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ee sips PHENOMENOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE * Durant les dix demigres années, la plus jeune génération philosophique allemande a témoigné d'une inclination crois- sante pour l'anthropologie philosophique. La philosophie de la vie de Dilthey, anthropologie de figure nouvelle, exerce désor- mais une forte influence. Le « mouvement phénoménologique » lui-méme est saisi par cette nouvelle tendance. Le véritable fondement de la philosophic reposerait exclusivement en Vhomme et dans une doctrine de essence de son Dasein mondano-concret. I y a la, considére-t-on, une réforme néces- saite de la phénoménologie constitutive originaire grace & quelle celle-ci serait seulement en mesure @atteindre Pauthenti- que dimension philosophique. Un retournement complet de la prise de position principielle est ainsi opéré. Alors que la phénoménologie originaire, mérie fen phénoménologie transcendantale, refuse a la science de Phomme, quelle qu'elle soit, toute participation a la fondation de la philosophie et combat titre d’anthropologisme ou de psychologisme toutes les tentatives qui s'y emploient, il faudrait maintenant que vaille le strict contraire : la philosophie phéno- ménologique doit étre entigrement reconstruite a partir du Dasein humain, Dans ce conflit, les vieilles oppositions qui tiennent en mouvement toute la philosophie des Temps modernes resurgis- sent sous une forme mise au godt du jour. La tendance subjec- tiviste propre a cette Epoque s’exerce en effet dés le commen- cement dans deux directions opposées : I'une est anthropolo- giste (ou psychologiste), l'autre transcendantale. D'un cété, on affirme qu’il revient évidemment a la psychologie d'effectuer la * La conférence « Phénoménologie et anthropologe », dont le rexte est publié dans Je volume XXVIT des Husseana, Aufsatze und Vortrige (1922-1937), herasspege- ‘ben von T. Nenon und H.R. Sepp, ft prononete par Hussed les 1, 10 et 16 jin 1991 4 Prancior, Berlin et Hille. Heldepacry fait reference dans Tenteten accordé as Seg septembre 1966 publ eps st mon. CE. Gement GA, B22 iN 7 NOTES SUR HEIDEGGER fondation subjective, toujours ressentie comme nécessaire, dela philosophie. De l'autre, par contre, on exige une science de la subjectivité transcendantale, une science d'un genre tout a fait nouveau et a partir de laquelle toutes les sciences, psychologie incluse, devraient étre philosophiquement fondées. Devons-nous accepter comme un destin que ce conflit, en cchangeant de revétement historique, se renouvelle encore et toujours a Pavenir? Non. Dans lessence de la philosophie, dans Te sens principiel de sa tiche, doit étre préfigurée la méthode de fondation que, par principe, elle requiert. Et si cette méthode est nécessairement subjective, alors il faut du méme coup que le sens particulier de ce subjectif soit a priori co- déterminé. Une décision de principe entre anthropologisme et {eanscendantalisme doit donc re possible qu surmonte toutes les figures historiques de la philosophie et de I’ eee philosophie et de Panthropologie ou Mais tout dépend ici de la possession effective des évidences présupposées par la décision de principe, évidences dont le manque persistant a rendu possible cet incessant conflit. En sommes-nous aujourd'hui a disposer de ces évidences, Pess principielle de la philosophie et de sa méthode est-elle dé Parvenue a une clarification radicale et & une saisie conceptuelle spodictque en sorte que nows pussions y fonder une déision léfinitive ? Je voudrais essayer de vous convainere que tel est le cas grice au résutat du développement de la phénoménologie constitu tive. Sans suivre celui-ci, je veux essayer de circonscrire, au moins en tant qu’Idée, la méthode philosophique transcendan- tale parvenue a lélucidation pure, ainsi que la philosophic transcendantale atteinte par la démarche systématique du travail concrétement accompli. A partir de 'évidence ainsi obtenue, Ia décision principielle, donc definitive, de la question qui est aujourd'hui notre théme, a savoir : dans quelle mesure une philosophie, partant une philosophie phénoménologique, peut-elle étre méthodiquement fondée dans une anthropologie « philosophique »? s'imposera d'elle-méme Prenons pour départ le contraste entre les philosophies pré- et post-cartésiennes. La premitre est commandée par la vieille idée originaire et objectiviste de philosophie, la seconde par la tendance vers lidée nouvelle ‘ranscendantale-subjectiviste Dans la lutte des Temps modernes pour une vraie philoso- phic (ct dans les conflits méthodiques déja évoqués) il y a une 58 PHENOMENOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE, lutte pour un authentique dépassement de la vieille idée de philosophie et de science au profit de la nouvelle idée. Dépas- sement authentique, cela veut dire aussi conservation de la veil idée par clarification de son vrai sens, le sens relatif- transcendantal. ‘De maniére générale, la science au sens européen que nous Tui connaissons est une création de Vesprit grec. Son nom d'origine est philosophie, son domaine de connaissance I vers de l’étant en général. Elle se ramifie en disciplines parti- culidtes dont les principales s'appellent sciences, tandis qu'on nomme philosophiques uniquement celles qui traitent des questions qui concernent de la méme manire tout étant. Le vieux concept total de philosophie qui rassemble coneréte- ent toutes les sciences demeure toutefois et pour toujours indispensable. Liidée téléologique de philosophie, de science, d'abord obscurément congue, se clatfie, se forme et se consolide de maniére progressive au cours d'un long développement. La connaissance dans attitude du Oavuétew, du pur intérét « théorique », donne lieu a la science au sens premier mais rapidement insuffisant. La connaissance simplement empirique, inductive classficatrice-descriptive, n'est pas encote science au sens prégnant. Elle ne fournit que des vérités relatives, des vérités de situation. La philosophie, science authentique, vise des vérités absolues, définitives, dépassant toute relativité. En elle, Pétant est déterminé tel qu’en lui-méme i est. Dans le monde intuitif, celui de expérience pré-scientifique, s'annonce bien de maniore évidente et malgré sa relativite un monde existant effectivement mais dont les propri¢tés vraies en. soi dépassent la simple expérience. La philosophie, la. science authentique, vise ces propriétés, que ce soit selon des degres approximation, par recours a leidos, au pur a priori commu- nément accessible dans une évidence apodictique. ‘Levolution va a encontre de Vidée suivante. La connais- sance philosophique du monde donné exige d'abord une connaissance apriorique universelle du monde, nous pourrions dire une ontologie universelle qui ne soit pas seulement abstrai- tement générale mais concrétement régionale. Par la est saisie la forme essentielle imvariante, la pure ratio du monde, et jusque dans toutes ses sphéres ontologiques régionales. Autrement dit : la connaissance du monde factice est précédée par la connais- sance universelle des possibilités d'essence sans lesquelles un 5H) NOTES SUR HEIDEGGER monde en général, donc aussi le monde factice, ne saurait étre pensé comme étant. Au moyen de cet a priori une méthode rationnelle est possible pour connaitre le monde factice sous la forme des sciences rationnelles portant sur les faits. L’empirie aveugle est rationalisée, elle prend part ala pure ratio, Sous la direction de celle-ci, la connaissance nait des fondements, une connaissance des faits procédant @ une élucidation rationnelle. Soit 'exemple de la nature corporelle; la mathématique pure comme a priori d’une nature pensable en général rend possible Vauthentique science philosophique de la nature — science ‘mathématique de la nature, C'est 1 plus qu’un exemple, cat la mathématique pure et la science mathématique de la nature ont d’abord mis a jour, dans une sphére évidemment étroite, ce a quoi tendait Vidée objectiviste originaire de la philosophie, de Ia science. Séparons maintenant ce qui n’a besoin de létre qu’en consé- quence tardive du virage des Temps modeines, & savoir le formel et le matétiel de cette conception. Formalite, il s'agit une connaissance universelle et, au sens indiqué, rationnelle de Pétant en sa totalité. Mais, pour toute la tradition, le concept formel d’étant ou de quelque chose en général a d'emblée un sens matériel contraignant, celui d’étant mondain ou réal dont le sens d’étre derive du monde qui est. La philosophie veut donc étre la science du tout des réalités et, nous allons le voir, est cela qui vacille a P’époque moderne. Le développement de la philosophie moderne qui s'amorce avec Descartes se distingue nettement de tous les développe- ments antérieurs. Un nouveau motif entre en action qui, sans toucher a Pidéal formel de la philosophie, celui de scientificité tationnelle, concerne son sens matériel qu’ll change finalement du tout au tout. La naiveré avec laquelle /e monde est présup- posé comme existant de manigre évidente — comme évidemment prédonné par lexpérience — est perdue : lévidence devient la grande émgme. Le retour cartésien du monde prédonné a la subjectivité qui en fait Vexpérience, partant a la subjectivité de la conscience en général, éveille une dimension toute nouvelle du questionnement scientifique que, par anticipation, nous nommerons transcendantale. En tant que probléme philosophique fondamental, elle s'ex- prime de diverses maniéres : comme probléme de la conscience ou de la connaissance, comme probléme de la possibilité d'une 60 PHENOMENOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE, science objectivement valable, comme probleme de la possibi dune métaphysique, etc. Dans toutes ces expressions, le pro- bléme est loin d’étre un probléme précis, exposé a Paide de concepts scientifiques puisés ala source. Il conserve toujours un chatoiement obscur qui laisse libre cours a des contresens. La dimension de connaissance nouvellement ouverte parvient difficlement au dire et au concept; la vieille conceptualité habituelle, étrangére a lessence de cette dimension, ne peut Vappréhender et la mésinterpréte. La philosophie des Temps modemnes est done un constant effort pour pénétrer cette nouvelle dimension et parvenir a des concepts, des positions de question et des méthodes correctes, Long est le chemin pour y accéder. On comprendra alors qu’en dépit d'une sérieuse volonté scientifique, une philosophie unique satisfaisant a la motivation transceridantale n’ait pas €té atteinte. A la place, nous avons une pluralité contradictoire de systémes. Cette situation s‘est-elle récemment améliorée ? Dans le mélange et la succession rapide de nos philosophies la mode, peut-on se risquer & espérer quill y en ait déja une od la tendance transcendantale des Temps modemes soit parfaitement élucidée au point de conduire & une Idée néces- saire, solidement formée, apodictique, de philosophie transcen- dantale? Et a une méthode originaire susceptible de guider le travail scientifique rigoureux, voire le commencement et la poursuite de ce travail lui-méme ? ‘Ma réponse était anticipée dans l'introduction. Je ne saurais voir ailleurs que dans la phénoménologie transcendantale ou constitutive la pure philosophie transcendantale accomplissant un travail scientifique effectif. Tres discutée et trés critiquée, elle est encore proprement inconnue, les préjugés naturels et traditionnels ébloussant et, sen laiscant pas penétrer le sens effectif. Au lieu d’aider et d’améliorer, la critique n'a méme pas encore atteint la phénoménologic transcendantale. I me revient donc maintenant de vous rendre évident le véritable sens de la phénoménologie transcendantale. Ensuite nous obtiendrons les évidences de principe grice auxquelles il pourra étre décidé du probleme de la possibilité d’une anthro- pologie philosophique. Les Méditations de Descartes offrent le point de départ le plus commode. Laissons-nous guider par leur seule forme, par la volonté du radicalisme scientifique le plus extréme et non par leur contenu falsifié par les multiples préjugés que nous y 61 NOTES SUR HEIDEGGER avons remarqués. Nous tentons d'accomplir un radicalisme Stientifique indépassable. Toute la philosophie des ‘Temps fmodernes découle des Méditations de Descartes. Convertis- Sons cette proposition historique en proposition relative aux choses mémes : tout authentique commencement philosophi- Gue sourd des Méditations, d'une solitaire prise de conscience Ge soi, Il n'y a, dans son originarité, de philosophie autonome we nous sommes a Pépoque ob I"humanité s'est éveillée & Pautonomie — que dans lauto-responsabilité radicale et soli- taire de celui qui philosophe. Crest par Fisolement et la tnéditation seuls qu'll devient philosophe, que la philosophie devient en lui nécessaire comme procédant de lui. Ce qui vaut pour d'autres, ce qui vaut traditionnellement en tant que PGence et fondation scientifique, je dois, en tant qu’ ego auto- ome, le poursuivre au sein de ma propre évidence jusqu’au fondement ultime. Celui-ci doit étre immédiatement évident de maniére apodictique. C'est seulement ainsi que je puis tre absolument responsable et justifier de maniére absolue. Aucun préjugé, fit-il le plus évident de tous, ne doit étre laissé par ‘moi hots de question et infondé. Si jfessaie sérieusement de satisfaire a cette exigence, je découvre avec étonnement une évidence jamais remarquée, jamais exprimée, celle d'une croyance ontologique univ ‘qui traverse et porte ma vie entidre. Quoique inapersue, elle ene aussi dans ma visée d'une philosophie. Sous ce titre, je Yeux naturellement une science universelle de monde, se spécia- isant ensuite en sciences spéciales des domaines particuliers du monde, «Le» monde. Son fre est Tévidence constant; la résuppusition constamment passée sous silence. Sa source est PresvE{eoent Dexpérience universelle dans sa constante cet: tude ontologique. ‘Quien estil de cette évidence ? Au regard des réalités singu- lidres, Vévideence de Pexpérience est souvent fragile. La certitude ontologique qu'elle offre devient occasionnellement douteuse et peut étre méme biffée sous le titre de vaine apparence. Pour- Euoi, par contre, la certitude empirique du monde en tant que Pralite des. réalités qui existent effectivement pour moi Gemeute-teelle intacte ? Je ne peux, en fait, jamais la mettre en. Goute ou la nier. Cela suffit-il A une fondation radicale? La ertitude d'étre qui habite la continuité de Yexpérience du Snonde n’est-elle pas en fin de compte multiplement fondée? ‘Ai-je toujours, dans Pexplicitation, poursuivi cette certitude, PHENOMENOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE, ai-je interrogé de manigre responsable les sources de validité de Texpérience et de sa portée? Non, C'est sans justification Yelle se tenait au fondement de ma vie antérieure et de Pactivite scientifique. Cela ne saurait demeurer. Je dois la mettre en question et ne saurais amorcer une science sérieuse- ment autonome sans Vavoir au préalable justifiée de manitre tltimement apodictique par voie de fondation questionnante et responsable. ‘Qui plus est: sila certitude ontologique de lexpérience du monde est mise en question, elle ne peut plus fournir un sol & la formation des jugements. Du coup s'impose a nous, Amoi ego meéditant et philosophant, une époch? universelle concernant etre du monde et de toutes les réalités singuligres qui s'y trouvent et que Vexpérience, voire Pexpérience concordante, nous offre a titre d’effectivité. Que reste-til alors? Le monde n’est-il pas le tout de létant ? Ne suis-je pas alors devant le néant, puis-je encore juger, ai-je méme encore une expérience comme sol de jugement od l’étant, avant tout acte de jugement, est déja la pour moi de maniére intuitive-origi- naire? Nous répondrons comme Descartes (quoique de ma- niére non identique) : méme si existence du monde qui doit rre radicalement fondée demeure en question et tombe sous Pépoche, moi qui questionne et exerce I’époché, moi je suis, et le « je suis » dont je suis en moi-méme conscient peut tre établi surle-champ de maniére apodictique. De moi qui exerce ’épo- ché, j'ai une expérience dont je peux immédiatement et active- ment répondre. Ce nest pas l'expérience du monde — toute Pexpérience du monde a été mise hors jeu — et c'est pourtant tune expérience. Par elle, je me saisis moi-méme, précisément en tant quego dans T'époché du monde, avec tout ce qui est parable de moi en tant que cet ego, Ainsi, en tant que cet ego apodictique, je suis, par rapport a l’étre du monde, I'anté- eur en soi, et ce dans la mesure oli mon étre, en tant que cet 90, demeure intact quoi qu'l en soit de la validité ontologique du monde et de sa justification. Manifestement, c’est seulement en tant que cet ego que je peux ultimement répondre de l'étre du monde et que je peux, si jamais, accomplir une science radicalement responsable. ‘Un nouveau pas plus important maintenant : ce n'est pas en vain que j'ai souligné « cet ego ». Parvenu en ce point, je note ‘qu'une véritable révolution s'est produite avec mon ego philoso- Phant. D'abord, au commencement de la méditation, j étais 3 NOTES SUR HEIDEGGER jour moi-méme cet homme singulier qui, de temps en temps, fe stparit de ses semblabes 2 hire dermie phlvopbent ain de tenir a distance leurs jugements. Je me tenais donc encore sur le sol de lexpérience du monde évidemment existant. Mais, maintenant que le monde doit rester en question, mon étre d’homme parmi les hommes et les autres réalités du monde est Tui aussi en question, tombe sous l'époche. Grice a cette épocha, la solitude humaine est devenue radica- ement autre, est devenue solitude transcendantale, solitude de ego. En tant qu’ego, je ne suis pas pour moi-méme I’homme dans le monde existant mais le Je qui met le monde en question uant a son étre et son étre-tel, ou le Je qui, persistant a vivre Vexpérience universelle, en met entre parentheses la validité ‘ontologique. De méme pour tous les modes de conscience non empiriques au sein desquels le monde vaut pratiquement ou théoriquement. Le monde continue & apparaitre tel qu'il appa- raissait, la vie du monde n’est pas interrompue mais maintenant le monde est monde « mis entre parenthéses », pur et simple phénoméne, phénoméne de validité de l'expérience fluante, de Ia conscience en général désormais transcendantalement réduite dont le monde, ce phénoméne universel de validité, est manifes- tement inséparable. Est ainsi décrite ce que dans la phénoménologie transcendan- tale nous nommons réduction phénoménologique. Il ne s'agit pas d’une suspension passagére de la croyance a létre du monde, mais d’une suspension volontairement continuée qui, ‘en tant que phénoménologue, me lie une fois pour toutes. Mais elle n’est ainsi que le moyen nécessaire a l'activité réflexive de Pexpérience et du jugement théorétique oi s'ouvre un champ d’expérience et de connaissance essentiellement et fondamenta- Jement nouveau : le champ transcendantal. Ce qui est désormais thématis€ grace a la seule époch® est mon ego transcendantal, ses cogitationes transcendantales, bref, les vécus de conscience transcendantalement réduits, sous toutes leurs figures typiques, y compris a chaque fois les cogitata qua cogitata : tout ce dont je suis & chaque fois conscient, selon les modes oii je le suis — est toujours dans le suspens de I'époché. Ces modes de conscience forment le domaine transcendantal de conscience de l'ego, domaine changeant mais toujours unifié. Ce n'est 1a qu'un ‘commencement, mais un commencement nécessaire. Poursuivre la réflexion transcendantale conduit bient6t aux propriétés transcendantales du « Je pense », aux facultés habituelles, et a 64 PHENOMENOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE, d'autres choses encore telles que le monde en tant que phéno- mene universel de validité, en tant qu’univers permanent opposé a la multiplicité de la conscience du monde. En fait, et contre toute attente, s’ouvre ici, grace a la seule réduction phénoménologique, un prodigieux champ de recher- ches. Tout dabord, un champ d’expérience immédiate et apodictique, la source perpétuelle de l'assise de tous les juge- ‘ments transcendantaux, immédiats et médiats. Descartes et la suite y sont demeurés aveugles. De toute fagon, il était extraor- dinairement difficile d'élucider le sens pur de la conversion transcendantale, et simultanément de faire la différence fonda- mentale entre ego — ou la sphére — transcendantal et ego hhumain avec ses sphéres psychique et mondaine. En outre, aprés que cette différence eut &€ vue et que la tache d’une science transcendantale eut atteint son sens pur, chez Fichte et ses successeurs, il était extraordinairement difficile de voir et d'exploiter le sol d’expérience transcendantale dans son infinite. La faillt 'idéalisme allemand, qui se perd en spéculations sans fondement, spéculations dont la non-scientifité est indubitable — ce qui n'est pas, malgré une opinion largement répandue aujourd'hui, un éloge. I est en général extraordinairement difficile de’satisfaire au probléme entitrement nouveau de la méthode philosophique dés lors qu'elle doit étre la méthode d'une science philosophique, d'une science a responsabilité ultime. Finalement, tout dépend de la méthode initiale de réduction phénoménologique. Sile sens de la réduction qui est la seule porte d'entrée du nouveau royaume est manqué, alors tout I’est. Les tentations de mécompréhensions deviennent presque toutes-puissantes, On test pas loin de se dire: je aua bien, mol cet homme, eel qut fexerce toute la méthodique du changement transcendantal attitude et qui ainsi se replie sur son ego pur. Qu’est done cet €go, sinon une couche abstraite de "homme concret, son pur tte spirituel, abstraction faite du corps ? Mais qui parle ainsi est manifestement retombé dans attitude naturelle-naive, sa pensée se meut sur le sol du monde prédonné et non sous Penvodtement de l'époch® : se considérer en tant qu’homme, est déja présupposer la validité du monde. L’époche fait voir, par contre, que c'est dans la vie de ego que Paperception bomme recoit son sens d’étre au sein de l’aperception univer- selle monde. ‘Méme si I’on parvient a distinguer, autant que nous venons 6 NOTES SUR HEIDEGGER de le faire, le nouveau champ transcendantal d'expérience et de jugement du champ mondano-naturel, méme si l'on rem: que que s‘ouvre un vaste royaume de recherches possibles, il n’est pas facile de voir 4 quoi doit servir une telle recherche ou de voir qu’elle est appelée & mettre sur pied Pauthentique philosophie. ‘Comment de telles recherches purement égologiques, accom: plies dans une époché conséquente et inébranlablement main- tenue, peuvent-elles avoir une quelconque importance philoso- phique ? En tant qu’homme dans le monde, je pose au monde toutes les questions théoriques, pratiques, de destin. Puis-je y renoncer ? Ou ne le dois-e pas si le monde, dans son étre, est et demeure soumis a l'gpoché? Il semble que je ne pourrais jamais revenir au monde et A toutes les questions vitales pour Tesquelles je philosophais et m’efforcais a la science en tant que prise de conscience rationnelle et radicale du monde et du Dasein humain. Mais le renoncement consequent au monde caractéristique de la réduction transcendantale n’est-il pas le chemin nécessaire vers une vraie et définitive connaissance du monde effectuable seulement a 'intérieur de cette époché? N’oublions pas la Peer de sexs des Méclcatiora dans, laquelle ’époché a pris son sens et sa fonction de connaissance. Le renoncement. au monde, «la mise entre parenthéses » du monde, ne signifie cependant pas que désormais le monde n'est plus théme; au contraire, il doit étre notre théme d’une maniére nouvelle, dans. tune dimension plus profonde. Nous n'avons renoncé qu'a la naiveté dans laquelle nous laissions l'expérience générale du monde donner celui-ci comme étant et étant tel ou tel. La naiveté disparait dés que — et tel était le motif qui nous poussait — nous explicitons de maniére responsable en tant que sujet autonome la prestation de validité de l'expérience et cherchons l'évidence rationnelle od: nous pouvons précisément en répondre et déterminer sa portée. Au lieu d'avoir naivement le monde et de poser naivement des questions mondaines, questions de vérité du sens commun, nous posons maintenant de nouvelles questions mondaines, questions au monde pris purement comme monde de 'expé- rience ou des autres modes de conscience du monde, — done au monde qui, purement, a atteint en nous, et d'abord pure- ‘ment partir de moi et en moi, son sens et sa validité. Nota bene : en moi A titre d'ego transcendantal. 66 PHENOMENOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE, Crest sur ce point que nous devons focaliser la clarté, Ce monde n'a pour moi d’évidence ontologique qu’en tant qu'elle fest ma propre évidence, celle de mon expérience propre, issue de ma propre vie de conscience. C'est en elle que prend sa source tout ce sens qu’a pour moi le monde et n'importe quel fait objectif qui s’y produit. Mais je vois, grace a l’époche transcendantale, que tout étant mondain et done aussi mon Dasein en tant qulhomme n'est un existant (Daseiendes) pour ‘moi qu’a titre de contenu d'une certaine aperception empiri- que sur le mode de la certitude d’étre. En tant qu’ego trai cendantal, je suis l'ego qui accomplit cette aperception et qui vit a travers elle. Elle est un événement en moi, quelque chose de caché avant la réflexion et of se constituent d’abord comme €ant pour moi le monde et les personnes humaines. Toute évidence que jlatteins en ce qui conceme l’étant mondain, toute voie de vérification scientifique ou pré-scientifique, re- pose primairement en moi lego transcendantal. Certes, je dois autant, voire plus, aux autres, mais ils sont d'abord autre pour ‘moi, recevant de moi le sens et la validité qu’ils ont toujours pour moi. Et c'est seulement si je tite de moi leur sens et leur validité qu’ils peuvent m’aider en tant que co-sujets. A titre d’ego transcendantal, je suis donc le sujet absolu responsable de toutes mes validités ontologiques. Prenant conscience de ‘moi-méme en tant que cet ego par la réduction transcendan- tale, je surplombe tout éze mondain, mon propre étre d’homme et ma vie humaine. Cette position absolue au-dessus de tout ce qui vaut et doit pouvoir valoir pour moi, avec tout son contenu possible, doit précisément étre la position philo- sophique, Ia position que me donne la réduction phénoméno- logique. Je n'ai done rien perdu de ce qui était Ia pour moi dans la naiveté et qui, en particulier, se montrait & moi comme effectivité étante. Bien plus : dans I'attitude absolue, je connais Je monde lui-méme et le connais maintenant comme ce quill était toujours et devait étre essentiellement pour moi : un phénoméne transcendantal. J’ai ainsi, relativement a cette effec- tivité, mis en jeu une nouvelle dimension de questions jamais posées, questions dont la réponse peut mettre a jour le plein tre concret et la vérité compléte et definitive de ce monde, Nrest-il pas d’ores et déja certain que le monde qui, dans attitude naturelle, devait valoir comme lunivers de Vétant, n'a de vérité que transcendantale-relative et que Vétre méme revient ala seule subjectvité transcendantale ? Mais, ici, prenons garde. or NOTES SUR HEIDEGGER Certes, le monde qui est pour moi, dont j'avais toujours une représentation, dont je patlais avec sens, a pour moi sens et validité a partir de mes propres productions aperceptives, & partir de mes expériences qui s'y déroulent et s enchatnent, & partir également des autres productions de conscience, par exemple celles de la pensée. Mais n’est-ce pas une supposition folle de dire que le monde lui-méme provient de ma produc- tion? Il faut done mieux dire : dans mon ego et a partir des sources propres de activité et de la passivité transcendantales se forme ma «représentation du monde », mon «image du ‘monde » — mais en dehors de moi il y a bien sar le monde méme. Est-ce toutefois une réponse satisfaisante ? Si tant est qu’ils aient du sens, les termes « dedans » ¢t « dehors » ne le tien- nent-ils pas de ma formation de sens et de ma confirmation ? Dois-je oublier que la totalité de ce que je peux penser comme étant repose a l'intérieur du domaine universel de la conscience effective ou possible, la mienne, celle de 'ego? Cette réponse est contraignante sans étre satisfaisante. La reconnaissance de la relativfé transcendantale de tout étre, et par suite de l'ensemble du monde existant, peut bien ére inévitable, elle nen reste pas moins, établie de maniére for- melle, tout a fait inintelligible, Elle le resterait si nous nous engagions dans une argumentation de survol comme celles qui, de tout temps, furent la malédiction de ladite « théorie de la connaissance ». ‘Mais n’avons-nous pas déa découvert la subjectivité trans- cendantale concréte en tant que champ d’expérience et champ de connaissance s'y rapportant comme a un sol? De fait, la voie n’est-elle pas libre pour résoudre & nouveaux. frais Pénigme transcendantale du monde? Distincte toto caelo de toute énigme mondaine au sens habituel, l'énigme transcen- dante a laquelle nous sommes initialement confrontés consiste en ceci que la relativité transcendantale, découverte avec l’ati tude transcendantale et I'ego transcendantal, demeure ininteli- gible. Le commencement n'est pas une fin. Toujours est-il que ce que novs avons a faire pour atteindre a Vintelligibilite, et parvenit ainsi a une connaissance effective concréte et radica- Jement fondée du monde, est bien clair. Nous devons nous engager dans une étude systématique de la subjectivité trans- cendantale concréte pour savoir comment elle confére sens et validité au monde objectif en soi. Moi en tant qu’ego, je dois PHENOMENOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE prendre pour theme scientifique, et d’entrée essentiellement scientifique, moi-méme et toute ma sphére de conscience selon sa structure d’essence et selon la structure des productions de validité et de sens accomplies et a accomplir en elles. Philoso- phe, je ne saurais vouloir en rester a une vague empirie transcendantale. Il faut done d'abord saisir la typique essen- tielle de mes vécus de conscience dans leur temporalité imma- nente — en termes cartésiens, le flux de mes cogitationes. Chaque cogito singulier, chaque liaison entre cogito singuliers comme liaison dans unite d'un nouveau cogito, est cogito de son cogitatum et celui-ci qua cogitatum, pris tel qu'il appara, fest essentiellement inséparable du cogio. Naturellement, il faut d’autre part suivre la connexion d’essence entre les cogita- tiones et les facultés correspondantes. Le «je peux», le « je fais », finalement le « jai une faculté permanente de... » est un événement essentiel, ainsi que chaque faculté et capacité de la conscience du Je d’étre active. Le Je qui se montre tout Gabord comme un centre vide est le titre d’un probleme transcendantal part, celui des propriétés des facultés. Plus importante toutefois est la recherche qui porte sur la coréla- tion entre la conscience en tant que vécu et ce qui y est conscient en tant que tel (le cogitatum). I! ne faut pas négliger ici ce qui est décisif. Puisque, en tant qu’ego, je dois diriger Te regard sur la multiplicité enchevétrée des modes subjectifs de conscience qui, a chaque fois, s'entre-appartiennent comme mode de conscience d’une seule et méme chose consciente, objet qui y est visé, ils s’entre-appartiennent gre a la syn- thase d’identité qui intervient nécessairement dans la transition. ‘Ainsi, par exemple, la multiplicté des modes d’apparitions en lesquels consiste la considération perceptive d'une chose et par lesquels cet un, cette chose, devient conscient de maniére immanente. Ce qui nous est donné naivement comme chose lune, voire comme permanence inaltérée, devient le fil conduc- deur sranscendantal pour Vétude systématique et réllexive des multiplicités de conscience qui, par essence, lui appartiennent. De méme pour tout étant, pour toute réalité singuliére et pour Je monde en tant que phénoméne total. Le fait quill y ait ici tune légalité essentielle, apodictique, de la corrélation, était a soi seul une connaissance toute nouvelle d’une portée vérita- blement inouie. Mais ce ne sont la que des commencements (quoiqu’ils appellent les recherches descriptives les plus éten- dies) pour une progression vers des strates toujours nouvelles NOTES SUR HEIDEGGER de la recherche transcendantale, tirant toujours de la descrip- tion et de l'expérience concrétes leur assise et leur évidence apodictique concrete. La possibilité de toutes ces recherches dépend de la décou- verte de la méthode qui questionne en retour, par dévoilement concret, lobjectivité intentionnelle. L’authentique analyse de la conscience est pour ainsi dire Pherméneutique de la vie de conscience en tant qu'un étant (identique) visant continuelle- ment et se constituant intentionnellement dans des multiplici- té de conscience qui lui appartiennent essentiellement. Ce niest pas a la nature (comme Bacon) mais a la conscience, rego transcendantal, qu’il faut serrer la vis pour qu’elle nous livre ses secrets. Qu’une telle problématique et qu'une telle méthode aient pu Festé entigement cachées tient une pro- prigté essentielle de la vie de la conscience elle-méme. A savoir : puisque l'ego, dans latitude naturelle-mondaine, est toujours orienté sur une quelconque objectivité prédonnée, puisqu'l en est toujours d'une maniére ou Pautre occupé, la vie fluante dans laquelle s’accomplit la production d’unité demeure pour ainsi dire essentiellement anonyme, recouverte, Mais ce qui est recouvert doit are dévoilé, le Je peut, par essence, convertir réflexivement le regard thématique, il peut intentionnellement questionner en retour et rendre visible et intelligible, par une explication systématique, Ia production dunité, Cela dit, nous comprenons que la conversion de la recherche naive du monde a la recherche de soi du domaine de conscience Ggologique transcendantal ne signifie rien moins qu'un déta- jement du monde et un passage dans une spécialité théoréti- que Etrangére au monde et par conséquent désintéressée. Au contaire : c'est le tournant qui nous rend possible une recher- che effectivement radicale du monde, voire, comme cela appa- rait plus tard, une recherche scientifique radicale de I'érant absolu, de Iétant au sens ultime. C’est, une fois reconnue la carence de la naiveté, le seul chemin possible pour fonder les sciences dans I'authentique rationalité ou, pour parler concré- tement, le chemin de I'unique philosophie possible radicalement fondée. ‘Naturellement, cette grande et impressionnante tache re- quiert une méthode extraordinairement difficile dans la stratfi- cation abstractive de la sphére transcendantale et de la problé- matique correspondante. Elle est nécessaire pour pouvoir, selon 70 i a a PHENOMENOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE un ordre de travail assuré, s'élever d'un niveau problématique aux niveaux supérieur. Il faut alors, dans une premigre couche de recherches, faire abstraction de la production transcendantale de empathie. Cest ainsi seulement que seront atteintes les présuppositions essentielles pour comprendre précisément cette production et, du méme coup, pour surmonter la plus embarrassante des ininteligibilités. Autrement dit, pour dissiper 'apparence initia Jement déconcertante d'un solipsisme transcendantal. Et ce non par des argumentations creuses, mais par une explication inten- tionnelle concrete. Cest ici qu’apparatt, dans le domaine de connaissance trans- cendantal de I'ego, un partage essentiel et fondamental entre ce qui lui est pour ainsi dire personnellement propre et ce qui lui est étranger. A partir de moi-méme comme constituant du sens d'etre, j'atteins dans le contenu de ego privé propre ce qui est transcendantalement autre en tant que semblable a moi, jat- teins done l'intersubjectivité transcendantale totale, ouverte, sans fin, comme cette intersubjectivité dans la vie transcendan- tale communautaire de laquelle se constitue d’abord le monde objectif en tant que monde identique pour chacun Tel est donc le chemin de la phénoménologie transcendan- tale, qui va de la naiveté de la vie naturelle quotidienne et de la philosophie d’ancien style a la connaissance transcendantale absolue de I'étant en général I ne faut jamais perdre de vue que cette phénoménologie transcendantale ne fait rien d’autre que de questionner le monde, celui qui en tout temps est pour nous le monde effectif (qui vaut pour nous, se légitime pour nous, qui seul a sens pour nous), rien d’autre que de questioner intention- nellement ses sources de validité et de sens qui recélent évidemment son veritable sens d’étre. C'est ainsi et seulement ainsi que nous accédons a tous les problémes mondains concevables et tous les problémes ontologiques qui, ensuite, se révelent de maniére transcendantale. Ce ne sont done pas seulement Jes vieux problémes qui sont élevés a leur sens transcendantal. Lorsqu’on a sérieusement compris ce qui est ici voulu et ce gui s'ouvre dans le travail le plus concret et l'évidence la plus contraignante en tant que théorie systématique, alors il ne peut plus rester le moindre doute quant au fait qu’il ne peut y avoir qu'une philosophie définitive, qu'une sorte de science défini- 1 NOTES SUR HEIDEGGER tive, la science de la phénoménologie transcendantale selon sa méthode d’origine. Tout cela répond implicitement a la question de savoir si une anthropologie, quel que soit le sens de ses taches, est possible ‘en tant que philosophique et, en particulier, si une fondation de Ia philosophie renvoyant a Tessence de Phomme sous ’une quelconque de ses formes est légitime. Test aussit6t clair que toute doctrine de l'homme, empirique ‘ou apriorique, présuppose un monde existant ou susceptible d’exister. La philosophie du Dasein humain retombe done dans cette naiveré quill faut surmonter, ce qui est, selon nous, tout le sens des Temps modemes. Une fois cette naiveté enfin dévoilée, une fois atteint Pauthentique probléme transcendantal dans sa nécessité apodictique, on ne saurait plus y retourner. Je ne peux considérer la décision autrement que comme définitive et tenir toute philosophie qui se nomme phénoméno- logique sans pouvoir atteindre I'authentique dimension philo- sophique en général pour une aberration. Du reste, en va de méme pour tout objectivisme, quel qu'il soit, pour tout retour a 'objet substitué au retour @ la subjecti- vité transcendantale. Cela vaut également pour cet idéalisme ontologique qui, tel celui de Scheler, voit déja, dans la justifica- tion renouvelée de leidos et de la connaissance apriorique ou ontologique par mes Recherches logiques, une carte blanche pour une métaphysique naive, au lien de suivre la tendance interne des recherches constitutives subjectivement orientées. Loin d’étre un progrés, le retour 4 une métaphysique d’ancien style n’est qu'une défaillance a Végard de la grande et impres- criptible tache du présent : conduire définitivement & sa carté et A sa vérité le sens de la philosophie moderne. Je ne peux malheureusement qu effleurer le paralllisme déja mentionné entre "homme et lego, la psychologie interne et la phénoménologie transcendantale : la premitre en tant que psychologie de la subjectivité de conscience purement saisie (ou personnalité, selon l'unique forme dotée de sens de la psycholo- gie intentionnelle) dans la forme rationnelle, cest-i-dire la méthode eidétique. De fait, le développement de la psychologie dans les Temps modernes n’a pas lieu comme le simple développement d'une science positive spéciale mais, jusqu’au xIX* siécle, avec le sens Bene feodation tunocendantale Gla phllowophic en geal pe fous antcoome, ln paychologie a, pour de lapes ret 72) 2 PHENOMENOLOGIE ET ANTHROPOLOGIE conservé cette fonction, Un tel entrelacement constant de la psychologic et de la philosophie a l'époque de la motivation transcendantale serait impossible sans un fondement dans les choses mémes, Cela s'atteste encore dans le fait que les tentati- ves de réforme radicale de la psychologie comme l'introduction de Vintentionnalité dans la soi-disant psychologie descriptive (psychologie interne de tradition lockienne) ou comme limpul- sion regue de orientation diltheyenne vers les sciences de esprit, vers une psychologie de la personnalité dans son existence historico-sociale, ont créé les conditions préalables pour une compréhension nouvelle et plus profonde du pro- blame spécifiquement transcendantal et pour la découverte d'une méthode transcendantale assurée. A T'inverse, la percée de Pauthentique méthode d'une phénoménologie transcendantale et de celle-ci elle-méme au sein de la philosophie, a aussit6t agi fn retour pour une réforme de la psychologie et pour le sens authentique d’une psychologie interne. Son principal probléme directeur, celui de la constitution phénoménologico-psychologi- que du monde comme « représentation » humaine apparaissait alors pour la premitre fois, ainsi que la méthode dexplicitation des horizons de conscience comme méthode suivant le fil conducteur du cogitatum, de Vobjet intentionnel. Tout cela était entigrement fermé a Brentano et ses éléves. Ce remarquable rapport, ce paralllisme entre psychologic intentionnelle et phénoménologie transcendantale, requiert naturellement une explication. I! faut faire comprendre, partir des ultimes fondements transcendantaux, pourquoi en fait la psychologie, et sil’on veut anthropologie, n’est pas une science positive parmi les autres, parmi les disciplines scientifiques haturelles, mais posséde une affinitéintime avec la philosophic, celle qui est transcendantale. Mais cette explication est d’ores et déja possible et a montré que, sila psychologie interme (finalement, l’anthropologie en un sens purement spirituel) découvre Vintersubjectivité et qu'on lui donne la forme d’une science rationnelle d'extension et d'uni- vetsalité inconditionnées (comme cela s'est fait dés le commen- cement pour la science rationnelle de la nature), alors une ‘motivation surgit d’elle-méme qui contrait le psychologue & abandonner sa mondanité naive pour se comprendre comme hilosophe transcendantal. Nous pourtions dite encore : si Pidée e'une connaissance zationnelle, postive et exhaustive du ‘monde est pensée, si ses ultimes fondements le sont également, B NOTES SUR HEIDEGGER alors la science positive du monde vire d’elle-méme en science transcendantale, La science positive se distingue de la philoso- phie seulement tant que celui qui connait reste enlise dans des hoses fines. Mais ce sont lade bien grands thtmes pour une Traduit par Didier Franck 74 LA PHENOMENOLOGIE (article pour ' Encyclopaedia Britannica) PREMIERE VERSION * Par le terme phénoménologie on entend un mouvement pphilosophique apparu au tournant de ce siécle dont le dessein était une refondation radicale de la philosophie scientifique et, travers ele, de toutes les sciences. Mais ce terme signifie aussi la science fondamentale nouvelle que ce projet implique, au sein de laquelle il convient de distinguer la phénoménologie psycho- Jogique et la phénoménologie transcendantale. I. La phénoménologie psychologique comme psychologie «pure» 1, Toute expérience, toute forme de conscience au sein de laquelle nous avons affaire a des objets, est susceptible, selon toute Evidence, d’une « conversion, phénoménologique », la- quelle fait accéder & un processus d'« expérience phénoméno- logique ». Quand nous percevons simplement quelque chose, rngus sommes tournés vers la chose pergue; quand nous nous souvenons, vers ce dont nous avons le souvenir; quand nous pensons, vers nos pensées ; quand nous formons des jugements de valeurs, vers ces valeurs; quand nous voulons quelque chose, vers cette fin et les moyens de l'obtenir. Chacun de ces actes a donc son « théme ». Mais, chaque fois, nous pouvons modifier cette attitude. Nous pouvons détourner notre regard des choses, des pensées, des valeurs correspondantes, et, quill prend pour théme et lorienter vers la multiplicté chan- geante des « modes subjectifs » qui les font « apparaitre » tels jue nous en avons conscience. Par exemple, percevoir un cube alton stable et solide, c'est parcourir du regard sa forme 7 Ta premice version de Venice « Phénoménclogie » deste ' Encylopedia Bricarnce ut crite par Hise! ct annotée par Heidegger en 1927. Le texte en ext publié dans le volume IX des Husseiana, niche Prctologi, herasge- tsben von W, Biemel, pp. 237-254. w

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