément distribué sur un intervalle X, divisé en n
sous-intervalles Ă©gaux, et si lâinformation y = η(x) consiste Ă dĂ©finir le sous-intervalle dans lequel se trouve le
nombre x, la mesure de Shannon est dâautant plus grande que n est grand. »
Marshak & Radner prĂ©cisent alors que ce classement des structures dâinformation en fonction du nombre de
sous-intervalles ne coĂŻncide pas nĂ©cessairement avec le classement des valeurs de ces structures dâinformation (Ă
ce sujet voir aussi Marschak, 1960).
53
Formellement : Ï
[Ï(x,α[η(x)])] = Ï
[Ï(x,α[η(x)])] - Ï
[Îł(x,α,η)] avec Îł la fonction de coĂ»t et Ï
la fonction
dâutilitĂ©.
39
Pour traiter de la valeur de lâinformation, ils introduisent un certain nombre dâhypothĂšses
complémentaires :
- la variable de revenu est numérique (par exemple le profit)
- la fonction de revenu (net) peut ĂȘtre reprĂ©sentĂ©e par la diffĂ©rence entre un revenu total et le
coût
- le coĂ»t est indĂ©pendant de lâĂ©tat x et de la rĂšgle de dĂ©cision α(η). Câest un nombre (non
alĂ©atoire) qui dĂ©pend seulement de la structure dâinformation. Ils introduisent ainsi le coĂ»t
comme exogĂšne.
- la fonction dâutilitĂ© est continue et strictement croissante (mais pas nĂ©cessairement linĂ©aire)
Soit C le coĂ»t pour une structure dâinformation donnĂ©e. Sachant que lâutilitĂ© espĂ©rĂ©e
maximum qui peut ĂȘtre obtenue Ă partir dâune structure η est donnĂ©e par la solution de:
Dans le cas oĂč il nây a pas dâinformation, le coĂ»t C est supposĂ© nul et lâexpression devient :
La valeur de la structure dâinformation, notĂ©e V(η) est alors dĂ©finie comme Ă©tant la valeur de
C qui égalise (1) et (2).
Dans le cas de fonctions dâutilitĂ© linĂ©aires (hypothĂšse implicite faite par Marschak & Radner
dans la majeure partie de leur ouvrage), on a :
La valeur de lâinformation est simplement Ă la diffĂ©rence entre lâutilitĂ© espĂ©rĂ©e du gain avec
information et lâutilitĂ© espĂ©rĂ©e du gain sans information.
40
c) Une illustration
Soit une situation dans laquelle le dĂ©cideur doit choisir une action parmi cinq, sachant quâil
existe quatre Ă©tats de lâenvironnement possibles. La fonction de revenu associĂ©e Ă chaque
paire (état, action) est donnée et définie dans le tableau suivant :
états
actions 1 2 3 4
1 1 0 -100 -100
2 -100 -100 1 0
3 0,4 -100 0,4 -100
4 -100 0,4 -100 0,4
5 0 0 0 0
Lâagent peut avoir 3 types dâinformations diffĂ©rentes, dĂ©finis par les trois structures
dâinformation ηi (i = 1, 2, 3) suivantes qui donnent le signal associĂ© Ă chaque Ă©tat de la
nature :
1/ η0(x) = 0 quel que soit x
2/ η1(1) = η1(2) = 0
η1(3) = η1(4) = 1
3/ η2(1) = η2(3) = 0
η2(2) = η2(4) = 1
A partir de cette fonction dâutilitĂ© le dĂ©cideur peut calculer les niveaux dâutilitĂ© associĂ©s Ă
chaque couple (Ă©tat de la nature, action). Par exemple, lâaction 1 lui rapporte 1 si lâĂ©tat 1 se
rĂ©alise, soit une utilitĂ© Ï
(1) = 0,5 + 0,2(1 â 0,5) = 0,6.
41
Le tableau ci-dessous synthétise ces résultats :
états
actions 1 2 3 4
1 0,6 0 -100 -100
2 -100 -100 0,6 0
3 0,4 -100 0,4 -100
4 -100 0,4 -100 0,4
5 0 0 0 0
Le dĂ©cideur va alors devoir calculer les gains associĂ©s Ă chaque scĂ©nario câest-Ă -dire chaque
signal quâil peut potentiellement recevoir. Il va ainsi construire pour chaque structure
dâinformation lâespĂ©rance dâutilitĂ© associĂ©e Ă chaque action.
états
actions 1 2 3 4 E(U)
1 0,6 0 -100 -100 -49,85
2 -100 -100 0,6 0 -49,85
3 0,4 -100 0,4 -100 -49,8
4 -100 0,4 -100 0,4 -49,8
5 0 0 0 0 0
La meilleure action, c'est-Ă -dire celle qui maximise lâutilitĂ© espĂ©rĂ©e lorsque lâinformation est
nulle (notĂ©e E(U) dans le tableau ci-dessus), est a = 5 et donne une espĂ©rance dâutilitĂ© nulle
pour la structure dâinformation η0.
La rÚgle de décision associée à la réception du signal 0 sachant η0 est donc α0(y) = α0(0) = 5.
42
Cas 2 : la structure dâinformation est η1
Cette structure peut envoyer deux signaux différents : η1(x) = 0 ou η1(x) = 1
a) η1(x) = 0
On est soit dans lâĂ©tat 1, soit dans lâĂ©tat 2, ce qui permet dâĂ©liminer 3 et 4 comme Ă©tats
possibles. Dans ce cas les probabilitĂ©s de se trouver dans lâun ou lâautre Ă©tat sont Ă©gales Ă Âœ et
on recalcule lâespĂ©rance dâutilitĂ© sachant cette information :
états
actions 1 2 E(U)
1 0,6 0 0,3
2 -100 -100 -100
3 0,4 -100 -49,8
4 -100 0,4 -49,8
5 0 0 0
b) b) η1(x) = 1
On est soit dans lâĂ©tat 3, soit dans lâĂ©tat 4 avec une probabilitĂ© de rĂ©alisation pour chacun des
Ă©tats Ă©gale Ă Âœ .
états
actions 3 4 E(U)
1 -100 -100 -100
2 0,6 0 0,3
3 0,4 -100 -49,8
4 -100 0,4 -49,8
5 0 0 0
43
Cas 3 : la structure dâinformation est η2
Comme dans le cas précédent, le décideur peut recevoir deux signaux différents.
a) η2(x) = 0
On est soit dans lâĂ©tat 1, soit dans lâĂ©tat 3 avec des probabilitĂ©s dâoccurrence respectives de œ.
états
actions 1 3 E(U)
1 0,6 -100 -49,7
2 -100 0,6 -49,7
3 0,4 0,4 0,4
4 -100 -100 -100
5 0 0 0
b) η2(x) = 1
états
actions 2 4 E(U)
1 0 -100 -50
2 -100 0 -50
3 -100 -100 -100
4 0,4 0,4 0,4
5 0 0 0
44
Une fois identifiées les rÚgles de décision associées à chaque signal en fonction des structures
dâinformation, le dĂ©cideur peut alors calculer la matrice des revenus totaux associĂ©s Ă chaque
fonction de décision à partir de la matrice initiale.
Dans la structure η1, si le signal est 0, lâĂ©tat vrai peut ĂȘtre 1 ou 2 et la meilleure dĂ©cision est de
choisir lâaction 1, qui rapporte 1 si lâĂ©tat 1 se rĂ©alise, 0 si lâĂ©tat 2 se rĂ©alise.
De la mĂȘme maniĂšre, si le signal est 1, on est soit dans lâĂ©tat 3, soit dans lâĂ©tat 4. La meilleure
dĂ©cision est de choisir lâaction 2, qui rapporte un gain de 1 si lâon se trouve dans lâĂ©tat 3, de 0
si lâon se trouve dans lâĂ©tat 4.
états
actions 1 2 3 4
1 1 0 -100 -100
2 -100 -100 1 0
3 0,4 -100 0,4 -100
4 -100 0,4 -100 0,4
5 0 0 0 0
Dans la structure η2, si le signal est 0, lâĂ©tat vrai peut ĂȘtre 1 ou 3 et la meilleure dĂ©cision est de
choisir lâaction 3, qui rapporte 0,4 si lâĂ©tat 1 se rĂ©alise et 0,4 si lâĂ©tat 3 se rĂ©alise.
Si le signal est 1, on est soit dans lâĂ©tat 2, soit dans lâĂ©tat 4. La meilleure dĂ©cision est de
choisir lâaction 4, qui gĂ©nĂšre un gain de 0,4 que lâon se trouve dans lâĂ©tat 3 ou dans lâĂ©tat 4.
états
actions 1 2 3 4
1 1 0 -100 -100
2 -100 -100 1 0
3 0,4 -100 0,4 -100
4 -100 0,4 -100 0,4
5 0 0 0 0
On peut ensuite construire le tableau des revenus totaux pour chaque fonction de décision
selon les Ă©tats qui se rĂ©alisent effectivement. Il sâagit en fait dâun tableau synthĂ©tisant le
45
revenu du décideur associé à chaque rÚgle de décision dépendant du signal, donc de la
structure dâinformation. On peut enfin calculer lâutilitĂ© de chaque revenu Ă partir de la
fonction dâutilitĂ© dĂ©finie plus haut.
Le revenu total de la fonction de dĂ©cision α1 si lâĂ©tat 1 se rĂ©alise est 1, or Ï
(1) = 0,5 + 0,2(1-
1/2) = 0,6 puisque r > 0,5.
Si on fait lâhypothĂšse que les 4 Ă©tats sont Ă©quiprobables (chacun ayant une probabilitĂ© Ă©gale Ă
0,25 de se rĂ©aliser), on peut ensuite calculer les espĂ©rances dâutilitĂ© associĂ©es Ă chaque
fonction de décision αi :
EÏ
{Ï(x,α1[η1(x)])} = 0,6(0,25) + 0(0,25) + 0,6(0,25) + 0(0,25) = 0,3
EÏ
{Ï(x,α2[η2(x)])} = 0,4
La question qui se pose ensuite est de dĂ©terminer V(η1) et V(η2) sachant que chacune dâentre
elles est la solution dâune Ă©quation de type (3), avec Ï(x,α[η(x)]) lâexpression du revenu net
et max Ï
[Ï(x,a)] = 0 (on choisit lâaction 5 qui rapporte 0 dans le cas oĂč il nây a pas
dâinformation).
DĂšs lors, V(η1) vĂ©rifie max E{Ï
[Ï(x , α[η1 ( x )]) â V (η1 )]} = 0 (4)
α
La difficulté consiste ici dans le passage du calcul du revenu net (égal au revenu total moins la
valeur de lâinformation) Ă lâutilitĂ© de ce revenu net, telle quâelle est dĂ©finie plus haut.
Supposons que le revenu net est tel que Ï
(revenu net) = revenu net, soit le cas oĂč le revenu net
est inférieur à 0,5. Dans ce cas, V(η1) vérifie (4) et il vient:
46
1
[1 â V (η1 )] + 1 [0 â V(η1 )] + 1 [1 â V(η1 )] + 1 [0 â V(η1 )] = 0
4 4 4 4
1
â [2 â 4V(η1 )] = 0
4
â V(η1 ) = 0,5
A partir de (5), on dĂ©termine de la mĂȘme maniĂšre : V(η2) = 0,4.
En considérant ces valeurs de V(η1) et V(η2), le calcul des revenus nets nous donne à partir
du tableau précédent :
Comme les revenus nets sont infĂ©rieurs ou Ă©gaux Ă 0,5, lâhypothĂšse de dĂ©part selon laquelle
lâutilitĂ© des revenus nets est Ă©gale Ă leur montant respectif est vĂ©rifiĂ©e ici et on peut retenir ces
valeurs comme les vraies valeurs des deux structures dâinformation, si bien que lâon conclue
V(η1) > V(η2).
Si on avait utilisĂ© V (η) = max E{Μ[Ï(x , α[η( x ) ])]} â max E{Μ[Ï( x , a )]}, les rĂ©sultats auraient
α a
Marschak & Radner expliquent cela par le fait que dâune part la fonction de dĂ©cision α1 induit
une fonction de distribution des revenus plus risquĂ©e (risque de perte), dâautre part la fonction
dâutilitĂ© (non linĂ©aire) exprime une aversion pour le risque.
Dâun autre cĂŽtĂ©, lâutilitĂ© maximum possible du revenu total associĂ©e à α1 est supĂ©rieure Ă
celle associée à α2 (0,6 > 0,4). La soustraction des coûts fait baisser le revenu net dans une
47
zone oĂč la fonction dâutilitĂ© est linĂ©aire (Ï
(revenu) = revenu), ce qui correspond Ă une
situation de neutralitĂ© Ă lâĂ©gard du risque et cela suffit dans cet exemple Ă inverser le
classement des deux structures dâinformation.
il sâagit de choisir la forme organisationnelle (η,α) qui maximise le gain net espĂ©rĂ© âŠ*(η,α)
qui peut ĂȘtre Ă©crit :
âŠ*(η,α ;Ï,Îł,Ï,Ï
) = E{Ï
[Ï(x,α[η(x)]) - Îł(x,η)]}
soit dans le cas dâune fonction dâutilitĂ© linĂ©aire :
âŠ*(η,α) = E{Ï( x , α[η( x )])} â E[Îł ( x , η)] (6)
Marschak & Radner (1972, p. 124) déterminent la prise de décision en équipe à partir des
caractĂ©ristiques de la prise de dĂ©cision individuelle. Dans la mesure oĂč chaque membre (de
lâĂ©quipe) dĂ©cide dâune action diffĂ©rente basĂ©e en gĂ©nĂ©ral sur des informations hĂ©tĂ©rogĂšnes,
« si on se trouve en prĂ©sence de n membres, la structure dâinformation et la rĂšgle de dĂ©cision
de lâĂ©quipe va consister en n structures dâinformation et n rĂšgles de dĂ©cision. Le problĂšme est
alors de choisir la paire de n-uplets qui sert au mieux les intĂ©rĂȘts bien dĂ©finis de lâĂ©quipe ».
Le produit joint de toutes les combinaisons dâactions des membres de lâĂ©quipe va ĂȘtre associĂ©
avec une utilitĂ© commune Ă tous les membres, appelĂ©e « lâutilitĂ© de lâĂ©quipe ». Par ailleurs,
chaque Ă©vĂ©nement non influencĂ© par leurs actions sera associĂ© Ă une mĂȘme probabilitĂ© pour
tous. Sur cette base, le problĂšme de lâĂ©quipe est alors de choisir simultanĂ©ment la structure
48
dâinformation de lâĂ©quipe et la rĂšgle de dĂ©cision de lâĂ©quipe qui constituent la forme
organisationnelle de lâĂ©quipe. Dans ce cadre, la tĂąche de lâorganisateur est dâesquisser les
rĂšgles dâinformation et de dĂ©cision qui servent au mieux les intĂ©rĂȘts de lâorganisation, en
faisant lâhypothĂšse que les agents obĂ©iront aux rĂšgles. Le problĂšme des incitations est ici
négligé.
Dans une équipe de n membres, le membre i (i = 1, ⊠,n) choisit une action ai parmi un
ensemble dâactions quâil peut rĂ©aliser Ai.
On peut conserver la fonction de gain total retenue dans le cas dâune seule personne, Ă savoir
u = Ï(x, a1, a2, âŠ) avec :
- u lâutilitĂ© de lâĂ©quipe ;
- x lâĂ©tat du monde, Ă©lĂ©ment de lâensemble X sur lequel est dĂ©finie une mesure de
probabilitĂ© subjective notĂ©e Ï et qui caractĂ©rise maintenant les croyances de lâĂ©quipe ;
- ai décrit la variable action contrÎlée par le iÚme membre, associée à son ensemble
dâactions rĂ©alisables par lui notĂ© Ai. Lâaction ai peut elle-mĂȘme ĂȘtre un m-uplet de
plusieurs variables distinctes, toutes contrÎlées par le membre i.
comme mesure de lâinteraction entre les membres de lâĂ©quipe (cette quantitĂ© nâest pas en
général constante mais dépend de ai et aj ainsi que de x).
Le iĂšme membre dâune Ă©quipe quelconque choisit une action ai sur la base de son information
yi. Il y a donc n fonctions de décision α1, ⊠,αn et ai = αi(yi). Le n-uplet de fonctions de
dĂ©cision peut ĂȘtre notĂ© α = (α1, ⊠,αn) et est appelĂ© la rĂšgle de dĂ©cision de lâĂ©quipe.
49
Soient a = (a1, ⊠,an) lâaction jointe des membres de lâĂ©quipe, y = (y1, ⊠,yn) leur information
jointe ; lâĂ©quation a = α(y) peut ĂȘtre conservĂ©e avec une interprĂ©tation appropriĂ©e dans le
cadre de lâĂ©quipe.
Par ailleurs, la variable dâinformation yi du iĂšme membre de lâĂ©quipe est reliĂ©e Ă lâĂ©tat x par la
fonction ηi de telle sorte que : yi = ηi(x). A lâinstar de ce qui a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© dans un contexte
de dĂ©cision individuelle, le n-uplet η = (η1, ⊠,ηn) est alors appelĂ© structure dâinformation de
lâĂ©quipe et a = α[η(x)].
Le gain total espĂ©rĂ© est E(u) = âŠ(η,α) = E{Ï(x,α[η(x)])} et le gain total espĂ©rĂ© maximum
dâune Ă©quipe, sachant sa structure dâinformation η= (η1, ⊠,ηn) est le produit de la
maximisation du gain total espéré en fonction de la rÚgle de décision α :
50
dĂ©cision54. On appelle finalement le coĂ»t organisationnel lâensemble des coĂ»ts relatifs Ă la
dĂ©cision et Ă lâinformation. Par ailleurs, lâinformation dĂ©tenue par lâĂ©quipe est dite centralisĂ©e
ou dĂ©centralisĂ©e, en fonction du fait que ses membres ont ou pas la mĂȘme structure
dâinformation.
DĂšs lors, le problĂšme de lâorganisateur dâune Ă©quipe sera, lorsque la fonction dâutilitĂ©
monétaire est linéaire, de maximiser par rapport à α et η, le gain net espéré :
Par hypothĂšse, il y a une correspondance entre les actions ai et les Ă©tats xk dans le sens oĂč le
coĂ»t cik associĂ© Ă lâobservation de la kiĂšme variable par le iĂšme membre est prohibitif lorsque i
est différent de k (et acceptable lorsque i = k). Cela revient à dire que le iÚme membre est le
seul spĂ©cialiste de la iĂšme variable. Chaque autre membre ne peut obtenir lâinformation sur
cette variable quâen communiquant indirectement ou directement avec le iĂšme membre. Cette
hypothĂšse, appelĂ©e « co-spĂ©cialisation » (de lâaction et lâobservation) permet dâexclure un
certain nombre de structures dâinformation moins profitables.
Soit par exemple une équipe composée de deux personnes dans un environnement à deux
Ă©tats. Cela correspond Ă 16 structures dâinformation possibles si on applique la notation
matricielle suivante :
ïŁ±0 si le membre i nâobserve pas xk
ηik = ïŁČ
ïŁł1 si le membre i observe xk
DĂšs lors, chaque individu peut se trouver en situation de prise de dĂ©cision dans lâune des
quatre structures dâinformation suivantes :
54
Dont lâĂ©tude nâest pas menĂ©e par les auteurs : « elle nous mĂšnerait en effet vers lâĂ©conomie de la division du
travail et les avantages et inconvénients de la spécialisation de chaque tùche » (pp. 126-128). Cela constitue le
programme de recherche menĂ© dâabord par Radner (1993), Bolton & Dewatripont (1994) et prolongĂ© par Radner
(1997) et Van Zandt (1999).
51
[00] : il nâobserve ni x1, ni x2
[10] : il observe x1 mais pas x2
[01] : il nâobserve pas x1 mais il observe x2
[11] : il observe x1 et x2
Sous lâhypothĂšse de co-spĂ©cialisation, on Ă©limine les paires pour lesquelles au moins un des
deux agents observe le signal dont il nâest pas spĂ©cialiste (notĂ©es E dans le tableau ci-
dessous), câest-Ă -dire les cas oĂč lâagent 1 observe x2 mais pas lâagent 2, lâagent 2 observe x1
mais pas lâagent 1.
Agent 1
[00] [10] [01] [11]
[00] E E
Agent [01]
2 [10] E E E
[11] E E
52
Par hypothÚse, la communication va du spécialiste vers le non-spécialiste et un agent qui
observe les deux signaux est considĂ©rĂ© comme un spĂ©cialiste qui a Ă©tĂ© informĂ© par lâautre
agent de la valeur du signal supplĂ©mentaire. Câest le cas de figure reprĂ©sentĂ© notamment dans
la derniĂšre ligne du tableau.
Finalement, la thĂ©orie des Ă©quipes traite du calcul dâun ensemble de rĂšgles de dĂ©cision telles
que lâorganisation dans son ensemble maximise son gain espĂ©rĂ©. Marschak & Radner sont
parmi les premiers auteurs Ă avoir abordĂ© de front le coĂ»t et la valeur55 de lâinformation,
mĂȘme si le premier est exogĂšne au modĂšle et la seconde dĂ©terminĂ©e largement par une
structure dâinformation donnĂ©e. Par ailleurs, cette thĂ©orie est lâarchĂ©type de la firme
processeur dâinformation qui propose une vision trĂšs mĂ©canique de la prise de dĂ©cision,
notamment parce que ses membres jouent parfaitement le jeu de lâorganisation.
Lâorganisation est ici vide de toute tricherie, de mensonge, de toute stratĂ©gie individuelle qui
pourrait sâeffectuer aux dĂ©pens de lâintĂ©rĂȘt collectif (Gibbons, 2003). Une des applications les
plus fameuses du cadre original fixé par Marschak & Radner (1972) est le développement de
Sah & Stiglitz (1986) sur la distinction entre deux types de configurations organisationnelles.
Leur objectif est dâapprĂ©hender la relation entre la performance dâun systĂšme Ă©conomique et
certains aspects de sa structure, qui font référence à son « architecture », qui décrit la maniÚre
dont les unitĂ©s de prise de dĂ©cision sont « arrangĂ©es ensemble dans un systĂšme », câest-Ă -dire
la maniĂšre dont la capacitĂ© et lâautoritĂ© de la prise de dĂ©cision sont distribuĂ©es au sein du
systÚme, qui collecte quelle information et qui communique quoi à qui. Ils étudient
spĂ©cifiquement deux types dâarchitecture qui sont la hiĂ©rarchie et la polyarchie56 Ă partir dâun
55
Le problĂšme de la valeur de lâinformation est rĂ©current et a donnĂ© lieu Ă de nombreux dĂ©bats, dont celui entre
Lea (1973) et Mock (1973) ou encore la discussion plus théorique de Radner & Stiglitz (1984) par Chade &
Schlee (2002). Dans le cadre de la thĂ©orie de la dĂ©cision, depuis lâouvrage Ă©ditĂ© par Mc Guire & Radner (1972),
assez peu dâauteurs ont traitĂ© spĂ©cifiquement de ce problĂšme, parmi lesquels Samson et al. (1989), Gilboa &
Lehrer (1991), Sulganik & Zilcha (1997), et Eckwert & Zilcha (2003). Une synthÚse a par ailleurs été réalisée
par Lawrence (1999).
56
La polyarchie est un systÚme dans lequel il y a plusieurs décideurs (éventuellement en concurrence) pouvant
soutenir des idĂ©es ou des projets indĂ©pendamment les uns des autres. Cette structure est reprĂ©sentative dâune
Ă©conomie « orientĂ©e vers le marchĂ© ». La hiĂ©rarchie est un systĂšme dans lequel lâautoritĂ© de prise de dĂ©cision est
plus concentrée : seuls quelques individus peuvent soutenir des projets avec le soutien (logistique) des autres.
Cette structure est quant Ă elle plutĂŽt reprĂ©sentative dâune Ă©conomie « orientĂ©e vers la bureaucratie » (Sah &
Stiglitz, 1986, p. 716).
53
critÚre de performance qui est la qualité de la prise de décision, orientée vers la sélection de
nouveaux projets.
Le raisonnement est menĂ© dans un contexte de rationalitĂ© limitĂ©e, câest-Ă -dire que les agents
économiques sont supposés avoir une capacité limitée à recueillir, absorber et traiter
lâinformation dans un laps de temps donnĂ©. Cela implique que la procĂ©dure de tri des projets
(entre les bons et les mauvais)57 est imparfaite et quâelle va dĂ©pendre de lâarchitecture du
systÚme qui va déterminer les conditions sous lesquelles un projet est sélectionné.
Lâarchitecture du systĂšme va donc impacter lâoutput.
La tĂąche des individus au sein de lâorganisation est dâĂ©valuer les projets. La communication
entre agents ne se fait que sur la base du jugement de lâĂ©valuateur qui est « bon » ou
« mauvais » au regard du projet considĂ©rĂ©. En dâautres termes, la communication consiste Ă
annoncer si le projet doit ĂȘtre acceptĂ© ou refusĂ©.
a) La polyarchie est constituée de deux firmes qui évaluent le projet séparément. On peut par
exemple imaginer que les projets arrivent de maniÚre aléatoire (avec une probabilité de
rĂ©alisation Ă©gale Ă 1/2) dans lâune ou lâautre des deux firmes. Si un projet est acceptĂ© par
la premiĂšre firme, il nâest plus disponible pour la seconde, sâil est rejetĂ© dans la premiĂšre,
il est transmis dans la seconde. Aucune firme ne peut évaluer un projet deux fois, si bien
quâil nây a pas de mouvement de va-et-vient entre firmes.
Le portefeuille de projets ainsi sélectionné dans une polyarchie consiste donc dans les projets
acceptĂ©s sĂ©parĂ©ment par lâune des deux firmes. La premiĂšre firme accepte le projet avec une
probabilité p(x) et le rejette avec une probabilité (1 - p(x)). Dans ce dernier cas, la seconde
firme lâaccepte avec la probabilitĂ© p(x) si bien que la probabilitĂ© totale quâun projet soit
accepté est p(x) + (1 - p(x))p(x) = p(x)[2 - p(x)].
b) La hiĂ©rarchie est constituĂ©e de deux bureaux. Tous les projets sont dâabord examinĂ©s dans
le bureau le plus bas (dans la hiérarchie) et ceux qui sont acceptés sont transmis dans le
57
Parmi les autres hypothÚses du modÚle, notons que chaque projet a un gain net x qui est positif ou négatif, il
nây a pas dâexternalitĂ© entre projets, il nây a pas de restriction quant au nombre de projets qui peuvent ĂȘtre
soutenus.
54
bureau plus élevé, les autres étant écartés. Les projets finalement sélectionnés sont ceux
qui lâont Ă©tĂ© par le bureau le plus Ă©levĂ©.
Le premier bureau accepte le projet avec une probabilité p(x) et le rejette avec une probabilité
(1 - p(x)). Dans le premier cas, la probabilitĂ© que le second bureau lâaccepte est p(x) si bien
que la probabilitĂ© totale quâun projet soit acceptĂ© est p(x)p(x) = [p(x)]2. Dans le second cas, le
projet nâest pas transmis au second bureau pour Ă©valuation.
Finalement, « par analogie avec la conception des circuits électriques, les évaluateurs sont
placĂ©s en sĂ©rie dans une hiĂ©rarchie alors quâils sont placĂ©s en parallĂšle dans une
polyarchie. »58
Les auteurs font dâabord un certain nombre de propositions relatives aux caractĂ©ristiques
statistiques des deux systĂšmes avec comme rĂ©sultat important le fait quâune polyarchie
sĂ©lectionne une proportion plus grande des projets disponibles quâune hiĂ©rarchie. Cela a pour
conséquence le fait que le risque de premiÚre espÚce (la probabilité de rejeter à tort le bon
projet) est prĂ©dominant pour les hiĂ©rarchies alors que dans les polyarchies, câest le risque de
deuxiĂšme espĂšce, câest-Ă -dire la probabilitĂ© dâaccepter Ă tort les mauvais projets.
Ils comparent ensuite les niveaux de profit respectifs dans le cas oĂč chaque structure doit
Ă©valuer deux projets. Ce cas simple est retenu dans la mesure oĂč il permet de caractĂ©riser
complĂštement les conditions sous lesquelles lâoutput attendu dans une hiĂ©rarchie est supĂ©rieur
Ă celui qui serait obtenu dans une polyarchie.
Le portefeuille initial est caractérisé par trois éléments qui sont a) le rendement des bons
projets z1 > 0, b) le rendement des mauvais projets âz2 < 0 et c) la proportion de bons projets
notée α.
La fonction de sélection est quant à elle caractérisée par deux probabilités qui sont a) la
probabilitĂ© quâun bon projet soit acceptĂ© p1 = p(z1), b) la probabilitĂ© quâun mauvais projet soit
accepté p2 = p(-z2).
58
Sah & Stiglitz (1986, p. 718).
55
Soit YP lâoutput de la polyarchie. On a vu plus haut que la probabilitĂ© de choisir un projet x
est p(x)[2-p(x)], or il existe deux types de projets, les bons (en proportion α) et les mauvais
(en proportion (1-α). Lâoutput de la polyarchie est donc Ă©gal Ă :
= 2z 1αp1 â 2z1αp12 â 2z 2 (1 â α ) p 2 + 2z 2 (1 â α ) p 22
â âY = 2z1αp1 (1 â p1 ) â 2z 2 (1 â α)p 2 (1 â p 2 ) (11)
z1α
Soit a = un indicateur de la « qualité du portefeuille initial ». On peut faire
z 2 (1 â α)
apparaĂźtre cet indicateur dans la formule ci-dessus59 et il vient :
âY = Y P â Y H
= a 2z 2 (1 â α ) p1 (1 â p1 ) â 2z 2 (1 â α )p 2 (1 â p 2 )
â âY = 2z 2 (1 â α )[ap1 (1 â p1 ) â p 2 (1 â p 2 )] (12)
59
En remarquant juste que :
ïŁź z 1α ïŁč .
2z 1 αp 1 (1 â p 1 ) = ïŁŻ ïŁș 2z 2 (1 â α ) p 1 (1 â p 1 ) = a 2z 2 (1 â α ) p 1 (1 â p 1 )
ïŁ° z 2 (1 â α ) ïŁ»
56
Une amélioration de la qualité du portefeuille initial (une augmentation de a) va venir réduire
la performance relative de la polyarchie comparativement Ă la hiĂ©rarchie : lâavantage relatif de
la hiérarchie est ainsi dans sa capacité (relativement) supérieure à rejeter les mauvais projets
alors que celui de la polyarchie réside dans sa capacité supérieure à accepter les bons projets.
Si le portefeuille initial sâamĂ©liore, cela se fait Ă lâavantage de la polyarchie. Si au contraire il
dĂ©cline en qualitĂ©, câest la hiĂ©rarchie qui en tire avantage en termes de performance.
Gibbons (2003, pp. 761-763) propose une interprétation de ce modÚle en termes de théorie
des équipes en considérant la hiérarchie et la polyarchie comme formes organisationnelles
représentatives de la prise de décision dans une firme. Les unités décisionnelles rendent
compte Ă un « centre » Ă partir de lâobservation de signaux sur la qualitĂ© des projets et
supportent un coĂ»t dâacceptation des projets. Le choix de la forme organisationnelle optimale
va dĂ©pendre uniquement des pertes associĂ©es aux deux types dâerreurs identifiĂ©s par Sah &
Stiglitz : dans le cas oĂč la perte engendrĂ©e par lâacceptation dâun mauvais projet est forte, la
structure hiĂ©rarchique est prĂ©fĂ©rable Ă la structure polyarchique, dans le cas oĂč la perte
consĂ©cutive Ă lâĂ©viction dâun bon projet est grande, câest lâinverse.
Par ailleurs, mĂȘme si lâinformation reçue par les dĂ©cideurs est exogĂšne, il y a quand mĂȘme
transmission dâinformation dans la structure : « lâarchitecture du systĂšme Ă©conomique charrie
lui-mĂȘme de lâinformation Ă ses composantes, qui lâutilisent pour prendre des dĂ©cisions. Dans
lâanalyse de la polyarchie par exemple, dans laquelle les firmes ne partagent pas
dâinformation les unes avec les autres, chaque firme sait que quelques-uns des projets quâelle
reçoit sont ceux ayant Ă©tĂ© rejetĂ© par lâautre et par consĂ©quent le portefeuille de projets auquel
une firme fait face nâest pas une rĂ©plique exacte du portefeuille initial mais a Ă©tĂ© modifiĂ© par
lâautre firme. Cette information implicite est partiellement utilisĂ©e pour dĂ©terminer les
niveaux de rĂ©servation optimaux »60, câest-Ă -dire les seuils minimum de profit attendus qui
dĂ©clenchent lâacceptation dâun projet lorsque les dĂ©cideurs observent un signal sur la qualitĂ©
du projet. Cette transmission dâinformation a pour consĂ©quence le fait que la polyarchie va
avoir un niveau de réservation supérieur à celui de la hiérarchie.
60
Sah & Stiglitz (1986, p. 725).
57
Cependant, les processus de collecte, communication et traitement de lâinformation et leurs
coûts éventuels61 ne sont pas pris en compte explicitement dans le modÚle de Sah & Stiglitz.
De plus, aucune rĂšgle optimale pour lâorganisateur de la structure (au sens de Marschak &
Radner) nâest dĂ©duite des rĂšgles de dĂ©cision individuelles (accepter ou rejeter le projet qui est
analysĂ©), sachant lâinformation et les actions rĂ©alisables de chaque membre de la structure.
Cette tentative dâutilisation des fondamentaux de la thĂ©orie des Ă©quipes pour comparer
diffĂ©rents types de configuration structurale va ĂȘtre complĂ©tĂ©e dans un autre champ par des
travaux portant sur les conditions dâefficience des hiĂ©rarchies.
Depuis le dĂ©but des annĂ©es 1990, notamment sous lâimpulsion de Radner (1992, 1993, 1997)
et Van Zandt (1995, 1999), des travaux se sont développés sur le traitement décentralisé de
lâinformation. Ils sont fondĂ©s sur des modĂšles dans lesquels diffĂ©rents agents observent des
informations hétérogÚnes et communiquent des sous-ensembles de cette information par voie
hiĂ©rarchique jusquâĂ un agent unique qui prend les dĂ©cisions. Il sâagit dâĂ©tudier plus
précisément quelles sont les structures optimales en termes de délais et de montrer en quoi les
structures hiérarchiques sont efficaces dans la décentralisation des activités de traitement de
lâinformation.
Dans leurs travaux concernant les structures hiérarchiques pyramidales, Keren & Levhari
(1979, 1983) ont examinĂ© la relation entre le nombre optimal dâagents, le nombre optimal de
niveaux et le montant dâinformation Ă traiter dans le cas oĂč les agents de mĂȘme niveau
hiĂ©rarchique traitent et communiquent le mĂȘme niveau dâinformation.
Soit une organisation qui veut traiter N informations et communiquer les résultats du
processus à un décideur avec un délai minimum. A chaque moment les agents traitent des
informations ou communiquent des rĂ©sultats (ils ne peuvent pas faire les deux en mĂȘme
temps), ce qui correspond Ă une hypothĂšse de division des tĂąches. Pendant la phase de
communication, le transmetteur utilise une unité de temps et le receveur également. On
61
Bolton & Dewatripont (1994, p. 812) comme Sah & Stiglitz (1986) supposent « implicitement » que
lâinformation est coĂ»teuse.
58
suppose enfin que les agents au mĂȘme niveau hiĂ©rarchique effectuent le mĂȘme nombre
dâactivitĂ©s, ce qui correspond Ă la dĂ©finition de la hiĂ©rarchie pyramidale dans laquelle Ă
chaque niveau, les agents ont le mĂȘme nombre de subordonnĂ©s (Bolton & Dewatripont, 1994,
p. 812).
Si le dĂ©cideur Ă©value seul tous les projets, il va y consacrer N unitĂ©s de temps. Sâil emploie
deux agents qui évaluent chacun la moitié des projets, cela prendra N/2 unités pour traiter
lâinformation plus 2 unitĂ©s pour la transmettre. Le temps de la prise de dĂ©cision est alors
ramené à N/2 + 2 unités de temps (une pour les émetteurs qui sont en parallÚle, une pour le
rĂ©cepteur) avec N/2 + 2 < N sâil y a plus de 3 projets.
Le traitement parallÚle, consistant pour le décideur à embaucher des agents qui vont traiter
simultanĂ©ment lâinformation, peut ainsi rĂ©duire le temps nĂ©cessaire Ă lâĂ©valuation des projets
quand bien mĂȘme on doit y ajouter le temps de communication. La rĂ©duction des dĂ©lais de
temps avant la prise de dĂ©cision fournit donc une raison dâadopter une forme
organisationnelle hiérarchique avec traitement parallÚle des informations.
Borland et Eichberger (1998) donnent un exemple dâune structure pyramidale oĂč il faut traiter
8 informations62 avec 3 niveaux hiérarchiques et deux activités (projets) gérées par agent.
Cette structure est représentée ci-dessous :
NIVEAU 3
NIVEAU 2
NIVEAU 1
Les cercles pleins correspondent aux agents et les cercles vides correspondent aux unités
dâinformation.
62
On peut Ă©galement les nommer « projets » si lâon garde le mĂȘme type de contexte que celui du modĂšle de Sah
& Stiglitz présenté plus haut.
59
Lâobjectif est donc de traiter et de communiquer lâinformation au dĂ©cideur de niveau 3.
Au premier niveau, le traitement prend 2 périodes, la communication au niveau 2 encore deux
périodes et la communication au niveau 3 également 2 périodes : finalement, il faut 6 périodes
pour faire remonter lâinformation traitĂ©e au dĂ©cideur.
Si lâon considĂšre la structure pyramidale donnĂ©e, il est intĂ©ressant de savoir quel est le
nombre optimal de niveaux hiérarchiques pour traiter N projets et informer le décideur. En
général, si chaque agent dépense x unités de temps pour communiquer ou traiter x
informations, dans la mesure oĂč les agents de mĂȘme niveau travaillent en parallĂšle, le temps
total pour traiter et communiquer les informations est T = xy = (N1/2)y, avec y le nombre de
niveaux hiérarchiques63.
Une autre maniÚre de procéder consiste à considérer non pas la minimisation du temps mais la
minimisation des coûts de la ressource.
Le nombre total dâagents actifs dans une hiĂ©rarchie avec y niveaux et oĂč les agents effectuent
x activités est égale à la somme des agents à chaque niveau, ce qui revient à écrire65 :
63
Dans une structure pyramidale Ă y niveaux, le nombre de tĂąches Ă effectuer pour tous les agents est le mĂȘme et
comme ils travaillent en parallĂšle on a xy = N â x = N1/y.
64
Cf. annexe 3 pour la démonstration de ce résultat.
65
A partir de N = xy â y(N,x) = ln(N)/ln(x).
60
Dans le cas dâun coĂ»t constant par agent (un salaire fixĂ©), on minimise cette expression en
rendant x aussi grand que possible et dans le cas oĂč x = N, le coĂ»t est minimum. Si lâon
introduit en plus des coĂ»ts supplĂ©mentaires associĂ©s Ă lâaugmentation des tĂąches traitĂ©es par
un agent (ce qui revient Ă supposer que lâaugmentation des tĂąches nuit Ă la qualitĂ© des tĂąches
traitĂ©es), on peut en tirer un autre structure optimale. Ainsi, dans le cas dâun coĂ»t marginal
constant c (pour lâaugmentation du nombre de tĂąches) et dâun salaire w pour chaque agent, le
coĂ»t total pour lâorganisation est Ă©gal Ă :
a) HypothĂšses du modĂšle
Radner (1993) prolonge de maniĂšre plus formelle son article de 1992 introduisant
« lâĂ©conomie du management » en le dĂ©finissant comme un article « aux frontiĂšres de la
science Ă©conomique et de lâinformatique qui sont deux disciplines naturellement concernĂ©es
par les problĂšmes de traitement dâinformation »66. Il sâagit Ă©galement pour lui de montrer en
quoi les structures hiérarchiques sont efficaces dans la décentralisation des activités de
traitement de lâinformation. Ayant identifiĂ© les diffĂ©rentes dimensions coĂ»teuses du traitement
dâinformation67, il formule deux hypothĂšses fortes :
66
Radner (1993, p. 1109).
67
Radner (1993, p. 1111) : « Divers aspects du traitement de lâinformation sont coĂ»teux et doivent donc ĂȘtre
Ă©conomisĂ©s : lâobservation des donnĂ©es sur lâenvironnement, les capacitĂ©s et nombre de processeurs individuels,
le réseau de communication qui transmet et aiguille les données (à la fois initiales et partiellement traitées) parmi
les processeurs, et le dĂ©lai entre lâobservation des donnĂ©es et la mise en Ćuvre des dĂ©cisions. Le dernier aspect
(dĂ©lai) est coĂ»teux dans la mesure oĂč les dĂ©cisions diffĂ©rĂ©es sont obsolĂštes ».
61
- le coĂ»t de communication est supposĂ© nul : si cela nâĂ©tait pas le cas, il nây aurait pas
de problĂšme de surcharge dâinformation
- les donnĂ©es sur lâenvironnement sont exogĂšnes
Radner définit une hiérarchie qui est simplement un « arbre »69 ordonné (rangé). Il précise
également que les hiérarchies ainsi définies et représentées par des arbres « ressemblent à des
68
Radner (1993, p. 1112).
69
Selon Radner (1993, p. 1115), un arbre est dĂ©fini comme « une collection dâobjets reliĂ©s par une relation » qui
est ici âsupĂ©rieur Ă â, cette relation ayant les propriĂ©tĂ©s suivantes :
- transitivité ;
- antisymĂ©trie : si A est supĂ©rieur Ă B alors B nâest pas supĂ©rieur Ă A (B est subordonnĂ© Ă A) ;
- il y a exactement un objet, la racine, qui est supérieur à tous les autres objets.
A est dit « supĂ©rieur immĂ©diat Ă B » sâil nây a pas dâobjet entre A et B dans la relation. Cette dĂ©finition amĂšne la
quatriÚme propriété requise pour un arbre : excepté pour la racine, chaque objet a exactement un supérieur
immĂ©diat. Enfin, « lâordonnancement » dâun arbre consiste Ă assigner Ă chaque objet un nombre ou un rang tel
que : si A est supĂ©rieur Ă B, alors il Ă un rang plus Ă©levĂ©, si A et B ont le mĂȘme rang, ils ne sont pas comparables
câest-Ă -dire que A nâest pas plus supĂ©rieur Ă B que B nâest supĂ©rieur Ă A.
62
organigrammes dâorganisation ». Si on les interprĂšte comme cela, la relation « supĂ©rieur à »
est simplement la relation dâautoritĂ© formelle existant dans une organisation. Cependant il
prĂ©cise Ă©galement que « les rĂ©seaux efficients pour le traitement de lâinformation ne
coĂŻncident pas nĂ©cessairement avec les hiĂ©rarchies de lâautoritĂ© ».
Le principe de sa programmation peut ĂȘtre rĂ©sumĂ© Ă partir du rĂ©seau hiĂ©rarchique Ă 15
processeurs, organisés sur 4 niveaux (rangs), traitant au total 40 données. Ce réseau est
représenté sur le graphique suivant tiré de Radner (1993, p. 1116).
NIVEAU 4
NIVEAU 3
NIVEAU 2
NIVEAU 1
Les liens joignant les processeurs doivent ĂȘtre compris comme pointant vers le haut si bien
que chaque processeur est le supĂ©rieur immĂ©diat dâun autre sâil y a un lien direct pointant du
second vers le premier.
En utilisant une méthode similaire à celle utilisée plus haut, exception faite des coûts de
communication qui sont supposés nuls, il faut donc70 :
70
Radner (1993, p. 1117) précise le fonctionnement de son programme : « Les 40 données sont initialement
assignĂ©es Ă©quitablement aux processeurs du niveau le plus faible (rang 1). Câest indiquĂ© sur la figure par les 5
lignes qui vont chacune dans chacun des 8 processeurs de rang le plus faible. Le calcul commence avec chacun
des processeurs du premier niveau qui ajoute ses données sur son registre. A la fin du 5Úme cycle chaque
processeur de premier niveau envoie sa somme partielle vers son supérieur immédiat au second niveau. Chaque
processeur de second niveau ajoute ses données (5+5) en deux cycles et transmet sa somme partielle à son
supérieur immédiat de 3Úme niveau etc⊠».
63
- 2X1 = 2 cycles au processeur unique de niveau 4 pour enregistrer ses données et
calculer la somme totale
Le total est de 11 cycles donc on peut dire que la racine (processeur du 4Ăšme niveau) calcule le
total des 40 données avec un délai de 11 (le nombre de cycles).
La recherche de la structure efficiente est un problĂšme dâarbitrage entre le dĂ©lai et le nombre
de processeurs, qui correspond Ă un arbitrage entre un traitement en sĂ©rie ou en parallĂšle dĂ©jĂ
Ă©voquĂ© par Sah & Stiglitz (1986). Il va alors montrer quâil est possible, Ă partir de la structure
représentée plus haut, de réduire à la fois le nombre total de processeurs et le délai.
Cette réduction est menée par étapes qui va augmenter progressivement le nombre de tùches
effectuées simultanément, par opposition au mode de traitement de la structure initiale qui est
sĂ©quentiel (un agent de rang supĂ©rieur ne peut traiter lui-mĂȘme les informations ascendantes
quâune fois quâelles ont Ă©tĂ© traitĂ©es au niveau infĂ©rieur). Si on remplace les 5 donnĂ©es du
graphique précédent par un triangle la figure devient :
64
Etape 1 : on élimine un membre de chaque cadre71 au niveau 1 et on transmet les données
quâil devait normalement traiter Ă son supĂ©rieur immĂ©diat correspondant.
Quatre processeurs ont donc Ă©tĂ© Ă©liminĂ©s Ă lâĂ©tape 1, ramenant le nombre total de processeurs
Ă 11.
Si on sâintĂ©resse maintenant au nombre de cycles, au total, il faut donc :
71
Le cadre Ă©tant dĂ©fini par « lâensemble de tous les subordonnĂ©s immĂ©diats » dâun mĂȘme processeur (Radner,
1993, p. 1119).
65
Deux processeurs ont donc Ă©tĂ© Ă©liminĂ©s Ă lâĂ©tape 2, ramenant le nombre total de processeurs Ă
9.
Si on sâintĂ©resse maintenant au nombre de cycles, au total, il faut donc :
- 5X1 = 5 cycles Ă chaque processeur de niveau 1, de niveau 2 et de niveau 3 pour
enregistrer ses 5 données et transmettre sa somme partielle,
- 1X1 = 1 cycle supplémentaire à chaque processeur de niveau 2 pour enregistrer les
données de son subordonné et transmettre sa somme partielle,
- 2X1 = 2 cycles supplémentaire à chaque processeur de niveau 3 pour enregistrer les
données de ses subordonnés et transmettre sa somme partielle,
- 2X1 = 2 cycles au processeur unique de niveau 4 pour enregistrer ses données et
calculer la somme totale,
soit 10 cycles.
66
Un processeur est donc Ă©tĂ© Ă©liminĂ© Ă lâĂ©tape 3, ramenant le nombre total de processeurs Ă 8.
Si on sâintĂ©resse maintenant au nombre de cycles, au total, il faut donc :
- 5X1 = 5 unitĂ©s de temps câest Ă dire 5 cycles Ă chaque processeur de chaque niveau
pour enregistrer ses 5 données et transmettre sa somme partielle (excepté
naturellement pour la racine qui est le récepteur final),
- (1X1) = 1 cycle supplémentaire à chaque processeur de niveau 2, au processeur de
niveau 3 (en provenance de son subordonné de niveau 1) et au processeur de niveau 4
(en provenance de son subordonné de niveau 1) pour enregistrer les données de ses
subordonnés et transmettre sa somme partielle (excepté pour la racine),
- (2X1) = 1 cycle supplĂ©mentaire Ă lâunique processeur du niveau 3 (en provenance du
niveau 2) et à la racine (en provenance du niveau 1) pour enregistrer ses données et
transmettre sa somme partielle,
- (3X1) = 1 cycle au processeur unique de niveau 4 pour enregistrer les données de son
subordonné de niveau 3 et calculer la somme totale
soit 8 cycles.
Ainsi, il faut 5 cycles pour traiter et transmettre simultanément les données matérialisées sous
forme de triangle sur le graphique, 1 cycle pour traiter ensuite les données matérialisées sous
forme de tirets, 1 cycle supplémentaire pour traiter les données en pointillés et le cycle final
de calcul par la racine. La structure de 15 processeurs traitant toutes les données en 11 cycles
a Ă©tĂ© rĂ©duite de telle maniĂšre quâelle est maintenant capable de traiter ces mĂȘmes donnĂ©es
avec seulement 8 processeurs en 8 cycles.
67
Bolton & Dewatripont (1994) vont quant Ă eux sâintĂ©resser aux rendements de la
spĂ©cialisation dans le traitement de lâinformation (câest-Ă -dire Ă la rĂ©duction du coĂ»t de
traitement lorsque les tĂąches sont rĂ©pĂ©titives) plutĂŽt quâĂ la rĂ©duction des dĂ©lais. Leur modĂšle
montre que trois grands principes72 déterminent la conception des réseaux de communications
efficients :
- pour un niveau de spécialisation donné, le réseau de communication efficient est tel que le
nombre de liens de communication entre agents ne peut pas ĂȘtre rĂ©duit sans affecter la
performance de lâorganisation, mesurĂ©e par la frĂ©quence Ă laquelle de nouvelles cohortes
dâinformation sont traitĂ©es ;
- les agents arbitrent entre les incitations existantes pour se spécialiser et les coûts
supplémentaires de communication que cela engendre : plus les agents sont spécialisés et plus
le réseau de communication coordonnant les activités des agents est grand et complexe ;
- un rĂ©seau efficient est tel que le nombre moyen dâagents par lesquels une unitĂ© donnĂ©e
dâinformation transite est minimisĂ©e.
Ils en tirent plusieurs implications sur la conception des rĂ©seaux de communication. Dâune
part, dans un réseau efficient, chaque agent a au plus un supérieur direct à qui il envoie
lâinformation, dâautre part un agent ne va dĂ©lĂ©guer des tĂąches quâau cas oĂč il est surchargĂ©.
Ces deux premiers éléments établissent que « les réseaux efficients sont les réseaux
pyramidaux ». Ensuite, les agents sur les couches supérieures détiennent des rapports plus
longs (dont la lecture prend plus de temps) et ont donc moins de subordonnés que les agents
sur les couches inférieures. Enfin, un réseau efficient ressemble à une pyramide réguliÚre
quand il est efficient dâavoir des agents complĂštement spĂ©cialisĂ©s soit dans le traitement soit
dans lâagrĂ©gation de lâinformation.
On peut relever trois principales limites Ă ce type dâapproches. Tout dâabord, elles tendent Ă
considérer comme source de la rationalité limitée la rareté du temps disponible pour le
traitement et la communication des informations. Dâautres sources comme les limites au
stockage de lâinformation, Ă la puissance de calcul ou Ă lâimprĂ©cision du langage pourraient y
ĂȘtre ajoutĂ©es (Borland & Eichberger, 1998). Ensuite, les limites que lâon fixe aux individus
72
Bolton & Dewatripont (1994, p. 833).
68
dans lâacquisition et le traitement de lâinformation ne sâappliquent pas aux organisations elles-
mĂȘmes, supposĂ©es capables de rĂ©soudre des problĂšmes compliquĂ©s pour trouver la structure
optimale. Enfin, ces travaux restent largement thĂ©oriques et nâont pas encore donnĂ© lieu Ă des
tests empiriques. Des progrĂšs restent Ă faire pour examiner davantage les interactions
possibles entre la rationalité limitée et les incitations dans ce type de modÚles. En effet, les
limites exogĂšnes Ă la capacitĂ© des agents Ă acquĂ©rir et traiter lâinformation amĂšnent les
organisations Ă diviser les tĂąches dâacquisition et de traitement entre plusieurs agents et
entraßnent des asymétries informationnelles entre agents qui vont causer des problÚmes
dâincitation. Par ailleurs le degrĂ© de rationalitĂ© limitĂ©e des agents peut ĂȘtre partiellement
dĂ©terminĂ© par les incitations que fournit lâorganisation pour ces tĂąches (Aghion & Tirole,
1997).
Finalement, on peut remarquer que la plupart des critiques associées à cette formalisation (son
approche en termes de modĂ©lisation dâĂ©quilibre partiel statique et son peu dâintĂ©rĂȘt pour la
validation empirique) peuvent ĂȘtre liĂ©es aux origines de ce type dâapproche qui trouve sa
source dans la science informatique ou science du calcul73, qui sera largement mobilisée par
ailleurs dans les études plus « sociologiques » des organisations et de la prise de décision dans
les organisations.
La théorie des équipes représente une organisation mécanique dans laquelle les membres
calculent et exécutent des rÚgles optimales de décision et de communication afin de
maximiser lâefficience organisationnelle. En dâautres termes, pour Gibbons (2003), elle use de
la théorie statistique de la décision pour analyser la théorie bureaucratique weberienne. Le
modÚle de la corbeille à papiers (garbage-can) prend le contre-pied de cette représentation en
essayant de repérer les tendances stochastiques de la prise de décision dans les organisations
vues comme des « anarchies organisées ».74
73
Cf. la citation de Radner p. 61.
74
Gibbons (2003, pp. 765-767) voit dâailleurs dans la comparaison de ces deux types de contribution aux
antipodes lâune de lâautre « deux sources dâironie » : dâune part, elles ont Ă©tĂ© publiĂ©es la mĂȘme annĂ©e, dâautre
part leurs conclusions ont Ă©tĂ© bĂąties Ă partir de mĂ©thodologies proches, la thĂ©orie statistique de la dĂ©cision dâun
cĂŽtĂ©, la simulation par ordinateur de lâautre. Il tente par ailleurs de montrer que si les trois hypothĂšses de base du
modÚle de Cohen, March & Olsen ne sont pas incompatibles avec les modÚles économiques standard, ces
derniers ne sont pas en mesure de capturer « lâesprit » du modĂšle aussi bien que les modĂšles traditionnels de la
théorie behaviouriste des organisations (Cyert & March, 1963).
69
2.2.1/ Le modÚle de la « corbeille à papiers » dans les anarchies organisées
Cohen, March et Olsen (1972)75 définissent les anarchies organisées comme « des
organisations caractérisées par des préférences incertaines, une technologie floue et une
participation fluctuante » et précisent que ces trois caractéristiques se retrouvent dans tout
type dâentreprise un moment donnĂ© de sa vie ou Ă un endroit particulier de sa structure. Cela
confÚre selon les auteurs un grand degré de généralité à une théorie des anarchies organisées.
Les préférences incertaines font référence au manque de cohérence (au sens de la théorie des
choix) des prĂ©fĂ©rences en termes de prise de dĂ©cision. Lâorganisation fonctionne sur la base
de prĂ©fĂ©rences mal dĂ©finies et peu cohĂ©rentes entre elles si bien quâelle ressemble davantage Ă
un ensemble dâidĂ©es compilĂ©es. Une consĂ©quence de cela est quâelle va finalement dĂ©couvrir
ses préférences de maniÚre empirique au fur et à mesure du processus de prise de décision,
« elle dĂ©couvre ses prĂ©fĂ©rences Ă travers lâaction plus quâelle nâagit en fonction de ses
préférences ».
Enfin, la « participation fluctuante » renvoie à la distinction faite notamment par March &
Simon (1958) entre la dĂ©cision de participer Ă lâorganisation et la dĂ©cision de participer Ă ses
diffĂ©rentes activitĂ©s. Le choix de participer Ă lâorganisation est essentiellement un choix
binaire (oui/non) alors que le choix dâengagement dans les diffĂ©rentes activitĂ©s va intĂ©grer
diffĂ©rents degrĂ©s dans lâengagement. Dans les anarchies organisĂ©es, les participants Ă
lâorganisation vont ainsi sâinvestir dans les diffĂ©rentes activitĂ©s avec des combinaisons
variables de temps et de travail. La consĂ©quence de ce type dâattitude est que les frontiĂšres de
75
La prĂ©sentation qui en est faite ici provient de la réédition de lâarticle de 1972 dans March (1991, chapitre 7,
pp. 163-204), dont nous adoptons la pagination.
70
lâorganisation vont elles-mĂȘmes fluctuer « en fonction des changements capricieux de
dĂ©cideurs et dâauditoires pour nâimporte quel type de choix ».
Dans les anarchies organisĂ©es, chaque occasion de choix va ĂȘtre considĂ©rĂ©e comme une
corbeille à papiers dans laquelle un ensemble de problÚmes et de solutions sont jetés au fur et
Ă mesure de leur apparition. Le processus de prise de dĂ©cision va donc ĂȘtre le produit dâune
interaction complexe de quatre flux organisationnels76 représentés par la production de
problÚmes (concernant tous les aspects de la vie privée ou professionnelle des participants
dans ou en dehors de lâorganisation, le dĂ©ploiement du personnel, lâĂ©laboration de solutions
aux problĂšmes et les occasions de choix). La notion centrale permettant dâarticuler ces
diffĂ©rentes composantes est la notion dâĂ©nergie :
- le flux de problĂšmes est composĂ© dâun certain nombre de problĂšmes qui requiĂšrent
chacun un besoin dâĂ©nergie correspondant Ă lâĂ©nergie nĂ©cessaire pour rĂ©soudre le
choix auquel correspond le problĂšme ;
- les participants peuvent consacrer Ă chaque pĂ©riode de temps une quantitĂ© dâĂ©nergie
potentielle pour la rĂ©solution des problĂšmes de lâorganisation ;
- la solution dâun problĂšme va nĂ©cessiter des quantitĂ©s dâĂ©nergie diffĂ©rentes selon le
moment oĂč elle est conçue.
Les besoins en énergie (les demandes) et les quantités potentielles disponibles (les offres) sont
supposés varier de maniÚre aléatoire au cours du temps. A chaque période, un seul choix est
associé à chaque participant et à chaque problÚme. Au cours du temps, les décideurs et les
problĂšmes « tournent » sur lâĂ©ventail des choix de maniĂšre alĂ©atoire. Un choix est fait lorsque
la quantitĂ© dâĂ©nergie totale qui est allouĂ©e par le dĂ©cideur excĂšde le besoin en Ă©nergie requis
par les problĂšmes correspondant Ă ce choix. Câest alors que le choix en question et les
problÚmes qui lui sont liés disparaissent de la corbeille à papiers.
76
Ces flux sont considérés comme exogÚnes au systÚme, March (1991, p. 167).
77
March (1991, pp. 177-178).
71
- par survol : cela concerne les choix rapides qui sont effectués, avec un minimum de
temps et dâĂ©nergie de la part du dĂ©cideur, avant que dâautres problĂšmes ne lui soient
associés ;
- par glissement : si pendant un certain temps, un choix nâa pas Ă©tĂ© fait, parce les
quantitĂ©s dâĂ©nergie allouĂ©es par les dĂ©cideurs aux problĂšmes liĂ©s Ă ce choix sont
insuffisantes, lorsque ces derniers sont associés à un nouveau choix, ils ne sont pas
résolus mais cela permet de prendre une décision. Cela consiste à valider un choix une
fois que les problÚmes qui y étaient associés ont migré sur un autre choix.
Les propriétés de la simulation effectuée par Cohen, March et Olsen78 identifient notamment
que :
- la mĂ©thode de dĂ©cision par rĂ©solution de problĂšmes nâest pas la plus frĂ©quemment
employĂ©e par les dĂ©cideurs, particuliĂšrement dans les cas oĂč lâĂ©nergie nĂ©cessaire pour
résoudre les problÚmes est forte. Cela signifie que, dans les anarchies organisées, un
certain nombre de choix faits sont inefficaces au regard du critÚre de résolution ;
- les dĂ©cideurs et les problĂšmes ont tendance Ă se suivre dâun choix Ă lâautre, et les
dĂ©cideurs ont tendance Ă ĂȘtre confrontĂ©s aux mĂȘmes problĂšmes au cours du temps, si
bien quâils « risquent dâavoir le sentiment quâils sont toujours en train de rĂ©gler les
mĂȘmes problĂšmes dans des contextes quelque peu diffĂ©rents, la plupart du temps sans
résultat »79 ;
- les problĂšmes importants ont plus de chance dâĂȘtre rĂ©solus que ceux qui le sont
moins. De mĂȘme pour les problĂšmes anciens par rapport aux problĂšmes nouveaux.
78
March (1991, pp. 179-183). Au total, 8 propriétés majeures sont identifiées. Elles sont naturellement sensibles
aux hypothĂšses sur la structure de lâorganisation, notamment celles qui portent sur la charge nette dâĂ©nergie
(diffĂ©rence entre lâĂ©nergie totale nĂ©cessaire Ă la rĂ©solution de tous les problĂšmes et lâĂ©nergie totale dans
lâorganisation) et la rĂ©partition de lâĂ©nergie, la structure dâaccĂšs (non segmentĂ©, hiĂ©rarchisĂ© et spĂ©cialisĂ©) qui
traite de la relation entre problÚmes et choix) et la structure de décision (non segmentée, hiérarchisée et
spécialisée) qui considÚre la relation entre décideur et choix.
79
March (1991, p. 181).
80
March (1991, p. 193): « Aucun systÚme réel ne correspond totalement aux spécifications du modÚle, mais la
simulation rĂ©vĂšle des comportements que lâon peut observer de temps en temps dans toutes les organisations et
trĂšs souvent dans certaines, les universitĂ©s ». Câest dans ce type de structure que les propriĂ©tĂ©s sont les mieux
vérifiées.
72
fournit un contrepoids intĂ©ressant aux modĂšles qui reprĂ©sentent lâorganisation par un dĂ©cideur
rationnel unique (la firme point de la thĂ©orie nĂ©o-classique et mĂȘme la thĂ©orie des Ă©quipes) et
lâindividu comme un dĂ©cideur rationnel.
Ces points sont dâailleurs particuliĂšrement soulignĂ©s lorsque lâon quitte lâanalyse normative
des organisations pour essayer dâen distinguer Ă partir de lâobservation les traits saillants,
notamment ceux qui sont relatifs au rĂŽle de lâinformation.
Pour Feldman & March (1981)82, lâĂ©tude de lâinformation dans les organisations implique
« une dialectique » entre les Ă©conomistes (les « thĂ©oriciens de lâinformation ») Ă la recherche
de solutions (systÚmes) optimales (aux) et ceux qui étudient le comportement des individus
face Ă lâinformation (les sociologues principalement), et qui essaient de comprendre comment
les individus gĂšrent en pratique lâinformation.83
Lâanalyse des auteurs84 veut montrer la difficultĂ© quâil y a Ă faire coĂŻncider les pratiques
observĂ©es face Ă lâinformation (les pratiques effectives) et les modĂšles qui dĂ©finissent la
valeur de lâinformation dans la prise de dĂ©cision comme par exemple celui de Marschak &
Radner (1972).
73
- les informations non pertinentes par rapport à une décision ne sont pas collectées.
Selon Feldman & March (1981) la rĂ©alitĂ© est diffĂ©rente et suggĂšre dâune part quâil nây a pas
de lien systĂ©matique entre la rĂ©ception des informations et la prise de dĂ©cision, dâautre part
quâil nây a pas de relation cohĂ©rente entre ces informations et la dĂ©cision prise.
Ils formulent alors six affirmations concernant la collecte et lâutilisation de lâinformation
effectivement mises en Ćuvre dans les organisations :
Six facteurs vont ĂȘtre mobilisĂ©s pour donner une rĂ©ponse Ă cette interrogation. Les deux
premiers ont trait aux limites humaines et organisationnelles qui vont influer sur le traitement
et la collecte :
74
- cette information disponible nâest jamais la bonne dans la mesure oĂč les limites en
termes de capacitĂ©s analytiques ou de coordination chez les dĂ©cideurs les amĂšne Ă
collecter des informations inutilisables.
Les trois facteurs suivants expliquent le découplage entre information et décision par les
caractĂ©ristiques de lâorganisation interne ou par des comportements stratĂ©giques de la part de
ses membres :
Feldman & March (1981) introduisent ici une dimension importante de lâinformation qui est
sa relation au pouvoir : « Il est Ă©vident que lâinformation peut ĂȘtre un instrument de pouvoir. »
Cela ne manque pas dâĂȘtre assez Ă©tonnant lorsque lâon sait la position de March sur lâusage de
cette terminologie88.
86
March (1991, p. 262) : « la dissymĂ©trie de lâĂ©valuation a posteriori dĂ©bouche directement sur une incitation Ă
collecter trop dâinformation ».
87
March (1991, p. 263).
88
Nous faisons ici rĂ©fĂ©rence Ă lâarticle de 1966 qui alimente le dĂ©bat sur la validitĂ© opĂ©rationnelle du concept.
75
Le facteur le plus important est néanmoins pour eux le « lien entre le comportement de
décision et le contexte normatif de ce comportement »89, qui va amener les auteurs à définir
lâinformation Ă la fois comme un symbole et un signal :
- un symbole : « quand il nây a pas dâautre moyen fiable dâĂ©valuer les connaissances
dâun dĂ©cideur, ce sont les aspects visibles de la collecte et du stockage dâinformation
qui sont employĂ©s comme mesure de la qualitĂ© des informations quâil possĂšde et
utilise ». Ainsi, les ressources consacrĂ©es aux diffĂ©rentes Ă©tapes de ce que lâon pourrait
appeler le processus informationnel, en amont du processus de décision, sont des
symboles de compétence du décideur. Cette valeur symbolique pousse finalement le
dĂ©cideur Ă collecter plus dâinformations que ce que prescrit la thĂ©orie de la dĂ©cision.
- un signal : la collecte et la demande dâinformations sont un signal90 de la lĂ©gitimitĂ© de
la dĂ©cision prise, « parce que câest le comportement considĂ©rĂ© comme appropriĂ© en
matiĂšre de prise de dĂ©cision ». Le dĂ©cideur va donc chercher Ă envoyer des signaux Ă
ses collaborateurs mais lâusage symbolique de lâinformation va ĂȘtre limitĂ© par la
concurrence pour la lĂ©gitimitĂ© (Ă laquelle se livrent plusieurs dĂ©cideurs dans la mĂȘme
organisation) et par les fluctuations des coĂ»ts dâenvoi des signaux, qui sont en fait les
coĂ»ts de communication de la consommation dâinformation.
Feldman & March suggĂšrent enfin que les comportements des organisations en matiĂšre
dâinformation varient dans le temps dans la mesure oĂč lâinvestissement dâune organisation
dans lâinformation est susceptible dâĂȘtre sensible Ă la fois Ă la variation des symboles quâelle
choisit (dont la valeur est dĂ©terminĂ©e socialement) et de ses possibilitĂ©s dâĂ©mission de
signaux.
Finalement, lâanalyse du processus de dĂ©cision dans les organisations permet dâidentifier une
rupture forte entre les travaux issus de la théorie statistique de la décision, héritiers du
paradigme Von Neumann-Morgenstern-Savage et ceux des sociologues, quand bien mĂȘme
ceux-ci peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s comme assimilĂ©s et mobilisĂ©s par les travaux du mainstream.
Il nous faut cependant choisir pour la suite de notre travail une définition claire de la firme
processeur dâinformation.
89
March (1991, p. 264) pour cette citation et la suivante.
90
Au sens de la thĂ©orie du signal (cf. Spence, 1973, et lâannexe 1), comme le prĂ©cisent les auteurs.
76
Section 3 : Quelle dĂ©finition pour la firme processeur dâinformation ?
Notre dĂ©finition de la firme processeur dâinformation est menĂ©e en deux Ă©tapes. La premiĂšre
consiste à préciser la signification du mot « information » ; ce travail étant rarement effectué
de maniÚre explicite dans la littérature sur le sujet. La seconde vise à préciser les
caractéristiques saillantes que nous associons au mot « firme ».
Dans la mesure oĂč notre objet dâĂ©tude nâest pas lâanalyse de la dĂ©cision individuelle mais bien
lâĂ©tude de la firme processeur dâinformation, nous Ă©vacuons la dimension probabiliste
associĂ©e Ă lâinformation dans la thĂ©orie de la dĂ©cision. Dans le cadre de notre organisation,
lâinformation Ă©changĂ©e va ĂȘtre dĂ©finie comme « lâensemble des messages associĂ©s Ă un
instrument dâinformation ».
91
Hirshleifer (1973, p. 84).
92
Cf. annexe 1 et Garrouste (1998) pour une présentation des apports de la TSI à la théorie économique.
93
ThĂ©paut (1997, 2002) les appelle les « effets diffĂ©rentiels » de lâinformation.
77
3.2/ La firme est une structure dâĂ©changes
La théorie normative de la décision élaborée par Marschak & Radner (1972) est connue (et
reconnue) comme instrument de calcul de la valeur de lâinformation et des rĂšgles optimales de
dĂ©cision dans une organisation. La dĂ©finition de lâorganisation sur laquelle elle est fondĂ©e nâa
pas donnĂ© lieu Ă commentaires dans la littĂ©rature sur le sujet alors quâelle mĂ©rite selon nous
que lâon sây attarde. On la trouve notamment dans un article originel (et mĂ©connu) de la
théorie des équipes publié à la fin des années cinquante par Marschak (1959). Dans cet article,
lâauteur commence par dĂ©finir les membres dâune organisation comme « plusieurs personnes
qui sont dâaccord pour suivre un certain nombre de rĂšgles », lâensemble des rĂšgles en question
étant appelé « forme organisationnelle » : « la forme organisationnelle consiste dans des
rĂšgles qui prescrivent âqui devrait faire quoi en rĂ©ponse Ă quelle informationâ ».94
Dans ce contexte, le verbe « faire » recouvre pour Marschak trois dimensions qui sont 1)
lâaction (le fait « dâaffecter le monde en dehors du groupe de gens formant lâorganisation ») ;
2) la communication interne (lâenvoi ou Ă la rĂ©ception des messages Ă destination ou en
provenance dâautres membres de lâorganisation) ; 3) lâobservation (lâenvoi ou la rĂ©ception de
messages vers ou en provenance du monde extérieur).
Tout ceci est synthĂ©tisĂ© dans « la matrice dâactions, dâobservations et de communications
internes » représentée ci-dessous :
Récepteur
0 1 2
0
Emetteur 1 (1,2)
2
La communication interne est reprĂ©sentĂ©e par lâensemble des messages Ă©changĂ©s entre les
membres de lâorganisation (zone hachurĂ©e en diagonale). Dans notre exemple, la cellule notĂ©e
(1,2) contient ainsi les messages envoyés par le membre 1 au membre 2.
94
Marschak (1959, p. 137).
78
La colonne et la ligne indicées 0 représentent le monde extérieur donc les deux cellules
hachurĂ©es horizontalement reprĂ©sentent les observations (les messages envoyĂ©s par lâextĂ©rieur
aux membres de lâorganisation), les cellules hachurĂ©es verticalement reprĂ©sentent les
messages envoyés au monde extérieur par les membres.
Conclusion du chapitre 1
Les travaux présentés dans la premiÚre section apportent un certain nombre de réponses à la
question relative Ă lâexistence et Ă la nature de la firme. Toutes ces rĂ©ponses se rejoignent
globalement pour reconnaĂźtre que les firmes permettent dâĂ©conomiser un certain nombre de
coûts informationnels générés par le marché (Coase), par la rationalité limitée des agents
(Simon) ou encore par les asymétries informationnelles (Williamson, Alchian & Demsetz,
thĂ©orie de lâagence). Bien sĂ»r, chaque courant va insister spĂ©cifiquement sur une ou plusieurs
de ces dimensions mais au-delà de ces différences, le message robuste de la théorie
économique moderne est que la firme (sous des formes organisationnelles variées) existe
chaque fois quâelle est la rĂ©ponse la plus efficiente aux problĂšmes informationnels. De ce
point de vue, on pourrait dire que lâinformation explique la firme. En retour, et câest une
perspective qui doit ĂȘtre ouverte, la firme gĂ©nĂšre Ă©galement ses propres problĂšmes
79
informationnels. Ces travaux ouvrent également des débats et des interrogations sur le rÎle de
lâautoritĂ©, sur les formes ou design organisationnel(les) construit notamment par la thĂ©orie
normative de lâagence comme des schĂ©mas incitatifs. Enfin, nous remarquons que deux types
de travaux au moins (Coase dâun cĂŽtĂ©, Jensen & Meckling de lâautre) revendiquent
explicitement leur souci de rendre compte de ce qui se passe concrĂštement dans le monde
réel.
LâĂ©tude spĂ©cifique des processus de dĂ©cision menĂ©e dans la deuxiĂšme section nous permet
dâidentifier Ă©galement lâopposition de styles entre dâun cĂŽtĂ© le modĂšle normatif de la thĂ©orie
statistique de la décision qui apporte, sous certaines conditions, un outil opérationnel pour
mesurer la valeur de lâinformation et les rĂšgles de dĂ©cision optimales, et de lâautre des
modĂšles dâinspiration sociologique qui renvoient Ă une certaine rĂ©alitĂ© observĂ©e dans les
organisations concrĂštes.
Dâun cĂŽtĂ©, les prolongements du modĂšle canonique de la thĂ©orie des Ă©quipes ouvrent sur des
problématiques de caractérisation des configurations organisationnelles avec un focus
prononcé sur la hiérarchie. Elles invitent donc à une analyse plus fine des différents types de
configurations structurales que lâon pourrait cette fois-ci observer dans la rĂ©alitĂ©. De lâautre,
les modÚles développés notamment par March et ses co-auteurs introduisent explicitement
(sans toutefois en proposer dâoutil analytique) les problĂ©matiques dâinfluence (de pouvoir)
sous-jacentes aux travaux présentés dans la section 1.
80
CHAPITRE 2
LES APPROCHES DU POUVOIR EN
ECONOMIE
81
Chapitre 2
Les approches du pouvoir
en économie
Introduction
Dans des contributions récentes, Pierre DockÚs développe une analyse sur le pouvoir et
lâautoritĂ© dans la science Ă©conomique (DockĂšs, 1999, 2000). Il montre notamment dans une
perspective historique que la relation dâautoritĂ© est le produit dâune « convention
dâobĂ©issance » qui dĂ©passe le simple calcul des agents Ă©conomiques de la thĂ©orie standard,
orientĂ©e vers la recherche de lâefficience.
Dans ce chapitre, nous démarquerons notre analyse de celle de DockÚs sur plusieurs points.
Tout dâabord, nous avons choisi de nous concentrer sur les approches Ă©conomiques du
pouvoir intra-organisationnel. Ensuite, nous proposons dans ce cadre une grille de lecture
originale des approches qui analysent les phénomÚnes de pouvoir consubstantiels à la
dynamique des relations salariales. Pour ce faire, nous procédons en trois étapes.
Dans une premiĂšre Ă©tape nous repĂ©rons les contributions de lâĂ©conomie des organisations qui
considÚrent que les frontiÚres organisationnelles ne sont pas perméables aux éléments de
lâenvironnement institutionnel dans lequel elles Ă©voluent. La thĂ©orie de lâĂ©change contestĂ©
développée par Bowles & Gintis (1993, 1999) est représentative de cette approche.
Dans une deuxiĂšme Ă©tape nous proposons dâĂ©largir la portĂ©e analytique du concept de pouvoir
intra-organisationnel en reprenant à notre compte la notion de « potentiel de pouvoir »
introduite par Bartlett (1989). Nous fondons sur celle-ci lâĂ©bauche dâun programme de
recherche sur le pouvoir intra-organisationnel qui part de lâidentification des conditions
nécessaires pour traiter de ce thÚme dans un cadre mainstream en économie des organisations.
Cette progression nous amÚne dans une troisiÚme étape à distinguer deux approches
complémentaires du « potentiel de pouvoir intra-organisationnel » en théorie des incitations.
Alors que cette thĂ©orie focalise essentiellement son attention sur lâincitation Ă lâeffort, la
rĂ©vĂ©lation dâinformations privĂ©es et lâacquisition de compĂ©tences spĂ©cifiques1, une littĂ©rature
récente dans ce champ analyse des mécanismes incitatifs que nous pouvons qualifier de
1
Voir les synthĂšses de Gibbons (1998) et de Prendergast (1999).
83
« politiques ». Dans cette littérature existent selon nous deux familles de contributions qui
traitent respectivement de lâallocation du pouvoir / de lâautoritĂ© formelle entre les membres
de lâorganisation2 dâun cĂŽtĂ©, des dynamiques sociales informelles liĂ©es Ă la recherche de
quasi-rentes positionnelles et informationnelles de la part des agents, et des moyens mis en
Ćuvre par le principal pour les limiter ou les orienter de lâautre.
La confrontation entre ces deux approches suggĂšre une tension potentielle dans lâorganisation
entre « autorité » (comprise comme capacité à prendre des décisions qui orientent les actions
des autres) et « discrĂ©tion » (comprise comme capacitĂ© pour un agent de contrĂŽler lâusage des
ressources mises à sa disposition et sur lesquelles il ne possÚde aucun droit de propriété, ainsi
que de contrĂŽler lâusage de sa propre force de travail)3. Dans ce contexte, les travaux de
Rotemberg (1993) et de Rajan & Zingales (1998, 2001) représentent, selon nous, les pistes de
recherche les plus intĂ©ressantes pour progresser dans lâĂ©tude des potentiels de pouvoir.
Dans une premiĂšre section, aprĂšs avoir briĂšvement rĂ©sumĂ© lâargumentation de DockĂšs (1999,
2000) sur lâĂ©tude des phĂ©nomĂšnes de pouvoir en science Ă©conomique, nous prĂ©senterons la
thĂ©orie de lâĂ©change contestĂ© qui est au cĆur de la critique radicale moderne du capitalisme
représenté par trois structures de pouvoir distinctes. La seconde section introduit le potentiel
de pouvoir généré par les problÚmes informationnels développés dans le premier chapitre et
reformule le rÎle des organisations comme réponses aux enjeux de pouvoir. Enfin, dans une
derniÚre section, nous nous intéresserons particuliÚrement aux approches introduisant
explicitement les phĂ©nomĂšnes de pouvoir dans le mainstream avec comme point dâorgue les
travaux de Rajan & Zingales (1998, 2001) qui questionnent la possibilitĂ© dâĂ©laborer une
théorie générale du pouvoir intra-organisationnel intégrant les problématiques de structure.
2
Les termes « pouvoir » (par ex. Ortega, 2003), « responsabilité » (par ex. Prendergast, 1995), et « autorité
formelle » (par ex. Aghion & Tirole, 1997) sont le plus souvent utilisés comme des synonymes dans cette
littérature.
3
Pour une présentation alternative de cette tension autorité / discrétion, voir Foss & Foss (2002).
84
Section 1 : Le pouvoir, point de dĂ©part de lâanalyse des phĂ©nomĂšnes Ă©conomiques
Comme les économistes dits « radicaux », DockÚs (1999, 2000) part du postulat que « les
rapports de pouvoir forment la trame de la vie sociale et de sa composante économique »4. Ils
se manifestent notamment dans la production, par lâautoritĂ© de lâemployeur et de la hiĂ©rarchie
(Coase, 1937, Simon, 1951, Williamson, 1975, 1985), dans la concurrence entre entreprises
pour la conquĂȘte de parts de marchĂ©, dans lâĂ©change, et dans les interventions du pouvoir
politique dans la sphÚre économique (monnaie, politique économique).
A lâinstar de lâanalyse de ThĂ©paut (1997, p. 64), le concept de pouvoir pertinent pour DockĂšs
est le pouvoir sur les hommes5, qui recouvre Ă la fois le pouvoir dâagir sur les individus et les
organisations auxquelles ils appartiennent et le pouvoir dâagir sur les rĂšgles ou institutions
quâils se donnent. Partant de la dĂ©finition classique de Dahl (1957), DockĂšs identifie deux
caractĂ©ristiques saillantes du pouvoir. Tout dâabord, le pouvoir suppose une relation
asymétrique (Perroux, 1973). Ces asymétries sont de natures diverses (statut, capital physique
ou financier, information) et ont la particularitĂ© dâĂȘtre Ă la fois des conditions et des
consĂ©quences de lâexercice du pouvoir. Ensuite, les relations de pouvoir sont stratĂ©giques6
dans la mesure oĂč les choix sont produits par les individus en interaction avec leur milieu (par
exemple dâautres membres de lâorganisation). Ces deux dimensions lâamĂšnent Ă analyser le
pouvoir dans un cadre plus large qui est celui de la relation dâautoritĂ©, dans la lignĂ©e de
Weber (1978, p. 53)7. En ce sens, lâautoritĂ© est ainsi un pouvoir lĂ©gitimĂ©8, qui est la dĂ©finition
retenue généralement en sciences économiques.
4
DockĂšs (1999, p. 1). Notons que Bowles & Gintis (1999) partent dâun point de vue similaire mais insistent
davantage sur le fait quâil nây a plus lieu aujourdâhui de sĂ©parer Ă©conomie et politique.
5
Cf. DockĂšs (1999, p. 11) pour une discussion de la relation entre pouvoir sur les hommes et pouvoir sur les
choses , ainsi que Thépaut (1997).
6
On ne peut cependant pas en rester à une simple analogie avec la théorie des jeux qui est une théorie du calcul
en situation stratĂ©gique dont lâobjet dâĂ©tude fondamental nâest que rarement les modes dâexercice du pouvoir.
Par ailleurs, la matrice de rétribution est donnée (DockÚs, 1999, p. 15).
7
CitĂ© par DockĂšs (1999, p. 16) : Weber dĂ©finit le pouvoir comme « puissance » câest-Ă -dire comme capacitĂ© de
faire prĂ©valoir sa volontĂ© en dĂ©pit des rĂ©sistances. Ce terme peut sâappliquer Ă nâimporte quelle qualitĂ© dâune
personne oĂč Ă nâimporte quelle circonstance et Weber considĂšre que le pouvoir nâa pas un caractĂšre trĂšs
opérationnel.
8
Un « pouvoir institué » pour DockÚs (1999, p. 17).
85
1.1.2/ Les modalitĂ©s dâexercice du pouvoir et les moyens du pouvoir
Les modalitĂ©s dâexercice du pouvoir (les types de moyens pour que « A obtienne une action
de B » au sens de Dahl) sont nombreuses. Parmi celles-ci, DockÚs en identifie trois qui vont
justifier son choix dâanalyse. La premiĂšre consiste Ă proposer quelque chose en Ă©change, on
est alors dans domaine du pouvoir dâachat ou du pouvoir par lâĂ©change (monnaie contre bien).
Dans ce cadre, le pouvoir au sens strict ne sâexerce que si lâĂ©change est asymĂ©trique, les deux
parties Ă lâĂ©change bĂ©nĂ©ficiant de la transaction9. La seconde est la coercition10, qui consiste Ă
imposer un choix dont lâalternative pour celui qui la subit produit un rĂ©sultat encore plus
dĂ©favorable. La troisiĂšme est lâinformation, qui recouvre Ă la fois lâincitation et la
manipulation dâinformation regroupĂ©es dans une catĂ©gorie plus large appelĂ©e « pouvoir
communicationnel »11.
A partir de ces Ă©lĂ©ments, lâanalyse du pouvoir est pertinente lorsquâelle se place au niveau
dâun choix biaisĂ© par lâasymĂ©trie provoquĂ©e par le pouvoir de marchĂ© ainsi que par la
manipulation dâinformation ou par des formes de coercition (DockĂšs, 1999, p. 30), dans une
optique assez proche de celle de Perroux (1973).
En ce qui concerne le pouvoir de marchĂ©, il sâexerce sur la partie Ă lâĂ©change qui est en
situation de dĂ©pendance pour lâobtention dâune ressource rare sans rĂ©ciprocitĂ© (ou en situation
dâinterdĂ©pendance dĂ©sĂ©quilibrĂ©e), Ă partir dâune menace consistant Ă priver cette partie de la
ressource (DockÚs 1999, p. 45). Les asymétries qui le sous-tendent peuvent concerner le
nombre dâacteurs du cĂŽtĂ© de lâoffre ou du cĂŽtĂ© de la demande, la taille des acteurs, la
spécificité des actifs qui créent un risque de hold-up12, ou bien les asymétries
informationnelles qui définissent le pouvoir de négociation.
9
On retrouve ici la définition de Crozier & Friedberg (1977) qui définissent le pouvoir de marché comme la
possibilitĂ© dâobtenir des termes de lâĂ©change plus favorables. Le pouvoir de monopole est par exemple un prix
plus favorable (pour le vendeur) que le prix dâĂ©quilibre concurrentiel Ă cause de lâasymĂ©trie des conditions
économiques du marché (un seul offreur, plusieurs demandeurs).
10
DockĂšs (pp. 27-30), mobilise Hobbes et Foucault (1994) sur lâarticulation entre pouvoir par coercition et
liberté. Foucault ne met selon lui en dehors de la sphÚre du pouvoir « que ce qui contredit tout choix véritable ».
La liberté se définit alors comme la possibilité de choix dans un ensemble de réactions faisables.
11
DockĂšs (1999, p. 25).
12
Le hold-up est un pouvoir de marchĂ© particulier produit par lâopportunisme au sens de Williamson. Soit par
exemple une relation entre une entreprise A et une entreprise B. Pour fabriquer le produit demandé par B, A doit
investir dans une machine coĂ»teuse et dont lâemploi est circonscrit (pour des raisons techniques) Ă la fabrication
du produit en question. Une fois la machine achetée, le fabricant peut se voir imposer un prix plus faible pour le
produit quâil livre Ă son client. Ce dernier veut ainsi lui confisquer la diffĂ©rence entre la valeur de lâactif dans la
relation particuliĂšre et la valeur rĂ©siduelle dans un usage alternatif qui est par dĂ©finition faible, ce quâon appelle
la quasi-rente. Pour Ă©viter que le sous-traitant nâinvestisse pas dans lâactif spĂ©cifique, le client devra lui garantir
un contrat de long terme, conditionné par le partage de la quasi-rente. Voir aussi section 1.4/ du chapitre 1.
86
LâĂ©change avec pouvoir de marchĂ© et lâĂ©change dans un contexte de coercition reposent tous
deux sur une menace de sanction crédible mais la nature de la menace diffÚre dans les deux
cas.
Dans le cas du pouvoir de marché, il y a une transaction économique véritable impliquant un
gain rĂ©ciproque et la menace (qui consiste Ă ne pas re-contracter) porte sur lâespĂ©rance de gain
(ou sur la perte dâun gain) anticipĂ©e de la transaction. Cette menace nâest donc efficace que si
lâautre nâa pas dâalternative, autrement dit, si la sortie, au sens dâHirschman (1970) est
coĂ»teuse. Dans le cas de la coercition il nây a pas dâĂ©change vĂ©ritable, comme par exemple
dans le cas dâune concentration « forcĂ©e » qui consisterait pour une entreprise Ă accepter
dâĂȘtre absorbĂ©e ou mourir. Ici, la menace nâest pas inhĂ©rente Ă la transaction mais dĂ©pend
dâautre chose. Les historiens ont particuliĂšrement Ă©tudiĂ© le pouvoir de coercition Ă©conomique
exercĂ© par la puissance publique, parfois au service des intĂ©rĂȘts privĂ©s. Dans une optique
proche de celle de Braudel, Wallerstein montre comment les entreprises capitalistes ont
cherchĂ© Ă exploiter un Ă©change asymĂ©trique par lâĂ©change inĂ©gal, en exerçant Ă la fois un
pouvoir Ă©conomique mais aussi un pouvoir de coercition en sâappuyant sur lâEtat13.
Par ailleurs, le pouvoir de marché a un aspect statique consistant à exploiter une situation
donnĂ©e (des conditions) de lâĂ©change et un aspect dynamique consistant Ă modifier les
conditions de lâĂ©change (DockĂšs, 1999, p.49). Ces deux aspects renvoient tous deux aux
asymĂ©tries initiales dans lâĂ©change (en ce qui concerne la position sur le marchĂ©) mais si on
considĂšre sa dimension dynamique, le pouvoir de marchĂ© est proche dâun pouvoir de
coercition économique14.
Alors que câest la coercition (menace dâemploi de la violence physique ou morale) qui sert de
base aux entreprises publiques pour DockĂšs (1999, 2000), dans lâentreprise capitaliste, câest le
pouvoir de marchĂ© qui la source essentielle de lâautoritĂ© mais ce nâest pas la seule. Elle peut
13
Pour des exemples, voir DockĂšs (1999, pp. 69-70).
14
Pour DockĂšs (1999, pp. 52-53) les relations de concurrence entre les entreprises renvoient Ă la coercition
plutĂŽt quâau pouvoir de marchĂ©. Lâobtention dâune position dominante provient par ailleurs des rendements
croissants du pouvoir qui trouvent leur source dans les dépendances cumulées par les autres agents et qui
relĂšvent dâune approche historique (cf. la notion de dĂ©pendance vis-Ă -vis du sentier).
87
Ă©galement ĂȘtre fondĂ©e sur un pouvoir dâachat spĂ©cifique qui est « lâachat dâobĂ©issance »15
renouvelable, ainsi que sur un pouvoir dâachat traditionnel (Alchian & Demsetz, 1972). Dans
les catégories identifiées du pouvoir communicationnel (conviction, ruse, manipulation), le
pouvoir de conviction (lâexpert) peut ĂȘtre une base de lâautoritĂ© mais pas la ruse parce que la
rĂ©pĂ©tition de la ruse nâest gĂ©nĂ©ralement pas possible.
Tout dâabord, lâautoritĂ© patronale est parfois assimilĂ©e Ă un simple pouvoir dâachat (Alchian
& Demsetz, 1972, Cheung, 1983) dans une vision de la firme « nĆud de contrat ». Ici le terme
du contrat nâest pas dĂ©terminant puisque le contrat long est assimilĂ© Ă une sĂ©rie de contrats
courts renouvelés de maniÚre implicite. Pour identifier des différences entre la relation
fameuse entre un épicier et son client et la relation entre un employeur et son employé16, il
faut nĂ©anmoins ajouter dâĂ©ventuelles diffĂ©rences en termes de pouvoir de marchĂ©. Le pouvoir
de marchĂ© qui donne un sens Ă lâachat dâobĂ©issance est identifiĂ© par Bowles & Gintis (1993)
en ces termes : si le marchĂ© du travail fonctionnait parfaitement, lâexcĂ©dent dâoffre de travail
(de demande dâemploi) que lâon observe ferait baisser le niveau de salaire jusquâĂ rĂ©sorber
lâexcĂ©dent (donc le chĂŽmage), rendant du mĂȘme coĂ»t le coĂ»t de sortie de lâemployĂ© nul, donc
le pouvoir de marchĂ© de lâemployeur nul. LâintĂ©rĂȘt des employeurs, afin de conserver ce
pouvoir de marchĂ© qui leur garantit lâobĂ©issance, est donc de fixer des salaires au-dessus du
niveau dâĂ©quilibre pour sâassurer dâun montant minimum de chĂŽmage. Quand bien mĂȘme ce
pouvoir de marchĂ© ne serait pas suffisant pour rendre compte de lâobĂ©issance, « il nâen
apparaßt pas moins comme le pendant, pour ce qui concerne les organisations privées de type
capitaliste, du pouvoir de coercition de lâEtat pour ce qui concerne les organisations
publiques »17. Dans le cadre ainsi dĂ©fini, lâemployĂ© accepterait sa subordination (vendrait son
obĂ©issance) parce quâil nâa pas, contrairement Ă lâemployeur, dâalternative Ă©quivalente
(Bowles & Gintis 1993).
Une autre explication de lâautoritĂ© dans les firmes (et donc de la subordination) mobilise la
propriĂ©tĂ© du capital. Dans lâesprit revendiquĂ©18 de Marx et Weber qui fondent le capitalisme
sur la séparation du travailleur et des moyens de production, la théorie des droits de propriété
(ou théorie des contrats incomplets) (Hart & Moore 1990, Hart, 1995) suggÚre par ailleurs que
15
DockĂšs (1999, p. 81).
16
En plus de la différence qui tient à la nature juridique des contrats comme le fait remarquer Williamson
(1994).
17
DockĂšs (1999, p. 99).
18
Cf. Hart (1995).
88
la propriété des actifs non humains donne un contrÎle sur les actifs humains : ceux qui ne
possĂšdent pas les actifs non humains ne sont pas en mesure de produire. La menace de la part
des propriétaires de ces actifs de ne pas recontracter (ou de résilier) oblige les premiers à obéir
parce quâils sont dĂ©pendants19. Lâinformation (notamment la capacitĂ© dâaccĂ©der Ă des
informations vitales), si elle est considérée comme un capital, peut produire des asymétries du
mĂȘme type.
Comme on lâa vu au chapitre 2, les difficultĂ©s de coordination aboutissent au choix dâun (ou
plusieurs) dĂ©tenteur (s) de lâautoritĂ©, si bien que lâon peut considĂ©rer que « la « valeur » de la
hiĂ©rarchie pour ceux qui y sont soumis est lâefficacitĂ© de la coordination de leurs actions
quâelle permet »20. Les thĂ©ories dominantes expliquent la permanence de la relation dâautoritĂ©
par le critĂšre dâefficience mais la prise en compte de la dynamique historique aboutit Ă une
autre analyse.
Pour DockĂšs et la plupart des radicaux, câest « la pression des forces sociales et politiques »
qui explique le passage au salariat. Dans cette perspective, la soumission Ă lâautoritĂ© ne
rĂ©sulte pas dâun calcul ponctuel rĂ©pĂ©tĂ© face Ă la menace (comme dans lâanalyse standard)
mais elle constitue un « pouvoir institué »21. Les subordonnés obéissent par routine (leur
rationalité limitée les amÚne à se contenter de ce satisfecit), qui produit finalement une
« convention » : câest « la convention dâobĂ©issance »22 qui donne son efficacitĂ© Ă lâautoritĂ©.
En son absence, il resterait certes la menace du licenciement et de pénalités diverses, les
promesses de promotion conditionnelles et autres incitations, mais ces derniĂšres supposent un
contrĂŽle dont le coĂ»t croĂźt souvent fortement Ă mesure quâil sâaffine. La convention
dâobĂ©issance permet alors de rĂ©duire fortement ce contrĂŽle et assure le bon fonctionnement de
la relation dâautoritĂ©.
19
On nâest pas loin ici de lâinterprĂ©tation de lâexistence de la firme de Knight (1921) basĂ©e sur lâaversion face au
risque des employés. Dans ce cadre, elle ne serait pas inhérente aux caractéristiques « psychologiques » de
lâindividu lui-mĂȘme mais produite par le fait quâil dĂ©tient peu (ou pas) de capital.
20
DockĂšs (1999, p. 115).
21
LâautoritĂ© est ainsi dĂ©finie comme « un pouvoir devenu une rĂšgle », elle sâimpose rĂ©guliĂšrement et
durablement. La conséquence est que le pouvoir de coercition, de marché et de conviction deviennent autorité
lorsquâils sâinstituent, « se font rĂšgles ». Une fois ce pouvoir instituĂ©, son dĂ©tenteur agit en donnant des ordres et
des commandements. Finalement lâautoritĂ© devient elle-mĂȘme une « institution » et tend Ă ĂȘtre unique (DockĂšs,
1999, p. 87).
22
DockĂšs (1999, p. 172).
89
1.2/ La thĂ©orie de lâĂ©change contestĂ© et la critique du capitalisme
Bowles & Gintis (1993, 1999) vont prolonger les travaux sur lâincomplĂ©tude contractuelle
pour développer une critique du systÚme capitaliste au niveau des marchés et au niveau de la
firme. Partant dâune mĂ©thodologie dâinspiration nĂ©oclassique (en particulier les modĂšles de
salaire dâefficience), leur approche veut rĂ©concilier dans la grande tradition de lâĂ©conomie
politique classique les dimensions économique et politique du systÚme économique dans son
ensemble.
Bowles & Gintis substituent Ă lâĂ©change anonyme du modĂšle walrasien ce quâils appellent
« lâĂ©change contestĂ© » dont le principe est le suivant : « quand quelque aspect du bien ou
service offert est Ă la fois valorisable pour lâacheteur et coĂ»teux Ă fournir », le fait quâil ne soit
pas possible de faire respecter les droits de chacun « donne lieu à des stratégies endogÚnes »23
de surveillance (pour que le contrat soit respecté).
Ils dĂ©finissent quatre motifs fondamentaux pour lesquels lâexĂ©cution exogĂšne du contrat est
impossible:
- il nây a pas de tierce partie pertinente pour le faire ;
- quand lâattribut contestĂ© du bien ne peut ĂȘtre vĂ©rifiĂ© quâimparfaitement ou Ă des coĂ»ts trĂšs
élevés ;
- quand les preuves fournies (du comportement déviant) sont non admissibles par un
tribunal ;
- quand la nature des contingences quant à la réalisation des états de la nature ne permet pas
dâĂ©crire un contrat complet.
Dans ce type de situation, lâexĂ©cution des contrats est endogĂšne câest-Ă -dire que les termes ex
post de lâĂ©change sont dĂ©terminĂ©s par les mĂ©canismes de surveillance et de sanction instituĂ©s
par A pour amener B Ă fournir le niveau dĂ©sirĂ© de lâattribut contestĂ©. Le mĂ©canisme qui est au
cĆur de la relation est ce quâils appellent « le renouvellement contingent », selon lequel un
23
Bowles & Gintis (1993a, p. 85).
90
agent A obtient un niveau de performance requis de lâagent B en lui promettant de renouveler
le contrat dans le futur sâil est satisfait et de le rompre sinon.
LâendogĂ©nĂ©isation de lâexĂ©cution des contrats introduit une relation de pouvoir dĂ©finie par :
« Lâagent A a du pouvoir sur lâagent B si, en imposant ou en menaçant dâimposer des
sanctions sur B, A est capable dâaffecter les actions de B de telle sorte quâelles servent les
intĂ©rĂȘts de A »24.
Sur la base de lâincomplĂ©tude contractuelle et de lâĂ©change contestĂ©, Bowles & Gintis (1993b)
dĂ©fendent lâidĂ©e selon laquelle la « firme dĂ©mocratique » a une efficience supĂ©rieure Ă la
« firme capitaliste » Ă partir dâun modĂšle de thĂ©orie de lâagence. Ils dĂ©montrent notamment
quâune redistribution des droits rĂ©siduels sur la prise de dĂ©cision et du contrĂŽle dâune Ă©quipe
dâemployĂ©s25 gĂ©nĂšre des gains dâefficience pour une firme qui ne connaĂźt comme problĂšme
dâagence que le niveau dâintensitĂ© de lâeffort. Prenant le contre-pied dâun certain nombre
dâauteurs du mainstream, ils montrent notamment que « lorsque la transaction implique
lâĂ©change dâun droit facile Ă vĂ©rifier (par exemple la monnaie) contre un service difficile Ă
contrĂŽler (le travail), la partie qui fournit lâeffort de travail devrait, sur la base du critĂšre
dâefficience, ĂȘtre le crĂ©ancier rĂ©siduel »26.
La firme est définie comme « une équipe de producteurs faisant face à deux problÚmes
intrinsĂšques dâagence : la rĂ©gulation de lâintensitĂ© du travail et le traitement du risque, aucun
des deux ne pouvant ĂȘtre gĂ©nĂ©ralement spĂ©cifiĂ© par le contrat dâexĂ©cution dâune tierce partie »
Dans leur modĂšle, les travailleurs sont identiques et ils supposent que la tĂąche de surveillance
elle-mĂȘme ne gĂ©nĂšre pas de problĂšme dâagence : la surveillance ne nĂ©cessite que des inputs
qui ne sont pas du travail et les contrats sont supposés éliminer les incompatibilités en termes
24
Bowles & Gintis (1993b, p. 14).
25
A partir de lâhypothĂšse de neutralitĂ© face au risque.
26
Bowles & Gintis (1993b, p. 14).
91
dâincitation associĂ©es Ă la performance de la surveillance. Ainsi, « il nây a par hypothĂšse
aucun fondement pour que le contrÎleur soit le créancier résiduel »27.
Par ailleurs, la relation dâemploi est dĂ©finie par le fait que lâemployĂ© accepte de se soumettre Ă
lâautoritĂ© de lâemployeur en Ă©change dâun salaire. Ce salaire est supĂ©rieur au salaire
dâĂ©quilibre de marchĂ© donc il existe sur le marchĂ© du travail un chĂŽmage involontaire28. Au
niveau dâeffort requis par le management, le travail est coĂ»teux Ă fournir pour le travailleur,
valorisable pour lâemployeur et difficile Ă mesurer. La relation de travail est donc bien dĂ©finie
comme un échange contesté.
Ils montrent en trois Ă©tapes que, dans la firme capitaliste, la relation dâemploi entre
lâemployeur A et lâemployĂ© B est aussi une relation de pouvoir de A sur B :
- A peut licencier B, réduisant dans ce cas les revenus de ce dernier aux indemnités de
chÎmage inférieures au salaire : il peut donc appliquer des sanctions à B ;
- A peut utiliser ces sanctions dans son intĂ©rĂȘt en obtenant de B le niveau dâeffort quâil
souhaite ;
- On peut imaginer que B peut sanctionner A (en brûlant son usine !) mais il ne peut pas
utiliser cette capacitĂ© pour faire augmenter le salaire proposĂ© ou pour empĂȘcher A de le
licencier. En effet, dans le cas oĂč B fait une offre « Ă prendre ou Ă laisser » trop Ă©levĂ©e
pour A, il lui suffira de rejeter lâoffre et dâemployer une autre personne. De ce fait, B nâa
rien Ă gagner Ă mettre sa menace Ă exĂ©cution donc sa menace nâest pas crĂ©dible.
Comme la menace de A est crĂ©dible et que celle de B ne lâest pas, A a du pouvoir sur B. Ce
pouvoir « vient du fait que A est du cĂŽtĂ© court du marchĂ© » câest-Ă -dire quâil nâest pas
contraint en quantité, contrairement à B.
27
Bowles & Gintis (1993b, p. 15).
28
Pour assurer la crĂ©dibilitĂ© de sa menace, lâemployeur paie une « rente dâemploi » en plus du salaire dâĂ©quilibre
pour sâassurer un volant minimum de chĂŽmage, cf. section 1.1.3/ .
29
Bowles & Gintis (1993b, pp. 27-28).
92
effort supĂ©rieur Ă celui fourni dans la firme capitaliste. Ils appellent cet effet « lâeffet de
participation » ;
- le statut de créancier résiduel des travailleurs fournit à ce type de firme des mécanismes de
surveillance inabordables et inatteignables pour la firme capitaliste, notamment la
surveillance mutuelle gĂ©nĂ©rĂ©e par le fait que chacun a intĂ©rĂȘt Ă ce que les autres fassent
des efforts Ă©levĂ©s et peut le faire quasiment sans coĂ»t30. Câest lâeffet de « surveillance
mutuelle » ;
- le salaire dans la firme capitaliste est trop bas : elle use trop peu dâincitation salariale et
trop de surveillance par rapport Ă une alternative efficiente. Câest « lâeffet dâincitation
salariale ».
Si les firmes démocratiques exhibent une efficience supérieure à celle des firmes capitalistes
et si le mécanisme de sélection naturelle fonctionne, pourquoi alors les firmes capitalistes
sont-elles encore dominantes ? Bowles & Gintis formulent trois suggestions en guise de
réponse31 :
- apprendre à gouverner une firme démocratique prend du temps et dans les premiers temps,
les coĂ»ts dâapprentissage ont des chances dâĂȘtre supĂ©rieurs aux gains. Câest la « contrainte
de capacités démocratiques » ;
- lâĂ©conomie dominĂ©e par les firmes capitalistes produit des conditions favorables Ă ces
derniĂšres qui empĂȘchent le dĂ©veloppement des firmes dĂ©mocratiques : câest la « contrainte
de lâenvironnement Ă©conomique » ;
- les besoins en capital des firmes démocratiques dépassent les moyens des travailleurs. Par
ailleurs, leur aversion au risque est un obstacle Ă un choix rationnel qui consisterait Ă
concentrer sa richesse dans un seul actif. Il leur manque du capital et des cautions pour
emprunter de lâargent : câest « la contrainte dâinĂ©galitĂ© de richesse ».
On retrouve ici des thĂšmes chers aux radicaux mais le mĂ©rite de Bowles et Gintis est dâavoir
essayĂ© de mener leur dĂ©monstration Ă lâaide des outils nĂ©o-classiques standards.
LâĂ©largissement de la thĂ©orie de lâĂ©change contestĂ© Ă lâensemble du systĂšme capitaliste a pour
but de montrer que « mĂȘme Ă lâĂ©quilibre concurrentiel une Ă©conomie de marchĂ© soutient un
30
Notons quâil sâagit dâune hypothĂšse forte. Comment en effet ne pas imaginer que lâobservation des collĂšgues a
un coût minimal en termes de perte de production ?
31
Bowles & Gintis (1993b, pp. 31-32).
93
systÚme de relations de pouvoirs »32, qui donne le pouvoir aux agents qui sont du cÎté court
des marchés, donc à ceux qui sont non contraints en quantité.
Cela les amÚne à une critique forte de la position défendue notamment par Williamson selon
laquelle les institutions qui émergent du processus concurrentiel seraient les plus efficientes33.
De maniÚre assez surprenante, la théorie conflictuelle de la firme de Bowles & Gintis, qui par
ailleurs ne revendique en rien une quelconque généralité dans sa représentation du pouvoir34,
a Ă©tĂ© mise en cause par dâautres radicaux. Baker & Weisbrot (1994) se sont notamment
attaqués à la nature de la méthodologie employée et à deux conclusions du modÚle concernant
lâinefficience technique du capitalisme et lâexistence dâun chĂŽmage dâĂ©quilibre.
Au sujet du premier point, une comparaison sur la base stricte de lâefficience technique nâest
habituellement pas possible à cause des conditions de production impliquant différents types
dâinputs et/ou dâoutputs. Ainsi, « la question de lâefficience dâun systĂšme comparativement Ă
un autre est probablement sans rĂ©ponse au sens nĂ©oclassique, dans la mesure oĂč les
changements de structure sociale entre les systĂšmes risquent de rendre les inputs et les outputs
différents et donc non comparables »35.
Concernant le second point, leur avis est également prudent parce que la dépense de
surveillance leur paraĂźt irrationnelle dans un modĂšle oĂč les employĂ©s sont identiques : « si les
travailleurs sont identiques, alors ils doivent tous travailler avec la mĂȘme intensitĂ© lorsquâils
sont confrontĂ©s aux mĂȘme situations. Cela signifie que la firme a simplement Ă examiner
lâoutput de fin de pĂ©riode et il sera possible de dĂ©terminer combien de travail a Ă©tĂ© appliquĂ© au
total [âŠ] et ainsi exactement combien de travail a Ă©tĂ© appliquĂ© par chaque personne »36, ce
qui élimine la question du free riding.
Par contre, si on admet lâhypothĂšse selon laquelle les travailleurs ne sont pas identiques, on
peut sâattendre Ă ce que les firmes ajustent les salaires, les niveaux de surveillance et les
32
Bowles & Gintis (1999, p. 15).
33
Cf. la réponse de Williamson (1993) et celle de Stiglitz (1993).
34
Bowles & Gintis (1999, p. 24) : ce nâest pas « un modĂšle gĂ©nĂ©ral de lâexercice du pouvoir dans les Ă©conomies
de marchĂ© » parce quâil nĂ©glige dâautres sources de pouvoir comme les moyens de persuasion.
35
Baker & Weisbrot (1994, p. 1097).
36
Baker & Weisbrot (1994, p. 1098-1099). Ils ajoutent que « lâexistence de surveillance dans un monde de
travailleurs identiques est analogue au fait dâavoir de lâĂ©change dans un modĂšle Ă un seul bien ».
94
sanctions pour comportement de tire-au-flanc selon leur perception des capacités et
inclinaisons au travail de chacun. Cela implique quâil faut enrichir la palette de sanctions (en
plus du licenciement) disponible pour la firme. DĂšs lors, sa capacitĂ© Ă mettre en Ćuvre des
sanctions va dépendre du partage des informations entre membres de la firme (notamment de
la dĂ©lation, Ă©vacuĂ©e des modĂšles de salaires dâefficience). Une autre implication est la
contractualisation bilatérale nécessaire au traitement des cas particuliers, qui augmenterait
considĂ©rablement les coĂ»ts dâinformation et qui saperait la possibilitĂ© dâaction collective que
ce type de modÚle essaie de mettre en oeuvre (entreprise démocratique).
Enfin, Baker & Weisbrot discutent de la nature de la relation de travail décrite dans les
modĂšles de Bowles et Gintis pour remarquer que, loin dâĂȘtre le royaume du conflit, la relation
de travail est largement le royaume du consentement, le conflit étant largement circonscrit en
pratique.
37
Baker & Weisbrot (1994, p. 1109).
95
1.2.4/ Les trois structures du pouvoir
Partant dâune discussion des travaux de Bowles & Gintis, Schutz (1995) va chercher Ă
développer un modÚle de pouvoir plus général et qui propose une vision assez synthétique de
lâapproche moderne des radicaux.
Selon Schutz, la définition du pouvoir retenue par Bowles & Gintis aurait comme défaut
principal de supposer que les moyens du pouvoir sont uniquement les menaces et les
sanctions. Les menaces et les sanctions contraignent lâenvironnement dâaction connu par le
subordonné mais pas seulement : le pouvoir implique aussi des contraintes sur
lâenvironnement que le subordonnĂ© ne connaĂźt pas, sur sa connaissance elle-mĂȘme ou sur sa
perception des choses (quâil connaĂźt). La dĂ©finition de Bowles & Gintis est ainsi considĂ©rĂ©e
comme trop minimaliste et Schutz propose celle-ci : « Si A peut faire faire à B quelque chose
qui amĂ©liore le bien-ĂȘtre de A, en agissant dâune certaine maniĂšre ou en tirant avantage dâune
situation, dans laquelle B nâaurait pas pleinement donnĂ© son consentement sâil avait pu choisir
librement en pleine connaissance des différentes alternatives, alors A a du pouvoir sur B »38.
Par ailleurs, lâensemble des « arrangements sociaux » constituant une relation de pouvoir
entre deux individus (une dyade) doivent inclure au moins :
- une hiérarchie de relations de pouvoir ;
- un ensemble de personnes non inclus dans la hiérarchie mais dont les actions déterminent
la structure des contraintes pesant sur les subordonnés ;
- des connections de pouvoir ou dâinfluence rĂ©ciproque entre lâindividu dominant et ceux
qui dominent dans dâautres hiĂ©rarchies de pouvoir.
Afin dâinclure cette dimension centrale quâest la structure sociale dans la dĂ©finition du
pouvoir, il propose : « Si A peut faire faire Ă B quelque chose qui amĂ©liore le bien-ĂȘtre de A,
en agissant dâune certaine maniĂšre ou en tirant avantage dâune situation, dans laquelle B
nâaurait pas pleinement donnĂ© son consentement si le processus de dĂ©cision avait Ă©tĂ©
pleinement juste et démocratique, alors A a du pouvoir sur B ».
38
Schutz (1995, p. 1152).
96
Câest sur la base de cette dĂ©finition plus gĂ©nĂ©rale quâil dĂ©crit quelles sont les trois relations de
pouvoir « systémique » dans les économies de marché.
Schutz distingue dâune part le pouvoir monopolistique du pouvoir du cĂŽtĂ© court et dâautre part
lâaccĂšs diffĂ©renciĂ© au pouvoir dâachat.
Tout dâabord, sur un marchĂ© monopolistique, le vendeur peut empĂȘcher les acheteurs
dâaccĂ©der au bien. Sous cette menace, les acheteurs acceptent de payer une prime qui amĂšne
le prix au-dessus du prix concurrentiel et ne peuvent (par la concurrence entre vendeurs)
contraindre le monopole.
Ensuite, des déséquilibres entre offre et demande vont donner un pouvoir aux agents qui sont
du cÎté court du marché. Sur le marché du travail, la menace de licenciement est le meilleur
moyen pour Ă©viter que les travailleurs ne se coordonnent pour contraindre lâemployeur. Cette
menace est crédible tant que le niveau de chÎmage persiste de maniÚre visible.
Si on utilise un raisonnement analogue à celui qui est mené sur le marché du travail, on peut
dire que sur les marchĂ©s de crĂ©dit, les prĂȘteurs donnent des primes aux emprunteurs (sous
forme de taux dâintĂ©rĂȘt prĂ©fĂ©rentiels, schĂ©mas de remboursement avantageux) afin de
sâassurer de leur part un comportement prudent et afin quâils sâassurent contre les
emprunteurs non fiables. Ces derniers sont soumis en effet Ă la menace de rupture de prĂȘt et se
conduisent donc dans lâintĂ©rĂȘt des prĂȘteurs.
Dans le cas du pouvoir monopolistique et du pouvoir du cÎté court39, les bénéfices de ceux
qui ont le pouvoir se font sous la forme dâune redistribution de revenus : un profit excessif
(rente monopolistique) tiré directement du revenu des agents dans le premier cas, un profit tiré
directement du travail productif des employés et indirectement des chÎmeurs sur le marché du
travail dans le second cas. Enfin sur le marché des capitaux, le pouvoir se fait au détriment
des emprunteurs potentiels qui nâont pas accĂšs au crĂ©dit.
39
Remarquons que le pouvoir du monopole est exercé du cÎté court du marché des biens.
97
DĂšs lors, « lâinĂ©galitĂ© de revenu est une consĂ©quence (partielle) des structures de pouvoir sur
les marchĂ©s ». Elle Ă©merge aussi de lâinĂ©galitĂ© initiale de distribution des dotations en
propriĂ©tĂ©. En effet, le revenu est la source la plus importante de pouvoir dâachat, qui est une
sorte de « pouvoir de faire ». LâinĂ©galitĂ© concernant le pouvoir dâachat signifie Ă©galement que
les individus nâinfluencent pas Ă©galement les dĂ©cisions dâallocation des ressources (en tant
quâacheteurs et vendeurs), cette influence diffĂ©rentielle peut alors ĂȘtre perçue comme une
forme de pouvoir40.
LâinĂ©galitĂ© de pouvoir dâachat est « un Ă©lĂ©ment fondamental des structures de commandement
et de domination, câest-Ă -dire de pouvoir », Ă cause des positions que cela implique sur les
marchĂ©s du travail et du crĂ©dit : une richesse faible est un frein Ă lâentrepreneuriat, un frein Ă
lâaccumulation du capital et mĂšne donc Ă la soumission au pouvoir du cĂŽtĂ© court. En bref, la
richesse permet dâĂȘtre du cĂŽtĂ© court sur les deux marchĂ©s.
Ainsi, ceux pour qui le travail est un moyen de subsistance nâont pas dâautre choix que de se
trouver dominĂ©s, les institutions impliquant finalement lâhĂ©gĂ©monie du systĂšme de propriĂ©tĂ©
privée avec son pouvoir basé sur la menace et le pouvoir dérivé du consentement des gens qui
travaillent.
Conclusion de la section 1
Pour les radicaux, les sources du pouvoir sont le pouvoir de marché (qui découle largement du
pouvoir dâachat), la coercition et lâinformation. Ces relations de pouvoir sâencastrent dans la
structure sociale et aboutissent à des relations de domination de certains agents économiques
sur les autres. Le pouvoir existe par hypothÚse dans le systÚme économique et toute
reprĂ©sentation qui sâen passerait ne pourrait prĂ©tendre Ă une explication du fonctionnement du
monde rĂ©el. Une des limites de cette approche est quâelle postule le pouvoir et cherche Ă
repérer principalement ce qui relÚve du pouvoir de marché. Par ailleurs, elle tend à définir la
firme quasi uniquement sous lâangle de la relation salariale41.
Finalement, pour conclure cette approche et rĂ©sumer le positionnement quâelle adopte par
rapport aux travaux orthodoxes, cette citation de Schutz (1995, p. 1166) est éclairante :
40
Schutz (1995, p. 1164).
41
GabriĂ© & Jacquier (1994) sâintĂ©ressent de mĂȘme aux thĂ©ories nĂ©o-institutionnelles de la firme sous cet angle
unique. Coase (1993) regrette a posteriori dâavoir fondĂ© la distinction firme/marchĂ© uniquement sur cette base
dans son article séminal de 1937.
98
« Les sociétés à économie de marché ne sont pas essentiellement différentes des autres
sociĂ©tĂ©s dĂ©veloppĂ©es de lâhistoire humaine : ce sont des systĂšmes pyramidaux de statuts et
privilÚges personnels et institutionnels, structurés par les arrangements de pouvoir dans toutes
les sphĂšres dâactivitĂ©, y compris lâallocation des ressources. Il serait temps que les
Ă©conomistes orthodoxes le reconnaissent, aprĂšs lâensemble des chercheurs en science
sociale ».
Une approche alternative Ă celle des radicaux existe en sciences Ă©conomiques. Elle consiste Ă
partir du modĂšle standard et des hypothĂšses du modĂšle standard (notamment en termes de
comportement) pour identifier si oui ou non il y a une place pour lâanalyse des phĂ©nomĂšnes
de pouvoir intra-organisationnel dans la science économique.
Câest cette approche que privilĂ©gie Bartlett (1989), dans le cadre dâun programme de
recherche plus vaste ayant pour but dâĂ©tudier « la nature de la relation entre des ĂȘtres humains
identifiables quand leurs interactions incluent des échanges marchands »42. Pour lui, la
question du pouvoir sur les marchĂ©s doit ĂȘtre abordĂ©e de telle maniĂšre que lâon puisse
« trouver le pouvoir sâil existe, et que lâon puisse identifier son absence sâil nâexiste pas sur le
marché ». Cette réflexion sur le marché, centrée autour de la nature du processus de décision,
va le conduire Ă sâinterroger sur le pouvoir dans lâorganisation.
Un concept Ă©conomique de pouvoir doit sâattacher Ă respecter les principes de la thĂ©orie des
comportements, tels quâils sont dĂ©finis par exemple par Becker (1963), lâargument sur le
pouvoir ne pouvant porter selon lui que dans la mesure oĂč il est identifiĂ© au cĆur des
méthodes du mainstream. Cela revient à considérer des individus qui a) font des choix, b) sont
maximisateurs, c) sont soumis Ă des contraintes. Cela fonctionne Ă partir dâune hypothĂšse sur
42
Bartlett (1989, p. 10).
99
la rareté (les demandes excÚdent les possibilités), la solution au dilemme consistant à savoir
quel arbitrage faire, en choisissant Ă la marge lâarbitrage qui nâapporte plus de gain net.
Il va finalement ĂȘtre dĂ©fini comme « la capacitĂ© dâun agent Ă affecter les dĂ©cisions prises et/ou
le bien-ĂȘtre dâun autre agent relativement aux choix qui auraient Ă©tĂ© pris et/ou Ă son bien-ĂȘtre
si le premier agent nâavait pas existĂ© ou agi »43, pour rendre compte de sa dimension
essentielle qui est son impact éventuel sur la décision.
43
Bartlett (1989, p. 30).
100
LâĂ©valuation du pouvoir est mesurĂ©e par son impact sur le niveau dâutilitĂ© totale (dĂ©fini
comme la somme des utilitĂ©s tout au long de la vie) : Soit W1 le niveau de bien-ĂȘtre dâun
acteur sans intervention extĂ©rieure et Wj ce mĂȘme niveau avec intervention extĂ©rieure
(exercice de pouvoir). Bartlett définit alors le pouvoir comme :
- positif si Wj > W1 ;
- négatif si Wj < W1 ;
- neutre si Wj = W1.
Le niveau dâutilitĂ© atteint dĂ©pendant du choix effectuĂ© par lâagent (donc de son processus de
décision), Bartlett associe naturellement le pouvoir à la théorie de la décision.
Bartlett Ă©tudie le pouvoir dans le cadre de la thĂ©orie de la dĂ©cision44 Ă lâaide des arbres de
décision :
Le problĂšme de dĂ©cision illustrĂ© ici est caractĂ©risĂ© par un nĆud de dĂ©cision (avec deux choix),
et un noeud alĂ©atoire auquel sont associĂ©s les probabilitĂ© de rĂ©alisation dâĂ©vĂ©nements IP(ei) et
leurs gains respectifs. Par dĂ©finition, lâagent ne contrĂŽle pas le nĆud alĂ©atoire.
Pour Bartlett, câest au niveau du nĆud de dĂ©cision que le pouvoir peut sâexercer, de la part
dâun acteur susceptible de modifier le choix de chemin pris par un autre. Ce pouvoir peut
prendre cinq formes principales :
44
« Si la vie est un vaste arbre de dĂ©cision, le comportement est reprĂ©sentĂ© par les noeuds de dĂ©cision oĂč
lâindividu a quelque contrĂŽle : il fait des choix, sĂ©lectionne le chemin de maniĂšre rĂ©active et proactive. » Bartlett
(1989, p. 41).
101
- le pouvoir économique simple : consiste à proposer une alternative supplémentaire et
supĂ©rieure Ă celles dont dispose initialement lâagent dĂ©cideur : « câest un pouvoir bien
identifiĂ© dans la thĂ©orie microĂ©conomique. Câest la capacitĂ© de changer une dĂ©cision en
faisant une meilleure offre que nâimporte qui dâautre ». Le pouvoir de monopole rentre
dans cette catĂ©gorie dans la mesure oĂč le dĂ©cideur est libre dâaccepter ou de refuser lâachat
(à un prix supérieur au prix de concurrence parfaite) ;
- le pouvoir de contrĂŽle de la dĂ©cision : la thĂ©orie de lâagence est le contexte idĂ©al pour
représenter ce type de pouvoir puisque dans certains cas le décideur (le principal)
abandonne le noeud de dĂ©cision Ă lâagent, qui Ă©value les options et fait le choix pour lui.
On retrouve ici la question du contrĂŽle de lâinformation qui est une forme de pouvoir de
contrÎle de la décision ;
- le pouvoir sur les Ă©vĂ©nements (modifie les rĂ©sultats objectifs) : il peut ĂȘtre soit accordĂ© par
lâagent (ex : la dĂ©cision de dĂ©cider en premier dans un Ă©change), soit non accordĂ© (ex : les
externalités négatives) ;
- le pouvoir sur le programme (agenda power) fait référence notamment au pouvoir bi-
dimensionnel de Bachrach & Baratz (1970) dont le raisonnement peut ĂȘtre rĂ©sumĂ© ainsi :
si les agents Ă©taient parfaitement rationnels et donc capables dâidentifier tous les choix
possibles, la question du pouvoir ne se poserait pas. Dans la mesure oĂč leur rationalitĂ© est
limitée, ils ne peuvent considérer que des sous-ensembles de choix et la question de savoir
qui décide des sous-ensembles (des options possibles) est liée au problÚme du pouvoir ;
- le pouvoir des valeurs : modifie les évaluations subjectives associées à chaque événement.
Ces diffĂ©rents types de pouvoir vont se manifester Ă diffĂ©rents endroits de lâarbre de dĂ©cision.
Le pouvoir de décision (simple ou celui concernant le contrÎle des décisions) coïncide avec
les actions prises aux nĆuds de dĂ©cision. Le pouvoir des Ă©vĂ©nements se manifeste plutĂŽt aux
nĆuds alĂ©atoires et le pouvoir de programme (dâagenda) restructure la forme des branches
possibles Ă un segment de lâarbre. Enfin, le pouvoir des valeurs se manifeste dans le
changement des valeurs subjectives associées à chaque événement.
Une fois dĂ©fini le cadre conceptuel, il reste Ă expliquer en quoi lâexercice du pouvoir peut ĂȘtre
un comportement économique.
102
2.3/ Lâexercice du pouvoir comme comportement Ă©conomique dans le modĂšle standard
Lâargument mĂ©thodologique de Friedman (1953) selon lequel seul le pouvoir prĂ©dictif dâun
modÚle compte (et pas le réalisme de ses hypothÚses) rendrait la discussion des contraintes
(fortes) prĂ©sentĂ©es plus haut inutile sâil sâagissait juste dâutiliser le modĂšle pour prĂ©dire les
choix. Naturellement, ces hypothÚses sont souvent présentées de maniÚre générale sous la
forme dâhypothĂšses relatives aux fonctions de prĂ©fĂ©rence donnĂ©es et fixĂ©es, aux dotations
initiales en facteurs donnĂ©es et Ă lâinformation parfaite mais le point essentiel est ici que ce
45
Bartlett (1989, p. 66).
103
type de modĂšle suppose lâabsence de tout potentiel pour le pouvoir. Autrement dit, le fait de
relĂącher ces hypothĂšses contraignantes « ne prouve pas lâexistence du pouvoir mais permet
lâexamen dâun potentiel pour le pouvoir »46.
Les travaux sur lâĂ©conomie de lâinformation suggĂšrent que lâinformation nâest pas parfaite et
que son acquisition est extrĂȘmement coĂ»teuse47. DĂšs lors, dans le cadre du problĂšme de
dĂ©cision reprĂ©sentĂ© par un arbre de choix, personne ne dispose dâun arbre de dĂ©cision
objectif : « nous nous déplaçons sur des cartes définies par nos perceptions des arbres, qui en
retour dĂ©pend de lâinformation dont nous disposons ». Autrement dit, « le fait de relĂącher les
hypothĂšses implicites dâomniscience ou dâun droit parfait Ă la vĂ©ritĂ© ouvre la porte au
pouvoir »48.
La plupart des travaux en Ă©conomie de lâinformation reconnaissent que les individus agissent
avec diffĂ©rents degrĂ©s dâignorance et considĂšrent les implications en termes dâefficience de
lâinformation imparfaite mais peu explorent les implications de lâexercice du pouvoir. En
rĂ©ponse par exemple Ă une situation de risque (ou dâincertitude probabilisable)49, on suppose
que les agents réalisent soit des actes « terminaux », qui établissent des rÚgles de décision face
au risque (adaptation à un risque inévitable), soit des actes « informationnels » qui ont pour
but de dĂ©terminer des stratĂ©gies optimales de recherche dâinformation. La question est dans ce
dernier cas de savoir quelle est la recherche optimale par le décideur, et non quelle est
lâaltĂ©ration optimale des probabilitĂ©s dâacquisition dâinformation de celui-ci par quelquâun
dâautre. La recherche optimale sâarrĂȘte lorsque le bĂ©nĂ©fice marginal dâune information Ă©gale
son coût marginal ; cela demeure un phénomÚne individuel et non social.
46
Bartlett (1989, p. 67). Il ajoute par ailleurs que les hypothÚses du modÚle standard « dictent les réponses mais
ne peuvent justifier lâabsurditĂ© des hypothĂšses » si ces derniĂšres restreignent de maniĂšre forte les conclusions
possibles que lâon pourrait apporter concernant le rĂŽle potentiel du pouvoir dans dâinteraction des agents
économiques.
47
Cf. annexe 1.
48
Bartlett (1989, p. 76).
49
Rappelons que ces deux notions sont équivalentes pour Hirshleifer & Riley (1979, 1992).
104
Par ailleurs, dans une situation de rationalité limitée, les individus sont des candidats naturels
Ă la manipulation par dâautres mais aucun des auteurs nâa poussĂ© les implications des modĂšles
jusquâĂ ce point. Il semblerait ainsi que les Ă©conomistes aient « introduit le pouvoir partout.
Peu lâont reconnu cependant, et il reste largement Ă dĂ©couvrir »50.
Toute personne exerçant potentiellement un pouvoir qui peut altérer la nature de la perception
du segment observé peut altérer le comportement du décideur, à condition bien sûr que cela
ne soit pas trop coĂ»teux et quâil en tire lui-mĂȘme un bĂ©nĂ©fice.
Dans le contexte de la recherche dâinformation, celle-ci est possĂ©dĂ©e par des individus ayant
investi pour cela et qui ne sont pas prĂȘts Ă la cĂ©der gratuitement, sans contrepartie. Si
lâinformation est privĂ©e, elle fait ainsi partie « de lâarsenal stratĂ©gique disponible pour
sâengager dans les interactions sociales »51. Par ailleurs, un individu peut cacher sciemment de
lâinformation afin dâinfluencer le comportement dâun autre agent et il exerce alors du pouvoir.
Dans un contexte de rationalitĂ© limitĂ©e, le pouvoir peut ĂȘtre exercĂ© de trois maniĂšres :
- lâinformation peut ĂȘtre manipulĂ©e de telle maniĂšre quâelle modifie la nature de lâarbre de
dĂ©cision tel quâil est perçu par le dĂ©cideur (son architecture) ;
- lâinformation peut ĂȘtre manipulĂ©e pour modifier la nature des Ă©vĂ©nements alĂ©atoires. Les
dĂ©cideurs rĂ©pondent Ă des Ă©vĂ©nements extĂ©rieurs dont ils nâont quâune information
partielle et on peut essayer de changer leur perception de la réalité ainsi que les options de
choix ;
- on peut essayer de modifier la valeur et le classement des options de réponse à ces
Ă©vĂ©nements. Il sâagit alors de dĂ©terminer les gains perçus des diffĂ©rentes options.
50
Bartlett (1989, p. 84). Ainsi « ces deux champs théoriques particuliers nous laissent avec des acteurs luttant
pour dépasser leur ignorance et leur connaissance limitée des choix et des événements qui déterminent leur vie.
Ils doivent naviguer sans cartes parfaites Ă lâaide de compas imparfaits. Les choix quâils font ne sont pas basĂ©s
sur des arbres de décision parfaitement spécifiés et complets. Ils sont faits sur la base de leurs perceptions de
segments de lâarbre ».
51
Bartlett (1989, p. 85).
105
du stock dâinformations peut aussi relever du pouvoir de contrĂŽle de la dĂ©cision. Par ailleurs,
la manipulation de lâinformation peut concerner non pas ce qui est susceptible de se produire
(dans le futur) mais ce qui sâest effectivement produit (dans le passĂ©). En effet, lorsque des
Ă©vĂ©nements se sont dĂ©roulĂ©s, câest la perception quâen a le dĂ©cideur qui est importante. On
peut ainsi changer la nature des événements pertinents. Enfin, le pouvoir des valeurs (par
exemple les modes) joue dans la mesure oĂč le dĂ©cideur nâest pas seulement dĂ©pendant des
sources dâinformation humaines mais aussi de la maniĂšre dont les autres accordent de la
valeur à des résultats particuliers.
Lâinformation imparfaite et asymĂ©trique crĂ©e donc des opportunitĂ©s pour lâexercice de toutes
les formes de pouvoir mais au fur et à mesure que le systÚme économique se développe,
certaines caractĂ©ristiques des situations de marchĂ© ont tendance Ă augmenter lâefficacitĂ©
dâautres formes de pouvoir que le pouvoir Ă©conomique simple. Ces facteurs sont
lâaugmentation de la dĂ©lĂ©gation des dĂ©cisions, lâaugmentation de la complexitĂ© des processus
et produits et lâaccroissement du contrĂŽle de lâenvironnement par les organisations.
Finalement, le pouvoir apparaĂźt lorsque lâinformation sâaccroĂźt en volume et en complexitĂ©.
Dans ce contexte, les marchés ne sont pas une défense parfaite face au pouvoir. Ce sont les
interfĂ©rences politiques et lĂ©gales entre les marchĂ©s et les individus qui peuvent ĂȘtre
considérées comme des réponses pertinentes.
Les sujets de ce pouvoir potentiel peuvent chercher à réduire ses effets négatifs en remplaçant
les interactions marchandes directes par les structures administratives que sont les
organisations, câest-Ă -dire en crĂ©ant des relations institutionnelles conçues pour contrecarrer
les effets les plus nĂ©fastes de lâasymĂ©trie informationnelle.
Comme on lâa vu au chapitre 1, les organisations peuvent ĂȘtre apprĂ©hendĂ©es comme une
réponse nécessaire aux problÚmes informationnels : il existe des agents spécifiques exerçant
un contrĂŽle sur lâinformation et sur les Ă©vĂ©nements cruciaux pour le partenaire Ă lâĂ©change :
câest donc selon Bartlett une « rĂ©ponse Ă lâintroduction du pouvoir sur les marchĂ©s »52.
52
« Elles parlent toutes des problÚmes de coûts des marchés imparfaits sans insister sur le fait que ces coûts sons
sous le contrĂŽle explicite dâautres ĂȘtres humains, câest Ă dire quâils sont du pouvoir » (Bartlett, 1989, p. 103).
106
Ces approches ne tirent cependant pas toutes les conséquences des problÚmes liés aux coûts
dâutilisation des marchĂ©s quâelles identifient. Ces coĂ»ts en effet ne sont pas gĂ©nĂ©rĂ©s par
lâaction dâun agent en dehors de la sphĂšre Ă©conomique, la nature (abstraction de la plupart des
thĂ©oriciens orthodoxes), mais sont le produit dâactions humaines conscientes. Cela implique
que la substitution des structures administratives aux marchĂ©s est susceptible de crĂ©er dâautres
manifestations du pouvoir : « si les organisations existent parce quâil est impossible de
coordonner parfaitement le comportement (des agents économiques) via le marché dans un
monde dâinformation imparfaite et de transactions coĂ»teuses, il semblerait surprenant
dâabandonner ces hypothĂšses au sein de la firme ou lâorganisation »53.
Les organisations sont formĂ©es dâun ensemble de personnes liĂ©s par une structure formelle de
rĂŽles et dâautoritĂ© : ce sont des structures dâacteurs chargĂ©s de prendre des dĂ©cisions pour les
autres. Elles sont donc des lieux oĂč sâexercent des relations de pouvoir. Par exemple, dans un
modĂšle principal/agent, chaque partie dispose dâun potentiel pour exercer du pouvoir, Ă moins
que nâexistent des mĂ©canismes qui :
- révÚlent aux agents une spécification complÚte des fonctions de préférence du principal ;
- rĂ©vĂšlent au principal le processus complet des processus de pensĂ©e et dâaction des agents ;
- fournissent des incitations parfaites aux agents, sous le contrÎle complet et sans coût du
principal, afin que ceux-ci maximisent lâutilitĂ© du principal.
Or ces mĂ©canismes ne peuvent exister sans lâhypothĂšse dâomniscience parfaite du principal
qui nous ramĂšne dans le cas particulier du modĂšle walrasien. Finalement, « la prĂ©sence mĂȘme
des relations dâagence prouve lâimperfection des relations dâagence »54.
Le pouvoir économique simple ne prédomine plus dans une structure organisationnelle qui
détermine les interrelations entre les arbres de décision des agents individuels. Dans une
structure formelle, le principal peut dĂ©lĂ©guer lâautoritĂ© explicite de la prise de dĂ©cision, ce qui
introduit un degré de pouvoir de décision.
Les agents sont aussi susceptibles dâavoir un pouvoir sur les Ă©vĂ©nements (dans le contexte de
la prise de décision) donc sur le principal qui dans une chaßne hiérarchique est responsable des
décisions prises par ses subordonnés.
53
Bartlett (1989, p. 107).
54
Bartlett (1989, p. 109).
107
Enfin, en ce qui concerne le pouvoir des valeurs, Arrow (1976, 1985) suggĂšre que la base du
comportement, loin dâĂȘtre ancrĂ©e dans des fonctions dâincitations soigneusement choisies, se
trouve plutĂŽt dans les relations sociales qui affectent les actions des agents. Le comportement
rĂ©sulterait « des systĂšmes dâĂ©thique, intĂ©riorisĂ©s durant le processus dâĂ©ducation et mis en
Ćuvre dans une certaine mesure par les sanctions formelles et plus largement par les
réputations. Au final bien sûr ces systÚmes sociaux ont des conséquences économiques, mais
ce ne sont pas celles immédiatement décrites dans les modÚles principal-agent »55.
Conclusion de la section 2
PlutÎt que de partir du postulat énonçant que le pouvoir existe, Bartlett essaie de déduire un
potentiel de pouvoir du fait que les organisations sont elles-mĂȘmes des structures dâagence
imparfaites. La firme, conçue comme une réponse aux problÚmes informationnels identifiés
dâabord sur les marchĂ©s, tendrait alors Ă accorder du pouvoir Ă certains de ses membres en
fonction de leur position dans la structure. Le glissement des marchés vers les organisations,
en ne rĂ©solvant pas intĂ©gralement les problĂšmes dâinformation liĂ©s aux Ă©changes, ne
résoudrait pas non plus les phénomÚnes de pouvoir engendrés par les comportements des
agents Ă©conomiques vis-Ă -vis de lâinformation : « sur les marchĂ©s imparfaits il y a un pouvoir
réel. Quand les organisations sont substituées à ces marchés, il y a un pouvoir réel. Il y a du
pouvoir en leur sein. Il y a du pouvoir en dehors. Il nây a apparemment pas dâĂ©chappatoire
possible »56.
Bien que peu nombreuses, les tentatives dâintĂ©gration des phĂ©nomĂšnes de pouvoir dans la
thĂ©orie standard nâen sont pas pour autant homogĂšnes. Cette section dĂ©veloppe trois types
dâapproches qui concernent respectivement les activitĂ©s dâinfluence dans lâorganisation, la
dĂ©lĂ©gation de lâautoritĂ© et enfin une articulation plus gĂ©nĂ©rale entre pouvoir et politique dans
la firme.
55
Arrow (1985, p. 50).
56
Bartlett (1989, p. 120).
108
3.1/ Les activitĂ©s dâinfluence
Milgrom & Roberts (1988)57 remarquent que les membres dâune organisation passent un
temps considĂ©rable Ă essayer dâinfluencer les dĂ©cideurs en manipulant lâinformation.
Lâexercice de ces activitĂ©s peut quelquefois ĂȘtre bĂ©nĂ©fique pour les organisations mais il
engendre une série de coûts. Les auteurs proposent dans leur modÚle une explication de
lâoccurrence des activitĂ©s dâinfluence comme le produit dâun jeu croisĂ© entre des membres
rationnels Ă la poursuite de leur intĂ©rĂȘt personnel58. Ils insistent tout particuliĂšrement sur les
questions relatives aux incitations et aux compensations qui ont été la plupart du temps
étudiées dans le cadre de modÚle formels de type principal-agent.
Leur explication repose sur lâexistence dâasymĂ©tries informationnelles59. Ils supposent que
lâinformation pertinente pour lâorganisation est dĂ©tenue par des individus non-dĂ©cideurs mais
directement intéressés par le résultat des décisions60. Dans une telle situation, les membres de
lâorganisation sont incitĂ©s Ă essayer de manipuler lâinformation quâils fournissent afin
dâinfluencer les dĂ©cisions Ă leur profit, que ce soit sous la forme de mensonges, omissions ou
encore en prĂ©sentant lâinformation de maniĂšre Ă influencer le dĂ©cideur. La source dâinfluence
supposĂ©e est la capacitĂ© dâun employĂ© Ă fournir une information utile sur son niveau de
productivitĂ© dans un job « clĂ© ». Cette information doit ĂȘtre créée, ce qui demande du temps et
de lâeffort61.
57
Remarquons que cet article a été publié dans The American Journal of Sociology. Milgrom (1988) en fournit
une version formalisée.
58
Ils Ă©vacuent du mĂȘme coup, Ă lâinstar de ce que fait Williamson lorsquâil introduit lâopportunisme toute
tentative dâexplication par une simple recherche de pouvoir, comme lâattestent les deux hypothĂšses p.160 : les
subordonnés ne sont intéressés que par leur revenus monétaires anticipés, les décideurs essaient de maximiser les
rendements nets de lâorganisation (les profits).
59
Mais les agents sont parfaitement rationnels : « lâinformation peut ĂȘtre transmise, assimilĂ©e, mesurĂ©e
précisément et sans coût, de telle maniÚre que tous les acteurs soient capables de faire des calculs compliqués et
de tenir des raisonnements extrĂȘmement subtils ».
60
Gibbons (2003, p. 770) remarque dans sa note de bas de page une différence entre les modÚles de signaux
(Spence, 1973) et le modĂšle de Milgrom & Roberts (1988) : « [âŠ] dans les modĂšle de signaux, celui qui envoie
le signal a une information privĂ©e quâil essaie de signaler, dans les modĂšles dâactivitĂ© dâinfluence, celui qui
influence nâa pas dâinformation privĂ©e Ă signaler, il essaie nĂ©anmoins de changer la croyance du dĂ©cideur afin
dâinfluencer sa dĂ©cision » . Cette affirmation nous semble imprĂ©cise au regard de lâextrait suivant tirĂ© de
Milgrom & Roberts (1988, p. 156) : « On admet quâune partie de lâinformation importante pour que
lâorganisation prenne de bonnes dĂ©cisions nâest pas directement disponible pour ceux en charge des dĂ©cisions.
Au lieu de cela, elle est localisĂ©e au niveau [âŠ] dâautres individus ou groupes qui ne sont pas autorisĂ©s Ă prendre
les dĂ©cisions mais qui ont un intĂ©rĂȘt direct dans leurs consĂ©quences ». La base de leur argumentation est
justement que lâagent a une information privĂ©e ou est susceptible de la produire.
61
Milgrom & Roberts (1988, p. 165).
109
Le problĂšme pour lâorganisation est que cette activitĂ© dâinfluence peut ĂȘtre coĂ»teuse Ă
plusieurs titres :
- le biais informationnel quâelle suscite peut conduire Ă des dĂ©cisions inefficientes pour
lâorganisation ;
- le temps et lâeffort consentis dans cette activitĂ© sont des ressources dont les utilisations
alternatives ont de la valeur pour le principal.
Pour rĂ©duire ces coĂ»ts en limitant les activitĂ©s dâinfluence, lâorganisation peut adopter trois
comportements :
- couper les réseaux de communication, au moins pour certaines décisions : le problÚme est
que dans ce cas lâinformation pertinente nâest plus disponible. De plus il nâest pas toujours
possible de le faire ;
- avec des canaux de communication ouverts, les décideurs peuvent aussi choisir des rÚgles
qui limitent leur propre pouvoir de dĂ©cision (promotions systĂ©matiquement Ă lâanciennetĂ©
etcâŠ) ;
- lâorganisation peut essayer de faire en sorte de sâassurer que les intĂ©rĂȘts sont convergents
ou de convaincre les membres que seule la rĂ©alisation des objectifs de lâorganisation peut
leur ĂȘtre profitable. Ce mĂ©canisme est Ă©galement coĂ»teux Ă mettre en Ćuvre.
Les deux derniĂšres solutions renvoient Ă la modification des structures et des processus
internes Ă lâorganisation, permettant Ă©ventuellement dâarriver Ă une structure de type
« équipe » dans laquelle les membres partageraient un objectif commun. Un aspect novateur
de leur approche est ainsi quâelle montre en quoi la conception mĂȘme de lâorganisation, en
termes de politiques de participation à la décision, de critÚres de promotion, de
dĂ©veloppement dâune culture dâentreprise devient une variable qui est utilisĂ©e pour atteindre
une bonne performance en présence de problÚmes informationnels.
Pour Gibbons (2003, p. 771), Crozier (1963, p. 45) avait déjà exploré la premiÚre situation
consistant dans la coupure totale des canaux de communication entre des chefs de section
concurrents pour lâobtention de ressources rares, et chargĂ©s de rendre compte aux seuls
dirigeants de leurs divisions respectives. LâactivitĂ© de lobbying62 dĂ©crite par Crozier, effectuĂ©e
62
LâidĂ©e est la suivante : les dĂ©cideurs ne reçoivent de lâinformation que de leurs chefs de section mais ces
derniers sont en concurrence pour lâobtention de ressources (rares) qui vont leur permettre de faire tourner leurs
unitĂ©s. Ils sont donc incitĂ©s premiĂšrement, Ă biaiser lâinformation quâils transmettent pour obtenir le maximum
110
par les chefs de section vis-à -vis de leurs supérieurs hiérarchiques, a été modélisée par
Gibbons (1999, 2003).
3.1.2/ Les activités de lobbying : Crozier (1963) revu par Gibbons (1999, 2003)
Soit une firme divisionnelle dans laquelle le siĂšge est chargĂ© dâallouer le capital aux
différentes divisions. Gibbons formule deux hypothÚses :
- le siĂšge ne connaĂźt pas le profit que les divisions sont susceptibles de rĂ©aliser Ă partir dâun
montant de capital donné, il ne peut donc pas déterminer le montant de capital qui permet
de maximiser les profits de la firme ;
- les divisions veulent obtenir le plus de capital possible.
-
Dans ce cas, le siĂšge est confrontĂ© au mĂȘme problĂšme que le directeur de division de Crozier
(1963) en ce sens quâil peut collecter de lâinformation pour amĂ©liorer sa prise de dĂ©cision
mais il devra alors en supporter des effets potentiellement indésirables.
Le modĂšle sâintĂ©resse spĂ©cifiquement Ă deux acteurs qui sont le siĂšge et une division.
Soient x le montant de capital que le siĂšge dĂ©cide dâallouer Ă la division et Ξ le capital qui
permettrait de prendre une décision optimale. Le siÚge souhaiterait pouvoir allouer x = Ξ mais
il ne connaßt pas Ξ.
Pour complĂ©ter le modĂšle, Gibbons dĂ©termine la structure dâinformation, les fonctions
dâutilitĂ© et le timing des activitĂ©s.
La structure dâinformation
Le siĂšge croit Ă partir des informations disponibles que Ξ ⌠N (m,v) et peut collecter de
lâinformation supplĂ©mentaire Ξ sur sous la forme dâun signal bruitĂ© de Ξ, notĂ© s, dont la valeur
dĂ©pend de la valeur de Ξ, dâune activitĂ© L â„ 0 engagĂ©e par la division de maniĂšre Ă accroĂźtre la
valeur du signal et dâun alĂ©a Δ ⌠N (0,vΔ). Le siĂšge observe s mais pas ses composantes.
de ressources et des faveurs personnelles leur permettant de faire fonctionner leur unité dans de bonnes
conditions, deuxiĂšmement de mettre la pression sur le responsable de division afin quâil ne rentre pas en relation
avec un autre collĂšgue quâil pourrait favoriser Ă leurs dĂ©pens.
111
Les fonctions dâutilitĂ©
Le timing
PĂ©riode 0 (dĂ©but du jeu) : le siĂšge choisit une rĂšgle dâallocation du capital en fonction du
signal de la forme x = d+bs avec d et b des paramĂštres que le siĂšge annonce Ă la division,
supposés fixes dans le temps.
PĂ©riode 1 : la division choisit L, le niveau de ses activitĂ©s dâinfluence
Période 2 : le siÚge observe s
Période 3 : le siÚge alloue le capital selon la rÚgle
Période 4 : le siÚge reçoit Uh et la division Ud
Etape 1 : le problĂšme de la division est de choisir L qui maximise son espĂ©rance dâutilitĂ© pour
d et b :
1
Max E ( U d ) = E (d + bs) â c(L) â Max E ( U d ) = E[d + b(Ξ + L + Δ)] â L2
L L 2
qui donne comme solution63 L* = b.
Ce rĂ©sultat est conforme Ă lâidĂ©e selon laquelle plus le poids accordĂ© par le siĂšge au signal
dans la rĂšgle de choix de lâallocation optimale est important, plus le niveau de lobbying est
élevé.
63 âE( U d )
La condition du premier ordre donne immĂ©diatement : = b â L = 0 â L* = b .
âL
112
Etape 2 : le problĂšme du siĂšge est de choisir d et b qui maximisent son espĂ©rance dâutilitĂ©
sachant que la division choisira L* = b. Le calcul64 des solutions donne :
v â 1/ 2
b* =
v + vΔ
La valeur de b* dĂ©pend donc de lâincertitude du siĂšge quant Ă lâallocation optimale de capital
(mesurée par la variance de Ξ) et du bruit du signal (mesurée également par sa variance). Si la
variance de lâallocation optimale de capital est suffisamment faible65 (v < 1/2) alors le siĂšge
choisira b* = 0 ce qui aura pour effet dâannuler les coĂ»ts du lobbying. On retrouve ici le
modĂšle de Crozier. Dans le cas oĂč les chances de se tromper sont fortes, lâincitation du siĂšge Ă
collecter des informations supplémentaires augmente également et avec elle les coûts de
lobbying. Quel que soit le cas, cette collecte dâinformation ne permettra pas dâarriver Ă
lâoptimum de premier rang. En effet, si le siĂšge dĂ©cide de lâallocation optimale du capital sans
prendre en compte le niveau optimal de lobbying de la division, on obtient la nouvelle valeur
de b*, notée B* est qui est égale à :
v
B* =
v + vΔ
Comme b* < B*, la prise en compte des coĂ»ts de lobbying (donc des activitĂ©s dâinfluence) va
amener le siÚge à minorer la pondération associée au signal, avec pour conséquence le fait
quâil va choisir intentionnellement de nĂ©gliger des informations potentiellement importantes
pour calculer sa solution optimale.
Finalement, ce type de modĂšle ne conduit quâĂ un optimum de second rang dans la mesure oĂč
il ne va pas conduire à la meilleure situation informationnelle pour le décideur. Celui-ci est
confrontĂ© Ă un arbitrage entre la prise dâinformation qui gĂ©nĂšre des coĂ»ts de lobbying et le
manque dâinformation qui va produire des dĂ©cisions de mauvaise qualitĂ©. Un avantage de ce
modĂšle est quâil semble rendre compte de la thĂ©orie non formalisĂ©e de Crozier (1963) en y
ajoutant une condition sur le degrĂ© dâincertitude quant Ă lâallocation optimale.
Rotemberg et Saloner (1995) développent une approche inspirée de la théorie des activités
dâinfluence Ă partir de laquelle ils montrent que le dĂ©veloppement de conflits entre fonctions
au sein de lâorganisation peut ĂȘtre bĂ©nĂ©fique pour le principal dans son activitĂ© de prise de
64
Notre calcul fourni en annexe 4 identifie une faute de frappe dans la note 10 p. 151 de lâarticle de 1999.
65
Autrement dit si la probabilité de faire un choix fortement inapproprié est faible.
113
décision. Ils étudient plus particuliÚrement les décisions de croissance interne qui peuvent a
priori prendre deux formes : une augmentation de capacitĂ©s de production dâun bien dĂ©jĂ
produit ou bien une diversification de la production. Deux types dâagents sont prĂ©sents : les
« manufacturiers » et les « commerciaux ». Ces agents connaissent la volontĂ© dâexpansion de
la firme. Ils vont entrer en conflit entre eux dans la mesure oĂč le choix de tel ou tel mode de
dĂ©veloppement favorise une compĂ©tence fonctionnelle particuliĂšre : lâaugmentation des
capacités de production favorise les manufacturiers, la diversification favorise les
commerciaux. La fonction nécessaire à tel mode de développement sera davantage rétribuée.
Les fonctionnels vont donc utiliser des ressources pour capter des rentes organisationnelles.
Selon la position a priori du principal sur le mode dâexpansion Ă adopter, les fonctionnels
envoient des signaux, des informations, sur les revenus nets liés au mode de développement
réclamant leur compétence. Le conflit qui se traduit à travers ces signaux, sous la forme
dâarguments et de contre arguments, est utilisĂ© par le principal pour affiner sa position initiale.
Il est Ă©ventuellement susceptible dâentraĂźner une inversion de cette position. Si les coĂ»ts liĂ©s
aux conflits sâavĂšrent trop importants, les dirigeants peuvent les rĂ©duire en favorisant
systĂ©matiquement une fonction par rapport Ă lâautre (i.e. en choisissant une stratĂ©gie
« générique » de minimisation des coûts ou de différenciation).
Tirole (1986) dĂ©veloppe quant Ă lui un modĂšle dâalĂ©a moral comprenant trois niveaux : le
principal, lâagent producteur et un superviseur66. Lâagent choisit son niveau dâeffort aprĂšs
avoir observĂ© la rĂ©alisation de lâĂ©tat de nature ; le superviseur pouvant observer cette
réalisation ou ne rien observer. DÚs lors que la rémunération du superviseur est indépendante
de lâinformation remontĂ©e par lui, Tirole montre quâil existe une possibilitĂ© de collusion entre
lâagent et le superviseur, reposant dâun cĂŽtĂ© sur un message manipulĂ© du superviseur vers le
principal, et dâun autre cĂŽtĂ© sur des « transferts cachĂ©s » de lâagent vers le superviseur. Ce
type de compensation définit un contrat annexe entre les membres de la coalition dont les
modalitĂ©s restent inconnues du principal. En effet, le principal ne peut devenir membre dâune
coalition, car celle-ci « se produit naturellement entre les parties informĂ©es de lâorganisation,
câest-Ă -dire Ă lâintĂ©rieur dâun groupe qui a la possibilitĂ© de manipuler lâinformation qui est
transfĂ©rĂ©e vers le reste de lâorganisation (ici, vers le principal) » (p. 198). Les contrats
66
Laffont (1988) introduit un deuxiĂšme agent dans son modĂšle, ce qui multiplie les formes de collusion
possibles.
114
proposés par le principal doivent tenir compte ex ante des « collusions potentielles » selon un
principe dâĂ©quivalence pour lâagent et le superviseur.
Breton (1995), sâappuyant sur la thĂ©orie des transactions informelles (Breton & Wintrobe,
1982, Wintrobe & Breton, 1986), tente dâĂ©tendre la thĂ©orie des coalitions de Tirole en y
intĂ©grant la dimension verticale des collusions, câest-Ă -dire les cas oĂč le principal est inclus
dans celles-ci. Cette théorie repose sur deux hypothÚses.
La premiĂšre hypothĂšse est que le comportement dâun agent est fonction de la confiance
accordée à son interlocuteur, quelle que soit la place de ce dernier dans la structure formelle
de lâorganisation. La confiance est ici dĂ©finie comme un actif cumulatif produit et stockĂ© dans
les relations entre personnes ; elle constitue une garantie dâimposition dâaccords entre les
parties. Elle peut exister horizontalement, entre agents. Dans ce cas, le volume de confiance
est lié à des transferts cachés similaires à ceux étudiés par Tirole. Elle peut également exister
verticalement, entre agents et principal. Dans ce cas, le volume de confiance est lié à certains
paiements du principal, paiements pouvant prendre la forme de rémunérations supérieures ou
de promotions, par exemple. Des réseaux de confiance horizontaux et verticaux se constituent
ainsi dans lâorganisation. Ces rĂ©seaux se caractĂ©risent par leur Ă©tendue, leur densitĂ© et les
barriĂšres Ă lâentrĂ©e qui leur sont associĂ©es.
La deuxiÚme hypothÚse de la théorie des transactions informelles établit un pont entre la
nature des rĂ©seaux de confiance et lâefficacitĂ© de lâorganisation. Du point de vue du principal,
les rĂ©seaux horizontaux ont un impact nĂ©gatif sur lâefficacitĂ©, Ă lâinverse des rĂ©seaux
verticaux. Le principal dispose de moyens incitatifs pour à la fois développer les relations
verticales et rĂ©duire les relations horizontales, ces moyens Ă©tant eux-mĂȘmes coĂ»teux Ă mettre
en Ćuvre : le turnover, qui diminue simultanĂ©ment les transactions horizontales et verticales,
peut sous certaines conditions avoir un effet positif sur lâefficacitĂ© organisationnelle ; certains
avantages non contractuels proposés par le principal, les promesses de promotion, par
exemple, permettent un accroissement des transactions verticales (Wintrobe & Breton, 1986).
115
Il sâagit ici de montrer que les rĂ©fĂ©rences appelĂ©es prĂ©cĂ©demment dans cette section peuvent
ĂȘtre utiles pour traduire cette problĂ©matique sociologique en des termes purement
Ă©conomiques dâune part, et quâelle suggĂšre des programmes de recherche thĂ©orique qui
viennent augmenter la portĂ©e de ces rĂ©fĂ©rences dâautre part.
LâĆuvre sociologique que nous mobilisons est celle de Norbert Alter. Elle a en commun avec
de nombreuses Ă©tudes sociologiques sur lâinnovation organisationnelle 1) de considĂ©rer
lâindividu membre de lâorganisation comme la source principale de lâinnovation
organisationnelle, 2) dâanalyser la diffusion des inventions individuelles par le biais de la
constitution de groupes ad hoc portant celles-ci. Ce processus de diffusion est non linéaire et
discontinu, en ce sens quâil est par nature conflictuel.
Ces constats peuvent ĂȘtre recadrĂ©s par rapport aux enseignements du courant sociologique de
lâanalyse stratĂ©gique (Crozier, 1963, Crozier et Friedberg, 1977, Friedberg, 1993), plus
116
prĂ©cisĂ©ment par rapport Ă la reprĂ©sentation de la dynamique des « Construits dâAction
Collective » (C.A.C.). Un C.A.C. répond à un problÚme, une incertitude « naturelle » (non
construite, perçue comme Ă©tant objective dans le court terme) dâorigine externe par un double
processus de transformation : un passage de lâincertitude naturelle Ă une incertitude
« artificielle », guidant lâinterprĂ©tation des problĂšmes, suivi de la dĂ©finition collective dâune
solution contrainte par la premiĂšre transformation (et par lĂ pouvant ĂȘtre totalement inadaptĂ©e
au problÚme posé).
Lâincertitude artificielle, pour Alter (1993), correspond Ă une construction sociale fondĂ©e
uniquement sur des comportements stratégiques « autorisant le marchandage et assurant
lâĂ©quilibre du systĂšme » (pp. 193-194). Les constats notĂ©s prĂ©cĂ©demment font dire Ă Alter
quâune autre forme dâĂ©quilibre peut ĂȘtre atteinte, « passant par la crĂ©ation dâincertitudes
objectives sâopposant aux incertitudes objectives initiales [âŠ] Il semble bien que ce type de
jeu soit le seul qui permette de transformer lâorganisation et de sortir de la logique des cercles
vicieux bureaucratiques » (p. 194).
Autrement dit, pour résoudre un problÚme perçu collectivement, le C.A.C. crée consciemment
dâautres problĂšmes. Rien ne nous empĂȘche de prolonger Ă lâinfini le raisonnement : le C.A.C.
crĂ©e des problĂšmes pour rĂ©pondre aux problĂšmes quâil a créés, etc. LâĂ©quilibre du systĂšme
social nécessite ici des conditions supplémentaires ; Alter va les chercher du cÎté des théories
de la contingence structurelle (voir chapitre suivant). La non-organisation laisse place Ă
lâorganisation innovante.
La critique de lâanalyse stratĂ©gique faite par Alter est Ă nuancer. Crozier et Friedberg (1977)
nous disent bien que collectivement les membres du systÚme social « apprennent » les effets
pervers des cercles vicieux bureaucratiques et prennent conscience dâun changement
nécessaire, qui prend alors une forme assez brutale, les « acteurs » étant le plus souvent
prisonniers des systĂšmes dâactions quâils ont construits. LâinventivitĂ© est donc implicitement
prĂ©sente dans le modĂšle des C.A.C. et lâopposition a priori entre deux formes typiques de
construits sociaux, bureaucratiques et innovants, se transforme en un enjeu de temps et
dâintensitĂ© de changement des formes rĂ©elles de ces construits.
LâoriginalitĂ© de Alter par rapport Ă Crozier et Friedberg est cependant importante : elle
consiste en une explicitation extrĂȘmement fine des processus de dynamique organisationnelle.
Ces processus ont pour base lâindividu en contexte. Dans son ouvrage de 1985, compilant ses
Ă©tudes sur les effets de lâintroduction de nouvelles techniques bureautiques dans certains
services dâune grande administration, Alter note que la rupture inventive liĂ©e Ă lâintroduction
117
des nouvelles techniques ne touche que certaines personnes, sur certaines de ces techniques, et
uniquement Ă moyen terme, aprĂšs une forme dâapprentissage individuel particuliĂšre, qualifiĂ©e
de « culturelle », apprentissage qui nâexclut pas un rapport ludique au systĂšme technique.
LâinventivitĂ© est en quelque sorte une phase de prise de conscience des enjeux de pouvoir
engendrĂ©s par ce systĂšme, et sâaccompagne dâune progressive rationalisation de lâaction qui
va dans le sens de lâ« efficience » (ici dĂ©finie comme lâutilisation maximale des potentialitĂ©s
techniques) qui fonde la lĂ©gitimitĂ© non rĂ©glementaire de lâinventeur. Sa capacitĂ© dâaction
passe cependant nĂ©cessairement par la constitution dâun collectif, dâune « communautĂ© »,
astreignante en termes dâinvestissement personnel mais en elle-mĂȘme peu contraignante (il est
possible de la quitter à moindre coût, par opportunisme ou « lassitude »). Les objectifs,
méthodes, relations, structures étant plus que localement remis en cause, le groupe innovateur
constitué se heurte à un groupe légaliste qui prÎne le contrÎle strict des procédures
organisationnelles prescrites, contrÎle qui est à la base de la légitimité économique de ce
groupe dans lâorganisation. Il appartient aux directions de « gĂ©rer le dĂ©sordre » en se
positionnant comme arbitre entre ces « légitimités en concurrence ». Ces directions peuvent
favoriser un temps les innovateurs et tolĂ©rer lâĂ©cart au prescrit, car ils permettent le
dĂ©veloppement Ă©conomique de lâorganisation ; ils peuvent Ă©galement institutionnaliser les
pratiques innovantes pour « assurer un contrĂŽle social sur les turbulences de lâinnovation ».
Câest uniquement au stade de lâinstitutionnalisation que la dimension organisationnelle de
lâinnovation apparaĂźt.
Une fois prĂ©sentĂ©s ces Ă©lĂ©ments essentiels de lâanalyse stratĂ©gique « critique » de Alter, il
convient de sâinterroger sur la maniĂšre dont ils peuvent intĂ©resser lâĂ©conomiste de
lâorganisation. Selon nous, quatre thĂšmes majeurs semblent concernĂ©s. Tout dâabord,
lâobjectivitĂ© du comportement individuel et une complexitĂ© minimale dâinteraction entre
lâindividu et son environnement de choix peuvent caractĂ©riser la phase dâĂ©mergence de
lâinnovation organisationnelle. La prise en compte de phĂ©nomĂšnes informels dans un cadre
non coopĂ©ratif peut permettre de traiter de la constitution des groupes et de lâendogĂ©nĂ©isation
des conflits. Insister sur le rĂŽle dâarbitrage des dirigeants dans la gestion des conflits ainsi que
sur leur capacité de prise de décision discrétionnaire pourrait illustrer les caractÚres non
linĂ©aires et discontinus des processus de diffusion et dâadoption de lâinnovation. Enfin,
identifier « lâefficience globale » (MĂ©nard, 1990) Ă la capacitĂ© managĂ©riale dâorientation de la
dynamique organisationnelle peut caractĂ©riser lâĂ©valuation du processus dâinnovation. La
118
plupart de ces conditions figurent dans les modÚles que nous avons présentés dans cette
section.
En effet, une phase dâapprentissage est dĂ©crite et prĂ©alable au conflit dans le modĂšle de
Rotemberg & Saloner (1995) ; elle permet de contextualiser le comportement des membres de
lâorganisation (agents) par rapport Ă leur appartenance Ă une fonction. LâobjectivitĂ© du
comportement individuel apparaĂźt comme le rĂ©sultat de ce quâon pourrait appeler un
« arrangement structurel » particulier dans lequel les directions (principal) favorisent une
remontĂ©e dâinformation Ă partir de la concurrence conflictuelle entre les fonctions. Les
implications stratégiques semblent relativement claires en fonction des coûts engendrés par le
déroulement des conflits ouverts.
Par ailleurs, le cadre proposĂ© par Rotemberg & Saloner (1995) pourrait intĂ©grer dâune façon
fructueuse beaucoup de faits stylisĂ©s identifiĂ©s par les sociologues de lâorganisation.
Cependant, sâil constitue un dĂ©passement de la thĂ©orie des activitĂ©s dâinfluence, il rĂ©duit
dâune certaine façon Ă©galement celle-ci.
Sur le premier point, comme le notent les auteurs (p. 642), lâarrangement structurel quâils
analysent se distingue de ceux proposés par Milgrom & Roberts (1988). Selon les initiateurs
de la thĂ©orie des activitĂ©s dâinfluence, les arrangements proposĂ©s nâont de sens que sâil y a
ignorance par le principal du montant des ressources utilisées pour influencer les décisions
discrĂ©tionnaires ; une telle condition nâest pas nĂ©cessaire dans le modĂšle de Rotemberg et
Saloner. En effet, cet arrangement structurel particulier se traduirait par ce que nous
appellerions, Ă la suite de Wintrobe & Breton (1986), la constitution dâun « rĂ©seau de
confiance vertical ».
Sur le deuxiĂšme point, il est probable quâen modifiant de façon marginale le modĂšle, par
exemple en « augmentant » lâhorizon temporel (ou bien le nombre de fonctions), des
possibilitĂ©s dâarrangements horizontaux entre agents occupant des fonctions diffĂ©rentes et se
faisant au dĂ©triment du principal pourraient ĂȘtre envisagĂ©es. Une remarque de Charreaux
(1990) concernant la concurrence entre « bureaux » dans le modÚle de comportement
bureaucratique de Breton & Wintrobe (1982) illustre une autre voie de prolongement : « La
compétition entre bureaux ne révÚle pas au sponsor si les bureaux sont inefficients ou
efficients, mais uniquement leur capacitĂ© de comportement sĂ©lectif, câest-Ă -dire en fait leur
capacitĂ© Ă convaincre le sponsor quâils sont efficaces » (p. 149). Il convient alors de prendre
en compte, de maniÚre générale, la capacité des agents à agir de maniÚre collusive et sélective
au sein de lâorganisation, et analyser les arrangements structurels permettant au principal
119
dâorienter ces capacitĂ©s. Les thĂ©ories des collusions et des transactions informelles fournissent
justement une piste gĂ©nĂ©rale dâĂ©tude de ces arrangements.
Chez Alter, lâ« efficience » de lâaction en organisation est liĂ©e Ă la constitution dâune capacitĂ©
particuliĂšre que cet auteur appelle « communautĂ© dâinnovateurs » ; cette forme de lâaction
collective correspond clairement dans le cadre de la théorie des transactions informelles à un
réseau horizontal. La dimension verticale du réseau, entre direction et communauté
dâinnovateurs, apparaĂźt dans la phase prĂ©cĂ©dant lâinstitutionnalisation des comportements
inventifs, câest-Ă -dire a posteriori, et se traduit dans lâacceptation de la dĂ©viance Ă la rĂšgle. Le
« retour Ă lâordre » implique la rupture de ce rĂ©seau vertical, en mĂȘme temps que la
constitution dâun rĂ©seau de mĂȘme type entre la direction et les lĂ©galistes.
Alter nous enseigne également que si la rationalisation des pratiques inventives « objectives »
se produit trop souvent trop rapidement, les « acteurs » de lâinnovation se « lassent », en
dâautres termes quittent la communautĂ© ou bien rejoignent les « exclus des enjeux de
pouvoir ». Ainsi, les propositions et faits stylisĂ©s de Alter paraissent ĂȘtre de bons outils
dâendogĂ©nĂ©isation Ă la fois de lâhypothĂšse forte de la thĂ©orie des transactions informelles liant
la forme des rĂ©seaux de confiance Ă lâefficacitĂ© de lâorganisation, et du choix des
arrangements structurels permettant dâĂ©tablir une relation positive entre ces rĂ©seaux,
désormais, variables. Elle permet donc de concevoir un programme de recherche qui, en ayant
pour base la thĂ©orie dĂ©veloppĂ©e par Breton et Wintrobe, irait dans le sens de lâĂ©laboration
dâune « thĂ©orie gĂ©nĂ©rale des organisations bureaucratiques » souhaitĂ©e par Breton (1995, p.
436) en endogĂ©nĂ©isant un Ă©lĂ©ment essentiel de la dynamique de lâorganisation et en
fournissant un cadre Ă©largi dâĂ©valuation des dĂ©cisions managĂ©riales.
A cĂŽtĂ© de ce type de modĂ©lisation des activitĂ©s dâinfluence mis en perspective par notre
dĂ©marche pragmatique, Aghion & Tirole (1997) dĂ©veloppent une thĂ©orie de lâallocation de
lâautoritĂ© formelle (le droit de dĂ©cider) et de lâautoritĂ© rĂ©elle (le contrĂŽle effectif sur les
dĂ©cisions) au sein des organisations. LâautoritĂ© rĂ©elle est dĂ©terminĂ©e par la structure
dâinformation, qui dĂ©pend de lâallocation de lâautoritĂ© formelle.
Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, lâautoritĂ© formelle rĂ©sulte dâun contrat explicite ou implicite qui
confĂšre Ă un membre ou Ă un groupe de membres de lâorganisation le droit de dĂ©cider de
120
questions spĂ©cifiques, mais elle ne correspond pas toujours Ă lâautoritĂ© rĂ©elle et les auteurs
vont inscrire leur approche dans le cadre de la description faite par Weber de lâautoritĂ© lĂ©gale
(ou rationnelle), en ce sens que lâĂ©lĂ©ment clĂ© de la distinction autoritĂ© formelle / autoritĂ© rĂ©elle
est lâasymĂ©trie informationnelle67.
Les principes du modĂšle sont les suivants : le subordonnĂ© prend lâinitiative de suggĂ©rer un
projet au principal qui choisit le degrĂ© dâinformation quâil souhaite sur ce projet potentiel.
Une fois informĂ© sur ce dernier point, le subordonnĂ© recommande un projet qui parfois nâest
pas optimal pour le principal, parce quâil crĂ©e un bĂ©nĂ©fice privĂ© plus grand, de meilleures
opportunitĂ©s de carriĂšre pour lâagent, ou parce quâil minimise lâeffort de lâagent relativement
au contrat optimal. LâautoritĂ© formelle prĂ©vaut lorsque le principal est informĂ©, câest-Ă -dire
lorsquâil choisit son projet prĂ©fĂ©rĂ©. Par contre le principal peu informĂ© (par surcharge de
travail, manque de temps pour acquĂ©rir de lâinformation) valide la proposition du subordonnĂ©
de peur de tomber sur une alternative encore plus mauvaise. Dans ce cas le subordonné à une
autoritĂ© rĂ©elle, quand bien mĂȘme il nâen a pas de formelle.
Leur analyse suggĂšre deux bĂ©nĂ©fices de la dĂ©lĂ©gation de lâautoritĂ© formelle : dâune part, elle
augmente le degrĂ© dâinitiative de lâagent et son incitation Ă acquĂ©rir de lâinformation. Dâautre
part, cela facilite la participation de lâagent Ă la relation contractuelle que constitue
lâorganisation. Le coĂ»t de cette dĂ©lĂ©gation est la perte de contrĂŽle du principal sur le choix des
projets. Ils formulent un certain nombre de propositions quant à la nature des décisions que la
dĂ©lĂ©gation concerne, Ă lâimpact du degrĂ© de centralisation sur la communication et aux
facteurs qui peuvent accroĂźtre lâautoritĂ© rĂ©elle dâun subordonnĂ©. Le premier type de
propositions Ă©nonce ainsi que lâautoritĂ© formelle sera plus facilement dĂ©lĂ©guĂ©e si les dĂ©cisions
quâelle concerne :
- ont relativement peu dâimportance pour le principal ;
- sont des dĂ©cisions pour lesquelles le principal peut faire confiance Ă lâagent ;
- sont importantes pour lâagent (par exemple parce que les gains privĂ©s sont Ă©levĂ©s) ;
- sont suffisamment innovantes pour que le principal nâait pu accumuler de lâexpertise Ă
leur sujet.
67
Aghion & Tirole (1997, p. 2) « Un principal qui a une autorité formelle sur une décision (ou activité) peut
toujours prendre le contre-pied de la dĂ©cision de son subordonnĂ© mais il sâabstiendra de le faire si son
subordonné est bien mieux informé et si ses objectifs ne sont pas trop antinomiques des siens ».
121
En ce qui concerne ensuite le problÚme de non-délégation, les auteurs suggÚrent que la
centralisation compromet la communication parce que lâagent a peur dâĂȘtre dĂ©jugĂ©.
Enfin, les facteurs susceptibles dâaccroĂźtre lâautoritĂ© rĂ©elle dâun subordonnĂ© sont lâampleur de
lâĂ©tendue du contrĂŽle par le principal, lâurgence dans laquelle sâinscrit la prise de dĂ©cision, la
rĂ©putation dâinterventionnisme modĂ©rĂ© du principal, la situation dans laquelle les principaux
sont multiples et le degrĂ© de performance observĂ© de lâagent.
Finalement, leur approche leur permet de proposer une premiĂšre Ă©tape de lâintĂ©gration de la
rationalité limitée collective et des incitations, vers une « endogénéisation des limites de
communication »68, qui correspond Ă lâidĂ©e selon laquelle lâintroduction dâobjectifs diffĂ©rents
dans lâapproche traditionnelle en thĂ©orie des Ă©quipes rend la communication de lâinformation
stratĂ©gique et dĂ©pendante de la relation dâautoritĂ©. On peut sâattendre Ă ce quâil y ait moins de
communication si le principal a lâautoritĂ© parce que lâagent craint quâil nâabuse de son
autorité une fois bien informé. Par contre si les objectifs sont assez convergents les auteurs
montrent que la communication est encouragĂ©e par la subordination de lâagent au principal.
Baker et al. (1999) discutent et enrichissent le modĂšle dâAghion & Tirole (1997) sur plusieurs
points :
- les droits de dĂ©cision peuvent ĂȘtre prĂȘtĂ©s mais non donnĂ©s, « celui qui dĂ©tient lâautoritĂ©
formelle nâest plus un subordonnĂ© » ;
- la dĂ©lĂ©gation ne peut par consĂ©quent prendre place quâĂ travers lâautoritĂ© informelle : la
délégation est perçue comme une promesse (de ne pas rejeter les propositions du
subordonné) plutÎt que comme un contrat. Ils montrent notamment (dans un modÚle de
jeux rĂ©pĂ©tĂ©) que cette promesse nâest crĂ©dible que si lâincitation de court terme Ă rejeter
les propositions est inférieure aux gains de long terme tirés des incitations supérieures
créés par la délégation.
Cette tentation du court terme dĂ©pend de la structure dâinformation initiale du principal, dont
la variation a deux effets : elle change la dĂ©cision elle-mĂȘme et elle change la tentation de
renégocier la promesse de délégation.
68
Aghion & Tirole (1997, p. 3).
122
Finalement, Aghion et Tirole dâune part, Baker et al. dâautre part, tirent un certain nombre
dâenseignements de ces modĂšles dâautoritĂ© informelle qui permettent de dĂ©passer la vison
mĂ©canique weberienne de lâorganisation :
- le modĂšle dâAghion & Tirole (1997) distingue tout dâabord autoritĂ© formelle et informelle,
identifie les raisons pour lesquelles un patron pourrait cĂ©der lâautoritĂ© et enfin aboutit au
rĂ©sultat que la dĂ©lĂ©gation augmente les incitations de lâagent (mais diminue celle du
principal) ;
- le modÚle de Baker et al. (1999) est complémentaire et établit que la délégation de
lâautoritĂ© formelle est impossible mais montre que la promesse de dĂ©lĂ©gation peut ĂȘtre
crĂ©dible et que le changement dans la structure dâinformation du principal non seulement
change sa décision (résultat classique en théorie de la décision) mais également sa
tentation de revenir sur sa promesse.
Il revient Ă Rotemberg (1993, puis 1994)69 dâavoir introduit explicitement les problĂ©matiques
de pouvoir dans les organisations en les intégrant à un modÚle formel de firme maximisant le
profit.
La thĂ©orie standard considĂšre implicitement que celui qui a le pouvoir dans lâorganisation est
soit celui qui est le mieux informĂ©, soit celui qui sera prĂȘt Ă payer le plus pour participer aux
dĂ©cisions. Dans ce dernier cas, face Ă une dĂ©cision qui produit le mĂȘme revenu, une firme qui
maximise le profit devrait prendre en compte la baisse possible de lâindemnisation des
employés et choisir celle qui la réduit le plus. Cela suggÚre que les firmes devraient tirer
bénéfice des arrangements qui demandent aux employés de contribuer à la prise de décision et
essayer de choisir les décisions qui mobilisent le plus la contribution des employés.
69
Lâarticle publiĂ© date bien de 1993 comme indiquĂ© sur la revue, celui de 1994 Ă©tant une confĂ©rence donnĂ©e Ă
Northwestern University. Le modĂšle de Rotemberg (1993) dĂ©crit lâallocation de lâinfluence mais ne fournit pas
un modĂšle satisfaisant de lâallocation de lâautoritĂ©, notamment parce quâil ne considĂšre quâun propriĂ©taire unique
qui connaßt tous les bénéfices privés que les employés tirent de chaque décision et qui choisit seul quels sont
ceux quâil va favoriser par la dĂ©cision quâil prend. A lâinstar de la thĂ©orie des Ă©quipes, le modĂšle de 1994 prend
en compte le processus (coĂ»teux) dâinformation des employĂ©s vers le patron.
123
En remarquant que ce rĂ©sultat dĂ©pend fortement de lâhypothĂšse de contrats parfaits,
Rotemberg prĂ©fĂšre se baser sur les deux grands types dâapproches que lâon rencontre en
théorie des organisations70, à savoir la théorie de la dépendance vis-à -vis des ressources (qui
débouche sur les approches en termes de réseaux sociaux) et les théories de la contingence
structurelle : dans un modÚle économique à contrats imparfaits, le pouvoir est détenu par celui
que lâorganisation veut retenir. Les firmes trouveront ainsi avantageux de donner des salaires
Ă©levĂ©s Ă certains individus tout en donnant Ă dâautres la satisfaction de voir que leur dĂ©cision
préférée est prise, ce qui revient à différencier les individus par le mode de rémunération
choisi71. Dans son modÚle, « un individu a du pouvoir si les décisions sont prises selon ses
vĆux »72. Lâentrepreneur Ă©tant le seul Ă prendre des dĂ©cisions en dernier ressort, la question
est alors de savoir quels sont les employés qui tirent profit de celles-ci.
3.3.1.2/ Le modĂšle73
Soit une organisation dans laquelle un patron (principal) doit décider lequel de ses deux
subordonnĂ©s (notĂ©s 1 et 2) il va chercher Ă satisfaire par la dĂ©cision quâil doit prendre, chacun
tirant de sa décision finale un bénéfice bi avec i = 1,2.
Un modĂšle Ă©conomique sâarrĂȘtant Ă cette considĂ©ration simple prĂ©coniserait que le patron
satisfasse lâagent 1 si b1 > b2 et lâagent 2 dans le cas inverse. Pour aller plus loin que ce cas
trivial, on ajoute Ă cette diffĂ©renciation initiale des bĂ©nĂ©fices dâautres hypothĂšses relatives aux
deux agents. Tout dâabord, ils ont tous deux une valeur diffĂ©rente pour la firme, notĂ©e Vi et on
leur propose une alternative sur le marchĂ© du travail notĂ©e ri, dont on suppose quâelle est
connue seulement par le subordonnĂ©, le principal sachant seulement quâelle est distribuĂ©e de
maniĂšre uniforme sur lâintervalle [0, Ri]. Ensuite, on suppose Vi > Ri si bien que le
70
Qui seront traitées spécifiquement dans le chapitre 3.
71
Les deux nâĂ©tant aucunement des substituts, ainsi p. 166 : « les salaires diffĂšrent de lâinfluence sur un point
crucial. LâemployĂ©e nâest pas obligĂ© de rester dans la firme en t+1 pour profiter des bĂ©nĂ©fices de son salaire en t.
au contraire, lâutilitĂ© tirĂ©e de lâinfluence en t est moins immĂ©diate. Un individu qui influence les dĂ©cisions Ă un
moment en retire probablement le plaisir instantané que lui confÚre cette responsabilité, mais il a aussi un effet
plus durable sur lâorganisation. Un rĂ©sultat est quâil peut changer lâorganisation dans un sens qui la rende plus
attractive dans le futur. » Le problĂšme vient ici du fait que ce changement nâa dâeffet direct sur son utilitĂ© que si
lâemployĂ© travaille toujours dans lâorganisation au moment oĂč les changements sâopĂšrent : « une partie de
lâutilitĂ© de la dĂ©cision prise en t nâest perçue que si lâindividu reste employĂ© en t+1 ». Cela a pour Rotemberg
une implication importante : la firme tirera bĂ©nĂ©fice de la satisfaction des souhaits des employĂ©s quâelle veut
retenir, mĂȘme si ce ne sont pas ceux qui veulent payer le plus pour cela.
72
Rotemberg (1993, p. 177).
73
Le modĂšle initial se fait en deux pĂ©riodes. Pour ne pas surcharger les notations, nous nous inspirons ici dâune
version « allégée » esquissée par Gibbons (2003, pp. 779-781) qui évacue les problÚmes de temps du modÚle
initial. Nous remplaçons juste la problĂ©matique dâallocation dâautoritĂ© du patron par celle consistant Ă savoir
quel employĂ© il satisfait par la dĂ©cision quâil prend pour rester dans lâesprit du modĂšle de Rotemberg (1993).
124
subordonnĂ© prĂ©fĂšre toujours garder son emploi actuel sous lâhypothĂšse de rĂ©munĂ©ration Ă la
productivitĂ© marginale74. Enfin, on suppose que le patron nâoffre Ă ses employĂ©s quâun contrat
« Ă prendre ou Ă laisser » sous la forme dâun salaire wi. DĂšs lors, le patron va faire une offre Ă
chaque employĂ© qui va la comparer Ă lâoffre alternative afin de choisir la plus Ă©levĂ©e.
Sâil dĂ©cide de satisfaire lâemployĂ© i, le patron va dĂ©terminer les salaires respectifs optimaux
des deux agents en résolvant les programmes :
- pour lâindividu i :
Max (Vi â w i )IP(ri < w i + bi )
wi
- pour lâindividu j :
Max ( Vj â w j )IP(rj < w j )
wj
De maniĂšre symĂ©trique, sâil choisit la dĂ©cision qui satisfait lâemployĂ© j, le calcul du profit
espéré donne :
2
Vi2 (Vj + b j )
E (Î 2 ) = +
4R i 4R j
2 2
(Vi + b i ) 2 Vj V 2 (Vj + b j )
â + > i +
4R i 4R j 4R i 4R j
2 2 2
Vi2 + 2b i Vi + b i2 â Vi2 Vj + 2b j V j + b j â Vj
â >
4R i 4R j
1ïŁź Vi b i2 ïŁč 1 ïŁź Vj b 2j ïŁč ïŁź Vi b i2 ïŁč ïŁź V j b 2j ïŁč
â 2
ïŁŻ i b + ïŁș > ïŁŻ j
2 b + ïŁșâ 2
ïŁŻ i b + ïŁș ïŁŻ j
> 2 b + ïŁș
4ïŁ° R i R i ïŁ» 4 ïŁŻïŁ° R j R j ïŁșïŁ» ïŁ° R i R i ïŁ» ïŁ°ïŁŻ R j R j ïŁșïŁ»
74
Cela renvoie à la spécificité du capital humain pour la firme.
75
Pour la démonstration des résultats, cf. annexe 5.
125
On voit ici apparaĂźtre dans lâarbitrage du principal les valorisations respectives des employĂ©s
pour lâorganisation relativement Ă leur valorisation pour lâextĂ©rieur, telle quâelle est mesurĂ©e
par les salaires alternatifs proposés, Vi/Ri et Vj/Rj.
Ces grandeurs deviennent dĂ©terminantes dans le cas oĂč bi = bj et Ri = Rj, dans la mesure oĂč le
choix du principal (favoriser i ou favoriser j) ne va dépendre que de la comparaison des
valeurs respectives de chacun pour la firme avec cette conclusion : il va chercher Ă donner de
lâinfluence (du pouvoir) Ă celui quâil veut retenir. Ce rĂ©sultat est robuste pour les extensions
du modÚle qui concernent la prise en compte de deux périodes, la diffusion du pouvoir et
lâintroduction de phĂ©nomĂšnes de rĂ©putation.
Par ailleurs, sous lâhypothĂšse selon laquelle les facteurs sont rĂ©munĂ©rĂ©s Ă leur productivitĂ©
marginale, les salaires Ă lâextĂ©rieur de lâorganisation (Ri et Rj) indiquent la valeur des
nouveaux entrants potentiels. Dans ce cas, le modĂšle dĂ©crit une situation oĂč le pouvoir est
attribué à ceux qui fournissent à la firme la plus grande valeur relativement à celle fournie par
des nouveaux arrivants. Il existe deux voies possibles pour maximiser cette valeur relative
selon Rotemberg :
- accumuler du capital humain spĂ©cifique pour augmenter les revenus que lâon peut tirer de
la firme (solution désirable du point de vue de la firme) ;
- rĂ©duire la productivitĂ© de tout remplaçant potentiel (en rendant par exemple lâinformation
difficile à obtenir), cette solution étant moins désirable pour la firme76.
76
La stratĂ©gie des employĂ©s pour modifier leur environnement informationnel consisterait par exemple, soit Ă
acquĂ©rir de lâinformation afin dâamĂ©liorer ses propres dĂ©cisions, pour augmenter sa valeur relative par rapport
aux outsiders moins informĂ©s, soit Ă rĂ©duire lâinformation disponible pour les outsiders afin dâaugmenter sa
valeur relative par rapport Ă eux (mais sans profit pour la firme).
77
Rotemberg (1994) prolonge son modĂšle initial Ă la dĂ©lĂ©gation dâautoritĂ© dans une organisation Ă deux
employés (différents quant à leur capital spécifique) faisant face à une décision qui les affecte potentiellement
tous les deux. Si le dĂ©cideur a une information complĂšte sur lâutilitĂ© non pĂ©cuniaire que chaque employĂ© attribue
aux différentes décisions, leur influence diffÚre comme le montre le modÚle de 1993. Par contre, si le décideur
nâa plus dâinformation complĂšte sur les diffĂ©rentes options disponibles, câest lâemployĂ© qui a le plus de valeur
(celui qui a le capital humain le plus spĂ©cifique) qui va recevoir lâautoritĂ© formelle de la prise de dĂ©cision.
Rotemberg montre alors que cette procĂ©dure, bien quâayant quelque avantage, est Ă©galement coĂ»teuse : il est
difficile dâempĂȘcher les individus influents qui ont lâautoritĂ© dâabuser de leur pouvoir. Cela sâexplique par le fait
126
savoir qui a le pouvoir ex post, sans sâintĂ©resser Ă ce que les employĂ©s font ex ante pour
obtenir du pouvoir78.
3.3.2/ Vers une théorie économique générale du pouvoir : Rajan & Zingales
Rajan & Zingales (1998) débutent leur réflexion par une interprétation originale (au moins
dans le vocabulaire employé) de Coase (1937) : les transactions menées au sein de la firme
sont gouvernées non par le mécanisme de prix mais par la planification administrative, qui
induit des relations de pouvoir en son sein. Cette définition pose en effet selon les auteurs un
certain nombre de questions Ă cĂŽtĂ© desquelles les Ă©conomistes sont largement passĂ©es : quâest
ce que le pouvoir au sein de la firme ? Quel rĂŽle joue-t-il ?
La perspective des droits de propriĂ©tĂ©79 a tentĂ© dâapporter une rĂ©ponse Ă ces questions en
suggĂ©rant que lâautoritĂ© (ou le pouvoir)80 diffĂšre du mĂ©canisme de prix parce quâelle implique
lâexercice de droits (les droits rĂ©siduels de contrĂŽle) qui ne peuvent pas ĂȘtre spĂ©cifiĂ©s par
contrat. Dans ces conditions, son rĂŽle est dâentretenir et de protĂ©ger les investissements
spĂ©cifiques Ă la relation dans un environnement oĂč les contrats sont incomplets. Ainsi, plus
lâespace des contrats qui peuvent ĂȘtre Ă©crits et mis en Ćuvre est limitĂ©, plus le rĂŽle des droits
de contrĂŽle rĂ©siduels (donc du pouvoir) est important, ce qui aboutit Ă lâidĂ©e que le pouvoir
que les employĂ©s non influents nâosent pas protester en cas dâabus de pouvoir. Au contraire, lorsque lâautoritĂ©
formelle est donnĂ©e aux membres non influents, on peut sâattendre Ă ce que les membres influents protestent
(parce quâils ont plus de chance dâavoir gain de cause). Finalement, Rotemberg en conclut quâil est parfois plus
intĂ©ressant de donner lâautoritĂ© formelle aux personnes les moins influentes (avec un capital humain moins
spécifique).
78
Voir à ce sujet les travaux de Hirshleifer (1987, 1991) et Durham et al. (1995, 1998) sur la théorie micro-
économique du conflit.
79
Aussi appelée théorie des contrats incomplets (Grossman & Hart 1986, Hart & Moore 1990) présentée par
Hart (1995) avec cette référence explicite à la notion de pouvoir.
80
On retrouve ici lâambiguĂŻtĂ© sur la dĂ©finition des termes qui parcourt une bonne partie de la littĂ©rature micro-
économique sur le sujet.
127
découle de la propriété des actifs physiques et que la firme est définie comme étant une
collection dâactifs physiques dĂ©tenus conjointement.
Rajan & Zingales sont globalement dâaccord avec cette approche Ă ceci prĂšs que lâon ne peut
pas selon eux ramener la firme seulement à un ensemble de droits de propriété conjoints, ce
qui implique que la propriĂ©tĂ© des actifs physiques nâest pas la seule source du pouvoir au sein
dâune firme. Ce nâest pas non plus selon eux le moyen le plus efficace pour promouvoir les
investissements spécifiques à une relation.
A partir de ces remarques, ils proposent de développer une théorie plus élaborée du pouvoir
dans les organisations qui a pour vocation a ĂȘtre Ă©galement une thĂ©orie plus gĂ©nĂ©rale de la
firme et, tout en restant dans le cadre défini par les hypothÚses de la littérature sur les droits de
propriété, ils identifient un mécanisme alternatif éventuellement non contractuel pour allouer
le pouvoir, mĂ©canisme quâils nomment « accĂšs ».
LâaccĂšs est « la capacitĂ© Ă utiliser ou Ă travailler avec une ressource critique. Si la ressource
critique est une machine, lâaccĂšs implique la capacitĂ© Ă opĂ©rer avec la machine ; si la
ressource est une idĂ©e, lâaccĂšs implique dâĂȘtre informĂ© des dĂ©tails de lâidĂ©e ; si la ressource est
une personne, lâaccĂšs est la capacitĂ© Ă travailler en Ă©troite collaboration avec cette
personne »82.
Lâagent qui dispose dâun accĂšs privilĂ©giĂ© Ă la ressource nâen tire pas de droits de contrĂŽle
rĂ©siduels supplĂ©mentaires mais il a lâopportunitĂ© de spĂ©cialiser son capital humain en fonction
de la ressource afin dâaugmenter sa valeur pour lâorganisation (on retrouve ici un thĂšme
Ă©voquĂ© par Rotemberg, 1994). LâaccĂšs lui donne ainsi la capacitĂ© de crĂ©er une ressource
critique : son capital humain spécialisé, dont le contrÎle est « une source de pouvoir », comme
lâest plus gĂ©nĂ©ralement le contrĂŽle de nâimporte quelle ressource critique.
81
Remarquons que la structure dâaccĂšs est une hypothĂšse forte du modĂšle de la corbeille Ă papiers. Elle dĂ©finit
les rĂšgles du jeu « politique » de lâorganisation. Cf section 2.2.1/ du chapitre 1.
82
Rajan & Zingales (1998, p. 388).
128
Par ailleurs, ils montrent que lâaccĂšs peut ĂȘtre un meilleur mĂ©canisme pour fournir des
incitations que la propriété, ce qui a plusieurs implications83 :
- on peut dĂ©finir la firme soit en termes dâactifs uniques soit en termes de personnes ayant
accĂšs Ă ces actifs ;
- lâaccĂšs alloue le pouvoir sans besoin dâune tierce partie chargĂ©e de le faire appliquer (et
respecter). En dâautres termes on peut dĂ©finir une organisation mĂȘme en lâabsence de mise
en application lĂ©gale. Une firme peut alors ĂȘtre dĂ©finie mĂȘme si son output ne requiert pas
dâactifs physiques essentiels auxquels les droits de propriĂ©tĂ© pourraient ĂȘtre assignĂ©s.
Le risque est susceptible dâencourager plutĂŽt que dĂ©courager lâinvestissement spĂ©cifique. Les
effets nĂ©gatifs de la propriĂ©tĂ© quâils identifient pourraient alors expliquer pourquoi les droits
de contrÎle résiduels sont alloués (par hypothÚse) à une tierce partie désintéressée dans
beaucoup de relations.
Enfin leur approche insiste sur le rĂŽle jouĂ© par lâorganisation interne dans lâaugmentation de
la valeur de la firme. Selon eux, « lâessence de lâorganisation interne, câest lâaccĂšs diffĂ©renciĂ©
des agents de la firme aux actifs humains et physiques uniques qui sont au coeur de la firme ».
Rajan & Zingales (2001) proposent prĂ©cisĂ©ment dâĂ©tudier le rĂŽle des structures
organisationnelles, comme la hiérarchie, dans la construction et la distribution du pouvoir.
Lâarticulation entre ces deux dimensions est explorĂ©e sous lâangle du problĂšme
dâexpropriation (par exemple dâune idĂ©e par un manager) 84. Dans ce cadre, les entrepreneurs
doivent concevoir lâorganisation comme un mĂ©canisme capable de fournir des incitations aux
employés afin que ceux-ci protÚgent (plutÎt que pillent) la source des rentes
organisationnelles. La rĂ©ponse quâils formulent Ă ce problĂšme dĂ©termine alors la structure
interne de lâorganisation. Plus prĂ©cisĂ©ment, câest la nature du capital qui va dĂ©terminer selon
eux le type de hiérarchie. Les grandes hiérarchies (celles qui ont avec un grand nombre de
niveaux) vont dominer dans des industries intensives en capital physique et vont avoir des
politiques de promotion basĂ©es sur lâanciennetĂ©, alors que les hiĂ©rarchies « plates » vont
83
Rajan & Zingales (1998, p. 390-391).
84
Un bon exemple est la crĂ©ation dâIntel Ă partir dâune idĂ©e dĂ©veloppĂ©e dans une autre firme.
129
prédominer dans les industries intensives en capital humain, avec des systÚmes de promotion
différents du type up or out85.
Le concept central dâaccĂšs est ici appliquĂ© Ă la structure organisationnelle dans le cadre dâun
modĂšle qui suppose que 86 :
- pour une taille donnĂ©e de la hiĂ©rarchie, la rente dâun manager augmente au fur et Ă mesure
que sa position sâamĂ©liore dans la hiĂ©rarchie ;
- pour une position donnĂ©e, la rente dâun manager augmente avec le nombre de ses
subordonnés.
Ces caractĂ©ristiques proviennent selon eux de « la hiĂ©rarchie de lâaccĂšs », qui donne aux
managers un pouvoir de position : dans la mesure oĂč seules les chaĂźnes continues de managers
spécialisés sont productives, les managers intermédiaires obtiennent une certaine rente parce
quâils ont des liens indispensables pour les managers de rang infĂ©rieur.
Ils suivent ainsi Coase (1937) qui décrit la hiérarchie comme une entité dans laquelle les
transactions sont conduites plus par lâautoritĂ© ou le pouvoir que par les prix. Lâentrepreneur
contrĂŽle lâaccĂšs Ă la ressource critique et au capital humain des managers et en ce sens il a du
pouvoir. Câest la forme hiĂ©rarchique qui va dĂ©finir la nature du pouvoir entre les mains du
manager : dans une hiérarchie verticale, les managers spécialisés ont un pouvoir de position,
dans une hiérarchie horizontale, leur pouvoir leur est conféré davantage par la propriété (des
actifs). Cela permet de distinguer ceux qui ont un accĂšs (Ă lâintĂ©rieur de lâorganisation) et
ceux qui sont Ă lâextĂ©rieur, comme cela permet de distinguer ceux qui sont dans lâorganisation
depuis longtemps et qui ont du pouvoir (les managers spécialisés) et ceux qui viennent de la
rejoindre. Une distinction plus fine les amĂšne Ă distinguer entre :
- la propriĂ©tĂ©, qui donne au propriĂ©taire le droit de dĂ©terminer lâaccĂšs aujourdâhui et
demain ;
- le contrĂŽle, qui donne juste le droit de dĂ©terminer lâaccĂšs actuel.
Cette distinction est importante si lâon veut modĂ©liser les grandes entreprises dans lesquelles
la propriété est séparée du contrÎle.
Finalement, au cĆur de lâorganisation, Rajan et Zingales placent une source unique de valeur,
la ressource critique, et trois mĂ©canismes : lâaccĂšs, la spĂ©cialisation et la propriĂ©tĂ©, qui
confĂšrent Ă lâorganisation un pouvoir de commandement diffĂ©rent de la contractualisation
marchande.
85
Soit les employĂ©s progressent, soit ils sâen vont.
86
Rajan & Zingales (2001, p. 818)
130
Conclusion de la section 3
LâintĂ©gration des phĂ©nomĂšnes de pouvoir qui sâest engagĂ©e depuis la fin des annĂ©es 1980
dans la littĂ©rature orthodoxe prolonge en quelque sorte lâintuition de Bartlett (1989) et lui
donne raison sur au moins trois points. Tout dâabord, les outils analytiques de la
microĂ©conomie standard se prĂȘtent plutĂŽt bien au traitement des problĂ©matiques liĂ©s aux
phĂ©nomĂšnes dâinfluence et Ă la dĂ©lĂ©gation de lâautoritĂ©. Ensuite, la prise en compte du rĂŽle du
pouvoir est parfaitement compatible avec les travaux rĂ©cents fondĂ©s sur lâhypothĂšse
dâincomplĂ©tude contractuelle. Enfin, et câest un apport majeur dâun grand nombre de travaux
prĂ©sentĂ©s dans cette section, elle ouvre des voies dâĂ©changes croisĂ©s entre la science
Ă©conomique et les autres sciences sociales autour dâune thĂ©matique que lâon croyait rĂ©servĂ©e
aux secondes87.
Conclusion du chapitre 2
JusquâĂ une pĂ©riode rĂ©cente, il nây a pas eu Ă proprement parler de vision Ă©conomique du
pouvoir, pas mĂȘme dans une Ă©cole de pensĂ©e (un paradigme) particuliĂšre de lâĂ©conomie, ce
qui fait dire Ă un certain nombre dâauteurs que lâĂ©tude du pouvoir en Ă©conomie en est Ă un
stade de prĂ©-science au sens de Kuhn, qui est le stade oĂč chaque chercheur doit dĂ©finir,
justifier et défendre des concepts clés (Bartlett, 1989). Pour les auteurs radicaux, le pouvoir
est un élément central des relations économiques du monde capitaliste mais cela paraßt
tellement Ă©vident que cela nâa pas besoin dâĂȘtre dĂ©montrĂ©. Ensuite, il nây a pas dâaccord quant
à la définition du pouvoir chez ces auteurs88. Par ailleurs, pendant longtemps, la théorie néo-
classique (ou ses prolongements) nâa mentionnĂ© le pouvoir que dans le cadre des monopoles
et du pouvoir de nĂ©gociation, Ă lâexception de quelques auteurs rĂ©guliĂšrement contredits par
les tenants de lâorthodoxie (Alchian & Demsetz, 1972, Williamson, 1995).
Depuis le dĂ©but des annĂ©es 1990 pourtant, on assiste Ă un certain nombre dâemprunts croisĂ©s
entre ces deux extrĂȘmes concernant le dĂ©veloppement de rĂ©flexions sur le pouvoir. La
87
Rajan & Zingales (1998, p. 424) : « [âŠ] le rĂŽle du pouvoir dans les organisations est pauvrement compris.
Contrairement aux sociologues qui ont étudié ces questions dans le détail, les économistes orthodoxes sont restés
en dehors du dĂ©bat, en partie Ă cause du fait que le pouvoir nâest pas pertinent dans un monde oĂč les contrats sont
complets. Maintenant que les Ă©conomistes acceptent davantage lâimportance de lâincomplĂ©tude des contrats, il y
a des grandes opportunitĂ©s dâĂ©changes fructueux entre ces deux disciplines ».
88
Cf. le numĂ©ro spĂ©cial du Journal of Economic Issues, vol. 14, dĂ©c 1980 sur lâĂ©conomie du pouvoir.
131
rĂ©habilitation du concept de pouvoir dans la science Ă©conomique89, semble aujourdâhui
permise sous lâaction conjuguĂ©e de quatre facteurs qui sont 1) la reconnaissance par les
Ă©conomistes du mainstream dâun certain nombre dâimperfections touchant notamment aux
problĂšmes posĂ©s par lâinformation, 2) le jeu croisĂ© des rĂ©actions dâun certain nombre
dâauteurs du courant dominant aux critiques radicales (Palermo, 2000, Tinel, 2002)90, 3) la
volonté de certains radicaux de démontrer la non-pertinence du modÚle basique à partir des
mĂȘmes outils que ceux utilisĂ©s pour dĂ©montrer sa pertinence (Bowles & Gintis 1993) et enfin
4) lâouverture grandissante des Ă©conomistes aux problĂ©matiques habituellement traitĂ©es en
sociologie ou en gestion.
Finalement, il est difficile de savoir si lâintĂ©gration des phĂ©nomĂšnes liĂ©s au pouvoir dans les
modĂšles nĂ©o-classiques provient dâune rĂ©ponse des Ă©conomistes (du mainstream) aux
préoccupations des économistes radicaux (thÚse défendue par Tinel et DockÚs) ou si elle
participe dâune prise en compte plus large des implications tirĂ©es de lâidentification des
problĂšmes informationnels, dâabord sur les marchĂ©s puis dans la firme. Au-delĂ de ces
prĂ©occupations dâordre Ă©pistĂ©mologique, si lâon se contente de constater le phĂ©nomĂšne selon
lequel le pouvoir tendrait à réintégrer le giron de la science économique orthodoxe, on ne peut
sâempĂȘcher de penser que cela ouvre des perspectives vers une Ă©tude plus approfondie des
phĂ©nomĂšnes de pouvoir au sein mĂȘme de la firme. Pour cela, il faut dĂ©passer les essais de
théorie générale du pouvoir dans le systÚme économique pour entrer plus avant dans
lâorganisation et proposer des outils permettent de mieux rendre compte du pouvoir intra-
organisationnel. En effet, si la dimension relationnelle du pouvoir est soulignée dans ces
travaux ainsi que lâimportance des structures dans laquelle ces relations sâopĂšrent, lâapproche
structurale est cantonnĂ©e Ă lâanalyse dâentitĂ©s Ă©conomiques supposĂ©es homogĂšnes. Par
ailleurs, ces approches sont essentiellement des théories du pouvoir sur les marchés. Un pas
supplĂ©mentaire doit ĂȘtre fait vers une comprĂ©hension de la nature des interactions entre agents
au sein des organisations, ce que ne permet pas la théorie des incitations qui se concentre sur
les relations bilatérales entre acteurs.
Pour tirer plus encore les conséquences de la prise en compte des phénomÚnes de pouvoir
dans la firme, il faut selon nous mobiliser des approches structurales du pouvoir, domaine
dans lequel les sciences sociales autres que la science économique ont beaucoup avancé. Ce
sera lâobjet du chapitre 3.
89
Indépendamment des tentatives diverses émanant notamment des radicaux américains (notamment Marglin,
1974, 1975).
90
Câest plus une hypothĂšse, permise par une Ă©tude chronologique des travaux dans lâoptique dâune histoire de la
pensĂ©e Ă©conomique, quâun fait avĂ©rĂ©.
132
CHAPITRE 3
LES APPROCHES STRUCTURALES DU
POUVOIR INTRA-ORGANISATIONNEL
133
Chapitre 3
Les approches structurales du pouvoir
intra-organisationnel
Introduction
Dans la littĂ©rature sur le pouvoir, Brass (2002) Ă la suite notamment dâAstley & Sachdeva
(1984) repĂšre trois approches Ă©videntes. Tout dâabord, lâapproche dite « structurale » insiste
sur le contrĂŽle des ressources. Ensuite, lâapproche comportementale met lâaccent sur la
capacitĂ© des acteurs Ă utiliser ces ressources, câest Ă dire sur les tactiques du pouvoir et les
talents de négociation. Enfin, la derniÚre approche consiste à identifier les caractéristiques
individuelles ou les sources personnelles du pouvoir.
La thÚse que nous défendons dans ce chapitre est la suivante : au cours de ces derniÚres
dĂ©cennies, dans la littĂ©rature des sciences de lâorganisation, la problĂ©matique du pouvoir
intra-organisationnel a été influencée par un double mouvement concomitant :
- au plan thĂ©orique, la genĂšse, le dĂ©veloppement puis lâĂ©clatement des thĂ©ories des
contingences structurelles, courant dâanalyse dominant dans les annĂ©es 1970-1980 dans
lâĂ©tude des structures dâorganisation et de leurs dynamiques, ont provoquĂ© une
reformulation de la problĂ©matique du pouvoir intra-organisationnel : partant de lâĂ©tude
globales des déséquilibres techniques internes engendrés par, et influençant,
lâapprofondissement et les transformations de la division du travail, celle-ci sâest
intĂ©ressĂ©e, dâune part aux questions relatives au gouvernement dâentreprise et au contrĂŽle
des ressources « critiques » pour la survie des organisations, dâautre part Ă la topologie des
relations de pouvoir ;
- au plan méthodologique, les tentatives de mesure du pouvoir en organisation se sont
rĂ©orientĂ©es vers des techniques « structurales » inspirĂ©es de lâinput-output qui mettent en
avant les concepts de centralitĂ© et de connectivitĂ©. Il ne faut cependant pas sây tromper :
lâusage de ces nouvelles techniques reste aujourdâhui relativement secondaire en sciences
de gestion, et ce sont essentiellement les sociologues et psychosociologues de
lâorganisation qui se les sont accaparĂ©s et qui les ont dĂ©veloppĂ©s de maniĂšre fĂ©conde1.
1
LâĆuvre de Noah Friedkin est sans doute la plus reprĂ©sentative de la richesse de ces dĂ©veloppements (par ex.
Bonacich & Friedkin, 1998, Bourgeois & Friedkin, 2001, Friedkin & Johnsen, 1999, Friedkin, 2003).
135
Cependant, comme nous aurons lâoccasion de le voir dans les deux derniers chapitres de
ce travail, ces techniques structurales peuvent servir de base à un discours économique sur
le pouvoir informationnel en organisation.
Lâobjectif de ce chapitre est de retracer Ă grands traits cette double trajectoire. Dans une
premiÚre section, nous développons la théorie des contingences structurelles et la théorie de la
dépendance vis-à -vis des ressources. Ce sont les deux principales approches structurales du
pouvoir fondées sur la définition séminale de Dahl (1957) prolongée par Emerson (1962).
Ceci nous amÚne dans une deuxiÚme section à aborder la notion de centralité ainsi que les
éléments de base de la théorie des graphes qui y sont associés, principalement dans la
perspective de mesure dâun certain nombre dâindicateurs. Enfin, la troisiĂšme section complĂšte
lâarsenal dâoutils pertinents pour quantifier les relations entre des entitĂ©s dâun rĂ©seau ou dâune
organisation par la présentation des basiques de la méthodologie input-output.
136
Section 1 : Les approches du pouvoir
Dahl définit le pouvoir non pas comme un attribut des acteurs mais comme une
caractĂ©ristique des relations entre les agents : « A a du pouvoir sur B dans la mesure oĂč il peut
faire faire Ă B quelque chose que B nâaurait pas fait autrement »2. La base du pouvoir dâun
agent3 consiste dans toutes les ressources quâil peut exploiter pour affecter le comportement
dâun autre. Les moyens pour le faire sont nombreux et reprĂ©sentent pour Dahl des activitĂ©s de
médiation entre la base de A et les réponses de B.
Un point intĂ©ressant (rarement soulignĂ© dans la littĂ©rature sur le sujet) est lâhypothĂšse selon
laquelle le « montant » du pouvoir dâun acteur peut ĂȘtre reprĂ©sentĂ© de maniĂšre probabiliste,
lâĂ©tendue du pouvoir dâun agent A Ă©tant dĂ©finie par rapport Ă lâensemble des rĂ©ponses de B.
Pour spécifier le « montant » de pouvoir, il faut spécifier à la fois quels sont les moyens
dâexercice de ce pouvoir et lâensemble des rĂ©ponses possibles de celui qui le subit.
2
Dahl (1957, pp. 202-203).
3
Les sociologues dĂ©finissent les agents comme des acteurs pour bien insister sur le fait quâils ne sont pas passifs,
remarque que lâon a souvent rencontrĂ©e dans le cadre du modĂšle standard. La prise en compte des « actes
terminaux et informationnels » décrits dans les chapitres précédents nous permet de supposer que les « agents
économiques » sont aussi « acteurs » et on conservera donc ce vocable familier pour les économistes.
137
Si on note par exemple :
IP( B, b A, a ) = p1
la probabilitĂ© que B fasse lâaction b sachant que A nâa pas fait lâaction a, le montant de
pouvoir de A sur B, noté :
ïŁ«A ïŁ¶
M ïŁŹ : a, b ïŁ·
ïŁB ïŁž
Compte tenu de la rĂ©ponse b et de lâaction a, M(.) est Ă©gal Ă :
ïŁ«A ïŁ¶
M ïŁŹ : a, b ïŁ· = IP( B, b A, a ) â IP( B, b A, a ) = p1 â p 2
ïŁB ïŁž
On dĂ©duit de cette dĂ©finition dâautres propriĂ©tĂ©s de la relation de pouvoir :
- M = 0 si p1 = p2, lâabsence de pouvoir est donc Ă©quivalente ici Ă lâindĂ©pendance
statistique ;
- M est maximum si p1 = 1 et p2 = 0 ;
- M est minimum lorsque p1 = 0 et p2 = 1, qui correspond à la notion de « pouvoir négatif ».
Dahl remarque alors que lâon doit associer une direction Ă cette mesure du pouvoir, cette
direction nâĂ©tant pas uniquement dĂ©pendante des intentions de A.
« Le problĂšme principal nâest pas de dĂ©terminer lâexistence du pouvoir mais dâen faire des
comparaisons »4.
La comparaison du pouvoir de deux individus doit prendre en compte cinq facteurs :
- les différences dans la base du pouvoir de chacun des acteurs ;
- les différences dans les moyens employés à partir de cette base ;
- les diffĂ©rences dans lâĂ©tendue du pouvoir câest-Ă -dire dans le type de rĂ©ponses suscitĂ©es ;
- les différences dans le nombre de « cibles » comparables ;
- les diffĂ©rences de probabilitĂ©s, câest-Ă -dire lâindicateur M.
4
Dahl (1957, p. 205).
138
Si les deux premiers points relÚvent de recherches qui ont été développées ultérieurement5, les
trois derniers relÚvent des différentes réponses aux stimuli du pouvoir dont le traitement ne
peut ĂȘtre effectuĂ© que par des Ă©tudes empiriques, parce quâils sont liĂ©s Ă la nature des
recherches menĂ©es. Il reste en fait lâindicateur M qui permet de classer les acteurs dans le cas
de situations « comparables en termes de pouvoir »6. Sa conclusion, qui pourrait aussi bien
concerner le concept dâinformation, prend la forme dâun discours imaginaire entre le
chercheur thĂ©oricien, celui qui modĂ©lise et le chercheur plus pragmatique qui a lâobsession de
la mesure des faits concrets. Elle mĂ©rite dâĂȘtre soulignĂ©e parce quâelle dĂ©finit un dĂ©bat qui
nâest toujours pas tranchĂ© presque cinquante ans aprĂšs la parution de cet article fondamental :
- le premier adopte la mesure M comme mesure du pouvoir dâun acteur et la possibilitĂ© de
classer les acteurs Ă condition quâexiste un ensemble de sujets comparables. Il est possible
dâobtenir des donnĂ©es pour le faire de maniĂšre empirique. Le concept de pouvoir ainsi
dĂ©fini peut ĂȘtre utilisĂ© de maniĂšre opĂ©rationnelle et aide Ă clarifier les mesures empiriques
que lâon pourrait obtenir ;
- le second présente les difficultés de mesure liées notamment au fait que le pouvoir
recouvre beaucoup de dimensions et est dépendant des données disponibles. Il faut donc
abandonner le concept de pouvoir au profit dâun ensemble de concepts opĂ©rationnels non
comparables entre eux (March, 1966).
Emerson (1962) prolonge Dahl (1957) en ce sens que pour lui « le pouvoir est une propriété
de la relation sociale, ce nâest pas un attribut de lâacteur »7. Son objectif est de construire
« une théorie simple des aspects liés au pouvoir dans les relations sociales » qui insiste sur les
5
Filley & Grimes (1967) ont été parmi les premiers à étudier spécifiquement les bases du pouvoir dans le
processus de décision. Une référence centrale reste en ce domaine Pfeffer (1981, 1992, 1996, 1997).
6
Dahl (1957, p. 209). Il ajoute que A et B sont formellement comparables en termes de pouvoir (on peut les
classer à partir de M) si et seulement si les acteurs, les moyens, les cibles et les réponses sont comparables, ce
qui ne nous aide pas beaucoup : « la comparabilitĂ© du pouvoir devra ĂȘtre interprĂ©tĂ©e Ă la lumiĂšre des besoins
spĂ©cifiques de la recherche et de la thĂ©orie.[âŠ] de ce point de vue la dĂ©cision est arbitraire mais pas plus
arbitraire que dâautres dĂ©cisions qui Ă©tablissent des critĂšres pour classer des objets ».
7
Emerson (1962, p. 32).
139
caractéristiques de la relation, non sur les caractéristiques particuliÚres des personnes ou des
groupes engagés dans ces relations8.
Il dĂ©veloppe lâidĂ©e selon laquelle les relations sociales recouvrent des liens de dĂ©pendance
mutuelle entre les parties, ainsi A va dĂ©pendre de B sâil aspire Ă atteindre des buts dont la
réalisation est facilitée par des actions appropriées de la part de B. Selon cette logique, il va
contourner les difficultés théoriques (et les critiques) associées au terme de pouvoir (Pfeffer,
1981) en articulant sa théorie autour du concept de dépendance9, faisant du pouvoir une
manifestation implicite de celui-ci : « le pouvoir réside implicitement dans la dépendance de
lâautre ». DĂšs lors, si la dĂ©pendance dâune des parties Ă lâĂ©change fournit la base du pouvoir
de lâautre, le pouvoir doit ĂȘtre dĂ©fini en tant quâinfluence potentielle : « le pouvoir dâun acteur
A sur un acteur B est le degrĂ© de rĂ©sistance de B qui peut ĂȘtre potentiellement surmontĂ© par
A ». Tout cela lâamĂšne Ă identifier une relation simple entre pouvoir et dĂ©pendance : « le
pouvoir de A sur B est égal à la dépendance de B vis-à -vis de A »10.
Cette notion de pouvoir réciproque fournit une base à trois autres caractéristiques de la
relation de pouvoir :
- un avantage en termes de pouvoir peut ĂȘtre mesurĂ© par la diffĂ©rence des deux pouvoirs
(câest la notion de « pouvoir net ») ;
8
Ainsi, « les traits personnels, les talents ou possessions (comme la richesse) [âŠ] nâont pas de place dans une
théorie générale » (p. 32).
9
La dĂ©finition complĂšte donnĂ©e p. 32 est assez sibylline pour un Ă©conomiste : « la dĂ©pendance dâun acteur A vis-
Ă -vis dâun acteur B est 1) directement proportionnelle Ă lâinvestissement motivationnel (motivational investment)
dans des buts relayés par B, et 2) inversement proportionnelle à la disponibilité de ces buts pour A en dehors de
la relation A-B ». Elle est heureusement relayée par des passages plus clairs dans le reste du papier.
10
Emerson (1962, p. 33). Face Ă cette succession de dĂ©finitions, Emerson prĂ©cise quâil nâexiste pas une seule
définition opérationnelle correspondant à un concept théorique mais plusieurs.
11
Emerson (1962, p. 34).
140
- la cohĂ©sion de la relation peut ĂȘtre dĂ©finie comme le pouvoir moyen, au sens de « montant
moyen de pouvoir » dans la terminologie de Dahl (1957) ;
- cela ouvre la possibilitĂ© dâune Ă©tude des opĂ©rations de rééquilibrage comme par exemple
des changements structuraux dans les relations de pouvoir/dĂ©pendance qui tendraient Ă
rĂ©duire lâavantage de pouvoir.
A partir des travaux de Bavelas (1948) et Leavitt (1951), Emerson introduit la notion de
« réseau de pouvoir », défini comme « au moins deux relations de pouvoir-dépendance
connectées »12 et insiste particuliÚrement sur le processus de formation des coalitions,
processus qui « met en lumiĂšre le rĂŽle jouĂ© par les processus de pouvoir dans lâĂ©mergence et
le maintien dâune structure de groupe en gĂ©nĂ©ral ». Cette structure de groupe est selon lui
articulée autour de deux types de « demandes collectives » : les « prescriptions de rÎles » qui
sont les spécifications comportementales que chacun des membres du groupe attend de
certains autres (mais pas nécessairement de tous), et les « normes de groupes » qui concernent
cette fois-ci tous les membres de la structure. Cela lâamĂšne Ă dĂ©finir lâautoritĂ© comme du
pouvoir légitimé13, notion weberienne retenue par la plupart des économistes et à laquelle
DockÚs (1999, 2000) préfÚre la notion de pouvoir « institué » (cf. chapitre 3).
Selon Lukes (1974), « le pouvoir est lâun de ces concepts qui est de maniĂšre tenace dĂ©pendant
des valeurs. [âŠ] Sa dĂ©finition mĂȘme et toute utilisation donnĂ©e de celle-ci, une fois dĂ©finies,
sont liĂ©es de maniĂšre inextricable Ă un ensemble donnĂ© (probablement inconnu) dâhypothĂšses
sur les valeurs qui prĂ©dĂ©termine lâĂ©tendue de ses applications empiriques »14. A partir de cette
remarque, il propose alors trois maniĂšres dâapprĂ©hender la problĂ©matique du pouvoir.
Tout dâabord, « lâanalyse conceptuelle du pouvoir » regroupe ceux quâil appelle les
« pluralistes » parmi lesquels Dahl (1957). Ils leur reprochent dâavoir une vision
unidimensionnelle du pouvoir qui « implique la priorité donnée au comportement dans la
12
Emerson (1962, p. 36).
13
Emerson (1962, p. 38) : « lâautoritĂ© Ă©merge comme transformation du pouvoir dans un processus appelĂ©
légitimation ».
14
Lukes (1974, p. 26).
141
prise de dĂ©cision sur les questions au sujet desquelles on observe un conflit dâintĂ©rĂȘts, vu
comme lâexpression de prĂ©fĂ©rences politiques rĂ©vĂ©lĂ©es par la participation politique »15. En
dâautres termes, il reproche Ă lâapproche de Dahl de se concentrer sur le pouvoir exercĂ© dans
le cadre du processus de décision. Dans ce cadre, ceux qui détiennent du pouvoir sont ceux
qui sont capables dâinfluencer ce processus afin dâobtenir les dĂ©cisions quâils souhaitent
obtenir. Cette approche est notamment critiquĂ©e parce quâelle suppose implicitement que le
pouvoir nâest utilisĂ© que dans des situations de conflit (Hardy, 1985).
Enfin, la vision tri-dimensionnelle du pouvoir est celle développée spécifiquement par Lukes
(1974). Les deux premiĂšres approches nĂ©gligent selon lui le fait que le pouvoir peut sâexercer
en lâabsence de conflit observable. Ce que lâon pourrait avoir ici, câest « un conflit latent, qui
consiste en une contradiction entre les intĂ©rĂȘts de ceux qui exercent le pouvoir et les intĂ©rĂȘts
rĂ©els de ceux quâils excluent »17. Il propose alors une autre dĂ©finition du pouvoir : « A exerce
du pouvoir sur B en arrivant Ă lui faire faire ce quâil ne veut pas faire, mais il exerce aussi du
pouvoir sur lui en influençant, modelant ou dĂ©terminant ses dĂ©sirs mĂȘmes »18. Le pouvoir est
mobilisĂ© non seulement pour Ă©viter que le conflit nâentre dans le processus de prise de
15
Lukes (1974, p. 15).
16
Bachrach & Baratz (1970, pp. 7-8).
17
Lukes (1974, pp. 24-25).
18
Lukes (1974, p. 23) Une autre définition est donnée p. 34 : A exerce du pouvoir sur B quand A affecte B
contre les « intĂ©rĂȘts rĂ©els » de B avec « la politique x est davantage dans les intĂ©rĂȘts de B que la politique y si,
dans le cas oĂč B devait expĂ©rimenter les rĂ©sultats et de x et de y, il choisirait x comme rĂ©sultat quâil voudrait
pour lui-mĂȘme ».
142
dĂ©cision mais aussi pour Ă©viter que le conflit Ă©merge, quelque soit lâactivitĂ© organisationnelle
considérée. Finalement cette approche confÚre deux dimensions au pouvoir : le pouvoir utilisé
pour annihiler lâopposition, le pouvoir pour prĂ©venir et Ă©viter les situations dâopposition19.
Alors quâil introduit une distinction entre ces trois approches, Lukes identifie comme
caractéristique commune aux trois visions du pouvoir leur ancrage dans des valeurs
particuliÚres : « chacune émerge et se situe dans une perspective politique et morale
particuliÚre ». Ce sont ainsi les différences de valeurs qui vont expliquer finalement pourquoi
on choisit tel ou tel concept de pouvoir.
Cette approche sera critiquée notamment par McLachan (1981) à cause de son manque
dâopĂ©rationnalitĂ©20. En dĂ©finitive, ce sont les concepts dĂ©finis par Dahl (1957) et Emerson
(1962) qui vont ĂȘtre Ă lâorigine des deux grands courants dâanalyse du pouvoir intra-
organisationnel21 que sont la théorie des contingences structurelles et la théorie de la
dépendance vis-à -vis des ressources.
Deux articles fondamentaux sont Ă la base de ce courant, celui de Hickson et al. (1971) qui
définit le cadre théorique et celui de Hinings et al. (1974) qui en propose un test empirique.
Lâobjectif du premier papier est ainsi de proposer une explication thĂ©orique du pouvoir afin
de dĂ©velopper des hypothĂšses testables susceptibles dâexpliquer la diffĂ©renciation du pouvoir
intra-organisationnel entre divisions (au sens de sous-groupes) dâune organisation. Ils rĂ©futent
le pessimisme de March (1966) explicable selon eux par le mauvais choix dâunitĂ© dâanalyse
(les individus au sein de communautés) dans les études sur le pouvoir. La prise en compte
dâentitĂ©s plus larges que les entitĂ©s individuelles pour traiter du pouvoir leur paraĂźt plus
pertinent et ils choisissent dâĂ©tudier spĂ©cifiquement les « sous-groupes de lâorganisation du
19
Sur la base de cette distinction, Hardy (1985, pp. 388-389) propose de distinguer le pouvoir manifeste (overt
power) qui se rĂ©fĂšre à « la capacitĂ© dâassurer des rĂ©sultats prĂ©fĂ©rĂ©s en situation de concurrence et de conflit parmi
les opposants déclarés » et le pouvoir discret (unobtrusive power) qui « se réfÚre à la capacité à assurer des
rĂ©sultats prĂ©fĂ©rĂ©s en Ă©vitant que le conflit nâĂ©merge », avec comme moyens les symboles, le langage, les mythes
etcâŠ
20
Fletcher (1992) a repris récemment la troisiÚme dimension du pouvoir de Lukes (1974) dans une perspective
« post-structuraliste ».
21
On observe cependant que les rares recherches sur le pouvoir en économie (dans différentes courants de
pensée), citent volontiers Lukes (1974), par exemple Perroux (1973) et Bartlett (1989).
143
travail, dans la mesure oĂč elles sont reliĂ©es entre elles « dans les activitĂ©s interdĂ©pendantes
dâun unique systĂšme social identifiable »22.
Deux types de travaux fondamentaux servent de base Ă leur approche, ceux de Lawrence &
Lorsch (1967) dont ils vont retenir la dĂ©finition de lâorganisation23 et ceux dâEmerson (1962)
en ce qui concerne la dĂ©finition du pouvoir. A partir de la conception de lâorganisation
comme un systĂšme de relations entre des dĂ©partements, câest la division du travail qui est la
source ultime de pouvoir intra-organisationnel. Dans ce cadre, le pouvoir va ĂȘtre expliquĂ© par
les variables qui dĂ©finissent lâactivitĂ© associĂ©e Ă chaque unitĂ© de production, Ă son
fonctionnement et à ses liens avec les activités des autres unités.
Ce nâest pas tant les relations dâinterdĂ©pendance rĂ©ciproque que leur dĂ©sĂ©quilibre entre les
entités générées par la division du travail qui fait émerger les relations de pouvoir (Cyert &
March, 1963). Ainsi dans une organisation, une sous-unité B va avoir plus de pouvoir que
dâautres sous-unitĂ©s dans la mesure oĂč (1) elle a la capacitĂ© de satisfaire les besoins des autres
sous-unitĂ©s et (2) elle est la seule Ă pouvoir le faire24. Dans un environnement Ă©conomique oĂč
le problĂšme central est lâincertitude Ă laquelle doivent faire face les agents, le pouvoir dâune
entitĂ© de lâorganisation va ĂȘtre dĂ©terminĂ© Ă la fois par sa capacitĂ© Ă rĂ©soudre une partie de
lâincertitude Ă laquelle font face les autres entitĂ©s productives, et par la disponibilitĂ© ou non de
compĂ©tences alternatives pour rĂ©duire lâincertitude.
Le premier point est certainement le plus fondamental de lâanalyse de Hickson et al. (1971,
pp. 218-219). Lâincertitude est dĂ©finie au sens de Knight (1921) comme le manque
dâinformation sur les Ă©vĂ©nements futurs qui rend imprĂ©visible les alternatives et leurs
rĂ©sultats. Le traitement de lâincertitude (« coping with uncertainty ») reprĂ©sente la maniĂšre
22
Hickson et al. (1971, p. 216).
23
Lâorganisation est « un systĂšme de comportements interreliĂ©s de gens qui effectuent une tĂąche qui a Ă©tĂ©
différenciée entre plusieurs sous-systÚmes distincts » (Lawrence & Lorsch, 1967, p. 3).
24
Hickson et al. (1971, p. 218).
144
dont on va dĂ©finir les moyens de traiter lâincertitude gĂ©nĂ©rĂ©e par lâenvironnement pour
atteindre le degré de performance désiré. Dans une optique proche de celle de Crozier
(1963)25 ce nâest pas lâincertitude en elle-mĂȘme qui donne du pouvoir mais son traitement.
« Ainsi les organisations ne cherchent pas nĂ©cessairement Ă Ă©viter lâincertitude ou Ă rĂ©duire
son niveau absolu, comme Cyert & March (1963) semblent lâavoir supposĂ©, mais elles
cherchent à la traiter »26.
La notion de substituabilitĂ© renvoie Ă lâidĂ©e quâune organisation est dâautant plus dĂ©pendante
dâune unitĂ© productive que ses activitĂ©s sont peu substituables. Cette idĂ©e est Ă©troitement
associée à la théorie de la dépendance vis-à -vis des ressources et renvoie indirectement à la
notion de spécificité des actifs développée plus tard par Williamson (qui réfutera par ailleurs
la pertinence de lâutilisation du pouvoir dans son modĂšle explicatif)27.
Enfin la centralitĂ© est le degrĂ© auquel les activitĂ©s dâune sous-unitĂ© sont interreliĂ©es Ă celles du
systĂšme, câest donc le degrĂ© auquel cette unitĂ© est une composante interdĂ©pendante des autres.
Deux dimensions sont associĂ©es au concept de centralitĂ© chez Hickson et al. (1971) : dâune
part, les activitĂ©s dâune sous-unitĂ© sont centrales si elles sont connectĂ©es Ă beaucoup dâautres
activitĂ©s dans lâorganisation, dâautre part elles sont centrales si elles impactent rapidement et
fortement les outputs de lâorganisation28.
Deux concepts complĂ©mentaires vont ĂȘtre liĂ©s Ă ces trois facteurs de dĂ©pendance. Le contrĂŽle
des contingences29 renvoie au contrĂŽle par une unitĂ© productive des ressources nĂ©cessaires Ă
la production dâautres unitĂ©s de lâorganisation, utilisant lâoutput de la premiĂšre comme inputs.
Ce concept fait donc rĂ©fĂ©rence Ă lâinterdĂ©pendance organisationnelle dans les activitĂ©s de
production et va dĂ©pendre Ă la fois de lâefficacitĂ© du traitement de lâincertitude, de la
centralitĂ© dans le flux de production et du degrĂ© de substituabilitĂ© des tĂąches. Câest en quelque
sorte le produit de la combinaison de ces trois facteurs. La « routinisation » concerne quant Ă
25
Crozier & Friedberg (1977) Ă©noncent ainsi que « lâinformation, câest du pouvoir ».
26
Hickson et al. (1971, p. 220).
27
Voir notamment Williamson (1996), chapitre 9 et particuliĂšrement pp. 238-249.
28
Lâapproche par les rĂ©seaux sociaux capturera ces deux dimensions par les trois mesures de la centralitĂ©
étudiées plus loin.
29
Hickson et al. (1971, p. 222-223) : « une contingence est un besoin dâune des activitĂ©s de la sous-unitĂ© qui est
affectĂ© par les activitĂ©s dâune autre sous-unitĂ© ».
145
elle le degrĂ© de standardisation des tĂąches qui va permettre de rĂ©duire lâincertitude sur les
inputs (la routinisation « prĂ©ventive ») et dâaugmenter la substituabilitĂ© des activitĂ©s30.
Les articles de Hickson et al. (1971) et Hinings et al. (1974) ont suscité de nombreux tests
empiriques parmi lesquels on peut citer Hambrick (1981), Cohen & Lachman (1988),
Saunders (1990) et Harpaz & Meshoulam (1997). On peut résumer les résultats de ces études
en quelques points. Lâensemble de ces tests valide les principales propositions des articles
séminaux, malgré la diversité des contextes organisationnels sur lesquels ils ont porté. De
plus, ils permettent de préciser deux éléments clés de ce cadre analytique :
- le traitement de lâincertitude et lâintensitĂ© des interactions au sein des rĂ©seaux semblent
jouer un rÎle premier par rapport à la substituabilité des tùches ;
- les dimensions pertinentes de la variable « traitement de lâincertitude » concernent le
« champ fonctionnel » des dirigeants (i.e. leur positionnement dans la structure) ainsi que
les modalitĂ©s par lesquelles sâeffectue lâapprentissage des tendances et des Ă©vĂ©nements qui
marquent lâorganisation.
Par contre, ces tests sâavĂšrent indĂ©cis quant aux relations de causalitĂ© entre contingences
environnementales, stratégie déployée et pouvoir intra-organisationnel. Cette indécision
relative aux causalitĂ©s entre ces trois facteurs marque lâensemble des thĂ©ories de la
contingence structurelle, et est à la source de son éclatement dans les années 1980 et dans sa
perte dâaudience acadĂ©mique depuis lors.
Les thĂ©ories de la contingence structurelle sont souvent rĂ©sumĂ©es, abusivement Ă notre sens, Ă
un déterminisme environnemental simple31 selon lequel les organisations les plus
performantes sont celles dont la structure interne répond en tout point aux conditions
environnementales dans lesquelles elles évoluent (environnement concurrentiel,
technologique, réglementaire, etc.). Ce déterminisme a été discuté par Child (1972) dans un
article encore aujourdâhui souvent citĂ©. Il convient selon cet auteur de reconnaĂźtre le « rĂŽle du
choix stratégique comme élément nécessaire à toute théorie adéquate des structures
organisationnelles » (p. 17), ce qui lâamĂšne Ă dĂ©velopper, Ă la suite dâĂ©crits behavioristes
30
Comme le précisent Hinings et al. (1974, p. 23), la routinisation est introduite dans la théorie de deux
maniĂšres : elle affecte indirectement le pouvoir « soit en rĂ©duisant lâincertitude, soit en augmentant la
substituabilité ».
31
Donaldson (par ex. 1987) critique les auteurs qui font lâamalgame entre ce dĂ©terminisme et les thĂ©ories de la
contingence structurelle.
146
(March & Simon, 1958), une perspective politique de lâorganisation en termes de « coalitions
dominantes ». La possibilitĂ© de lâexercice du choix provient de la multiplicitĂ© des
contingences contextuelles contradictoires entre elles, aux implications structurelles
conflictuelles. LâidĂ©e est que ces contingences crĂ©ent des « zones grises » pour les dĂ©cideurs
qui correspondent Ă des espaces Ă lâintĂ©rieur desquels le choix stratĂ©gique peut sâexercer. Les
contraintes contextuelles voient leur valeur explicative des structures organisationnelles
diminuer aux dĂ©pens du conflit politique et de la dynamique de coalitions qui tirent lâĂ©quilibre
organisationnel vers la cohérence structurelle. La recherche de cohérence au niveau des
facteurs de conception de lâorganisation peut engendrer un double mouvement : lâadĂ©quation
contingences environnementales / structure organisationnelle peut ĂȘtre restaurĂ©e par un
ajustement de la structure aux contingences (comme le considÚrent les théories traditionnelles
de la contingence structurelle) ou bien par un ajustement des contingences aux structures
(dans ce cas, la perspective des théories de la contingence est renversée).
La contribution de Child (1972) est importante car elle inspirera les théories des
configurations organisationnelles, dont Mintzberg (1982, 1986) est sans doute le représentant
le plus connu. On reconnaßt trÚs facilement, à partir des éléments décrits plus haut,
lâhypothĂšse de « configuration Ă©largie » que formule cet auteur : afin dâamĂ©liorer la
congruence structure / contingences, il convient de sâassurer que lâorganisation puisse choisir
« non seulement ses paramÚtres de conception, mais aussi certains facteurs de contingences »
(1982, p. 208). Câest cette hypothĂšse qui marque toute lâapproche de la dynamique
organisationnelle de Mintzberg. Dans son ouvrage de 1986, lâauteur fonde sur cette mĂȘme
contribution de Child sa vision du pouvoir organisationnel : il dĂ©veloppe et met au cĆur de la
dynamique organisationnelle les jeux politiques qui servent de prélude aux choix stratégiques.
Lâautre article sĂ©minal sur le pouvoir intra-organisationnel est celui de Salancik & Pfeffer
(1974) qui définit les bases de la théorie de la dépendance vis-à -vis des ressources.
Dans cet article, les auteurs examinent les effets du pouvoir des sous-unités sur la prise de
dĂ©cision organisationnelle et les bases du pouvoir de ces sous-unitĂ©s dans le contexte dâune
université. Pour ce faire, ils formulent deux hypothÚses principales, selon lesquelles :
- les sous-unitĂ©s acquiĂšrent du pouvoir dans la mesure oĂč elles fournissent des ressources
critiques pour lâorganisation ;
147
- le pouvoir affecte les allocations de ressource au sein de lâorganisation dans la mesure oĂč
ces ressources critiques sont rares au sein de lâorganisation.
Le pouvoir dans les systĂšmes sociaux peut ĂȘtre vertical ou horizontal, il peut ĂȘtre
interpersonnel ou impliquant des relations entre les unitĂ©s de lâorganisation. Alors que la
science sociale sâest davantage intĂ©ressĂ©e au pouvoir vertical interpersonnel, câest-Ă -dire Ă
lâinfluence dâune personne sur une autre, habituellement dans une relation
supĂ©rieur/subordonnĂ©, il faut selon les auteurs sâintĂ©resser davantage Ă la question des
diffĂ©rences de pouvoir entre sous-unitĂ©s dâune organisation afin dâidentifier Ă la fois les
diffĂ©rences de pouvoir horizontal (lâutilisation de lâinfluence entre pairs pour obtenir des
bĂ©nĂ©fices pour soi-mĂȘme) des sous-unitĂ©s, les facteurs menant Ă ces diffĂ©rences et enfin les
conditions sous lesquelles le pouvoir est utilisĂ© pour affecter le processus dâallocation des
ressources.
Leur étude prolonge des travaux antérieurs sur cette thématique, parmi lesquels Crozier
(1963), pour qui la maĂźtrise de lâincertitude critique pour le fonctionnement de lâorganisation
détermine la distribution du pouvoir, Thompson (1967) pour qui ceux qui peuvent traiter au
mieux les contingences organisationnelles critiques détiennent le pouvoir, et Perrow (1970)
qui introduit la notion de « fonction critique »32. A la suite de Thompson (1967), lâapproche
de Hickson et al. (1971) dĂ©veloppe comme on lâa vu une thĂ©orie du pouvoir relatif des sous-
unitĂ©s basĂ©e sur lâidĂ©e du traitement des contingences critiques.
Toutes ces approches se concentrent sur les contingences organisationnelles provenant de
lâorganisation elle-mĂȘme. Comme le prĂ©cisent Salancik & Pfeffer, les contingences
organisationnelles critiques peuvent provenir aussi de son environnement. De ce point de vue,
« les organisations en tant que systĂšmes sociaux ouverts dĂ©pendent dâun cycle dâacquisition
de ressources, consommations intermédiaires et output de leur survie ». DÚs lors, « si
lâacquisition de ressources importantes pour lâorganisation est une source de pouvoir pour les
sous-unitĂ©s, il est probable que cela soit une source de pouvoir dâautant plus importante que le
processus dâacquisition lui mĂȘme devient de maniĂšre croissante incertain et problĂ©matique
pour lâorganisation »33. Leur message est donc que les contingences critiques dĂ©rivent du
contexte environnemental dans lequel les organisations opÚrent, celui-ci déterminant les
ressources disponibles et les problĂšmes Ă traiter.
32
Perrow (1970, p. 66) : « ceux qui détiennent la fonction la plus critique tendent à avoir le plus de pouvoir ».
33
Salancik & Pfeffer (1974, p. 455).
148
Les rĂ©sultats quâils obtiennent montrent que le pouvoir des dĂ©partements est hautement
corrélé à la capacité à obtenir des contrats et gratifications et que le pouvoir est davantage
utilisĂ© dans lâallocation des ressources critiques et rares plutĂŽt que dans lâallocation des
ressources les moins rares et les moins critiques. Enfin, en ce qui concerne le degré de
généralité de leur étude (qui concerne les universités), ils remarquent que « la forme de
lâinterdĂ©pendance trouvĂ©e dans lâorganisation affecte probablement le degrĂ© auquel les sous-
unités vont se disputer les ressources, mais pas les propositions basiques qui concernent les
conditions susceptibles de créer du pouvoir ou de causer son utilisation »34.
Ils développent par ailleurs une théorie bi-dimensionnelle du pouvoir, comme « capacité
dâinfluence qui sâĂ©tend au delĂ des bases qui lâont créé » et comme « forme
institutionnalisĂ©e »37 qui lui permet de durer au-delĂ de son utilitĂ© pour lâorganisation. Dans sa
forme la plus simple, lâinstitutionnalisation est atteinte par la crĂ©ation de positions et de rĂŽles
pour les activitĂ©s de lâorganisation. La crĂ©ation dâun nouveau poste lĂ©gitime une fonction et
force les membres de lâorganisation Ă sây rĂ©fĂ©rer. Une autre source importante du pouvoir
institutionnalisĂ© tient dans la capacitĂ© Ă structurer les systĂšmes dâinformation38, et on trouve
34
Salancik & Pfeffer (1974, p. 472).
35
Salancik & Pfeffer (1977, p. 4).
36
Salancik & Pfeffer (1977, p. 7).
37
Lâinstitutionnalisation est dĂ©finie comme « lâĂ©tablissement de structures relativement permanentes qui
favorisent le pouvoir dâune sous-division particuliĂšre » (Salancik & Pfeffer, 1977, p. 18).
38
Salancik & Pfeffer (1977, p. 19) « Evidemment ceux qui ont de lâinformation sont en meilleure position pour
interprĂ©ter les problĂšmes de lâorganisation [âŠ]. ».
149
ici une problématique développée par Pettigrew (1972) ou Spekman (1979)39 qui articulent
pouvoir et information organisationnelle40.
Conclusion section 1
A la suite des travaux fondateurs sur le contrĂŽle des ressources, la voie qui va ĂȘtre la plus
dĂ©veloppĂ©e va ĂȘtre celle de lâĂ©tude des indicateurs de centralitĂ© (dĂ©jĂ prĂ©sente chez Hickson et
al., 1971) qui sâinscrit dans lâapproche plus large de lâanalyse des rĂ©seaux sociaux. Les
analyses en termes de centralitĂ© ont ceci de remarquable quâelles proposent des tentatives de
mesure du pouvoir.
39
Spekman (1979) suggĂšre dans ses travaux que les unitĂ©s dâune organisation tirent leur pouvoir de leur habiletĂ©
Ă obtenir de lâinformation en provenance de lâenvironnement.
40
Pour Pettigrew (1972), les systĂšmes de communication dans les organisations ont trois rĂŽles principaux : ils
servent Ă formuler et implĂ©menter les objectifs de lâorganisation, ils permettent la coordination des diffĂ©rentes
activitĂ©s, ce sont aussi des supports de pouvoir. Son papier sâintĂ©resse Ă la question de lâaccĂšs diffĂ©renciĂ© aux
flux de communications pendant le processus de prise de dĂ©cision. LâaccĂšs Ă lâinformation et son contrĂŽle (dĂ©crit
en référence à la position structurale du « gardien de porte » (gatekeeper) technique ) est considéré comme une
ressource de pouvoir, dans la logique dĂ©veloppĂ©e par Barber (1966, p. 65) : « dans la mesure oĂč la connaissance
câest du pouvoir, les systĂšmes de communication sont des systĂšmes de pouvoir », lâobjectif de Pettigrew est de
rendre opĂ©rationnel le phĂ©nomĂšne de filtrage de lâinformation par un « gatekeeper », dans le but de satisfaire ses
propres intĂ©rĂȘts, durant un processus de prise de dĂ©cision.
150
Section 2 : Centralité et pouvoir
Lâarticulation entre centralitĂ© et pouvoir est exprimĂ©e simplement par Pfeffer (1981, p. 130) :
« si le pouvoir dĂ©coule en partie de la capacitĂ© Ă rĂ©soudre lâincertitude ou de la capacitĂ© Ă
impacter le processus de dĂ©cision, alors la position de quelquâun dans le rĂ©seau de
communication est clairement un indicateur important de pouvoir individuel ».
De maniÚre plus précise, les positions différentes générées (horizontalement et verticalement)
par la division du travail sont interconnectées par un ensemble de flux qui forment « un réseau
stable dâinteractions schĂ©matisĂ©s »41. Sur cette base, Tichy & Fombrun (1979) puis Tichy et
al. (1979) ont dĂ©veloppĂ© lâidĂ©e selon laquelle les relations de pouvoir dans lâorganisation
pouvaient ĂȘtre analysĂ©es de maniĂšre pertinente en rĂ©fĂ©rence Ă ce rĂ©seau dâinteractions. La
centralitĂ© de rĂ©seau peut ĂȘtre regardĂ©e comme une source supplĂ©mentaire de pouvoir
intraorganisationnel au regard de la capacitĂ© dâun acteur Ă gĂ©nĂ©rer des dĂ©pendances au travers
de lâĂ©change de ressources. Un tel pouvoir provient de la position dâun acteur dans le rĂ©seau
plutĂŽt que dâun contrĂŽle des ressources au sein dâune relation dâĂ©change particuliĂšre.
Cette approche est multidimensionnelle : elle suppose de redĂ©finir ce quâest une organisation,
elle mobilise la thĂ©orie des graphes et elle se prĂȘte particuliĂšrement bien au traitement des
études sur le pouvoir.
Tichy et al. (1979) prĂ©sentent lâapproche en termes de rĂ©seaux sociaux comme une nouvelle
perspective dâanalyse de lâorganisation, dans laquelle « les organisations peuvent ĂȘtre vues
comme des groupements sociaux dont les schĂ©mas dâinteraction sont relativement stables
dans le temps. Un tel modĂšle dâorganisation [âŠ] nĂ©cessite un modĂšle cohĂ©rent et des
mĂ©thodes dâanalyse capables de capturer les processus Ă©tablis et Ă©mergents »43.
41
Astley & Sachdeva (1984, p. 33).
42
Pour les développements récents, cf. Lazega (1998), Mercklé (2004) et Lemieux & Ouimet (2004).
43
Tichy et al. (1979, p. 507).
151
Cette approche théorique a profondément modifié à la fois les méthodes de collecte des
donnĂ©es et les mĂ©thodes dâanalyse des donnĂ©es, Ă tel point quâelle semble capable de
réconcilier les dimensions micro et macro du comportement organisationnel dans lesquelles
sâinscrivent le pouvoir (Crozier, 1973). Elle considĂšre les organisations comme des systĂšmes
ouverts dâobjets (les gens, les groupes, les organisations elles-mĂȘmes) unis par une variĂ©tĂ© de
relations. Lâanalyse des rĂ©seaux concerne donc la maniĂšre dont ces relations se structurent et
sâorganisent et cherche Ă identifier Ă la fois les causes et les consĂ©quences de cette
structuration. Un avantage de cette approche est quâelle semble capable de saisir Ă la fois les
aspects statiques et dynamiques des organisations en se concentrant sur les liens entre les
objets sociaux dans le temps.
Il faut remonter aux travaux pionniers de Bavelas (1948)44 et Leavitt (1951)45 pour trouver
une conception de la structure des groupes explicitement en termes de réseau. Les différentes
propriétés du réseau sont classées par Tichy & Fombrun en trois grandes catégories46.
On identifie tout dâabord le contenu transactionnel des Ă©changes au sein dâun rĂ©seau qui
permet de distinguer entre les Ă©changes de biens et services, les Ă©changes dâinformation, les
Ă©changes dâinfluence et les Ă©changes qui sont du domaine des liens affectifs. Ensuite, la
nature des liens peut ĂȘtre Ă©tudiĂ©e du point de vue de leur intensitĂ© (la force de la relation entre
deux individus), de leur réciprocité (leur degré de symétrie) ou de leur multiplicité, dans le cas
par exemple oĂč les individus ont plusieurs rĂŽles dans lâorganisation : travailleur, conjoint,
membre de la communauté.
Enfin, les caractĂ©ristiques structurelles du rĂ©seau concernent sa taille (le nombre dâindividus
constituant le réseau), sa densité (le nombre de liens divisé par le nombre maximum de liens
44
Bavelas est un psychologue pionnier de lâutilisation de la topologie dans son champ de recherche. Il prĂ©sente
et étend dans son article de 1948 le modÚle formel (définitions, hypothÚses) de Lewin (1938), autre psychologue,
qui a dĂ©veloppĂ© une approche des propriĂ©tĂ©s dâun ensemble Ă partir de lâidĂ©e de âchemin le plus courtâ que lâon
trouve en thĂ©orie des graphes. Par ailleurs, il a Ă©noncĂ© lâidĂ©e selon laquelle ces concepts Ă©taient pertinents pour
analyser des problĂšmes de structures de groupes, lâorganisation dâindividus dans des groupes sociaux.
45
Leavitt prolonge les travaux de Bavelas en explorant de maniÚre expérimentale la relation entre le
comportement de petits groupes et le schéma de communication dans lequel le groupe opÚre. Il étudie
spécifiquement les conditions imposées aux membres du groupe par différents schémas de communication, et les
effets de ces conditions sur lâorganisation et le comportement des membres. Les rĂ©sultats principaux de son
expĂ©rimentation Ă©noncent tout dâabord que le schĂ©ma de communication affecte le comportement des membres
en ce qui concerne la précision des informations, ensuite que les positions occupées dans le réseau affectent
Ă©galement leur comportement (contribution Ă lâorganisation du groupe, potentiel de leadership) et enfin que la
caractéristique des schémas de communication la plus corrélée avec les différences comportementales observées
est une mesure de la centralitĂ© : lâindice dĂ©finissant dans quelle mesure lâacteur est pĂ©riphĂ©rique dans la
structure.
46
Tichy et al. (1979, p. 508).
152
possibles), le nombre de clusters47, sa stabilité dans le temps, sa « joignabilité » (reachability)
qui est le nombre moyen de liens reliant chaque paire dâindividus, et le degrĂ© de centralitĂ© des
membres du réseau48.
2.1.2/ Les débats autour du recueil des données et des méthodes de traitement
La plupart du temps, lâanalyse repose sur des donnĂ©es sociomĂ©triques, la sociomĂ©trie Ă©tant
une méthode pour établir la relation entre des unités. Le degré (souvent la présence ou
lâabsence de relation) auquel une unitĂ© est reliĂ©e Ă une autre est cartographiĂ©e. Le problĂšme
des donnĂ©es sociomĂ©triques est quâelles sont faciles Ă collecter mais difficiles Ă analyser. On
distingue quatre grandes méthodes de traitement.
La premiĂšre est lâanalyse de position, qui recouvre lâutilisation des donnĂ©es organisationnelles
formelles (organigrammes) détaillant les liens de communication. Ce sont pour un certain
nombre dâanalystes les donnĂ©es les moins informatives parce quâelles ne prennent pas en
compte les processus Ă lâĆuvre dans lâorganisation. Elle est donc plus appropriĂ©e dans
lâanalyse descriptive de la structure existante.
La seconde est la méthode réputationnelle/attributionnelle qui est utilisée pour étudier
lâinfluence des individus telle quâelle est perçue par les membres de la structure dans des
domaines prĂ©cis (Krackhardt, 1990). Cette mĂ©thode permet dâapprĂ©hender les relations de
pouvoir mais elle est souvent biaisée par le type de questions posées (ex : qui dirige la
communauté ?).
47
Boissevain (1974) appelle clusters les rĂ©gions dâun rĂ©seau dans lesquelles les acteurs sont davantage liĂ©s entre
eux quâavec le reste des acteurs du rĂ©seau.
48
On y trouve par ailleurs lâidentification de caractĂ©ristiques particuliĂšres appelĂ©es par Tichy & Fombrun « les
nĆuds spĂ©ciaux du rĂ©seau » : lâĂ©toile est un individu avec le nombre maximum de liens, la liaison est un individu
qui ne fait pas partie dâun cluster mais qui est reliĂ© Ă un ou plusieurs clusters, le pont est un individu membre de
plusieurs clusters, le gardien (gatekeeper) est lâĂ©toile qui est Ă©galement reliĂ© Ă des points extĂ©rieurs (Petitgrew,
1972) et lâindividu isolĂ©.
153
Ensuite, lâanalyse de la dĂ©cision, initiĂ©e par Dahl, critique la pertinence des deux approches
prĂ©cĂ©dentes pour Ă©tablir les rĂ©seaux dâinfluence et met en lumiĂšre « le processus de prise de
dĂ©cision comme noyau du phĂ©nomĂšne de pouvoir, et câest ce processus qui est lâobjet de la
recherche »49. Cette mĂ©thode pourrait dâun point de vue mĂ©thodologique avoir la prĂ©fĂ©rence
dâĂ©conomistes spĂ©cialisĂ©s en Ă©conomie de lâinformation si ce nâest quâelle est sujette Ă de
nombreuses critiques50.
Les difficultĂ©s mĂ©thodologiques de lâanalyse des donnĂ©es sociomĂ©triques sont fondĂ©es sur un
paradoxe : ces données correspondent à une représentation trÚs intuitive du monde et sont
extrĂȘmement faciles Ă collecter si bien que les chercheurs peuvent rapidement se trouver
confrontés à une surabondance de données.
Deux ensembles de mĂ©thodes sont gĂ©nĂ©ralement utilisĂ©es pour lâanalyse, une qui est basĂ©e sur
la manipulation des mesures de proximitĂ©51 et lâautre qui est basĂ©e sur la thĂ©orie des graphes,
dans la lignĂ©e de lâarticle sĂ©minal de Luce & Perry (1949).
Le concept dâĂ©quivalence structurale (Lorrain & White, 1971, Burt, 1992) et la modĂ©lisation
par blocs (technique consistant à regrouper les individus structurellement équivalents) sont
associés à la premiÚre et ont été développés au début des années 1970.
En ce qui concerne les approches mathématiques (en termes de théorie des graphes) de
lâanalyse de donnĂ©es sociomĂ©triques, elles ont Ă©tĂ© largement dĂ©finies par Harary, Norman &
Cartwright (1965) qui, partant dâune matrice reprĂ©sentant des individus, arrangent les
individus en fonction de critĂšres prĂ©-dĂ©finis Ă lâaide de techniques qui vont des permutations
de matrices jusquâaux modĂšles de thĂ©orie des graphes plus Ă©laborĂ©s. Cette mĂ©thode est
aujourdâhui largement utilisĂ©e pour lâĂ©tude des organisations informelles (Krackhardt, 1994).
49
Dahl (1963, p. 53).
50
Ainsi pour Tichy et al. (1979, p. 511), elle nĂ©glige lâinfluence indirecte, elle nâest pas facilement gĂ©nĂ©ralisable,
il est difficile dây dĂ©finir les Ă©lĂ©ments clĂ©s, elle est complexe Ă utiliser et elle nĂ©glige le processus de prise de
« non-décision ».
51
La proximité est un indice reflétant la distance sociale entre individus.
154
2.2/ Eléments de théorie des graphes
Nous ne présentons ici que les éléments de théorie des graphes qui serviront notre propos à la
fois pour les aspects de centralitĂ©, lâanalyse de Salancik et pour la thĂ©orie des graphes
dâinfluence (chapitre 4 et 5)52.
Si lâon suit la dĂ©finition de Berge (1970, p. 153), « on appellera graphe G tout schĂ©ma situĂ©
dans IRn (n étant le plus souvent égal à 2), constitué :
- dâune part dâun ensemble X de points de IRn appelĂ©s sommets du graphe ; Ă moins
dâindications contraires, nous supposerons que les sommets sont en nombre fini ;
- dâautre part, dâun ensemble U de lignes, munies ou non dâune orientation (lâabsence
dâorientation pouvant sâinterprĂ©ter comme une double orientation) reliant chacune deux
sommets (distincts ou non), et eux deux seulement ; chacune de ces lignes est entiĂšrement
dĂ©finie par le couple ou la paire (xi, xj) de sommets quâelle relie :
ce couple Ă©tant ordonnĂ© comme lâindique le sens dâorientation dans le cas oĂč la
ligne en porte un, celle-ci sâappelle alors un arc ;
cette paire Ă©tant dĂ©pourvue dâordre â ou considĂ©rĂ©e comme la juxtaposition des
deux couples ordonnĂ©s (xi ,xj), (xj, xi) â dans le cas oĂč la ligne ne porte aucun sens
dâorientation, elle sâappelle alors une arĂȘte et sâidentifie Ă deux arcs orientĂ©s en
sens opposĂ© entre les deux mĂȘmes sommets » ;
Le graphe est alors noté G = (X, U).
Un aspect intĂ©ressant de la thĂ©orie des graphes est que lâon peut associer Ă chaque graphe
ainsi défini une matrice booléenne, qui est un tableau carré à double entrée dont les lignes et
les colonnes correspondent chacune Ă un sommet et dont les cases contiennent un 0 ou un 1
selon quâexiste ou non une arĂȘte joignant le sommet associĂ© Ă la ligne considĂ©rĂ©e au sommet
associé à la colonne considérée. Imaginons par exemple une organisation représentée par un
graphe dont les sommets sont les membres de lâorganisation et les arĂȘtes sont les liens de
communication symétrique :
52
Les outils de la thĂ©orie des graphes mobilisĂ©s dans lâanalyse des rĂ©seaux sociaux sont dĂ©taillĂ©s dans un des
ouvrages de référence sur le sujet : Wasserman & Faust (1994). Pour un exposé plus général, une bonne
introduction est donnée par Chartrand (1985), ou Busacker & Saaty (1965). Les ouvrages de Roy (1969, 1970)
sont plus complets et celui de Diestel (1997) est réservé plutÎt à un public de mathématiciens.
155
Graphe n°1
3 2
4 5
1 2 3 4 5
1 0 1 1 0 0
2 1 0 1 0 1
3 1 1 0 1 0
4 0 0 1 0 0
5 0 1 0 0 0
Le graphe ne reprĂ©sente ni la forme des objets symbolisĂ©s par lâensemble X ni celle de leurs
liaisons, il reprĂ©sente les relations fonctionnelles quâentretiennent ces objets (Lantner, 1974,
p. 42). On peut donc associer à la définition schématique du graphe une définition
« relationnelle », par laquelle un graphe G = (X ,U) représente une relation binaire R de X
vers X. Lorsque la relation est univoque, les liens sont des arcs et le graphe est orienté. Dans
ce cas U reprĂ©sente lâensemble des couples ordonnĂ©s de XâX pour lesquels R est vĂ©rifiĂ©e.
Lorsque la relation est biunivoque, les liens sont des « arĂȘtes » et le graphe est non orientĂ©.
156
Dans ce cas, U reprĂ©sente lâensemble des paires non ordonnĂ©es de XâX pour lesquelles R est
vérifiée.
Bien que les approches en termes de rĂ©seaux sociaux privilĂ©gient lâĂ©tude de graphes non
orientĂ©s lorsquâils Ă©tudient le pouvoir, un certain nombre de concepts utiles pour notre propos
sont associés aux graphes orientés.
Reprenons lâorganisation dĂ©crite par le graphe n°1 en dĂ©finissant cette fois-ci une relation
univoque « communique avec » qui restreint les relations entre membres, on obtient alors le
graphe n°2 suivant :
Graphe n°2
1
3 2
4 5
1 2 3 4 5
1 0 1 0 0 0
2 0 0 1 0 1
3 1 0 0 0 0
4 0 0 1 0 0
5 0 0 0 0 0
157
2.2.2.2/ Quelques concepts usuels
Deux arĂȘtes (ou arcs) sont dits adjacents sâils sont distincts et sâils possĂšdent une extrĂ©mitĂ©
commune53. Une chaĂźne est une sĂ©quence non vide dâarĂȘtes deux Ă deux adjacentes. Un cycle
est une chaĂźne finie et fermĂ©e. On dira dâun graphe Ă n sommets quâil est un arbre sâil est sans
cycle et possĂšde (n-1) arĂȘtes. On appelle arborescence un arbre dont lâorientation est telle que
chacun de ses sommets, Ă lâexception dâun seul appelĂ© racine, est lâextrĂ©mitĂ© terminale dâun
seul arc, la racine nâĂ©tant lâextrĂ©mitĂ© terminale dâaucun arc.
Un chemin est une sĂ©quence non vide dâarcs deux Ă deux adjacents orientĂ©s dans le mĂȘme
sens. On appelle chemin de i Ă j le chemin dont le sommet i est lâorigine du premier arc et le
sommet j lâextrĂ©mitĂ© du dernier. Lorsque i coĂŻncide avec j, le chemin de i Ă j est appelĂ©
circuit, qui est donc un chemin fini et fermé.
La longueur dâun chemin (ou dâun circuit) est le nombre dâarcs qui sĂ©parent son origine de
son extrémité54. Le chemin le plus court reliant deux sommets est appelé géodésique. Un
circuit de longueur unitaire sâappelle une boucle.
Un chemin (circuit) est dit hamiltonien sâil passe par tous les sommets du graphe, eulĂ©rien sâil
passe par tous les arcs de ce graphe. Il est dit Ă©lĂ©mentaire sâil ne rencontre pas deux fois le
mĂȘme sommet.
Un graphe complet est un graphe dans lequel chaque sommet est relié aux autres sommets par
un arc ou une arĂȘte (tous les sommets sont reliĂ©s deux Ă deux). On appelle graphe partiel dâun
graphe G = (X, U) tout graphe Gâ = (X, Uâ) construit Ă partir du mĂȘme ensemble de sommets
que G mais auquel on retire un ou plusieurs arcs (Uââ U). Un sous-graphe de G est un graphe
Gââ = (Xââ, Uââ) dont on retire un ou plusieurs sommets ainsi que les arcs qui ont une ou deux
extrĂ©mitĂ©s en ces sommets (Xâââ X et Uâââ U)55.
53
Remarquons que Freeman (1979, p. 219) dĂ©finit le concept dâadjacence en prenant comme rĂ©fĂ©rence les points
et non leurs liens.
54
On peut dĂ©terminer le nombre de chemins (Ă©lĂ©mentaires et non Ă©lĂ©mentaires) de longueur l dans un graphe Ă
partir du nombre dâĂ©lĂ©ments non nuls de la matrice boolĂ©enne associĂ©e au graphe Ă©levĂ©e Ă la puissance l. Ainsi,
la matrice initiale donne le nombre dâarcs, la matrice au carrĂ© donne le nombre de chemins de longueur 2, la
matrice au cube donne le nombre de chemins de longueur 3 etc. (cf. Lequeux, 2002).
55
Lantner (1974, pp. 46-47) donne des définitions au sens large du graphe partiel et du sous graphe alors que
nous en donnons une définition au sens strict.
158
2.3/ Indicateurs de centralité et pouvoir
Dans le domaine de lâanalyse structurale, la notion de centralitĂ© est utilisĂ©e dans le but de
comparer la position plus ou moins centrale des sommets dans un graphe non orienté
(Freeman, 1979, Bonacich, 1987, Friedkin, 1991). Parmi toutes les mesures de centralité
existantes, ce sont celles données par Freeman (1979) qui sont les plus utilisées. Nous allons
les prĂ©senter en partant dâune structure de communication (symĂ©trique) reprĂ©sentĂ©e par le
graphe suivant :
Graphe n°3
A
E
B
D
F
C
Câest une mesure qui reflĂšte lâactivitĂ© relationnelle directe dâun membre dans la structure.
Elle mesure le nombre de connexions directes de chacun des membres dans le graphe. Selon
cette mesure, lâindividu qui occupe la position la plus centrale dans un graphe (dans
lâorganisation) est celui qui dĂ©tient le plus grand nombre de connexions directes avec les
autres. A partir de la matrice booléenne associée au graphe n°3, on peut déterminer le nombre
total de connexions dâun individu :
159
A B C D E F Total
A 0 1 1 1 0 0 3
B 1 0 1 1 0 0 3
C 1 1 0 1 0 1 4
D 1 1 1 0 1 1 5
E 0 0 0 1 0 0 1
F 0 0 1 1 0 0 1
Sur la base de ce critĂšre, lâindividu D est le plus central dans la structure (5 liens directs),
suivi de C (4 liens directs). Les individus E et F sont les moins centraux.
Câest une mesure qui repose sur la distance gĂ©odĂ©sique, câest-Ă -dire la longueur du plus court
chemin reliant deux acteurs. Freeman (1979) définit cette notion pour mesurer le degré
dâindĂ©pendance dâun agent dans la structure : un point est central dans la mesure oĂč il peut
éviter le contrÎle potentiel des autres56.
On obtient un degrĂ© dâĂ©loignement dâun acteur en faisant la somme des distances gĂ©odĂ©siques
qui le sĂ©parent des autres membres de lâorganisation, que lâon reprĂ©sente dans le tableau ci-
dessous.
Paire considérée géodésique Distance
(A,B) AB 1
(A,C) AC 1
(A,D) AD 1
(A,E) ADE 2
(A,F) ADF, ACF 2
(B,C) BC 1
(B,D) BD 1
(B,E) BDE 2
(B,F) BDF, BCF 2
(C,D) CD 1
56
Freeman (1979, p. 224) : « LâindĂ©pendance dâun point est dĂ©terminĂ©e par sa proximitĂ© par rapport Ă tous les
autres ».
160
(C,E) CDE 2
(C,F) CF 1
(D,E) DE 1
(D,F) DF 1
(E,F) EDF 2
Le membre le plus central du point de vue de la proximité est D qui a un accÚs direct à tous
les autres membres et ne dĂ©pend donc pas dâintermĂ©diaires pour le faire. A la suite de Bavelas
(1948), celle mesure peut ĂȘtre interprĂ©tĂ©e comme mesure de lâefficience du schĂ©ma de
communication.
Freeman (1979) a Ă©laborĂ© cette mesure afin de rendre compte de la capacitĂ© des individus Ă
assurer un rÎle de coordination et de contrÎle. Plus un acteur aura une position intermédiaire
et plus il aura la capacitĂ© de contrĂŽler la circulation de lâinformation57.
Cet indicateur sâobtient en quatre Ă©tapes :
- il faut rĂ©pertorier les situations oĂč lâindividu concernĂ© est connectĂ© directement Ă deux
autres individus qui ne sont pas reliés entre eux. Par exemple, la lecture du tableau plus
haut montre que D est intermédiaire 6 fois ;
57
Freeman (1979, p. 221) : « un point se trouvant sur les chemins de communication entre les autres points a un
contrĂŽle potentiel sur leurs communications. Câest ce contrĂŽle potentiel qui dĂ©finit la centralitĂ© de ces points ».
161
Situations oĂč D est en position dâintermĂ©diaire
entre deux individus non connectés
Entre A et E
Entre A et F
Entre B et E
Entre B et F
Entre C et E
Entre E et F
- pour chaque situation, il faut trouver le nombre de gĂ©odĂ©siques liant la paire dâindividus.
Par exemple, D est intermédiaire entre F et B mais pour joindre B, F peut aussi passer par
C. dans ce cas le nombre de géodésiques reliant F à B est 2 ;
- pour chacune des six situations, il faut trouver la proportion du nombre de gĂ©odĂ©siques oĂč
D est intermédiaire ;
162
- Enfin on additionne les proportions pour obtenir lâindicateur de centralitĂ© dâintermĂ©diaritĂ©.
D obtient un score de 5 et un calcul similaire donne un score de 1 pour C.
Le membre D de la structure reprĂ©sentĂ©e est central quelque soit lâindicateur considĂ©rĂ©, ce qui
nâest pas toujours le cas dans dâautres structures ou lorsque que lâon calcule les indicateurs de
centralité en affectant aux liens des pondérations58. Bonacich (1987) propose dans cet esprit
un indicateur de centralitĂ© dâun individu qui pondĂšre les liens directs par la centralitĂ© des
autres individus auxquels il est relié59.
Il revient Ă Tichy & Fombrun (1979), Brass (1984) et surtout Brass & Burkhardt (1992)
dâavoir donnĂ© une interprĂ©tation des indicateurs de centralitĂ© en termes de pouvoir.
Ils commencent par remarquer que si la reprĂ©sentation dâun diagramme en Ă©toile confĂšre de
maniĂšre intuitive au nĆud central la position la plus apprĂ©ciable en termes de pouvoir
(Freeman, 1979), lâexercice devient plus difficile lorsque le rĂ©seau est plus complexe et quâil
reprĂ©sente par exemple une organisation constituĂ© dâun grand nombre dâindividus et de
groupes. Dans ce cas il est nĂ©cessaire de sâinterroger sur la nature de la centralitĂ© quâil faut
prendre en compte, à savoir la centralité dans un groupe particulier ou la centralité dans toute
lâorganisation. Cela relĂšve dâun problĂšme dâunitĂ© de rĂ©fĂ©rence, auquel sâajoute celui
consistant Ă savoir quelle est la combinaison pertinente de nĆuds et de liens quâil faut prendre
en compte.
Si lâon sâintĂ©resse particuliĂšrement aux propriĂ©tĂ©s du systĂšme et aux liens indirects, on peut
aboutir à des mesures de centralité (pour un individu) qui pondÚrent la centralité individuelle
par la centralitĂ© de ceux auxquels lâindividu en question est directement connectĂ© (Bonacich,
1987). De ce point de vue, la centralitĂ© dâun agent augmente lorsquâil est connectĂ© Ă dâautres
agents qui sont eux-mĂȘmes centraux. DĂšs lors, Ă partir dâune corrĂ©lation forte entre centralitĂ©
58
On pourra par exemple affecter un poids décroissant aux liens successifs qui relient un sommet du graphe à un
autre. Dans un schéma de communication, cela correspondrait à une déperdition de la qualité du message émis
avec le nombre dâintermĂ©diaires.
59
On verra Ă la section suivante que Salancik (1986) mĂšne une analyse du mĂȘme ordre.
163
et pouvoir, telle quâelle a par exemple Ă©tĂ© identifiĂ©e par Hinings et al. (1974) on peut en
dĂ©duire quâun individu a dâautant plus de pouvoir que ses relations en ont.
Cette dĂ©marche est nĂ©anmoins insuffisante si lâon ne prend pas Ă©galement en compte la nature
du rĂ©seau que lâon Ă©tudie. En effet, sâil est probable que dans un rĂ©seau de communication le
fait dâĂȘtre reliĂ© Ă des individus puissants permette dâacquĂ©rir de lâinformation pertinente, dans
un réseau de négociation cela peut produire des résultats négatifs.
Afin de prendre en compte ces difficultés, Brass & Burkhardt (1992) examinent de maniÚre
empirique la relation existant entre pouvoir et centralitĂ© au sein dâune organisation. A partir
de la thĂ©orie de la dĂ©pendance dâEmerson (1962) et de ses prolongements, ils fondent le
pouvoir (lâinverse de la dĂ©pendance) sur le contrĂŽle des ressources pertinentes. Le contrĂŽle
dâun agent implique que lâautre agent ait moins de sources alternatives pour acquĂ©rir la
ressource en question. Ils reprennent alors les trois grandes familles de centralité (degré,
proximité, intermédiarité) déclinées sur quatre unités de référence (groupe de travail,
département, organisation et coalition dominante) pour trois types de réseaux (production,
communications, amitié), ces derniers étant définis dans Tichy & Fombrun (1979)60.
Le contrĂŽle dâun acteur implique que lâautre acteur ait moins de sources alternatives pour
acquĂ©rir la ressource en question. Deux dimensions sont liĂ©es Ă ce type dâapproches :
- les employĂ©s capables de contrĂŽler les ressources dĂ©sirĂ©es par dâautres accroissent la
dĂ©pendance de ces derniers vis-Ă -vis dâeux et sont capables, par le biais du processus
dâĂ©change, dâacquĂ©rir les ressources ou dâatteindre les rĂ©sultats quâils souhaitent ;
- ceux qui cherchent le pouvoir doivent diminuer leur dépendance vis-à -vis des autres en
augmentant les sources alternatives dâobtention de la ressource ou du produit dĂ©sirĂ©. En
dâautres termes, ils doivent avoir accĂšs aux ressources pertinentes indĂ©pendantes (non
contrÎlées ou intermédiées) des autres individus de la structure.
En bref, pour acquĂ©rir du pouvoir dans lâorganisation, il faut Ă la fois diminuer sa dĂ©pendance
vis-à -vis des autres et augmenter leur dépendance vis-à -vis de soi.
60
Pour Tichy & Fombrun (1979), lâattention particuliĂšre portĂ©e Ă tel ou tel type dâĂ©change dans le rĂ©seau
(Ă©changes de biens, Ă©change affectifs, Ă©changes dâinformation et dâidĂ©es, Ă©change de pouvoir et dâinfluence) peut
aboutir au final Ă lâidentification des liens les plus forts (et les plus faibles) dans la structure. Cela peut mener Ă
sâintĂ©resser Ă la nature des liens « forts et faibles » (Granovetter, 1973).
164
Les trois concepts de centralitĂ© peuvent ĂȘtre interprĂ©tĂ©s en termes de dĂ©pendance donc dans
une perspective de pouvoir.
Tout dâabord, la centralitĂ© de degrĂ© peut reprĂ©senter le nombre dâalternatives disponibles pour
un agent de la structure. Quelquâun qui augmente le nombre dâalternatives augmente son
pouvoir, si lâon fait lâhypothĂšse que ces alternatives ont de la valeur pour lâindividu. Par
ailleurs, cela Ă©vite dâavoir Ă supporter une quelconque intermĂ©diation procurant un accĂšs
indirect aux ressources.
Ensuite, la centralité de proximité prend en compte à la fois les liens directs et indirects. Selon
Freeman (1979), câest une mesure de lâefficience avec laquelle un agent peut atteindre tout
autre agent par le chemin le plus court. Plus on est proche des autres acteurs, moins on dépend
des intermédiaires, de ce point de vue cette mesure indique dans quelle mesure on peut éviter
le contrĂŽle des autres. Un autre aspect intĂ©ressant de cette mesure est quâelle permet de rendre
compte du pouvoir dâun agent reliĂ© par peu de liens directs aux autres mais qui serait central
parce que reliĂ© Ă des agents centraux de la structure (exemple dâun agent reliĂ© Ă des agents
centraux dans la communication et pouvant donc accéder à une quantité importante
dâinformations).
Enfin, la centralitĂ© dâintermĂ©diaritĂ© mesure le nombre de fois oĂč un agent est lâintermĂ©diaire
sur le plus court chemin entre deux autres, il sâagit donc du degrĂ© de mĂ©diation dâun agent sur
les transferts de ressources entre deux autres agents. Cette mesure paraĂźt particuliĂšrement
appropriĂ©e dans lâĂ©tude du pouvoir dans les rĂ©seaux de communication parce que
lâintermĂ©diation permet la manipulation de lâinformation transmise. Finalement, la centralitĂ©
de proximitĂ© mesure la maniĂšre dont on peut Ă©viter le contrĂŽle dâautres membres de
lâorganisation lĂ oĂč lâintermĂ©diaritĂ© reprĂ©sente au contraire la maniĂšre dont on peut accroĂźtre
la dépendance des autres.
Pour Brass & Burckardt (1992), le choix exclusif de lâune ou lâautre unitĂ© de rĂ©fĂ©rence nâest
pas dĂ©terminant dans lâĂ©tude du pouvoir intra-organisationnel dans la mesure oĂč les sources
du pouvoir intra-organisationnel sont multiples dans lâorganisation (Pfeffer, 1997) et quâil
faut donc en sélectionner plusieurs. Parmi les types de réseaux étudiés, deux nous intéressent
particuliÚrement, le réseau de production et le réseau de communication.
165
Le réseau de production est largement contraint par la division du travail. Dans ce réseau, les
agents Ă©changent des inputs et des outputs et lâaccĂšs Ă diffĂ©rentes alternatives dĂ©termine le
degrĂ© de dĂ©pendance. On peut sâattendre ainsi Ă ce que la centralitĂ© de degrĂ© soit positivement
reliĂ©e au pouvoir, lâintermĂ©diaritĂ© doit Ă©galement confĂ©rer du contrĂŽle sur les Ă©changes et
enfin, pour la proximitĂ©, câest plus difficile Ă dĂ©terminer parce que les relations de production
sont par nature dyadiques et elle nâest reliĂ©e au pouvoir que si les relations indirectes
fournissent dâautres ressources telles que par exemple de lâinformation.
Dans le rĂ©seau de communication, les interdĂ©pendances sont basĂ©es sur lâĂ©change
dâinformation, qui est la ressource pertinente. Les agents positionnĂ©s de maniĂšre centrale dans
ce rĂ©seau ont un accĂšs potentiel (pour lâindicateur de proximitĂ©) et un contrĂŽle (pour
lâindicateur dâintermĂ©diaritĂ©) sur lâinformation et ont donc un pouvoir potentiel (Pettigrew,
1972, Pfeffer, 1981 et Freeman, 1979). Un point intéressant testé par Brass & Burkhardt est la
centralité dans la coalition dominante constitué des individus les plus influents ayant autorité
sur la prise de dĂ©cision dans lâorganisation. Des connections avec ce groupe en termes de
communication sont susceptibles de donner des informations importantes : la médiation par
exemple donne du contrĂŽle sur lâinformation et gĂ©nĂšre de la dĂ©pendance.
A partir dâindicateurs « rĂ©putationnels », Brass & Burkhardt (1992) concluent que la centralitĂ©
est positivement et significativement reliĂ© au pouvoir dans lâorganisation, quelle que soit la
mesure de centralitĂ© ou lâunitĂ© de rĂ©fĂ©rence choisie61. Ensuite, les mesures de degrĂ© de
centralité rendent compte des relations de pouvoir aussi bien sinon mieux que les deux
autres62. De plus, si lâon considĂšre le rĂ©seau de communication, les contacts directs limitent
les problĂšmes de fiabilitĂ© de lâinformation produits par la mĂ©diation dâautres agents. Enfin, le
fait dâĂȘtre connectĂ© Ă des membres puissants est reliĂ© positivement au pouvoir dans les
rĂ©seaux de communication et dâamitiĂ© mais pas dans le rĂ©seau de production, ce qui semble
indiquer que dans ce dernier cas, ce sont la concurrence et la négociation qui jouent plutÎt que
le partage dâinformation.
MalgrĂ© les avancĂ©es rĂ©alisĂ©es par ces travaux, il nây a pas de mesure de la relation entre
pouvoir individuel et pouvoir de la sous-unité alors que Brass (1984) a montré que le fait
dâĂȘtre membre dâun dĂ©partement puissant est susceptible dâaugmenter le pouvoir dâun
61
Brass & Burkhardt (1992, p. 210) prĂ©cisent que lâunitĂ© de rĂ©fĂ©rence appropriĂ©e dĂ©pend de la densitĂ© des
connections dans lâorganisation.
62
Brass & Burkhardt (1992, p. 211) : « il est probable que le degrĂ© reflĂšte les alternatives, et lâaugmentation des
alternatives accroĂźt le pouvoir de quelquâun dans des relations dâĂ©change ».
166
individu. Fiol, OâConnor & Aguinis (2001) proposent un modĂšle thĂ©orique pour essayer
dâexpliquer comment le pouvoir sâarticule aux diffĂ©rents niveaux de lâorganisation mais il
nâen existe pas encore dâĂ©tude empirique. Par ailleurs, il existe peu de travaux sur la relation
causale entre pouvoir et centralitĂ© visant Ă Ă©lucider qui dĂ©termine lâautre63. Enfin, il paraĂźt
illusoire dâĂ©tudier le pouvoir intra-organisationnel sur la seule base des positions structurales ;
il faudrait étudier également le lien entre la position dans le réseau et les stratégies
comportementales (Pfeffer, 1997).
Conclusion section 2
63
Burckhardt & Brass (1990) montrent que la centralitĂ© prĂ©cĂšde le pouvoir dans le cas dâun changement
technologique.
64
Parmi les nombreux ouvrages en hommage à Leontief et à sa méthode, cf. Dietzenbacher & Lahr (2004).
65
Leontief (1986, p. 5).
167
nombre de classifications et de regroupements. A partir du postulat selon lequel il existe une
relation fondamentale entre la production (output) dâune industrie ou dâun secteur et la
quantitĂ© de facteurs (inputs) qui y participent, lâanalyse input-output va constituer un outil
privilĂ©giĂ© pour lâĂ©tude des interrelations existant dans les diffĂ©rents systĂšmes Ă©conomiques
puisquâelle va permettre de construire une « image quantifiĂ©e dĂ©terminĂ©e de la structure
interne du systĂšme ». Au-delĂ de la quantification systĂ©matique des interrelations au sein dâun
systĂšme Ă©conomique quâelle permet, lâavantage de la mĂ©thode rĂ©side dans la variĂ©tĂ© des
domaines dâapplication quâelle recouvre. Ainsi la mĂ©thode est valide indiffĂ©remment de la
taille des systĂšmes Ă©tudiĂ©s : « En termes pratiques, le systĂšme Ă©conomique peut ĂȘtre le monde
entier, une économie nationale ou encore une seule entreprise »66, ce qui autorise un grand
nombre dâapplications.
La description des flux de biens et services est effectuĂ©e Ă partir dâun tableau Ă double entrĂ©e.
Dans le cas dâune structure Ă trois secteurs67, la reprĂ©sentation simplifiĂ©e de lâĂ©conomie est la
suivante :
1 2 3 Production
1 q11 q12 q13 Q1
2 q21 q22 q23 Q2
3 q31 q32 q33 Q3
Dans le cas basique oĂč les flux transitant entre les diffĂ©rents secteurs expriment des quantitĂ©s
de produits (principe initial de lâapproche), les qij reprĂ©sentent les quantitĂ©s de produits
fournies par le secteur i au secteur j.
Une lecture en ligne nous renseigne donc sur lâallocation de la production (ou output) de
chaque secteur vers les autres secteurs de lâĂ©conomie qui constituent pour lui des dĂ©bouchĂ©s
pour sa production. Par exemple la ligne entourée en gras nous renseigne sur la distribution de
lâoutput Q1 du secteur 1 vers les diffĂ©rents secteurs de lâĂ©conomie : ce secteur se fournit Ă lui
66
Leontief (1986, p. 19).
67
Tout ce qui suit est gĂ©nĂ©ralisable Ă une structure dâĂ©change Ă n pĂŽles. Nous dĂ©veloppons un exemple simple
pour ne pas alourdir les notations.
168
mĂȘme q11 (il sâagit dans ce cas dâautofournitures), fournit q12 au secteur 2 et fournit enfin q13
au secteur 3.
Une lecture en colonne nous informe sur la répartition des consommations intermédiaires (ou
inputs) dans chaque secteur. Ainsi la colonne surlignée en pointillés nous indique que le
secteur 1 a besoin de q11 (quâil autoconsomme), de q21 (fourni par le secteur 2) et de q31
(fournie par le secteur 3) pour fabriquer lâensemble de ses produits.
Dans la réalité les différents flux disponibles sont représentés en unités monétaires et dans le
tableau ci-dessous xij et Xi reprĂ©sentent lâexpression monĂ©taire des grandeurs respectives qij
et Qi. De plus, les différents secteurs à satisfaire, en plus de leurs demandes respectives
nécessaires à leur production, la demande finale68 associant les demandes des ménages, des
entreprises et des administrations. Pour respecter lâĂ©quilibre comptable entre ce qui est
consommé dans le cadre de la production (les inputs) et ce qui est produit (les outputs), on
adopte finalement la reprĂ©sentation suivante pour lâĂ©conomie :
1 2 3 DF Production
1 x11 x12 x13 D1 X1
2 x21 x22 x23 D2 X2
3 x31 x32 x33 D3 X3
VA VA1 VA2 VA3
Production X1 X2 X3
La derniÚre ligne reprend les valeurs monétaires des productions respectives représentées dans
la derniĂšre colonne du tableau, respectant ainsi un principe comptable selon lequel la valeur
totale de la production de chaque secteur est Ă©gale Ă ce quâelle a coĂ»tĂ© durant le processus de
production (la valeur ajoutĂ©e Ă©tant un indicateur qui reprĂ©sente les inputs primaires câest-Ă -
dire les profits et salaires, la main dâĆuvre et le capital employĂ©s). Par ailleurs, les tableaux
entrĂ©es-sorties peuvent ĂȘtre lus en considĂ©rant les secteurs de la premiĂšre colonne comme des
fournisseurs (des offreurs) alors que ces mĂȘmes secteurs reprĂ©sentĂ©s sur la premiĂšre ligne sont
considĂ©rĂ©s en tant quâacheteurs (demandeurs). DĂšs lors, lâavantage de ce type de tableau est
quâil rend compte de la dualitĂ© des relations Ă©conomiques dans la mesure oĂč chaque secteur
68
Les habitudes de consommation sont supposées stables, tout comme les arrangements institutionnels.
169
dépend à la fois des fournitures qui vont lui permettre de produire et des débouchés qui lui
permettront dâĂ©couler sa production.
Le tableau peut ĂȘtre dĂ©crit par le systĂšme de trois Ă©quations :
ïŁ±X 1 = x 11 + x 12 + x 13 + D1
ïŁŽ
ïŁČX 2 = x 21 + x 22 + x 23 + D 2 (1)
ïŁŽX = x + x + x + D
ïŁł 3 31 32 33 3
Deux types dâindicateurs vont permettre dâĂ©valuer la structure interne du systĂšme Ă©conomique
en fonction de la dimension que lâon veut privilĂ©gier : les coefficients techniques et les
coefficients de débouchés.
Une hypothÚse fondamentale de la méthode postule que les flux intersectoriels sur une
période donnée dépendent de la production réalisée par ceux qui achÚtent des inputs : le flux
entre un secteur i et un secteur j, noté xij est supposé dépendre de la production du secteur j
notée Xj.
On appelle alors le ratio Ξij = xij/Xj un coefficient technique (ou coefficient dâinput) et on peut
construire le tableau des coefficients techniques à partir du tableau précédent :
1 2 3 DF Production
1 Ξ11 Ξ12 Ξ13 D1 X1
2 Ξ21 Ξ22 Ξ23 D2 X2
3 Ξ31 Ξ32 Ξ33 D3 X3
170
ratio amÚnerait probablement à la proposition selon laquelle j dépend de i pour Ξij% afin de
réaliser sa production Xj.
En fait, dans la mesure oĂč la production dâun secteur est largement dĂ©terminĂ©e par la demande
finale qui lui est adressée (et qui est ici supposée exogÚne), le coefficient technique reste un
indicateur qui sâinscrit dans le cadre dâune dominance par la demande.
Les coefficients techniques sont supposés fixes, ce qui revient à considérer que les fonctions
de production sont Ă rendements constants (absence dâĂ©conomie dâĂ©chelle dans le systĂšme
productif).
On appelle matrice « structurale »69 la matrice des coefficients techniques. Elle rend compte
de lâagencement interne du systĂšme Ă©conomique câest-Ă -dire des interrelations Ă©conomiques
entre les secteurs et elle sâĂ©crit :
ïŁź x 11 x 12 x 13 ïŁč
ïŁŻ ïŁș
ïŁŻ X1 X2 X 3 ïŁș ïŁźÎž
11 Ξ12 Ξ13 ïŁč
x 23 ïŁș ïŁŻ
Î = ïŁŻ 21 Ξ 23 ïŁșïŁș
x x 22
= ïŁŻÎž 21 Ξ 22
ïŁŻX X2 X3 ïŁș
ïŁŻx 1 ïŁŻ Ξ 33 ïŁșïŁ»
ïŁŻ 31 x 32 x 33 ïŁșïŁș ïŁ°Îž 31 Ξ 32
ïŁŻïŁ° X 1 X2 X 3 ïŁșïŁ»
On peut exprimer le systĂšme dâĂ©quations (1) en faisant apparaĂźtre les coefficients techniques
par la transformation Ξij = xij/Xj â xij = Ξij Xj et il vient :
69
Leontief (1986, p. 23) la qualifie en effet « structural matrix ».
171
ïŁ±X 1 â Ξ11 X 1 â Ξ12 X 2 â Ξ13 X 3 = D1
ïŁŽ
ïŁČX 2 â Ξ 21 X 1 â Ξ 22 X 2 â Ξ 23 X 3 = D 2 (3)
ïŁŽX â Ξ X â Ξ X â Ξ X = D
ïŁł 3 31 1 32 2 33 3 3
ïŁŻïŁ° â Ξ 31 â Ξ 32 (1 â Ξ 33 )ïŁșïŁ» ïŁŻïŁ° X 3 ïŁșïŁ» ïŁŻïŁ° D 3 ïŁșïŁ»
En remarquant que la premiĂšre matrice nâest autre que la matrice identitĂ© I Ă laquelle on a
soustrait la matrice des coefficients techniques Î, et en appelant X le vecteur colonne des
productions sectorielles et D le vecteur colonne constitué des demandes adressées à chaque
secteur, le systĂšme sâĂ©crit sous forme synthĂ©tique :
[ I â Î]X = D
Une solution unique nâexiste que si [ I â Î] est inversible, câest-Ă -dire si le dĂ©terminant de
[ I â Î] est non nul70. Dans ce cas, la solution est donnĂ©e par :
X = [ I â Î] â1 D (5)
70
Sur la condition de Hawkins-Simon et son interprétation économique, cf. Leontief (1986, p. 26).
172
qui met en évidence dans quelle mesure les outputs de chaque secteur dépendent des
demandes finales respectives de ces mĂȘmes secteurs71.
3.1.3/ Le tableau des coefficients de débouchés
Lâapproche input-output standard qui vient dâĂȘtre prĂ©sentĂ©e choisit explicitement de faire
dĂ©pendre la production (lâoffre) de la demande. Une fois fixĂ© un vecteur de demandes
dĂ©terminĂ© de maniĂšre exogĂšne, ce modĂšle fait lâhypothĂšse que tous les inputs nĂ©cessaires Ă la
réalisation des objectifs de production (destinés à satisfaire les demandes ) sont mis à la
disposition des différents secteurs productifs. Une approche alternative initiée par Gosh
(1958) consiste à représenter les interrelations économiques non plus en ligne mais en
colonne72. Partant du tableau des échanges monétaires, on va cette fois ci représenter
lâĂ©conomie par le systĂšme dâĂ©quations suivant :
ïŁ±X 1 = x 11 + x 21 + x 31 + VA 1
ïŁŽ
ïŁČX 2 = x 12 + x 22 + x 32 + VA 2 (7)
ïŁŽX = x + x + x + VA
ïŁł 3 13 23 33 3
Cette écriture place explicitement les productions respectives des secteurs comme des
variables endogÚnes dépendant des relations intersectorielles orientées cette fois ci dans le
sens inverse (la production dĂ©pend de lâoffre et non plus de la demande) et ce que lâon a
appelĂ© les valeurs ajoutĂ©es. LâhypothĂšse fondamentale de cette mĂ©thode postule que les flux
intersectoriels sur une période donnée dépendent de la production réalisée par ceux qui
vendent des inputs : le flux entre un secteur i et un secteur j, noté xij est supposé dépendre de
la production du secteur i notée Xi.
On appelle alors coefficient de débouché le ratio αij = xij/Xi et on peut construire le tableau
des coefficients de débouchés en divisant chaque flux intersectoriel par la production du pÎle
offreur :
71
Les coefficients Ïij sont les Ă©lasticitĂ©s de la production du secteur i par rapport Ă la demande du secteur j. En
dâautres termes les Ïij reprĂ©sentent lâeffet sur la production du secteur i dâune variation dâun euro de la demande
finale du secteur j. On appelle multiplicateurs de production les sommes en colonne des Ă©lĂ©ments de lâinverse de
Leontief. Elles nous renseignent sur la nouvelle production totale Ă travers les secteurs de lâĂ©conomie
consécutive à une augmentation de 1 euro de la demande du secteur j. Les sommes en ligne des éléments de cette
mĂȘme matrice nous informent des ventes totales du secteur i Ă tous les secteurs nĂ©cessaires Ă la satisfaction
dâune augmentation de 1 euro des demandes de chacun des secteurs de lâĂ©conomie.
72
Miller & Blair [1985, p. 318] prĂ©cisent quâil sâagit en fait de transposer la dĂ©marche standard qui correspond Ă
une « vision verticale » (câest-Ă -dire en colonne) du modĂšle en une « vision horizontale », câest-Ă -dire en ligne.
173
1 2 3 DF Production
1 α11 α12 α13 D1 X1
2 α21 α22 α23 D2 X2
3 α31 α32 α33 D3 X3
ïŁ±X 1 = α 11 X 1 + α 21 X 2 + α 31 X 3 + VA 1
ïŁŽ
ïŁČX 2 = α12 X 1 + α 22 X 2 + α 32 X 3 + VA 2 (8)
ïŁŽX = α X + α X + α X + VA
ïŁł 3 13 1 23 2 33 3 3
Lâanalyse input-output « cĂŽtĂ© offre » suppose les coefficients de dĂ©bouchĂ©s ainsi que la valeur
ajoutĂ©e pour chaque secteur connus et stables sur lâintervalle de temps considĂ©rĂ©. Par
174
conséquent ce systÚme va permettre de déterminer les montants des productions sectorielles
respectives Xi en fonction des valeurs ajoutées sectorielles.
Le systÚme se ramÚne finalement à un systÚme de trois équations à trois inconnues représenté
traditionnellement sous la forme :
X = VA[I â A] â1 (11)
Cette Ă©quation dĂ©finit la maniĂšre dont les outputs de chaque secteur vont ĂȘtre dĂ©terminĂ©s Ă
partir de la matrice des coefficients de débouchés et pour des valeurs ajoutées données.
En notant Ï les Ă©lĂ©ments de la matrice [I-A]-1, lâexpression (11) reprĂ©sente les Ă©quations
suivantes :
ïŁ±X 1 = Ï11 VA1 + Ï 21 VA 2 + Ï 31 VA 3
ïŁŽ
ïŁČX 2 = Ï12 VA 1 + Ï 22 VA 2 + Ï 32 VA 3 (12)
ïŁŽX = Ï VA + Ï VA + Ï VA
ïŁł 3 13 1 23 2 33 3
Ce systÚme met en évidence dans quelle mesure les outputs de chaque secteur dépendent des
inputs primaires de tous les secteurs74.
73
En nâoubliant pas que contrairement Ă lâanalyse en termes de coefficients de dĂ©bouchĂ©s, le vecteur X est cette
fois-ci un vecteur ligne, cf. Miller & Blair (1985, pp. 319-320).
74
Les coefficients Ïij sont les Ă©lasticitĂ©s de la production du secteur j par rapport Ă la variation des inputs
primaires du secteur i. En dâautres termes les Ïij reprĂ©sentent lâeffet sur la production du secteur j dâune variation
dâun euro des inputs primaires du secteur i. On appelle cette fois-ci multiplicateurs dâoffre (ou dâinputs) les
sommes en ligne des Ă©lĂ©ments de lâinverse [I-A]-1. Elles nous renseignent sur la nouvelle production totale dans
175
3.1.4/ Quelle pertinence pour lâhypothĂšse dâoffre dominante ?
De Mesnard (2002) dresse une typologie des différents types de modÚles à offre dominante
que lâon peut trouver dans la littĂ©rature et compare leurs performances Ă celles du modĂšle de
Leontief. Son approche articule plusieurs critĂšres :
- la nature du prix servant Ă valoriser les Ă©changes : prix de lâoutput (Leontief) ou prix de
lâinput (Gosh) ;
- la nature du coefficient (respectivement coefficient technique et coefficient de débouchés),
exprimé soit en quantité, soit en valeur ;
- les variables dĂ©duites de lâĂ©quation comptable en ligne (appelĂ© « primal ») et celles
dĂ©duites de lâĂ©quation en colonne (appelĂ© « dual »).
Dans le modĂšle de Leontief, lâĂ©criture des relations Ă partir des coefficients techniques permet
de déterminer de maniÚre distincte les variables « produit » et « prix », que ces coefficients
soient exprimés en quantité ou en valeur.
Le modĂšle Ă offre dominante avec prix de lâoutput est considĂ©rĂ© comme « cohĂ©rent »75 mais
ses résultats sont pauvres. Il ne permet jamais de déterminer les prix (que les coefficients de
débouchés soient exprimés en quantité ou en valeur).
Le passage Ă un modĂšle Ă offre dominante avec prix de lâinput « fonctionne bien »76 mais il
nâest pas cohĂ©rent du point de vue Ă©conomique. Il suppose en effet que chaque agent va ĂȘtre
forcĂ© dâaccepter dâacheter les productions supplĂ©mentaires des autres (en proportion du
coefficient de dĂ©bouchĂ© supposĂ© stable) et il nâexplique pas le processus de transformation
dâun input unique Ă une multiplicitĂ© dâoutputs.
Finalement, lâauteur conclue Ă la non pertinence des modĂšles Ă offre dominante dans le cadre
de la méthodologie input-output, point que nous discuterons plus avant dans le chapitre
quatre. En effet, un certain nombre dâĂ©lĂ©ments tendent Ă nous amener sur une hypothĂšse de
dominance par lâoffre lorsque lâon considĂšre des structures dâĂ©change dâinformation (Lantner,
1996, Thépaut, 2002).
tous les secteurs consĂ©cutive Ă une variation dâun euro des inputs primaires du secteur i. Les sommes en colonne
des Ă©lĂ©ments de cette mĂȘme matrice nous informent de lâeffet total sur la production du secteur j quâaurait une
variation dâun euro de tous les inputs primaires de chacun des secteurs de lâĂ©conomie.
75
De Mesnard (2002, p. 9).
76
De Mesnard (2002, p. 14).
176
3.2/ La construction dâindicateurs dâinfluence Ă partir de la mĂ©thode input-output
Salancik (1986) va mobiliser la thĂ©orie de la dĂ©pendance dâEmerson ainsi que ses propres
travaux sur la dépendance vis-à -vis des ressources (Salancik & Pfeffer, 1974) pour essayer de
mesurer des indicateurs de pouvoir77 structural sans mobiliser directement les indicateurs de
centralité.
Il prĂ©sente ainsi une stratĂ©gie dâestimation des influences structurales de parties
interdépendantes qui prend en compte les dépendances indirectes pondérées par les positions
respectives dans le rĂ©seau. Par ailleurs, lâinfluence totale dâune partie peut ĂȘtre partitionnĂ©e en
influence au sein des sous-unités du réseau, ce qui est utile pour analyser le pouvoir au sein et
entre les sous-unités organisationnelles.
Lâavantage de la mĂ©thode input-output est quâelle vĂ©rifie trois hypothĂšses correspondant aux
problÚmes posés78 :
- un membre est influent en termes de contribution aux ressources dâun rĂ©seau dans la
mesure oĂč les autres utilisent les ressources de ce membre pour fournir leurs propres
ressources au réseau. Cette hypothÚse évoque la dépendance des autres parties à une partie
importante du réseau ;
- un membre est important dans le rĂ©seau dans la mesure oĂč il contribue aux ressources
dâautres membres importants du rĂ©seau.
Celle-ci correspond Ă lâimportance relative des parties dĂ©pendantes. Les deux premiĂšres
hypothĂšses ignorent la possibilitĂ© quâune partie puisse ĂȘtre importante en dehors du
service fourni aux autres, ce qui amĂšne Ă la troisiĂšme hypothĂšse ;
- un membre est important indĂ©pendamment des contributions au rĂ©seau, câest-Ă -dire quâil a
une valeur intrinsĂšque.
Celle-ci introduit une valeur intrinsĂšque de lâindividu sans Ă©gard pour le niveau de service
quâil rend aux autres.
77
Salancik utilise de maniÚre interchangeable pouvoir structural, influence et importance mais précise que le
pouvoir structural ne doit pas ĂȘtre confondu avec « lâinfluence opĂ©rationnelle ». Le premier terme fait rĂ©fĂ©rence
au contexte situationnel de dépendance dans la relation (Pfeffer, 1981). Dans ce cadre, un individu a plus de
pouvoir quâun autre dans la mesure oĂč il contrĂŽle de maniĂšre discrĂ©tionnaire lâallocation des ressources, ces
ressources Ă©tant dĂ©sirĂ©es par lâautre partie, cette partie nâayant pas dâautre alternative pour les acquĂ©rir.
78
Salancik (1986, pp. 197-198).
177
« Un modÚle input-output représente les transactions comme un graphe orienté de relations,
dans lequel les outputs dâun membre du rĂ©seau sont les inputs dâun ou plusieurs autres »
(p.198).
La structure dâĂ©change est reprĂ©sentĂ©e sous forme dâun tableau input-output avec en lignes et
en colonnes les revues scientifiques et dans chaque case le nombre de citations dâarticles de la
revue indicée en ligne par des articles de la revue indicée en colonne :
1 2 3
1 x11 x12 x13
2 x21 x22 x23
3 x31 x32 x33
79
Salancik (1986, p. 199).
178
xij reprĂ©sente donc le nombre dâarticles de la revue i citĂ©s par les articles de la revue j, câest en
quelque sorte un input informationnel qui permet Ă la revue j de produire son output (de
déterminer son influence globale).
Il va distinguer deux indicateurs que sont lâinfluence totale et lâinfluence sur des sous-groupes
identifiés comme des champs de recherche spécifique.
Les deux premiĂšres hypothĂšses dĂ©taillĂ©es plus haut reprĂ©sentent lâinfluence « structurale »
dâun membre telle quâelle rĂ©sulte des interdĂ©pendances entre membres. La troisiĂšme
hypothĂšse permet dâidentifier lâinfluence « intrinsĂšque ».
Au total, on a : Influence totale = influence structurale + influence intrinsĂšque.
Les dépendances sont plus difficiles à définir. Pour que les dépendances entre individus
Ă©mergent, une fraction des ressources quâils dĂ©sirent doit ĂȘtre plus ou moins contrĂŽlĂ©e par
dâautres. Dans le cas des revues, les articles sources sont associĂ©s uniquement Ă une revue et
les opportunités de les référencer sont contraintes par la nécessité de ne pas citer toutes les
sources. Si lâune ou lâautre de ces conditions nâest pas vĂ©rifiĂ©e, les dĂ©pendances nâexistent
pas. Par consĂ©quent les dĂ©pendances dâune partie sont rĂ©parties sur les autres.
Lâauteur se place dans lâoptique de la dominance par la demande et dĂ©finit son indicateur de
dépendance comme un coefficient technique. En effet, à partir du tableau des citations
croisĂ©es, il dĂ©finit lâindicateur de dĂ©pendance dij comme le rapport entre xij et Xj, ce qui donne
une matrice de dépendance de la forme :
1 2 3
1 d11 d12 d13
2 d21 d22 d23
3 d31 d32 d33
avec dij la dĂ©pendance de j par rapport Ă i. Ici lâinfluence intrinsĂšque joue le rĂŽle de la
demande finale dans le modĂšle standard et on dĂ©finit lâinfluence totale dâune revue comme la
somme des dĂ©pendances des autres revues vis-Ă -vis dâelle pondĂ©rĂ©es par leur influence
respectives et de son influence intrinsĂšque, soit le systĂšme suivant :
179
ïŁ± IMP1 = d 12 IMP2 + d 13 IMP3 + INT1
ïŁŽ
ïŁČIMP2 = d 21 IMP1 + d 23 IMP3 + INT2
ïŁŽ IMP = d IMP + d IMP + INT
ïŁł 3 31 1 32 2 3
En remplaçant IMPi par Xi et INTi par Di, on retrouve bien le systÚme (2) aux boucles prÚs,
dont la solution est donnĂ©e sous forme algĂ©brique par : IMP = [I â D]-1INT, avec D la matrice
des dépendances (coefficients techniques).
Par hypothÚse, le vecteur des valeurs intrinsÚques est un vecteur identité (pas de
diffĂ©renciation) et les boucles sont nulles, ce qui est justifiĂ© par le fait que lâon veut obtenir un
indice général du pouvoir structural qui est déterminé par les dépendances des autres vis-à -vis
dâune partie.
Il est intĂ©ressant de connaĂźtre lâinfluence spĂ©cifique de certains groupes (comme par exemple
des disciplines acadĂ©miques). Lâindicateur (IMP â INT) permet ainsi de partitionner
lâinfluence totale dâun membre en fonction de lâinfluence quâil a dans des sous-groupes.
Par ailleurs, la valeur intrinsĂšque dâune partie dâun rĂ©seau dĂ©coule du fait que des sous-
groupes dans le rĂ©seau ont une certaine valeur intrinsĂšque que les parties acquiĂšrent lorsquâils
en sont membres. On redéfinit alors la valeur intrinsÚque respective des individus par la
valeur intrinsĂšque du sous-groupe auquel ils appartiennent, soit sous forme matricielle :
INT = MS
avec S un vecteur dâinfluences intrinsĂšques attribuĂ©es Ă k sous-groupes et M une matrice
reprĂ©sentant lâappartenance80 Ă un sous-groupe (mik = 1 si i est un membre de k et 0 sinon).
Chaque membre du rĂ©seau est supposĂ© nâappartenir quâĂ un seul sous-groupe et chaque sous-
groupe a au moins un membre. Le nombre de sous-groupes peut varier de 1 jusquâĂ la taille
du réseau n.
Finalement, on peut redĂ©finir le vecteur dâinfluence IMP = [I â D]-1MS â MS.
Lâutilisation dâune matrice diagonale S de dimension (kĂk) (sk dans la diagonale et 0 ailleurs),
permet de dĂ©finir lâimportance dâun membre i du rĂ©seau pour les k sous-groupes, SIik. Sous
80
La matrice dâappartenance aux groupes a Ă©tĂ© dĂ©terminĂ©e par une analyse des cliques. A partir de la matrice des
citations, il sâagit de dĂ©terminer le nombre moyen de citations que chaque revue fait dâautres revues et le nombre
moyen de citations quâelle reçoit, on dĂ©termine ensuite les Ă©carts-types. A et B sont membres de la mĂȘme clique
si A fait des nombres de citations de B supĂ©rieurs Ă la moyenne et si B fait de mĂȘme vis-Ă -vis de A.
180
forme matricielle, cela donne SI = [I â D]-1MS â MS qui se simplifie par une manipulation
algĂ©brique81 pour aboutir Ă SI = [I â D]-1DMS â MS.
avec D la matrice (iĂi) de dĂ©pendance, M la matrice (iĂk) reprĂ©sentant lâappartenance de
chaque partie Ă un sous-groupe et S la matrice diagonale (kĂk) de lâimportance intrinsĂšque
attachĂ©e Ă chaque sous-groupe. Supposer que chaque groupe a la mĂȘme valeur intrinsĂšque,
revient Ă Ă©liminer la matrice S, ce qui nâa pas dâimportance parce que SI est une
dĂ©composition de lâinfluence structurale de chaque membre pour chaque sous-groupe,
résultant de la dépendance directe et indirecte du sous-groupe par rapport au membre.
3.2.4/ LâĂ©tude de lâinfluence des revues dans la recherche sur les organisations
A partir de la méthode présentée plus haut, Salancik présente à la fois une analyse de
lâinfluence totale tirĂ©e de lâĂ©quation de IMP et une analyse de lâinfluence de chaque membre
au sein des sous-groupes Ă partir de lâĂ©quation dĂ©finissant SI, qui illustre la maniĂšre dont les
effets de chaque revue se diffuse parmi les champs disciplinaires de la recherche en
organisation (sociologie organisationnelle, management, psychologie appliquée et les revues
de psychologie théorique).
Son analyse enrichit une Ă©tude antĂ©rieure de Sharplin & Marbry (1985) dans la mesure oĂč
lâinfluence au sein des champs disciplinaires (les sous-groupes) permet de prĂ©ciser si une
revue domine seulement dans son champ disciplinaire ou si elle domine également ailleurs.
La mĂ©thode dâanalyse quâil utilise est assez similaire aux modĂšles dâĂ©quivalence structurale
(Lorrain & White, 1971) qui partitionnent les parties en interaction en sous-ensembles
homogĂšnes dont les schĂ©mas dâinteraction sont similaires. Le but de telles partitions est de
révéler le rÎle des parties dans le systÚme plus large et de différencier ceux qui jouent un rÎle
de fourniture et ceux qui servent de pont entre les sous-ensembles mais la méthodologie
input-output diffĂšre en ceci quâelle indique le sens des effets (graphes orientĂ©s).
Les limites de cette approche pour lâĂ©tude du pouvoir intra-rĂ©ticulaire (qui reste valable dans
le cadre intra-organisationnel) sont diverses. Tout dâabord, il faut supposer que les ressources
soient contrĂŽlĂ©es par dâautres. Ensuite, les effets de lâinfluence doivent ĂȘtre circonscrits au
rĂ©seau identifiĂ©, dont la dĂ©finition pose problĂšme (quâest ce que le domaine de la recherche en
81
En multipliant les termes des deux cĂŽtĂ©s par [I - D] puis en multipliant par lâinverse de Leontief.
181
organisation ?). Le nombre de revues prises en compte est limité par les capacités de
traitement et lâaccĂšs aux donnĂ©es. Par ailleurs, « la stratĂ©gie analytique utilisĂ©e ne rĂ©sout pas
le problĂšme du dĂ©saccord culturel sur ce qui constitue un rĂ©seau ou ses sous-ensembles. [âŠ]
elle permet nâimporte quel partitionnement et analyse des interdĂ©pendances qui affectent les
sous-groupes »82. Plus important, Salancik entrevoit la possibilitĂ© dâappliquer cette mĂ©thode
aux organisations83, notamment en ce qui concerne lâarticulation entre structure formelle et
informelle.
Conclusion de la section 3
Les travaux sur la centralitĂ© dĂ©veloppĂ©s depuis lâarticle fondateur de Bavelas (1948)
identifient trois indicateurs principaux qui sont la centralité de degré, la centralité de
proximitĂ© et la centralitĂ© dâintermĂ©diaritĂ© qui renvoient Ă une expression quantitative du
pouvoir. Pour dépasser la représentation simple en termes de graphes non orientés et non
valuĂ©s dâune matrice boolĂ©enne caractĂ©ristique dâun rĂ©seau de relations, Salancik (1986) tente
dâassocier la mĂ©thodologie input/output et la thĂ©orie des graphes mais il nâen tire pas toutes
les implications en se concentrant sur lâanalyse algĂ©brique des interrelations. Par ailleurs, le
choix dâune dominance par la demande nâest pas expliquĂ© et pose problĂšme lorsque lâon
sâintĂ©resse Ă des flux informationnels.
Conclusion du chapitre 3
82
Salancik (1986, p. 209).
83
Salancik (1986, p. 210) « les avantages les plus pertinents pourraient venir de lâutilisation de cette stratĂ©gie
comme outil en analyse organisationnelle. On pourrait par exemple étudier une usine entiÚre et les interrelations
entre ses membres pour déterminer comment chacun contribue à ses résultats ».
182
Tout dâabord, elles sâinscrivent dans une thĂ©orie de lâĂ©change dans laquelle le pouvoir est
largement déterminé à partir des flux informationnels (Pettigrew, 1972, Tichy & Fombrun,
1979), dont on a vu dans le chapitre 1 quâils servaient de base Ă la thĂ©orie Ă©conomique de la
firme processeur dâinformation. Il nâest pas Ă©tonnant de ce point de vue quâelles soient
largement citées dans les travaux économiques récents qui essaient de développer une analyse
économique du pouvoir dans un cadre standard (Rajan & Zingales, 1998, 2001).
Ensuite, ces approches structurales ne sâopposent pas fondamentalement Ă lâindividualisme
mĂ©thodologique de la thĂ©orie Ă©conomique. Elles prolongent simplement lâanalyse des
décisions individuelles dans un cadre plus large qui est celui de la structure, avec un souci
majeur qui est la confrontation à la réalité observable.
Enfin, comme le montre la tentative (il est vraie isolée) de Salancik (1986), elles sont capables
de mobiliser des méthodologies bien connues des économistes comme la méthodologie input-
output, qui nécessite de formuler explicitement un sens de dépendance économique entre
lâoffre dâun cĂŽtĂ©, la demande de lâautre.
Les développements que nous proposons dans les deux chapitres suivants trouvent leur source
dans les limites identifiées des approches structurales évoquées plus haut. Ces limites
concernent en premier lieu la mesure des indicateurs de pouvoir Ă partir de graphes qui sont
globalement non orientĂ©s et non valuĂ©s. Passer dâune analyse que nous pourrions qualifier de
« qualitative » du graphe Ă une analyse « quantitative » suppose dâarticuler plus finement la
thĂ©orie des graphes aux matrices dâĂ©changes informationnels. Cela doit nous amener Ă
caractériser non seulement les individus dans la structure considérée mais aussi la structure
elle-mĂȘme, dans lâesprit des travaux de Radner prĂ©sentĂ©s dans le premier chapitre, ceci afin
dâĂȘtre en mesure de comparer les diffĂ©rents types de configurations organisationnelles que
lâon pourrait ĂȘtre en mesure dâobserver. Cette avancĂ©e dans la comprĂ©hension des
phĂ©nomĂšnes internes Ă la « boĂźte noire » va ĂȘtre ouverte par la thĂ©orie des graphes
dâinfluence.
183
CHAPITRE 4
LA THEORIE DES GRAPHES
DâINFLUENCE
185
Chapitre 4
La thĂ©orie des graphes dâinfluence
Introduction
Nous avons tentĂ© jusquâĂ prĂ©sent de justifier la pertinence de lâapproche structurale pour
traiter des phĂ©nomĂšnes de pouvoir dans un contexte organisationnel, et ceci afin dâenrichir les
schĂ©mas de reprĂ©sentation et dâexplication de ce qui se passe dans la « boĂźte noire » dĂ©finie
comme processeur dâinformation. Dans le cadre de la dĂ©marche pragmatique prĂ©sentĂ©e au
chapitre deux et prolongée au chapitre trois, nous avons pour cela mobilisé un certain nombre
de travaux issus pour la plupart de la sociologie, dont les limites ont été identifiées dans le
chapitre précédent.
Pour autant, la science Ă©conomique ne sâest pas exclue de ce champ mĂ©thodologique comme
lâattestent les travaux pionniers de Leontief (1986) sur les relations inter-industrielles aux
Etats-Unis, développés du point de vue méthodologique par Lantner (1974, 2000) et Gazon
(1976). Nous proposons dans ce chapitre et le suivant de rĂ©aliser lâintuition de Salancik
(1986) reprise par Lantner (1996) qui consiste dans lâutilisation de cette mĂ©thodologie pour
lâĂ©tude de la transmission dâinfluence dans les organisations1. LâoriginalitĂ© de lâoutil que nous
allons prĂ©senter concerne la maniĂšre dont il permet dâarticuler la thĂ©orie des graphes dâun
cĂŽtĂ© et les Ă©lĂ©ments fondamentaux de lâinput-output de lâautre. En effet, « lâanalyse des effets
de dominance dans une structure dâĂ©changes Ă©tait jusquâĂ prĂ©sent contrainte Ă un
morcellement prĂ©judiciable », entre calcul matriciel permettant dâapprĂ©hender les influences
globales mais pas le mĂ©canisme de cheminement des perturbations et lâapproche qualitative Ă
partir de graphes non valuĂ©s nĂ©gligeant « les inĂ©gales intensitĂ©s des liaisons ». Lâobjet de la
thĂ©orie des graphes dâinfluence est ainsi de « jeter un pont » entre ces diverses thĂ©ories « en
dĂ©voilant les modalitĂ©s de la dĂ©pendance et de lâinterdĂ©pendance gĂ©nĂ©rales, liĂ©es au processus
de diffusion quantitative de lâinfluence et aux dĂ©terminations structurelles qui lâentravent [et]
en dissociant les effets directs et indirects de dominance et en déterminant leur importance
respective » Lantner (1974, pp. 74-75).
1
Remarquons dâailleurs la rĂ©fĂ©rence involontaire de Gazon (1976, p. 2) Ă notre objet dâĂ©tude tel quâil est
caractĂ©risĂ© en sciences Ă©conomiques : « Si lâon cherche Ă prĂ©ciser la maniĂšre dont sâopĂšre le cheminement de
lâinfluence, lâinterdĂ©pendance des grandeurs Ă©conomiques fait apparaĂźtre la structure comme une « boĂźte noire »
dont notre approche structurale éclaire le mécanisme ».
187
Lâobjet de ce chapitre est donc dâĂ©tudier la nature et les modalitĂ©s de la transmission de
lâinfluence Ă travers une structure - dĂ©finie comme la firme processeur dâinformation - Ă partir
de la thĂ©orie des graphes dâinfluence2.
Dans une premiĂšre section nous aborderons les concepts usuels de la correspondance entre un
systĂšme dâĂ©quations linĂ©aires et sa reprĂ©sentation sous forme de graphe. La section deux nous
permet dâentrer de plain pied dans le modĂšle de reprĂ©sentation dâune firme processeur
dâinformation adaptĂ©e au contexte de la thĂ©orie des graphes dâinfluence. Ensuite, lâobjet de la
troisiĂšme section est la prĂ©sentation du dĂ©terminant de la structure en tant quâindicateur de
diffusion de lâinfluence, cette diffusion et le cheminement de lâinfluence Ă©tant explicitĂ©e
ensuite au niveau global dans la section quatre, au niveau local dans la section cinq.
2
Ce chapitre est largement repris du travail analytique rĂ©alisĂ© conjointement avec F. Lequeux sur lâouvrage de
Lantner (1974).
188
Section 1 : Des graphes de fluence aux graphes dâinfluence
Un des problĂšmes liĂ©s Ă la thĂ©orie gĂ©nĂ©rale des graphes est quâelle ne distingue pas entre les
variables dĂ©pendantes et variables indĂ©pendantes dans un rĂ©seau dâinterrelations, telles
quâelles peuvent ĂȘtre reprĂ©sentĂ©es dans la mĂ©thode input-output. La thĂ©orie des graphes de
transfert3 (Ponsard, 1972) transforme la méthode matricielle de résolution de systÚmes
dâĂ©quations simultanĂ©es en une mĂ©thode topologique, par le biais dâune rĂšgle de
correspondance entre une expression algébrique et sa représentation sous forme de graphe.
Cette rĂšgle stipule que toute variable indĂ©pendante correspond au sommet dâorigine dâun arc
et que toute variable dépendante correspond à son extrémité, cet arc étant valué par le
coefficient affecté à la variable indépendante
Soient deux variables Xi et Xj liés par la relation Xi = ΞijXj, qui définit Xi comme variable
dépendante de Xj. Le signal étant transmis de Xj vers Xi, il est représenté par un arc orienté de
j vers i et sa valuation se déduit du coefficient associé à la variable indépendante, à partir de la
reprĂ©sentation canonique Xi - ΞijXj = 0. Sous lâhypothĂšse de demande dominante qui est celle
retenue généralement dans ce type de littérature en économie (et présentée au chapitre trois),
on déduit de la rÚgle de correspondance équation-graphe la représentation suivante pour
lâĂ©quation canonique :
-Ξij
j i
Par ailleurs, dans le cas de dominance par la demande, la rÚgle adoptée implique que la
matrice associée au graphe de transfert est la transposée de la matrice associée
3
ou graphes de fluence, pour un exposé plus détaillé, cf. Lantner (1974, pp. 48-64) et Ponsard (1972).
189
traditionnellement à un graphe4. Dans ce cas, la matrice associée au graphe de transfert
sâĂ©crit :
1 ⊠i ⊠n
1 a11 ⊠ai1 ⊠an1
⊠⊠⊠⊠⊠âŠ
j a1j ⊠aij ⊠anj
⊠⊠⊠⊠⊠âŠ
n a1n ⊠anj ⊠ann
Inversement, si lâon suppose une dominance par lâoffre5, le tableau dâĂ©change se lit alors en
colonnes et permet de maintenir lâordre des indices des valuations des arcs. LâĂ©quation Xj =
αijXi considÚre Xj comme variable dépendante, le signal est transmis de Xi à Xj donc il est
représenté par un arc orienté de i vers j :
-αij
i j
A partir de la rĂšgle prĂ©sentĂ©e plus haut, on peut reprĂ©senter un systĂšme dâĂ©quations linĂ©aires
par un graphe de transfert Ă plusieurs arcs, chacun dâentre eux reprĂ©sentant une relation
(équation) particuliÚre. Soit par exemple le systÚme suivant :
4
« La rÚgle de correspondance entre une expression algébrique linéaire et sa représentation par un graphe de
transfert conduit Ă inverser lâordre des indices dont sont munis les coefficients qui valuent les arcs. En effet, la
théorie générale des graphes, pour définir la matrice associée, référencie les lignes avec les indices des sommets
initiaux xi et les colonnes avec les indices des sommets terminaux xj. On lit Ă lâintersection dâune ligne et dâune
colonne le nombre dâarcs allant de xi Ă xj. Or, en thĂ©orie des graphes de transfert, la matrice associĂ©e serait,
dâaprĂšs cette rĂšgle, la matrice [aji], transposĂ©e de la matrice [aij], i devenant lâindice des colonnes et j celui des
lignes. On lit Ă lâintersection dâune ligne et dâune colonne le nombre aij qui value lâarc allant de xj Ă xi », cf.
Ponsard (1972) et Lantner (1974, p. 50). Voir également la section 2.2/ du chapitre 3).
5
HypothĂšse que nous maintenons dans la suite de la section.
190
ïŁ±X 4 = α14 X 1 + α 24 X 2 + α 34 X 3 + α 44 X 4
ïŁŽ
ïŁČX 5 = α 45 X 4
ïŁŽX = α X
ïŁł 6 46 4
ïŁ±X 4 â α 14 X 1 â α 24 X 2 â α 34 X 3 â α 44 X 4 = 0
ïŁŽ
â ïŁČX 5 â α 45 X 4 = 0
ïŁŽX â α X = 0
ïŁł 6 46 4
Graphe n°4
1 5
-α45
-α14 (1- α44)
-α24
2
4
-α34 -α46
3 6
Le nombre dâarcs peut ĂȘtre important dans le cas de systĂšmes de grande taille, ce qui en rend
la représentation fastidieuse. Pour éviter ces désagréments, il existe un certain nombre de
rÚgles pour réduire le graphe initial.
Lorsque un sommet i est muni dâune boucle, on peut rĂ©duire le graphe en supprimant la
boucle. Il suffit de diviser la valeur de lâarc convergent (ou des arcs convergents) par le
facteur (1 â αii) oĂč αii est la valeur du coefficient associĂ© Ă la boucle en question. Ce faisant,
on rĂ©duit le graphe par une transformation algĂ©brique sans supprimer lâeffet induit par la
valeur de la boucle sur la structure dâinterrelations initiale. Si on applique cette rĂšgle au
graphe n°4 on obtient :
191
Graphe n°5
1 5
-α45
-α14/α44
-α24/α44
2
4
-α34/α44 -α46
3 6
Dans le cas oĂč deux sommets sont reliĂ©s par plusieurs arcs orientĂ©s dans le mĂȘme sens
(multigraphes), la rĂšgle de lâaddition permet de les remplacer par un arc unique dont la
valuation est égale à la somme des valuations des arcs initiaux.
Par exemple, le graphe suivant :
'
â α12
1 2
''
â α12
Enfin, lorsque plusieurs arcs sont consĂ©cutifs et que les sommets intermĂ©diaires nâont quâun
arc convergent et un arc divergent (chemin), la rĂšgle de la multiplication permet de simplifier
le chemin initial en lui substituant un arc unique valué par le produit des coefficients des arcs
initiaux.
192
Par exemple le graphe :
-α23 3
-α12
1
2
-α24 4
(-α12) (-α23) 3
4
(-α12) (-α24)
Comme le prĂ©cise Lantner (1974)6, lâusage de la thĂ©orie des graphes de fluence par les
électroniciens ne peut pas convenir aux économistes, ceci pour deux raisons principales.
Tout dâabord, lâĂ©lectronicien, contrairement Ă lâĂ©conomiste, sâintĂ©resse peu au cheminement
dâun signal dans la structure donc Ă la position et Ă lâintensitĂ© des liaisons dans le rĂ©seau quâil
étudie. Il pour objectif essentiel de calculer ex ante les valeurs des outputs (intensités,
tensions) en fonction dâune perturbation initiale quâil peut contrĂŽler, et cela Ă partir dâune
connaissance a priori des caractĂ©ristiques du rĂ©seau quâil Ă©tudie7.
Ensuite, lĂ oĂč lâĂ©lectronicien se contente dâune source de perturbation unique, contrainte
imposĂ©e par les formalisations en termes de graphe de fluence, lâĂ©conomiste est confrontĂ© Ă
une multitude de sources de perturbations (qui sont les variations de demandes finales dans le
cas de dominance par la demande). Dans ce contexte, les principes de formalisation des
échanges de la théorie des graphes de transfert paraissent non pertinents face au problÚme
posé par la « multi-ouverture du modÚle».
6
« Les électroniciens ont fait dévier la théorie des graphes de fluence de son objet spécifique, qui est
lâapprĂ©hension des liaisons structurelles et des relations topologiques. [...] Les spĂ©cialistes de lâĂ©lectronique ont
utilisé la théorie des graphes de fluence de maniÚre substitutive par rapport au calcul matriciel. Ce qui intéresse
lâĂ©lectronicien, câest la grandeur des variables aux nĆuds et dans les branches et non les relations particuliĂšres
quâentretiennent par exemple deux Ă©lĂ©ments du rĂ©seau », cf. Lantner (1974, p. 66).
7
De plus, comme le prĂ©cise Lequeux (2002, p. 339) « si le concept de dominance dâun composant Ă©lectronique
sur un autre est dĂ©nuĂ© de sens, il prend une dimension extrĂȘmement dĂ©cisive lorsquâil concerne des dĂ©partements
dâentreprise [âŠ] ».
193
A partir de lâidĂ©e selon laquelle la thĂ©orie des graphes est un instrument dâanalyse
Ă©conomique, Lantner (1974) propose une thĂ©orie des graphes dâinfluence qui permet
« dâapprĂ©hender le cheminement de lâinfluence Ă©conomique »8 Ă partir dâun modĂšle assez
proche de la théorie des graphes de fluence. Cette théorie précise la nature et les modalités de
la transmission de cette influence dans une structure Ă©conomique au travers dâun certain
nombre de théorÚmes que nous allons présenter.
On va considérer une organisation composée de n pÎles (qui sont soit des individus, soit des
dĂ©partements, soit des sous-unitĂ©s homogĂšnes) dont lâactivitĂ© principale consiste Ă Ă©changer
des informations avec le reste de la structure et avec lâextĂ©rieur.
Comme nous avons dĂ©jĂ eu lâoccasion de le souligner dans le chapitre 1, notre dĂ©finition des
flux dâinformation est cohĂ©rente avec celle retenue gĂ©nĂ©ralement en Ă©conomie de
lâinformation. Ces flux sont assimilĂ©s Ă des flux de messages, Ă des donnĂ©es qui alimentent le
processus de dĂ©cision des membres de lâorganisation (Marschak, 1960, 1968). Par ailleurs, on
dĂ©finit lâorganisation (ou la firme) processeur dâinformation comme une structure dâĂ©changes
de ces informations-messages, avec comme représentation un tableau input-output qui
spĂ©cifie Ă lâintersection des lignes et des colonnes le nombre de messages transmis9 :
8
Lantner (1974, p. 68).
9
Cf. la section 3 du chapitre 1.
194
Récepteur
0 1 2
0
Emetteur 1 (1,2)
2
Cette reprĂ©sentation de lâorganisation est trĂšs proche de celle retenue par Lantner (1996) dans
ses travaux sur la « dominance informationnelle », dont les travaux fondateurs de Marschak
(1959) constituent selon nous un support thĂ©orique. Câest dans cette veine que nous inscrivons
notre dĂ©marche de quantification de lâorganisation dĂ©clinĂ©e dans la suite du dĂ©veloppement.
Chaque pĂŽle i va Ă©mettre et recevoir des informations susceptibles dâĂȘtre valorisĂ©es dans le
processus de dĂ©cision. On suppose que la valeur de lâinformation Ă©changĂ©e est propre Ă
chaque relation dâĂ©change entre un Ă©metteur i et un rĂ©cepteur j. La valuation du flux entre i et
j est donc le produit dâune quantitĂ© Ă©changĂ©e qij par la valeur de cette information pij et dans la
suite de cette section, on note xij = qij.pij.
195
- xAj correspond Ă la valeur ajoutĂ©e ou crĂ©ation dâinformation globale du pĂŽle j.
On note enfin Xj la somme dâinformations reçues par le pĂŽle j.
pĂŽles 1 2 K n E X
1 x11 x12 K x1n x1E X1
2 x21 x22 K x2n x2E X2
M M M O M M M
n xn1 xn2 K xnn xnE Xn
R R1 R2 K Rn
X X1 X2 K Xn
Les lignes du tableau dĂ©crivent la rĂ©partition des flux dâinformation Ă©mis par chaque pĂŽle i
alors que les colonnes permettent dâidentifier lâorigine des flux dâinformation Ă destination du
pĂŽle j.
La « loi de conservation » implique que le montant total des emplois est égal au montant total
des ressources.
196
2.1.4/ Le sens de dominance : lâhypothĂšse dâoffre dominante
Alors que la plupart des modĂšles dâĂ©changes Ă©conomiques fondĂ©s sur la mĂ©thode input-output
retiennent lâhypothĂšse de dominance par la demande10, la nature spĂ©cifique de lâinformation
nous amĂšne davantage sur une hypothĂšse de dominance par lâoffre, dans la lignĂ©e des travaux
sur la dominance informationnelle (Lantner, 1996, Thépaut 1997, 2002)11.
1) le choix de la valorisation des flux (par le prix des outputs ou par le prix des inputs), lié
lui-mĂȘme aux hypothĂšses sur la structure Ă©tudiĂ©e, Ă savoir n pĂŽles produisant chacun une
marchandise distincte Ă partir dâinputs distincts dans le modĂšle de Leontief, n pĂŽles
produisant une marchandise distincte Ă partir dâun mĂȘme input homogĂšne chez Gosh.
En ce qui concerne les deux premiers points, la thĂ©orie des graphes dâinfluence nâa pas besoin
dâhypothĂšses sur la nature des prix qui vont ĂȘtre pris en compte afin de valuer les Ă©changes
puisquâelle suppose ces prix connus (Ă la fois ceux des inputs et ceux des outputs). De la
mĂȘme maniĂšre, nous nâavons pas besoin dâessayer de dĂ©terminer les prix et quantitĂ©s
Ă©changĂ©es mais de dĂ©duire dâune structure observĂ©e un certain nombre de rĂ©sultats sur le
cheminement de lâinfluence. Lâutilisation que nous en faisons est par nature basĂ©e sur le
recueil préalable des données du tableau des échanges12.
Au sujet du troisiĂšme point, lâhypothĂšse dâoffre dominante revient Ă supposer dâune part que
les outputs informationnels dépendent des ressources informationnelles externes disponibles
et dâautre part que le volume des informations transmises est proportionnel au volume des
informations créées. Elle implique que chaque pĂŽle est tenu dâaccepter des ressources
10
Cela revient à considérer que la dépendance économique se situe davantage du cÎté des débouchés que des
approvisionnements. Cette hypothĂšse sâinscrit dans la tradition keynĂ©sienne (par opposition Ă la tradition
classique fondĂ©e sur la loi de Say) selon laquelle câest le niveau de la demande qui dĂ©termine le niveau de
lâoffre. Dans ce cas les pĂŽles terminaux demandeurs sont les sources de perturbation du systĂšme auxquelles
sâadaptent les pĂŽles offreurs pour dĂ©terminer leurs niveaux de production respectifs.
11
On peut ajouter à ces références les travaux sur la convergence dans le multimedia de Lequeux (2002).
12
Cela pose Ă©videmment dâautres problĂšmes que nous traiterons au chapitre 5.
197
informationnelles issues de sources exogĂšnes, et quâen rĂ©ponse Ă cet accroissement de
ressources, il est contraint de les transmettre Ă son tour. La nature de lâorganisation Ă©tant au
final orientée vers la prise de décision, cette hypothÚse nous semble peu coûteuse en termes
de rĂ©alisme. Si lâon considĂšre que les agents souhaitent rĂ©duire au maximum lâincertitude de
leur environnement et absorbent pour le faire toutes les informations complĂ©mentaires quâils
peuvent obtenir, la contrainte nâest plus la rĂ©ception « forcĂ©e » mais bien la fixitĂ© du
coefficient, chacun ayant intĂ©rĂȘt Ă augmenter sa consommation dâinformation, notamment
celle en provenance des individus identifiés comme de « bonnes sources », pour des raisons
formelles ou non.
Finalement, compte tenu de notre objet dâĂ©tude, le choix dâun modĂšle Ă offre dominante nous
paraĂźt cohĂ©rent. Chaque pĂŽle dâactivitĂ© i de la structure organisationnelle va transmettre une
partie de son information aux autres pĂŽles j dont il reçoit en retour dâautres informations. Les
ressources informationnelles de chaque pĂŽle proviennent ainsi de lâinformation traitĂ©e des
autres pĂŽles de lâorganisation ou de sources exogĂšnes. Ajoutons enfin que la thĂ©orie de la
dĂ©pendance vis-Ă -vis des ressources prĂ©sentĂ©e au chapitre trois est bien dans lâesprit de
lâhypothĂšse choisie: les agents dĂ©pendent de leurs fournisseurs et pas de leurs « clients ».
Si lâon suppose une perturbation-source unique de lâoffre dâinformation dans le pĂŽle j, câest Ă
dire une augmentation âRj alors lâaccroissement de la transmission (production)
dâinformation par le pĂŽle j entraĂźnera une variation proportionnelle de la transmission
d'information dans les (n â 1) autres pĂŽles de lâorganisation. Dans ce cadre, lâhypothĂšse de
198
proportionnalitĂ© des outputs aux inputs sâexprime par le fait que les coefficients de dĂ©bouchĂ©s
sont constants :
x ij âx ij
= = α ij â âx ij = α ij âX i
Xi âX i
Finalement, le systĂšme des modifications de lâactivitĂ© informationnelle des pĂŽles induites par
la variation initiale âRj sâĂ©crit donc :
ïŁ± âX 1 = âx 11 + âx 21 + L + âx n1
ïŁŽ
ïŁŽ M
ïŁŽïŁŽ âX = âx + âx + L + âx + âR
ïŁČ j 1j 2j nj j (2)
ïŁŽ M
ïŁŽ
ïŁŽ âX n = âx 1n + âx 2 n + L + âx nn
ïŁŽïŁł
Soient j et k deux pĂŽles dâactivitĂ© informationnelle dont la valeur totale des ressources
informationnelles est respectivement Xj et Xk. Soit Rj le montant des ressources
informationnelles du pĂŽle j apportĂ©es par des sources externes Ă lâorganisation. Sous
lâhypothĂšse dâoffre dominante, Rj est supposĂ© exogĂšne. DâaprĂšs Lantner (1974, p. 68), on
appelle alors :
â influence absolue I G( j)â k du pĂŽle-offreur (j)13 sur le pĂŽle k, le rapport de la variation
absolue induite âXk du montant total des ressources du pĂŽle k Ă la variation absolue initiale
âRj de lâoffre dâinformations externes du pĂŽle-source (j) :
âX k
I G( j)â k = ,
âR j
13
Conventionnellement, (j) désigne le pÎle-source de perturbations dans la structure. Il correspond au pÎle-
offreur qui a reçu les informations externes et qui les diffuse dans la structure. j représente simplement un pÎle
de la structure.
199
â influence relative i G( j)â k du pĂŽle-offreur (j) sur le pĂŽle k, le rapport de la variation
âX k âR j
relative induite des ressources du pĂŽle k Ă la variation relative initiale de lâoffre
Xk Rj
Lâinfluence relative dâun pĂŽle-offreur (j) sur un pĂŽle k de la structure traduit donc lâĂ©lasticitĂ©
des ressources (de lâoutput) du pĂŽle k Ă une variation des ressources informationnelles
externes du pĂŽle (j).
A partir de ces dĂ©finitions, il convient de prĂ©ciser lâarticulation entre les termes dâinfluence,
de dépendance, de pouvoir et de dominance, ce dernier terme étant notamment utilisé par
Lantner (1996) pour caractĂ©riser les relations informationnelles entre membres dâune
structure. Lâinfluence (absolue) dâun agent i sur un agent k est ici dĂ©finie comme la variation
de la production dâinformation de k induite par une modification des ressources
informationnelles de i. Dans lâhypothĂšse oĂč ce sont les variations de lâoffre qui impulsent des
variations de demande, cette influence de j sur k définit symétriquement le degré de
dĂ©pendance de lâagent k par rapport Ă lâagent j au niveau de ses fournitures, c'est-Ă -dire au
niveau des ressources dont il va pouvoir disposer. On retrouve ici les approches structurales
du pouvoir prĂ©sentĂ©es au chapitre trois et, sur la base de la dĂ©finition dâEmerson (1962), on
peut qualifier la dépendance de k par rapport à j le pouvoir de j sur k. Une conséquence est
que les termes de pouvoir et dâinfluence sont pour nous des synonymes, dans la lignĂ©e des
travaux des auteurs ayant contribué de maniÚre significative sur le sujet (Pfeffer, 1981,
Mintzberg, 1986 ou Salancik, 1986). Par ailleurs, la hiérarchisation des agents de la structure
en fonction du critĂšre de lâinfluence va aboutir Ă lâidentification des pĂŽles dominants,
établissant ainsi un ordre de dominance.
Dans la mesure oĂč les indicateurs dâinfluence sont dĂ©finis par rapport Ă des variations, on va
Ă©crire les systĂšmes dâĂ©quations dâĂ©changes en variation (les systĂšmes sont linĂ©aires).
200
2.2.2.1/ DĂ©finition du graphe dâinfluence absolue
âx ij
En intégrant les coefficients de débouchés α ij = , le systÚme (2) devient :
âX i
ïŁ±âX 1 = α 11 âX 1 + α 21 âX 2 + L + α n1 âX n
ïŁŽ
ïŁŽ M
ïŁŽ
ïŁČâX j = α 1 j âX1 + α 2 j âX 2 + L + α nj âX n + âR j
ïŁŽ
ïŁŽ M
ïŁŽïŁłâX n = α 1n âX 1 + α 2 n âX 2 + L + α nn âX n
ïŁ±âX 1 â α 11 âX 1 â α 21 âX 2 â L â α n1 âX n = 0
ïŁŽ
ïŁŽ M
ïŁŽ
â ïŁČâX j â α 1 j âX 1 â α 2 j âX 2 â L â α nj âX n = âR j (3)
ïŁŽ
ïŁŽ M
ïŁŽïŁłâX n â α 1n âX 1 â α 2 n âX 2 â L â α nn âX n = 0
Dans le cas général, si on considÚre des sources de perturbations multiples le systÚme peut
ĂȘtre réécrit comme suit :
ïŁ±âX 1 â α 11 âX 1 â α 21 âX 2 â L â α n1 âX n = âR 1
ïŁŽ
ïŁŽ M
ïŁŽ
ïŁČâX j â α 1 j âX 1 â α 2 j âX 2 â L â α nj âX n = âR j (4)
ïŁŽ
ïŁŽ M
ïŁŽïŁłâX n â α 1n âX 1 â α 2 n âX 2 â L â α nn âX n = âR n
ïŁ±(1 â α 11 ) âX 1 â α 21 âX 2 â L â α n1 âX n â âR 1 = 0
ïŁŽ
ïŁŽ M
ïŁŽ
ïŁČâ α 1 j âX 1 â α 2 j âX 2 â L + (1 â α jj ) âX j â L â α nj âX n â âR j = 0 (5)
ïŁŽ
ïŁŽ M
ïŁłïŁŽâ α 1n âX 1 â α 2 n âX 2 â L + (1 â α nn ) âX n â âR n = 0
201
On appelle alors graphe dâinfluence absolue, le « graphe de fluence multi-ouvert »14 associĂ©
au systĂšme (5) des variations absolues de flux dâinformation.
Dans ce graphe, les coefficients de débouchés servent à la valuation des arcs entre pÎles. Ces
coefficients capturent en fait lâinfluence directe et ils vont ĂȘtre complĂ©tĂ©s Ă la suite de
manipulations algĂ©briques complĂ©mentaires par des indicateurs dâinfluence globale de chaque
pĂŽle sur lâensemble de la structure prenant en compte la combinaison des effets directs et
indirects.
ïŁ± âX 1 = Ï11 âR 1 + Ï 21 âR 2 + L + Ï n1âR n
ïŁŽ M
ïŁŽïŁŽ
ïŁČ âX j = Ï1 j âR 1 + Ï 2 j âR 2 + L + Ï nj âR n (8)
ïŁŽ M
ïŁŽ
ïŁŽïŁł âX n = Ï1n âR 1 + Ï 2 n âR 2 + L + Ï nn âR n
14
Lantner (1974, p. 70).
15
Dans le cadre de la dominance par lâoffre, les vecteurs [âX] et [âR] sont des vecteurs lignes. LâĂ©criture
matricielle qui rend compte du systĂšme dâĂ©quations est donc bien [âX][I-A] = [âR] et non [I-A][âX] = [âR].
202
LâĂ©criture (8) a un sens Ă©conomique intĂ©ressant puisquâelle exprime les variations de lâoutput
informationnel de chaque pĂŽle en fonction des variations de ressources informationnelles
externes de tous les Ă©lĂ©ments de la structure. Les coefficients Ïij sont appelĂ©s dans la
mĂ©thodologie input-output usuelle (appliquĂ©e aux tableaux dâĂ©change inter-industriels) les
« élasticités de la production » du secteur j par rapport à la variation des ressources externes
(appelés aussi inputs primaires) du secteur i : ce sont les effets sur la production du pÎle j
dâune variation dâune unitĂ© des inputs primaires (ressources) du pĂŽle i.
Plusieurs informations pertinentes peuvent ĂȘtre extraites de la matrice [Ί] = [Ïij] en fonction
du nombre de sources de perturbations dâune part, du nombre de pĂŽles affectĂ©s dâautre part.
âX k = Ï jk âR j
Si lâon considĂšre par exemple lâimpact dâune variation des ressources informationnelles
( )
externes du pĂŽle 3 sur lâoutput du pĂŽle 1, on a alors âX1 = Ï31âR3 donc I (G3)â1 = Ï 31 .
Lâinfluence absolue du pĂŽle j sur le pĂŽle k est ainsi donnĂ©e par lâĂ©lĂ©ment Ïjk dans la matrice
[Ί] que lâon pourrait qualifier de matrice des influences absolues.
La linĂ©aritĂ© de notre modĂšle nous permet dâĂ©tablir Ă©galement lâimpact global dâune variation
des ressources externes dâun pĂŽle sur lâensemble des pĂŽles de la structure :
k =n k =n
â âX = â (I
k =1
k
k =1
G
( j) â k ) âR j
k=n k=n
â â âX k = â Ï jk âR j
k =1 k =1
203
Si lâon reprend lâexemple prĂ©cĂ©dent dâune variation unique des ressources externes du pĂŽle 3
(âRj = 0 pour j â 3), lâimpact de cette variation âR3 sur lâensemble des pĂŽles de la structure
va ĂȘtre :
k =n k =n
â âX = â (I
k =1
k
k =1
G
( 3) â k ) âR 3
k=n k =n
â â âX k = â Ï 3k âR 3
k =1 k =1
On appelle alors multiplicateur dâoffre (ou dâinputs) du graphe dâinfluence absolue associĂ© Ă
j= n
chaque pĂŽle i la somme en ligne âÏ
j=1
ij de la matrice [Ί] dans (7).
Par exemple, dans le cas oĂč on sâintĂ©resse Ă lâimpact de âR2, âR3 et âR4 sur la production
dâinformation du pĂŽle 1 :
4 4
( )
âX 1 = â I G( j)â1 âR j â âX 1 = â Ï j1 âR j
j= 2 j= 2
â âX 1 = Ï 21 âR 2 + Ï 31 âR 3 + Ï 41 âR 4
204
i =n
La somme en colonne âÏ
i =1
ij nous donne donc lâimpact total sur le pĂŽle j des variations des
Sous lâhypothĂšse de dominance par lâoffre, le graphe dâinfluence absolue est dĂ©terminĂ© Ă
partir des coefficients de dĂ©bouchĂ© LâhypothĂšse de proportionnalitĂ© des transmissions
dâinformation aux autres pĂŽles par rapport aux outputs nous a permis dâĂ©crire :
x ij âx ij
α ij = = .
Xi âX i
Si on introduit maintenant la proportionnalitĂ© des inputs aux outputs pour chaque pĂŽle, câest Ă
x ij
dire si lâon fait intervenir la constance des coefficients techniques Ξ ij = , nous obtenons :
Xj
âx ij 1 âX i
= Ξ ij X j â âx ij = Ξ ij X j
âX i Xi Xi
Le systĂšme (2) sâĂ©crit alors :
ïŁ± âX 1 âX 2 âX n
ïŁŽâX 1 â Ξ11 X 1 â Ξ 21 X 1 â L â Ξ n1 X 1 =0
ïŁŽ X1 X2 Xn
ïŁŽ M
ïŁŽ
ïŁŽ âX 1 âX 2 âX n
ïŁČâX j â Ξ 1 j X j â Ξ2jX j â L â Ξ nj X j = âR j (9)
ïŁŽ X 1 X 2 X n
ïŁŽ M
ïŁŽ
ïŁŽâX â Ξ X âX 1 â Ξ X âX 2 â L â Ξ X âX n = 0
ïŁŽ n 1n n
X1
2n n
X2
n n
Xn
ïŁł
16
Cet impact total est la combinaison des effets directs capturés par les coefficients de débouchés et des effets
indirects transitant par tous les pÎles avec lesquels un pÎle donné est en relation. Ainsi, cette approche tient
compte de la remarque dâAujac (1960, p.184, citĂ© dans Lequeux (2002, p. 397)) selon laquelle « il faut aller plus
loin et admettre que lâeffet initial peut ĂȘtre radicalement inversĂ©, que lâeffet âdirectâ de domination de A sur B
peut se transformer finalement, quand tous les effets dus Ă lâinterdĂ©pendance ont achevĂ© de se rĂ©percuter, en un
effet réel de domination de B sur A ».
205
En divisant le systĂšme (9) par Xj, on obtient :
ïŁ± âX 1 X âX 1 X âX 2 X âX n
ïŁŽ â Ξ11 1 â Ξ 21 1 â L â Ξ n1 1 =0
ïŁŽ X1 X 1 X1 X1 X 2 X1 X n
ïŁŽ M
ïŁŽ
ïŁŽ âX j X j âX 1 X j âX 2 X j âX n âR j
ïŁČ â Ξ1 j â Ξ2j â L â Ξ nj = (10)
ïŁŽ Xj X j X1 X j X2 X j Xn Xj
ïŁŽ M
ïŁŽ
ïŁŽ âX n X n âX 1 X n âX 2 X n âX n
ïŁŽ X â Ξ1n X X â Ξ 2 n X X â L â Ξ n X X = 0
ïŁł n n 1 n 2 n n
Afin dâallĂ©ger les notations et de faire apparaĂźtre Ă la fois la variation relative des outputs et la
variation relative des ressources, on pose :
âX k âR j Rj
Κk = , ”j = et Ύ j =
Xk Rj Xj
Il vient finalement :
ïŁ±Îš1 â Ξ11 Κ1 â Ξ 21 Κ2 â L â Ξ n1 Κn = 0
ïŁŽ
ïŁŽM
ïŁŽ
ïŁČΚ j â Ξ1 j Κ1 â Ξ 2 j Κ2 â L â Ξ nj Κn = ÎŽ j” j (11)
ïŁŽ
ïŁŽM
ïŁŽïŁłÎšn â Ξ1n Κ1 â Ξ 2 n Κ2 â L â Ξ nn Κn = 0
Lâavantage de cette Ă©criture qui introduit explicitement les coefficients techniques et quâelle
permet dâidentifier les variations relatives des outputs informationnels Κk en fonction de la
variation relative initiale ” j .
206
Si on exprime (12) sous sa forme canonique, il vient :
ïŁź âX ïŁč ïŁź âR ïŁč ïŁź R ïŁč ïŁźR ïŁč
Soit sous forme condensĂ©e : ïŁŻ ïŁș [I - Î] = ïŁŻ ïŁș ïŁŻ ïŁș avec ïŁŻ X ïŁș une matrice diagonale
ïŁ° X ïŁ» ïŁ° R ïŁ»ïŁ° X ïŁ» ïŁ° ïŁ»
ïŁź âX ïŁč ïŁź âR ïŁč ïŁź R ïŁč
âïŁŻ ïŁș =ïŁŻ ïŁș ïŁŻ ïŁș[I â Î]â1 (15)
ïŁ° X ïŁ» ïŁ° R ïŁ»ïŁ° X ïŁ»
207
En notant [Î] = [Îłij] la matrice [I â Î]-1, (15) se réécrit :
ïŁź âX 1 âX j âX n ïŁč
ïŁŻ L L ïŁș
ïŁŻïŁ° X 1 Xj X n ïŁșïŁ»
ïŁź R1 ïŁč
ïŁŻX L 0 L 0 ïŁș
ïŁźÎł L Îł1j L Îł 1n ïŁč
ïŁŻ 1 ïŁș 11
ïŁŻ M O M M M ïŁșïŁŻ M O M M M ïŁșïŁș
(16)
ïŁź âR âR j âR n ïŁč ïŁŻ Rj ïŁŻ
=ïŁŻ 1 L L ïŁș 0 L L 0 ïŁș ïŁŻ Îł i1 L Îł ij L Îł in ïŁș
ïŁ°ïŁŻ R 1 Rj R n ïŁ»ïŁș ïŁŻ Xj ïŁșïŁŻ ïŁș
ïŁŻ ïŁș M M M O M ïŁș
ïŁŻ M M M O M ïŁșïŁŻ
ïŁŻ 0 R n ïŁș ïŁŻïŁ° Îł n1 L Îł nj L Îł nn ïŁșïŁ»
L 0 L
ïŁŻïŁ° X n ïŁșïŁ»
Les coefficients Μij sont donc les Ă©lasticitĂ©s de la production du pĂŽle j par rapport Ă la variation
des ressources externes (appelées aussi inputs primaires) du pÎle i : ce sont les effets sur la
208
production relative du pĂŽle j dâune variation relative dâune unitĂ© des inputs primaires
(ressources) du pĂŽle i.
âX k âR j
= Μ jk
Xk Rj
Si lâon considĂšre par exemple lâimpact dâune variation relative des ressources
informationnelles externes du pĂŽle 3 sur la variation relative de lâoutput du pĂŽle 1, on a
âX 1 âR 3
alors = Μ 31 donc (i (G3)â1 ) = Μ 31 .
X1 R3
Lâinfluence absolue du pĂŽle j sur le pĂŽle k est donc donnĂ©e par lâĂ©lĂ©ment Μjk dans la matrice N
que lâon pourrait qualifier ainsi de matrice des influences relatives.
La linĂ©aritĂ© de notre modĂšle nous permet dâĂ©tablir Ă©galement lâimpact global dâune variation
des ressources externes dâun pĂŽle sur lâensemble des pĂŽles de la structure :
k =n
âX k k = n G âR j k=n
âX k k = n âR j
â = â (
i )
( j) â k â â = â Μ jk
k =1 X k k =1 Rj k =1 X k k =1 Rj
209
Si lâon reprend lâexemple prĂ©cĂ©dent dâune variation relative unique des ressources externes du
âR j
pĂŽle 3 ( = 0 pour j â 3), lâimpact de cette variation sur lâensemble des pĂŽles de la
Rj
structure va ĂȘtre :
k =n
âX k k = n G âR 3 k =n
âX k k = n âR 3
â = â (i ( 3) â k ) â â = â Μ 3k
k =1 X k k =1 R3 k =1 X k k =1 R3
On appelle alors multiplicateur de lâoffre (ou dâinputs) du graphe dâinfluence relative associĂ©
j= n
Ă chaque pĂŽle i la somme en ligne â Μ ij .
j=1
âR 2 âR 3 âR 4
Par exemple, dans le cas oĂč on sâintĂ©resse Ă lâimpact de , et sur la variation
R2 R3 R4
relative de la production dâinformation du pĂŽle 1 :
âX 1 4 âR j âX 1 4 âR j
X1
(
= â i G( j)â1
Rj
) â
X1
= â Μ j1
Rj
j= 2 j= 2
210
âX 1 âR 2 âR 3 âR 4
â = Μ 21 + Μ 31 + Μ 41
X1 R2 R3 R4
i=n
La somme en colonne âΜ
i =1
ij nous donne donc lâimpact total en pourcentage sur le pĂŽle j des
A ce stade de lâanalyse, une remarque fondamentale doit ĂȘtre faite en ce qui concerne le rĂŽle
respectif des coefficients de débouchés et des coefficients techniques. Alors que la méthode
input-ouptut traditionnelle associe chaque type de coefficient Ă un choix de dominance17, Ă la
suite de Lantner (1974, 1996) nous constatons que les deux Ă©critures du systĂšme dâĂ©change de
flux informationnels sont complémentaires et cohérentes dans le cadre de notre hypothÚse
initiale de dominance par lâoffre. Elles permettent simplement de distinguer deux familles
dâindicateurs relevant soit de lâinfluence absolue soit de lâinfluence relative18.
Conclusion de la section 2
Dans cette seconde section, nous avons reprĂ©sentĂ© la structure informationnelle dâune
organisation au travers dâun modĂšle Ă offre dominante, oĂč les relations entre les pĂŽles
dâactivitĂ© correspondent Ă de la transmission dâinformation. Elles sont valuĂ©es par la quantitĂ©
dâinformation (ou la valeur de lâinformation) qui transite entre les pĂŽles.
Dans le prolongement du modÚle séminal de Lantner (1974), nous avons défini le graphe
dâinfluence absolue comme Ă©tant le graphe associĂ© au systĂšme dâĂ©quations simultanĂ©es
caractĂ©risant lâeffet absolu dâune ou plusieurs variation(s)-source(s) sur lâactivitĂ© (de
transmission dâinformation) des pĂŽles de la structure. Le graphe dâinfluence absolue est donc
le graphe multi-ouvert associé au systÚme des variations absolues de flux informationnels.
Par ailleurs, nous avons dĂ©fini le graphe dâinfluence relative comme un systĂšme dâĂ©quations
simultanĂ©es caractĂ©risant lâeffet relatif dâune ou plusieurs variation(s)-source(s) sur lâactivitĂ©
informationnelle des pĂŽles. Le graphe dâinfluence relative est donc le graphe multi-ouvert
associé au systÚme des variations relatives de flux informationnels.
17
Voir notamment la présentation de la méthode au chapitre trois, dans la veine de celle de Leontief (1986).
18
Par ailleurs, si âle piĂšge de la symĂ©trieâ Ă©voquĂ© par Lantner (1996, p. 8) concerne la distinction traditionnelle
entre une analyse en demande dominante par les coefficients techniques et une analyse en offre dominante
menĂ©e par les coefficients de dĂ©bouchĂ©s, on remarque nĂ©anmoins quâexiste une certaine symĂ©trie dans le cadre
de la thĂ©orie des graphes dâinfluence. En effet, en demande dominante les coefficients techniques renvoient Ă
lâinfluence absolue et les coefficients de dĂ©bouchĂ©s Ă lâinfluence relative et en offre dominante les premiers
renvoient Ă lâinfluence relative et les seconds Ă lâinfluence absolue. Le message principal ne change pas : chaque
indicateur renvoie Ă une modalitĂ© particuliĂšre de lâinfluence et non au sens de dominance.
211
En dernier lieu, nous avons souligné que les représentations alternatives en termes de
coefficients techniques ou de coefficients de débouché ne relÚvent pas du choix du sens de
dominance (par la demande ou par lâoffre). Les deux coefficients renvoient Ă un mĂȘme rĂ©alitĂ©
(ici, la dominance par lâoffre) quâils dĂ©crivent de maniĂšre relative ou absolue.
A partir des travaux de Bott & Mayberry (1954)19, (Lantner, 1972, 1974) a montré que le
dĂ©terminant dâune structure dâĂ©changes Ă©tait fonction de la diffusion arborescente des
influences extĂ©rieures Ă travers la structure. Lâobjet de cette troisiĂšme section est dâexpliquer
comment lâinfluence se diffuse globalement Ă partir dâune dĂ©composition de la structure en un
ensemble de sous-structures. En effet, lâinfluence globale qui transite Ă travers la structure
organisationnelle correspond Ă la somme des influences (partielles) qui circulent Ă lâintĂ©rieur
de ses sous-structures. La décomposition structurale est une maniÚre intuitive de calculer le
dĂ©terminant de la structure dâĂ©changes qui peut ainsi ĂȘtre interprĂ©tĂ© comme un indicateur de la
diffusion arborescente de lâinfluence Ă travers cette structure.
A partir du théorÚme de Bott et Mayberry (1954), Lantner (1972, 1974) a montré que le
dĂ©terminant associĂ© Ă une structure dâĂ©changes Ă©tait une fonction de la valeur des graphes
partiels hamiltoniens du graphe représentatif de cette structure.
On appelle Graphe Partiel Hamiltonien (GPH) tout ensemble de « boucles et circuits disjoints
tel que chaque sommet du graphe dâinfluence appartienne Ă une boucle ou un circuit
(nécessairement unique) »20. Dans une structure à n pÎles21, un GPH est ainsi un ensemble de
19
Voir annexe 6 pour une présentation du théorÚme de Bott & Mayberry.
20
Lantner (1974, p. 97).
21
Lequeux (2002, chapitre 8, p. 355) Ă©tablit un thĂ©orĂšme Ă©nonçant que le nombre de GPH dâun graphe complet
et orienté à n pÎles est égal à n !
212
circuits de longueur l â [1, n], tel que chaque sommet du graphe appartient Ă un et un seul de
ces circuits.
Dans la mesure oĂč les sommets dâun GPH ne peuvent appartenir quâĂ un seul circuit22, chaque
GPH est nĂ©cessairement constituĂ© de n arcs ou boucles. Câest une propriĂ©tĂ© intĂ©ressante dans
la mesure oĂč cela signifie que lâon peut associer Ă chacun des GPH deux permutations23 : la
premiĂšre est composĂ©e de lâindice des sommets du graphe rangĂ©s dans lâordre des entiers
naturels (ce sont les sommets-origines des arcs du GPH), la seconde composée des sommets-
destinations des arcs du GPH correspond Ă une substitution sur la premiĂšre permutation.
5 4
22
De longueur minimale Ă©gale Ă 1 â une boucle â et de longueur maximale Ă©gale Ă n.
23
Pour la clarté du développement qui va suivre, rappelons les définitions suivantes (Lantner, 1974, p. 76) :
- une permutation : sachant n éléments distincts, une permutation est un ensemble rangé de ces n
éléments ;
- une inversion : Ă©tant donnĂ©e une permutation des n premiers entiers naturels, on dit quâun Ă©lĂ©ment i de
la permutation présente une inversion avec un élément j de la permutation si j suit i alors que i est
supérieur à i ;
- une substitution sur une permutation de n Ă©lĂ©ments : toute application bi-univoque dâune permutation
donnĂ©e sur une autre permutation des mĂȘmes Ă©lĂ©ments.
24
Lequeux (2002) prĂ©sente en annexe 7 un programme de calcul et dâĂ©valuation des GPH Ă partir de cette
méthode.
213
3.1.2/ Calcul du dĂ©terminant dâune matrice
Par dĂ©finition, le dĂ©terminant dâune matrice carrĂ©e dâordre n est Ă©gal Ă la somme (signĂ©e) des
produits de n éléments de la matrice par le cofacteur associé à chacun de ces éléments25. Le
dĂ©terminant dâune matrice [D] dâordre n dont les Ă©lĂ©ments sont notĂ©s dij, est Ă©gal Ă :
n
det [D] = â (â1) i + j d ij A ij (19)
j=1
avec i lâindice des lignes, j lâindice des colonnes et Aij le cofacteur associĂ© Ă aij.
Comme le cofacteur Aij est lui-mĂȘme un dĂ©terminant, il est Ă©gal Ă la somme des produits des
(n â 1) Ă©lĂ©ments restant de la matrice par le cofacteur respectivement associĂ© Ă chaque
Ă©lĂ©ment. Le dĂ©terminant dâune matrice carrĂ©e dâordre n est ainsi dĂ©fini par la somme des
produits de n éléments de la matrice, chacun de ces éléments étant extrait de lignes et de
colonnes différentes par rapport aux autres. Cette définition suggÚre une autre lecture du
dĂ©terminant qui va faire le lien avec la notion de GPH : « le dĂ©terminant â est obtenu en
calculant la somme de tous les produits de n éléments de la matrice [D] extraits de lignes et de
colonnes diffĂ©rentes. On affecte ces produits du signe (-1)I, I Ă©tant le nombre dâinversions
présentées par la permutation des indices j des colonnes, les facteurs du produit étant placés
suivant les indices i des lignes dans lâordre naturel ».26
d 11 d 12 L d 1n
d 21 d 22 L d 2n
Le dĂ©terminant â de la matrice [D] : â =
M O L M
d n1 d n2 L d nn
La sommation sâĂ©tend à « toutes les permutations des n premiers entiers naturels », I Ă©tant le
nombre dâinversions correspondant Ă la permutation {α, ÎČ, ⊠, Μ}.
Dans la mesure oĂč toute permutation des n premiers entiers naturels dĂ©finit de maniĂšre
biunivoque un graphe partiel hamiltonien, le dĂ©terminant dâune structure dâĂ©changes est donc
fonction de la valeur des GPH associés à cette structure.
25
Le cofacteur associĂ© Ă chaque Ă©lĂ©ment est le dĂ©terminant de la matrice privĂ©e de lâĂ©lĂ©ment en question.
26
Lantner (1974, p. 97).
214
3.2/ Le théorÚme des boucles et des circuits
Ce thĂ©orĂšme permet dâĂ©tablir une nouvelle maniĂšre de calculer le dĂ©terminant dâune structure
et peut sâĂ©noncer comme suit27 :
Si on appelle bh le nombre de boucles et ch le nombre de circuits contenus dans le hiĂšme graphe
partiel hamiltonien associĂ© Ă la structure dâĂ©changes, et si Î h est le produit des gains de ces
boucles et de ces circuits, alors le dĂ©terminant de la structure dâĂ©changes est donnĂ© par :
D = â (â1b h + c h ) Î h (20)
h
Comme le graphe associé à cette matrice est complet et orienté, il existe 3! = 6 graphes
partiels hamiltoniens associés à la structure correspondante. Ils sont représentés ci-dessous et
sur la page suivante.
d12
1 2 1 2
d11 d22 1 2
d11 d22
d 21
d32
d23
3 3
d33
3 d33
27
Pour la démonstration du théorÚme, le lecteur se reportera à Lantner (1998, 1999).
215
d 12
1 2 1 2 1 2
d 22
d 21
d 13 d32 d 13
d 31 d 23 d 31
3 3 3
ïŁ«1, 2, 3 ïŁ¶ ïŁ« 1, 2, 3 ïŁ¶ ïŁ«1, 2, 3 ïŁ¶
S 4 = ïŁŹïŁŹ ïŁ·ïŁ· S 5 = ïŁŹïŁŹ ïŁ·ïŁ· S 6 = ïŁŹïŁŹ ïŁ·ïŁ·
ïŁ 2, 3, 1ïŁž ïŁ 3, 1, 2 ïŁž ïŁ 3, 2, 1 ïŁž
â = (â1) I âd 1α .d 2ÎČ L d nΜ
â â = (â1) 0 d11d 22d 33 + (â1)1 d11d 23d 32 + (â1)1 d12d 21d 33 + (â1) 2 d12d 23d 31 + (â1) 2 d13d 32d 21 + (â1) 3 d13d 31d 22
D = â (â1b h + c h ) Î h
h
â D = (â1) 3 d11d 22d 33 + (â1) 2 d11d 23d 32 + (â1) 2 d12d 21d 33 + (â1)1 d12d 23d 31 + (â1)1 d13d 32d 21 + (â1) 2 d13d 31d 22
Dans tous les cas de figure, les termes du dĂ©veloppement des dĂ©terminants â et D sont Ă©gaux
en valeur absolue. Par ailleurs, ils sont de mĂȘme signe dans le cas oĂč le nombre de pĂŽles est
pair, ils sont de signe opposĂ© lorsque n est impair. La rĂšgle de correspondance entre â et D
est donc la suivante :
On peut réécrire le dĂ©terminant â sous une forme plus simple en remarquant que chaque GPH
est par définition composé de n sommets, c'est-à -dire n arcs et boucles. Soit b le nombre de
boucles et a le nombre dâarcs dans un GPH, on aura nĂ©cessairement a = n â b.
DÚs lors, le produit des boucles et des circuits associé à chaque GPH, noté Πh, comporte bh
termes positifs et (n â bh) termes nĂ©gatifs qui vont dĂ©terminer son signe:
Î h = (â1) n â b h Vh (22)
216
avec Vh la valeur arithmétique (en valeur absolue) du produit des gains des boucles et des
circuits. En reportant (22) dans (21) il vient :
â = (â1) n â (â1)
h
bh +ch
(â1) n â b h Vh = (â1) n â (â1)
h
n +ch
Vh = (â1) 2 n â (â1)
h
ch
Vh
â â = â (â1) c h Vh (23)
h
Conclusion de la section 3
28
A partir du programme initial de recherche des GPH dans une structure n-polaire établi avec F. Lequeux
(lâalgorithme lĂ©gĂšrement modifiĂ© est reproduit dans Lequeux, 2002, annexe 7), nous avons pu vĂ©rifier que le
thĂ©orĂšme des boucles et des circuits (Ă©quation 20) est dâune portĂ©e plus gĂ©nĂ©rale que les seules matrices input-
output.
217
en premier lieu de la structure dans son ensemble, ensuite des sous-unités qui la composent
aux chocs exogĂšnes auxquelles elle (s) est (sont) soumise (s) ?
Cette question est fortement liĂ©e au degrĂ© de permĂ©abilitĂ© dâune organisation aux influences
extérieures portées par les flux informationnels.
Le cas Ă©chĂ©ant, il faut sâintĂ©resser Ă la maniĂšre dont les chocs informationnels exogĂšnes se
transmettent Ă lâintĂ©rieur de la structure. Sont-ils amortis par lâensemble des pĂŽles ou
seulement par certains? Quel est le degrĂ© dâabsorption respectif des pĂŽles ?
En suivant Lantner (1974), nous allons étudier dans cette section les caractéristiques de la
structure au moyen dâune analyse quantitative qui articule lâinterprĂ©tation Ă©conomique du
dĂ©terminant donnĂ©e par la thĂ©orie des graphes dâinfluence et la structure des Ă©changes
informationnels. Cette analyse est menée sur la base de deux hypothÚses relatives à la
structure informationnelle:
â les relations entre la structure et son environnement sont supposĂ©es fixĂ©es : pour
chaque pĂŽle j, la proportion ÎŽj de ressources informationnelles importĂ©es de lâextĂ©rieur de la
structure est donnée.
â les relations intra-structure sont supposĂ©es variables, c'est-Ă -dire que les termes du
dĂ©terminant â sont considĂ©rĂ©s comme des variables. Le dĂ©terminant est donc Ă©tudiĂ© comme
une fonction de ses termes, ou de lâarrangement interne de la structure.
1 â Ξ11 K â Ξ1 j K â Ξ1n
M O
â = â Ξ i1 K 1 â Ξ ij K â Ξ in
M O
â Ξ n1 K â Ξ nj K 1 â Ξ nn
218
4.1.1/ ThĂ©orĂšme de lâinduction produit
La somme des termes de la jiÚme colonne est égale à Ύj (la part de ressources du pÎle j fournie
par lâextĂ©rieur de la structure). En effet, Ă partir du systĂšme (1), on a :
ïŁ± R 1 = X 1 â x 11 â x 21 â L â x n1
ïŁŽ
ïŁŽ M
ïŁŽïŁŽ R = X â x â x â L â x
ïŁČ j j 1j 2j nj (24)
ïŁŽ M
ïŁŽ
ïŁŽ R n = X n â x 1n â x 2 n â L â x nn
ïŁŽïŁł
ïŁ± R 1 = X 1 â Ξ11 X 1 â Ξ 21 X 1 â L â Ξ n1 X 1
ïŁŽ
ïŁŽ M
ïŁŽïŁŽ R = X â Ξ X â Ξ X â L â Ξ X
ïŁČ j j 1j j 2j j nj j (25)
ïŁŽ M
ïŁŽ
ïŁŽ R n = X n â Ξ1n X n â Ξ 2 n X n â L â Ξ nn X n
ïŁŽïŁł
Rj
En posant ÎŽ j = , il vient
Xj
ïŁ± ÎŽ1 = (1 â Ξ11 ) â Ξ 21 â L â Ξ n1
ïŁŽ
ïŁŽ M
ïŁŽ ÎŽ = â Ξ â Ξ â L + (1 â Ξ ) â L â Ξ
ïŁČ j 1j 2j jj nj (26)
ïŁŽ M
ïŁŽ
ïŁŽ ÎŽ n = â Ξ1n â Ξ 2 n â L + (1 â Ξ nn )
ïŁł
La somme des termes de chaque colonne de la matrice [I â Î] est donc Ă©gale Ă la proportion
de ressources importĂ©es de lâextĂ©rieur, ce qui assure que lâensemble des informations externes
a été utilisé.
DâaprĂšs Lantner (1974), lâinduction de lâoffre transmise Ă un pĂŽle j peut ĂȘtre mesurĂ©e par la
proportion de ressources que ce pÎle a importée dans la structure ; Ύj est donc un bon
219
indicateur de lâinduction de lâoffre transmise au pĂŽle j, et on appelle « induction-produit » la
n
quantitĂ© : âÎŽ
j=1
j .
Il suffit quâau moins un des ÎŽj soit nul pour que le dĂ©terminant soit Ă©galement nul. La
correspondance Ă©conomique de cette propriĂ©tĂ© mathĂ©matique est alors quâune condition
suffisante de nullitĂ© de la transmission dâinformation externe dans la structure est quâau moins
un pĂŽle de la structure soit Ă lâabri de toute influence extĂ©rieure en termes dâinformation.
En extrapolant, on pressent que le dĂ©terminant â prendra donc sa valeur minimale dans le cas
dâune autarcie intĂ©grale des pĂŽles vis-Ă -vis de la structure. En effet, les structures autarciques
sont caractĂ©risĂ©es par lâabsence de toute liaison entre les pĂŽles sources de perturbation.
Lorsque les pÎles sont isolés, les perturbations se limitent alors aux pÎles concernés par
lâimportation de ressources. Il nây a donc pas de diffusion des perturbations au sein de la
structure, qui reste imperméable aux influences extérieures.
De maniĂšre gĂ©nĂ©rale, le graphe dâinfluence dâune structure autarcique n-polaire est donnĂ© par
le systĂšme dâĂ©quations suivant :
29
LâĂ©noncĂ© du thĂ©orĂšme et sa dĂ©monstration sont dans Lantner (1974, p. 85-88) ainsi quâun exemple.
220
Graphe n°6
1 2 j n
(1-Ξ11) (1-Ξ22) (1-Ξjj) (1-Ξnn)
R1 R2 Rj Rn
Lantner (1972, 1974) explique les lois de la diffusion globale des perturbations dans la
structure en prenant lâexemple dâun voyageur. La structure est assimilĂ©e Ă un rĂ©seau de
transport et lâinfluence dâune perturbation extĂ©rieure Ă un voyageur pressĂ©, dont le point de
dĂ©part serait le pĂŽle dâoffre dâinformations extĂ©rieures Ri. Le cheminement de lâinfluence est
associé au parcours effectué par le voyageur dans le réseau de transport. Les probabilités de
passage dâune station Ă une autre sont donnĂ©es par les coefficients Ξij qui valuent les arcs. La
diffusion globale dans la structure est donc élevée si le voyageur atteint rapidement le plus
grand nombre de stations, c'est-Ă -dire si lâoffre dâinformations extĂ©rieures se propage
rapidement et fortement dans lâensemble de la structure. Dans le cas trivial dâune structure
autarcique, la diffusion est minimale puisque le voyageur qui sâengage sur le chemin (Ri, i)
nâa comme seule destination possible que la station i.
221
Dans le cas dâune structure non autarcique, une question dâordre plus gĂ©nĂ©rale concerne
lâeffet des circularitĂ©s sur le cheminement de lâinfluence Ă travers la structure.
Parmi les GPH contenant le circuit Ci, effectuer la somme D = â ( â1) b h + c h Î h (Ă©quation 20)
h
revient Ă :
â calculer le gain du circuit Ci. Puisque le circuit Ci contient ki arcs valuĂ©s
k
nĂ©gativement, ce gain sera du signe de (â1) i ,
â Ă lâaffecter du signe (â1)1 , relatif Ă lâexistence du circuit Ci que lâon va associer aux
GPH constituĂ©s des (n â ki) pĂŽles restants ;
30
Un circuit non hamiltonien est un circuit qui ne passe pas par lâensemble des sommets du graphe associĂ© Ă la
structure.
31
Pour la démonstration du théorÚme et une application, cf. Lantner (1974, p. 102-105).
32
Ce sont les arcs que lâon appelle « incidents au pĂŽle i ».
222
â Ă multiplier la valeur algĂ©brique de ce gain par â (â1)
m
bm +c m
Î m , oĂč Î m est le
produit des gains des boucles et des circuits du miĂšme GPH du graphe constituĂ© des (n â ki)
pĂŽles restants.
â i , n â k i = (â1) n â k i â (â1
m
bm +cm
) Î m
( â1) n ( â1) b +1 = â 1 puisque (2n + 1) est de signe impair. Le thĂ©orĂšme est Ă©galement valide
pour les circuits hamiltoniens.
Si lâon considĂšre quâune boucle nâest jamais autre chose quâun circuit de type particulier
constituĂ© dâun seul pĂŽle et dâun seul arc, tout effet de bouclage dĂ» aux autarcies polaires
devrait Ă©galement diminuer la valeur du dĂ©terminant et perturber la diffusion de lâinfluence
directe dans la structure. La démonstration de cette intuition est donnée par le théorÚme de
bouclage dĂ» aux autarcies polaires qui sâĂ©nonce comme suit :
« Le dĂ©terminant â dâune structure dâĂ©changes Ă©conomiques est une fonction dĂ©croissante de
lâautarcie des pĂŽles »34.
33
Lantner (1972, p. 235).
34
Lantner (1974, p. 106). Pour la démonstration du théorÚme, le lecteur pourra se reporter à Lantner (1974,
pp. 105-108).
223
Comme illustration de ce thĂ©orĂšme, on va considĂ©rer une structure dâĂ©change
bipolaire associé au graphe suivant :
Graphe n°7
-Ξ12
1 2
ÎČ11 ÎČ22
-Ξ21
-ÎŽ1 -ÎŽ2
R1 R2
ÎČ11 â Ξ12
â= â â = ÎČ11ÎČ22 â Ξ21Ξ12
â Ξ 21 ÎČ 22
ÎČ11 â Δ â Ξ12
ââ =
â Ξ 21 + Δ ÎČ 22
â ââ = (ÎČ11âΔ)ÎČ22 â (Ξ21+Δ)Ξ12
â ââ = ÎČ11ÎČ22 â ΔÎČ22 â Ξ21Ξ12 â ΔΞ12 = â â Δ(ÎČ22 + Ξ12)
Toute autarcie polaire vient donc diminuer la valeur du déterminant associé à la structure.
ConformĂ©ment Ă lâintuition, les boucles entravent la diffusion de lâinfluence Ă travers la
structure Ă lâinstar des circularitĂ©s partielles.
224
4.2.3/ Diffusion de lâinfluence dans une sous-structure
Lâidentification du rĂŽle des circularitĂ©s partielles et des boucles dans la diffusion globale de
lâinfluence Ă travers une structure nous amĂšne Ă nous interroger sur les modifications de la
qualitĂ© de la diffusion (mesurĂ©e par le dĂ©terminant) au fur et Ă mesure que lâon change de
niveau de dĂ©composition structurale. Ici encore, lâidĂ©e intuitive selon laquelle la diffusion de
lâinfluence (de lâinformation) serait plus grande dans une partie de la structure (sous-
structure) que dans la structure toute entiÚre35 est validée par un théorÚme, appelé « théorÚme
dâamortissement cumulatif » qui sâĂ©nonce comme suit :
Ce thĂ©orĂšme est un des rĂ©sultats fondamentaux de la thĂ©orie des graphes dâinfluence parce
quâil Ă©nonce quâen admettant le dĂ©terminant comme un indicateur de la diffusion globale de
lâinfluence dans une structure, toute agrĂ©gation de pĂŽle supplĂ©mentaire Ă la structure initiale
35
Pour reprendre la mĂ©taphore du voyageur, selon Lantner (1972, p. 236) : « lâaddition de nouveaux pĂŽles
devrait aboutir Ă un amortissement cumulatif de lâinfluence initiale dont la diffusion serait entravĂ©e par des
blocages supplĂ©mentaires : en dâautres termes, la tĂąche de notre voyageur, vecteur dâinfluence ayant pour
mission dâatteindre toutes les stations, ne saurait ĂȘtre simplifiĂ©e par la multiplication de ces derniĂšres ».
36
Lantner (1974, p. 109).
225
aura potentiellement pour effet dâentraver la diffusion de lâinfluence Ă travers cette structure.
Compte tenu de ce qui a Ă©tĂ© dit plus haut, ceci nâest valable que si lâadjonction dâun pĂŽle
sâaccompagne de boucles et/ou circularitĂ©s partielles supplĂ©mentaires.
â ce nouveau pĂŽle nâest pas autoconsommateur (Ξ11 = 0), ce qui se traduit par
lâabsence de boucle ;
â ce pĂŽle nâajoute aucune circularitĂ© Ă celles dĂ©jĂ existantes, c'est-Ă -dire si
n
â âΞ
j= 2
1j A 1 j = 0 â Ξ1j = 0 ou A1j = 0.
Contrairement aux circularités partielles qui correspondent à des circuits non hamiltoniens, les
circularitĂ©s globales concernent des circuits transitant par lâintĂ©gralitĂ© des pĂŽles de la
structure. Comme les premiĂšres, elles « parasitent » la diffusion de lâinfluence dans la
structure mais la perturbation quâelles introduisent est de nature diffĂ©rente : alors que les
circularitĂ©s partielles bloquent le cheminement de lâinfluence au sein de la structure, les
circularités globales génÚrent des courts-circuits qui vont diminuer également la valeur du
déterminant.
37
Lantner (1974, p. 115).
226
Graphe n°8
-Ξ12 -Ξ23
3
1
-Ξi1
ki
La valeur absolue du produit des coefficients valuant les arcs du circuit est donnée par :
C i = K Ξ12 Ξ 23
Sur la situation reprĂ©sentĂ©e par le graphe n°8, le pĂŽle 1 nâest fournisseur indirect du pĂŽle 3
que par lâintermĂ©diaire du pĂŽle 2. Supposons que le pĂŽle 1 devienne fournisseur direct du pĂŽle
3. Cette nouvelle relation entre 1 et 3 va faire office de court circuit au détriment du pÎle 2 et
on obtient un nouveau graphe :
227
Graphe n°9
1 3
-Ξ13
ki
Celle du circuit court Cj, de longueur (ki â 1), est donnĂ©e par :
âyâ = â K Ξ13 â j,( n â k i +1)
Une fois que lâon a identifiĂ© le rĂŽle nĂ©gatif (mesurĂ© par la baisse du dĂ©terminant) des
circularitĂ©s globales dans la diffusion de lâinfluence, une autre question concerne la
magnitude des effets respectifs des circularités globales et partielles
A ce sujet, le corollaire du théorÚme du court-circuit énonce alors que « les circularités
partielles entravent plus la diffusion directe que les circularités globales »38.
Cela nous permet de distinguer plusieurs niveaux de performance en termes de diffusion en
fonction de la nature des circularités de chaque sous-structure identifiée par une
dĂ©composition structurale. Sâil existe plusieurs qualitĂ©s de diffusion en fonction des
38
Lantner (1974, p. 117).
228
configurations, on est en droit de se demander quelle est la configuration correspondant au
déterminant maximum c'est-à -dire à la diffusion maximale dans la structure
Afin dâillustrer ce point, soit une structure n-polaire rĂ©duite Ă un circuit hamiltonien unique,
sans autarcies polaires (dont on sait quâelles diminuent la diffusion), reprĂ©sentĂ© par la figure
suivante :
Graphe n°10
R2
-ÎŽ2
2
-(1-ÎŽ2) -(1-ÎŽ3)
1 3
R1 -ÎŽ1 -ÎŽ3 R3
-(1-ÎŽ1)
n
-ÎŽn
Rn
Dans cette configuration, chaque pÎle j est approvisionné par deux sources distinctes39 :
- le pĂŽle qui le prĂ©cĂšde (son antĂ©cĂ©dent) en proportion Ξij (Ξij = 0 pour tout j â i+1)
- lâextĂ©rieur en proportion ÎŽj de son output final
Par exemple, la proportion des ressources que le pĂŽle 3 reçoit du pĂŽle 2 est : Ξ23 = (1 â ÎŽ3).
39
Ainsi, la production Xj de chaque pĂŽle (dominance par lâoffre, on raisonne en colonnes) est dĂ©finie par :
Xj = xij + Rj, avec xij = 0 pour tout i â j - 1. Si on veut faire apparaĂźtre les coefficients techniques, il suffit de
diviser lâexpression par Xj et il vient : 1 = Ξij + ÎŽj â Ξij = 1 - ÎŽj.
229
Appelons â* le dĂ©terminant de cette structure40 :
1 â (1 â ÎŽ 2 ) 0 L 0
0 1 â (1 â ÎŽ 3 ) L 0
â*= 0 0 1 â (1 â ÎŽ j ) 0
M M M O M
â (1 â ÎŽ1 ) 0 L L 1
A partir de la situation décrite par le graphe de la page précédente, introduisons une réduction
infinitésimale Δ i ,i +1 de la part des approvisionnements du pÎle i au pÎle i+1. Dans la mesure
oĂč, par hypothĂšse, la proportion de ressources importĂ©e de lâextĂ©rieur de la structure (ÎŽi) est
supposĂ©e constante, cette rĂ©duction des approvisionnements se fait au bĂ©nĂ©fice dâun ou
plusieurs autres pĂŽles de la structure41. Les valeurs Δ ij vĂ©rifient donc lâĂ©quation :
n
âΔ
j=1
ij = Δ i ,i +1
j â i +1
40
Le raisonnement aboutissant Ă cette matrice est donnĂ© dans lâannexe 7. En bref, on part de lâexpression du
systĂšme en termes de coefficients techniques (dans le cadre de la dominance par lâoffre, cela correspond au
graphe dâinfluence relative).
41
La propriĂ©tĂ© de base est dĂ©finie par lâĂ©quation suivante : 1 = Ξij + ÎŽj. Une variation de Ξij ne peut pas ĂȘtre
compensĂ©e par les autres termes, ce qui signifie quâil va falloir crĂ©er des arcs supplĂ©mentaires Ă celui existant
initialement entre un pÎle et son antécédent.
230
Cette analyse du dĂ©terminant Ă©tablit le dĂ©terminant dâune structure circulaire comme un
majorant des autres dĂ©terminants que lâon peut ĂȘtre amenĂ© Ă calculer. Lâexemple dâune
structure circulaire bipolaire ci-dessous est une autre illustration plus concrĂšte :
Graphe n°11
- 0,4
1 2
0,8 0,9
- 0,3
-0,5 - 0,5
R1 R2
' 1 â0,5
â= = 0,75
â 0, 5 1
2
La valeur â* = 1 â â (1 â ÎŽ j ) = 1 â (1 â 0,5) (1 â 0,5) = 0,75 est donc bien le dĂ©terminant
j=1
42
Rappel : Ύ1 = 1 - Ξ11 - Ξ21 et Ύ2 = 1 - Ξ12 - Ξ22.
43
Cela ne peut se faire que si chacun des pĂŽles augmente ses fournitures Ă lâautre du montant respectif de
lâautofourniture initiale afin de conserver les Ă©galitĂ©s comptables dĂ©crites par les Ă©quations dâĂ©change.
44
Nous rappelons que le dĂ©terminant minimum est obtenu dans la cas dâautarcie intĂ©grale des pĂŽles (cf. le
paragraphe 4.1.1/ concernant le thĂ©orĂšme de lâinduction produit) c'est-Ă -dire pour ÎŽ1 = 1 - Ξ11 et ÎŽ2 = 1 - Ξ22.
Dans notre exemple, il serait Ă©gal Ă âmin = 0,25.
231
Lâanalyse des deux grands types de circularitĂ© conduit finalement Ă deux grands types de
rĂ©sultats. Tout dâabord, la circularitĂ© dans une structure amortit la diffusion de lâinfluence
entre les pĂŽles de cette structure, et ceci quelle que soit sa nature. Du point de vue de lâanalyse
structurale, on a ainsi étudié comment la circularité entre en compte négativement dans le
développement du déterminant.
Ensuite, au-delĂ de cette propriĂ©tĂ© gĂ©nĂ©rale, il demeure primordial dâopĂ©rer une distinction
claire entre les circularitĂ©s partielles et les circularitĂ©s globales parce quâelles se diffĂ©rencient
par le degré auquel elles affectent respectivement le déterminant. En effet, les circularités
globales correspondent Ă des courts-circuits dans la transmission de lâinfluence, et Ă ce titre
elles la perturbent, mais leur effet est moins pénalisant que celui des effets de bouclage
gĂ©nĂ©rĂ©s par les circularitĂ©s partielles. Leur diffĂ©rence de nature sâexprime finalement assez
bien dans lâopposition entre les deux cas extrĂȘmes45 de configuration structurale que sont
dâune part la structure circulaire au sens strict, correspondant au dĂ©terminant maximum que
lâon peut obtenir, et la structure autarcique Ă laquelle correspond le dĂ©terminant minimum.
Nous allons pour terminer cette section nous intéresser à une derniÚre famille de structure qui
définit un agencement particulier des relations entre pÎles : les structures triangulaires.
Une structure triangulaire est définie par un agencement des relations entre les pÎles dans
lequel tous les flux circulent dans le mĂȘme sens vers un pĂŽle unique. La consĂ©quence
remarquable de cette caractĂ©ristique est lâabsence de circuit. Lâorientation univoque des flux
entre les pÎles détermine un ordre immuable de transmission des chocs externes. Ainsi, une
perturbation au pĂŽle i se transmettra aux pĂŽles de rang supĂ©rieur (dans lâordre des entiers
naturels) mais nâaffectera jamais les pĂŽles de rang infĂ©rieur. Compte tenu des dĂ©veloppements
prĂ©cĂ©dents concernant le rĂŽle des circularitĂ©s dans la transmission de lâinfluence, on pourrait
sâattendre Ă ce que la performance des structures triangulaires dans la transmission de
lâinfluence soit excellente (voire maximale). Lâanalyse du dĂ©terminant associĂ© Ă la structure
triangulaire va nous permettre de préciser à quelle condition cette intuition est vérifiée.
45
Si le critÚre discriminant est la valeur du déterminant.
232
Par dĂ©finition, dans une structure triangulaire, tous les arcs sont orientĂ©s dans le mĂȘme sens et
vers un pĂŽle destination unique. Le graphe dâune structure triangulaire n-polaire est donc de
la forme suivante :
Graphe n°12
-Ξ1n
-Ξ1j -Ξ2n
R1 R2 Rj Rn
233
On retrouve ici une propriété générale des matrice triangulaires, à savoir leur déterminant est
défini par le produit des termes diagonaux. Compte tenu de la forme des matrices associées
aux systĂšmes input-output, on sait que la valeur du dĂ©terminant dâune structure triangulaire va
ĂȘtre comprise entre zĂ©ro (autarcie stricte pour au moins un pĂŽle) et lâunitĂ© (cas dâabsence
dâautarcie pour tous les pĂŽles: Ξjj = 0 âj)46.
Ainsi, la diffusion de lâinfluence dans les structures triangulaires va ĂȘtre maximale
lorsquâelles nâexhibent aucune autarcie polaire. Cette propriĂ©tĂ© est cependant limitĂ©e au cas
oĂč câest le pĂŽle 1 qui reçoit la perturbation extĂ©rieure. A cause du sens univoque des flux
entre les pĂŽles de la structure, plus le pĂŽle qui subit le choc externe est proche du pĂŽle
terminal (n), moins la diffusion de ce choc dans la structure va ĂȘtre satisfaisante. Ainsi,
contrairement Ă lâintuititon, les structures triangulaires nâassurent pas systĂ©matiquement la
meilleure diffusion de lâinfluence.
Conclusion de la section 4
Dans cette section, nous avons présenté et identifié les mécanismes (mécaniques) par lesquels
les circularitĂ©s amortissent le degrĂ© de diffusion de lâinfluence au sein des structures. Cette
analyse nous a permis de mettre en évidence les effets différenciés des circularités selon
quâelles sont globales ou partielles.
Finalement, les diverses dĂ©compositions structurales qui ont Ă©tĂ© menĂ©es aboutissent Ă
lâidentification de trois familles de structures qui se distinguent par leur degrĂ© de performance
en termes de diffusion. Tout dâabord, dans les structures parfaitement autarciques, lâimpact
des chocs exogÚnes est confiné au seul pÎle importateur, ce qui confÚre à ce type de structure
une imperméabilité totale de chacun des pÎles aux perturbations subies par les autres. La
transmission de lâinformation sâamĂ©liore au fur et Ă mesure que les effets de bouclage
associĂ©s aux circularitĂ©s partielles sâattĂ©nuent. Ensuite, dans les structures parfaitement
circulaires (le cas du circuit hamiltonien unique), les influences extérieures se diffusent
relativement mieux que dans dâautres configurations malgrĂ© lâamortissement produit par le
jeu des circularités. Enfin, dans les structures triangulaires, les effets potentiellement positifs
46
En remarquant que le pĂŽle 1 est approvisionnĂ© exclusivement par lâextĂ©rieur de la structure et par lui-mĂȘme, ÎŽ1
n
= (1 â Ξ11). Le dĂ©terminant se réécrit donc â = ÎŽ1 â Ξ jj , ce qui pose problĂšme selon Lantner (1974, p. 119)
j= 2
pour en faire un majorant de tous les déterminants possibles.
234
liĂ©s Ă lâabsence de circularitĂ© ne compensent pas les effets nĂ©gatifs liĂ©s Ă lâorientation
univoque des flux lorsque les chocs externes concernent dâautres pĂŽle que le premier. Câest en
effet dans le seul cas oĂč les chocs concernent le premier pĂŽle que la diffusion de lâinfluence Ă
travers la structure est maximum.
xjk
j k
47
Nous rappelons ici lâhypothĂšse de proportionnalitĂ© des outputs aux inputs dans le cadre dâune analyse input-
output avec dominance par lâoffre.
235
x jk
âx jk = âX j = α jk âX j (28)
Xj
avec αjk le coefficient de débouché (la part représentée par les fournitures à k en proportion
de la production de j.
Lâaugmentation âxjk des fournitures de j correspond de maniĂšre symĂ©trique Ă une
augmentation des ressources productives de k notĂ©e âXk. On a donc :
âX k = âx jk = α jk âX j (29)
pĂŽles j k E X
j 0 âxjk 0 âXj
k 0 0 âEk âXk
R âRj 0
X âXj âXk
j k
Si on sâintĂ©resse non plus aux variations absolues de Xk gĂ©nĂ©rĂ©es par les variations de Xj mais
aux variations relatives âXk/Xk induites par âXj/Xj, en partant de lâĂ©quation (29) il vient :
âX j âX k x jk âX j
âX k = α jk âX j = x jk â =
Xj Xk Xk X j
48
On suppose ici implicitement que la relation est univoque, Ă savoir xkj = 0.
49
Nous rappelons que dans une approche en demande dominante, ce serait le coefficient technique.
236
âX k âX j
â = Ξ jk (30)
Xk Xj
Le coefficient technique mesure lâinfluence relative50 portĂ©e par lâarc (j,k) et le graphe
dâinfluence relative est :
- Ξjk
j k
pĂŽles j k l n E X
j 0 âxjk 0 0 0 âXj
k 0 0 âxkl 0 0 âXk
l 0 0 0 âxln 0 âXl
n 0 0 0 0 âEn âXn
R âRj 0 0 0
X âXj âXk âXl âXn
Lâeffet final sur le pĂŽle n va ĂȘtre une combinaison des effets successifs :
âX n = âx jk âx kl âx ln âX j = α jk α kl α ln âX j
50
Dans une approche en demande dominante, ce serait le coefficient de débouchés.
237
Dans le cas gĂ©nĂ©ral, lâinfluence absolue directe transmise directement par un chemin
(j, k, âŠ,n, z) du pĂŽle j au pĂŽle z est mesurĂ©e par le produit des valeurs absolues des
coefficients de dĂ©bouchĂ©s qui valuent les arcs du chemin dans le graphe dâinfluence absolue51
représenté ci-dessous :
Graphe n°13
- αjk - αnz
j k n z
Dans la structure de notre exemple, si lâon souhaite exprimer lâeffet du choc initial en termes
de variations relatives, une transformation analogue à celle menée dans le cas du cas binaire
conduit Ă lâexpression suivante :
âX n âX j
= Ξ jk Ξ kl Ξ ln
Xn Xj
Dans le cas gĂ©nĂ©ral, lâinfluence relative transmise directement par un chemin (j, k, âŠ, n, z) du
pÎle j au pÎle z est mesurée par le produit des valeurs absolues des coefficients techniques qui
valuent les arcs du chemin dans le graphe dâinfluence relative52 reprĂ©sentĂ© ci-dessous :
Graphe n°14
- Ξjk - Ξnz
j k n z
51
Lantner (1974, p. 135).
52
Lantner (1974, p. 135).
238
5.3/ Effets de circuit et amplification de lâinfluence
La question qui nous prĂ©occupe ici est celle de lâeffet des circularitĂ©s sur lâinfluence directe
dâun pĂŽle subissant une perturbation.
Pour illustrer lâanalyse du rĂŽle des circularitĂ©s, considĂ©rons une structure Ă 6 pĂŽles et le
graphe dâinfluence absolue qui lui est associĂ© :
Graphe n°15
1 2 3 4 5
- α62 - α46
Dans ce graphe dâinfluence absolue, lâinfluence directe portĂ©e par le chemin C = (1, 2, 3, 4, 5)
est égale à :
i CD = α 12 α 23 α 34 α 45
Elle nâest pas Ă©gale Ă lâinfluence totale portĂ©e par le chemin dans la mesure oĂč lâinfluence
reçue par le pĂŽle 4 est en partie redirigĂ©e dâabord vers le pĂŽle 6, ensuite vers le pĂŽle 2, puis Ă
nouveau vers le pĂŽle 4 par le truchement du pĂŽle 3. Finalement, lâinfluence totale portĂ©e par le
chemin C, notée i TC est égale à 53 :
1 D
i CT = iC (31)
1â g
avec g la valeur absolue du gain du circuit adjacent au chemin C : g = α 46 α 62 α 23 α 34
Ainsi, le circuit adjacent au chemin C joue un rĂŽle dâamplificateur de lâinfluence portĂ©e par ce
chemin, mesurĂ© par le « multiplicateur dâinfluence » (1/1 â g). Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, le
degrĂ© dâamplification de lâinfluence des circularitĂ©s est dâautant plus Ă©levĂ© que leur gain est
important54.
53
Lantner (1974, p. 136).
54
Dans le cas de circularités partielles (autofournitures), le gain du circuit est simplement le coefficient Ξjj.
239
La distinction entre influence directe et influence totale et lâidentification du mĂ©canisme
dâamplification nous amĂšne finalement Ă un thĂ©orĂšme gĂ©nĂ©ral dit « thĂ©orĂšme de lâinfluence »
dont lâĂ©noncĂ© est le suivant55 :
« Lâinfluence globale dâun pĂŽle-source (j) sur un pĂŽle-test k, est acheminĂ©e par les chemins
Ă©lĂ©mentaires [Cm] issus de (j) et aboutissant en k. Lâinfluence totale portĂ©e par un chemin
[Cm], compte tenu de toutes les répercussions dans la structure, est obtenue en effectuant le
produit de lâinfluence directe qui y transite par le facteur dâamplification associĂ© au chemin ;
ce facteur dâamplification est le quotient du dĂ©terminant de la structure privĂ©e des pĂŽles
productifs du chemin [Cm] par celui de la structure productive. Lâinfluence globale du pĂŽle (j)
sur le pÎle k est donnée par la somme des influences totales que transportent les chemins
[Cm] ».
Lâeffet amplificateur des circularitĂ©s au niveau local est surprenant si lâon considĂšre le rĂŽle
contraire que jouent ces mĂȘmes circularitĂ©s Ă un niveau global. Une investigation plus fine de
notre exemple va permettre de préciser le rÎle exact joué par les circularités dans une structure
dâinterrelations..
55
Lantner (1972, p. 274).
240
Le graphe dâinfluence absolue devient alors :
Graphe n°16
1 2 3 4 5
- α46
- α62
En réécrivant g sous la forme g = α 46 λ et comme 0 < λ <1, lâinĂ©galitĂ© suivante est vĂ©rifiĂ©e :
241
Pour le graphe n°16, lâinfluence totale est donnĂ©e par :
â i CT < i 'CT
56
En mettant en facteur Ξ46 dans les deux expressions et en réécrivant la suite géométrique de raison Ξ46 sous la
forme 1/(1-Ξ46), ce qui nâest valable rappelons le que si Ξ46 < 1.
57
Si le pĂŽle 4 ne fournit pas lâintĂ©gralitĂ© de ses ressources au pĂŽle 5, on a alors :
1 1
α 45 †(1 â α 46 ) â â€
(1 â α 46 ) α 45
58
Lantner (1974, p. 140) utilise un vocable différent pour qualifier les deux types de situations, à savoir ceteris
paribus (toutes choses Ă©gales par ailleurs) et mutatis mutandis (en changeant ce qui doit ĂȘtre changĂ©).
242
Dans tous les cas de figure, Lantner (1974) établit clairement que les circularités retardent
lâacheminement de lâinfluence totale Ă travers la structure et donc perturbent la diffusion de
lâinfluence : « Il suit que diffusion directe et diffusion globale varient dans le mĂȘme sens en
fonction de lâagencement des relations dans la structure et que la valeur du dĂ©terminant â
donne simultanément des indications sur le processus de diffusion directe et globale »59.
Conclusion de la section 5 :
Dans cette section, nous avons mis en évidence, au niveau local, le rÎle ambivalent des
circularitĂ©s en termes dâinfluence exercĂ©e par un pĂŽle sur un autre. Si dans une structure
donnĂ©e, les circuits adjacents Ă un chemin ont pour effet dâaccroĂźtre lâinfluence directe portĂ©e
par ce chemin60, certaines modifications de la structure (la suppression dâun ou plusieurs
circuits adjacents) peuvent conduire Ă une transmission de lâinfluence supĂ©rieure, ce qui
permet dâidentifier le rĂŽle non plus amplificateur mais amortisseur dâinfluence des circularitĂ©s
initiales.
Conclusion du chapitre 4
Ce chapitre nous a permis de montrer comment la thĂ©orie des graphes dâinfluence complĂšte et
prolonge les approches structurales dĂ©veloppĂ©es au chapitre trois, dans le contexte dâune
structure dâinter-relations sous forme de flux informationnels qui dĂ©finit lâessence de la firme
processeur dâinformation.
AprÚs un survol des principes de la théorie des graphes de fluence, nous avons défini tout
dâabord le graphe dâinfluence absolue. Câest le graphe associĂ© au systĂšme dâĂ©quations
simultanĂ©es caractĂ©risant lâeffet absolu des perturbations-sources sur lâactivitĂ© de transmission
dâinformations des entitĂ©s organisationnelles dans lâensemble de la structure. Le graphe
dâinfluence absolue est donc le graphe multi-ouvert associĂ© au systĂšme des variations
absolues de flux informationnels. Ensuite, le graphe dâinfluence relative a Ă©tĂ© prĂ©sentĂ© comme
le graphe reprĂ©sentatif de lâeffet relatif de ces perturbations.
59
Lantner (1974, p. 140).
60
Le « multiplicateur dâinfluence » est dâautant plus fort que le gain du circuit adjacent est Ă©levĂ©, autrement dit
que la longueur de ce circuit est courte.
243
Nous nous sommes ensuite interrogĂ©s sur le processus de diffusion de lâinfluence au sein de
cette structure dâĂ©changes et sur un indicateur susceptible dâen rendre compte. Nous avons
alors caractérisé le déterminant de cette structure comme une fonction croissante de la
diffusion arborescente de lâinfluence. Il peut ĂȘtre calculĂ© Ă partir des influences partielles
circulant dans lâensemble des sous-structures appelĂ©es graphes partiels hamiltoniens.
Par ailleurs, nous avons tenté de mettre en évidence le rÎle prépondérant des circuits courts
dans le calcul du déterminant. A la suite de Lantner (1974), nous identifions le déterminant
comme indicateur de la diffusion globale de lâinfluence Ă travers la structure.
Nous avons terminĂ© par lâĂ©tude du rĂŽle des circularitĂ©s cette fois-ci au niveau local, câest Ă
dire Ă lâĂ©chelle des relations binaires (pĂŽles pris deux Ă deux). Lâanalyse dâune structure
donnĂ©e a mis en Ă©vidence le rĂŽle de multiplicateur dâinfluence jouĂ© par les circularitĂ©s
adjacentes Ă un chemin, cet effet multiplicateur Ă©tant dâautant plus important que le circuit
considĂ©rĂ© est court. La modification de lâagencement interne de cette structure consistant dans
un transfert de ressources dâun pĂŽle vers un autre pour un montant total de ressources
identique a nĂ©anmoins permis dâidentifier Ă©galement le rĂŽle dâamortisseur de lâinfluence
totale joué par les circularités adjacentes à un chemin.
244
CHAPITRE 5
ANALYSE DU POUVOIR INTRA-
ORGANISATIONNEL DANS UNE
STRUCTURE CONCRETE
245
Chapitre 5
Analyse du pouvoir intra-organisationnel
dans une structure concrĂšte
Introduction
Ce chapitre achĂšve notre Ă©tude des voies de quantification de lâinformation et du pouvoir dans
les organisations. La caractĂ©risation de la firme comme processeur dâinformation (chapitre 1)
nous a conduit Ă identifier un potentiel dâanalyse des phĂ©nomĂšnes de pouvoir dans les
organisations (chapitre 2). Une démarche pragmatique vis-à -vis des enseignements des
sciences sociales connexes Ă lâĂ©conomie nous a conduit Ă Ă©tudier plus prĂ©cisĂ©ment des
approches structurales sociologiques du pouvoir intra-organisationnel (chapitre 3).
Nous avons alors proposĂ© dâutiliser une thĂ©orie originale pour essayer de quantifier les
organisations ainsi dĂ©finies, la thĂ©orie des graphes dâinfluence, qui sâinscrit dans une
dĂ©marche dâanalyse structurale. Cette thĂ©orie est Ă quelques exceptions prĂšs (Ă©conomie
industrielle) relativement méconnue dans le champ des sciences économiques, notamment en
Ă©conomie des organisations ; elle permet pourtant dâapprofondir lâĂ©tude des interrelations et
interdĂ©pendances entre les pĂŽles dâune structure organisationnelle donnĂ©e. Par ailleurs, lĂ oĂč
lâindividualisme mĂ©thodologique dominant des sciences Ă©conomiques fractionne les
organisations afin dâen analyser des Ă©lĂ©ments isolĂ©s1, lâanalyse structurale embrasse Ă la fois
lâensemble des Ă©lĂ©ments et lâensemble des relations entre ces Ă©lĂ©ments, tous deux dĂ©finissant
de maniĂšre indissociable lâorganisation. Il sâagit bien ici de se focaliser non pas sur un (ou
plusieurs) élément(s) isolé(s) de la structure, ni sur la structure prise dans sa globalité mais sur
les relations qui articulent les composantes structurales entre elles (Gazon, 1976). A partir de
ces Ă©lĂ©ments, le prĂ©sent chapitre, Ă partir dâun exemple concret, illustre les pistes de
quantification des flux informationnels internes Ă lâorganisation, pistes ouvertes par la thĂ©orie
des graphes dâinfluence.
1
« On se refuse à disséquer la structure, à promener une loupe sur chaque relation car cela condamne à une
vision myope » Lantner (2000, p. 12).
247
dâinformation quantifiables de maniĂšre objective par un observateur extĂ©rieur. Nous avons
choisi de repĂ©rer ces flux par lâintermĂ©diaire des Ă©changes de courriers Ă©lectroniques entre les
membres de la structure. De nombreuses études procÚdent de cette maniÚre. Elles utilisent
souvent les mesures traditionnelles de centralité pour aboutir à des résultats qui reflÚtent la
diversité des articulations autorité / discrétion au sein des organisations ; par exemple, alors
que Sproull & Kiesler (1986, 1992) constatent que la technologie email contribue à réduire les
distances entre les membres de lâorganisation en court-circuitant les relations dâautoritĂ©
formelle et en constituant des « coteries » transversales, Tyler et al. (2003) trouvent que la
structure dâĂ©change de courriels dans lâorganisation quâils Ă©tudient calque en grande partie la
structure formelle, et les rĂ©seaux transversaux quâils identifient se superposent pour la plupart
à des projets impulsés par la direction. En définitive, les résultats empiriques que nous
obtenons par lâusage de la thĂ©orie des graphes dâinfluence contribueront Ă enrichir lâĂ©tude des
relations entre autorité et discrétion, du fait de la capacité de cette théorie à articuler les
dimensions locales ou globales de la coordination intra-organisationnelle.
La premiĂšre section revient sur les indicateurs structuraux qui servent de base Ă lâanalyse
empirique et introduit le choix de la base de données que nous utilisons et les étapes de
construction du tableau dâĂ©changes. La section 2 dĂ©taille lâanalyse structurale des flux
dâinformation dans lâorganisation, tout dâabord au niveau de la structure globale, ensuite au
niveau des sous-structures (câest-Ă -dire des dĂ©partements pĂ©dagogiques et de recherche).
248
Section 1 : Eléments de méthodologie
Deux types dâindicateurs vont ĂȘtre mobilisĂ©s pour caractĂ©riser lâorganisation en question.
A ce sujet, Lantner (1974, p. 210) : « Lâordre de multiplication nâest pas aussi Ă©tranger quâil
pourrait paraĂźtre Ă lâanalyse de la centralitĂ©. Si le premier relĂšve dâune approche matricielle et
la seconde dâune investigation topologique, la finalitĂ© des deux conceptions est identique. Le
centre de la structure est en effet dĂ©fini comme le pĂŽle dont lâĂ©cart maximum Ă un autre pĂŽle
de la structure est minimum, c'est-Ă -dire comme le pĂŽle dont lâinfluence sur le reste de la
structure est la plus globale et la plus forte. Le passage dâun digraphe non valuĂ© Ă un rĂ©seau
dâinterrelations quantifiĂ©es incite Ă intĂ©grer lâintensitĂ© des liaisons Ă lâanalyse de centralitĂ© : or
la branche considĂ©rĂ©e comme dominante par lâordre de multiplication â celle dont le
multiplicateur est le plus Ă©levĂ© â est prĂ©cisĂ©ment celle qui exerce la plus forte influence
globale sur la structure. Lâordre de multiplication constitue ainsi une extension au cas des
graphes valuĂ©s du principe de centralitĂ© [âŠ].
Ainsi la théorie du multiplicateur apparaßt trÚs précisément comme une théorie de la centralité
intĂ©grant Ă la fois la position et lâintensitĂ© des liaisons, c'est-Ă -dire comme une thĂ©orie de la
âcentralitĂ© quantitativeâ ».
249
1.1.2.1/ Le taux dâautarcie polaire2
Dans une structure dâĂ©change parfaitement autarcique, chaque pĂŽle produit lui-mĂȘme les
ressources informationnelles dont il a besoin Ă lâaide des ressources extĂ©rieures. Une telle
structure est donc définie par un systÚme de n équations qui vérifient :
(1 - Ξjj) = ÎŽj pour j = 1, 2, âŠ, n
n n
â maj = â (1 â Ξ jj ) = â ÎŽ j = â min
j=1 j=1
Dans le cas opposĂ©, lorsque les autofournitures sont nulles (Ξjj = 0 âj), chacun des pĂŽles est
alimentĂ© en information par les autres pĂŽles de la structure (et lâextĂ©rieur) et dans ce cas :
n
â maj = â (1 â Ξ jj ) = 1
j=1
1 â â maj
a=
1 â â min
De maniĂšre cohĂ©rente avec notre objectif, câest une fonction croissante des autofournitures
qui a deux propriétés :
- sa valeur minimale a = 0 est atteinte pour Ξjj = 0 âj
n n
- sa valeur maximale a = 1 est atteinte pour â (1 â Ξ jj ) = â ÎŽ j = â min
j=1 j=1
2
Lantner (1974, p. 126).
3
Nous rappelons que le majorant du dĂ©terminant notĂ© âmaj est identifiĂ© comme le dĂ©terminant associĂ© Ă une
structure strictement triangulaire. Il se distingue du dĂ©terminant maximum notĂ© âmax qui est associĂ© Ă une
structure particuliĂšre qui est le circuit hamiltonien unique. Ainsi, âmaj peut ĂȘtre considĂ©rĂ© comme le majorant du
dĂ©terminant de nâimporte quelle structure Ă©tudiĂ©e alors que âmax dĂ©finit la valeur maximum qui peut ĂȘtre atteinte
par âmaj.
250
Par ailleurs, son complĂ©ment Ă 1 dĂ©finit le taux dâĂ©change interne de la structure que lâon
note :
n n
1 â â (1 â Ξ jj ) â (1 â Ξ jj ) â â min
j=1 j=1
e = 1â =
1 â â min 1 â â min
â maj â â
i=
1 â â min
Il prend sa valeur minimale lorsque â maj = â , c'est-Ă -dire dans le cas dâune structure
parfaitement autarcique.
Lantner (1974, p. 159) souligne la pertinence de cet indicateur qui « tient compte par son
dĂ©nominateur [âŠ] de toutes les relations extĂ©rieures de la structure, et par son numĂ©rateur
[âŠ] de toutes les liaisons internes, tant en direction quâen intensitĂ© »5. En effet, dâaprĂšs le
thĂ©orĂšme de lâinduction produit, âmin capture lâimportance des chocs informationnels externes
qui entrent dans la structure relativement aux ressources informationnelles totales.
Lâexpression (1 - âmin) revient donc Ă sâaffranchir de ces relations externes (hĂ©tĂ©roactivitĂ©)
pour se concentrer uniquement sur les caractéristiques des échanges intra-structuraux.
4
Lantner (1974, p. 130).
5
La construction de cet indicateur rĂ©pond ainsi Ă la mise en garde de Aujac (1960, p. 180) : « lâon ne saurait
caractériser le réseau des liaisons entre industries en tenant compte tantÎt de la localisation des liaisons, tantÎt de
leur intensitĂ©. De toute Ă©vidence, il ne sera possible dâarriver Ă un rĂ©sultat satisfaisant quâen considĂ©rant Ă la fois
la localisation et lâintensitĂ© de chaque liaison ».
251
1.1.2.3/ Taux de circularité et taux de triangularité6
Les dĂ©veloppements dans ce chapitre sont parcourus par lâarticulation entre interdĂ©pendance
(circularité) et dépendance (triangularité) qui discrimine plus que toute autre les différentes
configurations structurales. Lantner (1974, p. 129) fonde sa construction des taux de
triangularité et circularité sur trois remarques majeures :
polaires, elles-mĂȘmes identifiĂ©es comme des circularitĂ©s partielles particuliĂšres (cf. chapitre
4) ;
2) la seconde reprend lâidĂ©e selon laquelle le produit des termes diagonaux
n
â (1 â Ξ
j=1
jj ) est un majorant de â, cette valeur maximale Ă©tant atteinte dans le cas de structures
nâayant aucun circuit de deux arcs ou plus (dĂ©finition des structures strictement
triangulaires) ;
3) la troisiĂšme remarque est relative au fait que tout circuit de deux arcs ou plus fait
diminuer la valeur de â, et contribue par consĂ©quent Ă augmenter la valeur de
lâinterdĂ©pendance â maj â â .
Le degrĂ© de circularitĂ© dâune structure va alors ĂȘtre dĂ©fini comme une fonction croissante de
la somme (1 â â maj + â maj â â ) = 1 â â . En rapportant cette somme Ă sa valeur maximale (1 -
6
Lantner (1974, pp. 127-130).
252
1 â â maj â maj â â â â â min
a+i+t = + + =1
1 â â min 1 â â min 1 â â min
A partir de cette propriĂ©tĂ©, Lantner (2000, p. 11) reprĂ©sente les indicateurs dâautarcie polaire,
dâinterdĂ©pendance et de dĂ©pendance sur un axe [0,1]. Le dĂ©terminant de la structure est
compris entre ces deux bornes:
On peut expliciter davantage ce graphique en donnant une représentation plus « visuelle » des
indicateurs structuraux. Ces trois indicateurs sont destinĂ©s Ă lâĂ©tude de lâagencement interne
de la structure, par consĂ©quent leur dĂ©nominateur commun (1 - âmin) permet de sâaffranchir
des relations avec lâextĂ©rieur. Ils vont ensuite exprimer la part dâautarcie, dâinterdĂ©pendance
et de dépendance dans ces relations internes.
Autarcie polaire
0 min maj 1
(1 - maj)
(1 - min)
0 min maj 1
( maj - )
(1 - min)
253
Dépendance des pÎles
0 min maj 1
( min)
(1 - min)
Quand bien mĂȘme le dĂ©terminant â est un bon indicateur de la diffusion de lâinfluence dans
une structure, lâhypothĂšse de fixitĂ© des ÎŽj ne nous permet pas de comparer des structures
ayant des relations différentes avec leur environnement. Dans ce cas, on substitue au
déterminant le taux de diffusion directe, noté d :
â â â min
d=
â max â â min
n
avec â max = 1 â â (1 â ÎŽ j ) .
j=1
( min)
( max - min)
7
Lantner (1974, pp. 125-126).
254
Cet indicateur est de maniÚre cohérente une fonction croissante du déterminant.
Nous nous proposons de mener une analyse des flux informationnels intra-organisationnels
par le biais de lâĂ©tude des flux de mails dans une organisation.
1.2.1/ Lâutilisation des flux de mails pour identifier les « communautĂ©s de pratiques »
Comme nous lâavons notĂ© dans le chapitre deux, peu de travaux en Ă©conomie des
organisations sâintĂ©ressent Ă lâinteraction entre autoritĂ© (capacitĂ© Ă prendre des dĂ©cisions qui
orientent les actions des autres) et discrĂ©tion (capacitĂ© pour un agent de contrĂŽler lâusage des
ressources mises à sa disposition et sur lesquelles il ne possÚde aucun droit de propriété, ainsi
que de contrĂŽler lâusage de sa propre force de travail). Nous avons largement insistĂ© au cours
de notre travail sur le fait que câest dans lâĂ©tude de lâarticulation entre ces deux dimensions
que pouvait ĂȘtre Ă©laborĂ© un discours Ă©conomique sur les « potentiels » de pouvoir intra-
organisationnel.
8
Au sens de Crozier & Friedberg (1977), autour de la crĂ©ation et du contrĂŽle de lâincertitude. Voir chapitre 2.
255
lâoccurrence, lâoriginalitĂ© de Alter consiste en ce que le passage de lâindividuel Ă
lâorganisationnel est Ă la fois non linĂ©aire et discontinu ; en cela, son approche se distingue
dâapproches alternatives qui laissent de cĂŽtĂ© la dimension fondamentalement conflictuelle qui
marque ce passage, Ă lâinstar par exemple des travaux aujourdâhui Ă forte audience de Nonaka
(1994) et de Woodman (1993).
Toujours en sociologie de lâorganisation, cette tension autoritĂ© / discrĂ©tion peut ĂȘtre pensĂ©e de
maniĂšre plus « contingente » (Rogers, 1995), plus contrainte, dans le sens oĂč les choix
individuels en matiĂšre dâadoption de la nouvelle technique dĂ©pendent de dĂ©cisions
managĂ©riales. Certes, les membres de lâorganisation disposent dâune certaine marge de
manĆuvre quant aux usages quâils dĂ©veloppent de la technologie. Cependant, ces usages
restent fortement influencĂ©s par les relais de communication et dâopinion internes. Or, ces
rĂŽles sociaux se combinent Ă©troitement Ă la position des membres de lâorganisation dans
lâĂ©chelle de lâautoritĂ© formelle. Autrement dit, les choix et comportements individuels vis-Ă -
vis des nouvelles techniques de production, de communication et de prise de décision ne
peuvent ĂȘtre considĂ©rĂ©s en dehors des choix et comportements du sommet stratĂ©gique de
lâorganisation.
Synthétisons briÚvement ce qui précÚde : la tension autorité / discrétion est souvent analysée
en sociologie des organisations comme une rĂ©sultante de lâintroduction dans la structure de
nouvelles techniques de production, de communication et de prise de dĂ©cision Ă lâinitiative du
sommet stratégique. Cette introduction implique un ensemble de dynamiques cognitives
(apprentissages) et sociales (influences, conflits, coalitions informelles) qui perturbent le
fonctionnement de lâorganisation durant une pĂ©riode plus ou moins longue selon une logique
dâĂ©quilibres ponctuĂ©s (Tyre & Orlikowski, 1994). Ces dynamiques impliquent chez Alter une
déconnexion et autonomisation temporaire des deux termes de la tension, ou chez Rogers la
subordination continuelle de la discrĂ©tion Ă lâautoritĂ©.
LâĂ©tude de la technologie email et des flux dâinformation quâelle engendre dans la structure
organisationnelle est de ce point de vue particuliÚrement pertinente pour repérer cette
diversité des relations envisageables entre autorité et discrétion. Ces flux permettent ainsi à de
nombreux auteurs de repérer la topologie et la dynamique de « communautés de pratiques »
au sein des organisations (Tyler et al., 2003), câest-Ă -dire de relations intenses entre des
individus qui poursuivent des objectifs similaires et qui ont une compréhension partagée de
256
leur activité productive ; ils permettent de repérer plus largement la topologie et la dynamique
de rĂ©seaux de collaboration et dâĂ©change de connaissances (Wellman, 2001). Autrement dit,
ces flux constituent selon ces auteurs un moyen privilégié pour identifier les construits de
coopération et de dominance qui traversent et modÚlent les structures sociales qui les
supportent. Garton & Wellman (1995), à travers une revue extensive de la littérature sur
lâimpact des courriels dans les organisations, synthĂ©tisent ainsi les particularitĂ©s de cette
technologie de communication : les dynamiques sociales et cognitives quâelle impulse
rĂ©sument aussi bien la nature de lâactivitĂ© productive, des perceptions des utilisateurs quant
aux capacités de la technologie à répondre à leurs besoins, des relations interpersonnelles, des
structures organisationnelles (formelles et informelles) de pouvoir, que les média privilégiés
par les directions dans leur systĂšme interne de communication.
Ces études, qui utilisent souvent les mesures traditionnelles de centralité (voir le chapitre
trois), aboutissent à des résultats qui reflÚtent la diversité des articulations autorité / discrétion
notée plus haut : alors que Sproull & Kiesler (1986, 1992) constatent que la technologie email
contribue Ă rĂ©duire les distances entre les membres de lâorganisation en court-circuitant les
relations dâautoritĂ© formelle et en constituant des « coteries » transversales, Tyler et al. (2003)
trouvent que la structure dâĂ©change de courriels dans lâorganisation quâils Ă©tudient calque en
grande partie la structure formelle, et les rĂ©seaux transversaux quâils identifient se superposent
pour la plupart à des projets impulsés par la direction.
Les donnĂ©es brutes utilisĂ©es pour lâĂ©tude empirique sont les mails envoyĂ©s et reçus par les 122
membres dâune organisation concrĂšte9 Ă dâautres membres de lâorganisation pendant la
semaine du 9 au 15 septembre 2005, pour un total de 3841 mails. Ces mails ont été recensés a
posteriori et nâont donc pas pu ĂȘtre lâobjet de manipulations ex ante de la part des pĂŽles10.
Les mails envoyĂ©s Ă lâextĂ©rieur de la structure (Ă©tudiants, collaborateurs extĂ©rieurs, mails
dâordre privĂ© â achats sur Internet, etc.) ont Ă©tĂ© rejetĂ©s ainsi que les mails reçus par lâextĂ©rieur,
ceci pour plusieurs raisons.
9
Au sujet de laquelle, pour des raisons de confidentialitĂ©, nous nous contenterons de prĂ©ciser quâil sâagit dâune
Institution Française dâEnseignement SupĂ©rieur en Management, membre de la ConfĂ©rence des Grandes Ecoles.
10
On peut imaginer que les donnĂ©es produites consciemment par des individus prĂ©venus de la nature de lâĂ©tude
auraient été quelque peu différentes.
257
Tout dâabord, le dĂ©sĂ©quilibre Ă©vident entre une centaine de personnes membres dâune
organisation dâun cĂŽtĂ© et des milliers de correspondants extĂ©rieurs de lâautre ne manquerait
pas de diluer la valeur des diffĂ©rents indicateurs que lâon se propose de calculer. Par ailleurs,
les frontiĂšres de lâorganisation seraient de plus en plus difficiles Ă identifier au fur et Ă mesure
que lâon y intĂšgreraient des participants (directs ou indirects extĂ©rieurs), sans compter la
multiplication des justifications complĂ©mentaires quant au choix dâaccorder ou pas aux
Ă©lĂ©ments de cet ensemble disparate le statut de membre de lâorganisation. Enfin, ce choix
mĂ©thodologique permet dâinscrire lâanalyse dans un cadre intra-organisationnel au sens strict
alors quâun choix dâintĂ©gration des diffĂ©rents Ă©lĂ©ments citĂ©s plus haut nous entraĂźnerait
davantage dans lâanalyse dâun rĂ©seau11.
Ensuite, en ce qui concerne spécifiquement le second point, deux mails entrants sur trois sont
des spams12 ou des virus. Dans lâorganisation en question, ils reprĂ©sentent au total 3,8
millions de messages entrants pour lâannĂ©e 2005.
Eu Ă©gard aux contraintes rĂšglementaires imposĂ©es par la C.N.I.L.13, nous nâavons eu accĂšs
quâaux quantitĂ©s de mails transitant dans la structure et Ă leur expĂ©diteurs et destinataires
respectifs et pas à leur contenu. Cela nous a amené à évacuer toute tentative de valorisation
des informations transmises par ce support Ă©lectronique dans la mesure oĂč elle nâaurait pu
prendre appui que sur des considérations relevant de la structure formelle (hiérarchique) de
lâorganisation, introduisant par lĂ un biais fort sur les relations de dominance-dĂ©pendance
informationnelle entre les pĂŽles14.
Ce choix appelle plusieurs remarques. Sâil est vrai que la prise en compte des seules quantitĂ©s
pose le problĂšme du traitement identique des informations relevant du domaine professionnel
(supposĂ©es Ă forte valeur ajoutĂ©e pour lâactivitĂ© des pĂŽles) de celles relevant davantage de
simples relations amicales, nous pensons quâelle nâenlĂšve rien Ă la pertinence des indicateurs
11
Lâanalyse structurale peut Ă©galement sây appliquer mĂȘme si le traitement de rĂ©seaux de grande taille relĂšve
davantage à notre avis des problématiques et outils (issus de la physique statistique) de la démarche en termes de
« small world » (cf. Newman, 2003). Comme le précise cependant Lantner (2000, p. 12), « compte tenu du
caractĂšre multiplicatif de la loi de rĂ©currence, les valeurs de lâInterdĂ©pendance GĂ©nĂ©rale sont souvent faibles »
dans les cas de structures de grande taille. Cela nâenlĂšve rien Ă lâintĂ©rĂȘt de lâoutil qui sâinterprĂšte plutĂŽt dans ce
cas « en analyse comparative ».
12
Un spam désigne les communications électroniques massives, notamment de courrier électronique, sans
sollicitation des destinataires, Ă des fins publicitaires ou malhonnĂȘtes (cf http://fr.wikipedia.org/wiki/Spam).
13
La Commission Nationale Informatique et Liberté. Légalement, on ne peut pas avoir accÚs aux informations
transmises par les mails mĂȘme dans un cadre professionnel.
14
Intuitivement, comment ne pas anticiper en effet que les pÎles identifiés comme dominants seraient par une
telle procédure les responsables hiérarchiques.
258
calculĂ©s et Ă lâidentification Ă©ventuelle de rĂ©seaux de relations informelles. La thĂ©orie des
organisations a produit depuis quelques dĂ©cennies la preuve de lâimportance des relations
informelles dans la bonne conduite des affaires Ă la fois au sein des organisations et dans leur
environnement. LâĂ©conomie de coĂ»t de coordination (parmi dâautres) gĂ©nĂ©rĂ©e par ces
relations produit au-delĂ des arguments plus sociologiques ou anthropologiques un fondement
économique robuste à ce thÚme15.
Sur un volet plus technique lié à la méthode input-output, le traitement des quantités en
dehors des considĂ©rations de valeur (des prix que lâon pourrait y associer) lĂšve comme nous
lâavons dĂ©jĂ prĂ©cisĂ© les problĂšmes de cohĂ©rence du modĂšle Ă offre dominante identifiĂ©s par de
Mesnard (2002).
Afin de construire le tableau input-output des flux dâĂ©changes de mails, nous avons Ă©tĂ©
confrontĂ©s Ă deux problĂšmes, le premier dâordre technique, le second dâordre
mĂ©thodologique. Le problĂšme technique initial concernait lâinversion dâune matrice
(122*122) impossible à réaliser sous la version standard du logiciel Excel. Ce problÚme a pu
ĂȘtre rĂ©solu par lâĂ©criture dâun programme en Visual Basic. Le problĂšme dâordre
mĂ©thodologique concernait lâintĂ©gration dans le tableau des flux dâĂ©change des informations
envoyés par mail par les assistants(es) associés(ées) aux différentes directions de
lâorganisation. En effet, ces pĂŽles Ă©mettent ou transfĂšrent de lâinformation sans distinguer
nécessairement les récepteurs. De nombreux mails sont ainsi envoyés à tous les pÎles de la
structure et viennent gonfler « artificiellement » le volume des informations transmises au
sein de la structure. Nous avons dÚs lors décidé de nous concentrer sur une sous-structure
particuliÚre qui est celle des enseignants-chercheurs en agrégeant toutes les informations
transmises et reçues par les assistants (es) dans un pÎle « structure administrative » considéré
comme extĂ©rieur Ă lâorganisation Ă©tudiĂ©e.
15
De maniÚre plus pragmatique, il paraßt de bon sens de considérer que dans une organisation, le Directeur
GĂ©nĂ©ral dâune structure devant dĂ©lĂ©guer un adjoint Ă un manager dâune Direction stratĂ©gique peut considĂ©rer
quâil y a un gain de temps Ă lui proposer un membre de lâorganisation avec lequel il a dĂ©jĂ des affinitĂ©s, quand
bien mĂȘme ces affinitĂ©s ne seraient pas dâordre strictement professionnel.
259
Ce choix procure de nombreux avantages. En premier lieu, il permet lâanalyse des relations
informationnelles entre pĂŽles relativement homogĂšnes, quand bien mĂȘme il faudrait distinguer
dans cet ensemble dâun cĂŽtĂ© les enseignants-chercheurs exerçant des fonctions managĂ©riales
sans assistant (e) (susceptibles donc dâenvoyer des informations groupĂ©es), de lâautre les
enseignants-chercheurs dont le niveau de responsabilitĂ© managĂ©riale sâaccompagne dâun
certain nombre dâassistants (es) pour les envois dâinformation au reste de la structure.16
Ensuite, la structure Ă©tudiĂ©e se ramĂšne Ă 49 pĂŽles, ce qui facilite Ă la fois lâinterprĂ©tation et le
calcul des indicateurs. Enfin, on peut ensuite décomposer cette sous-structure en départements
pour analyser les flux intra-département.
A partir du tableau dâĂ©change de mails initial (annexe 9.1), la rĂ©duction de la structure sâest
faite tout dâabord en identifiant par des couleurs les enseignants-chercheurs (membres de
lâorganisation qui est lâobjet de lâanalyse), chaque couleur dĂ©finissant lâappartenance Ă un
département spécifique17.
Ensuite, chaque individu retenu a Ă©tĂ© indicĂ© dans lâordre des entiers naturels sans prendre en
compte son appartenance Ă un dĂ©partement. Ce nâest que pour lâanalyse de lâinterdĂ©pendance
entre départements que les individus ont été regroupés et classés par ordre croissant
département par département (annexe 10.1).
16
Nous passons ici sur les dimensions culturelles ou sociologiques qui pourraient conférer un esprit de corps et
une similitude de comportement à cette catégorie.
17
Seul un dĂ©partement constituĂ© dâun Ă©lĂ©ment unique non contributeur dâinformation sur la base a Ă©tĂ© retirĂ©.
18
Câest dans cette contrainte que rĂ©side probablement la plus forte limite de notre Ă©tude. En effet les mails ne
sont pas le seul support de transmission dâinformation entre les membres de lâorganisation et on peut trĂšs bien
considĂ©rer quâune information reçue par mail va se transmettre sous forme orale. Finalement notre analyse
approche les mĂ©canismes de transmission de lâinfluence par lâinformation par une analyse de la transmission de
260
Soit xij la quantité de mails qui transitent du pÎle i au pÎle j. Dans ce tableau, la somme en
ligne donne le total de mails envoyés par le pÎle i pour la semaine considérée. Cela
correspond au nombre total de mails envoyés dans la structure et hors de la structure par le
j=122
pĂŽle en question et on la note en abrĂ©gĂ© Xi = âx
j=1
ij
La somme en colonne indique lâensemble des mails reçus par le pĂŽle j. Cela correspond au
j=122
nombre total de mails qui entrent dans la messagerie du pĂŽle j et on le note : Xj = âx
i =1
ij .
xij Xi
Xj
La premiÚre étape consiste à distinguer, pour chaque pÎle, les échanges effectués au sein de la
structure constituée des enseignants-chercheurs (définis comme les flux intra-
organisationnels) des échanges effectués avec la structure administrative, assimilés à des
Ă©changes avec lâextĂ©rieur.
On note TI (Total des flux Intra-organisationnels) la somme des mails envoyés dans la
structure et EXT (Total des flux vers lâEXTĂ©rieur) le total des mails envoyĂ©s vers la structure
administrative. Pour chaque pĂŽle i, on a donc :
j=122 j= 49
EXTi = X i â TI i â EXTi = â x ij â â x ij
j=1 j=1
On note de la mĂȘme maniĂšre mais cette fois-ci en colonne TI (Total des flux Intra-
organisationnels) la somme des mails reçus des autres pÎles de la structure et EXT (Total des
mails. Cette limite nâest cependant pas rĂ©dhibitoire dans la mesure oĂč nous comptabilisons lâexcĂ©dent de
ressources sur la diffusion effective comme une mĂ©morisation (qui pourrait Ă©galement ĂȘtre une transmission
orale ou écrite sur un autre support) et un excédent de diffusion par rapport aux ressources initiales comme une
crĂ©ation (qui pourrait trĂšs bien ĂȘtre le fruit dâune information extĂ©rieure sur un autre support).
261
flux de lâEXTĂ©rieur) la somme des mails reçus de la structure administrative. Pour chaque
pĂŽle j, on a donc :
i =122 i = 49
EXTj = X j â TI j â EXTj = âx
i =1
ij â â x ij
i =1
EXTi
xij Xi TIi
Xj
TIj
EXTj
Une lecture rapide du tableau initial nous a permis dâidentifier un certain nombre de mailings
Ă destination de lâensemble des pĂŽles de la structure. Afin de ne pas pondĂ©rer de maniĂšre
excessive le poids des ressources informationnelles provenant de lâextĂ©rieur, nous avons
considĂ©rĂ© que les mailings collectifs devaient ĂȘtre retirĂ©s du total des ressources
informationnelles externes de chaque pÎle. Nous avons au final retiré huit mails en
provenance de la structure administrative pour chaque pĂŽle19.
La deuxiÚme étape consiste à faire en sorte que le tableau servant de base aux calculs vérifie
la loi de conservation de lâĂ©nergie transposĂ©e Ă lâinformation. La production dâinformation (le
nombre total de mails sortis) notĂ©e TSi doit ĂȘtre Ă©gale Ă la rĂ©ception dâinformation (le nombre
de mails entrĂ©s) TEj pour i = j. Lâindicateur dâoutput total TSi et lâindicateur dâinput total TEj
vont donc ĂȘtre Ă©gaux pour chacun des pĂŽles Ă Max(Xi ;Xj). Cela nous amĂšne Ă un tableau qui
est maintenant de la forme :
19
LâidĂ©e est simple : un individu ne voit aucune utilitĂ© Ă la transmission dâune information dont il sait quâelle est
dĂ©jĂ dĂ©tenue par lâensemble des pĂŽles de la structure. Cette transformation sâest rĂ©vĂ©lĂ©e importante puisquâelle a
permis de faire varier de maniĂšre sensible le taux dâinterdĂ©pendance de la structure globale.
262
Max(Xi;Xj) = TSi
EXTi
xij Xi TIi
Xj
TIj
EXTj
Max(Xi;Xj) = TEj
Enfin, dans une troisiÚme étape nous avons procédé comme suit pour chaque pÎle:
Si Xj > Xi, Max(Xi ;Xj) = Xj. Dans ce cas, on considĂšre quâil y a mĂ©morisation dâinformation,
notĂ©e MEMi = Xj â Xi . Il aurait Ă©tĂ© tentant de considĂ©rer cette mĂ©morisation comme de la
rĂ©tention dâinformation et de lâajouter Ă lâautofourniture du pĂŽle Ă©tudiĂ©. La symĂ©trie imposĂ©e
par la loi de conservation nous empĂȘche Ă©videmment de procĂ©der ainsi puisque lâadjonction
de débouchés en ligne viendrait ajouter des consommations intermédiaires supplémentaires en
colonne. Par ailleurs, lâexcĂ©dent des ressources sur les transmissions effectives nous amĂšne Ă
considĂ©rer que la crĂ©ation dâinformation est nulle. On la note CREj = 0.
Si par contre Xj < Xi, Max(Xi ;Xj) = Xi . On considĂšre alors quâil y a eu crĂ©ation
dâinformation, notĂ©e CREj = Xi - Xj et que la mĂ©morisation dâinformation est nulle. On la note
MEMi = 0. La structuration des données est finalement aprÚs cette étape la suivante :
263
Max(Xi;Xj) = TSi
MEMi
EXTi
xij Xi TIi
Xj
TIj
EXTj
Max(Xi;Xj) = TEj
CREj
Avant calcul des indicateurs, la structure des donnĂ©es utiles va finalement ĂȘtre prĂ©sentĂ©e sous
une forme plus opérationnelle :
MEMi
EXTi
TSi
xij TIi
TIj
EXTj
CREj
TEj
264
Celle-ci renvoie à une articulation cohérente des données rendue plus explicite dans le dernier
schéma ci-dessous :
Structure administrative
Mémorisation
Structure constituée des enseignants
Flux intra-organisationnels
Enfin, concernant lâhypothĂšse fondamentale de dominance par lâoffre, les flux dâinformation
entre enseignants-chercheurs (les membres de la structure) sont supposés dépendre de
lâensemble des ressources extĂ©rieures Ă la structure, soit la somme des informations
transmises par la structure administrative EXTj Ă laquelle vient sâajouter le cas Ă©chĂ©ant la
crĂ©ation dâinformation CREj. Pour rester cohĂ©rent avec les notations retenues au chapitre
quatre, on notera lâensemble des ressources extĂ©rieures :
Rj = EXTj + CREj
265
Section 2 : La configuration de lâorganisation globale
Lâanalyse de lâagencement interne de notre organisation est menĂ©e sur la base des Ă©changes
informationnels entre les 49 individus qui sont considérés dans un premier temps comme
pÎles élémentaires de la structure.
Ces deux informations nous renseignent sur lâinfluence globale dâun individu sur lâensemble
de la structure, lâinfluence directe Ă©tant capturĂ©e par les coefficients qui valuent les arcs ou les
chemins.
Dans un modÚle à offre dominante, conformément à ce qui a été développé dans le chapitre
quatre, le graphe dâinfluence absolue est construit Ă partir des coefficients de dĂ©bouchĂ©s
(annexe 9.3). Ce sont les Ă©lĂ©ments de la matrice [I â A] qui valuent les arcs (lorsquâils
existent) entre les pĂŽles de la structure (annexe 9.3b). De mĂȘme, les multiplicateurs dâactivitĂ©
respectifs des pĂŽles du GIA vont ĂȘtre dĂ©terminĂ©s Ă partir de la matrice [Ί] = [I â A]-1
(annexe 9.3c).
Les relations dâinfluence absolue globale dans lâensemble de la structure dĂ©finies au chapitre
quatre vérifient :
266
ïŁź Ï 11 L Ï1 j L Ï 1n ïŁč
ïŁŻ M O M M M ïŁșïŁș
ïŁŻ
[â X 1 L âX j L ] [
âX n = âR 1 L âR j L ]
â R n ïŁŻ Ï i1 L Ï ij L Ï in ïŁș
ïŁŻ ïŁș
ïŁŻ M M M O M ïŁș
ïŁŻ Ï n1 L Ï nj L Ï nn ïŁșïŁ»
ïŁ°
Les multiplicateurs associés au GIA sont par construction toujours supérieurs ou égaux à 1.
Cela sâexplique par le fait que lâaugmentation dâun mail envoyĂ© par un pĂŽle dans la structure
ne détruit évidemment pas les mails déjà envoyés et ne se dilue pas au cours de son
cheminement Ă travers la structure.
20
Il convient ici de ne pas mĂ©langer les indices. Nous dĂ©laissons lâindiçage en j pour nos pĂŽles le temps de
reprĂ©senter le multiplicateur global correspondant dans la matrice [Ί] Ă une somme en colonne. Lâindiçage des
multiplicateurs dâactivitĂ© renvoie Ă cette matrice dont les lignes sont conventionnellement indicĂ©es en i et les
colonnes en j. Nous reprenons pour le commentaire notre notation habituelle qui associe un pĂŽle source
dâinfluence Ă lâindice j.
267
Un multiplicateur égal à 1 signifie que la ressource informationnelle reçue par le pÎle j dans la
structure gĂ©nĂšre un accroissement dâinformation dans la structure Ă©gal Ă un (le message
dâorigine). Autrement dit, il nây a pas dâamplification de lâinformation envoyĂ©e par le pĂŽle j.
Lâindividu 44 est celui qui a le multiplicateur le plus Ă©levĂ©, ce qui veut dire quâune variation
dâune unitĂ© de ses ressources informationnelles augmentera les ressources informationnelles
totales de la structure de 2,49 unités.
On peut considérer que les deux individus les plus influents (les plus dominants) sur la base
de ce critÚre (c'est-à -dire les individus 44 et 22) se détachent relativement aux autres. En effet,
Ă partir de lâindividu 17, les Ă©carts entre les multiplicateurs dâactivitĂ© sont trĂšs faibles
(inférieurs à 0,1). Néanmoins, 24 pÎles sur 49, soit quasiment la moitié des membres de
lâorganisation, ont un multiplicateur supĂ©rieur Ă 1,5. Cela signifie que chacun de ces pĂŽles
produit pour lâorganisation plus de 50% des ressources informationnelles quâil reçoit. Cette
information nâest certainement pas neutre dans une organisation processeur dâinformation,
dans laquelle un des enjeux majeurs est de déterminer quel(s) pÎle(s) alimenter en information
pour produire le supplĂ©ment de production totale maximum qui constitue le cĆur de son
activité21.
Dans un modĂšle Ă offre dominante, le graphe dâinfluence relative est construit quant Ă lui Ă
partir des coefficients techniques (annexe 9.4). Ce sont les Ă©lĂ©ments de la matrice [I â Î] qui
valuent les arcs (lorsquâils existent) entre les pĂŽles de la structure (annexe 9.4b). De mĂȘme,
les multiplicateurs dâactivitĂ© respectifs des pĂŽles du GIR vont ĂȘtre dĂ©terminĂ©s Ă partir de la
matrice [Μij] = [D][I â Î]-1 (annexe 9.6)22.
21
Sous lâhypothĂšse dĂ©jĂ introduite que les individus souhaitent avoir le plus dâinformations possibles, Ă©tant
entendu que toute information est pertinente.
22
Le dĂ©veloppement analytique du systĂšme dâĂ©quations simultanĂ©es de la section 2.2.3.2/ du chapitre 4 montre
pourquoi il faut prĂ©multiplier [I - Î]-1 par [D], la matrice diagonale des coefficients dâentrĂ©e ÎŽj.
268
A un niveau interindividuel lâinfluence relative globale de j sur k est mesurĂ©e par le rapport
entre la variation de ressources externes du pĂŽle j (en pourcentage du niveau de ressources
initial) sur la variation de lâactivitĂ© (lâoutput) informationnelle du pĂŽle k (en pourcentage du
niveau dâoutput initial):
âX k âR j
Xk
(
= i G( j)âk )
Rj
Les relations dâinfluence relative dans lâensemble de la structure dĂ©finies au chapitre quatre
vérifient :
ïŁź Μ 11 L Μ1j L Μ 1n ïŁč
ïŁŻ M O M M M ïŁșïŁș
ïŁź âX 1 âX j âX n ïŁč ïŁź âR 1 âR j âR n ïŁŻïŁč
ïŁŻ L L ïŁș=ïŁŻ L L ïŁș ïŁŻ Μ i1 L Μ ij L Μ in ïŁș
ïŁŻïŁ° X 1 Xj Xn ïŁșïŁ» ïŁŻïŁ° R 1 Rj R n ïŁșïŁ» ïŁŻ ïŁș
ïŁŻ M M M O M ïŁș
ïŁŻÎœ n1 L Μ nj L Μ nn ïŁșïŁ»
ïŁ°
DĂšs lors, la variation globale de lâoutput informationnel de lâorganisation (en pourcentage de
lâoutput initial) est Ă©gale Ă lâensemble des effets induits par la variation de ressources externes
(en pourcentage des ressources initiales). On définit alors pour chaque pÎle i le multiplicateur
associĂ© au graphe dâinfluence relative qui donne lâinfluence globale de ce pĂŽle sur lâensemble
de lâorganisation :
j= 49
MULTiGIR = âΜ
j=1
ij
23
AppelĂ© aussi « ordre dâĂ©lasticitĂ© » puisquâil met en jeu des rapports de variation.
269
Si lâon passe Ă une analyse en termes de variations relatives de lâoutput informationnel global
de la structure, on observe plus nettement une certaine hiĂ©rarchie des pĂŽles. Lâindividu 16 est
le seul à avoir un multiplicateur supérieur à 2: une variation de 1% de ses ressources
informationnelles gĂ©nĂšrent une variation de 2,2% de lâoutput total. Pour le reste, les
multiplicateurs sont relativement peu différenciés, signe que chaque individu impacte
relativement peu (en termes de variation relative de lâoutput informationnel global)
lâorganisation.
Notons tout de mĂȘme que seuls les individus 16, 12, 3 et 6 ont un multiplicateur dâinfluence
relative supérieur à 1,5 et que plus de la moitié des pÎles (27 sur 49) ont un multiplicateur
inférieur à 1. Ce dernier cas renvoie aux différences de poids des individus en termes
dâactivitĂ© dans la structure informationnelle.
Dâune maniĂšre gĂ©nĂ©rale, les multiplicateurs dâactivitĂ© sont assez faibles dans lâorganisation
considérée.
En variation absolue, les individus 44 et 22 jouent un rĂŽle important dans la dynamique de
transmission des informations au sein de lâorganisation mais lorsque lâon passe en variation
relative (c'est-Ă -dire lorsque lâon tient compte du volume de flux informationnels gĂ©nĂ©rĂ©s par
lâextĂ©rieur), seul le pĂŽle 16 conserve un rĂŽle influent (dominant) dans la diffusion.
Cela suggĂšre a priori une forte interdĂ©pendance des pĂŽles dans cette organisation. Lâanalyse
de la centralité de degré présentée au chapitre trois ne permet guÚre de retrouver les pÎles
dominants identifiĂ©s par les multiplicateurs, ce qui est tout Ă fait logique dans la mesure oĂč la
thĂ©orie des graphes dâinfluence est fondamentalement quantitative lĂ oĂč le repĂ©rage des pĂŽles
les plus centraux sont menés à partir de graphes non valués et prend juste en compte
lâexistence ou pas de liens bi-univoques entre pĂŽles (annexe 9.8).
AprĂšs sâĂȘtre intĂ©ressĂ©s aux caractĂ©ristiques des pĂŽles en termes dâinfluence informationnelle,
nous allons nous intéresser aux caractéristiques de la structure globale, afin de savoir si elle
est plutĂŽt autarcique, triangulaire ou circulaire.
270
2.2.1/ Une organisation globalement autarcique, circulaire ou triangulaire ?
Les indicateurs structuraux sont construits à partir du déterminant de la structure qui est de
maniĂšre indiffĂ©renciĂ© celui de la matrice [I â A] ou celui de [I - Î]24.
En cohérence avec ce que nous avons présenté au chapitre précédent, les deux valeurs aux
bornes sont le dĂ©terminant minimum, dĂ©fini par le produit des taux dâimportation des
49
ressources informationnelles dans la structure, soit â min = â ÎŽ j , et le dĂ©terminant maximum
j=1
49
dĂ©fini comme â max = 1 â â (1 â ÎŽ j )
j=1
La valeur des coefficients ÎŽj est donnĂ©e ci-dessous pour chaque pĂŽle de lâorganisation (annexe
9.5). Pour chaque tableau, la colonne de gauche correspond au pĂŽle et la colonne de droite au
coefficient dâimportation de ressources qui lui est associĂ©. Ils sont classĂ©s dans lâordre
décroissant :
Le taux dâimportation des pĂŽles de lâorganisation est trĂšs Ă©levĂ© puisque la plupart des pĂŽles
importent plus de la moitiĂ© de leurs ressources informationnelles de lâextĂ©rieur de la structure
considĂ©rĂ©e, qui regroupe Ă la fois les mails envoyĂ©s par la structure administrative (intĂ©grĂ©e Ă
lâorganisation au sens large) et les informations créées par les pĂŽles.
Chaque individu va ainsi dĂ©pendre pour sa production dâinformation davantage de son
environnement proche que de ses collĂšgues, ce qui devrait laisser supposer un taux dâautarcie
relativement fort. Cette caractéristique de la structure étudiée est intéressante dans la mesure
oĂč elle renvoie Ă une dĂ©pendance forte de lâorganisation par rapport Ă lâextĂ©rieur. Cela la
confinerait ainsi Ă un rĂŽle de traitement de lâinformation plutĂŽt quâĂ un rĂŽle de production
24
A propos de ce résultat, cf. annexe 8 et Lantner (1974, p. 21).
271
dâinformation. On retrouverait en quelque sorte la firme processeur dâinformation telle quâelle
est décrite dans Radner (1993) avec une forte spécialisation des tùches.
Tout dâabord, on peut remarquer que les indicateurs ont une valeur relativement faible compte
tenu du fait que la taille de la matrice reprĂ©sentative de notre structure dâĂ©change est
importante25. Un rĂ©sultat remarquable est certainement le taux Ă©levĂ© dâautarcie polaire qui ne
suffit cependant pas Ă dĂ©montrer Ă lui seul un niveau faible dâinterdĂ©pendance. En effet,
comme le montre Lantner (1974, pp. 154-156), lâannulation des autoconsommations
(autofournitures) dans le calcul des indicateurs ne modifie pas « le rapport entre lâindicateur
de dĂ©pendance et dâinterdĂ©pendance », c'est-Ă -dire le ratio i/t. Dans notre cas, ce ratio est
assez Ă©levĂ© et nous permet de conclure Ă une caractĂ©risation claire de lâorganisation : la
structure globale est faiblement triangulaire.
LâinterdĂ©pendance gĂ©nĂ©rale entre pĂŽles est Ă peu prĂšs Ă©quivalente au degrĂ© de dĂ©pendance
entre pĂŽles avec un taux de diffusion directe faible (9,6%). Comme on lâa vu au chapitre
quatre, les relations de dépendance/dominance sont portées par les chemins alors que
lâinterdĂ©pendance est vĂ©hiculĂ©e par les circuits. La forte circularitĂ© de notre organisation nous
Ă©loigne dâune structure hiĂ©rarchique au sens strict et lâanalyse des pĂŽles dominants confirme
cette intuition26.
25
Comme le prĂ©cise Lantner (2000), cela ne pose pas par ailleurs de problĂšme de validitĂ© de lâapproche qui se
prĂȘte cependant mieux Ă une analyse comparative dans le cas oĂč les valeurs sont trĂšs faibles.
26
Il pourrait paraßtre étonnant de considérer comme largement interdépendante une structure dont le taux
dâinterdĂ©pendance est mesurĂ© Ă 5%. Encore une fois, câest bien le ratio i/t, Ă©gal Ă 50% dans notre Ă©tude, qui nous
informe globalement de cette caractĂ©ristique. Des calculs de ratio i/t sur les Tableaux dâEchanges Interindustriels
des principaux pays de lâO.C.D.E (base de donnĂ©es STAN) rĂ©vĂšlent par exemple pour ces pays des ratio i/t de
lâordre de 10% au maximum. Ces taux sâexpliquent par la maniĂšre mĂȘme dont ces tableaux sont construits
(Lebert, 2001).
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2.2.2/ Dépendance et interdépendance entre sous-structures
Un des avantages de