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écrasés
Claude Lienard
Copyright © 2013 Claude Lienard
Tous droits réservés.
ISBN-13: 979-10-92596-06-9
Toute représentation de cette pièce, en tout ou en partie, par quelque moyen que ce soit, par tout groupe (amateur ou
professionnel), qu'il y ait un prix d'admission ou non, est formellement interdite sans l'autorisation écrite de l'auteur ou
de son représentant.
La demande d'autorisation de jouer doit être faite auprès de la SACD, soit par leur site www://sacd.fr soit en leur
écrivant à l'adresse SACD, 9 rue Ballu 75442 Paris cedex
PERSONNAGES
La présentatrice
Comme tous les jeudis
Adrienne
Odette
Marthe
Madeleine
Le cri
Gaston
Paulo
Germaine
Lucienne
Olive
Avant d'aller au bal
Saturnin
Edith
Paulette
Rosalie
La panne
la secrétaire
le touriste
2eme secretaire
3eme secretaire
4eme secretaire
5eme secretaire
une envie pressante
Colette
Nestor
Lucien
Jacqueline
Une première affaire
la secrétaire
Viviane
Bertha
Yves
Jean
Une visite chez le psy
Le psy
La secretaire
La mère
Le père
Madeleine
Le rideau de scène est fermé.
Entrée d’une présentatrice devant le rideau.
LA PRESENTATRICE :
Bonjour Mesdames, bonjour Messieurs. Nous sommes heureux de constater que vous êtes venus nombreux assister à
ce spectacle. Vous avez raison : c’est un bon spectacle, tellement bon d’ailleurs que je vais vous demander de
l’applaudir immédiatement. (applaudissements) Merci. Merci beaucoup. C’est toujours ça de pris. Si vous n’aimez
pas le spectacle, nous aurons été applaudi au moins une fois. Je suis la présentatrice de ce spectacle et nous allons
ensemble consulter le journal quotidien (elle montre un journal) et plus précisément la rubrique des faits divers que
l'on appelle également la rubrique des chiens écrasés, c'est à dire les reportages traitant les évènements d'importance
secondaire. Ces informations peuvent paraître banales à la première lecture et pourtant, si on possède la faculté de
savoir lire entre les lignes, si on a le pouvoir d'aller derrière les mots, on s'aperçoit alors que dans certains faits
divers se cache un drame que l'on n'aurait pas soupçonné, une aventure dont personne n'est au courant. Prenons un
exemple: un article apparemment anodin. Apparemment rien de spécial dans ce fait divers banal. Pourtant je sens que
cet article n'est pas aussi commun qu'il en a l'air. C’est un fait divers qui fait rêver chacun de nous. Le titre en est:
« une bonne nouvelle » et je vous lis le compte-rendu.
Mme Adrienne Lefebvre, résidant à Viesly, a appris qu'elle venait de remporter la grande cagnotte du loto de la Saint
Valentin. Mme Lefebvre a toujours eu envie de voyager. Elle a donc décidé de ne plus contrarier son envie et elle a
pris l'avion vers les Bahamas.
Un fait divers qui n'est pas triste. C'est plutôt rare. On a plutôt l'habitude de lire des récits de crimes, de cambriolages,
d'accidents et autres infortunes diverses. C'est rassurant de constater qu'il y a quand même des gens à qui la chance
sourit. Mais l'information est succincte et ne nous raconte pas grand chose. Qui est vraiment Mme Lefebvre Adrienne ?
Comment a-t-elle réagi à cette fortune inespérée ? Des questions auxquelles l'article n'apporte pas de réponse et que
nous allons vous dévoiler. (elle sort de scène)
Ouverture du rideau.
* Adrienne est en train de préparer les tasses à café sur la table. Elle imite les invités qu'elle attend avec des
grimaces montrant son agacement. On frappe à la porte. Elle se précipite à la porte.
ADRIENNE: Entrez !
* Adrienne traverse la scène en courant et disparaît par la porte côté jardin. Deux vieilles entrent: Odette et
Marthe. Elles hésitent à entrer. L'une tient une tarte au sucre à la main, l'autre, une boîte de biscuits en fer blanc.
MARTHE: C'est pas grave. Elle est sûrement parti chercher quelque chose dans la pièce à côté. Asseyons-nous.
ODETTE: (s'asseyant) Tu as raison. J'ai les reins en compote et j'ai mes rhumatismes qui se sont réveillés.
MARTHE: (s'asseyant) Moi aussi. Je ne sens plus mon dos. C'est l'humidité du printemps qui provoque ça.
* Adrienne passe sa tête dans l'encadrement de la porte côté jardin. Elle fait des grimaces dans le dos des deux
vieilles, comme pour les imiter.
ODETTE: Moi, je suis constipée en ce moment. Mon médecin m'a prescrit des laxatifs, mais ça ne fait pas d'effet. Je
devrais changer.
MARTHE: De laxatif ?
ADRIENNE: J'étais là, j'étais là. Je ne vous avais pas entendu entrer.
ADRIENNE: (agressive) Comme tous les jeudis ! T'as bien fait, t'as bien fait !
ADRIENNE: (agressive) Comme d'habitude ! C'est bien, il ne faut pas changer les habitudes !
* On frappe à la porte. Adrienne s'assoit. On frappe de nouveau. Adrienne ne bouge pas. Les deux vieilles la
regardent avec inquiétude. On frappe de nouveau.
* Adrienne ne bouge pas et sourit sarcastiquement à Odette. Entrée de Madeleine. Elle est sourde et à chaque fois
qu'une vieille lui parle, elle le fera en haussant le ton.
MADELEINE: Eh ben ? Ca fait un quart d'heure que je frappe à la porte. Du coup, je me suis permise d'entrer.
ADRIENNE: C'est bien, Madeleine, t'es une bonne fille. Elle est jolie ta confiture.
ADRIENNE: (se levant) La tarte au sucre à Marthe, avec un petit café, comme tous les jeudis !
ODETTE: Si vous le voulez, on pourra manger aussi un petite gaufrette avec le café.
ADRIENNE: Et une petite gaufrette ! Et on mettra un petit peu de confiture dessus, pas vrai Madeleine !
MADELEINE: Oui, c'est bon les gaufrettes avec un petit peu de confiture dessus.
ADRIENNE: Ben voyons ! Surtout avec un bon petit café, pas vrai Madeleine !
ADRIENNE: (amenant le café) Elle est gentille, Madeleine. (aux deux vieilles) Pas vrai qu'elle est gentille,
Madeleine ? Tiens, ma petite Madeleine, voilà ton petit café.
ADRIENNE: (prenant la tarte) Ah oui, la tarte ! La tarte au sucre ! Faut surtout pas oublier la tarte au sucre !
* elle "déchire" la tarte en morceaux avec ses mains et les sert dans les assiettes
MARTHE: Mais qu'est-ce que tu fais, Adrienne ?
ADRIENNE: Tu radotes ! Tu l'as déjà dit. Ils se sont envolés les couteaux. Mange ta tarte. Elle a le même goût.
* Madeleine prend le mouchoir et crache dedans. Cri de dégoût des trois vieilles.
MADELEINE: ( se remettant de ses émotions) Excusez-moi, je me suis étranglée avec la tarte au sucre. Tiens, je te
rends ton mouchoir.
* Elle lui donne le mouchoir mais Adrienne, dégoûtée, le lance aux deux autres vieilles.
ADRIENNE: Je t'emmerde !
ODETTE: Oh ! Adrienne !
ADRIENNE: Rien ! Bois ton café. (Madeleine boit son café) Ecoutez-la, elle va le dire ! Tous les jeudis, elle le dit !
MADELEINE: Il est pas très fort, ton café, Adrienne. C'est de la cherloutte.
ADRIENNE: Voilà ! Elle l'a dit ! Tous les jeudis, Elle le dit !
ADRIENNE: Je t'emmerde !
ODETTE: Voyons, Adrienne ! (à Madeleine) Où est-ce qu'il est parti, le vieux Léon ?
ADRIENNE: (criant aux oreilles de Marthe) Ah oui, les gaufrettes ! On les a pas amenées pour rien ! Il faut les
manger !
MARTHE: Eh ! Oh ! C'est Madeleine qui est sourd ! Moi, je t'entends bien. Pas la peine de crier
ADRIENNE: Ah oui, c'est vrai. (criant à Madeleine) Madeleine, elle voudra bien une petite gaufrette avec un petit
peu de confiture dessus, comme tous les jeudis !
ADRIENNE: (criant aux oreilles d'Odette) Madeleine, elle aime bien les gaufrettes ! Donne une gaufrette à Madeleine
!
* Odette tend la boîte en fer à Madeleine pour qu'elle prenne une gaufrette.
MADELEINE: T'as gagné au loto ? Pourquoi tu l'as pas dit plus tôt ?
ADRIENNE: J'ai gagné au loto ! (à Madeleine) Et toi, t'es laide ! T'es vieille !
ADRIENNE: (à Odette) J'ai un gigolo et je vais partir avec lui aux Bahamas ! (jetant des gaufrettes sur Odette) Et aux
Bahamas, je ne mangerai plus jamais de gaufrettes. Tes gaufrettes, elles sont comme toi, elles sont pourries ! Et je ne
mangerai plus jamais de tarte au sucre. (à Marthe) Ta tarte au sucre, tu te la boufferas toute seule ! Elle est comme toi,
ta tarte au sucre, elle est desséchée ! Elle est frigide ! Elle est vieille fille !
ADRIENNE: (à Madeleine) A toi aussi ça t'en bouche un coin que j'ai un gigolo ! Tiens, bois ton petit café, Madeleine
! Comme tous les jeudis ! (elle met plusieurs cuillerées de confiture dans la tasse de Madeleine et verse du café
dessus) C'est bon le café avec de la confiture ! Ta confiture, elle est comme toi, elle est moisie !
ADRIENNE: J'ai gagné au loto, j'ai un gigolo et je vous emmerde ! Et je me tire aux Bahamas
* Adrienne sort se scène en dansant et en chantant. Les trois autres restent un moment sans bouger, se remettant de
leurs émotions. Puis, en silence, Odette ramasse les gaufrettes éparpillées et les remet dans la boîte en fer blanc.
Marthe ramasse la tarte au sucre. Madeleine remet le couvercle sur le pot de confiture.
MARTHE: Je ne trouve pas qu'elle soit si sèche que ça, ma tarte au sucre.
MADELEINE: (tentant de récupérer la confiture dans sa tasse) C'est pas récupérable, ça. Quel gâchis ! Au prix où
elle est la confiture de nos jours.
ODETTE: Tant pis ! On va laisser la vaisselle comme ça.
ODETTE: (parlant plus fort aux oreilles de Madeleine) Je disais que jeudi prochain, on irait boire le café chez moi.
Fermeture du rideau.
La PRESENTATRICE :
Avant de continuer le spectacle, je tiens à préciser que la suite est un peu moins drôle, avec des scènes de violence à
la limite du soutenable et il est encore temps pour les gens sensibles de quitter la salle ou de fermer les yeux et les
oreilles car ce que vous allez voir risque de mettre votre âme en émoi. Quant à ceux qui ont le courage de rester,
accrochez-vous à vos sièges, le spectacle va continuer. (pendant qu’elle parle, des acteurs changent le décor de
scène) Dites, (elle s’adresse aux acteurs) ça ne vous dérange pas que je parle pendant que vous faites du bruit ?
UNE ACTRICEc : (passant sa tête devant le rideau) Eh ! On n’y peut rien, nous ! il faut bien qu’on change le décor
pour la prochaine scène !
LA PRESENTATRICE: Essayez au moins d’être un peu plus discrets que le public puisse entendre ce que je lui
raconte
UNE ACTRICE: Il s’en fout le public ! Il est venu pour nous voir pas pour écouter tes conneries !
LA PRESENTATRICE: Le train de vos injures glisse sur les rails de mon indifférence et s’arrête à la gare de mon
mépris. (au public) Faisons comme si de rien n’était. Ils n’en valent pas la peine. Ce ne sont que de petits acteurs
amateurs. Revenons-en à nos moutons ou plutôt à nos journaux. (elle sort le journal) Dans les articles de journaux, le
lecteur ne perçoit qu’une partie de la réalité. Nous lisons ces reportages mais nous ne savons pas quel est le
pourcentage de vérité comparé aux choses cachées ou non dites. Ainsi, cet article qui raconte que M. et Mme Porto ont
été sauvagement agressés dans la rue par un passant et ceci devant les yeux de leurs enfants. Il s’avère que l’agresseur
était un de leur ami d’enfance mais M. et Mme Porto n’ont pas su expliquer le comportement agressif de cet ami. Ce
dernier a d’ailleurs disparu après les avoir agressés et il n’a toujours pas été retrouvé. L’article va-t-il lever le
mystère sur ce drame ? L’article va-t-il répondre à nos questions, à nos interrogations ? Aux personnes sensibles qui
seraient restés dans la salle, malgré mes conseils de tout à l'heure, je me permets de les prévenir que la direction n'est
en aucun cas responsable de ce qui pourrait leur arriver s'ils persistaient à regarder le spectacle, car ce que vous allez
voir n'est conseillé qu'aux personnes avisées n'ayant aucun antécédent cardiaque. Ces recommandations faites, je me
retire pour laisser place au spectacle terrifiant qui va suivre.
LE CRI
Décor suggéré d’une rue. Un homme entre sur scène et sort un plan de sa poche, le consulte puis déambule sur la
scène comme quelqu'un qui cherche son chemin mais ne le trouve pas. Entrée de Paulo. Il est saoul
PAULO : Vous cherchez votre chemin, Monsieur ? Où est‑ce que vous voulez aller ?
PAULO : Ah ! La rue du ptit bois. Vous vous plantez complètement. Ca n'est pas du tout par ici. C'est de l'autre côté
de la ville. Comment on y va, déjà ? C'est pas facile à expliquer. En fait, pour simplifier, Il faut prendre la deuxième à
gauche, ensuite la troisième à droite, tout droit jusqu'au premier feu rouge, là tu tournes à gauche, et tu prends la
deuxième, non, la troisième, ou la quatrième, je ne sais plus, enfin c'est une rue à droite. (Regardant plus
attentivement Gaston) Mais... J'te connais, toi ?!
* Gaston fait une mine étonnée, il ne reconnaît pas l'individu qui l'a accosté.
PAULO : Ah si, j'te connais. On a été à l'école ensemble. Gaston Balembois, Gaston tête de con, on disait toujours.
Ah, j’en reviens pas, ça fait si longtemps.
GERMAINE : (à Paulo) Ah, te vla ! Je te cherchais partout. Regardez-ça dans quel état il est. Une épave, une
vraie épave ! Le Titanic ! A part que lui, c’est pas dans la flotte qu’il a coulé, c’est dans l’pinard ! Tu croyais
m’avoir semée, hein ? Qu’est-ce que tu fous ici au lieu d’être à la maison ? Ca fait cinq fois que j’réchauffe ton
cassoulet et pendant c’temps-là , monsieur il fait la conversation.
GERMAINE : Regardez-moi ça l’travail. M’étonne pas que t’es fatigué l’soir. A marcher en zigzag comme ça, tu fais
deux kilomètres pendant que les autres il en font un. Eh, monsieur l’maire, il devrait t’embaucher pour balayer les
crottes de chien. Vous lui attachez un balai dans l’dos, vous lui dites par où il faut passer et il vous balaie les trottoirs
sans s’en rendre compte. (elle mime)
GERMAINE : Silence ! Silence ? Pour le moment, j’ai encore rien dit. Attends un peu que j’me mette à parler !
Et ne me parles pas si près, tu empestes l’alcool à quinze mètres.
PAULO : Ah, j’promets que j’ai pas bu une goutte d’alcool. J’ai bu que du jus de raisin, pas d’alcool.
PAULO : Quoi ? On m’aurait menti ? On m’aurait fait boire du pinard à l’insu de mon plein gré ?
GERMAINE : Heureusement que tu ne conduis plus. Ca fait deux ans qu’on lui a retiré le permis. Conduite en état
d’ivresse. 3 grammes 5 ! Mais attention ! Pas 3 grammes 5 d’alcool. Non, 3 grammes 5 de sang. Le reste dans ses
veines, c’était du pinard.
PAULO : C’est pas une femme qui va me faire la morale ! L’homme au boulot, la femme aux fourneaux !
GERMAINE : La femme aux fourneaux ! Et quoi encore ? De nos jours, entendre des choses pareilles ! Aujourd’hui,
les femmes, elles ont autant de droits que les hommes. Regarde ma copine Jocelyne, elle est conductrice d’autobus.
PAULO : Conductrice d’autobus ? Une femme ! Et pourquoi pas une femme commissaire de police tant qu’on y est ?
Hein ? Ou encore mieux, tiens ! Pourquoi pas une femme députée, hein ? (il se marre)
PAULO : Si fait. Regarde-le bien. C’est Gaston. Souviens-toi, l’tiot Gaston, on a été à l’école ensemble.
GERMAINE : Si fait, c'est Gaston. Maintenant que u m'le dis, je le reconnais. Gaston, tête de con, on disait toujours.
Moi, c'est Germaine, Germaine Pinard, tu m'remets
PAULO : Et moi, tu t'souviens pas d'moi ? Paul, Paul Porto. Paulo l'alcoolo, comme on me surnomme maintenant.
Alcoolo et fier de l'être ! Ah, sacré Gaston, t'as pas changé, toujours la même tête de con, mais sympa.
GERMAINE : Qu'est‑ce que tu deviens, Gaston ? Depuis le temps ! Ca fait une paye. Tu vois, nous on est toujours
ensemble. Depuis l'école, on ne s'est pas quittés. Paulo et Germaine, toujours ensemble, unis pour la vie, unis pour le
vin.
PAULO : Regardez, les mouflets, ça, c'est Gaston, un copain d'enfance. Dites bonjour à Gaston, les marmots, et
poliment, hein !
PAULO : Tu vois, Gaston, le jus de raisin, ça fait des beaux enfants. Mon grand-père, il me le disait toujours: "le
raisin, c'est plein de vitamines". Et ils sont intelligents du cerveau, hein, il faut pas croire. C'est pas parce qu'ils sont
enfants d'ouvriers qu'ils n'ont rien dans le citron. Récitez à Gaston la belle chanson que vous avez apprise, les
marmots. Et ils la savent par cœur, attention, hein !
LES DEUX ENFANTS : Boire un petit coup, c'est agréable. Boire un petit coup, c'est tout. Mais il ne faut pas rouler
dessous la table. Boire un petit coup, c'est agréable. Boire un petit coup, c'est tout. Un petit coup, la la la la, un petit
coup, la la la la, un petit coup, c'est tout.
GERMAINE : C'est pas beau ça, Gaston, hein, qu'est‑ce que t'en penses ? On en fera quelque chose de ces mouflets
plus tard. Ils deviendront artistes ! Ils seront pas comme ces bourgeois pleins de sous qui ne pensent qu'à leur porte-
monnaie.
PAULO : Ouais, t'as raison, Germaine. Des artistes... Qui crieront tout ce qu'ils ont dans le cœur. Tout c'que nous, on
peut pas crier parc'qu'on est pauvres et alcoolos. Nous, quand on crie, on nous fout en tôle pour tapage nocturne. T'as
jamais envie de crier, toi Gaston ?
GERMAINE : Ca te donne pas envie de crier, toi, tous ces riches qui s'empiffrent pendant que nous, on crève de faim
avec nos salaires de misère ? Ca te donne pas envie de crier, tous ces politiques qui nous promettent le paradis et qui
nous laissent en enfer quand on a voté pour eux ?
PAULO : Ouais, t'as raison, Germaine. Et ces chefs d'état qui décident de faire la guerre sans demander son avis au
peuple, ça te donne pas envie de crier, hein, Gaston ? Et de payer des impôts pour construire des autoroutes que,
quand t'es dessus, il faut encore payer, ça te donne pas envie de crier ?
GERMAINE : Ca te donne pas envie de crier de voir tous ces ptits noirs qui n'ont rien à becqueter pendant qu'dans
notre pays, ils ne cultivent pas les terres parce qu'il y a trop de rendement, qu'ils disent. Ca te donne pas envie de crier
PAULO : Ca te donne pas envie de crier, toi, tous ces chômeurs, alors qu'y en a qui ont trois ou quatre commerces à
eux tout seul ? Ca te donne pas envie de crier ? Germaine, ça lui donne pas envie de crier.
GERMAINE : (à Gaston) Réagis. Tu restes là sans rien faire, les mains dans les poches. Tu n'as pas envie de crier,
de hurler ? Non
PAULO : Mais crie, crie donc, même si ça sert à rien. Ca soulage. Germaine. Viens, on va s'en jeter un. Quand je
crie, ça m'donne soif. Et quand j'ai bu, ça m'donne envie d'crier.
GERMAINE : Laisse couler, Paulo. Il a pas changé, Gaston. Ca restera toujours Gaston tête de con. Allez, les
marmots, on change de crémerie.
LUCIENNE : Salut poilu, tu donneras l'bonjour à ta grand-mère.
OLIVE : Salut Stucru, j'vais voir plus loin si t'es moins tarte.
* Tout à coup, Gaston se met à crier très fort. Germaine et Paulo sursautent.
* Gaston se met de nouveau à crier très fort sous le regard halluciné et un peu effrayé des autres.
* Gaston crie encore et se met à faire des gestes de karaté dans tous les sens.
* Gaston, toujours en criant, fait des prises de judo et donne des coups de karatéka à Paulo et Germaine, puis il
s’en va en criant. Paulo et Germaine gisent sur le sol, inanimés. Lucienne et Olive regardent atterrés dans la
direction où est parti Gaston puis leurs parents. Un instant et ils se mettent à crier et à donner des coups de pieds
à leurs parents.
Fermeture du rideau.
Entrée de la présentatrice.
La PRESENTATRICE :
Avant de continuer, je tiens à signaler aux personnes qui sont arrivées en retard qu'il n'est absolument pas question que
nous leur fassions un résumé du début de l'histoire. Quand on vient au spectacle du Caméléon Théâtre, la première des
politesses est d'arriver à l'heure, pas cinq minutes en retard, pas dix minutes, non ! à l'heure ! à l'heure exacte ! Je ne le
répéterai plus et je propose d’ailleurs aux organisateurs de fermer la porte d’entrée à clé pour ne plus perturber le
spectacle avec les gens en retard et par la même occasion d’empêcher les gens de sortir. Vous êtes venus, vous avez
payé, vous resterez jusqu’au bout, même si vous n’aimez pas le spectacle. Cette parenthèse faite, je vous propose de
suivre avec attention la suite de ce spectacle unique et exceptionnel. Reprenons de nouveau la lecture de notre journal.
Cette fois, je ne vais pas me laisser attirer par les titres, mais je vais plutôt choisir au hasard parmi les nombreux faits
divers qui remplissent les pages de ce journal. Je ferme les yeux, je tourne les pages et je pose mon doigt au petit
bonheur la chance. J’ai de la veine, j’aurais pu tomber sur une publicité mais mon doigt s’est posé sur l’article d’un
fait divers. C’est un article comme on peut en lire chaque jour. Je vous le lis :
Monsieur Saturnin Giraud a été victime d'un malaise cardiaque mardi dernier sur les lieux de son travail. Monsieur
Giraud, ce talentueux coiffeur installé dans la rue Pasteur a été retrouvé allongé sur le sol de son salon par une de ses
clientes qui a aussitôt prévenu les pompiers. Monsieur Giraud a été immédiatement emmené à l'hôpital mais ses jours
ne sont pas en danger. Il n’a cependant pas repris le travail, suite à une légère dépression probablement occasionnée
par cet accident de santé.
Un article banal, non ? De nos jours, les personnes qui ont un malaise cardiaque ne sont pas rares. Le stress de la vie,
la peur de ne pas réussir dans son travail, les soucis financiers mettent notre cœur à rude épreuve. Et pourtant mon
intuition me dit que quelque chose se cache derrière cet article, quelque chose dont personne n'a été le témoin, sauf…
sauf peut-être ceux qui n'ont pas désiré témoigner.
EDITH: Oui… C'est notre mère qui a dû téléphoner, mais on ne sait pas à quel nom elle a réservé.
PAULETTE: Ben oui, nos parents sont divorcés et on ne sait pas à quel nom on est inscrite, si c'est au nom de notre
père ou de notre mère. Vous avez quel nom prévu à cette heure-ci ?
PAULETTE: Ben oui, c'est pour nous. Comme c'est notre mère qui a téléphoné, elle a dit madame, elle a pas fait
attention. Elle aurait dû dire mademoiselle.
SATURNIN: J'oserai vous faire constater que vous êtes deux. Sur le carnet de rendez-vous, je n'ai pas inscrit madame
au pluriel.
EDITH: Vous n'avez pas dû bien entendre ce que notre mère elle a dit.
SATURNIN: Là, sur les sièges, voyons. Vous n'êtes jamais allées chez le coiffeur ou quoi ?
EDITH: Ben non, c'est la première fois. D'habitude, c'est notre mère qui nous coupe les cheveux.
PAULETTE: Mais aujourd'hui, on va au bal. Alors, on voudrait une belle coiffure. C'est la première fois qu'on va au
bal aussi.
PAULETTE: Une belle coiffure. Pour être belle, une coiffure pour aller au bal.
SATURNIN: (leur tendant des revues de mode) Je vois. Tenez, regardez les photos dans ces catalogues et vous me
direz quel style vous préférez.
EDITH: (ouvrant la revue) Mazette ! Les belles gonzesses. On va ressembler à ça quand on va sortir d'ici ?
SATURNIN: Disons que je peux vous faire un style de coiffure semblable aux photos de ces revues. Regardez bien.
Je vous laisse quelques instants, le temps que vous preniez une décision.
* Saturnin s'éloigne tandis que les deux filles se plongent le nez dans les revues. Presque aussitôt entre un autre
personnage. C'est une dame habillée d'une façon assez vulgaire. Saturnin l'aperçoit et se dirige vers elle.
PAULETTE: (apercevant la dame) Oh crédieu, regarde qui est-ce qui arrive là, c'est la voisine.
ROSALIE: J'avais rendez-vous à 16h. Je suis un peu en retard. J'ai dû faire quelques courses avant.
* Saturnin se retourne vers les deux sœurs avec un air de reproche tandis que celles-ci plongent la tête dans leur
revue.
SATURNIN: Madame Tétard. Bien sûr, je comprends. Vous êtes parente avec les demoiselles qui sont assises ?
ROSALIE: Je n'ai plus de parents, monsieur. Je n'ai pas d'amis non plus. Je vis seule et cela me convient parfaitement.
Et je vous trouve très indiscret, monsieur.
SATURNIN: Veuillez m'excuser. Ce n'était pas dans mes intentions de violer votre vie privée.
PAULETTE: (dans ses dents mais assez fort pour être entendue) Ca lui ferait du bien d'être violée.
ROSALIE: (apercevant les deux sœurs) Tiens donc, les voisines. (à Saturnin) Monsieur, vous accueillez chez vous
une clientèle plus que douteuse. On m'avait pourtant dit que votre salon était très bien fréquenté.
SATURNIN: On ne vous a pas menti, madame. Ces demoiselles viennent chez moi pour la première fois et c'est à la
suite, dirons-nous, d'un léger malentendu. N'est-ce pas, Mesdemoiselles ?
* Les deux sœurs ne répondent pas et restent le nez dans les revues.
SATURNIN: Euh… Non, je suis franchement désolée. Si vous le désirez, je peux vous mettre un petit paravent pour
créer une séparation.
ROSALIE: (s'asseyant) Laissez, ça ira. Mettez seulement un peu de parfum pour désinfecter.
ROSALIE: Et alors ?
SATURNIN: (de plus en plus vexé) Alors je coiffe, madame, je ne dégage pas les oreilles. (lui tendant une revue)
Tenez et regardez les photos. Vous réfléchissez et vous me dites ensuite quel style de coiffure vous avez choisi. (aux
sœurs) Et vous, les filles, vous avez pris une décision ?
EDITH: Ben… Elles m'ont l'air un peu compliquées toutes ces coiffures. Vous n'auriez pas quelque chose de plus
simple ? Une coiffure pour aller au bal, quoi.
SATURNIN: Si vous me permettez de vous donner un petit conseil, je peux vous faire un léger brushing avec des
mèches roses au dessus des oreilles et quelques touches de mauve sur le dessus du crâne. Ca vous irait à merveille.
PAULETTE: Eh oh ! Ca va pas ! On va au bal, pas au feu d'artifice ! On n'a pas envie de se faire moquer par les
copines.
SATURNIN: Comme vous voulez. Alors dites-moi exactement ce que vous désirez, je verrai si c'est dans mes
compétences.
EDITH: Ben… Si on pouvait réfléchir encore un petit peu. J'hésite entre le style Marilyn Monroe et le style Brigitte
Bardot.
SATURNIN: Bon, je vous laisse réfléchir mais ne tardez pas trop; j'ai d'autres rendez-vous.
* Saturnin s'éloigne tandis que les trois clientes sont plongées dans leur revue. Un temps de silence.
* Et ainsi de suite avec des insultes à chaque fois différentes. Saturnin est de plus en plus outré. Au bout d'un
moment, il intervient.
SATURNIN: Mais enfin, mesdemoiselles, madame, calmez-vous. Vous êtes dans un endroit respectable. J'ai une bonne
réputation, je tiens à la garder.
EDITH: Même pas vrai, je suis témoin, c'est la pétasse qui a commencé à nous dire des gros mots.
SATURNIN: Bon, peu importe qui a commencé les hostilités mais à présent, il faut cesser votre dispute. Vous n'êtes
pas dans un bar de routiers.
PAULETTE: De toutes façons, c'est une mauvaise galle. On le sait, elle habite à côté de chez nous et elle n'arrête pas
de nous causer des ennuis. Grognasse !
ROSALIE: Moi ? Je ne gêne personne. Ce n'est pas le cas de votre chien, par exemple, qui vient crotter dans ma
pelouse. Face de pastèque ! La prochaine fois, je lui donnerai une boulette de viande avec de la mort aux rats.
ROSALIE: Ta sœur ? Non mais tu veux rire des genoux ? Vous vous êtes bien regardées ? Une bâtarde moitié
polonaise et l'autre moitié portugaise. Votre mère, elle a vu du pays !
EDITH: Ma mère, tu la laisses où elle est, espèce d'otarie mal lavée ! (elle lui jette un coup avec sa revue)
ROSALIE: Elle m'a frappée ! elle m'a touchée avec ses mains sales ! (elle lui rend un coup avec sa revue)
SATURNIN: Ah non ! Je ne vous prêterai plus mes revues si vous les abîmez comme ça !
ROSALIE: (lui rendant sa revue) Vous pouvez vous les garder vos revues. Moi, je suis venue pour les oreilles.
PAULETTE: La ringarde, elle vient chez le coiffeur pour se faire couper les oreilles !
ROSALIE: La ringarde, elle te dit bien des choses ! En tous cas, moi, je ne m'allonge pas dans mon jardin à moitié
nue. Exhibitionniste !
SATURNIN: Je veux, mademoiselle, que vous cessiez de vous agresser ainsi. Je ne suis pas organisateur de matchs de
boxe. Je suis coiffeur pour dames.
EDITH: Alors, coiffez la pétasse. Vous n'en aurez pas pour longtemps, elle a rien sur le caillou. Vous aurez même le
temps de lui faire la moustache.
ROSALIE: Traite-moi encore une fois de pétasse et je te fais avaler ton dentier.
PAULETTE: Pétasse !
EDITH: Pétasse !
* Elle se précipite sur une des deux sœurs et les trois clientes se battent comme des chiffonnières.
SATURNIN: (complètement désemparé) Mesdemoiselles, madame, je vous en prie, je vous en prie. Mes autres
clientes vont arriver. Calmez-vous ! Calmez-vous ! Au secours ! A l'aide ! Police ! Je vous en prie, je vous en…
ROSALIE: Ca alors ! C'est une crise cardiaque. Vous croyez qu'il est mort ?
ROSALIE: Je vais barrer mon nom sur son cahier de rendez-vous, on ne sait jamais.
ROSALIE: Avec tout ça, il n'a même pas eu le temps de me dégager les oreilles.
Fermeture du rideau.
Entrée de la présentatrice.
La PRESENTATRICE :
On vient de me signaler en coulisses un fait extrêmement navrant. Il paraîtrait en effet que des spectateurs peu
scrupuleux auraient eu l'audace et l'impolitesse de parler entre eux pendant le spectacle. Outre le fait qu'ils
gênent les autres spectateurs, je vous rappelle que c'est absolument interdit par la loi et passible d'une amende
pouvant aller de deux à trois mille francs, assortie à une peine de prison de deux mois fermes. Malgré
l'honnêteté qui me caractérise, je conseille vivement à ces spectateurs malpolis de s'enfuir rapidement de cette
salle avant l'arrivée de la police. Avec les autres spectateurs gentils et attentifs, nous allons reprendre la lecture
de notre cher journal. Comme d’habitude, je parcours rapidement les titres des différents articles puis je reviens
plus précisément sur les articles qui ont attiré mon attention. Il faut avouer que la plupart du temps, nous sommes
attirés par les titres accrocheurs. Celui-ci, par exemple : « Un homme se tue en tombant du dixième étage d’un
immeuble ». Vous avouerez qu’on a envie d’en savoir plus. Mais je sens que le bref résumé de cet article va me
décevoir. Je lis : « jeudi dernier, un homme est tombé du dixième étage d’un immeuble. Il était dans l’agence de
voyages situé à cet étage quand, pour une raison indéterminée, il en est sorti rapidement et, dans sa
précipitation, s’est jeté par la fenêtre. Il est mort sur le coup. » Voilà, rien de plus. Nous ne savons pas si c’est
un suicide ou un accident ou même, pourquoi pas, un assassinat. Cet article ne nous renseigne en rien. Qui était-
il ? Que venait-il faire dans cette agence ? Pourquoi en est-il sorti précipitamment ? Beaucoup de questions, peu
de réponses. Nous allons tenter d’y voir plus clair.
Sortie de la présentatrice.
Ouverture du rideau.
LA PANNE
* Nous sommes dans une agence de voyage. Une secrétaire est assise à son bureau. Elle ne bouge absolument pas.
On frappe à la porte.
LA SECRÉTAIRE: Entrez !
* Un personnage entre. Il a l’allure du touriste moyen. Il peut avoir un accent belge ou suisse. Il est épuisé.
LE TOURISTE: Je suis fourbu. Dix étages à pied. Dix ! Je les ai comptés. Impossible de faire fonctionner l’ascenseur.
Il est en panne ?
LA SECRÉTAIRE: Oui. Depuis ce matin, tout tombe en panne dans cet immeuble. Asseyez-vous.
LA SECRÉTAIRE: Il faut que je remplisse une fiche. Mais l’ordinateur est en panne. (lui tendant une feuille de
papier et un crayon) Veuillez avoir l’obligeance de noter sur cette feuille votre nom et votre adresse.
LE TOURISTE: ( écrivant sur la feuille) Ils tombent souvent en panne vos ordinateurs ?
LE TOURISTE: A la mer.
LA SECRÉTAIRE: L’ordinateur est en panne. Je vais consulter le catalogue… Pour combien de personnes ?
LA SECRÉTAIRE: Impossible !
LA SECRÉTAIRE: Il ne reste plus que des séjours pour deux personnes ou plus.
LE TOURISTE: Son nom ? Mais je ne sais pas. Je n’ai pas encore choisi avec quelle copine je partais.
LE TOURISTE: Qui ?
LA SECRÉTAIRE: La copine.
LE TOURISTE: Mais je n’en sais rien. Et elle ne le sait pas non plus puisqu’elle ne sait même pas qu’elle part.
LA SECRÉTAIRE: Impossible.
LE TOURISTE: Mais moi, vous savez mon nom. Vous pouvez m’établir un dossier !
LE TOURISTE: A la mer… je ne sais pas, moi. Je pensais que vous m’auriez conseillé.
LE TOURISTE : (déçu de la proposition) Stella Plage ? J’y suis allée pendant plus de dix ans avec mes parents quand
j’étais jeune. Vous n’avez rien de plus éloigné ?
LE TOURISTE: Madrid ? Mais il n’y a pas la mer à Madrid ! Vous n’avez rien à la mer, je ne sais pas, moi, les îles
Caraïbes, par exemple, ou Tahiti, ou Honolulu ?
LE TOURISTE: Bon… Après tout, je ne suis jamais allée à Madrid. Va pour Madrid.
LE TOURISTE: Mais vous n’avez pas écrit mon nom sur ce dossier.
LA SECRÉTAIRE: Signez.
LE TOURISTE: Vous êtes sûr que c’est pour Madrid. Il n’y a rien de précisé.
LA SECRÉTAIRE: Signez.
LE TOURISTE: Et puis, vous ne m’avez même pas dit le prix du voyage.
LA SECRÉTAIRE: Signez.
LA SECRÉTAIRE: Signez.
LE TOURISTE: Oui, je sais qu’il faut signer mais je ne sais pas où.
LA SECRÉTAIRE: Signez.
LA SECRÉTAIRE: Signez.
LA SECRÉTAIRE: Signez.
LA SECRÉTAIRE: Signez.
LE TOURISTE: Encore !
* La secrétaire fait des gestes désordonnés avec ses bras, puis elle se lève et se déplace avec des mouvements tout
aussi désordonnés.
LE TOURISTE: (se levant avec inquiétude) Ce n’est pas la peine de vous mettre en colère pour si peu… Je vais
signer…
* La secrétaire avance avec des gestes de plus en plus fous. Le touriste recule, effrayé. La secrétaire tombe sur le
sol et ne bouge plus. Le touriste s’avance prudemment. La porte s’ouvre. Un personnage entre.
LE TOURISTE: Je ne sais pas… Elle voulait me faire signer le dossier… Elle s’est levée en faisant des gestes
bizarres… Et elle est tombée… Je ne comprends pas ce qu’il s’est passé…
* La 2eme secrétaire s’avance vers la touriste qui recule, de plus en plus effrayé. Elle a des gestes désordonnés et
elle s’écroule sur le sol.
LA 3eme SECRÉTAIRE : (avec des gestes désordonnés) Que se passe-t-il ? Que se passe-t-il ? Que se passe-t-il ?
* Le touriste traverse la scène en courant et en hurlant. Il ouvre l’autre porte et sort en hurlant. On entend un
grand cri prolongé et le bruit d’une chute. Une 5ème secrétaire entre.
Fermeture du rideau.
Entrée de la présentatrice.
La PRESENTATRICE :
On m'a demandé de passer un message au propriétaire de la voiture immatriculée 1418 gx 59 (donner un numéro réel
correspondant à une voiture d’un spectateur). Est ce qu'il y a quelqu'un dans la salle dont le numéro corresponde au
1418 gx 59 ? Oui ? Je suis désolé de vous apprendre que votre véhicule a été complètement détruit suite à la chute
malencontreuse de notre acteur qu’il n'a pas su contrôler. Je vous demanderai d'entrer en contact avec le responsable
de cette représentation, pour les modalités de remboursement. Veuillez encore excuser la maladresse de notre acteur.
Nous allons profiter de cette mésaventure pour faire une petite entracte. Si vous voulez bien regagner le hall d'entrée
où le bar est ouvert. Buvette qui a été ouverte spécialement pour vous. Si la direction a ouvert une buvette, ce n'est pas
pour que vous restiez assis à attendre le retour des acteurs sans consommer. Je tiens d'ailleurs à préciser, au nom de
mes petits camarades acteurs, que nous ne donnerons des autographes qu'aux personnes ayant commandé une
consommation et ne vous inquiétez pas, on ira vous appeler quand le spectacle recommencera.
Sortie de la présentatrice.
Entracte
Entrée de la présentatrice.
La PRESENTATRICE :
(criant à la volée) Mesdames et messieurs, veuillez regagner vos places, l’entracte est terminée ! Veuillez vous
dépêcher s’il vous plaît. Pas la peine de finir vos cannettes, on vous les met au frais et vous les récupérerez à la fin du
spectacle où la buvette sera de nouveau ouverte. Eh oui, il faut faire marcher le commerce ! Allez, allez plus vite ! Les
acteurs s’impatient, ils n’ont pas que ça à faire ! Asseyez-vous vite et taisez-vous ! J'ouvre ici une parenthèse pour
demander aux spectateurs de ne plus venir en coulisses demander des autographes aux acteurs. Ceux-ci ont déjà bien
du mal à se concentrer pour être dans la peau de leur personnage, il est inutile de leur compliquer la tâche en les
dérangeant sans arrêt. Est ce que nous venons vous déranger, nous ? Non. Alors restez sagement assis et regardez le
spectacle, on ne vous en demande pas plus. Cette petite chose mise au point, passons à la suite du spectacle.
J'ai toujours le même journal en mains et pourtant on peut encore y trouver d'autres sujets comme ceux que nous avons
examinés. Des articles qui se ressemblent plus ou moins avec les mêmes faits divers qui reviennent régulièrement.
Mais parfois, au hasard de la lecture, on peut tomber sur un article insolite. Un fait divers qui ne ressemble pas aux
autres. Ainsi cet article que j’ai sous les yeux et qui parait un peu moins banal que les autres. Je vous le lis :
Samedi, en mairie de Valenciennes, Monsieur Pottier, adjoint au maire, devait unir les destinées de Xavier Laporte,
homme d'entretien à Arleux, et Jacqueline Blérot, caissière à Lens. Mais la cérémonie a dû être annulée car
Mademoiselle Blérot ne s'y est pas présentée. En effet, la future mariée est sortie de l'église pendant la célébration
pour une raison indéterminée et elle n'est jamais réapparue. A ce jour, elle n'a pas encore donné de ses nouvelles à sa
famille ainsi qu'à son futur mari qui est très inquiet de cette disparition.
Un article plutôt curieux mais qui ne donne pas d'explications concrètes. Que s'est-il réellement passé ? Pourquoi
Mademoiselle Jacqueline Blérot est-elle sortie de l'église pendant la cérémonie ? Pourquoi n’est-elle pas revenue ?
Comment une femme vêtue d’une robe de mariée peut-elle disparaître ainsi ? Des questions auxquelles nous allons
tenter d'apporter une réponse. Nous ne fournissons pas les mouchoirs, mais si vous avez oublié le vôtre, vous pouvez
exceptionnellement utiliser le pan de votre chemise ou celui de votre voisin pour sécher vos larmes qui vont
obligatoirement couler à la séquence suivante. Mieux que les séries américaines, voici la suite du palpitant et
pathétique spectacle que nous vous proposons. Séquence Amour ! Je tiens à préciser à ceux qui s'attendraient à voir du
sexe dans cette séquence qu'ils vont être déçus. Nous sommes dans un spectacle tout public et il n'est pas question de
montrer des choses indécentes. A bon entendeur, salut !
* Décor suggéré de toilettes communes (dans une gare ou dans un café). Côté jardin, une porte s'ouvrant sur une
toilette avec cuvette. Sur le mur du fond, des urinoirs. Côté jardin, une chaise et une table sur laquelle est posée
une soucoupe qui sert à recueillir les pièces de monnaie.
* Colette, la dame pipi, est nerveuse. Les toilettes sont bouchées. Elle va et vient entre les toilettes bouchées et la
porte d'entrée.
COLETTE: Ah la la la la la ! C'est une catastrophe ! Tout est bouché. Ca déborde de partout. Et ce plombier qui
n'arrive pas. Mais qu'est-ce qu'il fait ? Il a oublié de se réveiller ou quoi ? On ne peut plus se fier à personne. Tous
des fainéants ! Des assistés du chômage ! Ca fait au moins deux heures que j'ai téléphoné. Ils viennent du bout du
monde ou quoi ? (elle va de nouveau constater les dégâts) Ah la la la la ! Une cuvette qui était tout propre, nettoyée
avec amour ! Si c'est pas malheureux ! C'est bouché et bien bouché. Ca refoule. Ca, c'est encore quelqu'un qui a mis le
rouleau de papier toilette en entier dans la cuvette. Tous des cochons. (elle se retourne et se retrouve nez à nez avec le
plombier qui vient d'entrer) Aahhh! Vous m'avez fait peur ! Qui êtes-vous ?
COLETTE: Ah, vous êtes le plombier ! Eh ben, c'est pas trop tôt ! Ca fait deux heures que je vous attends !
NESTOR: Paniquez pas, Madame. L'entreprise "Débouchetout" est là et tout va s'arranger. Quel est le problème ?
COLETTE: Le problème est que tout est bouché et qu'il faut vous dépêcher de déboucher parce que les clients vont
pas tarder à arriver. Et où est-ce qu'ils vont faire, mes clients, si c'est bouché ? Je vous le demande. C'est une
catastrophe !
NESTOR: Pas de panique. A tout problème, l'entreprise "Débouchetout" trouve une solution. Laissez-moi faire.
Indiquez-moi où se situe le lieu du désastre.
NESTOR: Localisation, inspection, réflexion et solution ! C'est la devise de l'entreprise "Débouchetout" ! Allons voir
ce qu'on peut faire. (il se dirige vers les toilettes bouchées)
COLETTE: Non. Pas moi ! Mes clients ! Alors ? Qu'est-ce que vous en pensez ?
NESTOR: Effectivement, c'est bouché et bien bouché ! Comment vous avez fait ça ?
COLETTE: Eh, oh ! C'est pas moi ! C'est sûrement un client qui a mis le rouleau de papier en entier dans la cuvette.
Sûrement un parigot ! Tous des cochons, les parigots ! Parigots, têtes de veau !
NESTOR: Bon, ne restez pas dans mes jambes. Allez vous occuper de votre travail.
* Colette prend son balai et commence à balayer. Le plombier reste dans les toilettes pour réparer les dégâts. Il se
met à chanter: "Je suis plombier bier bier, c'est un beau métier…" (la chanson de Pierre Perret) Colette, peu à
peu, en balayant, se met à danser sur le rythme de la chanson. Quelques instants après, un personnage entre. Il
s'appelle Lucien. Il s'arrête net et regarde la dame pipi en train de danser. Celle-ci se retourne, l'aperçoit et,
gênée, s'arrête de danser. Elle baisse la tête et continue son balayage. Le plombier sort des toilettes et va fouiller
dans sa trousse à outils. Lucien se dirige vers les toilettes. Au moment où il entre, le plombier se retourne et se
précipite vers lui pour tenter de l'empêcher d'entrer.
LUCIEN: Eh ! On ne va pas y aller à deux.
* Colette se précipite et ouvre la porte des toilettes et se retourne aussitôt en se cachant les yeux avec sa main.
LUCIEN: (passant la tête) Eh ! Oh ! Ca va pas, non ? Vous ne voyez pas que c'est occupé ? (il referme la porte)
COLETTE: (frappant à la porte) Monsieur, Monsieur ! Restez pas là-dedans ! C'est bouché !
LUCIEN: J'avais commencé, mais j'ai pas fini. (montrant l'urinoir) Je vais continuer là.
* Il se positionne devant l'urinoir et déboutonne son pantalon de nouveau. Il tourne la tête vers la dame pipi qui le
regarde. Gêné, il se positionne dos à elle mais se retrouve face au plombier qui le regarde. Il se met bien en face de
l'urinoir en surveillant et le plombier et la dame pipi. Le plombier retourne à son travail. Un temps, puis il passe
la tête.
NESTOR: (à Colette) Vous pourriez venir m'aider. Il y a le dessus de la cuvette qui n'arrête pas de retomber. Si vous
pouviez le maintenir, ça me faciliterait le travail.
COLETTE: J'arrive.
* Colette se lève et va aider le plombier. Lucien reboutonne son pantalon puis il reste debout au milieu de la pièce.
Un temps de silence.
LUCIEN: (en direction du plombier et de la dame pipi) J'ai jamais eu de chance dans la vie… Depuis que je suis né,
j'ai jamais eu de chance.
* Le plombier et la dame pipi passent leurs têtes et regardent Lucien avec surprise. Un temps, puis ils retournent à
leurs occupations.
LUCIEN: Quand je suis né, j'ai glissé dans les mains du gynécologue et je suis tombé sur la tête. J'ai eu un traumatisme
crânien. Dés ma naissance, un traumatisme crânien, vous vous rendez compte ?
* Le plombier et la dame pipi passent la tête de nouveau et regardent Lucien avec un étonnement de plus en plus
grand. Un temps, puis ils retournent à leurs occupations.
LUCIEN: Dés ma naissance, j'ai pas eu de chance. Et ça a continué comme ça toute ma vie. A la maternelle, c'était
toujours moi que l'institutrice disputait. Quand un gamin faisait une connerie, c'était moi qu'elle disputait à sa place. A
l'école primaire, c'était pareil. Au collège, c'était pareil. Au lycée, c'était pareil. C'était toujours moi qui prenais pour
les autres. J'ai jamais eu de chance.
* Le plombier et la dame pipi passent la tête de nouveau et regardent Lucien avec un étonnement de plus en plus
grand. Un temps, puis ils retournent à leurs occupations.
LUCIEN: A l'armée, c'était pareil ! L'adjudant chef, il en avait toujours après moi. C'était toujours moi qui étais de
corvée. C'était pareil au travail avec le contremaître ! Quand je me suis marié, c'était pareil ! J'étais tout le temps cocu
! (criant) J'ai jamais eu de chance !
* Le plombier et la dame pipi passent la tête et regardent Lucien avec stupéfaction. Un temps.
LUCIEN: Non, mais j'ai une petite expérience en plomberie. J'ai travaillé chez un dentiste.
COLETTE: Pourquoi vous restez là ? Vous n'avez pas fini de faire pipi ?
COLETTE: On débouche.
LUCIEN: Vicieuse !
* Entrée d'un nouveau personnage. C'est une femme prénommée Jacqueline. Elle porte une robe de mariée. Elle a
visiblement très envie de faire pipi. Elle se précipite vers les toilettes.
LUCIEN: Ils sont deux. Un homme et une femme. Et ça fait au moins un quart d'heure qu'ils sont là-dedans.
JACQUELINE: Oui, je me marie à l'église d'en face, mais il n'y a pas de toilettes et j'ai une envie pressante.
LUCIEN: Ca fait un moment. J'ai déjà fait pipi mais maintenant, j'ai envie de faire caca.
JACQUELINE: Non.
JACQUELINE: Parce que je n'ai pas envie de finir vieille fille. J'ai pris le premier venu.
LUCIEN: Avec de la chance, j'aurai pu être le premier venu mais j'ai jamais eu de chance. Vous pouvez peut-être
encore changer d'avis ?
LUCIEN: Si vous n'avez pas encore signé, je peux remplacer le futur mari.
JACQUELINE: Mademoiselle, pas encore Madame. Vous avez une petite amie, peut-être ?
NESTOR: Une maison, Mademoiselle, 230 m². Chauffage central au gaz, cuisine toute équipée, salle de bains avec
douche.
NESTOR: Parfaitement, Mademoiselle, une Mustang Cabriolet 9 CV, direction assistée, air climatisé.
JACQUELINE: Avec tout ça, vous n'allez tout de même pas me dire que vous avez une petite résidence secondaire,
par hasard ?
NESTOR: Si, Mademoiselle, j'ai un studio deux pièces tout équipé à Merlimont Plage. J'y vais tous les étés.
COLETTE: (voix off) Dépêchez-vous ! Qu'est-ce que vous faites ? J'ai le bras tout engourdi.
JACQUELINE: Et si on vous la livrait aujourd'hui, tout de suite, sans avoir besoin de chercher, prête à marier, seriez-
vous intéressé ?
NESTOR: Sans avoir besoin de chercher… Effectivement, cela pourrait être intéressant.
JACQUELINE: Eh bien, ne cherchez plus. Vous avez devant vous la femme idéale prête à marier. Rangez vos outils,
venez avec moi, nous nous marions.
NESTOR: Je prends.
* Le plombier range rapidement ses outils et tous deux sortent de scène en se tenant par la main. Lucien, qui n'a
pas bougé depuis tout à l'heure, les regarde partir.
COLETTE: (voix off) Alors ça vient ? C'est pour aujourd'hui ou pour demain ?
LUCIEN: A mon avis, elles vont rester bouchées. Vous n'avez pas envie de vous marier avec moi ?
COLETTE: Quoi ? Mais vous êtes un malade mental, vous ! Un pervers ! Ne m'approchez pas ou j'appelle la police.
Fermeture du rideau.
Entrée de la présentatrice.
La PRESENTATRICE :
On vient de me rapporter un fait extrêmement affligeant. D'après un de nos contrôleurs qui sont dans la salle, il
s'avérerait qu'un spectateur soit fortement soupçonné d'avoir mangé des flageolets ce midi. Vous n'êtes pas sans savoir
qu'il est absolument interdit de manger des flageolets dans le repas précédant un spectacle. Je me vois forcé de
demander à ce spectateur de quitter immédiatement la salle avant qu'elle ne soit complètement polluée. Je ne suis pas
là pour dénoncer mes concitoyens, mais il s'avérerait que ce spectateur malodorant soit assis dans ce coin là (Elle
indique une direction) d'après les derniers reniflements de nos contrôleurs. Excusez moi pour cette interruption et
continuons notre lecture dans le journal, cette source inépuisable de petites histoires, de petits drames qui arrivent à
tout un chacun. Des faits divers auxquels on ne prête pas attention sauf si on connaît une des personnes concernées par
l’article. La plupart du temps, on survole machinalement à toute vitesse les articles auxquels on jette un œil distrait. Et
on a tort, car derrière chaque fait divers se cache une histoire, des événements que l’on ne connaît pas. Prenons cet
article par exemple, à première vue aussi anodin que les autres, un article qu’habituellement, nous n’aurions pas lu
entièrement. Le voici :
La comparution devant le tribunal de la famille Pouille a été ajournée, faute d'avocat de la défense. En effet,
Mademoiselle Viviane Andreu, une toute jeune avocate devait plaider sa première affaire mais, pour des raisons
indéterminées, elle a renoncé à défendre ses clients. Le procès a donc été reporté à une date ultérieure qui reste à
déterminer.
Comme vous pouvez le constater, c'est un article auquel on ne prête pas une attention particulière. Mais si on y
réfléchit bien, on peut se questionner sur les raisons de ce renoncement. Pourquoi cette jeune avocate a-t-elle
abandonné cette première affaire qu'on lui avait confiée ? Découvrons ensemble la vérité.
* Viviane, une jeune avocate prépare fébrilement un dossier. Sa secrétaire entre sur scène. Elle se retient de rire.
VIVIANE: Ah ! Déjà ? Je n'ai pas encore préparé leur dossier. En fait, je ne le trouve pas. C'est parce que je suis
énervée. Vous comprenez, c'est ma première affaire. Je suis un peu anxieuse. Où est-il ce dossier ?
LA SECRÉTAIRE: (se retenant de rire) Oui, ils sont dans la salle d'attente.
LA SECRÉTAIRE: C'est parce que… Non, rien… Alors ? Je les fais entrer ?
VIVIANE: Qui ?
LA SECRÉTAIRE: Justement… C'est pour ça que… Enfin, vous verrez par vous-même. Je vais leur dire d'entrer.
* La secrétaire sort de scène. Viviane se précipite à son bureau, sort de son sac à main un miroir et se refait
rapidement une beauté. Elle se met une paire de lunettes sur le nez et se positionne dans une attitude "sérieuse" et
consulte son dossier, les lèvres pincées pour faire plus professionnel. On frappe à la porte.
VIVIANE: Entrez !
* La porte s'ouvre. Viviane continue de faire semblant de consulter son dossier. Une tête apparaît dans
l'encadrement de la porte. C'est la mère Pouille. Une autre tête apparaît. C'est le premier fils. Une troisième tête
apparaît. C'est le deuxième fils. Ils sont très mal habillés, tenue très négligée limite clochards, ils sont
physiquement très laids. Ils restent ainsi sans bouger. Après quelques instants, Viviane tourne la tête et regarde
dans leur direction. Pas de réaction des trois.
* La mère entre mais reste dans l'ouverture de la porte. Les deux fils se positionnent derrière. Ils ne bougent plus.
L'avocate s'est remise à consulter son dossier. Quelques instants, puis elle regarde de nouveau vers ses clients.
* La mère va s'asseoir. Les deux fils ne bougent pas. La mère les regarde avec colère.
VIVIANE: (surprise de l'apparence incroyable de ses clients) Comme il est d'usage, nous allons faire connaissance. Je
me présente: Mademoiselle Viviane Mottet. Je suis donc votre avocate. Et vous, vous êtes donc la famille (lisant dans
son dossier)… Pouille. Madame Bertha Pouille (Yvette hoche la tête) et vos fils: Monsieur Jean Pouille et Yves
Pouille. (ils hochent la tête) Qui est Jean et qui est Yves ? (les deux fils se désignent mutuellement) Bien… Comme
vous devez le savoir, j'ai donc été nommée d'office pour vous défendre dans l'affaire qui concerne Monsieur Prosper
Pouille.
VIVIANE: Ou plutôt c'était votre mari. (regard des trois) Oui, la police a retrouvé le corps de Monsieur Prosper
Pouille qui était porté disparu depuis deux semaines. Il a été retrouvé dans la mare qui se trouve dans le pré qui longe
votre maison. (les trois se regardent l'un l'autre avec interrogation) La police a fait une autopsie du corps ou plutôt de
ce qui en reste puisque, excusez-moi les détails sordides, nous n'avons retrouvé que le torse.
VIVIANE: Euh… Oui, il est bel et bien mort. (les trois se regardent en souriant) Je suis désolé de vous faire subir
cette épreuve, mais il vous faudra procéder à l'identification du corps, bien que nous puissions déjà affirmer en toute
certitude qu'il s'agit bien de votre mari, Madame Pouille. En effet, sur sa poitrine, il y a un tatouage: un cœur avec
l'inscription: Bertha pour la vie. (les deux fils regardent avec surprise la mère qui fait une mine gênée comme un
enfant pris en flagrant délit) Vous vous souvenez de ce tatouage, Madame Pouille ? (Bertha hausse les épaules, les fils
rient sous cape, la mère jette une gifle au premier fils) Bon… Je dois vous avertir que la police a de fortes
présomptions quant à la culpabilité de l'un de vous trois ou même des trois.
VIVIANE: Oui, culpabilité. C'est à dire qu'ils vous soupçonnent d'avoir assassiné Monsieur Prosper Pouille. C'est
pourquoi j'ai été nommé pour vous défendre et ainsi prouver votre innocence. (avec un doute soudain) Car vous êtes
innocent, n'est-ce pas ? (les trois se regardent, l'air coupable) Bon… D'après les premières analyses de l'autopsie, il
s'avère que la probable cause du décès de Monsieur Prosper Pouille serait due à des coups de couteau.
BERTHA: J'me souviens. Il était dans la cuisine, il a glissé et il est tombé sur son couteau.
VIVIANE: Madame Pouille… Votre mari n'est pas tombé 35 fois sur son couteau ! (les trois se regardent en haussant
les épaules) Bon… Procédons dans l'ordre. Madame Pouille, connaissez-vous quelqu'un qui pourrait en vouloir à
votre mari ? (la mère regarde ses deux fils qui détournent la tête) Et vous, les fils Pouille, avez-vous déjà été témoin
d'une dispute entre votre père et une autre personne ? (les deux fils regardent la mère qui détourne le regard) … Vous
pourriez être plus coopératifs, tout de même. Avez-vous des soupçons sur quelqu'un ?
BERTHA: Soupçons ?
VIVIANE: Oui… Est-ce que vous pensez à quelqu'un de particulier qui aurait eu des raisons de tuer Monsieur Prosper
Pouille ? (les trois regardent en l'air comme pour changer de sujet) Bon… Voyons un peu votre dossier. (elle consulte
le dossier) Ca n'est pas bon tout ça. Ca ne plaide pas en votre faveur. Madame Pouille, je vois, dans votre dossier, que
vous avez été accusé de vol et de recel de mobylettes. Cinquante mobylettes… bleues ? Pourquoi avez-vous volé ces
mobylettes… bleues ? (la mère regarde les fils en ricanant. Les fils miment une course en mobylette) Bon…Bon…
Passons à Monsieur Jean Pouille. (les trois baissent la tête) Lequel de vous deux est Jean Pouille ? (les deux fils se
désignent mutuellement) Bon… Monsieur Jean Pouille, vous avez fait six mois de prison pour avoir dérobé dans les
églises trente trois statuettes de madones que l'on a retrouvées enterrées dans votre jardin. Quelle explication donnez-
vous à cela ?
VIVIANE: Ecoutez… Ce n'est pas comme cela que l'on fera avancer les choses. Venons-en à Monsieur Guy Pouille.
Lequel de vous deux est Guy Pouille ? (les deux frères se désignent mutuellement) Bon… Monsieur Guy Pouille, dans
sa jeunesse, a été renvoyé de 16 écoles différentes pour délits divers. A l'âge de quatorze ans, après avoir été placé
dans une école catholique, il a d'abord été accusé de tentative de viol sur Mère Thérésa, la directrice de
l'établissement.
* Elle les regarde. La mère sourit fièrement, Yves et Jean ont un regard lubrique
VIVIANE: Madame Pouille, votre fils était-il également amoureux des douze autres sœurs avec lesquelles il a eu le
même comportement ? (les trois ricanent)
VIVIANE: (inquiète) Bon, bon… Restez assis. Voyons maintenant comment nous pouvons organiser votre défense.
Madame Pouille, aimiez-vous votre mari ? (les trois se regardent, l'air effaré) Bon… je vois... Madame Pouille, dans
quelles circonstances avez-vous épousé votre mari ?
VIVIANE: Bon… Passons... Quelle était la nature de vos rapports avec votre mari ?
BERTHA: Quand il mangeait sa soupe, il faisait du bruit. (les trois imitent le père en train de boire sa soupe)
BERTHA: Quand il dormait, il ronflait. (les trois imitent le père en train de ronfler)
BERTHA: Quand il riait, il faisait du bruit avec sa gueule. (les trois imitent le père en train de rire)
VIVIANE: Bon… Je vois qu'il faut abandonner tout de suite la thèse du crime passionnel.
BERTHA: Quand il était à table, il pétait (les trois imitent le père en train de péter)
VIVIANE: (de plus en plus fébrile) Bon, bon, arrêtons là la description des agissements de Monsieur Prosper Pouille.
(consultant son dossier) D'après l'autopsie, il a été établi que le décès a certainement eu lieu dans la nuit du jeudi au
vendredi 9 avril. Pourriez-vous m'indiquer quel a été votre emploi du temps cette nuit-là ?
VIVIANE: (perdant patience) Oui… Où étiez-vous dans la nuit du jeudi au vendredi 9 avril ? (les trois haussent les
épaules avec un air d'ignorance) Ecoutez… Mettez-y un peu de bonne volonté. Je ne sais pas, moi… Dites-moi que
vous dormiez chez vous, cette nuit-là. (les trois répondent négativement avec la tête). Non ?… Etiez-vous tous les
trois réunis, cette nuit-là ? (les trois répondent positivement avec la tête. L'avocate est de plus en plus inquiète) Ah ?
… Ne me dites pas que vous étiez en compagnie de Monsieur Prosper Pouille, cette nuit-là ! (les trois se regardent
avec hésitation, puis répondent négativement avec la tête, mais sans conviction) Bon… Avez-vous des témoins qui
peuvent confirmer qu'ils vous ont vus, cette nuit-là ?
VIVIANE: (désespérée) Oui… quelqu'un d'autre avec qui vous étiez cette nuit-là. (les trois se regardent
interrogativement)
BERTHA: Louis !
VIVIANE: (se calmant) Bien… Enfin, des faits concrets… Pouvez-vous me décliner l'identité exacte de ce Louis ?
BERTHA: Identité ?
BERTHA: Louis.
VIVIANE: (exaspérée) Louis, c'est son prénom, mais il doit bien avoir un nom propre ce Louis ! (les trois haussent les
épaules avec un air ignorant) Mais qui est ce Louis, votre voisin ? Un parent à vous ?
BERTHA: Oui, Louis, c'est notre chien. (les deux frères imitent le chien)
VIVIANE: (abasourdie) Votre chien ? Mais enfin, Madame Pouille, un chien ne peut pas venir témoigner à la barre.
BERTHA: Pourquoi ?
VIVIANE: (hallucinée) Pourquoi ? Mais parce que… parce que… Excusez-moi, ce n'est pas dans mes habitudes, mais
j'ai besoin d'une cigarette.
* elle fouille dans son sac, en retire un paquet de cigarettes et prend une cigarette qu'elle met à sa bouche. Elle
fouille de nouveau dans son sac, mais en vain
VIVIANE: Ah, c'est bien ma veine, je n'ai pas de feu… La famille Pouille, vous n'auriez pas du feu, par hasard ?
* Bertha cherche dans son cabas. Elle en retire diverses choses aussi hétéroclites les unes que les autres: clé à
molette, marteau, couteau à cran d'arrêt, scie, etc... Elle retire ensuite une main. Surprise, elle donne aussitôt
cette main au premier frère qui la range immédiatement dans sa poche. L'avocate n'a pas eu le temps de bien
comprendre ce qu'elle voyait.
VIVIANE:
Qu'est-ce que c'était ?
BERTHA:
Sais pas !… J'ai pas de feu… (à son fils Yves) T'en as, toi ?
* Yves cherche dans ses poches, puis dans son sac. Il en retire diverses choses aussi étranges que les objets du sac
de sa mère puis, sans faire attention, il retire une tête qu'il pose sur les genoux de son frère. L'avocate hurle de
frayeur et sort de la pièce en courant. Les trois la regardent partir avec surprise, puis ils se regardent avec
stupeur. La mère jette une gifle à Yves et lui montre la tête sur les genoux de son frère. Yves, l'air contrit, range
rapidement la tête dans son sac. Un moment de silence, puis ils haussent les épaules. La mère se lève et demande
par signes à ses fils d'en faire autant. Les deux fils se lèvent. Ils regardent, tous trois, autour d'eux et ils sortent
tranquillement de la pièce en emportant les chaises avec eux.
Fermeture du rideau.
Entrée de la présentatrice.
La PRESENTATRICE :
On m'a de nouveau signalé en coulisses un fait navrant : l'attitude scandaleuse de certains officiels dans la salle. Je me
permets de leur faire remarquer, avec tout le respect que je leur dois, que ce n'est pas parce qu'ils ont reçu une
invitation leur donnant droit à une entrée gratuite, qu'ils peuvent se permettre de dormir sur leur siège. Je permets
exceptionnellement au spectateur, ayant un officiel à côté de lui, de le secouer violemment, au cas où il l'entendrait
ronfler. A propos d’officiel, j'ouvre de nouveau une parenthèse dans ce spectacle pour faire un petit coucou à
Monsieur le Maire, qui normalement devrait être dans la salle. Au cas où, exceptionnellement, Monsieur le Maire ne
serait pas là, je fais un petit coucou à ces messieurs les élus qui, étant donné l'importance de cette manifestation
culturelle, sont certainement tous présents dans la salle. Excusez-moi pour cet intermède uniquement destiné à fayoter
en vue des prochaines subventions et consacrons-nous maintenant à la suite de notre histoire.
Toujours le même journal, mais, cette fois, nous allons changer de rubrique. Nous allons consulter la page des petites
annonces. Quoi de plus anodin que les petites annonces ? On les regarde à peine tellement il y en a. Ici, par exemple, à
la rubrique immobilier, une offre comme beaucoup d'autres:
Vends proche Douai, propriété récente, spacieuse, très bien entretenue, cinq chambres à l'étage, salle de bains
spacieuse, sous-sol complet, garage trois voitures, l'ensemble sur 2 hectares, vue sur grand espace verdure, libre
d'occupation.
Une annonce comme les autres si ce n'était la dernière phrase écrite en caractères gras:
Affaire à saisir d'urgence pour cause de divorce.
Nous avons appris à devenir curieux, à lire entre les lignes, à deviner l'anorrmal derrière le normal. Et si les petites
annonces cachaient elles aussi des drames ? Allons donc voir ce qui se cache derrière cette vente due à un divorce.
LE PSY: Ah, enfin ! Cela fait une heure que je téléphone et ça ne répond pas. Où étais-tu ? Comment ça faire des
courses ? Mais tu y es déjà allée ce matin faire des courses. Tu avais oublié quelques petites choses. Est-ce que tu te
fiches de moi ? Je veux savoir où tu étais et surtout avec qui tu étais ! Avec ta mère ? Je lui ai téléphoné il y a de cela
une demi-heure et elle était chez elle. Avec ta sœur ? Non, tu n'as pas dit avec ta sœur, tu as dit avec ta mère ! Roberta,
tu me prends pour un imbécile. Tu oublies que j'exerce le métier de psychanalyste et que je suis à même de deviner
rien qu'au son de ta voix que tu me mens. Oui, Roberta, tu me mens. Et c'est toi qui te vexes ? Nous atteignons là le
sommet du ridicule. Comment ça, tu ne veux plus me parler. Non, ne raccroche pas, j'exige une explication. Roberta,
ne raccroche pas ! Roberta, ne raccroche pas, ne… raccroche pas. La salope, elle a raccroché ! Oh, la salope, la
salope ! Menteuse et salope ! (on frappe à la porte) Entrez !
LE PSY: Oui, excusez-moi auprès d'eux et faites les entrer. J'avais quelques petits problèmes à régler. Vous êtes
mariée, vous, je ne me souviens plus ?
LE PSY: Et vous allez faire vos courses deux fois par jour ?
LA SECRETAIRE: (de plus en plus surprise) Non, Monsieur, une seule fois.
LE PSY: C'est bien ce que je pensais… Eh bien, qu'attendez-vous ? Faites entrer mes clients.
LE PSY: Roberta, j'exige des explications. Oui, parfaitement, j'ai le droit d'exiger des explications ! Je me suis
renseigné auprès de personnes avisées et je peux affirmer que les femmes ne vont pas faire leurs courses deux fois par
jour. (on frappe à la porte) Entrez ! Non, ce n'est pas à toi que je dis d'entrer. Roberta, tu me prends pour une imbécile
! (les clients du psy entrent dans la pièce) Bien, je vois que tu persistes. Nous réglerons ce petit litige ce soir à la
maison. Quoi ? Tu vas au restaurant ce soir ? Mais avec qui ? Avec ta copine Marceline ! (criant) Son anniversaire !
Tu l'as déjà fêté la semaine dernière ! Roberta, je te préviens… Non, ne raccroche pas, je ne supporte pas que tu me…
raccroches au nez. La salope, elle a raccroché. Oh, la salope ! La salope ! (Il s'aperçoit que ses clients sont là)
Qu'est-ce que vous faites là ?
LA MERE: On vient pour consulter.
* Les clients s'assoient. Ce sont des gens du village. Un couple et leur fille. Ils ont l'air un peu attardés.
LA MERE: On vient pour not' fille. On nous a conseillés de venir chez vous. C'est les voisins, ils disent que not' fille
Madeleine, elle a un comportement bizarre. On voudrait votre avis, Monsieur le psychiatre.
LA MERE: Moi, j'entends bien, mais mon mari est un peu sourd. Si vous pouviez parler un peu plus fort, Monsieur le
psychiatre.
LE PSY: Psychanalyste… (parlant plus fort) Que voulez-vous dire par comportement bizarre ?
LA MERE: Not' fille Madeleine, elle se prend pour une vedette. Elle se regarde toujours dans la glace et elle joue à
faire l'actrice. Elle dit des phrases bizarres. Remarquez, elle se débrouille bien, elle sait bien parler, presqu'aussi
bien que les gens de la télévision. Montre à Monsieur le psychiatre que tu sais bien parler.
MADELEINE: (après un gros effort de concentration et en faisant les liaisons Je veux et j'exige.
LA MERE: Vous avez entendu comme elle sait bien parler. Vous croyez qu'on pourrait en faire une vedette de la
télévision ?
LE PSY: Bien… Nous allons étudier le problème. (à Madeleine) Levez-vous. (les trois se lèvent) Non, pas vous…
Vous, asseyez-vous. (les trois s'assoient) Non, pas tous les trois. (désignant Madeleine) Vous, levez-vous. (les trois se
lèvent) Mais non… Vous ! (il désigne la mère) Assis ! (la mère s'assoit) Bien… Vous ! (Elle désigne le père) Assis !
(le père et Madeleine s'assoient) Non, pas vous ! Vous, levez-vous ! (le père et Madeleine se lèvent) Mais c'est pas
vrai ! Vous, l'homme, au milieu, asseyez-vous ! Vous, la fille, restez debout ! (le père s'assoit) Ah ! On y est arrivé !
Bon, passons aux choses sérieuses. (à Madeleine) Comment vous appelez-vous
LE PSY: S'il vous plaît, ne répondez pas à sa place. Il est important que ce soit elle qui réponde. Madeleine, comment
vous appelez-vous ?
LE PSY: Non, ce n'est pas ce que je vous demande. Je vous demande comment vous vous appelez ?
LE PSY: (au père) S'il vous plaît, laissez-moi faire. Restez assis et ne dites rien. (levant sa main et montrant trois
doigts) Madeleine, combien est-ce que je montre de doigts ?
LE PSY: Oh ! Vous, je sens que je vais vous faire un prix de groupe. (Il dispose trois objets sur son bureau)
Madeleine, je viens de disposer trois objets sur mon bureau. Examinez-les bien. (le téléphone sonne, il décroche) Oui,
allô ! Ah, c'est toi ! oui, tu me déranges, je suis en train de travailler, imagine-toi. Tu t'en fous ! De mieux en mieux.
Attends une seconde. (à Madeleine) Madeleine, vous avez bien observé les objets. Maintenant, fermez les yeux. (les
trois ferment les yeux) Mais non, pas vous ! Ouvrez les yeux ! (les trois ouvrent les yeux) (au téléphone) Non, ce n'est
pas à toi que je demande d'ouvrir les yeux. C'est moi qui avais les yeux fermés pendant toutes ces années mais
maintenant ils sont ouverts, je vois la vérité. (aux trois) Vous, le père et la mère, laissez les yeux ouverts, vous,
Madeleine, fermez les yeux ! (Madeleine ferme les yeux) (au téléphone) Non, ce n'est pas à toi de fermer les yeux !
(Madeleine ouvre les yeux) (à Madeleine) Si, vous, fermez les yeux ! (Madeleine ferme les yeux) (au téléphone) Non,
c'est à mes clients que disais de fermer les yeux. Non, je ne me fiche pas de toi. Non, ne raccroche pas, non, ne…
raccroche pas ! La salope, elle a raccroché ! La salope ! (il retire un des objets) A présent, Madeleine, ouvrez les
yeux. (Madeleine ouvre les yeux) Il y avait là trois objets, j'en ai retiré un. Lequel est-ce ?
LE PERE: (avec exaltation) C'est le nounours ! Je l'ai vu, j'en suis sûr ! C'est le nounours !
LE PSY: (se prenant la tête dans les mains) Je vais craquer… Je vais craquer ! (Il se prend la tension avec l'appareil
approprié)
LE PERE: Ouais, c'est not' vache Hortense qui a gagné le troisième prix au concours agricole du Pas de Calais.
LE PSY: C'est bien, je suis bien content pour votre vache. (regardant son tensiomètre) oh, la vache ! 22-14 ! (avalant
rapidement des pilules) Ca n'est pas encore aujourd'hui que je vais arrêter les tranxènes. Bon, en parlant de vaches,
revenons-en à nos moutons. Madeleine, levez-vous. (subitement) Non ! Procédons en ordre. Vous, le père et la mère,
restez assis, vous, Madeleine, levez-vous ! (Madeleine se lève) Maintenant, nous allons faire un petit test très simple.
Levez le bras droit. (les trois lèvent le bras gauche) Non, pas vous ! (criant) Madeleine seulement ! Vous le faites
exprès ou quoi ? C'est ma femme qui vous a envoyé ? Vous le père et la mère, baissez le bras ! (les deux baissent le
bras) Madeleine, êtes-vous certaine d'avoir levé le bon bras ?
LE PSY: Bon, baissez le bras. (Madeleine ne baisse pas le bras) Madeleine, baissez votre bras ! (idem) Nom de Dieu,
Madeleine, baissez votre putain de bras !
LE PSY: Le téléphone ? (Il décroche) Allô ! Encore toi ? Mais non, ce n'est pas un reproche mais j'ai des clients dans
mon cabinet et c'est une affaire compliquée. Non, je ne cherche pas un prétexte… (Madeleine crie) (à Madeleine)
Qu'est-ce que vous avez ?
LE PSY: (au téléphone) Est-ce que je ne peux pas te rappeler plus tard ? J'ai ma patiente qui a un grave problème.
(Madeleine crie) Mais non, ce n'est pas moi qui crie, c'est ma patiente. (Madeleine crie de nouveau) Mais puisque je
te dis que… Mais enfin, qu'est-ce que tu vas imaginer ? Mais non… Mais enfin… C'est ma patiente qui a le bras
coincé en l'air. Mais non, je ne me fiche pas de toi. Non, ne raccroche pas, ne… raccroche pas. La salope, elle a
raccroché ! (à Madeleine) Et vous, qu'est-ce que vous avez ?
LE PSY: (se levant et allant vers Madeleine) Sa crampe ! Je vais lui guérir sa crampe. (Il lui prend le bras et l'abaisse
violemment. Madeleine crie) Voilà, plus de crampe ! Finie la crampe ! Bobo parti ! Pas vrai, Madeleine ?
LE PSY: (riant également mais faussement) Et bien voilà, tout le monde est content. (retournant s'asseoir) Bon, nous
allons essayer une dernière tentative. Madeleine, je vais vous poser une série de questions simples auxquelles vous
allez essayer de répondre. Par exemple, quel jour de la semaine sommes-nous ?
LE PSY: (hurlant) Pas vous ! Ce n'est pas à vous de répondre ! C'est à votre fille ! Madeleine ! Votre fille ! C'est
Madeleine qui doit répondre, pas vous ! C'est la dernière fois que je vous le dis sinon vous sortez ! Compris ?
(essayant de reprendre son calme) Maintenant, Madeleine, pourriez-vous me dire qui est le président de la République
Française ? (le téléphone sonne. Il sursaute) Aaahh ! (Il décroche et hurle) Oui, allô !… Mais non, Roberta, je ne suis
pas énervé, je suis concentré sur mon travail. Les cris de tout à l'heure ? Mais puisque je te dis que c'est ma patiente
qui… Mais non, je ne mens pas… Ne retourne pas la situation en ta faveur, je te vois venir…
LE PSY: Raymond Barre ? (au téléphone) Oui, allô, quoi ? Mais si, je t'écoute, mais il y a ma patiente qui crie
Raymond Barre. Non, Roberta, je ne me fiche pas de toi. Je suis en consultation avec une patiente qui a des crampes
au bras, qui crie Raymond Barre et son père me montre la photo de sa vache. Mais puisque je te dis que… Non, ne
raccroche pas, je t'interdis de … raccrocher. La salope, elle a raccroché.
LE PSY: (rigolant faussement) Raymond Barre, bien sûr, Raymond Barre. (plus sec) Vous me cherchez, vous ! Vous
allez me trouver ! Bon, allez, hop ! La séance est terminée. Ca fera 80 euros, prix de groupe ! Allez, hop !
LA MERE: (se levant et fouillant dans son sac, elle en sort une botte de poireaux) Si ca vous dérange pas, avec not'
docteur, on a l'habitude comme ça. Pour payer la consultation, on lui donne des légumes de not' jardin. (elle pose la
botte de poireaux sur le bureau du psy)
LE PSY: Ah ? Alors, si c'est vous qui les avez cultivés, ça change tout. C'est bien, c'est très bien, ça fera plaisir à ma
femme. C’est elle qui fait la cuisine à la maison.
LE PSY: (devenant fou d'énervement) Une bonne soupe, une bonne sou soupe à son papa. Bon, ça suffit ! Maintenant,
levez-vous et sortez ! La séance est terminée. (personne ne bouge) C'est fini ni ni… J'ai compris… Vous, la mère,
debout ! (elle se lève) Vous, le père, debout ! (il se lève) Vous, la fille, debout ! (elle se lève) Et maintenant direction
la sortie. (ils se trompent de direction) Non, pas par-là ! Par-là ! (ils se dispersent) Non. Stop ! On ne bouge plus ! On
regarde tous vers moi ! (ils se tournent vers lui) Bien ! On fait un demi-tour à droite ! (Madeleine tourne à gauche, le
couple vers la droite) Non, pas à gauche ! A droite ! (Madeleine se tourne vers la droite, le couple vers la gauche)
Non ! (Il sort de derrière son bureau et se place devant la sortie) Ouhou ! Je suis là ! On se tourne vers moi ! (ils se
tournent vers lui) Voilà, c'est bien ! Maintenant on avance doucement vers moi. (ils avancent vers lui) Maintenant on
va un peu plus vite. (ils accélèrent) Stop ! Maintenant, j'ouvre la porte et vous sortez dans cette direction. Voilà ! C'est
très bien. C'est bien, on continue comme ça et on aura une bonne sucette à la sortie. (les trois sortent, il claque la
porte) Ca y est ! Ca y est ! (il se dirige vers son bureau mais la porte s'ouvre et la mère passe la tête)
LA MERE: Dites, Monsieur le psychiatre, vous croyez que ma fille, elle peut devenir une vedette ?
LE PSY: Encore vous ! (Il se précipite vers la porte et la claque sur le nez de la mère) Restons calme ! Ne nous
énervons pas ! Restons calme ! (il va au bureau et décroche le téléphone) Oui, allô ! C'est toi ? Ah, c'est vous,
Adrienne. Vous pouvez me passer Madame ? Comment ça elle est partie ? Elle a fait ses valises ? Elle a dit qu’il ne
reviendrait plus ? Mais où est-elle partie ? Oui, bien sûr, je me doute bien que vous ne savez pas, Adrienne. Bon, c'est
bien, Adrienne, vous pouvez raccrocher. Attendez, ne… raccrochez pas. Trop tard ! La salope, elle a raccroché. (La
porte s'ouvre. Le père passe la tête)
Fermeture du rideau.
Entrée de la présentatrice.
La PRESENTATRICE :
Nous allons à présent fermer ce journal bien que nous puissions le consulter encore pendant des heures. Maintenant,
vous savez que la rubrique des faits divers n'est pas aussi anodine qu'elle n'y paraît. Dorénavant, vous lirez peut-être
les journaux avec un autre regard, une autre vision des choses. Mais faites attention de ne pas figurer vous aussi un
jour dans la rubrique des chiens écrasés.
Mais avant de vous quitter, je vais vous présenter, comme il est de coutume, les acteurs qui ont joué ce spectacle.
(Elle cite les noms. Ceux-ci entrent sur scène au fur et à mesure.
Voilà ! Le spectacle est terminé. Vous pouvez rentrer sagement chez vous et raconter à ceux qui sont restés le cul
assis devant leur télé quel beau spectacle ils ont manqué. Mais avant que vous ne quittiez la salle, quelques
petites recommandations. Premièrement, vous êtes priés de laisser la salle en état de propreté dans laquelle elle
était avant que vous n'y laissiez vos papiers de bonbons, vos chewing-gums écrasés, vos mégots de cigarettes,
vos emballages de pellicules photos, vos billets d'entrée déchirés, vos préservatifs usagés et autres babioles
dans le même genre. Merci d'avance. Deuxièmement, vous êtes priés, lorsque vous sortirez, de vous diriger vers
la buvette qui a été de nouveau ouverte spécialement pour vous. Et si vous attendez patiemment au bar, vous
aurez l’immense honneur de pouvoir rencontrer les fabuleux artistes qui ont participé à ce spectacle. Ces petites
recommandations faites, vous pouvez maintenant quitter la salle, en silence de préférence, et en vous organisant
de manière à ce qu'il n'y ait pas de bousculade. Merci beaucoup.
Fermeture du rideau.
FIN
Claude Liénard est auteur, acteur et metteur en scène de théâtre. Depuis 1983, il a mis en scène 59 pièces de théâtre, a
écrit 28 pièces de théâtre, a écrit 17 ballets classiques et modernes et a interprété des rôles dans 29 pièces de théâtre
et ballets. Vous pouvez retrouver son cv et ses pièces de théâtre sur le site http://theatrale.fr