Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Le cygne
à Victor Hugo.
I
Andromaque, je pense à vous! ce petit fleuve,
Pauvre et triste miroir où jadis resplendit
L'immense majesté de vos douleurs de veuve,
Ce Simoïs menteur qui par vos pleurs grandit,
II
Paris change! mais rien dans ma mélancolie
N'a bougé! palais neufs, échafaudages, blocs,
Vieux faubourgs, tout pour moi devient allégorie,
Et mes chers souvenirs sont plus lourds que des rocs.
&&&&&
À l'époque à laquelle le poème Le Cygne est écrit, Paris est transformé par le
baron Haussmann. Le Cygne est “le poème des exilés”. Passant dans des rues
qui n'avaient gardé du passé que leurs noms, dans un Carrousel trop neuf et
privé d'âme, Baudelaire s'est souvenu de son frère le Cygne, comme il s'était
naguère souvenu de son frère l'albatros (les deux poèmes ont été écrits,
probablement en 1859 ). Il s'est rappelé ce cygne évadé qui, au même
endroit, traînait sur le pavé à la recherche de son lac natal; et puis une autre
figure immobilisée au bord d'une eau trompeuse, Andromaque, fascinée par
le miroir où elle en se reflétait plus; et puis tous ceux qui ont besoin de
traverser les brumes du souvenir et des larmes. Le passé transfigurait le
présent et l'imagination absorbait l'un et l'autre : le monde visible devenait
l'allégorie du monde invisible, celui où règnent la Douleur et le Souvenir.
Composition
Première partie
Comme souvent chez Baudelaire, l'eau est au centre des tableaux, celle des
larmes et celle du miroir, celle des flaques et celle du ciel, celle de la mer et
celle des fleuves.
Vers 1-8
Le nom d'Andromaque se détache comme un appel. Il suscitera les sortilèges
de la légende; mais d'abord le poème restera tout proche de l'humble réalité.
C'est à partir d'un ruisselet asséché dans lequel un cygne “évadé de sa cage”
cherchait désespérément une goutte d'eau qu'est sans doute née la rêverie
du penseur. Le mouvement du vers, avec ses silences, traduit le mouvement
de l'âme; le rythme monte dans le second vers, s'étale sur le troisième et le
début du quatrième puis redescend.
La scène a “fécondé” sa mémoire et l'a rendue fertile : elle a multiplié les
rapprochements et les oppositions, les rapports entre le présent et le passé,
les plaintes de l'âme solitaire. Le petit “fleuve”, triste et pauvre, reflétait la
douleur immense et majestueuse de la “veuve” (vers 1-6). Le miroir compte
moins que l'image renvoyée et cette image était celle de la veuve
inconsolable, hantée comme le cygne par le souvenir d'un bonheur perdu.
Andromaque deviendra le symbole, le plus célèbre, le plus noble, de tous les
exilés, de tous ceux qui rêvent d'un paradis lointain et qui “sont rongés d'un
désir sans trêve”.
Puis le monde moderne intervient avec son prosaïsme (vers 7-8) à travers
une réflexion morale. La dissonance avec l'évocation précédente est sensible,
et tout au long de la pièce, thèmes, tableaux, vers, se heurteront dans un
style très contemporain. La confrontation du passé avec le présent pose le
problème du bonheur, mais dans des termes inhabituels : le milieu d'élection
n'est plus la nature, mais la ville, et la pierre change alors que les sentiments
demeurent.
Seconde partie
Vers 9-12
Le mouvement reprend là où Baudelaire l'avait interrompu pour évoquer
l'anecdote du cygne dans le cadre du “vieux Paris” en démolition. La
méditation repart à propos de ce souvenir qui va en appeler d'autres, au gré
de l'association des idées, tous accordés à la pesante mélancolié du poète,
pour qui tout “devient allégorie”.
Vers 11.
Notons la distinction que Thibaudet établit entre symbole et allégorie : “
L'allégorie se présente à nous sous la forme d'une intention nette, précise,
détaillée; le symbole sous la forme d'une création libre où l'idée et l'image
sont indiscernablement fondues”.
En ce sens, la ville offre bien des symboles, mais le poète et le lecteur lui
donnent une interprétation, donc la continuité et la cohérence de l'allégorie.
Vers 13-20
L'image et l'idée (vers 13-14) sont ansi étroitement liées. Elles unissent à
nouveau le cygne et Andromaque, deux figures de l'exil, deux figures du
poète. Ce qui les apparente, c'est le refus d'accepter la vie telle qu'elle est et
un besoin dévorant d'idéal.
Ces deux thèmes sont d'abord posés l'un auprès de l'autre, simplement (vers
14-16), puis (vers 16-20) croisés et enrichis. Pour Andromaque, la grandeur
est dans l'amour, la bassesse dans la contrainte. Le thème est d'abord
exprimé directement (vers 15-16), à propos du cygne ridicule aux yeux de la
foule, à cause de ses gestes fous et mal adaptés et sublime par son refus de
capituler et de renoncer à son rêve. Puis le thème est suggéré à travers le
symbole plus complexe de la destinée d'Andromaque. Le poète rappelle avec
émotion la déchéance de la reine devenue esclave (vil bétail) du superbe
Pyrrhus (écho de la noblesse du style racinien) et femme d'Hélénus après
avoir été l'épouse d'Hector. Le vers 20 souligne ce douloureux contraste,
d'autant plus émouvant que le vers 17, inspiré de Virgile, déplorait sa chute
irréparable (d'un grand époux tombé). Le vers 19, d'une grande beauté
plastique, souligne la douleur majestueuse de la veuve inconsolable, et sa
volonté de tourner le dos au réel pour rester fidèle, malgré tout, à son rêve.
Vers 21-28
Parallèlement, d'autres figures s'avancent : celle de la négresse qui cherche
son passé, hagarde, à travers le brouillard (comme Andromaque, en extase,
devant un tombeau vide), et, se tenant la main, plus banales, celles des
victimes de la destinée. Si le drame est toujours le même, les situations
changent. A la noble statue de la reine, interprétée dans un style racinien,
s'oppose celle de la pauvresse, décharnée et misérable, et qui, pourtant
répète, elle aussi, les gestes fous du cygne. Mais le cri le plus douloureux
(noter l'effet du rejet vers 26) et le plus discordant est celui des anonymes
(vers 25-28), les éternels infortunés, les fils de la Douleur qui n'ont d'autre
consolation que les pleurs et finissent par se repaître de leur souffrance, les
orphelins réduits à la misère physique.
Vers 29-32
La dernière strophe est la plus déroutante. On y attend la conclusion
(“Ainsi...” qu'appelaient les vers 9-12, et donc une interprétation de
l'allégorie. Mais (vers 31-32) d'autres infortunés vont se présenter à l'esprit
du poète et les derniers vers substituer leur balbutiement à la péroraison. À
la suite d'une image magnifique, et d'une qualité musicale admirable (vers
29-30), la pièce se termine en mineur sur une énumération toute simple, puis
sur une note plus dicrète, allusion probable à l'infortune du poète lui-même.
Exilé loin des sphères de l'idéal, il est comme “ces matelots oubliés dans une
île, il est un captif, un vaincu.”
CONCLUSION
À mesure que Baudelaire sent mieux son originalité, on dirait qu'il veut
détacher plus complètement la poésie des entraves de la forme
traditionnelle. Claudel disait que son style est “un extraordinaire mélange du
style racinien et du style journalistique de son temps”. C'est particulièrement
vrai dans ce poème, et c'est peut-être ce qui lui donne cet aspect de rêve
ébauché”.
Autre analyse :
lettrines.net/dotclear/public/Docs_1ere_S2/Sq_Poesie/1S2-Sq3-s2-LA1-Le-
Cygne-II-Lettrines.pdf
Charles Baudelaire's
Fleurs du mal / Flowers of Evil
Le Cygne
À Victor Hugo
II
— Charles Baudelaire
The Swan
To Victor Hugo
II
— William Aggeler, The Flowers of Evil (Fresno, CA: Academy Library Guild, 1954)
The Swan
To Victor Hugo
II
The Paris of old has undergone changes my heart cannot. Now only in memory,
the Paris of makeshift booths and crowded tradesmen's squares. Every massive
stone was covered with a green algaeous stain thrown up by wheels hurrying
to keep the machinery of a divine indifference turning. The once necessary
storefront jumble of bric-a-brac has been effaced.
A menagerie used to set up to the west of me. Just over there, one morning,
as the loud road menders came to work to hoist bricks in the bird-alive dawn,
I saw a swan pecking at the peg holding shut its wicker cage. Once free,
it made for what it took for a wet gutter. It had not rained in two weeks.
Webbed feet dragged white plumes across a scorched street. At the dried-
up pool, the thirsty creature became frantic. Flapping its wings, it shaded
itself in a mist of acrid dust. The neck twisted and the beak scraped the
dirt. Lifting its head to the cloudless sky, it scraked for water. I can
still hear that unhappy bird scolding the dreaming azure. The amused
owner tied a rope around the swan's neck and used a broom handle to
prod it back into its cage.
— Will Schmitz
Le Cygne
II
— Lewis Piaget Shanks, Flowers of Evil (New York: Ives Washburn, 1931)
Navigation
Two editions of Fleurs du mal were published in Baudelaire's lifetime — one in 1857
and an expanded edition in 1861. "Scraps" and censored poems were collected in Les
Épaves in 1866. After Baudelaire died the following year, a "definitive" edition
appeared in 1868.
Twenty-three "scraps" including the poems censored from the first edition
Audio
Contact
Visit supervert.com for contact info