Revue française de pédagogie

Gauthier (C.) et al. (1997). - Pour une théorie de la pédagogie.

Recherches contemporaines sur le savoir des enseignants
Mr Claude Lessard

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Lessard Claude. Gauthier (C.) et al. (1997). - Pour une théorie de la pédagogie. Recherches contemporaines sur le savoir des
enseignants. In: Revue française de pédagogie, volume 127, 1999. Approches cliniques d'inspiration psychanalytique. pp. 172-
176;

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GAUTHIER (C.) et al. (1997). - Pour une théorie de la
pédagogie. Recherches contemporaines sur le savoir des
enseignants. Québec : les Presses de l'Université Laval,
1997.
Parmi les multiples discours sur la professionnalisation
de l'enseignement, il y en a un qui affirme que
l'enseignement possède une base de connaissances - a knowledge
base, selon l'expression anglo-américaine - spécifique et
de nature à informer la pratique des enseignants. Celle-ci
serait relativement développée, quoiqu'encore
incomplète. En tout cas, elle semble suffisamment articulée et
nourrie par la recherche pour que l'on procède à des
synthèses, des systématisations, et que l'on tente d'y puiser
les savoirs de formation professionnelle. Les grandes
encyclopédies américaines - les Handbooks et les
Yearbooks - sur diverses branches des sciences de
l'éducation se présentent comme des synthèses de ce que l'on
sait et prétend être de nature à orienter, guider et soutenir
la pratique des enseignants. Au cours des années quatre-
vingt et quatre-vingt dix, le Holmes Group s'est fait le
porte-parole de cette approche et en a fait le fer de lance
de la réforme de la formation des maîtres aux États-Unis :
« Les efforts déployés pour réformer la formation des
enseignants et la profession doivent commencer par un
travail sérieux d'élaboration d'une base de connaissances de la
profession et par le développement de moyens par lesquels
cette base peut être communiquée... Parmi toutes les
professions, l'enseignement est celle qui devrait être fondée sur un
noyau solide de connaissances, puisque le développement et
la transmission des connaissances y sont au cœur » (1986:63).
Il y a deux acceptions à l'expression base de
connaissances. Dans certaines circonstances, elle comprend
l'ensemble des savoirs composant une sorte de réservoir dans
lequel l'enseignant puise pour répondre aux exigences de
la situation concrète qu'il doit gérer. Ainsi, ce réservoir
comprend différents savoirs disciplinaires, curriculaires,
des sciences de l'éducation, de la tradition pédagogique et
des savoirs dits d'expérience. Shulman mentionne les
savoirs curriculaires, ceux sur les élèves, sur les disciplines
et ceux qui relèvent de la culture générale. Dans d'autres
contextes, l'expression « base de connaissances » concerne
surtout les savoirs spécifiques à l'action pédagogique/
didactique en classe. Shulman les nomme savoirs
pédagogiques de contenu - pedagogical content knowledge ou
pck -. Dans son plus récent ouvrage, Gauthier les appelle
savoirs d'action pédagogique ; ces savoirs sont du même
type que ceux que J.-M. Barbier nomme les savoirs
d'action, sauf qu'ils ne se limitent pas à des actions de
changement et englobent aussi des actions de maintien de
l'ordre et de continuité en classe.
172 Revue Française de Pédagogie, n° 127, avril-mai-juin 1999
Le développement d'une base de connaissances dans
l'enseignement s'adresse à un problème identifié par
plusieurs chercheurs depuis longtemps, soit l'absence d'une
véritable culture « technique » et partagée dans
l'enseignement. On espère qu'ainsi un langage spécialisé se
répandra.
Dans la seconde acception, celle centrée sur les savoirs
d'action pédagogique, la base de connaissances doit être
déterminée à partir de l'analyse du travail enseignant.
Elle est donc liée aux conditions réelles de l'exercice du
métier, davantage qu'à une vision idéale de celui-ci. Elle
permet d'identifier ce qui distingue l'activité pédagogique
des autres occupations et le savoir des enseignants de
celui du citoyen ordinaire. Elle est aussi utile pour
démontrer le rôle primordial de l'enseignant dans l'apprentis-
sages des élèves à l'école.
Dans un ouvrage intitulé Pour une théorie de la pédagogie,
C. Gauthier et son équipe (1997) abordent cette question
d'une base de connaissances pour l'enseignement à partir
de la seconde acception de l'expression. Gauthier a
analysé une imposante littérature de synthèses (42) portant
sur des milliers de recherches empiriques - grosso modo,
4 700 -, pour la plupart américaines et anglo-saxonnes, et
conduites dans les classes primaires et secondaires depuis
les 25 dernières années. Selon Gauthier, on peut
différencier cette littérature en trois grandes catégories allant
des recherches menées en classe aux synthèses de
synthèses (ou méga-analyses), en passant par les recherches
intermédiaires qui se subdivisent en deux types : revues de
recherches et synthèses de recherches quantitatives
(« best-evidence synthesis » ou synthèses axées sur
l'appréciation de la grandeur d'un effet).
L'ouvrage s'ouvre sur une présentation de la
problématique d'ensemble où il renvoie dos à dos les idées reçues
qui récusent la nécessité d'un savoir pédagogique (« un
métier sans savoir ») et celles qui mettent de l'avant un
savoir général, scientifique mais sans prise sur la
complexité du métier (« des savoirs sans métier »). Gauthier
plaide plutôt pour une professionnalisation de
l'enseignement fondée sur la reconnaissance d'une base de
connaissances comprenant divers savoirs, dont ceux qui
l'intéressent particulièrement, les savoirs d'action
pédagogique, et pour la nécessaire explicitation de cette base.
Suivent les six chapitres du livre. Le premier présente
une perspective historique ; Gauthier y analyse
l'évolution de la recherche américaine sur l'enseignement depuis
le début du siècle. Celle-ci est découpée en cinq périodes
correspondant chacune à une approche principale de la
recherche : l'approche des traits de personnalité durant la
première moitié du siècle, l'évaluation des méthodes
après la Seconde Guerre mondiale, les systèmes d'obser-
vation durant les années cinquante et soixante, les
approches processus-produit durant les années soixante-
dix et des recherches inspirées principalement de l'ethno-
méthodologie et des sciences cognitives au cours des
années quatre-vingt.
Le second chapitre traite des problèmes épistémo-
logiques, méthodologiques, politiques, pratiques au
regard de la formation, et éthiques, reliés à la
détermination d'une base de connaissances en enseignement.
Abordons ici les problèmes épistémologiques et
méthodologiques, car ce sont ceux qui intéressent davantage la
communauté des chercheurs. Dans le premier cas,
Gauthier soulève les questions suivantes : l'enseignement
est-il une activité à structure stable ou un événement
singulier ? Une base de connaissances en enseignement peut-
elle avoir une portée générale ? Les approches processus-
produit, cognitiviste et interactionniste-subjective sont-
elles complémentaires ou contradictoires ? Y a-t-il une
science de l'enseignement ou une base scientifique à l'art
d'enseigner ? De grandes questions qui en elles-mêmes
commanderaient des développements importants, voire
des ouvrages complets... ! Néanmoins, dans les limites de
ce chapitre, Gauthier argumente sa position qui va dans le
sens d'une certaine stabilité et récurrence des dimensions
de l'enseignement, d'une spécificité moyenne d'une base
de connaissances - ni totalement déconnectée du contexte,
ni complètement ou toujours singulière -, de la
complémentarité des courants de recherche, chacun mettant en
lumière « un quartier particulier sur la carte synoptique
tout en laissant d'autres territoires dans l'ombre et
inexplorés » (p. 66), et d'une base scientifique à l'art
d'enseigner, plutôt que d'une science de l'enseignement. Ici
Gauthier est proche du point de vue de Gage, qu'il utilise
d'ailleurs comme soutien à sa position.
Dans le cas des questions méthodologiques, après avoir
distingué la recherche primaire (premier niveau), la
synthèse de recherches primaires (deuxième niveau), et la
méga-analyse ou synthèses des synthèses (troisième
niveau), Gauthier étudie les caractéristiques de cette
dernière, notamment dans ses visées descriptives et
théoriques. Au regard de la description, il reconnaît que « les
chercheurs peuvent difficilement contrôler la qualité des
études de premier niveau sur lesquelles s'appuient les
études de deuxième niveau que les synthèses de troisième
niveau analysent... Les « méga-analystes » doivent donc
« faire confiance » aux chercheurs de deuxième niveau, ce
qui constitue une grande limite à accorder aux résultats des
analyses quand on sait que la recherche en éducation
commence à peine à présenter des standards plus acceptables de
qualité et cela, encore de façon non généralisée. » (p. 75).
Reconnaissons à l'auteur le mérite de ne pas avoir caché
les problèmes de son entreprise et d'avoir, aux annexes
deux et trois, fait preuve de transparence dans les
décisions méthodologiques prises (codification et définition
des éléments de la grille d'analyse, critères de sélection
des textes à analyser, processus de détermination du
corpus, procédure d'analyse, fiabilité du codage). Par
ailleurs, sur le plan théorique, la méga-analyse a des
ambitions somme toute modestes : elle cherche à construire un
« portrait » de la réalité du savoir d'action pédagogique de
l'enseignant. Elle dégage un ensemble d'énoncés qui ne
forment pas un tout et ne peuvent être utilisés pour
construire un enseignant-robot, un enseignant-expert, un
enseignant-moyen, un enseignant-concret ou un idéal-
type d'enseignant. Et Gauthier de reconnaître qu'on
pourrait « considérer les énoncés comme un amas de
morceaux de casse-tête provenant d'une boîte contenant
plusieurs casse-tête complètement mélangés. » (p. 76). « En ce
sens, reconnaît-il, le portrait est plus surréaliste que
représentatif d'un enseignant réel puisque les énoncés ne forment
pas un tout cohérent, même s'ils proviennent d'études faites
auprès d'enseignants en situation réelle. Cette position
légitime, à notre avis, la nécessité du jugement et résout le
problème du modèle de science appliquée : on ne peut
appliquer tels quels les résultats de la recherche parce qu'ils ne
forment pas un tout cohérent » (p. 76). La méga-analyse
doit donc être prise pour ce qu'elle est : une liste
d'énoncés qui décrivent certains aspects de l'enseignement, dont
l'originalité tient à ce qu'elle se fonde sur la recherche
empirique et expérimentale, qu'elle est issue de recherches
qui s'inscrivent dans le cadre de la classe standard et
qu'elle ne vaut que dans des contextes qui correspondent
à ce cadre ; enfin, elle a pour fonction d'informer
l'enseignant et non de l'assujettir.
Ce second chapitre est important : il fixe clairement à la
fois l'intention de l'auteur et aussi les limites de son
entreprise.
Le chapitre trois, intitulé modèle pour la recherche en
pédagogie, présente ces trois concepts de pédagogie, de
recherche en pédagogie et de modèle pour la recherche
sur la pédagogie, qu'on prend soin de distinguer d'un
modèle pédagogique. L'essentiel du chapitre est consacré
à une discussion des trois principales approches
américaines pour la recherche en pédagogie, l'approche
processus-produit, celle de type cognitiviste - qui comprend
notamment le courant de la pensée des enseignants
{Teacher's thinking) - et celle qualifiée d'interactionniste-
subjectiviste. Reconnaissons cependant que l'approche
processus-produit domine le champ de la recherche sur
l'enseignement. Pour chacune, l'analyse porte sur le ou les
postulats de base, les buts poursuivis, les outils
méthodologiques les plus courants, les avantages, les limites, les
dimensions idéologiques, ainsi que l'apport pour la base
de connaissances en enseignement. Soulignons qu'aucune
Notes critiques 173
des trois approches ne sort indemne de ce travail critique.
Et Gauthier de conclure : « même si ces paradigmes de
recherches s'opposent sur le plan de la méthode, il reste que
le problème important n'est pas vraiment là ; il réside
plutôt... dans l'utilisation des résultats. Les trois conceptions de
la recherche conduisent les chercheurs à produire des
résultats qui ne s'opposent pas, comme les épistémologies des
méthodologies dont ils sont issus. Ces résultats diffèrent
plutôt tout simplement parce qu'ils ont été produits par des
instruments de mesure différents qui font apparaître des
portions différentes du réel » (122). En ce sens, ce qui
intéresse Gauthier, ce n'est pas tellement la « guerre des
paradigmes », que le fait que ces différentes approches
produisent un savoir qui permet de valider, d'enrichir ou de
modifier le raisonnement pratique des enseignants,
certaines de ses dimensions ou sa structure d'ensemble. Les
dernières pages du chapitre présentent d'abord le modèle
de recherche proposé par Shulman, puis celui de l'auteur,
à la fois synthétique et éclectique.
Le chapitre 4 présente les résultats de la synthèse des
42 synthèses de recherches analysées, dont les codeurs ont
extrait 1081 énoncés de type descriptif ou prescriptif. Ces
énoncés sont répartis de la façon suivante : 600 (55,5 %)
touchent à la fonction pédagogique de gestion de la
matière et 481 (44,5 %) se rapportent à celle de gestion de
la classe. Ces énoncés ont été regroupés par
sous-catégories sur la base de leur proximité de signification. Ainsi
restructuré, le corpus d'énoncés est présenté dans un texte
continu qui couvre environ 70 pages. La lecture de cette
synthèse engendre diverses réactions :
a) de satisfaction de voir confirmées plusieurs
propositions sur l'enseignement efficace, comme par exemple,
« les maîtres expérimentés cherchent dès le début de l'année
scolaire à recueillir des informations sur leurs protégés »
(p. 205) et à établir les règles du jeu en classe, des règles
dont l'instauration « vise le contrôle des élèves, mais aussi
le développement de leur responsabilité » (195) ; « ils
savent engager leurs élèves... en présentant clairement les
contenus, en sollicitant les moins enclins à se porter
volontaires, en gardant le groupe en alerte et en sachant
distribuer judicieusement leur attention à ceux qui ont besoin
d'aide, tout en manifestant constamment leur vigilance aux
autres » (p. 204-205) ; ils formulent des attentes élevées,
mais néanmoins réalistes (p. 196), et « se montrent
persistants dans leur atteinte » (196) ; en matière de gestion de
classe, les enseignants efficaces sont toujours pro-actifs
(p. 195) ; aussi, ils utilisent une « rétroaction qui s'effectue
de façon fréquente, spécifique, immédiate ou différée selon
le type d'évaluation et qui est reliée aux objectifs
d'apprentissage » (p. 176) ; au plan de la gestion de la matière, les
enseignants efficaces « consacrent une proportion élevée
(approximativement 50 %) du temps d'enseignement à la
174 Revue Française de Pédagogie, n° 127, avril-mai-juin 1999
pratique guidée... l'effet bénéfique des exercices sur
l'apprentissage est accru s'ils (les élèves) peuvent profiter de
rétroactions correctives données rapidement et présentant
un contenu signifiant pour les élèves » (171) ;
b) d'agacement, devant le degré de précision de
certaines affirmations ou énoncés descriptifs, - « les
enseignants efficaces posent environ une question toutes les deux
minutes » (p. 171) ; « ils doivent intervenir environ 16 fois
par heure pour rétablir l'ordre ; le niveau cognitifdes
questions posées doit être ajusté de telle façon que 75 % d'entre
elles reçoivent une réponse correcte » (p. 171) - ;
c) de surprise - « les recherches montrent l'importance
d'accorder plus de temps aux activités en grands groupes »,
même si les activités individuelles ou en petits groupes ont
pour effet d'améliorer l'attitude des élèves vis-à-vis de
l'école (p. 170) -.
Au sein de cet ensemble de propositions, certaines
apparaissent de l'ordre de l'évidence : les enseignants
d'expérience y verront une confirmation du bien-fondé de
leurs pratiques ; d'autres s'interrogeront sur la nécessité
de faire ce type de recherche. Pour sa part, l'auteur, après
avoir résumé l'essentiel des résultats, conclut qu'« il
existe des comportements d'enseignement s'avérant plus
efficaces que d'autres en ce qui a trait, d'une part, à la
préparation, à la présentation et à l'évaluation des contenus,
et d'autre part, à la régulation des conduites des élèves »
(p. 204). La synthèse produite révèle donc l'existence d'un
ensemble de propositions à partir desquelles des
connaissances procédurales peuvent être élaborées et proposées
- et non pas imposées - aux enseignants en formation
initiale ou continue. Si l'enseignement ne peut être réduit à
une technique, il y a néanmoins des éléments techniques,
des relations moyens-fins ou causes-effets qui méritent
d'être explicitées et discutées.
Dans le chapitre 5, Gauthier réfléchit sur l'utilisation
des résultats de cette synthèse. Il est extrêmement
prudent dans l'utilisation possible des énoncés, renvoyant dos
à dos les positions scientiste et non scientiste et proposant
plutôt une troisième voie, qui met l'accent à la fois sur le
rôle critique joué par la recherche et sur la nécessité du
jugement chez l'enseignant. Considérant le travail de
l'enseignant en matière pédagogique comme analogique à
celui du juge en matière juridique, il propose de
considérer le savoir d'expérience des enseignants validé par
la recherche comme une sorte de jurisprudence
pédagogique. Celle-ci est certes utile au praticien, mais elle ne
prescrit pas à tout coup son action ; celui-ci doit donc
exercer son jugement, il doit délibérer, avec prudence.
On ne peut donc accuser Gauthier de vouloir
soumettre la pratique enseignante à de quelconques pres-
criptions simplistes et bêtes issues de la recherche, encore
qu'il reconnaisse qu'au sein de l'école actuelle, il y a un
cadre de l'action pédagogique, un cadre séculaire qui a
peu changé tout au long de ce siècle et qu'à l'intérieur de
ce cadre, les stratégies d'action pédagogique efficace ne
sont pas infinies ou toutes singulières et « artistiques ». Ce
qui l'intéresse ultimement c'est la capacité deliberative et
collective des enseignants à propos d'un savoir qui leur est
propre - un savoir d'action pédagogique - et il estime que
la recherche existante est un élément essentiel de cette
délibération, de cette construction d'une jurisprudence
pédagogique. Cette jurisprudence, celle des savoirs
d'action pédagogique, est essentielle à la professionnalisation
de l'enseignement, car, affirme Gauthier :
* Les savoirs d'action pédagogique validés par la
recherche sont actuellement le type de savoirs le moins
développé dans le réservoir des savoirs de l'enseignant et
aussi, paradoxalement, le plus nécessaire à la
professionnalisation du métier. Il ne pourra vraisemblablement y avoir
de professionnalisation du métier tant que ce genre de
savoir ne sera pas plus explicité, étant donné que les savoirs
d'action pédagogique constituent un des fondements de
l'identité professionnelle de l'enseignant. En effet, en
l'absence d'un savoir d'action pédagogique valide, l'enseignant
continue à faire appel à l'expérience, à la coutume, au bon
sens, etc., pour fonder des gestes, bref, à utiliser des savoirs
qui peuvent comporter des limites importantes, mais aussi
qui ne le distinguent que peu ou prou du citoyen ordinaire.
Or pour professionnaliser l'enseignement, la détermination
de savoirs d'action pédagogique valides et la capacité de
faire accepter la pertinence de ces savoirs par les autres
acteurs sociaux sont essentielles... » (24-25).
Dans le sixième et dernier chapitre, Gauthier présente
l'esquisse d'une théorie générale de la pédagogie, en tant
que raisonnement pratique. Quiconque a suivi au cours de
la dernière décennie la prolifique production de Gauthier
trouvera ici une belle synthèse, fort bien écrite, de ce qu'il
a développé de lui-même, ou avec M. Tardif, ou encore
avec S. Martineau et D. Simard, sur l'enseignant, acteur
rationnel, « praticien qui, en rapport à la situation complexe
qui est la sienne, prend des décisions contextualisées dont il
peut fournir une justification rationnelle » (p. 236).
À mon avis, tout futur maître devrait lire et méditer
sinon l'ensemble de cet ouvrage, à tout le moins les deux
derniers chapitres.
Constatons que par cet ouvrage, Gauthier œuvre à la
réconciliation entre la recherche, la formation et la
pratique de l'enseignement et qu'à cet égard, il mérite notre
considération. Gauthier veut en quelque sorte réhabiliter
un ensemble de connaissances procédurales - ce dont
toute profession ne saurait se passer - et qui forme le
patrimoine du groupe professionnel ; ces connaissances,
validées par la recherche, peuvent être transmises en
formation, discutées comme base d'une délibération
individuelle ou collective. Soulignons que la jurisprudence
pédagogique dont il est ici question ne concerne que
l'interaction en classe. Ne sont pas prises en considération
les relations professionnelles - ainsi que les savoirs qui y
sont engagés - en dehors de la classe, au sein de l'école,
entre enseignants, avec la direction et la hiérarchie
administrative, voire avec l'environnement et ses acteurs
(parents, organismes communautaires, etc.). S'il est
beaucoup question dans ce livre de l'importance du contexte, il
s'agit toujours du contexte de la classe, et non pas des
contextes plus larges de l'école, du système éducatif, du
milieu et de la société globale. C'est une limite de la
synthèse des synthèses ici produite, qui tient probablement à
la centration trop exclusive des recherches premières sur
l'interaction en classe.
Constatons aussi que la recherche dont il est ici question
est en général une recherche finalisée. Il va de soi que toute
la recherche en science de l'éducation ne saurait se réduire
à ce rôle de validation du savoir d'expérience des
enseignants chevronnés ou experts. Il y aurait là, entre autres
biais, une tendance inacceptable à la justification du statu
quo, ou à tout le moins, une moins grande ouverture à
l'innovation et au changement d'une dimension de la classe
standard ou de la totalité du moule socio-pédagogique
hérité du XVIIe siècle. On ne peut non plus oublier les
remarques que Gauthier lui-même fait sur la qualité de
cette recherche et donc sur sa nécessaire critique.
Aussi, le propos de Gauthier sur la professionnalisation
de l'enseignement met beaucoup l'accent sur les
connaissances déclaratives et procédurales. Or, dans
l'enseignement, tout n'est pas que savoir, il y a aussi de
l'émotion, de l'affectif, de la passion. Il y a surtout un savoir
mobiliser ces connaissances à bon escient. Enfin, ce
discours recherche du solide, du certain, du dur au sens où
Gage parlait de « hard gains in the soft sciences » (« des
gains durs dans des sciences molles ») et dans sa visée
générale, il s'accommode mal du singulier, de l'affectif, du
contextuel et du construit local ; d'une pratique en partie
indissociable de la personne qui l'investit et qu'on ne peut
connaître complètement.
Néanmoins l'ouvrage de Gauthier et de son équipe est
fort bien construit et argumenté. On a affaire à un livre
« qui se tient », qui est porté par un projet à la fois
intellectuel et « politique » (la professionnalisation de
l'enseignement), qui ne manque pas d'audace, et qui en cours de
route établit clairement ses paramètres, fait face aux
embûches et difficultés sans les cacher, et prend position
de manière persuasive. Un ouvrage aussi qui marie à la
fois la rigueur de l'analyste de contenu et la culture de
Notes critiques 175
l'humaniste et du philosophe, et qui combine l'empirisme
et le pragmatisme anglo-américain, d'une part, et la
grande tradition conceptuelle et théorique européenne,
d'autre part. Bref, un ouvrage stimulant que, j'aime à le
penser, seul un chercheur québécois assumant
pleinement sa position périphérique par rapport aux deux
grands centres de production intellectuelle que sont
l'Amérique anglo-saxonne et l'Europe de l'Ouest,
pouvait produire.
Claude Lessard
Université de Montréal.
HASSENFORDER (Jean), ÉTÉVÉ (Christiane) (dir.). -
Les sciences de l'éducation à travers les livres. Paris :
L'Harmattan ; INRP, 1998. - 266 p. (Éducation et
formation, série Références).
Il peut paraître paradoxal de présenter ici une note
critique sur un ouvrage qui fait lui-même le point sur les notes
critiques qui ont été publiées dans la Revue française de
pédagogie depuis sa création en 1967. Si l'on poussait plus loin le
paradoxe, on pourrait imaginer que dans 30 ans environ,
cette note pourrait elle-même figurer dans un recensement
des notes critiques qui seront publiées depuis maintenant !
En réalité, un premier recueil avec le même titre avait déjà
été publié à l'INRP en 1982. L'ouvrage fait aussi penser aux
publications qui ont été précédemment coordonnées par
Jean Hassenforder et dont le contenu est issu des rubriques
de la revue de l'INRP « Perspectives documentaires en
éducation », ainsi : « Lecteurs et lectures en éducation » en 1990,
« Chercheurs en éducation » en 1992, « Vers une nouvelle
culture pédagogique - 29 chemins de praticiens » en 1992. On
peut aussi faire référence au livre « Sociologie de
l'éducation » (1990) rassemblant sous la direction du même auteur
des articles de la Revue française de pédagogie.
Mais la comparaison s'arrête là, car si l'on retrouve bien
ce même souci de fournir au public sous forme d'un
volume des références qui étaient « éclatées » dans
plusieurs numéros d'une revue, nous avons affaire ici à une
bibliographie classée en rubriques, assortie de trois
lexiques très utiles (descripteurs, auteurs des ouvrages
chroniques, auteurs des notes critiques). C'est donc
principalement un instrument de travail qui est mis à
disposition : il présente 1198 références d'ouvrages publiées
dans 113 numéros de la revue de 1967 à 1995. L'originalité
du livre réside dans le fait qu'il ne s'agit pas simplement
d'un recensement d'ouvrages sur l'éducation pendant une
période déterminée (et il en existe d'autres) mais aussi, par
le même mouvement, du repérage des textes qui les ont
pris pour objet et donc de leurs auteurs, environ 400. Sous
cet angle, bien mis en évidence par Hassenforder qui
176 Revue Française de Pédagogie, n° 127, avril-mai-juin 1999
retrace les modes de fonctionnement de la rubrique des
notes critiques, c'est toute une dynamique scientifique qui
est repérable, à travers « l'apparition et le développement
des champs de recherche et l'émergence des disciplines qui
s'inscrivent aujourd'hui dans les sciences de l'éducation »,
mais aussi à travers la présence de plus en plus marquée
dans les années 70 de références à des ouvrages étrangers.
Cette dynamique est encore révélée par les critiques
croisées sur un même ouvrage, c'est-à-dire rédigées par
plusieurs auteurs pouvant confronter leurs points de vue
(19 ouvrages ont connu ce type de traitement, mais on
peut regretter que la liste présentée ne mentionne ni les
auteurs des notes, ni les renvois au plan de classement
numéroté).
Bien entendu, se pose alors la question du choix des
ouvrages et des auteurs des notes critiques. Jean
Hassenforder en assume la responsabilité mais en
explicitant ses choix : d'un côté, des ouvrages « qui paraissaient
des jalons dans la réflexion sur l'enseignement et
l'éducation », présentés en fait sous la forme classique du livre
(d'où la mise de côté des rapports de recherche), d'un
autre côté, des lecteurs-auteurs des notes qui soient
familiers du domaine traité mais qui soient aussi capables
d'exercer un regard critique de bon aloi.
Quant au classement proposé, il est explicité par
Christiane Étévé : priorité donnée aux disciplines de
référence lorsque celles-ci sont identifiables (avec des
problèmes posés par le classement des recherches au
croisement de disciplines), mais aussi place accordée aux objets
de recherche. Les aspects inévitablement arbitraires du
classement sont en partie réduits par le fait qu'il s'appuie
sur tout un travail antérieur de gestion documentaire, que
certains renvois sont ménagés d'une rubrique à une autre,
que les descripteurs placés en index sont aussi ceux du
lexique de la banque de données FRANCIS en sciences
humaines. Autant de raisons pour considérer cet ouvrage
comme un excellent outil de travail mis à la disposition
non seulement des chercheurs mais aussi de ceux qui
souhaitent s'informer sur l'évolution des travaux sur
l'éducation au cours des 30 dernières années.
Éric Plaisance
Université Paris V
IMBERT (Francis) et le groupe de recherche
institutionnelle. - Vivre ensemble, un enjeu pour l'école. Paris :
ESF, 1997.
Francis Imbert, professeur en sciences de l'éducation
et psychanalyste, publie régulièrement depuis quelques
années des livres qui, à partir de la théorie lacanienne,
relatent et analysent son expérience, en tant qu'animateur