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ANTONIO SALIERI
LES HORACES
JUDITH VAN WANROIJ · CYRILLE DUBOIS · JULIEN DRAN
JEAN-SÉBASTIEN BOU · PHILIPPE-NICOLAS MARTIN
ANDREW FOSTER-WILLIAMS · EUGÉNIE LEFEBVRE
LES CHANTRES DU CENTRE DE MUSIQUE BAROQUE
DE VERSAILLES (DIR. OLIVIER SCHNEEBELI)
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Enregistré en concert par Little Tribeca le 15 octobre 2016 à l’Opéra Royal du Château de Versailles dans le cadre de
la saison de Château de Versailles Spectacles.
Les Talens Lyriques remercient chaleureusement Madame Aline Foriel-Destezet et Monsieur Nizam Kettaneh.
Le concert du 15 octobre 2016 a fait l’objet d’une coproduction Centre de musique baroque de Versailles | Les Talens
Lyriques, et d’une coréalisation Centre de musique baroque de Versailles | Château de Versailles Spectacles.
Les Talens Lyriques sont soutenus par le Ministère de la Culture et la Ville de Paris.
Ils reçoivent également le soutien du Cercle des Mécènes et de la Fondation Annenberg / GRoW-Gregory et Regina
Annenberg Weingarten.
Les Talens Lyriques sont artistes associés, en résidence à la fondation Singer-Polignac depuis 2011.
AP185 p Little Tribeca - Les Talens Lyriques 2016 © Little Tribeca - Les Talens Lyriques 2018
apartemusic.com lestalenslyriques.com
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LES HORACES Opéra en trois actes d’Antonio Salieri (1786)
Livret de Nicolas-François Guillard d’après la tragédie Horace (1640) de Pierre Corneille
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1. Ouverture 3’31
Acte Premier
Scène 1
2. Récit : Camille, une suivante : D’où vient le trouble 3’03
3. Camille : Pour Albe, hélas ! quels vœux me sont permis 2’19
4. Camille, une suivante : Déjà le sanctuaire s’ouvre 0’28
5. Sinfonia 1’00
6. Camille, le chœur : Déesse secourable 1’27
7. L’Oracle : La guerre entre Albe et Rome aujourd’hui doit finir 0’20
8. Récit : Camille : Ce jour à ton amant 0’52
9. Camille : Oui, mon bonheur est assuré 2’13
Scène 2
10. Camille, le chœur : Secourez-nous, ô puissante égérie 1’09
Scène 3
11. Récit : Le vieil Horace, Curiace, Camille, le chœur : Peuples, dissipez vos alarmes 0’42
12. Le vieil Horace, le chœur : Déjà les deux armées 3’53
13. Camille, Curiace, Horace, le vieil Horace, le chœur : Ô du sort heureux retour 3’22
Premier intermède
14. Récit : le Grand-Prêtre : Le Sénat, rassemblé 1’34
15. Le Grand-Prêtre, le chœur : Puissant moteur de l’univers 1’56
16. Marche 1’13
17. Le Grand-Prêtre, le chœur : Ô Rome ! ô ma patrie ! 2’53
18. Sinfonia 1’10
19. Le chœur : Ô Dieux, défenseurs de nos lois 0’49
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Deuxième acte
Scène 1
20. Récit : Camille, Curiace, Horace : Ainsi le Ciel 0’58
21. Camille, Curiace, Horace : Douce paix, transports pleins de charmes 1’08
Scène 2
22. Horace, le vieil Horace, Camille, le chœur : Vive à jamais le nom d’Horace 1’01
23. Horace, le vieil Horace, le chœur : Dieux protecteurs du Tibre 1’42
Scène 3
24. Récit : Curiace, un Albain, Camille, le chœur : Quels sont les trois guerriers 0’45
Scène 4
25. Récit : Curiace, Horace, le vieil Horace, Camille, le chœur : Ô déplorable choix 2’11
Scène 5
26. Récit : Camille, Curiace : Iras-tu, Curiace 0’35
27. Curiace : Victime de l’amour, victime de l’honneur 3’23
28. Récit : Camille, Curiace : Non, je te connais mieux 1’29
29. Camille, Curiace : Par l’amour et par l’amitié 2’20
30. Récit : Camille, Curiace : Ô Ciel 0’38
31. Camille, Curiace : Cœur insensible, amant barbare 2’02
Scène 6
32. Récit : Horace, Camille, Curiace : Ne tardons plus 0’48
Scène 7
33. Récit : Horace, Camille, le vieil Horace : Mon père 0’18
34. Ensemble : Oui mes enfants partez sur l’heure 2’15
7
Second intermède
35. Récit : Le Grand Sacrificateur : Romains, Albains ! 1’05
36. Le Grand Sacrificateur, le chœur : Jurer au nom des dieux 3’12
37. Le chœur : Oui, que les dieux décident entre nous 1’06
Acte troisième
Scène 1
38. Camille : Que je vous dois d’encens, ô mes dieux tutélaires 2’16
Scène 2
39. Récit : Camille, le vieil Horace : Mon père, ah ! 1’08
Scène 3
40. Récit : un Romain, Camille, le vieil Horace : Vos trois fils 0’22
41. Camille, le vieil Horace, le chœur : Pour ces illustres défenseurs 0’45
Scène 4
42. Le vieil Horace, le chœur : Ô sort cruel ! destins contraires 0’44
43. Récit : une femme, Camille, le vieil Horace : Mes fils ne sont donc plus ? 1’11
44. Le vieil Horace : Que des plus nobles fleurs leurs tombeaux soient couverts 1’02
45. Récit : un Romain, Camille, le vieil Horace : Que des plus nobles fleurs 0’56
46. Le vieil Horace, le chœur : Du vainqueur célébrons la victoire 0’22
Scène 5
47. Récit : Valère, Camille, le vieil Horace : Tandis qu’un fils victorieux 0’44
48. Récit : Valère, Camille : Resté seul, n’osant plus 0’50
49. Le vieil Horace, le chœur : Noble appui sur ton pays 0’56
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Scène 6
50. Horace, le vieil Horace, le chœur : Du vainqueur célébrons la gloire 2’03
51. Divertissement 2’17
52. Gavotte 2’16
53. Récit : Camille, Horace, Valère, le chœur : Où suis-je ? 3’05
54. Le chœur : Rome est libre, il suffit, rendons grâce aux Dieux 0’16
55. Le chœur : Les Dieux de l’univers nous ont promis l’empire 3’29
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Les Talens Lyriques
Direction Christophe Rousset
Solistes
Camille Judith van Wanroij
Curiace Cyrille Dubois
Le jeune Horace Julien Dran
Le vieil Horace Jean-Sébastien Bou
L’Oracle, un Albain, Valère, un Romain Philippe-Nicolas Martin
Le Grand-Prêtre, le Grand-Sacrificateur Andrew Foster-Williams
Une suivante de Camille Eugénie Lefebvre
Orchestre
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Flûtes Manuel Granatiero Cors Gilbert Camí Farràs
Stefanie Troffaes Serge Desautels
Hautbois Gilles Vanssons Trompettes Russell Gilmour
Vincent Blanchard William Russell
Clarinettes Daniele Latini Timbales David Joignaux
Toni Salar-Verdú
Clavecin Korneel Bernolet
Bassons Eyal Streett
Dana Karmon
Les Pages & les Chantres du Centre de musique baroque de Versailles sont soutenus par le Ministère de la Culture, l’Établissement public
du château, du musée et du domaine national de Versailles, le Conseil régional d’Île-de-France, et la Ville de Versailles. La Fondation
Bettencourt-Schueller est mécène de la Maîtrise du Centre de musique baroque de Versailles.
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Synopsis
Sous le règne de Tullus Hostilius (« Tulle », VIIe s. Scène 2
av. J.-C.), Rome entre en conflit avec la cité voisine La guerre est déclarée. Le peuple romain implore
d’Albe-la-Longue : les deux rivales s’opposent à son tour la déesse Égérie. Camille déplore le peu
dans une lutte farouche au pouvoir. La cité vaincue de foi que l’on porte aux oracles.
disparaîtra avec ses ruines. Or Albe et Rome sont
unies par différentes alliances, notamment celle Scène 3
de Camille, jeune Romaine fiancée avec l’Albain Le vieil Horace annonce alors qu’Albe et Rome
Curiace. ont déposé les armes. Le roi Tulle a pris la parole :
afin d’épargner les liens familiaux qui unissent les
deux peuples, le conflit pourrait se résoudre par
Acte I un simple combat opposant trois guerriers de
chacun des camps. Au terme du combat, les deux
Scène 1 peuples ne seront qu’un. Le vieil Horace donne
Dans le temple de la déesse Égérie, Camille confie alors la main de sa fille Camille à Curiace. Tous
à l’une de ses suivantes l’état de terreur dans chantent cet heureux sort.
lequel elle se trouve. Elle craint de voir son père
le vieil Horace lui retirer la main de Curiace si Premier intermède
Albe venait à être vaincue. En proie à de sombres Le roi, les chefs des armées et le Sénat se sont
pressentiments, Camille invoque la déesse. C’est réunis dans le sanctuaire de Jupiter. Rome doit
alors que l’oracle prédit pour le jour même la fin choisir ses trois guerriers. Le Grand-Prêtre offre
de la guerre entre Albe et Rome, ainsi que l’union des sacrifices en implorant le dieu de l’univers de
de Camille à Curiace. guider leur destin.
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Scène 5
Acte II Curiace est en proie à une terrible décision : trahir
Camille ou trahir sa patrie. Il annonce à Camille
Scène 1
qu’il suivra son honneur et ira combattre. C’est en
Dans le palais d’Horace, Camille, Curiace et le jeune
vain que Camille tente de le dissuader, se jetant à
Horace se félicitent d’être enfin réunis, Camille
ses pieds en pleurant.
unie à son fiancée et Horace retrouvant son ami.
Scène 6
Scène 2
Le jeune Horace vient chercher son ami Curiace
Les dieux romains ont désigné, pour aller
pour partir au combat. Camille veut leur emboîter
combattre, le jeune Horace et ses deux frères.
le pas pour émouvoir Rome et Albe de ses pleurs.
Honoré, encouragé par Curiace et son propre père,
Horace se dit prêt à offrir sa vie pour sa patrie. Les Scène 7
chevaliers en chœur glorifient Horace. Le vieil Horace intervient pour apaiser la situation
et rentrer avec Camille. Curiace et Horace partent
Scène 3 vers leur devoir.
Sur ces entrefaites arrive un envoyé d’Albe,
annonçant que Curiace et ses deux frères ont Second intermède
été choisis pour être les héros d’Albe. Curiace est Dans la campagne romaine, les deux peuples
terrifié, mais il charge le messager de porter au se font face. Le Grand-Sacrificateur recueille
Sénat albain son consentement. devant l’autel le serment des deux armées de
cesser la guerre à l’issue du combat. Les Horaces
Scène 4 et les Curiaces commencent à combattre. Mais
Les chevaliers romains se joignent à Curiace et une foule de soldats albains et romains se ruent
Camille dans une grande déploration. Horace vers les champions pour les séparer et éviter ces
et son père demandent à Curiace de rester un abominables meurtres. Le Grand-Prêtre met fin
instant auprès de Camille pour la consoler de cette à leur élan en proposant de consulter de nouveau
infortune. les dieux propres à chacun.
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Scène 6
Acte III Horace est porté en triomphe par le peuple
romain et félicité par son père. On danse.
Scène 1
Au palais d’Horace, Camille remercie les dieux
Scène 7
qui ont exaucé ses vœux en arrêtant le combat.
Camille, quant à elle, sombre à la vue de cet
hommage. Elle embrasse la dépouille de Curiace
Scène 2
et blasphème contre Rome. Horace et Valère
Le vieil Horace avoue à sa fille qu’il est lui-même
excusent son geste, remerciant les dieux d’avoir
heureux de ce contretemps, tant il chérit ses
donné à Rome la liberté.
propres fils et son gendre et ses frères.
Scène 3
Mais les dieux ont confirmé leur premier choix :
les six héros ont repris le combat.
Scène 4
Les femmes annoncent qu’Albe a gagné le combat.
Pourtant le jeune Horace est encore vivant, car il
a fui. Le vieil Horace désespère de la lâcheté de
son fils qu’il aurait préféré voir mourir dignement.
Scène 5
Le chevalier Valère révèle alors au vieil Horace
la vérité : le jeune Horace a feint de fuir, pour
prendre à revers ses poursuivants et les tuer un à
un. Rome a gagné la guerre.
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Les Horaces (1786)
La tragédie lyrique Les Horaces d’Antonio Salieri substituer des vers plus courts et plus inégaux
(1750-1825) s’inspire directement de la tragédie aux pompeux alexandrins du Grand Siècle –
Horace (1640) de Pierre Corneille. C’est le poète Guillard étoffe surtout le propos des Horaces par
Nicolas-François Guillard (1752-1814) qui adapte des scènes permettant de déployer le décorum
le texte pour le rendre susceptible d’être traité et la pompe propres au théâtre lyrique français,
sous la forme d’un opéra. Guillard avait déjà utilisant le chœur et le ballet pour démultiplier le
retouché Racine pour Gluck, avec Iphigénie en spectaculaire scénique. Son intervention la plus
Aulide (1774) ; il se spécialisera par la suite dans importante, outre la suppression du rôle de Sabine
le remaniement d’œuvres anciennes – tragédies dont une partie du texte est confiée à Camille, est
déclamées ou chantées – pour les mettre au goût la suppression totale du procès et du dénouement
du jour : Électre avec Lemoyne (1782), Chimène ou final, qu’il évacue grâce au suicide de Camille ; le
Le Cid (1783) et Dardanus (1784) avec Sacchini, fratricide de la fin est donc évité. Pour la reprise à
Olympie avec Kalkbrenner (1798). La mode est l’Académie royale de musique, le poète édulcore
alors à ces résurrections : le siècle de Louis XVI toutefois cette scène et choisit en définitive de
puise aux sources de l’art tragique français en ne pas montrer le suicide de l’héroïne, affadissant
réhabilitant les chefs-d’œuvre du Grand Siècle considérablement les derniers instants de l’action
et en les parant d’une musique, d’un spectacle et mais respectant mieux les conventions de l’Opéra.
d’une interprétation nouvelle. En 1787, L’Esprit Dans Les Horaces, Guillard adopte une forme
des journaux français et étrangers assure que étonnante pour l’époque, puisqu’il substitue aux
Guillard paraît « disposé à passer en revue tout le traditionnels divertissements des « intermèdes »
répertoire des Français » (février 1787). qui déplacent momentanément l’action dans
d’autres lieux (le temple de Jupiter-Capitolien puis
S’il réduit le nombre d’actes (trois au lieu de cinq) des autels dans la campagne romaine), présentant
et remanie la versification – notamment pour deux séquences de l’action en tableaux séparés.
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Les Mémoires secrets de Bachaumont soulignent avait dérouté le compositeur, qui préféra s’atteler
d’ailleurs l’originalité « des intermèdes et des d’abord aux Horaces. Tarare sera créé en 1787,
entractes liés à l’action, assez semblables aux et obtiendra un grand succès, faisant couler
chœurs de la tragédie grecque » (13 décembre beaucoup d’encre dans les milieux littéraires.
1786).
La création des Horaces était initialement prévue
Lorsque Salieri signe Les Horaces, il n’en est pas à Fontainebleau, le 2 novembre 1786, devant
à son coup d’essai sur la scène lyrique française. toute la Cour. Pourtant, elle n’eut pas lieu. Selon
Deux ans plus tôt, en 1784, l’Académie royale de les Mémoires secrets, la dernière répétition « avait
musique avait créé sa première tragédie lyrique, tellement déplu, que la reine n’en avait pas
Les Danaïdes, avec un immense succès. Salieri voulu et avait demandé en sa place Iphigénie »
y avait révélé non seulement un tempérament (6 décembre 1786). L’ouvrage n’avait pas encore
dramatique et une audace d’écriture musicale trouvé son format... À moins que des cabales
vraiment avant-gardistes – et en ce sens déjà n’aient joué en défaveur de Salieri. Dauvergne,
tout à fait romantiques – mais aussi, et surtout alors directeur de l’Académie royale de musique,
peut-être, une capacité extraordinaire à se plier note ainsi dans sa correspondance dès le 13
aux règles de l’opéra français. La déclamation, octobre 1786 : « M. Boquet m’a écrit hier que
l’orchestration, la composition des chœurs et des le bruit courait que l’on ne donnerait point Les
ballets, tout y dénotait une parfaite connaissance Horaces à Fontainebleau, qu’il me priait de lui faire
des us et coutumes parisiens. La partition, dire si j’en savais quelques choses, parce qu’il était
en outre, épousait sur mesure les talents des prêt à mettre les ciseaux dans les étoffes ; je lui
principaux chanteurs du temps, à commencer par ai fait dire que je n’avais point reçu de contre
Mme Saint-Huberty dans le rôle d’Hypermnestre. ordre et qu’il pourrait aller en avant, comme je le
En 1786, Les Horaces sont donc attendus avec faisais pour les répétitions de cet opéra » (F-Pan/
impatience par le public et la critique. Entretemps, O1 619 no193). Le livret pour Fontainebleau, déjà
on avait pourtant proposé à Salieri de mettre imprimé lorsque la représentation fut suspendue,
en musique un livret original de Beaumarchais, témoigne aujourd’hui encore de la physionomie
Tarare. Mais l’étonnante modernité du propos originelle des Horaces. C’est un mois plus tard
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seulement, le 2 décembre, que Les Horaces sont des Horaces, joué une seconde fois avec les retran-
finalement représentés devant la Cour, sur le chements et les changements annoncés par les
théâtre de l’aile neuve (ou théâtre d’Hubert auteurs conformément au vœu du public, n’a pas
Robert), salle de spectacle ordinaire de Versailles. eu plus de succès que la première » (13 décembre
Ils y sont accueillis sans succès, les Mémoires 1786). Une troisième représentation a encore
secrets assurant que « l’on ne [pouvait] guère lieu, cette fois dans une indifférence polie. L’œuvre
éprouver un sort plus humiliant pour une tragédie est alors définitivement retirée de l’affiche. Cet
de ce genre, qui, au lieu de faire pleurer la cour, l’a insuccès est particulièrement palpable dans le
fait rire » (Mémoires secrets, 6 décembre 1786). fait qu’aucune édition ne fixe alors la partition
Était-ce encore le fruit d’une cabale ? Assurément de Salieri, fait assez rare à l’époque. Aujourd’hui,
pas ; il fallait bien en convenir, l’opéra de Guillard seuls des manuscrits, conservés notamment à
et Salieri peinait à trouver son public… Paris et à Vienne, permettent un accès à l’œuvre
et témoignent de certains remaniements ; la
Les Horaces, sous cette même forme, sont pourtant version initiale de Fontainebleau est toutefois
représentés à l’Académie royale de musique perdue.
quelques jours après la création versaillaise, le
7 décembre ; les auteurs, mortifiés par l’accueil de Outre les cabales qui agitaient alors le milieu
la Cour, n’avaient plus le temps de rien changer à parisien, la raison du mauvais accueil des Horaces
leur partition. L’échec est plus cuisant encore : la est à chercher du côté du sujet et de la forme du
musique est à peine écoutée, et le poème excite livret, plus que de la musique. Cette dernière, en
« des réclamations vives de la part du parterre. effet, est d’excellente tenue, utilisant à profusion
Lorsque la toile a été baissée, il s’est même les effets dramatiques qui firent le succès des
élevé des huées générales assez soutenues », Danaïdes et de Tarare. On y retrouve les mêmes
rapportent les Mémoires secrets de Bachaumont fresques chorales, les mêmes récitatifs tendus,
(7 décembre 1786). L’ouvrage est immédiatement les mêmes accents pathétiques. À aucun endroit
retiré de l’affiche pour permettre à Guillard et Salieri ne peut être pris en défaut d’originalité
Salieri de remanier les passages les plus décriés. ou d’inspiration. Le ton qu’il adopte, d’ailleurs,
Mais les mêmes Mémoires assurent que « l’opéra convient parfaitement à son sujet. En septembre
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1786, lors des premières répétitions, Dauvergne locales, l’auditeur du XXIe siècle applaudira sans
estime que l’on « reconnaît pour la musique doute un geste héroïque, noble et ambitieux,
l’auteur des Danaïdes »… Après les premières propre à vivifier le théâtre de Corneille. En
représentations, L’Esprit des journaux français 1787, au milieu des détracteurs de Salieri, une
et étrangers assure pourtant que « M. Salieri voix s’éleva : celle de Beaumarchais qui, dans la
paraît n’avoir pas eu moins de peine que le préface de Tarare rendit hommage à « ce grand
poète, à chercher dans son art les moyens de compositeur, l’honneur de l’école de Gluck, ayant
faire ressortir l’action de cette tragédie, et d’en le style du grand maître, avait reçu de la nature
adoucir l’austérité ; sa musique, presque toute en un sens exquis, un esprit juste, le talent le plus
récitatif, parce que le genre l’exigeait, n’a pas été dramatique, avec une fécondité presqu’unique »,
trouvée comparable à celle des Danaïdes. On y a l’estimant injustement « dédaigné pour son bel
cependant distingué des expressions fortes, une opéra des Horaces ». Beaumarchais lui dédicace
harmonie savante, des chants pleins de grâce et de d’ailleurs le livret, assurant « avoir deviné l’opéra
douceur. Le public a vivement applaudi plusieurs de Tarare dans Les Danaïdes et Les Horaces, malgré
airs chantés par Mme Saint-Huberty, le quatuor qui la prévention qui nuisit à ce dernier, lequel est un
termine le premier acte, le duo du second, trois ou fort bel ouvrage ».
quatre chœurs d’un effet surprenant, et surtout
celui où les deux armées s’opposent au combat Si la partition recèle des pépites, le livret n’est
des six frères » (février 1787). La musique n’est pourtant pas exempt de défauts. Dans le détail,
pas comparable à celle des Danaïdes parce que L’Esprit des journaux français et étrangers rapporte
les deux sujets sont en tous points différents, que « quelques vers trop familiers, quelques
et que la tonalité épique des Horaces nécessite expressions qu’un goût sévère aurait dû rejeter
une architecture et une couleur que Salieri dans un drame lyrique, ont excité des murmures »
soigne, au contraire, tout particulièrement : dès (février 1787). Mais, plus globalement, c’est la
les premières scènes, dès l’ouverture même, forme même du poème qui rebuta : Guillard ne
la Rome antique est suggérée aux yeux du laisse guère de place aux airs, inhibant l’expres-
spectateur par le seul pouvoir de la musique. Si sivité et le lyrisme, sauf pour le rôle de Camille,
le public de l’époque ne perçut que des beautés doté de tout l’éventail traditionnel de scènes
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de lamentation et de fureur (parfois proches, théâtre de l’Opéra que celles que la grande âme
d’ailleurs, de celles d’Hypermnestre dans de Corneille a puisées dans l’histoire romaine »
Les Danaïdes). Le public déplora cette aridité (janvier 1787). À l’audition des Horaces, L’Esprit des
et la quasi-absence de grands déploiements journaux français et étrangers trouve que « toutes
mélodiques : Beaumarchais lui-même jugea les scènes sont réduites, tous les caractères
l’ouvrage « un peu sévère » pour Paris. Pourtant, affaiblis ; rien n’est suivi, rien n’est préparé », et
avec le recul, la construction du poème s’avère conclut, sans appel : « les passions tendres sont
très moderne, dans la lignée de la réforme de la plus du ressort de la musique que les sentiments
tragédie lyrique mise en œuvre par Gluck douze héroïques » (février 1787). Les Mémoires secrets de
ans plus tôt : la réduction des airs, la suppression Bachaumont s’élèvent aussi contre la transplan-
de formes trop palpables et prévisibles, mais tation de la tragédie à l’Opéra et vont jusqu’à
surtout l’enchaînement des récitatifs, des affirmer qu’« il en résulte […] une teinte de ridicule.
ensembles et des chœurs – ménageant des effets […] La galanterie française veut de l’amour, du
de crescendo et d’augmentation des effectifs sur spectacle, des danses, et tout cela s’accorde
scène – sont autant de gestes déjà éminemment bien rarement avec des traits historiques, dont
romantiques. un héroïsme austère fait le fond » (13 décembre
1786).
Le principal écueil des Horaces, en 1786, réside
dans leur sujet même – politique et social – où Mais les défauts de 1786 sont en partie les
les sentiments individuels s’incarnent diffici- qualités d’aujourd’hui. L’auditeur moderne, moins
lement. Dans sa Correspondance littéraire, Grimm prompt à désirer « de l’amour, du spectacle [ou]
affirme que « des tragédies dont l’intérêt est des danses », cherche avant tout l’originalité du
fondé essentiellement sur les sentiments d’un sujet, l’intensité du drame, la caractérisation de
héroïsme trop austère sont peu propres à un l’action : à ce titre, Les Horaces apparaissent comme
théâtre consacré particulièrement à la musique. véritablement modernes, et même contem-
C’est pour cette raison que les tragédies grecques, porains. C’est l’un des rares opéras français de la
et surtout celles qui ont été embellies par le décennie 1780-1790 à ne concéder aucune place
génie de Racine, réussiront toujours plutôt sur le ni au merveilleux, ni à l’exotisme, et à accuser
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au contraire un certain réalisme qui lui donne
presque la physionomie d’une reconstitution
historique, voire d’un péplum hollywoodien. C’est
aussi l’un des opéras les plus courts et les plus
concentrés de ceux composés à l’époque : l’action
y est maintenue sur le fil du début à la fin. Par sa
tonalité épique, l’ouvrage s’inscrit dans le goût
des grands tableaux néoclassiques qui seront à
la mode sous l’Empire, et miroite singulièrement
avec le presque contemporain Serment des Horaces
de David (1784). Si l’expérience des Horaces
de Salieri ne fut pas concluante, les qualités
réelles du livret engagèrent l’Opéra de Paris à
remonter l’œuvre en 1800 : le livret, retouché
par Guillard lui-même, fut alors remis en musique
par Bernardo Porta (1758-1829). Ces nouveaux
Horaces n’eurent guère plus de succès que les
précédents : l’heure n’était pas encore venue.
Benoît Dratwicki
Centre de musique baroque de Versailles
21
Synopsis
During the reign of Tullus Hostilius (7th century Egeria for her protection. Seeing that war has been
BCE) Rome is engaged in a fierce struggle for power declared, Camilla doubts the oracle’s prediction.
with the neighbouring city of Alba Longa. The two
cities are bound by various alliances. For example, Scene 3
Camilla, a young Roman woman, is betrothed to Old Horatius announces that that the gods have
the Alban Curiatius. brought peace; Alba and Rome have laid down
their arms. Both sides had been drawn up for battle,
when King Tullus intervened. The two cities being
Act I related by intermarriage, he proposed that mass
bloodshed be averted by choosing just three
Scene 1 warriors to represent each side in the battle for
Outside the temple of the goddess Egeria, Camilla victory. Old Horatius gives his daughter’s hand to
confesses her terror to one of the women of her Curiatius. There is general rejoicing at this happy
retinue. She fears that if Alba is defeated, her outcome.
father, old Horatius, will refuse to let her marry the
man she loves, the Alban Curiatius. Seized by dark First intermède
forebodings, she invokes the goddess. The oracle The king, the army leaders and the Senate are
predicts that the war between Alba and Rome will gathered in the temple of Jupiter Capitolinus.
end that very day, and Camilla will be united forever Rome is to choose its three champions. The high
with Curiatius. priest offers up sacrifices and implores the king of
the gods to guide their destiny.
Scene 2
War is declared. A large crowd of women, children
and old people come to the temple to pray to
22
Scene 5
Act II Curiatius is faced with a terrible decision: to betray
Camilla or betray his country. He announces that
Scene 1
he will defend his honour and fight for Alba. In vain
In old Horatius’s palace, Camilla, Curiatius and
Camilla tries to dissuade him.
young Horatius rejoice at being reunited at last,
Camilla with her betrothed and Horatius with
Scene 6
his friend.
Young Horatius comes to join his friend Curiatius
for them to go and fight. Camilla wants to follow
Scene 2
them, and to move both Rome and Alba with her
The gods have decided that young Horatius and his
distress.
two brothers are to fight for Rome. Honoured, and
encouraged by his father and by Curiatius, young Scene 7
Horatius declares that he is prepared to sacrifice his Old Horatius steps in to calm the situation, then
life for his country. The knights in chorus praise him. goes inside with Camilla. Curiatius and Horatius
leave to accomplish their duty.
Scene 3
At this juncture an envoy arrives, announcing that Second intermède
Curiatius and his two brothers have been chosen In the countryside near Rome, both armies are
to represent Alba. Curiatius is horrified, but he gathered. The high priest makes them swear before
instructs the envoy to inform the Senate of his the altar that, whatever the outcome, this will be the
consent. final battle, bringing the two nations together. The
Horatii and the Curiatii begin to fight. But soldiers
Scene 4 from both sides intervene to prevent such abomi-
The Roman knights join Curiatius and Camilla in a nable murder. The high priest calms the situation by
great lament. Horatius and his father tell Curiatius telling each side to go and consult its gods.
to stay a while with Camilla to console her.
23
Scene 5
Act III The knight Valerius reveals the truth to old
Horatius: his son, finding himself outnumbered,
Scene 1
pretended to flee in order to be able to take the
In Horatius’s palace, Camilla thanks the gods for
Curiatii one by one. He has slain all three and Rome
answering her prayers and stopping the fight.
is victorious.
Scene 2
Scene 6
Old Horatius confesses to his daughter that he too
Young Horatius is carried in triumph by the Roman
is pleased, because he dearly loves his sons and
people, and he receives the congratulations and
his future son-in-law, Curiatius, and esteems the
praise of his father. The victory is celebrated with
latter’s brothers.
dancing.
Scene 3
Scene 7
But the gods of Rome and Alba have confirmed
Camilla is furious at this celebration of fratricide.
the first choice: the Horatii and the Curiatii are
She kisses the spoils that have been taken from
to do battle.
Curiatius to decorate the victor’s chariot, then
curses both Rome and her brother, calling upon
Scene 4
the gods to destroy them. Horatius asks Valerius to
Terrified Roman women announce that Alba has
forgive her fury, explained by her grief. Rome is free,
won. But young Horatius, having turned tail, is still
and that is enough. They give thanks to the gods.
alive. Old Horatius despairs at his son’s cowardice;
he would rather have seen him die than bring such
shame on his family. He is even prepared to kill his
son with his own hands
24
25
Les Horaces (1786)
Les Horaces, a tragédie lyrique by Antonio Salieri Guillard reduced the number of acts from five to
(1750-1825), was directly inspired by Pierre three and altered the versification: in particular,
Corneille’s tragedy of 1640, Horace. The poet he used shorter, more irregular lines instead of
Nicolas-François Guillard (1752-1814) adapted the original alexandrines. In order to give the
the text to make it suitable for use as an opera. tragédie lyrique its necessary pomp and splendour,
Guillard had already recast a Racine play for he also added scenes in which the chorus and
Gluck’s Iphigénie en Aulide (1774) and subse- the ballet are used to spectacular effect. The
quently he was to specialise in the adaptation most important change he made – apart from
of previously written works – tragedies in the omitting the role of Sabine and giving some of
form of plays or librettos – to bring them into her lines to Camille – comes at the end, where
line with current tastes. These included Électre the final fratricide is avoided (and the ensuing
with Lemoyne (1782), Chimène ou Le Cid (1783) trial amputated) by having the heroine commit
and Dardanus (1784) with Sacchini, and Olympie suicide. For the stage of the Académie Royale de
with Kalkbrenner (1798). Such revivals were Musique, however, he toned down that scene,
very popular at that time: the age of Louis XVI choosing not to show the suicide, thereby consid-
drew from the sources of French tragedy, rehabil- erably weakening the last moments of the action
itating the masterpieces of the age of Louis XIV but at the same time bringing the work more into
and providing them with fresh music, more line with the current conventions of the Paris
spectacle and a new interpretation. In February Opéra. For Les Horaces Guillard adopted a form
1787 L’Esprit des journaux, français et étrangers that was then very unusual, replacing the typical
commented that Guillard appeared “to be set to divertissements with intermèdes, momentarily
go through the whole of the Comédie-Française shifting the action to other places (the temple of
repertoire”. Jupiter Capitolinus, then an altar in the Roman
countryside) and thus presenting two sequences
26
of the action in separate tableaux. Bachaumont’s composer that he preferred to tackle Les Horaces
Mémoires secrets of 13 December 1786 noted the first. Tarare, premièred in 1787, was also a great
originality of having “intermèdes connected with success, much talked about in literary circles.
the action and playing a part quite similar to that
of the choruses in Greek tragedy”. Les Horaces was originally to have been presented
before the royal court at Fontainebleau on
Les Horaces was not the first opera Salieri had 2 November 1786. But that was not to be. As the
written for the French stage. Two years previously, Mémoires secrets reported on 6 December 1786,
in 1784, his first tragédie lyrique, Les Danaïdes, had the final rehearsal “had been so disliked that the
been an immense success when it was presented queen did not want the work, and had requested
at the Académie Royale de Musique. In that Iphigénie instead”. The opera had not yet found the
work Salieri had revealed not only a dramatic right format – either that, or cabals had worked
temperament and a truly avant-gardist – already against Salieri. Antoine Dauvergne, then director
very Romantic – boldness of style, but also, and of the Académie Royale de Musique, noted on
perhaps most importantly, an extraordinary 13 October 1786 in a letter to Denis Papillon
ability to assimilate the rules of French opera. de La Ferté: “As M. Boquet [Louis-René Boquet]
Indeed, the declamation, the orchestration, and told me in a letter yesterday, there is a rumour
the composition of the choruses and ballets all going around that Les Horaces will not be given
indicated a perfect understanding of how things at Fontainebleau, and he asked me to tell him if I
were done in Paris. Furthermore, the score was knew anything about it, as he was about to cut the
tailor-made for the talents of the principal singers material for the costumes; I had him informed that
of the time, and notably Madame de Saint-Hu- I had received no counter-order and that he could
berty as Hypermnestre. In 1786 Les Horaces was proceed, as I myself did for the rehearsals” (F-Pan /
eagerly awaited by both the public and the critics. O1 619 no. 193). The libretto for Fontainebleau,
In the meantime, however, Salieri had been asked which had already been printed when the perfor-
to provide the music for an original libretto by mance was suspended, gives us some idea of the
Beaumarchais, Tarare. But the astonishing original features of Les Horaces. The work was
modernity of the subject had so disconcerted the finally presented before the court at Versailles
27
just a month later (2 December 1786). It was given no more successful than before” (Mémoires secrets,
in the small theatre decorated by Hubert Robert, 13 December 1786). After a third performance
situated in the new wing and intended to serve had met with polite indifference, the work was
as an ordinary court theatre. The work was not taken off once and for all. Its failure to please is
a success, as we read in the Mémoires secrets of made clear by the fact – quite rare at that time –
6 December 1786: “there cannot be a more humil- that Salieri’s score remained unpublished. Today
iating fate for a tragedy of this kind, which, instead we only have access to the work through the
of moving the court to tears, drew laughter.” This manuscripts that have been preserved, notably
was not the result of a cabal: it had to be admitted in Paris and Vienna, which show some of the
that Guillard and Salieri’s opera was having diffi- changes that were made. The original Fontaine-
culty in finding its audience. bleau version has been lost.
Les Horaces was nevertheless presented in the Setting aside the cabals that were then rife in
same form at the Académie Royale de Musique a the Paris opera world, the reason for the poor
few days later, on 7 December 1786; the authors, reception of Les Horaces is to be sought in the
though mortified by the reception at court, had subject and form of the libretto, rather than in any
been unable to make any changes in such a short deficiency in the score. Indeed, the music is of an
time. It was even more of a failure: the audience excellent standard, with a profusion of dramatic
barely listened to the music, and the libretto drew effects like those that made the reputation of Les
“bitter complaints from the parterre. After the Danaïdes and Tarare. We find the same use of large
curtain came down, there was even a raucous choruses, the same tense recitatives, the same
show of disapproval which lasted for quite some strains of pathos. At no point can Salieri be faulted
time” (Mémoires secrets, 7 December 1786). The for lacking originality or inspiration. Moreover,
work was immediately taken off to allow Guillard the tone he adopts is perfectly in keeping with the
and Salieri to amend the passages that had subject. Judging by the rehearsals, in September
suffered the most criticism. But “the opera Les 1786, Dauvergne felt that “the author of Les
Horaces, performed a second time with the cuts Danaïdes [was] recognisable in the music”. But
and changes announced by the authors [. . .] was after the first performances, L’Esprit des journaux,
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français et étrangers (February 1787) claimed In 1787, a lone voice was raised among the voices
that “M. Salieri appears to have had no less diffi- of Salieri’s detractors – that of Beaumarchais, who
culty than the librettist in finding in his art the paid tribute to the composer in his preface to
means of bringing out the action in this tragedy, Tarare: “This great composer, who brings honour
and lessening its austerity; his music, mostly in to the school of Gluck, having the style of that
recitative, as required by the genre, was not found great master, had received from Nature a delicate
comparable to that of Les Danaïdes. Nevertheless sensibility, a true spirit, a most exceptional talent
we may distinguish some forceful expressions, for dramatic music, and a wealth of ideas that is
some skilful harmony, and singing that is full almost unique.” Beaumarchais felt that Salieri
of grace and sweetness. The audience warmly was unjustly “misunderstood and scorned for his
applauded several of the arias sung by Madame fine opera Les Horaces”. In dedicating the libretto
de Saint-Huberty, the quartet at the end of the to the composer (which librettists very rarely
first act, the duet in the second, three or four did in the eighteenth century), he wrote: “My
choruses surprising in their effect, especially the greatest merit in this is to have foreseen the opera
one in which the two armies oppose the fight Tarare in Les Danaïdes and Les Horaces, despite the
between the two sets of three brothers”. The prejudice that harmed the latter, which is a very
music is not comparable to that of Les Danaïdes beautiful work.”
because the two subjects are different in every
way, and Salieri took particular care over the While the score contains some real gems, the
architecture and the colouring called for by the libretto is not without flaw. L’Esprit des journaux,
epic tone of Les Horaces; indeed, from the very first français et étrangers of February 1787 mentioned
scenes, and even in the overture, ancient Rome is details: “A few lines that are too familiar, a few
evoked by the power of the music alone. While expressions that strict taste should have elimi-
contemporary audiences perceived only the nated from a drame lyrique, brought murmurings
constitutive beauties, those listening to the work from the audience.” But, more generally speaking,
in the twenty-first century will no doubt appre- it was the form of the libretto that was found
ciate the heroic, noble and ambitious gesture that unappealing: Guillard left little room for arias,
was aimed at invigorating the theatre of Corneille. thus inhibiting the expressive and lyrical possibil-
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ities. Camille’s part is the exception: she is given For that reason Greek tragedies, especially those
the full range of traditional scenes of lamentation enriched by the genius of Racine, will always be
and fury (sometimes close, moreover, to those more successful on stage at the Opéra than those
of Hypermnestre in Les Danaïdes). Audiences based by the great mind of Corneille on Roman
deplored the aridity of the work and the fact that history.” On hearing Les Horaces, the Mercure de
there were next to no displays of melody; even France (February 1787) regretted that “all the
Beaumarchais admitted that the work was “a scenes have been reduced, all the characters
little severe for Paris”. Yet, with the advantage weakened; nothing is followed up, nothing is
of hindsight, we realise that the libretto is very prepared for”, and came to the conclusion that
modern in its structure, and it was in line with “tender passions are more within the competence
the reform of opera that had been implemented of music than are heroic sentiments”. Bachau-
twelve years previously by Gluck: the reduction in mont’s Mémoires secrets of 13 December 1786
the number of arias to avoid holding up the action, also objected to the transplantation of tragedy to
the removal of superfluity and forms considered the stage of the Opéra, going so far as to assert:
too obvious or predictable, and especially the “it results in [...] a slight ridiculousness. [...] French
sequence of recitatives, ensembles and choruses, galanterie wants love, spectacle, dances, and it
used to amplify the mood and enhance the scenes is rare for any of that to go well with historical
visually through physical action on stage – all of features based on austere heroism”.
these being already eminently Romantic features.
But what were seen as flaws in 1786 are among
The main obstacle for Les Horaces in 1786 lay in the the qualities of the work for us today. In the
fact that its – political and social – subject made it twenty-first century we are less inclined to
difficult to incorporate individual feelings. In his demand “love, spectacle [and] dances”: what
Correspondance littéraire, Baron von Grimm stated, we want above all is an original subject, intense
in January 1787, that “tragedies, the interest of drama, and good characterisation in the action
which is based essentially on the sentiments of – and in those respects Les Horaces appears truly
an over-austere heroism, are not very appropriate modern. This is one of the few French operas of
to theatre of a predominantly musical nature. the years 1780 to 1790 that leaves no room either
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for the supernatural or for the exotic, but shows a
certain realism that gives it almost the features of
a historical reconstruction, or even a Hollywood
film epic. It is also one of the shortest and most
condensed of the operas composed at that
time, with the action kept on a knife-edge from
beginning to end. With its epic tone, the work
is in the style of the great neoclassical paintings
that were to be à la mode during the First French
Empire, and we are reminded of Jacques-Louis
David’s almost contemporary Oath of the Horatii
(1784). Although Salieri’s experience with Les
Horaces was not conclusive, the real qualities of
the libretto prompted the Paris Opéra to stage a
new version in 1800: Guillard himself retouched
the libretto and the music was composed by
Bernardo Porta (1758-1829). That version had
little more success than the previous one. Clearly
the time was not yet ripe.
Benoît Dratwicki
Centre de musique baroque de Versailles
Translation © Mary Pardoe
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ANTONIO SALIERI
LES HORACES
Opéra en trois actes d’Antonio Salieri (1786)
Livret de Nicolas-François Guillard d’après la tragédie Horace (1640) de Pierre Corneille
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1. Ouverture Overture
CAMILLE CAMILLA
J’ai déjà prévu leur réponse, I know their answer already,
Un noir pressentiment d’avance me l’annonce : a dark presentiment tells me in advance:
Un mot peut me donner la mort, a word can kill me;
Hélas ! fuyons plutôt sans connaître mon sort, ah, let us flee rather, without knowing my fate!
Fuyons. Let us flee!
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CAMILLE CAMILLA
Que faut-il que j’espère ? What hope is there for me?
CAMILLE CAMILLA
Que tu le connais mal ! How little you know him!
Ces noms si doux et de fille et de père The sweet names of father and daughter
Dans son cœur tout romain sont des noms sans pouvoir. are of no consequence to his Roman heart.
Et sur quoi fonder mon espoir ? And on what am I to base my hope?
Pensez-vous que pour gendre il acceptât un homme Do you think he would accept as his son-in-law
Qui serait ou l’esclave ou le maître de Rome ? one who is either the slave or the master of Rome?
CAMILLE CAMILLA
Ah ! ce jour à la fois heureux et malheureux Ah, on that day both blessed and lamentable
Fit naître et détruisit ma plus chère espérance. my dearest hope was born and was destroyed.
Mon père me donnait à l’objet de mes vœux, My father gave my hand to the man I love,
Albe et Rome approuvaient cette illustre alliance. Alba and Rome approved of that illustrious alliance.
Soudain, le sort jaloux Then suddenly jealous fate destroyed
Des deux États détruit l’intelligence, all understanding between our two states;
La guerre en un moment brise des nœuds si doux. in an instant war broke those sweet bonds.
Un même jour me donne et m’ôte à ce que j’aime, On the same day I was given to and taken from my love,
Le malheur naît pour moi du sein du bonheur même. and for me happiness turned to misery.
3. Pour Albe, hélas ! quels vœux me sont permis ? For Alba, alas, what wishes am I permitted to make?
Je ne puis séparer sa cause de la nôtre : For me, its cause is inseparable from our own:
Mon cœur, entre les deux, flotte encore indécis, my heart, between the two, still wavers undecided;
Mes frères sont pour l’une et mon amant pour l’autre ; my brothers are for the one, my lover for the other:
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D’un et d’autre côté je ne vois que malheurs ; on both sides, I see but calamities;
N’espérez pas que j’y survive. Do not trust that I will survive this.
Ah ! je devrai, quoi qu’il arrive, Ah, whatever happens, I am bound
Mes larmes aux vaincus et ma haine aux vainqueurs. to weep for the vanquished, and hate the victors.
(Le fond du théâtre s’ouvre et laisse voir la statue d’Égérie.) (The back of the stage opens to reveal the statue of Egeria.)
CAMILLE CAMILLA
Je frémis ; vous, soutenez mes pas, I tremble with fear; support my steps.
Allons, je vais chercher la vie ou le trépas. Come, I go to seek life or death.
5. SINFONIA SINFONIA
(Les jeunes filles portant les offrandes précèdent et suivent (The maidens bearing the offerings precede and follow
Camille sur une marche religieuse. Elles déposent leurs dons Camilla to a religious march. They place their gifts at the foot
au pied de l’autel.) of the altar.)
CHŒUR CHORUS
Faut-il qu’elle renonce Must she give up
à la plus tendre ardeur ? the most tender love?
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Hélas ! tout son bonheur Alas, all her happiness
dépend de ta réponse. depends on your answer.
(La statue se recouvre.) (The statue is once more hidden from sight.)
8. CAMILLE CAMILLA
Ce jour à ton amant va pour jamais t’unir ; This day will unite you forever with the one you love;
Pour jamais… mon cher Curiace ! Forever... ah, dear Curiatius!
Mais où m’emporte un espoir trop flatteur ! But I am being carried away by too flattering a hope!
Quand de tous ces fléaux la guerre nous menace, When war with so many scourges threatens us,
Malheureuse ! est-ce à moi d’oser croire au bonheur ? dare I, in my woe, believe in happiness?
Mais quoi ! l’oracle est la voix des dieux mêmes. But yes! The oracle is the voice of the gods!
Je l’ai bien entendu, ce n’est point une erreur, I heard it, I was not mistaken:
Quand le Ciel a parlé, le doute est un blasphème. when Heaven has spoken, to doubt is blasphemy.
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SCÈNE II SCENE 2
Le peuple en foule inonde les portiques du temple : A large crowd of women, children and old people floods
il doit être composé de femmes, d’enfants et de vieillards. into the porticoes of the temple.
CAMILLE CAMILLA
Ciel ! et quoi ? Heavens! What is this?
CAMILLE CAMILLA
Je meurs ! I die!
CAMILLE CAMILLA
Et voilà donc la foi que l’on doit aux oracles ! So this is how oracles are to be trusted!
Pourquoi d’un faux bonheur m’annoncer les appas, Why entice me with false happiness, ye vain gods?
Dieux vains ! tremblante, hélas ! devant vos tabernacles, Trembling, alas, before your tabernacles,
J’aurais cru faire un crime en ne vous croyant pas. I would have thought I was offending by disbelieving you.
Voilà donc le bonheur dont je m’étais flattée ! So this is the happiness for which I so fondly hoped!
Hélas ! Alas!
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CHŒUR CHORUS
Déesse redoutée, Redoubtable goddess,
Dans ce moment peut-être on est aux mains, at this moment we may be engaged in battle;
Veille sur nous, combats pour les Romains. watch over us, fight for the Romans.
CAMILLE CAMILLA
Ah ! tu m’as coûté bien des larmes ! Ah, you have caused me to shed so many tears!
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12. Déjà les deux armées Already the two armies
D’une égale fureur paraissaient animées ; with equal fury seem incensed;
On allait en venir aux mains… they are about to come to blows,
Entre les deux partis soudain Tulle s’avance : when suddenly between them Tullus advances.
On s’arrête, on l’entoure, on l’écoute en silence : They stop, they surround him, they listen in silence:
Albains, dit-il, et vous, écoutez-moi, Romains ! Albans, he says, and you, Romans, hear me!
Dieux ! quelles fureurs sont les nôtres. Heavens! What furies are ours!
Je vois à notre aspect la nature frémir ! I see Nature tremble at the sight of us!
Vos fils sont nos neveux, nos filles sont les vôtres, Your sons are our nephews, our daughters are yours,
Le sang de mille nœuds a voulu nous unir. we have been united by a thousand ties:
D’un sang si précieux pourquoi souiller la terre ? why stain the earth with blood so precious?
Qu’entre vous, qu’entre nous trois guerriers On either side let three warriors be selected
[soient choisis ! to uphold our interests, thus, by means
Et que notre intérêt, entre leurs mains remis, of a simple contest, averting a terrible war!
Fasse un simple combat d’une effroyable guerre !
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LE VIEIL HORACE OLD HORATIUS
Ô noble et cher transport ! Oh, dear and noble response!
Les dieux veillent sur ma patrie, The gods are watching over my fatherland
Et dans des dignes mains ils remettront son sort. and they will place its destiny in worthy hands.
(à Curiace) (to Curiatius)
Toi, dont Albe se glorifie, You, of whom Alba is so proud,
Par tes hautes vertus digne d’être Romain, worthy by your high virtues of being a Roman,
Deviens mon fils en recevant sa main. be my son by receiving my daughter’s hand.
CAMILLE CAMILLA
Curiace ! Curiatius!
CURIACE CURIATIUS
Camille ! Camilla!
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CAMILLE CAMILLA
Ô mon père ! Oh, father!
42
Verse tes bienfaits en ce jour. bestow your many blessings this day!
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LE GRAND-PRÊTRE THE HIGH PRIEST
Faibles jouets des destinées, Weak playthings of fortune,
Que pouvons-nous sans ton secours ? what can we do without your aid?
(S’adressant au peuple) (To the people)
C’est lui seul qui de nos années He alone can end or extend
Arrête ou prolonge le cours. the course of our years.
Après l’hymne, on brûle l’encens, on fait les libations, etc. Incense is burned, libations are offered, etc.
Les cérémonies finies avec la pompe convenable, Once the ceremonies have ended with suitable pomp,
le grand-prêtre s’avance du côté du peuple et chante l’air the high priest advances towards the people and sings the
suivant. following aria.
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Jupiter même a réglé ton destin. Jupiter himself settled your destiny.
Tes ennemis t’attaqueront en vain : Your enemies shall attack you in vain:
Rome doit être un jour la maîtresse du monde. Rome must one day command the world!
Le roi, les prêtres, les chefs de l’armée, le Sénat se retirent sur The king, priests, army leaders and Senate withdraw to
une marche régulière et sont supposés aller dans la salle du the sound of a regular march. (They are on their way to the
Capitole destinée aux assemblées du Sénat. nearby Area Capitolina, where the Senate convenes.)
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ACTE DEUXIÈME ACT TWO
Le théâtre représente un appartement du palais d’Horace. An apartment in Horatius’s palace.
CAMILLE CAMILLA
Ainsi le Ciel pour jamais nous rassemble ! Thus Heaven brings us together forever!
CURIACE CURIATIUS
Que mon sort est heureux ! Ce jour me rend ensemble How happy my lot! This day returns to me
Et ma maîtresse et mon ami. both my mistress and my friend!
CURIACE CURIATIUS
Quel dieu propice, après tant de débats, What gracious god, after so much strife,
A pu former une union si belle ? could have formed so fair a union?
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CAMILLE CAMILLA
Qui l’eût dit, que ce jour, marqué par tant d’alarmes, Who would have thought that today, marked
Serait le plus beau de mes jours ! by so many fears, would be the fairest of my days!
ENSEMBLE ENSEMBLE
Douce paix… Sweet peace, etc.
CAMILLE CAMILLA
Ah ! Rome l’a choisi pour notre défenseur ! Ah, Rome has chosen him to be our champion!
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LE VIEIL HORACE OLD HORATIUS
Moins nous devions l’attendre, The less it was expected,
Plus il faudra le mériter. the more it will have to be deserved.
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LES CHEVALIERS THE KNIGHTS
Ô de Rome heureux défenseur, O fortunate champion of Rome,
Cours, vole où la gloire t’appelle ! make haste, fly to where glory summons you!
HORACE HORATIUS
Amis, vous embrasez mon cœur ! Friends, you kindle fire in my heart!
Je vole où la gloire m’appelle… I fly to where glory summons me . . .
Mais un soldat albain s’avance ici vers nous. But an Alban soldier is coming this way.
CURIACE CURIATIUS
Achevez, qui ? Come to the point! Who?
CAMILLE CAMILLA
Curiace ! Curiatius!
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CURIACE CURIATIUS
Il a dû me confondre. There must be a mistake.
Je m’estimais trop peu pour un si grand honneur. I held myself in too little esteem for so great an honour.
Ah ! Camille ! Ah, Camilla!
CURIACE CURIATIUS
Que mon cœur, pénétré de cette grâce insigne, That my heart, deeply touched by this remarkable favour,
N’osait pas y compter… mais qu’il s’en rendra digne. dared not to presume . . . but it will prove worthy.
CURIACE CURIATIUS
Ô devoir rigoureux que l’honneur nous impose ! Oh, cruel duty, imposed by honour!
CAMILLE CAMILLA
Ah ! c’est un crime affreux qui doit vous faire horreur. Ah, ’tis a dreadful offence that should fill you with horror!
51
CAMILLE CAMILLA
Appelez-vous vertu, cet attentat impie ? You call virtue, this wicked outrage?
(Il sort, les chevaliers et Horace le suivent.) (Exit old Horatius; the knights and young Horatius follow.)
CAMILLE CAMILLA
Iras-tu, Curiace ? Will you go, Curiatius?
52
CURIACE CURIATIUS
Ah ! dans ce jour fatal, Ah, on this fateful day,
Je n’ai plus que le choix du crime ; crime is my only choice,
Pour moi le malheur est égal, with equal pain on either side,
Et partout, sous mes pas, le sort creuse un abîme. and everywhere fate digs a chasm beneath my feet.
CURIACE CURIATIUS
Hélas ! Alas!
CAMILLE CAMILLA
Et que prétends-tu faire ? And what do you intend to do?
As-tu conçu l’horreur de cet ordre inhumain ? Do you realise the horror of this cruel command?
Tu viendras donc m’offrir ta main So you will come and offer me your hand
Fumante du sang de mon frère ? still warm from my brother’s blood?
CURIACE CURIATIUS
Ah ! laissez-moi, Camille ! Ah, let me be, Camilla!
53
CAMILLE CAMILLA
Eh ! quoi ! How now!
Ton nom consacré par la gloire, Your name, consecrated by glory,
N’est-il donc pas fameux par plus d’une victoire ? is it not renowned for more than one victory?
Albe n’a-t-elle enfin d’autres guerriers que toi ? In short, does Alba have no other warriors but you?
CURIACE CURIATIUS
Ciel ! que proposes-tu ? tu veux que Curiace Heavens! What are you proposing? You expect
D’un opprobre éternel se souille lâchement, Curiatius shamefully to stain his reputation
Qu’il déshonore et lui-même et sa race ?… with an everlasting disgrace, to dishonour both himself
Ah ! tu l’espères vainement. and his race? Ah, you hope in vain!
CURIACE CURIATIUS
Hélas ! tu déchires mon cœur, Alas, you rend my heart!
Camille, ta douleur m’accable : Camilla, your pain grieves me:
Laisse ton amant déplorable let your lamentable lover
Mourir, victime de l’honneur. die, a victim of honour.
CURIACE CURIATIUS
Tu sais qu’un barbare devoir You know that a cruel duty
Commande à mon cœur et l’entraîne. commands and leads my heart.
54
CAMILLE CAMILLA
Tu ne te souviens plus que ton cœur est à moi ? Have you forgotten that your heart is mine?
CURIACE CURIATIUS
J’étais à mon pays avant que d’être à toi. I belonged to my country before I was yours.
CURIACE CURIATIUS
Marchons ! Let us march!
CAMILLE CAMILLA
Non, demeurez ; je ne vous quitte pas. No, stay; I will not leave you.
55
HORACE YOUNG HORATIUS
Ma sœur, quelle est donc cette audace ? My sister, what is this audacity?
Ah ! marchons… Ah, let us march!
CAMILLE CAMILLA
Non, cruels, je m’attache à vos pas. No, cruel ones, I will follow you.
Vous ne commettrez pas ce crime abominable. You shall not commit this abominable deed!
CURIACE CURIATIUS
Horace ! ah ! retenez ces terribles éclats. Horatius! Ah, restrain these terrible outbursts!
CAMILLE CAMILLA
Je veux intéresser Albe et Rome à mes cris. I shall move Alba and Rome with my cries.
Voyez quelle rage est la vôtre ! See what rage is yours!
Ô Ciel ! deux frères, deux amis O Heavens! Two brothers, two friends,
Brûlent de se baigner dans le sang l’un de l’autre. so eager to bathe in each other’s blood!
CAMILLE CAMILLA
Mon père ! Father!
Quoi ! sur vous la nature a si peu de pouvoir ? What! Nature has such little hold over you?
56
LE VIEIL HORACE OLD HORATIUS
La nature se tait où parle le devoir. Nature falls silent when duty calls.
ENSEMBLE ENSEMBLE
LE VIEIL HORACE OLD HORATIUS
Oui, mes enfants, partez sur l’heure. Yes, my children, leave forthwith.
Allez remplir votre devoir, Go and do your duty.
Laissez Camille et son vain désespoir. Leave Camilla and her vain despair.
CURIACE et HORACE CURIATIUS & HORATIUS
Allons, ami, partons sur l’heure, Come, friend, let us leave forthwith
Allons remplir notre devoir. to go and do our duty.
HORACE HORATIUS
Laissons Camille et son vain désespoir. Let us leave Camilla and her vain despair.
CURIACE CURIATIUS
Allons éteindre un amour sans espoir. Let us go and extinguish a hopeless love.
CAMILLE CAMILLA
Quoi, c’est donc en vain que je pleure ! What? Then my tears are in vain!
Quoi ? rien ne peut les émouvoir : What? Nothing can move them?
On méprise mon désespoir. They scorn my despair?
CAMILLE CAMILLA
Tigres, allez combattre, et moi je vais mourir. Tigers, go and fight! And I shall die.
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LE VIEIL HORACE OLD HORATIUS
Ma fille, allons, rentrez et laissez-les partir. My daughter, come; go inside and let them leave.
ENSEMBLE ENSEMBLE
LE VIEIL HORACE OLD HORATIUS
Oui, mes enfants… Yes, my children, etc.
HORACE et CURIACE HORATIUS & CURIATIUS
Allons, ami, partons... Come, friend, let us go, etc.
CAMILLE CAMILLA
Tigres, allez combattre, et moi je vais mourir. Tigers, go and fight! And I shall die.
CAMILLE CAMILLA
Quoi, c’est donc... What? Then my tears, etc.
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35. SECOND INTERMÈDE SECOND INTERMÈDE
Le théâtre représente une campagne des environs de Rome The scene is set in the countryside near Rome, where both
où les armées de Rome et d’Albe sont en présence. Les trois armies are gathered. The three Horatii are with the king of
Horaces sont auprès du roi de Rome, et les trois Curiaces Rome, and the three Curiatii with the dictator of Alba. An
auprès du dictateur d’Albe. Un autel est placé au milieu des altar is set between the two armies, on the line separating
deux armées. Il est censé être situé sur la ligne qui sépare les the territories of the two states. A high priest and several
territoires des deux différents états. Un grand sacrificateur et other priests are standing around the altar.
plusieurs prêtres inférieurs entourent l’autel.
36. Jurez au nom des dieux, par l’honneur et la gloire, Swear, in the name of the gods, by honour and glory,
D’étouffer tout esprit de vengeance et d’aigreur : that you will repress any spirit of vengeance and bitterness:
Qu’Albe ou Rome en ce jour obtienne la victoire, whether Alba or Rome obtain victory this day,
Jurez tous d’obéir au parti du vainqueur. all swear to obey the winner’s side.
LES CHEFS (des deux armées) THE LEADERS (of both armies)
Nous jurons tous aux dieux, par l’honneur et la gloire We all swear to the gods, by honour and glory,
D’étouffer tout esprit de vengeance et d’aigreur : that we will repress any spirit of vengeance and bitterness:
Qu’Albe ou Rome en ce jour emporte la victoire, whether Alba or Rome win victory today,
Nous jurons d’obéir au parti du vainqueur. we swear to obey the winner’s side.
TOUS ALL
Nous jurons d’obéir au parti du vainqueur. We swear to obey the winner’s side.
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ENSEMBLE ENSEMBLE
LES HORACES THE HORATII
Les Horaces… The Horatii . . .
LES CURIACES THE CURIATII
Les Curiaces… The Curiatii . . .
LES HORACES THE HORATII
… des frères… . . . brothers . . .
LES CURIACES THE CURIATII
… des amis. . . . friends.
Après le serment, on donne le signal du combat dans les deux After the oath has been sworn, the signal is given in both
camps. Les six champions sont conduits en présence. Dès qu’ils camps for the fight to begin. The six champions are led to
paraissent, les deux armées s’écrient en même temps : face each other. As soon as they appear, both armies exclaim:
Ciel ! Heavens!
Le signal recommence. The signal is given again.
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ENSEMBLE ENSEMBLE
LES HORACES et LES CURIACES THE HORATII & THE CURIATII
Avançons… Let us advance . . .
LES DEUX ARMÉES BOTH ARMIES
Arrêtez ! Stop!
Une foule de soldats des deux armées quittent ses rangs. Ils Many of the soldiers leave the ranks of both armies and rush
se précipitent malgré les efforts des chefs pour les retenir. Ils forward, despite the efforts of their leaders to prevent them
veulent séparer les champions qui s’obstinent au combat. from doing so. They want to separate the champions, who
Pendant cette pantomime : are bent on fighting. During this mimed sequence:
ENSEMBLE ENSEMBLE
LES CHEFS DE L’ARMÉE THE ARMY LEADERS
Révolte punissable ! Punishable revolt!
LES HORACES et LES CURIACES THE HORATII & THE CURIATII
Laissez-nous. Let us be!
LES CHEFS DE L’ARMÉE THE ARMY LEADERS
De vos chefs reconnaissez la voix. Heed your leaders’ voice!
LES DEUX ARMÉES BOTH ARMIES
Romains, qu’Albe fasse un autre choix ! Romans, let Alba make another choice!
Albains, que Rome fasse un autre choix ! Albans, let Rome make another choice!
LES HORACES et LES CURIACES THE HORATII & THE CURIATII
Laissez-nous. Let us be!
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La guerre est prête à s’allumer ; les deux rois s’approchent du War is about to break out; the two kings approach the high
grand-prêtre, ainsi que les principaux chefs de l’armée : ils priest together with the army leaders; they deliberate for a
délibèrent un moment ; et le grand-prêtre s’écrie : while, then the high priest cries out:
(On sépare les six champions. On les emmène et l’intermède (The six champions are separated. They are led away and the
finit.) intermède comes to an end.)
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ACTE TROISIÈME ACT THREE
Le théâtre représente la cour du palais d’Horace. The courtyard of Horatius’s palace.
CAMILLE CAMILLA
Mon père, ah ! prenez part à la publique joie, Father, ah, share in the general rejoicing,
Et souffrez qu’à vos yeux la mienne se déploie. and let me show my joy in your presence.
CAMILLE CAMILLA
Ah ! que son choix m’a fait souffrir ! Ah, how Rome’s choice made me suffer!
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LE VIEIL HORACE OLD HORATIUS
Le Ciel va prononcer sur la cause commune, Heaven will pronounce on the common cause,
Il peut ou réprouver ou confirmer ce choix. it may reprove or it may confirm that choice.
CAMILLE CAMILLA
Ah ! loin de moi cette idée importune : Ah, far from me such an unwelcome idea!
Non, les dieux ne sauraient dicter d’injustes lois. No, the gods could not dictate unjust laws.
Ils inspiraient le peuple, ils parlaient par sa voix. They inspired the people, and spoke through them.
UN ROMAIN A ROMAN
Vos trois fils sont aux mains, seigneur, et les dieux mêmes Your three sons are fighting, my lord, and the gods
D’Albe et de Rome ont confirmé le choix. of Rome and Alba have confirmed the choice.
CAMILLE CAMILLA
Qu’entends-je ? What do I hear?
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LES ROMAINS THE ROMANS
Exaucez-nous, dieux tutélaires ! Hear our prayer, O guardian deities!
ENSEMBLE ENSEMBLE
Veillez sur nous, dieux tutélaires ! Watch over us, O guardian deities!
SCÈNE IV SCENE 4
Plusieurs femmes entrant effrayées, les précédents Several women entering in terror; the same
LES FEMMES THE WOMEN
Ô sort cruel ! destins contraires ! Oh, cruel fate! Adverse destinies!
TOUS ALL
Ô funeste combat ! malheureuse patrie ! Oh, lamentable combat! Unhappy fatherland!
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43. LE VIEIL HORACE OLD HORATIUS
Mes fils ne sont donc plus ? Then my sons are no more?
CAMILLE CAMILLA
Mes frères ! My brothers!
44.
Que des plus nobles fleurs leurs tombeaux soient couverts ! Let the noblest flowers on their tombs be laid!
Que Rome leur consacre un éternel hommage ! Let Rome pay them eternal homage!
66
Que leur noms, révérés en cent climats divers, Let their names, revered in a hundred different regions,
À nos neveux surpris soient cités d’âge en âge ! to our awed descendants be cited from age to age!
Mais leur indigne frère, après sa lâcheté, But after such cowardice, let their unworthy brother,
Qu’il traîne, avec mépris, sa honte et sa misère ! despised, drag out an existence of shame and misery!
Qu’il soit partout errant et partout rebuté, Let him everywhere be a vagrant, everywhere be rejected,
Maudit du monde entier comme il l’est de son père ! cursed by everyone, as he is by his own father!
UN ROMAIN A ROMAN
À tort, vous l’accusez peut-être. Wrongly perhaps you accuse him.
Que vouliez-vous qu’il fît contre trois ? What did you expect him to do against three?
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ENSEMBLE ENSEMBLE
LE VIEIL HORACE OLD HORATIUS
De quels cris d’allégresse ont retenti ces lieux ? What cries of joy resounded here?
LES ROMAINS THE ROMANS
L’air retentit des chants de la victoire ! The air resounds with songs of victory!
VALÈRE VALERIUS
De l’État c’est le dieu tutélaire ! He is the god who protects the State!
Il nous a sauvés tous, nous triomphons par lui. He saved us all, through him we triumph.
VALÈRE VALERIUS
A fait notre victoire. It brought us victory.
Ignorez-vous encor la moitié du combat ? You do not know what happened next?
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VALÈRE VALERIUS
Apprenez donc le bonheur de l’état ; Then learn of Rome’s happiness,
Et d’un fils immortel le courage et la gloire. and of the courage and glory of an immortal son.
48. Resté seul, n’osant plus compter sur sa valeur, Finding himself alone, not daring to trust his valour,
Il feint de fuir ; les Curiaces he pretends to flee;
Le poursuivent avec fureur, furiously the Curiatii pursue him,
Mais d’un pas inégal chacun d’eux suit ses traces : but each with different speed follows his steps:
Il les voit divisés, se retourne, et d’abord seeing them separated, he turns, and the first
Sous ses coups votre gendre expire. to die by his blows is your son-in-law.
CAMILLE CAMILLA
Ciel ! (Elle s’évanouit. Ses femmes l’emmènent.) Heaven! (She faints; her attendants carry her away.)
VALÈRE VALERIUS
Le second accourt, double d’effort, The second one comes running and makes a great effort,
Son courage n’y peut suffire but his courage cannot suffice:
Il éprouve un même sort, he experiences the same fate;
Et la mort du troisième assure notre empire. and the death of the third ensures our dominion.
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Des lauriers immortels que ta main a conquis. with the immortal laurels won by his hand.
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51. DIVERTISSEMENT DIVERTISSEMENT
CAMILLE (Elle entre avec beaucoup de fureur.) CAMILLA (entering, in a great fury)
Où suis-je ? et quel transport coupable ! Where am I? And why this guilty jubilation?
Quoi ? Rome au fratricide élève des autels ! What? Rome builds altars to a fratricide!
(La fête s’interrompt : les personnages qui la composent (The celebration is interrupted: those present move aside
s’écartent avec surprise.) with surprise.)
UNE AUTRE (cherchant à l’éloigner) ANOTHER PART (attempting to keep her away)
Arrêtez ! Stop!
CAMILLE (les repoussant avec plus de force et s’approchant CAMILLA (repelling them more forcefully, and approaching
du char de triomphe) the victor’s chariot)
Perfides, laissez-moi. Traitors, let me be!
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HORACE YOUNG HORATIUS
Ô, d’une indigne sœur, insupportable audace ! Oh, the unbearable audacity of an unworthy sister!
CAMILLE (apercevant les dépouilles de Curiace qui ornent le CAMILLA (noticing the spoils taken from Curiatius, used to
char de triomphe) adorn the victor’s chariot)
Ciel ! qu’est-ce que je vois ? Heavens! What is this I see?
(Elle les arrache et les embrasse avec transports.) (She takes up the spoils and kisses them fervently.)
Ô dépouille sacrée ! ô mon cher Curiace ! Oh, sacred effects! Oh, dear Curiatius!
Voilà donc aujourd’hui ce qui reste de toi ! So this is what now remains of you!
(Elle pleure sur les dépouilles.) (She weeps over the spoils.)
CAMILLE CAMILLA
Rome ! Je la déteste, ainsi que ta valeur ; Rome, I hate! As I hate your valour!
Plus tu blâmes mes pleurs, plus j’y trouve de charmes ! The more you reprove my tears, the more charms I find
[in weeping!
Rome élève un trophée au succès de tes armes, Rome raises a trophy to the success of your arms;
Plus elle t’applaudit, plus tu me fais horreur. the more it applauds you, the more you horrify me.
Puissent les dieux, lançant sur vous la foudre, May the gods avenge me this day
Et sur elle et sur toi, me venger aujourd’hui ! by hurling thunderbolts upon both you and Rome!
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Puissé-je voir réduire en cendres May I see reduced to ashes those cruel Romans
Ces féroces Romains dont ton bras fut l’appui ! whom you supported by your strength!
Qu’à vos justes tourments l’univers applaudisse ! May the universe rejoice in your deserved suffering!
Qu’on oublie à jamais Rome et son défenseur ! May Rome and its champion be forgotten forever!
Qu’enfin de tant de maux seule je sois l’auteur And finally, may I alone be the cause of so many ills,
Pour accroître à la fois ma joie et ton supplice ! in order to increase my joy and your suffering!
HORACE HORATIUS
C’est trop souffrir un mortel déshonneur ! This mortal dishonour is too much to bear!
VALÈRE VALERIUS
Ah seigneur, d’une amante excusez la faiblesse, Ah, my lord, excuse the weakness of a loving heart,
N’écoutez point ses transports furieux, pay no heed to her outbursts of fury.
Que rien de ce grand jour ne trouble l’allégresse. Let nothing trouble the gladness of this great day.
Rome est libre. Rome is free!
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LES INTERPRÈTES
THE PERFORMERS
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Judith van Wanroij © Gerard de Haan 75 Cyrille Dubois © Philippe Delval
Andrew Foster-Williams © Paul Foster-Williams
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The Royal Opera of Versailles
The opening of the opera house at Versailles Marie-Antoinette – with a performance of Lully
was the culmination of a process of planning, and Quinault’s opera Persée.
projects and designs that had lasted for almost The Royal Opera was reopened in 2009, and
a century. For although it was built towards the now, throughout the season, it proposes a
end of the reign of Louis XV, it had been envisaged programme of opera, music and dance, performed
since as early as 1682, when Louis XIV took up by renowned French and international artists,
residence at Versailles. The latter had commis- including Cecilia Bartoli, Philippe Jaroussky,
sioned Hardouin-Mansart and Vigarani to draw Marc Minkowski, Raphaël Pichon, Leonardo
up plans for a ballet theatre, and the architect set Garcia Alarcón, Jordi Savall, Sir John Eliot
aside an appropriate site for that purpose. Major Gardiner, Angelin Preljocaj, Sébastien Daucé,
building work was already under way in 1685, Franco Fagiolini, Jean-Christophe Spinosi, Robert
but was soon interrupted because of financial King, Hervé Niquet, William Christie, Sébastien
difficulties. Louis XV, in turn, was long put off by d’Hérin, Vincent Dumestre, and others.
the great expense involved in the project, and as
a result, for almost a century, the French court Château de Versailles Spectacles
had to make do with a small makeshift theatre Catherine Pégard, President
installed beneath the Passage des Princes. Only Laurent Brunner, Director
in 1768, faced with the forthcoming successive
marriages of his grandchildren, did the king finally www.chateauversailles-spectacles.fr
give the order for work to commence, under the
direction of his chief architect, Gabriel. The Royal
Opera was completed in twenty-three months,
and inaugurated on 16 May 1770 – the day of
the Dauphin’s marriage to the Archduchess
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Also available - Également disponibles
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