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Revue Lumen Vitae

Vol. LXVII, n° 2 – 2012 (pp. 203-219)

La conversion missionnaire
des communautés paroissiales
Un défi pour la nouvelle évangélisation

Par François MOOG 1

D ans sa participation à la préparation du Synode des


évêques de 20122, l’Institut Supérieur de Pastorale Caté-
chétique (ISPC) soulignait l’enjeu proprement ecclésio-
logique de la nouvelle évangélisation en ces termes :

« Un troisième enjeu touche à la nature de l’évangélisation


proposée par les Lineamenta comme opération de déchiffrement
d’une situation et d’invention d’un nouveau style de vie d’Église

1 François MOOG, docteur en théologie, enseignant (ecclésiologie) au Theologicum


de l’Institut Catholique de Paris, directeur de l’Institut Supérieur de Pastorale
Catéchétique (ISPC). Derniers ouvrages parus : Accueillir ceux qui frappent à la
porte de l’Église. La grâce de la reconnaissance, coll. Le point catéchèse, n° 1,
Paris, Le Sénevé/ISPC, 2009 ; La participation des laïcs à la charge pastorale. Une
évaluation théologique du canon 517 § 2, Paris, Desclée De Brouwer, 2010 ; À quoi
sert l’école catholique ?, Paris, Bayard, 2012 et, en co-direction avec J. MOLINARIO,
La catéchèse et le contenu de la foi, Paris, Desclée De Brouwer, 2011. – Adresse :
21, rue d’Assas, F-75006 Paris ; courriel : f.moog@icp.fr.
2 « La nouvelle évangélisation pour la transmission de la foi chrétienne », Rome, du
7 au 28 octobre 2012.

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qui permettra d’adresser à nos contemporains un message


capable de les rejoindre en faisant sens dans la culture contem-
poraine. Il s’agit d’un enjeu ecclésiologique majeur qui touche
au renouvellement des modèles ecclésiaux et notamment de la
forme paroissiale de la réalisation locale de l’Église »3.

Il s’agit bien, selon les Lineamenta4, de restaurer la capacité


de l’Église à être présence d’Évangile qui communique la vie, et à
le faire dans le cadre de communautés réelles, « en une fraternité
authentique, en un corps, et non en une machine ou une entreprise »
(Lineamenta, n° 2). Ainsi, l’un des défis de la nouvelle évangélisation
est la « construction d’un nouveau modèle d’Église » (Lineamenta,
n° 9). Il faut entendre ici un appel à quitter une forme historique de
la réalisation de l’Église pour parvenir à une forme plus adaptée à la
situation actuelle et au défi que constitue pour elle la mise en œuvre
de sa mission. Ce dont il s’agit, c’est d’une « transition de figure »
(Lineamenta, n° 9), touchant notamment à la structure paroissiale.

La figure paroissiale peut-elle évoluer ?

Une telle transition est-elle possible pour la paroisse ? Gilles


Routhier rappelle à juste titre que la paroisse a d’abord été créée
comme structure d’encadrement, afin d’assurer le service pastoral des
fidèles5. En ce sens, elle n’est pas d’abord une structure missionnaire.
Ce constat permet de comprendre pourquoi la paroisse est aujourd’hui
en crise : la sécularisation entraîne un relâchement du tissu chrétien, ce
qui rend inopérant une structure d’encadrement conçue en régime de
chrétienté. La paroisse est en crise parce que ce qu’elle a à encadrer
est devenu trop instable.
On doit alors s’interroger sur la plasticité de la structure parois-
siale : est-elle vraiment capable des évolutions que l’on attend d’elle ?
Routhier pointe le risque « d’inscrire [au] sein [des paroisses] des
tensions qui pourront conduire à leur éclatement »6. La difficulté est
que ni la plasticité de la figure paroissiale ni son risque d’éclatement
ne sont évaluables objectivement. Ainsi, nul ne peut prédire avec assu-
rance l’évolution de la paroisse.

3 On trouvera cette contribution dans ce numéro de Lumen vitae, à partir de la


p. 221.
4 Cf. XIIIe ASSEMBLÉE GÉNÉRALE ORDINAIRE DU SYNODE DES ÉVÊQUES, La nouvelle évan-
gélisation pour la transmission de la foi. Lineamenta, Cité du Vatican, 2011, n° 2 et
11. Par la suite, ce texte sera noté Lineamenta.
5 G. ROUTHIER, “Nouvelles paroisses. Chances ou impasses pour l’évangélisation ?”,
dans Lumen Vitae, 59/1, 2004, p. 99.
6 Ibid., p. 99.

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La conversion missionnaire des communautés paroissiales

La pertinence de la figure paroissiale

Cette incertitude sur la capacité d’évolution de la paroisse ne la


condamne pas pour autant. Car il est un trait de la figure paroissiale qui
est central dans la perspective de la nouvelle évangélisation, c’est son
rapport au lieu, son ancrage au cœur du tissu social7. Les Lineamenta
insistent sur la nécessité pour l’Église de « ne pas perdre sa capacité
d’être proche de la vie quotidienne des personnes, pour annoncer à
partir de là le message vivifiant de l’Évangile » (n° 9). On trouvait déjà
une telle priorité assignée à la nouvelle évangélisation sous la plume
de Jean-Paul II8. L’enjeu de cette proximité est clairement celle de la
nouvelle évangélisation dès lors qu’il s’agit de « refaire le tissu chrétien
de la société humaine » en précisant que « la condition est que se
refasse le tissu chrétien des communautés ecclésiales elles-mêmes
qui vivent dans ces pays et ces nations »9. Ce dont il est question ici,
c’est de la capacité de l’Église à être une force de proposition face à
la fragmentation du tissu social10 et de la capacité de l’Église à faire
entendre l’Évangile au plus près de la réalité des hommes et des
femmes de ce temps. La pertinence d’une réalisation locale de l’Église
trouve ici son fondement.
Deux autres motifs plaident en faveur de la paroisse géogra-
phique. Le premier appartient à la nature même de la communion
fraternelle dans l’Église, qui est le fait d’hommes et de femmes réunis
par l’initiative de Dieu et non de personnes se rassemblant par affinité
ou intérêt commun11. Le caractère géographique de la paroisse rappelle
ainsi que, dans l’Église, on ne choisit pas les frères et les sœurs que
l’on doit aimer et avec lesquels on est appelé à vivre une communion
fraternelle authentique. Le second motif touche à la nature du lien
ecclésial lui-même. La paroisse garantit à chacun qu’il appartient à une
communauté chrétienne dans laquelle il a toute sa place. Il n’y a aucune
exception à ce principe, assuré par la territorialité de la communauté

7 Cf. O. BOBINEAU, A. BORRAS et L. BRESSAN, Balayer la paroisse ? Une institution


catholique qui traverse le temps, Paris, Desclée De Brouwer, 2010, p. 10. Voir
surtout l’importance accordée à cet aspect dans ce même ouvrage par L. BRESSAN,
“La paroisse, émergence de l’Église en un lieu”, pp. 131 et suiv.
8 Cf. notamment Ch.L n° 24-26.
9 Ch.L n° 24, repris par BENOÎT XVI dans la lettre apostolique donnée sous forme de
motu proprio Ubicumque et semper instituant le Conseil pontifical pour la promotion
de la nouvelle évangélisation, le 21 septembre 2010 et dans les Lineamenta au
n° 9.
10 Cf. Fr. MOOG, “L’Église, proposition crédible de lien social vertueux”, dans
J.-L. SOULETIE (Dir.), Les voies divines de la liberté. Précis contemporain de théologie
chrétienne, Paris, Bayard, 2011, pp. 203-232.
11 Cf. Ac 2,47 et LG 9.

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paroissiale : personne n’est exclu de l’Église et même le plus pauvre


et le plus isolé appartient à une communauté chrétienne par le seul fait
de se trouver quelque part.

Vers une maturité de la communauté paroissiale

L’importance d’une réalisation locale et territoriale de l’Église


appelle donc bien une transformation de la figure paroissiale et non
pas sa disparition. Pour dire cette nécessaire évolution, Jean-Paul II
affirmait que la nouvelle évangélisation était destinée « à la formation
de communions ecclésiales mûres »12. Toute la question est alors de
savoir quels processus permettent de parvenir à cette maturité.
Dans ce cadre, il s’agit bien pour la paroisse de vivre une authen-
tique conversion. Cette perspective s’exprime de deux manières. D’une
part, il s’agit pour l’Église de l’impératif de se renouveler de l’intérieur.
La nouvelle évangélisation présuppose en effet « un renouveau
constant [au] sein [de l’Église], un passage permanent, pour ainsi dire,
de la condition d’évangélisée à évangélisatrice »13. D’autre part, cette
conversion, que l’on peut alors qualifier de missionnaire, implique pour
l’Église qu’elle puisse se laisser « régénérer par la force de l’Esprit
Saint »14.
On retrouve ici l’insistance du Cardinal Ratzinger lors du Jubilé
des catéchistes en l’an 2000. Appelant à se défier de la « tentation
de l’impatience »15 qui pourrait amener à rechercher rapidement
une nouvelle forme, plus efficace, d’organisation paroissiale, le Car-
dinal Ratzinger rappelait la dimension ecclésiologique de toute
évangélisation, selon le principe suivant : « le Seigneur et l’Esprit
construisent l’Église, se communiquent dans l’Église »16. Toute la ques-
tion est alors de savoir quelles sont les médiations par lesquelles le
Seigneur construit son Église. C’est en parcourant ces médiations que
l’on pourra comprendre à quelle conversion missionnaire les commu-
nautés paroissiales sont appelées.

12 Ch.L n° 24.
13 Ubicumque et semper. Cf. également l’affirmation des Lineamenta au n° 2 : « Évan-
gélisatrice, l’Église commence par s’évangéliser elle-même ».
14 Ubicumque et semper : « Faisant donc mienne la préoccupation de mes vénérés
prédécesseurs, je considère opportun d’offrir des réponses adéquates afin que
l’Église tout entière, se laissant régénérer par la force de l’Esprit Saint, se présente
au monde contemporain avec un élan missionnaire en mesure de promouvoir une
nouvelle évangélisation ».
15 Card. J. RATZINGER, “La nouvelle évangélisation”, dans DC, 2240, 2001, p. 91.
16 Ibid., p. 92.

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La conversion missionnaire des communautés paroissiales

Un renouvellement charismatique de la figure paroissiale

Puisque c’est le Seigneur qui, par son Esprit, construit l’Église17,


alors l’Église, dans toute sa structure, ne pourra se renouveler que
par le consentement à l’œuvre de l’Esprit en elle. C’est en ce sens
que l’on peut parler d’un renouvellement charismatique possible
pour la structure paroissiale. Il s’agit ici de redire que l’ensemble
des dons de l’Esprit ne se trouve que dans l’ensemble de l’Église
et que la participation de tous à la vie et à la mission de l’Église est
nécessaire pour que l’ensemble des charismes s’expriment en vue
du renouvellement de l’ensemble. Cet aspect nécessiterait des livres
entiers de développements18. Nous nous contenterons d’essayer de
comprendre comment ce renouvellement charismatique peut être au
service du renouvellement du tissu chrétien.

Pour se renouveler, la paroisse a besoin de la participation de tous

Selon le principe charismatique esquissé ci-dessus, la paroisse a


besoin de l’engagement de tous ses membres pour pouvoir se repenser
et vivre la conversion missionnaire à laquelle elle est appelée19. On
peut se contenter de rappeler ici que, ayant été rendu participants de la
vie même de Dieu par les sacrements de l’initiation chrétienne, tous les
fidèles participent de la vie et de la mission du Christ dans l’Église20.
C’est ainsi que, selon l’enseignement du Concile Vatican II, « dans
l’organisme d’un corps vivant aucun membre ne se comporte de
manière purement passive mais participe à la vie et à l’activité générale
du corps, ainsi dans le Corps du Christ qui est l’Église, “tout le corps
opère sa croissance selon le rôle de chaque partie” (Ep. 4,16) » (AA 2).

17 Cf. notre contribution : “La communauté chrétienne, sujet de l’action catéchétique”,


dans Lumen Vitae, 57/2, 2007, pp. 151-162.
18 On trouvera une approche synthétique dans H. LEGRAND, “Les ministères de l’Église
locale”, dans B. LAURET et F. REFOULÉ, Initiation à la pratique de la théologie. Tome III :
Dogmatique 2, Paris, Cerf, 19933, pp. 209 et suiv. Voir aussi G. HASENHÜTTL, “Les
charismes dans la vie de l’Église”, dans Y. CONGAR (Dir.), L’apostolat des laïcs.
Décret « Apostolicam actuositatem », coll. UnSa, n° 75, Paris, Cerf, 1970,
pp. 203-214.
19 Voir par exemple L. BRESSAN, “La paroisse, émergence de l’Église en un lieu”, art.
cit., p. 148 et pass. ou encore B. MALVAUX, “Structures paroissiales et mission :
deux réalités antagonistes ? Plaidoyer pour dépasser une opposition stérile”, dans
Lumen Vitae, 59/1, 2004, p. 90.
20 Nous nous permettons de renvoyer à notre développement : La participation
des laïcs à la charge pastorale. Une évaluation théologique du c. 517 § 2, coll.
Théologie à l’université, n° 14, Paris, Desclée De Brouwer, 2010, pp. 381-396 et
pp. 430 et suiv.

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Fr. Moog

Cela signifie que chaque membre de la communauté paroissiale doit


apporter sa contribution à l’œuvre commune. Il s’agit bien d’une prise de
conscience particulièrement urgente pour nos paroisses. Cependant si,
comme le dit B. Malvaux, les communautés paroissiales « fournissent
un espace où tout chrétien, s’il le souhaite, peut s’impliquer dans la vie
de la communauté ecclésiale, d’une manière adaptée à ses goûts, ses
compétences, ses disponibilités »21, il se pourrait que ce portrait soit
un peu trop idéal.
Les Lineamenta remarquent en effet que « le niveau trop faible de
partage rend évanescente l’influence de la communauté chrétienne »
(Lineamenta n° 9), la dimension missionnaire de la communauté
demeurant toujours le fait d’un petit nombre. La conversion missionnaire
de la communauté paroissiale implique le passage d’une communauté
de consommation à une communauté d’action. D’une communauté
où l’on vient chercher les moyens nécessaires à sa vie chrétienne
(sacrements, liturgie, accueil, écoute…) à une communauté où l’on
vient exercer sa part et être envoyé dans le cadre de la mission
commune. C’est à un tel apprentissage que nos communautés sont
appelées. Il permettra aux communautés paroissiales de se découvrir
sujets de droit et d’action22.
Nous avons par ailleurs montré que la réflexion théologique et
les décisions pastorales étaient souvent placées sous le signe d’une
éclipse de la communauté chrétienne23. Cela désigne, concrètement,
une défaillance des structures de participation à la vie paroissiale24.
L’un des enjeux de la nouvelle évangélisation est donc la revitalisation
de tout le peuple chrétien au nom de la diversité des charismes qui
se trouvent dans l’ensemble de l’Église. Cette perspective dessine la
capacité que s’opère une ré-institutionnalisation des paroisses, par
la prise en compte de l’égale dignité des baptisés, respectant tout
autant leur différence de fonction que le caractère solidaire de leur
responsabilité dans l’Église.

21 B. MALVAUX, “Structures paroissiales et mission…”, art. cit., p. 90.


22 Cf. H. LEGRAND, “Les ministères de l’Église locale”, art. cit., pp. 271 et suiv. Voir
aussi ID., “Le rôle des communautés locales dans l’appel, l’envoi, la réception et
le soutien des laïcs recevant une charge ecclésiale”, dans La Maison-Dieu, 215,
1998, pp. 9 et suiv.
23 La participation des laïcs à la charge pastorale…, op. cit., pp. 425 et suiv.
24 Cf. J.H. PROVOST, “Structuring the Church as a communion”, dans ID. (Dir.), The
Church as Communion, Washington D.C., Canon Law Society of America, 1984,
pp. 191-245.

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La conversion missionnaire des communautés paroissiales

Une responsabilité spécifique des fidèles laïcs du Christ

Dans le cadre de la sécularisation et de l’« exculturation du


christianisme »25, il convient de souligner le rôle spécifique des fidèles
laïcs. En effet, si la nouvelle évangélisation est une réponse à cette
sécularisation, elle doit permettre à l’Église de redevenir audible
et crédible dans la société. C’est la raison pour laquelle tout ce qui
rend le peuple chrétien passif doit être rejeté car favorisant de fait
la sécularisation que l’on veut faire reculer. Comme le remarque fort
justement Legrand : « plus une Église se structure rigidement en
enseignants et enseignés, situant les laïcs dans une attitude religieu-
sement et juridiquement dépendante à l’endroit des pasteurs, plus la
sécularisation progressera »26. Pour Hervé Legrand, il s’agit de montrer
que la structure cléricale de l’Église entraîne une passivité des fidèles
laïcs qui n’ont pas ainsi les moyens de témoigner de leur foi dans la
société actuelle et, donc, d’inculturer l’Évangile27.
C’est pourquoi la réponse la plus juste face à la sécularisation
réside dans la dynamique ecclésiologique promue par le Concile
Vatican II, qui rappelle que les fidèles laïcs, « rendus participants
de la charge sacerdotale, prophétique et royale du Christ assument,
dans l’Église et dans le monde, leur part de ce qui est la mission du
Peuple de Dieu tout entier » (AA 2). C’est alors que les fidèles laïcs
pourront effectivement « coopérer comme des membres vivants au
progrès de l’Église et à sa sanctification permanente, en y appliquant
toutes les forces qu’ils ont reçues par bienfait du Créateur et par grâce
du Rédempteur » (LG 33). Car, à eux « incombe la noble charge de
travailler à ce que le dessein divin de salut parvienne de plus en plus à
tous les hommes de tous les temps et de toute la terre » (LG 33).
L’enjeu ici est de donner confiance aux fidèles laïcs pour qu’ils
se sentent autorisés à être, au cœur du tissu social, des témoins du
Christ Ressuscité et des promoteurs d’une vie sociale juste au nom
de l’Évangile. C’est par eux que l’Église pourra affermir la cohésion
de la société « en procurant à l’activité quotidienne des hommes un
sens plus profond », selon le vœu de Gaudium et Spes (GS 40). Cette
contribution spécifique de l’Église nécessite une présence au cœur
du tissu social28 qui est par nature principalement le fait des fidèles

25 D. HERVIEU-LÉGER, Catholicisme, la fin d’un monde, Paris, Bayard, 2003, p. 306.


26 H. LEGRAND, “Les ministères de l’Église locale…”, art. cit., p. 189.
27 Cf. ID, “Crises du clergé : hier et aujourd’hui. Essai de lecture ecclésiologique”,
dans Lumière et vie, 33, 1984, pp. 100-101.
28 AG 10. Cf. Fr. MOOG, “L’Église, proposition crédible de lien social vertueux”, art. cit.,
pp. 209 et suiv.

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laïcs. Comme le dit Jean-Paul II, « La synthèse vitale que les fidèles
laïcs sauront opérer entre l’Évangile et les devoirs quotidiens de la vie
sera le témoignage le plus beau et le plus convaincant pour montrer
que ce n’est pas la peur, mais la recherche du Christ et l’attachement
à sa personne qui sont le facteur déterminant pour que l’homme vive
et grandisse, et pour que naissent de nouveaux modèles de vie plus
conformes à la dignité humaine »29.
Insister sur la responsabilité spécifique des fidèles laïcs ne doit
pas occulter le rôle des ministres ordonnés, qui « existent et agissent
pour l’annonce de l’Évangile »30. Cela ne doit non plus amener à
plaider en faveur d’une démocratisation de et dans l’Église. Il serait
très préjudiciable à l’Église de sous-déterminer le rôle des ministres
ordonnés en son sein. Mais il s’agit bien de penser ici la commune
responsabilité des chrétiens, dans la fidélité à LG 10, et le rôle spécifique
des fidèles laïcs qui exercent « pour leur part, dans l’Église et dans le
monde, la mission qui est celle de tout le peuple chrétien » (LG 31).

L’urgence de la revitalisation du tissu chrétien

Penser de manière équilibrée l’articulation charismatique entre


l’ensemble de la communauté chrétienne et les ministres ordonnés
en son sein est une exigence pour revitaliser authentiquement le
tissu chrétien au plus près des réalités humaines. Dans des sociétés
marquées par l’effritement du tissu chrétien, au sein desquelles
la structure paroissiale semble avoir fait son temps, la tentation est
légitime de procéder à des restructurations et des remodelages,
parfois précipités, rassemblant des paroisses « anciennes » en des
ensembles plus larges. Mais cela ne doit se faire ni en surestimant les
forces des ministres ordonnés, ni en sous-estimant le risque que cela
comporte pour les communautés chrétiennes.
Car derrière ces regroupements, se joue la possibilité d’un
éloignement de l’Église des réalités humaines, surtout en milieu rural31.
Si le lieu de rassemblement de la communauté chrétienne est au centre
d’une zone géographique trop large, alors le tissu chrétien se trouve
fragilisé : « La centralisation exténue la périphérie »32. Le défi pour
la paroisse est de proposer une organisation qui demeure « proche

29 Ch.L n° 34.
30 Pastores dabo vobis n° 15.
31 Cf. L. BRESSAN, “La paroisse, émergence de l’Église en un lieu”, art. cit., p. 143. Voir
aussi G. ROUTHIER, “Nouvelles paroisses…”, art. cit., p. 102.
32 A. ROUET, “Vers un nouveau visage d’Église”, dans Un nouveau visage d’Église.
L’expérience des communautés locales à Poitiers, Paris, Bayard, 2005, p. 30.

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La conversion missionnaire des communautés paroissiales

de la vie quotidienne des personnes, pour annoncer à partir de là le


message vivifiant de l’Évangile », selon le vœu des Lineamenta33. On
voit bien comment l’Église ne peut exister au plus près des réalités
humaines qu’en prenant appui sur des groupes vivants de chrétiens. Si
le quadrillage paroissial est né pour assurer une proximité, alors il doit
inventer une nouvelle manière d’être proche de la vie des hommes et
des femmes d’aujourd’hui34. Comment le pourra-t-il ? C’est là que se
joue l’hypothèse de sa plasticité et de sa capacité de renouvellement.
Deux pistes s’offrent immédiatement à la réflexion pour stimuler
l’inventivité des communautés chrétiennes, celle d’un renouvellement
par la structure associative de l’Église et celle d’un renouvellement par
la mise en œuvre de la mission.

Les pratiques de renouvellement de la figure paroissiale

Le constat est clair : les ressources baptismales « ont besoin


d’être réveillées, fortifiées, formées, encouragées »35. Cela est une
nécessité pour la mise en œuvre de la mission ecclésiale. Cela est
également une condition pour que la structure paroissiale puisse
opérer la conversion missionnaire qui lui permettra de s’adapter aux
défis actuels. Pour cela, il faut que la paroisse puisse trouver hors
d’elle-même, mais dans l’Église, des moyens de renouvellement.

La paroisse n’est pas le tout de l’Église

Cela implique la prise de conscience du fait que la paroisse n’est


pas le tout de l’Église ou, pour reprendre les termes de Routhier, que
« la paroisse n’a jamais représenté la seule modalité du rassemblement
chrétien »36. Routhier cite les monastères, sanctuaires, couvents,
confréries, mouvements et communautés qui ont toujours « existé
à la frange des paroisses, souvent en tension avec elles, et qui ont
joué un rôle complémentaire, mais néanmoins indispensable dans la
formation chrétienne des personnes, dans l’encadrement des fidèles

33 Lineamenta, n° 9.
34 Cf. A. ROUET, “Vers un nouveau visage d’Église”, art. cit., p. 30. Voir aussi
G. ROUTHIER, Le devenir de la catéchèse, coll. Pastorale et vie, n° 17, Montréal/
Paris, Mediaspaul, 2003, p. 82.
35 D. BARNERIAS, La paroisse en mouvement. L’apport des synodes diocésains français
de 1983 à 2004, coll. Théologie à l’université, n° 19, Paris, Desclée De Brouwer,
p. 437.
36 G. ROUTHIER, “Nouvelles paroisses…”, art. cit., p. 99.

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et dans l’évangélisation des cultures et des sociétés »37. Il s’agit donc


de penser l’influence sur la paroisse d’autres types de rassemblement
chrétien en vue de soutenir le travail d’évangélisation de toute l’Église
et de constituer un lieu de renouvellement pour la paroisse. Cette
possibilité est historiquement attestée. Elle demande cependant à être
mise en œuvre.
Historiquement, H. Legrand a montré comment les crises dans
l’Église ont toujours été surmontées par l’alliance entre la papauté et
des corps cléricaux. Il s’agissait d’une « logique visant à la constitution,
de plus en plus rigoureuse, des prêtres en un corps clérical »38 : Cluny
au XIe s., les Ordres mendiants au XIIIe s., les jésuites au XVIe s., etc.
Si de cette logique découle un déséquilibre ecclésiologique qui favorise
la disqualification du peuple chrétien et surévalue l’autonomisation des
prêtres par rapport aux communautés chrétiennes39, c’est parce que
ces corps constitués ont toujours été cléricaux. Mais, dans les faits, il
s’agit bien d’une activation de la structure associative de l’Église afin de
renforcer la structure institutionnelle à laquelle appartient la paroisse.

La structure institutionnelle et la structure associative de l’Église

Dans une proposition largement reçue, P. Valdrini distingue


deux types de communautés chrétiennes, les communautés de plein
exercice de la charge pastorale – ou communautés hiérarchiques, qui
correspond pour nous à la structure institutionnelle de l’Église – et les
communautés associatives qui composent la structure associative de
l’Église40.
Selon Valdrini, les communautés de plein exercice sont fondées
selon un principe d’institution, car « leur existence est due à la volonté
de l’Église elle-même, qui les constitue ou les érige sans que la volonté
des fidèles y joue un rôle prépondérant »41. Elles ont pour spécificité
que « l’office la structurant comporte une pleine charge pastorale »42.
Ces communautés (diocèses, paroisses, aumôneries) ont donc à leur
tête un ministre ordonné, selon le c. 150. La pleine charge pastorale

37 Ibid., p. 99.
38 H. LEGRAND, “Crises du clergé : hier et aujourd’hui…”, art. cit., p. 92.
39 Cf. ibid., pp. 94-96. Voir aussi Fr. MOOG, La participation des laïcs à la charge pas-
torale…, op. cit., pp. 376-379.
40 Cf. P. VALDRINI, “Fonction de sanctification et charge pastorale”, dans La Maison-
Dieu, 194, 1993, pp. 47-58 et ID., “Charge pastorale et communauté hiérarchique.
Réflexion doctrinale pour l’application du c. 517-2”, dans L’Année Canonique, 37,
1995, pp. 25-35.
41 ID., “Charge pastorale et communauté hiérarchique…”, art. cit., p. 26.
42 ID., “Fonction de sanctification et charge pastorale…”, art. cit., p. 48.

212 Lumen Vitae 2012/2


La conversion missionnaire des communautés paroissiales

certifie au fidèle qu’il trouvera dans cette communauté toute l’activité


qu’un fidèle est en droit d’attendre de l’Église. C’est ici que se fonde le
critère d’appartenance spécifique aux communautés de plein exercice :
« Le critère d’appartenance aux communautés hiérarchiques est de
type réglementaire. On ne décide pas d’appartenir à telle ou telle
communauté hiérarchique comme dans le cas de l’appartenance
aux communautés associatives »43. On peut parler d’appartenance
règlementaire ou d’appartenance objective en ceci que la décision
du fidèle n’est pas engagée : tout fidèle appartient à une Église
locale sous l’autorité d’un évêque et tout fidèle appartient à une
communauté paroissiale sous l’autorité d’un curé, objectivement, par
son enracinement géographique.
Les communautés associatives, notamment régies par les
cc. 298 et suivants, ne comportent pas d’office structurant. Dans
certains cas, un « assistant ecclésiastique » (c. 317) peut être nommé,
pour indiquer le lien de communion qui unit l’association et l’évêque
qui nomme l’assistant. Les communautés ainsi désignées sont très
diverses et vont des mouvements d’Action catholique aux Équipes
Notre Dame, du scoutisme à la Communauté vie chrétienne (CVX),
du Secours catholique à la Communauté de l’Arche… La mission et
le profil spécifique de chaque communauté associative n’est certes
pas sans rapport avec les tria munera que l’Église reçoit du Christ.
Certaines sont spécialisées dans un domaine particulier (liturgique,
caritatif…), d’autres proposent une approche plus transversale (prière,
évangélisation et diaconie), mais aucune de ces communautés
n’est tenue et ne peut prétendre à être pleinement structurée par la
pleine charge d’enseignement, de sanctification et de gouvernement.
C’est pourquoi elles peuvent être érigées par tout fidèle et doivent
être simplement reconnues « par l’autorité compétente » (c. 299
§ 3), même si cette dernière peut se réserver le droit d’ériger des
associations « pour poursuivre directement ou indirectement d’autres
fins spirituelles auxquelles il n’a pas été suffisamment pourvu par les
initiatives privées » (c. 301 § 2). Dans ce cadre, l’appartenance à une
communauté associative est volontaire, aucun fidèle n’étant tenu
d’appartenir à l’une de ces communautés.

Un enrichissement réciproque

Retenons alors que si tous les fidèles font partie d’une commu-
nauté institutionnelle, certains font, de plus, partie d’une ou de plu-
sieurs communautés associatives. Cependant on ne choisit pas d’être
membre d’une communauté institutionnelle alors que l’on choisit
délibérément d’être membre d’une communauté associative.

43 ID., “Charge pastorale et communauté hiérarchique…”, art. cit., pp. 26-27.

Lumen Vitae 2012/2 213


Fr. Moog

Face au défi que constitue la conversion missionnaire des


communautés paroissiales, il faut alors rappeler le besoin réciproque
que ces communautés ont l’une de l’autre. Les communautés
associatives ont besoin des communautés institutionnelles, et notam-
ment des paroisses, afin de s’assurer qu’elles puisent à la bonne source
évangélique. C’est le principe du lien à l’évêque et de l’appartenance
systématique à une paroisse comme lieu où l’on ne choisit pas ses
frères selon des affinités mais où on les reçoit selon la grâce. C’est
également le contact avec la plénitude de la charge pastorale et avec
l’ensemble des moyens de salut dont dispose l’Église, à l’échelle de
l’Église locale diocésaine comme à l’échelle paroissiale. Mais les
communautés institutionnelles ont également besoin des communautés
associatives afin de faire face à ce que L. Bressan appelle leur
« faiblesse évangélisatrice »44. C’est un enseignement de l’histoire que
nous avons déjà abordé et que l’on peut compléter en mentionnant par
exemple la multitude des congrégations religieuses qui sont nées au
XIXe s. pour maintenir le dynamisme missionnaire de l’Église dans une
société qui ne lui était plus systématiquement favorable, mais aussi
l’Action catholique au XXe s., etc.
Mais à cet enseignement de l’histoire correspond une réalité
actuelle. On peut citer par exemple le répertoire des chants paroissiaux
qui a considérablement évolué sous l’influence de productions musi-
cales nées dans des milieux associatifs (scoutisme, communautés
monastiques ou nouvelles, engagement de religieux…). On peut
également mentionner des initiatives de type associatif qui affectent
actuellement les communautés paroissiales : parcours Alpha, Cellules
paroissiales d’Évangélisation (don Pigi), « Petites communautés
fraternelles de foi » (Mgr Daucourt), et tant d’autres qui participent
au renouveau missionnaire des paroisses45. Enfin, on peut citer la
redécouverte massive des pèlerinages, de Lourdes à Compostelle
comme dans l’ensemble de la planète, dans des lieux reconnus ou dans
des lieux désignés pour l’occasion, comme c’est le cas pour les JMJ.
Il se joue là une recherche importante de renouvellement missionnaire
pour les paroisses, sous une forme événementielle de l’Église.
Les exemples que nous venons de mentionner nous livrent deux
enseignements. Le premier est que c’est en étant une structure ouverte
que la paroisse pourra continuer à assurer son service si spécifique
et irremplaçable de la communion tout en évoluant pour s’adapter
aux exigences de l’annonce de l’Évangile. Le second enseignement
concerne le chantier de théologie pratique ouvert par ces remarques.
Nul ne peut se contenter d’affirmer que les pratiques issues de la

44 L. BRESSAN, “La paroisse, émergence de l’Église en un lieu”, art. cit., p. 139.


45 Cf. D. BARNERIAS, La paroisse en mouvement…, op. cit., pp. 437-439.

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La conversion missionnaire des communautés paroissiales

structure associative renouvelleront la paroisse. Il convient bien


plutôt de se donner les moyens de discerner et d’analyser comment
ces pratiques font évoluer la structure paroissiale, notamment par
l’immersion des paroissiens au cœur d’une structure associative. Il
s’agit d’un programme à mettre en place et il pourrait être urgent de le
faire afin d’accompagner au mieux la paroisse dans ses mutations.
En affirmant que la structure paroissiale pourra évoluer sous
l’influence de la structure associative, il ne s’agit pas de dire que l’on
peut se contenter de transférer de l’une à l’autre quelques savoir-faire
ou, pire encore, quelques techniques d’évangélisation qui auraient
fait leur preuve. Cette perspective est absolument étrangère à ce que
l’on appelle la nouvelle évangélisation : « La nouvelle évangélisation
ne peut pas signifier : attirer tout de suite, par des méthodes plus
raffinées, les grandes masses qui se sont éloignées de l’Église. Non,
ce n’est pas cela la promesse de la nouvelle évangélisation »46. C’est
d’un renouvellement plus profond dont il s’agit, non pas d’un transfert
de techniques mais du principe fondamental selon lequel l’Église se
renouvelle par la mise en œuvre de sa mission.

L’Église se renouvelle par la mise en œuvre de sa mission

Alors qu’elle doit engager une « recherche de son identité »47,


la paroisse se trouve privée de ce qui constituait son fondement :
le principe d’encadrement lui assurant les demandes qui garantissaient
son prestige, sa force et sa légitimité48. C’est ce qui l’oblige à ce travail
sur soi dégageant peu à peu le chemin qu’elle devra parcourir pour
dévoiler une nouvelle figure de crédibilité. Il s’agit pour la paroisse
de redécouvrir comment la mise en œuvre de la mission la met en
permanence en état d’apprentissage d’elle-même et de la volonté de
Dieu pour elle49.
Il s’agit alors pour la paroisse, comme pour toute communauté
chrétienne, de se reconnaître « comme l’agent, mais aussi le fruit de
cette évangélisation, car elle est convaincue que ce n’est pas elle qui
gère tout ce processus, mais bien Dieu, qui la guide dans l’histoire
grâce à son Esprit » (Lineamenta n°3). Agent et fruit, car la mise en
œuvre de la mission, en tant que participation à la vie et à la mission
du Christ qui s’associe l’Église, implique d’assumer un paradoxe :

46 Card. J. RATZINGER, “La nouvelle évangélisation”, art. cit., pp. 91-92.


47 L. BRESSAN, “La paroisse, émergence de l’Église en un lieu”, art. cit., p. 146.
48 Ibid., p. 150.
49 Cf. D. BARNERIAS, La paroisse en mouvement…, op. cit., pp. 395 et suiv. et pp. 420
et suiv.

Lumen Vitae 2012/2 215


Fr. Moog

la mission requiert d’assumer une responsabilité et, en même temps,


de s’en dessaisir. C’est le principe de « l’expropriation »50 qui permet à
l’Église de se recevoir de Dieu par la mise en œuvre de sa mission.
Si le Christ est vraiment présent et agissant dans son Église, alors
c’est son initiative qui fonde la mission et qui établit la communauté
chrétienne comme sujet d’initiative et d’action. La responsabilité de
la communauté missionnaire est donc avant tout responsabilité de
consentement à l’œuvre du Christ dans son Église et par elle. C’est ainsi
que l’on doit affirmer qu’il n’existe pas de communauté en dehors de
ses pratiques reconnues comme consentement à l’action du Christ.

Il n’existe pas de communauté a-priori

Pour le dire autrement, la communauté naît de son action, une


action qui la manifeste et qui l’affecte, selon les termes de Vatican II
dans la Constitution sur la sainte liturgie, Sacrosanctum Concilium au
n° 26 : « Les actions liturgiques ne sont pas des actions privées, mais
des célébrations de l’Église, qui est le “sacrement de l’unité”, c’est-
à-dire le peuple saint réuni et organisé sous l’autorité des évêques.
C’est pourquoi elles appartiennent au Corps tout entier de l’Église,
elles le manifestent et elles l’affectent ; (…) ». On pourrait dire cela de
l’ensemble de la mise en œuvre de la mission.
Dire qu’il n’existe pas de communauté a-priori, c’est alors
reconnaître que la communauté n’existe que comme fruit de la mise
en œuvre de la mission, ce que Routhier désigne lorsqu’il parle des
« actes instituants » qui permettent à la communauté de se renouveler
et d’inventer « de nouvelles modalités pour partager l’Évangile »51.
Pour Routhier, ces actes instituants désignent toutes les pratiques
qui, par la mise en œuvre de la mission de l’Église, permettent de
ré-institutionnaliser l’Église, c’est-à-dire de la construire, de l’édifier,
de l’instituer52. Ces actes instituants constituent pour la communauté
paroissiale des possibilités d’inventivité comme de réinvestissement
de leur tradition pastorale. Il s’agira alors d’assister à la naissance de
nouveaux lieux d’annonce, de célébration et de vie de l’Évangile.

50 Card. J. RATZINGER, “La nouvelle évangélisation”, art. cit., p. 92.


51 G. ROUTHIER, “Nouvelles paroisses…”, art. cit., p. 107.
52 Cf. ID., Penser l’avenir de l’Église, Montréal, Fides, 2008, p. 117. Voir aussi ID.,
“Inventer des lieux pour proposer l’Évangile et rassembler les croyants », dans ID.
et A. BORRAS (Dir.), Paroisses et ministères. Métamorphoses du paysage paroissial
et avenir de la mission, Montréal/Paris, Médiaspaul, 2001, pp. 387-403.

216 Lumen Vitae 2012/2


La conversion missionnaire des communautés paroissiales

Renouveler la communauté par des pratiques concrètes

Ce réinvestissement du patrimoine pastoral de l’Église engage


à la mise en œuvre de pratiques concrètes qui seront en mesure de
renouveler les communautés elles-mêmes. Ce renouvellement est
possible si l’on considère que le sujet primaire de l’action pastorale est
Dieu lui-même. C’est dans ce cadre que l’agir pastoral peut être pour
une communauté un lieu de conversion et d’institution, car l’Évangile
annoncé, célébré et vécu, crée une « communauté de parcours »53.
Parmi l’ensemble des actions pastorales de l’Église, il convient
de signaler tout particulièrement la célébration de l’eucharistie qui
« fait l’Église », selon l’adage du Cardinal de Lubac, et également les
pratiques catéchuménales comme pratiques nouvelles de l’Église,
apparues à l’époque contemporaine en 1952 et généralisées depuis
quelques années seulement dans nos paroisses. La mise en œuvre
de ces pratiques constituent, pour les communautés paroissiales,
autant d’invitations à se convertir en se recevant de Dieu aux côtés
des catéchumènes. Le rite d’entrée dans l’Église, par exemple (RICA
78 sq.) requiert de la communauté qu’elle se retourne pour recevoir les
catéchumènes. C’est alors que le prêtre demande à tous les fidèles
rassemblés s’ils sont prêts à s’engager envers eux (RICA 82). C’est
ainsi, comme le note avec justesse A.-M. Boulongne, que « le chemin
de l’initiation est un chemin qu’il faut prendre ensemble »54. On pourrait
dire la même chose des pratiques de mystagogie par lesquelles la
communauté chrétienne redit qu’elle reçoit les nouveaux baptisés
comme un don de Dieu qui la plénifie et se reconnaît avec eux en
posture d’initiation55.
C’est par la mise en œuvre de ces pratiques qu’adviendront
les communautés chrétiennes dont l’Église tout entière a besoin
pour affronter les défis de la nouvelle évangélisation. L’exemple de
l’eucharistie comme celui du catéchuménat soulignent l’importance
d’une réalisation de l’Église au plus près de la réalité sociale des hommes
et des femmes de ce temps. Non seulement pour que la paroisse
continue d’être « un lieu explicite de la présence de l’Église au cœur de
nos sociétés »56, mais surtout pour que la mise en œuvre de la mission

53 Card. J. RATZINGER, “La nouvelle évangélisation”, art. cit., p. 93.


54 Dans son intervention « La catéchèse dans le contexte d’un christianisme de
conversion », lors du colloque de Gazzada (20-22 octobre 2011), à paraître.
55 Cf. Fr. MOOG, “La mystagogie et la communion de l’Église”, dans Chercheurs de
Dieu, Hors série n° 9, 2008, pp. 11-15.
56 M.-H. LAVIANNE, “Nomadisme paroissial et évangélisation”, dans Lumen Vitae, 59/1,
2004, p. 78.

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Fr. Moog

ecclésiale produise une authentique évangélisation, étant entendu que,


« Évangéliser, pour l’Église, c’est porter la Bonne Nouvelle dans tous
les milieux de l’humanité et, par son impact, transformer du dedans,
rendre neuve l’humanité elle-même » (Evangelii Nuntiandi 18). C’est
ainsi que la paroisse pourra toujours être cet « espace d’institution du
Christianisme dans les cultures, au sein de l’histoire humaine »57.
La paroisse sera alors un authentique moyen de nouvelle
évangélisation si, comme le proposent les Lineamenta, la nouvelle
évangélisation est « la capacité, de la part du christianisme, de savoir
lire et déchiffrer les nouveaux scénarios qui, au cours des dernières
décennies, se sont créés dans l’histoire des hommes, pour les habiter
et les transformer en des lieux de témoignage et d’annonce de
l’Évangile » (n° 6).
Au terme de la présentation de cette perspective très program-
matique, il nous faut revenir sur une ultime question : la paroisse
est-elle la bonne échelle pour penser les évolutions structurelles de
l’Église dans le cadre de la nouvelle évangélisation ? L’enseignement
ecclésiologique du Concile Vatican II plaiderait plutôt en faveur de
l’Église locale diocésaine comme la bonne échelle pour penser les
enjeux ecclésiaux actuels. Routhier va également dans ce sens
lorsqu’il plaide pour un remodelage des Églises locales plus que des
paroisses58. Cependant, selon Bressan, la paroisse ne peut pas se
contenter d’être un relais de l’Église diocésaine59. En ce sens, elle doit
être capable d’initiative.
En fait, le diocèse constitue une bonne échelle de régulation
d’ensemble, mais il convient plus largement de penser l’organisation
ecclésiale comme un ensemble complexe, un « réseau d’organismes
et d’institutions »60 au sein duquel la paroisse pourrait être un centre
de communion incontournable, nœud de l’Église diocésaine. Il serait
alors important, dans ce cas, de travailler à plusieurs niveaux, en
reconnaissant à la paroisse un rôle d’ancrage dans la réalité sociale.
La paroisse deviendrait-elle une sorte de réseau ? Rien ne permet
ni de l’affirmer, ni de penser le contraire. Ce qui est sûr, c’est que la
paroisse doit changer de polarité en passant de lieu de consommation
à lieu missionnaire et pôle radiant de la vie ecclésiale, reconnue
comme réalité sociale inscrite au cœur du tissu humain. C’est sans
doute en ce sens qu’elle sera toujours une paroisse. Mais elle le sera
dans l’acceptation d’une pluralité d’appartenances ecclésiales.

57 L. BRESSAN, “La paroisse, émergence de l’Église en un lieu”, art. cit., p. 133.


58 G. ROUTHIER, “Nouvelles paroisses…”, art. cit., p. 100.
59 L. BRESSAN, “La paroisse, émergence de l’Église en un lieu”, art. cit., p. 145.
60 G. ROUTHIER, “Nouvelles paroisses…”, art. cit., p. 104.

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La conversion missionnaire des communautés paroissiales

Ainsi, la paroisse peut continuer d’être un véritable « laboratoire


ecclésial, perpétuellement à l’œuvre, constamment prêt à produire et
à fournir des formes de visibilité au christianisme et à l’Église »61. Cela
implique de mettre la paroisse en apprentissage sur le long terme62.
Mais cela vérifie l’intuition de l’ISPC pour qui la nouvelle évangélisation
implique la conjonction de la mise en œuvre du sensus fidei des fidèles,
du discernement des pasteurs et de l’analyse des théologiens. Car
pour opérer sa conversion missionnaire, la paroisse aura besoin de
l’initiative du peuple chrétien, de la conduite bienveillante des pasteurs
et de la capacité d’analyse et de discernement du théologien. Pour
cette tâche exaltante à l’enjeu si crucial, toutes les bonnes volontés
seront donc les bienvenues.

THE MISSIONARY CONVERSION OF PARISH COMMUNITIES:


A CHALLENGE FOR THE NEW EVANGELIZATION
Because its objective is to restore the capacity of the Church to be the
presence of the Gospel that communicates life, the new evangelization
asks parishes to be those places of Christian life adapted to our era and
to contemporary society. François Moog thus raises the question of the
flexibility of the parish itself. To do so, he explores the ecclesiological
foundations that underlie the capacity of the parish to undergo change,
asking it to be less a place of consumption of religious goods and more
of a missionary community.

61 L. BRESSAN, “La paroisse, émergence de l’Église en un lieu”, art. cit., p. 169.


62 Cf. G. ROUTHIER, “Nouvelles paroisses…”, art. cit., p. 102, dont l’unité de mesure est
la génération.

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