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Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris

HENRY MORE LECTEUR DE DESCARTES: PHILOSOPHIE NATURELLE ET APOLOGÉTIQUE


Author(s): Alan GABBEY
Source: Archives de Philosophie, Vol. 58, No. 3, UNE MÉTAPHYSIQUE POUR LA MORALE :
Les Platoniciens de Cambridge : Henry More et Ralph Cudworth (JUILLET-SEPTEMBRE
1995), pp. 355-369
Published by: Centre Sèvres – Facultés jésuites de Paris
Stable URL: https://www.jstor.org/stable/43037361
Accessed: 30-07-2018 23:21 UTC

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Archives de Philosophie 58, 1995, 355-369

HENRY MORE LECTEUR DE DESCARTES :


PHILOSOPHIE NATURELLE ET
APOLOGÉTIQUE
par Alan GABBEY
Barnard College, Columbia University, New York

RÉSUMÉ : Henry More (1614-1687), théologien, philosophe et poèt


des principales figures des Cambridge Platonists. C'est grâce à Mor
de Descartes dès 1646, que l'intérêt porté à Descartes en Anglet
accru pendant les années 1650 et 1660. Bien que partisan de certai
de sa philosophie, More n ' était nullement « cartésien ». Apologist
et protecteur de la vraie religion contre toute impiété, son appréci
philosophie de Descartes (notamment en ce qui concerne les préten
sa philosophie mécaniste) varia selon les circonstances politiques e
giques de l'époque. La correspondance (1648-49) entre les deux ph
reste l'un des textes-clés de cette histoire.

SUMMARY : Henry More (1614-1687), theologian, philosopher, and poet, was


the principal Cambridge Platonist As a reader of Descartes from 1646, More
was the main source of the increasing English interest in Descartes during
the 1650s and 1660s. Although in agreement with parts of Descartes' philo-
sophy, More was no « Cartesian ». As an Anglican apologist and protector of
the true religion against all impiety, his attitudes to Descartes' philosophy
(notably the claims of his mechanical philosophy) varied with the changing
political and theological circumstances of the time. Among the key texts in
the story are the letters (1648-49) between the two philosophers.

Henry More est le principal personnage du groupe des philosophes-


théologiens connus, par convention sinon par souci de précision, sous le
nom de « Cambridge Platonists ». Vigoureux apologiste de l'anglicanis-
me, anti-calviniste et latitudinarian' c'est également un poète de talent
modeste que Ton retrouve parfois dans des anthologies de poésie

1 . Voir Sarah Hutton, « Edward Stillingfleet, Henry More, and the decline of Moses
Atticus : a note on seventeenth-century Anglican apologetics » ; Joseph M. Levine, « Lati-
tudinari ans, neoplatonists, and the ancient wisdom » ; Alan Gabbey, « Cudworth, More
and the mechanical analogy », dans Philosophy, Science and Religion in England 1640-

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anglaise. Né en 1614 à Grantham


de naissance de Isaac Newton, Mo
mar School que son illustre comp
lege, puis à Christ's College, à
Bachelier ès Arts en 1635 et Maître des Arts en 1639. Il entre ensuite
dans les Ordres et devient Fellow du Christ's College en 1641, position
qu'il occupera jusqu'à sa mort en 1687. Cette même année paraîtront les
Principia Mathematica de Newton, Fellow du Trinity College, égale-
ment de l'Université de Cambridge, sur qui, aux dires de certains, More
philosophe aurait eu quelque influence2.
Nous ne savons pas avec certitude quand, ni par qui, les œuvres de
Descartes furent lues pour la première fois en Angleterre. Nous avons
toutefois quelques indications : en octobre 1 637, Kenelm Digby envoie
un exemplaire du Discours à Hobbes (alors en Angleterre) ; en 1645, un
auteur anonyme anglais présente les Meditationes et les Principia Phi-
losophiae comme deux textes (parmi d'autres) où l'immortalité de
l'âme était directement démontrée3 ; et, comme nous allons le voir,

1700 , éd. Richard Kroll, Richard Ashcraft et Perez Zagorin, Cambridge UP, Cambridge,
1992, p. 68-84, 85-108, 109-127. Sur le « lati tudi nari anism », catégorie historique diffici-
lement saisissable, voir l'Introduction de Richard Kroll, op. cit., p. 1-28 ; W. K. Jordan,
The Development of Religious Toleration in England, 4 t., Allen & Unwin, London, 1932-
1940, t. 2, p. 315-421 ; J. B. Mullinger, « Platonists and Latitudinarians », dans Cam-
bridge History of English Literature, Cambridge UP, 1912, t. 8 ; John Tulloch, Rational
Theology and Christian Philosophy in England in the Seventeenth Century, 2e éd., 2 t.,
Edinburgh & London, 1874, t. 1, p. 1-343.
2. Parmi les nombreux écrits sur More et les Cambridge Platonists, citons (à l'exclu-
sion des articles) : Paul R. Anderson, Science in Defense of Liberal Religion. A Study of
Henry More' s Attempt to Link Seventeenth-Century Religion with Science, Putnam's
Sons, New York, 1933 ; Ernst Cassirer, The Platonic Renaissance in England, trad.
J.P. Pettigrove, Nelson, Edinburgh, 1953 ; Rosalie L. Colie, Light and Enlightenment : a
Study of the Cambridge Platonists and the Dutch Arminians, Cambridge UP, Cambridge,
1957 ; A. Rupert Hall, Henry More : Magic, Religion and Experiment, Basil Blackwell,
Oxford & Cambridge, Mass., 1990 ; Sarah Hutton (éd.), Henry More (1614-1687) : Ter-
centenary Studies, Kluwer, Dordrecht, 1992 (International Archives of the History of
Ideas, t. 127) ; Aharon Lichtenstein, Henry More : the Rational Theology of a Cambrid-
ge Platonisty Harvard UP, Cambridge, Mass., 1962 ; J. B. Mullinger, op. cit. ; Arrigo
Pacchi, Cartesio in Inghilterra da More a Boyle, Laterza, Rome & Bari, 1973 ; W. C. de
Pauley, The Candle of the Lord: Studies in the Cambridge Platonists, London, 1937 ;
John Tulloch, op. cit. Pour un bon tour d'horizon de la vie de More, et pour la bibliogra-
phie, voir Robert Crocker, « Henry More : a biographical essay », « A bibliography of
Henry More », dans Sarah Hutton (éd.), op. cit., p. 1-17, 219-247. La question de
l'influence de More sur Newton est très discutée : voir par exemple le compte rendu de
John Henry du livre cité ci-dessus de Rupert Hall, dans History of Science, t. 31, 1993,
p. 83-97.
3. Cf. The Prerogative of Man : or, his Soûles Immortality, and high perfection defen-
ded, and explained against the rash and rude conceptions of a late Authour who hath
inconsiderately adventured to impugne it, 47 p. (s.l.: Londres ?), 1645, p. 28. La même
année une autre édition fut publiée, sous un titre différent, à Oxford. La cible de cette cen-
sure est Richard Overton, « mortalist » et auteur de Mans mortalitie (1643, 1644, d'autres
éditions ultérieures).

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More cite Descartes dans son Democritus Platonissans, publié


Mais ce ne sont là que des indices, l'histoire des débuts de De
outre-Manche reste à écrire4, et il est certain que le rôle de
apparaîtra considérable. Par ses écrits, sa correspondance et son
gnement, More contribua de façon décisive à l'introduction de la
velle « French philosophy » chez ses compatriotes. C'est en grand
tie grâce à lui que l'intérêt porté à Descartes en Angleterre s'accr
dant les années 1650 et 1660, et que Descartes et ses doctrines y
rent en quelque sorte « à la mode » à cette époque. Ce fut par ex
par le truchement de More qu'Anne Conway (1631-1679) put s'in
re dans la philosophie cartésienne. Exclue en tant que femme d'u
cation universitaire, Lady Conway lut les Principia Philosoph
1650-1651, sous la direction personnelle de More, ce qui donn
l'une des plus importantes correspondances du xvir siècle a
Enfin, il convient de signaler qu'en 1662 More créa le néolo
« Cartesianism », cinq ans avant que « cartésianisme » ne fa
entrée, grâce à Graindorge, dans la langue française.
Toujours est-il que More, dans une large mesure responsab
connaissance de Descartes en Angleterre, ne fut jamais le porte-p
de l'école cartésienne ; ce n'est pas un « cartésien » anglais6. Pour
prendre cette situation apparemment contradictoire, il faut ne pa
de vue que l'œuvre de More, prise dans son ensemble, est foncièr
apologétique, que ce soit dans le but de revenir aux fondemen
vraie religion pour la protéger contre toute impiété et toute ma
tion de l'athéisme, ou dans celui de défendre l'Église anglican
toute menace « enthousiaste », non-conformiste, ou papiste.

4. En attendant, voir M. H. Curtis, Oxford and Cambridge in Transition, 15


Clarendon Press, Oxford, 1959, p. 256-258 ; Stirling Lamprecht, « The role of
in seventeenth-century England », Studies in the History of Ideas, t. 3, 1935, p. 1
Maijorie Nicolson, « The early stage of Cartesianism in England », Studies in P
t. 26, 1929, p. 356-374 ; Arrigo Pacchi, op. cit. ; G. A. J. Rogers, « Descarte
English », The Light of Nature : Essays in the History and Philosophy of Scien
ted to A.C. Crombie, éd. J. D. North et J. J. Roche (International Archives of the
of Ideas, n° 110), Mārtiņus Nijhoff, Dordrecht, 1985, p. 281-302 ; Charles
« Henry More and Descartes : some new sources », The British Journal for the Hi
Science, t. 4, 1969, p. 359-377.
5. Voir l'article de Sarah Hutton dans ce numéro, et aussi Richard H. Popkin
spiritualistic cosmologies of Henry More and Anne Conway », dans Sarah Hut
op. cit., p. 97-1 14. Pour les quatres lettres philosophiques de 1650-1651 où Mor
Conway discutent Descartes, voir Alan Gabbey, « Anne Conway et Henry More
sur Descartes (1650-1651) », Archives de Philosophie, t. 40, 1977, p. 379-404
Conway Letters : The Correspondence of Anne, Viscountess Conway, Henry M
their Friends, 1642-1684 , éd. Maijorie Hope Nicolson, éd. rev. par Sarah Hutto
don Press, Oxford, 1992, p. 484-494.
6. Selon Pacchi {op. cit., p. 88), le premier cartésien authentique anglais serai
Clarke (1626-1697?), Fellow de Sussex College, Cambridge.

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voyait tout spécialement comme


to draw them to or retain them in the Christian Faith »7. La réalisation
de cette conception apologétique suivit son propre développement spiri-
tuel et philosophique, mais se plia aussi aux circonstances plus exté-
rieures comme le contexte théologico-politique dans lequel ses textes
seront lus en Angleterre, ou son attitude face aux idées de Descartes et à
l'égard d'épisodes marquants dans l'histoire du cartésianisme hollan-
dais, notamment l'essor effrayant du « Cercle de Spinoza »8.
Par conséquent, le comportement de More devant la philosophie de
Descartes ne resta nullement inchangé9. A partir de 1646, Descartes fut
souvent présent dans les écrits de More, mais il importe de préciser le
rôle que More apologiste lui accorda dans chaque cas. Citons quelques
exemples. Descartes est forcément absent de la première publication de
More, antérieure à sa rencontre avec la « nouvelle philosophie » fran-
çaise. La Psychodia platonica ; or, a platonicall song of the soul
(1642), suite de poèmes où More platonisant, ou plutôt plotinisant, affir-
me l'individualité de l'âme et son immortalité, est un déploiement
éclectique d'idées tirées de Platon, Plotin, Ficin, de Hermes Trismé-
giste, des Pères, et de Copernic10. Dans la seconde partie, intitulée Psy-
chathanasia, treating of the immortality of souls, especially of man's
soul, More maintient que le monde n'est ni infini ni éternel. Quatre ans
plus tard, après sa première lecture des Principia Philosophiae (1644)11,

1. The apology of Dr Henry More... wherein is contained as well a more general


account of the manner and scope of his writings, as A particular explication of several
passages in his Grand mystery of godliness

of iniquity . . . , London, 1664, p. 494.


8. Voir Sarah Hutton, « Reason and revelation in the Cambri
reception of Spinoza », dans Spinoza in der Frühzeit seiner reli
fried Gründer et Wilhelm Schmidt-Biggemann, Lambert Sch
p. 181-200.
9. Pour plus de détails sur ces changements de More à l'égar
philosophie, voir Alan Gabbey, « Philosophia Cartesiana Tr
(1646-1671) », dans Problems of Cartesianism, éd. Thomas M. L
et John W. Davis, McGill-Queen's UP, Kingston & Montréal, 1
10. Témoin inattendu, mais pour More la théorie héliocentriq
que la raison (qui conclut au mouvement de la terre) est supérieu
son repos). Ainsi, elle démontre la supériorité de l'âme par rap
Staudenbaur, « Galileo, Ficino and Henry More's Psychathanas
tory of Ideas, t. 29, 1968, p. 565-578.
1 1. Il est probable que More acquit d'un seul coup les Princip
tion latine d'Etienne de Courcelles du Discours, publiée en mê
reliée et vendue d'habitude avec les Principia dans le même vo
Specimina Philosophiae : seu Dissertado de Methodo rectè rege
in scientiis investigandae : Dioptrice, et Meteora. Ex Gallico tr
lecta, variisque in locis emendata, Louis Elzevier, Amsterdam,
Discours de 1637, et sans doute le possédait, mais ayant une
moins bonne que celle du latin, la traduction de Courcelles aura
Quant aux Meditationes, on peut supposer que More aurait acq

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More publie le Democritus Platonissans (1646), où il soutient


ment le contraire de ce qu'il avait affirmé dans la Psychatha
sujet de l'étendue du monde, changement de perspective insp
une large mesure par la cosmologie cartésienne. Mais More n
simplement le texte de Descartes, déjà il ré-interprète « that subl
subtil Mechanick », qui

though he seems to mince it must hold infinitude of worlds , or which is


one infinite one. For what is his mundus indefinitè extensus, but extens
nité ? Else it sounds onely infinitus quoad nos but simpliciter finitus12...

Le qualificatif « mechanick », souvent péjoratif au xvif siècle, n


guère l'idée d'un Descartes associé à la tradition platonicienne
recueil Philosophicall Poems (1647), où sont repris le Democri
tonissans et la Psychodia platonica , les seules références entière
favorables à Descartes le sont pour sa théorie de la lumière (bien
rable à celle de Kenelm Digby) et pour sa théorie des marées
bien mieux réussie que celle de Galilée)13.

Aux yeux de More, Descartes, auteur chrétien d'une cosm


mécaniste, s'inscrit dans la tradition d'Épicure et de Lucrèce. Ma
doctrines infinitistes, comme celles de ses prédécesseurs atomist
prêtent admirablement à l'établissement de la bonté infinie
splendeur créatrice de Dieu. D'ailleurs, c'est Descartes lui-mê
parle de l'erreur et de la présomption de ceux qui fixent des lim
l'Œuvre de Dieu14. Ce qui importe pour More, ce n'est pas la sou
doctrines, païenne dans le cas des atomistes grecs, chrétienne et
niste pour Descartes, mais leur contenu en tant que vérité de por
logétique.

Descartes métaphysicien n'est pas à suivre plus fidèlement que


cartes le « mechanick ». More est d'accord, bien entendu, sur l'e
ce de Dieu, l'existence et l'immortalité de l'âme, que Descartes
démontre dans la Dissertatio de methodo , les Meditationes et les Princi-

tion parisienne de 1641, soit celle d'Amsterdam de 1642. Voir A. Gabbey, op. cit.,
p. 186-187, notes 27, 28.
1 2. Democritus Platonissans , or an essay upon the infinity of worlds out of Platonick
principles. Hereunto is annexed Cupid's Conflict, together with the Philosopher's Devo-
tion , R. Daniel, Cambridge, 1646, « To the Reader », A2r-v. Pour le « mundus indefinitè
extensus » de Descartes, voir Principia Philosophiae, pt. II, art. 2 1 , aussi pt. I, art. 26, 27.
13. Philosophicall poems, by Henry More : Master of Arts, and Fellow of Christs Col-
ledge in Cambridge , R. Daniel, Cambridge, 1647, p. 384, 391-400.
14. Sur la page qui précède les premières strophes de Democritus Platonissans (édition
de 1646), More cite les articles 1-2 des Principia Philosophiae, pt. III.

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pia Philosophiae (Pt. I)15, mais


que Descartes développe à prop
ceux qui insistaient sur la certitu
commente en 1647 :

For whose satisfaction Mounsieur des Chartes hath attempted bravely, but yet
methinks on this side of Mathematicall evidence. He and that learned Knight
our own Countryman had done a great deal more if they had promised lesse. So
high confidence might become the heat and scheme of Poetry much better then
sober Philosophy. Yet has he not done nothing , though not so much as he rai-
seth mens expectations to... true opinion is as faithfull a Guide, as Necessity and
Demonstration16.

Et l'opinion vraie sur Dieu et l'âme immortelle se retrouvera chez le


chrétien le plus humble, qui n'a pas encore perdu cette « divine touch of
the soul », quelque ignorant qu'il soit en haute philosophie, quelque
innocent qu'il soit des arguties métaphysiques.
Par sa nature même, la correspondance avec Descartes (1648-1649)
fut tout à fait particulière. L'apologétique y faisait place à la critique
assortie de politesse, on dirait que c'est l'époque de sa vie où More, lec-
teur à la fois admiratif et critique de Descartes, fait le point sur tout ce
qui lui semble bon et louable dans cette philosophie nouvelle, et de tout
ce qui lui apparaît de moindre qualité. En novembre 1648, Samuel Hart-
lib (vers 1600-1662), émigré prussien habitant Londres, et Ralph Cud-
worth encouragent More à entrer en correspondance avec Descartes.
Pour Hartlib, une telle correspondance ferait partie d'un réseau de cor-

15. Pour être précis, Descartes a beau démontrer l'existence de l'âme (et sa distinction
d'avec le corps), il ne donne pas de démonstration sérieuse de son immortalité. Nous n'en
avons qu'une esquisse de preuve dans le « Synopsis » des Meditationes : Œuvres de Des-
cartes, publiées par Charles Adam & Paul Tannery, nouvelle présentation, éd. P. Costa-
bel, J. Beaude, B. Rochot, Vrin, Paris, 11 vols, 1964-1974, t. 7, p. 14. (Dorénavant cette
édition sera citée avec l'abréviation AT.) Cependant, cette lacune dans la pensée de Des-
cartes ne semble avoir dérangé ni More ni l'auteur anonyme de l'ouvrage cité en note 3,
ce qui est très curieux, mais implique peut-être que dans ce cas ceux-ci s'attachaient plus
aux promesses des textes cartésiens qu'à leur exécution formelle.
16. Psychodia Platonica (2* éd.), Préface, dans Philosophical Poems (1647), B3r-v. En
italique dans le texte ; « then » : comprendre « than ». Le « learned Knight » et compa-
triote de More est Sir Kenelm Digby, qui démontre l'immortalité de l'âme du fait que les
corps obéissent aux lois physiques, mais non pas les âmes : Two treatises, in the one of
which, The nature of bodies ; in the other, The nature of mans soule ; is looked into : in
way of discovery, of the immortality of reasonable soûles, Gilles B laizot, Paris, 1644 ;
Londres, printed for John Williams, 1645. Le contraste entre « the heat and scheme of
Poetry » et la « sober Philosophy » n'est pas un tour de rhétorique sous la plume de More.
Dans « Philosophia Cartesiana Triumphata » {op. cit., p. 184-190) j'essaie de faire voir
que les rapports spéciaux que More voit entre la poésie et la philosophie servent à expli-
quer ce qu'il y avait d'attirant chez Descartes pour le jeune More. Bref, Descartes était un
philosophe mécaniste à tendance poétique, comme More était un poète chrétien à ten-
dance philosophique.

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HENRY MORE LECTEUR DE DESCARTES 361

respondances entre savants en Angleterre et savants du continen


voulait établir en vue de son vaste programme de réforme de l'éd
tion et des sciences17. La correspondance qui en résulta compren
lettres : de More à Descartes, 11 décembre 1648, 5 mars, 23 juille
octobre 1649 (ancien style18) ; de Descartes à More, 5 février, 15
fin août 1649 (nouveau style). Ajoutons une huitième pièce, pour
dire, la « Responsio ad fragmentům Cartesii , ex epistola Henrici
ad Claudium Clerselier », probablement écrite en juillet-août
réponse à la lettre que Descartes avait rédigée fin août 1649 avan
départ pour la Suède, mais que More ne reçut de Clerselier q
1655. Dans sa lettre de la fin août 1649, Descartes ne put répondr
une partie de la lettre de More du 23 juillet, et il ne répondit pas
à celle du 21 octobre.
Ce fut Hartlib qui assura la transmission des lettres des deux côtés.
Dans les Hartlib Papers (Bundle 18)19, University Library, Sheffield
(Angleterre), se trouvent vingt-quatre lettres de More à Hartlib, datées
du 7 décembre 1648 jusqu'au 28 juillet (1655 ?), dont vingt-trois auto-
graphes et une copie, de la main de Hartlib, de la lettre résumée du 7
décembre 1648 ; et trois de ces lettres à Hartlib accompagnaient les
lettres à Descartes du 11 décembre 1648, du 5 mars et du 21 octobre
1649. Dans les Hartlib Papers (Bundle 67), se trouvent également deux
copies de la lettre de More à Descartes du 11 décembre 1648 et une
copie de la réponse à celle-ci datée du 5 février 1649, copies qui furent
faites à la requête de Hartlib et pour son usage20.
La correspondance More-Descartes, qui ne compte que sept ou huit
pièces, n'est évidemment pas de grande envergure. Pourtant, elle
s'intègre bien dans ces correspondances qui marquent un moment parti-
culier dans l'histoire intellectuelle des correspondants respectifs. Pour
More, ce fut l'occasion la plus opportune d'approfondir la philosophie

17. Sur Hartlib et son cercle, voir Charles Webster, op. cit. ; Samuel Hartlib and the
Advancement of Learning (Cambridge Texts and Studies in the History of Education),
Cambridge UP, Cambridge, 1970 ; The Great Instauration : science, medicine and reform
1626-1660, Duckworth, London, 1975, passim.
18. Il faut se rappeler que les lettres de More et de Hartlib sont datées « ancien style »,
d'après le calendrier julien ; celles de Descartes sont datées « nouveau style », d'après le
calendrier grégorien.
19. Les Hartlib Papers sont en cours de publication intégrale sous forme électronique
par le Hartlib Papers Project, Université de Sheffield, Angleterre.
20. Il n'existe pas de copies des autres lettres entre More et Descartes. Pour en
connaître les raisons, et plus généralement pour l'historique de la correspondance More-
Descartes, sa première publication par Clerselier en 1657, et des extraits de la correspon-
dance More-Hartlib, voir mon « Avertissement » à la « Responsio ad fragmentům Carte-
sii, ex epistola Henrici Mori ad Claudium Clerselier [Christ's College, Cambridge, juillet-
août 1655 »] : AT, t. 5, p. 628-647. Les lettres que Hartlib aurait envoyées à More sem-
blent perdues.

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362 A. GABBEY

de Descartes et d'en aborder les n


Pour Descartes, c'était la seconde
ment avec un philosophe anglais
système philosophique, sauf que
autre esprit
que Thomas Hobbe
sophe français
et le théologien-p
pas spontanément, comme des
entre Descartes et Guez de Bal
échange philosophique « sur comm
unité de fils thématiques, interr
cartes. En outre, dans ces lettres
de penser incompatibles, deux
quelques positions communes. C
pourquoi ces lettres de More de 1
1647) contiennent presque toutes
vie de la philosophie de Descart
style polémique nouveau des cr
correspondance More-Descarte
responsiones de grande importan
deux philosophes.
Il n'est pas possible d'exposer
arguments de la correspondance
des deux premières lettres, qui d
La première lettre de More, du 1
profusion de compliments si c
prendre au sérieux, même en t
usage dans les lettres de l'époque.
pu penser que les critiques qui po
losophiae ne menaceraient pas c
quelques difficultés qu'il y trouv
tudes, celles-ci seraient telles q
tuae ac fundamenta pertinere, illaque sine istis optimè possit
constare »21. Cependant, les objections que More élève contre quatre ou
cinq thèses des Principia (et de la Dissertatio de methodo) touchent bel
et bien aux bases de la philosophie de Descartes - et, en contrepartie,
elles expriment clairement celles de la philosophie de More.
En premier lieu, Descartes a défini le corps d'une manière trop large.
Tout ce qui existe est étendu, et tout ce qui est étendu n'est pas forcé-
ment corps : Dieu, les âmes, enfin tout esprit, sont également étendus. Il
serait donc préférable de définir le corps par rapport à sa qualité sen-
sible, bref, de dire que tout être matériel est par son essence étendu et

21. More à Descartes, 1 1 décembre 1648 : AT, t. 5, p. 238.

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HENRY MORE LECTEUR DE DESCARTES 363

impénétrable. La substance spirituelle, de son côté, est étendue et


trable. De plus, il peut y avoir du vide : Épicure, Démocrite et Luc
n'ont pas cru qu'il y avait contradiction à maintenir qu'une di
vide peut exister entre les deux côtés d'un vase. Un tel vide sera r
par quelque esprit, tout au moins par l'Esprit divin, qui remplit t
espaces du monde. Quant aux atomes, Descartes prétend qu'il n
pas, sinon leur division serait impossible à Dieu, dont la toute-pui
serait ainsi diminuée. Mais, dans ce cas-là, autant dire que le so
s'est pas levé hier matin, sinon la toute-puissance de Dieu serait d
nuée si Dieu ne pouvait faire que le soleil d'hier ne se soit pas levé
que Dieu n'a pas créé la matière, sinon sa toute-puissance s'épuiser
réaliser la divisibilité infinie de la matière. Comme en 1646, More
comprend pas 1'« indefinita extensio » du monde cartésien : ou ell
« simpliciter infinita », ou elle l'est « tantum quoad nos ». Enfin,
résiste fortement à la conception des animaux-machines - « inter
illa & jugulatrice sententia » - avancée dans la Partie V de la Di
do de methodoy et qu'il voit démentie empiriquement par les com
ments des perroquets, des chiens, des renards, autant de témoins, c
espèce à sa façon, d'une âme ou d'une vie intelligente quelcon
More comprend bien que Descartes ne veut pas donner des âm
animaux de peur qu'elles ne soient immortelles. Mais pourqu
impitoyable choix des animaux machines pures22 ?
La réponse de Descartes du 5 février 1649 ne surprend guère
tains corps, par exemple des petits corps invisibles, répond-il, ne
jamais connus par les sens, sans perdre pour autant leur essence, q
perçue par l'intellect et qui subsisterait même s'il n'existait
homme. Et l'impénétrabilité ne fait pas l'essence des corps, elle en
précisément un proprium quarto modo. On peut dire que Dieu est
du, mais seulement en ce sens qu'il peut exercer son pouvoir parto
substance divine n'est pas présente partout, et nul esprit n'est éte
substantialiter. Quant au vide, le néant, qui n'est la propriété d'au
chose réelle, ce ne peut pas être une qualité réelle. Et les comparai
dont More se sert pour mettre en doute les arguments contre les a
ne valent pas. Ce n'est pas une marque d'impuissance chez Die
ne puisse pas faire ce que nous concevons être impossible, co
défaire ce qui est déjà fait, mais seulement qu'il ne puisse pas fair
que nous concevons être possible, comme diviser l'être étendu qu'e
atome, ou terminer la division indéfinie de la matière étendue. D
remarquer que More s'avouera convaincu par cet argument d
lettre qui va suivre du 5 mars 1649.

22. Sur cet aspect de la correspondance More-Descartes, voir Leonora D. C


« Descartes and Henry More on the beast-machine - a translation of their correspon
pertaining to animal automatism », Annals of Science, t. 1, 1936, p. 48-61.

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364 A. GABBEY

Mais il ne se laissera pas conva


distinguer tout animal-machine
Pt. 5). Le 5 février 1649, Descart
pale pour laquelle il est persuad
raison est qu'ils n'arrivent jam
soient leurs perfections à d'aut
seul signe de la pensée, c'est-à-di
hommes - « etiam quàm maxim
vocisque organis destituii » - se
s'exprimer, mais jamais aucun an
ce entre l'homme et l'animal23.
More fait remarquer que cet arg
Si aucun animal n'utilise la parole
dant plusieurs mois, bien que p
rient, ils se fâchent. « Nec diffidi
sint animati, animamque habeant
sante pour Descartes, qui l'évite
enfants ont une âme, « nisi vider
tis », impliquant (sans que ce s
qu'après tout les enfants devien
animal n'arrive à un âge où il
l'usage du langage25. Cependan
qu'en apparence. Pour Descarte
avec nos enfants est la « complex
nous, et dont la possession d'une
composant principal. En définitiv
religieuses que nous sommes assu
dont le langage est le témoin exte
Dans les lettres qui suivent, le
objections avancées par More son
voit dans le concept de la transla
25) ; la difficulté de comprendre
ser, en tant que mode, d'un corp
passerait pas de la même façon
l'union et les actions réciproqu
Descartes évite en se rapportant s

23. AT, t. 5, p. 278.


24. More à Descartes, 5 mars 1649 : AT,
25. Descartes à More, 15 avril 1649 : AT
26. C'est l'analyse de ce curieux texte d
tions on the other-minds problem : Des
and Jews , éd. David S. Katz et Jonathan
vol. 17, Brill, Leiden, 1990, p. 59-69.

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HENRY MORE LECTEUR DE DESCARTES 365

bus »). Certaines idées de More apparaissent clairement : le re


l'idée de Descartes que Dieu n'est étendu que par sa puissance,
que la puissance, étant un modus intrinsecus , ne peut agir extrin
ment ; ridée que le mouvement, comme la pensée dans Tāme, n
corps, et que tout ce que Ton appelle corps « stupidè & temulentè
vivum, utpote quod ultimam infìmamque divinae essentiae » (idée
sera rejetée sans ambages, bien entendu)27 ; l'idée que certains ph
mènes naturels ne s'expliquent pas « ex rationibus mechanicis ». D
beaucoup de questions auxquelles Descartes n'a pu répondre, do
foule d'objections contre certaines thèses de la Dioptrice et des M
ra. Grand dommage que ces trois questions inquiétantes soie
nombre. D'abord, Descartes peut-il fournir une démonstrati
« nihil extensum cogitare, aut, quod videbitur facilius [!], nullum
pus posse cogitare »28 ? Ensuite, comment se fait-il que la ter
emportée en cercle par le tourbillon solaire, accompagnée de son c
tus a centro, alors qu'elle ne se meut pas du tout, proprement par
dans le tourbillon ? Enfin, chaque fois que l'esprit humain met le
en mouvement à force d'y exercer sa volonté, la totalité du mouv
dans l'univers n'augmente-t-elle pas ?
Il y a une autre lettre qui ne fait pas partie de la correspondanc
Descartes, mais qui en est si proche qu'il convient d'en parler i
quelque détail. Vers 1658, More rédigea l'importante «Epistol
Mori ad V. C. quae Apologiam complectitur pro Cartesio, qua
Introductionis loco esse poterit ad universam Philosophiam Ca
nam », qu'il publia en 1662 comme appendice à sa propre édition d
correspondance avec Descartes29. Cette « Epistola », dont le destin
est inconnu, contient le jugement sur Descartes le plus mesuré et l
réfléchi de tout ce que More a écrit à ce sujet. Descartes est incom
rable par ses inventions autant que par son pouvoir intellectuel. M
accepte sa théorie de la sensation, il approuve sa thèse selon l

27. More à Descartes, 23 juillet 1649 ; Descartes à More, août 1649 : AT, t. 5,
405.
28. More à Descartes, 23 juillet 1649 : AT, t. 5, p. 384.
29. A collection of several philosophical writings of Dr Henry More... As namely his :
Antidote against atheism , Appendix to the said Antidote, Enthusiasmus triumphatus, Let-
ters to Des-Cartes, &c'. Immortality of the soul , Conjectura cabbalistica. The second edi-
tion more correct and much enlarged, London, Printed for James Flesher, for William
Morden Book-seller in Cambridge, 1662. Chaque section est paginée séparément. La
« première édition » des « Letters to Descartes, &c. » serait celle de Clerselier de 1657,
mais 1'« Epistola ad V. C. » est donnée ici en première édition. Dans ses Opera omnia
(Londres, 1675-1679) More publia Ad V. C. Epistola altera, quae brevem Tractatus Theo-
logico-Politici confutationem complectitur, paucaque sub finem annexa habet de libri
Francisci Cuperi Scopo , cui titulus est, Arcana Atheismi Revelata, &c. (t. 2, p. 565-614). Il
n'y a pas de raison de supposer qu'il s'agisse du même « V.C. » que celui de la Collection
de 1662. Voir mon « Philosophia Cartesiana Triumphata », op. cit., p. 214-215, note 86.

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366 A. GABBEY

Dieu imprima le mouvement da


régler le monde corporel par d
s'accorde avec celle de Moïse, et surtout, More le maintient, Descartes
n'était pas athée. En fait, « My main design in my Letter [to V. C.] was
to clear Cartesius from that giddy and groundless suspicion of
Atheism »30. Mais Descartes s'est égaré, explique More, de trois façons
principales. Premièrement, comme tous les hommes, il a commis de
simples erreurs, telles ses explications de la réflection et de la réfraction
de la lumière. Deuxièmement, Descartes était porté à une excessive pru-
dence : ainsi la translado réciproque des Principia Philosophiae (Partie
II, art. 25) lui permettait de prétendre que la terre se meut et ne se meut
pas, et, conclut More astucieusement, était née de la crainte d'une repri-
se de l'affaire Galilée31. Comme d'autres exemples de la cautèle de Des-
cartes, il y a cette crainte d'attribuer aux animaux des âmes immortelles,
et la recommandation dans les Principia Philosophiae (Partie IH, art. 1-
3) qu'il ne faut pas approfondir les fins de Dieu en tant que créateur du
monde naturel. Enfin, il y a cette énorme prétention de Descartes à la
certitude et à la nécessité de ses thèses, telles que l'identité du corps et
de l'étendue, l'insistance sur l'idée que tout dans la nature découle des
corps en mouvement et par des nécessités mécaniques, sa théorie du
mouvement.

L'« Epistola ad V. C. » servait donc à introduire ses lecteurs aux bons


et aux mauvais côtés de la philosophie de Descartes, à se défaire d
l'idée d'un Descartes athée et à justifier les doutes de More sur
l'influence négative de l'Église romaine en ce qui concerne les affaires
de la Républiques des Lettres. Plus tard, dans la deuxième édition de
son Enchiridion Ethicum (1669), More réédita Y «Epistola ad V. C. »,
mais cette fois pour avertir ses lecteurs du danger pour la piété des doc-
trines cartésiennes de l'étendue uniquement corporelle et de la nature
purement mécanique, y compris dans tout comportement tant animal et
végétal que corporel.

Les années précédant 1660 constituèrent une période d'ambivalence


croissante chez More, période au cours de laquelle une admiration indé-
niable pour le génie de Descartes s'alliait à la fois à une insensibilité et
à une méfiance de plus en plus grande : insensibilité aux nuances de la
métaphysique cartésienne, méfiance envers les implications théolo-
giques de la philosophie dite « mécanique » venue d'outre-Manche. En
apprenant l'athéisme né des conflits sectaires de l'époque des Guerres
Civiles (1642-46, 1648-51), More prescrivit son Antidote against

30. A Collection , op. cit., « The Preface general », p. xi-xii.


31. Voir mon « Philosophia Cartesiana Triumphata », op.cit., p. 216.

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HENRY MORE LECTEUR DE DESCARTES 367

Atheisme (1653), qu'il associa au matérialisme épicurien venu d


de Gassendi32, puis, plus tard (fin des années 1650), de Hobbes. L'
dote exigeait des ingrédients cartésiens, mais - remarquons-l
ingrédients sélectionnés uniquement dans un but apologétique. M
se sert pas des preuves de l'existence de Dieu par causalité, « b
easily evaded by the Atheist, I durst not trust to them », et il se
ignorer que le monde cartésien dépend totalement de la puissance
trice divine. Il se sert plutôt de la preuve ontologique, reman
façon (« Des-Cartes... might bee no Master o/Metaphy sicks to mee
et il indique certaines faiblesses de la théorie des tourbillons, faib
qui sont la preuve que la philosophie mécaniste ne peut pas tout e
quer. Où elle échoue, il faut recourir à quelque principe immatéri
Ce dernier thème fut développé longuement dans Y Immortality
Soul (1659), où More, tout en accueillant la distinction cartésienne
le corps et l'âme, présenta pour la première fois son « Spirit of Na
destiné à corriger un mécanisme matérialiste déficient :

A substance incorporeal, but without Sense and Animadversion, pervad


whole Matter of the Universe, and exercising a Plas tick power therei
directing the parts of the Matter and their Motion, as cannot be resolv
mere Mechnical powers M.

Cela ne veut pas dire qu'il faille abandonner la recherche des


mécaniques ; il s'agit simplement de veiller à ne pas employ
explications mécaniques là où elles ne valent pas. More peut
déclarer :

32. More avait demandé à Hartlib (5 novembre [1649], Hartlib Papers, Bundle
lui faire venir de France « a Copy of Gassendus his Epicurean Philosophy », sa
les Animadversiones, qui venaient de sortir à Lyon. Bien que Hartlib n'ait pu lui ren
service, nous savons que More avait lu - ou lisait - Gassendi, car il le trouvait assom
« Gassendus is too tedious a philologer [sic] for me. ó píoç ßpa% "()<;. I am glad
not send for it for tne. But however I woud have tried [lire read ? ou had ?] it if
sent for it. » (More à Hartlib, 30 décembre [1649 ou 1650], Bundle 18). Il est do
sible que More ait consulté quelque autre exemplaire des Animadversiones ; ou
soit rappelé des Exercitationes (1624), ou des Objectiones quintae (1641) ou de la
siîio metaphysica (1644). Cependant il est plus probable qu'il ait pensé aux D
moribus Epicuri libri octos (1647) : Gassendi est « philologer », non pas « philoso
ce qui en dit long sur ce que More trouvait de caractéristique chez lui.
33. An Antidote against Atheisme, Or An Appeal to the Natural Faculties of the
of Man , whether there be not a God, London, 1653, The Preface, A8r-A8v. Itali
le texte.
34. The Immortality of the Soul, So farre forth as it is demonstrable from the K
ge of Nature and the Light of Reason..., London, J. Flesher, and for W. Morden
bridge, 1659, livre 3, chap. 12. Voir Alan Gabbey, « Henry More and the limits of
nism », dans Sarah Hutton (éd.), Henry More (1614-1687) : Tercentenary Stu
cit., p. 19-35.

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368 A. GABBEY

I think it is the most sober and faith


tian World, that they would encour
Schools and Universities. That the S
exercised in the just extent of the m
will reach, and where they fall short
gion that Reason and the knowledge

Dans les Conjectura Cabbalistic


autre que dans V Antidote ou dan
interpréter la Genèse 1-3 « accor
ral Philosophical, Mystical , or
vérité de la cosmogonie mosaïque
et aux atomistes grecs, qui aur
phique et théologique dans Moïse
cette succession de sagesses, de
(comme nous l'appelons aujourd
sorte une renaissance de ces vé
cosmogonie de la Genèse. Cela n'a
aforehand with Cartesius »^.
L'année 1660 marqua un tourn
écrits (sauf la poésie), tout en
phiques du point de vue de la mé
prement théologien, se consacr
révélée. Les écrits de cette épo
pour Descartes lui-même, que M
meilleure des philosophies nature
plus en plus âpre au fur et à mes
militant dans le nouveau context
met progressivement à combattr
yeux, un danger pour la piété
(1668), More attaque carrément l
christianisme, et, sur la question
plus loin que dans Y Immortality

35. Ibid. , « The Preface » (sans paginat


36. Conjectura Cabbalistica : Or, A Con
Moses according to a Threefold Caballa :
nely Moral, J. Flesher, London, 1653,
p. 151. Il faut préciser que cet ouvrage n
More ne prit connaissance qu'à partir de
Helmont et se mit à correspondre avec le
roth, auteur de la Kabbala denudata (deu
Von Rosenroth inclut dans la première pa
Stuart Brown, « Leibniz and More's Cab
and the Jews », dans Sarah Hutton (éd.)
« A Cambridge Platonist's Kabbalist Nigh
1975, p. 633-652.

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HENRY MORE LECTEUR DE DESCARTES 369

considering what occurs in these Dialogues , I am abundantly a


that there is no purely Mechanicall Phaenomenon in the whol
verse »37. Le but principal de Y Enchiridion metaphysicum (1671)
d'exposer la « vanitas falsitásque » non seulement de la philo
cartésienne, mais de toutes ces philosophies qui « Mundana Phaeno
na in Causas purè Mechanicas solvi posse supponunt »38. De plu
cartes est maintenant « the Prince of the Nullibists », c'est-à-
prince de ceux qui déclarent que Dieu existe, mais qu'il n'exist
part. Selon More, ce qui n'est nulle part n'existe pas, donc les
bistes et les athées ne valent pas mieux les uns que les autres39.
Nous sommes loin des jours où le jeune More écrivait à ce p
sophe qu'il trouvait « as civili as he is learned »^. Toutefois, le
des ténèbres nullibistes de 1671 n'est pas le même que le prin
philosophes naturels qui avait tant passionné More en 1648. Le pre
était celui dont le nom et les doctrines, perverties par des discipl
permis l'essor du « Cartesianism », berceau de l'impiété ; l'autr
cartes était l'homme avec qui More correspondait avec un plaisir e
contentement que la mort devait cruellement interrompre41. Mais l
ne put dissiper leurs différends philosophiques, qui se retrouvent
changement pour l'essentiel, partout où More traite des vérités d
affrontées à tout ce qui se rapporte à la « mechanical philosophy ».

37. Divine dialogues, containing sundry disquisitions and instructions concern


attributes and Providence of God..., London, 2 tomes, 1668, t. 1, « The Publisher
Reader », A6v. Souligné par moi. Cette révision des idées de More sur les lim
l'explication mécaniste soulève plusieurs problèmes d'interprétation : voir mon «
More and the limits of mechanism », op. cit.
38. Le titre complet est : Enchiridion metaphysicum : sive, de rebus incorpor
cincta & luculenta dissertatio. Pars prima : de exsistentia & natura rerum incorp
in genere. In qua quamplurima mundi phaenomena ad leges Cartesii mechanicas
expenduntur, illiúsque philosophiae, & aliorum omnino omnium qui mundana pha
na in causas purè mechanicas solvi posse supponunt, vanitas falsitásque detegitur
sher, London, for W. Morden in Cambridge, 1671. Seule la première partie existe.
39. Enchiridion metaphysicum, chap. 27, p. 351-352.
40. « I thank you for your care in the procuring this answer [Descartes à Mo
février 1 649] and conveying it. The gentleman is as civili as he is learned. But how
has satisfy de my queries, I'll make bold to signify to him, through your help, very
ly.... », More à Hartlib, 2 March (1649), f. lr. Hartlib Papers, Bundle 18.
41. Voir la lettre de More à Hartlib, 2 avril (1650), longuement citée dans AT
p. 635-636, et dans A. Gabbey, « Philosophia Cartesiana Triumphata », op. cit.,
198.

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