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Christian Bouchet

Le Rêve Lucide

INTRODUCTION GÉNÉRALE

Chapitre 1 : De l'être du rêve à la conscience de rêver

PREMIÈRE PARTIE :

CONDITIONS DE POSSIBILITÉ DE L'ÉTUDE DU RÊVE LUCIDE

Chapitre 2 : Développement de la recherche sur le rêve lucide dans le monde


occidental

Chapitre 3 : Rêves lucides et rêves associés : définition et description

Chapitre 4 : L'induction de la lucidité onirique

Chapitre 5 : Expériences et expérimentations

DEUXIÈME PARTIE :

L'EXPLORATION DE L'UNIVERS DU RÊVE A L'AIDE DE LA LUCIDITÉ


ONIRIQUE

Chapitre 6 : Le rêve lucide à travers le rêve

Chapitre 7 : Le rêve lucide comme phénomène culturel

Chapitre 8 : L'approche scientifique du rêve lucide


TROISIÈME PARTIE :

LES IMPLICATIONS THÉORIQUES DE L'ÉTUDE DU RÊVE LUCIDE

Chapitre 9 : Les modèles explicatifs du rêve lucide

Chapitre 10 : Approche critique des conceptions de la lucidité onirique

CONCLUSION GÉNÉRALE

Chapitre 11 : Conclusion Générale

Chapitre 12 : Bibliographie
RÉSUMÉ

Recherches sur la conscience de rêver au cours du sommeil

LE RÊVE LUCIDE - Description et analyse du phénomène à partir d'expériences de


rêves lucides spontanées ou préparées. Essai d'interprétation : mise en évidence des
implications théoriques des procédés et techniques mis en œuvre.

Mots clés: Rêve, rêve lucide, conscience de rêver, lucidité onirique, induction de la
lucidité.

Summary
Le "rêve lucide" est un rêve de sommeil au cours duquel le rêveur sait qu'il est en
train de rêver. La conscience de son état y est souvent à ce point vive que les chercheurs
l'expliquent par l'émergence de la conscience de veille dans le rêve. Le travail ici résumé
soutient au contraire que ce type de conscience, la lucidité onirique, diffère radicalement
de la conscience de veille. Pour le montrer, il commence par poser les conditions de
possibilité de son étude : 1) il retrace le développement de la recherche dans le monde
occidental qui n'a réellement démarré qu'avec l'étude des états de conscience dits
"modifiés" ; 2) il s'efforce ensuite, à travers l'analyse de récits de rêves lucides, de
donner une définition opératoire afin de comprendre ce que la communauté des
chercheurs étudie sous ce terme alors même qu'ils ne s'accordent pas sur ses
caractéristiques ; 3) il analyse les méthodes d'induction de la lucidité onirique pour en
dégager les critères essentiels ; 4) et il détermine les facteurs qui permettent d'ouvrir un
champ à l'expérimentation. Ces conditions posées, il examine ce que l'expérimentation
systématique nous apprend sur le rêve lucide aussi bien sur sa qualité onirique qu'en
tant que phénomène culturel ou dans son approche scientifique, qu'elle soit
psychanalytique, différentielle ou psychophysiologique (étude en laboratoire). Il devient
alors possible de mettre en évidence les implications théoriques de l'étude du rêve lucide
1) en montrant les limites des modèles explicatifs habituels (psychophysiologiques et
psychologiques) et 2) en adoptant une approche critique qui permet de caractériser la
lucidité comme hétérogène à la conscience de veille et de poser une hypothèse nouvelle
(celle d'un substrat conscientiel) pour rendre compte de l'existence de ce phénomène et
des difficultés théoriques qu'il entraîne.

Chapitre Un
L'expérience du rêve se présente selon trois modalités : son contenu, la
perception qu'en a le rêveur et la conscience dont il y manifeste. Contrairement à ce que
pourrait laisser croire l'étendue actuelle de la littérature sur le rêve, seule la première de
ces trois modalités a fait l'objet d'une étude attentive, et presque uniquement en vue de
son interprétation : le rêve n'est pas examiné pour lui-même mais comme le signe d'une
réalité qui lui est hétérogène et dont il est un mode d'expression contingent (le
surnaturel, l'inconscient ou le cerveau). Cette façon de procéder implique que l'apparaître
du rêve n'est qu'une apparence. Ce présupposé, bien implanté dans la réflexion
occidentale sur le rêve, n'a cependant pas une valeur universelle puisque d'autres
courants de pensée assignent au rêve une place complètement différente dans leur
représentation du monde.

Cette divergence peut s'expliquer par le mode d'appréhension du rêve. Lorsque le


rêve n'est pas saisi immédiatement, mais uniquement en tant que souvenir d'un
événement psychique, c'est donc le souvenir du rêve, et non le rêve, qui fait l'objet de
l'investigation : ainsi la question de son être ne se présente pas. À l’inverse, lorsque le
rêve est saisi immédiatement - et non comme un simple souvenir - attribuer l'être au
perçu (onirique) semble aussi naturel (et légitime) qu'à l'état d'éveil, car le rêve est
fondamentalement différent d'autres états psychiques qui ne se donnent jamais que
comme tels (par exemple l'image mentale), aussi bien dans l'éveil que dans le rêve. Le
perçu du rêve, tout autant que celui de la veille, offre à la conscience une résistance qui
incite immédiatement à le qualifier de réalité.

On considère toutefois que cette qualification est illusoire en raison de la


"supériorité" de la conscience de veille sur la conscience onirique puisque le rêveur qui
s'éveille garde le souvenir d'avoir rêvé et se trouve capable de mettre en perspective son
état onirique précédent alors qu'au cours du rêve il restait prisonnier d'une illusion. Mais
cette remarque souvent avancée ne s'appuie pas sur une étude quelque peu étendue des
récits de rêves non pathologiques. Il n'est pas rare que la veille soit, à partir du rêve,
reconnue comme un état différent, qui est alors mis en perspective par rapport au rêve
en cours. Il arrive aussi de temps à autre qu'un rêveur se rende compte qu'il est en train
de rêver, tout en continuant à rêver et à dormir - phénomène qui a reçu le nom de "rêve
lucide" - et, dans ce cas, le rêve peut être directement objet de connaissance.

Si, bien qu'il puisse être décelé dans des textes connus (Aristote, Descartes), ce
dernier fait est passé inaperçu des théoriciens contemporains, c'est en raison d'un autre
présupposé qui associe le degré d'être et celui d'intensité de la conscience. Mais,
lorsqu'on s'intéresse à l'expérience du rêve lucide, on se rend compte que les rêveurs,
bien que faisant preuve d'une acuité conscientielle qui n'a rien à envier à l'état de veille,
n'attribuent pas nécessairement pour cela l'être au perçu onirique. Ils agissent comme
s'ils avaient affaire à un donné qui leur est extérieur, sans pour autant cesser de
considérer leur environnement comme relevant de leur seule subjectivité. Le refus de
l'être du rêve ne serait donc pas préjudiciable à l'étude du rêve s'il n'entraînait pas dans
son sillage une série de présupposés corrélés qui en limitent l'étude. Il est donc
préférable de laisser la question de l'être du rêve "en suspens" si l'on veut étudier
réellement le rêve dans toutes ses dimensions, mais cela demande que les présupposés
entourant cette question soient mis au jour afin de ne pas influencer inconsciemment la
recherche (influence dont on peut montrer les conséquences limitatives dans les trois
grands domaines de recherche qui se sont intéressé au rêve et que sont la philosophie, la
psychanalyse et la neurophysiologie).

Ainsi l'approche du rêve quitte la métaphysique implicite pour adopter une voie
explicitement psychologique (ou "conscientielle" si l'on réserve ce dernier terme à la
seule science du comportement). La lucidité onirique (conscience que l'on a de rêver)
permet alors de s'interroger sur les catégories dont nous nous servons pour structurer la
réalité, telles que l'extériorité et l'intériorité dont les limites se révèlent relatives au sujet
conscient plutôt que coextensive des choses. Le rêveur lucide trouve en effet en rêve,
donc "en lui", des éléments qu'il traite pratiquement comme quelque chose d'extérieur
à lui, même s'il est convaincu d'en être la cause, qu'il s'agisse du monde onirique perçu
ou des personnages oniriques qui lui apparaissent comme des consciences différentes de
la sienne, tandis que lui-même se reconnaît une subjectivité (avec son cortège de
facultés) qui le distingue de son environnement.

Toutefois cette subjectivité consciente d'elle-même pose un certain nombre de


problèmes et principalement celui de savoir comment elle peut être incluse à l'intérieur
d'elle-même sans entraîner une diminution de l'intensité de la conscience. La plupart des
chercheurs ou des rêveurs lucides considèrent en effet qu'elle n'est autre que l'apparition
au cours du rêve de la conscience de veille. En réalité une étude attentive de la
littérature montre que l'activité conscientielle n'a pas la même forme dans le rêve lucide
et au cours de l'état de veille. Nous essayons dans notre travail de montrer que la
lucidité onirique est une forme de conscience spécifique, très différente de la conscience
éveillée, et ne peut être pensée sur le modèle de la conscience de veille malgré son
acuité.

Le fait que le même sujet puisse adopter des formes de conscience conscientes
d'elles-mêmes très différentes pose à son tour d'autres problèmes. Pour préserver
l'identité du sujet tout en maintenant l'existence de consciences différentes pour un
même sujet, il devient alors nécessaire de considérer - au moins à titre d'hypothèse -
que la notion d'inconscient est, en ce qui concerne le rêve, relative. Notre propos est
donc de montrer que, tout en appartenant au même sujet, la conscience du rêveur lucide
peut ne pas être celle du sujet éveillé et, dans le même mouvement, assurer la
cohérence spéculative de cette thèse en posant la relativité de la notion d'inconscient.

Pour cela il nous faudra d'abord donner les conditions de possibilité du rêve lucide
(historiques, définitionnelles, inductives et formelles), puis examiner ce que nous
apprend l'exploration du rêve lucide sur le rêve lui-même, ses rapports avec l'imaginaire
culturel ou la réflexion scientifique, avant d'étudier les implications théoriques des
phénomènes rencontrés.

Chapitre Deux
La connaissance des conditions historiques qui ont permis l'émergence
conceptuelle du rêve lucide contribue à établir l'existence d'un phénomène qui apparaît
d'abord comme exceptionnel. La recherche du sens du rêve est probablement l'obstacle
épistémologique qui a le plus contribué à masquer l'intérêt que le donné onirique peut
avoir en lui-même (particulièrement dans sa dimension conscientielle). Cette dernière
direction de recherche ne se manifeste vraiment sous une forme proprement
psychologique qu'à partir du dix-neuvième siècle. Cela ne signifie pas que dans l'histoire
de la pensée occidentale rien ne concerne le rêve lucide avant cette date. La faible
quantité de témoignages de rêves lucides qui nous est restée peut s'expliquer aussi bien
par la rareté du phénomène que, plus probablement, par l'absence d'un cadre conceptuel
permettant de le penser, et donc d'en saisir l'importance, voire d'en remarquer
l'existence. Le type de contexte qui favorise sa prise en compte théorique et
expérimentale se présente souvent comme la combinaison d'une observation spontanée
associée à une ignorance de la tradition interprétative. Ainsi historiquement il n'y a pas
une découverte fondamentale suivie d'une recherche en constante évolution, mais plutôt
des témoignages épars, dans le temps et dans l'espace, par des auteurs isolés qui, de ce
fait, ignoraient le plus souvent l'existence d'autres travaux que les leurs, et dont les
récits n'ont trouvé un terrain de cristallisation conceptuel que récemment. Deux grandes
périodes se dessinent alors dans l'histoire de la pensée occidentale sur le rêve, celle où le
rêve lucide est simplement connu ou constaté et celle, beaucoup plus tardive, où il prend
une valeur opératoire.

De l'Antiquité à l'époque moderne c'est le contenu du rêve (et non l'état de


conscience du rêveur) qui est pris en considération dans les récits et, dans la mesure où
la lucidité onirique n'y est pas mentionnée expressément, une analyse est nécessaire
pour la mettre en évidence. Dès l'Antiquité grecque le rêve lucide apparaît comme un
phénomène doté d'une certaine assise culturelle, au moins dans l'imaginaire, s'il faut en
croire le témoignage des poètes et notamment d'Homère, puisque les rêveurs qu'il met
en scène se savent en train de dormir. Parallèlement Aristote reconnaît qu'un rêveur peut
être conscient de rêver - et c'est là la première mention explicite du phénomène du rêve
lucide sur un terrain théorique. Il faut attendre le Moyen Age pour obtenir, grâce à saint
Augustin, le premier récit de rêve lucide donné pour authentique. L'époque moderne est
plus riche en témoignages mais il faut distinguer les cas où nous pensons reconnaître le
phénomène (dans les rêves des benandanti par exemple) de ceux où il est
pratiquement mentionné comme tel par le rêveur (Descartes et Reid).

Avant l'époque contemporaine, le rêve lucide est rarement remarqué et encore


moins étudié. La situation change au tournant du dix-huitième et du dix-neuvième siècle,
notamment avec les romantiques qui se sont intéressés activement à leur vie onirique et
n'ont pas manqué de s'interroger sur leurs rêves lucides. De poétique, l'intérêt pour
l'expérience onirique vécue se fait plus psychologique et dans le courant du dix-neuvième
paraissent diverses études sur le rêve qui font une place au rêve lucide. Nous nous
efforçons ici de rendre compte de la genèse de cette recherche dont le pionnier est, au
dix-neuvième siècle, Hervey de Saint-Denys. Dans la première moitié du vingtième siècle
apparaissent des témoignages qui ont servi de corpus d'étude au début de la recherche
actuelle et dont nous ne mentionnons que les noms et les points de vue les plus
importants. La pensée contemporaine à ses débuts a probablement fourni un cadre
favorable puisque l'époque s'ouvre à l'exploration du psychisme par la découverte de
l'inconscient, le développement de la méthodologie médicale et psychiatrique, mais elle
ne contient pas en elle-même le germe de cette découverte et de son exploitation.
L'intérêt pour le rêve lucide ne se manifeste en effet au dix-neuvième siècle que chez des
individus qui en ont une expérience personnelle - et dont les occupations n'ont pas de
rapport direct avec la psychologie -, et ne se diffuse pas au-delà de ces
expérimentateurs. Et si le développement de la psychanalyse a favorisé de nouveaux
types d'observation de l'expérience onirique dans la première moitié du vingtième siècle
et a permis de remarquer le phénomène de la lucidité, elle n'a guère directement
contribué à son étude. Ce n'est qu'à la fin des années soixante que le rêve lucide trouve,
paradoxalement, un terrain théorique susceptible de l'accueillir avec le développement de
la recherche expérimentale sur les états de conscience modifiés.

Chapitre Trois
La définition selon laquelle le rêve lucide est un rêve au cours duquel le rêveur est
conscient qu'il rêve demande à ce que soit précisé ce qu'il faut entendre par "conscience
de rêver", car, dans la mesure où le seul modèle de conscience de soi dont nous
disposons habituellement est celui de l'état de veille, l'altérité formelle des deux types de
conscience passe généralement inaperçue, faute d'une analyse des récits. C'est ainsi que
la plupart des chercheurs font consister le rêve lucide dans la combinaison du rêve et de
la conscience (sous-entendue de veille) alors même qu'ils ne s'accordent pas sur d'autres
critères. Une description du rêve lucide est donc requise aussi bien repérer un même
phénomène sous des désignations diverses que pour en découvrir la définition essentielle
qui doit résulter d'une étude des particularités même du rêve lucide. On étudie ici le
"processus" du rêve lucide c'est-à-dire la façon dont il se déclenche (avec ou sans cause
onirique, au cours d'un rêve ou à l'endormissement subjectif), dont il se manifeste et
dont il prend fin sur un terrain onirique. L'occasion est alors saisie d'une part pour
étudier les éléments que l'on considère habituellement comme les conditions de la
conscience de soi en rêve (savoir qu'on rêve, se souvenir de sa vie de veille, disposer de
sa faculté de raisonner, disposer de sa volonté) et s'assurer de leur rôle effectif (on
conclut ainsi que la lucidité onirique est avant tout une intentionnalité qui vise le rêve
comme tel et que les autres facultés ne jouent pas en l'occurrence un rôle décisif), et
d'autre part d'étudier ce qui apparaît comme des "degrés" de lucidité afin de proposer
une typologie des rêves lucides. L'étude de ces divers éléments conduit à remarquer
l'existence d'une catégorie de rêves non lucides mais qui leur sont d'une certaine
manière associés.

Chapitre Quatre
Dans la mesure où les rêveurs lucides soulignent l'originalité fondamentale de leur
expérience (qui serait une nouvelle manière d'être au monde), seule l'expérience directe
permet une compréhension véritable du phénomène. Cette expérience peut être
recherchée délibérément à l'aide de méthodes d'induction. Or, si le rêve lucide peut être
provoqué sur une base relativement régulière au prix de quelques efforts, il échappe
nécessairement au domaine des études dites "psychiques" dans lequel sa rareté l'avait
confiné jusque dans les années soixante. Il devient possible de l'explorer,
personnellement ou en laboratoire, éventuellement à partir des éléments d'abord repérés
par un examen empirique. Toutefois la mise au point de méthodes d'induction de la
lucidité suppose à son tour que soient compris les mécanismes de l'induction naturelle.
Nous essayons à travers la description de différentes pratiques de dégager les critères
essentiels de l'induction. Par commodité on peut étudier les inductions en commençant
par celles qui ont lieu dans un état proche du sommeil, avant d'examiner les inductions
qui débutent nettement dans l'état de veille et se poursuivent dans le sommeil et enfin
celles qui ne se situent que dans l'état de veille. L'induction peut avoir lieu à partir d'un
état "intermédiaire" subjectif (état conscient dans lequel le sujet estime ne pas encore
dormir ou rêver - et cependant ne plus être éveillé). Ces états (état dans lequel le sujet
pense ne pas dormir, état dans lequel il pense être en train de s'endormir et sommeil
lucide) sont différents des états hypnagogiques et peuvent être cultivés pour servir de
plate-forme à l'induction de la lucidité. La lucidité est également induite à partir de l'état
de veille par l'observation des sensations résiduelles ou encore par un rythme mental
entretenu jusqu'à l'endormissement, voire par un rêve éveillé. Par ailleurs certains
éléments, sans être déterminants par eux-mêmes, s'avèrent favorisants : l'intérêt porté
aux rêves, les interruptions de sommeil en cours de nuit, ou les perturbations
extérieures. Toutes ces observations peuvent êtres mises à profit pour induire
délibérément le rêve lucide, à l'aide d'exercices purement mentaux ou en combinant ces
derniers à des exercices physiques dont le rôle est de soutenir le travail de l'imagination.
Il faut noter toutefois d'une part qu'aucune méthode permettant d'obtenir la lucidité au
coup par coup de façon sûre n'a encore été mise au point et d'autre part que ces
exercices n'ont pas une valeur mécanique. L'usage d'appareillages de plus en plus
sophistiqués montre que c'est avant tout la qualité conscientielle du sujet au moment de
l'expérience qui détermine l'efficacité des techniques, et la nature de cette qualité peut
rester obscure au sujet lui-même, ou bien, s'il est en mesure de l'estimer, il n'est pas
forcément capable d'en modifier l'amplitude. Il n'en reste pas moins que les résultats
obtenus par entraînement indiquent que la lucidité correspondrait à une capacité
inexploitée de la conscience.

Chapitre Cinq
Bien que les expériences en rêve lucide ne renseignent pas sur un donné extérieur
indépendant du sujet mais sur sa subjectivité, on constate empiriquement l'existence
d'éléments constants jouant un rôle dans l'architecture de la lucidité. Aussi, outre les
questions classiques que l'on se pose habituellement sur les facultés intellectuelles du
rêveur (et qui prennent ici une acuité nouvelle) d'autres surgissent concernant des types
d'expériences spécifiques. Des actions en rêve et sur le rêve sont alors envisageables
pour en étudier les conséquences et la lucidité transforme le rêve en champ
d'expérimentation délibérée. Toutefois l'intérêt d'une expérience ou d'une
expérimentation ne se déterminera pas seulement en fonction de ce qui se passe dans
le rêve mais aussi en tenant compte du type de lucidité et de la façon dont le rêveur
aborde son expérience. Si ses vues théoriques l'amènent à nier l'existence ou la valeur
de la lucidité, son expérience aura nécessairement une structure différente de celle dans
laquelle la lucidité est abordée sans a priori ou du moins acceptée. L'exploration du rêve
lucide dépend donc de la mise en place d'un "cadre" permettant de reconnaître ces
manières d'aborder l'expérience et à partir duquel il est possible de mieux comprendre sa
diversité. Nous regroupons ici sous le nom "d'expérience" les rêves lucides au cours
desquels aucune expérimentation n'a été entreprise et nous en cherchons les raisons
dans le degré de lucidité ou les conceptions du rêveur. Nous abordons ensuite le
processus de l'expérimentation au cours de laquelle l'action du sujet porte sur le rêve
pris comme rêve, c'est-à-dire ne s'insère pas dans la trame du rêve. Au cours de
l'expérimentation personnelle le rêveur met sa conception du rêve à l'épreuve de la
réalité du rêve et cherche les moyens oniriques de vérifier ses hypothèses. Mais
certaines particularités nous poussent à séparer les expérimentations "spontanées"
(c'est-à-dire décidées et menées à bien entièrement dans l'état de rêve) de celles qui
sont "préparées" (c'est-à-dire prévues dès l'état de veille). Toutefois, même planifiées à
l'état de veille, les expérimentations restent liées à la subjectivité du rêveur, et pour
s'élever au-dessus de la singularité, les expériences d'un rêveur doivent non seulement
pouvoir être comparées à celles d'autres rêveurs mais aussi suscitées en fonction
d'objectifs qui ne sont pas propres à un rêveur particulier. Aussi l'expérimentation se
trouve-t-elle purifiée de ces ambiguïtés lorsqu'un chercheur extérieur au rêveur lui
propose une expérimentation, qu'il propose des objectifs à des expérimentations
individuelles (recherche de "terrain") ou qu'il suive le rêve lucide pendant son
déroulement (recherche de "laboratoire").

Chapitre Six
La recherche sur le rêve lucide n'a de sens que si elle répond à des questions que
se pose le chercheur. Mais pour éviter le piège des préconceptions (ou des conceptions
courantes sur le rêve généralisées à partir d'expériences limitées) il est préférable de
l'aborder sur le terrain du rêve, c'est-à-dire de s'efforcer de répondre avant tout aux
questions qui se posent au cours du rêve ou à son sujet, donc appliquer la recherche à
des données immédiates. La conscience de rêver permet à un rêveur d'étudier son rêve
comme une situation de sa vie de veille vécue dans ses différentes dimensions, aussi
bien "extérieure" (le perçu onirique) qu'intérieure (réflexions, images mentales et
affects). Le rêve lucide peut être examiné dans ses aspects particuliers (dus à la lucidité)
ou en tant que rêve (il invalide alors des hypothèses restreintes par la présentation de
"faits" oniriques qui servent de contre-épreuves). On constate aussi l'existence de
catégories de rêves lucides que l'on peut classer en fonction de leur contenu (rêves de
double, de déplacement, de sensations particulières) ou de la manière dont le rêveur s'y
livre à des expérimentations par la voie de l'action physique ou mentale.

Par ailleurs cette exploration peut être complétée par la comparaisons avec des
états apparentés (transe…) qui montrent que la réduction du rêve lucide à d'autres types
d'expériences n'a de validité que si elle est confirmée par l'expérience des rêveurs. Ainsi,
plutôt que d'expliquer le rêve lucide ou certains de ses contenus par des phénomènes
pathologiques ou parapsychologiques, il est préférable de chercher d'abord si le
phénomène onirique ne peut pas être étudier sur son propre terrain, celui du sommeil et
du rêve. Certains de ces états qualifiés ici de "non définis" parce qu'ils semblent tenir à
la fois du sommeil et de l'éveil ne sont parfois pas, pour le rêveur, subjectivement
discernables du rêve lucide en ce qui concerne la qualité de la perception, mais ils en
diffèrent car, contrairement au rêve lucide, le sujet y reste en contact avec le monde de
la veille. D'autre part des états conscientiels vigiles sont mis en rapport avec le rêve
lorsque le sujet perçoit un monde imaginaire (hallucination) mais ce rapprochement est
sans valeur tant qu'on s'efforce de comparer des éléments hétérogènes : l'acuité de la
conscience et la qualité perceptive de l'expérience.

Chapitre Sept
L'approche historique du rêve lucide nous a montré qu'il a une dimension
culturelle. Certes, la culture se présente comme un cadre dont il convient d'étudier
l'influence, mais elle fournit aussi une méthode d'approche du phénomène : lorsqu'elle
limite son émergence elle ne l'empêche pas d'apparaître, mais le codifie. Pour cette
raison, si le rêve lucide est un phénomène naturel plus ou moins répandu, il doit être
possible, connaissant son existence, de le retrouver a posteriori sous d'autres formes
dans d'autres cultures, voire dans la nôtre.

Dans d'autres cultures la recherche sur le terrain ne se révèle pas nécessairement


la plus apte à nous informer sur la présence effective du rêve lucide. Mais l'indécision
peut être évitée quand le phénomène visé se situe dans un cadre conceptuel, notamment
religieux, qui permet de l'identifier (par exemple dans un système d'entraînement dont le
but est clairement d'amener le sujet à se rendre compte qu'il rêve, à l'aide d'exercices
comparables à des méthodes d'induction de la lucidité). D'autre part même si le rêve
lucide n'apparaît pas, sa présence peut être supposée à l'aide d'éléments caractéristiques
qui peuvent être recherchés aussi bien dans l'attitude du sujet vis-à-vis du rêve (c'est-
à-dire la façon dont il accueille les différentes sortes de rêves) que dans le contenu des
expériences (qui comprend la présence des divers types de rêves associés au rêve
lucide). Par ailleurs il est souvent plus facile d'en mesurer la présence dans les mentalités
à partir de ses occurrences dans l'imaginaire d'une culture : ainsi des contes édifiants,
qui mettent en scène des rêveurs disposant d'une lucidité partielle, ne peuvent certes
pas tenir lieu de preuve mais indiquent nettement que l'idée de ce genre d'expérience a
été envisagée.

En Occident la représentation du rêve lucide n'est pas culturellement homogène et


la place que tient le rêve lucide dans notre culture dépend avant tout du type de
reconnaissance qui lui est accordé. Lorsque le phénomène n'a pas d'existence officielle sa
manifestation naturelle entraîne soit le refus, soit l'octroi d'un autre statut que le sien, ce
qui peut aboutir à une véritable faille culturelle. En effet ceux qui expérimentent les rêves
lucides leur confèrent une réalité tandis que ceux qui n'en ont pas vécu y voient une
irréalité (c'est-à-dire une forme de confusion mentale). Lorsque le rêve lucide acquiert
un statut conceptuel, ce clivage cesse d'avoir un sens et l'expérience peut être prise en
considération dans sa phénoménalité même, indépendamment de sa qualification de
réelle ou d'irréelle. Cependant l'existence de ce terrain d'entente n'empêche ni les
réductions ni les amplifications abusives qui ne s'effaceront qu'avec une évolution des
mentalités . L'étude du rêve lucide comme phénomène culturel montre que, loin que
l'apparition du rêve lucide ait suscité une réorganisation de l'image du rêve dans la
culture, c'est au contraire un changement culturel de la vision du rêve qui a permis
l'émergence du concept de rêve lucide.

Chapitre Huit
L'intérêt des diverses sciences pour le rêve lucide est du même ordre que celui
qu'elles portent déjà au rêve, dans la mesure où leurs méthodes lui sont applicables.
Ainsi la science de l'interprétation du rêve doit poser d'emblée que les formes de la
conscience lucide (lucidité, prélucidité ou faux éveil) ainsi que les situations oniriques que
l'on rencontre régulièrement dans les rêves lucides et associés (vol, sortie hors du
corps…) sont interprétables ou les rejeter de son champ d'investigation. Mais l'attitude
des rêveurs aussi bien que la structure des rêves donnent à penser que la prélucidité et
le faux éveil n'entrent pas nécessairement dans un cadre interprétatif mais qu'il faut les
comprendre avant tout comme des indications du degré de conscience du rêveur tandis
que de leur côté les éléments spécifiques des rêves lucides et associés dépendent non
d'un sens mais d'un type de structuration dû à la lucidité. La psychologie différentielle,
pour sa part, s'interroge sur les rêveurs, qui constituent une catégorie de population
susceptible d'être étudiée, afin de trouver des traits caractéristiques. Aussi bien les
études statistiques que les constatations empiriques faites par de nombreux rêveurs
lucides nous donnent un aperçu sur les catégories de population auxquelles
appartiennent les rêveurs lucides, leurs habitudes de vie et leurs aptitudes particulières.
De son côté la psychophysiologie tend à chercher un tracé électrophysiologique
particulier (et mesurable) qui indiquerait la présence du rêve lucide en laboratoire, aidée
en cela par l'intervention consciente du rêveur au cours de l'expérience (signal de la
lucidité).

Si les sciences du rêve permettent l'investigation du rêve lucide, en retour ce


dernier apporte des informations nouvelles à leur sujet. En effet leurs conceptions
théoriques ne s'appliquent pas à l'étude du rêve lucide. La lucidité pose des problèmes
nouveaux au principe de l'interprétation. L'attitude du rêveur lucide est nécessairement
particulière : il évite le deuxième niveau d'élaboration secondaire que constitue la
remémoration du rêve au réveil et interprète le rêve alors même qu'il est en train de le
vivre. L'interprétation peut s'avérer inutile (interaction du rêveur lucide avec son rêve,
rêve clair ou auto-référent), voire fausser la compréhension du phénomène onirique.
D'un autre côté, en psychologie différentielle, le principe selon lequel un rêveur lucide
doit manifester dans son comportement certains éléments invariants en rapport avec la
capacité de rêver lucidement ne s'accorde pas avec les transformations incessantes du
comportement attribuées au rêve lucide lui-même et dont font état les journaux des
rêveurs lucides. Néanmoins, s'il n'y pas d'élément stable à observer, les transformations
elles-mêmes (changement de caractère, modification des habitudes ou développement
de capacités physiques) peuvent être promues au rang d'éléments quantifiables. Du côté
de la psychophysiologie, le rêve lucide peut être utilisé pour approfondir l'ensemble de la
recherche en laboratoire sur le rêve, soit en consolidant les acquis obtenus au cours
d'études déjà menées sur le rêve en général, soit en aidant à la résolution des points
habituellement controversés (sur les effets physiologiques des actions oniriques du
rêveur, et notamment l'hypothèse dite "du balayage", ou sur le statut du rêveur qui est
loin d'être un sujet "absent").

Chapitre Neuf
La conception habituelle du rêve lucide dépend d'un modèle implicitement
accepté, la conscience de l'état de veille pour certains. D'autres, qui acceptent l'existence
d'une lucidité "minimale", admettent des degrés conscientiels selon une échelle
d'intensité allant de la conscience onirique ordinaire jusqu'à la pleine lucidité. Dans ce cas
ils adoptent un double modèle (la veille et le rêve) et les rêves faiblement lucides se
comprennent donc comme une sorte de mélange de qualités conscientielles appartenant
à la veille ou au rêve ordinaire. Or, si l'on peut accepter que ces deux termes servent de
points de comparaison pour le rêve lucide, doit-on pour autant poser que le rêve lucide
s'explique à partir d'eux ? Le simple examen empirique de la littérature incite à mettre
en doute la validité de cette attitude, au moins pour deux raisons : 1) une telle approche
tend à réduire l'exploration du rêve à une comparaison des facultés du rêveur avec celles
que l'on connaît de l'état de veille, sans jamais vérifier s'il s'agit bien des mêmes
facultés, ni s'interroger sur l'existence de facultés oniriques sans équivalents vigiles. De
plus elle court le risque de devenir normative plutôt qu'explicative dans la mesure où une
divergence entre les facultés oniriques et vigiles est immédiatement interprétée comme
une défaillance conscientielle plutôt qu'une propriété onirique ne mettant pas en cause
l'intensité de la lucidité. 2) Aucune forme nouvelle de conscience ne peut émerger
autrement que par variation d'intensité ou combinaison d'éléments. Or les faits ne
s'accordant pas avec ces deux positions, il devient nécessaire d'en rendre compte à l'aide
d'un cadre expérimental et théorique qui justifie ce rapport ou bien qui rende compte des
anomalies rencontrées.

Dans le domaine psychophysiologique l'étude de la vigilance nous aide-t-elle à


éclaircir la compréhension de la lucidité onirique ? Un tel indice de la lucidité a été
recherché au niveau de l'accroissement de l'activité cérébrale. Mais ces modèles
théoriques ne sont guère explicatifs quant à l'apparition de la lucidité elle-même car, loin
d'expliquer la lucidité par un type d'activation existant également dans l'état éveillé, ils
envisagent de trouver le même type de différence dans l'état de veille.

Une théorie psychologique du rêve lucide semble plus justifiée car l'apparition du
rêve lucide dépend la plupart du temps de facteurs psychologiques (notamment
l'induction). Aussi certains auteurs voient-ils dans la prise de conscience provoquée par
la désadaptation le modèle de la lucidité onirique. La lucidité ne serait alors pas
l'émergence de la totalité de la conscience de veille dans le rêve mais le passage d'une
conscience passive à une conscience active : nous serions en présence d'une évolution
conscientielle. Toutefois cette conception ne rend pas compte de la faible extension de la
lucidité malgré un nombre important de rêves difficiles. La limite conceptuelle invoquée
pour résoudre le problème fait que l'idée de la lucidité comme produit de l'évolution
s'écroule, parce la lucidité n'apparaît alors plus comme une conscience réfléchie. Et
même en admettant qu'un tel modèle soit cohérent, son application aux récits de rêves
lucides et ordinaires en montre l'insuffisance : dans le rêve ordinaire, le rêveur est
aussi conscient qu'à l'état de veille, (même s'il n'est pas conscient de l'état de
veille) ; au cours du rêve lucide, si ses possibilités de réponses à la situation onirique
sont plus nombreuses, on ne saurait prétendre qu'elle conduit toujours à une action
plus appropriée (choix d'une solution inadéquate ou même blocage des possibilités
d'action en raison de la lucidité).

On peut cependant cesser de penser la lucidité sur le modèle de la conscience


réfléchie sans pour autant renoncer à la référence à l'état de veille et plutôt que
d'envisager la lucidité comme un surcroît de conscience, y voir un modèle mental : il n'y
aurait donc pas développement conscientiel mais représentation de soi dans le
modèle de la réalité. Mais cette théorie présente elle aussi une lacune : comment
peut-on affirmer que le rêve résulte d'une absence de régulation par les sens lorsqu'on
se place, pour le constater, du point de vue du sujet qui perçoit tout aussi bien
l'environnement du rêve que le monde de la veille ? Si le sujet fait partie du modèle
construit, on ne comprend pas ce qui maintient son unité à travers ces différents
modèles. Cette théorie ne peut donc qu'aboutir à une indifférenciation ontologique du
rêve et de la veille. Si l'on veut trouver à la lucidité un référent dans l'état de veille, il
faut nécessairement y chercher un même type de disposition conscientielle, c'est-à-dire
une conscience à la fois de l'état de veille et de ce qui l'englobe et qui en marque la
limite (et qui est encore plus rare que le rêve lucide).

Si la capacité explicative d'un cadre théorique limite la compréhension de la


lucidité onirique, c'est avant tout par les concepts qui servent à l'élaborer, tels le rêve ou
la veille, la réalité, la conscience, l'objectif et le subjectif (par exemple on considère
souvent le rêve comme subjectif par lui-même alors que les termes de subjectif et
d'objectif sont des façons d'organiser l'expérience).

Chapitre Dix
A la source des difficultés théoriques rencontrées se trouve une idée implicite : le
rêve dérive de l'état de veille en ce qui concerne l'origine de son contenu ou de ses
formes conscientielles. Mais puisque la lucidité onirique se structure tout à fait
différemment de la conscience de veille, il nous faut chercher si, à partir d'une remise en
question du primat de la veille, une nouvelle attitude métaphysique peut surgir.

La prééminence de la veille est habituellement posée a priori mais pour le rêveur


lucide, il ne peut s'agir que d'un jugement qu'il porte éventuellement sur son état mais à
aucun moment d'une évidence, car le rêve fait problème, sur le plan ontologique, en
raison de sa qualité perçue. Le primat ontologique n'a pas de sens concernant ce qui est
perçu, puisque l'examen du contenu des rêves apparaît même plus riche que celui de la
veille, ni la qualité de la perception onirique qui est parfois tellement intense que le
rêveur la considère comme absente de l'expérience quotidienne, ni la structure
noématique du perçu dans la mesure où les possibilités perceptives de la veille sont
incluses dans la gamme de celles du rêve lucide, ni le contexte noématique qui fait
jouer le perçu par rapport à l'imaginé et au souvenu, ni l'absence de certains noèmes, ni
la stabilité dans le temps, ni l'absence d'intersubjectivité.

La reconnaissance du rêve comme tel dépend d'une intentionnalité propre qui,


contrairement à l'état d'éveil, porte non pas sur des noèmes mais sur un autre état de
conscience considéré comme l'éveil. Ainsi la lucidité comporte une conscience de même
structure que la conscience de veille puisque le rêve peut y être visé en tant que monde,
mais ce n'est là qu'une conséquence de sa présence. Par ailleurs la lucidité est
nécessairement consciente d'elle-même dans le temps même où elle donne un statut
objectal à la perception onirique et, de ce fait, elle est doublement thétique. S'y ajoute
que la perception onirique est productrice de la division objectif/subjectif alors que, pour
l'état de veille, le rapport entre la perception et l'objectivité est constaté par expérience.

Puisque l'intentionnalité de la lucidité est radicalement différente de celle de la


veille, l'émergence de la lucidité devient difficile à comprendre. Qu'est-ce qui entraîne le
sujet à disposer d'une intuition particulière qui, dans le cas du rêve, a un aspect facultatif
qu'elle n'a pas dans l'état de veille ? Pour en rendre compte nous posons l'hypothèse
d'un substrat conscientiel de la lucidité (lorsqu'elle est absente du rêve) - substrat dont
nous essayons de déterminer la nature et le rôle. Cette conscience apparaît donc comme
une sorte de champ où émergent différentes formes conscientielles qui peuvent se
combiner entre elles. Ainsi la lucidité onirique dépendrait à la fois de la conscience
onirique et de la conscience de veille pour se constituer comme forme de conscience
originale. La conscience substrat n'est pas une "conscience" au sens où une visée
intentionnelle s'y déploie. L'inconscient pourrait y être ramené si l'on admet qu'il est, tout
comme la distinction subjectif/objectif, une notion relative. Le rêveur n'aurait pas une
conscience de son état mais plusieurs qui coexisteraient tout en s'ignorant les unes les
autres, ce que montrerait l'idée d'un désir inconscient qui autrement serait un paradoxe.
L'inconscience ne serait pas un attribut essentiel de l'inconscient mais serait relative à
un sujet, l'inconscience serait une visée, mais par négation - ou, si l'on préfère, une
occultation de ce qui pourrait être visé par la conscience. L'inconscient serait alors, pour
une forme conscientielle donnée, l'ensemble de toutes les autres formes conscientielles
qu'elle ne vise pas.

Une conclusion générale récapitule les types d'arguments rencontrés qui


établissent l'hétérogénéité de la lucidité onirique et de la conscience de veille.
L'expérience du rêve se présente selon trois modalités que n'importe quel rêveur
peut aisément reconnaître : son contenu (ce qui y est objet de description, ce qui s'y
passe), la façon dont ce contenu se manifeste (et qui du point de vue du rêveur est avant
tout une perception) et la conscience dont il y fait preuve (et qui lui permet de se
distinguer de son environnement onirique). L'étendue de la littérature sur le rêve
inciterait à penser que ces trois modalités de l'expérience onirique ont été examinées et
abondamment commentées car elles sont toutes sujettes à une richesse de variations qui
a de quoi susciter l'étonnement : que ce soit dans le contenu parfois chaotique mais
souvent organisé de façon complexe et sophistiquée ; ou dans le mode d'apparaître qui,
parfois, ne fournit que des impressions vagues, mais souvent égale, voire dépasse en
intensité, la qualité de la perception diurne ; ou dans la conscience onirique dont
l'attention, parfois diffuse, atteint à certains moments une acuité telle que le rêveur se
sait en train de rêver.

Or, dans l'histoire de la pensée occidentale, le rêve du sommeil, en tant qu'objet


d'étude, occupe une place particulière : qu'on lui accorde ou non le bénéfice du sens, il
est rarement examiné pour lui-même, mais plutôt comme le signe ou l'indice de quelque
chose qui lui est hétérogène et dont il est un mode d'expression contingent ; message
des dieux ou de l'inconscient, reflet de la veille, résidu de perception, état cérébral,
reconstruction mentale ou simplement désordre organique, il est finalement renvoyé à
une raison d'être qui ne s'inquiète guère de la conscience du rêveur (dont l'existence est
parfois simplement niée) ni de son mode d'apparaître, la perception onirique, qui est
généralement délaissé, et fort peu du contenu qui s'y manifeste et qui est aussitôt
détourné vers un sens qui ne présente la plupart du temps aucune évidence, en tout cas
qui n'a rien d'immédiat et fait souvent l'objet d'une analyse d'autant moins convaincante
qu'elle est laborieuse. Ainsi le rêve n'est pris en considération qu'en tant qu'intermédiaire
pour l'accès au surnaturel ou pour la connaissance de l'inconscient ou encore pour l'étude
du cerveau, et reste finalement à l'écart de toute recherche.

Une telle façon de procéder est révélatrice de l'idée que l'on se fait du rêve en
tant qu'il apparaît : cet apparaître n'est compris que comme une apparence que rien ne
soutient, à l'inverse de l'apparaître du monde de la veille qui, lui, renvoie à un monde
effectif. Or, dans la mesure où le rêve n'est considéré que comme apparence, toute
étude qui veut en rendre compte cherche nécessairement comment cette apparence se
constitue, sans se demander quelle est la valeur de ce présupposé par ailleurs si bien
admis qu'il se présente comme un fonds commun métaphysique implicite dans lequel se
meuvent et se confrontent les diverses théories contemporaines du rêve, même
lorsqu'elles se contredisent sur des points fondamentaux. Ce présupposé n'est pas
délibéré, et la plupart des démarches réflexives sur le phénomène onirique l'admettent
manifestement sans en avoir vraiment conscience, comme une évidence située à l'arrière
plan de la pensée, et de ce fait sans avoir la possibilité de s'interroger à son sujet. Cette
absence de réflexion critique est probablement plus due à une tendance de l'esprit du
chercheur qu'à la nature des études onirologiques, qu'elles soient de type psychologique,
psychanalytique ou neurophysiologique, puisque même des analyses de type
philosophique, pourtant soucieuses de dégager les présupposés d'une recherche,
acceptent implicitement cette privation d'être lorsqu'elles font usage du rêve dans une
argumentation.

Il est difficile de penser qu'un présupposé qui se donne si puissamment comme


évidence n'ait pas en fait quelque base réelle qui le justifie et dont l'élucidation aurait
pour conséquence de le transformer en proposition vraie. S'il en était ainsi une telle
élucidation serait somme toute secondaire, un peu comme un point de détail qui
attendrait d'être réglé sans que cela ne présente de caractère indispensable pour
l'ensemble des travaux. Mais si ce présupposé semble particulièrement bien implanté
dans la réflexion occidentale sur le rêve, il n'a cependant pas une valeur universelle
puisque d'autres courants de pensée assignent au rêve une place complètement
différente dans leur représentation du monde et prennent au sérieux son apparaître
même. Ainsi on peut trouver soutenue l'idée que « la veille et le rêve ont le même
caractère de réalité : […] l'expérience nous apprend qu'aussi longtemps que nous nous
trouvons dans la condition de rêve, nous avons un sens déterminé du réel ; tant que
dure le rêve, ce sens est tout aussi net, tout aussi aigu que celui que nous possédons
dans la condition de veille »[1]. Une telle vision, qui peut aller jusqu'à reconnaître au rêve
une dimension d'extériorité par rapport au rêveur qui s'y meut comme dans un monde
distinct de lui, relativise le présupposé tout en le rendant explicite. Dès lors savoir si
l'apparaître du rêve renvoie ou non à un être devient une question décisive pour
déterminer si les sciences du rêve traitent vraiment du rêve - ou pour préciser dans
quelle mesure elles en traitent.

Pourtant s'agit-il là réellement d'une difficulté de fond, qui requiert une analyse
approfondie pour sa solution, ou se trouve-t-on simplement en présence d'une erreur de
perspective de la part de l'une ou l'autre de ces deux tendances dans la façon même
d'aborder le phénomène onirique ? Dans ce dernier cas un simple examen des méthodes
utilisées devrait aider à situer cette erreur et à la dissiper. Toutefois quand on cherche
une voie d'accès au rêve, on se rend compte que les façons de l'aborder sont, dès le
départ, multiples, et que ces modes d'approche légitimes par eux-mêmes sont souvent
inconciliables, et donc immédiatement sources de divergence métaphysique.

Cette divergence peut-elle trouver son origine dans l'appréhension temporelle du


rêve ? Pour les tenants du présupposé négateur le rêve n'est pas saisi immédiatement,
de l'intérieur, mais au terme d'un détour, en tant que souvenir d'un événement
psychique, et c'est donc le souvenir du rêve, et non le rêve, qui fait l'objet de
l'investigation : ainsi la question de son être ne se présente simplement pas et les
interrogations de type réflexif s'inscrivent alors tout naturellement dans un cadre qui est
en fait celui de la vie de veille : on se demandera, par exemple, comment le rêve se
forme ou quelle place il occupe dans la connaissance du monde et de soi-même, mais on
ne se préoccupera pas de la nature de ce qui est donné à la "perception onirique" du
rêveur ni du fait même de cette perception puisqu'on aura déjà assimilé le rêve à la
catégorie des "phénomènes mentaux" dans lesquels se rangent les souvenirs. Les
questions posées sont alors du même ordre que l'appréhension du rêve : au second
degré. A l'inverse, pour la position dispensatrice d'être, le rêve est saisi immédiatement,
de l'intérieur (« aussi longtemps que nous nous trouvons dans la condition de rêve »[2])
et non comme un simple souvenir. Les questions de type réflexif qui se posent alors à
son sujet peuvent prendre une tournure ontologique (le rêve m'étant donné comme
réalité, étant en quelque sorte posé devant moi, qu'en est-il de son être de rêve ?), ou
plus simplement phénoménologique (quelle est la structure de l'expérience onirique telle
qu'elle s'offre à moi ?).

Si une divergence quant à la façon d'appréhender le rêve dans le temps est à


l'origine de deux positions métaphysiques contraires, un simple examen devrait suffire,
semble-t-il, à mettre en évidence la position juste. Mais en fait une telle appréciation
s'avère impossible à porter car les deux types d'appréhension temporelle du rêve
s'avèrent légitimes si l'on accepte non de les juger l'une par rapport à l'autre mais de les
rapporter toutes deux à notre façon de connaître la réalité. Notre attitude, à l'état
d'éveil, consiste d'abord à appeler réalité ce qui nous entoure et qui se présente à notre
conscience comme n'étant pas immédiatement elle dans la mesure où cette réalité lui
résiste, alors que cette conscience considère comme siens les états psychiques (dont le
souvenir du rêve fait partie) qui l'accompagnent avec apparemment plus de docilité.
Pour la conscience éveillée la première démarche de la pensée réflexive consiste à
s'interroger non sur la façon dont je connais le monde ou dont il se forme, mais sur l'être
des choses car cet être apparaît comme donné, et ce n'est que dans un deuxième temps
que cette démarche peut éventuellement déboucher sur des interrogations de type
épistémologique. Or, de son côté, le rêve, avant d'être souvenir, est vécu lui aussi d'une
façon immédiate et complète, comme un état de veille : à ce moment il n'est pas un
donné psychique que l'on compare constamment à un état de veille présent avec le
déséquilibre ontologique que cela suppose, mais il est au contraire donné entièrement
pour lui-même et en lui-même au moment du sommeil - et encore ce terme de
"sommeil" ne peut-il venir que dans un deuxième temps car il n'appartient pas à cet
espace onirique qui, lorsqu'il se présente à la conscience du rêveur, se suffit à lui-même.
Le rêve apparaît donc comme fondamentalement différent d'autres états psychiques qui
ne se donnent jamais que comme tels (en tant qu'états psychiques), aussi bien dans
l'éveil que dans le rêve, comme par exemple l'image mentale qui existe également en
tant qu'image mentale dans le rêve, en sus de ce qui est oniriquement perçu. Le perçu
du rêve, tout autant que celui de la veille, offre à la conscience une résistance qui permet
immédiatement de le qualifier de réalité. Ainsi dans la mesure où, sans passer par une
élaboration théorique, l'on s'appuie sur les critères directement admis de la réalité, il
n'est guère possible de donner raison à un mode d'appréhension temporelle sur un autre.
Le rêve se présente à la conscience du rêveur comme tout aussi réel que la réalité de
veille pour la conscience éveillée : non seulement il est perçu mais il est également vécu
dans un temps qui s'écoule et aucun examen comparatif du temps du rêve vécu et du
temps de veille ne peut décider, sans poser des critères arbitraires que l'un de ces temps
l'emporte sur l'autre.

C'est donc au-delà des modes d'apparaître perceptif ou temporel qu'il faut
chercher de cette divergence, probablement dans la conscience même du sujet. Nous
nous trouvons alors en face de deux situations fort différentes. D'un côté, en effet, la
conscience onirique du rêveur ne semble pas jouer un rôle différent de celle de l'homme
éveillé. Mais, d'un autre côté, on admet que lorsque le rêveur s'éveille la conscience de
son état et de ses actes en rêve lui apparaît comme loin d'atteindre l'acuité de l'éveil, ne
serait-ce que parce qu'il garde le souvenir d'avoir rêvé, alors que le rêve est dépourvu de
référence à l'état de veille, ou, pire encore, qu'il se fait passer pour l'état de veille. Mais
cette remarque très répandue ne donne qu'une partie des faits et les tenants de l'être du
rêve peuvent tout autant fournir des exemples montrant que la veille peut être, à partir
du rêve, reconnue comme un état différent, par exemple « qu'un souvenir de l'état de
veille peut se présenter comme un rêve au deuxième degré au dedans d'un rêve plus
ample et qu'un événement de l'état de veille en arrive à revêtir le caractère
absurde d'un songe »[3]. Or, si la prééminence de la conscience de veille souffre des
exceptions, elle cesse par là même d'être un critère utilisable.

Les seules remarques encore possibles quant à la valeur d'une position sur l'autre
sont alors d'ordre opératoire. On peut en effet avancer que même si le présupposé
négateur doit faire l'objet d'un examen, son mode temporel d'appréhension du rêve est
pourtant le seul qui permette d'étudier le rêve car la conscience réflexive est
indispensable à la progression de la connaissance. Ce présupposé serait donc lié de façon
nécessaire à une démarche scientifique. Il faudrait alors choisir entre une connaissance
dont la base ontologique serait sinon faussée, du moins incertaine, mais qui néanmoins
permettrait une certaine progression, et une expérience entière ne laissant aucune place
à la connaissance. Si l'on admettait ces remarques il faudrait en conclure qu'une
connaissance véritable du rêve n'est guère possible puisqu'on ne saurait demander à
l'expérience onirique d'autres confirmations à des hypothèses sur la nature du rêve que
celles qu'apportent des souvenirs, ce qui reviendrait en quelque sorte à ne travailler que
sur des "fantômes". Ces remarques reposent cependant sur un autre présupposé, celui
selon lequel la conscience réflexive est non seulement inexistante mais impossible en
rêve. Or, il a été constaté depuis l'Antiquité qu'un rêveur peut être parfaitement
conscient, au moment même où il rêve, qu'il est en train de rêver, et se souvenir parfois
de sa vie de veille avec autant d'acuité que s'il était éveillé.

Ce n'est donc pas le seul aspect implicite du présupposé négateur qui fait obstacle
à la recherche sur le rêve, mais également tous les présupposés qui sont déduits sur sa
base, également implicitement, car ils donnent l'apparence de résulter de l'observation
alors que cette observation n'est en fait que partielle et s'appuie au contraire sur le
présupposé pour guider son examen. Ainsi le seul critère réellement valide pour désigner
une expérience onirique ne peut être que ce qui a permis de la reconnaître comme telle
avant toute théorie, c'est-à-dire son caractère perçu. S'il en est ainsi la solution d'une
étude réelle du rêve s'offre à nous du même coup : l'examen attentif de la littérature
onirique doit nous permettre de reconnaître des présupposés implicites non encore
apparus pour peu que l'on garde à l'esprit ceux déjà dégagés et les attitudes qui les
guident : la réduction du phénomène du rêve à son souvenir et la seule considération de
l'état d'éveil pour se faire une représentation du monde, attitudes qui sans
nécessairement être fausses se révèlent incomplètes et unilatérales pour l'étude du rêve.
Si au contraire on admet que les deux modes d'appréhension du phénomène onirique ont
chacun leur validité il devient alors possible d'aborder la connaissance du rêve selon une
démarche scientifique tout en reconnaissant au rêve la possibilité de l'être. Le problème
de la connaissance est ainsi porté au cœur du rêve : le rêve n'est plus seulement un
élément qui sert à bâtir une représentation du monde dont il est ontologiquement exclu
mais il est lui-même un objet ou un être de connaissance. C'est ce que va tenter de
montrer ce chapitre. Pour cela nous allons d'abord justifier, en les développant, les
affirmations qui précèdent avant d'aborder la question centrale du présent travail dont le
but est de fonder cette démarche.

Ramener le rêve, comme le fait la position réductrice, à des éléments qui par
eux-mêmes n'ont rien d'oniriques, c'est conférer au rêve une unité par accident, et c'est
en fin de compte lui refuser l'être. Henri Bergson, par exemple, ne fait pas autre chose
lorsqu'il explique le rêve par un relâchement de la volonté : « les mêmes facultés
s'exercent, soit qu'on veille soit qu'on rêve, mais [...] elles sont tendues dans un cas et
relâchées dans l'autre. Le rêve est la vie mentale tout entière, moins l'effort de
concentration »[4]. C'est dire qu'entre la veille et le rêve il n'y a pas de différence de
nature. A l'état de veille comme dans le rêve les souvenirs purs viennent s'inscrire dans
le cadre de la perception mais dans un cas ce cadre est étroit, prévu pour l'action, tandis
que dans l'autre il est plus large et plus flou - en raison de l'indifférence du rêveur pour
la vie éveillée et d'une perception plus étendue et plus diffuse du monde extérieur. Le
geste de Bergson qui donne au rêve une importance considérable ("la vie mentale tout
entière") lui refuse en même temps la possibilité d'avoir une nature propre. Le rêve
devient comparable, pour l'esprit éveillé qui l'examine, à ce qu'est une illusion d'optique :
il n'est rien par lui-même, il est le "moins" d'autre chose ("moins l'effort de
concentration") et croire en sa "nature" n'est qu'un point de vue faussé par une
information incomplète. Caractéristique à cet égard est le dialogue imaginé par
Bergson entre le moi de rêve et le moi de veille : le moi de rêve, sommé par le moi de
veille de s'expliquer sur son activité, répond : « Je ne faisais rien , et c'est justement
par là que nous différons [...] Tu donnes, sans t'en douter, un effort considérable »[5]. Si
le moi de rêve ne fait rien, si l'activité onirique elle-même est fournie par le moi de veille,
cela revient à nier l'existence d'un moi de rêve : c'est une fiction. La position de
Bergson n'est qu'un exemple célèbre de l'attitude réductrice envers le rêve : loin de
chercher à découvrir la nature propre du rêve, elle tend d'emblée à le volatiliser, c'est-
à-dire à lui refuser une forme propre. Sans doute doit-on voir là une tendance légitime
de l'esprit qui cherche à rendre compte d'un phénomène en apparence étrange, le rêve,
par des éléments connus de la vie de veille. Mais surtout le rêve lui-même se prête bien
à ce genre d'analyse : il n'y offre pour ainsi dire pas de résistance et s'adapte si
naturellement à une telle démarche que son manque d'être ne semble pas pouvoir être
mis en doute.

Pourtant, lorsqu'on considère la question de plus près, cette absence de


résistance apparaît plus comme le fait de l'analyse elle-même que comme une propriété
du phénomène onirique. Par exemple à propos du problème de la création en rêve,
Bergson déclare « lorsque l'esprit crée, lorsqu'il donne l'effort que réclame la composition
d'une œuvre ou la solution d'un problème, il n'y a pas sommeil ; - du moins la partie
de l'esprit qui travaille n'est-elle pas la même que celle qui rêve ; celle-là poursuit, dans
le subconscient, une recherche qui reste sans influence sur le rêve et qui ne se
manifeste qu'au réveil »[6]. Si cette recherche "ne se manifeste qu'au réveil", c'est qu'elle
se poursuit bel et bien pendant le sommeil, ou alors il faudrait admettre qu'un homme
endormi est aussi éveillé. Qu'est donc alors cette partie qui travaille de façon
subconsciente pendant le sommeil tout en étant éveillée ? Bergson ne l'explique pas,
et il ne le pourrait pas, compte tenu de l'exemple qu'il a choisi, sans remettre en
question sa conception du rêve. Bergson en effet se réfère ici à Robert Louis
Stevenson qui mettait ses rêves à son service pour écrire ses romans[7]. Or, les
remarques faites par Stevenson indiquent clairement un état de rêve : d'une part il
précise que ce travail onirique se déroulait tout au long de la nuit (« aussitôt les
petites gens commençaient à s'affairer pour atteindre le même but, travaillant tout le
long de la nuit, tout le long de la nuit campant devant lui des tronçons d'histoires sur leur
théâtre illuminé »[8] et d'autre part il marque bien la différence avec l'état d'éveil (« et
en fin de compte le retour jubilant, d'un bond, à l'état de veille, avec le cri : " Je tiens
mon sujet! Voilà qui fera l'affaire! " sur les lèvres »[9]). Enfin les différences
d'appréciation qu'il porte sur son travail dans les deux états sont bien reconnaissables
(« Assez souvent, le réveil lui apportait une déception. Il avait dormi trop profond […] et
l'esprit, une fois éveillé, voyait la pièce comme un tissu d'absurdités. Et pourtant
combien de fois ces brownies […] lui ont procuré alors qu'il ne faisait, lui, que jouir du
spectacle du fond de sa loge - de meilleures histoires que celles qu'il aurait pu élaborer
de lui-même »[10]. De fait le texte de Stevenson comporte des exemples de rêves
créatifs dont il est impossible de contester le caractère onirique[11] sans faire du rêve une
construction conceptuelle entièrement artificielle.

On peut alors se demander si le résultat auquel parvient Bergson n'est pas en


fait une définition posée a priori, définition reposant elle-même sur le présupposé
évoqué. En effet, ou bien on n'examine qu'une certaine catégorie de rêves, et on ne peut
alors prétendre rendre raison du rêve, ou bien on prétend rendre raison du rêve, et alors
on ne peut classer comme appartenant à l'état d'éveil ce qui relève manifestement du
rêve. C'est là un cas particulier qui revient fréquemment chez les théoriciens du rêve : on
part de l'examen de phénomènes qui se présentent au cours du sommeil et auxquels
l'appellation de "rêve" est automatiquement accordée, puis en fonction de la théorie
construite pour rendre compte des résultats de l'étude cette appellation ne concerne plus
que ce qui entre dans le cadre de la théorie. Les rêves "résiduels" s'expliquent alors
comme n'étant pas des rêves, soit qu'on considère en aval qu'ils n'appartiennent pas au
sommeil, comme c'est le cas pour Bergson, soit qu'on se place en amont pour leur
refuser l'existence comme le fait Freud lorsqu'il écrit : « Si, par un procédé que les autres
auteurs n'ont pas employé, nous pouvons prouver que le rêve a sa valeur propre au point
de vue psychique, que son motif est un désir, et qu'il trouve son matériel immédiat dans
les événements de la journée, toute autre doctrine qui aura négligé ces faits et qui aura
vu dans le rêve une réaction psychique inutile et énigmatique à des stimuli somatiques
sera condamnée par là même. Ou bien il faudrait admettre un fait invraisemblable ; il
y aurait deux sortes de rêves distincts, je n'aurais connu que les uns, les anciens
auteurs n'auraient connu que les autres »[12]. Freud ne lutte donc contre une réduction
que pour en imposer une autre. Il n'envisage à aucun moment la coexistence de types de
rêves fondamentalement différents.

Ainsi refuser de prendre en considération l'être du rêve peut mener non


seulement à des analyses factices susceptibles d'être simplement démenties par les faits
mais même à rejeter les faits. Il ne s'agit cependant pas ici de juger de la validité de
thèses comme celles de Bergson ou de Freud en elles-mêmes : ce n'est pas ici
l'argumentation proposée qui est réductrice ni l'intention qui l'anime, mais bien le
présupposé qui la sous-tend. Bergson précise que ses observations sont incomplètes et
portent sur les rêves « qui appartiennent plutôt au sommeil léger. Quand on dort
profondément, on fait peut-être des songes d'une autre nature, mais il n'en reste pas
grand-chose au réveil »[13]. Freud pour sa part reconnaît volontiers qu'il « nous est
impossible d'expliquer le rêve en tant que phénomène psychique, car expliquer signifie
ramener à ce qui est déjà connu, or il n'existe jusqu'à présent aucune notion
psychologique sous laquelle nous puissions ranger les éléments de base qui se dégagent
de l'examen psychologique du rêve », et c'est ce qui le conduit « à faire de nouvelles
hypothèses sur la structure de l'appareil psychique et le jeu de ses forces »[14]. Mais s'il
se refuse à ramener le rêve à des phénomènes psychiques "déjà connus", il n'envisage à
aucun moment de considérer le rêve pour lui-même et s'empresse de le réduire à des
phénomènes inconnus et insaisissables directement. La profondeur des analyses de
Freud et de Bergson n'est probablement pas atteinte par l'inadéquation des prémisses
utilisées, mais leur validité ne peut alors être que partielle. Elles s'avèrent de toute
façon insuffisantes pour permettre de conclure sur la nature du phénomène onirique. Le
domaine de validité de démarches qui ne prennent pas en considération l'être du rêve
doit donc être examiné pour en préciser les limites. Mais cela suppose tout d'abord
l'examen des formes les plus courantes qu'a pris cette réduction dans les différents
champs de la connaissance qui se sont occupé du rêve comme la psychologie, la
neurobiologie ou la philosophie.

L'histoire de la philosophie semble pourtant montrer que loin de réduire


implicitement le rêve au non être, la philosophie commence par lui donner un être tel
qu'il est capable de bouleverser notre idée même de la réalité. Donc dans le cas où il y
aurait réduction, il n'y aurait pas là présupposé, mais bel et bien analyse et donc
conclusion sur la nature du rêve quant à son être. Des auteurs comme Platon ou
Descartes ont commencé par laisser apparaître le rêve dans toute sa profondeur
ontologique, au moins au premier abord. Ainsi Socrate demande à Théétète « quel indice
démonstratif on pourrait fournir à qui demanderait, actuellement, dans le moment à
présent donné, si nous dormons et rêvons toutes les pensées que nous avons, ou si nous
sommes éveillés, si c'est un état de veille que nous entretenons ensemble »[15] ; ou
encore Descartes s'interroge : « Il me semble bien à présent que ce n'est point avec des
yeux endormis que je regarde ce papier ; que cette tête que je remue n'est point
assoupie ; que c'est avec dessein et de propos délibéré que j'étends cette main et que je
la sens : ce qui arrive dans le sommeil ne semble point si clair ni si distinct que tout ceci.
Mais en y pensant soigneusement, je me ressouviens d'avoir souvent été trompé lorsque
je dormais par de semblables illusions. Et m'arrêtant sur cette pensée, je vois si
manifestement qu'il n'y a point d'indices concluants ni de marques assez certaines par où
l'on puisse distinguer nettement la veille d'avec le sommeil, que j'en suis tout étonné ; et
mon étonnement est tel qu'il est presque capable de me persuader que je dors »[16]. Et
là il ne s'agit plus d'une contestation « que maintes fois, j'imagine, tu as entendue »[17],
c'est-à-dire d'une opinion, même argumentée, mais d'un étonnement c'est-à-dire d'une
expérience philosophiquement vécue, d'un vertige non plus seulement dans
l'argumentation, mais qu'on serait tenté de qualifier d'existentiel[18]. Au cours de telles
interrogations rêve et veille semblent mis à égalité sur le plan de l'être.

Pourtant il faut prendre garde ici que ce qui est considéré ce n'est pas le rêve,
mais le problème de la connaissance, et que par là même la dimension ontologique
accordée au rêve n'est dès le départ qu'une dimension de façade. En effet c'est la
nature même de la démarche qui implique une diminution de l'être du rêve, comme va
nous le montrer un examen rapide de la façon dont le problème est posé ici. L'un des
aspect les plus remarquables de cette démarche est l'ancrage de l'interrogation dans
l'expérience présente. Que l'on se situe de façon insistante "maintenant, dans le moment
présent donné" pour Socrate, "à présent" pour Descartes indique qu'il est question de
porter un jugement sur la réalité présente, non pas en ce qu'il s'agit d'une expérience
parmi d'autres, mais de l'expérience même de ma présence au monde et de qualifier
cette présence : rêve ou éveil ? On comprend pourquoi on ne s'intéresse pas à un
événement passé pour savoir s'il a été vécu en rêve ou à l'état de veille. Un événement
passé n'a pas, ne peut pas avoir cette qualité de présence qui rend possible
l'interrogation, il n'est plus qu'indirect, comme le rêve dont on parle, il est un souvenir,
c'est pourquoi ni le souvenir du rêve ni l'événement passé ne peuvent être pris à partie.
Si l'on donne à l'interrogation sa pleine valeur, le passé est frappé de suspicion : si je ne
sais vraiment pas maintenant si je rêve ou veille, puis-je être assuré de l'avoir su
auparavant, alors même que je ne me posais pas la question ? Or, ce qui motive la
question, ce qui lui sert d'argument, c'est justement le passé : « je me ressouviens
d'avoir souvent été trompé » ; il faut donc que le passé soit certitude, ce qu'il ne peut
pas être dans la perspective adoptée. L'interrogation s'inscrit alors dans un cercle dont
on ne peut sortir qu'en admettant que dès le départ on n'accorde pas un statut égal aux
deux états : il y a un savoir implicite sur les deux états contenu dans la question.

L'autre aspect de la démarche est complémentaire du premier. Il s'agit de savoir


comment distinguer veille et sommeil. « Il n'y a point d'indice concluant ni de marques
assez certaines par où l'on puisse distinguer nettement la veille d'avec le sommeil »,
ou encore « il est bien embarrassant de savoir au moyen de quel indice on doit le faire
voir »[19]. Mais s'il en est vraiment ainsi on voit mal comment le problème a pu
commencer à se poser et ce qui permet de le poser. Comment se poser la question de la
distinction si la distinction n'est pas d'une certaine façon déjà faite ? Là aussi il y a un
cercle dont on ne peut sortir qu'en admettant un savoir implicite de ce dont on prétend
ne pas être capable de trouver d'indice. La vraie question est de dégager la nature de ce
savoir implicite qui se heurte à l'exigence d'un savoir "net" et "certain". Sans doute,
comme le fait remarquer Bergson peut-on « distinguer deux choses l'une de l'autre, et en
déterminer jusqu'à un certain point les rapports, sans pour cela connaître la nature de
chacune d'elle »[20]. Oui, mais dans le cas présent c'est la distinction de la veille et du
rêve qui fait problème, et non leur nature : « je me ressouviens », dit Descartes « d'avoir
souvent été trompé lorsque je dormais par de semblables illusions ». Et Socrate insiste
pour ne pas laisser de côté « la considération des songes, des maladies et spécialement
du délire, de tout ce qu'on appelle illusions de l'ouïe, de la vue et autres illusions des
sens »[21]. Il s'agit donc non pas de mettre au jour la connaissance implicite d'une
distinction que l'on peut faire sans connaître la nature des termes que l'on distingue,
mais plutôt de se rendre compte que c'est la connaissance implicite de la nature des
termes qui permet de les distinguer. Le terme "d'illusion" montre que le déséquilibre est
présent dès le début, le rêve étant d'emblée considéré comme irréel, et l'éveil comme
réel. On comprend donc que le rêve et la veille n'ont pas, pour la réflexion, la même
profondeur ontologique : aussi bien cette profondeur n'avait jamais été accordée.

Ce qui déséquilibre la symétrie de la question, c'est qu'elle a au départ une


portée précise, qu'elle s'inscrit dans une démarche d'ensemble. Pour Socrate il s'agit de
critiquer la thèse selon laquelle « la sensation constitue la connaissance et que ce qui
apparaît à chacun, c'est aussi pour celui à qui cela apparaît, ce qui existe »[22]. Or, les
songes « et autres illusions des sens [...] sont unanimement considérés comme
constituant la réfutation de la thèse que nous venons d'exposer »[23]. Pour Descartes, il
s'agit de chercher une certitude initiale pour constituer la science vraie, et la mise en
doute de la réalité du monde extérieur n'est qu'un moment dans une entreprise
méthodique. Dans chaque cas le contexte dans lequel est posé la question, et qui
contient par avance des éléments de réponse, en modifie les termes. Pour Socrate il est
« impossible de contester que ceux qui sont en proie au délire ou qui rêvent, fassent de
faux jugements »[24] et le problème est bien plutôt de trouver un « indice qui fasse voir
avec certitude quels sont ceux de nos jugements qui sont vrais »[25] que de distinguer
rêve et veille dont au contraire la distinction préalable sert d'auxiliaire à l'argumentation.

Sur quels critères s'appuient alors ces démarches pour refuser l'être du rêve ? En
fin de compte l'illusion n'est pas tant du côté du rêve comme on aurait pu le penser tout
d'abord (« il s'en faut de beaucoup que ce qui apparaît alors à chacun existe pour autant,
et, tout au contraire, [...] rien n'existe de ce qui lui apparaît »[26]) que du côté sujet qui
juge de façon erronée. Le rêve n'est pas illusion en tant que rêve, mais en tant que le
jugement le confond avec l'état de veille : dire que « les sensations qui s'y produisent
sont d'une fausseté sans égale »[27] revient en fait à désigner une déficience du
jugement et non à qualifier une sensation. Ainsi la qualification d'illusion ne suffit pas
pour réduire le rêve au non-être puisque ce n'est pas lui qu'elle concerne. Pour
comprendre pourquoi « les uns se figurent être des dieux et que les autres, dans leur
sommeil, pensent avoir des ailes et être en train de voler »[28] il ne semble pas
nécessaire d'admettre une différence de nature entre la veille et le rêve, mais bien plutôt
une déficience qui se situe d'emblée du côté du sujet, celle d'un des principes qui
constituent l'âme humaine. Pour peu que ce principe soit présent dans le sommeil, l'âme
atteint la vérité, sans que l'éveil soit nécessaire pour cela (« toutes les fois au contraire
que, après avoir […] donné le branle à la troisième [forme d'âme] celle dans laquelle se
produit l'acte de penser, on goûte ainsi le repos, ne sais-tu pas que c'est en cet état
qu'on est, au plus haut degré, en contact avec la vérité, alors aussi qu'est le moindre
possible le dérèglement des visions qui nous apparaissent dans nos rêves ? »[29]. Ce
n'est donc pas tant le rêve qui est incriminé que l'âme. La vérité peut aussi bien être
atteinte à l'état de veille que dans le sommeil, mais ce n'est pas la perception, de veille
ou onirique, qui y mène. Mais puisque la connaissance du vrai ne permet pas de
départager ces deux perceptions, le moindre être du rêve par rapport à la veille ne
repose sur aucun critère philosophique précis : il est a priori, ou dépend d'une simple
opinion, mais il n'est à aucun moment conclu de l'argumentation.

De même pour Descartes le rêve n'est une illusion qu'en tant qu'il n'est pas
reconnu comme tel car sa qualité perçue n'est pas mise en doute. C'est certes une
perception d'un type bien particulier, celle dont le corps est la cause et qui est due à
l'agitation des esprits animaux, mais c'est tout de même une perception puisque les
images oniriques ne diffèrent en rien par elles-mêmes de celles perçues à l'état de
veille : elles ne portent pas la marque de leur nature. La différence entre le rêve et la
veille tient simplement au type d'activité (ou de passivité) de l'âme, et c'est cette activité
ou son absence qui entraîne ou non l'illusion : « Et, en effet, si quelqu'un, lorsque je
veille, m'apparaît tout soudain et disparaissait de même, comme font les images que je
vois en dormant, en sorte que je ne puisse remarquer d'où il viendrait, ni où il irait, ce ne
serait pas sans raison que je l'estimerais un spectre ou un fantôme formé dans mon
cerveau, et semblable à ceux qui s'y forment quand je dors, plutôt qu'un vrai
homme »[30]. L'irréalité du rêve dépend donc d'un principe de cohérence, c'est-à-dire
d'un jugement, mais elle ne peut être constatée dans la perception onirique[31].
Puisqu'on pose d'emblée la veille comme référence pour ce principe de cohérence, c'est
qu'on nie l'être du rêve a priori.

Ainsi même si le rêve n'a pas d'emblée été ramené à l'image mentale comme
c'est le cas aujourd'hui en psychologie[32], sa diminution ontologique est corrélative de la
diminution gnoséologique de l'âme, et cette situation a certainement contribué à le placer
dans le sujet par une sorte de glissement insensible. C'est le cas pour Bergson, qui
assimile le rêve au passé : le souvenir pur, qui n'est pas représentable (« les souvenirs
que ma mémoire conserve ainsi dans ses plus obscures profondeurs y sont à l'état de
fantômes invisibles »[33]), a besoin de la perception pour prendre forme : dans le rêve,
ce sont les perceptions subjectives, telles que les phosphènes ou les sensations
cénesthésiques, qui permettent aux souvenirs purs de prendre forme, de s'incarner en
tant qu'images mentales, ce qui revient à dire que l'image onirique n'a pas d'existence en
elle-même. Le rêve passe alors complètement du côté du sujet et se définit comme un
monde intérieur d'images, ce qui suffit à lui assurer un degré d'être moindre.

Cependant la réduction du rêve à l'image suffit-elle toujours pour constater une


diminution ontologique ? La croyance populaire et la psychologie des profondeurs qui
donnent dans l'état de rêve la primauté (mais non l'exclusivité) à l'image, lui accordent
cependant l'être, car pour elles les images oniriques sont porteuses de significations qui,
même méconnues, en sont la raison d'être. Certes, accorder la signification au contenu
du rêve relève, comme le remarque Raymond de Becker, d'un postulat, mais ce postulat
« n'est pas différent de celui qui fait croire à la valeur de nos perceptions sensorielles et
à la réalité du monde extérieur. Les penseurs les plus matérialistes ont admis que cette
croyance n'était précisément qu'une croyance. [...] Lénine écrivait dans Matérialisme et
Empiriocriticisme : " L'admission ou la répudiation de la notion de matière est pour
l'homme une question de confiance au témoignage des sens ". Dans les deux cas le
postulat se justifie par ses conséquences pratiques. La croyance en la réalité du monde
extérieur facilite un certain nombre de comportements ainsi que l'adaptation à son ordre
phénoménal. De même, la croyance en la réalité du monde imaginaire doit pouvoir se
justifier par une meilleure adaptation à l'univers intérieur et par une découverte du
Sens »[34].

Dans la mesure où l'image onirique, tout autant que l'objet de la perception


physique, peut avoir des conséquences physiques, affectives ou intellectuelles, il faut la
considérer comme un être justement parce qu'elle diffère de la perception : « si la réalité
de l'image n'est que le point d'affleurement de matériaux inconnus, la perception de son
côté, n'opère qu'un triage intéressé dans l'ensemble des faits extérieurs. Elle n'est que
signal de reconnaissance d'une totalité qui, en elle-même, demeure insaisissable par les
sens. L'univers que perçoivent ces derniers n'est que l'algèbre d'un autre univers, qui est
aussi celui du réel absolu. L'on pénètre donc par l'image dans une dimension du réel qui
n'appartient pas au monde mesuré par les sciences dites exactes. Mais le postulat dont
j'ai parlé veut que toute image (ou tout contenu de rêve) corresponde à une
situation, un état ou un événement que l'analyse se propose de déchiffrer au
travers de l'image de même que par la perception nous apprenons à reconnaître
et à individualiser ce qui tombe sous le sens »[35]. C'est faire de la connaissance par
images l'équivalent d'une connaissance par les sens, mais appliquée à un monde
d'images et plus particulièrement aux images oniriques, et c'est accorder à cette
connaissance la possibilité d'être une connaissance vraie, possibilité indépendante des
interprétations ou des systèmes d'interprétations qui se développent à partir d'elle.

Cependant la connaissance par les sens à l'état de veille diffère de la connaissance


par image dans l'état de rêve en ce qui concerne le sens. L'homme éveillé donne un
sens aux événements et situations qui se présentent à lui tandis qu'il doit chercher celui
du rêve, même si ce sens n'apparaît pas. Dans la vie éveillée les situations n'ont pas de
sens en elles-mêmes mais pour une conscience, le sens y est donc relatif ; tandis que
dans le rêve le sens, même multiple, étant la raison d'être du rêve, doit posséder
vis-à-vis de la conscience qui le cherche une autonomie, à tel point qu'un rêve, même
non compris, n'en doit pas moins contenir un sens en soi - alors qu'une situation à l'état
d'éveil ne peut avoir de sens que pour moi. Cette fois le rapport à l'illusion se renverse :
dans le rêve incompréhensible ce n'est pas le rêve qui est illusoire, c'est
l'incompréhensibilité. Lorsque Freud reconnaît que « tous les rêves ne peuvent pas être
interprétés »[36], il l'explique aussitôt non par un manque intrinsèque de sens mais par
une opposition qui empêche l'accès à un sens existant : « Il ne faut pas oublier que les
forces psychiques qui ont déformé le rêve s'opposent au travail d'interprétation »[37].
Ainsi, si l'image onirique est un être parce qu'elle a un sens, ce sens existe en soi
indépendamment de la conscience qui le comprend, et par conséquent indépendamment
de l'image en tant qu'image. En effet, dans la mesure où la mise en image du sens ne
vient, du point de vue logique, qu'en deuxième lieu (c'est ce qui ressort de la position de
Freud : « Il ne peut y avoir de fait conscient sans stade antérieur inconscient, tandis que
l'inconscient peut se passer de stade conscient et avoir cependant une valeur
psychique »[38]), il est clair que l'image onirique elle-même n'existe que pour une
conscience, fût-elle onirique. Dans une telle perspective le rêve est avant tout ce que la
conscience onirique perçoit d'un contenu fondamentalement inconscient car la conscience
se révèle n'être « qu'un organe des sens qui permet de percevoir les qualités
psychiques »[39], c'est-à-dire l'inconscient puisque selon Freud l'inconscient « est le
psychique lui-même et son essentielle réalité. Sa nature intime nous est aussi
inconnue que la réalité du monde extérieur, et la conscience nous renseigne sur
lui d'une manière aussi incomplète que nos organes des sens sur le monde
extérieur » [40]. Ainsi, pour la psychologie des profondeurs, la raison profonde du rêve
se ramène à l'inconscient : « La notion d'inconscient, en supprimant l'ancienne opposition
de la vie consciente et de la vie de rêve, supprime du même coup une série de
problèmes qui avaient préoccupé les anciens auteurs. On n'attribue plus au rêve, mais à
la pensée inconsciente de veille, les activités dont le résultat étonnant apparaît pendant
le rêve »[41].

Du point de vue ontologique le rêve disparaît en tant que tel, il n'est plus qu'un
résultat en ce qu'il s'explique par des "forces psychiques" qui ne sont pas elles-mêmes à
l'état d'image et qui peuvent se manifester tout autrement, par exemple dans les lapsus
ou les actes manqués. La réalité n'est pas tant accordée à l'image onirique qu'à la force
psychique dont elle n'est que la manifestation : l'être du rêve est alors un être par
procuration. Il se présente néanmoins ici comme pourvu d'une unité, grâce au sens, et
d'une certaine autonomie par rapport à la conscience onirique et vigile du rêveur.
Pourtant même ce dernier point demande à être nuancé car il dépend de la conception de
l'inconscient. Or, l'inconscient n'est pas un "autre monde", extérieur au sujet rêvant, et
qui se superposerait au monde de la veille, car si le sens du rêve apparaît indépendant
de la conscience, il ne peut exister, par sa nature même de sens, que dans un esprit,
en l'occurrence celui du rêveur. Les psychanalystes nous objecteraient ici les
observations de Freud sur le rêve télépathique[42], mais il faut reconnaître d'une part
qu'elles n'ont pas contribué à l'élaboration de sa théorie et d'autre part que, lorsque ces
questions sont abordées, le phénomène initial objectif est déformé par la structure
psychique subjective du rêveur. L'autonomie de la structure psychique n'est donc pas
mise en cause par de tels phénomènes. Ainsi la psychologie des profondeurs, tout en
reconnaissant la réalité de l'inconscient, réduit en même temps le rêve à la pensée : « Le
rêve n'est au fond qu'une forme particulière de pensée que permettent les conditions
propres à l'état de sommeil »[43]. Cette réduction est actuellement la tendance la plus
marquée dans la plupart des ouvrages sur le rêve qui, à l'exception de ceux de
neurophysiologie, ne croient pas pouvoir traiter du rêve sans parler de son interprétation,
et font parfois même de l'interprétation le tout de l'étude du rêve.

Si le postulat selon lequel toute image onirique a un sens intrinsèque entraîne la


réduction du rêve à la pensée, une approche qui n'en tiendrait pas compte et s'efforcerait
d'étudier le rêve comme un phénomène du monde extérieur échapperait-elle alors à
toute réduction ontologique ? Delage qualifie une telle approche "d'objective" : « La
méthode objective consiste à juger des rêves, non par la seule narration qu'en fait le
rêveur, mais par ses signes extérieurs […] A l'inverse de ce qui se passe dans
l'introspection, le rêveur et l'observateur sont deux personnes différentes : ce dernier se
tient auprès du dormeur et l'observe. Il note avec soin la profondeur du sommeil,
déterminée au moyen des différents esthésiomètres, l'activité de la respiration et de la
circulation, par l'ampleur et la fréquence du pouls, la position du dormeur, son aspect,
les variations de sa physionomie, ses gestes, ses paroles, ses cris, ses changements
d'attitude, et jusqu'aux moindres contractions des muscles de son visage, en marquant
avec précision, la succession et l'heure exacte de tous ces indices. Cela fait, au réveil
spontané, ou provoqué à tel ou tel moment de l'observation, il interroge le dormeur et lui
fait raconter ses rêves, mais sans lui demander autre chose que l'exposé pur et simple
des tableaux qui se sont présentés à lui, des scènes dont il a été témoin ou acteur, et des
émotions éprouvées, se chargeant lui-même de tirer les conclusions qui résultent du
rapprochement des rêves et de leur manifestation extérieure »[44].

En fait, même une telle approche, bien qu'elle permette une expérimentation
active, dans la mesure où elle reste tributaire du souvenir du rêve pour mener à bien ses
expériences, n'échappe pas au présupposé réducteur. Ainsi se comprend l'approche des
physiologistes du dix-neuvième siècle qui a cherché d'emblée à ramener les rêves à des
excitations sensorielles externes ou internes : « La méthode expérimentale consiste à
déterminer des rêves au moyen d'impressions sensorielles, soit par l'emploi d'un
mécanisme approprié (sonnerie ou boîte à musique déclenchée par un mouvement
d'horlogerie, ainsi qu'a fait Hervey de Saint-Denys), soit plus souvent, à l'imitation de
Maury, par l'intervention personnelle d'un observateur. On cherche ainsi à communiquer
au dormeur des impressions sensorielles déterminées, à des moments notés de façon
précise, puis on l'abandonne à lui-même pendant le court temps nécessaire pour que le
rêve puisse s'accomplir ; alors on le réveille et on l'interroge. Ces impressions
sensorielles et la nature des rêves qu'elles peuvent susciter sont faciles à deviner : on
passe devant les yeux fermés des lumières blanches ou colorées ; on produit des sons
variés ; on prononce à l'oreille des mots impressionnants ou des noms familiers, on
répand des substances odorantes, on provoque des variations de température générales
ou localisées, on pratique des attouchements, des chatouillements dans le dessein de
faire naître des rêves ayant quelque ressemblance avec la cause évocatrice. Le
physiologiste Mourly-Vold a institué tout un système d'expériences faisant intervenir des
impressions musculaires : ce sont des liens, maintenant tel ou tel membre dans telle
position, des gants emprisonnant les mains, des bûches chargeant le dos de leur poids ;
enfin, il n'est pas jusqu'au goût et à l'odorat que l'on n'ait fait intervenir de la façon qui
se devine sans qu'il soit besoin d'insister davantage »[45].
L'intention réductrice transparaît dans la méthode mais son insuffisance à rendre
compte du rêve apparaît dans les questions auxquelles elle ne peut pas répondre. On est,
par exemple, « tenté de douter de la théorie de l'illusion et du pouvoir de provoquer les
rêves qu'auraient les impressions objectives, quand on s'aperçoit que ces impressions
peuvent prendre à l'occasion les significations les plus bizarres et les plus
différentes »[46]. Une même excitation peut ainsi être à l'origine de rêves très différents,
comme la sonnerie du réveille-matin de Hildebrant qui provoque chez lui trois rêves sans
rapport entre eux[47], et cela marque son caractère accidentel. Freud remarque
également que « la théorie de la stimulation somatique [c'est-à-dire les stimuli
organiques] ne peut pas non plus expliquer entièrement l'apparente liberté que
conservent les images évoquées dans les rêves »[48]. La réduction du rêve à l'excitation
sensorielle externe ou interne apparaît donc, contrairement aux autres types de
réduction, peu féconde pour expliquer le rêve tant que l'on ne peut circonscrire un
phénomène directement observable dont le rapport avec le rêve soit à la fois indubitable
et essentiel.

Ce phénomène onirique directement observable n'est mis en évidence au


vingtième siècle qu'après la mise au point par Hans Berger de l'électroencéphalographie
qui permet l'enregistrement de très faibles courants électriques émis spontanément par
le cerveau, et la découverte par Eugen Aserinsky de l'existence de mouvements oculaires
rapides[49] à certains moments du sommeil au cours desquels l'activité cérébrale est plus
proche de l'éveil tandis que se relâche toute la musculature axiale du corps, raison pour
laquelle Michel Jouvet a donné à ces périodes le nom de "sommeil paradoxal"[50]. Il
localise chez le chat les neurones responsables de l'inhibition motrice et dont la
destruction permet d'observer, dans une certaine mesure, le rêve "extériorisé", comme
en témoignent ses expériences : « si la connaissance et l'analyse du contenu subjectif
des rêves des chats nous sont à jamais interdites, il est devenu maintenant possible,
sinon aisé, de démasquer et d'étudier objectivement le comportement onirique d'un chat.
En effet, si l'on supprime sélectivement le mécanisme d'inhibition active qui s'exerce sur
les efférences motrices, par des lésions électrolytiques de la partie caudale du complexe
des noyaux locus coeruleus, rien n'empêche plus alors l'extériorisation motrice du rêve
[...] On assiste alors, périodiquement au cours du sommeil, à des épisodes spectaculaires
: les chats présentent pendant quelques minutes des comportements de type
"hallucinatoire" [...] Ils chassent des souris ou se défendent contre des chiens
imaginaires. Rage, agression, défense, tel est le répertoire onirique habituel du chat. Il
ne peut s'agir d'éveil car les signes oculaires (myosis et rétraction des membranes
nictitantes) sont pathognomoniques du sommeil profond ou du rêve. En outre, les
animaux ne réagissent pas aux stimuli visuels ou auditifs qui leur sont présentés »[51].

La possibilité d'observer le rêve au moment même de son déroulement permet


ainsi des expériences dont la vérification ne doit rien à un récit de rêve. On se trouve
devant un type de recherche qui apparaît de prime abord comme complémentaire de
celui de la psychanalyse, tout entière fondée sur ces récits. Mais à l'examen cette
complémentarité se révèle être en fait une opposition, opposition due à ce que des
méthodes différentes constituent différemment leur objet comme l'indique cette
remarque de Michel Jouvet au sujet de la psychanalyse : « L'étude subjective du rêve (ou
plutôt des souvenirs de rêve) a connu la fortune que l'on sait avec la psychanalyse. Le
dialogue reste cependant difficile, sinon impossible, entre neurobiologistes et
psychanalystes. La démarche scientifique des premiers se heurtant sans cesse à l'aspect
scolastique et dogmatique de la métapsychologie freudienne. Un tel dialogue n'a sans
doute que peu d'intérêt, car bien peu d'hypothèses freudiennes ont été vérifiées par la
neurophysiologie »[52].

Cependant malgré son aspect objectif, et peut-être même parce qu'elle ne


s'appuie que sur lui, la neurophysiologie ne réduit-elle pas le rêve à un fonctionnement
cérébral ? Car c'est uniquement le cerveau qui est en question ici et la place qu'y tient le
rêve présente la particularité que le récit du rêve n'est pas nécessaire à la progression
de la recherche neurobiologique ainsi que le montrent les types d'hypothèses proposées
par les chercheurs : « Pour [M. Jouvet] le rêve n'est pas un discours [...] mais une
activité cérébrale à fonction "reprogrammatrice", une sorte de "bombardement
génotypique" qui entretiendrait la particularité individuelle [...] J.-P. Changeux a exprimé
l'hypothèse que les centres du rêve envoient un "bruit" dans les synapses pour stabiliser
des structures non utilisées de façon efficace durant l'état de veille : le rêve n'est là,
indique-t-il, "que pour laisser le programme génétique s'exprimer et/ou préserver la
stabilité de son expression phénotypique" »[53]. Force est ici de reconnaître que le point
de départ de l'interrogation, le rêve que vit le rêveur et qui l'étonne à son réveil, a
pratiquement disparu du champ de la recherche au profit du phénomène observé. Le
rêve est toujours là, bien sûr, mais relégué au second plan, et ne sert plus que de garant
à un ensemble de manifestations qui en sont l'expression physique. Et encore n'est-il là
qu'à titre d'hypothèse comme le reconnaît Michel Jouvet qui déclare au sujet des
comportements des chats au cours du sommeil paradoxal : « Ces comportements sont
sans doute l'équivalent du rêve chez l'animal (comment demander à un chat le souvenir
qu'il a de ces comportements lorsqu'il se réveille ?) »[54].

Lorsque le rêve est assimilé à l'image mentale, à la pensée ou à un


fonctionnement cérébral, dans tous les cas il subit une diminution d'être car aucun de ces
éléments ne permet de rendre raison de ce qui fait la spécificité du rêve. Peu importe
pourtant, semble-t-il, puisque la recherche peut progresser malgré - et peut-être grâce à
- cette réduction ainsi qu'en témoignent les résultats obtenus par la psychanalyse et la
neurophysiologie : le présupposé réducteur s'avérerait donc fécond malgré le problème
de la coordination de ces disciplines. Toutefois, si l'on garde à l'esprit que le rêve est
avant tout, d'un point de vue existentiel, ce qui se donne à la conscience d'un rêveur en
l'absence du monde et que c'est par ce simple fait que commence l'étude du rêve, on
s'aperçoit que les problèmes de fond auxquels se heurtent les recherches découlent
directement de ce présupposé négateur.

La neurophysiologie nous donne l'illustration la plus immédiate de ce genre


d'insuffisance. Certains chercheurs contestent que le travail de Michel Jouvet sur le
sommeil paradoxal des chats, par exemple, nous renseigne vraiment sur le rêve[55]. Pour
cela il faudrait admettre que le sommeil paradoxal est le rêve, et l'est absolument. Or,
l'assimilation du rêve au sommeil paradoxal repose non sur une induction jamais
contredite par l'expérience, mais sur une statistique : « Après une étude portant sur près
de deux cents réveils au cours de différents stades de sommeil, [Dément] nota que 80%
des dormeurs réveillés se rappelèrent de leurs rêves après des réveils suivant des
périodes de sommeil accompagnées de mouvements oculaires rapides, contre 7%
seulement après des périodes de sommeil profond »[56]. Les 7% de rêves obtenus en
sommeil lent ont cependant été considérés par Kleitman et Dement comme dus « à la
confusion provoquée par un réveil brusque ou au souvenir de rêves ayant lieu à un autre
moment »[57]. Il faut remarquer qu'une telle hypothèse ruine le principe de l'observation
et invalide du même coup celle que ces auteurs veulent défendre. De plus d'autres
chercheurs ont observé des rêves répondant aux critères de Kleitman et Dement en
sommeil lent : « Ayant été éveillés du sommeil profond (NREM) certains sujets ont pu
faire état d'une activité tout à fait similaire à celle du rêve. En voici un exemple
particulièrement frappant. Brown et Cartwright (1978) demandèrent à des sujets
d'actionner un commutateur miniature fixé à l'une de leurs mains par une bande
adhésive toutes les fois qu'ils seraient, en dormant, conscients de percevoir des images
visuelles. L'expérimentateur les éveillait alors pour qu'ils puissent les décrire. Pour huit
sujets, ces comptes rendus furent évalués quant à leur qualité onirique en se référant à
une échelle de cinq points caractéristiques d'une fiabilité éprouvée […]. Les sujets se
servirent du commutateur aussi souvent dans l'état de sommeil profond (NREM) que
dans le premier stade du sommeil paradoxal (REM). L'évaluation du caractère onirique
pour ces différents comptes rendus fit ressortir le fait suivant : l'imagerie visuelle repérée
par les sujets eux-mêmes, dans leur sommeil et signalée par eux en actionnant le
commutateur possédait un caractère onirique presque deux fois supérieur à celles des
rêves qui furent recueillis par ailleurs, à titre de contrôle, l'éveil des sujets étant alors
décidé par le seul expérimentateur, aussi bien en phase de sommeil profond qu'au cours
du sommeil paradoxal »[58]. De telles divergences entre chercheurs montrent que la
corrélation ne porte pas tant sur le rêve que sur sa remémoration. Le sommeil
paradoxal serait pour le cerveau l'état optimum de la remémoration des rêves, mais pas
nécessairement de sa production .

Certains se sont aussi appuyés sur les différents stades de sommeil pour
distinguer des nuances qualitatives d'un phénomène onirique qui ne prendrait la forme
du rêve que dans le sommeil paradoxal. C'est par exemple ce que fait Ann Faraday qui
distingue entre les rêves "REM", c'est-à-dire entre rêves du sommeil paradoxal, et les
rêves "NREM", du sommeil lent, qui ne seraient pas tant des rêves que des sortes
d'ébauches mentales à différents degrés d'élaboration[59]. Mais, d'une part, on ne peut
être assuré que ces nuances ne qualifient pas plutôt la remémoration que le phénomène
onirique lui-même et, d'autre part, leur évaluation est également statistique.

A partir de là il devient difficile d'affirmer absolument - même si la


vraisemblance en est très forte - que le comportement du chat (dont une région précise
du cerveau a subi des lésions) au cours du sommeil paradoxal correspond à celui de son
rêve tant que l'on n'a pu mettre en rapport de façon fiable ce comportement observé
de l'extérieur et le récit fait par le sujet qui a vécu le rêve. La recherche nous renseigne
donc essentiellement sur le sommeil paradoxal, et l'hypothèse qui identifie rêve et
sommeil paradoxal, malgré sa forte probabilité, n'apparaît pas nécessaire pour la
progression de ce type de recherche.

Ce désaccord des neurobiologistes sur ce point illustre bien les difficultés


auxquelles se heurte toute étude du rêve qui cherche à l'objectiver, c'est-à-dire n'étudier
que ses aspects extérieurs observables. Les "marques" du rêve, pour être simultanées au
phénomène onirique, n'en sont pas moins dérivées et tant qu'un moyen n'est pas trouvé
de réunir les côtés objectif et subjectif du rêve, il n'est guère possible de dépasser le
niveau des hypothèses en ce qui concerne le rêve lui-même.

C'est sans doute la raison pour laquelle la psychologie des profondeurs se trouve
confrontée au même problème, bien que de façon inverse. Le postulat du sens nécessite
de façon incontournable le développement d'une méthode et d'un système
d'interprétation. Or, un système d'interprétation exclut par définition ce qui n'entre pas
dans le système[60], et, comme nous l'avons déjà remarqué, on en arrive à refuser le
statut de rêve à ce qui au départ aurait été, indépendamment de toute théorie, considéré
comme tel. Mais cela ne remet pas en cause le postulat du sens dans la mesure où
chaque système peut être compris comme une étape dans la progression d'une
recherche : par exemple les théories jungiennes intégreraient ce qui, après examen,
subsiste des conceptions freudiennes, tout en les élargissant[61]. Pourtant le postulat du
sens, en entraînant la nécessité de l'interprétation ou de la compréhension, risque de se
nier lui-même. Comment savoir en effet à quel moment on a trouvé le sens du rêve[62] ?
Les faisceaux d'indices convergents ou ce que ressent de façon affective le sujet lorsqu'il
"reconnaît" le sens et lorsqu'il y réagit par un comportement nouveau ne constituent pas
des certitudes[63]. C'est ce que montre le problème des niveaux de sens et de la
surdétermination. Comment savoir d'une part où s'arrêter dans la recherche d'un sens
qui est toujours susceptible de renvoyer à un autre, et comment comprendre d'autre part
la multiplicité des sens d'un même rêve sans perdre son unité ? Le rêve ayant plusieurs
sens semble être moins le mode onirique de leur manifestation que leur prétexte. D'un
côté l'interprétation n'autorise que certaines directions de recherches, mais de l'autre ces
directions sont tellement riches par rapport au rêve en tant qu'image qu'on peut se
demander si sa découverte, lorsqu'elle n'est pas production, ne repose pas plus sur la
méthode d'interprétation que sur le rêve lui-même. C'est une critique que
Jung adresse à Freud lorsqu'il constate que la méthode des associations libres conduit à
établir le contexte du rêve « tout aussi peu qu'elle permettrait de déchiffrer une
inscription hittite. Les associations libres, naturellement, révéleront tous mes complexes,
mais je n'ai, pour ce faire, nul besoin de rêve ; autant partir d'un écriteau ou d'une
quelconque phrase de journal! »[64]. Cette critique peut être étendue à toute recherche
du sens des rêves dans la mesure où cette recherche nécessite une méthode. Dans cette
perspective le sens apparaît comme un élément non pas constituant mais dérivé, en ce
que même dans le cas où il est intrinsèquement lié au rêve, il n'est pas
fondamentalement sa raison d'être. Certains, tel Roger Caillois, adoptent une attitude
radicale à ce sujet : « l'un des travers les plus nobles de l'esprit humain [...] est de
s'acharner à trouver un sens à ce qui n'en a pas et à tirer ainsi le significatif de
l'insignifiant »[65]. Le sens psychologique comme le sens physiologique (le
fonctionnement cérébral) semblent être "surajoutés" à ce qui apparaît primitivement
simplement comme une image mentale.

Mais l'assimilation du rêve à l'image mentale entraîne elle aussi certaines


difficultés car elle suppose que le rêve est une production de l'imagination analogue aux
images que nous nous formons à l'état de veille comme par exemple dans le rêve
éveillé et la rêverie. La différence qualitative de ces productions résiderait dans les
conditions physiologiques de leur manifestation : dans l'état de veille leur évocation
serait atténuée par la présence du monde et contrôlée par les facultés rationnelles tandis
que le sommeil, en inhibant la perception et les facultés rationnelles, leur rendrait
intensité et liberté (ou automatisme) de combinaison. Or, il n'est pas sûr que les images
oniriques soient toujours de même nature que les productions de l'imagination éveillée
comme le montre l'observation comparative la plus simple qui permet de constater des
différences structurelles et qualitatives qui ne semblent pas présenter de rapport avec
l'intensité de l'évocation[66]. Ces différences sont à ce point frappantes que certains
observateurs de leurs rêves vont jusqu'à considérer qu'il existe deux imaginations
différentes : « dans le rêve, quoi qu'en en dise, jusqu'à l'imagination se tait. Elle n'a pas
de part au spectacle qui lui est présenté et dont la composition est due à une autre
imagination, inconnue, anonyme, hors de portée. Celle-ci ne laisse pas de liberté et n'en
possède pas »[67].

Et même si nous admettons qu'image mentale et image onirique ne sont qu'une


seule et même chose, l'examen attentif des rêves nous pose alors un nouveau problème
: le rêve comporte ses propres "images mentales", en ce sens qu'un rêveur, au cours
d'un rêve, tout en se situant dans un environnement onirique donné qu'il "croit"
percevoir, peut évoquer d'autres lieux, ou d'autres sujets, en des images qui ont dans
le rêve les caractères de l'évocation à l'état d'éveil et donc ne sont pas du même type
que l'image onirique qui joue le rôle de percept[68]. Or, une telle distinction de niveaux
n'a pas été observée à l'état de veille au sein des images mentales : si elles ne
présentent pas toutes une intensité égale d'évocation lorsque le sujet les examine elles
ne comportent pas de telle "rupture de niveau" dans une même image. Assimiler
image onirique et image mentale revient donc à "aplatir" le rêve et à gommer les
questions qui lui sont spécifiques sur le terrain même de l'image.

En fin de compte le présupposé qui sous-tend la perspective réductrice entraîne


deux types d'insuffisances : d'un côté il masque les problèmes véritablement spécifiques
du rêve, et de l'autre il risque de faire étudier comme rêve ce qui n'est pas tout à fait le
phénomène onirique mais n'en est qu'un à-côté. Il convient à cet égard de préciser que
ces insuffisances n'entraînent pas une remise en question radicale des divers types
d'assimilation. Il n'est en effet pas question de nier que le rêve puisse être image
mentale, pensée signifiante ou fonctionnement cérébral mais de montrer qu'il n'est pas
que cela, ou qu'il n'est pas toujours cela. Dans ce cas, on peut considérer que si les
diverses théories contemporaines peuvent être accréditées par les résultats qu'elles
obtiennent, c'est sans doute en partie parce qu'elles examinent des catégories de rêves
qui répondent à la conception qu'elles s'en font et qui en retour les justifient. Certes il est
facile d'accepter l'idée qu'au sein d'un même domaine (par exemple la psychanalyse)
divers types de rêves permettent la formulation de diverses théories, même si cela
revient à faire éclater l'unité définitionnelle du rêve à laquelle ces théories prétendent
atteindre[69], mais le succès de théories opérant dans des domaines incompatibles tels
que la neurophysiologie et la psychanalyse suggère une autre réponse : le présupposé
réducteur, malgré les insuffisances qu'il entraîne dans le domaine théorique doit en fait
lui-même reposer sur des constatations psychologiques empiriques ou sur des
inférences suffisamment rapides pour avoir un caractère de saisie intuitive et qui doivent
être en partie fondées, faute de quoi sa diffusion serait difficile à expliquer. Mais étant
donné les inconvénients dont il est l'origine, il importe de délimiter la portée exacte de
ces saisies intuitives opérées de façon empirique.
Ces constatations empiriques se résument par deux qualificatifs négatifs :
inconsistance et incohérence. D'un point de vue immédiat, le sentiment du manque de
consistance correspond à ce que ressent le rêveur au moment du réveil devant l'aspect
fuyant du rêve. D'un côté la remémoration en est souvent fugitive, le rêveur accrochant
quelques scènes de façon fragmentaire et parfois abstraite comme lorsqu'il sait avoir
rêvé de telle ou telle chose mais n'en conserve aucune image, ce qui lui procure un
sentiment d'inconsistance qu'il attribue, par glissement, à sa vie nocturne elle-même.
D'un autre côté le rêve en se dissipant brusquement donne au rêveur un sentiment
rétrospectif d'illusion dont le support doit appartenir au monde éveillé puisque c'est le
monde éveillé qui permet la reconnaissance du caractère illusoire, d'où la tendance à
faire du rêve un élément du monde de la veille non pas à part entière, mais comme une
partie qu'on aurait par erreur prise pour le tout, ou encore comme une qualité que l'on
aurait indûment abstraite à partir d'une perception concrète, ce qui, par la suite, conduit
aux assimilations que nous avons déjà rencontrées.

On peut supposer que c'est ce même sentiment d'inconsistance qui se tient


derrière les réflexions philosophiques que nous avons examinées et qui comparent les
états de veille et de rêve : lorsqu'on met l'accent sur l'impossibilité de distinguer veille et
rêve et qu'on ramène le rêve et la veille au même niveau ontologique, c'est le plus
souvent pour douter de la veille et non pour élever ontologiquement le rêve. Ainsi on
maintient la différence entre le rêve et la veille dans le temps même où on la suppose
abolie. En réalité une telle équivalence devrait entraîner la perte des points de repère
entre la veille et le rêve de sorte qu'on ne puisse plus définir l'un par rapport à l'autre ni
même en tirer de conclusion sur le plan ontologique. Or, peut-on admettre une
inconsistance métaphysique sur la base d'une inconsistance psychologique quand cette
dernière n'est pas généralisable ? Qu'advient-il en effet de ces constatations empiriques
dans le cas des rêveurs dont la remémoration des rêves fournit des images aussi claires
et nettes que des souvenirs de l'état de veille, sinon plus, et des scènes oniriques
complètes à chaque réveil ? Maury rapporte par exemple que « Peu de personnes rêvent
aussi vite, aussi fréquemment que moi ; fort rarement le souvenir de ce que j'ai rêvé
m'échappe, et la mémoire de mes rêves subsiste souvent pendant plusieurs mois aussi
fraîche, je dirai volontiers aussi saisissante, qu'au moment de mon réveil »[70]. On peut
aussi se rapporter à des études plus quantitatives de la remémoration du rêve. Pour le Dr
Robert Van de Castle, par exemple, « le procès-verbal d'une seule de ses nuits comporte
de 60 à 70 pages alors que pour le commun des mortels, ce document est de l'ordre de
25 à 30 pages. On constata en analysant cinq études officielles visant à rechercher les
"unités de signification" - la plus petite unité descriptive -, qu'il était, et de loin, le roi,
avec un total de 2439 unités »[71].

Le problème se pose alors différemment : il n'est plus question d'inconsistance,


car le souvenir du rêve a toutes les apparences, et donc tous les attributs, d'un souvenir
de perception. Pour de tels rêveurs la question du réel se pose avec beaucoup plus
d'acuité que pour les "mauvais rêveurs"[72]. Le problème est généralement résolu, nous
l'avons vu, par la constatation d'incohérence, comme le fait Descartes : « Et je dois
rejeter [...] cette incertitude si générale touchant le sommeil, que je ne pouvais
distinguer de la veille : car à présent j'y rencontre une très notable différence, en ce que
notre mémoire ne peut jamais lier et joindre nos songes les uns aux autres et avec toute
la suite de notre vie, ainsi qu'elle a coutume de joindre les choses qui nous arrivent étant
éveillé [...] Mais lorsque j'aperçois des choses dont je connais distinctement et le lieu
d'où elles viennent, et celui où elles sont, et le temps auquel elles m'apparaissent, et
que, sans aucune interruption, je puis lier le sentiment que j'en ai, avec la suite du reste
de ma vie, je suis entièrement assuré que je les aperçois en veillant, et non point dans le
sommeil »[73]. Dans un tel cas la diminution ontologique n'est pas constatée ou montrée,
comme pour l'inconsistance, mais inférée, en ce sens qu'elle dépend du raisonnement,
du jeu des facultés : « Et je ne dois en aucune façon douter de la vérité de ces choses-là,
si, après avoir appelé tous mes sens, ma mémoire et mon entendement pour les
examiner, il ne m'est rien rapporté par aucun d'eux, qui ait de la répugnance avec ce qui
m'est rapporté par les autres »[74].

Pourtant cette inférence à base empirique ne peut elle non plus suffire à conclure
à l'incohérence d'un point de vue métaphysique. En effet la cohérence interne des rêves
est parfois telle qu'elle a rendu perplexes les observateurs de leur vie onirique : « La
cohérence des rêves me troubla désormais beaucoup plus. Je ne m'explique pas encore
comment la cohue d'images qui fait irruption dans la conscience du dormeur, réussit à s'y
composer en enchaînements acceptables, en histoires qui se suivent, en aventures
ordonnées. Il me semble que les rêves ne devraient comporter que des images folles et
anarchiques, sans le moindre lien entre elles. Or, les miens devenaient de plus en plus
rigoureux et, pour ainsi dire, merveilles d'horlogerie, ou plutôt ils savaient m'en donner
l'impression. Bientôt, le fait de rêver m'apparut en soi plus digne d'attention que ne
l'était le contenu des rêves »[75].

De plus la constatation de l'existence d'une telle cohérence interne a mené à


poser l'hypothèse d'une cohérence externe qui, pour être purement d'argumentation,
n'en révèle pas moins une certaine inquiétude de la pensée comme le montre l'argument
du voyageur de Pascal repris par Caillois : « Si l'on suppose [...] un homme en proie
toute sa vie à un songe qui se continue d'une nuit sur l'autre, et si on le transporte
chaque nuit, pendant qu'il rêve, en des pays différents et sans rapports entre eux, ce
sont ces journées vécues en des décors disparates avec des compagnons éphémères, qui
auraient à ses yeux la fragilité des songes, tandis qu'il serait rendu chaque nuit à une
existence suivie, qui ne pourrait pas ne pas lui paraître son existence véritable »[76].
Argument d'autant plus "personnel" qu'il est arrivé à Roger Caillois lui-même de se
trouver dans cette situation : « Les rêves cohérents ont ceci d'insidieux qu'ils se laissent
plus facilement que les autres confondre avec la réalité. Pour comble, ils commencèrent à
m'assaillir à une époque où je voyageais trop souvent et trop vite »[77]. Une telle
escalade dans la réflexion indique au moins que l'incohérence du rêve par rapport à la
veille n'est pas plus généralisable que son inconsistance. On peut comprendre que de
telles remarques empiriques, dans la mesure où elles constituent une expérience
répandue, aient pu former la base d'un présupposé ontologiquement réducteur, mais on
peut également supposer que des constatations psychologiques empiriques d'ordre
opposé, même si elles sont moins courantes, permettent d'arriver à des conclusions
différentes.

C'est ce qui ressort des positions de l'autre perspective, pour laquelle le rêve est
non pas ramené à des éléments de l'état de veille mais considéré comme une réalité
propre ayant son autonomie par rapport au rêveur. Cependant cette position est
généralement considérée comme le fruit d'une pensée restée à un stade inférieur de
développement. On lui reproche en effet de considérer les rêves « non point en tant
que phénomènes psychologiques, mais en tant qu'expériences réelles de
l'âme désincarnée, ou comme la voix d'esprits ou de fantômes. Ainsi, les
Ashantis affirment que, si un homme rêve avoir des relations sexuelles avec l'épouse
d'un autre homme, il sera condamné à payer l'amende qui, d'ordinaire, châtie l'adultère,
car son âme et l'âme de la femme coupable ont eu des relations sexuelles. Les Papous
Kiwai de la Nouvelle Guinée croient que, si un sorcier parvient à s'emparer de l'âme d'un
rêveur, celui-ci, plus jamais, ne s'éveillera de son sommeil. Sous une autre forme voici la
même croyance en la réalité des événements du rêve : les esprits des morts
apparaissent dans le rêve pour nous exhorter, nous avertir, ou nous apporter toutes
sortes de messages »[78]. Dès l'abord le rêve est ramené à la catégorie des phénomènes
psychologiques qu'on oppose à celle d'expérience réelle. On considère en effet que
l'attribution de la réalité au rêve n'est pas une attitude réfléchie mais spontanée, en
quelque sorte une inclination irréfléchie, qu'incarnent par excellence l'enfant et le primitif
dans la mesure où, pour eux, « l'opposition entre le Moi et le Monde extérieur, entre le
sujet et l'objet, n'a pas encore acquis toute sa netteté »[79] et qui par conséquent sont
plus aptes à confondre rêve et veille. C'est sans doute le cas de l'enfant dans les
premiers stades de son développement mais le primitif ne peut être comparé à l'enfant ;
il faut plutôt considérer que son évolution est différente : « Comme l'enfant d'un certain
âge, le primitif fait aussi une différence entre les événements du rêve et ceux de l'état
vigile, mais il apparaît dans son attitude vis-à-vis du rêve une particularité hautement
caractéristique : sa mentalité, comparée à la nôtre, n'est pas simplement restée à un
stade antérieur, mais elle a évolué d'une manière différente. Il considère les images du
rêve comme des révélations mystiques, qui au fond sont vraies ; l'événement du rêve
n'est pas pour lui moins "réel" que celui du jour, mais il se situe sur un plan totalement
différent. Tandis que notre éducation amène bientôt l'enfant à admettre que la vie du
rêve a un caractère imaginaire et qu'il n'y faut prêter aucune attention, le primitif,
prenant au sérieux la vie du rêve, en tire des conséquences en ce qui concerne sa
conduite à l'état vigile »[80].

Si l'on admet, comme le fait l'auteur de ces phrases, que la mentalité primitive a
évolué différemment de la nôtre, et que cette évolution est, dans notre cas, due à une
éducation par opinion - il n'y a en effet pour l'enfant "civilisé" pas de réflexion sur le
phénomène onirique puisqu'il lui est conseillé de n'y "prêter aucune attention" -, la
comparaison de cette mentalité à celle de l'enfant sur ce sujet ne se justifie plus à aucun
moment, pas même comme point de départ de la réflexion. Il y a en fait ici non pas
confusion du rêve et de la réalité à quelque degré que ce soit mais hétérogénéité de
valeurs qui s'inscrivent souvent dans une vision du monde suffisamment développée pour
qu'on comprenne qu'il ne s'agit pas sur le plan onirique d'une mentalité infantile.

De fait une telle assimilation n'a généralement pas lieu sur d'autres plans. En
effet, en dehors des problèmes du rêve, et plus précisément en dehors des problèmes du
rêve tels que se les posent les spécialistes qui l'abordent sous l'angle psychanalytique,
les chercheurs admettent que la mentalité primitive n'est pas un stade inférieur de la
pensée civilisée. Lévy-Bruhl lui même précise que « l'activité mentale des primitifs ne
sera plus interprétée d'avance comme une forme rudimentaire de la nôtre, comme
infantile et presque pathologique »[81]. Et au sujet du rêve il précise bien que les
primitifs « ne sont pas non plus dupes d'une grossière illusion psychologique. Ils savent
très bien distinguer le rêve d'avec les perceptions de la veille, et qu'ils ne rêvent que
lorsqu'ils dorment »[82].

D'ailleurs l'attribution de la réalité au rêve fait dans d'autres civilisations l'objet de


positions nettement réflexives et philosophiques et dans ce cas, puisque c'est justement
de la différence entre les deux états que naît la question, il ne peut y avoir là à aucun
moment confusion par absence de distinction[83]. Le texte célèbre de Chuang-zi[84] - qui
ne sait pas s'il est un homme qui a rêvé qu'il est un papillon ou un papillon qui rêve
maintenant qu'il est un homme - est un exemple typique (et classique) donnant prise à
un commentaire sur l'équivalence ontologique du rêve et de la veille : « Le papillon fit un
rêve. En rêvant il est devenu Chuang-zi en train de regarder les fleurs. Les fleurs étaient
vraiment nombreuses. Il faisait bon. Il était terriblement heureux. A ce moment
Chuang-zi se réveilla. Il ne savait pas si le Chuang-zi de maintenant était le vrai
Chuang-zi ou le Chuang-zi qu'avait rêvé le papillon. Il ne savait pas non plus si
Chuang-zi avait rêvé du papillon ou si le papillon avait rêvé de Chuang-zi »[85].
Contrairement aux types d'analyses déjà vus ce texte ne tend pas à conserver
implicitement le déséquilibre ontologique dans la comparaison au moment même où il
prétend la supprimer mais au contraire attribue réellement la même valeur ontologique
aux deux états : « La portée métaphysique de l'apologue est déterminée par le
commentaire : " Qui suis-je en réalité ? demande Tchoang-Tseu. Dans mon cas, y a-t-il
deux individualités réelles ? Y a-t-il eu transformation réelle d'une individualité en une
autre ? " La glose décide : " Ni l'un ni l'autre. Il y a eu deux modifications irréelles de
l'être unique, de la norme universelle, dans laquelle tous les êtres dans tous leurs états
sont un " »[86]. La qualification d'irréalité ici ne doit pas tromper : elle indique que les
deux états sont bel et bien mis sur le même plan ontologique. D'autre part, si
Chuang-zi se pose la question, c'est que ces états sont vécus et pensés, au moins au
départ, comme différents. Il n'y a donc pas de confusion "primitive" mais plutôt
conclusion d'équivalence. La deuxième perspective sur le rêve ne peut donc pas
purement et simplement être considérée comme relevant d'un type de mentalité qui ne
distinguerait pas nettement veille et rêve car l'attribution de la réalité au rêve ne se fait
pas toujours par le biais d'une participation du rêve à l'état de veille.

Ainsi le présupposé réducteur ne se trouve à aucun moment fondé, ni


positivement puisque les constatations empiriques sur lesquelles il repose sont
elles-mêmes partielles, ni négativement car sa critique des positions contraires met au
jour non pas une mentalité infantile mais un adversaire spéculativement consistant. Il est
ainsi à la source d'une double difficulté puisqu'il fausse l'examen des modes
d'appréhension du rêve qui lui sont contraires et empêche une réelle progression des
théories qui s'appuient sur lui - leur inaptitude à fonder en droit l'assimilation proposée
ou à se poser les problèmes spécifiques du rêve en témoigne, ainsi que l'incompatibilité
entre les divers champs d'étude. Ce présupposé conditionne en effet les voies d'approche
utilisées pour étudier le phénomène onirique : récit, marques objectives, comparaison
spéculative... Or, ce qui est requis pour une telle étude c'est un mode d'approche qui soit
capable non pas de les additionner mais de les intégrer. Une telle approche, si elle se
tient à l'écart d'un présupposé qui conduit à des impasses, devrait permettre un
approfondissement de questions parfois à peine entrevues au sujet du rêve et souvent
simplement méconnues en raison du point de vue réducteur sous-jacent. Mais est-elle
possible ?

Puisqu'une approche fondée sur la diminution ontologique du phénomène onirique


conduit aux difficultés que nous venons d'exposer, on peut penser qu'une position
accordant l'être au rêve, non point en tant que fondement théorique, implicite ou
explicite, mais en tant qu'hypothèse méthodologique, devrait les éviter ou les résoudre.
L'étude du rêve doit en effet porter avant tout sur le rêve lui-même, et non uniquement
sur les manifestations qui en sont dérivées comme le souvenir (le plus souvent sous
forme de récit) où les tracés polygraphiques (dont les tracés EEG) qui, en tant qu'aspects
du rêve, lui sont sans doute nécessaires mais ne sauraient suffire à leur propre
intégration dans un ensemble plus vaste - la partie ne pouvant être plus grande que le
tout. Or, nous avons vu qu'on se heurte là à une objection qui apparaît radicale : la
connaissance ne progresse que par la conscience réfléchie, laquelle est absente dans le
rêve. Le rêveur n'est certes pas inconscient, sinon il ne pourrait pas même se souvenir
de ses rêves, mais sa conscience est en quelque sorte une conscience au premier degré,
qui ne se saisit pas elle-même. C'est d'ailleurs là la source de l'illusion qui nous fait
prendre le rêve pour la veille : « On s'y croit nécessairement en état de veille. Aurait-on
d'ailleurs le moindre doute sur ce point, c'est-à-dire se demanderait-on, en rêve, si l'on
rêve, que cette recherche serait inévitablement vouée à l'échec »[87]. Cette objection a
sa valeur mais elle n'est pas aussi définitive qu'il y paraît. La conscience réfléchie peut en
effet se trouver en rêve en ce sens que parfois le rêveur sait au cours de son rêve qu'il
est en train de rêver. Ce phénomène, dont l'étude se développe aujourd'hui sous le nom
de "rêve lucide", n'est pas passé inaperçu de ceux qui se sont intéressés au rêve.
Aristote le mentionne dans les Petits Traités d'Histoire naturelle[88]. Descartes, dans
ses réponses aux objections de Gassendi, précise que « nous expérimentons néanmoins
que, lorsque notre imagination n'est pas si forte, nous ne laissons pas souvent de
concevoir quelque chose d'entièrement différent de ce que nous imaginons, comme
lorsqu'au milieu de nos songes nous apercevons que nous rêvons »[89], ce dont il a fait
lui-même l'expérience ainsi qu'en témoigne ce passage d'un de ses rêves rapporté par
Baillet : « Il en était là, lorsque les livres et l'homme disparurent et s'effacèrent de son
imagination, sans néanmoins le réveiller. Ce qu'il y a de singulier à remarquer, c'est que,
doutant si ce qu'il venait de voir était songe ou vision, non seulement il décida en
dormant que c'était un songe, mais il en fit encore l'interprétation avant que le
sommeil le quittât »[90]. Freud pour sa part constate qu'il y a « des gens qui
manifestement savent qu'ils dorment et qu'ils rêvent et qui paraissent pouvoir diriger
leur vie de rêve d'une manière consciente »[91].

Cette émergence de la conscience réfléchie, qui présente par avance une


objection de fait à la position de Roger Caillois, survient ici au cours du rêve tel qu'il se
déroule pour le rêveur (pour Descartes il s'agit d'une délibération intérieure due à
l'examen du contenu du rêve) mais peut aussi se manifester au cours de
l'endormissement lorsque le dormeur glisse dans le sommeil et le rêve sans perdre
conscience. Dans chaque cas le rêve lucide supprime l'illusion sans supprimer le rêve, et,
le plus souvent, restitue au rêveur la mémoire de sa vie de veille sans l'éveiller.
Néanmoins, même en laissant de côté pour l'instant la question de la fréquence et de
l'utilisation de ce type de rêve pour l'expérimentation ou celle de son influence sur le
contenu onirique, de quelle façon peut-il nous permettre de surmonter les obstacles que
nous avons rencontrés ? La réponse réside dans le fait que le rêve lucide est le seul
phénomène connu qui permette une visée réfléchie du rêve de l'intérieur, et cette visée
suppose nécessairement, d'un point de vue méthodologique, une position réaliste
quant à la situation ontologique du rêve, un peu à la manière du réalisme naïf de
l'attitude naturelle à l'état de veille. Les expériences que les rêveurs lucides font dans
leurs rêves, et même parfois la simple observation qu'ils font de leur environnement
onirique, demandent jusqu'à un certain point qu'ils le traitent comme un donné qui leur
est extérieur même si, d'un point de vue théorique, ils ne lui accordent pas toujours la
réalité : c'est la pratique de leurs expériences qui suppose l'être du rêve. Un rêveur
lucide remarque par exemple au cours d'un rêve lucide : « En dépit de tous mes
efforts, je ne peux rien trouver qui suggère la possibilité que ce soit une illusion »[94].
Contrairement à la psychologie des profondeurs qui ne travaille que sur des récits de
rêves et dont l'approche peut impliquer, comme nous l'avons vu, un présupposé
ontologiquement réducteur sur le plan théorique, le rêveur lucide ne peut adopter le
point de vue réducteur, s'il le fait, que de façon explicite. La question de la réalité du
rêve d'un point de vue théorique reste alors ouverte et des recherches peuvent même
être menées à ce sujet car si en effet certains rêves se révèlent être modifiables presque
comme des images mentales de type courant (c'est-à-dire les images mentales dont
nous pouvons avoir conscience à l'état de veille) et donc admettre un degré ontologique
apparemment faible, d'autres peuvent laisser, chez les mêmes rêveurs lucides, un fort
sentiment de réalité en raison de ce qu'on pourrait appeler leur "qualité d'extériorité" et
se rapprocher ainsi plus d'un "perçu" que d'une "image mentale". Une telle approche
méthodologique permet donc de prendre conscience de l'existence du présupposé
réducteur, d'en relativiser la portée et également de susciter de nouvelles hypothèses qui
ont cette caractéristique d'être vérifiables grâce au rêve lucide, et ce dans les différents
domaines traitant du rêve que nous avons rencontrés.

La possibilité d'observer en pleine conscience le rêve de l'intérieur permet en


effet, en regroupant les observations de rêveurs différents, de passer du domaine de la
spéculation au terrain de l'expérience et d'étudier en rêve les situations que l'on tient
pour équivalentes à l'état de veille. Par exemple la question que l'on se pose à l'état de
veille, de savoir, sans pouvoir trancher, si oui ou non nous sommes en train de rêver,
possède en rêve un état équivalent appelé "prélucide", dans lequel le rêveur hésite sur la
"réalité" de ce qui l'entoure ainsi que le montre le rêve de Descartes qui a un moment de
"doute" avant de décider qu'il rêve. Le recoupement des observations des expériences
spontanées ou provoquées permet de constater qu'une telle question dans l'état de rêve
se conclut par une position ou une autre : soit le rêveur décide qu'il rêve, soit il décide
qu'il est bien éveillé, mais il ne reste pas un temps indéterminé à se poser la question
comme le font Socrate et Théétète à l'état de veille. Certains expérimentateurs ont
même mis au point des "tests" qui permettent de décider, en rêve, si l'on rêve, à tel
point que le rêve semble plus facile à caractériser dans l'état de rêve qu'à l'état de veille.
On pourrait presque en tirer argument pour répondre à cette question que Théétète
prétend trouver si embarrassante : lorsque l'on se pose la question de façon continue,
sans pouvoir trancher, c'est que l'on se trouve en état de veille. Il est vrai, et nous
l'avons vu, que la question posée n'est pas une question "sincère" puisque la différence
niée entre le rêve et la veille est en fait présupposée. Mais même en admettant que la
question soit authentique, la façon même dont elle se pose, dès lors qu'on la compare
avec la même question posée dans ce qui apparaîtra par la suite être effectivement un
état de rêve, permet désormais, par le biais de l'expérimentation onirique, d'apporter, au
moins sur le plan épistémologique, des éléments de réponse précis, et ce d'autant plus
que la possibilité d'observation consciente du rêve en train de se dérouler permet une
appréciation en quelque sorte plus "objective" de ces "états" oniriques, ou, si l'on
préfère, moins impliquée dans la trame des images oniriques sans pour autant provoquer
l'éveil du dormeur.

Sans cet examen intérieur on ne peut atteindre la spécificité du rêve. Si en effet


on ne se fonde que sur le souvenir du rêve, il est pratiquement impossible de neutraliser
le présupposé réducteur au moins pour deux raisons. D'une part le souvenir d'un rêve
partage avec celui d'un événement de veille la caractéristique de subir des
transformations et on peut se demander dans quelle mesure cette transformation n'est
pas pour le rêve particulièrement importante, même au moment du réveil. C'est ce que
soutient Marcel Foucault pour qui « les opérations logiques que l'on discerne en analysant
un souvenir de rêve sont consécutives au sommeil et s'effectuent, principalement,
pendant le réveil »[95]. Et même en admettant que le contenu ne subisse pas
d'altération, la forme qu'il prend peut être susceptible d'un travail d'élaboration comme
dans le cas du rêve éveillé[96]. D'autre part, lorsque le rêve n'a pas été pleinement
conscient, on peut se demander s'il a réellement eu lieu et s'il n'a pas été construit juste
au moment de l'éveil[97]. Or, le rêve lucide permet sinon de répondre à ces questions, du
moins de dépasser la généralité vague des réponses qu'on leur donne habituellement car
le rêveur lucide vit son rêve en direct : il constate qu'il rêve dans un temps qu'il sent
s'écouler (même s'il reste à déterminer si c'est ou non celui de la veille), qu'il peut
examiner les images auxquelles il a affaire (perçues ou évoquées, leurs différents
niveaux d'imbrication, leurs qualités telles que les couleurs, etc.) et se livrer sur elles à
des manipulations à fin d'expériences. C'est dire que le sujet qui rêve est non plus passif
mais actif, ou, plus exactement actif vis-à-vis du rêve en ce sens que dans un rêve
ordinaire le rêveur peut être actif dans le cadre proposé par le rêve alors que dans le
rêve lucide il l'est aussi sur ce cadre c'est-à-dire au sujet du rêve lui-même en sollicitant
des personnages oniriques, en étudiant le décor, sa transformation, l'action qu'il peut
avoir sur lui, les changements de scènes... et entre ainsi en interaction avec le rêve, ne
serait-ce que sous sa forme la plus simple qui est l'interprétation au cours du rêve.[98]

Ce type d'interaction minimum montre de plus qu'accorder l'être au rêve permet


de donner à la recherche du sens du rêve sa véritable place. Nous avons en effet vu que
le postulat du sens amène à dissoudre le rêve dans le sens, c'est-à-dire dans la pensée.
Or, si le phénomène onirique est considéré, de façon méthodologique, comme un donné
"extérieur" au rêveur, il devient possible d'en rechercher le sens "à l'occasion" du rêve,
ce qui permet, comme l'a fait Descartes, une interprétation qu'on pourrait qualifier
"d'intra-onirique". Elle présente l'avantage de réduire les éléments sans rapport avec lui
qui peuvent se présenter à l'état de veille (et donc d'échapper au problème des
associations d'images posé par Jung) et autorise par là, grâce à la pleine conscience, une
véritable recherche analogue à celles qui pourrait être menée à l'état de veille, par
exemple à l'aide des dialogues avec les personnages oniriques[99]. Cette façon de
procéder permet de se rendre compte si un rêve est dépourvu de sens ou plutôt si son
sens ne joue qu'un rôle secondaire alors que son contenu est susceptible d'un intérêt
intrinsèque. De la même façon les phénomènes de télépathie onirique mis en avant par
les psychanalystes peuvent s'expliquer tout autrement si l'on cesse de voir dans le rêve
le véhicule obligé d'un sens, fut-il d'une source extérieure au rêveur comme le croyait
Freud d'après qui « en insérant l'inconscient entre le physique et ce qu'on appelait
jusqu'alors " psychique ", la psychanalyse nous a préparés à admettre des phénomènes
comme la télépathie »[100]. Mais à partir du moment où le rêve présente un intérêt
intrinsèque, il devient possible d'envisager des explications tout à fait différentes des
mêmes phénomènes. En faisant ainsi de l'interprétation une option, ou plus précisément
en relativisant son importance, on se place à un point de vue qui autorise l'étude de
phénomènes que toute théorie reposant sur le postulat du sens ne peut en définitive que
déformer[101].

On pourrait cependant objecter que la conscience de rêver n'est qu'une apparence


et que les rêves lucides se ramènent en fait à des récits de rêves particuliers dans
lesquels, certes, un rêveur interagit consciemment avec son rêve, mais qui n'en restent
pas moins des récits ; il ne s'agirait là que d'un autre visage de la subjectivité
personnelle. Mais en fait la comparaison et la sommation des résultats individuels d'après
les récits a posteriori des expériences des rêveurs lucides n'est pas la seule façon pour
un observateur extérieur de constater et de rechercher les lois du monde onirique :
l'expérimentation intérieure à laquelle se livre le rêveur peut être suivie en laboratoire
grâce aux techniques d'enregistrements polygraphiques.

Nous avons vu que la neurophysiologie livrée à elle-même ne permet qu'une


étude partielle du rêve en raison du présupposé qui réduit le rêve au fonctionnement
cérébral. Si en revanche on accorde l'être au rêve c'est-à-dire si on considère le rêveur
(ou son cerveau) non plus seulement comme la "source" du rêve, ce qui est déjà se
placer sur le terrain métaphysique et donc au-delà de la méthodologie, mais aussi
comme l'explorateur d'un monde onirique, toujours pour des raisons méthodologiques,
on échappe alors au problème sur lequel bute la recherche neurophysiologique qui soit
s'appuie uniquement sur des récits a posteriori pour obtenir des corrélations
statistiques avec les phénomènes enregistrés, soit délaisse le récit et, réduisant le rêve à
ses manifestations observables, le perd. Or, il a été montré qu'un rêveur lucide peut, en
laboratoire, communiquer depuis son sommeil avec l'expérimentateur (par exemple lors
de la période de sommeil paradoxal au cours de laquelle le sujet est paralysé, par des
signaux oculaires codés) donnant lieu ainsi à des expérimentations corrélées qui
autorisent des découvertes plus fiables et plus fécondes que les études a posteriori. De
telles expérimentations permettent un nouveau type d'investigation de questions
controversées telles que savoir si le rêve se manifeste ou non dans les périodes de
mouvements oculaires rapides (REM). Elle permettent également de mesurer des effets
sur le corps physique du rêveur de situations oniriques précises, grâce à une
expérimentation par le rêveur sur le contenu de son rêve. On peut ainsi étudier la
psychophysiologie du rêveur non plus à partir d'expériences sur le corps endormi, comme
le faisaient les physiologistes du dix-neuvième siècle, mais cette fois à partir
d'expériences menée à l'intérieur du rêve, ce qui est un renversement de situation.

Un renversement de situation aussi radical est représentatif de ce que doit être


une étude objective du rêve au sens complet du terme (c'est-à-dire comprenant aussi
son observation en direct par le sujet qui rêve). Une telle étude doit tout d'abord dans la
mesure du possible éliminer les faux problèmes dus à des généralisations qui ont à leur
base le présupposé réducteur. En effet ces généralisations entraînent des définitions
fausses ou arbitraires du rêve qui empêchent dans le cours de la recherche de le
reconnaître là où il se manifeste et amènent à travailler de façon déductive, et non plus
inductive. C'est ce qui arrive par exemple à Henri Bergson et Roger Caillois dont
l'approche, qui pose par définition implicite qu'un rêveur ne peut jamais savoir au cours
même de son rêve qu'il est en train de rêver, n'est en fin de compte pas fondée sur autre
chose qu'un très fort sentiment personnel ; car il suffit par exemple de se référer aux
observations d'Hervey de Saint-Denys sur les rêves pour constater que son approche est
complètement différente lorsqu'il écrit au siècle dernier : « Je voyais en même temps se
développer chez moi, sous l'influence de l'habitude, une faculté à laquelle j'ai dû la plus
grande partie des observations consignées plus loin, celle d'avoir souvent conscience en
dormant de ma situation véritable, de conserver alors, en songe, le sentiment de mes
préoccupations de la veille, et de garder par suite assez d'empire sur mes idées pour en
précipiter le cours dans telle ou telle direction qu'il me convenait de leur imprimer »[102].
Il ne s'agit donc pas d'un phénomène aberrant surgissant de façon sporadique mais d'un
état de conscience suffisamment régulier pour permettre une expérimentation
personnelle un peu systématique. Hervey de Saint-Denys le précise dès les premières
pages de son livre : « Fixant dès lors tout particulièrement mon attention sur
quelques-uns de ces mystères psychologiques les moins clairement compris, je résolus
d'en surprendre l'explication durant le sommeil lui-même, en mettant à profit cette
faculté dès longtemps acquise, de conserver fréquemment au milieu de mes rêves une
certaine liberté d'esprit [...]. Réfléchissant pendant le jour aux questions les plus
intéressantes à éclaircir, épiant pendant les rêves où j'avais le sentiment de ma situation,
toutes les occasions de découvrir ou d'analyser, je savais secouer le sommeil par un
violent effort de volonté chaque fois que je croyais avoir surpris tout à coup quelque
opération de l'esprit particulièrement remarquable ; et saisissant alors un crayon,
toujours placé près de mon lit, je me hâtais d'en prendre note, presque à tâtons, les
yeux demi-fermés, avant qu'il en fût de ces subtiles impressions comme des images
fugitives de la chambre noire, si promptement évanouies devant le grand jour »[103].

Or, Bergson qui connaissait ce texte puisqu'il le mentionne expressément dans sa


conférence (« Je me rappelle en ce moment le livre du marquis d'Hervey sur les
rêves »[104]), n'a pas tenu compte de l'objection implicite que l'ensemble de ce livre
constitue à l'égard de sa théorie puisque sa définition du rêve en exclut l'attention, la
concentration et la volonté et qu'il serait impossible de les réintroduire sans porter
atteinte à la théorie psychologique dans laquelle il insère son analyse. Il est d'ailleurs
étonnant de le voir faire la critique d'un court texte de Stevenson en s'appuyant sur un
argument peu convaincant, tandis qu'il passe sous silence un livre d'une étendue plus
considérable et en complet désaccord avec sa pensée. Ce simple exemple montre que
définir ou caractériser le rêve par l'absence de pleine conscience revient à prendre pour
essentiel un caractère qui ne l'est pas et par là à fausser toutes les observations
subséquentes en empêchant de voir l'expérience qui la contredit.

Cependant la définition arbitraire n'est qu'un type de faux problème parmi ceux
qui entravent la recherche et dont le surgissement dépend de la réduction ontologique
implicite. Ces problèmes ne concernent pas toujours des aspects fondamentaux de la
recherche comme celui de la constitution de son objet (ici la définition du rêve) mais
peuvent porter sur des observations particulières. Par exemple, en vertu de la réduction
ontologique on a pu considérer que, puisque certains sujets rêvent en couleurs tandis
que d'autres ne rapportent que des récits en noir et blanc, c'est que l'on rêve en noir et
blanc (ce qui est un a priori implicite) et que ce qu'il faut chercher à expliquer c'est le
phénomène de la couleur : est-elle mise après coup par la conscience de veille, ou
relève-t-elle d'un état pathologique ? On voit nettement que s'il n'y avait pas derrière
cette hypothèse un présupposé réducteur on pourrait tout aussi bien poser la question
dans l'autre sens : partir de la supposition que le rêve est en couleurs est se demander
alors pourquoi il est en noir et blanc chez certains, s'il s'agit d'un problème de
remémoration ou d'un phénomène pathologique. La symétrie possible de la question est
d'ailleurs souvent l'indice que le problème est formulé en fonction d'un présupposé non
justifié.

Toutefois, s'il est clair qu'il est important d'éliminer les faux problèmes qui
entravent la recherche en la lançant sur de fausses pistes ou en suscitant la construction
de systèmes explicatifs arbitraires parce qu'incomplets dans les fondements, et onéreux
car tentant d'expliquer les phénomènes apparemment marginaux par une réduction
difficile qui souvent va de pair avec une sorte de prétention "impérialiste" sur le
phénomène étudié (ce qui aboutit, nous l'avons vu, à des incompatibilités constitutives,
comme dans le cas de la psychanalyse et de la neurophysiologie), il semble cependant
difficile d'y parvenir complètement car mettre au jour "toutes" les questions "biaisées"
concernant un objet d'étude est une tâche impossible, probablement par principe. Ce qui
néanmoins reste possible, c'est d'une part de travailler en tenant compte de l'existence
d'un présupposé dont on peut constater qu'il est à la base d'un ensemble de formulations
inadéquates, et surtout, d'autre part, de disposer d'un moyen qui permette en quelque
sorte de tester la valeur des questions posées, de vérifier leur pertinence, moyen dont
nous avons vu qu'il existe et qu'il permet un changement de perspective radical dans
l'étude du rêve : ce moyen est la conscience qu'a le rêveur de rêver, conscience qui a
reçu dans la littérature sur le sujet le nom de lucidité onirique.

A partir de là deux questions se posent : d'abord comment utiliser ce moyen pour


explorer les nouvelles hypothèses qui se dégagent dès lors qu'on a pris conscience du
présupposé réducteur ; et en quel sens ces hypothèses peuvent-elles faire l'objet d'une
vérification ? Ensuite quelle est la valeur non seulement de ces hypothèses mais aussi
des méthodes utilisées pour les vérifier et des conclusions obtenues ? En d'autres termes
la recherche récente sur le rêve dans laquelle la lucidité onirique est utilisée pour
l'étudier doit faire l'objet d'une évaluation critique pour qu'apparaisse la valeur des
résultats obtenus. Or, si le rêve lucide apparaît comme le moyen de cette nouvelle
recherche, il en est aussi la condition indispensable, à la fois objet d'étude du fait de son
aspect "conscientiel"[105] et domaine de recherche en tant que point de jonction des
différentes approches. Cette caractéristique de "condition indispensable" prend toute sa
portée dans la mesure où la reproductibilité des expériences ne dépend pas uniquement
de quelques sujets "doués" (au sens fort, c'est-à-dire qui disposeraient de "dons") et où
l'acquisition de la lucidité onirique peut être susceptible d'apprentissage, quelle que soit
sa difficulté, sinon par tous, du moins par une grande proportion de rêveurs dits
"ordinaires", ce qui est le cas. Notre travail aura donc par la force des choses un aspect
épistémologique, du fait de la matière étudiée, en ce sens qu'il ne sera pas simplement
une réflexion sur un phénomène dont tout un chacun peut facilement saisir la
généralité[106] mais devra s'appuyer sur la description d'expérimentations pour s'élaborer
et par conséquent analyser les bases de ces expérimentations. Toutefois il ne vise
aucunement à exposer l'ensemble des recherches sur le rêve lucide mais à dégager
certains problèmes et à les étudier d'un point de vue plus philosophique et plus
systématique que ne le permettent des études dispersées et de types divers. Son
objectif, comme on va le voir en précisant la thèse que nous voulons défendre, a une
portée plus métaphysique.

Car dans la mesure où le rêve lucide nous ouvre sur le rêve de nouvelles
perspectives de recherches et où les expériences qu'il autorise sont méthodologiquement
en désaccord avec la conception ontologiquement réductrice dont nous avons déterminé
les conditions, tout laisse supposer qu'une nouvelle conception métaphysique du rêve se
trouve impliquée dans l'ensemble de ces recherches. Le point de vue métaphysique
précédent refusait l'être au rêve soit sur la base d'une défaillance de l'âme, soit en le
ramenant à un monde intérieur au sujet qui rêve et n'existant que par et pour lui, soit en
combinant les deux arguments. Or, le sentiment de réalité dont un rêveur lucide peut
faire l'expérience en rêve contient comme une tentation d'être : d'abord psychologique
en tant que sentiment personnel, puis méthodologique en raison de l'expérimentation
intra-onirique, il glisse insensiblement vers la position métaphysique rejoignant la
deuxième perspective que nous avons évoquée et selon laquelle le rêve est considéré
comme un monde à part entière. Logiquement une telle conception devrait prendre le
contre-pied de la précédente et si l'on devait donner un fondement philosophique à
l'étude du rêve lucide, il résiderait dans l'examen et le développement de cette
conception antagoniste.

Quels en seraient les caractères ? Elle récuserait tout d'abord la défaillance de


l'âme comme entrant dans la compréhension du rêve, et le rêve lucide répond
complètement à une telle intention. Elle accorderait ensuite au rêve une extériorité et
une indépendance par rapport au rêveur, ce qui la pousserait à en affirmer l'être, même
sous une modalité non encore définie, le point important étant que ce monde du rêve ne
dépend pas de celui de la veille pour être, et c'est le trait le plus accentué de la deuxième
perspective. On pourrait donc supposer que la thèse de l'être du rêve, c'est-à-dire celle
qui chercherait à le restaurer ontologiquement, ou du moins à lui donner une dignité
ontologique qui lui est habituellement refusée, devrait être défendue ici à partir de cette
donnée nouvelle qu'est le rêve lucide. Une telle démarche semblerait en effet naturelle
dans le cadre que nous avons esquissé. Si le refus de l'être du rêve conduit à des
difficultés dont certaines semblent insurmontables, ne convient-il pas d'explorer l'autre
possibilité, même si on ne la pose qu'à titre d'hypothèse de travail, afin d'en tirer des
conclusions et d'en examiner la validité ?

Pourtant il faut remarquer que le rêve lucide, s'il remplit l'une des deux conditions
de la deuxième conception, celle de la conscience de l'état de rêve, et si cette condition
suffit pour ébranler le présupposé de la première conception, ne comporte en lui-même
aucune raison majeure de s'intéresser à la seconde condition, voire de lui donner crédit :
sur le plan psychologique le sentiment de réalité que le rêve procure souvent au rêveur
lucide ne correspond pas nécessairement dans sa vision du monde à une position
philosophique équivalente, et on sait que sur un plan méthodologique la recherche peut
s'accommoder pour l'objet visé d'un être qui n'est parfois qu'une supposition commode
pour permettre sa progression. De ce fait l'intérêt d'une telle démonstration apparaît
comme contingent.

Plus encore, la tentative directe d'une telle démonstration se heurte à une


impossibilité de principe. En effet accorder l'être au rêve c'est lui donner une extériorité
par rapport au sujet. Or, sur quel modèle penser une telle extériorité et quel sens lui
accorder ? Au premier abord deux modèles s'offrent à nous, qui tous deux mènent la
réflexion à une impasse. Le premier est celui de l'état de veille : l'extériorité du rêve
serait alors physique, matérielle. Mais cela voudrait-il dire que le rêve a un statut d'objet
à côté d'autres objets "perçus" dans le monde physique comme les étoiles invisibles en
plein jour car cachées par le soleil ? Ou le rêve aurait-il un statut de "monde" dont la
perception serait soumise à des conditions particulières et qu'il faudrait appréhender par
des canaux sensoriels qui fonctionnent quand nous dormons mais dont nous ne
commandons pas plus le déclenchement que ceux dont nous faisons l'expérience à l'état
de veille ? Mais dans ce cas où situer le rêve, et de quelle matière est-il constitué ? Le
deuxième modèle permet apparemment d'éviter ces écueils : il consiste à donner une
réalité au rêve sur le mode qui s'oppose à la matière, celui de l'esprit. Le rêve aurait une
réalité idéelle ou spirituelle à la manière des idées platoniciennes. Mais que penser d'une
réalité idéelle qui présente pour le rêveur tous les caractères de la matérialité ? Une
approche qui s'appuie sur la distinction de l'esprit et de la matière pour penser une
expérience conscientielle tend à perdre cette distinction dans le cours de son analyse. La
tentative du neurophysiologiste John Eccles qui, cherchant à comprendre le mode
d'opération de la volonté sur le cortex cérébral, en conclut à l'existence de l'esprit, en est
un exemple typique, car pour lui cet "esprit" est en fait une matière non encore
perceptible[107]. Ainsi les deux grands modèles qui s'offrent à nous dès l'abord ne
peuvent servir d'outils conceptuels et rendent la thèse du rêve comme réalité extérieure
contradictoire ou indécidable.

Nous sommes alors apparemment dans une impasse : d'un côté puisque le
présupposé réducteur ne se justifie pas, on en vient à admettre l'être du rêve, mais de
l'autre, considérer de ce fait le rêve comme extérieur au rêveur n'est guère pensable. Or,
il semblerait que ce soit ou l'un ou l'autre car un compromis ne résoudrait rien : diviser
les rêves en deux catégories ou même y discerner des aspects dont certains seraient
considérés comme "intérieurs" et d'autres "extérieurs" ne ferait que repousser le
problème. La question de l'extériorité n'est donc pas première, non plus que la thèse de
l'être du rêve. En revanche ces difficultés suggèrent que la façon dont se constituent les
notions d'extériorité ou d'intériorité du rêve est loin d'être secondaire.

C'est qu'en effet l'extériorité ou l'intériorité ne s'appuient pas sur des modèles
préétablis : ce sont plutôt des catégories fluctuantes et surtout relatives. Dans la plupart
des cas elles sont suffisamment aisées à appliquer pour que l'on ne remarque pas que
leur utilisation est en fait plus empirique que rationnelle. Mais dans le cas du rêve les
idées courantes qui accompagnent la conception réductrice et selon lesquelles le rêve
serait intérieur au sujet en ce sens qu'il serait entièrement produit par lui prennent
rapidement une forme contradictoire. Pour la psychanalyse, par exemple, le rêve est
produit par le rêveur puisqu'il appartient à son inconscient. Mais cet inconscient, à
l'intérieur même du sujet, lui est d'une certaine façon extérieur puisqu'il n'en a pas
conscience et en découvre les manifestations avec étonnement. Le sujet trouve à
l'intérieur de lui-même des éléments qu'il traite pratiquement comme quelque chose
d'extérieur à lui, même s'il est convaincu d'en être la cause. On arguera de l'intériorité de
cet inconscient par le fait qu'il ne se manifeste qu'au rêveur seul. Mais dans ce cas
pourquoi Freud a-t-il admis l'existence de phénomènes télépathiques qui montrent au
moins que cet inconscient est ouvert sur un extérieur de type psychique ? De la même
façon l'inconscient collectif n'est-il pas qualifié d'intérieur simplement par négation par
rapport au monde physique et non par rapport au sujet ? Et même si, toutefois, on
admettait que le rêveur est seul dans son monde onirique, il n'en reste pas moins que de
son point de vue conscientiel la rencontre avec des personnages oniriques est vécue
par lui comme le rapport avec d'autres consciences. En ce qui concerne le rêve l'extérieur
et l'intérieur n'opposent donc le monde physique et le monde mental que dans la mesure
où cette opposition est déjà déterminée par un point de vue métaphysique.

La distinction entre intérieur et extérieur est en fait une distinction pratique qui
permet au sujet de s'opposer à ce qu'il considère comme son environnement. Mais la
considération de ce qu'est l'environnement fluctue en fonction de l'état de conscience du
sujet. Si dans l'état de veille l'extérieur est ce que ses sens lui permettent
d'appréhender, il en va de même dans l'état de rêve lucide ou, avant toute considération
métaphysique, le sujet a bel et bien le sentiment d'exercer ses sens y compris les sens
moteurs dont l'absence sert souvent de critère pour distinguer l'imaginaire du réel : « la
sensation dépend toujours du mouvement de mes organes: [elle] possède un contexte
moteur, et, en ce sens encore, elle paraît m'offrir le réel. Un son réel, une chaleur réelle
augmentent ou diminuent selon que je tourne, de tel ou tel côté, ma tête ; un corps réel
est celui qui s'offre à mon exploration, et change sous ma prise. Car un monde
demeurant semblable malgré mes mouvements m'apparaîtrait comme un monde de rêve
[…] : le réel n'est pas l'objet aperçu comme en un spectacle, c'est l'objet manié, ou du
moins maniable »[109]. Si l'on accepte cette distinction, la plupart des rêves lucides sont
réels pour le rêveur. Et la conscience de rêver, loin de dissiper ce sentiment le renforce
le plus souvent (au point de donner lieu à des séries d'expérimentations sur l'acuité des
divers sens en rêve), car elle permet au sujet de prendre conscience qu'il transporte avec
lui, comme dans le monde de la veille, ce qui y constituait son "intérieur" : sentiments,
désirs, images mentales, souvenirs, réflexion, volonté…, tout ce dont il a le sentiment
d'être la cause, même lointaine. Pour lui ce n'est pas l'intérieur qui se modifie, mais
l'extérieur. L'extérieur ne peut plus être le monde physique connu puisqu'il n'a plus
aucun contact direct avec lui. Ce monde-là n'est plus maintenant qu'un souvenir, comme
l'était le rêve au moment de l'éveil. Et en tant que souvenir ce monde de la vie de veille
ne peut être qu'intérieur au sujet rêvant. Donc d'un point de vue immédiat les situations
du rêve et de la veille s'inversent : l'un d'intérieur devient extérieur, tandis que l'autre
d'extérieur se fait intérieur (l'aspect inhabituel de cette idée nous incite à insister sur le
fait que nous nous plaçons là du point de vue du sujet et de ce qu'il ressent de façon
immédiate : il ne s'agit pas d'une thèse d'existence). Il n'y a donc pas un extérieur déjà
posé (le monde de la veille) qui puisse servir de référence, voire de modèle, pour penser
l'être du rêve. En revanche l'intérieur semble ne pas changer quant à sa structure qui
permet d'accueillir comme souvenir indifféremment la veille ou le rêve selon l'état de
conscience. La question de l'être du rêve n'a donc pas de sens par rapport à l'extériorité
en elle-même, mais par rapport à la conscience qui permet de constituer cette
extériorité.

Ainsi plutôt que de nous inciter à une démonstration de la réalité du rêve, le rêve
lucide nous pousse à redéfinir notre conception de la réalité à partir de la faille qu'il y
introduit sur le plan de la réflexion en raison de son existence même, et ce à l'aide des
expériences oniriques conscientielles qu'il permet. Le plus souvent, comme nous l'ont
montré les exemples de type philosophique, l'idée que nous nous faisons du rêve entre
implicitement mais fondamentalement dans la constitution de notre concept de la
réalité à titre d'autre qu'elle et auquel elle se réfère pour se constituer par mise à
distance. Par là toute nouvelle prise en considération du phénomène onirique doit nous
amener à modifier notre conception de la réalité. Ainsi, si le rêve doit être comparé à la
veille, ce n'est pas parce que la veille sert de norme en elle-même, mais parce qu'elle
sert de référence par rapport à l'activité de la conscience. Comme le souligne Alquié le
sentiment du réel ne peut être dérivé : « il y a […] un sentiment du réel, que chacun
connaît bien puisqu'il nous permet, à chaque instant, de distinguer le perçu de
l'imaginaire [nous dirions ici l'extérieur de l'intérieur], mais qui ne peut être reconstruit,
puisqu'il ne dérive pas de l'objet, ne succède pas au concept, ne dépend pas du
jugement. Dès lors, il en faut partir »[110] et se demander s'il se présente ou non en
rêve de la même façon qu'à l'état de veille. Puisque la veille ne peut plus servir de
référent en soi, c'est l'activité de la conscience du sujet rêvant qui devra rendre compte
de ce qu'elle tient, pratiquement, pour réel, en raison de son type d'interaction avec lui.

Cependant si l'activité de la conscience détermine le sentiment du réel, et si le


rêve lucide et la veille peuvent bénéficier, pour un même sujet, de ce sentiment tout en
étant considérés par lui comme des états très différents, c'est que cette activité
conscientielle n'a pas la même forme dans l'un et l'autre cas. Les chercheurs actuels
tendent à penser que le rêve lucide est un rêve dans lequel se manifeste la conscience de
veille. Nous essaierons au contraire de montrer que la lucidité onirique, même si elle
comporte le souvenir de l'état de veille, est une forme de conscience spécifique et très
différente de la conscience éveillée. Cela nous amènera à remettre en cause l'idée
répandue que la conscience onirique ordinaire puisse se penser sur le modèle d'une
conscience de veille diminuée et à préciser ses rapports à la lucidité onirique.

Le fait que le même sujet puisse adopter des formes de conscience très
différentes entraîne à son tour à se demander ce qui fait son identité. A ce point de
l'étude la réflexion devra quitter le terrain où l'observation pouvait encore lui fournir des
éléments, pour s'engager dans la voie de la spéculation nécessaire à la cohérence des
résultats acquis. Si en effet nous voulons préserver l'identité du sujet tout en maintenant
l'existence de consciences différentes pour un même sujet, il devient alors nécessaire de
considérer que la notion d'inconscient est, en ce qui concerne le rêve, une notion
relative : ce qui est inconscient pour un état donné du sujet, ne l'est probablement pas
pour un autre état, en ce sens que différents états de consciences conscients d'eux-
mêmes, mais inconscients les uns des autres, pourraient coexister chez un même sujet.
Il ne s'agit bien sûr que d'une hypothèse qui nous permettra de rendre compte d'un
certain nombre de difficultés autrement insurmontables. Nous essaierons de montrer
que, puisque l'activité de la conscience est plus étendue qu'on ne l'avait cru
généralement, cette hypothèse non seulement n'est pas incompatible avec cette activité
mais acquiert un certain caractère de nécessité, et qu'on peut même envisager une sorte
d'intégration de ces différentes consciences (et pas seulement des éléments inconscients)
d'une même identité. Nous examinerons ce qui semble correspondre à cela pour donner
une portée plus positive à notre hypothèse.

Comme on le voit, notre propos est double : montrer que tout en appartenant au
même sujet la conscience du rêveur lucide peut ne pas être celle du sujet éveillé, et dans
le même mouvement assurer la cohérence spéculative de cette thèse en posant la
relativité de la notion d'inconscient. Tout cela suppose bien sûr un examen de ces types
d'expériences de rêves où se produit cette activité de la conscience et dont le compte
rendu est encore peu courant. Cet examen lui-même demande que l'existence du rêve
lucide soit sinon prouvée, du moins reconnue. En ce sens il faut non seulement s'assurer
que ce qu'on présente comme un fait n'est pas le résultat d'une mauvaise interprétation
mais aussi qu'il correspond bien aux descriptions que l'on en donne. A son tour cette
dernière exigence suppose ces descriptions, et pour cette raison le présent travail
contiendra nécessairement de nombreux récits de rêves lucides présentés dans leurs
diverses dimensions.

Pour cela il nous faudra d'abord, dans une première partie, donner les conditions
de possibilité du rêve lucide c'est-à-dire comprendre dans quelles circonstances
historiques a été entreprise la recherche, quelles descriptions et définitions du
phénomène permettent d'en faire un objet d'étude, comment il est induit, ce qui est une
condition à la fois de l'affirmation de son existence et de son observation, et les formes
que prend l'expérience du rêveur. Il nous faudra ensuite examiner, dans une deuxième
partie, ce que nous apprend l'exploration du rêve lucide aussi bien en ce qui concerne le
rêve lui-même que ses rapports avec l'imaginaire culturel (c'est-à-dire la façon dont il y
transparaît et ce qu'il permet d'y expliquer) qu'avec la réflexion scientifique. Alors
seulement, munis de ces données, il sera possible, dans une troisième partie, d'examiner
les implications théoriques des phénomènes qui se seront présentés ainsi à nous, ce qui
nous amènera nécessairement à remettre en question un certain nombres d'idées sur le
rêve et sur la conscience qui se révèlent insuffisantes et à proposer de nouveaux
fondements pour la compréhension du phénomène onirique.

[1] Swâmi Siddheswarânanda, Quelques aspects de la philosophie védântique , Vol. 4, Adrien-

Maisonneuve, Paris, 1945, p. 199.

[2] Ibid.

[3] Ibid., p. 203. Souligné par l'auteur.

[4] Henri Bergson, L'Energie spirituelle, Presses Universitaires de France, Paris, 1985 (première édition :

1919), p. 104.

[5] Ibid., p. 102. Souligné par l'auteur.


[6] Ibid., p. 93. C'est nous qui soulignons.

[7] "Un chapitre sur les rêves" dans Olalla des montagnes et autres contes noirs, Mercure de France,

1975, pp. 15-42.

[8] Ibid., pp. 27-28.

[9] Ibid., p. 28.

[10] Ibid., pp. 28-29.

[11] Tel le rêve relaté dans "Un chapitre sur les rêves" op. cit., pp. 29 à 34.

[12]Sigmund Freud, L'Interprétation des rêves, P.U.F., Paris, 1980 (première édition allemande : 1899),

p. 200, (traduit par I. Meyerson). Souligné par nous.

[13] Henri Bergson, Idem, p. 108.

[14] Sigmund Freud, Idem, p. 435.

[15] Platon, Théétète (158 b-c), dans les Œuvres complètes, T.II, Bibliothèque de la Pléiade, Gallimard,

Paris, 1977, p. 107, (traduit par Léon Robin).

[16] Descartes, Première Méditation, dans les Œuvres philosophiques, T.II, Edition de Ferdinand Alquié,

Classiques Garnier, Paris, 1983, p. 406.

[17] Platon, op. cit., 158 b.

[18] Ce qu'il n'est pas de la part de Descartes.

[19] Platon, op. cit., 158 c. Souligné par nous.

[20] Henri Bergson, op. cit., p. 29.

[21] Platon, op. cit., 157 e, p. 106. Souligné par nous.

[22] Ibid., 158 a.

[23] Ibid., 157 e.

[24]Ibid., 158 b, p. 107.


[25] Ibid., 158 e, p. 108.

[26] Ibid., 158 a, p. 106.

[27] Ibid.

[28] Ibid., 158 b, p. 107.

[29] Platon, La République, IX, 572 a - 572 b, dans les Œuvres complètes, T.I, Bibliothèque de la

Pléiade, Gallimard, Paris, 1977, p. 1175-1176, (traduit par Léon Robin).

[30] Descartes, op. cit., p. 504.

[31] La perception de l'état de veille ne suffit pas non plus à départager la veille du rêve, comme

l'indique peut-être une lettre à Balzac : "J'ai porté ma main contre mes yeux pour voir si je ne

dormais point, lorsque j'ai lu dans votre lettre que vous aviez dessein de venir ici", Descartes, Œuvres

philosophiques, T.I, Edition de F. Alquié, Classiques Garnier, Paris, 1988, p. 291.

[32] La littérature sur les images mentales utilise les termes "image hypnique". Voir par exemple :

Michel Denis, Les Images mentales, P.U.F., Paris, 1979, p. 51.

[33] Henri Bergson, op. cit., p. 95.

[34] Raymond de Becker, Les Songes, Grasset, Paris, 1958, pp. 48-49.

[35] Ibid., pp. 49-51. Souligné par l'auteur.

[36] Sigmund Freud, op. cit., p. 446.

[37] Ibid.

[38] Ibid., p. 520.

[39] Ibid., p. 522.

[40] Ibid., p. 520. Souligné par l'auteur.

[41] Ibid., p. 520.

[42] Sigmund Freud, "Le Rêve et l'Occultisme" dans Nouvelles Conférences d'Introduction à la

Psychanalyse, Gallimard, Paris, 1984, pp. 32 à 79.


[43] Freud, L'Interprétation des Rêves, op. cit., p. 431, note 1.

[44] Yves Delage, Le Rêve, Étude psychologique, philosophique et littéraire, Imprimerie du Commerce,

Nantes, 1920, p. 8.

[45] Ibid., p. 9.

[46] Freud, op. cit., p. 35.

[47] Ibid., pp. 33-34.

[48] Ibid., p. 44.

[49] Ou PMO (période de mouvements oculaires) ; en anglais REM (rapid eye movement).

[50] Précisons cependant que si pour Dement et Kleitman la période REM représente un stade

intermédiaire entre la veille et le sommeil, Michel Jouvet considère le sommeil paradoxal comme un

"troisième état" à côté de la veille et du sommeil.

[51] Michel Jouvet, "Neurobiologie du rêve", dans : E. Morin/ M. Piattelli-Palmarini, L'unité de l'homme,

t.2. Le cerveau humain, Seuil, Paris, 1978, p. 106.

[52] Ibid., p. 103. Souligné par nous.

[53] Ibid., pp. 99-100.

[54] Pierre Virolleaud, "Michel Jouvet et ses Paradoxes", Le Journal du CNRS, n°12, décembre 1989,

souligné par nous. Ajoutons cependant que c'est une hypothèse dont l'indice de probabilité équivaut

pratiquement à une certitude et que l'étude du rêve lucide permettra de confirmer.

[55] Vincent Bloch, notamment au cours d'une table ronde sur le thème "Les rêves, voyages inutiles de

l'imaginaire ?", organisée par l'Université Européenne de Paris, à la Sorbonne, le 20 mai 1991.

[56] Pierre Étévenon, Du Rêve à l'Eveil, bases physiologiques du sommeil, Albin Michel, 1987, p. 24.

Souligné par nous.

[57] S. Monneret, Le Sommeil et les Rêves, 1981, p. 30.

[58] « Some subjects report quite dreamlike activity from NREM awakenings. As an especially striking

example, Brown and Cartwright (1978) instructed subjects to press a microswitch taped to one hand
whenever they were aware, during sleep, of experiencing visual images. The experimenter then

awakened the subject for a report. Eight subjects' reports were scored for their dreamlike quality on a

reliable (judges correlated 90) 5-point scale. There were as many switch presses by the subjects in

NREM sleep as in Stage 1-REM sleep, and the ratings of the reports on dreamlike quality showed that

the subjects' own judgements as to when they were experiencing visual imagery in sleep were almost

twice as dreamlike as control awakenings initiated on other nights by the experimenter, for both Stage

1-REM and NREM awakenings. A further case study of one high-responding NREM signaler again

obtained very dreamlike reports from his NREM awakenings ». Charles T. Tart, "From Spontaneous

Event to Lucidity, A Review of Attempts to Consciously Control Nocturnal Dreaming", in Jayne

Gackenbach and Stephen LaBerge (Ed.), Conscious Mind, Sleeping Brain, Perspectives on Lucid

Dreaming, Plenum, New York, 1988, pp. 67-103.

[59] Ann Faraday, Dream Power, Berkley Books, New York, 1980 (première parution en 1972), chapitre

2.

[60] De nombreux exemples des difficultés que peut entraîner la "systématisation" sont donnés par Ann

Faraday, op. cit.

[61] C'est, par exemple, la conception de Raymond de Becker dans Les Rêves ou les machinations de la

nuit, Paris, 1969, chapitre 5.

[62] Rappelons que cette recherche du sens se fait sur un souvenir.

[63] En témoignent les recherches de R. Bandler et J. Grinder pour qui le résultat d'une thérapie n'est

pas la garantie de sa validité théorique. (Voir par exemple Frogs into Princes, Real People Press,

1979).

[64] Carl G. Jung, L'Homme à la Découverte de son Ame, Payot, Paris, 1977 (travaux publiés en

allemand entre 1928 et 1934), p. 256.

[65] Roger Caillois, L'incertitude qui vient des rêves, Idées/Gallimard, 1983 (première édition : 1956),

pp. 18-19.

[66] Cette remarque, outre le problème de l'image "intra-mentale" qui va être introduit plus loin,

s'appuie sur la comparaison entre les rêves nocturnes et les rêves éveillés d'une dizaine de sujets, ces

rêves éveillés, au nombre d'une centaine, ayant été obtenus dans diverses conditions (allant de la

relaxation simple à un état quasi hypnotique).

[67] Roger Caillois, Ibid., p. 87.


[68] Pour des exemples classiques, on peut se reporter à Yves Delage, Le Rêve, Etude psychologique,

philosophique et littéraire, Nantes, 1920, p. 29 ou pp. 32-33.

[69] La diversité des résultats obtenus par la recherche sur le rêve rend de plus en plus fréquente une

position "pluraliste". Voir par exemple : Harry Hunt, "The Multiplicity of Dreams", Lucidity Letter, 7(2),

1988, pp. 5-14.

[70] Alfred Maury, Le Sommeil et les Rêves, Etudes psychologiques, Didier, Paris, 1878 (quatrième

édition), p. 3. Souligné par nous.

[71] M. Ullman, S. Krippner & A. Vaughan, La Télépathie par le Rêve, Tchou, Paris, 1977 (première

parution américaine : 1973), p. 147.

[72] "Petit rêveur" ou "mauvais rêveur" : expression que l'on trouve parfois dans la littérature sur le rêve

et désignant principalement quelqu'un qui ne se souvient pas ou peu ou mal de ses rêves.

[73] Descartes, op. cit., pp. 503-504.

[74] Ibid.

[75] Roger Caillois, op. cit.., pp. 19-20

[76] Ibid., p. 48.

[77] Ibid., p. 20.

[78] Erich Fromm, Le langage oublié, introduction à la compréhension des rêves, des contes et des

mythes, Payot, Paris, 1975 (traduit de l'anglais), p. 89. Souligné par nous.

[79] Robert Bossard, Psychologie du rêve, Payot, Paris, 1972 (traduit de l'allemand), p. 186.

[80] Ibid., p. 188.

[81] Lucien Lévy-Bruhl, La Mentalité primitive, P.U.F., Paris, 1960 (première édition : 1922), p. 15.

[82] Ibid., p. 96.

[83] Pour illustrer ce point on peut se référer à l'ouvrage collectif, Les songes et leur interprétation,

Sources Orientales, Seuil, p. 231 et plus loin pp. 241-42.


[84] Transcription pinyin. On trouve aussi Tchouang-Tseu ou Tchoang-Tseu.

[85] Traduit d'après un texte chinois polycopié de l'Institut National des Langues et Civilisations

Orientales.

[86] Wieger, Les Pères du Système Taoïste, Paris-Leiden, 1950, p. 227. Cité par R. Caillois, op. cit., note

des pp. 45-46.

[87] R. Caillois, op. cit., p.70.

[88] «Les Belles Lettres», Paris, 1965.

[89] Descartes, op. cit., T.II, p. 800.

[90] Ibid., t. I, p. 56. Ce passage appartient au récit que Baillet nous a laissé des trois fameux songes de

la nuit du 10 au 11 novembre 1619.

[91] Freud, op. cit., p. 486.

[92] Ibid., t. I, p. 56. Ce passage appartient au récit que Baillet nous a laissé des trois fameux songes de

la nuit du 10 au 11 novembre 1619.

[93] Freud, op. cit., p. 486.

[94] K. Schieing, "Dreams of Flying and Excursions of the Ego, Archiv für die Gesamte Psychologie,

1938, 100, pp. 541-554, (traduit de l'allemand en américain puis retraduit ici en français).

[95] Marcel Foucault, Le Rêve, Etudes et Observations, Felix Alcan, Paris, 1906, p. 35),

[96] Des expériences menées par nous semblent montrer qu'un rêve éveillé peu intense et donc d'un

caractère plutôt "abstrait", en raison d'une détente ou d'une hypnose superficielle, peut prendre avec

le temps dans le souvenir la netteté et l'intensité du souvenir d'un fait vécu. On pourrait supposer que

le rêve de sommeil est, pour ce qui est de sa première remémoration, dans le même cas ; que dès

l'éveil l'imagination donne vie et chair à ce qui ne serait qu'un train de pensées plutôt floues. Une telle

supposition irait dans le sens de Freud en ce qu'elle donnerait une nouvelle dimension à la distinction

entre le latent et le manifeste : le rêve manifeste se constituerait principalement au cours de l'éveil.

Mais le rêve lucide va à l'encontre d'une telle hypothèse.

[97] C'est ce qu'on a parfois pensé du rêve de Maury guillotiné. Pour ce rêve voir Maury, op. cit.,

pp. 161-162.
[98] Il y a bien sûr des cas où le rêveur interprète son rêve au cours de celui-ci sans en reconnaître la

nature, principalement lors des faux-éveils. Dans ce cas l'interprétation fait partie du rêve.

[99] Le dialogue avec les éléments oniriques à l'état de veille se fait au cours d'une sorte de rêve éveillé

gestuel dans la thérapie de Frederick Perls. Les expériences de Tholey montrent qu'un tel dialogue

mené au cours du rêve est moins susceptible d'interférences.

[100] Nouvelles Conférences d'Introduction à la Psychanalyse, op. cit., p. 77.

[101] De nombreuses tentatives de réduction psychanalytique ont été tentées (voir par exemple Jan

Ehrenwald, Le Lien télépathique, Robert Laffont, Paris, 1981).

[102] Hervey de Saint-Denys, Les Rêves et les moyens de les diriger, Tchou, Paris, 1964, p. 59.

[103] Ibid., pp. 59-60. Souligné par nous.

[104] Henri Bergson, op. cit., p. 94.

[105] Nous utiliserons régulièrement, dans les pages qui suivent, ce qualificatif non attesté et ses dérivés

pour éviter des formulations trop lourdes. Nous procèderons de même pour les termes non attestés

dérivés du grec oneiros ("rêve").

[106] D'après une statistique américaine, 50% de la population des Etats-Unis aurait fait au moins une

fois dans sa vie l'expérience du rêve lucide. Si ce chiffre est trop faible pour que le rêve lucide soit

considéré comme une donnée de l'expérience commune, il faut se rappeler qu'il est susceptible

d'apprentissage comme le sont la plupart des activités de la vie quotidienne qui sont ensuite

considérées comme des données à étudier par les sciences humaines.

[107] Résumé par le Pr. Régis Dutheil et Brigitte Dutheil dans L'homme superlumineux, Paris, 1990,

pp. 71-72.

[108] Résumé par le Pr. Régis Dutheil et Brigitte Dutheil dans L'homme superlumineux, Paris, 1990,

pp. 71-72.

[109] Ferdinand Alquié, La Nostalgie de l'Etre, P.U.F., Paris, 1973, p. 75.

[110] Ibid., p.71. Souligné par nous.


Première Partie
Conditions de possibilité de l'étude du rêve lucide

Jusqu'à une date récente le rêve lucide est quasiment absent de la littérature
onirologique. Cette absence s'explique immédiatement par le caractère exceptionnel du
phénomène lorsqu'on compare sa fréquence à celle du rêve ordinaire. Si l'existence des rêves
est communément admise, c'est que chacun en fait quotidiennement l'expérience et peut, en
prenant connaissance des récits de rêves d'autrui, y reconnaître une expérience similaire. En
revanche si le rêve lucide se produit rarement, les rêveurs non lucides ne peuvent pas le
reconnaître dans des récits d'autres personnes. On comprend alors que le plus souvent sa
seule mention entraîne un réflexe naturel de réduct ion. On pourrait en effet supposer que le
rêve lucide n'est pas ce pour quoi il se donne, soit que sa définition varie selon les chercheurs
- et cela suffirait à le faire disparaître -, soit que les rêves considérés comme tels ne le sont
qu'en vertu d'une illus ion ou d'une erreur d'interprétation. Dans un cas on laisse entendre
qu'une croyance illégitime en l'existence du phénomène se glisse dans l'esprit du rêveur au
moment où se produit l'expérience et c'est alors sur le terrain de ce que "vit" le sujet,
conscientiellement parlant, qu'on peut trouver la raison de l'illusion : ne confond-il pas l'état
de rêve avec la rêverie somnolente ou quelque état de transe ? Dans l'autre cas on soutient
que la croyance au rêve lucide résulte d'un raisonnement erroné effectué après coup, au réveil
et c'est alors dans ce que le sujet "pense" de son expérience, donc dans l'élaboration mentale
qu'il en fait, qu'on peut déceler les glissements qui mènent le raisonnement à des conclusions
illégitimes : ne confond-il pas dans son souvenir les périodes de micro-éveil s et celles de
rêves, attribuant par glissement la conscience de l'un à l'autre ? Ou encore ne s'abuse-t-il pas
lui-même au réveil sur le fait qu'il se savait en train de rêver alors qu'il n'en était rien ? De
telles questions permettent d'emblée de saisir les difficultés que pose la compréhension du
rêve lucide pour qui n'en a jamais eu l'expérience et la nécessité de tout mettre en œuvre
pour en rendre le concept clair. Ainsi avant de pouvoir l'étudier et d'en faire l'objet d'une
réflexion il faut d'abord donner la preuve de son existence et s'assurer que ce que le terme
recouvre est bien compris de la même façon par la communauté des chercheurs qui lui
consacrent leurs efforts.

Pour y parvenir il est utile de connaître les conditions historiques qui ont permis à la
fois l'émergence conceptuelle du rêve lucide et son étude d'un point de vue technique : ce
phénomène peu courant est sans doute plus répandu qu'on ne le croit lorsqu'on sait le
reconnaître au travers de récits qui le présentent tout autrement (chapitre 2). Une définition
opératoire, qui s'appuie sur la description, est donc requise avant tout concept ualisation
(chapitre 3) et même toute tentative d'induction qui en fait un phénomène personnellement
observable susceptible d'apporter une première objection pratique à la réduct ion immédiate
(chapitre 4). L'induction débouche naturellement sur l'expérimentation, personnelle ou en
laboratoire, dont les formes générales montrent les différentes façons de prouver l'existence
du phénomène et de l'aborder de façon objective (chapitre 5) avant son
exploration proprement dite.
Chapitre Deux
Développement de la recherche sur le rêve lucide dans
le monde occidental
[suite]

Section I

Le rêve lucide avant le rêve lucide : de l'Antiquité à


l'époque moderne
Puisque les raisons qui ont pu pousser les hommes de l'Antiquité, du Moyen Age et de
la période moderne à consigner leurs rêves ne sont pas dans l'ensemble très différentes de
celles qui animent les contemporains (le désir aussi vieux que l'humanité de les comprendre
ou de leur donner un sens) il est aisé de se rendre compte que ce qui a été ainsi consigné en
vue d'en trouver le sens relève plus du contenu, c'est-à-dire des éléments racontables,
descriptifs, du rêve, que de l'état de conscience du rêveur, ce qui rend presque impossible la
tâche d'estimer la fréquence du rêve lucide à ces époques. Les rares récits où la lucidité est
indiquée ne s'intéressent pas au rêve lucide en lui-même - en ce sens la lucidité onirique n'y
est pas mentionnée comme le fait à remarquer mais comme par accident et au détour d'autre
chose -, et une analyse est nécessaire pour la mettre en évidence. De plus ces récits ont
l'inconvénient d'être indirects, c'est-à-dire rapportés de deuxième main. Ces faits nous
incitent à parler à leur sujet de "rêve lucide avant le rêve lucide". Ainsi, durant ces périodes,
non seulement le rêve lucide n'a pas fait l'objet d'une conceptualisation permettant de le
reconnaître sans erreur dans les récits qui nous restent, mais il n'a même pas toujours un
caractère notionnel qui fasse suspecter sa présence. Pour le trouver il est parfois nécessaire
d'éclairer sous un jour nouveau des récits connus par ailleurs pour d'autres raisons.

Notre tâche principale ici ne sera donc pas tant de faire l'inventaire historique des
récits de rêves lucides qui nous sont parvenus que d'essayer de déterminer pourquoi la
recherche considère aujourd'hui que ces récits sont effectivement des rêves lucides[1]. Il ne
s'agit donc pas dans cette section de s'assurer que ces récits sont véridiques, mais plutôt de
voir à travers eux si la lucidité onirique est un phénomène décelable, pour nous bien sûr,
mais aussi pour les contemporains de ces textes, et si tel est le cas de comprendre comment
ils le perçoivent. De ce point de vue les récits se divisent nettement en deux catégories :
ceux dans lesquels le rêve lucide n'est décelable qu'à l'occasion d'un examen attentif - ce qui
constitue la majorité des cas -, et ceux où il est franchement reconnu comme un phénomène
particulier, même s'il ne fait pas l'objet d'une réflexion. Une méthode possible consiste à
examiner les rêves rapportés, à chercher dans le récit même des indices de la lucidité puis à
faire l'évaluation des cadres culturels ou théoriques dans lesquels ils ont été inclus. Il
apparaît alors que ces cadres se modifient de façon telle que l'on passe d'un phénomène
banal dans l'Antiquité (sans doute peu courant mais qui en tout cas ne suscite pas
l'étonnement) à un phénomène plus remarquable à l'époque moderne.

§1. De l'imaginaire au constaté dans l'antiquité grecque


Dès l'Antiquité grecque en effet le rêve lucide apparaît comme un phénomène doté
d'une certaine assise culturelle s'il faut en croire le témoignage des poètes, car pour ce qui
est des "récits" de rêves lucides dans cette période, c'est vers la poésie qu'il faut se tourner
et plus précisément vers les poètes homériques. Les récits de rêves y ont une forme fixe dont
la lucidité onirique est d'après E. R. Dodds, un élément constant : « Dans la plupart de leurs
descriptions de rêves, les poètes homériques parlent de ce qui a été vu comme s'il s'agissait
de "faits objectifs". Le rêve prend d'ordinaire la forme d'une visite rendue au dormeur par un
personnage onirique solitaire (le mot même oneiros chez Homère signifie presque toujours
un personnage onirique plutôt qu'une expérience onirique). Ce personnage onirique peut être
un dieu, ou un fantôme, ou un messager onirique préexistant, ou une "image" (eidolon)
spécialement créée pour la circonstance ; mais quel qu'il soit, il existe objectivement dans
l'espace, et il est indépendant du rêveur. Il fait son entrée par la serrure (les chambres à
coucher chez Homère n'ont ni fenêtre, ni cheminée) ; il s'installe à la tête du lit pour faire sa
commission ; et ceci fait, il se retire par la même voie. Pendant ce temps, le rêveur est
presque entièrement passif ; il voit un personnage, il entend une voix, et c'est à peu près
tout. Parfois, il est vrai, il répondra dans son sommeil ; une fois, il lui arrive d'étendre les
bras pour embrasser le personnage onirique. Mais ce sont là des actes physiques objectifs,
tels qu'on en voit faire à des hommes endormis. Le rêveur ne se croit pas ailleurs que
dans son lit, et il sait très bien qu'il est endormi, puisque le personnage onirique se
donne la peine de le lui faire remarquer : "Tu es endormi, fils d'Atrée" dit le mauvais rêve au
chant II de l'Iliade ; "Tu es endormi Achille, dit le fantôme de Patrocle

Savoir qu'on dort quand survient le rêve n'implique pas nécessairement qu'on se sait
en train de rêver, donc "lucide". Mais on ne confond pas l'état dans lequel on se trouve avec
la veille, ce qui est la condition première du rêve lucide et qu'on peut qualifier de lucidité
implicite. D'ailleurs la notion de rêve recouvre la même chose pour les chercheurs modernes
que pour les anciens grecs : « nous pouvons remarquer que le langage dont se servent les
Grecs à toutes les époques pour décrire n'importe quelle sorte de rêve, semble être suggéré
par un type de rêve dans lequel le rêveur reçoit passivement une vision objective. Les
Grecs ne disaient jamais, comme nous le faisons, qu'ils avaient eu un rêve, mais qu'ils
avaient vu un rêve […]. La tournure [est] employée même quand le rêveur est lui-même le
personnage central de l'action rêvée »[4]. Cette réification allait même jusqu'à la
matérialisation du phénomène dans le monde de la veille : « Il semblerait que le rêve objectif
et visionnaire s'était fait de profondes racines, non seulement dans la tradition littéraire, mais
dans l'imagination populaire. Et cette conclusion semble jusqu'à un certain point confirmée
par le fait que dans le mythe et la légende pieuse, des rêves se produisent qui prouvent leur
objectivité en laissant derrière eux un signe matériel, ce que nos spirites aiment à appeler un
"apport" ; l'exemple le plus connu est le rêve incubatoire de Bellérophon chez Pindare, dans
lequel l'apport est une bride en or »[5]. Puisque les anciens grecs considèrent le rêve comme
un phénomène objectif, la lucidité pourrait être comprise ici comme un fait ajouté, une sorte
d'argument supplémentaire à l'appui de cette considération qui réifie le rêve. La lucidité des
personnages homériques n'est-elle donc qu'un fait annexe, une sorte de surplus destiné à
souligner cette objectivité mais tout aussi peu crédible qu'un "apport" du monde du rêve au
monde de la veille ?

Pour répondre à cette question il faut d'abord examiner si ces rêves lucides n'entrent
pas dans une catégorie particulière telle qu'ils cessent d'être des rêves véritables pour glisser
justement vers la convention poétique. En ce sens la forme littéraire ne refléterait plus à
travers la culture une expérience authentique mais la styliserait au point de la déformer. Or,
ces rêves littérairement fixés entrent dans une catégorie précise qui, elle, n'a rien de
littéraire. E. R. Dodds précise que « pour les Grecs, comme pour d'autres peuples anciens, la
distinction fondamentale était entre les rêves qui sont significatifs et ceux qui ne le sont pas ;
ceci est apparent chez Homère dans le passage qui parle des portes d'ivoire et de corne, et
cela demeure vrai pendant toute l'Antiquité »[6]. Les rêves que nous étudions entrent dans la
catégorie des rêves significatifs qui comprenait plusieurs types de rêves : le "rêve
symbolique" qui nécessite une interprétation, la "vision" qui donne clairement les événements
futurs et "l'oracle", rêve au cours duquel « l'un des parents du rêveur, ou quelque autre
personnage vénéré ou impressionnant, un prêtre peut-être, ou même un dieu, révèle sans
symboles ce qui doit ou ne doit pas advenir, ou ce qui doit ou ne doit pas être fait »[7]. Si en
tenant compte de cette division l'on voulait supposer que la reconnaissance du rêve
significatif s'opère selon son contenu, et que par là les autres rêves seraient simplement
ceux qui ne sont pas de ce type, on se retrouverait devant une difficulté insurmontable : la
caractérisation de ce contenu, au moins dans le cas du rêve symbolique et de la "vision", est
bien trop large pour permettre une distinction dès l'abord entre ce qui est significatif et ce qui
ne l'est pas[8]. Or, comment expliquer l'importance d'une telle tradition si le critère ne peut
complètement se faire sur le contenu[9] ? Pourquoi, à l'inverse de la psychanalyse pour
laquelle tous les rêves sont pourvus de sens, une telle distinction a-t-elle pu être maintenue
dans l'Antiquité ? N'y avait-il pas un critère qui nous échappe aujourd'hui ?

Si le contenu à lui seul ne suffit pas à expliquer que le rêve soit significatif, ne faut-il
pas chercher aussi du côté de son impact sur le rêveur ? Il se pourrait ainsi qu'un rêve soit
significatif en fonction de l'impression d'objectivité qu'il donne. Et cette supposition est
d'autant plus légitime que ces rêves sont significatifs pour l'état de veille. Dans une telle
perspective la situation se renverse : ce n'est pas parce qu'un rêve est significatif (par son
contenu) qu'il est objectif, mais plutôt parce qu'il donne un sentiment d'objectivité (à la
conscience du rêveur) qu'il est significatif. Mais dans ce cas, outre un contenu renvoyant aux
événements de la vie de veille, d'où viendrait le sentiment d'objectivité, et comment les grecs
pouvaient-ils l'indiquer dans le récit ? Bien des éléments, peuvent concourir à procurer ce
sentiment : la netteté et l'intensité du rêve, mais probablement aussi la conscience de rêver.

Nous avons en effet suggéré que la lucidité onirique tend fortement à entraîner la
considération d'objectivité en raison du sentiment de réalité qu'elle procure. Elle pourrait
donc être un des éléments qui rend le rêve significatif, ce que le contenu onirique ne peut à
lui seul pratiquement pas expliquer. Certes il n'est pas possible de dire que tous les rêves
significatifs sont des rêves lucides et encore moins d'affirmer que la lucidité en est un critère
essentiel, mais en revanche il semble raisonnable d'admettre que pour les anciens grecs tous
les rêves lucides étaient des rêves significatifs, et que cette lucidité leur est apparue comme
un critère d'objectivité suffisant pour qu'ils lui donnent une forme littéraire fixe destinée à le
codifier dans le récit. Ainsi la lucidité ne serait pas "inventée" pour donner l'apparence
d'objectivité, mais bien extraite d'une expérience où elle en procure au contraire le
sentiment.

Pour faire la contre-épreuve d'une telle hypothèse il faudrait trouver des récits de
rêves lucides qui ne soient pas des rêves significatifs. Or, lorsque nous tombons sur ce qui
pour nous apparaît comme tel, nous nous rendons compte que le rêveur n'accorde pas
entièrement au phénomène le statut de rêve. Et comment le pourrait-il si le rêve non
significatif n'est pas objectif, et si la lucidité est justement une marque - sinon la marque -
de cette objectivité ?

" C'était ", dit-il, " comme si on le touchait, une espèce de


conscience qu'il était là en personne ; vous étiez entre la veille et le
sommeil, vous vouliez ouvrir les yeux, et cependant vous craigniez
qu'il ne se retire trop vite ; vous écoutiez et vous entendiez des
choses, tantôt comme en rêve, tantôt comme dans la vie
éveillée ; les cheveux se dressaient sur votre tête ; vous pleuriez de
bonheur ; votre cœur se gonflait, mais pas de vaine gloire. Quel être
humain pourrait mettre une telle expérience dans des mots ? Mais
quiconque l'a éprouvée, participera à ma connaissance et reconnaîtra
cet état d'âme "[10].

E. R. Dodds voit là un "état de transe produit par autosuggestion" et non un "rêve


véritable" mais c'est là une explication plus mystérieuse encore puisqu'on s'accorde
aujourd'hui à mettre en rapport l'état d'hypnose (donc de suggestibilité) et l'état de
sommeil : « Sommeil naturel et sommeil hypnotique nous apparaissent donc, en dernière
analyse, non pas comme deux états opposés, mais comme deux degrés d'un même
processus physiologique dont la base n'est autre que le développement et l'extension sur les
hémisphères cérébraux d'une vague d'inhibition grâce à laquelle se libèrent certains
automatismes »[11]. En réalité l'hypnose comme la transe sont des états décrits par des
observateurs extérieurs au sujet et ne permettent pas de préjuger du type d'expérience
intérieure qu'il est en train de vivre d'un point de vue conscientiel. Hervey de
Saint-Denys rapporte par exemple le cas d'une suggestion (que nous qualifierions aujourd'hui
d'hypnotique) faite à un de ses amis pendant son sommeil et qui s'est traduite par un rêve
au sens plein du terme[12]. La qualification d'expériences "entre veille et sommeil" indique
souvent, par manque de vocabulaire sur le rêve, des expériences où le rêveur se sent
"éveillé" au cours du sommeil. On pourra par la suite constater que les rêveurs seront
souvent amenés à utiliser des termes peu appropriés en raison de cette lacune lexicale.
Certains pour faire sa place à la lucidité parleront de "demi-rêve", contredisant ainsi le
sentiment qu'ils ont eu de vivre des rêves au sens plein du terme, d'autres parleront "d'éveil
dans le sommeil" au sujet d'une expérience qui pourtant appartient entièrement au sommeil.
Un examen même rapide des textes antiques est donc nécessaire pour dégager les éléments
qui nous intéressent.

Examiner les exemples de rêves lucides de la littérature antique présente donc pour
nous l'intérêt de savoir si la forme de ces récits renvoie bel et bien à ce que nous qualifions
aujourd'hui de lucidité onirique et si le concept en aurait été pensable pour eux, ce qui sans
nous donner la preuve de l'existence du rêve lucide dans l'Antiquité nous permettrait de
supposer son occurrence possible. Mais comment s'assurer d'une existence possible en
s'appuyant sur des textes poétiques, donc sur des fictions ? On peut considérer que si ces
récits reposent sur des équivalents réels ils peuvent être soumis au même examen critique
qu'eux. Ainsi une conclusion négative quant à la lucidité de personnages fictifs nous laisserait
sans doute dans l'incertitude quant aux expériences réellement vécues, mais une conclusion
positive nous assurerait néanmoins l'existence possible de la lucidité. Pour cette raison nous
examinerons ces récits comme de vrais rêves rapportés par des individus ayant existé. Si en
effet cet examen n'est pas concluant, il sera inutile d'examiner la question de l'existence
d'équivalents réels au-delà de ce cadre poétique.

Quelles sont les objections que l'on peut adresser à la thèse qui verrait dans ces récits
des rêves lucides ? Elles doivent porter aussi bien sur ce qui nous incite à qualifier ces rêves
de lucides que sur la conduite du rêveur au cours même de ces rêves.

D'après E. R. Dodds le rêveur sait qu'il dort puisque le personnage onirique qui le
visite le lui rappelle expressément. C'est là ce qui nous a permis de conclure (dans la mesure
où dans une perspective contemporaine nous caractérisons les images qui apparaissent
durant le sommeil comme des rêves produits par le rêveur) que le rêveur est en proie à un
rêve lucide. Or, une objection vient spontanément à l'esprit. Pourquoi cette simple
remarque : "Tu es endormi" signifierait-elle que le rêveur a conscience de sa situation ? E. R.
Dodds lui-même souligne que dans les récits homériques le rêveur ne répond pas lorsqu'il est
interpellé, il est complètement passif. Ne serait-ce pas par un glissement abusif que l'on
passerait d'une simple énonciation de la part d'un personnage onirique à une prise de
conscience de la part du rêveur ? Ce n'est pas le rêveur qui se dit : "Je rêve", mais un autre
personnage qui lui dit : "Tu dors", ce qui est très différent. Mais est-ce que le rêveur en tire
une conclusion le concernant personnellement ? Le fait qu'une fois éveillé il accomplisse ce
que veut le dieu ne nous renseigne en rien à ce sujet.

L'objection tendrait même à aller plus loin et soutenir que dans le cas où un rêveur
revendiquerait une telle prise de conscience ce serait la "croyance" à l'objectivité du rêve qui
pousserait le rêveur à penser après coup qu'il savait qu'il dormait alors qu'il n'en était rien. Si
on s'appuie sur la vision contemporaine du rêve comme phénomène subjectif pour réfuter
cette apparence de lucidité, et que l'on considère par là que le personnage onirique est un
élément psychique du rêveur et non un être qui lui est extérieur, l'objection peut même
prendre une teinte psychanalytique et expliquer un tel rêve du type "oracle" par la
manifestation d'un élément refoulé de la personnalité du rêveur qui tend à vouloir lui faire
comprendre quelque chose ou le pousser à une action qu'il a oubliée. Le premier cas
correspondrait alors au surgissement d'un élément refoulé, tel ce rappel à des devoirs
négligés envers ses sujets :

"Quoi! Tu dors, fils d'Atrée le brave dompteur de cavales! Un


héros ne doit pas dormir la nuit entière, alors qu'il est de ceux qui ont
voix au Conseil, que tant d'hommes lui sont commis et tant de soins
réservés […] [Zeus] t'enjoint d'appeler aux armes tous les Achéens
chevelus - vite, en masse! L'heure est venue où tu peux prendre la
vaste cité des Troyens"[13],

ou envers un ami :

« Enfin le sommeil le prend […] Et voici que vient à lui l'âme du


malheureux Patrocle, en tout pareille au héros pour la taille, les beaux
yeux, la voix, et son corps est vêtu des mêmes vêtements, et il dit à
Achille : " Tu dors, et moi, tu m'as oublié, Achille! Tu avais souci du
vivant, tu n'as nul souci du mort " »[14].

La remarque "Tu dors" n'aurait alors qu'une valeur de contradiction, d'opposition pour
mettre en évidence une autre situation refoulée qui a été oubliée, mais elle n'indiquerait
aucune prise de conscience de sa situation par le rêveur. Cependant cette explication ne vaut
pas dans le cas du rêve de Pénélope dont les craintes nous sont décrites avant le sommeil.
Lorsque le fantôme lui dit :

"Pénélope, tu dors, mais le cœur ravagé"[15],

il ne fait que constater ce que Pénélope sait déjà et non pas faire resurgir un élément
refoulé. Cette explication ne suffit donc pas à élucider tous les cas.

Une autre interprétation des mêmes événements semble pouvoir rendre compte de
l'interjection : le rêve pousse au réveil. Ainsi dans le cas d'Agamemnon l'accent ne serait
pas mis sur le contenu du message mais sur l'élément qui l'incite à se réveiller : ce serait la
joie de la victoire proche qui motiverait l'interpellation. Dans le cas d'Achille ou de Pénélope
l'argument est encore plus frappant étant donné l'état psychique morbide qui est le leur, le
rêveur tenterait d'échapper à un rêve pénible en se réveillant, situation somme toute fort
commune. Mais dans de tels cas l'objection tombe d'elle-même en introduisant l'élément
qu'elle voulait écarter car dans ces mauvais rêves il faut que le rêveur bénéficie d'un éclair de
lucidité, même s'il s'agit d'une lucidité implicite ou très brève, pour penser à se réveiller.

La mise en évidence du caractère subjectif de ces expériences oniriques ne permet


donc pas de récuser la lucidité. L'objectivité n'est après tout que l'interprétation que le
rêveur fait, entre autres éléments, de sa lucidité mais elle ne lui est pas liée de façon
constitutive. Elle aboutit même à la conclusion inverse : si un personnage onirique, qui fait
partie intégrante de son psychisme, peut lui indiquer qu'il dort, c'est que le rêveur sait, d'une
certaine façon, ce qu'il est en train de se dire par cet intermédiaire, et donc qu'il a la
possibilité de se rendre compte qu'il rêve. Cependant pour n'être pas réductible cette
interpellation n'en apparaît pas moins comme l'indice que le rêve lucide n'est pas un
phénomène courant puisqu'il nécessite une intervention d'un personnage onirique,
intervention le plus souvent divine, pour tirer le rêveur de l'inconscience sans le réveiller.
C'est donc qu'une distinction entre le rêve lucide et le rêve "non lucide" peut être nettement
opérée. S'il en était autrement, si le rêve était déjà lucide, quel besoin aurait-on de s'assurer
que le rêveur se rend compte de son état ?

Si l'interpellation "Tu es endormi" ne peut pas, d'un point de vue formel, être mise en
défaut, en va-t-il de même en ce qui concerne les modalités du rêve ? De ce point de vue
certains passages pourraient paraître obscurs. Par exemple dans le cas d'Agamemnon la fin
du rêve est trompeuse ; peut-elle alors être lucide ?

Il dit, et s'en va, et le laisse là songer en son cœur à un


avenir qui jamais ne doit se réaliser. Il croit qu'il va ce jour même
prendre la cité de Priam : le pauvre sot! il ne sait pas l'œuvre que
médite Zeus, ni ce qu'il entend infliger encore et de peines et de
sanglots aux Danaens comme aux Troyens, au milieu des mêlées
brutales. Il s'éveille de son sommeil[…][16]
Ce passage est ambigu. Agamemnon continue de dormir et apparemment de rêver
après le passage de Songe puisqu'il est signalé dans le texte qu'il ne se réveille qu'un peu
plus tard. Mais cette fois son activité psychique n'est plus "objective" : Agamemnon est dit
"songer en son cœur." Est-ce là la conséquence sur son esprit de la promesse fausse de
Zeus, auquel cas il imaginerait l'avenir au cours de son sommeil, sans avoir perdu la
lucidité, mais sans qu'aucun rêve ne soit présent, ou rêve-t-il effectivement cet avenir qui ne
se réalisera pas ? Dans ce dernier cas, d'après le texte, il le rêve sur le mode de la croyance
au futur. Ainsi, soit Agamemnon, dans son sommeil, ne rêve plus, et alors il ne peut y avoir
de rêve lucide, soit il rêve, mais son rêve est subjectif, et là encore on ne peut parler de rêve
lucide - ou plus exactement on ne peut plus soutenir que la lucidité est une marque
privilégiée du rêve objectif et significatif. Il resterait bien sûr la possibilité que la lucidité ait
quitté Agamemnon avec Songe mais cela ne semble pas compatible avec son réveil
imminent.

On en vient alors à se demander si la considération d'objectivité du rêve vient de


l'éveil de la conscience ou au contraire de l'illusion du rêve. C'est en effet le propre du rêve
de se donner pour la réalité. Ainsi Achille qui s'écrie :

"Mais viens plus près de moi : qu'un instant au moins, aux


bras l'un de l'autre, nous jouissions de nos tristes sanglots![17]"

ne semble pas se rendre compte de sa situation réelle puisqu'il tend les bras, mais sans
rien saisir :

« l'âme, comme une vapeur, est partie sous terre, dans un


petit cri »[18]

et que l'issue de son acte le surprend et provoque son réveil :

« Achille, surpris, d'un bond, est debout »[19].

Le fait que le rêve soit considéré comme objectif n'empêche normalement pas le rêveur
de le différencier de la veille, or ici la confusion s'opère de façon paradoxale puisqu'Achille
veut serrer dans ses bras son ami parce qu'il le sait mort.

En réalité ces difficultés, loin de jeter un doute sur la caractérisation de ces


récits homériques en tant que rêves lucides nous donnent une indication sur l'existence de la
lucidité en dehors même de ce cadre poétique dans la mesure où elles le débordent. En effet
le cadre poétique est rigide : un personnage onirique objective le rêve en disant au rêveur :
"tu es endormi", et il n'y a pas de raison de penser que les états de conscience
d'Agamemnon, d'Achille ou de Pénélope puissent, du point de vue poétique, présenter des
différences alors que la forme conventionnelle des récits s'efforce de les assimiler. Mais la
manifestation de la lucidité dans la vie de rêve effective s'accommode d'intermittences, ce qui
rend peut-être compte de la situation ambiguë d'Agamemnon, ou de degrés, ce qui explique
sans doute le geste d'Achille. En somme ces variations de la lucidité que les recherches
actuelles ont constatées apparaîtraient malgré le cadre conventionnel. Sans ce dernier ces
modifications ne présenteraient rien de particulier, mais leur présence permet à la fois de
reconnaître le rêve lucide d'une manière formelle et d'en pressentir les nuances.

C'est donc dans la forme que prend la convention poétique (la façon dont le
personnage onirique s'adresse au rêveur) et non dans le contenu du rêve (le fait que le
personnage onirique s'adresse au rêveur) que se révèle l'état de conscience du rêveur. Et
l'attitude du rêveur envers le rêve confirme cet état autant lorsqu'elle se manifeste nettement
(comme la confusion paradoxale d'Achille) que par son absence : ainsi lorsque le rêveur sait
qu'il rêve, il n'éprouve pas le besoin d'interpréter le rêve, il se contente de le recevoir au
cours du sommeil, et d'en garder le souvenir au réveil ; en revanche lorsqu'il ignore qu'il
dort, il soumet au réveil le rêve à une interprétation. Cette différence d'attitude recoupe celle
des rêveurs lucides actuels pour lesquels leur rêve est immédiatement compréhensible au
cours du rêve même, tandis que les rêves ordinaires ne peuvent être compris qu'après coup
et par un travail de déchiffrage.

Si ces ressemblances de structures nous incitent à considérer ces récits homériques


comme des rêves lucides, elles ne permettent cependant pas de lier l'objectivité du rêve à la
conscience de rêver. Cette objectivité ne dépend pas de la conscience du rêveur, et donc de
sa lucidité, puisqu'au sein même du rêve qui se donne pour tel, des illusions de deuxième
degré peuvent abuser le rêveur qui les prend pour un rêve authentique tel le fantôme qui
apparaît à Pénélope sous les traits d'Iphthimé. L'illusion de Pénélope concernant cet aspect
"objectif" est d'ailleurs complète puisqu'elle s'étonne :

"Pourquoi viens-tu, ma sœur ? tu n'as pas l'habitude de


fréquenter ici : ta demeure est si loin!…"[20]

L'objectivité du rêve se marque plus par l'attitude affective du rêveur que par le type de
conscience qu'il en a, c'est-à-dire par le fait que par son intermédiaire le rêve peut influencer
la vie de veille de façon décisive. Le rêve est donc avant tout objectif en ce qu'il joue le rôle
d'un véritable "transformateur affectif" : il ne se contente pas de refléter passivement les
affects de la vie éveillée, il les modifie radicalement (la certitude pour Agamemnon, le
courage pour Pénélope), ou les accentue de façon insoutenable (la tristesse d'Achille) pour
permettre à l'état de veille une action d'un type nouveau. Le rôle de la lucidité dans de tels
rêves n'est qu'auxiliaire en ce qu'il permet à la divinité de s'assurer la coopération du rêveur.

Ces rêves des personnages homériques peuvent donc être considérés comme des
rêves lucides. Mais correspondent-ils pour autant à une réalité au-delà de la convention
poétique dans lesquels ils nous sont présentés ? Car si la structure, une fois analysée, nous
pousse à conclure que l'on doit tenir le rêve pour lucide, il n'en reste pas moins que sa fixité,
malgré les nuances que nous avons décelées, reste un argument en faveur de l'aspect fictif
de la lucidité. Il faut donc déterminer si la convention poétique elle-même est entièrement
fictive ou si elle correspond à des rêves qui lui préexistent. Les rêves des personnages
oniriques sont des "oracles" apparemment très éloignés des récits oniriques actuels et qui
donnent bien le sentiment de ne pouvoir exister que dans la tradition littéraire. Or, même s'il
ne nous est pas du tout commun, le rêve de type "oracle" n'est pas propre à la tradition
littéraire, mais correspond à une expérience effective non seulement des grecs anciens mais
de nombreuses civilisations. Cela ne doit pas surprendre si on pense, comme le fait E. R.
Dodds, en terme de structures culturelles. Ce type de rêve s'accorde en effet particulièrement
bien avec certaines structures religieuses : « Un type fréquent de rêve "envoyé de dieu", en
Grèce comme ailleurs, est le rêve qui ordonne une dédicace ou quelque autre acte religieux ;
ce genre a laissé des traces concrètes sous la forme d'inscriptions nombreuses déclarant que
leur auteur faisait une dédicace "conformément à un rêve" ou "ayant vu un rêve". […]
Presque toutes les inscriptions datent de l'époque hellénistique ou romaine ; mais c'est
probablement un hasard, car Platon dans les Lois, parle de dédicaces faites sur la foi de
rêves ou de visions éveillées, "surtout par toutes sortes de femmes, et par des hommes qui
sont malades ou en danger, ou en difficulté, ou qui ont eu une chance exceptionnelle", et
nous lisons encore dans l'Epinomis que "nombre de cultes de dieux ont été, et continueront
à être fondés par suite de rencontres en rêve d'êtres surnaturels, de présages, d'oracles, et
par suite de visions au moment de la mort". Le témoignage de Platon sur la fréquence de tels
événements a d'autant plus de valeur que lui-même avait peu de foi en leur caractère
surnaturel »[21]. E. R. Dodds conclut qu'à « la lumière de ces preuves nous devons […]
reconnaître que la stylisation du chrematismos, ou "rêve d'origine divine", n'est pas
purement littéraire ; c'est un rêve qui se conforme à la "structure culturelle" […], et il
appartient à l'expérience religieuse du peuple, quoique les poètes, depuis Homère, l'aient
adapté à leurs fins en l'employant comme motif littéraire. De tels rêves jouaient un rôle
important dans la vie d'autres peuples anciens, comme ils le font chez de nombreuses
peuplades actuelles »[22].

Cependant même s'il existe effectivement dans l'expérience vécue, ce type de rêve
est-il pour autant lucide ailleurs que dans sa forme poétique ? Car la lucidité par elle-même
ne peut se ramener à un fait de culture, et l'analyse des structures culturelles ne nous
informe que sur des schémas de croyances et non sur des états de conscience comme la
lucidité. Or, la conscience de rêver est certainement plus difficile à dégager des
récits oniriques vécus que des chants épiques dans la mesure où justement les rêveurs
lucides éventuels n'auraient pas été contraints par la forme poétique de mentionner cet
aspect du rêve. Dans de telles circonstances c'est en fait le cadre poétique qui remplace le
cadre conceptuel permettant de penser la lucidité. Pour aggraver la situation certains textes
indiquent en creux l'inexistence du phénomène : « c'est bien à l'infirmité de la raison
humaine que Dieu a fait don de la divination : nul homme, dans son bon sens, n'atteint à une
divination inspirée et véridique, mais il faut que l'activité de son jugement soit entravée
par le sommeil […]. Au contraire, c'est à l'homme en pleine raison de rassembler dans son
esprit, après se les être rappelées, les paroles prononcées dans le rêve […] ; de les discuter
toutes par le raisonnement pour en dégager ce qu'elles peuvent signifier »[25]. L'absence de
raison dont il est question ici n'entraîne pas nécessairement l'absence de conscience de son
état de la part du rêveur, mais elle y incline fortement puisque la faculté de réfléchir est le
seul moyen dont il dispose pour évaluer son état de conscience plutôt que de se contenter de
le subir - et que ce sont surtout les traces d'une telle réflexion au sujet de la lucidité qui
risquent de transparaître dans un récit qui n'aurait autrement aucune raison de signaler un
état de conscience particulier n'entrant pas, de surcroît, dans la trame du rêve. Or, si la
lucidité n'est pas expressément mentionnée, ou si les récits dont nous disposons ne sont pas
suffisamment précis pour la dégager, nous n'avons aucun moyen de soutenir son existence. A
moins de trouver un témoignage analysable ou une attestation explicite, l'idée de la
conscience de rêver risque de rester un concept vide.

Une telle attestation existe. On la trouve sous la plume d'Aristote qui, le premier,
reconnaît qu'un rêveur peut être conscient de rêver. Il s'agit en fait de la première mention
explicite du phénomène du rêve lucide, sous une forme qui ne doit rien à une construction
littéraire ou à une structure culturelle déterminée puisqu'elle entre dans le cadre d'une
analyse philosophique : « dans le sommeil, si l'on a conscience que l'on dort et si l'on se
rend compte de l'état qui révèle la sensation du sommeil, il y a l'apparence, mais il y a
quelque chose en soi qui dit que c'est l'apparence de Coriscus, et non Coriscus lui-même (car,
souvent, quand on dort, il y a quelque chose dans l'âme qui dit que ce qui apparaît est
un rêve) »[26]. Ce n'est plus un dieu ou un personnage onirique qui fait remarquer au
rêveur : "tu dors", c'est le sujet qui reconnaît directement son rêve pour ce qu'il est, une
apparence par rapport à la vie de veille, en s'appuyant sur la "sensation de sommeil". Aucun
élément extérieur n'intervient venant de la veille, ni même venant du rêve qui cesse d'être
objectif. Le personnage onirique qui "réveille" est remplacé par "quelque chose en soi",
"quelque chose dans l'âme", qui parle au rêveur ; le personnage onirique est à ce point
dépouillé de toute fonction que, d'éveilleur actif dans le sommeil, il se réduit à la simple
médiation par laquelle l'apparence est reconnue - il est cette apparence même.

Puisque Aristote ménage une place à la lucidité dans sa description du rêve, quelle
importance lui attribue-t-il ? Se contente-t-il d'un simple constat du phénomène ou lui fait-il
jouer un rôle dans sa conception du rêve ? Sa démarche d'exposition permet de répondre à
cette question. D'après Pierre Pachet l'intention d'Aristote dans son petit traité est de définir
le rêve : « partant de la notion commune de rêve, telle qu'elle est donnée par la langue et la
culture grecques, il s'efforce d'en éviter les pièges, et de la reconstruire en contrôlant sa
définition »[27]. Quelle rôle la lucidité joue-t-elle dans cette définition ? Aristote s'efforce
avant tout de circonscrire le rêve par négation, c'est-à-dire de retirer de sa définition tout ce
qui n'y entre pas de façon essentielle. Ainsi « ce n'est point par la sensation que nous
sentons le rêve »[28] car « il est impossible que tout être qui ferme les yeux et qui dort voie,
et il en est de même pour les autres sensations »[29]. De même le donné onirique n'est pas le
produit la représentation mentale car « durant le rêve, nous concevons quelque chose d'autre
que l'objet, de même qu'à l'état de veille, quand nous sentons quelque chose. En effet la
sensation est souvent l'occasion de quelque pensée à son sujet. Ainsi, dans le sommeil, nous
pensons parfois autre chose indépendamment des images. […] Par suite il est évident que
toute représentation dans le sommeil n'est pas un rêve »[30]. Les images du rêve ne se
réduisent donc pas pour Aristote à des représentations mentales auxquelles le sommeil aurait
donné une vie plus intense.

Cela ne signifie cependant pas qu'Aristote accorde à ces images une réalité autonome
car s'il « est vrai qu'on ne voit rien dans le rêve, il n'est pas exact que la sensibilité n'éprouve
rien, mais il est possible que la vue et les autres sens éprouvent quelque affection ; chacune
des impressions agit d'une certaine manière comme si l'on était éveillé, mais non comme si
on était éveillé réellement »[31]. La perception onirique s'explique donc par le fait que « le
dormeur peut être trompé par le sommeil […] ; par suite, ce qui présente une petite
ressemblance avec l'objet semble être cet objet. […]. Chacune de ces apparences […] est un
résidu des sensations en actes, et quand la sensation véritable a disparu, il en reste quelque
chose et il est vrai de dire que c'est comme Coriscus, mais sans être Coriscus. Quand il
percevait, le sens qui juge en maître en nous ne disait pas que ce fût Coriscus, mais à cause
de cette apparence, il reconnaissait le Coriscus véritable. Par conséquent, cette chose, dont
on disait, en la sentant, qu'elle était Coriscus […] est mise en mouvement par les
mouvements qui résident dans les organes ; et l'objet semblable paraît être l'objet véritable
même. La puissance du sommeil est si grande qu'il produit ce résultat à notre insu »[32].

A ce stade de l'analyse, une incompréhension pourrait se glisser qui consisterait à voir


dans ce caractère trompeur de l'apparence un élément essentiel définissant le rêve. Pour
Aristote ce n'est pas le fait d'être trompeur qui définit le rêve, mais le fait d'être apparence.
Et c'est ici qu'intervient la lucidité onirique, pour aider à dégager l'essentiel de l'accessoire.
Puisqu'il peut y avoir rêve sans croyance en sa réalité, donc rêve lucide, c'est que l'illusion
n'est pas absolument parlant du côté du rêveur, c'est d'une certaine façon une illusion
objective que la conscience de l'illusion ne peut pas dissiper et dont la perception éveillée
nous fournit des exemples : « Ainsi, à supposer que quelqu'un ne s'aperçoive pas avoir mis le
doigt sous son œil, non seulement la chose, une qu'elle est, apparaîtra double, mais il la
croira double ; mais s'il s'en est aperçu, il y a apparence et non croyance ; de même dans le
sommeil »[33]. Aristote prend donc le soin de séparer dans le rêve l'apparence de la
croyance, et la lucidité lui sert d'outil à cette fin.

Cette intervention du rêve lucide est un peu surprenante pour nous car il n'est pas
examiné pour lui-même, ni même à la lumière du rêve. Au contraire c'est lui qui contribue à
épurer la définition du rêve d'un des éléments qui encombre sa compréhension : l'idée qu'il
n'y a rêve que si le rêveur croit à la réalité des apparences oniriques. Dans son analyse du
rêve Aristote accorde la pleine existence à la lucidité onirique qu'il considère comme un fait
d'expérience. Il n'est guère possible de méconnaître l'existence du rêve lucide dans ce texte
malgré les commentaires dont il a parfois été l'objet . René Mugnier par exemple interprète le
passage "quand on dort, il y a quelque chose dans l'âme qui dit que ce qui apparaît est un
rêve" de façon réductrice : « Les psychologues modernes n'ont pas dit autre chose : ainsi, la
mère se réveille quand son enfant s'agite »[34] ; il ramène ainsi la lucidité à l'attention à
l'environnement de veille qui subsiste dans le sommeil et sans le savoir gratifie les
psychologues des années cinquante d'une conception du rêve qu'ils auraient énergiquement
refusée. En fait l'existence du rêve lucide pour Aristote ne peut être mise en doute d'abord
simplement parce qu'il en indique nettement le fonctionnement conscientiel, et surtout parce
qu'il lui semble suffisamment naturel pour l'utiliser dans sa définition épurative du rêve, sans
avoir à le justifier. Cette façon de procéder semble indiquer que pour lui le rêve lucide n'est
pas un phénomène extraordinaire mais qu'on le rencontre régulièrement dans la vie onirique.
Rétrospectivement cela nous permet de penser que les conventions poétiques introduisant la
lucidité dans le rêve "oracle" ne sont pas dépourvues de fondement.

Le texte d'Aristote présente cependant pour nous quelques inconvénients. En raison


même de ce qu'il apparaît comme une expérience commune, le rêve lucide ne fait pas l'objet
d'une analyse et aucun récit n'en est donné : l'exemple de Coriscus est vraisemblablement
une construction. A part le fait qu'ils existent nous ne pouvons donc rien savoir des rêves
lucides auxquels pensent Aristote, s'ils présentent des particularités dans leur contenu ou leur
qualité. Il faut attendre le Moyen Age pour trouver le premier récit détaillé d'un rêve lucide
vécu.

§2. Le premier récit de rêve lucide au Moyen Age


Le rêve lucide le plus ancien qui nous est donné pour authentique a été consigné en
414 dans une lettre par saint Augustin et concerne un médecin, Gennadius, qui y est décrit
comme un homme qui doute de la vie après la mort malgré son tempérament religieux. Les
deux rêves relatés par saint Augustin, et qui se produisirent deux nuits de suite, répondent à
cette préoccupation : la lucidité onirique n'intervient dans le deuxième qu'en tant que preuve
de la survie de l'âme. Le premier rêve ne comporte rien de particulier par lui-même si ce
n'est son côté harmonieux :

[…] il vit une nuit en songe un jeune homme d'une figure


agréable, qui lui dit, Suivez-moi. Gennadius se mit donc à le suivre, et
arriva dans une ville où il ne fut pas plutôt qu'il entendit à sa droite
une musique d'une douceur et d'une harmonie qui surpassait tout ce
qu'il avait jamais entendu ; et comme il était en peine de savoir ce
que ce pouvait être, le jeune homme qui le conduisait lui dit que
c'étaient les hymnes des saints et des Bienheureux. Il vit aussi
quelque chose à sa gauche, mais j'ai oublié ce que c'était : ensuite il
s'éveilla, le songe s'évanouit ; et il ne le regarda que comme un
songe.[35]

Ce premier rêve ne prend sa réelle dimension qu'à la lumière du deuxième qui a lieu la
nuit suivante et dans lequel réapparaissent le même personnage et le même décor :

Mais la nuit suivante ce même jeune homme lui apparut


encore, et lui demanda s'il le reconnaissait. Gennadius l'ayant assuré
qu'il le reconnaissait fort bien, le jeune homme lui demanda où il
l'avait vu, à quoi Gennadius, qui avait la mémoire toute fraîche de ces
hymnes des Saints qu'il avait entendu dans le lieu où ce jeune homme
l'avait conduit, n'eut pas de peine à répondre.[36]

Ce retour d'éléments semblables ne suffit pas pour que Gennadius reconnaisse le rêve
comme tel. Il faut pour cela que le personnage onirique joue un rôle qui fait penser à celui
des divinités des rêves "oracles" des anciens grecs.

Mais ce que vous me marquez-là, lui dit le jeune homme,


l'avez-vous vu en songe ou éveillé ? En songe, répond Gennadius. Il
est vrai, reprit le jeune homme, c'est en songe que vous l'avez vu ; et
ce qui se passe encore présentement, ce n'est qu'en songe que vous
le voyez ; je le crois, répond Gennadius. Et où est présentement votre
corps, reprit le jeune homme qui l'instruisait ? Dans mon lit répond
Gennadius.[37]

Le personnage joue cependant ici son rôle de façon légèrement différente : il n'affirme
pas à Gennadius "tu dors", mais il l'amène à en faire la constatation par lui-même. Pour cette
raison le doute qui subsistait dans les textes d'Homère sur la réalité de la prise de conscience
du rêveur n'est plus soutenable ici. Le jeune homme amène Gennadius à cette prise de
conscience en lui demandant d'exercer ses facultés de comparaison et sa mémoire. Il le
pousse à se souvenir du rêve précédent et de l'état de veille ("où est présentement votre
corps ?") et à comparer avec eux sa situation actuelle. Que Gennadius se sache en train de
rêver et de dormir suffirait à qualifier ce rêve de lucide.

La suite du rêve accentue encore cette caractérisation par le fait qu'elle porte sur la
perception onirique et sa nature, ce qui est un thème de préoccupation constant des rêveurs
lucides.

Et ne savez-vous pas, continue le jeune homme, que vos yeux


corporels sont présentement fermés et sans action, et que vous n'en
voyez rien ? Je le sais, dit Gennadius.
De quels yeux est-ce donc que vous me voyez, reprit l'autre ?
Et comme Gennadius hésitait à cette question et ne voyait pas bien ce
qu'il avait à répondre, le jeune homme le mena au bout de toutes ces
interrogations en lui disant : De la même manière qu'encore que dans
ce moment que vous êtes dans votre lit et endormi, vos yeux
corporels soient fermés et sans action, vous en avez d'autres dont
vous me voyez, et qui vous servent pendant que les autres ne font
rien ;[38]

La conclusion du rêve dépasse cependant celles habituelles aux rêveurs lucides à ce


sujet :

[…] de même quand vous serez mort, quoique vos yeux


corporels n'ayant plus d'action, vous demeurerez vivant et capable de
voir et de sentir. Gardez-vous donc bien de douter jamais après ceci
qu'il n'y ait une autre vie après la mort.[39]

Ainsi dès le premier témoignage que nous possédons du rêve lucide nous voyons que
la lucidité surgit essentiellement par un processus de comparaison : comparaison d'un songe
avec un autre, comparaison des perceptions oniriques et vigiles, comparaison d'un état
présent et d'un souvenir. Mais l'intérêt de saint Augustin ne s'est guère porté sur ce point et
de fait le contexte n'a pas amené à s'intéresser au phénomène lui-même. Le rêve est bien
reconnu comme tel, puisqu'il n'est pas confondu avec la veille mais c'est pour être aussitôt
assimilé à un état équivalent à la vie après la mort, et du coup ce n'est pas l'aspect
conscientiel qui est pris en considération mais l'existence d'organes des sens spirituels
comme preuve d'une telle vie.

Cependant si ce récit nous est parvenu, ce n'est sans doute pas seulement en raison
du contexte religieux qui l'entoure, mais aussi de sa rareté, ce que saint Augustin indique
lui-même lorsqu'il s'interroge sur les perceptions oniriques : « d'un coucher de soleil à l'autre,
chacun dort, et veille, et pense. Qu'on nous dise donc, s'il est possible, comment se font en
nous, sans corps et sans manière, des impressions si semblables aux figures, aux qualités, et
aux mouvements des corps ? Que si nous ne pouvons rendre raison de ces choses si
communes et si ordinaires, et que chacun éprouve continuellement en soi-même, qui est-ce
qui serait assez téméraire pour prononcer sur des choses qui n'arrivent que rarement, et
que nous n'avons peut-être jamais éprouvées ? »[40]. La rareté des rêves de ce type est
d'ailleurs confirmée par le fait que ce récit est rapporté. Saint Augustin n'a apparemment
aucun rêve personnel de ce genre à donner en exemple. On peut trouver surprenant que le
premier témoignage que nous possédions soit apparu à une époque où le phénomène est
considéré comme rare, alors que l'époque d'Aristote, où il semble plus fréquent, ne nous a
laissé aucun récit de rêve lucide. Mais peut-être l'indication de rareté donnée par saint
Augustin concerne-t-elle plus le contenu du rêve (la démonstration à laquelle il se livre) que
le fait de la lucidité. Quoiqu'il en soit c'est sans doute justement à ce sentiment de rareté
que, indépendamment du contexte, l'on doit la conservation d'un récit vécu qui, à une
époque antérieure, n'aurait peut-être pas attiré l'attention.

Que la rareté ait concerné le contenu du rêve plutôt que son aspect conscientiel
semble confirmé par l'autre mention de la lucidité onirique que nous trouvons au Moyen Age,
huit siècles plus tard, dans un texte de saint Thomas d'Aquin qui considère le rêve lucide
comme un phénomène courant et dont l'explication physiologique est connue. Il écrit qu'on
« juge parfois en dormant que ce qu'on voit est un rêve, comme si l'on discernait entre les
réalités et leurs images »[41]. Cette remarque entre dans le cadre d'une explication de type
physiologique qui fait dépendre le plus ou moins grand degré de fonctionnement des facultés
dans le sommeil "de certaines évaporations, de vapeurs qui se dissolvent" et du mouvement
de ces vapeurs. Les facultés, comme les sens et l'imagination fonctionnent d'autant moins
que ce mouvement est grand, et inversement. Ainsi pour l'imagination : « Quand le
mouvement des vapeurs est plus lent, il y a bien des images, mais déformées et sans ordre
[…]. Et si le mouvement est encore plus calme, on a des images ordonnées : cela se produit
surtout vers la fin du sommeil […]. Si le mouvement est faible, non seulement l'imagination
se trouve libre, mais même le sens commun est partiellement délié : à ce point qu'on juge
parfois en dormant que ce qu'on voit est un rêve »[42]. Saint Thomas d'Aquin fait donc
dépendre la lucidité du fonctionnement des facultés. D'après lui le sommeil est un
affaiblissement de la vie de veille et le rêve est une sorte d'intermédiaire entre la vie de veille
et le sommeil sans rêve, tandis que l'éveil est caractérisé par le fonctionnement total des
facultés. Une telle conception implique en fait qu'un rêve, même s'il peut être partiellement
conscient, donc lucide, ne peut jamais l'être complètement. Le serait-il qu'il se confondrait
avec la vie de veille. Dans les rêves lucides « le sens commun reste quelque peu lié : tout en
discernant entre certaines images et les réalités, il se trompe toujours sur quelques-unes de
ces images. - Donc dans la mesure où le sens et l'imagination sont déliés dans le sommeil, le
jugement de l'intelligence a son libre exercice, mais non pas totalement. Par suite ceux qui
raisonnent en dormant, reconnaissent toujours au réveil qu'ils ont fait quelque erreur »[43].
Dans la mesure où le rêve s'inscrit dans un affaiblissement des facultés, le rêve lucide y
trouve une place logique (comme période de sommeil qui se rapproche du réveil) et une
limite qui n'entre pas dans sa compréhension actuelle. Il est ici en quelque sorte une
catégorie nécessaire dans une construction physiologique. Aucun exemple n'en est donné car
il n'est pas considéré comme remarquable et de ce fait l'intention de l'étudier plus
particulièrement n'est pas manifestée dans ce texte.

Le rêve lucide rapporté par saint Augustin est donc très différent de ceux qu'envisage
saint Thomas d'Aquin. Manifestement le rêve de Gennadius est complètement lucide tandis
que ceux de saint Thomas ne le sont que partiellement, ce qui explique peut-être la
différence d'appréciation (implicite pour saint Thomas d'Aquin) quant à la fréquence du
phénomène. Quoiqu'il en soit, il est certain que les préventions de l'Église contre le rêve n'ont
pas facilité le récit et la diffusion de tels rêves (si le rêve de Gennadius nous est parvenu,
c'est surtout parce qu'il traitait d'un sujet religieux) et des récits de rêves plus "libres" de
l'intérêt doctrinal n'apparaissent vraiment qu'à l'époque moderne.

§3. Etats indéterminés et rêves lucides à l'époque moderne;


Cependant l'époque moderne, si elle est plus riche en témoignages sur le rêve lucide
que les deux précédentes, sans doute parce que nous disposons sur elle de plus de
documents, n'en fournit pas une quantité telle que l'on puisse en tirer des conclusions sur
l'appréciation dont il était l'objet ou sa fréquence. De plus, là aussi, dans la mesure où le rêve
lucide ne dispose d'aucun cadre conceptuel, il reste difficile à déterminer et il faut distinguer
les cas où nous pensons le reconnaître de ceux où il est pratiquement mentionné comme tel
par le rêveur.

Les exemples du premier cas sont malcommodes à discerner : les récits de rêves qui
présentent des caractères de contenu aujourd'hui reconnus comme fréquents en rêve lucide
se prêtent difficilement à une analyse destinée à déterminer l'état de conscience du rêveur,
et il faut de plus souvent les chercher parmi des récits qui ne sont pas présentés par leurs
auteurs comme des récits de rêves, même s'ils en ont pour nous les caractères. De tels rêves
sont mentionnés dans des traditions orales populaires et dans la mesure où - comme nous
l'avons vu pour les grecs avec la convention poétique -, un phénomène de type onirique
trouve un terrain d'expression autre que le rêve, on peut supposer qu'il correspond à une
réalité onirique qu'il reflète, même s'il la déforme. Il serait cependant risqué d'en tirer
directement des conclusions concernant l'existence et l'étendue du phénomène du rêve lucide
auprès de populations qui n'en n'avaient aucun concept. Les seules conclusions possibles
portent sur des individus : elles concernent les témoignages qui dans ce domaine nous sont
parvenus, et laissent à tout le moins penser qu'il existait certainement des phénomènes qui
sans pouvoir être toujours considérés comme ce que nous appelons des rêves lucides,
impliquaient parfois la lucidité onirique.

C'est par exemple ce que montrent les travaux de Carlo Ginzburg qui a analysé et
décrit des attitudes et des croyances populaires de la société paysanne frioulane, de la fin du
seizième au milieu du dix-septième siècle, qui se sont progressivement identifiées à la
sorcellerie. Ces croyances, consignées lors d'interrogatoires par les notaires du Saint-Office,
présentent des traits intéressants pour nous en ce qui concerne la vie nocturne : les frioulans
croient qu'à certaines époques, les benandanti , « des sorciers […] "qui sont bons,
appelés vagabonds et dans leur langage benandanti" lesquels "empêchent le mal",
tandis que d'autres sorciers "le font"»[44] sortent de leur corps et vont assister en esprit à
des assemblées et combattre les sorciers pour l'abondance des récoltes. «"Je suis
benandante," déclare l'un d'eux, "parce que je pars avec les autres combattre quatre
fois par an, […] la nuit, de façon invisible, en esprit : seul le corps demeure" »[45].
Cette confession indique clairement que son auteur se sait endormi, ce qui nous apparaît
comme l'indication de la lucidité. Et si les benandanti considèrent qu'ils combattent
réellement les sorciers, ils ont néanmoins conscience de la parenté de cet état avec le rêve :
l'un d'eux « commence par nier, puis il admet, toujours en riant, avoir affirmé qu'il
combattait en rêve contre les sorciers »[46]. Même si cet aveu est une dérobade, elle est
significative du rapport qu'y voit son auteur avec le monde onirique. Et il se pourrait que la
différence entre "rêve" et "sortie en esprit" ne tienne justement qu'à l'éveil complet de la
conscience lucide dont le degré est ici difficile à déterminer.

Même s'il fallait admettre que le rêveur n'est pas, dans ces rêves de "sortie en esprit",
pleinement conscient de rêver, on serait bien obligé de reconnaître qu'il l'est en quelque sorte
négativement, puisqu'il a conscience de ne pas être éveillé, c'est-à-dire de dormir. Ce fait
est nettement repérable dans les récits qui nous sont restés :

« [Un benandante] s'était présenté à lui […] vers les quatre heures,
durant le premier sommeil […] " Il me dit que la capitaine des
benandanti m'appelait car je devais aller combattre pour les récoltes.
Et moi je lui répondis : 'je veux venir par amour pour les récoltes ' ».

« " Si vous dormiez, comment avez-vous pu lui répondre, et


comment avez-vous entendu sa voix ? " objecte Frère Felice. Paolo :
" c'est mon esprit qui lui a répondu " ; et d'expliquer que c'est leur
esprit qui part, " et si par hasard, en notre absence, quelqu'un allait
éclairer le corps pour le regarder, cette nuit-là notre esprit ne
pourrait revenir tant qu'on n'aurait pas cessé de regarder ; et si le
corps, ayant l'apparence de la mort, était enseveli sous terre, l'esprit
irait vagabonder par le monde jusqu'au moment prévu pour la mort
du corps " ».[47]

La distinction corps-esprit peut donc être considérée comme une interprétation de ce


que vit le rêveur, interprétation qui, de notre point de vue, dépasse le terrain de l'expérience
onirique, mais qui néanmoins implique la conscience d'être dans un état différent de celui de
l'état de veille.

Toutefois les récits concordent si bien d'un benandante à l'autre qu'on pourrait se
demander s'il ne s'agit pas plutôt d'un délire hallucinatoire à l'état de veille, culturellement
répandu, que d'un rêve. Des observateurs témoignent que les benandanti et les sorciers,
leurs adversaires, connaissent des états de sommeil particuliers[48] qui coïncident avec ces
états de rêves. La femme d'un benandanti rapporte « qu'une nuit d'hiver, se réveillant
effrayée, elle avait appelé Paolo pour qu'il la rassure : " bien que je l'aie appelé une
dizaine de fois en le secouant, je n'ai jamais pu le réveiller et il se tenait le visage
tourné vers le haut " »[49]. Une sorcière « voulait absolument disait-elle, se rendre à
la chasse de Diane. Aussi beaucoup de gens l'observèrent pour l'en empêcher… Elle
resta couchée comme morte durant deux heures environ et à la fin, souvent remuée
par les personnes présentes, elle revint à elle en disant : " Moi, j'y suis allée quand
même, malgré vous " »[50].

Carlo Ginzburg s'interroge sur cet état et réfute les deux interprétations courantes
selon lesquelles « soit on a considéré sorcières et sorciers comme des individus souffrant
d'épilepsie, d'hystérie ou d'autres maladies nerveuses aussi mal identifiées ; soit on a
attribué les pertes de conscience et les hallucinations les accompagnant à l'action d'onguents
composés de substances soporifiques ou hallucinogènes »[51]. Il est difficile d'étendre la
deuxième interprétation aux benandanti qui « ne parlent [pas] d'onguents : il font
seulement état de sommeils profonds, de léthargies qui, en les rendant insensibles,
permettent la "sortie" de l'esprit hors du corps »[52]. Quant à la première interprétation,
Carlo Ginzburg reconnaît qu'il « est certain que beaucoup de sorcières souffraient d'épilepsie
et que nombre de possédées étaient des hystériques. Il ne fait aucun doute, pourtant, que
nous nous trouvons devant des manifestations irréductibles au domaine de la
pathologie. Pour des raisons statistiques : face à un nombre aussi élevé de "malades", les
frontières entre la santé et la maladie se déplacent »[53]. Ainsi l'étrangeté de ces récits ne
suffit pas à les ramener à des phénomènes pathologiques : ils sont à la fois trop répandus et
trop culturellement structurés pour cela.

Ne pourrait-on pas alors les expliquer par le rêve lucide ? Il est de fait qu'en plus des
éléments qui appartiennent de façon manifeste au domaine onirique ces récits en comportent
d'autres que l'on retrouve fréquemment dans les rêves lucides explicites, tel que le sentiment
de quitter son corps, de se métamorphoser ou de voler dans l'espace :

"Dans les airs, j'avais l'impression que nous allions comme de


la fumée[54]".

Puisque les croyances populaires accordent une place importante à ces phénomènes
(même si elles ne lui reconnaissent pas explicitement une forme onirique), on peut supposer
que les rêves lucides sont plus répandus que ce que l'examen de la littérature et de la
philosophie donnerait à penser. Mais la réserve s'impose néanmoins puisque ces témoignages
se donnent rarement pour des récits de rêves.

Des cas de rêves lucides reconnus pour tels et ne laissant cette fois place à aucun
doute sont rapportés au sujet de philosophes tels que René Descartes et Thomas Reid. Ce
n'est pourtant pas la lucidité qui en a motivé le récit, mais le côté biographique. Ainsi un
éclairage nouveau est nécessaire pour l'étude du dernier des trois songes que Descartes fit
dans la nuit du 10 au 11 novembre 1619 et dont l'aspect lucide, pourtant clairement énoncé,
n'a généralement pas attiré l'attention : car si on s'accorde à penser que, des trois songes
entrecoupés de réveils, le plus important pour la suite de sa vie est le troisième, on attribue
cette importance au contenu du rêve. Or, ce contenu a, par rapport à celui des rêves
précédents, un aspect très ordinaire (« il eut un troisième songe, qui n'eut rien de terrible
comme les deux premiers »[55]) et ne suffit peut-être pas à lui tout seul à expliquer
l'enthousiasme de Descartes. Si l'on se réfère aux transformations affectives intenses que
provoque parfois le rêve lucide, le fait que le rêve comporte un passage dans lequel il est
conscient de rêver a peut-être joué un rôle important.

Le déroulement du rêve est lui-même instructif quant à la façon dont surgit la


lucidité : les phénomènes étonnants qui s'y multiplient préfigurent la reconnaissance de
l'état :

[…] il trouva un livre sur sa table, sans savoir qui l'y avait
mis. Il l'ouvrit et voyant que c'était un dictionnaire, il en fut ravi dans
l'espérance qu'il pourrait lui être fort utile. Dans le même instant, il se
rencontra un autre livre sous sa main, qui ne lui était pas moins
nouveau, ne sachant d'où il lui était venu. Il trouva que c'était un
recueil des Poésies de différents auteurs, intitulé Corpus poetarum,
etc. Il eut la curiosité d'y vouloir lire quelque chose, et, à l'ouverture
du livre, il tomba sur le vers

Quod vitae sectabor iter? etc.

Au même moment il aperçut un homme qu'il ne connaissait


pas, mais qui lui présenta une pièce de vers, commençant par Est et
Non, et qui la lui vantait comme une pièce excellente. M. Descartes lui
dit qu'il savait ce que c'était et que cette pièce était parmi les Idylles
d'Ausone, qui se trouvait dans le gros recueil des poètes qui était sur
sa table. Il voulut la montrer lui-même à cet homme, et il se mit à
feuilleter le livre, dont il se vantait de connaître parfaitement l'ordre et
l'économie. Pendant qu'il cherchait l'endroit, l'homme lui demanda où
il avait pris ce livre, et M. Descartes lui répondit qu'il ne pouvait lui
dire comment il l'avait eu ; mais qu'un moment auparavant il en
avait manié encore un autre, qui venait de disparaître, sans
savoir qui le lui avait apporté, ni qui le lui avait repris. Il n'avait
pas achevé, qu'il revit paraître le livre à l'autre bout de la table.
Mais il trouva que ce dictionnaire n'était plus entier comme il l'avait
trouvé la première fois. [56]

Les livres qui apparaissent et réapparaissent sont des phénomènes anormaux


susceptibles d'attirer l'attention sur le caractère onirique de la situation. Cependant il faudra
une disparition plus radicale, celle du personnage onirique, pour amener Descartes à cette
conclusion :

Il en était là, lorsque les livres et l'homme disparurent et


s'effacèrent de son imagination, sans néanmoins le réveiller. Ce
qu'il y a de singulier à remarquer, c'est que, doutant si ce qu'il
venait de voir était songe ou vision, non seulement il décida en
dormant que c'était un songe, mais il en fit encore
l'interprétation avant que le sommeil le quittât. [57]

Ce récit présente des traits caractéristiques du rêve lucide dégagés par la recherche
contemporaine : à la suite d'événements étranges - qui cependant auraient aussi bien pu ne
pas attirer l'attention du sujet - le rêveur s'interroge sur son état de conscience (prélucidité)
et conclut qu'il s'agit d'un rêve. Mais à sa lecture une objection ne manque pas de se
présenter : la partie "lucide", l'interprétation, du rêve ne serait-elle pas plutôt une réflexion
que ferait Descartes dans un demi-éveil, les yeux fermés ? Cependant cette objection ne
résiste pas au fait que Descartes lui-même ressent la différence entre les deux états et qu'il
passe par deux moments de "doute" bien distincts et séparés par un intervalle relativement
long, le premier qui le mène à un état lucide dans le sommeil ( "doutant si ce qu'il venait de
voir était songe ou vision") et le deuxième qui le mène à l'éveil ("doutant s'il rêvait ou
méditait").

Il jugea que le Dictionnaire ne voulait dire autre chose que


toutes les Sciences ramassées ensemble […]. M. Descartes,
continuant d'interpréter son songe dans le sommeil, estimait
que la pièce de vers sur l'incertitude du genre de vie qu'on doit choisir
[…], marquait le bon conseil d'une personne sage, ou même la
Théologie Morale.

Là-dessus, doutant s'il rêvait ou s'il méditait, il se réveilla sans


émotion et continua, les yeux ouverts, l'interprétation de son songe
sur la même idée.[59]

D'autres indices pourraient d'ailleurs être repérés dans l'ensemble du récit, indices qui
à la lumière des recherches récentes montreraient que ce rêve entre dans un "champ
onirique" dont les caractéristiques sont très répandues chez les rêveurs lucides. Ces
caractéristiques seront décrites dans le cours de ce travail mais nous pouvons signaler
rapidement celles qui se rapportent au rêve de Descartes. Tout d'abord chacun des songes
est séparé des autres par de longs moments d'éveil qui favorisent l'induction de la lucidité :
« Dans cette situation, il se rendormit, après un intervalle de près de deux heures dans des
pensées diverses sur les biens et les maux de ce monde ».[60] Ensuite le rêve lui-même a
pour décor la pièce où dort Descartes. Or, la plupart des rêves lucides commencent,
contrairement à ce qui se passe dans les rêves ordinaires, dans la pièce où le sujet s'est
endormi. Enfin les rêveurs lucides sont souvent victimes dans les moments qui précèdent la
lucidité de curieux phénomènes. En rêve ce sont généralement des phénomènes
kinesthésiques, dont par exemple le sentiment d'être pris dans un tourbillon :

[…] il sentit un vent impétueux qui, l'emportant dans une


espèce de tourbillon, lui fit faire trois ou quatre tours sur le pied
gauche,[62]

ou auditifs :

"Il lui vint aussitôt un nouveau songe, dans lequel il crut


entendre un bruit aigu et éclatant, qu'il prit pour un coup de
tonnerre. La frayeur qu'il en eut le réveilla sur l'heure même";[63]

Au moment de l'endormissement ce sont des phénomènes phosphéniques et


hypnagogiques :

[…] ayant ouvert les yeux, il aperçut beaucoup d'étincelles de


feu répandues par la chambre. La chose lui était déjà souvent arrivée
en d'autres temps, et il ne lui était pas fort extraordinaire, en se
réveillant au milieu de la nuit, d'avoir les yeux assez étincelants pour
lui faire entrevoir les objets les plus proches de lui."[64]

D'autres éléments encore contribuent à la qualification de ce rêve : d'abord


l'enthousiasme post-onirique assez commun au sortir d'un rêve lucide, et ensuite les
habitudes de vie de Descartes qui dormait beaucoup et tard[65], ce qui favorise la lucidité.

Toutefois l'intérêt que présente l'identification de ce rêve comme lucide dépasse le


simple cadre de la recherche historique. Il jette une nouvelle lumière sur les autres textes de
Descartes dans lesquels il est question du rêve. On a en effet considéré le passage des
Méditations où Descartes se demande s'il est éveillé ou s'il dort comme purement crée pour
l'argumentation et s'inscrivant dans le fil de la tradition sceptique. Pierre Gassendi lui en fait
le reproche : « vous feignez que vous dormez, afin que vous puissiez prendre pour des
illusions tout ce qui se passe ici-bas. Mais pouvez-vous pour cela assez sur vous-même que
de croire que vous ne soyez point éveillé, et que toutes les choses qui sont et qui se passent
devant vos yeux soient fausses et trompeuses ? Quoi que vous en disiez, il n'y aura personne
qui se persuade que vous soyez pleinement persuadé qu'il n'y a rien de vrai de tout ce que
vous avez jamais connu »[66]. Or, pour Descartes, et pour tout rêveur lucide, la difficulté, en
rêve tout au moins, est réelle, puisque le sujet devient souvent lucide pour avoir mis en
doute dans le rêve son état d'éveil. De plus cette incertitude peut rejaillir sur l'état de veille :
d'après Ferdinand Alquié « la difficulté éprouvée par Descartes à distinguer la veille du
sommeil » est dans la Première Méditation « reprise et utilisée, mais non inventée pour
les besoins de la cause »[67].

Dans la mesure où Baillet a probablement recopié en style indirect le manuscrit qu'il


avait sous les yeux, ce rêve de Descartes est le premier rêve lucide qui nous est presque
directement donné par son auteur. Cependant c'est à Thomas Reid que nous devons,
absolument parlant, le premier témoignage personnel.

Le rêve de Reid, comme celui de Descartes, est rapporté en tant qu'anecdote


biographique. Mais tandis que le songe de Descartes revêt pour son histoire personnelle une
importance décisive, celui de Reid n'a qu'un aspect thérapeutique banal. Dans une lettre au
Révérend William Grégory de janvier 1779, il nous rapporte qu'il était en proie à des
cauchemars pénibles qui influençaient son état d'esprit :

Vers l'âge de quatorze ans, j'avais, presque chaque nuit, le


sommeil malheureux, à cause des rêves effrayants que j'y faisais.
Tantôt je me trouvais suspendu au-dessus d'un terrible précipice,
tantôt, étant poursuivi, il me fallait fuir pour sauver ma vie et j'étais
arrêté par un mur ou par la perte soudaine de toutes mes forces, ou
bien encore des bêtes sauvages s'apprêtaient à me dévorer. Je ne sais
plus combien de temps je fus harcelé par ces cauchemars. Il me
semble qu'ils durèrent au moins deux ans et qu'ils avaient
complètement cessé quand j'atteignis l'âge de quinze ans. En ce
temps-là, je m'adonnais volontiers à ce que Monsieur Addison appelle,
dans l'un de ses "Spectateurs", construire des châteaux de nuages.
Pendant ma promenade solitaire du soir - le seul exercice que je
prenais alors - mes rêveries me conduisaient dans un monde d'action
où je me comportais, selon mon propre jugement, d'une manière tout
à fait satisfaisante. Au cours de ces scènes imaginaires, je réalisai
plus d'un exploit chevaleresque. A la même époque, dans mes rêves,
j'étais le plus grand poltron qu'il y eut jamais sur terre. Face au
danger, non seulement je perdais tout courage, mais la force, aussi,
me manquait. Souvent, je me levais, le matin, dans un tel état de
terreur qu'il me fallait un certain temps pour le surmonter. Je
souhaitais vivement être libéré de ces rêves tourmentés car, outre
qu'ils me rendaient malheureux dans le sommeil, l'impression
désagréable qu'ils me laissaient demeurait souvent en moi pendant
une partie de la journée.[69]

Cette situation le rend malheureux et il prend la décision de se rappeler en rêve qu'il ne


s'agit que d'un rêve :

Je me disais qu'il vaudrait la peine, si c'était faisable, d'arriver


à se souvenir que ce n'étaient là que des rêves, et que je ne courais
aucun danger réel. Bien des fois, avant de m'endormir, j'essayai
d'imprimer aussi fortement que possible dans mon esprit l'idée que,
de ma vie, je n'avais jamais couru aucun danger véritable, que toutes
mes peurs n'existaient qu'en rêve. Longtemps, mes efforts pour
évoquer cette mémoire en présence du danger demeurèrent vains,
mais, finalement, je réussis, et j'y suis parvenu bien des fois depuis
lors. A l'instant où j'allais glisser par-dessus le bord du précipice et
tomber dans l'abîme, je me souvins que ce n'était qu'un rêve et je
sautai hardiment dans le vide. L'effet habituel de ces rappels de
conscience était de m'éveiller, mais je me trouvais alors dans un état
de calme et d'intrépidité qui représentait, pour moi, un gain fort
appréciable. Mes rêves perdirent alors leur caractère excessivement
effrayant et, bientôt, je ne rêvai plus.[70]

Ce qu'il y a de remarquable ici c'est que ce rêve lucide n'est pas un phénomène se
produisant de façon imprévue, comme pour tous les récits que nous avons examinés
précédemment[71] mais il est le fruit d'une induction délibérée, ce qui est le premier pas vers
une démarche expérimentale. Que Reid ait pensé la chose réalisable s'explique par deux
caractéristiques souvent présentées par les sujets : ils ignorent ce qui est censé être possible
ou non en rêve - parfois en raison de leur jeune âge -, ("Je me disais qu'il vaudrait la peine,
si c'était faisable, d'arriver à se souvenir que ce n'étaient là que des rêves, et que je ne
courais aucun danger réel") et ne se découragent pas malgré de nombreux échecs
("Longtemps, mes efforts pour évoquer cette mémoire en présence du danger demeurèrent
vains"). L'induction elle-même est décrite comme une sorte d'autosuggestion ("Bien des fois,
avant de m'endormir, j'essayai d'imprimer aussi fortement que possible dans mon esprit
l'idée que […] toutes mes peurs n'existaient qu'en rêve"). Cependant si la démarche de
Reid prend une forme quasi-expérimentale, il n'entre pas dans ses intentions de poursuivre
des recherches sur le rêve ; son but est simplement d'échapper à ses cauchemars et ses
expériences prennent fin avec la disparition de ses peurs oniriques. D'ailleurs la disparition de
la capacité à se souvenir des rêves indique probablement un manque d'intérêt pour ces
questions. La possibilité d'obtenir le compte rendu d'expériences plus poussées s'évanouit
après avoir été un instant entrevue.

Ainsi de l'Antiquité à l'époque moderne le rêve lucide n'attire l'attention que de façon
sporadique et ne suscite aucune recherche, même chez ceux qui en font l'expérience. Ces
derniers voient probablement en lui un phénomène qui, pour ne pas être extrêmement
fréquent, n'a cependant rien d'insolite pour la pensée, et s'ils n'envisagent aucune
expérimentation c'est probablement en raison de leur conception du rêve en général comme
phénomène passif ou irréel. Mais l'exploration du rêve lucide n'est en fait possible que si le
rêveur s'intéresse au phénomène onirique lui-même de façon active, attitude que l'on ne
trouve dans la littérature qu'à partir de l'époque contemporaine.

Section II

Le rêve lucide a partir du rêve lucide : du dix-neuvième


siècle à nos jours

[1]
Une difficulté se présente ici : peut-on analyser de tels récits avant d'avoir examiné les critères qui

définissent le rêve lucide ? En fait ce n'est pas tant à une analyse qu'à une première reconnaissance

du phénomène que nous procéderons dans ce survol historique.


[2]
Une difficulté se présente ici : peut-on analyser de tels récits avant d'avoir examiné les critères qui

définissent le rêve lucide ? En fait ce n'est pas tant à une analyse qu'à une première reconnaissance

du phénomène que nous procéderons dans ce survol historique.


[3]
E.R. Dodds, Les Grecs et l'Irrationnel, Aubier Montaigne, Paris, 1965, pp. 107-108. Le début de la

dernière phrase est souligné par nous.


[4]
Ibid., p. 108. Souligné par nous.
[5]
Ibid., pp. 108-109. Souligné par nous.
[6]
Ibid., pp. 109-110.
[7]
Macrobe, cité par Dodds, Ibid., p. 110.
[8]
On peut cependant admettre que dans le cas des rêves hautement significatifs que sont les
messages divins - ou même pour l'ensemble de la troisième catégorie, l'oracle -, l'ambiguïté, pour le

rêveur, n'est guère possible, et que la reconnaissance se fait effectivement en fonction du contenu.
[9]
L'argument selon lequel cette distinction se ferait "après coup", lorsque l'expérience de la vie de

veille aurait validé le rêve comme significatif, ne rend pas compte de la raison du choix même du rêve

à noter en vue d'une éventuelle validation.


[10]
Aristide, orat. 48.31 seq. (= test. 417). Cité par Dodds, op. cit., p. 116. Souligné par nous.
[11]
Jean Lhermitte, Revue "Guérir" du 1er janvier 1936, cité par Paul-C. Jagot, Théorie et pratique de

l'hypnotisme, 1991, p. 9.
[12]
Hervey de Saint-Denys, Les rêves et les moyens de les diriger, Tchou, 1964, pp. 227-228.
[13]
Homère, Iliade, Chant II, Le Livre de Poche, Paris, 1966, p. 55. Traduit par Paul Mazon.
[14]
Ibid., Chant XXIII, p. 529.
[15]
Homère, Odyssée, Chant IV, Le Livre de Poche, Paris, 1960, p. 107. Traduit par Victor Bérard.
[16]
Ibid., Iliade, Chant II, op. cit., p. 55.
[17]
Ibid., Chant XXIII, p. 530.
[18]
Ibid.
[19]
Ibid.
[20]
Idem, Odyssée, op. cit., p. 108.
[21]
E.R. Dodds, op. cit., p. 111.
[22]
Ibid.
[23]
E.R. Dodds, op. cit., p. 111.
[24]
Ibid.
[25]
Platon, Timée, 71 e-72 a, dans : Œuvres complètes, TII, Gallimard, Paris, 1977, p. 497. Traduit par

Léon Robin. Souligné par nous.


[26]
Aristote, "Des Rêves", 460 a, dans : Petits Traités d'Histoire naturelle, Les Belles Lettres, Paris,

1965, pp. 77-87. Traduit par René Mugnier. Souligné par nous.
[27]
Pierre Pachet, "Le miroir du rêve selon Aristote", dans: Jacques Brunschwig, Claude Imbert et Alain

Roger (dir.), Histoire et Structure, A la mémoire de Victor Goldschmidt, Vrin, Paris, 1985,

pp. 195-200.
[28]
Aristote, op. cit.
[29]
Ibid.
[30]
Ibid.
[31]
Ibid.
[32]
Ibid.
[33]
Ibid.
[34]
Ibid., note de bas de page, p. 86.
[35]
Saint Augustin, "à Evode, lettre CLIX", dans : Les Lettres de Saint Augustin, t.IV, P.G. Le Mercier,

1737, p. 394, Traduit par des bénédictins de la congrégation de Saint-Maur.


[36]
Ibid.
[37]
Ibid.
[38]
Ibid.
[39]
Ibid.
[40]
Ibid. Souligné par nous.
[41]
Saint Thomas d'Aquin, Somme théologique, Editions du Cerf, 1954, t.X : "La pensée humaine", pp.

63 à 65.
[42]
Ibid. Souligné par nous.
[43]
Ibid. Souligné par nous.
[44]
Carlo Ginzburg, Les Batailles nocturnes, Sorcellerie et rituels agraires aux XVIe et XVIIe siècles,

Flammarion, Paris, 1984, p. 18. Souligné par l'auteur.


[45]
Ibid., p. 23. Souligné par l'auteur.
[46]
Ibid., p. 22. Souligné par nous.
[47]
Ibid., pp. 25-26.
[48]
Que ces états soient cataleptiques, comme on l'a supposé, n'enlève rien au fait qu'ils sont des états

de sommeil pendant lesquels le rêveur est coupé de la vie de relation et vit un phénomène de type

onirique.
[49]
Carlo Ginzburg, op. cit., p. 39.
[50]
Ibid., p. 35.
[51]
Ibid.
[52]
Ibid., p. 36.
[53]
Ibid., p. 37. Souligné par nous.
[54]
Ibid., p. 128.
[55]
Descartes, Olympiques, dans les Oeuvres philosophiques, T.I, Edition de F, Alquié, Classiques

Garnier, Paris, 1988, pp. 52-63.


[56]
Ibid., pp. 55-56. Souligné par nous.
[57]
Ibid., p. 56. Souligné par nous.
[58]
Ibid., p. 56. Souligné par nous.
[59]
Ibid., p. 56-57. Souligné par nous.
[60]
Ibid., p. 54.
[61]
Ibid., p. 54.
[62]
Ibid., p. 53.
[63]
Ibid., p. 54.
[64]
Ibid.
[65]
« Je dors ici dix heures toutes les nuits et sans que jamais aucun soin ne me réveille », Descartes,

"Lettre à Balzac du 15 avril 1631", op. cit., p. 289.


[66]
"Cinquièmes objections" de Gassendi, dans : Descartes, Oeuvres philosophiques, T.II, op. cit.,

pp. 707-708.
[67]
Note de F. Alquié dans : Descartes, Oeuvres philosophiques, T.I, op. cit. p. 55. Souligné par nous.
[68]
Note de F. Alquié dans : Descartes, Oeuvres philosophiques, T.I, op. cit. p. 55. Souligné par nous.
[69]
« About the age of fourteen, I was, almost every night, unhappy in my sleep, from frigthful dreams:

sometimes hanging over a dreadful precipice, and just ready to drop down; sometimes pursued for my

life, and stopped by a wall, or by a sudden loss of all strenght; sometimes ready to be devoured by a

wild beast. How long I was plagued with such dreams, I do not now recollect. I believe it was for a

year or two at least; and I think they had quite left me before I was fifteen. In those days, I was much

given to what Mr Addison, in one of his "Spectators," calls castle-building; and, in my evening solitary

walk, which was generally all the exercise I took, my thoughts would hurry me into some active scene,

where I generally acquitted myself much to my own satisfaction; and in these scenes of imagination I

performed many a gallant exploit. At the same time, in my dreams I found myself the most arrant

coward that ever was. Not only my courage, but my strength failed me in every danger; and I often

rose from my bed in the morning in such a panic that it took some time to get the better of it. I

wished very much to get free of these uneasy dreams, which not only made me unhappy in sleep, but

often left a disagreeable impression in my mind for some part of the following day ». Thomas Reid,

The works of Thomas Reid, D. D., Longman, Green, Longman, Roberts and Green, 1863, vol.I, pp.

33-34.
[70]
« I thought it was worth trying whether it was possible to recollect that it was all a dream, and that

I was in no real danger. I often went to sleep with my mind as strongly impressed as I could with this

thought, that I never in my life-time was in any real danger, and that every fright I had was a dream.

After many fruitless endeavours to recollect this when the danger appeared I effected it at last, and

have often, when I was sliding over a precipice into the abyss, recollected that it was all a dream, and

boldly jumped down. The effet of this commonly was, that I immediately awoke. But I awake calm and
intrepid, which I thought a great acquisition. After this, my dreams were never very uneasy; and, in a

short time, I dreamed not at all ». Ibid.


[71]
Même dans le cas des benandanti, la première apparition du phénomène dépend d'un personnage

onirique perçu comme extérieur au rêveur.


Chapitre Deux
Développement de la recherche sur le rêve lucide dans
le monde occidental
[lire la traduction anglais/read the English translation]

Lorsqu'on l'aborde de loin, l'histoire du rêve - ou plus exactement l'histoire de l'intérêt


que divers peuples et civilisations ont pris à l'étude du rêve - semble se condenser dans la
recherche du sens, dans l'interprétation du contenu onirique. Les témoignages les plus
anciens dont nous disposons nous montrent des rêveurs toujours soucieux de faire émerger
du flou des données oniriques des bons ou mauvais présages, de déceler des symptômes de
maladies, ou simplement de rendre clairs les messages que les divinités leur ont adressés
dans une langue obscurément sentie par eux comme plus universelle que celle de l'état de
veille. Cette approche - qui correspond à des préoccupations dont la constance ne s'est
jamais démentie dans l'histoire de l'humanité - culmine au vingtième siècle avec la
psychanalyse qui en entreprend la théorie. Profondément inscrite dans les structures du
psychisme de l'être humain, elle est probablement l'obstacle épistémologique qui a le plus
contribué à masquer l'intérêt que le donné onirique pouvait avoir en lui-même.

Il est facile de considérer, avec le recul, que si l'étude du rêve doit préférentiellement
porter sur des éléments tangibles, ces éléments appartiennent par nécessité à ce qui tombe
dans le champ de la "perception" onirique et non sur un sens évanescent qu'il faut
constamment réinventer à partir d'elle. Mais bien qu'Aristote ait montré l'intérêt que présente
le rêve en lui-même, en tant que phénomène, cette deuxième forme de la recherche a
occupé une place beaucoup plus modeste dans l'histoire de l'étude du rêve. C'est pourtant
elle qui permet de prendre conscience des différentes dimensions du rêve et il est
remarquable à cet égard que dès le début ce soit elle qui ait permis, avec Aristote, de
constater l'une de ces dimensions, la conscience de rêver. Mais si l'intérêt que l'on porte à la
conscience que l'on a de rêver dépend d'une telle direction de recherche, il est aussi rare que
cette direction elle-même et on ne s'étonnera pas qu'il faille attendre le dix-neuvième
siècle pour le voir à nouveau se manifester sous une forme proprement psychologique.

Est-ce à dire que dans l'histoire de la pensée occidentale rien ne concerne le rêve
lucide avant le dix-neuvième siècle ? On peut admettre que si la pente interprétative éloigne
du rêve proprement dit, la conscience de rêver peut facilement sinon passer inaperçue, du
moins être considérée comme un élément négligeable. Mais cette attitude ne suffit pas à
rendre compte de la faible quantité de témoignages de rêves lucides que nous a laissée
l'histoire, car après tout la conscience de rêver aurait pu apparaître à certains comme un
élément interprétable. Est-ce alors parce qu'elle était elle-même un phénomène rare ou au
contraire tellement répandu qu'elle faisait partie à certaines époques de ces évidences dont
on ne parle jamais ? Ou, plus simplement, parce que les cadres conceptuels qui auraient
permis de la saisir ne pouvaient surgir que dans la deuxième forme de recherche ?

Cette incertitude nous amène à voir l'histoire du rêve lucide sous l'éclairage de deux
questions complémentaires. Il importe d'abord d'essayer de comprendre comment l'idée de
rêve lucide surgit, quels sont les obstacles épistémologiques qu'elle doit surmonter et dans
quel type de contexte elle doit apparaître pour prendre de l'importance sur le plan théorique.
Mais cela ne suffit pas : il faut ensuite se demander comment vient l'idée de l'utiliser pour
explorer le rêve car la constatation de l'existence d'un phénomène ne peut intéresser une
science que s'il lui offre la possibilité de se livrer à des expériences.

Pour être complémentaires ces deux questions ne sont pas pour autant perçues
comme liées, du moins jusqu'à une époque récente. Dans le premier cas bien souvent le
rêveur n'a pu éviter l'emprise occultante de la tradition interprétative qu'en la méconnaissant,
et l'intérêt porté au phénomène du rêve lucide résulte souvent soit d'une observation
spontanée par un rêveur lucide de ses propres rêves, soit d'une préoccupation d'ordre
philosophique concernant la conscience. En raison de ce qu'elle doit à la pure observation
cette approche a tendance, jusqu'au dix-neuvième siècle, à rester "contemplative". Ainsi
historiquement il n'y a pas une découverte fondamentale suivie d'une recherche et d'une
tradition de recherche, mais plutôt des témoignages épars, dans le temps et dans l'espace,
par des auteurs isolés qui, de ce fait, ignoraient le plus souvent l'existence d'autres travaux
que les leurs, et dont les récits n'ont tout d'abord trouvé un terrain de cristallisation
conceptuel qu'avec le développement de la recherche sur les états "modifiés" de conscience -
malgré le fait que le rêve lucide n'entre pas dans une telle catégorie puisqu'il s'agit d'un
phénomène naturel, probablement étouffé en Occident par une attitude culturelle particulière
envers le rêve. Une fois cette cristallisation opérée, les développements récents de la
méthodologie scientifique ont pu être mis à contribution pour répondre à la deuxième
question. C'est donc à partir du moment où le rêve lucide apparaît comme une voie
d'exploration qu'on peut le considérer comme un phénomène ayant un statut scientifique, et
non pas simplement parce qu'on en reconnaît l'existence. Deux grandes périodes se
dessinent alors dans l'histoire de la pensée occidentale sur le rêve, celle où le rêve lucide est
simplement connu ou constaté, et celle beaucoup plus tardive, où il prend une valeur
opératoire.[1]

Section I

Le rêve lucide avant le rêve lucide : de l'Antiquité à


l'époque moderne
[1]
Notre intention n'est ici que de mettre l'accent sur quelques étapes importantes pour comprendre

l'histoire de la recherche sur le rêve lucide. Pour un compte rendu cherchant à être exhaustif, se

reporter à Stephen LaBerge, "Lucid Dreaming in Western Literature" in Jayne Gackenbach and

Stephen LaBerge (Eds.), Conscious Mind, Sleeping Brain, Perspectives on Lucid Dreaming, Plenum

Press, New York, 1988, pp. 11-26.


[2]
Notre intention n'est ici que de mettre l'accent sur quelques étapes importantes pour comprendre

l'histoire de la recherche sur le rêve lucide. Pour un compte rendu cherchant à être exhaustif, se

reporter à Stephen LaBerge, "Lucid Dreaming in Western Literature" in Jayne Gackenbach and

Stephen LaBerge (Eds.), Conscious Mind, Sleeping Brain, Perspectives on Lucid Dreaming, Plenum

Press, New York, 1988, pp. 11-26.


Chapitre Deux
Développement de la recherche sur le rêve lucide dans
le monde occidental

Section I

Le rêve lucide avant le rêve lucide : de l'Antiquité à


l'époque moderne

Section II

Le rêve lucide a partir du rêve lucide : du dix-neuvième


siècle à nos jours
Si l'on en juge par le peu d'intérêt porté au phénomène onirique avant l'époque
contemporaine, on comprend que le rêve lucide soit rarement remarqué et encore moins
étudié. Bien qu'il puisse être dégagé par l'analyse de certains récits, il n'éveille pas
réellement l'attention : soit il passe inaperçu et ne trouve à s'insérer que dans la poésie ou
les croyances populaires, soit il ne pose pas de problème puisqu'il en est question à l'occasion
de théories qui ne le visent pas expressément (Aristote ou saint-Thomas d'Aquin), soit il est
mentionné dans des témoignages qui n'en tirent pas spécialement parti (Descartes) ou qui
n'y voient qu'un moyen en vue d'une fin particulière (Reid). Dans aucun cas il n'a donné lieu
à une interrogation ni même n'a été envisagé comme un outil d'exploration psychologique. La
situation change au tournant du dix-huitième et du dix-neuvième siècle, notamment avec les
romantiques qui se sont intéressés activement à leur vie onirique et n'ont pas manqué de
s'interroger sur leurs rêves lucides lorsqu'ils sont apparus. De poétique l'intérêt pour
l'expérience onirique vécue se fait plus psychologique et dans le courant du dix-neuvième
paraissent diverses études sur le rêve qui font une place au rêve lucide. Bien que
fragmentaire cette recherche se poursuit au vingtième siècle et finit par prendre une allure
systématique dans les années soixante-dix.

Qu'est-ce qui a favorisé un tel changement ? Constater que le rêve lucide est apparu à
certains comme un outil d'exploration du rêve n'est que donner une partie de la réponse. Il
faut plus précisément se demander quel facteur a permis de s'en rendre compte. S'agit-il
d'une évolution des mentalités au sujet de la créativité du rêve, ou encore d'un changement
dans les conceptions scientifiques le concernant ? On serait tenté de le croire puisque
l'époque s'ouvre à l'exploration du psychisme par la découverte de l'inconscient, que la
méthodologie médicale et psychiatrique se développe, et que l'on commence à se dégager de
la superstition qui, entourant tout ce qui touche au rêve, amenait auparavant les esprits
cultivés à s'en détourner. Pourtant si la pensée contemporaine à ses débuts a fourni un cadre
plus favorable qu'aux époques précédentes, elle ne contient pas en elle-même le germe de
cette découverte et de son exploitation. L'intérêt pour le rêve lucide ne se manifeste en effet
au dix-neuvième siècle que chez des individus qui en ont une expérience personnelle - et
dont les occupations n'ont pas de rapport direct avec la psychologie -, et ne se diffuse pas
au-delà de ces expérimentateurs. Même le développement de la psychanalyse, qui par son
approche nouvelle a favorisé une observation plus scientifique de l'expérience onirique dans
la première moitié du vingtième siècle et a permis de remarquer le phénomène de la lucidité,
n'a guère directement contribué à son étude puisque les principales réflexions sur le rêve
lucide dont nous disposons pour cette époque sont toujours celles de rêveurs étudiant leur
propre vie onirique lucide et situés en dehors des courants psychanalytiques. Ce n'est qu'à la
fin des années soixante que le rêve lucide trouve, paradoxalement, un terrain théorique
susceptible de l'accueillir avec le développement de la recherche expérimentale sur les états
de conscience modifiés. Nous nous efforcerons ici de rendre compte de la genèse de cette
recherche dont le pionnier est, au dix-neuvième siècle, Hervey de Saint-Denys. Dans la
première moitié du vingtième siècle apparaissent des témoignages qui ont servi de corpus
d'étude au début de la recherche actuelle et dont nous ne mentionnerons que les noms et les
points de vue les plus importants. Pour la recherche plus récente nous nous contenterons
d'en dessiner les grandes lignes puisque nous retrouverons les conclusions de leurs auteurs
au cours des différentes parties de ce travail.

§1. DÉCOUVERTE ET EXPLORATION AU DIX-NEUVIÈME SIÈCLE


Bien que le dix-neuvième siècle voie l'éclosion d'études sur le rêve qui prennent en
compte la lucidité, cet intérêt ne repose que sur des expériences personnelles et ne s'étend
pas au-delà de leurs auteurs. On constate, dans les récits qui nous sont restés, qu'il se
manifeste tôt dans l'existence et oriente parfois le rêveur vers des activités susceptibles de
l'exprimer, comme ce fut le cas pour les romantiquesError! Bookmark not defined.. Ainsi
au tournant du siècle le poète Jean Paul dont la vie entière et l'œuvre furent marquées par le
rêve nous a laissé des récits de rêves lucides :

Lorsque, vers le matin, grâce à mon expérience psychologique


de l'entrée en sommeil, je me suis volontairement rendormi, une
première rêverieError! Bookmark not defined., où je perds
successivement des objets que je cherche, me donne la consolante
pensée que je rêve. Aussitôt, j'acquiers la certitude de rêver en
tentant de voler, et en y parvenant. Ce vol tantôt planant et tantôt
(dans des rêves plus clairs encore) montant tout droit, les bras
battant l'air comme des rames, est pour le cerveauError! Bookmark
not defined. un véritable bain d'éther, voluptueux et reposant ; si ce
n'était que le tournoiement trop rapide de mes bras de rêve me fait
éprouver un vertige et craindre un engorgement du cerveau.
Réellement heureux, exalté dans mon corps et mon esprit, il m'est
arrivé parfois de m'élever tout droit dans le ciel étoilé, saluant de mes
chantError! Bookmark not defined.s l'édifice de l'Univers. Dans la
certitude, à l'intérieur de mon rêve, de tout pouvoir et de ne rien
tenter, j'escalade à tire d'aile des murs hauts comme le ciel, afin de
voir par-delà apparaître soudain un immense paysage luxuriant ; car
(me dis-je alors), selon les lois de la représentation et les désirError!
Bookmark not defined.s du rêve, l'imaginationError! Bookmark
not defined. doit recouvrir de montagnes et de prairies tout l'espace
d'alentour ; et chaque fois elle le fait. Je grimpe sur des sommets,
afin de m'en précipiter par plaisir ; et je me souviens encore de la
jouissance toute nouvelle que j'éprouvai, lorsque, m'étant jeté du
haut d'un phare dans la mer, je me berçai, fondu parmi les ondes
écumantes à perte de vue.[1]

Jean Paul ne se contente pas de témoigner de ses rêve lucides par sa prose. Il les
utilise pour élaborer une théorie du rêve et pour vérifier un certain nombre d'hypothèses :

Dans ces rêves électifs, ou demi-rêves, je pense toujours à ma


théorie du rêve, et je goûte à des mets pour connaître si vraiment,
dans le rêve, le sens du goût paraît aussi vide et dématérialisé que je
le crois. Outre les beaux paysages, j'y cherche toujours, mais toujours
volant (ce qui est la caractéristique certaine d'un rêve électif) de
belles figures, afin de les étreindre sans autres formes sous les yeux
de la société la plus nombreuse, car cette société justement n'est que
mon rêve. Hélas! souvent, je vole longtemps à leur recherche ; si bien
qu'une fois, dans un village, je recourus à cet artifice d'appeler à moi
deux belles comtesses inconnues ; car, disais-je il faut que ces chères
amies apparaissent maintenant, délicieusement tissées par
l'imaginationError! Bookmark not defined. que l'attente du rêve
contraint à leur donner les plus belles couleurError! Bookmark not
defined.s. Mais je ne vis alors ni Grâces ni Furies, et comme il arrive
souvent, mon rêve mourut, inachevé, en un autre rêve... Je dis aux
figures qui m'apparaissaient, mais avec un sublime tourment : "Je
vais m'éveiller, et vous serez anéanties", de même qu'un jour, avec
cette conscience d'être sans secours, je me plaçai devant le miroir, et
dis avec effroi : "Je veux voir comme je suis les yeux fermés."[3]

Le fait qu'il ait donné à ces sortes de rêve un nom ("rêves électifs, ou demi-rêves"), ce
qui ne s'était jamais fait avant lui et ne se reproduira pas avant le début du vingtième siècle,
montre l'importance qu'il leur attribue. Jean Paul ne conçoit pas ces rêves comme un
phénomène subi : il se livre à des expériences sensorielles, cherche à faire apparaître des
personnages oniriques… C'est donc bien au départ sa vie intérieure, et non l'examen de
théories préexistantes, qui le pousse à s'intéresser au rêve et à rédiger trois traités sur le
sujet (Sur la magie naturelle de l'imaginationError! Bookmark not defined. en 1795,
Sur le rêve en 1798 et Coup d'œil sur le monde des rêves en 1813[4]). « Sans doute »,
remarque A. Béguin, « ne fait-il que suggérer la possibilité d'une science des rêves, que
prévoir les discriminations premières qu'il faudrait établir à la base de toute investigation ;
mais enfin, Jean Paul examine ce sujet avec une grande indépendance envers les idées
de son époque [5]. […] Pour lui, les images du rêve ne peuvent être assimilées (comme le
voulaient les anthropologues, et en particulier ce Platner qu'il avait entendu à Leipzig […] à
de pures "représentations" ; car, remarque Jean Paul, nous distinguons dans nos songes les
présents des absents, le passé de l'avenir, les idées des paroles. Il y aurait donc différents
degrés de représentations ; ou plutôt, il faut distinguer les représentations et les images
sensibles ou images du rêve. Ces dernières ont une vivacité infiniment plus grande. Les
représentations ne sont qu'ombres fuyantes, décolorées, transparentes, figures
insaisissables, en comparaison avec la réaliError! Bookmark not defined.té solidError!
Bookmark not defined.e et lumiError! Bookmark not defined.neuse, ou du monde
coloré des rêves »[6].

Cette expérience qui par sa profondeur récuse des théories hâtives, nous la
retrouvons chez Steffens : « Quiconque a pris garde à ses propres rêves a fait cette
expérience qu'un monde particulier du songe se déroule à côté du monde réel. Qui n'a vu, à
l'état de veille, des hommes, ou des paysages, qui n'a vécu des aventures qu'il lui semblait
avoir connus jadis ?... Qui ne se sent transporté en rêve dans des situations et des contrées
qu'il ne reconnaît que d'après ses rêves ? Et cependant une claire conscience l'avertit
qu'il est dans un monde distinct de celui de la veille, dont les images, nées sans doute
du monde diurne, n'en sont pas moins reliées, d'un rêve à l'autre, par une continuité
particulière. Et ces rêves-là, souvent fort éloignés dans le temps, s'accompagnent d'une
sensationError! Bookmark not defined. toute particulière, d'un bien-être profond : c'est
comme si nous nous sentions exceptionnellement libérés de toutes les gênes de la veille.
Cette expérience est celle de ma vie entière »[7]. C'est là un appel à l'examen intérieur,
à la prise de conscience de la continuité du rêve et de la lucidité onirique.

On pourrait penser que des romantiquesError! Bookmark not defined. comme Jean
Paul, qui théorise son expérience, ou comme Steffens, qui décrit l'impact du rêve sur le
psychisme, ont ouvert une brèche suffisamment forte dans la représentation commune pour
attirer sur la lucidité onirique l'attention des psychologues plus spécialisés. Pourtant il n'en
est rien, sans doute en raison d'une divergence de préoccupation de fond qui, chez Jean Paul,
est avant tout esthétique : « c'est toujours à la similitude de la poésie et du rêve que revient
Jean Paul. S'il tente d'approfondir la psychologie du rêve, c'est pour serrer de plus près cette
comparaison, pour faire dériver de ses observations un principe esthétique »[8]. Pour légitime
que soit une telle préoccupation, elle n'en éloigne pas moins du rêve proprement dit.
L'extrême d'une telle démarche serait de se servir du rêve lucide comme argument dans une
théorie esthétique, sans se donner la peine d'en approfondir la notion - ce que fera
Nietzsche dans le dernier tiers du siècle : « Plus d'un sans doute, comme moi, se souvient
d'avoir parfois réussi à se dire, pour se donner courage au milieu des périls et des terreurs du
rêve : "C'est un rêve! Continuons de rêver!" On m'a même rapporté le cas de personnes
capables de prolonger sur trois nuits consécutives, ou plus, l'enchaînement causal d'un seul
et même rêve. De tels faits attestent clairement que notre être le plus intime, ce fond
souterrain qui nous est commun à tous, trouve à faire, dans le rêve, l'expérience d'un plaisir
profond et d'une heureuse nécessité »[9]. Les observations qui vont, dans le courant du
dix-neuvième siècle, s'organiser de façon un peu systématique, à tel point qu'on verra par la
suite en elles des travaux de psychologie, sont l'œuvre de rêveurs non informés des
recherches de Jean Paul et des expériences de Steffens et de Nietzsche.

Tel est le cas d'Hervey de Saint-Denys[10] que ses préoccupations professionnelles ne


rattachent en rien à la psychologie. Ses intérêts le portent principalement vers l'Orient,
comme en témoigne l'abondance de ses publications. Son seul ouvrage sur les rêves, Les
rêves et les moyens de les diriger, paraît anonymement en 1867[11]. Comme pour Jean
Paul son intérêt pour le rêve relève avant tout d'une expérience personnelle, qui remonte à
l'enfance et ne doit rien à un prédécesseur. Son ouvrage raconte la genèse et le
développement de cet intérêt qu'il porte au rêve et auquel la lucidité est étroitement
associée. Au cours de son adolescenceError! Bookmark not defined. il étudiait seul chez
lui, et pour éviter de recevoir du travail supplémentaire il se mit à dessiner ses rêves, puis à
les agrémenter de légendes, et enfin à les rédiger régulièrement : « Élevé dans ma famille,
où je fis mes études sans condisciples, je travaillais seul, loin de toute distraction comme de
toute surveillance, ayant à produire mes compositions à heure fixe, libre de couper d'ailleurs
mes heures de classe suivant mes inspirations et mon bon plaisir. Ainsi livré à moi-même, il
m'arrivait fréquemment d'achever ma tâche avant que le moment fût venu de la produire.
L'instinctive paresse de tout jeune garçon m'empêchait, on le pense bien, d'en faire tout haut
la remarque ; le moindre passe-temps me semblait préférable à quelque surcroît d'occupation
forcée qu'on n'eut point manqué de m'assigner. J'employais donc ces instants de loisir d'une
manière ou d'une autre. Tantôt je crayonnais, tantôt je coloriais ce que j'avais crayonné.
L'idée me vint un jour (j'étais alors dans ma quatorzième année) de prendre pour sujet de
mes croquis les souvenirError! Bookmark not defined.s d'un rêve singulier qui m'avait
vivement impressionné. Le résultat m'ayant paru divertissant, j'eus bientôt un album spécial,
où la représentation de chaque scène et de chaque figure fut accompagnée d'une glose
explicative, relatant soigneusement les circonstances qui avaient amené ou suivi l'apparition.

« Stimulé par le désirError! Bookmark not defined. d'enrichir cet album, je


m'accoutumais à retenir de plus en plus facilement les fantasques éléments de mes
narrations illustrées. A mesure que j'avançais dans le journal quotidien de mes nuits, les
lacunes y devenaient plus rares ; la trame des incidents se montrait plus suivie, quelque
bizarre qu'elle fût d'ailleurs »[14].

L'intérêt du jeune garçon pour ses rêves croît rapidement au point qu'il acquiert la
faculté « d'avoir souvent conscience en dormant de ma situation véritable, de conserver
alors, en songe, le sentiment de mes préoccupations de la veille »[15] , faculté qui n'est autre
que la lucidité onirique et à laquelle il accorde une certaine autonomie. Selon lui cette faculté
qui s'est développée "sous l'influence de l'habitude" apparaît dès l'abord comme l'outil
principal d'exploration du rêve. Elle lui a en effet permis de consigner ses observations et
d'exercer un certain contrôle sur lui-même en rêve : il dit garder « assez d'empire sur mes
idées pour en précipiter au besoin le cours dans telle ou telle direction qu'il me convenait de
leur imprimer »[16]. Cependant si cet intérêt pour ses rêves a été à l'origine de sa lucidité,
d'autres facteurs ont pu jouer un rôle également déterminant. L'âge d'Hervey de Saint-Denys
est sans aucun doute un facteur favorable comme il le souligne lui-même : « Or, si je suis
porté à croire qu'il y aurait des organisations rebelles aux habitudes psychiques que j'ai
contractées, comme il en est aussi d'incompatibles avec les exercices du trapèze et du
tremplin, je n'en demeure pas moins aussi très persuadé qu'en s'y prenant, ainsi que je l'ai
fait, dès l'âge où la nature se prête si complaisamment à tout ce qu'on exige d'elle,
bon nombre de personnes arriveraient à maîtriser comme moi les illusions de leurs songes,
résultat inattendu sans doute, mais non point morbide ni anormal »[17]. Toutefois une
certaine malléabilité des facultés n'est pas le seul avantage dû à son jeune âge : l'ignorance
des théories existant à son époque sur le sommeil et les rêves le prémunit contre tout
blocage psychologique qui pourrait alors entraver ce type d'expérience. Il note lui-même :
« Sorti de l'enfance et de la période absorbante de quelques études spéciales, je fus curieux
de savoir comment avait été traité par les auteurs les plus en renom ce sujet du sommeil et
des songes que je n'avais encore étudié que sur moi-même. Mon étonnement fut très grand,
je l'avoue, de reconnaître que les psychologues les plus célèbres avaient à peine jeté
quelques rayons d'une lumière indécise sur ce que j'imaginais avoir été de leur part l'objet
d'une élucidation directe, qu'ils ne donnaient la solution d'aucune des difficultés qui m'avaient
surtout arrêté, et qu'ils soutenaient même, à l'égard de certains phénomènes, des théories
dont l'expérience pratique m'avait souvent démontré la fausseté »[18]. L'isolement et
le manque de distractions n'ont sans doute pas un rôle aussi indirect que le croit Hervey de
Saint-Denys. Certes ils ont stimulé, par le désirError! Bookmark not defined. d'échapper à
un supplément de travail, l'intérêt pour l'album de rêves, mais ils ont sans doute aussi facilité
l'accès à un monde intérieur en offrant à l'enfantError! Bookmark not defined. un
environnement calme propice au recueillement et à la concentration. De telles conditions
expliquent non seulement l'acquisition rapide de la lucidité, mais aussi sa stabilité et sa
permanence. En effet si la notation des rêves s'avère être une condition nécessaire, le seul
fait de tenir un journal de rêves ne suffit généralement pas à devenir un rêveur lucide ainsi
qu'en témoigne le nombre des rêveurs qui ont noté leurs expériences oniriques pendant des
années sans jamais devenir lucides.

Une fois reconnue l'importance des deux facteurs précédents, on peut mieux apprécier
l'acte qui consiste à tenir un journal de ses rêves. Hervey de Saint-Denys donne quelques
éléments généraux concernant l'évolutionError! Bookmark not defined. de ce journal : il
est au début fragmentaire mais peu à peu les récits se font plus nombreux, plus complets et
plus réguliers. Son intérêt pour les rêves est tel qu'il en vient à avoir des rêves dans lesquels
il pense à ses rêves, puis un rêve dans lequel, dit-il, « j'eus parfaitement le sentiment que je
rêvais »[19]. La conscience de rêver à laquelle aboutit Hervey de Saint-Denys se présente
donc ici comme une étape d'une évolution qui va de la médiocrité du souvenirError!
Bookmark not defined. jusqu'au sentiment de rêver - en passant par des étapes
intermédiaires tel que le souvenir complet ou le rêve sur le rêve -, et qui, une fois la lucidité
obtenue, se poursuit par l'augmentation de sa fréquence : « Le premier rêve où j'eus, en
dormant, ce sentiment de ma situation réelle se place à la 207ème nuit de mon journal ; le
second à la 214ème. Six mois plus tard, le même fait se reproduit deux fois sur cinq nuits, en
moyenne. Au bout d'un an, trois fois sur quatre. Après quinze mois, enfin, sa manifestation
est presque quotidienne, et, depuis cette époque déjà si éloignée, je peux attester qu'il ne
m'arrive guère de m'abandonner aux illusions d'un songe sans retrouver, du moins par
intervalles, le sentiment de la réalité »[20]. Le rêve lucide apparaît donc, dans l'esprit du
marquis, comme le fruit d'un entraînement, étroitement lié ici à la remémoration, et donnant
des résultats progressifs. Ainsi non seulement son expérience de la lucidité résulte d'une
expérience personnelle, mais de plus la netteté de cette expérience est telle qu'elle lui donne
la certitude de la fausseté des théories de son époque. En cela il manifeste la même attitude
que Jean Paul. Mais quelles sont les thèses auxquelles il s'oppose et que propose-t-il ?

C'est dans la deuxième partie de son livre « consacrée principalement à faire


l'historique des opinions professées sur le sommeil et sur les songes depuis l'AntiquitéError!
Bookmark not defined. jusqu'aux temps modernes »[22] qu'il répond à ces questions. La
plupart des idées courantes sur le rêve se retrouvent dans l'ouvrage d'Albert
Lemoine couronné par l'Académie des Sciences morales et politiques en 1855. La
contestation la plus importante porte évidemment sur la conscience dont on considère
habituellement qu'elle disparaît avec l'endormissementError! Bookmark not defined. : « M.
Lemoine pense que la conscience, en tant que puissance d'observer avec attentionError!
Bookmark not defined. ses sensations et ses pensées, est supprimée durant le sommeil ;
que nous ne pouvons, en dormant, nous rendre compte de l'état dans lequel nous sommes,
et que nous n'avons enfin qu'une conscience rétrospective des rêves que nous avons
eus »[23]. Cette conscience rétrospective dépend entièrement du souvenirError! Bookmark
not defined.. Hervey de Saint-Denys ne rejette d'ailleurs pas absolument cette manière de
voir puisqu'il ajoute : « Si cette assertion n'était pas avancée d'une manière absolue ; si l'on
entendait l'appliquer qu'à la généralité des dormeurs, qui n'ont jamais eu la pensée de
s'étudier pendant cette phase de leur existence, je ne ferais nulle difficulté de l'admettre,
ayant souvent constaté, dans mes entretiens sur ce sujet avec un grand nombre de
personnes, que la conscience du rêve, pendant le rêve, était, en effet, chez la plupart d'entre
elles, un accident tout exceptionnel »[24].

Ce qu'il refuse, c'est la généralisation de cette idée, généralisation d'autant plus


dangereuse pour le rêve qu'elle peut en entraver l'étude, d'où son appel à l'expérimentation
personnelle : « mais, d'un autre côté, ayant expérimenté par moi-même et par le concours
de plusieurs amis, avec quelle promptitude et quelle facilité on acquiert la faculté de posséder
cette conscience, pourvu qu'on y exerce son esprit, je ne puis que nier très énergiquement
ce que M. Lemoine avance. Je pose, au contraire, en principe, que parmi les gens qui
voudront bien prendre la peine d'écrire seulement pendant trois mois, tous les matins, leurs
songes de la nuit (en faisant quelque effort de mémoire pour les retrouver, quand il leur
semblera de prime abord qu'ils n'ont rien rêvé, suivant la locution reçue), l'exception sera
du côté de ceux qui n'auront pas déjà fréquemment, durant le songe, et la conscience de leur
sommeil, et, qui plus est, la pensée d'en suivre attentivement les images afin de s'en
souvenirError! Bookmark not defined. au réveil »[25]. Cette déclaration est importante car
non seulement elle pose l'existence de la pleine conscience du rêve, c'est-à-dire, en langage
moderne, de la lucidité onirique, mais en plus elle donne un moyen technique, donc
expérimental, pour accéder à cette conscience.

Hervey de Saint-Denys insiste sur cet aspect expérimental dans la conclusion de ce


paragraphe sur la conscience : « Ce que je crois savoir et ce que je dois répéter ici, c'est que
le sentiment de savoir en rêvant que l'on rêve sera justement le point de départ pour arriver
à la conduite des songes, ainsi que je me propose de le démontrer »[26]. Donc non seulement
Hervey de Saint-Denys soutient l'existence de la lucidité onirique mais en plus il lui reconnaît
deux fonctions : une fonction d'observation des rêves (la conscience est décrite en tant que
« puissance d'observer avec attentionError! Bookmark not defined. ses sentiments et ses
pensées »[27]) et une fonction de direction ou plus précisément de contrôle qui est justement
le moyen sans lequel l'expérimentation n'est pas possible. Le rêve lucide occupe donc une
place centrale dans l'ouvrage en tant qu'outil d'observation et d'expérimentation sur les rêves
en général.
Cependant si le rêve lucide nous apparaît aujourd'hui comme le cœur de l'ouvrage du
marquis, ce n'est probablement pas là l'idée que lui-même s'en faisait. On peut s'en rendre
compte en étudiant de plus près la nature de ses objections aux théories de son époque. Il ne
donne à aucun moment un nom au phénomène du rêve lucide - comme l'avait fait Jean
Paul -, mais constate simplement que le fait d'avoir le sentiment de sa situation véritable lui
favorise l'étude des phénomènes oniriques. La conscience de rêver a donc avant tout une
portée pratique d'exploration du rêve, par l'utilisation de la volonté sur l'environnement
onirique, action qui va jusqu'à la possibilité de s'éveiller depuis l'intérieur du rêve et à
« secouer le sommeil par un violent effort de volonté »[28]. Cette conscience a également une
autre caractéristique qui en est indissociable : elle permet d'exercer la faculté d'attention :
« L'attention peut continuer de s'exercer pendant le sommeil, et cela par l'action d'une
volonté non suspendue. On peut s'accoutumer promptement à choisir, parmi les visions et les
idées qui se succèdent en songe, celles que l'on veut fixer, retenir, analyser, ou éclaircir. Ce
résultat nécessite parfois un certain effort de l'esprit qui ne s'obtient pas sans une sorte de
contention presque douloureuse, mais le fait n'en est pas moins du domaine des choses
possibles, psychologiquement parlant »[29].

Ainsi à aucun moment le marquis d'Hervey de Saint-Denys ne fait du rêve lucide une
catégorie à part. Pour lui ce sont les mêmes rêves qui sont lucides ou non : la conscience de
rêver ne modifie pas le rêve par sa seule présence, mais requiert pour cela l'exercice de la
volonté. Nous comprenons alors que l'expression "rêve lucide" que l'on retrouve
fréquemment sous sa plume, ne désigne pas ce que nous appelons de ce nom. Le sens des
termes "lucidité" et "rêve lucide" pour Hervey de Saint-Denys apparaît à l'occasion d'une
critique de leur utilisation chez Moreau (de la Sarthe) pour qui la clarté et la lucidité des
songes dépend non seulement de ce qu'on peut les sentir mais aussi en conserver
l'impression et le souvenirError! Bookmark not defined.. Or, puisque selon
Moreau lui-même l'existence des somnambules prouve qu'il est possible de rêver sans s'en
douter « l'on arriverait à cette singulière conséquence rétrospective, que le même rêve serait
estimé lucide ou non lucide, selon qu'au réveil on parviendrait ou non à se le bien
remémorer, ce qui reviendrait, en définitive, à subordonner l'existence même d'un fait au
souvenirError! Bookmark not defined. qu'on en aurait gardé »[32]. La lucidité est donc
pour lui une qualité du rêve, non un état de conscience. D'ailleurs les circonstances dans
lesquelles interviennent cette qualification sont assez précises :

« Je ferme les yeux pour m'endormir en pensant à quelques


objets que j'ai remarqués, le soir même, dans une boutique de la rue
de Rivoli ; les arcades de cette rue me reviennent en mémoire, et
j'entrevois comme des arcades lumiError! Bookmark not
defined.neuses qui se répètent et se dessinent au loin. Bientôt c'est
un serpent couvert d'écailles phosphorescentes qui se déroule aux
yeux de mon esprit. Une infinité d'images indécises lui servent de
cadre. Je suis encore dans la période des choses confuses. Les
tableaux s'effacent et se modifient très rapidement. Ce long serpent
de feu a pris l'aspect d'une longue route poussiéreuse, brûlée par le
soleil d'été. Je crois aussitôt y cheminer moi-même, et des souvenirs
d'Espagne sont ravivés. Je cause avec un muletier portant la manta
sur l'épaule ; j'entends les clochettes de ses mules ; j'écoute un
récit qu'il me fait. Le paysage est en rapport avec le sujet principal :
dès ce moment la transition de la veille au sommeil est complètement
opérée. Je suis en plein dans l'illusion d'un rêve lucide »[33] .

Même s'il s'agissait là d'un endormissementError! Bookmark not defined. conscient


dans lequel la continuité de la conscience de l'état de veille au rêve est assurée, et donc d'un
rêve lucide, le marquis n'aurait aucune raison de le qualifier comme tel après en avoir donné
la description. C'est donc que la lucidité indique une qualité de cette description, et non un
état de conscience qui devrait être présent dès le début. La lucidité c'est donc la clarté, la
vivacité du rêve, la richesse des détails, en un mot l'impression de réaliError! Bookmark
not defined.té qu'il donne, elle s'oppose à la pâleur et l'incohérence de certaines scènes
oniriques ("la période des choses confuses"). La conscience de rêver peut être présente dans
les deux cas : « Quand, par un simple effort de volonté, j'ai su me réveiller moi-même (ayant
conservé en rêve le sentiment de ma véritable situation), j'ai toujours remarqué qu'il fallait
un effort plus grand pour secouer un rêve bien lucide que pour chasser des
visions incohérentes, des tableaux pâles et indécis »[34].

Il est donc clair que ce à quoi s'intéresse Hervey de Saint-Denys, ce n'est pas le rêve
lucide au sens où nous l'entendons aujourd'hui, mais le rêve au sens général. Le terme de
"rêve lucide" ne renvoit pas à une catégorie de rêves que le marquis n'a jamais éprouvé le
besoin de qualifier, non plus d'ailleurs que l'état de conscience de rêver qui ne lui semblait
sans doute pas être autre chose que la conscience de l'état de veille transposée dans le
sommeil. La conscience de rêver lui permettait donc d'entrer dans le monde des rêves et non
dans une sorte particulière de songes, ce qui explique sa sévérité pour les autres théories du
rêves dont les observations ne corroborent pas les siennes. La critique que fait Hervey de
Saint-Denys de ces théories prend donc pour point d'appui cette faculté de se savoir en train
de rêver qui lui permet de poser des hypothèses et de les vérifier dans le cours du rêve.
Mais quelles sont ces hypothèses et par quoi sont-elles motivées ? En d'autres termes quels
sont les principes qui guident Hervey de Saint-Denys dans sa recherche ?

Si en effet son témoignage a valu à Hervey de Saint-Denys, et non à Jean Paul, d'être
considéré comme le véritable pionnier dans ce domaine, c'est qu'il présente des
caractéristiques telles qu'elles ouvrent véritablement de nouveaux domaines à l'exploration.
Contrairement à Jean Paul, l'orientation du marquis est entièrement psychologique, autant
dans les expériences tentées que dans les conclusions théoriques. Les expériences qu'il nous
livre sont en effet résolument orientées vers l'étude des processus de l'espritError!
Bookmark not defined. humain ainsi qu'il se plaît à le souligner dès la première phrase de
son livre : « Suivre pas à pas la marche de l'esprit humain dans ses capricieuses
pérégrinations à travers un monde idéal ; analyser minutieusement certains détails de nature
à jeter une vive lumière sur l'ensemble du tableau ; demander à l'expérience la solidarité qui
s'établit entre les actions de la vie et les illusions du sommeil ; ce thème offre déjà par
lui-même un assez remarquable intérêt ; mais s'il venait à ressortir de cette étude la preuve
que la volonté n'est point sans action sur les nombreuses péripéties de notre existence
imaginaire, que l'on peut guider parfois les illusions du rêve comme les événements du jour,
qu'il n'est pas impossible de rappeler quelque vision magique, ainsi qu'on revient dans la vie
réelle à quelque site affectionné, cette perspective mériterait sans doute une attention
particulière ; l'intérêt prendrait un caractère qu'on ne lui soupçonnait pas tout d'abord »[35].
C'est donc d'entrée de jeu qu'Hervey de Saint-Denys distingue l'objet de son étude (la
marche de l'espritError! Bookmark not defined. humain) et les moyens de cette étude
(l'action de la volonté dans les rêves).

La troisième partie de son livre, qui en constitue le cœur, « Observations pratiques sur
les rêves et les moyens de les diriger »[36], s'efforce d'abord de redresser l'idée que l'on se
fait du sommeil et du rêve en montrant « qu'il n'est point de sommeil sans rêve »[37] et
« que ni l'attention ni la volonté ne demeurent nécessairement suspendues pendant le
sommeil »[38] ; il expérimente ensuite en rêve les différentes facultés de l'esprit telles que le
raisonnement, la mémoire, l'imaginationError! Bookmark not defined. ou la sensibilité
morale et physique, et donne enfin les moyens d'une pratique expérimentale pour provoquer
des visions oniriques ou pratiquer l'auto-observation en rêve. L'étude de l'exercice des
facultés en rêve occupe ainsi une place centrale à tel point qu'on serait tenté de penser que
le rêve n'est pour Hervey de Saint-Denys que le moyen de les examiner dans des conditions
particulières : par une sorte de glissement les facultés de l'espritError! Bookmark not
defined. humain feraient, plus que le rêve, l'objet de la recherche. Ce serait cependant aller
trop loin car, si l'on prend connaissance des conceptions philosophiques de l'auteur, on se
rend compte que pour lui les processus mentaux qui s'exercent à l'état de rêve et à l'état
d'éveil ne sont pas fondamentalement différents et que c'est bien le rêve qui est l'objet de la
recherche en ce que le jeu des facultés le constitue en partie : le rêve dépend principalement
de l'activité de l'âmeError! Bookmark not defined..

Hervey de Saint-Denys s'oppose en effet à la conception de son époque qui prévaut


dans les ouvrages qu'il commente et où le rêve est expliqué par la physiologie : « Je dois
manifester, dès le début, que je regrette d'y voir disserter si souvent sur les afflux du sang,
sur les fluides vitaux, sur les fibres cérébralesError! Bookmark not defined., etc., etc.,
considérations renouvelées de l'ancienne école qui n'expliquent, à mon sens, absolument
rien. Nous connaissons trop peu les liens mystérieux qui unissent l'âme à la matière
pour que l'anatomie soit notre guide dans ce que la psychologie a de plus
subtil »[39]. Son refus de la physiologie s'appuie sur une conception dualiste qui lui fait
considérer que « les visions que nous avons en songe peuvent se définir, je crois : la
représentation aux yeux de notre esprit des objets qui occupent notre pensée »[40].
Selon une telle conception le sommeil devient le repos du corps tandis que l'âmeError!
Bookmark not defined., ou l'espritError! Bookmark not defined., reste en activité : cette
activité est le rêve lui-même. Pour cette raison l'étude des mécanismes de l'esprit en rêve
n'est autre que l'étude du rêve.

Mais dans ce cas, d'où viennent les objets qui s'offrent à la vision de l'esprit ?
Contrairement à ce à quoi on pourrait s'attendre, ils n'appartiennent pas à un monde de
l'esprit au sein duquel l'âme exercerait son activité mais s'expliquent par les "clichés-
souvenirs", ainsi appelés par comparaison avec la photographie, accumulés par la mémoire,
souvent à notre insu. Hervey de Saint-Denys résume cette conception en trois propositions :
« 1° Le plus ou moins de netteté des images que nous voyons en songe dépend, le plus
souvent, de la perfection plus ou moins grande avec laquelle le cliché-souvenir s'est
originairement formé. 2° Lorsque nous croyons apercevoir en songe des personnages ou des
choses dont nos yeux n'auraient eu jusqu'alors aucune notion, cela tient uniquement à ce
que nous avons perdu le souvenir direct des circonstances qui présidèrent à la formation des
clichés-souvenirs auxquels ces visions sont dues, ou que nous ne reconnaissons pas le type
primitif sous une forme modifiée par le travail de l'imaginationError! Bookmark not
defined.. Nous sommes, à leur égard, dans la situation de l'homme qui possède sans s'en
douter mais, en modifiant un axiome célèbre, on pourrait dire : Nihil est in visionibus
somniorum quod non prius fuerit in visu. 3° La nature des clichés-souvenirs, dont
notre mémoire s'approvisionne, exercera sur nos rêves une influence énorme. Les relations
habituelles, le milieu dans lequel on vit, les spectacles de toutes sortes auxquels on assiste,
les peintures, les albums que l'on regarde, et jusqu'aux lectures que l'on fait sont autant
d'occasions pour la mémoire de multiplier indéfiniment ses clichés-souvenirs »[41]. Le
dualisme ontologique d'Hervey de Saint-Denys ne sépare donc que l'activité de l'âmeError!
Bookmark not defined. et le monde perçu et il ne prétend en rien que le rêve soit
l'introduction à un monde qui serait plus proche de l'espritError! Bookmark not defined.. Il
précise expressément que : « le surnatureError! Bookmark not defined.l ne peut jouer
aucun rôle dans un recueil d'observations pratiques comme celui-ci »[42], ce qui permet de
mesurer l'abîme qui le sépare des romantiquesError! Bookmark not defined.. Ainsi l'intérêt
du travail d'Hervey de Saint-Denys vient de ce qu'il est résolument psychologique, c'est-
à-dire centré sur le psychisme humain, et également résolument scientifique, c'est-à-dire
refusant toute concession à une "surnatureError! Bookmark not defined." à laquelle le
monde onirique appartiendrait. Cette double orientation rend compte de la nature des
expériences auxquelles il s'est livré.
Ses expériences sont en effet conditionnées par cette orientation qui permet de
considérer le rêve sous un jour nouveau et fait l'originalité de la recherche du marquis par
rapport à ses prédécesseurs et ses contemporains. Par la conscience de rêver (et donc de
dormir) il échappe au faux choix de l'interprétation ou de la physiologie et étudie la structure
même de l'expérience onirique selon ses trois dimensions : le sommeil, le rêve et les facultés
de l'espritError! Bookmark not defined..

Les expériences sur le sommeil concernent avant tout l'endormissementError!


Bookmark not defined. et portent aussi bien sur le contenu de ce qui y est perçu que sur
son processus psychologique, notamment lorsqu'il se produit en toute conscience. Dans le
premier cas il s'intéresse aux visions hypnagogiques qui opèrent la transition de la veille et le
rêve d'endormissement.

« A peine certaines personnes ont-elles fermé les yeux pour


s'endormir, qu'elles aperçoivent comme un fourmillement d'images
capricieuses qui sont l'avant-garde de visions mieux formées, et qui
annoncent ainsi l'approche du sommeil. Tantôt, ces hallucinations
représentent des objets déterminés, quelque fantasques et défigurés
qu'ils puissent être ; tantôt, ce ne sont que de petites roues
lumiError! Bookmark not defined.neuses, de petits soleils qui
tournent rapidement sur eux-mêmes, de petites bulles de
couleurError! Bookmark not defined.s variées qui montent et
descendent, ou bien de légers fils d'or, d'argent, de pourpre, de vert
émeraude, qui semblent se croiser ou s'enrouler symétriquement de
mille manières avec un frémissement continuel, formant une infinité
de petits cercles, de petits losanges et d'autres petites figures
régulières, assez semblables à ces fines arabesques qui ornent les
fonds des tableaux byzantins ».[43]

La conclusion qu'il tire de cette observation montre qu'il fait ici une nette différence
entre les « visions qui nous montrent des objets bien déterminés [et qui] rentrent à mes
yeux dans la catégorie des rêves ordinaires »[44] et « celles qui ressemblent plutôt à des feux
d'artifice qu'à des réminiscences d'objets réels »[45] et dont il conviendrait d'étudier les lois
de formation ; ces dernières visions ne sont assurément pas des clichés-souvenirs.

Dans le deuxième cas, celui du processus psychologique de l'endormissement,Error!


Bookmark not defined. Hervey de Saint-Denys dispose, grâce à la conscience de son état,
d'un moyen d'observer le surgissement du rêve et il lui arrive fréquemment de s'arracher
« au premier sommeil dans un moment d'éclair où, me rappelant les observations que je
veux faire, j'ai cru utile de consigner ce que je viens de ressentir »[46]. Dans de tels cas la
conscience de rêver peut n'être qu'intermittente et n'avoir qu'un rôle d'interruption du
sommeil, plutôt que d'observation.

Il n'en va pas de même pour les expériences sur l'environnement onirique qui
n'excluent pas l'action sur le décor ou sur les événements. Hervey de Saint-Denys modifie
rarement le décor de ses rêves puisque la plupart de ses expériences visent à éclaircir les
mystères des mécanismes de l'espritError! Bookmark not defined.. Cependant
l'éclaircissement de ces mécanismes nécessite parfois une modification de l'environnement.

« Je me sentais bien endormi ; tous les petits objets qui


meublent mon cabinet de travail s'offraient nettement aux yeux de
ma pensée. Arrêtant alors mon attentionError! Bookmark not
defined. sur un plateau de porcelaine d'une grande originalité de
décors, qui me sert à poser mes crayons et mes plumes, et qui est
parfaitement intact, je me pris tout à coup à faire le raisonnement que
voici : jamais je n'ai pu voir cette porcelaine autrement qu'entière.
Qu'arriverait-il donc si je la brisais dans mon rêve ? Comment mon
imaginationError! Bookmark not defined. se représenterait-elle le
plateau brisé ? J'exécute aussitôt l'acte imaginaire de le mettre en
pièces. J'en saisis les morceaux, je les examine attentivement ;
j'aperçois les cassures avec les arrêtes vives, je distingue les figures
décoratives divisées par des brisures dentelées et incomplètes en
plusieurs endroits. Rarement j'avais rien rêvé d'aussi lucide »[47].

La décision volontaire de briser la porcelaine n'est pas gratuite et ne concerne guère


l'étude du décor pour lui-même : il s'agit ici de faire une expérimentation sur la mémoire et
l'imaginationError! Bookmark not defined.. L'intervention du rêveur peut aussi s'exercer
sur les événements du rêve. Dans ce cas une telle action est guidée par la nature des
événements oniriques et la façon dont ils s'enchaînent comme en témoigne la célèbre série
de rêves lucides au cours desquels il tente de se suicider : là encore l'expérience n'est en rien
gratuite mais lui est suggérée par une réflexion sur les lois d'enchaînement des événements
imaginaires : « Il advient bien souvent qu'une observation en appelle une autre ; le même
raisonnement qui m'avait conduit aux résultats qu'on vient de lire, raisonnement basé sur ce
principe que les événements imaginaires de nos songes, tout incohérents qu'ils puissent être
dans leur ensemble, n'en suivent pas moins, quant aux lois de leur enchaînement, une
certaine logique empruntée aux réminiscences de la vie réelle, ce même raisonnement,
dis-je, me fit penser que si je parvenais à me placer, en songe, dans une situation où je n'ai
jamais pu me trouver en réalité, ma mémoire serait impuissante à fournir une image ou une
sensationError! Bookmark not defined. conséquente, de telle sorte que, de quelque
façon que l'imaginationError! Bookmark not defined. se tirât de cette impasse, une
brusque interruption dans la trame du rêve en devrait nécessairement résulter. Sauter par la
fenêtre d'un cinquième étage, me brûler la cervelle, ou me couper la gorge avec le rasoir,
évidemment voilà des impressions que je n'avais jamais ressenties ; les provoquer, en songe,
serait donc soumettre mon espritError! Bookmark not defined. à une intéressante
épreuve »[48].

L'intérêt principal du marquis se porte donc bien sur les facultés de l'esprit, ce que
confirment les expérimentations systématiques qu'il a entrepris sur l'attention, la volonté, la
mémoire ou l'imagination. L'exercice du libre arbitre en rêve, notamment, accompagne la
conscience de rêver :

« Dans un autre rêve, où je crois me promener à cheval par


une belle journée, la conscience de ma véritable situation me revient
en mémoire, comme aussi cette question de savoir si le libre
arbitre de mes actions imaginaires m'appartient en songe ou ne
m'appartient pas. "Voyons, me dis-je, ce cheval n'est qu'une illusion,
cette campagne que je parcours un décor ; mais si ce n'est point ma
volonté qui a évoqué ces images, il me semble bien du moins que j'ai
sur elles un certain empire. Je veux galoper, je galope ; je veux
m'arrêter, je m'arrête. Voici maintenant deux chemins qui s'offrent à
moi. Celui de droite paraît s'enfoncer dans un bois touffu ; celui de
gauche conduit à une sorte de manoir en ruine. Je sens bien que j'ai
la liberté de tourner à droite ou à gauche, et par conséquent de
décider moi-même si je veux faire naître des associations d'idées-
images en rapport avec ces ruines ou avec ce bois. Je tourne d'abord
à droite, puis l'idée me vient qu'il vaut mieux, dans l'intérêt de mes
expériences, guider un rêve aussi lucide du côté des tourelles et du
donjon, parce qu'en cherchant à me souvenir exactement des
principaux détails de cette architecture, je pourrai peut-être, à mon
réveil, reconnaître l'origine de ces souvenirs. Je prends donc le sentier
de gauche, je mets pied à terre à l'entrée d'un pont-levis pittoresque,
et, durant quelques instants que je dors encore, j'examine très
attentivement une infinité de détails grands et petits : voûtes
ogivales, pierres sculptées, ferrures à demi rongées, fissures et
altérations de la muraille, admirant avec quelle précision minutieuse
tout cela se peint aux yeux de mon esprit. Bientôt pourtant, et tandis
que je considère la serrure gigantesque d'une vieille porte délabrée,
les objets perdent tout à coup leur couleurError! Bookmark not
defined. et la netteté de leurs contours, comme les figures du
diorama quand le foyer s'éloigne. Je sens que je me réveille. J'ouvre
les yeux au monde réel, la clarté de ma veilleuse est la seule qui
m'éclaire. Il est trois heures du matin »[49].
Ainsi la classification des expériences ramène toujours au rêveur lui-même et à ses
facultés. Le rêve étant considéré comme constitué de souvenirs qui prennent une netteté
hallucinatoire, ce qui importe ce n'est pas le contenu du rêve, mais son mode de
fonctionnement. Une telle approche est résolument psychologique, dans le sens scientifique
du terme, puisqu'elle ne s'intéresse aucunement à l'interprétation du rêve : à aucun moment
Hervey de Saint-Denys ne se demande quel est le sens de ses rêves. Son expérience onirique
personnelle qui ne correspond donc pas aux théories du rêve de son époque, a néanmoins
bénéficié de leur cadre conceptuel.

Si nous nous sommes à ce point étendu sur Hervey de Saint-Denys ce n'est pas
seulement en raison de l'intérêt intrinsèque de ses travaux mais aussi de l'importance de son
influence souterraine. A bien des égards le marquis est l'initiateur des recherches sur le rêve
lucide : il est en tout cas le premier à avoir entrepris une étude systématique. Ce sont sans
doute les surréalistes (plus précisément André Breton) qui à notre époque ont le plus
contribué à maintenir un intérêt pour un livre qui devait rapidement disparaître après sa
parution en 1867, en raison de la faillite des éditions Amyot un an plus tard[50]. Les travaux
de Robert Desoille, dont la technique du rêve éveillé dirigé s'inspire des expériences d'Hervey
de Saint-Denys, ont sans doute également contribué au maintien de cet intérêt. Jusqu'en
1968 son livre est le seul dans lequel la conscience de rêver joue un rôle prépondérant ; les
autres travaux qui s'intéressent au rêve lucide ne lui accordent qu'une place restreinte sans
doute parce qu'ils le considèrent comme un phénomène exceptionnel. Hervey de Saint-Denys
fait donc à la fois figure d'initiateur et de précurseur relativement isolé.

L'intérêt psychologique porté au rêve vécu qui conduit à la lucidité n'est pas le seul
fait d'Hervey de Saint-Denys. Un philosophe de Liège, J. Delbœuf, qui a envisagé « les
phénomènes du sommeil et des rêves […] à deux points de vue : celui de la certitude et de la
mémoire »[51], rencontre lui aussi le rêve lucide sur son chemin sans avoir connaissance des
travaux du marquis. Contrairement à lui, sa formation qui n'est pas uniquement littéraire et à
ce titre on peut se demander quelle va être l'attitude d'un esprit philosophique et scientifique
envers le phénomène. La conscience de rêver se manifeste dans le rêve principal rapporté
par Delbœuf :

« Je ne saurais dire si c'était vers deux ou trois heures du


matin, mais je me vis tout à coup au milieu de ma cour pleine de
neige, et deux malheureux lézards, les habitués de la maison, comme
je les qualifiais dans mon rêve, à moitié ensevelis sous un blanc
manteau, gisaient engourdis à quelque distance de leur trou obstrué.
[Suit un long rêve au cours duquel le rêveur s'interroge sur la raison
de la présence des lézards en cet endroit, les ramène à leur trou, les
nourrit avec de l'asplenium, et finalement voit se multiplier leur
nombre.] Du bout de l'horizon partait une longue procession de ces
reptiles, ayant l'air d'accomplir un pèlerinage ; et c'était un spectacle
charmant de voir les mouvements ondulatoires de leur queues… Quel
était le motif de cette émigration ? Je revins près de l'asplenium, qui
cette fois n'était plus dans ma cour, mais croissait en touffes serrées
dans une clairière au centre de la forêt, et je m'aperçus qu'il répandait
une odeur suave qui ne se révélait d'ailleurs à mes sens que si je
froissais la plante entre les doigts. Je fis alors cette réflError!
Bookmark not defined.exion que, quoi qu'en dise Brillat-Savarin, on
pouvait rêver d'odeurs… »[52].

La veille au soir Delbœuf a en effet « lu dans Brillat-Savarin son chapitre sur les rêves
[d'après lequel] deux de nos sens, le goût et l'odorat, nous impressionnent très rarement
pendant le sommeil, et, si l'on rêve par exemple d'un parterre ou d'un repas, on voit les
fleurs sans en sentir le parfum, les mets sans les savourer »[53]. D'après l'observation du
rêveur sur l'odorat, sa lucidité semble implicite, mais son commentaire montre qu'il en va
autrement : « Enfin, je me rappelle la lecture de Brillat-Savarin faite le soir, et j'ai comme
la conscience que je rêve. Cette façon de rêver qu'on rêve paraît, à première vue, assez
extraordinaire ; c'est là cependant ce qui m'est arrivé jadis plusieurs fois et ce qui,
aujourd'hui, m'arrive de plus en plus communément, depuis que je m'occupe du sommeil et
que je tiens note de mes rêves. […] Plusieurs personnes que j'ai interrogées m'ont assuré
avoir bien des fois éprouvé la même chose. Ces faits et gestes, ces sentiments, ces réflError!
Bookmark not defined.exions appartiennent, comme je l'ai dit plus haut, non au moi qui
rêve, mais au moi de tous les jours. Je donnerai plus loin l'explication de ce
phénomène »[54].

Par cette distinction du moi qui rêve et du moi de tous les jours, Delbœuf cherche à
souligner que le rêveur a pleinement conscience de son état. Bien que ne connaissant pas les
travaux d'Hervey de Saint-Denis, il fait les mêmes observations que lui : la conscience de
rêver se développe par l'intérêt qu'on porte à ses rêves, notamment en tenant un journal de
rêves, et une enquête auprès de quelques amis lui prouve que ce phénomène, bien que peu
pris en considération, n'en a pas moins une certaine étendue. Ses réactions oniriques le
montrent également curieux des facultés de l'espritError! Bookmark not defined., comme
Hervey de Saint-Denys :

« Une nuit, dans un songe, non seulement je refis mes calculs,


à ce qu'il me semble, avec la plus grande exactitude, mais j'imaginai
une nouvelle disposition [du plan d'une maison] qui, par parenthèse,
me suggéra celle que définitivement j'adoptai.

« Là, ne s'arrêtent pas les particularités de ce songe. J'avais


nettement la conscience que je rêvais, et j'admirais la lucidité que
tout en rêvant je savais déployer. Mieux encore. Je fis cette réflError!
Bookmark not defined.exion que, bien que je fusse endormi et par
conséquent inconscient de mes actes, j'accomplissais cependant des
prodiges de raisonnement et de calcul, et j'en tirai cette conclusion
générale qui ne manque pas de profondeur - si j'ose ainsi parler de
moi-même - qu'après tout l'instinct n'est pas autre chose que la
résultante des raisonnements qui n'ont point trompé, et que telle est
la raison de son infaillibilité. Là-dessus je m'éveillai ».[55]

La conclusion qu'il tire de cette expérience fait écho à celles du marquis : « Je puis
donc l'avancer, aucune de nos facultés ne nous abandonne dans le sommeil, si ce n'est
celle qui nous fait porter des jugements objectifs sur le monde réel »[56].

Pourtant la différence entre les deux auteurs est grande : si le marquis considère la
conscience de rêver comme une faculté pleinement exercée par le rêveur, Delbœuf pour sa
part n'y voit qu'une sorte de coïncidence d'un état de conscience contracté par habitude avec
un contenu onirique. « A première vue, rêver qu'on rêve, c'est une particularité
contradictoire, et il est bon de s'y arrêter un instant. Pendant la veille, nous portons rarement
un jugement explicite sur la nature objective ou subjective des images que nous voyons.
C'est la foi, fondée sur l'expérience, qui nous guide ; et, dans le sommeil, il est entendu que
cette habitude de la foi subsiste. Cependant, à l'état de veille, il nous arrive maintes fois
d'opposer le rêve à la réalité, le subjectif à l'objectif. L'habitude ainsi contractée est
susceptible d'entrer en jeu pendant que nous rêvons, et alors elle a pour résultat de
nous faire dire tantôt que ce qui nous passe par la tête est un rêve, tantôt que ce n'en est
pas un. L'étrangeté du cas se réduit donc à une simple coïncidence. Chez ceux qui, comme
moi, s'occupent de leurs rêves, ce retour sur soi-même pendant le sommeil peut atteindre un
degré remarquable de fréquence et d'à-propos. Cela ne fait que donner une confirmation
éclatante à l'opinion que j'ai défendue et d'après laquelle les facultés, pendant le sommeil, ne
subissent aucune altération dans leur essence »[57].

La hâte de Delbœuf à vouloir élucider la lucidité onirique explique sans doute qu'il n'ait
pas compris l'intérêt qu'on en peut tirer : pour lui la conscience de rêver n'apparaît pas
comme un outil d'exploration des rêves, mais comme un phénomène du rêve lui-même, à tel
point que certains de ses récits de rêves donnent le sentiment que la conscience de rêver
véritable en est absente, qu'elle n'est que la simple formulation onirique d'une habitude
psychologique :

« Voici un autre songe presque aussi bien caractérisé. Je rêvais


que j'étais à table chez des personnes que nous ne voyons plus. J'en
étais vivement contrarié parce que, par là, j'étais mis dans l'obligation
de les revoir. En route pour rentrer à la maison, je rencontre ma
femme : "Tu ne devinerais pas, lui dis-je, où je viens de dîner et où
j'ai été parfaitement reçu ? Chez X.X. - C'est bien ennuyeux, fit-elle. -
Rassure-toi, lui dis-je, ce n'est qu'un rêve et ainsi nous n'avons
contracté aucun engagement »[58].

Ainsi "rêver qu'on rêve", selon la formulation de Delbœuf, ce ne serait pas toujours
"avoir conscience que l'on rêve". Comme le remarque Pierre Pachet : « au moment où
Delbœuf endormi, se croyant lucide et rassurant, dit à sa femme "ce n'est qu'un rêve", on
peut dire qu'il ne fait que mimer ce que serait le fait de penser cette proposition. Peut-être
même ne dit-il cela que pour éviter de le penser vraiment, ce qui sans doute le réveillerait ;
dire quelque chose à quelqu'un, en rêve ou pendant la veille, n'est pas la même chose que
d'en éprouver la gravité dans un jugement »[59]. La façon dont Delbœuf décrit le phénomène
laisse donc place à une certaine ambiguïté et on est tenté de penser que sous ce terme il
range tantôt des rêves véritablement lucides dont son explication par la coïncidence d'une
habitude de pensée et d'un contenu onirique lui a masqué la nature et l'intérêt réels ; tantôt
des rêves qui correspondent plus exactement à son explication et dont la conscience de
rêver, si elle est formulée explicitement, n'en est pas moins une sorte de cadre vide sans
conscience réelle (ce genre de situation peut notamment être provoqué par une méthode
d'induction qui enjoint au sujet de prendre l'habitude de se répéter dans la journée "c'est un
rêve" pour obtenir la lucidité onirique, sujet qui finit par se le dire en rêve, sans y croire, c'est
à dire sans véritable conscience de rêver). Il se peut que la lucidité de Delbœuf ait été le plus
souvent une lucidité implicite ou une lucidité proche du réveil au lieu d'une pleine conscience
dans les profondeurs du sommeil, comme dans le rêve suivant :

« Je rêvais un matin d'un de mes amis, marié depuis


longtemps, mais seulement par devant l'autorité civile. Je ne sais pour
quel motif, dérogeant à ses principes, il crut devoir enfin - ceci est
mon rêve - faire bénir son union par le prêtre. A cette occasion il
devait y avoir un cortège. Cette nouvelle avait mis en l'air toute la
commune. Curieux autant que les autres, je me rends à l'église ; je
tenais surtout à voir la mine du mari. Je perce la foule et parviens à
me faufiler au premier rang. Cependant le cortège ne venait pas. En
attendant, je pensais à mille choses, pour tuer le temps. L'impatience
me gagnait ; j'avais la sensationError! Bookmark not defined.
distincte que j'allais me réveiller ; j'entendais les bruits
matinaux de la maison ; mais voulant à toute force assister au
défilé de ce cortège original, je faisais des efforts pour me
rendormir et terminer mon rêve, comme rêve. Ils n'aboutirent
pas. Je me réveillais, bien malgré moi, sans avoir pu satisfaire ma
curiosité ».[60]
La lucidité dont fait preuve le rêveur dans ce rêve est plutôt due à un réveil qu'à
l'émergence de la pleine conscience dans le sommeil. Elle n'est sans doute pas à proscrire de
l'étude mais elle ne présente qu'un aspect mineur du phénomène, et dont il est difficile de
tirer des conclusions réelles.

Nous sommes donc en présence d'un rêveur qui a la faculté de rêver lucidement, qui
s'intéresse à des questions psychologiques et qui pourtant ne tire aucun parti constructif de
ses observations : il se contente de trouver une explication à la conscience de rêver et passe
à côté des expérimentations possibles. Les rêves lucides mentionnés dans son livre ne font
pas l'objet d'une étude particulière et sont de fait peu nombreux bien qu'il en affirme la
fréquente occurrence. Cette incapacité à reconnaître l'intérêt propre du phénomène vient
sans doute d'une lucidité relativement faible si on la compare à celle d'Hervey de Saint-
Denys, raison pour laquelle il ne lui accorde pas une valeur particulière. La force personnelle
du rêveur est donc plus importante pour le développement de l'étude que la simple
conjonction de la constatation du phénomène et d'un chercheur cultivé. De plus il est possible
que l'étude des facultés de l'espritError! Bookmark not defined. ait bridé la curiosité de
Delbœuf puisque l'intérêt porté au phénomène onirique s'épuise avec ce qu'il peut en
conclure sur les facultés mentales. Par contrecoup il nous permet de nous rendre compte que
si Hervey de Saint-Denys a produit des observations intéressantes pour nous ce n'est pas
grâce à ce cadre psychologique mais plutôt malgré lui, ce cadre se révélant limitatif pour
d'autres rêveurs.

Quelles conditions doivent alors être remplies pour que le rêve lucide ne soit pas pris
dans les rets d'une pensée qui cherche à l'expliquer (et à le réduire) avant toute
expérimentation ? Faut-il qu'il soit considéré comme un phénomène qui, sans être
pathologique, n'en est pas moins anormal ?

C'est apparemment ce qui s'est produit vers la fin du siècle car on trouve à cette
époque un récit de rêve lucide dans les Proceedings of the Society for Psychical
Research. La recherche change donc de terrain et le rêve lucide quitte le domaine
psychologique pour acquérir un statut paranormalError! Bookmark not defined., ce
qu'Hervey de Saint-Denys aurait sans aucun doute contesté. Il faut donc se demander ce qui,
dans un tel rêve, a poussé un membre de la Société, Frederic Myers, à l'inclure dans le
champ de ses recherches.

« J'étais, pensais-je, debout dans mon bureau ; mais je


remarquai que le mobilier n'avait pas sa netteté habituelle - que tout
était vague et se dérobait d'une certaine façon au regard direct. Il me
vint soudain à l'esprit qu'il en était ainsi parce que j'étais en train de
rêver. A ma plus grande joie, j'avais l'occasion de mener des
expériences. Je fis un gros effort pour garder mon calme, conscient
des risques de réveil. Je voulais par-dessus tout voir quelqu'un et lui
parler, pour savoir si les gens étaient comme dans la réalitéError!
Bookmark not defined. et comment ils se conduisaient. Je me
souvins que ma femme et mes enfants étaient partis à ce moment-là
(ce qui était vrai), et, dans ce sens, je n'ai pas réflError! Bookmark
not defined.échi au fait qu'ils pourraient être présents en rêve, tout
en étant en réalité absents de la maison. Je souhaitai donc voir un des
domestiques ; mais j'avais peur de sonner, au cas où le choc me
réveillerait. Avec de grandes précautions, je descendis l'escalier, après
avoir calculé que j'aurais plus de chance de trouver quelqu'un à
l'office ou dans la cuisine qu'au bureau où j'avais d'abord pensé me
rendre. Tandis que je descendais, je regardai attentivement le tapis
de l'escalier, pour voir si je pourrais mieux le visualiserError!
Bookmark not defined. en rêve que dans la vie éveillée. Je
découvris que ce n'était pas le cas ; le tapis du rêve n'était pas
conforme à la connaissance que j'en avais en réalité ; il s'agissait
plutôt d'un fin tapis élimé, vaguement issu en apparence de souvenirs
de villégiatures balnéaires. J'atteignis la porte de l'office, et là encore
je dus m'arrêter et me calmer. La porte s'ouvrit et un domestique
apparut, tout à fait différent des miens. C'est tout ce que je puis dire,
car l'émotion que j'éprouvai en m'apercevant que j'avais créé un
nouveau personnage me réveilla en sursaut ».[61]

Ce rêve lucide est de meilleure qualité que ceux de Delbœuf en ce que leur auteur
s'intéresse à sa perception onirique et envisage une expérimentation ; en ce sens il est tout à
fait dans l'esprit des recherches d'Hervey de Saint-Denys. Cependant rien dans son contenu
ou son déroulement n'intéresse la recherche psychique à proprement parler et Myers dit
lui-même qu'il est d'une "misérable banalité"[62]. En fait Myers n'a obtenu que trois rêves
lucides au cours de trois mille tentatives d'induction, et c'est sans doute à cette rareté
apparente, probablement due à une mauvaise méthode d'induction, qu'il doit d'avoir
considéré le phénomène comme sortant de l'ordinaire.

L'insertion du rêve lucide dans la recherche psychique n'est pas sans inconvénient
pour lui : dès lors que sa faible fréquence (dont on trouverait plus sûrement l'explication dans
le phénomène culturel de désintérêt pour le rêve) le range parmi les phénomènes
paranormaux, il risque d'être délaissé par une recherche plus psychologique qui est pourtant
son terrain d'émergence. Mais par ailleurs dans la mesure où la qualité de lucidité d'Hervey
de Saint-Denys n'est pas répandue parmi les psychologues et que les tentatives d'explication
d'un Delbœuf tendent à étouffer jusqu'à la mise en évidence du phénomène, peut-être
doit-on considérer que le cadre des recherches psychiques a permis de susciter et de
préserver des témoignages qui autrement auraient purement et simplement disparu. Car les
critiques adressées au rêve lucide à la fin du dix-neuvième siècle révèlent une sorte
d'imperméabilité intellectuelle à la compréhension du phénomène, quand ce n'est pas un
refus de principe.

On aurait pu en effet s'attendre à ce que les témoignages précédents suscitent chez


ceux qui n'ont pas l'expérience du phénomène au moins une certaine curiosité. Or, ici la
réaction est, avant toute expérimentation, le scepticisme. Ce scepticisme ne serait sans doute
pas d'un grand intérêt pour nous s'il se présentait simplement selon une formulation négative
qui énoncerait qu'il est impossible d'être conscient de rêver. Mais dans le cas présent il est
plutôt révélateur de la difficulté à comprendre le phénomène.

Cette difficulté de compréhension se remarque notamment chez Alfred Maury qui,


dans la critique qu'il fait des récits d'Hervey de Saint-Denys, ne parvient pas à remarquer le
rôle que joue la conscience de rêver pourtant nettement affirmé à de nombreuses reprises.
Ses remarques portent sur tous les aspects du rêve lucide généralement atténués dans les
rêves ordinaires (et qui semblent par là distinguer ce genre de rêve) mais elles ne concernent
jamais directement la lucidité elle-même qui en est le seul critère véritablement distinctif.
Faute d'avoir compris qu'elle constituait pour le marquis la condition de l'étude du rêve il ne
s'attaque qu'aux constatations qu'elle permet. Il considère par exemple que l'attention et la
volonté s'affaiblissent nécessairement dans le sommeil en raison de l'engourdissement des
fibres cérébralesError! Bookmark not defined. mises en jeu par ces facultés ; c'est donc
par définition qu'elles ne peuvent être complètement opératoires, car leur pleine activité
impliquerait par là même l'éveil du dormeur : « M. le marquis d'Hervey prête à l'intelligence
durant le sommeil, toute sa liberté d'action et d'attention, et il ne semble faire consister le
sommeil que dans l'occlusion des sens […] Mais […] les facultés intellectuelles de l'homme
endormi n'offrent pas l'équilibre qu'elles gardent chez l'homme éveillé. Le rêveur prête aux
images fantastiques qui se présentent à lui une réalitéError! Bookmark not defined. qu'il
leur refuserait s'il était éveillé, il confond les notions les plus diverses, il bâtit une histoire
ridicule, il s'y mêle en imaginationError! Bookmark not defined., il en tire des
conséquences parfois non moins inadmissibles […] L'attention raisonnée et consciente est
d'ailleurs si bien diminuée que ces visions suffisent à l'absorber entièrement, elle ne peut s'en
départir ; elle n'est pas susceptible de ce choix et de cette direction des idées sur lesquels
repose la réflexion de l'homme éveillé. Qu'on ne dise donc pas que l'intelligence n'est pas
atténuée par le sommeil et que les sens sont alors seuls assoupis. Ceux-ci le sont quelquefois
même moins que l'intelligence, car il leur arrive de la réveiller »[63].

Ce sont là des remarques justes pour le rêve ordinaire, et Hervey de Saint-Denys dont
certains récits répondent à ces caractéristiques, les admettrait certainement. Mais Maury, pris
par un travers de théoricien, y voit la description de tous les rêves, ou plus exactement du
rêve et n'admet pas une objection de fait. Or, les rêves lucides du marquis n'entrent pas dans
cette définition : il précise à de nombreuses reprises que dans de tels rêves il sait que ce qu'il
perçoit en rêve est une illusion et qu'il y fait souvent preuve de capacitéError! Bookmark
not defined. de raisonnement. Maury récuse néanmoins ces expériences à l'aide d'un
argument réductError! Bookmark not defined.eur : « M. le marquis d'Hervey se fonde,
pour soutenir que durant le sommeil la volonté et l'attention demeurent ce qu'elles sont à
l'état de veille, sur certaines observations qui lui sont personnelles, et dans lesquelles le
dormeur conduit et modifie à son gré la trame du rêve! Mais les curieux exemples que cite le
savant sinologue nous montrent seulement que, préoccupé de sa théorie de la liberté de la
volonté dans le songe, il poursuivait en rêvant les pensées qui l'occupaient avant de
s'endormir. C'est là un phénomène qui n'est pas rare. Je l'ai deux ou trois fois constaté par
moi-même. Il m'est arrivé de continuer, après m'être endormi, l'ordre de réflexion qui
m'absorbait avant que le sommeil se fût emparé de moi. L'espritError! Bookmark not
defined. demeure alors éveillé pour une certaine suite d'opérations mentales, parlons plus
exactement : il se réveille pour renouer promptement la chaîne de ses idées un instant
interrompue. La volonté a pu préparer les conditions favorables à la production du
phénomène, mais ce n'est pas elle qui a fait agir l'esprit dans le rêve ; celui-ci continue
spontanément ce qu'à l'état de veille il faisait volontairement »[64].

Il s'agit donc pour Maury d'une sorte de réflexe de la pensée. Rien n'est plus éloigné
de l'esprit des récits du marquis, et on ne peut se défendre du sentiment que Maury n'a fait
que survoler son livre tant il accumule les erreurs d'appréciation. La plus exemplaire est sans
doute son attaque de la liberté d'action en rêve : « L'étude des phénomènes du rêve nous
fournit donc la preuve que le libre arbitre n'existe pas durant le sommeil ; les déterminations
que nous y prenons sont une répétition machinale de celles de la veille, mais elles sont de
plus égarées par des hallucinations dont nous n'avons qu'accidentellement une vague
conscience, alors que notre cerveauError! Bookmark not defined. sort pour un instant de
son état d'engourdissement. Le rêveur n'est pas plus libre que l'aliéné ou l'homme ivre, et
quoique M. le marquis Hervey s'efforce d'établir que, dans nombre de rêves, nous jouissons
de notre liberté, il ne consentirait certes pas à être tenu pour responsable des méfaits dont il
a pu se rendre imaginativement coupable en songe. Mais, objecte cet auteur, le rêveur ne
choisit-il pas quelquefois entre deux partis à prendre, ne se détermine-t-il pas par la
considération des circonstances imaginaires où il se trouve ? Sans doute, mais c'est là un
choix spontané, fatal, instinctif, tel qu'est l'acte de l'enfant au berceau ; ce n'est pas un
choix réellement conscient et volontaire. En le faisant, entraînés par un motif sur la
valeur duquel nous ne délibérons pas, nous n'avons pas le sentiment de notre liberté morale
et la preuve en est qu'après nous être éveillés, quand nous nous rappelError! Bookmark
not defined.ons notre songe, nous sentons fort bien que nous n'y étions pas libres, que nous
avons cédé à des impulsions qui ne nous permettaient pas de ne pas agir dans le sens où
elles nous poussaient. Or, ce sentiment est grandement à prendre en considération, car c'est
après tout le sentiment qui nous fournit la plus forte démonstration de l'existence de notre
liberté »[66].
Maury fait probablement allusion au rêve que nous avons déjà cité et dans lequel
Hervey de Saint-Denys lors d'une promenade à cheval doit choisir entre deux chemins
possibles. Or, si nous reprenons ce rêve, nous nous apercevons qu'il réfute par avance toutes
les objections de Maury, ou plus exactement il ne prête le flanc à aucune d'elles. La
conscience de rêver n'est pas "vague" mais nettement établie ("la conscience de ma véritable
situation me revient en mémoire") et lorsque le marquis relate son songe il n'a pas
rétrospectivement le sentiment d'avoir été le jouet d'une impulsion, mais bien au contraire de
l'avoir dirigé. D'ailleurs, tout à la fin de son livre il prend en considération la théorie de
Maury sur le libre arbitre pour en faire la critique et en proposer une explication à la lumière
de ses propres expériences : « Le sommeil nous enlève-t-il notre libre arbitre ? Y a-t-il
contradiction entre le fait de pouvoir évoquer ou diriger parfois ses rêves, et celui de se sentir
quelquefois aussi entraîné à rêver ce qu'on ne voudrait pas ? Pour expliquer cet entraînement
irrésistible qui nous porte à commettre dans certains rêves de fort méchants actes, dont nous
comprenons le caractère funeste et répréhensible sans que ce sentiment nous arrête, M.
Maury a établi une théorie très subtile au moyen de laquelle "l'homme qui songe et est
encore raisonnant, juge, compare, induit, généralise, mais demeure incapable de réflError!
Bookmark not defined.exion ; de telle façon que sa conscience morale devient analogue
à ce qu'on peut appeler du même nom chez l'animal". Pour moi qui crois que l'espritError!
Bookmark not defined. peut conserver toutes ses facultés durant le sommeil, je m'explique
le même phénomène par des considérations toutes différentes. En premier lieu, j'estime que
dans un grand nombre de rêves de ce genre, et particulièrement dans les rêves
supersensuels, l'extrême exaltation de la sensibilité physique ou morale produit, à elle seule,
une de ces suppressions momentanées du libre arbitre qui font acquitter par le jury des
accusés dont la culpabilité matérielle est pourtant évidente. En second lieu, revenant à ce
principe dont mes observations pratiques m'ont si souvent fourni la confirmation, à savoir
qu'il suffit de penser fortement à une chose pour que le rêve en offre aussitôt la
représentation effective, je dirai que la seule crainte ou même la seule idée de s'abandonner
à quelque action coupable a pour résultat instantané de faire croire au rêveur qu'il exécute
précisément ce qu'il a redouté. L'homme peut se défendre de commettre une action
mauvaise, mais non pas s'empêcher d'en avoir la pensée. Or, avoir en rêve la pensée d'une
chose, c'est inévitablement l'accomplir. Nous sommes donc privés de notre libre arbitre, en
ce sens que les événements s'accomplissent alors sans aucune participation de notre
volonté (et même malgré notre volonté), et cela en moins de temps qu'il n'en faudrait pour
faire la moindre réflError! Bookmark not defined.exion ; mais de ce que la réflexion est
devancée par la précipitation des événements, il ne s'ensuit nullement que la
faculté de réfléchir ait été supprimée, et quiconque s'observera bien reconnaîtra
précisément dans le phénomène qui nous force à subir quelquefois des visions fâcheuses
celui qui nous permet, en d'autres circonstances, de rêver l'accomplissement de nos
désirError! Bookmark not defined.s »[67].
Si Maury cherche à imposer sa vision du rêve en récusant l'expérience d'Hervey de
Saint-Denys dans ce qu'elle a de particulier, c'est sans doute parce qu'il n'en n'avait pas
complètement pris connaissance, comme semble l'indiquer ce texte auquel Maury ne fait
aucune allusion.[68] Lorsqu'il prétend que le marquis ne « consentirait certes pas à être tenu
pour responsable des méfaits dont il a pu se rendre imaginativement coupable en songe »,
non seulement il se trompe de débat mais il est en contradiction avec ce que ce dernier
énonce expressément : la conscience de rêver permet en effet au marquis d'adopter des
attitudes oniriques tout à fait originales et d'accomplir en pleine conscience des actes
(comme se suicider) qu'il ne tenterait ni à l'état de veille, ni même dans les rêves
ordinaires définis par Maury. Puisque ce dernier ne comprend pas la spécificité des rêves
lucides, sa négation de la lucidité n'est qu'indirecte, comme ici lorsqu'il nie la présence du
libre arbitre en rêve, tout autant que celle des autres facultés.

Cette approche indirecte ne vient pas d'un refus de traiter la question de front, mais
plutôt d'une sorte de cécité intellectuelle en rapport avec une position théorique, comme celle
qui affectera plus tard Bergson lorsqu'il mentionnera Hervey de Saint-Denys sans se rendre
compte de l'incompatibilité fondamentale de l'expérience de ce dernier avec sa définition du
rêve[69]. La position de Maury s'explique par la réduction du rêve à des phénomènes
physiologiques : « dans le rêve nos idées ne s'associent plus sous la discipline de
l'intelligence ; nous acceptons sans étonnement les faits les plus chimériques ; nous croyons
à l'existence de gens que nous savons morts ; nous nous supposons transportés en des
siècles écoulés ; nous perdons jusqu'au sentiment de notre personnalité. L'engourdissement
des sens ne suffit pas à expliquer ces phénomènes ; il faut admettre que nos facultés
intellectuelles sont momentanément troublées, à savoir : l'attention, la volonté, le jugement
et dans certains cas, la mémoire elle-même, quoique celle-ci persiste davantage. Et ajoutons
que cette persistance de la mémoire, dont l'action spontanée se manifeste par l'évocation des
images du rêve, tient sans doute à ce que les impressions qui constituent le souvenir sont à
demeure dans le cerveauError! Bookmark not defined., tandis que l'attention, la volonté et
le jugement ne se produisent que par une action cérébrale passagère, bien que susceptible
d'être sans cesse renouvelée. Les principales facultés de l'espritError! Bookmark not
defined. doivent donc être affaiblies pendant le sommeil, ce qui ne peut tenir qu'à
l'engourdissement de certaines parties de l'encéphale »[70]. Maury part du rêve ordinaire et
tire de son observation des conclusions physiologiques tout à fait légitimes, mais à partir du
moment où il transforme ces conclusions en définitions normatives, il ne peut que refuser ou
réduire les types de rêves qu'il n'a pas pris en considération au début de son étude.

Cet attachement à la théorie de l'ébranlement des fibres nerveuses non seulement


l'incite à récuser toute expérience qui n'y correspond pas (« Qu'on ne dise donc pas que
l'intelligence n'est pas atténuée par le sommeil ») mais même à ne pas s'interroger sur les
éclairs de lucidité de ses propres rêves.
« Le rêve où je voyais M. L… vivant se reproduisit plusieurs
fois ; il me causa toujours le même étonnement et cependant la
présence du mort redevenu vivant n'éveillait point en mon esprit le
soupçon que je puisse être la dupe d'une illusion. Je continuais à
chercher l'explication d'une telle résurrection. Tout dernièrement
(mars 77), je revis M. L… dans un rêve qui semble m'avoir été
suggéré précisément par le souvenir resté en moi de ceux où il avait
déjà figuré. […] Je lui demandais comment, puisqu'il était mort, il
pouvait se trouver là. Je me rappelError! Bookmark not defined.ais
alors fort bien les rêves antérieurs où je l'avais déjà vu et voilà ce que
je me disais en rêve : Les autres fois que j'ai vu M. L… j'ai constaté
que c'étaient des rêves, mais cette fois-ci, je suis bien éveillé ; tout
m'annonce que je ne dors pas. Il me semblait même que je venais de
me lever et de me réveiller. Par quel étrange phénomène M. L…
peut-il se trouver à la Bibliothèque, pensai-je alors. Puis adressant à
mon ancien collègue diverses questions, je tentai d'éclaircir le
mystère. Il me venait sur l'âmeError! Bookmark not defined.
différentes idées en désaccord avec mes opinions et qui m'étaient
manifestement inspirées par la préoccupation d'expliquer cette
prétendue résurrection d'un mort. Enfin, peu à peu, après une sorte
de lutte intellectuelle, je finis par me dire : j'ai beau voir M. L… et lui
parler, cela doit être encore un rêve ; M. L… ne saurait être sorti de
son éternel repos ; et tandis que mon esprit était en proie à cette
perplexité, je m'éveillai »[71].

Plutôt que de partir de ce genre de rêves où la lucidité émerge à peine pour admettre
que d'autres que lui ont pu avoir une conscience plus claire et plus continue en rêve,
Maury arrête au contraire là toute possibilité d'avoir le sentiment de sa situation réelle : « Il
n'est personne qui n'ait eu de ces rêves dans lesquels existe une sorte de sentiment mal
défini qu'on n'est pas dans la vie réelle »[72]. L'attitude de Maury montre à quel point un
cadre théorique peut parfois être, tout au moins dans le domaine du rêve, contraignant et
limitatif pour la pensée.

Toutefois la déformation et l'incompréhension de l'expérience du rêve lucide n'est pas


propre à tous les critiques. Au tournant du siècle le psychologue anglais Havelock Ellis en
attaque le principe d'une façon plus directe : « Quelques rares personnes seulement, dans le
rêve, ont, occasionnellement, une vague conscience de l'irréalité de l'expérience. "Après tout,
peu importe!" seraient-elles tentées de se dire à elles-mêmes, avec plus ou moins de
conviction. "Ce n'est qu'un rêve". - Ainsi, une dame, rêvant qu'elle essaye de tuer trois gros
serpents en les foulant aux pieds, se demande, tout en rêvant, ce que cela signifie, de rêver
de serpents, et une autre dame, rêvant qu'elle est dans une position fâcheuse, sur le point
d'être fusillée, par exemple, se répète à elle-même : "Peu importe. Je serai réveillée avant."
Personnellement, je n'ai jamais découvert dans mes rêves aucune reconnaissance que ce
fussent des rêves. Je puis dire même que je ne considère pas cette reconnaissance comme
réellement possible, bien qu'on en trouve des témoignages chez maints philosophes et autres
auteurs, depuis Aristote, Synésius jusqu'à Gassendi. Le phénomène se produit. La personne
qui se dit qu'elle rêve croit vraiment qu'elle rêve encore, mais il est permis d'en douter. Il
semble plus probable qu'elle a, un moment, sans s'en rendre compte, émergé à la surface de
la conscience éveillée »[73].

On le voit, l'explication que propose Ellis est la même que celle de Maury : la
conscience de rêver ne peut être que "vague", elle tiendrait même à un réveil partiel, trop
bref pour laisser un souvenir. Ellis trouve d'ailleurs un argument en faveur de sa position :
« Il peut même arriver qu'une personne s'éveille partiellement, perçoit ce qui se passe autour
d'elle, en parle, s'endort de nouveau, et s'imagine au matin que tout l'épisode s'est passé en
rêve»[74]. Il est facile de voir que cette position ne rend pas compte des expériences
d'Hervey de Saint-Denys qu'Ellis ne connaissait pas. Mais ce qui est surtout remarquable c'est
qu'Ellis ne se donne pas vraiment la peine d'examiner le phénomène et se contente
simplement de son opinion personnelle pour lui refuser existence. Une façon de procéder
aussi peu en rapport avec les exigences de la rigueur ne peut s'expliquer que par l'absence
complète d'occurrence du rêve lucide chez quelqu'un qui se considère probablement comme
un bon observateur de ses rêves puisqu'il écrit qu'il « faut être un observateur de tout
premier ordre pour pouvoir relater un rêve avec quelque exactitude ; même en le notant
immédiatement »[75] et qu'il ajoute que son livre « appartient […] au groupe introspectif des
études sur le rêve [et qu'il] est basé sur des observations recueillies par moi pendant plus de
vingt ans […]. J'ai simplement pris des notes, - le plus souvent sur mes propres rêves […], -
des notes directes ; en ce qui me concernait le plus souvent le matin à mon réveil »[76].
Cependant dans un tel domaine l'expérience d'un seul ne saurait suffire à conclure pour tous.

Ainsi au dix-neuvième siècle le phénomène du rêve lucide, loin d'être reconnu, est soit
ignoré soit fortement controversé en ce sens que ceux qui n'en ont pas eu l'expérience se
contentent de le rejeter sans autre examen. Il est vrai que le seul livre qui lui est réellement
consacré n'est pas très répandu puisque Freud lui-même n'est pas parvenu à se le procurer.
C'est d'ailleurs Freud qui va renouveler l'intérêt savant pour le rêve comme expérience vécue
avec la publication de son célèbre ouvrage qui, bien que paru à la fin du dix-neuvième siècle,
n'en préfigure pas moins le vingtième siècle[77].

§2. Des récits épars dans la première moitié de ce siècle


Si le rêve lucide est passé inaperçu au siècle précédent, c'est sans doute en raison du
peu d'intérêt que l'on portait alors au rêve de façon générale dans les milieux savants. On le
classait volontiers avec les phénomènes pathologiques auxquels on avait d'ailleurs tendance à
le ramener. La plus grande partie du livre de Maury est consacré à la pathologie
physiologique et il fait grief à Hervey de Saint-Denys de ne pas s'être engagé dans cette
direction : « M. le marquis d'Hervey a eu le tort, à mon avis, d'écarter toutes les données
physiologiques, de négliger les phénomènes morbides, sans lesquels on ne saurait bien
comprendre le fonctionnement de nos facultés à l'état sain et de se renfermer dans un cercle
étroit d'observations, insuffisantes pour nous faire pénétrer dans le jeu complexe de notre
économie et de notre intelligence durant le sommeil »[78]. Aussi avec l'apparition de la
psychanalyseError! Bookmark not defined. qui se penche sur les rêves vécus - et même si
c'est dans la perspective d'une pathologie psychologique - se présente un nouveau terrain
d'observation des phénomènes oniriques qui devrait être plus favorable à la constatation de
la lucidité, et peut-être à son étude.

I. L'approche psychanalytique : l'attitude de Sigmund Freud


L'intérêt de la psychanalyse pour les récits de rêves lui a sans conteste permis de
constater l'existence de phénomènes proches de la lucidité :

« [un] étudiant […], éveillé par sa logeuse parce qu'il doit aller
à l'hôpital, rêve qu'il y est déjà, couché dans un lit et continue à
dormir en pensant : puisque je suis à l'hôpital, je n'ai pas besoin de
me lever pour y aller »[79].

La lucidité implicite n'est sans doute ici pas très développée mais ce qu'il importe de
remarquer c'est que Freud fait entrer cet exemple non dans les rêveriesError! Bookmark
not defined. du petit matin mais bien dans la catégorie des rêves. Et s'il ne donne pas
d'exemples de rêves dans lesquels la lucidité est aussi développée que celle d'Hervey de
Saint-Denys, il n'en méconnaît pas l'existence : « Il y a des gens qui manifestement savent
qu'ils dorment et qu'ils rêvent et qui paraissent pouvoir diriger leur vie de rêve d'une manière
consciente. Quand un dormeur de cette espèce est mécontent de la tournure que prend un
rêve, il l'interrompt, sans se réveiller, et le recommence pour lui donner une autre
conclusion »[80]. Il donne même à la troisième personne un exemple d'un de ses propres
rêves :

« si son rêve l'a conduit dans une situation sexError!


Bookmark not defined.uelle excitante, il se dira "Je ne continue pas
ce rêve, une pollution me fatiguerait. J'aime mieux me réserver pour
une situation réelle » [81].

Pour lui de tels rêves ne sont pas rares : « Nous examinerons […] ce que signifie dans
le rêve le jugement fréquent : "Ce n'est qu'un rêve", et à quelle force psychique il faut
l'attribuer »[82]. Ce n'est donc pas une fréquence seulement constatée, mais on en rend
raison par une structure précise. Toutefois la constatation des phénomènes de lucidité
n'entraîne pas nécessairement la reconnaissance de leur intérêt intrinsèque pour
l'exploration du rêve. Le désirError! Bookmark not defined. qu'il a de rendre compte de
tous les événements oniriques par sa théorie pousse plutôt Freud a interpréter la
manifestation de la lucidité qu'à l'utiliser. Pour lui le rêve de l'étudiant « est visiblement un
rêve de commodité, le dormeur s'avoue le motif de son rêve et nous découvre par là un des
secrets du rêve […]. Le rêve est le gardien du sommeil et non son perturbateur »[83].
Pourtant à y regarder de plus près le rôle de la lucidité implicite est ici ambigu : il risque fort
d'avoir l'effet inverse du but poursuivi par ce rêve qui est de maintenir le rêveur au lit, en lui
rappelant justement qu'il est en train de rêver et que donc il doit se lever.

Dans le cas où la lucidité prend la forme du jugement "ce n'est qu'un rêve"
Freud propose d'ailleurs une interprétation opposée : « J'indique dès maintenant [que le
jugement "ce n'est qu'un rêve”] doit servir à diminuer la valeur de ce qui est rêvé. W. Stekel,
par l'analyse de quelques exemples convaincants, a résolu dans un sens analogue le
problème intéressant et très proche de la signification que peut avoir dans un rêve une partie
considérée comme "rêvée", l'énigme du "rêve dans le rêve". Il s'agit d'enlever à cette partie
du rêve sa valeur, sa réaliError! Bookmark not defined.té et ce que l'on rêvera après
s'être réveillé du "rêve dans le rêve", ce sera ce que le désirError! Bookmark not defined.
du rêve cherche à substituer à cette réalité éteinte. Il faut donc admettre que ce qui est
considéré comme "rêvé" contient la figuration de la réalité, le souvenir véritable, et que le
rêve qui se continue figure au contraire le simple désirError! Bookmark not defined. du
rêveur. Il faut voir dans cette insertion, dans le "rêve du rêve", l'équivalent du souhait que le
fait décrit comme rêvé ne se fût pas produit. En d'autres termes, si certains faits
apparaissent dans le rêve comme rêvés, c'est qu'ils sont tout à fait réels, et cela équivaut à
une affirmation très énergique. Le travail du rêve utilise le rêve lui-même comme une sorte
de refus, prouvant par là notre découverte que le rêve accomplit un désirError! Bookmark
not defined. »[84].

Ce passage pourrait donner le sentiment que la remarque "ce n'est qu'un rêve" fait
partie du rêve même mais n'implique pas de réelle conscience de rêver de la part du rêveur.
Ce serait en quelque sorte une remarque vide ou plus exactement qui n'aurait qu'une valeur
qualificative du contenu visé, mais pas conscientielle. Pourtant pour avoir une portée effective
un tel jugement suppose un support conscientiel, et c'est bien ce que soutient Freud à un
autre endroit : « Quel peut bien être, par exemple, le sens de la notion que nous avons assez
souvent en rêve : "Mais ce ne peut être qu'un rêve" ? C'est bien là une vraie critique du rêve
comme celles que nous formulons quand nous sommes éveillés. […] L'idée : "Mais ce ne peut
être qu'un rêve" au cours du rêve […] sert à rabaisser l'importance des événements qui
viennent d'être vécus et à rendre plus supportable ce qui va suivre. Elle endort une certaine
instance qui commence à s'exercer et qui rendrait impossible la continuation du rêve - ou de
la scène. Or, il est plus agréable de continuer à dormir, et d'endurer le rêve, "parce qu'au
fond ce n'est qu'un rêve". J'imagine que cette critique dédaigneuse intervient toutes les fois
que la censure, qui ne s'endort jamais entièrement, se sent débordée par le rêve qu'elle a
déjà accepté. Il est trop tard pour le réprimer ; elle essaie de parer à l'angoisseError!
Bookmark not defined. ou au malaise à l'aide de cette observation critique. C'est de la part
de la censure une manifestation de l'esprit d'escalier. Cet exemple prouve d'une manière
irréfutable que le contenu du rêve ne provient pas tout entier des pensées du rêve, mais
qu'une fonction psychique, inséparable de notre pensée de veille, peut lui fournir une partie
de ces éléments »[85].

Dans ce passage la conscience de rêver dépend d'une fonction psychique "inséparable


de notre pensée de veille" : elle n'est pas considérée par Freud comme une affirmation qui ne
serait qu'un élément du rêve, dans le sens où il nous arrive de dire à l'état de veille : "ce
n'est qu'un rêve" sans y croire, mais indique bien chez le rêveur une réelle conscience de son
état. Néanmoins l'attribution de cette remarque soit à une censure qui se laisse déborder,
soit, dans le cas des rêves sous la menace d'un réveil extérieur ou intérieur, à un
préconscientError! Bookmark not defined. qui avertirait la conscience quand le rêve irait
trop loin, s'avère théoriquement coûteuse car elle l'entraîne à « conclure que pendant toute
la durée de notre sommeil nous nous savons en train de rêver, aussi bien que de
dormir »[86]. On en arrive alors à cette conclusion étrange qu'un rêveur est conscient de
rêver dans tous ses rêves mais qu'il ne prend conscience de cette conscience que dans
certaines circonstances qui dérivent de la réalisation d'un désirError! Bookmark not
defined. : ainsi Freud explique la lucidité d'Hervey de Saint-Denys - dont il savait par
Vaschide qu'il avait « acquis sur ses rêves une telle puissance qu'il pouvait en accélérer le
cours et leur donner la direction qui lui plaisait »[87] -, par un désirError! Bookmark not
defined. : « Il semble que chez lui le désirError! Bookmark not defined. de dormir ait fait
place à un autre désirError! Bookmark not defined. préconscientError! Bookmark not
defined. : observer ses rêves et s'en amuser. On peut dormir avec cette résolution »[88].

Si on accepte de telles conclusions, il faut reconnaître que loin de pousser à un


examen approfondi du rêve lucide elles contribuent à en désintéresser le chercheur puisque
en fin de compte la lucidité est la règle et non l'exception : elle est la règle à un niveau
préconscientError! Bookmark not defined. et son émergence ne dépend que du type de
désirError! Bookmark not defined. du rêveur. Freud lui-même ne lui accordait pas un
intérêt particulier comme en témoigne une réponse adressée à van Eeden qui voyait dans ses
propres rêves lucides une expérience contredisant les affirmations de Freud. Or, pour
Freud, les rêves de van Eeden ne sont qu'en apparence en contradiction avec les siens[89] :
« L'assertion selon laquelle on ne peut, dans un rêve, émettre de jugement, ni d'évaluation,
non plus que parler, ne contredit nullement votre expérience, car elle repose sur la distinction
- fondamentale, quoique trop rarement prise au sérieux - entre les contenus latentError!
Bookmark not defined.s et manifestes du rêve. L'analyse montre que toute pensée, tout
jugement ou autre activité mentale de ce type, a son origine dans les contenus latents.
Ceux-ci, bien entendu, reflètent l'ensemble de notre activité psychique. Cependant, il faut se
garder de confondre le rêve lui-même avec ces contenus latents […]. Une conception correcte
du rêve doit y voir le résultat d'un travail onirique, convertissant les pensées latentes en
contenu manifeste. Ce travail, en effet, ne connaît ni jugement, ni évaluation et n'élabore
point de dialogues. Toutes les fois qu'un rêve contient de telles choses, cela provient des
pensées latentes qui émergent de façon obscure, déformées ou remodelées. Relisez, à ce
sujet, les exemples de mes rêves dans lesquels les contenus manifestes sont accompagnés
de jugements etc., comme dans les vôtres (section "Travail onirique"). Il n'y a donc pas
contradiction entre votre expérience et la mienne, mais il s'agit plutôt d'un malentendu. Cela
provient de ce que vous n'avez ni accepté, ni appliqué, pour chaque interprétation de rêve, la
prémisse d'une distinction entre les contenus manifestes et latentError! Bookmark not
defined.s » [90] .

Pour comprendre l'intérêt de ce passage il faut garder en mémoire que le


correspondant de Freud est l'inventeur du terme "rêve lucide", que ses expériences en ce
domaine ont été menées dans le même esprit que celles d'Hervey de Saint-Denys, à qui il se
réfère, et que c'est par son article de 1913, que nous allons examiner, que le monde
anglo-saxon redécouvrira le rêve lucide à la fin des années soixante. Il est permis de
supposer qu'il a soumis à Freud des cas de rêves lucides particulièrement précis et qu'il lui a
probablement donné en lecture son article[91]. Mais Freud s'est trouvé incapable d'en
apprécier la portée autrement qu'en les faisant entrer dans le moule de sa distinction entre le
contenu manifeste et le contenu latentError! Bookmark not defined. du rêve qui dans le
cas présent n'est pas très convaincante, du moins pour un rêveur lucide pour qui son activité
intellectuelle au cours du rêve ne semble pas résulter du travail du rêve.

Le commentaire que font Bob Rooksby et Sybe Terwee de cette lettre de Freud éclaire
les raisons qui l'empêchent d'accorder son attention à la lucidité : « Pour Freud, la véritable
"activité psychique" […] se produit au niveau de l'inconscientError! Bookmark not defined.
et tout ce qui finit par émerger, dans le mental conscient, sous forme de rêve n'est que le
résultat du travail onirique, c'est-à-dire l'expression symbolique de quelque chose d'autre.
D'un point de vue pratique, cela signifie que l'important n'est pas tant de savoir comment
une personne ressent un rêve manifeste, mais plutôt à quoi ce rêve se rapporte réellement
dans l'inconscient. Cette distinction entre les deux parties de la psyché est mise en
application par Freud lorsqu'il différencie la fonction du rêve de la conscience que le rêveur
peut avoir de celui-ci (comme dans le conceptError! Bookmark not defined. de lucidité).
L'importance relative du conscient et de l'inconscient doit être mise en parallèle avec l'idée de
contenus latentError! Bookmark not defined.s et de rêve manifeste. Le conscient est le
plus "restreint", le moins important des deux. Nous le privilégions, à tort, simplement parce
qu'il s'agit d'un niveau auquel nous accédons directement.

« En ce qui concerne l'idée générale de lucidité onirique, Freud indique, dans sa


lettre, qu'elle lui convient. "L'assertion selon laquelle on ne peut, dans un rêve, émettre de
jugement, ni d'évaluation, non plus que parler, ne contredit nullement votre expérience…" Il
ne conteste que l'interprétation de cette activité et l'importance qu'on peut lui attribuer.
Puisque, selon Freud, l'espritError! Bookmark not defined. conscient est la part la moins
importante de l'activité totale du psychisme (la plus grande part s'exerçant dans le flux
continu de l'inconscientError! Bookmark not defined.), il importe peu de savoir comment
une personne vit son rêve - et cela particulièrement dans le contexte d'un processus
thérapError! Bookmark not defined.eutique »[92].

C'est donc la théorie psychanalytique même qui par ses idées fondamentales empêche
de trouver quelque intérêt au rêve lucide, ce qui, historiquement est confirmé par l'absence
d'étude sur ce sujet dans le domaine psychanalytique. « Ayant "dévalué" le rêve manifeste
[…] Freud a naturellement été conduit à faire de même pour le rêve lucide. Celui-ci ne
représentait nullement une remise en cause de sa thèse principale et sans doute jugeait-il
qu'il lui avait déjà accordé une attention suffisante […]. On ne peut s'empêcher de spéculer
sur ce qui serait arrivé si Freud avait reconnu le terme de "lucidité" proposé par van Eeden,
ainsi que l'idée qui s'y attachait, mais il n'en fit rien. En conséquence, le "rêve lucide" ne
retint pas l'attention des autres psychanalystes et ne devint jamais, au début du siècle, un
sujet de discussion »[93].

Ainsi l'intérêt porté au rêve vécu et à son contenu n'entraîne pas nécessairement que
la lucidité onirique soit prise en compte. Le type même de recherche qui, par sa méthode
d'approche, conduit à en constater l'existence, peut également en masquer la portée,
notamment lorsqu'on a le sentiment d'avoir trouvé l'explication définitive du rêve - et plus
particulièrement lorsque le souci de justifier la théorie qui soutient cette explication prend le
pas sur celui que tout n'a peut-être pas encore été compris ou découvert. Mais bien que
n'étant pas pris en considération sur un plan théorique, le rêve lucide va néanmoins continuer
à se manifester sous la forme de témoignages personnels.Error! Bookmark not defined.

II. Les explorateurs du rêve lucide


On pourrait penser que c'est en raison du renouveau pour les rêves suscité par la
psychanalyseError! Bookmark not defined. que les témoignages et les études personnelles
sur le rêve lucide se multiplient ; et que si Freud n'a pas su le prendre en compte, - sans
doute en raison d'une expérience personnelle insuffisante -, d'autres rêveurs dont
l'expérience est plus intense, d'abord attirés par les théories analytiques, vont explorer plus
profondément la lucidité, quitte à modifier ou à refuser par la suite les théories qui leur
auront servi de point de départ. La réalité est tout autre : les auteurs de ces témoignages
sont très éloignés de l'œuvre de Freud, soit qu'ils l'ignorent totalement, soit qu'ils la
rencontrent après avoir mené à bien un nombre suffisant d'expériences pour considérer avec
réserve des théories qui semblent les contredire. Cette situation est si générale qu'on peut se
demander si, contrairement à ce qu'on aurait pu penser au premier abord, l'exploration du
rêve lucide ne peut en réalité s'épanouir qu'en dehors du cadre psychanalytiqueError!
Bookmark not defined.. Les formes que prennent ces témoignages sont de fait assez
diverses : certains auteurs rencontrent le rêve lucide dans le cadre d'une recherche plus
générale sur le rêve, en prennent note, mais n'approfondissent pas cet aspect ; d'autres
encore ne s'intéressent qu'au seul rêve lucide qu'ils découvrent parfois après en avoir posé
l'hypothèse ; d'autres enfin lui font une place à part parmi leurs rêves et voient
immédiatement le parti qu'ils peuvent en tirer à des fins d'expérimentation.

Tel est le cas de Frederik van Eeden dont les recherches sur le rêve sont antérieures à
la lecture de Freud et n'ont pas été influencées par lui[94] puisque dès 1898 il en commence
l'étude dont les conclusions paraissent en 1913 dans son article "A Study of Dream"[95]. Sa
recherche ne s'inscrit pas d'emblée dans un cadre théorique mais s'efforce au contraire de
dégager une structure d'intelligibilité à partir d'un corpus de rêves. C'est cette observation
sans a priori qui lui fait remarquer que les rêves peuvent entrer dans des catégories très
différentes, dont une au moins revêt un intérêt tout à fait particulier : « Depuis 1886 j'étudie
mes propres rêves et je prends note des plus intéressants dans mon journal. En 1898, j'ai
commencé à noter séparément un certain type de rêves qui me paraissait le plus
important, et j'ai continué jusqu'à ce jour ces notations particulières. J'ai dû répertorier, en
tout, près de 500 rêves, dont 352 sont du genre dont je viens de parler. J'espère, grâce à ces
matériaux, pouvoir jeter les bases d'une structure scientifique de quelque valeur, si toutefois
le loisir et la force nécessaire à l'élaboration soigneuse de ce travail ne viennent à me
manquer »[96].

Son étude n'a donc rien de systématique : il écarte d'abord les rêves les moins
intéressants pour ne noter que ceux qui méritent une attention particulière et qu'il divise à
leur tour en deux catégories. Étant donné que cinq cents rêves sur une durée de quatorze
ans représente un chiffre peu élevé et que van Eeden ne s'intéresse qu'à ceux de ses rêves
qui ont pour lui un caractère remarquable par rapport à la toile de fond des rêves ordinaires,
on peut s'interroger sur ses critères de sélection : avec une telle méthode il aurait aisément
pu se laisser absorber par la fascination des rêves les plus énigmatiques ou les plus intenses.
En réalité il a su éviter ces écueils et s'attacher plus à la structure conscientielle de son
expérience onirique qu'à la trame des événements, ce qui est une tendance spontanée des
rêveurs lucides occasionnels en raison du contraste que de tels rêves présentent avec les
rêves ordinaires. Le récit de son premier rêve lucide met bien l'accent sur une telle
structure :
J'eus un premier aperçu de cette lucidité dans le sommeil en
juin 1897, de la manière suivante : Je rêvai que je flottais au-dessus
d'un paysage aux arbres dénudés, sachant qu'on était au mois d'avril.
Je remarquai que la perspective des branchages changeait d'une
façon tout à fait naturelle, et je me fis, tout en dormant, une
réflError! Bookmark not defined.exion à ce sujet. Je me dis que
jamais mon imaginationError! Bookmark not defined. ne serait
capable d'inventer ou de fabriquer une image aussi complexe que
cette perspective mouvante, faite de petites brindilles perçues au fur
et à mesure de mon déplacement aérien.[97]

Contrairement à Hervey de Saint-Denys pour qui le rêve lucide était la règle plutôt
que l'exception, van Eeden, en raison de son caractère particulier, le met à part de ses autres
expériences oniriques et du coup se trouve capable à la fois d'en remarquer et d'en analyser
les caractéristiques. C'est à lui qu'on doit l'appellation "rêve lucide" terme qu'il utilise pour
désigner ses trois cent cinquante deux rêves dans lesquels il se souvient parfaitement de sa
vie de veille et peut agir volontairement sans que la profondeur du sommeil en soit affectée.
Ainsi c'est d'emblée la pleine conscience de l'expérience onirique qui guide le choix de rêves
et sous-tend ses analyses et ses expériences.

Ses analyses l'ont surtout conduit à élaborer une classification des rêves qui est
souvent citée et dans lesquels les rêves lucides occupent une place importante. Cette
classification qui comprend neuf types de rêves ne tend pas à en faire des groupes exclusifs
les uns des autres puisque la lecture des récits de rêves de van Eeden montre qu'un même
rêve peut entrer dans plusieurs catégories ; de même le groupe qu'il caractérise de
l'appellation de "rêve lucide" n'en est qu'un type particulier puisqu'aussi bien les rêves
initiaux que les rêves de mauvais éveil ou les rêves de démons peuvent, le cas échéant,
entrer dans cette catégorie. D'ailleurs van Eeden reconnaît lui-même qu'il « existe, bien sûr,
des formes et des combinaisons intermédiaires, mais les différents types de rêves demeurent
distincts et restent reconnaissables même s'ils se mélangent »[98].

Certaines catégories admettent cependant la lucidité non comme le résultat d'une


combinaison possible mais comme un élément constitutif, par exemple les rêves initiaux ou
de mauvais éveil. Les rêves initiaux, bien que rares (« En ce qui me concerne
personnellement, je n'ai connu cela qu'une demi-douzaine de fois, et je n'ai trouvé aucune
indication claire de faits semblables chez d'autres auteurs »[99]) sont cependant très
caractéristiques et faciles à reconnaître à leur situation temporelle dans une nuit de
sommeil - qui leur donne leur nom : « Cela n'arrive que dans le tout premier sommeil,
lorsque le corps se trouve dans un état normal de santé, mais qu'il est également très
fatigué. La transition de la veille au sommeil se fait alors de telle façon que ce qu'on nomme
généralement l'inconscience - mais je préfère l'appeler discontinuité de la mémoire - ne dure
qu'un instant très court »[100].

Une telle situation risquerait de les faire confondre avec les images hypnagogiques qui
n'appartiennent pas vraiment au sommeil, aussi van Eeden précise-t-il que :

Il ne s'agit nullement de ce que Maury (1878) appelle une


hallucination hypnagogique. Je connais bien ce phénomène et je ne
pense pas qu'il appartienne au monde des rêves. Dans l'hallucination
hypnagogique, nous avons, certes, des visions, mais nous conservons
intégralement toutes nos sensations corporelles. Par contre, dans le
type de rêve initial (H), je vois et je ressens comme dans tout autre
rêve. Je me souviens presque entièrement de ma vie diurne, je sais
que je dors, je sais à quel endroit je me trouve, mais toutes les
perceptions du corps physique, internes ou externes, viscérales ou
périphériques, sont entièrement absentes. Le plus souvent, j'ai la
sensationError! Bookmark not defined. de flotter ou de voler et
j'observe avec une parfaite clarté d'esprit que la fatigue, l'inconfort,
toutes les manifestations corporelles issues d'un trop grand effort, se
sont évanouis. J'ai un sentiment de fraîcheur, de vigueur, je peux, en
flottant, me déplacer dans toutes les directions, et cependant je sais
que le corps, au même instant, est mortellement las et qu'il dort
profondément.[101]

Outre la conscience de rêver, de tels rêves présentent donc un élément couramment


attesté par les rêveurs lucides : la sensation de flotter, ce qui nous conforte dans l'idée que
de tels rêves sont lucides de façon constitutive, et non par combinaison de catégorie. Il en va
de même pour les rêves de mauvais éveil dans lequel le rêveur croit se réveiller et finit par se
rendre compte qu'il n'en est rien :

Nous avons la sensationError! Bookmark not defined. de


nous éveiller dans notre chambre familière, puis nous commençons à
remarquer, dans l'entourage, certains éléments troublants ; nous
percevons des mouvements inexplicables, nous entendons des bruits
étranges, et nous savons alors que nous n'avons pas cessé de dormir.
Lors de mes premières expériences de ce genre de rêves, j'étais
quelque peu effrayé et désirError! Bookmark not defined.ais
vivement, dans mon inquiétude, me réveiller pour de bon.[102]

Même si elle ne survient qu'au cours du rêve, la lucidité est là aussi un élément
indispensable pour caractériser cette catégorie car, autrement, il n'y aurait pas à proprement
parler de mauvais "éveil" mais un simple faux-éveil que van Eeden prend soin de distinguer
du précédent : « Ces rêves de mauvais éveil ne doivent pas être confondus avec ceux que j'ai
décrits […], où je rêvais que je me réveillais après un rêve lucide et le racontais à un
auditeur. Ce sont là des rêves ordinaires. Ils n'ont rien d'étrange. Les rêves de mauvais éveil,
par contre, possèdent sans aucun doute un caractère démoniaque, troublant ; ils sont très
vifs, très brillants, avec une sorte de netteté ou d'éclat sinistre, une lumiError! Bookmark
not defined.ère forte et diabolique »[103].

Les exemples que van Eeden regroupe sous la rubrique "rêve lucide" ne sont donc en
fait qu'un cas particulier du rêve lucide pris en un sens large tel qu'il l'entend lui-même
lorsqu'il en donne une définition négative, c'est-à-dire en l'opposant au rêve ordinaire dont
Maury et Ellis font le modèle absolu de toute expérience onirique : « Je sais que M. Havelock
Ellis et beaucoup d'autres auteurs n'accepteront pas ma définition, parce qu'ils nient la
possibilité d'une mémoire complète et d'une libre volonté en rêve. Ils diraient que ce
que j'appelle un rêve n'est pas un rêve mais une sorte de transeError! Bookmark not
defined. ou d'hallucinationError! Bookmark not defined. ou d'extase. Les observations du
marquis d'Hervey, qui sont très similaires aux miennes, telles qu'elles sont rapportées dans
son livre, les Rêves et les Moyens de les diriger, ont été écartées de la même façon.
Maury a dit que ces rêves ne pouvaient pas être des rêves »[104].

Lorsqu'on compare la caractérisation par négation qui émerge de l'opposition à


Maury et Ellis et celle qu'il donne expressément de la catégorie "rêve lucide" on se rend
compte que l'élément distinctif qui caractérise ces rêves lucides est la complète réintégration
des fonctions psychiques : « Les rêves typiques de la catégorie (E), ceux que j'appelle "rêves
lucides", me semblent être les plus intéressants, méritant d'être observés, puis étudiés avec
le plus grand soin. Entre le 20 janvier 1898 et le 26 décembre 1912, j'ai eu 392 rêves de ce
genre, que j'ai tous notés par écrit. La réintégration des fonctions psychiques y est si totale
que le dormeur se souvient de sa vie diurne et de sa condition ; il parvient à un état de
conscience parfaitement claire, il est en mesure de diriger son attentionError! Bookmark
not defined. et peut, dans le rêve, tenter librement diverses actions volontaires. Cependant
son sommeil, comme je puis l'affirmer avec assurance, n'est nullement troublé, mais profond
et délassant »[105].

Il ne s'agit donc pas d'une caractéristique particulière qui isolerait cette catégorie des
autres mais d'une structure conscientielle : van Eeden reprend les caractéristiques notées par
Hervey de Saint-Denys (garder le souvenir de sa vie de veille, avoir conscience de sa
condition, pouvoir diriger son attentionError! Bookmark not defined. et agir
volontairement) mais il en fait les traits d'une catégorie de rêves à laquelle il donne un nom.
Le rêve lucide au sens strict n'est donc pas tant un rêve à part que la complète expression
d'éléments qui peuvent se manifester partiellement ou séparément dans d'autres rêves. Entre
les rêves que van Eeden a strictement baptisés de "rêves lucides" et les autres, la différence
n'est que de degré sur une ligne conscientielle, même s'il lui arrive de caractériser ces rêves
par leur contenu en les décrivant comme extrêmement plaisants. Considérer ces différences
de contenu comme déterminantes reviendrait par exemple à opposer d'emblée rêves lucides
et rêves de mauvais éveil alors qu'il est clair que, si la réintégration des fonction psychiques
est moins complète dans ces derniers, il n'en ont pas moins un aspect lucide qui est à
l'origine même de leur sélection par van Eeden.

La conscience que van Eeden a de rêver guide manifestement les expériences qu'il
mène à l'intérieur de ses rêves dans lesquels il examine aussi bien les aspects conscientiels
comme le dédoublement de la conscience ou la qualité de la lucidité que le rapport qui unit
les actes effectués en rêve lucide avec la vie de veille ou la qualité des éléments du décor du
rêve. Ses constatations sur l'aspect conscientiel de son expérience lui font mettre en
évidence une "fausse lucidité", c'est à dire une affirmation du genre "je sais que je rêve"
prononcée en rêve mais qui est néanmoins vide de sens pour le rêveur au moment où il
l'émet.

En mars 1912, je fis un rêve très compliqué dans lequel


j'apprenais que Théodore Roosevelt était mort. Je rêvai alors que je
m'éveillais et que je racontais ce rêve. "J'étais" disais-je "dans
l'incertitude, ne sachant, dans mon rêve, s'il était réellement mort ou
bien encore vivant. Maintenant, je sais qu'il est vraiment mort, mais
la nouvelle m'avait à ce point ébranlé que j'avais perdu la mémoire."
Il y eut alors une fausse lucidité dans laquelle je disais : "Je sais
maintenant que je rêve, et je sais où je suis", mais ce n'était pas vrai.
Je n'avais, en fait, aucune idée de ma condition réelle. Il fallut que je
m'éveille réellement pour comprendre, peu à peu, que tout cela
n'avait été que non sens.[106]

Une telle expérience permet de comprendre que le rêve lucide authentique doit être
une expérience conscientielle et que l'affirmation "je rêve" dans un récit de rêve ne garantit
pas toujours sa lucidité ; mais par contrecoup elle signifie que l'absence de cette affirmation
ne permet pas non plus de rejeter un rêve comme non lucide alors que le rêveur l'aurait pour
sa part reconnu comme lucide. L'appréciation que le rêveur porte sur son expérience s'avère
donc déterminante avant même l'examen du récit du rêve.

Van Eeden ne borne pas ses observations à l'aspect conscientiel. Il fait en rêve des
expériences sur le décor onirique similaires à celles d'Hervey de Saint-Denys :

« Le 9 septembre 1904, je rêvai que j'étais debout devant une


table, près d'une fenêtre. Sur la table étaient divers objets.
Pleinement conscient que je rêvais, je réflError! Bookmark not
defined.échis aux expériences que je pourrais faire. Je commençai
par essayer de casser un verre en cognant dessus avec une pierre. Je
posai une petite tablette de verre sur deux pierres et frappai avec une
autre pierre, mais en vain. Je pris alors le verre de cristal fin sur la
table et le serrai dans mon poing de toutes mes forces, pensant en
même temps combien il serait dangereux de faire cela en état de
veille. Le verre ne se brisa pas, mais voilà que, le regardant de
nouveau un peu plus tard, il était brisé!

« Il s'était brisé correctement, mais un peu trop tard, comme


un acteur qui rate sa réplique! Cela me donna l'impression très
curieuse d'être dans un monde truqué, très bien imité, mais avec de
légères erreurs. Je pris alors le verre cassé et le jetai par la fenêtre
pour voir si j'entendrais le bruit des débris. Je l'entendis très bien, et
même j'aperçus deux chiens qui s'enfuyaient avec beaucoup de
naturel. Je pensai alors quelle bonne imitation était ce monde de
comédie. Voyant sur la table une carafe de bordeaux, je m'en versai
et notait avec une parfaite clarté d'esprit : "Eh bien, on peut avoir
aussi des sensationError! Bookmark not defined.s volontaires de
goût dans ce monde de rêve ; ce vin est d'une saveur parfaite! »[107].

Les expériences de van Eeden sont à l'origine de notions qui constituent encore
aujourd'hui des thèmes de recherche pour les explorateur du rêve lucide, telles que la fausse
lucidité ou le corps de rêve :
Dans la nuit du 19 au 20 janvier 1898, je rêvai que j'étais
couché dans le jardin, devant les fenêtres de mon bureau, et que je
voyais les yeux de mon chien à travers le vitrage. J'étais couché sur le
ventre et j'observais le chien avec une grande attentionError!
Bookmark not defined.. Cependant, au même instant, j'étais tout à
fait certain de rêver, et je savais qu'en réalité j'étais allongé sur le
dos, dans mon lit. Je décidai de m'éveiller lentement, attentivement,
et d'observer la façon dont la sensationError! Bookmark not
defined. d'être couché sur le ventre se changerait en celle d'être
dans mon lit, sur le dos ; Je le fis, délibérément, sans me hâter. La
transition - j'en ai souvent fait l'expérience depuis - est tout à fait
étonnante. C'est comme si l'on glissait d'un corps dans un autre ; il y
a, de plus, très nettement, une double mémoire concernant les deux
corps à la fois. Je me souvenais de ce que j'avais ressenti dans le
rêve, couché sur le ventre ; mais revenant à la vie de veille je me
rappelais aussi que mon corps physique, pendant tout ce temps, était
resté tranquillement allongé sur le dos. J'ai souvent observé depuis
cet effet de double mémoire. Il est à ce point indiscutable qu'il conduit
presque inévitablement à concevoir l'idée d'un corps de rêve. [108]

Le corps de rêve suppose donc une double mémoire et peut-être aussi une double
conscience, mais ceci n'est pas indiqué clairement. Les observations d'Hervey de
Saint-Denys sur ce sujet n'étaient qu'implicites, tout occupé qu'il était à expérimenter les
facultés de l'espritError! Bookmark not defined.. Van Eeden pour sa part s'intéresse autant
à l'objet et au mode de la perception qu'aux "organes" oniriques qui la permettent : « Dans le
rêve lucide, la sensationError! Bookmark not defined. d'avoir un corps est parfaitement
nette : j'ai des yeux, des mains, une bouche qui parle, etc. Cependant, je sais qu'au même
instant le corps physique est endormi, dans une position toute différente. Lorsque je me
réveille, c'est comme si les deux sensationError! Bookmark not defined.s fusionnaient ; je
me souviens aussi clairement de l'activité du corps de rêve que de la tranquillité du corps
physique »[109].

Il se livre par ailleurs à des expériences avec son corps de rêve, par exemple en
expérimentant le son de sa voix[110]. Cette attentionError! Bookmark not defined. portée
au fonctionnement d'un corps onirique en rêve lucide devait l'amener à situer les rêves
lucides par rapport à d'autres types de rêves dans lesquels des sensations équivalentes se
manifestent et plus particulièrement à remarquer l'importance des rêves de vol :

Le fait de voler ou de flotter dans les airs peut s'observer dans


toutes les formes de rêve sauf, peut-être, ceux de la catégorie (D),
mais en général c'est une indication que des rêves lucides vont
bientôt se produire.

Quand j'ai eu deux ou trois nuits de suite des rêves de vol, je


sais qu'un rêve lucide se prépare. Souvent, la lucidité onirique
elle-même commence par la sensationError! Bookmark not
defined. de vol qui se poursuit, ensuite, pendant toute la durée du
rêve. J'ai, parfois, l'impression de flotter rapidement à travers de
vastes espaces. Il m'est arrivé de voler à reculons et il y eut une
occasion où, rêvant que j'étais à l'intérieur d'une cathédrale, je
m'envolai vers le haut, en même temps que l'immense bâtiment avec
tout ce qu'il contenait.[111]

Ainsi van Eeden a contribué à la recherche sur le rêve lucide en poussant ses
investigations sur un terrain que n'avait pas abordé Hervey de Saint-Denys, probablement
parce qu'il n'était pas, comme lui, un rêveur lucide quasi-permanent. Pour cette raison il a
noté que ses rêves lucides étaient souvent accompagnés de rêves non lucides d'autres types
dont ceux qui les annoncent (tels les rêves de vol) ou les rêves qui leur font souvent suite,
(tels les faux-éveils, les rêves de démons ou les mauvais éveils). Il a ainsi attiré l'attention
sur les rêves non lucides qui se situent dans l'environnement onirique [112] du rêve lucide.
Cependant son article n'attire pas une attention particulière car les autres travaux qui
s'intéressent au rêve lucide parus dans la première moitié du siècle ne le mentionnent pas ;
ce n'est que trente quatre ans plus tard, en 1947, que son texte est partiellement repris dans
un recueil sur le rêve, The World of dreams .

Les raisons pour lesquelles l'article de van Eeden n'a pas connu une grande diffusion
tiennent vraisemblablement à son aspect insolite par rapport aux travaux sur le rêve alors
existants, ce qui explique sans doute pourquoi il l'a publié dans l'organe de la Société pour la
Recherche Psychique [113]. Ce genre d'observations, nous l'avons vu, ne pouvait intéresser ni
la physiologie ni la psychanalyseError! Bookmark not defined. et les rêveurs lucides qui
tentaient d'analyser leurs expériences n'avaient, selon leur connaissance des travaux
antérieurs, que deux possibilités. La première, de type psychologique, est illustrée par
Delage ou Arnold-Forster qui, ignorant, l'un van Eeden, l'autre Hervey de Saint-Denys,
étaient condamnés à répéter le même genre d'observations. Et lorsque l'ignorance en matière
de recherche psychologique est complète, comme dans le cas de Fox ou de Muldoon, le rêve
lucide prend rapidement pour le rêveur une dimension paranormalError! Bookmark not
defined.e.

Les témoignages de Delage et d'Arnold-Forster, parus pratiquement à la même


époque, présentent des traits communs qui montrent que l'examen de certains aspects
particuliers du rêve n'est pas abordé par les psychologues et les psychanalystesError!
Bookmark not defined.. Delage dit de son livre que, bien qu'appartenant à la psychologie,
il est « l'œuvre d'un biologiste, zoologiste et médecin »[114], et que n'étant « pas écrit par un
psychologue de carrière, il présente […] quelques avantages [qui] consistent en une
certaine indépendance d'idées, parce que la pensée risque moins de s'embarrasser dans
des ornières, qui n'existent pas dans le chemin qu'elle suit. D'autre part […] le biologiste […]
voit les choses sous un autre angle, d'où il a la chance d'apercevoir des aspects qui restent
cachés aux observateurs placés loin de là »[115]. Pour sa part Mary Arnold-Forster, n'étant
pas psychologue admet que : « De nombreux aspects du rêve ne peuvent être traités que
d'une manière imparfaite par un observateur non scientifique ; le manque de savoir
technique représente, certes, un désavantage important pour l'approche d'un tel sujet,
d'autres chercheurs ayant pu l'aborder avec l'appui d'une plus grande érudition »[116].

Elle se reconnaît ainsi incompétente à s'aventurer sur le terrain du rêve en tant que
psychologue assermentée. Mais elle ajoute aussitôt : « Je crois, pourtant, que cette
passionnante étude ne saurait être réservée aux seuls psychologues et philosophes et qu'un
observateur dénué de connaissances particulières, mais assidu, peut également y participer,
en enregistrant son expérience individuelle. Nos rêves sont bien ce que nous vivons de plus
personnel, chacun de nous les aborde d'un point de vue qui lui est propre. La psychologie est
la science des expériences personnelles : les faits qui seront sélectionnés et mesurés dans
ses laboratoires doivent, en premier lieu, être recueillis dans des champs fort divers et
dispersés par d'humbles glaneurs »[117].

Ces justifications apportées à des études qui ne sont pas effectuées par des
"professionnels" du rêve viennent principalement de la constatation par ces auteurs que leurs
songes ne rentrent pas dans les cadres théoriques jusqu'à présent proposés. Delage constate
que « les variétés de rêves sont infinies et ce serait une tentative vaine de s'efforcer de les
réduire à un nombre limité de catégories »[118]. De même Arnold-Forster nous met en
garde : « En fait, il y a rêve et rêve. Nous devons nous défaire de la présomption selon
laquelle tous les rêves se ressemblent. Les classer sans distinction dans une ou deux
catégories est […] une démarche absurde »[119].

Ils essaient par là de s'affranchir des cadres trop étroits que leurs observations
débordent.

Delage constate en effet « que certains processus psychiques plus ou moins


exceptionnels se rencontrant dans certains rêves leur donnent une allure particulière »[120] et
il en établit une liste qui comprend, entre autres, deux types de rêves lucides : « Dans cette
courbe continue à laquelle nous avons fait allusion, qui représente la complication progressive
du rêve, il est cependant deux points singuliers qui méritent d'être signalés dès maintenant :
ce sont le rêve conscient et le rêve dirigé. Le rêve conscient est caractérisé par le fait que le
rêveur sait qu'il rêve ou, tout au moins, soupçonne qu'il rêve, se demande s'il ne rêve pas. Le
rêve dirigé […] est celui où le rêveur, non seulement sait qu'il rêve, mais agit sur son rêve, le
dirige à sa volonté. A un premier degré, le dormeur exerce sa volonté seulement sur ses
propres actes, va où il veut, fait ce qu'il veut au milieu de personnages qui jouissent de la
même liberté que lui et dans un décor sur lequel il n'a point d'action. A un degré plus
accentué, il fait mouvoir à son gré les personnages et dispose les tableaux et les scènes.
C'est presque la rêverieError! Bookmark not defined., avec cette seule différence que les
tableaux et les scènes ont, par leur caractère hallucinatoire, l'objectivité de choses réelles, et
non, comme dans la rêverie, l'aspect plus terne d'images mentales ou de simples
pensées »[121].

Delage reconnaît donc non seulement l'existence de rêves conscients, mais également
d'une certaine gradation aussi bien de cette conscience que du pouvoir de la volonté qu'elle
autorise. Et c'est ce même problème de la volonté qui fait qu'Arnold-Forster prend ses
distances avec les théories existantes : « Notre volonté, par exemple, est-elle entièrement
suspendue dans le sommeil, comme le présupposent nombre d'autorités reconnues ? Ou bien
peut-elle, pour le moins, exercer un contrôle partiel sur nos autres facultés ? Cette question
de suspension de la volonté pendant le sommeil est d'un intérêt certain, car c'est elle qui
soutient toute la théorie du "désintérêt", telle que Monsieur Bergson l'a définie. On croit très
généralement que, dans le rêve, le pouvoir de sélection et de contrôle du mental cesse
complètement. Mais est-ce bien vrai ? Je pense qu'il n'est pas nécessairement interrompu et
que, si nous le voulons, nous sommes capables d'exercer sur nos rêves un contrôle et une
sélection considérables. […] J'ai également découvert qu'en pratiquant certaines méthodes,
en s'astreignant à une forme de discipline mentale, on peut, dans une très large mesure,
maintenir l'influence de la volonté sur le monde des rêves et que cette action est suffisante
pour assurer, assez généralement, l'exercice d'une maîtrise efficace et réelle dans ce
domaine »[122].

Bien qu'Arnold-Forster n'insiste pas sur ce point, il est clair que pour elle l'action de la
volonté en rêve est liée à la conscience de rêver : « Sans doute avons-nous tous, à un
moment ou à un autre, pris conscience du fait que notre rêve en cours "n'était qu'un rêve".
C'est en partant de cette expérience commune, en me fondant sur l'idée qu'elle contient, que
j'ai pu me livrer à une tentative réussie de contrôle du rêve »[123].

Le degré de conscience n'est cependant pas le même dans les récits de rêves lucides
de ces deux auteurs.

La conscience que Delage a de rêver est le plus souvent parfaitement nette et même
lorsqu'elle inclut un doute sur la forme de l'expérience, elle l'est encore suffisamment pour le
pousser à des expérimentations au cours du rêve, ce que montre le récit suivant :

« Les épisodes antérieurs de mon rêve m'ont amené à un


chemin que je reconnais et je sais qu'au premier détour qui est tout
proche il continue à travers des champs et des haies en serpentant
sur les flancs d'une colline. J'avance et, le détour franchi, je me
trouve contrairement à mon attenteError! Bookmark not defined.
en présence d'une sorte de large fleuve ou de bras de mer auquel
conduisent quelques degrés en pierre, et le chemin finit là. J'avance
au bord de l'eau et me demande ce que je vais faire. A ce moment
le rêve devient conscient, je me dis que je rêve et que j'en vais
profiter pour me livrer à une intéressante expérience : je vais
sauter dans l'eau pour voir quelle sera la suite de cette aventure.
Cependant j'hésite ; l'eau est profonde et d'un vert pâle opaque qui
n'a rien d'engageant : "Si je me trompais, si la situation était
réelle, si j'allais me noyer". Cependant, sentant que je sais nager
et que je pourrai toujours regagner la rive, je me décide en prenant la
résolution d'observer soigneusement mes impressions pour les
écrire au réveil. Je m'attends à une sensationError! Bookmark not
defined. de froid qui sera sans doute très pénible. Je saute dans l'eau
et j'observe. Rien qui ressemble à l'impression de bain glacé que
j'attendais : c'est une sensation à peine perceptible de légère
fraîcheur. Je flotte accroupi sans faire aucun mouvement de natation,
la tête restant émergée, mais un vif courant m'entraîne, d'abord vers
la gauche le long de la rive, puis vers le large à ma droite. En même
temps, je suis surpris de constater autour de moi, dans cette eau tout
à l'heure si calme, de petites vagues qui me fouettent en produisant
un bruit de clapotement très accentué et que j'écoute avec intérêt
parce qu'il me surprend. Je me dis que cette sensationError!
Bookmark not defined. auditive doit avoir une cause objective en
dehors de moi et de mon rêve et je me demande quelle elle peut être.
A ce moment, je me réveille, et sans bouger ni ouvrir les yeux, tandis
que le clapotis résonne encore à mon oreille, je continue à me poser
la question qui s'était déjà dans mon rêve formulée dans mon
cerveauError! Bookmark not defined.. Je constate que je suis
tranquillement couché dans mon lit et qu'aucun bruit proche ou
éloigné ne frappe mon oreille ; je n'entends que le sourd
bourdonnement d'oreille monotone et persistant dont je suis affligé et
qui n'a rien de commun avec le bruit sec et intermittent du
clapotis »[124].

Le sens de l'exploration du rêve ne quitte pas Delage, qu'il s'agisse d'observer ou de


chercher des causes. Les rêves d'Arnold-Forster sont moins expérimentaux et tendent plus
vers la recherche d'émotions agréables, sans doute parce que l'intensité de la conscience y
est moindre :
Au cours d'un long rêve, j'étais parvenue à détecter l'existence
d'un complot dangereux et complexe contre notre pays. Ayant
découvert que j'en savais trop, les conspirateurs avaient commencé à
s'occuper de moi. J'étais poursuivie de si près et me trouvais
personnellement dans une situation si dangereuse que la formule
propre à interrompre le rêve traversa rapidement mon esprit.
Automatiquement, cela me rendit confiance. Je me souvenais qu'il
m'était possible d'échapper au danger ; ne me sentant plus menacée,
je songeai que, si je m'éveillais, j'allais perdre la précieuse
connaissance que j'avais acquise de cet inquiétant complot. J'avais
compris qu'il s'agissait d'un "savoir de rêve" qu'il ne fallait pas
négliger. Je me trouvais donc confrontée à un terrible dilemme : mon
désirError! Bookmark not defined. de sécurité me poussait à
m'éveiller, mais j'avais une très forte conviction que mon devoir était
de rester et de faire échouer la conspiration. Craignant de céder à la
peur, je me mis à genoux et fis une prière dans laquelle je demandai
que le courage me soit donné de ne pas chercher mon salut dans le
réveil, mais de continuer le rêve jusqu'à ce que j'aie pu faire ce qu'il
fallait. Je ne m'éveillai donc pas, et le rêve se poursuivit. Le chef des
conspirateurs, un homme au visage pâle, coiffé d'un chapeau melon,
m'avait suivi à la trace jusqu'au bâtiment où je me cachais et qui se
trouvait maintenant cerné. Mais toute crainte avait disparu, et je
n'éprouvai plus qu'un agréable sentiment de mon propre héroïsme,
comme seul peut le connaître celui qui est certain de ne courir aucun
risque. En l'absence de la peur, je fus en mesure de vivre ce rêve
comme une plaisante aventure.[125]

Bien que partant de préoccupations communes, le type d'expérience onirique et la


qualité des rêves de Delage et d'Arnold-Forster diffèrent profondément (ce qui d'ailleurs
justifie la nécessité de réunir des témoignages divers comme le souhaitait cette dernière).
Delage consacre toute une section d'un chapitre de son livre aux "rêves conscients et
dirigés"[126] mais ils n'y sont pas cantonnés puisqu'il a mené certaines de ses
expérimentations à l'aide de la lucidité, par exemple pour vérifier une hypothèse sur les
lueurs entoptiques : « J'ai démontré plus haut (chap. IV), la part que prennent les lueurs
entoptiques aux visions hypnagogiques en montrant que celles-ci suivent les mouvements
des yeux comme celles-là. L'idée m'est venue qu'il y aurait intérêt à faire cette même
expérience pendant le rêve pour en tirer éventuellement la même conclusion. J'ai donc
attendu, non sans impatience, l'occasion d'un rêve conscient dans lequel l'idée de faire cette
expérience me viendrait. Cette occasion s'est présentée à moi dans la nuit du 17 au 18
janvier 1914 »[127]. Arnold-Forster pour sa part ne fait pas du rêve lucide une étude
particulière, mais il est difficile d'estimer si la raison en est que, comme pour Hervey de
Saint-Denys, elle a le sentiment de sa situation véritable dans la plupart de ses rêves ou si
elle n'y accorde une importance que dans la mesure où cette conscience permet un certain
contrôle du rêve, conscience qui, comme nous l'avons vu dans l'exemple précédent, n'a pas
besoin d'être particulièrement développée. Les expériences auxquelles elle se livre en rêve
sont d'ailleurs toujours associées à cette notion de contrôle. Ainsi en est-il des rêves de
vol auxquels elle consacre tout un chapitre : « Les rêves de vol ne sont que l'une des variétés
de rêves heureux qui m'ont procuré tant de plaisir dans l'existence. Si j'ai choisi d'en parler à
l'exclusion des autres, c'est qu'ils sont les plus faciles à citer comme exemples du
processus de contrôle des rêves. On verra que par un acte de volonté et moyennant une
certaine concentration de la pensée sur ce genre de rêves, il devient possible de les cultiver,
d'acquérir des pouvoirs oniriques plus intenses, et cela sans difficulté majeure, pour notre
plus grand plaisir »[128].

Que le contrôle du rêve soit accompagné par une certaine conscience de rêver, c'est
ce qu'indiquent aussi bien des remarques occasionnelles que les récits de rêves qu'elle nous a
laissés, et dans lesquels elle cherche à accomplir des expériences prévues à l'avance.

J'ai essayé de découvrir jusqu'à quel point, en pensant à un


rêve, j'étais capable d'y déterminer des effets précis. Pouvais-je, par
exemple, exécuter des performances de vol nouvelles et difficiles ?
Longtemps, je ne parvins pas à m'élever de terre au-dessus de six
pieds.[130]

Il ne s'agit donc pas d'une simple injection dans le rêve d'une action imaginée au
cours de la vie de veille, puisqu'il lui faut progresser à l'intérieur du rêve même.

Si Delage et Arnold-Forster ont placé leur recherche sur un terrain psychologique c'est
d'une part parce qu'ils avaient eu connaissance d'expériences semblables aux leurs
(Delage avait lu Hervey de Saint-Denys et Arnold-Forster l'article de Myers) et d'autre part -
et surtout - parce qu'ils désiraient montrer l'étroitesse des théories courantes sur le rêve.
Mais lorsque les rêveurs lucides sont dans l'ignorance de l'existence d'expériences et de
théories antérieures, ils risquent d'y voir un phénomène paranormalError! Bookmark not
defined. et diriger leurs investigations en ce sens, comme l'ont fait Oliver Fox et Sylvan
Muldoon [131].

Les études de ce type de récits sont particulièrement intéressantes car elles nous
donnent en quelque sorte une description du rêve lucide "à l'état nu", c'est-à-dire en dehors
de toute tentative de théorisation scientifique. Lorsqu'un rêveur assimile un certain type de
rêve à un phénomène paranormal, c'est qu'il croit trouver en lui des éléments non pas qui se
contentent de contredire la masse des rêves normaux (les rêves peuvent être aussi bien
incohérents entre eux que par rapport à la vie de veille), mais qui ouvrent sur une nouvelle
dimension de la réaliError! Bookmark not defined.té. Quels sont les caractères de cette
nouvelle dimension de la réalité ? En d'autres termes qu'est-ce qui pousse un rêveur à
donner à ses rêves lucides une dimension paranormalError! Bookmark not defined.e ?
Est-ce le fait même de la lucidité ? La façon dont Oliver Fox nous présente sa découverte du
rêve lucide montre qu'il n'en est rien : la dimension paranormale du phénomène peut rester
cachée au rêveur lui-même, comme cela a été le cas pour Fox au début de son
adolescenceError! Bookmark not defined. :

Je remarquai que dans un cauchemar, parfois, ou dans quelque


rêve pénible de nature plus ordinaire, mais assez peu céleste, la
situation désagréable où je me trouvais évoquait certaines pensées.
"Cela ne peut pas être vrai" me disais-je, "De telles choses ne
peuvent pas m'arriver à moi, je dois être en train de rêver". Puis je
pensais "J'en ai assez. Je vais me réveiller", et j'échappais
promptement au désagrément en repoussant, en quelque sorte, le
rêve et en m'éveillant. A l'époque où je fis cette découverte, j'étais
loin de mesurer l'importance de ses possibilités latentes, mais
j'éprouvais une certaine curiosité. Pourquoi le fait de savoir, dans le
rêve, que l'on était en train de rêver ne se produisait-il que de temps
à autre ? Pouvait-on acquérir une telle conscience ? Si je ne compris
pas alors l'importance de cette expérience, ce fut, je crois, parce que
j'avais découvert que d'autres personnes l'avaient aussi.[132]

L'intérêt du rêve lucide n'apparaît pour Fox qu'en 1902, à l'âge de seize ans, lorsque
sa lucidité cesse de dépendre d'un « stress affectif intense qui réveille la faculté critique de la
conscience, lui permettant, par déduction, de voir que les circonstances extraordinaires du
rêve sont trop éloignées de celles de la vie quotidienne pour être réelles »[133].

Je rêvai que j'étais debout sur la chaussée, devant chez moi.


Le soleil se levait derrière le Mur Romain. et les eaux de la baie de
Bletchingden scintillaient dans la lumiError! Bookmark not
defined.ère matinale. J'apercevais les grands arbres, au tournant de
la route, et le sommet de la vieille tour grise, au-delà des quarante
Marches. Dans l'éclairage magique des premiers rayons, même à ce
moment du rêve, le paysage, déjà, était fort beau. Il faut noter que le
pavage de cette route n'est pas commun. Il est fait de petites pierres
rectangulaires, d'un bleu gris, dont les côtés les plus longs sont
perpendiculaires au trottoir. J'allais rentrer à la maison quand, jetant
à terre un coup d'œil distrait, mon attentionError! Bookmark not
defined., soudain, fut arrêtée par un phénomène des plus étranges,
tellement extraordinaire que je n'en croyais pas mes yeux. Tous ces
pavés avaient dû changer de position pendant la nuit, car leurs plus
grands côtés étaient maintenant parallèles au rebord du trottoir!
L'explication de cette bizarrerie m'apparut tout à coup : bien que cette
magnifique matinée d'été fut on ne peut plus réelle à mes yeux,
j'étais en train de rêver.

Lorsque j'eus compris cela, il se produisit, dans la qualité


même du rêve, un changement qu'il m'est très difficile d'expliquer à
ceux qui n'ont jamais eu d'expérience semblable. En un instant, la
vivacité de l'existence s'accrut au centuple. Jamais une telle splendeur
n'avait éclairé la mer, le ciel et les arbres ; les maisons les plus
banales semblaient rayonner d'une beauté quasi mystiqueError!
Bookmark not defined.. Jamais je n'avais été aussi totalement à
mon aise, jamais je n'avais eu l'esprit aussi clair, ni éprouvé un tel
sentiment de puissance divine, d'inexprimable liberté! Les mots ne
peuvent décrire une sensationError! Bookmark not defined. aussi
exquise. Cela ne dura que quelques instants, puis je m'éveillai.[134]

Là encore, si nous nous en tenons au récit lui-même, la conscience de rêver n'apparaît


en rien comme paranormale. L'intérêt que Fox manifeste pour ses rêves lucides se révèle
tout aussi psychologique que celui des autres auteurs. « Je fus extrêmement stimulé par
cette expérience. Ainsi, en observant quelque incongruError! Bookmark not defined.ité ou
quelque anachronisme dans le rêve, on pouvait acquérir la conscience de rêver! Le
changement de qualité qui suivit et le fait que le rêve ne cessait pas immédiatement
plaçaient ma découverte dans une toute autre catégorie que la méthode permettant
d'échapper aux cauchemars […]. De plus, cela me conduisait à me poser une question
passionnante : Était-il possible, par un acte de volonté, de prolonger un rêve de ce genre ?
Je me voyais déjà, libre comme l'air, bien assuré dans la conscience de ma condition réelle,
sachant que je pourrais toujours me réveiller s'il se présentait un danger, allant, semblable à
quelque petit dieu, par les merveilleux paysages du Monde Onirique. C'est ce nouveau type
de rêve que j'ai nommé "Rêve de Connaissance", car on y possède bien la connaissance du
fait que l'on rêve »[135].

Les préoccupations de Fox ne diffèrent donc pas de celles de ses prédécesseurs, et


comme Jean Paul ou van Eeden il donne un nom aux rêves dans lesquels il est conscient de
rêver. Il en dégage des caractéristiques qui sont les mêmes que celles mises en avant par
Hervey de Saint-Denys et van Eeden (« Pour obtenir les meilleurs résultats possibles, il fallait
que, comme dans la veille ordinaire, la vie passée de mon moi terrestre me soit entièrement
connue, que je sache mon corps endormi dans mon lit, que je sois capable d'apprécier
l'accroissement de mes pouvoirs dans cet état apparemment désincarné »[136]), se rend
compte que sa lucidité est susceptible de degrés et développe même une brève description
de l'éveil de la faculté critique en rêve qui deviendra classique dans la littérature. Où se situe
alors l'aspect paranormalError! Bookmark not defined. ? Deux points sont à considérer.

Tout d'abord il est le résultat de l'adoption d'un système de croyance occultiste. Ayant
été en contact avec la théosophie[137], il en trouve le vocabulaire commode pour décrire ses
expériences. Il fait toutefois remarquer qu'il n'en adopte pas la doctrine : « Bien que, de
cœur, je sois plutôt un mystiqueError! Bookmark not defined., je m'efforcerai d'écrire ce
livre davantage dans les termes de la recherche psychique. Je me servirai aussi rarement que
possible des expressions théosophiques et jamais dans un esprit dogmatique. Parfois,
cependant, la terminologie théosophique pourra se révéler utile, car elle a l'avantage d'être
largement connue » [138].

Cependant, si cette dernière affirmation vaut sans doute pour le public auquel
s'adressaient ses articles et le livre qu'il en a tiré[139], pour nous le vocabulaire utilisé est
souvent beaucoup plus énigmatique qu'informatif. Ainsi au sujet du rêve que nous venons de
citer il écrit : « Comme je devais l'apprendre par la suite, mon contrôle mental se trouvait
submergé par mes émotions, de sorte que le corps revendiquait ses droits et me rappelait à
lui de façon exaspérante. Bien que je ne m'en rendisse pas compte à l'époque , je crois
que cette première expérience était bien une projection véritable, et que je fonctionnais hors
de mon véhicule physique »[140].

C'est donc a posteriori qu'il interprète son rêve comme un phénomène


paranormalError! Bookmark not defined., en y voyant une "projection astralError!
Bookmark not defined.e consciente", c'est-à-dire une sortie de sa conscience hors de son
corps physique, mais dans un corps astralError! Bookmark not defined.. Rien cependant
dans le rêve ne permet une telle interprétation qui se révèle alors dogmatique - malgré ses
déclarations d'absence de dogmatisme. En fait sa connaissance des doctrines théosophiques
a constitué une limite sérieuse à ses expériences oniriques lucides qui sont colorées par ces
théories, et à plus forte raison celles qui présentent des ressemblances avec la doctrine des
véhicules éthériques et astraux : « Enfin, pour résumer, je m'aperçus que, dans ces Rêves de
Connaissance, de nouveaux moyens de locomotion m'étaient permis. J'étais capable de
glisser à la surface du sol à grande vitesse, passant à travers des murs ou autres objets
ayant toutes les apparences de la solidError! Bookmark not defined.ité, ou bien je pouvais
m'élever, par lévitation, à une hauteur d'environ trois mètres et me mettre alors à glisser en
avant […]. Je pouvais également exécuter à volonté de curieux petits tours, comme de
déplacer des objets sans contact visible ou modeler la matière pour lui donner de nouvelles
formes, mais lors de ces premières expériences, je ne pouvais demeurer hors de mon
corps qu'un temps très court et les moments où cette conscience de rêve m'était
accessible étaient séparés par des intervalles de plusieurs semaines »[141].

La différence avec van Eeden est très nette : alors que ce dernier aborde le rêve
uniquement selon sa dimension vécue et décrit par exemple le corps de rêve d'un point de
vue conscientiel, Fox voit dans le corps de rêve un corps réel, le corps astralError!
Bookmark not defined., se déplaçant dans un monde réel, le monde astralError!
Bookmark not defined.. Il ne considère donc pas le rêve lucide comme une possibilité
d'expérimenter les facultés intellectuelles ou de s'interroger sur la conscience, mais comme
l'exploration d'un autre monde. Le type d'expérience qu'il poursuit grâce à la lucidité va
d'ailleurs, avant même toute connaissance de la théosophie, dans cette direction.

On se rend compte alors, et c'est là le deuxième point à prendre en considération, que


ce n'est pas le rêve lucide qui est paranormalError! Bookmark not defined., mais le rêve
proprement dit, la lucidité n'étant que l'occasion de son exploration consciente. D'ailleurs le
rêve lucide disparaît des préoccupations de Fox lorsqu'il se rend compte qu'il peut "se
projeter" sans passer par lui.

Un après-midi, étant allongé sur le sofa, les yeux clos, je


m'aperçus que je pouvais voir clairement le dessin qui se trouvait sur
le dossier du siège. Cela me fit comprendre que j'étais dans l'état de
transeError! Bookmark not defined.. Volontairement, je décidai de
sortir de mon corps, et, par une transition très brusque, me trouvai
subitement dans une belle étendue de campagne que je ne
connaissais pas. J'y marchai quelque temps, dans un territoire à la
fois sauvage et charmant, sous un ciel bleu où flottaient des nuages
floconneux. Trop vite, à mon gré, le corps me rappela à lui ; sur le
chemin du retour, je me souviens parfaitement d'avoir, dans une rue
inconnue, traversé de part en part un cheval attelé à sa carriole.[142]

Commentant cette expérience Fox remarque : « Cela démontrait que le Rêve de


Connaissance, dont il m'avait semblé, jusque là, qu'il était le préalable obligatoire de toute
projection, n'était, en fait, pas du tout nécessaire. En effet, lorsque j'avais remarqué que je
pouvais voir à travers mes paupières, je n'étais pas endormi, mais seulement dans un état de
somnolence »[143].

Si nous tenons compte de ce que le rêve est déjà pour Fox une projection hors du
corps, ce commentaire peut nous paraître obscur ; il veut dire qu'il n'est plus guère
nécessaire de se rendre compte en rêve que l'on rêve pour être projeté, mais que cela peut
se faire à partir de l'état de veille. En réalité cet état de veille, il le décrit lui-même comme
une somnolence qui peut être ramenée à un endormissementError! Bookmark not defined.
conscient. Cela souligne l'importance qu'il accorde à la conscience qu'il a de l'expérience car,
dans l'état de sommeil, la projection est pour lui obligatoire mais elle ne devient expérience
que si elle se fait consciemment.

Cependant si l'interprétation que Fox donne de ses rêves lucides est limitée par le
système de croyances qu'il a adopté, ses expériences en elles-mêmes n'en sont pas moins
pleines d'intérêt pour nous, sans doute pour cette raison. Croyant en effet qu'il se projetait
hors de son corps réellement, il a provoqué et observé avec soin de tels rêves, ce qui l'a
amené à nous donner des descriptions assez complètes sur ce type de rêves particulier.
D'une certaine façon on peut considérer que Fox s'est spécialisé sans le savoir dans la
description minutieuse d'une facette de l'expérience du rêve lucide, le rêve de sortie hors du
corps, ce qui l'a amené à s'intéresser aux rêves avec lesquels ces derniers sont directement
en rapport, le rêve de paralysieError! Bookmark not defined. et le rêve de faux-éveil.

Tous les rêveurs lucides qui se sont intéressés à l'occultisme n'ont pas pour autant
toujours tiré des conclusions aussi peu rigoureuses de leurs expériences. Certains comme P.
D. Ouspensky, disciple de Gurdjieff et très averti des doctrines occultistes, n'ont en aucune
façon assimilé le rêve lucide à un voyage astralError! Bookmark not defined.. A l'inverse
de Fox qui n'entreprend l'exploration du rêve lucide qu'après en avoir constaté l'émergence
dans sa vie nocturne, Ouspensky, comme Hervey de Saint-Denys, sans aucune connaissance
de la littérature qui l'a précédé sur le terrain, pose l'hypothèse de la lucidité et tente de la
vérifier : « Je voulais vérifier une idée assez fantastique, qui m'était venue au temps où
j'étais à peine sorti de l'enfance : N'était-il pas possible de conserver sa conscience
dans les rêves, c'est-à-dire de savoir, en rêvant, que l'on était endormi et de penser
consciemment comme on le fait à l'état de veille ? »[144].

L'expérimentation lui permet de vérifier cette hypothèse et d'observer ainsi ses rêves
d'une façon qui, d'après lui, ne la déforme pas : « mes tentatives de rester conscient dans le
sommeil produisirent, d'une manière qui, pour moi, fut tout inattendue, un nouveau mode
d'observation des rêves dont je n'avais jamais soupçonné l'existence. Elles suscitèrent un
état particulier que je nomme semi-onirique. Très vite, je fus convaincu que, sans l'aide d'un
tel état, il était tout à fait impossible d'observer un rêve sans le modifier »[145].

Parler "d' état semi-onirique" peut introduire une certaine confusion. Or, il est clair
que cela ne signifie pas qu'il rêve à moitié puisqu'il peut observer les rêves tels qu'ils sont.
Ouspensky est manifestement gêné par la langue dont le vocabulaire ne laisse pas de place à
une telle expérience, comme le montrent des phrases de ce genre : « Comme tout le monde,
j'étais habituellement soit endormi, soit éveillé, mais dans ces états semi-oniriques je peux
dire que je dormais et ne dormais pas tout à la fois »[146].

Sa caractérisation de cet état ne laisse cependant pas de place au doute : il s'agit bien
de la lucidité onirique. « En fait, dans ces états semi-oniriques, je faisais tous les rêves qui
me sont habituels avec la différence que j'en étais pleinement conscient ; je pouvais voir et
comprendre comment ces rêves étaient créés, de quoi ils étaient faits, quelle était leur
origine et, de façon générale, déterminer ce qui était cause, ou bien effet. De plus, j'étais en
mesure d'exercer sur les rêves un certain contrôle. Je pouvais les créer et voir, en principe,
ce que je désirError! Bookmark not defined.ais, bien que, sur ce dernier point, le succès
ne fut pas toujours total. La plupart du temps, je me bornais à donner la première impulsion
et les rêves se développaient ensuite selon leurs propres voies, me surprenant beaucoup,
parfois, par les tours étranges et inattendus qu'il leur arrivait de prendre »[147].

Les caractères de "l'état semi-onirique" sont donc bien dans l'ensemble les mêmes
que ceux données par Hervey de Saint-Denys, van Eeden, Delage, Arnold-Forster ou Fox :
conscience de rêver et contrôle (partiel) du rêve. Tout comme eux Ouspensky va plus loin
que la simple observation et cherche à expérimenter :

Je me souviens d'une fois où je me suis vu dans une grande


pièce sans fenêtres ; je n'y étais pas seul, car il y avait également là
un petit chaton noir. Je me suis dit : "Je rêve. comment savoir si, oui
ou non, je suis endormi ? Peut-être pourrai-je procéder ainsi : je
décide que ce petit chat noir va devenir un grand chien blanc. Une
telle chose est impossible dans la vie éveillée. Si cela se produit, c'est
que je dors." A peine ai-je pensé cela que le chaton noir se transforme
en chien blanc. Au même instant, le mur, devant moi, s'efface,
laissant paraître un paysage montagneux avec le ruban d'une rivière
fuyant au loin.

"Voilà qui est curieux", me dis-je. "Je n'ai pas commandé ce


paysage. D'où sort-il ?" Puis il me vient un vague souvenir de l'avoir
déjà vu quelque part et je crois aussi me rappeler qu'il est associé à
l'idée d'un chien blanc. Mais je crains, si je pénètre dans le paysage,
d'oublier le plus important, à savoir que je dors, que je suis conscient
de moi-même, que je me trouve enfin dans cet état, longtemps
souhaité, que je m'efforce d'atteindre. J'essaie de ne pas penser au
paysage, mais à ce moment, c'est comme si une force invisible me
tirait en arrière. Je m'envole, traversant rapidement le mur, derrière
moi, et continue ainsi en ligne droite, toujours à reculons, avec un
bruit terrible dans les oreilles. Soudain, tout s'arrête et je me
réveille.[148]

Contrairement à Fox, Ouspensky ne s'empresse pas de faire coller ses expériences à


la doctrine théosophique qu'il connaissait parfaitement[149] : « Ce vol à reculons et le bruit
qui l'accompagne sont décrits dans la littérature occulte qui leur attribue une signification
spéciale. En réalité, il n'y a pas là de sens particulier. Ces effets résultent probablement d'une
position inconfortable de la tête ou d'une légère perturbation de la circulation sanguine »[150].

Ouspensky se place sur un terrain résolument psychologique pour étudier les rêves.
Pour lui "l'état semi-onirique", bien qu'il lui confère un nom, ne désigne pas un type de rêve
particulier, mais offre une opportunité d'étudier tous les types de rêves : « Dans cet état
"semi-onirique" j'ai fini par percevoir tous les rêves que je fais habituellement. Peu à peu, le
répertoire entier y est passé. J'étais capable d'observer ces rêves en toute conscience, de voir
comment ils se formaient, comment s'effectuaient les passages d'un rêve à un autre et je
comprenais leurs mécanismes »[151].

Ouspensky partage aussi avec les autres expérimentateurs le sentiment que la


psychanalyseError! Bookmark not defined. ne peut favoriser une réelle étude des rêves.
Comme eux il n'a pas démarré ses expériences par une connaissance de la psychanalyse, et
comme eux il trouve que la théorie psychanalytique ne cadre pas avec ses observations :
« Quand j'ai commencé à m'intéresser aux rêves, la psychanalyse n'existait pas encore, ou,
tout au moins, elle était à peu près inconnue […]. Par la suite, j'ai acquis la conviction qu'il
n'y avait, dans cette discipline, aucun élément valable qui soit en rien susceptible de me faire
changer d'avis, toutes mes conclusions étant invariablement opposées à celles des
psychanalystes »[152].

Il est vrai, nous l'avons vu, que le rêve lucide ne peut théoriquement intéresser la
psychanalyse. Mais cela exclut-il un intérêt des spécialistes du rêve pour le fait de la lucidité,
comme tendrait à le faire penser l'unanimité anti-psychanalytique des témoignages
précédents ?

Il n'en est heureusement rien et quelques articles sur le rêve lucide paraissent dans
des revues de psychologie dès les années trente. Il faut cependant remarquer que ces
articles sont encore le fruit de témoignages personnels et ne cherchent pas à faire une étude
minutieuse de récits d'autres sujets. Ainsi même si le rêve lucide intéresse des psychologues,
il reste encore une curiosité pour eux et une impossibilité pour les collègues que ces
psychologues s'efforcent de convaincre. L'un d'eux, Alward Embury Brown, publie en 1936
dans le Journal of Abnormal Psychology un article intitulé : "Dreams in Which the
Dreamer Knows he is Asleep", basé sur près d'une centaine d'expériences personnelles.
D'après S. LaBerge « Brown était principalement soucieux de contrecarrer la position prise
par quelques sceptiques parmi ses collègues psychologues pour qui le rêve lucide n'était rien
d'autre que de la "rêverie"Error! Bookmark not defined.. En tout cas, Brown démontra à
plusieurs reprises la différence entre les deux états, par la rêverie (l'imaginationError!
Bookmark not defined.) pratiquée en rêve lucide. Il introduisit aussi un critère de valeur,
largement utilisé par la suite, pour reconnaître si l'on est ou non en train de rêver : sauter en
l'air et tester la sensationError! Bookmark not defined. de pesanteur »[153]. Un autre
article, rédigé par Harold von Moers-Messmer, paraît en 1938[154]. Vingt rêves lucides
survenus dans les quatre années précédentes y sont rapportés et commentés. Il s'y livre à
des séries d'expérimentations, cherchant à modifier le décor du rêve par la force de sa
volonté ou à en examiner les caractéristiques, par exemple en se demandant si les
personnages oniriques peuvent parler. Un troisième article intitulé "Pleasant Dreams!" signé
par un psychiatre Américain, Nathan Rapport, paraît en 1948 dans Psychiatric Quarterly
dans lequel il déclare que « c'est en ces rares occasions où l'on est conscient de rêver que
l'on peut le mieux étudier la nature du rêve »[155].

Bien que placés dans un contexte proprement psychologique, ces articles n'eurent
aucun impact pour le renouveau de l'étude du rêve lucide dans les années soixante. Ils sont
passés complètement inaperçus et contrairement aux travaux de non psychologues tels
qu'Hervey de Saint-Denys, van Eeden, Delage, Arnold-Forster, Ouspensky ou Fox qui sont
présents dès la compilation de Celia Green sur le sujet, ils n'ont été retrouvés que
tardivement. C'est dire à quel point le conceptError! Bookmark not defined. de rêve lucide
était difficile à saisir, d'une part parce que la conscience de son état est associée à l'éveil et
d'autre part parce que la structure de la langue ne laisse aucune place pour une telle notion.
Ainsi c'est seulement dans des témoignages que le rêve lucide émerge, et le plus souvent en
dehors du terrain psychologique au sens strict. La pluralité et la diversité de ces récits, même
raisonnés, même réfléchis, ne suffit pas à cristalliser un intérêt plus large. Il faudra attendre
la fin des années soixante pour que soit donnée l'impulsion qui a entraîné le développement
de la recherche actuelle.

§3. DE NOUVELLES DIRECTIONS DE RECHERCHE A PARTIR DE 1968


A la fin des années soixante cette situation se modifie. Des chercheurs se prennent
d'un intérêt réel et approfondi pour le rêve lucide dont l'étude se développe au cours des
décennies suivantes dans diverses directions : psychologique, neurophysiologique,
thérapeutique… Étant donné que le concept en était précédemment non seulement difficile à
admettre mais même à saisir par ceux qui n'avaient pas eu l'expérience du rêve lucide, ce
tournant a de quoi étonner. En fait il est probablement dû à un malentendu sur la nature du
phénomène. En effet dans les années soixante se développe un courant de recherche qui
s'intéresse aux états modifiés de conscience d'abord provoqués par des drogues ou les
pratiques de type yogique. En raison de sa rareté et de son contexte (notamment celui de la
projection astrale) certains chercheurs incluent le rêve lucide dans leur recherche. Il acquiert
ainsi une certaine reconnaissance qui lui vaut d'être couramment mentionné dans la
littérature sur le rêve pour le grand public et finit ainsi par attirer l'attention de chercheurs
plus spécialisés qui parviennent à prouver son existence et à montrer son utilité pour la
recherche sur le sommeil et le rêve.

L'impulsion est donc venue d'une recherche de type "parapsychologique", que ce soit
en Angleterre ou aux États-Unis. En Angleterre, Celia Green, qui dirige à Oxford l'Institut de
Recherche Psychophysique, publie en 1968 un livre qui a pour titre : Lucid Dreams. C'est le
premier ouvrage sur la question qui ne soit pas consacré au témoignage personnel de l'auteur
mais à une analyse des récits de différents rêveurs lucides, incluant certains de ceux que
nous avons déjà cités ainsi que des cas inédits. Le livre aborde une série de questions
thématiques concernant le rêve lucide (le déclenchement de la lucidité, les rêves de vol, le
réalisme physique et psychologique, la mémoire, les faux-éveils… pour en citer quelques uns)
et dans chaque cas donne plusieurs exemples suivis d'un commentaire. Cependant, si le rêve
lucide y est abordé de façon psychologique, l'intérêt qui lui est primitivement porté est de
type parapsychologique : certains chapitres mettent le rêve lucide en rapport avec
l'expérience hors du corps, la perception extra-sensorielle et l'hypnose. Dans un tel contexte
le rêve lucide pouvait difficilement intéresser les psychologues et le travail de Celia
Green, malgré la rigueur de sa présentation, n'a pas connu une grande diffusion.

En revanche, aux États-Unis, le livre publié sous la direction de Charles Tart, Altered
States of Consciousness, qui paraît en 1969, connaît un succès beaucoup plus large. Il
n'est pas entièrement consacré au rêve lucide, comme l'ouvrage de Celia Green, ni même
simplement au rêve, mais inclut, à côté de sections sur l'état hypnagogique, la méditation,
l'hypnose, les drogues psychédéliques et la psychophysiologie des états modifiés de
conscience, une section sur la conscience dans le rêve qui comprend notamment une
réédition abrégée de l'article de van Eeden et un article de Kilton Stewart déjà paru dans les
années trente sur les Sénoïs, une peuplade de Malaisie dont les membres sont censés
contrôler consciemment leurs rêves. L'inclusion du rêve lucide dans cet ensemble de thèmes
qui suscitait alors un large intérêt a certainement contribué à attirer l'attention sur lui.
D'après Stephen LaBerge ce livre eut une influence importante sur une génération de jeunes
chercheurs : « Il est certain qu'il influença de nombreux jeunes scientifiques attirés par le
vaste potentiel de recherche qu'offraient les états modifiés de conscience. Je fus sans aucun
doute l'un d'entre eux, et comment aurais-je pu ne pas remarquer les mots par lesquels
Tart introduisit son ouvrage : " Toutes les fois que j'aborde le sujet du rêve ", écrit-il, " je
mentionne un type de rêves très exceptionnel, le rêve "lucide", au cours duquel le rêveur sait
qu'il rêve et se sent pleinement conscient à l'intérieur même du rêve ". Outre une brève
présentation du sujet et un témoignage sur ses propres rêves lucides, Tart reproduisait
l'article classique de van Eeden, A Study of Dreams (Une étude des rêves). Il rendit ainsi un
précieux service à toute une génération de futurs rêveurs lucides en mettant cet ouvrage à
leur disposition et amena de nombreux lecteurs (y compris moi-même) à découvrir pour la
première fois le rêve lucide, qu'il s'agisse du terme ou du concept »[156]. Cependant si le livre
de Charles Tart a en quelque sorte ouvert des perspectives à la recherche en donnant à des
articles scientifiques sur des domaines peu explorés une large diffusion, l'intérêt pour le rêve
lucide n'aurait sans doute pas dépassé le stade de la simple constatation si, dans les années
soixante-dix, des ouvrages plus accessibles à un grand public n'en avaient pas répandu le
concept, sur un mode parfois romancé.

Dans l'un de ces ouvrages paru en 1972, Le Voyage à Ixtlan de Carlos Castaneda, le
sorcier Don Juan apprend au narrateur une technique pour acquérir du pouvoir par le rêve. Il
oppose les rêves ordinaires et les rêves réels : « Rêver est réel pour le guerrier parce qu'il
peut y agir de manière délibérée. Il peut choisir et rejeter. […] Puis il peut les manipuler, les
utiliser. Dans un rêve ordinaire il ne peut pas agir de manière délibérée »[157]. La
qualification de réalité du rêve par rapport au rêveur est caractéristique de la lucidité
onirique. Mais ce n'est pas tant cette présentation d'un type particulier de rêves que la
technique que donne Don Juan à Castaneda pour « élaborer le rêve »[158] , c'est-à-dire
« avoir un contrôle précis et pragmatique sur la situation générale d'un rêve »[159], qui joue
un rôle dans la diffusion du rêve lucide. Cette technique simple qui consiste à chercher ses
mains en rêve s'est révélée efficace pour nombre de curieux et de professionnels[160]. Il est
certain que le fait que Castaneda ait présenté ses livres comme la relation de situations
réellement vécues a contribué à répandre une technique efficace. Il est également certain
que le succès de ses livres a incité les spécialistes qui écrivent pour un grand public à
ménager une place au rêve lucide.

Ces livres sur le rêve, destinés à un public désireux de comprendre ses rêves à l'aide
de techniques d'analyse accessibles à des non spécialistes, adoptent vis-à-vis du rêve lucide
des attitudes assez différentes. Dans certains ouvrages, comme celui de Ann Faraday,
Dream Power, paru en 1972, le rêve lucide est considéré comme un achèvement possible
dans une vie onirique mais non comme un outil nécessaire de travail sur ses rêves. Dans
d'autres comme celui de Patricia Garfield, Creative Dreaming, paru en 1974, il est un but à
atteindre auquel tout le travail sur le rêve ne fait que préparer. Dans d'autres encore, comme
dans Les Maîtres-Rêveurs de Corriere et Hart, paru en 1977, la conscience de rêver est une
sorte de percée à effectuer pour rêver de façon nouvelle et puissante, ce n'est donc ni une
curiosité, ni un but, mais une condition de départ. Mais aucun de ces ouvrages ne quitte le
terrain de la thérapie pour s'engager dans une voie d'exploration.

Pour cela il faut attendre la parution en 1976 d'un petit livre de Gregory Scott
Sparrow entièrement consacré au rêve lucide : Lucid dreaming, dawning of the clear
light. Ce livre est important à plusieurs égards. D'abord c'est le deuxième ouvrage, après
celui de Celia Green, entièrement consacré au rêve lucide. (En effet même si on considère
que les ouvrages de Fox ou de Muldoon traitent en fait, sous le nom de projection astrale,
exclusivement du rêve lucide, il n'en reste pas moins que leurs auteurs limitaient leurs
expériences en la réduisant à un type de rêve très particulier.) Le livre de Sparrow diffère
cependant de celui de Green - qui est une collection de cas décrits, cités et classés, à la
manière des parapsychologues -, par sa tentative d'élaborer une réelle réflexion
psychologique. S'appuyant sur ses expériences et celles de quelques amis, il analyse le rêve
lucide comme un processus onirique d'évolution de la conscience analogue à l'émergence de
la conscience de soi à l'état de veille ; il tente aussi la première explication des expériences
oniriques hors du corps qui soit cohérente avec une analyse d'ensemble. Les quelques
indications qu'il donne pour le développement de la lucidité seront souvent implicitement
reprises dans les travaux suivants. Destiné à un public restreint, ce livre n'a pas connu une
grande diffusion mais il est bien connu de tous ceux qui ont abordé le rêve lucide par des
voies spécialisées, et surtout il a aidé le rêve lucide à sortir du ghetto de la parapsychologie.

A partir du moment où la notion de rêve lucide et les récits d'expériences oniriques se


répandent dans le public, divers spécialistes du rêve, principalement les neurophysiologises
(étudiant le sommeil et le rêve en laboratoire) et les psychothérapeutes (analysant les rêves
de leurs patients) se penchent sur le phénomène. Cependant la notion même se heurte à la
fois à des attitudes philosophiques bien ancrées concernant la nature du rêve et aussi à des
incompatibilités théoriques pour les disciplines concernées, au moins au premier abord. De
plus l'examen du phénomène suppose de chercher des sujets rêveurs lucides, plutôt que de
se contenter des volontaires ou des patients habituels. Les premiers articles scientifiques
reprennent, sans doute spontanément, l'argument d'Ellis en considérant qu'il s'agissait en fait
d'éveil partiel ou de micro-éveil suivi de rendormissement immédiat. D'autres chercheurs,
plus ouverts à l'étude du phénomène, manquent de sujets rêveurs lucides. Il faut attendre les
expériences de Keith Hearne en 1978 et de LaBerge en 1980 pour que soit prouvé en
laboratoire la réalité du rêve lucide comme phénomène du sommeil paradoxal. De leur côté
les psychologues n'ont guère besoin de la preuve que le rêve lucide est réellement un
phénomène du sommeil pour commencer à l'investir "de l'intérieur". En effet du point de vue
du sujet l'oniricité du rêve lucide ne fait aucun doute puisqu'il se situe en dehors de toute
perception consciente de l'environnement de l'état de veille. Ainsi en 1978 Jayne
Gackenbach analyse la personnalité des rêveurs lucides et évalue les aspect affectifs,
cognitifs et perceptifs des rêves lucides et non lucides de quatre-vingt dix sujets[161] et en
1979 Judith Malamud étudie en profondeur sur six sujets les effets d'une méthode
d'entraînement à la lucidité en rêve éveillé destinée notamment à développer le rêve
lucide[162]. La multiplication des recherches entraîne en 1981 la création d'un bulletin
d'informations destiné aux spécialistes, Lucidity Letter, qui prend rapidement la taille d'une
revue. Par son entremise les chercheurs anglo-saxons prennent conscience que l'étude du
rêve lucide s'est développée dans des pays non anglophones (notamment en Allemagne
depuis 1959 avec Paul Tholey) et que ses orientations sont multiples : expérimentale,
clinique, historique, ethnologique, culturelle, orientaliste, religieuse ou même en rapport avec
des états modifiés de conscience. Ainsi le rêve lucide se révèle n'appartenir à aucun terrain
privilégié et intéresser des spécialistes différents et dont les points de vue divergent parfois
de façon remarquable. On peut pressentir la nature de ces divergences simplement en
prenant connaissance de l'énoncé de ces domaines de recherches, mais la plus fondamentale
pour nous est celle qui touche la nature même du phénomène. Les chercheurs ont-ils réussi à
se mettre d'accord sur le phénomène qu'ils étudient sous le nom de "rêve lucide" ?
[163] On peut consulter à ce sujet Les songes et leur interprétation dans la collection "Sources

orientales" au Seuil, Paris, 1959.

[1]
Jean Paul, Choix de rêves, Fourcade, Paris, 1931, pp. 38-39. Traduit de l'allemand par Albert Beguin.

Souligné par nous.


[2]
Jean Paul, Choix de rêves, Fourcade, Paris, 1931, pp. 38-39. Traduit de l'allemand par Albert Beguin.

Souligné par nous.


[3]
Ibid., pp. 38-39.
[4]
D'après A. Béguin "Jean Paul et le Rêve" dans : Jean Paul, Choix de rêves, op. cit., pp. 18-29.
[5]
Souligné par nous.
[6]
Ibid. pp. 29-30. Le dernier segment de phrase est souligné par l'auteur, A. Béguin.
[7]
Steffens, cité par A. Béguin dans : l'Ame romantique et le Rêve, Librairie José Corti, Paris, 1939,

p. 83.
[8]
A. Béguin "Jean Paul et le Rêve" dans : Jean Paul, Choix de rêves, op. cit., p. 30.
[9]
Nietzsche, Naissance de la Tragédie, Folio, Paris, 1991, p. 29. Cette façon de tenir le rêve lucide pour

acquis dans une argumentation se retrouve p. 38.


[10]
La littérature, peu informée sur ses origines exactes, le désigne habituellement sous le nom de

"Hervey de Saint-Denys". Plus précisément il s'agit de Marie-Jean-Léon Lecoq, baron d'Hervey,

marquis de Saint-Denys (1822-1892).


[11]
Bien qu'Hervey de Saint-Denys ait été commissaire général à l'exposition universelle de Paris de

1867, professeur au Collège de France, président de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres et ait

cumulé un certain nombre d'autres titres, il serait complètement tombé dans l'oubli aujourd'hui sans

son livre sur les rêves. L'éditeur Tchou a eu de grandes difficultés à établir sa biographie en 1964.
[12]
La littérature, peu informée sur ses origines exactes, le désigne habituellement sous le nom de

"Hervey de Saint-Denys". Plus précisément il s'agit de Marie-Jean-Léon Lecoq, baron d'Hervey,

marquis de Saint-Denys (1822-1892).


[13]
Bien qu'Hervey de Saint-Denys ait été commissaire général à l'exposition universelle de Paris de

1867, professeur au Collège de France, président de l'Académie des Inscriptions et Belles Lettres et ait

cumulé un certain nombre d'autres titres, il serait complètement tombé dans l'oubli aujourd'hui sans

son livre sur les rêves. L'éditeur Tchou a eu de grandes difficultés à établir sa biographie en 1964.
[14]
Hervey de Saint-Denys, Les Rêves et les moyens de les diriger, Tchou, Paris, 1964, pp. 58-59.
[15]
Ibid., p. 59.
[16]
Ibid.
[17]
Ibid., p. 60. Souligné par nous.
[18]
Ibid., p. 59. Souligné par nous.
[19]
Ibid., p. 69.
[20]
Ibid.
[21]
Ibid.
[22]
Ibid. p. 221.
[23]
Ibid. p.196. Souligné par l'auteur. A strictement parler, cette observation de Lemoine n'a pas de

sens, car le rêveur fait preuve en rêve d'un certain type de conscience. Néanmoins il faut entendre ici

conscience dans le sens d'une conscience de soi qui garderait le souvenir de la vie de veille.
[24]
Ibid., p. 196.
[25]
Ibid. Le premier segment de phrase souligné l'est par nous.
[26]
Ibid., p. 197.
[27]
Ibid., p. 196.
[28]
Ibid., p. 60.
[29]
Ibid., p. 202.
[30]
Ibid., p. 60.
[31]
Ibid., p. 202.
[32]
Ibid., p. 140.
[33]
Ibid., p. 230. Les deux derniers mots sont soulignés par nous.
[34]
Ibid., p 232. Souligné par nous.
[35]
Ibid., p. 57.
[36]
Ibid., p. 219.
[37]
Ibid., p. 223.
[38]
Ibid., p. 237.
[39]
Ibid., p. 62. Souligné par nous.
[40]
Ibid., p. 73.
[41]
Ibid., p. 74.
[42]
Ibid., p. 77.
[43]
Ibid., p. 342.
[44]
Ibid.
[45]
Ibid.
[46]
Ibid., p. 229. Souligné par nous.
[47]
Ibid., pp. 275-276.
[48]
Ibid., p.249.
[49]
Ibid., pp. 240-241.
[50]
Voir à ce sujet : Betty Schwartz, "Ce qu'on a dû savoir, cru savoir, pu savoir sur la vie du marquis

d'Hervey de Saint-Denys", Oniros n°37/38, 2 & 3 ème tr. 1992, pp. 4-8.
[51]
J. Delboeuf, Le Sommeil et les Rêves considérés principalement dans leurs rapports avec les

théories de la certitude et de la mémoire, Félix Alcan, Paris, 1885, p.V.


[52]
Ibid., pp. 107-110. Souligné par nous.
[53]
Ibid., pp. 107.
[54]
Ibid., pp. 110-111. Souligné par nous.
[55]
Ibid., p. 224. Souligné par nous.
[56]
Ibid. Souligné par nous.
[57]
Ibid., p. 241. Souligné par nous.
[58]
Ibid., p. 240.
[59]
Pierre Pachet, Nuits étroitement surveillées, Gallimard, Paris, 1980, p. 103.
[60]
Delboeuf, op. cit., p. 23. Souligné par nous.
[61]
Frederic W. H. Myers, "Automatic Writing-3", Proceedings of the Society for Psychical Research 4,

part II (1887), pp. 241-42. Cité par S. LaBerge, Le Rêve lucide, Le pouvoir de l'éveil et de la

conscience dans vos rêves, Oniros, Ile Saint-Denis, 1991, p. 42.


[62]
"Paltry commonplaceness".
[63]
L.-F. Alfred Maury, Le Sommeil et les Rêves, Etudes psychologiques, Didier et Cie, Paris, 1878, pp.

19-20.
[64]
Ibid., p. 20-21.
[65]
Ibid., p. 20-21.
[66]
Ibid., p. 26. Souligné par nous.
[67]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., pp. 371-372. Nous avons souligné un fragment de la dernière

phrase.
[68]
Hervey de Saint-Denys fait référence à une édition du livre de Maury antérieure à la sortie du sien.

Maury ne semble avoir pas lu ce passage car il n'en tient pas compte.
[69]
Il se peut cependant que Bergson, même s'il mentionne cet ouvrage, ne l'ait simplement pas lu.
[70]
Maury, op. cit., p. 17.
[71]
Ibid., pp. 166-167.
[72]
Ibid., p. 135. Souligné par nous.
[73]
Havelock Ellis, Le Monde des Rêves, Mercure de France, Paris, 1913, pp. 86-87.
[74]
Ibid., note en bas des pp. 87-88.
[75]
Ibid., p. 5.
[76]
Ibid., p. 8.
[77]
L'interprétation des rêves de Freud paraît en 1899, mais porte la date de 1900 (d'après Ann

Faraday, Dream Power, Berkley Book, New York, 1980, p. 73). Ce livre a connu de nombreuses

rééditions avec des augmentations de texte. Donc autant par sa rédaction que par son influence il

appartient à la première moitié du 20ème siècle.


[78]
Maury, op. cit., p. 2.
[79]
Sigmund Freud, L'Interprétation des Rêves, Presses Universitaires de France, Paris, 1980, p. 205.
[80]
Ibid., p. 486. Souligné par nous. D'après S. LaBerge ce passage date de l'édition de 1909.
[81]
Ibid., p. 486. L'hypothèse, vraisemblable, qu'il s'agit de Freud, est de LaBerge.
[82]
Ibid., p. 291.
[83]
Ibid., p. 205. Souligné par l'auteur.
[84]
Ibid., p. 291. Souligné par l'auteur.
[85]
Ibid., pp. 416-417.
[86]
Ibid., p. 486. Souligné par l'auteur.
[87]
Ibid., p. 486.
[88]
Ibid., p. 486.
[89]
Il précise dans cette lettre que « My "Interpretation of Dreams" is not based on dreams by

neurotics, but largely on my own dreams ». p. 22.


[90]
« The assertion that one does not judge or appraise in a dream, nor speak, cannot contradict your

experiences, for it is derived from the distinction between manifest and latent dreamthoughts - which

is a fundamental one - yet one which is so rarely being taken seriously. Analysis shows, that all

thought, judgment and suchlike stem from the latent dreamthoughts in which, of course, our entire

psychic activity is reflected. One must not, however, confuse the dream with the latent dreamthoughts

[…]. The dream is, correctly perceived, the result of dream-work, a process that converts the latent

thoughts into the manifest content. This dreamwork does not know judging, apparaising, dialogue-

forming and suchlike. Wherever something like this occurs in a dream it has been taken over from the

dreamthought either dark or distorted, and reshaped.

« Read again the relevant examples of my dreams in which manifest content as well as judgements

and suchlike may appear just as in yours (Section Dreamwork). There is thus no contradiction

between our experiences, but a misunderstanding, which is based on the fact that you neither

accepted nor applied the premise, in every dream interpretation, of the distinction between manifest

and latent dream content ». Lettre de Freud à van Eeden du 1er mars 1914 rapportée dans : Bob

Rooksby and Sybe Terwee, "Freud, van Eeden and Lucid Dreaming", Lucidity Letter 9 (2) , 1990,

pp. 18-28.
[91]
Ce n'est qu'une hypothèse : « van Eeden's essay, "A Study Of Dreams," did appear in the

bibliography of the fourth German edition of Freud's The Interpretation of Dreams (1914). However, it

appears that Otto Rank was responsible for bibliographical additions from the second to the eighth

additions, so there can be no guarantee that Freud had read this paper, or that he even knew of it ».

Bob Rooksby and Sybe Terwee, Ibid. Notons cependant que la date de la réponse de Freud rend cette

hypothèse très plausible.


[92]
« For Freud the real 'psychic activity' […] occurs at the level of the unconscious and anything that

ends up in the conscious mind in the form of a dream is only the product of the dreamwork and a

symbolic expression of something else. On a practical level, this meant that it was not so important

how a person experienced the manifest dream, but rather what the symbolic content of a dream

actually related to in the unconscious […] . This distinction between the two parts of an individual's

psyche is applied by Freud to the difference and function of the person's conscious awareness of the

dream (as suggested in the lucidity concept). The relative importance of the conscious and
unconscious parallels his view of the latent dream contents and manifest dream. The conscious mind

is the "smaller" and less important of the two, yet we mistakenly believe that it is more important

because it is the bit we have direct access too.

« Now as far as the general idea of lucidity in dreams goes, Freud indicates in the letter that he is

basically happy with it. "The assertion that one does not judge nor appraise in a dream, nor speak,

cannot contradict your experiences…" Where he takes issue is in the interpretation of this activity and

the importance that may be attached to it. Since, according to Freud, the conscious mind is the less
important part of a person's total psychological activity (the bulk of which lies in constant flux in the

unconscious) it is of little real importance how dreams are experienced - especially so in the context of

the therapeutic process ». Bob Rooksby and Sybe Terwee, Ibid .


[93]
« it is Freud's devaluing of the manifest dream […] that naturally led him to "devalue" the idea of

lucid dreaming. Lucid dreaming posed no threat to his major thesis. He probably felt that he had

already given it enough attention […]. One can't help but speculate about what might have occured

had Freud accepted van Eeden "lucid" term and the idea he was suggesting, but he didn't, so "lucid

dreaming" did not attract the attention of other psychoanalysts and did not become a topic of

discussion earlier this century. » Ibid .


[94]
Van Eeden ne s'est en effet pas intéressé à la psychanalyse avant 1913, et seulement pour une

durée très brève.


[95]
Dr. Frederik van Eeden, "A Study of Dreams", Proceedings of the Society for Psychical Research,

vol. 26, 1913, pp. 431-461.


[96]
« Since 1896 I have studied my own dreams, writing down the most interesting in my diary. In

1898 I began to keep a separate account for a particular kind of dream which seemed to me the most

important, and I have continued it up to this day. Altogether I collected about 500 dreams, of which

352 are of the particular kind just mentioned. This material form the basis of what I hope may become

a scientific structure of some value, if leisure and strength to build it up carefully do not fail

me ». Ibid., pp. 431-432. Souligné par nous.


[97]
« I obtained my first glimpse of this lucidity during sleep in June, 1897, in the following way. I

dreamt that I was floating through a landscape with bare trees, knowing that it was April, and I

remarked that the perspective of the branches and twigs changed quite naturally. Then I made the

reflection, during sleep, that my fancy would never be able to invent or to make an image as intricate

as the perspective movement of little twigs seen in floating by ». Ibid., p. 446.


[98]
« There are of course intermediate forms and combinations, but the separate types can still be

recognized in their intermingling ». Van Eeden, Ibid., p. 435.


[99]
« I know of only half-a-dozen instances occuring to myself, and have found no clear indication of

them in other authors », Ibid.


[100]
« It occurs only in the very beginning of sleep, when the body is in normal healthy condition, but

very tired. Then the transition from waking to sleep takes place with hardly a moment of what is

generally called unconsciousness, but what I would prefer to call discontinuity of memory ». Ibid.
[101]
« It is not what Maury (1878) calls a hypnagogic hallucination, which phenomenon I know very

well from my own experience, but which I do not consider to belong to the world of dreams. In

hypnagogic hallucinations we have visions, but we have full bodily perception. In the initial dream type

(H), I see and feel as in any other dream. I have a nearly complete recollection of day life, I know that

I am asleep and where I am sleeping, but all perceptions of the physical body, inner and outer,

visceral or peripheral, are entirely absent. Usually I have the sensation of floating or flying, and I

observe with perfect clearness that the feeling of fatigue, the discomfort of bodily overstrain, has

vanished. I feel fresh and vigorous; I can move and float in all directions; yet I know that my body is

at the same time dead tired and fast asleep ». Ibid., pp. 435-438.
[102]
« We have the sensation of waking up in our ordinary sleeping-room and then we begin to realize

that there is something uncanny around us; we see inexplicable movements or hear strange noises,
and then we know that we are still asleep. In my first experience of this dream I was rather afraid and

wanted nervously to wake up really ». Ibid., p. 456.


[103]
« This wrong-waking up type is not to be confused with the dreams related on p.154, in which I

dreamt that I woke after a lucid dream and told that dream to some listener. Those dreams were of

the ordinary sort. There was nothing uncanny about them. Dreams of the wrong-waking up class are

undoubtedly demoniacal, uncanny, and very vivid and bright, with a sort of ominous sharpness and

clearness, a strong diabolical light ». Ibid.


[104]
« I know that Mr. Havelock Ellis and many other authors will not accept my definition, because

they deny the possibility of complete recollection and free volition in a dream. They would say that

what I call a dream is no dream, but a sort of trance, or hallucination, or ecstasy. The observations of

the Marquis d'Hervé, which were very much like mine, as related in his book, Les Rêves et les moyens

de les diriger, were discarded in the same way. These dreams could not be dreams, said Maury ».

Ibid., p. 440. Souligné par nous.


[105]
« Class (E), the type of dreams, which I called "lucid dreams", seems to me the most interesting

and worthy of the most careful observation and study. Of this type I experienced and wrote down 352

cases in the period between January 20, 1898, and December 26, 1912. In these dreams the

reintegration of the psychic functions is so complete that the sleeper remembers day-life and his own

condition, reaches a state of perfect awareness, and is able to direct his attention, and to attempt

different acts of free volition. Yet the sleep, as I am able confidently to state, is undisturbed, deep and

refreshing ». Ibid., p. 446.


[106]
« In March 1912, I had a very complicated dream, in which I dreamt that Theodore Roosevelt was

dead, then that I woke up and told the dream, saying : "I was not sure in my dream whether he was
really dead or still alive; now I know that he is really dead; but I was so struck by the news that I lost

my memory." And then came a false lucidity in which I said : "Now I know that I dream and where I

am." But this was all wrong; I had no idea of my real condition, and only slowly, after waking up, I

realized that it was all nonsense ». Ibid., p. 454. Souligné par l'auteur.
[107]
Ibid., p. 448. Cité dans P. Garfield, La Créativité onirique, du rêve ordinaire au rêve lucide, La

Table Ronde, Paris, 1983, pp. 146-147.


[108]
« In the night of January 19-20, I dreamt that I was lying in the garden before the windows of my

study, and saw the eyes of my dog through the glass pane. I was lying on my chest and observing the

dog very keenly. At the same time, however, I knew with perfect certainty that I was dreaming and

lying on my back in my bed. And then I resolved to wake up slowly and carefully and observe how my

sensation of lying on my chest would change into the sensation of lying on my back. And so I did,

slowly and deliberately, and the transition - which I have since undergone many times - is most

wonderful. It is like the feeling of slipping from one body into another, and there is distinctly a double

recollection of the two bodies. I remembered what I felt in my dream, lying on my chest; but
returning into the day-life, I remembered also that my physical body had been quietly lying on its

back all the while. This observation of a double memory I have had many times since. It is so

indubitable that it leads almost unavoidably to the conception of a dream body ». Ibid., pp. 446-447.

Souligné par l'auteur.


[109]
« In a lucid dream the sensation of having a body - having eyes, hands, a mouth that speaks, and

so on - is perfectly distinct; yet I know at the same time that the physical body is sleeping and has

quite a different position. In waking up the two sensations blend together, so to speak, and I

remember as clearly the action of the dream-body as the restfulness of the physical body ». Ibid., p.

447.
[110]
Ibid.
[111]
« Flying or floating may be observed in all form of dreams, except perhaps class (D); yet it is

generally an indication that lucid dreams are coming.

« When I have been flying in my dreams for two or three nights, then I know that a lucid dream is at

hand. And the lucid dream itself is often initiated and accompanied all the time by the sensation of

flying. Sometimes I feel myself floating swiftly through wide spaces; once I flew backwards, and once,

dreaming that I was inside a cathedral, I flew upwards, with the immense building and all in it, at

great speed ». Ibid., pp. 449-450.


[112]
Rêves que nous appellerons "rêves associés au rêve lucide", ou plus simplement "rêves associés".
[113]
Bob Rooksby and Sybe Terwee, op. cit., p. 20.
[114]
Yves Delage, Le Rêve, Étude psychologique, philosophique et littéraire, Imprimerie du Commerce,

Nantes, 1920, p. XII.


[115]
Ibid., p. XIII. Souligné par nous.
[116]
« There are many aspects of these questions" [sur les rêves] "which can only be very imperfectly

dealt with by an unscientific observer whose want of technical knowledge is a grave disadvantage in

writing on a subject to which so much learning has been devoted ». Mary Arnold-Forster, Studies in

Dreams, The Macmillan company, New York, 1921, p. XXVII.


[117]
« yet I believe that there is room in this fascinating study not only for the philosopher and the

psychologist, but also for the unlearned but faithful recorder of personal experience. Ours dreams are

the most individual of all our experiences, and we each approach them from a separate standpoint of

our own. Psychology is the science of individual experience, and the facts that are eventually sifted

and weighed in its laboratories must first be gathered by humble gleaners in many widely scattered

fields ». Ibid., pp. XXVII-XXVIII.


[118]
Delage, op. cit., p. 63.
[119]
« The fact is there are dreams and dreams, and we must get rid of the assumption that each
dream ressembles all the others. To class them all together into one or two categories is […] absurd ».

Arnold-Forster, op. cit., p.16.


[120]
Delage, op. cit., p. 63.
[121]
Ibid., p. 64.
[122]
« Is our will-power, for example, totally suspended when we sleep, as many authorities assume it

to be; or is it able, at any rate, to exercise a partial control over our other faculties? This question of

the suspension of the will-power during sleep is one of special interest; underlying as it does the

whole theory of "disinterestedness" as defined by M. Bergson. It is a widely held belief that when we

dream the controlling and selecting power of the mind entirely ceases. But does it actually cease? I
believe that it is not necessarily suspended, and that if we choose we can still exercise a considerable

degree of selection and control over our dreams. […] I have found also that by adopting certain

methods and by acquiring a certain discipline of mind we can ensure that our will shall retain a very

considerable degree of influence over our dream mind, an influence sufficient to give us a real and

effective measure of command over our dreams ». Arnold-Forster, op. cit., p. 20.
[123]
« Probably we have all at some time or another realised that our dream was "only a dream" and

not a waking reality. The idea contained in this very general experience made the point from which I

succeeded in starting a successful experiment in dream control ». Ibid., p. 29.


[124]
Delage, op. cit., pp. 171-172. Souligné par nous.
[125]
« During the course of a long dream I had succeeded in tracing the existence of a complicated and

dangerous plot against our country. The conspirators had turned upon me on discovering how much I

knew. I was so closely followed, and my personal danger became so great, that the formula for
breaking off a dream flashed into my mind and automatically gave me back confidence; I remembered

that I could make myself safe; but with the feeling of safety I also realised that if I were to wake my

valuable knowledge of the dangerous conspiracy would be lost, for I realised that this was "dream

knowledge." It was dreadful dilemma - safety called me one way, but the conviction that my duty was

to stay and frustrate the traitors was very strong. I feared that I should give way, and I knelt and

prayed that I might have courage not to seek safety by awakening, but to go on until I had done what

was needed. I therefore did not wake; the dream continued. The arch-conspirator, a white-faced man

in a bowler hat, had tracked me down to the building where I was concealed, and which by this time

was surrounded; but all fear had departed, the comfortable feeling of great heroism, only fully

enjoyed by those who feel themselves to be safe, was mine. It became a delightful dream of

adventure, since the element of fear had gone from it ». Arnold-Forster, op. cit., p. 30.
[126]
Delage, op. cit., pp. 449-459
[127]
Ibid., p. 145.
[128]
« Flying dreams form only one variety of the many happy dreams that have added so much

pleasure to my life. I have chosen this class of dreams to speak of more particularly because they

furnish the examples that I can most easily quote of the process of dream control. They show also

that by an act of will, and by some concentration of thought upon them, they may be cultivated, with

the result that greatly heightened dream powers, such as the perfected faculty of dream flight, may

be acquired without any serious difficulty, and with great advantage to ourselves ». Arnold-Forster,

op. cit., pp. 37-38. Souligné par nous.


[129]
« Flying dreams form only one variety of the many happy dreams that have added so much

pleasure to my life. I have chosen this class of dreams to speak of more particularly because they

furnish the examples that I can most easily quote of the process of dream control. They show also

that by an act of will, and by some concentration of thought upon them, they may be cultivated, with

the result that greatly heightened dream powers, such as the perfected faculty of dream flight, may

be acquired without any serious difficulty, and with great advantage to ourselves ». Arnold-Forster,

op. cit., pp. 37-38. Souligné par nous.


[130]
« I have tried also to see how far, thinking of the dream, I could accomplish some definite result in

it; how far, for instance, I could perform some news and difficult act of flight. It was a long time

before I could fly higher than five or six feet from the ground ». Ibid., p. 40.
[131]
Sylvan Muldoon - Hereward Carrington, La Projection du Corps astral, Editions du Rocher, Monaco,

1980 (première publication aux Etats-Unis en 1929).


[132]
« I observed that sometimes in a nightmare, or a painful dream of the ordinary non-celestial kind,

the very unpleasantness of my predicament would give rise to the thoughts : "But this can't be real!

This wouldn't happen to me! I must be dreaming!" And then : "I've enough of this. I'm going to wake

up." And I would promptly escape from the situation by, as it were, pushing the dream from me and
waking. In those days I never realized the great possibilities latent in this discovery, but my curiosity

was aroused to some extent. I wondered why it was only now and then one could get to know in the

dream that it was a dream, and how was this knowledge acquired? I think I missed the importance of

this experience because I found it was shared by others ». Oliver Fox, Astral Projection, A Record of

Out-of-the-Body Experiences, Citadel Press, Secaucus, 1980, p. 30. Souligné par l'auteur.
[133]
« intense emotional stress which arouses the critical faculty in the consciousness, enabling it to

argue from the extraordinary circumstances of the dream that they are too far removed from

everyday life to be real ». Ibid., p. 30.


[134]
« I dreamed that I was standing on the pavement outside my home. The sun was rising behind the

Roman wall, and the waters of Bletchingden Bay were sparkling in the morning light. I could see the

tall trees at the corner of the road and the top of the old grey tower beyond the Forty Steps. In the

magic of the early sunshine the scene was beautiful enough even then. Now the pavement was not of

the ordinary type, but consisted of small, bluish-grey rectangular stones, with their long sides at right-

angles to the white kerb. I was about to enter the house when, on glancing casually at these stones,
my attention became riveted by a passing strange phenomenon, so extraordinary that I could not

believe my eyes - they had seemingly all changed their position in the night, and the long sides were

now parallel to the kerb! Then the solution flashed upon me: though this glorious summer morning

seemed as real as real could be, I was dreaming!

« With the realization of this fact, the quality of the dream changed in a manner very difficult to

convey to one who has not had this experience. Instantly the vividness of life increased a hundredfold.

Never had sea and sky and trees shone with such glamorous beauty; even the commonplace houses

seemed alive and mystically beautiful. Never had I felt so absolutely well, so clear-brained, so divinely

poweful, so inexpressibly free! The sensation was exquisite beyond words; but it lasted only a few

moments, and I awoke ». Ibid., pp. 32-33.


[135]
« I was tremendously bucked by my discovery that in a dream one could acquire, by observing

some incongruity or anachronism, the knowledge that one was dreaming. The ensuing change in the

quality of the dream, and the fact that it did not end immediately, placed this discovery in a very

different category from the method of escaping a nightmare […]. Moreover, it led to this exciting

question: Was it possible, by the exercise of will-power, to prolong the dream? And I pictured myself,

free as air, secure in the consciousness of my true condition and the knowledge that I could always

wake if danger threatened, moving like a little god through the glorious scenery of the Dream World.

This new kind of dream I named a Dream of Knowledge; for one had in it the knowledge that one was

really dreaming ». Ibid., p. 34. Souligné par l'auteur.


[136]
« To get the best results I had to know all about the past life of my earthly self, just as one does in

waking life, to realize my body was asleep in bed, and to appreciate the extended powers at my

command in this seemingly disembodied state ». Ibid., p. 35.


[137]
Doctrine syncrétique élaborée à la fin du siècle dernier par H.-P. Blavatsky et issue en partie du

spiritisme. On peut consulter à ce sujet l'ouvrage de René Guénon, Le Théosophisme, qui retrace

l'histoire de ce mouvement.
[138]
« Though I am at heart a mystic, I am trying to write this book more from the standpoint of

Psychical Research, and I shall use Theosophical terms as sparingly as possible and in no dogmatic

spirit. At times, however, the Theosophical terminology will prove useful, and it has the great

advantage of being widely known ». Fox, op. cit., p. 28.


[139]
L'ouvrage de Fox se présentait à l'origne sous la forme d'une série d'articles parus en 1920 dans

The Occult Review. Ces articles furent ensuite transformés en un livre probablement publié après 1938

(sans date) avant d'être réédité aux Etats-Unis par University Book en 1962.
[140]
« As I was to learn later, my mental control had been overwhelmed by my emotions; so the

tiresome body asserted its claim and pulled me back. For though I did not realize it at the time, I think

this first experience was a true projection and that I was actually functioning outside my physical

vehicle ». Fox, op. cit., p. 33. Souligné par nous.


[141]
« Well, to resume, I found that in these Dreams of Knowledge new methods of locomotion were

open to me. I could glide along the surface of the ground, passing through seemingly solid walls, etc.,

at a great speed, or I could levitate to a height of about one hundred feet and then glide. […] I could

also do some intriguing little tricks at will, such as moving objects without visible contact, and

moulding the plastic matter into new forms; but in these early experiments I could stay out of my

body for only a very short time, and this special dream-consciousness could be acquired only at

intervals of several weeks ». Ibid., p. 36. Souligné par nous.


[142]
« Lying on the sofa in the afternoon with my eyes closed, I suddenly found that I could see the

pattern of the sofa-back. This told me that I was in the Trance Condition. I then left my body, by
willing myself out of it, and experienced an extremely sudden transition to a beautiful unknown stretch

of country. There I walked for some time over wild and charming ground beneath a bright blue sky in

which were fleecy sunlit clouds. All too soon my body called me back, and on my homeward flight I

distinctly remember passing right through a horse and van which were standing in some unfamiliar

street ». Ibid., p. 66.


[143]
« It showed that the Dream of Knowledge, which I had hitherto regarded as an indispensable

preliminary to projection, was not really essential and could be dispensed with altogether. For I had

not actually been to sleep, but was only in a drowsy condition, when I discovered that I could see

through my closed eyes ». Ibid., pp. 66-67.


[144]
« I wanted to verify a rather fantastic idea of my own which had made its appearance almost in

my childhood: was it not possible to preserve consciousness in dreams, that is, to know while

dreaming that one is asleep and to think consciously as we think when awake ». P. D. Ouspensky, A
New Model of the Universe, Vintage Books, New York, 1971 (traduit du russe en anglais en 1930), p.

243. Souligné par l'auteur.


[145]
« attempts to preserve consciousness in sleep, created, most unexpectedly for me, a new way of

observing dreams which I had not before suspected. Namely, they created a particular half-dream

state. And I was very quickly convinced that without the help of half-dream states it was quite

impossible to observe dreams without changing them ». Ibid., p. 244. Souligné par l'auteur.
[146]
« Like all people I either slept or did not sleep, but in these "half-dream states" I both slept and

did not sleep at the same time ». Ibid.


[147]
« The fact is that in 'half-dream states' I was having all the dreams I usually had. But I was fully

conscious, I could see and understand how these dreams were created, what they were built from,

what was their cause, and in general what was cause and what was effect. Further, I saw that in

'half-dream states' I had a certain control over dreams. I could create them and could see what I

wanted to see, although this was not always too successful and must not be understood too literally.

Usually I only gave the first impetus, and after that the dreams developed as it were of their own

accord, sometimes greatly astonishing me by the unexpected and strange turns they took ». Ibid., p.

245.
[148]
« I remember once seeing myself in a large empty room without windows. Besides myself there

was in the room only a small black kitten. 'I am dreaming,' I say to myself. 'How can I know whether I

am really asleep or not? Suppose I try this way. Let this black kitten be transformed into a large white

dog. In a waking state it is impossible and if it comes off it will mean that I am asleep.' I say this to

myself and immediately the black kitten becomes transformed into a large white dog. At the same

time the opposite wall disappears, disclosing a mountain landscape with a river like a ribbon receding

into the distance.

« 'This is curious,' I say to myself; 'I did not order this landscape. Where did it come from?' Some

faint recollection begins to stir in me, a recollection of having seen this landscape somewhere and of

its being somehow connected with the white dog. But I feel that if I let myself go into it I shall forget

the most important thing I have to remember, namely, that I am asleep and am conscious of myself,

i.e. that I am in the state for which I have long wished and which I have been trying to attain. I make

an effort not to think about the landscape, but at that moment some power seems to drag me

backwards. I fly swiftly through the back of wall of the room and go on flying in a straight line, all the
time backwards and with a terrible noise in my ears, suddenly come to a stop and awake ». Ibid., pp.

249-250.
[149]
Il note dans un chapitre intitulé "Experimental Mysticism" : « In 1910 and 1911, as a result of a

fairly complete acquaintance with existing literature on "theosophy" and "occultism" and also with the

not very numerous scientific investigation of phenomena of witchcraft, sorcery, magic, etc. I came to

certain definite conclusions », Ibid. p. 274. Souligné par nous.


[150]
« The description of this backward flying and the accompanying noise can be found in occult

literature, where some special meaning is ascribed to them. But in reality there is no meaning in them

except probably that of an inconvenient position of the head or slightly deranged circulation of the

blood ». Ibid., p. 250.


[151]
« I had in "half-dream states" all the dreams I was able to have in the ordinary way. Gradually my

whole repertoire of dreams passed before me. And I was able to observe these dreams quite

consciously, could see how they were created, how they passed one into another, and could

understand all their mechanism. » Ibid., p. 245.


[152]
« when I began to be interested in dreams psychoanalysis was not yet in existence, or was very

little known, and […], as I subsequently became convinced, there is and there was in pschoanalysis

nothing of value that would make me alter the least of my conclusions though they are invariably all

opposed to the psychoanalytical ». Ibid., p. 242, note.


[153]
S. LaBerge, op. cit., p. 50-51.
[154]
"Traume mit der gleichzeitigen Erkenntnis des Traumzustandes", Archiv für Psychologie, 102

(1938), pp. 291-318. Mentionné par S. LaBerge, op. cit., p. 55.


[155]
Cité par S. LaBerge, op. cit., p. 52.
[156]
S. LaBerge, op. cit., p. 72.
[157]
Carlos Castaneda, Le Voyage à Ixtlan, Les leçons de don Juan, Gallimard, Paris, 1974, p. 95.
[158]
Ibid., p. 112.
[159]
Ibid., p. 99.
[160]
Kenneth Kelzer, par exemple, est devenu un rêveur lucide régulier à l'aide de cette technique. Voir

The Sun and the Shadow, My experiments with lucid dreaming, A.R.E. Press, Virginia Beach, 1987,

pp. 14-16.
[161]
Jayne Isabel Gackenbach, A Personality and Cognitive Style Analysis of Lucid Dreaming,

Unpublished doctoral dissertation, Virginia Commonwealth University, 1978.


[162]
Judith R. Malamud, The Development of a Training Method for the Cultivation of "Lucid" Awareness

in Fantasy, Dreams, and Waking Life, Unpublished doctoral dissertation, New York University, 1979.
Chapitre Trois
Rêves lucides et rêves associés : description et
définition
[read the English translation of Christian's text / lire la traduction anglaise]

Définir et décrire le rêve lucide avec une relative précision sont les préalables requis
pour son étude. Il est en effet nécessaire d'être capable de repérer un même phénomène
sous des désignations diverses (rêve électif, rêve de connaissance, demi-rêve, projection
astrale…) en le circonscrivant dans une définition qui évite toute confusion (par exemple, le
rêve lucide ne se définit pas de la même façon que la projection astrale, même si une
assimilation de l'un à l'autre peut être envisagée dans certains cas après analyse). En ce
sens, la définition déjà donnée, selon laquelle le rêve lucide est un rêve au cours duquel le
rêveur est conscient qu'il rêve, ne sert qu'à indiquer dans quelle direction chercher, mais les
problèmes qu'elle soulève révèlent son insuffisance. L'histoire de la recherche a montré la
difficulté qu'ont des esprits même cultivés à appréhender un phénomène subjectif dont ils
n'ont pas l'expérience, notamment lorsqu'il apparaît d'emblée en contradiction avec l'idée
courante qu'ils s'en font. L'insuffisance de la définition peut alors se comprendre de deux
façons différentes.

Elle peut résulter de l'utilisation trop rapide d'une notion qui elle-même demande une
explicitation, à savoir le rêve. Si en effet on considère que, "par définition", le rêveur ne peut
être conscient qu'il rêve, c'est que l'expression "rêve lucide" est fautive car elle assimile au
rêve ce qui est un autre phénomène - même si ce phénomène appartient au sommeil, se
produit au cours de la période paradoxale et présente les caractéristiques vécues du rêve.
Toutefois, la définition du rêve, qui s'est dégagée par induction, n'est elle-même justifiée que
dans la mesure où elle ne rencontre pas un fait nouveau qui la contredit, comme c'est le cas
avec la lucidité onirique. De plus le rêveur devient la plupart du temps lucide au milieu d'un
rêve, sans que cela en change les autres caractéristiques, ce qui confirme son sentiment
personnel qu'il s'agit d'un rêve. On ne peut donc pas demander une définition plus précise du
rêve avant l'étude du rêve lucide puisque celui-ci, par son existence, incite à réviser une
conception qui ne cadre pas avec la réalité.

Si cette définition présente une insuffisance, c'est du côté de la "conscience de rêver"


qu'il faut la chercher, c'est-à-dire du sentiment que le rêveur a de sa situation, même si la
définition exacte de cette situation reste en suspens. Cette idée est-elle suffisamment claire
par elle-même pour caractériser le phénomène ? Lorsqu'il est question de la "conscience de
son état", le premier réflexe est de se reporter à l'état de veille qui nous en offre une
illustration quotidienne. Ce réflexe, qui peut certainement fournir une idée lointaine de ce
qu'est la lucidité onirique, risque d'induire en erreur en ce qu'il inciterait à y voir la
conscience réfléchie de veille elle-même, avec nécessairement la même mémoire ou les
mêmes dispositions d'esprit pour ne rien dire des structures conscientielles. Or, la lucidité
onirique nous révèle justement que la connaissance de son état peut, aussi bien en ce qui
concerne le moi que la conscience, prendre une forme très différente. Il y a là une altérité
formelle radicale, et pour qui ne connaît qu'un seul type de conscience réfléchie cette
comparaison avec l'état de veille peut être plus faussante qu'éclairante.

La conceptualisation du rêve lucide ne peut donc être opérée a priori en dehors des
expériences vécues qui en ont suscité la notion et précisé l'idée. Aussi une première définition
s'avère-t-elle nécessaire - même si la pauvreté du vocabulaire rend sa formulation équivoque
- pour indiquer approximativement ce qui est en question. Mais cette définition requiert une
[1]
explicitation par l'étude des récits de rêves lucides . Nous allons donc décrire le processus
du rêve lucide à l'aide de ces récits pour tenter d'en faire surgir une compréhension que ni la
simple réflexion ni la vie de veille ne peuvent, à elles seules, fournir. Cette description nous
amènera à constater que le rêve lucide est un phénomène complexe qui entraîne dans son
sillage un certain nombre de rêves corrélatifs qui lui sont en quelque sorte "associés", même
si le rêveur n'y est pas conscient de son état, et dont l'analyse peut également nous éclairer
sur la lucidité onirique.

Section I: Les rêves lucides


[1]
Et, si possible, par l'expérience personnelle qui complète l'analyse conceptuelle.
Chapitre Trois
Rêves lucides et rêves associés : description et
définition
[suite]

Section I

Les rêves lucides


Si l'on essaie de dégager une définition minimale du rêve lucide commune aux
récits de la littérature on se heurte aussitôt à deux types de difficultés. D'une part les récits
de rêves lucides sont très différents d'un auteur à l'autre : pour prendre deux extrêmes, les
rêves d'Hervey de Saint-Denys, malgré leur caractère expérimental, restent dans l'ensemble
assez communs (ce sont des scènes qui pourraient être empruntées à la vie éveillée) tandis
que ceux d'Oliver Fox sont beaucoup plus fantastiques (dans ses rêves, Oliver Fox se met en
lévitation ou passe à travers les murs, capacités qui ne sont guère rapportées par Hervey de
Saint-Denys), à tel point que l'on peut se demander s'il ne s'agit pas de rêves de types
essentiellement différents. D'autre part les critères qui permettent de définir le rêve lucide
fluctuent selon les auteurs et parfois un même auteur oscille inconsciemment entre plusieurs
définitions, fluctuation souvent liée à la délimitation du phénomène (par exemple certains
auteurs partent du principe que le rêve lucide n'est qu'une étape préparatoire pour d'autres
expériences). Or, si malgré ces divergences ceux d'entre eux qui ont eu connaissance des
travaux de leurs prédécesseurs ont pu les reconnaître pour tels, et si, d'une façon générale,
les chercheurs contemporains s'accordent sur la littérature, c'est qu'il existe au moins une
caractéristique minimale, même implicite, qui permet de reconnaître le rêve lucide dans ces
textes. On est en droit de supposer que ce critère minimal restait implicite dans la mesure où
chaque auteur, au moment même où il l'énonçait, l'intégrait dans un cadre explicatif ou
descriptif plus spécifique.

C'est en reprenant les récits fournis par la littérature que Celia Green a dégagé et
formulé cette définition minimale dans son livre Lucid Dreams dont l'intention est non pas de
théoriser le phénomène mais d'en donner la description du point de vue d'une
phénoménologie onirique : « Un rêve lucide est un rêve dans lequel le sujet est conscient de
[1]
rêver » . Presque à la même époque Charles T. Tart ouvrait son livre Altered States of
Consciousness par ces mots : « Chaque fois que je parle des rêves, je mentionne le fait qu'il en
existe d'un genre très inhabituel. Ce sont les "rêves lucides" […] dans lesquels le rêveur sait
[2]
qu'il rêve et demeure entièrement conscient de lui-même » . Cette définition minimale qui
était destinée à attirer l'attention sur un type particulier de rêves est désormais admise par
tous les chercheurs contemporains, même s'ils ne la considèrent pas toujours comme
[3]
suffisante . On la trouve aussi bien dans la littérature générale sur le rêve, dans laquelle le
rêve lucide est plutôt mentionné qu'étudié, comme dans les ouvrages d'Ann Faraday (« Le
rêve "lucide" est ainsi nommé, non parce qu'il possède une qualité inhabituelle de netteté ou
de clarté, mais parce que le rêveur sait, au moment où il rêve, qu'il est en train de rêver, et
qu'il se sent en pleine possession de ce que nous appelons la conscience normale de l'état de
[4]
veille, tout en sachant aussi, avec certitude, qu'il est dans son lit et qu'il dort » ) que dans
des ouvrages plus orientés vers le phénomène lui-même, qu'ils soient destinés à un large
public comme La Créativité Onirique de Patricia Garfield (« Quelle expérience étrange et
passionnante que celle du "rêve lucide" : tout simplement un rêve où l'on a conscience de
rêver - conscience allant de la simple réflexion : " Ce n'est qu'un rêve ", à l'affranchissement
[5]
de toutes les contraintes corporelles, spatiales et temporelles » ) ou qu'il s'agisse de
travaux plus spécialisés portant sur un aspect très particulier du rêve lucide (ainsi, dans sa
thèse, Jayne Gackenbach donne la définition suivante : « Les rêves lucides sont le plus
communément définis comme des rêves dans lesquels on reste conscient, au fur et à mesure
[6]
de leur déroulement, d'être en train de rêver » .) De façon générale c'est en ces termes que
les auteurs d'articles scientifiques sur ce sujet se contentent de rappeler brièvement ce qu'ils
entendent par rêve lucide.

Formulée de la sorte cette définition semble faire consister le rêve lucide en une
combinaison de deux éléments : le rêve et la conscience de rêver. Voyons à quoi renvoient
ces éléments de façon immédiate. Les récits de rêveurs lucides montrent qu'il faut donner ici
au terme "rêve" le sens qu'on lui accorde généralement et qui est celui d'une "vie" onirique
au cours de laquelle le rêveur croit avoir, comme dans la vie de veille, des perceptions, des
émotions ou des pensées. Il ne peut donc être confondu avec des états qui s'apparentent à
lui sans appartenir au sommeil (tel le rêve éveillé ou l'hallucination) ni être réduit, à
l'intérieur du sommeil lui-même, à des phénomènes secondaires qu'on ne considère pas
habituellement comme des rêves (par exemple lorsque le rêveur réfléchit de façon plus ou
[7]
moins floue dans une absence de décor ).

Cependant, si la notion de rêve est d'autant plus facile à appréhender que tout un
chacun en a l'expérience, celle de la conscience de rêver est plus délicate à faire saisir dans la
mesure où il ne s'agit plus là d'une expérience partagée par tous. La plupart des auteurs
tentent d'en donner l'idée en l'identifiant à la conscience de la vie de veille. Cela rend la
définition d'autant plus difficile à saisir que la conscience de veille est associée dans le
langage courant à l'état d'éveil, ce qui oblige les auteurs en quelque sorte à "coller" cette
conscience sur le rêve. Ainsi pour C. Tart : « Le caractère inhabituel de ce genre de rêve
vient de ce que le rêveur s'y "éveille", pour ainsi dire, de son rêve ordinaire. Cela signifie qu'il
se trouve tout à coup en possession de sa conscience de veille normale, sachant qu'il est
dans son lit et qu'il dort ; mais - insistons là-dessus - le monde du rêve dans lequel il évolue
[8]
n'en demeure pas moins réel pour lui » . Il en va de même pour LaBerge qui écrit : « L'état
mental du rêveur lucide est comparable au vôtre, au moment où vous lisez ces lignes. De
façon générale, il est, comme vous-même, capable de se souvenir, de réfléchir, de percevoir
et d'agir dans un monde phénoménal. […] Mais la différence essentielle entre le rêve lucide et
l'état de veille tient à ce qu'en rêvant on sait, en dépit des apparences, qu'on est, en réalité,
[9]
endormi dans son lit » . Cette difficulté qu'il y a à définir, pour une première et brève
approche, le rêve lucide avec des mots du langage courant, dont le sens habituel va à
l'encontre de l'idée qu'on cherche à donner du phénomène, est si bien ressentie que certains
auteurs préfèrent introduire le rêve lucide par un exemple.

Toutefois, le choix d'un exemple pour donner une première idée du rêve lucide est
lui-même délicat car il risque de faire prendre l'accessoire pour l'essentiel. En effet la
conscience qu'a le rêveur de rêver lui permettant parfois d'influencer son environnement,
[10]
certains lecteurs ont confondu rêve lucide et rêve contrôlé . Or, d'un autre côté, donner
comme exemple un rêve lucide où ne se manifestent pas ces aspects particuliers risque
d'entraîner une conclusion d'inutilité : quel intérêt pourrait-il y avoir à porter plus d'attention
au rêve lucide qu'au rêve ordinaire, si la conscience de rêver n'y apparaît que comme une
sorte d'épiphénomène ? Un tel rêve pourrait prendre la forme suivante :

«... Dans un bateau où il y a beaucoup de monde dont mon


père et d'autres membres de la famille. C'est un genre de réunion
mondaine dans une péniche amarrée à un quai. (Passage lucide :) Je
quitte la salle de réception, sors dans la nuit et gagne les ponts
extérieurs latéraux. Je décide de faire le tour du bateau. Je me rends
compte que je rêve. Me voici face à une série d'échafaudages noirs
qui gênent l'accès à une porte - ce sont des sortes de barrières. Pour
libérer le passage il faut allonger le bras au-delà des structures
métalliques et appuyer sur un bouton situé derrière, sur le mur
intérieur de la pièce auquel cette porte donne accès, afin que les pans
coulissent. Je sais que je rêve mais je suis obligé de faire tout cela
pour franchir la porte. (Je perds ensuite la lucidité) Je suis à nouveau
dans une salle du navire peu éclairée, en conversation avec plusieurs
personnes, et je donne des explications sur un sujet. D… et A… sont
présents. Une fille me demande si j'ai appris des tas de choses par
cœur pour réussir aussi bien des dissertations. Pour ne pas me lancer
dans des explications sur ce point, je commence par dire que oui puis
je rectifie et précise qu'en fait c'est de l'improvisation, que je ne
travaille pas (j'entends par là que je ne ressors pas du par cœur mais
que mes idées s'organisent en fonction du sujet). Plus tard je me
rends compte que je ne peux plus accommoder. Je regarde un crayon,
il est dédoublé. Je fais des efforts intenses pour réajuster ma vision. »
[11]

Ce rêve n'offre aucun caractère remarquable par son contenu, et on peut le qualifier de
rêve ordinaire. Cependant le rêveur se rend compte, pendant une courte période, qu'il est en
train de rêver. La façon dont le passage lucide s'intercale dans le rêve ordinaire indique que
le rêve lucide est bel et bien un rêve puisqu'il peut être la continuation, ou un morceau, d'un
rêve non-lucide, sans que cela affecte le contenu du rêve ("Je sais que je rêve mais je suis
obligé de faire tout cela pour franchir la porte"). L'élément de lucidité se réduit ici à une
simple constatation ("je me rends compte que je rêve") et peut-être même à une amorce de
réflexion sur le côté incontournable de la situation onirique malgré la connaissance que le
rêveur peut avoir de sa nature, mais il n'ajoute rien au rêve dans son déroulement. Dans un
tel exemple la lucidité apparaît comme une parenthèse inutile, voire malheureuse.

Au contraire le premier exemple de rêve lucide par lequel LaBerge ouvre son livre Lucid
Dreaming, nous plonge immédiatement dans les interactions de la conscience de rêver avec le
rêve lui-même :

« Déambulant le long d'un corridor que surmonte une haute


voûte, niché au fond d'une puissante citadelle, je m'arrêtai un instant
pour admirer la magnificence architecturale. Sans trop savoir
pourquoi, la contemplation de ce cadre majestueux me fit réaliser que
j'étais en train de rêver! Éclairée par la lucidité de ma conscience, la
splendeur imposante du château m'apparut encore plus merveilleuse
et, le cœur en émoi, j'entrepris alors d'explorer la réalité imaginaire
de mon "château en Espagne". Arpentant le hall, je pouvais sentir
sous mes pieds la froide rugosité des pierres et entendre l'écho de
mes pas. Chaque élément de ce spectacle enchanteur semblait réel…
et pourtant, je demeurais parfaitement conscient que tout cela n'était
qu'un rêve!

Aussi fantastique que cela puisse paraître, bien que


profondément endormi et plongé dans mon rêve, j'étais en pleine
possession de mes facultés de veille : à même de penser aussi
clairement qu'à l'ordinaire, de me rappeler à volonté les détails de ma
vie éveillée et d'agir délibérément par réflexion consciente, sans que
cela ne diminue en rien la vivacité de mon rêve. Paradoxe ou non,
j'étais éveillé dans mon rêve!
Arrivant au château à la croisée de deux couloirs, j'exerçai mon
libre arbitre et, optant pour celui de droite, j'aboutis rapidement à un
escalier. Avide de découvrir une issue, je descendis les marches qui
m'amenèrent près du faîte d'une immense voûte souterraine. Du pied
des escaliers, je pouvais voir le sol de la caverne, en pente abrupte,
s'enfoncer au loin dans l'obscurité. Plusieurs centaines de mètres plus
bas, j'aperçus ce qui ressemblait à une fontaine, entourée par des
statues de marbre. Mon imagination saisie à l'idée de me baigner dans
des eaux symboliquement régénératrices, je descendis aussitôt la
pente. Pas à pied, cependant, car chaque fois que je veux aller
quelque part en rêve, je vole. Dès que j'eus atterri à côté du bassin,
je fus très étonné de découvrir que ce que j'avais pris d'en haut pour
une sculpture inanimée m'apparaissait à présent comme un être bien
vivant et plutôt inquiétant. De fait, un génie effrayant et gigantesque
surplombait la fontaine : le Gardien de la Source, comme je le sus
immédiatement, de quelque façon. Toutes mes forces instinctives me
commandèrent d'un seul cri : "Fuis!" Mais je me souvins alors que
cette apparition terrifiante n'était qu'un rêve. Enhardi à cette pensée,
je dominai ma peur et, au lieu de fuir, je m'envolai droit vers la
créature. Comme c'est souvent le cas en rêve, avant même que je
fusse à sa portée, d'une manière ou d'une autre, nous avions atteint
la même taille, et à présent, face à face, je pouvais la regarder droit
dans les yeux. Prenant conscience que ma peur avait engendré cette
terrible vision, je résolus d'étreindre ce que j'avais été si prompt à
rejeter et, le cœur et les bras ouverts, je pris ses deux mains dans les
miennes. Au fur et à mesure que le rêve se dissipait lentement, le
pouvoir du «génie» semblait se fondre en moi, et je m'éveillai empli
[12]
d'une vibrante énergie. Je me sentais prêt à tout » .

Ici encore la lucidité se manifeste au cours d'un rêve, mais cette fois c'est un élément
du décor qui la déclenche (« Sans trop savoir pourquoi, la contemplation de ce cadre
majestueux me fit réaliser que j'étais en train de rêver! ») ce qui laisse supposer que le
rêve lui-même est d'une qualité particulière. La lucidité ajoute immédiatement une nouvelle
dimension à la perception de l'environnement onirique (« Éclairée par la lucidité de ma
conscience, la splendeur imposante du château m'apparut encore plus merveilleuse ») et
modifie l'attitude affective du rêveur de plusieurs façons au cours du rêve : il explore le
monde imaginaire « le cœur en émoi » et affronte un personnage onirique qu'il aurait
probablement fui s'il n'avait pas eu conscience de rêver (« Toutes mes forces instinctives me
commandèrent d'un seul cri : "Fuis!" Mais je me souvins alors que cette apparition terrifiante
n'était qu'un rêve. Enhardi à cette pensée, je dominai ma peur et, au lieu de fuir, je
m'envolai droit vers la créature »). L'auteur de ce rêve met lui-même l'accent sur ses aspects
inhabituels : capacité de penser clairement, de se souvenir de sa vie de veille et d'agir
délibérément, dont le rêve donne un exemple : « Arrivant au château à la croisée de deux
couloirs, j'exerçai mon libre arbitre et, optant pour celui de droite ». Mais plus encore le
rêveur est doué de capacités non communes : « chaque fois que je veux aller quelque part en
rêve, je vole ».

A la lecture d'un tel rêve la tentation est forte de mettre l'accent davantage sur ce que
la conscience de rêver semble permettre dans le rêve (et d'en conclure que le rêve lucide est
un rêve sur lequel le moi conscient exerce un contrôle) que sur cette conscience elle-même.
Or, plusieurs facteurs prémunissent contre une telle façon de voir. D'abord tous les rêves
lucides ne sont pas nécessairement des rêves dans lesquels le rêveur peut contrôler (même
très partiellement) son environnement ou ses actes, comme le montre le rêve précédent.
Ensuite de nombreux rêves sont rapportés comme étant contrôlés sans que la lucidité
intervienne : « Je distingue la lucidité onirique du contrôle des rêves pour la simple raison
que, dans ma propre expérience, il n'existe pas de lien entre ces deux processus (si ce n'est,
peut-être, une relation d'antinomie). J'exerce sur mes cauchemars un contrôle assez efficace,
mais c'est presque toujours en l'absence de la lucidité. Par ailleurs, je fais périodiquement
des rêves lucides - d'un caractère assez terre-à-terre, il faut bien le dire - dans lesquels je
suis seulement consciente de rêver sans chercher d'aucune manière à les contrôler. […] j'ai
tenté, récemment, d'obtenir quelques rêves lucides dans un but de contrôle. Il y en eut qui
prirent rapidement une tournure menaçante ; pour d'autres, il se produisit aussitôt un
[13]
effacement du décor, ou bien ce dernier devint achromatique » . Le contrôle du rêve
n'apparaît donc pas comme un élément essentiel du rêve lucide. On voit à quel point il est
difficile de donner une idée relativement précise du phénomène du rêve lucide à l'aide d'une
simple définition ou d'un seul exemple. Dans un cas les structures de la langue rendent cette
définition paradoxale, voire contradictoire. Dans l'autre le contenu du rêve cité risque de
détourner l'attention vers ses aspects inhabituels ou au contraire tout à fait ordinaires.

Ces écueils à présenter le phénomène de façon satisfaisante tiennent à une tendance


qu'a l'esprit à chercher et à saisir les contenus de conscience plus que les faits de conscience.
Or, de même que le fait de conscience ne peut généralement être saisi sur soi-même que par
une sorte de retour sur soi, et non de façon immédiate, de même le phénomène de la lucidité
onirique nécessite pour être bien compris une étude approfondie des rêves lucides.
Cependant, s'il fallait s'efforcer de donner une idée globale du phénomène avant d'en aborder
l'étude, on pourrait dire que le rêve lucide se caractérise pour le rêveur par un "éveil" de la
conscience de sa situation sans qu'il quitte la scène onirique. Cette définition est le plus petit
commun dénominateur de l'ensemble des travaux sur le rêve lucide. Mais si elle est reconnue
comme nécessaire, est-elle pour autant suffisante ?
La conscience qu'a le rêveur de rêver n'est pas toujours, en effet, considérée comme
le seul élément central de caractérisation de ce type de rêves. Elle est parfois exposée
comme la résultante d'un autre élément présenté alors comme déterminant. D'où la question
de savoir si dans la littérature cette conscience de rêver est ce qui autorise la manifestation
des autres éléments ou si elle en dépend ou si encore elle leur est comme rattachée de
l'extérieur. Une première réponse est suggérée par l'intention même de définir le phénomène
et ses conséquences. Cette intention conduit en effet à placer la conscience de rêver dans
une position privilégiée en ce que non seulement on en remarque la présence mais aussi la
nécessité.

Quand, en effet, on se tourne vers les auteurs qui n'ont pas cherché à définir le
phénomène, comme Hervey de Saint-Denys, on se rend compte que si la conscience de rêver
a favorisé leur investigation des phénomènes oniriques, elle n'a jamais fait l'objet d'une
interrogation pour elle-même : elle a été constatée puis utilisée, mais il n'a pas semblé à
leurs auteurs que cette utilisation même pouvait modifier l'essence de l'expérience onirique,
ou, en d'autres termes, que la présence de cette conscience de rêver permette de considérer
ces rêves comme appartenant à une catégorie particulière. Il en résulte que, dans les
récits qu'ils nous ont laissés, on ne peut pas toujours distinguer ceux qui correspondent à des
rêves lucides de ceux qui correspondent à des rêves ordinaires même lorsqu'ils font
quotidiennement l'expérience de la lucidité : « je peux attester qu'il ne m'arrive guère de
m'abandonner aux illusions d'un songe sans retrouver, du moins par intervalles, le sentiment
[14]
de la réalité » . Puisque la conscience de rêver est d'une importance déterminante pour
l'observation des rêves on pourrait la supposer présente dans tous les récits d'Hervey de
Saint-Denys sauf lorsqu'il est fait mention du contraire. Or, s'il note l'importance générale de
cette faculté, l'auteur omet de nous dire le rôle qu'elle joue dans le détail de ses rêves, à tel
point que l'on ne se rend compte que certains rêves ne sont pas lucides qu'à l'occasion de
remarques annexes. En témoigne le rêve qui suit :

« Je rêve que j'ai découvert de grands secrets magiques par le


moyen desquels je puis évoquer les ombres des morts, et aussi
transformer les hommes et les choses selon le caprice de ma volonté.
Je fais d'abord surgir devant moi deux personnes qui ont cessé
d'exister depuis plusieurs années, et dont les images fidèles
[15]
.
m'apparaissent néanmoins avec la plus parfaite lucidité Je
souhaite de voir un ami absent ; je l'aperçois aussitôt, couché et
endormi sur un canapé. Je change un vase de porcelaine en une
fontaine de cristal de roche, à laquelle je demande une boisson fraîche
qui s'échappe à l'instant d'un robinet d'or. J'avais perdu depuis
plusieurs années une bague que je regrettais beaucoup. Le souvenir
m'en vient à l'esprit. Je désire la retrouver ; j'émets ce vœu, en fixant
les yeux sur un petit charbon que je ramasse dans le foyer, et la
[16]
bague est aussitôt entre mes doigts » .

Pour qui a à l'esprit la déclaration de l'auteur d'être la plupart du temps conscient en


dormant de sa situation d'homme endormi, et pour peu qu'il ait associé l'idée de contrôle à
celle de conscience de rêver comme le suggère implicitement le rêve de LaBerge, ce rêve
présente les caractéristiques d'un rêve lucide. Or, Hervey de Saint-Denys signale
incidemment qu'il n'en est rien : « A mon réveil, je suis frappé par cette idée que ma
volonté seule avait successivement évoqué toutes ces images. Il est vrai que je n'avais
pas eu le sentiment d'être le jouet d'un songe ; mais je n'en avais pas moins rêvé
[17]
exactement ce que j'avais voulu » . De même la quotidienneté de l'expérience est sans
doute due à une illusion rétrospective car, pour mener à bien une expérience onirique dans
laquelle il projette de se donner la mort afin d'en observer les conséquences, il doit attendre
un mois : « Je résolus de ne point laisser échapper la première occasion qui s'en présenterait,
[18]
c'est-à-dire le premier rêve lucide au milieu duquel je posséderais bien le sentiment de
[19]
ma situation. J'attendis près d'un mois ; il faut avoir de la persévérance » . Cette tendance
à considérer la conscience de rêver uniquement sous l'angle de son utilisation pratique sans
prendre en considération son impact possible sur le rêve lui-même semble être une démarche
naturelle de la pensée car elle surgit spontanément chez ceux qui découvrent le rêve
lucide par eux-mêmes, sans avoir connaissance de la littérature sur le sujet.

En revanche les auteurs qui ont cherché à définir le phénomène de façon articulée
[20]
sont généralement informés sur le travail de leurs prédécesseurs . Le premier à avoir tenté
de discerner précisément le phénomène, et à lui avoir donné le nom de "rêve lucide", van
Eeden , était un lecteur d'Hervey de Saint-Denys qui s'efforçait de répondre aux critiques de
Maury et d'Ellis pour rendre compte de sa propre expérience : « Niant la possibilité d'une
mémoire intégrale et d'un pouvoir de décision volontaire dans le rêve, ils diraient sans doute
que ce que j'appelle rêve n'est rien de tel, mais plutôt une sorte de transe, d'hallucination ou
[21]
d'extase » . Alors que les rêveurs lucides spontanés comme Hervey de Saint-Denys ne
questionnent pas la nature de l'expérience, les rêveurs ordinaires tels qu'Ellis ou Maury la
mettent complètement en question en la marginalisant. Pour éviter ce danger van Eeden se
voit obligé de fournir une définition positive du rêve.

Il commence négativement par préciser que ces rêves sont complètements coupés de
la vie de veille : « Tout ce que je puis dire, c'est que mes observations ont été effectuées
dans un état de sommeil normal et profond et qu'il y eut 352 cas où je me souvenais
parfaitement de ma vie de veille, étant également capable d'actes volontaires. J'étais alors
si profondément endormi qu'aucune sensation corporelle ne s'offrait à ma
perception. Toute personne qui refuse de nommer rêve un tel état mental reste libre
de suggérer d'autres appellations. Pour ma part, ce furent précisément les rêves de ce
genre - ceux que je qualifie de "rêves lucides" et que j'ai classés dans la section E de mon
tableau - qui éveillèrent en moi le plus vif intérêt et que je m'efforçai de noter avec le plus
[22]
grand soin » .

Il donne ensuite une définition positive du rêve : « Le rêve est une réintégration plus
ou moins complète du psychisme, mais qui s'effectue dans une autre sphère, dans un mode
d'existence psychique et non spatial. Cette réintégration peut atteindre le point où, en même
temps qu'un souvenir parfait de la vie de veille, elle autorise la réflexion, puis l'action
[23]
volontaire après avoir réfléchi » . Cette définition lui permet d'expliquer l'existence du rêve
lucide car, si le rêve est la réintégration de la psyché, le rêve lucide sera donc un haut degré
de réintégration : « Dans ces rêves, la réintégration de fonctions psychiques est si complète
que le dormeur se souvient de sa vie de veille et de sa condition, atteignant un parfait état de
conscience claire, restant capable de diriger son attention et d'entreprendre librement
[24]
.
diverses actions volontaires »

Dans la classification des rêves que van Eeden met au point, le rêve lucide apparaît
comme une catégorie particulière, bien distincte d'autres catégories telles que les rêves de
démons (qui suivent fréquemment le rêve lucide et dans lesquels le rêveur est tourmenté par
des personnages déplaisants), les rêves de mauvais éveil (dans lequel le rêveur croit se
réveiller dans une atmosphère étrange) et les rêves initiaux. Or, si nous regardons chacune
de ces catégories de près nous nous apercevons que les rêves qui s'y incluent remplissent, la
plupart du temps pour les rêves de démons et de façon essentielle pour les autres catégories,
les conditions données pour le rêve lucide. Van Eeden décrit le rêve de mauvais éveil de la
façon suivante : « Nous avons la sensation de nous éveiller dans notre chambre familière,
puis nous commençons à remarquer, dans l'entourage, certains éléments troublants ; nous
percevons des mouvements inexplicables, nous entendons des bruits étranges, et nous
[25]
savons alors que nous n'avons pas cessé de dormir » . De même les rêves initiaux :
« Dans le type de rêve initial (H), je vois et je ressens comme dans tout autre rêve. Je me
souviens presque entièrement de ma vie diurne, je sais que je dors, je sais à quel endroit
je me trouve, mais toutes les sensations du corps physique, internes ou externes, viscérales
[26]
ou périphériques, sont entièrement absentes » .

C'est donc que la conscience de rêver, si elle est une condition nécessaire, n' est pas
cependant suffisante pour caractériser le rêve lucide aux yeux de van Eeden . En fait, pour lui
le rêve lucide est plus profond et plus intense que les deux autres, aussi bien en ce qui
concerne la conscience de rêver que le bonheur qu'il en retire. Il est cependant intéressant de
noter que, lorsqu'il défend l'existence du rêve lucide devant Maury et Ellis, il ne tient pas
compte de cette différence, comme si elle n'était pas essentielle ; il ne l'introduit qu'au cours
de sa classification. Cela signifierait que la critique de Maury et d'Ellis ne porte pas, pour van
Eeden, sur le rêve lucide lui-même mais sur une de ses caractéristiques : ainsi van Eeden
s'intéresse à un type particulier de rêve, ce qu'on pourrait appeler le "rêve lucide au sens
strict", conscient et agréable. Mais pour pouvoir le décrire il lui faut d'abord le définir et cette
intention le pousse à dégager un caractère essentiel, la conscience de rêver, celle qui "fait la
différence", même si sa pensée n'est pas explicite sur ce point. Il est donc amené à
catégoriser toute une série d'expériences qu'il oppose ainsi à la catégorie des rêves
ordinaires, et en cela il reconnaît l'influence de cet élément essentiel sur les rêves des
catégories non ordinaires.

De façon générale on peut constater que l'intention de définir le phénomène, qu'elle


soit ou non suscitée par des objections, amène à s'intéresser au rêve lucide pour lui-même et
à rechercher les rapports qu'il entretient avec les rêves ordinaires. Le rêve lucide est alors
considéré comme une catégorie très particulière de rêves : « Au moins, dans mon propre cas,
je considère mes rêves lucides tout à fait différents de mes rêves ordinaires, à la fois dans
[27]
leur netteté perceptive et dans leur qualité affective » . On tente alors de mettre au point
des classifications générales dans lesquelles le rêve lucide s'insère, ainsi qu'une typologie des
rêves lucides eux-mêmes. Dans un cas comme dans l'autre, cela amène les auteurs à
chercher des critères de classification et, par là, à prendre conscience des problèmes que
pose la définition minimale du phénomène, problèmes que les investigateurs spontanés
comme Hervey de Saint-Denys ne pouvaient se poser.

Ces problèmes qui apparaissent avec l'intention de définir le phénomène, nous avons
déjà constaté qu'ils prenaient deux formes : l'inadéquation, pour ne pas dire l'impossibilité du
langage courant à traduire cette expérience onirique particulière, et son corollaire :
l'obscurité qui entoure la notion de "conscience" dans l'expérience quotidienne qu'on en a. Il
nous faut maintenant aller au-delà de la simple constatation pour comprendre comment ils se
constituent et si une réponse immédiate et simple leur a été apportée par des auteurs plus
récents.

La première difficulté vient principalement de ce que l'on essaie d'introduire la


conscience dans un lieu où elle se trouve déjà. En effet le rêveur ordinaire dispose d'une
certaine sorte de conscience puisqu'il est conscient de l'environnement onirique qu'il perçoit,
qu'il agit ou désire en rêve en fonction d'un moi onirique qui a ses exigences propres, bref
qu'il adopte un comportement conscient. Cependant, cette conscience, que l'on peut appeler
conscience onirique, se limite au rêve en cours, elle n'est ni consciente d'elle-même, ni d'un
au-delà de l'expérience qui serait la réalité de l'éveil. Les rêveurs lucides n'introduisent donc
pas la conscience dans le rêve mais, en quelque sorte, étendent son intentionnalité : le
rêveur lucide est conscient de la qualité onirique de l'expérience en cours, ce qui implique
qu'il a, même dans une mesure peu importante, le souvenir de sa vie de veille, ne serait-ce
que pour l'opposer au rêve qui se déroule. Ici surgit la deuxième difficulté qui prend sa
source dans une habitude de pensée. Nous nous sommes accoutumés depuis les travaux de
chercheurs comme Bergson ou Freud à considérer le rêve comme une sorte de pensée
inférieure, c'est-à-dire soit une pensée de veille diminuée, soit une régression vers un mode
d'expression prérationnel. Comme le fait remarquer Celia Green : « On définit en général le
rêve par son irrationalité et par la discontinuité qu'il présente vis à vis de l'expérience de
veille. Autrement dit, les événements du rêve n'obéissent pas aux lois habituelles du monde
physique, le sujet ne met pas ce qui lui advient en rapport avec les souvenirs de sa vie
passée ou du monde normal, et son rêve se déroule de telle manière qu'il paraît sans
[28]
continuité avec le reste de son existence » .

Le rêve est ainsi défini par rapport à ce qui a été "perdu" de la vie de veille. La veille
intégrerait donc naturellement cet état inférieur et se souvenir de ses rêves, une fois éveillé,
résulterait implicitement de cette intégration. En revanche se souvenir en rêve de l'état de
veille renverserait la logique de ce modèle. Comment les auteurs se sortent-ils de ces deux
difficultés ? Principalement en essayant de clarifier d'un point de vue conceptuel ce qu'ils
entendent par conscience et en s'efforçant de sortir du modèle intégratif par le recours à
d'autres types de comparaisons.

C'est en effet immédiatement après avoir donné la définition du rêve lucide que Celia
Green se voit obligée, pour répondre à l'objection classique de Malcolm, de préciser la
définition de la conscience : « Il existe une difficulté supplémentaire quant à l'emploi du
terme de "conscience" (ou de "conscience attentive"). Nous disions, dans notre définition,
qu'une personne fait un rêve lucide quand elle est "consciente de rêver". Mais selon
l'observation de Malcolm, "le fait d'avoir une expérience consciente, de quelque nature qu'elle
[29] [30]
soit, n'est pas ce qu'on appelle dormir …" » . A cette objection elle répond d'abord par
un argument de fait : « Il paraît certes très bizarre d'affirmer que le sujet cité au début de ce
[31]
chapitre n'était pas "conscient" au moment de l'expérience qu'il décrit » . Le rêve en
question ne peut en effet se plier au postulat de Malcolm :

Sans le préliminaire d'une expérience de rêve ordinaire, je me


trouvai soudain à bord d'un assez grand bateau, voguant à une allure
normale sur ce qui me paraissait être l'embouchure d'un fleuve, non
loin de l'endroit où il se jette à la mer. De part et d'autre, on
apercevait des paysages agréables, verts et boisés, tandis qu'en avant
l'eau s'étendait à l'infini. Le pont était lisse et propre, réchauffé par le
soleil, et je sentais la brise sur ma peau. Cela me surprit, car je savais
que, dans un rêve, on n'éprouve pas les sensations physiques du
moment avec la même intensité, ou la même subtilité que dans la vie
réelle. J'étais suffisamment maîtresse de mes pensées et de mes
mouvements pour me pincer le bras, afin de m'assurer que c'était
bien un rêve. Je sentis la chair sous mes doigts, ainsi que la légère
douleur causée par le pincement, et cela me remplit d'une réelle
inquiétude. Je savais, en effet, que je n'aurais pas dû me trouver à
bord de ce bateau, en plein jour. Je ne voyais pas mon propre corps,
mais j'étais suffisamment lucide pour l'imaginer, inerte, dans mon lit à
[32]
Paris.

Celia Green se place ensuite pour répondre à Malcolm sur son propre terrain, celui du
langage : « Le problème serait peut-être résolu si l'on parvenait à distinguer une
"inconscience physiologique" d'une part et de l'autre une "inconscience psychologique." On
définirait la première par l'absence de réponse à certains stimuli externes. L'état
d'inconscience psychologique serait plus difficile à caractériser. On aurait, en effet, quelque
mal à déterminer des critères spécifiques : incapacité à discriminer, amnésie, inattention, ou
[33]
autres, qui ne se manifestent pas, à l'occasion, dans un état de veille normal » .
Green s'efforce ici d'approfondir le langage courant en distinguant plusieurs types
d'inconsciences.

On pourrait tout aussi bien distinguer différents types de consciences. Le langage


aurait certainement besoin d'être corrigé sur ce point car les expressions qu'il utilise ne font
pas la différence entre l'état physiologique et le type de conscience. Ne dit-on pas de
quelqu'un qui s'éveille qu'il revient à la conscience et de quelqu'un qui sombre dans le
sommeil qu'il perd conscience ? Or, si l'on tient compte ne serait-ce que de la conscience
onirique du rêveur ordinaire, on s'aperçoit qu'une telle distinction est trop abrupte. Des
individus qui, à l'état de veille, n'ont pas conscience de leur état d'homme éveillé, peuvent
s'observer parmi ceux qui sont abrutis par une drogue, absorbés dans un film ou entièrement
pris dans une activité de type répétitif. Dans un tel cas leur conscience serait plus proche de
[34]
ce que l'on appelle la conscience onirique . Une distinction équivalente à celle de Celia
Green pourrait donc être envisagée en ce qui concerne la conscience en séparant dans le
langage l'état physiologique d'un individu de son type de conscience. Si par exemple on
appelle conscience "floue" (ou directe ou passive) une conscience limitée et aveugle quant à
l'état dans lequel elle se trouve, et conscience "claire" (ou réfléchie) une conscience qui
connaît son état, on se rend compte alors que chacun de ces types de consciences se
manifeste aussi bien dans le sommeil que dans la veille. A l'état de veille la conscience floue
caractériserait l'individu hébété tandis qu'en rêve elle prendrait la forme de la conscience
onirique ordinaire ; de son côté la conscience "claire", qui accompagne les activités les plus
[35]
courantes de l'état de veille, se transformerait dans le sommeil en lucidité onirique .

Cependant, ces considérations sur le langage ne font que déplacer le problème. Si la


distinction entre l'état physiologique et le type de conscience est un pas indispensable dans
la compréhension du phénomène, celle entre conscience "claire" et conscience "floue" reste
approximative, d'une part parce leur nature n'est pas clairement définissable d'un point de
vue absolu (pour le rêveur non lucide qui est persuadé d'être éveillé, sa conscience est
[36]
"claire", elle ne devient floue qu'au réveil ) et d'autre part parce toute une gamme de
types de consciences peut s'y s'intercaler. La question de savoir ce qu'est la conscience de
rêver n'est donc que repoussée.

Puisque la clarification conceptuelle du langage n'est pas satisfaisante, il reste la


solution de s'appuyer sur des modèles et des comparaisons. C'est ce que fait
LaBerge lorsqu'il met à égalité l'état de conscience du rêveur lucide et celui de l'homme
éveillé pour supprimer la référence à un modèle intégratif. Pourtant ce recours à la
comparaison se révèle lui aussi inefficace. En effet pour LaBerge l'état de conscience du
rêveur lucide et celui de l'homme éveillé sont similaires en ce que « les deux sont capables
[37]
de réfléchir, de se souvenir, de percevoir et d'agir à l'intérieur d'un monde phénoménal » .
Mais dans ce cas qu'est-ce qui différencie le rêve lucide du rêve ordinaire où ces qualités sont
également présentes ? Implicitement la comparaison porte en fait sur la différence avec le
rêve ordinaire, mais dans ce cas on quitte l'utilisation du modèle, puisqu'on retourne à une
définition par négation, en essayant de dire ce que le rêve lucide et le rêve ordinaire ne sont
pas l'un par rapport à l'autre. L'utilisation de la comparaison, dans la mesure où l'on cherche
un modèle, est donc source de problèmes.

L'exigence d'une définition et d'une compréhension minimale nous amènent ainsi à


poser l'hypothèse que le rêve lucide est un état particulier dont la définition ne peut être
construite à l'aide d'éléments déjà connus mais qu'elle doit au contraire résulter d'une étude
de ses particularités même. Une première compréhension ne peut être qu'approximative et
provisoire et seul un examen approfondi du phénomène permet d'en saisir l'essence. Mais on
peut néanmoins se demander comment s'y prendre dans la mesure où on ne dispose pas de
critère net.

En fait ce critère peut être trouvé dans la définition minimale elle-même à condition de
la lire de façon un peu différente. Si en effet nous tenons compte des difficultés auxquelles
nous nous sommes heurtés nous pouvons y découvrir le seul élément vraiment nécessaire,
même s'il n'est pas suffisant, pour obtenir un rêve lucide ; et, armés de cet élément, nous
intéresser aux rêves dans lesquels il est présent. Ce n'est qu'a posteriori, une fois la
recherche des critères complétée, que nous pourrons décider si les rêves ainsi examinés
entrent ou non dans la catégorie des rêves lucides. Cet élément minimal est la conscience de
rêver. Ce que nous proposons maintenant diffère de ce qui a été dit précédemment car les
analyses précédentes mettent l'accent sur la conscience de rêver, ce qui rend leur position
périlleuse. Or, nous soutenons que ce n'est pas la conscience qui est en question ici puisque,
d'une part, le rêveur ordinaire dispose de la conscience onirique et que, d'autre part, la
conscience de veille et la conscience du rêveur lucide ne sont que très difficilement
comparables, mais l'intentionnalité spécifique qui est justement celle de savoir qu'on rêve.
C'est cet élément qui est présent d'un bout à l'autre de la littérature sur le rêve lucide et c'est
finalement chez ceux qui n'ont pas cherché à définir le phénomène pour lui-même qu'on le
trouve mentionné avec le plus de clarté. Hervey de Saint-Denys dit à plusieurs reprise
conserver « toujours, dans la plupart de mes rêves, la conscience de mon état d'homme
[38]
endormi » , il dit avoir le sentiment de sa situation véritable, bref il insiste sur cet
élément qu'il considère comme la condition primordiale pour l'étude de ses rêves.

On pourrait cependant considérer que ce qui importe avant tout c'est le souvenir de sa
vie de veille, la mémoire des événements quotidiens, attitude légitime pour sortir du modèle
intégratif. Pour objecter au critère de discontinuité dans la définition habituelle du rêve, Celia
Green remarque que « Certains sujets assurent que, dans un rêve lucide, ils conservent la
plus grande part, sinon la totalité des souvenirs qu'ils ont à l'état de veille. S'il en est ainsi, la
[39]
"discontinuité de l'expérience personnelle" est évidemment minimale » . Mais à notre avis
si cette objection est juste pour la définition du rêve en général, elle n'apporte rien à celle du
rêve lucide. Les souvenirs peuvent être très complets et précis et ne jouer aucun rôle dans le
fait de savoir que l'on rêve. Nombreux sont les rêves où le rêveur a un souvenir parfait de sa
vie de veille sans pour autant se rendre compte qu'il rêve. Il en va de même pour le
sentiment d'identité, le libre arbitre ou l'exercice de la volonté en rêve. Le fait de savoir que
l'on rêve est donc premier et incontournable.

Si toutefois cet élément se révèle incontournable, pourquoi ne serait-il pas suffisant ?


Pourquoi un examen approfondi est-il nécessaire ? Nous avons rencontré chez van Eeden un
rêve qui présente apparemment ce critère et se révèle en dernière analyse ne pas être un
rêve lucide : il rêve que Theodore Roosevelt est mort, qu'il se réveille et raconte le rêve, puis
qu'il se dit : « Maintenant je sais que je rêve et où je suis », mais remarque au réveil qu'il
s'agissait d'une fausse lucidité. Ce rêve met l'accent sur un point important : on peut se
dire en rêve qu'on rêve, c'est-à-dire que le rêve ordinaire peut mimer le rêve lucide, mais
l'élément de savoir doit être effectif. Il faut donc trouver les critères qui permettent de
confirmer ou d'infirmer le rêve lucide malgré la présence de cet élément dans le rêve. Dans
cet exemple l'infirmation est donnée après le réveil. Le "savoir qu'on rêve" ne serait donc pas
suffisant d'un point de vue méthodologique sans la confirmation du rêveur ou d'autres indices
décelables dans le récit du rêve. C'est ce qui nous amène à chercher s'il n'existe pas au sein
du rêve d'autres critères qui compléteraient celui-là. On peut par exemple s'intéresser à
l'interaction de la conscience de rêver avec le contenu du rêve, ou encore chercher de façon
systématique en quoi le rêve lucide, la conscience de rêver mise à part, diffère du rêve
ordinaire pour ce qui est de l'environnement onirique ou des possibilités qui s'offrent au
rêveur.

Nous disposons donc d'un critère nécessaire mais non suffisant, la conscience de
rêver, pour aborder l'étude du rêve lucide, étude qui seule nous livrera sinon une définition,
du moins des éléments susceptibles de nous ouvrir à une compréhension approfondie du
phénomène. Il faut néanmoins remarquer que le fil directeur d'une telle étude n'est pas aisé
à trouver. Si l'on part de la conscience de rêver pour remonter à ce qu'elle implique
nécessairement ou éventuellement, on peut orienter cette recherche selon deux grands
axes : celui de la lucidité onirique elle-même (la conscience de rêver), et celui des capacités
du rêveur lucide (l'interaction du rêveur avec l'environnement onirique). Ce deuxième axe
lui-même suppose pour être tout à fait compris l'étude de l'environnement onirique du rêve
lucide afin de déterminer éventuellement dans quelle mesure il diffère de celui du rêve
ordinaire.

§ 1. La lucidité onirique
Nous avons vu que le plus petit commun dénominateur qui peut nous introduire à
l'étude du rêve lucide comme condition nécessaire mais pas obligatoirement suffisante, est la
conscience de rêver, en mettant l'accent sur "de rêver". Van Eeden s'est référé à cette
conscience de rêver par le terme de "lucidité" et l'usage s'est par la suite répandue de lui
donner le nom de lucidité onirique. Le mot "lucidité" renvoie à l'idée d'une certaine clarté, ou
si l'on préfère d'une netteté conscientielle qui permet de dépasser la comparaison ou
l'assimilation de la conscience de rêver à la conscience de l'état de veille, car il met l'accent
sur une certaine qualité de cette conscience. Pour comprendre ce qui est ici en question il
faut cependant nuancer cette idée de lucidité en éliminant ce qui, lorsqu'on l'utilise pour l'état
de veille, pourrait induire en erreur.

L'examen de l'expérience de l'état de veille normal nous montre qu'elle est susceptible
de variation d'intensité aussi bien en ce qui concerne la connaissance que j'ai du monde que
celle que j'ai de moi-même. Comme le souligne Charles Tart : « Mes perceptions, ma
compréhension du monde et de moi-même peuvent varier quant à leur degré de lucidité.
Prenez mon univers et voyez quelles seront les situations extrêmes de l'expérience que je
puis en avoir. D'une part, ma vision sera floue, mal accommodée, ma situation dans l'espace
sera incertaine, la signification du monde qui m'entoure restera obscure. A l'opposé, j'aurai
une perception claire et intense, je reconnaîtrai immédiatement tout ce que contient mon
environnement, je saurai nommer chaque chose et connaîtrai la fonction et la place qui sont
les siennes dans le monde.

« Prenez maintenant ma personne. Dans l'une des situations extrêmes, je serai dans
un état de confusion, mal assuré de mon identité dans une situation donnée, tout aussi
incertain de ce que je puis être, de façon générale, au-delà des circonstances particulières. Je
souffrirai peut-être d'une succession trop rapide d'émotions ou de concepts contradictoires, je
ressentirai mon propre corps comme m'étant étranger, je ne saurai pas clairement qui je suis
et serai sujet à des représentations illusoires de ma propre personne. A l'autre extrême, celui
de la lucidité, je n'éprouverai aucun doute sur mon identité au sens le plus général et serai
capable d'appréhender la façon dont je fonctionne à ce moment particulier du temps, en un
[40]
lieu défini de l'espace » .
La lucidité se révèle donc être une certaine qualité de la conscience et par là une
grandeur intensive. D'un point de vue absolu on pourrait la définir comme « l'expérience de
l'accès immédiat et clair à toutes les informations utiles sur lui-même ou son monde
[41]
auxquelles un être humain peut avoir accès » . Cette définition d'une lucidité absolue ne
peut cependant servir que de référence idéale car elle est impossible à trouver dans
l'expérience de la vie de veille ou elle ne peut qu'être mesurée de façon relative : il faut alors
définir ce qu'est un état ordinaire, c'est-à-dire vécu par la plupart, pour caractériser la
lucidité par rapport à cet état comme l'accès de la conscience à un nombre plus grand
d'informations perceptives ou cognitives.

Si nous transposons cette idée de la lucidité à la vie onirique, nous nous apercevons
que le rêveur lucide a effectivement plus d'informations sur son monde et sur lui-même que
dans un rêve ordinaire, puisque se savoir dans un rêve peut-être considéré comme une
information relativement importante quant à son attitude (par exemple si le rêveur se trouve
dans un cauchemar et que se sachant en train de rêver il s'efforce de se réveiller) et que
cette information en fait surgir d'autres. Cependant, on trouve des rêves ordinaires dans
[42]
lesquels le rêveur dispose de plus d'informations que dans certains rêves lucides .
Tart lui-même admet que, dans le cas du rêve lucide, le changement n'est pas quantitatif
(c'est-à-dire dépendant du nombre d'informations) mais qualitatif. « Cependant, le passage
au rêve lucide se décrit généralement en termes de changement qualitatif. Aucun rêveur ne
vous fera un compte rendu dans lequel il dirait : "S'agissant de ce personnage de mon rêve,
je m'aperçus que j'avais en mémoire, à son sujet, environ 15% d'éléments informationnels
de plus que d'habitude, et c'est pourquoi je parle de lucidité". Le changement concerne la
qualité générale du rêve. Il s'agit d'une réorganisation de ses rapports internes produisant un
état de conscience modifié, bien différencié par comparaison avec ce qui se passe dans un
rêve ordinaire. Ces modifications de rapports peuvent inclure l'apparition de fonctions
psychologiques, comme la volonté, qui étaient absentes dans le rêve non lucide. La meilleure
[43]
appellation pour un changement de ce genre serait celle de "lucidité qualitative" » .

On peut donc garder l'idée de clarté à soi-même en rêve pour définir la lucidité
onirique à condition de préciser que cette clarté doit avant tout s'étendre à la connaissance
de la nature de l'expérience. Le changement qualitatif que constitue la lucidité onirique par
rapport à la conscience onirique peut en entraîner d'autres mais aussi permettre un accès à
de nouvelles informations. En d'autres termes la lucidité qualitative peut entraîner le
développement de la lucidité quantitative mais non l'inverse.

Nous pouvons donc déjà caractériser la lucidité onirique, en tant que lucidité, comme
une lucidité qualitative c'est-à-dire qui suppose une modification radicale de l'état de
conscience. Cette modification radicale est due à une sorte de "surconnaissance", c'est-à-dire
à une connaissance certaine qui porte sur l'ensemble du monde onirique perceptible et que ce
[44]
monde ne peut pas fournir directement par lui-même . Mais que signifie cette modification
radicale de la conscience et comment la comprendre autrement que par l'expérience
personnelle ?

La lucidité onirique marque une sorte de saut qualitatif conscientiel et l'expérience en


est suffisamment saisissante pour que les rêveurs lucides parlent d'un éveil à l'intérieur du
rêve, ce qui les amène tout naturellement à identifier la lucidité onirique à la conscience de
veille. Ainsi, de façon spontanée, la conscience de l'état de veille ordinaire sert de référence à
la description, même si une identification de l'une et de l'autre ne peut être acceptée sans
examen. L'élément déterminant qui permet de distinguer le rêve lucide du rêve ordinaire est
la visée de la nature de l'expérience vécue, visée qui doit être effective, faute de quoi on a
affaire à une fausse lucidité qui se situe dans le rêve ordinaire. Ce qu'il faut donc déterminer
c'est ce qui rend cette visée effective et comment elle s'effectue. En d'autres termes :
comment est vécue cette reconnaissance de l'intérieur, et qu'est-ce qui dans les récits de
rêves lucides nous permet d'y avoir accès ?

Pour répondre à ces questions il faudrait pouvoir préciser quels éléments oniriques le
fait de savoir qu'on rêve tend à impliquer et sous quelle forme ces éléments se manifestent
éventuellement dans le récit. Nous avons déjà eu l'occasion de remarquer que la lucidité
elle-même ne fait pas toujours l'objet d'une mention explicite, probablement parce que le
langage ne s'y prête pas particulièrement, mais surtout parce que les expériences
conscientielles se situent par essence en dehors de la narration. Mais, même lorsqu'elle est
mentionnée, son rapport avec l'ensemble du récit n'est pas toujours facile à saisir. Pour ne
prendre qu'un exemple, la lucidité signalée peut être ponctuelle ou intermittente. Si le rêveur
ne précise pas ces fluctuations, le lecteur ne peut savoir où elles se situent. Or, un tel travail
impliquerait un récit à deux niveaux, et les rêves ayant en eux-mêmes cohérence et
continuité, le rêveur n'aura pas tendance à interrompre un récit qui l'entraîne dans son
mouvement propre. Ainsi noter systématiquement ses états de conscience et leurs
modifications est spontanément contre nature, non seulement parce que ce qui est raconté
entre avant tout dans le cadre de ce qui est descriptible, ce qui n'est pas le cas de la
conscience, mais aussi en raison de la logique du récit. Une double notation, descriptive et
conscientielle, demanderait un apprentissage et un entraînement uniquement pour le
bénéfice du chercheur. De plus cela supposerait que les états de conscience oniriques lucides
et leurs modification soient déjà répertoriés alors que justement nous cherchons à les
[45]
répertorier à l'aide des récits transcrits .

La seule façon de briser ce cercle est de partir d'une situation de référence, quitte à
l'examiner par la suite. Cette situation est évidemment l'état d'éveil ordinaire, et beaucoup
d'auteurs s'appuient spontanément sur elle comme en témoigne cette réaction de
Muldoon concernant un type particulier de rêve lucide, le rêve de sortie hors du corps (qu'il
considère pour sa part comme une "sortie" réelle) : « La première attaque du sceptique ou
même du chercheur honnête contre celui qui se projette consciemment, est que celui-ci peut
fort bien ne pas du tout quitter son corps physique et que ce qu'il croit avoir vécu est
seulement un rêve qui s'est imprimé, de façon indélébile, dans sa mémoire. Il n'y a qu'une
réponse à cette supposition. Si une personne ne sait pas quand elle est consciente, alors
peut-être conviendrait-il qu'elle se soumette à certains examens médicaux ?…

« Le sceptique dira encore : "Dans vos rêves vous ne savez pas que vous n'êtes pas
entièrement conscient." C'est un raisonnement à l'envers! En rêvant, un homme peut ne pas
savoir qu'il est inconscient mais, quand il est conscient, il sait pertinemment bien qu'il ne
rêve pas. Pourquoi ? Simplement parce que nous avons, lorsque nous sommes conscients,
[46]
une perception distincte à la fois du présent et du passé » .

Muldoon appuie la réalité de la projection hors du corps sur la pleine conscience du


sujet, tandis qu'il caractérise les rêves ordinaires par l'absence de conscience de soi. La
notion de lucidité onirique permet ici d'affiner les catégories de l'expérience par rapport au
langage courant. Mais ce qui nous intéresse dans ce texte c'est que la réaction de
Muldoon nous montre la limite de l'analyse. Il est toujours possible de questionner l'état de
conscience du rêveur lucide, mais il y a une limite à ce questionnement si l'on s'attache à une
référence précise. Il est inutile de mettre en œuvre un questionnement qui exigerait des
réponses que l'on ne pourrait pas même obtenir concernant l'état de veille. Si par exemple un
sujet se souvient avoir été lucide en rêve la nuit précédente, on ne peut pas plus mettre sa
déclaration en question que son souvenir d'avoir été conscient durant la journée de la veille -
ou on peut n'accorder foi à aucune de ces deux déclarations, l'important étant la cohérence
d'attitude de recherche une fois choisi l'état de référence. On pourrait objecter que ce sujet a
rencontré, à l'état de veille, d'autres personnes qui pourraient confirmer son souvenir, mais
cette objection n'a pas de valeur en soi, le sujet aurait pu être somnambule ou sous hypnose
- sans compter le cas où il serait resté chez lui et n'aurait rencontré personne. Si une
question n'a pas de sens à l'état de veille, il n'y aura pas de raison de la poser à propos de la
lucidité onirique. La cohérence de la démarche est donc indispensable pour comprendre la
lucidité en regard de la conscience de veille.

Cette démarche s'appuie sur les récits de rêves lucides. Or, nous avons remarqué qu'à
moins de présenter aux yeux du sujet un caractère exceptionnel, l'explicitation des états de
conscience est rare dans ces récits, et que surtout ces états se situent à un niveau hors
récit qui rend leur notation improbable. De ce fait l'étude n'est possible que si l'on s'accroche
aux points d'émergence de ces états de conscience avec le récit. On peut distinguer en effet
deux types de récits de ce point de vue : ceux dans lesquels l'état de conscience est ajouté
en marge du récit et ceux dans lesquels il est indiqué dans son déroulement et son
interaction (même faible) avec le rêve. Ce qui compte alors pour nous ce n'est pas
simplement l'émergence de la lucidité onirique, sa disparition ou son atténuation, mais les
circonstances oniriques de sa manifestation. Or, pour cela nous ne pouvons nous appuyer sur
des rêves trop "travaillés" où l'on ne démêle que difficilement ce qui fait partie de la trame du
rêve du commentaire que l'auteur fait sur son rêve une fois éveillé. Par exemple lorsque
LaBerge décrit son mode de déplacement en rêve (" Pas à pied, cependant, car chaque fois
que je veux aller quelque part en rêve, je vole ") s'agit-il d'une réflexion qu'il se fait à
lui-même en rêve du fait de sa lucidité, ou d'un commentaire qu'il fait au réveil à l'intention
de ses lecteurs ? La réponse serait aisée à donner si le rêveur n'était pas lucide, mais ici elle
peut être problématique. Il faut donc distinguer, dans un rêve rapporté, le récit des
événements, le commentaire onirique et le commentaire après réveil. Si nous supprimons le
[47]
commentaire après réveil nous obtenons des rêves "purs" dans lesquels on peut discerner
les deux niveaux mentionnés. Le rêve banal cité en introduction de cette section contient des
passages indiquant (passage lucide) ou (fin de la lucidité) de façon un peu extérieure au
récit, mais faisant partie de lui. En revanche là où le déroulement des événements accrochent
à la lucidité, ces parenthèses disparaissent : " Je sais que je rêve mais je suis obligé de
faire tout cela pour franchir la porte ".

Il est probable que de tels points d'accrochage entre la lucidité et les événements
oniriques existent même quand le sujet ne les mentionne pas explicitement et qu'il est
possible de les cerner par un réseau d'indices qu'il reste à découvrir. Dans ce cas il semble
légitime de partir non de la lucidité elle-même mais bien du récit pour analyser la lucidité
onirique. De fait l'étude des récits nous permet de voir aussi bien l'émergence de la lucidité,
les conditions nécessaires pour qu'elle se maintienne, les degrés dont elle est susceptible,
que la façon dont elle prend fin pour le rêveur. Chacun de ces points soulève des problèmes
différents que nous rencontrerons au fur et à mesure de leur examen.

I. Circonstances oniriques dans lesquelles apparaît la lucidité


Les circonstances dans lesquelles surgit la lucidité peuvent être abordées de différents
points de vue. Si on les considère au sens large, elles comprennent aussi bien les tentatives
d'induction à l'endormissement que l'état psychophysiologique du rêveur au cours de la
journée ou un stimulant externe. Or, pour l'instant, ces circonstances sont trop globales pour
nous aider dans notre étude de la lucidité onirique. Ce que nous cherchons à déterminer ce
sont les circonstances immédiates qui entourent la lucidité. Que se passe-t-il dans les
environs immédiats du moment où le rêveur peut se dire "je rêve" ? Une étude de l'état
physiologique du rêveur à ce moment est possible mais ce qui nous intéresse dans ce
chapitre, qui est orienté sur la vie onirique elle-même, ce sont les circonstances oniriques
(ou, si l'on veut, psychologiques) de la lucidité. Il s'agit de savoir ce qui se passe pour le
rêveur au moment où surgit la lucidité c'est-à-dire dans le rêve ou au moment de
l'endormissement, dans le cas où la lucidité est la prolongation de la conscience dans le
sommeil. Un exemple peut nous aider à délimiter ce qui est ici l'objet de notre recherche :
« Rêve : Je suis invité à une soirée. Il y a beaucoup de monde
dont I. C…. J'ai à lui parler et je lui demande de m'accorder quelques
instants tout à l'heure pour discuter un peu. I… me regarde d'un air
embêté et surpris, car sans que je l'ai cherché mon ton a été un peu
insistant. I… n'a pas vraiment envie de me parler et se fait toujours de
moi la même idée. Nous sommes dans un grand appartement près
d'un vaste balcon ouvert sur la nuit qui me rappelle celui de notre
appartement à D…. Dehors tout est sombre, il règne une atmosphère
de fin du monde. Je me sens très dégagé au contraire d'I… et des
autres parce que je sais que je peux penser : "c'est un rêve".

« Rêve lucide: Je m'élance dans le ciel mais j'ai du mal à


m'envoler. Maintenant il fait plein jour, et je suis dans une maison qui
ressemble à un grand magasin. En face de moi une porte vitrée à
double battant donne sur l'extérieur. J'essaie de passer au travers
mais je n'y parviens pas. Les battants finissent par s'ouvrir sous ma
poussée. Une fois dans la rue je vois le soleil qui brille. Et là, j'essaie à
nouveau de m'envoler mais n'y arrive que partiellement : je ne peux
pas me déplacer d'un bloc. Je me rends compte que je dois monter,
comme on gravit des marches d'escaliers. Ou, plus exactement, je
surélève d'abord le talon puis je ramène le reste du pied à
l'horizontale, et je recommence l'opération. Je marche dans les airs à
[48]
une hauteur qui dépasse un peu le toit des voitures. […] » .

La circonstance onirique dans laquelle surgit la lucidité se trouvera donc le plus


souvent dans les environs immédiats de l'endroit où elle est mentionnée dans le récit. Ici
nous percevons un enchaînement qui part de l'environnement onirique : l'aspect sombre du
décor suscite un sentiment d'inquiétude que le rêveur ne ressent pas lui-même parce qu'il
sait qu'il peut se dire qu'il est dans un rêve. La lucidité survient à ce moment-là et il tente de
s'envoler. Ce faisant il rompt la trame du rêve en cours et se retrouve dans un autre décor,
en plein jour. Dans ce passage la lucidité surgit juste après que le rêveur se soit dit qu'il peut
penser qu'il est dans un rêve. Il ne s'est donc pas dit cela parce qu'il savait qu'il rêvait mais
pour supprimer son inquiétude, et cette décision a déclenché la prise de conscience. Nous
voyons, d'une part, que la circonstance onirique est délicate à isoler et qu'il ne faut pas se
tromper sur le point oniriquement décisif ; et, d'autre part, que cette circonstance fait partie
d'un ensemble complexe dont il faut découvrir les différents éléments. Ici c'est une méthode
d'induction du rêve lucide utilisée normalement à l'état de veille (se dire "c'est un rêve") qui
est en quelque sorte détournée pour aider le rêveur à se détacher d'un sentiment
désagréable. Elle lui permet néanmoins de se rendre compte qu'il s'agit effectivement d'un
rêve. Elle est donc l'occasion de la prise de conscience comme l'indique juste après un
commentaire (les deux mots "rêve lucide") qui fait partie du rêve. Les modifications du
rêve (du décor et de l'action) sont également révélatrices en ce qu'elles accompagnent
exactement le changement d'état de conscience. Les circonstances oniriques dans lesquelles
survient la lucidité constituent donc un contexte onirique qui permet de déceler son
apparition. Si nous devenons habiles à découvrir la structure de ce genre de contexte nous
pourrons peut-être même identifier des rêves lucides là où les rêveurs n'ont pas pensé à les
[49]
signaler, notamment dans le cas de rêves lucides spontanés , ou écarter les situations de
fausse lucidité. Cet exemple montre également que pour discerner les circonstances qui
entourent l'apparition de la lucidité il faut s'interroger sur leur rôle.

Ces circonstances jouent-elles un rôle dans le surgissement de la lucidité ? En d'autres


termes suffit-il seulement de les décrire ou faut-il également les comprendre ? Sont-elles
totalement extérieures à la lucidité ou en interaction avec elle ? L'exemple que nous avons
donné laisse subsister une ambiguïté : il y est fait mention d'une technique de réflexion
critique (normalement pratiquée à l'état d'éveil) mais il n'est pas dit qu'elle est en connexion
avec la lucidité qui est juste indiquée, comme si elle surgissait de nulle part. Or, en règle
générale, l'étude des récits montre qu'ils associent nettement la lucidité avec les
circonstances oniriques de son apparition :

La nuit dernière, au cours d'un rêve dans lequel figurait ma


femme, je sus que j'étais en train de rêver grâce à l'apparition d'un
grand modèle de bateau de guerre ; ce bâtiment se déplaçait dans la
rue par le fait que je me trouvais à l'intérieur et le faisais avancer en
[50]
marchant.

Mais la nature de ce rapport n'est pas toujours claire. Est-ce un rapport de cause à
effet ? Le sujet peut-il "conclure" de ce qui lui arrive qu'il est en train de rêver, ou seulement
s'en "rendre compte" ? En d'autres termes, dans l'exemple donné, la lucidité survient-elle de
l'examen du rêve ou du fait de l'examen lui-même ? La littérature semble accepter les deux
cas de figure. Ainsi un rêve rapporté par Tholey présente la circonstance comme causale, et
de façon insistante :

Je rêvai que je me frayais un passage, difficilement, à travers


une masse grise et visqueuse. J'ignorais ce que cela pouvait être.
C'était désagréable, mais pour une raison ou pour une autre, il fallait
que je me propulse à travers cette masse afin de progresser au-delà.
Puis, au milieu de cette boue grisâtre, j'arrivai dans un espace
brillamment éclairé, au centre duquel se tenait une personne. Je vis
que c'était M. Spock, le savant de l'Entreprise, le vaisseau spatial du
feuilleton télévisé "Startreck". Il me dit : "Vous n'avez aucune raison
de vous inquiéter, car vous êtes en train de rêver." Je refusai de le
croire mais lui demandai ce qu'était la matière que je venais de
traverser. Il me répondit qu'il s'agissait de mon cerveau, ou de mon
esprit. Je ne le croyais toujours pas, mais il en savait bien plus long
que moi. Il me dit qu'il allait faire un saut et rester suspendu en l'air,
de sorte que je verrais que nous étions l'un et l'autre les éléments
d'un rêve. Il fit ce qu'il suggérait, et c'est alors seulement que je fus
convaincue de rêver. Je lui dis que je n'aurais jamais trouvé cela par
moi-même et il me répondit qu'il le savait, que c'était justement la
[51]
raison pour laquelle il se trouvait là.

Ici la circonstance onirique apparaît comme la cause de la lucidité : c'est un élément


du rêve qui veut que la rêveuse prenne conscience de son état et qui revient à la charge
jusqu'à ce qu'elle comprenne qu'elle rêve. En un sens la circonstance visible n'est que
déclenchante puisqu'elle a besoin de la coopération du rêveur sur un plan conscientiel, mais
elle est déclenchante. Dans d'autres cas le rôle déclencheur est inexistant, ou à tout le moins
indirect. Ce ne serait pas parce que le rêveur voit une scène étrange qu'il se rend compte
qu'il rêve, mais parce que cette scène l'a amené à réfléchir sur le rêve de façon critique, et ce
serait l'exercice même de la faculté critique qui aurait entraîné la prise de conscience du fait
qu'il est en train de rêver. Cela est bien illustré par un rêve de Delage :

« Je me vois à Paris, au bas de la rue Soufflot, à sa jonction


avec le boulevard Saint-Michel. Je suis sur le trottoir qui est à droite
quand on monte vers le Panthéon et je regarde le côté opposé de la
rue. Je constate que là se trouve un vaste étalage de bouquinistes ;
d'immenses rayons bordent la façade sous des arcades, et des
employés juchés sur des échelles sont occupés à manier les bouquins.
A terre, entre les piliers, sont des tables chargées de livres que
consultent les passants et même des lecteurs assis. Je considère ce
spectacle avec un certain étonnement, mais sans me rappeler dans
mon rêve qu'il n'est pas conforme à la réalité, car je sais très bien
qu'à cette place se trouve non un bouquiniste, mais un grand café.
Mais dans mon rêve, ce souvenir ne me vient pas.

« Je m'éloigne et, tout auprès, sur le boulevard, entre le coin


de la rue et la fontaine Médicis, je me mêle à des badauds qui font
cercle autour d'un gymnaste forain. A ce moment, je me mets à
ratiociner. Je me rappelle être venu à Paris la veille, qui était un
samedi et il me vient à l'idée que le lendemain lundi, je viendrai
encore à Paris, selon mon habitude, pour la séance de l'Académie. Et,
de là, je conclus (ce qui n'est pas bien méritoire), que le jour présent
est un dimanche. Et tout à coup, je me dis : "Comment se fait-il que
je sois ici un dimanche? Cela ne m'arrive presque jamais" ; et aussitôt
la lumière se fait dans mon esprit : "Si c'est dimanche et si je me
crois à Paris, c'est que je rêve". Immédiatement, le rêve devient
conscient de la manière la plus nette, sans rien perdre de son
caractère hallucinatoire ni de la vigueur des images qu'il représente.

« Ainsi, ce qui a fait naître en moi la conviction que je rêvais,


ce n'est point cet argument valable que le coin de la rue Soufflot
m'apparaît occupé par un magasin que, (dans la réalité, mais non
dans mon rêve, puisque le souvenir ne m'en revient pas), je sais fort
bien ne pas y être, mais cet argument bien médiocre que je me vois à
[52]
Paris un jour où je n'ai pas l'habitude d'y venir » .

Delage compare ici les deux types de causes oniriques possibles, l'image et le
raisonnement tenu en rêve, et s'étonne que ce soit ce dernier qui ait provoqué la lucidité.
Mais il se peut qu'il se trompe quant à la cause. En effet ce ne serait pas la scène du magasin
inexistant ou la matière du raisonnement qui seraient sinon la cause, du moins le
déclencheur, mais le fait de raisonner lui-même qui peut se produire au sujet d'une
incongruité visible ou d'une anomalie de type plus abstrait. Des cas où la lucidité survient,
sans que l'on puisse dire ou soupçonner pour quelle raison dans le rêve, peuvent d'ailleurs
être trouvés chez Delage lui-même :

« Il y a réception chez le prince de M… Je me rends à une salle


de banquet située au milieu d'un jardin. Pour y arriver, je dois
traverser une passerelle en bois franchissant un large fossé et je porte
entre les mains une sorte de soupière blanche sans couvercle. Au
moment où j'aborde la passerelle, le rêve devient conscient et je me
dis : "Je sais que je rêve, voici l'occasion attendue de faire
[53]
l'expérience que j'ai méditée » .

Ici, aucune circonstance onirique ne peut être trouvée : la lucidité surgit sans raison
apparente. L'indication de l'expérience méditée suggère que le rêveur attendait cette
occasion, mais rien ne l'annonce au cours du rêve. Ces trois exemples présentent donc les
circonstances oniriques qui entourent l'émergence de la lucidité sous trois jours différents :
dans certains cas, elles semblent causer ou à tout le moins déclencher la lucidité tandis que,
dans d'autres, elles ne constituent qu'un support indirect à la reconnaissance par la
conscience de sa propre activité de pensée, le contenu du raisonnement ne jouant qu'un rôle
accessoire ; dans d'autre cas encore elle paraît complètement absente. Chacun de ces trois
cas, dans un ordre croissant, jette un doute sur la validité des deux autres. On peut en effet
se demander si dans les deux premiers cas les circonstances examinées n'ont pas
simplement une apparence déclenchante alors qu'en fait elles sont, toutes, neutres. Le rôle
de la circonstance onirique n'est donc pas aisé à délimiter et cela pose un problème de
méthode pour son étude.

Comment en effet aborder la description des circonstances oniriques de la lucidité si


on ignore leur rôle exact dans ce surgissement ? Ces circonstances sont-elles causales ou
sont-elles des "hasards" que la conscience du rêveur agrippe pour "revenir à elle" et que
seule une vision rétrospective fait voir comme causale ? Cette question même indique que
notre approche ne peut être que descriptive. Il nous faut chercher les cadres dans lesquels
surgissent la lucidité et les articuler les uns aux autres de façon extérieure, quitte à nuancer
cette approche par la suite. Traditionnellement on distingue depuis Celia Green deux grands
types d'apparition de la lucidité qui semblent englober tous les autres : au cours du rêve ou à
l'endormissement.

Lorsque la lucidité surgit au cours du rêve il est aisé pour le rêveur de faire la
différence entre l'aspect ordinaire et l'aspect lucide, il a l'impression de s'éveiller au milieu du
rêve tout en continuant le même rêve. Le rêve peut déjà durer depuis un certain temps
lorsque la lucidité survient comme dans le cas suivant :

« L'appartement de Mme M… se trouve en face du nôtre sur le


palier (dans la réalité il est à l'étage au-dessus). Il est très grand, plus
que le nôtre, et garni de tapis magnifiques. Ma mère le fait visiter à
tante E… en lui expliquant que Mme M… nous l'a confié et nous a
demandé que personne n'y habite en son absence. Ma mère veut que
Tante E… y dorme pendant son séjour à Paris, ce qui m'étonne car
cela va à l'encontre des instructions de Mme M….

« Une foule de gens font alors irruption. Ont-ils été invités par
ma mère ? Ils restent un moment mais pas longtemps car ils doivent
prendre le train. Ils ont des allures de militaires. Leur capitaine est
chauve au sommet du crâne mais fourni en cheveux sur les côtés.
L'un d'eux a été autrefois un supérieur de mon père à l'époque de son
service. C'est un ancien épicier-cuisinier. Il a servi sur un bateau où il
comptait plus sur son travail que sur son état de santé (pour
progresser). Même lorsqu'il était malade il restait à son poste et pour
cela on l'a décoré et il a obtenu le grade de colonel.

« Le salon de Madame M… s'est transformé en la grande salle


du navire. J'y suis le colonel. Il saute sur une bande au-dessus de
laquelle défilent rapidement diverses sortes de crochets de cuisine, en
agrippe un, et se laisse porter pour sauter ensuite dans une ouverture
pas très loin mais au-delà de la limite que je peux franchir. J'essaye
de faire comme lui. Tout d'abord je rate les crochets. Lorsque je
parviens à en attraper un, les crochets défilent trop vite et je manque
l'ouverture. Je ne peux pas lâcher prise car je suis soulevé dans les
airs. Le crochet fait un angle et je m'éloigne à grande vitesse de
l'ouverture. Nous sommes maintenant à l'extérieur et il fait plein jour,
l'endroit est ensoleillé. Mon sort va être celui des animaux que l'on
prépare pour le repas des marins militaires car je n'ai pas été assez
rapide. Le crochet va passer au-dessus d'une étendue d'eau qui
contient des éléments pour ma préparation culinaire afin de m'y
immerger. Pour éviter cela je replie les jambes et comme le système
a un mouvement circulaire j'effectue ainsi un autre cercle, et je
m'éloigne du lac. Au-dessous de moi s'affairent des gens qui doivent
faire partie des services de cuisine de la marine.

« (Rêve lucide:) Je rejoins le sol et me rends compte que je


rêve. Je fais alors venir la voiture de mon père dans laquelle je
monte. Il y a là une jeune dame qui me donne un livre dont la
dernière page contient un dessin. Elle est habillée de blanc, porte un
chapeau et son visage est voilé. Nous ne sommes plus dans la CX
[54]
mais dans une diligence. […] » .

Ici la lucidité est explicitement remarquée par le rêveur et confirmée par l'action
délibérée qui l'accompagne (faire venir une voiture pour le prendre). On ne peut guère
supposer qu'il était déjà conscient de son rêve et qu'il ne l'établit qu'à ce moment là car la
situation de danger (être "préparé pour le repas") n'a pas donné lieu à une réaction
consciente telle que s'envoler ou de faire venir un véhicule à sa rescousse, comme cela se
produit dans la partie lucide : c'est bien un surgissement en cours de rêve.

Par rapport à ce type d'émergence de la lucidité, le rêve lucide qui prolonge la


conscience de l'état de veille fait contraste. Dans ce cas le sujet est d'abord éveillé et glisse
doucement dans le sommeil sans perdre conscience, jusqu'au rêve. En voici un exemple dans
lequel le sujet commence à l'état de veille par se concentrer sur une image mentale selon
[55]
une technique bien connue de ceux qui souhaitent dormir :

« Rêve lucide: (Je me concentre sur un écran géant qui est


décalé vers la gauche. Je le vois prendre des teintes de bois).

« Je me rends compte que je peux accentuer le tremblement


bien connu qui me fait vibrer tout entier. Je me lève de mon lit. Mais
quand j'atteins la porte je me rends compte qu'elle résiste. Du coup je
suis inquiet car j'ai l'impression d'être un somnambule dont l'esprit est
enfermé dans son propre corps qui se déplace réellement. J'ouvre la
porte de ma chambre et je frappe à celle de ma sœur. Mais ma voix
ne porte pas et je n'arrive pas à faire du bruit. Ni à allumer la lumière.
Puis je vois que le lit de ma sœur occupe le milieu de la pièce au lieu
d'être adossé sur le côté. Donc c'est peut-être un rêve. Je retourne
dans ma chambre. Là j'entends ma sœur qui me parle depuis un
endroit indéterminé. Mais il y a du brouillage et je n'entends qu'une
partie de ses paroles, pas la fin.

« Je m'envole mais tout est noir. Je voudrais aller jusqu'à R.,


[56]
peut-être vais-je rendre visite à un ami » .

La première phase, celle de concentration sur une image, appartient à l'éveil et la


suite se situe manifestement dans le sommeil ou du moins l'endormissement. Toutefois, ces
distinctions ne sont réellement pertinentes que du point de vue du rêveur pour qui l'image
sur laquelle il se concentre (et qui participe d'abord de son imagination de veille) se
transforme insensiblement en image onirique sur laquelle il n'a pas prise ("je le vois prendre
des teintes de bois"). Notons que ce rêve commence par une sorte de semi-lucidité que nous
aurons à examiner : le rêveur pense d'abord sortir de son corps et ne se rend compte qu'il
s'agit d'un rêve que peu après. Il serait donc ici inadéquat d'estimer que la lucidité est la
prolongation dans le rêve de la conscience de veille ; dans ce rêve la conscience et la
mémoire de veille sont là dès le début mais on ne peut considérer qu'il est pleinement lucide
qu'à partir d'un certain moment : la permanence de la conscience ne suffit donc pas à rendre
compte de la lucidité, il faut encore que cette conscience s'intensifie.

A ce problème s'en ajoute un autre que nous révèle l'exemple suivant :

« Je m'endors avec le magnétophone en marche et me réveille


alors qu'il tourne toujours, tandis que je suis paralysé dans mon
corps. Au lieu de "je suis attentif" j'entends, , "je suis télépathe" puis
"je suis commutatif". Mais je ne peux pas respirer et pour ne pas
[57]
étouffer je me force à me réveiller. »

Ici la situation est encore plus délicate à comprendre. Le rêveur s'endort en écoutant
un enregistrement et se "réveille", paralysé dans son corps. S'agit-il d'un type de rêve
particulier ? On pourrait le penser puisque ce qu'il entend n'a aucun rapport avec ce qui est
sur la bande magnétique, ce serait un rêve auditif uniquement, et le sujet serait à tout le
moins conscient de dormir (puisqu'il essaie ensuite délibérément de se réveiller). Mais, d'un
autre côté, la paralysie du corps est souvent indiquée dans la littérature comme permettant
le développement subséquent d'un rêve (par exemple un rêve de sortie hors du corps). Donc,
soit la paralysie est elle-même rêvée avant de déboucher sur un autre rêve, soit elle
constitue un état réellement ressenti qui s'accompagne d'un rêve. Dans le premier cas on
peut considérer que la lucidité surgit en cours de rêve et que c'est le rêve qui se modifie,
mais dans le deuxième il faudrait admettre que le sujet peut entrer consciemment dans un
rêve alors qu'il s'est déjà endormi, de façon non consciente.

Ce genre de difficultés montre qu'une classification descriptive peut être remise en


question en cours de description. Mais, dans la mesure où ces difficultés ne surgissent que
par cette description, nous n'en adopterons pas moins une classification afin de mettre en
évidence les problèmes qui se posent. Nous admettrons donc deux grands types de
surgissement de la lucidité, en réservant toutefois l'examen des états "intermédiaires" à un
[58]
paragraphe ultérieur.

A. Le surgissement de la lucidité au cours du rêve


Le premier grand type de surgissement de la lucidité est celui qui survient au cours du
rêve lui-même. Nous avons vu qu'il est difficile d'approcher la nature des circonstances
oniriques et qu'il est même des circonstances parfaitement neutres qui ne permettent pas
d'expliquer la lucidité. Or, ce dernier point est généralement absent des études sur le sujet.
Lorsque Celia Green se demande quelles sont les causes psychologiques qui induisent l'état
de conscience dans lequel on se sait en train de rêver, elle distingue quatre facteurs : « Cette
prise de conscience peut naître de diverses manières. Elle peut être déclenchée par les
tensions d'une situation "cauchemardesque", par la reconnaissance d'un élément insolite ou
irrationnel dans le contenu du rêve, par le rappel d'une technique habituelle d'observation
introspective, ou bien - et c'est la seule façon dont on puisse qualifier cette dernière catégorie
- par la reconnaissance spontanée du fait que l'expérience vécue diffère, d'une manière
[59]
indéfinissable, de celles qu'on peut avoir à l'état de veille » .

Le surgissement sans raison n'est pas pris en considération par Celia Green. Or, nous
avons vu qu'il existe au moins en apparence, même s'il doit s'expliquer par une raison
cachée, non mentionnée par le rêveur. Nous distinguerons donc deux grandes catégories
d'apparition de la lucidité au cours du rêve : d'une part la lucidité "amenée", c'est-à-dire
favorisée ou causée par des circonstances oniriques décelables dans le récit, et d'autre part la
lucidité subite, c'est-à-dire sans cause décelable, ou si l'on préfère sans circonstances
oniriques jouant un rôle apparent quelconque. Adopter une telle division revient à mettre
l'ensemble des causes étudiées par Celia Green dans la première catégorie, la lucidité
amenée.

1. La lucidité amenée
On peut qualifier ainsi la lucidité qui est en quelque sorte "introduite" par des
circonstances oniriques dont le rôle apparaît comme déterminant dans la prise de conscience
du rêveur. Ce rôle ne peut être mis en question et la littérature lui accorde une grande
importance. Il n'en reste pas moins que sa portée exacte n'a pas toujours été précisée. Ces
circonstances sont-elles absolument déterminantes ou la lucidité ne résulte-t-elle pas plutôt
d'une coopération inaperçue entre le rêve et le rêveur ? Car après tout ces mêmes
circonstances peuvent se présenter en rêve sans que le rêveur devienne lucide. Il s'agit donc
de mesurer l'incidence réelle de ces "causes" oniriques qui peuvent se répartir en quelques
grandes catégories qui vont de la qualité de l'expérience à celle du sujet, en passant par les
facteurs affectif et réflexif.

Selon cette gradation on peut reporter l'attention sur "l'objet" de la perception


onirique, c'est à dire sur le contenu du rêve en tant qu'il fait l'objet d'une "reconnaissance".
Dans ce cas la reconnaissance de la qualité "rêvée" de l'expérience peut déclencher la lucidité
onirique. Mais que signifie reconnaître un rêve comme tel ? Deux voies semblent s'offrir à
nous, voies parfois difficiles à démêler, et qui sont en fait deux façons différentes d'aborder la
même question.

La première voie qui nous est rapportée dans la littérature est celle de la "texture" de
l'expérience, c'est-à-dire l'examen de la "matière" du rêve offerte à la perception du rêveur et
qui permet de l'identifier. A cet égard l'expression "comme dans un rêve" risque d'induire en
erreur. Lorsque, dans la langue courante on précise : "ça s'est passé comme dans un rêve",
on sous-entend que l'on n'a pas été vraiment conscient de sa situation, ou que
l'environnement était flou, vague, brouillé, indéfini, ou encore que les événements se sont
enchaînés de façon irréelle. Puisque l'examen du rêve amène justement à la prise de
conscience qu'il s'agit d'un rêve, seules les deux dernières possibilités (l'environnement flou
et l'enchaînement irréel) peuvent être retenues ici. En ce qui concerne la perception,
Green note que, pour certains sujets, le champ visuel est nettement moins distinct ou moins
[60]
focalisé que celui de la vie de veille et cite un passage du rêve de Myers qui prend
conscience qu'il rêve lorsqu'il s'aperçoit que son champ perceptif est indistinct :

« […] je remarquai que le mobilier n'avait pas sa netteté


habituelle - que tout était vague et se dérobait d'une certaine façon
au regard direct. Il me vint soudain à l'esprit qu'il en était ainsi parce
que j'étais en train de rêver. […] Tandis que je descendais, je
regardai attentivement le tapis de l'escalier, pour voir si je pourrais
mieux le visualiser en rêve que dans la vie éveillée. Je découvris que
ce n'était pas le cas ; le tapis du rêve n'était pas conforme à la
connaissance que j'en avais en réalité ; il s'agissait plutôt d'un fin
tapis élimé, vaguement issu en apparence de souvenirs de
[61]
villégiatures balnéaires ».

Ainsi, comme le remarque Celia Green, la lucidité onirique peut émerger à partir de la
constatation que ce qui est en train d'être perçu est moins clair que la normale. Mais s'agit-il
d'une caractéristique permanente qui serait attachée à l'expérience onirique elle-même ?
L'expérience nocturne quotidienne apporte une réponse immédiate à cette question : les
rêves peuvent parfois être d'une netteté saisissante, et si l'aspect "flou" de certains rêves
permet de se rendre compte qu'il s'agit d'un rêve, c'est en quelque sorte par négation : la
perception éveillée n'a pas cette qualité. C'est donc une "prise de connaissance" par
différenciation. Cette idée est confirmée par le fait que c'est souvent la netteté et la clarté du
rêve, plus intense que les perceptions de l'état de veille, qui permet de le reconnaître comme
tel.

« J'ai l'impression qu'aussitôt rendormi je me mets à rêver. Je


faisais cours au lycée et certains élèves étaient absents, à leur place il
y avait des portraits d'eux. Portraits vivants très colorés, beaux et
somptueux. L'un d'eux était rouge, un autre vert, le troisième jaune,
et j'ai oublié la couleur du quatrième. La couleur était très vivante :
mouvante avec des effets de profondeur et d'ombre (un peu les
mouvements des nageoires colorées des poissons exotiques), les
portraits étaient en camaïeu, un peu abstraits, mais très vivants et
très réels. Je me suis dit alors que je devais être en train de rêver, j'ai
fait le geste qui l'a confirmé et je me suis réveillé. Ce sont les plus
[62]
belles peintures que j'aie jamais vues » .

Ici la qualité perceptive du rêve (couleur et beauté des portraits) est telle qu'elle amène
le rêveur à reconnaître son rêve comme tel, car une telle intensité est spontanément
ressentie par lui comme ne pouvant pas exister dans la vie de veille.

Ces exemples signifient-ils que la qualité de l'expérience ne déclenche la lucidité que


si elle s'éloigne suffisamment des standards de la veille ? Si l'on tient compte, d'après Celia
Green elle-même, de nombre de récits où le rêveur examine son environnement avec une
grande attention et trouve d'abord extrêmement difficile de décider s'il rêve ou non (phase
prélucide) avant de décider que c'est bien le cas, la réponse est négative : « Le rêve atteint
le point où le rêveur se pose la question suivante : cette expérience a-t-elle la texture d'un
rêve, ou bien celle de la vie éveillée ? Mais lorsque le sujet en arrive là, il semble que son
rêve se présente, en général, comme une imitation assez exacte de la réalité, c'est-à-dire
qu'il peut l'examiner sans y trouver de différence perceptible avec la vie, que ce soit dans le
détail ou la netteté de sa vision. De plus, il est intéressant de remarquer qu'à son réveil, le
sujet reste convaincu qu'il a inspecté son environnement de rêve en se servant des mêmes
[63]
critères que ceux qu'il utilise à l'état de veille » .

Le rêve peut donc être reconnu comme tel, malgré sa ressemblance frappante avec la
vie de veille et peut-être même à cause de cela, comme dans le cas de van Eeden qui rêve
qu'il vole au-dessus d'un paysage dont la perspective des branches se modifie de façon
absolument naturelle, ce qui l'amène à se dire que son imagination est incapable d'inventer
une image aussi complexe. C'est bien ici une complexité naturelle, celle qu'il pourrait
trouver à l'état de veille, qui l'amène paradoxalement à penser qu'il rêve, et non - comme il
[65]
aurait été plus logique - le fait qu'il vole . Van Eeden insiste sur ce point en comparant son
rêve avec une expérience de Mach. « Bien des années plus tard, en 1907, je tombai, dans
l'ouvrage du Pr. Ernst , "Analyse der Empfindungen", p. 164, sur un passage où il faisait état
de la même observation, mais avec une légère différence. S'il avait conclu, comme
moi-même, qu'il était en train de rêver, c'était en remarquant que le mouvement des
brindilles était défectueux, tandis que pour ma part je m'étais étonné de l'aspect naturel de
ce mouvement, jugeant que ma seule fantaisie n'eut jamais été capable de produire rien de
[66]
tel » .

Ce n'est donc pas une qualité perceptive précise du rêve qui permet de le reconnaître
comme tel, même s'il est indéniable que c'est sur elle que s'appuie la prise de conscience du
rêveur. Il faut donc admettre qu'un autre facteur entre en jeu dans ce processus.

Dans ce qui précède on est en droit de supposer qu'un facteur cognitif implicite est à
l'œuvre, ce qui nous donne la deuxième voie par laquelle aborder la qualité de l'expérience.
Puisque la qualité de la perception n'est pas par elle-même déterminante, c'est que le
jugement de comparaison qui l'accompagne a au moins autant d'importance qu'elle. Cela est
d'autant plus vraisemblable que la tendance à comparer est en quelque sorte une condition a
priori de toute évaluation, et qu'elle n'a guère besoin de mettre nécessairement en rapport
le rêve avec la veille pour en comprendre la nature : elle peut se contenter de mettre en
rapport le rêve avec lui-même.

Le rêveur peut en effet reconnaître dans un rêve en cours la répétition ou la


continuation d'un rêve qu'il a déjà fait. La comparaison l'amène alors à conclure qu'il rêve à
nouveau. Dans l'exemple suivant la lucidité est ainsi "amorcée", même si elle ne va pas
jusqu'à terme.

« Je me trouve à Pékin sur la place Tien An Men ou aux


alentours. Ce doit être le début de l'été. Il fait en tout cas très chaud.
Je remarque un marchand de glaces au coin d'une rue et m'approche
de lui pour lui acheter une glace lorsque je remarque qu'il porte une
chemise style "Hawai". Je me dis : "Tiens, voilà un nouveau signe de
l'occidentalisation des mœurs en Chine ; c'est peut-être un touriste
américain qui lui a fait cadeau de cette chemise". En même temps
cette explication ne me satisfait pas tout à fait et je commence à
redouter qu'il ne s'agisse de la répétition d'un rêve souvent fait
[67]
de voyage en Chine suivi d'une déception au réveil […] » .

On pourrait penser que c'est ici l'incongruité de la situation (la chemise hawaïenne)
qui déclenche la lucidité, et nous verrons que la catégorisation ne peut être toujours
parfaitement tranchée. Mais, dans le cas présent, c'est bien le souvenir du même rêve qui
amène presque la prise de conscience. En ce sens ce souvenir serait la cause immédiate et la
chemise hawaïenne la cause lointaine, et de ce fait ne constitue qu'un des événements
menant à la circonstance déclenchante.

D'une façon générale la reconnaissance de la qualité rêvée de l'expérience diffère des


"causes" oniriques que nous allons examiner, même si la distinction est parfois difficile à
opérer. Sa caractéristique est de porter non pas sur un événement ou un objet précis (donc
sur un élément que l'on peut isoler dans une trame temporelle ou spatiale) mais sur une
qualité, c'est-à-dire une composante abstraite, non présentable directement, telle que, dans
les exemples donnés, le fait de se souvenir sans que ce souvenir prenne une forme
déterminée, ou encore le sens de la beauté, qui sont "ressentis" par le rêveur comme
directement lié à la perception. Le jugement de comparaison, même s'il apparaît comme
nécessaire, est subordonné à cette perception, ce qu'indique l'indétermination possible dans
la représentation du rêveur de l'autre terme de la comparaison.

Cependant, une telle situation est rarement "pure" : bien souvent à ce sentiment se
mêle un autre facteur et il est parfois difficile de décider lequel joue un rôle décisif. Celia
Green donne un exemple pour lequel cette question peut se poser :

Dans un rêve ordinaire, j'essayais de monter dans un autobus.


Je courais après lui, dans la rue, en louvoyant entre les voitures.
J'étais relié à ce véhicule par un ruban qui semblait être élastique et
je remarquai avec agacement que ce lien s'allongeait et que j'étais en
train de me laisser distancer. Puis, je compris que c'était un rêve et
qu'il était inutile de poursuivre ce bus ou même d'éviter la circulation.
Je cessai donc de courir et restai debout au milieu de la rue, tandis
[68]
qu'autour de moi, les véhicules s'effaçaient de ma vue.

Dans cet exemple en effet la lucidité aurait fort bien pu être rapportée comme causée
par l'incongruité de la situation. Or, le sujet signale simplement qu'elle est apparue au cours
d'une situation incongrue sans pour autant considérer cette situation comme déclenchante.
La qualité rêvée de l'expérience peut donc "comprendre", comme éléments particuliers, des
incongruités, tout en s'en distinguant qualitativement.

On pourrait admettre que le rêveur prend conscience de la qualité rêvée de


l'expérience à l'occasion d'une incongruité, en ce sens que ce serait par cette dernière
qu'il serait amené à prendre conscience de la qualité rêvée, un peu comme dans l'exemple du
rêve du voyage en Chine ci-dessus, mais étendu à l'ensemble du rêve, l'incongruité faisant
cette fois figure, en tant que toile de fond, d'élément permanent qui peut par là même être
considéré comme un aspect qualitatif :

« Je suis à F… et je repeins le local de l'école où j'enseigne (qui


est la poste actuellement). La peinture est très fluide et je l'applique à
l'aide d'un gicleur, elle est jaune. Je peins en ligne droite en faisant
des raccords impeccables. Deux vieux profs (anciens profs à moi) qui
ne m'inspirent aucune sympathie (et réciproquement) regardent mon
travail avec mépris. Je repeins l'escalier en lévitant et en remontant
jusqu'au premier étage ; des gens passent, montent et descendent.
Un jeune collègue ami décide de m'aider mais a peur de mal faire. Je
lui dis que c'est facile et qu'il peut le faire sans problème, il peint le
haut du plafond et comme il est assez maladroit la peinture goutte du
plafond. L'un des vieux profs passe alors avec sa veste de tweed, il
n'a rien remarqué et reçoit des gouttes sur ses cheveux et sur sa
veste, de plus c'est très bas de plafond, ce qui fait qu'il touche avec sa
tête et son dos, sans s'en rendre compte. Sa veste de tweed est
pleine de peinture jaune. Je me pose la question de savoir si je suis
en train de rêver, me réponds que oui et je sens ma main sur mon
[69]
ventre. J'en conclus que je suis en train de rêver lucidement » .

On pourrait penser que dans ce rêve la lucidité est déclenchée par une incongruité ou
un ensemble d'incongruités. Mais il faut remarquer, d'une part, que le rêveur ne dit rien de
tel et, d'autre part, que les premières incongruités ne provoquent aucune prise de conscience
et que l'élément déclenchant n'a rien d'incongru en soi. En fait l'ensemble des incongruités
donne en quelque sorte le "ton" qui permet d'apprécier la qualité de l'expérience, il constitue
un fond sur lequel aucune forme précise ne se détache pour provoquer la prise de
conscience.

Cependant, en dehors de cette "assimilation à un fond" des éléments incongrus, on


peut trouver des cas dans lesquels l'incongruité, sans être déclenchante, sert d'élément
confirmant. Celia Green en donne un exemple :

Il me vint à l'idée que c'était peut-être un rêve et j'examinai


attentivement la pièce, essayant de déterminer s'il n'y avait pas, dans
cet environnement, une différence par rapport à la vie éveillée. La
chambre était éclairée par une lumière électrique dont la qualité
semblait quelque peu artificielle ; peut-être était-elle plus douce et
plus riche qu'une lumière ordinaire. Je baissai les yeux vers le tapis
et, soudain, je fus convaincu que ce ne pouvait être qu'un rêve. Je
sentais qu'il y avait, dans le dessin de ce tapis, quelque chose qui
n'allait pas, quelque chose d'indéfinissable, tenant peut-être à la
qualité particulière des courbes. Il était impossible de préciser ce qu'il
y avait là d'anormal, mais une fois que j'eus acquis la conviction
[70]
d'être dans un rêve, aucun doute n'était plus possible.

Le sujet se demande s'il rêve avant de chercher une incongruité et lorsqu'il la trouve
elle ne se présente pas de façon convaincante mais lui sert néanmoins à affermir sa
conviction. Celia Green remarque dans cet exemple « qu'une fois que le sujet est devenu
conscient de rêver, cette conscience ne dépend plus de son examen des circonstances, mais
qu'elle se maintient de façon tout indépendante. On peut donc douter, ici, que la prise de
[71]
conscience ait été causée en premier lieu par l'examen du champ perceptif » . Elle veut,
par là, mettre en garde contre une attitude qui amènerait à considérer, y compris par le sujet
lui-même, que la prise de conscience est provoquée par l'examen de la texture perceptive :
« Comme nous l'avons déjà fait remarquer à propos des éléments incongrus, il est évident
que le sujet sera toujours tenté de dire : "J'examinai la texture de mon expérience et je
déduisis de cet examen que j'étais en train de rêver" plutôt que : "J'examinais la texture
[72]
de mon expérience et je m'aperçus que j'étais en train de rêver" » .

Cependant, il nous semble que, dans cet exemple, les deux attitudes concourent
ensemble : il y a à la fois examen et sentiment, et c'est ce qui rend si difficile l'analyse et la
classification des rêves du point de vue phénoménal (ce que remarquait déjà Hervey de
Saint-Denys). S'il est donc difficile de distinguer sur un plan pratique le rôle de l'incongruité
de celle de la qualité lorsqu'elles sont présentées comme simultanées, voire entremêlées, on
peut néanmoins se rendre compte de leur différence essentielle souvent marquée dans le
rêve lui-même : la qualité rêvée de l'expérience, lorsqu'elle n'est pas première, peut
succéder aux autres déclencheurs tandis que l'incongruité tend à disparaître après avoir joué
son rôle dans la prise de conscience. De ce point de vue de la persistance du déclencheur, le
facteur affectif peut être comparé à la qualité rêvée de l'expérience.

Dans la littérature sur le rêve lucide les émotions oniriques sont considérées comme
une cause fréquente d'apparition de la lucidité, l'exemple le plus courant, et le plus frappant
pour les esprits, étant celui des émotions fortes provoquées par un mauvais rêve. Si ces
récits sont parmi ceux qu'on cite généralement en premier lieu lorsqu'il est question du rêve
lucide, ce n'est peut-être pas tant en raison de leur aspect spectaculaire ou même pour
introduire l'idée que la lucidité est un moyen d'échapper à ses cauchemars, mais plus
simplement parce que l'expérience nocturne qui consiste à lutter pour se réveiller, et donc à
se savoir en train de dormir, est à un degré ou à un autre une expérience commune, et
permet par ce biais de mieux comprendre la nature du rêve lucide. Cependant, une telle
présentation risque de concentrer l'attention sur un aspect relativement restreint du rapport
de la lucidité avec les émotions oniriques qui peuvent se situer aussi bien dans les tonalités
heureuses que désagréables. Le rêveur peut fort bien être "éveillé" dans son rêve par un
sentiment de bonheur ou de joie.

Cela se passe à Monroe, en Géorgie, par une nuit chaude et


pluvieuse. Je suis seul, debout sur l'asphalte, devant la maison de
mes grand-parents, éclairé par la lueur d'un réverbère. Je sens la
surface tiède et mouillée de la rue sous mes pieds nus et le contact du
crachin sur mon visage. Je remarque qu'il y a des gouttes d'eau sur
les aiguilles des pins et qu'elles scintillent comme des diamants dans
le halo de lumière. Il n'y a personne aux alentours, mais voici que
mon frère George arrive au volant d'une voiture décapotable ouverte.
Il a vraiment l'air très heureux. Il passe l'endroit où je me trouve, et
je lui fais un signe de la main. Il fait demi-tour et passe de nouveau à
ma hauteur. Je remarque qu'à l'avant de la voiture, là où devrait se
trouver l'ornement du capot, il y a un buste de Papa, grandeur nature.
Georges refait un demi-tour et passe encore une fois devant moi. A
nouveau, je lui fais un signe en riant. Il continue tout droit et disparaît
dans la nuit. Maintenant, je suis seul. Pour mon plus grand plaisir, je
me mets à patauger dans les flaques, et, tout à coup, je me dis - à
haute voix - "Je suis en train de rêver!". Il me vient une bouffée
d'excitation joyeuse, et je me dis que s'il en est ainsi, je peux faire
[73]
n'importe quoi (…)

Même si le sujet ne déclare pas ici que le sentiment de joie provoque la lucidité, cette
dernière semble découler naturellement de la dominante affective de ce rêve. L'émotion
heureuse est parfois difficile à dissocier du contexte dans lequel elle se produit, de sorte
qu'on tend à attribuer l'apparition de la lucidité à la beauté surnaturelle du décor onirique et
donc à la qualité rêvée de l'expérience. Pourtant dans certains cas la beauté du décor, en
amenant le rêveur à ressentir des émotions dont l'intensité le rend alors lucide, ne joue donc
qu'un rôle de cause lointaine, tout comme les événements terrifiants des mauvais rêves. On
peut donc remarquer que les émotions qui déclenchent la lucidité appartiennent à une
gamme plus large que celle qu'on tend à leur attribuer dans la littérature pour le grand
public. Mais cela ne suffit pas à en nuancer les contours.

Telles que nous les avons présentées, les émotions semblent devoir revêtir un
caractère extrême (un intense sentiment de bonheur ou une terreur sans nom) pour
provoquer un choc susceptible de rendre lucide le rêveur. Or, le degré d'intensité de l'émotion
déclenchante de la lucidité est en fait variable, comme on peut le vérifier en ce qui concerne
les sentiments oniriques désagréables. La tension affective peut être tout à fait légère comme
dans l'exemple suivant :

« C'est un fragment parce que le rêve a été


volontairement abandonné. Mon ancien lieu de travail (très ancien,
dans le rêve, et délabré). Nous sommes trois jeunes employés. Le
patron (aussi jeune que nous) nous convoque. Il laisse d'abord
s'établir un long silence accusateur, puis il dit : — "Alors, les
chaussettes brillent?" A ce moment je me dis : ce rêve est ridicule et
[74]
j'en change sans m'éveiller ».

Ici on a plutôt affaire à un sentiment d'ennui qu'à une émotions forte, une sorte
d'agacement ou d'énervement qui vient du rêveur en tant qu'il observe son rêve et juge de
sa qualité tout en y jouant un rôle. Ce sentiment ne réveille pas le rêveur mais l'amène à
[75]
changer de rêve et par là à reconnaître qu'il rêve . La lucidité n'apparaît en fait que le
temps d'harmoniser un aspect dissonant de la vie onirique. L'agacement que manifeste le
rêveur apparaît donc un peu extérieur au rêve lui-même, ce qui explique son aspect "bénin".
En revanche lorsque le sentiment du rêveur est "impliqué" dans le rêve, la tension affective
est nettement plus forte et peut se manifester par exemple par la "crainte" d'un élément
onirique.

« C'est l'automne, je me promène dans la forêt normande en


compagnie d'un ami. Nous parlons d'un homme qui a beaucoup
compté dans ma vie. Mon ami me parle de sa vie agitée. Je ne fais
aucun commentaire, je ne désire plus revoir cet homme. C'est
l'après-midi, tout en parlant nous nous retrouvons devant un arbre, à
partir duquel commence une grande allée. La forêt est belle, les
arbres aux teintes mordorées s'élancent dans le ciel bleu. Je regarde
mon ami, il est assis nu sur un talus ; je trouve cela plutôt insolite,
mais sans plus. Puis j'entends des bruits, des gens courent, une fille
crie. Les bruits sont assez lointains mais ils se rapprochent. Je vois au
bout de l'allée courir des gens. Je pense qu'un type agresse une fille
ou qu'il s'agit d'une scène de violence entre plusieurs personnes. Je
pense encore que si je suis en train de rêver, je peux modifier le rêve
de manière à ce qu'il ne m'arrive rien de fâcheux. Je marche
calmement, un homme court vers moi. Il arrive à ma hauteur et me
dévisage. Je n'ai pas peur. Il continue son chemin, indifférent, je ne
[76]
suis pas sa proie ».

Ici c'est bien la crainte éprouvée par la rêveuse qui l'amène à se rendre compte qu'elle
rêve afin d'empêcher l'apparition d'une peur qui, ainsi, n'a pas le temps de dépasser le stade
de l'appréhension. L'émotion déclenchante peut cependant être plus forte encore et prendre
la forme d'un sentiment d'horreur.

« Ça se passe dans un train, de nuit. Il y a eu toute une


première partie où il a été question de Charly et de ses vignobles
(C'est dans la vallée de la Marne avant Château-Thierry.) Dans le
train, il y a un bidasse fou avec un revolver chargé. Lorsque le train
tourne, il tire dans les autres wagons, devenus visibles. Il tire aussi
sur le conducteur de la locomotive. Il va falloir faire quelque chose.
« La scène se transporte dans la locomotive qui est une cuisine
de cantine. Le bidasse menace tout le monde. On finit par lui enlever
son revolver ; alors il saisit plusieurs couteaux de cuisine et se met à
porter des coups aux cuisiniers à travers leurs T.Shirts qui se tachent
de sang. Le bidasse s'échappe dans une sorte d'aquarium suspendu
près du plafond, où il nargue ses poursuivants. Malheur pour lui,
c'était une sorte de percolateur. Les cuisiniers mettent la machine en
marche et il est réduit en bouillie. Son sang coule par divers robinets
comme les machines express des cafés. Je me suis entouré la tête
d'une serviette et me bouche les oreilles pour ne pas voir ni entendre
ces horreurs dont je sais parfaitement que c'est un rêve, mais dans
cette lucidité, une volonté semble me retenir de mettre fin au rêve
parce qu'en même temps je suis curieux de savoir comment il va
[77]
continuer. Peine perdue. Je m'éveille. »

Ici c'est vraisemblablement l'horreur qui a déclenché la lucidité dont il n'est fait mention
qu'après que la scène est devenue atroce. Mais il ne s'agit pas encore du cauchemar tel qu'on
[78]
l'entend couramment et sur lequel l'action d'un rêveur lucide peut parfois s'exercer de
façon spectaculaire. Hervey de Saint-Denys en a le premier donné un exemple mémorable.

« Je n'avais pas la conscience que je rêvais, et je me croyais


poursuivi par des monstres abominables. Je fuyais à travers une série
sans fin de chambres en enfilade, ayant toujours de la peine à ouvrir
les portes de séparation, et ne les refermant derrière moi que pour les
entendre ouvrir de nouveau par ce hideux cortège, qui s'efforçait de
m'atteindre et qui poussait d'horribles clameurs. Je me sentais gagné
de vitesse ; je m'éveillai en sursaut, haletant et baigné de sueur.

« Quels avaient été l'origine et le point de départ de ce rêve, je


l'ignore ; il est probable que quelque cause pathologique l'engendra
pour la première fois, mais ensuite, et à diverses reprises dans
l'espace de six semaines, il fut évidemment ramené par le seul fait de
l'impression qu'il m'avait laissée, et de la crainte que j'avais
instinctivement de le voir revenir. S'il m'arrivait, en rêvant, de me
trouver seul dans quelque chambre close, le souvenir de ce songe
odieux se ranimait aussitôt ; je jetais les yeux sur la porte, et la
pensée de ce que je redoutais de voir apparaître ayant précisément
pour effet d'en provoquer la réapparition subite, le même spectacle et
les mêmes terreurs se renouvelaient de la même façon. J'en étais
d'autant plus affecté à mon réveil que, par une fatalité singulière,
cette conscience de mon état, que j'avais dès lors si souvent pendant
mes rêves, me faisait constamment défaut quand celui-ci revenait.
Une nuit pourtant, à son quatrième retour, et au moment où mes
persécuteurs allaient recommencer leur poursuite, le sentiment de la
vérité se réveilla tout à coup dans mon esprit ; le désir de combattre
ces illusions me donna la force de dompter ma terreur instinctive. Au
lieu de fuir, et par un effort de volonté assurément très caractérisé en
cette circonstance, je m'adossai donc contre la muraille, et je pris la
résolution de contempler avec une attention fructueuse les fantômes
que jusqu'alors j'avais plutôt entrevus que regardés. Le premier choc
moral fut assez violent, je l'avoue, tant l'esprit, même prévenu, a
peine à se défendre d'une illusion redoutée. Je fixai mes regards sur le
principal assaillant, qui ressemblait assez à l'un de ces
démons hérissés et grimaçants sculptés aux porches des cathédrales,
et l'amour de l'étude l'emportant déjà sur toute autre émotion, je pus
observer ce qui suit : le monstre fantastique s'était arrêté à quelques
pas de moi, sifflant et gambadant, d'une façon qui tournait au
burlesque dès qu'elle n'était plus effrayante. Je remarquai les griffes
de l'une de ses mains ou pattes, comme on voudra les appeler, au
nombre de sept et très nettement dessinées. Les poils de ses sourcils,
une blessure qu'il semblait avoir à l'épaule, et une infinité d'autres
détails offraient une précision qui permettait de ranger cette
vision parmi les plus lucides. Était-ce la réminiscence de quelque
bas-relief gothique ? En tout cas mon imagination y avait ajouté le
mouvement et la couleur. L'attention que j'avais concentrée sur cette
figure avait eu pour résultat de faire évanouir comme par
enchantement ses acolytes. Elle-même parut bientôt ralentir ses
mouvements, perdre sa netteté, prendre un aspect cotonneux, et se
changer enfin en une sorte de dépouille flottante, pareille à ces
costumes fanés qui servent d'enseigne aux magasins de déguisements
pendant le carnaval. Quelques tableaux insignifiants se succédèrent,
[79]
et puis je me réveillai » .
[80]
Ce rêve entre à coup sûr dans la catégorie des cauchemars puisque, lors de ses
occurrences précédentes, le rêveur s'éveille "en sursaut, haletant et baigné de sueur". Il
serait donc difficile de lui refuser ce statut en arguant qu'il ne subsiste aucun sentiment
d'angoisse au réveil. Mais, du même coup, bien des rêves pénibles dénoués par la lucidité
peuvent rétrospectivement être compris comme des cauchemars interrompus. D'une façon
générale, les cauchemars sont source fréquente de lucidité, mais la façon même dont ils la
provoquent tend à la faire passer inaperçue : le sentiment d'horreur ou de panique incite le
rêveur à lutter contre son rêve et pour lutter plus efficacement il fait spontanément appel à la
lucidité en tant que moyen, et de ce fait son attention ne se concentre pas sur un
phénomène qui reste en dehors de ses préoccupations immédiates - celui qui se noie ne
regarde pas la nature de la planche de salut qui s'offre à lui, qu'il s'agisse d'une bouée ou
d'un tronc d'arbre. La lucidité ne peut en fait attirer son attention que lorsque les événements
désagréables cessent sans interrompre le rêve, ce qui est rarement le cas. On peut en effet
distinguer deux degrés dans cette utilisation de la lucidité. A un premier niveau lorsque le
rêveur s'efforce de se réveiller, la lucidité est le plus souvent du type implicite. La pression du
cauchemar est telle que le rêveur se dit dans le cours de son rêve "il faut que je me réveille"
sans saisir les implications de la situation, au risque parfois de le regretter.

« Je travaille à la médiathèque à Beaubourg, c'est un service


où les gens apprennent des langues étrangères à l'aide de cassettes.
Je suis avec N…. Avec N… nous avons constaté que certaines
cassettes ont eu leur contenu modifié, et donc que quelqu'un essaie
d'asseoir une idéologie, un pouvoir à l'aide de ces fausses cassettes.
Nous voyons d'ailleurs arriver une cassette escortée par deux autres
cassettes. Et nous savons que cette cassette est fausse (remplie de
fausses informations). Nous sommes seuls à un moment pendant le
week-end, et nous décidons de dénoncer cette pratique. Mais les
trafiquants ont deviné nos intentions et ils nous assiègent, et nous
avons peur. Pour leur échapper je décide de m'éveiller. Je passe dans
un demi-sommeil, et je regrette ma décision, je décide de me
[81]
rendormir et de reprendre le rêve, mais il ne revient pas » .

Le rêveur ne comprend que trop tard ce qu'impliquait sa décision de se réveiller (la


conscience de rêver) et le parti qu'il pouvait en tirer. Il ne peut en fait changer d'avis que
lorsque les circonstances oniriques lui laissent le temps d'y réfléchir, c'est-à-dire lorsqu'il est
presque réveillé ("Je passe dans un demi-sommeil"). Mais, dans certains cas, même lorsque
la lucidité du rêveur est tout à fait explicite, il se réveille malgré tout.

En général, les choses se passent ainsi : dans mon rêve, je me


trouve en situation dangereuse, quelqu'un, par exemple, va me
pousser par-dessus le rebord d'une falaise, ou bien un hors-la-loi
s'apprête à me tuer d'un coup de pistolet. A ce moment, quelque
chose dit en moi : "Ne t'en fais pas, ce n'est qu'un rêve", sur quoi le
[82]
rêve s'arrête.

On peut donc supposer que le rêve ne se poursuit, une fois la lucidité atteinte, que si le
rêveur le désire, c'est-à-dire lorsqu'il connaît déjà la joie ou l'intérêt qu'il y a à se savoir en
train de rêver. Dans le premier cas il sait qu'il ne risque plus rien et désire profiter du
sentiment euphorique qui accompagne généralement la lucidité. Dans le deuxième cas il
cherche à interagir avec le rêve, le plus souvent pour dissiper sa crainte.

« C'est un rêve que j'ai déjà fait dans le passé mais je n'en ai
pas un souvenir exact, je ne sais plus dans quelles circonstances un
danger mal défini me menaçait. Auparavant je fuyais en me réveillant
et cette nuit devant le même danger je me suis dit que je n'avais
aucune crainte à avoir car il s'agissait d'un rêve, j'ai fait face et le
[83]
danger s'est évanoui » .

Ce rêve entre dans la même catégorie que celui d'Hervey de Saint-Denys puisque le
rêveur fait face au danger. Mais, dans certains cas, ce désir d'interaction dépasse la simple
intention d'affronter le danger en ce sens que le rêveur cherche à influencer le cours du rêve
pour sa propre satisfaction.

« (J'ai oublié une partie importante du début) Je suis à la


maison, de retour du salon de la photo et je réfléchis sur l'installation
future du matériel. Curieusement il y a d'autres personnes dans la
maison dont un gros type patibulaire que je ne connais pas. A un
moment donné le gros se lève et pour une raison connue de lui seul
s'énerve et se met à taper autour de lui, c'est très vite la panique, je
suis acculé contre une porte-fenêtre. Pour fuir je casse un carreau et
je passe à l'extérieur. Dehors je me dis, mais au fait c'est un rêve et
j'ai fui, je devrais respecter la consigne sénoï et aller au devant du
danger puisqu'il n'y a aucun risque. (Je crois qu'à cet instant je remue
et je suis presque réveillé. Je décide de replonger dans le rêve et de
retourner me battre). Je me munis d'un bâton, et je rentre dans
l'appartement : tout est très sombre, j'affronte les ténèbres à coups
de bâton répétés et je demande au gros patibulaire de venir m'aider
(puisque c'est un rêve je verrai bien ce qui se passera). Peut-être le
gros deviendra-t-il mon ami et m'aidera-t-il. Le gros ne se manifeste
pas. Les ténèbres reculent encore. Je leur demande un cadeau, mais
[84]
je m'éveille avant d'avoir eu une réponse » .

On peut considérer que la crainte a déjà disparu lorsque le rêveur décide de continuer
son rêve et donc, qu'au-delà de la simple intention de surmonter une peur, prend place un
désir d'interaction qui relève déjà du type de rêve lucide qui se produit dans des
circonstances moins dramatiques. On peut ainsi distinguer deux types de lucidité provoquée
par le cauchemar, celle qui pousse le rêveur à se réveiller et celle qui l'incite à continuer son
rêve. Il semble bien qu'il faille voir là une différence de degré car la reconnaissance habituelle
du caractère cauchemardesque des événements oniriques finit par modifier l'usage que le
rêveur fait de sa lucidité. C'est par exemple le cas de Mary Arnold-Forster qui, après s'être
entraînée à reconnaître un rêve désagréable pour pouvoir y échapper en s'éveillant, continue
par la suite à rêver lucidement sans quitter le sommeil :

J'eus une idée qui m'aida beaucoup à me guérir de ce genre de


rêve. Elle me vint d'une expérience très répandue. Sans doute avons
nous tous, à un moment ou à un autre, pris conscience du fait que
notre rêve en cours "n'était qu'un rêve". C'est en partant de cette
expérience commune, en me fondant sur l'idée qu'elle contient, que
j'ai pu me livrer à une tentative réussie de contrôle du rêve. Jadis, il
m'arrivait, à l'occasion, quand l'acuité d'un rêve de souffrance ou de
terreur devenait intolérable, de penser, soudain, dans mon sommeil
"Ce n'est qu'un rêve ; si tu t'éveilles, il cessera et tout ira bien." Je me
dis que si nous pouvions être assurés d'une telle prise de conscience
aussitôt qu'il nous arrivait de faire de mauvais rêves, nous n'aurions
plus à les craindre, car il nous serait toujours possible d'y échapper.
J'essayai donc, à divers moments de la journée et juste avant d'aller
me coucher, de me répéter cette formule : "Souviens-toi que c'est un
rêve. Tu ne dois plus rêver", en utilisant toujours les mêmes mots.
Finalement, je pense que la suggestion que j'essayais d'imprimer à
mon esprit devint plus nette et plus puissante que n'importe quel
rêve. Lorsqu'un rêve malheureux commence à me tourmenter, cette
formule, si souvent répétée, se présente automatiquement, et je me
dis "Tu sais que c'est un rêve. Tu ne dois plus rêver. Tu vas te
réveiller." Lorsque j'eus bien assimilé cette recette secrète contre les
cauchemars, il y eut une assez longue période où je me réveillais
immédiatement, mais aujourd'hui, ce n'est plus nécessaire. Il peut
arriver que je me réveille, mais le plus souvent, dès que la formule a
été dite, l'aspect effrayant du rêve cesse, il est simplement "coupé"
comme par un interrupteur. Le rêve peut alors continuer sans éveil,
[85]
car il se trouve débarrassé de tout élément désagréable .

Il est intéressant de constater que, si Arnold-Forster a fait tous ses efforts pour se
suggérer de se réveiller lors d'un cauchemar, elle ne s'est pas conditionnée pour continuer à
rêver - ce qui s'est produit spontanément. Lorsque la lucidité intervient en dehors du
contexte où elle est sollicitée et déborde sur le reste du rêve, elle cesse d'être un moyen
implicite pour devenir une dimension manifeste de la vie onirique du rêveur. Elle ne dépend
donc pas plus d'un contexte précis que d'une émotion particulière. D'une façon générale nous
pouvons constater à travers ces différents types de rêves que la lucidité peut être déclenchée
par un facteur affectif de force variable : ce n'est donc pas l'intensité de l'affect qui, d'un
point de vue immédiat, déclenche la lucidité, mais bien l'émotion dans sa nature même. Sans
doute certains rêves, plus pénibles que d'autres, provoquent plus facilement la lucidité, mais
à l'analyse il ne s'agit pas là d'un caractère déterminant en ce qui concerne le facteur affectif.

Ces rêves montrent également que si la lucidité contribue à dissiper l'émotion ou


l'élément onirique perturbant, voire le rêve lui-même, son apparition n'équivaut pas
nécessairement à une amélioration du rêve : il faut une décision du rêveur pour cela. Dans
certains cas la lucidité semble empirer la situation en augmentant la tension déjà ressentie.

« Début de rêve très confus, ou du moins mal remémoré. En


compagnie d'un enfant de 5-6 ans (sans doute mon fils à cet âge), je
m'évertue à faire rouler sur le trottoir d'une grande avenue, au milieu
des passants, de petites voitures miniatures. Mais elles roulent mal,
ne conservent pas leur trajectoire. Nous essayons de les bricoler pour
qu'elles roulent mieux. Ceci se répète jour après jour. Chaque fois, au
bout de quelques minutes, une averse d'orage survient et nous
contraint à revenir à la maison. Soudain, je me rends compte que
c'est un rêve, l'expression onirique d'un malaise. Je me "réveille" et
constate qu'une énorme mare de sang inonde l'oreiller et s'étend sur
le sol de la pièce : J'ai dû saigner du nez depuis des heures sans m'en
apercevoir. Je tente de me lever mais suis si faible que tout vacille
autour de moi. Je cherche à prendre appui sur le matelas mais ma
main passe à travers… ; l'impression de terreur qui s'en suit me
[86]
réveille pour de bon » .

Ici la lucidité est suivie d'un faux-éveil au cours duquel elle est probablement perdue.
La suite du rêve montre que, loin d'avoir disparu, le malaise onirique se trouve amplifié
jusqu'à un sentiment de terreur. On pourrait cependant supposer que, si la lucidité avait
persisté, l'impression de terreur n'aurait pu se maintenir. Même en admettant cela, cet
exemple montrerait déjà que la lucidité ne débouche pas systématiquement sur la disparition
de l'aspect désagréable - en réalité on constate même des cas dans lesquels la lucidité est
directement responsable du cauchemar, notamment lorsque, malgré sa présence, le contenu
du rêve reste déplaisant et que le rêveur n'arrive pas à se réveiller, comme dans le rêve
suivant.

[…] La lucidité du rêve s'accrut et ma vision périphérique


devint beaucoup plus vive. Je sentais aussi que mon corps de rêve se
faisait plus solide. Je voyais bien plus clairement mes mains et mes
pieds.

Ce qui se produisit ensuite m'effraya plus qu'aucune autre


expérience de ma vie. Ma conscience connut une telle expansion que
pendant un instant je ne fus plus capable de savoir s'il s'agissait d'un
rêve ou d'une réalité. C'était une sensation accablante, et j'eus très
peur. Tout ce qui m'entourait était devenu bien trop net pour qu'il
s'agisse d'un simple rêve, j'avais l'impression que mon corps physique
et mon esprit s'étaient mis à fusionner avec le corps de rêve. Au fond
de moi-même, quelque chose me disait que si je n'arrêtais pas ce
problème de mathématiques et si je tardais à m'éveiller, je ne
pourrais plus le faire, et qu'alors je mourrai. Mourir - ce mot
s'attachait lourdement à moi. J'étais de plus en plus inquiet, je
commençais à paniquer. Je laissai immédiatement tomber le papier et
le crayon et je m'éloignai du bureau, mais les quelques pas que je fis
étaient différents de toutes les marches que j'avais pu faire
précédemment en rêve. Il me semblait, cette fois, que je ressentais le
poids de chacun de mes pieds quand il frappait le sol. Un poids réel.
Je me mis à trembler : ce qui m'arrivait dépassait ma compréhension.
Tout ce que je demandais, c'était de m'éveiller. J'essayai de le faire,
et je m'aperçus que j'en étais incapable, ce qui m'effraya plus encore.
Le jeune homme m'aborda pour la seconde fois et me demanda si
j'allais bien. Je lui répondis que oui, mais que je devais m'en aller.
Malgré tous mes efforts pour me réveiller, je n'y arrivais toujours pas
[87]
[…] .

L'inquiétude du rêveur augmente avec la qualité du rêve, qui prend une netteté
comparable à celle de la vie de veille, et sa panique culmine avec sa lucidité. Or, cette
panique ne dépend que de la conscience de rêver car elle est provoquée par la crainte de ne
pas pouvoir se réveiller. Loin d'être un moyen de résoudre les problèmes oniriques, la lucidité
se révèle ici la cause de problèmes inexistants pour un rêveur ordinaire. La lucidité n'est donc
pas une réponse à des tensions affectives oniriques, comme on tend parfois à le croire, mais
elle serait plutôt un élément possible de réponse pour autant que le rêveur sache en tirer
parti.

De fait on attribue souvent l'irruption de la lucidité à l'émotion provoquée par le


mauvais rêve alors que, dans bien des cas, c'est peut-être seulement une caractéristique de
ce type de rêve qui en est responsable. Ainsi, concernant les cauchemars répétitifs, comment
s'assurer que ce n'est pas plutôt la réapparition du même rêve qui engendre la
reconnaissance de la qualité rêvée de l'expérience ? Le cas d'Hervey de Saint-Denys est à cet
égard ambigu ; il est difficile de déterminer si, au cours de son cauchemar, l'émotion
l'emporte sur la qualité rêvée ou l'inverse ; mais dans bien d'autres situations il est clair que
les cauchemars récurrents peuvent avoir un effet d'apprentissage : « Depuis l'enfance jusque
vers l'âge de 45 ans, j'ai eu des rêves récurrents. Tout en dormant, je me disais : "Mais oui,
je connais celui-là, je l'ai fait bien souvent". Si c'était un rêve agréable, je le laissais
[88]
continuer, et dans le cas contraire j'étais capable de l'arrêter et de me réveiller" » . Dans
ce genre de rêve c'est bien la qualité rêvée (la reconnaissance d'un rêve précédemment fait)
qui déclenche la lucidité, et non le facteur affectif, même si par la suite le rêveur utilise cette
lucidité dans le sens qui lui convient.

La perception ou l'émotion peuvent être cause immédiate de la lucidité, apparemment


sans que le raisonnement ne joue aucun rôle, à l'exception peut-être d'une comparaison
implicite nécessairement à l'œuvre dans toute appréhension. La faculté de réflexion peut
cependant se révéler déterminante, et de fait la plus grande partie des rêves lucides
rapportés dans la littérature est déclenchée par elle. Dans ce cas le rêve est reconnu comme
tel parce que le rêveur analyse sa situation, et tire des conclusions à partir des éléments dont
il dispose. Il s'agit donc bien, dans le rêve, d'une activité des processus intellectuels. Ce type
d'accès à la lucidité occupe une place si grande dans la littérature que certains rêveurs ont
cru qu'il s'agissait du seul moyen de déclencher en rêve la conscience de rêver. Il prend
principalement deux formes : celui de la reconnaissance d'une incongruité qui provoque chez
le rêveur une conclusion d'oniricité quasi-immédiate, et celui d'une enquête exigeant un
raisonnement plus élaboré.

La reconnaissance d'une incongruité revêt de multiples formes mais son principe est
toujours le même : le rêveur compare sa situation présente avec l'état de veille et découvre
qu'elle est inadéquate à ce à quoi il pourrait s'attendre. Ce type de déclenchement peut
paraître évident lorsque la situation onirique est au-delà de toute possibilité logique.

J'avais été tuée dans un bombardement et je me trouvais,


avec plusieurs compagnes, "de l'autre côté". Je me plaignis d'une
douleur dans le bras, sur quoi l'une d'elles se mit à fouiller dans son
sac. Elle sortit un flacon de comprimés et me dit que cela me
soulagerait. Tout à coup, j'éclatai de rire, car je venais de comprendre
que j'étais morte et que des pilules ne seraient pas d'un grand
secours pour mon corps "corps astral", ou quoi que ce put être. Tout
de suite après ce rire, je pensai : "Peut-être ne suis-je pas morte,
mais dans un rêve." Pendant que je réfléchissais à ce mystère, je me
[89]
réveillai.

Être à la fois mort et vivant, c'est-à-dire désincarné et en possession d'un corps à


soigner, est par définition impossible à l'état de veille. La comparaison avec la veille se fait
donc de façon implicite, mais elle débouche néanmoins sur une question qui déclenche la
lucidité. Ici l'impossibilité est de type logique, mais dans d'autres cas elle ne résulte que de
l'absurdité d'une situation qui n'a rien de contradictoire par elle-même :
[…] Il y avait, près de la fenêtre, une chaise identique à celle
qui se trouvait dehors. Je me dirigeai vivement vers cette chaise, mais
pendant que je le faisais, j'entendis le bruit d'une douche et de
quelqu'un qui chantait. Je jetai un regard dans la pièce voisine et je
vis que mon compagnon de chambre était en train de prendre une
douche dans un coin. Cela me parut très bizarre. Je ne comprenais
pas comment il se trouvait là. Je me faisais du souci pour lui, ne
voulant pas que la bande de jeunes lui fasse du mal. Les coups sur la
porte devenaient de plus en plus violents. Je n'avais plus le temps de
prévenir mon compagnon. Je me saisis vivement de la chaise de bois
et la jetai contre la fenêtre (c'était une fenêtre d'1m80 par 0m90 et
elle se trouvait au rez-de-chaussée, car je voyais une colline verte, un
arbre, et un trottoir). la chaise ne fit que rebondir, tandis que la
fenêtre se mettait à vibrer, comme si elle était en plexiglas. Cet
événement apparemment impossible me fit penser que de telles
choses n'arrivent que dans les rêves. Le fait que mon compagnon de
chambre prenait une douche dans un coin allait d'ailleurs dans le
même sens. A ce moment, mon rêve devint lucide.

Sachant que je rêvais et que je ne risquais rien, j'ouvris la


[90]
porte et fis face à la bande […]

Une fenêtre en plexiglas ou un compagnon de chambre qui prend une douche n'ont rien
d'absolument impossible, mais le contexte dans lequel ces éléments se manifestent rend leur
présence incohérente pour le rêveur - et le raisonnement qui l'amène à se rendre compte
[91]
qu'il rêve est du même genre que celui de Descartes dans la sixième méditation .
Toutefois, l'incongruité ne se ramène pas nécessairement à une impossibilité ou à une
absurdité : la situation onirique peut apparaître tout à fait plausible, à ce détail près qu'elle
ne correspond pas à une situation actuelle de la vie de veille :

Au cours d'un rêve, j'entrai dans la chambre que j'occupais,


jadis, à D. Road. Je me souvins que je n'habitais plus à cet endroit, et
c'est ainsi que je sus que je rêvais. J'examinai la chambre ; elle avait
la qualité d'un lieu éclairé à l'électricité, et je voyais, par la fenêtre,
[92]
qu'il faisait noir au-dehors.

Cette situation onirique n'est ni impossible, ni absurde, elle ne correspond simplement


pas à celle de la veille. La reconnaissance d'une incongruité fait donc ici appel à la mémoire
d'événements particuliers plutôt qu'au sens de leur cohérence. Ce n'est pourtant pas là le
déclenchement le plus subtil de la lucidité par la reconnaissance d'une incongruité. La
situation peut être encore plus complexe lorsque le rêveur met en rapport une situation
onirique particulière avec ce qu'elle a de général à l'état de veille. Ainsi dans le récit suivant
le rêveur compare une situation onirique de "réveil" à ce que sont ses réveils habituels dans
leur généralité et constate des différences qui l'amènent à conclure qu'il rêve :

« Je suis en train de rêver que je dors, et à un moment donné


dans mon "sommeil" (qui se déroule dans ma chambre avec N… à
mon côté) N… bouge dans le lit, et je m'éveille. Mais comme je suis
toujours dans le lit étendu, je me pose la question de savoir si je suis
bien éveillé ou non. Comme je reste étendu et que je ne me lève pas,
je pense alors que je dois être en train de rêver. Et effectivement je
[93]
me dis que je rêve lucidement […] »

Qu'un sujet reste allongé après s'être éveillé n'est ni impossible, ni absurde, ni
certainement dénué de rapport avec une possibilité actuelle : en fait une telle situation peut
se produire légitimement à chaque réveil, surtout si le sujet se contente de s'observer. Il faut
donc envisager ici un autre type d'incongruité qui ne peut être compris comme tel que par le
rêveur et qui ne dépend pas d'une comparaison à une situation particulière similaire à l'état
de veille. Si la situation onirique est bel et bien, pour sa part, particulière, elle est cependant
rapportée à la généralité des situations similaires à l'état de veille. Dans un tel cas
l'incongruité n'apparaît telle que pour le sujet, et on ne peut pas l'identifier par une simple
lecture si rien ne l'indique de façon explicite.

La qualité réflexive de la reconnaissance d'une incongruité repose sur une inférence


suffisamment simple (de la forme "cet événement est incongru, donc je rêve") pour donner
un sentiment d'immédiateté et d'évidence tel que le rêveur ne trouve pas toujours
indispensable de l'énoncer. Il n'en va pas de même lorsque la reconnaissance prend la forme
d'une pensée plus analytique. D'après Celia Green deux cas peuvent se présenter : « La
lucidité peut apparaître quand la situation de rêve est telle que, si elle se produisait à l'état
de veille, elle déterminerait, dans l'esprit du sujet, une suite de pensées analytiques. Cet
enchaînement de pensées peut d'ailleurs se présenter dans le rêve lui-même, juste avant
qu'il devienne lucide, ou encore la lucidité s'établira sans ce préliminaire, au moment où
[94]
normalement de telles pensées auraient dû commencer » . Dans les deux cas
l'enchaînement des pensées oniriques est présenté comme déclenchant la lucidité, qu'il soit
effectif ou seulement possible. Cet enchaînement peut se développer à partir d'une
incongruité qui joue alors le rôle de cause lointaine mais, comme nous l'a montré le rêve de
Delage, dans lequel la lucidité n'est pas provoquée par les anomalies manifestes du décor
mais par une sorte de ratiocination par elle-même peu convaincante : la présence de
l'incongruité n'est pas nécessaire dans ce processus.

Dans un rêve, j'entendis une voix de qualité désagréable


assurant qu'un certain lieu "était celui où Tibère projeta l'un de ses
meurtres." Aussitôt, j'eus la vision assez claire d'une tour ou d'une
entrée monumentale ressemblant au "Portail d'Honneur" de Caïus
College, à Cambridge. Songeant au ton malveillant et faux de cette
voix, je me rendis compte que j'étais dans un état de séparation (ce
fut l'habitude de me détacher des idées fixes qui rétablit le
[95]
souvenir).

Ce rêve ne présente aucune incongruité à proprement parler et si le rêveur devient


lucide à la suite d'une réflexion, les données qui l'alimentent ne sont pas en elles-mêmes
explicatives. D'autres situations sont moins nettes et il faut les examiner attentivement pour
ne pas risquer une confusion :

Le rêve avait pour cadre le premier étage d'une grande


demeure, assez pleine d'atmosphère. Pour commencer, je me trouvais
dans une chambre avec X. Nous discutions pour savoir s'il n'y aurait
pas, en tel lieu, des esprits, et je les invoquais, d'une manière assez
peu sérieuse. X dit alors quelque chose dans ce genre : "Donnez-leur
au moins une chance convenable en allant faire ça dans une chambre
à part". Je me montrai d'accord, sans grand enthousiasme, comme
c'est le cas quand quelqu'un me suggère quelque chose qui devrait
m'intéresser mais que je ne m'attends pas à réussir. J'allai dans le
corridor et j'entrai dans une autre chambre, où je me mis à parler à
l'air. Au bout d'assez peu de temps, les paroles que je prononçais
commencèrent à me revenir sous forme d'échos, réfléchis par les
coins et les murs de la pièce. Cela prit bientôt une tournure assez peu
naturelle, car seuls certains mots de mes phrases étaient sélectionnés
et renvoyés par l'écho. Un même mot pouvait également être répété
au même instant sous plusieurs angles différents. Je commençais à
me sentir mal à l'aise et je quittai la pièce avant que cela ne devienne
pire. Reprenant le couloir pour rejoindre X, je me demandai comment
je lui expliquerais ma fuite ; j'étais également curieux de savoir si ces
échos bizarres pouvaient avoir une cause naturelle. A ce moment, je
[96]
me rendis compte que je rêvais.

Malgré ce que pourrait laisser croire la dernière phrase de ce récit, ce n'est pas
l'étrangeté de l'écho en tant qu'incongruité qui provoque la lucidité mais bien la réflexion à
son sujet. L'écho a cessé depuis déjà quelque temps tandis que le rêveur s'étonne et cherche
une explication à ce qu'il a vécu. Ainsi, que le raisonnement s'appuie ou non sur des données
du rêve, il semble posséder sa propre force pour faire surgir la conscience de rêver. Certains
ont même considéré que sa seule présence dans le rêve entraînait nécessairement la lucidité,
la faculté de raisonner sur la cohérence de l'environnement leur semblant par définition
absente du rêve ordinaire. Cette idée est cependant inexacte comme le montre le rêve qui
suit :

« Je suis dans une maison où je suis déjà venu dans le passé :


c'est la maison dans laquelle réside un juriste, et qui a servi de cache
pendant la guerre d'Algérie pour le F.L.N. Le juriste est avocat, il est
véreux et pense me faire chanter, parce que j'ai aidé le F.L.N. Les
lieux sont toujours identiques avec un escalier en colimaçon dans la
cour (pour descendre dans une cave souterraine). Je me défends tant
bien que mal contre les attaques verbales de l'avocat, et je commence
à me demander si je suis en rêve ou en réalité, car j'ai déjà vu cet
endroit et ce personnage, mais je suis incapable de savoir si c'est en
rêve ou dans la réalité. Je raisonne, je réfléchis, puis je finis par
conclure que le souvenir d'avoir rencontré cette personne est
forcément le souvenir d'un rêve puisqu'à l'époque de la guerre
d'Algérie j'avais 4 ou 5 ans, donc je ne pouvais pas y être impliqué. Je
me suis alors très bien souvenu de ce rêve précédent, et j'ai bien
pensé que c'était le souvenir d'un rêve. Quant au rêve en cours je n'ai
pas su trancher pendant longtemps dans mon sommeil et j'ai fini par
[97]
me dire que ce devait être un rêve » .

Ce rêve finit par devenir lucide mais avec retard et malgré une pensée analytique très
développée. L'existence d'un raisonnement, même poussé, sur la réalité ou l'oniricité de la
situation présente, ne permet donc pas de garantir la lucidité du rêveur. Comme pour les
autres facteurs déjà examinés, un élément supplémentaire influence la prise de conscience
de façon souterraine, élément qui n'est sans doute autre que la qualité du sujet.

On peut donc faire un pas de plus et essayer de se rendre compte de ce qui dans le
sujet lui-même peut l'amener à se savoir en train de rêver, et qui n'apparaît clairement que
lorsque les facteurs précédents sont absents. Puisqu'aucun élément onirique extérieur au
rêveur (dans le rêve) ne la déclenche, elle peut être assimilée à une capacité à appréhender
son moi ou ses actes pour en saisir la qualité onirique. Et, puisqu'elle ne repose pas sur une
réflexion, elle a donc le caractère d'une intuition : le rêveur ne se livre à aucune comparaison
mais reconnaît immédiatement ce qu'il est ou ce qu'il fait comme participant du rêve. Une
telle situation est facile à identifier lorsque le sujet sait d'avance ce qu'il doit reconnaître, par
exemple lors de tentatives d'induction du rêve lucide au cours desquelles il se propose
d'identifier un événement ou un mouvement programmé :

« Je vois un fourreau noir qui contient des baguettes de


lunchaku, je pose mes mains dessus et un déclic se produit dans ma
tête. Je progresse dans l'obscurité, et je vois mes mains se poser sur
un réfrigérateur (blanc). Cette fois je réalise que c'est le geste qui a
été programmé : "voir les mains". Je me dis aussitôt que je suis lucide
et que c'est un rêve, je sens aussi qu'il ne faut pas que je m'éveille. Je
[98]
redéroule tout cela dans ma tête, puis je m'éveille » .

Le sujet avait décidé avant de s'endormir de chercher ses mains en rêve (selon la
[99]
méthode de Carlos Castaneda ), et une suite d'actions qu'il accomplit attire son
attention sur cette situation qui par elle-même n'a pas de qualité onirique, ne provoque
aucune émotion, ne présente aucune incongruité et sur laquelle aucune réflexion ne s'exerce
à proprement parler. Avant de devenir lucide le rêveur n'a pas l'idée délibérée de chercher
l'indice qu'il rêve, il fait donc preuve d'une certaine qualité d'attention qui lui est propre et qui
constitue un genre de circonstance déclenchante de la lucidité que l'on peut bel et bien
classer à part. Cette qualité d'attention n'a d'ailleurs pas toujours besoin de s'appuyer sur un
acte particulier pour faire surgir la lucidité :

« J'ai rêvé que j'étais en train de m'endormir et que j'étais en


train de me dire que je devais penser en rêvant à formuler la
question : "Suis-je ou non en train de rêver ?", l'affirmer, puis faire un
geste pour confirmer que j'étais en plein rêve lucide. A ce moment j'ai
pensé que je rêvais et qu'il fallait faire un geste, passer ma main dans
mes cheveux, je l'ai fait et me suis réveillé dans le rêve, sachant alors
que je rêvais lucidement. J'ai pensé (dans le rêve) qu'il fallait que je
[100]
me rendorme, et je me suis endormi dans le rêve » .

Dans ce rêve, la qualité d'attention à soi est telle que le rêveur devient lucide de son
propre chef. Le geste de confirmation qui suit est en quelque sorte une formalité (qui
entraîne un faux-éveil lucide) mais ne joue aucun rôle dans l'apparition de la lucidité qui est
déjà établie au moment où le rêveur décide de bouger sa main onirique ("j'ai pensé que je
rêvais et qu'il fallait faire un geste"). Cette "qualité du sujet" qui fait du rêveur la source de la
prise de conscience, se rencontre principalement chez ceux qui s'intéressent à leurs rêves et
plus particulièrement chez ceux qui cherchent à les reconnaître ou à les induire. Ce n'est
donc pas une qualité qui se manifesterait spontanément. Il s'agit bien d'une cause onirique
puisque le rêveur rêvant en est responsable, mais on peut se rendre compte que l'élément
sur lequel se porte l'attention du rêveur (le moi onirique ou les actes) semble presque
secondaire par rapport à cette qualité d'attention particulière. Et cependant, si cet élément
fait défaut, il est impossible de s'assurer que la qualité du sujet a déclenché la lucidité, car on
ne peut la discerner que par l'entremise de ce sur quoi elle s'exerce.

Cette constatation nous amène à un point limite où les causes oniriques ne sont pas
discernables, situation qui n'est généralement pas prise en compte dans les études faites sur
le sujet depuis Celia Green. Nous avons vu que cette dernière, dans une distinction désormais
classique, regroupe les circonstances déclenchantes selon quatre catégories dont nous avons
rencontré et analysé les éléments dans les pages qui précèdent (les tensions d'une situation
"cauchemardesque", la reconnaissance d'un élément insolite ou irrationnel dans le contenu du
rêve, le rappel d'une technique habituelle d'observation introspective, ou la reconnaissance
spontanée du fait que l'expérience vécue diffère, d'une manière indéfinissable, de celles qu'on
peut avoir à l'état de veille). Ce qu'il faut rappeler maintenant c'est que cette classification
est empirique et s'appuie sur un corpus limité compte tenu de la rareté des récits dont elle
disposait à l'époque de la rédaction de son livre. Or, l'examen d'un corpus plus étendu
montre que certaines situations ne sont pas prises en considération par cette classification,
notamment celles dans lesquelles la lucidité surgit sans cause onirique décelable et qu'on
peut qualifier de lucidité spontanée.

2. La lucidité spontanée
Lorsque le rêveur se rend compte spontanément qu'il rêve, sans devoir cette prise de
conscience à un élément onirique identifiable (que cet élément lui soit, dans le rêve,
extérieur, ou qu'il dépende de son moi rêvant), il s'agit de toute évidence d'une lucidité sans
cause onirique discernable. Cette dernière remarque est cependant restrictive car dans la
mesure où le rêve est entièrement constitué par ce qui entre dans le champ de conscience
(onirique ordinaire ou lucide) du rêveur, l'absence de causes oniriques "discernables"
équivaut à une absence absolue. Cette conclusion ne peut toutefois être acceptée que si le
rêveur n'a rien omis dans son récit, ou s'il note explicitement ce fait.

Incroyable rêve, très conscient et très contrôlé. Rêvé que je


me trouvai quelque part dans une maison ou une grande demeure et
compris tout à coup que je rêvais. Soudaine perception cognitive du
[101]
fait que j'étais simultanément conscient et en train de rêver […] .

Dans ce début de récit le rêveur insiste deux fois sur l'apparition soudaine de la lucidité
que par ailleurs rien dans les éléments présentés ne laissait présager. Chez certains rêveurs,
ce type d'émergence imprévisible est habituel. Dans la plupart de ses rêves Kelzer note :

Je rêvais déjà depuis un certains temps quand, tout à coup, je


[102]
me rendis compte que c'était un rêve.

Pourquoi la lucidité spontanée, qui semble facile à reconnaître dans un récit de rêve,
n'a-t-elle jamais fait l'objet d'une catégorisation ? On peut supposer qu'à l'époque de Celia
Green le corpus des récits était trop maigre pour que ce type d'émergence de la lucidité
retienne l'attention - bien qu'on puisse déjà le constater chez Hervey de Saint-Denys ou
Delage -, et que par la suite la classification de Celia Green s'est imposée simplement parce
qu'elle était la seule tentative de systématisation de ce genre. Cependant, si la lucidité
spontanée n'a jamais fait l'objet d'une analyse, c'est probablement surtout parce qu'elle
échappe à la description. Alors que les autres types d'émergences peuvent être racontés,
analysés, comparés, voire provoqués, la lucidité spontanée ne peut que se constater, la
plupart du temps en marge du récit auquel elle ne se rattache pas : le rêveur se rend
simplement compte qu'il rêve, souvent à un moment inattendu. Cette absence de
circonstances dramatiques a sans doute fait écarter ce type de récits à une époque où les
chercheurs essayaient avant tout de convaincre leurs collègues de l'existence du phénomène,
ou simplement de se faire comprendre d'eux, car ils ne sont guère "parlants" pour ceux qui
ne connaissent que le rêve ordinaire. Pourtant, leur étude montre que cette spontanéité est
susceptible de nuances concernant non pas les circonstances oniriques mais le mode de
surgissement lui-même de cette lucidité. En effet plusieurs types de lucidité spontanée
peuvent être distingués : une lucidité qui surgit tout à coup, une lucidité graduelle et une
lucidité "déjà présente".

La lucidité subite est celle qui permet de discerner le plus facilement l'émergence
spontanée de la lucidité, comme le montrent les deux cas précédents. Cependant, si le rêveur
ne met pas nettement l'accent sur l'aspect soudain et inattendu de cette émergence ou si les
événements oniriques sont un tant soit peu spectaculaires, il est facile de se tromper à la
lecture et d'attribuer à l'environnement onirique un rôle qu'il n'a pas.

« Un procès où un jeune homme montre que le diable existe.


La petite fille en a été victime. Le procureur ou le juge ne veut pas le
croire. En fait il est l'agent du démon. L'autre montre le diable attaché
et encagoulé dans une prison dans la cave. Le juge va le libérer.
Sera-t-il exécuté ou considéré comme fils unique du diable! Tout le
monde s'enfuit.

« Je cours à travers des jardins. Je saute une première barrière


en fer, puis une deuxième après avoir traversé la rue. Là, je tourne
pour mettre un immeuble entre moi et le regard de mes poursuivants.
J'entre dans un immeuble, c'est la meilleure cachette.

« (Lucidité : Je sais que je rêve en courant dans les jardins des


immeubles (mais il ne me vient pas à l'esprit de modifier tout
[103]
ça).[…] »

On serait tenté de voir là une lucidité provoquée par un facteur affectif, mais en réalité
ce n'est pas parce qu'il court que le sujet se rend compte qu'il rêve, mais il constate qu'il rêve
alors qu'il court, dans une situation par ailleurs peu propice à cette réalisation puisqu'il est
complètement absorbé dans l'action, au point qu'il ne prend pas le temps d'y réfléchir ("il ne
me vient pas à l'esprit de modifier tout ça"). La lucidité ne répond donc pas ici à un besoin
affectif. De même on ne peut arguer qu'il s'agit d'une lucidité proche du réveil car la suite du
rêve, bien que non lucide, est aussi longue que son début. Un examen attentif est donc
parfois nécessaire pour ne pas se tromper sur le rôle des circonstances oniriques.

Toutefois, pour certains récits l'analyse ne dissipe pas l'ambiguïté :

« J'arrive en train avec mon père et les enfants. On vient de


B… D… (là où habitent mes parents). On s'apprête à repartir vers P…
(maison de mes beaux-parents). On n'a pas besoin de changer de
train et je trouve cela vraiment pratique. Mais je dois aller chercher de
nouveaux billets. Je laisse les enfants dans le train, ils gardent les
places et mon sac, mais ils veulent eux aussi sortir. Je suis obligée
d'aller rechercher mon sac puisqu'il n'y a personne pour le garder.
J'arrive dans le hall de la gare, il est immense, le plafond est très
haut. D'un seul coup je me dis que c'est un rêve et que je dois
pouvoir voler. En effet je vole. Je suis très euphorique, je ris, j'ai la
sensation extraordinaire de voler. J'ai des fourmillements dans tout le
[104]
corps. Je recommence encore une fois […] » .

La lucidité est présentée comme subite ("D'un seul coup je me dis que c'est un rêve")
mais les éléments oniriques qui précèdent immédiatement ("J'arrive dans le hall de la gare, il
est immense, le plafond est très haut") peuvent laisser supposer qu'ils ont joué un rôle
déclencheur si on les rapporte à l'action qui suit immédiatement la prise de conscience ("je
dois pouvoir voler. En effet je vole").

Dans d'autres cas où on pourrait être porté à donner à la circonstance onirique un rôle
de premier plan, c'est le rêveur lui-même qui signale qu'elle ne joue pas le rôle qu'on se
croirait en droit de lui attribuer :

« Je rêve qu'un ancien camarade, qui est peintre et qui boîte à


la suite d'un accident (ce jour-là, j'ai revu avec émotion une amie qui
est peintre et qui s'est étonnée que je boîte, car elle ne sait pas,
apparemment, que je souffre d'une malformation), passe sous le
porche d'entrée du foyer où je loge. Un escalier très raide mène à une
plate-forme, d'où je l'aperçois. Instinctivement je cherche à le fuir,
tandis qu'il monte péniblement l'escalier. En même temps, je me dis
qu'il m'a peut-être aperçu et que c'est idiot de fuir quelqu'un qui vient
spécialement me voir, alors que je suis au Japon, et qui n'est somme
toute pas trop désagréable ; toutefois je me précipite vers la porte qui
mène à l'intérieur du foyer, et qui rétrécit jusqu'à devenir une sorte
de soupirail. Je plonge donc à l'intérieur et me retourne. Dans la
lucarne du "soupirail d'entrée" j'aperçois la tête dilatée et déformée
en un rictus de mon ami qui me regarde de l'extérieur. Alors -
pourquoi soudain? - je me suis rappelé qu'il fallait accueillir sans peur
toutes les apparitions : j'élève mes bras vers lui en signe
[105]
d'amitié […] » .

On serait tenté à première lecture de penser que la lucidité est provoquée par la
tension affective des événements oniriques : la fuite, l'aspect monstrueux de la scène
("j'aperçois la tête dilatée et déformée en un rictus"), mais l'ensemble du rêve ne correspond
pas à cette impression ("c'est idiot de fuir quelqu'un qui vient spécialement me voir […] et qui
n'est somme toute pas trop désagréable") et surtout le rêveur pose la question "pourquoi
soudain?" qui indique nettement qu'il ne ressent pas l'émergence de la lucidité comme la
réponse à une tension affective.

On peut d'ailleurs aller plus loin dans la description de cette absence de rapport entre
la prise de conscience par le sujet qu'il rêve et les circonstances oniriques qui l'entourent. Il
advient souvent que l'apparition de ce type de lucidité entraîne un brusque changement de
scène onirique, changement qu'on ne trouve pas lorsque cette émergence s'insère dans la
trame du rêve. Ainsi, dans le rêve précédent, la lucidité subite modifie radicalement le décor
et les événements, comme le montre la suite du récit :

« […] Immédiatement, je me sens sur mon lit [dans la position


et les conditions que je vérifierai à l'état de veille] happé en arrière
par une force invraisemblable et que je ressens avec une acuité
jamais connue - A la réflexion, je me suis d'abord senti le
cerveau bourdonnant et écrasé par une force très grande, avec
quelque chose comme une sorte de réveil sur mon lit dans la réalité
de l'état de veille. La force qui m'attire au bas de mon lit comme un
aimant contre lequel je ne peux résister me projette sur le côté de
l'armoire métallique qui se trouve dans ce coin. Une ouverture s'y fait
et je me retrouve dans l'espace noir, dans la même position que celle
où je dors mais dirigé vers le Sud et j'avance dans le vide à une
vitesse extraordinaire à travers des rectangles dont le défilement -
comme les jeux vidéo - renforce mon impression de vitesse - j'avance
à l'horizontale. L'impression est encore tellement forte, aussi forte
qu'une même situation vécue à l'état de veille, donc sans
comparaison avec les situations réellement vécues en général ; une
certaine déception s'installe en moi car j'aurais voulu voir des choses
plus intéressantes sans aller si loin, je veux tester si je peux vraiment
rentrer ; le mouvement s'arrête alors, je décide d'ouvrir un œil, je
suis sur mon lit et je peux me rendre compte assez vite que je suis
réveillé, et très calme, ce qui m'étonne étant donné l'expérience si
forte - jamais encore vécue en rêve ni en réalité - que je viens de
[106]
faire » .

Cette dernière partie du rêve rend l'aspect spontané de la lucidité plus plausible, car il
est difficile de considérer que le rêveur vit ensuite une situation moins tendue. De plus,
contrairement au schéma habituel dans lequel la lucidité s'insère dans un rêve que le rêveur
poursuit, elle entraîne ici une modification complète de l'environnement onirique, à tel point
qu'on serait tenté de considérer que le rêveur a changé de rêve. Cette analyse semble
confirmée par d'autres récits dans lesquels la lucidité apparaît brusquement pour un court
moment au cours duquel le rêve change complètement - avant de revenir à la scène de
départ lorsque la lucidité a disparu.

« Une histoire policière écrite par un professeur : quelqu'un


veut tuer quelqu'un d'autre en le jetant par la fenêtre. Ce professeur
est très fin. Joue-t-il son propre rôle ?

« (Rêve lucide :) Je suis sur un balcon et je me jette dans le


vide. Je me dilue dans l'air. Je sais que ça se passe au S…, dans
l'atmosphère du petit matin que je désirais retrouver. Je ne vois plus
les immeubles : ils se diluent aussi. J'essaie de me reconstituer ainsi
que les images en me concentrant sur elles de façon à rendre le rêve
plus solide.

« Je pense à partir en voyage interstellaire trop loin de tout, de


quoi devenir fou, même en restant en communication par radio avec
le monde.

« (Perte de la lucidité :) Je reviens sur le balcon. On a sauvé


celle qui allait être tuée. … La meurtrière écrit son propre scénario et,
jouant le rôle de la victime, se jette dans le vide. Tout n'est qu'illusion
et cinéma : dans la mesure où l'on sait que l'histoire se termine bien,
elle ne risque rien. Mais elle est victime d'elle-même car elle n'a pas
[107]
auparavant fait lire son scénario à quelqu'un » .

Le rêve change avec l'apparition inattendue de la lucidité et retrouve son aspect


premier lorsque la lucidité disparaît. Une continuité thématique peut sans doute être mise en
évidence dans le récit, mais la partie lucide se distingue nettement des deux autres par son
déroulement et l'implication du rêveur. Le changement brusque de décor peut donc être une
indication de la lucidité subite. Toutefois, la lucidité subite n'implique pas nécessairement un
changement de décor, et de façon générale les autres formes de lucidité spontanée
l'excluent.

Si les circonstances oniriques ne se présentent pas de façon causale, la lucidité peut


sans doute être attribuée à un développement de la conscience du rêveur lui-même, comme
le suggère le cas de la lucidité graduelle dans lequel l'état conscientiel du rêveur s'achemine
progressivement vers la lucidité. Il ne s'agit plus d'un phénomène brusque mais au contraire
prévisible dans la mesure où le rêveur note l'évolution de son état de conscience. La
description de cette évolution conscientielle continue est très délicate à transcrire et souvent
le sujet ne prend pas la peine de le faire, notamment en raison de l'absence de vocabulaire
adéquat du langage courant. On peut cependant déceler ce type de lucidité à certains signes
tels que des commentaires intra-oniriques comme dans le rêve suivant :

« Je surgis dans un endroit où je retrouve quelqu'un que je


connais pour l'avoir déjà vu auparavant. C'est un jour sombre ou une
tombée de nuit. Il se passe alors des choses étranges. Nous sommes
sur une sorte d'esplanade-balcon dans un pays (le S…?) et en bas il y
a une mer de boue blanche qui bouillonne un peu. Je suis un type
gros et rondelet en maillot de bain-short, et je demande à celui qui
est susceptible de m'expliquer, de me dire ce qui se passe. Il me dit
que je peux sauter dans la boue, l'orthographe (ou le langage) en a
été vérifiée. Après nous pourrons partir plus loin pour avoir des
explications.

« Ma jambe me brûle en un endroit. Il m'explique que c'est elle


qui détermine la quantité d'eau dont j'ai besoin. Je lui dis qu'il va
assister à quelque chose et je fais surgir l'eau de mes mains. J'ai déjà
conscience qu'ici je peux plus que dans le monde de l'éveil. Nous
descendons dans la mer de boue par un côté. [dessin]

« (Rêve lucide, suite du précédent:)

« Je deviens lucide et je regarde les gens en maillot de bain.


Ils n'ont pas l'air heureux. Je descends et commence à devenir
distinct du gros (qui continue à avancer sans moi tandis que je reste
sur place). Maintenant je suis dédoublé et j'ai l'impression d'être un
spectateur participant. Je pense qu'on ne pourra pas aller là où disait
l'autre car ça prendrait trop de temps, et si je fais un effort mental je
[108]
risque de chambouler le rêve. […] » .

Avant même le surgissement de la lucidité le rêveur signale un état de conscience qui


s'en rapproche : "J'ai déjà conscience qu'ici je peux plus que dans le monde de l'éveil". Il ne
s'agit cependant pas dans son esprit de lucidité puisqu'il ne signale qu'ensuite qu'il "devien[t]
lucide" c'est-à-dire qu'il a pleinement conscience d'être dans un rêve.

La lucidité graduelle est parfois marquée par le surgissement d'éclairs de lucidité,


comme si la lucidité s'efforçait de percer la trame du rêve, mais qu'elle ne réussissait à
s'imposer qu'au bout d'un certain temps seulement, ce que montre l'exemple suivant :
« Je suis dans un grand bâtiment aux multiples niveaux rempli
de monde. C'est la nuit. Je sais que c'est un théâtre (l'ensemble
ressemble au Palais de Chaillot, mais en beaucoup plus grand.)

« Il y a une longue marche complexe à travers les salles


extérieures du théâtre, me frayant un passage à travers la foule,
prenant des escalators, descendant des escaliers, empruntant des
couloirs à nombreuses portes fermées. Souvent je rencontre des gens
que je connais et je leur parle. Puis je continue à marcher.

« J'arrive dans le théâtre principal - immense - mais il est


entièrement dans le noir. On entend "crépiter" (c'est ainsi) une
grande foule sur les gradins. J'avance à tâtons à la recherche d'une
place. Je n'en trouve pas et je commence à m'énerver. Comment
sortir de là ? Finalement j'enjambe les rangs de fauteuils occupés et je
marche même sur les gens, sans qu'il y ait de protestations. Vers le
haut, ça va mieux, il y a moins de monde, mais curieusement, je sens
que je marche sur des buissons ou des ronces. (A ce moment, dans
mon rêve, je deviens brièvement lucide et je me dis "Mais c'est le
Théâtre! Il ne faut pas s'étonner, j'en ai souvent rêvé." C'est vrai que
je rêve épisodiquement d'un grand théâtre qui prend toutes sortes de
formes.)

« Je me retrouve dans les foyers et les salles extérieures.


Soudain, je suis avec E., une femme qui a eu beaucoup d'importance
pour moi quand j'étais adolescent. Elle est dans un fauteuil à roulettes
avec lequel nous fendons la foule, mais elle n'est ni malade ni
invalide. En fait nous allons au théâtre pour la remise des prix. Il se
trouve que E. a gagné, mais personne ne le sait encore, sauf elle et
moi.

« De retour dans le théâtre (cette fois nous avons des places)


on est en train d'annoncer les résultats, c'est-à-dire que des chiffres
paraissent dans le noir, sur un écran. Réactions diverses dans la foule.
Mais soudain, paraît le chiffre qui montre que E. a gagné. Délire, cris
de "elle a gagné! elle a gagné!" E. est amusée, ça ne lui monte pas du
tout à la tête.

« Alors commence le spectacle (mais c'est plutôt un concert.


En fait je n'ai jamais vu de pièce sur la scène de théâtre). C'est un
concert-spectacle, qui se passe plutôt au plafond de la salle. C'est
d'ailleurs très beau. Une sorte de symphonie de bruits naturels (y
compris certains qui n'existent pas en réalité, comme le chant des
étoiles — c'est très aigu et très pur avec un apparent désordre de
sons, mais ça va par groupes et quelquefois il y a un son plus grave
qui tourne sur lui-même […]. En même temps, on voit des images du
ciel étoilé, mais c'est un procédé spécial, car on a l'impression de
planer dans l'espace. Je vois la grande ourse sous mes pieds.) Suit un
morceau "pluie sur les feuilles" très doux, mais on distingue chaque
goutte, et il est impliqué qu'il y a un rapport avec les étoiles. Puis il y
a un morceau "bulles" presque silencieux ; de temps en temps une
bulle éclate dans le silence en faisant "clouc." On voit la surface d'une
eau dormante la nuit, et les bulles brillent comme des étoiles quand
elles paraissent.

« C'était très beau, mais on a en quelque sorte "dévié" sur une


scène de comédie. Elle ne se passe pas sur la scène du théâtre, mais
à l'intérieur de la tête de chaque spectateur (ici le rêve devient
progressivement lucide.) - Il y a un petit chien dans un marais avec
un os. Il est impliqué que "dans l'harmonie universelle, c'est pas beau
de vouloir cacher un os" mais ce commentaire est plutôt satirique que
sérieux.

« Arrive un être volant qui ne ressemble à rien, mais qui est


censé être un chat. Le chien cache son os en s'asseyant dessus. Le
chat volant lui dit "Je t'ai vu". — "Moi aussi je t'ai vu," dit le chien
sans se démonter. "Je t'ai vu, dit le chat. J'ai vu ce que tu as caché."
—"C'est ma petite sœur" dit le chien. "Mon œil, dit le chat volant. On
ne mange pas sa petite sœur". —"Toi tu manges bien des souris"
—"C'est vrai, je les appelle mes petites chéries. Bon, nous sommes
d'accord." Ça devient un peu trop bête, et dans ma lucidité, j'ai le
désir de revenir aux scènes d'avant, mais je force un peu trop et je
commence à m'éveiller, c'est-à-dire qu'il y a une débandade d'images
et l'irruption d'une forte lumière blanche (qui ressemble à du "yaourt
en feuilles"). Je résiste. J'arrive presque à reprendre le rêve, mais
finalement non. Alors je me dis "C'était un rêve excellent. Il faudra
que je m'en souvienne", et je note, ou repasse mentalement les
différentes séquences pour m'en souvenir le matin. Tout ça se passe
en état de sommeil lucide. Puis je décide que je m'en souviendrai et
que je peux me rendormir. Ça se présente comme une zone noire
[109]
dans laquelle je pénètre confortablement » .

Ici la lucidité se manifeste brièvement une première fois sans que l'on puisse préciser si
elle est spontanée ou due aux circonstances (à la vue du théâtre qui rappelle au rêveur qu'il a
déjà rêvé de cet endroit). En revanche la lucidité qui émerge un peu plus loin est bien
spontanée car aucune circonstance onirique nouvelle n'en rend compte, et surtout parce
qu'elle émerge progressivement ("le rêve devient progressivement lucide"). Le rêveur
n'indique pas à quel moment précis il devient tout à fait lucide, comme si aucune zone de
démarcation précise ne pouvait être désignée. On se rend compte néanmoins de l'étendue de
cette lucidité lorsqu'il décide de quitter une scène qui ne lui plaît pas ("dans ma lucidité, j'ai
le désir de revenir aux scènes d'avant") et qu'il se révèle capable d'agir sur l'ensemble du
rêve. Ainsi dans ce rêve la lucidité n'est d'abord qu'une faible lueur intermittente pour
finalement s'imposer tout à fait.

Une telle émergence progressive de la conscience de rêver peut être plus aisée à
comprendre si on la compare à l'éveil graduel dont Descartes a donné la description : « Je
dors ici dix heures toutes les nuits et sans que jamais aucun soin me réveille ; après que le
sommeil a longtemps promené mon esprit dans des buis, des jardins et des palais enchantés,
où j'éprouve tous les plaisirs qui sont imaginés dans les Fables, je mêle insensiblement mes
rêveries du jour avec celles de la nuit ; et quand je m'aperçois d'être éveillé, c'est seulement
afin que mon contentement soit plus parfait, et que mes sens y participent ; car je ne suis
pas si sévère, que de leur refuser aucune chose qu'un philosophe leur puisse permettre sans
[110]
offenser sa conscience » . Dans une telle situation il serait difficile au sujet de dire à partir
de quand il est tout à fait réveillé car il ne passe pas brusquement de rêve à l'état de veille,
comme cela se fait par exemple lorsque la sonnerie du réveille-matin interrompt brutalement
un rêve. De la même façon la lucidité est parfois si graduelle que le rêveur ne peut la signaler
que dans une circonstance précise qui rétrospectivement la fait deviner en puissance dans ce
qui précède. Cette situation ne doit cependant pas être confondue avec une autre forme de
lucidité spontanée, la lucidité implicite.

Il arrive en effet que la lucidité ne soit indiquée dans le récit que de façon
rétrospective, non parce que le rêveur a connu une lucidité graduelle qui n'a atteint son
intensité optimum qu'au moment où il en fait la remarque mais simplement parce que
l'occasion ne s'est pas présentée auparavant de remarquer l'existence d'une lucidité déjà
présente. C'est là un phénomène tout à fait particulier puisque le rêveur peut se savoir en
train de rêver sans pour autant se rendre compte qu'il le sait. Il considère donc son rêve
comme tel, mais il lui faut tout de même une circonstance onirique pour qu'il explicite (aussi
bien pour le lecteur que pour lui-même) cette lucidité déjà présente. Dans ce cas, ce n'est
pas la circonstance en question qui fait surgir la lucidité bien qu'elle lui serve de support
d'expression. Dans ce type de rêve il est fréquent que le rêveur ne puisse pas dire depuis
quand il était lucide, non parce que la lucidité a été progressive, mais parce qu'elle n'a pas
été clairement aperçue.

« J'étais en voyage avec G… (ma sœur), un voyage d'amants,


nous faisions l'amour et j'ai eu des sensations et des images très
fortes des ébats amoureux. (Visions, sensations tactiles, orgasmes).
Bavardages entre deux. De temps à autre elle culpabilisait et ne
voulait plus faire l'amour, me parlant de son mari, de la famille, du
fait qu'elle est ma sœur et que ça ne se fait pas. J'essayais de balayer
ses objections et l'entraînais plus fort, lui disant qu'il ne s'agissait que
de tabous et que seul le fait d'enfreindre les tabous la mettait mal à
l'aise. Nous avons alors fait l'amour, et c'était très bon, je le lui ai fait
remarquer mais j'ai vu que sa réticence augmentait. Il faut préciser
que nous étions dans la maison familiale et que si cela venait à se
savoir, les conséquences pouvaient être pénibles. Pour ma part je
savais que j'étais en train de rêver et qu'il n'y avait aucun risque, j'ai
d'ailleurs confirmé ma pensée en passant ma main dans mes cheveux,
ce qui m'a amené à presque me réveiller. Je me suis dit qu'il ne fallait
pas me réveiller et continuer mon rêve. G… me disait que faire
l'amour avec moi c'était bon mais qu'il ne fallait plus le faire même si
c'était meilleur qu'avec ses amants ou son mari, disant qu'elle n'avait
jamais connu une semblable jouissance. Sa réserve et sa résistance
finissent par prendre le dessus et elle me dit : "Je ne veux plus,
d'ailleurs je vais avoir mes règles.

— Pas immédiatement.

— Après demain.

— Nous avons donc encore tout notre temps, c'est un prétexte,


[111]
ce n'est pas un argument". Et je me suis alors réveillé » .

Le rêveur note que pour sa part il se savait en train de rêver, et il se fait cette
remarque à l'occasion des risques que présentent sa situation. Mais apparemment ce savoir
était présent depuis un certain temps déjà et seule la réflexion sur sa situation lui permet de
préciser cette position. Pour peu que l'occasion ne se trouve pas de l'exprimer, cette lucidité
peut fort bien passer inaperçue du sujet lui-même qui ne pense pas à la signaler. La lucidité
implicite est donc difficile à déceler sans la mention qu'en fait le rêveur.

Les nuances que prend la lucidité spontanée nous indiquent non seulement que la
conscience de rêver peut être abordée selon des angles différents (autant par son
interférence avec la trame du rêve que par le simple sentiment qu'en a le rêveur) mais aussi
qu'elle n'est pas un phénomène monolithique, au moins d'un point de vue qualitatif,
puisqu'elle peut s'imposer soudainement comme une conscience aiguë ou se développer
graduellement, ou encore rester implicite. De plus la lucidité spontanée nous amène à nous
interroger sur ce que nous avons appelé les "causes" oniriques de la lucidité. Sans vouloir
nier le rôle des différents facteurs que nous avons examinés tels que l'éveil du sens critique,
la reconnaissance d'une incongruité ou la tension affective, force est de remarquer que ces
facteurs ne provoquent pas systématiquement de prise de conscience chez les rêveurs,
comme en témoignent nombre de rêves absurdes ou désagréables qui ne sont surmontés que
par le réveil. On est donc en droit de supposer que, s'ils revêtent un aspect causal dans
l'apparition de la lucidité, ils ne jouent en fait dans leur contexte que le rôle de conditions
nécessaires, et qu'un élément complémentaire, inaperçu en raison de sa nature
conscientielle, est indispensable. Habituellement cet élément serait lui-même insuffisant et
aurait en quelque sorte besoin de la collaboration du rêve pour faire émerger la lucidité. Dans
certains cas cependant, son intensité atteindrait le seuil requis pour que la lucidité apparaisse
[112]
sans l'aide des circonstances oniriques , le cas optimum se situant lorsque le sujet
s'endort et glisse dans un rêve sans pour autant perdre conscience, ce qui est un des cas
d'apparition de la lucidité onirique depuis l'état de veille.

B. Le surgissement de la lucidité à partir de l'état de veille


Lorsque le rêveur, au lieu de devenir lucide au cours d'un rêve, maintient sa
conscience pendant qu'il s'endort, ou lorsque le rêve fait irruption dans son champ de
conscience alors qu'il est éveillé, on a affaire au deuxième grand type de surgissement de la
lucidité. Dans ces cas le rêve lucide résulte d'une continuité de la conscience, de la veille au
sommeil. Le sujet s'endort en pleine conscience en ce sens qu'il perd contact avec le monde
physique sans cesser d'être conscient de soi, et donc lorsque survient le rêve il le reconnaît
au moins comme n'étant pas l'état de veille et au mieux l'identifie immédiatement comme
rêve. En d'autres termes ce n'est pas la conscience lucide qui surgit au cours du rêve mais le
rêve qui surgit au cours de la conscience lucide. Ces rêves sont souvent, pour le rêveur,
contigus à l'endormissement.

« Court rêve lucide juste après l'endormissement : il est


impliqué que le "rêve" est à l'intérieur d'un petit café de quartier.
Comme il doit être "protégé", les clients du café font barrière avec
leur corps, le dos tourné vers la vitrine. Moi-même je suis dehors,
dans la rue, regardant ceci à travers la vitre et ma conscience lucide,
personnalisée, se tient encore à l'arrière plan, et me regarde en train
[113]
de regarder » .

Le sujet indique que ce rêve lucide a eu lieu "juste après l'endormissement", c'est-
à-dire à partir du moment où il cesse de percevoir son environnement de veille. Toutefois, ne
peut-il pas avoir interprété comme continue une période présentant des discontinuités
inaperçues ? Une telle objection est difficile à soutenir si l'on garde l'état de veille comme
référence pour la comparaison, car les discontinuités conscientielles de l'état de veille,
notamment celles du sommeil sans rêve, n'empêchent pas le sujet de sentir qu'un temps
"vide" s'est écoulé. Une autre façon de présenter le même problème est de constater que le
sentiment de continuité que la conscience a d'elle-même à partir de l'endormissement ne
peut pas plus être mis en doute que celui de la continuité du rêve, ce qui importe ici étant
[114]
justement le sentiment de continuité plutôt que la continuité elle-même , c'est-à-dire la
façon dont se construit pour le sujet un pont conscientiel qui va de la veille au rêve.

Ce qui nous intéresse ici ce sont les formes que peut prendre cette continuité pour la
conscience. Ces types de rêves, en effet, ne sont pas uniformes mais vont de la continuité
par contiguïté, comme, dans le cas précédent, à une continuité comprenant un passage par
des états intermédiaires dont la nature (éveil, sommeil ou endormissement) n'est pas
toujours claire. De plus, tout comme dans la vie de veille, cette continuité n'est pas absolue,
des relâchements intermittents de la conscience de soi peuvent se produire très brièvement
sans mettre en péril la ligne conscientielle d'ensemble. La plupart du temps les sujets
distinguent les rêves lucides faisant suite à des états d'endormissement (que, à défaut
d'observations permettant de les considérer comme tels d'un point de vue
neurophysiologique, on peut qualifier d'endormissements "intérieurs" ou "subjectifs") de ceux
qui se produisent alors que le sujet pense être encore éveillé. Malgré l'aspect paradoxal de
cette dernière catégorie, il nous semble préférable de l'admettre dans un premier temps,
comme expérience subjective, avant d'en analyser le bien-fondé car, dans la mesure où
l'interprétation tend à se mêler aux récits des sujets, certains rêves qui ne sont pas présentés
comme tels ne peuvent être reconnus qu'après examen.

1. Le surgissement de la lucidité à l'endormissement


L'idée d'une continuité de l'endormissement au rêve n'est pas un phénomène inconnu
des rêveurs ordinaires. Hervey de Saint-Denys en donne une illustration.

« Étant encore éveillé, mais tout près de m'endormir, j'ai


pensé vaguement à la visite que nous devions faire le lendemain
matin au château d'Ors… et la grande allée de marronniers par où l'on
y arrive s'est présentée à mon souvenir. D'abord, je l'ai vue comme
dans un brouillard. Et puis, j'ai distingué nettement des arbres avec
leurs feuilles bien vertes et bien découpées. Seulement, ce n'était plus
l'allée des marronniers d'Ors… mais, je crois, une allée des
Tuileries ou du Luxembourg. Beaucoup de gens s'y promenaient. J'y
reconnus M.R… avec Alexis de B… et je me mis à causer avec eux.
Pendant ce temps, des jardiniers ou bûcherons travaillaient à
déraciner un gros arbre mort. Ils nous crièrent de nous éloigner, parce
que l'arbre pourrait tomber de notre côté. Aussitôt, et avant même
que nous ayons fait un pas pour nous ranger, je vis l'arbre écraser
[115]
mes compagnons, et l'émotion que j'en ressentis m'éveilla » .
Ce rêve n'est pas lucide puisque Hervey de Saint-Denys est réveillé par la violence de
l'émotion mais les images qui se présentent à l'esprit du rêveur manifestent une continuité de
contenu qui reflète pour le rêveur une continuité de déroulement : « j'ai eu la vive
satisfaction de saisir bien positivement mon rêve dans son entier, depuis la dernière pensée
que j'avais eue étant encore éveillé, jusqu'à l'idée qui m'occupait au moment de mon réveil,
et cela sans rien perdre des différentes choses que j'ai cru voir, entendre ou faire
[116]
successivement » . Hervey de Saint-Denys montre comment la lucidité peut surgir dans
ce type d'endormissement.

« D'abord c'était comme une sorte d'engourdissement, durant


lequel je pensais de la manière la plus confuse aux personnes qui ont
dîné aujourd'hui avec nous, et à la jolie figure de Mme de S... Son
visage ne m'apparaissait pas nettement d'abord ; ensuite je l'ai mieux
vu, et puis, sans que j'imagine comment cela s'est fait, ce n'était plus
elle que je voyais, mais sa cousine, Mme L..., laquelle était assise
devant un métier à tapisserie. L'ouvrage auquel elle travaillait
représentait une guirlande de fleurs et de fruits admirablement
nuancés, ainsi que tous les détails de la chambre et du costume de
Mme de S..., quand l'idée que je rêvais et que je venais de
m'endormir à l'instant me venant tout à coup à l'esprit, j'ai secoué le
sommeil par un effort de volonté, et prenant mon crayon, j'ai aussitôt
noté ceci comme pouvant me servir à constater de quelle manière un
songe commence. Il me semble bien n'avoir pas eu de lacune positive
entre les idées que j'ai roulées dans ma tête en m'assoupissant, et ces
dernières images si nettes, si complètes que c'était positivement un
[117]
rêve véritable. »

La lucidité intervient ici en cours de rêve pour pousser au réveil mais elle peut tout
aussi bien accompagner l'ensemble du processus : il suffit que l'observation consciente
s'ajoute à cette continuité déjà présente pour que le rêveur ait le sentiment d'entrer
délibérément dans le rêve :

« […] j'étais tranquillement allongé dans mon lit, repassant


dans mon esprit le rêve dont je venais juste de me réveiller. L'image
intense d'une route m'apparut et, concentrant mon attention sur elle,
je parvins à m'introduire dans le paysage. A cet instant, je perdis la
sensation de mon corps, d'où je conclus qu'en fait j'étais endormi. Je
me retrouvai en train de descendre la route du rêve, au volant de ma
[118]
voiture de sport, parfaitement conscient de rêver. […] »

Le sujet dispose ici de deux indicateurs pour savoir qu'il est passé de l'éveil au rêve : le
sentiment de faire partie intégrante du rêve ("je parvins à m'introduire dans le paysage") et
la perte des sensations physiques ("je perdis la sensation de mon corps, d'où je conclus qu'en
fait j'étais endormi"). Ces deux indicateurs ne sont pas toujours présents explicitement dans
les récits, le sujet privilégiant l'un et laissant l'autre sous-entendu, selon le type d'observation
sur laquelle se porte son attention. Certains sujets sont en effet plus sensibles au début de
leur endormissement qu'ils ont pris l'habitude d'observer avec minutie, et c'est la
modification de leur sensations physiques, plutôt que leur disparition, qui leur permet de
déterminer à quel moment ils rêvent. Ainsi un rêveur peut passer de la sensation d'être
allongé sur son lit à celle de se déplacer dans un décor onirique sans avoir eu l'impression de
perdre contact avec son corps : il passe simplement du corps de veille au corps onirique et,
dans les deux cas, les sensations sont, d'un point de vue subjectif, physiques. L'impression
de perdre la sensation du corps, que l'on trouve chez les sujets qui surveillent de préférence
l'apparition des images oniriques, est donc plus probablement due à un jugement porté sur
la différence entre les sensations oniriques et les sensations éveillées car les récits dans
lesquels le rêveur affirme avoir perdu la sensation de son corps comportent pourtant des
sensations corporelles nettement décrites, comme par exemple celles de van Eeden lors de
ses "rêves initiaux" dans lesquels : « toutes les sensations du corps physique, internes ou
externes, viscérales ou périphériques, sont entièrement absentes. Le plus souvent, j'ai la
[119]
sensation de flotter ou de voler » . Ainsi il est possible de supposer que le sentiment de
continuité est bien ce qui domine dans ce genre d'expérience, le sentiment de passage de la
veille au sommeil n'étant pas vécu mais conclu, en fonction d'un jugement qui, selon les
données dont le rêveur dispose, peut être sujet à des fluctuations. Ce jugement est
également influencé par le type de continuité de la conscience elle-même. De ce point de vue
il faut distinguer une continuité "complète" d'une "quasi-continuité" lorsque la conscience
lucide connaît des interruptions que la présence de la conscience onirique permet de combler.

La continuité complète de la conscience du rêveur peut doubler celle du contenu de


l'endormissement mais elle ne lui est pas nécessairement attachée (ce qu'on remarque
notamment lorsque ce contenu est chaotique malgré une lucidité toujours présente). La
continuité de la conscience lucide peut donc être d'une certaine façon considérée
indépendamment des états d'éveil ou de sommeil. Le passage de l'un à l'autre semble, la
plupart du temps, s'opérer sans transition, le sujet basculant de la conscience du monde de
veille à celle du rêve.

« J'ai l'impression que je suis passé assez nettement de la


veille au rêve (conscience que mon environnement était celui du rêve
mais je ne fais pas le geste programmé). J'étais avec J… T…, un ami,
et je me sentais très fatigué, épuisé presque, nous étions dans la
nature, à un moment donné j'ai éprouvé le besoin d'étreindre un gros
arbre à bras le corps afin de puiser dans l'arbre et dans le sol une
énergie nouvelle (vu mon état de faiblesse).

« J'ai serré l'arbre dans mes bras et j'ai senti et vu son écorce
rugueuse. L'arbre n'était pas trop gros et je parvenais presque à
[120]
rejoindre mes bras de l'autre côté […] » .

Dans ce récit le sujet entre dans le rêve lucidement et ses perceptions ainsi que sa
participation à l'action ne lui laissent aucun doute sur la nature onirique de son expérience.
Ce basculement ne s'opère cependant pas nécessairement de la perception du monde de
veille à celui du rêve, mais peut partir d'une représentation mentale, notamment lorsque le
sujet se remémore à l'état de veille un rêve précédent. Ce phénomène bien connu dans les
rêves ordinaires peut donc se produire tout à fait lucidement :

« Je m'étais remémoré les deux épisodes précédents avant


d'ouvrir les yeux, et cela a donné lieu à un épisode supplémentaire
tout à fait lucide. J'étais dans la maison, cette fois intégré à la famille.
Je crois que j'étais une sorte de cousin germain. C'était le lendemain
matin par rapport à l'épisode précédent. Il faisait jour. Un homme, le
frère de la mère, était malade. Il allait probablement mourir. Je voyais
très clairement son visage sur l'oreiller blanc, dans une toute petite
chambre. C'était un homme d'âge mur, très brun, avec des yeux noirs
très brillants. Ce sont ses yeux qui me faisaient penser qu'il allait
mourir. Étant lucide, je me dis que je peux faire quelque chose pour
lui. Je vais "voir mes mains" et ensuite les imposer sur son front,
faisant passer la vie de l'état de veille chez ce mourant de rêve.

« Je lève mes mains, je les vois, et mes bras aussi. Mais je sais
aussitôt que c'était une erreur, et que cette action est en train de
[121]
casser le rêve. En effet, il se désagrège irrémédiablement […] » .

La continuité conscientielle peut donc être complète, c'est-à-dire n'être marquée par
aucune interruption, mais néanmoins débuter de façons diverses. On peut cependant
remarquer une différence assez nette dans la qualité de la lucidité des deux exemples
précédents. Dans le dernier la lucidité a une intensité certaine puisque le rêveur garde
constamment à l'esprit l'oniricité de sa situation et que cela va même jusqu'à désagréger le
rêve. En revanche dans le premier la lucidité se perd assez vite comme le montre la suite du
récit :

« Aussitôt après avoir serré l'arbre dans mes bras je me suis


endormi et je me suis mis à rêver. Je rêvais que je serrais un arbre et
je grimpais le long du tronc ; je suis monté très haut, puis sans me
faire mal, bien que l'arbre soit rugueux, je suis redescendu en glissant
le long du tronc. Je me suis alors éveillé dans mon rêve et j'ai discuté
avec J… Il pensait que je n'étais pas monté très haut dans l'arbre, moi
je pensais que si, et j'ai revu mentalement ma progression, presque
[122]
jusqu'à la cime de l'arbre (c'était un feuillu) » .

Cette différence incite à se demander si l'intensité de la lucidité continue n'est pas


elle-même un facteur favorisant la continuité du contenu. On peut en effet constater que,
lorsque l'endormissement présente un aspect chaotique, la conscience lucide connaît dans sa
continuité des baisses d'intensité. Dans une telle situation, le passage de la veille au rêve
semble consister en une série d'aller et retour trop rapides pour être jugés tels sur le
moment. Parfois même, le rêveur ne parvient pas au rêve proprement dit mais s'arrête au
niveau dit hypnagogique, en ce sens qu'il ne participe pas aux scènes qui se présentent à
lui :

« Je décide de commencer par la respiration pleine. (Images


hypnagogiques :) A peine ai-je commencé que se forment des images
hypnagogiques, conséquence de l'état de fatigue. Ces images
apparaissent sans que soit perdu le sentiment de continuité, mais
sans la conscience qu'il s'agit d'images. Cette prise de conscience me
ramène à l'éveil, je replonge aussitôt à chaque fois. Je me dis que je
devrais me lever pour les noter, mais je n'en fais rien, trop fatigué.
J'arrive à garder une certaine conscience en présence de ces images.
Je me concentre sur une idée précise, une phrase sur l'élargissement
de la conscience, pour les laisser venir. (Sortie hors du corps :) Au
bout d'un moment je me sens relaxé mais pas endormi. Il me semble
que je pourrais me lever. Mais je n'en fais rien car je sais que cet état
[123]
peut déboucher sur le rêve lucide […] » .

La continuité de la conscience présente donc ici des relâchements de vigilance ("Ces


images apparaissent sans […] la conscience qu'il s'agit d'images") : le sujet est ballotté entre
la lucidité, la conscience onirique habituelle et le réveil en sursaut, mais malgré tout il n'y a
aucun "trou" conscientiel, et on peut supposer que cette intensité fluctuante explique la
multiplicité des images hypnagogiques au lieu d'une scène unique vers laquelle le rêveur se
serait acheminé.

Cet exemple permet également de constater un phénomène qui fait rarement l'objet
d'un commentaire dans la littérature, l'observation de phases distinctes de l'endormissement.
Le passage cité décrit une phase de l'endormissement qui appartient encore à l'éveil. Le
rêveur lucide admet parfois également l'existence d'une phase de l'endormissement qui
appartient déjà au sommeil sans être encore le rêve, comme le montre la suite de cette
expérience :
« […] je sais que cet état peut déboucher sur le rêve lucide.
J'essaie de me sentir léger, et c'est ce qui se produit, je sens mes
membres en d'autres endroits que ceux où ils sont allongés. Je suis
donc dans le bon état et je décide de faire venir la vibration. Je me
concentre sur un point dans l'air au-dessus de mon front. Je
m'attendais plus ou moins à devoir faire des recherches pour le
trouver, mais à peine ai-je commencé que le bourdonnement
m'envahit. En déplaçant le point je peux l'atténuer ou le faire cesser ?
J'accentue la vibration et commence à la faire circuler dans mon
corps à partir de ma tête. Je la fais circuler comme une vague, de la
tête aux pieds et retour. A un moment la peur m'envahit un peu. Je la
repousse et je commence à sortir de mon corps. Tout est noir. Puis
j'ai le sentiment que j'ai entrouvert les yeux de mon corps de rêve
mais je vois très mal, je distingue à peine la chambre. Peu importe, je
sais que ça s'arrange plus loin. Je passe dans le couloir et j'arrive
dans le salon où effectivement ma vision s'améliore. Là sur le divan il
y a ma mère et ma sœur en train de discuter. Tout est gris, les
perceptions ne sont pas colorées, du moins je n'en ai pas l'impression.
[124]
Je leur dis que nous sommes dans un rêve […] » .

Dans ce récit la conscience est continue tout du long, mais le sujet n'a pas le sentiment
d'être d'emblée dans un rêve une fois qu'il a quitté l'état de veille ("je sens mes membres en
d'autres endroits […]. Je suis donc dans le bon état") et ce n'est qu'au bout d'un certain
moment qu'il reconnaît l'oniricité de son expérience ("j'ai entrouvert les yeux de mon
corps de rêve" ). Une telle distinction, qui semble ici implicite, tient sans doute à ce que le
contenu de l'expérience prolonge celui de la vie de veille. On ne passe pas brusquement à
des images du rêve sans aucun rapport avec la situation de veille comme dans les cas
précédemment cités ; ici les événements oniriques se présentent en miroir par rapport à la
veille (il est allongé dans le lit, se lève, va au salon…), ce qui explique sans doute l'hésitation
à les qualifier immédiatement ("cet état peut déboucher sur le rêve lucide"). Toutefois, au
cours de cette phase de transition le rêveur sait qu'il n'est pas éveillé et il est tout à fait
"lucide" sur ce point. La continuité de la conscience lucide est donc bien respectée même si
elle ne se présente pas toujours formellement comme conscience de rêver.

Dans certains cas cependant le sujet est incapable de savoir dans quel état il est,
même s'il fait preuve d'une certaine continuité conscientielle.

« M'étant couché très tard, et sans doute en raison de


problèmes de respiration, j'ai eu beaucoup de mal à m'endormir. Puis
au moment où j'ai décidé de me lever, pensant qu'il était inutile de
prolonger cette attente au lit, j'ai découvert que j'étais paralysé et j'ai
fait des efforts désespérés pour me lever. Tout en continuant à me
considérer comme paralysé, je me suis trouvé en train de flotter dans
la chambre ou un équivalent. Je n'y voyais aucune
[125]
contradiction […] » .

Dans ce récit le rêveur ne sait pas qu'il dort, alors même qu'il n'a pas, d'un point de
vue subjectif, quitté la conscience de veille. Il y a bien une continuité conscientielle, mais
avec une lucidité inexistante comme l'indiquent certaines remarques ("paralysé, je me suis
trouvé en train de flotter […]. Je n'y voyais aucune contradiction"). La continuité de la
conscience de veille ne garantit donc pas l'apparition de la lucidité, contrairement à une
croyance unanimement répandue dans la littérature. Il ne suffit pas de maintenir la
conscience de veille à travers l'endormissement pour entrer lucidement dans un rêve
(la connaissance de ce fait a sur la nature de la lucidité onirique des implications importantes
que nous examinerons plus tard). D'un autre côté la continuité conscientielle n'est pas
toujours nécessaire pour qualifier un endormissement conscient.

Dans certains cas, en effet, la conscience de l'endormissement est quasi-continue car


elle présente non seulement des fluctuations mais également des "trous" dont le sujet ne
garde aucun souvenir, mais malgré cela on considère que l'on a affaire à un endormissement
conscient. La raison en est que le "trou" conscientiel se situe avant l'émergence du rêve
proprement dit, ou plus précisément de ce que le sujet lucide considère comme tel. Pour lui
c'est bien la conscience qui voit surgir le rêve et non l'inverse, même dans l'hypothèse où un
autre rêve, oublié de lui, se serait déroulé pendant son "inconscience". Ainsi dans le
récit suivant, des rêves plutôt vagues précèdent un "rendormissement" qui appartient déjà au
sommeil (il s'agit de la deuxième phase caractérisée plus haut).

« (Je suis allongé sur mon lit dans ma chambre). Images,


glissements et réveils [intermittents]... J'essaie de sortir de mon
corps en glissant vers l'avant mais quelque chose me retient et veut
me ramener en arrière. (Je sens que j'ai un corps élastique et j'arrive
à étendre mes pieds plus loin qu'il n'est possible, comme du
caoutchouc, et à partir de là je tente de sortir de mon corps par les
pieds). Je tiens bon, malgré la résistance, mais dès que je laisse aller,
ça recommence (toujours comme un élastique je me sens ramené en
arrière). Alors, je laisse faire, car je me dis que mon subconscient sait
mieux que moi ce dont j'ai besoin. Je rentre donc dans mon corps et
roule sur le côté pour en sortir à nouveau. Cette fois je touche le sol.
Je sais que je suis conscient dans un rêve et ce d'autant plus que tout
est déformé (les objets et la fenêtre sont bizarrement tordus). Je suis
coincé entre la table et l'armoire. Ma chambre est curieusement
disposée, comme un labyrinthe. Je sais que c'est un rêve et d'abord
j'harmonise la vue de mes deux yeux, car mes bras me semblent
distordus et je ne vois pas mes mains au même endroit.
(L'accommodation de ma vue se passe comme si je réglais l'objectif
d'un appareil de projection, et tout rentre dans l'ordre, à l'exception
[126]
du labyrinthe qui est toujours là). […] »

La conscience lucide du rêveur n'est pas présente de façon continue depuis le début de
l'endormissement. Le rêveur ne devient lucide qu'après s'être endormi, mais de son point de
vue cette deuxième phase de l'endormissement se situe avant d'entrer dans un rêve. En
effet, dans un premier temps, il se considère comme proche de l'état de veille et, pour s'en
éloigner, il s'efforce de sortir de son corps en glissant ou en roulant, et ce n'est que lorsqu'il y
est parvenu qu'il se considère dans un rêve ("Je sais que je suis conscient dans un rêve"), ce
qui peut paraître a priori étrange ; il pourrait en effet penser qu'il a réussi sa "sortie" sans
pour autant juger qu'il s'agit d'un rêve. La réponse réside sans doute dans un effort
inconscient pour distinguer deux états oniriques différents par nature et que le manque de
vocabulaire tend plutôt à assimiler.

Cette limitation du vocabulaire a pour terme corrélatif la difficulté qu'a parfois le sujet
à déterminer la nature de son endormissement, principalement à savoir s'il est lucide ou non.
Si, en effet, il s'endort de façon plus consciente que d'ordinaire, il peut tendre à considérer
qu'il s'agit là d'un état lucide, alors que le récit montre qu'il n'en est rien et qu'on a plutôt
affaire à une pseudo-continuité conscientielle.

« J'ouvre une parenthèse pour indiquer qu'il me sera difficile


de raconter mon rêve, car il n'existe en fait pas de frontière entre
l'état de veille et l'état de sommeil. Je vais écrire une chronologie, ce
qui sera plus simple. Hier Mercredi 5 j'ai eu une journée très difficile :
je me suis fort bien senti physiquement en moi, mais j'ai reçu un
appel poignant de la part d'une amie (qui par périodes sombre dans la
folie, ce qui a été identifié comme une psychose maniaco-dépressive).
Cette amie m'a appelé hier matin et m'a demandé de la conduire en
province dans sa famille (ce que je vais faire). Je l'ai hébergée hier
soir chez moi ; elle a téléphoné à son frère pour lui demander de la
recevoir, ce qui nous a amené tard dans la soirée. Vers minuit et
[127]
trente minutes je me suis couché et j'ai répété mon sankalpa ,
repassé soigneusement à l'envers les événements de la journée, pris
la décision d'être lucide et d'effectuer un geste, enfin je me suis
efforcé de rester conscient. J'ai réussi sur ces deux derniers points
bien au-delà de ce que je pourrais imaginer car après plus d'une
heure de pratique, je n'avais pas complètement sombré dans le
sommeil, et j'étais toujours conscient. Je l'ai su par hasard, car à ce
moment-là le téléphone a sonné (c'était le frère de cette amie qui
appelait). La sonnerie m'a tiré d'un état très similaire à celui de Yoga
Nidra : à savoir le corps endormi, mais l'esprit vigilant. Après une
brève conversation je me suis recouché (bien éveillé) et j'ai repris la
pratique. Le processus s'est redéroulé de la même manière mais sans
qu'il soit possible pour moi de distinguer veille de sommeil : j'ai
continué en dormant à faire la pratique, et j'ai senti quelquefois que
j'émergeais vers la veille (il me semble qu'il a plu très fort cette nuit).
Je suis donc incapable de faire la vraie part entre veille et sommeil
(rêve) et dans mon rêve (ou dans mes rêves, je suis incapable de
préciser) il était très fortement question de rêve lucide (puisque je
[128]
faisais tout pour y parvenir) » .

Le sujet a bien le sentiment d'une continuité conscientielle puisqu'il remarque que


« après plus d'une heure de pratique, je n'avais pas complètement sombré dans le sommeil,
et j'étais toujours conscient » mais il ajoute qu'il l'a « su par hasard » et remarque qu'il
n'arrive pas à distinguer dans son expérience le sommeil de la veille ni à être lucide en rêve.
Ce récit semble indiquer qu'une certaine qualité de conscience peut se maintenir en ce qui
[129]
concerne le sommeil sans pour autant atteindre le rêve. Le manque de vocabulaire (et
peut-être d'information) pour désigner ce genre d'état, amène le rêveur à y voir un
phénomène proche de la lucidité onirique, ce qui ne peut cependant être nettement affirmé.

D'autres types de confusions plus subtiles peuvent se produire, notamment lorsque le


sujet croit s'endormir consciemment alors qu'il rêve déjà.

« Je suis rentré dans un rêve confus : je me suis senti


m'endormir, mais en ayant la sensation de ne pas être endormi
profondément, mais à demi vigilant : je me sens me retourner dans le
lit, je sens bien que je suis dans le lit, endormi, mais je suis conscient,
avec une idée très forte dans la tête. "Je suis en train de rêver et je
suis dans le sommeil, malgré les pensées et les mouvements". Je
me rends compte que ma main est posée sur mon pubis ; cela
m'amène à me dire que j'accomplis la consigne programmée, et cela
[130]
me réveille » .

Cette fois nous nous trouvons bien en présence d'un rêve lucide, mais il ne résulte pas
d'une continuité de la conscience depuis l'état de veille, cette dernière faisant en fait partie
du rêve. On peut supposer que de tels cas d'endormissements rêvés sont plus difficiles à
identifier lorsque le rêveur n'est pas lucide, car un sujet peut éprouver des difficultés à
démêler ce qui relève du sommeil, du rêve ou de la veille, même lorsqu'il est lucide, la
plupart du temps que dure l'expérience.

« Je viens de faire une expérience à la fois étonnante et


inquiétante. A 15h15 j'ai mis en route deux cassettes qui devaient se
succéder, la première de relaxation simple sans suggestion de réveil,
suivie par ma cassette d'auto-hypnose (les deux enregistrées avec ma
voix). Je me suis allongé, recouvert d'un drap et, au-dessus du drap,
pour pouvoir suivre par la suite la suggestion de lévitation du bras, j'ai
mis mes mains sur mes cuisses. Pas de coussin, nuque étirée. J'ai
suivi les suggestions de la première cassette et, malgré le bruit, je
n'ai pas tardé à somnoler grâce à la musique. J'entendais toujours la
musique et les suggestions mais mon corps était complètement
engourdi. Je n'ai pas tardé à ronfler, tout en étant parfaitement
conscient, ce qui indiquait que mon corps dormait. J'avais néanmoins
le sentiment de ne pas dormir et de sentir parfaitement le contact de
toutes choses : le matelas mousse et le drap léger au niveau de la
bouche, ce qui me donnait l'impression que cet état
d'engourdissement était tout de même fragile et que je ne devais pas
le perturber.

« Malgré mon sentiment de continuité j'ai dû tout de même


m'endormir, car il m'a semblé me réveiller lorsque je me suis inquiété
de ne plus entendre de musique. Je me demandais si je m'étais
endormi au point de ne rien entendre de la cassette d'auto-hypnose
ou si, la cassette de relaxation étant arrivée à sa fin, j'étais tout
simplement dans le temps de transition : déroulement du reste de la
cassette avant l'enclenchement de la suivante. Je pris le parti
d'attendre bien que la tentation de me lever fut forte. Mon corps avait
conservé la qualité d'engourdissement précédente et, avec la voûte
nasale ronflante, l'air circulait mal. Enfin, après un temps qui m'a paru
extrêmement long, un quart d'heure ?, la cassette d'auto-hypnose
s'est déclenchée.

« Comme elle commençait par des instructions de relaxation,


elle aussi, il m'a fallu aspirer de l'air pour gonfler les poumons trois
fois. J'en ai aspiré un peu, mais je ne parvenais pas complètement à
le faire.

« C'est à ce moment que j'ai dû m'endormir consciemment car


il s'est passé un certain nombre de choses désagréables tandis que je
croyais écouter la cassette.
« Tout d'abord l'air avait de plus en plus de mal à entrer dans
mon nez à cause de la membrane de la voûte nasale. J'entendais très
nettement ma respiration difficile, et je la ressentais également, deux
raisons de penser que je ne dormais pas.

« Ensuite j'ai eu le sentiment que, dans mon sommeil, j'avais


glissé jusqu'au carrelage, au-delà de la moquette car je sentais
nettement le sol glacé et dur sous mon dos. Je décidai néanmoins
d'écouter la cassette jusqu'au bout, je l'entendais toujours, ou du
moins je croyais l'entendre.

« J'ai eu alors l'impression que des mauvais plaisants me


saisissaient par les chevilles, me secouaient en tous sens, me
tordaient de façon douloureuse alors que j'étais allongé. Je ne pouvais
rien voir et je me suis imaginé en quelque sorte victime d'une sorte
de maléfice et obligé d'avoir recours à la voyante "P… A…" pour lui
faire part de mon infortune. J'ai pensé aussi à la statuette de saint
Antoine. C'était à ce point terrible que je me suis décidé à entrouvrir
les yeux malgré mon désir d'aller jusqu'au bout de la cassette. Là j'ai
vu que tout était en déséquilibre, le petit morceau du matelas mousse
au-dessus de ma tête et l'ensemble (matelas, coussins et draps) en
chantier. Je retombe alors sur le sol avec la poitrine douloureusement
tirée par les emmêlements de tissus.

« De nouveau allongé, toujours conscient de mon corps,


j'entends à nouveau la cassette et me rends compte que l'on en est
déjà à la phase de rêve éveillé. J'ai donc "manqué" le passage
"lévitation du bras". Mais alors ai-je dormi ? Je sens toujours mon
corps, mais je me rends compte que le matelas est sous moi, et non
pas dispersé dans la pièce tandis que je serais sur le carrelage.
Toujours dans l'état d'engourdissement je m'observe attentivement.
J'essaie de faire le rêve éveillé mais cela m'impatiente. Je constate
que l'air entre plus librement dans mon nez maintenant. Mes mains
ont-elles bougé pendant l'exercice de lévitation du bras ? J'essaye de
les ressentir. Elles sont de chaque côté du corps, sur le matelas, et
non pas sur les cuisses. Je m'efforce d'avoir une certitude, oui, elles
sont bien de chaque côté du corps, et je sens nettement la mousse du
matelas sous elles. J'attends maintenant avec impatience la fin de la
cassette pour vérifier cela.

« Arrive le décompte final. Je respire profondément, comme


indiqué, et recommence à sentir complètement mon corps. Mes mains
[131]
n'ont pas quitté mes cuisses. En fait absolument rien n'a bougé » .

Il se pourrait que la plus grande part de cette expérience soit rêvée même lorsque le
sujet croit entendre les cassettes. Sans que cela remette ici en question la quasi-continuité
conscientielle, les difficultés que rencontre le rêveur pour qualifier son expérience montrent
ici aussi que la conscience de soi ne suffit pas à reconnaître le rêve et qu'il n'est pas possible
de l'assimiler d'emblée à la lucidité onirique.

Le rêve lucide obtenu à l'endormissement n'est donc pas le cas simple que l'on
rencontre dans les descriptions qui en sont habituellement données, mais se présente au
contraire comme une situation complexe dont les nuances mettent en évidence, sinon des
consciences différentes, du moins des degrés conscientiels. Même continue, la conscience
subit des transformations qualitatives qu'on ne peut pas se contenter de désigner par le
même terme. Ce type de difficulté apparaît encore plus nettement lors du surgissement de la
lucidité pendant l'état de veille.

2. Le surgissement de la lucidité pendant l'état de veille


Si on peut concevoir que le rêve surgit parfois à une conscience dont la vigilance se
maintient de la veille au sommeil, il est beaucoup plus difficile de comprendre en quoi
consiste la situation symétrique selon laquelle le rêve ferait irruption dans le champ de
conscience au cours même de l'état de veille. Une telle idée du rêve, même lucide, se
manifestant à l'état de veille semble tout à fait contradictoire si l'on se rappelle que par
définition le rêve appartient au sommeil. Pourtant Celia Green n'a pas hésité à qualifier
comme tels certains phénomènes de l'état de veille. Il nous faut donc examiner ces situations
et s'assurer qu'elles entrent bien dans notre champ d'investigation. Il se pourrait en effet que
la difficulté se situe uniquement au niveau du vocabulaire, le terme "rêve" renvoyant alors à
une réalité plus large dont il ne permet d'entrevoir qu'un aspect. Cela apparaît mieux
lorsqu'on se rappelle que le rêve est habituellement considéré comme l'équivalent nocturne
de l'hallucination tandis que l'hallucination serait un rêve se produisant à l'état de veille. S'il
en était ainsi l'hallucination et le rêve seraient deux faces d'un même phénomène pour lequel
il n'existerait pas de dénomination générale. Si nous poussons plus loin la comparaison, nous
pouvons considérer que l'hallucinose, qui est un phénomène hallucinatoire dont le sujet
reconnaît l'irréalité, est à l'hallucination ce que le rêve lucide est au rêve ordinaire. Les cas
évoqués par Celia Green relèveraient alors de l'hallucinose et leur inclusion dans la recherche
dépendrait simplement de la délimitation du champ.

Toutefois, la classe d'expériences proposée par Celia Green déborde apparemment ce


phénomène : « Cela […] est associé à divers états du corps physique ; celui-ci peut continuer
ses activités ordinaires, s'endormir ou s'évanouir, ou perdre conscience de plusieurs autres
[132]
manières qui ont été décrites par différents observateurs » . Si Celia Green inclut
l'endormissement dans cette classe de phénomènes c'est en fait parce qu'elle oppose deux
catégories d'expériences en fonction de leur aspect volontaire ou involontaire : dans la
première « le sujet entre volontairement dans un rêve lucide au moment de
[133]
s'endormir » tandis que dans la seconde « partant de l'état de veille, le sujet entre
subitement dans l'état de "rêve lucide". Cela peut lui arriver de façon tout à fait
[134]
involontaire » . Ainsi peut-on classer ensemble tous les endormissements (en y incluant
les évanouissements) et ne conserver que les autres états mentionnés par Celia Green afin
de s'assurer de la légitimité de ses assertions dans le cas où elle traiterait bien de
l'hallucinose.

Celia Green mentionne un cas rapporté par Oliver Fox où le rêve lucide éclipse, pour la
conscience, la vie de veille qu'il remplace brutalement :

Un de mes très bons amis, Monsieur G. Murray Nash (Paul


Black), rentrait chez lui du bureau, à pied, en plein jour, dans une rue
animée. Soudain, les maisons et les gens qui l'entouraient
disparurent. Il se trouvait dans une belle campagne ouverte. Après
s'être déplacé, en marchant, de quelques mètres, il se trouva devant
un perron de vieilles pierres pratiqué dans la berge d'un grand
ruisseau, ou d'une petite rivière. Un bateau d'une belle facture,
visiblement très ancienne, y était amarré. Une robe pourpre, faite
d'un riche tissu, avait été jetée négligemment en travers de la poupe.
Personne n'était en vue. Monsieur Nash s'apprêtait à descendre les
marches quand la vision s'effaça, et il se retrouva dans la rue
familière. Apparemment, il n'avait pas cessé de marcher. Cette
expérience lui parut avoir duré deux ou trois minutes, mais à en juger
par sa situation au moment où il reprit conscience, il n'avait pas fait,
[135]
dans la rue, plus d'une demi-douzaine de pas.

On se rend compte ici que si le sujet avait été allongé les yeux fermés, son cas n'aurait
guère pu être distingué du maintien de la conscience à l'endormissement. En effet il ne
semble pas avoir conscience de son corps de la vie de veille durant le temps de cette
expérience et il est complètement plongé dans un autre univers.

Dans d'autres cas cependant le surgissement du rêve lucide n'éclipse pas la perception
de la vie de veille. Le sujet fait alors nettement la différence entre les deux types de
"perception", contrairement à l'halluciné.

[…] Vous savez, cet homme est aussi réel, pour moi, que si je
pouvais le toucher! Il est laid, mais j'ai le sentiment que c'est une
personne d'une grandeur sublime. Je ne suis pas obligée, voyez-vous,
de rester tout le temps attachée à moi-même. Je peux marcher dans
d'autres mondes ; très souvent, j'aime aller dans la pièce où cette
[136]
scène s'est passée […] .

En précisant que « cet homme est aussi réel, pour moi, que si je pouvais le toucher » le
sujet veut signifier que la perception qu'elle en a est aussi intense que ses autres perceptions
de l'état de veille. Mais ces mêmes mots montrent également qu'elle ne confond pas les deux
ordres de réalité. Elle fait donc preuve de lucidité d'après les critères de Celia Green :
« Mettons que les critères permettant de définir le rêve lucide sont les suivants : 1° un
champ de perception différent se substitue, pour le sujet, à celui qu'il connaît normalement ;
2° le sujet est conscient de son état et demeure capable de réfléchir rationnellement aux
rapports qui existent entre cet état et le monde normal ; en admettant ce qui précède, on
peut dire que les "impressions diurnes" de Mme Willett semblent bien appartenir, à des
[137]
degrés divers, à la catégorie des rêves lucides » .

Si l'on accepte ces critères, le surgissement du rêve lucide dans l'état d'éveil peut
effectivement être repéré dans certaines situations, à condition toutefois de comprendre le
"rêve" comme se rapportant à un phénomène dégagé de son cadre qui lui impose
l'appellation de rêve ou d'hallucinose selon qu'il se manifeste dans le sommeil ou dans la
veille. Cependant, si on examine de plus près les cas proposés par Celia Green, des difficultés
rendent cette conclusion difficile à admettre.

En effet, à l'exception du cas de Mme Willett (qui par ailleurs présente par rapport au
rêve lucide "éveillé" une incohérence que nous examinons plus loin) la plupart de ceux
présentés par Celia Green sont ambigus, notamment lorsqu'elle accepte les témoignages de
sujets qui disent être tout à fait éveillés.

Je pensai tout à coup à Monsieur - ; je crois que j'avais les


yeux ouverts, car je ne me sentais pas ensommeillé. Il me sembla
que je me trouvais dans une chambre où un homme était étendu,
mort, sur un petit lit. Je reconnus immédiatement Monsieur - à son
visage et j'eus l'impression qu'il devait être mort plutôt qu'endormi.
[138]
La pièce paraissait nue, sans tapis ni mobilier (…)

Le fait que le rêveur affirme être éveillé et avoir les yeux ouverts ne suffit pas à établir
qu'il l'est réellement. D'une part il marque lui-même une certaine hésitation à ce sujet ("je
crois que j'avais les yeux ouverts, car je ne me sentais pas ensommeillé") et, d'autre part,
cet épisode a lieu alors qu'il est allongé dans un lit, donc dans des conditions propices à un
endormissement subit ou au surgissement d'une vive image hypnagogique. Si l'on se rappelle
qu'il est tout à fait possible de dormir les yeux ouverts, il devient plus vraisemblable de
supposer que ce phénomène se produit au cours d'un bref endormissement. L'exemple
emprunté à Oliver Fox concernant Murray Nash est tout aussi ambigu. Ne pourrait-on pas en
effet supposer que ce promeneur s'est brusquement endormi pendant un bref instant ? On
sait qu'en proie à une grande fatigue (par exemple lors d'un voyage prolongé) un sujet peut
avoir des images hypnagogiques et même de courts rêves dont il ne peut maîtriser
l'apparition (et, en cas de narcolepsie, il peut s'endormir brutalement et entrer directement
en sommeil paradoxal). On peut alors envisager que le rêveur a simplement conservé sa
lucidité au cours d'un endormissement qui s'est produit dans des conditions inhabituelles.

Quant au cas de Mme Willett, il n'appartient peut-être pas à l'état de veille malgré les
apparences, comme un certain nombre d'indices permet de le supposer. D'une part le sujet
est obligée de fermer les yeux pour percevoir le rêve, et d'autre part Celia Green remarque
qu'elle oublie ce qu'elle a vécu quand l'expérience est terminée. « En général, après avoir
connu de tels états, Mme Willett faisait preuve d'une amnésie plus ou moins prononcée quant
[139]
au contenu de son expérience » . En eux-mêmes aucun de ces points ne semble décisif et
Celia Green remarque que les rêves lucides réguliers pourraient aussi bien être oubliés :
« Cette amnésie, bien sûr, différencie ces états de toute autre forme de rêve lucide, mais
dans notre définition, nous n'avions pas retenu la classe d'une non-amnésie subséquente. Il
est intéressant de songer qu'il serait possible de provoquer des rêves lucides avec amnésie
subséquente en usant, tout simplement, de la suggestion hypnotique. On pourrait, en effet,
suggérer au sujet qu'il oubliera tout rêve lucide s'étant produit spontanément pendant le
[140]
temps où il était sous hypnose » .

Il n'est d'ailleurs guère besoin de faire appel à l'hypnose pour trouver, dans les
journaux de rêves, mention de rêves lucides dont la présence au cours de la nuit ne fait
[141]
aucun doute pour le sujet mais dont aucun souvenir ne lui revient . Mais, dans le cas de
l'état de veille, invoquer un tel argument n'est d'aucune valeur. En fait, cette amnésie du
sujet conjuguée à l'occlusion des paupières semble indiquer plutôt que son état n'est pas un
état de veille normal mais est au contraire apparenté au sommeil hypnotique, auquel cas on
ne peut le considérer comme un état de veille que par une extension abusive. Pour
déterminer l'état de Mme Willett il aurait fallu savoir si sa lucidité était coextensive à sa
conscience de veille (ce que l'amnésie infirme) ou alternative par rapport à elle. Dans le
deuxième cas il peut s'agir d'endormissements et de réveils rapides, et l'amnésie ressemble
alors à celle qui frappe les éveils qui se produisent à la fin de chaque cycle au cours d'une
nuit de sommeil. D'une façon générale, les cas de rêves lucides "éveillés" rapportés par Celia
Green appartiennent en fait à un état de sommeil ou apparenté, et non à l'état de veille.

Pourtant, bien que Celia Green n'ait pas présenté d'exemples convaincants, des cas de
conscience simultanés du rêve et de la veille peuvent être aujourd'hui trouvés dans la
littérature. Toutefois, contrairement à l'orientation de Celia Green, il s'agit d'irruption de
l'état de veille dans le rêve lucide et non l'inverse. Le sujet sort en effet du
sommeil sans quitter le rêve lucide dans lequel il est déjà. Kenneth Kelzer rapporte une série
de longs rêves lucides au cours desquels il déclare avoir été à certains moments conscient
aussi bien du rêve que de l'état de veille.

Je rêve, et je me rends compte que je suis en train de rêver.


Pour me le confirmer, j'appelle mentalement mes mains dans le
champ de ma vision. Aussitôt, elles apparaissent. Elles ont un aspect
lumineux, éthéré ; je suis convaincu de ma propre lucidité et je sens
cette énergie raffinée, lucide, qui circule dans mes mains, dans mon
visage, dans ma tête.

Je vois ce qui m'entoure. Je suis dans une cellule de prison


exiguë et je dors, allongé sur le dos, sur une simple couchette.
Conservant cette position - le visage tourné vers le haut - je fais
consciemment et volontairement léviter mon corps, puis je lui fais
exécuter quelques "tonneaux" en tournant sur lui-même.

J'entends maintenant Erik, mon fils, qui entre dans la chambre


à coucher comme il a l'habitude de le faire. Je l'entends traîner les
pieds sur le tapis, puis je sens bouger le matelas hydraulique quand il
se laisse tomber sur le lit de l'autre côté, près de Charlene. Je les
entends parler et bientôt Charlene lui dit de retourner dans son propre
lit, ce qu'il fait, à contrecœur. Je continue, pendant ce temps, à
focaliser ma lucidité sur l'état de rêve. Je dirige toute ma
concentration sur mon corps de rêve, qui flotte en l'air, et je me sens
très satisfait de moi-même. Je suis tout à fait sûr que cette
conversation entre Charlene et Erik a lieu sur le plan physique et
qu'elle est en-dehors du rêve. Je peux l'entendre intégralement sans
cesser de maintenir la continuité du rêve lucide. Je décide de
maintenir cet équilibre entre mes deux champs de conscience, et j'y
parviens. Je sais, de façon claire, que j'aimerais bien trouver un
moyen d'empêcher Erik d'entrer dans la chambre à coucher au petit
matin, car je me souviens d'avoir lu, dans "le Rêve Créatif", que les
premières heures de la matinée sont le meilleur moment pour
pratiquer le rêve lucide. Je suis content d'éprouver ce désir particulier
[142]
avec tant de clarté. […]

Kelzer commence donc par un rêve ordinaire au cours duquel il devient lucide avant de
prendre conscience de son environnement de veille. Il ne quitte cependant pas l'état de
"sommeil" puisqu'il se "rendort" et vit ensuite deux autres longs rêves lucides au cours
desquels le même phénomène se reproduit, parfois avec intensité, sans pourtant interrompre
le rêve.
[…] Longtemps, en silence, je reste agenouillé près des autres
Rois Mages et je contemple gravement l'enfant. La merveilleuse,
l'éblouissante lumière qui émane continuellement de tout son corps
me plonge dans un ravissement total, mais ce qui m'exalte plus
encore c'est le rayonnement de son regard, simplement posé sur moi,
et ses yeux si calmes, si sérieux. Je sens que je pourrais rester ici, à
genoux, pour l'éternité.

Charlene, maintenant, bouge sur le matelas hydraulique et


prend mon corps physique dans ses bras. Elle m'invite sexuellement
et j'ai une conscience très claire du fait qu'elle touche mon corps
physique, espérant me tirer du sommeil. Toujours lucide, je reste
totalement absorbé par la contemplation de l'enfant Jésus, goûtant la
belle et douce lumière qui rayonne sans cesse de son être. Je me sens
si fermement établi dans l'état lucide, si bien installé dans cette
vision que Charlene, je le sais, ne parviendra pas, par ses caresses à
me faire quitter le rêve ni la lucidité. Tout mon être converge dans
cette lumière, je suis entièrement centré sur elle. Charlene continue
ses avances sexuelles mais il n'y a, dans mon esprit, aucun doute,
aucune hésitation sur ce que je dois choisir en ce moment. Je me
rends compte que jamais je n'abandonnerai l'immersion dans la
lumière pour un plaisir sexuel, ni pour toutes les autres formes de
plaisir que j'ai pu connaître dans ma vie. Je sais qu'il m'arrive
rarement de refuser une invite sexuelle, et pourtant je le fais, sans
hésiter. Je préfère conserver une complète unité d'esprit et focaliser
mon attention sur la lumière du Christ enfant. Je vois que tous les
autres plaisirs de l'existence sont d'une pâleur absolue quand on les
compare à ce rayonnement. Je suis totalement à mon aise bien que
transporté d'extase, absolument paisible et pourtant vivifié.

Après un temps, la lumière qui environne l'enfant commence à


s'affaiblir. Toujours lucide, toujours conscient des caresses que
Charlene prodigue à mon corps physique, je projette maintenant de
sortir du rêve, car je sens que cette scène merveilleuse approche de
sa conclusion naturelle. Pendant quelques instants encore, je
contemple la lumière qui s'efface autour du Christ enfant, jusqu'à ce
que le rêve se soit presque entièrement évanoui. Alors, par un acte
conscient de volonté, et non sans un profond regret, je choisis de
quitter le rêve lucide. Je m'éveille aussitôt. Tandis que je reviens au
monde physique, je sens un immense courant d'énergie et d'émotion
me traverser le corps et l'esprit. C'est un moment d'extase totale,
[143]
comme je n'en ai jamais connu auparavant.

Si ce passage ne laisse aucun doute quant à la perception consciente simultanée du


rêve et de la veille, il est toujours possible de supposer qu'elle est due à la proximité de
l'éveil ; et, si tel est le cas, l'autre épisode aurait tout aussi bien pu être entièrement rêvé.
Or, Kelzer a vérifié qu'il en allait différemment : « Pendant le petit déjeuner, il me parut
nécessaire de vérifier auprès de Charlene si Erik était bien venu dans notre chambre ce
matin-là. Dans l'état de rêve lucide, j'avais su, de façon parfaitement claire, qu'il était venu
plusieurs fois, qu'il avait dialogué avec elle et que tout cela se passait sur le plan du monde
physique ; mais maintenant à l'état de veille, je n'étais plus aussi certain de ce qui avait pu
se produire dans la réalité. Je posai donc à Charlene plusieurs questions en prenant soin,
pour ne pas influencer ses réponses, de les formuler de manière non directive. Elle me dit
qu'Erik était bel et bien venu dans la chambre à coucher plusieurs fois, qu'il s'était glissé dans
le lit auprès d'elle et qu'il avait essayé de la persuader de le laisser rester. A chacune de ces
visites, elle lui avait dit de retourner dans son propre lit et il avait fini, chaque fois, par lui
obéir.

« Cette confirmation était importante pour moi, car elle me permettait de vérifier que
j'avais bien passé un nouveau seuil dans le domaine du rêve lucide. Pour la première fois, ma
conscience avait, dans cet état, embrassé simultanément trois niveaux différents : celui du
rêve (son contenu et ses images), celui qui me permettait de savoir que je rêvais (la
lucidité), celui, enfin, où je connaissais simultanément certains événements du plan
physique. Mais ce fut surtout grâce à l'exceptionnel degré de clarté (de lucidité) présent au
cours du troisième rêve que je pus distinguer ces trois niveaux et maintenir l'état de lucidité
[144]
jusqu'à l'achèvement naturel de ce rêve » .

L'expérience de Kelzer est donc différente de celle de Willett en ce que, si un doute se


présente quant à ce qui est perçu, il porte sur ce qui appartient à la veille, et non au rêve : ce
n'est pas la conscience de veille qui permet ici d'aborder le rêve lucidement, mais la lucidité
onirique déjà présente qui permet au rêveur de prendre conscience de l'intrusion de la vie de
veille alors qu'il est encore en train de rêver.

La comparaison avec des situations analogues à partir de rêves ordinaires laisse à


penser que c'est la lucidité qui permet de distinguer les perceptions oniriques et vigiles. C'est
en effet déjà un lieu commun à l'époque de Delage de constater que le rêveur ordinaire tend
à incorporer à ses rêves les éléments extérieurs et s'avère incapable de les distinguer. « Le
rêveur ne perçoit pas comme telles les impressions fournies par ses sens. Le dormeur dont
l'oreille est frappée par le son du tambour ou le grondement du tonnerre, ne sait pas qu'il
tonne ou que l'on joue du tambour. […] S'il rêve, ces perceptions peuvent prendre place dans
[145]
son rêve, mais d'une façon presque toujours déformée » . Cette constatation banale
recèle néanmoins un élément important : si l'on admet que le sujet qui rêve peut incorporer
à son rêve des éléments du monde de la veille sans pour autant se réveiller, on est en
droit de supposer qu'un rêveur lucide pourrait être capable de faire la distinction entre les
éléments oniriques et vigiles, tout en continuant à rêver, et donc à dormir, comme cela
semble être le cas de Kelzer. Ainsi il n'est guère possible de poser a priori que la perception
consciente d'impressions sensorielles vigiles indique que le sujet est éveillé sans jeter par là
même le doute sur la situation analogue du rêve ordinaire dont on s'accorde à reconnaître la
[146]
validité . En fait il n'est guère possible de répondre à cette question en se fondant sur des
récits de rêves, mais des situations de ce genre montrent au moins le caractère incertain des
critères d'évaluation subjectifs du sommeil et de la veille.

Pour savoir si, dans le cas de Willett, nous avons ou non affaire à des rêves lucides, il
faut donc se rapporter à un autre critère : le rêve lui-même. Or, si l'expérience de
Kelzer émerge à partir du rêve, il en va tout différemment pour Willett dont le point de départ
semble être une image mentale obtenue par une sorte d'auto-hypnose. D'après Celia
Green en effet : « Mme Willett était habituellement assise, parfois avec les yeux fermés ;
pendant tout le temps que durait l'expérience, elle parlait aux expérimentateurs qui se
trouvaient auprès d'elle. Voici un exemple de ce qu'elle pouvait dire : "C'est un tableau, un
[147]
tableau que j'aime beaucoup et que je vois souvent" » . De plus si l'on examine le récit
rapporté par Celia Green, Mme Willett ne participe pas - comme le ferait un rêveur - aux
scènes qu'elle décrit, même si elle précise qu'elle pourrait s'y mouvoir. A cette absence de
participation s'ajoute le fait que « ce que percevait Mme Willett n'était pas toujours de nature
[148]
visuelle. Parfois, cela se présentait plutôt comme une suite d'impressions abstraites » .
Or, les "impressions abstraites" ne sont pas caractéristiques du rêve, même si elles
peuvent y être trouvées à titre de constituants. En fait, avec ce cas nous quittons le rêve
proprement dit, et donc le rêve lucide. Parler du surgissement du rêve lucide à l'état de veille
est donc pour l'instant hasardeux en l'absence de données décisives. Aussi notre travail
portera-t-il essentiellement sur le rêve lucide en tant que rêve, c'est-à-dire en tant que
phénomène du sommeil.

Nous considérerons donc que la lucidité peut surgir au cours du rêve ou à


l'endormissement, mais non au cours de l'état de la veille. Les conditions d'apparition du
rêve lucide ayant été examinées, nous sommes maintenant en mesure d'étudier plus
précisément celles qui permettent de reconnaître et de qualifier la conscience de rêver.

II. Conditions de la lucidité


Les circonstances oniriques du surgissement de la lucidité sont suffisamment diverses
pour qu'on puisse considérer que leur seul point commun véritable est constitué par la raison
de leur étude : le fait qu'elles amènent le rêveur à se rendre compte qu'il rêve. Ce ne sont
donc pas elles qui permettent de qualifier la lucidité que seule sa définition minimale permet
de reconnaître à travers ces circonstances. Or, le simple panorama que nous en avons donné
permet d'emblée de constater que cette définition minimale, fût-elle uniquement formelle, est
à la fois restrictive et trop large. Elle est en effet restrictive car elle ne permet pas de rendre
compte du phénomène de continuité de la conscience à l'endormissement qui n'appartient
pas de façon définie au rêve, tout au moins pour le rêveur. Ainsi lorsque le sujet se sent
pleinement conscient au début de l'endormissement et vit des événements qu'il ne pense pas
à qualifier de rêve mais qui en sont caractéristiques (sentiment de sortir de son corps ou de
flotter), il est nécessairement "lucide" sans pour autant savoir qu'il rêve. Le fait qu'il finisse,
après un certain temps, par constater qu'il est dans un rêve, confirme rétrospectivement qu'il
en était ainsi dès le début, mais il n'en reste pas moins que ce début n'a pas été, en son
temps, qualifié, alors même que le sujet était parfaitement conscient d'avoir glissé dans le
sommeil. Mais pour inclure de telles situations dans le rêve lucide, faut-il ne voir dans la
conscience lucide que le sentiment de ne pas être dans l'état de veille ? Définir ainsi la
lucidité, de façon négative, reviendrait à en élargir le champ d'une façon qui rendrait sa
compréhension incertaine. C'est ce qu'a fait Celia Green qui, en considérant que le rêve lucide
se caractérise pour le sujet par un champ de perception différent et la conscience de son état
par rapport à la veille, a inclus dans son étude des cas douteux comme celui de Mme Willett.
Une telle définition amène nécessaire à dénommer "rêve lucide" des états très différents du
rêve. Ce type de difficulté explique l'affrontement des spécialistes pris d'un côté entre le
désir de ne pas laisser échapper certains phénomènes oniriques qui appartiennent
manifestement à leur domaine d'investigation et de l'autre la crainte de voir l'objet même de
leur recherche s'évanouir lors de cette tentative.

Les définitions qu'ils proposent de la lucidité onirique sont apparemment influencées


par l'une ou l'autre de ces tendances, même lorsque ces tendances ne sont pas explicitement
affirmées. Ainsi la définition donnée par Paul Tholey cherche à restreindre le champ de la
lucidité afin d'assurer au phénomène une compréhension nette. « Au cours de mes
expériences, il me vint à l'idée que l'on pouvait raisonnablement définir sept aspects
différents de la lucidité (clarté, précision, netteté de la conscience). (1) - Conscience claire du
fait que nous sommes en train de rêver. (2) - Conscience claire relative à notre capacité de
décider, dans le rêve, que nous allons agir de telle ou telle manière. (3) - Conscience claire
relative au souvenir de notre vie de veille, et tout particulièrement quand il s'agit de se
rappeler ce qu'on avait l'intention de rechercher dans le rêve. (4) - Clarté du souvenir que
nous avons du rêve à l'état de veille (c'est le seul aspect qui ne fasse pas partie du rêve
lui-même). (5) - Clarté de la conscience, par opposition à une conscience troublée. (6) -
Clarté de la perception (toutes nos perceptions de rêve seront claires, qu'il s'agisse de la vue,
du toucher, de l'odorat, du goût). (7) - Reconnaissance claire de ce que le rêve
[149]
symbolise » .
Il ne s'agit manifestement pas là d'un ensemble de critères indépendants dont la
présence d'un seul dans un rêve permettrait de le qualifier de lucide. En effet certains de ces
aspects pris isolément peuvent aussi bien s'appliquer au rêve ordinaire, qu'il s'agisse de la
"clarté du souvenir que nous avons du rêve à l'état de veille" ou même de la "conscience
claire relative à notre capacité de décider, dans le rêve, que nous allons agir de telle ou telle
manière" qui décrirait bien les rêves magiques non lucides d'Hervey de Saint-Denys. Il faut
donc supposer que Paul Tholey définit la lucidité onirique par l'ensemble de ces facteurs. Le
premier (la "conscience claire du fait que nous sommes en train de rêver") sur lequel tous
s'accordent serait donc nécessaire mais à lui seul il ne suffirait pas à caractériser la lucidité.
Paul Tholey admet donc qu'on puisse avoir conscience de rêver sans pour autant être
"lucide", la lucidité indiquant un phénomène beaucoup plus fort que certains rêves
simplement conscients qu'on peut trouver dans la littérature et dont l'intérêt semble en effet
négligeable. Cependant, cette volonté d'isoler un phénomène remarquable le pousse à
adopter des critères qui sont plutôt sources de confusion. Ainsi le septième facteur
("reconnaissance claire de ce que le rêve symbolise") exclut les rêves qui ne symbolisent rien
et qui constituent la plus grande partie du corpus. Tholey est sans doute parti de l'idée que
tous les rêves sont symboliques et, si tel est le cas, la lucidité "forte" qu'il pose comme
propre au rêve lucide implique nécessairement la compréhension de ce symbolisme, mais
dans la pratique il s'avère que les rêves lucides ne sont souvent pas plus symboliques que les
événements de la vie de veille. On s'aperçoit ainsi qu'une définition "forte" de la lucidité
dépend nécessairement de celle du rêve, et c'est probablement pour situer de façon sûre et
définitive la lucidité sur le terrain du rêve comme phénomène "du sommeil" (et non de
quelque état mal défini comme les transes de Mme Willett) que Tholey a été amené à se
montrer si exigeant. Ce serait donc le besoin de faire reconnaître l'existence du rêve lucide
qui aurait poussé à donner des caractéristiques "fortes" à la lucidité, quitte à en faire un
phénomène exceptionnel plutôt qu'un aspect de la vie onirique relativement courant mais peu
remarqué.

Cette façon d'opérer devient compréhensible lorsqu'on se rend compte que même les
rêveurs "faiblement" lucides, comme Gillespie, peuvent douter de l'existence d'une lucidité
"forte" : « La question de savoir si le rêveur lucide a, dans le rêve, la même capacité de se
souvenir qu'à l'état de veille doit être remise en question. Cela est implicite lorsqu'on définit
le rêve lucide comme "conscience de veille se produisant au cours d'un rêve". Tart […] note
que Frederik van Eeden "était en possession de toutes ses capacités intellectuelles". Il assure
également […] que la conscience du rêveur lucide conserve toute la clarté, toute la lucidité de
l'état de veille. Sa conscience, dit-il, "est pratiquement la même que la conscience de veille".
De son côté, Stephen LaBerge […] écrit que le rêveur lucide "peut raisonner de façon claire,
évoquer librement des souvenirs".

« N'ayant jamais conservé mes facultés intellectuelles normales au cours d'un rêve
lucide, n'ayant jamais eu, même dans les meilleurs cas, la clarté ni la lucidité de l'état de
veille dans aucun des 397 rêves lucides que j'ai notés, je contestais une expression telle que
"conscience de veille au cours d'un rêve" aussi bien que l'assertion selon laquelle un rêveur
lucide serait en mesure de raisonner et de se souvenir comme s'il était éveillé. Ces
[150]
affirmations contredisaient ma propre expérience et je les jugeais incorrectes » .

Les rêveurs faiblement lucides peuvent donc ne pas ajouter foi à l'existence d'une
pleine lucidité, simplement parce qu'elle ne correspond pas à leur expérience. Or, si l'on se
rappelle que c'est pour le même genre de raison que les rêveurs ordinaires peuvent rejeter le
rêve lucide dans l'ensemble, on comprend que les définitions de Tart, Tholey ou
LaBerge permettent de mettre en évidence l'originalité d'un phénomène qui risquerait
autrement d'être ramené aux rêves vaguement conscients rapportés, par exemple, par
Freud alors qu'il s'en distingue de façon remarquable. Une telle façon de procéder est
d'ailleurs porteuse de résultats comme l'indique le changement d'attitude de
Gillespie lui-même : « Aujourd'hui, je vois peut-être les choses d'une manière un peu
différente. Tout cela continue d'être dit, même par certaines personnes qui ont fait des rêves
lucides. Je pense donc qu'il doit y avoir, en effet, des gens qui ont une bonne mémoire et une
[151]
capacité de raisonnement intacte lorsqu'ils rêvent » .

Si certains auteurs se sont montrés, comme Tholey, Tart ou LaBerge, exigeants quant
à la qualité de la lucidité, c'est donc pour éviter que leurs propres expériences ne soient
confondues avec des rêves apparentés mais moins intéressants. Leur intention est
manifestement d'empêcher la perte d'informations qu'entraînerait une telle confusion.
Tart déclare d'ailleurs nettement au sujet des rêves de Gillespie : « Selon la description que
George Gillespie […] nous donne de sa lucidité onirique, celle-ci inclut, dans le rêve même, la
conscience de rêver, mais sans que cette conscience soit plus proche d'un état de veille
ordinaire que celle qui est habituelle dans le rêve. Il se demande si ses rêves peuvent être
considérés comme lucides selon les termes de ma propre définition : "Les rêves lucides sont
ceux dans lesquels le rêveur est conscient de rêver, se souvient clairement de sa vie à l'état
de veille et considère qu'il possède l'entière maîtrise de ses capacités intellectuelles, ainsi que
celle de ses motivations."

« Si l'on s'en tient à cette définition, les rêves de Gillespie ne peuvent être considérés
comme lucides. Commentant "De l'événement spontané à la lucidité", j'ai fortement insisté
sur le fait que la conscience de rêver dans le rêve même est une condition nécessaire
mais non suffisante pour qu'un rêve puisse être qualifié de "lucide". Voici la définition
complète que je proposais dans ce compte rendu : "Le rêve lucide est un état de conscience
défini dont la caractéristique est, pour le rêveur, de savoir s'il se trouve dans un
environnement intellectuellement reconnu comme étant "irréel" (ou du moins comme
n'appartenant pas à la réalité physique ordinaire) ; simultanément, la qualité générale de sa
conscience se présente à son expérience comme ayant toute la clarté et la lucidité de l'état
[152]
de veille ordinaire" » .

Toutefois, il n'en reste pas moins que cette façon de caractériser la lucidité exclut du
champ d'investigation toute une série de rêves qu'on ne peut classer parmi les rêves
ordinaires, ce qui explique la protestation de Gillespie : « Cependant, même si certaines
personnes ont "une conscience de veille" dans les rêves lucides, il est contestable d'inclure de
tels faits dans la définition de ces rêves. Paul Tholey […] commence par une définition qu'il
attribue à Tart […] : "Sont lucides les rêves dans lesquels le rêveur est conscient de rêver, se
souvient clairement de sa vie de veille, considère qu'il possède l'entière maîtrise de ses
capacités intellectuelles ainsi que celle de ses motivations". Une telle définition exclut mes
propres rêves lucides. J'y conserve, en effet, les restrictions propres à ma conscience de rêve
ordinaire. J'oublie la plus grande part de ma vie de veille. Je ne sais pas où je dors, ni quelle
est l'année en cours. Même si j'essaie d'évoquer des souvenirs il me revient peu de choses.
Dans plus de la moitié des cas, je ne parviens pas à me rappeler l'expérience que je désirais
tenter dans le rêve. Ma mémoire est souvent fausse. Ma faculté de raisonner est limitée. Je
suis incapable de décider de l'avenir au-delà de l'immédiat. Je suis peu conscient des
inconsistances, des erreurs, de l'ignorance. J'accepte les événements du rêve sans esprit
critique. Je suis incapable (avant de m'être éveillé) de juger le résultat des expériences que
j'ai tentées dans un rêve lucide. J'entreprends des actions qui n'ont pas de sens. Je n'ai de
lucidité que ce qu'il en faut pour remarquer certaines des inconséquences du rêve. Je sais
[153]
plus ou moins que je suis en train de rêver et je continue sur cette base » .

Si réellement la définition admise de la lucidité onirique dérive directement de


l'expérience de van Eeden, expérience reconnue et partagée par les auteurs qui le citent,
comment Gillespie a-t-il pu en premier lieu considérer que ses expériences entraient dans la
catégorie des rêves lucides ? C'est qu'en réalité les chercheurs ne s'accordent ni sur cette
définition ni sur l'interprétation du texte dont elle s'autorise : « Bien que certaines personnes
soient peut-être capables d'un raisonnement correct et d'une bonne remémoration au cours
d'un rêve lucide, je soupçonne que ces capacités ont été quelque peu exagérées. Même pour
van Eeden, dont on a dit qu'il "conservait toutes ses facultés intellectuelles", on n'a pas
l'impression, en lisant ses descriptions de lucidité onirique, qu'il en était exactement ainsi.
[…] Certains comptes rendus indiquent, chez lui, une mémoire et une rationalité inférieures à
la normale. "Il est très difficile" dit-il "de contrôler les impulsions affectives". La première fois
qu'il parla à son beau-frère, il ne se souvenait pas que celui-ci était mort. Il lui dit :
"Maintenant nous rêvons, tous les deux…". Je ressentais, avec une grande certitude, que
c'était bien à Hoff que je parlais… Je me croyais alors plus jeune que je ne le suis… Je lui dis
que je le comprenais mais, après mon réveil, je fus absolument déconcerté, ne pouvant rien
[154]
en tirer… Je n'avais aucune idée de ma condition véritable » .

Dans ces conditions on comprend aisément que certains chercheurs aient adopté une
définition plus simple et que cette définition se soit répandue lors des enquêtes menées sur le
phénomène : « La plus simple définition du rêve lucide que j'ai trouvée est de
Gackenbach […]. Il s'agit, selon elle, de "la conscience de rêver dans l'état de rêve". Le
"questionnaire du sommeil et du rêve" que j'ai rempli sous sa direction dit que les rêves
lucides sont "des rêves dans lesquels vous êtes conscient de rêver pendant le rêve". Selon
cette définition restreinte, je suis bien un rêveur lucide, ce dont je n'ai jamais douté. Si la
définition avait retenu, comme caractères spécifiques, le fait de raisonner clairement et de se
souvenir à volonté, je n'aurais pas pu remplir ce questionnaire, et sans doute n'aurais-je pas
[155]
été le seul dans ce cas » . Les protestations de Gillespie sont donc justifiées non
seulement en regard d'une catégorie de rêves qui méritent d'être examinés, mais aussi pour
la recherche elle-même qui, à vouloir s'intéresser uniquement à un phénomène exceptionnel,
risquerait de tourner court, alors que l'étude de la continuité, qui va d'une lucidité faible à
une lucidité forte, peut se révéler précieuse pour cette dernière.

Nous avons vu toutefois que cette définition est trop large pour être satisfaisante. On
se trouve pris ici entre deux abîmes : d'une part une définition trop large qui risque de faire
perdre sa spécificité au phénomène, et de l'autre une définition trop limitative qui risque de
faire méconnaître toute une gamme de rêves qui se différencie, conscientiellement parlant,
du rêve ordinaire, et qui a manifestement un rôle à jouer dans l'analyse des rêves lucides
"forts". Pour sortir de cette difficulté, Tart a recours à la création d'une nouvelle catégorie de
rêves. Tout en refusant de classer les expériences de Gillespie parmi les rêves lucides, il
reconnaît leur particularité : « Je ne veux pas dire - loin de là - que les rêves de Gillespie ne
présentent pas d'intérêt, mais F. van Eeden […] fut l'inventeur du terme "rêve lucide". Il
décrit sa conscience de rêve comme étant plus proche, en pareil cas, de la conscience de
veille que de celle qui caractérise le rêve ordinaire. Je pense donc que je lui dois de réserver
l'appellation de "rêve lucide" à ce type d'événement, en excluant les rêves - ordinaires par
ailleurs - dans lesquels le rêveur est seulement conscient de rêver. Pour ces derniers, je
propose un autre terme, celui de "rêve avec conscience de rêver", où la prise de conscience
n'est pas accompagnée du changement de niveau qui caractérise l'état modifié de rêve
lucide.

« Est-il légitime d'établir une telle distinction ? La question doit être posée ainsi :
Rêves lucides et rêves avec conscience de rêver font-ils partie d'un même continuum de
conscience onirique, ou bien existe-t-il, dans le rêve lucide (et peut-être dans le rêve avec
conscience de rêver) une différence de qualité significative qui en fait un événement d'une
autre nature que le rêve ordinaire ? Si le rêve lucide et le rêve avec conscience de rêver sont
qualitativement différents l'un de l'autre, et/ou s'ils diffèrent tous deux du rêve ordinaire,
alors il est de première importance que l'on établisse cette distinction dans toute étude qui se
proposerait de mettre diverses qualités psychologiques ou personnelles en rapport avec les
[156]
caractères propres au rêve lucide » .
Pour Tart la différence qualitative entre les deux états - entre le rêve lucide qu'il
considère comme un état de conscience "discret", c'est-à-dire radicalement différent de celui
du rêve ordinaire, et le rêve avec conscience de rêver ("dreaming-awareness") qu'il tient
pour proche de ce dernier -, est manifestement dans son esprit une différence de nature. Par
cette distinction catégorielle, Tart espère avant tout tracer une ligne de démarcation, au
moins méthodologique, pour éviter des confusions dans le cours de la recherche. Néanmoins
cette distinction repose sur un a priori et si, comme le soutient Gillespie, ces deux types de
rêves ne sont pas fondamentalement différents, cette distinction pose plus de problèmes
qu'elle n'en résout. Gillespie s'appuie sur ses propres expériences oniriques pour mettre en
évidence quelques uns de ces problèmes, mais la connaissance d'un corpus de récits permet
immédiatement de comprendre que ses constatations ont une portée générale.

Il remarque tout d'abord que ses rêves "avec conscience de rêver" sont très différents
de ses rêves ordinaires : « Dans mes rêves lucides, bien que je n'y atteigne jamais un état de
lucidité égal à celui de la veille, je suis, sans aucun doute, plus lucide que dans mes rêves
ordinaires. Avant même qu'apparaisse la conscience de rêver, j'ai déjà une lucidité suffisante
pour remarquer les anomalies du rêve, pour comprendre que certaines situations ont un
caractère onirique et pour me poser la question de savoir si, oui ou non, je suis en train de
rêver. Mes rêves ordinaires sont pleins d'anomalies, de bizarreries qui sont acceptées telles
quelles et ne retiennent pas mon attention. C'est le prélude à la lucidité qui me permet de les
remarquer, de réfléchir, de comprendre, toutes opérations mentales qui produiront,
finalement, le rêve lucide. Je suis lucide quand je réalise que je suis en train de rêver, quand
je suis capable de maintenir ce savoir pendant quelque temps et d'en comprendre les
implications. Je sais que le rêve n'est pas la réalité physique ordinaire, […] que les
personnages qui s'y présentent n'ont pas d'existence hors de moi-même, qu'il est inutile de
prendre des notes ou de me précipiter aux toilettes tant que je ne me serai pas éveillé.
Normalement, je me souviens que je dois accomplir une tâche, bien que je sois souvent
incapable de retrouver ce qu'il s'agit de faire. Quand j'y parviens, j'accomplis en général ce
travail, bien qu'il m'arrive d'oublier ce que je fais ou d'y ajouter, soudain, quelque chose
d'imprévu. J'observe attentivement, mais mon jugement est de mauvaise qualité. Je peux
décider de rester détaché du rêve ou, au contraire, d'y participer activement. De telles
[157]
facultés ne sont pas caractéristiques de mes rêves ordinaires » .

Sur la base d'une telle description, il est difficile de ranger de tels rêves avec les rêves
ordinaires pour ne s'intéresser qu'au type mis en avant par Tart car la différence est trop
flagrante : « Tout d'abord, la définition que Tart nous donne du rêve avec conscience de
rêver se fonde sur des suppositions discutables ; qu'est-ce qui lui permet d'affirmer que,
faute d'une lucidité au moins égale à celle de l'état de veille, il ne s'agit que d'un rêve
ordinaire ? Mes rêves lucides sont, comme je le montrerai plus loin, très différents de mes
rêves ordinaires. Je me méfie aussi de l'assertion selon laquelle le rêve lucide serait un état
de conscience modifié, nettement différent du rêve avec conscience de rêver dans lequel il
n'y aurait ni changement de plan, ni accès à un autre état. En savons-nous assez sur les
états de conscience pour conclure que ces deux degrés de lucidité appartiennent à des
catégories différentes ? Notre connaissance des changements de plans de conscience est-elle
suffisante pour que nous puissions dire que le fait de s'apercevoir qu'on rêve ne constitue pas
[158]
un passage du rêve ordinaire à la lucidité onirique ? » .

Gillespie conteste donc la distinction de Tart sur la base de l'absence de critères


décisifs. On pourrait toutefois lui objecter que la simple description des deux types de rêves
met nettement en évidence leur différence qualitative, mais en réalité l'examen du corpus
des rêves lucides nous montre que cette différence n'est pas essentielle. En effet ce sont
souvent les mêmes rêveurs qui font l'expérience du rêve lucide et du rêve avec conscience de
rêver, et dans ce cas la ligne de démarcation semble devoir être tracée non entre ces deux
types de rêve mais bien par rapport au rêve ordinaire. Plus encore, ces fluctuations de la
lucidité peuvent se constater au sein d'un même rêve et dans ce cas la distinction de
Tart n'est plus simplement artificielle, elle entrave l'étude même qu'elle se proposait de
faciliter. Si des rêves lucides peuvent appartenir aux deux catégories, il n'est, sur un plan
méthodologique, pas possible de n'étudier que l'aspect "fort" ou "faible" de leur lucidité,
comme le voudrait le point de vue de Tart.

Après avoir constaté la différence radicale qui sépare ses rêves lucides (faibles) de ses
rêves ordinaires, Gillespie met l'accent sur leur similarité avec les rêves lucides "forts" de
Tart. En effet, si l'on met à part la clarté et la qualité de la mémoire de la vie de veille, la
façon dont ce dernier définit la lucidité ne permet pas de les distinguer : « Le terme de "rêve
lucide" désignerait le rêve "dans lequel le rêveur sait qu'il rêve, se souvient clairement de sa
vie de veille et considère qu'il a tout contrôle de ses facultés intellectuelles et de ses
motivations" […]. Je ne vois pas, quant aux motivations, de différence entre ma propre
expérience et ce que j'ai pu lire de celle des autres. J'ai des désirs, des intentions que je
tente de mener à bien. Je contrôle en général ce que je fais malgré quelques actions
spontanées ou imprévues ; en fait, les choses se passent également ainsi dans la plupart de
[159]
mes rêves ordinaires » .

La remarque de Gillespie nous ramène ici à un point que nous avons déjà constaté :
des définitions comme celles de Tart ou de Tholey ne peuvent concerner le rêve lucide que si
leurs éléments sont combinés. On peut en effet se souvenir parfaitement de sa vie de
veille au cours d'un rêve ordinaire, de même qu'on peut y prendre des décisions délibérées.
En mettant l'accent sur le fait que ses rêves lucides "faibles" sont, la mémoire exceptée,
semblables aux rêves lucides "forts" en ce qui concerne les autres points retenus par Tart,
Gillespie ne rapproche pas ses propres rêves de la catégorie de Tart, il ramène au contraire
cette dernière à celle des rêves ordinaires. La seule différence entre la lucidité et la
conscience onirique ordinaire tient donc seulement au fait que le rêveur sait qu'il rêve, et les
expériences de Tart et de Gillespie ne seraient pas, par nature, différentes.

C'est là l'objection essentielle que fait Gillespie à Tart : pourquoi les rêves avec
conscience de rêver ne seraient-ils pas simplement des rêves lucides dont la lucidité est
moins intense ? « La principale différence, s'il en est une, entre un rêve lucide et un rêve
avec conscience de rêver, repose donc sur un degré de lucidité, c'est-à-dire sur la
[160]
disponibilité plus ou moins grande de la mémoire et des facultés intellectuelles » .
L'importance de cette question ne doit pas nous échapper car, au lieu de cantonner l'étude du
rêve lucide à un genre de rêve qui n'en représente qu'un aboutissement, elle permet de
s'intéresser à toute la gamme de rêves dans lesquels émerge la conscience de rêver et de
mettre l'accent sur la continuité avec le rêve ordinaire lui-même plutôt que sur sa rupture
avec lui. Sans doute l'insistance sur cette rupture était-elle nécessaire pour faire reconnaître
le phénomène et l'intérêt d'entreprendre son étude, mais force est de constater qu'une fois
cette étape dépassée, l'intérêt porté à la continuité conscientielle - plutôt qu'à des états
discrets - ouvre des perspectives plus riches, ne serait-ce que parce qu'elle permet de
prendre en compte les circonstances oniriques de l'apparition de la lucidité, circonstances qui
se manifestent d'abord dans des épisodes non lucides, comme nous l'avons vu. Cette idée
de degré permet donc de mieux comprendre la transition du rêve ordinaire au rêve lucide.

L'affrontement entre Tart et Gillespie peut ainsi se résumer comme l'opposition entre
la thèse de la discrétion et de la continuité possible de l'état de conscience du rêveur lucide
par rapport au rêve ordinaire. La première position établit une séparation radicale dont on ne
peut préciser les limites sans risque d'arbitraire, tandis que la deuxième permet d'éviter
l'écueil d'une définition trop restreinte et semble a priori plus satisfaisante. Toutefois, les
affirmations de Tart ou de Gillespie restent hypothétiques tant que n'ont pas été examinés les
éléments sur lesquels ils les fondent et qu'ils semblent considérer comme des évidences.
Tart pose en effet que la lucidité est l'émergence de la conscience de veille dans le rêve sans
réellement en examiner les implications ni même remarquer l'inadéquation de cette idée à
certains des rêves qu'il tient pour représentatifs, ceux de van Eeden. De son côté, Gillespie,
lorsqu'il déclare que, s'il existe une distinction essentielle entre les deux types de rêve
(lucides et avec conscience de rêver), elle se mesure en degré, ajoute immédiatement qu'il
s'agit de degré de mémoire et de capacités intellectuelles, semblant du même coup faire
disparaître l'aspect spécifique de la lucidité. On ne peut donc admettre tout à fait aucune de
ces positions sans avoir examiné les éléments fondamentaux sur lesquels s'appuient plus ou
moins implicitement les divers auteurs lorsqu'ils présentent une définition de la lucidité. Ces
éléments, déjà remarqués par Hervey de Saint-Denys qui ne cherchait pourtant pas à définir
le phénomène, sont au nombre de quatre : la conscience de rêver proprement dite, le
souvenir de la vie de veille, la faculté de raisonner, l'exercice de la volonté ou de la libre
décision. Ces quatre facteurs fondamentaux sont intrinsèquement liés et si, pour faciliter
l'analyse, nous les examinons séparément, ce n'est pas dans l'intention de montrer qu'un
seul d'entre eux peut suffire à qualifier une conscience onirique de "lucide", mais pour
déterminer l'importance réelle de chacun d'eux.

A. Savoir que l'on rêve


De ce point de vue l'importance du premier facteur, savoir que l'on rêve, est
impossible à remettre en question puisqu'il s'agit d'une condition minimale et primordiale, et
pour déterminer si elle se suffit à elle-même il semblerait nécessaire de commencer l'examen
par les autres éléments. Toutefois, nous avons pu nous rendre compte que ce facteur n'est
pas, par lui-même, aussi évident que son simple énoncé peut le laisser supposer. Non
seulement sa nature ne fait pas l'unanimité (certains y voient l'indication que la conscience
de veille est présente dans le rêve tandis que d'autres en font une conscience onirique
particulière), mais son existence même est précaire dans la mesure où il peut dépendre
d'autres facteurs, tels que la mémoire et le raisonnement, voire n'être qu'une ombre projetée
par leur présence. En ce sens, le fait de "savoir qu'on rêve" ne serait qu'une certaine façon de
faire jouer ses facultés intellectuelles ou sa mémoire mais aucune "conscience" particulière ne
pourrait être mise en cause.

Or, indépendamment de l'examen des autres facteurs, il existe une possibilité de saisir
cette conscience de rêver dans sa spécificité, justement en cherchant si elle ne présente pas
des variations selon les rêveurs. Ces variations, si elles se révèlent qualitativement
différentes, renverraient alors à un substrat conscientiel commun. De ce point de vue
l'examen de la littérature montre en effet des différences très nettes quant à la façon de
"savoir qu'on rêve". Un exemple d'une telle différence apparaît dans un entretien de
Gackenbach et Wolf :

« Rédacteur en chef - Pendant cette expérience, vous saviez que vous rêviez ?

« Wolf - Oui, tout le temps.

« R. - Aviez-vous le sentiment qu'il vous fallait maintenir un équilibre entre cette


conscience et votre activité de rêve ?

« W. - Comment ? Je ne comprends pas ce que vous voulez dire par "équilibre".

« R. - J'ai remarqué que si je ne m'astreins pas continuellement à me souvenir de la


vraie nature du rêve, je perds cette conscience. Pour vous, ce n'était pas ainsi.

« W. - Je n'avais pas d'effort à faire pour continuer à rêver.

« E. - Non, pas pour continuer à rêver - cela, c'est facile - mais pour continuer à
savoir, pour continuer à être conscient de la vraie nature de cet état.

« W. - Je n'y pensais pas. Je ne faisais que vivre cette expérience au fur et à mesure
qu'elle m'arrivait. Je vivais cette expérience ou j'étais cette expérience, c'est la même chose.
En ce moment même, je ne sais pas ce qui va arriver à l'instant suivant.
« E. - Et tout le temps du rêve, vous saviez que vous rêviez ?

« W. - Oui, je savais que c'était un rêve, mais je ne passais pas mon temps à répéter
"Oh, je sais que c'est un rêve, je sais que c'est un rêve". Je n'étais pas tout le temps à me le
rappeler.

« E.- Mais vous sentiez tout de même que vous le saviez.

« W.- Je ne comprends pas ce que vous voulez dire. Si vous me demandiez si je sais,
en ce moment, que je suis éveillé, je vous dirais : "Oui, bien sûr, je le sais".

« E.- Mais c'est une chose que vous n'avez pas besoin de vous répéter tout le temps.

« W.- Est-ce que je passe mon temps à me demander : "Suis-je éveillé, suis-je
éveillé, suis-je éveillé ?" bien sûr que non.

« E.- O.K. Laissez-moi vous dire comment cela se passe pour moi. Quand je sais que
je rêve, je me rappelle à moi-même que je le sais et je continue à le faire. Si, à un moment
donné je perds cette conscience, si je cesse de m'en souvenir volontairement, ce n'est pas "je
suis éveillé" ni "je suis en train de dormir", simplement le rêve continue. Plus tard, je me
réveille et je pense : "Oh zut! Je l'ai perdu!" Mon rêve sera en deux parties distinctes l'une de
l'autre, celle où je savais que je rêvais, celle où je ne le savais pas. Je comprends alors que
je me suis laissé captiver par les activités du rêve et que j'ai perdu la conscience de rêver.
Mais il y a des gens, comme vous, qui parlent d'une conscience continue sans qu'il soit
[161]
nécessaire de se la rappeler sans cesse » .

Entre les deux interlocuteurs la différence dans la façon de savoir qu'on rêve est telle
qu'ils ont presque du mal à se comprendre. En effet, pour Gackenbach, être pris dans une
activité onirique implique nécessairement que la conscience s'y investisse entièrement et que
la lucidité soit perdue. Or, si son expérience correspond à ce raisonnement, c'est que la
coloration de sa lucidité est nettement intellectuelle et qu'elle ne peut se maintenir que dans
la mesure où la pensée reste fixée sur elle, d'une façon qui peut même paraître harcelante,
comme le souligne la réaction de Wolf. La lucidité se présente donc pour elle comme une
orientation particulière d'une conscience déjà là mais qui s'investit d'habitude dans le rêve.
Pour Wolf au contraire la conscience de rêver ne dépend pas d'un jugement répété. Pour lui,
être impliqué dans une activité onirique n'entraîne pas ipso facto la perte de la lucidité qui
se comprend comme une qualité de présence à soi dont la coloration est plus existentielle
qu'intellectuelle. On n'a plus affaire alors à un mode particulier d'investissement de la pensée
mais bien à une nouvelle qualité de la conscience qui "s'ajoute" au rêve. La lucidité peut donc
prendre des formes assez différentes selon les sujets sans pour autant cesser d'être
reconnaissable comme la conscience de l'état onirique.

Cependant, ces différentes formes renvoient-elles réellement à un phénomène


commun ou ne faut-il pas y voir des types de lucidité sans aucun rapport entre elles ? En fait
la forme que prend ici la lucidité équivaut en quelque sorte à la façon dont le sujet la
maintient, sans que cela mette en cause la lucidité elle-même. Nous avons vu, par exemple
avec la fausse lucidité de van Eeden, qu'il n'est guère possible de confondre l'affirmation "je
suis lucide" avec la lucidité effective, cette dernière renvoie à un au-delà d'elle-même dont
elle n'est que la manifestation. Ce point est encore plus net lorsque le même rêve comprend
une phase ordinaire avec fausse lucidité et une phase lucide qui met la fausse lucidité en
perspective.

« Je me réveille dans une grande chambre qui donne sur un


salon dans ce que je sais être une maison qui serait plutôt en dehors
d'une ville. Je suis réveillé alors que le reste de la maison dort
encore ? Pas tout le monde. Un simple panneau de bois sert de porte
incomplète car il y a possibilité de voir le salon (comme à travers une
bibliothèque creuse pas entièrement remplie de livres). Parle-t-on à
mon sujet ? Je sais que je suis chez les S…, que mon père et ma mère
ne sont pas loin, et je me demande si S… est là. J'ai des baskets bleu
foncé avec des lacets blancs. Je passe dans le salon. Il est obscur,
comme l'était la chambre, et comme l'est un salon de bon matin
lorsque le jour n'est pas encore tout à fait levé. Là, Monsieur S… est
assis. Il me serre la main et ne m'embrasse pas. Je ne savais pas
quelle conduite adopter moi-même puisque j'étais déjà dans la
maison. D'autres personnes arrivent dans le salon et s'installent. Il y a
une femme aux cheveux châtains et aux yeux vert clair. C'est une
française dont le visage n'a pas des traits harmonieux. Mais les
cheveux et les yeux suffisent à lui donner un aspect non ordinaire. Je
ne me sens pas à l'aise. Je regarde M. S…. Je me dis que c'est un
rêve. Sans y croire, simplement pour dissiper le malaise. Je voudrais
demander des nouvelles de S…. Tous ces gens sont de la famille des
[162]
S… […] » .

Pour être véritablement lucide le sujet aurait dû "croire" à son affirmation, c'est-à-dire
disposer d'une intuition susceptible de l'appuyer. Cette intuition n'apparaît que quand il
décide de "jouer le jeu", c'est-à-dire de s'engager à fond dans cette affirmation :

« (lucidité :) Finalement je veux vraiment jouer le jeu. Je


décide que c'est un rêve et je sens quelque chose remuer en moi.
Cette fois je ne suis plus chez les S… dans une maison que je n'ai
jamais vue dans la vie de veille, mais dans ma chambre, dans
l'obscurité. Je suis dans mon lit mais je sens que je prends de la
hauteur, je flotte vers le haut. En même temps je récite mentalement
le "Notre Père" et une force pénètre en moi par le périnée. C'est très
fort et je me demande s'il n'y a pas un équilibre à respecter. Du coup
je le fais suivre de "Je Vous Salue Marie" mais je n'en compte pas le
nombre. Je "sors" de moi-même (de mon corps physique ou de mon
corps de rêve) et je me retrouve près de la fenêtre, comme aspiré à
[163]
l'envers par l'arrière. […] »

On voit dans ce passage qui fait suite au précédent que la lucidité devient effective
après l'affirmation "impliquante" et n'a alors guère besoin d'être formellement répétée pour
se maintenir. Cette affirmation peut donc servir de cause efficiente, mais si elle n'accroche
pas une intuition, qui n'a par ailleurs pas nécessairement besoin d'elle, elle reste vide. La
focalisation de la pensée chez Gackenbach n'est donc qu'une façon de maintenir la lucidité,
mais elle ne constitue pas l'explication de la lucidité elle-même.

Ainsi la multiplicité des modes de persistance de la lucidité indique que le fait de


savoir qu'on rêve dépend non pas du processus qui s'offre à la description, mais bien d'une
qualité conscientielle qui prend la forme d'une intuition. Cependant, une intuition ne peut
s'exercer à vide et dans le cas du rêve lucide on est immédiatement tenté de penser que seul
le souvenir de la vie de veille lui permet de se maintenir.

B. Se souvenir de sa vie de veille


Nous avons vu qu'en lui-même le souvenir de la vie de veille est insuffisant pour être
lucide en rêve, puisqu'il peut fort bien être présent chez le rêveur ordinaire de la façon la plus
nette. Toutefois, sa présence semble quasi-obligatoire dès qu'apparaît la lucidité. En effet, le
rêveur reconnaît généralement le rêve pour ce qu'il est à partir du moment où il dispose de
points de repère : une incongruité onirique, la qualité rêvée de l'expérience n'apparaissent
telles qu'à la lumière de la comparaison avec le souvenir de la vie de veille ; et même si ces
premières comparaisons s'estompent dans la suite du rêve ou encore si le rêve ne donne
aucune raison de le prendre en défaut, c'est apparemment le simple souvenir de l'existence
de la vie de veille qui permet au rêveur d'apprécier son état. Ce souvenir peut être tout à fait
sûr, comme dans le cas de Tart, ou incertain, comme dans celui de Gillespie (« Par exemple :
je n'avais aucune difficulté avec la mémoire courante, mais quand j'essayai - après avoir
beaucoup bougé dans mon sommeil - de me rappeler où je me trouvais, je n'y parvins
[164]
pas » ) ; il peut prendre la forme d'une évocation précise ou d'un sentiment vague, mais
même lorsque le rêveur lucide, pris par l'action du rêve, ne s'y reporte pas, il semble logique
de supposer qu'il se situe à l'arrière plan de sa conscience et contribue au maintien de la
lucidité. La querelle entre Tart et Gillespie fait cependant surgir une question : quel est le
minimum de mémoire impliqué par la lucidité ? Car la comparaison, même implicite, de la
situation du rêve avec la vie de veille suppose dans ce domaine un seuil qu'on pourrait croire
constitué par le souvenir de s'être endormi. Or, en tentant de répondre à cette question
apparemment simple nous allons être amenés à nous demander si le souvenir de la vie de
veille est nécessairement impliqué par la lucidité.

Nous avons pu saisir l'importance du souvenir dans le déclenchement de la lucidité


onirique, lorsqu'il qu'il permet au rêveur de comparer le rêve avec l'état de veille pour lui
faire prendre conscience de son oniricité. Cependant, il s'agit là de comparaisons
"ponctuelles" qui, le plus souvent, s'effacent aussitôt la lucidité obtenue, les anomalies du
rêve tendant également à disparaître à ce moment. Ainsi ce n'est pas ce type de comparaison
précise qui maintient la lucidité, mais une comparaison plus diffuse, plus implicite, avec l'état
de veille. Quelque chose qui, dans la texture de l'expérience, ne concorderait pas avec un
souvenir d'ensemble, se chargerait de rappeler ou plus exactement de maintenir un
sentiment d'oniricité, de même que l'utilisation automatique de nos sens à l'état de veille
nous indique que nous sommes éveillés, sans que nous ayons pour cela besoin de nous
référer à tel ou tel rêve particulier. Si un sentiment d'oniricité peut être aussi difficile à cerner
qu'un sentiment d'éveil, on peut néanmoins se demander si certaines situations, dans
lesquelles le rêveur se sent dans un état particulier, n'entrent pas dans cette catégorie. Cet
état, nécessairement ressenti par le rêveur comme différent de celui de la veille, prend des
formes variées : sentiment d'être engourdi, hypnotisé, euphorique ou terrifié au-delà du
possible. Il s'agit, malgré l'utilisation du vocabulaire emprunté à la vie de veille, d'états
psychologiques (souvent accompagnés de sensations qui n'existent qu'en rêve, comme le
sentiment d'apesanteur) qui n'y ont aucun équivalent sur le plan de l'intensité. La
comparaison porterait donc, implicitement, non uniquement sur la nature de l'état lui-même,
mais avant tout sur la force avec laquelle il saisirait le rêveur et qui, à l'état de veille, lui
ferait certainement franchir les barrières de la folie.

« Rêve lucide : Je suis paralysé dans mon corps. Je sais que je


ne dois pas sortir. Je panique parce que je ne peux pas bouger. Je
veux entrouvrir la porte pour appeler ma mère. Puis je songe à passer
à travers le plancher pour appeler J…. Mais ça me ferait descendre au
lieu de monter et de plus je ne veux pas m'éloigner de mon corps. Je
crie: "Maman!", mais ma voix est étouffée et ne sort pas. Enfin dans
[165]
un grognement plus fort je réussis à sortir de ma paralysie » .

Dans ce rêve, où le déclencheur de la lucidité n'est pas mentionné, c'est l'état tout
entier qui maintient la conscience qu'il ne s'agit pas de la veille : le rêveur sait qu'il n'est
paralysé que par rapport à un état de conscience précis, celui de l'éveil, puisqu'il "songe à
passer à travers le plancher" mais ne veut pas "[s]'éloigner de son corps". Il n'a donc aucun
besoin de se rappeler qu'il rêve car la situation onirique elle-même s'appuie sur une
comparaison constante entre le monde de la veille dans lequel le rêveur est paralysé et celui
du rêve dans lequel il peut se déplacer à sa guise. Les situations de ce genre peuvent prendre
des formes variées qui présentent néanmoins des points communs.
Rêve lucide : Je sors de ma chambre mais je suis possédé par
un autre esprit. Je rencontre ma sœur dans le couloir. L'esprit utilise
mon corps (astral) pour essayer de lui faire peur. Il fait la grimace,
ouvre la bouche pour montrer ses crocs de vampire, puis il éclate d'un
rire niais pour faire croire que c'est une plaisanterie. Moi, prisonnier à
l'intérieur de mon corps (astral?) j'essaie de dire à ma sœur qu'il faut
[166]
contacter "P… A…" mais je ne peux parler .

Dans ce rêve lucide la comparaison avec la vie de veille est présente de façon
sous-jacente en raison de la situation même, sans que le rêveur ait à faire un effort
particulier pour réfléchir ou se souvenir. On peut constater par ailleurs que de tels états ne
suffisent pas à déclencher la lucidité (la plupart des rêves de vol et de paralysie ne sont pas
lucides, par exemple) mais qu'en revanche ils semblent suffire à la maintenir une fois qu'elle
est apparue. Ainsi le rêveur qui, se rendant compte qu'il rêve, se met aussitôt dans un de ces
états caractéristiques (par exemple s'envole ou sort de son corps) a toutes les chances de
maintenir sa lucidité car la comparaison avec l'état de veille est alors continue, bien
qu'implicite. En revanche, lorsque le rêveur agit différemment, il tend à perdre la lucidité.

« Prélucide : Dehors en compagnie d'une fille. Nous nous


apprêtons à entrer dans un temple ou un musée. Une fois à l'intérieur
je suis un peu déçu par ce qui s'y trouve, car je m'étais représenté
quelque chose de mieux. Des travaux de rénovation sont en cours. Je
ne marche pas mais me laisse traîner par la fille, en oblique par
rapport au sol. Dans ma position je ne la vois pas et ne peux la voir.
Puis je la vois alors que je continue à être traîné. Je sais alors que je
commence à léviter (puisque ma position s'est modifiée d'elle-même)
et donc à faire un rêve lucide.

« Rêve lucide : Je m'envole et rejoins ma mère. Je lui


demande ce qu'il en est pour l'a… Sa réponse est évasive. Je réplique
que c'est qu'elle ne veut pas me répondre, que c'est non. Comme je
sais que c'est un rêve, je veux à tout prix savoir. Elle me dit alors la
raison de son attitude : elle trouve que je suis trop radin. Je n'ai pas
payé mes dettes. Ni à elle, ni à ma sœur. Je suis très surpris. Je n'ai
pas pensé à terminer mon courrier (lequel inclut les chèques que je
dois leur remettre), mais cela ne signifie pas que je suis radin. Elle me
dit qu'il y a des détails auxquels je ne pouvais pas penser.

« Faux-éveil : Je me réveille et dis à Maman que je lui dois de


l'argent. Mais elle ne pense pas à ça, plutôt à nous faire les courses
ou à manger. Néanmoins ma sœur demande de l'argent parce qu'elle
[167]
et A… n'en ont pas assez » .

Dans ce rêve la lucidité débute avec la reconnaissance d'une anomalie qui s'explique
immédiatement par un état caractéristique du rêve, la lévitation. Mais dans la mesure où le
rêveur délaisse bientôt cet état pour des activités plus proches de l'état de veille, il finit par
perdre la lucidité, ce qui se traduit par un faux-éveil dont la continuité thématique ne suscite
pas l'étonnement du rêveur. La lucidité aurait probablement persisté si le rêveur avait
poursuivi des activités oniriques le maintenant dans l'état qui était le sien au moment de la
prise de conscience, c'est-à-dire en continuant à flotter ou à voler. On peut donc supposer
qu'en dehors d'indices extérieurs la lucidité ne se maintient qu'en raison d'un état particulier
psychologique ou physique (dans le rêve), même si cet état n'apparaît pas toujours avec
l'évidence des exemples donnés plus haut.

Cependant, il est des cas où de tels états, décelables ou non, sont inutiles, car c'est le
rêve qui se présente constamment au rêveur comme tel. Il ne s'agit plus alors seulement de
l'anomalie qui déclenche la lucidité, mais une fois que celle-ci est apparue, le rêve continue à
fournir régulièrement des situations incongrues par rapport à la vie de veille, comme s'il
voulait aider le rêveur dans son entreprise de comparaison.

« […] Lucidité : J'ai renversé, je ne sais comment, une pile de


cartons qui se trouvaient au-dessus de l'armoire à droite du lit. Ça ne
peut être qu'un rêve. Je décide de passer à travers la porte et je
baisse la tête pour la faire passer en premier. Mais je la retire car ça
ne me semble pas être un procédé tout à fait sûr. Ce que je vois
autour de moi est un rêve, ou bien c'est le monde éthérique. Il faut
que j'ouvre les yeux pour voir ce monde tel qu'il est.

« Je m'efforce de le faire et passe dans le couloir. L'idée d'aller


dans la chambre des parents pour les réveiller et entrer en contact
avec eux dans cet état m'effleure mais je l'abandonne [je ne me
souviens pas qu'ils sont partis à la campagne]. Je vais dans l'autre
sens. Du côté des W.-C. la porte est ouverte et tout est en désordre.
(Une sorte de tuyau ressort ?). Plus loin je trouve la cuisine changée.
Elle est beaucoup plus grande que d'habitude mais la fenêtre est plus
étroite. Je réfléchis sur ce problème en lui attribuant une signification
psychologique : des capacités élargies mais un manque d'ouverture
sur l'extérieur. Dans l'ensemble tout est plutôt gris ou sombre au
point de vue couleurs. De retour dans le salon je rencontre ma mère.
[168]
Je lui parle du problème de la cuisine. […] »

Les différents éléments de ce rêve sont en décalage par rapport à la vie de veille du
sujet (une pile de cartons, des toilettes en désordre, une cuisine trop grande…) et le rêveur
ne peut faire autrement que de maintenir sa lucidité à partir de cette succession d'éléments
incongrus. Ce type de rêve se manifeste surtout lorsque le rêveur se sent tellement conscient
qu'il est prêt à se croire dans un autre monde, ce qui est presque le cas ici ("ou bien c'est le
monde éthérique") ; les anomalies du rêve semblent alors destinées à infléchir son jugement
dans un certain sens.

Toutefois, si des états oniriques internes particuliers, évidents ou non, ou des


anomalies répétées mettent à l'épreuve de façon constante et automatique la comparaison
avec le souvenir de la vie de veille, n'y a-t-il pas des cas où, une fois la lucidité déclenchée,
rien dans le rêve ne permettrait de la maintenir ? Le rêveur serait alors responsable de sa
lucidité et ce serait à lui de fournir un effort volontaire pour la conserver. Ce type de situation
expliquerait les rêves de Gackenbach au cours desquels elle doit se répéter constamment
qu'elle rêve pour réactualiser la comparaison et ne pas être réabsorbée par la conscience
onirique ordinaire. La différence entre elle et Wolf tiendrait en quelque sorte au degré de
coopération du rêve et expliquerait que l'effort de comparaison (et donc l'appel au souvenir)
soit sans commune mesure dans l'un et l'autre cas. Lorsque le rêve participe au maintien de
la lucidité, la qualité aussi bien que la somme des souvenirs requis semble peu importante,
au point que l'élément minimum de souvenir de la vie de veille nécessaire pour procéder à la
comparaison est parfois difficile à déterminer.

Pour y parvenir il faut s'intéresser au terme du rapport que nous avons jusqu'à
présent tenu pour admis, le souvenir de la vie de veille, et préciser ce qui, en lui, permet de
maintenir une comparaison constante, implicite ou explicite. A première vue on est tenté
d'accorder ce rôle aux contenus du souvenir, comme cela se produit pour le déclenchement
de la lucidité : chaque élément du rêve serait comparé, nettement ou fugitivement, à son
homologue de la veille. Cette situation est certes possible mais un examen plus attentif
montre qu'elle n'est pas représentative. On peut tout d'abord constater que bien souvent les
modifications incessantes du rêve, ou sa forme même, ne permettent pas de supposer une
comparaison terme à terme. Il faut alors admettre que la comparaison est de nature générale
et non particulière. Ainsi les rêves dans lesquels le rêveur agit naturellement, d'une façon
essentiellement différente de la vie de veille (comme voler dans les airs), s'appuient sur une
comparaison implicite qui ne demande aucun souvenir précis (puisqu'à l'état de veille
l'homme n'essaye pas de voler par lui-même), mais en quelque sorte uniquement celui des
"règles" de l'état de veille. Une autre constatation nous amène également à remettre en
question l'idée d'une comparaison terme à terme : le terme vigile de la comparaison fait
parfois complètement défaut, ne serait-ce que parce que le souvenir du rêveur est erroné
(dans le rêve précédent il ne se rappelle pas que ses parents sont partis), voire absent (tel
Gillespie ne parvenant pas à se souvenir où il dort). Ce n'est alors pas la comparaison avec
des données précises du souvenir, mais son simple exercice "formel" qui, en s'appuyant sur
une mémoire réduite, permettrait à la lucidité de se maintenir. S'il en est ainsi, on ne peut
plus soutenir que le rêve est plus ou moins lucide en fonction de la qualité du souvenir,
puisque le contenu du souvenir joue un rôle secondaire par rapport au fait du souvenir
lui-même. Cette idée peut engendrer une certaine réticence, car si elle était exacte, le
souvenir de la vie de veille pourrait s'avérer non essentiel à la lucidité. Or, c'est bien ce qui se
produit dans certaines circonstances.

Nous avons vu en effet, dans certains cas de déclenchements, que la comparaison


porte parfois non sur la veille, mais sur un autre rêve (comme par exemple lorsque le rêveur
[169]
reconnaît un rêve déjà fait ). La veille est alors présente comme médiatrice du souvenir
du rêve, mais pas en tant que telle, et n'intervient dans la comparaison que comme attribut
de l'autre terme de la comparaison : le rêve remémoré l'est en tant que souvenir d'un
souvenir précédent. Toutefois, même si une telle situation se présentait dans le maintien de
la lucidité au cours du rêve, elle ne renverrait encore qu'à un seuil plus bas de mémoire
requise de la vie de veille, mais pas à son absence complète. La situation serait différente si
le souvenir était entièrement obtenu à partir d'un rêve précédent non remémoré dans l'état
de veille, phénomène par ailleurs attesté dans les rêves ordinaires :

« Je rêve une nuit que je viens d'assister à une scène de


jalousie et de violence à la suite de laquelle un meurtre est commis
sous mes yeux. Je m'éveille sous l'influence de la vive émotion que
j'en éprouve, et cependant tout cela semble si vite effacé de ma
mémoire que je ne trouve rien à consigner dans le journal de mes
rêves, si ce n'est le seul fait de la rapidité avec laquelle le souvenir
s'en est évanoui. Plusieurs semaines s'écoulent. Je fais alors un
second rêve, où je me crois appelé en justice pour témoigner de ce
que j'ai vu. Je me rappelle à merveille, dans ce second rêve, et les
moindres détails de la querelle, et la figure de la victime, et celle de
[170]
son meurtrier » .

Si le rêveur peut se souvenir en rêve d'un rêve précédent sans passer par la médiation
de l'éveil, ne peut-il pas également devenir lucide en s'aidant du souvenir d'un rêve
précédent ? Apparemment cette question est incohérente, car normalement la lucidité ne
peut apparaître que si l'autre terme de la comparaison permet de le révéler comme tel, ce
qu'un autre rêve ne semble pas permettre. L'état de veille ne saurait donc être contourné.

Cependant, nous avons vu que ce n'est pas l'état de veille lui-même qui sert
d'élément de comparaison, mais plutôt l'idée que l'on s'en fait, et cette idée pourrait tout
aussi bien qualifier un autre rêve. Or, de tels cas peuvent se présenter dans lesquels le
rêveur se souvient non pas de sa vie de veille mais d'un autre rêve qu'il confond avec l'état
de veille et qui lui permet malgré tout de savoir que son expérience en cours est un rêve. Le
souvenir de la vie de veille réelle est alors complètement absent malgré la présence de la
lucidité.

« Je rêvai que je me trouvais dans la maison de quelqu'un


d'autre et que je décidais de faire un rêve lucide. Dans le rêve, je
n'étais pas couché dans un lit ; je posai la tête sur la table et me
détendis. Soudain, je m'aperçus que j'étais en train de rêver
lucidement. Je me souviens d'avoir pensé quelque chose comme
cela : "Ah, comme c'est réaliste! Si je ne savais pas que je suis en
train de rêver, je pourrais croire que ça m'arrive vraiment! ».

« Dans la partie lucide du rêve, je me répétai, en fait, mon


rêve lucide du 7 juillet 86, mais seulement à son début. Au cours de
cette re-production, quelque chose (dans le rêve) me dérangea et je
"m'éveillai" dans un rêve non lucide, mais sachant, pourtant, que je
venais de faire un rêve lucide. Peu de temps après, je m'éveillai pour
de bon ».

J'ai classé ce qui précède sous le titre de "rêve d'un rêve


lucide". En effet, ce que je croyais être la réalité faisait partie, en fait,
d'un autre aspect du rêve. Je croyais que j'étais réellement dans la
maison de quelqu'un et que je décidais d'y rêver. La séquence de rêve
lucide était tout à fait semblable à d'autres du même type, bien que
[171]
mon idée de ce qui constituait la réalité fut erronée.

Le sujet est perplexe car son rêve lucide est bel et bien un rêve dans lequel il a
conscience de rêver ("la séquence du rêve lucide était tout à fait semblable à d'autres du
même type") mais cette conscience s'exerce par rapport à un rêve ordinaire considéré
comme étant la réalité. Pour cette raison il hésite à le qualifier de rêve lucide mais préfère
parler de "rêve d'un rêve lucide", faisant alors dépendre la caractérisation de son expérience
non de sa qualité conscientielle mais d'une conception métaphysique qui lui est étrangère. En
fait ce type d'exemple confirme que ce n'est pas le souvenir de la vie de veille dans ses
caractéristiques particulières qui importe mais plutôt la notion de veille en elle-même en tant
qu'elle inclut dans sa conception la relativisation du rêve. Ce dont on se souvient est somme
toute secondaire pour permettre à la lucidité de s'exercer du moment qu'elle peut s'appuyer
sur l'idée d'une réalité, quelle qu'elle soit, et surtout quel que soit le jugement que nous
portons sur cette "réalité" à l'état de veille. On peut d'ailleurs constater que d'autres rêveurs
considèrent de tels rêves comme tout à fait lucides.

« Je suis dans une pièce avec d'autres membres du groupe du


rêve lucide. Je suis plus ou moins allongé sur un lit. La pièce fait
penser à une chambre d'hôpital. Elle est relativement étroite pour le
nombre que nous sommes. J'entends dehors dans le couloir la voix de
M… L… qui parle avec quelqu'un qu'il a fait venir. Il lui demande s'il
faut mettre un vêtement spécial, une sorte de robe, pour certaines
opérations magiques. Les deux entrent dans la pièce. L'autre est un
yogi grand, au visage long et peu expressif, taillé comme une statue
(visage de shivaïte). Il s'appelle Mutananda (?). Il s'approche de moi
car sur l'impulsion de M… il va faire une expérience sur moi. Je dis
mon nom pour me présenter, et je le répète parce que je ne l'avais
pas bien articulé. Il se penche sur moi et me souffle dans les yeux.
Immédiatement je sens une grande torpeur m'envahir. Je ne croyais
pas que ça allait m'arriver immédiatement. Je pensais qu'il allait me
faire une relaxation. Il y a donc bien des gens qui ont un tel pouvoir.
J'ai un pied qui glisse plus ou moins du lit mais je décide de me laisser
aller. Je reste conscient mais glisse dans un rêve.

« J'entre dans un rêve lucide. Je ne sais pas ce que le yogi va


faire avec mon corps pendant ce temps. Je ne m'en inquiète pas trop.
Je pensais qu'il ne pourrait pas m'hypnotiser facilement. Mais en fait
plutôt que de me réveiller je préfère faire l'expérience du rêve lucide.
[Je sais que je rêve, mais par rapport à un rêve précédent]. Je suis
dans le bâtiment, à l'étage du dessus. Il fait plutôt obscur et je décide
de sortir. Dehors il y a du soleil. Le décor est plus ou moins vide. Je
décide de monter vers le soleil. Je me rappelle que d'après Lefébure il
faut monter le plus haut possible et même aller dans le soleil. Je
prends mon envol et monte jusqu'au soleil. Il a des granulosités
rectangulaires [comme un phosphène]. J'arrive jusqu'au soleil, il est
plus petit que moi, c'est-à-dire que je peux saisir le cadre qu'il est et
à travers lequel je regarde. C'est comme s'il y avait quelque chose de
liquide à l'intérieur sans que ce soit là. Ensuite je redescends et me
retrouve à nouveau dans le bâtiment. Ou alors j'y suis déjà. Là, il fait
de nouveau obscur.

« Mon pied finit de glisser du lit et je me réveille. Puis je suis


avec les autres: A…, etc. et je fais comme si de rien n'était. Je suis
dans une grande salle et je veux passer à côté. La salle à côté est une
sorte de cantine. Nous sommes dans une cantine et nous allons
manger. M… L… est là aussi. Finalement je lui demande le but de
l'expérience du yogi sur moi. Il me répond que c'était de me faire
atteindre l'état de conscience turiya. Je réponds qu'il n'a pas réussi.
- Ha Ha, dit M…. Mais je veux expliquer que j'étais quand même
[172]
lucide » .
Le passage lucide qui s'intercale dans un rêve ordinaire sans aucune référence à l'état
de veille réel est qualifié de "rêve lucide" par un sujet qui a par ailleurs l'expérience de rêves
lucides plus orthodoxes. De façon générale les rêveurs lucides ne constatent pas de
différence conscientielle entre ce type d'expériences et les autres, ce qui montre que le
contenu du souvenir ne joue qu'un rôle auxiliaire, celui de donner au sujet le sentiment qu'il
"connaît" la réalité dont dépend l'expérience en cours. La qualité du souvenir n'a donc pas
l'importance que supposent les tenants de la lucidité "forte", pas plus d'ailleurs que la
conscience de veille qui ne pourrait se maintenir sans la mémoire adéquate. La vie de
veille réelle cesse d'apparaître comme une référence absolue pour la lucidité au cours de
laquelle le sujet semble n'avoir besoin que de croire en la réalité d'un autre état non présent
pour la manifester.

Toutefois, si le souvenir est moins important que la comparaison qu'il permet de


déployer, cela ne signifie-t-il pas que la faculté dont dépend cette dernière, la faculté de
raisonner, est le seul auxiliaire réellement indispensable pour que se maintienne
l'intuition qu'il s'agit d'un rêve ?

C. Disposer de sa faculté de raisonner


L'attention portée à la faculté de raisonner dans le rêve lucide est avant tout de nature
discriminante : on a le net sentiment qu'en la mettant en avant les premiers
expérimentateurs voulaient montrer à quel point le rêve lucide différait du rêve ordinaire. Si
en effet le rêveur "s'éveille" dans le rêve, cette faculté jusqu'alors nécessairement absente ou
émoussée (puisque, pense-t-on, le rêveur ordinaire n'est pas capable de faire preuve de
discernement) remplit à nouveau des fonctions qu'on tend à considérer comme inséparables
de toute conscience claire - à laquelle certains textes tendent même à l'assimiler. Toutefois,
on peut aisément constater, en s'observant à l'état de veille, que "être pleinement conscient"
ne se réduit pas à "raisonner clairement", mais que néanmoins cette faculté, quand elle ne
s'exerce pas, est potentiellement présente. Il en irait de même dans le rêve lucide au cours
duquel la faculté de raisonner serait présente soit en exercice, soit potentiellement, et à ce
titre elle serait une condition bien plus déterminante que le souvenir de la vie de veille (réelle
ou rêvée) qui ne constituerait en somme pour elle qu'un terrain d'exercice.

Pourtant un examen attentif des récits de rêves lucides montre qu'une telle vision de
la situation est moins évidente qu'il n'y paraît et dépend fortement de la conception qu'on se
fait habituellement de cette faculté de raisonner. Pour les tenants de la lucidité "forte",
comme Tart, il est manifeste que cette faculté est celle de l'état de veille, et même les
partisans de la lucidité "faible", tel Gillespie, attribuent en partie ce degré moindre de
[173]
conscience à un amoindrissement de cette faculté . Or, il est arbitraire de considérer que
le pouvoir de raisonner est uniquement l'apanage de la conscience éveillée, et par suite de la
conscience lucide. En effet si, au lieu de maintenir la comparaison entre la veille et le rêve
lucide et d'interpréter toute baisse de la rationalité comme une retombée vers le rêve
ordinaire, on se penche plutôt sur le rêve ordinaire lui-même, on s'aperçoit que le
raisonnement peut non seulement y être présent mais jouer son rôle sans faille, comme l'a
remarqué Hervey de Saint-Denys qui conteste l'opinion selon laquelle « le pouvoir de
raisonner juste et de porter des jugements réfléchis était dénié, par un grand nombre
[174]
d'auteurs, à l'esprit de l'homme endormi » et à laquelle il oppose des récits de rêves qui
la contredisent.

« Je me crois au tir. J'ai déjà tiré deux coups de pistolet dont


les balles ont laissés leurs traces du côté de la mouche. Je tire un
troisième coup et, dans le même instant, j'entends des cris plaintifs.
J'ai tout d'abord une vive émotion, par la crainte d'avoir blessé
quelqu'un ; mais en regardant la plaque j'aperçois la marque de ma
dernière balle. Puisqu'elle s'est aplatie sur la plaque elle ne saurait
avoir blessé personne. Je suis donc rassuré sur le fait de ma
responsabilité personnelle ; et je remets de sang-froid mon pistolet
aux mains du garçon de tir, en m'informant près de lui de la cause
[175]
des cris que j'ai entendus » .

Ce rêve n'est pas lucide si l'on en croit la "vive émotion, par la crainte d'avoir blessé
quelqu'un" qui saisit d'abord le marquis, mais le raisonnement y est aussi juste qu'à l'état de
veille. Si la faculté de raisonner, tout comme le souvenir, n'est pas absente du rêve ordinaire,
elle n'est donc pas la marque obligée, potentielle ou en acte, de la conscience lucide. Certains
auteurs ne l'en considèrent pas moins comme une condition indispensable pour la
manifestation de la lucidité dans la mesure où elle revêt une forme particulière, celle de la
"faculté critique".

La faculté critique se manifeste avant tout dans la reconnaissance des incongruités et


donc dans le déclenchement de la lucidité onirique. C'est sur ce terrain qu'Oliver Fox, le
premier, a tenté d'en préciser le rôle par rapport au rêve et à la lucidité, mais sa description
correspond tout aussi bien à des niveaux de rêves dont le degré de conscience va croissant :
« Pour obtenir le Rêve de Connaissance nous devons développer la faculté critique qui semble
être dans une large mesure inopérante en rêve, et ici également des degrés d'activité sont
manifestes. Supposons, par exemple, que dans mon rêve je suis dans un café. A une table
près de la mienne se trouve une dame qui pourrait être très séduisante - à ce détail près
qu'elle a quatre yeux. Voici quelques illustrations de ces degrés d'activité de la faculté
critique : (1) Au cours du rêve, elle est pratiquement en sommeil, mais au réveil j'ai le
sentiment qu'il y avait quelque chose de particulier au sujet de cette dame. Soudain je
comprends : " Bien sûr, elle avait quatre yeux! ". (2) Au cours du rêve, je manifeste une
légère surprise et dit : " Comme c'est curieux, cette fille a quatre yeux! Cela lui gâche le
visage ". Mais seulement de la même façon que j'aurais pu remarquer : " Quel dommage
qu'elle se soit cassé le nez! Je me demande comment ça lui est arrivé. " (3) La faculté
critique est plus éveillée et les quatre yeux sont considérés comme anormaux. Mais le
phénomène n'est pas pleinement apprécié. Je m'exclame " Mon Dieu! " puis me rassure en
ajoutant : " Il doit y avoir un spectacle de monstres ou un cirque en ville. " Ainsi je suis à
deux doigts de comprendre, sans pour autant y parvenir. (4) Ma faculté critique est
maintenant pleinement éveillée et refuse de se satisfaire de cette explication. Je continue
mon enchaînement d'idées : " Mais un tel monstre n'a jamais existé! Une femme adulte avec
[176]
quatre yeux - c'est impossible. Je suis en train de rêver" » . Alors que la faculté de
raisonner peut se trouver aussi bien dans le rêve ordinaire que dans le rêve lucide, la faculté
critique, qui en est une forme spécialisée, ne peut se manifester sans que soit en même
temps présente la lucidité.

Cela signifie-t-il pour autant qu'elle est une dimension de la lucidité elle-même, c'est-
à-dire un élément indispensable à sa caractérisation, comme semble le penser Oliver Fox ?
S'il en était ainsi la faculté critique devrait se maintenir tout le temps que dure la lucidité. Or,
l'examen des récits nous montre des rêves au cours desquels la faculté critique est
intermittente tandis que la lucidité se poursuit de façon continue, comme par exemple dans
[177]
un rêve cité plus haut dans lequel le rêveur se rend compte qu'il rêve à la suite d'une
incongruité ( la présence inexplicable d'une pile de cartons ) et continue tout au long du rêve
à rencontrer des anomalies qu'il identifie comme telles ( désordre, cuisine trop grande… )
mais échoue à remettre en cause la présence d'un parent pourtant absent à l'état de veille -
et malgré cela il reste lucide puisqu'il lui expose la situation présentée par le décor du rêve.
La lucidité peut donc se manifester en dehors de la faculté critique et cette dernière s'avère
alors avoir un caractère accidentel. On peut même aller plus loin et remettre en question
l'autre versant du rapport qu'établit Oliver Fox selon lequel il ne saurait y avoir de faculté
critique sans lucidité. Il est en effet manifeste qu'il comprend essentiellement cette faculté
comme une capacité à juger de l'impossibilité d'un événement onirique. Or, le jugement
d'impossibilité peut très bien s'établir en rêve sans mener à la conclusion qu'il s'agit d'un
rêve, ou plus encore s'établir à partir de prémisses fausses.

« […] Je deviens alors un autre personnage, moi-même en


l'occurrence, je suis resté en ville et j'ai appris la mésaventure de
Tintin et du capitaine et je décide de les aider. J'en parle à un ami
habitant la ville qui accepte de m'aider. Dès cet instant nous devons
prendre des précautions. La personne qui m'aide me propose d'aller
chez elle par une voie détournée connue d'elle seule. Nous nous
mettons en route par des ruelles tortueuses et sombres. A un moment
donné il faut passer devant un grenier! Il monte le premier mais dans
le noir il heurte un corps endormi. L'homme s'éveille et grogne,
devient menaçant, et bien sûr nous empêche de passer. Mon
compagnon préfère battre en retraite. L'autre s'énerve, accuse et dit
que de toute façon il retrouvera mon compagnon car il a senti
quatorze doigts sur ses mains (ce qui me paraît invraisemblable).
Nous rebroussons chemin. Je pense alors que six doigts par main ça
[178]
peut exister, mais sept ? […] »

On pourrait penser que, si ce rêve n'est pas lucide, c'est parce que la faculté
critique qui s'y manifeste n'est pas complètement éveillée et que l'on a affaire à l'étape
précédente mentionnée par Oliver Fox. Cependant, il ne peut en être ainsi car ce qui
distingue cette étape de la dernière c'est que le rêveur y rationalise l'aspect considéré comme
anormal. Or, dans ce rêve l'aspect invraisemblable est clairement énoncé ("il a senti quatorze
doigts sur ses mains (ce qui me paraît invraisemblable)") et aucune rationalisation
n'intervient. La faculté critique qui juge de ce qui est impossible peut donc se manifester en
dehors de la lucidité, et pas toujours de façon appropriée, comme le montre le
récit précédent. Ce n'est donc pas la faculté critique qui soutient la lucidité, et on est tenté de
penser que l'inverse est vrai : ce serait plutôt parce qu'il est lucide qu'un rêveur peut
discerner ce qui est réellement possible de ce qui ne l'est pas.

Pourtant, même si ce type de rapport est souvent présent dans les récits, il n'a pas un
caractère de nécessité, car le sens critique ne concerne pas uniquement la perception
onirique. De plus, on peut se savoir en train de rêver mais se trouver dépourvu de tout sens
critique sur ses propres possibilités : « Dans un rêve, qu'il soit ordinaire ou lucide, j'ai
toujours l'impression que mon mental fonctionne comme à l'état de veille. Ce n'est qu'après
m'être réveillé que je peux réfléchir sur l'expérience onirique et constater que mes capacités
mentales étaient, en fait, limitées. Pendant le rêve, je ne possède pas le discernement qui me
permettrait de reconnaître ces limitations. Je crois que mes souvenirs sont exacts, je prépare
avec assurance mes prochaines actions et je porte des jugements sans hésiter. Après le rêve,
mon seul souvenir sera peut-être d'avoir eu cette foi bien établie dans la validité de mes
facultés mentales. Je connais cependant leurs limites pour m'être mis à l'épreuve au cours de
[179]
mes rêves lucides » . Le jugement du rêveur lucide n'est pas un jugement sûr simplement
en raison du fait qu'il est conscient de rêver, et seule l'expérimentation lui permet de décider
en dernier ressort quelles sont les possibilités qui lui sont ouvertes.

Ainsi ni la faculté de raisonner, ni la faculté critique n'entrent à titre de composant


essentiel dans la lucidité.

D. Disposer de sa volonté
Une autre faculté accompagne régulièrement la conscience de rêver, c'est le pouvoir
qu'a le rêveur devenu lucide de prendre des décisions qui modifient sa situation onirique, ou
plus exactement - car cette capacité se manifeste également dans le rêve ordinaire - d'en
élargir la portée d'une façon qualitative. En effet si le rêveur ordinaire opère ses choix en
fonction de la seule situation onirique, le rêveur lucide tient compte de l'au-delà du rêve
qu'est l'éveil. Le choix des conduites possibles que peut adopter un rêveur lucide est
nécessairement plus large et peut entraîner des actions tout à fait inhabituelles dans le rêve
ordinaire. Cet élargissement de la décision volontaire est-il toutefois un élément lié à la
lucidité ou n'est-il que favorisé par elle comme le sont le souvenir de la vie de veille ou la
faculté de raisonner ? Il ne lui est assurément pas lié au sens où la lucidité l'impliquerait
nécessairement, car on trouve des récits de rêves lucides dans lesquels le rêveur ne prend
aucune décision et se laisse porter par le déroulement du rêve, soit qu'il se contente d'un rôle
de spectateur,

« Curieux rêve lucide après rendormissement le matin. Curieux


parce que, bien que lucide, la fin du rêve a été instantanément
oubliée.

« Le décor est un stade près de la Cité Universitaire, mais il n'a


pas beaucoup d'importance. Je sens "quelqu'un, pas moi" au niveau
de la gorge. Je lui laisse la place pour tenter de mieux le voir, ou le
sentir. C'est quelqu'un de très jeune, avec plein d'illusions encore,
mais aussi une audace qu'on n'a plus par la suite, dans l'âge mûr. (Il
est prêt à tout parce qu'il est ignorant). Je le "suis" avec curiosité
dans un double sens du mot : "suivre" et "être". La conscience de ce
jeu de mots existait dans le rêve.

« Il-je s'élève en biais. Sa trajectoire (lente) le-nous conduit


dans des régions très intérieures. Du niveau de la gorge, on est passé
à celui de l'estomac, où il y a beaucoup de désordre.

« On approfondit encore, découvrant des choses que j'ai très


bien perçues dans le rêve lucide, mais je me suis éveillé tout de suite
[180]
après. Impossible de me souvenir de ce que je venais de voir » .

soit qu'il continue à participer au rêve comme si rien n'avait changé, souvent par
[181]
curiosité .

En revanche, lorsque ce pouvoir se manifeste, il semble bien dépendre de la lucidité


puisque son exercice suppose la connaissance d'un au-delà du rêve. La décision influe alors
manifestement sur le cours du rêve en ce sens qu'elle l'oriente dans une direction qu'il
n'aurait pas pris autrement.

« […] Or, continuant à raisonner sur mon état, je me dis que,


si je suis lucide en rêvant, j'ai la possibilité de faire ce que je veux en
rêve et je décide alors de voler. Je me transporte instantanément sur
une grande plage en Afrique, je me mets à courir à très grande
vitesse, et d'un coup je me retrouve à voler au-dessus de la plage. Je
vois les palmiers, le sable. Après un vol assez court j'atterris et me dis
que la course à grande vitesse a du bon -, aussitôt je m'en offre une
tranche. Quand je m'arrête, je reviens dans mon lit, je m'éveille
[182]
alors » .

Ce récit montre une modification nette de la scène onirique et du déroulement du


rêve : ayant pris la décision de voler, le rêveur se retrouve aussitôt sur une plage d'Afrique
sans rapport avec la chambre dans laquelle il était précédemment allongé. Il s'agit là d'une
décision "ouverte", en ce sens qu'elle ne résulte pas d'une réaction à une situation onirique
particulière, elle n'est en quelque sorte que l'exploitation immédiate de l'état de lucidité. Dans
le cas où le rêveur prend une décision pour répondre à une situation donnée, la connaissance
qu'il a de son état lui permet d'élargir la gamme de ses conduites, qu'il cherche par exemple
tout simplement à s'éveiller, ou encore qu'il décide, comme Hervey de Saint-Denys,
d'affronter les hideux démons de son mauvais rêve. Il peut aussi mettre au défi le rêve
lui-même en s'engageant dans des actes contradictoires dont le marquis a le premier donné
[183]
le modèle en tentant de se tuer en rêve . Dans certains cas la décision du rêveur semble
mettre en jeu non pas uniquement les éléments ou les événements oniriques, mais
[184]
l'ensemble du rêve lui-même comme lorsque son côté ridicule l'incite à en changer .

L'importance des transformations oniriques qu'entraîne cette capacité de prendre des


décisions peut inciter à voir en elle un pouvoir de contrôle de ses actes et de son
environnement, ce que Tart n'hésite pas à affirmer : « Le rêveur lucide possède souvent un
certain pouvoir de contrôle volontaire de son monde de rêve. Il y entreprendra des actions
"magiques" selon les standards de la vie éveillée, opérant, par exemple, des modifications
[185]
"physiques" du monde onirique, comme une sorte de "psychokinèse expérimentale" » .
Un contrôle du contenu du rêve serait donc corrélatif de la lucidité, à condition, comme nous
l'avons déjà remarqué, de ne pas comprendre ce lien comme essentiel. Charles
Tart remarque lui-même que « le contrôle des situations et des caractéristiques du rêve est
un aspect fréquent du rêve lucide, mais un tel contrôle ne constitue pas un indicateur
suffisant de lucidité onirique. Certains rêveurs peuvent apprendre à exercer sur leurs rêves
un contrôle volontaire partiel sans connaître le changement général d'état de conscience qui
[186]
constitue l'état de conscience discret du rêve lucide » . Il ajoute cependant aussitôt : « Le
degré élevé de contrôle volontaire qui se manifeste dans le rêve lucide suggère qu'il s'agirait
[187]
de la forme ultime d'un contrôle simultané du contenu » . Ainsi, s'il ne voit pas dans le
contrôle du rêve l'apanage du seul rêve lucide, il établit néanmoins des degrés dans la
capacité de contrôle, la lucidité permettant le contrôle le plus haut. Cela reviendrait à voir
dans des rêves contrôlés non lucides un acheminement non encore abouti vers la lucidité
puisque le contrôle "le plus haut" n'est pas atteint en rêve ordinaire. Le rêveur lucide est donc
doté par Tart d'une capacité de manipulation du rêve.

Toutefois, cette opinion s'avère erronée dès que l'on examine les récits des rêveurs :
elle se heurte aux rêves lucides dans lesquels aucun contrôle n'est possible. Elle pourrait
néanmoins trouver une justification dans l'idée d'un développement de la capacité de
contrôle : si en effet le rêveur lucide ne peut d'emblée contrôler le rêve, c'est souvent parce
qu'il doit d'abord développer les capacités adéquates : si un contrôle est possible il doit, dans
le cas où cela ne s'est pas déjà produit en rêve ordinaire, faire l'objet d'un apprentissage
onirique. Ainsi nombreux sont les rêves lucides au cours desquels les rêveurs ne peuvent
voler d'emblée mais sont obligés d'apprendre :

« Mes rêves de vol, comme ceux d'Arnold-Forster, furent la


source d'un apprentissage. Lors d'une glissade sur une pente en
position debout, je me suis aperçue que je pouvais contrôler ma
course en pointant une jambe dans la direction voulue. J'ai utilisé
cette découverte dans un rêve que je fis huit mois plus tard où je
m'occupais de mes plantes en volant dans une position verticale. En
dirigeant mes jambes, je pus régler le débit de l'eau s'écoulant par
mes doigts de pied et arroser ainsi convenablement chacune de mes
plantes. Au cours d'un autre rêve où j'échappai à un danger en
m'envolant, je me suis rendu compte que ma nouvelle position
aérienne constituait une meilleure position d'attaque. Ces
expériences, et bien d'autres encore, ont accru l'importance de mes
[188]
rêves de vol au sein de mes activités oniriques » .

Le contrôle dont un rêveur fait preuve en rêve n'est donc pas celui d'un démiurge sur
sa création.

La croyance répandue que le rêve puisse être entièrement manipulé par le rêveur
lucide montre apparemment que le phénomène est difficile à saisir pour ceux qui n'ont jamais
rêvé lucidement. Il est vrai qu'un choix onirique radicalement différent entraîne généralement
une situation onirique nouvelle, et que ces déviations par rapport à des rêves habituels
peuvent apparaître comme une forme de contrôle, mais cette apparence ne résiste pas à un
examen un peu attentif. En effet, on ne peut considérer que le rêveur lucide contrôle son
rêve que s'il peut en obtenir ce qu'il veut, ce qui n'est jamais le cas. Sans doute donne-t-il
une impulsion dans un sens, mais ce qui en résulte ne dépend pas de lui. La querelle qui s'est
élevée à ce sujet repose donc sur un manque d'expérience ou sur une confusion de
[189]
termes . Même lorsque la transformation du rêve semble la plus spectaculaire, on se rend
compte en l'examinant attentivement que la seule manipulation véritable est celle que le
rêveur exerce sur lui-même. Lorsque, dans l'exemple déjà donné, il abandonne un rêve
ridicule, il ne le modifie en rien mais c'est plutôt lui qui quitte la scène du rêve. Quant aux
décisions qui apparemment affectent le contenu du rêve, elles n'ont en fait aucune influence
directe sur le rêve : le rêveur peut bien décider de voler, ce n'est pas lui qui décide du décor
(une plage d'Afrique) dans lequel il va le faire ; ou encore il peut décider de faire face à ses
assaillants, mais il ignore ce qui va s'ensuivre. Le rêveur n'agit que sur lui-même et n'a pas
plus de prise directe sur le rêve qu'il n'en a sur les éléments de la vie quotidienne lorsqu'il est
éveillé. On pourrait cependant objecter les manipulations magiques où le rêveur fait
apparaître ou disparaître des objets à volonté (comme le chaton noir
qu'Ouspensky transforme en chien blanc) mais en fait ces manipulations d'une part ne sont
pas le propre de la lucidité (nous l'avons vu avec le rêve magique non lucide d'Hervey de
[190]
Saint-Denys ), et d'autre part elles ne se produisent manifestement que si le rêve s'y
prête, en ce sens que l'idée de transformer le décor serait en quelque sorte soufflée au
rêveur par le rêve lui-même, ce qui se marque assez nettement lorsque le rêveur se
demande d'abord au cours du rêve ce qu'il va faire surgir et accepte l'idée qui lui vient
"spontanément". Lorsque le rêve ne s'y prête pas la tentative d'action directe sur le rêve
échoue tout simplement :

Je m'aperçois maintenant que je peux contrôler la séquence de


rêve. Je décide que la pluie va s'arrêter. Elle continue. Je me
demande pourquoi il est si important qu'il continue à pleuvoir et ce
que la pluie peut bien représenter. J'arrive sur un quai de gare où se
trouvent plusieurs personnes. Je vais des uns aux autres en
demandant à quelle heure part le prochain train, mais tous
m'ignorent. C'est comme si je n'étais pas là. Je commence à me sentir
[191]
irritée et frustrée […].

Parfois le rêve lui-même se charge d'infliger un démenti explicite aux tentatives de


manipulation du rêveur :

« Je me trouvais dans une obscurité totale. Je savais que


j'étais dans ma salle de séjour, mais il n'y avait aucune lumière. Je
n'entendais rien d'autre que le grondement de mon propre sang dans
mes oreilles. Ce bruit remplissait toute la pièce et me faisait peur.
Tout à coup, il y eut un homme devant moi. Je reconnus l'acteur
Rutger Hauer - il joue souvent des rôles de bandits qui ont le don de
m'effrayer. Il était environné d'une lumière assez floue, mais je le
voyais très bien. Je dis : "Il est temps que je foute le camp hors de ce
rêve!". Il se mit à rire, en se moquant de moi, et répondit : "Ce n'est
pas parce que vous savez que c'est un rêve que vous avez le pouvoir
de contrôler!" J'essayai de me "téléporter" ailleurs, mais je n'y arrivai
[192]
pas. J'étais terrifiée […] » .

De façon générale le rêveur n'a pas d'action "directe" sur le rêve et, comme le montre
cet exemple, le fait de se savoir en train de rêver n'entraîne même pas nécessairement qu'il
puisse agir sur lui-même ("J'essayai de me 'téléporter' ailleurs, mais je n'y arrivai pas"). Il y
a bien une décision d'un genre nouveau par rapport au rêve ordinaire ("Il est temps que je
foute le camp hors de ce rêve"), mais cette décision n'est pas suivie d'effet et c'est un
personnage onirique qui souligne l'impuissance de la rêveuse ("Ce n'est pas parce que vous
savez que c'est un rêve que vous avez le pouvoir de contrôler"). L'idée que le rêve puisse
être l'objet d'un contrôle de la part du rêveur lucide est donc le résultat d'une lecture peu
attentive des récits de rêves lucides ou encore d'une expression fautive de la part des
rêveurs, idée probablement inspirée et renforcée par la conception du rêve comme simple
image mentale et par là même sujette à la manipulation.

Lorsqu'on a séparé la capacité de décision du rêveur de celle de contrôle du rêve, il


devient plus aisé d'affirmer que la lucidité modifie nécessairement et radicalement la
première aptitude en lui ouvrant un champ de possibilités plus vaste, que ces possibilités
soient explorées ou non. Contrairement aux autres facteurs cette capacité subit donc une
transformation qualitative déterminée, mais comme eux elle n'est guère un élément
constitutif de la lucidité qui peut se manifester en son absence. Or, si dans l'ensemble les
rêveurs lucides signalent tout autant une amélioration de leur mémoire et de leur puissance
de jugement que de leur volonté, c'est que la lucidité "appelle" ces facultés, même si elle
n'en dépend pas. Il se pourrait alors que leur présence et leur intensité soient à mettre en
rapport avec un "degré" de lucidité. Mais faut-il comprendre cette idée comme une
"augmentation" ou une "diminution" de la conscience de rêver elle-même ou l'attribuer à
l'intensité de ces facultés, tandis que la lucidité échapperait à toute fluctuation ?

III. Des degrés de lucidité


Le rapide examen des conditions qui sont généralement présentées comme
nécessaires pour qu'on puisse parler de conscience de rêver met en évidence deux attitudes
extrêmes pour définir la lucidité onirique. L'une de ces attitudes rend compte de la conscience
de rêver par une série de caractéristiques qu'elle considère implicitement comme
constitutives de cette conscience tandis que l'autre voit au contraire ces mêmes
caractéristiques comme émergeant à partir de cette conscience, et non pas comme la
constituant. L'une et l'autre mènent à des impasses dans leurs tentatives de définition. La
première dissout la conscience de rêver dans des caractéristiques qui, à l'analyse, se révèlent
ne pas être déterminantes, mais la deuxième, du fait qu'elle ne fait émerger ces
caractéristiques que de façon seconde, cherche à assimiler, implicitement ou non, la lucidité
onirique à la conscience de veille, assimilation dont l'examen montre l'incohérence. Il semble
donc qu'il faille adopter un troisième point de vue en partant d'hypothèses qui ne heurtent
pas de front les constatations précédentes, c'est-à-dire en posant d'une part que la lucidité
onirique n'est pas la conscience de veille (ou tout au moins pas de façon absolue) et d'autre
part qu'elle n'est pas une sorte de "bloc", un état toujours le même malgré le fait qu'on
puisse le reconnaître à travers ses variations. La première hypothèse, en dépit de sa validité
empirique démontrable, fera l'objet d'un examen approfondi plus loin car elle se heurte à une
habitude de pensée métaphysique qui en obscurcit forcément la notion. En revanche, la
deuxième hypothèse peut être examinée plus aisément car elle a un élément corrélatif facile
à repérer - et généralement admis - dans l'état de veille qui, rappelons-le, nous sert de
référence constante dans l'analyse des données empiriques. Cette deuxième hypothèse est
celle des "degrés" de la lucidité.

Cette idée est en effet assez facile à saisir en elle-même. Elle énonce qu'un rêveur
peut être plus ou moins lucide, c'est-à-dire avoir plus ou moins conscience qu'il rêve, et qu'il
est possible d'établir une sorte d'échelle dans la qualité de cette conscience de rêver.
L'élément corrélatif qui, dans l'état de veille, permet de saisir cette idée est celui des niveaux
d'attention au monde extérieur : cette attention varie non seulement en fonction de l'état
physiologique du sujet mais surtout en fonction de la façon dont il s'investit dans une activité
et le degré d'occultation qui en résulte quant au monde qui soutient cette activité. Mais
peut-on dire de façon équivalente qu'en rêve lucide il y a une plus ou moins grande
occultation du rêve lorsqu'il n'est pas reconnu comme tel ? Certains rêveurs lucides tout au
moins l'affirment : « Je remarquai que, même quand j'étais conscient de rêver, il y avait des
degrés de réalisation plus ou moins grands ; la vivacité et la perfection de l'expérience
[193]
étaient proportionnelles à l'étendue de la conscience qui se manifestait dans le rêve » .

Néanmoins les critères que propose Oliver Fox pour expliciter cette idée le font
retomber dans les problèmes de définition précédents, car il identifie la conscience du rêveur
lucide à celle de la vie de veille : « Pour obtenir les meilleurs résultats, il fallait, exactement
comme à l'état de veille, que je sache tout de ma vie passée et de mon moi terrestre ; je
devais savoir que mon corps était endormi, dans mon lit, être capable, aussi, d'apprécier les
[194]
pouvoirs accrus que je possédais dans cet état apparemment désincarné » . En procédant
ainsi il détermine la condition idéale d'un état auquel il reconnaît la possibilité de présenter
des degrés par un autre état qui en est dépourvu selon la conception qu'il s'en fait. De plus
une telle affirmation est difficile à évaluer car, même en admettant que l'état de veille soit
uniforme, comment peut-on être assuré que la mémoire que le rêveur a de sa vie éveillée est
complète dans le rêve ? Celia Green observe à ce sujet : « Il semblerait que, dans un rêve
lucide, l'exercice de mémoire le plus difficile - au moins en ce qui concerne les événements
de notre propre vie passée - soit de retracer ceux des derniers jours, jusqu'au moment où
nous sommes allés nous coucher, la nuit même du rêve en question. Fox n'indique pas
clairement que ses souvenirs des événements passés remplissaient cette condition. La
[195]
question de savoir si c'était ou non le cas doit donc rester ouverte » . Ainsi Oliver Fox ne
peut rendre clair ce degré de lucidité le plus haut en se plaçant uniquement sur le terrain de
la définition ou de la comparaison avec l'état de veille. L'étude des récits de rêves nous a
d'ailleurs montré que la référence à l'état de veille, et particulièrement à la mémoire, ne joue
pas toujours le rôle que le rêveur croit pouvoir lui attribuer. Il faut au contraire s'intéresser
aux récits de rêves lucides d'un même rêveur les uns par rapport aux autres pour dégager
cette idée de degré de façon nette.

Les rêves lucides d'un même rêveur présentent en effet des différences frappantes en
ce qui concerne son comportement vis-à-vis de son rêve, différences qui ne peuvent
s'expliquer que par une variation dans le degré de lucidité, indépendamment de l'appréciation
que le rêveur a de la qualité de sa lucidité. Ainsi un même rêveur peut juger que, d'un rêve
lucide à l'autre, sa conscience de rêver reste la même, mais néanmoins se conduire
différemment avec les personnages oniriques et penser, dans l'un, qu'ils ont été créés par lui,
mais estimer, dans un autre, qu'ils sont "réellement" eux-mêmes, mais sous une forme
onirique. Dans les deux cas l'aspect "créé" ou "réel" du personnage est souvent impliqué par
le récit lui-même. Ces deux types d'attitudes apparaissent dans le rêve qui suit :

« Je sens mon corps s'étirer pour sortir de lui-même dans un


rêve lucide. Je sors. A l'étage inférieur dans l'escalier je touche ma
mère et elle pense "C…" puis je lui demande si elle me voit. Elle me
dit que oui. Mon père aussi me dit que oui. Je leur dis qu'ils ne le
peuvent pas puisque je suis immatériel. Ils ne veulent pas me croire.
En fait l'escalier n'est pas disposé de façon habituelle et la maison a
changé. Tout est donc dans un rêve. De plus la maison a l'air d'un
magasin-librairie, rempli de clients. Je me dirige vers une fille à la
poitrine plate mais lorsque je veux la toucher elle se transforme en
garçon. Je me rappelle qu'il vaut mieux ne pas manipuler le rêve et
[196]
laisser faire […] » .

Le début du rêve marque bien l'intention de faire un rêve lucide mais la lucidité du
début n'est pas la même que celle de la suite du rêve. En effet, lorsque le rêveur rencontre
ses parents il les considère comme étant réellement présents, lui-même étant immatériel
(puisque sorti de son corps), et s'étonne de ce qu'ils puissent le voir. Ce n'est que lorsqu'il
remarque des modifications du décor qu'il tire la complète conclusion de sa situation ("Tout
est donc dans un rêve"). A partir de ce moment il considère les personnages oniriques
comme tels et ne s'étonne pas de les voir se modifier ("elle se transforme en garçon"). Ce
comportement vis-à-vis des personnages ou du décor est susceptible de nuances qui
elles-mêmes nous aident à affiner cette idée de degré de la lucidité. La lucidité peut en
quelque sorte "porter" sur le décor mais pas sur les personnages, ou l'inverse :

« Je suis dans un bus qui a l'habitude de faire un certain trajet.


A un moment il change de trajet et je descends dans une rue qui
porte deux noms. Je tombe sur C… devant une ambassade. C…
s'étonne de me trouver. Est-ce que je travaille à l'ambassade
maintenant ? Je lui explique que je suis en train de rêver. Il me
demande ce que je vois. Je lui décris : la rue se termine sur un
immeuble en saillie qui la bouche. Il s'esclaffe parce que ce n'est pas
du tout ce qu'il voit. Donc moi je rêve tandis que lui est éveillé. Le
décor change, preuve que je rêve. Pour C… le décor ne change
[197]
pas […] » .

De même qu'un rêveur prélucide peut hésiter quant à l'oniricité de sa situation, de


même un rêveur déjà lucide peut faire montre d'une hésitation équivalente à l'intérieur de
la lucidité même concernant le degré onirique des éléments du rêve, comme le montre,
toujours dans le cas de l'attitude envers les personnages, l'exemple qui suit :

« Ma mère et ma sœur font du bruit en parlant dans le couloir


attenant à ma chambre. Il est question d'un cousin ou de cousins en
général. Ce ne peut être M… puisqu'il est mort. Je demande à franchir
la porte (de ma chambre). Je vais jusque dans la cuisine et j'y trouve
ma mère. Il y a un fauteuil et un meuble qui occupent le début de la
salle à manger près de l'entrée et qui ne sont pas là en temps
ordinaire, lorsque je suis éveillé. Je dis à ma mère que je dors. Elle
me touche pour vérifier mon état. Mais je suis solide. Je lui explique
que, lorsque je serai éveillé et que je viendrai lui raconter ce qui se
passe en ce moment, elle ne s'en souviendra pas car en fait ça se sera
passé dans mon rêve. Une autre hypothèse me semble envisageable :
dans le monde subtil je ne rencontre que le corps subtil de ma mère,
[198]
pas ma mère elle-même […] » .

Le rêveur ne sait donc pas quelle appréciation porter sur la réalité des personnages et
cette hésitation est l'indication d'un point de transition possible entre deux degrés de lucidité
analogues à ceux du rêve précédemment cité.

A la lumière de ces exemples on est fort tenté de conclure que la conscience de


rêver est plus ou moins complète, en d'autres termes qu'elle est susceptible de degrés même
là où elle est établie de façon non équivoque. Ce qui, par contrecoup, permet de poser que,
dans les rêves dans lesquels la lucidité est implicite, et par là douteuse pour certains (comme
dans les cauchemars dont le rêveur cherche à s'évader), le type de conscience dont fait
preuve le rêveur n'est différent de la lucidité onirique manifeste qu'en intensité. Une
gradation conscientielle pourrait alors être établie et la lucidité, souvent présentée comme
une rupture au sein du rêve, se comprendrait également, d'un point de vue conscientiel,
comme s'inscrivant, de droit, dans une continuité. Cependant, cette première analyse
présente une difficulté intrinsèque.

Il se peut en effet que les éléments de l'analyse qui nous poussent à poser des degrés
dans la lucidité onirique recouvrent en fait des phénomènes imbriqués mais divergents. Nous
avons admis que ces degrés étaient révélés par le comportement du rêveur dans - ou
vis-à-vis de - son rêve. Mais ce comportement, s'il est révélateur de l'état du sujet, ne peut
l'être qu'en fonction de normes ne dépendant que du sujet. En d'autres termes, il n'est guère
possible de tirer des conclusions sur le degré de lucidité d'un rêveur à partir d'une attitude
dont nous ne possédons pas la clef. La conduite onirique dépend en effet d'un contexte
métaphysique et ne peut nous instruire que si nous connaissons ce contexte qui varie d'un
individu à l'autre. L'exemple des personnages oniriques montre à quel point il est aisé de
confondre les degrés de lucidité si on ne dispose pas de ces informations. En lisant de tels
récits nous nous plaçons en effet spontanément dans un contexte dans lequel les
personnages oniriques sont entièrement la création du rêveur. Or, indépendamment du fait
de savoir si cette assertion doit être ou non maintenue, si le sujet éveillé pose explicitement
la thèse inverse, à savoir que les personnages oniriques sont, dans son rêve, présents non
pas en chair et en os mais par une sorte de manifestation onirique de leurs correspondants
de la vie de veille (l'aspect "subtil" mentionné dans le dernier rêve cité), un rêve lucide, dans
lequel il aura considéré que les personnages ont été créés, pourrait fort bien être l'indice d'un
degré de conscience moindre que celui dans lequel il aurait reconnu la "réalité" onirique des
personnages qui correspond à la conception qu'il s'en fait à l'état de veille. Il inversera ainsi
la hiérarchie des degrés de lucidité fondés sur le comportement. La conception que le rêveur
se fait de la réalité apparaît donc indispensable pour établir le sens de la gradation des
degrés de lucidité.

Toutefois, loin de résoudre le problème posé par la diversité des gradations


envisageables de la lucidité d'un point de vue descriptif, la mise en évidence du rôle que
jouent les conceptions du sujet en révèle les difficultés. Puisqu'il semble légitime de penser
que les divergences des comportements oniriques doivent trouver leur explication dans un
système de croyances personnel qui influence le rêveur jusque dans ses attitudes lorsqu'il est
conscient en rêve, l'intensité de la lucidité devrait être d'autant plus forte que le rêveur est en
accord avec ses convictions de la vie de veille et les degrés de lucidité se hiérarchiseraient
alors en fonction de cet accord. Or, ces croyances ne sont pas forcément le résultat de l'état
de veille mais peuvent être induites par le rêve lui-même. Ainsi en ce qui concerne
l'attitude envers les personnage, le rêveur lucide peut croire, en raison de la vision du monde
qu'il s'est forgée à l'état de veille, que les personnages oniriques n'ont pas d'autre réalité que
celle qu'il leur a donnée, et cependant le rêve peut modifier cette croyance :

Il y eut une fois où je me trouvais dans un magasin en tous


points semblable à ceux de notre monde. Après y avoir évolué,
peut-être une minute, je sortis. Au-dehors, la scène était typique de
ce qu'on peut voir dans n'importe quelle grande ville à l'heure de
midi : des quantités de gens se hâtaient dans tous les sens, la
circulation, dans la rue, était intense, un agent de police la dirigeait ;
je commençai à me sentir en colère. J'en avais assez. J'allai me
mettre au milieu de la rue, criant aussi fort que je le pouvais : "Bon!
Vous autres! Écoutez-moi! Tout ça n'est qu'une connerie de rêve et je
voudrais bien savoir, nom de Dieu, ce qui se passe ici!" Alors là,
croyez-moi, si j'avais lâché une bombe ça n'aurait pas eu un effet plus
effarant. Tout s'arrêta et tout le monde se mit à me regarder. Ils se
mirent à marcher vers moi tous ensemble d'une manière très
menaçante. Je me concentrai frénétiquement sur mon corps pour
mettre fin à l'expérience, mais il y eut de longues secondes où cela
resta sans effet. Enfin, juste avant qu'ils ne m'atteignent, cela prit fin
et je me retrouvai dans mon lit. Depuis cette expérience, si je me
[199]
retrouve en rêve dans une foule, je reste bien tranquille.

Ici non seulement l'attitude du rêveur se modifie au cours du rêve alors que la qualité
conscientielle ne change pas mais, comme l'indique la dernière phrase, elle affecte aussi les
rêves lucides suivants. Ainsi, chercher l'intensité de la lucidité dans l'adéquation de plus en
plus grande au cours du rêve des attitudes du rêveur avec ses croyances fondamentales à
l'état de veille n'a pas de sens, puisque le rêve est source d'attitudes spécifiquement
oniriques pour le rêveur lucide.

Il est, de plus, impossible d'accepter que, d'un point de vue conscientiel, la hiérarchie
de degrés de la lucidité puisse varier en fonction des cas particuliers. Cela signifie que, s'il y a
bien des degrés, les variations particulières révèlent non pas la mobilité de ces degrés
eux-mêmes mais l'aspect non déterminant des critères sur lesquels nous pensons pouvoir les
établir (ici l'attitude envers les personnages oniriques). Si donc ces éléments nous
permettent de déceler l'existence de degrés, ils ne nous en donnent pas la nature, car le
contexte ne peut nous les fournir. Il apparaît alors que c'est du côté des attitudes
conscientielles qu'il faut chercher un critère d'intensité des degrés de lucidité, les
comportements "observables" ne devant pas occuper le devant de la scène. C'est là une
tâche extrêmement délicate : non seulement il faut donner au rêveur les moyens d'évaluer la
qualité de sa conscience de rêver et ses variations mais il faut encore être à même d'opérer
des comparaisons entre divers rêveurs pour que cette évaluation ait un sens.
Ainsi, de façon tout à fait empirique, c'est-à-dire en examinant des récits de rêves
lucides, on décèle au premier abord ce qui apparaît comme des "degrés" de lucidité dont la
manifestation, même patente, est extrêmement difficile à évaluer. Et l'existence de telles
difficultés donne par contrecoup une certaine force à l'argument théorique selon lequel ces
degrés n'existent pas, argument qu'il nous faut maintenant examiner.

A. La conscience Lucide comme phenomène "tout ou rien"


Certains chercheurs en effet déclarent ne pas comprendre comment on peut parler de
"degrés" dans la lucidité. Leur argument est le suivant : la conscience que l'on a de rêver est
une conscience de type "tout ou rien" : ou on sait qu'on rêve ou on l'ignore. Le modèle qui
sert à donner forme à cet argument est celui de l'interrupteur de lumière (ou la pièce est
[200]
éclairée, ou elle est obscure) et il est facile de deviner que ce modèle prend sa source
dans le rapport sommeil/éveil : un homme qui émerge à la connaissance de son état
véritable en rêve est dans une situation analogue à celui qui sait, en sortant du sommeil, qu'il
est éveillé, même si la qualité de cet éveil est sujette à des variations. La connaissance de
son état relève dans ce cas non d'une analyse opérée à partir des données de la perception
mais d'une intuition qui ne peut souffrir de division. Bien qu'un tel argument n'ait pas fait
l'objet d'un développement dans la littérature, il a une certaine force logique que nous ne
pouvons ignorer.

Comment cette position du "tout ou rien" pourrait-elle rendre compte des degrés de
lucidité dont nous avons constaté l'existence ? Sans doute y verrait-elle le résultat d'une
erreur d'appréciation de la part du rêveur. Et il est de fait que certains cas de lucidité
partielle, ou considérés comme tels, semblent tomber sous le coup d'une telle analyse. Ainsi
les cas déjà vus de lucidité surgissant par rapport à un autre rêve peuvent apparaître comme
typique d'une lucidité incomplète puisque le rêveur sait pertinemment qu'il rêve tout en
restant victime d'une illusion qui lui fait prendre un autre rêve pour la réalité ; il n'est donc
lucide que relativement à un autre rêve et ne se rend pas compte jusqu'à quel point il rêve.
On pourrait alors penser qu'il lui faudrait une prise de conscience "supplémentaire" pour
obtenir une lucidité complète.

« Je rêve et dans le rêve je fais un rêve lucide : je suis en plein


soleil. Le soleil se lève à ma gauche. Il est jaune. A ma droite il y a
des bâtiments blancs, genre musées ou bâtiments grecs. Je sais que
c'est une vision de rêve et je la maintiens car je veux garder le soleil.
(Mais je la considère par rapport à un rêve précédent et non par
[201]
rapport à l'état de veille. C'est donc un état de fausse lucidité) » .

Aussi bien l'appréciation que le rêveur porte sur sa situation ("Je sais que c'est une
vision de rêve") que son comportement ("et je la maintiens") montrent qu'il est lucide. Mais
cette lucidité se délimite par rapport à un autre rêve qui n'est pas reconnu comme tel, ce qui
pourrait passer pour la marque d'un manque de lucidité. Nous sommes là dans un cas limite
tout à fait révélateur de la difficulté. En effet le rêveur apparaît à la fois lucide et non lucide.
Faut-il dire alors que la lucidité est partielle ? L'argument du tout ou rien inviterait plutôt à
trancher dans un sens ou dans l'autre : ou ce rêve est lucide parce que le rêveur sait qu'il
rêve, ou il ne l'est pas parce qu'il continue à être victime d'une illusion tout en croyant
savoir qu'il rêve. Dans ce dernier cas toutefois la situation serait paradoxale : comment un
rêveur peut-il être conscient de son état tout en se laissant abuser par lui ? L'argument du
tout ou rien ne peut donc ici que refuser la lucidité. Mais si le commentaire que le rêveur
lui-même fait de son rêve indique qu'il opte pour une telle solution, il n'y vient que par le
biais d'un raisonnement ("C'est donc un état de fausse lucidité") à la différence des vrais
rêves de fausse lucidité où l'absence de conscience lucide ne fait immédiatement aucun
doute :

« J'habite dans une grande chambre dont toute une partie est
occupée par un lit. Je pense à d'autres endroits où j'ai habité. C'était
tout aussi vide. Je vois une rue dans le noir avec un bâtiment, la nuit.
Ce pourrait être à D… Là aussi je ne connais personne. Dans la cour,
devant l'immeuble il y a toutes sortes de gens. Une fille sans doute
semi-africaine qui est la cousine d'E… ou qui du moins connaît E… Je
pense à mes relations avec E… tout en discutant avec cette fille.
Dois-je me laisser envahir par la déprime ? Non, j'ai la possibilité de
[202]
me dire que je rêve. Je me dis : c'est un rêve. »

Le commentaire que le sujet fait ensuite de son rêve montre qu'il n'a pas besoin de
s'appuyer sur le raisonnement pour constater l'absence de lucidité : « Je me dis "c'est un
rêve" comme je le dirais en état de veille, mais ici je ne réalise pas pour autant que c'est un
[203]
rêve » . Il ne fait aucun doute que c'est le déroulement même du rêve qui amène le
rêveur à dire qu'il rêve sans pour autant avoir l'état de conscience équivalent. Ici le rêveur
utilise la répétition de cette phrase comme une technique, à l'intérieur même du rêve, pour
obtenir une transformation de ses sentiments, ce qui indique implicitement qu'il accorde une
complète réalité à son environnement. Nous avons vu toutefois que dans certains cas cette
technique "détournée" provoque tout de même la lucidité. Mais lorsque le rêveur devient
réellement lucide cela se produit effectivement d'un coup sans que la fausse lucidité n'ait, sur
[204]
le plan conscientiel, donné le sentiment d'une montée graduelle de la conscience . La
lucidité "simulée" joue certainement sur le plan onirique un rôle de déclencheur indirect,
mais, d'un point de vue conscientiel, la pensée "je sais que je rêve" n'est pas plus porteuse
par elle-même de lucidité qu'une incongruité onirique. La lucidité apparaît bien d'un coup,
et ne passe pas par une phase de transition (lucidité partielle) en quelque sorte à l'état
d'émergence et dont le rêveur pourrait avoir le pressentiment.

Une objection vient cependant immédiatement à l'esprit à l'encontre de cet


argument : l'existence de rêves prélucides qui présentent un degré immédiatement
inférieur à la lucidité onirique et dont l'état de conscience semble bien marquer une transition
conscientielle. Le rêve prélucide est un rêve au cours duquel le sujet adopte une attitude
critique envers l'expérience en cours et en vient à se demander s'il n'est pas en train de
rêver, mais sans parvenir à trancher. Celia Green, qui a catégorisé ce type de rêve, en donne
des exemples représentatifs : « J'ai eu, certes, des rêves au cours desquels je me souviens
parfaitement d'avoir posé la question : "Est-ce que je rêve?". Cela se produit assez souvent,
peut-être une fois par semaine. Mais, pour autant que je puisse me fier à ma mémoire, dans
la grande majorité des cas ou bien la question est restée sans réponse, ou bien celle-ci a été
[205]
négative et j'ai continué le rêve sans que ce genre de pensée me revienne » .

D'après Celia Green les rêves de ce genre sont plutôt communs et n'impliquent pas
nécessairement que leurs auteurs soient par ailleurs des rêveurs lucides. Ils indiquent
toutefois une tentative d'émergence de la lucidité qui, même si elle n'aboutit pas, suffit à
mettre l'environnement onirique en question. Cependant, une analyse plus attentive de ce
type de rêves montre que leur existence ne constitue pas une objection suffisante à la
position du "tout ou rien" car le rêve prélucide n'est peut-être pas tant le résultat de
l'hésitation du rêveur que de l'oscillation d'un état de conscience à l'autre : « Il y a eu des
occasions où j'ai discuté avec moi-même pour savoir si je rêvais ou non. Je me disais : "OK,
c'est un rêve", puis je pensais : "Non, ce n'est pas un rêve, c'est la réalité" (je veux dire la
[206]
réalité ordinaire) » . Un tel type de rêve montre que pour un instant très bref le rêveur a
reconnu qu'il rêvait, même s'il a aussitôt changé d'avis. Dans ce cas le rêve prélucide
consiste non pas en une question ouverte mais en un véritable va-et-vient conscientiel,
comme dans ce rêve d'Arnold-Forster :

Au cours de deux rêves successifs d'un sommeil plutôt agité, je


fus préoccupée par la même inquiétude cauchemardesque et absurde.
Il me semblait que certains articles de la maisonnée - de belles pièce
de brocard, des rideaux de soie - avaient été laissés dehors, exposés
à la pluie et à la neige fondante. L'idée d'avoir à faire sécher et
nettoyer ces choses devint très vite une obsession, qui tourmentait
mon imagination dans le rêve. Dans la seconde partie du rêve - je
suppose que c'était au moment où j'étais sur le point de m'éveiller -
cette inquiétude était devenue très aiguë. Je me mis alors à être
présente dans une double capacité : il y eut un "Je" qui interrompit le
rêve et se mit à discuter sévèrement avec la rêveuse, mettant en
doute la réalité de ces ennuis qui prenaient tant d'oppressive
importance. Le "Je" disait : "Ce n'est qu'un rêve, j'en suis certaine ; il
faut que tu te réveilles", mais la rêveuse répondait ; "Cela ne peut pas
être un simple rêve, parce que ce n'est pas seulement dans celui-ci,
mais aussi dans le rêve précédent que je me suis aperçue que ces
choses étaient dehors, dans la neige ; c'est forcément une réalité,
sans quoi cela ne se produirait pas deux fois de suite. D'ailleurs, voici
les choses elles-mêmes. Tu peux les voir et les toucher". Le "Je" était
très perplexe car, effectivement, tout cela semblait bien réel, même
pour lui, et c'était troublant. Mon "Je" examina à nouveau les tissus
salis. Ils étaient très mouillés et dégoulinants entre ses mains et leur
réalité paraissait convaincante. "Peut-être" me dis-je, "certains faits
apparents sont-ils réels." Je ne parvenais pas à débrouiller le vrai du
faux, mais mon "Je" était néanmoins certain qu'il s'agissait "d'un
ennui de rêve, et non pas d'un ennui de veille." - "Non" répliqua la
rêveuse, "car tu peux voir et toucher ces tissus mouillés. Ils sont trop
vrais pour être des objets de rêve." - "Très bien" dit mon "Je",
"veux-tu les mettre à l'épreuve du toucher et faire un test ?
Réveille-toi et vois quelle part de tout cela n'est qu'un rêve!". Sur quoi
[207]
je m'éveillai.

Lorsqu'on examine attentivement ce rêve, on se rend compte que l'état de conscience


du sujet dans ce rêve prélucide n'est pas immédiatement inférieur à la lucidité. Il n'est guère
possible, comme le fait Celia Green, d'affirmer que le sujet ne se rend pas compte qu'il rêve
car le va-et-vient conscientiel du "je" d'un état à l'autre est très net et le rêve se conclut par
une expérimentation qui implique la lucidité.

Qu'en est-il cependant des autres rêves prélucides dans lesquels cette oscillation
conscientielle n'apparaît pas ? Ne constituent-ils pas la preuve de l'existence d'un état
transitoire ?

« J'essaie de retrouver le rêve précédent. Finalement j'arrive à


m'en souvenir. C'est une histoire où je m'enfuis à bord d'une voiture
conduite par C…. L'action se passe dans un endroit calme, par beau
temps. Il faut que je passe inaperçu pour m'enfuir. Normalement je
suis condamné. A quoi ? Il faut que je passe par un endroit précis.
J'écris le rêve sur une ligne continue mais courbe et très longue,
peut-être rose.

« Je suis dans mon lit et j'entends des bruits de voix dont celle
de C…. Il est donc à la maison, c'est pour cela que j'ai rêvé de lui ? Il
parle avec ma sœur et il va partir. Je me lève pour aller dans le
couloir. Mais de toute façon il est déjà parti. Je me retourne : ma
chambre a changé. Au lieu d'un bureau il y en a trois, disposés
comme suit [dessin]. J'ai l'impression d'avoir plus de place et d'être
moins étouffé par les bibliothèques. En criant pour me faire entendre,
je demande à ma mère si elle a changé quelque chose à ma chambre.
Et je me mets à sauter sur place sur mon lit. Je pense que, si tout à
changé, ça doit être un rêve. Je prends mon élan et me laisse tomber
sur le plancher. Si ce n'est pas un rêve l'atterrissage va me blesser
sérieusement.

« Mais le plancher est déjà sous moi, je sens ma joue qui y


repose doucement. Je me relève. Ma chambre est à nouveau normale.
Je me précipite dans le couloir. Cette fois il y a des bibliothèques dans
le couloir. Je crie : "c'est un rêve". Ou peut-être que je veux encore le
vérifier. J'arrive à la hauteur de la chambre de ma sœur. J'y trouve
ma sœur, tante F… et quelqu'un d'autre. M… ? Je dis à ma sœur que
[208]
c'est un rêve. Elle me dit que non […] .

Lorsqu'il se met à suspecter qu'il est dans un rêve (état de prélucidité) le rêveur prend
brusquement des risques qu'il n'aurait pris ni à l'état de veille, ni dans un rêve ordinaire ("Si
ce n'est pas un rêve l'atterrissage va me blesser sérieusement.") Ce manque de prudence
semble indiquer que le rêveur est déjà intuitivement lucide même s'il ne l'est pas encore
intellectuellement. Ainsi, plutôt que de voir les rêves prélucides comme des rêves non encore
lucides, il faudrait plutôt y voir des rêves lucides plus ou moins occultés par le raisonnement
onirique. En effet les raisons qu'a le rêveur de se demander s'il rêve sont du même type que
celles qu'il a de penser qu'il rêve (ici c'est une incongruité qui déclenche la question). Ce
n'est donc pas une lucidité qui est sur le point d'apparaître, mais plutôt une lucidité qui a
effectivement émergé, et dont la mise en doute dépend du raisonnement ("Je demande en
criant à ma mère si elle a changé quelque chose à ma chambre") et non de l'intuition, ce que
l'on peut également constater dans le rêve cité précédemment au cours duquel s'affrontent
l'intuition du "je" et le raisonnement du "rêveur". Ainsi même dans un rêve qui,
apparemment, présente un degré inférieur d'intensité conscientielle par rapport à la lucidité,
le phénomène du "tout ou rien" peut-être mis en évidence. L'argument du "tout ou rien" - qui
considère qu'une intuition ne peut être partielle en tant qu'acte d'intuition - permet donc bien
de rendre compte de certains cas dans lesquels on serait trop vite tenté de voir des degrés de
lucidité.

Cependant, une fois admis que l'intuition de la lucidité ne souffre pas de division et
donc de degrés, il reste à comprendre pourquoi elle n'apparaît pas avec la même intensité
dans tous les récits. Si la discontinuité entre la présence et l'absence d'une intuition ne peut
être remise en cause, il faut soit supposer que ces degrés apparents dépendent d'autres
facteurs, soit que l'acte d'intuition ne suffit pas à décrire la lucidité.

On peut en effet remettre en question la façon dont les degrés de lucidité sont
envisagés, sans porter atteinte à l'idée que ces degrés mesurent la lucidité elle-même. Si l'on
considère le seul passage du rêve ordinaire au rêve lucide, la position du "tout ou rien" ne
peut qu'être juste : les récits de rêves lucides montrent que la prise de conscience que l'on
rêve fait souvent l'effet d'une révélation brusque qui donne même au rêve une intensité
nouvelle. Ainsi dans la mesure où on s'intéresse au rêveur au moment où il devient lucide, il
ne peut être question de degrés conscientiels : il n'y a que des états discontinus. Mais ces
états ne se réduisent pas au simple couple : lucide/non lucide, ou plus exactement l'état "non
lucide" recouvre en fait une multitude d'états différents.

« Je prends le métro et je me pose la question : suis-je ou non


en train de rêver. La réponse est non. Tout est normal. Cependant, je
devrais répondre oui pour continuer le test, mais je trouve que c'est
[209]
inutile. Pourtant… (Je bouge et je me réveille) » .

Le rêveur assurément n'est pas lucide. Mais son hésitation indique qu'il n'est pas non
plus dans un rêve ordinaire, dans lequel l'environnement n'est généralement pas remis en
question. S'il y a donc bel et bien discontinuité sur le terrain conscientiel, on ne peut pas
exclure pour autant que cette discontinuité porte sur tout une gamme d'états possibles.

On s'aperçoit alors que la lucidité comme état "tout ou rien", d'un côté, et les "degrés
de lucidité", de l'autre, ne portent pas sur le même aspect du rêve. Dans le premier cas il
s'agit de désigner l'intuition qu'a le rêveur de son état plutôt que l'état lui-même et ses
modalités, et, dans cette circonstance, cette même intuition peut avoir lieu dans des états
différents (par exemple des états au cours desquels la qualité de mémoire de la vie de
veille peut varier), tandis que, dans l'autre, il s'agit de classer les types d'états dans lesquels
la lucidité surgit les uns par rapport aux autres et, dans ce cas, ce n'est pas tant
l'intuition première qui est examinée que les modalités dont elle s'assortit. Ainsi c'est une
sorte de coup d'œil rétrospectif qui classe des types de lucidité, après les avoir vécus, en
degrés. Un rêveur peut estimer que dans certains rêves sa lucidité est "complète" ou
"partielle" mais fondamentalement il s'agira toujours de la même lucidité. Pour reprendre la
comparaison précédemment donnée, une lumière peut éclairer plus ou moins mais il faut
pour cela qu'elle soit préalablement allumée. Supposons maintenant qu'un variateur puisse
être réglé, l'intensité de la lumière dépendra sans doute de ce réglage, mais pas le contact
électrique. De la même façon l'intuition que l'on rêve est ou non présente, tandis que la
qualité de l'état de conscience dépend globalement de la qualité d'exercice des facultés qui
s'y déploient, mais pas fondamentalement, car ces qualités pourraient tout aussi bien se
trouver dans le rêve ordinaire. Cependant, si cette explication permet de rendre compte des
nuances de lucidité habituellement décrites, elle risque de donner l'idée d'une séparation trop
stricte entre l'intuition et les modalités de l'état de conscience, et surtout de donner à cette
intuition une unité de ton qu'elle n'a peut-être pas.

En admettant que les degrés de lucidité correspondent à des variations des modalités
de la conscience de rêver et non à une variation de l'intuition conscientielle, nous semblons
nous rapprocher de la conception de Gillespie. Toutefois, les analyses précédentes montrent
que nous nous en écartons sur deux points. Tout d'abord nous ne faisons pas dépendre
l'appréciation de la qualité des facultés de leur rapport à l'état de veille, et ensuite nous
admettons que ces modalités puissent dépendre non pas de l'intuition de la lucidité mais de
la façon dont elle se structure, comme dans le cas du rêve prélucide. La littérature semble en
effet implicitement admettre que le type de lucidité manifesté par le rêveur colore
uniformément le rêve, mais ce n'est pas toujours le cas, comme le montre par exemple un
des rêves cités dans lequel le rêveur considère son environnement comme un rêve mais
[210]
accorde une certaine réalité au personnage onirique qui ne perçoit pas le même décor .
La lucidité du rêveur est ici manifestement partielle puisque ce dernier ne reconnaît pas
l'aspect onirique du personnage à qui il parle. Mais le dialogue échangé montre qu'il ne s'agit
pas d'une différence d'intensité de la conscience elle-même : la lucidité ici est complète en ce
qui concerne le décor du rêve et en même temps elle est inexistante pour autant que le
personnage onirique à qui le rêveur s'adresse est concerné. En ce sens la lucidité pourrait
dépendre de ce qu'elle vise à l'intérieur même du rêve. Ainsi on peut poser l'hypothèse que
dans le rêve cité la "quantité de conscience", si l'on peut s'exprimer ainsi, n'aurait pas été
suffisante pour investir le champ entier du rêve, ce qui aurait donné une lucidité peu nette
(ou plus précisément aurait donné des modalités faibles) alors qu'en se focalisant sur le décor
elle a permis de rendre ce rêve tout à fait lucide. Ce cas de figure peut également rendre
compte du rêve lucide fait à partir d'un autre rêve.

Ce genre de rêve nous incite donc à examiner la structure de la conscience onirique


tout autant que les modalités de la lucidité. En effet, dans certains rêves où la lucidité
apparaît comme "partielle", nous pouvons nous rendre compte que cet aspect partiel est
avant tout lié à la structure conscientielle et non à la force plus ou moins grande des
modalités (sans pour autant que ce soit exclu). Dans l'état de rêve lucide comme dans l'état
éveillé, la conscience du sujet peut se porter aussi bien sur l'environnement du sujet (corps
compris) que sur le sujet lui-même. Dans le cas où la conscience lucide du sujet porte plus
sur lui-même que sur l'environnement, nous obtenons des rêves lucides qui peuvent paraître
déficients à la première lecture :

« Je sors de mon corps et descends jusqu'au salon où discute


Oncle C…. Je bouge mes doigts devant ses yeux pour voir s'il me voit.
[211]
Sa vue se trouble. Je n'aurais pas dû faire ça » .

Dans ce rêve le rêveur est conscient de son état de rêveur mais ne considère pas
l'environnement comme étant purement un rêve en ce sens qu'il s'inquiète de la conséquence
de ses actes oniriques. Cette focalisation du sujet sur lui-même peut aller jusqu'à une sorte
de dissociation : tout en étant conscient de rêver en ce qui concerne son état de conscience
qu'il oppose clairement à l'état de veille normal, il peut laisser subsister un doute quant à
l'oniricité de son environnement. Il le voit en état de rêve, bien sûr, mais peut-être cet
environnement coïncide-t-il avec celui de la vie de veille. Il arrive qu'il s'imagine être victime
d'une crise de somnambulisme dont il ne peut s'éveiller et hésite à accomplir des actes
dangereux comme se jeter du haut d'un immeuble pour s'envoler, de peur de s'écraser
physiquement au sol.

« Rêve lucide : Dans une pièce, éclairée d'un côté par la


lumière du soleil qui passe à travers une fenêtre longue, mais de
hauteur étroite. Au fond deux portes donnent, l'une sur ce qui
ressemble à une salle de classe avec éclairage électrique normal, et
l'autre sur une salle avec tables longues et éclairage au néon. Je
décide qu'aucune ne me convient et me dirige vers la fenêtre. Je
m'engage sur le rebord, avec les sacoches que j'emporte : un
baluchon, un sac reporter, une serviette.

« En équilibre sur le rebord. Dehors il faut beau, paysage


plutôt jaune marron, mais je ne le regarde pas. Brusquement je me
dis : "Et si ce n'était pas un rêve ?" Je laisse mes sacs à l'intérieur.
Vais-je sauter ? Il faut que j'ouvre les yeux pour vérifier si c'est un
rêve. Si je peux les ouvrir et que le paysage reste le même, alors ce
n'est pas un rêve. Je les ouvre d'abord dans la pièce puis … (sur ma
[212]
chambre, dans mon lit, et je me réveille) » .

Le rêveur est tout à fait lucide quant à l'oniricité de son état de conscience puisqu'il
pense qu'il lui faut ouvrir les yeux (se réveiller) pour "vérifier si c'est un rêve". Aussi lorsqu'il
se demande "et si ce n'était pas un rêve?", c'est l'environnement qui est en question et non
son état de conscience. Ce doute peut d'ailleurs simplement ne pas exister, le rêveur sachant
qu'il rêve mais ne considérant à aucun moment l'environnement comme un rêve. Nous avons
alors une lucidité qui ne s'exerce que dans une seule direction, celle du sujet.

« Dans ma chambre. Elle est plus grande qu'à l'ordinaire. Elle


comporte quelque chose comme un équipement moderne. Je regarde
par la fenêtre. Je vois mieux que d'habitude les gens qui sont en bas.
Est-ce parce que mon étage est rapproché du sol ? Ou parce que les
vitres de ma fenêtre sont plus épaisses et déformantes, ce qui grossit
les gens d'en bas ? Le téléphone sonne, je décide de ne pas répondre.
Je sens que j'ai encore sommeil. D'une certaine façon je me
sens engourdi. Je vais jusqu'à la chambre de ma sœur et là je vais
en flottant m'asseoir au-dessus de son lit. Je lui dis de remarquer que
je ne touche pas son lit mais elle me répond qu'elle est trop vieille
pour se laisser avoir et que ça ne prend pas car elle sent ma présence
avec ses pieds.

« Je retourne dans ma chambre. Je sens bien que mon état


n'est pas normal et je voudrais bien me réveiller. J'ai le sentiment
d'avoir un sourire idiot sur le visage. Derrière ma porte un tas de
lettres, que je fais tomber. Je les ramasse. Peut-être y en a-t-il
[213]
d'autres devant, mais on verra plus tard » .

Cette fois le rêveur n'est lucide qu'en ce qui concerne son état de conscience, tandis
que l'environnement onirique est considéré comme réel, ou plus exactement ne fait pas
l'objet d'une investigation malgré les incongruités qui se présentent (chambre plus grande
qu'à l'ordinaire, vision agrandie de la rue…).

La situation inverse peut se présenter, lorsque le rêveur est conscient de son


environnement comme étant un rêve, mais ne pense pas à se considérer lui-même comme
étant en train de rêver. Dans ce cas la conscience lucide est focalisée uniquement sur
l'environnement :

« Je franchis un pont avec ma sœur et quelqu'un d'autre. Il


vente très fort et nous forçons pour avancer. Arrivé à la fin du pont
nous tournons à gauche et ne sommes plus soumis au vent. C'est à
Nantes, en plein jour. Je me dis que si nous avons tourné à gauche
cela signifie que nous nous dirigeons vers l'inconscient. Voilà
comment j'interprète ce rêve (je le considère comme un rêve mais
[214]
je n'ai pas vraiment conscience, pour ma part, de rêver) […] » .

Souvent, dans ce type de rêve, le rêveur - tout en considérant que ce qui l'entoure est
un rêve - ne cesse pas pour autant d'agir comme un personnage onirique à part entière
puisque cette conscience de rêver n'atteint pas son "je". Ainsi s'expliquent les rêves dans
lesquels, malgré sa lucidité, il continue à craindre les événements du rêve, comme dans le
[215]
cas déjà cité de Mary Arnold-Forster . Cette conscience de l'environnement peut, à son
tour, être plus ou moins explicite, ce qui rend parfois la lucidité difficile à désigner pour le
sujet lui-même. Ainsi lorsqu'un rêveur conscient de l'oniricité de son environnement (et donc
déjà lucide) devient également conscient de lui-même en tant que sujet qui rêve, il peut être
tenté rétrospectivement de ne désigner la lucidité qu'à partir de ce moment-là en raison du
[216]
changement qualitatif provoqué par ce double investissement conscientiel .

Dans la littérature, ces types de rêves sont soit regroupés sous la dénomination "rêve
lucide", soit complètement rejetés (comme le fait Charles Tart avec les rêves de Gillespie qu'il
classe dans une nouvelle catégorie créée pour la circonstance) et la querelle des définitions
vient sans doute que l'on n'a pas su trouver le rapport qui unit ces différents types de rêves.
On pourrait appeler ces rêves, dans lesquels la lucidité ne s'investit que dans un aspect de la
structure conscientielle, des rêves "demi-lucides" à condition de les voir comme une catégorie
particulière de rêves lucides et non comme des rêves qui n'atteignent pas encore à la lucidité.
Ces rêves demi-lucides s'opposeraient aux rêves "uni-lucides" dans lesquels la lucidité
onirique investit les deux aspects majeurs de la structure conscientielle : le sujet et
l'environnement. Il convient de remarquer qu'en caractérisant ainsi ce type de rêve lucide
nous quittons la possibilité d'une comparaison avec l'état de veille habituel dans lequel le
sujet a une conscience thétique soit de lui-même soit du monde, mais pas des deux en même
temps. Ces quelques remarques concernant, d'un côté, l'intensité variable des modalités
telles que la mémoire ou la volonté et, de l'autre, la structure de la conscience montrent que,
si la lucidité est bien susceptible de degrés, elle ne l'est pas en fonction d'une simple échelle
graduée mais d'une diversité de facteurs qui n'autorisent pas une classification rationnelle
globale. La typologie que nous proposerons sera donc forcément empirique.

B. Proposition de typologie
Une typologie du rêve lucide doit nécessairement se constituer en fonction de l'instant
clef au cours duquel le rêveur se rend compte qu'il rêve. Nous avons vu qu'il n'est pas
possible de donner une définition stricte de ce moment qui peut être purement négatif
(cauchemar lucide), simplement implicite (révélé par le comportement), explicite (le rêveur
formule explicitement qu'il rêve) ou pleinement réflexif (le rêveur ne se contente pas de
savoir qu'il rêve mais il se rend compte qu'il le sait). De plus non seulement il faut savoir
déterminer sur quelle(s) modalité(s) porte l'intensité (mémoire, identité, volonté…) mais
chacun de ces types d'émergence de la lucidité peut ne correspondre qu'à certains éléments
du rêve et non à l'ensemble de la situation, qu'il s'agisse du sujet rêvant ou de
l'environnement onirique, ou même d'un aspect seulement de cet environnement. Ainsi une
simple classification par intensité n'est guère possible, elle doit se doubler d'une classification
par "intentionnalité". En gardant ces remarques à l'esprit on peut dégager parmi les types de
rêves lucides que nous avons déjà examinés quelques grandes catégories qui présentent des
degrés très différents lorsqu'on les considère non dans le détail mais par une vue d'ensemble
pour les hiérarchiser. Ce sont 1) les rêves lucides implicites, indiqués par une attitude ou par
une négation de l'état de veille ; 2) les rêves prélucides qui comprennent par ordre
d'intensité croissante : les rêves à question ouverte, les rêves avec oscillation de la lucidité et
les rêves vérifiés ; 3) les rêves demi-lucides dont la lucidité porte soit sur le sujet soit sur
l'environnement ou l'un de ses éléments ; et 4) les rêves uni-lucides dans lesquels le rêveur
est tout autant conscient de l'oniricité de son environnement que de sa condition de rêveur,
et qui peuvent à leur tour faire l'objet d'une subdivision en degrés en fonction de l'intensité
d'exercice des facultés telles que la mémoire ou l'attention. Dans ce dernier type de rêve,
l'intensité de la lucidité peut atteindre un point tel qu'elle rend possible une expérimentation
onirique préparée à l'avance, aussi est-il recherché de préférence aux autres, qu'il s'agisse de
l' induire ou d'en analyser les récits ; cependant les autres types de rêves lucides -
généralement délaissés voire ignorés - présentent pour l'étude du fonctionnement de la
conscience dans le sommeil un intérêt indéniable. La littérature fournit par ailleurs des rêves
lucides qu'on peut difficilement classer dans les catégories précédentes malgré la cohésion
logique de l'ensemble, et qu'on pourrait appeler "rêves hyperlucides" dans la mesure où,
dans de tels rêves, les modalités de la conscience sont plus intenses que dans la vie de
veille, soit que la mémoire ou les capacités de raisonnement du rêveur se trouvent
considérablement accrues, soit que l'intentionnalité de la conscience lui permette de vivre
simultanément plusieurs rêves ne se situant pas dans le même espace-temps onirique. Les
sujets qui vivent de tels rêves ont tendance à les qualifier de façon superlative pour insister
sur un accroissement de leurs facultés qui leur paraît au-delà de la limite du possible, mais
cette façon de procéder, qui prend l'état de veille pour référence, risque de prêter à confusion
comme le montre le cas du rêve uni-lucide qui peut s'accompagner d'une baisse des facultés
(de mémoire ou autre) dont le rêveur faisait preuve dans un rêve ordinaire précédent. Ainsi à
[217]
propos d'un rêve déjà cité le sujet fait le commentaire suivant :

« […] ma "lucidité" de rêve ignore des choses que je sais dans


le rêve et que je sais aussi à l'état de veille. Ainsi, pour le rêve n°1, il
y a eu, avant le réveil, une remémoration de ce qui venait d'être rêvé.
Je trouvais absurde l'invention d'un endroit nommé Charly et j'étais
certain que les vignobles étaient aussi une fabrication. Or, Charly,
dans la vallée de la Marne, est au commencement du vignoble de
Champagne, chose que je savais dans mon rêve, et que je sais aussi à
l'état de veille. La conscience de rêve lucide n'avait donc pas tous mes
[218]
souvenirs » .

Si l'état de veille devait être pris comme référence, la baisse de mémoire du sujet
éveillé apparaîtrait ici paradoxale. Les rêves hyperlucides sont donc plutôt un cas particulier
des rêves uni-lucides, même si les facultés du rêveur y atteignent une intensité inconnue.
Remarquons toutefois que le rêve hyperlucide est aussi rare dans la littérature sur le rêve
lucide que l'est ce dernier dans la littérature sur le rêve.

L'étude des degrés de la lucidité montre donc que l'antagonisme, stigmatisé par
Charles Tart et George Gillespie, quant à la définition de la lucidité ne peut se résoudre à
l'avantage de l'un ou de l'autre. Tart place la ligne de démarcation trop haut et laisse
inexpliquée une série d'expériences oniriques qui sont nécessairement lucides, tandis que
Gillespie pose l'existence d'une continuité conscientielle du rêve ordinaire au rêve lucide,
continuité que l'aspect intentionnel de la lucidité ne permet pas de concevoir. D'un autre côté
Tart, croyant voir dans la conscience de veille le plein développement de la lucidité, ne fait
que limiter cette dernière (ce que montre l'existence des rêves hyperlucides) tandis que
Gillespie posant sa parenté avec la conscience onirique ordinaire manque de comprendre que
les degrés de lucidité dépendent en fait de facteurs qui lui sont à la fois extrinsèques et
divers, comme nous l'apprend l'étude descriptive du processus de la lucidité. Dans ce
processus, la façon dont prend fin la lucidité est également instructive quant aux rapports du
rêve lucide avec la veille et le rêve ordinaire.

IV. De la façon dont prend fin la lucidité


La façon dont prend fin la lucidité onirique nous donne des indications aussi bien sur
son intensité, qu'elle permet souvent de préciser rétrospectivement, que sur sa place dans le
sommeil. Elle amène en effet à relativiser des remarques qui surviennent lorsqu'on ne
dispose que d'un corpus restreint de récits. Tel était le cas de Delage qui voyait dans le rêve
lucide un rêve proche du réveil : « après une série d'épisodes quelconques d'un rêve
ordinaire, brusquement apparaît dans la conscience du rêveur un doute : il se demande s'il
ne rêve pas ou même est brusquement convaincu qu'il rêve : rien n'est changé pour cela au
caractère rigoureusement hallucinatoire des tableaux et des scènes, mais ceux-ci ne sont plus
acceptés aveuglément comme événements de la vie réelle. Les rêves de cette sorte
constituent à vrai dire un certain degré d'acheminement vers le réveil, bien qu'ils
soient encore de vrais rêves, comme on peut s'en rendre compte par la sensation
éprouvée au réveil d'un brusque changement dans les rapports de la conscience avec l'objet
[219]
de la pensée » . Cette opinion assez répandue qui fait de la lucidité une transition vers le
réveil n'est pas dénuée de fondement dans l'observation empirique. Déjà van
Eeden remarquait : « Je peux dire que tous mes rêves lucides, sans exception, se sont
[220]
produits entre cinq heures et huit heures du matin » .

Cette façon de présenter la lucidité onirique s'appuie donc sur des observations justes
dans la plupart des cas, mais n'est pas sans inconvénient car elle a pu entraîner ceux qui n'en
avaient pas eu l'expérience à conclure que la lucidité onirique surgissait chez certains rêveurs
parce que le réveil était proche. Or, ce n'est sans doute pas là le sens des observations de
van Eeden et de la plupart des rêveurs lucides qui savent par expérience qu'un rêve lucide
peut se produire à l'endormissement (les rêves initiaux de van Eeden) ou être suivi d'un rêve
non lucide comme un faux-éveil. Leurs remarques auraient plutôt un autre sens : ce n'est pas
parce que l'éveil est proche que le rêveur devient lucide, mais plutôt l'inverse : c'est parce
que le rêveur devient lucide qu'il est proche de se réveiller. Mais là encore l'examen d'un
corpus étendu de rêves lucides invite à relativiser cette idée. On a pu remarquer que certains
rêves lucides se produisent en milieu de nuit et, dans de tels cas, c'est souvent le désir du
rêveur de se réveiller pour noter le rêve qui nous a permis d'en conserver le récit. Les
remarques sur la fin de la lucidité onirique porteraient donc non pas sur la lucidité elle-même
mais sur le souvenir qu'en a le rêveur, un peu comme on croyait autrefois que les rêves ne se
produisaient qu'au petit matin parce que c'étaient les seuls dont on conservait le souvenir. Il
n'est pas impossible que la lucidité ne soit corrélative du réveil que de façon accidentelle
comme le suggèrent les rêves lucides qui se transforment en des rêves ordinaires
extrêmement longs.

Ainsi l'on ne peut tirer de conclusion trop rapide sur le rapport de la fin de la lucidité
du rêveur et son réveil. Mais la relativisation des positions qui précèdent est en elle-même
source d'hypothèses. En effet, pourquoi certains rêves lucides se terminent-ils spontanément
sur un plein éveil en milieu de nuit tandis que d'autres, plus proches de la fin de la nuit de
sommeil, se prolongent en un long rêve ordinaire ? N'y a-t-il pas, dans ces façons de prendre
fin, l'indice que de telles manifestations de la lucidité ont quelque chose de différent dans leur
qualité ? Plus encore, n'y a-t-il pas dans chacune de ces deux directions des nuances dont
l'étude peut nous aider à affiner la notion de lucidité onirique ? Une telle étude doit, tout
autant que celle du surgissement de la lucidité, s'appuyer sur des récits des rêves et les
commentaires du rêveur et non sur des circonstances extérieures au rêve que nous laisserons
de côté pour l'instant. Ainsi, de même que nous avons examiné les circonstances oniriques du
surgissement de la lucidité, nous allons maintenant nous intéresser aux circonstances
oniriques de sa disparition.

La façon dont la lucidité onirique prend fin peut être définie très simplement comme la
perte de la conscience de rêver. Cette disparition de la lucidité se fait selon deux modalités
possibles : soit elle est liée à la disparition du rêve au terme duquel le rêveur se réveille, soit
elle en est indépendante et le rêveur retombe dans le rêve ordinaire. Ces deux modalités sont
décrites par Patricia Garfield comme deux écueils qui guettent le rêveur lucide débutant :
« Le rêve lucide demande une mobilisation constante de l'attention. La lucidité étant souvent
intermittente, il faut se dire : "N'oublie pas, tu rêves, tu peux tout faire." Si nous relâchons
notre vigilance, la lucidité se dissipe et nous tombons en rêve ordinaire et incontrôlé. A
l'inverse, si notre attention est soutenue, l'excitation provoquée par la joie de découvrir notre
pouvoir et notre liberté risque de nous éveiller. Nous devons donc nous efforcer à la fois
d'éviter l'éveil en contenant notre émotion et de ne pas glisser dans le rêve ordinaire en nous
laissant distraire. Comme pour franchir une passerelle, il faut garder son équilibre afin de ne
[221]
pas tomber d'un côté ou de l'autre » . Garfield met nettement en parallèle les deux
possibilités : c'est le même rêve lucide qui peut déboucher sur l'éveil ou sur le rêve ordinaire
et, dans un cas comme dans l'autre, la responsabilité en incombe à une attitude
conscientielle du rêveur : dans un cas il ne doit pas se laisser déborder par ses émotions,
dans l'autre il ne doit pas relâcher son attention. Si le maintien de la lucidité dépend dans
une certaine mesure du rêveur, la terminaison de la lucidité dans l'un ou l'autre sens nous
renseigne sur sa qualité : une lucidité débouchant sur l'éveil doit être plus intense qu'une
lucidité perdue en cours de rêve. Cependant, le rôle que joue le rêveur n'est pas toujours
décisif et, pour nuancer cette première remarque, il nous faut examiner plus en détail ces
deux grands types de "fin de lucidité".

Les rêves se terminant par un réveil sont apparemment les plus fréquents. Ce réveil
apparaît souvent comme une sorte de conclusion logique d'un point de vue conscientiel. Tout
se passe comme si la lucidité évoluait au cours du rêve jusqu'à atteindre une sorte d'intensité
qui projette le rêveur hors du rêve.

Je rêve depuis quelque temps déjà lorsque, soudain, je deviens


conscient de rêver. Aussitôt lucide, je sens un courant d'énergie
fourmillante qui s'élève dans ma tête et vient s'installer au niveau de
mon front. Les images du rêve changent subitement et j'ai maintenant
devant moi un arbre vert, un conifère d'une incroyable beauté. Ses
branches sont couvertes de neige, chacune d'entre elles s'équilibre
délicatement sous le poids de la neige poudreuse, blanche,
scintillante, claire, vraiment merveilleuse. C'est un spectacle
absolument splendide, si beau, si précis.

Je décide de prendre mon rêve en main et je commande


mentalement à l'arbre de devenir …(pause) … un lapin! Après cette
courte pause, il me vient une pensée : "Un lapin ? Pourquoi pas ? Un
lapin, c'est juste ce qu'il faut!". L'arbre disparaît aussitôt. Il n'y a plus
dans mon écran visuel qu'un écran brun, vide. Je suis désappointé. Je
choisis de continuer à visualiser un lapin. Bientôt, la silhouette d'un
lapin apparaît en contours blancs sur le brun de l'écran. Je le vois
d'abord de côté, puis par derrière, tandis qu'il se met à sautiller de-ci
de-là, avec des mouvements de dessin animé.

Tout à coup, la scène change. Je redresse le dos, je regarde


droit en l'air. Je vois un bel aigle, ou peut-être un faucon, planant
au-dessus de moi, faisant du sur place, les ailes déployées. Le ciel est
d'un bleu absolument pur et les rayons du soleil filtrent lentement à
travers les plumes de l'oiseau qui paraît auréolé de lumière. Des
étincelles de soleil tombent lentement vers moi, comme une averse
tendre et douce. Je suis à la fois impressionné et rempli de joie, face à
la beauté de ce spectacle que je savoure entièrement, attentivement,
dans tous ses détails.

Soudain, je m'éveille. Je reste allongé sur le lit, les yeux clos,

l'esprit bien clair, baignant dans le souvenir lumineux de la vision.


[222]
Ce genre de rêve donne le sentiment que le réveil est dû à une intensification de la
lucidité. En effet à partir du moment où le rêve devient lucide le rêveur semble passer par
des états de conscience d'intensité croissante. Tout d'abord il devient lucide et se contente
d'admirer le décor merveilleux qui l'entoure. Il décide ensuite d'exercer sa volonté en rêve, ce
qui ne peut que renforcer sa conscience de soi. Enfin il ressent des émotions d'une
extraordinaire intensité. Le réveil apparaît comme une conséquence logique de la
convergence de ces trois intensités : perceptive, volitive et affective. L'aspect logique de
cette conclusion ne concerne pas le déroulement du rêve lui-même qui ne présente par
ailleurs aucune histoire précise puisque les scènes se succèdent tout aussi soudainement
qu'apparaît la lucidité ou qu'elle prend fin. Dans certains cas, le rêve donne même
l'impression d'être inachevé alors que le rêveur se réveille insensiblement.

« […] Je la vois de profil ou de trois quart droit. Elle me parle.


L'image devient plus lointaine tout en restant à la même distance. En
fait je sors du rêve tout en la voyant et en l'entendant encore, plus
[223]
par les yeux de l'imagination ordinaire » .

Ce rêve lucide d'un contenu plutôt banal et peu coloré est très différent de celui qui
précède. Alors que dans le rêve de Kenneth Kelzer l'éveil est soudain, sans aucune transition,
on a ici l'impression que le rêve se continue (le personnage onirique que le rêveur ne perçoit
plus nettement continue à lui parler) mais que c'est le rêveur qui s'en éloigne comme
quelqu'un qui quitterait un spectacle à reculons, ou plus exactement que le rêve est une sorte
d'émission que le rêveur capte de moins en moins bien (l'image devient lointaine tout en
restant à la même distance).

Le sentiment que le rêve n'est pas terminé ou même, plus simplement, le désir de
poursuivre l'expérience du rêve lucide, pousse souvent le rêveur à s'efforcer de maintenir le
[224]
rêve, parfois sans succès . Mais parfois le rêveur lui-même souhaite provoquer le réveil,
généralement pour échapper à un rêve désagréable ou pour être sûr, comme Hervey de
Saint-Denys, de pouvoir le noter sans en rien oublier. Or, parfois cette tentative de réveil
n'aboutit pas.

[…] Je ne sais combien de temps je continuai ainsi - dans le


monde du rêve, les questions de temps sont toujours confuses - mais
il me vint bientôt à l'esprit qu'il me fallait rentrer dans mon corps. Je
devais être au collège à neuf heures et je n'avais aucune idée de
l'heure qu'il pouvait être dans le monde terrestre, sauf que c'était
probablement le matin. Je décidai donc de mettre fin au rêve par un
effort de volonté de m'éveiller. A ma grande surprise, il ne se passa
rien. C'était comme si un homme déjà réveillé essayait de le faire à
nouveau. Il me semblait que je ne pouvais pas être plus éveillé que je
ne l'étais. Ma raison me disait que, malgré leur matérialité apparente,
la côte et les vagues ensoleillées n'étaient pas la terre et la mer du
monde physique ; que mon corps était couché dans mon lit, à un
demi mile, à Forest View ; mais je n'arrivais pas à en éprouver la
réalité. Je paraissais entièrement coupé de mon corps physique
[225]
[…].

Le rêve d'Oliver Fox dure encore quelque temps avant qu'il ne puisse se réveiller, et
l'intensité des émotions qui l'envahissent (la crainte d'un enterrement prématuré) ne suffit
guère à le tirer du sommeil comme le voudrait Patricia Garfield. Dans un tel cas, le maintien
ou la perte de la lucidité semble dépendre plus du rêve lui-même que du rêveur. Cette
différence est suffisamment frappante pour permettre de supposer que la lucidité dont on ne
commande pas la fin est qualitativement différente de celle que l'on peut contrôler. Faut-il
l'expliquer par la distinction que nous avons déjà faite entre une lucidité à coloration
intellectuelle et une lucidité plus "existentielle" ? Toujours est-il que ce genre de phénomène
doit être pris en considération pour un classement éventuel du rêve lucide examiné.

Lorsque la lucidité se termine par le réveil, c'est parfois au détriment du rêve, de sa


continuité ou de sa chute. En revanche lorsque la lucidité est perdue mais que le rêve se
poursuit, la trame du rêve n'est pas interrompue, ce qui est souvent l'indice rétrospectif
d'une lucidité plus spectatrice que partie prenante dans le rêve :

« Je suis dans une chambre d'hôtel à Londres. Je sens très fort


l'épaisseur de la ville autour de moi, avec ce sentiment d'étrangeté et
d'aventure qui lui est particulier. B. est allongée sur le lit, en train de
lire un de ces énormes journaux du dimanche. Soudain, elle rit - il y a
un article sur la façon dont les anglais font l'amour. Pour lui montrer
que ce n'est pas si mal, je le fais. Ça consiste à être parfaitement
impassible dans son expression - voire même distrait, comme si on
faisait ça par hasard - tout en étant fort attentif en réalité et plutôt
passionné. B. trouve ça très drôle, mais, en même temps, elle
reconnaît les avantages : "Au moins tu fais attention à ce que tu fais."
Un peu plus tard, elle est dans la salle de bains. Le téléphone sonne.
Je n'ai aucune envie de répondre, mais finalement je me lève pour y
aller. Le téléphone est une sorte de disque rouge dans l'entrée de la
chambre (dont les murs sont bleu foncé). Juste au moment où je vais
l'atteindre il cesse de sonner. Je peste. Je dis à B. que de toutes
façons je ne peux pas aller voir les clients parce que j'ai oublié mon
carnet d'adresses - Ah tant mieux. Alors tu m'emmènes au théâtre.

Je rentre dans la chambre. Au milieu de la pièce, il y a un


"ordinateur ancien modèle". C'est une machine en fonte moulée
peinte en vert, avec des pieds torses et un clavier de chaque côté.
Michel J. entre et me dit en riant que c'est une pièce de musée! "On
peut même jouer à quatre mains". Il soulève l'appareil pour voir
depuis combien de temps il est là. De fait, il y a des trous dans la
moquette à l'emplacement des pieds, preuve qu'elle a été posée après
l'ordinateur.

La première partie de ce rêve était lucide. Elle a cessé de l'être


[226]
au moment de l'histoire du téléphone » .

La perte de lucidité s'explique cette fois-ci selon le schéma de Patricia Garfield : le


rêveur cesse de se rendre compte qu'il rêve parce qu'il devient trop impliqué dans son rêve.
Elle indique rétrospectivement que la lucidité ne devait pas être très intense puisque le
rêveur s'en est laissé distraire par un simple coup de téléphone. Ce genre de lucidité peu
intense prend souvent une forme intermittente.

« Je suis dans une sorte d'école-pension pour adulte en même


temps que E. (qui était secrétaire dans mon ancien travail). Le rêve
est lucide par moments de façon discontinue. J'ai à traduire, pour "la
prof", un texte d'une langue étrangère inconnue dans le rêve, mais
dont je sais, à l'état de veille, que c'est de l'Espéranto. Puis il se met à
manquer des morceaux de ce texte, c'est à dire que je ne retrouve
pas la phrase que j'étais en train de traduire. Puis c'est le texte entier
qui manque, je ne le retrouve pas dans le livre. Tout ceci - et je le
sais - se rapporte à mes tentatives pour me remémorer les rêves de
la nuit. C'est à ce moment qu'intervient la "citation" rêvée indiquée
ci-dessus. Cependant, je suis ennuyé de ne pouvoir traduire mon
texte. Je vais voir E, à l'étage en dessous, pour savoir comment elle
s'en tire, mais il se trouve qu'elle n'a pas du tout le même devoir que
moi. De plus sa chambre est très propre et ordonnée. Elle me dit : ça
ne m'étonne pas que tu perdes tout, chez toi c'est le bordel. Ce qui
est vrai. Je remonte pour mettre de l'ordre - elle s'apprête à sortir et
me dit dans l'escalier "Qu'est-ce que tu veux manger pour dîner" puis
s'en va sans attendre ma réponse.

Je monte dans la chambre qui est effectivement dans un


désordre incroyable. Je ne sais pas par où commencer. Puis je me dis
que c'est sans importance, parce qu'en réalité (lucidité), actuellement,
il y a de l'ordre chez moi. Je commence néanmoins à ramasser des
papiers par terre. Par la fenêtre ouverte j'entends une voix qui dit
[227]
"c'est le moment d'aller à la charge" » .

Le journal du rêveur donne des précisions sur la lucidité de ce rêve : « La lucidité


intermittente du rêve n°3 est intéressante. Je crois que beaucoup de rêves que j'ai qualifiés
de lucides dans la précédente série l'étaient de cette manière, c'est à dire que la conscience
lucide paraît, de façon ponctuelle à divers moments du rêve, pour constater ce qui se passe,
puis elle laisse aller pendant quelque temps, puis elle regarde à nouveau. Dans le souvenir,
au moment de la transcription, cette intermittence donne l'illusion de la continuité. Elle
expliquerait aussi pourquoi j'ai du mal à intervenir volontairement dans les rêves lucides. Les
moments de présence doivent être très courts. S'ils sont prolongés, ils interrompent le
[228]
rêve » . Cette remarque suggère une nuance que l'analyse de Patricia Garfield ne révélait
pas. Cette dernière met en effet le réveil à la suite d'une lucidité trop forte sur le compte
d'émotions non contrôlées : c'est donc le rêveur qui est la cause de l'éveil. En revanche ici il
n'est pas question d'émotion mais d'une sorte de fragilité du rêve : c'est le rêve qui ne
supporte pas une lucidité prolongée ("Les moments de présence doivent être très courts. S'ils
sont prolongés, ils interrompent le rêve."). En dehors de la qualité de la lucidité il y aurait
donc une qualité du rêve qui serait plus ou moins apte à l'accepter.

L'intensité de la lucidité peut tout aussi sûrement effacer le rêve que la force de
l'émotion, comme le montre le rêve lucide suivant :

« […] Je me trouve soudain dans une rue délabrée qui donne


sur la Seine. D'emblée, je sais que je suis au bas Meudon à une
époque passée. Je ne me demande pas comment je suis arrivé là ;
rétrospectivement, il me semble que j'étais entré dans une carte
postale.

La rue est en travaux, très boueuse. Il n'y a aucun véhicule,


seulement quelques piétons habillés à la mode des années 30. Je vois
des immeubles en construction entre les vieilles bâtisses et m'amuse
de penser que de mon temps ils seront vieux et démodés.

Je traverse la Seine par un pont assez étroit s'appuyant sur


l'île, où il n'y a que des jardins maraîchers. Billancourt, de l'autre côté,
n'est pas très différent d'aujourd'hui, sauf qu'il y a plus d'arbres entre
les maisons et pratiquement pas d'automobiles. Voici celle de mes
amis, un coupé d'époque couleur beige et noire. J'entre avec eux (ce
sont des hommes jeunes, moins de 30 ans) et pendant qu'on fait
démarrer la voiture (longue opération), je demande la date. On me dit
le 26 septembre. Ça ne me suffit évidemment pas. Il me faut l'année.
Je la demande comme si c'était une plaisanterie. Le type qui est assis
auprès du conducteur se retourne et me regarde d'un air étonné, puis
il se déride et dit "l'an de grâce 1929".

Dans ma lucidité, je me dis qu'il ne faut pas me laisser


absorber par le rêve, être très vigilant, noter les détails de l'époque.
Je suis heureux, je pense à tous les endroits proches de Paris qui sont
encore la campagne, alors qu'en 1986 ils sont complètement
urbanisés. Je vais pouvoir faire des ballades épatantes. Entre les
arbres, au moment où la voiture se décide enfin à démarrer,
j'aperçois ce qui ressemble à une grande tourelle de sous-marin
surmontée d'un mât à drapeau. Je me demande ce que c'est et n'ose
le demander. Soudain je comprends que c'est l'ancienne "Tour des
usines Renault" sur l'île Seguin (en réalité, cette tour n'a jamais
existé). Nous suivons la Seine côté Billancourt. Ces coteaux, en face,
sont tout boisés avec seulement quelques pavillons, sans immeubles.

Au pont de Sèvres, nous prenons une rue étroite dans


Boulogne. Elle nous mène à un atelier assez exigu où ces jeunes types
veulent travailler. Ils sont photographes. Je suis encore plus jeune
qu'eux (je le découvre à ce moment), je dois avoir dix-sept ou
dix-huit ans. Je dois éventuellement travailler pour eux. (Je note en
passant - lucide - leur habillement, pantalons larges assez proches de
la dernière mode 1986, chapeaux de feutre, gilets sur des bretelles,
chemises rayées à col court. Ils n'ont pas de cravates ce qui suffit à
les classer comme un peu bohème et débraillés.)

A titre d'épreuve, je dois leur dessiner à l'encre une sorte de


maquette de décor avec des personnages. Je m'y mets. On trouve
que ce n'est pas mal. Je demande si je dois aussi remplir le côté
gauche de la feuille. On me dit non, c'est "très bath" comme ça.
Paraissent à ce moment plusieurs hommes portant une très grande
toile représentant des personnages (dans la réalité, j'ai vu une photo
de cette toile d'A. H… récemment).

Je suis ému, et je murmure, pas trop haut pour qu'on puisse


avoir des doutes sur ce que je dit, -"A… (c'est le peintre H…). Je le
connais, mais nous ne nous rencontrons jamais."- Curieusement, H…,
qui devrait avoir la trentaine à cette époque est un monsieur
relativement âgé, d'environ 70 ans, comme sur les dernières photos
prises avant sa mort. - Un autre artiste est là, que je reconnais
aussitôt ; c'est V… A…, le sculpteur. Ce qu'il a lui, de bizarre, c'est
qu'en plus de sa barbe il a les cheveux longs. Il est aussi peu "1929"
que possible et je m'en fais la remarque, tout en ajoutant avec un peu
plus d'assurance - " V…, qui ne sait pas encore que nous nous
connaissons ".

V… me regarde et fronce un peu les sourcils. J'ai l'impression


qu'il sait tout de même qui je suis, mais ne veut pas le dire, au risque
de passer pour un dingue.

Il y a un troisième type que je ne connais pas.

On veut voir mon œuvre. V… n'est pas tout à fait d'accord. Il


donne des conseils techniques en cachant une forte envie de rire. Mais
ici la lucidité devient excessive et commence à effacer le rêve. Je le
maintiens encore un moment sous forme de rêve éveillé, mais il ne
[229]
donne rien de neuf » .

Dans ce rêve ce ne sont pas les émotions éprouvées par le rêveur et liées à la lucidité
(« Je suis heureux, je pense à tous les endroits proches de Paris qui sont encore la
campagne, alors qu'en 1986 ils sont complètement urbanisés. Je vais pouvoir faire des
ballades épatantes ») qui le réveillent mais bien l'intensité de la lucidité (« ici la lucidité
devient excessive et commence à effacer le rêve »).

On trouve cependant des cas où la lucidité est intense mais où elle se perd tout de
même dans un rêve ordinaire. L'indication en est alors donnée par une transition d'une scène
onirique à une autre, plutôt que par la continuation naturelle du rêve, le plus souvent sous la
forme d'un faux-éveil.

Rêve lucide : Je deviens léger. Je quitte mon lit. J'ai les yeux
fermés. Je les ouvre. Cette fois, contrairement à hier, tout est solide.
La poignée de la porte de ma chambre répond à mon contact et je
vois ce qui m'entoure, au point que je me demande si je ne suis pas
somnambule. Je passe dans le couloir et vais jusque dans le salon. J'y
trouve ma sœur qui s'apprête à partir. Je lui dis bonjour, fais un
sourire ou une grimace en disant "Ah! Ah!" pour l'obliger à réagir ou
pour qu'elle s'en souvienne lorsque je le lui demanderai à mon réveil.
Elle n'est pas très affectée par mes mimiques et se contente de me
dire "au revoir". Je vais dans l'autre salon. Là, une télévision et
peut-être J.-Y… quelque part. Je décide de retourner dans ma
chambre pour éventuellement sortir par la fenêtre.

[Faux-éveil] Dans une salle allongé sur une chaise longue


parmi d'autres. Sont présents M… et d'autres participants. Je viens de
me réveiller d'un rêve lucide et je voudrais en refaire un autre en me
concentrant sur le même point. Mais il fait froid, les gens bougent. M…
voit que je préfèrerais dormir. A un moment nous sommes des
anglais, discussion sur les arabes qui nous louent la salle et qui nous
traitent comme n'importe quoi, c'est-à-dire juste des gens qui payent
pour le ping-pong. Discussion à voix assez haute pour qu'ils
[230]
entendent » .

Ici la lucidité est plus intense que dans les rêves qui précèdent car le rêveur intervient
pour vérifier si l'état de rêve lucide comporte des possibilités de communication
intersubjective ("pour qu'elle s'en souvienne lorsque je me réveillerai pour le lui demander").
De son côté le rêve est plus "solide" puisque, au moins sur le moment, il résiste à cette
intervention. La perte de lucidité est symbolisée dans le rêve par un réveil ("je viens de me
réveiller d'un rêve lucide"). Le faux-éveil joue donc un rôle de transition et peut-être
d'occultation : en faisant croire au rêveur qu'il s'est éveillé, il l'empêche de récupérer une
lucidité qui n'est sans doute pas très lointaine.

Dans l'ensemble, l'étude du processus de la lucidité révèle qu'elle ne peut être


considérée comme un état de conscience uniforme dont les caractéristiques pourraient être
données une fois pour toutes, mais qu'au contraire elle prend des formes différentes et
nuancées qui demandent autant une tentative de classification que d'explication et dont la
[231]
manifestation est parfois si ténue qu'elle échappe au sujet lui-même . Aussi comprend-on
que, même si la lucidité seule est discriminante par rapport au rêve ordinaire, pour
reconnaître le rêve lucide on s'appuie sur d'autres critères qui en sont la conséquence. En
effet la conscience de rêver entraîne souvent une interaction entre le rêveur et le rêve,
interaction qui permet, lorsqu'on en connaît les formes principales, de supposer la lucidité là
où elle n'est pas mentionnée et même d'en mesurer l'intensité. Dans la littérature son
importance est telle qu'elle est souvent donnée dans la définition du rêve lucide et sa seule
fréquence indique clairement qu'elle doit faire partie intégrante d'une approche descriptive.

§ 2. L'interaction du rêveur et de la lucidité


Des quelques récits que nous avons examinés, il ressort que la conscience de rêver, la
lucidité, qui est l'essence même du rêve lucide, est difficile à cerner pour qui n'en a pas fait
l'expérience, en raison de sa nature conscientielle. Nous avons vu que les modalités de cette
lucidité (le souvenir de la vie de veille, l'éveil de la faculté critique, un certain contrôle du
rêve) généralement utilisées pour la caractériser, si elles en sont un prolongement naturel,
n'en sont pourtant pas constitutives, et n'interviennent pas nécessairement dans le cours
d'un rêve lucide. La difficulté s'accroît lorsqu'on se rend compte que la structure de la
conscience oniriquement lucide peut à son tour se présenter sous différents aspects. Puisque
les faits conscientiels sont difficiles à saisir, à décrire et à expliquer, une autre façon
d'approcher le rêve lucide s'offre à qui veut en donner une description : cette autre voie, bien
que ne se suffisant pas à elle-même, apparaît comme complémentaire de la précédente. Si
en effet le rêveur est conscient de rêver, son rapport avec le rêve se modifie nécessairement
et une interaction remarquable (mais non obligatoirement spectaculaire) doit pouvoir se
dégager de la lecture de tels rêves, interaction par le biais de laquelle la nature de la lucidité,
et par là du rêve lucide, peut être intuitivement saisie - ou du moins par laquelle le rêve
lucide peut faire l'objet d'une description tangible, ce qui n'est pas le cas des purs faits de
conscience. Une telle approche ne peut évidemment pas partir d'une caractéristique que l'on
demande d'admettre comme hypothèse, comme pour la lucidité onirique, mais implique une
démarche parfaitement empirique : chercher dans un corpus de rêves lucides les
caractéristiques les plus constantes (et non forcément les plus marquantes) qui semblent
attachées à la lucidité, et analyser leur lien avec elle. Il s'agit donc de repérer un certain
nombre d'éléments qui font que les rêves lucides diffèrent des rêves ordinaires de façon
"visible".

Ces éléments ne peuvent pas faire l'objet d'une déduction à partir de la lucidité ou de
ses modalités. Néanmoins l'idée même d'une déduction peut nous ouvrir la voie quant à ce
qui est à examiner du point de vue du contenu du rêve. En effet, dans la mesure où le rêveur
peut disposer d'une mémoire qualitativement plus étendue (au sens où, rappelons-le, savoir
qu'on rêve est une information de type qualitatif), d'une qualité de réflexion parfois plus
précise et d'une aptitude à prendre des décisions plus larges en raison de sa connaissance du
contexte, il semble aller de soi qu'il fait preuve de capacités au moins un peu plus étendues
que celle du rêveur ordinaire. C'est donc de telles capacités qu'il faut chercher à repérer pour
établir ensuite dans quelle mesure ces capacités du rêveur lucide s'éloignent ou diffèrent de
celles du rêveur ordinaire. Cette question est d'autant plus importante que ce sont ces
différences qui ont suscité l'intérêt des premiers rêveurs lucides et qui continuent à motiver
les recherches contemporaines. Car si le rêveur lucide ne vivait ou ne faisait rien de plus que
le rêveur ordinaire, il n'est pas sûr que la simple conscience de rêver aurait suffit à attirer
l'attention, les questions purement conscientielles ne pouvant intéresser des théories du
rêve qui se préoccupent avant tout d'interprétation ou de thérapie.

Pour les rêveurs lucides eux-mêmes cette différence de capacité n'apparaît souvent
que de façon accidentelle, par exemple lorsqu'un événement onirique répétitif ou un mauvais
rêve les poussent à une action d'un type nouveau ou même lorsqu'ils prennent connaissance
de la littérature sur le sujet. Nous avons vu que leur attitude change dès qu'ils prennent
conscience qu'un plus grand nombre d'options s'offre à eux en rêve. Mais cette modification
est-elle en soi importante ? Une première réponse que l'on peut donner à cette question
porte sur la nature de la réaction possible. Pour un rêveur qui adopte une nouvelle conduite
dans un rêve lucide, dans une situation donnée, n'en trouvera-t-on pas un autre qui adoptera
la même conduite dans un rêve ordinaire ? Il est en effet des actions oniriques que l'on sait
pouvoir se produire dans n'importe quel rêve. Leur adoption par le rêveur lucide ne marque
donc pas un élargissement en quelque sorte "extra-onirique" par rapport au rêve ordinaire.
Dans le rêve au cours duquel Hervey de Saint-Denys est poursuivi par des démons de
[232]
cathédrale , nous constatons que la lucidité lui fait abandonner toute frayeur et l'amène à
faire face à ses assaillants. Une telle attitude pourrait cependant être trouvée tout autant
dans un rêve ordinaire. L'élargissement des capacités du rêveur est alors en quelque sorte
"horizontal" : il marque une plus grande liberté du point de vue de l'action onirique, mais
sans sortir du cadre du rêve. Cependant, cet élargissement horizontal n'est pas le seul
constaté en rêve lucide : on trouve des "sauts qualitatifs" dans les capacités du rêveur lucide.
Si nous reprenons la même situation dans laquelle le rêveur est victime d'un mauvais rêve,
nous remarquons que le rêveur a souvent tendance a augmenter la puissance de l'option
choisie. En effet, dans le cas où le rêveur est poursuivi et où il décide de continuer à fuir, il
augmente la puissance de la fuite, par exemple en s'envolant.

Tard dans la nuit, je marche dans une ruelle non identifiée. Il y


a de nombreux escaliers de secours à l'arrière des immeubles.
Quelqu'un me suit, et je le sens, mais cela ne m'inquiète pas outre
mesure. Je ressens plus de curiosité que de crainte. Finalement, je
regarde par dessus mon épaule et j'aperçois un homme - je ne vois
pas son visage - portant un trenchcoat et un chapeau mou. Il a un
couteau à la main. Comprenant que je l'ai vu, il se met à courir après
moi. Cependant, je ne ressens toujours pas de peur réelle, sachant
très bien que je rêve et qu'il n'y a pas de danger véritable. J'attends
qu'il soit à une vingtaine de mètres de moi : je prends alors mon élan
et je m'envole jusqu'à l'escalier de secours le plus proche. Mon
poursuivant commence à grimper derrière moi, mais je fais un
vol plané jusqu'à l'escalier suivant en riant de ses efforts maladroits
[233]
pour me rattraper.

On pourrait cependant poser que ce saut qualitatif résulte d'une inflation du choix du
rêveur qui modifie le rêve et que dans ce cas vouloir à tout prix éviter l'issue du rêve tout en
étant lucide "déforme" le rêve (à la manière d'un cauchemar), tandis qu'une décision
psychologiquement conforme, celle d'accepter le rêve tel qu'il se déroule, n'entraîne pas une
telle déformation. Cela conduirait à considérer les capacités manifestées en rêve lucide
comme l'expression d'une "torsion" du rêve plutôt que comme une manifestation originale.
C'est ce qui apparaît à une plus petite échelle lorsque l'action entreprise par le rêveur ne
consiste pas dans une augmentation de puissance spectaculaire.

Je me trouvais dans un immeuble avec un groupe d'autres


personnes. Nous étions encerclés par des zombies. J'avais bien un
fusil, mais il calait chaque fois que j'essayais de tirer sur l'une de ces
créatures. Les zombies arrivèrent à pénétrer de force dans l'immeuble
et bientôt nous entouraient. Je savais que notre salut dépendait du
bon fonctionnement de mon arme. Soudain, je réalisai que c'était un
rêve et qu'il suffisait de vouloir pour que le fusil marche. Aussitôt, il se
[234]
mit à tirer et nous pûmes nous échapper.

Ici apparemment le rêveur "force" un élément du rêve à lui donner satisfaction, il


transforme le rêve en le déformant. Un rêve lucide ne différerait en somme d'un rêve
ordinaire que dans la mesure où le rêveur y introduirait des irrégularités mais il ne serait pas
par lui-même porteur d'éléments différents.

Toutefois, une telle conclusion est trop hâtive et pose a priori que la décision prise
par le rêveur est extérieure au rêve. Là encore, un examen plus attentif nous fournit la
réponse. L'augmentation de puissance cesse d'apparaître comme une "déformation" lorsqu'on
en examine les conséquences sur le rêve lui-même.

Je marche seul dans une contrée montagneuse. Je commence


à grimper sur d'énormes dalles de granit épais, d'un gris blanchâtre.
Je me penche en avant, continuant l'ascension de ces monolithes
massifs aux pentes raides. J'atteins le sommet. C'est un haut plateau,
et je vois devant moi, de toutes parts, une vaste plaine. Elle s'étend
aussi loin que l'œil peut voir, couverte d'herbe, avec quelques
bosquets d'arbres épars. A quelque distance, j'aperçois un grand
animal à l'allure de chèvre ou de gnou africain, couvert d'un long
pelage noir irrégulier. A cheval sur la bête, je vois un homme primitif,
un aborigène nu qui ressemble à un indien d'Amérique. Soudain,
l'animal se met à courir droit sur moi, au galop. Il me charge, et je
comprends alors que l'aborigène ne le contrôle pas du tout, mais que
c'est lui qui est entraîné par la bête, et je suis pris de crainte. Je vois
clairement que ce gnou a deux cornes torses, avec des pointes
acérées, tout à fait comme celles des bisons américains.

Soudain, je réalise que je suis en train de rêver. Je sens jaillir


au travers de mon corps un puissant courant d'énergie qui vient se
loger dans mon front. Je me dis que je n'ai absolument rien à
craindre, puisque je sais que c'est un rêve. J'attends de pied ferme
l'attaque du gnou et je sens qu'une énergie énorme se hérisse dans
mes bras. Ceux-ci sont bien plus musclés et bien plus forts que
d'habitude. Chacun d'eux est entouré d'un champ d'énergie intense,
de forme cylindrique et d'un diamètre d'environ vingt centimètres.
Ces champs de force enrobent entièrement mes bras et mes mains
depuis les épaules jusqu'aux extrémités des doigts. Je me sens
incroyablement fort. Je me dis qu'au moment juste, en y mettant
exactement l'équilibre et le temps qu'il faut, je saisirai le gnou par les
cornes et lui ferai mordre la poussière, comme un cow-boy de rodéo.
J'attends, plein d'assurance, tandis que l'animal et l'aborigène se
[235]
précipitent vers moi à toute vitesse […] .

Dans ce rêve l'augmentation de puissance se produit d'elle-même lorsque le rêveur fait


face au danger. Il ne fait aucun doute qu'elle dépend de la lucidité ("je réalise que je suis en
train de rêver. Je sens jaillir au travers de mon corps un puissant courant d'énergie qui vient
se loger dans mon front") mais elle n'est pas commandée par le rêveur et révèle non une
"déformation" du rêve mais un réel changement qualitatif, ce que confirme la qualité affective
de la fin du récit :

Au dernier moment, quand je m'apprête à recevoir le choc, le


gnou et l'aborigène s'arrêtent brutalement, juste devant moi. Pendant
quelques minutes, tout chargé d'énergie, je fais face à l'animal ; je
fixe mon regard dans l'un de ses yeux injectés de sang, tandis qu'il
gratte nerveusement la terre, provoquant un léger nuage de
poussière, à quelques mètres de l'endroit où je l'attends. Avec une
grande satisfaction, je pense : "Finalement, il ne sera pas nécessaire
de le jeter à terre". L'aborigène nu est assis tranquillement sur la bête
poilue. Il a les yeux vides, perdus dans le lointain et je le fixe d'un
regard chargé de puissance. Puis je me tourne à nouveau vers le gnou
et, pendant de longs instants, nous continuons à nous regarder dans
les yeux, tandis qu'il gratte le sol avec inquiétude. Je me sens
parfaitement équilibré, posé, l'esprit clair, et je suis rempli de
satisfaction. Lentement, le rêve s'efface et je reprends un sommeil
[236]
normal.

Le rêve n'est donc pas "forcé" mais va dans le sens d'une évolution psychologique
conforme à la fonction qui lui est habituellement reconnue. Ainsi les modifications que le
rêveur peut faire subir à ses actions lorsqu'il est lucide donnent au rêve une tonalité nouvelle
qui lui appartient en propre et qu'un lecteur extérieur doit pouvoir identifier.

Cette tonalité nouvelle n'est cependant pas toujours aussi facile à reconnaître que
dans le rêve qui précède. L'interaction tend souvent à n'être comprise que par l'action du
rêveur à laquelle on la ramène, et plus particulièrement aux capacités particulières dont il fait
preuve à cette occasion. La transformation qualitative du rêve au moment où le rêveur lucide
agit (ou décide d'agir) est-elle nécessairement en rapport avec l'apparition possible de
capacités qui aident à la mise en œuvre de ces décisions ? Or, on constate tout d'abord que,
si le surgissement de la lucidité entraîne une transformation possible des capacités du rêveur,
cela ne signifie pas que ces capacités soient propres au rêve lucide. En réalité ces capacités
d'action qui se présentent comme des "augmentations de puissance" relèvent tout autant de
l'élargissement "horizontal" que les nouvelles attitudes adoptées par le rêveur. Ainsi, dans un
rêve particulier, le rêveur peut ne s'envoler pour fuir un danger que lorsqu'il se rend compte
qu'il rêve, mais cela ne signifie pas que le vol soit absent des rêves ordinaires.

Mon premier souvenir d'un rêve de vol remonte à ma petite


enfance, quand nous habitions Londres. Ce rêve initial était en rapport
avec un sentiment de peur. A mi-chemin de l'escalier, assez sombre,
qui menait à notre nursery, il y avait un palier, donnant sur un jardin
d'hiver. Celui-ci, en plein jour, était un lieu ensoleillé plein
d'associations les plus agréables, mais à la tombée du jour son
caractère changeait complètement. La nuit, on pouvait imaginer
toutes sortes de choses embusquées dans ses recoins obscurs. Il était
préférable de dépasser rapidement ce palier, même les suivants qui,
bien que n'ouvrant pas sur des lieux si sombres, n'étaient pas de ces
endroits où, étant seul, un enfant s'attarderait volontiers. Dans
quelques uns des premiers rêves dont je me souviens, j'étais dans cet
escalier, effrayée par quelque chose que je souhaitais vivement ne
jamais voir. C'est alors que je fis la découverte qui fut, pour moi, une
véritable bénédiction : je m'aperçus qu'il était aussi facile de
descendre l'escalier en volant que de le faire à pied. Aussitôt que mes
semelles quittaient le sol, la peur cessait, j'étais parfaitement à l'abri.
Cette découverte allait modifier la nature de mes rêves pour toutes les
[237]
années à venir, et jusqu'à ce jour.

L'inquiétude de la rêveuse marque ici son absence de lucidité, et sa capacité à quitter le


sol non seulement ne dépend pas de la conscience de rêver mais indique également un
changement qualitatif ("Cette découverte allait modifier la nature de mes rêves pour toutes
les années à venir, et jusqu'à ce jour").

Pourtant, là aussi, il faut se méfier d'une conclusion trop rapide. Avant de désolidariser
ces capacités de la lucidité, il faut se demander si leur présence dans des rêves non lucides
n'indique pas plutôt que ces derniers ont une qualité particulière et sont d'une certaine façon
en connexion avec les rêves lucides. Ainsi, en examinant son propre journal de rêves, van
Eeden a pu observer que ses rêves de vol annoncent un rêve lucide dans les jours
[238]
suivants . Donc deux hypothèses s'offrent à nous : d'un côté on peut penser que
l'élargissement ou la transformation des activités du rêveur lorsqu'il devient lucide est dû à ce
qu'il puise dans le vaste ensemble des possibilités oniriques, mais dans un tel cas ces
modifications ne permettent pas de caractériser le rêve lucide ; et de l'autre que les rêves
non lucides où ces élargissements ou transformations se manifestent sont en fait d'une
certaine manière connectés au rêve lucide, même si la lucidité n'y est pas présente. D'un
point de vue méthodologique il semblerait préférable de savoir ce qu'il en est avant de
s'engager dans la description des capacités du rêveur lucide qui permettent son interaction
avec le rêve, mais une telle question ne peut être tranchée d'un point de vue logique. Elle
suppose au contraire l'examen préalable de journaux de rêves ainsi que des particularités de
contenu des rêves lucides qui les distinguent de la grande masse des rêves ordinaires, avant
de décider si certains rêves non lucides leur sont ou non d'une certaine façon "associés".

Cette démarche demande de bien comprendre en quoi les éléments examinés sortent
de l'ordinaire car, dans la mesure où les éléments "non ordinaires" peuvent être trouvés aussi
bien dans les rêves lucides que non lucides, la tentative de classer ces rêves à part risque
d'apparaître arbitraire. En fait, ce n'est pas sur le terrain du rêve seul que surgit le problème
mais plutôt dans la comparaison entre les actions oniriques et celles de la vie de veille.
Sans tenir compte du rêve lucide, on s'aperçoit qu'il est possible de distinguer deux
catégories de rêves, les rêves dont le contenu et le déroulement rappelle la vie de veille, et
ceux qui s'en éloignent notablement, notamment lorsque le rêveur est doté de pouvoirs
oniriques qu'on ne peut trouver à l'état de veille (comme la lévitation ou l'action à distance
dans les rêves déjà cités). Or, les rêves de la première catégorie étant plus nombreux que
ceux de la deuxième, cette dernière peut être considérée à part. Si maintenant on ne
s'intéresse qu'aux seuls rêves lucides, on peut également les diviser en deux catégories
équivalentes. Mais dans ce cas la proportion se renverse : parmi les rêves lucides, ce sont les
rêves fantastiques qui prédominent, même s'ils n'en représentent pas la totalité. La
comparaison avec la vie de veille nous fournit donc un critère de départ pour apprécier le
contenu des rêves lucides et nous permettre de supposer l'existence, d'un point de vue
statistique, d'une relation entre les rêves non lucides à contenu fantastique et les rêves
lucides en général.

Comment mettre en évidence l'existence d'une relation entre les éléments


fantastiques des rêves lucides et ordinaires lorsqu'il concernent l'interaction du rêveur avec
son rêve ? Une manière de procéder consiste à rapprocher ce qu'on compare, de façon à
trouver des points de jonction. Ainsi on peut comparer les rêves ordinaires dans lesquels les
capacités du rêveur se présentent de la façon la plus volontaire avec les rêves lucides dans
lesquels ces capacités se présentent de la façon la plus spontanée, laissant ainsi de côté
l'interaction expérimentale. C'est donc sur le terrain onirique "physique", où les capacités
fantastiques du rêveur sont faciles à remarquer et à apprécier, et où elles prennent souvent
la forme d'habiletés magiques et surnaturelles, que l'on peut le mieux étudier ce que certains
auteurs n'hésitent pas à considérer comme une forme de contrôle par la volonté. Or, nous
avons vu que, même lorsque le rêveur affirme ce contrôle, une "résistance" du rêve se
manifeste dans les conséquences souvent inattendues qui accompagnent cette tentative. A
lire les récits de rêves on a plutôt le sentiment que le rêveur lucide apprend à contrôler son
environnement onirique comme un enfant apprend à marcher, et non qu'il le "manipule"
aussi aisément que des images mentales. Le terme de "contrôle" est donc impropre s'il est
utilisé dans ce sens et il est préférable de le comprendre comme une "capacité d'action", ce
qui rend mieux compte de l'implication du sujet dans l'univers onirique. En ce sens on peut
distinguer deux types de contrôle qui, empiriquement, s'avèrent radicalement différents :
celui que le rêveur exerce sur lui-même de celui qu'il exerce sur son environnement onirique.

La capacité d'agir sur soi-même présente en effet une assez nette différence avec
l'action sur la trame du rêve dans les récits de rêves lucides. Agir sur soi-même semble, à
l'image du comportement de l'état de veille, à la fois plus fréquent et plus facile, que l'action
sur l'environnement, et se modèle d'ailleurs souvent sur l'activité de la vie de veille : « Au
cours d'un rêve lucide, l'apparence du monde onirique semble être identique à celle du
monde de veille. Certaines de nos expériences de perception ont produit - mais pas toujours -
les mêmes résultats que si elles avaient été effectuées dans l'état de veille. Il a été possible,
par exemple, d'induire le dédoublement de la vision, l'image récurrente positive, ainsi que les
[239]
figures de restructuration » . Mais le plus souvent cette activité comporte un aspect
fantastique absent de la vie de veille : « D'autres expériences hautement inhabituelles se
produisent également, telles le vol ou la lévitation, les visions panoramiques à 360°, les
expériences hors du corps, l'évolution dans un espace à quatre dimensions, le ralentissement
[240]
du temps et des expériences de caractère cosmique » .

Si certains des aspects "de veille" peuvent être considérés comme résultant d'une
curiosité menant à une expérimentation délibérée, d'autres, plus fantastiques, se présentent
spontanément avec une grande régularité, comme le rêve de vol. On peut considérer que
l'idée de voler est une possibilité qui s'offre en imagination à la rêverie de l'homme éveillé et
que le rêve lucide réalise cette possibilité sur un mode onirique. Mais il n'en va plus de même
lorsque les capacités oniriques ne se contentent plus de prolonger celles de la vie de veille. Le
rêveur se voit en effet parfois doté de capacités totalement différentes qui désorientent
l'analyse tant elles semblent absurdes. L'exemple le plus frappant à ce point de vue est le
rêve de sortie hors du corps. A quoi est-il dû, pourquoi est-il si fréquent et quelle fonction
remplit-il ? Il ne s'agit plus là d'une extension d'une capacité de l'état de veille, même
étendue de façon imaginaire comme le rêve de vol qui prolonge la faculté de se mouvoir,
mais d'une faculté qui, en rêve, a surpris et même effrayé plus d'un rêveur lucide débutant
qui ne s'attendait pas à un tel phénomène. Les capacités "physiques" fantastiques du rêveur
lucide peuvent donc aussi bien consister en une augmentation de puissance de capacités
ordinaires que prendre un tour tout à fait inattendu. Mais, même si de tels phénomènes
accompagnent assez régulièrement la lucidité, ils ne constituent au mieux qu'un indice
complémentaire en raison de leur présence possible dans les rêves non lucides. C'est donc
rarement eux que l'on remarque en premier lieu dans la littérature quand on rapporte un
rêve lucide, mais plutôt l'action sur l'environnement qui se présente de façon assez
différente.

Les capacités d'action sur le rêve ne constituent pas une garantie de lucidité, comme
[241]
nous l'a montré un rêve d'Hervey de Saint-Denys , mais elles sont un indice relativement
sûr d'une lucidité au moins implicite lorsqu'on les recoupe avec d'autres détails. Ainsi lorsque
l'action du rêveur lui semble parfaitement naturelle, comme dans le cas d'Hervey de Saint-
Denys, l'action du rêveur sur le rêve est commandée par le rêve lui-même et l'interaction
n'est qu'apparente ; mais lorsqu'elle est l'occasion d'établir une comparaison avec le monde
[242]
de l'éveil, elle confirme qu'une lucidité par négation est à l'œuvre .

L'action sur le rêve ne ressemble pas à l'action sur soi-même. Lorsque le sujet agit sur
lui-même, l'environnement onirique s'adapte à cette action : si le rêveur décide de s'envoler,
il s'élève dans le ciel ou heurte des fils de haute tension sans que le déroulement du rêve
perde son naturel. En revanche lorsque le rêveur exerce son action sur un élément qui lui est
extérieur, l'environnement onirique tend à se restructurer entièrement, ce que nous avons
déjà constaté lorsque nous avons récusé l'idée d'un contrôle absolu du rêve. Ce que nous
voulons ajouter ici, c'est l'aspect spécifique que prend une telle interaction et qui aide à la
reconnaissance d'un passage de rêve lucide. Le rêve dans lequel Kenneth Kelzer tente de
[243]
faire surgir un lapin est à cet égard représentatif. Sa décision de transformer un arbre en
lapin modifie de façon inattendue son champ de perception et c'est cette transformation qui
permet au lapin de prendre forme. L'action magique diffère donc selon qu'elle est accomplie
au cours d'un rêve ordinaire ou d'un rêve lucide en ce que, dans le premier cas, elle s'intègre
dans le déroulement du rêve tandis que, dans le second, elle suppose une réorganisation du
champ de la perception onirique. Ainsi l'action du rêveur lucide sur le rêve n'implique pas un
contrôle à la façon d'un démiurge, elle est reconnaissable aux modifications d'ensemble que
peut entraîner une tentative de modification sur un simple élément.

Le contenu des rêves lucides, dont nous n'avons donné ici qu'un aperçu, prend donc
parfois un aspect qui, même s'il n'est pas suffisant pour les caractériser comme tels, leur
donne néanmoins une "coloration", un aspect tangible correspondant à la majorité des cas.
Cependant, cette coloration particulière nous oblige à considérer les "rêves ordinaires"
présentant les mêmes caractéristiques sous un jour différent, à y voir des rêves "associés" au
rêve lucide.

[1]
« A lucid dream is a dream in which the subject is aware that he is dreaming ». Celia Green, Lucid

Dreams, Institute of Psychophysical Research, Oxford, 1982 (première édition en 1968), p. 15.
[2]
« Whenever I speak on the topic of dreams, I mention a very unusual sort of dream, the "lucid"
dream (…) in which the dreamer knows he is dreaming and feels fully conscious in the dream itself. »

Charles T. Tart (Ed.), Altered States of Consciousness, Doubleday Anchor Book, New York,1972

(première édition en 1969), p. 1.


[3]
C'est le cas de Tart lui-même.
[4]
« The "lucid" dream is so called not because it is unusually vivid but because the dreamer is aware

at the time of dreaming that he is dreaming, and feels himself to be in full possession of what we call

normal waking consciousness while knowing himself quite certainly to be asleep in bed. » Dr. Ann

Faraday, Dream Power, Berkley Books, New York, 1980 (première publication en 1972), p. 298.
[5]
Patricia Garfield, La Créativité Onirique, La Table Ronde, Paris, 1983 (première publication

américaine en 1974), p. 136.


[6]
« Lucid dreams are most commonly defined as dreams in which the dreamer is aware that he/she is

dreaming while the dream is in progress. » Jayne Isabel Gackenbach, A Personality and Cognitive

Style Analysis of Lucid Dreaming, unpublished doctoral dissertation, Virginia Commonwealth


University, 1978, p. 2.
[7]
Précisons que la lucidité peut aussi se trouver au cours de ces phénomènes, mais qu'elle ne s'y

réduit pas et qu'il n'y a pratiquement pas de récits de ce type.


[8]
« This has the unusual characteristics that the dreamer "wakes" from an ordinary dream in that he

feels he is suddenly in possession of his normal waking consciousness and knows that he is actually

lying in bed asleep : but, the dream world he is in remains perfectly real. » Tart, op. cit., p. 172.

Souligné par l'auteur.


[9]
« The mental state of the lucid dreamer is similar to that of the reader at this moment; in general

terms, both are able to reflect, remember, perceive and act within a phenomenal world. […] But an
essential difference between the lucid dream and the waking state is that the lucid dreamer knows

that no matter how things seem, he or she is actually asleep in bed. » Stephen LaBerge, Lucid

Dreaming: An Exploratory Study of Consciousness during Sleep, Unpublished doctoral dissertation,

Stanford University, 1980, p. 26.


[10]
C'est par exemple ainsi que l'a compris Pierre Pachet qui, considérant un tel contrôle impossible,

rejette du même coup l'existence d'une pleine lucidité dans Nuits étroitement surveillées, Gallimard,

Paris, 1980, pp. 99-105.


[11]
Sujet n°16, Péniche mondaine, 9 janvier 1988. Souligné par nous.
[12]
Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, Oniros,

Ile Saint-Denis, 1991, pp. 15-16. Souligné par l'auteur.


[13]
« I separate dream lucidity from dream control for the very simple reason that they are quite

unrelated (if not negatively related) in my own experience. I exercise a fairly high degree of control
in my nightmares almost always in the absence of any lucidity. On the other hand I periodically

experience lucid dreams (rather mundane ones I must admit) but in these am usually simply aware

that I am dreaming and do not act to control the experience. Recently, concurrent with my editing

this issue, I tried in a few lucid dreams to be controlling of the experience: in some the dream quickly

turned malevolent, in others the dream scenery promptly faded or became achromatic. » Kathryn

Belicki, "Limitations in the Utility of Lucid Dreaming and Dream Control as Techniques for Treating

Nightmares", Lucidity Letter, 8 (1), 1989, pp. 95-98.


[14]
Hervey de Saint-Denys, Les Rêves et les moyens de les diriger, Tchou, Paris, 1964, p. 69.
[15]
Il s'agit ici de la clarté et de la netteté des images et non de la "lucidité onirique" qui désigne

aujourd'hui la conscience de rêver. (La note est de nous).


[16]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 245.
[17]
Ibid., souligné par nous.
[18]
"Lucide" a ici le sens de clair et net. (La note est de nous).
[19]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 249. On peut bien sûr considérer que ce qu'il a attendu pendant

un mois, ce n'est ni un rêve conscient, ni un rêve "lucide", c'est-à-dire ici clair, mais la conjonction

des deux phénomènes.


[20]
Le cas de Fox constitue une exception.
[21]
« They deny the possibility of complete recollection and free volition in a dream. They would say

that what I call a dream is no dream but a sort of trance, or hallucination, or ecstasy. » Dr. Frederik

van Eeden, "A Study of Dreams", Proceedings of the Society for Psychical Research, vol. 26, 1913,

pp. 431-461.
[22]
« can only say that I made my observations during normal deep and healthy sleep and that in 352

cases I had a full recollection of my day-life, and could act voluntarily, though I was so fast asleep

that no bodily sensations penetrated into my perception. If anybody refuses to call that state of mind

a dream, he may suggest some other name. For my part, it was just this form of dream, which I call

"lucid dreams" (see E in the table) which aroused my keenest interest and which I noted down most

carefully. » Ibid., pp. 440-441, souligné par nous.


[23]
« The dream is a more or less complete reintegration of the psyche, a reintegration in a different

sphere, in a psychical, non-spatial mode of existence. This reintegration may go so far as to effect full

recollection of day-life, reflection, and voluntary action on reflection. » Ibid., p. 441.


[24]
« In these dreams the reintegration of the psychic functions is so complete that the sleeper

remembers day-life and his own condition, reaches a state of perfect awareness, and is able to direct

his attention, and to attempt different acts of free volition. » Ibid., p. 446.
[25]
« We have the sensation of waking up in our ordinary sleeping-room and then we begin to realise

that there is something uncanny around us; we see inexplicable movements or hear strange noises,

and then we know that we are still asleep. » Ibid., p. 456. Souligné par nous.
[26]
« In the initial dream type (H), I see and feel as in any other dream. I have nearly a complete

recollection of day-life, I know that I am asleep and where I am sleeping, but all perceptions of the

physical body, inner and outer, visceral or peripheral, are entirely absent. » Ibid., p. 435. Souligné

par nous.
[27]
« At least in my own case I think of lucid dreams a quite different from ordinary ones, both in

perceptual clarity and in emotional tone ». Jayne Gackenbach, " Interview with englishwoman Celia

Green, author of the 1968 classic, 'Lucid Dreams' ", Lucidity Letter, 8 (2), 1989, pp. 134-140.
[28]
« Dreaming is usually defined by reference to its irrationality and discontinuity with waking

experience. That is to say, the events of the dream do not obey the usual laws of the physical world

and the subject does not relate what is happening to memories of his past life and of the normal

world, so that the dream is 'discontinuous' with the rest of his experience. » C. Green, op. cit., p. 15.
[29]
Norman Malcolm, Dreaming, Routledge & Kegan Paul, London, 1959, p. 12. Cette objection de

Malcolm n'a de sens que s'il limite l'expérience consciente à la conscience de veille puisque même

dans le rêve ordinaire le rêveur a, nous l'avons vu, une certaine forme de conscience.
[30]
« A further problem arises about the use of the word 'aware', or its synonym 'conscious'. In our

definition, we said that a person having a lucid dream is 'aware that he is dreaming.' But Malcolm

observes: '… Having some conscious experience or other, no matter what, is not what is meant by

being asleep…' » C. Green, op. cit., p. 16.


[31]
« It certainly seems very odd to say that the subject quoted at the beginning of this chapter was

not 'conscious' at the time of the experience described. » Ibid.


[32]
« Without any preliminary ordinary dream experience, I suddenly found myself on a fairly large

boat travelling at a normal speed up what appeared to be the mouth of a river, just before it issues

into the sea. There was some sort of pleasant scenery on either side, with trees and greenery, and

straight in front, the water stretched to infinity. The deck was smooth and clean and warmed by the

sun, and I felt the warm breeze on my skin. This startled me, because I knew that in a dream one

does not feel actual physical sensations with the same intensity and subtlety as in real life, and I was
sufficiently mistress of my own thoughts and movements to pinch my arm in order to assure myself

that it was only a dream. I felt the flesh under my fingers and the slight pain in my arm, and this

filled me with real alarm, because I knew that I ought not to be on that boat, in the daylight. I did

not see my own body, but I was sufficiently lucid to imagine it, lying inert in my own bed here in

Paris… » Ibid., p. 15.


[33]
« The problem might be solved by distinguishing between 'physiological unconsciousness' and
'psychological unconsciousness'. 'Physiological unconsciousness' might be defined as a state

characterized by unresponsiveness to certain external stimuli, 'Psychological unconsciousness' would

be more difficult to define. It is difficult to state any criterion of uncriticalness, amnesia, unawareness

and so on, which is not found at times in a 'normal waking' state. » Ibid., p. 16.
[34]
En ce qui concerne la qualité de leur "présence" au monde. Le mot anglais "aware" rend beaucoup

mieux cette idée que le mot français "conscient".


[35]
Sur cette question voir : Descamps, Bouchet et Weil, La Révolution transpersonnelle du Rêve,

Lavaur, 1988, pp. 21-36.


[36]
C'est ce problème qui est à l'origine de la "question sceptique".
[37]
Stephen LaBerge, Lucid Dreaming: An Exploratory Study of Consciousness during Sleep,

unpublished doctoral dissertation, Stanford University, 1980, p. 26.


[38]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 61
[39]
« Certain subjects claim that in lucid dreams they retain the greater part, or even all, of the

memories which they possess in the waking state. If this is so, the 'discontinuity of personal

experience' is evidently at a minimum. » C. Green, op. cit., pp. 15-16.


[40]
« My perceptions and understandings of both my world and my self can vary in their degree of

experienced lucidity. Consider my world. At one extreme, my vision can be out of focus, objects hard

to recognize, my location unclear, the meaning of the world around me obscure. At the other

extreme, I can experience clear and intense perception of the world around me and clearly and

immediately recognize everything in my world around me, and understand its name, function, and

place in my world.

« Consider my self. At the non-lucid extreme, I may feel confused about who I am in a given

situation, or who I really am in a larger sense than the immediate situation. I may suffer from rapidly

changing or contradictory emotions and concepts, my body may feel strange. I may be unclear about

who or what I am and have delusions about my self. At the lucid extreme, I clearly know who I am in

a wide sense as well as grasping the particular functioning of my self at this moment in space and

time ». Charles T. Tart, "What do we mean by 'Lucidity'?", Lucidity Letter, 4 (2), 1985, pp. 12-17.
[41]
« absolute lucidity as the experience of immediate, clear access to all relevant information about

yourself and your world that is possible for a human being to have. » Ibid.
[42]
Et même que dans la vie de veille, lorsqu'il trouve en rêve la solution d'un problème.
[43]
« A lucid dream, however, is usually described as a qualitative shift. We don't get reports of the

type "I found I could recall 15% more informational items about the dream person I was looking at,

and so called this lucidity". There is a shift in overall quality, a pattern shift to a discrete altered state

of consciousness as compared with ordinary dreaming. Parts of this pattern shift may include the
appearance of psychological functions (such as volition) that were absent in the previous non-lucid

dream. We should call this kind of change qualitative lucidity. » Charles T. Tart, op. cit., p. 16.

Souligné par l'auteur.


[44]
Ce que serait une lucidité éveillée est plus malaisé à entrevoir.
[45]
La dialectique de la recherche veut que l'étude des premiers récits obtenus suggère des

modifications à apporter à la transcription des rêves suivants et ainsi de suite. Cela améliore

graduellement la saisie d'états difficiles à identifier et à décrire, mais interfère probablement avec la

transcription elle-même.
[46]
Sylvan Muldoon, La projection du corps astral, Editions du Rocher, Monaco, 1980 (première édition

anglaise : 1929), p. 58.


[47]
En règle générale nos sujets ont eu pour instruction de séparer nettement le commentaire du récit

de rêve.
[48]
Sujet n° 16, sans titre, extrait, 15 décembre 1984.
[49]
Dans la pratique cela demanderait l'examen de rêves notés en dehors de toute connaissance du

phénomène par le sujet et examinés par un tiers informé. Les journaux de rêves préexistants à la

demande du chercheur sont extrêmement difficiles à réunir et nous n'avons pratiquement pas tenté

cette approche. Les cas repérés concernent des sujets qui avaient déjà pour consigne de noter leurs

rêves lucides (donc disposaient d'une information sur le phénomène) et qui dans leur journal de

rêves relatent comme ordinaires des rêves qui sont manifestement lucides.
[50]
« Last night in a dream in which my wife figured, I got to know that I was dreaming through the

unexpected appearance of a large model battleship which was propelled through the streets by me

walking inside it. » Oliver Fox, Astral Projection, A Record of Out-of-the-Body Experiences, The

Citadel Press, Secaucus, 1980, p. 90.


[51]
« I dreamed that I had forced myself through a grey and slimy mass. I didn't know what it was. It

was unpleasant, but for some reason I had to force myself through it in order to advance further.

Then, in the midst of this grey slime, I came to a brightly lit place with a person standing in the

center. I could see that it was Mr. Spock, the scientist of the Enterprise (the spaceship of the

television series "Startrek"). He told me, "There is no reason to worry because you are dreaming!" I

did not believe him and I asked him what it was that I had just passed through. He answered that I

had just passed through my own brain, or my own mind. I did not believe him, but he knew so much

more than I did and he told me he would jump up and then remain in mid-air, just so that I would be

able to see that we were part of a dream. Only after this actually took place was I convinced that I

was in a dream. Then I said that I would never have found out by myself that I was dreaming. He

replied that he knew that and that was why he was there. » Paul Tholey, "Overview of the

Development of Lucid Dream Research in Germany", Lucidity Letter, 8 (2), 1989, p. 16.
[52]
Yves Delage, Le Rêve, Étude psychologique, philosophique et littéraire, Imprimerie du Commerce,

Nantes, 1920, p. 455-456.


[53]
Ibid., p.146.
[54]
Sujet n°16, "La cuisine des marins", extrait, lundi 28 septembre 1981.
[55]
C'est par exemple la technique utilisée par Caillois. Voir : Roger Caillois, L'incertitude qui vient des

rêves, Idées/Gallimard, 1983, pp. 84-85.


[56]
Sujet n°16, sans titre, lundi 9 août 1982.
[57]
Idem, sans titre, 28 septembre 1982.
[58]
Dans le chapitre 4, Section 1, § 1.
[59]
« This awareness may be initiatied in a number of ways. It may be initiated by the stress of a

"nightmare" situation, by a recognition of an incongruous or irrational element in the content of the

dream, by a reminder of some habitual technique of introspective observation, or by what can only
be categorized as a spontaneous recognition that the quality of the experience is in some indefinable
way different from that of waking life. » Green, op. cit., p. 30.
[60]
Voir chapitre 2.
[61]
Frederic W. H. Myers, "Automatic Writing-3", Proceedings of the Society for Psychical Research 4,

part II (1887), pp. 241-242. Cité par S. LaBerge, Le Rêve lucide, le pouvoir de l'éveil et de la

conscience dans vos rêves, Oniros, Ile Saint-Denis, 1991, p. 42. Cité de façon plus étendue supra au

chapitre 2, section II, §1.


[62]
Sujet n°1, "Portraits", 1er avril 1985.
[63]
« By the time the dream has reached the point at which the dreamer asks himself the question : 'Is

this experience of the texture of dreaming or waking life ?' the dream often seems to be an accurate

imitation of waking life. That is to say, it may be inspected without revealing any perceptible

difference, in detail or definition, from waking life. Further, it is interesting to note that on awakening
it still appears to the subject that he was inspecting his environment with the same criteria that he

would use in waking life. » Green, op. cit., p. 35.


[64]
« By the time the dream has reached the point at which the dreamer asks himself the question : 'Is

this experience of the texture of dreaming or waking life ?' the dream often seems to be an accurate

imitation of waking life. That is to say, it may be inspected without revealing any perceptible

difference, in detail or definition, from waking life. Further, it is interesting to note that on awakening

it still appears to the subject that he was inspecting his environment with the same criteria that he

would use in waking life. » Green, op. cit., p. 35.


[65]
Rêve cité supra chapitre 2.
[66]
« Many years later, in 1907, I found a passage in a work by Prof. Ernst Mach, Analyse der

Empfindungen, p. 164, in which the same observation is made with a little difference. Like me, Mach

came to the conclusion that he was dreaming, but it was because he saw the movement of the twigs

to be defective, while I had wondered at the naturalness which my fancy could never invent." » Dr.

Frederik van Eeden, op. cit., p. 446.


[67]
Sujet n°19, sans titre, 13 avril 1985. Extrait. Souligné par nous.
[68]
« In ordinary dream was trying to get on a bus which I was chasing along the road, dodging in and

out of traffic and holding a ribbon which connected me to the bus. This ribbon seemed to be elastic

and I noticed with annoyance that it was elongating and I was falling behind. Then I realized I was

dreaming and did not to chase the bus or even to dodge the traffic. So I stopped running and stood

in the road - the traffic vanishing as I did so. » Sujet B de Green, dans Green, op. cit., p. 34.
[69]
Sujet n°1, "Apprentissage de vol", 12 avril 1985.
[70]
« It occurred to me to wonder whether this might be a dream, and I looked carefully round the
room, trying to decide whether the texture of it differed in any way from waking life. The room was lit

by electric light, which had a slightly artificial quality - perhaps more mellow than real electric light. I

looked down at the carpet and suddenly became convinced that this was in fact a dream. I had a

feeling of some indefinably curvilinear quality in the pattern of the carpet. It was impossible to define

what was really 'wrong' with the carpet, but once I was convinced that it was a dream there could be

no further doubt. » Sujet B de Green, dans Green, op. cit., p. 36.


[71]
« it will be seen that once the subject becomes aware that he is dreaming, this awareness no

longer seems to depend upon an examination of his experience, but is maintained quite

independently of it. We may therefore doubt whether the awareness is really caused by an

examination of the perceptual field in the first place. » Green, Ibid., p. 36.
[72]
« As we have already pointed out in the case of incongruity, there is obviously a temptation for

subjects to say: 'I examined the texture of my experience and concluded from it that I was dreaming'

rather than: 'I examined the texture of my experience and realized that I was dreaming'. » Ibid.
[73]
« It is a warm, rainy night in Monroe, Georgia. I am standing alone on an asphalt road in front of

my grandparents' house beneath the glow of a streetlight. I am barefoot and feeling the warm, wet

street and the mist on my face. I notice the way the needles of the pine trees have drops of water on
them that sparkle like diamonds in the halo of light. There is no one else around. Now my brother

George comes driving by in an open convertible. He looks very happy. He passes by. I wave, and he

turns the car around and drives by again. I see that on the front of the car where the hood ornament

should be is a life-size bust of Daddy. Now George turns the car around and drives by again. Again I

laught and wave. This time he drives out of sight and I am alone. For the pure joy of it, I start

splashing through the puddles on the street and all at once I say - aloud, "I'm dreaming." I have a
rush of excitment and say to myself that, this being the case, I can do anything. […] » Kenneth

Kelzer, The Sun and the Shadow, My experiment with Lucid Dreaming, A.R.E. Press, Virginia Beach,

1987, pp. 255-256. Souligné par l'auteur.


[74]
Sujet n°10, "Le patron ridicule", 21 janvier 1985.
[75]
L'échelle utilisée en marge du rêve par le sujet indique qu'il ne s'agit pas d'un rêve déjà lucide que

le rêveur ne commenterait qu'à ce moment.


[76]
Sujet n°18, sans titre, lundi 6 octobre 1987.
[77]
Sujet n°10, "Atrocités dans le train", 26 novembre 1985.
[78]
D'après Marc-Alain Descamps « le critère du cauchemar réel est qu'il vous réveille et que l'on se

sent angoissé après, en ayant parfois du mal à reprendre ses esprits », La Maîtrise des Rêves,

Editions Universitaires, Paris, 1983, p. 72. C'est là un critère qui dépend en dernier ressort de ce qui

se passe au réveil ; il est donc trop limitatif pour qualifier le rêve responsable du malaise.
[79]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., pp. 245-247.
[80]
Pour une analyse différente de ce rêve, voir Christian Bouchet, "Oneiric Health and Oneiric

Lucidity", Lucidity Letter, 8 (1), 1989, pp. 77-91.


[81]
Sujet n°1, "Cassettes", dimanche 17 novembre 1985.
[82]
« Usually what happens is that I, in my dreams, am in a tough spot e.g. about to be pushed off a

cliff or 'shot up' by a gunman, and then something inside me says 'Don't worry - you're only

dreaming', - and that is the end of the dream. » Green, op. cit., p. 31.
[83]
Sujet n°1, "Victoire!", dimanche 8 septembre 1985.
[84]
Idem, "Volte face", jeudi 17 octobre 1985.
[85]
« A suggestion that greatly helped me to cure such dreams came from an experience that is

common to almost every one. Probably we have all at some time or another realised that our dream

was "only a dream" and not a waking reality. The idea contained in this very general experience

made the point from which I succeeded in starting a successful experiment in dream control. On

various occasions long ago, when a dream of grief or terror was becoming intolerably acute, the

thought flashed into my sleeping mind, "This is only a dream; if you wake, it will be over, and all will

be well again." If only we could ensure the realisation of this fact directly bad dreams appeared, they

would cease to have any terrors for us, for a way of escape would always be open. Therefore I tried

repeating this formula to myself from time to time, during the day and on going to bed, always in the

same words - "Remember this is a dream. You are to dream no longer" - until, I suppose, the

suggestion that I wanted to imprint upon the dream mind became more definite and more powerful

than the impression of any dream; so that when a dream of distress begins to trouble me, the
oft-repeated formula is automatically suggested, and I say at once : "You know this is a dream ; you

shall dream no longer - you are to wake." For a time after this secret had been fully learned, this

would always awaken me at once; nowadays, the formula having been said, I do not have to wake,

though I may do so, but the original fear dream always ceases. It is simply 'switched off,' and a

continuation of the dream, but without the disturbing element, takes its place and goes forward

without a break. » Mary Arnold-Forster, Studies in Dreams, The Macmillan company, New York, 1921,

pp. 27-28.
[86]
Sujet n°19, sans titre, 1er mai 1985.
[87]
« […] The dream became more lucid and my peripheral vision was greatly enhanced. I also felt my

dream body become more solid, I saw my hands and feets with much greater clarity.

« What happened next scared me more than anything I ever experienced in my life. I found my

consciousness so expanded that for a moment I could not tell if this was just a dream or reality. The

feeling was overwhelming. I became very frightened. Everything around me had become too clear to

be just a dream, and it felt as if my physical body, and mind, was converging together with my
dream body. It was very frightening. Something in the back of my mind told me that if I didn't stop

with the math problems and awaken soon, I will not be able to awake at all and die. This last word

stuck heavy on me. I became very, very nervous and started to panic. I immediately dropped the

paper and pencil and walked away from the desk. But walking this time was different from any I had

experience in a dream. This time I seemed to feel the weight of each foot as it hit the ground. Actual

weight. It was like I was there; my physical body. I began to tremble, what was happening was too

much for me to comprehend, I just wanted to wake up. When I tried, I found out that I could not.

This scared me very badly. The youth confronted me a second time and asked if I was all right. I told

him that I was and that I must go. Despite my efforts to wake up I found I still could not […] ».

Vincent MacTiernan, "Letter to the Editor", Lucidity Letter, 6 (2), pp. 157-160.
[88]
« From early childhood until I was about 45 I had recurring dreams, and in my sleep I used to find

myself saying 'of course I know this one, I've had it many times before' and if it was a nice one, I

would let it run on, and if nasty I could switch it off and wake up. » Green, op. cit., p. 45.
[89]
« I had been killed by an air raid and found myself with my companions "on the other side". I

complained about a pain in my left arm, whereupon one of them rummaged in her bag, produced a

bottle of tablets, and said that these would cure the pain. I suddenly burst out laughing, for I realized
that I was dead and that pills were not much good for the "astral body", or whatever it may be. This

was followed immediately by the thought, "Perhaps I'm not dead but dreaming," and as I pondered

this mystery, I woke up. » Dr. Ann Faraday, op. cit., p. 299.
[90]
« […] Next to the window was a chair identical to the one out-side. I quickly walked over to it, but

as I walked I heard the sound of running shower water and singing. I looked into the adjacent room

and saw my room-mate taking a shower in the corner. This struck me as very odd for I did not know
what he was doing here. I felt concerned for him; I didn't want him to get hurt by the gang of kids.

The banging became louder. Not having time to warn my room-mate, I quickly picked up the wooden

chair and threw it at the window. (The window was 6'X3' and was on the ground floor for I saw a

green hill a tree and a sidewalk.) It just bounced off, leaving the window quivering like it was made

of plexi-glass. This seemingly impossible event left me with the conclusion that this could only

happen in a dream. Just the fact that my room-mate was taking a shower in a corner gave further

evidence to this. It is at this point that I became lucid.

« Knowing that I was dreaming, and knowing that I could not be hurt, I opened the door to face the

gang. […] » Vincent MacTiernan, op. cit., p. 158. Souligné par l'auteur.
[91]
Descartes, Méditation Sixième, dans les Œuvres philosophiques, T.II, Edition de F. Alquié,

Classiques Garnier, Paris, 1983, p. 504. Cité supra dans le chapitre 1.


[92]
« In a dream I walked into the old room which I had had at D. Road, remembered that I was not

living here any more, and so knew I was dreaming. I looked at the room - it had that quality of

electrically-lit clarity, and there was darkness outside window. » Sujet B de Green, dans Green, op.
cit., p. 32.
[93]
Sujet n°1, "Vol à volonté", dimanche 23 juin 1985.
[94]
« Lucidity may arise when the dream-situation is such a kind that, if it happened in waking life, it

would initiate a train of analytical thought in the subject's mind. The train of analytical thought in

question may actually occur in the dream, just before it becomes lucid, or the dream may become

lucid with no such preliminary, at the point at which a train of analytical thought would normally have

been aroused. » Green, op. cit., p. 33.


[95]
« In a dream I heard a voice of unpleasant quality asserting of a certain place that it was 'where
Tiberius planned one of his murders'. Immediately there was a fairly clear view of an ornamental

tower or gateway resembling the 'Gate of Honour' at Caius College, Cambridge. On reflecting that the

voice was malicious and untruthful, I became aware of being in a separated state (the habit of

detachment from fixed ideas established recollection). » J.H.M. Whiteman, The Mystical Life, Faber &

Faber, London, 1961, pp. 57-58. Cité par Green, op. cit., pp. 33-34.
[96]
« This dream took place on the upper floor of a large, rather atmospheric mansion. First I was in a

room with X. We were talking about the possibility that there might be spirits in such a place and I

was invoking them - not very seriously. X. said something like: 'Well, you might give them a proper

chance. Go and do it in a room of your own.' So I agreed, without much enthusiasm, as when

someone suggests something which I ought to find interesting but don't expect to be successful. I

went along the corridor to another room and began to talk to the air. After a little, words I had said

began to echo back to me from the walls and corners of the room. This began to seem unnatural, as

isolated words were picked out of what I said and echoed repeatedly. Also the same word was echoed

back from different angles. I became uneasy and left the room before I became more so. As I walked
back along the corridor to rejoin X. I wondered how to explain my retreat to him; also whether such

an odd sort of echo could be naturally caused. At this point I realized that I was dreaming. » Sujet B

de Green, dans Green, op. cit., p. 33.


[97]
Sujet n°1, sans titre, jeudi 21 novembre 1985.
[98]
Idem, sans titre, lundi 20 janvier 1986.
[99]
Méthode donné par Carlos Castaneda dans Le Voyage à Ixtlan, voir supra, chapitre 2.
[100]
Sujet n°1, "Consignes de rêve lucide", 4 avril 1985.
[101]
« Incredible dream of great awareness and control. Dreamed I was in a house or mansion

somewhere and suddenly realized I was dreaming. It was a sudden cognitive awareness of being

simultaneously conscious and dreaming. […] » Bruce G. Marcot, "Journal of Attempts to Induce and

Work With Lucid Dreams: Can You Kill Yourself While Lucid?" Lucidity Letter, 6 (1), 1987, pp. 64-72.
[102]
« I have been dreaming for some time and suddenly I realize that I am dreaming. » Kenneth

Kelzer, op. cit., p. 18. Voir aussi les pages 3, 16, 33, 37, 38, 73, 101, 118, 141, 149, 168 du même

ouvrage.
[103]
Sujet n°16, sans titre, vendredi 2 novembre 1984.
[104]
Sujet n°13, "C'est un rêve, je dois pouvoir voler", jeudi 7 août 1986.
[105]
Sujet n°23, sans titre, 27 juin 1985.
[106]
Idem. Souligné par le sujet.
[107]
Sujet n°16, sans titre, jeudi 5 juillet 1984.
[108]
Idem, "Une mer de boue blanche", 1er février 1982.
[109]
Sujet n°10, "Le Grand Théâtre", 2 février 1985.
[110]
Descartes, "Lettre à Balzac du 15 avril 1631", dans les Œuvres philosophiques, T.I, op. cit.,

p. 289. Cité partiellement au chapitre 2, section I, §2, note. La situation inverse est décrite par

Proust au début d'A la Recherche du Temps perdu.


[111]
Sujet n°1, "Inceste", 14 avril 1985.
[112]
Cet élément conscientiel est sans doute le résultat d'un entraînement permettant d'obtenir la

lucidité, que le sujet en soit conscient ou non, comme par exemple l'habitude de noter ses rêves, de

revivre leur atmosphère générale et de les mémoriser. On peut poser l'hypothèse que la forme de

l'entraînement détermine la forme d'émergence : le sujet qui s'intéresse aux anomalies de ses rêves

aura certainement plus de rêves d'incongruités que celui qui s'occupe de leur aspect répétitif ou

encore que le sujet qui s'amuse simplement à considérer de temps à autre sa vie de veille comme un
rêve, exercice qui correspondrait à une émergence spontanée de la lucidité en rêve. Pour ces

questions voir le chapitre 4.


[113]
Sujet n°10, "L'Observateur du Rêve", 23 novembre 1985.
[114]
On peut néanmoins noter que les expériences de laboratoire montrent que la continuité vécue se

double d'une continuité réelle.


[115]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., pp. 229-230.
[116]
Ibid.
[117]
Ibid.
[118]
Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, op. cit., pp. 286-287.
[119]
« […] all perceptions of the physical body, inner and outer, visceral or peripheral, are entirely

absent. Usually I have the sensation of floating or flying […] ». Dr. Frederik van Eeden, "A Study of

Dreams", op. cit., pp. 435-438. Voir supra, chapitre 2.


[120]
Sujet n°1, sans titre, lundi 17 juin 1985.
[121]
Sujet n°10, "Le malade", 12 février 1985.
[122]
Sujet n°1, Ibid.
[123]
Sujet n°16, endormissement conscient suivi de "Réunion au salon" (début), 22 octobre 1986.
[124]
Ibid.
[125]
Idem, Commentaire de "Tuesday, dit G…", août 1981.
[126]
Idem, "La Chambre déformée", 28 août 1981.
[127]
Résolution.
[128]
Sujet n°1, sans titre, 6 juin 1985.
[129]
Ce serait en fait là le fameux "sommeil des nourrices" parfois mentionné pour rendre compte de la

lucidité. Voir à ce sujet supra chapitre 2 ainsi que Freud, L'Interprétation des Rêves, Presses

Universitaires de France, Paris, 1980, p. 487.


[130]
Sujet n°1, "Entre veille et sommeil", 19 mars 1985. Souligné par nous.
[131]
Sujet n°16, sans titre, lundi 22 octobre 1990.
[132]
« This […] is associated with various states of the physical body - e.g. the physical body may

continue to go about its ordinary activities, or it may fall asleep or faint, or lose consciousness in

ways which are variously described by different reporters. » Green, op. cit., p. 37.
[133]
« The subject voluntarily enters a lucid dream while falling asleep ». Ibid.
[134]
« The subject suddenly enters a state of "lucid dreaming" from a waking state. This may happen

quite involuntarily […] » Ibid.


[135]
« My very good friend, Mr. G. Murray Nash (Paul Black), was walking home from the office in the

daylight through the busy street. Suddenly all the houses and people vanished. He was standing in

beautiful open country. He walked on for a few yards and came to a flight of old stones steps leading

down to the bank of a wide stream or little river. A boat of beautiful, but very ancient, design was

moored there. Across the stern a rich purple robe had been carelessly thrown. Not a person was in

sight anywhere. Mr. Nash was about to descend the steps, when the vision faded and he found

himself walking on through the familiar street, and seemingly he had never stopped walking. This

experience seemed to him to last for two or three minutes; but judging from his position on returning

to normal consciousness, he had not walked more than half a dozen paces along the street. » Oliver

Fox, op. cit., p. 135, cité par Green, op. cit., p. 41.
[136]
« […] Do you know that man's as real to me as if I could touch him! He's an ugly man, only I feel

he's sublimely great. You know I've not got to be tied up always to myself. I can get up and walk

about in other worlds, and I very often like to walk through the room where that scene took place.

[…] » Green, op. cit., p. 42.


[137]
« If our criteria of a lucid dream are (1) that the subject should have a different field of perception

substituted for the normal one, and (2) that the subject should be aware of the state he is in, and

able to reflect rationally on its relationship to the normal world, then the "Daylight Impressions" of

Mrs. Willett would appear, to varying degrees, to qualify as lucid dreams. » Ibid., pp. 42-43.
[138]
« The thought of Mr. - came into my mind and suddenly with my eyes open, as I believe, for I was

not feeling sleepy, I seemed to be in a room in which a man was lying dead in a small bed. I

recognized the face at once as that of Mr. - , and felt no doubt that he was dead, and not asleep only.

The room appeared to be bare and without carpet or funiture […]. » E. Gurney, F.W.H. Myers & F.

Podmore, Phantasms of the Living, Trübner & Co., London, 1886, Vol. I, p. 226, cité par Green, op.

cit., p. 41.
[139]
« Mrs Willet was usually to some extent amnesic for what she had experienced in this state once it

was over." Green, op. cit., p. 43. [Précisons que les expériences de Mme Willet avaient lieu en

présence d'expérimentateurs avec qui elle conversait, habituellement les yeux ouverts.]
[140]
« This amnesia, of course, distinguishes theses states from any other kind of lucid dreams, but

subsequent non-amnesia has not been incorporated in our definition of a lucid dream, and it is

interesting to reflect that it might be possible experimentally to produce a lucid dream with
subsequent amnesia by simply suggesting to a hypnotized subject that he should forget any lucid

dreams which had spontaneously occurred to him while he was under hypnosis. » Ibid.
[141]
Voir par exemple les sujets n°10 ou 16.
[142]
« I am dreaming and I become aware that I am dreaming. As a confirmation to myself, I mentally

call up my hands into my field of vision and they appear instantly. My hands have an ethereal,

luminous quality to them and I am convinced that I am lucid, as I feel that refined, lucid energy

moving through my hands, face and head once again.

« I see my surroundings. I am in a small jail cell, lying on my back, sleeping on a simple cot.

Retaining my face-up position, I consciously and deliberately levitate my body up into the air and

then roll over a couple of times.

« Now I hear my son, Erik, walking into the bedroom in his usual manner. I hear the shuffle of his

feet on the carpet and feel the waterbed shake as he plops onto the far side of the bed to Charlene. I

hear them speaking and soon Charlene tells him to go back to his own bed which he does reluctantly.

I continue to focus on my lucidity in the dream state. I keep full concentration on my body floating in

the air and feel quite pleased with myself. I am fully convinced that at this converstaion between

Charlene and Erik is occurring on the physical plane completely outside the dream. I am able to

overhear it all and still maintain the continuity of this lucid dream. I determine to stay balanced, and

I do so. I realize clearly that I wish there was some way that I could set limits against Erik coming

into the bedroom in the early morning because I remember what I read yesterday in Creative

Dreaming: that the hours of the early morning are prime time for lucid dreams. I feel good in getting

clear about this paricular desire. […] » Kenneth Kelzer, op. cit., p. 37.
[143]
« […] For a long time I kneel quietly beside the other magi gasing earnestly at the infant. I am

totally entranced by the dazzling, beautiful light that emanates continuously from his whole body and

especially from his loving eyes, that simply look back at me, so calm and so steady. I feel as if I

could kneel here forever.

« Now I feel Charlene moving on the waterbed and putting her arms around my physical body. She is

extending a sexual invitation to me and I am completely clear that she is touching my physical body

and is hoping to arouse me from sleep. Still lucid, I gaze with total absorption at the infant Jesus,

appreciating so much the beautiful, glowing light that radiates from him continuously. I feel so solidly

established in the lucid state and so transfixed by this vision that I know that Charlene's touching my

physical body cannot pull me out of lucidity or out of the dream. I feel fully concentrated and

centered in the light. As Charlene continues with her sexual advances, there is no doubt or hesitation

in my mind as to which I would choose in this moment. I realize I would never abandon this

experience of immersion in the Light for sexual pleasure or any other pleasure that I have ever

known. I realize that it is rare for me to decline a sexual offer, and yet I do so without hesitation. I

prefer with one single-minded focus to concentrate all my attention on the glowing Christ child. I

realize that compared to this Light, all the other pleasures of life that I have ever known are

absolutely pale. I feel completely content and yet enraptured, totally at peace and enlivened at the

same time.
« After a time, the light that surrounds the child slowly begins to fade. Still lucid, and still aware of

Charlene persistently caressing my physical body, I now plan my exit from the dream, for I sense

that this marvelous scene is coming to its own natural conclusion. For a few moments longer I watch

as the light slowly fades from the Christ child until the dream has almost vanished completely. And

then, with a conscious act of the will and with a deep feeling of reluctance, I choose to leave the lucid

dream. Instantly I awaken, and as I return to the physical world I feel a tremendous amount of

energy and emotion rushing all through me, body and mind. I feel totally ecstatic, in a way that I

have never felt before. » Ibid., pp. 41-42. Souligné par l'auteur.
[144]
« At breakfast I felt the need to verify, from Charlene's testimony, whether or not Erik had come

into our bedroom that morning. In the lucid dream state I was completely clear that Erik had, indeed,

entered our bedroom several times on the physical plane and had carried on his dialogue with

Charlene on the physical plane. But now in the waking state, I had some uncertainties about what

had actually happened. So I asked Charlene several open-ended questions (so as not to bias her

answers) about what had occurred. She informed me that Erik had, in fact, entered the bedroom

several times, had crawled into bed next to her, and had tried to persuade her to allow him to stay
there. Each time she told him to return to his own bed and each time he eventuallly complied.

« This added confirmation was important to me and it allowed me to see that I had experienced

another break-through in the lucid dreaming process. For the first time in the lucid state I became

conscious on three levels simultaneously. I was conscious of the dreamscape (the dream content and

imagery), conscious of the fact that I was dreaming (lucidity), and conscious of certain events

occuring simultaneously around me on the physical plane. However, it was above all, the exceptional

degree of clarity (lucidity) experienced especially in the third dream, that enabled me to distinguish

these three levels of awareness and to maintain the lucid state until the natural completion of the

dream. » Ibid., pp. 43-44.


[145]
Yves Delage, Le Rêve, op. cit., p. 157.
[146]
Les études de laboratoire ont d'ailleurs montré qu'un rêveur lucide peut, dans certaines

conditions, percevoir partiellement l'environnement de veille sans quitter le sommeil paradoxal

indiqué par les tracés polygraphiques.


[147]
« Mrs. Willet would usually be sitting, sometimes with her eyes closed, and would talk to the

experimenters who were with her throughout the experience. Here is an example: 'It's a picture - a

picture that I love and often see […]' ». Green, op. cit., p. 42.
[148]
« What Mrs. Willet was perceiving was not always visual, but was sometimes more like a sequence

of abstract impressions. » Ibid., p. 43.


[149]
« In the course of my experiment it occured to me that it would make sense to distinguish

between 7 aspects of lucidity (clarity) :


« (1) clarity that one is dreaming ;

« (2) clarity regarding one's own ability to decide to do something ;

« (3) clarity with regard to recollecting one's waking life, especially to recollecting what one intended

to investigate in the dream ;

« (4) clarity respecting recollecting the dream (this is the only aspect which is not directly related to

the dream itself) ;

« (5) lucidity of the consciousness, as opposed to a disturbed consciousness ;

« (6) lucidity of perception (being able to perceive everything one sees, hears, touches, smells,

tastes, etc. in the dream) and

« (7) clarity regarding recognizing what the dream symbolizes. » Paul Tholey, "Overview of the

German Research in the Field of Lucid Dreaming", dans Lucidity Letter, 7(1), 1988, p. 26.
[150]
« There is a need to pursue the question of whether the lucid dreamer has the same access to

memory that he or she has when awake, which is implied when lucid dreaming is spoken of as
"waking consciousness occurring during the dream." Tart […] observed that Frederik van Eeden
"possessed all of his normal intellectual faculties" when dreaming lucidly. Tart again […] says that the

consciousness of the lucid dreamer has the clarity, the lucidity of his waking state. His consciousness

is "practically identical to his waking state." Then Stephen LaBerge […] wrote that the lucid dreamer

"can reason clearly, remember freely".

« Since I never have my normal intellectual faculties during lucid dreams, and I never have had the

clarity or lucidity of the waking state even at my best moments in what is now 397 lucid dreams, I

questioned […] the use of the expression "waking consciousness during the dream", and the claim

that lucid dreamers remember and reason as when awake. Since such claims contradict my

experience I felt that they were incorrect. » George Gillespie, "Memory and Reason in Lucid Dreams :

A Personal Observation", Lucidity Letter, 2 (4), November 1983, pp. 8-9.


[151]
« Now I see that somewhat differently. Since such things continue to be said, even by some who

have had lucid dreams, it must be correct that some people do have good memories and good

reasoning ability while dreaming lucidly. » Ibid.


[152]
« George Gillespie […] describes his "lucid dreaming" as including the knowledge that he is

dreaming while he is dreaming, but without his consciousness being more like his ordinary waking

state than like his ordinary dreaming state. He asks the question whether his dreaming is lucid by my

definition of lucid dreaming : "Lucid dreams are those in which the dreamer is aware that he is

dreaming, clearly recalls his waking life, and considers himself to be in full command of his

intellectual and motivational abilities."

« By this definition Gillepsie's dreams are not lucid. In my "From Spontaneous Event to Lucidity"

review, I put great emphasis on the fact that knowing that you are dreaming while you are dreaming
is a necessary but not a sufficient criterion for labelling a dream "lucid". The full definition of a lucid

dream given in that review article is "lucid dreaming is an altered d-Soc (discrete state of

consciousness) charecterized by the lucid dreamer experiencing himself as located in a world or

environment that he intellectually knows is 'unreal' (or certainly not ordinary physical reality) while

simultaneously experiencing the overall quality of his consciousness as having clarity, the lucidity of

his ordinary waking d-Soc. » Charles T. Tart, "Terminology in Lucid Dream Research", Lucidity Letter,

vol. 3, n°1, mars 1984, pp. 4-6. Souligné par l'auteur. ("d-SoC" signifie "discrete state of

consciousness".)
[153]
« However, even if some people have "waking consciousness" in lucid dreams, it is questionable

that these characteristics should be included in the definition of lucid dreams. Paul Tholey […] begins

with a definition of lucid dreams that [he] attributes to Tart […] "Lucid dreams are those in which the

dreamer is aware that he is dreaming, clearly recalls his waking life, and considers himself to be in

full command of his intellectual and motivational abilities." My lucid dreams are excluded by this

definition. In lucid dreams I retain the restrictions of my ordinary dream consciousness. I forget most

of my daily waking life. I do not know where I am sleeping, or what year it is. I recall little even if I
try. Less than half the time can I remember what experiment I had planned to do. Memory is often

false. My ability to reason is limited. I cannot plan the future beyond the immediate. I am little aware

of my inconsistencies, mistakes and ignorance. I accept dream events uncritically. I am unable to

judge (until awake) the results of experiments I do in my lucid dreams. I do some things that make

no sense. I have only enough lucidity to become aware of some inconsistency in the dream or to

realize somehow I am dreaming and to proceed according to that knowledge. » George Gillespie,

"Memory and Reason in Lucid Dreams : A Personal Observation", op. cit.


[154]
« Even though some may reason somewhat well and remember somewhat well while dreaming

lucidly, I suspect that such ability may often be overplayed. Even van Eeden, who, it is said,
"possessed all of his normal intellectual faculties" does not give the impression that that was strictly

so, as we read his account of his dream lucidity […] . There are some statements that show less than

normal memory and rationality. He says, "it is very difficult… to control emotional impulses." When

he first talked to his brother he did not remember that his brother had died. He said to his brother,

"Now we are dreaming, both of us…" I had indeed a very strong feeling of certitude that it was really

van't Hoff with whom I talked… I took myself then for younger than I was… I said that I understood

him, though after waking up I was utterly puzzled by it and could make nothing of it… I had no idea

of my real condition… » Ibid.


[155]
« The simplest definition of lucid dreaming that I have found, is one used by Gackenbach […] she

describes lucid dreams as "awareness of dreaming while in the dream state." For the "Sleep and

Dreaming Questionnaire" that I filled out under her direction, it is said that lucid dreams "are dreams

where you are aware that you are dreaming while you are dreaming." With this kind of restricted

definition I am a lucid dreamer, which I do not question anyway. If the questionnaire's definition had

included the specific characteristics of reasoning clearly and remembering freely, I, and I trust others,
could not have filled out the questionnaire. » Ibid.
[156]
« This is not to say that Gillepsie's dreams are not of interest : far from it. Since F. van Eeden […]

coined the term lucid dreaming however, and since he characterized his dream consciousness as

more like waking than dreaming, I think we owe it to van Eeden to reserve the term "lucid dream" for

this sort of event, not for any dream in which there is only knowledge that one is dreaming. I shall

propose the new term, "dreaming awareness dreams" to describe ordinary dreams that includes

some concurrent awareness that one is dreaming, but where this awareness is not accompanied by a

shift in consciousness to the altered state of lucid dreaming.

« The importance of making this distinction will depend on whether lucid dreams and dreaming

awareness dreams ultimately turn out to be part of a continuum of dreaming consciousness or

whether lucid dreams (and perhaps dreaming awareness dreams) are qualitatively different in

important respects from ordinary dreaming. Insofar as lucid dreamings and dreaming-awareness

dreams are qualitatively different from each other and/or from ordinary dreams, it is vitally important

to distinguish them in studies which attempt to correlate various psychological and personal qualities

with the occurence or qualites of lucid dreaming ». Charles T. Tart, "Terminology in Lucid Dream

Research", op. cit.


[157]
« In my lucid dreams, though I never have the lucidity of my waking moments, I am decidedly

more lucid than in my ordinary dreams. Even before I realize I am dreaming, I acquire enough

lucidity to notice anomalies in the dream, to realize that certain situations are dream-like and to

reflect on the question of whether I am dreaming. Ordinary dreams are full of anomalies,

contradictions and dream-like situations that I accept without notice. It is the onset of lucidity that

enables me to notice, reflect and realize, and enables the lucid dream to occur. It is lucidity to realize

I am dreaming, to sustain that knowledge for some time and to realize its implications. I know the

dream is not ordinary physical reality, that dream people are not separate entities and that it won't

help me to write down notes or to run to the bathroom until I wake up. I normally remember that I

am to proceed with some task, even though frequently I can't think of what it is. When I think of it, I

can usually carry it through, though sometimes I forget what I'm doing, or I suddenly do something

unplanned. I observe closely, though my judgment is bad. I can decide to remain detached or to
become involved with the dream. These abilities are not characteristic of my ordinary dreams ».

Georges Gillespie, "Can we distinguish between lucid dreams and dreaming-awareness dreams?"

Lucidity Letter, vol. 3, n° 2 & 3, August 1984, pp. 9-11.


[158]
« To begin with, Tart's description of dreaming-awareness dreams is based on some questionable

assumptions. On what basis can it be concluded that anything less than waking lucidity in a dream

constitutes an ordinary dream? My lucid dreams are very different from my ordinary dreams in ways

I will describe. I am also wary of lucid dreaming called an altered discrete state while dreaming-

awareness dreams are assumed to include no shift in consciousness to that altered state. Do we

know enough yet about states of consciousness to conclude that two varying degrees of lucidity
constitute different states? Do we know enough yet about shifts in consciousness to conclude that

realizing one is dreaming does not indicate a decisive shift to lucid dreaming? », Ibid.
[159]
« Under the term "lucid dream" are to be included those dreams "in which the dreamer is aware

that he is dreaming, clearly recalls his waking life, and considers himself to be in full command of his

intellectual and motivational abilities." […] I see no difference in motivational ability between my own

experience and what I read of other's lucid dream experiences. I desire and intend and proceed to

carry through my intentions. I am usually in charge of what I do in spite of occasional spontaneous

unplanned acts, as in fact I am in much of my ordinary dreaming », Ibid.


[160]
« The essential distinction, then, if there be one, between lucid dreams and dreaming-awareness

dreams is in degree of lucidity, that is in degree of memory and intellectual abilities », Ibid.
[161]
« Editor: Throughout all of this you knew you were dreaming?

« Wolf: Always.

« Editor: Did you have any sense of having to balance that awareness with your dream activity?

« Wolf: How do you mean? I don't know what you mean by balance?

« Editor: I found that if I don't continually remind myself of the true nature of the dream as that of

dream that I lose the awareness. You didn't have any of that.

« Wolf: There was no effort to keep dreaming.

« Editor: No, not to keep dreaming, that's easy. To keep the knowledge, the awareness of the true

nature of the state.

« Wolf: I wasn't thinking about it. I was just simply going through the experience of what was

happening to me. I was living the experience as much as I was this experience. I don't know what's

going to happen next right now.

« Editor: Throughout, you knew it was a dream.

« Wolf: Yes. I mean I knew it was a dream but at the same time I wasn't thinking, "Oh, I know this

is a dream. I know this is a dream." I wasn't constantly reminding myself this was a dream.

« Editor: But you still had the sense that you knew it?

« Wolf: I don't know what you mean by that. If you say to me, do I know I'm awake at this moment,

I would say, "Of course, I'm awake at this moment."

« Editor: But you're not always saying it.

«Wolf: Am I always telling myself "Am I awake? Am I awake? Am I awake?" No, of course not.

« Editor: Okay, let me explain it with a personal experience. When I know I'm dreaming, I remind

myself I know I'm dreaming and I continue to do so. If at some point I lose that awareness and I

don't remind myself : I don't say, I'am awake or I'm dreaming or whatever, then the dream
continues. I wake up later and think, "Ah, gees, I lost it!". My recollection of the part where I knew I

was dreaming will be very distinct from the part where I didn't know I was dreaming. I know that I

got caught up in the activities and I lost the awareness. Although there are people who talk about the

continuity of the awareness without like you say, the reminding ». Jayne Gackenbach, "Interview with

Physicist Fred Alan Wolf, On the Physics of Lucid Dreaming", Lucidity Letter, 6 (1), 1987, pp. 51-63.
[162]
Sujet n°16, "Réunion au Salon chez les S…", 2 juin 1987.
[163]
Idem, "La peur au ventre côté cimetière" (extrait), suite du rêve précédent, même date.
[164]
« For example, I found that I had no trouble with rote memory, but when I tried to recall where I

was sleeping (after frequent moving around) I could not ». George Gillepsie, op. cit.
[165]
Sujet n°16, "Paralysé dans mon corps", 3 octobre 1983.
[166]
Idem, "Possédé par un vampire", mardi 27 septembre 1983.
[167]
Idem, sans titre, samedi 11 juin 1983.
[168]
Idem, "Les dimensions de la cuisine" (faux-éveil suivi de lucidité, extrait), 2 juin 1987.
[169]
Se reporter aux rêves des sujets 19 et 10 donnés supra.
[170]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 268.
[171]
« "In the dream, I was at someone's house, and I decided to try to have a lucid dream. I wasn't

actually in bed in the dream, but I put my head down on a table and relaxed, and suddenly found

that I was dreaming lucidly. I remember thinking something like 'Wow, this is so realistic. If I didn't

know that I was dreaming, I would think that this was really happening'".

« "In the lucid part of the dream, I actually replayed the first part of the lucid dream from 7-JUL-86, but

not the entire dream. Part way through this replay, something disturbed me (in the dream), and I

awoke back to the nonlucid dream, realizing (in the nonlucid dream) that I had just had a lucid

dream. Soon I actually awoke."

« I classified the above dream as a "dream of a lucid dream" because what I thought was reality was in

fact another dream. I thought that I was actually at someone else's house dreaming. However, the

lucid dream part seemed just like regular lucid dream, but with reality confused ». Darrell Dixon,

"Dreams of Lucid Dreams", Lucidity Letter, 6 (1), 1987 pp. 91-93.


[172]
Sujet n°16, "Mis en transe par un yogi", 19 mai 1988. Souligné par nous pour mettre en évidence

le début et la fin du passage lucide.


[173]
George Gillespie, "Problems Related To Experimentation While Dreaming Lucidly", Lucidity Letter,

vol. 3, n° 2 & 3, August 1984, pp. 1-3.


[174]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 255.
[175]
Ibid.
[176]
« In order to attain to the Dream of Knowledge we must arouse the critical faculty which seems to

be to a great extent inoperative in dreams, and here, too, degrees of activity become manifest. Let

us suppose, for example, that in my dream I am in a café. At a table near mine is a lady who would

be very attractive - only, she has four eyes. Here are some illustrations of these degrees of activity of

the critical faculty:

« (1) In the dream it is practically dormant, but on waking I have the feeling that there was

something peculiar about this lady. Suddenly I get it - "Why, of course, she had four eyes!"

« (2) In the dream I exhibit mild suprise and say, "How curious, that girl has four eyes! It spoils

her." But only in the same way that I might remark, "What a pity she has broken her nose! I wonder

how she did it."

« (3) The critical faculty is more awake and the four eyes are regarded as abnormal; but the

phenomenon is not fully appreciated. I exclaim, "Good Lord!" and then reassure myself by adding,

"There must be a freak show or a circus in the town." Thus I hover on the brink of realisation, but do

not quite get there.

« (4) My critical faculty is now fully awake and refuses to be satisfied by this explanation. I continue

my train of thought, "But there never was such a freak! An adult woman with four eyes - it's

impossible. I am dreaming." ». Oliver Fox, op. cit., pp. 35-36.


[177]
Voir sujet n°16, "Les dimensions de la cuisine", cité supra.
[178]
Sujet n°1, "Bande dessinée" (extrait), 15 juin 1985.
[179]
« In an ordinary or lucid dream I feel that my mental functioning is as when awake. It is only

while awake that I can reflect critically on the dream experience and see that my mental abilities

were limited. While dreaming, I do not have the discerning abilities to enable me to notice my

limitations. I believe I remember things correctly, I confidently plan my next action and make

judgments without hesitation. After the dream I might remember only my self assurance about my

mental abilities. But I have seen my limitations by recollection and by testing myself while dreaming

lucidly ». George Gillespie "Can we distinguish between lucid dreams and dreaming-awareness

dreams ? » op. cit.


[180]
Sujet n°10, "Une exploration en profondeur", 19 octobre 1986
[181]
Voir par exemple le même sujet, "The destiny of Britain", 13 octobre 1986.
[182]
Sujet n°1, "Vol à volonté, rêve lucide!" dimanche 23 juin 1985. Début cité supra, même chapitre,

section I, §1, I. A. 1.
[183]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 249.
[184]
Voir sujet n°10, "Le patron ridicule", 21 janvier 1985, cité supra.
[185]
« The lucid dreamer frequently has volitional control over this lucid dream world to some extent,

frequently performing actions that are "magical" by waking-life standards, such as willing changes in

the "physical" qualities of the dream world, a kind of "experiencial psychokinesis." » Charles T. Tart,

"From Spontaneous Event to Lucidity, A Review of Attempts to Consciously Control Nocturnal

Dreaming", in : Jayne Gackenbach and Stephen LaBerge (eds.), Conscious Mind, Sleeping Brain,

Perspectives on Lucid Dreaming, Plenum, New York, 1988, pp. 67-103.


[186]
« […] whereas control over dream situations and characteristics is a frequent aspect of lucid

dreaming, control of a dream situation is not per se a sufficent indicator of lucidity. Dreamers can

sometimes learn partially volitional control in dreams without experiencing the overall shift in state of

consciousness that constitute the d-SoC of lucid dreaming ». Ibid., p. 95. "d-SoC" signifie "discrete

state of consciousness ".


[187]
« The high degree of apparent volitional control of content manifested in lucid dreaming suggests

it is the ultimate form of concurrent content control ». Ibid.


[188]
Patricia Garfield, op. cit., p. 156.
[189]
Voir notamment : Joseph Dane, P. Eric Graig, and Morton Schatzman, "Ethical Issues for

Applications of Lucid Dreaming", Lucidity Letter, 6 (2), 1987, pp. 70-93.


[190]
Voir supra, section I, Introduction.
[191]
« Now I realize that I can control the dream sequence. I decide I want the rain to stop. It doesn't.

I wonder to myself why it's so important that it keeps on raining, and what the rain could represent. I

come to a platform where there are some people standing around. I go from one to another asking

them, what time does the next train leave? But they all ignore me. It's as if I'm not even there. I
begin to feel angry and frustrated […]. » Joseph Dane, P. Eric Graig, and Morton Schatzman, "Ethical

Issues for Applications of Lucid Dreaming", op. cit.


[192]
« I was in total darkness. I knew I was in my living room but there was no light at all. The only

sound I could hear was the sound of my blood rushing in my ears. This sound filled the room and I

was very afraid. Suddenly a man I recognized as Rutger Hauer (an actor who has portrayed the kind

of villain that terrrifies me) was standing in front of me. There was a light around him, a fuzzy light,

but I could see him clearly. I said, "Time to bug out of this dream." He laughed at me and said, "Just

because you know that you are dreaming does not mean you have the power to control it." I tried to

"teleport" myself somewhere else and failed. He laughed again and I felt terrified! […] ». Jayne

Gackenbach & Jane Bosveld, Control your Dreams, Harper & Row, New York, 1989, p. 85.
[193]
Oliver Fox, op. cit., pp. 34-35. Souligné par l'auteur.
[194]
« To get the best results I had to know all about the past life of my earthly self, just as one does
in waking life, to realize my body was asleep in bed, and to appreciate the extended powers at my

command in this seemingly disembodied state. » Ibid.


[195]
« It would seem that the most difficult exercise of memory in a lucid dream, at least so far as the

events of one's own past life are concerned, would be to trace the events of the last few days up to

the moment of actually going to bed on the night in question. Fox does not explicitly state that his

memory of the events of his life passed this test, so it remains an open question whether it would

have done. » Green, op. cit., p. 159.


[196]
Sujet n°16, "Le couloir qui mène au cinéma", 29 décembre 1981.
[197]
Idem, sans titre, 29 décembre 1981.
[198]
Idem, "Le lit dans le salon", 18 janvier 1982.
[199]
« One time I found myself in a department store that looked like any department store we have in

our world ; after wandering around for a minute or so, I walked outside. The scene that confronted
me was typical of any large city at noon : all kinds of people hurrying to and fro, heavy traffic in the

street with a policeman trying to direct it; I began to feel very angry and just about fed up, so I

walked out to the middle of the street and began yelling as loud as I could, "Alright you people, listen

up! This is my damn dream, and I want to know what in the hell is going around here!" Well, if I had

dropped a bomb I couldn't have made a more startling impression -- everything stopped and

everyone looked at me, then they all began walking toward me in a very menacing way; frantically I

began concentrating on my body in an effort to end the experience, but for a few long seconds

nothing happened and I could feel the terror sweeping over me. Finally, just before they reached me,

the experience ended and I was back in my bed. After this experience, anytime I find myself in a

crowd I keep very quiet. » Father X, "Reflections on Lucid Dreaming and Out-of-Body-Experiences",

Lucidity Letter, 8 (1), 1989, pp. 35-45.


[200]
Robert Price, communication personnelle, juin 1985.
[201]
Sujet n°16, sans titre, dimanche 7 juillet 1985.
[202]
Sujet n°16, sans titre, 11 mars 1985.
[203]
Ibid.
[204]
Voir entre autres sujet n° 16, 15 décembre 1984, cité supra, section I, §1, I.
[205]
« I certainly have had dreams in which I distinctly remember asking myself the question "Am I

dreaming ?". These occur quite often - perhaps as much as once a week. However, as far as I can

remember, the vast majority of times the question either was left unanswered in my mind or was

unanswered in the negative, and the dream continued without the thought returning to me ». Green,

op. cit., p. 23.


[206]
« There were times when I argued with myself about whether I was dreaming or not -saying it is

O.K., it is only a dream- and then saying to myself no it is not... this is reality' (ordinary reality that

is). » Ibid.
[207]
« In two successive dreams of rather disordered sleep I was preoccupied by the same absurd but

nightmareish worry. I thought that certain household possessions, some fine pieces of brocade, and

silk curtains, had been left out of doors, and had been found in the rain and melting snow. The care

of getting these things dried and restored became an obsession which distracted my dream

imagination. In the second part of the dream, when the trouble had become acute, and when I was

presumably near to the point of waking, I not only took part as the dreamer, but was present in a

double capacity ; for 'I' interrupted the dream, and argued sternly with the dreamer as to the reality

of the trouble that was so oppressive. 'I' said, 'This is a dream- I am certain of it ; you must wake'.

But the dreamer replied, 'It cannot simply be a dream, because it was not only in this dream, but in

the dream before this one that I discovered these things in the snow; it must be real, or it would not

happen twice, and here are the actual things which you can see and touch for yourself.' 'I' was very

puzzled; it did indeed seem very real even to me, and very confusing. 'I' examined the soiled

materials again; they felt very wet and dripping in my hands and seemed to be convincingly 'real'.

'Perhaps', I though, 'some of the seeming facts are really true' - I could not disentagle them from

what was false; only 'I' felt sure that a great deal of the worry was 'dream trouble, not day trouble.'

'No,' the dreamer argued again, 'for you can see and feel the wet things - they are too real to be

"dream things." ' 'Well,' 'I' said at last, 'will you put it to the touch, and test it? Wake,' I said, 'and

see just how much of this is a dream!' And I woke ». Mary Arnold-Forster, op. cit., pp. 172-173.
[208]
Sujet n°16,"Est-ce un rêve ? Double test: chute et attitude", 31 janvier 1985.
[209]
Idem, sans titre, 9 mars 1985.
[210]
Idem, sans titre, 29 décembre 1981, cité supra.
[211]
Idem, "Voir s'il me voit", 28 décembre 1981.
[212]
Idem, "Est-ce que je saute ?", mercredi 7 juin 1984.
[213]
Idem, sans titre, 2 mars 1984. Souligné par nous.
[214]
Idem, "Le pont de Nantes", 21 janvier 1985. Souligné par nous.
[215]
Cité supra au chapitre 2.
[216]
Le rêve cité supra ," Une mer de boue blanche", est de ce type.
[217]
Sujet n°10, "Atrocités dans le train", 26 novembre 1985. Cité supra.
[218]
Idem, journal de rêves de la même date.
[219]
Yves Delage, op. cit., p. 449. Souligné par nous.
[220]
« I may state that without exception all my lucid dreams occurred in the hours between five and

eight in the morning ». Dr. Frederik van Eeden, op. cit., p. 449.
[221]
Patricia Garfield, La Créativité Onirique, La Table Ronde, Paris, 1983, pp. 138-139.
[222]
« I have been dreaming for some time and suddenly I realize that I am dreaming. As soon as I

become lucid, I feel a flow of tingling energy rising up into my head and settling in my forehead. The

dream images shift suddenly and now I see an amazingly beautiful ever green tree in front of me. Its

branches are covered with snow, each one carefully and delicately poised, sagging under the weight

of the beautiful, clear, brilliant, white powder. The scene is absolutely marvelous in its beauty and

clarity.

« I decide to take charge in the dream and I mentally command the tree to turn into a … (pause) …

rabbit! After this short pause the thought comes to me, "A rabbit! Why not? A rabbit will do quite

nicely." Instantly the tree vanishes and I see only a blank, brown screen in my field of vision. I feel

disappointed and I choose to keep visualizing a rabbit. Soon I see the white outline of a rabbit on the

brown screen. First I see it from a side view and then from its backside, as it begins to hop about
with movements similar to an animated cartoon.

« Suddenly the scene changes. I arch my head back and look straight up into the air. I see a

beautiful eagle, or perhaps a hawk, floating in the air above me, hovering in place with poised,

widespread wings. The sky is absolutely clear blue and the rays of the sun filter slowly and gloriously

down through the outstretched feathers of the bird. Sparkles of sunlight slowly fall down toward me,

like a soft, gentle shower. I feel impressed and joyous at the marvelous beauty of this scene which I

savor, fully and deliberately, in every detail.

« Suddenly I awaken, and I lie in bed with my eyes closed, my mind fully alert, basking in the

afterglow of the vision ». Kelzer, op. cit., pp. 18-19.


[223]
Sujet n°16, sans titre, 2 juin 1987, début de ce rêve partiellement cité supra.
[224]
Voir par exemple le rêve du sujet n°10, "Atrocités dans le train", 26 novembre 1985, cité supra .
[225]
« […] How long elapsed I cannot say; time is a most perplexing thing in the Dream World; but

presently it occured to me that I ought to be getting back to my body. I had to be at College by nine

o'clock, and I had no idea what the actual earth-time was, except that it was probably morning. I

therefore willed to end the dream and to awake. To my great surprise nothing happened. I was as

though a man actually wide awake willed to awake. It seemed to me that I could not be more awake

than I was. My reason told me that the apparently solid shore and sunlit waves were not the physical

land and sea ; that my body was lying in bed, half a mile away at Forest View ; but I could not feel

the truth of this. I seemed to be completely severed from that physical body". Oliver Fox, op. cit.,

pp. 38-39.
[226]
Sujet n°10, "L'Amour à l'anglaise et l'ordinateur", 12 janvier 1986.
[227]
Idem, "Le devoir d'esperanto", 26 novembre 1985.
[228]
Id., Journal de rêves de la même date.
[229]
Id., "1929", 18 septembre 1986.
[230]
Sujet n°16, « "Au revoir, C…", grimaça-t-il », 5 juin 1984.
[231]
Le corpus de rêves que nous avons recueillis montre que certains sujets ont classé comme

"ordinaires" des rêves dont la lucidité transparaît dans le récit.


[232]
Cité supra, section I, §1, I, A.
[233]
« I am walking down an unidentified alley late at night. There are many fire escapes on the backs

of the buildings which I am passing in the alley. I am being followed, but the knowledge does not

disturb me very much. I feel more curiosity than fear. I finally look over my shoulder to see a man -

but I can't see his face - wearing a fedora and trenchcoat and carrying a knife. When he realizes I've

seen him, he begins to run after me. I still feel no real fear, however, because I am very much aware

that this is a dream and I am in no real danger. I wait until he is perhaps twenty yards away from

me, and then I take a running start and fly up to the nearest fire escape. My pursuer begins to climb
up the fire escape after me, but I merely soar over to the next one, laughing at his clumsy attempts

to overtake me ». Récit rapporté par Jayne Gackenbach & Jane Bosveld, op. cit., pp. 84-85.
[234]
« I was in a building with a group of people. The building was surrounded by zombies. I had a gun

that misfired every time I tried to shoot a creature. They managed to break in and we were quickly

surrounded. I knew that our escape depended on my gun working. Suddenly, I realized that I was

dreaming and that I could force the gun to work by willing it to do so. The gun began firing and we

escaped ». Ibid., pp. 83-84.


[235]
« I am walking alone in a mountainous country area. I begin to climb upward on several huge

slabs of solid granite. Leaning forward as I climb, I patiently work my way up these massive, steep,

grayish-white monoliths. At last I reach the summit, a high plateau, and see a broad, vast plain

ahead of me. The plain extends for a great distance, as far as the eye can see, and is covered with

grass and occasional clumps of trees. At some distance on the plain, I see a large, goat-like beast,

similar to an African wildebeast, with long, shaggy, black hair. A primitive man, a naked aborigine,

looking like an American Indian, is riding the wildebeast. Suddenly, the beast turns directly toward

me and begins to charge. I realize that the aborigine has no control over the beast at all; in fact, the

beast is controlling him! I feel alarmed. I clearly see that the beast has two, short, curved horns with

sharp points, exactly like those of an American buffalo.

« Suddenly, I realize I am dreaming, and I feel a great surge or energy shoot through my whole

body and settle in my forehead. I tell myself I have absolutely nothing to fear because I know that

what I see is a dream. I stand ready to meet the wildebeest's attack and feel tremendous energy

bristling out of my arms. My arms feel much more muscled and stronger than usual, each one
surrounded by a powerful energy field, shaped like a cylinder about eight inches in diameter,

completely encompassing each arm, and extending from my shoulders all the way down to the

fingertips of both hands. I feel incredibly powerful. I think to myself that, at just the right moment,

with perfect timing and balance, I will grab the charging wildebeest by the horns and bulldog it to the

ground as if I were a rodeo cowboy. I wait with full confidence as the wilderbeast and the naked

aborigine charge directly toward me, headlong, at full speed. […] ». Kelzer, op.cit., pp. 3-4.
[236]
« […] At the very last moment, just as I expect to feel their impact, the wildebeast and the naked

aborigine come to an abrupt halt, directly in front of me. For several minutes, I confront the

wildebeest, powerfully, looking straight into one of its bloodshot eyes, as it nervously paws the earth,

stirring up a small cloud of dust only a few feet from where I stand. I think to myself with great

satisfaction, "I don't have to bulldog it after all." The naked aborigine sits calm and immobile on top

of the shaggy beast and has an empty and faraway look in his eye as I glare at him powerfully. Then

I look back at the wildebeast, and for several long moments we continue to stare directly into each

other's eyes as it repeatedly paws the earth, restlessly. I fell totally balanced and poised, mentally

clear, and very satisfied. Slowly the dream fades out and I return to a normal sleep ». Ibid.
[237]
« My first recollections of flying dreams go back to when I was a very little child, when we were

living in London. The flying dream, when it first came, was connected with the sensation of fear.

Half-way up the dimly lighted staircase that led to our nursery a landing opened on to a

conservatory. The conservatory by day was a sunny place full of the pleasantest associations, but

with the coming fo darkness its character changed altogether. In the night-time anything might be

imagined to lurk in its unlighted corners; decidedly it was safest always to hurry past that landing,

and even past the other landings which, though they did not open on to any such dark spots, were

not places where a child cared to linger alone. In some of the first dreams that I can remember I was

on that staircase, fearful of something which I was especially anxious never to have to see. It was
then that the blessed discovery was made, and that I found that it was just as easy to fly downstairs

as to walk; that directly my feet left the ground the fear ceased - I was quite safe; and this discovery

has altered the nature of my dreams ever since. […] ». Arnold-Forster, op. cit., pp. 64-65.
[238]
Cité supra, chapitre 2.
[239]
« During lucid dreaming the appearance of the dream world seems to be identical to that of the

waking world. Certain of our perception experiments sometimes (but not always) led to the same

results as in the waking state. It was possible, for example, to deliberately bring about double vision,
positive after-image, as well as the restructuring figures ». Paul Tholey, "Overview of the German

Research in the Field of Lucid Dreaming", op.cit., p. 29.


[240]
« Other highly unusual experiences also occurred, however such as flying or floating, out of the

body experiences, panorama vision (360°), four-dimensionality of space, the slowing down of time,

and cosmic experiences ». Ibid.


[241]
Cité supra section I, Introduction.
[242]
Voir le rêve "Une mer de boue blanche" cité supra.
[243]
Cité supra, section I, §1, IV.
Chapitre Quatre
L'induction de la Lucidité Onirique
[lire la traduction anglaise par Sunthar Visuvalingam]

Jusqu'à présent nous avons tenté de donner une idée de la nature du rêve lucide en
nous appuyant sur une définition de recherche et la description de ses caractéristiques les
plus fréquentes. Mais la lecture des récits montre que seule l'expérience directe permet une
compréhension véritable du phénomène, notamment lorsque les sujets en soulignent
l'originalité fondamentale, tant par rapport à la veille qu'au rêve ordinaire : leurs
commentaires indiquent assez que la nouveauté de l'expérience ne réside pas seulement
dans une combinaison inédite d'éléments déjà vécus séparément (le rêve d'un côté et la
conscience de l'autre) - le rêve lucide serait plutôt une nouvelle manière d'être au monde qui
élargit le champ d'existence d'un individu. Dans ces conditions il devient nécessaire pour le
chercheur ou le lecteur de vivre une expérience onirique qui puisse lui servir de référence
personnelle afin de comprendre les récits des rêveurs lucides, tout comme on accepte les
rêves ordinaires d'autrui parce qu'on a soi-même l'expérience de la vie onirique. Or, la
nouveauté même du rêve lucide amène immédiatement à se demander si l'expérience de la
lucidité peut être recherchée délibérément. La réponse à une telle question nécessite au
préalable l'étude du déclenchement naturel de la lucidité, car les méthodes d'induction seront
au moins en partie fondées sur lui. Cependant, où chercher un tel mécanisme naturel ? Les
voies d'accès qui se proposent à nous, telles que l'étude neurophysiologique des conditions
d'endormissement et de sommeil ou l'examen psychanalytique ou psychiatrique du rêveur
lucide, ne semblent pas pouvoir s'appliquer légitimement, dans un premier temps tout au
moins, à un phénomène d'induction dont on ne connaît pas encore les causes. Elles n'ont de
sens que si l'on sait sur quoi faire porter la recherche et reposent donc sur une évaluation
empirique, indispensable pour attirer l'attention sur certains aspects remarquables de
l'induction de la lucidité, et même, nous le verrons, suffisante pour en reproduire les
résultats.

Le contexte métaphysique qui entoure le rêve dans notre culture incite à chercher les
causes du déclenchement de l'induction dans les circonstances du monde physique, c'est-
à-dire dans l'état de veille. Le rêve étant considéré dans ce contexte comme un produit de
l'activité de veille, le déclenchement de la lucidité doit se trouver dans ce qui sert de support
à l'activité onirique elle-même. A l'inverse, expliquer la lucidité par une action trouvant son
origine dans le rêve ne saurait satisfaire l'esprit et surtout effacerait tout espoir de mettre au
point une méthode d'induction, et par là de considérer le rêve lucide comme un phénomène
reproductible. Or si, comme nous allons le montrer, le rêve lucide peut être provoqué au prix
de quelques efforts, il échappe nécessairement au domaine des études dites "psychiques"
dans lequel son aspect insolite avait eu tendance à le confiner jusque dans les années
soixante. La méthode des recherches psychiques n'a rien de scientifique - elle est au
contraire d'essence historique car elle repose sur l'enquête après coup et l'analyse de
documents et de témoignages, comme l'a remarqué Bergson au sujet de la télépathie :
« Voilà donc un phénomène qui semblerait, en raison de sa nature, devoir être étudié à la
manière du fait physique, chimique, ou biologique. Or, ce n'est point ainsi que vous vous y
prenez : force vous est de recourir à une méthode toute différente, qui tient le milieu entre
celle de l'historien et celle du juge d'instruction. L'hallucination véridique remonte-t-elle au
passé ? vous étudiez les documents, vous les critiquez, vous écrivez une page d'histoire. Le
fait est-il d'hier ? Vous procédez à une espèce d'enquête judiciaire ; vous vous mettez en
rapport avec les témoins, vous les confrontez entre eux, vous vous renseignez sur eux
[1]
» XE "Auteurs cités : Bergson" . Une méthode scientifique repose au contraire sur
[1]
l'expérimentation et donc sur le caractère reproductible du phénomène observé . Si le rêve
lucide peut en effet être provoqué sur une base relativement régulière, il devient possible de
l'explorer, aussi bien pour le rêveur lui-même qui se fixe un programme d'expériences, que
pour le neurophysiologiste qui en suit le déroulement en laboratoire, éventuellement à partir
des éléments d'abord repérés par un examen empirique. La mise au point de méthodes
d'induction de la lucidité s'avère donc déterminante pour l'expérimentation.

Toutefois, elle suppose à son tour que soient compris les mécanismes de l'induction
naturelle. Mais cette dernière est-elle réellement repérable à l'état "pur" ? D'une certaine
façon un dialogue s'établit entre l'observation empirique de l'induction et l'expérimentation
des méthodes, chacune alimentant l'autre, ce qui revient à dire qu'il n'y a pas de temps
séparés dans une telle recherche. Des inductions naturelles ont été mises en évidence chez
certains rêveurs lucides parce que d'autres rêveurs lucides les utilisaient délibérément.
Nous ne prétendrons donc pas ici présenter un tableau exhaustif des inductions naturelles et
méthodiques, ni même l'esquisser, mais nous essayerons à travers la description de
différentes pratiques de dégager les critères essentiels de l'induction.

Section I: l'induction naturelle

[1]
On trouve bien sûr des auteurs qui définissent les recherches psychiques uniquement par leur

domaine - celui de phénomènes apparemment aberrants -, mais, même ainsi, le rêve lucide échappe

aux investigations purement "psychiques" : non seulement il ne contredit aucune "loi" (si ce n'est des

préjugés) mais, de plus, il ne dépend pas d'un "don" inexplicable, et peut être développé par tout un

chacun, comme un muscle auparavant inexploité.


Chapitre Quatre
L'induction de la Lucidité Onirique
[suite]

Section I: l'induction naturelle


L'induction naturelle est le processus qui conduit un rêveur à la lucidité sans qu'il l'ait
délibérément cherchée. Lorsqu'un rêveur devient conscient de rêver sans raison apparente,
cela ne signifie pas que le phénomène est inexplicable : dans la plupart des cas, une étude
des conditions de vie et de sommeil du sujet permet de supposer l'existence de facteurs
favorisants. De tels facteurs ne sont cependant pas faciles à isoler et, parfois, ils
interviennent à un niveau de conscience lui-même situé en dehors des descriptions de
l'expérience commune. Certains rêveurs, en effet, provoquent le rêve lucide à partir d'un
état qui appartient déjà en partie au sommeil, mais qu'ils n'ont aucun moyen de déclencher.
S'agit-il alors d'une induction naturelle, puisqu'elle s'appuie sur des circonstances non
maîtrisées et dont l'apparition est aléatoire, ou d'une induction délibérée puisque, si le rêveur
n'avait pas "agi" depuis cet état, il n'y aurait pas eu de rêve lucide ? Force est donc d'adopter
une délimitation quelque peu artificielle pour faciliter l'examen de l'induction. Elle devra être
considérée comme préparée dans la mesure où elle aura été prévue et tentée à partir de
l'état de veille. Mais, si un sujet qui s'endort se rend compte fortuitement qu'il est dans un
état qui lui permet d'expérimenter la lucidité, même s'il utilise des techniques précises
pour cela, il faudra parler d'induction naturelle. La division que nous proposons ne porte en
effet pas sur l'aspect "développé" ou non de ces techniques (comme nous l'avons déjà
remarqué, ce que certains rêveurs font naturellement est, pour d'autres, une technique
délibérée) mais sur l'état à partir duquel la lucidité est recherchée. Selon qu'il s'agit de l'état
de veille ou de "sommeil" (c'est-à-dire d'endormissement, voire de paralysie), on ne peut
donner la même valeur conscientielle à l'intention du rêveur.

De plus, dans la mesure où le rêve lucide a été jusqu'à présent peu observé, nous
n'avons pratiquement pas de journaux de rêves recueillis par des rêveurs faisant du rêve
lucide sans le savoir et donnant en même temps les éléments qui, selon eux, ont favorisé
cet état. La plupart des rêves lucides obtenus sont en fait des rêves lucides suscités, mais
pas forcément par une méthode, puisque la seule mention de son existence peut parfois en
provoquer l'expérience dans les nuits qui suivent. En ce sens, il y a bien là une induction
naturelle, c'est-à-dire non recherchée, mais elle ne se situe pas en dehors de tout contexte.
De même, des rêveurs lucides qui expérimentent des méthodes sans résultat, peuvent
obtenir des rêves lucides dans les périodes qui se situent en dehors du temps de la pratique,
et, là encore, il s'agit d'induction naturelle. Naturel ne signifie donc pas ici "sans aucun
rapport avec la recherche sur le rêve lucide" mais plutôt "situé en dehors de l'induction
délibérée à partir de l'état de veille". Nous allons donc étudier les inductions en progressant
du "plus naturel" au "moins naturel", c'est-à-dire en commençant par celles qui ont lieu dans
un état proche du sommeil, avant d'examiner les inductions qui débutent nettement dans
l'état de veille et se poursuivent dans le sommeil et enfin celles qui ne se situent que dans
l'état de veille.

§ 1. Induction à partir d'un état intermédiaire


L'induction naturelle du rêve lucide commence souvent à partir de ce qu'on pourrait
appeler un "état intermédiaire". Il ne s'agit pas de la simple transition de la veille au sommeil
et au rêve couramment décrite par les rêveurs et dont Hervey de Saint-Denys donne
plusieurs exemples, bien qu'elle présente un point commun avec lui : le sentiment de ne pas
encore dormir et pourtant de ne plus veiller.

« Voici comment je me suis endormi hier soir ; je m'en souviens très nettement ce matin.
Tandis que j'étais dans cette période d'assoupissement qui n'est pas encore le sommeil et qui
n'est déjà plus la veille, l'idée de la pluralité des mondes m'est revenue à l'esprit ; l'ouvrage de
Fontenelle sur cette matière ayant été lu par moi dans le jour, je me rappelai quelques objections
que je m'étais faites à moi-même ; je les attribuai, je ne sais pourquoi, à un personnage en robe
noire et perruque, et je discutai longuement avec lui. J'estime que mon rêve proprement dit
commença par cette discussion imaginaire, car je me souviens parfaitement que je n'étais pas
encore endormi et que je n'avais encore aucune vision, quand j'en agitai dans ma tête les
premiers éléments. Peut-être le personnage en perruque me fut-il inspiré par un portrait de
Fontenelle, placé en tête du livre que j'avais lu. Toujours est-il que ce personnage, avec lequel je
discutais, tira de sa poche un instrument de forme singulière, etc., etc." Suit le récit du rêve, qui
dès lors est parfaitement caractérisé »[1].

Au cours de la transition simple l'attention du sujet devient flottante, comme dans une
rêverie éveillée ; dans l'état intermédiaire au contraire, le sujet reste parfaitement conscient.
Du point de vue du sujet qui s'observe, "l'état intermédiaire" est un état dans lequel il pense
ne pas dormir alors qu'il peut constater "en lui" des phénomènes qui n'appartiennent
manifestement pas à la veille.

« Induction plus réussie que la veille, malgré une difficulté persistante à détendre la nuque.
(La tête tend toujours à partir en arrière au moment vibratoire). Ces "vibrations", dont il n'est pas
sûr que je les ressens, ne sont peut-être pas essentielles. Je vois qu'il y a surtout un état de
tension à l'intérieur du cerveau (que j'ai rencontré parfois en méditant) dont la "force" tend à se
communiquer au reste du corps. Si l'on veut, on peut avoir l'impression que cela vibre ou
fourmille. A tort ou à raison, j'ai résisté à l'accélération de la respiration, la maintenant calme et
longue.

« Les "tâtonnements" des mains étendues sont plutôt vaseux, c'est-à-dire que
l'imagination ordinaire semble y tenir la place principale. Plus intéressantes certaines
"gymnastiques" (lever les jambes et surtout se tourner sur un flanc puis sur l'autre. Là, j'ai
vraiment l'impression qu'il se passe quelque chose d'inconnu.

« Après cela, j'ai constaté avec objectivité, mais aussi une certaine satisfaction, que j'avais
l'impression d'être incapable de bouger. Je suis finalement arrivé à bouger ma main droite, avec
"grésillement et étincelles". Ce n'était pas vraiment difficile, mais plutôt lointain »[2].
De son point de vue, le rêveur ne considère pas qu'il dort. Il a en effet la pleine
conscience de l'état de veille et il commente ce qui lui arrive en fonction d'elle. Mais, d'un
autre côté, ce qui lui arrive ne relève pas de l'état de la vie de veille, et il en est bien
conscient ("là j'ai vraiment l'impression qu'il se passe quelque chose d'inconnu"). Comment
situer cet état, s'agit-il déjà de l'endormissement ? Il n'est guère possible de dire que le sujet
"rêve", puisqu'il a conscience de son corps, le bouge même. C'est cet état qui appartient à la
fois à la veille et au sommeil tout en conservant une pleine conscience que nous appelons ici
"état intermédiaire".

On pourrait néanmoins tenter de l'expliquer par une impression subjective de veille et


le ramener entièrement du côté du rêve : le rêveur croirait être éveillé et rêverait ses
sensations de l'état d'éveil. De fait, certains cas s'expliquent manifestement ainsi.

« Allongé à 15h20 environ pour sieste. Mal à la tête, fatigue générale. Cassette [de
relaxation], et en continuité la cassette "concentration". Je somnole très rapidement avec la
relaxation en raison de la fatigue. Je m'entends ronfler, j'ai des images hypnagogiques. Lorsque la
cassette de relaxation est terminée je suis réveillé, du moins c'est ce que je pense. Mais je me
sens encore ensommeillé. Je laisse arriver la cassette de concentration. Puis j'essaie de me
réveiller ou de me retourner. Il y a du bruit dehors et je voudrais au moins baisser le volume.
Tout du long j'entends nettement la bande, donc je ne suis pas endormi. Je me rends compte que
je suis dans un état particulier. J'essaie de faire de la lévitation des membres, puis de tout le
corps. Je me sens déplacé de côté. J'ouvre les yeux à moitié et avec difficulté. L'orientation de la
pièce a changé de place. Mes yeux sont lourds. (Mais bientôt je me réveille vraiment et je
m'aperçois que je suis toujours sur le dos. Je me retourne alors de côté.) […] »[3].

Le rêveur est ici apparemment victime d'un faux-éveil au cours duquel il se sent dans
un état intermédiaire. Mais faut-il en conclure que l'état intermédiaire se réduit au rêve de
faux-éveil ? Même ce rêve, pourtant assez clair par la vérification faite à l'éveil, reste délicat
à qualifier. En effet la conscience dont fait preuve le rêveur est extrêmement proche de celle
de l'éveil en raison des conditions d'endormissement. De plus, il s'agirait d'un faux-éveil
lucide, puisque le rêveur se sait dans un état particulier n'appartenant pas à l'état de veille
[4]
normal et dans lequel il essaie de léviter . Or, un faux-éveil "lucide" est un état paradoxal,
puisque le faux-éveil suppose que le rêveur croit être réveillé et donc ne dispose pas de sa
lucidité. Le rêveur est donc lucide par la conscience qu'il a de ne pas être dans un état normal
tout en pensant percevoir clairement des événements du monde extérieur, comme s'il était
éveillé, tels que la voix de la cassette ou les sensations tactiles. De plus, dans ce récit, l'état
intermédiaire se produit à la soudure d'un "réveil" tandis que, dans le cas précédent, il
concerne l'endormissement.

S'il est relativement facile de parler de faux-éveil lorsque le sujet s'est déjà endormi,
cela n'est guère possible pour un endormissement que le sujet considère, de son point de
vue, ne pas encore avoir eu lieu. Là, les éléments perceptifs de la vie de veille sont "suivis"
par la conscience et ne semblent pas avoir subi de modification : les perceptions restent les
mêmes (bruits extérieurs ou de la respiration, sensations physiques du lit et de la pression
des couvertures….). Simplement il y a des phénomènes "en plus" qui indiquent l'état
intermédiaire. Et quand le sujet bouge, il peut se rendre compte à la fois qu'il n'est pas
endormi et que ses perceptions étaient exactes, donc qu'il était bien éveillé. L'état
intermédiaire n'est donc pas le sommeil, ou plus exactement il n'est pas le sommeil
[6]
habituellement défini comme l'état dans lequel le dormeur est coupé de la vie de relation .

Si nous laissons de côté le problème que pose la nature de l'état intermédiaire pour le
moment, nous pouvons constater, de façon immédiate, que bien des rêves lucides se situent
dans son prolongement naturel. C'est principalement le cas pour les rêves lucides
d'endormissement au début desquels les sujets décrivent des phénomènes qui ne s'inscrivent
pas de façon nette dans l'état de veille ou celui de rêve (ou de sommeil entendu comme
perte de conscience de l'environnement de l'état de veille) ou plus exactement qui semblent
participer des deux états. Dire que le rêve lucide surgit à partir de l'état intermédiaire c'est
dire, en fait, que la conscience de cet état se prolonge dans le rêve qui suit. Il y a donc
continuité de conscience de la veille au rêve en passant par l'état intermédiaire, ce qui ne
saurait être le cas avec la période de transition puisqu'elle s'apparente aux pensées confuses,
et donc peu conscientes, de l'état de veille. De ce point de vue il faut bien distinguer le rêve
lucide qui succède à une période de transition de celui qui succède à l'état intermédiaire.
[7]
Nous avons déjà donné un exemple du premier cas dans lequel le sujet, Hervey de Saint-
Denys, passe par une "sorte d'engourdissement" accompagné de pensée confuse (« je
[8]
pensais de la manière la plus confuse » ), voit des images floues, puis nettes, et s'avise
brusquement qu'il rêve (« quand l'idée que je rêvais et que je venais de m'endormir à
l'instant me venant tout à coup à l'esprit, j'ai secoué le sommeil par un effort de
[9]
volonté » ). Ici il est clair que la période de transition n'est pas lucide. Hervey de
Saint-Denys n'a pas conscience tout de suite de la nature de ces images et ne se rend
compte qu'il rêve qu'au bout d'un moment. Il ne s'agit donc pas d'un rêve lucide
d'endormissement ou, si l'on préfère, d'un endormissement conscient se prolongeant dans un
rêve lucide, mais du surgissement de la lucidité en rêve, la continuité portant sur les pensées
sans concerner la conscience de l'état.

A l'inverse, un rêve lucide succédant à l'état intermédiaire donne le sentiment d'une


prolongation de la conscience de cet état au rêve.

Un après midi, étant allongé sur le sofa, les yeux clos, je m'aperçus soudain que je pouvais
voir clairement le dessin qui se trouvait sur le dossier. Cela me fit comprendre que j'étais en état
de transe. Je sortis de mon corps par décision volontaire et me trouvai alors, par une transition
très brusque, dans un beau coin de campagne que je ne connaissais pas.[10]

Ce qu'Oliver Fox appelle la "condition de transe" correspond à l'état intermédiaire : il


reste pleinement conscient tout le long de l'expérience et se rend compte qu'il n'est pas dans
l'état d'éveil normal lorsqu'il s'aperçoit qu'il a le sentiment de voir, les yeux fermés. Il plonge
alors délibérément dans l'état de rêve en utilisant une sorte de clef métaphorique, celle qui
consiste à "quitter son corps". Il faut cependant remarquer qu'il n'a pas cherché à établir cet
état intermédiaire qui est survenu spontanément. Nous pouvons donc considérer cet exemple
comme une induction naturelle, même si, à partir de l'état intermédiaire, le rêveur a utilisé
une technique dont il a pris l'habitude. L'induction à partir de l'état intermédiaire est donc
une sorte de prolongement de cet état dans celui de rêve, dans la mesure où le rêveur reste
conscient au cours des différentes étapes.

L'état intermédiaire peut également déboucher sur le rêve lucide sans


intention délibérée de la part du rêveur, mais cela est plus rare. On comprend alors qu'il soit
relativement intéressant d'apprendre à le reconnaître, en d'autres termes à en prendre
conscience lorsqu'il se présente (et par la suite à le provoquer) pour l'exploiter en vue de
devenir lucide en rêve. Pour cela, le seul fait de déceler, dans ce qu'on croit être un état
d'éveil calme, des éléments étranges ne suffit pas. Il faut être dans l'attente de ces éléments
si l'on ne veut pas laisser la conscience dériver, ce qui requiert une étude approfondie des
différents types d'états intermédiaires. Toutefois, la nature ambiguë de cet état rend sa
description délicate.

En effet, l'état intermédiaire pose un problème de situation pour le chercheur car les
sujets ne lui donnent pas un statut particulier mais le considèrent comme une sorte de
frontière où deux domaines tendent à se confondre. Ils n'y voient pas un "état" à proprement
parler, sont peu enclins à le définir et encore moins à l'étudier. On trouve en fait deux
attitudes à l'égard de l'état intermédiaire. La première consiste, pour celui qui enregistre ses
rêves lucides, à ne pas en tenir compte, parce qu'ils n'appartiennent pas au domaine du rêve,
et donc à ne pas les noter. La deuxième consiste au contraire à inclure ces expériences dans
le rêve et à ne pas signaler de ce fait ce qui les rend singulières. Dans le premier cas, le plus
courant, nous n'avons pas de compte rendu de cet état, sauf par la mention
"endormissement conscient", dans le deuxième les éléments qui pourraient indiquer qu'il
s'agit d'un état intermédiaire ne sont pas signalés comme tels et leur repérage reste difficile.
Pour obtenir des récits d'états intermédiaires, il était donc nécessaire d'attirer l'attention des
rêveurs sur ce point et il est possible que l'observation de son propre endormissement
favorise leur émergence.

Le fait que l'état intermédiaire puisse être provoqué par l'observation de


l'endormissement n'affecte cependant pas la qualité naturelle de l'induction de la lucidité qui
émerge à partir de lui. Dans la mesure où nous nous y intéressons parce qu'il permet
lui-même de déboucher sur le rêve lucide, qu'il ait été obtenu ou non par induction ne nous
gêne en rien : même provoqué il reste reconnaissable dans sa description par ceux qui l'ont
spontanément vécu. Cependant, aborder l'état intermédiaire dans son rapport avec le rêve
lucide pose en soi un problème : il n'est guère possible de délimiter le moment où il
commence et celui où il finit. On ne peut donc pas l'aborder par son "contenu" mais plutôt
par le "bout" par lequel le rêveur le tient, c'est-à-dire la façon dont il le vit, qu'il se considère
éveillé ou endormi sans rêver ou encore dans un état nouveau différent de la veille, du
sommeil et du rêve.

I. État intermédiaire dans lequel le sujet pense ne pas dormir


La première façon, pour le sujet, d'entrer dans l'état intermédiaire passe souvent par
les sensations corporelles. Le corps est en effet le lieu privilégié de la prise de conscience
d'un changement d'état par rapport à l'éveil ou au sommeil. Dans l'un des exemples que nous
avons donnés plus haut, le sentiment d'être dans un état intermédiaire se fait par rapport à
des modifications dans la perception du corps. Cette situation peut aller de la simple détente
au sentiment d'absence de corps en passant par toutes sortes d'états comme la paralysie et
les altérations corporelles.

L'état intermédiaire le plus difficile à saisir est sans doute le sentiment de détente
totale dans lequel le sujet sent son corps et pense qu'il pourrait le bouger s'il voulait, mais
sans cependant le faire pour ne pas "casser" cet état de détente. Il faut noter que dans cet
état le sujet peut effectivement bouger et se relever ou s'endormir, sans jamais se rendre
compte qu'il est passé par un état particulier. Il ne prend conscience de sa particularité que
s'il le "teste" en se livrant à certaines sensations qu'il accentue par l'imagination ou, plus
simplement, en observant son propre corps pour découvrir des "décalages" sensoriels. L'un
des phénomènes particuliers les plus courants dans l'état intermédiaire est certainement le
sentiment de décalage du corps ou d'une partie du corps par rapport à sa position effective.
Le rêveur, par exemple, se détend avec une main allongée sur le côté et finit par sentir avec
une acuité extraordinaire cette même main posée sur le ventre - tout en ayant le sentiment
d'être bien éveillé. Évidemment s'il se redresse il s'aperçoit que la main n'avait pas changé de
place. Dans le rêve qui suit, ce sentiment est encore plus fort puisqu'il procure au rêveur une
double sensation :

« […] J'enlève ensuite les écouteurs […] et me retourne pour dormir. Mais j'entends le
poum-poum-poum d'un ballon qu'un enfant fait taper sur le sol dans la pièce au-dessus. Je me dis
que les nouveaux locataires ont des enfants, ce qui ne va pas plaire à S… J'ai le sentiment que je
ne dors pas. Néanmoins je sens un doigt de ma main refermé là où il n'est pas, à gauche. C'est-
à-dire que j'ai une sensation double de ma main.

(Rêve lucide :) Je décide d'essayer de sortir de mon corps. Je m'élève au dessus de lui. Tout
est noir. Je fais quelques pas puis j'avance résolument dans le noir, avec une sensation d'irréalité.
Je n'ai pas l'impression vraiment d'avoir un cap. Je suis en fait du noir se déplaçant dans du noir,
même si la sensation de déplacement est nette […] »[11].

Le rêveur est au début bel et bien réveillé puisqu'il effectue des mouvements physiques
(enlever des écouteurs, se retourner pour dormir), qu'il entend un bruit dans la pièce
au-dessus et précise qu'il a le sentiment de ne pas dormir. Toutefois, à partir du moment où
il décèle une anomalie, il décide de provoquer un rêve lucide en utilisant la même image
métaphorique que Fox, mais pour sa part il qualifie ce qui se passe ensuite de rêve lucide. Ce
type d'état intermédiaire semble d'ailleurs souvent influencer le déroulement du rêve comme
le montre la suite de ce rêve :

« […] Je retourne dans mon corps. Là j'essaie de le soulever sans me réveiller. Je sens à
merveille mon bras se lever, puis tout mon corps léviter. Pourtant je raisonne que j'ai souvent eu
ce sentiment en rêve lucide d'emporter mon corps avec moi et que chaque fois que j'ai lutté pour
me réveiller et vérifier si c'était bien le cas j'ai été déçu. J'ai regretté d'avoir voulu m'en assurer
car ce sentiment de réalité intense n'était pas l'indication que mon corps physique se déplaçait.
[…] »[12]

On comprend alors à la lecture de ce genre de récits qu'il est parfois difficile, sinon
impossible, d'en dissocier l'état intermédiaire tant les similitudes sont grandes :

« J'ai envie de me mettre sur le côté droit. J'enlève les écouteurs. Je me tourne et me laisse
porter par ma respiration.

(Note + Rêve lucide :) Je me sens parfaitement détendu mais je ne dors pas, du moins je le
crois. Je reprends mentalement le rythme du balancement. Je me sens me balancer. Je me mets à
tourner vers la gauche. Ça marche très bien. Mais je tourne dans le mauvais sens. Je veux tourner
vers la droite. J'interromps le mouvement pour le lancer dans l'autre sens. Pendant un moment je
crains d'avoir brisé le rythme et de me réveiller. Mais non.

Je m'arrête puis j'essaie de lever le corps. Le niveau des jambes - il est difficile de dire les
jambes - se soulève. J'ai l'impression que, par contrecoup, mon thorax et ma tête appuient sur
l'oreiller. Je voudrais vérifier si je suis vraiment les jambes et une partie du corps en l'air
tellement j'ai l'impression que c'est réel. Finalement le reste de mon corps s'allège et tout s'élève.
Là je dois être en train de flotter au dessus du lit. L'impression est tellement réelle que je me
force à ouvrir un œil pour vérifier. Je m'aperçois que je suis toujours dans le lit et sens mon corps
dessus. […] Je referme aussitôt l'œil et essaie de me laisser tout de même porter par ce qui me
reste d'état crépusculaire. J'ai perdu la sensation de flotter et je regrette ma curiosité. […] »[13]

Dans ce récit il est d'autant plus difficile de séparer le rêve de vol de l'état intermédiaire
qu'à aucun moment le rêveur n'a le sentiment d'être endormi : son état lui semble fragile ("je
crains d'avoir brisé le rythme et de me réveiller") et lorsqu'il se met à flotter sa curiosité lui
[14]
fait ouvrir les yeux, comme s'il ne dormait pas . Cependant, on peut considérer qu'il est en
rêve lucide à partir du moment où justement il a un doute, où la sensation de flotter au
dessus de son lit lui paraît réelle, ce qui signifie qu'il a perdu le point de repère des
sensations de veille habituelles. Ce rêve montre par ailleurs que les modifications qui
s'opèrent dans les sensations du rêveur à partir de cet état peuvent prendre des formes
diverses.

Divers types de modifications autres que le décalage par rapport au corps peuvent
affecter les sensations du rêveur à partir de l'état intermédiaire, comme le montre la lecture
des journaux de rêves. Il n'est guère possible pour l'instant d'en donner une liste exhaustive
ni même un principe classificatoire, mais on peut remarquer que nombre de ces
transformations se retrouvent souvent dans le cours d'un rêve lucide survenu au milieu du
sommeil, donc en dehors de l'état intermédiaire. Certaines d'entre elles ont suffisamment
frappé les esprits pour que ceux qui les ont vécues leur accordent un statut tout particulier,
tel l'état de paralysie que Fox appelle la "condition de transe". Parmi les sensations
"nouvelles" qui peuvent assaillir un sujet ayant le sentiment de ne pas encore dormir se
trouvent le balancement et le tournoiement, comme dans le rêve précédemment cité. Le
sentiment de vibration du corps revient lui aussi souvent dans les relations de cet état.

« Relaxation excellente et grande intensité du conditionnement imaginatif, mais je n'ai pas


eu l'impression d'avoir obtenu autre chose que des effets d'autosuggestion. Sauf à un moment, où
un mouvement de fuite rapide vers le haut m'a un peu effrayé (je l'ai réprimé involontairement).
Autrement, il n'y a que des états un peu bizarres. Je sens toujours mon corps sur le lit et il vibre,
surtout les membres (les pieds et les mains). »[15]

Cette vibration est-elle "réelle" ou n'existe-t-elle que dans l'état intermédiaire ? Le fait
que ce sentiment de vibration se retrouve en rêve, parfois avec une intensité extraordinaire
qui déclenche le rêve lucide, incite à penser qu'il ne s'agit pas d'un phénomène de l'état de
veille. Au contraire, elle est souvent pour le rêveur une indication si nette du passage à l'état
intermédiaire lui-même qu'il n'hésite pas à assimiler cet état et la lucidité, comme dans
l'endormissement conscient suivant :

« [après une préparation] plongée dans le sommeil lent.

« Début de rêve lucide : Je sens un état caractéristique. Mon corps se lève tout seul, pris de
vibrations. Dans le noir je m'élève et me retourne sur les bras dans mon lit. Mais tout est encore
noir et ça ne se concrétise pas en images et sensations nettes. Je décide de recommencer en
levant la main droite. Elle est énergisée. Je commence le mouvement (mais cette énergie, ou ce
mouvement, me réveille) »[16].

La vibration peut aussi survenir en cours de rêve lucide et c'est alors le rêveur qui
l'intensifie :

« Rêve lucide : Je sors du lit. Une vibration me saisit. Je l'accentue. Du coup je m'élève du
sol. Dans le couloir je ne peux plus toucher terre. Je vais jusqu'à la chambre de ma sœur. Suis-je
somnambule ? J'essaie de la réveiller. Rien à faire, mes coups ne portent pas. Elle se réveille tout
de même. […] »[17]

Puisque le sentiment de vibration peut être retrouvé aussi bien en rêve lucide que dans
l'état intermédiaire, une méthode d'induction consistant à le répéter en imagination avant de
s'endormir peut être mise au point pour déclencher l'état intermédiaire ou le rêve lucide. Mais
tous les types de transformations ne sont pas susceptibles d'être reproduits sur un mode
imaginaire. Le sentiment de paralysie (c'est-à-dire ressentie mais non vérifiée), par
exemple, ne peut guère faire l'objet d'une simulation puisqu'à l'état de veille c'est la tentative
même de bouger, sans succès, qui prouve son existence. Cette paralysie ressentie joue
souvent un rôle secondaire et intermittent dans l'état intermédiaire.

« Bonne relaxation. Néanmoins, il reste difficile d'empêcher la tête de partir en arrière. Le


"balayage" vibratoire m'a paru assez intense.

"Extensions" imaginaires jusque dans les appartements voisins. Impressions tactiles assez
réussies. Tout cela n'était rien de plus qu'un jeu de l'imagination sensorielle. (La conscience reste
"dans le corps"). Lorsque les mouvements intéressent le corps entier, c'est beaucoup plus
surprenant. J'ai eu la sensation d'être conscient quelques dizaines de centimètres au-dessus de
mon corps allongé. La "paralysie" a été constatée de loin, une ou deux fois. »[18]

Dans ce genre de rêve la paralysie est corrélative de la sensation du corps : elle est
constatée par rapport à d'autres sensations et non en elle-même. On peut donc dire que la
paralysie comporte des "degrés" dont le premier n'existe que par opposition et en alternance
avec la sensation du corps. Tant que le corps est ressenti, cependant, même de façon
intermittente, il y a toujours le risque que la perception première "casse" la transformation de
la sensation comme dans les exemples précédents : le rêveur ne peut admettre que son
intensité est supplantée par la perception "onirique" ("l'impression est tellement réelle que je
me force à ouvrir un œil pour vérifier") ou encore l'intensité de ce qui est oniriquement
ressenti est en elle-même trop forte pour permettre à un état relativement fragile de se
maintenir ("je commence le mouvement (mais cette énergie, ou ce mouvement, me
réveille)"). Lorsque le corps est ressenti, la proximité de l'état de veille gêne la plongée
consciente dans le rêve. Il en va autrement lorsque l'état intermédiaire ne comprend pas la
sensation du corps.

Certains états intermédiaires, bien que comprenant le sentiment de ne pas dormir tout
en vivant des phénomènes qui ne sont plus du domaine de l'état de veille, n'appuient pas ce
sentiment sur la sensation du corps éveillé. Le corps se retrouve en quelque sorte hors du
champ perceptif de l'état d'éveil tout en servant encore de référent à cet état, en quelque
sorte par négation. C'est le cas typique de la paralysie effective (différente en cela de celle
que nous venons de rencontrer) qui a reçu diverses dénominations dans la littérature.

« Finalement je sens que je m'endors, que je glisse dans le sommeil.

(Rêve lucide :) Or, à ce moment il me semble que S… ouvre la porte de la chambre. Je veux
me relever mais je ne peux pas, je suis paralysé. J'ai beau essayer, je ne peux pas bouger. Je
décide de profiter de cet état pour faire une sortie hors du corps. Je me pousse, je pousse mon
double d'une secousse, comme lorsqu'on se pousse à l'aide du corps. Je sors de mon corps.
[…] »[19]

Le rêveur ne prend conscience de sa paralysie que lorsqu'il essaie de bouger (il s'agit
donc d'un "deuxième degré", celui de l'action physique impossible). Cette absence de
sensations physiques incite à penser que le reste du champ perceptif est également annihilé
et que les autres perceptions ("il me semble que S… ouvre la porte de la chambre") du rêveur
appartiennent déjà au domaine onirique. Pourtant il s'agit bien d'un état intermédiaire
puisque c'est la paralysie qui lui fait prendre conscience des possibilités qui s'offrent à lui ("Je
décide de profiter de cet état pour faire une sortie hors du corps"). En d'autres termes c'est
paradoxalement l'incapacité complète à se mouvoir qui est l'indication d'une liberté plus
étendue.

D'autres rêves qui ne débouchent pas sur la lucidité montrent que la paralysie est tout
à fait corrélative du sentiment d'éveil, même si les perceptions sont absentes.

« Je suis paralysé dans mon lit et n'arrive pas à me réveiller, à bouger pour sortir de mon
lit. Je commence à avoir peur. Tout est hostile. […] »[20]

Dans son commentaire, que nous avons déjà cité, le rêveur note qu'il n'avait pas le
sentiment de dormir, ou plus exactement qu'il n'était pas parvenu à s'endormir : « j'ai eu
beaucoup de mal à m'endormir. Puis au moment où j'ai décidé de me lever […] j'ai découvert
que j'étais paralysé et j'ai fait des efforts désespérés pour me lever. Tout en continuant à me
[21]
considérer comme paralysé je me suis trouvé en train de flotter dans la chambre » . Ce
type d'expérience nous donne une indication sur le "sentiment d'éveil" qui accompagne la
paralysie. En effet, puisque les perceptions sont coupées, elles ne sont pas à l'origine d'un tel
sentiment. Il est possible alors que ce soit l'activité mentale consciente du sujet qui le tienne
en éveil, comme dans le cas des insomniaques qui n'arrivent pas à dormir uniquement parce
qu'ils ne cessent de retourner dans leur esprit divers sujets de préoccupation. Penser
volontairement équivaut à penser consciemment et, même dans le cas de la perte des
perceptions, cela peut apparemment suffire à maintenir un sujet en "éveil" au point qu'il se
sente paralysé alors qu'il ne s'est pas endormi. Ce rêve montre également que la phase de
paralysie est parfois corrélative de la détente totale en ce sens que le sujet croit qu'il peut
bouger s'il le désire alors qu'en réalité il ne le peut pas, ce dont il ne se rend compte qu'au
moment où il tente de le faire.

Lorsqu'on compare les états intermédiaires avec les débuts de rêves lucides on
trouve des similitudes de contenu telles qu'on en vient à supposer qu'il existe des sortes de
"passages" menant au rêve lucide, de même que le faux-éveil fait souvent figure de chemin
de retour vers l'état de veille à la fin d'un rêve lucide.

« Rêve lucide : Je sens une montée de quelque chose, très spécifique d'un sentiment de
sortie hors du corps que je connais bien et qui m'annonce en fait un rêve lucide. C'est une montée
vers le haut, au dessus du corps allongé, et non vers la tête. Comme d'habitude dans ces cas là,
je force un peu pour "sortir". Mais il y a une résistance, habituelle elle aussi, qui me donne
l'impression d'être un élastique coriace. Je décide alors d'abandonner mon corps, c'est-à-dire de
ne plus faire d'effort pour sortir, et d'être déjà dehors. Ça marche. […] »[22]

Le début de ce rêve, qui a eu lieu en milieu de nuit, est typique d'un rêve lucide
d'endormissement passant par l'état intermédiaire. Il est possible qu'il ait été précédé d'un
micro-éveil mais, même si tel est le cas, il faut considérer que l'intensité de la conscience est
plus forte en rêve que pendant le micro-éveil qui, lui, n'a pas laissé de trace dans le souvenir
du rêveur. D'une façon générale l'état intermédiaire qui concerne les sensations corporelles
met en rapport les sensations "de veille", qu'elles soient présentes ou absentes (paralysie), et
leur confrontation avec des sensations corporelles "oniriques" qui les réorientent ou même
sortent de l'ordinaire. L'état intermédiaire naît donc ici du choc d'impressions qui
n'appartiennent pas au même espace.

Ce choc prend d'autres formes que le décalage par rapport au corps. Un phénomène
équivalent peut se produire par exemple pour la vision, apparemment à partir de l'état
d'éveil, mais sans néanmoins passer par l'appréhension consciente du corps. Il consiste
souvent dans le surgissement de lumières qui ne peuvent pas avoir de réalité dans la vie de
veille et qui sont pourtant "vues" comme si elles étaient réelles alors que le sujet a le
sentiment de ne pas dormir :
« Une curiosité à noter au passage au sujet de la tentative d'auto-conditionnement "sortie
hors du corps". — Dans des circonstances de "méditation" avant de m'endormir, il arrive assez
fréquemment qu'il y ait la sensation d'une vive lumière blanche en haut, perçue, pour ainsi dire,
sur les franges de la vision. L'essai de représentation de sortie du corps a produit un effet inverse,
celui d'une lumière "en bas", très différente de l'autre, car elle est plutôt dorée, comme celle d'un
feu. La lumière d'en haut "tranche" avec l'obscurité. Celle d'en bas s'y joint par une sorte de
fourmillement. »[23]

Les phénomènes visuels ne sont pas les seuls susceptibles de se produire. Des
phénomènes auditifs peuvent aussi se manifester, et même les accompagner :

« Pas d'induction, à cause d'une trop grande fatigue. Mais, au moment d'un
endormissement provisoire, une curiosité : une véritable explosion au niveau du plexus du cœur,
accompagné d'un bruit sec et de lumière dans les yeux. A l'endroit où elle s'est produite, la
sensation n'est pas désagréable. Plutôt un vide produit par la disparition d'une tension ou d'une
gêne. »[25]

Ces phénomènes sont probablement à classer dans le domaine hypnagogique tel que
[26]
les décrit Eugène-Bernard Leroy . Ce qui nous importe ici c'est qu'ils semblent pouvoir
déboucher sur le rêve lucide, et surtout qu'une tentative de rêve lucide modifie la forme de
la manifestation de ces phénomènes lorsque ces derniers ont été constatés dans d'autres
circonstances ("l'essai de représentation de sortie du corps a produit un effet inverse, celui
d'une lumière […] très différente de l'autre"). Bien étudiés ces phénomènes pourraient sans
doute être utilisés comme fil directeur vers la lucidité ou comme indicateur de l'état auquel
on peut espérer aboutir.

II. État intermédiaire dans lequel le sujet pense être en train de


s'endormir
Cependant, si certains états intermédiaires sont caractérisés par le sentiment de ne
pas encore dormir ou de ne plus dormir, d'autres, à l'inverse, se caractérisent par le
sentiment très net de l'endormissement. Le sujet se sent s'endormir, mais il considère qu'il
ne dort pas encore tout à fait en raison de la conscience qu'il a de cet état et de la continuité
de sa conscience avec l'état de veille. On peut alors se demander si le sujet n'est pas en fait
en état de rêve lucide plutôt que de considérer qu'il s'agit là d'un type d'état intermédiaire. La
réponse ne peut qu'être empirique, elle dépend du sentiment intime qu'a le rêveur de son
endormissement. Même lorsque la perception du corps est en jeu, l'état intermédiaire prend
des formes très répandues, et très reconnaissables, de "descente" intérieure ou d'immersion
dans des scènes "pré-oniriques" qui ne se transforment en rêve complet que dans un
deuxième temps.

Contrairement au sentiment de ne pas encore dormir ou de ne plus dormir, celui de


s'enfoncer dans le sommeil équivaut à constater une transformation. Dans le type d'état
intermédiaire précédent, le dormeur note des événements incompatibles avec ce qu'il ressent
comme un état de veille tandis que, dans le cas présent, il sent que quelque chose "se passe"
et il interprète cette modification comme un endormissement en cours. Les caractéristiques
en diffèrent cependant d'un rêveur à l'autre (et parfois pour le même rêveur selon les
circonstances) mais ce qui importe c'est que le rêveur reconnaît son endormissement et qu'il
est capable de l'observer. Il se pourrait, à ce titre, que certains endormissement conscients
qui ne sont pas encore des rêves soient étiquetés par le sujet comme des rêves lucides :

« (Rêve lucide). Je suis rentré dans un rêve confus : je me suis senti m'endormir, mais en
ayant la sensation de ne pas être endormi profondément, mais à demi-vigilant : je me sens me
retourner dans le lit, je sens bien que je suis dans le lit endormi, mais je suis conscient, avec une
idée très forte dans la tête. "Je suis en train de rêver et je suis dans le sommeil, malgré les
pensées et les mouvements". Je me rends compte que ma main est posée sur mon pubis; cela
m'amène à me dire que j'accomplis la consigne programmée, et cela me réveille. (3h du matin).
Je me rendors et je rêve. »[27]

Dans de tels récits il est parfois difficile de comprendre si le sujet rêve qu'il s'endort ou
s'il décrit réellement un endormissement. De plus, les caractéristiques qui permettent de
reconnaître l'état d'endormissement sont malcommodes à saisir. Il arrive même qu'elles ne
soient simplement pas données, comme dans un rêve précédemment cité concernant la
paralysie et au cours duquel le rêveur se contente de signaler qu'il s'endort ("je sens que je
m'endors, que je glisse dans le sommeil").

Le rêve lucide qui suit le sentiment d'endormissement, ou plutôt qui l'interrompt,


confirme l'état d'endormissement ressenti, mais dans la mesure où nous désirons
comprendre le mécanisme impliqué et éventuellement en tirer une méthode d'induction, des
descriptions détaillées sont requises. L'endormissement est en effet comme un chemin
extrêmement court qu'on remarque d'habitude à peine. Le rêve lucide qui surgit à partir de
lui semble assez souvent n'en être que la prolongation. Ce que nous cherchons alors ce n'est
donc pas tant son aspect que les moyens naturellement utilisés par le rêveur lucide pour
l'observer et le prolonger. Cette tâche est cependant délicate car ce qui se produit lors de
l'endormissement conscient est souvent indescriptible et ne laisse qu'une trace floue dans la
mémoire du fait de cet aspect particulier. Malgré tout, un élément revient souvent dans les
descriptions d'endormissement, celui de ne plus contrôler ses pensées, ou plus exactement
ses associations d'idées. Le sujet qui, à l'état de veille, peut ramener le cours de ses pensées
sur un thème qui l'intéresse, ou du moins le détourner de ce qui ne lui plaît pas ou qui lui
semble incongru, n'a plus ici de réel contrôle sur le mouvement de la pensée :

« Je me suis réveillé tôt et rendormi. Aussi au début j'ai mélangé ce à quoi je voulais penser
et les images qui venaient alors que je ne dormais pas encore. »[28]

Ce contrôle peut disparaître complètement alors que le sujet est toujours conscient :
les images mentales (mais non encore oniriques) se succèdent de façon apparemment
anarchique et plus le sujet descend dans l'endormissement, plus ces pensées semblent se
densifier et devenir perceptibles. Ce sentiment de "décrocher" d'avec ses pensées agit
probablement pour la plupart des gens comme le signal qu'il est temps de perdre conscience.
La prolongation de cet état jusqu'à la plongée dans le rêve lucide provient sans doute de ce
que le sujet entraîné ne tient pas compte d'un tel signal, ce qui se traduit pour lui par une
sorte de double décrochement. D'une part il s'éloigne de la vie de veille avec laquelle il n'a
plus de contact perceptif ni même mental car ses associations d'idées sont désordonnées et
lui donnent parfois le sentiment d'être "extérieures" à lui comme si elles ne lui appartenaient
pas - et, inversement au rêve lucide, dans un tel état il n'est plus possible de réfléchir mais
simplement d'observer consciemment. Cette comparaison négative par rapport au rêve lucide
montre d'autre part que tout se passe comme si le rêveur, bien qu'ayant décroché du monde
de la veille, n'a pas encore "accroché" le monde du rêve. Cet état intermédiaire est donc très
différent du rêve lucide ou même du rêve en général dans lequel le rêveur est, la plupart du
temps, en possession de ses facultés mentales. Cet état d'observation presque pure explique
que le rêveur a souvent le sentiment de flotter entre deux mondes. Ce passage d'un monde à
l'autre comporte une progression : si le sentiment de perdre contact avec ses pensées en
marque le début, celui de les voir prendre une forme perceptible, en d'autres termes de se
concrétiser, indique que, sans avoir encore quitté l'état intermédiaire, on se prépare à
aborder le monde du rêve.

Cette concrétisation de la pensée en images dans un premier temps, en percepts dans


un second, est souvent dénommée, à tort semble-t-il, imagerie hypnagogique, car les limites
entre de telles images et les phénomènes hypnagogiques ne sont pas toujours très claires.
Ces pensées-images en train de se concrétiser, même si elles n'appartiennent pas aux
hallucinations hypnagogiques, sont nettement ressenties par les sujets comme n'étant pas
encore le phénomène du rêve bien que lui étant apparentées.

« Nuit-insomniaque. Superbes images hypnagogiques pendant un moment : descente dans


de luxueuses salles ornées aux couleurs sombres - rouge foncé, violet, noir - mais partout
scintillantes d'or et de pierreries. Il y avait une sorte d'orgue de barbarie précieux et diverses
collections d'objets curieux admirablement présentées, avec économie. Les sols noirs, brillants,
reflètent. Au dehors, on devine des jardins nocturnes. Tout cela était proche du rêve lucide, et
pourtant j'étais parfaitement éveillé. »[29]

Ces premières images oniriques ne sont pas assimilées au rêve dans la mesure où le
rêveur se situe à distance d'elles. Les récits des rêveurs indiquent que s'ils font une
différence nette entre cet état intermédiaire et le rêve, elle ne porte pas sur la nature de ce
qui est perçu mais sur la position de la conscience observatrice par rapport à ces nouveaux
percepts. Plus le rêveur s'implique (on serait tenté de dire "s'incarne") dans ces images, plus
il naît au rêve :

« Bonne relaxation, assez bonnes "vibrations", mais sans résultats autres que des
sensations bizarres. Beauté des images hypnagogiques : D'étranges paysages embrumés,
glauques, avec des sortes de menhirs à peine devinés et des êtres vêtus de rouge foncé se
faufilant dans la pénombre. Étang rempli de plantes, couvert de grands arbres au feuillage
ensoleillé. Pays très familier et pourtant inconnu avec espace, ciel bleu traversé de beaux nuages,
infini détail des arbres, des villages, des collines. Ces dernières images étaient accompagnées
d'une "sensation de jeunesse" personnelle, preuve qu'elles étaient en voie de devenir un
rêve. (Je ne suis pas impliqué dans les images hypnagogiques, je le suis dans la plupart des
rêves.) »[30]
Le rêve lucide qui fait suite à de tels états intermédiaires n'implique pas
nécessairement le rêveur dans ces images pré-oniriques. Si le rêveur garde ses distances
vis-à-vis d'elles, le rêve qui suit se révèle souvent pauvre en "perceptions" et "abstrait",
comme s'il était privé du matériau qui le constitue habituellement et qu'il devait se former sur
une autre base :

« Rêve lucide qui me laisse l'impression d'avoir duré très longtemps alors qu'il a peu de
contenu. Explication : l'endormissement a été long et progressif. A plusieurs reprises je me suis
dit - à la vue d'images hypnagogiques et de débuts de rêves - "Dommage que je ne dorme pas
encore car on ne peut pas considérer ça comme des rêves lucides". Concentration sur hara[31]
très forte et continue. Je pense que tous ces facteurs ensemble ont produit le rêve après
l'endormissement.

La conscience lucide était continue mais non active. Le rêve la considérait comme une sorte
d'étalon de mesure situé à l'arrière-plan et possédant une certaine perfection. Elle était comme
"dorée", absolument constante et sans contenu, c'est à dire qu'elle était conscience mais sans
objet, le rêve n'étant pas un objet parce qu'il faisait partie d'elle. Il y avait une conscience lucide
secondaire qui connaissait sa présence et qui pouvait dire "je rêve" et une conscience de rêve
pour qui les deux autres étaient des présences étranges et incompréhensibles. Le contenu du rêve
était très simple. La conscience lucide servait de mesure. On l'utilisait pour mesurer des
vêtements dans un magasin de confection où elle ne servait à rien puisque ce n'était pas un
tailleur, que tout était cousu d'avance. J'essayais un manteau. Il y avait trois tailles, les deux
premières trop petites, la troisième trop grande. Je prenais néanmoins le troisième manteau, me
laissant persuader que les manteaux trop grands étaient à la mode. Plus tard, je paraissais devant
des amis qui me faisaient remarquer que ce vêtement ne m'allait pas. Tous ces détails assez
insignifiants par rapport à "l'étalon conscience". »[32]

Les images pré-oniriques perçues "de loin" indiquent donc l'état intermédiaire mais
n'annoncent pas forcément le rêve qui va suivre. Parfois, alors même que le rêveur s'est
impliqué complètement et consciemment dans une image qui se transforme pour lui en un
petit rêve, il continue à considérer la scène avec une certaine "distance" :

« Ayant pratiqué la "respiration circulaire", j'ai bien obtenu un rêve hypnagogique assez
stable. C'était une belle forêt brumeuse. J'y ai longuement erré avec A… F. mais nous ne sommes
jamais parvenus à en sortir, ni même à trouver un chemin. »[33]

Si le sujet considère qu'il s'agit là d'un rêve hypnagogique et non d'un rêve lucide, c'est
sans doute parce qu'il a gardé le contact avec le monde de la veille, qu'il se sent donc encore
réveillé, ce qui indique que, si le sentiment de plonger dans le sommeil précède souvent
l'approche de telles images, il peut aussi ne pas se produire et l'état intermédiaire débuter
directement dans le voisinage de ces images. Mais assez souvent ces images pré-oniriques
forment la substance même du rêve lucide une fois que le rêveur s'y est impliqué. Cette
implication est, semble-t-il, le résultat d'une manipulation des images alors qu'elles ne sont
pas encore oniriques :

« Je me réveille à 9h après un rêve dont il ne me reste rien maintenant. J'éteins le


magnétophone et décide de me rendormir malgré quelques coups frappés dans les murs. […] Très
vite des images "de biais" apparaissent. Je commence plus ou moins à leur donner vie.

« Rêve lucide : Au début je pense être dans un rêve éveillé, mais je m'aperçois que les
images sont réellement persistantes. Peut-être est-ce moi qui les évoque, qui les provoque ou les
projette, toujours est-il qu'elles ont une certaine densité. J'ai bien sûr le sentiment que je pourrais
facilement les balayer, ce qui donne cette impression de fragilité de ce qui m'entoure, mais je joue
le jeu.

« Je suis dans un autocar ou un bus (ou peut-être même un avion) qui traverse des
contrées relativement vastes et désertes, sans doute le Canada. L'autocar s'arrête dans une ville.
J'ai mon sac à dos à prendre avec moi mais autrement je ne dispose de rien d'autre et ne sais
même pas où j'atterris. Je ne connais pas cet endroit. Une fois hors du car j'hésite un peu sur la
direction à prendre. Je m'engage dans un couloir d'immeuble qui donne en fait sur des
appartements, un peu comme une maison indienne est ouverte sur l'extérieur. Au fond du couloir
se trouve une grande pièce, une sorte de salon dans lequel je retrouve des gens que je connais,
probablement mes parents et d'autres membres de ma famille. Je reste là avec eux quelque
temps puis décide d'aller me laver les mains. Je veux sortir au bout du couloir pour avoir accès au
lavabo près de l'entrée mais un enfant noir est là et je sens qu'il est hostile à ce que quelqu'un
s'approche. Je reviens sur mes pas car à droite en sortant du salon il y a un autre lavabo, tout
aussi dissimulé, mais convenant tout aussi bien. […] »[34]

Ce rêve commence par des images "pré-oniriques" qui ne sont pas le résultat de
l'activité mentale du rêveur mais à la vie desquelles il participe. Tant qu'il a le sentiment qu'il
peut les "balayer" il est encore dans l'état intermédiaire. Mais au fur et à mesure que leur
déroulement se poursuit, le rêveur y est de plus en plus impliqué et elles deviennent un rêve
à part entière, ce qui peut être constaté par la suite de l'expérience qui est un rêve lucide de
vol typique.

« […] Quelqu'un sort du salon pour s'enquérir si j'ai eu accès au lavabo et se rend
compte que finalement j'ai été à l'autre, ce qui est tout aussi bien. Je me mets devant le lavabo et
de ce fait je fais face au couloir qui m'apparaît dans sa longueur. J'ouvre le robinet et mets mes
mains sous l'eau. Il me vient alors à l'idée de prier pour que l'énergie divine passe ainsi en moi.
Mes mains se remplissent de lumière blanche vibratoire. Cette lumière se propage dans mes
avant-bras et mes bras et je sens un mouvement ascensionnel au bas de ma colonne vertébrale.
L'énergie emplit maintenant tout mon corps et je me sens décoller du sol.

« Flottant au dessus du sol je retourne au salon. Les autres membres de ma famille sont
toujours là. Je reste en hauteur, allant de-ci, de-là, et réfléchis que c'est ce que font les enfants
en général et c'est pourquoi les souvenirs d'enfance donnent des aperçus en hauteur. Puis je
m'installe sur un matelas mousse que je fais voler, je suis assis dessus […] »[35].

Ainsi lorsque l'état intermédiaire est caractérisé par le sentiment de glisser dans le
sommeil en raison de l'apparition d'images pré-oniriques, deux situations peuvent se
présenter : le rêveur va à la rencontre de ces images et dans ce cas son "orientation" décide
de la concrétisation du rêve lucide à partir d'elles ; ou alors ces images viennent à la
rencontre du rêveur et dans ce cas ce dernier n'a plus le choix du rêve (même s'il peut
décider de se réveiller). Dans les deux cas la conscience persiste depuis l'état de veille mais,
dans le premier, elle prend la forme d'une présence à soi, surtout observatrice (et parfois
purement observatrice) tandis que, dans le deuxième, elle est plutôt conscience de soi, plus
susceptible de manipuler, au moins potentiellement, les scènes pré-oniriques.

III. Le sommeil lucide


Nous avons posé que l'état intermédiaire n'appartient franchement ni à la veille ni au
sommeil mais que la conscience y persiste depuis la veille et mène éventuellement au rêve
lucide. Deux façons d'envisager cet état nous sont apparues : le sentiment d'être éveillé alors
que se produisent des phénomènes qui ne peuvent appartenir qu'au rêve et celui de
s'endormir sans être encore pour autant dans le rêve. Une telle classification a sans doute
une valeur pratique puisqu'elle nous permet de reconnaître la diversité d'accès au rêve
lucide, mais elle ne rend pas compte de tous les aspects de l'état intermédiaire lui-même. En
d'autres termes, si elle se révèle utile pour le rêve lucide, elle ne constitue pas un critère
pour étudier l'état intermédiaire dont certaines manifestation défient la description. Il arrive
en effet que le rêveur vive "autre chose", plus précisément qu'il vive dans le sommeil une
expérience qu'il ne qualifie pas de rêve. S'agit-il alors d'un état intermédiaire ou la difficulté
de qualifier l'état tient-elle à ce que notre description du rêve est culturellement
stéréotypée ?

Ce que les rêveurs qualifient parfois spontanément de "sommeil lucide" est un


exemple d'un tel état. Les sujets considèrent qu'ils dorment effectivement et consciemment,
sans pour autant avoir de rêve,

« […] sur le matin ni un réveil ni un rêve lucide mais un éveil dans le sommeil juste après
un rêve. En repassant le rêve vision d'un trou dans lequel je tombais. Réflexion dans le
sommeil : j'aurais pu faire un rêve lucide là dessus" […] »[36]

ou du moins sans vivre les rêves de la façon habituelle :

« Curieusement, il semble y avoir eu un "sommeil lucide" sans rêves complexes. Ou plutôt


ceux-ci étaient réduits à des ébauches. Le sommeil lucide consiste simplement à savoir qu'on
dort. Au début, je croyais que je ne dormais pas - justement à cause de cette conscience - mais
quelques fragments de rêve m'ont persuadé du contraire. J'étais, en quelque sorte, "au-dessus"
de mon sommeil et de mes rêves. Ceux-ci se bornaient à des sortes d'ébauches : deux brigands
ou géants étaient enchaînés à des troncs d'arbres où ils risquaient d'être brûlés ou éblouis par le
soleil. (Les images étaient tirées d'un livre sur la mythologie que je lis en ce moment). Peu de
temps avant le réveil, j'ai retrouvé ce morceau de rêve absolument tel quel, comme s'il était resté
là, immobilisé, pendant le reste de la nuit. En plus, il y avait un nom : "Euryale" (je crois que c'est
le nom d'une nymphe). »[37]

De telles expériences sont difficiles à classer. Le sujet reconnaît lui-même qu'au "début,
je croyais que je ne dormais pas - justement à cause de cette conscience - mais quelques
fragments de rêve m'ont persuadé du contraire". On ne peut cependant pas le ranger
définitivement du côté du rêve car c'est l'absence ou "l'éloignement" par rapport au rêve qui
permet de l'identifier.

L'état intermédiaire se présente donc comme un tremplin naturel vers le rêve lucide,
que le sujet pense ne pas dormir ou être en train de s'endormir ou même de dormir sans
rêver ("j'aurais pu faire un rêve lucide là dessus"). Cependant l'induction naturelle peut
prendre son origine dans un état de veille non équivoque.

§.2 Induction par le prolongement d'une attitude naturelle à partir de


l'état de veille
L'état intermédiaire est un état conscient dans lequel le sujet estime ne pas encore
dormir ou rêver - et cependant ne plus être éveillé. Nous avons vu comment des rêves
lucides s'inscrivent dans son prolongement, par une sorte d'induction naturelle. Mais on peut
se placer plus avant dans le processus d'endormissement, en fait avant l'endormissement
lui-même, et trouver dans des attitudes de la vie encore éveillée les germes d'une induction
de la lucidité. Mais, là encore, seul un examen empirique des journaux de rêves permet de
mettre en évidence ces gestes inducteurs. Un premier facteur se dégage aisément : ce sont
les attitudes de la vie de veille qui se répercutent en rêve de façon telle qu'elles amènent le
sujet à reconnaître son rêve pour tel ou à reconnaître l'état dans lequel il est comme n'étant
pas l'état de veille (et ayant par là un rapport avec le sommeil). Pour discerner de telles
attitudes on peut se pencher sur les événements qui se produisent souvent en début de rêve
lucide et chercher s'ils n'ont pas un élément corrélatif dans la vie de veille. Ce genre de
phénomène est courant dans la vie quotidienne et ses conséquences faciles à reconnaître
dans le rêve ordinaire :

« Je me vois dans quelque édifice généralement somptueux avec de longues enfilades de


larges escaliers, franchissant d'un bond un nombre incalculable de marches qui me surprend
moi-même, pour exciter l'admiration de l'assistance. »[38]

D'après l'auteur de ce récit « l'origine de ce rêve n'est pas douteuse en raison de la


[39]
concordance parfaite entre son sujet et des souvenirs positifs » qu'il résume ainsi :
« Étant gamin, j'avais acquis une adresse remarquable à descendre des escaliers en
franchissant un grand nombre de marches, tandis que mes mains glissant sur la rampe
soutenaient en partie le poids de mon corps. Je prenais grand plaisir à ce jeu où je dépassais
mes petits camarades. Arrivé à l'âge mûr, il m'est arrivé quelquefois de recommencer et
plusieurs fois j'ai été tenté de le faire, même dans les lieux publics et d'en être empêché par
le sentiment des convenances. Ce n'était d'ailleurs qu'un éclair, mes pensées se reportant de
suite sur des sujets plus dignes de mon attention. Cela a été l'occasion de rêves très
fréquents qui se reproduisent parfois même encore aujourd'hui où j'ai atteint la
[40]
soixantaine » .

Puisque des catégories de rêves non lucides peuvent être provoquées par certaines
activités de la vie de veille, il semble légitime de se demander si les activités spécifiques que
l'on retrouve régulièrement en début de rêve lucide et plus particulièrement lors des
endormissements conscients n'ont pas un élément corrélatif non délibéré dans les actes de la
vie éveillée. Dans les rêves d'endormissement conscient nous avons souvent rencontré des
activités oniriques récurrentes et caractéristiques comme les tournoiements ou les
[41]
balancements. Ainsi dans un rêve déjà cité le sujet se sent se balancer avant de se mettre
à tourner dans un sens puis dans l'autre. D'où viennent ces tendances au balancement et au
tournoiement ? Si nous examinons le récit du rêveur, nous nous apercevons que le
balancement est déjà présent dans l'état intermédiaire ("Je me sens parfaitement détendu
mais je ne dors pas, du moins je le crois") au cours duquel il est ressenti comme réel ("Je me
sens me balancer"). Mais le sentiment effectif du balancement est précédé, dans l'état
intermédiaire, d'un balancement imaginé qui lui même est repris de l'état de veille ("Je
reprends le rythme de balancement") : le rêveur avait commencé à imaginer un tel
balancement avant de s'endormir.

Il n'entre pas ici dans nos intentions de déterminer ces attitudes en termes de cause
et d'effet. Il est possible que les attitudes physiques ou imaginaires des sujets à l'état de
veille soient la cause de certains rêves, mais il est également possible qu'elles ne fassent
que s'accorder à ces rêves et en favoriser l'émergence. Ainsi le tournoiement apparaît
souvent en rêve lucide sans qu'on puisse l'expliquer autrement que par une idiosyncrasie
propre à ce type de rêve.

« Je me sens tourner à toute vitesse sur moi-même, à l'horizontale, mais je ne sais pas où.
Je suis dans un environnement qui est un rêve. C'est une sorte de café-restaurant. Il y a du
monde, dont des indiens. C'est éclairé électriquement. […] »[42]

Ce tournoiement ne s'explique de façon immédiate ni par une activité de l'état de


veille ni par le contexte du rêve, mais sa répétition mentale, après avoir connu ce genre de
rêve, aide le sujet à retrouver la lucidité onirique. Son apparition spontanée et sa fréquence
dans les rêves lucides laisse pourtant supposer qu'une attitude inaperçue de la vie de
veille s'accorde avec un événement onirique auquel elle ne ressemble pas nécessairement.

Donc ce qui nous intéresse ici, c'est que ces attitudes à l'état d'éveil peuvent aider au
déclenchement de la lucidité, soit en provoquant un rêve particulier, soit en favorisant le
passage dans un état intermédiaire. Ici le balancement au début "imaginé" à l'état de veille et
poursuivi au cours de l'état intermédiaire, devient, du point de vue de la sensation, réel,
c'est-à-dire ressenti comme s'il avait effectivement lieu. Sans doute peut-on, à partir de ce
moment, considérer qu'il s'agit de rêve, même si la perception onirique se réduit à la
kinesthésie. Ainsi certaines attitudes mènent naturellement à l'induction de la lucidité soit
parce qu'elles propulsent dans l'état intermédiaire le plus favorable au rêve lucide, soit parce
qu'elles injectent dans le rêve des éléments qui font prendre conscience de la qualité onirique
de l'environnement, soit parce qu'elles reproduisent des schémas de comportements
oniriques qui appartiennent à la structure naturelle du rêve. Une attitude naturelle est donc,
au départ, une attitude non consciemment orientée dans un but, mais spontanée, comme le
balancement des enfants avant l'endormissement et dont on retrouve des traces chez les
adultes qui bougent un membre de façon rythmique et presque inconsciente pour s'endormir.
L'examen des journaux de rêves montre que l'attitude naturelle est avant tout une sorte de
mouvement qui se prolonge dans le sommeil. Il y a en effet à la fois "élan vers" le sommeil,
et en même temps "inertie et persistance" de ce qui est lancé, l'élan étant donné dans un
état proche de la veille, la persistance se manifestant dans un état proche du sommeil. On
serait tenté de décrire ce mouvement comme un passage de l'imagination active à
l'imagination passive avec prolongation du contenu de l'une dans l'autre. Cette description
peut sembler insuffisante puisqu'elle ne mentionne pas la présence d'un effort ou d'un
procédé permettant de conserver la conscience de ce qui se passe. Pourtant, assez
curieusement, il semble que certaines de ces attitudes entraînent d'elles-mêmes une telle
conscience sans qu'il y ait à cela d'explication satisfaisante. Il faut se contenter pour l'instant
de les repérer de façon empirique.

Des principes directeurs devraient émerger d'un examen empirique lorsque ces
éléments seront systématiquement recherchés. En attendant, la diversité des phénomènes
observés incite à partir d'un cadre très général, quitte à découvrir par la suite des filiations
plus nettes. L'utilisation de ce cadre s'appuie sur une constatation appelée par la lecture des
récits : l'attitude naturelle qui déclenche l'induction se décèle aussi bien à la suite de
l'observation attentive des aspects sensoriels de l'endormissement que d'un "mouvement"
naturel qui se prolonge dans le sommeil ou qui resurgit en cours de rêve. Le plus souvent ce
mouvement est purement mental en ce sens qu'il suffit qu'il soit imaginé pour se produire
en rêve ; mais dans d'autres circonstances il s'agit d'un mouvement physique qui ressurgit
en rêve sans que le rêveur y ait pensé avant de s'endormir ou au cours de l'endormissement.
Le mouvement lui-même s'avère ainsi plus décisif que son mode de manifestation à l'état de
veille (mental ou physique) qui ne doit pas masquer l'importance de sa forme.

I. L'aspect ludique
Lorsque l'observation pure ne vise aucun objet particulier, pas même celui de
s'endormir, on peut la considérer comme une pratique ludique, et donc naturelle. Le principe
en est simple : le sujet se concentre sur un canal sensoriel donné et garde constamment son
attention tournée vers lui pendant qu'il s'endort. La concentration doit donc porter
exclusivement sur la vision, l'audition ou la sensation du corps sans passer de l'un à l'autre.
Certains de ces jeux avec la perception sont plus connus que d'autres comme par exemple
celui de l'audition souvent pratiqué par ceux qui dorment dans le train. Le bruit régulier du
train porte à l'assoupissement quand on tient son attention fixée sur lui. Lorsque
l'assoupissement atteint un certain degré, le sujet peut constater l'apparition d'images
pré-oniriques auditives : il croit entendre sur le fond de ce bruit régulier des voix qui peuvent
se muer en rêve. D'un côté, ce fond sonore est nécessaire pour percevoir les voix
imaginaires et, de l'autre, le fait qu'il soit toujours perçu indique que le sujet ne dort pas
encore. Le rythme sonore du véhicule se déplaçant avec régularité sert donc de moyen de
transition en favorisant la concentration. à l'inverse des bruits arythmiques de la rue que l'on
entend habituellement depuis sa chambre à coucher.

Une autre concentration sur les sons consiste à écouter un enregistrement,


généralement musical, en s'endormant, ce qui provoque parfois la lucidité peu après
[43]
l'endormissement - comme dans un rêve déjà cité au cours duquel le rêveur se "réveille"
paralysé dans son corps en entendant un texte différent de celui qui devrait être diffusé. La
concentration sur les sons ne débouche cependant pas toujours sur un équivalent sonore
onirique.

« ([…] à la suite de l'écoute de la bande Autosuggestion […]

Rêve lucide : Je détends mes pieds et je les remonte vers le haut. Après cela je passe au
reste du corps. Je pense aux indications de [la cassette] : "Vous avez l'impression de planer au
dessus de votre corps". J'ai le sentiment d'avoir un épais scaphandre sur le haut du
corps seulement… Je sais que c'est dû aux écouteurs. Sous mes mains j'ai l'impression qu'il y a du
sable. Mais le paysage reste assez vide. Je m'envole et m'imagine que je suis au dessus d'une
plage. Je descends en piqué en tournant sur moi-même. Je repense à l'expérience de la
journaliste d'Actuel et je tourne en descendant dans l'air comme si j'étais dans l'eau, en
Californie… Puis cela dévie. […] »[44]

Dans ce rêve lucide qui se produit à la suite de l'écoute d'une cassette, ce ne sont pas
les sons qui prédominent mais les sensations de type tactile ("Sous mes mains j'ai
l'impression qu'il y a du sable") ou kinesthésiques ("Je descends en piqué en tournant sur
moi-même"). De façon générale les rêves lucides induits par des cassettes sans rapport avec
le rêve (le plus souvent des cassettes de relaxation) débouchent sur le sentiment de sortir de
son corps ou de s'envoler.

Une autre activité ludique concerne la vision. Cela peut d'abord paraître étrange car la
plupart des gens s'endorment les yeux fermés, et par conséquent rien ne se présente dans
leur champ de vision. Cette idée n'est pourtant pas tout à fait exacte car, si un sujet
s'efforce, comme le propose Bergson, de regarder alors que ses yeux sont fermés ou qu'il se
situe dans une obscurité totale, il perçoit des petites tâches lumineuses appelées "chaos
visuel" : « Fermons les yeux et voyons ce qui va se passer. Beaucoup de personnes diront
qu'il ne se passe rien : c'est qu'elles ne regardent pas attentivement. En réalité, on aperçoit
beaucoup de choses. D'abord un fond noir. Puis des taches de diverses couleurs, quelquefois
ternes, quelquefois aussi d'un éclat singulier. Ces taches se dilatent et se contractent,
changent de forme et de nuance, empiètent les unes sur les autres. Le changement peut être
lent et graduel. Il s'accomplit aussi parfois avec une extrême rapidité. D'où vient cette
fantasmagorie ? Les physiologistes et les psychologues ont parlé de "poussière lumineuse",
de "spectres oculaires", de "phosphènes" ; ils attribuent d'ailleurs ces apparences aux
modifications légères qui se produisent sans cesse dans la circulation rétinienne, ou bien
encore à la pression que la paupière fermée exerce sur le globe oculaire, excitant
mécaniquement le nerf optique. Mais peu importe l'explication du phénomène et le nom qu'on
lui donne. Il se rencontre chez tout le monde, et il fournit, sans aucun doute, l'étoffe où nous
[45]
taillons beaucoup de nos rêves » .

Les expériences d'Hervey de Saint-Denys et de Maury à ce sujet sont bien connues.


Comme le rappelle Bergson « ces taches colorées aux formes mouvantes peuvent se
consolider au moment où l'on s'assoupit, dessinant ainsi les contours des objets qui vont
[47]
composer le rêve » . Mais, le plus souvent, cela indique une perte de conscience
corrélative. Or, ce qui nous intéresse ici c'est un autre phénomène : de même que la
concentration sur les bruits du train peut amener à imaginer puis à entendre consciemment
des voix, de même la concentration sur le chaos visuel peut le transformer en images
visuelles de type onirique alors que le sujet est encore éveillé et dans ce cas lui assurer
une transition vers le rêve qui respecte la continuité de la conscience. L'apparition de telles
images est fréquente chez les rêveurs lucide. Ainsi chez Fox :

Parfois, avant de m'endormir, je voyais à travers mes paupières closes un certain nombre
de petits cercles vibrants d'un bleu ou d'un mauve brumeux. Pour mieux décrire cette structure, je
dirai qu'elle ressemblait un peu à un amas d'œufs de grenouille et qu'elle se situait aux limites de
la visibilité. Ces cercles étaient vides pour commencer, mais bientôt, au centre de chacun d'entre
eux, apparaissaient un minuscule visage ricanant, avec des yeux perçants d'un bleu métallique.
J'entendais alors un chœur de voix moqueuses, répétant très vite, comme en accord avec le
rythme de la vibration : "C'est cela, tu vois! C'est cela, tu vois!" Ils répétaient toujours la même
chose, mais je n'ai jamais pu déterminer l'origine de ces mots, ni comprendre leur sens. Comme
l'arrivée de ces visages présageait toujours un cauchemar particulièrement détestable j'en vins à
craindre beaucoup de les voir apparaître.[48]

Ce genre de phénomène est, dans le cas de Fox, directement en rapport avec le rêve
lucide comme l'indique clairement la suite du texte. D'une part il précise que cette scène peut
tourner au rêve désagréable, et d'autre part il s'efforce de manipuler ce qu'il voit, ce qui
montre qu'il a conscience de rêver :

Cet état de choses persista deux ou trois ans, mais il faut savoir que je ne percevais ces
cercles qu'à des intervalles irréguliers d'environ deux ou trois semaines. Pour finir, il se produisit
quelque chose de totalement inexplicable. Les cercles vibrants apparurent, tout d'abord vides,
puis, à ma grande surprise, ils furent occupés par de petits encriers de verre - et il n'y eut pas de
cauchemar! A partir de ce moment, je me mis à pratiquer une sorte de magie enfantine. Je
commandais : "Que ce soient des encriers!" … aussitôt, comme prévu, les petits pots de verre
prenaient place dans les cercles vides, et il n'y avait pas de cauchemar. Mais il fallait faire très
vite, dès l'apparition des cercles, sinon les visages ricanants s'y installaient en premier,
j'entendais leurs paroles absurdes et, peu de temps après, le cauchemar venait.[49]

Le lien avec le rêve lucide est encore plus marqué lorsque Fox décrit les phénomènes
lumineux qui accompagnent les débuts de ses rêves de sortie hors du corps.

[…] j'ai souvent remarqué, lors de mes expériences de sortie hors du corps, la présence,
derrière la lueur diffuse qui remplit la pièce, d'un voile à peine visible, comme composé de cellules
vibrantes. J'ignore de quoi il s'agit, mais je crois que cela est toujours présent, à l'arrière plan,
lorsque nous concentrons notre attention sur un objet, bien que la plupart du temps nous ne le
remarquions pas, distraits par la nature plus frappante des autres phénomènes. Je remarque
cependant que, dans mes expériences de projection, ces cercles vibrants restent vides.[50]

Le rapport entre les phosphènes et le rêve de sortie hors du corps a pu être constaté
par d'autres sujets, parfois tout à fait fortuitement. Un ouvrage de pédagogie nous apprend
en effet que quelqu'un « qui n'avait jamais eu connaissance des sciences parapsychologiques
a pratiqué la concentration sur un détail du phosphène pendant une heure tous les soirs
durant une semaine seulement, ce qui est bien peu. Il se mettait au lit juste après. Or, le
dernier soir, après s'être couché, il s'est senti debout hors du corps, ayant l'impression de
voir son corps physique dans son lit. Il a eu tellement peur qu'il n'a jamais osé recommencer
[51]
» . Dans ce cas l'observation ne portait pas sur le chaos visuel mais sur la
post-image consécutive à la fixation d'une lampe, associée à un exercice particulier, la
concentration sur un détail. Néanmoins il n'y avait là aucune intention de glisser
consciemment dans le sommeil et on peut penser que bien des expériences ont pu avoir lieu
spontanément pour des dormeurs qui s'assoupissent en regardant un feu de cheminée. Fox
relate des observations semblables :

Dans la pièce où je dormais, l'éclairage au gaz se faisait par ce qu'on nommait alors "un
brûleur en queue de poisson", système aujourd'hui disparu, tout comme les allumeurs de
réverbères de ce temps-là. A travers le globe de verre transparent, je voyais une flamme claire en
forme d'éventail, centrée sur un cône d'un violet ou d'un bleu noirâtre où de petites particules
rouges jaillissaient vers le haut. Dans un état de somnolence, j'observais ces points ascendants,
traversant la zone obscure pour se rendre dans la clarté de la flamme, et il arrivait parfois que
tout se mette soudain à "aller de travers". La lumière du bec de gaz s'affaiblissait, la mystérieuse
lueur d'or pâle, issue de nulle part, se diffusait dans la pièce. J'entendais des bruits étranges,
craquètements ou claquements secs, de petits jets de flamme bleue, semblables à des éclairs en
miniature, jaillissaient dans les coins de la chambre. Venait alors l'apparition : c'était un homme
au visage grotesque et terrifiant, ou encore un loup aux yeux de braise, un lion, un serpent
gigantesque, un grand ours noir debout sur les pattes de derrière et dont le crâne touchait le
plafond - autant de visions différentes qui se manifestaient séparément, d'une fois à l'autre. Je
hurlais de toutes mes forces, mais les apparitions restaient absolument immobiles, me fixant d'un
air menaçant. J'entendais les pas précipités de ma mère qui courait dans l'escalier, en réponse à
mes appels désespérés. Dès qu'elle avait tourné la poignée de la porte, l'animal terrifiant
disparaissait et tout redevenait normal.[52]

Ainsi l'observation visuelle, qu'elle porte sur la poussière de phosphène, une


post-image ou une source lumineuse, semble être un moyen de maintenir la continuité de la
conscience à travers l'apparition des images pré-oniriques. Là aussi, il s'agit bien d'une
disposition à prendre car il faut faire un effort particulier pour rester concentré sur
l'observation perceptive au lieu de se laisser aller aux associations d'idées. Mais c'est
néanmoins une pratique naturelle dans la mesure où nombreux sont ceux qui l'utilisent
spontanément pour s'endormir.

II. Le mouvement et le rythme


Considéré par rapport à l'imagination, le mouvement peut aussi bien concerner la
représentation mentale d'un mouvement physique que le changement de position du rêveur
dans son propre espace imaginaire, ce qu'on peut sans doute rendre par les termes de
"disposition mentale". Il s'agit bien là d'un mouvement puisque le rêveur se dispose
autrement en imagination, ou plus exactement dispose autrement les éléments de son
univers imaginaire pour se préparer à entrer dans le sommeil. Ce phénomène est bien connu
et chacun sait que ressasser les préoccupations de la veille (donc, d'une certaine façon, de ne
pas bouger mentalement) est le meilleur moyen de ne pas dormir, au point que Bergson a,
dans un passage célèbre, défini l'endormissement comme un désintérêt pour la vie de veille :
« supposez qu'à un moment donné je me désintéresse de la situation présente, de l'action
pressante, enfin de ce qui concentrait sur un seul point toutes les activités de la mémoire.
[53]
Supposez, en d'autres termes, que je m'endorme » . Mais ce que Bergson considère
comme une sorte de retrait du rêveur est en fait souvent une position mentale délibérée et
qui est susceptible de description. L'exemple le plus simple est celui du rêve éveillé auquel on
se laisse aller (il ne s'agit donc pas d'une rêverie dans laquelle on reconstruit sans cesse la
même histoire) et qui conduit insensiblement à l'endormissement. Le dormeur met en
marche délibérément son imagination et c'est bientôt elle qui le porte : l'impulsion vient du
sujet mais se poursuit dans l'espace mental au delà de lui, comme le ferait un mouvement
physique dans l'espace physique. Il y a donc bien une sorte de mouvement mental autre que
la simple représentation d'un mouvement. C'est un mouvement d'un état vers un autre et un
indice en est donné par le fait que l'interruption brusque d'un rêve éveillé en cours suivi d'une
activité physique provoque un sentiment de vertige que n'éprouve pas un sujet qui, bien
qu'ayant été allongé durant la même période, se lève de la même façon après avoir ruminé
les préoccupations de la journée.

Ce mouvement mental d'ensemble, qui consiste à se donner des images, semble


toujours avoir le même but : changer d'état de conscience en passant d'un type
d'imagination à un autre. L'imagination de veille délibérément lancée conduit, par une sorte
de transition, à celle qui préside à l'élaboration des rêves. Les images oniriques supplantent
bientôt les images mentales qui leur ont servi de support, même s'il n'y a aucun rapport de
contenu entre elles, comme le montre une tentative de Roger Caillois qui mène au rêve
ordinaire :

« Plus tard, je m'appliquai à créer des images. Il y faut de l'entraînement, mais je suis
persuadé que chacun peut y parvenir sans trop de peine. Les paupières closes, je scrutais
l'obscurité et j'y suscitais une image simple : par exemple, un papillon Apollo sur un chardon de
montagne. A Gèdre, dans les Pyrénées, j'en ai observé souvent. Je m'appliquais à voir le corps
lourd, annelé et velu, la trompe à demi déroulée, le dessin des ailes blanches, presque diaphanes,
la disposition des taches noires et des lunules rouges, la tige de la plante agitée par le vent, les
efforts de l'insecte pour ne pas s'envoler, les mouvements réprimés de ses ailes. Le secret de la
réussite est de chercher une précision sans cesse accrue.

« Pendant que je m'y obstine, l'image change : je me trouve assis dans un café en train de
discuter avec un inconnu. Si je m'en étonne, il faut que je recommence tout, car je me suis
éveillé. Mais si je suis vaincu, si mon étonnement se dissout dans l'image qui l'emporte, c'est le
rêve qui déjà se déroule. Le sommeil est venu. Je ne peux rien sur ces images d'une nouvelle et
puissante espèce. Je ne suis plus là. »[55]

Contrairement à ce qu'on aurait tendance à croire ce ne sont pas les images


délibérément évoquées qui se transforment peu à peu en images oniriques, c'est le
fonctionnement de l'imagination de veille qui appelle celle du rêve, indépendamment de
son contenu. Mais le récit de Caillois montre que ce seul fonctionnement ne suffit pas à
induire la lucidité ("Je ne peux rien sur ces images d'une nouvelle et puissante espèce. Je ne
suis plus là") et il nous faut découvrir la forme que doit prendre l'image mentale pour
favoriser la lucidité. Les cas rencontrés du balancement et du tournoiement semblent
immédiatement impliquer que la représentation d'un rythme joue un rôle particulier mais,
pour s'en assurer, il convient d'examiner également les rêves induits par des images
mentales différentes.

Le déplacement de l'attention du monde quotidien vers celui de


l'imagination demande, contrairement au passage de l'imagination au rêve, un effort
préalable pour déclencher le processus et le maintenir. Pourtant nous avons vu que, si la voie
du rêve peut prendre le chemin de l'imagination délibérée, elle ne mène pas par elle-même à
la lucidité onirique dont la présence doit s'expliquer par un élément additionnel. Le choix de
l'image est-il déterminant dans cette utilisation de l'imagination ou est-ce dans une certaine
qualité de présence à soi qu'il faut chercher le facteur favorable de ces pratiques ?

Le type de représentation mentale utilisée peut facilement paraître déterminant, sans


doute parce que certaines images sont plus proches que d'autres du rêve, et notamment le
souvenir d'un rêve. Ainsi il arrive fréquemment que le rappel détaillé du rêve dont on vient
de s'éveiller fasse replonger dans un autre rêve - éventualité improbable si, au lieu de cela,
on pense aux travaux de la journée qui s'annonce. Mais ce qui est ici déterminant n'est pas
l'évocation de l'image, c'est la direction dans laquelle elle oriente la conscience du sujet :
cela apparaît nettement lorsque le rêveur est projeté dans un rêve simplement parce qu'il
essaye de se souvenir d'un rêve précédent dont il n'a aucune représentation.

« A plusieurs reprises, ce jour-là, je m'efforçai, je me souviens que je m'efforçai, d'ailleurs


en vain, de me rappeler un rêve que j'avais fait la nuit précédente. Je souhaitais le donner en
exemple pour montrer qu'une pensée cohérente n'est nullement incompatible avec le rêve. La
nuit, avant de m'endormir, je cherchais encore à l'évoquer, quand brusquement mes efforts furent
récompensés. La mémoire m'en revint, mais bizarrement à partir des détails du décor. Avec
satisfaction, je revis, je reconnus les frises, les aigles, les lauriers, les palmes sculptés aux
chapiteaux de robustes colonnes, puis je distinguai la coupole qu'elles soutenaient et qui
m'avaient rappelé celle du monument de Rome connu sous le nom de Panthéon d'Agrippa. Je vis
enfin la piscine souterraine qu'elle couvrait. Je me rappelai que l'édifice entier - celui de mon rêve
de la veille - était souterrain.

« Le rêve, maintenant, était redevenu présent et net. Je m'en souvenais à la perfection. Il


m'avait transporté à Buenos Aires. Là quelqu'un m'avait prié de venir voir chez un de ses amis un
temple et des bains antiques presque intacts que l'on faisait visiter à de rares privilégiés. J'avais
flairé une supercherie. Je descendis dans un vaste sous-sol que venait baigner l'eau jaune et
boueuse du Rio de la Plata. Le Français barbu qui essayait de persuader les visiteurs de
l'authenticité de la colonnade, se trouvait de nouveau devant moi. Je m'approchai, décidé à
mettre les choses au point. L'imposteur ne devait pas soupçonner qu'il avait affaire à un
compatriote, encore moins que celui-ci se trouvait avoir plus de connaissance et de pratique de
l'archéologie romaine qu'il n'est commun sous ces latitudes […] »[56].

Avec ce rêve nous sommes loin du "désintérêt" de Bergson. Au contraire Caillois fait un
effort véritable pour se souvenir d'un rêve. Et ce souvenir le replonge insensiblement dans le
rêve lui-même : « je m'étais endormi, non pas en comptant des moutons, mais en essayant
de reconstituer un rêve. Lorsque je me réjouissais de me souvenir d'un rêve, sans doute je
rêvais déjà. […] je ne suis [pas] passé par le temps vide du sommeil : sans interruption, les
images remémorées se sont muées en images rêvées. La même histoire a continué, d'abord
[57]
souvenir, puis songe » . Ou plutôt ce souvenir est déjà le rêve : « D'abord souvenir ? Rien
n'est moins sûr. Au fond, je ne sais pas, je ne puis savoir à quel moment j'ai commencé de
rêver. Il m'a semblé qu'au début je me rappelais un rêve que j'avais oublié, puis j'ai cru que
les premières images ressuscitées déclenchaient l'automatisme du songe, de sorte qu'à partir
[58]
de ce moment, je rêvais un rêve déjà rêvé, dont je croyais continuer à me souvenir » .
Dans le domaine de l'image mentale le rêve appelle le rêve ou, plus exactement, l'intention
de se donner la représentation d'un rêve oriente la conscience dans la direction du rêve vécu.
Le rêve de Caillois montre cependant que la lucidité onirique n'est pas corrélative de ce
mouvement sans doute parce que Caillois était plus centré sur le désir de se souvenir que sur
l'observation neutre, et donc sur le contenu du rêve, ce qui l'a empêché de prendre
conscience qu'il rêvait.

A l'inverse, lorsque l'attention s'investit dans le déroulement du processus plutôt que


dans son contenu, la lucidité onirique par endormissement conscient s'ensuit assez
fréquemment. Si, cependant, une telle méthode utilisée délibérément pour provoquer la
lucidité onirique donne des résultats, son occurrence spontanée dans la littérature est rare
car l'observation du déroulement du processus est un acte conscientiel encore moins naturel
que celui de la fixation de l'attention sur une image que l'on construit avec soin. En effet,
cette concentration demande un effort important qui oblige la conscience à s'absorber
complètement en lui. Elle permet, toutefois, l'observation du processus d'émergence lorsque
l'image est dynamique, qu'elle soit rythmique ou en continuelle transformation comme dans
le rêve éveillé.

Le rêve éveillé est encore plus propice que l'image statique à l'induction de la lucidité
onirique, sans doute parce qu'il est plus proche du rêve dans son fonctionnement : de même
que le rêve, il déroule une histoire, possède une progression à laquelle le sujet participe
pleinement, tandis que l'image mentale lui demeure d'une certaine façon extérieure. Il y a
entre le rêve éveillé et l'image mentale la même différence qu'entre un univers et un élément
de cet univers. C'est sans doute aussi la raison pour laquelle le déroulement intégral d'un
souvenir de rêve assez long provoque plus facilement l'endormissement que la fixation sur
une seule séquence du même rêve, ou sur une série de séquences prises de façon
désordonnée. Le sujet doit s'impliquer à nouveau dans le rêve par l'intermédiaire du
souvenir, quitte à le laisser évoluer différemment du rêve initial si une modification intervient.

La difficulté d'obtenir spontanément la lucidité à partir de la construction d'une image


mentale vient probablement de ce que la concentration statique amène à un point de rupture
conscientiel, le sommeil, même si la continuité imaginative est respectée. En revanche, dans
le rêve éveillé, la continuité conscientielle a beaucoup plus de chance de se produire dans la
mesure où la conscience est déjà sollicitée par la simulation d'une expérience perceptive
globale que lui présente le rêve éveillé en train de se dérouler. En effet, d'un côté le sujet ne
crée pas délibérément les situations et leur déroulement (nous avons précisé que le rêve
éveillé n'est pas la rêverie), mais de l'autre, s'il ne "participe" pas à cette action, elle
s'évanouit. L'investissement conscientiel du sujet est donc la condition même du rêve éveillé,
et peut se poursuivre dans le sommeil, permettant au rêveur de passer du rêve éveillé au
rêve lucide.

Dire que le rêve éveillé débouche aisément sur le rêve c'est faire une constatation à la
fois banale et logique car, tout en restant dans le même cadre imaginaire, le rêveur perd peu
à peu conscience de son environnement de veille.

« Rêve éveillé : J'entre dans un rêve consciemment. Au début les images sont lointaines
mais, très vite, je marche, je prends un escalier dans une maison, un couloir, je passe dans un
endroit au soleil, ça devient très réel.

Rêve : … et je suis dans un rêve … […] »[59]

Dans ce genre de situation la perte de conscience de l'environnement de la vie de


veille s'accompagne d'une augmentation de la netteté des images qui donnent alors plus le
sentiment d'être "perçues" qu'imaginées. La lucidité permet de constater cette
transformation : un rêveur note qu'« au cours du rêve je réfléchissais sur le cadre même du
rêve. Je me disais qu'au départ cela ressemblait à un rêve éveillé qui se transformait et qu'en
fait ce n'était pas tout à fait un rêve lucide mais quelque chose entre les deux, entre le rêve
[60]
éveillé et le rêve lucide » . Mais rapidement les images de ce rêve gagnent en
perceptibilité :

« Rêve lucide à l'endormissement : Je vois des images de plus en plus nettes. Une ferme
se présente à moi au bas d'une route, un peu de côté. Je l'ai déjà vue, en état de veille ou dans
un autre rêve. Je pense que ce n'est pas intéressant puis je me dis que je suis conscient devant
une image nette. C'est une ferme de grande taille avec des portes de grange. Devant, le sol est
en terre battue. […]. »[61]

Parfois la limite entre l'imaginé et le perçu est telle qu'il est délicat pour le rêveur
lui-même de porter un jugement.

« Rêve hypnago-lucide : Je me déplace dans un appartement. Ce qui m'entoure est à la


limite entre l'imagination et le rêve. Je passe d'une pièce dans l'autre. Il s'en faut d'un cheveu
pour que les pièces, les meubles, etc. aient la consistance du rêve lucide. »[62]

Cet exemple montre que le rêve éveillé peut facilement se prolonger en rêve lucide
dans la mesure où la conscience du rêveur y est plus sollicitée que dans la construction d'une
image mentale et où la transition de l'éveil au rêve se fait insensiblement, à tel point que
certains récits qui sont explicitement présentés par les rêveurs comme passant de l'un à
l'autre ne permettent pas, à simple lecture, de déceler un seuil à partir duquel on a affaire
au rêve :

« Rêve éveillé --> Rêve lucide : Je suis dans la rue. Il fait jour/nuit. Je vois des voitures, des
véhicules. Il y a des lumières. Je suis à une intersection. J'entends le bruit des travaux mais en
même temps je suis dans mon rêve… J'entre dans un bâtiment. Je prends des couloirs. D'abord à
gauche. Petit à petit je m'aperçois que je suis dans une école ou un lycée. Est-ce parce que je vais
aller là ? Je sors du bâtiment. Je suis dans une cour intérieure. Je m'élève au dehors du bâtiment
jusque dans le ciel. »[63]

L'indication donnée par le sujet ("rêve éveillé --> rêve lucide") indique bien que l'on
passe d'un état à l'autre mais il n'est guère possible de déterminer à partir de quand dans le
récit.

Toutefois la continuité à partir d'un rêve éveillé n'est pas la seule façon d'induire la
lucidité. Le rêve éveillé d'endormissement est parfois corrélé à des rêves lucides qui ont lieu
dans le courant de la nuit :

« Rêve éveillé conduit jusqu'au sommeil avec un "guide". Intéressant de noter ce qui s'est
dit, parce qu'il y a eu, cette nuit là , un assez bon rêve lucide. Il fallait presque plonger ou nager à
travers une lumière verte et je me voyais le faire. Le guide (invisible) m'a dit qu'il vaudrait mieux
que je sois dans mon corps, et j'y suis rentré. Il était très difficile de rejoindre la lumière verte et
je m'endormais de plus en plus. Je disais de temps à autre au guide de ne pas m'oublier. Il
répondait — non, je serai là. Me réveillant du rêve lucide j'ai eu l'impression que je venais de
m'endormir. D'après le réveil, c'était trois heures plus tard. »[64]

Le rêveur a nettement le sentiment que le rêve lucide est en corrélation avec le rêve
éveillé (« Me réveillant du rêve lucide j'ai eu l'impression que je venais de m'endormir »)
même si leurs contenus sont dissemblables.

« Début du rêve effacé. Je suis dans une chambre longue et étroite. Ce n'est que
provisoirement la mienne, comme dans un hôtel ou dans une pension. C'est la nuit ; je n'ai pas
allumé la lumière, mais il en vient un peu du dehors par la fenêtre. Près de la fenêtre, il y a un
lavabo et un bac à douches. Christian est avec moi. Nous avons - très schématiquement - une
conversation, où il pourrait être question du rêve lucide (mais, au souvenir, je n'en suis pas sûr).
Toujours est-il que je décide de me laver les pieds. Je le fais dans le bac rempli d'eau. L'eau
devient complètement noire. Je ne comprends pas - et je le dis à C.- comment je suis arrivé à
être aussi sale. Il va falloir que je me lave entièrement. J'ôte mon pantalon.

« - A ce moment on entend le pas de quelqu'un qui monte l'escalier de l'immeuble


(peut-être réellement entendu - c'est la nuit de Noël. Les gens rentrent tard). Je dis que c'est la
voisine du septième et je suis un peu inquiet à l'idée qu'elle pourrait entrer chez moi. Mais non.
Elle continue.

« - Je me suis rhabillé, et nous sortons de la chambre par une porte à côté qui donne sur la
cour de l'immeuble. C'est le jour. Christian est remplacé sans transition par un vieux professeur et
sa fille. Sur le seuil de la porte je fais une cabriole acrobatique sur les mains - moi-même étonné
de pouvoir le faire - puis plusieurs autres sur la petite pelouse qui se trouve dans la cour.

« Le vieux savant et sa fille se sont assis sur un banc au soleil. Je leur dis: "Vous avez vu ?
Je suis Windman le justicier". En même temps, je fais entre mes dents le bruit du vent. Pour leur
montrer que c'est vrai, je m'envole et fais des évolutions aériennes dans la cour. Je suis vêtu d'un
collant rouge et d'une grande cape de même couleur - c'est évidemment un des héros de bandes
dessinées de "Strange". Comme je suis un super-héro, il faut que je me rende utile en
poursuivant des malfaiteurs. En voici un dans le couloir d'entrée de l'immeuble. Je le réduis à
néant en quelques coups de botte et de poing. Il est tout ratatiné. Il faut que je m'en débarrasse
d'une façon ou d'une autre. Sachant que je suis dans une bande dessinée, je déchire un morceau
de papier sur lequel nous sommes représentés, et je pousse le malfrat dans le trou. Cette idée me
paraît si comique que je ris (réellement) et me réveille.

« Le rêve est devenu lucide progressivement. C'est seulement quand je me suis envolé en
Windman que la lucidité était complète. »[65]

Ainsi, si le rêve éveillé peut favoriser la continuité de la conscience, il peut également


favoriser son émergence dans le courant des rêves de la nuit, à condition qu'il y ait eu une
sorte d'intention de conscience en ce sens ("Je disais de temps à autre au guide de ne pas
m'oublier"). Le rêve éveillé ne provoque donc pas par lui-même le rêve lucide mais se révèle
être un cadre propice à son induction si une certaine intensité conscientielle est conservée ou
projetée. Cela signifie que si le rêve éveillé est un terrain plus favorable que la simple image
mentale pour mener au rêve lucide, il n'est pas une condition suffisante. Cependant les cas
repérables pour lesquels il mène à la lucidité peuvent, après examen, donner des indications
sur les facteurs additionnels utilisables de façon systématique pour aboutir à un tel résultat.
Ces facteurs, qui relèvent d'une attitude conscientielle ou de l'intensité d'un projet, peuvent
prendre la forme d'une image mentale de type particulier.

Si, en effet, l'image mentale s'avère moins intéressante que le rêve éveillé pour
induire la lucidité, c'est probablement en raison de son aspect statique qui implique une
participation faible de la conscience du sujet. Il existe toutefois une image mentale qui, sans
subir de modification continue, permet une implication plus forte : l'image rythmique qui
apparaît très vite comme une composante privilégiée de l'induction. En effet, le rythme
mental, après avoir été entretenu quelque temps dans l'imagination, acquiert une force
d'inertie et se poursuit de lui-même pendant l'endormissement - il peut même le favoriser
lorsque le sujet est bercé par ce rythme qu'il a lui-même provoqué. La conscience peut se
laisser porter par lui comme le montre le rêve lucide suivant dans lequel le sujet entre
consciemment dans le sommeil après avoir entretenu dans sa pensée un rythme de
balancement qui se transforme en mouvement circulaire :

« En m'endormant plus ou moins sans m'en rendre compte : je garde la conscience. Je fais
tourner un disque qui augmente très vite de vitesse, que je transforme en d'autres types de
cercles. Il y a même des couleurs. Je me dis que Lefébure avait raison. Il faut laisser varier la
vitesse du disque, au gré du rythme du cerveau. … J'entends (je pense être éveillé, c'est au début
de l'endormissement) des voix qui se parlent. Sans doute trois. Je les écoute. Conversations
anodines ? Je pense que mon chakra[66] de la gorge s'est ouvert. Je me demande si je pourrai le
refermer pour ne pas entendre les voix quand je ne veux pas.

« Je me rends compte que je me suis endormi. Je suis paralysé et je ne peux pas bouger,
ou difficilement. … A un moment j'entends des gens. Ils sont entrés dans l'appartement et
enlèvent tout. Je me projette dans la salle de bain : tout a été pris par des africains, ce qui reste
est du mur gris avec des lambeaux de papier peint. Je me demande ce que ça signifie à mon
sujet. Je vois ma main gigantesque, avec le détail des doigts. […] »[68]

Ce rêve montre que le rythme mental imaginé peut se transformer au cours de la


phase de transition tout en conservant son caractère rythmique. Dans le cas précédent, le
sujet imagine d'abord le balancement d'un point lumineux et les images visuelles acquièrent
leur autonomie onirique avant les images auditives non rythmées. Le rythme peut être
sollicité sous d'autre formes imaginées, par exemple par la sensation imaginée d'un
mouvement régulier (image mentale kinesthésique). Le récit suivant débute par un exercice
de giration imaginaire qui se prolonge en sentiment effectif de giration en rêve :

Je fais tourner la conscience dans mon corps à toute vitesse : quatre fois au moins.

Rêve lucide : Je sens que je peux tourner sur moi-même avec mon schéma
corporel […][69]

Ce sentiment de tourner sur soi-même est sans doute à mettre en rapport avec celui de
quitter son corps puisque le rêveur sent qu'il peut bouger alors qu'il sait son corps immobile
(un simple déplacement d'images visuelles ou auditives n'aurait pas le même impact).

Les rythmes imaginés peuvent donc se transformer en "perceptions" oniriques


intenses. Mais cela signifie-t-il que n'importe quel rythme est susceptible d'opérer ainsi ou
est-il nécessaire d'adopter des rythmes particuliers ? Plus précisément, il est facile d'observer
que le corps recèle des rythmes propres qui servent probablement de modèle à
l'imagination spontanée, d'autant plus que l'effort à fournir est alors considérablement
réduit : l'imagination n'a qu'à se laisser guider sur le rythme physique pour créer un
équivalent mental, qu'il soit visuel, auditif ou kinesthésique. Ces rythmes peuvent d'ailleurs
donner lieu à des attitudes physiques spontanées.

Les attitudes physiques ne suffisent pas à induire la lucidité mais servent de support
au mouvement mental. Ainsi des mouvements physiques pratiqués en pensant à autre chose
provoquent entre l'imagerie mentale et le geste une contradiction qui annule les effets
indirects. Cependant ces attitudes physiques ne doivent pas être négligées en tant que
facteurs d'induction naturelle, car le simple effort pour les mettre en application suppose
souvent une représentation mentale inaperçue. Ainsi, d'un côté, des pratiques mentales
spontanées peuvent être renforcées par des attitudes physiques adéquates et d'un autre côté
des attitudes physiques induisent d'elle-même la représentation mentale qui leur permet de
persister et par là amènent indirectement à la lucidité, sans pourtant que cette
représentation ait été délibérément recherchée. Ces attitudes naturelles sont faciles à
constater, notamment chez les enfants. Leur corrélation avec la lucidité onirique est donnée
dans des journaux de rêves lorsque les sujets notent aussi la façon dont ils se sont endormis.
Car, dans l'ensemble, ces attitudes sont avant tout des rituels d'endormissement non appris
mais adoptés par le sujet en fonction des circonstances. Ils sont souvent calqués sur des
phénomènes corporels rythmiques naturels.

Le rythme est en effet un puissant inducteur de sommeil lorsqu'il est pratiqué juste
avant de se mettre au lit, ou même en position allongée, à condition toutefois d'être doux et
monotone. Le bercement des petits enfants pour les endormir est un exemple bien connu de
ce phénomène. D'eux-mêmes les enfants se balancent latéralement le soir avant de se
coucher ou lorsqu'ils sont déjà allongés. Les adultes ne pratiquant pas spontanément ce
genre de balancement pour s'endormir (et ceux qui les pratiquent n'en faisant pas état) il est
difficile d'en tirer des conclusions concernant l'induction de la lucidité. En revanche,
l'observation d'un rythme physiologique qui conduit au sommeil (et qui peut également
conduire à la lucidité) est parfois signalée dans les journaux de rêves. Le rythme
physiologique qui tombe le plus fréquemment sous l'observation des sujets est probablement
le rythme respiratoire. Mais il tend à perdre sa régularité lorsqu'il est observé et, de plus,
l'attention portée à la respiration favorise un endormissement subit. C'est donc le plus
souvent par l'introduction d'un rythme délibéré dans le cours de la respiration que la
continuité de la conscience peut se conserver. Le rêve lucide suivant a été obtenu
involontairement par l'attention à la respiration car le sujet n'avait pas l'intention de
s'endormir.

« Note : […] Je fais la respiration rythmique […]. J'entends rentrer S… puis j'essaye de me
réveiller et n'y arrive pas.

Rêve lucide : Je suis dans le studio de ma grand-mère, allongé sur le divan, avec R… Tous
les cousins K… sont là. S… vient s'asseoir dans le creux que j'ai laissé. Elle me secoue pour me
réveiller, or ce n'est pas le moment. Je m'efforce de me lever. Je n'y arrive pas. Je ne parviens
pas à me réveiller et en même temps l'inconfort de ma situation me pousse à le vouloir. Je suis
furieux contre ceux qui me dérangent. J'essaie de crier, de bouger les mains. J'y arrive dans une
certaine mesure, mais dans le rêve. Ceci a-t-il d'une manière ou d'une autre une répercussion sur
la réalité ? […] »[70]

Dans ce récit le sujet s'endort sans s'en rendre compte, occupé qu'il est à respirer de
façon rythmique mais ne prend conscience de son endormissement que lorsqu'il essaie de se
lever. Il semble qu'il y ait de nombreuses façons d'observer sa respiration en lui imprimant
un rythme inhabituel pour ne pas s'endormir subitement (et donc non consciemment).
Atténuer sa respiration, comme le faisait Swedenborg, ou, au contraire, l'amplifier
énormément sont également une façon de lui donner un rythme qui débouche sur la lucidité.

Un autre rythme physiologique dont la régularité porte au sommeil est l'attention


portée aux battements du cœur. Bien que la faible quantité d'observations recueillies ne
permette aucune conclusion sûre, on peut supposer que la concentration sur le cœur porte
moins à l'endormissement subit que celle sur la respiration non délibérément rythmée. Au
contraire la concentration sur le cœur (ou tout autre partie du corps dans laquelle on sent
battre le pouls) fait surgir des images pré-oniriques dans un état de conscience qui peut
facilement être perturbé.

« […] concentration sur le cœur […] j'ai eu toutes sortes d'images […] plus ou moins mêlées
à mes pensées : […] Un indien au crâne rasé et peint, des bijoux dans les narines, s'approche de
moi. J'en vois un autre dont les yeux sont jaunes, en amande, et le visage âgé. »[71]

Ce surgissement d'images pré-oniriques est propice au rêve lucide lorsque le rêveur


sait conserver sa concentration sur le rythme physiologique sans se laisser "réveiller" par ces
images qui, autrement, provoquent généralement un sursaut lorsqu'elles se présentent,
surtout quand elles sont déroutantes ou désagréables comme dans le cas suivant :

« (Pendant que je suis allongé je porte mon attention sur le cœur) : Un homme en métal
veut me transpercer le cœur de sa dague. […] Un oiseau de proie, en forme de cloche jaune veut
se poser sur mon cœur. »[72]

Si le rêveur conserve sa concentration sans se laisser dérouter, il glisse généralement


dans le rêve lucide. Apparemment ce passage est plus facile par le biais de la cénesthésie
que par celui des images visuelles.

« Circonstances : Après le réveil, sans sortir du lit je change de position pour dormir. Je
porte mon attention sur le cœur. Je garde cette idée. J'ai une jambe repliée vers le ventre, je dors
à plat.
« Rêve lucide : Je sens qu'il se passe des choses dans mon corps. Comme un courant qui
jaillit entre mes deux yeux. Pourtant c'est le cœur que je mets dans mon champ d'attention. Tout
est noir, comme si j'avais simplement les yeux fermés. Je jette un coup d'œil (de sensation) au
périnée et il me semble que là aussi il y a activité. Au cas où il y aurait "montée d'énergie" cette
fois-ci je ne veux pas l'entraver. Mais c'est comparativement beaucoup plus faible. »[73]

D'autres rythmes physiologiques pourraient certainement fournir des ponts vers la


lucidité, notamment le rythme de l'activité musculaire, puisque la présence en rêve d'un
frémissement d'une intensité identique accompagne souvent la lucidité.

« […] une tentative de sortie hors du corps. Après un appel de J… pour lui demander sa
signification, réaction du corps qui vibre. Puis chute que j'essaie de transformer, peut-être trop
vite en sortie. Je finis par me retourner dans mon lit. »[74]

Il n'est pas rare que ce sentiment de vibration intense déclenche la lucidité.

« (sieste : début de rêve lucide) J'entends un bruit abominable. C'est M… qui le fait pour me
réveiller car je dors à sa conférence. Je fais comme si de rien n'était pour le supporter…

« La vibration me saisit. Le plafond est tout près de moi. Je veux m'envoler (je me
réveille) »[75].

Dans ce récit il apparaît implicitement que le rêveur n'est lucide que lorsque la vibration
le "saisit" car le passage précédent n'est pas reconnu comme rêve. Une telle vibration
rappelle la contraction musculaire tétanisante, mais il n'est guère possible de trouver des
occurrences naturelles d'une telle attitude avant de s'endormir, et l'observation des rythmes
physiologiques ne permet pas de déceler celui de l'activité musculaire que
l'électromyogramme met en évidence. On en vient alors à se demander si, dans certains cas,
ce n'est pas l'observation seule qui permet, une fois dans l'état de rêve, de prendre
conscience de rythmes habituellement imperceptibles à l'état de veille pour que puisse
ensuite se déclencher un équivalent onirique (à moins qu'il ne s'agisse de ce même rythme
directement perçu, de façon déformée ou non). Si, en effet, l'observation d'un rythme
physiologique est d'une grande aide pour passer consciemment la barrière du sommeil, la
simple observation du corps mène parfois au même résultat, bien que moins fréquemment,
comme semble l'indiquer la littérature.

§.3. Pratiques et conditions favorisantes de l'état de veille


Jusqu'à présent nous avons examiné des inductions naturelles en rapport direct avec
l'endormissement, qu'il s'agisse de l'état intermédiaire ou des habitudes prises au coucher. Il
existe cependant des circonstances qui peuvent induire la lucidité onirique sans présenter ce
rapport direct avec l'endormissement. Elles sont dues à des événements qui impliquent des
activités ne relevant que de la vie de veille, contrairement aux attitudes précédentes. Ces
événements créent sans doute une sorte de perturbation ou de modification du
sommeil propice au surgissement de la lucidité. Ces cas sont fréquents et reconnaissables
comme dans le récit suivant où une perturbation fortuite, la crainte d'être piqué par un
moustique, déclenche une vigilance particulière qui se maintient dans le sommeil.

« Note : Après la chasse aux moustiques, je me rendors.

« Rêve lucide : Mon corps s'engourdit et je glisse dans le sommeil. Mais j'entends ou je crois
entendre un moustique. Je veux me réveiller pour le signaler à S… mais je suis paralysé. Je lutte
pour me lever. J'essaie de crier mais rien ne sort. Je finis par crier subjectivement. Je sais que je
dors mais peut-être serai-je entendu. Finalement je me lève et agrippe la jambe de S… tout en
continuant à crier. »[76]

Le rêveur note en commentaire : « Réveil : Je me réveille, je suis dans le lit. Il ne


semble pas y avoir de moustique. Le lendemain S… me dit qu'elle m'a entendu crier dans
[77]
mon sommeil : "mmm" "mmmm" » . Ici la chasse aux moustiques a suffisamment
impressionné le sujet pour qu'il continue à redouter d'être piqué alors qu'il s'endort, et
maintienne une vigilance qui le fait glisser dans l'état intermédiaire, puis dans un rêve lucide
("Finalement je me lève…") dans lequel il continue à crier en espérant être entendu par
quelqu'un d'autre dans l'état de veille. Il est intéressant de repérer de tels événements, car
c'est dans une large mesure sur des phénomènes de ce genre que les expérimentateurs
s'appuient pour créer des conditions de laboratoire permettant d'étudier le rêve lucide.
Cependant, les circonstances qui agissent de façon reconnaissable sur le sommeil ne sont pas
les plus fréquentes. Au contraire, d'autres événements de la vie de veille déclenchent plus
sûrement la conscience de rêver alors même qu'ils ne la laissent pas prévoir. Là encore il est
difficile non seulement de les repérer, mais de trouver la nature du rapport qui les relie à
l'induction de la lucidité.

Comment savoir en effet si l'événement que nous mettons en corrélation avec


l'induction de la lucidité onirique, du fait de sa fréquence dans la proximité des rêves lucides,
n'est pas en réalité complètement indépendant ? Même lorsqu'il est aisément reconnaissable
comme dans l'exemple donné ci-dessus, la lucidité n'a-t-elle pas plutôt été induite par une
certaine qualité du sujet ? (Car après tout la plupart des dormeurs qui redoutent les
moustiques ne deviennent pas lucides pour autant.) On peut cependant considérer que
l'élément perturbateur a joué un rôle déclencheur aussi efficacement que toute autre
technique, même si son rôle n'est pas déterminant. Il s'agit donc de décrire des conditions
favorisant la lucidité et dont la portée doit faire l'objet d'une évaluation. L'exemple
précédent montre également que, même si ces événements ne sont pas directement
reconnaissables par leur influence sur le sommeil, ils tendent en revanche à colorer le
contenu du rêve lucide. Leur mise en évidence ne peut donc se faire qu' a posteriori .

Puisque ces événements n'ont pas de rapport direct avec le rêve, comment les
aborder et les classer ? On peut tout de suite remarquer qu'un rapport indirect n'est pas
exclu, par exemple par le biais d'une curiosité pour le phénomène onirique ou l'adoption
d'habitudes de vie qui modifient l'environnement du dormeur. Ainsi le simple intérêt qu'un
individu porte à ses rêves peut indirectement induire la lucidité. Ces événements vigiles
appartiennent donc soit au domaine psychologique (intérêt pour les rêves), soit au monde
extérieur (perturbation ou modification des habitudes de sommeil atteignant par contrecoup
le rêve). Une hiérarchie se dégage ici dans la mesure où ces événements sont plus ou moins
provoqués par le sujet lui-même, l'intérêt pour le rêve, par exemple, dépendant entièrement
de lui, tandis que la perturbation lui échappe tout à fait.

I. S'intéresser a ses rêves


L'intérêt porté à ses propres rêves en favorise le souvenir. Il s'avère ainsi être une
condition nécessaire pour induire la lucidité. En effet le manque d'intérêt pour la vie onirique
conduit généralement à oublier les rêves du sommeil, même lucides. Certains auteurs
soutiennent qu'on ne peut oublier un rêve lucide puisqu'il est l'émergence de la conscience de
veille dans le rêve. Mais en réalité l'examen des journaux de rêveurs lucides montre qu'il n'en
va pas toujours ainsi et que certains rêves lucides sont "oubliés" même si le rêveur en garde
un vague souvenir :

« Il y a eu un rêve lucide dont j'ai oublié tout le détail. Tout ce que je sais, au matin, c'est
qu'il s'agissait d'une sorte de classification, ou plutôt de deux : la première concernait des stands
dans un marché, qu'il fallait attribuer. La seconde des Chinois, mais comment ?, impossible de
s'en souvenir. Je sais pourtant que j'étais parfaitement conscient, au point que je doutais d'être
vraiment endormi. »[78]

Parfois l'oubli est tel qu'il ne reste plus que le sentiment d'avoir vécu un tel rêve.

« Rêve lucide (oublié, sans doute parce que j'ai fait des rêves non lucides entre ce rêve
lucide et le moment où j'écris ceci). »[79]

Le rêveur a conscience de l'existence d'un rêve lucide oublié comme on peut avoir
conscience d'un rêve dont on sait qu'il a eu lieu et dont on sent la proximité, sans néanmoins
parvenir à se le rappeler. Dans de tels cas le sentiment d'avoir été conscient de son rêve est
plus net que le rêve lui-même :

« Rêve lucide : (J'ai le sentiment assez net d'avoir fait un rêve lucide dont je ne me
souviens pas. Sans doute la lucidité a-t-elle été très brève). »[80]

Toutefois ce sentiment n'est sans doute pas la règle (le sujet cité s'est "rappelé" deux
rêves lucides oubliés en quatre ans) et il est probable que de tels rêves se produisent
fréquemment chez les rêveurs lucides habituels, sans laisser de traces dans la mémoire. De
ce point de vue la conscience que l'on a de rêver n'est donc pas l'intrusion de la conscience
de veille dans la vie de rêve, même si elle en comporte le souvenir. En d'autres termes, le
souvenir de la veille dans le rêve ne garantit pas celui du rêve dans la veille. Autrement dit,
se souvenir de ses rêves est une condition nécessaire non pas au rêve lucide lui-même, mais
à la connaissance de l'état.

Cependant, dans certains cas, l'intérêt pour le rêve (qui en implique le souvenir) peut
favoriser la lucidité. Il ne s'agit pas ici de l'intérêt pour le rêve lucide, ce qui pourrait être
considéré comme une induction directe, mais pour le seul rêve. Il prend généralement deux
grandes formes : l'intérêt pour le sens du rêve et celui pour sa manifestation, c'est-à-dire
l'expérience onirique elle-même. Ces deux formes doivent être distinguées car elles ne
donnent pas les mêmes résultats quant à la lucidité.

La première façon de s'intéresser à ses rêves est de les considérer comme des sortes
de messages et de leur chercher, au delà de leur aspect immédiat, une signification. Cette
démarche nous est tellement familière qu'elle nous semble souvent la seule possible.
L'existence des clefs des songes depuis des millénaires ou, dans notre propre culture, de
théories interprétatives comme celles proposées par la psychanalyse, en prouve la pérennité.
Mais permet-elle d'induire la lucidité ? En fait l'attitude qui consiste à interpréter ses rêves
peut suffisamment imprégner les habitudes mentales du rêveur pour se répéter dans le rêve
même, ce qui donne au rêveur une lucidité au moins implicite. Mais généralement l'attitude
interprétative mène difficilement à la lucidité car elle implique que le rêveur analyse un rêve
déjà fait, ce qui provoque plutôt des rêves de faux-éveil que des rêves lucides :

« Avec mes mains je caresse le chat un peu lourdement. Il ne bouge plus. Il est malheureux
et il a soif. Je veux lui donner de l'eau au robinet mais maman ne veut pas qu'il boive dans les
récipients dont nous nous servons pour manger. Or, je n'arrive pas à trouver une soucoupe pour
le chat. Il me semble que l'une de nos soucoupes ne risquerait rien, mais maman ne veut pas. Et
pendant ce temps le chat meurt de soif.

« [Faux-éveil :]Je me réveille et vais à la suggestopédie. Là on m'apprend qu'il faut


interpréter le rêve. »[81]

Au cours de la deuxième partie du rêve l'attention du rêveur se tourne sur une


séquence passée du rêve et non sur le rêve en cours, même de façon implicite. Le plus
souvent un tel faux-éveil "interprétatif" suit le rêve lucide, le rêveur s'efforçant de
comprendre le sens du rêve qu'il vient de faire. Cela tient probablement à ce que
l'interprétation du rêve, en tant qu'activité de l'état d'éveil, suppose une coupure radicale
entre l'esprit qui rêve et celui qui en fait la critique (et dont les capacités de raisonnement ne
sauraient, croit-on, appartenir au rêve sans contredire le geste interprétatif). Cette croyance
se reflète alors dans le rêve lui-même qui met en scène un éveil rêvé pour permettre
l'émergence en rêve de cette attitude. L'intention d'interpréter produit donc en rêve une sorte
de recul par rapport à une autre partie du rêve, de désengagement équivalent à celui de la
vie de veille, où l'interprétation est souvent réductrice (il suffit pour s'en rendre compte
d'ouvrir un dictionnaire des rêves) et, tout comme dans la vie de veille, elle suppose une
conscience diminuée. Lorsque le rêveur cherche à analyser son rêve c'est donc le plus
souvent après le rêve lucide, lorsque la conscience de rêver a déjà disparu. En ce sens
l'habitude de ne considérer les rêves qu'en fonction d'une interprétation possible, loin de
mener à la lucidité onirique, tend plutôt à l'en éloigner. Il faut ajouter cependant que, dans la
mesure où l'attitude interprétative conduit au faux-éveil, elle peut aussi amener
indirectement au rêve lucide puisqu'un faux-éveil débouche parfois sur la lucidité. Cela
suppose toutefois que le rêveur se dégage de sa tentative d'interprétation et s'interroge non
sur une signification plus ou moins prédéterminée mais sur la situation qu'il est en train de
vivre.

Indépendamment de ce processus interne, un autre facteur incite à penser que le


désir d'interpréter n'est que peu compatible avec la lucidité : la constatation que, dans
l'immense littérature pyschanalytique sur le rêve, les témoignages de lucidité sont
extrêmement rares. On peut bien sûr considérer que le phénomène n'a simplement pas été
signalé, ou laissé de côté faute de cadre conceptuel susceptible de l'accueillir, mais il n'en
reste pas moins remarquable que la tradition interprétative ne s'est presque jamais
intéressée à la lucidité et que les premières recherches quelque peu poussées en ce sens ont
été le fait d'individus qui ne s'intéressaient pas à la signification mais au rêve lui-même,
comme les psychologues du siècle dernier ou, de nos jours, les neurophysiologistes.

C'est bien l'intérêt pour le rêve lui-même, la forme qu'il prend plus que son sens
caché, qui amène la lucidité onirique à se développer. Chercher un sens c'est souvent ne pas
voir la chose même dont on cherche le sens ou plutôt n'y voir que ce qu'on y met, ce qui
explique la tentation de réduction inhérente à une telle entreprise. En fait, l'intérêt porté à la
signification du rêve n'est pas à proprement parler un intérêt pour le rêve mais plutôt pour la
continuité psychique dans laquelle il s'insère. Un intérêt "pur" pour le rêve ne porte que sur le
phénomène subjectif. Une telle attitude paraît difficile à justifier mais, si l'on met en
parallèle le rêve et la veille, on s'aperçoit que celui qui interprète régulièrement ses rêves
n'en fait pas pour autant de même pour chaque événement de sa vie éveillée : il porte donc
un intérêt "pur" à sa vie de veille et à ce qui s'y manifeste car il en considère les éléments
comme indépendants de lui. Cette différence d'attitude tient, nous l'avons vu, à ce qu'il n'a
qu'un souvenir du rêve dont le contenu n'est pas ressenti comme autonome. Si, en effet, il
était lucide, les éléments du rêve lui apparaîtraient comme distincts de lui. Pris comme
souvenir le rêve appartient à la vie mentale, et puisque son récit ne s'intègre apparemment
pas à la vie éveillée, c'est que le sens en est caché. L'habitude interprétative bien ancrée
éloigne donc de la lucidité et diminue les chances de rêver lucidement - et par là de redresser
cette habitude. En revanche, ceux qui n'ont jamais songé à interpréter leurs rêves et se sont
contenté de les observer avec attention et intensité pour eux-mêmes et non dans le but
d'en tirer conseil, avantage ou sens, sont souvent devenus rêveurs lucides. Le cas de ce
genre le plus connu est celui d'Hervey de Saint-Denys qui tenait son journal de rêves comme
un journal de voyage et s'intéressait à chacun d'eux sous l'angle de leurs particularités
perceptives. Au départ le désir de se souvenir de ses rêves ne repose pas chez Hervey de
Saint-Denys sur le projet de leur donner un sens mais sur celui de les observer et de les
reproduire par le dessin, sans arrière-pensée, comme le ferait un naturaliste (dans son album
la représentation de chaque scène est accompagnée d'une glose explicative). La bizarrerie
des rêves ne fait à aucun moment l'objet d'une réduction (« la trame des incidents se
[82]
montrait plus suivie, quelque bizarre qu'elle fût d'ailleurs » ), les données en sont
acceptées telles quelles et ne sont pas supposées celer une signification cachée. Une telle
attitude peut paraître naïve, il n'en reste pas moins qu'elle a développé chez Hervey de
Saint-Denys la capacité de faire passer son intérêt pour les rêves dans sa vie onirique
pratiquement chaque nuit : « L'habitude de penser durant le jour à mes rêves, de les
analyser et de les décrire eut pour résultat de faire entrer ces éléments de ma vie
intellectuelle ordinaire dans l'ensemble des réminiscences qui pouvaient se présenter à mon
[83]
esprit durant le sommeil » . Cet intérêt prononcé pour les phénomènes oniriques au cours
de l'état de veille se répercute en quelque sorte dans le rêve.

Toutefois, on sait qu'il en va de même pour la recherche du sens du rêve, qui


influence souvent son contenu d'une façon que l'on peut aisément déceler. Or, de telles
répercussions ne conduisent pas forcément à la lucidité. Il faut donc préciser en quoi l'intérêt
pour le rêve en tant que phénomène permet d'éviter la non-lucidité à laquelle conduit la
recherche interprétative. Si, en effet, le rêve devient son propre thème à la suite d'une
démarche interprétative, c'est le plus souvent, nous l'avons dit, pour considérer le rêve
comme phénomène passé, ce qui peut conduire simplement à rêver de rêves précédents ou,
au mieux, à faire des rêves de faux-éveil. En revanche, l'intérêt pour le rêve en tant que
phénomène favorise la lucidité lorsqu'il y a répercussion de cet intérêt dans le rêve. En
d'autres termes, cet intérêt évite de braquer le sujet sur le rêve comme phénomène passé, et
ouvre par-là la voie à une lucidité potentielle (on ne peut en effet soutenir qu'il suffise à lui
faire reconnaître le rêve comme phénomène présent lorsqu'il a lieu). La façon dont Hervey
de Saint-Denys a obtenu son premier rêve lucide est riche d'enseignements à cet égard :

« Il m'arriva donc une nuit de rêver que j'écrivais mes songes et que j'en relatais de
très singuliers. Mon regret fut extrême au réveil de n'avoir pas eu conscience en dormant de
cette situation exceptionnelle. Quelle belle occasion perdue! me disais-je, que de détails
intéressants j'aurais pu recueillir! Cette idée me poursuivit plusieurs jours et, par cela même
qu'elle assiégeait mon esprit, le même songe ne tarda guère à se reproduire, avec cette
modification toutefois que, les idées accessoires ralliant désormais l'idée principale, j'eus
parfaitement le sentiment que je rêvais, et je pus fixer mon attention sur les particularités
qui m'intéressaient davantage, de manière à en conserver en m'éveillant un souvenir plus net
[86]
et mieux arrêté » .

La répercussion de l'intérêt pour le rêve dans le rêve (rêver d'écrire ses songes)
n'amène à aucun moment ipso facto la reconnaissance qu'il s'agit d'un rêve. En revanche ce
que favorise l'attitude générale du marquis c'est l'absence d'une limitation qui découle
implicitement de l'attitude interprétative qui sépare l'esprit conscient du contenu du rêve.
Hervey de Saint-Denys écrit en effet que son "regret fut extrême au réveil de n'avoir pas eu
conscience en dormant de cette situation exceptionnelle", la situation exceptionnelle étant
non pas la possibilité d'être conscient dans ses rêves mais bien le contenu du rêve lui-même
comme pouvant mener à une telle possibilité. De même que, dans l'attitude interprétative, la
séparation est implicitement admise, de même, dans l'attitude phénoménologique, la
possibilité pour la conscience de se savoir en train de rêver est implicitement acceptée. Cette
attitude est donc une condition nécessaire, mais guère suffisante, comme le montre le
récit du marquis. Pour arriver au rêve lucide il faut que l'idée même de lucidité se
répercute de l'état de veille dans l'état de rêve. Il convient également de noter qu'Hervey de
Saint-Denys n'a pas délibérément entretenu l'idée de la conscience de rêver pour l'obtenir :
l'induction s'est donc bien produite naturellement. L'intérêt pour le rêve constitue ainsi une
induction naturelle de la lucidité, mais pas de façon inconditionnelle. Cet intérêt doit porter
avant tout sur le rêve lui-même et non sur un "au-delà" qui lui donne son sens (sans qu'il soit
ici question de se prononcer sur sa pertinence) afin d'éviter la création de limitations
inhérentes à une telle attitude. Il peut alors se transformer en désir d'être conscient de rêver
et être répercuté en rêve.

Sans doute est-il possible de dresser un parallèle entre l'attention au monde extérieur
et celle donnée au rêve. Il est bien connu que l'intérêt porté au monde extérieur en lui-même
développe la conscience des détails de ce monde dans sa diversité, tandis que, si cet intérêt
est limité par des préoccupations particulières, le sujet ne prête attention qu'à ce qui
"répond" à ces préoccupations. On admet généralement que l'artiste et le scientifique ne
perçoivent pas un même phénomène de la même façon en raison de leurs formations
différentes, mais on pense également qu'ils en perçoivent "plus" que tout un chacun, du fait
du développement de leur sensibilité et de leur acuité mentale dans des domaines
particuliers. Il est vrai qu'une observation dirigée est plus riche et plus intense qu'une
observation en quelque sorte "passive". Mais une attention "active" non guidée par une
préoccupation ou une formation particulière est plus intense encore puisqu'elle s'exerce en
quelque sorte "gratuitement". La lucidité onirique est sans doute due, dans le domaine
onirique, à une semblable intensification de l'attention qui suppose corrélativement une telle
capacité dans la vie de veille. Lorsque le sujet rêve, la conscience onirique est déjà présente
mais a besoin d'une certaine qualité d'attention pour se focaliser, ce qui explique que passer
par le sens des rêves est moins porteur de résultats dans ce domaine car le rêve, en tant
qu'objet de perception, n'y est pas directement visé.

L'intérêt pour le "rêve pur" demande cependant une prise de conscience pour conduire
à la lucidité onirique : celle de l'existence possible de cette lucidité. En ce sens, même si la
lucidité se déclenche d'elle-même, son apparition n'est pas complètement inattendue
comme le sont les conséquences d'autres activités de l'état de veille qui entraînent des
modifications du sommeil et dont il va être question maintenant.

II. Les modifications du sommeil


Certaines modifications apportées au sommeil peuvent en effet favoriser la lucidité
onirique de façon tout à fait inattendue en perturbant le rythme de vie habituel du dormeur.
Ainsi un des rêves lucides que nous avons déjà cité résulte d'un décalage horaire en raison
[87]
d'un voyage aux antipodes ; le sujet précise lui-même avant de rapporter son rêve :
« mon sommeil est complètement perturbé encore. Hier soir, plutôt ce matin vers 2 heures,
je m'endors tout habillé et lumière allumée sur mon lit ». Toutefois cette perturbation ne
cause pas un endormissement conscient, comme on pourrait s'y attendre, mais est suivie
d'un rêve qui ne devient lucide qu'en son milieu. Cet exemple inspire deux remarques sur le
caractère favorisant (et non déclencheur) de la perturbation du sommeil pour la lucidité :
d'une part, toutes les modifications du sommeil ne mènent pas au rêve lucide et, d'autre
part, nous avons ici affaire à un sujet qui avait pratiqué sans succès une méthode d'induction
le mois précédent. Le décalage horaire aurait donc apporté un complément à la pratique
d'une méthode dont les résultats se feraient alors tardivement sentir.

Toutefois, une question reste en suspens : est-ce bien une perturbation du cycle de
sommeil qui favorise la lucidité, ou n'est-ce pas plutôt l'adoption d'un cycle différent plus
propice à de telles expériences ? Dans les pays occidentaux où le sommeil est pris d'une
traite au cours de la nuit, la sieste fait figure d'élément perturbateur alors qu'il n'en va pas
ainsi sous d'autres latitudes. Or, la sieste est un facteur très favorable à la lucidité : « Les
programmations de sommeil comportant un rendormissement décalé furent de loin les plus
efficaces pour l'obtention de rêves lucides. La plupart des rêves lucides s'y produisirent au
cours des rendormissements. Deux fois plus de sujets firent des rêves pendant le
rendormissement décalé (A) que pendant les 90 dernières minutes d'une nuit normale (B) ;
ils firent également trois fois plus de rêves lucides pendant les rendormissements qu'au cours
des nuits qui n'en comportaient pas. Ils notèrent approximativement le même nombre de
rêves pour chacune de ces périodes, de sorte que la moyenne des rêves lucides en période A
(rendormissement) était six fois supérieure à celle des 90 dernières minutes d'une nuit
[88]
B» .

Il s'agit bien sûr ici d'inductions préparées et non naturelles, mais ce qui nous
intéresse c'est de constater que l'adoption systématique de la sieste ne peut plus être
considérée, une fois passée la période d'accoutumance, comme une perturbation, et qu'elle
continue malgré tout à favoriser la lucidité. Il faut donc éviter de conclure trop rapidement
sur quelques exemples de perturbations qui n'en sont peut-être pas, et examiner plus
précisément les types de modifications qui interviennent dans l'induction naturelle et qui
concernent la répartition et la quantité de sommeil.

La modification de la répartition consiste le plus souvent en une interruption


temporaire du sommeil en cours de nuit, le sujet étant amené, pour une raison ou une autre,
à quitter son lit, ce qui a pour effet de le réveiller complètement. La lucidité onirique survient
alors accidentellement lorsqu'il se recouche, ce qui est marqué par l'absence de lucidité du
rêve qui a précédé son lever.
« [fin du rêve précédant l'éveil :] […] Le film se poursuit par une scène où la chanteuse
rencontre une pauvre vieille femme affamée dans la chambre de celle-ci. La chanteuse n'a pas
d'argent et ne peut lui donner grand chose, mais elle lui verse du bouillon froid. Jusque-là, on
voyait la vieille de dos. Maintenant, on la voit de face, très maigre, vêtue de papier kraft. La
chanteuse lui dit qu'elle va lui passer une de ses robes de bal (à la chanteuse) et elle lui enfile un
fourreau de satin rose, élargi dans le bas, avec des volants tout autour. La vieille femme est très
fière de ce costume. C'est à ce moment que je m'éveille et dois me lever.

2. Lucide: M'étant recouché, je me "rendors" presque instantanément, en conservant une


conscience lucide parfaite. Il y a des bribes de rêve plutôt incohérentes, mais je suis capable d'y
regarder mes mains, de m'y déplacer à volonté et de déplacer les objets. Le malheur c'est que ces
bouts de rêve n'ont aucune continuité. Je m'interroge sur la réalité de mon sommeil et je "vérifie"
si je suis bien endormi. Je décide qu'il n'y a pas de doute là-dessus, parce que je sais que si je
pénètre à un certain niveau je vais me réveiller. Donc je dors. Sur quoi, satisfait, je cesse d'être
lucide. »[89]

Cette courte interruption du sommeil a provoqué un rendormissement conscient et


l'induction naturelle résulte uniquement de la nécessité de se lever en milieu de nuit. La
conscience qui accompagne de tels rendormissements tient sans doute à ce que, bien que le
besoin de sommeil se fasse encore sentir, le repos déjà pris évite la chute brutale dans
l'inconscience. Il en va de même pour des interruptions de sommeil plus longues.

« Rêves antérieurs oubliés ; levé à 4h30 : recouché vers les 6h.

Sitôt allongé, "ténèbres" oniriques peuplées de visions hypnagogiques : mes mains sur de
courtes flammes de braises ; rougeoiement des fenêtres, d'un poêle ; visages féminins. Premier
rêve lucide presque uniquement sonore ; moi à l'état de fausse veille sur mon lit. Puis éveil
véritable, second endormissement, et second rêve lucide »[90].

Ici le premier rêve lucide mentionné fait suite à une interruption de plus d'une heure
tandis que le deuxième se produit après une interruption plus courte tout en bénéficiant de
"l'impulsion" de la première.

Toutefois, si l'éveil en cours de nuit favorise le rêve lucide, il ne le provoque pas


systématiquement. N'y aurait-il pas alors une activité spécifique inaperçue, c'est-à-dire non
intentionnelle, qui, plus que l'interruption de sommeil elle-même, favoriserait la lucidité ?
Stephen LaBerge remarque cependant qu'une telle activité n'a pu être mise en évidence,
tandis que l'interruption de sommeil reste un dénominateur constant : « on a observé que
certaines activités pouvaient favoriser la lucidité onirique après un retour au sommeil.
Garfield, par exemple, trouva que " les rapports sexuels au milieu de la nuit étaient souvent
suivis par un rêve lucide ". Scott Sparrow, au contraire, rapporta que la pratique méditative à
l'aube facilitait la survenue de la lucidité (à condition de pratiquer la méditation en soi et non
pour faire des rêves lucides). D'autres rêveurs lucides signalent que la lecture ou l'écriture
matinale seraient également favorables. La diversité de ces occupations laisse penser que ce
n'est pas une activité particulière, mais plutôt la vigilance qui favorise le rêve lucide lors de la
[91]
période suivante » .

Il est néanmoins possible que ces activités, indépendamment du fait qu'elles se


situent au cours d'une interruption du sommeil nocturne, présentent un autre dénominateur
commun pour l'instant non apparent qui, combiné avec l'interruption de sommeil, favorise la
lucidité puisque l'expérience commune indique que la coupure de sommeil ne suffit pas à elle
seule à provoquer la lucidité. Quoiqu'il en soit les interruptions de sommeil jouent
indéniablement un rôle dans l'induction naturelle de la lucidité. Celles que nous venons
d'examiner ne portaient en rien atteinte à la quantité habituelle de sommeil qui était
simplement répartie autrement. D'autres coupures, au contraire, modifient cette quantité, ce
qui a une incidence notable sur les rêves.

Les variations du temps passé à dormir peuvent en effet aboutir au rêve lucide, et ce
aussi bien à la suite d'une diminution que d'une augmentation de la durée de sommeil.
L'augmentation de la durée de sommeil diffère de la coupure que nous avons examinée
précédemment car le sujet se réveille d'abord en ayant le sentiment d'avoir suffisamment
dormi puis prolonge son temps de sommeil. Il peut décider d'allonger son sommeil soit de
façon quasi continue au petit matin, à l'heure où il se lève habituellement, soit de façon
fragmentée par adjonction d'une période de sommeil supplémentaire prise un peu plus tard,
par exemple au cours de la sieste. Sans doute un allongement du temps de sommeil est-il
favorable à l'induction de la lucidité parce que le dormeur bénéficie d'un
rendormissement d'autant plus favorable à la continuité de la conscience qu'il a "récupéré"
physiquement et mentalement à la suite d'une nuit de sommeil complète. Cette explication
est certainement juste mais elle n'est guère suffisante dans la mesure où une nuit complète
de sommeil rend justement le rendormissement difficile, un besoin d'activité se faisant sentir
à qui s'est déjà complètement reposé. On peut supposer au contraire que, dans la plupart des
cas, cet allongement est en fait un rattrapage sur une quantité de sommeil habituellement
plus courte qu'elle ne le devrait. Dans d'autres, c'est une circonstances extérieure qui pousse
à se recoucher, comme dans le cas de Garfield après un petit déjeuner trop copieux.

Visite terminée, pleine de crêpes et de sirop. J'arrivai chez moi quelques minutes avant 9h
du matin. J'étais tellement groggy qu'il n'était pas question de travailler. Je déconnectai la prise
du téléphone, décidée à ce que personne ne vienne m'interrompre, et je m'introduisis sous les
couvertures pour y faire un somme. Bourrée de nourriture, extraordinairement lasse et un peu
inquiète, je glissai dans un état de somnolence. L'idée me vint que c'était une occasion parfaite -
j'étais absolument seule - pour tenter une expérience de sortie hors du corps. Tout ensommeillée,
je commençai à penser aux vibrations.[92]

Un rêve lucide de sortie hors du corps fait suite à cet endormissement qui montre la
nécessité d'une propension au sommeil, quelle qu'en soit la raison. Un facteur favorable de
la prolongation tient probablement à ce que plus on avance dans une nuit de sommeil, plus le
temps dévolu au sommeil paradoxal augmente. Or, cette période est celle au cours de
laquelle les rêves sont le plus facilement remémorés, ce qui, joint à la progressivité de
l'endormissement, facilite la lucidité.

Cette remarque concernant le sommeil paradoxal peut sans doute expliquer pourquoi,
dans certains cas, le rêve lucide est provoqué par la diminution de la quantité de sommeil,
ce qui à première vue semble contredire l'idée que le repos est bénéfique à son émergence.
En effet, lors d'une diminution importante de sommeil, la période suivante commence par ce
qu'on appelle un "rebond" de sommeil paradoxal, comme si le rêveur commençait par
"rattraper" un manque avant de s'occuper du sommeil lent. Mais dans ce cas la perturbation
due à la fatigue joue sans doute un rôle dans la mesure où certains cycles ont pu être
dérangés.

La modification de la quantité de sommeil intervient donc dans le surgissement du


rêve lucide sans que les paramètres en soient tout à fait clairs. Toutefois ces modifications du
sommeil dépendent, dans une certaine mesure, du sujet qui décide de prolonger ou de
diminuer le temps passé à dormir. Il en va autrement des perturbations extérieures sur
lesquelles le dormeur n'a pas prise.

III. Les perturbations extérieures au rêveur


Il n'est pas rare que des événements survenant dans l'environnement d'un dormeur
introduisent des modifications dans le cours de son sommeil ou de ses rêves. De tels effets
ont été maintes fois constatés (le rêve de Maury guillotiné en est resté un exemple frappant
dans l'histoire de l'étude du rêve) et ces perturbations de l'environnement ont souvent été
délibérément provoquées pour en mesurer l'influence sur le contenu des rêves. Si des
modifications peuvent être introduites dans le sommeil ou le rêve en raison d'événements
extérieurs au rêveur, il est possible que certains rêves lucides soient dus à des perturbations
particulières telles que le bruit. Le récit du rêve suivant intègre une intervention extérieure
tout en amenant brièvement le sujet à la lucidité.

« Je suis en train d'expliquer à des petits enfants ce qu'il faut faire pour se calmer : "il faut
prendre une boule de pâte à modeler et la modeler, la chauffer dans les mains pour la rendre
souple", j'indique le geste en parlant. J'entends la voix de N… me dire : "Qu'est-ce que tu
racontes ?

« - J'explique ce qu'il faut faire pour se calmer, il faut rouler la pâte, cool." N… insiste et je
lui explique en lui disant que je suis bien en réalité et non en train de rêver. Je sors alors tout à
fait de mon rêve.

« (En fait j'étais en train de rêver, et j'ai intégré ses paroles comme étant celles d'un
rêve au début, puis comme étant celles de la réalité, et j'ai considéré que ma situation était
finalement la réalité! N… m'a expliqué que j'avais pris la position et que je faisais le geste de
rouler la pâte.) »[93]

Si un événement extérieur peut influencer le contenu du rêve, il ne provoque pas


automatiquement la lucidité mais peut au moins être un facteur favorisant. Dans le cas du
récit ci-dessus le rêveur suivait une méthode d'induction mais il semble que l'intervention
inattendue ait donné un "coup de pouce" qui a aidé à l'émergence d'une brève lucidité.

Ce type de récit amène à se demander si certaines perturbations extérieures ne sont


pas plus favorisantes que d'autres, dans la mesure où elles sont suffisamment douces pour
ne pas casser le rêve mais également suffisamment décalées par rapport à la situation
onirique pour susciter une prise de conscience du rêveur. Pour répondre à cette question, il
faudrait posséder un grand nombre de récits de rêves lucides obtenus à la suite de
perturbations diverses. En leur absence on ne peut que risquer des hypothèses sur les
raisons qui expliquent l'effet inducteur de certaines d'entre elles. On peut en effet considérer
que l'excitation extérieure introduit dans le sommeil un élément qui sans doute pousse le
rêveur vers l'éveil mais sans y parvenir tout à fait, et que la lucidité est un sous-produit de ce
retour non abouti à l'état de veille. Une telle hypothèse nous permet de supposer que, plus la
perturbation ressemble en rêve à ce qu'elle est en réalité, plus le rêveur est proche de l'état
d'éveil, comme dans l'exemple ci-dessus. En revanche, plus la perturbation est "transposée",
plus le rêveur est éloigné du réveil. Si la lucidité survenait plus souvent dans le premier cas
que dans le second, l'hypothèse serait vérifiée. De façon générale, deux grand types de
perturbations sont mentionnés par les rêveurs : les dérangements organiques, qui sont
certainement les plus fréquents, et les interventions extérieures, qui sont difficiles à identifier
avec précision en l'absence d'observateur pouvant décrire au rêveur les conditions de son
sommeil.

Un dérangement organique constitue une perturbation "extérieure" en ce sens qu'il ne


trouve son origine ni dans un événement onirique, ni dans une modification du sommeil. Il
peut être dû à une position inconfortable ou à un problème de santé qui pousse le rêveur à se
réveiller pour rectifier une situation déplaisante ou qui gêne l'ensemble de son sommeil dès
son début. Un tel dérangement débouche en général sur le réveil. Cependant, lorsque le
rêveur reste incapable de se réveiller malgré une gêne importante, celle-ci envahit l'ensemble
du rêve, situation fréquente pour le rêve ordinaire.

« […] Je suis dans une pièce en sous-sol chez des bouddhistes. J'étouffe. C'est une
demi-obscurité. Il y a des ornements sur les murs. Je prie pour pouvoir respirer mais ça ne donne
rien. Par la suite ma sœur vient me chercher. Nous sortons. J'essaie de lui dire que je suis en train
d'étouffer. Je n'arrive pas à parler. Je me mets à courir. Nous sommes d'abord passés dans
l'antichambre de la pièce précédente. D'autres personnes sont présentes. On dirait la préparation
d'une excursion de montagne. Je rejette un pull, ou enlève un vêtement, et je me mets à courir
dehors à l'air libre. Je parviens à un endroit circulaire. Je dis à ma sœur, qui m'a rattrapé, que je
vais mourir. Je lui répète cela plusieurs fois.

Commentaire : J'étouffais véritablement en dormant, mon nez était bouché. »[94]

Il est facile de se rendre compte que l'intrusion, dans un rêve, d'un problème physique,
alors que le rêveur n'arrive pas à se réveiller, modifie l'ensemble du rêve en fonction de ce
nouveau thème et qu'un tel rêve est potentiellement lucide. Cette potentialité a
certainement besoin d'une autre condition, plus interne celle-là, pour s'actualiser, mais elle
est néanmoins reconnue comme favorisante par les sujets eux-mêmes. Ainsi, à propos du
rêve qui va suivre, le sujet écrit : « C'est la difficulté à respirer, comme de l'asthme, qui a
[95]
déclenché un semi-éveil dans le sommeil. Pas d'images, rien que des sensations » . Il n'en
reste pas moins que le rêve contient d'autres éléments caractéristiques de l'induction de la
lucidité à partir de l'état intermédiaire.
« Je sens/vois des images. Parfois je les commande, parfois elles m'échappent. Je ne sais si
je suis endormi ou éveillé mais j'ai l'impression d'être resté conscient tout du long. Je sens mon
corps particulièrement. J'entends des voix, sans doute la mienne et ses instructions. Je sens que
j'ai tendance à me balancer et à tourner vers la gauche.

« Je tourne vers la gauche avec mon corps fantôme que je peux juste sentir. Je sais que je
ne dois pas. Je le tourne vers la droite. Un peu de peur. Je me dis que droite ou gauche, quand on
est allongé ça n'a pas beaucoup de sens. Je veux tourner en arrière. Pas possible.

« Alors en avant. Mais cela se redresse. Ma jambe glisse du lit et appuie sur le sol. Je sens
nettement ma chaussure, une basket, au bout de mon pied (ce n'est qu'au réveil que je me rends
compte que je n'avais pas ma chaussure). Pour me redresser je me suis mis à plat ventre. C'est
comme un sentiment de déplacement flou et net. »[96]

Les dérangements organiques favorisent donc la lucidité par la gêne qu'ils introduisent
dans le sommeil, mais à condition que ce dernier soit suffisamment lourd pour éviter un éveil
prématuré. Ces dérangements sont parfois trop perturbants pour permettre un rêve lucide de
quelque envergure. Supposons en effet que dans le rêve cité où le rêveur étouffe, il se soit
rendu compte qu'il rêvait, il aurait certainement lutté pour se réveiller plutôt que de
poursuivre l'expérience. Or, il serait contraire à la nature d'une gêne physique de se
manifester sporadiquement, de façon suffisamment douloureuse pour provoquer la lucidité,
pour ensuite disparaître. Les perturbations ponctuelles se rencontrent plutôt parmi les
événements totalement extérieurs au rêveur.

Toutefois les événements extérieurs à eux seuls ne suffisent pas non plus à induire la
lucidité onirique, ce dont témoignent aussi bien les tentatives pour influencer le contenu du
rêve en agissant sur les sens endormis que les perturbations purement accidentelles comme
dans ce rêve de Bergson :

« Donc, le rêveur se croit à la tribune, haranguant une assemblée. Un murmure confus


s'élève du fond de l'auditoire. Il s'accentue ; il devient grondement, hurlement, vacarme
épouvantable. Enfin résonnent de toutes parts, scandés sur un rythme régulier, les cris : "A la
porte! à la porte!" Réveil brusque à ce moment. Un chien aboyait dans le jardin voisin, et avec
chacun des "Ouâ, ouâ" du chien un des cris "A la porte!" se confondait. »[97]

De telles perturbations totalement extérieures au rêveur ne sont donc que


favorisantes. Et elles ne jouent ce rôle que, d'une part, si le rêveur présente, pour s'être
réellement intéressé à ses rêves, des dispositions à la lucidité et, d'autre part, si la
perturbation est momentanée, c'est-à-dire suffisamment intense pour aider à l'émergence de
la lucidité, mais également brève pour ne pas briser le sommeil du sujet, comme dans
l'exemple ci-dessus.

Les perturbations naturelles (c'est-à-dire non provoquées délibérément) les plus


courantes sont avant tout les bruits, principalement ceux de la rue. Comme nous l'avons déjà
remarqué, dans la mesure où le rêveur est en train de dormir, il peut ne pas se rendre
compte de leur existence lorsqu'il relate ses rêves. Mais, dans certains cas, la perturbation
est suffisamment forte pour être perçue par lui alors qu'il est en train de rêver. Il lui est alors
parfois difficile de considérer qu'il dort, même s'il rêve encore :
« Rêves de demi-éveil. Je suis éveillé dans mon lit à cause du marteau piqueur, et en même
temps je vois les images de rêve. »[98]

Le sujet parle ici de "demi-éveil" et dit qu'il voit les images du rêve et non qu'il rêve.
Dans certains cas, cependant, le sujet reconnaît son rêve pour tel malgré la perception du
monde extérieur - et aussi grâce à elle.

« Une dame de ma connaissance me disait qu'il lui arrive fréquemment de se trouver dans
un état particulier qui tient tout à la fois du sommeil et de la veille. Un matin, elle est surprise au
milieu d'un rêve par l'entrée de deux bonnes dans sa chambre ; son rêve lui plaisait, et elle ne
tenait pas à l'interrompre. Elle eut la pensée de renvoyer ses domestiques, mais elle ne le fit pas,
persuadée que, si elle parlait, son rêve cesserait aussitôt. Elle acheva donc son rêve, bien qu'elle
entendit parfaitement ce que disaient les domestiques, et malgré le bruit qu'elles faisaient en
ouvrant les volets et en rangeant les meubles." »[99]

Ici la rêveuse n'a pas le sentiment d'être à distance de son rêve comme dans l'exemple
précédent. Au contraire elle le poursuit jusqu'au bout comme tel ("son rêve lui plaisait, et elle
ne tenait pas à l'interrompre […]. Elle acheva donc son rêve") ; c'est en revanche l'idée
qu'elle se fait du sommeil qui perd sa solidité ("un état particulier qui tient tout à la fois du
sommeil et de la veille").

Les perturbations favorisent donc la lucidité, même si leur existence ou leur rôle sont
difficiles à saisir, et, de même que les autres inductions naturelles, elles font l'objet de
réitérations méthodiques pour permettre d'obtenir expérimentalement des rêves lucides.
Cette prise en compte de l'induction naturelle a entraîné la mise au point de diverses
méthodes d'induction dont nous allons maintenant donner les principes directeurs.

Section II

Les inductions préparées

[1]
Hervey de Saint-Denys, Les Rêves et les moyens de les diriger, Tchou, Paris, 1964, p. 232. Souligné

par nous.
[2]
Sujet n°10, sans titre, 7 novembre 1986.
[3]
Sujet n°16, sans titre, 7 novembre 1990.
[4]
"Léviter" signifie : s'élever de soi-même au-dessus du sol, sans aucune aide matérielle. Ce

verbe non attesté est extrêmement répandu dans les récits des rêveurs lucide, raison pour laquelle nous

l'adoptons.
[5]
"Léviter" signifie : s'élever de soi-même au-dessus du sol, sans aucune aide matérielle. Ce
verbe non attesté est extrêmement répandu dans les récits des rêveurs lucide, raison pour laquelle nous

l'adoptons.
[6]
Rappelons que nous nous plaçons ici sur le terrain de l'expérience subjective. Nous sommes tout à

fait conscient que d'un point de vue neurophysiologique un dormeur peut avoir des perceptions du

monde extérieur dans les deux premières phases du sommeil.


[7]
Voir supra, section I, §1, I, B, 1.
[8]
Idem.
[9]
Idem.
[10]
« Lying on the sofa in the afternoon with my eyes closed, I suddenly found that I could see the

pattern on the sofa-back. This told me that I was in the Trance Condition. I then left my body, by

willing myself out of it, and experienced an extremely sudden transition to a beautiful unknown stretch

of country ». Oliver Fox, Astral Projection, A Record of Out-of-the-Body Experiences, The Citadel
Press, Secaucus, 1980, p. 66.
[11]
Sujet n°16, "Cracher dans la poubelle", vendredi 15 mars 1990. Souligné par nous.
[12]
Ibid.
[13]
Idem, "Curiosité à propos du fait de flotter", 10 janvier 1990.
[14]
Notons que dans d'autres rêves lucides situés plus loin du lieu d'endormissement, ouvrir les yeux

pour se réveiller provoque plutôt un faux-éveil.


[15]
Sujet n°10, sans titre, 11 novembre 1986.
[16]
Sujet n°16, sans titre, 22 janvier 1985.
[17]
Idem, sans titre, dimanche 9 janvier 1983.
[18]
Sujet n°10, sans titre, 8 novembre 1986. Souligné par nous.
[19]
Sujet n°16, "Une serviette sur la tête de S…", dimanche 4 février 1990. Souligné par nous.
[20]
Sujet n°16, "Tuesday, dit G…", 21 août 1981.
[21]
Ibid. Cité supra, chapitre 3, section 1, §1, I, B, 1.
[22]
Sujet n°16, "Cheminée-Pyramide", mercredi 13 février 1985.
[23]
Sujet n°10, sans titre, 13 novembre 1985.
[24]
Sujet n°10, sans titre, 13 novembre 1985.
[25]
Idem, sans titre, 4 novembre 1986.
[26]
Dr. Eug.-Bernard Leroy, Les Visions du Demi-sommeil (Hallucinations hypnagogiques), Librairie

Félix Alcan, Paris, 1933.


[27]
Sujet n°1, "Entre veille et sommeil", mardi 19 mars 1985.
[28]
Sujet n°16, "Un nouveau visage", 27 août 1981.
[29]
Sujet n°10, sans titre, 15 novembre 1986. Souligné par nous.
[30]
Idem, sans titre, 17 novembre 1986. Souligné par nous.
[31]
Terme japonais désignant le point d'équilibre du corps se situant au dessous de la région du

nombril.
[32]
Sujet n°10, "L'étalon conscience", 7 décembre 1985.
[33]
Idem, sans titre, 11 janvier 1986.
[34]
Sujet n°16, sans titre, 28 septembre 1989. Souligné par nous.
[35]
Idem, sans titre, 28 septembre 1989. Souligné par nous.
[36]
Sujet n°8, sans titre, samedi 22 octobre 1988. Souligné par le sujet.
[37]
Sujet n°10, "Sommeil lucide", 10 janvier 1986.
[38]
Yves Delage, "Rêve des escaliers" dans : Yves Delage, Le Rêve, Étude psychologique, philosophique

et littéraire, Imprimerie du Commerce, Nantes, 1920, p. 383.


[39]
Ibid. pp. 382-383.
[40]
Ibid.
[41]
Sujet n°16, 10 janvier 1990, cité supra, section I, §1, I.
[42]
Idem, sans titre, mardi 12 décembre 1989.
[43]
Idem, sans titre, 28 septembre 1982.
[44]
Idem, sans titre, lundi 30 mai 1983.
[45]
Henri Bergson, op. cit., p. 86.
[46]
Henri Bergson, op. cit., p. 86.
[47]
Ibid.
[48]
« Sometimes, just before falling asleep, I would see through my closed eyelids a number of small

misty-blue or mauve vibrating circles. Now I should describe this structure as somewhat resembling a

mass of frog's eggs, and only just on the border line of visibility. At first these circles would be empty,
but soon a tiny grinning face, with piercing steel-blue eyes, would appear in each circle, and I would

hear a chorus of mocking voices saying very rapidly, as though in tune with the vibration, "That is it,

you see! That is it, you see!" Always they said the same thing, but I have never been able to trace the

origin of these words or to fathom their meaning, if any. And as the appearance of these faces always

heralded a particularly nasty nightmare, I grew to dread their coming ». Oliver Fox, Astral Projection,

A Record of Out-of-the-Body Experiences, Citadel Press, Secaucus, 1980, p. 19. Souligné par l'auteur.
[49]
« This state of things persisted for two or three years, though it must be remembered that it was

only at irregular intervals of several week that I was able to see these circles, and then came a quite

inexplicable happening. The vibrating circles appeared, empty at first, and lo and behold, they became

filled by little glass ink-pots! And there was no nightmare! Thereafter I performed a feat of childish

magic. When empty circles came I would give the command, "Let it be ink-stands!" for I confused the

pot with the stand in those days. Sure enough, the little glass pots would appear and there would be

no nightmare. But I had to be very quick about it or the grinning faces would get in first, I would hear

their nonsensical words, and the nightmare would follow in due course ». Ibid. pp. 19-20.
[50]
« […] for in my out-of-the-body experiences I have noted on several occasions, beneath the golden

glow suffusing the room, this barely visible, vibrating curtain of circular cell. I do not know what it is,

but I believe it is always present at the back of thing, if one concentrates upon it, though it will often

remain unnoticed because of the more arresting nature of other phenomena. But in my projection

experiences these vibrating circles remain empty. » Ibid., p. 20.


[51]
Docteur Francis Lefébure, Le Mixage Phosphénique en Pédagogie, Editions du C.D.R.Ph., Paris, 10è

éd., 1985, p. 156.


[52]
« In the room where I slept there was what used to be called a fish-tail burner - now, like the

lamplighter with his rod, a thing of the past. Through the clear glass of the globe I could see the

bright, fan-shaped flame with its central cone of blackish purple, or dark blue, in which little red spots

shot upwards. In my drowsy condition I used to watch these mounting spots as they traversed the

dark space and became lost in the outer brightness, and sometimes things would suddenly "go

wrong". The light of the gas-flame grew dim and that mysterious pale-golden light from nowhere

suffused the room. I would hear strange noises, crackling and snapping noises, while little shafts of

blue flame, like miniature lightning, darted from the corners of the room. And then came the

apparition : a man with a grotesquely horrible face, a wolf with eyes of fire, a lion, a huge serpent, a

great black bear standing erect so that it reached the ceiling - I saw all these at different times. And I
just yelled and yelled. The apparition would stay quite still, glowering at me, and I could hear my

mother running up the stairs in answer to my frantic S O S, but as soon as she turned the door-knob,

the fearsome beast vanished and things "came right" again ». Oliver Fox, op. cit., pp. 20-21.
[53]
[53]
Henri Bergson, L'Energie spirituelle, Presses Universitaires de France, Paris, 1985, p. 95.
[54]
[54]
Henri Bergson, L'Energie spirituelle, Presses Universitaires de France, Paris, 1985, p. 95.
[55]
Roger Caillois, L'incertitude qui vient des rêves, Idées/Gallimard, Paris, 1983, pp. 84-85.
[56]
Ibid., pp. 60-62.
[57]
Ibid.
[58]
Ibid.
[59]
Sujet n°16, "Pour une gomme mie de pain", mardi 21 juillet 1987.
[60]
Idem, sans titre, 24 décembre 1987.
[61]
Ibid. Souligné par nous.
[62]
Idem, "Imagination hypnago-lucide d'appartement", 29 mars 1987.
[63]
Idem, "W.C. et pistolet", mercredi 19 mars 1986.
[64]
Sujet n°10, sans titre, rêve éveillé, 24 janvier 1985.
[65]
Idem, "Windman le justicier", rêve lucide, même date.
[66]
Centre d'énergie "subtile", terme emprunté au domaine indien.
[67]
Centre d'énergie "subtile", terme emprunté au domaine indien.
[68]
Sujet n°16, "Dévaliseurs d'appartement", vendredi 5 février 1988.
[69]
Idem, "Le bien d'A…", vendredi 7 mars 1986.
[70]
Idem, "Paralysie chez [Grand-mère]", dimanche 25 août 1985.
[71]
Idem, "Indiens Yogis", 5 juillet 1988.
[72]
Idem, sans titre, 7 juillet 1988.
[73]
Idem, "Entre les sourcils", 5 juillet 1988.
[74]
Idem, "Le corps qui vibre", 10 décembre 1981. Souligné par nous.
[75]
Idem, sans titre, jeudi 10 février 1983.
[76]
Idem, sans titre, 2 septembre 1988.
[77]
Ibid.
[78]
Sujet n°10, sans titre, 30 janvier 1985.
[79]
Sujet n°16, sans titre, 1er août 1982.
[80]
Idem, sans titre, jeudi 20 décembre 1984.
[81]
Idem, sans titre, samedi 18 décembre 1982.
[82]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 59. Souligné par nous.
[83]
Ibid. p. 69.
[84]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 59. Souligné par nous.
[85]
Ibid. p. 69.
[86]
Ibid.
[87]
Cité supra, chapitre 3, section I, §1, I, A, 2.
[88]
« The night with delayed nap was far and away the most effective sleep schedule for lucid

dreaming. Most of the lucid dreams from this condition happened during the nap itself. Twice as many

people had lucid dreams in the delayed nap period (A) than in the last 90 minutes of the normal night

(B), and they had three times as many lucid dreams in the A naps than in the last 90 minutes of the

nights. Also, they reported about the same number of dreams from each of these periods, so that the

average number of lucid dreams per dream for the A naps was six times higher than for the last 90

minutes of B nights ». Lynne Levitan, "Get Up Early, Take a Nap, Be Lucid!", NightLight volume 3,

number 1, Winter 1991. Souligné par l'auteur.


[89]
Sujet n°10, sans titre, 27 janvier 1986.
[90]
Henri Rojouan, sans titre, 7 janvier 1984, dans : "Rêves lucides, témoignage n°9", Oniros n°10, 1er

trimestre 1985, pp. 15-17.


[91]
Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, Le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, Oniros,

Ile Saint-Denis, 1991, p. 174.


[92]
« Visit completed, full of pancakes and syrup, I arrived home a few minutes before 9:00 A.M. By

then, I was so groggy that I could not possibly work. I pulled out the phone plugs, determined not to

be interrupted, and crawled under the covers to nap. Stuffed with food, extraordinarily weary, and

mildly concerned, I drifted into the drowsy state. The thought occurred to me that this was a perfect
time - I was totally alone - to try an out-of-the-body experiment. Sleepily, I began to think about

vibrations ». Patricia Garfield, Pathway to ecstasy, Holt, Rinehart and Winston, New York, 1977,

p. 118.
[93]
Sujet n°1, "Pâte à modeler", 2 novembre 1985. Souligné par nous.
[94]
Sujet n°16, " Mourir chez les bouddhistes", vendredi 19 avril 1986.
[95]
Idem, "Dans quel sens ?", jeudi 27 octobre 1988.
[96]
Ibid.
[97]
Henri Bergson, op. cit., p. 101.
[98]
Sujet n°16, sans titre, mardi 16 janvier 1987.
[99]
L.-F. Alfred Maury, Le Sommeil et les Rêves. Études psychologiques, cité par Pierre Pachet dans

Nuits étroitement surveillées, Gallimard, Paris, 1980, p. 105.


Chapitre Quatre

L'induction de la Lucidité Onirique

[suite]

[Section I: l'induction naturelle]

Section II

Les inductions préparées


A la différence de l'induction naturelle qui survient de façon non
délibérée, l'induction préparée suppose que, dès l'état de veille, le sujet use
de techniques pour faire émerger la lucidité onirique dans son sommeil.

« ([Je] me rendors en me concentrant sur ma respiration et mon front avec la formule

"je sais que je rêve")

« Rêve lucide : Je sens que je m'envole ou que je suis plus léger. Je suis dans ma

chambre. Je regarde le lit. Il est défait. Il n'y a personne dedans. Je n'y suis pas. J'ouvre bien un

œil. Je vais jusqu'à la porte mais la poignée refuse de céder. Alors je me dirige vers la fenêtre en

me disant que c'est peut-être par là que je dois aller. »[1]

L'utilisation d'une formule spécifique indique ici l'intention du sujet.


Toutefois elle n'est pas indispensable et, lorsqu'elle est absente, la description
de l'induction préparée peut ne différer en rien de l'induction naturelle. Ainsi
seule l'intention du sujet nous permet de séparer ces deux types d'induction.
Le principal intérêt de l'étude de l'induction naturelle réside donc, non pas
dans ses caractéristiques descriptives, mais dans le parti qu'on en peut tirer
pour mettre au point des méthodes délibérées. Toutefois l'induction délibérée
n'est pas la simple reproduction de l'induction naturelle. Cette dernière est en
effet empiriquement constatée et la simple description ne suffit pas à séparer
les facteurs nécessaires des facteurs suffisants. C'est la pratique de ces
inductions qui permet de dégager les éléments déterminants et donc
d'améliorer les méthodes par l'expérimentation, au point que l'induction
préparée peut s'éloigner notablement de l'activité spontanée qui lui a servi de
modèle.

Les raisons pour lesquelles ces méthodes sont efficaces restent


cependant problématiques. En ce qui concerne la seule expérimentation cela
n'aurait pas d'importance si elles permettaient d'obtenir le résultat escompté
à coup sûr, mais il n'en va pas ainsi : les résultats ne sont pas systématiques
mais statistiques, en ce sens qu'ils constituent un pourcentage dans une série
de tentatives : aucun succès ne peut être prédit avec une certitude absolue
pour une induction donnée. Aussi, plutôt que de passer en revue l'ensemble
des méthodes existantes, il est plus intéressant de donner la description de
leurs principaux éléments constituants afin d'essayer d'évaluer leur
importance respective dans l'induction de la lucidité. De ce point de vue, la
façon dont une méthode est élaborée prend une valeur particulière car elle
indique l'aspect qui, pour son auteur, apparaît comme déterminant - et elle
dépend principalement de la conception qu'il se fait du rêve : qui voit dans le
rêve un phénomène avant tout mental met au point des techniques
demandant un effort mental ; qui le comprend comme un phénomène du
sommeil cherche à reproduire les conditions du rêve lucide sur un plan
physique. Tandis que la tendance "physique" se combine généralement à la
tendance "mentale", cette dernière se rencontre souvent seule.
§1. Les méthodes purement mentales
Pour l'homme éveillé, le rêve est un phénomène mental et les
tentatives mentales pour influer sur son contenu dans une direction précise
(telle l'incubation) apparaissent immédiatement comme plus sûres que les
tentatives de modification du sommeil qui entraînent des altérations oniriques
imprévisibles. De la même façon, une induction mentale de la lucidité
apparaît immédiatement légitime, sans qu'aucune condition physique autre
que le prochain sommeil soit requise. Dans une telle perspective la lucidité est
à la portée de chacun pour peu qu'un effort personnel soit fourni, effort qui
cristallise l'intention d'obtenir un résultat. Or, nous avons vu que l'intention
est déterminante et il se pourrait que la qualité de son intensité explique les
différences de résultats obtenus par des sujets utilisant la même méthode. Si
nous nous tournons vers les inductions naturelles que nous avons examinées,
certaines consistent effectivement en un travail purement mental, comme le
rêve éveillé ou l'image mentale rythmique qui dépendent avant tout de
l'imagination. Cependant, la précarité des résultats demande que soient
compris les principes à l'œuvre dans ces inductions si l'on désire les
transformer en techniques. Or, ces principes ne sont pas toujours aisés à
dégager et, quand ils le sont, leur portée n'est guère facile à mesurer. La
difficulté est habituellement tournée en combinant des techniques relevant de
principes différents pour s'assurer une efficacité optimum, d'autant que
certaines combinaisons donnent parfois des résultats que leurs éléments pris
séparément n'autorisent pas. Les méthodes prennent alors un aspect qu'il
serait impossible de trouver sous forme de réflexe mental naturel : elles
deviennent artificielles et complexes. Nous délaisserons cependant ici l'aspect
complexe des combinaisons pour ne nous intéresser qu'au principe de
fonctionnement des méthodes mentales.

Comment dégager ces principes ? Pour y parvenir il semblerait


approprié de recourir à un recensement préalable de l'ensemble des
méthodes mentales. Mais, dans la mesure ou nous nous intéressons ici
seulement aux éléments fondamentaux qui les composent, plutôt que de les
[2]
décrire une à une ou même d'en donner une présentation globale , nous
allons immédiatement proposer une classification de ces éléments dans les
rapports qu'ils entretiennent avec le rêve. Certaines méthodes en effet visent
directement le rêve tandis que d'autres approchent le rêve de façon plus
détournée, c'est-à-dire cherchent à provoquer l'apparition d'un phénomène
qui, lui-même, est susceptible de déclencher le rêve lucide.
I. MÉTHODES VISANT DIRECTEMENT LE RÊVE

Il peut paraître banal d'énoncer que "viser le rêve est un moyen de


l'atteindre ou de l'influencer". Non seulement cette proposition décrit une
opinion commune (« un préjugé très généralement répandu veut qu'il suffise,
en s'endormant, de rouler dans sa tête quelque pensée pour qu'il en résulte
[3]
une influence directe sur les songes de la nuit » ) mais également les
techniques connues depuis l'Antiquité qui permettent d'obtenir un rêve
"incubé" en sont l'illustration. Toutefois, influencer ou provoquer le contenu
du rêve, d'un côté, et se rendre compte en rêve que l'on rêve, de l'autre, ne
relèvent pas du même type de fonctionnement : dans un cas le sujet cherche
à influencer la forme que prend le rêve, tandis que dans l'autre il se
préoccupe avant tout de son état de conscience. Dans ce dernier cas, "viser"
le rêve lucide en tant que rêve équivaut au contraire à risquer de manquer
l'essentiel, la lucidité. Mais, d'un autre côté, un état de conscience ne peut
être "visé" puisqu'il est par essence "visant" (et sans doute vaudrait-il mieux
[4]
parler de forme de conscience plutôt que d'état ) ; la visée du rêve
constitue alors un détour dans lequel cette conscience doit éviter de se
perdre. Il s'agit donc de tenir en équilibre l'objet de la visée et la conscience
visante en proposant aux expérimentateurs d'adopter des attitudes
conscientielles particulières qui paraissent parfois antinaturelles. En effet, ces
attitudes, du fait même qu'elles cherchent à établir un pont entre les deux
états de veille et de rêve, ne sont dans l'ensemble propres ni à l'un ni à
l'autre. Toutefois, elles ne sont difficiles à adopter que dans la mesure où
elles vont à l'encontre d'habitudes conscientielles bien ancrées, et elles se
révèlent particulièrement efficaces pour induire la lucidité. Elles se
répartissent selon deux catégories : certaines se suffisent à elles-mêmes
tandis que d'autres doivent s'appuyer sur des circonstances favorisantes.

Dans leur principe, les méthodes qui se suffisent à elles-mêmes


reposent sur le transfert d'un terme appartenant à un état dans l'autre : il
s'agit de faire passer, à l'aide d'une sorte de "recadrage" mental, de l'état de
veille à l'état de rêve, ou inversement, ce qui, pour la conscience, se situe
dans l'autre état. Ce qui est transféré est soit un état (ou forme) de
conscience, soit un contenu de conscience.

Si le transfert d'un contenu semble assez facile à saisir en raison de ce


qu'on sait de l'incubation, celui d'un transfert d'état de conscience paraît dès
l'abord surprenant, non seulement parce que la veille et le rêve sont déjà des
états de conscience caractérisés, mais aussi parce que l'idée même d'un
transfert suppose métaphoriquement deux lieux (la veille et le rêve) et
quelque chose que l'on déplace de l'un à l'autre. Le déplacement suppose
une sorte d'homogénéité des lieux relativement à ce qui est à déplacer. Une
telle pratique postule donc que, d'une certaine façon, les deux états sont
relativement homogènes tandis qu'un troisième état situé à l'intérieur de
l'un ou de l'autre est à la fois assez différent pour se distinguer des deux
autres mais susceptible de s'inclure en eux. Cette façon d'envisager des états
de consciences emboîtés est déconcertante d'un point de vue conceptuel mais
elle correspond à ce qu'on pourrait appeler un "fait conscientiel" : les
résultats obtenus montrent qu'une telle attitude est possible. La situation est
même plus complexe encore du fait que le transfert est dédoublé : il a
d'abord lieu dans l'état de veille au sein duquel l'état de rêve est
volontairement "vécu".

Ainsi, pour faire passer de la veille au rêve un certain type de


conscience tout en restant dans le cadre de l'état de veille, Paul Tholey utilise
une technique qu'il qualifie de "critico-réflexive" et qui repose sur le principe
suivant : « Si le sujet développe, à l'état de veille, une attitude critique et
réflexive vis-à-vis de ses états de conscience momentanés, se demandant
alors s'il rêve ou s'il est éveillé, cette attitude peut se poursuivre dans le
sommeil et dans l'état de rêve. La nature inhabituelle des expériences
oniriques lui permet généralement de comprendre qu'il est en train de
[5]
rêver » . Ce type de technique illustre parfaitement l'idée d'un transfert
d'état (ou de forme) de conscience et non de contenu. A aucun moment des
séquences de rêve ne sont évoquées. Au contraire c'est l'environnement de
l'état de veille au moment où il est perçu, donc dans la perception en acte,
qui est sollicité. L'état de rêve est alors recherché en tant qu'attitude
conscientielle au sein même de l'état de veille, ce qui constitue un premier
emboîtement d'un état dans l'autre. Mais, du fait même de l'adoption
délibérée de cette attitude, surgit un état de conscience particulier qui
équivaut à une intensification de la conscience d'être et qui s'emboîte à son
tour dans le précédent. On peut aussi dire que la conscience de veille est
modifiée (sans être altérée) par l'attitude "rêvante" qui en change l'intensité.
Il convient de souligner cependant que c'est bien la position conscientielle "en
train de rêver" qui permet d'induire le rêve lucide, car la simple intensification
de la perception, qui peut être directement atteinte sans passer par la
question critico-réflexive ne débouche pas sur le rêve lucide, ce que montrent
les témoignages de ceux qui ont pratiqués des exercices similaires
d'intensification de la perception.

Comment cette technique entraîne-t-elle la lucidité ? Les sujets


constatent souvent que, par son application, la lucidité surgit en rêve dans
des situations similaires à celles de l'état de veille au moment où a été
posée la question critico-réflexive : « L'efficacité du facteur de similarité est
démontrée par le fait que, lors du premier rêve lucide, la question critique
survient principalement, pour le rêveur, dans des situations analogues à
[6]
celles où il se l'était posée pendant la journée ». On peut, comme Paul
Tholey, en conclure que l'efficacité de la technique repose sur le fait que des
situations de la journée se répètent en rêve et que son succès dépend de
l'occurrence de telles situations. Ainsi, pour optimiser l'apparition de la
lucidité, « le sujet devra se poser la question critique […] aussi souvent que
possible, dans des situations présentant une forte ressemblance avec des
[7]
expériences de rêve ».

Mais on peut aussi se demander si la technique elle-même ne crée pas


la similarité de situation retrouvée en rêve du fait de l'intensité de l'exercice.
Il se pourrait que la séquence onirique soit un sous-produit de l'éveil de la
conscience lucide dans le rêve et non un terrain favorable. En effet, l'exercice
conscientiel a avant tout dans l'état de rêve des répercussions conscientielles,
ce que montre la diversité des situations possibles entraînées par un tel
exercice : « En appliquant la technique réflexive, le sujet peut devenir
conscient de rêver, soit après une période de doute pendant laquelle il s'est
posé la question critique ("est-ce que je rêve ou non ?"), soit immédiatement,
à cause d'une expérience inhabituelle, soit enfin sans qu'il n'y ait aucune
[8]
raison apparente à sa prise de conscience » . Comme l'indique ce texte, la
similarité des situations n'est pas la règle mais simplement un cas possible.
Le transfert conscientiel serait plutôt le fruit de l'exercice lui-même qui
induirait des "réflexes" conscientiels jusque dans l'état de rêve. La supposition
selon laquelle l'exercice crée la situation onirique plutôt qu'il ne la retrouve
est d'ailleurs renforcée par la possibilité du transfert d'un contenu d'état de
conscience de la veille au rêve.

Le transfert d'un contenu de conscience consiste en effet à créer


l'événement de la vie de veille qui sera transféré à l'état de rêve.
L'événement n'est donc pas ce qui se présente de soi-même dans le champ
de la conscience à l'état de veille mais est délibérément provoqué de façon,
d'une part, à pratiquer l'exercice de transfert de l'état de conscience ci-dessus
et, d'autre part, à être en quelque sorte "injecté" dans le rêve par la force de
l'intention, ce qui rejoint les anciennes techniques d'incubation à cette
différence qu'ici l'élément incubé n'est qu'un "support" de conscience. Paul
Tholey donne à cet exercice le nom de "technique de l'intention" : « Par cette
technique, on décide d'accéder à la conscience de rêver pendant le rêve
lui-même. Pour y parvenir, le sujet doit essayer d'imaginer, de manière aussi
intense que possible, qu'il se trouve dans une situation type, capable de lui
faire comprendre qu'il rêve. Il serait plus utile encore d'effectuer
simultanément un geste simple. Par exemple, on pourrait suivre le conseil de
Don Juan en regardant ses propres mains (Castaneda 1972) que l'on fera
bouger d'avant en arrière pour éviter le risque de s'éveiller. La décision
d'entreprendre, dans le rêve, une action particulière permet de reconnaître
l'état onirique, mais elle fait aussi davantage, en empêchant que cette prise
[9]
de conscience ne se perde rapidement ».

Ce conditionnement n'est pas uniquement "mental" comme on pourrait


le penser tout d'abord. Certes, le sujet, à l'état de veille, imagine des
situations rêvées mais il peut y ajouter des actes qu'il effectue réellement,
comme regarder ses mains. D'autre part, qu'elles soient imaginées ou
effectuées, ces situations peuvent n'avoir jamais été rêvées auparavant par le
rêveur : c'est avant tout l'intention qui les fait surgir dans le rêve - même si
le souvenir est utilisable, il n'est qu'accessoire. Néanmoins le souvenir du
rêve aussi bien que l'endormissement restent des facteurs très favorisants qui
sont souvent combinés à de telles techniques.

Certaines méthodes qui, elles aussi, visent directement le rêve reposent


de façon impérative sur une de ces circonstances favorisantes car l'effort
conscientiel y est moins prononcé, en raison de la nature même de l'exercice.
Il s'agit moins de créer, par une attitude conscientielle à l'état de veille, une
répercussion jusque dans l'état de rêve que de profiter du passage de la veille
au sommeil pour maintenir la continuité de la conscience visant le rêve,
préalablement adoptée. Ces techniques cherchent donc plus à prolonger un
état donné qu'à l'intensifier et cela explique leurs caractéristiques empruntées
à l'induction naturelle. L'intention peut être, en quelque sorte, prolongée de
façon "pure" à l'aide d'une simple réactivation constante qui peut être
soutenue par une répétition mentale, comme dans le cas suivant : « [La
méthode] consiste à compter mentalement ("un, je rêve ; deux, je rêve" et
ainsi de suite) pendant l'endormissement, tout en maintenant un certain
niveau de vigilance. Il en résulte qu'à un certain point - disons,
"quarante-huit, je rêve" - on s'aperçoit que l'on est effectivement en train
de rêver! Si elle n'est pas indispensable, la formulation "je rêve" aide le
dormeur à se rappeler son intention. Le simple fait de se concentrer sur le
comptage permet en principe de garder une attention suffisante pour
reconnaître les images oniriques en tant qu'images, au moment de leur
apparition. Cette technique, et d'autres semblables, fonctionne mieux,
semble-t-il, pour les personnes qui ont tendance à s'endormir vite et qui
[10]
connaissent souvent la rêverie hypnagogique (à l'endormissement) » .

« Je compte. Très vite je suis surpris d'être déjà avec un petit rêve qui devient réel d'un

seul coup. Ma sœur à qui je pensais m'apparaît la tête en bas. J'ai peur tellement c'est consistant

[…] »[11]

Cette technique a bien pour but de prolonger un état qui est avant tout
une visée particulière. Se répéter la phrase "je rêve" sans y mettre cette
attitude conscientielle ne servirait tout au plus qu'à favoriser
l'endormissement comme la célèbre technique qui consiste à compter les
moutons. Ainsi un sujet qui utilisait cette méthode pour la première fois
rapporte un long rêve dont voici des extraits :

« Effet pervers : je n'ai pas vraiment cessé de compter. Se sont alternées des périodes

où vaillamment je comptais et des dérives verbales que j'ai prises pour des effets hypnagogiques.
Tout de même un rêve, étrangement chaotique, dont il ne me reste que des bribes.

« Révélation philosophique sur la faute, l'erreur ontologique de l'homme. Je suis sur un

plan de réalité différent. Où "les dieux ?" m'expliquent que nous n'aurions jamais dû aller jusqu'à

la manifestation complète. Il y a une grosse bête, genre Ver de Dune en miniature ou dragon sans

ailes, qui promène sur son dos les enfants morts, parfois visibles, parfois invisibles. Je ne suis pas

complètement persuadée par cette révélation. Mais ces enfants morts devenus les guides secrets

de l'humanité, c'est impressionnant. Ils poursuivent leurs propres buts.

« Là-dessus, conflit entre les orthodoxes et les cathos romains, sur le nombre de

chrétiens. Les cathos qui se sentent une espèce en voie de disparition anticipent cette dernière en

collaborant avec les autorités athées, contre eux-mêmes. La discussion se dilue - dans un

nouveau comptage - et on me demande d'enregistrer une émission de télé sur un procès

d'assises. […] Un témoin peut partir : c'est un dominicain. Je bondis sur lui dans la porte

entrebâillée et lui crie/chuchote à l'oreille: "Rappelez-vous! Il n'y a pas seulement 500 chrétiens

comme vous le croyez, mais des milliers, des milliers. Vous devez en tenir compte".

« Extinction du rêve. Sentiment d'éveil. Corps dans le lit. Sentiment d'être encore en

endormissement. Je reprends le comptage, de plus en plus perturbée par du verbal… Au beau

milieu - comme je recommence tout le temps, je dois en être à 5 ou 6 - le réveil sonne, à ma

surprise totale. […] »[12]

Dans cette expérience la visée conscientielle n'est pas suffisante pour


provoquer la lucidité onirique et c'est le contenu de la méthode qui est passé
dans le rêve aussi bien de façon thématique ("conflit entre les orthodoxes et
les cathos romains, sur le nombre de chrétiens", "Il n'y a pas seulement 500
chrétiens comme vous le croyez, mais des milliers, des milliers") que dans les
intentions oniriques ("Vous devez en tenir compte") ou les événements du
rêve ("La discussion se dilue - dans un nouveau comptage"). Le comptage est
devenu une activité mécanique qui, commencée au coucher, émerge plus ou
moins au cours du rêve et se poursuit même au réveil alors que l'attention en
est absente aussi bien au début ("Se sont alternées des périodes où
vaillamment je comptais et des dérives verbales") qu'à la fin ("Je reprends le
comptage, de plus en plus perturbée par du verbal"). L'endormissement n'est
donc bien qu'une circonstance favorisante pour ce genre de technique qui
demande tout de même une certaine vigilance.

L'endormissement peut également être mis à profit en dirigeant son


attention vers des images mentales tandis qu'est maintenue
l'intention conscientielle. La technique est la même que dans l'induction
naturelle mais la persistance de l'intention y joue un rôle déterminant :
« Cette technique exige du sujet qu'au moment de s'endormir il se concentre
uniquement sur des images visuelles. Bien qu'il existe des différences
considérables entre les individus, on observe souvent les séquences
suivantes : pour commencer, les sujets voient des éclairs lumineux et des
suites de formes géométriques aux transformations rapides : puis viennent
des images d'objets et de visages et, pour finir, des scènes entières
s'organisent, par éclairements successifs tout d'abord, mais qui acquièrent
peu à peu une plus grande stabilité.

« Les phénomènes que l'on vient de décrire sont généralement fugaces


et indistincts, aussi faut-il un certain entraînement pour les suivre
attentivement. S'il a été possible de conserver sa lucidité consciente jusqu'à
l'apparition de scènes entières, la question se posera de savoir comment on
doit se comporter pour y participer activement, pour y pénétrer, car une telle
intention a généralement pour effet de faire disparaître la scène en question.

« Il est évident que les sensations faciales et corporelles de cet état


intermédiaire entre le sommeil et la veille sont encore trop soumises aux
stimuli périphériques pour que le corps phénoménal puisse se mouvoir, par
rapport aux images visuelles, aussi facilement que dans un rêve normal. Au
lieu de tenter une entrée volontaire dans la scène, le sujet devrait tenter de
s'y laisser entraîner passivement.

« Il s'est avéré utile, par ailleurs, de décider fermement, avant de


s'endormir, qu'une action particulière sera effectuée dans le rêve. Il arrive
qu'un sujet, lorsqu'il tente d'entrer dans un rêve lucide de la manière décrite
ci-dessus, perde momentanément sa lucidité. Le rappel de son
[13]
intention d'effectuer une action lui permet, alors, de la retrouver » .

Il ne suffit donc pas que l'intention conscientielle accompagne


l'évocation de scènes imagées, le plus souvent visuelles, car
l'endormissement présente des phases très différentes pour le rêveur, et la
façon de maintenir cette intention dépend des difficultés propres à chaque
phase. Les solutions possibles doivent faire l'objet d'une recherche et d'une
expérimentation. Les techniques de ce genre sont donc comme un cadre
général à partir duquel l'impulsion est donnée mais ne peuvent être
complètes par elles-mêmes : une part est laissée à la créativité de
l'onironaute. Par exemple il est possible d'évoquer une image mentale pour la
transformer en rêve à l'aide d'une autre technique comme le fait Henri
Marcotte : « j'ai les yeux fermés et j'imagine n'importe quoi, mettons une
salle. Je l'imagine alors vraiment et je rapproche la vision. Il y a un déclic et
[14]
là je vois réellement. Je n'ai plus qu'à entrer dedans » .

Le rêve éveillé, nous l'avons vu, peut, dans l'induction naturelle, mener
plus sûrement à la lucidité que la concentration sur des images mentales en
raison de l'implication plus complète du sujet. Si l'association de l'intention
conscientielle au rêve éveillé donne de meilleurs résultats que la technique
précédente, c'est sans doute parce qu'elle en est le développement logique. A
l'inverse cependant, elle ne cherche pas à maintenir la continuité de la
conscience mais à la "projeter" dans le rêve en même temps que le contenu
du rêve éveillé, qui sert souvent de fil directeur. Le rêve lucide induit par
cette technique se produit donc généralement en cours de nuit. L'induction
réussie peut ne projeter que la conscience.

« Rêve éveillé […] : Une porte d'écurie donne dans une église où des moines chantent

grégorien. D'autres moines dans le cloître dont je m'échappe par une porte latérale pour arriver

dans un camp de gitans. Presque endormi, je décide de les suivre dans leurs voyages, au moins

pour cette nuit.

« (Lucidité en cours de rêve) Rêves divers et quelques semi-réveils où je fais plus ou

moins revenir les gitans. A un moment, ils envoient à ma rencontre un grand oiseau blanc

moucheté. Un peu plus tard j'aperçois dans le ciel un faucon hobereau. J'ai un mouvement

d'heureuse surprise que j'interromps aussitôt en me souvenant que c'est seulement un

rêve. »[15]

Ici le contenu du rêve lucide semble sans rapport avec celui du rêve
éveillé et seule l'intention de lucidité a subsisté au cours du rêve. Il n'en reste
pas moins que le rêve éveillé en tant qu'imagerie mentale joue un rôle
souterrain important et parfois indispensable à la prise de conscience :

« Rêve éveillé fort long, qu'il me faut résumer. Suivant un corbeau, je suis conduit à un

labyrinthe de verre où vit une fée. Pour la rejoindre, il faut que je décroche une grosse étoile

d'énergie placée au sommet d'une haute tour. J'arrive jusque là, mais je deviens la boule

d'énergie rayonnante. La fée s'embarque sur un bateau de verre et m'entraîne avec elle comme

un ballon captif. Je parviens à me différencier de l'énergie, puis à concentrer celle-ci pour qu'elle

tienne dans la main. Je descends jusqu'au bateau de la fée et lui remets l'étoile d'énergie. En

échange elle me donne un anneau que je mets à mon annulaire droit. - Je dois me souvenir de cet

anneau pour faire un rêve lucide.

« Rêve éveillé involontaire : Au début de la nuit il y un rêve non lucide

extraordinairement vivace et original. La fin de ce rêve me réveille. Je me trouve alors dans un


état de conscience qui me paraît être parfaitement symétrique du rêve lucide. Je suis bien éveillé,

mais il subsiste dans ma veille des éléments de rêve que je n'arrive pas à éliminer. En

l'occurrence: je suis éveillé, couché dans mon lit, et en même temps je suis un géant à l'air

sévère portant une lumière au front. Je me souviens alors de mon anneau et décide d'en faire un

nouveau rêve éveillé :

« Je me dégage du géant, c'est-à-dire que j'en descends. C'est une statue de style grec

avec un projecteur au front. (amalgame de Pharos et du colosse de Rhodes) - Il fait nuit.

J'aperçois une ville en contrebas. Je pense que ça doit être Salonique. Je descends de la colline

pour m'y rendre, tout en gardant conscience de mon anneau.

« Suivent des rêves non lucides moins extraordinaires que le premier, mais toujours très

vifs.

« Lucidité en cours de rêve : Vers le matin (après un bref réveil) je rêve que je suis dans

une ville méditerranéenne. Je me rends chez des amis juifs qui y tiennent un restaurant Kasher.

C'est en pensant que cette ville doit être Salonique que je deviens lucide. Je m'éveille presque,

mais résiste. Du coup le rêve devient vague et flou. »[16]

De telles techniques visent bien le rêve avant tout ,même si elles


rencontrent parfois l'état intermédiaire dans leur déroulement. Elles diffèrent
donc des méthodes qui visent d'abord l'état intermédiaire dans l'intention de
développer la lucidité onirique en le prenant comme point de départ.
II. VISÉE INDIRECTE DU RÊVE PAR L'ÉTAT INTERMÉDIAIRE

Dans de telles méthodes, en effet, deux types d'actions différents et


complémentaires sont à prévoir : celui qui maintient la conscience jusqu'à
l'état intermédiaire et celui qui, à partir de là, développe l'état de rêve lucide.
Dans certains cas, les images hypnagogiques (ou pré-oniriques) peuvent être
transformées en rêve lucide à l'aide de techniques précises : « J'ai une
vision : une rue, des gens qui passent - ou quelquefois c'est ma chambre -, et
je décide que je suis dedans, c'est-à-dire qu'il n'y a pas le passage de me
[17]
lever. D'emblée je suis dedans » . Ce genre de technique est très efficace
et apparemment facile à mettre en pratique mais il suppose remplie une
condition préalable, celle de se trouver déjà dans l'état intermédiaire au
cours duquel surgissent les images pré-oniriques. Certains sujets y
parviennent d'emblée mais la plupart ont besoin d'un entraînement pour y
accéder sans glisser dans le sommeil ordinaire. On peut même considérer que
cette visée de l'état intermédiaire est l'étape la plus difficile car en règle
générale lorsque surgissent de telles images le sujet a déjà perdu le
sentiment de sa situation. Il s'agit donc de viser l'état intermédiaire (en tant
qu'état lucide) pour lui-même dans un premier temps, même si l'atteinte de
cet objectif n'est considérée que comme une étape. Deux grandes voies
permettent d'y accéder : l'immobilité complète et le rythme mental.

L'immobilité est une condition favorisante de l'entrée consciente dans le


sommeil et donc dans l'état intermédiaire dans la mesure où elle détourne
l'attention du monde extérieur. Cette immobilité peut être simplement
attendue et, dans ce cas, pour que l'esprit ne glisse pas dans des associations
d'idées qui peuvent le porter au sommeil sans qu'il s'en aperçoive, une
technique de concentration est indispensable, comme celle du "point ego" de
Paul Tholey : « Cette technique repose sur l'hypothèse suivante : l'expérience
que nous avons de notre corps dans le rêve ne serait qu'un phénomène
introduit à partir de l'état de veille et dont nous pourrions parfaitement nous
passer. En fait, il est possible, après s'être endormi, d'imaginer qu'on n'est
rien de plus qu'un point, siège de l'ego et centre de perception et de pensée
dans le monde du rêve. Pour susciter ce genre d'expérience, il faut, au
moment de l'endormissement, se concentrer sur l'idée que, bientôt, le corps
ne sera plus perçu. Aussitôt que l'on est parvenu à cet état, il devient possible
de flotter librement, en tant que "point ego", dans un espace qui paraît
[18]
identique à celui de la chambre dans laquelle on dort » .

Cette technique consiste donc en quelque sorte à "désengager"


l'attention portée au corps sans pour autant que cette attention disparaisse
avec le sentiment du corps, ce qui est le cas de l'endormissement normal.
Pour préserver l'attention on lui donne un objet de concentration particulier
qui représente le "soi" qui se substitue au rôle que jouait précédemment le
corps. En d'autres termes on continue à "se" donner à l'attention comme
"sujet" de concentration, mais sous une autre forme.

Une autre façon de parvenir au même résultat est de porter l'attention


sur le corps même jusqu'à la disparition de sa sensation, ce qui se traduit par
un sentiment de paralysie - paralysie qui est elle-même, nous l'avons vu, un
état intermédiaire : « La première [technique] était de sentir mon corps
complètement paralysé. Une fois mon corps paralysé j'avais un bras fantôme
que je faisais passer à travers les draps. S'il passait à travers les draps je
[19]
n'avais plus qu'à me lever, et je me levais dans le rêve » . Ces techniques
permettent donc de glisser dans l'état intermédiaire mais, à elles seules, elles
ne provoquent pas une lucidité stable. Leur objectif est de faire durer
l'endormissement, mais si l'intention de lucidité n'est pas présente, la
continuité de la conscience se perd. D'autres méthodes doivent donc être
utilisées au cours de cet état pour plonger dans le rêve lucide, qu'elles
soient spécifiquement conçues pour lui ou qu'elles visent directement le rêve.
Cependant l'utilisation d'une technique de relais peut être évitée par la
pratique d'une méthode combinant les deux qualités. L'immobilité corporelle
n'est en effet pas la seule manière de provoquer l'état intermédiaire.

Si l'immobilité du corps est requise pour glisser dans le sommeil, il n'en


va pas tout à fait de même pour la pensée. Nous avons vu qu'il est nécessaire
que la pensée soit prise en charge par l'attention et non pas livrée à
elle-même. Pour cela la concentration sur l'ensemble ou sur un point du corps
peut s'avérer efficace, mais cette concentration peut aussi s'exercer sur un
rythme, qu'il s'agisse d'un rythme corporel, comme la respiration ou le
battement cardiaque, ou d'un rythme mental. Là encore les inductions
naturelles peuvent être affinées et systématisées. Le rythme mental est
relativement puissant et en tout cas plus facile à maintenir qu'une simple
concentration en un point qui, si elle n'est pas "dosée", risque de mener à
l'endormissement tout court par la tension qu'elle exige. Rythmer la pensée
est donc un moyen de la concentrer sans la figer mais, là encore, il est
nécessaire que l'intention de rester vigilant persiste le temps que le rythme
permette au sujet de plonger dans l'état intermédiaire. L'idée qui soutient
cette pratique est que le rythme imaginé peut se transformer à
l'endormissement en un rythme onirique équivalent qu'il est facile de
reconnaître. De ce point de vue l'image mentale statique est moins sûre car
elle est sujette à des métamorphoses plus rapides.

Nous avons déjà noté des exemples de rythmes conduisant


naturellement à l'état intermédiaire. Il suffit d'y joindre l'intention de lucidité
pour les transformer en méthodes. Il est parfois nécessaire de les combiner
pour obtenir une meilleure concentration car le risque de laisser la pensée
vagabonder tout en suivant le rythme peut se présenter avec les rythmes
élémentaires. Mais le plus souvent il sont simplement systématisés. Par
exemple, le sentiment de tremblement qui se produit en rêve lucide et que
nous avons supposé être un rythme inaperçu du corps peut être reproduit
délibérément en imagination jusqu'à l'endormissement et introduire le sujet
consciemment dans l'état intermédiaire.
III. MÉTHODES NE VISANT PAS LE RÊVE

Les deux types de méthodes mentales précédentes visent soit le rêve


soit l'état intermédiaire (l'endormissement conscient) et l'intention
conscientielle y joue un rôle déterminant. On peut néanmoins remarquer que
l'existence de l'induction naturelle atteste que cette intention n'est pas
absolument nécessaire. Dans certains cas, des inductions naturelles se
produisent parce que le rêve lucide n'est pas visé au cours de l'induction et
ne donnent plus de résultat lorsqu'elles sont systématisées dans cette
intention. Tel est le cas de la méthode utilisée par Gregory Scott Sparrow :
« J'ai souvent pensé que si l'on méditait assidûment, au petit matin, dans le
but de se mettre au diapason, le rêve lucide serait l'une des conséquences
naturelles d'une telle pratique. Cependant, je dois admettre que mes
tentatives personnelles dans ce sens se sont soldées par un échec caractérisé.
Leur seul résultat - désagréable - fut que mes rêves me reprochaient de façon
[20]
répétée d'avoir médité pour des raisons aussi discutables! » .

L'intention indispensable dans certaines méthodes, nécessaire dans


d'autres, se trouve donc, dans d'autres cas encore, inhibante. Ainsi des
pratiques qui provoquent naturellement le rêve lucide ne peuvent être
détournées à cette fin. S'il en est ainsi, il est inutile, dans l'optique de
l'induction, de s'y intéresser. On peut néanmoins se demander pourquoi
l'intention conscientielle si importante dans certains cas peut se révéler
contraire dans d'autres. Indépendamment de ce qui relève de la structure
psychologique de Gregory Scott Sparrow lui-même, un phénomène
intéressant se dégage ici : certaines pratiques mentales ne peuvent sans
doute pas servir de moyen à des fins différentes, même si leur mise en œuvre
provoque la lucidité onirique. Cela est probablement dû à la structure de la
pratique lorsqu'elle est à elle-même sa propre fin (bien que ce ne soit pas
mentionné dans le cas de Sparrow). Ce ne serait donc pas tant la pratique
mais la façon dont le sujet la structure qui ferait obstacle à l'intention
conscientielle ou même au simple désir de l'utiliser en ce sens. Cela donne
une indication pour la mise au point des méthodes d'induction : quelles
qu'elles puissent être, elles devront être structurées de telle sorte qu'elles
apparaissent toujours "ouvertes", c'est-à-dire n'étant que de simple moyens,
modifiables et adaptables éventuellement, avant de disparaître lorsque la
lucidité se produira sur une base régulière.

D'autres pratiques peuvent être plus aisément détournées dans la


mesure où il s'agit déjà de méthodes pour induire le rêve lucide, mais non
reconnues comme telles. Ainsi, indépendamment de la controverse sur
l'existence de l'expérience hors du corps, nombre de méthodes préconisées
pour y aboutir se révèlent n'être que des techniques
d'autosuggestion destinées à induire des types particuliers de rêves dont le
rêveur aura conscience en tant qu'expériences de ce type, mais non en tant
que rêves. En ce sens il s'agit de ce que nous avons appelé une lucidité par
négation : le rêveur sait qu'il n'est pas à l'état de veille et que son corps
repose sur le lit alors que son expérience perceptive du moment est tout
autre, mais il limite la portée de cette expérience en la restreignant à une
interprétation déterminée. De telles méthodes reposent avant tout sur le rêve
éveillé mais, au lieu d'un rêve éveillé libre comme ceux décrits ci-dessus, il
s'agit d'une construction mentale délibérée qui reste toujours la même et qui
profite du processus de l'endormissement. Il y a donc une incubation (qui
peut prendre plusieurs mois) et sur laquelle la conscience du rêveur se fixe.
La construction imaginaire suggère généralement que le rêveur quitte son
corps pour en adopter un autre qui "flotte" au dessus du lit, comme dans les
instructions suivantes :

« Projetez, à une distance convenable au-dessus de vous, un jet de


brouillard gris argent. Un petit nuage devrait ainsi se former […] A mesure
que vous lui donnerez […] forme […], ses contours se préciseront. Il aura
votre taille ; il sera dans la même position que vous et face à vous.
Visualisez-le flottant horizontalement au-dessus de vous. Il vous
regarde. […] Essayez de soutenir la vision de cette silhouette et de la corde
qui vous connecte à elle, en même temps que vous intensifiez la présence de
votre identité personnelle dans le Centre de Conscience. Continuez ainsi
jusqu'à ressentir distinctement une "présence" vitale à cet endroit précis […]
et imaginez que vous glissez rapidement vers le haut, à la rencontre du
modèle […]. Vous y pénétrez par le point précis correspondant à votre propre
"Centre de Conscience".

« Faites délibérément l'effort mental de vous "retourner" dans le


véhicule, de manière à adopter son point de vue ; ( pour "voir" la pièce
depuis un endroit proche du plafond, et pour découvrir votre propre
corps, allongé, un peu plus bas ). […] Après avoir réussi cette translation,
vous aurez à vous "ressentir" dans ce véhicule : prenez conscience de vos
[21]
pieds, de vos mains, etc. » .

Le but recherché, celui de voyager hors de son corps, suppose la


conscience de cet état : il y a donc une intention conscientielle parfaitement
définie. Le rêveur peut cependant rester prisonnier de la structure d'induction
en ce qu'il ne reconnaît pas la qualité onirique de l'expérience et ses rêves
risquent de se cantonner aux types d'expériences décrites dans la littérature
sur ce sujet, ce qui par contrecoup le confirmera dans l'idée qu'il se fait de la
[22]
"réalité" de l'expérience .
Pour utiliser de telles méthodes dans l'induction du rêve lucide, il suffit
de garder à l'esprit l'idée que l'expérience prend la forme de l'induction.
Ainsi, même si cette forme est stéréotypée, elle n'agit que comme
déclencheur de l'état, et il incombe au sujet qui l'utilise de ne pas laisser la
forme de l'induction influencer son attente. Ce genre de méthodes présente
peut-être l'avantage de procurer une structure imaginaire fixe d'autant plus
stable qu'elle doit être à chaque fois reconstituée dans les moindres détails,
mais la répétition du même scénario imaginaire demande apparemment des
efforts démesurés, comme l'indique René Daumal :

« Voici le procédé que j'avais trouvé pour sortir de mon corps […] : je
me couchais le soir comme tout le monde, et, détendant tous mes muscles
avec soin, vérifiant que chacun était bien complètement abandonné à
lui-même, je respirais longuement et profondément, sur un rythme régulier,
jusqu'à ce que mon corps ne fût plus qu'une masse paralysée étrangère à
moi-même. J'imaginais alors que je me levais et m'habillais, mais - et c'est
pour ce point essentiel que je réclame de ceux qui veulent m'imiter un
courage et une puissance d'attention peu ordinaires - j'imaginais chaque
geste dans mes moindres détails et avec une telle exactitude que je devais
me représenter l'action de chausser une espadrille dans le même temps
précisément que j'aurais employé à la chausser dans la vie corporelle. J'avoue
qu'il me fallait parfois passer une semaine de vains efforts chaque soir avant
de réussir seulement à m'asseoir sur le bord de mon lit, et que la fatigue
provoquée par de tels exercices m'a souvent obligé à les interrompre pour de
[23]
longues périodes » .

Si donc de telles méthodes sont structurées de façon moins "fermée"


que d'autres (comme la méditation de Gregory Scott Sparrow), il n'en reste
pas moins qu'elles risquent d'influencer la forme de l'expérience de façon trop
rigide. Par ailleurs elles sont généralement impraticables dans un but
d'expérimentation courante : il est souvent demandé au pratiquant de se
livrer à une série de rites compliqués et de se placer dans des conditions de
calme qui n'existent plus aujourd'hui.
§ 2. Les méthodes "physico-mentales"
Dans l'ensemble, les méthodes d'induction mentale consistent à
reproduire systématiquement et à affiner des processus qui déclenchent
spontanément la lucidité onirique mais ne se présentent que sporadiquement.
Souvent c'est un phénomène caractéristique des rêves lucides que l'on
cherche à "rejouer" mentalement de façon à en provoquer le retour. Les
contenus oniriques généralement choisis sont alors le vol ou la sortie hors du
corps en raison de leur lien manifeste avec le rêve lucide. Mais ces aspects
spectaculaires tendent à masquer d'autres manifestations typiques qu'il est
beaucoup plus avantageux de reproduire à des fins d'induction, tel le
sentiment que le corps entier vibre, sentiment souvent présent lors des
endormissements conscients ou dans la phase de transition au cours de
laquelle le rêveur passe de la conscience onirique ordinaire à la lucidité. Ce
sentiment de vibration peu remarqué s'avère à l'examen plus intéressant que
le vol ou la sortie hors du corps car non seulement il peut comme eux être
répété mentalement en état de détente profonde au coucher mais aussi être
provoqué physiquement de façon délibérée, par des contractions
musculaires, ce qui en facilite la répétition imaginée. L'action physique est
donc conçue comme facilitant l'aspect mental de l'induction indépendamment
d'une influence directe sur le rêve lui-même.

Cette influence directe est cependant, elle aussi, envisageable, car les
modifications que les perturbations extérieures au sujet introduisent parfois
dans les rêves suggèrent pour leur part que l'action sur le dormeur permet de
favoriser le rêve lucide, dans la mesure où les éléments "efficaces" des
perturbations accidentelles sont isolés, systématisés et combinés à d'autres
facteurs.

Du point de vue de la fréquence des résultats obtenus, les méthodes


mentales délibérées sont préférables à l'attente d'une induction naturelle. De
même il semblerait que les méthodes à la fois physiques et mentales
produisent des résultats plus nombreux que les méthodes uniquement
[24]
mentales . Ce phénomène intéresse donc directement la recherche puisque
non seulement cette dernière ne doit pas dépendre de quelques sujets doués
pour l'induction, mais aussi ces inductions doivent pouvoir être répétées avec
une grande fréquence lors des expériences de laboratoire. L'impact de ces
méthodes amène cependant à s'interroger sur les raisons de leur efficacité.
Dans les cas où l'attitude physique est équivalente de celle imaginée, il s'agit
manifestement de soutenir l'imagination par une action physique dont le sujet
peut se redonner immédiatement le souvenir - et par conséquent l'image
mentale élaborée est nécessairement plus vivante que le souvenir d'un rêve.
De plus, la participation du corps favorise la concentration qui est facilement
perdue lors d'un travail purement mental. En revanche, la perturbation
extérieure inductrice agit probablement différemment, soit qu'une stimulation
sensorielle insuffisante pour provoquer l'éveil introduise dans le rêve un
élément incohérent qui favorise la prise de conscience du rêveur, soit que la
perturbation elle-même amène le sujet près de l'éveil.
Ces suppositions ne sont bien sûr guère pertinentes, du point de vue du
sujet qui rêve, mais elles nous permettent de prendre conscience que, si une
méthode d'induction mentale peut être encore considérée comme
relativement inoffensive par rapport au sommeil et au rêve du fait de la
diversité des pratiques spontanées à l'endormissement (pratiques qui n'ont
jamais fait l'objet d'une étude systématique et donc ne peuvent en retour
servir de normes à celles qui ont été décrites), en revanche les exercices
physiques, eux, sont résolument antinaturels lorsqu'ils sont pratiqués au
moment de l'endormissement ou juste avant. Aussi, indépendamment du
développement de l'imagination qu'ils permettent, n'est-il pas exclu qu'ils
perturbent le sommeil et que les résultats obtenus soient d'une certaine façon
différents de ceux des méthodes purement mentales. Nous allons donc
examiner ces exercices non pour en faire un inventaire exhaustif mais pour
essayer de comprendre leur mécanisme et la nature de leur influence sur le
rêve. L'intention qui préside à leur élaboration nous permet de les classer
selon deux catégories, selon qu'il s'agit de renforcer le travail de l'imagination
ou d'altérer les conditions du sommeil.

I. Renforcer le travail de l'imagination

Nous avons vu que dans certains cas les méthodes physiques cherchent
à favoriser le travail de l'imagination pour créer des similitudes avec des
situations se produisant fréquemment au cours du rêve lucide ou au cours de
l'état intermédiaire qui est lui-même un état lucide. Mais de telles similitudes
peuvent aussi porter sur l'état de sommeil selon l'idée que s'en fait le rêveur :
l'intention de lucidité est maintenue au cours d'un sommeil imaginé avec
l'idée que l'apparition du sommeil lui-même ramènera l'intention. Certains
événements oniriques, nous l'avons vu, sont caractéristiques du rêve lucide,
qu'ils appartiennent au rêve lucide lui-même ou qu'ils se manifestent dans
l'état intermédiaire d'endormissement conscient qui y mène. Ces événements
peuvent être comparés à des sensations "physiques" puisqu'ils donnent un
fort sentiment de réalité à celui qui les vit, au point que s'ils se produisent au
cours de l'état intermédiaire ils peuvent amener à une interprétation erronée
de l'expérience (nombre de sujets ont parfois le sentiment de flotter
effectivement au dessus de leur lit ou d'autres de sortir réellement de leur
[25]
corps ). La plupart de ces événements ou sensations peuvent être rejoués
en imagination mais seuls un petit nombre sont physiquement reproductibles,
qu'ils soient mimés (comme les tremblements) ou qu'ils soient provoqués à
l'aide d'appareil (telle la sensation de flotter obtenue à l'état d'éveil dans un
caisson d'isolation sensorielle).

Les sensations oniriques qui peuvent faire l'objet d'une imitation


physique naturelle sont principalement le tremblement et le tournoiement. Le
tremblement peut en effet être imité sous forme de contractions qui
produisent une légère tétanisation des muscles. Cette activité permet de
renforcer le "réalisme" du tremblement imaginé et aide à retrouver ou à
provoquer en rêve des états équivalents. En témoignent d'abord les rêves
associés (donc non lucides) obtenus à l'aide d'une telle méthode :

« Je suis avec M… L… et je lui montre que j'ai des tremblements dans tout le corps. »[26]

Le tremblement physique (associé à l'intention de lucidité) ne provoque


en fait la lucidité que s'il s'accompagne de la reconnaissance du rêveur,
[27]
comme dans les cas d'induction naturelle déjà cités . Cependant dans
d'autres cas la lucidité apparaît simultanément au tremblement onirique :

« Je ressens des contractions statiques dans tout le corps qui me viennent d'en haut et je

me mets à voler mais pas très bien. Je n'y arrive pas. Je me sens d'un seul coup plein d'énergie et

une voix me dit d'être prêt (le lendemain je sens encore cette énergie). […] »[28]

Faut-il en conclure qu'il y a une sorte de reconnaissance implicite, mais


non formulée, grâce au tremblement ? En fait le sentiment de vibration peut
se manifester dans un rêve lucide provoqué par une telle méthode sans être
reconnu :

« (Rêve lucide :) Je vois des carrés qui viennent vers moi comme un tunnel. Je réfléchis.

Je me dis que c'est agréable quand c'est vivant, on a l'impression d'avancer. Je décide de me

concentrer pour aller plus loin, de voir ce qu'il y a au bout. Je me demande ce qui provoque

ces vibrations. »[29]

Dans ce rêve, qui a été obtenu par un sujet familier de la pratique des
contractions physiques pour l'obtention de la lucidité, le rêveur ne garde pas
le souvenir de l'origine des tremblements ressentis alors qu'il est lucide. Il est
donc difficile de supposer l'existence d'une reconnaissance implicite. Ce genre
d'expérience invite à penser que le tremblement est en quelque sorte un
phénomène oniriquement naturel en ce qui concerne la lucidité et non pas
artificiellement incubé comme par exemple l'acte de regarder ses mains pour
les retrouver en rêve. La présence fréquente de ce sentiment vibratoire au
début de rêves lucides qui n'ont été précédés par aucune induction mentale
ou physique amène à le considérer en ce sens. Par ailleurs d'autres
phénomènes renforcent cette hypothèse. En effet le tremblement physique
débouche souvent sur des sensations oniriques différentes qui sont
également fréquentes lorsque la lucidité surgit, tandis que lui-même est
absent du rêve lucide qu'il a induit. Ainsi le rêve lucide qui suit a été obtenu
par les contractions musculaires :

« Mon corps se balance et je sors. Je monte et je me retrouve dans un espace sans

image comme s'il y avait du coton lumineux blanc. Puis je me dis : "comme il n'y a pas d'images,

je redescends". D'un seul coup je vois mon corps qui vole à l'horizontale et j'essaie de passer à

travers une séparation de propriété, un grillage, mais je dois passer par-dessus. Je change de

position, je me mets verticalement en suspension et je vois d'en haut des enfants qui prennent

une planche à roulettes. Il y a mes enfants. Je suis chez mes parents. Je veux aller voir ma copine

mais je ne peux plus voler. J'essaie une dernière fois. Je monte un peu et je redescends

aussitôt. »[30]

Ce rêve induit par tremblement provoque non pas son équivalent


onirique mais l'impression de balancement, suivie par la sensation de vol.
L'impact de la dimension physique de l'exercice ne peut donc simplement
s'expliquer par l'incubation. Il s'agit plutôt d'accentuer un phénomène
onirique naturel.

Le tournoiement, tout autant que le tremblement, semble être une


caractéristique naturelle de la lucidité. Il est souvent présent sans raison
apparente au début de rêves lucides de sujets qui n'ont jamais pratiqué
d'induction physique ou mentale susceptible de le provoquer (la présence
d'un sentiment de tournoiement en rêve peut bien sûr, nous l'avons vu, être
mise sur le compte de jeux pratiqués dans l'enfance, mais cela n'explique pas
sa connexion avec la lucidité). Il apparaît donc lui aussi comme un élément à
privilégier dans l'induction physique. Néanmoins il est impossible à pratiquer
à l'endormissement pour des raisons évidentes. La difficulté est tournée par la
pratique de girations physiques avant de se coucher. De telles pratiques n'ont
pas été systématiquement explorées en ce qui concerne le rêve lucide mais
on peut en trouver la trace dans des techniques d'induction d'expériences
"hors du corps" qui, à l'examen, se révèlent être des rêves lucides, le
sentiment de "sortie" faisant partie de l'expérience subjective. Ainsi « les
danses de derviches où sont combinées les rotations du corps, les
balancements de tête, les phosphènes et la rotation de la pensée constituent
probablement le moyen le plus naturel et le plus simple de provoquer le
dédoublement, c'est-à-dire, l'extériorisation de la conscience hors du
[31]
corps » . Ces techniques peuvent atteindre un certain niveau de complexité
qui ne rend pas leur pratique aisée : « ces pratiques […] paraissent
déclencher dans le cerveau un curieux cycle qui s'étale sur environ six jours
où se distinguent nettement, une première phase que l'on pourrait appeler
d'action, qui dure trois jours, et une de réaction, d'une durée égale.

« Durant les trois premiers jours, on fera, le soir, à jeun l'exercice tel
que nous venons de le décrire pendant trois quarts d'heure […]. Durant cette
période, on se représentera l'objet qui tourne à l'intérieur du crâne, le centre
de rotation étant vers l'épiphyse (c'est-à-dire au foyer de la grosse extrémité
de l'ovoïde crânien). […] La netteté de cette pensée s'intensifie pendant trois
jours, on a de plus en plus plaisir à faire l'exercice. Passé ce délai, il y a une
sorte de saturation, un besoin naturel de repos […]. Les trois jours suivants,
on ne fera plus l'exercice physique, mais par une sorte de compensation,
l'exercice mental est spontanément beaucoup plus fort, et il se fera
automatiquement à l'extérieur, au loin, comme si le centre de rotation était
dans un lieu où l'on cherche à se projeter, et que le vide au centre du
tourbillon vous aspire. Ce tourbillon extérieur sera d'autant plus grand, durant
ces trois jours de réaction, qu'on aura réussi à se l'imaginer petit autour du
centre du crâne pendant les trois jours d'action. Bien entendu, c'est surtout
dans le demi-sommeil, le soir et au réveil qu'on l'entretiendra dans sa
conscience.

« Par moment il s'interrompt, l'on admirera alors les périodes de vide


mental avec néanmoins hyperconscience […] à ce moment […] l'on peut se
sentir [projeté] hors de soi spontanément mais si cela ne vient pas tout seul,
on aidera au processus, en s'imaginant que l'on continue l'exercice de
derviches, dans un lieu éloigné […]. Cette pensée prend alors une densité
telle que l'on a l'impression de se promener en esprit à travers l'espace, et de
[32]
s'élever avec une sensation de légèreté très agréable » .

Cette technique montre bien que la giration physique sert avant tout à
renforcer la giration imaginée : l'exercice mental devient plus intense après
les trois jours où les deux girations sont combinées. Ce texte précise aussi
que "c'est surtout dans le demi-sommeil, le soir et au réveil" que se fait
l'exercice mental, ce qui corrobore les autres observations concernant l'état
intermédiaire. Ainsi détachée du contexte de l'expérience "hors du corps" une
telle technique devrait pouvoir faire l'objet d'expérimentations systématiques.
Toutefois sa difficulté d'application rend ces tentatives peu probables.

Avec le tremblement et le tournoiement, l'imitation du phénomène


onirique se fait naturellement, sans aide extérieure. La reproduction de
certains phénomènes peut cependant être favorisée par l'utilisation
d'appareils ou même être rendue nécessaire par l'impossibilité de les
reproduire, physiquement, de façon naturelle. Ainsi, par exemple, la
technique qui consiste à se voir soi-même au dessus du lit avant de se
transférer dans cet "autre corps" - et qui s'inspire des rêves lucides dans
lesquels le rêveur a le sentiment de quitter son corps, au point qu'il rêve qu'il
le "voit" dans le lit tandis que lui-même flotte un peu plus loin - peut faire
l'objet d'un travail de l'imagination mais ne peut être physiquement
produite lorsque le sujet est réduit à ses propres moyens. Il est en revanche
possible de "voir" physiquement son double à l'aide d'un simple accessoire,
un miroir, ce qu'a réalisé Paul Tholey :

« LaBerge : […] quand vous regardez le miroir et que vous y voyez


l'arrière de votre tête, il devient plus facile de transférer votre conscience
dans ce reflet, comme si vous y étiez réellement présent.

« Tholey : Il vaut mieux s'allonger. Vous regardez le miroir. Vous n'êtes


pas censé y voir autre chose que ce qui s'y reflète.

« LaBerge : Est-ce que cela vous aide à entrer dans un rêve lucide ?

« Tholey : Au début, c'est une sorte d'état intermédiaire, la lumière est


faible. Il faut que vous soyez tout juste capable d'apercevoir votre reflet. […]
Plus tard, je ferme les yeux, j'imagine mon propre crâne et la sensation de
me frotter l'arrière de la tête. Ces sensations sont projetées dans le miroir.

« LaBerge : […] Êtes-vous allongé, quand vous faites cela, avec le


miroir au-dessus de vous ? Est-ce que vous vous frottez l'arrière de la tête en
regardant le miroir et en y projetant vos sensations comme si c'était là
qu'elles se produisaient ? Et combien de temps cela vous prend-il ?

« Tholey : Tout au début, c'est très long, il faut au moins une


demi-heure […].

« LaBerge : […] Donc, vous êtes couché dans votre lit, vous regardez le
miroir au-dessus du lit jusqu'à ce que vous ayez la sensation d'être dans ce
miroir, et c'est à ce moment-là que vous fermez les yeux.

« Tholey : Oui. Je ferme les yeux et j'imagine ma tête dans le miroir.


Plus je le fais, plus mon imagination ressemble à une perception ; elle devient
[33]
de plus en plus réelle » .

Il est clair que la vision de soi-même dans le miroir agit par rapport à la
vision imaginée de la même façon que la contraction musculaire physique par
rapport à la contraction imaginée. En effet, de même qu'il est beaucoup plus
facile de se redonner le souvenir d'une contraction que l'on vient
d'effectuer que de la créer en imagination, il est plus facile également de se
redonner le souvenir de l'image que l'on vient de voir que de se la
représenter à partir de souvenirs plus anciens. En d'autres termes, on
travaille ainsi plus sur l'image remémorée que sur l'image construite.

Ce qui est rendu possible pour la vue à l'aide d'un miroir, l'est aussi
pour l'ouïe à l'aide d'un appareil sonore muni d'écouteurs qui permet de
simuler de façon auditive un mouvement de balancement par l'audition d'un
[34]
son alternativement par une oreille puis l'autre . Cette audition alternative
permet de renforcer le mouvement de balancement mental que le sujet
entretient en imagination à l'endormissement. Cependant, contrairement au
cas précédent, il ne s'agit pas de reproduire en imagination ce qui est perçu
mais d'appuyer l'imagination visuelle et kinesthésique sur la perception
sonore. De plus, le seul fait de porter son attention sur le son,
alternativement à droite et à gauche, suffit à créer un sentiment de
mouvement sans qu'il soit nécessaire de le produire en imagination.

« Note : Je me réveille. Je mets en marche l'alternophone. Je me rendors plus ou moins.

Au cours de la séance je mets [des mots] dans le rythme. Cela me berce et m'endort. Au bout

d'un temps j'enlève les écouteurs. Après la séance d'alternophone je m'endors à demi.

« Rêve lucide : Je réfléchis à l'idée de tourner sur soi-même, à propos de la discussion

que j'ai eue avec S… C'est un excellent test pour mesurer le degré d'endormissement. Je décide

de tourner sur moi-même et ça marche, ce qui signifie que je suis déjà dans l'état requis. […] Je

suis dans une grande pièce plutôt obscure et je m'amuse, debout, à tourner sur moi-même. Il y a

dans la pièce ma mère et ma sœur. Je sais que je suis en train de rêver. Je veux sortir d'ici et je

demande "Est-ce que je peux sortir ?" En fait j'envisage de passer en tournant à travers le mur.

[…] »[35]

Que le balancement imaginé entraîne un tournoiement onirique, ne doit


pas ici surprendre, car ce sont des mouvements qui se prolongent
naturellement. Durant la préparation le sujet n'imagine pas le balancement
lui-même mais se contente, en ce qui concerne l'aspect imaginé,
d'accompagner les émissions sonores par des mots, ce qui suffit à produire un
mouvement va-et-vient de l'attention d'une oreille à l'autre. Ainsi,
contrairement à l'utilisation du miroir qui n'est possible qu'avant que le sujet
s'endorme, l'appareil produit un effet au cours de l'endormissement. Les
appareils permettent donc bien de provoquer des effets de perception
calquant des éléments de l'induction mentale que le sujet ne peut simuler
physiquement de lui-même. Elle constitue toutefois un premier pas vers
l'altération des conditions de sommeil.

II. Altérations des conditions du sommeil

On peut, en effet, mettre l'accent non pas sur les aspects habituels du
rêve que l'on cherche à reproduire à l'état d'éveil, mais sur les modifications
artificielles introduites aussi bien dans l'état qui précède l'endormissement
que dans le sommeil, de façon à provoquer une lucidité dont l'émergence n'a
pas d'équivalent normal. Ainsi, certaines méthodes préconisent une sorte de
stimulation "cérébrale", tandis que d'autres s'efforcent de recréer
physiquement les conditions d'une perte de conscience de l'environnement
physique ou encore d'agir directement sur le sommeil du sujet.

Plutôt que de reproduire dans l'environnement perceptible des


événements caractéristiques du rêve lucide, il est possible de provoquer
directement et physiquement des stimulations sans rapport avec de tels
phénomènes afin de modifier la qualité du sommeil et du rêve. La
reproduction perceptible d'un phénomène onirique est parfois déjà en
elle-même une stimulation et il n'est pas toujours évident que l'on puisse
faire la part entre ce que l'induction doit à la reproduction elle-même ou à
l'aspect purement stimulant de cette reproduction. Ainsi, l'utilisation d'un
miroir peut difficilement être considérée comme une stimulation physique
mais celle de l'alternophone ne peut en être dissociée. Cela tient à ce que le
miroir sert avant l'endormissement et ne dépasse pas en intensité ce qui
peut être vu par ailleurs : il n'a donc qu'une fonction d'auxiliaire. En revanche
l'alternophone aide à provoquer le sommeil par le sentiment de balancement
qu'il procure et continue à exercer son influence alors que l'endormissement
s'approfondit :

« J'avais obtenu, moi-même, des résultats […] en dormant sous


audition alternative avec le rythme suivant : celui de l'alternance était très
lent, environ seize secondes par côté, mais le signal injecté était très bref :
un claquement sec chaque sixième de seconde, pendant toute la période de
seize secondes. Dans le sommeil qui suivait cette injection d'un rythme rapide
avec alternance droite-gauche lente, j'avais très souvent une
[36]
sensation d'élévation dans le demi-sommeil ou dans le rêve » .

Dans de telles expériences quelle est la part de la reproduction du


phénomène onirique et quelle est celle de la stimulation pure ? L'importance
de l'aspect stimulant est ici marquée par le fait que ce sentiment d'élévation
n'est pas provoqué aussi souvent pour un autre rythme. On peut donc être
tenté, comme le fait l'inventeur de l'appareil, d'expliquer ces effets d'un point
de vue cérébral : « Ceci est d'ailleurs facilement explicable par la diffusion du
choc alternatif dans l'utricule et le saccule, deux organes linéaires situés l'un
au-dessus de l'autre sur la verticale du corps debout. Ce sont deux organes
qui nous renseignent sur les variations de vitesse de notre corps le long de la
verticale, par exemple dans un ascenseur. Or, ils baignent dans le même
liquide que l'organe de l'audition de l'oreille interne, dans le limaçon. Toutes
les vibrations acoustiques qui parviennent à ce dernier, parviennent
également aux deux autres. On s'explique ainsi que cette partie de l'organe
[37]
de l'équilibre puisse répondre à certains rythmes des ondes sonores » .

Cette explication ne nous concerne pas ici directement, puisque nous


avons axé notre approche sur le sujet. Toutefois nous l'avons mentionnée car
non seulement elle montre que l'on peut aborder l'induction selon un angle
différent de celui adopté jusqu'ici, mais elle introduit un facteur nouveau. Un
même phénomène reçoit normalement des explications différentes selon le
domaine dans lequel on l'étudie, sans qu'il y ait nécessairement
incompatibilité entre elles. Mais dans le cas présent, si l'explication est
purement physiologique l'intention d'être lucide en rêve cesse d'être
déterminante, et c'est bien ce qui ressort des cas de lucidité spontanée
obtenue en dehors de toute information sur le rêve lucide à l'aide de
stimulations utilisées dans un but différent, par exemple dans un but
pédagogique. Nous avons déjà cité le cas d'un sujet qui, s'étant soumis
régulièrement à des stimulations lumineuses à la suite desquelles il se mettait
au lit, « s'est senti debout hors du corps, ayant eu l'impression de voir son
[38]
corps physique dans son lit » . Dans ce cas il n'y avait eu aucune intention
d'obtenir un rêve lucide et l'explication proposée est là aussi de type
neurologique : « l'explication neurologique de cette expérience est bien
simple : la concentration sur un détail avait fait diffuser l'énergie du
phosphène jusque dans l'organe de l'équilibre de l'oreille interne, y
provoquant un phénomène équivalent de la vision dans le domaine des
[39]
phosphènes » . Quelle que soit la valeur de cette explication, ce qu'il
importe ici de remarquer c'est qu'elle permet d'envisager une induction
"mécanique" de lucidité, indépendamment de toute intention.

Cependant, dans un cas comme dans l'autre, la stimulation doit obéir à


certaines lois, conscientielles dans un cas, neurologiques de l'autre et donc ne
peut être provoquée au petit bonheur, même si dans la pratique il faut
procéder par tâtonnement. Lorsque la stimulation est purement "cérébrale",
elle doit s'accorder avec le fonctionnement du cerveau pour donner les
résultats attendus. Par exemple une stimulation simultanée des deux oreilles
aurait, contrairement à l'audition alternative, des effets indésirables,
probablement de type épileptique : « On sait qu'il existe des "crises de
synchronisation cérébrale" : des groupes plus ou moins importants de cellules
nerveuses se mettent à battre simultanément. Tous les pôles positifs se
trouvent du même côté au même moment. L'électro-encéphalogramme
détecte alors des "orages électriques" à la surface du cerveau. Chez le patient
cela se traduit par des crises d'épilepsie ou des phénomènes de la même
famille. […] On peut provoquer expérimentalement de telles crises […]. Par
exemple, des éclairages intermittents simultanés peuvent provoquer, à
certaines fréquences, des crises convulsives chez la souris, ainsi que chez
[40]
certains humains prédisposés » . La stimulation peut donc être "pure" -
c'est-à-dire indépendante de phénomènes oniriques observables -, elle ne
peut cependant pas être "quelconque".

Sans entrer dans le détail de ces techniques (ce qui, rappelons le, ne
relève pas de notre propos) il est possible de chercher à dégager les grands
principes qui président à leur mise au point. Puisqu'il s'agit d'atteindre le
cerveau, les stimuli doivent provoquer dans le fonctionnement cérébral des
modifications plus étendues que celles produites par la simple perception.
Pour cela on peut s'aider soit de rythmes particuliers qu'il faut déterminer
parmi une grande quantité de rythmes possibles, soit d'une plus grande
intensité des stimulations. Ainsi l'utilisation de stimulations lumineuses par un
fort éclairage dépasse de loin l'effet de la simple perception visuelle
puisqu'elle produit une post-image qui peut se prolonger quelques minutes en
[41]
décomposant la lumière perçue en couleurs différentes . De même
l'utilisation d'écouteurs qui projettent directement les sons d'un
magnétophone ou d'un alternophone dans les oreilles, ou plus simplement
d'un magnétophone placé près de la tête du lit, permet d'augmenter
l'intensité de l'audition par "proximité" sans perdre en netteté en augmentant
le volume sonore. Dans ces conditions, la simple concentration de l'attention
sur des sons musicaux peut parfois provoquer, au delà de
l'endormissement, la lucidité.

« (Je mets la cassette [d'] autosuggestion […]. Le rêve lucide se produit pendant la

phase musicale et se termine avant la fin de la cassette)


« Rêve lucide : Je sens que je peux lever mes bras. Je les lève. Je ne vois pas bien mais

je n'ai pas trop ouvert les yeux de peur de me réveiller. Il y a quelque chose d'inscrit sur mes

bras. Je n'arrive pas à voir. Puis je vois : "je lève le bras". Je suis en chemise blanche (en réalité

je suis en pyjama dans mon lit). Je sors à demi de mon corps mais je n'ose pas trop. La pièce

bascule. Je regarde l'orientation : vers la droite, légèrement inclinée. A un moment j'ai même cru

être totalement sur le côté […]. »[42]

Ici le rêve lucide se produit au cours de la phase musicale préliminaire,


avant que le sujet n'ait eu le temps de suivre les indications de la cassette
que par ailleurs il n'entend pas depuis l'état de rêve. Le rythme de la musique
a pu néanmoins contribuer à l'induction car généralement la concentration sur
un fond musical ne provoque que l'endormissement. Ainsi l'utilisation de
stimulations sensorielles précises semble mener à la lucidité onirique même
lorsque l'intention de lucidité n'est pas présente. Il n'en va pas toujours de
même toutefois en ce qui concerne les altérations destinées à provoquer
l'endormissement.

Ces méthodes en effet visent tout autant à aider à l'effacement des


perceptions physiques pour "provoquer" l'endormissement, qu'à "profiter" de
l'endormissement pour produire artificiellement des modifications. Et si
certaines d'entre elles induisent la lucidité par elles-mêmes, d'autres
s'associent obligatoirement à l'intention de lucidité.

D'un point de vue négatif le sommeil est la perte de conscience de


l'environnement de la vie de veille. Généralement cette perte de conscience
se produit sans intervention du sujet, "par surprise" en quelque sorte.
Certaines techniques d'induction que nous avons examinées jusqu'à présent
essayaient d'accompagner cette perte de conscience de l'environnement
pour maintenir la conscience au cours de l'endormissement. Toutefois,
attendre que le besoin de sommeil se fasse sentir pour utiliser ces techniques
revient à risquer d'être pris de vitesse par l'endormissement. Lorsqu'on est en
possession de telles techniques il semble donc nécessaire de faire un pas de
plus et de provoquer l'endormissement lui-même. Cependant, une telle
action semble contraire à l'idée commune selon laquelle le sommeil ne peut
être trouvé à volonté (c'est même la raison d'être des somnifères) et qu'on
peut tout au plus l'attendre en se mettant dans des conditions qui le
favorisent. Mais il existe au moins un cas flagrant qui remet cette idée en
question, c'est la possibilité qu'a tout un chacun de prendre un surplus de
sommeil alors que la durée habituelle a déjà été couverte (c'est ce qu'on
appelle la "grasse matinée"). On peut donc se rendormir alors que
physiologiquement un tel sommeil ne semble plus justifié, ce qui signifie qu'il
est possible de se remettre délibérément dans des conditions telles que le
besoin de sommeil réapparaît. L'endormissement dépend alors d'un effort
particulier fait par le sujet (par exemple une relaxation) et ne peut plus le
prendre de vitesse : en effet dans le cas où le sujet relâche son attention il
retourne complètement à l'éveil puisque le facteur de son endormissement a
disparu. Ainsi l'utilisation de telles circonstances implique la plupart du temps
que le sujet s'endorme consciemment.

Une des techniques demandant un effort conscient pour s'endormir met


en jeu la respiration. Certains auteurs lui accordent même une importance
prépondérante : « de toutes les traditions que nous avons pu recueillir et
expérimenter, une seule certitude se dégage nettement : la pratique
persévérante de respirations rythmées est nécessaire et suffisante pour
[43]
provoquer les états d'éveil dans le sommeil » . Il s'agit de provoquer une
légère privation d'air qui affaiblit suffisamment l'organisme pour le porter au
sommeil, tant que l'exercice est en cours. « Un élément nécessaire, bien que
[…] pas encore suffisant est que cette respiration soit accompagnée d'un
léger manque d'air, facilement tolérable, donc pas excessif. Il faut que cette
"soif d'air" soit constante […]. C'est-à-dire que, même pendant l'inspiration, il
faut reprendre suffisamment peu d'air pour avoir sans interruption
l'impression d'en manquer. Mais il ne faut pas se priver d'air au point d'en
avoir une agitation et même des spasmes qui vous brisent l'état particulier né
[44]
du léger manque d'air » . C'est donc en quelque sorte une "sous-
oxygénation" qui est proposée par cette technique destinée à faire entrer
[45]
"dans un certain degré de vie ralentie" qui provoque une tendance à
l'endormissement d'autant plus facile à accompagner d'un exercice mental
rythmique que la respiration est elle-même déjà rythmée.

« (Début de l'exercice à 16h40 et réveil à 18h40) […] Contractions statiques […]

Respirations carrées avec oscillations. Cette fois j'utilise des doubles oscillations. […] J'ai le

sentiment très net […] que quelque chose se resserre dans ma tête dans ces conditions, alors que

l'oscillation simple ne provoque rien. Puis je [me tourne] de côté et je sens un courant en moi.

« Rêve lucide : J'ai l'impression d'être dans mon bureau. [Puis] après avoir basculé,

d'être dans la chambre de ma sœur. Toujours dans l'obscurité. Je pense flotter. Je me lève. […]

Puis je décide d'avancer. J'ouvre la porte. Je m'attendais à la sentir immatérielle mais la poignée

est solide sous ma main.

« Il fait noir. Je suis dans le noir. Où ? Je me sens conscient. Diverses choses passent. Je
remue mes mains d'ombre. Je me déplace en faisant un "saut périlleux" arrière sur place. Je me

laisse tomber en arrière.

« Je vois plus ou moins des contrées loin de toute humanité. Un homme-lézard ou

dinosaure. Contrées traversées d'éclairs mais obscurs. Légère inquiétude de m'aventurer là où je

n'ai pas de point de repère. Je pense au problème du maître qui peut guider dans de tels

cas »[46].

Ce rêve lucide a été obtenu conformément aux techniques


mentionnées. Il s'agit en effet d'un surcroît de sommeil pris dans
l'après-midi et précédé d'exercices pendant plus d'une heure avant que ne se
produise l'endormissement conscient. Si les contractions statiques tendent à
induire la lucidité, elles ne jouent pas de rôle dans l'endormissement
lui-même, car elles ont plutôt tendance à dynamiser un sujet déjà bien
éveillé. Par contrecoup les respirations apparaissent déterminantes dans cet
endormissement au cours duquel la conscience a été maintenue par
l'attention fixée sur un double mouvement mental. Le besoin d'un surcroît de
sommeil est provoqué par la privation d'un élément nécessaire à un éveil
normal, l'air dans le cas présent. D'autres privations favorisent un état
somnolent, tel le manque de nourriture : « on observera que durant le jeûne,
le sommeil est plus léger, mais l'état de demi-sommeil plus important. Dans
[47]
cet état, il vient facilement des visions, des auditions » .

Toutefois la meilleure façon de contrôler son endormissement lorsqu'on


n'arrive pas à provoquer un surcroît de sommeil reste encore la modification
délibérée de la répartition du temps de sommeil. La quantité habituelle de
sommeil est alors prise en deux fois, une période longue au cours de la nuit,
et une période plus courte au cours de la journée. La pratique dans certaines
conditions et associée à un exercice mental d'induction augmente
notablement la fréquence des résultats : « Voilà ce qu'il faut faire :
levez-vous une demi-heure plus tôt que d'habitude et restez éveillé au moins
une heure, puis retournez vous coucher et pratiquez le MILD (Induction
[48]
Mnémonique du Rêves Lucides ), puis dormez encore une heure et demie.
Pendant ces 90 minutes, vous ferez très probablement un rêve lucide. […].
Les participants ont trouvé que par cette pratique spéciale du sommeil ils
obtenaient trois fois plus de rêves lucides - ou davantage - que dans le
[49]
sommeil ordinaire de la nuit » .

Le sommeil ainsi fragmenté favorise nettement la lucidité comme le


montre l'exemple d'une nuit de sommeil entrecoupée de réveils quelque peu
prolongés dans la mesure où les rendormissements sont précédés d'exercices
mentaux.

« (Couché vers 0h30 […] premier réveil [vers 5h30]…]. Finalement je me lève pour boire.

Je me rendors avec des formules, […] sur le côté, et avec Yoga Nidra normal, rotation de la

conscience dans le corps.)

« Rêve lucide : Je suis avenue P. D… avec les parents. Je suis dans ma chambre. Je fais

de la lévitation et je sais que je rêve de ce fait même. Je m'élève dans les airs dans différentes

positions.

« Puis je vois mon père. Je me suspends dans l'air mais il ne me voit pas. Quand il

regarde je suis à nouveau sur le sol. J'essaie de m'élever mais ça ne marche pas. Je dis alors en

pensée à ce qui me fait léviter : Soulève-moi. A ce moment je suis soulevé par les pieds, et me

retrouve face à mon père la tête en bas.

« … Puis je passe dans le couloir, toujours en lévitation, mais assis. J'arrive dans le salon.

Il est meublé de tapis et de fauteuils richement décorés. C'est très beau. Je me dis que tout cela

doit exister dans une autre dimension. Je me mets à tourner en rond à grande vitesse, les jambes

repliées sous moi, en lévitation. Une grande émotion m'envahit au niveau du cœur, [du fait] de

revoir cet appartement.

« ([…] deuxième réveil [vers 7h15] je me rendors, toujours sur le côté, en faisant Yoga

Nidra. Il me semble que le deuxième rêve lucide a duré 15 mn, de 7h à 7h15, mais j'ignore

l'heure exacte à laquelle je me suis endormi.)

« Rêve lucide : … Dans une sorte de grand immeuble de vacances où des gens vont

partir pour une dernière excursion. On me demande de veiller sur un appartement. Je crois que

c'est pour un jour. Puis je me rends compte que c'est pour plus longtemps; 3 ou 4 jours. M… fait

partie du groupe. Il me dit que les vacances jusque là n'ont pas été terribles et qu'il espère se

rattraper ainsi. J'ai l'intention de ne veiller sur l'appartement que de loin en loin. De toute façon il

n'y a rien à craindre.

« Quand tout le monde est parti je sors et entre dans une pièce où on vend des bouquins

d'occasion et neufs. Il y a le bordereau d'une maison qui les vend par correspondance. Faut-il que

je leur donne mon adresse ?…

« ([Troisième réveil vers 8h30]) »[50].

Au cours de la même nuit deux rêves lucides ont donc été obtenus
chacun consécutivement à une période d'éveil nocturne pendant laquelle ont
été pratiqué des exercices d'induction. Il semble donc bien que la modification
de la répartition de la quantité de sommeil soit un facteur extrêmement
favorisant de l'induction de la lucidité et que d'une certaine façon cette
répartition modifie la qualité du sommeil lui-même. Mais cette modification de
la qualité du sommeil est encore plus évidente lorsqu'une technique
d'induction physique est utilisée au cours du sommeil du sujet.

De telles techniques supposent nécessairement une aide extérieure au


rêveur, qu'il s'agisse d'un tiers ou d'un appareillage automatique. Il est en
effet impossible par définition pour un sujet d'agir physiquement
directement sur son propre sommeil. Qu'une intervention extérieure
délibérée puisse influer sur les rêves, cela est connu depuis fort longtemps.
De même une expérience d'Hervey de Saint-Denys a montré, dès le siècle
dernier, que l'on peut suggérer au dormeur le contenu d'un rêve particulier :

« Un soir qu'il dormait depuis une demi-heure environ, je m'approche


de son lit, je prononce à mi-voix : "Portez arme! apprêtez arme! etc.", et je
l'éveille doucement.

« "Eh! bien, lui dis-je, cette fois n'as-tu rien rêvé ?

« - Rien […].

« - Es-tu bien sûr, demandai-je alors, que tu n'as vu ni soldat…"

« A ce mot de soldat, il m'interrompt comme frappé d'une réminiscence


subite. "C'est vrai! C'est vrai! me dit-il, oui, je m'en souviens maintenant ; j'ai
[51]
rêvé que j'assistais à une revue. Mais comment as-tu deviné cela ?" » .

Cependant, si le contenu du rêve peut être ainsi influencé


délibérément, qu'en est-il de la conscience de rêver ? Peut-elle être
déclenchée de la même façon en faisant porter les suggestions non sur le
contenu du rêve mais sur la qualité onirique de l'expérience ? Dans un tel cas
ce type de technique serait d'une aide précieuse pour l'étude du rêve lucide
en laboratoire, comme l'ont compris les neurophysiologistes.

Le premier type d'intervention sur le sommeil est naturellement auditif


dans la mesure où il permet d'envoyer non seulement un signal sonore mais
un message : « La méthode la plus courante pour l'induction de rêves lucides
par des stimuli extérieurs utilise la suggestion auditive . […] LaBerge,
Owens et d'autres soumirent, en 1981, quatre sujets à des stimuli sonores, à
raison de deux nuits pour chacun d'entre eux. Un enregistrement sur bande
magnétique répétant - avec la voix du sujet lui-même - : "ceci est un rêve"
fut reproduit, avec un volume sonore croissant, 5 à 10 minutes après le
commencement de chaque période de REM. Les sujets avaient pour consigne
de signaler, par un rythme de mouvement oculaire convenu, qu'ils
entendaient bien l'enregistrement et savaient qu'ils étaient en train de rêver.
Le stimulus enregistré fut utilisé 15 fois au total, produisant la lucidité dans
[52]
un tiers des cas examinés » .

Mais, indépendamment des expériences en laboratoire, le


magnétophone peut être utilisé chez soi. La série de rêves suivante a été
obtenue à l'aide d'un magnétophone répétant ses instructions pour la lucidité
de façon continue au cours de la nuit et d'un petit haut parleur placé sous
l'oreiller. Il en est résulté une suite de rêves, certains lucides et d'autres qui,
bien que non lucides, tournent toujours autour de l'idée de lucidité.

« [Rêve associé :] S… et moi sommes entrés dans un appartement, pour faire du rêve

lucide. Nous nous allongeons par terre pour dormir. Mais je me rends compte que la fenêtre est

ouverte. Je réveille S… […] en disant qu'il faut se préparer car quelqu'un est entré dans

l'appartement : dans l'entrée la chaise n'est pas au même endroit. Nous dormions depuis 1h

seulement. Le réveil est dur. […]

« [Rêve :] […] Nous prenons un taxi dans lequel il y a deux américains. Le chauffeur, un

gros type, tient, je m'en rends compte, une sorte de pistolet terminé par une aiguille, une plume à

encre (au début c'est plutôt une sorte de stylo ou de pistolet à eau). Il menace les américains qui

sortent et s'en vont puis S… et moi et un autre type qui est brusquement avec nous. S… me

regarde. Elle n'a pas d'argent sur elle. Je me rends compte que moi non plus car je suis en short

et je n'ai pas emporté d'argent. Laissé dans le train avec les autres affaires ? Le chauffeur de taxi

dit qu'il n'en a pas à l'argent. Il veut quelque chose d'autre, que nous allions dans un parc avec lui

derrière une porte en bois, faire quelque chose d'inavoué. Je dis qu'il n'en est pas question. Il me

menace de son pistolet à aiguille. Je me dis alors : c'est un rêve. (Réveil).

« ([… Après le réveil] je n'ai pas le sentiment de m'endormir rapidement. Je crois que je

laisse venir des images sans trop les susciter. Je suis en demi-rêve éveillé ? Il y a ensuite un

premier rêve lucide dont je n'arrive plus à me souvenir [suivi d'un faux-éveil].)

« (Faux-éveil :) Je me réveille. La porte de la chambre est ouverte. S… a dû l'ouvrir. Je

suis déçu de m'être réveillé alors que j'aurais voulu continuer à dormir et à rêver (et surtout

continuer à faire un rêve lucide). Il faut pourtant que je me répète que c'est un rêve. Il faut

que je le fasse, par exercice. Je me le répète.

« (Rêve lucide : ) Brusquement je me rends compte que c'est un rêve, que je suis dans

un rêve. S… n'a pas pu laisser la porte ouverte comme cela (je le remarque après avoir compris

que c'est un rêve). Je me déplace dans l'appartement. je traverse chaque pièce. S… n'est dans
aucune d'entre elles. Je dois dire que je ne sais pas trop quoi faire. Finalement il faudrait prévoir

une liste d'occupations type. Je décide de passer par la fenêtre. Je me mets sur le rebord de la

rambarde du balcon et je saute dans le petit matin. Je tombe dans le vide au lieu de m'envoler,

mais pas complètement, je flotte quand même. Je me raccroche à une fenêtre au delà de laquelle

je vois l'intérieur d'un appartement. Je décide de résolument chercher quelqu'un et lui parler. Je

soulève la fenêtre à guillotine et entre dans l'appartement dont j'ai vu l'intérieur de l'extérieur.

Meubles, moquette, bibliothèque, etc. Je suis un peu intrus. Aussi j'appelle. Ma voix est comme

étouffée. Elle ne veut pas trop sortir. Je parcours la pièce, passe dans un couloir et arrive dans

une cuisine. Là il y a un type qui doit être en train de préparer son café. D'abord, en me voyant il

a une réaction, physique et verbale, du genre : "Nom de Dieu quelqu'un est entré dans

l'appartement". Ou : "Encore un gêneur", etc. Je lui demande s'il me voit. Il me répond que bien

sûr. Je lui explique que je dois savoir s'il me perçoit. Il me touche. A la façon dont je m'adresse à

lui il comprend que je ne suis pas un gêneur. Il me touche le poignet pour je ne sais quelle raison.

Il se transforme. C'est parce que je quitte ce rêve.

« (Je me réveille dans la chambre, déçu.)

« (Rêve lucide) Je me rends compte que je rêve. (En fait j'ai l'impression de me réveiller

à demi tout en ayant encore un pied dans des images assez prenantes au point de vue rêverie.) Il

y a encore un tapis sous mes pieds. Je me déplace, je conserve ce sentiment.

« (Rêve lucide : )J'avance dans ce qui semble être un couloir d'hôtel. Je sens le sol sous

mes pieds, ou plutôt la pression du sol sous mes pieds comme en pensée perceptive. Les

sensations de ce côté-là sont nettes. Je descends ou passe dans un grand hall. Dehors c'est la

brume avec une esquisse de la ville […] »[53].

L'insistance avec laquelle le rêveur se rappelle régulièrement qu'il doit


se dire qu'il rêve est due à la répétition continue de phrases enregistrées lui
intimant de le faire, sans que cet enregistrement ne réveille le rêveur puisque
le son en était pratiquement inaudible. Il est donc possible par cette méthode
non pas de provoquer la lucidité mais d'introduire dans le rêve un élément qui
amène à la lucidité, comme le besoin de se dire "c'est un rêve" ("Il faut
pourtant que je me répète que c'est un rêve. Il faut que je le fasse, par
exercice. Je me le répète"). La simple répétition de la phrase n'est pas une
garantie de lucidité : dans l'un des rêves le rêveur se dit : "c'est un rêve"
pour relativiser une agression dont il est l'objet, mais se réveille en se
rendant compte qu'il en était bien ainsi. ("Il me menace de son pistolet à
aiguille. Je me dis alors : c'est un rêve. Réveil"). L'induction n'est donc pas
"mécaniquement" provoquée par les instructions enregistrées, mais nécessite
la collaboration conscientielle du rêveur, ne serait-ce que par l'intention qui
accompagne de telles tentatives.

Les autres perturbations du sommeil utilisées pour provoquer la lucidité


montrent bien l'importance de cette collaboration. Il semble en effet plus
facile d'atteindre la conscience du rêveur avec un message dont elle peut
saisir le sens qu'avec un signal dont le sens est seulement prédéterminé. Si
en effet le contenu du signal passe dans le rêve, l'idée de lucidité ne surgit
pas pour autant aisément, ce que montrent les tentatives d'induction
tactiles : « Dans une tentative pour induire la lucidité onirique par des
sensations tactiles, Hearne, en 1978, dirigea un fin jet d'eau sur le visage ou
les mains de 10 sujets pendant leur sommeil REM. Avant de s'endormir, ces
sujets avaient été avertis qu'ils recevraient ce signal au cours de la nuit. On
leur recommanda d'être particulièrement attentifs à toute image de leurs
rêves se rapportant à l'eau, car cela pourrait les rendre conscients de rêver.
Environ 60% des rêves décrits incorporaient le stimulus aquatique à leur
contenu, mais il n'y eut pas de témoignages de lucidité. Il semblerait que le
[54]
signal n'ait pas été assez marqué pour stimuler l'éveil de la lucidité » .

Le stimulus tactile, bien qu'incorporé dans le rêve, n'a pas été reconnu
pour le signal qu'il était, sans doute parce qu'il n'était pas assez différent par
rapport au reste du rêve, et surtout parce que l'association entre lui et la
reconnaissance du rêve comme tel n'a pas été suffisamment intense à l'état
de veille. Une telle association aurait requis, comme par exemple pour
l'induction des mains, un entraînement préalable régulier. Pour cette raison ce
type d'expérimentation doit se faire avec des sujets déjà familiarisés avec
l'induction de la lucidité soit naturellement, soit par d'autres méthodes
pratiquées parallèlement.

Il est possible que le succès de la méthode dépende également de


l'intensité de la perturbation causée, sans pour autant réveiller le sujet. Une
telle intensité peut sans doute être détectée par les transformations qu'elle
provoque dans l'enregistrement d'une nuit de sommeil, comme dans le cas de
la machine de Hearne qui « a conçu une "machine à rêves" transportable, que
l'on peut utiliser chez soi. Ce mécanisme détecte le sommeil REM par les
changements de rythme respiratoire, émettant automatiquement des
stimulations électriques. Hearne déclare que, dans certains cas, il se
produirait un intervalle d'activité alpha après la stimulation, mais que le
[55]
retour au REM se faisait ensuite sans réveil du sujet » . Il est certain que
l'enregistrement électro-encéphalographique est précieux pour une telle
détection. Cependant si nous nous plaçons du côté du sujet, cette intensité
n'a avant tout un sens que par rapport à la réitération du stimulus qu'elle
introduit dans le rêve, et au cours qu'elle lui donne.

De ce point de vue, l'appareil qui modifie le plus les rêves en fonction


de la stimulation qu'il envoie est le DreamLight qui se compose d'un masque
et d'un ordinateur portable (cette stimulation lumineuse est, contrairement
aux autres, très différente du contenu du rêve) : « Il s'agissait d'une paire de
boites noires agissant comme interface entre un système de détection de
mouvements oculaires et un ordinateur portatif. Des détecteurs situés dans
un masque porté par le dormeur repéraient les mouvements des yeux,
l'ordinateur enregistrant, par ailleurs, le niveau de cette activité oculaire.
Lorsque celui-ci devenait suffisamment intense, l'ordinateur envoyait, par
l'intermédiaire de l'appareil, un signal qui déclenchait des éclairs lumineux
[56]
dans le masque » . Les rêves obtenus à l'aide de tels appareils sont
fortement marqués par la stimulation, ce qui favorise énormément le rappel
de la lucidité :

Je suis assis dans la voiture devant le supermarché. Les lumières, dans les lunettes,

s'allument. Je les sens sur mon visage. J'attends qu'elles s'arrêtent pour effectuer mon test de

réalité. Je fais le geste d'ôter les lunettes…, mais elles ne sont plus là. Toujours assis dans le

break, je décide de tester la réalité de la situation en lisant un billet d'un dollar. J'y trouve un mot

erroné et j'en conclus que je rêve! Je sors de la voiture et je m'envole. C'est une

sensation merveilleuse. Les rues sont lumineuses, ensoleillées, propres et claires. Je survole un

immeuble et voilà que le soleil m'éblouit. C'est de nouveau cette lumière! Elle efface les images.

Je tourne mon corps dans l'autre sens. Je finis par me retrouver à l'intérieur du magasin avec des

amis. Je ne suis plus lucide et je leur raconte mon expérience.[57]

La lumière s'incorpore au rêve à plusieurs reprises : le sujet rêve même


qu'il porte les lunettes ("Les lumières, dans les lunettes, s'allument. Je les
sens sur mon visage"), et lorsque ce n'est pas le cas la stimulation lumineuse
est oniriquement perçue comme provenant du paysage ("le soleil m'éblouit.
C'est de nouveau cette lumière!"). De façon générale les rêves ainsi obtenus
présentent pour le rêveur un maximum de perturbations puisqu'au lieu de
simplement s'insérer dans le rêve (comme dans le cas du message enregistré
ou du stimulus tactile) elle en modifie le cours ("C'est de nouveau cette
lumière! Elle efface les images. Je tourne mon corps dans l'autre sens").
Cependant, si ce type de perturbation "intérieure" semble idéal pour aider à
l'émergence de la lucidité dans la mesure où la plus grande partie du rêve se
transforme en message de lucidité, son existence même peut provoquer une
réaction.
On en arrive à une situation paradoxale : le contenu du rêve se modifie
à tel point qu'il devient dans l'ensemble l'indicateur de lucidité, tandis que
d'un autre côté le sujet fait tous ses efforts pour ne pas reconnaître le
signal : « LaBerge fut étonné du fort pourcentage de rêves dans lesquels les
sujets ne reconnaissaient pas la lumière comme un signal visant à les rendre
lucides. L'incorporation de la lumière aux rêves était, en général, si curieuse
qu'on se serait attendu à ce que les gens en remarquent l'étrangeté. Le soleil
jetait des éclairs, une lumière commençait à vaciller, ou bien encore on voyait
paraître un immense mandala orange. L'un des sujets rêva qu'il montrait le
masque à un ami et que l'appareil se mettait à clignoter. La gymnastique
mentale dont les gens se montraient capables pour ne pas reconnaître
l'intégration de lumière à leur rêve était, en vérité, tout à fait
[58]
remarquable » .

Il y aurait donc un équilibre à respecter. La perturbation devrait avoir


une certaine intensité pour modifier le rêve et le rendre suffisamment bizarre,
par rapport à ce qu'il était, pour qu'un rêveur entraîné puisse reconnaître ce
qui se passe. Mais au delà d'un certain seuil, même si l'on reste loin du réveil,
il semble qu'une réaction se produise et que le rêveur fasse son possible pour
ne pas devenir lucide : « L'un des sujets, par exemple, ôta le masque vers le
milieu de la nuit et se rendormit. Dans son rêve, il pensa : "Si je portais
[59]
encore ce masque idiot, je saurais que je rêve" » . Ainsi il s'avère que les
perturbations apportées de l'extérieur au sommeil non seulement ne peuvent
avoir de résultat mécanique mais demandent la collaboration conscientielle du
rêveur ; de plus ces perturbations sont très délicates à mettre en œuvre car
elles risquent de réveiller le sujet (ce qui est fréquent avec les
enregistrements sonores) ou de passer inaperçues dans le cours du rêve qui
les incorpore, ou encore d'être rejetées par le rêveur lui-même.

Ces difficultés permettent par contrecoup de comprendre que l'induction


mécanique (c'est-à-dire sans l'intention du rêveur) est un accident plutôt que
la règle. Rappelons que l'objectif visé par la mise au point de méthodes
d'induction est la possibilité d'étudier le rêve lucide de façon scientifique, non
plus en dépendant de récits sporadiques que l'on peut examiner après coup
mais en produisant le phénomène sur une base fréquente permettant
l'expérimentation dans le rêve et éventuellement en laboratoire. Cela suppose
que soit identifié l'élément déterminant dans le déclenchement de la lucidité.
Cet élément est certes difficile à mesurer mais son rôle ne laisse aucun doute
sur sa nature : il s'agit de l'intention conscientielle. En effet la lucidité peut
être déclenchée accidentellement par les autres techniques, mais d'une façon
si rare qu'elle n'est pas utilisable. En revanche l'intention conscientielle, si elle
peut suffire, ce que montre l'utilisation de l'autosuggestion, s'appuie sur des
exercices mentaux, physiques ou même sur des perturbations du sommeil qui
lui permettent de se manifester. Les différentes méthodes mises au point sont
le plus souvent des méthodes "combinées", c'est-à-dire qui combinent les
éléments fondamentaux que nous avons examinés ici, pour obtenir un
maximum d'efficacité. Ainsi la méthode de LaBerge, "Mnemonic Induction of
Lucid Dreaming" (MILD), combine l'intention, des exercices mentaux et
l'interruption du sommeil :

« Le fondement de la techniqueMILD n'est en rien plus […] complexe


[…] que notre aptitude à nous souvenir d'actions que nous souhaitons
accomplir dans le futur […] on y parvient en établissant une relation mentale
entre l'action projetée et les circonstances futures dans lesquelles on a
l'intention de l'accomplir. Cette relation se verra grandement facilitée grâce
au procédé mnémonique - l'aide mémoire - qui consiste à se visualiser en
train d'accomplir ce que l'on souhaite se rappeler. Il est aussi utile de
verbaliser l'intention : "Quand ceci ou cela se passera, je veux me souvenir
de faire telle ou telle chose". […] J'utilise pour planifier l'action que je projette
la verbalisation suivante : "Lors de mon prochain rêve, je veux me souvenir
de prendre conscience que je suis en train de rêver". Le "quand" et le "quoi"
de l'action intentionnelle doivent être clairement spécifiés.

« J'exprime cette intention, soit aussitôt après un réveil au cours d'une


période REM précédente, soit après une période de pleine vigilance […].
Soulignons que pour obtenir l'effet désiré, il ne suffit pas de répéter bêtement
[60]
la formule. On doit avoir la ferme intention de faire un rêve lucide » .

Une méthode de ce type, c'est-à-dire essentiellement mentale, peut


être à son tour combinée avec l'utilisation d'un appareil destiné à produire des
stimulations au cours du sommeil. Ainsi LaBerge a combiné l'utilisation de sa
méthode et du DreamLight : « Nous avons trouvé que la préparation mentale
était d'une extrême importance pour l'induction réussie du rêve lucide.
L'appareil "DreamLight" s'avéra très efficace pour stimuler chez soi
l'apparition de la lucidité, mais pas davantage que la pratique du MILD […].
Cependant, lorsque l'utilisation du DreamLight était combinée avec le
MILD une interaction synergique s'établissait entre les deux procédés,
[61]
produisant la fréquence la plus élevée de rêves lucides » . Ainsi les
exercices mentaux peuvent être combinés entre eux, et les appareils utilisés
en fonction de ces exercices. Mais si les machines peuvent aider à provoquer
la lucidité en l'absence de tout exercice, l'intention d'être lucide n'en reste
pas moins déterminante.

Cependant il n'est pas impossible que, dans ce déluge d'instructions


mentales ou mécaniques, cette intention soit perdue de vue. Son existence va
en effet tellement de soi qu'elle est tenue pour acquise et parfois oubliée. Or,
cette intention n'est pas un simple projet, elle comporte une intensité propre
qui, pour n'être pas mesurable, n'en est pas moins indispensable. Comment
la repérer ou simplement s'assurer qu'elle a bien l'intensité requise ? L'un des
facteurs possibles permettant cela est l'existence d'une forte motivation.
LaBerge a lui-même souligné son importance : « Lors de mes premières
tentatives d'induction de rêves lucides, j'avais pour unique référence le
sommaire de Patty Garfield dans lequel elle assure avoir augmenté la
fréquence de ce type de rêves par l'autosuggestion en se répétant
simplement : "Cette nuit, je ferai un rêve lucide". Je m'aperçus que si
j'appliquais cette méthode avant de m'endormir, en pensant : "Je veux avoir
un rêve lucide cette nuit", j'obtenais un résultat positif environ une fois par
semaine. Voyez, cependant, le tableau indiquant la fréquence de mes rêves
lucides pendant les trois années de préparation de ma thèse : le point A [du
graphique] indique une fréquence de dix rêves lucides par mois, ce qui
représente un sommet considérable par rapport aux périodes précédentes et
suivantes.

« Cette subite amélioration s'explique par le fait qu'à cette époque


j'étais en train de rédiger mon projet de thèse, déclarant que j'allais
apprendre à provoquer des rêves lucides pour les besoins de mon étude. En
d'autres termes, j'étais extrêmement motivé dans ce sens et cela avait une
forte incidence sur le nombre de résultats positifs. Cependant, aussitôt que
j'eus terminé mon projet, la fréquence des rêves lucides diminua pour
retrouver son niveau antérieur, car il était difficile de maintenir une telle
intensité de motivation. Au point B du graphique, vous remarquerez une
autre période d'augmentation subite. Je me trouvais alors au laboratoire de
Stanford ; je venais de commencer mon travail de recherches
expérimentales, et cela détermina chez moi un nouvel essor du niveau de
[62]
motivation » .

Dans le cas de LaBerge la motivation peut se mesurer à des


circonstances extérieures, mais ce n'est pas nécessairement le cas pour
d'autres rêveurs. Il n'est pas toujours évident de connaître la motivation d'un
sujet ou même de savoir s'il est réellement motivé. Cette motivation
supposée acquise dans le cas de sujets volontaires devrait pouvoir être
vérifiée, entretenue, sinon provoquée. Cela est d'autant plus important que,
si le rêve lucide est praticable par n'importe qui, il demande néanmoins au
débutant un investissement personnel important qui paraît parfois
décourageant. On peut alors se demander dans quelle mesure l'appareillage
ne joue pas un rôle de stimulant psychologique autant que physiologique : il
devient un "jouet" d'adulte, et en ce sens-là il est peut-être aussi ou plus
important que dans le simple rôle d'auxiliaire mécanique.

Le rêve lucide est donc susceptible d'être reproduit à des fins


d'expérimentation, d'abord parce qu'il n'est pas nécessairement un
phénomène naturel surgissant en dehors de toute circonstance repérable et
ensuite parce que ses conditions d'apparition peuvent être étudiées, répétées
et améliorées afin d'en dégager des méthodes d'induction. Toutefois aucune
méthode permettant d'obtenir la lucidité au coup par coup de façon sûre n'a
encore été mise au point. C'est avant tout une qualité conscientielle au
moment de l'expérience qui détermine l'efficacité des autres techniques, et la
nature de cette qualité peut rester obscure au sujet lui-même, ou bien, s'il est
en mesure de l'estimer, il n'est pas forcément capable de la commander mais
seulement de la constater.

L'efficacité assez nette des diverses méthodes ouvre toutefois une


question. Le rêve lucide en effet n'était guère, jusqu'à récemment, un
phénomène "normal". Soit il était méconnu, soit on lui refusait l'existence,
soit on le considérait comme un phénomène rare. Or, la diffusion des
méthodes montre nettement qu'il n'en est rien. Il s'agirait plutôt d'une qualité
inexploitée, comme l'indique l'étonnante facilité à faire induire des rêves
lucides à des enfants : « Les enfants […] découvrent souvent par eux-mêmes
le rêve lucide. […] Tout d'abord, il faut bien dire que fort probablement, la
plupart des enfants n'ont jamais entendu parler de la lucidité onirique comme
d'un état "spécial" et difficile à atteindre. Ils y accèdent donc sans préjugés.
Par ailleurs, ils n'ont pas encore assimilé l'attitude prédominante de leur
culture vis-à-vis des rêves. Ceux-ci sont considérés, dans notre société,
comme des événements superficiels, dénués d'importance, amusants
peut-être, ou bien comme autant de symptômes relevant des diagnostics du
psychanalyste. Mais les enfants, au moins dans leur plus jeune âge, sont plus
libres dans l'exploration de leur vie imaginaire, pendant la veille ou le
sommeil. En grandissant, on ne les encourage pas à développer leurs talents
de rêveurs et c'est pourquoi ils cessent, en général, de penser aux rêves,
rejoignant la majorité des adultes, pour qui le sommeil ne sert qu'à
[63]
dormir » .

Le rêve lucide correspondrait à une capacité inexploitée de même qu'on


peut ou non développer ses aptitudes en mathématiques ou en sport. Mais,
contrairement à d'autres disciplines, on ignore encore où il peut mener. Pour
cela il faut l'explorer et surtout mettre au point des cadres pour l'expérience
et l'expérimentation.
[64]
Henri Bergson, L'Énergie spirituelle, Presses Universitaires de France, Paris, 1985, p. 65.

[1]
Sujet n°16, "Porte bloquée", dimanche 1er juillet 1984.

[2]
La littérature est riche en descriptions de méthodes d'induction. Dans chacun de ses numéros la

newsletter NightLight propose à ses lecteurs la pratique d'une nouvelle méthode dont elle publie

ensuite les résultats.

[3]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 228.

[4]
Le mot "état" n'est pas assez précis mais il est utilisé dans la littérature. Peut-être faudrait-il parler

d'attitude ou de position de conscience.

[5]
« If a subject develops while awake a critical-reflexive attitude towards his momentary state of

consciousness by asking himself if he is dreaming or not, then this attitude can be transferred to the
dream state. The unusual nature of dream experiences as a rule makes it possible for the subject to

recognize that he is dreaming ». Paul Tholey, "Techniques for inducing and manipulating lucid

dreaming", Perceptual and Motor Skills, 1983, 57, pp. 79-90.

[6]
« The effectiveness of the factor of similarity is demonstrated by the fact that in the first lucid dreams

the critical question is predominantly asked in situations in which it was asked during the day ». Ibid.

[7]
« the subject should ask himself the critical question […] as often as possible in situations or

conditions which bear a strong resemblance to dream experiences ». Ibid.

[8]
« By applying the reflection technique the subject may become aware that he is dreaming, either

after a period of doubt in which he asks himself the critical question ("am I dreaming or not?") or

immediately because of an unusual experience, or sometimes for no apparent reason whatsoever ».

Ibid., souligné par nous.


[9]
« With this technique one resolves to achieve awareness of the dream state while actually dreaming.

To do so, the subject should try as intensely as possible to imagine that he is in dream situations

which would typically cause him to recognize that he is dreaming. Even better would be an attempt to

carry out a simple action in the dream simultaneously. For example, one could follow Don Juan's

suggestion and observe one's own hands (Castaneda, 1972), which should be moved back and forth

to avoid the danger of waking up. Resolving to carry out a particular activity not only makes it easier

to recognize the dream state; it also prevents this awareness from being quickly lost again ». Ibid.

[10]
Stephen LaBerge, op. cit., p. 167.

[11]
Sujet n°17, Samedi 24 février 1990.

[12]
Sujet n°4, "Procès d'assises", 1er décembre 1991.

[13]
« In this technique the subject concentrates while falling asleep only on visual images. Although

there are considerable differences among individuals, the following sequence of images has been

frequently observed: Initially the subjects sees flashes of light and rapidly changing geometric forms.

Then come images of objects or faces, until finally complete sceneries are constructed which at first

only flash in and out, but then later become more stabilized.

« The phenomena described above are customarily of a fleeting nature and somewhat indistinct, so

that considerable practice is necessary to follow them attentively. If it is possible to retain lucidity

concerning the state of consciousness until entire sceneries appear, then the question arises as to how

one should behave to enter into the scenery, since such an intention as a rule causes the scenery to

disappear.

« Facial and bodily sensations in the borderline state between waking and sleeping are evidently still

so responsive to peripheral stimuli that the phenomenal body cannot yet move as freely with respect

to visual images as it can in normal dreams. Instead of actively wanting to enter into the scenery, the

subject should attempt to let himself be carried into passively.

« It has also proved to be helpful if the subject firmly resolves before falling asleep to carry out a

particular action while dreaming. Occasionally, when a subject has tried to attempt entering the lucid

dream state in the manner described above, he momentarily looses lucidity. By recalling the intention

to carry out an action, the subject is then able to regain lucidity ». Paul Tholey, op. cit., p. 83.

[14]
Communication personnelle enregistrée en 1983. Cité dans Ch. Bouchet, Le Rêve lucide. Projet.

Document non publié, 1984, p. 136.


[15]
Sujet n°10, Rêve éveillé "Des moines aux gitans" suivi du rêve "L'oiseau blanc et le faucon", nuit du

dimanche au lundi 12/13 août 1990.

[16]
Sujet n°10 , "L'anneau de la fée" (rêve éveillé ) suivi de "Le géant" (rêve éveillé) suivi de

"Salonique" (rêve éveillé) suivi de "Le restau kasher" (rêve lucide), nuit du lundi 10 au mardi 11

septembre 1990.

[17]
Henri Marcotte, communication personnelle enregistrée, citée dans Ch. Bouchet, op. cit.

[18]
« This technique is based on the assumption that the experiencing of one's own body in a dream is

merely a phenomenon transferred from the waking state and is essentially expendable. In fact it is

possible to imagine after falling asleep that one consists merely of an ego-point from which one

perceives and thinks in the dream world. To bring about this experience it is necessary to concentrate

while falling asleep on the thought that the body will soon no longer be perceived. As soon as this

state is reached, it is possible to float freely as an ego-point in a space which seems to be identical

with the room in which one went to sleep. » Paul Tholey, op. cit., p. 85.

[19]
Henri Marcotte, ibid.

[20]
« I have often thought that if a person would diligently practice meditation in the early morning

hours for the purpose of attunement, lucid dreams would be the natural result. But I must admit that

when I have meditated in order to acquire a lucid dream, I have failed consistently. The unpleasant

result has been that my dreams have admonished me repeatedly because of such questionable

motives! » Gregory Scott Sparrow, Lucid Dreaming, Dawning of the Clear Light, A.R.E. Press, Virginia

Beach, 1976, p. 7. Souligné par l'auteur.

[21]
Melita Denning et Osborne Phillips, Guide pratique du Voyage hors du Corps, Sand et Tchou, Paris,

1983, pp. 133-134. Souligné par les auteurs.

[22]
On ne pourrait pas faire une objection semblable au rêve lucide puisqu'il porte sur la conscience de

l'état et non sur la forme que prend l'expérience.

[23]
René Daumal, Chaque fois que l'aube paraît, Gallimard, 1953, p. 68, cité par Michel Carassou dans :

Melita Denning et Osborne Phillips, Guide pratique du voyage hors du corps, Sand et Tchou, sans lieu,

1983, pp. 13-14.

[24]
Toutefois aucune étude statistique n'a été menée à ce sujet. Cette remarque repose sur des

constatations empiriques.
[25]
Voir les rêves cités supra dans ce chapitre, section I, §1, I, A.

[26]
Sujet n°17, sans titre, 10 novembre 1990.

[27]
Voir supra dans ce chapitre, section I, §1, I, B.

[28]
Sujet n°17, sans titre, 11 avril 1991.

[29]
Idem, sans titre, 16 janvier 1991. Souligné par nous.

[30]
Idem, sans titre, 14 novembre 1990.

[31]
Docteur Francis Lefébure, Derviches tourneurs et Phosphénisme, Editions Jacques Bersez,

Villeneuve-sur-Bellot, 1982, p. 57

[32]
Ibid., pp. 57-58.

[33]
« LaBerge: […] When you look in the mirror and see the back of your head, it is easier to transfer

your awareness into the mirror, as if you were there.

« Tholey: It is better to lie down. You look into the mirror. You are not supposed to see anything

except the reflection in the mirror.

« LaBerge: Is this supposed to help enter a lucid dream state?

« Tholey: At the beginning it is a sort of an in-between state, the lights are down. You should just be

able to see your reflection in the mirror […]. Later I close my eyes and imagine my head and the

sensation of rubbing the back of my head. These sensations are projected in the mirror.

« LaBerge: […] Are you lying down when you are doing this, so you have the mirror above your bed?

Do you rub the back of your head looking in the mirror and projecting the sensations as if it were

there? And you do that for how long?

« Tholey: At the very beginning it takes very long, at least half an hour. […]

« LaBerge: […] So you lie in bed looking at the mirror above the bed until you feel yourself as if in

the mirror, and then you shut your eyes.

« Tholey: Yes, I shut my eyes and imagine my head in the mirror. The more I do this, the more my
imagination becomes like perception and it becomes more and more real ». Brigitte Holzinger (ed.),

"Conversation Between Stephen LaBerge and Paul Tholey in july of 1989", Lucidity Letter, june 1990,

vol 9, n°1, pp. 102-115.

[34]
Cet appareil, l'alternophone, fut inventé en 1960 par le docteur Lefébure à des fins essentiellement

pédagogiques.

[35]
Sujet n°16, "Encore en khâgne", vendredi 12 mai 1989.

[36]
Docteur Francis Lefébure,Du Moulin à Prière à la Dynamo spirituelle, tome II, édition d'auteur, Paris,

1988, p. 101.

[37]
Ibid.

[38]
Lefébure, Le Mixage phosphénique en pédagogie, op. cit., p. 156.

[39]
Ibid.

[40]
Docteur Francis Lefébure, Épanouissement cérébral par l'audition alternative, Editions C.D.R.PH.,

Paris, 1988, pp. 64-65.

[41]
Aristote donne la première description connue de ce phénomène dans les Petits traités d'histoire

naturelle.

[42]
Sujet n°16, "Je lève le bras", vendredi 15 juin 1984.

[43]
Dr Francis Lefébure, Expériences Initiatiques, tome II, Editions Verrycken, Antwerpen, 1976, p. 141.

[44]
Idem, Le Pneumophène, Edition d'auteur, Paris, sans date, pp. 47-48.

[45]
Ibid. p. 48.

[46]
Sujet n°16, "Dans l'obscurité", 16 juillet 1988.

[47]
Lefébure, op. cit., p. 57.

[48]
En anglais : "Mnemonic Induction of Lucid Dreaming", d'où "MILD".
[49]
« This is how to do it - get up an hour and a half earlier than usual, stay awake for at least an hour,

then go back to bed, practice MILD (Mnemonic Induction of Lucid Dreams), and sleep for another hour

and a half. In that last 90 minutes, you are very likely to have a lucid dream […] ». Lynne Levitan,

"Get Up Early, Take a Nap, Be Lucid!", op. cit.

[50]
Sujet n°16, "Le salon richement décoré", dimanche 3 mars 1991.

[51]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 228.

[52]
« The most common method utilized to induce lucidity with external stimuli has involved auditory

cues […]. Encouraged by successful auditory cuing pilot work […], LaBerge, Owens et al. (1981)

monitored four subjects for 1 or 2 nights each. A tape recording repeating the phrase "this is a dream"

in the subject's own voice was played at gradually increasing volume 5 to 10 minutes after the

beginning of each REM period. The subjects were instructed to signal with a distinct pattern of eye

movements whenever they heard the tape or recognized that they were dreaming. The tape stimulus

was introduced a total of 15 times, producing lucidity in one-third of those cases ». Robert F. Price and

David B. Cohen, "Lucid Dream Induction, An Empirical Evaluation", in : Jayne Gackenbach and

Stephen LaBerge (eds.), Conscious Mind, Sleeping Brain, Plenum, New York and London, 1988,

pp. 105-134.

[53]
Sujet n°16, "Se réveiller avant d'être surpris" suivi de "Agressé par un chauffeur de taxi" suivi de

"Un type dans sa cuisine" suivi de "A… dans une gare", lundi 28 octobre 1991. Souligné par nous.

[54]
« In an attempt to induce lucidity with tactile stimulation, Hearne (1978) directed a fine spray of

water at the face or hands of 10 subjects during REM sleep. Prior to sleep, the subjects had been

informed that they would receive this cue during the night. They were hold to be particularly aware of

any water-related imagery in their dreams that should remind them that they were dreaming.

Although 60% of the reported dreams displayed incorporation of the water stimulus into the dream

content, there were no reports of lucidity. Apparently the cue realization of dreaming was not firm

enough to stimulate lucidity ». Robert F. Price and David B. Cohen, op. cit., p. 124.

[55]
« Hearne […] devised a portable "dream machine" for home use. The mechanism detects REM sleep

by means of changes in breathing rate and automatically emits electrical stimulation. Hearne stated

that in some cases there was an intrusion of alpha activity after stimulation, but that REM reentry

occurred without waking ». Ibid., p. 125.

[56]
« This was a pair of black boxes that worked as an interface between an eye-movement detection

system and a […] portable computer. Sensors in a mask worn by the sleeper detected
eye-movements, and the computer monitored the level of eye-movement activity. When this level was

high enough, the computer sent the signal through the apparatus to switch on flashing lights in the

mask ». Lynne Levitan, "The story of the DreamLight", NightLight, Spring, 1989, Volume 1, Number 2,

pp. 1-3 et 11-12.

[57]
« I'm sitting in the car outside a store. The lights in the goggles go on. I feel them on my face. I wait

for them to turn off before doing a reality check. I reach up to take the goggles off… then the goggles

aren't there anymore and, still sitting in the van, I decide to test reality by reading a dollar bill. A word

is wrong, so I conclude I am dreaming! I get out and fly. It feels wonderful. The streets are bright and

sunny, crisp and clear. I fly up over a building, and the sun gets in my eyes - it is the light again! It

washes out the imagery, so I spin my body. I end up inside the store with friends, no longer lucid, and

tell them about my experience ». Ibid., p. 3.

[58]
« LaBerge was surprised by the high percentage of dreams in which his subjects didn't recognize the

light as a signal to turn lucid. The incorporations were generally unusual enough that one would

expect people to recognize them as bizarre. The sun would begin flashing, or a light would start to

flicker, or a huge orange mandala would appear. One subject dreamed of showing the mask to a

friend and suddenly it began to flash. In fact, the mental gymnastics people went through not

recognize the incorporations were remarkable ». Jayne Gackenbach & Jane Bosveld, Control your

Dreams, Harper & Row, New York, 1989, p. 36. Souligné par nous.

[59]
« One subject, for example, took off the mask halfway through the night and then fell back to sleep.

In his dream he thought, "If I was still wearing that stupid mask I'd know I was dreaming." » Ibid.,

Souligné par nous.

[60]
Stephen LaBerge, op. cit., p. 172-173. Souligné par l'auteur dans l'édition américaine : « An

important point is that in order to produce the desired effect, it is necessary to do more than just

mindlessly recite the phrase. You must really intend to have a lucid dream ». S. LaBerge, Lucid

Dreaming, Ballantine Books, New York, 1986, p. 155.

[61]
« We found that mental preparation is extremely important to successful lucid dream induction.

« The DreamLight proved to be an effective aid in stimulating lucid dreams when used at home, but

not more so than practicing MILD […]. However, when the use of the DreamLight was combined with

practicing MILD, the two interacted synergistically to produce the highest frequencies of lucid

dreams ». Lynne Levitan, op. cit., p. 11.

[62]
« When I started out trying to induce lucid dreams, all I had to go on was the idea from Patty
Garfield's abstracts that she had been able to increase her frequency of lucid dreaming by

autosuggestion, just by telling herself "I'm going to have a lucid dream tonight." I found that when I

simply reminded myself before going to sleep, "I want to have a lucid dream tonight," I would have

lucid dreams approximately once a week. However, notice on this chart of my lucid dream frequency

during the three years of my dissertation project, at Point A I reached ten lucid dreams per month, a

considerable leap from the period around it.

« The explanation for this sudden improvement is that that was the time when I was writing my

dissertation proposal, in which I was claiming that I was going to be able to learn to have lucid dreams

for this study. In other words I was extremely motivated to have lucid dreams, and it made a big

difference in my success. But, as soon as I finished the proposal, my lucid dream frequency dropped

back down to where it had been, because of the difficulty of maintaining such a high level of

motivation. At Point B on the chart, where you see a similar sudden increase in the number of lucid

dreams I was having, I was in the laboratory at Stanford starting my dissertation research. Again, my

motivation soared ». Stephen LaBerge, "Induction of Lucid Dreams Including the Use of the

DreamLight", Lucidity Letter, 7 (2), December 1988, pp. 15-21.

[63]
« Children […] often discover lucid dreaming on their own. […] For one thing, most children probably

haven't heard of lucid dreaming as a "special" state that is difficult to achieve. They just do it! More

importantly, children have not yet learned our culture's predominant attitude towards dreams. Dreams

in our society are usually treated as trivial, unimportant, amusing, or as symptoms to be diagnosed by

therapists. At least in their younger years, children in our society are free to explore their fantasy

lives, both while awake and asleep. But as they grow up they receive little or no encouragements and

support for developing dream skills. Thus, they usually stop thinking about dreams, and join the

majority of adults, who sleep only to sleep ». Stephen LaBerge, "Lucid dreaming is easier than you

think", NightLight, Summer, 1989, Volume 1, Number 3, pp. 1-2.


Chapitre Cinq
Expériences et Expérimentations
[read the English translation]

Si les témoignages laissés par les rêveurs lucides ont fait connaître l'existence du rêve
lucide et ont montré son utilité pour l'étude des phénomènes oniriques, la mise au point de
méthodes d'induction a pour sa part ouvert la porte à l'expérience de la lucidité onirique.
Cet accès à l'expérience permet de se convaincre de l'existence du rêve lucide d'un point de
vue personnel, ce qui, quand on y réfléchit, constitue la meilleure des démonstrations.
Toutefois sa fonction resterait assez limitée si elle n'offrait que cette seule possibilité. En fait,
pour que l'expérience devienne fructueuse du point de vue de la recherche, il faut qu'elle se
transforme en expérimentation. Cela revient à dire que le rêveur doit pouvoir se livrer en
rêve à des expériences répétées et tenter de vérifier des hypothèses concernant le
phénomène onirique pour élucider les rapports qu'il entretient avec lui. Il apparaît
immédiatement que ces expérimentations sont avant tout de nature psychologique et
conscientielle : elles ne renseignent pas sur un donné extérieur indépendant du sujet mais au
contraire sur sa subjectivité même. Pour cette raison il est difficile de dégager des lois ou
plutôt des repères, c'est-à-dire des éléments invariants autour desquels s'articulerait
l'expérience onirique. Cette difficulté entraîne un risque : celui de poser dès l'abord qu'il n'y a
rien à chercher, ce qui était déjà l'opinion scientifique que l'on avait du rêve au début du
siècle et que Freud s'est efforcé de combattre sur le terrain de l'interprétation. Là encore, ce
sont les témoignages des rêveurs lucides qui, empiriquement, nous laissent supposer
l'existence de tels invariants : certains éléments, nous l'avons vu, reviennent constamment
chez presque tous les rêveurs lucides et il se pourrait qu'ils jouent dans l'architecture de la
conscience un rôle non négligeable mais qui reste à déterminer. Ainsi, outre les questions
classiques que l'on se pose habituellement sur les facultés intellectuelles du rêveur et qui
sont transposables au rêve lucide, d'autres peuvent surgir concernant des types
d'expériences relativement fréquents en cas de lucidité mais absents du rêve ordinaire. Ces
questions suggèrent à leur tour des actions en rêve et sur le rêve pour en étudier les
conséquences.

La lucidité transforme donc le rêve en champ d'expérimentation délibérée. Pourtant, si


un champ onirique s'offre au rêveur du fait de la lucidité, son désir et sa
capacité d'expérimenter dépendent de facteurs qui lui sont "propres", tels que son degré de
lucidité ou la conception qu'il se fait du rêve. Ces facteurs structurent l'ensemble de
l'expérience de façon contraignante car ce qui s'offre au rêveur n'est en fin de compte pas
séparable de ce qu'il est, et il ne saurait prétendre jouer le rôle d'un observateur détaché. Si
le rêveur se limite lui-même a priori, le rêve ne lui donnera probablement pas de démenti,
même s'il décide de s'intéresser à ce qui fonde ses convictions. L'intérêt d'une expérience ou
d'une expérimentation ne se déterminera donc pas seulement en fonction de ce qui se passe
dans le rêve mais aussi en tenant compte du type de lucidité et de la façon dont le rêveur
aborde son expérience. Ainsi l'exploration du rêve lucide dépend de la mise en place d'un
"cadre" permettant de reconnaître ces manières d'aborder l'expérience et à partir duquel il
est possible de mieux comprendre sa diversité. Un tel cadre ne peut sans doute pas être mis
en place de façon définitive, et l'exploration elle-même devrait en modifier la structure, mais
il importe avant tout que sa nécessité soit reconnue pour éviter des confusions possibles et
fréquentes.

L'expérimentation suppose l'expérience, mais à l'inverse l'expérience de la lucidité


peut être vécue sans aucune expérimentation, c'est-à-dire sans aucune tentative délibérée de
profiter de la lucidité pour questionner la réalité onirique. Nous regrouperons donc sous le
nom "d'expérience" les rêves lucides au cours lesquels aucune expérimentation n'a été
entreprise et nous en chercherons les raisons dans le degré de lucidité ou les conceptions du
rêveur. Nous serons alors mieux en mesure d'aborder le processus de l'expérimentation sur -
et dans - le rêve lucide et d'en comprendre la structure et les implications.

Section I: Les expériences


Chapitre Cinq
Expériences et Expérimentations
[suite]

Section I: Les expériences


Toute expérience suppose un "sujet" qui l'éprouve et, corrélativement, ce qui est
"autre" que le sujet, ce dont ce dernier fait justement l'expérience. De ce point de vue le
rêve lucide rend délicate l'utilisation de ce terme : si, comme on l'admet généralement, le
rêve est la création du rêveur, on ne saurait parler à son sujet d'expérience que dans un
sens métaphorique ou structurel : dans un cas le rêveur ferait alors l'expérience de
lui-même, c'est-à-dire apprendrait à se connaître, dans l'autre il ferait l'expérience du rêve
non dans ce qu'il a de particulier mais dans sa qualité de rêve en général, expérience alors
partagée par toute l'humanité (comme d'autres structures psychologiques). Pourtant, d'un
point de vue phénoménal, force est de constater que le rêveur lucide se sent dans le rêve
comme dans un terrain "extérieur" et qu'il n'a pas le sentiment de maîtriser - ou en tout cas
qu'il ne pense jamais maîtriser totalement -, ce qui laisse place à "l'inconnu". Cela implique
que le rêveur, même lucide, n'est dans le rêve qu'une "partie" de lui-même et que son état
de conscience ne peut être ramené à aucun autre état existant au cours de la veille, par
exemple l'état imaginatif. Mais si le sentiment d'extériorité procuré par l'environnement
onirique - et qui appelle l'idée d'expérience - implique une diminution corrélative du sujet -
qui considère comme autre ce qui lui est propre - ne s'agit-il pas là plutôt d'une apparence
d'expérience ?

En fait, indépendamment de ce qui se présente à son champ de conscience lucide, le


rêveur fait véritablement l'expérience d'une autre forme de conscience relativement à celle
de la veille ou du rêve ordinaire. D'un point de vue immédiat, elle diffère de la conscience
onirique ordinaire par la lucidité, qui rappelle l'état de veille, mais elle diffère également de
l'état de veille au moins par l'incapacité à percevoir le monde réel. Il y a donc bien une
expérience particulière qui ne se ramène pas aux états précédents et dont la seule originalité
est justement la conscience de rêver, le décor du rêve pouvant être parfaitement banal, de
même que la mémoire, les conceptions philosophiques ou les attitudes du sujet attachées à la
lucidité. En ce sens les expériences sont donc aussi bien conditionnées par des fluctuations
qui ne dépendent pas de la vie de veille, les degrés de lucidité, que par des conceptions
importées de l'état de veille. Dans un cas comme dans l'autre ces facteurs modèlent l'attitude
du sujet au cours du rêve, qu'il accepte l'expérience ou qu'il la refuse.

Il faut en effet faire une distinction radicale entre l'idée qu'il a du rêve et celle qu'il se
fait de la lucidité. Si ses vues théoriques l'amènent à nier l'existence ou la valeur de la
lucidité, son expérience aura nécessairement une structure différente de celle dans laquelle la
lucidité est abordée sans a priori ou du moins acceptée. Le cadre descriptif ne peut alors
être établi de la même façon et nous allons donc examiner ces deux catégories séparément.

§ 1. Les expériences acceptées


A l'inverse de l'expérimentation qui implique une certaine systématicité d'intention et
de vérification - et suppose des expériences qui lui fournissent matière à hypothèses -
l'expérience est souvent conçue comme ayant un caractère unique : c'est aussi bien ce qui
est vécu, "reçu", que ce qui est tenté spontanément en fonction des circonstances, sans autre
intention - ce qui ne s'inscrit pas dans un projet de connaissance du rêve. Elle revêt des
aspects très différents dont le plus élémentaire est celui de la simple expérience de la
lucidité, pure constatation consciente d'elle-même. Dans de tels rêves la lucidité a si peu sa
place que le rêveur y voit une sorte d'épiphénomène et ne signale le moment où elle surgit
qu'après avoir terminé son récit, .

« Un certain nombre de personnes ont été condamnées à mort.


On les enterre dans le square de la place Denfert-Rochereau (sous
lequel se trouvent les catacombes). D'abord des pelleteuses
mécaniques, puis une machine à tasser le sol. Celui-ci prend alors une
couleur orangée et l'aspect d'une sorte de pavement de marbre. Mais
il y a un homme qui a été oublié "parce qu'il était unijambiste"
[Tchouang Tseu]. C'est assez horrible, car cela signifie qu'il va falloir
recreuser dans la masse des autres morts pour le caser lui, tout
vivant, puisqu'on a aussi oublié de le tuer. R… S. et moi, qui nous
trouvons là, sommes assez écœurés par cette idée.

« C'est à ce moment que nous constatons une évidence qui


nous avait échappé : Paris a été détruit par une guerre - d'ailleurs il
n'est pas sûr que ce ne soit pas la ville d'Oran - et nous sommes tous
morts. J'erre un peu dans les ruines - il ne reste plus que des pans de
murs et tous les intérieurs d'immeubles ont des pavements de marbre
orangé indiquant qu'il y a là-dessous des morts.

« La question est de savoir ce que nous allons devenir. R.,


moi-même et A.-M… L. nous nous trouvons dans une sorte de
couvent, détruit comme le reste, mais dont le sol est fait d'eau
profonde, très noire. On évolue sur les jetées de quelques murs
subsistants. A.-M. nous emmène jusqu'au port où doit avoir lieu le
transfert ou la transformation. (C'est maintenant le port de Gènes).
Les morts, au bout d'un certain temps, subissent une extrême
concentration de leur "matière spirituelle"; celle-ci est soumise à des
vibrations qui les redistribuent à divers niveaux. A.-M. (qui, dans la
réalité est religieuse) dit que ces vibrations sont les chœurs
angéliques, mais quant à moi je préfère leur attribuer une valeur
musicale mesurée - tant de vibrations par seconde pour le fa dièse,
par exemple. C'est justement la note qui doit nous transformer.

« Il faut se tasser d'abord dans d'étroites boîtes en plastique.


Puis la vibration commence et l'on se sent traverser toutes sortes de
niveaux différents. Ça n'a rien de merveilleux. C'est simplement
curieux. Dans le rêve, ce passage est obscur, sans image.

« Puis, le plus naturellement du monde, nous sommes dans


une nouvelle vie. La différence avec celle-ci est simplement que nous
nous souvenons d'avoir été morts. R…, A.-M… et moi vivons dans une
sorte de palais très bellement meublé avec beaucoup de grands tapis
d'Orient. L'un de nos amis a été retardé dans son passage par le fait
qu'il a été enterré seul et tardivement (sans doute une référence à
l'unijambiste de la première partie du rêve). Le voici : il arrive sur un
divan que nous avions préparé pour lui. C'est un petit cuisinier, un
peu simple d'esprit et fort mal rasé. Il serre sur sa poitrine une
égoutteuse à frites. Nous nous exclamons, car il doit être le seul à
avoir ramené de l'autre monde un objet réel. - "C'est l'insigne de ma
fonction", dit-il simplement.

« A ce moment, regardant par une baie vitrée, j'aperçois, à un


niveau inférieur, une immense usine où des quantités d'hommes et de
femmes - surtout des immigrés - s'agitent devant des machines. On
ne sait pas vraiment ce qu'ils font là. Je fais une supposition plus ou
moins humoristique : c'est à cause de la crise. Tous ces gens sont
d'anciens chômeurs qui sont morts en souhaitant trouver du travail.
C'est pourquoi ils en ont dans l'autre monde. J'ajoute que ce serait
une explication acceptable du mythe de l'enfer.
[1]
« (Le rêve devient lucide à partir du "retour" du cuisinier.) »

La lucidité de ce récit constitue là une expérience minimale, celle dans laquelle le


rêveur se contente de savoir qu'il est en train de rêver. Ici cette conscience n'est rien d'autre
qu'elle-même : elle ne modifie apparemment pas le rêve, ni le rêveur. De fait cette absence
d'interaction entre la lucidité et le rêve, comme s'il s'agissait de phénomènes parallèles mais
sans contact, aboutit souvent à la disparition de l'un ou de l'autre - comme dans un rêve déjà
[1]
cité dans lequel le rêveur, lucide au début dans une scène où il fait l'amour, perd sa
lucidité lorsque le téléphone du rêve se met à sonner. La lucidité n'est pas autrement
apparente que par la mention qu'en fait le sujet en fin de récit ("La première partie de ce
rêve était lucide. Elle a cessé de l'être au moment de l'histoire du téléphone"), et sa
disparition en cours de rêve n'interfère en rien avec la trame ou la qualité du rêve. Mais,
plutôt que la lucidité, c'est parfois le rêve qui disparaît, comme si la lucidité, ne pouvant
s'investir dans le rêve, poussait le rêveur à s'éveiller.

« […] Je suis Tarzan-Greystoke, dans les couloirs de ce grand


magasin ou de ce restaurant. Je suis vêtu comme pour la jungle, et en
même temps je ne suis pas Greystoke, puisque je discute
amicalement avec lui. Il est un peu perdu dans cet environnement
citadin (comme dans le film) et je lui donne des conseils pour éviter
les désagréments que son attitude instinctive pourrait lui entraîner.
J'ai oublié beaucoup d'épisodes de cette partie du rêve mais je me
souviens de la fin qui tendait à être lucide, peu de temps avant le
réveil. Greystoke est dans une grande maison où il est plus ou moins
pourchassé, mais où il bénéficie de l'amitié et de la complicité d'une
petite fille. Leurs rapports sont tout à fait innocents, mais il y a une
certaine inquiétude sous-jacente. Si les parents de la petite fille
s'aperçoivent de ce qui se passe, ils vont supposer le pire. Mais cette
fillette est très maligne. Elle s'arrange pour s'amuser avec Greystoke,
lui porter à manger et à boire, sans que personne ne le sache. C'est
une amitié assez chaleureuse. Il y a du soleil entrant par de grandes
baies vitrées. La petite fille prend Greystoke par la main et le conduit
sur une terrasse d'où on aperçoit des montagnes lointaines. Elle lui dit
qu'il doit aller là-haut : ça lui plaît. - Est-ce que tu m'emmèneras ?
dit-elle. Il a l'air d'avoir des doutes là-dessus.

« (Malheureusement, la lucidité qui avait commencé au


[3]
moment où le soleil entre par les fenêtres finit par me réveiller). »

Dans des cas de ce genre la lucidité semble "accidentelle". Deux phénomènes, le rêve
et la lucidité, entrent en conjonction, peuvent éventuellement se maintenir ou faire diverger
le rêveur sur l'une des deux voies différentes qu'ils représentent. Le rêve n'est alors qu'une
expérience constatée, il n'est même que la limite d'une expérience.

Cependant il arrive aussi que, tout comme dans la vie de veille, l'aspect "reçu" de
l'expérience modifie plus ou moins l'état du sujet lucide - sans provoquer apparemment en
retour de modification dans la situation onirique ni dans le rêveur en tant que personnage
du rêve -, le faisant passer de la curiosité à l'émerveillement ou à la réflexion. L'expérience,
sans cesser d'être "subie", prend alors une dimension plus complète, moins "désincarnée". Le
plus souvent elle se charge d'une tonalité affective.

« J'habite une maison en forêt à l'étage. Entre ma fenêtre et le


sol, il y a un toit incliné couvert de tuiles, en pente douce. C'est la
nuit. Je suis couché. Vaguement conscient de l'être aussi dans la
réalité.

« J'entends gémir ou pleurer sous ma fenêtre. C'est une jeune


femme perdue dans les bois. Je lui dis de monter jusqu'à moi par le
toit incliné. Elle le fait. Nous nous déshabillons et nos vêtements
tombent dehors en glissant le long d'un toit.

« Je deviens lucide au moment où elle est dans mon lit, étant


conscient de l'effet physique de ce rêve. Nous faisons l'amour et je
me rends compte que je suis beaucoup plus jeune que dans la
réalité, ce qui m'émeut passablement. En même temps, je me dis
que je suis en train de faire un rêve lucide dont il faudra se
souvenir pour Christian. Cette réflexion fait disparaître la lucidité,
comme si elle n'était plus nécessaire, puisque je l'ai constatée. Je
pense, et je dis à ma compagne qu'il faudra récupérer nos vêtements
au-dehors, sans quoi on saura qu'elle est ici. Je fais le mouvement de
me lever pour aller les chercher, et comme je bouge réellement dans
[4]
mon lit, cela me réveille. »

Dans ce rêve l'émotion ressentie par le sujet, lorsqu'il se rend compte de sa jeunesse,
n'est pas celle du rêveur en tant que personnage du rêve, mais en tant qu'il est lucide,
puisqu'elle naît de la comparaison de l'état de rêve avec l'état de veille. Le rêveur ne se
contente pas ici du rôle de pure conscience observante mais il réagit conscientiellement à ce
qu'il vit en rêve.

Ces réactions conscientielles du rêveur lucide se manifestent selon une gamme très
large, toujours sans interférer avec le rêve. Ainsi la conscience de rêver peut, par exemple,
amener le sujet à réfléchir sur le rêve en cours et à l'interpréter. Lorsque le rêve a un impact
sur le rêveur lucide, que ce soit sur le plan affectif ou réflexif, on peut considérer qu'il y a une
certaine forme d'interaction qui va du rêve au sujet lucide. Le sens de cette interaction (du
rêve au rêveur) a son importance car il détermine la différence entre l'expérience active et
l'expérimentation. En effet, dans l'expérimentation l'intention part du sujet lucide pour
plonger dans le rêve, tandis que dans l'expérience l'action du rêveur lucide n'est que le
résultat d'un impact préalable dans l'autre sens : la subjectivité du rêveur lucide est modifiée
par la situation onirique et s'il décide d'agir, son action est en fait une réaction. La
différence entre les deux types de rêves peut être illustrée par les récits suivants :
« Je suis un retraité dans la soixantaine, — pas du tout moi, un
homme épais, avec une moustache et pas de barbe — Je vais à
bicyclette dans une rue pleine de piétons, quelque chose comme le
bas de la rue Mouffetard. Comme le rêve est lucide, je décide de
mettre en application la convention et de m'envoler, mais le
seul résultat est de m'élever au-dessus de la foule, avec mon vélo, sur
une sorte de piédestal, une extension verticale de la chaussée. Je m'y
reprends à plusieurs fois avec les mêmes effets, puis j'abandonne et
[5]
décide de m'éveiller. »

Dans ce rêve la décision d'agir sur le rêve vient du fait même que le rêveur se sait en
train de rêver et ne dépend pas d'une situation onirique préalable. L'intention part du rêveur
lucide pour influer sur le rêve : il s'agit donc d'une expérimentation. En revanche la situation
est inverse dans cet autre récit :

« Il était question d'une fausse identité. J'étais pris pour


quelqu'un d'autre par un ancien policier et contraint de jouer ce rôle.
A la fin, le rêve devenant lucide, je doutais d'être moi-même. Je tâtais
mes propres bras et mes propres mains (peut-être réellement) en me
[6]
disant : tu vois, c'est bien moi. »

Dans ce rêve l'action du rêveur, bien que provoquée par la présence de la lucidité, n'est
qu'une réaction à une situation onirique qui l'a troublé jusque dans sa conscience de rêver.
C'est donc bien d'une expérience qu'il s'agit, car l'action du rêveur lucide fait partie
intégrante de la situation onirique. L'expérience du rêve lucide peut donc prendre des aspects
divers alors même que le rêveur n'essaie pas d'influencer le rêve comme s'il lui était
totalement extérieur. Une étude "naturaliste" du rêve lucide est donc envisageable,
indépendamment de la recherche qu'il permet sur la matière même du rêve.

Quel est cependant l'intérêt d'une telle étude pour la recherche d'ensemble ? Nous
avons en effet déjà remarqué que le cadre adopté ne se comprend qu'en fonction de la
conception que le rêveur se fait du rêve ou de son degré de lucidité. Ainsi dans les exemples
que nous avons donnés, la lucidité présente un aspect "passif" ou "participant". Sa passivité
peut s'expliquer par des facteurs très différents : faible lucidité du rêveur, ce qui rend compte
de ses intermittences ou sa disparition en cours de rêve ; ou lucidité complète mais soumise
à la fascination du phénomène ou à la crainte de se réveiller ; ou tout simplement
méconnaissance du fait que l'état de simple spectateur peut être dépassé ; ou encore
croyance, en raison de théories psychologiques, que le rêveur ne doit à aucun prix intervenir
dans le rêve. La passivité ne peut donc pas être considérée comme un caractère déterminant
par lui-même, elle n'est que la conséquence de facteurs que sa présence ne désigne pas ipso
facto. Il en va de même lorsque le rêveur lucide "participe" au rêve, lorsqu'il réagit, sachant
qu'il rêve, à une situation onirique. Là aussi cette participation dépend à la fois du degré de
lucidité et des conceptions du rêveur.

Cependant ces remarques gardent leur pertinence sans invalider la nécessité de


dessiner un cadre pour l'expérience. En effet le degré de lucidité ou les conceptions sur le
rêve n'apparaissent généralement pas dans les récits des rêves lucides et peu dans les
commentaires de leurs auteurs. En revanche l'établissement du cadre indique où chercher. Il
permet de faire l'hypothèse d'une lucidité moindre ou d'une conception restrictive du rêve
et d'en rechercher des indices dans un corpus de rêves ou dans des commentaires. Par
exemple, la plupart des témoignages recueillis avant les années soixante-dix sont soumis à
des limitations conceptuelles que le bond qualitatif et quantitatif - autant de la fréquence de
l'induction que des possibilités d'action des rêveurs lucides - qui s'est opéré par la suite a mis
rétrospectivement en évidence. Auparavant la rareté des informations sur le rêve lucide
entraînait de la part des rêveurs des conceptions peu élaborées. Une connaissance plus
répandue de l'existence du rêve lucide et des expériences qu'il permet modifie
nécessairement ce qui dans l'isolement resterait une opinion personnelle indûment
généralisée.

Aussi, indépendamment des facteurs qui structurent l'expérience elle-même, une


comparaison descriptive systématique peut être entreprise, particulièrement pour les
expériences oniriques qui, d'abord rencontrées spontanément, feront par la suite l'objet d'une
expérimentation délibérée. Par ailleurs, il faut bien se rendre compte que, si l'information sur
la lucidité onirique et les possibilités d'induction ont multiplié le nombre des rêveurs et des
rêves lucides, elles ont surtout augmenté l'expérience du rêve et pas nécessairement son
expérimentation. Obtenir la lucidité par voie d'induction demande déjà un effort soutenu,
mais le travail à l'intérieur du rêve lucide lui-même requiert un entraînement encore plus
poussé et il est certainement trop tôt pour espérer le voir se répandre à une échelle
suffisamment vaste pour explorer un nombre important de possibilités. Aussi, même
aujourd'hui, un cadre a priori reste un outil nécessaire pour scruter l'expérience de nombre
de rêveurs lucides. Le rêve lucide n'étant en effet pas encore un phénomène fréquent, il est
toujours guetté par la réduction, sans aucun examen, à une autre forme d'expérience déjà
connue. Le fait d'en saisir les nuances dans un cadre déterminé met en évidence les éléments
de l'expérience que la théorie réductrice ne prend pas en considération. En effet, la réduction
porte souvent sur des aspects mineurs du phénomène et, prenant la partie pour le tout, en
balaye l'ensemble. Disposer d'un cadre permet donc de voir où elle se situe et quelle est sa
portée réelle.

Dans le courant de la description nous essaierons de déterminer les moyens d'évaluer


ces expériences et de comprendre les facteurs qui en conditionnent la structure. Parfois la
structure est visible, par exemple lorsque le degré de lucidité est minimum (lucidité par
négation) : dans de tels cas le rêveur sait qu'il dort ou qu'il n'est pas éveillé, mais ne
reconnaît pas son rêve pour tel, ce qui indique immédiatement la conception qu'il se fait du
rêve : elle implique nécessairement un degré de conscience faible puisqu'il ne lui vient pas à
l'esprit de considérer que ce qu'il est en train de vivre relève du rêve. Du coup il limite ses
possibilités d'exploration de l'univers onirique en faisant des suppositions généralement
fantastiques et le plus souvent inhibantes. Dans d'autres cas, il sait qu'il rêve mais n'a
aucune action au sein du rêve : il n'est qu'un témoin détaché ou impuissant. Les modalités de
cette inaction peuvent à leur tour nous instruire sur les conceptions qui sont à sa source (et
plus tard sur la façon de les dépasser). Dans d'autres cas enfin, le rêveur agit ou plutôt réagit
à la situation onirique parce qu'il est lucide, mais sans aller plus loin que ce à quoi cette
situation l'invite. La lucidité n'est alors qu'un atout de plus dans le traitement des situations
oniriques, traitement qui ne s'avère pas toujours nécessaire, mais n'est pas un outil
d'exploration du rêve : nous restons dans l'expérience, même si l'expérimentation commence
juste au-delà de cette limite.

I. Le rêveur sait qu'il n'est pas éveillé au sens habituel du terme mais
ne sait pas vraiment qu'il rêve
Quelles formes prend l'expérience lorsque le rêveur sait qu'il n'est pas éveillé sans
pour autant considérer que ce dont il fait l'expérience est un rêve ? Quelle conduite
adopte-t-il et en quoi est-elle fonction de l'idée qu'il se fait de son état ? Avant même de
répondre à ces questions, il importe de se demander s'il s'agit bien là de rêve lucide. Nous
[7]
avons déjà abordé ces problèmes avec les degrés de lucidité . Cependant il nous faut ici y
revenir selon un autre point de vue. En effet le déni de rêve peut résulter aussi bien de
l'inadéquation pure et simple de la conception du rêve avec l'expérience en cours que d'une
idée préconçue concernant le type d'expérience lui-même. Dans le premier cas, s'il n'est
guère possible de parler de lucidité onirique, puisque le rêve n'est pas reconnu pour tel, on
peut néanmoins admettre que conscientiellement il y a bel et bien lucidité par négation. Le
mot "rêve" apparaît alors comme une étiquette trop restreinte pour l'expérience vécue et si la
conception que le rêveur a du rêve est à revoir, à élargir et à préciser, l'expérience
elle-même n'est pas remise en cause. Dans le deuxième cas en revanche, lorsque le rêveur
importe de l'état de veille des préconceptions qu'il colle sur l'expérience en cours (telles que
la sortie hors du corps ou le voyage astral), il lui impose des limites qui ne lui sont pas
inhérentes mais qui sont incluses dans l'idée qu'il se fait de ces états. Ainsi, ce qui empêche
de définir de tels cas comme des rêves lucides au sens plein, ce sont soit les limites
inhérentes à la conception du rêve, soit des préconceptions importées jusque dans l'état de
lucidité - mais ce n'est pas la lucidité elle-même : il s'agit là de rêves lucides mal étiquetés
mais pas de rêves dans lesquels la conscience de rêver est absente. Il est bien sûr difficile
d'évaluer un état de conscience à travers les descriptions qu'en donnent les rêveurs, surtout
sur le terrain de l'expérience simple, mais dans la mesure où de tels problèmes sont
repérables, ils peuvent servir dans les évaluations futures. Pour mieux saisir les formes prises
par ce genre d'expériences de la lucidité, il convient de les comparer aux états auxquels on
les réduit. Un examen formel des domaines dans lesquelles ses croyances peuvent s'investir
(et qui ne sont pas nécessairement incompatibles) est alors envisageable puisque la conduite
du rêveur dépend de ce qu'il croit concernant son état. C'est donc l'attitude du rêveur qu'il
va nous falloir analyser, qu'il se croie dans un état "psychique" ou dans un état physique
particulier.

Lorsque le rêveur comprend qu'il vit une expérience qui n'est pas du ressort de l'état
de veille et qu'il ne confond en aucun cas avec elle, s'il n'y reconnaît pas là un rêve, il a alors
tendance à s'expliquer à lui-même sa situation par une autre équivalente, par exemple un
état d'hypnose. Dans le rêve suivant le rêveur se rend compte, en raison d'une incongruité,
qu'il n'est pas éveillé, mais ne conclut pas pour autant qu'il rêve.

Il y a peu de temps, je fis un rêve très vivant dans lequel


j'assistai à une sorte de cérémonie magique dirigée par deux adeptes
d'une secte occulte. Ayant reçu de leur part un certain traitement, il
me sembla que je lévitais et que je me mettais à voler tout autour de
la pièce à une hauteur d'environ 2m50. Ce faisant, je repassai sans
cesse devant une étagère située au-dessus de la cheminée. A chaque
extrémité de cette étagère se trouvait un lourd vase de verre.
L'expérience de vol était intéressante et plutôt agréable mais, comme
il sied à un membre de la SPR (la Société pour la Recherche
Psychique), je conservais mon sens critique. Je songeai qu'il pouvait
parfaitement s'agir d'une suggestion hypnotique et non pas de
lévitation véritable. Afin de le vérifier, je décidai de me saisir au
passage de l'un des vases et de le poser sur le sol. "Si ce vase est
toujours à terre après la fin de vol", pensai-je, "c'est qu'il s'agissait
bien de lévitation". Peu de temps après, mes deux adeptes décidèrent
que, pour un débutant, j'avais suffisamment lévité ce jour-là et ils me
firent descendre doucement. Je fus ravi de voir que l'un des deux
grands vases était posé sur le sol à l'endroit où je l'avais mis pendant
mon vol. J'en conclus qu'on m'avait réellement fait léviter et que je
n'étais pas victime d'une hallucination. Cette conclusion, bien sûr,
était fausse. Je n'avais ni lévité, ni subi une suggestion hypnotique,
[8]
j'avais simplement dormi et fait un rêve.

Celia Green qualifie ce rêve de prélucide malgré le fait que la conscience du rêveur ne
porte pas sur l'état de rêve mais sur celui d'hypnose, probablement parce que le sujet y est
en état d'indécision, et finit d'ailleurs par perdre sa "lucidité". Eut-il définitivement admis
qu'il était en état d'hypnose qu'il aurait été difficile de le qualifier seulement de prélucide.
L'acte de saisir un vase est d'ailleurs accompli par le rêveur en raison de sa lucidité : il réagit
à la nature de la situation plutôt qu'à son contenu. Dans ce récit le sujet est en quelque sorte
étonné par sa propre lucidité et on a le sentiment que c'est plus à elle qu'il cherche à
attribuer une explication qu'à l'incongruité de la situation qui, dans un contexte de conscience
onirique ordinaire, ne pose aucune difficulté d'explication. Cette recherche le porte
spontanément à penser à des états proches du sommeil, dont l'hypnose.

Ce type de situation s'oppose nettement à ceux dans lesquels le saut qualitatif


conscientiel fait aussitôt l'objet d'une interprétation en fonction de conceptions acquises à
l'état de veille. Il n'y a alors pas de recherche pour comprendre l'état vécu et par là des
limites s'imposent aussitôt au rêveur, limites nettement observables dans les cas où le rêveur
croit sortir de son corps.

« […] (depuis les images hypnagogiques je glisse dans le


rêve…) Je regarde mon interlocuteur. Il a des cheveux blancs, est un
peu chauve. Je le regarde dans les yeux. Il ressemble à mon père.
C'est lui. Plus je me concentre sur son œil plus la pression s'accentue
au centre de mon front.

« (Rêve lucide :) Je suis conscient. Je me concentre sur mon


front. Je sens que je pousse pour sortir du corps. Je me sens flotter.
Je me penche légèrement de côté, comme un bateau qui tangue, par
rapport à moi-même. Je lève une jambe. Je vois nettement mon
pantalon - des jeans bleus - avec une basket blanche au pied. J'essaie
de lever le corps pour être à angle droit avec la jambe. Je lève l'autre
jambe, mais elle n'existe pas. En me concentrant je remarque un
morceau de jeans et à peine les contours de la jambe. (Je crois) être
allongé sur le lit tout habillé. Je me répète que je suis sous la
protection de Dieu : "Mon Dieu je suis sous ta protection". J'ai peur de
quitter mon corps.

« (Réveil : Noter que j'étais en fait en pyjama. Il s'agissait


[9]
donc d'un rêve lucide et non d'un voyage astral. […]) »

Ici le rêveur assimile d'autant plus facilement son état de conscience à la lucidité
onirique qu'il s'est endormi consciemment en passant des images dites hypnagogiques à un
rêve bref puis à un état conscient dans lequel il se savait dans son lit, ce qui apparaît
d'ailleurs dans le cours du rêve. L'étiquette qu'il met spontanément sur l'expérience en raison
des circonstances (endormi tout en étant conscient au lit) provoque néanmoins en lui une
peur qui le pousse plus à la prière qu'à l'exploration - ou même à la simple réflexion qui
aurait dû l'amener à remarquer les différences de son état présent avec celui de la veille
(vêtu de jeans au lieu d'un pyjama). D'une façon générale, même lorsque la peur ne paralyse
pas le rêveur, la croyance à un état hors du corps l'amène à des comportements stéréotypés
dont le besoin de protéger le corps "quitté" n'est qu'un cas particulier. D'un côté, de tels
comportements oniriques sont dictés par des croyances importées de l'état de veille et, de
l'autre, ils influent probablement sur la nature de l'expérience qui confirme en retour les
croyances dont elle est issue.

La lucidité par négation est elle-même susceptible de degré comme le montre


l'appréciation que le rêveur porte sur une situation présente qu'il considère comme ne
relevant pas de l'état de veille. Lorsque le sujet se croit en état de sortie hors du corps, il se
sait allongé sur son lit dans le même temps, tandis que, lorsqu'il se suppose en état
d'hypnose, il a une conscience moins claire des circonstances qui entourent son état présent.
D'une certaine façon le rêve de sortie hors du corps est plus "lucide" (d'une lucidité par
négation) que les rêves au cours desquels le rêveur se croit hypnotisé ou drogué puisqu'il
garde le souvenir des circonstances qui l'ont amené à cet état. De tels rêves ne se contentent
cependant pas d'inciter le rêveur à s'interroger sur son état psychique, ils le poussent aussi
parfois à en tirer des conclusions sur son état physique. Ainsi il n'est pas rare qu'au moment
où le rêveur atteint, par un rêve de sortie hors du corps, une lucidité par négation, il se croie
physiquement mort.

« […] je dormis plusieurs heures. A la longue je réalisai que je


m'éveillais lentement et il ne semblait pas que j'eusse la possibilité ni
de me rendormir ni de me réveiller davantage. Dans cet état de
stupeur je savais, au fond de moi-même, que j'existais quelque part,
d'une façon ou d'une autre, dans le silence et l'obscurité et dans un
état d'impuissance et d'insensibilité. J'étais conscient, mais très mal à
l'aise, conscient d'exister, mais où ? Peu à peu, j'eus l'impression que
je reposais sur un lit mais j'étais toujours désorienté quant à ma
position exacte et incapable de bouger, comme si j'adhérais à ce sur
quoi je reposais. […] A un certain moment, la sensation d'adhérence
diminua, mais pour être remplacée par une sensation tout aussi
désagréable, celle de flotter. Au même moment tout mon corps rigide
[…] se mit à vibrer à grande vitesse en un mouvement d'ascension et
de descente, et je pouvais sentir une forte pression qui s'exerçait dans
ma nuque […]. Cette pression était impressionnante et se manifestait
par à-coups réguliers dont la puissance semblait faire vibrer tout mon
corps. Tout cela, dans une obscurité totale, me fit l'effet d'un horrible
cauchemar, car j'ignorais ce qui se passait. Pendant ce pandémonium
de sensations étranges : flotter, vibrer, osciller… et cette pression à la
tête… j'entendais des sons qui me paraissaient lointains et quelque
peu familiers. Le sens de l'ouïe commençait à fonctionner. J'essayai
encore de bouger, sans succès, comme si j'étais toujours dans
l'étreinte de quelque mystérieuse force directive et extrêmement
puissante.

« Le sens de l'ouïe ne s'était pas plus tôt mis en action que la


vue suivait. Étant capable de voir, je fus plus qu'étonné! Je flottais! Je
flottais dans l'air, rigide et à l'horizontale, à quelques centimètres
au-dessus de mon lit! Au début les choses environnantes me parurent
troubles, puis elles se précisèrent. Je savais parfaitement où j'étais,
seulement je ne pouvais m'expliquer mon étrange comportement.
Lentement, en zigzaguant et en ressentant une forte pression au bas
de la tête, j'évoluais, toujours à l'horizontale, et impuissant, vers le
plafond. Je crus que mon corps physique, tel que je l'avais toujours
connu s'était, mystérieusement, mis à défier les lois de la gravitation ;
c'était trop inhabituel pour que je comprenne mais trop réel pour que
je nie car, étant conscient et capable de voir, je ne pouvais pas douter
de ma raison. A près de six pieds au-dessus du lit, je fus levé de la
position horizontale et placé debout sur le plancher de la chambre
comme si ce mouvement avait été dirigé par une force invisible,
présente dans l'air même. Je restai ainsi ce qui me sembla deux
minutes, toujours impuissant à me mouvoir de mon propre chef et
regardant droit devant moi. […] Enfin, la "force directive" se relâcha.
Je me sentis libéré, ne ressentant plus que la tension dans le bas de la
tête. Je fis un pas, la pression s'accrut un bref instant et fit faire à
mon corps un angle aigu! Je fis un effort pour me retourner : il y avait
deux "moi"! Je commençai à me croire fou : il y avait un autre moi
couché calmement sur le lit! Il m'était assez difficile de me convaincre
de la réalité de la chose mais mon esprit, bien conscient, ne me
permettait pas de douter de ce que je voyais. […] A la vue de ce
spectacle et dans l'ignorance de l'endroit où j'étais, ma première
pensée fut que j'étais mort pendant mon sommeil. […] Je me mis en
route, […] vers les autres chambres où dormaient les membres de ma
famille, pour les réveiller et leur apprendre quelle horrible chose
m'arrivait. J'essayai d'ouvrir la porte, mais je la traversai. Un miracle
de plus pour mon esprit déjà suffisamment étonné!

« Passant d'une chambre à l'autre, je tentai, avec force, de


réveiller les occupants endormis de la maison. Je les appelais, je les
secouais, j'essayais de les remuer, mais mes mains passaient au
travers d'eux comme à travers un brouillard. Je me mis à pleurer. Je
voulais qu'ils me voient et ils ne pouvaient pas même sentir ma
présence. Tous mes sens paraissaient normaux à l'exception du
toucher. Je ne parvenais pas à avoir de contact avec les choses
comme avant… Une voiture passa près de la maison, je pouvais la voir
et l'entendre très clairement. Soudain, j'entendis l'horloge sonner
deux heures et en la regardant, je vis qu'elle indiquait bien cette
heure.

« Je commençai à errer dans les différentes chambres,


impatient que le matin vienne et que tout le monde se réveille et me
voie. Après un quart d'heure, à ce qu'il me sembla, je ressentis un
accroissement dans la résistance […] qui me tirait avec une force de
plus en plus grande. Je recommençais à zigzaguer sous l'influence de
cette force et je vis que j'étais en train de retourner vers mon corps
physique. J'étais à nouveau incapable de me mouvoir, "soumis",
cataleptique; je retrouvai la position horizontale, directement
au-dessus de mon lit.

« C'était le processus inverse de celui que j'avais vécu en me


"levant" du lit. Petit à petit le fantôme faiblit, vibrant à nouveau, puis
il tomba brusquement en "coïncidant" avec sa partie physique. A ce
moment chaque muscle de mon corps physique fut secoué et une
douleur pénétrante me traversa, comme si l'on m'avait "déchiré" de la
tête aux pieds! J'étais à nouveau physiquement vivant et aussi ébahi
qu'effrayé. J'étais resté conscient pendant toute la durée du
[10]
phénomène.

A plusieurs reprises le rêveur insiste sur le fait qu'il est tout à fait conscient et c'est
cette conscience qui l'empêche de considérer son expérience comme étant de type onirique.
En répondant à une objection possible concernant son expérience il écrit : « En rêvant, un
homme peut ne pas savoir qu'il est inconscient mais quand il est conscient, il sait
[11]
pertinemment bien qu'il ne rêve pas » . Puisque la dénomination de rêve est refusée
à ce type d'expérience en raison d'une définition restrictive du rêve - qui pose une équation
absolue entre le fait d'être conscient et celui de ne pas rêver - et qu'il sait de façon certaine
qu'il n'est pas dans un état d'éveil normal, on peut à ce titre parler de lucidité par négation.
Par la suite il qualifiera cette première expérience de "projection astrale" et ses expériences
subséquentes porteront la marque de cette croyance. Mais au moment de ce récit sa
méconnaissance du sujet le pousse à donner un autre contenu à son expérience, celui de se
croire mort. Comme il le remarque lui-même : « J'avais entendu dire qu'il y avait une vie
après la mort, assez semblable à notre vie actuelle, à cela se limitait ma connaissance du
[12]
sujet qui, du reste, me préoccupait fort peu » . Le besoin pour le rêveur de comprendre,
d'expliquer son état, correspond apparemment pour la conscience à un besoin de se "situer",
de savoir "de quoi" elle est consciente pour fonctionner de façon adéquate. Il semble donc
assez naturel que le premier réflexe du rêveur ait été d'assimiler son expérience présente au
seul état "différent" dont il ait entendu parler. Une fois cette explication acceptée il se met à
agir en conséquence : il passe à travers les murs, essaie d'entrer en contact avec ceux qui
sont toujours vivants… jusqu'à ce qu'il se réveille. Ainsi, lorsque l'expérience est étiquetée, le
rêveur se conduit de façon "prévisible" pour lui-même plutôt que de façon créative en
cherchant à explorer le monde qui l'entoure. La croyance que l'on est "mort" porte ici sur
l'état psychique qui est corrélatif de la mort physique mais cette mort physique est "inférée"
par les éléments du rêve : lorsque le rêveur voit son corps physique dans le lit, ou qu'il se
sent à l'état de "fantôme", il en vient à supposer qu'il n'a plus de corps et que par conséquent
son corps n'a plus de "conscience", ce qui revient à dire qu'il est mort. Pour évident qu'il soit,
le simplisme d'un tel raisonnement n'est certainement pas la principale préoccupation de
celui qui vit une telle expérience pour la première fois. Cependant, dans certains cas, une
expérience de lucidité par négation dans laquelle le rêveur se croit mort peut devenir
complètement lucide et libérer ainsi le sujet des limitations précédentes, lui permettant
d'aborder son expérience de façon plus ouverte, dans la mesure où sa conception de
l'expérience onirique ne subit pas elle-même une restriction due à des préconceptions ou des
théories sur le rêve.

Dans d'autres cas l'état physique au lieu d'être simplement inféré (je vois mon corps
donc je suis mort) peut être "ressenti", et ce sont de telles sensations qui amènent le rêveur
négativement lucide à conclure qu'il se trouve dans un état donné. Ainsi le fait de sentir son
corps avec acuité peut l'amener à penser qu'il est dans un état somnambulique. C'est donc
encore à une idée préconçue sur la nature du rêve - celle selon laquelle les sensations
corporelles ne peuvent être aussi intenses et aussi nettes en rêve qu'à l'état de veille -,
qu'obéit le rêveur lorsqu'il accepte cette idée. Néanmoins, lorsque la situation onirique est
telle que les sensations, pourtant intenses, ne s'accordent pas avec leur usage habituel,
lorsque par exemple le rêveur a le sentiment apparemment physique de léviter, il devient
difficile pour lui de calquer sur la situation de telles préconceptions. Les sensations oniriques
augmentent alors sa lucidité, à la façon d'une incongruité, ou le poussent à se réveiller pour
"vérifier" son état.

La lucidité par négation procure bien l'expérience de rêves "presque lucides"


puisqu'elle nous permet de constater l'impact des croyances du rêveur sur la situation
onirique. Ce type d'expérience n'est pas à dédaigner car il met nettement en lumière des
problèmes qui se posent de façon plus insidieuse même au cours de rêves pleinement
lucides, lorsque des croyances implicites agissent sur la situation onirique de façon
souterraine. Ils servent donc de point de comparaison et permettent de supposer que
certaines limites rencontrées en rêve ne sont pas fondées et qu'elles peuvent faire l'objet
d'une remise en cause active lors de l'expérimentation.

II. Le rêveur sait qu'il rêve mais n'agit pas


Lorsque le rêveur sait parfaitement qu'il rêve, l'expérience du rêve lucide cesse d'être
sous la tutelle de croyances "extra-oniriques" (comme le sentiment d'être mort ou en état de
somnambulisme) pour devenir purement onirique. Nous avons certes remarqué que la
conception que le rêveur se fait du rêve peut également être restrictive et influer sur son
déroulement, néanmoins la situation est plus nette et les remises en question éventuelles
plus faciles dans la mesure où le rêveur est libéré des peurs inhérentes au sentiment
d'impuissance que ressent un sujet qui se croit en état d'hypnose (donc à la merci d'un
hypnotiseur) ou passé de vie à trépas (donc impuissant à entrer en contact avec ses proches
comme dans le cas de Muldoon). Lorsque le rêveur se sait en train de rêver, l'expérience
cesse d'être simplement celle de la lucidité pour devenir celle du rêve lucide. Mais elle ne
reste expérience (c'est-à-dire ne déborde pas vers l'expérimentation) que tant que le rêveur
n'intervient pas dans le rêve "de l'extérieur", c'est-à-dire ne lui impose pas un cours qui lui
est étranger. De ce point de vue l'expérience la plus simple du rêve lucide est celle où le
rêveur n'intervient absolument pas mais se contente de vivre le rêve en spectateur.

Une telle approche de l'expérience simple du rêve lucide prête cependant à confusion
car elle pourrait inciter à penser que le rêveur, en tant qu'acteur de la scène onirique, est
absent. Or, si nous reprenons les exemples de rêves lucides déjà donnés, il est aisé de se
rendre compte que le rêveur, en tant que personnage onirique, joue un rôle effectif dans le
[13]
déroulement du rêve. Ainsi dans un rêve déjà cité dans lequel le rêveur fait "l'amour à
l'anglaise", le sujet n'agit pas sur le rêve de l'extérieur, pour le modifier du fait qu'il s'agit
d'un rêve, mais il ne réagit pas non plus à la situation du fait qu'il est lucide. La scène
est nettement dictée par le rêve, et le rêveur se contente en quelque sorte d'en être le
spectateur conscient mais passif. On a le net sentiment que le rêve se serait déroulé de la
même façon si le sujet n'avait pas été lucide.

D'une certaine façon un tel type d'expérience semble être le moyen d'observation le
plus neutre et le plus sûr de l'état de rêve et de son contenu. Néanmoins rien n'indique que
tout se serait effectivement passé de la même façon si la lucidité avait été absente. Si la
lucidité n'a pas d'action directe ou visible sur l'expérience, elle en a peut-être une autre non
immédiatement décelable. Ainsi, il est possible que la lucidité modifie la nature de
l'expérience onirique par sa seule présence. C'est ce que semble indiquer Mary Arnold-
[14]
Forster dont la formule "Tu sais que c'est un rêve" dissout immédiatement toute peur
onirique. Il faut cependant remarquer que dans ce cas la lucidité surgit en raison de l'élément
perturbateur et que, si elle joue un rôle par sa simple présence, celui de le faire disparaître,
elle est en quelque sorte "appelée" par lui. Or, dans l'exemple précédent que nous avons
donné, la présence de la lucidité n'est pas "motivée" par le rêve, elle lui reste extérieure.
Ainsi, bien que dans les deux cas le rêveur lucide ne fasse rien (ce qui n'empêche pas le
personnage onirique d'agir), le processus est tout à fait différent. L'expérience n'est pas
simple du seul fait que le rêveur n'agit pas ; il faut également savoir dans quel contexte
s'inscrit cette "inaction" pour s'assurer qu'elle est réelle vis-à-vis du rêve. Nous allons donc
examiner les rêves où le rêveur lucide n'agit pas (même si le rêveur-personnage agit) en
fonction des raisons qui le poussent à "ne pas agir".

Le rêveur peut évidemment ne rien faire parce qu'il n'en éprouve guère le besoin ou
plus simplement parce que rien dans le rêve ne lui suggère une action possible ou nécessaire,
comme dans le rêve lucide suivant qui ne présente aucune situation demandant une
"intervention" :

« […] Derrière l'Opéra, il y a un grand jardin à la française


devant un hôtel particulier du dix-huitième, et dans le jardin une
profonde fosse bétonnée qui est en fait l'entrée d'un souterrain. Au
fond de la fosse, c'est la mer, avec des rochers couverts d'algues et la
marée descendante. Le chien et le chat se sont transformés, en un
garçon et une fille d'environ 10 ans qui se précipitent dans la fosse
(par un plan incliné) pour aller dans la mer "pêcher des éponges".

« Il fait bon dans le jardin au soleil. — "Et ce qui était


merveilleux, dit une vieille dame vêtue de noir - c'est que les collines
étaient couvertes de gens qui allaient se rendre visite les uns aux
autres". J'ai une vision de ce qu'elle dit. Ça se passe en Grèce. Je lui
réponds que là où je vais en vacances, dans le Gard, c'est tout le
contraire. Chacun chez soi avec son fusil de chasse derrière sa baie de
Thuya, et ça fait des histoires quand les enfants (ou les chiens)
passent sous la haie pour aller voir ce qui se passe ou jouer avec les
enfants des voisins.

« En plus de la vieille dame, il y a maintenant une quantité de


gens qui approuvent ou discutent ce que je dis. Je connais la plupart
d'entre eux. — Nous descendons, en discutant, dans la fosse. Il y a un
tombereau sur le plan incliné qu'il faut contourner. A ce moment, K.
(le musicien) qui est dans l'assemblée, me dit "Vous avez écrit
VRIJSEL, mais ce n'est pas tout à fait ça, C'est VRJISEL qu'il fallait
mettre."

« Nous entrons en grande pompe sous d'immenses voûtes, en


marchant sur la plage que la mer vient de quitter.
« (Ce rêve était lucide dans toute sa dernière partie, où le
[15]
chien et le chat se transforment en enfants etc.) »

Ce rêve lucide suit un déroulement naturel. Cependant rien ne garantit ici que le rêveur
n'aurait pas pu, le cas échéant, intervenir. Simplement il n'y a pas pensé parce que sa
lucidité est restée "neutre".

Dans d'autres circonstances son inaction vient de ce qu'il ignore la possibilité d'une
telle intervention et dans ce cas la situation est différente, surtout si la lucidité est, sur le
plan affectif, colorée par un désir d'action non esquissée. On ne peut alors considérer que
l'expérience est "neutre" même si le rêveur n'agit pas, c'est-à-dire ne "perturbe" pas le rêve.
Cet aspect est parfaitement net dans les rêves lucides désagréables que le rêveur essaie de
fuir en se réveillant. Il n'y a pas action sur le rêve, mais il est extrêmement probable qu'une
telle action aurait pu se produire puisque le sujet se révèle capable, de par la conscience
qu'il a de rêver, d'échapper à son rêve. S'il ne sait pas qu'il peut tenter quelque chose au sein
du rêve, c'est soit parce l'urgence de la situation ne lui laisse pas le temps de réfléchir, soit
parce qu'il méconnaît complètement cette possibilité d'action pour ne l'avoir jamais vécue
auparavant.

Dans certains cas le rêveur n'agit pas alors même que les possibilités d'action du
rêveur lucide lui sont connues. Cela est particulièrement fréquent lorsqu'il s'est entraîné à
devenir lucide sans projet onirique particulier. Il ne sait alors pas "quoi faire" de sa lucidité,
comme dans un rêve déjà cité où le sujet écrit : « Brusquement je me rends compte que
c'est un rêve, que je suis dans un rêve. […] Je dois dire que je ne sais pas trop quoi faire.
[16]
Finalement il faudrait prévoir une liste d'occupations type » . Dans l'expérience simple
l'action n'étant pas préparée dès l'état de veille, elle suppose qu'un objectif soit établi en
fonction de la situation onirique. Or, parfois le rêve n'indique au rêveur aucune piste à suivre
malgré son désir d'agir. On pourrait se demander pourquoi, dans ce cas, le rêveur ne se
laisse pas simplement "porter" par le rêve. C'est qu'il semble bien que dans ces types de
rêves le désir d'action ne soit pas gratuit mais aide le rêve à se maintenir. Lorsque le
rêveur ne sait vraiment plus quoi faire dans de tels rêves, la scène onirique finit
généralement par s'effacer, comme dans la fin du rêve lucide suivant :

Je me demande "Es-tu heureuse ?" et je sais que je le suis,


"Sais-tu que tu rêves ?" et je le sais. Je commence à me demander ce
que je pourrais bien faire de cette merveilleuse lucidité, et je me mets
à voleter en l'air, le visage ouvert au soleil et au vent. Mais la scène
s'efface peu à peu, comme une lumière qui s'éteint, et, soudain, me
[17]
voilà réveillée, dans mon lit.
Donc, si certains rêves lucides sont des expériences simples en ce que le rêveur
n'interfère pas avec le rêve, cette non-interférence elle-même permet de mesurer si le rêve
dans lequel se meut le rêveur est en quelque sorte un rêve "ordinaire" sur lequel se "colle" la
lucidité ou s'il s'agit d'un rêve appartenant par nature au domaine des rêves lucides.
Repérer les types d'inactivité est donc très utile pour déterminer le genre du rêve lui-même,
afin de chercher par la suite quels sont les aspects qui différencient le rêve lucide "par
accident" (à vocation "ordinaire") du rêve lucide par nature.

Le rêveur lucide a d'ailleurs l'intuition du type de rêve dans lequel il se meut puisqu'à
l'inverse des rêves dans lesquels il se demande "que faire", et qui ont besoin de sa
participation pour se maintenir, il est capable de se rendre compte que pour obtenir le même
résultat d'autres rêves nécessitent qu'il n'intervienne pas.

« C'est une maison blanche sans étage en forme de L. A


l'intérieur, les pièces sont petites et les plafonds bas. En fait ça
ressemble à des maisons que j'ai vues en Irlande.

« D… est rentré et en principe c'est vu de son point de vue,


mais je suis là aussi, faisant parfois des commentaires.

« La maison est tenue par deux femmes. L'une est la mère de


D… et l'autre une cousine éloignée. L'ambiance est un peu sévère. En
fait, la mère est une sorte de chef d'État de cette petite communauté
villageoise. Elle parle à la télé et est interviewée en tant que telle. La
cousine s'occupe plutôt du ménage et de la cuisine.

« Ce qui suit est commenté par la mère à la télé, vu par D… et


moi dans la réalité. Il y a des loups dans le jardin. Ils sont dangereux.
Ce sont des loups soviétiques. Il est urgent de faire quelque chose à
leur sujet. D. et moi, nous voyons que la barrière du jardin empêche
les loups de sortir sur le devant, mais qu'ils pourraient très bien
s'échapper par le côté, où la palissade est abîmée. Je dis ou pense :
tout ceci n'est qu'une comédie politique, ce sont de braves loups.

« Nous rentrons à la maison où la mère est en train de parler à


une assemblée de citoyens tout en repassant des draps. C'est la nuit,
l'ambiance sous les lampes est familière. D… et son frère plus jeune
s'assoient par terre et écoutent ce que dit leur mère. Les citoyens
sont des hommes en majorité, paysans du coin. Ils écoutent
attentivement, d'autant plus que c'est retransmis à la télé et qu'ils se
voient eux-mêmes sur l'écran.

« La mère parle de relations commerciales extérieures. (Les


deux enfants en ont assez - ils vont aux cuisines voir leur cousine.)
« Tout le long de cet épisode je suis vraiment à l'extrême bord
de la lucidité, comme on peut l'être au cinéma. Je suis conscient, en
particulier, de me retenir de faire des commentaires, parce que je n'ai
pas à entrer en jeu, que ça troublerait le déroulement de
[18]
l'histoire. »

Ce rêve n'est pas lucide par nature et le rêveur n'intervient pas, non parce qu'il ne sait
que faire mais parce qu'il ne veut pas troubler son cours naturel. Le rêve pourrait donc se
dérouler sans la lucidité et le rêveur a le sentiment de sa fragilité. Dans ce cas le rêveur
s'adapte immédiatement à la nature de l'expérience alors même qu'aucun critère précis ne
s'offre à lui pour la qualifier et qu'aucune analyse préalable ne motive sa conduite. Ainsi
l'expérience du rêve lucide dans lequel le rêveur n'intervient pas (du fait qu'il n'a aucun
projet ou aucune intention en ce sens) nous permet non seulement de mettre en évidence
des genres de rêves différents mais aussi l'existence d'une certaine sensibilité du rêveur à la
nature de la situation onirique.

L'existence de cette sensibilité particulière est d'ailleurs confirmée par les cas où des
exigences théoriques importées par la vie de veille interfèrent avec ces situations. Ainsi
certains psychologues, telle Ann Faraday, considèrent que dans le rêve lucide le rêveur ne
doit pas intervenir : « Un autre étudiant rapporte que dans ses rêves de vol il devient
conscient de rêver et peut alors se livrer à des exploits acrobatiques ; son nouveau corps de
rêve, dit-il, en retire, en apesanteur, un grand bien-être. On peut se demander s'il s'agit là
d'un acte créatif ou d'une échappatoire.

« L'expérience la plus intéressante consisterait sûrement à laisser le rêve se


poursuivre, tout en demeurant pleinement conscient, mais sans se servir de cette conscience
pour le modifier. […] Par exemple […] il serait intéressant que […] l'étudiant, au lieu de se
[19]
complaire à des acrobaties, décide, comme les Sénoïs, d'aller quelque part ».

De telles vues sont certainement justes dans un contexte donné, mais elles
méconnaissent l'existence de rêves lucides de nature différente et surtout ne font pas
confiance à la sensibilité propre du rêveur lucide. Une telle approche théorique peut se
révéler tout simplement inadéquate dans son ignorance des variétés de l'expérience de la
lucidité comme le montre le rêve lucide qui suit dans lequel le sujet a cherché, en laissant le
rêve à lui-même, à suivre les conseils d'Ann Faraday plutôt que sa sensibilité de rêveur.

« (début de rêve lucide) Je suis hors de mon corps et je volette


dans la pièce. Je n'essaie pas d'intervenir et laisse les événements
suivre leur cours mais tout devient noir (et je me retrouve dans mon
lit à état de veille. Conclusion : il faut susciter les images du
[20]
rêve). »
Dans ce cas l'injonction de "laisser les événements suivre leur cours" s'est révélée
inadéquate car ce rêve lucide entrait dans la catégories de ceux qui ont besoin de la
participation du rêveur lucide pour se maintenir ("susciter les images"). Les attitudes
théoriques constituent donc une autre des raisons possibles pour lesquelles le rêveur lucide
n'agit pas, et ces expériences nous font prendre conscience à la fois des résultats d'une sorte
de "rétention d'action" délibérée et de conceptions souvent trop unilatérales sur le
fonctionnement du rêve. En fait la théorie ne saurait se substituer à la sensibilité du sujet et,
lorsque le rêveur se retient d'agir, il se conduit de façon antinaturelle et malmène le rêve qui
se dissipe.

Lorsque le rêveur lucide se retient d'agir, d'une certaine façon il pèse justement de sa
lucidité sur le rêve puisqu'il s'efforce de ne pas faire quelque chose. Il y aurait donc au
moins deux façons de ne pas agir délibérément : d'une part en suivant sa sensibilité naturelle
de rêveur lucide et, d'autre part, en se soumettant à des injonctions théoriques parfois en
contradiction avec cette sensibilité. Dans le premier cas nous sommes toujours dans
l'expérience du rêve lucide puisque le rêveur réagit au rêve en fonction d'une sensibilité
onirique, tandis que dans le second nous sommes plutôt en présence d'une
expérimentation puisqu'une conception théorique importée dans le rêve, même non
interventionniste, dans la mesure où elle ne répond pas à cette sensibilité, en modifie le
déroulement de façon antinaturelle. Ainsi les rêves lucides dans lesquels le rêveur n'agit pas
ne relèvent pas tous de l'expérience simple.

III. Le rêveur tente d'agir, sans résultat


Ces situations sont elles-mêmes très différentes de celles où le rêveur décide d'agir
mais n'y parvient pas. Cela peut se produire dans le cadre de l'expérience simple lorsque le
sujet s'efforce de réagir à des événements oniriques selon sa spontanéité mais trouve cette
volonté contrecarrée, et se trouve dans l'incapacité d'influer sur le déroulement du rêve ou
son état.

Lorsque le rêveur ne peut pas agir sur le contenu des rêves, le rêve se déroule alors
malgré le rêveur et sa lucidité.

« Je marche avec S… sur la plage de P…. Derrière le terrain de


l'ashram, je découvre avec plaisir que la plage est propre, même les
rochers le sont. Deux ou trois personnes que je distingue mal
prennent un bain de soleil ou se préparent à aller nager. Puis, je
remarque qu'ils se déshabillent et courent nus vers la mer, le plus
naturellement du monde. S… en fait autant. Et moi, moi qui me grise
à l'idée même de pouvoir nager nu dans la mer, moi qui l'ai, de plus,
déjà fait sur cette même plage mais à un moment où elle était
déserte, il est vrai (et de cela je suis conscient même dans mon rêve),
je suis pris d'un subit accès de pudeur, je me dis que je ne peux pas
le faire, surtout à P…. P…, suprême symbole des traditions et des
valeurs qui m'ont été inculquées. Et je reste là, debout, le dos
obstinément tourné vers la mer qui m'appelle de ses bruissements
langoureux, obstinément insensible aux picotements quasi sensuels
du sable fin sur mes pieds, les mains crispées sur les boutons de ma
chemise que je n'ose pas défaire. Et je reste là comme un con, sourd
à mes désirs les plus viscéraux, paralysé, fasciné, soumis, le regard
tourné vers cette ville qui m'observe. Ma conscience de spectateur, de
celui qui assiste à la scène, est près d'exploser. Je me dis :"Ce n'est
pas possible! Va te baigner! Déshabille-toi! Jette-toi à l'eau! La mer!
Nager nu dans la mer! Tu t'en fous de P…! Enfin, ce n'est qu'un rêve!
Vas-y! Vas-y!" Je bouillais encore de colère lorsque je me suis
[21]
éveillé. »

Dans ce rêve le rêveur s'efforce aussi d'agir ("Enfin, ce n'est qu'un rêve! Vas-y!") mais
il ne parvient pas à influencer les événements, ce qui nous montre une nouvelle forme de
l'expérience simple : la lucidité est tout à fait présente, mais sans qu'aucune action délibérée
ne soit possible sur le rêve. Cette fois ce n'est ni une lucidité "négative" ou peu intense, ni la
sensibilité naturelle du rêveur ou une conception théorique importée qui s'interposent entre le
sujet et son action, mais une incapacité à agir dans le rêve comme si ce dernier lui-même
résistait à toute intervention. Dans le cas du rêve cité, l'incapacité d'agir peut être mise sur le
compte d'un blocage affectif et donc faire partie de la situation onirique elle-même. En ce
sens le côté lucide du rêveur réagit à la situation, et cette réaction qui ne parvient pas à se
manifester en acte n'en reste pas moins incluse dans la dynamique du déroulement du rêve.

Cependant, comme pour la rétention d'action, il faut ici aussi distinguer entre une
incapacité d'agir qui relève de l'expérience simple et celle qui dépend de l'expérimentation.
En effet, lorsque le rêveur ne parvient pas à agir dans le rêve, non par réaction à la situation
mais pour parvenir à mettre en œuvre une action qui lui est dictée par des conceptions
importées de l'état de veille, il s'agit d'une situation d'expérimentation, même si elle
n'aboutit pas.

« Je suis allongé dans le lit et j'entends du bruit auquel


participe une radio. Ce sont les informations et il est question de
musulmans. Dehors luit une lumière électrique que je peux apercevoir
de la fenêtre. Je la fixe pour faire un phosphène.

« Rêve lucide : Quelque chose se passe pendant que je la fixe.


Je me rends compte qu'il n'est pas possible qu'il y ait une lampe sur
un mur en face parce qu'en face c'est la Seine et que les stores de la
fenêtre sont fermés. […] je me dis que je dois être dans un rêve.

« Ma gorge se met à trembler, comme lors des contractions


statiques. J'essaie de faire descendre ce tremblement au niveau du
périnée mais je n'y arrive pas. Mon intention est de faire monter le
tremblement le long de la colonne vertébrale. Finalement je me dis
qu'il est peut-être nécessaire que ce tremblement ait lieu dans la
gorge, peut-être a-t-il un effet curatif. Je le sens avec une intensité
[22]
incroyable. Puis il cesse. »

Ici l'intention d'action du rêveur n'est pas une simple réaction à la situation, même s'il
cherche à utiliser les éléments déjà présents dans le rêve, mais part d'une idée importée de
[23]
la vie de veille, ou plus exactement d'un exercice de Qigong dont il essaie de reproduire
le modèle à partir de la sensation onirique éprouvée. Il s'agit donc bien d'une situation
d'expérimentation, même si elle se fait spontanément, en fonction des circonstances, et bien
qu'elle n'aboutisse pas. Car dans ce cas ce n'est pas une réaction du rêveur qui échoue mais
bien une action tout à fait étrangère au rêve. De façon générale l'incapacité à agir sur le
contenu ouvre des perspectives sur ce qu'on pourrait appeler l'immunité du rêve. Si en effet
certains rêves lucides ont besoin de l'activité du rêveur pour se maintenir, d'autres en
revanche résistent à toute intrusion active de la part d'une conscience lucide. Qu'elles qu'en
soient les raisons ce sont là apparemment deux formes d'expériences opposées concernant
le contenu du rêve, et entre lesquelles prennent place des formes "intermédiaires".

Que le rêveur lucide soit ou non capable d'agir sur le contenu du rêve, il existe un
autre type d'incapacité qui s'inscrit dans l'expérience simple du rêve lucide, c'est
l'impossibilité d'agir sur l'état de rêve. Ce changement consiste en une modification non pas
du contenu du rêve mais du cadre dans lequel il s'inscrit, en agissant par exemple sur son
genre, en passant à un autre rêve, en rejouant des séquences précédentes ou simplement
en quittant le rêve. Lorsque le changement d'état survient spontanément ou s'explique par
une réaction immédiate à une situation onirique il fait pleinement partie de l'expérience
simple ; mais il appartient à l'expérimentation s'il dérive d'une intention délibérée
d'explorer ou d'étudier le rêve. Nous avons déjà cité un exemple d'un changement d'état se
faisant par réaction lucide dans lequel le rêveur change de rêve parce qu'il trouve celui en
[24]
cours ridicule . Le rêveur a d'abord une réaction qui marque sa lucidité ("ce rêve est
ridicule") et qui implique l'intention de faire quelque chose à ce sujet. Dans ce rêve cette
intention et la modification qu'elle entraîne ne sont pas vraiment dissociables mais la réaction
du rêveur ne fait pas de doute. L'intention d'agir sur l'état de rêve est plus aisée à déceler
lorsqu'elle est différée dans le cours du rêve :

« Rêve lucide : Dans le métro je rencontre une fille plus grande


que moi aux cheveux blond roux, avec des lunettes et un air
sympathique. Je la trouve jolie malgré son air de ressemblance avec
(une fille du cours de logique de M…). Je lui passe le bras autour de la
taille et elle le sien autour de mon épaule et nous prenons le métro.
Rétrospectivement je veux justifier cette attitude. Il faut donc que,
pour empêcher les loubards de l'aborder, elle ait l'air d'être avec un
petit ami. Ainsi nous jouons la comédie de bon cœur, mais plus tard il
faudra recommencer pour que ça devienne vrai. (C'est-à-dire revenir
[25]
en arrière dans cette séquence pour la rejouer autrement). »

Ici le rêveur a l'intention nette de rejouer différemment une séquence onirique. Il s'agit
bien sûr de modifier le contenu du rêve, mais en agissant sur son cadre temporel. Cette
intention, indépendamment de sa concrétisation possible en événement onirique, appartient à
la dynamique de l'interaction entre le rêveur lucide et la situation onirique.

Cependant une telle intention est souvent nettement extérieure à la situation onirique,
par exemple lorsque le rêveur désire ne pas se réveiller et continuer à rêver alors que le rêve
se dissipe. Dans ce cas le désir de continuer à rêver n'est pas celui de continuer tel rêve
particulier mais porte sur le fait de rêver lui-même et surtout de rêver consciemment. Ou
encore, à l'inverse, la raison qui pousse le rêveur à quitter délibérément le rêve nous indique
immédiatement si son intention appartient ou non à la dynamique du rêve. Du rêveur lucide
qui se force à s'éveiller pour fuir un rêve désagréable à celui qui, comme Hervey de
[26]
Saint-Denys sait « secouer le sommeil par un violent effort de volonté » afin de noter
les scènes du rêve, la distinction entre expérience et expérimentation apparaît nettement.
La première attitude est dictée par la situation onirique, la deuxième par des préoccupations
de la vie de veille qui n'intéressent pas le rêve.

Toutefois, lorsqu'une telle intention "extérieure" au rêve ne se concrétise pas en une


modification de l'état de rêve malgré les efforts du rêveur, on est tenté de considérer que le
rêveur lucide fait là l'expérience du rêve et de sa résistance plutôt qu'il ne l'expérimente. En
un sens cela est exact : il fait l'expérience de son incapacité à modifier un état, mais d'un
autre côté on peut se demander si cette incapacité n'est pas en elle-même un niveau
d'expérimentation. En effet, tant que le rêveur lucide prend l'initiative de transformer le cadre
de son expérience pour répondre à une situation onirique donnée et que cette transformation
n'aboutit pas ou débouche sur un type de changement inattendu, on est en présence d'une
forme de "dialogue" entre le rêveur lucide et son rêve, et son incapacité à agir tient en fait au
refus du rêve d'accepter la transformation (nous sommes donc dans l'expérience simple).
Lorsque, au contraire, l'intention est sans rapport avec le rêve, elle n'entre pas dans le cadre
du "dialogue" et dans ce cas l'incapacité a un aspect plus "neutre" : elle nous informe
simplement sur les types d'actions possibles dans un certain genre de rêves (nous sommes
alors dans l'expérimentation). Ainsi, pour reprendre l'exemple du réveil volontaire, on peut
remarquer qu'il en existe de niveaux très différents alors que l'intention est
fondamentalement la même.

Nombreux sont en effet les rêves lucides dans lesquels le rêveur a le sentiment qu'il
peut mettre à exécution son intention de se réveiller (ou une décision équivalente) en
ouvrant simplement les yeux.

« […] Je m'élève au-dessus du lit. En fait j'ai vraiment le


sentiment de m'élever et je suis tenté d'ouvrir les yeux mais je ne le
[27]
fais pas. […] »

Ce sentiment peut bien sûr ne pas correspondre à la réalité, mais dans l'ensemble la
décision d'ouvrir les yeux se révèle efficace pour permettre aux rêveurs de quitter le rêve.
Parfois, cependant, il ne suffit pas : ainsi pour quitter le rêve Hervey de Saint-Denys doit
faire un effort de volonté plutôt violent : « Je ne terminerai pas cette série d'observations sur
la puissance de la volonté, en songe, sans signaler encore un acte volontaire que j'ai exercé
plusieurs centaines de fois sur moi-même, et que bien des lecteurs auront également
expérimenté. Je veux parler de cet effort par lequel on secoue le sommeil et l'on provoque un
réveil immédiat, quand on s'est aperçu qu'on est le jouet d'un rêve et qu'on veut résolument
en sortir. Comment les fibres, comment les muscles agissent-ils en cette circonstance ? Où
commence l'effort et où s'arrête-t-il ? J'ai vainement essayé de m'en rendre compte. J'ai
remarqué toutefois qu'il se fait un assez violent mouvement de contraction dans la poitrine,
[28]
et aussi dans les muscles abdominaux » .

La violence de l'effort du marquis provoque des contractions musculaires. Cela


signifie-t-il qu'il est passé à côté d'une technique simple (ouvrir les yeux) ou que ses rêves
sont d'une qualité particulière ? Les rêves lucides dont on ne peut sortir font pencher vers
cette dernière hypothèse car les mêmes rêveurs lucides qui s'éveillent aisément de certains
rêves (en se contentant d'ouvrir délibérément les yeux) se retrouvent parfois prisonniers
dans d'autres.

L'incapacité à s'éveiller à volonté nous informe alors plus sur le type de rêve que ne le
fait son contenu. En effet, lorsque le désir de se réveiller ne surgit pas chez le rêveur lucide
en réaction à une situation onirique mais dépend de préoccupation appartenant à la veille,
l'incapacité à quitter le rêve indique bien, malgré les apparences, une expérimentation non
réalisée plutôt qu'une expérience subie. Nous avons déjà cité un rêve de Fox où il s'inquiète
de l'écoulement du temps et cherche à s'éveiller pour ne pas être en retard au collège, sans
succès (« Je décidai donc de mettre fin au rêve par un effort de volonté et de m'éveiller. A
[29]
ma grande surprise, il ne se passa rien ») . Cette incapacité à se réveiller débouche
ensuite sur un rêve de paralysie (que l'on peut aussi considérer comme un état
intermédiaire) dont Fox ne parvient à sortir qu'avec difficulté. Ce genre de situation est assez
courant et laisse penser que nous avons affaire là non à une résistance signifiante du rêve
mais à un mécanisme de fonctionnement tout à fait neutre que le rêveur n'aurait pas su
respecter. En effet, lorsque le rêveur abandonne ses tentatives, le rêve finit par se dissiper
un peu plus tard. Ce genre d'incapacité nous informe donc sur le fonctionnement onirique et
non sur la subjectivité personnelle du rêveur, et en cela relève plus de l'expérimentation que
de l'expérience. Lorsque le rêveur ne peut réagir et qu'il est impliqué de façon affective, il
n'est pas toujours possible de séparer ce qui relève du fonctionnement onirique de ce qui
dépend de la dynamique signifiante, mais cela ne signifie pas que tous les rêves que le rêveur
lucide subit contre sa volonté sont à considérer dans cette dernière perspective.

IV. Le rêveur agit


Si l'incapacité d'agir dans et sur le rêve ne place pas nécessairement les rêves de ce
type du côté de l'expérience simple, la capacité d'agir ne met pas non plus automatiquement
les rêves où elle se manifeste du côté de l'expérimentation. Nous avons eu l'occasion de voir
en effet que l'action du rêveur, lorsqu'elle se contente de répondre à la situation onirique,
appartient pleinement à l'expérience du rêve. L'expérimentation ne commence que lorsque le
rêveur agit de son propre chef dans l'intention de vérifier une hypothèse ou de tenter une
expérience que la situation onirique n'a pas sollicitée. L'expérience simple, en revanche, ne
dépasse pas le cadre du rêve, même lorsque le rêveur lucide a un souvenir net de sa vie de
veille et qu'il y puise des informations pour réagir à une situation onirique.

Dans certains cas la lucidité du rêveur, bien qu'elle permette une modification du
cours du rêve, ne semble pas lui faire prendre une direction tellement différente de ce
qu'aurait laissé prévoir le même rêve sans la lucidité.

« Hier, je m'étais aperçu que j'avais oublié certaines lettres de


l'alphabet tamoul. Cette nuit […] j'ai rêvé de ce fameux alphabet que
j'essayais de reconstituer. Conscient qu'il s'agissait d'un rêve je me
suis dit que je retrouverais peut-être les lettres manquantes. […]
[30]
»

Dans ce rêve l'objectif du rêveur colle parfaitement à celui du rêve et, bien qu'il soit
lucide, il n'en modifie aucunement le cours mais met en quelque sorte sa lucidité au service
de l'objectif visé.

Assez souvent cependant la lucidité modifie le rêve d'une façon nette. En devenant
lucide le rêveur prend conscience des possibilités que lui offre sa situation. En fait ce n'est
pas le rêve qui se transforme mais le rêveur qui élargit son champ d'activité. Mais cet
élargissement tranche suffisamment sur les rêves habituels pour donner l'impression d'un
changement qualitatif, comme le montre un rêve déjà cité dans lequel le rêveur met à profit
[31]
sa lucidité pour s'envoler . La lucidité amène le rêveur à prendre une décision qui
n'appartient pas au registre de ses rêves habituels (voler) et pour cela il se transporte dans
un décor onirique qui n'est pas celui du début du rêve. Le passage à la lucidité modifie donc
complètement le rêve sans pour autant être dû à une manipulation "extérieure". L'envie de
voler n'appartient en effet qu'à la vie onirique. Que la décision du rêveur lucide fasse bel et
bien partie du phénomène onirique et non d'une intrusion étrangère au rêve se trouve
confirmé dans le fait déjà signalé que, lorsque la lucidité surgit, le rêve se modifie souvent au
même moment.

« […] endormi, je rêve que je tombe hors de mon lit. Conscient


que ce rêve est dû au fait que mon pied vient de toucher le bord du
matelas, j'entre dans une phase de rêve lucide. Mon corps devient
tout à coup une masse lumineuse (comme un néon) au contour
imprécis, éclairant autour de moi un brouillard épais et laiteux. Puis,
je perds le sens du toucher, je ne sens plus les faux plis de mon drap.
J'ai l'impression d'être suspendu à quelques millimètres au-dessus de
mon lit. Je me dis que ce doit être une "sortie hors du corps". Je crie
victoire et ma première pensée est que je dois en faire part à
Christian. Je veux en profiter pour me promener, mais j'ai du mal à
contrôler mon excitation. Je sens une vague de chaleur et des
picotements diffus qui petit à petit délimitent mon corps. Puis, à
[32]
nouveau, je sens mon drap et le bord de mon lit. […] »

Dans ce rêve la lucidité provoque une modification du rêve sans que le rêveur ne
prenne aucune décision à ce sujet ("j'entre dans une phase de rêve lucide. Mon corps devient
tout à coup une masse lumineuse"). Au contraire, à l'inverse du rêve précédent, la décision
du rêveur ne se fait qu'en réaction à la situation nouvelle ("Je veux en profiter pour me
promener").

Ainsi lorsque le rêveur agit parce qu'il se sait dans un rêve il n'en fait pas moins
l'expérience du rêve si son action s'adapte à une situation onirique préalable, qu'il s'agisse du
contenu de cette situation ou même du cadre onirique offrant de nouvelles possibilités. Si, en
revanche, l'expérience désirée est importée dans le rêve à partir de la vie de veille, même si
elle ne porte pas sur la nature du rêve en tant que rêve et même si elle semble s'accorder à
la situation onirique, elle devient expérimentation. L'expérience simple se présente donc
indépendamment de la capacité d'agir ou non et nous informe sur le rêve lucide autant que
l'expérimentation, car elle nous en donne un aperçu "naturel" et nous permet de mieux
étudier la subjectivité du rêveur. Elle indique que, contrairement à ce que croient certains
auteurs, la lucidité n'est pas une intrusion de la conscience de veille dans le rêve mais une
nouvelle modalité dans la façon de rêver, modalité dont nous pouvons faire naturellement
l'expérience et observer le fonctionnement naturel. A ce titre il est important de dégager les
expériences simples des expérimentations, car les enseignements que l'on en tire se révèlent
assez différents et un cadre d'observation est indispensable pour éviter toute confusion. De
plus, à l'intérieur de l'expérience simple elle-même, une forme particulière doit être
distinguée qui constitue la limite de l'expérience en raison de conceptions importées de l'état
de veille et qui poussent le sujet à considérer le rêve lucide comme un phénomène
intermédiaire ou comme une erreur.

§ 2. Les expériences refusées


Les formes de l'expérience que nous venons d'examiner couvrent apparemment
l'ensemble des cas possibles concernant l'expérience simple, c'est-à-dire non mêlée à
l'expérimentation. Elles tiennent compte en effet aussi bien du degré de lucidité du rêveur
que de son mode d'interaction avec le rêve. Pourtant toutes ces formes présupposent une
attitude qui permet leur émergence : l'acceptation de l'expérience elle-même. En effet, que
l'expérience ne soit pas reconnue pour ce qu'elle est (un rêve) ou que, étant reconnue, elle
soit limitée par des conceptions importées de la vie de veille, elle est néanmoins acceptée et
vécue. En revanche, lorsque les préconceptions du rêveur ou même simplement ses intérêts
du moment le poussent à refuser l'expérience en cours ou à en nier la validité, la lucidité
onirique est vécue d'une façon très particulière qu'il faut envisager à part. Nous sommes bien
là en présence d'une expérience du rêve lucide puisque le rêveur sait qu'il rêve, et même
dans une certaine mesure d'une expérimentation puisque cette connaissance alliée au refus
du rêve incite parfois le rêveur à agir pour le dissiper, donc non pas à réagir à une situation
onirique donnée mais à s'attaquer au phénomène onirique en raison de sa nature. Pourtant,
dans la mesure où le rêveur cherche non à apprendre quelque chose sur les mécanismes du
rêve mais à se débarrasser de lui, il s'agit d'une expérimentation involontaire et d'ailleurs
inopérante puisque ses tenants n'en décrivent généralement pas les résultats concernant le
rêve ou la lucidité. L'accent est mis par eux sur la façon d'aller au-delà du rêve ou en deçà
de la lucidité et ainsi leur traitement du rêve lucide relève plus de cet au-delà ou de cet en
deçà que du rêve lucide lui-même, simple expérience dont il faut sortir. Les conceptions qui
poussent ces rêveurs à agir ainsi sont importées d'horizons divers et portent aussi bien sur le
rêve que sur la lucidité : des psychanalystes considèrent la lucidité comme une anomalie par
rapport au rêve ; à l'inverse, pour les chercheurs spirituels, c'est le rêve qui constitue, au
regard de la lucidité, une sorte de piège ; les occultistes voient dans le rêve lucide un
phénomène intermédiaire sans valeur propre mais servant de passerelle à un autre type
d'expérience, le voyage astral. Ces conceptions dévalorisantes, qui ne sont pas validées par
l'expérience, s'expliquent par l'absence de cadre conceptuel pour l'étude du rêve lucide. Elles
entraînent des formes de rêves qu'il faut pouvoir reconnaître.

Si les comportements des rêveurs qui refusent l'expérience du rêve lucide se révèlent
aisément à la lecture des récits, il est en revanche plus délicat de saisir directement les
conceptions qui les sous-tendent. Ce refus n'est pas un simple déni d'existence qui serait
immédiatement contradictoire pour le rêveur lui-même mais dépend d'une dévalorisation du
phénomène onirique. Il tend à vider l'expérience de toute information utile le concernant : si,
par exemple, l'émergence de la lucidité provoque chez le rêveur le réflexe de se dire que la
situation est anormale et de chercher immédiatement à s'éveiller, l'expérience en elle-même
ne peut montrer pourquoi la lucidité est anormale puisqu'elle tend, aussitôt débutée, à sa
propre négation. Cette expérience négative n'a donc pas de valeur en elle-même, et surtout
elle ne permet pas de tirer des conclusions concernant la valeur des conceptions qui l'ont
provoquée. Aussi ces conceptions nous intéresseront ici avant tout dans la mesure où elles
permettent de dégager des formes particulières d'expériences. On pourrait toutefois objecter
que les expériences obtenues par ces sujets sont vides et que l'étude en paraît a priori
inutile. En fait l'examen des récits montre que le refus du rêve lucide débouche souvent sur
une autre expérience (recherchée et valorisée par le rêveur) qui implique une certaine
conscience de soi, et qui en réalité est un rêve non reconnu comme tel : l'expérience
valorisée se révèle alors n'être qu'une forme dégradée du rêve pleinement lucide et la
manière de refuser le rêve lucide montre à son tour un type de fonctionnement onirique.
Cette façon de refuser l'expérience diffère selon la conception qui l'anime et, de ce fait,
l'expérience négative revêt plusieurs formes.

Si les formes de l'expérience négative dépendent le plus souvent de préconceptions


précises, il n'est guère possible ni souhaitable, dans un cadre descriptif, d'examiner les
théories qui les soutiennent. Ce qu'il nous faut en revanche saisir, c'est la façon dont ces
conceptions sont structurées par rapport aux formes de l'expérience. Le rêve lucide est refusé
en raison des éléments qui le composent ou dans son ensemble. Dans le premier cas, ce qui
est refusé dans l'expérience c'est soit la lucidité, qui est alors considérée comme anormale ou
non souhaitable par rapport au rêve, soit le rêve qui est considéré comme une entrave au
progrès de la conscience. Dans le deuxième, c'est l'ensemble du rêve lucide qui est considéré
comme un phénomène intermédiaire devant mener à un autre état.

I. La lucidité comme erreur du psychisme


Le rêveur refuse parfois l'expérience du rêve lucide de façon spontanée, lorsqu'il
préfère le rêve à la lucidité : « Je suis toujours un peu désappointé, quand je découvre que je
suis en train de rêver. Même si c'était désagréable ou si, en y réfléchissant après le réveil, je
ne vois rien qui ait pu m'intéresser, le rêve exerce sur moi une telle attraction qu'il me faut
pas mal de volonté pour me mettre à mon expérience. Souvent je laisse l'expérimentation de
[33]
côté et j'essaie de continuer le rêve » . Le rêve exerce ici sur le rêveur une attraction qui
fait ressentir la lucidité comme une intruse ou comme impliquant un effort de volonté qu'il ne
désire pas fournir. Ces refus spontanés de la lucidité sont cependant exceptionnels et la
plupart des auteurs s'accordent au contraire à reconnaître qu'en « prenant conscience de
[34]
rêver, [les rêveurs] ressentent souvent un sentiment de griserie » . Le plus souvent le
refus de la lucidité s'explique par une préconception importée de l'état de veille.

Ces préconceptions découlent généralement d'une idée toute faite du rêve, qui
s'oppose à toute découverte nouvelle et incite à considérer la conscience de rêver comme une
"erreur" dans la mesure où elle ne rentre pas dans une définition fermée. Ainsi des rêveurs
ayant adopté des vues théoriques préexistantes sur le rêve peuvent être amenés à confondre
une structure servant à favoriser une recherche avec l'énoncé d'une vérité indubitable. Si ces
structures ne prennent pas en compte le rêve lucide, le sujet en conclut aussitôt que le
phénomène est anormal. Il n'est pas rare de voir un tel rêveur justifier sa position par des
oppositions sommaires comme dans les lignes qui suivent :

« Le jour nous est donné pour explorer le monde extérieur ; la nuit pour explorer le
monde intérieur. Chacun de ces deux mondes a son mystère et son infini. Chacun jouit
d'autonomie : ils évoluent indépendamment de l'intervention humaine. C'est pourquoi il ne
faut pas tenter d'influencer le déroulement du rêve. Les mouvements psychiques qui s'y
passent ne sont pas perturbés par des actions conscientes sans risque de complications. C'est
un peu comme si on intervenait avec les mains dans le processus de la cuisson du pain.

« Qui essaie de soumettre ses forces inconscientes à la vue limitée de son conscient
court à sa perte. Car nul ne peut répondre au juste besoin de son âme sans en respecter les
exigences. On n'est pas plus maître du monde intérieur que du monde extérieur, bien
qu'acteur de l'un et de l'autre.

« Poursuivre l'entreprise des rêves "lucides", c'est s'illusionner sur la domination qu'on
peut avoir sur des forces autonomes. Une tentative en ce sens fera surgir ces forces
autrement, comme le souligne Jung : "Si le Moi s'arroge puissance et domination sur
l'inconscient, celui-ci réagit par une attaque subtile." Les rêves lucides viendront d'eux-
mêmes, s'il y a lieu. Car ils existent mais se déclenchent sur l'initiative de l'inconscient. Le
comportement le plus convenable à adopter est celui d'essayer de comprendre, et d'ajuster
son attitude consciente aux exigences intérieures fournies par le rêve. Ne forçons pas notre
[35]
nature, comme le dirait La Fontaine, il ne peut en résulter que du désordre » .

L'auteur de ce texte prétend nettement savoir en quoi consiste le processus du rêve et


ce qu'il convient de faire pour s'y conformer lorsqu'il écrit que "les mouvements psychiques
qui s'y passent ne sont pas perturbés par des actions conscientes sans risque de
complications" mais à aucun moment il n'en apporte la démonstration, se contentant d'un
argument d'autorité. La position qu'il adopte indique d'ailleurs qu'il ne s'est guère penché sur
le problème puisqu'il assimile la lucidité à la conscience de l'état de veille, ce qui, nous
l'avons remarqué à maintes reprises, est dans la plupart des cas difficile à maintenir. En fait,
dans la mesure où il s'en prend au rêve lucide, il en reconnaît l'existence, et en cela même sa
position devient contradictoire. Comment en effet expliquer l'émergence de rêves lucides à
l'initiative de l'inconscient (« Les rêves lucides […] existent mais se déclenchent sur l'initiative
de l'inconscient ») si par principe ce qu'il prend pour le conscient (la lucidité) ne peut jouer de
rôle dans le rêve « sans risque de complications » ? De ce point de vue le conseil qu'il donne
« d'ajuster son attitude consciente aux exigences intérieures fournies par le rêve » est on ne
peut plus vague. Cette position ne résiste pas à l'analyse : ou la lucidité est réellement
hétérogène au rêve et dans ce cas il n'est pas normal que l'inconscient lui-même aide au
surgissement de la lucidité, ou alors le rêve lucide a une valeur par et pour lui-même et joue
un rôle dans l'économie du psychisme. Ce genre d'attitude non argumentée paraît ne pas
mériter examen, mais dans la mesure où elle est répandue chez les spécialistes de la
thérapie par le rêve et influence probablement nombre d'expériences qui auraient pu prendre
la forme de rêves pleinement lucides, il est difficile de ne pas en tenir compte. Ces
spécialistes poussent en effet les rêveurs lucides potentiels à voir dans la lucidité un
phénomène accidentel ou plus radicalement une erreur à réparer.

Quelle serait l'attitude de ces rêveurs s'ils venaient par hasard à être lucides en rêve ?
Supposons d'abord que le sujet voit la lucidité comme un phénomène accidentel de peu
d'importance, à ceci près qu'il altère la pureté du rêve. Une fois lucide en rêve il regretterait
probablement cette gêne et s'efforcerait de ne pas en tenir compte dans son activité onirique
et laisserait le rêve se dérouler. Mais si son attitude à l'égard de la lucidité est plus radicale,
s'il la considère comme une erreur à réparer, il ne se contentera probablement pas de "faire
comme si" la lucidité n'était pas présente, mais tentera de se "perdre" dans l'action onirique
pour oublier la qualité particulière de sa conscience, ou de se réveiller pour ne pas interférer
accidentellement avec un processus inconscient qu'il croit fragile. Il n'est pas exclu que des
sujets qui n'accordent que peu de valeur à la lucidité aient délaissé des récits de rêve dans
lesquels la lucidité est délibérément ignorée ou écartée. En l'absence de témoignage précis
on ne peut qu'extrapoler les attitudes qu'adopteraient de tels rêveurs s'ils étaient cohérents
avec eux-mêmes.

Il faut cependant remarquer que les récits de rêveurs ayant délibérément rejeté la
lucidité en raison de telles conceptions sont rares et que les attaques contre la lucidité sont
généralement le fait de rêveurs non lucides jugeant les expériences d'autrui. En réalité
même les opposants au rêve lucide en acceptent l'expérience quand elle se présente : malgré
sa diatribe l'auteur précédemment cité reconnaît que les rêves lucides peuvent venir
d'eux-mêmes et dans ce cas il considère le phénomène comme naturel. Cette incapacité à
rendre compte de façon cohérente du surgissement spontané de la lucidité onirique met ce
genre de rêveur dans une position délicate. Lorsque le rêve lucide surgit effectivement pour
un rêveur qui le considère comme une erreur, son attitude est-elle conforme à ses positions ?
Le rêveur jungien que nous avons cité préfère pour sa part ne pas reconnaître l'expérience
qu'il a condamnée et lui donner un autre nom.
« Il m'est arrivé des centaines de fois de devoir rentrer chez
moi à la fin de mes rêves. Je m'avisai un jour que cela pouvait
signifier non seulement revenir à l'état conscient, mais encore que
mon double devait rentrer dans mon corps.

« Un ami, qui avait l'habitude de l'astral, m'avait déjà suggéré


de demander d'être conscient de mes rentrées astrales. Ce que je fis.
J'eus alors de curieuses expériences de retour. J'appris, par des rêves
différents, que j'avais diverses façons de rentrer, certaines pénibles,
d'autres agréables. Une des manières plaisantes de le faire était de
glisser dans l'air en suivant le fleuve Saint-Laurent. Ce qui me frappait
dans ces expériences était que, chaque fois que j'apprenais une façon
de rentrer, je me souvenais dans le rêve avoir fait ce genre de
[36]
rentrées des vingtaines de fois. »

Au premier abord on pourrait penser qu'il s'agit là d'une simple lucidité par négation :
le rêveur est conscient de ne pas être éveillé (il lui est suggéré d'être conscient de ses
"rentrées astrales") bien qu'il ne reconnaisse pas son rêve pour tel, mais le confonde avec
des expériences hors du corps ("mon double devait rentrer dans mon corps"). Or, une lecture
plus attentive montre que le rêveur est parfaitement conscient de la qualité onirique de son
expérience ("J'appris, par des rêves différents, que j'avais diverses façons de rentrer […] je
me souvenais dans le rêve avoir fait ce genre de rentrées […]). Une attitude théorique
contradictoire à l'état de veille se manifeste donc de même dans la vie onirique : plutôt que
de se reconnaître expressément en état de rêve lucide, ce qu'il admet implicitement, le
rêveur a recours à des explications à la fois fantastiques et réductrices : fantastiques par
rapport à la théorie sur laquelle il s'appuie, réductrice par rapport au rêve.

Les constructions théoriques ont parfois les mêmes conséquences sur certains auteurs
que l'absence de réflexion en ce qui concerne la réduction du phénomène onirique : dans leur
souci de préserver la théorie ils adoptent des hypothèses bien plus coûteuses que la
reconnaissance du phénomène qu'ils rejettent. Bien que de telles attitudes soient rares chez
les rêveurs lucides, il convenait néanmoins d'en mettre le principe en évidence dans ce cadre
formel.

II. Le rêve comme erreur de la conscience


Si, pour des raisons diverses, certains rêveurs lucides rejettent la lucidité en cours de
rêve, d'autres écartent ou refusent non plus la lucidité mais le rêve lui-même. Là encore,
cette attitude trouve sa source autant dans des expériences effectuées au cours du
sommeil que dans des conceptions importées de la vie de veille. Dans la première situation
certaines expériences du sommeil ne sont pas acceptées comme rêves, non en raison de
préconceptions, mais parce que l'expérience elle-même ne peut être décrite que comme une
absence de rêve, notamment lorsque la perception onirique fait défaut ou encore quand le
rêve est en quelque sorte "mis à distance". L'état que nous avons décrit sous le nom de
[37]
"sommeil lucide" rend compte de ces deux possibilités. Dans une expérience déjà citée un
rêveur rapporte l'existence d'un sommeil lucide dans lequel il ne rêve pas (« J'étais, en
quelque sorte, "au-dessus" de mon sommeil et de mes rêves ») et où le déroulement des
rêves est suspendu : ils se bornent "à des sortes d'ébauches" et sont comme "immobilisés".
Ainsi dans le "sommeil lucide" le sujet est conscient de dormir, bien qu'aucune perception
onirique ne se manifeste, et les rêves qui se présentent restent extérieurs et immobiles par
rapport au rêveur : le rêve n'est pas vécu comme l'est normalement un rêve, ne serait-ce
que partiellement. Le sujet ne cherche donc pas ici à réduire l'expérience onirique à une autre
(par exemple au voyage astral) mais constate que son expérience prend pour lui une forme
tout à fait nouvelle, au point qu'il ne peut la qualifier de rêve. Ainsi, tandis que le voyage
astral (ou d'autres expériences similaires) possède à première vue toutes les caractéristiques
du rêve, le sommeil lucide en apparaît comme immédiatement différent.

Lorsque le rêveur se trouve dans l'état de sommeil lucide il a nettement le sentiment


de se mouvoir conscientiellement dans différentes zones du psychisme sans que son
expérience puisse être décrite aussi aisément qu'un rêve : « [Le sommeil lucide] est un état
où la lucidité n'est pas interrompue par le sommeil. Il peut être accompagné de fragments de
rêves, plutôt incohérents, mais pas nécessairement. Il me paraît important parce qu'on y
conserve sa volonté de veille intacte, au moins en apparence. En général, pour cette raison,
on doute d'être endormi. C'est là que ça devient intéressant, car on est capable de "tester"
son état d'endormissement. On peut sentir par exemple que, si on se dirige vers une certaine
région de soi, on va se réveiller. Cela se manifeste par une sensation désagréable de
tiraillement au niveau du plexus solaire ; il ne faut pas pousser trop loin, mais reculer tout de
suite quand on commence à la sentir, sinon on se réveille.

« L'intérêt de cet état me paraît être celui d'un entraînement à la conscience de rêve
lucide. Malheureusement, cela se produit assez rarement. Je pense que, de même qu'on peut
constater qu'on est au-dessous de la surface du sommeil, on doit pouvoir pénétrer très
graduellement dans le rêve sans perdre conscience et que des exercices de ce genre
[38]
pourraient être utiles pour le développement du rêve lucide » . Le rêveur peut donc
décider ou non d'entrer depuis le sommeil lucide dans le rêve lucide. S'il ne le fait pas,
l'expérience du rêve lucide n'est pas à proprement parler refusée mais plus simplement elle
n'est pas choisie, ce qui est une façon de l'écarter. Mais dans ces conditions la mise à l'écart
du rêve tient généralement moins à un refus d'en faire l'expérience consciente que du
désir de l'étudier consciemment d'un autre point de vue que de celui de rêveur-participant.

Il en va tout autrement lorsque la mise à l'écart du phénomène onirique, dictée par


des préconceptions importées de l'état de veille, est tentée dans le cours même du rêve.
Ainsi des conceptions métaphysiques sur la nature de la réalité qui favorisent la conscience
tout en condamnant l'aspect illusoire du rêve entraînent inévitablement à refuser le côté
"rêve" du rêve lucide. Lorsque le rêveur est déjà dans un rêve lucide (et non en
sommeil lucide) cette démarche mène à un refus d'un type particulier. En effet, alors qu'il
s'efforce, tout en maintenant sa conscience, de faire disparaître les "images" du rêve (c'est-
à-dire tout ce dont il a une perception onirique) pour parvenir à un état "au-delà de la
forme", il ne fait souvent que rester dans le même rêve, mais privé de perception, comme s'il
s'était enfermé dans le noir, ce que les expériences de George Gillespie ont bien montré :

« Je m'intéressai au "sommeil sans rêve", état de conscience dont il est question dans
les Upanishad, qui l'assimilent à l'expérience de la réalité ultime. J'avais lu, à cette époque,
l'ouvrage de Fritz Staal, "Exploring mysticism" (l'exploration de la mystique) dans lequel il
suggère que l'identification, par les Hindous, du sommeil sans rêve à l'état d'union avec
l'Absolu pourrait être une clef qui nous permettrait de comprendre le sens de la démarche
mystique. Selon lui, pour une étude sérieuse des états mystiques, l'approche directe, à
l'intérieur de soi, sera toujours préférable à une connaissance indirecte, fondée sur le
témoignage d'autrui. Je décidai que, dans ma prochaine série d'expériences, j'essaierais
d'éliminer les éléments oniriques et de susciter le sommeil sans rêve, sans toutefois préjuger
des résultats que je pourrais obtenir. Cette tentative a commencé il y a environ un an.
Progressivement, au cours de mes rêves lucides, je suis arrivé à éliminer tout
l'environnement onirique, y compris la conscience du corps et l'activité mentale. La
[39]
suppression des éléments oniriques laisse la conscience dans l'obscurité » .

Dans cette expérimentation le rêveur n'atteint pas l'Absolu en éliminant le rêve mais
se retrouve simplement privé de perception onirique, ce qu'il exprime en disant que la
conscience est plongée dans l'obscurité. On comprend que, en deçà de l'expérimentation, un
rêveur qui se trouverait conscient en rêve et chercherait spontanément à atteindre un tel état
pourrait être amené à ne pas reconnaître ce qu'il est en fait en train de vivre (une simple
privation de perception onirique) et croire avoir atteint un état particulier. Nous ne
prétendons pas ici que les états mystiques comme celui recherché ci-dessus n'existent pas ou
qu'ils sont nécessairement réductibles à une forme de rêve lucide ou encore que le rêve
lucide ne permet pas d'atteindre un tel état. Nous voulons simplement souligner que
certaines conceptions concernant le rêve et le sommeil conduisent à une forme particulière
de l'expérience du rêve lucide, forme que l'expérimentateur peut d'ailleurs ne pas
reconnaître. Ainsi l'étude ouverte du rêve lucide demande qu'il soit soustrait aussi bien au
champ de la spiritualité qu'à celui des recherches psychiques si l'on veut ne pas prendre le
risque de donner à des formes dégradées de l'expérience de la lucidité des dénominations qui
risquent d'entraver l'expérimentation en influant sur l'attitude du rêveur.

III. Le rêve comme étape intermédiaire ou effet secondaire


Dans certains cas ce qui est dévalorisé dans l'expérience du rêve lucide ce n'est ni la
lucidité ni le rêve mais sa position par rapport à un autre type d'expérience : le rêve lucide
est alors considéré comme un passage sans valeur propre. L'existence du phénomène est
donc reconnue mais la raison d'être qui lui est attribuée en limite l'intérêt et ne saurait mener
à son exploration. Là encore, une idée préconçue du rôle de la lucidité conduit à limiter
l'expérience vécue : le rêve lucide est mis en rapport avec la croyance à la sortie de
l'âme hors du corps au cours du sommeil, soit qu'il lui serve d'étape préparatoire, soit qu'il
apparaisse comme une erreur d'aiguillage au cours d'une telle tentative. Nous avons déjà vu
que ces "sorties hors du corps" sont souvent en fait des rêves de sortie hors du corps dans
lesquels la lucidité est moins intense puisqu'elle n'est que négative, le rêveur sachant
simplement qu'il n'est pas à l'état de veille. Ce que nous allons examiner ici c'est la forme
que prennent ces rêves lucides pour des rêveurs se conformant à de telles conceptions.

Nous avons déjà rencontré la conception d'Oliver Fox pour qui le rêve lucide ("Rêve de
Connaissance") est corrélé avec l'expérience hors du corps, mais nous nous sommes rendu
compte à l'analyse que Fox assimilait les deux expériences, c'est-à-dire ramenait toute
expérience onirique consciente à une "projection". D'autres auteurs posent implicitement
l'équation de la conscience et de la "sortie en astral", ce qui revient à dire que, quand le rêve
devient lucide, ils cessent de lui donner l'appellation de "rêve" : « Il existe un "monde du
rêve". Quand vous rêvez, vous n'êtes pas vraiment dans le même monde que lorsque vous
êtes conscient dans le physique, bien que les deux mondes se mêlent l'un à l'autre. Pendant
que vous rêvez, vous êtes réellement "dans le plan astral" […] L'état de rêve se situe
entre la conscience complète et l'inconscience complète. Vous pouvez en déduire
qu'une fois que vous êtes projeté et que vous rêvez, il n'y a qu'un pas vers la conscience
[40]
complète » . Il n'y a pas là lucidité implicite ou par négation puisque dès le départ le rêve
est, avant toute analyse, un phénomène astral : « le monde des rêves […] est un des
[41]
sous-plans du monde astral » . On se rend compte à la lecture de ces textes que ce qui
manque, pour que ces expériences soient dénommées "rêves lucides", c'est simplement la
possibilité d'associer la conscience de rêver au rêve. Quant au contenu de l'expérience vécue,
elle dépend de la conception métaphysique des rêveurs, un peu à la façon dont des rêves
entrepris au cours d'une analyse se conforment aux attentes théoriques du sujet.

« Ce matin je me suis levé, je me suis recouché, j'ai dormi… je


redeviens conscient dans un monde différent… Mon guide et moi
sommes chez quelqu'un… Je devine que je suis en corps astral, mais
je n'ai pas peur. J'ai l'impression d'être exactement aussi conscient
que dans mon corps physique. Je vois comme quand je suis dans mon
corps physique, devant moi et non pas dans tous les sens.

« J'essaie de vérifier que je suis dans un corps astral. Je mets


le bout de mon index gauche entre mes molaires gauches et je le
mords; ce que je mords est résistant comme du caoutchouc; mais
ceci ne me cause pas de douleur. Je recommence une deuxième fois;
même résultat…

« Tandis que j'avance dans le corridor j'ai soudain la


sensation que mes jambes sont en coton. Plus exactement, que la
partie inférieure de mon corps n'est qu'une sorte de pivot élastique,
sur lequel j'ai tendance à vaciller…

« Nous arrivons dans une pièce dans laquelle se trouve


quelqu'un, un homme ; il me regarde cordialement et dit à mon
guide, en parlant de mon corps astral, "il n'est pas assez
[42]
matérialisé…" »

Dans ce rêve le phénomène de conscience est immédiatement interprété comme


indiquant que le rêveur se trouve hors du corps dans un monde astral ("Je devine que je suis
en corps astral […] J'ai l'impression d'être exactement aussi conscient que dans mon corps
physique"). La croyance à l'existence d'un monde astral favorise donc la réduction du rêve
lucide à la sortie hors du corps, situation qui reste compréhensible tant que le fait d'être
conscient de son état lui est assimilé.

Ce qui est moins compréhensible en revanche, c'est la distinction des deux


phénomènes comme dans le témoignage suivant : « après avoir entendu parler des
expériences d'Oliver Fox, je tentai d'utiliser le rêve lucide comme un tremplin pour le
dédoublement. D'habitude, je montais en haut d'un immeuble, puis je m'élançais du toit dans
le vide. Ceci provoquait l'extériorisation mais, là encore, l'expérience résultante était toujours
de courte durée. Parfois de simples rêves lucides de vol suffisaient à provoquer de bons
[43]
dédoublements » . A l'inverse des auteurs précédents qui assimilent la sortie hors du
corps à la conscience d'être dans un état différent de celui de la veille, ce texte la définit
nettement par son contenu puisqu'il reconnaît au rêve lucide une existence autonome. Mais
l'auteur ne se pose à aucun moment une question qui aurait pourtant mérité examen puisque
le critère conscientiel ne joue plus : en quoi une telle expérience diffère-t-elle nécessairement
d'un rêve pour le sujet éveillé ? On peut néanmoins admettre que le sujet rêvant
maintienne une distinction entre les deux expériences.

Le rêve lucide est en effet parfois considéré comme distinct de la sortie hors du corps
alors même qu'il lui ressemble. Ainsi, dans le rêve suivant, le sujet s'est d'abord préparé
pour expérimenter une sortie hors du corps mais considère le résultat qu'il a obtenu comme
un rêve.

« L'imagination du bras tendu donne de bons résultats : on


imagine une autre position des membres et on a l'impression qu'ils
sont dans cette position.

« (Rêve lucide :) je pousse mes bras et mes mains hors du


corps et un sentiment de légèreté s'ensuit. Je fais suivre le reste du
corps pour le faire flotter au-dessus du lit, avec succès. Après cela je
me retrouve collé au mur de façon latérale. Ça sera une occasion de
vérifier par la suite, lorsque je me réveillerai, si mon corps s'est
réellement déplacé pendant mon sommeil. [Évidemment je n'ai pas
bougé. Comme d'habitude le sentiment de déplacement a été tout à
fait réel … Faux-éveil :] La radio s'est mise en marche. Il y est
question de l'Inde. C'est S… qui a dû faire ça pour me réveiller. Je suis
paralysé. (Rêve lucide :) J'essaie encore de flotter, de faire léviter les
[44]
membres. J'y arrive. Je dors encore. […] »

Ce cas constitue l'inverse de la situation précédemment décrite dans laquelle, en raison


de son contenu, le rêve lucide était par avance soit une projection astrale, soit une
préparation à la projection. Ici au contraire, malgré son contenu, l'expérience est finalement
considérée comme un rêve. Le sujet s'attendait donc à voir remplis certains critères précis
qui se sont révélés absents. Le rêve lucide est alors pour le rêveur une "erreur d'aiguillage",
un résultat qu'il a obtenu en en cherchant un autre. Ce qui est décrit sous le nom de sortie
hors du corps ou de voyage astral diffère donc d'un rêveur à l'autre selon ses conceptions et
en dernière analyse rien ne s'oppose à voir dans cette expérience un type de rêve lucide
particulier, puisque la moindre déviation aux critères admis la ramène immédiatement dans
l'esprit du rêveur à une expérience onirique.

La description de ces formes est instructive pour démêler les types de récits et repérer
certains rêves qui ne sont pas donnés pour tels. Elle permet de classer des expériences déjà
vécues et de faire des hypothèses sur leur émergence et leurs limites. Toutefois elle reste
insuffisante lorsqu'il s'agit de distinguer les limites que s'impose le rêveur de celles propres
au rêve ou aux structures de la conscience : pour cela il faut se livrer à l'expérimentation, et
les formes d'expériences ainsi obtenues diffèrent des expériences simples.

Section II: Les expérimentations

[1]
Sujet n°10, "Après la mort", 20 janvier 1986.
[2]
Idem, "L'Amour à l'anglaise et l'Ordinateur", cité supra, chapitre 3, section I, §1, IV.
[3]
Idem, "Greystoke et la petite fille", 17 janvier 1986.
[4]
Idem, "Rêve lucide érotique", 14/15 décembre 1990. Souligné par nous.
[5]
Idem , "Le vélo qui ne vole pas", 15 novembre 1985. Souligné par nous.
[6]
Idem, "C'est bien moi", 15 décembre 1985.
[7]
Voir le chapitre 3.
[8]
« Not long ago I had a vivid dream, in which I was, as it were, present at a magical ceremony,

conducted by two adepts of some occult order. After undergoing certain treatment by them, I seemed

to myself to be levitated and to be flying round and round the room at a height of about eight feet. In

doing so I repeatedly passed a high shelf over a fireplace, and I noted that a pair of heavy glass vases

were standing one at each end of this. The experience was interesting and mildly pleasant, but I was

in that critical mood which becomes a member of the S.P.R. I said to myself : 'This may well be just a

result of hypnotic suggestion, and not genuine levitation'. In order to test this, I decided to catch hold

of one of these vases as I passed them in my flight, and to bring it to the floor. I argued that, if it

were still there afterwards, the levitation would have been genuine. Soon after I had done this my
two adepts decided that I had had as much levitation for one day as was good for a beginner, and

they brought me gently to the floor. I was delighted to find that one of the two heavy vases was lying

where I had set it down in the course of my flight. So I concluded that I had been genuinely levitated,

and not just the victim of an hallucination. My conclusion was, indeed, mistaken; for I had neither

been levitated nor hypnotized, but had merely been asleep and dreaming ». Récit rapporté par Celia

Green, Lucid Dreams, Institute of Psychophysical Research, Oxford, 1982, p. 27.


[9]
Sujet n°16, sans titre, jeudi 16 mai 1984.
[10]
Sylvan Muldoon - Hereward Carrington, La projection du corps astral, Editions du Rocher, Monaco,

1980, p. 54-57.
[11]
Ibid., p. 58 Souligné par nous. Déjà cité au chapitre 3, section I, §1, Introduction.
[12]
Ibid., p. 54.
[13]
Sujet n°10, "L'Amour à l'anglaise et l'Ordinateur", cité supra, chapitre 3, section I, §1, IV.
[14]
Cité supra, chapitre 3, section 1, §1, I, A.
[15]
Sujet n°10, "La mer sous l'Opéra", 31 janvier 1985.
[16]
Sujet n°16, "Un type dans sa cuisine", lundi 28 octobre 1991.
[17]
« I ask myself, "Are you happy?" and I know that I am. "And you know that you're dreaming?" and

I know that I am. I start to wonder what to do with this lovely lucidity as I zip through the air with

the sun and wind in my face. However, the scene fades, like a light dimming, and suddenly I'm awake

in bed ». Patricia Garfield, Pathway to ecstasy, Holt, Rinehart and Winston, New York, 1977, p. 5.

Souligné par nous.


[18]
Sujet n°10, "La maison des loups", 12 février 1985. Souligné par nous.
[19]
« Another student reported that whenever he experienced flying dreams, he immediately became

aware that he was dreaming and was able to carry out acrobatic feats of great physical enjoyment in

his new weightless dream body. Was this a creative or escapist act?

« Certainly a most interesting experiment would be to allow a dream to continue while remaining

fully conscious that one is dreaming but not using this awareness to interfere […] The […] student

might decide, like the Senoi, to fly somewhere, instead of merely indulging in acrobatie feats. ». Ann

Faraday, Dream Power, Berkley Books, New York, 1980, pp. 299-300.
[20]
Sujet n°16, sans titre, mercredi 16 juin 1982.
[21]
Sujet n°14, sans titre, 20 avril 1991.
[22]
Sujet n°16, "La lampe par la fenêtre", 13 décembre 1991.
[23]
Gymnastique chinoise.
[24]
Sujet n°10, " Le patron ridicule", 21 janvier 1985, cité supra, chapitre 3, section I, §1, I, A, 1.
[25]
Sujet n°16, sans titre, 11 mars 1982.
[26]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 60.
[27]
Sujet n°16, "Fauteuil volant et immeubles", extrait, 8 mars 1991.
[28]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p.252.
[29]
« I therefore willed to end the dream and to awake. To my great surprise nothing happened ».

Oliver Fox, op. cit., pp. 38. Une partie de ce rêve est citée supra chapitre 3, section I, §1, IV.
[30]
Sujet n°14, sans titre, 26 janvier 1990.
[31]
Sujet n°1, "Vol à volonté, rêve lucide!" dimanche 23 juin 1985. Voir supra chapitre 3, section I, §1,

II, D.
[32]
Sujet n°14, sans titre, 20 novembre 1990.
[33]
« There is always some disappointment when I discover I am dreaming. Even when the dream has

been unpleasant, or upon waking reflection I can see nothing that could have interested me, the

dream attracts me so greatly that it takes a certain amount of will power to proceed with my

experiment. Often I ignore experimenting in order to try to go on with the dream ». George Gillespie,

"Problems related to experimentation while dreaming lucidly", Lucidity Letter, vol. 3, n° 2 & 3,

August, 1984, pp. 1-2.


[34]
Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, Le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, Oniros,

Ile Saint-Denis, 1991, p. 224.


[35]
Laurent Lachance, Les Rêves ne mentent pas, Editions Robert Laffont, Paris, 1983, pp.24-25.
[36]
Ibid., p. 179. Souligné par l'auteur.
[37]
Chapitre 3, section I, §1, III. Sujet n°10.
[38]
Sujet n°10, Note sur le sommeil lucide, 31 janvier 1986.
[39]
« I became interested in the term "dreamless sleep" which is a state of consciousness described in

the Upanishads. It is identified with the experience of ultimate reality. About that time I read Frits

Staal's suggestion in Exploring Mysticism that the identity of dreamless sleep by the Hindus with the

State of being at one with the Absolute may provide us a key to understand mysticsm. He said that

the serious study of mysticism is better made directly and from within rather than just indirectly

through the reports of others. I decided that for my next series of experiments I would try to

eliminate the elements of dreaming and bring about dreamless sleep, with no presuppositions as to

what should result. I began that specific attempt about two and half a year ago. Gradually I was

successful, while dreaming lucidly, in eliminating the total dream environment including body
awareness and all mental activity. The elimination of the elements of dreaming leaves consciousness

in darkness ». George Gillespie, "Lucid Dreaming and Mysticism: A Personal Observation", Lucidity

Letter, Back Issues, December, 1981 to June, 1985, pp. 64-65.


[40]
Sylvan Muldoon - Hereward Carrington, La projection du corps astral, Editions du Rocher, Monaco,

1980, pp. 175-176. Souligné par nous.


[41]
Dr Jean-Philippe Crouzet, Comment devenir Voyant et Les Merveilles de la Magie, Nouvelles éditions

Debresse, Paris, 1974, p. 620.


[42]
Ibid., p. 624.
[43]
Olivier Clerc, Vivre ses rêves, Helios, Genève, 1984, p. 114.
[44]
Sujet n°16, "Où l'on s'efforce de me réveiller trois fois", mardi 7 janvier 1991.
Chapitre Cinq
Expériences et Expérimentations

Section I: Les expériences


[suite]

Section II: Les expérimentations


Au sens strict la lucidité n'implique pas nécessairement que le rêveur agisse ou puisse
agir en rêve du fait de sa lucidité. Nous avons vu qu'il peut être un spectateur passif de ses
propres actes. Dans d'autres cas, s'il prend des décisions parce qu'il est lucide, ces décisions
donnent souvent l'impression à un observateur extérieur (qui lit le récit de rêve) qu'elles ne
sont pas fondamentalement différentes des réactions qui auraient pu être celles d'un rêveur
non lucide, même si le surgissement de la lucidité a provoqué un tournant dans le rêve. Ainsi
un rêve d'Hervey de Saint-Denys est bel et bien modifié par la lucidité, mais cependant la
trame du rêve aurait pu être la même sans la lucidité. En effet, dans la partie non lucide de
ce rêve, il est poursuivi par des monstres abominables auxquels la lucidité lui donne ensuite
le courage de faire face. Mais de telles situations oniriques peuvent se présenter aussi en
dehors de toute lucidité. Si la conscience de rêver a permis à Hervey de Saint-Denys de
surmonter sa terreur par un effort de volonté, elle ne modifie pas le rêve en tant que tel,
mais seulement son déroulement en l'orientant vers une autre conclusion qui n'a rien
d'impossible par elle-même et pourrait faire partie d'un scénario onirique non lucide.

En réalité le seul élément qui montre empiriquement que le sujet adopte un


comportement nouveau en raison de sa lucidité est son action sur le rêve pris comme rêve,
en ce sens qu'elle ne s'insère pas dans la trame du rêve même si elle se constitue en réaction
à la situation onirique présente. L'action du rêveur porte alors sur ce qu'on pourrait appeler le
tissu ou le fonctionnement du rêve. C'est ce qui se produit lorsqu'Hervey de
Saint-Denys s'efforce, dans son sommeil, de retrouver son rêve désagréable.

« Une nuit que je me sentais, en dormant, la pleine


connaissance de mon état véritable, et que je regardais passer avec
assez d'indifférence toute la fantasmagorie, d'ailleurs très nette, de
mon sommeil, l'idée me vint d'en profiter pour faire quelques
expériences sur le pouvoir que j'aurais ou non d'évoquer certaines
images, par la seule initiative de ma volonté.[…] L'apposition, dans
mon rêve, d'une main sur mes yeux eut, en effet, pour premier
résultat d'anéantir cette vision d'une campagne au temps de la
moisson que j'avais inutilement essayé de changer par la seule force
imaginative. Je demeurai sans rien voir pendant un moment,
exactement comme cela me fut arrivé dans la vie réelle. Je fis alors
un nouvel appel énergique au souvenir de la fameuse irruption des
monstres, et, comme par enchantement, ce souvenir nettement placé,
cette fois, dans l'objectif de mes pensées se dessina tout à coup clair,
brillant, tumultueux, sans même que j'eusse, avant de me réveiller, le
[1]
sentiment de la façon dont la transition s'était opérée. »

Dans ce rêve le décor résiste à la simple volonté de changement du rêveur ("cette


vision […] que j'avais inutilement essayé de changer par la seule force imaginative") mais se
transforme totalement dès qu'il agit en plaçant sa main devant ses yeux, passant d'une
scène pastorale aux monstres recherchés. Cette transformation ne peut s'expliquer
autrement que par l'intervention active du rêveur. De telles actions sont autant
d'expérimentations, qu'elles soient préparées ou non, car même si telle n'est pas
l'intention du rêveur, elles nous donnent des éléments d'information nouveaux concernant le
phénomène onirique. En détournant le rêve de son cours "prévisible" elles permettent de
déterminer le genre d'influence qu'a le sujet lucide aussi bien sur le contenu du rêve que sur
sa perception onirique.

Toutefois là encore il est difficile de savoir dans quelle mesure la lucidité n'engendre
pas sa propre forme d'expérience. Y a-t-il réellement expérimentation ou seulement un
nouveau genre de rêve (par exemple le changement total de décor, même s'il n'appartient
pas au registre habituel du rêve ordinaire, appartiendrait en fait à celui du rêve lucide au
même titre que le rêve de vol ou de sortie hors du corps) ? Du point de vue d'un observateur
extérieur l'exploration et l'étude du rêve par la lucidité n'est effective que lorsque le sujet
prévoit d'abord (à l'état d'éveil ou en rêve) des expériences qu'il mènera à bien ensuite dans
le rêve. Cette façon de procéder efface pour lui l'incertitude (et par contrecoup redonne sa
valeur à l'expérimentation non préparée). Le rêve cité d'Hervey de Saint-Denys entre tout à
fait dans cette catégorie, car le type d'action entrepris repose d'abord sur un raisonnement
préalable.

« […] tout en rêvant, je fis les réflexions que voici : un rêve


étant comme un reflet de la vie réelle, les événements qui nous
semblent s'y accomplir suivent généralement, dans leur incohérence
même, certaines lois de succession conformes à l'enchaînement
ordinaire de tous les événements véritables. Je veux dire, par
exemple, que si je songe avoir eu le bras cassé, je croirai que je le
porte en écharpe ou que je m'en sers avec précaution ; que si je rêve
qu'on a fermé les volets d'une chambre, j'aurai, comme conséquence
immédiate, l'idée que la lumière est interceptée et que l'obscurité se
fait autour de moi. Partant de cette considération, j'imaginai que si je
faisais, en rêve, l'action de me mettre la main sur les yeux, je devrais
obtenir tout d'abord une première illusion en rapport avec ce qui
m'arriverait réellement, étant éveillé, si j'agissais de même ; c'est-
à-dire que je ferais disparaître les images des objets qui me
semblaient placés devant moi. Je me demandai ensuite si, cette
interruption des visions préexistantes étant produite, mon
imagination ne se trouverait pas plus à l'aise pour évoquer les
nouveaux objets sur lesquels j'essayerais de fixer ma pensée.
[2]
L'expérience suivit de près ce raisonnement. »

L'hypothèse posée par le rêveur est suivie d'une vérification. Avec Hervey de
Saint-Denys ce travail d'expérimentation est présent dès le début de la recherche sur le rêve
lucide et si son contenu se conforme aux intérêts d'une époque (il accorde plus d'attention
aux facultés mentales de l'homme endormi qu'aux lois du rêve ou à la structure de la
conscience) son mode d'action ne connaît pas de modifications majeures.

Néanmoins la nature même de l'expérimentation fait surgir des difficultés d'un type
particulier concernant l'évaluation de l'expérience. Supposons en effet qu'une
expérimentation prévue à l'état de veille soit menée à bien en rêve, cela signifie-t-il que le
sujet a expérimenté sur le rêve ou qu'un rêve adéquat à son projet s'est présenté à lui d'une
façon qui rappellerait l'incubation dans l'Antiquité ? A l'inverse, lorsque le rêveur ne parvient
pas à expérimenter dans le rêve, cela vient-il d'une carence dans l'utilisation de ses facultés
(mémoire ou capacité de raisonnement déficientes) ou d'un manque de préparation (de
savoir-faire) ou encore d'une "résistance" du rêve (lorsque par exemple le rêve lucide ne
présente aucun aspect permettant de mettre en œuvre l'expérimentation prévue) ? Le rêve
d'Hervey de Saint-Denys contient une telle difficulté.

« En cherchant sur quel sujet je pourrais fixer à cet effet ma


pensée, je me rappelai ces apparitions monstrueuses qui m'avaient si
vivement impressionné jadis, à cause de l'effroi qu'elles m'inspiraient.
J'essayai de les évoquer, en les recherchant bien dans ma mémoire et
en souhaitant de les revoir, aussi fortement qu'il m'était possible de le
faire. Cette première tentative n'eut aucun succès. Devant moi se
déroulait en ce moment le tableau tout pastoral d'une campagne
dorée par un beau soleil, au milieu de laquelle j'apercevais des
moissonneurs et des charrettes chargées de blé. Pas le moindre
spectre ne se rendait à mon appel, et l'association des idées-
images qui formaient mon rêve ne paraissait nullement vouloir sortir
[3]
de la voie si calme qu'elle avait prise naturellement. »
Si Hervey de Saint-Denys n'avait pas utilisé un autre procédé (mettre les mains sur ses
yeux), aurait-on dû en conclure que la volonté est inopérante à rappeler un rêve ancien ou
que le rêve ne se prête pas à ce genre de manipulation ?

En d'autres termes, jusqu'à quel point une expérimentation peut-elle ou non être
menée à bien et qu'est-ce qui permet de l'évaluer ? Comme il n'est guère possible de séparer
ici l'expérimentateur de son expérimentation, l'exploration du rêve nécessite que soient
déterminés des "points de repère", même provisoires, aussi bien dans sa conception que
dans sa mise en pratique. Là aussi il s'avère nécessaire de décrire les formes de
l'expérimentation et de les inscrire dans un cadre pour ne pas s'exposer au risque de
confondre des données fort différentes (par exemple mettre les résultats obtenus sur le
compte de l'autosuggestion, ce qui n'explique ni la lucidité, ni les nuances du rêve). Notre
objectif n'est pas ici de donner un tel cadre mais de montrer quels éléments participent à sa
mise en place pour rendre possible l'étude du rêve lucide. La nature onirique de
l'expérimentation suppose selon les expériences tentées, aussi bien du point de vue du sujet
à l'intérieur du rêve que pour l'observateur extérieur en laboratoire, un système de
questionnement particulier et en constante évolution. Ainsi, lorsque des rêveurs lucides se
sont rendu compte que certaines limitations rencontrées par leurs prédécesseurs dépendaient
de leurs attentes, ils ont pris cette action en considération au même titre que l'action
onirique et l'ont intégrée dans leur système de questionnement de façon à faire la part entre
ce qui est provoqué et ce qui est oniriquement donné. Donc, si la mise en place d'un cadre
concernant les expérimentations possibles ne peut se faire a priori et évolue en fonction des
expérimentations, elle est néanmoins nécessaire pour nous guider et éviter, comme cela
arrive fréquemment, que les rêveurs "tournent en rond" dans le même type de recherche. Ici
encore ce ne sont pas les résultats mais uniquement la forme de ces expérimentations (dont
le repérage constitue une condition d'étude) que nous allons examiner. La nature différente
des problèmes qui se posent, selon que l'on a affaire à des expérimentations personnelles ou
s'inscrivant dans une recherche plus étendue, incite à les étudier séparément.

§ 1. l'expérimentation personnelle
Si la lucidité donne une nouvelle dimension à l'étude du rêve en général, celle du rêve
lucide lui-même ne se développe que par les expérimentations du rêveur, lorsqu'il profite de
son contact direct avec lui pour mettre sa conception du rêve à l'épreuve de la réalité du
rêve. Toutefois cette conception influence nécessairement la mise au point des expériences et
leurs résultats (par exemple, si le rêve est considéré comme une illusion, le sujet n'hésitera
pas à prendre des risques tandis que, s'il croit sortir de son corps, il peut se laisser dominer
par la terreur) ou même plus simplement encore elle empêche le rêveur de remarquer ce qui
n'y correspond pas. Un deuxième niveau d'examen de ces conceptions doit être prévu
au-delà de l'expérimentation personnelle : la confrontation des récits de rêveurs lucides
différents dans des situations similaires. Mais, malgré cette réserve, l'expérimentation
personnelle étrangère à la trame du rêve reste incontournable pour son étude.

L'expérience simple, elle aussi, modifie parfois la structure du rêve, et les


changements obtenus dans la trame du rêve sont également porteurs d'informations même si
l'intention qui les anime n'est autre que la satisfaction d'un désir (voler, par exemple).
Cependant l'expérimentation se distingue de ces expériences informatives "malgré elles" en
ce qu'elle relève d'une intention délibérée d'agir sur le rêve pour en mesurer les
conséquences. Le sujet fait des hypothèses sur le déroulement de son rêve et cherche le
moyen de les vérifier au sein du rêve (comme dans le cas précédemment cité d'Hervey de
Saint-Denys où le raisonnement le mène à se représenter des conséquences possibles) mais
il peut aussi laisser une question ouverte (comme dans le cas où le même auteur décide, à
l'état de veille, de se donner la mort en rêve, sans pouvoir se faire par avance une
représentation de ce qui pourrait advenir).

Cependant le caractère apparemment artificiel de cette dernière situation amène à se


poser une question d'ordre général : les expérimentations auxquelles le rêveur se livre
spontanément en rêve lucide sont-elles de même nature que celles qu'il planifie avant de
dormir ? Il n'est pas rare qu'une expérimentation projetée à l'état de veille soit considérée
par le sujet, une fois l'état de rêve lucide atteint, comme de peu d'intérêt et délaissée au
profit d'une autre, quitte à ce que cette décision onirique le laisse perplexe à son retour à
l'état de veille. Cette situation n'est heureusement pas systématique mais elle doit nous
pousser à prendre une précaution élémentaire dans le recensement des formes de
l'expérimentation, celle de séparer les expérimentations "spontanées" (c'est-à-dire décidées
et menées à bien entièrement dans l'état de rêve) de celles qui sont "préparées" (c'est-à-dire
prévues dès l'état de veille).

I. L'expérimentation personnelle spontanée


L'opposition de l'expérimentation préparée à l'expérimentation spontanée ne suffit pas
à discerner la nature de cette dernière. Si le principe de l'expérimentation préparée depuis
l'état de veille est intuitivement assez facile à saisir, celui de l'expérimentation spontanée
n'est pas compréhensible immédiatement sans un bref examen de ses conditions de
manifestation. En effet, puisqu'une décision onirique prise par le rêveur lucide peut ne pas
avoir la même valeur pour le sujet éveillé, c'est qu'il change de système de référence en
passant d'un état à l'autre. Il se pourrait même que, lorsqu'une expérimentation préparée à
l'état de veille est menée à bien en rêve, elle le soit cependant dans un système de référence
subtilement différent du cadre de départ, ce qui suppose d'être attentif aux éventuelles
modifications de sa mise en œuvre. Dans ces conditions, si une qualité particulière s'attache
à l'expérimentation onirique, c'est dans son aspect spontané qu'on devrait la mettre en
évidence le plus facilement (notamment en observant comment le rêveur choisit de mener
sa recherche).

Pour y parvenir il faut chercher le mode d'articulation de la lucidité onirique par


rapport à l'expérimentation, c'est-à-dire comment le rêveur passe de l'expérience simple, qui
n'est que réaction à une situation onirique, à un intérêt pour le rêve lui-même. Cette dernière
attitude n'est peut-être pas aussi "extérieure" au rêve qu'on pourrait le croire. Nous avons vu
en effet que les préconceptions du rêveur au sujet du rêve peuvent grandement limiter ses
possibilités d'action et que sa liberté grandit dans la mesure où il les abandonne. S'intéresser
au rêve depuis le rêve indique que, en ce qui concerne le domaine exploré, le rêveur n'a pas
par avance de certitude sur la nature et le déroulement du rêve, et qu'il doit donc prendre
une initiative pour provoquer un événement onirique révélateur. Ainsi dans la mesure où il
aborde le rêve sans préconception, un champ d'expérience nouveau s'ouvre à lui, et ce
champ s'avère être son propre sujet d'interrogation (ce qui expliquerait l'existence de rêves
qui se dissipent lorsque le rêveur n'y agit pas). La tendance à expérimenter spontanément ne
s'expliquerait pas seulement par une curiosité scientifique importée de l'état de veille, comme
on pourrait le penser au premier abord, mais aussi par l'évolution interne du rêveur à l'égard
de ses propres expériences oniriques. Cette liberté d'esprit envers le rêve détermine
nettement un intérêt spontané pour la nature de l'expérience onirique, comme par exemple
pour Hervey de Saint-Denys qui a abordé le rêve lucide à l'âge de treize ans sans aucune
connaissance des théories de son époque et chez qui les expérimentations spontanées sont
monnaie courante.

« Le fond de tableau de mon rêve m'ayant représenté une rue


que je reconnus pour être une rue de Séville, où je n'avais pas été
depuis dix ans, et le souvenir m'étant aussitôt revenu qu'au détour de
cette rue devait se trouver la boutique d'un glacier des plus
renommés, j'eus la curiosité de savoir comment se tirerait ma
mémoire d'une épreuve qui consisterait à diriger mon rêve de
ce côté. Je pris donc le chemin qu'il fallait prendre. Je revis la
boutique avec une netteté minutieuse; j'y reconnus toute sorte de
petits gâteaux de formes particulières et, entre autres
rafraîchissements, des sorbets au lait de noisette, préparation que je
[4]
n'avais jamais rencontrée ailleurs. »

L'intention d'expérimenter depuis l'état de veille est plus un cadre général qu'un terrain
d'élaboration d'hypothèses. Hervey de Saint-Denys se livre à ses expérimentations à
l'occasion de ses rêves lucides et en fonction de ce qui s'y présente. Là, il profite de ce qu'il
est en pays étranger pour tester sa mémoire onirique et, ailleurs, il va jusqu'à élaborer ses
hypothèses dans le courant même du rêve. D'une certaine façon l'expérimentation est ici à la
limite de la réaction à une situation onirique.
L'expérimentation préparée dépend au contraire de conditions difficiles à remplir dès
lors qu'elles sont un peu complexes, par exemple si le décor du rêve ne se prête pas à ce qui
est prévu ou présente des distorsions. Dans l'attitude spontanée, en revanche, le rêveur
coule son expérimentation sur le rêve et sur les idées qui lui viennent au cours du rêve et
dont on ne peut assurer qu'elles se seraient enchaînées de la même façon à l'état de veille.
En fait le rêveur, même s'il n'est plus limité par la conception qu'il se fait de son état, fait
partie des conditions de l'expérience dès sa décision d'expérimenter : aussi la séparation
entre l'observateur et son observation s'avère ici tout aussi artificielle qu'à l'état éveillé.
Toutefois, cela ne met pas en cause la précision et le caractère systématique de l'observation
pas plus qu'à l'état de veille puisque le rêveur peut suivre son intention jusqu'au bout du
rêve. La spontanéité de l'expérimentation onirique apparaît pour le rêveur lui-même comme
le fruit d'une certaine liberté, d'abord conscientielle puisqu'il sait qu'il rêve, mais aussi
affective puisqu'il ne se contente pas de réagir aux événements oniriques, et surtout
conceptuelle puisque le rêve s'ouvre à lui comme à un champ à explorer et l'incite à
s'interroger.

Néanmoins cette spontanéité, dans la mesure où elle épouse souvent les contours du
rêve, n'est-elle pas un élément du rêve lui-même plutôt que de la lucidité ? Le rêveur ne
croit-il pas décider une expérience sur le rêve alors qu'il ne fait que se conformer à une
logique onirique non apparente ? Tout en étant conscient de rêver il n'en resterait pas moins
victime d'une illusion de liberté. Il en va de même dans la vie éveillée où la conscience de soi
n'implique pas nécessairement que les motivations des actes accomplis soient connues. Cette
idée semble confirmée par la disjonction qui s'opère parfois entre les attitudes du même sujet
lorsqu'il rêve lucidement et lorsqu'il planifie ou examine ses rêves lucides. Ainsi, par exemple,
la lucidité ne garantit pas toujours qu'un raisonnement mené en rêve soit juste même si sur
le moment le rêveur ne doute pas de ses facultés : « Lorsque je veux réaliser une expérience
que je n'ai pas préparée à l'état de veille, c'est bien souvent une tentative irrationnelle,
comme de faire apparaître le Psaume 140 ou d'observer attentivement la voiture que ma
mère, dans le rêve, vient de quitter pour pouvoir la comparer, lorsque je serai réveillé, avec
celle dont elle serait "réellement" sortie. Dans un autre rêve où le problème était d'examiner
une série d'objets pour les comparer à leurs équivalents réels j'essayais, de façon absurde,
[5]
de déterminer si une toile était, ou non, un authentique Goya » .

Si de telles tentatives en rêve lucide semblent absurdes au rêveur une fois qu'il s'est
éveillé, on peut se demander si d'autres expérimentations spontanées apparemment
logiques lorsqu'on les examine à l'état de veille, ne sont pas en fait tentées en rêve dans un
esprit et un ordre d'idées qui ne dépendent pas de la logique rationnelle de l'état de veille.
Par exemple l'intention qu'a Hervey de Saint-Denys d'étudier sa mémoire en rêve ne
pourrait-elle pas être une intention onirique avant tout, même si cette intention coïncide -
sans se confondre - avec celle de l'état de veille ? Quelle valeur accorder alors à des
expérimentations qui n'ont pas été prévues à l'avance : indiquent-elles une émergence de
préoccupations de l'état de veille dans le rêve ou est-ce la marche du rêve lui-même qui
entraîne un tel déroulement, parfois inadéquat (comme dans le cas ci-dessus), parfois tout à
fait cohérent ? En d'autres termes la spontanéité de l'expérimentation est-elle un attribut du
rêve ou de la lucidité ?

Une réponse partielle peut être apportée à cette question. Si certains rêves lucides
suggèrent que l'expérimentation suit la pente du rêve à tel point que même des expériences
très cohérentes font partie du rêve, d'autres indiquent tout aussi nettement que
l'expérimentation spontanée est plutôt le résultat de la lucidité, et non du rêve. Les rêves
dans lesquels le rêveur ne sait quelle décision prendre et qui s'effacent faute de la
participation du rêveur montrent que, d'une certaine façon, le rêve dépend du rêveur et donc
ne lui suggère pas, même implicitement, le déroulement d'une expérimentation possible : le
champ d'exploration est alors totalement ouvert. Si dans certains cas l'influence du rêve sur
l'expérimentation spontanée est prépondérante, dans d'autres celle du rêveur (et de la
lucidité) est bel et bien déterminante. Il y a alors un hiatus entre le rêveur et son rêve, une
liberté conscientielle dont la vie de veille elle-même n'offre pas d'exemple. On se trouverait
donc en présence de deux sortes différentes d'expériences spontanées selon le type de rêve
impliqué, et qu'on pourrait qualifier d'indépendant ou de dépendant.

Comment le rêve lucide spontané peut-il présenter deux aspects aussi différents ? La
première explication qui vient à l'esprit est que le type du rêve (dépendant ou indépendant)
se modifie en fonction de l'intensité de la lucidité du rêveur. George Gillespie remarque en
effet à propos de ses expérimentations : « Je n'ai pas, en rêve, d'attitudes scientifiques, ni
même, souvent, d'attitudes rationnelles. Je ne suis guère capable d'émettre un jugement
critique au sujet du déroulement ou du résultat de mes expériences. Je ne suis pas conscient
des inconsistances ou des changements d'implication. Les jugements que j'arrive à faire sont
bien plus souvent issus de savoirs spontanés que fondés sur ma préparation de
[6]
l'expérience » .

Si par exemple on définit, comme Fox, le rêve lucide par la présence de la faculté
critique, son faible impact dans les expériences de Gillespie (« Je ne suis guère capable
d'émettre un jugement critique au sujet du déroulement ou du résultat de mes expériences.
Je ne suis pas conscient des inconsistances ») indique un degré de lucidité faible. A l'inverse,
une lucidité intense augmenterait la dépendance du rêve, allant parfois jusqu'à lui donner
l'allure d'un rêve éveillé profond, de type hypnopompique. La lucidité serait alors d'autant
plus intense qu'elle se rapprocherait de l'état d'éveil, ce qui indiquerait qu'elle est une trace
de cet état introduit dans le sommeil. Toutefois, sans rejeter entièrement cette explication, il
faut bien constater que, dans certains cas, l'intensification de la lucidité augmente l'intensité
du rêve plutôt qu'elle ne mène au réveil. De plus, les rêves lucides de Gillespie eux-mêmes
présentent cette caractéristique de dépendre du rêveur : « Pour maintenir l'environnement
onirique, il faut que je sois en interaction avec lui. Quand je cessais de composer des
poèmes, quand j'essayais de me souvenir de l'endroit où je dormais, l'activité dans le monde
du rêve diminuait ou s'arrêtait. Si je m'abstrais totalement de cet environnement, je risque
[7]
de le perdre, et cela provoque le réveil » . On peut donc se demander si une lucidité intense
ne peut pas elle-même être purement onirique et déboucher sur ses propres formes
d'expérimentations spontanées qui, tout en répondant à des critères de l'état de veille, n'en
sont pas pour autant dictées par lui.

Puisqu'il n'est guère possible d'expliquer les différents types d'expérimentations


spontanées (et les rêves où elles prennent place) par les degrés de lucidité, il devient
nécessaire d'en délimiter les formes de l'extérieur. Cependant sur quel principe se fonder
pour les sérier ? Par exemple ces formes se différencient-elles à partir de la façon dont le
rêveur prend la décision d'expérimenter ou en fonction de celle dont il prévoit le
déroulement de l'expérience ? Une expérimentation contient en effet par définition différentes
étapes : le projet, l'action et le résultat. Ainsi dans le rêve d'Hervey de
Saint-Denys précédemment cité, le projet est parfaitement clair ("j'eus la curiosité de savoir
comment se tirerait ma mémoire d'une épreuve qui consisterait à diriger mon rêve de ce
côté") et le rêve montre également comment le marquis met son projet à exécution ("Je pris
donc le chemin qu'il fallait prendre") ainsi que ce qui résulte de son action ("Je revis la
boutique avec une netteté minutieuse"). D'autres étapes sont envisageables, par exemple la
prolongation de l'expérimentation par renouvellement des étapes précédentes, comme dans
le même rêve qui se poursuit de la façon suivante :

« Je réfléchis alors que l'occasion était précieuse pour vérifier


si je saurais me remémorer une saveur aussi fidèlement que je me
remémorais des images. Je choisis un de ces sorbets imaginaires. J'y
portai mes lèvres, je mis toute mon attention à le bien déguster, et je
reconnus ainsi que ma mémoire en défaut ne me fournissait que par à
peu près la sensation qui lui était demandée. C'était un goût
[8]
d'amande, et non pas de noisette qu'elle retrouvait » .

Il serait donc envisageable de s'intéresser aux formes des expérimentations oniriques


spontanées en fonction du projet du rêveur (par exemple ce qui le motive, la représentation
qu'il s'en fait) ou de sa réalisation ou encore de la façon dont les résultats remplissent ou non
son attente éventuelle.

Toutefois c'est l'interaction de cette expérimentation avec la vie de veille qui importe
avant tout au rêveur et au chercheur. C'est donc la qualité de la spontanéité qui va nous
guider ici dans notre classification. La spontanéité est en effet déterminée par les
circonstances qui entourent l'expérimentation. Elle est donc susceptible de degrés, totale
lorsqu'elle émerge d'elle-même, relative lorsqu'elle correspond à une improvisation par
rapport à une expérimentation prévue et abandonnée.

Dire qu'une expérimentation est absolument spontanée (et donc totalement


improvisée) c'est indiquer que l'activité du rêveur lucide n'a aucun support préalable : le sujet
s'est endormi sans avoir l'idée d'expérimenter, et parfois même sans intention particulière
d'être lucide en rêve. Le rêve lucide le prend alors par surprise et le rêveur improvise une
expérimentation selon sa curiosité onirique du moment. Cette improvisation prend deux
formes nettement différentes selon qu'elle porte sur le contenu du rêve ou sur le fait du
rêve. Dans le premier cas, le sujet traite le donné onirique comme une matière extérieure à
lui et dont il faut trouver les lois tandis que, dans le deuxième, il cherche à agir sur la
structure onirique elle-même et à en altérer la réalité à la façon d'un démiurge.

L'expérimentation spontanée "extérieure" se caractérise avant tout par une qualité


d'observation qui dépend généralement de la curiosité intellectuelle du sujet.

« J'ai continué à me regarder m'endormir. Et c'est ainsi que j'ai


fait, pour la première fois, un rêve dans lequel je m'observais
moi-même. J'avais réussi à pénétrer au cœur du sommeil! Dans la
première partie de ce rêve, j'étais assis sur le toit d'un train et le train
se rapprochait de plus en plus d'un tunnel ; j'avais horriblement peur
et je m'aplatissais autant que je pouvais. Puis, le train est entré dans
le tunnel. C'est alors que je me suis dit : "C'est drôle ; on peut très
bien avoir peur et quand même s'apercevoir que le sifflement du train
[9]
change de hauteur lorsqu'on pénètre dans le tunnel" ».

Dans ce premier rêve lucide l'émotion ressentie n'interfère pas avec la capacité du sujet
à observer et à réfléchir. Cette même capacité d'observation conduit assez normalement le
sujet à des expérimentations qui en sont la prolongation.

« J'ai fait également toute une série d'observations dans


lesquelles, au lieu de me demander si je rêvais en noir et blanc ou en
couleurs, je me suis posé la question de savoir quelle était la précision
de mon acuité visuelle en rêve. J'ai alors fait un rêve dans lequel je
voyais une fille rousse couchée dans l'herbe haute ; je me suis
demandé si je pouvais distinguer ses cheveux un à un. Et de fait, je
voyais chacun de ses cheveux ; je pouvais même voir la diffraction,
cette petite tache de lumière colorée que l'on observe lorsque le soleil
[10]
se réfléchit sur un objet fin. »

Dans ce type de rêve c'est donc bien l'observation du moment qui se prolonge en
question dont on cherche aussitôt la réponse. Il est possible que cette question ("je me suis
demandé si je pouvais distinguer ses cheveux un à un") crée le phénomène ("Et de fait, je
voyais chacun de ses cheveux") mais ce qui, du point de vue de la forme de l'expérience,
nous importe ici, c'est que le sujet n'a eu aucune intention en ce sens avant de dormir.
L'attitude du rêveur montre clairement qu'il considère le contenu du rêve comme un donné
dont il se sent aussi distinct que de son environnement de veille. Cette façon de traiter les
éléments oniriques comme un donné extérieur n'empêche cependant pas qu'il les conçoive
comme un produit de son imagination. Mais la forme de l'expérience est immédiatement
déterminée par son attitude (qui consiste ici à jouer le jeu du rêve en lui accordant une
existence onirique) même si cette conduite dépend à son tour de ses conceptions.

L'action à la façon d'un démiurge, en revanche, va tout à fait dans l'autre sens : par
son attitude le rêveur altère le fait même du rêve, lui fait subir des transformations qui vont
au-delà du donné et portent directement sur le cadre de l'expérience, c'est-à-dire son temps,
son espace ou son existence. Ainsi le banal éveil volontaire qui permet généralement de fuir
un mauvais rêve ou de noter immédiatement les plus intéressants peut, en tant qu'acte
s'insérant dans une expérimentation, se transformer en action de démiurge.

« Dans un autre rêve, j'entendais un toc toc toc qui d'ailleurs


semblait bien cadrer avec le reste du rêve. Pourtant, quelque chose
me disait que ce bruit n'était pas tout à fait en situation. Je me suis
donc fait la réflexion que le bruit devait venir d'ailleurs, de l'extérieur
du rêve ; j'avais certainement inventé cette partie du rêve pour y
insérer ce bruit extérieur. "Il faut absolument que je me réveille, me
suis-je dit, pour découvrir d'où vient ce bruit de cognement".
Là-dessus, je me suis réveillé. Silence total ; pas le moindre bruit.
[11]
Mon rêve n'avait donc rien à voir avec l'extérieur. »

Mettre fin au rêve n'est qu'un aspect relativement bénin de l'action de démiurge qui
s'exerce de bien des façons et dont nous avons déjà rencontré quelques formes. Ainsi dans le
récit précédemment cité d'Hervey de Saint-Denys, la tentative de changer de rêve par la
seule force de sa volonté constitue une action de démiurge (même si elle n'aboutit pas)
tandis que mettre la main sur ses yeux (pour cesser de voir le paysage onirique) respecte le
"donné" du rêve. De même, lorsque Kenneth Kelzer ordonne l'apparition magique d'un lapin,
il agit en démiurge puisqu'il le fait surgir dans le champ de sa perception onirique sans
qu'aucune transition propre au rêve ne le laisse prévoir. Bien entendu ces actions de
démiurge seraient probablement irréalisables si le contexte du rêve lui-même ne s'y prêtait
pas, et la différence des deux attitudes mentionnées est avant tout une distinction importée
de l'état de veille.

La spontanéité d'une expérimentation ne se constate pas toujours dès l'intention, mais


parfois dans le cours de l'action onirique. Dans ce cas elle est partiellement improvisée
puisqu'une intention générale de se livrer à une expérience peut exercer son influence depuis
l'état de veille sans affecter la spontanéité de l'expérimentation particulière dont les
modalités se dessinent au cours du rêve lui-même. Le rêve cité d'Hervey de
Saint-Denys illustre cette situation : l'intention d'évaluer sa mémoire en rêve constitue pour
le rêveur une intention d'ordre général qui ne contient pas le projet particulier de goûter des
sorbets. Toutefois cette intention d'expérimenter en provenance de l'état de veille n'a pas
toujours la généralité qui ne fait que donner une direction à un projet particulier dont
l'apparition est laissée aux hasards du rêve : parfois elle est déjà un projet précis qui est
cependant délaissé au profit d'une expérimentation improvisée ou qui subit des modifications
telles qu'on ne peut le considérer comme préparé. Les causes de ce glissement permettent
d'entrevoir concrètement en quoi l'expérimentation spontanée se distingue de
l'expérimentation préparée.

L'expérimentation peut être modifiée ou écartée au profit d'une autre parce que les
conditions oniriques ne s'y prêtent apparemment pas, ou simplement parce que le rêveur se
souvient d'une expérimentation projetée, sans arriver à savoir en quoi elle consiste : « Les
souvenirs sont plus souvent fallacieux. Parmi les 277 premiers rêves lucides pour lesquels
j'avais projeté une expérience, il n'y en eut que 122 (44%) dans lesquels je fus capable de
me remémorer entièrement ou en partie ce que j'avais décidé de faire. Parfois, je continuai,
par erreur, une expérience prévue pour un autre rêve, plus ancien. Il m'arrive aussi, au cours
[12]
d'une expérience, d'oublier ce que je suis censé faire et ce que je cherche » . Dans ce cas
la spontanéité du rêveur s'exerce par défaut, c'est à dire qu'elle ne fait que venir remédier à
une déficience du rêve ou du rêveur. Mais assez souvent l'expérimentation prévue est
modifiée par le rêveur alors même qu'il en a le souvenir et que les circonstances de son rêve
la rendent possible :

Dans une autre expérience, je devais classer par ordre


alphabétique les objets que je voyais en rêve. J'eus un problème
constant du fait qu'en répétant les noms de ces objets et en essayant
de m'en souvenir je changeais spontanément certains mots et en
ajoutais d'autres, généralement des sous-produits par allitération des
mots d'origine. Dans l'un de ces rêves, je voyais un escalier, une pipe,
du papier, une roue, mais lorsque je voulus dresser la liste de ces
choses et la répéter je me retrouvai avec "hallier, pipe, papier, boue,
roue". Hallier et Boue avaient été ajoutés et le mot escalier supprimé.
Heureusement, en réexaminant le rêve, je puis voir ce qui s'était
[13]
produit.

Le rêveur, bien que lucide, ne se rend compte de la modification opérée qu'une fois
réveillé, ce qui implique qu'ici sa lucidité ne peut pas être simplement définie comme la
présence de la conscience de l'état de veille en rêve. Bien qu'il y ait l'apparence d'une
continuité entre l'expérimentation prévue et celle effectuée, l'altération s'explique ici par un
changement conscientiel plutôt que par la déficience des facultés du rêveur ou l'aspect
défavorable des circonstances oniriques. Cette différence conscientielle est surtout sensible
au niveau des décisions que prend le rêveur.

J'avais projeté de dire le Notre Père dans un rêve. Quand je


me souvins de cette intention, je me mis spontanément à le chanter
sur un air connu. Je finis par me rendre compte que cela prenait trop
de temps et qu'il valait mieux continuer en me contentant de le
[14]
réciter.

Le contenu de l'expérience est bien le même, mais, spontanément, le rêveur n'adopte


pas exactement la conduite prévue et ce n'est qu'à un moment précis du rêve qu'il décide de
s'en tenir à celle qu'il avait déjà choisie à l'état de veille.

Ainsi la spontanéité de l'expérimentation apparaît souvent comme n'étant pas une


forme du rêve lui-même mais bien de la lucidité qui implique une certaine curiosité vis-à-vis
de l'environnement dont le rêveur a conscience. Cependant cela ne signifie pas que cette
tendance à expérimenter que permet la lucidité puisse être dérivée de la vie de
veille puisqu'on peut parfois constater un décalage entre les décisions prises dans l'un ou
l'autre état. On serait plutôt tenté de penser que la tendance à l'expérimentation est une
caractéristique du sujet qui se manifeste aussi bien à l'état de veille qu'en rêve, mais non
qu'elle est directement importée de l'état de veille pour lequel les intérêts et les décisions ne
sont pas les mêmes.

II. L'expérimentation personnelle préparée


L'expérimentation personnelle préparée est planifiée par le sujet avant de dormir, à
l'état de veille, ce qui revient à dire qu'elle ne trouve pas son origine dans l'état onirique. En
conséquence l'expérimentateur lucide doit souvent raviver la mémoire de sa vie de veille, et
cet effort lui est aussi peu naturel que celui de l'homme éveillé qui recherche le souvenir de
rêves nocturnes qui, par nature, ne s'insèrent pas dans le cadre de sa vie diurne : « Mes
projets sont conçus à l'état de veille. Lorsque je m'aperçois que je rêve, j'essaie de me
souvenir d'un mot clé ou d'une phrase qui me permettront de retrouver en quoi consiste
l'expérience. Il y eut ainsi une série où je devais manipuler des objets, en constater la
solidité, passer ensuite la main à travers eux, puis ressentir à nouveau leur nature solide.
Lorsque je devenais conscient de rêver, si je parvenais à évoquer les mots "solidité" ou
"test de solidité", je n'avais en général plus de problème pour me souvenir de ce que je
[15]
devais faire » . L'importance d'un tel effort pour diriger son attention varie selon les
rêveurs et cet effort paraît même totalement absent chez certains (tels LaBerge et ses sujets)
qui ont le sentiment de prolonger leur conscience de veille dans le rêve, ce qui facilite
l'expérimentation et son évaluation. Cette situation a amené les chercheurs à considérer le
rêve lucide comme une opportunité d'étude du rêve à partir d'une perspective de
recherche qui est celle de la veille. Pourtant cette perspective recouvre des nuances fort
différentes lorsqu'on examine les expérimentations préparées.

Il est implicitement admis que l'expérimentation est le pur produit d'une réflexion de
l'état de veille puisque c'est dans cet état qu'elle est planifiée. Et il en va assurément bien
ainsi dans un certain nombre de cas lorsque les questions posées intéressent uniquement la
vie de veille. De telles questions sont souvent d'ordre psychologique comme
l'expérimentation d'Hervey de Saint-Denys, que nous avons déjà eu l'occasion de citer, au
cours de laquelle le marquis cherchait à se donner la mort en rêve pour satisfaire sa curiosité
concernant la façon dont son imagination se tirerait de cette difficulté. Mais la plupart des
questions que les rêveurs se posent à l'état de veille sont en fait le produit d'une réflexion
sur des rêves antérieurs, qu'il s'agisse des leurs ou de ceux d'autres rêveurs lucides. L'état
de veille est alors en fait plus une étape intermédiaire entre deux états de lucidité onirique
que la cause des expérimentations menées - et le point de départ doit souvent être cherché
dans l'expérimentation spontanée. En fait, contrairement à ce qu'on pourrait penser au
premier abord, non seulement la tendance à l'expérimentation spontanée n'est pas
systématiquement un sous-produit d'une intention de l'état de veille, mais elle alimente la
mise au point des expérimentations préparées en suggérant les voies à explorer et en
insufflant au rêveur le désir d'aller plus loin.

On comprend alors que l'expérimentation se présente sous des formes très différentes
selon que l'intérêt qui lui est porté trouve son origine dans une réflexion théorique sur le rêve
ou dans un problème pratique rencontré au cours d'un rêve lucide précédent.
L'expérimentation planifiée en fonction d'expériences préalables est en effet plus riche en
informations que celle qui découle uniquement de l'état de veille. Dans ce dernier cas
l'expérimentation projetée par le sujet n'est en fait qu'une réponse à une situation de la vie
éveillée (une théorie du rêve reste en effet une préoccupation de la vie de veille, même si elle
vise le rêve). D'où cette position paradoxale : l'expérimentation préparée est d'autant plus
intéressante qu'elle l'est en fonction d'autres expériences et expérimentations déjà menées
au cours de rêves lucides.

Elle peut également être influencée par l'aptitude à la lucidité. Sans parler des sujets
dont la lucidité est rare et qui, de ce fait, ne peuvent guère raisonnablement prévoir des
expérimentations suivies, les rêveurs lucides quasi quotidiens, comme le marquis d'Hervey de
Saint-Denys, envisagent souvent des séries d'expérimentations, tandis que d'autres, en
raison d'une fréquence moindre, se voient contraints à plus de diversité. Ces deux approches
de l'expérimentation entraînent des formes différentes de rêves lucides.

Les informations que nous apportent les expérimentations au coup par coup sont
nécessairement dénuées de la richesse des séries d'expérimentations sur un même thème.
Néanmoins elles restent instructives car elles nous informent sur ce qui est possible en rêve
et permettent de déceler les limitations arbitraires imposées par des idées préconçues ou
même par des rêveurs particuliers. Ouspensky nous donne un exemple de limitation
personnelle qu'il généralise :

« un homme ne peut pas penser à lui-même dans le sommeil,


à moins que cette pensée ne soit un rêve. Il ne peut jamais, en
dormant, prononcer son propre nom.

« Si je disais mon nom dans le sommeil, cela me réveillait


aussitôt. Je compris alors une chose à laquelle on ne songe guère : le
seul fait de savoir qu'on possède un nom personnel représente en soi,
[16]
par rapport au sommeil, un degré de conscience différent » .

Cette généralisation est cependant illégitime puisque d'autres rêveurs lucides ont réussi
là où Ouspensky avait échoué : « Quand je lus le compte rendu d'Ouspensky, je n'acceptai ni
son raisonnement ni ses prémisses, ne voyant pas pour quelle raison prononcer son nom en
rêve présenterait une quelconque difficulté. Je décidai de tester mes propres attentes et, au
cours de l'un de mes premiers rêves lucides, je dis le mot magique : "Stephen, je suis
[17]
Stephen". Hormis le fait d'entendre ma propre voix, rien ne se passa » . Ce type
d'expérimentation ne fournit donc que des informations ouvertes : il montre non les limites
du rêve ou du rêveur en général, mais ce qu'il est possible à un rêveur particulier de
réaliser, sous une forme positive ou négative. Ainsi ne pas parvenir à prononcer son nom en
rêve au cours d'une telle expérimentation révèle simplement qu'un rêveur a le pouvoir de se
donner cette limitation précise en fonction d'une croyance importée de l'état de veille.
L'expérimentation au coup par coup est donc utile pour relativiser une idée admise et ouvrir
ainsi à de nouvelles recherches.

Toutefois une expérimentation préparée ne réussit pleinement que si elle remplit des
conditions dont l'expérimentation spontanée peut se passer, étant donnée que cette dernière
se moule sur le rêve en cours ou sur l'état d'esprit du rêveur lucide au moment du rêve (et
dont rien n'assure qu'il serait le même qu'à l'état de veille). Nous avons déjà noté la première
condition nécessaire qui est que le rêveur parvienne à se souvenir non seulement qu'il a
projeté une expérimentation, mais aussi en quoi elle consiste. Ce qu'il faut souligner
maintenant c'est que, contrairement à ce qu'on croit, la qualité de sa mémoire ne dépend pas
nécessairement de la qualité de sa lucidité. Les rêveurs dont la lucidité n'atteint pas une
clarté équivalente à celle de la conscience de veille ont sans doute besoin d'une sorte de pont
mental qui leur permet de faire passer le souvenir de leur projet dans le rêve, mais ce
procédé s'avère souvent suffisant pour l'expérimentation :

« Dès que j'eus commencé à faire des rêves lucides, je projetai des expériences qu'il
me faudrait réaliser à partir du moment où je deviendrais conscient de rêver. J'élaborais ces
projets à l'état de veille, étant en possession de mes facultés normales de rationalité et de
jugement. Par exemple, deux expériences que j'imaginai étant éveillé, et que je réalisai,
plusieurs fois chacune, en rêve, consistaient, pour l'une, à classer par ordre alphabétique cinq
objets perçus dans le rêve, pour l'autre à rendre alternativement solides et non solides des
objets de rêve. Pour me remémorer ces intentions, il fallait normalement que je parvienne à
évoquer un mot clé ou une phrase, tels que "alphabétisation" ou "test de solidité", que je me
répétais fréquemment avant de m'endormir. Lorsque je parvenais à évoquer ces mots, je me
souvenais très bien, en règle générale, de ce que j'avais à faire et je n'avais pas de problème
[18]
pour me mettre à l'expérience » . Ce qu'il faut donc noter ici c'est que la présence de la
lucidité n'implique pas automatiquement que l'action projetée puisse être menée à bien et
que les moyens permettant de se souvenir du contenu de l'expérimentation doivent être pris
en considération par les sujets.

La réussite de l'expérimentation dépend également de l'environnement onirique qui


doit se révéler adéquat à l'action projetée. Comme le remarque Gillespie : « Le rêveur ne
peut pas choisir les circonstances dans lesquelles il se livrera à son expérience. Celle-ci aura
lieu dans l'environnement qui se trouvera être celui du rêve au moment où le sujet deviendra
[19]
lucide » . Le décor du rêve n'offre pas toujours une occasion d'agir selon un projet
déterminé : « J'avais projeté de sauter en l'air, dix fois de suite, dans un rêve. J'accédai à la
lucidité à un moment où je me trouvais en équilibre instable, à l'intérieur d'une tour, et
[20]
presque sans point d'appui. J'avais peur de tomber et je ne pus exécuter mes sauts » . Ce
type de difficulté ne se rencontre pas dans l'expérimentation spontanée qui suit le cours du
rêve et nécessite parfois pour le rêveur de changer d'environnement onirique. Là encore les
moyens d'y parvenir font partie des techniques que le sujet doit connaître ou trouver par ses
tentatives personnelles, ce qui implique que certaines expérimentations (celles qui portent
sur les conditions de l'expérience) sont préalables à d'autres, notamment celles qui
permettent de prolonger le rêve lucide.

Enfin il est nécessaire que le rêveur puisse évaluer le résultat obtenu, non pas
seulement au cours du rêve, mais aussi lorsqu'il revient à l'état de veille. Dans cette
perspective, les conclusions auxquelles parvient le sujet dans le rêve font partie du résultat
lui-même. « Dans une expérience de "test de solidité", je mis la main dans le corps de mon
oncle pour voir ce qui se passerait si je la laissais là. Mon bras semblait normal jusqu'à
l'endroit où il pénétrait en lui ; il me semblait que j'avais réussi à maintenir ma main à
l'intérieur de son corps. Cependant, en y réfléchissant après le réveil, je m'aperçus que je
n'avais nullement observé ma main dans son intérieur, et je ne me souvenais pas non plus de
l'avoir sentie à cet endroit. Tout ce que j'avais vu, c'était que mon bras s'arrêtait à la surface
[21]
de son corps » . Ainsi, si la lucidité suppose de la part du rêveur des facultés intellectuelles
suffisamment claires pour entreprendre et guider l'expérimentation, son appréciation n'est
tout à fait complète qu'après le réveil du sujet.

Les expérimentations systématiques portent sur des séries de rêves lucides,


notamment lorsque le rêveur essaie d'atteindre un objectif précis. Ainsi, au cours de rêves
lucides obtenus trois jours de suite, une rêveuse s'efforce de se rendre à un lieu de
rendez-vous onirique :

« Alors j'ai voulu m'envoler non pour vérifier, je savais être


lucide, mais pour m'amuser. Je me suis mise sur le capot et c'était
assez génial de tenir debout sur l'avant de la voiture, les cheveux au
vent. Ensuite, je me suis vraiment envolée et j'ai mis mes mains
devant la figure, voulant faire apparaître le décor de la M…-F…, car au
cours du stage nous nous sommes donné rendez-vous au-dessus du
[22]
bâtiment pour planer ensemble et former une étoile… » .

Le sujet s'efforce donc de remplir un objectif préparé à l'état de veille ("nous nous
sommes donné rendez-vous au-dessus du bâtiment pour planer ensemble et former une
étoile"). Un autre rêve lucide dans le courant de la nuit lui permet de répéter la même
tentative.

« […] Je veux sortir car ce serait plus facile pour aller à la


M…-F… Dehors le contraste avec l'intérieur est immense. Après ce
grand mag chic, c'est un paysage surprenant. Non pas la ville
encombrée et compact, style Paname, mais un pays de désolation,
[23]
plutôt désertique, poussiéreux, orange. […] »

L'objectif est oublié en cours de rêve en raison de péripéties oniriques, comme dans le
rêve lucide du jour suivant :

« […] Je retombe en rêve, en rêve lucide. En fait je ne me suis


pas réveillée, mais j'ai changé de décor. Je suis dans ma chambre. Je
veux en sortir et aller planer à la M…-F… Je m'élève pour traverser le
plafond ; cette étape terminée, mon décor devient noir. Je suis dehors
[24]
mais dans l'obscurité. »

La rêveuse intensifie ses efforts au fil des expériences comme le montre le rêve qui suit
au cours de la même nuit.

« […] Je suis dehors, à Paris et il fait très beau. Le paysage est


magnifique : il ressemble à Montmartre - en mieux -, même à
Siennes, avec de très belles couleurs. Je savoure cela et m'élève pour
aller à la M…-F…, je voudrais bien réussir tout de même! J'ai du mal à
me diriger, je sens une contre-force, alors je me dis "je rêve, je peux
voler où je veux". De fait, je parviens à contrôler mon vol mais reste
sur Paris : impossible de changer de lieu. Je refais le coup des mains
près de la figure en guise de passerelle mais j'ai encore peur de
perdre mon décor. Je suis toujours dans mon Paris écolo. Alors je
grimpe les marches, car l'endroit est vallonné, et arrive à une
plate-forme très fleurie. "B…, F…, venez je n'arrive pas à atteindre la
M…-F…"! "Venez je suis lucide, est-ce que vous dormez ?" Je suis très
heureuse en le criant car j'espère être un peu entendue dans leur
[25]
rêve. […] »

Cette volonté d'arriver à destination est toujours présente dans le rêve lucide de la nuit
suivante et aboutit à un résultat partiel.

« […] Je suis sur le ventre. En commençant à m'envoler pour la


M…-F…, c'est comme d'habitude. Je m'élève. Mais déjà je me dis que
je suis trop haute par rapport à la M…-F…, puis que ce n'est pas
grave, je rêve. Je peux faire ce que je veux. Je me force à maîtriser
mon ascension, en fait je n'ai pas vraiment réussi à aller à la M…-F…
mais cette volonté m'a faite aller dans un endroit où est censé être la
M…-F… Endroit où je n'étais déjà plus lucide d'ailleurs, bien qu'il y ait
eu aussi envol par la suite. Avant d'essayer la M…-F…, je suis donc
encore lucide. Je me trouve en l'air, très haut, si bien que je me dis "il
faut que je redescende pour me retrouver approximativement au
niveau d'un toit, et quand je serais à la bonne hauteur, je veux voir
en-dessous de moi la bâtisse de la M…-F… Je redescends donc et
regarde en bas, mais je ne vois que le noir le plus complet, rien du
décor souhaité. Cela dit, la sensation est géniale car je vole position
oiseau, et non à la verticale (telle un fantôme), comme
habituellement. Je me dirige en positionnant simplement mes bras
comme un gouvernail et cette facilité est agréable. Mais assez vite
mon contrôle devient partiel.

« Je suis dans la piscine de la M… F…. mais elle est couverte et


il y a beaucoup de monde, des enfants et pas mal de verdure (style
[26]
piscine Aquaboulevard). Je ne suis plus lucide. […] »

Dans cette série de rêves lucides la rêveuse s'efforce d'atteindre un lieu précis, mais la
continuation de l'expérimentation est dictée par le fait que le but n'est pas atteint et on peut
difficilement considérer qu'il s'agit d'une expérimentation sur le rêve. D'ailleurs différentes
méthodes sont utilisées pour obtenir un résultat : effacer le paysage onirique en cours en
mettant les mains devant les yeux ("j'ai mis mes mains devant la figure, voulant faire
apparaître le décor de la M…-F…"), voler jusqu'à destination ("Je […] m'élève pour aller à la
M…-F…"), et même adopter la bonne position pour cela ("je me dis que je suis trop haute par
rapport à la M…-F…"), ou encore appeler d'autres rêveurs à la rescousse ("B…, F…, venez je
n'arrive pas à atteindre la M…-F…!"). On peut donc considérer cette série de tentatives
comme une sorte de degré minimum puisque seul l'objectif est pris en compte.

Cependant des expérimentations plus sophistiquées sont envisageables, que le rêveur


veuille s'assurer de l'extension possible des résultats acquis dans un rêve à d'autres rêves, ou
qu'il désire explorer toutes les facettes d'une même situation onirique. Pour s'assurer qu'on
ne peut se donner la mort en rêve, Hervey de Saint-Denys ne se contente pas d'une seule
tentative onirique mais multiplie les expérimentations en prenant soin de tenter plusieurs fois
la même expérience. Ainsi dans plusieurs rêves différents il se jette dans le vide :

« Une nuit enfin que je rêvais me promener dans la rue, que


toutes les images de mon rêve étaient bien nettes et que je sentais
parfaitement néanmoins que je n'étais pas éveillé, je me souvins tout
à coup de l'expérience à faire, je montai aussitôt jusqu'à l'étage
supérieur d'une maison qui me paraissait très haute ; je vis une
fenêtre ouverte, et le pavé à une grande profondeur ; j'admirai un
instant la perfection de cette illusion du sommeil, et, sans attendre
qu'elle s'altérât, je me précipitai dans le vide, plein d'une anxieuse
curiosité. […] J'ai pu renouveler assez fréquemment cette
expérience de me précipiter, en rêve, du haut d'un édifice, ou
[27]
dans un gouffre ou dans un puits profond. »

Il essaie également de se donner la mort par d'autres moyens oniriques qu'il considère
comme des « variantes que je voulais expérimenter à leur tour, de me couper la gorge avec
[28]
un rasoir, ou de tourner des pistolets contre mon front » . En procédant de la sorte, l'étude
des conditions oniriques est nécessairement plus précise car elle permet de distinguer une
impossibilité psychologique d'une méthode inadéquate. Dans le cas précédent la rêveuse
avait sans doute érigé une barrière mentale inconsciente comme l'indique sa perte de lucidité
au moment où l'objectif est atteint. En revanche les expériences d'Hervey de
Saint-Denys montrent nettement que des méthodes différentes débouchent sur des
séquences oniriques différentes. Même s'il ne parvient pas à se donner la mort en se jetant
d'une hauteur, le rêve ne s'en poursuit pas moins en fonction de l'acte accompli, même au
détriment de la lucidité.

« Perdant instantanément le souvenir de tout ce qui précède,


je me crus sur le parvis d'une cathédrale, mêlé à un groupe de
curieux qui se pressaient autour d'un homme tué. On racontait autour
de moi que cet inconnu s'était jeté du haut de la tour de l'église, et je
vis emporter le cadavre sur un brancard. […] Dans une autre
circonstance, ayant cru prendre mon élan du haut d'une falaise, je
[29]
rêvai tout à coup que j'étais en ballon. »

En revanche lorsqu'il est question de se trancher la gorge ou de se brûler la cervelle, la


barrière psychologique apparaît nettement :

« Une fois, que je parvins, en rêve, à tenir un rasoir à la main,


l'horreur instinctive de ce que je voulais simuler se trouva plus forte
que ma volonté réfléchie. […] Au moment de prendre mes pistolets,
par exemple, j'arrêtais mon attention sur le petit paquet de clefs
parmi lesquelles se trouve celle de leur boîte. J'apercevais, par la
même occasion, celle d'un tiroir où je me souvenais que j'avais
renfermé quelques photographies. L'une d'elles me revenait en
mémoire, se peignait à mes regards, captivait mes pensées, et déjà
[30]
mon esprit ne songeait plus du tout aux pistolets. »

Rechercher à préciser les conditions de l'expérience pour observer la variation des


résultats s'avère donc aussi important en rêve qu'à l'état de veille et beaucoup plus instructif
que les expérimentations au coup par coup.

Malheureusement ces séries d'expérimentations sont difficiles à réaliser en raison de


la fréquence sporadique de la lucidité onirique. Ceux qui prétendent être lucides en rêve à
volonté (comme Stephen LaBerge) n'ont probablement aucun mal à se livrer à de telles
expérimentations et ce genre de sujets est précieux pour les expériences enregistrées en
laboratoire. Mais le caractère capricieux de la lucidité incite généralement à procéder d'une
façon particulière : le sujet décide que lors des prochains rêves lucides il s'engagera dans une
activité onirique déterminée, puis il attend de devenir lucide pour vérifier ses hypothèses.
Une telle attitude demande cependant patience et persévérance, car s'il est aisé de se
souvenir d'une expérimentation prévue en rêve lucide, il est toutefois plus difficile d'y penser
lorsque son projet ne s'inscrit pas dans un temps proche du rêve. Les sujets tournent alors la
difficulté en additionnant des tentatives au coup par coup portant sur le même problème et
les séries d'expérimentations prennent la forme d'une collection d'expériences ponctuelles.
Cette façon de procéder est d'ailleurs la plus couramment adoptée dans les recherches qui ne
sont pas menées à l'initiative du rêveur.

§2. La recherche : terrain et laboratoire


Les expérimentations personnelles du sujet constituent une base indispensable à
l'étude de la lucidité onirique puisque le rêve est avant tout un phénomène personnel et
subjectif. Leur lecture permet non seulement de recueillir des données sur le phénomène
onirique mais aussi de déceler une progression individuelle qui s'élève souvent de la simple
expérience passive à l'expérimentation minutieusement préparée. Néanmoins, si les
expérimentations planifiées à l'état de veille diffèrent, au moins en théorie, de celles décidées
au cours du rêve lucide, elles restent liées à la subjectivité du rêveur qui, dans ses
explorations oniriques, ne rencontre que lui-même. Ce point est souvent souligné par
l'activité du rêveur lucide ou par le rêve lui-même.

« […] Je me trouvais dans le noir, en train de descendre à la


cave avec l'idée d'aller dire au revoir à mon frère qui y joue de la
batterie. Arrivé en bas, je me rends compte qu'il n'y a personne. Puis
la lumière s'éteint. Toujours lucide, je me dis que mon frère s'est
caché dans le but de me faire peur. Je commence à paniquer, puis je
me dis que c'est une bonne occasion d'affronter ce qui peut se trouver
là : pas question d'utiliser un artifice pour fuir ou changer de décor.
Soudain je réalise que puisqu'il fait noir je suis aussi difficile à repérer
et que donc de "victime" je peux devenir "bourreau", c'est-à-dire que
je peux moi-même faire peur à celui qui se cache ici (l'arroseur
arrosé). Cette réalisation efface instantanément ma peur, et sans
transition je me trouve soudainement happé dans les airs par un être
que je perçois comme un guide. Je suis transporté de joie et de
bien-être. Mon guide me fait faire un tour dans l'espace, à des
kilomètres de la terre, puis revient rapidement me poser près d'une
maison à la campagne, entourée d'arbres. Il me dit que cette maison
c'est moi-même. Je la regarde alors sous tous ses angles et
comprends comment elle symbolise bien ce que je suis, ainsi que mon
[31]
proche environnement. […] »

Dans ce rêve les rôles sont manifestement interchangeables (« de "victime" je peux


devenir "bourreau" ») et le décor assimilé à la personnalité du sujet (« elle symbolise bien ce
que je suis, ainsi que mon proche environnement »). Or, pour s'assurer que l'étude de tels
récits nous fournit plus d'éléments sur le phénomène onirique que sur la subjectivité du
rêveur, et en quelque sorte pour atteindre un certain degré d'objectivité, il est nécessaire que
le sujet ne soit plus le seul à s'impliquer dans ses propres expérimentations. Ainsi la
recherche qui commence par l'étude et la comparaison des récits des rêveurs lucides doit
franchir une nouvelle étape.

Pour s'élever au-dessus de la singularité, les expériences d'un rêveur doivent non
seulement pouvoir être comparées à celles d'autres rêveurs mais aussi suscitées en fonction
d'objectifs qui ne sont pas propres à un rêveur particulier. Hervey de Saint-Denys avait
peut-être des raisons inconscientes profondes de se donner la mort en rêve, ou la rêveuse
mentionnée ci-dessus (qui tente de rejoindre la M…-F…) de ne pas atteindre un objectif que la
plupart des rêveurs réalisent facilement. Aussi l'expérimentation se trouve-t-elle purifiée de
ces ambiguïtés lorsqu'un chercheur extérieur au rêveur lui propose une expérimentation.
L'oniricité de l'expérience a alors plus de chance de prendre le pas sur la subjectivité
personnelle, même si cette dernière ne cesse de jouer un rôle important. Les domaines dans
lesquels cette démarche est poursuivie et les moyens utilisés permettent de discerner deux
approches principales que l'on peut qualifier de directe ou d'indirecte. Lorsque les objectifs et
les résultats de l'étude des rêves sont partagés mais que les expérimentations proprement
dites se font individuellement, on a affaire à une recherche de "terrain" tandis que, lorsque le
rêve lucide est suivi pendant son déroulement par d'autres personnes que le rêveur, il s'agit
d'une recherche de "laboratoire", quel que soit par ailleurs l'outillage dont on dispose, car le
phénomène observé n'est plus aussi naturel que celui obtenu en privé .

I. Les expériences de terrain


Avec les expériences de terrain nous abordons un domaine nouveau. Jusqu'à présent
les expériences et les expérimentations examinées étaient dues à l'initiative personnelle du
rêveur, qu'il les ait tentées sur la base de ses propres réflexions ou de lectures sur le sujet.
Or, les expériences dont il va être question ici sont faites dans le cadre d'une recherche qui
n'est plus personnelle. Elles sont menées à la faveur de directives indépendantes des
motivations des rêveurs et permettent de comparer des résultats systématiquement
recherchés. Une telle étude se fait souvent à l'initiative d'un chercheur qui réunit des sujets
en vue d'une expérience précise, qu'il s'agisse de la collecter ou de la susciter. Ainsi
l'expérience n'est plus pensée par le sujet seul, mais elle est proposée par le chercheur.
Même dans le cas où il s'agit d'une simple collecte de résultats, la façon même dont le
chercheur oriente cette collecte donne aux expériences antérieures des rêveurs un sens
particulier. Elle diffère également de la simple compilation des récits que l'on trouve dans la
littérature en ce que ceux-ci sont souvent relatés dans une optique conceptuelle précise qui
en rend l'analyse comparative délicate. Lorsque l'expérience est suscitée, elle comporte un
aspect inattendu pour les sujets et parfois tout à fait en dehors de leurs préoccupations. Elle
est d'une certaine façon plus objective, relativement parlant, puisqu'elle ne répond pas à une
attente particulière, objectivité renforcée par la répétition des mêmes séries
d'expérimentations par plusieurs sujets. En dépossédant ainsi le rêveur de l'initiative de son
expérience, le chercheur entreprend une exploration intersubjective d'un phénomène
éminemment personnel pour en dégager des lois du monde du rêve ou établir des
corrélations entre les résultats obtenus. Ce type de travail donne souvent lieu à des études
statistiques sur les rêves, mais aussi sur les rêveurs lucides eux-mêmes. Orienter la
recherche vers l'intersubjectivité lui confère une dimension scientifique absente des études de
rêveurs isolés, même lorsqu'elles font preuve d'une grande finesse d'analyse comme celles
d'Hervey de Saint-Denys ou de Delage, et permet de mettre en évidence les éléments
déterminants pour l'expérimentation. Toutefois, même si une telle démarche est réalisable,
n'est-elle pas condamnée par avance à rencontrer des difficultés insurmontables ?

Peut-on en effet réellement dépasser la subjectivité du rêve en situant son étude sur
un terrain intersubjectif ? En d'autres termes les directives du chercheur amènent-elles
réellement le sujet à une approche plus objective du rêve, ou ne font-elles que mêler des
subjectivités différentes en substituant une influence (celle du sujet) à une autre (celle du
chercheur) qui s'exerce aussi bien sur les rêves que sur la façon même dont ces rêves sont
relatés ? En effet, de même que les rêveurs sous analyse fabriquent des rêves conformes à
[32]
l'attente de leurs psychanalystes , les rêves lucides ne risquent-ils pas tout autant de ne
fournir d'autres informations que celles qui sont présupposées par la recherche ? La lecture
des récits de rêves lucides suscités montre qu'ils sont influencés par le chercheur, ne
serait-ce que par le rapport que le rêveur établit entre l'expérience en cours, le rêve, et celui
qui l'a motivée. Ainsi dans un rêve lucide déjà cité les pensées du sujet se tourne vers le
chercheur (« Je crie victoire et ma première pensée est que je dois en faire part à
[33]
Christian » ). Dans ce genre de rêve l'influence du chercheur s'exerce plutôt sur la
lucidité du rêveur que sur le contenu du rêve. On ne peut donc pas considérer ici que
l'évocation du chercheur induit une expérience particulière. En revanche dans certains rêves
lucides le chercheur joue un rôle actif comme personnage onirique :

« Rêve lucide : Dialogue avec Christian Bouchet sur les


relations entre les canaux médullaires et le voyage astral (?). C.B. fait
le schéma suivant [dessin] en me disant que c'est une coupe
transversale.

« Autre rêve : Je discute avec une personne dont je "sais" (?)


qu'elle connaît C.B. Cette personne donne un examen dans une
grande salle située dans un bâtiment qui comporte de grands
ascenseurs. On discute sur les relations entre les mouvements des
yeux et certaines zones du cortex cérébral. Je la quitte et je prends un
ascenseur qui "descend" doucement en me donnant une impression
[34]
de flottement, je me réveille. »

Ici le chercheur en tant que personnage onirique incarne bien les préoccupations du
rêveur quant à l'expérimentation menée. Ce rêve est donc en partie "fabriqué". Dans certains
cas ce personnage onirique va jusqu'à influencer les décisions du rêveur.

« Un rêve commence de se dérouler mais c'est un rêve verbal,


qui se raconte au lieu de se montrer, cela jusqu'à la phrase :
"François Beyer est le roi" (dans le coin du lit du "haut" (tête) à
gauche). Je vois à cette place du lit la silhouette de François F… et
j'entends Christian Bouchet me dire : "Non, pas par là. Pas
François Beyer comme roi". Je bouge aussitôt. Conscience de mon
mouvement sur le lit. En même temps je me souviens que je dois être
lucide dans le rêve. Je m'interroge sur le stade où je suis. Eveil ?
Puisque je perçois le lit. Non, car je ne peux ouvrir les yeux. C'est le
[35]
sommeil avec conscience du corps […] » .

La voix onirique du chercheur oriente ici la direction que prend le sujet et l'aide à se
rendre compte qu'il s'agit d'un rêve. Ainsi non seulement l'image du chercheur s'incorpore au
rêve, mais elle en influence le cours, ce qui rend la situation apparemment "artificielle".

Le contenu du rêve n'est pas le seul élément influencé par un travail en coopération :
la façon dont le rêveur consigne ses expériences change parfois d'orientation. Au lieu de
rédiger son journal de rêves comme un écrit personnel - ce qui est la tendance habituelle - il
le considère comme une lettre adressée au chercheur et ne fait pas de différence entre ce
dernier et le personnage onirique qui le représente.

« […] D'un seul coup je me dis que c'est un rêve et que je dois
pouvoir voler. En effet je vole. Je suis très euphorique, je ris, j'ai la
sensation extraordinaire de voler. J'ai des fourmillements dans tout le
corps. Je recommence encore une fois.

« Deuxième séquence : je rêve ensuite que je me réveille, ma


sœur C… est là. Je lui raconte mon vol. Tu apparais ensuite, je te
dis combien je suis contente d'avoir obtenu ce résultat. Je parle
[36]
des fourmillements comme une preuve d'avoir volé. […] »

Au moins dans la façon dont il rédige, dans son journal de rêve, le faux-éveil qui suit le
rêve lucide, le sujet ne fait plus de différence entre le personnage onirique et celui à qui il
s'adresse. Cela ne signifie pas qu'il confond rêve et veille mais que d'une certaine façon il n'a
pas le sens d'une subjectivité close sur elle-même. Or, si sa subjectivité se modifie au point
de changer le mode d'appréhension de ses rêves, il devient difficile de réaliser une étude
objective, puisque, contrairement à ce qu'on aurait espéré, l'observation "extérieure", c'est-
à-dire par quelqu'un d'autre que le rêveur, transforme tout autant le rêve lucide que
l'observation propre du rêveur.

Cette difficulté à laquelle nous nous heurtons ici n'est cependant pas le seul apanage
des rêves lucides et associés : tous les rêves présentent cette qualité d'altération que l'on
rencontre souvent au cours d'une psychanalyse. Le problème est donc général et non
spécifique à la recherche sur le rêve lucide. Si, en effet, l'intervention d'un tiers modifie la
lucidité, le contenu du rêve ou la façon de le relater, cette influence n'est probablement guère
plus importante que celles qui s'exercent sur les rêves ordinaires dans d'autres domaines. En
fin de compte, si le rêve se conforme à une attente ou se construit en fonction d'une
situation, cela fait probablement partie de sa nature, et tout ce qui apparaît comme le
résultat d'une influence extérieure nous donne au contraire une information de portée
générale : on peut à cet égard parler de la "plasticité" du rêve.

Dans les études des rêves ordinaires l'importance de cette plasticité est rarement
reconnue, le plus souvent en raison d'une tendance interprétative qui cherche un sens sous
un donné apparent. Si un tel comportement amène à sous-estimer le rôle et l'influence de la
doctrine qui permet d'aborder les rêves, la reconnaissance de cette plasticité ne doit pas non
plus laisser penser qu'il faut renoncer à toute étude. Même plastique, le rêve ne se déforme
pas indéfiniment et si son "message" est moins assuré qu'on ne l'aurait cru, il a quand même
un "fond" à partir duquel il s'élabore. Le rêve lucide donne l'occasion de chercher les "points
de résistance" qui rendent le rêve "réel" pour le rêveur. Si le rêve est plastique, ce ne sont
pas tant ses variations qui nous intéressent que les éléments invariants qui se dégagent à
l'analyse et, grâce à la lucidité, par l'expérimentation en essayant de déterminer les limites
de la plasticité. Et même si ces limites sont plus révélatrices du fonctionnement psychique du
rêveur que du rêve lui-même, puisqu'elles peuvent différer d'un rêveur à l'autre, leur seule
existence n'en reste pas moins informative à l'égard du rêve.

L'expérience de terrain tend donc bien à la scientificité en ce qu'elle cherche à faire du


rêve un objet d'étude et non plus seulement la manifestation symbolique d'un sens non
apparent. Les tâches à accomplir au cours du rêve même demandent d'ailleurs une attitude
qui permet à la fois d'accepter et de provoquer les variations du rêve pour les étudier. Il
s'agit donc d'une étape indispensable de la recherche et il nous faut essayer de comprendre
comment elle s'organise, notamment en ce qui concerne les rapports du chercheur et du
sujet. Nous n'aborderons pas ici les résultats de ces recherches mais seulement les aspects
qui conditionnent leur déroulement. Leur portée et leur degré d'objectivation dépendent en
effet de la relation établie entre le chercheur et les sujets, qu'elle soit impersonnelle ou
personnelle.

La première façon pour le chercheur d'entrer en rapport avec des sujets d'expérience
est l'utilisation des moyens médiatiques comme les revues ou les émissions radiophoniques.
Ce type de relation entre le chercheur et le sujet est lui-même susceptible de plusieurs
"approfondissements". Au niveau le plus élémentaire le chercheur s'adresse à des sujets
potentiels mais n'entre pas autrement en rapport avec eux que pour établir une étude à
partir de résultats déjà acquis. En revanche, s'il suscite les rêves en proposant une
expérimentation particulière à l'aide d'une méthode donnée, il crée l'événement, et les
récits obtenus n'ont probablement pas la même nature. Dans le premier cas l'étude se fait
uniquement a posteriori, dans le deuxième elle est incitatrice.

L'étude a posteriori se contente sans doute de collecter les résultats précédemment


acquis par des individus isolés, mais sans elle ces résultats seraient restés des expériences
privées et inconnues de la recherche. Cette collecte se fait en fonction de moyens de
communication divers ; mais il apparaît immédiatement qu'une exposition minutieuse du
phénomène est nécessaire pour que le sujet puisse reconnaître parmi ses expériences
oniriques celles qui sont des rêves lucides : le support le plus adéquat du point de vue de la
compréhension sera donc le livre. Nombreux sont les auteurs d'ouvrages traitant
partiellement ou totalement du rêve lucide demandant aux lecteurs d'envoyer leurs récits à
l'auteur. Cependant ce support est aussi le plus lent. Un livre met parfois des années à
circuler, à être lu, et à susciter des réactions. Les conférences ou les articles dans des revues
spécialisées permettent souvent une collecte plus rapide. Certains chercheurs compensent
cette difficulté en sollicitant les témoignages les plus divers et en opérant eux-mêmes un tri
classificatoire : « Nous continuons à recueillir des cas et serons toujours heureux de recevoir
de vos lecteurs, pour les ajouter à nos fichiers, d'autres faits illustrant, à leur avis, des points
particulièrement intéressants. Nous sommes surtout intéressés par la relation qui pourrait
[37] [38]
exister entre les rêves lucides et d'autres expériences métachoriques » .

Cette façon d'obtenir des récits est typique des recherches psychiques et relève de ce
que Bergson a appelé la méthode historique. Dans le cas du rêve lucide elle se heurte à un
certain nombre de difficultés du fait même de sa tendance à "ratisser large". D'abord, lorsque
le concept proposé est nouveau, une grande partie des correspondants risque de ne pas
vraiment comprendre ce dont il s'agit et d'envoyer systématiquement non pas les rêves
lucides mais des récits de rêves non lucides présentant des caractéristiques inhabituelles. Le
tri qu'opère le chercheur lorsqu'il reçoit ces textes n'empêche guère que des rêves lucides
aient été écartés par les sujets eux-mêmes, simplement parce qu'ils ne présentaient aucune
caractéristique de contenu remarquable. Green fait elle-même mention de ses difficultés à se
faire comprendre : « Lorsque je m'adressais à des universitaires ou à des spécialistes du
sommeil et du rêve, je rencontrais chez eux une profonde résistance. Il était très difficile
d'amener qui que ce soit à aborder le sujet de façon cohérente, même s'il ne s'agissait pas de
la catégorie de personnes qui refusent absolument d'admettre la possibilité, affirmant que si
les gens sont conscients de rêver et capables de penser de façon plus ou moins rationnelle,
ils doivent, en fait, être éveillés. Pour les plus ouvertement tolérants, ceux qui acceptaient
sans préjugé ma description du rêve lucide, je m'aperçus bientôt qu'au bout de quelques
phrases ils semblaient avoir oublié ma définition et confondaient la lucidité avec quelque
chose d'autre. A les entendre, on eut dit que le sujet de la discussion était le rêve
[39]
prémonitoire, le rêve narratif ou quelque chose de ce genre » .

Si à cette époque les milieux scientifiques ont eu du mal à comprendre ce dont Celia
Green parlait, on peut supposer qu'il en va de même sur une grande échelle et plus
particulièrement avec des sujets appartenant à des horizons divers. Même lorsque le
concept de lucidité est bien compris, une autre difficulté surgit quand les récits sont écrits de
mémoire et non repris d'un journal de rêve. Si en effet la demande des chercheurs rencontre
un écho chez des sujets potentiels, ces derniers n'ont pas toujours observé leurs expériences
selon des critères de recherche. Idéalement les sujets devraient envoyer au chercheur des
rêves déjà consignés par eux, car un souvenir un peu lointain d'un rêve, même marquant, -
ou de l'état de conscience qui l'accompagne - se déforme facilement. Et, dans la mesure où
même pour des sujets expérimentés un rêve ancien remémoré spontanément est parfois pris
à tort pour un rêve lucide, on conviendra sans peine qu'il en va probablement de même pour
des sujets occasionnels. La collecte de cas exige donc le dépouillement d'un nombre énorme
de données pour des résultats parfois dérisoires. Ainsi Green dans son livre, Lucid Dreams,
n'a pu faire état que de quatre sujets nouveaux, tous les autres récits de rêves lucides étant
pris dans la littérature existante. Ces problèmes ne se posent pas, ou dans une moindre
mesure, lorsque le chercheur donne l'impulsion à l'expérience du rêve lucide.

En effet, lorsque l'impulsion est donnée par le chercheur, le sujet ne fournit pas des
résultats obtenus antérieurement mais obtient ses rêves lucides en fonction de consignes qui
lui sont étrangères. Dans ce cas également le livre est le support le plus adéquat pour
assurer une compréhension optimale, mais là encore la collecte risque d'être lente.
L'attention ne s'obtient de nos jours que si elle n'est pas mobilisée trop longtemps. Le rêve
n'étant pas considéré en soi comme une activité productive, l'expérimentation gratuite est
difficile à obtenir. Comme dans le cas précédent, le chercheur essaye d'atteindre un large
public, mais en raison de l'aspect scientifique de son travail il a besoin de réponses rapides,
notamment lorsqu'il s'agit d'expérimenter l'efficacité de méthodes d'induction et
d'exploration du rêve lucide. Cette contrainte l'oblige à utiliser des sources très diverses :
« L'auteur a mis au point ces techniques (pour l'induction et le contrôle des rêves lucides) en
se basant sur un très large éventail de faits empiriques. Ceux-ci furent recueillis à diverses
sources : plus de 200 sujets, pour la plupart des étudiants, se prêtèrent à des expériences ;
d'autres données proviennent des recherches empiriques de sept collègues, dans le cadre de
leurs travaux de thèses ; d'autres encore des études de cas d'un psychothérapeute qui
utilisait, pour sa clientèle, des techniques de rêve lucide ; enfin il faut y ajouter de
nombreuses relations de rêves lucides que l'auteur put recevoir à la suite de ses publications
et d'une émission radiophonique. Ses conclusions se fondent ensuite sur plus de 1500
témoignages de rêves lucides émanant de personnes des deux sexes, d'ages et de
[40]
professions divers » .

La diversité des cadres où sont pris les sujets entraîne des résultats synthétiques en
ce sens que le chercheur doit faire la synthèse de résultats obtenus dans des conditions
souvent fort différentes. Or, si la nouveauté du concept de lucidité onirique rend nécessaire
cette collecte à des sources multiples, des expériences plus spécifiques - c'est-à-dire
s'adressant à un même type de population, utilisant les mêmes méthodes d'induction et
proposant des expérimentations dans des conditions équivalentes - sont souhaitables. Ce
n'est cependant qu'à une date récente, probablement en rapport avec la diffusion des
informations sur le rêve lucide, qu'une telle expérimentation a pu être menée à bien sur le
public d'une revue anglo-saxonne : « Près de 1000 personnes, dans tout le pays, nous
répondirent à la suite d'une expérience de rêve lucide mise au point pour le magazine
OMNI lors de sa parution d'avril 1987. Nous suggérions que les participants pratiquent les
tâches préparatoires aussi souvent que possible pendant une période de deux semaines
avant de remplir le questionnaire d'accompagnement […]. Nous faisions également
remarquer que, pour certaines personnes, il pouvait être nécessaire d'utiliser la technique
pendant plusieurs semaines avant d'obtenir des résultats tandis que d'autres réussissaient
dès la première nuit. Pour finir, nous demandions aux lecteurs d'OMNI de remplir un
questionnaire dans lequel ils indiqueraient s'ils étaient ou non parvenus à faire des rêves
lucides. Nous leur demandions d'essayer quatre exercices : induction par autosuggestion à
l'état de veille et en revivant les rêves en imagination ; vol en rêve lucide, mouvement de
giration en état de lucidité afin de stabiliser cet état et/ou atteindre une cible et résolution
[41]
créative de problèmes. Des instructions précises sont données pour chaque exercice » .

Les exercices proposés provoquent donc le phénomène plutôt qu'elles n'en recueillent
la manifestation comme dans le cas de la simple collecte des données. Cette influence du
chercheur s'exerce non seulement sur l'émergence du phénomène, mais également sur le
récit : « Racontez les rêves lucides que vous avez faits ; ne manquez pas d'indiquer
explicitement que vous étiez conscient de rêver. Si vous avez utilisé la technique de
giration, tourniez-vous dans le sens des aiguilles d'une montre ou dans le sens contraire ?
Décrivez la cible que vous vous proposiez d'atteindre, la signification qu'elle avait pour vous,
et indiquez si vous êtes parvenu à vos fins. Avez-vous volé ? Mentionnez toute chose qui
[42]
vous aura paru significative » . Le matériau obtenu est donc spécialement adapté aux
besoins d'une recherche préétablie.

Néanmoins, si cette recherche de terrain est nettement plus fructueuse au point de


vue quantitatif que celle qui consiste à collecter et sérier des cas spontanés, elle ne permet
pas de mesurer une évolution. La généralisation des conclusions se fait à partir du nombre
des résultats reçus et analysés, mais leur portée reste incertaine. Or, il est aussi intéressant
d'étudier l'évolution d'un ou de plusieurs sujets que d'inférer les étapes de cette évolution par
l'étude d'un grand nombre de sujets obtenant chacun des résultats différents. Mais cette
étude demande de la part du chercheur un autre type d'investissement, la relation
personnelle.

La relation impersonnelle est insuffisante pour mesurer non pas l'impact de


l'expérience du rêve lucide sur un sujet (ce que la simple collecte de cas peut donner) mais
l'évolution de l'apprentissage de l'induction du rêve lucide et de son exploration dans une
situation provoquée. Pour cela une communication directe entre le chercheur et le sujet
s'avère nécessaire, le premier consultant les résultats du second pour évaluer ses réactions
et ses difficultés, le conseiller au besoin et le guider pour obtenir ainsi de nouveaux résultats.
C'est donc un rapport dialectique qui s'établit entre le chercheur et le sujet par l'intermédiaire
des rêves obtenus et des changements qui s'y produisent. C'est évidemment plus
l'orientation à trouver pour les expériences que l'évolution psychologique du sujet qui motive
un tel échange pour le chercheur, mais cette évolution est une donnée qu'il ne peut négliger.
Ce rapport personnel permet sans nul doute une plus grande précision quant à la
compréhension et au déroulement de l'expérience. Cependant il ne permet pas d'échapper
aux problèmes posés par la relation impersonnelle et en fait même surgir d'autres.

En effet l'influence du chercheur sur le sujet et sur l'évolution de ses rêves est
beaucoup plus sensible. Ainsi les récits d'un rêveur peuvent prendre un aspect qui était
totalement absent avant sa collaboration avec le chercheur. Il est difficile de dire si cette
influence est plus significative que d'autres événements de la vie quotidienne au cours
desquels le sujet se serait orienté vers les rêves, par exemple par le biais de l'interprétation,
mais il est certain que le rêve doit être, contrairement à la simple collecte de cas antérieurs
ou suscités, considéré en tenant compte de cette collaboration. De plus cette relation
personnelle provoque des difficultés particulières. Au cours d'une relation impersonnelle, les
résultats obtenus par le chercheur sont ceux de personnes motivées par l'expérimentation,
ne craignant pas de faire connaître leurs rêves, et surtout ayant réussi l'expérimentation.
Cette façon de procéder laisse dans l'ombre d'autres catégories, y compris des personnes
ayant mené l'expérience avec succès mais ne désirant pas le faire savoir. En revanche, dans
le contact personnel, les divergences d'intérêt se manifestent non pas en aval mais en amont
ou dans le cours de l'expérimentation. Malgré une acceptation apparente le sujet peut ne
jamais réellement se mettre à l'expérimentation, ou l'abandonner rapidement, ou même la
mener à terme et obtenir un certain nombre de rêves lucides qu'il ne se décide jamais à
communiquer au chercheur. Ce genre d'étude demande donc beaucoup d'efforts au chercheur
pour des résultats souvent maigres au point de vue quantitatif. Des travaux de recherches
menées de ce point de vue personnel ne mentionnent généralement qu'un petit nombre de
sujets : « Six jeunes adultes, sélectionnés par avance sur la base de leurs souvenirs de rêves
et qui s'étaient portés volontaires pour l'entraînement au rêve lucide, acceptèrent de
[43]
correspondre avec le chercheur » .

Indépendamment de la difficulté à intéresser un grand nombre de sujets à une


expérimentation personnalisée, d'autres raisons propres à ce type de relation expliquent
également cette situation. S'il est en effet logique de se livrer à un travail statistique sur des
collections de cas, cela apparaît extrêmement difficile pour un travail en évolution qui est par
nature qualitatif : « L'un des obstacles fut qu'une analyse statistique des effets de
l'entraînement aurait nécessité soit un grand nombre de sujets, soit un pénible travail (quant
aux données) de la part de chacun. Je ne savais toujours pas si je trouverais des sujets
acceptant de s'atteler, selon une logique rigoureuse, à une tâche dont l'impact affectif était
aussi variable et je ne pensais d'ailleurs pas qu'en exigeant d'eux une telle rigueur j'agissais à
leur avantage. Un groupe de contrôle, quoi qu'il fut logiquement désirable, me paraissait
injustifié dans la mesure où je conservais trop d'incertitudes au sujet du groupe
expérimental. Je manquais également de bases pour prédire la quantité d'entraînement qui
serait nécessaire pour obtenir des résultats significatifs. De plus, un plan expérimental aurait
exigé l'application uniforme d'un traitement standard. Si je voulais obtenir des résultats
susceptibles d'être clairement interprétés, il fallait réduire au minimum les variables à traiter,
c'est-à-dire les différents types d'intervention pour l'entraînement. Le problème était que la
standardisation et la limitation du nombre des variables ne permettaient plus de tenir compte
des différences individuelles entre sujets ; on risquait ainsi de ne pas obtenir de résultats
significatifs par suite d'une réduction excessive de l'efficacité du programme d'entraînement
[44]
lui-même » .

La méthodologie de ce type de recherche est donc très différente de la simple collecte


de cas. En fait, l'occurrence relativement faible du rêve lucide dans la population et sa
fréquence généralement peu élevée chez des rêveurs déjà lucides obligent le chercheur à se
concentrer autant, et souvent plus, sur les méthodes d'induction, que sur les rêves obtenus
("Je manquais également de bases pour prédire la quantité d'entraînement qui serait
nécessaire pour obtenir des résultats significatifs"). Ainsi l'obtention de rêves lucides avec des
sujets qui n'ont jamais, ou presque, été lucides, peut s'avérer très longue pour des résultats
[45]
faibles au point de vue quantitatif . En raison de la difficulté de ce type d'étude, le
chercheur s'efforce de trouver une formule efficace pour rendre fructueux son rapport avec le
sujet. Pour des raisons de méthode certains ont opté pour une relation par correspondance
tandis que d'autres ont tenté le rapport personnel effectif.

Dans les rapports par correspondance (qui n'excluent pas une rencontre éventuelle)
les consignes et les commentaires du chercheur et les résultats et questions du sujet
s'échangent par courrier. Ce rapport apparaît comme un choix logique en raison des
difficultés qu'il peut y avoir à rencontrer des sujets dispersés géographiquement et dont la
disponibilité est variable, mais ce n'est généralement pas la seule raison qui le motive. En
effet l'échange épistolaire laisse au recul et à la réflexion une place souvent précieuse : « Il
me vint à l'idée que la méthode de la correspondance pourrait également résoudre certains
des problèmes méthodologiques posés pour cette étude, le plus important étant celui
d'obtenir un enregistrement exact et facile à utiliser de l'interaction entre les sujets et
moi-même. La correspondance fournirait automatiquement une trace écrite de
l'entraînement, évitant la nécessité de s'en remettre à des prises de notes ou à des
transcriptions d'enregistrements sur bandes magnétiques. D'autre part, je savais que, si je
travaillais avec les sujets en personne, j'introduirais dans l'expérience des variables
relationnelles qui seraient autant de sources de confusion et resteraient difficiles à identifier.
En utilisant la correspondance, je serais en mesure de contrôler avec plus de soin mes
propres interventions tout en m'efforçant de favoriser l'autonomie des sujets dans leur travail
[46]
sur les rêves » .

La correspondance est donc un moyen d'éviter les "variables relationnelles sources de


confusion", de garder une certaine distance au sein d'un rapport personnel et de conserver à
la recherche un aspect relativement objectif. En effet une mise en présence physique du
chercheur et du sujet peut entraîner des difficultés à démêler certaines données : si par
exemple le sujet restait bloqué au cours de l'expérimentation et n'arrivait à obtenir aucun
résultat, cela relèverait-il d'une difficulté propre à l'égard de ses rêves ou d'un rapport à
l'expérimentateur ? Nous avons eu ainsi le cas d'une rêveuse dont la lucidité survenait
quotidiennement et dont les rêves lucides ont brusquement (et définitivement) cessé à partir
du jour où elle a accepté de les noter pour nous les remettre. Cependant, si la
correspondance permet d'éviter des influences trop importantes, elle cantonne la recherche à
une certaine forme de développement et peut s'avérer insuffisante pour des approches
différentes.

La mise en rapport est effective lorsque le chercheur et le sujet se rencontrent


physiquement à chaque étape de l'expérimentation. Toutefois l'impact de la rencontre diffère
selon la forme qu'elle prend. Si cette rencontre se résume à un simple dialogue suivi de
directives, elle n'est fondamentalement pas différente de l'échange par correspondance.
Cependant la rencontre modifie souvent la qualité du travail, qu'elle crée des blocages
(comme dans l'exemple précédent) ou au contraire qu'elle stimule l'intérêt du sujet (situation
la plus fréquente). L'avantage obtenu est alors contrebalancé par un inconvénient : les rêves
lucides rapportés existent principalement en fonction de ce rapport qui est une situation sinon
artificielle, du moins temporaire : non seulement ils risquent de prendre fin avec lui (ainsi une
rêveuse ayant obtenu sept rêves lucides après un stage d'été sur ce sujet s'est étonnée de ne
plus avoir aucun résultat par la suite) mais surtout l'expérience peut prendre un caractère
nettement artificiel même lorsque les intentions du chercheur et du sujet coïncident.

Indépendamment de ces situations pour lesquelles l'intérêt de la rencontre doit être


préalablement estimé, certains types de recherches nécessitent un rapport effectif entre le
sujet et le chercheur en raison de la méthode employée. La mise en présence permet en effet
de se livrer à des compléments d'expériences ou à des préparations impossibles à réaliser
seuls. De plus, la nature de certaines inductions est parfois suffisamment étrangère aux
habitudes du sujet pour nécessiter un entraînement suivi et dont le chercheur doit vérifier s'il
est correctement effectué. Ainsi une technique telle que le rêve éveillé libre permettant
d'induire la lucidité onirique est généralement assez difficile à pratiquer correctement pour
des sujets qui n'en ont pas l'habitude, ne serait-ce que parce qu'elle demande un
entraînement à la relaxation, ou parce que les habitudes mentales du sujet le font dériver
vers la rêverie ou vers le rêve éveillé dirigé. Dans un tel cas le chercheur doit pouvoir
s'assurer par lui-même que le sujet pratique bel et bien ce qui est proposé, et non qu'il croit
le pratiquer, ce qui est fréquent dans de tels domaines. Mais au-delà de la simple vérification,
le chercheur peut avoir besoin de rencontrer le sujet pour un travail qui demande une
collaboration et une interaction physique, s'il s'agit par exemple de débloquer une situation
onirique ou d'induire le rêve lucide à l'aide d'une suggestion post-hypnotique (comme le fait
Joseph Dane avec ses sujets). Dans un tel cas l'évolution de l'expérimentation se fait par la
rencontre qui en est un facteur essentiel. Avec ce type de recherche nous nous approchons
des expériences de laboratoire, qui demandent également un rapport effectif entre le
chercheur et le sujet, mais qui vont jusqu'à l'observation par le chercheur du sommeil du
sujet au moment où les rêves lucides se produisent .

II. Les expériences de laboratoire


Les expérimentations précédentes, collectées ou suscitées, regroupées et analysées,
font du rêve lucide un objet d'étude possible pour les sciences humaines, mais n'en reposent
pas moins sur l'évaluation d'expériences dont on n'a aucun indicateur direct. L'étude du
phénomène passe par le récit du rêveur. Au premier abord cela ne semble pas devoir poser
de problème car le rêve ordinaire lui-même se trouve dans ce cas sans que son étude en soit
gênée. Pourtant, la situation du rêve lucide n'est pas tout à fait la même : l'investigation du
rêve ordinaire porte avant tout sur un contenu tandis que celui du rêve lucide concerne en
premier lieu un état de conscience. Aussi est-il relativement facile de travailler sur le rêve
ordinaire qui donne prise à la description et à l'analyse de contenu, tandis qu'il est beaucoup
moins évident d'étudier un état de conscience et de l'évaluer, même à travers
l'interaction particulière d'un sujet lucide avec les situations oniriques. La difficulté principale
concerne l'existence du phénomène de la lucidité dans le sommeil. La lucidité en elle-même
ne peut être scientifiquement remise en cause car, comme tout phénomène conscientiel, elle
se présente comme un fait fondamental, une sorte de donnée axiomatique. La conscience
qu'un individu a de lui-même à l'état de veille ne peut pour autrui qu'être inférée de son
comportement ou de l'observation de son activité cérébrale, mais il est impossible de la
désigner directement. De plus, cette inférence repose sur une proposition hypothétique, les
comportements pouvant être automatiques (cas du somnambule) ou mal interprétés (cas des
machines dites "intelligentes"). On ne doit donc pas s'attendre à ce que la lucidité onirique
fasse exception.

Ce qui en revanche diffère d'un état à l'autre c'est la possibilité d'observer le


comportement permettant d'inférer la conscience de soi. Dans le rêve lucide rapporté au
réveil cette possibilité ne se présente pas, le rêveur est seul à savoir qu'il est conscient de
rêver en rêve. Sans doute ne peut-il s'illusionner sur le fait qu'il est conscient, ce qui serait
contradictoire, mais ne pourrait-il pas commettre des erreurs quant aux conditions dans
lesquelles cette conscience se manifeste : le sujet est conscient, certes, mais dort-il et
rêve-t-il vraiment ? La conception que l'on se fait du sommeil et du rêve a longtemps incité à
répondre négativement, même lorsque les recherches invoquées pour cela restent
discutables : « jusqu'en 1978, bien que la plupart des chercheurs contemporains en
psychophysiologie du rêve aient été informés de l'existence de la lucidité onirique, ou tout au
moins aient entendu des rumeurs, ils ne lui accordaient pas de signification particulière et ne
la considéraient pas comme un authentique phénomène du sommeil. Quand on les pressait
d'expliquer comment les rêves lucides se produisaient, ils citaient en général un article
français publié en 1973 par Schwartz et Lefebvre. Cette étude, effectuée sur des patients
souffrant de divers troubles du sommeil, révéla qu'un nombre étonnamment élevé de réveils
partiels et d'intrusions de l'état de veille se produisait au cours de leurs périodes REM.
Schwartz et Lefebvre suggéraient que ces réveils partiels, qu'ils dénommèrent "micro-
réveils", pourraient d'une manière ou d'une autre servir de base physiologique au rêve lucide.
Bien que l'article ait été critiqué en raison du manque de preuves directes pour étayer cette
hypothèse, et aussi parce que ses conclusions étaient entièrement fondées sur les schémas
de sommeil anormaux de quelques sujets, cette explication semblait généralement admise
[47]
jusqu'à une date très récente » .

La représentation que l'on se fait du rêve comme excluant la conscience de soi incite
donc à s'accrocher à des explications même hypothétiques et, comme le remarque Stephen
LaBerge, elle rend la recherche de laboratoire inutilisable tant qu'elle se contente des
récits des rêveurs : « un groupe de chercheurs canadiens firent état d'une certaine réussite
dans leur "quête de rêves lucides" au laboratoire de sommeil. Deux sujets sous contrôle
déclarèrent l'un avoir fait un rêve lucide, l'autre deux, après réveil au cours de périodes REM.
Malheureusement, aucune preuve ne fut apportée que lesdits rêves lucides s'étaient
effectivement produits pendant les périodes REM précédant le réveil et le récit de rêve. Par
conséquent, il n'y avait aucun moyen de savoir si les rêves lucides avaient eu lieu pendant le
sommeil REM (par opposition au sommeil NREM), ou même avant le réveil, plutôt que
pendant ou après. Les sujets eux-mêmes n'étaient pas très certains du moment exact où
leurs rêves lucides avaient eu lieu. Tout ce qu'ils pouvaient dire était qu'ils avaient eu
"l'impression" que leurs rêves s'étaient produits peu de temps avant qu'ils ne se réveillent et
ne les racontent. Mais il s'agissait d'un argument bien faible pour convaincre les moins
[48]
sceptiques que les rêves lucides survenaient bien durant le sommeil » .

La différence entre ce qu'on admet sur le rêve ordinaire et sur le rêve lucide apparaît
ici avec évidence. Alors qu'on suppose naturellement qu'un rêve raconté s'est produit au
cours du sommeil précédent - et non par exemple immédiatement au réveil -, on n'accepte
pas aussi facilement l'affirmation de la lucidité lorsqu'elle est rapportée de la même façon. Il
s'avère donc nécessaire, si l'on veut donner aux recherches sur le rêve lucide leur validité, de
trouver un indicateur observable de la lucidité pendant le sommeil du sujet, c'est-à-dire un
signe enregistrable et non équivoque permettant d'inférer la lucidité de la même façon qu'un
comportement ou un état cérébral donné permettent d'inférer que le sujet veille, dort ou
rêve. En d'autres termes il s'agit de jeter un pont entre le rêve et la veille.
Cependant, pour y parvenir, il faudrait d'abord pouvoir se faire une idée de ce à quoi
ressemblerait un tel indicateur. Les recherches menées sur le sommeil et le rêve en
laboratoire incitent tout naturellement à chercher du côté des enregistrements
polygraphiques. C'est en effet en comparant de tels enregistrements avec les récits du rêveur
que l'on a pu localiser les rêves dans le sommeil. Pourtant cette méthode elle-même
n'autorise aucune certitude : Kleitman « a abordé le rêve en combinant l'interrogatoire des
sujets à la méthode électro-encéphalographique. Le rêve a-t-il lieu seulement pendant le
sommeil léger ? Ou bien n'est-il remémoré qu'au moment où le dormeur s'éveille d'un
sommeil léger ? Ces questions, déclare Kleitman en 1939, ne pourraient être résolues que si
l'électro-encéphalographie pouvait mettre en évidence un type de potentiels
cérébraux caractéristiques du rêve.

« Divers chercheurs […] essayèrent […] d'associer le rêve à un mode donné d'activité.
Ils recherchaient une corrélation entre les ondes cérébrales et l'activité onirique en réveillant
les sujets à divers stades du sommeil et en leur demandant s'ils avaient ou non rêvé. Ils
espéraient ainsi déterminer la fréquence, la durée et la distribution des rêves pendant le
sommeil, la relation du rêve avec la profondeur du sommeil. Cette méthode, qui sera ensuite
largement utilisée, avait cependant le défaut de reposer sur le témoignage subjectif du
[49]
dormeur » .

Cette subjectivité est toujours présente, même lorsqu'on a affaire à la motilité oculaire
[50]
« qui fournit les indices les plus sûrs du rêve » : « Pour tester l'hypothèse selon laquelle
ces mouvements rapides étaient associés aux rêves, Aserinsky combina l'électro-
oculogramme et l'interrogatoire des sujets. Il établit ainsi une corrélation significative entre
mouvements oculaires rapides et souvenir de rêve. Il étudia la distribution des périodes de
mouvements oculaires rapides au cours de la nuit, l'intervalle moyen entre les épisodes
(vingt minutes) et la relation de ces épisodes avec des variations végétatives,
cardiorespiratoires. Il associa l'ensemble de ces signes, psychiques, végétatifs et
comportementaux, pour en faire les manifestations d'un niveau particulier d'activité corticale,
[51]
le rêve » . Les marques de l'activité onirique sont donc déduites d'un ensemble de
corrélations et non évidentes par elles-mêmes. La subjectivité du témoignage du rêveur peut
cependant être en partie surmontée par l'intervention active de l'expérimentateur. Si en effet
on soumet le sujet à certains stimuli au cours de son sommeil et que ces stimuli s'incorporent
[52]
dans le rêve , la corrélation entre les tracés enregistrés et les rêves sera beaucoup plus
sûre. Ainsi l'expérimentation active complète l'observation, et cette façon d'étudier le rêve
doit pouvoir s'appliquer au rêve lucide.

Cela suppose dans un premier temps de chercher les tracés polygraphiques ou les
comportements physiologiques du sujet censés correspondre à l'émergence du rêve lucide
avant, dans un deuxième temps, de s'assurer par l'expérimentation que le rêveur vit bien le
rêve qu'il raconte. Ce premier temps apparaît comme une condition à remplir absolument
d'un point de vue scientifique pour l'expérience de laboratoire. Pourtant, si on considère la
nature de ce qui est à mettre en rapport, cette approche n'est-elle pas erronée dans son
principe même ? Autant il semble licite d'admettre qu'une activité onirique soit décelable sur
des enregistrements polygraphiques, autant rien ne permet de supposer que la lucidité soit
susceptible d'être enregistrée - simplement parce que la plupart du temps elle ne modifie en
rien les caractères du rêve mais seulement la conscience du sujet par rapport à son rêve.
Cependant ce genre d'objection est, d'après LaBerge, incompatible avec l'esprit même de la
recherche psychophysiologique : « S'il n'existait aucune correspondance entre les
événements mentaux et les processus physiologiques, une approche psychophysiologique
n'aurait aucun sens. Si, par contre, nous supposons que les processus mentaux sont les
produits d'une activité neuro-psychologique, cela nous conduit à une conclusion que l'on peut
appeler "Postulat du parallélisme psychophysiologique" (P.P.P.) : tout état mental définit un
état physiologique unique et vice versa. Ce P.P.P. doit être interprété avec prudence. Tout
d'abord, il ne signifie pas que les événements mentaux et physiques sont identiques. Ici
comme ailleurs, le menu et le repas sont deux choses différentes. En second lieu, ce P.P.P.
n'offre aucune garantie que tel paramètre physiologique correspondra à un seul état de
conscience […] ; le postulat s'applique à l'ensemble du système, mais pas nécessairement à
[53]
certains ensembles systémiques isolés par nos choix » .

Si la lucidité est un état de conscience, elle doit d'une façon ou d'une autre être
repérable par l'enregistrement pour avoir un sens pour la recherche psychophysiologique, et
si un tel tracé n'a pas été trouvé par pure observation, il faudra supposer que les moyens
d'enregistrement en sont la cause et non la nature du phénomène. Nous nous trouvons alors
dans une impasse : soit le rêve lucide apparaît sur les tracés de façon indubitable et il n'est
plus du rêve, soit la lucidité ne peut, en raison de sa nature conscientielle, posséder un
élément corrélatif observable et donc n'a aucun sens pour la recherche scientifique. En effet,
chercher un signe observable indubitable de la lucidité dans les tracés obtenus en laboratoire,
c'est d'une certaine façon poser que le rêve lucide est différent du rêve tel qu'on en conçoit
l'enregistrement alors même qu'on fait l'hypothèse de son existence en tant que rêve. Une
telle démarche a quelque chose de paradoxal si l'on s'attend à trouver un indicateur
tranchant réellement avec les tracés habituels. Mais, d'un autre côté, si l'on ne cherche que
des modifications de certains éléments (tels que les ondes alpha), on ne fait qu'interpréter
des variations : on ne dispose alors d'aucun indicateur sûr de la lucidité. Ainsi un élément
corrélatif observable de la lucidité onirique la coupe du rêve, tandis que son absence en
empêche l'étude.

Toutefois, il est possible de sortir de cette impasse en sauvegardant à la fois l'aspect


onirique du rêve lucide et la nature conscientielle de la lucidité lorsqu'on se rend compte que,
d'une certaine façon, l'optique est faussée par des habitudes de recherche. En effet, pour le
chercheur le sujet est une sorte de "patient" qu'il observe et qu'il soumet à des
manipulations. Or, la nature même de la lucidité onirique permet de modifier cette
perspective et de remplacer cette relation univoque par une collaboration entre le rêveur et le
chercheur. Si, en effet, le rêveur est conscient qu'il rêve, il peut décider volontairement de
se livrer à des actes oniriques dont les conséquences éventuelles sur le comportement au
cours du sommeil sont par ailleurs connues. S'il en est ainsi, la lucidité onirique permet de
remplir la condition du parallélisme sans nécessairement la valider. Car ce n'est pas l'état de
conscience lui-même qui est alors observé, mais seulement une de ses conséquences
possibles. En d'autres termes, le chercheur n'a pas affaire à un élément corrélatif immédiat
de la lucidité, à quelque chose qui révélerait la présence de cette lucidité par elle-même, mais
il a besoin de la collaboration du rêveur qui, à partir du rêve, adopterait des comportements
qui se transformeraient, pour le chercheur, en données observables. L'événement observable
ne s'expliquerait donc que par un acte onirique équivalent, ce qui entre dans le cadre de
l'explication par le parallélisme, acte qui lui-même aurait à sa source la lucidité onirique.
L'indicateur de la lucidité serait alors comme un signal volontaire mais non continu.

Si l'on admet qu'un acte effectué en rêve lucide peut être volontairement décidé en
fonction de l'expérimentation en laboratoire, il reste cependant à déterminer quels sont ceux
qui permettent d'influencer les enregistrements. Mais cela suppose admis que des actions
oniriques ordinaires ont, à certains moments tout au moins, une répercussion sur le corps
physique. Or, on se heurte là à une difficulté de fond dans la mesure où il est reconnu que la
plus grande partie des rêves remémorés a lieu lors de périodes de sommeil durant lesquelles
le corps est paralysé. C'est la question que se sont posée chacun de leur côté Hearne et
LaBerge : « puisque le corps du rêveur se voit en grande partie paralysé durant le sommeil
REM, comment le rêveur pouvait-il envoyer un tel message ? Que pourrait bien faire le rêveur
[54]
lucide à l'intérieur du rêve, qui soit observable ou mesurable par les scientifiques ? »

Cette question ne constitue elle-même qu'une difficulté préalable car,


indépendamment de la paralysie du corps, il n'est pas sûr a priori qu'il y ait un rapport entre
un mouvement volontaire fait en rêve lucide et un mouvement (ou l'amorce d'un
mouvement) de la part du corps endormi. Certains rêves montrent nettement une dichotomie
entre la tentative des rêveurs de se réveiller (donc de faire bouger le corps paralysé) alors
qu'ils se sentent libres de leurs mouvements dans le rêve. Ainsi, dans un rêve que nous
avons déjà partiellement cité, le rêveur est paralysé dans son lit et ne parvient pas à se
réveiller mais cela ne l'empêche pas de se déplacer de façon typiquement onirique en flottant
à la rencontre d'un personnage onirique.

« Je suis paralysé dans mon lit et n'arrive pas à me réveiller, à


bouger pour sortir de mon lit. Je commence à avoir peur. Tout est
hostile. Dans la chambre de D… et G… je rencontre G… alors que je
me dirige en flottant vers le mur en face de la fenêtre. Elle répète
[55]
quelque chose à propos de "Tuesday" qui se continue sans fin… »

Le rêveur n'éprouve aucune difficulté à se déplacer dans une chambre onirique alors
que dans le même temps il ne parvient pas à mouvoir son corps. Une inadéquation plus ou
moins grande entre les actes oniriques et leurs répercussions physiologiques est donc
prévisible, et l'observation des mouvements musculaires risque de ce fait de manquer de
précision. Pourtant cette difficulté elle-même suggère une solution.

Elle montre l'aspect unilatéral de la réflexion telle que nous l'avons menée jusqu'ici.
Nous avons pensé aux actes que l'on peut effectuer en rêve pour ensuite nous demander
comment ils pourraient être décelés par l'observation, ce qui se situe encore dans la ligne de
l'observation d'un phénomène passif, ce que le rêve lucide n'est pas. Au contraire, il faut
adopter la démarche inverse et se demander, par exemple, qu'est-ce qui échappe à la
paralysie et qui peut être l'objet d'un acte onirique. Le signal envoyé doit donc être préparé
en fonction de ce qui est observable. Les acquis de la neurophysiologie sont donc une base
doublement indispensable pour l'étude de la lucidité dans la mesure où non seulement ils
permettent de dépasser des représentations limitantes, mais où, en plus, ils fournissent les
éléments mêmes de l'étude. Il y a en effet un écart entre la représentation que l'on peut se
faire du rêve et les possibilités que le laboratoire offre à son étude, comme l'indique
LaBerge : « Certains spécialistes du sommeil ont trouvé qu'il était "difficile d'imaginer que
des sujets puissent à la fois rêver et se servir de signaux pour communiquer avec d'autres
personnes" (Foulkes, 1978). Que ce soit ou non difficile à imaginer, c'est précisément ce qui
[56]
fait l'objet de la présente étude » .

Une telle représentation, ou plus exactement une telle absence de représentation, ne


prend pas sa source dans l'exploration scientifique elle-même mais dans des convictions
concernant le rêve et selon lesquelles ou bien le rêveur rêve et dort, et par conséquent ne
communique pas avec son environnement, ou bien il ne dort pas. La difficulté à se
représenter une telle situation vient de ce que l'on imagine qu'une communication directe
doit s'établir entre le chercheur et le rêveur, alors qu'en réalité le signal transmis par le sujet
n'est pas celui reçu par le chercheur : le rêveur agit en rêve de façon à produire un signal
pour le chercheur, mais en fait s'il a conscience de ses actes oniriques, il n'a pas conscience
de l'effet produit dans son corps physique et par conséquent le signal envoyé est indirect.
Quoiqu'il en soit, ce n'est pas en fonction de représentations que le sommeil et le rêve sont
scientifiquement décrits, mais plutôt à la suite d'observations portant notamment sur des
enregistrements polygraphiques. Et c'est évidemment sur cette base qu'il faut s'appuyer pour
décider si le rêveur dort ou non, et non sur une conviction a priori. Si le sommeil a été décrit
en terme d'ondes cérébrales, il faut prendre garde à ne pas quitter involontairement ce
terrain lors de l'étude du rêve lucide en laboratoire. Ainsi, si un rêveur parvient à envoyer
volontairement un signal indiquant qu'il est lucide au cours d'un état ayant été défini par les
enregistrements comme étant le rêve de sommeil, il n'est guère possible d'affirmer qu'en fait
le rêveur ne dort pas sans, ipso facto, remettre en cause l'ensemble des résultats acquis sur
ce terrain. La recherche psychophysiologique fournit donc un cadre précis pour penser les
expérimentations. Elle donne également des indications quant à ce qui peut être mis en
œuvre par le rêveur pour envoyer un signal de lucidité.

Si, en effet, on considère les stades de sommeil à la suite desquels est rapportée la
plus grande quantité de rêves, le sommeil accompagné de mouvements oculaires rapides (dit
sommeil REM), on peut s'intéresser en eux non à ce qui relève de la paralysie mais au
contraire à ce qui se met en activité, comme par exemple les mouvements oculaires, surtout
quand on connaît l'hypothèse de l'existence possible de leur corrélation avec l'imagerie
onirique. Cette hypothèse, en effet, a été posée dès leur découverte : Aserinsky et
Kleitman « ne concluent-ils pas leur belle analyse des mouvements oculaires par la
conjecture selon laquelle les mouvements oculaires rapides participeraient à l'imagerie
visuelle accompagnant le rêve ? Cette conjecture débordait largement les faits présentés. Elle
n'était même pas réellement discutée. Mais elle allait exercer une influence très profonde sur
le cours de la recherche hypnologique. Elle formait la base de la célèbre "hypothèse du
balayage" (scanning hypothesis) selon laquelle les mouvements oculaires rapides qui se
produisent lors du rêve sont des mouvements d'observation de la scène onirique du même
[57]
type que les mouvements oculaires d'observation vigile » . La seule connaissance de cette
hypothèse, indépendamment de sa validité, a certainement influencé des chercheurs comme
Hearne et LaBerge dès lors qu'ils ont pu imaginer de la mettre en relation avec l'expérience
du rêve lucide.

Les yeux ne sont d'ailleurs pas seuls à échapper à la paralysie qui accompagne le
sommeil REM puisque la respiration qui se poursuit tout au long de la nuit subit des variations
décelables. Or, tout comme les mouvements des yeux, la respiration peut, à l'état de veille,
passer sous le contrôle de la volonté. S'il en allait de même en rêve lucide, l'observation
devrait confirmer si le corps physique est influencé par des variations respiratoires oniriques.
Si le signal volontaire pouvait être mis en évidence, il s'avérerait donc plus sûr que l'indice
involontaire. Néanmoins, à partir du moment où l'on en disposerait, il serait possible de
s'intéresser à d'autres éléments corrélatifs physiologiques involontaires et d'en étudier les
variations. L'optique choisie dépend de l'objectif visé : s'il s'agit simplement de prouver
l'existence de la lucidité ou d'un phénomène apparenté, un signal simple et net est requis ;
mais une exploration plus poussée nécessite l'étude de divers signaux et même de
combinaisons de signaux.

Lorsque le but à atteindre est de prouver que le rêve lucide se produit bien pendant le
sommeil, et non au cours d'un éveil partiel, et plus particulièrement dans le sommeil REM, ce
qui importe dans le signal transmis n'est pas tant la forme qu'il prend que le fait qu'il soit
l'indication d'un acte volontaire effectué en rêve par le sujet dans l'intention de
communiquer avec le monde de la veille. Cela suppose de déterminer les critères d'un signal
envoyé volontairement. Ce signal doit se détacher nettement par rapport à un fond, ne pas
être susceptible d'une autre interprétation et correspondre au récit du sujet que l'on réveille
peu après. La mise au point d'une telle expérimentation demande une collaboration entre le
chercheur et le sujet à tous les niveaux, et notamment en ce qui concerne le choix du signal.
Il faut en effet non seulement que le chercheur détermine les éléments observables qui
pourraient correspondre à des actes oniriques équivalents, mais de son côté le sujet doit
préciser si les actes proposés sont pour lui réalisables en rêve. Ainsi les champs d'action du
chercheur et du sujet se limitent l'un l'autre. Lorsque le chercheur et le sujet sont une seule
et même personne, comme dans le cas de Stephen LaBerge, cette double limitation s'opère
d'elle-même car les comparaisons impliquées ne nécessitent pas d'ajustements constants.
D'un côté LaBerge connaissait en tant que chercheur l'hypothèse du "balayage" et, de l'autre,
il savait, pour l'avoir expérimenté en rêve lucide, qu'il pouvait mouvoir son regard dans
n'importe quelle direction. Son témoignage montre que son raisonnement a suivi une pente
naturelle lorsqu'il écrit qu'il « existe une évidente exception à cette paralysie musculaire [du
sommeil REM], puisque les mouvements oculaires ne sont nullement inhibés au cours du
sommeil REM. Après tout, ce sont justement ces mouvements oculaires rapides qui ont servi
à nommer ce stade de sommeil.

« Des études antérieures sur le rêve avaient montré qu'il existe parfois une
correspondance précise entre la direction observable des mouvements oculaires des rêveurs
et celle de leur regard en rêve. Dans un exemple remarquable, un sujet a été réveillé en
phase de sommeil REM après avoir fait une série d'environ deux douzaines de mouvements
oculaires horizontaux réguliers. Il raconta que, dans son rêve, il assistait à un match de
ping-pong, et que juste avant d'être réveillé, il venait de suivre avec les yeux du rêve une
longue reprise de volée.

« Je savais que les rêveurs lucides pouvaient regarder librement dans la direction
qu'ils désiraient pendant un rêve lucide, car je l'avais fait moi-même. Il me vint à l'idée qu'en
bougeant les yeux (de rêve) selon un schéma reconnaissable, il me serait possible d'envoyer
un signal au monde extérieur quand je ferais un rêve lucide. Je mis ceci en pratique dans le
premier rêve lucide que j'ai transcrit : j'orientai mon regard (de rêve) vers le haut, vers le
bas, vers le haut, le temps de compter jusqu'à 5. D'après ce que je pouvais en juger à
l'époque, c'était le premier signal délibérément transmis depuis le monde du rêve. Le seul
ennui, évidemment, c'est qu'il n'y avait personne dans le monde extérieur pour
[58]
l'enregistrer! »

A ce stade la corrélation est hypothétique, ce qui revient à dire que si aucun signal
n'est enregistré alors que le récit décrit les tentatives du rêveur en ce sens, on pourra
seulement en conclure qu'il n'y a pas de corrélation mais non qu'il n'y a pas de lucidité. Si, en
revanche, le signal attendu se produit, la corrélation ne peut être admise que si elle
correspond au récit du rêveur. Cela montre à quel point il est nécessaire de tenir compte
aussi bien des événements vécus en rêve que des enregistrements. C'est une condition
indispensable de l'étude en laboratoire sur le rêve lucide bien que nombreux soient les
articles où il est fait état d'analyse de résultats obtenus en laboratoire sans que ne soient
produits les rêves auxquels ils correspondent, même à titre d'échantillon. Or, même si
l'occurrence de la lucidité est tout ce dont ont besoin certaines études, la qualité de la lucidité
n'en reste pas moins importante pour évaluer la réussite des expérimentations complètes et
demande que le récit du rêveur ne soit pas simplement rapporté de seconde main par
l'expérimentateur, avec les distorsions que cela entraîne à la lecture. Cette difficulté est
généralement évitée quand le sujet est lui-même intéressé à la recherche, par exemple
lorsqu'il est à la fois chercheur et sujet (LaBerge) ou qu'il collabore à la rédaction des articles
(Worsley). Le récit que donne LaBerge du premier rêve lucide au cours duquel il s'est trouvé
capable d'envoyer un signal convenu permet de nous faire une idée de la qualité de sa
lucidité.

« Je dormis parfaitement bien, merci, et après être resté sept


heures et demie au lit, je fis mon premier rêve lucide en laboratoire.
Quelques instants plus tôt j'étais en train de rêver - mais alors je pris
soudain conscience que je devais être endormi car je ne pouvais rien
voir, rien ressentir et rien entendre. Je me souvins avec joie que
j'étais en train de dormir au laboratoire. L'image de ce qui semblait
être le mode d'emploi d'un aspirateur ou d'un appareil du même
genre flottait près de moi. Ce n'était pour moi qu'une épave voguant
sur le fleuve de la conscience, mais comme je me concentrai dessus
pour essayer de lire ce qui était écrit, l'image se stabilisa
graduellement et j'eus la sensation d'ouvrir les yeux (de rêve). Alors
mes mains apparurent, suivi du reste de mon corps de rêve, et je me
retrouvai dans mon lit en train de regarder la brochure. Ma chambre
de rêve était une assez bonne copie de la chambre dans laquelle
j'étais réellement endormi. Puisque j'avais maintenant un corps de
rêve, je décidai de pratiquer les mouvements oculaires dont nous
avions convenu comme signal. Je déplaçai un doigt devant moi dans
un axe vertical, tout en le suivant des yeux. Mais j'étais tellement
ému à l'idée de réussir enfin à faire cela que cette pensée brisa mon
rêve, si bien qu'il s'estompa quelques secondes plus tard.

« Par la suite, nous avons observé deux amples mouvements


oculaires sur l'enregistrement polygraphique juste avant mon réveil
d'une période REM de treize minutes. Enfin nous tenions là une
preuve objective qu'au moins un rêve lucide avait eu lieu au cours de
[59]
ce qui était clairement du sommeil REM! »

La nécessité d'évaluer la qualité de la lucidité du sujet apparaît immédiatement ici. Si,


par exemple, la mémoire de la vie de veille avait été moindre (comme dans le cas de
Gillespie lorsqu'il ne se rappelle plus le lieu dans lequel il s'est endormi) l'expérience aurait
été impossible. La simple émergence de la lucidité ne suffit pas à la réussite de
l'expérimentation pour laquelle un certain degré de lucidité est requis. Le récit du rêveur
apporte donc à l'analyse de laboratoire des précisions qui ne permettent pas de considérer le
rêve lucide comme un phénomène simple et sans nuance. Si, en effet, on s'interroge par
exemple sur la distribution du rêve lucide dans le cours du sommeil de façon uniquement
statistique, on risque de passer à côté d'une différence qualitative possible entre ces types de
rêves et dont le récit aurait pu nous informer, comme le suggère la distinction de van
Eden entre les rêves lucides (au sens strict) et les rêves initiaux qui sont également lucides.

L'examen détaillé du récit permet également de mettre en évidence un point souvent


oublié : la nécessité pour le rêveur que le signal qu'il envoie soit suffisamment distinct pour
lui de ses autres actes oniriques. Si, en effet, le signal du rêveur ne se distinguait pas
d'autres attitudes qu'il aurait pu prendre indépendamment de l'expérimentation dans le cours
du même rêve, cela impliquerait qu'on peut envoyer un signal involontairement en étant
lucide. Dans le cas, par exemple, où le rêveur suit des yeux en rêve une balle qui rebondit
avant de donner un signal du même genre, l'existence du mouvement involontaire sur
l'enregistrement (s'il se produit) annulerait la valeur de l'expérimentation. Pour éviter ce
genre de difficultés, les chercheurs ont dû affiner leurs méthodes.

Rendre le signal de la lucidité distinct à la fois pour le chercheur du reste d'un


enregistrement et pour le rêveur de ses autres actes, cela signifie deux choses différentes :
d'une part le tracé du signal doit pouvoir faire l'objet d'une mesure, ce qui suppose un signal
discret, et d'autre part l'action onirique doit être, pour le rêveur, inhabituelle par rapport à
ses activités oniriques courantes, sans pour autant être impossible. Pour le rêveur la solution
consiste à exagérer et à répéter son acte de façon à provoquer l'enregistrement d'un nombre
d'unités discrètes déterminé. C'est le protocole adopté par Keith Hearne lors du premier
enregistrement d'un rêve lucide en laboratoire en 1975 : « Hearne avait demandé au sujet
d'exécuter une série de 7 à 8 signaux oculaires (en tournant ses yeux à gauche, puis à
droite) […] lorsqu'il serait conscient en rêve. Vers le matin, alors que le sujet était en stade
REM du sommeil depuis déjà une demi-heure, les mouvements codés apparurent soudain sur
le graphe (Hearne enregistrait l'EEG, l'EOG, […] et l'EMG). "Au réveil, le sujet rapporta qu'il
avait rêvé qu'il se promenait autour de l'université avec des électrodes sur la tête quand il
pensa soudain 'je suis en train de rêver' ; il fit immédiatement le signal convenu avec ses
[60] [61]
yeux" » .

Lorsque l'on peut mettre en rapport le tracé du signal avec le récit du rêveur, on sait
que le rêveur était bel et bien lucide au moment du signal. Néanmoins, on ne le sait que
pour le moment du signal lui-même et on ne peut que l'admettre pour le reste du rêve
dans la mesure où la suite du récit du rêveur le permet. Il existe pourtant un moyen de
suivre, dans une certaine mesure, les fluctuations de la lucidité lorsqu'elles surviennent, c'est
de prévoir différents types de signaux en fonction de ces situations : « Nous demandons aux
sujets de nous indiquer par des signaux non seulement le moment où ils deviennent lucides,
mais aussi leurs fins de lucidité et les passages où ils croient s'être éveillés. Cette
particularité est justifiée par des cas comme celui-ci : en examinant l'enregistrement, vous
remarquerez qu'avant et après son signal de réveil, le sujet se trouve toujours en
sommeil REM. Il n'a fait que rêver qu'il s'éveillait ; il vient de faire un rêve de "faux-éveil".
Son rêve se poursuit pendant quelque temps encore, puis il commence à se passer des
choses bizarres. A un moment, le technicien qui est présent dans le rêve lui ôte ses
électrodes et se conduit à son égard de façon impolie. Le sujet se rend compte que de telles
choses n'arrivent pas à Stanford et qu'il n'a donc pas cessé de rêver. Il fait alors un autre
[62]
signal […] ».

La variété des signaux permet, dans une certaine mesure, de mieux "coller" au récit
du rêveur. Les mouvements oculaires constituent donc une codification relativement claire
par l'utilisation de séquences discernables pour des situations distinctes.

Des signaux de nature différente permettent également d'indiquer la lucidité. Nous


avons dit que les yeux ne sont pas seuls à échapper à la paralysie qui accompagne le
sommeil REM puisque la respiration non seulement se poursuit mais peut être sujette à des
variations décelables et contrôlables. Ainsi Hearne « découvrit qu'un rêveur est aussi capable
de contrôler sa respiration et il élabora un code composé d'un certain nombre de respirations
[63]
rapides » . Il en va de même pour certaines impulsions électriques musculaires que le
sujet peut provoquer en contractant ses membres oniriques. L'indication de la lucidité peut
être alors renforcée par la combinaison de divers signaux, car si, indépendamment du
récit du rêveur, un seul signal peut être interprété comme un mouvement involontaire, même
aberrant, ou comme le résultat d'une suggestion préalable, ce genre d'interprétation n'est
plus guère possible lorsqu'on obtient des indices volontaires convergents. C'est par exemple
ce qu'a réalisé LaBerge en combinant les mouvement oculaires et les impulsions électriques
en signalant en même temps selon deux codes différents :

« Cinq sujets se disant doués pour le rêve lucide furent étudiés pendant 27 nuits au
total […]. Des polysomnogrammes standards (EEG, EOG, EMG) furent enregistrés […]. De
plus, des EMG du bras droit et/ou du bras gauche furent enregistrés pour la signalisation. […]
Les sujets tentaient d'utiliser un système de signalisation préétabli au moment où ils
devenaient conscients de rêver. Un certain nombre de signaux conventionnels fut spécifié : il
s'agissait en général de combinaisons de mouvements oculaires vers le haut, séries de
serrements de poing à droite et à gauche. Les sujets en faisaient une démonstration au cours
des étalonnages, avant l'enregistrement, mais, à cette exception près, ils n'envoyaient pas de
signaux tant qu'ils étaient éveillés.

« Au cours de cette étude, 26 rêves lucides furent décrits par les sujets après qu'ils se
soient spontanément réveillés à divers stades de leur sommeil : REM dans 23 cas, NREM du
premier stade dans deux cas, NREM du second stade dans un cas. La comparaison des
récits de rêves avec les enregistrements polysomnographiques mit en évidence 17 cas où les
signaux purent être identifiés avec des degrés de certitude variables ; tous les signaux
associés à des rêves lucides furent émis au cours de périodes indiscutables de sommeil REM
évalués selon les critères standard […]. Les deux signaux les plus clairs émis par S.L. et R.K.
furent soumis à des tests rigoureux. Les polysomnogrammes contenant les quatre signaux en
question (deux pour chaque sujet) furent soumis à des juges indépendants à qui l'on
demanda de repérer sur les enregistrements les signaux qu'on leur avait décrits. Les deux
juges identifièrent correctement les quatre séquences contenant des signaux et n'en
trouvèrent pas d'autres parmi les quelque 1500 séquences enregistrées au cours de la nuit.
Le signal le plus complexe, deux fois émis par S.L., consistait en un seul mouvement oculaire
vers le haut suivi par une série de serrements, en rêve, du poing gauche (G) et du poing
droit (D) dans l'ordre "GGG GDGG". Cette séquence correspond aux initiales du sujet en
morse (GGG = . . . = S, GDGG = . - . . = L). Voir figure 4. Les indications polygraphiques du
sommeil REM, "voltage relativement bas, fréquences mixtes de l'EEG en conjonction avec des
mouvements oculaires rapides, épisodiques et un électromyogramme (EMG) de basse
amplitude" se voient nettement sur la figure 4. Les ondes "en dents de scie" caractéristiques
du sommeil REM étaient présentes de façon occasionnelle pendant les rêves lucides dans les
[64]
mêmes proportions que dans les épisodes non lucides du sommeil REM » .

Ainsi LaBerge a utilisé, pour indiquer la lucidité, un signal oculaire simple et un signal
musculaire en morse. Dans ce dernier cas, c'est l'aspect discret lui-même de ce type de
signal qui permet cette communication particulière.

Cependant, si le signal est affiné au point de ne plus laisser de doute sur l'existence
de la lucidité et les périodes durant lesquelles elle s'insère dans le sommeil, son rôle ne se
borne pas à une simple indication. Il peut être la source d'expérimentations menées en
laboratoire.

En effet, même si le signal volontairement provoqué n'est pas typique du rêve comme
phénomène naturel, certaines tentatives effectuées en rêve lucide, non dans le but d'envoyer
un signal mais simplement de permettre au chercheur d'en observer les effets au niveau
physiologique, peuvent être démarrées après l'envoi d'une indication délibérée. Le signal
permet donc de mettre au point divers types d'expériences. Sans entrer ici dans le contenu
des expérimentations, il reste possible d'examiner comment elles sont élaborées. Deux
grands types d'expérimentations se dégagent, celles faites sur la personne du rêveur pendant
son sommeil, et celles menées depuis le rêve par le rêveur.

Les expérimentations effectuées sur le rêveur lucide sont faciles à concevoir et la


plupart des expériences menées sur le rêveur ordinaire en fournissent des modèles. Elles
consistent en variations apportées aux conditions du sommeil (le plus souvent des
stimulations des sens physiques) pour en mesurer l'influence sur les rêves. La lucidité peut ici
intéresser le chercheur à un double titre : d'une part en lui permettant de mesurer ce qui
éventuellement diffère d'un rêve ordinaire à un rêve lucide soumis aux mêmes types de
variations, et d'autre part parce que le rêveur, étant conscient de rêver, est plus attentif à
déceler les modifications de son environnement onirique et à en conserver un souvenir précis.
Cependant ce type d'expérimentation ne présente qu'un intérêt comparatif si on ne s'en tient
qu'à lui. Il ne prend un sens plus large que s'il s'inclut dans un processus d'exploration du
rêve mené par le rêveur.

L'absence de collaboration avec le rêveur dans les expériences traditionnelles a


certainement posé un certain nombre de problèmes dès le début de la recherche sur le rêve
en raison de la coupure entre l'observable (le sujet) et le vécu (le rêve) qui a provoqué le
développement de deux types d'études du rêve différents et dont les théories entrent en
conflit. La recherche psychophysiologique n'a cependant pas renoncé à établir une corrélation
entre ces deux pôles, mais elle se heurte du fait de cette coupure à des difficultés, qu'il
s'agisse de vérifier une hypothèse précise ou simplement de mesurer l'effet d'une activité
onirique particulière. Ces difficultés tiennent autant aux conditions de laboratoire qu'au
phénomène onirique lui-même. En effet, dans le cas où le phénomène à observer a déjà fait
l'objet d'enregistrement, et donc existe (mais de façon spontanée), son émergence est
cependant impossible à prévoir et le nombre d'observations à effectuer pour commencer à
vérifier une hypothèse peut être considérable : « Si, par exemple, les chercheurs s'étaient
préoccupés de savoir si les changements signalés dans la direction du regard du rêveur
s'accompagnaient de mouvements oculaires physiques correspondants, ils auraient abordé le
problème comme suit. Tout d'abord, ils auraient fait en sorte de mesurer les mouvements
oculaires du rêveur, chose plutôt facile avec un EOG [électro-oculogramme] […]. Ensuite, il
leur aurait fallu observer ces mouvements oculaires au cours des périodes REM, attendant
que par chance - et c'est là le problème - il en effectue une série assez distincte et régulière.
En effet, il est extrêmement rare que survienne, comme dans le cas du rêve de
Ping-pong […], un modèle inhabituel de tracé qui puisse être associé sans ambiguïté à des
mouvements oculaires identifiés par le rêveur. Parmi les milliers d'études sur le sommeil et le
rêve menées durant ces dernières décennies, des exemples aussi frappants se comptent sur
les doigts d'une main. En tout cas, si un expérimentateur avait dû élaborer un plan
d'expérience afin de rechercher ce type d'événement, il aurait longuement attendu avant
[65]
qu'un sujet - par chance - n'accomplisse l'action voulue » . Du fait que le rêve se déroule
de façon indépendante des intérêts des chercheurs, l'observation de type "naturaliste" peut
s'avérer coûteuse en temps et en effort pour peu de résultats.

L'expérimentation est tout aussi aléatoire s'il s'agit non pas de chercher à observer un
phénomène dont on sait qu'il s'est déjà produit, mais de vouloir étudier un événement
particulier : « Supposons que notre chercheur souhaite savoir si des tâches mentales
particulières, comme chanter ou compter, entraînent des modifications de l'activité
cérébrale du rêveur (telle qu'elle est mesurée par EEG). A l'état de veille, chanter active
l'hémisphère droit du cerveau chez la plupart des droitiers, alors que compter active
l'hémisphère gauche. Notre chercheur pouvait-il raisonnablement espérer trouver un cas où
un rêveur non lucide viendrait "par hasard" à chanter ou à compter durant le même rêve ?
Comment quiconque aurait-il pu savoir exactement ce que faisait le rêveur à un moment
[66]
donné ? »

Cependant, avec la communication, même sommaire, que la lucidité permet entre


l'expérimentateur et le sujet, de nouveaux moyens de vérifications s'offrent à la recherche.
Cette vérification suppose que le sujet soit actif en rêve, c'est-à-dire qu'il se livre à des actes
décidés à l'avance pour en mesurer les effets sur les enregistrements. Ces effets ne sont pas
en eux-mêmes des signaux, même si leur cause est délibérément provoquée, mais des
conséquences au départ non prévues ou hypothétiques et qu'on cherche à déterminer. En
revanche, des signaux précis sont envoyés par le rêveur avant et après l'expérience
onirique, ce qui permet de la situer avec exactitude sur les tracés. Ces expérimentations
peuvent être axées sur le rêveur, c'est-à-dire porter sur le corps que le rêveur a le sentiment
de posséder en rêve et les changements physiologiques qui se produisent dans son corps
physique, sur le sentiment qu'il a de l'écoulement du temps par rapport à celui du
laboratoire, sur son environnement onirique ou encore sur ses facultés mentales. Dans
chaque cas l'étroitesse de la communication entre le chercheur et le rêveur oblige à une mise
au point particulière de l'expérimentation pour la rendre informative. Il n'en reste pas moins
que cette possibilité d'étude en laboratoire complète les voies d'accès au rêve lucide. Si le
développement des méthodes d'induction a permis de déplacer le phénomène du terrain des
exceptions à celui de l'expérience personnelle, le signal de la lucidité l'aide à se dégager de la
subjectivité totale qui est propre au rêve. L'exploration peut ainsi prendre des directions
différentes et complémentaires.
[67]
Idem, "L'Amour à l'anglaise et l'Ordinateur", cité supra, chapitre 3, section I, §1, IV.

[1]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., pp. 247-248.
[2]
Ibid.
[3]
Ibid.
[4]
Ibid., pp. 257-258. Souligné par nous.
[5]
« When I try an experiment not planned ahead while awake, I often do such irrational "experiments"

as trying to make Psalm 140 appear or examining the car my mother just left in the dream so that I

can compare it when I wake up with the one she "really" left in. In another dream in which I wanted

to examine objects for authentic duplication of waking reality, I was absurdly trying to decide whether

a painting was authentically by Goya ». George Gillespie, "Problems Related To Experimentation While

Dreaming Lucidly", Lucidity Letter, Back Issues, December 1981 to June 1985, pp. 87-89.
[6]
« While dreaming, I have no such thing as a scientific attitude, nor often even a rational attitude. I

can make little critical judgment about the progress or outcome of my experiment. I am not aware of

inconsistencies, changes or implications. The judgments that I do make are more frequently

spontaneous knowledge, not based on my perception of the experiment ». Ibid.


[7]
« To maintain the dream environment I must interact with it. When I stopped to compose poetry,

and when I was trying to remember where I was sleeping, the activity in the dream environment

diminished or stopped. If my mind is taken off the environment altogether, the environment is in

danger of being lost, causing me to wake up ». Ibid.


[8]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 258.
[9]
Richard Feynman, Vous voulez rire, Monsieur Feynman!, InterEditions, Paris, 1985, p. 51.
[10]
Ibid., pp. 51-52. Souligné par l'auteur.
[11]
Ibid., p. 52.
[12]
« Memories are often false. In my first 277 lucid dreams for which I had planned experiments, in

only 122 of them (44%) was I able to bring to mind in whole or in part the experiment that I had

planned to do. Sometimes I mistakenly proceeded upon a former experiment. Sometimes during an

experiment I forget what I am to be doing or what I am looking for ». George Gillespie, "Problems

Related To Experimentaion While Dreaming Lucidly", Lucidity Letter, Back Issues, December, 1981 to

June, 1985, pp. 87-89.


[13]
« In other experiments I attempted to put into alphabetical order objects I saw in the dream. I

consistently had the problem that while I repeated the words for what I had seen, trying to remember

them, I spontaneously changed some words and added others, usually alliterative byproducts of the

original words. In a dream I saw stairs, a pipe, some paper, and a wheel. But when I made the list

and repeated it, I ended up with "air, pipe, paper, steel, wheel." Stairs had been dropped. Air and

steel had been added. Fortunately, when I reviewed the dream I could see that that had happened ».

Ibid.
[14]
« I had planned to repeat the Lord's Prayer in a dream. When I remembered to do so, I

spontaneously proceeded to sing it to a familiar tune. I eventually realized that that was taking too

long, and that I should continue by only repeating it ». Ibid.


[15]
« I plan an experiment while awake. When I realize I am dreaming I try to remember a cue word

or phrase that expresses the experiment. In a serie of experiments I planned to handle an object and

note its realistic solidity, then put my hand through that object, and then feel it again as solid. Once I

discovered I was dreaming, if I could bring to mind the word "solidity" or "test solidity," I generally
had no problem remembering what to do ». Ibid., souligné par nous.
[16]
« This means that man cannot in sleep think about himself unless the thought is itself a dream. A

man can never pronounce his own name in sleep.

« If I pronounced my name in sleep, I immediately woke up. And I understood that we do not realise

that the knowledge of one's name for oneself is already a different degree of consciousness as

compared with sleep ». P. D. Ouspensky, "On the Study of Dreams and on Hypnotism" dans A New

Model of the Universe, Vintage Books, New York, 1971, pp. 242-273. Souligné par l'auteur.
[17]
Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, le Pouvoir de l'Eveil et de la Conscience dans vos Rêves, Oniros,

Ile Saint-Denis, 1991, pp. 131-132. Souligné par l'auteur.


[18]
« From the time that I started having lucid dreams I planned experiments to carry through when I

knew I was dreaming. I planned them while awake when I had my normal rationality and judgment.

For example, two experiments that I planned while awake and carried through a number of times

each while dreaming were to put five objects I saw in the dream in alphabetical order, and to make

dream objects alternately solid and non-solid. Recalling the experiment normally meant my being able

to bring to mind some key word or phrase, such as "alphabetize" or "test solidity" which I often

repeated while falling asleep. Upon bringing such a word or words to mind I remembered usually

quite well what I was to do, and there was no problem with proceeding with the experiment ». George

Gillespie, "Statistical Description Of My Lucid Dreams", Lucidity Letter, Back Issues, December, 1981

to June, 1985, pp. 104-108.


[19]
« The dreamer cannot select the circumstances in which he or she will experiment. Experiments

must be carried out in whatever dream environment is found when the dreamer becomes lucid ».

George Gillespie, "Problems Related To Experimentaion While Dreaming Lucidly", Lucidity Letter, Back
Issues, December, 1981 to June, 1985, pp. 87-89.
[20]
« I had planned to do ten jumps in a dream. I became lucid when I was poised up inside a tower

with little to stand on. As I was afraid of falling, I could not proceed with my jumps ». Ibid.
[21]
« In a solidity experiment, I placed my hand inside my uncle to see the effect if I kept it in him. My

arm looked normal up to the point where I entered him. It seemed I was successfully keeping my

hand inside him. However, upon waking reflection, I realized that I had not observed my hand staying

inside him. I dit not recall feeling my hand inside. I had only seen my arm stop at my uncle's body ».

Ibid.
[22]
Sujet n°38, "Lapins en 104", 22 août 1992.
[23]
Ibid.
[24]
Idem, "Venez me chercher, je suis lucide!", 23 août 1992.
[25]
Ibid.
[26]
Idem, "Parcours du combattant au-dessus de la piscine", 24 août 1992.
[27]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., pp. 249-250. Souligné par nous.
[28]
Ibid.
[29]
Ibid., p. 250.
[30]
Ibid., pp. 250-251.
[31]
"Rêves lucides : témoignages 12 à 17", Oniros n°11, 2ème trimestre 1985, pp. 17-24.
[32]
Voir entre autres à ce sujet : Ann Faraday, Dream Power, op. cit., chapitre 6.
[33]
Sujet n° 14, sans titre, 20 novembre 1990. Souligné par nous.
[34]
Sujet n°12, sans titre, nuit du 15 au 16 décembre 1991.
[35]
Sujet n°4, "Le roi François", 8 août 1991. Souligné par nous.
[36]
Sujet n°13, "C'est un rêve, je dois pouvoir voler", jeudi 7 août 1986. Souligné par nous.
[37]
Pour Green sont "métachoriques" les expériences qui procurent à quelqu'un un environnement de

substitut qui remplace entièrement le monde physique normalement perçu.


[38]
« […] we continue to collect cases and will always be pleased to receive cases from your readers to

add to our files which they consider illustrative of any particularly interesting points. We are especially

interested in those associated with the relationship between lucid dreams and other metachoric

experiences ». Jayne Gackenbach, "Interview with Englishwoman Celia Green, Author of the 1968

Classic, 'Lucid Dreams' ", Lucidity Letter 8 (2), 1989, pp. 134-140.
[39]
« I found when I talked to academics and experts on sleep and dreaming that there seemed to

arise in them some profound resistance. It was very difficult to get anyone to talk coherently about

them, even if they did not flatly deny the possibility and assert that if people knew they were

dreaming and could think fairly rationally, they really must have been awake. With the more

ostensibly tolerant people who open-mindedly accepted my description of what a lucid dream was. I

then found that within a few sentences they seemed to have forgotten the definition and muddled

lucidity up with something different. They started to talk as if what was being discussed was

precognitive dreams or narrative dreams or something else ». Ibid.


[40]
« The author has developed these techniques [for inducing and manipulating lucid dreams] on the

basis of a wide range of empirical data derived from experiments with more than 200 subjects, mainly

students, on the findings of empirical studies carried out by seven colleagues as subjects of their

diploma theses, on case studies by a psychotherapist who has used lucid dream techniques in therapy

with his patients, and on numerous reports of lucid-dream experiences sent to the author in reply to

his publications and a radio broadcast. Altogether more than 1500 lucid dream reports by persons of

differents sexes, ages, and occupations have constituted the material on which the author has based

his conclusions ». Paul Tholey, "Techniques for inducing and manipulating lucid dreaming", Perceptual

and Motor Skills, 1983, 57, pp. 79-90.


[41]
« About a 1000 people from across the nation responded to us about an experiment we designed

for OMNI magazine on lucid dreaming which appeared in the April, 1987 issue. In the experiment we

suggested that the participants do the tasks as often as possible over a two week period before they

filled out the accompanying questionnaire […]. It was also pointed out that some people may need to

practice the technique for weeks before getting results, while others may succeed on the first night.

Finally we asked the OMNI readers to fill out the questionnaire whether they managed to have a lucid

dream or not. We asked the readers to try four exercices: inducing lucid dreams by waking
suggestion and dream reliving; flying in lucid dreams, spinning while lucid in order to stabilize it

and/or reach a target and creative problem solving. The exact instructions for each exercise are given

[…] ». Jayne Gackenbach and Stephen LaBerge, "What Is Possible In A Lucid Dream? Results Of The

April, 1987 OMNI Experiment", Lucidity Letter 8 (2), 1989 pp. 98-133.
[42]
« Recount any lucid dreams you had; be sure to explicitly mention whether you knew you were

dreaming. If you used the spinning technique, did you spin in a clockwise or counterclockwise

direction? Describe your intended target destination, its significance to you, and whether you reached

it. Did you fly? Did you enjoy the experiment? Mention anything that seems significant to you ». Ibid.

Souligné par nous.


[43]
« Six prescreened young adult dream recallers who volunteered for lucidity training agreed to

correspond with the researcher […] ». Judith R. Malamud, The Development of a Training Method for

the Cultivation of "Lucid" Awareness in Fantasy, Dreams, and Waking Life, unpublished doctoral

dissertation, New York University, 1979 p. IV. Souligné par nous.


[44]
« One obstacle was that any statistical analysis of effects of the training would require either a

large number of subjects or a burdensome amount of work (data) from each subject. I still did not

know whether I should be able to find any subject willing to work in a rigidly consistent way on a task

having such variable emotional impact, nor did I feel that it was to their benefit to demand this. A

control group, although logically desirable, seemed unwarranted in view of my uncertainties about the

experimental group. I also had little basis for predicting how much training would be required in order

to produce significant results. Furthermore, an experimental design would require a standard

treatment applied uniformly. I saw that I should reduce the number of treatment variables, i. e.,

types of training interventions, to a minimum if I wanted interpretable results; the problem was that

standardizing and limiting the number of variables would mean ignoring individual differences

between subjects and might lead to no significant results because of the drastic reduction in the

effectiveness of the training program ». Ibid. p. 56.


[45]
A moins qu'on ne travaille précisément sur l'impact des méthodes d'induction sur des sujets sans

capacité au départ (ce qui est l'optique de Malamud).


[46]
« […] it occurred to me that the correspondence method might also solve some methodological

problems for this study, chief among them the problem of obtaining an accurate and conveniently

usable record of the interaction between me and the subjects. Correspondence would automatically

produce a written record of the training and would obviate the need for relying upon note-taking or

transcribing tapes. In addition, I knew that if I worked with subjects in person, I would be introducing

confounding relationship variables that would be hard to pin down. By using correspondence, I could

control my own interventions more carefuly and also work toward promoting the self-sufficiency of the

subjects in working with their dreams ». Malamud, op. cit., p. 55.


[47]
Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, Oniros,

Ile Saint-Denis, 1991, pp. 79-80.


[48]
Ibid., pp. 81-82.
[49]
Claude Debru, Neurophilosophie du Rêve, Hermann Editeurs des Sciences et des Arts, Paris, 1990,

pp. 44-45.
[50]
Ibid.
[51]
Ibid., pp. 47-48.
[52]
Un exemple de stimuli verbaux incorporés au rêve est donné par Hervey de Saint-Denys, op. cit.,

pp. 227-228.
[53]
« If there were no correspondence between mental events and physiological processes there would

be no meaning to the psychophysiological approach. If we assume that mental processes are the

product of neurophysiological activity, we are led to a conclusion that we can call the
"Psychophysiological Parallel Postulate" (PPP) : every mental state defines a unique physiological state

and conversely. This PPP must be interpreted with caution : first, it does not mean that mental and

physical events are identical. Again, the menu is not the meal. Secondly, the PPP provides no

guarantee that any particular physiological parameter will correspond to a unique state of

consciousness (SOC); the postulate holds for the whole system and not necessarily for some selection

of subsystems ». Stephen LaBerge, Lucid Dreaming: An Exploratory Study of Consciousness during

Sleep, unpublished doctoral dissertation, Stanford University, 1980, p. 78.


[54]
Idem, Le Rêve lucide, le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, op. cit., p. 83.
[55]
Sujet n°16, "Tuesday", dit G…", partiellement cité au chapitre 4, section 1, §1, I.
[56]
« Some sleep researchers have found it "quite difficult to imagine subjects simultaneously both

dreaming their dreams and signaling them to others" (Foulkes, 1978). Difficult to imagine or not, this

is exactly what has been done in the present study ». Stephen LaBerge, Lucid Dreaming: An

Exploratory Study of Consciousness during Sleep , op. cit., p. 80.


[57]
Debru, op. cit., p. 51.
[58]
Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, op. cit.,

pp. 83-84.
[59]
Ibid., pp. 85-86.
[60]
Keith Hearne (1982) : "Signals from another world", dans le Dream Network Bulletin, vol. 1, n°5.

Mentionné par C. Hardy, voir note suivante.


[61]
Christine Hardy, La Science et les Etats frontières, Le Rocher, Monaco, 1988, p. 37.
[62]
« We have subjects signal not only when they become lucid, but also when their lucid dreams end
and they think they have awoken. This is because of cases like this; when you look at the record, you

see that both before and after his wake signal he is still in REM sleep. He is only dreaming that he is

awake; he's had a "false awakening." He dreams on for a while and then odd things begin to happen.

At one point the technician in the dream is taking off the subject's electrodes and treating him

impolitely, and he realizes that this doesn't happen at Stanford, so he must still be dreaming. Then he

makes another signal, marked in Figure 1 by number three ». Stephen LaBerge, "Physiological

Mechanisms of Lucid Dreaming", Lucidity Letter, 1986, 5 (1), pp. 105-114.


[63]
Hardy, op. cit., p. 38.
[64]
« Five subjects claiming proficiency in lucid dreaming were studied for a total of 27 nights […].

Standard polysomnograms (EEG, EOG, EMG) were recorded […]. In addition, left and/or right forearm

EMG was recorded (for signaling) […]. The subjects attempted to follow a predetermined procedure of

signaling whenever they were aware that they were dreaming. A variety of signals were specified,

generally consisting of a combination of dreamed upward eye movements and a pattern of left and
right dream-fist clenches. The subjects demonstrated the signal during pre-recording calibrations, but

did not otherwise practice while awake.

« In the course of the study, 26 lucid dreams were reported, subsequent to spontaneous awakening

from various stages of sleep as follows : REM, in 23 cases; NREM stage-1, twice; and NREM stage-2,

once. Comparison of the subjects' dream reports and polysomnographic records showed 17 instances

where signals could be identified with varying degrees of certainty: all signals assciated with lucid

dream reports occured during unambiguous epochs of REM sleep scored according to the standard
criteria […]. The two clearest signals from S.L. and R.K. were subjected to rigorous test. The

polysomnograms containing the 4 selected signals were submitted to two independent judges who

were asked to find any instances of the signals described. Both judges sucessfully selected all four

signals epochs and no others from among the more than 1500 epochs in the all-night recordings. The

most complex signal, sucessfully performed on two occasion by S.L., consisted of a single upward

dream-eye movement followed by a series of left (L) and right (R) dream-fist clenches in the order

"LLL LRLL". This sequence of signals is isomorphic to the subject's initials in Morse code (LLL = . . . =

S; LRLL = . - . . = L). See Figure 4. The polygraphic indications of REM sleep, "a relatively low

voltage, mixed frequency EEG in conjunction with episodic REM and low amplitude electromyogram

(EMG)" can clearly be seen in Figure 4. The "saw-tooth" waves characteristic of REM sleep were also

occasionally present during lucid dreams to a similar degree as in non-lucid portions of the REM

periods ». Stephen LaBerge, Lucid Dreaming: An Exploratory Study of Consciousness during Sleep.

pp. 81-83.
[65]
Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, op. cit.,

p. 98.
[66]
Ibid.
Deuxième Partie
L'exploration de l'univers du rêve à l'aide de la lucidité
onirique
La recherche approfondie sur le rêve lucide qui s'amorce actuellement n'aurait guère
été possible sans les conditions dont nous venons de donner les principaux éléments.
L'obstacle le plus important à son développement repose avant tout sur une certaine
conception du rêve plutôt que sur des difficultés techniques, conception selon laquelle le
rêveur ignore nécessairement qu'il rêve. Cette idée a certainement empêché pendant
longtemps de prendre conscience de l'existence du rêve lucide et, lorsque des témoignages
nets sont apparus, a poussé à en minimiser l'intérêt, voire à en faire une aberration ou un
phénomène "psychique" rare. En prouvant que la lucidité survient dans le
sommeil accompagné de mouvements oculaires rapides, les travaux de laboratoire en ont fait
un objet d'investigation scientifique ; toutefois ces travaux auraient gardé un caractère
exceptionnel s'ils étaient restés tributaires de sujets doués et, de ce fait, difficilement
reproductibles. Or, la diffusion de méthodes d'induction a facilité l'expérience personnelle
aussi bien que l'entraînement des sujets de laboratoire et a même poussé les
expérimentateurs à mettre au point des appareillages sophistiqués pour favoriser la lucidité.
Ces méthodes d'induction ont la plupart du temps été élaborées par les chercheurs, en
fonction de leur expérience personnelle, ce qui indique que la certitude de l'existence du
phénomène est bien la condition essentielle de la recherche, les conditions techniques étant
ensuite adaptées à cette donnée première.

Cependant, une fois l'existence du rêve lucide reconnue et prouvée en laboratoire, à


quoi peut-il mener ou servir ? Historiquement deux tendances se dessinent dont les
représentants sont Hervey de Saint-Denys et van Eeden. Le premier a fait de la lucidité un
moyen d'investigation du rêve, à tel point que pour lui l'émergence de la conscience de
rêver ne constitue pas le rêve investi en une catégorie particulière : son étude est résolument
psychologique et vise avant tout les facultés intellectuelles de l'homme endormi. Cette
attitude lui a parfois été reprochée par des auteurs contemporains : « Hélas, cet enfant, qui a
fait une recherche personnelle et a trouvé la vérité, est resté bien trop marqué par son
éducation psychologique qu'il n'a pas su remettre en cause. Son esprit est encombré et ses
discussions imprégnées par le sensualisme ambiant. Il ne pense et n'expérimente qu'à
travers Condillac, Cabanis, Jouffroy, Dugald-Stewart. Il ne pose donc que des problèmes
psychologiques vains et y reste enfermé […]. Il est resté un expérimentateur lucide, doublé
d'un scientiste rationaliste »[1].

Il est vrai que l'influence d'un cadre théorique est déterminante dans la mesure où elle
oriente à la fois l'attitude du rêveur et ses attentes vis-à-vis du rêve. Néanmoins, une
approche totalement "ouverte" est-elle possible ? Un premier danger consiste à croire
"ouverte" une approche qui ne fait que remplacer un cadre théorique par un autre, comme le
montre la même critique qui précise qu'Hervey de Saint-Denys « a lu Artémidore d'Ephèse et
le critique, sans l'avoir compris. Par ses études ultérieures, il a pris connaissance des
recherches des chinois et des taoïstes sur le rêve et n'en a pas du tout saisi l'importance.
Ayant une foi religieuse chrétienne classique, il l'a tenue totalement en dehors de son
expérimentation dans les rêves »[2]. Ce passage déplore nettement le manque d'ouverture
d'Hervey de Saint-Denys aux traditions religieuses et mystiques qu'il connaissait. Or, sans
vouloir préjuger de ce que ces traditions sont susceptibles d'apporter à l'étude du rêve, on
peut se demander si leur prise en compte ne risque pas de provoquer des phénomènes
oniriques artificiels. Sans doute fournissent-elles des hypothèses, mais ces dernières entrent
dans des conceptions particulières qui peuvent s'avérer aussi limitantes que le "sensualisme
ambiant" dans lequel baignait Hervey de Saint-Denys .

Si nous admettons maintenant que l'on puisse éviter de remplacer inconsciemment un


cadre théorique par un autre, à quoi ressemblerait une exploration "pure", exempte de
préconceptions ? Elle serait sans doute le fait d'un rêveur lucide n'ayant aucune connaissance
des théories existantes sur le rêve. C'est d'ailleurs la situation d'Hervey de Saint-Denys qui,
durant son adolescence et sa jeunesse, a rêvé lucidement sans savoir qu'un tel état était
tenu pour impossible. Mais une telle situation théoriquement "pure" peut ne pas avoir grand
sens pour la recherche dans la mesure où les résultats qu'elle obtient sont inutilisables : on
se trouve alors confronté à des phénomènes oniriques étonnants mais qu'on est tenté de
classer comme des exceptions ou des aberrations plutôt que comme des données d'étude. Il
est significatif à cet égard que les rêves lucides, de Frederik van Eeden à Celia Green, aient
été rangés parmi les phénomènes "psychiques" alors même qu'ils n'en présentaient
pratiquement aucun trait[3].

En réalité la recherche n'a de sens que si elle répond à des questions que se pose le
chercheur. Mais pour éviter le piège des préconceptions il est préférable de l'aborder sur le
terrain du rêve, c'est-à-dire de s'efforcer de ne répondre qu'aux questions qui se posent au
cours ou au sujet du rêve et non à celles que posent les théories. Si de nouveaux aperçus
théoriques doivent surgir, ils le feront à propos d'un travail de "terrain onirique" et ce n'est
qu'à ce moment qu'il sera intéressant de les comparer à des théories existantes pour une
évaluation d'ensemble. D'un côté, des structures sont nécessaires pour explorer le rêve, et
elles se construisent au fur et à mesure de la recherche, de l'autre, elles ne peuvent être
remises en question que lorsque la recherche a suffisamment avancé pour le permettre.
Ainsi, sans pour autant s'appuyer sur des théories particulières, il est légitime et nécessaire
de partir de "domaines" d'investigation qui possèdent leurs propres modes de
questionnement et permettent un approfondissement progressif des données que fournit le
rêve lucide. Ces questionnements devraient nous donner des informations qui, une fois
regroupées, nous suggéreront une réflexion plus approfondie. Ainsi cette exploration peut
être entreprise à partir du rêve aussi bien comme expérience vécue que comme élément de
l'imaginaire d'une culture ou comme domaine d'investigation scientifique.

[1] Marc-Alain Descamps, La Maîtrise des Rêves, Editions Universitaires, Paris, 1983, p. 126.

[2] Ibid.

[3] On objectera sans doute que des phénomènes psychiques ont été recensés au cours de rêves

lucides, mais cela ne permet pas de classer le rêve lucide lui-même sous cette rubrique - à moins de

faire de même pour le rêve ordinaire ou l'état de veille puisque de tels phénomènes y sont également

étudiés.
Chapitre Six
Le rêve lucide à travers le rêve
[lire la traduction anglaise par Sunthar Visuvalingam]

La nécessité de partir de l'exploration pour déterminer les questions à approfondir sur


le rêve lucide apparaît nettement lorsqu'on se rend compte que certaines conceptions
courantes sur le rêve sont généralisées à partir d'expériences limitées. Ainsi le fait de la
lucidité, même s'il n'était survenu qu'une fois, aurait dû apparaître comme infirmant l'idée
répandue que le rêveur est nécessairement victime de l'illusion du rêve. On peut considérer
que, sans constituer une preuve de l'existence de la lucidité, les témoignages des premiers
rêveurs lucides auraient dû au moins pousser ceux qui n'en admettaient pas l'idée à mettre
au point une contre-expérience. Pourtant, assez curieusement, les critiques sont restées sur
un plan purement théorique. Déjà Maury opposait à Hervey de Saint-Denys un refus qui ne
s'appuyait sur rien d'autre que sa propre expérience passée, et un siècle plus tard Stephen
LaBerge se voyait refuser un article par un critique de Science pour des raisons
équivalentes: « Examinant notre article à la lumière des travaux de Rechtschaffen, il trouvait
plus que "difficile d'imaginer que des sujets puissent en même temps rêver leurs rêves et les
signaler à autrui" […]. Il semblait fondamentalement incapable d'admettre, pour des
raisons essentiellement philosophiques, que nos résultats soient possibles. Aussi
s'arrangea-t-il pour faire ressortir un certain nombre de "problèmes d'interprétation" - tous
des explications possibles de la façon dont nous serions parvenus à des conclusions de toute
évidence erronées. Naturellement, il donna un avis défavorable à la publication de l'article, et
le directeur se soumit à son jugement.

« En septembre, nous soumettions une version révisée de notre article à Science,


ayant enrichi notre première étude avec deux fois plus de rêveurs lucides et d'observations et
clarifié les points que le […] critique avait trouvé problématiques. Mais notre article fut à
nouveau refusé, les raisons invoquées étant une fois de plus d'ordre
philosophique. »[1]

Ce type d'attitude qui va jusqu'à faire rejeter des résultats vérifiables n'est
heureusement pas la norme mais il indique qu'il faut prendre en considération le poids que
les préconceptions peuvent avoir même sur un esprit scientifique, particulièrement dans un
domaine qui appartient en propre à la subjectivité humaine. Cet exemple montre par
comparaison que si l'exploration du rêve lucide ne peut se faire sans un système de
questionnement, ce dernier ne doit pas s'appliquer à autre chose que des données
immédiates.

Ainsi on aurait pu penser que les premières questions à résoudre à l'aide de la lucidité
concerneraient le symbolisme ou l'interprétation car toute l'histoire du rêve ainsi que l'apport
de la psychanalyse nous y invite. Pourtant ce serait là une erreur d'orientation puisque
justement l'interprétation repose sur le fait que le rêve interprété est un rêve remémoré
(donc compris comme une sorte de message) alors que le rêve lucide en cours constitue
pour le rêveur un environnement dont il est conscient et qu'il a le sentiment de percevoir
comme une réalité. Ainsi, aussi légitime que puisse paraître la voie de l'interprétation, elle
n'est qu'une question secondaire par rapport à celles qui se posent immédiatement au
rêveur.

En fait, en découvrant consciemment son environnement onirique, le rêveur apporte


des précisions à ce qu'on savait déjà du rêve et il oblige parfois à réviser certaines idées, non
pas en examinant ces idées, mais en présentant des éléments nouveaux à l'analyse. C'est la
nature du rêve dont il permet l'approche, et même toute une partie de l'univers subjectif de
l'être humain. Nous allons donc nous attacher aussi bien à décrire ce que rencontre le rêveur
lucide du point de vue des données immédiates qu'à comparer le rêve lucide avec des états
auxquels il ressemble mais ne se réduit pas.

Section I: Les phénomènes oniriques

[1] Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, Oniros, Ile

Saint-Denis, 1991, p. 88. Souligné par nous.


Chapitre Six
Le rêve lucide à travers le rêve
[suite]

Section I: Les phénomènes oniriques


Les données immédiates que l'on obtient par la lucidité concernent l'expérience vécue
du rêve comme phénomène du sommeil, donc comme expérience subjective et conscientielle.
Mais ce que le rêveur peut qualifier de rêve diffère selon qu'il est éveillé ou endormi (et
lucide). Ainsi une suite d'événements oniriques colorés et intenses sont couramment au réveil
considérés comme des rêves mais non des enchaînements de pensées accompagnées de
représentations floues, et à plus forte raison une absence totale de perceptions oniriques.
Pourtant, lorsque le rêveur est lucide, la conception qu'il se fait du rêve se modifie. Certains
rêveurs classent leur "sommeil lucide" (lucidité sans rêve) parmi les "rêves" lucides, sans
doute parce qu'ils ont le sentiment que cette absence de rêve n'est en fait qu'une simple
absence de perception onirique de la part du rêveur comme le montre un passage du
premier rêve de Stephen LaBerge en laboratoire (« Quelques instants plus tôt j'étais en train
de rêver - mais alors je pris soudain conscience que je devais être endormi car je ne
pouvais rien voir, rien ressentir et rien entendre. Je me souvins avec joie que j'étais en
[1]
train de dormir au laboratoire » ). C'est au moment où le rêveur ne perçoit plus rien
oniriquement qu'il se considère en train de rêver, ce qui serait paradoxal pour un rêveur qui
ne prendrait connaissance d'un tel "rêve" qu'à l'état d'éveil, sans avoir été lucide.
L'appréhension du rêve par le rêveur lucide est donc différente de celle du rêveur ordinaire et
sans doute vaut-il mieux, en attendant de disposer de plus d'éléments d'information, parler
de "phénomènes oniriques", qui incluent aussi bien ce que l'on entend couramment par rêve
que d'autres états oniroïdes généralement considérés à part comme, par exemple, les images
hypnagogiques. Il apparaît alors que l'exploration du rêve lucide nous informe aussi bien sur
le rêve lucide que sur le rêve en général ou les états "différents".

§ 1. L'étude du rêve lucide par le rêve lucide


Le rêve lucide en tant que tel, c'est-à-dire avant même d'être considéré comme un
rêve, est le seul terrain d'exploration direct du rêveur lucide. Cela signifie
qu'indépendamment du statut qu'on lui donne il est un phénomène du sommeil qui peut être
étudié sans cadre théorique. Ainsi, avant de savoir dans quelle mesure les observations qui y
sont faites peuvent être étendues ou corrélées avec d'autres types d'expériences oniriques, le
rêve lucide s'avère un terrain de recherche en lui-même, dans lequel des expérimentations
de plus en plus sophistiquées sont envisageables.

Le rôle que joue l'observation lucide en rêve peut être mis en évidence en comparant
deux rêves d'un même rêveur, l'un ordinaire et l'autre lucide.

« […] cette nuit-là j'ai fait un rêve intéressant. Nous jouions sur une table
de billard à un jeu qui s'appelait le jeu de "nanas". Il y avait trois boules, une
blanche, une verte et une grise que les joueurs devaient réussir à envoyer dans
la goulotte. La boule blanche et la boule verte ne me posaient guère de problème
; mais je n'arrivais pas à attraper la boule grise.

« Le lendemain, au réveil, l'interprétation m'a semblé évidente. Le nom


même du jeu indiquait clairement que les boules symbolisaient des femmes. Je
voyais très bien comment interpréter la boule blanche: à l'époque j'avais une
liaison secrète avec une femme mariée qui travaillait dans une cafétéria et qui
donc portait une blouse blanche. De même, l'interprétation de la boule verte ne
me posait pas de problème: deux jours auparavant, j'étais allé au cinéma avec
une jeune fille qui portait une robe verte, et nous avions copieusement flirté. […]
deux ou trois mois auparavant, j'avais dit adieu à une jeune femme que j'aimais
beaucoup et qui partait en Italie. Elle me plaisait beaucoup et je m'étais promis
de la revoir à son retour. Je ne me rappelais plus si elle portait un costume gris
ce jour-là, mais j'étais sûr que c'est d'elle qu'il s'agissait dans mon rêve ; cela
m'est apparu comme une évidence à l'instant même où je m'étais souvenu
[2]
d'elle » .

Il s'agit d'un rêve ordinaire dont le rêveur ne prend conscience en tant que rêve qu'une
fois éveillé. Dans une telle situation son intérêt se porte sur le sens du rêve. Mais lorsque le
même rêveur est conscient de rêver, il ne se préoccupe pas du sens possible du rêve mais de
ce qu'il perçoit en tant qu'environnement onirique, comme le montre cet autre récit :

« […] J'avais toujours entendu dire que l'on rêvait en noir et blanc ; mais là
visiblement, je rêvais en couleurs.

« Un peu plus tard, toujours dans mon rêve, je me suis retrouvé à l'intérieur
du train, dans un wagon ; je ressentais parfaitement les secousses du train et je
me suis dit: "Le sens du toucher n'est donc pas endormi lorsqu'on rêve". Je me
suis alors rendu, en titubant, à l'extérieur du wagon. Là, il y avait une immense
fenêtre, comme une vitrine de magasin. Et derrière la vitre, il y avait, non pas
des mannequins, mais des filles superbes, en chair et en os, vêtues de maillots
de bain. Je suis passé, en traversant le soufflet, dans la voiture suivante. "Ça
serait drôle, me suis-je dit, de bander en rêve". J'ai donc fait demi-tour et je suis
revenu dans la première voiture (je pouvais donc diriger le cours de mon rêve à
volonté). Et là, dans la vitrine, il y avait trois vieux bonshommes en train de
jouer du violon… et les filles me tournaient le dos. (Je pouvais donc diriger le
cours de mon rêve… mais pas exactement à volonté.) Du coup, je me suis senti
très excité à la fois sexuellement et intellectuellement. A ce moment-là je me
[3]
suis réveillé » .

Alors même qu'il rêve lucidement, le rêveur ne se préoccupe guère du sens que peut
avoir le rêve mais s'intéresse à ce qui est pour lui objet d'observation (perception, émotion,
réflexion, action volontaire). Par exemple, dans le premier rêve il n'appréhende, au réveil, les
couleurs qu'en fonction de la signification qu'il peut leur donner (les couleurs des boules
correspondent aux couleurs de vêtements féminins) tandis que, dans le deuxième, il ne se
préoccupe que de ce dont il a l'expérience immédiate et il considère les couleurs en fonction
de leur présence (« je distinguais très bien les couleurs les unes des autres. J'avais toujours
[4]
entendu dire que l'on rêvait en noir et blanc ; mais là visiblement, je rêvais en couleurs » ).
Apparemment, si l'on compare ces deux récits du point de vue du contenu, les deux rêves
sont tout autant susceptibles d'être interprétés que d'être observés. Mais l'attitude du rêveur
est orientée d'une façon spécifique selon son état de conscience.

On comprend alors que "l'attitude immédiate" fait partie des données immédiates.
L'optique de l'interprétation suppose une distance dont le rêveur lucide ne bénéficie pas (ou
dont il n'est pas affligé) et qui fait des événements à interpréter des éléments intangibles
dans leur forme. En revanche le rêveur lucide est partie prenante des événements oniriques
qu'il vit et qui peuvent se modifier en fonction de sa lucidité. L'interprétation ne peut donc
avoir réellement de sens, et lorsqu'elle survient elle correspond souvent à une "habitude"
incubée et importée de l'état de veille.

La conscience du rêveur lucide n'est donc pas détachée du rêve comme l'est la
conscience éveillée cherchant à l'interpréter, mais elle ne lui est pas non plus attachée
comme l'est la conscience onirique ordinaire qui ne dispose d'aucun recul conscientiel.
L'attitude conscientielle du rêveur ordinaire ressemble à celle des périodes de l'état de veille
où il se laisse porter par les événements en fonction de ses préoccupations: ces événements,
prennent pour lui un sens dans la mesure où ils entrent en correspondance avec ses intérêts.
En revanche la conscience du rêveur lucide se rapproche plus d'une perception désintéressée,
comme lors d'une promenade lorsqu'il apprécie ce qui l'entoure per se et non en fonction
d'intérêts extrinsèques à ce qui est perçu. Ces deux attitudes ne sont cependant pas
antithétiques car il est possible d'observer en fonction d'un objectif précis qui donne un sens
à l'observation, tout en étant capable d'être conscient de la perception en tant que telle, et
cette double attitude se retrouve également en rêve lucide lorsque le rêveur reste conscient
de ce qu'il perçoit oniriquement, et du fait qu'il le perçoit, tout en se livrant à une
expérimentation.
Cependant, qu'il se livre ou non à une expérimentation, le sentiment d'être dans un
environnement particulier l'entraîne à des actes souvent différents de ceux accomplis en rêve
ordinaire. Donc, si le rêve lucide doit nous fournir des informations à son propre sujet, c'est
finalement en se différenciant du rêve ordinaire, aussi bien en ce qui concerne les
comportements du rêveur que les événements ou les perceptions oniriques qui entrent en
interaction avec lui. Or, dans la mesure où le comportement du rêveur ordinaire rejoint
fréquemment celui de l'individu éveillé, les attitudes de ce dernier servent également de
points de référence par rapport à l'état lucide, l'exemple typique restant un danger que le
sujet aurait fui aussi bien à l'état de veille que dans le rêve ordinaire, mais qu'il affronte en
rêve lucide. Toutefois, l'étude des variations ne risque-t-elle pas de nous faire passer à côté
de facteurs totalement originaux dans la mesure où les changements comparés doivent
nécessairement s'inscrire dans des cadres possibles?

Si, en effet, l'étude du rêve lucide doit prendre en compte aussi bien les modifications
du contenu onirique que celles des comportements du rêveur, elle dépend avant tout de la
perception que le sujet a de la situation onirique: c'est lui qui constate et qualifie les
différences caractéristiques. Or, le cas de l'incubation incite à se demander si dans le champ
onirique l'attente d'une différence ne risque pas et de provoquer cette différence et de lui
donner la forme attendue, et dans ce cas nous ne sommes en présence que d'un pôle du
rêve: la plasticité, qui apparaît parfois avec netteté lors de l'induction par le rêve éveillé.

« Rêve éveillé: Je demande à un démon bossu de me conduire au rêve


lucide. Il me met simplement en main un fil qu'il s'agit de suivre et de ne pas
perdre au cours de la nuit. Je le suis longuement, sans m'endormir, à travers des
séries d'images hypnagogiques. Finalement je dis qu'il devrait bien me conduire
au sommeil. Le démon-guide me suggère d'attacher le fil à un arbre (fleuri) où je
saurai le retrouver par la suite et me fait diverses suggestions ainsi que des
massages pour me faire dormir.

« Rêve lucide perdu - Il y a eu un rêve lucide pour lequel je me suis dit:


"voilà un rêve lucide pour Christian", mais le souvenir s'en est perdu.

« Rêve demi-lucide: Je suis avec des enfants. Nous devons cacher un objet
pour Christian. C'est dans un grenier. On cache l'objet dans une horloge mais je
dis que c'est trop facile. Dans l'horloge, nous mettrons seulement un indice, puis
un fil conducteur - en l'occurrence un long morceau de tissu - conduisant à l'objet
caché. Celui-ci est mis dans un étui à violoncelle en peluche rouge, dans une
autre partie du grenier. Demi-lucide? J'ai, au souvenir, l'impression que ce rêve
devrait être lucide mais que j'ai "oublié" de me le dire sur le moment. Le fil
[5]
conducteur est un résultat évident du rêve éveillé. »

Le rêveur remarque qu'un élément du rêve éveillé se retrouve dans le rêve


demi-lucide. Or, s'il est vrai que les attentes et les croyances du sujet conditionnent le rêve
lucide, ce qui en fait pour le rêveur un "environnement" dans lequel il lui semble se mouvoir,
c'est justement une qualité d'altérité par rapport à lui-même et sans laquelle le rêve ne
différerait pas pour lui de l'imagerie mentale de l'état d'éveil (c'est-à-dire, entre autres, du
rêve éveillé). C'est donc la qualité de résistance du rêve lucide qui est première pour le
rêveur, plutôt que ce qu'il est capable d'y créer, c'est elle qui donne un sens à ses tentatives
de modification du tissu du rêve. Et même si ce qui est perçu résulte manifestement d'une
attente, cette qualité d'altérité se marque malgré tout dans la perception onirique puisque le
seul fait de percevoir apparaît en rêve lucide (aussi bien que dans la vie de veille) comme
une contingence sur laquelle le sujet percevant n'a pas prise de façon consciente. De plus,
même lorsqu'ils sont attendus, les événements ne se plient pas tout à fait à la volonté du
rêveur, comme dans un rêve précédemment cité (« J'ai donc fait demi-tour et je suis revenu
dans la première voiture (je pouvais donc diriger le cours de mon rêve à volonté). Et
là, dans la vitrine, il y avait trois vieux bonshommes en train de jouer du violon… et les filles
me tournaient le dos. (Je pouvais donc diriger le cours de mon rêve… mais pas
[6]
exactement à volonté.) » ). Le rêve lucide peut donc être considéré selon deux niveaux,
ce qui "résiste" au rêveur et qui constitue le fond à partir duquel des modifications sont
possibles ; et ce qui varie par rapport à d'autres états tels que le rêve ordinaire ou la veille,
et qui peut concerner aussi bien ce fond de résistance que la partie modifiable.

Nous avons déjà donné les traits descriptifs essentiels nécessaires pour définir le rêve
lucide ou tout au moins en cerner la notion. L'exploration va un pas au-delà en ce qu'elle ne
se contente pas de reconnaître l'état mais s'efforce de lui donner un contenu à partir de ces
éléments immédiatement accessibles. L'exploration est donc, avant tout, descriptive,
puisque, à l'inverse de la position habituelle pour laquelle le rêve est simplement un état
interne, elle le considère comme un environnement à part entière. Ce changement de
perspective qu'offre la conscience de rêver permet d'étudier le rêve d'un sujet comme une
situation de sa vie de veille qui est vécue à différents niveaux, aussi bien comme quelque
chose qui lui est extérieur (ne serait-ce que par ce qu'il en perçoit) ou qui lui est intérieur
(comme les réflexions ou les images mentales que cette situation lui suggère dans le rêve) ou
encore sembler intérieur tout en s'imposant avec la force d'un événement extérieur (comme
les phénomènes affectifs). Ces distinctions ne sont pas simplement importantes pour établir
une classification mais parce que, indépendamment de ce qui est "ressenti" comme subjectif
ou objectif dans le rêve, les modifications du rêve sont l'indice de l'impact plus ou moins fort
de cette subjectivité interne au rêve. Ainsi, pour dégager par la suite des lois du monde
onirique lucide, il convient d'étudier les différents types d'altérité et de subjectivité (ceux
ressentis et ceux "observables").

I. Le sentiment d'extériorité donné par la perception onirique


Lorsqu'un rêveur devient lucide au cours d'un rêve il a généralement le sentiment de
se trouver dans un environnement dont il diffère dans la mesure où, dans sa situation, il le
perçoit. Si cette perception pour le rêveur est bien sûr pour nous, à l'état éveillé, comprise
en terme d'images mentales, il n'en va pas de même au cours du rêve dans lequel les cinq
sens oniriques jouent la plupart du temps un rôle tout à fait convaincant. L'intuition
sensible présente au rêveur son rêve comme extériorité: le sujet n'a pas le sentiment, tout
en sachant qu'il rêve, d'être devant (ou dans) une construction mentale. Au contraire la
conscience qu'il a de rêver accroît souvent la qualité de ses perceptions et l'intensité du
sentiment d'extériorité que lui procure son environnement onirique. C'est là une situation
paradoxale dans la mesure où l'on considère habituellement que la connaissance d'une
illusion la dissipe. Or, il n'en va guère ainsi dans le rêve: si la reconnaissance qu'il s'agit d'un
rêve ne débouche pas sur le réveil, le rêve s'intensifie, comme si la qualité de la conscience
lui insufflait une vie plus pleine.

Ce sentiment de la réalité du rêve lucide est une donnée constante dans les premiers
récits des rêveurs lucides, tant il les étonne :

[…] le pont était lisse et propre, réchauffé par le soleil, et je sentais la brise
tiède sur la peau. Cela me surprit, car je savais que dans un rêve on n'éprouve
pas les sensations physiques avec la même intensité que dans la vie réelle.
J'étais suffisamment maîtresse de mes pensées et de mes mouvements pour me
pincer le bras afin de m'assurer que ce n'était qu'un rêve. Je sentis la chair sous
mes doigts ainsi que la douleur légère causée par le pincement et cela me
remplit d'une réelle inquiétude. Je savais, en effet, que je n'aurais pas dû me
[7]
trouver à bord de ce bateau, en plein jour […].

Dans ce rêve le sentiment de la réalité est provoqué par la prise de conscience que
l'intensité des perceptions, et plus précisément des sensations physiques, équivaut à celles
de la vie éveillée. Cette intensité des perceptions peut même dépasser celle de l'état de veille
au point que le rêve prend pour le rêveur un aspect "hyperréel" :

« […] Je sens déjà que c'est un rêve.

« (Rêve hyperlucide): Je passe des couloirs et des portes. Je sais que je


rêve en ce sens qu'il ne fait pas de doute que je ne suis pas dans mon monde
habituel. Il y a des indications de direction sur de grandes portes, entre autres:
"Sudra". Mélange de noms de lieux et d'appellations indiennes. Je cherche à
rentrer à la maison. Je passe dans des escaliers et des couloirs. Le monde est
devenu hyperréel au point que j'en suis troublé. Je vois tout avec netteté. Je
n'ose pas trop regarder les passants pour ne pas attirer sur moi leur regard. Ils
sont très variés au point de vue habillement. Genre costumes arabes riches en
couleurs et en décorations. Il y a de tout. J'ai le sentiment aigu d'être dans un
autre monde.

« Je débouche dans une salle de cinéma. Le grain du siège sur lequel je


prends place me semble d'une finesse telle que des comparaisons avec la veille
[8]
sont possibles […] » .

Tout en se sachant en état de rêve le rêveur est troublé par l'intensité de sa "présence"
au point qu'il se demande presque s'il n'est pas passé dans un autre monde et craint d'attirer
l'attention de ses habitants. Ce sentiment n'est cependant pas l'effet d'une baisse de lucidité,
comme le montre un extrait de la suite du rêve dans lequel le rêveur continue à être
conscient de rêver tout en comparant la "réalité" croissante d'une nouvelle séquence avec
celle de la précédente.

« […] Le spectacle commence sans que je remarque de transition. C'est un


cinéma total. D'abord je vole dans les airs et je survole un paysage. Je continue
à savoir que c'est un rêve. Mais il se passe différentes choses. Je survole des
maisons, des terrains surtout ([…]) et je refais en sens inverse un chemin fait
tout à l'heure (quand?). Puis petit à petit le rêve prend de la réalité. Je
commence à soupçonner que ce que j'ai pris pour un rêve était plus réel que je
[9]
ne le croyais » .

En rêve lucide la qualité de "réalité" peut donc non seulement faire l'objet d'une
constatation comparative par rapport à la vie de veille mais également d'une mesure
qualitative à l'intérieur du rêve, ce qui revient à dire que le sentiment de réalité ne s'obtient
pas nécessairement par comparaison avec l'état de veille, mais qu'il peut s'appliquer à des
éléments qui ne seraient pas "réalistes" dans notre optique à l'état d'éveil.

Comment, cependant, savoir à quoi tient cette impression de réalité? S'agit-il là avant
tout d'un sentiment déjà existant qui se plaquerait sur des "perceptions" oniriques
auxquelles serait prêtée une intensité qu'elles n'auraient pas par elles-mêmes ou bien au
contraire est-ce l'intensité de la "perception" qui provoque le sentiment de réalité? Dans ce
dernier cas il faudrait considérer que le phénomène perçu par le rêveur serait pour lui réel,
en tant que phénomène onirique.

Il faut prendre garde ici à ne pas se tromper sur la nature du problème car cette
question est difficile à poser en raison de son apparente absurdité: pour l'homme éveillé il est
évident qu'il n'y a pas de donné onirique perçu et donc qu'un sentiment de réalité
quelconque ne peut être que le fruit du rêve (ce qui est la position de Caillois pour le rêve
ordinaire), tandis que pour le rêveur lucide la réalité de ses perceptions oniriques ne fait pas
de doute. Si la lucidité doit nous permettre de répondre à cette question, c'est sur un plan
phénoménologique. On ne peut en effet dans ce genre de travail que s'intéresser à ce qui
apparaît à la conscience lucide, non à la nature ontologique de l'apparaissant. La question
n'est pas de savoir si les "perceptions" oniriques renvoient à quelque chose qui se tiendrait
derrière ce qui est perçu mais si elles ont ou non l'aspect de perception et donc semblent
(à tort ou à raison) dépendre d'un donné perçu. Pour cela il faut écarter toute préoccupation
ontologique et chercher des indices de ce sentiment de réalité dans les récits mêmes des
rêveurs lucides pour comprendre en quoi consiste la qualité de leur perception et examiner
leur cadre spatio-temporel.

Le sentiment de réalité dépend-il de la qualité de la perception? Le "contenu" de la


perception, c'est-à-dire ce qui s'offre aux "sens" oniriques, semble être, comme dans l'état de
veille, ce qui sollicite le plus la conscience du rêveur lucide. Dans certains cas c'est le sens
que le rêveur donne à ce contenu qui l'aide à le considérer comme réel, lorsqu'il s'agit de
situations pour lesquelles il y a une attente de réalité (comme les sorties hors du corps)
mais alors le sentiment de réalité trouve sa source dans une conception qui peut être révisée.
En revanche, lorsqu'il est directement provoqué par la perception, aucune interprétation ne
peut modifier ce sentiment, alors même que la conception que se fait le rêveur serait à
l'opposé de ce qu'il ressent. La preuve en est que le contenu du rêve ne donne pas toujours
le même sentiment de réalité que celui de la vie de veille prise comme "norme". Il peut
apparaître comme aussi réel qu'elle mais aussi moins réel ou encore plus réel. De plus, en
rêve lucide, la qualité de réalité peut être attribuée à ce qui n'en est pas moins absurde selon
les critères de la vie de veille. Il faut donc s'efforcer de déterminer ce qui dans ce contenu
provoque ce sentiment. La "présence" des éléments du rêve lucide ne se mesure pas à la
ressemblance de leurs aspects ou de leur organisation entre eux avec ceux de la vie éveillée,
mais à leur impact onirique sensoriel.

En quoi consiste cet impact sensoriel? De ce point de vue l'étude de ce qui apparaît
comme "peu réel" au rêveur est tout à fait instructive car elle indique, par négation, quels
sont les critères sensoriels nécessaires pour établir un sentiment de réalité. Est généralement
considérée comme peu réelle en rêve lucide une qualité de perception qui rappelle celle du
rêve ordinaire ; mais, à son tour, ce rêve ordinaire est implicitement décrit comme
présentant une intensité perceptive moindre par rapport à la vie de veille. C'est donc bien la
qualité perceptive de la vie de veille qui sert de référence et non un genre de rêve donné,
puisque les rêves dits "ordinaires" peuvent être très intenses sur le plan perceptif, ce dont la
littérature sur le sujet nous offre maints exemples (« quand le bec de cet oiseau vint à se
glisser entre mes lèvres, j'eus assurément la mesure du rôle énorme que joue
l'imagination dans nos plus vives jouissances, car je fus aussi impressionné que j'eusse pu
[10]
l'être, en réalité, par le baiser le plus sensuel » ). En réalité l'intensité perceptive, même
fréquente, n'est pas une caractéristique obligatoire du rêve lucide :

« On peut dire des rêves lucides […] qu'ils sont "comme des rêves ordinaires en ceci
qu'ils ne sont ni particulièrement clairs, ni particulièrement colorés" ; certaines personnes,
certains objets peuvent même y figurer comme des sortes d'impressions abstraites plutôt que
sous forme d'images clairement visualisées. […] le Greensujet D. décrit ses rêves comme
étant colorés dans environ un tiers ou un quart des cas, le reste étant "d'une couleur sépia".
[11]
La proportion de rêves colorés ou non colorés n'est pas constante d'un sujet à l'autre » .

L'intensité moindre de la perception favorise d'ailleurs, dans certains cas, l'émergence


de la lucidité puisque le rêveur reconnaît avant tout que cette intensité diffère de celle dont
il a l'habitude à l'état éveillé. Ce qui permet alors de reconnaître le rêve comme tel est ce qui
le déréalise, conformément à la conception que l'on se fait habituellement du rêve (« J'étais,
pensais-je, debout dans mon bureau ; mais je remarquai que le mobilier n'avait pas sa
netteté habituelle - que tout était vague et se dérobait d'une certaine façon au regard
direct. Il me vint soudain à l'esprit qu'il en était ainsi parce que j'étais en train de
[12]
rêver » ). Ainsi une intensité moindre dans la perception de l'environnement se remarque
aussi bien par une absence de qualité (la couleur sépia qui occupe la place de ce qui devrait
être normalement coloré de diverses teintes) que par une imprécision dans la détermination
de ce qui est perçu (le mobilier indistinct).

Cependant, d'autres facteurs tout à fait différents contribuent à donner un faible


sentiment de réalité, comme dans le cas où une sensation en contredit une autre. Le rêve qui
suit fournit un exemple de réaction du rêveur lorsque les perceptions ne sont pas cohérentes.

« […] Je sors, et retrouve la ville. Deux hommes que je rencontre me font


suivre un chemin merveilleux, sur une colline avec des prés et des champs et me
disent que c'est le seul lieu comme ça de la ville. Je veux bien le croire.
Suffoquant de beauté. Je redescends. Sur cette pente, des maisons d'artistes,
très belles aussi. Ensuite, c'est la rue, dans un quartier assez ancien, avec de
belles pierres dorées. De nuit. Je marche sur une rue large, une sorte de place,
et brusquement: "mais je rêve! mais c'est un rêve! et je suis en rêve
lucide! "Youpi! Je m'envole immédiatement en me répétant "je suis en rêve
lucide". Je survole la colline, en notant quelques transformations, mais surtout
joie de l'ivresse du vol. Un instant je me sens retomber. Je dis "Ah non alors! Je
suis en rêve lucide! Je vole!" et je remonte en m'orientant vers le zénith. Quand
l'air devient épais à traverser, j'invente de nager, en nage indienne coulée, pour
me maintenir en l'air, voire même de nager sur le dos.

« Bon, c'est bien ce survol de paysages, mais que vais-je faire? Un rêve
érotique? Essayons du Garfield! Un personnage masculin apparaît aussitôt et
j'atterris vers lui - mais c'est une sorte d'image mentale sans consistance qui
s'évanouit entre mes bras. Manquait plus que ça! Je reprends immédiatement
mon vol pour ne pas perdre la lucidité et de haut j'avise une porte voûtée
donnant sur une sorte de boîte de nuit au sous-sol, très éclairée, pleine
d'hommes nus - assez "guerriers japonais". Très corps, veux-je dire. J'hésite.
Est-ce que la descente sous le sol ne va pas me faire perdre la lucidité? Oh, et
puis zut. Je me glisse sous l'arche de la porte avec un retournement de fusée
spatiale [dessin] pour arriver sur mes pieds, avise le premier dans l'axe du
vol, me répète que je suis en rêve, et j'y vais. Un clin d'œil au passage à la
"Miranda" de LaBerge, dont j'emploie la "technique". De toute façon, ce sont les
figures de mon moi masculin, ils sont interchangeables! Étreinte brève. Très
réaliste - tantrique, sans beaucoup de préliminaires. A mon (petit) étonnement,
l'orgasme arrive après quelques secondes, net et très physique, d'intensité
moyenne, assez bref, plutôt localisé. J'ai la certitude que mon corps physique,
endormi, a réagi. Je me dis que c'est encore le coup de Miranda, et que ça
corrobore l'étude en labo - J'ai peur de me réveiller sur cet orgasme, et me hâte
de faire un rappel de lucidité et de ressortir de là en volant pour maintenir le rêve
[13]
[…] » .

Ce rêve présente deux situations équivalentes dotées de qualités perceptives


différentes. Lorsque les perceptions sont cohérentes entre elles, la rêveuse les prend comme
telles et y réagit avec suffisamment d'intensité pour supposer que son corps endormi a vécu
la même réaction (« J'ai la certitude que mon corps physique, endormi, a réagi »). Mais dans
le cas où ce qui est perçu visuellement (« Un personnage masculin apparaît aussitôt ») n'est
pas confirmé par la sensation physique (« mais c'est une sorte d'image mentale sans
consistance qui s'évanouit entre mes bras ») elle n'hésite pas à qualifier ce qui a d'abord été
perçu "d'image mentale". Son sentiment de réalité dépend donc bien de la cohérence des
perceptions oniriques - dans la mesure où un certain degré d'intensité est respecté.

On peut cependant se demander si ce personnage qui s'est présenté visuellement


n'aurait pas conservé pour elle un aspect perceptif stable - et donc lui aurait procuré un
sentiment de réalité -, si elle n'avait pas tenté un contact physique avec lui. Cela reviendrait
à dire que l'incohérence des perceptions est plus préjudiciable au sentiment de réalité que
l'absence de certaines d'entre elles. Dans certains cas en effet la perception est intense et
nette mais se trouve limitée à un seul type de sensation onirique. L'un des sujets de
Green note que, dans ses rêves lucides de sortie hors du corps, il a « des sensations visuelles
[14]
uniquement. Elles ont la coloration habituelle de la vie éveillée » . Ici l'absence de
perception auditive ou kinesthésique ne gêne en rien la qualité visuelle de l'expérience, et
sans doute même favorise-t-elle son sentiment de réalité en n'introduisant aucun élément
contradictoire. Un sentiment de réalité moindre résulte donc moins de l'absence d'un ou de
plusieurs types de sensations que de l'incohérence des sensations entre elles.

La lucidité onirique ne dépend pas du sentiment de réalité de ce qui est oniriquement


perçu puisqu'on peut être lucide dans des rêves dont les perceptions varient en intensité ou
même sont incohérentes entre elles. C'est au contraire la lucidité qui permet de mesurer ce
sentiment de réalité, lorsqu'il émerge, pour déterminer principalement l'intensité à partir de
laquelle la perception donne ce sentiment. Il semble qu'il surgisse au moment où la
perception équivaut en intensité à celle de la vie de veille. Un sujet de Green remarque qu'à
la suite de son premier rêve lucide , « tous mes rêves lucides sans exception ont été colorés
[15]
et, pour autant que je puisse en juger, impossibles à distinguer de la vie éveillée » .
Cela ne signifie cependant pas que les perceptions oniriques sont importées de la vie de
veille. Par exemple, le sentiment intense procuré par les rêves de vol à la vitesse d'une fusée
ne peut pas provenir directement de la vie de veille. De même la vision, l'audition ou les
sensations proprioceptives peuvent acquérir une qualité nouvelle sans variation de l'intensité
perceptive, ce que montre un récit rapporté par Green et dans lequel « lors de cette
expérience, le Dr Whiteman rêve qu'il est une jeune femme. Il compare les sensations de
[16]
mouvement de son corps de rêve avec celles de son corps normal, à l'état de veille » .

La conscience de la séparation commença lorsque j'aperçus un arbre, dans


un agréable paysage naturel, à quelque cinq mètres de moi. Je me rapprochai un
peu, de sorte que l'arbre se trouva sur ma gauche. La fraîcheur de l'air, la joie de
me retrouver dans une forme plus petite et plus acceptable firent que je me mis
à danser, heureux et vivifié par la liberté de mes propres mouvements. Ému,
encore, par la joie que j'éprouvais au contact de la nature, je m'allongeai à terre,
ressentant avec une extrême netteté l'herbe fraîche sur mes doigts et, sur mon
corps, la fermeté du sol. Je commençai à m'effrayer de cette exaltation
croissante, craignant d'en perdre le contrôle, et je décidai de me relever. En le
faisant, je remarquai vivement à quel point la sensation de me mettre debout
sous mon aspect rêvé s'écartait - à cause de la grande différence de forme
physique, de la taille moindre, des hanches proportionnellement plus larges - de
ce que j'aurais ressenti si cette action avait été effectuée par mon corps
physique. Bien que ce fut là une découverte assez étrange, le mouvement était
ressenti comme parfaitement naturel, me satisfaisant merveilleusement par son
aisance et sa grâce. Le souvenir de ce qu'aurait pu être, par contraste, les gestes
de mon corps physique semblait n'être qu'une illus ion, recouvrant
[17]
provisoirement la réalité dont je faisais alors l'expérience.

Les sensations remémorées de la vie de veille font donc, pour le rêveur, l'objet d'une
évaluation purement conscientielle et on voit ici que la force des perceptions oniriques qui
procure un sentiment de réalité n'est pas liée à un souvenir précis (Whiteman n'a jamais été
une jeune femme) mais à ce que cette intensité doit être en soi. Sans doute d'ailleurs serait-il
plus exact de dire qu'on a affaire à un champ plutôt qu'à une intensité déterminée, car elle
subit généralement des variations qui, sans lui faire dépasser un cadre admissible (pour la vie
de veille), l'amènent souvent à un point limite - marqué par des exclamations superlatives
[18]
dans les récits des rêveurs (« Ce sont les plus belles peintures que j'aie jamais vues » ).

Toute la gamme des sensations peut être présente en rêve lucide, comme nous avons
pu le constater dans les rêves cités jusqu'ici et comme le soulignent les rêveurs: « Les
sensations éprouvées sont visuelles, tactiles, auditives et, plus rarement, olfactives ou
[19]
gustatives ». Les rêveurs lucides ne se sont cependant pas contentés de remarquer
l'existence de ces perceptions oniriques ; ils se sont également livrés à des expérimentations
pour en mesurer ce qu'on pourrait appeler "l'auto-suffisance", c'est-à-dire une certaine
capacité de l'intensité perceptive à persister, en dépit des variations que le rêveur s'efforce
d'introduire dans le contexte de la perception, et à rester cohérente avec ce même contexte.
Ces expérimentations ne peuvent être menées à bien que dans la mesure où leur objectif est
concrétisé en un objet ou un acte onirique. Ainsi les variations apportées à un objet vu
consistent le plus souvent en sa manipulation: Hervey de Saint-Denys brise une porcelaine,
[20]
van Eeden brise un verre . Mais ces variations montrent que, d'un rêveur à l'autre, et
parfois pour un même rêveur, les effets sont différents: la porcelaine d'Hervey de
Saint-Denys se comporte tout à fait correctement tandis que le verre de van Eeden se casse
avec retard. Ce genre de détail incite à se demander si ce qui est vu dans le détail n'est pas
en quelque sorte créé au fur et à mesure que le rêveur le perçoit plutôt qu'il ne correspond à
quelque chose qui, toujours phénoménologiquement parlant, serait déjà là pour la perception,
mais dans une perspective plus éloignée. Comment savoir si la perception tout en restant
nette ne subit pas pour la cohérence de l'ensemble des distorsions dont le rêveur ne prend
pas conscience?

Pour cette raison, la lecture, en tant qu'acte perceptif, permet au rêveur lucide de
mesurer la qualité de la vision onirique avec plus d'objectivité, car le rêveur a, pour le guider,
non seulement son expérience perceptive mais aussi le sens du texte. Les tentatives de
lecture en rêve lucide sont nombreuses et les résultats obtenus varient. Oliver Fox, par
[21]
exemple, a le plus grand mal à lire dans cette situation : « Dans un Rêve de Connaissance,
la lecture est une opération fort malaisée. Les caractères d'imprimerie sembleront nets
jusqu'à ce qu'on essaie de les lire, mais alors ils deviendront flous, se fondront les uns aux
autres, s'effaceront, se transformeront en d'autres lettres.

« Chaque ligne - chaque mot parfois - doit être maintenue en place par un effort de
volonté jusqu'à ce qu'on en ait saisi le sens ; on laisse aller la ligne ou le mot qui se
trouveront oblitérés ou changés, on passe au suivant, et ainsi de suite. D'autres personnes
[22]
m'ont dit avoir éprouvé la même difficulté à lire la littérature de rêve » .

D'autres rêveurs cependant lisent sans difficulté apparente :

[…] Dans la première partie lucide du rêve, je me contentai d'errer à travers


le château. Dans une sorte de salle commune, je trouvai une page d'écriture et
me demandai si je serais capable de la lire. La page dans son ensemble devint
très nette et je la lus avec attention pour voir si mon subconscient aurait
l'habileté d'inventer quelque chose de cohérent. Le texte me parut, à ce
moment-là, parfaitement raisonnable ; il s'agissait d'une sorte de proclamation,
d'une série de directives se rapportant à quelque défilé ou cérémonie. J'étais
[23]
capable d'accommoder ma vision sur deux ou trois lignes à la fois.

Cependant, même si la cohérence du texte s'associe à une vision claire à la première


lecture, le maintien de cette cohérence peut présenter quelques problèmes lors d'une
deuxième lecture, à tel point que lire en rêve a été considéré comme un excellent moyen de
tester la réalité ou l'oniricité de l'environnement: « Un excellent test consiste à lire quelque
chose deux fois d'affilée. Si le texte reste le même d'une fois à l'autre, vous êtes
vraisemblablement éveillé. Si vous portez une montre à chiffres digitaux, vous pouvez
également la consulter deux fois de suite ; dans un rêve, elle ne se comportera jamais de
[24]
façon normale » .

Si ce type d'expériences indique que l'on ne peut décrire le rêve lucide en termes
d'environnement stable, il montre aussi de quelle façon le sentiment de réalité que procure la
perception est différent du "réalisme" du contenu: le rêve a l'air réel sur le plan perceptif
même s'il ne reste pas cohérent en ce qui concerne son enchaînement.

Puisque c'est l'intensité des perceptions qui procure au rêveur un sentiment de réalité
et non une adéquation des événements oniriques à la vie de veille, on comprend que lorsque
cette intensité dépasse celle à laquelle le rêveur est accoutumé à l'état de veille, il ait un
sentiment non pas d'irréalité mais de "surréalité". En ce sens, la qualité superlative
précédemment décrite fait place à une sorte de bond qualitatif. La luminosité des couleurs,
par exemple, est souvent décrite comme beaucoup plus intense que celle de l'état de veille,
comme si les couleurs irradiaient leur propre lumière. De plus, le rêveur se révèle capable
d'affronter des intensités perceptives qui seraient, pour lui, insoutenables à l'état de veille.

La plénitude de la lumière est ce qui remplit entièrement ma vision. Cela n'a


pas de contours extérieurs et ne comporte aucune zone d'ombre. Cette lumière
est d'un éclat extraordinaire, comme le soleil, bien qu'il n'y ait aucune difficulté à
le regarder en face. Normalement, elle apparaît au-dessus de ma tête de rêve,
semblable au soleil, et demeure haute, devant moi. Ma vue se remplit de
[25]
lumière, si bien que je ne discerne plus la circonférence du soleil.

Le sentiment de surréalité serait donc dû autant à une intensité perceptive inconnue à


l'état de veille qu'à la possibilité pour le rêveur d'affronter sans gêne, en rêve, des intensités
dépassant ses capacités de veille.

Pourquoi l'intensité perceptive procure-t-elle un sentiment de réalité même lorsque le


contexte est aberrant? Probablement parce que dans bien des cas elle s'accompagne d'une
conscience de soi plus élevée. On sait par exemple que, dans la vie éveillée, la simple
perception de la qualité des couleurs atteste l'existence d'une certaine conscience perceptive
qui par contrecoup accentue la perception des nuances de la couleur considérée. Ce
phénomène banal incite à se demander si le développement de la lucidité et celle de
l'intensité perceptive ne sont pas corrélatives. Bien qu'on ne puisse y voir une "loi" du rêve
lucide, on constate que cette corrélation est régulièrement signalée: le surgissement de la
lucidité a tendance à rendre le rêve plus intense.

Je pensai: ceci ne devrait-il pas être une libération? N'est-ce pas plus vif que
les rêves ordinaires? Aussitôt - ou c'est ce qui me sembla - la lumière se mit à
jaillir et à croître de toutes parts.

Même au moment de l'expérience, je n'étais pas certain que cette


augmentation de l'illumination n'était pas imaginaire, qu'il ne s'agissait pas, pour
ainsi dire, d'un effet de suggestion ; rétrospectivement, cela me paraît une bien
curieuse distinction!

Après coup, l'idée me vint que la différence d'intensité entre les rêves
ordinaires et les rêves lucides était une question de degré et non pas de nature.
Il me semblait que les images étaient pratiquement les mêmes mais que leur
[26]
"illumination" s'intensifiait dans les rêves lucides.

Parfois la focalisation même de la conscience lucide ne semble donner de l'intensité


qu'à ce qui entre tout à fait dans son champ. Ainsi, à propos d'un rêve lucide dans lequel il
[27]
fait apparaître une « étonnante imitation de pomme » , le sujet remarque: « Je dois
préciser que ce rêve ressemblait à des rêves ordinaires en ce qu'il était plutôt crépusculaire
et relativement peu coloré. La seule chose dont je suis sûr qu'elle avait des couleurs, c'était
la pomme. Elle était nettement rouge et verte. Cela suggère que la coloration et la définition
[28]
visuelle dépendent peut-être de l'attention que l'on porte à l'objet en question » .

Ainsi l'intensité des sensations donnerait la mesure de la conscience lucide. Si tel est
le cas, ces quelques observations permettraient de supposer que la conscience du rêveur est
équivalente à celle de son état d'éveil lorsque les sensations du rêve sont "impossibles à
distinguer de la vie éveillée". Cela reviendrait alors à dire que la lucidité ne correspond pas
ipso facto à l'intrusion de la conscience de veille dans le rêve mais peut en tout cas
présenter les mêmes capacités à certains moments.

Si l'intensité de la perception du rêveur lucide nous informe sur la lucidité par le biais
du sentiment de réalité éprouvé par le rêveur, le cadre dans lequel a lieu cette perception
nous informe sur le type de réalité que peut revêtir pour lui l'environnement onirique. Là
encore il ne s'agit pas de décrire un contenu particulier, mais d'indiquer de quelle façon il est
vécu, ce qui revient à examiner principalement comment le rêveur appréhende son espace et
son temps oniriques.

L'appréhension de l'espace passe par les perceptions, visuelles et proprioceptives


notamment. Le rêveur voit s'ouvrir à lui un espace ou il se sent se mouvoir dans un milieu
donné, qu'il s'y déplace de façon classique ou plus typiquement onirique lors d'un rêve de
lévitation par exemple. La façon d'occuper l'espace prend cependant des formes qui donnent
une tonalité particulière à l'espace onirique. Le rêveur peut être présent simultanément en
plusieurs régions d'un espace qui reste pourtant le même. Cela se marque par un sentiment
de dédoublement de la perception qui est parfois tout à fait net comme par exemple lorsque
le rêveur se sent paralysé tout en ayant le sentiment de se mouvoir, ou encore de voir
simultanément de deux points de vue différents.

Au cours d'un rêve lucide, je me trouvai face à une tour. Je ressentais


nettement sa puissance, et cela me donna envie de connaître la vue qu'on aurait
de là-haut. J'y parvins en glissant, de façon désinvolte, le long de mon propre
regard jusqu'au sommet. Je baissai alors les yeux et fus pris d'une forte
sensation de vertige. Comme je l'avais fait un moment plus tôt, je changeai de
perspective plusieurs fois de suite, jusqu'à ce que j'aie l'impression d'être à la
fois au sommet de la tour et à sa base, portant un double regard vers le haut et
vers le bas. Ainsi, en un même instant conflictuel, je pus ressentir à la fois la
[29]
puissance de la tour et le vertige causé par sa grande hauteur.

Dans certains cas, c'est le point de vue qui s'élargit, lorsque par exemple le rêveur a le
sentiment de voir dans toutes les directions à la fois: « Au cours d'un rêve lucide, il arrive
que nous suscitions consciemment des phénomènes perceptifs absolument différents de ceux
qui se produisent à l'état de veille comme, par exemple, un champ visuel panoramique de
[30]
360 degrés, aussi bien verticalement qu'horizontalement » . La perception de l'espace
devient donc, par moment, différente de celle de l'état de veille sans pour autant
s'accompagner d'un sentiment d'irréalité. Vue sous cet angle, la lucidité permet
d'appréhender un mode d'expérience de l'espace qui, autrement, serait interprété au réveil
comme un rêve confus. Epistémologiquement, la lucidité ouvre donc bien à un autre type
d'expérience spatiale onirique, non parce que ces expériences sont fondamentalement
différentes des autres, mais parce qu'elle en permet une connaissance nouvelle.

En va-t-il de même de l'organisation temporelle du rêve? Nous conservons souvent de


nos rêves ordinaires le souvenir d'une succession de séquences équivalentes à celles d'un
film, ce qui implique que le rêveur n'a pas à proprement parler l'impression qu'un temps
onirique s'est réellement écoulé lorsqu'il se remémore un rêve. De ce point de vue les
souvenirs du rêve se rapprochent de ceux de la vie diurne qui nous renvoient à des
événements dont l'apparence de continuité s'organise autour d'un sens plutôt qu'au
sentiment de l'écoulement du temps. Dans le cas de la vie diurne, ce sentiment n'est pas
représentable: on se souvient un bref instant avoir senti le temps s'écouler
interminablement dans une période passée de son existence - sans pour autant éprouver
l'ennui que l'on évoque. En fait le sentiment du temps qui s'écoule ne peut être réellement
appréhendé que dans le présent actuel. Il suppose également une certaine disposition
psychologique du sujet, une sorte de déphasage par rapport à la perception et à l'action, pour
en prendre conscience. Le rêve ordinaire n'a probablement aucune occasion de présenter un
tel décalage, le rêveur étant tout entier dans son rêve. En revanche la lucidité est
susceptible de le produire puisque le rêveur prend du recul par rapport à l'expérience onirique
en cours.

Ainsi le sentiment du temps peut se manifester pour lui à travers des attitudes telles
que l'attente ou l'ennui.

« […] Finalement je pars avec ma sœur en voiture. Dehors il fait nuit. nous
devons aller quelque part. […] Depuis la voiture je vois les lampadaires à lumière
violette. Ma sœur s'arrête à un feu. Nous attendons et je trouve que l'attente est
longue pour repartir alors que je suis en rêve lucide, je ne veux pas perdre trop
de temps. Néanmoins il est vrai que le rêve lucide dure depuis un certain temps
[31]
[…] » .

Dans ce rêve c'est l'idée même de lucidité qui alimente le décalage entre l'action et
l'activité psychologique ("alors que je suis en rêve lucide, je ne veux pas perdre trop de
temps"). Il est cependant difficile de déterminer si la lucidité se contente de permettre une
meilleure appréhension du temps vécu en rêve ou si elle en intensifie aussi le sentiment, de
la même façon qu'elle intensifie à certains moments les perceptions. En effet
l'expérimentation volontaire du sentiment d'écoulement du temps n'est pas toujours
compatible avec le déroulement du rêve :

J'étais en train de tester la continuité de la conscience lors du passage du


rêve à l'éveil en comptant dans le rêve avec l'intention de continuer au moment
du réveil et de poursuivre pendant quelques instants encore après m'être éveillé.
Je comptais à haute voix, régulièrement, en insistant délibérément sur chaque
chiffre. D'autres activités se poursuivaient dans la pièce. Quelqu'un s'étant mis à
me pincer la fesse, ce qui avait pour effet de me distraire. J'essayai de me
débarrasser de cet intrus en me secouant et, comme je n'y arrivais pas, je
décidai de faire comme s'il n'était pas là. Puis, j'eus dans la bouche des pépins de
raisin assez gênants. Il fallait que je les crache, et je devais être particulièrement
[32]
attentif à ne pas perdre le compte, ni le rythme de mon énumération.

La friction entre l'expérimentation que le rêveur se propose de mener à bien et le


contenu du rêve contribue certainement à ressentir le temps qui s'écoule, particulièrement
lorsque le sujet craint de ne pas maintenir sa lucidité assez longtemps pour la mener à
terme.

Ainsi, tout en ouvrant la conscience du rêveur au temps et à l'espace du rêve, la


lucidité donne aussi à ces derniers une dimension plus large. Cet effet d'amplification est
également présent à d'autres niveaux de l'expérience onirique.

II. Le degré affectif du rêve lucide


On constate notamment cet effet d'amplification en ce qui concerne les émotions qui
sont en rêve lucide au moins tout autant ressenties qu'à l'état de veille. Les émotions et les
sentiments sont considérés par le sujet éveillé comme lui étant plus intérieurs que la
perception, car ils ne se présentent pas comme des données de l'expérience commune mais
dépendent intimement de lui. Mais, par ailleurs, le sujet éveillé a souvent l'impression de les
subir, contrairement à ses pensées qui sont plus facilement modifiables au gré de ses désirs.
En ce sens, à l'intérieur même de sa subjectivité, il reconnaît des niveaux d'extériorité ou
d'intériorité selon qu'il pense avoir plus ou moins prise sur ce qui lui arrive. La lucidité montre
que le rêveur ressent cette différence entre perception, émotion et pensée, de la même
façon. Toutefois, si cette différence apparaît aussi clairement, elle ne garantit pas une
similitude de manifestation ou de déroulement. Il est bien connu qu'en rêve ordinaire les
émotions et les sentiments sont vécus avec une intensité qui souvent dépasse de loin ce qui
est habituellement ressenti à l'état de veille et laisse dans la mémoire une empreinte d'une
force indiscutable. Puisque la lucidité, qui permet au rêveur de prendre conscience de son
environnement onirique, tend à intensifier ses perceptions, on s'attendra logiquement à ce
qu'il en aille de même pour les sentiments. Pourtant, d'une certaine façon, la lucidité devrait
également entraîner un certain détachement du rêveur vis-à-vis de son rêve et donc tendre à
nier l'émotion. Il nous faut donc déterminer si et dans quelle mesure la lucidité renforce les
émotions et quelles transformations elle entraîne.

Le rôle de la lucidité dans la qualité affective du rêve est plus complexe à déterminer
que pour les perceptions oniriques qui sont vivifiées par l'attention consciente. On constate
quotidiennement que l'attention spontanée portée à une émotion la modifie puisque son
observation suppose une certaine dissociation du sujet par rapport à elle. Or, en rêve, la
lucidité ne provoque apparemment pas une telle dissociation et semble même plutôt
intensifier les émotions présentes: ainsi la modification de la tonalité affective entre dans le
changement qualitatif constaté par lorsqu'il comprend qu'il est en train de rêver (« Jamais je
n'avais été aussi totalement à mon aise, jamais je n'avais eu l'esprit aussi clair, ni éprouvé un
tel sentiment de puissance divine, d'inexprimable liberté! Les mots ne peuvent décrire une
[33]
sensation aussi exquise » ). Dans son rêve, la lucidité modifie un sentiment de beauté
déjà présent dans le passage non lucide qui précède (« Dans l'éclairage magique des
[34]
premiers rayons, même à ce moment du rêve, le paysage, déjà, était fort beau » ) en
l'intensifiant. La lucidité ne dissocie donc pas nécessairement le rêveur des sentiments du
rêve et, plus encore, elle peut même y introduire des émotions nouvelles (« brusquement:
"mais je rêve! mais c'est un rêve! et je suis en rêve lucide!" Youpi! Je m'envole
immédiatement en me répétant "je suis en rêve lucide". Je survole la colline, en notant
[35]
quelques transformations, mais surtout joie de l'ivresse du vol » ). Dans ce passage
c'est la lucidité qui est pour la rêveuse la cause de sentiments particuliers, directement (la
joie d'être lucide) ou indirectement (l'ivresse du vol).

Cependant, si l'apparition de la lucidité ne signifie pas nécessairement, comme on


aurait pu s'y attendre, une atténuation de la qualité affective du rêve, la capacité de
dissociation qu'elle suppose existe bel et bien (même lorsque les sentiments ressentis sont
provoqués par la conscience de rêver) et se manifeste dans la capacité à "contenir l'émotion"
(« si notre attention est soutenue, l'excitation provoquée par la joie de découvrir notre
pouvoir et notre liberté risque de nous éveiller. Nous devons donc nous efforcer […] d'éviter
[36]
l'éveil en contenant notre émotion » ). La tentative de contrôle d'une émotion
submergeante indique nettement chez le rêveur lucide une capacité à se détacher, dans une
certaine mesure, de ce qui est ressenti, sans pour autant le dissiper, et fait de la lucidité une
véritable puissance transformatrice, notamment lors des rêves désagréables. Les récits des
rêveurs lucides donnent fortement à penser que la présence de la lucidité dissipe les
sentiments négatifs, soit qu'elle pousse le rêveur à s'éveiller, soit qu'elle l'aide à les affronter,
soit encore qu'elle l'incite à les fuir. La lucidité apparaît alors comme introduisant une
modification radicale par rapport aux rêves non lucides dans lesquels surgissent de tels
sentiments. Plus encore, elle donne l'impression d'être une réponse à ces sentiments
négatifs, de constituer une sorte de technique dans la maîtrise des mauvais rêves. Dans les
rêves désagréables que nous avons examinés, tels ceux de Mary Arnold-Forster, il est
fréquent que le rêveur devienne lucide pour échapper au rêve. Dans ce cas, la lucidité est
en quelque sorte provoquée par le rêve pour remplir une fonction précise, celle de s'éveiller
ou de changer d'attitude. La lucidité aurait donc pour fonction d'entraîner une modification
affective. En fin de compte, elle modifierait l'émotion et la transmuterait en une autre, plus
acceptable pour le rêveur ou plus conforme à ses aspirations. Et il est de fait que, dans
nombre de rêves au cours desquels le rêveur devient lucide, on constate une transformation
de l'émotion initiale, comme dans le rêve au cours duquel Hervey de Saint-Denys, poursuivi
par des démons de cathédrale, trouve avec la lucidité le courage de les affronter et voit sa
peur faire place à la curiosité.

Pourtant, si un tel tableau est globalement exact, sa généralisation serait abusive car
la lucidité n'apporte pas nécessairement avec elle le moyen d'échapper aux sentiments
négatifs ou de les surmonter. S'il en est ainsi, c'est que les sentiments négatifs n'intéressent
pas la lucidité de façon directe. En examinant les récits de plus près, on se rend compte que
la lucidité ne fait que participer à des situations oniriques dans lesquelles elle peut ou non
être mise à contribution lorsque surgissent des sentiments négatifs, sans qu'une issue
positive soit assurée. L'issue ne dépend en effet pas de la lucidité mais de l'action menée par
le rêveur - lorsqu'une action est possible. Ainsi Hervey de Saint-Denys tout en étant lucide
doit néanmoins agir pour dissiper l'ancienne émotion qui avait raison de lui tant qu'il n'était
pas conscient de rêver, comme cela apparaît clairement dans son récit puisqu'il écrit que « le
[37]
désir de combattre ces illusions me donna la force de dompter ma terreur instinctive » et
[38]
qu'il doit faire « un effort de volonté assurément très caractérisé en cette circonstance » ,
ce qui ne l'empêche pas de recevoir un choc (« Le premier choc moral fut assez violent, je
[39]
l'avoue, tant l'esprit, même prévenu, a peine à se défendre d'une illusion redoutée » ).
Le "désir de combattre" et la "terreur instinctive" coexistent donc dans le même rêve, au
moins pour un temps, avant que n'ait lieu la transformation définitive (« l'amour de l'étude
l'emportant déjà sur toute autre émotion »). Ce sont donc en fait deux types d'émotions ou
de sentiments qui entrent en rapport (ici qui s'affrontent) du fait de la lucidité, et non la
lucidité qui contredit l'aspect affectif du rêve. Si une émotion fait place à une autre, ce n'est
pas tant en raison d'une transformation que d'un déplacement de la focalisation affective.
La lucidité peut servir d'intensificateur mais, par elle-même, elle ne modifie en rien une
émotion onirique préexistante ; elle favorise simplement l'émergence de tonalités affectives
différentes et leur insertion dans la situation onirique.

S'il en est ainsi, la capacité d'ouverture à d'autres types d'émotions doit être fonction
de l'intensité de la lucidité. On constate en effet que les rêveurs peu lucides adoptent
généralement vis-à-vis de leurs émotions des comportements montrant qu'ils disposent d'un
choix d'actions plus large que dans le rêve ordinaire mais néanmoins limité en regard d'une
lucidité plus étendue. Ils peuvent par exemple profiter de leur lucidité pour fuir une situation
stressante ou accentuer une émotion agréable. Ces réactions, pour légitimes qu'elles nous
semblent, constituent pour certains l'indice d'une lucidité faible car d'autres comportements
sont envisageables dans les mêmes situations. Ainsi LaBerge considère qu'un « problème
majeur peut se poser pour le rêveur lorsqu'il devient juste assez lucide pour comprendre
qu'il possède le pouvoir de s'éveiller ou d'éviter de quelque autre manière une expérience
désagréable et qu'il le fait, au lieu de résoudre le conflit. Je m'en aperçus moi-même au cours
[40]
de l'un de mes premiers rêves lucides » :

Je suis en train de m'évader en descendant le flanc d'un gratte-ciel à la


manière d'un lézard, lorsque je réalise que c'est un rêve et que je peux donc très
bien m'échapper en volant. Je m'envole donc et le rêve du gratte-ciel s'efface
pour faire place à une scène dans laquelle [un certain professeur] fait, sur mon
rêve, le commentaire suivant: "Stephen a compris qu'il rêvait et pouvait voler, ce
qui est une bonne chose, mais malheureusement il n'a pas songé que, si c'était
[41]
un rêve, il n'y avait aucune raison qu'il essaie de s'enfuir".

Si cette attitude de fuite est favorisée par la lucidité, elle n'est cependant pas le fait de
la lucidité en elle-même. Car dans la mesure où la lucidité facilite l'introduction d'émotions
nouvelles dans le rêve, elle permet aussi bien au rêveur de manifester du courage (comme
Hervey de Saint-Denys face aux démons de cathédrale ou LaBerge face au génie du
printemps) que des attitudes moins dignes. La lucidité n'est pas porteuse d'un type d'émotion
particulier ni d'émotions nouvelles qui lui seraient intrinsèquement liées, mais elle offre plutôt
au rêveur la possibilité de choisir parmi toute une gamme d'émotions. Le rêveur lucide qui
cherche à modifier des sentiments désagréables lutte apparemment contre ce qu'il ressent
comme une limitation de son être. Or, surmonter un sentiment entraîne nécessairement la
représentation (donc l'actualisation possible) de celui que l'on juge préférable. Ainsi le
désir de rejeter une terreur paralysante suppose en même temps celui d'éprouver une
sérénité sans limites. Dans ce processus, le rôle de la lucidité n'est pas fixé: le choix de sa
conduite dépend de la personnalité du rêveur. En ce sens la lucidité donne une plus grande
liberté, sans pour autant déterminer de façon prévisible une nouvelle attitude. Ce qui peut
tromper un lecteur extérieur, c'est que, dans certains cas, les raisons de ce choix sont, pour
le rêveur, suffisamment évidentes pour qu'il n'éprouve pas le besoin de les signaler dans son
récit, et donnent ainsi l'impression erronée que la lucidité apporte en elle-même une
transformation affective.

Les modifications affectives sont donc plus liées à la liberté de choix que permet la
lucidité qu'à sa seule émergence, et l'étendue de cette liberté est apparemment fonction du
degré de lucidité. Pourtant cela ne signifie pas qu'elle ne dépende que du rêveur. Si
l'intensification et le changement des émotions sont possibles lorsqu'on passe du rêve
ordinaire au rêve lucide, les choix offerts au rêveur, pour aussi étendus qu'ils soient, affectent
avant tout son attitude. Or, un changement d'attitude n'a de sens que dans et par une
situation donnée. Par exemple la volte-face d'Hervey de Saint-Denys a un sens puisqu'il
dispose de démons à affronter. Aurait-elle encore un sens s'il éprouvait une peur sans
support perceptible dans son environnement onirique? Il faut faire ici une distinction entre les
émotions auxquelles le rêveur cherche lucidement à avoir accès pour réagir à une situation
onirique donnée et celles qui se situent à l'arrière plan de toute lucidité, indépendamment du
contexte, et qui sont ou non acceptées par le rêveur. La lucidité peut en effet introduire des
émotions qui semblent en rapport non pas avec la situation onirique (joie de se savoir en
train de rêver, ivresse de voler ou encore courage d'affronter des démons) mais avec
l'intensification de la conscience. Il arrive fréquemment que le passage à la lucidité déclenche
un sentiment de joie à la fois sans rapport avec la tonalité affective de la partie précédente
du rêve et tout à fait disproportionné par rapport à la simple joie de la réussite, même
amplifiée par l'état de rêve.
Après avoir lu l'article ("Le rêve lucide et le processus d'évolution"[…]),
j'allai me coucher, pleine d'un fort désir de tenter l'épreuve. Je dormis d'un
sommeil agité jusqu'à l'aube sans aucun rappel de conscience. Puis, il y eut une
très belle expérience. "Je devais m'occuper d'un bébé qui était très sale. Il était
assis sur son pot. Je me demandais comment trouver la salle de bains, sans me
faire remarquer, pour pouvoir le laver. Tenant le bébé, j'eus le sentiment très net
qu'il aurait dû être plus âgé et ne plus se salir. Je regardai de près son visage
plein de sagesse et, tout à coup, je sus que j'étais dans un rêve.

Tout excitée, je tâchai de me souvenir des conseils que j'avais lus dans
l'article, mais la seule pensée qui me vint fut "Expérience ultime". Une
sensation bienheureuse l'emporta bientôt sur tout le reste - tout se fondait, se
mélangeait, il y avait des couleurs et de la lumière - s'ouvrant, pour finir, sur un
"orgasme" total. Doucement, comme en flottant, je revins à la conscience
éveillée. Il y a de cela six jours et, depuis, un sentiment de joie bouillonnante n'a
[42]
cessé de m'habiter.

Ces sentiments de joie sont souvent tellement intenses qu'ils débordent largement sur
l'état de veille (« Il y a de cela six jours et, depuis, un sentiment de joie bouillonnante n'a
cessé de m'habiter »), ce qui indique nettement qu'il ne s'agit pas d'une intensité affective
que l'on trouve couramment dans le rêve ordinaire, même lorsqu'ils sont nettement en
rapport avec le contenu du rêve.

[…] Bien que je n'aie pas programmé de vol, quelque chose, dans le rêve,
m'y fit penser ; je m'élançai simplement en l'air - dans le style de Superman - et
je me mis à voler. La sensation était l'une des plus heureuses et des plus
réalistes que j'aie connues en rêve. Quand j'étais plus jeune, il m'arrivait aussi de
faire des rêves de vol, mais ils consistaient plutôt à flotter, et jamais plus haut
que la cime des arbres. Jamais je ne contrôlais mon vol aussi bien que dans ce
rêve lucide. Je suivis en volant un canyon de grands immeubles, prenant
graduellement de la hauteur. Les bâtiments firent place à un parc, au-dessus
duquel je me livrai à une série d'acrobaties aériennes. Ce fut mon dernier rêve de
[43]
la nuit, et mon sentiment de bonheur dura toute la journée suivante.

Comme dans l'exemple précédent, le sentiment de joie déborde sur l'état de veille de
façon persistante, ce qui incite à se demander si, dans les cas où il semble provoqué par la
situation onirique, par exemple lorsque le vol ou les acrobaties aériennes déclenchent
apparemment une certaine ivresse, ce ne serait pas en fait l'inverse qui se produirait: ce
serait la joie intense à laquelle la lucidité donnerait accès qui fournirait au rêve une forme
dans laquelle elle pourrait se manifester pour le rêveur, et le vol ou les acrobaties seraient la
conséquence de cette joie et non l'inverse. La distinction entre les choix de comportements
affectifs offerts au rêveur par la lucidité et les émotions qui accompagnent la lucidité peut
donc s'avérer délicate. Leur identification est cependant relativement aisée dans certains cas.
En effet, les émotions sans support onirique sont souvent directement liées à l'état de
lucidité.

Nous avons donc vu d'une part que la lucidité ne provoque pas nécessairement le
surgissement d'émotions qui constitueraient une réponse à la situation onirique mais que le
changement d'attitude dépend entièrement du rêveur ; et d'autre part que la lucidité entraîne
avec elle des émotions indépendantes du contexte onirique et qui tendent à submerger le
psychisme du sujet jusque dans l'état de veille. Toutefois, les exemples que nous venons de
donner pourraient nous faire tomber dans une autre erreur qui consisterait à poser que ces
émotions hors contexte sont nécessairement agréables. En réalité, les journaux de rêves
montrent que ce qui caractérise les sentiments qui accompagnent la conscience de rêver, ce
n'est pas leur qualité agréable ou désagréable, mais leur intensité. Ainsi, lorsqu'un rêveur est
pris de panique parce qu'il se rend compte qu'il ne parvient pas à se réveiller, on a affaire à
une émotion qui ne saurait exister indépendamment de la lucidité et qui est loin d'être
agréable.

Je continuai ma promenade, goûtant avec délices la beauté du matin et mon


propre sentiment de liberté. Je ne rencontrai personne, ce qui n'avait rien
d'étonnant à une heure pareille. Je ne sais combien de temps je continuai ainsi -
dans le monde du rêve, les questions de temps sont toujours confuses - mais il
me vint à l'esprit qu'il faudrait maintenant rentrer dans mon corps. Il fallait que
je sois au collège à neuf heures. Je n'avais aucune idée de l'heure qu'il pouvait
être dans le monde terrestre, sauf que c'était probablement le matin. Je décidai
donc de mettre fin au rêve par un effort de volonté et de me réveiller. A ma
grande surprise, il ne se passa rien. C'était comme si un homme déjà réveillé
essayait de le faire une seconde fois. Je ne voyais pas comment je pourrais être
plus éveillé que je l'étais. Ma raison me disait bien que la côte, les vagues
ensoleillées, malgré leur apparente matérialité, n'étaient pas la terre et la mer du
monde physique, que mon corps était couché dans mon lit à un demi-mile de là,
à Forest View, mais en vain. Je n'arrivais pas à en éprouver la réalité. Il semblait
que j'étais entièrement coupé de mon corps physique. A ce moment, je vis un
homme et un adolescent qui venaient à ma rencontre. Ils me croisèrent, se
parlant entre eux, et ne parurent pas m'avoir vu, mais je n'en étais pas certain.
Cependant, un peu plus tard, je rencontrai un autre homme et lui demandai
l'heure. Il ne répondit pas. Visiblement, il n'était pas conscient de ma présence.
Je me demandai alors si je n'étais pas "mort", ou, pis encore, si on n'allait pas
me croire mort, si je ne courais pas le risque d'être enterré vivant. Quelle heure
était-il? Quelle était l'heure réelle sur la terre? Combien de temps ce rêve avait-il
duré?

Je commençai à me sentir terriblement seul. C'était pour moi une expérience


toute nouvelle. Jusqu'alors, je m'étais toujours éveillé quand je l'avais décidé -
en vérité, mon problème était plutôt que je me réveillais trop facilement.
Maintenant, je commençais avoir peur, il était difficile de me contrôler et de ne
pas céder à la panique. Désespérément, je m'efforçai de commander mon réveil
[44]
et je recommençai sans cesse, jusqu'à ce que la tension atteigne son comble.

Dans ce récit, la panique du rêveur se manifeste en l'absence de tout support perceptif,


ce qui lui interdit le choix d'une action onirique spécifique et, par là, celui d'une émotion
appropriée. Cette terreur découle cependant bien de la lucidité car, si le rêveur ne se savait
pas en train de rêver, il ne craindrait évidemment pas de ne pas pouvoir se réveiller. En ce
sens, il est clair que la lucidité ne garantit pas par elle-même la sérénité du rêveur à qui
incombe la responsabilité de son malaise. La lucidité peut donc introduire dans le rêve des
sentiments négatifs extrêmement puissants qui n'étaient pas présents avant elle et dont elle
est d'une certaine façon la cause.

Le rêveur lucide peut donc constater que les émotions oniriques surgissent selon des
modalités diverses et que le choix d'une attitude propre à une émotion donnée s'opère
uniquement dans un contexte onirique et non à la façon d'un démiurge, malgré la présence
de la conscience de rêver. On peut d'ailleurs remarquer que, même lorsque le rêveur profite
de cette possibilité de choix pour explorer une tonalité affective donnée, il adopte
spontanément une attitude restrictive qui consiste à n'explorer que celles pouvant lui
procurer quelque agrément.

« […] L'image intense d'une route m'apparut et, concentrant mon


attention sur elle, je parvins à m'introduire dans le paysage. A cet instant, je
perdis la sensation de mon corps, d'où je conclus qu'en fait j'étais endormi. Je
me retrouvai en train de descendre la route du rêve, au volant de ma voiture de
sport, parfaitement conscient de rêver. J'étais enchanté par la vibrante beauté du
décor offert par mon rêve lucide. Un peu plus tard, je rencontrai une
auto-stoppeuse très séduisante, une authentique créature de rêve, juste devant
moi, du même côté de la route. Inutile de dire que j'avais très envie de m'arrêter
pour la prendre. Mais je me suis dit: " J'ai déjà fait ce rêve auparavant. Si
j'essayais quelque chose de nouveau? " Aussi, je la dépassai et, au lieu de cela,
je résolus de chercher le " Plus Haut ". Dès que je m'ouvris à sa gouverne, ma
voiture bondit dans les airs, grimpant rapidement, jusqu'à ce qu'elle retombe
derrière moi comme le premier étage d'une fusée. Je continuai de voler plus haut
dans les nuages, dépassant la croix d'un clocher, une étoile de David et d'autres
symboles religieux. Comme je m'élevais encore, au-delà des nuages, je pénétrai
dans un espace qui semblait un vaste royaume mystique: un immense vide,
néanmoins plein d'amour ; un espace illimité qui donnait pourtant l'impression
d'un chez-soi. Mon état d'esprit s'étant élevé aux mêmes hauteurs, je me mis à
chanter, inspiré par l'extase. La qualité de ma voix était vraiment stupéfiante -
elle couvrait tout le registre, de la basse la plus profonde au soprano coloraturo -
et j'avais le sentiment d'embrasser le cosmos entier dans sa résonance. Comme
j'improvisai une mélodie qui paraissait plus sublime que tout ce que j'avais
entendu auparavant, l'intention de mon chant se révéla d'elle-même et je chantai
[45]
ces mots: " Je Te loue, ô Seigneur! " »

Nous voyons que, même dans ce récit où le chercheur essaie de dépasser un sentiment
agréable, ce n'est pas, contrairement à ce qu'il croit (« Si j'essayais quelque chose de
nouveau? »), pour explorer des tonalités fondamentalement différentes ou inconnues mais
pour connaître une qualité d'émotion plus élevée (« je résolus de chercher le " Plus Haut " »).
En réalité lorsque s'offre la possibilité de vivre un état onirique réellement inconnu, le rêveur
ne peut dominer sa panique et refuse l'expérience, même s'il lui faut lutter pour se réveiller.

III. L'activité mentale du rêveur lucide


Puisque la lucidité apporte manifestement une modification à la qualité perceptive et
affective du rêve, on s'attend assez logiquement à ce qu'il en aille de même en ce qui
concerne les facultés intellectuelles. Pourtant, si la lucidité entraîne effectivement des
modifications à un niveau que l'on peut qualifier de "mental" à l'intérieur du rêve, il n'est que
trop facile de se tromper sur leur nature. On a longtemps considéré le rêve comme une sorte
de désordre mental par rapport à l'activité intellectuelle de l'état de veille, ou tout au moins
comme une sorte de relâchement de la concentration du sujet et, par là, de ses facultés
mentales. Même si l'existence du rêve lucide remet en question cette façon de voir en tant
que loi générale, il est toujours possible de considérer que la lucidité introduit dans le rêve la
concentration et l'ordre qui lui faisaient défaut au point de vue de la vie mentale. On
conserve ainsi une vue bergsonienne du rêve en faisant place à une exception, le rêve lucide.
C'est un peu ainsi que l'envisagent certains auteurs pour qui le rêve lucide équivaut à
l'introduction, en rêve, de la conscience de veille et, par là, des facultés qui lui sont liées. Or,
nous avons vu qu'il n'en va pas ainsi. Les facultés intellectuelles peuvent être tout à fait
présentes dans le rêve ordinaire et ce qui donne une impression de désordre ou
d'incohérence mentale n'est pas tant une absence ou une mauvaise utilisation de ces facultés
que l'existence d'un autre système de référence que celui de l'état de veille, autant en ce qui
concerne le raisonnement que la mémoire. La conscience de rêver permet éventuellement
d'adopter le système de référence de l'état de veille, ou de relativiser celui du rêve, mais elle
ne correspond pas automatiquement à la présence de la conscience de l'état de veille, ce que
montre le rêve que nous venons de rapporter et plus précisément le commentaire du rêveur :
« Au réveil, ce remarquable rêve lucide m'apparut comme l'une des plus belles
expériences de ma vie. Il donnait l'impression d'avoir un sens profond. Toutefois, je ne
saurais dire avec exactitude en quoi résidait sa profondeur, ni évaluer sa signification. Quand
j'essayai de comprendre les mots qui, d'une certaine façon, condensaient le sens de cette
expérience - "Je Te loue, ô Seigneur!" - je m'aperçus que, au contraire de ce que je
comprenais pendant le rêve, je ne saisissais à présent cette phrase que dans le sens qu'elle
aurait dans le monde de veille. Il semblait que la signification ésotérique perçue en rêve
dépassait mon entendement embrumé à l'état de veille. Sur ce que cette louange ne voulait
pas dire, je peux affirmer que dans cet état transcendant d'unité, il n'existait ni "Je" ni "Tu".
Nulle place en ce lieu pour "Je" et "Tu", mais seulement pour l'un. Qui de nous, alors, s'y
trouvait? Mon "Je" personnel - le sentiment d'individualité de mon moi onirique - était absent.
N'était présent que "Tu". Mais dans ce royaume, "Je" était "Tu". Par conséquent, j'aurai aussi
[46]
bien pu chanter: "Je Me loue…", sauf qu'il n'existait pas vraiment de "moi" non plus! » .

Le rêveur semble donc dépourvu de toute attitude rationnelle alors même qu'il est
parfaitement conscient de rêver. Or, il ne met pas cette irrationalité sur le compte d'un
désordre intellectuel propre au rêve mais sur la limite de son entendement (« la signification
ésotérique perçue en rêve dépassait mon entendement embrumé à l'état de veille »), ce qu'il
n'aurait probablement pas été enclin à faire au sujet d'un rêve ordinaire. La lucidité lui a donc
permis de constater un changement de système de référence pour lequel les facultés
intellectuelles sont absentes et même, semble-t-il, non nécessaires. Ainsi ce n'est pas la
conscience habituelle de l'état de veille qui s'introduit en rêve avec la lucidité - si l'on
considère que cette dernière entraîne obligatoirement avec elle la faculté de raisonner:
l'apparition de la lucidité en rêve ne garantit pas celle des facultés intellectuelles, elle permet
plutôt une prise de conscience de systèmes de référence différents.

Cependant, lorsque les facultés intellectuelles sont présentes en rêve, peut-on


considérer que la lucidité leur apporte une qualité particulière, comparable à l'intensification
des perceptions et des émotions? Cela signifierait que la conscience même des opérations
intellectuelles en rêve suffirait à en modifier la qualité et, dans ce cas, il faut examiner avant
tout la façon dont la lucidité se porte sur elles. L'usage lucide des facultés mentales suppose
que le sujet puisse prendre du recul par rapport à ses perceptions oniriques. Si en effet le
rêveur "colle" au rêve, il ne peut y avoir place pour une activité mentale autre que celle
découlant du rêve même. Dans ce cas, cette activité accompagne naturellement le rêve
ordinaire.

« Je crois recevoir la visite d'un parent dont la femme était au plus mal il y a
quelques jours. J'hésite à lui en demander des nouvelles ; car il est vêtu de noir.
Je songe, cependant, que la couleur de ses habits n'est qu'une présomption
insuffisante pour le croire en deuil. C'est son chapeau qu'il faut voir. Est-il
entouré d'un crêpe? Je m'approche donc sans affectation d'un meuble sur lequel
il a déposé ce chapeau, afin de savoir à quoi m'en tenir avant d'entamer la
[47]
conversation » .

Dans ce rêve le raisonnement suppose bien un recul par rapport à une situation, mais il
est appelé par elle et fait partie intégrante du rêve. En d'autres termes il ne dévie pas par
rapport au rêve. Or, la lucidité implique pour sa part un décalage qui ne s'inscrit aucunement
dans la logique du rêve.

« Je suis malade et préoccupé de la pensée que je dois prendre une potion


le matin. J'y rêve. La potion préparée est placée sur une table, près de mon lit ;
je crois que je viens de me réveiller, et je me dispose à la boire, mais je
remarque qu'elle s'offre à mes yeux dans une tasse où j'avais coutume de la
trouver, et je me rappelle parfaitement que cette tasse, ayant été brisée la veille,
est remplacée par une autre de forme très différente. J'en conclus que je suis le
jouet d'un rêve, et que, pour boire réellement cette potion, je devrais d'abord me
réveiller. Je réfléchis toutefois que j'ai besoin de sommeil, et que je me réveillerai
toujours assez tôt. Je ne fais donc aucun effort pour amener le réveil, et je
[48]
m'abandonne au contraire aux illusions du songe » .

Le raisonnement est ici en décalage par rapport au rêve: la réflexion porte sur une
décision à prendre concernant l'utilité de se réveiller et ne dépend pas du contenu perceptible
du rêve. Mais, si l'activité mentale n'est pas subordonnée au contenu du rêve, cela ne signifie
pas qu'elle est affranchie de toute contrainte et que la perception onirique se développe dans
un sens tandis que la pensée suit un autre chemin. En réalité, ce qui fait la relative
indépendance de l'activité mentale du rêveur lucide c'est la possibilité de mettre l'accent soit
sur ce qui est perçu en rêve, soit sur la considération qu'il s'agit d'un rêve - et donc de porter
la pensée vers des souvenirs différents. Il semble que, tout comme à l'état de veille, le
rêveur peut "s'abstraire" du contexte perçu sans pour autant entraîner sa disparition. On s'en
rend compte avec les tentatives infructueuses de certains rêveurs pour changer de rêve tant
qu'ils n'ont pas eu recours à un artifice perceptible (tel Hervey de Saint-Denys mettant la
main sur ses yeux pour faire disparaître la scène onirique en cours).

Il est cependant clair que ce décalage ne peut être comparé à l'intensification des
perceptions et des émotions que confère parfois l'éclairage de la lucidité. Si, au contraire, une
telle intensification a lieu, elle doit être un effet non d'un décalage mais d'une observation
plus attentive pour le rêveur de sa propre activité mentale grâce à la lucidité. Il y aurait là
une sorte de focalisation de l'attention sur les processus mentaux.

[…] La bande de jeunes et le hall avaient une plus grande netteté dans le
détail. Tout en marchant, il me vint une idée: c'était le moment ou jamais de
tenter une expérience, de profiter de l'état de lucidité avant qu'un événement
quelconque me réveille. J'essayai un problème de math. Cela paraissait simple,
en tout cas pas trop compliqué. J'étais curieux de savoir s'il était possible de
résoudre en rêve un problème de math. Je m'approchai d'un pupitre en bois,
sortis d'un tiroir un morceau de papier et y inscrivis quelques questions
arithmétiques (8 x 7, 4 x 2, 3 x 2 et, je crois, 9 x 3). La plupart des types du
gang s'étaient dispersés, me laissant seul pour résoudre mon problème, à
l'exception d'un seul qui restait là, près du mur, à me regarder faire.

Je commençai par 8 x7… il était extrêmement difficile de me concentrer, et


j'obtins une réponse fausse. Je recommençai, arrivant cette fois au résultat
exact: 56. J'étais tout content. Voilà que j'étais arrivé à faire une opération
arithmétique dans un rêve! Le jeune gars s'approcha et me demanda si je ne
voulais pas me joindre à lui et à ses copains. Je dis que non, que je préférais
rester seul. A nouveau, j'eus quelque difficulté à me concentrer, mais le résultat
était juste. Je portais maintenant toute mon attention sur les opérations. Je
commençais à ressentir une pression dans les yeux. J'avais une sensation proche
de celle qui se produit quand on tourne rapidement sur soi-même et qu'on
éprouve un léger mal de tête, ou quand on essaie de lire dans un véhicule en
mouvement, mais cela ne m'inquiétait pas. Le plus curieux, le plus bizarre, c'est
qu'à chaque réponse juste je ressentais une expansion dans mon esprit.

La lucidité du rêve s'accrut et ma vision périphérique fut grandement


augmentée. J'avais aussi la sensation d'avoir un corps de rêve plus solide. Je
[49]
voyais mes mains et mes pieds avec plus de clarté.

Dans ce rêve, le surgissement de lucidité intensifie la perception onirique ("La bande de


jeunes et le hall avaient une plus grande netteté dans le détail") et modifie la qualité affective
("Leur soudaine amitié me fit plaisir, mais je restai prudent […] J'éprouvais une grande joie à
[50]
être lucide." ) mais ne porte pas les capacités intellectuelles au niveau de la vie de
veille puisqu'un calcul très simple, la multiplication de deux chiffres, s'avère difficile à
résoudre ("Je commençai par 8 x7… il était extrêmement difficile de me concentrer, et
j'obtins une réponse fausse".) Là encore la lucidité n'implique pas automatiquement
l'apparition de ces capacités. En revanche leur exercice délibéré, en augmentant la
concentration du rêveur, intensifie la lucidité ("à chaque réponse juste je ressentais une
expansion dans mon esprit. La lucidité du rêve s'accrut") qui, à son tour, intensifie la
perception onirique ("ma vision périphérique fut grandement augmentée. J'avais aussi la
sensation d'avoir un corps de rêve plus solide. Je voyais mes mains et mes pieds avec plus de
clarté"). Ainsi l'exercice des facultés intellectuelles semble moins dépendre de la lucidité que
l'inverse.

Le fait que le travail intellectuel soit susceptible d'intensifier une lucidité déjà présente
est à mettre en rapport avec un autre que nous avons déjà constaté, l'impact plus fort sur
l'émergence de la lucidité de l'exercice de la réflexion (même erronée comme dans le cas de
Delage) que la simple reconnaissance d'une incongruité. Ce ne serait donc pas tant l'activité
intellectuelle qui provoquerait ou intensifierait la lucidité que le degré de concentration qu'elle
requiert.

IV. Les actes oniriques du rêveur lucide


Le rêveur lucide n'agit pas de la même façon que le rêveur ordinaire. Parce qu'il
reconnaît la qualité onirique de son environnement, il se trouve doté d'une liberté plus grande
pour interagir avec son rêve. Néanmoins, cette liberté n'indique pas nécessairement que ses
actes sont différents par nature de ceux du rêve ordinaire. La volte-face d'Hervey de
Saint-Denys face aux démons de cathédrale est certainement due à la lucidité mais, en
elle-même, elle se trouve dans maints rêves non lucides. De même, l'action à la manière d'un
démiurge sur l'environnement, qui apparaît souvent comme un phénomène lié à la lucidité,
appartient également au rêve ordinaire, comme nous l'a montré un autre rêve d'Hervey de
Saint-Denys et comme le souligne expressément Delage. Après avoir rapporté une série de
rêves conscients et dirigés, il mentionne une catégorie de rêves « particulièrement curieuse
et exceptionnelle » en ce que « le rêve devient véritablement dirigé dans sa totalité par la
[51]
volonté actuelle du rêveur sans pour cela devenir nécessairement conscient » :

« Je suis poursuivi par des gens qui en veulent à ma vie: ce sont ou des
malfaiteurs ou des sauvages ou souvent des soldats d'une puissance ennemie en
guerre avec la France. Je vais être atteint, quelquefois même je suis déjà pris,
quand une pensée surgit dans mon cerveau: je me rappelle qu'il y a un moyen
admirable de tromper la vigilance des poursuivants, c'est de me cacher dans une
caverne tout à fait inaccessible parce que son entrée est submergée et qu'il faut
plonger dans l'eau d'un lac pour y pénétrer. Remarquez qu'à ce moment il n'y a
dans mon rêve ni lac, ni caverne à l'état d'image mentale extériorisée, c'est une
simple pensée qui me vient au cerveau pendant que je fuis dans une rue ou dans
les corridors d'une maison. A ce moment, par un acte de ma volonté, je change
la scène et la transporte dans un autre cadre où se trouvent le lac et la caverne
nécessaires. Parfois même, s'il arrive que j'étais déjà pris, je remonte le cours
des événements et me replace à un moment où je ne l'étais pas encore pour
faire dérouler la scène dans une autre direction et lui donner une issue différente.
Donc je replace le tout, poursuivants et poursuivi, à bonne distance, je prends de
l'avance pour arriver le premier et sans être vu à l'endroit convenable du lac ; là,
je plonge et pénètre dans la caverne où j'éprouve un sentiment parfait de
sécurité, prenant même plaisir à entendre au-dessus de ma tête, séparés de moi
par une mince couche de terre, les pas des poursuivants à pied ou à cheval,
[52]
errant en tous sens, complètement désorientés » .

Si Delage n'en avait pas informé le lecteur, ce dernier aurait pu penser qu'il s'agissait
d'un rêve lucide. Or, non seulement il n'en est rien, mais de plus Delage semble attribuer à
sa non-lucidité le fait qu'il modifie aussi facilement le rêve alors qu'il ne peut en faire autant
dans les rêves totalement conscients où « le rêveur dirige son action dans le rêve par un acte
de sa volonté actuel bien que le théâtre de l'action, les gestes des figurants et le jeu des
[53]
acteurs autres que lui restent indépendants de sa volonté » . Dans l'ensemble, les
capacités du rêveur lucide (voler, passer à travers les murs, modifier le cours du rêve ou son
contenu) sont présentes dans des rêves non lucides (que nous avons appelés "rêves
associés au rêve lucide") peu nombreux, il est vrai, mais qui n'en sont pas moins dépourvus
de la conscience de rêver. En première approche, la lucidité offre donc au rêveur un choix
d'actions possibles, mais n'en introduit pas de foncièrement nouvelles dans le rêve.

Pourtant, il serait plausible de supposer que le rapport des actes du rêveur et de la


lucidité ne se limite pas simplement à un choix plus large mais possède dans certains cas une
dimension qualitative équivalente à celle de la perception, de l'émotion et de l'activité
mentale. Puisqu'une certaine intensité de la concentration mentale semble augmenter la
lucidité, pourquoi des types d'action requérant une concentration particulière ne seraient-ils
pas susceptibles de la faire émerger ou de la développer? De la même façon, il est tout aussi
plausible de supposer que certaines actions s'accomplissent en fonction de la lucidité
plutôt que du contenu du rêve, même lucide, et sont donc par là d'une nature différente de
celles que l'on rencontre dans les rêves non lucides.

L'examen empirique des récits montre bien que certaines actions des rêveurs lucides
n'existent que dans le contexte de la lucidité, dans la mesure où elles relèvent d'une
intention qui met en jeu la conscience de rêver, mais il ne met pas en évidence des actes
spécifiques. Certains actions sont inhérentes à la lucidité et ne sauraient avoir de sens
indépendamment d'elle, notamment lorsqu'elles visent à maintenir ou à mettre fin à la
lucidité. Vouloir prolonger le rêve parce qu'on le reconnaît pour tel peut mener à agir d'une
façon sans rapport avec le contenu du rêve, comme le montre Stephen LaBerge: « J'ai
récemment élaboré une technique pour éviter le réveil et produire à volonté de nouvelles
scènes oniriques lucides. J'avais été intéressé par le fait que la survenance de la lucidité
provoque souvent un réveil immédiat, coupant court à ce qui aurait pu être un rêve lucide
gratifiant. Etant donné que les actions oniriques exercent des effets physiques
correspondants, j'ai pensé que la relaxation de mon corps onirique devrait, en bonne logique,
[54]
empêcher le réveil en diminuant la tension de mon corps physique » , idée qu'il met à
l'épreuve dès qu'il est à nouveau lucide en rêve :

« Au moment où le rêve a commencé à s'estomper, je me suis détendu à


fond, me laissant tomber sur le plancher du rêve. Néanmoins, contrairement à
mon attente, j'ai eu l'impression de me réveiller. Mais comme je l'ai découvert
[55]
quelques minutes plus tard, ce n'était en fait qu'un faux-éveil » .

Par la suite « d'autres expériences de rêve lucide où je renouvelai le procédé vinrent


confirmer cet effet, me donnant à penser que l'élément essentiel n'était peut-être pas la
tentative de relaxation mais la sensation de mouvement. Au cours des rêves lucides qui
suivirent, j'ai testé toute une variété de mouvements oniriques et je me suis aperçu que la
chute en arrière et le tournoiement s'avéraient particulièrement efficaces pour déclencher des
[56]
rêves lucides de réveil » .

Tous les mouvements testés par LaBerge appartiennent de plein droit au rêve, même
s'ils sont utilisés à des fins qui ne concernent que la lucidité et même s'ils secouent, à
l'occasion, la trame du déroulement onirique en provoquant un faux-éveil. Ce qui indique
que, si la sensation kinesthésique permet de maintenir la lucidité, cela est probablement dû à
l'intensité de certains mouvements et à l'attention qu'ils réclament pour être effectués.

« […] je me rends compte que je suis dans un rêve mais que je vais me
réveiller. Tout est sur le point de se diluer. Je me souviens du conseil donné hier
par H… R… d'après Stephen LaBerge: il faut bouger pour maintenir le rêve. Je me
mets à bouger. C'est difficile. Je tourne sur moi-même comme une toupie, puis je
m'efforce de bouger les bras et les jambes en les lançant dans toutes les
directions. Il y a de nouveau un monde autour de moi, mais tellement réel que je
me dis que je ne suis pas en train de rêver - tout en sachant que c'est un rêve.
Je vais décider moi-même du décor. Je m'avance jusqu'à une fenêtre et décide
qu'il y a un remblai en ciment et même une cour à ce niveau. Prudent, je vérifie
qu'il en va bien ainsi avant de m'élancer. Je saute dans le vide et atterris sur le
[57]
remblai prévu […] » .

Dans ce récit il apparaît bien que c'est l'effort que fait le rêveur pour ressentir quelque
chose qui importe avant tout. Tourner sur soi-même ou tomber en arrière mobilise plus
l'attention que manipuler des objets ou voler, ou bien sûr que se relaxer. LaBerge insiste
d'ailleurs sur l'effort d'attention requis: « Dès que ma vision commence à s'estomper dans un
rêve lucide, soit je tombe en arrière, soit je tourne sur moi-même comme une toupie (dans
mon corps de rêve, bien entendu! ). Pour que le procédé fonctionne, il est important que la
sensation de mouvement soit vécue avec intensité. Cette technique engendre d'ordinaire un
nouveau décor onirique, qui représente souvent la chambre où je suis couché. En me
remettant sans cesse en mémoire, durant cette transition, que je suis en train de rêver, je
suis à même de poursuivre lucidement mon rêve dans le nouveau décor. Sans cet effort
particulier d'attention, je prends d'habitude le nouveau rêve pour un réveil véritable - et ceci
[58]
en dépit des absurdités souvent criantes de son contenu! » .
L'effort d'attention requis est donc double, il doit porter autant sur les sensations que
sur la lucidité. C'est donc la qualité de l'attention qui importe avant tout, ce qu'indique le fait
qu'elle produit le même résultat avec une méthode opposée, celle qui consiste à rester
immobile. Cette technique est préconisée par Hervey de Saint-Denys: « Affectez de garder
(en rêve) une immobilité complète, et concentrez fortement votre attention sur l'un des
menus objets dont l'image n'a point disparu, une feuille d'arbre par exemple. Cette image
retrouvera peu à peu toute la netteté qu'elle avait perdue, vous verrez renaître
graduellement la vivacité des contours et de la couleur, comme il en serait d'une image dans
la chambre noire, à mesure que vous l'amèneriez au point. Quand vous en serez revenu à
distinguer clairement les détails, vous pourrez mettre fin à cette contemplation momentanée,
et promener de nouveau les yeux de votre esprit sur les illusions qui vous entourent. Le rêve
[59]
aura repris son cours ; le réveil immédiat sera conjuré » . Ce qui infuse de la vie au rêve
c'est donc l'attention, qu'elle s'investisse dans l'acte de perception visuelle pour Hervey de
Saint-Denys ou dans les sensations proprioceptives pour LaBerge. En fait, la qualité
d'attention est la lucidité qui a besoin de s'investir dans les composants de l'expérience
onirique pour en éclairer l'ensemble. Tout se passe comme s'il lui fallait un ou plusieurs
points d'ancrage dont certains seraient privilégiés, sans bien sûr que l'on puisse déterminer
s'ils sont propres au rêveur ou au phénomène de lucidité. Ainsi certains actes intensifient la
lucidité lorsqu'ils lui servent de support mais ne possèdent pas cette propriété par
eux-mêmes.

§ 2. L'étude du rêve lucide en tant que rêve


Si le rêve lucide présente des aspects particuliers dus à la lucidité et qui ne sont
compréhensibles qu'en rapport avec elle, il n'en reste pas moins que, par d'autres côtés, il
peut être examiné en tant que rêve. Cela ne signifie pas qu'il faudrait dissocier, au cours du
même phénomène, ce qui relève de la lucidité ou se trouve en interaction avec elle d'avec ce
qui serait proprement onirique, mais plutôt que l'ensemble de l'expérience onirique lucide
comporte des éléments qui ne s'expliquent que par la présence de la lucidité tandis que
d'autres ne dépendent pas nécessairement d'elle. Il en ressort que, dans les limites d'une
analyse qui aide à discerner ce qui est spécifique de la lucidité et ce qui ne l'est pas, toute
information sur le rêve lucide est aussi une information sur le rêve. La comparaison de ces
aspects plus typiquement oniriques que lucides à ceux des rêves non lucides permet à la fois
de mieux les cerner et d'enrichir la compréhension de ce dernier type de rêve.

Ainsi pour reprendre un exemple déjà rencontré, le problème classique de savoir si


l'on rêve en couleurs ou en noir et blanc, la question reste impossible à trancher avec
certitude, même si la présomption est forte, tant qu'on ne dispose pas de l'expérience
consciente du rêve. Toutes sortes d'hypothèses explicatives peuvent être mises au point dans
un sens ou dans l'autre malgré ce qui semble être une évidence contraire. Ainsi, dans le cas
où l'idée que l'on se fait du rêve se trouve en inadéquation avec des récits indiquant
l'existence de couleurs, on supposera que le rêve est en noir et blanc mais que la couleur est
ajoutée au souvenir du rêve par une sorte de réflexe mental ; et même si cette hypothèse
n'explique pas pourquoi certains objets oniriques sont dotés d'une couleur qui ne leur
correspond pas, des aménagements théoriques peuvent toujours être trouvés. A l'inverse,
lorsque les partisans de la couleur constatent que des rêves sont rapportés en noir et blanc,
ils peuvent toujours poser l'hypothèse que la couleur est présente mais que son souvenir se
perd plus rapidement que celui des formes ou des mouvements oniriques.

Le rêve lucide apporte une réponse à ce genre de questions autrement insolubles dans
la mesure où l'on admet non seulement qu'un rêveur conscient de rêver est capable, en rêve,
d'une attention plus intense qu'un rêveur ordinaire aux nuances de son expérience, mais
aussi que la conscience de son état lui garantit tout autant la validité de ses souvenirs
oniriques que de ceux concernant l'état de veille. Dans ce cas, comme souvent dans d'autres,
il s'avère que la réponse ne confirme ni l'un ni l'autre parti, puisqu'un même rêveur peut
avoir des rêves lucides en couleurs et en noir et blanc. Le défaut de certaines hypothèses
réside donc en fait dans leur côté absolutiste. Le rêveur lucide fait pour sa part l'expérience
de rêves très divers quant à leur manifestation et à leur déroulement.

Les informations que l'exploration du rêve lucide nous apporte sur le rêve, dans la
mesure où la lucidité permet à la fois de mieux saisir les différents aspects du rêve et de se
livrer à quelques expériences, tendent avant tout à invalider des hypothèses restreintes par
la présentation de "faits" oniriques rapportables. Peut-on cependant s'appuyer sur ces mêmes
faits pour poser de nouvelles hypothèses? Car si le rêve lucide peut et doit être considéré
comme un type de rêve, et si à ce titre les faits qu'il présente permettent d'invalider des
données théoriques, cette façon de procéder reste incomplète tant qu'on n'a pas montré en
quoi le contenu du rêve lucide n'est pas uniquement spécifique du rêve lucide. Si ce point ne
pouvait être établi, les hypothèses critiquées ne seraient invalidées que dans le cas du rêve
lucide et s'appliqueraient encore aux rêves non lucides dont on reconnaîtrait simplement
qu'ils ne représentent pas la totalité des phénomènes oniriques.

Or, nous avons remarqué que lorsque la lucidité, c'est-à-dire la conscience de ne pas
être éveillé mais de dormir, surgit dans les débuts, le rêveur donne souvent à
l'environnement qui s'offre à lui et à son expérience un sens limité, qu'il se croie mort ou hors
de son corps, et le contenu de cette expérience répond généralement à son attente. Si une
lucidité partielle limite l'expérience, une lucidité complète ne risque-t-elle pas d'entraîner des
modifications souterraines plus importantes encore? Et, dans ce cas, le rêve lucide et le rêve
non lucide peuvent-ils être comparés? Bien entendu, les récits de rêves permettent de
répondre à cette question. Mais cela suppose que soit comprise la logique qui sous-tend un
tel examen. Il est aisé de se rendre compte que, si le contenu du rêve lucide était
entièrement spécifique, il n'aurait aucune commune mesure avec le rêve et à aucun moment
le rêveur lucide ne le reconnaîtrait pour tel. Or, l'intensification de la lucidité lui permet le
plus souvent de reconnaître un rêve là où il se croyait mort ou hors de son corps. C'est donc
le sentiment du rêveur qui sert de premier indice. Dans le rêve lucide c'est avant tout la
lucidité qui éclaire un rêve qui peut, comme nous l'avons vu, aller de la banalité la plus
[60]
complète aux perceptions et aux actions les plus étranges et les plus intenses .

Deux voies s'offrent donc à nous pour étudier l'oniricité du rêve lucide et les
informations qu'il peut nous apporter sur le rêve. L'une consiste à comparer les récits de
rêves lucides et ordinaires, et l'autre à proposer au rêveur lucide des séries
d'expérimentations spécifiques pour cette étude. Cependant, il faut bien remarquer qu'une
telle recherche, si elle semble aller de soi à la réflexion, est restée jusqu'à présent à l'état
implicite, le rêve lucide étant encore pour l'instant plutôt exploré en fonction de ses aspects
inattendus qu'ordinaires, alors que les éléments ordinaires qui le composent l'emportent en
proportion. On peut tout au moins essayer de rendre compte de ces tentatives et montrer
comment une recherche générale sur le rêve peut se développer à partir d'elles. Ainsi la
lucidité nous aide à étudier le rêve lucide en tant que rêve (par exemple dans son décor, ses
personnages…) ou à comparer le rêve lucide à des rêves non lucides particuliers, ceux avec
lesquels il entretient pourtant des relations, par exemple de proximité temporelle, et que
nous avons appelés rêves associés. Il nous permet alors de comprendre comment les
conceptions que nous nous faisons plus ou moins implicitement du rêve peuvent
l'influencer.

I. Aspects oniriques généraux des rêves lucides


La lucidité approfondit l'étude du rêve de deux façons. Tout d'abord elle permet de
préciser des phénomènes déjà constatés en rêve, mais difficiles à appréhender par le seul
souvenir du rêve non lucide, et de se livrer à des expériences destinées à en comprendre la
production. Ces expériences peuvent être mises au point de façon à recréer des conditions
déjà constatées dans d'autres rêves ordinaires pour s'assurer que ce n'est pas la lucidité qui
produit le résultat, même si elle en est l'agent. Ensuite - et surtout - la lucidité permet de
déceler dans le rêve des phénomènes d'abord inaperçus mais dont on peut après coup se
rendre compte qu'ils existaient bel et bien, même dans des rêves non lucides. C'est en
quelque sorte un moyen de faire surgir pour le rêveur ce qui restait non apparent dans le
rêve même.

Les éclaircissements étant apportés, soit sur l'observation de quelque chose de


commun au rêve lucide et au rêve ordinaire, soit sur ce qui dans le rêve ordinaire n'attire
habituellement pas l'attention après l'éveil, l'accent est généralement plutôt mis sur des
éléments précis que sur l'ensemble du rêve, et de ce fait il va de soi que la méthode
interprétative n'intervient pas ici. L'intérêt se porte sur la texture du rêve, les éléments du
décor ou la succession des séquences oniriques, par exemple. Pour prendre une comparaison,
le rêveur se trouve dans son rêve comme un promeneur qui, dans une forêt, s'intéresse à
certains arbres ou certains chemins pour eux-mêmes et non en tant qu'éléments d'une
promenade en forêt accomplie pour telle ou telle raison (et qui elle-même s'inscrirait dans le
sens qu'il donne à son existence à une période donnée de sa vie). De ce fait le rêveur laisse
de côté bien des éléments ou des lignes d'action dont il sent qu'il aurait pu tout autant les
choisir.

On peut cependant objecter que ces "autres" détails que l'on trouve en rêve lucide
n'existent pas dans le rêve ordinaire puisqu'ils ne sont pas remémorés. Ainsi, par exemple, il
n'y aurait pas dans le rêve d'autre ligne d'action "probable" que celle en cours. La question
est effectivement difficile à trancher d'un point de vue subjectif en ce qui concerne les rêves
non lucides mais la façon de rapporter un rêve non lucide et un rêve lucide peut être
instructive à ce sujet. Il arrive, lorsqu'on questionne un rêveur sur le récit d'un rêve ordinaire
qu'il pensait avoir rapporté fidèlement, qu'on puisse lui faire préciser certains points de
détails dont il ne s'était pas rendu compte lui-même qu'il ne les avait pas mentionnés. De la
même façon un rêveur lucide ne détaille pas toujours son rêve mais il se rend compte de ce
qu'il laisse de côté, souvent parce que ce qui se présente à lui en rêve lui semble aussi
complexe à décrire que ce qui est perçu à l'état de veille. Il fait donc un choix orienté par le
cours de son action et non par le gré de ses souvenirs, ou même, lorsque le rêveur a une
tendance à l'interprétation, par des types de significations dont il pressent qu'elles pourront
servir de cadre à son analyse.

L'étude du rêve lucide dans ses composants oniriques prend le rêve comme objet et
non plus comme symbole. Que le rêve lucide ait toutes les caractéristiques des rêves non
lucides ou qu'il sorte de l'ordinaire, cela ne modifie pas son investigation qui porte sur un
tissu onirique auquel le rêveur est indissolublement mêlé et dont le décor, les personnages et
le déroulement représentent les éléments principaux.

A. Décors des rêves lucides;


Pour le rêveur lucide le décor onirique est avant tout un environnement. Nous avons
vu que la connaissance qu'il a d'être dans un rêve ne lui donne pas le sentiment que le rêve
est entièrement le produit de son psychisme. Même lorsqu'il affirme nettement être sujet à
une illusion et même lorsqu'il agit comme un démiurge, il n'en traite pas moins le contenu du
rêve comme quelque chose d'extérieur à lui. Il se conduit comme un individu éveillé le ferait
dans le monde de la veille, avec cette simple différence que son environnement ne répond
plus aux mêmes lois et que lui-même peut faire preuve de capacités différentes. Ce
sentiment d'extériorité amène parfois les rêveurs à se livrer par simple curiosité - pour en
constater les conséquences - à des expériences qu'il ne leur viendrait pas à l'esprit de mettre
à exécution à l'état d'éveil, même de façon purement imaginaire, car dans le dernier cas
ce sentiment d'extériorité est absent. Ainsi, même s'il est probable que l'influence du rêveur
sur le rêve se fait sentir jusque dans la simple observation de ses éléments, il n'en faut pas
moins étudier ces derniers en fonction du sentiment d'extériorité qu'implique le
comportement du rêveur.

La perception de l'environnement onirique dépend de ce sentiment alors même que


son acuité est sujette à des variations.

« […] Puis j'ai le sentiment que j'ai entrouvert les yeux de mon corps de
rêve mais je vois très mal, je distingue à peine la chambre. Peu importe, je sais
que ça s'arrange plus loin. Je passe dans le couloir et j'arrive dans le salon où
effectivement ma vision s'améliore. Là sur le divan il y a ma mère et ma sœur en
train de discuter. Tout est gris, les perceptions ne sont pas colorées, du moins je
[61]
n'en ai pas l'impression. Je leur dis que nous sommes dans un rêve […] » .

Dans ce passage le rêveur attribue le caractère indistinct de la scène initiale non à la


qualité du rêve mais à une défaillance de sa vision onirique qui s'améliore un peu plus tard.
Même alors que les couleurs sont absentes, le rêveur suppose que sa perception en est la
cause. Dans d'autres cas le réalisme du rêve ressort encore plus nettement :

« […] Je demande au type blond à lunettes - car je pense que pour une fois
que je vois des gens en rêve je dois en profiter - comment faire pour être
conscient dans ses rêves chaque nuit. Il ne me répond pas ou plus exactement si
je veux lui faire dire quelque chose il devient flou. Il y a […] une différence entre
[62]
ce que je veux imaginer à son sujet et ce qu'il est vraiment […] » .

Si le rêveur a tendance à considérer le décor comme distinct de la qualité de sa


perception, il n'en pose pas pour autant une sorte de décor uniforme dans sa qualité que
seule sa perception ferait varier. Il se considère également capable d'apprécier des décors de
qualités différentes par elles-mêmes quand, par exemple, il passe d'un rêve lucide à un
autre.

« […] Je me rends compte que je rêve toujours. Mais maintenant c'est très
différent de la sortie hors du corps: le monde alentour est solide, les couleurs
sont nettes, tout à l'air parfaitement réel. Faut-il en conclure que le rêve est plus
réel que la sortie hors du corps, ou alors suis-je passé dans un univers parallèle?
[63]
[…] »

La perception a parfois une telle intensité que le rêveur non seulement ne s'en
considère pas comme la cause mais hésite à l'attribuer au rêve et lui suppose une origine
réelle introduite dans le rêve - alors qu'il n'en est rien.

« […] (Équivalent d'un faux-éveil bien que je sois toujours lucide).


« Je suis allongé dans un fauteuil ou dans un lit dans une position peu
confortable et qui correspond probablement à celle de l'état de veille. Je sens
nettement mon corps tout en étant dans le rêve lucide. Mais le son de
l'alternophone est devenu trop fort. Sans quitter l'état dans lequel je me trouve
je donne l'ordre à mon bras de bouger pour baisser le volume. Mon bras gauche
s'abaisse, je le sens se déplacer. Je tourne ensuite un bouton de l'alternophone,
sans résultat immédiat. Me serais-je trompé de bouton? Dans ce cas je risque de
modifier le rythme de l'alternance. Mais je n'ai pas le temps de m'inquiéter plus
car le volume diminue effectivement et revient à des proportions supportables.

« (Au réveil je m'aperçois que je n'ai touché à rien, le bras ne s'est donc pas
[64]
levé et la diminution du volume du son faisait partie du rêve) » .

Certains chercheurs ont posé l'hypothèse que ces variations dans la qualité du décor
correspondent à une évolution de l'expérience du rêveur lucide: « Une autre expérience
sensorielle qui paraît changer quand on parvient à l'état lucide est celle de la vision. La
plupart des individus se souviennent d'une riche qualité visuelle lors de leurs premiers rêves
lucides. Elle s'efface progressivement à mesure que l'on s'habitue à la lucidité. Cependant,
cette intensité peut réapparaître chez les rêveurs lucides à long terme, surtout quand il s'agit
[65]
de recherches oniriques d'un caractère transpersonnel et spirituel » . Non seulement la
qualité du décor est censée subir une évolution, mais l'amélioration de cette qualité
dépendrait du type de démarche qui accompagne l'induction de la lucidité. Or, ces deux
propositions sont contredites par l'expérience. Dans l'exemple que nous avons donné, un
rêve parfaitement clair et d'une riche intensité de couleurs succède à un rêve gris, sans
couleur, mais net. Il est probable que la structure du rêve joue un rôle plus important qu'une
"évolution" hypothétique.

« […] Nous sommes plusieurs à prendre un bus que je dois conduire. Or, les
pédales sont loin du siège qui lui aussi semble trop grand pour moi. De plus il n'y
a pas de volant mais une sorte de tige métallique qu'il faut manipuler. Je me cale
néanmoins dans le siège et nous démarrons. Je parviens à prendre un virage en
tournant l'espèce de "manche à balai". Nous croisons un gros camion orange
dans un chemin étroit et il va falloir que je serre sur ma droite. Mais je n'arrive
pas à manœuvrer. Heureusement le gros camion s'estompe comme un dessin: il
n'en reste bientôt plus qu'un ensemble de traits comme tracés sur le
[66]
décor […] » .

De telles modifications de la qualité du décor en rêve lucide sont faciles à constater


lorsqu'on dispose de journaux complets des rêveurs, tandis que des récits sélectionnés
offrent une perspective faussée lorsqu'on les considère autrement qu'en fonction du cadre
[67]
dans lequel ils sont présentés .

Si la diversité de la qualité des décors conforte probablement le rêveur lucide dans son
sentiment de réalité de ce qui l'entoure, le fait que la structure de sa perception lui rappelle
celle de l'état de veille joue certainement également un rôle important en ce sens. Cette
structure est déjà présente dans les rêves non lucides: le rêveur y est capable non seulement
de percevoir et de penser, mais également d'imaginer ou de se souvenir sur le mode de
l'imagination.

« Pendant ces réflexions se forme dans mon cerveau l'image mentale des
membres de la famille réunis à table ; je les vois tous à leur place et moi à la
mienne ; mais cette image mentale, quoique nettement dessinée et objectivée,
n'a, à aucun degré, le caractère hallucinatoire, en ce sens que, dans mon rêve, je
sais très bien qu'elle représente une chose qui n'a pas en ce moment d'existence
réelle et que je vois par la pensée, tandis que je suis assis dans une autre pièce
[69]
de l'appartement me livrant à une tout autre occupation » .

Les images mentales évoquées en rêves non lucides, comme les souvenirs, rappellent
l'activité mentale de l'état de veille. On comprend alors que la conscience de rêver qui permet
au rêveur d'observer l'existence de cette structure de la perception et de l'évocation
augmente son sentiment de la réalité du rêve. Ce sentiment ne porte alors pas sur le seul
contenu de la perception mais également sur la perception comme acte s'exerçant dans un
contexte qui rappelle, structurellement parlant, l'état de veille.

« […] je trouve que ces voyages en métro durent longtemps et je me


demande pourquoi je passe autant de temps dans les transports en rêve -
lorsque je rêve consciemment - qu'à l'état de veille. Est-ce parce que je passe
chaque jour énormément de temps dans les transports? Ou y a-t-il un rapport
avec une vie antérieure. Par exemple peut-être que je prenais beaucoup le train
pour mon travail ou que j'aimais ça. Ou encore que j'étais quelque chose comme
mécanicien. Vagues images mentales (à l'intérieur du rêve) qui se veulent
représentatives d'un paysage industriel du siècle dernier, mais pas
convaincantes. (Il s'agit d'une explication fourre-tout qui vient à l'esprit lorsqu'on
[71]
ne cherche pas vraiment la réponse) […] » .

On trouve dans ce passage aussi bien le sentiment du temps qui s'écoule qu'une
réflexion concernant la situation onirique agrémentée d'évocations mentales. Le début de ce
même rêve permet de constater que le rêveur n'est pas victime d'une confusion dans le
jugement de réalité puisque son endormissement est conscient et que son
sommeil commence par des images mentales qui, petit à petit, acquièrent la netteté de la
veille :
« Je vois des immeubles, d'abord plus ou moins "imaginés" comme en rêve
éveillé, et par moment plus nets. J'accentue cette sensation de "regarder" et
bientôt tout est "réel": les images ont la netteté du rêve, c'est-à-dire qu'elles
sont aussi nettes qu'à l'état de veille. Ces bâtiments défilent à grande vitesse car
je suis dans un véhicule, probablement de transport en commun, ou dans une
voiture. Le décor ne ressemble pas tout à fait à celui du monde de la veille, mais
il s'en rapproche, un peu comme s'il prenait place dans un univers parallèle très
voisin. Par exemple le tunnel sous lequel passe le véhicule est jaune. Le véhicule
est une sorte de rame de métro. Installé dans un siège de la première voiture
dont la fenêtre est abaissée (à moins qu'il ne s'agisse d'une demi-portière) j'ai
laissé ma jambe pendre dehors, contre la portière. Nous entrons dans une
station où nous ne nous arrêtons pas. C'est une station en plein air et je pense
fugitivement à un manque de place possible pour ma jambe lorsque nous
entrerons dans le tunnel un peu plus loin. J'ai le temps de remarquer que la
station ressemble aux stations de métro de la vie de veille (ce pourrait être
Bastille). Cependant, une voiture roule sur le quai, parallèlement à la rame,
possibilité qui ne se trouve pas dans le monde de la veille. Ici il y a d'une
[72]
certaine façon plus de fantaisie […] » .

Une telle confusion ne saurait d'ailleurs être invoquée même en ce qui concerne le rêve
ordinaire comme l'ont montré Leroy et à sa suite Delage.

« […] je rêve qu'un animal s'est posé sur ma main sur laquelle il pèse de
tout son poids ; j'ai d'ailleurs la sensation que je suis dans mon lit et que ma tête
repose normalement sur l'oreiller et je sais très bien que je dors […] je pensais:
comment cette chienne a-t-elle pu entrer dans ma chambre à coucher? La porte
serait-elle donc ouverte? Et, en pensant cela, je vois, mais sous la forme d'image
mentale et non sous la forme hallucinatoire, la chienne entrant par la porte
ouverte. Cette image très rapide se superpose chronologiquement à la
conception de la chienne appuyée sur ma main, mais elle est beaucoup plus
courte, commence après elle et finit avant. Supposons que l'image de la chienne
entrant dans la chambre ait été elle-même hallucinatoire au même degré que
celle de la chienne reposant sur ma main. Au réveil, j'aurais eu là […] une cause
intercalée entre son effet deux fois répété dont une moitié aurait pris la place
[73]
avant celle-ci » .

D'une certaine façon la conscience de rêver ne modifie pas la considération de l'acte de


perception comme détaché de ce qui est perçu. Le rêveur peut savoir qu'il crée ce qui
l'entoure, cette création n'est pas due à la perception qui n'en donne que le résultat et qui de
ce fait amène le rêveur à la considérer comme un donné extérieur.
Le rêve lucide est donc pourvu d'un décor onirique que le rêveur perçoit en fin de
compte de la même façon que dans le rêve ordinaire, puisqu'il lui accorde spontanément une
autonomie, même relative. Mais, indépendamment de ses qualités perceptibles, ce décor doit
présenter un certain nombre de caractéristiques et l'on peut se demander si celui du rêve
lucide ne possède pas des traits qui lui sont propres. Une hypothèse qui vient immédiatement
à l'esprit est que, si les capacités dont fait parfois preuve le rêveur lucide ont un aspect
fantastique, le décor doit être à l'avenant. Or, il n'en va pas ainsi. Au contraire la plupart des
auteurs s'accordent à reconnaître au décor du rêve lucide un certain réalisme: ils entendent
par là que le décor du rêve lucide tend à se rapprocher du monde de la vie de veille: « Le
monde du rêve lucide est en général une assez bonne imitation de celui qu'on perçoit à l'état
de veille. Le sujet peut être conduit à la conscience de rêver par des événements de nature
fantastique, mais ceux-ci ne continuent pas, en général, dans le rêve lucide qui suit.

« Il existe, bien sûr, des différences consistantes entre les deux univers. Le sujet sera
peut-être capable de voler ou de provoquer des événements qui seraient considérés comme
des phénomènes psychokinétiques s'ils se produisaient dans la vie réelle, mais
l'environnement dans lequel il vole et accomplit ses "miracles" reste une représentation terre-
[74]
à-terre du monde de la veille ».

Dans une telle optique les capacités fantastiques dont fait preuve le rêveur lucide sont
en quelque sorte banalisées puisqu'elles ne sont pas en elles-mêmes soumises à des
variations mais peuvent être identifiées de façon stable. En un mot elles sont prévisibles et
échappent d'une certaine façon à l'irréalisme ("il existe […] des différences consistantes entre
les deux univers"). Quant au décor il représente généralement une "imitation" du monde de
la veille ("l'environnement […] reste une représentation terre-à-terre du monde de la veille").
Que recouvre alors la notion de "non-réalisme"? Green essaie de se faire comprendre par une
série d'exemples: « Pour contribuer à éclaircir la question, il faut peut-être mentionner
certaines absences de réalisme qui ne sont pas caractéristiques du rêve lucide ou ne s'y
présentent que très rarement. Les animaux et les objets n'y sont pas personnalisés et ne se
mettent pas à parler. Les êtres humains, qu'il s'agisse ou non de personnes connues du
rêveur, sont bien caractérisés. Ni les personnes, ni les objets ne changent d'identité pendant
le rêve. De même, bien que le corps du rêveur ne ressemble pas nécessairement à celui qu'il
a dans la réalité, ses caractéristiques ne changent pas au cours du rêve. On ne contrevient
pas habituellement aux lois du monde physique ou, si cela arrive, c'est toujours avec
prudence. L'impression générale n'est pas qu'on a oublié ces lois ou qu'on les ignore, mais
[75]
plutôt qu'on en fait une imitation méticuleuse en omettant, parfois, certains détails ».

En fait ce qui est compris comme non réaliste ce n'est pas tant les éléments du décor
que leur capacité à se transformer ou à se combiner selon des lois qui ne sont pas celles de
l'état de veille. N'est pas réaliste tout ce qui est susceptible de changer sans que ce
changement suive une ligne acceptable pour une conscience éveillée. Un rêve typiquement
non réaliste de ce point de vue pourrait être le suivant :

« […] Cela commence dans un gymnase presque désert. Il y a toutes sortes


de machines pour faire maigrir les gens ou les muscler. Il ne reste qu'une cliente,
en train de ramer sur l'une des machines. Je suis en conversation avec le gardien
de la salle. Il me dit que tout ce matériel est fort ancien et que certains appareils
qui valent une fortune devraient être au musée.

« Pendant notre conversation, la femme qui ramait s'est levée et fait des
suspensions sur les espaliers. Je remarque avec indifférence qu'elle est nue et
qu'elle rapetisse à vue d'œil. Je continue la conversation avec le type. Il est
devenu mon ancien collègue B. et le gymnase tend à se rapprocher de la salle
d'échantillonnage de FVC sans la devenir tout à fait. Sur une table, il y a un
rassemblement de divers petits objets, comme des jouets en vinyle. Une petite
fille - c'est la femme de tout à l'heure - est en train de les regarder. Je la
connais, et je l'appelle par son nom (que j'ai oublié). Je lui demande son âge.
Elle me dit: "Je suis beaucoup plus vieille que je n'en ai l'air - J'ai six ans". Je lui
dis qu'elle est trop grande pour avoir six ans. Sur quoi elle rapetisse encore, au
point qu'elle ne peut plus regarder ce qu'il y a sur la table.

« Elle dit - "Je me souviens de X" (un employé qui a pris sa retraite peu de
temps après que je sois entré chez FVC). "Il me donnait des petits jouets qu'il
avait fabriqués". J'accepte sans question qu'une enfant de six ans ait pu
connaître quelqu'un qui est parti il y a vingt-cinq ans.

« Puis X, en beau vieillard, est là, avec Mme S. dont il était l'amant. C'est un
homme très sympathique et sage (il n'était ni l'un ni l'autre dans la réalité). Nous
allons nous promener dans la campagne, X et Mme S, bras dessus-bras
[76]
dessous[…] » .

Si l'on tient compte des critères de Green ce rêve non lucide est non réaliste en ce
qu'un personnage y subit une transformation qui ne relève d'aucune loi du monde physique
(« Je remarque avec indifférence qu'elle […] rapetisse à vue d'œil »). En revanche les
éléments "faux" par rapport à la vie de veille (« X […] est un homme très sympathique et
sage (il n'était ni l'un ni l'autre dans la réalité) ») ne sont pas irréalistes dans la mesure où
leur possibilité ne contredit pas les lois du monde de la veille. Le décor peut être également
irréaliste même si aucune transformation impossible ne survient dans la mesure où une loi du
monde perçu de l'état de veille y est contredite, comme par exemple dans l'extrait suivant.

« […] Nous ne sommes pas loin du rivage, lorsque ma mère fait une fausse
manœuvre, et le bateau chavire. Ce n'est rien, il est facile à redresser.
L'embêtant c'est qu'on a perdu les filets qui avaient été prêtés par J.-M… (Un
collègue pêcheur).

« A partir de là le rêve quitte toute logique. La mer est étagée comme un


escalier aux marches très hautes. C'est bien de l'eau - avec vagues écume etc. -
mais on peut marcher dessus. Ce que je fais. Sur la première marche, il y a des
quantités de femmes vêtues en noir qui me disent le plus grand mal de ma mère.
Je me rends compte que ce sont des dédoublements de ma tante C. et que ces
[77]
femmes représentent en fait ma famille alsacienne […] » .

Ici deux lois du monde physique ne sont manifestement pas respectées, celle de la
liquidité de l'eau et de l'unicité d'une personne.

Le décor du rêve lucide est au contraire "réaliste" lorsqu'il n'est pas totalement
imprévisible et qu'on peut d'une certaine façon "compter sur lui". Cela revient à
sous-entendre l'existence d'une sorte d'échelle de conformité à la réalité dont la vie de
veille serait le modèle. Dans une telle échelle le rêve lucide se rapprocherait plus de la vie de
veille que le rêve ordinaire qui peut être beaucoup plus fantastique ou plus précisément
beaucoup moins prévisible. Mais telle affirmation suppose que les rêves ordinaires tendent à
l'étrangeté, ce qui n'est guère confirmé par leur étude: « Le psychologue Calvin S. Hall fut,
dans les années cinquante, le premier à examiner systématiquement ce que rêvent les gens.
Avec d'autres chercheurs - dont, en particulier, Robert Van de Castle, de l'université de
Virginie - il élabora plusieurs systèmes d'analyse du contenu manifeste des rêves individuels.
Par "contenu manifeste", il faut comprendre les faits évidents dont le rêve se compose: les
lieux où il se déroule, le nombre des personnages, leur sexe, les actions entreprises […].
Ayant ainsi analysé des milliers de rêves, Hall et Van de Castle apportèrent des informations
passionnantes sur leurs éléments constitutifs. Ils montrèrent que nombre de rêves se passent
à l'intérieur, le plus souvent, d'une maison. En fait, près d'un rêve sur trois a pour cadre
l'intérieur d'un logement, l'ordre de fréquence des pièces étant la chambre à coucher, la
[78]
cuisine, l'escalier et le sous-sol » .

Dans l'ensemble les rêves ordinaires ne sont pas étranges mais au contraire se
situent dans des lieux que nous fréquentons couramment, avec des gens que nous
connaissons et nous montrent des activités tout à fait ordinaires. En fait l'étrangeté des rêves
semble bien être l'exception plutôt que la norme - tout comme pour les rêves lucides. Dans
ces conditions il semble difficile d'affirmer que les rêves lucides sont plus réalistes que les
rêves non lucides en ce qui concerne le décor. Ils sont en fait plus réalistes que l'idée que
l'on se fait du rêve ordinaire, mais pas de ce dont ils sont représentatifs.

Si dans l'ensemble les rêveurs lucides ont le sentiment que le réalisme de leurs rêves
lucides est plus accentué (ou, si l'on préfère, que le décor onirique se rapproche plus
nettement de celui de la vie de veille que dans le rêve ordinaire), ce n'est probablement pas
par comparaison avec leurs rêves non lucides mais pour d'autres raisons qui tiennent plutôt à
des critères internes au rêve lucide, tels que la qualité de la perception que nous avons déjà
évoquée et grâce à laquelle un décor onirique banal (c'est-à-dire proche de la vie de veille)
n'en paraît que plus "réel": par moments le rêveur est confronté à un environnement
tellement proche de la vie de veille qu'il en vient à douter qu'il rêve! Il ne s'agit pas là d'une
baisse de la lucidité mais de l'étonnement ressenti devant la qualité du décor. Cette
appréciation porte en fait sur la qualité de la perception plus que sur le décor. Mais un autre
facteur intervient sans doute dans cette estimation, c'est que la présence même de la
conscience de rêver tend à stabiliser le rêve et à le modifier dans un sens réaliste. Ainsi nous
avons pu constater qu'un aspect irréaliste (une incongruité) qui pousse le rêveur à se rendre
compte qu'il rêve disparaît une fois le rêveur devenu conscient de rêver, même si elle est la
cause onirique de son changement conscientiel - plus précisément elle ne persiste que tant
que le rêveur ne devient pas lucide. Dans le même ordre d'idées, les rêves
d'endormissement conscient ont souvent pour cadre un décor équivalent à celui dans lequel
le rêveur s'est endormi. Ce type de constatation ne permet pas toutefois de dire que le rêve
lucide est plus réaliste que le rêve ordinaire d'un point de vue qualitatif.

En fait la différence entre le rêve lucide et le rêve ordinaire ne se situe pas tant sur le
terrain du réalisme que sur celui du non réalisme. Si ces deux types de rêves imitent
pareillement le monde de la veille, en revanche ils diffèrent quant à leur étrangeté: « Les
rêves lucides ne contiennent pas nécessairement des éléments particulièrement étranges,
tels que canards à deux têtes, chaises fondantes, ou même vols oniriques, mais il s'y
présente, dans le développement, des bizarreries particulières qu'on ne trouve pas dans les
[79]
rêves ordinaires » . Cette étrangeté de certains rêves lucides apparaît de diverses façons.
Dans l'une d'elles la bizarrerie n'est qu'apparente. Si les rêves lucides sont relativement
stables, ils n'en sont pas moins sujets à des modifications de la part du rêveur qui peut,
comme Ouspensky, transformer un chat noir en chien blanc ou, comme Kelzer, susciter un
lapin. De telles modifications ne sont sans doute pas imprévisibles puisqu'elles sont
provoquées par le rêveur, mais elles n'en modifient pas moins le décor d'une façon qui ne
respecte pas les lois du monde physique. Ce sont cependant des étrangetés explicables dans
le contexte du rêve. En agissant comme un démiurge le rêveur redonne au rêve la forme
étrange qu'on lui accorde généralement. Tout se passe comme si le rêveur revenait à un
modèle délaissé du rêve.

En revanche dans d'autres cas le rêve lucide se révèle non réaliste en dépit de la
lucidité et pousse même le rêveur dans cette voie, ce qui est paradoxal lorsque la lucidité est
due à la reconnaissance d'une incongruité.

La nuit dernière, dans un rêve où figurait ma femme, je m'aperçus que


j'étais en train de rêver à la vue d'une grande maquette de bateau de guerre que
des hommes, en marchant à l'intérieur, faisaient avancer dans la rue. Nous
assistâmes à d'étranges et fort intéressantes scènes de carnaval ainsi qu'à un
important incendie, un grand immeuble étant la proie des flammes. Au bout de
quelque temps, nous quittâmes le carnaval et l'incendie pour prendre un chemin
jaune, traversant une lande désolée. Comme nous étions à l'entrée de ce
chemin, il se dressa tout à coup devant nous et devint une route de lumière
dorée unissant la terre au zénith.

Dans cette brume de lumière ambrée apparurent d'innombrables formes


colorées d'hommes et d'animaux ; cela représentait l'évolution ascendante de
l'humanité, passant par divers stades de civilisation. Ces formes s'effacèrent, la
route perdit sa teinte dorée et devint une masse de cercles et de globules
vibrants (comme des œufs de grenouille) d'une couleur bleu-violacée. Les globes
se changèrent en "yeux de paon" et, tout à coup, il y eut la vision finale d'un
paon gigantesque dont la queue déployée remplissait les cieux. Je m'exclamai,
disant à ma femme: "C'est la Vision du Paon Universel!". Ému par la splendeur
du spectacle, je me mis à réciter, à voix forte, un mantra. Le rêve prit alors
[80]
fin.

Dans ce cas le rêveur se conduit d'une façon d'autant plus étrange qu'il est lucide. Mais
bien que cette scène soit non réaliste elle présente des caractéristiques propres à la lucidité.
L'une d'elles apparaît avec évidence, c'est l'intensité ressentie par le rêveur, intensité qui se
marque aussi bien par une tendance au gigantisme ("la vision finale d'un paon gigantesque,
dont la queue déployée remplissait les cieux ") que par une émotion débordante ("Ému par la
splendeur du spectacle") même si elle peut sembler hors de propos.

Dans la mesure où la lucidité entraîne parfois une intensification de la perception et de


l'émotion, on peut considérer que des aspects non réalistes du décor peuvent découler de
cette intensification même.

J'étais assis sur mon lit, embrassant une femme plus âgée que moi ; c'était
une collègue de l'épicerie où je travaillais. Tout à coup, un vendeur entra dans
ma chambre. J'étais très mécontent que cet homme soit entré chez moi et
frustré d'être interrompu dans une situation particulièrement agréable. Il sortit
immédiatement de la pièce et descendit au rez-de-chaussée. Je le suivis,
continuant à me demander ce qui se passait.

Je traversai le salon jusqu'à la porte d'entrée ; pendant que je l'ouvrais et


que je regardais dehors, je devins lucide pour la première fois de ma vie. Plein
d'enthousiasme, je me dis: "C'est un rêve, et maintenant c'est moi qui contrôle
tout!", sur quoi une puissante vague d'énergie me traversa tout le corps. Je me
sentais comme Dorothy, dans le magicien d'Oz, émergeant d'un monde en noir
et blanc pour accéder à un autre univers, plein de couleurs d'une incroyable
beauté (j'emprunte cette analogie à Stephen LaBerge).
D'un saut, je quittai le porche et m'envolai. M'étant propulsé jusqu'à la
hauteur d'environ quinze mètres, je sentis qu'un poids très lourd me tirait par les
jambes. Je compris que c'était la personne que j'avais embrassée dans la
chambre à coucher. Je la laissai tomber à terre et je me projetai, comme un
lance-pierres, jusqu'aux nuages. Plus je montai haut, plus mon esprit se vidait.
et tout mon corps de rêve fourmillait de plaisir. J'avais atteint un état proche de
[81]
l'orgasme quand ces sensations devinrent si fortes qu'elles m'éveillèrent.

L'intensité procurée par la lucidité va donc jusqu'à modifier le décor d'une façon tout à
fait non réaliste (" J'étais immergé dans une lumière tiède, brillante et paisible ") mais qui
n'est pas typique des rêves ordinaires, et dont on peut considérer qu'elle suit une certaine
logique, celle de l'intensité qui s'infuse dans tous les aspects du rêve. En ce sens les rêves
lucides non réalistes ne le seraient pas complètement comme les rêves ordinaires (en dehors
des questions d'interprétation) mais suivraient ce qu'on peut appeler le "réalisme de
l'intensité lucide" plutôt que celui de la remémoration lucide de la vie de veille.

Pourtant certains chercheurs semblent soutenir que les rêves lucides peuvent
atteindre des niveaux d'étrangeté qui défient la compréhension et y voient même le fruit
d'une "évolution": « A mesure qu'on devient plus versé dans l'art du rêve lucide […] les
éléments bizarres réapparaissent. Hunt a noté une augmentation de "l'imagerie géométrique
[82]
et des expériences de lumière blanche, des effets imaginaux plus abstraits" » . D'une
certaine façon cela est exact mais une confusion doit être évitée à ce sujet: l'évolution en
question concerne non pas le rêve lucide par lui-même mais plutôt la vie personnelle du
rêveur qui finit par affecter ses rêves. Si en effet on examine le type de rêve donné comme
exemple d'évolution du rêve lucide, on s'aperçoit que ses éléments bizarres n'ont rien de
spontané.

Une couche "pâteuse", comme de la croûte de pâté, constitue une sorte de


coquille externe ayant la forme du nimbe qui environne le Bouddha. Je
commence par m'identifier à cette pâte ; c'est une épaisse couche d'ego et
d'émotions qui s'est accumulée depuis une éternité. Puis, je pèle cette espèce de
pâte et je trouve, à l'intérieur, mon véritable "soi" qui a la forme d'un tanka (un
symbole bouddhiste tibétain), mais il est fait d'un rayonnement transparent, issu
des chakras. C'est une configuration géométrique remplie d'énergie, dont la
substance est pure lumière. Peu à peu, je m'identifie aux chakras de l'avant et le
tanka s'adoucit, devient moins géométrique à mesure que son énergie
concentrée se transforme en rayonnement doré, issu des chakras du cœur. Je
suis alors la source de la lumière. Je dis mon mantra et je demande, dans une
prière, d'être capable de maintenir cet état d'esprit pour le bien de toutes les
[83]
créatures.
Ce rêve est attribué à un "méditant de longue durée" c'est-à-dire à quelqu'un engagé
dans un type de recherche intérieure dont les éléments se reflètent nettement dans le rêve
lucide. A ce point on peut poser que ce genre de rêve, loin d'être bizarre, est au contraire
tout à fait réaliste pour le rêveur. En effet, il y a une différence entre le non réalisme du rêve
pour un lecteur extérieur et pour le rêveur. Si les éléments de ce rêve reflètent pour le rêveur
sa réalité, il s'agit en fait pour lui d'un rêve lucide réaliste. Aussi la conclusion que tire
Gackenbach de ce type de rêve doit être reçue avec précaution: « Hunt pense que si le rêve
lucide était, dans son principe, un réveil du mental au cours du sommeil REM, les idées
confuses et les bizarreries devraient disparaître entièrement. Or, il est clair qu'il n'en est
[84]
rien » . En réalité les pensées confuses et les bizarreries ont bel et bien disparu dans la
mesure où le rêve s'ajuste à la vision que le rêveur a de la réalité à l'état de veille. Ce genre
de rêve n'a jamais été rapporté par des rêveurs lucides avancés et de longue date lorsqu'ils
ne partagent pas une telle vision du monde, tels LaBerge ou Hervey de Saint-Denys.

B. Les personnages des rêves lucides;


Si le décor du rêve lucide ne peut être considéré comme plus réaliste que celui du
rêve ordinaire, en revanche la présence et l'activité des personnages diffèrent grandement
d'un type de rêve à l'autre. En effet, les rêves ordinaires sont souvent peuplés de nombreux
personnages alors que généralement le rêveur lucide est seul dans son environnement
onirique. Cet isolement relatif n'est pas vécu comme une solitude mais il est nettement
ressenti, ce qui se marque bien dans les réactions des rêveurs lorsqu'ils se trouvent seuls
(« "B…, F…, venez je n'arrive pas à atteindre la M…-F…"! "Venez, je suis lucide, est-ce que
vous dormez?" Je suis très heureuse en le criant, car j'espère être un peu entendue dans leur
[85]
rêve » ) ou qu'ils rencontrent d'autres personnages ("car je pense que, pour une fois que
[86]
je vois des gens en rêve, je dois en profiter" ). Dans bien des cas les personnages de la
séquence onirique qui précède la lucidité quittent la scène dès qu'elle émerge.

« Mon père entre dans ma chambre et voit derrière moi deux meubles […]
diminués au moins de moitié. Il me le fait remarquer sur un ton de reproche. Je
me dis que s'ils ont diminué c'est que je rêve. Mon père sort de ma chambre. Je
l'appelle, je le suis hors de la chambre.[…] Je continue à avancer dans le couloir
[87]
puis dans la salle à manger. Il a disparu » .

Non seulement le personnage disparaît dès que le rêveur devient lucide mais ce dernier
s'avère ensuite incapable de le retrouver. Parfois c'est le rêveur qui change de décor et
évolue alors dans des scènes qui ne comprennent pas les personnages précédents. Ou encore
ces personnages cessent simplement d'exister, comme si leur présence dépendait de la non
lucidité du rêveur.

De façon générale, les personnages du rêve ordinaire tendent à disparaître lorsque


survient la lucidité, parfois d'une manière qui s'accorde naturellement avec le rêve. Dans ce
cas il est fréquent que le rêveur quitte la scène où il évoluait jusqu'alors, comme cela se
produit dans un certain nombre de rêves déjà cités.

« […] ... Dans un bateau où il y a beaucoup de monde dont mon père et


d'autres membres de la famille. C'est un genre de réunion mondaine dans une
péniche amarrée à un quai. (Passage lucide :) Je quitte la salle de réception, sors
dans la nuit et gagne les ponts extérieurs latéraux. Je décide de faire le tour du
bateau. Je me rends compte que je rêve. Me voici face à une série
d'échafaudages noirs qui gênent l'accès à une porte - ce sont des sortes de
barrières. Pour libérer le passage il faut allonger le bras au-delà des structures
métalliques et appuyer sur un bouton situé derrière, sur le mur intérieur de la
pièce auquel cette porte donne accès, afin que les pans coulissent. Je sais que je
rêve mais je suis obligé de faire tout cela pour franchir la porte. (Je perds ensuite
la lucidité). Je suis à nouveau dans une salle du navire peu éclairée en
conversation avec plusieurs personnes et je donne des explications sur un sujet
[88]
[…] » .

Dans ce rêve les personnages sont absents lorsque le rêveur est lucide et sont à
nouveau présents lorsqu'il perd sa lucidité. Ces disparitions et réapparitions sont cependant
justifiées par le contexte, au point qu'on peut se demander si c'est bien parce que le rêveur
devient lucide que les personnages disparaissent, ou si ce n'est pas plutôt parce qu'il est seul
qu'il peut enfin devenir lucide.

A quoi est due une telle raréfaction des personnages? Gackenbach pose l'hypothèse
qu'en « tant que contrôleurs de leurs propres rêves, les rêveurs lucides semblent limiter le
rôle des autres et se concentrer davantage sur eux-mêmes. Il est rare qu'un rêveur lucide se
crée un partenaire pour l'accompagner dans un rêve de vol ; il se laissera plutôt fasciner par
[89]
la technique du vol et les possibilités exceptionnelles qu'elle lui offre » . Il est de fait que
les rêveurs tendent à concentrer leur attention sur les activités que leur permet le rêve
lucide. Nous avons vu un cas où la lucidité incite le rêveur à se débarrasser d'un autre
personnage onirique.

M'étant propulsé jusqu'à la hauteur d'environ quinze mètres, je sentis qu'un


poids très lourd me tirait par les jambes. Je compris que c'était la personne que
j'avais embrassée dans la chambre à coucher. Je la laissai tomber à terre et je
[90]
me projetai, comme avec un lance-pierres, jusqu'aux nuages.

Ce type de situation est assez fréquent et se retrouve sous diverses formes :

« […] Peu après cela je suis dans la cours de l'école à F…, je suis avec M. R…
à qui je tente d'apprendre à voler. Il est lourd, et n'y arrive pas. Or, c'est simple:
il suffit de s'accroupir, de donner une impulsion de ses jambes, de battre
vigoureusement des bras, et l'on s'élève alors dans le ciel. Je lui montre plusieurs
fois en allant me percher à plusieurs reprises sur les toits alentours. Mais il n'y
parvient pas. Lors de l'un de mes départs, il s'accroche à mes pieds pour se faire
tirer, ça ne me convient pas du tout, le poids me gêne, je m'élève très peu, je
heurte les branches d'un arbre, j'essaie vainement de passer au travers, je
retombe, recommence, je peste.

« "Lâche-moi, tu m'empêche de voler, et ça ne t'apprendra rien". Il lâche


[91]
prise quand je le secoue abondamment […] » .

Cependant, si la raréfaction des personnages oniriques est une tendance observable


du rêve lucide, on ne peut pour autant la considérer comme réellement significative lorsqu'on
prend connaissance des récits dans lesquels ils sont présents. Plutôt qu'une caractéristique
du rêve lucide en général, l'absence ou la présence de personnages serait plutôt liée au
rêveur. Certains rêveurs rencontrent en effet constamment d'autres personnages, et souvent
à l'occasion même du rêve lucide. Il s'agit parfois de personnages dont la présence persiste
après que le rêveur est devenu lucide. C'est là un phénomène qui semble relativement
logique dans la mesure où la lucidité apparaît en cours de rêve sans le modifier. Le rêve se
déroule alors probablement à peu près de la même façon qu'il se serait déroulé sans la
lucidité.

« […] La pièce est claire, cinq personnes s'y trouvent, Ch… tape à la
machine et prend une déposition. Une personne est cachée derrière une pile
d'objets, et une autre est à contre-jour (assise devant une fenêtre très
lumineuse) (la pièce paraît plus grande qu'en réalité) les tables sont des tables
d'école: plateau en bois, pieds en tube métal vert (deux places).

« Je rentre et m'approche, je vois que la personne qui est derrière les piles
d'objet est M. C…. J'ai reconnu son visage sans ambiguïté. Il a un visage très
caractéristique: anguleux, de toute façon inoubliable. (Je précise que M. C… est
mort depuis un an au moins dans un accident de voiture). Dès que je l'ai reconnu
son visage change et il porte alors un collier de barbe (il ressemble à B…).

« J'avance encore et je m'aperçois que le personnage assis devant la fenêtre


est R… M… (un garçon qui a le même âge que moi et qui était avec moi à l'école
primaire). Dès que je l'ai reconnu lui aussi a le visage qui change et se met à
ressembler à B… J'engage la conversation :

« [Question]: - Bonjour R…, dis-moi, je viens de voir M. C… assis là à


gauche, je suis étonné car je sais qu'il est mort (et donc sous-entendu ne devrait
pas être là chez les vivants).
« R…: - Ça ne prouve rien, moi aussi tel que tu me vois je suis mort.

« [Q…]: - Tu es mort? Alors c'est que je dois être en train de rêver?

« R…: - Je n'en sais rien, je ne peux rien te dire.

« [Q…]: - Ça n'est pas grave, parce que moi je suis sûr que je suis en train
de rêver, et j'ai les moyens de me le confirmer. Il suffit que je me passe la main
dans les cheveux". Joignant le geste à la parole je me passe la main dans les
cheveux et je me dis aussitôt que je suis en train de rêver, et que je suis lucide
[92]
dans mon rêve […] » .

Si la lucidité ne modifie pas ici particulièrement le déroulement du rêve en ce que les


personnages restent présents sur la scène onirique, c'est sans doute parce qu'elle dépend
d'un contexte où leur rôle est indispensable. Souvent après l'émergence de la lucidité, le rêve
prend un cours différent dans lequel des personnages sont également présents de façon
[93]
naturelle, sans pour autant avoir joué un rôle dans la partie non lucide . Le rêveur peut
rencontrer des personnages après être devenu lucide :

« Rêve lucide: Je sors de mon corps, je me mets à voler. Pour que tout ne
soit pas noir j'ouvre les yeux. Je vole dans l'appartement. Mes parents me
voient. Mon père a l'air content et amusé, ma mère un peu inquiète. Ma sœur
voudrait en faire autant. Mais elle fait une remarque qui met fin au vol.
Cependant, bien qu'étant par terre, je suis toujours là, donc le rêve continue.
Mais je leur dis qu'ils ne sont que des personnages de mon rêve, chose à ne pas
[94]
dire » .

Le rêveur rencontre ces personnages assez naturellement puisque le décor du rêve se


situe dans l'appartement où il vit avec sa famille. Mais la lucidité pousse également le rêveur
à partir à la recherche d'autres personnages :

« Rêve lucide: Je sors du lit. Une vibration me saisit. Je l'accentue. Du coup


je m'élève du sol. Dans le couloir je ne peux plus toucher terre. Je vais jusqu'à la
chambre de ma sœur. Suis-je somnambule? J'essaie de la réveiller. Rien à faire,
[95]
mes coups ne portent pas. Elle se réveille tout de même » .

L'attitude du rêveur s'explique ici parce qu'il cherche à confirmer son état de conscience
auprès d'autres personnages. Leur présence est alors non plus naturelle (plausible dans le
contexte du rêve) mais directement liée à la lucidité.

Les personnages qui apparaissent en rêve lucide ont-ils des caractéristiques


particulières? D'après Green ils sont souvent "stables": « Les personnes qui apparaissent
dans les rêves lucides sont bien caractérisées et ne changent pas d'identité pendant la durée
du rêve. Elles peuvent alors être connues du rêveur dans la vie réelle ou non. Lorsqu'elles ne
le sont pas, ce sont souvent des hybrides composés à partir de souvenirs reconnaissables.
Dans un cas comme dans l'autre elles conservent une individualité distincte et un
[96]
comportement cohérent » . La caractéristique attribuée par Green au rêve lucide est
transposée sur ses personnages qui sont censés être tout aussi stables dans leur existence et
leur attitude que le décor. La modification des personnages n'interviendrait que dans le rêve
ordinaire. Dans un rêve que nous avons cité, les personnages changent tant que le rêve n'est
pas lucide (« Dès que je l'ai reconnu son visage change […] je m'aperçois que le personnage
assis devant la fenêtre est R… M… […] Dès que je l'ai reconnu lui aussi a le visage qui
[97]
change et se met à ressembler à B… » ). En revanche de telles transformations n'ont pas
lieu au cours de l'épisode lucide. Cependant, si l'on tient compte que ce qui provoque la
lucidité est un élément incongru concernant un personnage, on peut supposer que cette
transformation avait pour but d'attirer l'attention du rêveur sur l'aspect onirique de sa
situation. Dans un tel cas il est difficile d'attribuer la modification au fait que le rêve est non
lucide puisqu'il s'agit d'un rêve associé.

Dans d'autres cas c'est la lucidité qui est facteur de transformation, en ce sens que les
personnages qui étaient pourvus d'un aspect particulier ou adoptaient une attitude donnée
dans le versant non lucide du rêve, se transforment physiquement ou psychologiquement
avec la lucidité. C'est d'ailleurs parfois la lucidité qui est perçue comme la cause du
changement des personnages, par exemple lorsqu'ils modifient leur conduite.

[…] Je faisais un rêve non lucide où je me trouvais dans un restaurant, en


compagnie de deux personnes de ma connaissance. Le dîner terminé, nous nous
levâmes pour partir ; je remarquais alors que ma veste, que j'avais mise sur le
dossier de mon siège, n'y était plus. Cela m'agita beaucoup et je me mis à la
chercher. Les autres clients du restaurant - ils étaient environ sept ou huit - se
mirent à chercher avec moi, et même le cuisinier, qui sortit de sa cuisine pour
nous aider. Puis, tout à coup, de façon mystérieuse, la pleine lucidité de l'état de
veille me revint. Je savais tout de moi-même, dans le passé comme au présent.
Je savais que mon corps dormait dans mon lit et que j'étais en train de rêver. Je
m'écriai à voix haute: "Mon Dieu! C'est encore un de ces rêves!" […] Mes
connaissances et les autres clients du restaurant me regardèrent d'une façon que
je puis seulement qualifier de malveillante et quelques uns me dirent sur un ton
menaçant: "Vous êtes dans un rêve. Oui, voilà ce que c'est!". Puis le cuisinier
s'avança vers moi en tenant à la main quelque chose qui ressemblait à une scie.
"Nous allons vous montrer à quoi cela ressemble d'être dans un rêve" dit-il. Sur
[98]
quoi il entreprit de me scier le cou pour me décapiter […] .

Ici le changement de régime conscientiel n'est pas simplement corrélatif de celui des
personnages, mais il en est la cause même. Aucun de ces cas ne contredit fondamentalement
la position de Green, car cette transformation n'empêche pas qu'ensuite les personnages
ainsi transformés paraissent et agissent de façon stable et cohérente. Ainsi même si la
lucidité entraîne parfois par elle-même une modification de l'aspect et du rôle des
personnages elle les stabilise.

Pourtant il arrive que les personnages se modifient en cours de rêve lucide. Parfois
c'est même le rêveur qui, une fois lucide, opère cette transformation.

« […] Quelque temps après, je remarque, mais sans étonnement, que deux
êtres monstrueux se sont ajoutés à notre nombre. Ils sont des masses
blanchâtres difformes avec des ébauches de visages plutôt sympathiques. L'un
est mâle, l'autre femelle.

« A partir de là, le rêve tend à devenir lucide. Nous reprenons notre marche,
monstres compris, et il est entendu que je suis le magicien qui va leur donner
forme humaine. Tout en marchant, je réussis très bien le mâle qui s'identifie
complètement au garçon de la compagnie. Pour la femelle, c'est un peu plus
difficile: elle a peur que je ne la termine pas, que sa personne soit partagée entre
la fille et ma femme. Je lui assure qu'elle sera terminée et qu'elle aura une
personne pour elle toute seule, ce qui semble la rassurer. Déjà elle commence à
être moins monstrueuse. Nous nous éloignons gaiement dans la forêt au bout de
[99]
la vallée » .

Ici les transformations sont multiples: un montre mâle est transformé en garçon et
même se fond avec un autre personnage onirique, tandis qu'un monstre femelle est en cours
de métamorphose. Néanmoins, dans la mesure où elles sont opérées par le rêveur, on peut
considérer qu'il y a une certaine stabilité d'intention. Qu'en est-il cependant lorsque les
personnages changent en cours de rêve lucide sans l'intervention du rêveur?

[…] Je devins lucide à un moment où j'étais poursuivi par un tigre. Je voulais


m'enfuir, mais je me ressaisis et l'attendis de pied ferme. "Qui êtes-vous?" lui
demandai-je. Le tigre parut déconcerté, puis il devint mon père et me dit: "Je
[100]
suis ton père, et maintenant je vais te dire ce que tu dois faire!"

La transformation du personnage est sans doute provoquée par la question du rêveur


mais on ne peut poser qu'elle obéit à une intention de sa part. La lucidité n'est donc pas un
gage de stabilité. D'ailleurs, parmi les personnages qui peuplent le rêve lucide, il en est un
particulièrement qui devrait rester stable: celui que joue le rêveur. Or, il n'est pas rare que le
rêveur change d'identité alors qu'il est lucide ou encore qu'il se fonde dans d'autres
personnages comme nous l'avons déjà vu (« Je sens "quelqu'un, pas moi" au niveau de la
gorge. Je lui laisse la place pour tenter de mieux le voir, ou le sentir. […] Je le "suis" avec
[101]
curiosité dans un double sens du mot: "suivre" et "être" » ).
Si Green, à son époque, a attribué une certaine cohérence aux personnages qui se
manifestent en rêve lucide ("ils conservent une individualité distincte et un
comportement cohérent") c'est en raison du corpus dont elle disposait. Cette idée était
d'autant plus plausible qu'elle allait dans le même sens que le sentiment de réalité procuré
par le décor du rêve lucide. Or, si elle se trouve invalidée par les faits et même si les
personnages sont sujets à des transformations, cela n'empêche pas que l'interaction du
rêveur avec les personnages oniriques lui semble réelle. Même si, intellectuellement, il les
considère comme des projections de lui-même, il ne peut surmonter l'impression qu'ils lui
sont tout aussi extérieurs que le décor.

Je me promène avec M. et je vois que je suis dans un endroit dont j'ai déjà
rêvé - le Musée des inventions non inventées - donc, c'est un rêve. Je crois que
M. aimerait bien faire des rêves lucides, mais je sais aussi que cet M. là n'est
qu'un personnage de rêve. Je lui suggère néanmoins, bien qu'il ne soit pas réel,
[102]
qu'il pourrait peut-être s'apercevoir qu'il rêve […] .

La connaissance intellectuelle de la nature onirique de son interlocuteur ne parvient


pas, nous l'avons vu, à empêcher le rêveur de se conduire avec lui comme s'il était un
individu à part entière. Le rêveur confère parfois une réalité telle au personnage qu'il le
considère comme n'appartenant pas entièrement au rêve. Il en vient souvent dans de tels cas
à poser implicitement au cours du rêve que ses interlocuteurs partagent le même rêve que lui
(ce qu'il ne fait pourtant pas au réveil).

J'étais assis dans un corridor à l'intérieur de la maison avec ma mère et


nous nous préparions à partir en promenade. Je lui expliquais ce qu'étaient les
rêves lucides et elle se montrait tolérante mais elle n'écoutait pas très
attentivement. Elle disait: "Oui, je suppose que c'est possible". Elle n'aurait pas
agi autrement si j'avais dit: "La molécule de l'acide lysergique est proche de celle
de l'adrénaline" ou "Peut-être faut-il inverser l'axe temporel et l'axe spatial".
"Nous sommes dans un rêve en ce moment même" lui dis-je, à titre
d'information, tandis que nous suivions un chemin sinueux. "Mais oui,"
répondit-elle, se prêtant à mon caprice. (Cette situation en rappelait une autre,
dans la vie d'éveil. Je devais avoir cinq ans. Nous marchions dans un chemin de
campagne et j'essayais de la persuader que la vie était peut-être un rêve).
Lorsque je lui dis que les gens pouvaient peut-être se communiquer des
messages dans un rêve, elle accepta cela sans mal, mais j'ajoutai: "Si je te dis
quelque chose maintenant, est-ce que tu essaieras de t'en souvenir au réveil?".
Alors, elle se déroba un peu: "Ah! non, là je ne crois pas" dit-elle, "je ne crois
vraiment pas que j'y arriverais". "Mais tu pourrais essayer, n'est-ce pas,
maman?" Je dus y mettre quelque insistance, mais finalement elle dit qu'elle le
ferait (cependant, on voyait bien qu'elle n'avait pas l'intention de s'efforcer
beaucoup!). Je prononçai alors avec netteté, d'une voix forte, le mot
"accordéon". "Tu entends, maman? Essaie de m'appeler au téléphone demain et
de me dire cela: accordéon. Tu n'oublieras pas?" (J'avais choisi ce mot
spontanément. Il me paraissait suffisamment improbable pour convenir à notre
[103]
expérience.)

Lorsque le rêveur lucide ne peut pas donner une réalité de "veille" au personnage
onirique, il s'arrange parfois pour lui en accorder une d'un autre type.

Je commençai par voler, ou flotter. Je me sentais merveilleusement léger et


fort. J'avais d'immenses points de vue d'une grande beauté, d'abord une ville,
puis des paysages de campagne fantastiques et vivement colorés. J'aperçus mon
frère - celui qui est mort en 1906 - et je m'approchai de lui en disant:
"Maintenant, nous rêvons tous les deux". "Non, pas moi!" répondit-il. Je me
rappelai alors qu'il était mort. Nous parlâmes longuement des conditions de
l'existence après la mort et je l'interrogeai tout particulièrement sur l'acuité de la
conscience, sur cette pénétration, si vive, si claire, de la vision, mais il ne put me
répondre. Apparemment, il ne connaissait rien de tel. […] Puis il y eut une
seconde période de lucidité au cours de laquelle je vis le professeur van't Hoff, le
célèbre chimiste hollandais ; il se tenait dans une sorte de salle de collège,
entouré d'un certain nombre de savants. J'allais vers lui, sachant bien, cette fois,
qu'il était décédé et je continuai mon enquête sur les conditions après la mort.
Nous eûmes une longue conversation calme, au cours de laquelle je demeurai
parfaitement conscient de la situation. Pour commencer, je lui demandai
comment, en l'absence des organes sensoriels, nous pouvions être assurés que la
personne à qui nous parlions était bien elle-même et non pas une illusion
subjective. "Exactement comme dans la vie ordinaire" répondit-il, "nous y
arrivons par l'impression". "Mais" dis-je, "dans la vie ordinaire, il existe une
stabilité des observations, notre certitude est consolidée par leur répétition."
"C'est la même chose ici" dit van't Hoff, "et la sensation de certitude est sans
[104]
doute la même" […] .

De fait les personnages se conduisent en rêve lucide comme si ils possédaient une
conscience et une volonté qui leur est propre. Cette attitude indépendante des personnages
du rêve peut se constater et même faire l'objet d'une expérimentation. La première marque
de cette indépendance est qu'ils agissent rarement d'une façon que le rêveur aurait jugé
logique en fonction de la situation. En d'autres termes, leur conduite ne se conforme pas à
l'attente du rêveur. La simple observation de ce phénomène concerne souvent la lucidité. La
plupart du temps les personnages semblent avoir des difficulté à admettre qu'ils sont dans un
rêve.

Je me trouvai alors avec X. dans une pièce à l'autre bout du corridor. Je lui
parlais des rêves lucides que j'étais en train de faire et j'ajoutai, car cela venait
de me traverser l'esprit: "Et bien sûr, nous sommes dans un rêve en ce moment
même." X. répondit, avec un sourire peu encourageant: "Peut-être, en effet,
mais comment le savez-vous?" - "Mais j'en suis sûr!" Je m'approchai de la
fenêtre fermée par d'épais barreaux. Au dehors, on apercevait les tourelles du
château et, beaucoup plus bas les toits du village. - "Je vais m'envoler" dis-je, en
commençant à briser les barreaux. Ils se cassaient aisément, comme si la
matière dont ils étaient faits avait été quelque alliage de chocolat et de cire à
cacheter. Je jetai les morceaux sur les toits du village, en contrebas. "Voilà qui
pourrait nous attirer des ennuis si ce n'est pas un rêve" dit X. qui restait là
passif, l'air aimablement ironique. "Mais c'est un rêve" assurai-je avec fermeté.
J'avais, malgré tout, une arrière pensée. Je me disais: "Au pire, cela ne me
[105]
coûtera pas plus de 50 livres pour les tuiles cassées" .

La lucidité du rêveur ne provoque pas toujours une indifférence ironique de la part des
personnages. Elle peut au contraire susciter leur colère, comme dans le rêve du Père X, ou
leur approbation. Les personnages n'ont donc pas une attitude stéréotypée en ce qui
concerne la lucidité.

Puisque les personnages oniriques laissent un sentiment de réalité indéniable, il est


tentant de déterminer leurs capacités. Dans la mesure où ils sont des parts de nous-mêmes,
ils doivent être capables d'accomplir ce dont nous sommes nous-mêmes capables. Mais
jusqu'à quel point cela se manifeste-t-il en rêve? Quelles sont les tâches qu'ils sont
susceptibles de mener à bien? Ces personnages y sont-ils aussi adroits que nous à l'état
d'éveil, ou moins? Dans certains cas ne pourraient-ils pas l'être plus? Déjà un rêve ordinaire
de Maury incitait à prendre en considération ce dernier point.

« Jadis, le mot de Mussidan me vint soudain à l'esprit ; je savais bien alors


que c'était le nom d'une ville de France, mais où était-elle située, je l'ignorais ;
pour mieux dire, je l'avais oublié. Quelque temps après, je vis en songe un
certain personnage qui me dit qu'il arrivait de Mussidan ; je lui demandai où se
trouvait cette ville. Il me répondit que c'était un chef-lieu de canton du
département de la Dordogne. Je me réveille à l'issue de ce rêve: c'était le matin ;
le songe me restait parfaitement présent, mais j'étais dans le doute sur
l'exactitude de ce qu'avait avancé mon personnage. Le nom de Mussidan s'offrait
alors encore à mon esprit dans les conditions des jours précédents, c'est-à-dire
sans que je susse où est placée la ville ainsi dénommée. Je me hâte de consulter
un dictionnaire géographique, et, à mon grand étonnement, je constate que
l'interlocuteur de mon rêve savait mieux la géographie que moi, c'est-à-dire, bien
entendu, que je m'étais rappelé en rêve un fait oublié à l'état de veille, et que
j'avais mis dans la bouche d'autrui ce qui n'était qu'une mienne
[106]
réminiscence » .

Dans les rêves ordinaires, des observations de ce genre ne peuvent être que
sporadiques. En revanche la lucidité a incité certains rêveurs à explorer plus à fond ces
capacités dont nous faisons preuve par personnages oniriques interposés et même à estimer
le degré d'indépendance de ces derniers vis-à-vis du rêveur. Des rêveurs lucides
expérimentés se sont livrés à une recherche de ce genre sous la direction de Paul Tholey. Le
degré d'indépendance du personnage par rapport au rêveur (en tant qu'il est lui-même
personnage de son rêve) peut être mesuré de diverses façons. La première, et la plus
évidente, consiste à vérifier si ces personnages peuvent exécuter des tâches montrant qu'ils
voient et agissent dans la scène du rêve à partir de leur propre perspective, comme dessiner
ou écrire quelque chose qui soit sens dessus dessous ou dans une position opposée à celle du
rêveur.

L'homme me prend alors le crayon des mains et se met à dessiner


rapidement, avec précision, sur la couverture d'un magazine. C'est un visage. De
mon point de vue, il est à l'envers. Très étonné, je retourne la revue pour
regarder le dessin plus attentivement, mais, malgré la rotation à 180°, il reste
toujours à l'envers. Au bout d'un instant, pourtant, je le vois correctement, c'est-
à-dire qu'il se fait un retournement. Cela représente un homme qui joue au
billard mécanique ; il a la tête baissée, de sorte que seuls son nez et sa
moustache sont apparents, vus par en-dessus. Je regarde à nouveau ce dessin ;
[107]
l'effet ne pouvait pas être mieux rendu.

Le rêve de Maury indique que les personnages oniriques ont une mémoire qui leur est
propre, même s'il s'agit en définitive de la mémoire du rêveur. Une façon de s'en assurer est
de faire nommer par le personnage un mot inconnu du rêveur.

"Dans la chambre, je rencontre une femme que je connais. Comme je l'avais


projeté, je lui demande de me dire un mot étranger qui ne me serait pas familier.
'Orlog', dit-elle aussitôt, 'cela décrit très bien notre relation'. Je ne comprends
pas ce mot et ne crois pas le connaître". […] Après s'être éveillé, le sujet cherche
"Orlog" dans un dictionnaire et découvre que c'est un mot hollandais qu'on peut
[108]
traduire, approximativement, par "querelle".

Comme dans le cas de Maury le personnage du rêve en sait plus que le rêveur. Il ne
s'agit pas là d'un souvenir simplement oublié et qui reviendrait lorsqu'on en obtient la clef:
pour Maury les explications du personnage n'ont pas suffi à raviver ses souvenirs ; quant au
sujet de Tholey, la consultation du dictionnaire n'éveille aucun écho en lui (ce n'est donc pas
[109]
un phénomène comparable à l'altruisation de Delbœuf). En ce qui concerne la mémoire,
le personnage onirique apparaît à la fois indépendant du rêveur rêvant et du rêveur éveillé.
Une telle indépendance est encore plus marquée lorsque le personnage se montre capable
d'une pensée créative au moment où on le lui demande. L'expérimentation de Tholey sur ce
point consiste à demander au personnage onirique des vers rimants :

Je suis couché dans un pré, regardant le ciel nocturne au-dessus de moi. J'y
vois apparaître des créatures d'aspect angélique - mais je ne peux pas dire
exactement ce qu'elles étaient. Je lève les yeux et je m'écrie: "Pouvez-vous me
réciter un poème?" J'entends alors au-dessus de moi un chœur de voix
mélodieuses, mais tristes. Elles chantent en français, et comme c'est une langue
que je ne sais pas très bien, je n'arrive pas à comprendre le premier couplet:
[110]
"Chantez sur la maladie / d'amour / C'est une mélodie / contre la vie!" […]

D'autres expérimentations sont envisageables et les sujets de Tholey en ont tenté de


diverses sortes. Par exemple les personnages oniriques sont-ils capables de résoudre des
problèmes d'arithmétique? « A cette fin, les sujets eurent pour instructions de proposer aux
personnages de leurs rêves diverses tâches arithmétiques, additions et multiplications d'une
[111]
difficulté variable » . L'un d'eux a obtenu le rêve lucide suivant.

Je vois maintenant un groupe d'enfants âgés de six ou sept ans. Lorsque je


demande à un des garçons s'il peut faire des opérations arithmétiques, un
homme âgé - sans doute leur instituteur - écarte les enfants pour venir jusqu'à
moi et dit: "Les petits savent faire les calculs simples". Je demande au garçon:
"Combien font deux fois deux?" - "Quatre!" répond-il aussitôt. - "Et combien font
trois fois trois? - "Neuf!" dit-il sans hésiter. Je décide de poser une question plus
difficile: "Combien font trois fois sept?" - "Dix huit!" dit le garçon après une
pause. La déception doit se lire sur mes traits car l'instituteur bouscule à
nouveau les enfants pour passer au premier rang. - "Je vous ai dit qu'ils ne
savaient faire que des multiplications simples. Nous n'avons pas encore dépassé
dix dans notre arithmétique…". Je retourne dans la rue pour poser des problèmes
aux adultes. La première personne que je rencontre est un homme d'âge moyen,
bien habillé. Je lui demande "Est-ce que ça ne vous ennuierait pas de faire des
opérations arithmétiques avec moi?" Il fait un geste de la main pour m'écarter,
indiquant qu'en vérité, oui, cela l'ennuie et qu'il n'a pas envie de le faire. Le
passant suivant est beaucoup plus aimable. "Bien sûr", me répond-il, "allez-y!". Il
a l'air de trouver la situation très intéressante. - "Combien font quatre fois
[112]
quatre?" - "Seize", dit-il sans hésiter. […]
Paradoxalement ce sont moins les réponses justes des personnage oniriques que les
fausses qui sont la marque de leur indépendance vis-à-vis du rêveur puisque ce dernier
connaît les réponses.

C. Déroulement des rêves lucides


Tout comme le décor et les personnages, le déroulement du rêve est un élément qui
conditionne la structure de l'expérience onirique. Les événements oniriques ne sont pas plus
interchangeables en rêve que dans la vie de veille et un rêveur accorde généralement autant
d'importance à la façon dont les séquences de ses rêves s'enchaînent qu'à leur atmosphère
ou aux figures rencontrées. Lorsque le rêveur est lucide, il a le sentiment d'être intégré dans
ce déroulement et sa perspective est différente de l'appréciation qu'il y porte à l'état de
veille: la progression onirique ne peut pas encore être mise à distance pour en comprendre le
dessein: le rêveur y est d'autant plus impliqué que l'évolution du rêve dépend en partie de
lui. Cette relation entre le temps du rêve et le rêveur que semble instaurer la lucidité se
manifeste dans la durée même du rêve lucide. En règle générale le rêve lucide paraît court à
son auteur en raison d'un nombre peu élevé d'événements descriptibles qui peut se réduire à
l'unique prise de conscience "je rêve!" avant un réveil (« "Peut-être ne suis-je pas morte,
[113]
mais dans un rêve." Pendant que je réfléchissais à ce mystère, je me réveillai » ).
Même si cette prise de conscience dure quelque temps, elle n'en constitue pas moins un
événement unique. La lucidité semble concentrer le rêve sur un nombre restreint
d'événements, indépendamment de leur durée. L'exiguïté de ce déroulement a tellement
frappé les différents rêveurs qu'ils ont pratiquement tous cherché les moyens de prolonger le
rêve lucide, depuis Hervey de Saint-Denys jusqu'à Stephen LaBerge.

Cependant, le rêve lucide est-il réellement plus bref que le rêve ordinaire ou en
donne-t-il simplement le sentiment? Comparé à certains rêves ordinaires qui semblent avoir
duré très longtemps, parfois des mois voire des années, le rêve lucide a le format de
l'instantanéité. Toutefois, le temps subjectif qui s'écoule dans les deux cas n'est peut-être pas
de même nature. Les rêves ordinaires présentent des raccourcis qui sont autant de sauts
temporels susceptibles de préserver la continuité de l'histoire mais qu'une conscience lucide
ne pourrait admettre. La lucidité adhère trop au rêve pour bénéficier de ces sauts sans se
soucier de la discontinuité des séquences. A moins de prendre une décision de type magique,
un rêveur doit parcourir tout le chemin qui mène à une destination donnée comme s'il était
éveillé. Nous avons donc affaire à un genre de rêves qu'on pourrait regrouper sous le facteur
de "cohérence temporelle". Certains rêves non lucides qui présentent cette caractéristique,
par exemple une discussion avec un personnage qui prend subjectivement autant de temps
qu'à l'état de veille, sont probablement des rêves associés.

Cette cohérence temporelle du rêve lucide n'entraîne cependant pas nécessairement


un déroulement court. Certains récits sont fertiles en épisodes qui s'enchaînent sans
discontinuité (le sujet vit un par un tous les événements du rêve) et malgré cela durent
plusieurs mois subjectifs. Il a fallu près de deux mille mots à Kenneth Kelzer pour résumer un
rêve de ce type dans lequel même les moments creux ont une durée "réelle" :

[…] Le voyage est long et ardu ; pourtant je le continue volontiers, jour


après jour, nuit après nuit, semaine après semaine, pendant très longtemps. Le
passage de ces jours et de ces nuits sans nombre semble parfois n'être qu'un
long moment dans le déroulement illimité du temps. Parfois encore, chacun des
instants successifs du voyage vient se graver séparément, avec la plus grande
[114]
netteté, dans le champ de ma conscience […] .

Si on admet la réalité subjective de ces longs rêves, pourquoi les rêves lucides en
offrent-ils peu d'exemples? La réponse réside probablement dans l'inquiétude que le rêveur
éprouverait à ne pas s'éveiller. Lorsqu'en effet le temps du rêve est complètement vécu, le
rêveur tend à supposer qu'un temps équivalent s'est écoulé dans la vie de veille et en vient
à penser qu'il pourrait ne plus se réveiller. Dans ce cas ce n'est pas tant le rêve lucide qui est
trop court que le rêveur qui est trop impatient de regagner l'état de veille. Ce serait donc
l'attitude du rêveur lucide et non le rêve qui, paradoxalement, expliquerait la brièveté
fréquente du rêve lucide. Ainsi les rêves lucides ne se situeraient pas tant en fin de rêve
parce que l'éveil est proche (et que par là la conscience de veille pénètre petit à petit
l'univers du rêve) mais inversement parce que le rêveur se dirigerait de lui-même et
presqu'automatiquement dans la direction de l'éveil. De ce point de vue les rêves de
faux-éveil qui se situent fréquemment dans le voisinage des rêves lucides trouvent là une
explication: ils satisfont le désir sous-jacent du rêveur de s'éveiller, du point de vue du
contenu du rêve, tout en le laissant continuer à dormir et à rêver, mais cette fois non
lucidement.

Le temps vécu par le rêveur ne constitue qu'un aspect du déroulement du rêve, car
d'un autre côté, par rapport au contenu du rêve, il est avant tout une organisation de
séquences. Assez souvent les séquences du rêve ordinaire suivent une ligne de
développement qui a une apparence logique. Néanmoins le déroulement onirique présente
parfois des particularités qui sont tout à fait absentes de notre expérience de la vie de veille.
La lucidité permet, en effet, de mieux saisir en rêve certains types de déroulement temporel
que nous n'apercevons pas habituellement dans les rêves ordinaires. Le rêveur a parfois le
sentiment que deux rêves se déroulent en même temps alors même qu'il joue un rôle
différent dans chacun d'eux. Ce genre d'expérience fait en rêve ordinaire provoque
probablement au réveil une réinterprétation qui crée une certaine confusion: des scènes
hétéroclites se mélangent et s'interpénètrent dans le souvenir. Lorsque le rêveur s'efforce
d'en donner un récit fidèle, le résultat ressemble à un mélange de scènes :

« Arrivé à sa majorité un garçon, moi, se rend compte qu'il est d'ascendance


princière. Cela donne une histoire van vogtienne. Il lutte pour reconquérir le
pouvoir...

« Restaurant avec C…. Je lui dis que je n'ai pas eu l'occasion de voir
vraiment la boîte où il travaille. Rien de plus facile, me dit-il. La salle du
restaurant est en sous-sol et tandis que je discute avec C… ma mère royale vient
télépathiquement à moi.

« Dans ma pensée se superpose l'image de ma mère (dans l'histoire van


vogtienne) et de quelque chose d'autre qui me vouvoie, pour m'expliquer mon
ascendance royale. Lorsque j'étais petit on a entouré la planète d'encre pour
éviter que les vaisseaux des étrangers ne viennent et ne me découvrent. On m'a
même échangé avec le fils d'un serviteur. Mais ne suis-je pas ce fils puisque j'ai
déjoué la ruse? On m'assure qu'il n'y a pas de problème.

« Je suis maintenant doté de pouvoirs télépathiques hors du commun. Je


peux faire apparaître un vaisseau fantôme avec ses robots et lui commander. Or,
ma planète, et ce qui l'entoure, est attaquée. Je me bats. Dans mon char. Des
clowns de mes amis sont là. Certains de mes sujets pensent à en sacrifier un à
l'ennemi. Avec mon char je me déplace dans l'espace entre les planètes à la
rencontre de l'ennemi. Mes cheveux sont longs et noirs, je suis à l'image d'un
dieu. Je m'aperçois qu'un de mes sujets a pris un autre char dans lequel il
transporte le clown en costume à carreaux qu'il va sacrifier à l'ennemi. Il croit
bien faire et je n'ai pas le temps de m'arrêter pour lui expliquer son erreur.
J'amorce un vaste virage, entraînant avec moi des poubelles qui flottent dans
l'espace et qui se déversent sur les occupants du char suivant. La saleté est
noire. Ils tombent dedans. Le temps qu'ils en sortent...

« (Faux-éveil) Discussion sur le rêve avec mes parents: il est question de la


lutte pour retrouver le pouvoir. Le pouvoir est tenu pour hors-la-loi. Je ne suis
pas d'accord avec cette idée.

« Pas de problème quant à mon ascendance, sinon ma mère royale n'aurait


pas matérialisé sa pensée en moi. C'est donc que je suis vraiment son fils.

« Il y a une phrase à prononcer dont une partie est avec majuscule et qui a
[115]
un effet magique sur moi […] » .

Ce rêve comporte apparemment deux lignes d'actions différentes dont l'une se passe
dans l'espace intersidéral et l'autre dans un restaurant. Il s'agit probablement de deux rêves
différents mais simultanés pour le rêveur comme l'indique son incapacité à bien séparer les
actions (le rêveur est dans le sous-sol du restaurant lorsque sa mère royale vient
télépathiquement à lui). On pourrait cependant penser à sa lecture qu'il s'agit d'un rêve
confus et non de deux rêves entremêlés. Il suffit pourtant que certains rêveurs s'avèrent
capables d'une appréhension suffisamment fine de leurs propres rêves multiples pour que des
récits confus puissent être considérés dans une autre optique.

« Encore un de ces curieux rêves doubles.

« Je suis au bureau. Pour le compte du directeur je dois rédiger une courte


note de félicitations destinée à une cliente qui a eu un enfant. Il y a beaucoup de
désordre sur mon bureau. Tout d'abord je ne trouve pas mon bic. Puis je
commence à écrire tout en bavardant avec mes collègues.

« Parallèlement, c'est dans une campagne un peu sous-développée. Il y a


une sorte de révolte des paysans contre les propriétaires terriens. Un
rassemblement a lieu auquel je participe en tant qu'organisateur.

« Retour au bureau. Je m'aperçois que, dans ma distraction, je suis en train


d'écrire à cette cliente une lettre très personnelle et très familière. Il y a même
un petit "poème de bienvenue" pour l'enfant. Ça ne va pas du tout, il faut que je
recommence.

« Parallèlement: Tous ces ruraux armés de vieux fusils et de fourches sont


rassemblés dans une sorte de sous-sol. Il va falloir faire deux compagnies. Il y a
deux "chefs", moi-même et un autre type. Il faut que les insurgés choisissent
avec quel chef ils vont se mettre. Or, c'est la croix et la bannière! Ils n'arrivent
pas à se décider. Je vois très bien l'un d'eux, un type un peu simple, mal rasé, au
visage ouvert, qui dit ses hésitations à haute voix. Mon co-organisateur me dit,
en aparté, qu'on aurait dû les affecter d'autorité, mais il est trop tard.

« - Au bureau, j'ai abandonné la lettre de félicitations et suis en train


[116]
d'écrire à des amis en leur racontant la scène ci-dessus » .

La dernière scène de ce rêve montre que les deux lignes d'actions peuvent être en
rapport sans que les rêves soient à proprement parler mêlés. Lorsque le rêveur est lucide, la
coexistence de rêves différents ayant chacun leur temps propre est ressentie de façon
beaucoup plus évidente.

Une image de montagne particulièrement mémorable me vint au cours d'un


rêve lucide, le 1er juillet 1983. Cette nuit-là, j'eus une série de six rêves lucides,
se succédant rapidement à peu d'intervalle. A la fin de chaque rêve, je retombais
dans le sommeil normal pour ce qui me semblait être un temps très court avant
de commencer le rêve suivant. Je restai endormi pendant toute la durée de cette
série de rêves lucides, avec de brefs "entractes" de sommeil sans rêves entre
chacun d'eux.
Cependant, il se passa quelque chose de tout à fait nouveau dans mon
expérience. Devenant lucide dans le second rêve, je me rappelai aussitôt les
détails du premier et je pus assister à une seconde projection de ce rêve dans
ma mémoire lucide, exactement semblable à celle que j'avais vue quelques
instants plus tôt. J'étais à la fois surpris et ravi de pouvoir apprécier
simultanément deux rêves lucides, chacun étant présent dans son entier et
parfaitement intelligible quant au déroulement des images. J'avais l'impression
de regarder en même temps deux films, projetés sur deux écrans différents,
sachant parfaitement que je venais de voir l'un d'eux peu de temps auparavant.
Je prenais beaucoup de plaisir à ce "double programme", d'autant plus que la
remémoration du premier rêve ne gênait en rien la succession et la spontanéité
des images du second. Mon degré de lucidité étant plutôt élevé tout au long de
ces séquences, le souvenir du premier rêve et le déroulement spontané du
second restaient absolument distincts, comme s'il y avait eu, dans mon esprit,
deux espaces de conscience complètement différents. Je fus très étonné lorsque
le deuxième rêve prit fin et que le premier se termina exactement au même
moment.

Puis, il y eut un bref "entracte" et le troisième rêve commença. A peine


étais-je devenu lucide que je me souvins exactement et dans tous les détails du
premier et du second rêve de la série. Ceux-ci furent entièrement reproduits
dans ma "mémoire lucide" pendant que j'assistais d'un bout à l'autre, avec
plaisir, au troisième. J'étais encore plus stupéfait que la première fois, car c'était
comme d'assister simultanément à la projection de trois films en les appréciant
également, sans qu'ils se mélangent, mon esprit lucide étant parfaitement
conscient du fait que les deux premiers rêves étaient des reproductions textuelles
et sachant bien que je les avais déjà vus dans le cours de cette même nuit.

Le processus se poursuivit par accumulation pendant toute la série des six


rêves lucides. Au début de chaque rêve, la lucidité s'éveillait et aussitôt, sans
effort et sans intention préalable, je me souvenais de façon détaillée des cinq
autres et je les reproduisais tous dans ma mémoire lucide. C'était alors comme si
j'assistais à six films projetés en même temps sur six écrans, chacun étant bien
[117]
distinct pour moi, de tous les autres!

Un point pourrait prêter à confusion dans ce récit: alors qu'un nouveau rêve lucide se
présente au rêveur, le précédent est remémoré, événement tout à fait possible dans le cours
d'un rêve lucide. Mais en fait cette remémoration équivaut pour le rêveur à revivre
pleinement le rêve. Aussi bien le rêve lucide en cours que les précédents sont vécus de la
même façon (« C'était alors comme si j'assistais à six films projetés en même temps sur six
écrans, chacun étant bien distinct pour moi, de tous les autres! »). On s'aperçoit alors que,
par la lucidité, le rêveur appréhende le temps dans plusieurs directions. D'un côté, il retient la
succession des rêves dans un ordre déterminé et, de l'autre, il les vit simultanément sans les
confondre. S'agit-il d'un phénomène propre à la lucidité ou simplement mis en lumière par
elle? Dans ce dernier cas un rêve ordinaire mêlant autant de lignes oniriques aurait
certainement au réveil un aspect encore plus chaotique qu'un des rêves précédemment cité.

Le rêve peut donc être rejoué à l'identique ou en suivant différents scénarios


possibles. Tandis que Kelzer rapporte le cas de rêves rejoués intégralement pendant sa
lucidité, d'autres rêveurs lucides ont pu constater la multiplication des scénarios oniriques à
partir d'un même point de départ tel ce rêveur pour qui « le rêve va se répéter selon quatre
[118]
versions différentes » . Dans certains cas le déroulement est également soumis à des
variations délibérément provoquées par le rêveur lucide mais ce type d'expérience est
relativement rare: le rêveur lucide a tendance à suivre son rêve de la façon qui lui semble la
plus naturelle, en adoptant, dans une certaine limite, les comportements de la veille, car la
manipulation des séquences temporelles n'entre pas dans nos habitudes à l'état éveillé.
Pourtant il se pourrait bien qu'une telle manière de procéder ne soit pas plus "anti-naturelle"
envers le rêve que les actions menées envers les personnages ou les éléments du décor car
de telles modifications délibérées de la trame temporelle apparaissent parfois dans les rêves
ordinaires.

Certains éléments reviennent si fréquemment en rêve lucide que leur apparition dans
des rêves non lucides nous a poussé à les constituer en une classe à part, les rêves
"associés" au rêve lucide. Ces rêves, que l'on peut apparenter par des traits communs, ne
sont pas toujours facile à repérer car les éléments qui les composent ne relèvent pas
nécessairement d'un même ensemble de phénomènes. Si certains de ces éléments
appartiennent au décor du rêve, à son atmosphère ou à son déroulement, d'autres dépendent
de l'action même du rêveur ou de son intention. En un sens ils sont typiques du rêve lucide
sans que l'on puisse les rattacher directement à la lucidité et les rêveurs lucides se sont
trouvés trop régulièrement pris dans de tels rêves pour ne pas en entreprendre l'exploration.

Tous les types de rêves lucides particuliers n'ont pas été recensés et probablement un
tel recensement serait-il impossible en raison même de la nature disparate des raisons qui
poussent à les repérer dans leur particularité, sans compter ceux qui ne peuvent émerger
qu'à la lecture de journaux de rêves d'une certaine étendue. Delage s'était déjà heurté à
cette absence de fil directeur susceptible de définir les "rêves catégorisés": « Nous réunirons
sous ce titre certains rêves présentant un trait essentiel qui leur est commun, soit en raison
de leur nature, soit en raison de leur origine, soit parce que quelque problème se pose à leur
occasion. Le nombre des catégories n'est pas rigoureusement limité ; on en peut créer de
nouvelles chaque fois qu'on constate l'existence de rêves qui, d'ailleurs différents par le
[119]
détail, ont quelques traits communs méritant de retenir l'attention » . Cette démarche
peut être à son tour appliquée au rêve lucide (qui par ailleurs entre dans la classification de
Delage à titre de catégorie) mais elle montre bien que la catégorisation s'opère en fonction de
l'intuition du chercheur et que les catégories dégagées n'entrent pas dans une structure
ordonnée.

A cette difficulté s'ajoute celle d'opérer une distinction formelle entre les éléments qui
peuvent survenir au cours de rêves non lucides, même s'ils sont alors rares, et ceux qui
exigent la lucidité. Nous avons en effet remarqué que, tandis qu'un rêve de vol peut survenir
sans conduire le rêveur à la lucidité, un rêve de sortie hors de son corps suppose au moins
une lucidité par négation et cette différence découle logiquement de la situation
conscientielle. En revanche les rêves de lumière insoutenable, par exemple, ne se trouvent
guère en dehors de la lucidité, mais aucun lien logique entre les deux ne pouvant être établi,
la généralisation posée est purement inductive et, de ce fait, sujette à être infirmée.
Néanmoins, pour faciliter l'approche de ces rêves, nous distinguerons ceux qui présentent un
caractère particulier en eux-mêmes de ceux dans lesquels le rêveur exerce des capacités
oniriques caractéristiques.

A. Rêves présentant un caractère particulier


Le caractère particulier de certains rêves peut être aussi bien dû à la présence d'un
élément inhabituel pour le rêveur qu'à une impulsion qu'il donne lui-même au rêve. Nous
avons déjà examiné certains de ces éléments inhabituels qui caractérisent également les
rêves associés, tels les rêves de double, de déplacement, de sensations particulières. Mais
certains éléments reviennent de façon récurrente avec la lucidité, sans que l'on puisse
toujours en comprendre ou en suspecter la raison. Tel est le cas de la relation du rêveur avec
la lumière onirique.

Les sujets se sont en effet rendu compte qu'ils ne parviennent pas à faire fonctionner
une source d'éclairage en rêve lucide. Cette bizarrerie a reçu le nom de "Light-Switch
Phenomenon": « Il s'agit du non-fonctionnement presque invariable des commutateurs dans
les rêves où l'environnement du dormeur est soit obscur, soit très faiblement éclairé. […] J'ai
remarqué que bien des choses, dans les rêves, ne marchent pas exactement comme on s'y
attendrait […], mais le phénomène du commutateur paraît assez constant. Lorsque je l'ai
rencontré, la lumière venait de façon vacillante ou son intensité augmentait progressivement,
mais jamais il n'y avait de passage brusque d'une obscurité totale à un éclairement
[120]
complet » . Cette situation est d'autant plus curieuse que le rêve ordinaire n'est pas
soumis à une telle limitation.

« … A Saint-S…, la nuit tombe. Je suis en compagnie d'autres personnes.


Lorsque nous nous séparons je repars avec un type déjà vieux qui habite dans un
petit patelin à quelques kilomètres. Je l'accompagne car nous avons une partie
du trajet en commun qui va jusqu'au chemin d'entrée de chez moi, là où est
l'écurie (qui n'existe pas en réalité). La nuit tombe et les ténèbres sont
impénétrables. Heureusement mon compagnon a une lampe de poche et éclaire
le chemin. Il porte aussi un béret sur la tête. Je lui demande s'il est venu en vélo.
Il me répond que non. Il habite Lyon. Mais il vit aussi dans ce petit patelin. J'en
conclus qu'il en est originaire et qu'il vient pour les vacances. Nous arrivons
devant l'écurie. Il continue sa route. J'entre dans l'écurie. Il fait noir. Je veux
allumer la lumière. Les chevaux sont là. Je me dit qu'après tout il fait nuit et
qu'ils ont le droit de dormir. Je quitte donc l'écurie en me protégeant des bras
pour éviter, en passant la porte, de recevoir un éventuel coup de sabot.

« Je passe dans la pièce à côté et j'allume. C'est là que sont remisés les
vélos. Je m'apprête à prendre le vélo jaune de ma sœur dont on se sert
habituellement. Puis je me dis que le vélo de mon grand-père, le vert, marche
généralement bien. Pourquoi pas plutôt celui-là qui est plus grand? Je le prends,
[121]
il a l'air en excellent état » .

Ce problème du "phénomène du commutateur" dément l'idée couramment admise que


le rêveur lucide est nécessairement capable de faire tout ce qu'il accomplit déjà dans ses
rêves ordinaires.

Une autre source d'étonnement apparemment fréquente est la vision de lumières


d'intensités et de configurations diverses: « Même dans les rêves ordinaires, nous percevons
des zones de lumière plus vives que les autres ; mais les rêves lucides, c'est-à-dire ceux dans
lesquels je sais que je rêve, comportent ou mènent à des expériences de lumière qu'on ne
rencontre dans aucun rêve commun. Selon ma propre expérience, il existe quatre catégories
de perception lumineuse: zones de lumière brillante, disques luminescents, dessins ou
[122]
structures lumineuses et plénitude de la lumière » . Les récits de ce type de rêves
donnent parfois l'impression que le décor a disparu, lorsque par exemple le rêve ne comporte
plus rien d'autre que la lumière: « La plénitude de la lumière […] remplit entièrement ma
vision. Cela n'a pas de contours extérieurs et ne comporte aucune zone d'ombre. […] Ma vue
[123]
se remplit de lumière, si bien que je ne discerne plus la circonférence du soleil » .

L'absence de décor inciterait à penser qu'il n'y a pas rêve à proprement parler, mais
en fait il n'est que d'examiner ces récits dans leur ensemble pour se rendre compte qu'il
s'agit bel et bien de rêve.

[…] J'étais devant la maison de mon enfance, exécutant de grands bonds et


des vols. Pendant que j'étais en l'air, je devins conscient de rêver. Je commençai
à descendre, et cela devint une chute. Je me souvins que, dans un rêve, je
pouvais tomber sans crainte. N'appréhendant plus le contact du sol, je cessai de
tomber. Je repris mon essor et fermai les yeux sans cesser de savoir que mon
corps flottait dans les airs. Je remarquai qu'il y avait une lumière brillante sur ma
gauche. Je me souvins que la présence de la lumière ne signifiait pas que j'allais
me réveiller. Alors, je fus, tout à coup, environné de clarté, j'avais l'impression
de flotter dans la lumière. Je me sentis enclin à la prière et j'appelai: "Père!",
c'est-à-dire Dieu. Je demeurai quelque temps dans une attitude d'adoration, puis
[124]
je me réveillai.

Ce récit comporte tous les éléments d'un rêve du point de vue de la perception
onirique. On peut constater que, lorsque le rêveur ferme les yeux, il ne perd pas pour autant
les autres types de perception ("Je […] fermai les yeux sans cesser de savoir que mon corps
flottait dans les airs"). L'apparition de la lumière n'indique pas ici que l'on quitte le rêve
proprement dit mais seulement qu'une caractéristique perçue devient, dans son champ,
exclusive. Nombreux sont également les rêves lucides où la lumière, sans toutefois envahir
complètement le décor, en est l'élément principal.

Il me semble que je viens de rentrer du collège. Je deviens conscient de


rêver au moment où je me trouve devant un petit bâtiment avec un grand portail
noir à deux battants dans son mur occidental. Je m'en approche avec
l'intention d'entrer. Aussitôt que je l'ouvre, une lumi ère blanche, éclatante, vient
me frapper au visage et je suis saisi d'un immense sentiment d'amour.

Je dis plusieurs fois: "Cela ne peut pas être un rêve!" L'intérieur est comme
celui d'une petite chapelle, ou comme une salle d'assemblée. Il y a de larges
fenêtres, donnant sur un territoire inculte, comme les Grandes Plaines. Je me dis
que tout cela a quelque chose de bien réel, comme si c'était à trois dimensions.
Tout est baigné d'une étonnante clarté et les couleurs sont très vives.

Il n'y a personne auprès de moi, mais je ressens le besoin d'une présence.


J'aimerais qu'il y ait quelqu'un pour m'expliquer cette impression de sens,
d'intention positive, dont toute l'ambiance est imprégnée.

A un moment, je marche en tenant une baguette ou une tige de cristal au


sommet de laquelle tournoie un petit anneau transparent. La lumi ère le traverse,
[125]
et c'est d'une grande beauté.

Dans ce rêve la lumière ne dissipe pas le décor du rêve alors qu'elle en est
manifestement l'élément principal et qu'elle lui donne un aspect réel. Le fait que cette
lumière puisse devenir envahissante se trouve appartenir au déroulement du rêve et non à
un état particulier comme le montre le récit suivant :

Je sens que je me réveille. Je m'aperçois que je n'ai pas cessé de ressasser


quantité de pensées et de problèmes. Étant couché dans mon lit, les yeux clos, je
réalise soudain que rien ne m'empêche d'avoir l'expérience de la lumière! Je n'ai
pas trace de l'habituel sentiment d'indignité. C'est comme si un problème venait
d'être résolu après une longue période de réflexion sur moi-même.
J'attends avec confiance ; je sens qu'une chaleur commence à pénétrer mon
corps. Bien que j'ai les yeux fermés, je suis conscient d'une lumière blanche à la
fenêtre et je sens qu'elle pénètre mon plexus solaire. Elle jaillit vers le haut ; une
chaude clarté envahit mon champ visuel. J'éprouve un profond sentiment
d'amour et je m'y abandonne, souhaitant que certains de mes amis puissent
connaître cela à leur tour.

La lumière s'éloigne. Lorsqu'elle a disparu, je bondis hors du lit et je me


mets à chercher partout dans la maison, espérant trouver le Maître qui a rendu
possible cette expérience, mais il n'y a personne. C'est alors que je
[126]
m'éveille.

Ici l'invasion du champ de vision du rêveur par la lumière fait partie intégrante du rêve
en ce qu'elle en constitue une séquence logiquement amenée par ce qui précède et suivie
d'une autre séquence onirique de type plus courant.

Une des raisons toutefois qui pourrait pousser à voir dans ces rêves de lumières des
états particuliers, et notamment mystiques, tient au sentiment de dévotion qui accompagne
souvent la vue de la lumière, et qui apparaît dans les exemples déjà cités. Il ne s'agit
pourtant pas d'une constante et la personnalité du rêveur joue souvent ici un rôle
prédominant alors même que le rêve donne une réponse éloquente, mais pas toujours
comprise par le rêveur ("je me mets à chercher partout dans la maison […] le Maître qui a
rendu possible cette expérience, mais il n'y a personne"). La personnalité religieuse des
sujets interagit certainement pour projeter un sens sur une expérience qui en a sans doute
plusieurs et ne s'accorde pas nécessairement à l'attente du rêveur. Il apparaît nettement que,
pour certains, de telles lumières n'offrent pas de significations particulières.

« Rêve lucide: Je regarde mes mains composées de lumière. Je vois des


[127]
plans de lumière qui glissent […] » .

D'ailleurs pour l'un des rêveurs précédents la lumière peut être synonyme de peur :

Je suis dehors et je vois une lumière dans le ciel. On me dit que je dois
détourner la tête quand la lumière descendra sur moi. Je sais que je rêve. Je
baisse la tête. Le sol, à mes pieds, est illuminé par ce globe éclatant. Il
s'approche de moi et je commence à avoir peur. Je lève les yeux, et il se retire
dans le ciel. Cela se répète plusieurs fois, mais je ne parviens pas à surmonter
[128]
ma peur. Je me réveille.

Si l'apparition de lumières intenses en rêve n'est pas le résultat d'une bénédiction


particulière, la question de sa présence fréquente en rêve lucide se pose de façon plus
objective. Nous avons vu que l'émergence de la lucidité tendait à accentuer l'intensité des
perceptions et des émotions déjà latentes dans le rêve. On est donc en droit de supposer que
le surgissement de lumière pure constitue une sorte d'accentuation jusqu'à l'abstraction
d'une qualité apportée par la lucidité. Dans certains rêves, l'intensité dépasserait par moment
les limites qui, dans les rêves ordinaires, sont considérées comme des normes, et
provoquerait des phénomènes particuliers et généralement inconnus.

Dans la mesure où c'est l'intensité qui provoque ce type de phénomène, on comprend


qu'elle ne se limite pas à la luminosité mais intervient également dans d'autres directions, en
transformant pas exemple une obscurité onirique en des ténèbres particulièrement épaisses -
sans qu'il faille pour autant cesser d'y voir un phénomène onirique, car dans de tels cas la
tentation est forte de supposer qu'il n'y a plus de rêve. Ainsi lorsque l'obscurité est visuelle
mais que le rêveur reste en contact physique avec son environnement onirique, il est clair
que le rêve est toujours présent.

« […] Je suis allongé sur mon lit sur le côté droit en chien de fusil, mais mon
corps intérieur reprend une position allongée. Je m'efforce de me dégager sur le
côté pour sortir de mon corps et tombe dans le noir. Je me mets à ramper pour
[129]
m'éloigner de mon corps et éviter d'être repris par lui […] » .

Une telle obscurité peut d'ailleurs avoir un sens par rapport à l'action même du rêveur,
comme dans le rêve où Hervey de Saint-Denys provoque lui-même l'obscurité en se cachant
les yeux de la main, situation que l'on retrouve chez d'autres rêveurs lucides :

« […]Je regarde mes mains puisque c'est ce que fait C. Castaneda. Puis je
les mets devant mes yeux. Tout devient noir. Je les enlève et les
[130]
remets […] » .

Mais même l'absence totale de perception onirique ne peut être considérée comme
indiquant l'absence de rêve, surtout lorsque cette absence est, dans le rêve, temporaire, et a
un sens par rapport à lui.

Je rêvai que je descendais dans un sous-sol d'un jaune éclatant. Je savais


que c'était un rêve. Selon mon habitude, je fermai les yeux pour me concentrer
dans l'obscurité. J'étais encore conscient d'être debout sur le sol. Pendant que je
me concentrais, je m'élevai de terre et je rejoignis un environnement incorporel
[131]
[…] .

Un tel phénomène, contrairement à l'envahissement par la lumière, n'est d'ailleurs pas


l'apanage du seul rêve lucide :

« Une expérience de remontée dans le temps. Je suis dans la loge de J…? Ou


dans une sorte de musée? J… devient un monstre genre hydre qui a des tas de
têtes. Je plonge dans le temps. Jusqu'à l'origine. Là il n'y a plus rien. C'est le noir
total. J'ai peur. Si, il y a de petites raies de lumière bleue, très fines, comme une
[132]
vibration. Je me mets à tourner à toute vitesse pour les faire tourner aussi » .

Pour peu que l'on s'intéresse à l'obscurité dans les récits de rêve lucide on s'aperçoit
qu'elle y occupe une place au moins tout aussi importante que la lumière. La tendance à se
polariser sur les phénomènes lumineux s'explique probablement par un arrière-plan culturel
mais en fait le plus souvent les manifestations de la lumière et de l'obscurité s'appellent les
unes les autres.
[133]
« Rêve lucide: Dans un couloir de lumière alors que tout est noir » .

Assez souvent la lumière surgit du fait même de l'obscurité, parfois en raison de la


réaction du rêveur.

« Je me trouve à côté de mon lit. Je porte mes chaussures et je suis habillé.


Il s'agit donc d'un rêve car je sais que je ne me suis pas changé. Je me dirige
vers la fenêtre. J'ai du mal à passer de l'autre côté: le volet est solide. Je fais
comme si je le soulevais un peu pour me glisser de l'autre côté.

« Tout s'en va. Univers noir avec des jets de couleurs doubles en forme
d'amandes. Je projette une piste lumineuse dans l'infini - ce qui forme une allée -
[134]
et m'avance dessus […] » .

Il est donc probable que l'augmentation d'intensité perceptive qui accompagne souvent
la lucidité atteint parfois un point tel qu'elle produit ces phénomène particuliers.

Ces phénomènes ne sont d'ailleurs pas limités à la vision de lumières. Les


modifications du schéma corporel aboutissent aussi à des configurations inhabituelles. Le
sentiment de voler en rêve, par exemple, peut être à ce point intensifié par la lucidité qu'il
éclipse le sentiment du corps qui vole: « En pareil cas, c'est du vol pur, en l'absence du corps
… La sensation vivifiante du vol est présente … mais c'est plutôt comme de voler dans un
[135]
océan de conscience » . D'autre sensations de mouvements sont ressenties sans qu'un
corps onirique soit mis à contribution :

« Rêve lucide de sortie hors du corps: J'entends les bruits extérieurs et sens
ce qui m'entoure. Néanmoins comme ma pensée a tendance à me faire glisser
dans la somnolence je m'amuse à pousser imaginairement des pieds pour me
hisser vers le haut. A ma surprise ce mouvement devient de plus en plus sensible
jusqu'à devenir parfaitement net. Mais à ce moment ce n'est plus le sentiment de
pousser du pied, mais une sorte de sensation/mouvement pure, que je dois
[136]
néanmoins entretenir par l'effort […] » .

Si l'intensification apportée par la lucidité provoque des phénomènes perceptifs


isolables en des catégories nettement reconnaissables, il en va probablement de même dans
le domaine affectif où certains sentiments oniriques prennent parfois une tournure tout à fait
singulière, probablement due à une intensification disproportionnée. Ainsi s'expliqueraient en
rêve lucide la présence de sentiments d'extase ou de terreur pure qu'on ne trouve
habituellement pas dans les rêves ordinaires.

Des sentiments extrêmement forts sont couramment rapportés de façon spontanée


par les rêveurs lucides qui les qualifient souvent d'extatiques. Ce phénomène, bien qu'associé
à la lucidité, ne peut être considéré comme une caractéristique du rêve lucide dans son
ensemble, non seulement bien sûr parce qu'il ne couvre pas l'ensemble des rêves lucides,
mais surtout parce que dans le même rêve peuvent apparaître des émotions d'intensités
différentes :

[…] Plein de joie et d'heureuse espérance, je parviens à cette petite


habitation modeste, où je vais assister à une scène merveilleuse […]. Soudain, je
sens en moi un formidable courant d'énergie, bouillonnant comme une source,
jaillissant de mon estomac jusque dans ma poitrine, si fort que j'éclate en
sanglots incontrôlables. Longtemps, longtemps je pleure, tandis que tous les
souvenirs de mon voyage traversent ma mémoire comme un torrent fougueux: la
joie la plus extrême, le soulagement, la tristesse au sujet d'Hérode, le courage,
la décision, bien d'autres choses encore […]. Je suis absolument bouleversé.

Longtemps, je reste agenouillé en silence auprès des autres rois mages et je


contemple gravement l'enfant. La merveilleuse, l'éblouissante lumière émanant
continuellement de son corps me plonge dans un ravissement total, mais c'est
surtout la lumière de ses yeux qui m'extasie, de ces yeux pleins d'amour qui me
regardent simplement, si calmes, si sérieux. Je pourrais rester là, à genoux, pour
[137]
l'éternité […] .

Ce passage d'un rêve lucide comporte des émotions diverses, et surtout d'intensités
différentes, ce qui indique que la lucidité n'agit pas sur tous les composants du rêve. Si la
lucidité est responsable de l'intensification affective, pourquoi cette dernière n'est-elle pas
uniforme? Si la force de certaines émotions qui dépassent ce qui peut être ressenti aussi bien
à l'état de veille qu'en rêve ordinaire a naturellement amené certains sujets à qualifier leur
état "d'extatique", ce mot revêt sans doute un sens différent selon les rêveurs lucides. Si
l'intensité est présente dans chaque cas elle ne porte pas toujours sur le même élément:
pour certains rêveurs ce n'est pas l'intensification de l'émotion qui provoque l'extase mais
celui de la conscience: « Je voudrais décrire certains rêves lucides que je peux seulement
qualifier "d'extatiques", au sens où leur principal caractère est une intensification joyeuse de
[138]
la conscience » . L'extase onirique ne prend pas nécessairement un aspect mystique mais
son exploration délibérée passe généralement par des voies culturellement en rapport avec
[139]
cette idée. Ainsi la prière ou la méditation (ou les deux) ont souvent été utilisées en rêve
comme un moyen privilégié pour y parvenir.

Dans le rêve, je deviens subitement lucide au moment où je marche dans le


hall du collège. Je suis très heureux de l'être et de jouir d'une conscience
presque aussi claire qu'à l'état de veille. Comme d'habitude, j'ai envie d'aller
dehors, à la lumière. Je traverse le hall, j'arrive à la sortie, mais quand j'essaie
d'ouvrir la porte, je suis gêné par la masse d'un camion accidenté qui se trouve
là. Sachant que c'est un rêve, je parviens à me faufiler assez loin dans
l'ouverture entrebâillée pour saisir le camion à deux mains et le pousser de côté
sans effort.

Dehors, l'air est limpide, le ciel est bleu, le paysage pastoral d'un vert
lumineux. Je cours dans l'herbe et je saute joyeusement en l'air. Traversant le
haut des arbres, je reste un moment emmêlé dans les branches et je dois faire
du vol plané sur place pour me dégager. Puis je continue mon vol au-dessus des
arbres jusqu'à une hauteur d'environ trente mètres. Tout en volant, je pense:
"J'ai déjà volé, souvent, dans d'autres rêves ; si j'essayais, cette fois, une
méditation planante en plein ciel?" Ayant pris cette décision, je m'adresse au
"Très-Haut" pour demander de l'aide. Je dis: "Très-Haut Père-Mère, aide-moi à
tirer le maximum de cette merveilleuse expérience!" Je me retourne sur le dos
et, sans crainte de tomber, je cesse d'essayer de contrôler mon vol.

Aussitôt, je me mets à flotter dans le ciel, tourné vers le haut, les yeux
fermés ; le clair soleil me baigne entièrement, remplissant ma tête de lumière.
J'ai l'impression d'être une plume qui flotte paresseusement sur la brise. Après
cinq minutes, je commence à repousser doucement, mais fermement, les
pensées qui se présentent à mon esprit, comme je le fais dans ma pratique
éveillée de la méditation. Plus je cesse d'être distrait par mes pensées, plus
l'expérience gagne en intensité joyeuse, plus elle devient … ce qu'il faut bien
appeler une extase. Peu à peu, je deviens conscient de mon corps, dans le lit. En
me réveillant, j'éprouve un sentiment de légèreté et de bien-être difficile à
[140]
décrire.

Le sentiment de terreur qui survient dans certains rêves lucides n'a pas fait l'objet
d'une exploration aussi étendue que celui d'extase, probablement pour des raisons culturelles
mais aussi parce que le désir conscient de l'expérimenter, même dans l'intérêt de la
recherche, n'est guère cultivé. Les récits de ce type décrivent des situations involontaires, et
nous en avons déjà examinées quelques unes dans d'autres contextes. En fait l'examen des
catégories de rêves lucides obtenus par une impulsion donnée depuis la vie de veille montre
bien que les sujets cherchent avant tout une expérience agréable, voire utile. Lorsque le rêve
prend une forme provoquée par une attitude de l'état de veille, de nouvelles catégories
oniriques apparaissent qui sont fonction de préoccupations très diverses et pour lesquelles le
rêve peut aussi bien constituer une fin qu'un moyen.

La pensée la plus immédiate concernant la coloration particulière que les


préoccupations du rêveur donnent au rêve lucide est évidemment inspirée par une conception
très populaire dans notre culture depuis les travaux de Freud, celle de l'accomplissement d'un
désir. Certains rêveurs lucides, tel LaBerge, ont posé que le rêve lucide pouvait remplir une
telle fonction: « L'état de rêve lucide […] constituerait un divertissement sans équivalent pour
ceux d'entre nous qui ont un besoin vital d'évasion.

« Il fournirait aussi aux handicapés, et autres défavorisés, le substitut le plus proche


de l'accomplissement de leurs rêves impossibles. Les paralytiques marcheraient de nouveau
dans leurs rêves, viendraient à danser ou voler, et même vivre avec jubilation leurs
[141]
fantasmes érotiques » .

Une telle formulation a cependant quelque chose de surprenant puisque le rêve


ordinaire remplit déjà souvent cet office. De plus la proposition de LaBerge suppose que les
rêveurs souffrent habituellement en rêve des mêmes handicaps que dans la vie de veille et
que la lucidité peut leur permettre de remédier oniriquement à cette situation. Or, cette
supposition n'est pas toujours fondée comme le montre le cas de Delage: « j'ai, il y a
quelques années, perdu l'œil droit à la suite d'une lente maladie de cet organe et […]
récemment la vue de l'œil gauche a été fortement compromise par une affection semblable.
[…] jamais, en rêve, je ne me suis vu aveugle ; […] Toujours, dans mes rêves, je vois
bien clair ; mais la plupart du temps je ne songe pas à m'en étonner ni même à le
remarquer. Dans d'autres cas au contraire, je constate que je vois clair, mais j'ai en même
temps le sentiment que je ne devrais presque point voir. Je sais que je devrais être aveugle,
je remarque que je ne le suis point et j'interprète la chose comme un phénomène naturel
quoiqu'inattendu de récupération de la vue. Je m'en félicite fort comme de juste, puis au
[142]
réveil, je constate avec douleur que cela n'était qu'un rêve » .

Ce cas montre en outre que l'accomplissement d'un désir est d'autant plus réussi que
le rêveur n'est pas conscient de rêver.

« Je rêve de nouveau que je devrais être aveugle et que néanmoins j'y vois
clair, mais je me rappelle qu'antérieurement j'ai eu cette illusion en rêve, illusion
qui s'est évanouie au réveil ; et alors, avec anxiété, je me pose la question:
Est-ce que je rêve? ou suis-je éveillé? J'ai l'impression que le problème est
délicat, que je risque de me tromper, de tirer une conclusion fausse et je
m'efforce de réunir toutes les raisons qui peuvent éclairer la solution. Je me
place bien en face d'un objet que je regarde ; j'ouvre les yeux, je le vois ; je
ferme les yeux, je ne le vois plus (bien entendu, dans mon sommeil, tous ces
mouvements sont parfaitement imaginaires). Je me tâte, je me secoue, frappe
du pied pour m'assurer que je suis bien éveillé et, toujours sans exception, je
conclus que je suis éveillé. Une fois même dans ces circonstances, je rêve que
ma belle-fille est auprès de moi. Je m'adresse à elle: Louise, lui dis-je, regardez,
j'y vois clair, mais je crains que ce soit un rêve. Suis-je bien éveillé? Pincez-moi
le bras pour que j'en sois sûr". Elle ne me répond pas, mais me pince le bras ; je
sens à peine la pression de sa main: "Plus fort, lui dis-je". Elle obéit, mais, sans
doute par crainte de me faire mal, me pince si légèrement que je le sens à peine.
L'épreuve néanmoins me paraît concluante ; et, à vrai dire, je suis si bien
persuadé d'être éveillé que je m'adresse à elle moins pour me convaincre que
pour la convaincre elle-même. Pas une minute il ne me vient à l'idée de penser
que si je rêvais, la vérification ne prouverait rien puisqu'elle serait rêvée
elle-même. Donc, je suis convaincu et me trouve tout heureux. Puis le réveil
[143]
survient et le désenchantement avec lui » .

On peut même aller plus loin et constater que, si l'accomplissement d'un désir est
d'autant plus satisfaisant que le rêveur ne sait pas qu'il rêve, en revanche la lucidité, plutôt
que de pousser à un tel accomplissement, tend à rendre le rêveur plus "détaché" des
événements du rêve, et donc à accepter les événements fâcheux plutôt que de les modifier:
« Je me dis: me voici dans une situation fâcheuse ou agréable, mais je sais très bien qu'elle
n'a rien de réel. Dès lors, sachant que je n'ai aucun risque à courir, je laisse la scène se
dérouler en spectateur curieux, assistant à un accident ou à une catastrophe qui ne saurait
[144]
l'atteindre » .

En ce qui concerne Delage la lucidité ne semble donc pas le facteur le plus favorable à
la réalisation d'un désir. Cependant, il se pourrait que LaBerge fasse allusion non pas à un
désir possible par rapport au contexte du rêve en cours mais bien plutôt à celui procuré à la
lucidité par les souvenirs de la vie de veille. Une telle attitude demande non seulement que le
rêveur se trouve dans un rêve adéquat, mais qu'il soit capable d'y exercer un contrôle. Or, si
la satisfaction d'un désir en rapport avec le rêve semble relativement aisée, ceux qui ne
tiennent pas compte du contexte onirique sont, par principe, beaucoup plus difficiles à
satisfaire. L'idée même d'un désir à réaliser suppose un manque dans l'état de veille. Or, on
peut constater que lorsque ce manque est réel, le rêve se dérobe à la demande de
compensation du rêveur lucide et tend plutôt à matérialiser oniriquement les obstacles qu'il
doit surmonter. Les désirs les plus réalisables en rêve lucide sont apparemment ceux qui le
sont également à l'état de veille.

Les préoccupations du rêveur l'amènent également à provoquer des rêves


d'investigation d'un thème particulier. Cet élément permet de dégager des catégories de
rêves lucides particulières, notamment lorsque le rêveur utilise la voie onirique pour explorer
des domaines échappant à toute vérification. Ainsi, chercher à obtenir un rêve concernant ce
qui est ineffable (par exemple le divin) débouche assez fréquemment sur un rêve lucide
porteur de sentiments "négatifs".

Cela est illustré par le rêve lucide de Gackenbach, dans lequel elle devait
essayer de "rechercher son Dieu", à l'époque où elle travaillait à son mémoire.
Ayant pris conscience de rêver et se souvenant de ce qu'elle avait projeté de
faire, elle eut le rêve suivant :

"J'étais assise en tailleur devant un miroir carré dans lequel je me voyais et


je pensai: "Bon. C'est moi. Je ne suis pas trop mal." Puis je me mis à faire
prendre différentes formes à mon image, comme dans les miroirs déformants des
foires. A un moment, je remarquai un éclat jaune dans mon œil droit et cela
m'effraya. J'eus peur de me transformer en quelque chose de mauvais et je
décidai de ne plus laisser le rêve évoluer à sa guise. Je me trouvai alors assise
sur un tabouret dans le living du pavillon, tout à fait consciente d'être en train de
rêver. La suggestion s'était évanouie. Je me souvenais que j'étais censée
demander quelque chose, mais je ne savais plus quoi. Je me dis que j'allais
flotter/voler jusqu'au plafond, mais j'eus quelques difficultés à le faire…
J'atteignis le plafond et je pénétrai à nouveau dans un vide gris, avec retour du
[145]
sentiment de panique" .

De tels rêves sont certainement susceptibles d'être expliqués de diverses façons, mais
ce qu'il est intéressant de remarquer ici c'est leur mode de fonctionnement. Dans le rêve pris
en exemple, la lucidité qui permet de surmonter les peurs du rêve ordinaire se révèle parfois
incapable de contrer celles qui surgissent au cours d'un rêve déjà lucide alors qu'en
apparence les situations sont similaires :

Je suis debout dans le hall devant ma chambre. C'est la nuit, donc il fait noir
à cet endroit. Papa arrive par la porte d'entrée. Je lui dis que je suis là pour qu'il
ne s'effraie pas et ne risque pas de m'attaquer. J'ai peur, mais sans raison
apparente.

Par la porte ouverte, je regarde dehors et je vois une silhouette sombre qui
pourrait être un grand animal. Je le montre du doigt avec crainte. L'animal - c'est
une énorme panthère noire - entre par la porte. Terrifié, je mets les deux mains
en avant. Je les appuie sur la tête de la panthère en disant: "Tu n'es qu'un rêve",
mais c'est en partie une supplication et je n'arrive pas à dissiper ma peur.

Je fais une prière pour demander la présence de Jésus et la protection, mais


[146]
la peur demeure en moi et je m'éveille.

Dans un tel rêve le rêveur peut d'autant moins surmonter sa peur qu'elle est plus liée à
l'état de conscience qu'à des éléments objectivables ("J'ai peur, mais sans raison
apparente"). En ce sens la panthère du rêve est une forme que prend cette peur à l'intérieur
même du contexte de la lucidité et ne peut vraisemblablement disparaître qu'avec ce
contexte lui-même, par exemple en replongeant dans le rêve ordinaire. Ce genre de situation
montre bien que si la lucidité a pu apparaître à certains comme un moyen de résoudre des
problèmes de type psychologique, elle en ouvre cependant de nouveaux.

Le rêve lucide présente aussi des caractéristiques qui le singularisent lorsqu'il est
exploré non pas en lui-même mais comme moyen au service de la vie de veille. Si cette
tendance à utiliser le rêve nous donne de l'utilisateur l'image du possesseur d'un objet d'art
qui serait incapable de l'apprécier autrement qu'en raison de sa valeur marchande, force est
néanmoins de remarquer qu'elle est une constante de l'histoire du rêve depuis les rêves
thérapeutiques de l'Antiquité jusqu'à la psychanalyse. Si les rêves ordinaires ont fait l'objet
de diverses tentatives d'exploitation, il était fatal que la lucidité soit elle aussi envisagée
comme un moyen de mieux parvenir à de telles fins. Ce qui nous intéresse ici n'est pas tant
cette exploitation et ses résultats que la forme nouvelle qu'elle donne aux rêves lucides qui
se constituent alors en des catégories inexistantes chez les rêveurs lucides plus spontanés. Il
s'agit là d'une forme d'interaction de la lucidité avec le rêve qui ouvre à de nouveaux aperçus
sur le phénomène onirique.

Si en effet de tels rêves proposent réellement des solutions qui, pour le rêveur, sont
nouvelles, un pas de plus pourra être fait par rapport à Freud en ce qui concerne l'intégration
de la vie onirique dans le continuum de la vie psychique. Freud s'est en effet efforcé de
montrer que, loin d'être un simple désordre, les rêves reflètent les préoccupations précises
des rêveurs et sont de ce fait pourvus de sens. Mais, d'une certaine façon, si le rêve est pour
lui une sorte de révélateur, il reste un phénomène passif. Or, s'il s'avère que le rêve présente
ses propres solutions, son intégration à la vie psychique devient nécessairement plus forte et
débouche sur de nouvelles interrogations, telle la nécessité de développer cette interaction
créative. Nous allons examiner quelques types de rêves entrant dans cette catégorie qui,
avant le rêve lucide, n'avait été signalée qu'à titre de curiosité.

L'utilisation du rêve pour le développement de la créativité est une tentation


fréquente. Les récits de solutions à des problèmes artistiques, scientifiques ou techniques
trouvés en rêve font souvent figure de mythes oniriques comme en témoignent les rêves de
Tartini, Stevenson, Kekule, Hilprecht, Howe et de bien d'autres. Cependant, ces récits ont
soulevé une question difficile à trancher à l'aide du simple souvenir, celle du pouvoir créatif
du rêve. Bergson, par exemple, refusait la créativité au rêve et Caillois a proposé des
arguments très clairs en ce sens: « Je commençais à douter fortement des traditions que
j'avais acceptées un peu vite et qui présentent, par exemple, Tartini et Coleridge composant
en songe, le premier la Sonate du Diable et l'autre Kublaï Khan. Il fallait distinguer: sans
doute le musicien avait-il rêvé qu'une sonate, le poète, qu'une suite de vers leur étaient
proposées. Mais nul ne niait qu'ils eussent consigné cette dictée au réveil seulement. De sorte
que le rêve n'avait procuré que la cristallisation ou mieux l'épiphanie d'une mélodie ou d'un
poème dont le thème ou les rythmes étaient déjà objet d'enquête, de pressentiment,
d'ébauche. Coleridge, Tartini, d'autres encore, aussitôt réveillés de leur sommeil ou de leur
extase, n'avaient fait que trouver une solution inespérée à un problème qui les tourmentait
depuis longtemps. Si les dons du rêve sortaient véritablement du néant, Tartini aurait pu
écrire Kublaï Khan et Coleridge composer la Sonate du Diable, mais chacun d'eux a trouvé
la moisson de ses semailles. Le rêve les récompensa de leurs veilles et de mille essais
[147]
infructueux, mais non pas inféconds, dont il leur apporta soudain le bénéfice » .

Ce ne sont donc pas les rêves qui sont créatifs, mais leurs auteurs qui finissent par
entrevoir en rêve ce qu'ils auraient pu tout aussi bien saisir à l'état de veille. De ce point de
vue le rêve n'apporte rien d'autre qu'un état dans lequel se manifeste la fécondité du rêveur.
Pourtant, s'il en est ainsi, comment le rêve peut-il donner à la perception onirique des
éléments tellement précis que le rêveur a le sentiment au réveil de ne plus avoir qu'à les
rapporter? Pour répondre à cette question Caillois invoque l'aspect illusoire de ce sentiment:
« Quant au travail artistique lui-même, l'auteur l'accomplit pendant la remémoration du rêve
et à sa faveur, sous son couvert et grâce à elle, dans un état d'exaltation qui ne lui permet
pas de distinguer ce qu'il exhume et ce qu'il ajoute. Il reste pourtant convaincu que, malgré
ses efforts, il ne parvient pas à se rapprocher de la perfection entrevue, inaccessible, illusoire
aussi, que le rêve lui a fait miroiter durant le sommeil. Il croit aller à la rencontre du miracle
sans pouvoir l'atteindre. En fait c'est maintenant qu'il tire de l'ombre, avec une aisance qui le
déconcerte, un chef-d'œuvre qui ne déçoit que lui. Car il tient d'une féerie l'image qu'il en
[148]
conserve » .

Le décalage entre l'enthousiasme du rêveur et la qualité d'inspiration du rêve avait


déjà été constaté par Hervey de Saint-Denys chez un de ses amis: « Il avait rêvé qu'il se
sentait en verve, que des vers charmants naissaient pour ainsi dire d'eux-mêmes sous sa
plume, qu'il venait surtout d'improviser une petite pièce qui lui semblait un chef-d'œuvre. La
joie l'éveille ; la crainte d'oublier stimule sa mémoire ; il récite tout haut en s'éveillant les
deux dernières strophes (les seules qu'il ait pu se rappeler), il les répète, il les écrit les yeux
à demi ouverts. Quelle est donc sa surprise de lire ensuite, à tête reposée, ce que voici :

« Le cygne aux ailes d'or étalait sa richesse,

« Et courait dans les fleurs au lieu de voltiger ;

« Moi, je voulais cueillir la forme enchanteresse

« De celle qui fuyait comme un sylphe léger.

« L'air était parfumé de sable aux couleurs vives,

« Et le sentier neigeux se perdait dans les lis.


« Je glissais mollement comme une ombre qui passe,

« Le cœur noyé d'amour et les yeux éblouis.

« Cette incohérence dans les idées, ce singulier oubli de la rime, il ne s'en était pas
[149]
même aperçu avant de s'éveiller » .

En réalité ce n'est pas tant le décalage entre l'enthousiasme onirique et la qualité de


l'inspiration qui est en cause mais bien celui entre cet enthousiasme et l'idée que le rêveur
se fait au réveil de cette qualité. S'il est en effet délicat de juger d'une qualité poétique dans
l'absolu, il est en revanche particulièrement facile de se rendre compte de l'appréciation que
le sujet porte sur ses œuvres oniriques au réveil. Ce type d'exemple semble confirmer la
thèse de Caillois selon laquelle un travail d'une réelle qualité (pour son auteur) n'est accompli
qu'à l'état de veille, le rêve n'en fournissant que l'enthousiasme accompagné de l'illusion de
la création à l'état onirique.

Néanmoins cet exemple montre également que la critique de Caillois s'applique aussi
dans l'autre sens. Comment s'assurer en effet que l'auteur des vers ci-dessus n'a pas
déformé une œuvre d'une réelle qualité malgré toutes ses précautions? La présence de la
lucidité en rêve devrait permettre d'obtenir une vision plus claire de la situation réelle. En
effet un rêveur tout à fait lucide dispose de sa mémoire de la vie de veille et est donc à
même à la fois de s'assurer que le rêve lui propose plus que le simple sentiment
d'enthousiasme et de juger de la qualité inventive du produit onirique.

Concernant l'inventivité pure, les récits des rêveurs lucides confirment la position de
Caillois pour qui l'obtention d'un rêve créatif ne se fait pas sans effort préalable à l'état de
veille.

Il y eut une occasion où j'étais à la recherche d'une image particulière. Pour


un livre d'enfants que j'illustrais, il me fallait un "tigre de rêve" d'un caractère
bien défini. Je voulais qu'il ait une personnalité différente de celle que d'autres
artistes ont pu attribuer à leurs dessins de tigres. J'essayais plusieurs fois, à
l'état de veille, de disposer autrement les éléments de base. Je dessinai des
tigres de toutes sortes sans être jamais satisfaite. Je décidai, dans mon prochain
rêve lucide, de convoquer un tigre de rêve.

Après quelques essais infructueux - dans l'un d'eux, je survolais plusieurs


ours polaires et atterrissais dans une aire de jeux - je finis par rencontrer l'objet
de mes désirs. Ce tigre était grassouillet avec des yeux anxieux en forme de
demi-lune qui lui donnaient une expression charmante et cocasse. C'était
exactement la créature qu'il me fallait et je le dessinai avec plaisir à mon
[150]
réveil.

La rêveuse, Patricia Garfield, cherche activement le tigre idéal en rêve lucide après de
vains efforts à l'état de veille: les œuvres du rêve ne sortent donc pas du néant. Cependant,
cette idée de Caillois n'est pas aussi claire qu'elle le paraît, car où s'arrête la créativité du
rêveur et où commence celle du rêve? S'il est exact que le rêveur est en quête d'une
solution, jusqu'à quel point peut-on considérer qu'il fournit un travail effectif? Garfield s'est
mise en quête d'un animal précis, mais que serait-il advenu si sa demande avait été plus
large? Certains rêveurs lucides fournissent un effort qui laisse une perspective suffisamment
ouverte pour que leur part de travail "de veille" semble plutôt faible: « Stephen LaBerge,
spécialiste du rêve lucide et lui-même artiste amateur, me dit que, lorsqu'il a besoin d'une
idée visuelle, il place parfois un cadre vide à côté de son lit. Endormi et lucide, il "regarde" ce
cadre qui, dans son rêve, s'est miraculeusement rempli d'une peinture. Au réveil, il tente de
[151]
restituer aussi exactement que possible ce tableau rêvé » . Il y a bien là une recherche du
rêveur, mais elle ne semble pas dépasser l'intention d'obtenir une réponse.

On pourrait toutefois considérer que la présence de la lucidité est le déclencheur


essentiel de cette créativité et que d'une certaine façon, étant lucide, le rêveur ne fait
qu'exercer sa créativité consciente dans un état particulier, et sous une autre forme. En ce
sens l'apparition de la réponse créative en rêve lucide serait plus le fait de la lucidité que du
rêve. L'argument de Caillois garderait alors toute sa validité pour les rêves ordinaires, les
rêves lucides introduisant pour leur part un élément qui est justement celui dont il pose la
nécessité pour la création.

Pourtant, certains chercheurs dans ce domaine vont jusqu'à soutenir que c'est bien le
rêve qui est créatif et non le rêveur, essentiellement parce que la lucidité permet au sujet
d'apprécier la qualité inventive du rêve à sa juste valeur et de constater que, contrairement à
ce qu'affirme Caillois, la "perfection entrevue" en rêve n'est pas toujours illusoire.
L'appréciation de Garfield au cours de son rêve est très nette ("C'était exactement la créature
qu'il me fallait") et elle ne se modifie pas au réveil ("je le dessinai avec plaisir à mon réveil").
Gackenbach soutient cette position en s'appuyant sur deux phénomènes. Tout d'abord le rêve
créatif peut être l'occasion d'un changement de style qui montre une différence très nette
avec les habitudes créatives du sujet éveillé.

L'artiste Fariba Bogzaran, une iranienne habitant habituellement San


Francisco, utilise le rêve lucide comme source de son œuvre. Non seulement elle
"voit" ses futurs tableaux au cours de son sommeil lucide, mais il lui est arrivé de
changer complètement de style à la suite d'un rêve. Le plus radical de ces
changements se produisit après le rêve lucide suivant :

"Je me tiens près de la porte de la galerie, regardant un tableau accroché au


mur. C'est moi qui ai peint cela … Je m'approche pour l'observer plus en détail et
c'est à ce moment que je deviens consciente de rêver … La toile, d'une taille
d'environ six pieds sur sept, représente un mur, détruit en son milieu, mais dont
les quatre coins sont intacts. A l'intérieur du mur, on voit l'empreinte d'un
triangle et d'un cercle et, dans le cercle, un homme et une femme nus, debout."

Quand Bogzaran s'éveilla, elle se sentit contrainte de réaliser ce tableau,


bien qu'il fut d'un style qu'elle n'avait jamais utilisé. L'incertitude dans laquelle
elle se trouvait à ce sujet la poussa à louer un atelier en ville, loin de l'université,
pour qu'aucun de ses collègues ne la voit travailler. "J'avais peur de montrer
cette toile" dit-elle, "mais finalement, je l'ai fait." La réaction fut positive, et le
tableau fut finalement accepté pour une prestigieuse exposition. Mais selon
Bogzaran, le plus important fut, pour elle, la profonde transformation de son
style. "C'était" dit-elle, "comme si un aspect créatif inexploré et jusque-là caché
[152]
avait réussi à s'intégrer à d'autres aspects importants de ma vie".

Outre la transformation de son style, qui indique que le rêve ne se contente pas de
cristalliser un type de recherche, un autre point permet de pencher en faveur de la créativité
réelle du rêve. En effet la lucidité fait du rêveur un simple spectateur lorsqu'elle survient au
cours du rêve mais après l'apparition en rêve de l'œuvre d'art: « Il est important de noter
que Bogzaran peut voir le tableau dans son rêve avant ou après l'apparition de la lucidité,
[153]
mais qu'en général il n'est pas conçu par son regard lucide » . Nous avons ici un cas dans
lequel la lucidité ne sert qu'à s'assurer de l'intérêt de ce que le rêve présente. Tout se passe
en fait comme si la lucidité était sollicitée pour mieux fixer le souvenir de ce qui est à
reproduire, et non pour participer à la création.

Pourtant on pourrait reporter dans ce rêve la délimitation que Caillois fait entre le rêve
et l'éveil et dire que l'œuvre aperçue dans le rêve lucide n'est plus la même que celle du rêve
ordinaire, que la lucidité a apporté la touche créative que le rêveur lucide croit
rétrospectivement exister avant son émergence. Et s'il faut se tourner uniquement vers le
rêve lucide pour décider de la qualité de l'œuvre, c'est que l'auteur est au travail dans son
rêve même. Une telle objection n'est cependant pas confirmée par les récits des rêveurs.
Garfield et LaBerge disent nettement qu'ils se contentent de "voir" en rêve lucide ce qu'ils
veulent dessiner, et non pas qu'ils l'élaborent. Et, même dans ce dernier cas, les éléments de
travail apportés par le rêveur en tant qu'il est lucide diffèrent pour lui de ce qu'apporte le
rêve.

Juste après que je me fus couché, l'ensemble du sujet m'apparut tout à


coup et je me levai pour en faire une rapide esquisse. Je n'avais pas de
problème, sauf avec un arbre, au premier plan ; je me suggérai donc de rêver à
cet arbre et de me souvenir de son aspect pour le dessiner au réveil. Dans le
rêve, j'étais devant le chevalet exécutant mon esquisse sur une grande feuille de
papier blanc. Je dessinais l'arbre qui était plein de lignes horizontales sinueuses.
Il y avait cinq ou six sections principales fortement soulignées de noir … Le plus
curieux, c'est que, pendant que je les dessinais, ces différentes parties se
coloraient de diverses teintes de vert, bien que je ne fus pas en train de peindre
à ce moment. Je m'éveillai … je m'assis et je redessinai l'arbre tel que je l'avais
rêvé ; quand mon esquisse fut terminée et que mon client la vit, il resta un
moment sans voix, puis il dit: "D'habitude, je n'aime pas tout de suite, mais là,
[154]
c'est vraiment parfait".

Dans ce rêve la création de l'arbre est consciente (lucide) mais ce qui colore l'arbre ne
dépend pas de l'artiste.

Il arrive même que la lucidité ne permette pas de se rendre compte de la valeur de ce


qui lui est proposé: « Il avait une difficulté "avec l'adhérence de l'encre sur le plastique" et
raconte comment un rêve lucide l'aida à résoudre son problème. "Cela me préoccupait tant
que, plus tard, quand je m'endormis, je rêvai que quelqu'un me disait d'utiliser un traitement
électrique ; je croyais que c'était seulement un rêve bizarre et je n'en tins pas compte,
continuant à me servir de ce produit chimique et toxique qui ne convenait pas pour tous les
matériaux. Un an plus tard, j'appris qu'il existait réellement un traitement du plastique par
[155]
l'électricité" » . La lucidité n'est donc pas ce qui introduit la créativité dans le rêve
puisque le rêveur peut ne pas en reconnaître le fruit. Ainsi les récits de ceux qui parviennent
à obtenir des rêves lucides créatifs obligent à relativiser les opinions de ceux qui, comme
Bergson ou Caillois, considèrent que le rêve ne crée rien.

Une catégorie tout aussi controversée est celle des rêves participant au rétablissement
de la santé du rêveur et qui sont abondamment cités dans la littérature. Dès l'Antiquité les
rêveurs, dans des temples prévus à cet effet, sollicitaient leurs rêves qui prenaient des
formes diverses. Comme le remarque Dodds, les « ordonnances données en rêve […]
variaient fort naturellement en qualité selon les connaissances médicales du rêveur, et selon
son attitude inconsciente à l'égard de la maladie. Dans quelques cas, elles sont parfaitement
rationnelles, sans être tout à fait originales, comme lorsque la Sagesse divine prescrit un
gargarisme pour le mal de gorge, ou des légumes pour la constipation. "Plein de
reconnaissance", déclare celui qui reçut cette révélation, "je m'en allai guéri". Plus souvent, la
pharmacopée du dieu est purement magique ; il fait avaler à ses patients du venin de
[156]
serpent, ou des cendres de l'autel, enduire leurs yeux du sang d'un coq blanc » .

Comme le suggère ce passage, les rêves peuvent aussi bien être source pour le rêveur
de conseils absurdes que d'indications de bon sens. Et si on ne peut pas considérer les rêves
ordinaires comme apportant systématiquement des réponses à des problèmes de santé, ceux
qui prodiguent des conseils de bons sens doivent cependant être examinés, particulièrement
dans le cas où le rêveur ne recherche pas d'informations oniriques sur ce sujet, et donc ne
projette pas une angoisse particulière sur son état. Ainsi un sujet rêve de salade verte et de
quartiers de citron à un moment où il sentait une baisse dans sa forme physique. Au réveil il
comprend nettement que c'est là l'indication d'une cure mais il ne cherche pas à la
[157]
suivre . Ce genre de rêve n'a, si on y réfléchit, rien que de très normal si le sujet, pris par
d'autres préoccupations, ne se concentre pas sur des questions qu'il pourrait par ailleurs
résoudre s'il y portait son attention, comme, dans le cas présent, l'équilibre de
l'alimentation. Ce type de rêve est probablement plus fréquent qu'on ne le croit, et
[158]
probablement aussi rejeté en raison des habitudes du sujet .

Supposons maintenant que de tels rêves soient lucides, il y a alors plus de chance
pour que le rêveur y prête attention, ne serait-ce qu'en raison de sa conscience de rêver.
Ainsi le même sujet qui ne tient pas compte des ordonnances données en rêve ordinaire a
accepté du rêve lucide une information concernant le rapport de son faible état de santé et
l'ingurgitation quotidienne de zestes de citrons à la peau chimiquement traitée et a, en
[159]
conséquence, cessé sa consommation . C'est probablement la lucidité qui l'a poussé à
suivre dans ce cas une indication dont il n'aurait autrement pas tenu compte. La lucidité
facilite sans doute d'autant plus la compréhension de valeur curative d'un rêve que le sujet
est alors moins enclin à l'interpréter ou à croire qu'un sens latent se dissimule derrière les
images les plus limpides.

Les rêves lucides ne se contentent pas d'indiquer une cure (dont, rappelons-le, le
rêveur aurait pu avoir l'idée à l'état d'éveil) mais en donnent aussi l'évolution dans le temps.

« Je vole dans les airs. Je sais que je peux voler, que c'est un rêve. Autour
de moi, la ville, dans une nuit pâlissante. Je vole entre des bâtiments quelque
peu noirs. Je passe près d'une grille en hauteur au-delà de laquelle se trouve un
parc. Mais je me sens lourd. Un drap ou un oreiller que j'ai entraîné avec moi
tombe. Je le fais remonter par la force de ma volonté et projeter de l'autre côté
de la grille pointue. Moi-même je lévite. Mais lorsque je passe au-dessus de la
barrière ma jambe accroche une pointe. Dans le parc un homme âgé et sa fille
me soignent. Ils extraient un noyau de prune de ma jambe de laquelle émerge
du liquide. En appuyant un peu je fais sortir le reste de la prune et une coccinelle
à pois noirs. On me fait un bandage. Du coup je peux me lever. Je me sens bien.
Je me fais la réflexion que c'est bien, que ça vaut le coup (ou quelque chose
comme ça). L'homme me répond qu'on laissera le bandage quelques jours: 3, 4
ou 5, puis après on alternera avec des périodes sans bandage et, là, je souffrirai
[160]
mais c'est pour la guérison » .

Au cours du rêve le rêveur prend implicitement conscience que sa trop grande


consommation quotidienne de confiture de prune est responsable d'une baisse de son état de
santé, ce qu'il aurait sans doute compris sans l'aide du rêve s'il avait été plus conscient de
son alimentation. Cependant, ce qui rend ce rêve différent des précédents c'est que
l'indication du temps de "convalescence" quelque peu complexe (« on laissera le bandage
quelques jours: 3, 4 ou 5, puis après on alternera avec des périodes sans bandage, et là je
souffrirai mais c'est pour la guérison ») a correspondu à l'évolution de la guérison dans la vie
de veille. Il est cependant difficile de dire si le rêve a effectivement donné des indications sur
l'évolution d'un état de santé ou si son déroulement a eu sur le rêveur un effet de suggestion.

Si des rêves lucides fournissent spontanément de telles informations aux rêveurs on


peut comprendre que certains n'aient pas hésité à utiliser l'état de rêve lucide quand
l'occasion s'en présentait, pour "traiter" leurs problèmes de santé.

Il y a environ un an, je me foulai la cheville … elle était très enflée et j'avais


du mal à marcher. Dans un rêve, je me souviens d'avoir couru, mais je ne sais
plus pourquoi. Tout à coup, je réalisai que c'était impossible ; je ne pouvais pas
courir avec une cheville dans cet état, donc c'était un rêve. A ce moment, où je
commençais à sortir du rêve, la douleur réelle parvint à se manifester dans mon
sommeil ; je me penchai en rêve pour toucher mon mal et cela me fit trébucher.
Tenant ma cheville avec mes mains de rêve, je sentis une vibration, comme un
courant électrique. Très étonné, je décidai de lancer des éclairs en tous sens
dans mon rêve. C'est tout ce dont je me souviens, mais, au réveil, la douleur
avait presque disparu de ma cheville enflée et je pouvais de nouveau marcher
[161]
d'une manière tout à fait convenable.

Ce rêve indique assez nettement que, pour utiliser la lucidité en faveur de sa santé, le
rêveur doit se le rappeler en rêve. Ici, le fait de courir déclenche à la fois la lucidité et
l'intention de faire quelque chose au sujet de la cheville enflée. Cela ne signifie pourtant pas
que le résultat est réellement à mettre sur le compte de l'action du rêveur (à moins qu'il n'y
ait eu là effet de suggestion) mais on peut considérer que le rêve a anticipé sur une
rémission et que l'influence de la décision du rêveur ("je décidai de lancer des éclairs en tous
sens dans mon rêve") n'est qu'apparente.

Toutefois, la lucidité pousse souvent le sujet à croire à l'efficacité de son action


onirique.

Le lundi 9 avril 1984, je mangeai avec un peu trop d'enthousiasme une


grillade de poissons à la japonaise et me perforai l'amygdale droite avec la pointe
de la brochette en bois sur laquelle ce mets était présenté. Le jeudi suivant, mon
amygdale était affreusement infectée et gonflée ; l'enflure l'avait fait tripler de
volume, elle était d'un rouge vif, décorée en surface, de lignes de pus jaune. A
part une augmentation de ma ration de vitamine C et quelques tentatives de
visualisation superficielles, je n'avais rien fait pour la traiter. Le jeudi soir, mon
amygdale était très douloureuse. Je pratiquai la technique de relaxation par prise
de conscience sensorielle pour détourner mon esprit de la douleur et m'endormir.
J'avais utilisé précédemment cette technique - basée sur une prise de conscience
ordonnée des sensations corporelles - pour induire des expériences de sortie hors
du corps ; mon idée première était d'essayer, à partir de cet état particulier, de
me guérir en utilisant le principe selon lequel "ce qui est en haut est comme ce
qui est en bas." Je fis alors - mais sans la sortie hors du corps qui est, pour moi,
quelque chose d'entièrement différent - le rêve lucide suivant :

"Je marche dans la maison en état de rêve lucide et je prends la résolution


de guérir ma gorge. Je la regarde dans un miroir. Elle me paraît normale, mais la
partie qui était malade ressemble plus à la zone centrale (la luette) qu'à une
amygdale. Je constate donc que ma gorge, dans le rêve, semble normale, mais
qu'elle est différente. Je me programme pour une guérison (en utilisant
l'affirmation) et ma gorge est effectivement moins douloureuse au réveil."

Subjectivement, je dirai que moins d'une heure s'était écoulée entre mon
endormissement et mon réveil, et cependant, la douleur avait presque
entièrement disparu. Le lendemain matin, mon amygdale droite paraissait
presque normale, n'étant que très légèrement enflée et rouge. Au moins 95% de
l'infection avait disparu en moins de douze heures. D'après la très remarquable
diminution de la douleur tout de suite après l'expérience, je soupçonne que la
guérison s'est produite pendant le rêve lucide, bien qu'il soit également possible
[162]
que le rêve ait déclenché une forte sécrétion d'endorphine.

Le rêveur s'endort avec l'intention de traiter son problème (dans un état conscient
mais différent de l'état éveillé) et au cours du rêve lucide s'emploie à améliorer sa santé ("Je
me programme pour une guérison (en utilisant l'affirmation)"). L'action du rêveur s'apparente
ici à la suggestion et a bien l'air causale. Paradoxalement la lucidité introduit dans cette
catégorie une illusion absente des rêves ordinaires.

Aussi, nombreux sont les chercheurs qui sont persuadés que les rêveurs lucides
peuvent avoir une action sur leur santé au cours du rêve, comme Gackenbach qui rapporte
[163]
une série de cas semblables . Cependant, même si la multiplication des récits de ce
genre indique qu'une recherche scientifique soigneusement contrôlée dans ce domaine serait
souhaitable, il n'en reste pas moins qu'en ne rapportant que des cas heureux
Gackenbach introduit une certaine confusion. Pas plus que dans l'Antiquité avec les rêves
d'incubation, les cas de guérisons apparemment obtenus au cours de rêves lucides ne
suffisent à décider que ce dernier en est la cause. Dans ce domaine les échecs sont
certainement plus nombreux que les réussites, et plus significatifs: « Cela a dû se produire
souvent à Epidaure: comme l'a dit Diogène en parlant des tablettes votives d'une autre
divinité, "il y en aurait eu bien plus, si elles avaient été offertes par ceux qui n'ont pas été
[164]
sauvés" » . Il n'est en effet pas rare qu'un rêveur s'endorme avec l'intention de traiter un
problème de santé en rêve lucide et qu'il l'oublie complètement lorsque le rêve lucide
survient. Dans d'autres cas sa tentative de solution se heurte à une résistance du rêve, ou
simplement n'est guère suivie d'effet. Si le rêve lucide est certainement une condition
favorable à un certain type de suggestion, il n'est probablement pas une condition suffisante.
En fait l'influence du rêveur ne s'exerce pas sur l'état de veille mais dans le rêve.

B. Rêves manifestant des capacités particulières du rêveur


La lucidité permet de constater le fonctionnement du rêve et au besoin de se livrer à
quelques expériences pour mieux en découvrir les structures. Mais il est un autre type
d'exploration possible, orienté non pas tant sur le contenu onirique que sur la manière même
dont le rêveur peut se livrer à des expérimentations. En s'interrogeant ainsi sur l'influence de
son action onirique le rêveur cherche à comprendre pourquoi ce qu'il parvient à faire dans un
rêve lui est impossible dans un autre. En d'autres termes, il cherche à comprendre la
structure de son influence et la raison de son impact. Cette attitude produit des catégories de
rêves parfaitement distinctes.

Dans ce domaine la première voie de recherche est évidemment la qualité de la


lucidité. L'influence du rêveur suppose nécessairement qu'il est en décalage conscientiel avec
son environnement onirique, faute de quoi il n'aurait pas de motif d'agir, pas même celui de
l'exploration. Ce cas se présente même lorsque la lucidité est nette, par exemple lorsqu'elle
n'est que spectatrice et que son apparition n'infléchit pas le cours du rêve. Et même alors
cette situation donne le sentiment d'une modification plutôt due à une force d'inertie
conscientielle qu'à un désir du rêveur. Ce décalage dépend sans doute des différents
degrés de lucidité de la même façon que les possibilités d'actions que nous avons examinées
mais ne peut être mesuré dans les récits d'après l'appréciation des rêveurs. En effet non
seulement le vocabulaire de la vie courante ne permet pas de décrire avec exactitude les
nuances d'un état conscientiel, mais souvent le rêveur ne se rend pas compte de l'existence
de ces nuances. Dans ces conditions, sa façon même d'interagir avec le rêve à des fins de
modification et les résultats ainsi obtenus peuvent probablement être considérés comme des
indications permettant de mesurer l'intensité de ce décalage et même d'en distinguer les
types. Les cadres naturels dans lesquels tombent ces interactions sont eux-mêmes
significatifs. Le rêveur peut en effet se livrer à des expérimentations par la voie de l'action
physique aussi bien que mentale.

Lorsque le rêveur manipule physiquement (de façon onirique) son environnement cela
indique qu'il est d'une certaine façon intégré au rêve. Du fait de sa lucidité il ne suit pas
nécessairement le cours que le rêve semblait vouloir prendre mais, de son côté, le rêve reste
en conformité avec les actions du rêveur. Ainsi quand Hervey de Saint-Denys brise en rêve
lucide une porcelaine pour examiner le résultat de son acte, le rêve obéit avec exactitude à
cette modification de son scénario. Le rêve peut également ne pas correspondre à ce qui
serait attendu dans la vie de veille, sans pour autant perdre de sa netteté.

« Je suis dans ma chambre, dans un rêve lucide. Je sais ce qu'il en est. C'est
un rêve lucide type solide. Je me trouve en face de la porte. J'y vois les dessins
que j'ai faits. J'avance les mains mais je ne peux pas passer au travers. Je force
un peu. Mes doigts s'enfoncent. Dans le papier cartonné punaisé sur la porte,
malgré les dessins, apparaît mon reflet comme un B. J'y vois un troisième œil,
rouge (ou bleu), puis ce troisième œil devient vert. J'enfonce mes doigts, les
referme et casse la matière de la porte comme du polystyrène. Je fais ça deux
[165]
fois, j'enlève de grands panneaux et je sors […] » .

Dans ce rêve la porte n'a pas la consistance du bois, mais cela n'empêche pas le rêveur
d'agir de façon intégrée. D'ailleurs un peu plus loin dans le même rêve il s'inquiète du trop
fort sentiment de réalité de ce qui l'entoure, ce qui indique que la modification des éléments
par rapport à l'état de veille n'entame pas l'intégrité du rêve.

« […] Je passe dans le couloir. Tout est en réparation. C'est un grand


appartement, le même que dans la veille. Plus loin je vois les murs, ils ne sont
pas encore peints et des structures sont apparentes avec le ciment.

« J'essaie de m'élever au-dessus du sol mais je n'y arrive pas. Le rêve a l'air
très réel. Je devrais me poser la question du retour. Mais je me dis ce que je
m'étais déjà dit dans la vie de veille: je suis toujours revenu, donc il n'y a pas à
[166]
s'inquiéter […] » .

Le rêveur peut aussi modifier le rêve en intervenant verbalement, ne serait-ce


qu'envers les personnages du rêve comme en témoignent les exemples donnés plus haut. Le
personnage adapte alors son action à cette intervention. Il peut même aller jusqu'à modifier
son apparence: « On peut influencer considérablement l'apparence et le comportement des
personnages de rêve en s'adressant à eux d'une manière appropriée. La simple question:
"Qui êtes-vous?" modifiait sensiblement l'apparence des êtres auxquels elle était posée. Des
[167]
personnages étrangers pouvaient ainsi se changer en individus familiers » .

Par le moyen de l'action physique le rêveur peut obtenir des transformations plus
importantes et cependant plausibles en jouant sur l'enchaînement des événements oniriques,
par exemple en franchissant une porte qui débouchera sur une nouvelle scène: « Dans un
rêve lucide, les souhaits les plus faciles à réaliser sont ceux qui n'exigent aucun miracle. Par
exemple, les sujets qui désiraient rencontrer une personne particulière dans leur rêve y
parvenaient rarement tant qu'ils essayaient simplement de la faire apparaître. Par contre, ils
réussissaient souvent lorsqu'ils appelaient cette personne ou s'ils se rendaient en un lieu
[168]
particulier avec l'intention de la rencontrer » . Mais l'action du rêveur peut aussi révéler le
décalage qu'il entretient avec son environnement. Lorsque van Eeden essaie de casser un
verre en rêve, ce dernier ne se brise qu'avec un temps de retard. Parfois c'est l'ensemble du
décor qui résiste à l'action du rêveur au point que le seul fait de se déplacer lui demande un
énorme effort ou que le changement envisagé (par exemple en franchissant une porte) ne se
produit pas. Ou, à l'inverse, une tentative pour agir sur un élément du décor tend à disloquer
le rêve. Le rêveur doit alors faire machine arrière et cesser son action s'il veut rester dans le
rêve. Ce type "d'accident" indique manifestement que l'intégration du rêveur au rêve n'est
pas parfaite même si la lucidité est nette. Cette intégration comporte des degrés qui vont
d'une adéquation complète à un décalage quasi-complet alors que le sujet dort toujours.

« Je marche dans un couloir et je m'adresse à S… que je ne vois pas.


Comme je sais que je rêve, je lui dis que je sais qu'elle est un personnage de
mon rêve et je lui parle de ce sujet. Ce faisant, je passe sous une sorte d'arche
d'escaliers. Je me trouve apparemment dans un grand bâtiment, genre fac, mais
le décor n'est pas franchement là, plus exactement j'ai l'impression d'y être sans
y être. J'avance et tourne dans un angle que fait le couloir. S… n'est pas là. Il y a
plus ou moins l'implication que ce couloir a été fraîchement nettoyé par une
femme de ménage.

« Je décide de m'envoler. Je vole dans la lumière, les bras et les jambes


écartés comme une sorte de cerf volant. La lumière est dans les tons dorés tirant
vers l'orange. Là encore je n'ai pas le sentiment d'être tout à fait là. J'essaie de
modifier ma position et à ce moment j'ai l'impression d'être saisi par les jambes
[169]
par une force invisible qui me fait tourner la tête en bas […] » .

Sans être flou et alors même que le rêveur s'y déplace, le décor lui donne un sentiment
ambigu, celui d'être à la fois absent et présent. Pourtant cela n'indique pas que le rêveur soit
sur le point de se réveiller (ce rêve est suivi d'un faux-éveil assez long). Tout se passe
comme si le rêveur n'avait pu pénétrer complètement dans le rêve. Cette situation se produit
sans doute lorsque la lucidité n'est pas du type qui convient au rêve.

Quelle que soit d'ailleurs l'explication de ce phénomène, les rêveurs lucides ont mis au
point des techniques leur permettant de s'intégrer au rêve, soit qu'ils stabilisent le rêve, soit
qu'ils agissent sur leur propre personne onirique. Il se pourrait d'ailleurs que ces deux types
d'actions ne soient que l'envers l'une de l'autre. Toujours est-il qu'elles ne portent plus cette
fois sur le contenu du rêve mais sur sa nature même. Ce fait est très net lorsque, par
exemple, Carlos Castaneda regarde ses mains pour stabiliser le rêve. Dans ce cas peu
importe que le rêveur soit ou non intégré au rêve, ce qui compte c'est d'amener le rêve au
"format" que le rêveur veut lui faire prendre: un monde stable. L'action sur la nature même
du rêve se fait d'ailleurs par le regard plutôt que par l'utilisation du corps. Le regard interagit
directement avec la durée du rêve lucide: « Un contrôle approprié de la direction du regard
peut soit mettre fin à un rêve lucide, soit le prolonger ou le modifier. La fixation sur un point
stationnaire provoque le réveil dans un intervalle de 4 à 12 secondes. Le point de fixation
devient flou, puis tout le décor du rêve tend à se dissoudre. Des sujets expérimentés peuvent
se servir de ce stade de dissolution pour modeler l'environnement onirique à leur guise. Une
[170]
relance du rêve par des mouvements oculaires rapides peut empêcher le réveil » .

Normalement la manipulation physique marque l'intégration du rêveur au décor tandis


que les failles qui se manifestent indiquent qu'elle est incomplète. Dans ce cas l'action
physique onirique du rêveur ne lui suffit pas pour s'ajuster au rêve.

« […] J'essaie de sortir de mon corps en glissant vers l'avant mais quelque
chose me retient et veut me ramener en arrière. (Je sens que j'ai un corps
élastique et j'arrive à étendre mes pieds plus loin qu'il n'est possible, comme du
caoutchouc, et à partir de là je tente de sortir de mon corps par les pieds). Je
tiens bon. Mais dès que je laisse aller ça recommence (toujours comme un
élastique je me sens ramené en arrière). Alors je laisse faire car je me dis que
mon subconscient sait mieux que moi ce dont j'ai besoin. Je rentre donc dans
mon corps et roule sur le côté pour en sortir à nouveau. Cette fois je touche le
sol. Je sais que je suis conscient dans un rêve et ce d'autant plus que tout est
déformé (les objets et la fenêtre sont bizarrement tordus). Je suis coincé entre la
table et l'armoire. Ma chambre est curieusement disposée, comme un labyrinthe.
Je sais que c'est un rêve et d'abord j'harmonise la vue de mes deux yeux car
mes bras me semblent distordus, je ne vois pas mes mains au même endroit.
(L'accommodation de ma vue se passe comme si je réglais l'objectif d'un appareil
de projection, et tout rentre dans l'ordre à l'exception du labyrinthe qui est
[171]
toujours là) […] » .

Ce rêve lucide ne marque pas une bizarrerie du décor mais une inadéquation du rêveur
au rêve comme le montrent ses difficultés perceptives vis-à-vis de son propre corps onirique.
On comprend que, lorsque le rêveur n'a pas le sentiment d'avoir un corps normal, ni ne
parvient à le commander, l'action physique onirique est fortement entravée. Le regard reste
alors suffisamment dégagé du rêve pour permettre une action sur le rêve, mais il demeure
néanmoins une activité onirique suffisamment forte pour réaliser l'intégration du rêveur.
L'influence physique n'est cependant pas la seule forme de manipulation possible.

Un autre type d'action sur le rêve que nous avons déjà rencontré en étudiant les
capacités de contrôle du rêveur peut être qualifiée de "mentale" ou plus exactement de
"volitive", ce qui revient à dire que le rêveur attend un résultat ou qu'il le souhaite, sans
intervenir physiquement dans le rêve. Les rêves lucides dans lesquels le rêveur opère des
transformations à sa guise ne manquent pas dans la littérature, et nous en avons déjà cité un
certain nombre.

Je songeai aux vêtements que je portais et me dis que j'aimerais avoir un


pourpoint et des hauts-de-chausse ; je les fis apparaître près de moi et les
enfilai. J'aperçus quelqu'un qui regardait la matérialisation de ces vêtements
avec surprise. Il ne pouvait pas savoir, pensai-je, à quel point c'était facile à faire
[172]
dans un rêve .

Cependant, si certains parviennent à transformer quelques uns de leurs rêves lucides


rien qu'en le souhaitant, ils n'obtiennent pas ce résultat de façon systématique. Ainsi un
rêveur lucide qui a couramment en rêve l'habitude de voler en sera incapable dans certaines
occasions, sans comprendre pourquoi - comme dans un rêve précédemment cité dans lequel
une action purement physique, casser une porte, s'avère possible tandis que la volonté de
voler ne parvient pas à faire décoller le rêveur ("J'essaie de m'élever au-dessus du sol mais je
[173]
n'y arrive pas" ). Cette variation des capacités d'un même sujet d'un rêve lucide à l'autre
pose un problème qui appelle diverses hypothèses.

On peut supposer, par exemple, que les rêves lucides en question ne sont pas de
même nature, ce qui explique la modification de l'habileté des rêveurs. Pourtant on constate
que dans les mêmes rêves lucides un rêveur peut obtenir un résultat précis et pas un autre.

[…] Je descendis et je revins m'asseoir en bas. J'acceptai l'offre d'une tasse


de café que me fit l'une de ces personnes. Je me dis alors que je pourrais
peut-être provoquer quelques phénomènes physiques. Je tendis l'index vers un
certain nombre d'ustensiles de faïence, entre autres une assiette, et ils
disparurent aussitôt pour se rematérialiser à quelques mètres de là. Après
quelques essais de ce genre, je vis qu'un petit éventail d'étincelles dorées
jaillissait au bout de mes doigts et j'essayai de le reproduire volontairement mais
je ne réussis pas, cette fois, à cent pour cent. Finalement, je dirigeai mon index
sur un paquet de sucre en poudre. Il ne disparut pas. Au lieu de cela, il s'y forma
un trou, comme s'il avait été percé par une sorte de vilebrequin grossier, et le
sucre commença à s'écouler par la déchirure. Ce n'était pas ce que j'avais voulu
faire et je continuai à pointer mon doigt vers le paquet, espérant encore que
j'allais le déplacer ou le faire disparaître, mais le seul résultat fut que la déchirure
[174]
du papier continua à s'agrandir.

Dans ce rêve le rêveur réussit à faire disparaître certains objets, mais pas tous. Dans
d'autres cas la situation est moins nette mais indique néanmoins une position paradoxale.
Parfois le désir commence à se réaliser mais cette réalisation est entravée, soit qu'elle ne
corresponde pas à l'attente du rêveur, soit qu'elle n'aboutisse pas réellement, sans doute
parce que le rêve n'est pas assez souple pour se maintenir.

A une époque où je m'intéressais vivement à l'étude des rêves, il arrivait


que je devienne conscient de rêver et que je m'essaie à contrôler mon
environnement. L'expérience la plus réussie dont je me souvienne concerne un
rêve dans lequel je voyageais en métro.
Je décidai que l'une des serres des jardins de Kew ferait un décor plus
agréable et je me concentrai sur cette idée. Peu à peu, le plafond du wagon prit
la forme d'un dôme et devint à demi transparent. Les mains de quelques
malheureux passagers se mirent à bourgeonner, produisant des rameaux et des
feuilles et les jambes de certains d'entre eux prirent l'aspect de tiges. Cependant,
[175]
je m'éveillai à ce stade et le rêve ne put se développer au-delà.

Parfois le rêveur atteint même son objectif, mais sur une période si courte qu'on a le
sentiment qu'il devrait le maintenir constamment avec sa volonté s'il voulait le voir persister.
Le rêveur a donc bien une forme d'action mentale volitive mais d'influence partielle sur le
rêve. Ce n'est donc pas la nature du rêve mais celle de l'influence exercée qui entre en ligne
de compte. On peut alors se demander si la difficulté ou la facilité à obtenir ce que l'on veut
de cette façon ne dépend pas de ce que le rêveur cherche à obtenir. Ainsi des objets tels
qu'une pomme ou des vêtements pour les sujets de Green, ou un lapin pour Kelzer sont sans
doute aisément manifestables parce qu'ils sont affectivement neutres, ce qui n'est pas le cas
des comtesses que Jean Paul cherche à faire apparaître sans succès et qui sont certainement
plus chargées affectivement.

Il est loisible de supposer qu'il y a des processus sous-jacents qui n'ont pas été
correctement mis en lumière. Il faut donc se poser la question: en quoi consiste l'action
mentale qui provoque la transformation du rêve? Ce qui n'apparaît pas en effet clairement
dans les récits des rêveurs, c'est la façon dont ils s'y prennent. Forment-ils simplement un
souhait, exercent-ils une tension volitive ou projettent-ils une image mentale jusqu'à ce
qu'elle devienne une perception onirique? S'il y a effectivement différentes manières de s'y
prendre, certaines ne sont-elles pas plus efficaces que d'autres?

Le simple souhait implique déjà une idée et il importe ici de discerner à la fois la forme
que prend cette idée et les processus mentaux qui sont mis en action jusqu'à sa
matérialisation onirique. Dans bien des cas il nous a semblé que le souhait ne comportait
qu'une idée simple qui relevait plus de l'intention presque pure plutôt que de l'image
[176]
mentale. Cela apparaît par exemple dans le rêve du paysage transformé ou même dans
certains des rêves créatifs cités: c'est justement parce que Garfield n'a pas l'image précise
d'un tigre qu'elle en appelle un. Le fait qu'elle ne pense pas à un tigre précis mais à l'idée de
tigre est d'ailleurs illustré par ses premiers échecs, lorsqu'elle rencontre d'abord des ours
[177]
polaires . C'est donc la structure de l'intention qu'il faudrait étudier ici. Pourquoi
réussit-elle dans un cas et échoue-t-elle dans l'autre?

Car, dans d'autres rêves, il est clair que l'intention ne suffit pas. Lorsque Kelzer essaie
de faire apparaître un lapin par un simple souhait, il n'y réussit pas ( « Je décide de prendre
le rêve en main et de commander mentalement à l'arbre de devenir … (pause) … un lapin!
(…) l'arbre disparaît aussitôt. Il n' y a plus dans mon champ visuel qu'un écran brun,
[178]
vide » ) et doit faire appel à la visualisation (« Je suis désappointé. Je choisis de
continuer à visualiser le lapin. Bientôt, la silhouette d'un lapin apparaît, en contours blancs
[179]
sur le brun de l'écran » ). Kelzer ne précise pas cependant s'il maintient dans son rêve
l'image mentale du lapin jusqu'à ce qu'elle acquière la qualité d'une perception onirique ou si
son effort de visualisation provoque cette perception. D'une façon générale les rêves lucides
dont le rêveur manipule les éléments sont plutôt rares par rapport à l'ensemble des
récits obtenus, et peu d'expérimentations semblent avoir été menées en ce sens,
probablement parce qu'un rêveur qui n'obtient pas immédiatement ce qu'il désire passe
souvent à autre chose au lieu de persévérer et d'essayer divers modes d'action. La lucidité
nous apprend néanmoins que les rêves influencés par la volonté du rêveur ne forment pas
une catégorie homogène.

La lucidité du rêveur nous apporte donc bien des éléments d'information autant sur le
phénomène onirique que sur les catégories de rêves. Mais plus encore elle permet
d'approcher les états qui lui sont apparentés, mais auxquels elle reste irréductible.

Section II: Les états apparentés au rêve lucide

[1]
Ibid., p. 85. Déjà cité supra. Souligné ici par nous.
[2]
Richard Feynman, Vous voulez rire, Monsieur Feynman!, InterEditions, Paris, 1985, p. 54.
[3]
Ibid., p. 51 (le début de ce rêve est cité supra dans le chapitre 5).
[4]
Ibid.
[5]
Sujet n°10, rêve éveillé: "Le Fil conducteur" suivi d'un rêve lucide: "L'Objet caché". Nuit du samedi

au dimanche 11/12 août 1990. Souligné par le rêveur.


[6]
Richard Feynman, op. cit., souligné par nous.
[7]
« […] The deck was smooth and clean and warmed by the sun, and I felt the warm breeze on my

skin. This startled me, because I knew that in a dream one does not feel actual physical sensations

with the same intensity and subtlety as in real life, and I was sufficiently mistress of my own thoughts

and movements to pinch my arm in order to assure myself that it was only a dream. I felt the flesh

under my fingers and the slight pain in my arm, and this filled me with real alarm, because I knew

that I ought not to be on that boat, in the daylight […] ». Celia Green, Lucid Dreams, Institute of

Psychophysical Research, Oxford, 1982 (première édition en 1968), p. 15. Cité de façon plus
complète au chapitre 3, section I, introduction.
[8]
Sujet n°16, 8 mai 1985, souligné par nous.
[9]
Ibid.
[10]
Hervey de Saint-Denys, Les Rêves et les moyens de les diriger, Tchou, Paris, 1964, p. 335.
[11]
« Lucid dreams […] may be described as "like ordinary dreams in being neither particularly clear

nor particularly coloured" and certains persons and objects may even figure as a kind of abstract

impression rather than as clearly visualized image […] Subject D describes his dreams as being

coloured in about a third or a quarter of his experiences, and the rest "a sepia colour". These

proportions of coloured and uncoloured dreams are not constant from one subject to another ».

Green, op. cit., p. 70.


[12]
« I was, I thought, standing in my study; but I observed that the furniture had not its usual

distinctness - that everything was blurred and somehow evaded a direct gaze. It struck me that this

must be because I was dreaming. This was a great delight to me, as giving the opportunity of

experimentation ». Celia Green, op. cit., p. 71, cité supra, chapitre 2. Souligné par nous dans le texte

traduit en français.
[13]
Sujet n°4, "Mise en pratique du LaBerge!", 22 septembre 1991.
[14]
« In astral projection I have visual sensations only. These have the usual colouring of waking life ».

Green, op. cit., p. 74. Souligné par le rêveur.


[15]
« Since this first dream my lucid dreams have been uniformly coloured and, so far as I could see,

virtually indistinguishable from waking life ». Ibid., p. 71.


[16]
« In this experience Dr. Whiteman found himself dreaming that he was a girl, and compares the

feeling of movement in this dream body with his feelings in his normal, waking body ». Ibid., p. 78.
[17]
« Awareness in separation began with the sight of a tree, about twenty feet away, in a pleasant

natural scene. I moved a little nearer, so that the tree was on my left. The freshness of the air and

the joy of being in a smaller and acceptable form again made me start dancing, with movements

exhilarating in their freedom… Still affected, with the joy in nature, I lay down on the ground, vividly

feeling the cool grass with my fingers and the firmness of the earth beneath. I began to be afraid of

the mounting excitement, that it would pass beyond my control, and decided to stand up again. As I

did so, I noticed vividly how different it was, getting up off the ground in my proper form, from what

it would have been in my physical body, on account of the great differences in bodily form, the

smaller height, and the proportionately wider hips. In spite of this being, as it were, a strange

discovery, the movement was completely natural to me, and wonderfully satisfying in its ease and

grace. The memory-impression of what the contrasting movements of my physical body would have

been, on the other hand, seemed only an outer illusory and provisional covering to the reality I was

experiencing ». Ibid., souligné par nous.


[18]
Rêve du sujet n°1, "Portraits", 1er avril 1985, déjà cité surpra au chapitre 3. Souligné ici par nous.
[19]
« Visual, tactile, auditory, thermal and very occasionally olfactory and gustatory sensations are

experienced ». Green, op. cit., p. 74.


[20]
Ces rêves ont été cités supra dans le chapitre 2.
[21]
C'est également le cas de Stephen LaBerge.
[22]
«… In a Dream of Knowledge reading is a very difficult matter. The print seems clear enough until

one tries to read it, then the letters become blurred, or run together, of fade away, or change to

others.

« Each line, or in some cases each word, must be held by an effort of the will until its meaning has

been grasped; then it is released - on which it becomes blotted out or changed - and the next held its

turn and so on. Other people told me that they find the same difficulty in reading dream

litterature… ». Green, op. cit., p. 72.


[23]
« […] In the first lucid portion of dream I just went on wandering about the castle. I found a page

of writing in a sort of communal room. I wondered if I would be able to read it. The whole page

became quite clear and I read it carefully to see if my subconscious was clever enough to invent

something coherent. It seemed to me at the time that it was quite reasonable, being a kind of

proclamation or set of instructions about arrangements for a sort of ceremony or pageant. About two

or three lines of writing were clearly in focus at any one time ». Ibid.
[24]
« An excellent test is reading something twice. If it stays the same on the second look, you are

most likely not dreaming. If you wear a digital watch, you can look at its readout twice; in a dream it

will never behave correctly ». "Experiments in Lucid Dreaming", NightLight, Volume 1, Number 1,

Winter, 1989, pp. 5-10.


[25]
« The fullness of light is light that fills my vision. There are no outer edges to it, nor areas of

darkness. The light is extraordinary bright, like the sun, though it is not difficult to look at. It normally

appears from above my dreamed head looking like the sun and remains high before me. As it fills my

vision with light, I no longer discern the sun's circumference ». George Gillespie, "The Phenomenon of

Light in Lucid Dreams: Personal Observations", Lucidity Letter, 3 (4), December 1984, pp. 1-3.

Souligné par nous.


[26]
« I thought: shouldn't this be liberating, and more vivid than ordinary dreams? Thereupon (or so it

seemed) light "sprang up" all around.

« I was not sure even at the time whether or not the increase in illumination was purely imaginary -

the effect of suggestion, so to speak; though in retrospect this sounds a curious distinction!

« The idea suggested itself to me afterwards that the difference in vividness between dreams and

lucid dreams was only one of degree, not of kind; at least in my case. It seemed somewhat as if the

images were the same, only the "illumination" of them was increased in lucid dreams ». Green, op.
cit., pp. 70-71.
[27]
Sujet B de Green, dans Green op. cit., p. 105, traduit dans Garfield, op. cit., p. 157. Rêve cité

supra au chapitre 3.
[28]
« I should say that this dream was like ordinary dreams in being rather twilit and not particularly

coloured. The only thing that I can be sure was coloured was the apple. This was distinctly red and

green. This suggests that the colour and visual definition in general may be a function of the attention

that is paid to it ». Green, op. cit., p. 71. Souligné par nous.


[29]
« Standing in front of a high tower during a lucid dream, I clearly experienced the tower's power.

This gave rise to a desire to look down from it. I accomplished this by gliding in desultory fashion to

the top of the tower along my line of sight. I then looked downwards and was overcome by a feeling

of dizziness. In a similar way as before, I changed my perspective several times until I seemed to be

standing on top of the tower and at its base at the same time, while simultaneously looking upwards

and downwards. In this way, I experienced the power of the high tower and the dizziness caused by

the long vertical drop in one conflicting moment ». Récit rapporté par Paul Tholey, "Overview of the

Development of Lucid Dream Research in Germany", Lucidity Letter, 8 (2), 1989, pp. 6-30.
[30]
« During lucid dreaming, we can sometimes consciously produce perceptual phenomena which

differ completely from perception in a waking state - for example, a panoramic field of vision

extending 360 degrees in both horizontal and vertical directions ». Ibid., p. 14.
[31]
Sujet n°16, "Sœur parallèle", 1er janvier 1988. Souligné par nous.
[32]
« I was testing the continuity of consciousness from dreaming to being awake by counting in the

dream, intending to continue through the act of waking up and slightly beyond. I was counting out

loud at a regular speed, deliberating on each number. Other activity continued in the room. Someone

began pinching me in my seat. This distracted me. I tried to shake him off and couldn't, so I ignored

him. Next, I had bothersome grape seeds in my mouth. I needed to spit them out and had to be

careful not to lose count nor lose my rhythm ». George Gillespie, "Problems Related To

Experimentation While Dreaming Lucidly", Lucidity Letter, vol. 3, n° 2 & 3, August 1984, pp. 1-3.
[33]
« Never had I felt so absolutely well, so clear-brained, so divinely powerful, so inexpressibly free!

The sensation was exquisite beyond words ». Oliver Fox, Astral Projection, A Record of Out-of-

the-Body Experiences, The Citadel Press, Secaucus, 1980, pp. 32-33. Cité supra au chapitre 2 .
[34]
Ibid., souligné par nous.
[35]
Sujet n°4, "Mise en pratique du LaBerge!", 22 septembre 1991, déjà cité supra. Souligné par nous.
[36]
Patricia Garfield, op. cit., p. 138, souligné ici par nous.
[37]
Hervey de Saint-Denys, Les Rêves et les moyens de les diriger, Tchou, Paris, 1964, p. 246.
[38]
Ibid.
[39]
Ibid., souligné par nous.
[40]
« A major problem can arise from the dreamer becoming just lucid enough to realize that he or she

has the power to awaken or otherwise avoid an unpleasant dream experience, instead of resolving

the conflict. I became aware of this problem in myself in an early lucid dream: […] ». Stephen

LaBerge, Lucid Dreaming: An Exploratory Study of Consciousness during Sleep, Unpublished doctoral

dissertation, Stanford University, 1980, p. 112. Souligné par nous.


[41]
« I am escaping down the side of a skyscraper, climbing like a lizard, when I realize that I'm

dreaming and can fly away. As I do so, the dream fades into a scene in which [a certain teacher]

comments on my dream: 'It was good that Stephen realized that he was dreaming and could fly, but

unfortunate that he failed to see that since it was a dream, there was no need to escape […]' ». Ibid.
[42]
« After reading the article ('Lucid Dreaming as an Evolutionary Process […]') I went to bed with a

strong desire to test it. I slept restlessly until dawn with no recall. Then the most beautiful experience
followed.

« I seemed to be responsible for a baby which was very messy and sitting on a pot. My concern was

to find a bathroom and clean it up without others noticing it. As I held the baby, I distinctly felt that it

should be older and better trained. I looked closely into its face which was full of wisdom and

suddenly I knew I was dreaming.

« Excitedly, I tried to remember the advice in the article and the only thought I had was "Ultimate

Experience". A blissful sensation took over - of blending and melting with colors, and light - opening

up into a total "orgasm". I gently floated into waking consciousness. A feeling of bubbling joy has

stayed with me now for six days ». Récit rapporté par Gregory Scott Sparrow, Lucid Dreaming,

Dawning of the Clear Light, A.R.E. Press, Virginia Beach, 1976, pp. 26-27.
[43]
« […] Even though I had not planned to fly, something in the dream made me think about flying,

and I simply leaped into the air (Superman style) and flew. The sensation was the most exhilarating

and realistic dream experience I ever had. I used to have flying dreams when I was younger, but they

were more of the floating variety, and never higher than tree-top level. I never had the degree of

control that I experienced in my lucid dream. I flew down a canyon of tall buildings, gradually gaining

altitude. The buildings gave way to a park, where I embarked upon some aerial acrobatics. It was my

last dream of the night, and the feeling of exhilaration lasted all day ». Sujet G. R., Westborough,

Massachusetts, "Flying high", dans la rubrique "From The World Of Lucid Dreaming", NightLight,

Volume 1, Number 2, Spring 1989, pp. 13-14.


[44]
« […] I continued my walk, revelling in the beauty of the morning and my sense of freedom. I

encountered no one, which was not surprising, for few people passed that way early in the day. How

long elapsed I cannot say ; time is a most perplexing thing in the Dream World ; but presently it
occurred to me that I ought to be getting back to my body. I had to be at College by nine o'clock, and

I had no idea what the actual earth-time was, except that it was probably morning. I therefore willed

to end the dream and to awake. To my great surprise nothing happened. It was as though a man

actually wide awake willed to awake. It seemed to me that I could not be more awake than I was. My

reason told me that the apparently solid shore and sunlit waves were not the physical land and sea ;

that my body was lying in bed, half a mile away at Forest View; but I could not feel the truth of this. I

seemed to be completely severed from that physical body. At this point I became aware of a man and

a boy approaching. As they passed me they were talking together; they did not seem to see me, but I

was not quite sure. A little later, however, when I met another man and asked him the time, he took

no notice and was evidently unaware of my presence. And then I wondered if I was "dead". Worse

still, if I was in danger of suffering premature burial! What was the real time - the actual time on

earth? How long had this dream lasted?

« I began to feel terribly lonely. This experience was quite new to me: always before I had been able

to wake when I cared to will it - indeed, the trouble had been that I woke too easily. Now I was

afraid, and it was difficult to keep control and not give way to panic. Desperately I willed to wake -

again and again, until a climax was reached ». Fox, op. cit., pp. 38-39. Rêve partiellement cité supra,

chapitre 3, section 1.
[45]
Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, Oniros,

Ile Saint-Denis, 1991, pp. 286-268. Souligné par l'auteur.


[46]
Ibid.
[47]
Hervey de Saint-Denys, Les Rêves et les moyens de les diriger, Tchou, Paris, 1964, pp. 255-256.
[48]
Ibid.
[49]
« […] The kids and the hall had better clarity and detail. As I walked, a thought occurred to me;

now would be a great time to do an experiment, to take advantage of this lucid state before

something happens to awaken me. I tried an experiment with math problems. It seemed simple

enough and not too complicated. I was curious to know if solving math problem was possible at all in

a dream. I walked over to the wooden desk, took out a piece of paper I found in the drawer and

wrote down a couple of math questions (8x7, 4x2, 3x2, and I think 9x3). By now most of the gang

had dispersed, leaving me alone to solve the problems. There was one kid standing by the wall

watching me.

« The problem I tried to solve was 8x7. It was extremely difficult to concentrate, and I got the

answer wrong. I tried again, but this time I got it right (56). I felt excited. I actually got a math

problem right in the dream. The youth next to me approached and asked me if I would join him and

the others. I said no and that I wanted to be alone. I then tried another problem. Again it was difficult

to concentrate on the answer, but I got it right. Now most of my attention was on solving the math. I

began to feel great pressure in my eyes. It felt like the feeling you get when you spin around many
times and get that slight headache or when you read in a moving vehicle. I wasn't too concerned

though. The funny thing was, and the most unusual, that with each correct answer, I felt my mind

expand.

« The dream became more lucid and my peripheral vision was greatly enhanced. I also felt my dream

body become more solid, I saw my hands and feets with much greater clarity ». Vincent MacTiernan,

"Letter to the Editor", Lucidity Letter, 6 (2), pp. 157-160. La suite de ce rêve a été citée supra dans le

chapitre 3.
[50]
« Their sudden friendliness made me happy but cautious. […] I felt great joy that I was lucid ».

Ibid.
[51]
Yves Delage, Le Rêve, Étude psychologique, philosophique et littéraire, Imprimerie du Commerce,

Nantes, 1920, p. 457.


[52]
Ibid., p. 458.
[53]
Ibid., p. 457. Souligné par nous.
[54]
Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, Oniros,

Ile Saint-Denis, 1991, p. 148.


[55]
Ibid., pp. 148-149
[56]
Ibid.
[57]
Sujet n°16, 9 septembre 1985.
[58]
Stephen LaBerge, op. cit., p. 149. Souligné par nous.
[59]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 234. Souligné par nous dans la première phrase.
[60]
Les rêveurs lucides ne proposent généralement qu'un choix de leurs rêves les plus marquants. Cela

fausse l'image de l'ensemble du phénomène. Nous donnons en annexe quelques extraits complets de

journaux de rêves qui permettent d'une part de se rendre compte que le rêve lucide recouvre tous les

types de rêves et d'autre part de les comparer avec les rêves ordinaires faits pendant la même

période.
[61]
Sujet n°16, 22 octobre 1986.
[62]
Idem, 24 décembre 1987. Souligné par nous.
[63]
Idem, 22 octobre 1986.
[64]
Idem, 14 décembre 1990.
[65]
« Another sensory experience that appears to change when one enters the lucid state is vision.

Most individuals remember a rich visual quality in their early lucid dreams. This gradually fades as
one habituates to lucidity. However, it may reemerge in long-term lucid dreamers, particularly in

dream pursuits of a transpersonal or spiritual nature ». Jayne Gackenbach & Jane Bosveld, Control

your Dreams, Harper & Row, New York, 1989, p. 45.


[66]
Sujet n°16, 14 décembre 1990.
[67]
La qualité du décor dépend probablement plus de l'état du cerveau que du type de démarche, ce

que montre l'influence des post-images sur la luminosité des rêves.


[68]
La qualité du décor dépend probablement plus de l'état du cerveau que du type de démarche, ce

que montre l'influence des post-images sur la luminosité des rêves.


[69]
Delage, op. cit., p. 29.
[70]
Delage, op. cit., p. 29.
[71]
Sujet n°16, 14 décembre 1990.
[72]
Ibid.
[73]
Delage, op. cit., p. 475.
[74]
« the world of lucid dreams is usually a fairly close imitation of that of waking life. The subject may

be brought to an awareness that he is dreaming by some fantastic occurrence, but fantastic

occurrences do not usually continue into the lucid dream that follows.

« The world of lucid dreams does, of course, differ from that of waking life, but in fairly consistent

ways. The subject may be able to fly or to make things happen in his dream which would be

described as psychokinetic phenomena if they happened in waking life, but the environment in which

he flies and performs "miracles" remains a matter-of-fact imitation of the waking world ». Celia

Green, op. cit., pp. 56-57.


[75]
« Perhaps it may help to clarify the situation if we mention some kinds of non-realism which do not

happen in lucid dreams, or happen very rarely. Animals and objects do not become personified or

start talking. Persons, whether known to the dreamer or invented by him, are clearly characterized.

Neither persons nor things change identity as the dream proceeds. Although the body which the

dreamer possesses in the lucid dream does not necessarily resemble the body he possesses in waking

life, it does not change its characteristics in the course of the dream. The laws of the physical world

are not usually broken, and when they are it is in what one might describe as a "careful" way. The

impression which one receives is not so much that the laws of the physical world have been forgotten

or ignored, but that a meticulous imitation of them is offered, which sometimes omits certains

details. » Ibid.
[76]
Sujet n°10, "La fillette qui rapetisse", 23 janvier 1986.
[77]
Idem , « Ma mère devient "marine-pêcheuse" », 29 décembre 1985.
[78]
« In the 1950s, psychologist Calvin S. Hall was the first to systematically look at what people

dream about. He and other researchers, most particularly Robert Van de Castle of the University of

Virginia, developed several scales for analyzing the manifest content of individual dreams. Manifest

content is composed of the obvious facts in a dream: where the dream is set, how many characters

are in it, the sex of those characters, the actions that take place. […] After analyzing thousands of

dreams, Hall and Van de Castle uncovered some fascinating information about what dreams are made

of. A good number of our dreams, they found, are set indoors, most often in houses. In fact, one out

of almost every three dreams takes place in some sort of dwelling, followed in order by the bedroom,

the kitchen, the stairway, and the basement ». Jayne Gackenbach & Jane Bosveld, Control your

Dreams, op. cit., p. 40.


[79]
« Lucid dreams do not necessarily contain more bizarre elements, such as two-headed ducks,

chairs that melt, or even dream flying, but they do exhibit a developmental pattern of bizarreness

that ordinary dreams do not ». Ibid., p. 51.


[80]
« Last night in a dream in which my wife figured, I got to know that I was dreaming through the
unexpected appearance of a large model battleship which was propelled through the streets by men

walking inside it. We witnessed interesting and strange carnival scenes and a big fire, a great building

being ablaze. Eventually we left the carnival and fire behind us and came to a yellow path, leading

across a desolate moor. As we stood at the foot of this path it suddenly rose up before us and

became a roadway of golden light stretching from earth to zenith.

« Now in this amber-tinted shining haze there appeared countless coloured forms of men and beasts,

representing man's upward evolution through different stages of civilization. These forms faded away;

the pathway lost its golden tint and became a mass of vibrating circles or globules (like frog's eggs),

a purplish-blue in colour. These in their turn changed to "peacock's eyes"; and then suddenly there

came a culminating vision of a gigantic peacock, whose outspread tail filled the heavens. I exclaimed

to my wife, "The Vision of the Universal Peacock!" Moved by the splendour of the sight, I recited in a

loud voice a mantra. Then the dream ended ». Fox, op. cit., pp. 90-91.
[81]
« I was sitting on my bed kissing an older lady who worked at the same grocery store that I did.

Suddenly, a salesman walked into my bedroom. I was very annoyed at this man's getting into my

house as well as frustrated by his interruption of a particularly pleasant situation. The salesman

immediately retreated downstairs. As I followed, my mind continued to question what was going on.

« I walked across the living room towards the front door. As I opened it and looked outside, I became

lucid for the first time in my life. I said to myself with great enthusiasm, "This is a dream and now I'm

in control." With that, a poweful surge of energy ran through my body. I felt like Dorothy in the

Wizard of Oz, emerging from a world of black and white to one of incredible beautiful colors (to

borrow an analogy from Stephen LaBerge).

« I immediately leaped from the porch and flew upwards. I reached about 50 feet in height when I
felt a heavy weight pulling on my legs. I realized it was the lady I was kissing in my bedroom. I let

her fall to the ground and immediately sling-shotted myself into the clouds. As I flew higher, my mind

went blank. I was immersed in warm, peaceful, brilliant white light and my dream body tingled all

over. I was almost orgasmic when the feelings overcame me and I awoke ». Curtis Durrant, "Three

Ecstatic Dreams", Lucidity Letter, 9 (1), 1990, pp. 6-8.


[82]
« As one becomes more adept at lucid dreaming […] bizarre elements reappear. Hunt has found an

increase in "geometric imagery and white light experiences, and more abstract imagistic effects" ».

Jayne Gackenbach & Jane Bosveld, Control your Dreams, op. cit., pp. 51-52.
[83]
« A layer of "dough" which resembles pie crust forms an outer shell in the shape of the halo of a

Buddha. In the beginning I identify with the dough, a thick and heavy mass of ego and emotions

accumulated over endless period of time. Then I peel off the dough and inside is my real self in the

form of a tanka [a Tibetan Buddhist symbol] yet made out of transparent raditations form the

chakras, geometric, powerful, and made of pure light. Gradually, I identify with the front chakras and

it softens from its geometrically concentrated power into soft golden rays that seem to come from the
heart chakras. At the same time I am the source of this light. I do my mantra and pray I will be able

to hold this state of mind for the sake of all beings ». Ibid., p. 52.
[84]
« Hunt suggests that if lucid dreaming was primarily a mental waking up inside REM sleep, then

confusing thoughts and bizarreness should disappear altogether. Clearly they do not ». Ibid.
[85]
Sujet n°38, "Venez me chercher, je suis lucide!", 23 août 1992, cité supra chapitre 5.
[86]
Sujet n°16, 24 décembre 1987. Rêve cité supra, même chapitre. Souligné par nous.
[87]
Sujet n°16, 31 décembre 1984. Souligné par nous.
[88]
Sujet n°16, Péniche mondaine, 9 janvier 1988, déjà cité supra, dans un autre contexte, au chapitre

3. Souligné ici par nous. Voir aussi, par exemple, le rêve du 15 décembre 1984 du même sujet.
[89]
« As directors of their dreams, lucid dreamers seems to limit the roles others play and concentrate

on themselves. Rarely do lucid dreamer create a partner to fly with them; instead they become

caught up in the technique of flying and the unique perspective it offers them ». Jayne Gackenbach &

Jane Bosveld, Control your Dreams, op. cit., p. 49.


[90]
« I reached about 50 feet in height when I felt a heavy weight pulling on my legs. I realized it was

the lady I was kissing in my bedroom. I let her fall to the ground and immediately sling-shotted

myself into the clouds ». Curtis Durrant, "Three Ecstatic Dreams", Lucidity Letter, 9 (1), 1990, pp.

6-8. Cité complètement supra, même §.


[91]
Sujet n°1, 12 avril 1985.
[92]
Idem, 31 mai 1985.
[93]
Idem, 12 avril 1985.
[94]
Sujet n°16, 6 février 1983.
[95]
Idem, dimanche 9 janvier 1983.
[96]
« Persons who appear in lucid dreams are clearly characterized and retain their identity throughout

the dream. They may be persons who are known to the dreamer in waking life, or they may be

unknown to him. In the latter case they are often compounds made up from fairly identifiable past

memories. But whether they are known or unknown, they retain a distinct individuality and do not act

out of character ». Celia Green, op. cit. , p. 63.


[97]
Sujet n°1, 31 mai 1985. Cité supra.
[98]
« […] I was having a non-lucid dream where I found myself in some sort of restaurant having

dinner with two acquaintances. After finishing our dinner we got up to leave; it was then I noticed my

jacket, which had been hanging on the back of my chair, was missing. I became very upset, and we

began looking for it. The other restaurant patrons, about seven or eight, also helped; even the cook

came out of the kitchen to lend a hand. Then, all of a sudden, in some mysterious way, complete

lucidity came over me; I now had my complete day-conscious mind about me. I knew everything

about myself, my past, my present - that my body was in my bed asleep and I was in a dream. I

spoke in a loud voice, "My God! I'm in a dream again!" […] My acquaintances and the other patrons

of the restaurant looked at me with what I can only describe as a malevolent look in their eyes, and a

few of them said in a menacing voice, "Yes, you are in a dream, aren't you!" Then the cook walked

towards me with what looked like a saw, "Now we will show you what it is like to be in a dream". He

then proceeded to try to saw my head off […] ». Father X, "Reflections on Lucid Dreaming and

Out-of-Body-Experiences", Lucidity Letter, June, 1989, Volume 8, n°1, pp. 35-45.


[99]
Sujet n°10, "La métamorphose des monstres", 14 décembre 1985.
[100]
« […] I became lucid, while being chased by a tiger, and wanted to flee. I then pulled myself

together, stood my ground, and asked, "Who are you?" The tiger was taken aback but was

transformed into my father and answered, "I am your father and will now tell you what you are to

do!" ». Paul Tholey, "A Model for Lucidity Training as a Means of Self-Healing and Psychological

Growth", in: Jayne Gackenbach and Stephen LaBerge (eds.), Conscious Mind, Sleeping Brain,

Perspectives on Lucid Dreaming, Plenum, New York, 1988, pp. 263-287.


[101]
Sujet n°10, "Une exploration en profondeur", 19 octobre 1986. Cité supra .
[102]
« I am walking with M. when I recognize that we are in a place I have dreamed of before - "The

Museum of Uninvented Inventions" - and that this therefore, is a dream. I think how M. would like to

have lucid dreams, but I know that this is "M", a dream character. Nevertheless, I suggest to him that

even though he is only a dream character, perhaps he could realize that he is dreaming […] ».
Stephen LaBerge, Lucid Dreaming: An Exploratory Study of Consciousness during Sleep, Unpublished

doctoral dissertation, Stanford University, 1980, p. 35. Souligné par l'auteur.


[103]
« Now I was setting in a corridor inside the house with my mother and we were setting out on a

walk together. I was explaining to her about lucid dreams and she was being tolerant but not really

listening. "Yes, I suppose it's possible", she said, much as if I'd said, "The molecule of lysergic acid is

related to that of adrenaline", or "Perhaps it's a matter of interchanging the time and space axes".

"We are in a dream now , Mother", I said informatively, as we walked down a winding lane. "Oh yes",

she said, humouringly. (This situation is rather reminiscent of one I was in with her in waking life

when I was about 5, going along a country lane with her and arguing that life might be a dream.) I

explained that people might be able to give one another messages in dreams, and she took that all

right, but then I said, "If I tell you something now, will you try to remember it when you wake up?"

She jibbed at that. "Oh, I don't know about that", she said. "I really don't think I could". "But you

could try, couldn't you, Mother?" I said, and with some exhortation she did agree to try (though

plainly not very hard). "Concertina", I said, loudly and clearly. "Try to ring me up tomorrow and say

that. Concertina, Mother, don't forget". (This word had just occurred to me as sufficiently unlikely.) ».
Green, op. cit., pp. 65-66. Souligné par le rêveur.
[104]
« It began with flying and floating. I felt wonderfully light and strong. I saw immense and beautiful

prospects - first a town, then country landscapes, fantastic and brightly colored. Then I saw my

brother sitting - the same who died in 1906 - and I went up to him saying: "Now we are dreaming,

both of us." He answered: "No, I am not!" And then I remembered that he was dead. We had a long

conversation about the conditions of existence after death, and I inquired especially after the

awareness, the clear, bright insight. But that he could not answer; he seemed to lack it. […] Then a

second period of lucidity followed in which I saw Professor van't Hoff, the famous Dutch chemist,

whom I had known as a student, standing in a sort of college-room, surrounded by a number of


learned people. I went up to him, knowing very well that he was dead, and continued my inquiry

about our condition after death. It was a long, quiet conversation, in which I was perfectly aware of

the situation. I asked first why we, lacking our organs of sense, could arrive at any certainty that the

person to whom we were talking was really that person and not a subjective illusion. Then van't Hoff

said: "Just as in common life; by impression." "Yet," I said, "in common life there is stability of

observations and there is consolidation by repeated observation."

«"Here also," said van't Hoff, "and the sensation of certainty is the same." […] ». Ibid., pp. 38-39.
[105]
« I now found myself with X. in a room at the other end of the corridor. I was telling him about

the lucid dreams I had just had, and said suddenly as it occurred to me, "And of course, this is a

dream now". X. said with an unhelpful smile, 'Well, it might be. How do you know?" "Of course it is", I

said, and crossed to the window. This was heavily barred; outside were castle-turrets and a long drop

below to village roofs. "I'm going to fly", I said, and started to break off the bars. They broke as if

made of a cross between chocolate and sealing-wax, and I threw the pieces down on the roofs below.
"Be awkward if it isn't a dream, won't it?" said X., who continued to stand by passively, looking

humorous. "It is a dream", I said firmly, though at the back of my mind I thought cautiously, "At the

worst it couldn't be more than £50 for tiles". ». Ibid., p. 66. Souligné par le rêveur.
[106]
L.-F. Alfred Maury, Le Sommeil et les Rêves, Etudes psychologiques, Didier et Cie, Paris, 1878, p.

142. Souligné par nous.


[107]
« Then the man takes the pencil out of my hand and proceeds to make a quick, accurate sketch of

a face on a magazine. From my perspective, the face is upside down. Amazed, I turn the magazine

around 180° so as to look at the face more closely. The drawing remains the same ; after some time,

however, I see the sketch 'properly' (a reversal takes place). The picture shows the face of a person

playing pinball; the head is lowered so that only the moustache and nose are visible from above. I

look at the picture again; it could not be more accurate ». Paul Tholey, "Consciousness and Abilities

of Dream Characters Observed During Lucid Dreaming", Perceptual and Motor Skills, 1989, 68,

pp. 567-578.
[108]
« "I meet a female acquaintance in the room. I ask her, as I had planned to, if she can tell me a

foreign word I am unfamiliar with. She immediately says: 'Orlog. The word Orlog describes our

relationship.' I fail to understand her as the word 'Orlog' is unfamiliar to me. […] " After waking, the

subject looked up the word 'Orlog' in a dictionary and found it to be a Dutch word which roughly

translated means 'quarrel.' » Ibid.


[109]
En rêve le rêveur peut attribuer à un autre que lui-même les idées qui sont siennes, sans les

reconnaître.
[110]
« I am lying in a meadow, looking up at the night sky. Angel-like creatures - I cannot tell exactly

what they are - appear before me. I look up to the heavens and cry: 'Can you recite me a poem?' I

then hear a melodious, but melancholy chorus of voices from above. They sing in French, and as my
French is not that good, I am only able to catch the first verse: 'Chantez sur la maladie/d'amour/

c'est une mélodie/contre la vie!' […] ». Ibid.


[111]
« To this end, the subjects were instructed to set for the dream characters addition and

multiplication tasks of varying degrees of difficulty ». Ibid.


1
« I now see a group of children aged about six or seven. When I ask one of the boys if he can do

sums, an elderly man (no doubt their teacher) pushes his way to the front and says: "The little ones

can do simple sums". "What is two times two?" I ask the boy. "Four!" he answers at one. "And what

is three times three?" I then ask. "Nine" the boy replies, without hesitation. I decide to ask something

more difficult. "What is three times seven?" After a short pause the boy answers, "Eighteen!" As the

disappointment shows in my face, the teacher again jostles his way forward and says, "I told you that

they could only do simple sums. We haven't gotten past ten in our arithmetic yet…" I go back into the

street to set problems to some adults. The first person I see is a well-dressed middle-aged man.

"Would you mind doing some arithmetic for me?" I ask. He makes a dismissing gesture with his hand
to indicate his annoyance at my request and his unwillingness to comply with it. The next man I ask

is much friendler. "But of course" he replies. "Fire away!" He seems to find the situation very

interesting. "What is four times four?" I ask. "Sixteen" he says, without hesitation. […]». Ibid.
[113]
Cité supra au chapitre 3. Souligné ici par nous.
[114]
« […] The journey is long and arduous, and yet I gladly continue, day after day, night after night,

and week after week for a very long time. At times the passage of these countless days and night

seems like one long moment of measureless time. At other times, each distinct moment of the entire

journey is very clearly etched in my awareness […] ». Kenneth Kelzer, The Sun and the Shadow, My

experiment with Lucid Dreaming, A.R.E. Press, Virginia Beach, 1987, p. 39. Souligné par nous.
[115]
Sujet n°16, sans titre, 3 octobre 1981.
[116]
Sujet n°10, "Le Bureau et la Révolte paysanne", 17 octobre 1986.
[117]
« One particularly memorable mountain image came to me in a lucid dream on July 1, 1983. On
this particular night, I had a series of six lucid dreams in a row, all in rapid succession. As I

progressed through this series of dreams, at the end of each dream I fell back into normal sleep for

what seemed like a short time before the next dream began. I remained asleep throughout this whole

series of lucid dreams with a brief "intermission" of non-dream time occuring between each dream.

« However, in this series of lucid dreams, something new happened in my experiment for the first

time. Upon becoming lucid in the second dream, I immediately remembered with full, clear recall all

the details of the first lucid dream and watched that dream replayed in its entirety in my lucid

memory, exactly as it had just appeared only a short time before. I felt astonished and pleased to be

aware of both lucid dreams simultaneously, each presented fully and in an intelligible sequence of

imagery. In this experience I felt as if I were watching two distinct movies on two separate screens at

the same time, fully realizing that I had just seen the first movie only a few moments before. I

enjoyed this simultaneous "double feature" very much, especially since the remembering of the first

lucid dream did not interfere with the sequence of symbols and the spontaneity of images in the

second lucid dream in any way. Because I was lucid to a rather high degree throughout this process,

the remembering of the first dream and the simultaneous playing out of the second dream were

completely distinct in my mind, two completely distinct tracks of consciousness. I felt amazed as the

second dream ended and as the replay of the first dream also ended with it at the same time.

« Then, after another "brief intermission", the third lucid dream began. Immediately upon becoming

lucid in the third dream I remembered in full detail and full exactitude both the first dream and the

second dream of the series. These also were now fully replayed in my "lucid memory", as I watched

and enjoyed the third lucid dream from beginning to end. I felt more amazed than ever, because now

I felt as if I were watching three movies all at once, enjoying them all, keeping each one fully distinct

in my lucid mind and fully aware that two of these lucid dreams were now recurrent, since they had

both originally appeared only a short time earlier in the night.


« In similar fashion, this entire process continued to escalate and compound itself all through the

entire series of six lucid dreams. As each successive dream began, I immediately became lucid and,

upon becoming lucid, I remembered without any effort or intention all of the previous dreams of the

series in full details. By the time the sixth lucid dream was in progress, I was dreaming it and

simultaneously remembering all five of the previous lucid dreams, replaying all in my lucid memory.

At this point the experience was like watching six movies on six different screens at the same time

and keeping them all distinct in my mind! ». Kenneth Kelzer, The Sun and the Shadow, My

experiment with Lucid Dreaming, A.R.E. Press, Virginia Beach, 1987, pp. 164-166. Souligné par nous.
[118]
Sujet n°1, "Poursuite", 15 avril 1985, rêve cité supra au chapitre 3.
[119]
Delage, op. cit., p. 373.
[120]
« It is the nearly invariable failure of light switches to work in dreams where the dreamer is in

darkness or in a dimly lit scene. […] I have noticed that in dreams many things do not work entirely

as expected […]. However, the light-switch phenomenon seems to be unusually consistent in its

occurrence. In dreams in which I have experimented with this effect, lights have sometimes flickered

or increased slowly in brightness but never come on instantaneously from pitch darkness to illuminate

fully a whole scene ». Alan Worsley, "Personal Experiences in Lucid Dreaming", in: Jayne Gackenbach

and Stephen LaBerge (eds.), Conscious Mind, Sleeping Brain, Perspectives on Lucid Dreaming,

Plenum, New York, 1988, pp. 321-341.


[121]
Sujet n°16, "A Saint-S…, du cheval au vélo.", lundi 16 septembre 1985. Souligné par nous.
[122]
« Even in ordinary dreams we see some areas of light brighter than others, but lucid dreams, that

is dream in which I know I am dreaming, include or lead to experiences of light not found in ordinary

dreams. In my experience these fall into four categories: areas of bright light; disks of light; patterns

of light; and fullness of light ». George Gillespie, "The Phenomenon of Light in Lucid Dreams: Personal

Observations", Lucidity Letter, 3 (4), December 1984, pp. 1-3. Souligné par nous.
[123]
Ibid. Cité supra.
[124]
« […] I was in front of my childhood home demonstrating high jumps and flying. While in the air, I

realized I was dreaming. I descended and it became a fall. I remembered that I could fall in a dream

without fear. Without expecting to land on the ground, I just stopped falling. Then I flew again. I

closed my eyes and remained aware of my body floating. I became aware of a bright light to my left.

I remembered that a light does not need to mean I am waking up. I was suddenly surrounded by

light. I felt that I was floating in light. I felt prayerful and called "Father" meaning God. I remained for

some time in an attitude of worship, then woke up ». Ibid.


[125]
« It seems that I have come home from school. I become aware that I'm dreaming as I stand

outside a small building which has large black double-doors on its eastern side. I approach them to

enter. As soon as I open them, a brilliant white light hits me in the face. Immediately I am filled with
intense feelings of love.

« I say several times, "This can't be a dream!" The interior resembles a small chapel or meeting

room. It has large windows overlooking barren land like the Great Plains. I think to myself that this is

somehow real in a three-dimensional sense. Everything is amazingly clear and the colors brilliant.

« No one is with me, yet I feel that someone needs to be there to explain the sense of purpose that

seems to permeate the atmosphere.

« At one point I walk holding a crystal rod (or wand) upon which a spinning crystal circlet is poised.

The light passes through it and is beautiful ». Gregory Scott Sparrow, Lucid Dreaming, Dawning of

the Clear Light, A.R.E. Press, Virginia Beach, 1976, p. 5. Les phrases ou segments de phrases sont

soulignés par nous.


[126]
« I feel that I am waking up. I realize that I've been hashing through many ideas and problems.

As I lie in my bed with my eyes closed, I suddenly realize that there's no reason why I shouldn't

experience the Light! I feel a complete lack of the usual feelings of unworthiness. It's as if a problem

has been solved by the long period of self-reflection.

« As I wait expectantly, a warmth begins to fill my body. Although my eyes are closed, I sense that a
white light is shining through the window and entering my solar plexus. It rushes upward until a

warm brightness fills my vision. I feel deep love and surrender, and wish that some of my friends

could experience this also.

« After the Light subsides, I bound out of bed and go searching about the house for the Master who

made the experience possible. But I see no one. Then I awaken ». Ibid., p. 7. Souligné par l'auteur.
[127]
Sujet n°16, "Mes mains de lumière", samedi 21 janvier 1984.
[128]
« I am outdoors and see light in the sky. I am told that I must turn my head away if the light is to
descend upon me. I am aware that I am dreaming. I bow my head. The ground around me begins to

be illuminated by the brilliant orb. I begin to be afraid as it nears me. I look up, and it withdraws into

the sky. The process is repeated, but I fail to overcome my fear. I awaken ». Gregory Scott Sparrow,

op. cit., p. 13.


[129]
Sujet n°16, 17 septembre 1981. Souligné par nous.
[130]
Sujet n°16, sans titre, 14 mars 1984.
[131]
« In a dream I stepped down into a bright yellow basement. I realized I was dreaming. As was my

practice, I closed my eyes to concentrate in darkness. I was still aware of standing on the floor. As I

concentrated, I rose up and remained with non-body dream environment […] ». Gillespie, article cité

supra. Souligné par nous.


[132]
Sujet n°16, 20 décembre 1984. Souligné par nous.
[133]
Idem, samedi 8 janvier 1983.
[134]
Sujet n°16, "Université des mille et une nuits", mardi 10 janvier 1984. Souligné par nous.
[135]
«[…] In this case it's pure flight without the body there… The exhilarating feeling of flying is

there… more like flight within this ocean of awareness […] ». Jayne Gackenbach & Jane Bosveld,

Control your Dreams, op. cit., pp. 185-186.


[136]
Sujet n°16, 4 décembre 1992. Souligné par nous.
[137]
« […] With great joy and anticipation I quickly arrive at a small, modest home where I behold a

marvelous scene. […] Suddenly I feel a tremendous rush of emotion within me, welling up from my

stomach and chest so strongly that I burst into uncontrollable sobbing. I sob and sob and sob,

heaving my chest for a long time as all of the feelings of the journey pour through me: extreme joy,

relief, sadness over Herod, courage, determination and many other feeling […] I am completely

overwhelmed.

« For a long time I kneel quietly beside the other magi gazing earnestly at the infant. I am totally

entranced by the dazzling, beautiful light that emanates continuously from his whole body and

especially from his loving eyes, that simply look back at me, so calm and steady. I feel as if I could

kneel here forever […] ». Kenneth Kelzer, The Sun and the Shadow, My experiment with Lucid

Dreaming, op. cit., pp. 40-41.


[138]
« […] I would describe some of my lucid dreams, which I will simply refer to as "ecstatic" - in the

sense of joyous intensification of consciousness, their main feature […] ». Daryl E. Hewitt, "Induction

of Ecstatic Lucid Dreams", Lucidity Letter, 7 (1), 1988, pp. 64-67. Souligné par nous.
[139]
Contrairement à ce que ce terme pourrait laisser supposer, il ne s'agit pas ici d'un exercice de

réflexion mais, probablement, plutôt de concentration sur une pensée inlassablement reprise ou

encore d'une tentative de "vide mental" (c'est-à-dire l'absence de toute pensée). Remarquons ici qu'à

aucun moment des auteurs comme Sparrow ou Gackenbach ne précisent en quoi consiste

pratiquement ce qu'ils désignent sous ce nom, alors qu'ils ne cessent d'y faire référence.
[140]
« I suddenly become lucid in the dream as I am walking in the hallway of my high school. I am

very glad to be lucid, and to be virtually as aware as in waking life. As usual, I want to get outside,

into the light. Walking down the hallway I come to the exit, but my attempt to open the door is

thwarted by the hulk of a wrecked truck. Realizing it is only a dream, I manage to get through the

door enough to grasp the vehicule with both hands and heave it up and to the side almost without

effort.

« Outside, the air is clean, the sky blue, the scene pastoral and brilliantly green. I run through the

grass and leap into the air joyously. Soaring through the treetops, I become entangled in branches,

and have to hover while extricating myself. Finally above the limbs, I continue my flight to a few

hundred feet high. While flying, I think, "I've flown so many times before, maybe I'll try a floating
meditation in the sky." Having decided on the attempt, I ask for help form the "Higher," saying aloud,

"Highest Father-Mother, help me to get the most out of his experience!" I then roll over backwards

and cease attempting to control my flight, without fear of falling.

« Immediately I begin to float through the sky, upside down with eyes closed, the sun beaming

brilliantly down upon me, filling my head with light. I feel like a feather floating lazily through the air.

During about five minutes of floating, I gently but firmly push thoughts that arise out of my mind, as

in my waking meditation practice. The less distracted I am by thoughts, the more intensely aware
and genuinely joyous the experience becomes - what I can only describe as ecstasy. Gradually I

become aware of my body in bed, and as I awaken there is a feeling of lightness and well-being

which is hard to describe ». Ibid.


[141]
Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, Oniros,

Ile Saint-Denis, 1991, pp. 211-212.


[142]
Delage, op. cit., pp. 449-450. Souligné par nous.
[143]
Ibid., pp. 450-451.
[144]
Ibid., pp. 452-453.
[145]
« This is illustrated in a lucid dream of Gackenbach's in which she tried to "seek my God" while

working on her dissertation. After realizing that she was dreaming and recalling what she wanted to

do, she had the following dream :

« I was sitting cross-legged in front of a square mirror in a void and looking at myself, and I thought,

"Yep, that's me. I look okay." Then I started to let my image take different shapes, like wavy mirrors

in a circus. Then I saw a yellow glint in my right eye and I got afraid and I was afraid I'd turn into

something evil, so I decided to stop letting it happen. So then I was sitting on a stool in the cabin in

the living room - fully aware that I was dreaming. The suggestion was gone but I sensed I was

supposed to ask something but couldn't figure out what, so I thought I'll float/fly to the ceiling. But I

had a bit of a problem flying… I got to the ceiling and went to a gray void again and panicked again ».

Jayne Gackenbach & Jane Bosveld, Control your Dreams, op. cit., p. 196.
[146]
« I am standing in the hallway outside my room. It is night and hence dark where I stand. Dad

comes in the front door. I tell him that I am there so as not to frighten him or provoke an attack. I

am afraid for no apparent reason.

« I look outside through the door and see a dark figure which appears to be a large animal. I point at

it in fear. The animal, which is a huge black panther, comes through the doorway. I reach out to it

with both hands, extremely afraid. Placing my hands on its head, I say, "You're only a dream", but I

am half pleading in my statement and cannot dispel my fear.

« I pray for Jesus' presence and protection. But the fear is still with me as I awaken ». Gregory Scott

Sparrow, op. cit. p. 33.


[147]
Roger Caillois, L'incertitude qui vient des rêves, Idées/Gallimard, 1983, p. 76.
[148]
Ibid. pp. 76-77.
[149]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 285.
[150]
« On one occasion, I was searching for a special image. I wanted to portray in a children's story

that I was illustrating, a "dream tiger" that had a special quality. He was to display a personality

different from what other artists have depicted in their drawings of tigers. Again I made many

attempts to rearrange the basic elements while awake. I sketched tigers first this way, than that, with

feeling of satisfaction. I determined that the next time I was lucid in a dream I would summon a

dream tiger.

« After a couple of abortive trials - one in which I was flying above polar bears and landed in a

children's playground - I finally saw the object of my desire. The tiger was plump and sassy, with

strangely arched eyes that gave him a charming quizzical appearance. To my mind, he was the very

creature I sought; I drew him with pleasure when I awoke ». Patricia Garfield, "Creative Lucid

Dreams", dans: Jayne Gackenbach and Stephen LaBerge (eds.), Conscious Mind, Sleeping Brain,

Perspectives on Lucid Dreaming, Plenum, New York, 1988, pp. 297-300.


[151]
« Stephen LaBerge, a lucid dream expert and part-time artist himself, tells me that when he wants

a visual idea, he sometimes places an empty picture frame beside his bed. Asleep and lucid, he

"looks" at the frame that, in his dream, magically fills with a picture. On awakening, he proceeds to

duplicate as much as possible the dreamed picture ». Ibid.


[152]
« Artist Fariba Bogzaran, a Persian currently living in San Francisco, uses lucid dreaming as the

primary source for her artwork. Not only does she "see" her future works of art while lucid in sleep,

but she also has made major changes in her style as a result of her lucid dreams. In fact, the most
profound change in her art came in the following lucid dream:

« "I stand by the door in a gallery, staring at a painting on the wall. It is my painting… As I step

forward to look at the detail of my work, I become aware that I am dreaming… The painting,

approximately six by seven feet in size, displays an image of a wall destroyed in the middle but with
the four corners still intact. An imprint of a triangle and circle are inside it. Inside the circle, a figure

of a nude man and woman stand".

« When Bogzaran woke she felt compelled to execute the painting even though it was in a style that

she had never used. Uncertainty drove her to rent a studio downtown away from the university so

that her colleagues would not know what she was doing. "I couldn't identify with it", she explains. "I

was even scared to show it to people, but finally I did". The response was positive and the painting

was eventually accepted in a prestigious art show. But more important for Bogzaran was the

"profound transformation of my painting style". It was as if "my unexplored hidden, creative side was

now able to merge with other important aspects of my life". ». Jayne Gackenbach & Jane Bosveld,
Control your Dreams, op. cit., p. 62.
[153]
« It is important to note that Bogzaran sees the finished painting in the dream before or after she

turns lucid and that the painting is usually not a product of lucidity ». Ibid. p. 63.
[154]
« Just after I had lain down in bed, the entire design flashed through my mind, and I got up to

sketch it out quickly. The only problem I had was with a tree in the foreground, so I suggested to

myself that I would dream of the tree and be able to remember what it looked like so I could sketch it

after I woke up. In the dream, I saw myself in front of an easel, sketching on a large white sheet of

paper. I was drawing the tree, which was full of flowing horizontal lines; there were five or six main

sections outlined in heavy black lines… The odd part was that as I sketched, the different sections of

the tree somehow became colored in various shades of green, although I was not coloring them

myself. I awoke, … sat down, and resketched the tree I had dreamed about ; … when the sketch was

finished, the client was nearly speechless, saying only, "I usually don't like anything the first time, but

this is perfect" ». Ibid.


[155]
« He was "having trouble with ink adheasment (sic) on plastics" and explains how a lucid dream

helped him with the problem. "I wanted so bad to solve the problem that later on when I went to

sleep I dreamt of a person telling me to use electricity to treat plastic, but I thought it was just a

crazy dream and didn't pay any more attention to it, so we went on using this harsh toxic chemical to

treat the plastic, but it didn't work on everything. A year later I found that there is a way of using

electricity to treat plastic" ». Ibid. p. 64.


[156]
E.R. Dodds, Les Grecs et l'Irrationnel. Aubier Montaigne, Paris, 1965, p. 118.
[157]
Sujet n°16.
[158]
Sur un journal de rêves couvrant de plus de dix années le même sujet relève un certain nombre

de rêves lui suggérant de cesser de consommer de la viande, conseil qu'il n'a jamais suivi.
[159]
Sujet n°16.
[160]
Idem, 19 janvier 1984.
[161]
« About a year ago, I sprained my ankle… It was very swollen and it was very difficult to walk. In

a dream I remember running for what reason I don't remember, and suddenly I realized I couldn't

possibly be running with this ankle so I must be dreaming. At this point I began to come out of my

dream, the pain of my ankle started to fade in, but then I reached for my ankle with my dream hands

which caused me to tumble in my dream. As I held my ankle I felt a vibration similar to electricity.

Amazed, I decided to throw lightning bolts around in my dream. That's all I remember of the dream,

but I awoke with next to no pain in my swollen ankle and was able to walk on it with considerable

ease ». Jayne Gackenbach & Jane Bosveld, Control your Dreams, op. cit., p. 113.
[162]
« […] on Monday April 9, 1984, I overenthusiastically ate a Japanese style fish shish-kebab, and
punctured my right tonsil with a wooden skewer. By Thursday my tonsil had grown quite horribly

infected and swollen, looking about 3 times normal size, bright red, and with yellow lines of pus

decorating the exterior. Aside from upping my dosage of Vitamin C, and a few cursory attempts at

visualization, I had done nothing to treat it. On Thursday night my tonsil felt very painful, and I used

a sensory awareness relaxation technique to take my mind off the pain to get to sleep. I had used

this technique before (which involves a pattern of body sensing) to induce OBE's, and had the idea of

attempting healing in the OB state, operating on the "as above so below" principle. I then had the

following lucid dream (not an OBE, which I experience as someting quite different):

« "… walking through a house I wake to the Lucid Dream State, decide to try healing my throat. I

look in a mirror and my throat looks healthy, but the tonsils look more like the middle section (uvula)

then like tonsils. So in my dream body my throat looks healthy, but different. I program for healing to

occur (using affirmation), and my throat does feel much better on awakening".

« Subjectively, I would estimate that less than an hour had passed between sleeping and waking,

and the pain had almost entirely disappeared. The next morning my right tonsil looked and felt
almost normal, only slightly red and swollen. At least 95% of the infection had disappeared in less

than 12 hours. From the dramatic reduction in pain felt right after the healing experience, I suspect

that much of this healing took place during the lucid dream itself, although of course the dream could

have triggered a large release of endorphine ». E. W. Kellog III, "A Personal Experience in Lucid

Dream Healing", Lucidity Letter, 8 (1), 1989, pp. 6-7.


[163]
Dans Jayne Gackenbach & Jane Bosveld, Control your Dreams, op. cit., p. 112 sq.
[164]
E.R. Dodds, Les Grecs et l'Irrationnel, op. cit., p. 115.
[165]
Sujet n°16, jeudi 4 décembre 1986.
[166]
Ibid.
[167]
« One can considerably influence the appearance and behavior of dream figures by addressing

them in a appropriate manner. The simple question "Who are you?" brought about a noticeable

change in the dream figures so addressed. Figures of strangers have changed in this manner into

familiar individuals ». Paul Tholey, "Techniques for inducing and manipulating lucid dreaming",

Perceptual and Motor Skills, 1983, 57, pp. 79-90.


[168]
« The easiest wishes to fulfill in a lucid dream are those that do not require any miracles. For

example, subjects who wanted to meet a particular person in a lucid dream were only rarely

successful if they simply tried to conjure the person up. On the other hand, they often had success

when they called the person in question or when they went to a particular locale where they wished

to meet this person ».Ibid.


[169]
Sujet n°16, mercredi 26 février 1992. Souligné par nous.
[170]
« Appropriate control of the direction of looking can end, prolong, or alter lucid dreams. Fixation

on a stationary point in the dream environment causes the dreamer to awaken 4 to 12 sec. In this

process the fixation point begins to blur, and the entire dream scenery commences to dissolve.

Experienced subjects can use this stage of dissolution to form the dream environment according to

their own wishes. Reestablishing the dream by means of rapid eye movements can prevent

awakening ». Paul Tholey, "Techniques for inducing and manipulating lucid dreaming", op. cit.
[171]
Sujet n°16, "La Chambre déformée", 28 août 1981. Rêve déjà cité supra, chapitre 3, section II.
[172]
« I considered what I was wearing and thought I would like a doublet and hose so made them

appear beside me and put them on. Saw someone watching the materialization of the clothes with

some surprise and thought they had no idea how easy it really was in a dream ». Green, op. cit.,

p. 105.
[173]
Sujet n°16, jeudi 4 décembre 1986.
[174]
« […] I came down and sat down again. I accepted a cup of coffee from one of the people. Next I
began to wonder whether I could do any physical phenomena and I started to point at various items

of crockery, e.g., a plate. They disappeared and reappeared simultaneously a yard or so away. After

the first attempt or so I noticed a small spray of golden flashes coming from my finger-tip as I tried

to do this. However, my success was not a hundred per cent, and finally I pointed at a bag of sugar.

Instead of vanishing, a sort of hole began to be formed through it, as if made by a rough kind of

invisible drill, and the sugar began to run out of the ragged paper-hole. This was not what I wanted

and I went on pointing at it hoping it would still move or vanish, but all that happened was that the

hole went on becoming deeper ». Green, op. cit., p. 107.


[175]
« At a time when I was deeply interested in the study of dreams I occasionally realized that I was

dreaming and made attempts at dream control. The most successful experiment which I can recall
was in connection with a dream in which I was a traveller on the Underground.

« I decided that a glass-house at Kew Gardens would look better than my surroundings, for that

reason I concentrated on the idea of this. Gradually the roof of the carriage began to assume a

dome-like appearance and become semi-transparent. The hands of the unfortunate passengers began

to sprout twigs and leaves and the legs of some of them to ressemble stems. However, I woke up

before the dream could develop further ». Ibid., p. 103.


[176]
Rêve d'un sujet de Faraday rapporté dans Dream Power, op. cit., p. 299.
[177]
Patricia Garfield, "Creative Lucid Dreams", dans: Jayne Gackenbach and Stephen LaBerge (eds.),

Conscious Mind, Sleeping Brain, Perspectives on Lucid Dreaming, Plenum, New York, 1988,

pp. 297-300. Cité supra.


[178]
« I decide to take charge in the dream and I mentally command the tree turn into [a rabbit…]

Instantly the tree vanishes and I see only a blank, brown screen in my field of vision ». Kelzer, op.
cit., pp. 18-19. Cité supra, chapitre 3.
[179]
« I feel disappointed and I choose to keep visualizing a rabbit. Soon I see the white outline of a

rabbit on the brown screen ». Ibid.


Chapitre Six
Le rêve lucide à travers le rêve

Section I: Les phénomènes oniriques


[suite]

Section II: Les états apparentés au rêve lucide


Tant que l'on s'en tient à une certaine conception psychologique du rêve, il est sans
doute possible de ramener le rêve lucide à d'autres types d'expériences (comme Maury qui le
considérait comme une sorte de transe). Cependant, de telles réductions n'ont de validité que
si elles sont confirmées par l'expérience des rêveurs lucides. Certaines transes ont sans doute
des points communs avec le rêve lucide, mais cela ne suffit pas pour y assimiler
complètement ce dernier, notamment lorsque ce qui est commun est une certaine qualité de
conscience plutôt qu'un contenu. De plus, vouloir placer dans le sommeil des états de transe
qui ont d'abord été décrits en dehors de lui, afin d'y faire correspondre le rêve lucide, et par
là lui dénier le statut de rêve, est une démarche contraire à la logique. Si, en effet, de tels
états devaient se trouver naturellement dans le sommeil, ce n'est pas par leur apparition
anormale dans l'état de veille que l'on pourrait rendre compte de ce qui se passe dans le
sommeil, mais bien l'inverse. Ainsi, plutôt que d'expliquer certains états (le rêve) ou même
certains contenus (le rêve de sortie hors du corps) par des phénomènes pathologiques
(l'hallucination) ou parapsychologiques (la sortie hors du corps), il est préférable de chercher
d'abord si le phénomène onirique ne peut pas d'abord être étudier sur son propre terrain,
celui du sommeil et du rêve. C'est seulement à partir de là que l'on peut comparer utilement
le rêve lucide avec les états auxquels on a tenté de le ramener, et qui se situent aussi bien en
bordure du sommeil (états non définis) que franchement en dehors de lui.

§ 1. Les états non définis;


Du fait de l'ambiguïté que l'association de la conscience de rêver et du contenu
onirique laisse planer sur sa nature, le rêve lucide est particulièrement qualifié pour être
ramené à un des état "non définis" décrits dans la littérature sur le sommeil. Les états "non
définis" peuvent être ainsi appelés parce qu'ils ne paraissent pas appartenir nettement au
sommeil ou à l'éveil, ou même parce qu'ils semblent tenir des deux à la fois, et qu'en
conséquence la façon de les aborder fait difficulté. Si les phénomènes de transition entre la
veille et le sommeil, tels que ceux qui accompagnent l'endormissement, permettent de
comprendre intuitivement ce que peut être un état non défini, la double participation au
sommeil et à la veille paraît plus étrange. Cette dernière idée est cependant nécessaire pour
comprendre que la spécificité de certains états n'est pas seulement due au problème que
pose une délimitation (savoir quand se termine l'éveil et quand commence le sommeil) mais
relève bien d'une difficulté de fond concernant la nature de ces états. Ainsi, ils ne peuvent
être expliqués, par exemple, par un phénomène d'alternance, même extrêmement rapide,
entre des états par ailleurs bien définis, comme lorsque le rêveur s'endort et se réveille
aussitôt que des images de type onirique commencent à apparaître. Puisque le rêveur se
réveille justement parce qu'il prend conscience du caractère onirique de ces images, du point
de vue subjectif la différence d'état est pour lui très nette, même si elle est plus difficile à
déceler selon des critères extérieurs.

Au contraire, les cas que nous étudions comprennent, outre les états de transition,
ceux qui participent aussi bien du sommeil que de la veille selon des critères communément
admis. Il s'agit donc d'états ambigus à la façon dont l'est le somnambulisme qui, considéré
comme phénomène du sommeil, s'en écarte apparemment lorsqu'il débouche sur un
dédoublement de personnalité dans lequel le sujet a les yeux ouverts et se conduit comme un
sujet éveillé: « Le somnambule se lève la nuit pour accomplir inconsciemment une suite
d'actes automatiques. […] la crise somnambulique apparaît dans la première partie de la nuit,
au cours d'un stade IV de sommeil qui s'allège ensuite et peut présenter un tracé d'éveil alors
que le sujet n'est pas conscient, éveil que Gastaut a appelé "stade 1E" (stade 1
d'endormissement plus stade E de sommeil selon Loomis […]. De tels automatismes peuvent
durer quelques minutes, quelques heures et parfois même quelques jours […] Un fugueur
peut prendre le train ou l'avion et se retrouver le lendemain à des milliers de kilomètres de
son domicile sans savoir comment il est arrivé là »[1]. Le somnambulisme est typique de ces
états non définis (au sens de non délimités) parce que semblant participer autant de l'éveil
que du sommeil. Le langage courant indique cette difficulté puisque, dans la pratique, le
chercheur se trouve obligé de décrire le comportement somnambulique en disant que le sujet
s'éveille sans s'éveiller (« la crise somnambulique […] peut présenter un tracé d'éveil alors
que le sujet n'est pas conscient ») et même en qualifiant cet éveil de sommeil (« éveil […]
appelé "stade 1E" (stade 1 d'endormissement plus stade E de sommeil »). On peut donc
dormir selon certains critères (ici les tracés EEG) tout en présentant un comportement d'éveil
selon d'autres (ici la vision commune du sommeil et de la veille). Il y a donc bien des états
qui sont par nature ambigus pour l'observateur.

Toutefois, cette ambiguïté subsiste-t-elle du point de vue de la conscience du sujet?


Cette question, qui est inabordable dans la mesure où le comportement du sujet est
automatique, prend un sens lorsqu'on a affaire à des états dans lesquels le sujet est plus ou
moins conscient de ce qui lui arrive, par exemple au cours de pratiques telles que le rêve
éveillé ou de certaines hypnoses. On peut alors se demander si le rêve lucide s'explique selon
les mêmes mécanismes.
Ce qui nous intéresse dans les états non définis, ce sont ceux qui, pour le sujet,
ressemblent à un rêve et dont il est conscient. Le sujet, sans perdre contact avec le monde
extérieur, n'a pourtant pas le sentiment d'être tout à fait dans son état normal. Ce sentiment
peut aussi bien venir du contenu du rêve que des sensations associées à
l'endormissement. Lorsque nous nous trouvons en présence de récits de "rêves" conscients
effectués dans un état non défini, il est tentant d'y ramener le rêve lucide dans la mesure où
on ne s'intéresse qu'à la forme du rêve. Mais, dès qu'on porte son attention sur la qualité
conscientielle du sujet, le problème devient plus complexe. Si en effet c'est bien le rêve
lucide qui se déroule dans un état non défini, cela suppose nécessairement que le même rêve
obtenu au cours d'un sommeil "défini" n'aurait pas été lucide. Dans de telles conditions on
suppose que la conscience que le rêveur a de son état n'est simplement que la conscience de
veille qui rejaillit sur le rêve qui se manifeste alors. Or, nous avons vu que la qualité
conscientielle du rêveur lucide peut être sujette à des variations qui n'impliquent pas la
conscience de veille. Rappelons qu'on peut constater que la conscience lucide ne doit rien à
celle de l'état de veille, en ce que, par exemple, si le rêveur est conscient de son état, cela ne
l'empêche néanmoins pas de se comporter selon des standards qui le surprennent au réveil,
lorsqu'il est dans sa conscience "éveillée". Ainsi on peut même faire une supposition inverse
de la précédente en considérant des cas conscientiellement différents. Si, en effet, on arrive à
déterminer que le rêve conscient de l'état non défini l'est "par lui-même" (c'est-à-dire ne
dépend pas de la conscience de veille), ne doit-on pas alors considérer qu'il s'agit d'un rêve
qui aurait été lucide dans un état de sommeil défini?

Les différents états de conscience provoqués par divers moyens sont bien connus mais
sont généralement plutôt étudiés en fonction de leur contenu (ce dont le sujet a conscience)
ou par leurs corrélats physiologiques (les modifications cérébrales) plutôt que par leur
forme. De ce fait, le type de question que nous venons de poser peut paraître impossible à
résoudre. Or, il n'en va pas ainsi dans la mesure où l'on dispose d'états conscientiels discrets
et simultanés. Ainsi la question de savoir si la conscience manifestée dans l'état apparenté
provient ou non du "côté éveil" et éclaire ainsi le "côté sommeil" qui lui ne fournirait que le
contenu du rêve (et non la lucidité), peut se résoudre par une description tenant compte des
discontinuités conscientielles. Nous avons par exemple cité le cas de Mme Willett entrant,
d'après Green, dans le rêve lucide depuis l'état de veille. Il ne s'agit cependant pas d'un
endormissement normal mais plutôt d'un état apparenté: « Mme Willett était habituellement
assise, quelquefois les yeux clos, et elle parlait aux expérimentateurs qui demeuraient près
d'elle tout le temps de l'expérience. […] Mettons que les critères permettant de définir le rêve
lucide sont les suivants: 1° un champ de perception différent se substitue, pour le sujet, à
celui qu'il connaît normalement ; 2° le sujet est conscient de son état et demeure capable de
réfléchir rationnellement aux rapports qui existent entre cet état et le monde normal ; en
admettant ce qui précède, on peut dire que les "impressions diurnes" de Mme
Willett semblent bien appartenir, à des degrés divers, à la catégorie des rêves lucides »[2].
Les critères de Green sont trop généraux pour qu'on puisse les accepter. Il est
manifeste en effet que Mme Willett, capable de communiquer avec son environnement et
éventuellement de garder les yeux ouverts (puisqu'ils ne sont fermés que quelquefois) ne
dort pas au sens habituel du terme. Si donc on peut qualifier cet état de lucide, il ne saurait
s'agir de rêve en tant que le rêve est un phénomène du sommeil. Néanmoins il s'agit d'un
état apparenté et, ici, non défini au sens où nous l'entendons. Or, nous pouvons constater
dans l'état de Mme Willett une discontinuité conscientielle qui nous informe sur le type de
conscience qui est le sien. Green rapporte en effet que « en général, après avoir connu de
tels états, Mme Willett faisait preuve d'une amnésie plus ou moins prononcée quant au
contenu de son expérience »[3].

Une telle amnésie indique nettement que ce n'est pas la conscience de veille qui
éclaire un rêve qui, par lui-même (c'est-à-dire dans un sommeil normal), n'aurait pas été
lucide, mais, au contraire, que c'est à l'aide de la conscience qu'elle a de son état apparenté
au rêve qu'elle communique avec son entourage. En d'autres termes, elle communique avec
l'environnement de veille à partir d'une lucidité appartenant au "rêve apparenté" plutôt
qu'elle n'a vue sur le "rêve" à partir de la conscience de veille. En effet, si la conscience de
veille était présente en tant que telle, la mémoire des instants précédents ne devrait pas lui
échapper. Ce type de discontinuité pourrait certainement se retrouver dans l'autre sens.
Malheureusement ces cas sont rarement relevés et de plus ces états apparentés et non
définis n'ont généralement guère été étudiés en fonction du rêve.

Une comparaison reste néanmoins envisageable, ne serait-ce que de façon


descriptive, afin de proposer des voies d'étude possibles à partir de l'expérimentation. En
effet, la plupart de ces états non définis sont aisément observables soit qu'ils apparaissent
naturellement, comme les images hypnagogiques, soit que, tels les états hypnotiques, leur
manifestation puisse être délibérément provoquée.

Les états non définis qui se produisent naturellement sont fondamentalement ceux
que l'on peut discerner dans les zones frontières entre le sommeil et la veille, autant à
l'endormissement (hypnagogique) qu'au réveil (hypnopompique). En raison de l'aspect
parfaitement onirique de la plupart des images qui se manifestent dans ces états, leur
confusion avec le rêve lucide est un phénomène fréquent. Certains chercheurs, tel Kelzer, se
sont efforcés de lever cette confusion: « Le rêve lucide est autre chose que l'état
hypnagogique. Lors de mes conférences sur la lucidité onirique, j'ai souvent rencontré des
gens qui assuraient avoir fait des rêves lucides et qui se mettaient ensuite - le plus souvent
avec une grande animation - à décrire des expériences que la plupart des psychologues
classeraient dans l'état de conscience hypnagogique »[4].

Cependant, si le rêve lucide n'est pas identique à l'état hypnagogique il entretient


nécessairement des relations avec lui puisque, comme le remarque Kelzer lui-même, le
rêveur peut l'utiliser pour entrer consciemment dans l'état de rêve. Mais dans ce cas
qu'est-ce qui permet d'assurer que l'on est passé de l'état hypnagogique au rêve lucide (et
même tout simplement au rêve)? Si l'état hypnagogique se situe dans une zone frontière, le
rêve, pour sa part, se situe dans le sommeil, et du point de vue du sujet la différence entre
les deux états devrait se marquer par le fait qu'il se sent éveillé ou endormi, c'est-à-dire en
contact ou non avec l'environnement de la vie de veille. Cependant, si l'on trouve des
exemples assez nets d'endormissements conscients en passant par l'état hypnagogique, les
assertions des rêveurs eux-mêmes laissent parfois planer un doute quant à la validité de leur
évaluation.

Un soir, j'étais allongé dans mon lit, mi éveillé mi endormi, dans l'état
hypnagogique. Il me vint une image dans laquelle je me voyais debout devant un
vieux mur de béton, haut d'une dizaine de pieds. Ce mur m'entourait de trois
côtés, devant, à gauche et à droite. Dans ma vision, je lévitai verticalement
jusqu'au sommet du mur et je vis l'entrée d'une caverne ou d'un tunnel. Elle était
de forme carrée. J'y pénétrai aussitôt, la tête la première. Je me mis à voler de
plus en plus vite, filant au travers de ce long tunnel obscur, et j'aperçus bientôt,
au loin, un minuscule point lumineux. Je me dis que je pourrais accéder à un
rêve lucide en fixant l'image de cette lumière, à l'autre bout du tunnel. Bien que
ressentant encore la présence de mon corps physique, allongé sur le lit, je choisis
de rester concentré sur cette lumière, tout en continuant à voler vers elle à une
allure de plus en plus rapide. Je pensai: "C'est donc ainsi qu'Eleanor procède!"
Tout de suite après, je jaillis hors du tunnel pour me trouver dans le rêve lucide
suivant […]. Je survole un merveilleux paysage montagneux. Je vois de très
belles formations rocheuses, des arbres, des vallées verdoyantes et paisibles. De
tous côtés, la nature est d'une beauté à couper le souffle. Je suis toujours
conscient de mon corps physique tel qu'il repose, au même instant, dans mon lit,
mais cela ne m'empêche pas de rester lucide et de prendre plaisir au superbe
paysage qui s'étend de toutes parts au-dessous de moi.

Tout en volant, je regarde attentivement une chaîne de montagne, dans le


lointain, et je reconnais les Sutter Buttes où j'ai fait de nombreuses randonnées
d'exploration, étant jeune. Cependant, parce que je m'approche des Buttes par
l'ouest, leur silhouette, à l'horizon, est exactement l'inverse de leur profil oriental
qui m'était jadis si familier. Je continue à les traverser en volant et suis heureux
de pouvoir les contempler sous ce nouvel angle. Je les laisse derrière moi et je
survole d'autres montagnes et d'autres vallées, toutes plus pittoresques les unes
que les autres. Finalement, je m'éveille, heureux d'avoir fait ce rêve lucide.

Ce fut mon premier succès d'entrée dans un rêve lucide par fusion avec une
image de l'état hypnagogique.[5]
Comme le montre cet exemple la distinction entre le rêve lucide et l'état hypnagogique
peut ne pas apparaître aussi nettement que le soutient Kelzer. En effet, il précise au cours de
son rêve lucide qu'il continue à sentir son corps ("Je suis toujours conscient de mon corps
physique tel qu'il repose, au même instant, dans mon lit"), ce qui indique peut-être qu'il ne
s'est pas endormi et donc qu'il n'a pas quitté l'état hypnagogique. Mais puisque le rêveur fait
une nette différence entre les deux états il faut, avant de tirer des conclusions trop rapides,
se demander ce qui, dans son expérience, l'amène à faire cette différence. Deux voies
d'approche s'offrent à nous. Si en effet les deux parties de l'expérience de Kelzer peuvent
être distinguées, c'est que la définition de l'état hypnagogique en terme de sommeil et de
veille laisse à désirer et que d'autres critères de l'image hypnagogique doivent être trouvés.
Pour cela il nous faut donner quelques indications supplémentaires sur cet état avant de
revenir à son rapport avec le rêve lucide.

D'après la plupart des auteurs, les images hypnagogiques appartiennent bel et bien à
un état non défini qui n'est ni la veille ni le sommeil. Leroy, qui a consacré un ouvrage
complet à ce type d'images, souligne ce point: « nombre de personnes en s'endormant, ne
passent pas directement de la veille parfaite au sommeil: elles traversent un état plus ou
moins prolongé qui, n'étant déjà plus l'une, n'est pas encore l'autre. […] le sommeil
et la veille ne sont pas toujours facile à discerner l'un de l'autre, et surtout, "l'état
hypnagogique" n'est certainement pas la veille parfaite »[6]. Qu'est-ce qui permet de définir
cet état intermédiaire? En terme de sommeil et de veille aucun critère précis ne peut être
retenu. Il s'agit donc d'un état mixte qui emprunte aussi bien à la veille qu'au sommeil, mais
n'a pas de nature propre. Ce qui est emprunté à l'état de veille c'est la conscience de soi, la
perception du monde extérieur et la possibilité de se mouvoir volontairement (« le sujet,
dans la vision hypnagogique, demeure éveillé, ses sens (la vue exceptée, dans la majorité
des cas) demeurent ouverts aux impressions du dehors, et il est capable de mouvements
volontaires »[7]) tandis que le sommeil ne fournit qu'un seul élément: la perception d'images
de type onirique.

Sans l'apparition des images hypnagogiques, cet état serait donc indiscernable de
l'éveil. Ce sont bien les caractéristiques des images hypnagogiques qui permettent de
distinguer si le sujet rêve ou est la proie d'une hallucination. D'un côté les images
hypnagogiques se séparent du rêve puisque le sujet est éveillé, et de l'autre elles ne sont pas
confondues avec la perception, comme le seraient les hallucinations: « Dans cet état, et les
yeux fermés le plus souvent, [nombre de personnes] sont assaillies, sans que leur volonté
semble y être pour rien, par les "visions" d'un caractère très particulier […]: très vives,
semblant plus proches de l'hallucination que ne le sont les représentations ordinaires, elles ne
sont pourtant pas prises pour des perceptions »[9].

Pourtant ces conditions ne sont qu'extrinsèques aux images hypnagogiques. Si en


effet le contenu des images était au fond le même que celui du rêve, on pourrait considérer
qu'il s'agit d'une forme particulière de manifestation du rêve indépendamment des conditions
physiologiques et conscientielles de son apparition. Le rêve en effet dépendrait moins des
conditions extrinsèques qu'on ne l'avait pensé jusqu'à présent. Ainsi, le fait d'être abusé par
les représentations oniriques s'est révélé ne pas être une condition nécessaire du rêve
puisque ce dernier peut se poursuivre en toute lucidité. Si donc la condition conscientielle
n'est pas déterminante, pourquoi n'en irait-il pas de même pour la condition physiologique, le
sommeil? Dans cette perspective, les images hypnagogiques pourraient être comprises
comme une forme du rêve lucide de la même façon que le rêve lucide peut être considéré
comme une forme du rêve.

Pour examiner ce point, il convient de s'intéresser au contenu des images


hypnagogiques pour évaluer leur oniricité. Or, de ce côté l'examen est plus difficile si l'on s'en
tient aux seuls objets de la perception hypnagogique. En effet les caractères généraux
proposés pour les images hypnagogiques sont de nature extrinsèques tandis que leur contenu
n'offre pas de caractères intrinsèques généralisables. Ainsi Leroy distingue différentes sortes
d'images hypnagogiques telles que des figures présentant une structure géométrique, des
figures qui, sans rien représenter, ressemblent vaguement à quelque chose, et des images
isolées de choses existant ou pouvant exister dans la réalité. Si les deux premières catégories
ne semblent pas pouvoir, au premier abord, être trouvées dans le rêve, la troisième a une
oniricité certaine. Il serait alors possible de considérer que les deux premières appartiennent
à cet état particulier tandis que la dernière indique l'émergence du rêve - refusant ainsi toute
unité intrinsèque aux phénomènes hypnagogiques.

Si l'on tient compte de l'absence d'unité intrinsèque des différentes catégories


d'images hypnagogiques, les caractéristiques qui les démarquent du rêve doivent être
recherchées dans leur façon de se présenter au sujet. Or, de ce point de vue, deux
caractéristiques se font jour. D'abord l'image hypnagogique, contrairement au rêve, se
présente sous la forme d'un tableau simple, dont les éléments peuvent être animés d'un
mouvement, simple lui aussi, et de plus le degré de participation à ce qui est ainsi perçu
diffère grandement du rêve à l'image hypnagogique: « le rêve est essentiellement une
aventure à laquelle le sujet croit prendre part ; les visions dont nous parlerons ici ne sont que
des spectacles auxquels il assiste et à l'évolution desquels sa personnalité ne lui paraît pas
directement intéressée »[10].

Cependant, ces deux caractéristiques ne suffisent pas à donner aux images


hypnagogiques de la dernière catégorie un statut autonome par rapport au rêve. En effet la
deuxième caractéristique est contredite dans ses deux éléments constituants à la fois par
l'existence du rêve lucide dans lequel le rêveur ne croit pas prendre part à une aventure
réelle, et par certains types de rêves (lucides ou non) dans lesquels il laisse le rêve se
dérouler devant lui, en spectateur. La première caractéristique ne permet pas
fondamentalement de distinguer l'image hypnagogique du rêve mais tend plutôt à mettre en
avant sa ressemblance intrinsèque avec lui, la différence n'étant que de modalité: « les
images du demi-sommeil ont été considérées par certains auteurs comme représentant […]
les éléments du rêve. […] Si on leur compare, en effet, les images du rêve proprement dit,
on remarque entre les unes et les autres d'étroites affinités et rien n'interdit de supposer que
les conditions de leur apparition soient en grande partie les mêmes. […] il semble qu'il n'y ait,
entre les hallucinations hypnagogiques et les hallucinations qui constituent la trame du rêve,
aucune différence d'origine ; les unes et les autres paraissent souvent surgir des profondeurs
de l'inconscience et de la subconscience sans que nous puissions savoir par quoi elles ont été
suscitées ; elles se transforment, s'appellent, disparaissent, renaissent, sans paraître obéir à
la logique ou à la raison, ni même à l'association des idées: "une série d'hallucinations
hypnagogiques peut être considérée comme constituant le cadre d'un rêve, comme offrant
l'image exacte de ce qui serait un rêve réduit à son élément hallucinatoire" »[11].

De l'aveu de Leroy, la modalité du "tableau" tend parfois à perdre sa netteté: il cite


plusieurs exemples d'images hypnagogiques dans lesquelles se déroulent de véritables
histoires dont le sujet est le spectateur. Or, si l'on tient compte des rêves lucides au cours
desquels le sujet n'est que spectateur, il devient dans ce cas impossible de distinguer les
deux états. On pourrait donc regrouper les images hypnagogiques en deux catégories bien
différentes pour ce qui est des caractères intrinsèques, l'une, celles des figures, géométriques
ou vagues, sans rapport avec le rêve, et l'autre, celles des images figuratives qui seraient des
aperçus du rêve. (Il est d'ailleurs possible qu'il y ait une progression naturelle d'un type à
l'autre, même si elle n'apparaît pas toujours, les figures géométriques précédant les images
figuratives). En fin de compte les images hypnagogiques de la deuxième catégorie se
caractériseraient par la conjonction nécessaire de deux facteurs: le sentiment d'être éveillé,
et le fait de n'être que spectateur de ces images, sans qu'elles puissent, en tant qu'images,
acquérir un statut différent de celui du rêve.

Ainsi, si Kelzer peut qualifier la deuxième partie de son récit de rêve lucide et non
d'image hypnagogique, c'est parce qu'elle ne remplit pas le deuxième critère. En effet, bien
qu'étant capable de percevoir le monde extérieur (donc, nous semble-t-il, d'être éveillé), il
n'est plus un simple spectateur comme au début ("Il me vint une image") mais un participant
("Je suis entièrement conscient de rêver et j'éprouve beaucoup de plaisir à voler de-ci
de-là"). Ce serait plutôt par négation de l'état hypnagogique que l'état de rêve lucide serait
ici reconnu. C'est implicitement ce qui ressort de la description que fait Kelzer de ces deux
états: « L'une des principales différences entre les deux états est, à mon avis, de nature
"topographique" […]. Raisonnant en termes spatiaux, nous pouvons dire que le rêve lucide
est complètement environné par l'état de rêve ordinaire, à peu près comme la ville de
Sacramento se trouve entourée de toutes parts par la Californie ».[12] C'est là une
délimitation couramment admise par les psychologues entre l'image hypnagogique et le rêve
simple: « Contrairement aux images du rêve, les images hypnagogiques ne comprennent pas
de représentations de l'individu lui-même: il s'agit de tableaux […] plus ou moins complexes
dans lesquels le sujet n'est pas présent comme acteur »[13].

Cependant, cette démarcation n'est apparemment guère suffisante, car dans l'état
hypnagogique, Kelzer semble déjà participer à l'image ("Dans ma vision, je lévitai
verticalement […] J'y pénétrai aussitôt, la tête la première. Je me mis à voler de plus en plus
vite"). Peut-être ne s'agit-il là que d'un ajustement de l'image (comme dans le cas d'images
vidéo qui donnent une impression de déplacement, sans cependant que le spectateur cesse
d'être un simple spectateur). Kelzer précise lui-même que le rêveur lucide sait quand il passe
de l'état hypnagogique au rêve: « Il est clair que les deux états sont distincts et le rêveur est
généralement très conscient de la frontière qu'il lui faut traverser pour passer ainsi de l'état
hypnagogique à l'état lucide. Le plus souvent, il cesse de s'intéresser à l'état hypnagogique et
le laisse, pour ainsi dire, en arrière, tandis que se développe le rêve lucide »[14].

Cette confrontation de l'état hypnagogique au rêve lucide amène donc Kelzer à classer
les images auxquelles le rêveur participe pleinement parmi les rêves lucides même lorsqu'il
garde conscience de son environnement de veille, en raison de l'insuffisance des critères
retenus pour l'état hypnagogique. Cependant, ne pourrait-on à l'inverse chercher à éviter de
faire éclater la définition du rêve comme phénomène du sommeil et considérer qu'il s'agit là
d'une nouvelle classe d'images hypnagogiques qui n'avait pas été répertoriée jusque là, ces
images n'ayant été que peu étudiées? Mais certains éléments altèrent l'aspect logique d'une
telle symétrie dans la façon de poser la question. En effet, d'une part le sujet peut passer
d'un état hypnagogique reconnu à un état de rêve lucide lui aussi reconnu (sans conscience
de l'état de veille), et d'autre part s'il lui arrive de garder la conscience de son environnement
de veille, il n'en est pas moins capable d'identifier en quelque sorte "de l'intérieur" les deux
types d'expérience comme étant du rêve lucide. Ce serait donc bien l'état hypnagogique qui
aurait quelque chose d'artificiel dans sa description, en ce sens qu'il ne reposerait que sur des
éléments extrinsèques pour exister. Ce qui va dans ce sens, c'est évidemment la différence
fondamentale qui sépare les deux grands types d'images hypnagogiques.

Cependant, l'investigation du rêve par le rêve lucide amène à penser que même la
première catégorie (celles des taches lumineuses) n'est pas complètement inconnue du rêve
de sommeil. Nous avons en effet rencontré des rêves lucides dans lesquels le rêveur, tout en
participant au rêve, se mouvait dans des paysages lumineux pouvant rappeler de telles
images. Cela signifie-t-il que le rêveur lucide peut retenir une gamme de rêves plus étendue
que le rêveur ordinaire ou que la lucidité provoque des types de rêve nouveaux dont certains
sont en affinité avec les images hypnagogiques de cette catégorie?

L'état hypnagogique n'est pas le seul qui participe à la fois de la veille et du rêve,
puisque d'autres ont pu être recensés: « A l'imagerie onirique, on peut rattacher l'activité
imaginaire hypnoïde, et l'activité imaginaire hyponoïde, processus de création imaginative
auquel peut se livrer, à l'état de veille, un sujet plus ou moins déconnecté de la réalité
extérieure, présentant notamment un fléchissement de la vigilance »[15]. Ce qui différencie
de tels états de l'état hypnagogique présentant des images figuratives c'est peut-être
simplement leur localisation dans le temps, c'est-à-dire le fait qu'elles se produisent en
dehors de l'endormissement. Dans le cas où l'endormissement ne prolongerait pas l'état
hypnagogique il serait probablement difficile de distinguer ce dernier de ce qu'aurait vécu le
sujet d'un état hyponoïde.

L'état hypnotique est également un état non défini, mais il est beaucoup plus difficile à
rapprocher de l'endormissement car il « n'existe pas de corrélations physiologiques certaines,
pour l'hypnose.

« L'électro-encéphalogramme fait parfois apparaître un alpha abondant, mais dans la


plupart des cas il est impossible de faire la différence avec un état de conscience
ordinaire »[16]. Cet état est d'autant plus facile à distinguer du rêve (que ne l'est l'état
hypnagogique) qu'il nécessite la présence d'un élément déclencheur de l'hypnose, que cet
élément soit une personne autre que le sujet ou un dispositif utilisé dans ce but (cassette
enregistrée, source lumineuse…). La présence de cet élément extérieur indique d'ailleurs
nettement que l'état du sujet hypnotisé participe à la fois de la veille et du rêve, et donc n'est
pas défini. En effet, le sujet hypnotisé est nécessairement éveillé, puisqu'il entend les
suggestions qu'on lui propose et est capable de s'y conformer, physiquement ou
mentalement, mais d'un autre côté il est partiellement endormi, puisqu'à la perception de
l'environnement de veille se substitue celle d'un monde imaginaire qui prend pour le sujet
hypnotisé une allure bien réelle.

Si le sujet hypnotisé n'était jamais conscient du caractère irréel de ce qu'il croit


percevoir, son état pourrait être tout au plus étudié afin d'être éventuellement comparé au
rêve ordinaire et ne nous concernerait pas ici. Or, de nombreux travaux montrent qu'un sujet
peut être hypnotisé tout en conservant sa conscience lucide (c'est-à-dire tout en se sachant
hypnotisé) et néanmoins vivre ce qui est suggéré par l'hypnotiseur.

Le pouvoir de l'association est souvent très puissant. Il est même effarant


de constater à quel point elle peut échapper complètement à la conscience et
produire, néanmoins, des effets. Il y eut, au cours d'un séminaire, une occasion
où je provoquai chez quelqu'un une cécité totale. Pendant une démonstration je
dis: "Pour y parvenir, vous n'avez rien d'autre à faire que de voir." J'avais ainsi
associé la vision avec la capacité d'exécuter la tâche. Un peu plus tard, après
l'expérience, une femme leva la main et dit: "J'ai une question." Je lui demandai
de quoi il s'agissait. "Que fait-on", dit-elle, "quand on n'y voit rien?" Je croyais
qu'elle voulait simplement dire qu'elle n'avait pas vu la personne changer au
cours de l'expérience et je dis: "Vous n'avez remarqué aucun des effets?" "Non",
dit-elle, "il fait complètement noir." Cela ne paraissait pas du tout l'inquiéter,
mais je me dis: "Hé là! attention! " et j'allai près d'elle. Je lui dis: "Vous n'avez
pas besoin d'apprendre de cette manière" et -pouf!- elle retrouva la vue.[17]

La femme hypnotisée l'a été indirectement puisqu'elle n'était pas le sujet de la


démonstration, mais cela ne l'a pas empêchée d'entrer effectivement en hypnose puisque la
suggestion l'a rendue aveugle. Elle est cependant restée consciente à la fois de ce qui lui
arrivait et des raisons pour lesquelles cela lui arrivait puisqu'elle est intervenue d'une façon
qui apparaît ici assez naturelle. Si maintenant le sujet hypnotisé peut, tout en restant
conscient de ce qui lui arrive, entrer dans un état équivalent au rêve en ce qu'il a l'impression
de percevoir les images proposées et d'y participer pleinement, la question se pose du
rapport de ce type d'état avec la lucidité onirique. Deux cas, en effet, peuvent se présenter,
l'un dans lequel le sujet hypnotisé reste conscient de l'environnement de veille, et alors
l'hypnose ressemble au rêve lucide rapporté plus haut par Kelzer, et l'autre dans lequel il n'a
plus conscience de son environnement de veille, au point que, subjectivement, il devient
difficile de faire une différence entre cet état et le rêve lucide. La différence existe cependant:
elle est liée à la présence de l'élément hypnotiseur et à son influence sur le sujet hypnotisé.
Mais cette présence et cette influence peuvent prendre des modalités très différentes selon
que le rêve hypnotique est entièrement dirigé par l'hypnotiseur ou qu'au contraire il se
contente de donner une impulsion au rêve. En effet, le "rêve lucide" obtenu sous hypnose
est-il le résultat de l'état hypnotique induit ou des suggestions concernant le rêve?

D'après Green, lorsque, sous hypnose, le rêveur perd contact avec son
environnement, le rêve lucide apparaît parfois spontanément alors qu'aucune
suggestion directe n'a été donnée pour le déclencher. Qu'il s'agisse effectivement d'un rêve
dont la présence et la netteté s'imposent au sujet et non d'une vague imagerie mentale, cela
est attesté par les sujets.

Le sujet décrivit un rêve où il nageait dans une mer tiède et bleue. Je


n'avais fait aucune suggestion qui put être interprétée comme celle de faire un
rêve. Le sujet était conscient de rêver, disant que la qualité du rêve était tout à
fait identique à celle de la vie réelle. Après avoir nagé quelque temps dans cette
eau tiède, il se trouva environné de requins qui s'approchèrent et se mirent à
tourner autour de lui.[19]

Le fait que l'hypnotiseur n'ait fait aucune suggestion pour pousser le sujet à rêver
indique que l'état hypnotique suffit à plonger effectivement le sujet dans un sommeil partiel
(dans lequel le rêve peut se manifester) et que le rêve ne dépend pas des injonctions de
l'hypnotiseur. Dans certains cas il y a un net fossé entre les instructions de l'hypnotiseur et le
rêve qui se déroule.

L'hypnotiseur me suggéra d'aller dans un monde où je serais en paix. Je me


rendais compte que cette suggestion ne s'accordait pas avec mes propres
souhaits ; j'aurais aimé qu'il me dise d'aller dans un endroit intéressant et
stimulant …

Le rêve commença par une impression non visuelle. C'était une sorte d'idée
claire et plutôt passionnante, concernant un feu sur une montagne. Puis, je
chevauchais un aigle. Il n'y avait pas de discontinuités de la conscience, bien
qu'apparemment je ne me sois pas souvenu de certaines paroles prononcées par
l'hypnotiseur pendant que je faisais ces rêves.

Ils avaient un côté à la fois attrayant et décevant, dans la mesure où ils se


rapprochaient de ce que j'aurais aimé rêver, mais contenaient aussi une
impression de contrainte, comme si les choses risquaient de se gâter si on les
laissait évoluer librement. J'avais envie qu'il y ait davantage de développements
et cela, bien sûr, était dû, en partie, au désaccord relatif entre mes propres
intentions et celles de l'hypnotiseur.[20]

Durant le rêve le rêveur perd le contact perceptif avec l'hypnotiseur et


l'environnement de veille, même s'il lui en reste "une impression de contrainte". On peut du
coup se demander si cet état hypnotique n'est pas tout simplement un état de sommeil induit
de façon particulière. En effet, la plupart des manuels pratiques d'hypnose insistent sur le fait
que, si l'hypnotiseur se retire alors que le sujet est encore sous hypnose, le sommeil
artificiel se transforme en sommeil naturel. Mais ici on peut se demander si, au lieu de
l'hypnotiseur, ce n'est pas l'hypnotisé qui se retire … dans le sommeil naturel. La distinction
entre le sommeil hypnotique et le sommeil naturel n'est d'ailleurs pas une distinction nette
comme le montrent les inductions hypnotiques suggérées à des sujets pendant le
sommeil[21]. Dire que le rêve lucide est effectué sous hypnose reviendrait simplement à dire
que la qualité de l'endormissement a été modifiée[22].

Il est cependant des cas où le rêveur ne perd pas contact avec son environnement au
cours de l'hypnose et continue à tenir compte de ses instructions. Il n'est alors guère possible
de considérer que le sommeil induit rejoint le sommeil naturel. Mais le rêve lucide surgit-il? A
priori cela devrait être possible, l'état serait alors analogue à celui de Kelzer déjà cité. Mais
les rares cas dont on dispose montrent que cette position est à nuancer: « Une autre fois, le
sujet décrivit des rêves assez mal visualisés (également lucides) correspondant à ma
suggestion de rêver une séquence d'événements que je lui spécifiai. Selon lui, ces rêves
furent tout à fait différents de ceux qu'il faisait spontanément, ces derniers étant toujours des
reproductions précises de son expérience à l'état de veille »[23]. Au cours de ces rêves le
sujet reste en communication avec son environnement puisqu'il tient compte des suggestions
de l'hypnotiseur, mais les "rêves" obtenus n'ont pas la qualité de ceux qui surviennent
lorsque ce contact est coupé et, plutôt que de rêve, il pourrait bien s'agir d'images réellement
en rapport cette fois-ci avec l'état hypnotique (d'images hypnotiques plutôt qu'oniriques), et
une démarcation pourrait alors se faire en fonction de la qualité de l'image, démarcation
qui dans la littérature ne s'opère généralement qu'en fonction de l'état physiologique[24]. S'il
faut tenir compte de l'expérience de Kelzer et d'autres rêveurs lucides, ce ne serait pas tant
le contact avec l'environnement qui déterminerait ou non la qualité de ce qui est vécu en tant
que rêve lucide, mais plutôt la liberté laissée au rêve de se dérouler. Les suggestions de
l'hypnotiseur, au-delà du stade de l'induction de l'état hypnotique, semblent avoir un effet
inhibiteur sur le rêve dans sa qualité onirique, même si pour cette raison elles peuvent
accidentellement déclencher la lucidité.

J'hypnotisai une fois un sujet en lui suggérant de rêver qu'il faisait une
promenade à bicyclette […]. A cette occasion, il avait amené un ami, Paulo, qui,
pendant l'hypnose, était assis soit dans la même pièce, soit dans celle d'à côté.
Comme toujours, avec ce sujet, chaque reprise de l'hypnose produisait un
approfondissement de la transe et le rêve du tour à bicyclette ne tarda pas à
l'absorber entièrement. Il bougeait réellement les jambes, comme s'il pédalait
sur sa bicyclette imaginaire, tendant les bras pour se saisir du guidon et diriger
sa course dans un beau paysage campagnard.

A un moment donné, je lui dis: "Oh, regarde, on dirait que quelqu'un vient
vers nous au sommet de la côte." - "Mais oui", répondit-il, et il se pencha en
avant comme s'il s'efforçait de mieux voir la personne et de la reconnaître. "Eh
bien, mais c'est Paulo!" ajoutai-je. Sa réaction fut inattendue. Il m'entendait dire
que Paulo était là dans son rêve, alors qu'en réalité il était assis quelque part,
près de nous, et cela lui parut une inconsistance inacceptable. Il se mit à rire,
comprenant que son excursion à bicyclette n'était qu'un rêve hypnotique, et
s'exclama: "Vous voulez rigoler! Ça ne peut pas être Paulo, car il est ici." Je crus
qu'il était sorti de sa transe, mais il continuait à pédaler. J'ajoutai rapidement:
"Oui, vous avez sans doute raison, mais dans ce cas qui vient donc à notre
rencontre?" Il répondit qu'il ne savait pas, qu'il n'était pas encore parvenu à
identifier cette personne […].

Quoi qu'il en soit, mon sujet continuait à être pleinement absorbé par son
rêve, mais dans un état de conscience "éveillé". A partir de ce moment,
contrairement à ce qui s'était produit dans nos précédents rapports hypnotiques,
il se mit à effectuer un choix parmi mes suggestions, acceptant les unes,
préférant modifier les autres. De plus, il contrôlait la création de son rêve bien
davantage que lors des autres sessions. Il semblait donc qu'il soit devenu
"lucide" dans son rêve de transe hypnotique. Il avait pris conscience de l'état
d'hypnose en remarquant un détail inconsistant ; notre rapport avait, en
conséquence, changé, de sorte qu'il exerçait un contrôle accru et se montrait
capable de manipuler son expérience de transe[25].
L'émergence de la lucidité dans le rêve hypnotique ressemble ici à celle provoquée par
une incongruité dans le rêve ordinaire. A partir du moment où le sujet est conscient de la
nature réelle de l'environnement qu'il perçoit, les tentatives de l'hypnotiseur d'imposer
certaines images tendent plus à causer des difficultés qu'à maintenir le rêve et on peut faire
l'hypothèse qu'une abstention pure et simple de la part de l'hypnotiseur se révélerait
beaucoup plus efficace pour la continuation du rêve que ses tentatives de rester en contact
avec le sujet. Cette idée semble confirmée par les expériences d'hypnose mutuelle ou de rêve
éveillé profond.

L'hypnose mutuelle présente en effet un double avantage par rapport à l'hypnose


classique puisque non seulement elle permet d'approfondir l'état hypnotique mais aussi
d'échapper à l'ingérence d'un hypnotiseur éveillé, comme le montre un raisonnement de
Charles T. Tart qui, sans le savoir, redécouvrit cette méthode après Milton Erickson: « Mon
raisonnement était que, si le rapport atteignait un maximum dans les transes hypnotiques
profondes, une technique susceptible d'intensifier le rapport de façon marquée aurait de
fortes chances d'augmenter la profondeur de la transe hypnotique. A cette fin, je tentai
d'appliquer une méthode dans laquelle deux sujets assumaient tour à tour les rôles
d'hypnotiseur et d'hypnotisé. C'est ce que j'appelle l'hypnose mutuelle »[26].

Nous nous trouvons alors là dans un cas où chacun des sujets est en rapport avec
l'autre sans être en relation avec l'environnement physique, ce qui constitue une combinaison
des deux situations précédentes.

Bill se mit à décrire un voyage "hallucinatoire" qu'il faisait avec Anne. Sa


voix était assurée, égale, détendue ; de façon parfaitement convaincante, il
donnait l'impression de décrire des événements véritables plutôt que des visions
irréelles. Ils étaient tous deux à flanc de montagne devant l'entrée d'un tunnel.
La main dans la main, ils y pénétraient, Bill suggérant explicitement que
l'hypnose allait s'approfondir à mesure qu'ils s'enfonçaient dans l'obscurité. Tout
était calme, les bruits extérieurs s'étant évanouis ; une ambiance ineffable
régnait dans le tunnel, pénétrée de "sens" et de bien-être.[27]

Au cours de cette expérience les sujets mutuellement hypnotisés tendent à refuser le


contact avec l'expérimentateur: « A ce stade je remarquai que Carol était entrée
spontanément en hypnose et qu'elle participait apparemment au voyage
hallucinatoire d'Anne et de Bill ; elle avait fermé les yeux et les expressions de son visage
paraissaient s'accorder aux paroles de Bill. Je mis la main sur l'épaule de ce dernier (c'était
un signal hypnotiquement induit destiné à le mettre en rapport avec moi) et je lui dis que
Carol était en hypnose et qu'elle se joignait à eux. Bill secoua la tête négativement ; dans la
discussion qui suivit la session, Carol fit savoir qu'elle avait su, à ce moment, qu'elle était
rejetée, mais elle resta néanmoins en hypnose et dans le tunnel. Pendant le reste de la
session, Bill perdit tout contact avec moi-même et l'environnement du laboratoire, éprouvant,
comme il le dit plus tard dans la discussion, un fort déplaisir chaque fois que je tentais de
"m'immiscer" dans le monde hypnotique qu'il partageait avec Anne »[29]. L'un des sujets, Bill,
est donc complètement hors de portée de l'expérimentateur éveillé au point qu'une tentative
de suggestion post-hypnotique de la part de ce dernier échoue totalement. « Lors de la
discussion consécutive à la session, Bill assura qu'il ne m'avait pas entendu lui faire cette
suggestion »[30].

Ce qu'il est intéressant de relever dans cette expérience c'est la qualité perceptive du
rêve hypnotique ainsi que celle de la conscience des sujets. Le rêve apparaît comme tout à
fait réel pour les sujets, non en ce qu'ils "croient" à sa réalité mais parce que leur perception
est particulièrement intense :

Pour Anne et Bill (ainsi que pour Carol), le tunnel était aussi réel qu'une
expérience vécue. Malgré l'obscurité, ils "voyaient" les parois d'une façon
curieuse: Anne dit qu'elle avait eu l'impression d'une "lumière" émanant d'un
point situé en-dessous des sourcils ; "Cela n'éclairait pas, et je ne voyais pas
vraiment, mais cela m'aidait à savoir, sans les avoir vues, que des choses étaient
là." Les deux sujets indiquèrent qu'ils ressentaient la texture des parois
rocheuses, douces et lisses, comme couvertes de mousse par endroits, toutes
dures quand le rocher était à nu.[33]

Quant à la lucidité, il est clair que les sujets savent qu'ils vivent un rêve hypnotique
puisque l'approfondissement de l'état d'hypnose fait partie de leur préoccupation onirique
(« La main dans la main, ils y pénétraient, Bill suggérant explicitement que l'hypnose allait
s'approfondir à mesure qu'ils s'enfonçaient dans l'obscurité »). Il semble donc bien que, si
l'hypnose mutuelle induit depuis l'état de veille un état lucide, ce dernier entraîne une
certaine autonomie de l'hypnotisé et de son rêve, à tel point qu'on peut se demander si les
sujets ne sont pas tombés dans un état de sommeil au cours duquel ils vivent un rêve lucide
tout en continuant à décrire, de loin en loin et parfois de façon difficilement audible, leur
expérience - ce qui se produit également dans le rêve éveillé profond.

Le rêve éveillé apparaît immédiatement comme une solution plus simple que l'hypnose
mutuelle pour résoudre le problème de l'influence de l'environnement physique sur le sujet.
Mais, habituellement, celui au cours duquel le rêveur raconte son expérience n'a pas la
qualité du rêve lucide. Toutefois, il se transforme parfois en hallucinose[34] en ce sens que le
rêveur éveillé vit son expérience avec une intensité hallucinatoire sans pour autant croire à la
réalité de ce qu'il vit, c'est-à-dire sans lui donner le qualificatif de "réalité". Lorsque le rêve
éveillé atteint cette qualité sans que le sujet cesse nécessairement de communiquer avec
celui qui l'assiste, on peut considérer qu'il se trouve dans un état équivalent au rêve lucide
comme le rêve hypnotique précédemment décrit. En effet, comme nous l'avons vu, le rêve
éveillé pratiqué à l'endormissement peut servir de transition entre l'état mental de veille
(allant des images mentales discontinues aux rêveries plus ou moins dirigées) et le rêve de
sommeil, tout en conservant la conscience de son état. Le rêve éveillé pratiqué continûment
est donc un inducteur de l'état de rêve, et par là de l'état de sommeil[35] et d'une certaine
façon on peut le considérer comme une méthode d'induction hypnotique. Lorsqu'il franchit le
seuil de l'état onirique le sujet peut tout simplement s'endormir, mais il lui arrive parfois de
communiquer avec son environnement en continuant à raconter son rêve, parfois
grandement altéré et espacé comme dans le rêve hypnotique de l'expérience de Tart.

Du point de vue de l'observateur, on pourrait bien sûr comprendre ce type


d'expériences d'une autre façon. Les longs silences indiqueraient que le sujet plonge dans le
sommeil dont il ressort de temps à autre pour donner une ou deux informations
fragmentaires d'un récit qu'il ne complétera qu'après la séance. Ainsi ce type d'expériences
pourrait être compris comme un sommeil intermittent, interrompu par le désir de
communiquer l'expérience. Mais cette description n'est vraie que si elle est confirmée par
celle du sujet sur les différences de qualité perceptive de son expérience selon qu'il
communique ou non avec celui qui l'écoute. Or, dans bien des cas, s'il y a connaissance de
l'existence de l'environnement de veille, le sujet le plus souvent n'en a pas la perception. En
ce sens le rêveur est présent à son rêve mais pas à son environnement de veille auquel il
s'adresse pourtant: la communication se fait dans un seul sens. Le rêveur sait en fait qu'il y a
un monde extérieur mais il n'est pas en interaction avec lui: il est comme un scaphandrier qui
envoie des messages sans vraiment savoir s'ils sont reçus.

Il ressort donc de l'examen de ces différents cas que le rêveur peut, dans un état
hypnotique ou apparenté, lorsqu'il n'est pas perturbé par son environnement (par des
conditions matérielles ou des suggestions), connaître consciemment un état qui, du point de
vue de la qualité perceptive, rappelle le rêve. Le fait que de tels rêves ne puissent être induits
par suggestion pendant cet état semble indiquer que le sujet vit une expérience dont
l'autonomie rappelle les rêves lucides de l'état de sommeil, en ce sens qu'elle ne dépend que
du seul rêveur. D'autre part le fait que le rêve se présente en quelque sorte "tout fait" donne
parfois l'impression qu'il se déroulait déjà et que le sujet n'a fait que prendre conscience
d'une réalité onirique préexistante. Ce type d'expérience n'est souvent subjectivement pas
discernable du rêve lucide en ce qui concerne la qualité de la perception mais il en diffère non
seulement par l'absence de sommeil "normal" (si tant est qu'il y ait un sommeil normal) mais
aussi pour le sujet: dans le rêve lucide le rêveur se sent complètement coupé du monde de la
veille qu'il a parfois du mal à retrouver (comme ne parvenant pas à se réveiller). Il n'est
donc guère possible de ramener le rêve lucide aux rêves hypnotiques ou, en d'autres termes,
aux états de transe comme le voulait Maury. La délimitation est en revanche beaucoup plus
difficile quand l'état auquel on veut réduire le rêve lucide se produit au cours du sommeil.
§ 2. Les états "ressemblants"
Le sujet qui dort vit parfois dans son sommeil des expériences qu'il n'accepte pas de
qualifier de "rêves". Cela peut provenir de ce que certaines d'entre elles tranchent
complètement avec la qualité habituelle de l'ensemble de ses rêves, ou de ce que leur forme
lui suggère fortement un autre modèle descriptif. Dans le premier cas le déni de rêve dépend
de la conception que le sujet en a, dans le deuxième elle dépend de la description de
l'expérience. Si cette description est également présente dans des expériences se situant en
dehors du sommeil, comme les "sorties hors du corps" et les expériences "proches de la
mort", les rêveurs peuvent penser trouver là une confirmation qu'ils n'ont pas vécu un rêve
mais bien une expérience correspondant réellement à ce qu'elle semble être.

Cependant, ces certitudes subjectives ne résistent généralement pas à l'examen. Tout


d'abord, en effet, la conception que l'on se fait du rêve n'est pas déterminante pour qualifier
ou non un récit, puisque le rêve est non pas un "objet" mais une expérience. Toute définition
sérieuse du rêve ne peut donc être que le résultat d'une démarche inductive et, par là,
certains de ses traits sont susceptibles d'être remis en question par de nouveaux types
d'expériences. Ainsi nous avons vu que la lucidité oblige à récuser l'idée assez répandue que
le rêveur ne peut jamais savoir qu'il rêve. Ensuite, la ressemblance entre le contenu des
"rêves" et certains autres types d'expériences que l'on peut trouver en dehors du
sommeil ressemble fort à une assimilation abusive. En effet, puisque le rêve ordinaire peut
mettre le rêveur dans des situations qui rappellent l'état de veille, et même de "réveil"
comme dans le cas du faux-éveil, pourquoi ne pourrait-il pas en faire autant pour d'autres
types d'expériences sans cesser d'être un rêve? On peut présenter la question dans l'autre
sens: si le contenu d'une expérience au premier abord suffit à l'assimiler à un autre état, on
en devrait alors naturellement accepter des positions manifestement absurdes, par exemple
que le faux-éveil est un éveil véritable. Enfin la reconnaissance de l'existence du rêve lucide
remet en question l'argument généralement avancé que les expériences mentionnées ne sont
pas des rêves à la fois en raison de leur contenu et de la conscience nette qu'en a le sujet.
En effet, la qualification d'une expérience comme n'appartenant pas au rêve dépend le plus
souvent de la présence de la lucidité. Si par exemple le rêveur devient lucide au cours d'un
rêve de vol et que par ailleurs sa conception du rêve n'inclut pas la lucidité (comme dans le
cas de Muldoon), il sera tenté de penser qu'il voyage dans un "autre corps", réel à sa façon.
La lucidité, associée à un certain type de contenu, suffirait donc à expliquer cette confusion.

Toutefois, des problèmes plus subtils apparaissent lorsque les mêmes


expérimentateurs reconnaissent l'existence, à côté d'expériences auxquelles ils refusent
l'oniricité, de rêves dans lesquels la conscience de rêver est présente (comme pour Fox).
Qu'est-ce qui, dans ce cas, permet au rêveur d'opérer une distinction? Il semblerait assez
naturel de pencher pour le contenu de l'expérience. Néanmoins si seul le contenu est en
cause, pourquoi le sujet ne concluerait-il pas à une forme de rêve plutôt qu'à une expérience
particulière? Dans les faits, c'est bien l'attitude de certains rêveurs lucides, tandis que
d'autres soutiennent la thèse de la différence. Ces positions incompatibles demandent donc à
être examinées afin de déterminer si les expériences en cause sont réellement différentes.

Dans cet examen, nous n'abordons pas l'étude des états particuliers qui servent de
référence aux expériences vécues dans le sommeil autrement que pour en donner quelques
traits descriptifs. Examiner ces expériences pour elles-mêmes serait, d'un point de vue
méthodologique, hors de notre propos puisque notre intention n'est pas de ramener ces
expériences de référence au rêve lucide ou l'inverse, mais simplement de montrer que les
expériences du sommeil, et elles seules, qui s'en rapprochent, sont en fait des rêves,
généralement lucides. On pourrait cependant objecter que les expériences particulières dont
nous traitons ne relèvent pas du sommeil malgré les apparences, mais ce serait là encore
quitter le terrain conscientiel pour des mesures physiologiques qui, nous l'avons vu,
dépendent elles-mêmes de l'expérience onirique pour leur mesure. Si un critère distinctif
pour les rêveurs doit être trouvé, il ne peut, en dernière analyse, être fourni que par l'étude
de l'état de conscience du sujet, comme nous allons le montrer avec le phénomène le plus
couramment mis en rapport avec le rêve lucide: la sortie hors du corps.

Nous avons vu que le sentiment de quitter son corps peut être un facteur déclenchant
la lucidité dans le rêve. Ce sentiment ne débouche cependant pas toujours sur la lucidité et
souvent le rêveur ne se rend compte de l'oniricité de l'expérience qu'au réveil. Le rêve de
sortie hors du corps peut alors être considéré comme un "rêve associé" au même titre que les
rêves de vol non lucides par exemple. Pourtant, dans certains cas, un sujet peut être amené
à penser qu'il a effectivement quitté son corps pendant le sommeil. Pour lui il ne s'agit pas
d'un rêve associé (donc non lucide) puisqu'il avait la parfaite conscience de son état, et le
jugement qu'il porte sur la réalité de l'expérience ne peut être attribué à un manque de
lucidité ni pendant l'expérience, ni à plus forte raison au réveil. De telles expériences
prennent souvent la forme suivante :

« Un soir avant de me coucher j'avais lu quelque chose à propos d'un


massacre d'Indiens. Le chef du groupe d'Indiens s'appelait Little Priest. Après
m'être couché, je commençais à rêver. J'étais dans une clairière, en une contrée
sauvage ; la clairière était assez grande, à peu près soixante pieds carrés.

« J'étais armé et dans la clairière, je vis soudain des Indiens passer leur tête
à travers les arbres et les broussailles autour de moi. Je levai mon arme et me
mis à tirer dans leur direction, visant l'un puis l'autre. C'était un continuel "bang!
bang! bang!" Il semblait que l'arme que j'utilisais faisait beaucoup de bruit, un
bruit inhabituellement fort qui me secouait chaque fois que je tirais.

« Cependant, je ne pouvais cesser de tirer, sans quoi les Indiens ne


manqueraient pas de m'attraper! Mais cet horrible "bang! bang! bang!" me
transperçait! Je vis ensuite le chef des Indiens, c'était Little Priest qui traversait
la clairière pour me tuer et me scalper! Terrifié, je tournai l'arme vers lui et tirai,
mais je ne parvenais pas à l'atteindre et il s'approchait de plus en plus. Comme il
était tout près, je jetai l'arme et me mis à courir. Mais le "bang! bang! bang!"
continuait! Il devenait de plus en plus distinct. J'oubliai le chef indien. J'étais
conscient. C'était une nuit de grand vent et la porte extérieure battait, d'avant en
arrière: "Bang! bang! bang!" Etant conscient, je découvris que j'étais projeté
dans l'astral et que je me tenais près de mon fusil, derrière la porte de la cuisine.
(Ce ne fut pas tout ; je vis un Indien-esprit qui me dit: "- Vous vous appelez
Little Priest?"). »[36]

D'après Muldoon ce rêve montre la façon dont « on peut devenir conscient quand le
corps astral est projeté »[37]. Selon sa façon de voir, un corps subtil a été éjecté hors du
corps physique pendant qu'il rêvait, ce dont il n'a pris conscience qu'au bout d'un certain
moment. Muldoon est donc persuadé être sorti de son corps. Pourtant l'examen de son récit
incite à une certaine réserve. En effet, cette expérience ressemble plutôt à un rêve lucide, le
rêveur devenant conscient au cours de son rêve. Le changement brutal de décor correspond
à un phénomène qui accompagne souvent la lucidité ; de plus, la présence d'un personnage
onirique, l'Indien-esprit, qui semble rescapé du rêve précédent indique une qualité onirique.
Dans l'ouvrage de Muldoon la conscience de son état est nécessairement associée à la sortie
hors du corps (ou projection astrale), et il aurait certainement considéré les rêves lucides
comme entrant obligatoirement dans ce cadre s'il les avait connus. En fait il est fort possible
qu'une grande partie des sorties hors du corps ne soient que des rêves dans lesquels le
rêveur fait preuve d'une lucidité partielle. Cette remarque est facile à admettre lorsque
l'expérience s'accompagne des traits oniriques manifestes. Mais, dans certains cas, la sortie
hors du corps présente des caractères qui, à première vue, paraissent radicalement différents
de l'expérience onirique.

Les caractéristiques de son expérience généralement invoquées par le sujet pour


conclure à la "sortie" effective sont la perception de son corps comme distinct de lui et la
conscience aiguë de ce que cette expérience a de particulier par rapport à sa situation
habituelle. Ces deux caractéristiques définissent en effet la sortie hors du corps d'un point de
vue phénoménologique, indépendamment de l'interprétation que l'on peut en donner: « Lors
d'une expérience de "sortie hors du corps", comme l'indique cette dénomination, le sujet se
trouve apparemment en dehors de son corps physique, percevant les événements d'un point
de vue nouveau »[38].

Tant que l'on s'en tient à l'aspect phénoménologique de l'expérience du dormeur, elle
peut sans problème être qualifiée de sortie hors du corps, ou plus précisément de "rêve
lucide de sortie hors du corps". Les difficultés surgissent néanmoins lorsque certains sujets
affirment qu'ils n'ont pas vécu un rêve mais une sortie hors du corps réelle en ce sens que le
corps perçu d'un point de vue extérieur est considéré par eux non comme une image mais
comme le résultat d'une perception effective. Dans ce cas les deux caractéristiques que nous
avons mentionnées ne sauraient suffire à soutenir une telle affirmation car elles ne
fournissent aucun critère de réalité: « Du point de vue philosophique, les expériences de
sortie du corps doivent être considérées comme impossibles à distinguer des rêves lucides.
Dans un cas comme dans l'autre, le sujet percevant connaît un champ de perception complet
et cohérent, sachant, au moment même, qu'il se trouve dans un état différent de la vie
éveillée. Dans la majorité des sorties du corps spontanées, le sujet semble observer son
propre corps d'un point de vue extérieur à celui-ci, mais cela ne constitue pas une véritable
différence qualitative entre ce genre d'expérience et le rêve lucide. Il arrive aussi - quoique
moins souvent - qu'un rêveur lucide perçoive son corps de l'extérieur »[39].

La question est alors de savoir si les sujets s'appuient sur d'autres caractéristiques ou
sur des arguments d'un type différent (ou les deux). En effet, si seules ces deux
caractéristiques interviennent, le sujet n'est à aucun moment en mesure de comparer une
sortie hors du corps "réelle" pendant le sommeil d'un rêve lucide de sortie hors du corps, et
la première expérience s'avère n'être qu'un cas particulier de rêve lucide, la réalité étant
attribuée en fonction de la caractéristique. Puisque la lucidité est présente dans les deux cas,
c'est apparemment du côté du contenu qu'il faut chercher des caractéristiques permettant de
différencier cette expérience du rêve qui lui est équivalent.

La recherche de ces caractéristiques n'a cependant de sens que dans la mesure où ce


sont les mêmes sujets qui rapportent des rêves lucides de sortie hors du corps et des sorties
hors du corps "effectives" pendant le sommeil - et les considèrent comme distinctes. En effet,
si les deux catégories d'expériences devaient être systématiquement rapportées par deux
groupes de sujets, il ne serait pas difficile de conclure qu'il n'y a là qu'une différence de
terminologie et d'interprétation mais que l'expérience est fondamentalement la même. Il est
frappant de constater que les pratiquants de la sortie hors du corps qui n'ont jamais rapporté
de rêves lucides se servent, pour la différencier du rêve lucide, de descriptions qui au
contraire vont dans le sens du rêve. Cela tient à ce qu'ils ont du rêve lucide une conception
limitée, comme par exemple Robert Monroe: « Dans [la catégorie des rêves dits "lucides"], le
rêveur est apparemment conscient de son rêve et peut en contrôler le contenu au point
même d'en changer le cours, les acteurs, l'issue »[40]. Si un sujet se fait une conception
limitée du rêve lucide il n'est guère étonnant qu'il ne soit pas enclin à y rapporter une
expérience qui n'entre pas dans son cadre. Ainsi, pour Monroe, si le rêveur lucide peut
influencer son rêve, celui qui sort de son corps est dans l'impossibilité d'affecter son
environnement: « On peut voir se dérouler les événements, sans être pourtant en mesure de
les modifier ni de les affecter de manière sensible. […] il est impossible d'y participer
activement puisque la présence à cet instant n'est pas "physique" »[41]. Or, une telle
conception est simplement inexacte car on peut trouver des rêves lucides dans lesquels le
rêveur n'a guère de prise sur son environnement. De plus certains récits de Monroe ne
correspondent pas à ces traits généraux. Il lui arrive au contraire de participer activement
aux événements "hors du corps" et même d'avoir parfois une influence indirecte sur eux.

Lorsqu'il essaie de caractériser positivement ses sorties hors du corps en les opposant
au rêve, Monroe s'appuie sur des critères qui sont bel et bien ceux du rêve lucide, qu'il
s'agisse de la conscience de son état ou du réalisme des perceptions: « Dans l'[expérience
hors du corps], l'individu se trouve dans un état très voisin de la conscience, selon la
définition qu'en donne notre civilisation. Elle reproduit la plus grande partie, sinon la totalité,
de notre perception sensorielle physique. On peut "voir", "entendre", "toucher" - les sens les
plus faibles semblent être l'odorat et le goût. Le point de référence est un endroit proche ou
lointain, mais extérieur au corps physique. S'il est proche, il s'agira généralement d'un lieu où
le corps physique ne peut pas, en principe, se trouver, par exemple au plafond. S'il est
lointain, il pourra s'agir par exemple de Paris alors que l'on sait se trouver physiquement à
New York. […] C'est l'extrême réalité de l'[expérience hors du corps] qui la distingue du rêve.
Elle est aussi "réelle" que n'importe quelle expérience de la vie physique »[42]. Toutes ces
caractéristiques sont en fait celles du rêve lucide en général et celles concernant le point de
référence proche renvoie tout particulièrement au rêve lucide de sortie hors du corps. On le
voit, d'un point de vue conscientiel, il n'est guère possible de distinguer les sorties hors du
corps des rêves lucides chez les sujets qui ne rapportent que la première expérience[43].

Si donc des différences doivent être cherchées entre les deux types d'expériences, il
est préférable qu'elles le soient chez des rêveurs ayant connu les deux, afin d'évaluer
l'interprétation qu'ils en donnent. Cependant, dans ce dernier cas, la recherche risque d'être
encore obscurcie par une nouvelle difficulté. Certains rêveurs font manifestement de la sortie
hors du corps une sous-catégorie du rêve lucide tandis que d'autres continuent à affirmer la
différence des deux types d'expérience. Mais les assertions de ces derniers ne devraient
pouvoir être prises en compte que s'ils vivent effectivement des sorties hors du corps en rêve
lucide en plus de ce qu'ils qualifient comme étant des sorties hors du corps véritables. Faute
de quoi la distinction risque là encore de n'être qu'une question de dénomination.

Green a établi une liste des différences entre le rêve lucide et la sortie hors du corps
qui, de ce point de vue, peut s'avérer utile pour un examen de cette question, à condition de
lui apporter quelques modifications de façon à ne couvrir que ce qui peut concerner le rêve.
Ainsi par exemple la première caractéristique selon laquelle une expérience hors du corps se
produit à l'état d'éveil tandis que le rêve lucide se produit pendant le sommeil ou à
l'endormissement, ne nous concerne pas ici puisque la confusion s'avère impossible. En
revanche, d'autres traits différenciateurs avancés par Green méritent d'être examinés.
D'après elle la sortie hors du corps pourrait différer du rêve lucide en ce qui concerne
l'environnement du sujet, la qualité des représentations, le degré de contrôle et le corps
onirique: « Les sujets qui ont eu des expériences de sortie du corps jugent fréquemment que
la conformité de leur champ perceptif avec le monde qu'ils connaissent à l'état de veille est
totale. Typiquement, les sujets percevants diront de cette expérience qu'elle est une façon de
regarder le monde normal, mais à partir d'un point de vue autre que celui du corps. […] En
général les représentations les plus précises et les plus vivantes du monde normal sont
associées à la sortie du corps ; par comparaison, il y a plus de chances pour qu'un rêve lucide
contienne des éléments symboliques ou fantastiques, ou que le champ visuel soit indistinct et
brouillé.

« Ceux qui ont eu les deux types d'expérience considèrent généralement que la sortie
hors du corps surclasse le rêve lucide pour plusieurs raisons: le sujet y possède un degré
supérieur de contrôle des situations, il est en mesure de se déplacer bien plus librement dans
l'espace, l'intensité des émotions - joie, sentiment de libération, etc. - y est plus élevée. […]
Dans l'état de sortie hors du corps, il peut arriver que le sujet semble dénué de toute forme
corporelle, sa situation étant alors celle d'un "observateur désincarné". Cela est très rare
dans les rêves lucides où le rêveur paraît, le plus souvent, être doté, de la manière
habituelle, d'un corps physique »[44].

On peut remarquer que la plupart des traits recueillis par Green ont un caractère
"statistique" qui en affaiblit la valeur. Par exemple, en ce qui concerne la congruence de ce
qui est perçu avec le monde de l'état de veille, Green remarque elle-même que le rêve lucide
peut fournir une reproduction tout à fait adéquate de l'environnement de veille. Or, dans ce
cas le critère cesse d'être distinctif: « Certains comptes rendus de rêves lucides font état de
reproductions exactes de lieux connus des sujets percevants, mais ces derniers auront
beaucoup moins tendance à considérer les reproductions oniriques comme étant identiques
au monde physique »[45]. Il en va de même pour la qualité des représentations et du contrôle
qui ne sont valables "qu'en général" et par conséquent ne sont pas discriminants.

Tant que des facteurs non déterminants sont avancés pour soutenir la thèse d'une
différence, cela signifie que la distinction recouvre plus une conception implicite que la
description du phénomène, conception qui ressort assez nettement des critères mis en avant.
Selon cette conception, le sujet qui sort de son corps se trouve dans le monde physique
tandis que le rêveur lucide se trouve dans un rêve, et par conséquent dans un monde irréel
dans lequel des distorsions par rapport au monde de la veille peuvent surgir. Et même en
admettant qu'il n'en aille pas ainsi, le critère ne pourrait être que descriptif. Si en effet le
sujet juge de l'étiquette à donner à son expérience uniquement en fonction de
l'environnement, cela revient à dire que la sortie hors du corps est simplement un rêve lucide
dans lequel le décor est exactement semblable à celui de la vie de veille, mais ne permet pas
de la distinguer du rêve.

Si le décor ne peut être considéré comme un critère distinctif, la qualité et la forme


des "perceptions" ne l'est pas plus. L'assertion repose à l'évidence sur le même présupposé
implicite que précédemment selon lequel la sortie hors du corps peut être considérée comme
objective tandis que le rêve relève de la subjectivité. Or, non seulement nous avons pu
constater que le rêve lucide ne répond pas nécessairement aux critères proposés, mais de
plus les mêmes sujets qui font l'expérience du rêve lucide et de la sortie hors du corps
relatent des rêves lucides qui sont des représentations précises et vivantes du monde de la
veille.

Il y a environ deux ans, je fis mon premier rêve lucide. J'étais aux sports
d'hiver et j'utilisais, à l'aube, une remontée mécanique. Je voyais, aux alentours,
un très beau paysage de montagne baigné d'une lumière orangée. Quand le
soleil se leva, je vis les couleurs se refléter dans la neige. Arrivé en haut, je
m'apprêtai à quitter le télésiège quand je m'aperçus que je n'avais pas mes skis,
et que je ne pouvais donc pas descendre. Je me dis alors: "C'est idiot, qu'est-ce
que je fais sans skis sur un télésiège? et de toutes façons, les remontées ne
fonctionnent pas à cette heure-ci, dans le noir!" Je vis alors, subitement, la seule
solution de ce problème: j'étais en train de rêver. A l'instant même, tout devint
d'une clarté merveilleuse, les montagnes, l'air pur et vivifiant. Je me sentais
capable de quitter le sol et de m'envoler, mais en fait je me mis à courir sur la
neige. La lucidité disparut aussi vite qu'elle était venue, et je continuai le
rêve.[46]

Ce passage de rêve lucide ne saurait être confondu avec une sortie hors du corps car il
s'insère de façon évidente dans un rêve non lucide. Pourtant, comme nous avons pu déjà le
constater, la lucidité transforme le rêve en lui donnant plus d'intensité ("A l'instant même,
tout devint d'une clarté merveilleuse, les montagnes, l'air pur et vivifiant") dans un sens qui,
d'après Green, devrait plutôt être celui de la sortie hors du corps ("les représentations les
plus précises et les plus vivantes du monde normal sont associées à la sortie du corps"),
surtout de la part d'un sujet qui a connu les deux types d'expérience. Or, il n'en va nullement
ainsi.

Quant à la proposition suivante de Green selon laquelle les sujets qui connaissent les
deux types d'expériences considèrent la sortie hors du corps supérieure au rêve lucide en ce
qui concerne le contrôle de la situation[47] et la liberté de se mouvoir, elle est également
contredite par les faits. Nous avons déjà vu de nombreux exemples qui montrent que le rêve
lucide correspond au contraire pleinement aux caractéristiques attribuées ici aux sorties hors
du corps. En effet des sujets qui connaissent les deux états peuvent fort bien avoir des rêves
lucides très clairs et des sorties hors du corps beaucoup moins nettes comme le sujet A de
Green.

Je vivais, alors, à l'étranger ; mon fils et sa femme habitaient, à Londres, un


appartement que je n'avais jamais visité.

Un jour, je décidai de tenter une projection jusqu'à leur logement […]. Je


m'allongeai sur le lit et me concentrai. Après un temps, il y eut des moments où
le tic-tac de l'horloge devenait inaudible et, pendant ces périodes, j'éprouvai une
sensation de chute. Pour finir, j'eus l'impression de tomber complètement au
travers du lit et je me retrouvai dans une pièce où j'avais quelque mal à fixer
mon attention, comme si j'avais été dans un état d'intoxication alcoolique. Tout
nageait et se chevauchait dans ma vision ; au milieu de cette confusion,
j'aperçus vaguement deux personnes qui se déplaçaient.[48]

Il n'est donc guère possible d'établir une hiérarchie entre le rêve lucide et la sortie hors
du corps en fonction de la maîtrise et de la liberté dont fait preuve le sujet au cours de
l'expérience. Quant au critère de l'absence de corps qui survient dans certaines "sorties", il se
heurte à l'existence de rêves lucides (tout autant que de rêves ordinaires) qui présentent
cette caractéristique.

Si donc les critères de contenu ne permettent pas une réelle distinction, il faut en
conclure soit que les sorties hors du corps pendant le sommeil sont une catégorie de rêves
lucides, soit que les sujets disposent de critères d'un type différent. Pour découvrir ces
critères il faudrait évidemment disposer des deux sortes d'expériences vécues par un même
sujet, c'est à dire le rêve lucide de sortie hors du corps (et non cette fois le rêve lucide en
général) et la sortie hors du corps dans le sommeil considérée comme effective. En théorie
cela ne devrait pas être difficile puisque, d'après les chercheurs, ce sont les mêmes sujets qui
dans l'ensemble rapportent les sorties hors du corps et les rêves lucides. Dans la pratique
néanmoins ces récits n'ont pas été mis en comparaison[49] et, pour trouver cet autre type de
critères, force est d'accepter un éventail plus large.

Puisque les critères examinés ne sont pas discriminants, il se peut que la différence
entre la sortie hors du corps et le rêve lucide dépende non pas de la présence de l'un des
critères, mais plutôt de son absence. Il est possible en effet qu'un des critères ne soit pas ce
qu'il paraît être. Ainsi la conscience qu'a le sujet au cours des deux types d'expérimentation
n'est peut-être, malgré les apparences, pas la même. C'est ce qui ressort de la critique que
LaBerge fait de la sortie hors du corps: « Prenons le cas d'un "projecteur astral" qui écrivit
que, avant de savoir ce qu'étaient ses [expériences hors du corps], il "était terriblement
effrayé chaque fois" qu'il en vivait une. Selon lui, ses projections commençaient toujours par
la sensation d'un poids qui le maintenait allongé dans son lit. Puis il se retrouvait hors de son
corps. Au cours d'une [expérience hors du corps], il fit le tour de sa chambre et regarda dans
la cuisine du haut des escaliers. Il décida de se contempler dans le miroir, sans parvenir à
distinguer quoi que ce soit. Une autre fois, au retour d'une de ses "aventures astrales", il
pensa: "Je vais m'observer dans mon lit." Mais lorsqu'il regarda, il y découvrit sa mère, qui
"était disparue depuis très longtemps". Chose étrange, le fait de trouver sa mère morte dans
son lit, à la place de son propre corps endormi, ne l'amena pas à conclure qu'il rêvait. Il y vit
la preuve que l'esprit de sa mère serait toujours avec lui chaque fois qu'il se "projetterait".
« Dans le récit de cette [expérience hors du corps], deux faits sont particulièrement
évocateurs. Tout d'abord, après avoir "quitté son corps", le projecteur astral fit le tour de "sa
chambre" et regarda dans "la cuisine". Ajouté au fait qu'il s'attendait à retrouver ensuite son
propre corps dans son lit, ceci montre qu'il se percevait lui-même comme étant dans un
cadre identique au monde physique. C'est le type même de mélange contradictoire et confus
d'éléments mentaux et matériels qui caractérise aussi le rêveur naïf ou prélucide. En second
lieu, notons l'incapacité du projecteur à se figurer que son corps matériel n'étant pas dans le
lit qu'il observait, il ne voyait en réalité ni la vraie cuisine, ni la vraie chambre, ni le vrai lit.

« Ces défauts mineurs de logique et l'absence d'interrogation devant les anomalies


rencontrées, me semblent tout à fait caractéristiques du rêve non lucide et des [expériences
hors du corps] »[50].

La critique de LaBerge porte donc avant tout sur l'état de conscience du sujet et
montre que, si ce dernier a cru sortir de son corps, c'est en raison d'une absence de
lucidité[51]. Le fait de savoir que l'on n'est pas dans l'état de veille normal ne serait pas ici le
résultat d'un éveil conscientiel mais simplement un effet du rêve et plus particulièrement de
son contenu.

On pourrait cependant penser que le cas cité par LaBerge n'est pas représentatif de la
sortie hors du corps et que ce genre de confusion n'est pas la norme[52]. La certitude
généralement affichée quant à la réalité de l'expérience ne doit-elle pas nécessairement
correspondre à un phénomène précis? Pour LaBerge elle est justement la marque du rêve
ordinaire: « Une autre similitude avec le rêve s'ajoute aux anomalies que les gens ont
tendance à accepter pendant les [expériences hors du corps]. A ce moment-là ils sont
convaincus de la réalité de ce qu'ils vivent. Ainsi l'homme à la "mère astrale" certifia qu'il
avait appris, à travers ses [expériences hors du corps], que: "le véritable Moi est séparé du
corps physique mais agit par son intermédiaire. J'ai désormais la certitude que nous avons
deux corps."

« Ce sentiment de "certitude" est tout à fait caractéristique de la ténacité avec


laquelle les gens s'accrochent aux conclusions tirées de leurs expériences hors-du-corps.
Quelles que soient leurs divergences par ailleurs, ceux qui ont connu de telles expériences
sont presque tous convaincus qu'ils ne s'agissait pas de rêve. Pourtant, durant les rêves
ordinaires, nous sommes en général persuadés de la réalité de ce qui s'avère ensuite n'avoir
été qu'illusions »[53]. Mais si dans l'ensemble la position de LaBerge est juste, elle est
insuffisante à rendre compte de ce sentiment de certitude. En effet, lorsque le rêveur
ordinaire est persuadé de la réalité de ce qui lui arrive, il l'est pendant le rêve, mais pas au
réveil. Pourquoi n'en va-t-il pas de même avec les sujets qui pensent sortir de leur corps?
Pourquoi ne pensent-ils pas de même avoir rêvé? Si la situation de ces expérimentateurs
était équivalente à celle du rêveur ordinaire, la moindre anomalie devrait provoquer chez eux
sinon une prise de conscience, du moins de sérieux doutes. Or, dans la pratique, les récits de
telles expériences montrent qu'il n'en va pas ainsi :

Le trou est habité! Ce soir […], je ressentis les vibrations et me tournai de


180°. Cette fois, sans grande hésitation, je pénétrai à travers l'ouverture et me
redressai. je sentis aussitôt la présence d'un être debout à côté de moi (être
masculin me sembla-t-il). Pour une raison que je ne m'explique toujours pas
maintenant que j'ai retrouvé mon calme, je me précipitai à ses genoux et je
sanglotai en le remerciant chaleureusement. Après un instant, je me calmai, me
reculai prudemment, retraversai l'ouverture en sens inverse, me retournai et
réintégrai le physique. Je m'assis. Qui était-ce? Pourquoi ai-je agi de manière
aussi émotionnelle?[54]

Ce récit de sortie hors du corps montre que son comportement est pour le sujet
lui-même une énigme. Dans de telles conditions il aurait dû logiquement conclure au rêve
une fois réveillé. S'il ne l'a pas fait c'est que son expérience doit présenter à ses yeux un
élément particulier. Le besoin d'inscrire l'expérience dans l'ordre de la réalité entraîne
souvent des absurdités manifestes pour tous sauf pour l'auteur du récit. LaBerge cite le cas
d'un sujet connu pour être « particulièrement doué pour induire des [expériences hors du
corps] » :

« Une nuit, je m'éveillai en état de hors-corps, flottant juste au-dessus de


mon corps physique étendu sur le lit. Le soir, on avait laissé une bougie allumée
de l'autre côté de la pièce. Flottant doucement en position assise et la tête en
avant, je me dirigeai vers elle dans l'intention de l'éteindre pour en économiser
la cire. J'approchai mon "visage" de la bougie, mais j'eus quelque difficulté à
éteindre la flamme. Je dus souffler plusieurs fois avant qu'elle ne parût enfin
s'éteindre. Je me retournai, vis mon corps étendu sur le lit, revins vers lui en
flottant doucement et y pénétrai. Une fois dans mon [corps] physique, je me
retournai aussitôt et me rendormis. En me réveillant le matin, je découvris la
bougie entièrement consumée. Mes efforts hors du corps ne semblaient avoir eu
d'effets que sur une bougie non physique »[55].

Au cours de son expérience le sujet se considère en sortie hors du corps et s'efforce,


avec succès sur le moment, d'éteindre une bougie. Mais à son réveil, voyant que la bougie
n'a pas été éteinte, il en conclut qu'il a soufflé une bougie "non physique". On peut constater
deux choses. Tout d'abord le rêveur n'a pas réalisé que la bougie n'avait pas été éteinte par
lui immédiatement au réveil, mais il lui a fallu le constater de visu. Ensuite il en tire la
conclusion que la bougie était non physique mais il n'étend pas cette conclusion au reste du
décor rencontré pendant l'expérience. Or, puisqu'il n'a pas été capable de réaliser son erreur
au réveil même, il est plus que probable que tout l'environnement (et pas seulement la
bougie) n'était qu'un rêve. Si ce type de "rationalisation" de la part du sujet ne se produit
généralement pas pour le rêve ordinaire, c'est qu'un élément le pousse à le considérer
comme réel, et cet élément est probablement la lucidité, non pas pleine et entière mais plus
probablement une lucidité par négation. En effet, même si le sentiment de sortir du corps
appartient à un rêve, il joue le même rôle, mais à un moindre degré, que l'incongruité qui
amène le rêveur à la lucidité. Le rêveur est donc d'une certaine façon conscient de ce qui lui
arrive, mais pas au point de se rendre compte qu'il rêve, et c'est cette lueur de lucidité,
plutôt que le contenu de l'expérience, qui le pousse à asserter sa réalité.

Si cette hypothèse est exacte, l'expérience de sortie hors du corps est probablement
d'un point de vue conscientiel un préliminaire ou une dégradation de celle du rêve pleinement
lucide. Or, nous avons pu constater en effet que le sentiment de sortir de son corps survient
fréquemment lors de l'endormissement conscient avant de déboucher sur le rêve lucide. On
peut supposer, d'après certains récits, que la sortie hors du corps n'est en fait que l'élément
corrélatif imaginaire de la paralysie réelle qui se produit au cours du sommeil et que cet
élément peut ou non servir de déclencheur à la prise de conscience qu'il s'agit d'un rêve,
comme dans le cas suivant.

Je suis paralysé. Donc je peux sortir de mon corps. Quelque chose me gêne:
c'est une sorte de vision, ou d'angle de vision, bloquée. Pourtant je suis dans un
rêve. Je peux me mouvoir. Deux personnes s'affairent près d'une table, un
homme et une femme. Suis-je immatériel? Je passe mes mains sur la chemise de
la femme - une bonne. Puis je soulève un couvercle découpé en spirale par
l'homme, ce qui fait qu'en enlevant le milieu je dois tout tirer, et ça vient à la
suite. C'est une boîte contenant un élément avec du jus (comme une boîte de
thon).

Cependant, j'ai toujours cet angle de vision paralysé. J'essaie de dégager


mes yeux [et me rends compte que je dormais les yeux ouverts et que cet angle
immobile était ce que je voyais dont un morceau de mon nez, allongé dans le
lit].[56]

La "croyance" à la sortie hors du corps serait donc l'indice non pas d'une absence de
lucidité comme le voudrait LaBerge mais d'une lucidité partielle d'un type particulier, c'est-
à-dire qui n'irait pas jusqu'à la prise de conscience[57].

Il est permis de supposer que le sentiment du prochain réveil peut créer l'image du
"retour" dans le corps de la même façon. Ainsi un rêveur dont le rêve lucide s'estompe peut
supposer implicitement qu'il va se réveiller et ainsi forger un nouveau rêve dans lequel il
regagne son corps.

« Conscient de rêver, j'essayai de prolonger l'image qui commençait à


s'estomper. M'élançant alors dans l'obscurité, je me retrouvai dans un tunnel noir
où je rampais sur les mains et les genoux. Au début, je ne voyais rien, mais en
touchant mes paupières, je pus les ouvrir et m'aperçus soudain que je traversais
la pièce en flottant vers Dawn qui dormais sur le divan. Je me retournai pour voir
mon "corps" assoupi sur le sol du salon. D'une certaine façon, j'étais
parfaitement convaincu qu'il ne s'agissait pas d'un rêve et que je voyais bien
mon corps endormi. Dawn se réveilla et se mit à parler. Je me sentis alors
ramené par une force magnétique dans le corps assoupi sur le sol. Une fois
arrivé, je me relevai dans ce corps (que je pris pour mon corps physique) et dis à
Dawn avec excitation: "Sais-tu ce qui vient de m'arriver? Une expérience hors du
corps tout ce qu'il y a de plus authentique!" Ensuite je feuilletais un album de
timbres lorsque je me retrouvai en train de voler dans les airs (comme
Superman) au-dessus de l'Allemagne.

« Je fus choqué de me réveiller dans mon lit quelques minutes plus tard et
de me rendre compte que j'avais dormi tout le temps. Mon cerveau fonctionnait
alors assez bien pour noter combien ma première interprétation de ces
événements s'avérait, dans l'ensemble, non plausible. Par exemple, j'avais pris
pour mon corps physique véritable le corps que j'avais vu endormi et dans lequel
j'étais entré depuis mon "autre corps": maintenant, je mesurais l'illogisme de
cette idée. Sans l'impossibilité matérielle de partir en Allemagne en ouvrant un
album de timbres, et le témoignage de Dawn à l'état de veille, je serais encore
convaincu que ce qui m'était arrivé n'était pas un rêve »[58] .

Il est probable que bien des expériences de sortie hors du corps durant le sommeil,
sinon toutes, sont en fait des rêves lucides par négation, et que la conscience de l'état y est
peu développée (mais présente). Ainsi le rêve lucide permet de reconnaître et d'explorer des
catégories de rêves jusqu'à présent indûment rangées parmi d'autres types d'expériences.

§ 3. Les états différents;


Pour qui considère l'état de rêve comme incompatible avec la conscience de rêver, le
rêve lucide paraît plutôt relever d'états apparentés au rêve mais néanmoins différents de lui
en ce qu'ils appartiennent à l'état de veille et non de sommeil. Nous avons pu nous rendre
compte que, du point de vue du sujet, le rêve lucide appartient au rêve du sommeil, ne
serait-ce que parce que la lucidité peut survenir au cours de rêves non lucides sans
autrement modifier le rêveur et son environnement onirique. Néanmoins, la comparaison de
ces états avec le rêve lucide peut s'avérer utile d'un point de vue plus approfondi. Si, en
effet, le rêve lucide est bel et bien un rêve, les états avec lesquels on pourrait être tenté de le
confondre tout d'abord ne sont pas nécessairement dénués de toute relation avec lui, ne
serait-ce que parce qu'ils peuvent se rattacher au rêve ordinaire. Nous avons vu, par
exemple, que le rêve éveillé permet d'induire l'état de rêve et qu'une certaine façon de le
pratiquer peut mener au rêve lucide. De même, si l'hallucination peut être considérée comme
l'émergence du rêve à l'état éveillé, pourquoi l'hallucinose ne serait-elle pas l'équivalent du
rêve lucide? La comparaison du rêve lucide avec ce genre d'états peut donc non seulement
servir à mieux cerner le rêve lucide mais également être instructive quant au fonctionnement
de la conscience vis-à-vis de ces types d'imagerie.

Ces états conscientiels sont, dans l'ensemble, tenus pour différents du rêve car ils se
produisent au cours de la veille, ou plus précisément parce qu'ils en constituent des
variations. Il sont néanmoins mis en rapport avec le rêve du fait que, tout en étant bien
éveillé, le sujet vit dans un monde imaginaire qu'il "perçoit" selon une intensité et une
netteté qui peuvent varier. Ainsi, plutôt que de mettre son imagination au service de son
action dans le monde de la veille, ce qui se fait naturellement à chaque instant, le sujet se
laisse plutôt emporter par elle, au point même parfois d'y subordonner sa conduite (dans le
cas des hallucinations). L'état de veille est donc susceptible de variations conscientielles dont
les nuances peuvent faire l'objet d'une comparaison avec les degrés de lucidité. Par exemple,
puisqu'un halluciné n'est pas conscient du caractère hallucinatoire de ses perceptions et que,
d'autre part, un rêveur lucide est tout à fait conscient du caractère onirique de son
expérience, il apparaît qu'on ne peut assimiler simplement la lucidité onirique à la conscience
de veille puisque cette dernière n'est pas un état fixe. Ainsi, non seulement on ne peut
ramener le rêve lucide à des types d'états dans lesquels la conscience du sujet est moindre
mais il apparaît que, si des structures communes peuvent être trouver entre eux (si par
exemple l'hallucination et le rêve relèvent bien du même principe), le rêve lucide en constitue
souvent un outil d'investigation conscientiel, ce que ces états "de veille" ne peuvent pas être
la plupart du temps, soit parce que le sujet n'est pas suffisamment ancré dans son
imaginaire (rêverie), soit parce qu'il l'est trop (hallucination).

Pour cerner ces états de veille apparentés au rêve, il faut donc tenir compte de deux
facteurs qualitatifs différents, d'une part celui de la conscience que peut avoir le sujet de cet
état et, d'autre part, celui de la qualité de ce qui est ainsi "rêvé" (concernant sa "perception"
et l'enchaînement du "rêve"). Ces deux facteurs ne nous permettent pas de placer ces
différents états selon un continuum simple qui irait, par exemple, de la rêverie à
l'hallucination car une rêverie peut tout aussi bien s'accompagner d'une conscience de soi
faible et une "vision" (donc de type hallucinatoire par la qualité de son image) s'accompagner
d'une parfaite conscience de sa situation réelle. La qualité conscientielle ne suit donc pas la
qualité perceptive du "rêve" mais peut varier dans chaque cas.

Les états de veille dans lesquels l'imagination tend à s'exprimer en dehors de son
contexte sont des phénomènes dont chacun a plus ou moins fait l'expérience. Ils ont reçu des
noms révélateurs de la parenté qu'on leur attribue avec le rêve, tels que la rêverie, la
rêvasserie ou le rêve éveillé… Ces états ont en commun de plonger le sujet dans une histoire
ou dans un décor imaginaire en ce sens qu'il ne dépend pas de la perception (même si elle lui
sert de point de départ) ni de la pensée logiquement structurée ou associative. Les séquences
imaginées s'enchaînent comme une histoire et non pas en fonction des lois d'associations
habituellement reconnues qui, au contraire, lui donneraient un aspect chaotique. Ces états
comportent donc une logique interne, mais celle-ci échappe à la réalité. Ainsi des enfants qui
jouent dans un univers imaginaire, ou un conteur qui improvise, construisent une histoire qui
suppose une rêverie active par laquelle ils se laissent porter. Parfois la logique de la rêverie
échappe au sujet lui-même et il peut n'en découvrir la clef que par la suite. Ces états sont
manifestement très éloignés du rêve non seulement parce que ce qui est imaginé a plus le
caractère d'une évocation que d'une perception, mais aussi en raison d'une sorte de tension
psychologique nécessaire à le maintenir (ne serait-ce que l'attention sur la rêverie), les deux
écueils étant l'interruption par la perception physique et l'autre l'émiettement de la rêverie
dans la dérive mentale de l'association des idées.

Bien que rien de qualitatif ne semble rapprocher le rêve lucide de cet état, cette
tension inhérente à une rêverie continue pourrait être un élément structurel de comparaison.
En effet, pour un rêveur lucide "débutant", la principale difficulté consiste à maintenir la
lucidité entre la retombée dans le rêve ordinaire ou l'éveil complet. La tension de la
rêverie pourrait en être l'équivalent dans la mesure où, plutôt qu'une élaboration, elle est une
tentative de maintenir continûment la conscience à un certain niveau, précisément défini. Cet
ajustement conscientiel n'est cependant pas tout à fait de même nature selon que la rêverie
est "construite" ou "subie".

La rêverie construite est probablement la plus connue car chacun l'a pratiquée à un
moment ou à un autre, par exemple au cours de l'enfance. Elle met en jeu l'imagination mais
en l'orientant vers un but. Cette intention donne à la rêverie un fil directeur sans lequel elle
se réduirait à des associations d'idées. En fait la rêverie construite est un assemblage
d'éléments qui pris isolément pourraient entrer dans des chaînes d'associations d'idées car ils
relèvent de la pensée évocative. Par là ils demandent, pour être "tenus" dans le champ de la
conscience, un effort différent de la contemplation, un effort de quasi-construction de l'image
mentale. L'action de la volonté est donc une action qui maintient la rêverie tandis que dans
le rêve lucide cette action tend à maintenir non pas le rêve mais l'état de conscience. Dans le
rêve lucide le sujet ne maintient pas le contenu du rêve à volonté: le décor et le déroulement
du rêve lui sont en quelque sorte imposés et il se heurte souvent à des éléments imprévus.
Tandis que l'auteur de la rêverie active reste extérieur à son histoire et la fait évoluer selon
ses désirs, le rêveur lucide ne modifie pas son rêve de l'extérieur mais est au contraire
totalement pris dans son cadre. Pour opérer des modifications il utilise souvent des moyens
de transition dont il dépend (comme par exemple placer sa main onirique sur ses yeux, ou
tomber à la renverse pour changer de rêve). Ainsi, tandis que la qualité évoquée de la rêverie
la différencie du caractère "perçu" du rêve, de son côté sa structure construite ne permet pas
non plus de la mettre en rapport avec la lucidité onirique.

La rêverie construite n'est cependant pas coupée de tout rapport avec le rêve, mais ce
rapport est indirect. Elle peut, par son seul déroulement, déclencher l'apparition d'images
hypnagogiques.

« […] Le soir, avant de m'endormir, je me laisse aller à la rêverie suivante :

« Je suis au Jardin des plantes, près de la fontaine qui est surmontée de


deux lions ; c'est le soir après dîner ; il y a là Margot, Stop… et Ilya… fils ; je leur
raconte l'histoire ci-dessus, en la modifiant un peu ; d'abord, je ne dis pas où
cela se passait, je dis simplement: J'étais avec des amies ; une demoiselle qui
n'avait pas d'ordinaire bon caractère nous offrit des bonbons et je lui dis: Oh!
comme vous êtes aimable aujourd'hui! Continuant ma rêverie, j'ajoute: Je vis
aussitôt que ce n'était pas très… A ce moment, j'hésite entre le mot gentil et
aimable, ce dernier mot convenant mieux, mais formant une répétition, puis je
raconte la seconde gaffe, commise en voulant réparer la première, et j'ajoute,
pour corser mon récit: Alors une dame me dit: "N'essayez pas de la rattraper,
car vous vous enfonceriez tout à fait!" A ce moment de ma rêverie, c'est-à-dire
au moment où je prononce cette dernière phrase, je vois soudain un joli tableau
très net, une hallucination hypnagogique, en somme: un petit bateau descend un
rapide ; un homme, qui est dans ce bateau, manœuvre avec une gaffe ; au
premier ressaut du rapide, la gaffe s'enfonce ; je vois un second ressaut, et la
gaffe s'enfonce davantage »[59].

L'image hypnagogique ne surgit pas simplement du fait de l'endormissement puisqu'elle


illustre, littéralement, le thème de la rêverie[60]. La rêverie construite peut donc être un état
de transition pour passer de la veille à l'état hypnagogique sans perdre conscience comme
cela se produit la plupart du temps. Mais elle ne garantit pas le passage de l'état
hypnagogique à l'endormissement conscient et par là au rêve lucide. Au contraire, si la
conscience se situe délibérément du côté de la construction des images de la rêverie, il y a de
fortes chances que la plongée dans le rêve soit brusque et dénuée de continuité
conscientielle. Le rêve lucide s'avère donc fort différent de la rêverie construite à la fois par
sa qualité perceptive et par l'autonomie de son déroulement. Une activité imaginative éveillée
plus en rapport avec lui devrait donc présenter un aspect moins volontaire, comme peut-être
la rêverie subie.

Cependant, à première vue, la rêverie subie ne semble pas devoir attirer plus notre
attention que la rêverie construite. En effet, elle est faite du même matériau (images
mentales) et de plus, du fait que le "rêveur" n'a pas avec elle de réelle interaction, on peut se
demander si la conscience qu'il en a n'est pas moindre que dans la rêverie construite. La
différence par rapport à cette dernière est qu'au lieu que l'unité en soit donnée
volontairement par le sujet, elle surgit indépendamment de lui en une histoire déjà
coordonnée, en des scènes qu'il n'a pas convoquées.
« Vers douze ans, surgit brusquement en moi une rêverie très étrange et qui
me prenait dans la journée, par exemple en allant et en revenant de l'école :

« J'imaginais des bassins complexes communiquant entre eux ; dans ces


bassins flottaient des bateaux d'enfants. Ces bateaux à voiles, munis de
gréements multiples, étaient répartis en deux flottes adverses. Ils étaient montés
par un grand nombre de petits singes habillés en marins - non pas des petits
hommes mais bien des petits singes à peine grands comme le petit doigt. Je
commandais l'une des flottes. Ces miniatures simiesques m'obéissaient avec une
docilité de chiens et une intelligence d'hommes. Alors je déclenchais une bataille
navale rangée, colossale, toutes proportions gardées, et toujours très
sanglante! »[61]

La coordination des scènes de la rêverie subie est toutefois remarquable, en ce sens


que nous avons peut-être là l'analogue de l'enchaînement du rêve même si le matériau, eu
égard à la perception qu'en a le sujet, reste celui des images mentales. Si donc la
rêverie subie se déroule comme le ferait un rêve mais avec des images d'une qualité moindre
que celle perçue à l'état de rêve, on peut supposer que la qualité des images (leur aspect
mental) est justement due au fait que le sujet se trouve à l'état de veille.

Cette supposition trouverait sa confirmation dans la transformation de la rêverie subie


en rêve proprement dit lors du passage de la veille au sommeil. Ces rêveries et leur
transformation à l'endormissement n'ont pas fait l'objet d'une étude systématique, mais le
mécanisme de cette transformation a déjà été observé :

« Aujourd'hui, j'ai eu la vive satisfaction de saisir bien positivement mon


rêve dans son entier, depuis la dernière pensée que j'avais eue étant encore
éveillé, jusqu'à l'idée qui m'occupait au moment de mon réveil, et cela sans rien
perdre des différentes choses que j'ai cru voir, entendre ou faire successivement.
Voici ce qui s'est passé: Etant encore éveillé, mais tout près de m'endormir, j'ai
pensé vaguement à la visite que nous devions faire le lendemain matin au
château d'Ors… et la grande allée des marronniers par où l'on y arrive s'est
présentée à mon souvenir. D'abord, je l'ai vue comme dans un brouillard. Et
puis, j'ai distingué nettement des arbres avec leurs feuilles bien vertes et bien
découpées. Seulement, ce n'était plus l'allée des marronniers d'Ors… mais, je
crois, une allée des Tuileries ou du Luxembourg. Beaucoup de gens s'y
promenaient. J'y reconnus M. R… avec Alexis de B… et je me mis à causer avec
eux. Pendant ce temps, des jardiniers ou bûcherons travaillaient à déraciner un
gros arbre mort. Ils nous crièrent de nous éloigner, parce que l'arbre pourrait
tomber de notre côté. Aussitôt, et avant même que nous ayons fait un pas pour
nous ranger, je vis l'arbre écraser mes compagnons, et l'émotion que j'en
ressentis me réveilla »[62].

Dans ce type d'endormissement le sujet semble transformer sa façon d'appréhender un


donné en passant de la veille au sommeil. Ce donné se présente d'abord comme une image
mentale ("la grande allée […] s'est présentée à mon souvenir. D'abord, je l'ai vue comme
dans un brouillard"), mais cette image acquière la netteté de la perception lorsque le sujet
s'endort ("puis, j'ai distingué nettement des arbres avec leurs feuilles bien vertes et bien
découpées"). Ce genre d'endormissement donne le sentiment que la qualité de la perception
dépend avant tout de l'état de conscience du sujet et que l'image mentale n'est pas
fondamentalement différente du donné perçu puisqu'elle peut acquérir une netteté
équivalente[63]. Le même phénomène se retrouve par ailleurs au réveil dans certains cas. Le
rêveur a alors le sentiment de s'éloigner de la scène de son rêve, non pas spatialement mais
conscientiellement, en ce que son mode de saisie de cette scène se modifie: de la qualité de
perception elle passe à celle d'image mentale. Il ne s'agit pas là d'une sorte d'illusion de
netteté dissipée par l'éveil puisque cette modification peut être observée par un rêveur
lucide.

Cependant, si la qualité de l'image mentale doit être attribuée à l'état d'éveil et que,
par là, on peut voir dans la rêverie subie en quelque sorte le reflet, à l'état de veille, de ce
que serait le même déroulement d'images dans le sommeil, c'est-à-dire un rêve, le rapport
avec la lucidité onirique n'en est pas pour autant établi. Au contraire, dans ce type de rêverie,
la conscience de soi du "rêveur" est souvent amoindrie au point qu'il ne s'étonne pas
d'aberrations manifestes (comme les marins-singes dans la rêverie éveillée précédemment
citée). Cette conscience nettement amoindrie peut être rattachée à la conscience onirique
ordinaire mais pas à la lucidité onirique dans laquelle les facultés intellectuelles restent
présentes, notamment celles de penser et de s'étonner. La prise en considération de la
qualité de la conscience lucide nous permet d'ailleurs d'écarter la mise en rapport avec
d'autres états qui, bien que se produisant au cours de l'éveil, sont conscientiellement
diminués, comme par exemple l'hallucination.

L'hallucination, que l'on définit généralement comme une perception sans objet, peut
prendre de nombreuses formes et la qualité de certaines d'entre elles rappelle
incontestablement le rêve lorsque ce qui est "perçu" hallucinatoirement l'est, pour la
conscience du sujet halluciné, avec autant d'acuité que lors de l'état de veille, ce qui est la
caractéristique du rêve. Certains chercheurs n'hésitent pas à déclarer que le rêve et
l'hallucination sont un même phénomène qui se manifeste au cours de deux états différents:
« L'absence de stimuli externes produit, pour le cerveau, un état de conscience où l'imagerie
tend à prédominer, étant parfois perçue comme une réalité. Lorsque ce genre de
représentation paraît réel à l'état de veille, on dit que c'est une hallucination ; quand cela
se produit dans le sommeil, on parle de rêve »[64]. Le sujet d'une hallucination, comme le
rêveur non lucide, la confond avec la réalité, aussi absurde qu'elle puisse paraître, et agit en
fonction d'elle, souvent à son détriment.

Si l'on considère l'hallucination comme un état équivalent au rêve se produisant au


cours de la vie de veille, on peut se demander ce qui manque au sujet pour qu'il se rende
compte du caractère irréel de son expérience. Car la possibilité de prendre conscience du
caractère hallucinatoire d'une perception existe: l'hallucination devient alors hallucinose[65],
phénomène au cours duquel le sujet se rend tout à fait compte du caractère irréel de ce qu'il
ne cesse pourtant de "percevoir". L'hallucinose serait alors à l'hallucination ce qu'est le rêve
lucide au rêve ordinaire, mais dans l'état de veille et non de sommeil. Une telle comparaison
peut s'avérer utile pour mieux comprendre le rêve lucide dans la mesure où l'hallucination et
l'hallucinose sont des phénomènes reconnus. Puisqu'il est possible à l'état d'éveil de se
rendre compte de l'irréalité d'une perception sans objet sans pour autant dissiper cette
perception, pourquoi n'en irait-il pas de même pour le rêve dans le sommeil?

Mais cette comparaison n'est peut-être pas légitime. En effet, tant que l'on n'a pas
établi que certains types d'hallucinations peuvent être assimilés au rêve, il n'est guère
possible d'établir un rapport entre l'hallucinose et le rêve lucide. Une telle réponse ne peut
être apportée que par l'analyse de la structure même des récits, ce qui nous ramène à la
question du passage de l'hallucination à l'hallucinose. En effet, dans la mesure où le sujet est
déjà "éveillé", une telle prise de conscience devrait être possible, ne serait-ce qu'en usant du
raisonnement. En fait cette possibilité varie en fonction de l'étendue de l'hallucination.
Celle-ci peut en effet interférer avec la perception normale mais aussi couper totalement le
sujet du monde. Dans un tel cas, même si le sujet a l'air, pour son entourage, bien éveillé,
peut-on encore parler d'état de veille?

L'hallucination totale, celle qui éclipse pour l'halluciné le monde de la veille, est
subjectivement très proche du rêve en raison des conditions dans lesquelles se trouve le
sujet, même si, par ailleurs, il donne le sentiment d'être tout à fait éveillé et agissant. Dans
le cas suivant le sujet a eu une brève hallucination les yeux ouverts.

« Elle regardait à travers une fenêtre et elle a vu que je venais vers elle d'un
air pas content du tout. Elle voyait E…, au loin, entourée d'une foule de
personnes, de façon floue, les cheveux surtout. Les gens semblaient occupés à
quelque chose. Je leur tournais le dos et disais: "Je ne voulais pas, je ne voulais
pas, mais ils ont circoncis l'enfant". A ce moment, elle allait me répondre lorsque
quelqu'un lui a dit: "Où es-tu? Où es-tu?" C'était mon père qui la secouait pour la
ramener à la réalité »[66].

Cette hallucination aurait pu être considérée comme une rêverie passive si elle n'avait
pas présenté les caractères de la perception. Elle a éclipsé le monde de la veille au point qu'il
a fallu secouer le sujet pour le ramener à la réalité. L'aspect envahissant de ce type
d'hallucination semble d'ailleurs expliquer pourquoi le sujet n'est pas conscient de son
irréalité. Il ne dispose en effet d'aucun élément réel perceptible auquel confronter
directement la scène hallucinatoire. Il peut néanmoins utiliser sa mémoire ou sa capacité de
raisonnement, mais même dans ce cas il ne parvient pas toujours à comprendre qu'il ne vit
pas réellement la situation présente. Les expériences "ecsomatiques"[67] se produisant à
l'état de veille sont typiques à cet égard :

« J'étais alors serveuse dans un restaurant de la ville et je venais de


terminer une journée continue de douze heures. J'étais terriblement fatiguée et
je fus dépitée de voir que j'avais manqué le dernier bus. Malgré ma fatigue, je
décidai de rentrer à pied, car j'habitais à cette époque à Jericho, ce qui ne
représentait, au plus, qu'un trajet d'une quinzaine de minutes. J'étais si lasse que
je doutais d'y parvenir et je me souviens de m'être dit avec résolution qu'il fallait
"y aller et tenir le coup jusqu'au bout." A ce moment-là, j'étais à l'endroit où se
trouve actuellement la salle du Playhouse. Ma prochaine perception fut
d'entendre le bruit que faisaient mes talons, sonnant très "creux" sur le trottoir ;
je baissai les yeux et je me vis, prenant le tournant de Beaumont Street, à
l'endroit où cette rue se joint à Walton Street. Mon moi - la partie de moi-même
qui importe - se trouvait au niveau de la chapelle de Worcester College. Je me
voyais très nettement. C'était un soir d'été et je portais une robe de shantung
sans manches. Je me souviens d'avoir pensé: "Voilà comment les autres me
voient" »[68].

La dernière remarque du sujet montre qu'il considère sur le moment son expérience
comme réelle (« Voilà comment les autres me voient ») alors même que son contenu indique
qu'il dispose de sa mémoire immédiate.

Il est probablement extrêmement difficile de mettre en doute une hallucination totale


qui se présente avec une netteté sans faille. Néanmoins, comme pour le rêve lucide, des
éléments réellement incongrus permettent à l'halluciné de comprendre la réelle nature de son
état.

« En entrant, je jetai un coup d'œil à l'extérieur: le champ de canne à sucre


était en feu et les flammes se propageaient à toute allure. Ma peur augmentait
de seconde en seconde. J'entendis des foules hurler d'effroi comme si c'était la
fin du monde. Par la petite fenêtre de ma hutte, j'aperçus d'étranges créatures
mesurant de deux à quinze mètres ; ni démons ni demi-dieux ils avaient forme
humaine. Ils étaient nus et dansaient, la bouche béante en poussant des
hurlements horribles, apocalyptiques. J'étais parfaitement lucide, mais
j'observais ma folie qui me semblait pourtant bien réelle. Alors je me souvins de
la mort.

« Je m'assis sur mon asana et aussitôt pris spontanément la position du


lotus. Tout autour de moi, je voyais des flammes se propager. L'univers entier
était embrasé. Un océan de feu déferlait sur toute la terre et la dévorait. Une
armée de spectres et de démons m'entourait. J'étais toujours bloqué en posture
de lotus, les yeux fermés, le menton pressé contre la gorge, de sorte que mon
souffle ne pouvait s'échapper Tout d'un coup, je sentis une douleur aiguë au
niveau du nœud de nadis dans le muladhar à la base de la colonne vertébrale.
Mes yeux s'ouvrirent. Je voulus m'enfuir, mais mes jambes restaient solidement
nouées en lotus. J'avais l'impression qu'on les avait clouées en permanence dans
cette position. Mes bras étaient complètement paralysés. Bien que pleinement
conscient de l'irréalité de toutes ces visions, je n'en étais pas moins envahi par la
terreur. Si j'essayais de fermer les yeux, ils se rouvraient d'eux-mêmes aussitôt.

« Puis je vis la terre submergée par les eaux de la dissolution universelle. Le


monde avait été anéanti et il ne restait que moi. Seule ma hutte avait été
épargnée. C'est alors qu'une sphère semblable à la lune, d'environ un mètre
vingt de diamètre, arriva en flottant à la surface des eaux. Elle s'arrêta en face
de moi. Cette boule d'une blancheur resplendissante vint se heurter à mes yeux
puis pénétra en moi. Je relate exactement ce que j'ai vu. Ce n'était ni un rêve ni
une allégorie, mais une scène des plus réelles - cette sphère descendue du ciel
entra en moi. Une seconde après, cette lumière éclatante s'infiltra dans mes
nadis. Ma langue se recourba contre mon palais et mes yeux se fermèrent. Je vis
dans mon front une lumière éblouissante. J'étais terrifié. J'étais toujours noué en
posture de lotus lorsque ma tête fut comme poussée de force vers le sol et
maintenue dans cette position.

« Au bout d'un certain temps mes yeux s'ouvrirent. Je vis alors tout autour
de moi une lumière rouge très douce, légèrement scintillante, d'où fusaient des
étincelles qui inondaient l'univers. Comme je l'observais, mes jambes se
dénouèrent et je repris conscience de mon corps. Je me levai et sortis. Je
regardai à droite, à gauche ; l'atmosphère était paisible »[69].

Au cours de son délire le sujet est tout à fait conscient du caractère illusoire de ce qu'il
voit et entend (il se dit « pleinement conscient de l'irréalité de toutes ces visions ») mais il
ajoute que pour lui la scène est bien réelle (« Ce n'était ni un rêve ni une allégorie, mais une
scène des plus réelles ») pour indiquer que sa perception de ce qui lui arrive est équivalente
en intensité à une perception "avec objet". On aurait donc là l'équivalent du rêve lucide au
cours d'un état de veille qui, de l'aveu de l'auteur, s'approche de la pathologie (« J'étais,
semblait-il, sous l'emprise d'un pouvoir qui agissait à ma place ; je n'avais plus de volonté
propre. Ma folie grandissait sans cesse, mon intellect était totalement égaré »[70]). La
démarcation reste cependant délicate puisque le sujet est parfaitement conscient de son état.
De ce point de vue l'hallucinose partielle est plus facile à déterminer.
Les phénomènes conscientiels qui se produisent au cours d'une hallucinose partielle
sont généralement facilement isolables dans un récit. Pour le montrer nous allons d'abord
rappeler brièvement en quoi consiste son pendant non lucide dont les occurrences peuvent
être rangées dans deux catégories différentes. La première se déploie de façon totale en
même temps que l'état de veille, comme si le sujet regardait deux postes de télévision dans
deux pièces différentes. Mais, bien que ces champs perceptifs soient à la fois cloisonnés et
simultanés, le caractère hallucinatoire de l'une tient à l'absence de hiérarchisation
ontologique. Sans doute le sujet perçoit-il simultanément un monde onirique et le monde de
veille sans les confondre, mais il est incapable de porter un jugement de réalité,
probablement parce qu'il n'est pas lucide. La deuxième catégorie, plus courante pourrait être
appelée "hallucination surimposée" car elle mêle les deux types de perceptions, réelle et
hallucinatoire, la deuxième s'appuyant parfois sur la première pour venir à l'existence et se
maintenir. Nous souffrons tous plus ou moins de ce type d'hallucination. Certaines
expériences de laboratoire comme celles de Goldscheider et Mueller résumées par
Bergson sont à cet égard classiques: « Ces expérimentateurs écrivent ou impriment des
formules d'un usage courant […] mais ils ont soin de faire des fautes, changeant et surtout
omettant des lettres. La personne qui doit servir de sujet d'expérience est placée devant ces
formules, dans l'obscurité, et ignore naturellement ce qui a été écrit. Alors on illumine
l'inscription pendant un temps très court, trop court pour que l'observateur puisse apercevoir
toutes les lettres. […] Si l'on demande à l'observateur quelles sont les lettres qu'il est sûr
d'avoir aperçues, les lettres qu'il désigne peuvent être effectivement présentes ; mais ce
seront tout aussi bien des lettres absentes, qu'on aura remplacées par d'autres ou
simplement omises. Ainsi, parce que le sens paraissait l'exiger, il aura vu se détacher en
pleine lumière des lettres inexistantes »[72]. Au-delà de ces hallucinations brèves et
quotidiennes se situent les cas pathologiques de ceux, par exemple, qui croient voir des
décédés ou leur parler sans se rendre compte qu'ils sont seuls à les percevoir. Leur situation
est paradoxale car ils sont à la fois pleinement conscients du monde qui les entoure et
victimes d'éléments illusoires qui n'en font pas partie.

En revanche, au cours de l'hallucinose surimposée, le sujet fait nettement la différence


entre ce qui appartient à la réalité et l'élément hallucinatoire. Cette conscience de l'irréalité
de l'expérience l'a souvent fait qualifier de "vision".

« … Je suis seul chez moi en train de vaquer à mes occupations habituelles,


et soudain en passant devant la porte de ma chambre à coucher, je vois dans la
pénombre une forme humaine debout à la tête de mon lit ; je reviens sur mes
pas pour m'assurer qu'il s'agit d'une illusion, et à ma grande peur, il y a bien une
personne que je n'identifie pas, debout à la tête de mon lit à ma droite. La
première pensée qui me vient à l'esprit, c'est qu'il s'agit d'une hallucination
visuelle, et alors j'utilise la procédure déjà mise au point… Je ferme les yeux et
tout disparaît, la chambre et l'homme, alors que si c'était une hallucination, je
verrais probablement toujours la forme persister les yeux fermés. Je les rouvre
et l'image première reste stable. Je la reprends encore 2 ou 3 fois, car dans
certains cas l'image "anormale" vue peut disparaître, mais dans ce cas tout reste
identique… Alors je commence à utiliser le critère de la vision binoculaire, c'est-
à-dire suivre le déplacement de l'objet dans le champ de vision ordinaire, en
fermant un œil puis l'autre, et l'homme inconnu se positionne en parfaite
cohérence avec le reste des objets… La peur commence à me saisir, et j'ai envie
de m'enfuir. Est-ce un ami ou un ennemi? Je finis par pencher vers la solution
suivante: il s'agit d'une hallucination visuelle et je vais alors me le démontrer en
passant mon bras au travers, et ainsi j'aurai la preuve qu'il s'agit bien d'une
construction immatérielle.

« J'arrive à vaincre ma crainte et tout d'un coup ma décision est prise et


cela part comme si ça sortait de mon ventre… Je me précipite vers cet homme et
je balance mon bras droit à l'horizontale pour balayer l'espace au travers de cette
"forme humaine", sûr de ce qui va se passer, c'est-à-dire que mon bras va
traverser cela comme dans du vide… Ma main arrive au niveau de l'épaule et un
claquement l'arrête en plein élan. Je suis stupéfait, elle s'est arrêtée contre un
"vrai" bras en cohérence avec ma vision…

« Je commence à avoir très peur, et n'ose regarder son visage. Je saisis ses
deux poignets avec mes mains pour les immobiliser et l'empêcher de me faire du
mal… »[73].

Dans ce récit le sujet n'est pas victime d'une hallucination puisqu'il reconnaît le
caractère irréel de sa vision (« La première pensée qui me vient à l'esprit, c'est qu'il s'agit
d'une hallucination visuelle ») bien qu'il emploie constamment le terme d'hallucination - et
même pour cette raison. Son comportement "expérimental" le montre même à la recherche
de critères permettant de distinguer perceptivement ce qu'il sait déjà être irréel, ce qui
indique que le critère de réalité n'est pas ici fourni par la qualité de la perception, mais par la
qualité conscientielle du sujet - situation qui rappelle nettement la lucidité onirique.

Toutefois, la mise en rapport de ces phénomènes avec le rêve demande à ce que


soient apportées quelques nuances en ce qui concerne leur mode de manifestation. En effet,
les hallucinations complètes ou simultanée peuvent être mises en rapport avec le rêve
ordinaire puisque les mêmes structures s'y font jour sous la forme de rêves simples pour la
première ou "simultanés" pour la seconde. Nous avons vu dans ce dernier cas que le rêveur
tend à mélanger les éléments au réveil lorsqu'il tente d'en faire le récit. Mais, même si la
simultanéité des deux déroulements oniriques lui apparaît clairement au cours de sa
remémoration, la linéarité du discours le pousse à intercaler les scènes des rêves différents
les unes entre les autres. Si les hallucinations complètes et simultanées trouvent leurs
équivalents dans les rêves ordinaires simples et simultanés, on peut supposer que les
hallucinoses qui leur correspondent peuvent à leur tour être mises en rapport avec les rêves
lucides simples et simultanés (comme ceux de Kelzer).

Cependant, on est en droit de se demander si l'hallucination et l'hallucinose


surimposées possèdent leur équivalent dans le monde onirique. On trouve en effet des rêves
correspondants, mais leur structure est inversée. Ainsi un rêveur peut au cours d'un rêve
percevoir un élément du monde de la veille sans le reconnaître pour tel, alors même qu'il
est lucide en ce qui concerne l'oniricité de son expérience. Par exemple un rêveur
lucide voit à un moment sa « main gigantesque, avec le détail des doigts »[74] et ne se rend
compte qu'au réveil qu'il dormait les yeux ouverts, la main devant le visage. L'élément réel a
donc été tenu pour illusoire comme le reste du rêve, ce qui nous donne une hallucination
inversée… doublée de lucidité. D'autres phénomènes sont cependant plus classiques car ils ne
mettent en jeu que des éléments oniriques dont certains sont reconnus pour tels tandis que
d'autres sont considérés comme réels. Nous en avons rencontrés plusieurs, notamment
lorsque le rêveur essaie de convaincre un personnage "réel" que le décor qui les entoure est
un rêve. Mais ces cas ne peuvent être mis en parallèle avec l'hallucinose partielle puisque la
distinction à opérer porte non plus sur des contenus perçus, différenciables en droit, mais sur
un jeu de la lucidité avec elle-même. La comparaison avec le rêve lucide est donc délicate
lorsqu'il n'y a dans le rêve rien de surimposé à un niveau autre que conscientiel.

D'une façon générale si la conscience incite à comparer l'hallucinose et le rêve lucide,


la lucidité sert tout au plus de dénominateur commun car les structures de ces expériences
sont conscientiellement hétérogènes, et ce indépendamment du problème de leur contenu
que nous n'avons pas abordé ici. Là encore, il n'est guère possible de ramener une catégorie
d'expérience (le rêve lucide) à l'autre (l'hallucinose), même en faisant abstraction de la
différence de leur mode de manifestation.

*
La lucidité onirique permet d'étudier le phénomène onirique de l'intérieur, c'est-à-dire
selon le point de vue du rêveur, mais en même temps elle amène à s'interroger sur sa
définition. En effet elle permet une approche du rêve qui ne correspond pas tout à fait à
celles généralement admises. Le rêve se définit habituellement soit par rapport au souvenir
que l'on en a (définition psychologique), soit par rapport aux observations qui permettent de
le détecter (définition physiologique). Or, dans le premier cas, le rêve est ce qui est vécu
oniriquement comme événement, comportant des scènes et des séquences susceptibles de
description. De ce point de vue une absence d'événements n'est pas considérée comme un
rêve, et l'on fait habituellement une distinction entre les "pensées" du sujet dans son
sommeil et les rêves proprement dits. Sans remettre en question ce genre de distinction, le
rêve lucide montre que des nuances sont à apporter, notamment lorsque le rêveur se trouve
dans un environnement onirique dont il a plutôt le sentiment qu'il ne le perçoit pas, au lieu
d'avoir simplement l'impression de "penser". En fait le sujet est capable de distinguer
nettement entre un tel état (dans lequel il se sent plus ou moins éveillé) et un rêve lucide
visuellement obscur (tels que ceux rapportés par LaBerge ou Gillespie) ou même un état de
sommeil lucide mais sans rêve (c'est-à-dire sans aucun élément perçu). Pour le rêveur lucide,
le rêve ne se définit pas par rapport à des critères concernant son contenu, mais bien par
rapport à son "expérience" onirique.

Il en va de même lorsqu'il s'agit de repérer un rêve en fonction de critères


physiologiques. De tels critères dépendent d'abord du souvenir du rêveur pour être établis
mais permettent, en s'appuyant sur des statistiques, d'envisager que les cas de rêves
rapportés en dehors d'eux sont dus soit à une mauvaise définition du phénomène, soit à une
erreur d'appréciation du rêveur quant au moment exact concernant l'apparition du rêve dans
son sommeil, erreur d'autant plus plausible qu'il n'a pas accès à son propre fonctionnement
physiologique. Sans remettre ici en question ces critères, on doit néanmoins remarquer qu'on
ne peut refuser comme rêve le récit d'un sujet qui s'éveille d'un rêve lucide, alors que ces
critères sont absents, sans que soit sapée la base de ce qui a permis leur élaboration. Si en
effet de tels critères physiologiques deviennent indépendants du récit du dormeur, cela
signifie que ce qu'ils désignent n'est plus le rêve au sens propre de ce terme mais
simplement un terme servant de dénominateur commun à un ensemble d'observations
physiologiques. Mais dans ce cas on comprend mal pourquoi il aura fallu se baser sur les
récits des rêveurs pour les établir.

La lucidité apporte donc au rêveur des certitudes subjectives que le simple


souvenir ne peut lui fournir ainsi que de nouvelles interrogations concernant aussi bien le
rêve en général que ses diverses catégories. L'objection selon laquelle le rêve lucide ne
correspond pas toujours aux critères habituels du souvenir parce qu'il est en fait autre chose
qu'un rêve, nous a obligé à mettre en rapport le rêve lucide avec les états qui lui sont
apparentés et à constater que si des points communs peuvent être trouvés de façon très
générale, dans le détail les différences de structure de ces états interdisent toute assimilation
dans un sens ou dans l'autre. Le rêve lucide acquiert ainsi à l'étude une autonomie telle qu'on
doit pouvoir en retrouver la trace spécifique, même déformée, jusque dans des cultures qui,
comme la nôtre, l'ont apparemment méconnu.

[1] Pierre Étévenon, Du Rêve à l'Eveil, Bases physiologiques du sommeil, Albin Michel, Paris, 1987, pp.

201-202.

[2] Green, op. cit., p. 42. Déjà cité supra au chapitre 3.

[3] Ibid., p. 43. Texte anglais déjà cité supra, chapitre 3, section II.

[4] « The lucid dream is not the hypnagogic state. In lecturing to audiences on lucid dreaming, I have
frequently met people who assured me that they have had lucid dreams, and who then proceeded,

usually with great animation, to tell me of an experience that most psychologists would classify as the

hypnagogic state of consciousness ». Kelzer, op. cit., p. 208. Souligné par l'auteur.

[5] « I was lying in my bed one night in the hypnagogic state, half-awake and half asleep. An image

came to me in which I saw myself standing before an old concrete wall about ten feet high. the wall

surrounded me on three sides - front, left, and right. In the vision, I levitated my body straight up

into the air and at the top of the wall I saw the opening of a cave or tunnel. The opening was square

and I flew directly into it head first. I began flying faster and faster, speeding through this long, dark,

square tunnel, until I saw a tiny speck of light at the far end of it. I thought to myself that I could be

approaching a lucid dream by staying focused on the image of the light at the end of the tunnel.

Though I could still feel my physical body lying in bed, I deliberately chose to remain focused on the

light as I continued to fly toward it and continued to gather speed. I thought, "So this is how Eleanor

does it!" An instant later I burst out of the tunnel into the following lucid dream: […] I am flying

gloriously over a beautiful, mountainous countryside. I see gorgeous rock formations, trees and

peaceful, green valleys. Everywhere I look the beauty of nature is breathtaking. I am fully aware that
I am dreaming and I thoroughly enjoy flying about, taking great pleasure in the clear, blue sky and

the white, fluffy cloud formations. I am still aware of my physical body, however, as it lies in my bed,

and yet I am able to stay lucid and enjoy the gorgeous scenery that lies everywhere below me.

« As I fly I look closely at a mountain range in the distance and I recognize it as the Sutter Buttes

where I often hiked and explored in my youth. However, since I am now approaching the buttes from

the west, their profile on the horizon is exactly the opposite of the easter profile that was so familiar

to me in times past. I continue to fly past them and I enjoy looking at them from this new

perspective. As I leave the buttes behind, I fly past many other scenic, beautiful mountains and

valleys. Finally I awaken, feeling good about the lucid dream.

« This episode provided me with my first success in entering the lucid dream through merging with

an image from the hypnagogic state ». Ibid., pp. 146-147.

[6] Dr. Eug.-Bernard Leroy, Les Visions du Demi-sommeil (Hallucinations hypnagogiques), Librairie

Félix Alcan, Paris, 1933. pp. VII-VIII et X). Souligné par nous.

[7] Ibid., p. 99. Soulginé par nous.

[8] Ibid., p. 99. Soulginé par nous.

[9] Ibid., pp. VII-VIII.

[10] Ibid., p. XI.

[11] Ibid., pp. 100-101.

[12] « One of the major differences between the two states, as I see it, is positional. […] Thinking in

spatial terms for a moment, we could say that the lucid dream state lies completely surrounded by
the normal dream state, much as the city of Sacramento lies completely surrounded by the state of

California ». Kelzer, op. cit., p. 209.

[13] Michel Denis, Les Images mentales, PUF, p. 51.

[14] « […] it is clear that the two states are distinct, and the dreamer usually has a clear awareness of

crossing the boundary as he or she passes from the hypnagogic state into the lucid state by this

means, he or she usually loses contact with or interest in the hypnagogic state, leaving it behind as

the lucid dream unfolds ». Kelzer, op. cit., p. 209.

[15] Michel Denis, op. cit., p. 52.

[16] Marilyn Ferguson, La Révolution du Cerveau, Calmann-Levy, p. 109.

[17] « Linkage can be very powerful. It's astounding how much linkage goes right by people's conscious

minds, and yet has an impact. Once I literally had somebody go totally blind in a seminar. I was

demonstrating something, and I said "All you need to be able to do is see in order to do this." I had

linked seeing to being able to do the task. After I went through the demonstration, a woman raised

her hand and said "I have a question." I asked her what the question was, and she answered "What

do you do if you can't see everything?" I thought she meant she hadn't noticed the person change in

my demonstration, so I said "You weren't able to see any responses?" She said "No, it's totally dark."

« She wasn't worried at all, but I was thinking "Hey, wait a minute here!" I went over to her and said

"You don't have to learn this" and poof! … her vision came back ». John Grinder and Richard Bandler,

Trance-formation, Neuro-Linguistic Programming and the Structure of Hypnonis, Real People Press,

Moab, 1981, pp. 42-43.

[18] « Linkage can be very powerful. It's astounding how much linkage goes right by people's conscious

minds, and yet has an impact. Once I literally had somebody go totally blind in a seminar. I was

demonstrating something, and I said "All you need to be able to do is see in order to do this." I had

linked seeing to being able to do the task. After I went through the demonstration, a woman raised

her hand and said "I have a question." I asked her what the question was, and she answered "What

do you do if you can't see everything?" I thought she meant she hadn't noticed the person change in

my demonstration, so I said "You weren't able to see any responses?" She said "No, it's totally dark."

« She wasn't worried at all, but I was thinking "Hey, wait a minute here!" I went over to her and said

"You don't have to learn this" and poof! … her vision came back ». John Grinder and Richard Bandler,

Trance-formation, Neuro-Linguistic Programming and the Structure of Hypnonis, Real People Press,

Moab, 1981, pp. 42-43.

[19] « The subject reported a dream of swimming in a warm, blue sea. I had not made any suggestion

that could be construed as a suggestion that he should dream. The subject was aware that he was

dreaming, and described the quality of the experience as being completely lifelike. After swimming in

the warm sea for some time he found himself surrounded by sharks, which swam up and circled

him ». Green, op. cit., pp. 125-126. Souligné par nous.


[20] « The hypnotist made some suggestions to the effect that I could go away to a world where I was

at peace. I was aware that this form of suggestion was not in accordance with my own wishes, and I

wished that he would say I could go somewhere exciting…

« The dream started with a non-visual impression - a sort of clear and exciting idea about fire on a

mountain. Then I was riding on an eagle. there was no discontinuity in consciousness, although

apparently I failed to remember some of what the hypnotist said while having these dreams.

« They were tantalizing because although obviously close to what I should have liked to dream about,

they had a slighty restricted feeling, as if they would go wrong if they let themselves go. I wanted

things to develop more. Of course it may be that a certain lack of agreement between my aims and

the hypnotist's had something to do with this ». Ibid., p. 125.

[21] Voir à ce sujet l'induction hypnotique faite par Hervey de Saint-Denys à un de ses amis pendant

son sommeil.

[22] Nous avons pu observer nous-même des sujets en état de relaxation qui nous ont dit avoir dormi

par moments d'un sommeil accompagné d'images oniriques, de façon lucide ou non. Le but était la
détente, non l'hypnose.

[23] « On other occasions the subject reported rather indistinctly visualized dreams (also lucid)

corresponding to suggestions which I made that he should dream of a stated sequence of events, but

these were said to be quite different from this spontaneously occuring dream, which was described as

a precise reproduction of waking experience ». Green, op. cit., p. 126.

[24] Voir par exemple la définition de Denis cité supra.

[25] « On one occasion I hypnotized a subject and suggested a dream of a bicycle trip, something he

very much enjoyed. […] He brought a friend, Paulo, to this session, and Paulo sat either in the same

room or just outside it during the hypnosis. As always with this subject, each re-hypnosis brought

him more quickly and easily to deep levels of trance, and the dream bicycle trip succeeded in

engaging his full absorption. He literally pumped with his legs on an imaginary bicycle and held out

his arms to grasp the "handle bars" and to steer through a beautiful countryside.

« At one point I said, "Oh look, it seems that someone's coming up over the hill ahead towards us…"

"Oh yes, there is…" he responded, and leaned forward as if straining to see who it was. "In fact," I

added, "it's Paulo!" But the subject's response was unexpected. Hearing me say that Paulo was riding

a bicycle in his dream, when in reality Paulo was sitting somewhere near us, struck the subject as an

impossible inconsistency. He laughed, realizing then that the bicycle trip was only a hypnotic dream,

and exclaimed, "Are you kidding?! That can't be Paulo, he's here…" I assumed that the subject had

come out of the trance, but he continued bicycling. I quickly added, "Yes, you must be right, who is

that coming toward us?" He said he wasn't sure and couldn't make him out yet. […]

« In any case, my subject continued fully absorbed with the bicycle trip dream, but with an

"awakened" consciousness. Now, contrary to our previous hypnotic rapport, he choose which of my
suggestions he would accept and which he preferred to alter. Also, he took a greater measure of

control over the creation of his dream. It appeared then, that, he had become "lucid" in his hypnotic

trance dreaming. He became aware of this hypnotic state and dreaming through the recognition of an

inconsistency, and in the alteration of our rapport, he took more control and was able to manipulate

his trance experience." Deborah Jay Hillman & Patric Giesler, "Anthropological Perspectives on Lucid

Dreaming, Lucidity Letter, 1986, 5 (1), pp. 6-25.

[26] « I reasoned that if rapport was greatest in deep hypnotic states, a technique which markedly

increased rapport would likely increase the depth of hypnosis. The method I decided to try for

markedly increasing rapport was to have two Ss simultaneously fill the roles of both hypnotist and

hypnotized S, what I will call mutual hypnosis". Charles T. Tart, "Psychedelic Experiences Associated

with A Novel Hypnotic Procedure, Mutual Hypnosis", dans: Charles T. Tart (Ed.), Altered States of

Consciousness, A Doubleday Anchor Book, New York, 1972, pp. 297-315. Souligné par l'auteur.

[27] « Bill began talking about a "hallucinatory" journey that he and Anne were on together. His voice

was confident, smooth, relaxed, and completely convincing that he was describing actual events that

were happening rather than anything "unreal". They were standing on a moutain slope, in front of the

entrance to a tunnel. The walked hand-in-hand down this tunnel, with the explicit suggestion by Bill

that they would be going deeper into hypnosis as they walked deeper into the dark tunnel. It was

quiet in the tunnel, all outside noises had vanished, and an ineffable feeling of pleasantness and

significance pervaded the tunnel ». Ibid., p. 305.

[28] « Bill began talking about a "hallucinatory" journey that he and Anne were on together. His voice

was confident, smooth, relaxed, and completely convincing that he was describing actual events that

were happening rather than anything "unreal". They were standing on a moutain slope, in front of the

entrance to a tunnel. The walked hand-in-hand down this tunnel, with the explicit suggestion by Bill

that they would be going deeper into hypnosis as they walked deeper into the dark tunnel. It was

quiet in the tunnel, all outside noises had vanished, and an ineffable feeling of pleasantness and

significance pervaded the tunnel ». Ibid., p. 305.

[29] « At this point I noticed that Carol had spontaneously gone into hypnosis and was apparently

sharing the hallucinatory journey with Anne and Bill: her eyes were closed and her facial expressions

seemed to follow Bill's word. I put my hand on Bill's shoulder (the hypnotically implanted signal to put

him en rapport with me) and told him that Carol was hypnotized and was coming along too. Bill shook

his head no, and Carol reported in the post-session interview that she knew she was rejected then,

but she stayed hypnotized and in the tunnel. Bill completely lost conscious touch with me and the

laboratory environment for the rest of the session and, as indicated in later interviews, strongly

resented my attempts to "intrude" into his and Anne's hypnotic world ». Ibid.

[30] « Bill reported in the post-session interview that he had not heard this suggestion from me ». Ibid.,

p. 306.

[31] « At this point I noticed that Carol had spontaneously gone into hypnosis and was apparently
sharing the hallucinatory journey with Anne and Bill: her eyes were closed and her facial expressions

seemed to follow Bill's word. I put my hand on Bill's shoulder (the hypnotically implanted signal to put

him en rapport with me) and told him that Carol was hypnotized and was coming along too. Bill shook

his head no, and Carol reported in the post-session interview that she knew she was rejected then,

but she stayed hypnotized and in the tunnel. Bill completely lost conscious touch with me and the

laboratory environment for the rest of the session and, as indicated in later interviews, strongly

resented my attempts to "intrude" into his and Anne's hypnotic world ». Ibid.

[32] « Bill reported in the post-session interview that he had not heard this suggestion from me ». Ibid.,

p. 306.

[33] « The tunnel was absolutely real to Anne and Bill (and to Carol), as real as any experience in life.

Although it was dark they could "see" its walls in a strange way: Anne said it felt as if she had a

"light" coming out from under her eyebrows, and "… it wasn't illuminating anything I was seeing, yet

it helped me to know that things were there without seeing them." Both Ss reported feeling the

texture of the rock walls, which ranged from soft and slippery at places where it seemed

moss-covered to quite hard where the bare rock was exposed ». Ibid.

[34] Rapporté par Robert Desoille à Henri Marcotte, communication personnelle.

[35] Il suffit pour s'en assurer de faire l'expérience de se lever brusquement.

[36] Muldoon, op. cit., p. 174. Souligné par nous pour le segment de phrase.

[37] Ibid.

[38] « In an 'out-of-the-body' experience, as the name implies, the subjects finds himself apparently

outside his physical body and perceiving what is going on from a new point of view" » Green, op. cit.,

p. 17.

[39] « […] out-of-the-body experiences must be regarded as philosophically indistinguishable from lucid

dreams. In both types of experience the percipient is observing a complete and self-consistent field of

perception, and recognizes at the time that he is in a state which differs from that of normal waking

life. In the majority of spontaneous out-of-the-body experiences the subject seems to be observing

his physical body from some point outside it, but this does not constitute a qualitative difference

between out-of-the-body experiences and lucid dreams. It is possible, though less common, for a

person to have a lucid dream in which he dreams that he is looking at his own body from outside ».

Ibid., p. 20.

[40] Robert A. Monroe, Far Journeys, 1985. Traduit en français sous un tire que l'auteur aurait récusé:

Fantastiques expériences de Voyage astral, Robert Laffont, Paris, 1990, p. 307.

[41] Ibid.

[42] Ibid.

[43] Nous n'avons pas cependant abordé la question des "preuves" proposées par Monroe car elles
n'entrent pas dans le cadre conscientiel mais relèvent de la science. Plus précisément les deux

approches sont différentes puisque la dernière démarche porte sur l'objectivité tandis que la première

ne peut s'intéresser à la question de la preuve que sur le terrain de l'intersubjectivité.

[44] « […] in an out-of-the-body experience the apparent congruence of the field of perception with the

world of the waking state is often believed by the subject to be complete, and the percipient will

typically describe the experience as one of viewing the normal world from a different point of view.

[…]

« In general, the most precise and vivid representations of the world of normal experience are

associated with out-of-the-body experiences, while there is a greater likelihood that a lucid dream will

contain symbolic or fantastic elements, or that the visual field will be blurred or indistinct.

« Out-of-the-body experiences are generally regarded, by subjects who have experienced both, as

superior to lucid dreams in the following respects: the degree to which the subject is in control of the

situation, the extent to which he seems able to move freely through space, and the intensity of his

emotions of joy, liberation and so on.

« […] In an out-of-the-body state the subject may not seem to have a body at all, and may be in the

position of a 'disembodied observer'. This is very uncommon in lucid dreams, in which the dreamer

usually seems to have a physical body in the ordinary way […] ». Green, op. cit., pp. 21-22.

[45] « There are reports of lucid dreams which accurately reproduce places known to the percipient, but

the tendency to regard the dream reproduction as identical with the physical world is much less ».

Ibid.

[46] « About two years after that I had my first lucid dream. I was going up a ski-lift at dawn. All around

I could see beautiful mountain scenery, lit by an orange glow. As the sun came up I could see the

colours reflected in the snow. At the top of the light I was about to get off onto the snow when I
realized I had no skis on. I wouldn't be able to get off the lift. Just then I thought, 'This is daft, what

am I doing on a ski-lift without skis, and anyway lifts don't run at this time of the morning, in the

dark.' All at once I realized the only solution, it must be a dream. For an instant everything was

wonderfully clear; the mountains all around, the crisp clean air. I felt as though I could fly off the

mountains. But in fact I ran across the snow and the lucidity passed as quickly as it had come and I

went on with the dream ». Susan Blackmore, Beyond the Body, Paladin Granada, London, 1982, pp.

114-116.

[47] Remarquons que la position de Green va ici à l'inverse de celle de Monroe. Il n'y a pas cohérence

entre les auteurs.

[48] « I was living abroad and my son and his wife were living in a flat in London which I had never

visited.

« One day I decided to attempt a projection to their flat […] I lay down on the bed and concentrated.

After a time the ticking of the clock became inaudible for short periods and during those periods I
began to have sensations of falling. Eventually I seemed to fall completely through the bed and found

myself in a room on which I had difficulty in focussing my attention, as if I were in a state of alcoholic

intoxication. Everything was swimming and topsy-turvy, and in the confusion I dimly saw two people

moving ». Green, op. cit., p. 170.

[49] En supposant même qu'ils aient été publiés, car les chercheurs s'intéressent plutôt aux statistiques.

Mais même lorsque cette condition est remplie, l'anonymat des sujets décourage toute tentative pour

corréler leurs récits car il ne sont pas examinés ni même publiés dans le même genre de revue.

[50] Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, op. cit.,

1991, p. 250.

[51] En ce sens la sortie hors du corps non seulement n'est pas supérieure au rêve lucide mais elle n'en

est que l'ébauche. Considérer alors, comme l'ont fait certains, que le rêve lucide est une sorte de

tremplin pour la sortie hors du corps, c'est en fait vouloir passer d'un état de conscience clair à un

état de conscience qui l'est moins.

[52] En effet nombreux sont les récits parfaitement clairs et cohérents de sorties hors du corps que la

critique de LaBerge pourrait difficilement remettre en cause.

[53] Keith Harary, "A personal perspective of out-the-body experiences", in D.S. Rogo ed., Mind Beyond

the Body, Penguin, N.Y., 1978, pp. 248-249, cité par Stephen LaBerge, op. cit., 1991, p. 251.

[54] Robert Monroe, op. cit., p. 100.

[55] Stephen LaBerge, op. cit., 1991, p. 251.

[56] Sujet n°16, 26 mai 1990. Souligné par nous.

[57] L'équivalent d'une telle situation du côté du réveil serait le faux-éveil dont la lucidité est absente

mais qui présente néanmoins un état de conscience qui s'en rapproche plus que dans le rêve

ordinaire.

[58] Stephen LaBerge, op. cit.

[59] Leroy, op. cit., pp. 44-45.

[60] Ce processus a parfois été appelé autosymbolisme, (voir à ce sujet Robert Bossard, Psychologie du

Rêve, Payot, Paris, 1972). Il peut aussi se produire lorsque le sujet ressasse au coucher des

préoccupations, donc se livre à une sorte de rêverie qui a une unité de thème.

[61] Docteur Francis Lefébure, Expériences Initiatiques, tome III, Phosphénisme, Paris, 1989 (1ère

édition: 1954), p. 130.

[62] Hervey de Saint-Denys, Les Rêves et les moyens de les diriger, op. cit., pp. 229-230. Texte déjà

cité supra, chapitre 3, section II.

[63] L'objection qui vient immédiatement à l'esprit est le caractère contruit de l'image mentale, y

compris du souvenir - mais elle n'est pas acceptable si l'on pose que l'aspect construit vient non de
l'image elle-même mais de la mobilité de la conscience qui passe rapidement à des images de types

différents. On peut aussi considérer qu'il existe plusieurs types d'images - certaines construites et

d'autres qui ne le sont pas - et que l'endormissement rend nettes les secondes tandis qu'il dissipe les

premières qui dépendent de la conscience de veille.

[64] « The effect of the absence of external stimuli on the brain is a consciousness in which imagery

begins to prevail, imagery that may be experienced as real. When such imagery in the waking state is

experienced as real, it is called hallucination. When it occurs in the course of sleep it is called a

dream. » Montague Ullman and Nan Zimmerman, Working with Dreams, Dell Publishing co., inc., New

York, 1979, pp. 81-82. Traduit en français sous le titre: La Sagesse des Rêves, Stanké, Montréal,

1980.

[65] Nous prenons ici le terme dans un sens conscientiel (hallucination sans délire) sans poser qu'une

hallucinose est nécessairement due à une lésion occipitale ou temporale, ou à une ophtalmie, donc

sans en faire obligatoirement un symptôme neurologique. Desoille qualifiait d'hallucinose les images

dont l'intensité égalait la vie de veille et qu'il obtenait à l'aide du rêve éveillé chez des patients

dépourvus de lésion cérébrale.

[66] Rapporté par le sujet n°16, entrée du 12 novembre 1983.

[67] « We define an 'ecsomatic experience' as one in which the objects of perception are apparently

organized in such a way that the observer seems to himself to be observing them from a point of

view which is not coincident with his physical body ». Celia Green, Out-of-the-Body Experiences,

Institute of Psychophysical Research, Oxford, 1979 (première édition en 1968), p. 17.

[68] « I was working as a waitress in a local restaurant and had just finished a 12 hour stint. I was

terribly fatigued and was chagrined to find I had lost the last bus… However I started waking as in

those days I lived in Jericho, a fifteen minute walk at most. I remember feeling so fatigued that I

wondered if I'd make it & resolved to myself that I'd 'got to keep going'. At this time I was where the

Playhouse is today. The next I registered, was of hearing the sound of my heels very hollowly and I

looked down and watched myself walk round the bend of Beaumont St. into Walton St. I - the bit of

me that counts - was up on a level with Worcester College chapel. I saw myself very clearly - it was a

summer evening and I was wearing a sleeveless shantung dress. I remember thinking 'so that's how I

look to other people.' » Ibid., p. 19.

[69] Swami Muktananda, Le Jeu de la Conscience, Guy Trédaniel, Paris, 1984, pp. 103-104.

[70] Ibid.

[71] Ibid.

[72] Henri Bergson, L'Energie spirituelle, P.U.F. 1985, pp. 97-99.

[73] Lucien Alfille, "Les expériences transpersonnelles", Bulletin du Transpersonnel, n° 26, avril 1992,

pp. 10-43.
[74] Sujet n°16, 5 février 1988.
Chapitre Sept
Le rêve lucide comme phénomène culturel
[read the English translation of chapter 7 / lire la traduction anglaise]

L'exploration individuelle du rêve lucide se présente comme le moyen fondamental


d'investigation du phénomène même lorsque le rêveur fait preuve d'une approche
conceptuellement limitée. C'est à partir d'expérimentations personnelles renouvelées que
peut être dressée une carte du rêve lucide et que sont établies les démarcations entre, d'un
côté, les effets inhérents à une conception - et par là plus suscités par le sujet que par la
lucidité - et, de l'autre, ceux qui relèvent nécessairement de la lucidité. Néanmoins, même la
première situation reste fondamentale pour la compréhension du phénomène ; et ses
éléments constituants (la limitation possible d'une conception et l'influence qu'elle a sur le
rêve) nous montrent qu'il est important d'aborder le rêve lucide selon le point de vue des
représentations mentales collectives. En effet, ils indiquent que le sentiment d'objectivité qui
est celui du rêveur lucide dans un environnement onirique - et qui le pousse à expérimenter,
malgré sa connaissance du fait que cet environnement est imaginaire - n'est pas susceptible
d'être traité selon un mode bivalent. D'un côté, on ne peut considérer ce qui se déroule dans
le rêve lucide comme une simple illusion sans se heurter à l'attitude objective du rêveur:
alors même qu'il n'accorde aucune foi à ce qu'il perçoit, il ne se conduit pas moins comme si
ces "illusions" existaient, qu'il s'agisse d'en tirer parti ou de les affronter. De l'autre, on ne
peut objectiver le champ du rêve lucide sans se heurter à son idiosyncrasie manifeste.
L'étude du rêve lucide dans sa phénoménalité relève d'un paradoxe, que l'on prenne en
compte l'attitude du seul sujet ou la recherche d'une structure plus générale, ce qui revient à
dire que ni l'expérience personnelle, ni l'étude de laboratoire, pour nécessaires qu'elles
soient, ne sauraient suffire à cerner le rêve lucide. Sans doute parce qu'il leur manque une
dimension, celle de l'enracinement dans une culture.

Aussi bien l'approche personnelle que la recherche scientifique prennent leurs


fondements dans une culture qui leur donne un sens. Cela est très net pour les interrogations
et les expérimentations des rêveurs lucides du début du siècle qui, avec le recul du temps,
paraissent quelquefois surprenantes. Cela l'est encore lorsqu'on considère les circonstances
qui ont amené à s'intéresser au phénomène une génération de chercheurs portée par
l'engouement pour ce qu'on a appelé les "états modifiés de conscience "[1]. Certes, la
dimension culturelle ne valide jamais une découverte personnelle ou scientifique, mais elle
oriente la façon de voir et les perspectives de la recherche, et parfois même elle occulte cette
dernière lorsqu'elle contient des positions métaphysiques implicites qui maintiennent
l'investigation dans un cadre dont l'étroitesse n'apparaît pas. La façon dont les
représentations culturelles encadrent le rêve et le rêve lucide relève donc d'une analyse
philosophique critique. Mais, au-delà de la simple analyse dissolvante, il faut rappeler que le
rêve s'inscrit de droit dans les représentations mentales et qu'il n'est pas un objet scientifique
en ce sens qu'il n'a pas de réalité observable mesurable (du point de vue du contenu). Par là
on peut se demander si, pour ce cas précis, la culture ne fournirait pas, en plus d'un cadre
dont il convient d'étudier l'influence, une méthode d'approche du phénomène. S'il est en
effet clair que notre culture n'accorde au rêve - et par conséquent au rêve lucide - qu'une
place limitée, qu'elle porte maintenant son attention à la lucidité onirique principalement en
fonction de son utilité (thérapeutique ou artistique par exemple) et que l'on trouve là une
structure d'influence manifeste par comparaison avec ce qui se produit dans d'autres
cultures, il n'en reste pas moins que le rêve lucide a pu être dans certains cas "créé de toutes
pièces" à l'aide d'un arrière-plan culturel qui ne le contient pas: ainsi, dans les années trente,
l'anthropologue Kilton Stewart, s'appuyant sur une compréhension erronée de la culture
Sénoï, applique à des sujets des principes imaginaires et n'en obtient pas moins des
résultats réels. Si donc la seule croyance en un phénomène jamais personnellement
expérimenté auparavant, induite par un contexte falsifié, suffit à produire à la fois l'intérêt
pour la lucidité et son apparition effective, on est obligé de poser que d'une certaine façon
le rêve lucide peut surgir à partir d'une représentation sans fondement (contrairement à un
objet scientifique que l'on ne peut construire et étudier qu'à partir de données observables,
les états de conscience oniriques pourraient être suscités sans précédents réels dans une
sphère culturelle). Ainsi la culture peut s'avérer pour le rêve lucide aussi bien limitante que
créatrice, en fonction des conceptions qu'elle véhicule et qui modèlent la configuration de la
conscience onirique.

Qu'une culture limite ou favorise l'émergence d'un phénomène conscientiel, elle lui
donne un contexte, un cadre qui en rend compte. Lorsqu'elle le limite, elle ne peut toujours
l'empêcher d'apparaître, mais dans ce cas elle a tendance à le codifier. Pour cette raison, si
le rêve lucide est un phénomène naturel plus ou moins répandu, il doit être possible,
connaissant son existence, de le retrouver a posteriori sous d'autres formes dans d'autres
cultures, voire dans la nôtre. Ainsi le rêve lucide donne probablement la clef de certaines
approches du monde. On pourrait cependant objecter que ce n'est là qu'expliquer des
représentations collectives par d'autres représentations et que la recherche peut difficilement
tirer avantage d'une telle étude. En réalité il n'en est rien dans la mesure où l'on trouve le
rêve lucide mentionné dans des pratiques culturelles, même dans un cadre très différent du
cadre scientifique (dans un contexte religieux par exemple). Ainsi connaître des pratiques
culturelles autres ne signifie pas nécessairement se plier au cadre qui les présente, mais la
connaissance de ce cadre est nécessaire pour retrouver le rêve lucide. Savoir comment les
représentations culturelles véhiculent cette conception, par quelles ramifications et
transformations passe cette dernière pour prendre une forme donnée, cela est indispensable
pour reconnaître le rêve lucide là où il se manifeste de façon parfois obscure, et pour
remonter à la source possible de son apparition. Si, dans ces schèmes culturels, des règles de
modification apparaissent, elles nous serviront de moyens d'identification, nous permettant
de reconnaître le rêve lucide aussi bien au travers de certains phénomènes culturels que
"sous-culturels" qui s'élaborent parfois en systèmes, et ce aussi bien pour des groupes
humains éloignés de nous dans le temps ou dans l'espace que dans le contexte contemporain
dit occidental.

Section I

Le rêve lucide dans la représentation du monde des


cultures non occidentales

[1] Le livre de référence à ce sujet reste celui de Charles T. Tart (Ed.), Altered States of

Consciousness, A Book of Readings, John Wiley & Sons, 1969.


Chapitre Sept
Le rêve lucide comme phénomène culturel
[Suite]

Section I

Le rêve lucide dans la représentation du monde des


cultures non occidentales
La connaissance que nous avons acquise de l'existence du phénomène du rêve lucide
peut nous aider à le retrouver dans d'autres cultures lorsque la description en est explicite ou
que ses caractéristiques peuvent en être déduites après analyse. Cette recherche s'avère
utile à deux titres: d'une part elle permet une étude comparée du phénomène, et donc un
approfondissement de sa compréhension ; et d'autre part elle aide à trouver l'origine d'une
conception déformée du phénomène dans notre propre culture - dans la mesure où les
représentations collectives d'autres systèmes de pensée ont pu influer sur notre
imaginaire (principalement dans ce qu'on peut appeler les "sous-cultures") - et donc, par la
suite, à comprendre l'origine d'une conception fausse. Si, dans les autres cultures, le rêve
lucide apparaît parfois de façon relativement explicite, le plus souvent sa présence ne peut
être que supposée en raison d'indices qui y renvoient indirectement.

§1. Présence explicite du rêve lucide dans d'autres cultures


L'existence de la lucidité onirique dans d'autres cultures est rendue plausible par des
textes qui semblent en décrire l'aspect conscientiel lui-même. Ainsi dans le domaine
islamique: « Si le dormeur voit des choses qui répondent à ses désirs, cela tient à ce que
l'âme, connaissant toutes les formes, peut, lorsqu'elle est purifiée dans le sommeil des
souillures du corps, planer à son aise sur tout ce qu'elle souhaite posséder, quoiqu'elle sache
bien que, dans l'état de veille, il ne lui serait pas donné de jouir d'un tel privilège. Elle se
forme donc en elle-même des images à l'aide desquelles elle fait passer devant elle les
choses dont elle souhaite l'existence, à tel point que lorsque le sommeil vient à cesser, elle
conserve le souvenir de ces tableaux fantastiques. Celui dont l'âme est pure n'est jamais
trompé par ses songes, tandis qu'ils abusent continuellement celui dont l'âme est
[1]
obscurcie » . Ce texte semble bien faire allusion à la lucidité onirique puisque l'âme pure
sait qu'elle n'est pas dans l'état de veille (« quoiqu'elle sache bien que, dans l'état de veille,
il ne lui serait pas donné de jouir d'un tel privilège »). Or l'âme n'est pas ici un principe qui
serait séparé de la vie de veille du sujet mais elle est le sujet lui-même indépendamment de
la perception et de la pensée. C'est d'ailleurs bien la conscience qu'a le rêveur de son état qui
lui permet de ne pas être abusé par les images du songe, et non la conformité de ces images
avec la réalité de veille puisqu'il est question de "tableaux fantastiques" et non pas
véridiques.

Nous voyons par là que si l'on trouve des références à la lucidité onirique dans la
littérature sur les cultures non occidentales, une analyse est nécessaire pour la mettre en
évidence en raison de l'absence du concept de rêve lucide. Dans certaines situations
l'analyse ne peut conclure. Par exemple dans le Kurdistan iranien: « Les Ahl-Ê-Haqq vivent
constamment dans l'attente des visions divines, et s'efforcent ardemment de les obtenir: le
songe ne représente donc pas pour eux une perte de conscience, mais au contraire une
[2]
possibilité de révélation » . Si le songe ne représente pas une perte de conscience, on peut
supposer que le rêveur reste conscient alors qu'il rêve. Mais la liaison nécessaire avec la
révélation jette un doute rétrospectif sur ce qui pourrait de prime abord apparaître comme la
lucidité onirique. Il est alors malaisé de comprendre ce que l'auteur entend dans ce texte par
"conscience" si l'on ne se rend pas compte de ce que sa conception du rêve a de restrictif.

L'absence de structure conceptuelle définie sur les problèmes de la conscience chez


les spécialistes des cultures orientales n'est cependant pas le seul obstacle qui nous empêche
d'apprécier la qualité conscientielle de certains rêves. L'existence, dans ces autres cultures,
d'une compréhension complètement différente de ces problèmes présente une difficulté plus
grande encore. Ainsi des textes indiens nous apprennent que: « Durant son sommeil, le
yogin ne doit jamais être inconscient: le Quatrième (état) a pénétré veille, rêve et
[3]
sommeil profond ; donc le dormeur est bien éveillé à la réalité du Soi » . Dire que le
yogin n'est pas inconscient durant le sommeil, c'est apparemment dire qu'il y conserve toute
sa conscience, y compris en rêve, et on pourrait par conséquent penser qu'il est fait allusion
au rêve lucide. Cependant cette conscience n'est manifestement pas équivalente à la
conscience de soi de l'état d'éveil puisqu'elle provient d'un état particulier qui pénètre aussi
bien la veille que le rêve. Elle serait donc d'un degré ou d'une nature supérieure à la
conscience de soi. En entrant dans la représentation du monde d'autres cultures il nous faut
donc faire attention à ne pas plaquer nos concepts sur des phénomènes qui ne sont pas
exactement ce à quoi nous les ramenons. Il se peut que l'autre culture apporte des nuances
là où nous ne voyons qu'un même phénomène, et dans ce cas l'interprétation dans le sens du
concept apporté est légitime, mais il est également possible que cette culture mentionne des
états dont notre psychologie n'a pas encore donné la description (ce qui, rappelons-le, était le
cas du rêve lucide il n'y a pas longtemps) et il faut alors éviter les confusions et tenter de
situer la place du rêve lucide parmi eux.

Pour éviter les confusions ou les difficultés d'analyse deux moyens s'offrent à
l'investigateur: dialoguer directement avec des représentants d'autres cultures sur la
conception qu'ils se font du monde onirique ou dégager dans les textes que nous avons sur
les rêves les seules mentions explicites faites de la lucidité dans un contexte qui permette
de l'identifier.

I. Recherches ayant le rêve lucide pour objet


Le dialogue avec les représentants d'autres cultures est généralement le fait
d'anthropologues: « Les anthropologues pourraient contribuer à l'étude de la lucidité de bien
des façons et nous donner, entre autres, des descriptions ethnographiques classiques
concernant la manière dont les autres cultures définissent et comprennent leurs expériences
oniriques. Par "descriptions ethnographiques" j'entends celles qui se fondent sur les
techniques anthropologiques traditionnelles quand elles sont mises en œuvre sur place,
utilisant à la fois l'observation des participants et les entrevues non directives. Au propre
comme au figuré, ce genre d'approche implique que l'on vive avec les individus de
l'ensemble culturel ou sub-culturel, que l'on acquière une compréhension de leur mode de vie
et que l'on fasse l'expérience de leur monde tel qu'il se présente de leur propre point de
[4]
vue » .

Ce travail peut être mené de deux façons fort différentes, selon la place que le rêve
occupe dans la culture étudiée. En effet, si le rêve n'y est pas considéré comme important, la
manifestation du rêve lucide sera avant tout un fait individuel et, par là, témoignera en
faveur de son universalité. Si, en revanche, le rêve tient dans la culture étudiée une place
privilégiée, les explications le concernant seront à la fois plus nombreuses et plus complexes
et il sera nécessaire de s'assurer qu'on a bien accès au phénomène que l'on cherche.

La méconnaissance du rêve lucide n'est pas le seul apanage de la culture occidentale à


une époque donnée. D'autres groupes humains peuvent faire montre d'un désintérêt complet
pour les rêves, excluant par là même toutes les variations qu'ils présentent. L'apparition du
rêve lucide dans un tel contexte n'est alors pas le fruit de la culture environnante mais se fait
malgré elle (comme dans les cas enregistrés dans notre culture avec Hervey de
Saint-Denys ou van Eeden). C'est la constatation de deux anthropologues ayant séjourné en
Chine: « En 1984-85, nous avons enseigné comme professeurs à l'institut supérieur de
Beijing. Presque tous nos étudiants appartenaient à l'ethnie Han, qui est la "nationalité"
dominante en Chine (936 millions de personnes). Traditionnellement pragmatiques, les Han
tendent à considérer les rêves comme des faits insignifiants et peu fiables et ce jugement
s'est trouvé renforcé, depuis 1949, par les programmes du matérialisme marxiste et
l'isolement par rapport aux tendances intellectuelles de l'Occident […]. Aux yeux de nos
étudiants, l'idée de rêve lucide paraissait totalement étrangère et bizarre. Les rêves de ce
type que nous citons plus loin n'auraient donc été favorisés ni par un apport d'idées
occidentales ni par les valeurs courantes chez les Han. Nous avons recueilli près de cinquante
récits de rêves auprès de deux classes comportant un nombre égal d'étudiants postulants ou
diplômés. Le fait qu'il se trouve dans notre collection un certain nombre de rêves lucides
spontanés mérite qu'on s'y arrête […]. Un homme âgé d'un peu plus de vingt ans, étudiant
en sciences: […] "Quelquefois, je parviens à me souvenir clairement de mes rêves, mais, qui
plus est, il arrive souvent que je fasse le même rêve. Bien que je ne puisse le raconter ici, je
sais, tout en rêvant, que j'ai déjà fait ce rêve auparavant, et que, c'est seulement un rêve.
[5]
Par voie de conséquence, je sais aussi ce qui va se passer dans le rêve » . Et les auteurs de
ce texte de conclure: « Les cas que nous venons de citer confortent la supposition selon
laquelle le rêve lucide serait un "universel" et se rencontrerait dans toutes les sociétés, même
[6]
s'il n'est nullement valorisé par la culture » .

Il n'en reste pas moins qu'une telle recherche reste aléatoire et de surcroît peu
informative puisque les sujets ainsi trouvés ont en quelque sorte tout à "réinventer"
concernant l'exploration de cet état de conscience. Il semble alors plus prometteur de se
tourner vers des sociétés où le rêve lucide s'inscrit dans une tradition culturelle.

Toutefois, lorsque le rêve est pour une culture donnée un centre d'intérêt réel, il est
pris dans des réseaux conceptuels propres à la culture en question et qui en rendent l'accès
difficile, de la même façon que notre compréhension du rêve a rendu difficile l'émergence du
concept de rêve lucide. Cela indique en retour que ce concept ne désigne pas un phénomène
simple à saisir et qu'une approche qui en fait une utilisation brutale est inadéquate, comme
l'a remarqué un chercheur: « Le rêve lucide est-il une catégorie phénoménologique
valable pour la recherche lorsqu'elle devient transculturelle ? […] nous devrions
exercer la plus grande prudence en évitant d'imposer cette catégorie d'expérience occidentale
à des cultures dont les systèmes phénoménologiques peuvent être très différents des nôtres
[…]. Considérons nos propres efforts pour définir la lucidité. Nous avons une dimension
cognitive - le fait de savoir que l'on rêve - et une dimension du vécu - le niveau de
conscience intensifié qui peut être, et qui est souvent, atteint dans la lucidité onirique. […]
ces deux particularités constituent-elles des critères primordiaux permettant de dire d'un
rêve qu'il est "lucide" ? Il me paraît concevable que, pour une autre culture, le facteur
significatif d'une expérience comportant l'une et l'autre de ces caractéristiques soit, en fait, le
contenu du rêve lui-même. Par exemple, le fait de rencontrer un ancêtre pourrait être défini
culturellement comme étant le facteur significatif le plus important. Être conscient dans un
rêve, savoir que l'on rêve ne seraient pas considérés comme des faits remarquables, tandis
que l'accent serait mis sur l'information communiquée par le personnage du rêve, seule
conçue comme étant digne d'intérêt. […] Moins nous serons ethnocentriques dans nos
approches du monde intérieur des autres cultures, plus nous serons capables de pénétrer les
influences culturelles qui définissent ces univers et leur donnent forme, et cette pénétration,
ce regard transculturel se révèleront précieux dans la mesure où ils nous permettront de
[9]
mieux comprendre nos propres perspectives » .
La situation est donc, pour les représentants de la culture étudiée, semblable à celle
du rêve de Gennadius dans lequel ce n'était pas la lucidité qui avait frappé les esprits mais
bien l'information concernant l'après-vie. Cependant, s'ajoute ici l'idée que le dialogue peut
induire en erreur dans la mesure où justement les interlocuteurs n'ont pas notre concept de
la lucidité onirique et ne sont pas à même de préciser réellement si des rêves, qui ont par
ailleurs les caractéristiques que nous attribuons au rêve lucide, en sont effectivement: « Vous
vous adressez à une culture donnée avec l'intention d'établir la description ethnographique
d'une série d'expériences oniriques. Vous vous intéressez particulièrement à la lucidité. Ces
gens n'ont peut-être que des rêves non lucides, mais les termes qu'ils utiliseront pour
les décrire ressembleront beaucoup à ceux qui définissent la lucidité. Ce mode
d'expression sera fondé, en fait, sur un certain nombre d'exigences sub-culturelles. Par
exemple, s'ils sont adeptes d'un culte, s'ils appartiennent à quelque groupe aux croyances
institutionnalisées, il se peut qu'il soit très important pour eux d'avoir eu ce type d'expérience
ou de décrire leurs rêves dans ces termes. Une certaine forme de narration, fondée sur des
interprétations particulières, se sera fixée localement, une certaine manière de décrire les
rêves prévaudra, même si la réalité ne correspond pas à cette description. De notre point de
vue d'observateur, cela ressemblera à un mensonge, et vous penserez peut-être qu'on
cherche à vous tromper ; mais si vous êtes membre d'une autre culture, si vous êtes
totalement absorbés dans un mouvement, un culte, un contexte rituel, vous subirez des
pressions extrêmes qui vous inciteront à vous conformer à ce moule préétabli, cependant que
le processus lui-même sera, pour les mêmes raisons inconscientes, tout à fait absent de
votre jugement. C'est ainsi que l'investigation pourra recueillir de nombreux témoignages de
sorties du corps, de rêves lucides et autres expériences similaires, mais ce seront des
descriptions d'un idéal et non pas d'une réalité. Elles auront été dictées par des "caractères
[10]
d'exigences sub-culturelles" » .

Ainsi les difficultés que rencontre l'anthropologue sont de trois sortes: 1) la spécificité
d'un système de valeurs concernant les phénomènes oniriques, 2) l'incompréhension du
concept de lucidité et 3) la ressemblance d'aspect qui ne peut être validée car il se peut que
nous plaquions aussi le concept du rêve lucide sur une expérience particulière qui n'est pas
exactement le rêve. La recherche sur le terrain n'est donc pas nécessairement la plus apte à
nous informer sur la présence effective du rêve lucide dans d'autres cultures. Dans ce cas
comment peut-on s'assurer que le phénomène y a quelque existence ?

II. Manifestation du rêve lucide dans un cadre conceptuel


L'indécision peut cependant être évitée si le phénomène visé se situe dans un cadre
conceptuel, notamment religieux. Or, les cultures orientales nous offrent deux types de
cadres - pratique et ontologique - par ailleurs complémentaires et qui permettent d'identifier
le rêve avec certitude et, par là, le rêve lucide lorsqu'il se présente.
Qu'est-ce qu'un cadre pratique et en quoi peut-il nous permettre d'identifier à coup
sûr le rêve lucide ? C'est un système d'entraînement dont le but est clairement d'amener le
sujet à se rendre compte qu'il rêve, à l'aide d'exercices qui sont tout à fait comparables à des
méthodes d'induction de la lucidité. Il ne s'agit donc pas d'un état connu par accident, ou
constaté en passant, mais d'un état que l'on recherche de façon systématique. Ainsi Le yoga
[11]
tibétain et les doctrines secrètes montre que l'état que nous appelons rêve lucide est
connu des tibétains, ce dont on peut s'assurer autant par la façon dont ils traitent le
phénomène que par les exercices qu'ils donnent pour y parvenir. Le yoga du rêve cherche de
façon manifeste à maintenir la conscience de soi dans l'état de rêve: « En ce qui concerne la
première pratique, la compréhension par le pouvoir de résolution, ce qui a été appelé "la
compréhension initiale du rêve" se réfère à la résolution de maintenir une continuité de
[12]
conscience sans interruption (entre l'état de veille et l'état de rêve) » . On reconnaît là la
technique de l'endormissement conscient.

Les pratiques pour parvenir à cet état de lucidité sont tout à fait caractéristiques des
méthodes d'induction. La doctrine donne une technique qui peut être comparée à la méthode
critico-réflexive de Paul Tholey: « En d'autres mots, dans toutes conditions pendant le jour
(ou l'état de veille) tiens au concept que toutes choses sont de la substance des rêves et que
[13]
l'on doit réaliser leur véritable nature » . Une autre technique se rapproche de celle de
l'intention maintenue fermement à l'endormissement: « Puis, la nuit au moment du sommeil,
prie le guru afin de pouvoir être capable de comprendre l'état de rêve et prends la ferme
résolution que tu pourras le comprendre. En méditant ainsi, tu es certain de le
[14]
comprendre » . Une autre technique encore ressemble à la concentration en un point de
Paul Tholey.

Le yoga du rêve suppose d'ailleurs la lucidité pour sa pratique, comme cela est
fortement impliqué par le texte. On peut s'en rendre compte à l'attitude du rêveur vis-à-vis
de son rêve. « Si, par exemple, le rêve est de feu, pense: "Comment pourrait-on craindre le
feu qui vient dans un rêve ?" Et tenant à cette pensée, on piétine le feu. De la même façon,
[15]
foule au pied quoi que ce soit qui est rêvé » . Plus encore qu'une simple attitude de
circonstance pour contrôler ses émotions, le yoga du rêve est un entraînement délibéré pour
apprendre à en modifier le contenu:

« Et si le rêve est de
feu, transforme le feu en
eau, l'antidote du feu,

« Et si le rêve est de
petits objets,
transforme-les en grands
objets,
« Ou, si le rêve est
de grands objets,
transforme-les en petits
objets.

« Par cela, l'on


comprend la nature des
dimensions.

« Et si le rêve est
d'une chose unique,
transforme-le en choses
multiples,

« Ou, si le rêve est


de choses multiples,
transforme-les en une
chose unique.

« Par cela, on
comprend la nature de la
[16]
pluralité et de l'unité » .

Le rêveur doit agir sur le rêve au cours de son déroulement et non sur son souvenir.
Le yoga du rêve ne peut donc être mené à bien que si le sujet sait qu'il rêve et la lucidité en
est la condition sine qua non. Ces exercices rappellent les tentatives de rêveurs lucides
[17]
occidentaux (par exemple Moers-Messmer agrandissant des objets en rêve lucide , ou un
élève de Faraday transformant un paysage en son contraire).

Cependant, si la lucidité onirique est bien reconnaissable, il n'en reste pas moins que
le rêve lucide n'est pas recherché pour lui-même. Il n'est qu'un moyen de parvenir à un but
qui est la "réalisation de la claire lumière": « Si tu atteins la maîtrise de ce procédé, alors,
que ce soit en état de sommeil ou en état de veille, tu réalises que les deux états sont
illusoires (en tant que leur contenu) et tous les phénomènes seront reconnus pour être nés
de la claire lumière (qui est la réalité nouménale qui soutient la maya) et les phénomènes et
[18]
l'esprit (ou le nouménal) se mélangeront » . La "compréhension" de la nature de l'état de
rêve, c'est-à-dire l'induction de la lucidité, n'est qu'une première étape pour pratiquer en rêve
des exercices d'un type très particulier dans un but précis. En fait, les tibétains ne se livrent
pas à une exploration véritable (dans ce texte) du rêve et ne s'y intéressent pas pour
lui-même. Ainsi, si un même phénomène est reconnaissable dans une autre culture, le
contexte peut être très différent. Certains thérapeutes occidentaux n'admettent pas la
manipulation du rêve que font les tibétains car pour eux le rêve ne doit pas être "contrôlé".
Certains récusent même ce contrôle pour des raisons spirituelles qui sont fondamentalement
les mêmes que celles des tibétains: « Lorsque nous commençons à découvrir notre capacité à
modifier l'environnement onirique, nous oublions facilement que le but est de se réconcilier
[19]
avec les éléments du rêve et non pas de les maîtriser » .

Les différences d'une culture à l'autre sont donc riches d'enseignements et permettent
de relativiser plus facilement les conceptions que l'on se fait du rêve lucide. Si les tibétains
passent à côté de l'expérimentation et de son impact sur la psychologie, les occidentaux
restent peut-être prisonniers de leur conception du rêve qu'ils conservent même au sein de la
lucidité.

Le système pratique d'exercices du yoga du rêve dans lequel la lucidité joue un rôle
essentiel renvoie lui-même à un cadre métaphysique qui opère des distinctions conscientielles
(dont nous n'avons apparemment pas l'équivalent dans la psychologie occidentale). Un tel
cadre permet à son tour de repérer la présence du rêve lucide en dehors même des exercices
d'induction: « Demeurer conscient du fait que l'on rêve, c'est commencer à "s'éveiller" sur ce
plan-là, c'est-à-dire commencer à exercer délibérément sa volonté, passer, sur ce plan et
dans ce monde-là, de la condition impuissante de l'enfant à celle de l'adulte ; c'est opérer la
conversion de cet état et de ce plan qui, par l'étendue accrue de nos facultés, nous fait
[20]
passer du "rêve" à l'extension correspondante de notre état d'éveil » . Il est clair ici que
les notions de "plans" et les transformations d'un plan en un autre par un type
d'évolution conscientielle ne sont pas familières à notre culture. Mais indépendamment de
savoir s'il s'agit d'une simple construction métaphysique ou d'un domaine d'expérience, il faut
reconnaître que de tels systèmes font une place au rêve lucide. Cela ne doit pas nous inciter
à les adopter sans discernement mais ils peuvent constituer des hypothèses de travail pour le
rêveur lucide lui-même. Ce sont de telles vues ontologiques incluant le rêve lucide dans une
compréhension de l'homme et de l'univers qui donnent au rêve lucide sa dimension "réelle"
dans diverses cultures. Lorsqu'elles sont inexistantes le rêve lucide risque fort d'être
impossible à repérer, sauf à en chercher des indices de façon détournée.

§2. Présence implicite du rêve lucide dans d'autres cultures


A priori l'intérêt que certaines cultures portent au rêve nous laisse espérer que le
dépouillement des études déjà faites à leur sujet nous permettra de dégager des
phénomènes de lucidité plus aisément que dans la nôtre pour laquelle la mise en évidence du
phénomène est relativement récente. On peut en effet supposer que dans de telles cultures
ces types de rêves ont pu être sinon étudiés, du moins constatés. Ces cultures dans
lesquelles le rêve occupe une place importante ont parfois été appelées "cultures du rêve":
« Il est une appellation que, sans doute, vous connaissez tous, parce qu'on la rencontre aussi
bien dans la littérature populaire que dans les textes anthropologiques, mais davantage, me
semble-t-il, dans la littérature. On parle, en effet, de "cultures du rêve". Souvent, les cultures
qui ont une grande estime pour le rêve - celle des amérindiens, par exemple - sont qualifiées
de "cultures du rêve". On veut ainsi faire référence au degré d'imprégnation de ces cultures
[21]
par les rêves » .

L'intérêt que de telles cultures portent au rêve est plus étendu que celui auquel nous
sommes accoutumé et qui relève presque exclusivement de la pathologie ; et leurs capacités
d'observations leur laissent probablement une marge de constatation empiriquement plus
large qu'à nous. Si tel est le cas, la lucidité devrait ressortir de certains récits ou études dans
des cultures diverses. Sinon, cela signifierait que le rêve lucide est un phénomène quelque
peu artificiel, provoqué par un entraînement particulier et devant donc être considéré à part
du rêve.

La situation n'est cependant pas aussi idéale que le laisserait prévoir une telle
hypothèse. En effet, si certaines cultures ont pu être appelées "cultures du rêve", ce n'est pas
tant en raison d'un intérêt prédominant pour le rêve que du fait que notre culture, pour sa
part, n'y prête que peu d'attention. En réalité, d'après certains anthropologues cette
appellation ne qualifie pas tant ces cultures elles-mêmes que nos carences en ce domaine:
« Pourtant, ce n'est encore qu'un point de vue ethnocentrique. Ce ne sont des "cultures du
rêve" que par rapport à la culture occidentale, pour laquelle le rêve n'a qu'un statut bien
inférieur. Pour les membres de ces cultures, les rêves n'ont pas une signification
prédominante, ils ne sont pas plus importants que tel autre aspect de leur vie sociale ou
culturelle. En d'autres termes, bien qu'à plus d'un titre le rêve puisse jouer, socialement et
culturellement, un rôle significatif, ce ne sont pas des "cultures du rêve" par nature, mais
[22]
seulement selon nos standards à nous, d'un point de vue occidental » .

Il en résulte que si l'importance du rêve est reconnue dans d'autres cultures, il n'en
est pas pour autant étudié par elles. Cela a une incidence méthodologique sur la recherche
elle-même dans la mesure où des données éventuelles sur la lucidité onirique sont à dégager
et où l'anthropologue, dont les sujets de préoccupation sont autres, ne risque alors guère de
les rencontrer dans le cours de sa recherche: « l'anthropologue est influencé par sa culture et
cette influence s'étend au domaine de recherche (lorsqu'il s'intègre à une autre culture pour
faire son étude). En termes de fiabilité des données ainsi collectées, cette part d'influence va
avoir une importance méthodologique parce qu'il influence l'objet de son étude en imposant
par exemple ses propres constructions théoriques. Alors, il ne collectera, bien sûr, qu'un
certain type de données. Lorsque les anthropologues sortent de leur domaine, tout se passe
comme si le fait de rêver était secondaire ou tangent à leurs objectifs de recherche parce que
les rêves ne sont pas tellement importants dans la littérature anthropologique. Il y a aussi la
question de savoir comment les études sur le rêve peuvent être connectées dans le cadre des
théories anthropologiques. C'est compréhensible. La recherche ne peut se faire dans toutes
les directions. Mais les problèmes vont forcément émerger plus tard dans les études inter-
[23]
culturelles et devront être pris en compte dans l'évaluation de telles études » . Ainsi les
centres d'intérêt des anthropologues ne les ont pas poussés à s'intéresser énormément au
rêve dans les autres cultures et, de ce fait, il n'est guère possible de se tourner vers des
études déjà existantes pour retrouver des traces de la lucidité. Il semble bien que cette
recherche reste à faire.

Il existe cependant un moyen de contourner cette difficulté, du moins dans une


certaine mesure. Si, en effet, les intérêts des chercheurs ne les ont pas incités à étudier le
rêve (et encore moins le rêve lucide dont souvent ils ne connaissent pas l'existence et dont ils
n'ont aucun concept), d'autres sujets de préoccupation, dont nous avons montré le rapport
avec le rêve lucide, les ont parfois motivés. Ainsi, dans notre culture, l'intérêt de certains
anthropologues pour la recherche psychique, et plus particulièrement pour les expérience
hors du corps, a pu les conduire à se pencher sur des phénomènes équivalents chez d'autres
groupes humains: « Une enquête portant sur soixante cultures a montré que toutes, sauf
trois, acceptent l'idée de l'indépendance d'une partie de la personnalité capable d'échapper à
la prison du corps. Les Azandes africains, par exemple, croient que nous possédons deux
âmes, dont une abandonne le corps quand nous dormons. Cette mbisimo , disent-il, voyage,
rencontre d'autres mbisimo et vit toutes sortes d'aventures. Qu'elle garde d'ailleurs pour
elle, car nous ne conservons aucun souvenir au réveil. Les Birmans appellent "papillon" leur
compagnon de voyage et pensent qu'il est fragile et aisément blessé. Les Bacairi d'Amérique
du Sud affirment que nous avons une andadura , une ombre, qui se "dépouille de sa
chemise" quand nous nous endormons. Elle abandonne le corps et ses expériences forment
les thèmes de nos rêves. Nous en gardons parfois le souvenir et devons les prendre au
[24]
sérieux car ce sont des sources d'informations concernant le monde réel » .

Cette recherche ne porte à aucun moment sur le rêve lucide mais sur un phénomène
qui touche au sommeil et au rêve et qui pourrait bien s'avérer en relever. Le fait que la
conscience de soi au cours de ces expériences ne soit pas mentionnée n'indique pas qu'elle
en soit absente a priori puisque sa mise en évidence dépend de la méthode d'approche
choisie par le chercheur. Si ce dernier n'a aucun concept du rêve lucide, cet élément
conscientiel risque de passer inaperçu alors qu'il apparaîtrait avec évidence pour quelqu'un de
plus averti. Quand, indépendamment de l'interprétation et de la valeur accordées à ce type
d'expériences, on les étudie d'un point de vue phénoménologique, on ne peut manquer de
remarquer leur ressemblance avec le rêve lucide. Cela ne suffit évidemment pas pour décider
si le sujet est conscient de la différence de nature de son expérience par rapport à l'état de
veille, mais l'accumulation de caractéristiques qui, dans les expériences du sommeil, sont
proches de la lucidité permet en quelque sorte de débroussailler le terrain et d'indiquer son
existence probable et, par là, la direction dans laquelle orienter les recherches.

Notre objectif ici va donc être tout d'abord de montrer l'existence, dans d'autres
cultures, de ces éléments qui permettent de supposer que la lucidité onirique n'y est pas
inconnue. Il ne s'agit cependant là que de donner des bases à une hypothèse et non de la
prouver, ce qui demanderait une recherche plus étendue et surtout une nouvelle
méthodologie dans le questionnement des autres cultures. Ces éléments caractéristiques
peuvent être recherchés aussi bien dans l'examen de l'attitude du sujet vis-à-vis du rêve
(c'est-à-dire la façon dont il accueille les différentes sortes de rêves) que dans le contenu des
expériences qui - au-delà de la sortie hors du corps - comprend la présence des divers types
de rêves associés au rêve lucide.

I. Les éléments phénoménologiquement associés à la lucidité


Nous avons vu que, phénoménologiquement, la lucidité est en rapport privilégié avec
certains événements oniriques. La présence de ces éléments ne suffit pas pour indiquer la
lucidité mais permet de la supposer pour une recherche ultérieure. Ainsi, si une culture
présente des rêves de déplacement dans l'espace (vol, lévitation…) ou de doubles (sortie hors
du corps, miroir…) ou encore de faux-éveil, la probabilité que de tels rêves puissent être en
principe lucides sera élevée.

Le rêve de vol est attesté dans un si grand nombre de cultures qu'il semble bien être
une expérience universelle. L'utilisation divinatoire des songes mentionne assez souvent le
rêve de vol, ce qui, tout à fait indépendamment de la valeur de la divination, indique sinon la
fréquence du vol, du moins son existence. Ainsi, le livre des songes assyrien donne pour le
rêve de vol une série d'interprétations, d'ailleurs parfois contradictoires:

« Si un homme
(dans un rêve) a des ailes
et vole ça et là, et en
descendant, n'est plus à
même de remonter, son
fondement ne sera pas
stable.

« Si un homme
s'élance et s'envole: pour
une personne importante,
bonheur. Pour le serf, fin
de ses malheurs. S'il est
en prison, il sera libéré.
S'il est malade, il guérira.

« Si un homme
s'envole à plusieurs
reprises, il perdra tout ce
qu'il possède.

« Si un homme
s'élance et vole, pour le
serf, perte de biens, pour
un homme pauvre, fin de
sa pauvreté. Cette homme
verra ses voeux se
réaliser.

« Si un homme vole
ça et là, disparaît mais
apparaît à nouveau,
détresse.

« Si un homme vole
ça et là, le riche perdra ses
biens ; le pauvre verra la
fin de ses malheurs.

« Si un homme
s'envole de l'endroit où il
se tient et (monte) au ciel,
cet homme retrouvera ce
[25]
qu'il a perdu » .

Les clefs des songes cambodgiennes tiennent également compte des rêves de vol:
« Rêver qu'on vole dans les airs […] c'est monter en honneurs, avoir de la fortune, être
heureux. Mais voir croître des ailes sur son corps […] est un rêve néfaste, qui demande à être
[26]
conjuré par une cérémonie propitiatoire » .

Le rêve de vol n'est d'ailleurs pas seulement un sujet de divination mais peut faire
l'objet de tentatives d'explications, ce qui est également la marque d'une certaine étendue,
comme par exemple dans la culture islamique: « une fois que la perception externe a cessé
d'agir, la pensée se développe dans toute sa puissance. Alors, la forme des objets se dessine
dans l'âme, comme s'ils étaient encore soumis à la perception des sens, et se présente à
l'esprit de l'homme, pendant son sommeil , de la même manière que les choses qui lui sont
familières dans l'état de veille, non pas d'après un ordre arrêté d'avance, mais en suivant les
caprices du hasard. C'est ainsi que l'homme se voit voler en l'air, quoiqu'il ne possède pas, en
réalité, la faculté de voler. Il ne voit réellement que la forme du vol, abstraction faite de tout
sujet, telle qu'il la connaît quand elle ne s'exécute pas sous ses yeux ; mais, sa pensée,
concentrée sur cette opération, prend assez de force pour la lui rendre réellement
[27]
sensible » .

Les explications diffèrent d'ailleurs selon les cultures. Ainsi, celle proposée par les
cambodgiens ne se limite pas à l'extension d'une "forme" à la sensibilité du sujet: « Le fait de
rêver peut être dû à la puissance de chaque élément qui s'agite dans le corps humain, ce qui
fait que ni l'enveloppe corporelle ni l'esprit ne demeurent dans leur état de repos habituel, et
lorsqu'on dort cela amène à voir en rêve des sujets variés. Par exemple se voir réellement
tomber du haut d'une montagne ou d'un arbre ; ou bien se sentir vraiment saisi par
[28]
quelqu'un qui vous lance dans les airs » . Dans certains cas ces explications sont
franchement de type médical, comme en Chine: « Quand c'est d'un excès de légèreté et
[29]
vacuité qu'on est malade, on rêve qu'on s'élève » . Quelle que soit l'attitude adoptée
envers le rêve de vol, divinatoire ou physiologique, et quelle que soit la valeur des résultats
obtenus, cet intérêt indique l'existence de ce type de rêve dans diverses cultures. Le rêve de
vol est d'ailleurs associé assez souvent à l'idée d'une certaine forme de séparation d'avec le
corps physique qui est un cas particulier des rêves de double.

Les rêves de double peuvent prendre des formes diverses comme par exemple le rêve
de miroir attesté dans l'Égypte ancienne: « voyant son visage dans un miroir MAUVAIS, cela
[30]
signifie une autre femme » . Mais le rêve de double le plus typique est celui dans lequel
l'âme du rêveur se détache de son corps pendant le sommeil. Plutôt qu'un événement
onirique suscitant une interprétation, il s'agit là souvent de l'explication du rêve lui-même,
par exemple dans la culture islamique: « Enfin certains séparent nettement la faculté de
perception du corps visible. Pour eux, l'homme quitte son enveloppe corporelle, dans l'état de
sommeil, et peut alors contempler le monde et les mystères qu'il renferme, avec une lucidité
égale à sa pureté. Un verset coranique (Cor. 39, 42) viendrait à l'appui de cette assertion:
"Dieu recevra les âmes au moment de leur mort et celles qui ne meurent pas, durant le
sommeil ; il retient celles dont la mort est décrétée et renvoie les autres jusqu'à un terme
[31]
fixé". » . Chez les peuples altaïques le rêve de double se fond dans le rêve de vol: « Le
rêve pourrait alors s'identifier […] au voyage cosmique du chaman (l'âme quittant le
[32]
corps pour errer plus librement) » . De même dans le Kurdistan: « Pour l'état de l'âme
pendant le rêve, on lit au chapitre 29 du livre zoroastrien Zât-Spram que le corps et l'âme
humaine sont comparés respectivement au temple du feu et au feu sacré. Le ministre du feu
a pour fonction de veiller au temple et d'attiser le feu: "Lorsque le corps dort, l'âme sort et
s'en va, tantôt près, tantôt loin et revient au corps au moment du réveil." Ainsi, pour attiser
le feu, le ministre se tient à côté de lui ; lorsque le feu est éteint, il ferme la porte du temple
[33]
et s'en va, tantôt près, tantôt loin » . En Chine on considère que la « personnalité humaine
est formée de deux éléments, le houen et le p'o. Le p'o se forme dès la conception. C'est
l'âme-sang, l'âme corporelle. A la naissance s'adjoint le houen, l'âme-souffle, l'âme
intelligente, qu'on appelle aussi de façon moins précise le chen, l'esprit. Ces deux âmes ne
sont pas indissolublement liées ni entre elles ni au corps. […] Durant la vie le p'o reste
normalement attaché au corps. Le houen peut le quitter en certaines circonstances: la
maladie […], le rêve extatique (l'expression chen-yeou, "promenade de l'esprit" est nette), la
transe chamanistique et le rêve. […] La rencontre mentale dont parle Lie-tseu signifierait
donc que le houen, étant sorti de son corps pendant le sommeil, rencontre au cours de son
[34]
vagabondage nocturne des êtres du monde invisible » . Cette volonté de "rationaliser" les
rêves de vol permet de poser que cette expérience onirique était suffisamment répandue
pour appeler une explication susceptible de l'intégrer dans une représentation du monde,
voire de la susciter.

Les rêves dans lesquels il est question du rêve sont également répandus et indiquent
que la conscience du rêveur n'est pas loin d'atteindre la lucidité. Ainsi un songe de
Nabonide nous montre que ce type de rêves existait à Babylone: « L'intérêt de ce texte est
l'apparition du rêve second ("il a vu un rêve dans un rêve" nous apprend la clef des songes
assyriennes) […]: " En ce qui concerne la conjonction de la Grande Étoile et de la lune, j'étais
inquiet (mais dans un rêve) un homme jeune se tint (soudain) auprès de moi, en disant: 'Il
n'y a pas de mauvais présages dans la conjonction…' Dans le même rêve apparurent
Nabuchodonosor, mon royal prédécesseur, et un compagnon, debout sur un char. Le
compagnon disait à Nabuchodonosor: 'Parle à Nabonide. Qu'il te raconte le rêve qu'il a eu…'
Nabuchodonosor l'ayant entendu, dit: 'Raconte moi quels signes tu as vus'. Je lui ai répondu
[35]
ainsi: 'Dans mon rêve […] …' » et Nabonide relate en rêve son rêve précédent. Marcel
Leibovici qui cite ce passage précise que cette « forme de rêve est attestée également dans
[36]
le Talmud babylonien » . Le faux-éveil est même attesté en Islam dans les « listes
[37]
hiérarchisées des êtres et des objets susceptibles d'être vus en songe » qui comprennent
le sommeil et le réveil.

II. L'attitude vis-à-vis du rêve et de la conscience


L'attitude adoptée vis à vis du rêve peut également être un facteur utile pour repérer
la présence possible d'une lucidité onirique que les spécialistes des autres cultures
n'envisageaient pas. En effet, le rêveur lucide occidental a envers ses rêves une attitude
différente de celle du rêveur ordinaire, ou plus précisément il ne porte pas le même intérêt
aux deux types de rêves. On comprend aisément qu'il se sente plus concerné par une
expérience vécue en pleine conscience puisqu'il participe alors activement au scénario du
rêve, voire à son déclenchement. Si ce clivage psychologique apparaît nettement pour les
rêveurs lucides que nous avons rencontrés (van Eeden qui notait ses rêves lucides à part de
ses rêves ordinaires, ou même certains rêveurs qui ne consignent que leurs rêves
[38]
lucides ), on peut alors se demander si pour d'autres cultures les critères qui différencient
les grandes catégories de rêves - et qui supposent une différence d'attitude vis-à-vis de rêves
- peuvent ou non être mis en rapport avec la lucidité.

La multiplicité des types de songe a été constatée dans la plupart des cultures mais
certaines distinguent nettement deux grandes catégories qui sont les rêves véridiques et
ceux qui ne le sont pas. Assez souvent une telle distinction s'appuie aussi sur le contenu du
rêve:

« Seront des rêves vrais:

« 1. Le rêve manifestement vrai, celui qui se réalise au réveil […]. Il est exprimé dans
un langage clair et se passe de toute interprétation. [Des] personnes dignes de foi […] nous
parlent dans les rêves, à savoir: les dieux […], les prêtres […], les rois et les chefs, les
parents et les éducateurs, les (vrais) voyants, les morts, les enfants et les vieillards, les
animaux […]. 2. Le bon rêve dans lequel on voit Dieu, le Prophète, les parents
musulmans […]. 3. Le rêve que l'ange […] révèle à l'homme […]. De même, est vrai le rêve
dont le contenu concerne un lieu saint car le démon ne peut pas y entrer […]. 4. Le rêve
énigmatique […] inspiré par les dieux.

« Seront des rêves faux:

« 1. Les rêves provenant des désirs de l'âme et des préoccupations du moment […].
2. Le rêve à la suite duquel la purification est nécessaire […]. 3. Le rêve qui contient une
provocation ou une menace de la part du démon. […] 4. Les rêves résultant des artifices des
magiciens […]. 5. Les rêves dont le contenu ne peut être vrai ; par exemple voir Dieu dans
une image ; voir un ange jouer et se divertir […]. 6. Le rêve provenant des humeurs
fondamentales et du tempérament […]. 7. Le rêve rétrospectif dont le contenu s'est réalisé
[39]
longtemps auparavant » .

Cette distinction prend également en compte les circonstances dans lesquelles


apparaît le rêve (dormir de tel côté, à tel moment, dans tel état d'esprit, ou encore faire
preuve de certaines vertus dans la vie quotidienne) comme c'est le cas dans la culture
islamique ou persane.

On voit immédiatement que de telles conditions ne signifient rien quant à la lucidité


qui surgit dans des rêves dont les contenus sont de toutes sortes et qui ne dépend pas
absolument du respect de conditions physiques ou psychologiques (même si certaines
dispositions prises à l'endormissement la favorisent). Dans les situations décrites c'est avant
tout une conception du monde qui influence la valeur accordée aux rêves ; ils sont le plus
souvent trompeurs sauf dans certaines circonstances, qui sont principalement d'ordre
religieux puisque la nature du rêve est d'être « une conversation entre l'homme et son
[40]
Dieu » .

Pour comprendre si le rêve lucide a là un rôle à jouer, il faut d'abord déterminer ce qui
donne à certains rêves le statut de messages divins. Il semble assez logique de penser que le
contenu du rêve se présente lui-même comme message divin, mais ce n'est apparemment
pas un critère sûr: « l'essentiel est de voir que l'activité onirique fut fondamentale dans
l'activité de Mahomet et dans l'aventure islamique. D'après Abul Feda, Mahomet aurait reçu
en vision nocturne sa charge de prophète. Et quoique cette vision ait été déclarée véritable et
que l'hypothèse du songe ait été écartée par certains, Gjannabi assure que, durant six mois,
[41]
Dieu aurait communiqué en songe la révélation au Prophète » . Le contenu, bien que
nécessaire, n'est donc pas suffisant pour donner sa validité au message. La vision nocturne
différerait donc du rêve simple en ce qu'elle serait un rêve vrai, tandis que le rêve ordinaire
peut égarer. Cependant qu'est-ce qui permet alors de savoir que l'on a affaire à une vision
véritable ? Ce ne peut être l'importance de la diffusion du message religieux, qui dépend
lui-même de la foi que le rêveur lui accorde au départ. En fait on peut se demander si, pour
le rêveur, ce qui fait de son rêve un message divin n'est pas justement la conscience qu'il en
a:

« Après leur départ, l'Ange du Seigneur apparaît en songe à


Joseph et lui dit: "Lève-toi, prends l'enfant et sa mère et fuis en
[42]
Égypte". »

L'Ange apparaît en songe à Joseph et se conduit presque comme les divinités grecques
qui annoncent aux héros de l'Iliade et de l'Odyssée qu'ils dorment. En effet le "lève-toi"
implique l'état de sommeil pendant lequel parle l'ange et après lequel il disparaîtra. Il est
cependant possible que cette conscience de rêver ne soit pas celle du rêveur lui-même mais
apparaisse comme un contenu du rêve qui pourrait amener le rêveur à reconnaître son état
mais ne fait que le convaincre après coup de l'aspect visionnaire de son expérience, comme
dans le cas de Don Bosco:

« Je voulus alors demander à cette dame, à cette bergère,


dans quel endroit je me trouvais:

« Que signifie ce voyage que vous me faites faire? lui dis-je.


Ces arrêts. Cette maison ? Cette église, et puis cette seconde église ?

« - Un jour, tu comprendras tout, quand, de tes yeux de chair,


tu contempleras ce que tu aperçois maintenant en rêve."

« J'étais si sûr d'être éveillé que je lui dis: "Mais je vois tout
clairement et avec mes yeux de chair, je sais où je vais et je sais ce
que je fais." A ce moment, la cloche de l'église Saint-François se mit
[43]
en branle pour sonner l'Angélus et me tira de mon sommeil. »

Le rêveur se réveille trop tôt pour devenir lucide, mais le processus était en cours. Il se
pourrait donc que le degré de conscience dont fait preuve le rêveur permette, plus que le
contenu, de considérer son rêve comme un message de Dieu, et qu'une certaine forme de
lucidité soit ici impliquée, ou tout au moins des caractéristiques qui lui sont associées.

A cela s'ajoute que certaines cultures font la même distinction entre rêves véridiques
et trompeurs sans nécessairement la fonder sur des critères religieux. Elle devient alors
nettement problématique puisqu'elle ne repose plus sur des contenus précis et répertoriés ou
sur des attitudes codifiées. Plus précisément la réalité surnaturelle à laquelle ouvre le rêve
n'est pas limitée a priori. Ainsi Lévy-Bruhl décrit chez les primitifs des situations qui
montrent que la limite entre les rêves vrais et trompeurs ne dépend pas d'un contenu fixe.
D'une part leur attitude envers le rêve est de type mystique en ce que, pour eux, le rêve est,
comme pour les cultures précédentes, une forme de communication avec un autre aspect de
la réalité: « Le rêve apporte ainsi aux primitifs des données qui, à leurs yeux, valent autant,
sinon plus, que les perceptions acquises pendant la veille. […] ils ne s'étonnent nullement de
ce que leurs songes les mettent en rapport direct avec les puissances qui ne se laissent
ni voir ni toucher. Ils ne sont pas plus surpris de posséder cette faculté que d'être doués de
[44]
la vue et de l'ouïe » . Mais d'autre part le rêveur peut avoir accès à cette réalité même
sans que le rêve cesse d'être véridique: « En Afrique équatoriale, il arrive qu'un voyage fait
en rêve compte pour un voyage réel. "Je retournai chez le chef, et je fus étonné de le trouver
assis hors de sa case, vêtu à l'européenne. Il m'expliqua que la nuit précédente, il avait rêvé
qu'il était au Portugal, en Angleterre et dans quelques autres pays. C'est pourquoi, en se
levant, il avait mis des habits européens, et dit à ses sujets qu'il arrivait des pays de l'homme
blanc. Tous ceux qui venaient le voir, jeunes et vieux, devaient lui serrer la main pour le
[45]
féliciter de son heureux retour" » .

Ainsi la distinction entre les rêves véridiques et les rêves faux ne repose pas
essentiellement sur la nature d'un contenu. Mais dans ce cas une telle distinction est-elle
encore possible: « n'y a-t-il pas des rêves incohérents, absurdes, et manifestement
impossibles ? […] les primitifs n'accordent pas créance à tous les rêves indistinctement.
Certains songes sont véridiques, et d'autres non. Ainsi, les Dieri "distinguent entre ce qu'ils
regardent comme une vision, et un simple rêve. Ce dernier est appelé apitcha , et on le
prend pour une pure imagination" … Chez les Indiens de la Nouvelle-France, "ceux qui ont le
don de bien rêver n'écoutent pas tous leurs songes indifféremment ; ils en reconnaissent de
[46]
faux et de véritables, et ceux-ci, disent-ils, sont assez rares" » . Puisque la distinction
existe, c'est qu'elle doit s'appuyer sur un critère précis. Il semblerait qu'il s'agisse du mode
de manifestation du phénomène onirique, les rêves véridiques devenant alors ceux qui sont
faciles à interpréter et les faux ceux qui sont inintelligibles: « Il va de soi que tous les rêves
ne sont pas également faciles à interpréter, et aussi que les Cafres, comme tous les peuples
qui règlent leurs actes sur leurs songes, ont été conduits à distinguer entre les bons et les
mauvais rêves, entre ceux qui sont véridiques et ceux qui sont mensongers. "Les gens disent
que les rêves d'été sont vrais, mais ils ne disent pas qu'ils sont toujours vrais ; ils disent que
les rêves d'été habituellement ne manquent pas le but. Mais ils disent que l'hiver est mauvais
[47]
et produit des imaginations confuses, c'est-à-dire beaucoup de rêves inintelligibles… » .

Si l'on s'avisait de confondre ici l'intelligibilité des rêves avec leur interprétabilité, non
seulement ce critère ne serait pas éclairant, mais il apparaîtrait manifestement faux dans
bien des cas. Ainsi le chef de village qui voyage en rêve ne pense pas un instant avoir été en
chair et en os dans ces pays puisqu'il reconnaît avoir rêvé. Mais il considère le rêve comme
étant en soi un moyen d'accès à la réalité, porteur d'informations vraies. Il n'est donc pas
question d'interpréter un contenu, seulement de l'accepter tel qu'il lui est donné. La réalité à
laquelle ouvre le rêve n'est pas différente de celle de l'état de veille: c'est un autre mode
d'accès à une même réalité qui peut inclure des éléments mystiques que l'état de veille ne
permet pas de percevoir. Les rêves vrais ne sont donc pas les rêves interprétables mais ceux
qui sont réels (c'est-à-dire qui offrent un autre accès à la réalité, qu'elle soit mystique ou
non). Le chef de village n'a pas besoin d'interpréter ni même de pouvoir interpréter son
rêve pour savoir qu'il est vrai. Au contraire, s'il devait le faire, son rêve deviendrait faux. La
réalité du rêve vient de ce que son contenu est tenu pour réel et non qu'il en masque un
autre.

Or, dans ce cas, qu'est-ce qui permet de considérer de tels rêves comme réels ? Nous
savons que, pour les rêveurs lucides occidentaux, le sentiment de réalité est corrélatif de la
conscience de rêver sans que les deux états soient confondus, ce qui donne au cours du rêve
même une interprétation de ce qui y est perçu en terme d'illusion. On pourrait poser que si
ce phénomène existe chez les "primitifs", l'interprétation pourrait aller en sens inverse: le
sentiment de réalité qui accompagne la conscience de rêver pourrait faire qualifier le
phénomène de réel. Ce n'est bien sûr là qu'une supposition mais elle nous indique une
direction de recherche.

La distinction de différents types de songes n'est pas le seul trait qui permette un
rapprochement entre les attitudes des rêveurs lucides occidentaux et ceux d'autres cultures.
En effet, les premiers ont l'habitude de provoquer leur rêve lucide à l'aide de méthodes
d'induction. Cette pratique ressemble d'une certaine façon à l'incubation qui est largement
attestée dans toutes les cultures orientales, par exemple dans l'Égypte ancienne: « Il faut
maintenant examiner une autre catégorie de rêves, largement représentée: celle des songes
en quelque sorte provoqués, que l'on va rechercher dans l'enceinte d'un temple, afin
d'obtenir, par consultation du dieu, réponse à une question posée. […] désirant obtenir l'avis
d'une divinité sur un sujet précis, l'Égyptien va dormir dans un sanctuaire, certain que le
dieu lui apparaîtra dans son sommeil et lui apportera la réponse qu'il attend. D'autre part
[48]
cette réponse sera directe, et ne s'encombrera pas d'un symbolisme abscons » . Puisque
ces songes sont provoqués, comme souvent le rêve lucide, il nous faut examiner dans quelle
mesure l'incubation s'accompagne de la lucidité.

A première vue l'incubation semble assez différente de l'induction de la lucidité car elle
porte sur un contenu. C'est en effet une technique divinatoire pour connaître la volonté des
dieux, comme à Babylone, ou plus simplement pour acquérir des connaissances utiles, mais
toujours en invoquant des puissances divines, qu'il s'agisse d'avoir un rêve visionnaire ou de
guérir d'une maladie. L'induction ne vise donc pas la lucidité mais une information onirique.
Cependant, on est en droit de supposer que l'incubation, indépendamment des raisons qui la
motive, peut avoir une incidence sur la lucidité, soit parce que la forte intention d'avoir un
rêve d'un certain type conduit le rêveur à se rendre compte de son état, soit parce que la
procédure elle-même ressemble à ce que nous connaissons des méthodes d'induction de la
lucidité: « Pour avoir un rêve visionnaire, l'Ahl-E-Haqq doit en "former l'intention". Pour ce
faire, il lui faut d'abord invoquer en son for intérieur le nom de son "Roi" éternel […] et celui
de son Maître éternel […] ainsi que le nom de son Guide éternel […]. Ensuite le nom de son
"Roi" spiritu el et le nom du Maître […] et du guide […] de la famille à laquelle il s'est attaché,
et auquel il a "livré" sa tête. Puis avant de se coucher il lui faut de nouveau prononcer le nom
de son "Roi", de son [Maître], de son [guide] et de son Murshid [initiateur] terrestre et
"prendre refuge" en ces personnes. S'il n'a pas de Murshid particulier, les noms du [Maître]
et du [guide] suffisent.

« Avant de s'endormir, il ne faut pas qu'il laisse vagabonder son imagination , mais il
[49]
doit concentrer toute sa pensée sur son intention » .

Si on laisse de côté la liste des êtres invoqués, la deuxième partie de la technique,


aussi sommaire soit-elle, est une façon de s'endormir consciemment. Dans un tel cas n'est-il
pas possible que la similarité des méthodes provoque le même type de phénomène, à savoir
la lucidité ? Là encore il n'est guère possible de conclure. Mais de futures recherches qui
tiendraient compte en ce domaine du concept de lucidité onirique pourraient s'avérer
fructueuses.

III. Le rêve lucide dans l'imaginaire d'une culture


S'il est parfois possible de retrouver le rêve lucide sous une forme et dans un contexte
qui au premier abord l'occulte, il est souvent plus facile de mesurer sa présence dans les
mentalités à partir de ses occurrences dans l'imaginaire d'une culture. Ainsi des contes
édifiants, qui mettent en scène des rêveurs disposant d'une lucidité partielle, ne peuvent
certes pas tenir lieu de preuve mais indiquent nettement que l'idée de ce genre d'expérience
a été envisagée, ne serait-ce que sur un mode imaginaire, comme dans le conte suivant où le
sommeil et le rêve sont tenus pour quelque peu différents de ce qu'ils sont habituellement:
« Il y est question d'un sommeil subtil, différent, semble-t-il, du sommeil ordinaire et qui est
provoqué magiquement, dans le but de connaître des faits échappant au domaine des sens.

« Il s'agit d'un roi qui vient implorer d'un moine bouddhique la


révélation de la grande Loi des Boddhisattva:
« Le moine lui répondit: "O roi, ceux-là seuls chez qui toute
imperfection a disparu peuvent pratiquer la grande Loi des
Boddhisattva ; les autres, en vérité, ne le peuvent pas. Il est vrai, les
gens de notre sorte sont incapables de déceler en toi aucune
imperfection. Mais cherche de façon plus subtile et donne nous (tout)
apaisement."

« Sur ce, le moine lui enseigna un sommeil subtil et le roi, à


son tour, ayant eu un rêve par ce moyen, au matin, le lui exposa.
[50]
« O Maître, tout d'abord j'ai pénétré dans l'autre monde » .

Le sommeil (ou le rêve) est tenu ici pour différent du sommeil et du rêve habituels
bien qu'il en ait les caractéristiques. Ce sommeil est le produit d'une technique ("le moine lui
enseigna un sommeil subtil") qui donne au sujet le sentiment d'avoir accès à un autre monde
("j'ai pénétré dans l'autre monde"), ce qui est le sentiment même des rêveurs lucides pour
qui l'environnement onirique semble être un univers différent. Là encore cette ressemblance
ne suffit pas à poser la présence de la lucidité mais elle indique une direction de recherche.
En effet, dans la mesure où ce conte se veut édifiant, il fait peut-être référence indirectement
et de façon déformée ou amplifiée à des pratiques qui supposent effectivement une certaine
conscience de son sommeil.

Ce recours à l'imaginaire est bien plus aléatoire lorsqu'on essaie de déterminer le rêve
lucide à partir de ses éléments associés. Ainsi des rêves de faux-éveil peuvent être
rencontrés dans la littérature chinoise, tel le célèbre rêve de Pao-yu: « Pao-yu rêva qu'il se
trouvait dans un jardin identique au sien. "Serait-ce possible, se dit-il, qu'il existe un jardin
identique au mien ?" Quelques servantes s'approchèrent de lui. Pao-yu resta stupéfait:
"Quelqu'un a-t-il des servantes à tel point pareilles à […] toutes celles de ma maison?" […] il
se retrouva dans une cour qui lui apparut étrangement familière. Il gravit l'escalier et entra
dans la chambre. Il vit un jeune homme allongé. Près du lit, des filles riaient et s'occupaient.
Le jeune homme soupirait. Une des servantes dit: "A quoi rêves-tu, Pao-yu ? Es-tu
malheureux ?" - "J'ai eu un songe des plus bizarres. J'ai rêvé que j'étais dans un jardin et
qu'aucune de vous ne me reconnaissait. Vous m'avez laissé seul. Je vous ai suivies jusqu'à la
maison et j'ai découvert là un autre Pao-yu qui dormait dans mon lit."

« Entendant ce dialogue, Pao-yu ne put se contenir et s'exclama: "J'étais à la


recherche d'un Pao-yu, et c'est toi". Le jeune homme se leva, le prit dans ses bras et s'écria:
"Ce n'était pas un rêve, tu es Pao-yu." Du jardin, une voix appela: "Pao-yu". Les deux Pao-yu
tremblèrent. Le Pao-yu rêvé disparut, l'autre lui disait: "Reviens vite, Pao-yu". Pao-yu
s'éveilla. Sa servante […] lui demanda: "A quoi rêves-tu, Pao-yu, es-tu malheureux ?" - "J'ai
[51]
rêvé que j'étais dans un jardin et qu'aucune de vous ne me reconnaissait…" » .
Même si le contenu du rêve est le résultat d'une élaboration littéraire, sa structure
même (circularité, faux-éveil) peut en être abstraite afin d'examiner si des expériences
oniriques effectives y correspondent (ce que nous savons être le cas, au moins dans le
domaine occidental). En revanche, dans la mesure où le faux-éveil se réduit ici à un cadre
vide, il ne permet pas de poser par hypothèse un champ onirique qui comprendrait entre
autres le rêve lucide, car ce serait là une hypothèse au deuxième degré. Ainsi l'imaginaire ne
peut être mis à contribution que lorsque l'idée de conscience de rêver (ou de vivre une
expérience particulière dans le sommeil) y est développée de façon explicite.

Puisqu'à l'aide de certains critères le rêve lucide peut être clairement désigné dans
d'autres cultures et qu'il se laisse pressentir même là où il n'est pas décrit de façon
reconnaissable, il devrait être possible, de la même façon, de délimiter les formes que prend
la lucidité onirique dans notre culture et le rôle qu'elle y joue dans une représentation du
monde selon qu'elle est ou non acceptée.

Section II

Les formes du rêve lucide dans la culture occidentale

[1]
Toufy Fahd, "Les Songes et leur Interprétation selon l'Islam", dans Sources orientales II: Les

Songes et leur Interprétation, Serge Sauneron, Marcel Leibovici, Maurice Vieyra, et al., Seuil, Paris,

1959, pp. 125-158.


[2]
Mohammad Mokri, "Les Songes et leur Interprétation chez les Ahl-E-Haqq du Kurdistan iranien",

dans Sources orientales II: Les Songes et leur Interprétation, op. cit., pp. 189-206.
[3]
Anne-Marie Esnoul, "Les Songes et leur Interprétation dans l'Inde", dans Sources orientales II:

Les Songes et leur Interprétation, op. cit., pp. 207-247.


[4]
« One of the ways that anthropologists can contribute to the study of lucidity is to provide

classical ethnographic descriptions of dream experiences as they are defined and understood by

other cultures. By "ethnographic descriptions" I mean studies which use traditional anthropological

fieldwork techniques of participant-observation and open-ended interviewing. This involves either

literally or figuratively living with the people of a culture, or subculture, and learning to understand

the way in which they live, and experience their world, from their point of view ». Deborah Jay

Hillman and Patric Giesler, "Anthropological Perspectives on Lucid Dreaming", Lucidity Letter, 1986,

5 (1), pp. 6-25. Souligné par l'auteur.


[5]
« In 1984-85 we worked as professors in Beijing institutions of higher learning. Almost all our
students were from the Han ethnic group, the dominant Chinese "nationality" (936 million people).

Traditionally pragmatic, Han tend to regard dreams as trivial and unreliable, a tendancy reinforced

since 1949 by programmatic Marxist materialism and isolation from Western intellectual trends […].

To our students the notion of lucid dreams seemed to be completely alien and unfamiliar. In short,

the lucid dreaming reported below seems uninfluenced by Western ideas or by Han values. The

unprompted appearance of lucid dreaming in accounts collected from two separate classes during

the collection of about 50 dreams accounts from the same number of Han undergraduate and

graduate students seems therefore worth reporting […] Man in his early 20s; science student. "[…]

Sometimes I can remember the dream clearly. What is more, I often dream the same dream.

Although I can't tell it now, I know when I'm dreaming that I once dreamt this dream before that

I'm just dreaming. And I even know what's going to happen consequently ». Myrna Walters and

Robert K. Dentan, "Are Lucid Dreams Universal? Two Unequivocal Cases of Lucid Dreaming Among

Han Chinese University Students in Beijing. 1985", Lucidity Letter, 4 (1), June 1985, pp. 12-14.
[6]
« The foregoing data are consonant with the speculation that lucid dreaming is a "universal,"

found in all societies, regardless of whether it is generally valued in a society. » Ibid.


[7]
« In 1984-85 we worked as professors in Beijing institutions of higher learning. Almost all our

students were from the Han ethnic group, the dominant Chinese "nationality" (936 million people).

Traditionally pragmatic, Han tend to regard dreams as trivial and unreliable, a tendancy reinforced

since 1949 by programmatic Marxist materialism and isolation from Western intellectual trends […].

To our students the notion of lucid dreams seemed to be completely alien and unfamiliar. In short,

the lucid dreaming reported below seems uninfluenced by Western ideas or by Han values. The

unprompted appearance of lucid dreaming in accounts collected from two separate classes during

the collection of about 50 dreams accounts from the same number of Han undergraduate and

graduate students seems therefore worth reporting […] Man in his early 20s; science student. "[…]

Sometimes I can remember the dream clearly. What is more, I often dream the same dream.

Although I can't tell it now, I know when I'm dreaming that I once dreamt this dream before that

I'm just dreaming. And I even know what's going to happen consequently ». Myrna Walters and

Robert K. Dentan, "Are Lucid Dreams Universal? Two Unequivocal Cases of Lucid Dreaming Among

Han Chinese University Students in Beijing. 1985", Lucidity Letter, 4 (1), June 1985, pp. 12-14.
[8]
« The foregoing data are consonant with the speculation that lucid dreaming is a "universal,"

found in all societies, regardless of whether it is generally valued in a society. » Ibid.


[9]
« I'm going to begin by raising the question, Is "lucid dream" a valid phenomenological category

for cross-cultural research? I think that we have to be careful not to impose this Western category

of experience on non-Western cultures whose phenomenological systems may be very different

from our own. […] One of the current debates in our own effort to define lucidity is whether the

cognitive dimension - that is, the knowledge that one is, in fact, dreaming - or the experiential

dimension - the heightened state of consciousness that can be, and often is, achieved in lucid
dreaming - should be the primary criterion for calling a dream "lucid". I think it's conceivable that,

in another culture, the significant factor in an experience involving both of these characteristics

might be the particular content of the dream itself. For example, an experience of meeting an

ancestor could be what is culturally defined as the significant or important factor. Being conscious in

a dream, or aware that one is dreaming, might not be considered remarkable, but the information

imparted by the dream figure who is encountered might be regarded as important. These are just

speculations on what is possible. The less ethnocentric we are in approaching the inner worlds of

people in other cultures, the better able we are to gain insight into the cultural influences that shape

and define those worlds. And cross cultural insight is a valuable means of better understanding our

own perspective ». Deborah Jay Hillman and Patric Giesler, op. cit . Souligné par l'auteur.
[10]
« That is, you go to a culture, and you want to do an ethnographic description of a particular

series of dream experiences. You are especially interested in lucidity. But they may only have had

non-lucid dreams, yet they may describe their dreams in terms that are very much like lucidity -

because of something like sub-cultural demand characteristics. For example, if they belong to a cult,

or are of some institutionalized belief set, it may be very important to have that kind of experience

or to narrate the experience in that fashion. Thus, there may arise a formation of local narrative

around certain interpretations, certain ways of describing dreams even if you haven't had those

dreams you describe. Now that might sound lying or deceiving to you, but if you are in another

culture and you are totally absorbed in a movement, or cult, or some ritualistic context, then there

ensues an extreme pressure to fit the format and a concomitant unconsciously directed dismissal of

the process. Hence, the researcher may obtain considerable data pertaining to out-of-the-body

experiences, lucid dreams, and so forth, but these may represent the ideal and not the real. They

may well be dictated by "subcultural demand characteristics. » Ibid. Souligné par l'auteur.
[11]
Dr W. Y. Evans-Wentz (Ed.), Le Yoga tibétain et les Doctrines secrètes, ou les Sept Livres de la
Sagesse du Grand Sentier, Librairie d'Amérique et d'Orient/Adrien Maisonneuve, Paris, 1980. Dans

ce texte le narrateur s'adresse directement au lecteur.


[12]
Ibid., p. 223.
[13]
Ibid.
[14]
Ibid. Souligné par nous.
[15]
Ibid., p. 227.
[16]
Ibid., p. 229.
[17]
Ce rêve de Moers-Messmer est rapporté par Stephen LaBerge dans: "Lucid Dreaming in Western

Literature" dans: Jayne Gackenbach and Stephen LaBerge (Eds.), Conscious Mind, Sleeping Brain,

Perspectives on Lucid Dreaming, Plenum Press, New York and London, pp. 11-26.
[18]
Dr W. Y. Evans-Wentz (Ed.), Le Yoga tibétain et les Doctrines secrètes, op. cit., p. 230.
[19]
« When we begin to experience our capacity to shape the dream environment, it becomes easy

to forget that the goal consists of reconciliation with the dream elements, not a mastery over

them ». Gregory Scott Sparrow, Lucid Dreaming Dawning Of The Clear Light, A.R.E. Press, Virginie

Beach, 1976, p. 48.


[20]
« For a dreamer to remain cognizant of the fact that he is dreaming is to begin to "wake up" on

that plane, i.e., to begin to exercise his will deliberately, and to pass, on that plane and in that

world, from the condition of the helpless infant to that of the adult, and to convert that state and

plane form "dreaming" into an extension of the waking plane and state, by a corresponding

extension of faculty. » Babu Bhagavan Das, cité par Stephen LaBerge, "Lucid Dreaming in Western

Literature", dans: Jayne Gackenbach and Stephen LaBerge (Eds), Conscious Mind, Sleeping Brain,

Perspectives On Lucid Dreaming, Plenum, New York, 1988, p. 21.


[21]
« We have a phrase which is probably familiar to all of you because it appears in the popular as

well as the anthropological literature - moreso in the popular litterature, I think - and that phrase is

"dream cultures." Often those cultures which have a very high regard for dreams - the American
Indian cultures, for example - are referred to as "dream cultures." This is a reference to their degree

of involvement with dreams. » Deborah Jay Hillman and Patric Giesler, op. cit .
[22]
« and yet it's really an ethnocentric point of view. They are "dream cultures" by comparison with

Western culture in which dreams have such a low status. But from the point of view of these

cultures, dreams are not outstandingly significant in their lives - no moreso than many other

aspects of social and cultural life. In other words, although dreams play a significant role in many

aspects of their ritual and social life, these are not "dream cultures," per se, except by our

standards; that is, from a Western point of view ». Ibid. Souligné par l'auteur.
[23]
« You mentioned that the anthropologist is influenced by his or her own culture, and that this

influence extends into the research domain (i.e., when he or she goes into another culture to do a

study). That amount of influence is going to be of methodological importance in terms of how

reliable the data are that you collect, because if you influence the object of your study, imposing,

for instance, your own theoretical constructs, then of course you will only be collecting certain kinds

of data. If dreams are not so important in anthropological literature, or there is a question as to how

one connects dream studies to maintain anthropological theories, then when anthropologists go out

to the field setting, it is likely that dreaming will be very secondary or tangential to their research

aims. This is understandable; one cannot research everything. But problems do emerge later on in

cross-cultural studies and should be taken into account in any assessment of such studies". Ibid.
[24]
D'après D. Shiels, "A cross cultural survey of beliers in out-of-the-body experiences", Journal of

the Society for Psychical Research, 49, 697, 1978. Résumé par L. Watson dans Supernature, Paris,

1990, pp. 195-196.


[25]
Marcel Leibovici, "Les Songes et leur Interprétation à Babylone", dans Sources orientales II: Les

Songes et leur Interprétation, Serge Sauneron, Marcel Leibovici, Maurice Vieyra, et al., Seuil, Paris,

1959, pp. 63-85.


[26]
Pierre Bitard, "Les Songes et leur Interprétation chez les Cambodgiens", dans Sources orientales

II, op. cit., pp. 249-273.


[27]
Toufy Fahd, "Les Songes et leur Interprétation selon l'Islam", op. cit., pp. 125-158.
[28]
Pierre Bitard, "Les Songes et leur Interprétation chez les Cambodgiens", op. cit.
[29]
Michel Soymié, "Les Songes et leur Interprétation en Chine", dans Sources orientales II,, op. cit.,

pp. 275-305.
[30]
Serge Sauneron, "Les Songes et leur Interprétation dans l'Egypte Ancienne", dans Sources

orientales II, op. cit., pp. 17-61.


[31]
Toufy Fahd, "Les Songes et leur Interprétation selon l'Islam", op. cit.
[32]
Jean-Paul Roux, "Les Songes et leur Interprétation chez les Peuples altaïques", dans Sources
orientales II, op. cit., pp. 159-172.
[33]
Mohammad Mokri, "Les Songes et leur Interprétation chez les Ahl-E-Haqq du Kurdistan iranien",

dans Sources orientales II: Les Songes et leur Interprétation, op. cit., pp. 189-206.
[34]
Michel Soymié, "Les Songes et leur Interprétation en Chine", op. cit.
[35]
Marcel Leibovici, "Les Songes et leur Interprétation à Babylone", op. cit.
[36]
Ibid.
[37]
Toufy Fahd, op. cit.
[38]
Certains sujets ne notent que leurs rêves lucides et se désintéressent de leurs rêves ordinaires

soit dès le début, soit en cours d'expérimentation.


[39]
Toufy Fahd, op. cit.. Souligné par l'auteur.
[40]
Coran, 42, 50-51, cité par Toufy Fahd, op. cit.
[41]
Raymond De Becker, Les Rêves ou les machinations de la nuit, Editions Planète, Paris, 1965, p.

30,
[42]
Ibid., p. 40.
[43]
Ibid., p. 52. Souligné par nous.
[44]
Lucien Lévy-Bruhl, La Mentalité primitive, PUF, Paris, 1960, p. 96. Souligné par nous.
[45]
Ibid., p. 101.
[46]
Ibid., pp. 99-100.
[47]
Ibid., pp. 109-110.
[48]
Serge Sauneron, "Les Songes et leur Interprétation dans l'Egypte Ancienne", dans Sources

orientales II, op. cit., pp. 39-40. Souligné par l'auteur.


[49]
Mohammad Mokri, "Les Songes et leur Interprétation chez les Ahl-E-Haqq du kurdistan iranien",

dans Sources orientales II: Les Songes et leur Interprétation, op. cit., pp. 198-199.
[50]
Anne-Marie Esnoul, "Les Songes et leur Interprétation dans l'Inde", dans Sources orientales II:

Les Songes et leur Interprétation, op. cit., p. 228.


[51]
Roger Caillois, Puissances du rêve, le Club français du livre, Paris, 1962, p. 88.
Chapitre Sept
Le rêve lucide comme phénomène culturel

Section I

Le rêve lucide dans la représentation du monde des cultures


non occidentales
[Suite]

Section II

Les formes du rêve lucide dans la culture occidentale


La représentation du monde en occident n'est pas culturellement homogène eu égard au rêve
lucide (ou aux formes qu'il prend lorsqu'il n'est pas reconnu comme un phénomène à part entière).
Nous avons vu que le rêve lucide n'acquiert une dimension conceptuelle qu'avec Hervey de
Saint-Denys et van Eeden . Bien qu'il ait été connu avant ces auteurs (notamment par Aristote et
Descartes), le phénomène n'a apparemment pas d'existence officielle avant eux, ce qui l'amène sans
doute à prendre des formes déguisées mais culturellement intégrées. Si certaines d'entre elles sont
repérables, d'autres ne se révèlent pas de façon évidente et supposent une ligne de recherche
particulière.

En effet, même si l'étude du rêve lucide comme phénomène culturel en occident concerne une
expérience rapportée comme véridique, cette dernière est recueillie, comprise, classée, véhiculée,
interprétée et probablement déformée par le contexte ambiant ou par une tradition. La façon dont le
phénomène vécu est accueilli dépend en effet du contexte dans lequel il est utilisé. Nous avons vu que
le rêve lucide rapporté par saint Augustin ne se comprend pour lui que dans un système de
représentations propre à son époque et que si nous sommes capables d'y voir un rêve lucide, pour le
rêveur cette lucidité est tout à fait accessoire et ne sert qu'à assimiler les perceptions oniriques à celles
d'une existence post mortem, assimilation qui ne saurait convaincre des chercheurs modernes comme
le montre par exemple la réaction du psychophysiologiste Stephen LaBerge: « Grâce à quoi nous dit
saint Augustin, les doutes du rêveur furent entièrement dissipés. Il faut bien reconnaître que la force
de l'argument - sinon celle du rêve - se trouve quelque peu diminuée par l'idée, couramment admise,
[1]
que c'est le cerveau du dormeur qui produit l'expérience du rêve » .

Nous ignorons cependant quelles déformations a pu subir le récit d'une expérience utilisée, de
plus, dans un contexte religieux. Mais, même lorsqu'elle est de première main, il n'est pas sûr que le
rêve lucide soit plus facile à saisir en tant que tel puisque le rêveur lui-même l'intègre dans des cadres
préétablis qui lui permettent de s'en donner une explication, comme en ce qui concerne les
benandanti . Toutefois, même un cadre déformant rend la recherche plus aisée qu'une absence de
cadre. Si en effet aucune structure ne permettait au rêve lucide de se manifester dans un contexte
social, le phénomène disparaîtrait sans laisser de trace.

La place que tient le rêve lucide dans notre culture dépend avant tout du type de
reconnaissance qui lui est accordé. Nous avons vu que, tant qu'il était associé à des phénomènes
parapsychologiques (donc rares), son étude ne pouvait être réellement menée. Ce n'est que lorsqu'on
s'est rendu compte d'une part qu'il s'agissait d'un phénomène naturel reproductible à l'aide de
méthodes d'induction et d'autre part qu'on pouvait l'observer en laboratoire, que des expérimentations
réellement fructueuses ont pu être envisagées. Cependant, le premier type de reconnaissance affecte le
deuxième en ce sens que les connotations qui lui sont liées en raison de son contexte peuvent passer
de l'un à l'autre, mais cette fois sur un plan culturel (ainsi la plupart des chercheurs qui, en dehors de
leurs travaux universitaires, ont consacré des ouvrages destinés à un public plus large, se sont sentis
obligés d'y traiter - ne serait-ce que pour en faire la critique - de thèmes parapsychologiques qu'ils
n'abordent pourtant jamais par ailleurs).

Cette difficulté n'est qu'un cas particulier du problème de l'engouffrement de conceptions sans
rapport avec le rêve lucide par lui-même dans la brèche que constitue la reconnaissance du
phénomène. A partir du moment où le rêve lucide est défini, décrit et qu'on peut aussi bien en recueillir
des témoignages que faire des expérimentations à son sujet, on constate des tentatives pour le mettre
en rapport avec des phénomènes avec lesquels il n'a pas de liens essentiels. Certains, par exemple,
ont voulu faire du rêve lucide le lieu de phénomènes religieux ou mystiques tandis que d'autres y ont
[2]
vu l'invasion du surmoi . Ce phénomène de débordement est, d'une certaine façon, normal, car les
"visions du monde" concernant la psyché (qu'elles soient religieuses, psychanalytiques ou autres)
doivent alors intégrer le nouveau phénomène, et elles le font soit sur le mode du rejet, soit sur celui de
l'assimilation à une catégorie déjà recensée (du moins dans son fonctionnement). Ces conceptions sont
plutôt un frein qu'un outil utile pour l'exploration du phénomène. En effet, indépendamment de la
valeur qu'on leur accorde, le rêve lucide n'y est pas plus intéressé que le rêve ordinaire. On pourrait
même dire qu'il l'est moins dans la mesure où la lucidité rend justement le rêveur moins crédule
vis-à-vis de son environnement et plus susceptible de se former sa propre représentation de son
univers intérieur.

Donc un double écueil se présente: d'une part le risque d'annexer comme rêve lucide des
phénomènes qui ne rentrent pas dans son cadre (et inversement de rejeter ce qui pourrait en être, en
raison d'une conception trop étroite) ; d'autre part l'exploration peut être également gênée, sur le plan
méthodologique, par l'adoption de moyens théoriques inadéquats. Cette double difficulté suggère une
approche particulière. Les diverses représentations du monde qui font une place au rêve lucide (ou à
ses formes de substitution) se groupent en deux catégories différentes selon que le concept en est
admis ou non. Mais, même si cette reconnaissance s'inscrit dans l'histoire de la recherche, l'aspect
historique n'a qu'un rôle indirect dans la mesure où il ne concerne qu'un cercle très restreint de
chercheurs. Cette démarcation permet néanmoins de poser les questions utiles pour organiser la
recherche. Nous avons déjà vu que la première question qui surgit spontanément concerne la forme
sous laquelle le rêve lucide se manifeste dans la vision du monde occidental lorsqu'il n'est pas connu
comme tel. Celle qui en découle logiquement concerne alors ce que la reconnaissance du rêve lucide
transforme dans cette représentation et le nouvel équilibre qui en résulte. Cet examen exige donc un
double mouvement qui consiste, d'une part, à débusquer le rêve lucide là où il se cache et, d'autre
part, à examiner son rôle là où il se manifeste à visage découvert, qu'il s'agisse d'une manifestation
individuelle récente ou culturellement prolongée.

§ 1. Lorsque le phénomène est refusé


Il convient en effet de se demander ce qui se produit culturellement pour un phénomène naturel
comme le rêve lucide lorsqu'il n'a pas sa place dans la vision du monde d'une culture telle que la nôtre.
Nous avons vu qu'il se manifeste rarement ou apparaît dans des contextes qui ne le reconnaissent pas.
Si donc le phénomène en vient à se manifester naturellement, la tendance tout aussi naturelle sera soit
de le refuser, soit de lui donner un autre statut que le sien, ce qui peut aboutir à une véritable faille
culturelle. Quand, en effet, les rêves lucides ne peuvent pas être reconnus pour ce qu'ils sont alors
qu'ils se manifestent, il semble assez logique que ceux qui les expérimentent leur confèrent une réalité
(les considèrent par exemple comme des sorties hors du corps effectives) tandis que ceux qui ne les
ont pas vécus y voient une irréalité (c'est-à-dire une forme de confusion mentale). Cela aboutit à deux
représentations du monde dont l'une intègre comme réalité ce que les autres qualifient d'imaginaire,
situation apparemment habituelle depuis l'Antiquité et particulièrement sensible de nos jours à une
époque où le développement des sciences rend ce contraste plus marquant. Tant que le rêve lucide ne
sort pas de cette position doublement fausse, ses manifestations ne peuvent être comprises
rationnellement que comme des formes de délire, qu'il soit personnel ou organisé.

I. Le délire personnel
Que la manifestation de la lucidité en rêve puisse apparaître comme une forme de délire, cela se
[3]
comprend d'autant mieux qu'elle est liée à l'imaginaire . Si donc le rêveur lucide croit à une sortie
réelle hors du corps pendant le sommeil, comme par exemple Muldoon, la qualification de "délire" va
de soi pour celui qui ne partage pas la même représentation du monde (et cette qualification semble
d'ailleurs tout aussi justifiée aux yeux de la plupart des chercheurs sur le rêve lucide). Cette confusion
est de fait assez facile à cerner en ce qu'elle est souvent invérifiable, et il est généralement aisé d'en
démontrer l'aspect délirant dans les rares situations où les sujets pensent pouvoir obtenir une
vérification, comme dans le cas suivant: « Celia […] est une célibataire de 24 ans. Lorsqu'elle fut
examinée pour la première fois, elle présentait les symptômes d'une schizophrénie aiguë. Ayant
abandonné l'Université, elle s'était droguée: haschisch, mescaline et L.S.D., pendant plusieurs années.
Deux ans plus tôt, elle avait rejoint l'ashram d'une commune Sikh dirigée par un Américain adepte du
Yoga de la Kundalini. On lui apprit entre autres à participer à des expériences [extra-corporelles]. Elle
se projeta un jour chez son frère, qui habitait à 800 km de là. A sa grande horreur, elle fut envahie par
le désir de le tuer, lui et ses deux enfants, avec un couteau. "J'ai dû être possédée… peut-être par le
diable", déclara-t-elle. Elle lança un appel téléphonique désespéré chez son frère et apprit que tout
allait pour le mieux. Incrédule et stupéfaite, elle s'enfuit de l'ashram et fut récupérée par la police qui
l'adressa finalement à un psychiatre. Peu familiarisé avec les aspects ésotériques de son cas, il la traita
aux tranquillisants, qu'elle refusa de prendre.

« Il n'y a ici aucune preuve d'intervention psi. Ce fut d'évidence un simple délire. Mais,
contrairement aux cas de délires paranoïdes fixés, Celia accepta d'emblée une interprétation prudente
de son expérience: elle avait raté le "vrai truc", c'est-à-dire la véritable [expérience extra-
[4]
corporelle] » .

A la lumière de ce que nous savons du rêve lucide, la conscience que le sujet avait de son
expérience semble être une lucidité par négation, assez forte pour qu'elle se rende compte que son
expérience différait de son état normal, mais trop faible pour qu'elle comprenne à ce moment qu'elle se
trouvait en train de rêver ou pour qu'elle puisse contrôler son image onirique. Ce qui fait de cette
expérience un délire, c'est avant tout la croyance (sur le moment) en la réalité d'une telle expérience,
mais son attitude subséquente indique que ce sujet aurait peut-être pu développer la lucidité s'il avait
eu connaissance du phénomène et éviter ainsi une expérience traumatisante. Comme on le voit sur cet
exemple, la qualification de délire s'applique à la confusion du sujet quant à son expérience, mais elle
ne rend pas compte du degré de lucidité lui-même: si en effet le sujet n'avait pas fait preuve d'une
lucidité par négation, l'expérience lui serait apparue rétrospectivement comme un rêve et serait restée
sans effet sur son psychisme.

Cependant, si la confusion des sujets les amène à méconnaître la nature réelle de leur
expérience et, par là, à délirer, cette même méconnaissance n'est pas sans effet sur le comportement
de ceux qui ont à s'occuper de sujets ayant vécu de telles expériences. Ainsi, un sujet peut
parfaitement être lucide en rêve - et s'en étonner - sans pour autant "réifier" son expérience. Dans de
telles conditions où il n'y a à aucun moment délire, la façon dont peut se conduire un tiers dont la
représentation du monde n'inclut pas le rêve lucide est tout aussi révélatrice de cette faille culturelle.
Un cas nous a été rapporté d'une jeune femme qui, s'étant trouvée lucide spontanément dans une série
de rêves, en a éprouvé une surprise telle qu'elle en a parlé à son médecin. Ce dernier estimant cette
situation anormale lui prescrivit des tranquillisants jusqu'à ce qu'elle fût suffisamment "calmée" pour
que le phénomène ait disparu. Une telle prescription n'a pas été faite en fonction d'une anomalie
psychique puisque la patiente ne souffrait d'aucun trouble répertorié, mais plutôt en fonction de la
représentation mentale du praticien qui ignorait l'existence d'un phénomène naturel.

La faille culturelle atteint donc aussi bien les sujets des expériences que ceux qui ne les vivent
pas, dans la mesure où ils font tous une interprétation inadéquate du phénomène, ce qui les conduit
dans les deux cas à des attitudes peu conformes avec la situation. Elle s'accentue encore lorsque les
sujets qui ont vécu le même type d'expériences tentent de leur donner une cohérence qui se
transforme alors en véritable "délire organisé".

II. Le délire organisé


Nous avons dit que l'aspect délirant repose, dans le cas d'une expérience de lucidité pendant le
sommeil, sur la réification des événements oniriques qui résulte d'une interprétation erronée de la
conscience que le sujet a de l'expérience. De ponctuel ce délire peut s'étendre à un nombre étendu
d'individus prêts à accepter le même type d'interprétation de leur expérience, ce qui va même parfois
jusqu'à donner des sortes de mouvements de pensée qui, par leurs spéculations, rendent la
reconnaissance du rêve lucide encore plus difficile et accentuent les clivages existants concernant la
représentation du monde. Si déceler des phénomènes de lucidité onirique dans de tels contextes
s'avère difficile, cela n'est néanmoins pas impossible lorsqu'on prend connaissance des mécanismes
d'organisation de ces délires.

Cette organisation provient souvent d'un besoin de comprendre qui ne dispose pas de réels
moyens pour y parvenir et se rabat sur des explications de substitution. Dans ce cas, il n'est pas rare
que des expériences vécues soient comparées à ce qui est offert dans d'autres cultures ou traditions et
aussitôt assimilées à ces phénomènes qui s'inscrivent dans une structure (ce qui satisfait le besoin
d'unité de l'esprit humain). Des croyances sans rapport avec le phénomène sont alors adoptées en
cette occasion et parfois ces croyances secondaires font à leur tour intrusion dans le monde onirique,
rendant la reconnaissance de sa nature réelle délicate, même pour des chercheurs qui n'acceptent un
tel cadre que de façon temporaire.

Le délire n'a cependant pas nécessairement besoin de se référer à des modèles précis pour
s'organiser. Il peut croître de lui-même en s'appuyant sur des moyens aussi ténus que des croyances
populaires. Ainsi nous avons vu que les benandanti étaient persuadés qu'ils combattaient les sorcières
la nuit pour préserver les récoltes, ce qui renvoie en fait à de vieilles traditions rurales. Il peut
également s'appuyer sur des éléments de type religieux existant dans la culture pour se justifier. Les
rêves lucides deviennent alors des "visions" ou des expériences spirituelles, comme c'est
manifestement le cas pour certaines expériences de Swendenborg.

« Il m'arriva des choses bien étranges ; je fus pris de forts frissons -


comme lorsque le Christ me fit la grâce divine - l'un après l'autre, et jusqu'à 10
à 15 de file. J'attendais d'être jeté sur la face comme la fois précédente, mais
cela n'eut pas lieu ; lors du dernier frisson, je fus élevé en l'air et je sentis de
mes mains un dos que je palpai tout entier ainsi qu'en-dessous, la poitrine ;
aussitôt il se coucha et je vis par devant le visage également, mais très sombre.
Alors je me mis à genoux, me demandant si je devais me coucher à côté, mais
cela ne se fit pas, comme si cela n'eût pas été permis ; tous les frissons
remontaient du bas du corps jusqu'à la tête. Cela se passait au cours d'une
vision où je n'étais ni veillant ni dormant, car j'avais toute ma tête ; c'était
[5]
l'homme intérieur, séparé de l'extérieur, qui ressentait cela. »

Dans ce texte nous avons apparemment affaire à un rêve lucide. Swedenborg dit qu'il ne veillait
ni ne dormait "car j'avais toute ma tête". Il ajoute cependant ensuite qu'il s'éveille (« Quand je fus tout
[6]
à fait éveillé […] » ), ce qui indique qu'il se situait bien dans le sommeil. D'ailleurs cet état est à un
autre endroit reconnu explicitement comme relevant de la conscience de rêver:

« Toute la nuit, pendant environ 11 heures, je ne fus ni dormant ni


[7]
veillant, dans une étrange torpeur, je savais tout ce que je rêvais. »

De plus les phénomènes qu'il décrit rappellent les tremblements oniriques ("je fus pris de forts
frissons"), le vol ("je fus élevé en l'air") et la sortie hors du corps (il palpe un autre corps à côté duquel
il est tenté de se coucher), autant d'éléments qui sont monnaie courante dans les rêves lucides.

Swedenborg ne fait pas de différence entre le contenu de ces états "ni dormant ni veillant" et
ses rêves. Il les considère comme des sortes d'indications sur sa position spirituelle et les interprète
dans ce sens. Pourtant il se pourrait que ces éléments oniriques soient un effet de la lucidité par
négation. Certains sujets vivent le même type d'expérience sans lui donner de contenu religieux.

« Voici une expérience des plus inhabituelles. Après m'être "élevé" sans
difficulté, et avoir réussi à me maintenir dans la même pièce, je rassemblai le
courage nécessaire pour revenir et examiner soigneusement le corps physique
étendu sur le lit. J'évoluai lentement dans la semi-obscurité. (La seule lumi ère
éclairant la pièce était celle de la lune. Je ne voyais pas très bien et cela valait
mieux. On éprouve une certaine répulsion à la vue de son propre corps
physique.) Je tendis la main vers ma tête physique et ma main toucha mes
pieds! Je crus tout d'abord que je m'étais trompé et je tâtai mes orteils. Mon
gros orteil gauche a un ongle épais parce qu'une lourde bûche l'a écrasé
plusieurs années auparavant. Ce gros orteil (gauche) n'avais pas d'ongle épais.
Tout était donc inversé, à l'instar d'un reflet renvoyé par un miroir. Je remontai
le long du corps mais au-dessus des orteils il me fut impossible de déterminer si
[8]
le reste du corps était également inversé. […] »

Les expériences de Swedenborg et de Monroe, le sujet de ce dernier récit, présentent des


éléments similaires. Tous deux défient la pesanteur (Swedenborg est "élevé en l'air" tandis que
Monroe s'élève de lui-même) ; tous deux entrent en contact avec un corps qu'il leur est donné de
toucher (Swedenborg sent de ses mains un dos et une poitrine qu'il palpe ; de son côté Monroe palpe
le corps en remontant à partir des orteils) ; tous deux distinguent ce corps dans une demi-pénombre.
Ce sont donc là des expériences semblables probablement induites par le degré de conscience qui est
ici une lucidité par négation. Mais alors que Swedendborg donne un sens religieux à la position de son
corps onirique par rapport au corps observé, Monroe tient le corps observé pour le corps physique qu'il
vient de quitter. Nous avons donc deux interprétations d'un même phénomène, ce qui montre que,
parmi ceux qui connaissent ces expériences, des divisions radicales peuvent se produire.

L'acceptation d'un système de représentations peut se révéler extrêmement difficile à


surmonter, même pour un sujet qui a pris conscience de l'aspect onirique de certaines de ses
expériences lucides. Ainsi on peut constater que dans les rêves de Fox - qui, nous l'avons vu, n'utilise
le cadre d'un mouvement de pensée (la théosophie) que d'un point de vue pratique - sont induits des
phénomènes qui relèvent d'un corps de croyances précises et se trouvent rarement chez d'autres
rêveurs lucides. Un fait intéressant peut néanmoins être constaté: l'émergence de ces croyances en
rêve semble aller à l'inverse de la qualité de la lucidité.

Mon ami Barrow et moi-même étions convenus qu'il tenterait, dans son
sommeil, de projeter son véhicule astral afin de m'apparaître, dans ma chambre
à coucher. A la suite de quoi, j'eus l'expérience suivante:

Je rêvai que j'étais dans le hall principal de l'université de Hartley et que


j'y rencontrais ma mère. Cela ne me surprit pas. Je savais très bien que j'étais
en train de rêver, quoique je ne sache pas dire comment je le savais. Je dis à
ma mère que j'attendais une visite astrale de Barrow et qu'il me fallait entrer
dans ma chambre à coucher pour l'attendre. Aussitôt, je fus saisi et comme
entraîné par un courant invisible qui me ramena à mon corps. Je me réveillai -
ou du moins j'eus l'impression certaine d'être éveillé - et je me sentis très
ennuyé de cette terminaison abrupte de l'expérience.
"Si seulement j'étais resté dans le rêve" pensai-je, "j'aurais pu attendre
ici (dans la contrepartie astrale de ma chambre), et je l'aurais rencontré ; mais
maintenant, même s'il vient je ne le verrai pas, car je suis éveillé, et je ne suis
pas voyant".

A ce moment je pris conscience de deux choses: (1) Un changement


subit, presque imperceptible, s'était produit dans l'atmosphère. Elle paraissait
chargée d'attente et raréfiée (la sensation "d'avant l'orage", intensifiée) ou
peut-être comprimée. Elle semblait être maintenue sous tension par quelque
force inconnue. (2) La porte de ma chambre, qui jusqu'alors avait été fermée,
se trouvait entrouverte, laissant filtrer une faible lumière dorée.

J'avais tout juste eu le temps de noter cela quand - littéralement en un


éclair - mon ami fut là. Il apparut instantanément dans un nuage ovoïde de
lumière d'un blanc bleuté. Il était debout près de mon lit et me regardait
gravement. Il était vêtu d'une robe blanche (c'était peut-être sa chemise de
nuit). Mes yeux s'étant remis de l'éblouissement causé par son apparition
subite, je vis qu'à l'intérieur de l'ovale blanc bleuté, il était environné de bandes
de couleur: rouge foncé, rouge rosé, violet, bleu, vert marin et orange pâle. A
l'exception de la dernière, je ne me souviens pas de quelle façon ces diverses
couleurs étaient disposées, mais l'orange pâle était centré sur la tête, jaillissant
vers le haut en un rayon conique vertical qui montait jusqu'au plafond. Étant
couché là, sur le côté gauche de mon lit à deux places, je me sentais paralysé,
non de peur, mais d'étonnement et d'admiration. Il ne parlait pas, mais je
sentais mentalement qu'il me disait de ne pas m'effrayer. Il faut se souvenir
que tout cela ne dura que quelques instants. Tandis que je tentais de passer
outre à mon étrange inertie pour m'adresser à lui, il s'évanouit aussi
brusquement qu'il était venu.

Je me retrouvai allongé dans le noir, pleinement éveillé, me semblait-il,


mais avant que ma surprise de le voir disparaître aussi brutalement se soit
calmée, un nouveau phénomène retint mon attention. Dans l'air, au-dessus du
lit, comme projeté par une lanterne magique, apparut un cercle de lumière
jaune. Dans ce cercle se trouvaient trois personnages, un homme et deux
femmes, jouant une pièce de théâtre dans le style "l'éternel triangle". Ces
personnages avaient une taille d'environ un mètre, ils portaient des vêtements
modernes et la coloration était parfaite, mais je ne me souviens pas du décor à
l'arrière plan. Je n'entendais pas vraiment leurs paroles, mais je savais,
mentalement, ce qu'ils disaient. Cette scène parut durer plusieurs minutes.
Faute de place, je n'entrerai pas dans les détails. L'affaire se termina lorsque
l'une des femmes porta un coup de couteau à l'autre. Mentalement, j'entendis le
cri strident de la victime et le choc que cela produisit en moi mit fin à la transe.
La scène s'évanouit instantanément. J'étais maintenant éveillé pour de bon,
[9]
allongé sur mon lit, fixant l'obscurité.
A la lumière de ce que nous savons du rêve lucide, et de ce que dit Fox lui-même, il est facile de
décrire cette expérience: il s'agit d'un rêve lucide suivi d'un faux-éveil. Dans la première partie du
récit Fox se sait en train de rêver ("Je savais très bien que j'étais en train de rêver") tandis que dans la
deuxième il croit se réveiller. Ce rêve de faux-éveil est typique dans la littérature sur le rêve lucide en
ce que, par son contenu, il continue le précédent dans lequel le sujet annonce à sa mère qu'il attend la
visite "astrale" de son ami Barrow. Mais, une fois en faux-éveil, cette visite, incubée dans son
imagination à l'état de veille, ne ranime pas en lui la lucidité, pas plus que d'autres phénomènes
étranges tels que celle d'un cercle de lumière dans lequel se joue un petit drame en couleurs. Il ne se
rend compte de l'état de faux-éveil qu'une fois éveillé, ce qui indique bien l'absence de lucidité.
Pourtant, assez curieusement, il tend à attribuer une sorte de réalité à une expérience qui du point de
vue conscientiel relève du rêve ordinaire: « Du point de vue scientifique, la porte entrouverte,
l'apparition de Barrow et la scène de théâtre peuvent toutes être considérées comme des illusions,
survenues en état de transe, c'est-à-dire que ces phénomènes n'avaient pas d'existence sur le plan
physique, dans la vie éveillée. Du point de vue occulte, toutefois, l'apparition de Barrow, enveloppé
dans l'œuf aurique, peut avoir été un fait réel, aussi vrai, sur le plan de la manifestation, que n'importe
quel phénomène physique du monde terrestre. Pour les occultistes, le fait que Barrow lui-même n'ait
aucun souvenir de sa projection n'ôterait rien à l'authenticité de la chose ; la présence d'une aura bien
marquée confirmerait plutôt qu'il s'agissait bien d'une projection et non d'une forme-pensée de ma
propre fabrication. A cette époque, je n'avais de l'aura qu'une idée très vague et je n'aurais
[10]
certainement pas imaginé l'apparition de Barrow telle qu'elle se présenta » .

Ce qui pousse Fox à supposer que l'expérience a eu une certaine réalité ce n'est pas le résultat
d'une vérification (Barrow n'avait, dit-il, aucun souvenir de l'expérience) mais la présence d'un élément
appartenant justement à la représentation du monde théosophique (l'œuf aurique). On peut même
constater que, plutôt que de s'interroger sur l'utilité de prendre en considération un tel élément, Fox se
place d'emblée dans une controverse à l'intérieur de ce contexte ("la présence d'une aura bien
marquée confirmerait plutôt qu'il s'agissait bien d'une projection et non d'une forme-pensée de ma
propre fabrication"). Le mécanisme de l'influence semble donc le suivant: la croyance en un système de
pensée induit dans le voisinage de la lucidité des rêves qui renforcent cette croyance et conduisent le
sujet à penser dans son contexte. Mais le seul moyen de s'assurer de leur validité serait que le rêveur
dispose d'une lucidité complète, ce qui n'est pas le cas ici. Si de telles illusions se produisent en dehors
du rêve lucide, elles n'en ont pas moins lieu dans son voisinage, ce qui rend la distinction entre le
phénomène lui-même et ce qui l'entoure parfois délicate.

Plus que le modèle, ce qui nous importe est la façon dont le délire s'organise à partir de lui. Ce
délire organisé peut avoir un effet très puissant sur les esprits, analogue à l'effet de
suggestion hypnotique puisque la certitude se nourrit de l'idée que d'autres ont connu le même type
d'expériences et qu'ils en ont tiré la même conclusion, à savoir que le modèle est justifié. Or, si
l'expérience ne peut être mise en cause, ce n'est pas le cas du modèle - et loin que l'expérience justifie
le modèle, c'est ce dernier qui obscurcit le premier. Mais pour comprendre cette impasse, encore faut-il
que le rêve lucide soit reconnu comme expérience psychologique à part entière.

§2. Lorsque le rêve lucide est connu et conceptualisé


Lorsque le rêve lucide acquiert un statut conceptuel, le clivage entre ceux qui lui donnaient un
statut erroné et ceux qui lui refusaient l'existence cesse d'avoir un sens puisque le conflit portait sur
une interprétation. Le même phénomène était interprété soit comme une réalité (une sortie hors du
corps par exemple) soit comme une irréalité (un délire), et ces deux types d'interprétation masquaient
l'expérience conscientielle qui les sous-tend et qui se situe en deçà de la qualification de réalité. En
effet, avant qu'une expérience puisse être qualifiée de réelle ou d'irréelle, il faut d'abord qu'elle ait
effectivement lieu pour une conscience. Ainsi, alors qu'autrefois la qualification de réalité pouvait
entraîner le rejet de l'expérience dans son ensemble, maintenant l'expérience peut être prise en
considération dans sa phénoménalité même. Par exemple, dépouillés de leur contexte de croyances, la
sortie hors du corps ou le voyage astral se révèlent avant tout des expériences conscientielles qui, en
tant que telles, ne peuvent être rejetées tandis que les croyances ou même les hypothèses accolées à
leur contenu n'ont pas nécessairement de support. On constate par exemple que les chercheurs qui
s'intéressent au rêve lucide en laboratoire ne sont généralement pas les mêmes que ceux qui étudient
la sortie hors du corps, qu'ils ne se posent pas les mêmes questions et n'utilisent pas les mêmes
[11]
méthodes .

De la même façon ceux qui vivent ces expériences se trouvent désormais disposer d'une
approche plus ouverte parce que leur laissant le choix des croyances à adopter. Il est en effet
compréhensible que, en l'absence de toute référence, un rêve de sortie hors du corps provoque la
croyance à la sortie effective puisque c'est phénoménologiquement ce qui est vécu. Cette croyance
peut évidemment être testée (et donc invalidée) mais on sait que si aucune occasion ne se présente
d'en douter, il n'y a non plus aucune raison que le test soit effectué car la croyance est pour le sujet un
[12]
fait . Si, en revanche, le sujet qui vit de telles expériences prend connaissance de travaux sur le
rêve lucide, il peut relativiser sa croyance en s'apercevant qu'elle n'est qu'une hypothèse parmi
d'autres et décider de la vérifier avant de l'adopter. Dans bien des cas la connaissance du rêve lucide
comme phénomène aide les sujets à surmonter les contradictions impliquées dans certaines
expériences où, apparemment, ils sortent de leur corps, et à se débarrasser des constructions
intellectuelles complexes destinées à en expliquer les anomalies. Donc l'abord de ce type d'expérience
d'un point de vue conscientiel permet aussi bien de la conceptualiser avant toute interprétation que de
corriger des interprétations acquises. Il aide à confronter les tenants d'interprétations différentes sans
que la coupure entre eux soit radicale puisqu'il constitue un terrain d'entente sur lequel tous peuvent
[13]
s'accorder . Cependant l'existence de ce terrain d'entente n'empêche pas les réductions ni les
amplifications abusives qui apparaissent souvent dans de telles situations et qui rendent parfois difficile
une évaluation correcte des arguments en faveur de telle ou telle interprétation.

I. Les tentatives de réduction


Si l'apparition du rêve lucide comme expérience reconnue et conceptualisée réduit la faille
culturelle, elle n'y met pas fin d'emblée. On constate tout d'abord des deux côtés des tentatives pour,
soit le réduire à ses propres conceptions, soit l'y subordonner.

Les cas de réductions radicales sont en fait des moyens de nier le phénomène dans son
existence en y voyant une erreur d'interprétation. On a ainsi cherché à ramener le rêve lucide au rêve
en expliquant qu'il s'agissait d'un rêve de rêve, d'un rêve dans le rêve ou d'une illusion de conscience
ou même d'une illusion rétrospective, explications qui, nous l'avons vu sont par principe
contradictoires. On a également voulu ramener le rêve lucide à l'éveil en l'expliquant par un
[14]
micro-éveil au cours du sommeil (Schwartz et Lefebvre) ou en le ramenant à l'état hypnagogique .
De leur côté les partisans de la sortie hors du corps ont souvent considéré que le rêveur lucide était
hors de son corps sans comprendre sa situation.

L'aspect "subordinateur" tient compte de la spécificité du rêve lucide mais s'efforce de l'intégrer
dans un des systèmes de croyances mentionnés pour, en quelque sorte, en relativiser l'impact. Ainsi
nombreux sont ceux qui, tout en acceptant l'existence du phénomène, y voient une anomalie dans le
fonctionnement du psychisme, ce qui est une manière d'indiquer qu'il ne correspond pas à la
représentation qu'ils en ont. Ou alors on lui fait jouer une fonction prévue par des théories antérieures
sur le rêve mais qui est, pour le rêveur lucide, manifestement inadéquate. Les partisans de la sortie
hors du corps, de leur côté comprennent souvent le rêve lucide comme un état de transition vers cette
expérience, ce qui, nous l'avons vu, ne correspond pas non plus aux récits recueillis. La hiérarchisation
des phénomènes peut donc être réductrice, elle est sans doute, plus subtilement que la réduction pure
et simple, une façon d'ignorer le phénomène.

On peut d'ailleurs remarquer que la reconnaissance de l'existence du phénomène n'entraîne pas


ipso facto son étude, même lorsque les moyens d'une telle recherche existent. Mais lorsque son
exploration commence réellement, d'autres réactions tout à fait opposées aux précédentes, mais tout
aussi extrémistes, apparaissent et l'on se trouve en présence d'une amplification non justifiée, voire de
mystifications.

II. Les amplifications


L'évolution de la recherche sur le rêve a de plus en plus amené à le considérer comme un
élément fondamental de la vie humaine, en raison des rôles qu'on lui a attribués dans l'économie de la
psyché ou de l'importance qu'on lui a donnée dans le fonctionnement physiologique humain. Cette
évolution entraîne insensiblement l'élaboration d'hypothèses qui dépassent souvent le cadre de
l'observation. Lorsque ces hypothèses prennent la forme de convictions, on se trouve en présence
d'amplifications. Dans le cas du rêve lucide elles consistent à lui donner une importance ou un rôle qu'il
ne remplit pas nécessairement, même si des occurrences favorables peuvent être mises en évidences.
Cela revient à s'appuyer sur quelques rêves lucides isolés pour attribuer à l'ensemble des qualités qui
ne sont pas généralisables. Ce phénomène est particulièrement net chez ceux qui cherchent à
l'exploiter ou qui lui attribuent une valeur de type mystique.

Pour les mentalités actuelles, on peut dire que le rêve sert à quelque chose même si les
théories ne s'accordent pas sur la définition de ce rôle. Cette idée d'une utilité du rêve s'est
naturellement transmise au rêve lucide. La conviction que le rêve remplit une fonction entraîne celle
que le rêveur conscient de rêver peut aider à son accomplissement. Mais une question se pose
immédiatement: selon quelle méthode ? L'interprétation, par exemple, concerne un rêve déjà fait. A
l'inverse, un rêve en cours incite plutôt à l'action. Mais quelle action entreprendre ? Il se trouve que,
concrètement, les modèles fonctionnels du rêve n'en proposent aucune utilisation pratique immédiate
pour la lucidité et que ces méthodes doivent être totalement inventées. Dans certains cas, elles le sont
en fonction de recherches de type scientifique. Mais en l'absence provisoire de modèles éprouvés, les
tentatives se rabattent nécessairement sur des schémas anciens ou appartenant à d'autres cultures
pour les mettre à l'épreuve de ce nouvel outil. Peu importe même qu'ils appartiennent à l'imaginaire, ils
fournissent un mode d'approche du rêve lucide qui, après tout, ne relève pas nécessairement d'un
mode de pensée scientifique. De tels schémas sont donc avant tout pragmatiques. Ils s'appuient sur
le phénomène du rêve lucide plus pour en tirer parti que pour l'étudier pour lui-même. Ils cherchent à
en obtenir des satisfactions dans le rêve même ou pour la vie quotidienne.

Dans le premier cas il s'agit de créer un imaginaire conforme à ses désirs, c'est-à-dire,
finalement, de rêver pour se faire plaisir. Cette intention ressort en filigrane dans beaucoup d'études.
L'idée que l'on puisse se débarrasser de ses mauvais rêves contient en elle-même celle que l'on peut
aménager ses rêves en fonction de ses souhaits (dès le début, les récits d'Hervey de Saint-Denys ou de
Mary Arnold-Forster vont dans ce sens). Cette attitude des rêveurs correspond, au-delà de tout schéma
culturel, à un besoin de liberté par rapport aux contraintes de l'état de veille. Néanmoins le résultat
pourrait apparaître peu acceptable dans la mesure où, bien que possédant une qualité perceptive, il
demeure imaginaire. Aussi, assez spontanément, certains rêveurs tentent également de mettre à
contribution leurs rêves lucides pour optimiser leur situation à l'état de veille. Cette attitude spontanée
est encore présente chez les premiers rêveurs lucides et particulièrement chez ceux qui ont cherché
[15]
dans leurs rêves une inspiration artistique, par exemple .

Nous avons déjà vu que les résultats obtenus posent quelques problèmes, à la fois en terme
d'interprétation et aussi parce qu'ils n'ont pas fait l'objet d'une réelle étude statistique, les cas
spectaculaires étant mis en avant sans que soient mentionnés les échecs. De plus, cette tentative
d'utilisation tâtonnante, indépendamment des résultats qu'elle croit pouvoir obtenir, se heurte à un
problème de méthode. Pour satisfaire ses fantaisies en rêves ou en obtenir une aide, il faut souvent
plus qu'un simple souhait. L'inertie du rêve le montre, ou la maladresse du rêveur lucide, comme dans
le cas d'une femme écrivain qui voulait travailler lucidement en rêve sur son livre:

« Je ne donnai aucune consigne spécifique … (néanmoins) je devins deux


personnes: Le Moi écrivain et le Moi réel. Cela ne me parut pas bizarre, car nous
avons en nous beaucoup de personnalités différentes, et, d'autre part, je crois
vraiment que le Moi qui écrit n'est pas le même que le Moi réel. Nous avions
une conversation. L'écrivain était assis devant un bureau. Je m'en souviens
parfaitement: c'était un bureau à l'ancienne, de style Franklin et de petite taille,
dont le bois était tout entaillé par un long usage. L'écrivain était en train d'écrire
quelque chose sur le papier … Le moi réel se pencha par-dessus son épaule et
se mit à lire. J'étais curieuse de l'histoire que l'écrivain était en train de noter et
je me souviens d'avoir fait des commentaires, mais aussi d'avoir reconnu
l'intrigue. L'écrivain me dit:

« - Caroline, tu devrais mettre ça sur le papier toi-même. Ça ferait une


bonne histoire.

« - C'est quelque chose que j'ai déjà écrit, rétorquai-je.

« L'écrivain: - Oui, mais tu l'as fait sur un petit bout de papier, comme
d'habitude, et tu l'as jeté sans l'utiliser.

« Le Moi réel: - Non, je suis sûre que je m'en suis servie. Je l'ai dans
mon cahier.

« L'écrivain: - Puisque je te dis que non! Je t'en prie, réveille-toi et note


cette histoire de nouveau.

« Le Moi réel: - Mais je suis certaine de l'avoir déjà utilisée!

« L'écrivain: - Caroline, s'il te plaît, réveille-toi maintenant, écris et cesse


de discuter.

« Ce fut la fin du rêve. Je me réveillai presque en sursaut, sachant que


j'avais quelque chose à écrire. Mais là, j'avais un problème, car je ne me
souvenais plus du tout de l'histoire. Je repris mes bouts de papier et mes
diverses notes. Je savais que si je tombais dessus je reconnaîtrais tout de suite
ce plan, mais je ne le trouvai pas. En fait, je suis certaine que j'avais vraiment
[16]
jeté ce qu'on me demandait d'écrire » .

Il manque au rêveur une sorte de mode d'emploi que le rêve lucide ne fournit pas, ou du moins
qu'il ne peut probablement fournir, s'il existe, qu'avec l'expérience et la recherche.

Face à de telles situations, on comprend que les sujets empruntent des modèles à d'autres
cultures, non pour en adopter la philosophie, mais pour bénéficier de méthodes oniriques qu'ils
supposent éprouvées par des générations de rêveurs. Ainsi s'explique, par exemple, la tentative de
Garfield de s'inspirer des Sénoïs pour élaborer une série de règles de conduite à respecter en rêve pour
en obtenir le maximum de profit. Garfield, guidée par la lecture de Kilton Stewart, croit en effet la vie
des Sénoïs réglée par leurs rêves au sein desquels ils agissent consciemment: « De la naissance à la
mort, toutes les activités sont largement déterminées par les rêves individuels. Les enfants les
décrivent dès qu'ils commencent à parler. Les aînés - père, mère, grands-parents, frères et sœurs -
tous félicitent l'enfant d'avoir eu un rêve et de le rapporter. Ils l'interrogent sur son
comportement onirique, lui signalent ses erreurs, le complimentent s'il a adopté l'attitude appropriée ;
ils le questionnent sur les événements passés en rapport avec le rêve, le conseillent sur la manière de
[17]
modifier sa conduite dans les rêves futurs » .

Lorsque toute une culture semble déjà connaître les conduites appropriées face aux différentes
situations oniriques rencontrées par le rêveur lucide, il semble assez normal d'en adopter les règles en
ce domaine, voire de les systématiser: « Récapitulant ces recherches, j'ai formulé trois grandes règles
qui s'appliquent à toute une variété de situations oniriques. La première consiste à affronter et
vaincre le danger. […] La seconde règle générale rejoint la première, mais vise un objet différent:
rechercher le plaisir. […] La troisième règle est celle que j'appelle aboutir à une issue positive
[18]
» . On voit ici nettement que l'adoption d'un tel système ne se fonde pas sur une expérimentation
personnelle qui serait très longue à mettre en place. Elle se justifie sans doute par la nécessité de
s'orienter dans le monde onirique mais risque de se cristalliser en croyances qui influenceront le
contenu du rêve lucide lui-même - ce qui s'est révélé être le cas pour la méthode sénoï dont
l'entraînement onirique sortait de l'imagination de Stewart: Garfield rapporte dans son ouvrage une
série de rêves, d'elle-même ou de ses sujets, qui sont "typiquement" sénoïs. En réalité, quel que soit le
modèle adopté, il semble bien devoir donner des résultats, que l'on se fie aux écrits de Castaneda ou
même aux procédés d'incubation de l'Antiquité.
L'intérêt de ces modèles se situe peut-être ailleurs, plus précisément dans ce qui se dégage de
leur acceptation. Ils posent en effet que le rêveur peut être conscient de rêver et s'appuient
implicitement sur deux principes: l'imaginaire onirique est modifiable et il a une valeur pour la vie de
veille. Toutefois, si le rêve se conforme à ces principes, cela ne signifie pas que ces derniers en
donnent la raison d'être, mais simplement que le rêve peut répondre à ce type d'attente. Vouloir faire
de l'exploitation du rêve sa finalité relève d'un rétrécissement du champ de compréhension. En effet
ces deux principes (ou même un seul des deux) sont ceux qui guident la recherche des rêveurs lucides
pragmatiques. Le modèle adopté ne l'est donc que parce qu'il correspond aux principes recherchés, et
non pas uniquement parce que la lucidité y intervient.

La prise en compte du rêve lucide comme phénomène culturel en marge de la recherche ne se


cantonne pas aux systèmes pragmatiques où l'on cherche à obtenir une action sur le réel. Le rêve
lucide, dès son apparition, s'est inséré dans des contextes religieux. Son rôle y est assez différent.
Dans les systèmes pragmatiques le rêve lucide est avant tout un moyen de parvenir à un but et n'est
finalement pas tant considéré pour lui-même que pour ce qu'il permet d'obtenir. Dans un contexte
religieux, au contraire, le rêve lucide n'est plus un moyen en vue d'une fin, mais un phénomène qui
apparaît sur le chemin d'un itinéraire spirituel, et qui est accueilli différemment en fonction du système
de croyances de l'itinérant. Il ne fait pas l'objet à proprement parler d'une utilisation, en ce sens qu'on
[19]
ne cherche pas à le provoquer , mais plutôt d'une réaction: des attitudes précises sont à envisager
lorsqu'on le rencontre, attitudes qui dépendent des croyances adoptées.

Que le rêve lucide, pendant longtemps ignoré, puisse être envisagé assez brutalement comme
un accès ou un obstacle au divin, cela apparaît moins étonnant dès qu'on se rappelle que le rêve
ordinaire lui-même a longtemps joué un tel rôle - et continue à le faire dans certaines religions encore
existantes en Occident. Dès lors le rêve lucide soit continue à remplir cette fonction dans certaines
croyances parce qu'il est un rêve, soit remplace le rêve ordinaire dans le rôle divin qu'il a perdu dans
les mentalités. Les attitudes sont à cet égard de deux types: pour certains les rêves lucides sont des
messages donnant des indications d'origine surnaturelle tandis que pour d'autres c'est la présence
même de la lucidité qui se révèle être l'indication que le rêveur est parvenu à un certain degré de son
cheminement mystique (degré qualifié de progression par les uns et de régression par les autres). Ces
deux situations ne sont pas incompatibles, mais on peut néanmoins les étudier séparément.

Dans le cas où la lucidité onirique n'est pas considérée comme étant d'essence mystique mais
joue néanmoins un rôle dans des rêves d'origine surnaturelle, deux possibilités se présentent. Selon la
première, pour laquelle le rêve est souvent un message ou un signe divin qu'il faut recevoir ou
interpréter, la lucidité permet au rêveur de reconnaître la valeur du message au moment où il surgit.
L'importance de ce phénomène réside dans le fait qu'au sein du rêve le contact avec la surnature n'est
pas différé, même s'il doit être traduit: la lucidité rapproche du divin. D'une certaine façon il doit sans
doute en aller ainsi parce que la nature même de la révélation religieuse le suppose. Lorsqu'en effet le
rêveur a un rêve qu'il considère comme une manifestation surnaturelle, il sait qu'il n'est pas dans un
état normal et, de ce fait, il bénéficie au moins d'une lucidité par négation. Mais alors la croyance en la
nature divine du rêve est peut-être due à une lucidité incomplète et même causée par elle, de la
même façon qu'une lucidité incomplète peut causer la croyance en la sortie hors du corps. Dans ce cas,
c'est le contenu du rêve qui décide avant tout de son caractère, et la lucidité par négation n'est pour le
rêveur qu'un élément dont il peut ne pas prendre complètement conscience.
En revanche, si le sujet lucide considère que son état de conscience lui permet de se rapprocher
du divin, cette conviction entraîne d'elle-même une modification du contenu onirique pour lui offrir une
gamme d'expériences particulières du fait de la plasticité du rêve. Le rôle de la lucidité est alors
différent: sa seule présence suffit à garantir la qualité surnaturelle de l'expérience. Si, en effet, le rêve
se modifie au moment du souhait, on comprend que le sujet aura tendance à penser qu'il s'est infléchi
en fonction de ce qui est souhaité plutôt qu'en raison du souhait lui-même.

« Je suis assis devant un petit autel sur lequel il y a des figurines. Je vois
un bœuf. Je détourne momentanément les yeux et quand je regarde à nouveau,
à la place du bœuf, je vois un dragon. Je commence à comprendre que je rêve.
Je tourne la tête en décidant que, cette fois, je verrai sur l'autel la forme la plus
élevée qui soit. Lentement je me retourne et j'ouvre les yeux. Sur l'autel, il y a
la figure d'un homme en méditation. Une immense vague d'émotion et
d'énergie me saisit et m'emporte. Je me lève d'un bond et je sors de la maison
[20]
en courant, fou de joie » .

Plutôt que de voir dans le souhait un mécanisme indépendant du sens qu'il véhicule, le rêveur
tendra à interpréter les résultats obtenus en rapport avec ce sens, même s'ils ont une apparence
différente - car ce qui en réalité entraîne sa conviction est la modification de la scène onirique à la suite
de son souhait plus que l'apparition de tel ou tel élément déterminé.

Ainsi dans les deux cas la lucidité joue un rôle, mais ce n'est pas le même. Dans le premier elle
met en relief le contenu du rêve, dans le deuxième elle souligne la modification de ce contenu. L'impact
sur le rêveur n'est pas non plus le même puisque dans le premier cas l'adéquation du contenu à
l'imaginaire religieux est plus important que dans le deuxième. On comprend alors que, lorsque le
contenu obtenu coïncide avec une lucidité totale, le sujet peut se croire en contact direct avec le divin.

Ce genre de situation nous informe sur un aspect important de l'étude du rêve lucide. Dans
l'attitude religieuse, même prudente, la lucidité se trouve être ce qui transforme le rêve en vision, en
commandement divin, alors que jusqu'à présent nous avions vu qu'elle était ce qui permet de
reconnaître dans le rêve les fantaisies de l'imagination. Cette dualité peut paraître contradictoire. La
réponse la plus simple consisterait à dire qu'il s'agit de systèmes de croyances différents concernant les
rêves et ne s'appliquant pas aux mêmes personnes. La lucidité onirique ne dissout pas les croyances de
l'état de veille et le fait de se savoir en train de rêver, au lieu de réduire la valeur accordée à une
expérience mystique en rêve peut au contraire lui donner un poids plus grand. La lucidité n'est donc à
aucun moment un jugement sur le monde, elle ne permet au rêveur que d'être conscient de sa
situation, sans plus. Cette réponse va en partie de soi puisque, finalement, l'attitude du rêveur lucide
envers ses rêves dépend non de la lucidité mais bien de la valeur qu'il leur accorde. Hervey de
Saint-Denys n'aurait jamais pensé à utiliser ses rêves pour résoudre des questions de type
psychanalytique, tandis que ce fut la première préoccupation de Paul Tholey. Ce fait est
particulièrement marqué dans les systèmes imaginaires où le contenu prime absolument sur la lucidité,
malgré le rôle de cette dernière.

Ceux qui pensent que certains rêves peuvent indiquer où en est le rêveur quant à sa
progression spirituelle ont parfois considéré le rêve lucide comme une indication de degré. La raison en
est facile à comprendre. En effet, les rêves religieux, traditionnellement, présentent certaines
caractéristiques qui les distinguent des rêves ordinaires et que l'on retrouve également dans les rêves
lucides. Par exemple les vision religieuses sont souvent rapportés comme particulièrement lumineuses,
tel le rêve de Joseph Smith, fondateur de l'Église mormone:

« Une lumière comme celle du jour, mais plus pure et plus glorieuse en
apparence et en brillance, remplit soudain la pièce ; la première impression, en
fait, fut que la maison était remplie d'un feu qui la consumait. Cette apparence
produisit un choc qui affecta le corps tout entier. En un instant, un personnage
se tenait devant moi, entouré d'une gloire encore plus grande que celle qui
[21]
m'environnait déjà. »

Or, nous l'avons vu, la lucidité a tendance à augmenter la luminosité et la clarté du rêve, et
parfois même à y introduire des effets de lumière (tels ceux décrits par Gillespie). Ainsi les rêves
lucides ont une apparence plus "mystique" que les rêves non lucides dont l'aspect est plus
"conventionnel".

Ce genre de constatation peut inciter à rechercher le rêve lucide comme un cadre favorable à
des expériences mystiques, et bien des rêveurs ont tenté cette expérience. Parmi eux certains pensent
que la lucidité est à la fois la marque d'une progression et un état qu'il faut dépasser mais ils ne
s'accordent pas nécessairement sur les moyens d'y parvenir. Sparrow estime, par exemple, que le
rêveur lucide doit s'abandonner au divin: « Il nous faut dépasser le sens par trop rigide de notre
indépendance. Lorsque nous parvenons à le faire, nous évoluons au-delà du rêve lucide pour accéder à
un autre niveau de conscience [...]. A son sommet, cet acte d'abandon de soi semble identique à ce
que les grands mystiques ont décrit depuis des siècles. C'est peut-être l'élément commun à toutes les
religions - un niveau de conscience dans lequel l'individu se trouve uni à une force irrésistible d'une
telle ampleur qu'il se sent fondre en elle et qu'il est élevé, au-dessus de la conscience normale.
[22]
« Le rêve lucide paraît conduire le rêveur bien plus près de cet état » .

Sparrow associe nettement ses rêves lucides avec une attitude religieuse "passive". Pour lui le
rêve lucide est le fruit de la méditation mais cette dernière doit être recherchée pour elle-même, sinon
le rêve lucide ne se manifeste pas. Il y a un glissement progressif mais net dans son livre de l'analyse
jungienne à l'attitude religieuse pure. Dans un tel cas ce n'est pas la lucidité qui transforme le rêve en
expérience divine. Elle est plutôt un sous-produit de la recherche du divin. Dans une représentation du
monde où le divin interpénètre la veille (vision) ou le rêve (d'où lucidité éventuelle), la lucidité se perd
dans un ensemble où elle joue un rôle secondaire. Mais comment en vient-on à une telle conception ?
Apparemment l'expérience du rêve lucide favorise l'émergence d'un imaginaire religieux déjà bien
constitué (ce qui semble net dans le cas de Sparrow qui cite Edgar Cayce à plusieurs reprises). Mais
cette façon de voir ne fait pas l'unanimité parmi les esprits mystiques.

Certains d'entre eux ont au contraire vu dans le rêve lucide un moyen d'avancer vers le divin
hors des contraintes de la vie quotidienne.

« Je rêve déjà depuis un moment lorsque je deviens conscient de rêver.


Je me souviens que j'ai le désir de voir Jésus ; je m'assieds donc et commence
à méditer. Je me concentre sur le sommet de ma tête, au chakra de la
couronne. Soudain, au lieu que ce soit Jésus qui vienne à moi, j'ai comme le
sentiment d'être emporté vers lui. J'ai la sensation d'une vitesse incroyable,
comme si j'étais projeté hors de l'univers à une allure qu'il m'est impossible de
décrire. Pendant que je suis ainsi propulsé à travers la galaxie, la sensation de
[23]
vitesse devient si grande que je me réveille et sors du rêve » .

Le sujet avait l'intention de voir Jésus avant même d'entrer en rêve lucide. Il se sert donc de sa
lucidité comme tremplin d'une expérience mystique qui, sans sa décision ni l'action qu'il entreprend,
pourrait être d'une facture onirique normale. Ainsi ceux qui tentent ce genre d'expérience ne
considèrent pas que le rêve lucide soit nécessairement la marque d'une évolution mais y voient avant
tout un moyen. A la différence de Sparrow, le sujet utilise le rêve lucide en vue d'une telle expérience
et, par conséquent, son attitude envers le phénomène est plus prudente car il laisse de ce fait une
place à des phénomènes oniriques ordinaires (non déclenchés par un souhait).

Maintenant doit-on considérer que les résultats obtenus par le rêveur sont d'essence spirituelle
? En fait la simple lecture du récit ne permet aucune interprétation en ce sens. On trouve ici le
mécanisme que nous avons indiqué plus haut: le rêveur constate une modification du contenu onirique
à la suite de son souhait et la tient pour une réponse à ses désirs, peu importe son contenu. Or, ce
même contenu (déplacement à très grande vitesse) existe aussi bien dans des rêves lucides
"ordinaires". L'attitude envers l'expérience peut donc varier selon les conceptions et entraîner des
conclusions très différentes. Cette relativité nous permet de dire que la lucidité ne suffit pas à
transformer le rêve en vision divine ou en expérience mystique et que d'autres facteurs non
immédiatement apparents jouent un rôle décisif. En définitive, il semble bien que le facteur
prédominant soit la croyance en une surnature à laquelle la lucidité vient apporter une caution
inespérée (aussi bien Sparrow que le sujet du dernier récit de rêve pratiquent la méditation dans un
but religieux).

On peut même aller plus loin et remarquer que, lorsque le contexte de l'imaginaire religieux
n'est pas présent, le rêve lucide "du divin" ne débouche pas sur des phénomènes remarquables et
parfois même semble contredire ce qui est cherché. Certains sujets qui essaient d'explorer cette
dimension par simple curiosité obtiennent en effet des résultats peu encourageants, quelle que soit
[24]
l'interprétation qu'ils en donnent (comme par exemple Gackenbach dans un rêve déjà cité ). La
lucidité et le mysticisme n'ont rien de corrélatif.

Le double écueil de la réduction et de l'amplification ne peut en fait être évité que par un
changement de mentalité à l'égard du rêve lui-même. Les amplifications surgissent quand le
phénomène est plus fermement établi dans son existence et sa spécificité. Mais alors, on remarque une
tendance à lui attribuer une portée qui dépasse ce que l'expérimentation permet d'en dire à un moment
donné. C'est donc bien un mouvement inverse à la réduction, mais tout aussi occultant.

La lucidité onirique est vite apparue comme un outil thérapeutique efficace et c'est
probablement l'enthousiasme suscité par les résultats obtenus qui lui a fait accorder des possibilités
dont l'étendue reste pourtant incertaine. S'il est vrai, par exemple, que la lucidité permet d'affronter
efficacement les cauchemars, de dialoguer avec des parties de sa psyché, d'obtenir une réponse
créative à des questions techniques ou artistiques, ou même de vivre des expériences de type
mystique, rien ne prouve que cette possibilité soit systématique. Nous avons dit que ce serait là une
généralisation indue à partir de quelques expériences puisque ces résultats, lorsqu'ils sont recherchés
en rêve lucide, n'apparaissent pas nécessairement. Or, il arrive que, dans ce domaine, lorsque les
[25]
succès obtenus sont mis en avant, rien n'est dit des échecs , à tel point qu'on peut déceler une
[26]
tendance à penser au rêve lucide en terme de finalité . On pourrait tout autant tirer argument des
échecs rencontrés que des succès pour conclure de façon inverse. En fait, aucune généralisation n'est
encore possible car, si des pages entières de tableaux statistiques sont consacrés aux résultats
d'induction de la lucidité ou aux traits de personnalité des rêveurs lucides, très peu de choses ont été
faites pour évaluer les résultats d'une utilisation créative du rêve lucide ou la fréquence des
expériences mystiques. Cette amplification est finalement à sa façon une tentative de réduction plus
subtile que les précédentes puisqu'elle voit dans le rêve lucide une sorte d'expérience en devenir qui
devrait nécessairement évoluer vers les possibilités sur lesquelles on met l'accent (ainsi Sparrow ou
Gackenbach voient dans la lucidité onirique un processus d'évolution spirituelle).

Cependant une telle "évolution" ne se rencontre pas dans la littérature sur le sujet. Les tenants
de l'amplification soutiendront sans doute, d'une part, que le corpus de rêves lucides n'est pas
suffisamment étendu pour être probant et, d'autre part, que la transformation doit être guidée. Mais,
dans ce cas, cette objection tombe d'elle-même et il semble tout aussi absurde de prétendre supposer
une évolution du rêve lucide que de dire que ce dernier constitue l'étape suivante du rêve ordinaire, ce
qu'il n'est manifestement pas puisque les deux types de rêves coexistent chez le même sujet. Si les
échecs existent autant que les réussites, cela signifie non pas que le rêve lucide ne permet pas
d'atteindre les résultats proposés, mais simplement que ces possibilités n'appartiennent pas par
essence au rêve lucide. Vouloir associer nécessairement ces possibilités à la lucidité onirique relève
donc bien d'une amplification aussi peu justifiée qu'une réduction. Elle s'explique le plus souvent par le
désir de trouver un moyen permettant d'aller dans une certaine direction, ce qui, sans être a priori
inexact, indique néanmoins un autre type de subordination du phénomène. Or, ce genre d'attitude peut
s'avérer tout aussi faussant que la réduction - dans la mesure où l'on accole au rêve lucide des
éléments qui ne lui appartiennent pas en raison de sa nature - et par là orienter la recherche dans une
[27]
impasse . C'est donc plutôt une évolution des mentalités qu'il faut espérer à ce sujet.

En effet les tentatives de réduction se manifestent quand le phénomène est nouveau et


bouleverse des ensembles de conceptions qui lui sont préexistants et qui ne le comprennent pas. Les
tentatives d'amplification pour leur part semblent dépasser le champ dans lequel se situe le
phénomène, comme si le recul des anciennes conceptions constituait pour l'esprit une liberté trop
grande pour lui permettre de situer nettement sa pensée. Dans une culture qui aurait pleinement
intégré le rêve lucide, l'image du phénomène serait à coup sûr différente. Cette image est, pour
l'instant, impossible à entrevoir, mais l'attitude de certains sujets pour qui le rêve lucide est un élément
de la vie quotidienne (et donc déjà intégré dans leur représentation du monde) peut nous donner à une
échelle réduite, une idée de ce que serait une intégration plus étendue.

On peut constater que des sujets pour qui le phénomène est d'une manifestation quasi
quotidienne depuis l'enfance, tel Hervey de Saint-Denys, ont tendance tout autant à le relativiser qu'à
[28]
le banaliser . Relativiser un phénomène consiste à reconnaître la place qu'il occupe parmi une série
de phénomènes avec lesquels il a des liens nécessaires, et non pas accidentels. Les rapports avec des
phénomènes accidentels (extrasensoriels, mystiques ou autres) sont très peu signalés et généralement
[29]
pas du tout chez la plupart des familiers des rêves lucides . Le lien le plus évident pour eux est celui
du rêve. Hervey de Saint-Denys considérait si naturellement sa lucidité comme s'insérant dans le rêve
qu'il n'avait jamais classé ses rêves lucides à part. Leurs observations se situent toujours sur le terrain
du rêve lui-même. On peut constater également que ces rêveurs présentent généralement d'autres
types d'états de conscience particuliers tels que les états hypnagogiques, la facilité à entrer dans le
rêve éveillé, à se souvenir de leurs rêves. Ils ont donc tendance naturellement à ranger le phénomène
[30]
dans une gamme d'états de conscience qui leur est familière . Cette relativisation conduit parfois à
une certaine banalisation. Pour eux le rêve lucide n'a rien d'exceptionnel (Hervey de Saint-Denys fut
surpris de se rendre compte de l'inadéquation des théories de son époque) et la possibilité de l'utiliser
peut donc ne pas leur apparaître s'ils ne sont pas au fait de recherches particulières.

Plus profondément, la tendance à l'amplification s'explique par le fait que, lorsque les anciennes
représentations du monde s'affaiblissent en raison de l'introduction d'éléments nouveaux, la limite
entre la réalité objective et l'imaginaire devient temporairement plus floue et la difficulté à discerner
nettement une nouvelle frontière entraîne des distorsions spéculatives. Ainsi se présentent comme des
faits des éléments qui n'en sont pas mais qu'on n'a pas les moyens de circonscrire sur le moment.
L'amplification se nourrit alors de modèles empruntés à des domaines précédemment ignorés (cela est
assez net pour les partisans de "l'évolution" du rêve lucide dans un sens mystique). En d'autres termes,
des possibilités jusqu'alors non envisagées ou relevant de l'imaginaire acquièrent brusquement une
autre dimension du fait de la découverte du rêve lucide comme expérience effective ; et ce dernier
apparaît alors, à tort ou à raison, comme un moyen d'accès à ces nouvelles possibilités.
L'amplification surgit lorsqu'on fait de ces types d'expériences la raison d'être du rêve lucide. Il y a
donc des systèmes de pensée souvent empruntés à des visions du monde hétérogènes et qui engluent
l'approche du rêve lucide, systèmes véhiculés aussi bien par l'ethnologie que par la recherche religieuse
et parfois même influencés par l'imaginaire manifeste.

§ 3. Le rêve lucide dans l'imaginaire occidental


L'étude de la présence du rêve lucide dans l'imaginaire occidental va au-delà de la simple
nécessité de faire converger un faisceau d'indices renforçant l'hypothèse de son existence à certaines
époques. Elle montre avant tout que le rêve lucide est bien un concept possible et que ce concept
prépare la compréhension du phénomène avant qu'il ne soit découvert. Mais, plus encore, elle montre
que ce qui entoure ce concept dans le domaine imaginaire explique en grande partie les amplifications
auxquelles il est soumis. Ainsi, il semble utile de trouver l'origine des conceptions imaginaires pour
déterminer le degré subséquent de distorsion possible. Si aucune structure ne permet au rêve lucide de
manifester son existence, il peut encore apparaître dans le seul cadre de l'imaginaire avec un minimum
de distorsion puisqu'il est par lui-même en marge de la réalité reconnue. Cette manifestation est le plus
souvent littéraire dans la mesure où il s'agit de relater un rêve. En témoigne par exemple un poème de
Baudelaire, Rêve parisien.

De ce terrible paysage,

Tel que jamais mortel n'en vit,

Ce matin encore l'image,

Vague et lointaine me ravit.


Le Sommeil est plein de miracles!

Par un caprice singulier

J'avais banni de ces spectacles

Le végétal irrégulier,

Et, peintre fier de mon génie,

Je savourais dans mon tableau

L'enivrante monotonie

Du métal, du marbre et de l'eau. […]

Architecte de mes féeries,

Je faisais, à ma volonté,

Sous un tunnel de pierreries


[31]
Passer un océan dompté ; […]

Ce poème indique une expérience de rêve lucide. Le rêveur y est conscient que le décor est de lui
et en manie les éléments au gré de sa volonté. Ce texte ne permet pas d'affirmer que Baudelaire a eu
ce rêve lucide précis, mais pourrait indiquer l'existence chez l'auteur de l'expérience du rêve lucide en
elle-même d'autant qu'il revendique ce rêve: « En rouvrant mes yeux pleins de flammes / J'ai vu
[32]
l'horreur de mon taudis […] » .

Il y a donc un double niveau de difficulté dès que l'on cherche la manifestation du rêve lucide
dans l'imaginaire. Le premier est d'en repérer des indices, puisque le rêve lucide n'est pas donné en
tant que tel, ni même en tant que phénomène particulier comme dans le cas précédent où la structure
d'accueil met l'accent sur la particularité de son contenu. Le deuxième est que cette manifestation ne
peut nous renseigner que sur le principe de l'expérience, non sur ce qu'elle a été effectivement. On
mesure plus son impact sur l'art que l'intensité du phénomène. Mais cet impact nous indique en retour
l'étendue du phénomène qui se manifeste par le biais de l'imaginaire alors même qu'il semble absent
de toute étude scientifique précise.

Ces difficultés disparaissent dès que la référence à une expérience personnelle possible s'efface.
En effet, lorsque le phénomène surgit dans l'imaginaire pur, et non à partir de ce qui renvoie à une
expérience vécue possible mais artistiquement transformée, il n'est repérable que s'il est relativement
explicite, car il ne peut désigner que lui-même. Il est intéressant alors de savoir comment il est compris
et décrit, et même ressenti indépendamment de toute référence.

Les deux accès principaux au rêve lucide dans l'imaginaire occidental supposent donc des
approches différentes. Dans un cas on retrouve dans un récit appartenant à l'imaginaire des marques
indiquant une expérience réelle dont on essaie de comprendre comment elle a été vécue (l'impact
affectif chez Baudelaire est très net) et transposée, en tenant compte des règles du genre auquel elle
ne sert que d'élément. Dans l'autre, les récits de rêves lucides sont provoqués non par une expérience
personnelle mais par une sorte de mémoire culturelle où ce genre de phénomènes est déjà présent et
dans laquelle puisent les écrivains. Il est alors intéressant de constater sous quelle forme ils utilisent un
phénomène qui n'est pas pour eux une expérience directe et de la comparer à l'expérience possible afin
d'évaluer le degré de transformation du phénomène. Cependant une telle investigation suppose résolus
des points encore obscurs.

Comment, en effet, s'opère l'évaluation d'un phénomène imaginaire comme relevant du rêve
lucide ? S'appuyer sur les caractéristiques que nous avons déjà rencontrées semble aller de soi, mais
ce n'est guère suffisant lorsqu'il s'agit de rechercher des manifestations (par essence) du rêve lucide
[33]
dans un contexte qui lui est étranger . Ne risque-t-on pas en effet de "construire" le phénomène
cherché en sélectionnant certains détails au détriment d'autres ? Ainsi le rêve de Bellérophon peut-il
être classé comme une manifestation du rêve lucide dans l'imaginaire ?

« Ce fut son père qui, jadis, voulant, près des ondes de Pyrène, dompter
Pégase, fils de la Gorgone couronnée de serpents, éprouva de si rudes fatigues
avant que la vierge Pallas lui eût apporté un frein orné de bandelettes d'or. Elle
lui dit (c'était un songe qui sur-le-champ devint une vision véritable): "Tu dors,
roi, fils d'Éole! Prends ce frein qui charmera l'animal rebelle, et présente-le à
ton père, dompteur des coursiers, avec le sacrifice d'un taureau blanc."

« Telles furent les paroles que la vierge armée de la noire égide parut
adresser au héros livré pendant la nuit aux douceurs du sommeil. Il se lève, il
s'élance, et, trouvant près de lui le frein miraculeux, il court plein de joie au
prophète de la contrée et raconte au fils de Coeranus toute l'aventure:
comment, pour obéir à sa parole inspirée, il s'est pendant la nuit couché sur
l'autel de la déesse, et comment la fille de Jupiter dont le bras lance la foudre
[34]
lui a donné le frein d'or, le frein vainqueur ».

Que ce rêve soit imaginaire, cela est indiqué par le genre du récit et même par l'irréalité de ses
éléments. Mais dans quelle mesure peut-on distinguer des éléments irréels de ceux qui renvoient à une
expérience effective possible ? A première vue, le rêve de Bellérophon devrait pouvoir être considéré
comme une manifestation du rêve lucide dans l'imaginaire: l'aspect conscientiel s'y trouve présent
puisqu'un personnage onirique lui rappelle son état (« Tu dors, roi, fils d'Éole! ») et le texte même
précise bien que le rêveur était « livré pendant la nuit aux douceurs du sommeil » ; mais, d'un autre
côté, ce "rêve" déborde dans la réalité physique par la présence d'un apport. Dès lors, peut-on
attribuer à ce récit le caractère de rêve lucide ? Un problème de méthode se pose en effet. Si on doit
faire abstraction de certains éléments non conformes à ce que nous savons du rêve lucide et isoler le
phénomène, l'abstraire en quelque sorte, d'un récit plus complexe, ne risque-t-on pas de voir, par une
illusion de perspective, le phénomène là où il n'est pas ?

Le problème peut d'ailleurs se poser dans l'autre sens. Si, en raison de la présence d'éléments
apparemment non conformes à la lucidité onirique et à son cadre connu, on refuse au récit imaginaire
l'appellation de rêve lucide, ne risque-t-on pas de passer à côté d'une caractéristique qui peut se
comprendre dans une perspective différente ? Par exemple le rêve de Bellérophon appartient à un récit
imaginaire et l'apport d'une bandelette d'or pourrait se comprendre comme l'indication non pas de la
description d'un phénomène possible dans sa structure, mais d'une attitude du rêveur quant à sa
perception du monde onirique. Ainsi il arrive effectivement qu'un rêveur soit tellement fasciné par le
sentiment de réalité que lui procure l'environnement onirique qu'il tente d'en ramener quelque chose,
même si intellectuellement il sait que ce n'est pas possible.

Un jour, j'eus l'idée folle d'essayer de "rapporter quelque chose" de ce


monde pour me donner une preuve positive de son existence. Je me trouvais
assis à une table de conférence avec un groupe d'hommes. Comme je ne
parvenais pas à entendre ce qu'ils disaient, je me mis à jouer avec un crayon
que j'avais pris sur la table, devant moi. Je sentais très distinctement sa forme,
sa dureté, et il me vint à l'idée de le rapporter dans le monde de la veille. Je le
saisis fermement et le serrai dans mes doigts, commençant aussitôt à me
concentrer sur mon corps. Je sentis que je quittais la salle de conférence,
distinguant vaguement les contours de ma chambre. Je commençai aussi à
retrouver la sensation d'être allongé sur mon lit, mais en regardant le crayon, je
vis qu'il devenait de plus en plus petit. Je le serrai donc aussi fort que possible
et il me sembla qu'il cessait de diminuer, mais en même temps je voyais bien
que je n'arrivais à rien. J'étais comme suspendu entre deux mondes. A regret,
je laissai partir le crayon. La salle de conférence disparut et je me retrouvai
[35]
entièrement revenu dans mon corps - sans le crayon, hélas!
[36]
Une telle attitude, dans un rêve pleinement lucide , est plutôt rare mais guère impossible, et
de plus on peut la trouver sous une autre forme dans des cas de lucidité peu développée, lorsque le
rêveur essaie par exemple de déplacer des objets pour vérifier s'ils auront bien changé de place à son
réveil. Ainsi le phénomène apparemment "en plus" (ici l'apport) peut être considéré selon une autre
perspective, comme la matérialisation imaginaire d'une attitude psychologique réelle au cours d'un rêve
lucide. La présence de certains éléments imaginaires demande donc une interprétation en termes
psychologiques et la capacité d'interprétation dépend de l'étendue des connaissances concernant le
rêve lucide et surtout de la représentation que l'on se fait du phénomène. Ainsi la recherche du rêve
lucide dans l'imaginaire dépend de la représentation du monde qui l'inclut, et qui est avant tout
culturelle.

*
On peut supposer que l'apparition du rêve lucide a suscité des réorganisations de l'image du
rêve comme phénomène culturel ou, tout au moins, qu'il s'est aménagé une place dans notre vision du
sommeil et du rêve. Or, le rêve lucide ne peut qu'entrer en contradiction avec l'idée que l'on se fait du
rêve dans notre culture, puisque cette dernière admet, implicitement le plus souvent, que le rêveur
n'est pas conscient qu'il rêve. Cette idée est tellement ancrée dans les mentalités qu'un logicien comme
Malcolm a pu développer toute une argumentation sur la base de cette prémisse fausse selon laquelle il
est impossible de dire "je suis en train de rêver", sans que la prémisse elle-même soit examinée:
« Même si cela ne s'adresse qu'à soi, ce ne sera jamais une façon correcte d'utiliser le langage que de
[37]
dire: "Je suis en train de rêver" » .

De tels a priori expliquent que, lorsque le rêve lucide surgit, il produit aussitôt des
protestations visant à en nier la réalité, du fait même qu'il ne s'inclut pas dans une vision du monde
établie. (Nous avons vu que l'idée même de rêve lucide suscitait déjà chez Maury des réactions
prononcées malgré les récits parfaitement clairs d'Hervey de Saint-Denys et que cette réaction allait
jusqu'au silence chez Bergson ; seul Freud en a accepté la notion.) Mais, une fois le rêve lucide reconnu
comme fait, quelle place peut-il prendre dans cette vision du monde ?

La réponse se situe dans les circonstances historiques qui ont poussé à s'y intéresser. Ce n'est
pas l'émergence du rêve lucide qui a permis une réorganisation de la vision du rêve, mais un
changement de la vision du rêve qui a permis l'émergence du rêve lucide. Cette vision a culturellement
évolué d'une façon aujourd'hui assez nette dans le monde occidental, à la fois en rapport avec et
indépendamment de la recherche elle-même. D'une certaine façon la progression même de la
recherche dans des domaines aussi différents que la biologie ou la psychanalyse a sans doute contribué
à supposer qu'elle pouvait aller toujours plus loin. Ce genre de sentiment installe une nouvelle façon
d'appréhender le phénomène onirique qui dépasse la recherche scientifique en ce qu'elle va au-delà de
ce qui peut être prouvé et attribue au rêve un rôle nouveau: « Mais depuis environ quinze ans, une
nouvelle mystique du rêve s'est néanmoins emparée des Etats-Unis. Sous certains aspects, elle est
aussi vieille que l'humanité, mais aussi très neuve et très américaine par d'autres côtés. Elle voit dans
le rêve une source de créativité et d'imagination, une base de rapprochements interpersonnels
permettant une meilleure compréhension des rapports sociaux. La popularité de cette conception
débuta dans les années soixante, où elle n'était encore qu'un fil de moindre importance dans
l'écheveau de la mouvance de potentiel humain, mais elle a grandi depuis, au point de constituer un
mouvement autonome, possédant ses propres cénacles, son vocabulaire, ses livres, ses bulletins et
même ses ateliers, instituts et lieux de rencontre. Des ouvrages se rapportant au "rêve créatif", au
"pouvoir du rêve", qui se réfèrent fréquemment à d'autres cultures et à la Grèce classique se sont
vendus à des centaines de milliers d'exemplaires, des romans de science fiction […] décrivant des
civilisations mythiques, non agressives, qui passent le plus clair de leur temps à rêver sont largement
[38]
commentés et trouvent de nombreux lecteurs » .

Dans la constitution de ce mouvement culturel en marge de la recherche scientifique, le rêve


lucide apparaît comme un outil privilégié. En effet, autant il semble inutile (voire dangereux) à des
psychanalystes qui ne peuvent lui assigner de place dans leur théorie, autant il apparaît nécessaire
lorsque la théorisation fait une place aux représentations collectives. Ces dernières peuvent prendre
différentes formes, thérapeutique le plus souvent, pratique parfois, et mystique par moment. Elles ne
sont généralement pas dissociables de la recherche elle-même dans la mesure où elles n'apparaissent
qu'en filigrane. L'approche scientifique consistera en partie à savoir en tenir compte lorsqu'il s'agira de
mettre au point des expériences objectivement mesurables.

[1]
« Augustine tells us that the dreamer's doubts were thereby removed completely. The force of the argument
(though not of the dream) is diminished, it must be admitted, by current ideas concerning the essential role
played by the sleeper's brain in generating the dreamer's experience ». Stephen LaBerge, Lucid Dreaming: An

Exploratory Study of Consciousness during Sleep, unpublished doctoral dissertation, Stanford University, 1980,
pp. 4-5. Souligné par l'auteur.
[2]
Point de vue absurde puisqu'il s'agit de conscience alors que le surmoi est un ensemble de conditionnements
qui ne sont pas forcément présents dans l'attitude du rêveur lucide.
[3]
Mais, au sens strict, le rêve lucide est par définition le contraire d'un délire.
[4]
Jan Ehrenwald, Le Lien télépathique, Robert Laffont, Paris, 1978, p. 181. Souligné par nous.
[5]
Swedenborg, Le Livre des Rêves, Pandora/Le Milieu, Paris, 1979, p. 123.
[6]
Ibid.
[7]
Ibid., p. 108. Souligné par nous.
[8]
Robert A. Monroe, Le Voyage hors du Corps, Garancière, Paris, 1986 (première parution aux Etats-Unis en
1971 sous le titre Journeys out of the Body), pp. 185-186. Ajoutons que Monroe a vécu cette expérience

onirique en 1963, à une époque où le rêve lucide était pratiquement inconnu.


[9]
« My friend Barrow had arranged with me that he would attempt to precipitate his astral vehicle, while

asleep, and appear to me in my bedroom. My experience was as follows:

« I dreamed of being in the main hall of the Hartley University college, and there I met my mother. This

meeting did not surprise me; for I knew quite well that I was dreaming - though how I knew, I cannot say. I
told her I was expecting an astral visit from Barrow and must go back to my bedroom and await his coming.

Instantly I was caught up, as though in some invisible current, and borne back to my body. I awoke - at least,
I was certainly under the impression that I was awake - and was much annoyed by this abrupt termination to

the experiment.

« "If only I had managed to stay in the dream", I thought, "I could have waited here (in the astral counterpart

of my bedroom) and have met him if he came; but now, even if he does come, as I am awake I shall not be
able to see him, for I am not clairvoyant.

« At this point I became aware of two things: (1) That a sudden almost indescribable change had been

effected in the atmosphere, which seemed charged with expectation (the "before a storm" sensation
intensified) and rarefied, of perhaps compressed. It seemed to me that the atmosphere was being strained by

the working of some unknown force. (2) That my bedroom door, which had been shut, was now ajar - a faint
golden light streaming through the opening.

« I had just time to note these things and then, literally in a flash, my friend came. He did not enter by the

door. He appeared instantaneously, in an egg-shaped cloud of intense bluish-white light, and stood by my bed,
gravely regarding me. He was dressed in a white robe (possibly his nightshirt); and as my eyes recovered from
the dazzling effect of his sudden appearance, I saw that inside the bluish-white ovoid surrounding him were
bands of colour - deep red, rose-red, violet, blue, sea-green and pale orange. Excepting the last-mentioned, I

cannot remember the order in which they were arranged; but the pale orange was centred around the head,
shooting upwards from it in a widening conical ray until it reached the ceiling. As I lay there (on the left side of

my double-bed) watching him, I felt paralysed - not with fear, but with astonishment and admiration. He did
not speak, but I felt that he was telling me mentally not to be afraid. It must be remembered that all this
happened in a moment or two; then, even as I struggled to break the strange inertia possessing me and to
address him, he vanished as suddenly as he had come.

« Again, seemingly wide awake, I lay in the darkness; but before my surprise at his abrupt disappearance had

faded, a fresh phenomenon arrested my attention. In the air above the foot of my bed appeared a circle of
yellow light, as though projected from a magic lantern, and in this were three figures - a man and two women
- enacting a drama of the "eternal triangle" description. These figures were about three feet high; the dress
was modern, and the colouring perfect; but I cannot remember what the background was like. I could not
actually hear their words, but I knew mentally what was being said. This play seemed to last several minutes,

and considerations of space forbid more detailed reference. It ended for me when one woman stabbed the
other. Mentally I heard the victim's scream, and the induced shock terminated the trance. The scene vanished
instantly, and I lay, really awake now, staring into the darkness ». Oliver Fox, Astral Projection, A Record of
Out-of-the-Body Experiences, The Citadel Press, Secaucus, 1980, pp. 49-51. Souligné par l'auteur.
[10]
« From the scientific standpoint, the door ajar, Barrow's apparition and the play may all be regarded as
illusions experienced in the Trance Condition - that is, these phenomena had no existence on the physical

plane of waking life. From the occult standpoint, however, Barrow's apparition, encased in the auric egg, may
have been an actual fact, as real on its plane of manifestation as any physical phenomenon is on earth.
Occultists will agree that the absence of recollection on his part does not affect the genuineness of the

projection, while the presence of the well-marked aura support this and is in opposition that I saw merely a
though-form of my own making. In those days my idea of the aura was very vague and I certainly should not
have imagined him in the form in which he appeared ». Ibid., pp. 51-52.
[11]
Il n'est pas rare que ces derniers cherchent surtout à conforter un système de croyances par leurs
recherches, voire à se rassurer sur la vie post mortem. Vont dans ce sens les tentatives de pesée du corps

juste après la mort pour savoir si quelque chose l'a effectivement quitté. Ce sont sans doute là des

préoccupations honorables mais l'exploration de la conscience ne tient pas compte de telles perspectives.
[12]
Par définition la croyance, lorsqu'elle concerne une expérience possible, n'est telle que pour un observateur
extérieur.
[13]
La controverse sur le rêve lucide et l'expérience hors du corps se retrouve dans maints livres et

publications. Voir notamment Lucidity Letter 4, (2), December 1985, qui y consacre toute une section intitulée
"Out-Of-Body and Dream Lucidity" (pp. 34 à 67) où les arguments s'opposent pour des interprétations

différentes.
[14]
Toutes ces questions ont déjà été traitées précédemment. Nous nous contentons ici de souligner des
attitudes.
[15]
Voir le chapitre précédent.
[16]
« I gave no specifif instructions… [Nevertheless] I became two people: the Writing Me and the Real Me. It

didn't seem odd, since we have many personalities and I think the Writing Me is different than the Real Me.
The two of us were talking and the Writing Me was sitting at a desk. I remember it clearly; it was an

old-fashioned Franklin desk, small, the wood scarred with years of use. The Writing Me was putting something
on paper… As the Writing Me wrote, the Real Me looked over her shoulder and began to read. I was intrigued
with the plot that the Writing Me was putting down and remember commenting but also recognizing it. The

Writing Me said, "Caroline, you'd better get this on paper yourself because it would work as a good plot." I
argued, "I already wrote that."

« Writing Me: "But you wrote it on a small piece of paper, as is your habit, and you threw it out without using
it."

« Real Me: "No, I'm sure I used it . I have it in the book."


« Writing Me: "I'm telling you you didin't! Please, wake up and put it down again."

« Real Me: "I know I used it!"

« Writing Me: "Caroline, would you please wake up and write this down and quit arguing?"

« This was the end of the dream. I woke up almost with a start and knew that I had to write. However, I did

encounter a problem. I couldn't remember the plot. I did go through my scraps of miscellaneous notes,
however. I knew if I came upon it I would recognize it right away. I never found it and am sure that I did, in
fact, throw away the very thing I was instructed to write down ». Récit rapporté par Jayne Gackenbach & Jane

Bosveld, Control Your Dreams, Harper & Row, New York, 1989, p. 68.
[17]
Patricia Garfield, La Créativité onirique, La Table Ronde, Paris, 1982, p. 106.
[18]
Ibid., pp. 109-111.
[19]
On peut évidemment chercher à provoquer le rêve sans viser la lucidité. La prière est alors tournée vers
Dieu mais pas vers l'observation de la conscience ou tout au moins pas de façon délibérée.
[20]
« I am sitting in front of a small altar which has figurines upon it. At first, I see an ox. I look away

momentarily, then look back, only to find that there is the figure of a dragon in its place. I begin to realize that
I am dreaming. I turn my head away, and this time affirm that when I look back I will see the highest form

possible. I slowly turn back and open my eyes. On the altar is the figure of a man in meditation. A tremendous

wave of emotion and energy overwhelms me. I jump and run outdoors in exhilaration ». G. S. Sparrow, op.
cit., p. 50.
[21]
Joseph Smith cité par J. Vallée, Autres Dimensions, Paris, 1991, p. 257.
[22]
« We have to go beyond a rigid sense of independence. As we are able to do this we can move beyond the

lucid dream into another level of experience. […] The culmination of this act of surrender appears to be
identical to what the great mystics have described for centuries. It is perhaps the common element in all of the

religions - a level of consciousness at which the individual is unified with a force of such overwhelming
proportions that he feels melted by it and lifted immeasurably beyond his normal state of consciousness.

« The lucid dream seems to bring the dreamer much closer to this state". Sparrow, op. cit., pp. 48-49.
[23]
« I have been dreaming for a while and then I become aware that I am dreaming. I remember that I want
to see Jesus and so I sit down and begin to meditate. I concentrate on the top of my head, at the crown
chakra. Suddenly, instead of Jesus coming to me, it now feels as if I am being taken to Him. I have the feeling
of incredible speed, as if I am being shot out of the universe at such a remarkable rate that is impossible to

describe. As I continue shooting through the galaxy, the sensation of speed becomes so great that I awaken
and come out of the dream ». Récit rapporté par Kenneth Kelzer, The Sun and the Shadow, My experiment
with Lucid Dreaming, A.R.E. Press, Virginia Beach, 1987, p. 248. Souligné par nous.
[24]
Jayne Gackenbach & Jane Bosveld, Control Your Dreams, Harper & Row, New York, 1989, p. 196.
[25]
C'est le cas dans le livre de Jayne Gackenbach & Jane Bosveld, op. cit.
[26]
Tendance très nette chez Sparrow.
[27]
Cela est particulièrement frappant dans le cas des mystifications. Si, par exemple, le sujet s'attend à voir en
rêve lucide des démons, il ne manquera pas d'en rencontrer - mais il s'agira d'un artefact conscientiel. Ainsi les
démons de van Eeden n'ont guère été signalés par d'autres rêveurs lucides.
[28]
Il faut cependant préciser que le nombre de ceux que l'on connaît est encore trop peu élevé pour qu'une
généralisation dépasse le stade de l'hypothèse.
[29]
On pourrait objecter qu'ils n'ont pas su les percevoir, mais alors cette remarque vaut pour toute autre
circonstance quotidienne et donc ne concerne pas le rêve lucide de façon spécifique.
[30]
Voir par exemple le schéma fait par le sujet n°10 sur le rapport unissant le rêve éveillé et le rêve lucide, en

annexe du 29 décembre 1985.


[31]
Charles Baudelaire, "Rêve parisien" dans: Les Fleurs du Mal, Le Livre de Poche, Paris, 1972, p. 233.

Souligné par nous.


[32]
Ibid., p. 233.
[33]
En effet dans la mesure où le rêve lucide n'est pas définissable en tant qu'unité, les caractéristiques à
déterminer ne sont pas celles relevant d'un seul principe mais de deux: la conscience de rêver et le contexte

du rêve. Dans ce cas le risque d'erreur doit être souligné car on peut trouver des caractéristiques

conscientielles sans le rêve ou des caractéristiques oniriques sans la conscience.


[34]
Pindare, Odes, Hachette, Paris, 1867, pp. 75-76.
[35]
« One time I had the wild idea of trying to "bring something back" with me: from this world to assure

myself of positive proof of its existence. It happened about three years ago; I found myself sitting around a
conference table with a group of men. I couldn't hear what they were talking about so I began fidding with a

pencil that was lying on the table; I could feel its shape and hardness very distinctly, and the thought came to
me of trying to bring the pencil back with me. It was worth a try, so I gripped the pencil in my hand very

tightly and began concentrating on my body; immediately, I could feel myself leaving the conference room and
begin to see the vague outlines of my room; I also began to sense myself lying on my bed, but as I looked at

the pencil, I could see that it was getting smaller and smaller, so I gripped it as hard as I could, and it seemed
to stop shrinking, but I could now see that I wasn't going anywhere; I seemed to be suspended between two
worlds. Reluctantly, I released the pencil, and the conference room scene disappeared, and I was completely

back in my body, without, alas, my pencil ». Father X, "Reflections on Lucid Dreaming and Out-of-
Body-Experience", Lucidity Letter, 8 (1), 1989, pp. 35-45.
[36]
Il s'agit ici d'un rêve lucide de sortie hors du corps.
[37]
« […] it can never be a correct use of language to say (even to oneself) 'I am dreaming' ». Norman
Malcolm, Dreaming, Routledge & Kegan Paul, London and Henley, 1977 (première publication: 1959), p. 114.
Pour la critique de l'argumentation de Malcolm se reporter à Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, op. cit.,
pp. 75-76.
[38]
« But a new mystique of dreams has nonetheless taken hold in the United States over the past fifteen
years, a mystique that is as old as the human race in some respects, but very new and very American in
others. It is a mystique that sees dreams as a source of creativity and imagination and as a basis for
interpersonal closeness and social insights. It is a view of dreams that came into popularity as one small strand
of the human potential movement of the 1960s, but since then it has grown to the point where it is now a
separate movement with its own in-group vocabulary, books and bulletins, and even workshops, insitutes, and

meeting places. Books on "creative dreaming" and "dream power", often invoking the wisdom of other cultures
and classical Greece, have sold in the hundreds of thousands, and science fiction stories […] based on mythical
nonaggressive cultures that spend most of their time dreaming, are widely read and discussed ». G. William
Domhoff, The Mystique of Dreams, University of California Press, Berkeley, 1985, p. 4.
Chapitre Huit
L'approche scientifique du rêve lucide
[read the English translation of chapter 8 / lire la traduction anglaise]

L'approche du rêve lucide par l'expérience personnelle et par la représentation que


s'en font diverses cultures ou mentalités permet de comprendre ce phénomène sur deux
plans très différents, celui de la subjectivité du rêveur qui s'y intéresse pour lui-même, et
celui de l'intersubjectivité que suppose toute représentation collective du monde et qui peut
influencer l'attitude du rêveur envers son expérience autant que cette dernière peut entraîner
une modification des représentations admises. Cette approche reste néanmoins marquée par
la subjectivité et plus précisément par la particularité : une expérience subjective donnée
aussi bien qu'une tradition culturelle ne sont pas, par définition, universalisables. Ce type
d'approche, s'il donne des moyens pour cerner le phénomène, ne suffit donc pas à son
investigation pour peu que l'on désire dépasser l'aspect de pure constatation qui permet de
désigner le rêve lucide comme sujet d'étude possible. Pour établir les lois de manifestation et
de fonctionnement de la lucidité, et même pour simplement s'assurer de leur existence,
l'investigation du rêve lucide demande une approche objective, c'est-à-dire scientifique.

Cependant, l'idée même que l'on puisse aborder scientifiquement le rêve semble
paradoxale concernant un phénomène par essence subjectif et donc ne tombant pas en
principe sous une observation directe autre que celle du sujet. Une investigation scientifique
du rêve est nécessairement indirecte, soit qu'elle passe uniquement par le détour du
récit d'un souvenir, soit qu'elle s'appuie également sur l'observation de signes
physiologiques. Mais dans ce cas peut-elle coïncider avec une science du rêve ? Une
véritable science du rêve aurait en effet le rêve pour objet exclusif et s'efforcerait d'en
découvrir les lois ou les modes de fonctionnement. La lecture de L'Interprétation des Rêves de
Freud donne le sentiment que son travail ambitionnait d'être une science de ce type mais,
dans la mesure où sa recherche est subordonnée à l'interprétation, c'est surtout une science
de l'interprétation du rêve qu'il propose. Ce genre de glissement de l'objet à sa méthode
d'appréhension se rencontre également dans les sciences dites exactes comme la
neurophysiologie, car une science déjà formée essaie d'aborder le rêve à travers ses seules
méthodes et, par là, restreint son champ d'observation : elle en étudie un aspect, le plus
souvent celui de l'activité cérébrale, et ne peut donc en tirer que des conclusions de type
physiologique. On peut même faire un pas de plus et poser que le rêve n'est étudié par une
science que dans la mesure où il participe de son domaine et uniquement dans cette mesure.
Il n'est donc pas dès le départ l'objet exclusif d'une science du rêve dont il délimiterait les
frontières.

Or, si la science ne peut s'intéresser au rêve qu'indirectement, il en va à plus forte


raison de même pour la lucidité onirique qui est la conscience que le rêveur a de rêver. La
conscience que l'on a de son état n'entre pas, par elle-même, dans le cadre d'une science,
elle n'est pas un objet immédiatement observable ou mesurable et ne peut, elle aussi, être
abordée que de façon indirecte. Pour la science une telle conscience de soi est à la fois une
hypothèse, puisqu'on ne peut que l'inférer, et un axiome, puisque pour l'inférer on est obligé
de la poser. L'étude scientifique de la lucidité onirique semble encore plus paradoxale que
celle du rêve qui, au moins, présente un contenu qu'il est possible d'évaluer ou d'interpréter.
On peut cependant supposer qu'elle reste possible dans le cadre du rêve dont le contenu doit
permettre, lui aussi, d'inférer une lucidité axiomatique. Dans une telle situation l'étude de la
lucidité est doublement indirecte puisqu'elle repose sur le rêve dont l'examen repose à son
tour sur d'autres manifestations (récits, enregistrements). L'investigation scientifique du rêve
lucide requiert donc non seulement que les sciences qui s'intéressent à la lucidité onirique
puissent la situer dans leur champ d'investigation mais aussi qu'elles mettent au point les
outils éventuellement nécessaires pour cela.

Dans toute étude scientifique, l'exploration d'un nouveau secteur permet tout autant
de comprendre ce secteur que de faire avancer la science qui l'étudie. Le rêve lucide ne
semble pas faire exception à la règle puisque, d'un côté, les acquis de certaines sciences
peuvent nous aider à mieux le comprendre tandis que, d'un autre côté, c'est lui qui apporte
des éléments de réponse possibles à certains problèmes que se posaient ces sciences.

Section I

Ce que la science nous apprend sur le rêve lucide


Chapitre Huit
L'approche scientifique du rêve lucide
[suite]

Section I
Ce que la science nous apprend sur le rêve lucide
Lorsque le rêve lucide est reconnu comme un phénomène réel, ou même simplement
accepté comme une hypothèse à vérifier, quelle est à son sujet l'attitude des sciences qui
étudient habituellement le rêve ? On constate que l'intérêt pour le rêve lucide est du même
ordre que celui déjà porté au rêve, que les mêmes raisons les motivent. Cette remarque peut
nous aider à comprendre ici la diversité des attitudes possibles. En effet, les façons dont le
rêve est visé entraînent vis-à-vis du rêve lucide autant de démarches. Si, par exemple, on
s'intéresse au contenu de l'expérience onirique, qu'on cherche à l'insérer dans l'ensemble de la
vie psychique du rêveur, bref à le rendre intelligible, la lucidité doit à son tour devenir
intelligible en fonction d'un contexte. La science de l'interprétation du rêve doit donc poser
d'emblée que la lucidité est interprétable ou la rejeter de son champ d'investigation. Lorsque
ce sont les manifestations observables du rêve qui sont étudiées, la recherche porte alors sur
l'existence de telles manifestations pour la lucidité. Ainsi la psychophysiologie tend à chercher
un tracé électrophysiologique particulier (et mesurable) qui indiquerait la présence du rêve
lucide en laboratoire, sans quoi son intérêt pour la lucidité ne se justifierait pas. Quand seuls
les éléments corrélatifs du rêve sont pris en considération (qui rêve, de quelle façon et
pourquoi… ?), on cherche à comprendre les traits comportementaux qui différencient les
rêveurs lucides des rêveurs ordinaires. La psychologie différentielle s'interroge alors plus sur
les rêveurs que sur leurs rêves, mais c'est la seule façon dont elle peut inclure l'étude du
phénomène dans ses recherches.

De telles attitudes sont à la fois compréhensibles et prévisibles. Aussi bien la


psychanalyse que la psychophysiologie ou la psychologie différentielle utilisent les méthodes
qui leur sont propres dans l'investigation d'un phénomène nouveau. Cependant, il n'est pas
sûr que ces méthodes puissent être appliquées ici sans qu'une remise en question ne s'avère
nécessaire. En d'autres termes, poser que le rêve lucide est interprétable, repérable
électrophysiologiquement ou corrélable avec un comportement, c'est traiter son aspect
caractéristique, la lucidité, comme un objet pouvant se plier à de telles méthodes. Or, si la
lucidité équivaut à la conscience de soi sur le plan onirique, elle se présente comme une
condition de l'intelligibilité, de l'observation ou de l'étude et, à ce titre, il est contradictoire
d'en faire un objet de l'interprétation, de l'observation ou de l'étude. Ce n'est donc pas tant la
lucidité elle-même que le rêve lucide pris comme un tout qui peut être soumis à de telles
investigations.

Les sciences du rêve peuvent être hiérarchisées en fonction de leur façon d'aborder le
rêve. De ce point de vue Charles Tart distingue toute une gamme d'attitudes qui, en raison de
la valeur accordée au phénomène onirique, va du désintérêt complet à la participation
[1]
active . La valeur la plus basse, et la plus répandue jusqu'à une certaine époque, consiste à
considérer les rêves comme des événements nocturnes bizarres et généralement sans rapport
discernable avec la vie éveillée. Les rêves n'acquièrent une valeur que lorsque cette relation
avec la vie de veille est reconnue, par exemple en y voyant comme Freud une voie pour
accéder à la vie mentale inconsciente. Cette attitude toutefois ne reconnaît un intérêt au rêve
que comme moyen d'étudier autre chose (l'inconscient), raison pour laquelle on ne s'intéresse
qu'au rêve déjà fait et en quelque sorte clos sur lui-même. L'intérêt porté au rêve est plus
prononcé lorsqu'on l'inclut dans le champ d'une expérimentation possible, par exemple en
tentant d'influencer son contenu par des suggestions avant l'endormissement. Dans une telle
perpective le rêve lucide devient un objectif logique puisqu'il permet d'expérimenter sur le
rêve en cours. On comprend alors pourquoi la lucidité ne peut pas être acceptée de la même
façon selon l'attitude adoptée. Nous suivrons ici cette progression en partant des sciences qui
ne travaillent sur le rêve qu'après coup - et pour lesquelles la lucidité ne devrait pas susciter
beaucoup d'échos -, pour nous diriger vers celles qui provoquent l'expérience et entrent en
interaction réelle avec le rêve.

§ 1. La psychanalyse et l'interprétation du rêve lucide


Le sentiment que les rêves obscurs ont un sens, qu'ils peuvent être compris malgré
leur incohérence apparente, se retrouve dans la plupart des cultures : l'importance accordée à
l'interprétation apparaît à plusieurs reprises dans des textes sacrés tels que la Bible ou le
Talmud dont on cite souvent la mise en garde selon laquelle un rêve non interprété est comme
une lettre qu'on n'ouvre pas. On peut toutefois se demander ce qui a poussé à adopter une
telle position et à considérer le rêve comme justiciable de l'interprétation de façon
systématique. La réponse la plus immédiate nous est sans doute fournie par l'exigence
d'intelligibilité inhérente à l'esprit humain, qu'elle l'amène à comprendre le rêve comme un
message divin ou comme un symptôme névrotique. L'interprétation consiste à donner un sens
à ce qui en apparaît tout d'abord dénué, non pas de façon arbitraire mais en dégageant, à
l'aide de méthodes créées dans cette intention, celui dont on pose qu'il y est implicitement
contenu. Interpréter le rêve c'est donc en rendre raison en fonction d'un contexte dans lequel
il prend une signification. Ainsi pour Freud « "interpréter un rêve" signifie indiquer son "sens",
le remplacer par quelque chose qui peut s'insérer dans la chaîne de nos actions psychiques,
[2]
chaînon important semblable à d'autres et d'égale valeur ».

Pourtant l'exigence d'intelligibilité ne suffit pas à elle seule à justifier la systématisation


de cette démarche. En effet, certains rêves sont hors de portée de l'interprétation, soit que
[3]
leur contenu exprime immédiatement leur sens , soit que la question du sens semble
déplacée à leur sujet. Malgré cela l'interprétation est parfois érigée en principe directeur,
quitte à trouver un sens flou à un songe tout d'abord limpide. Or, le même individu qui
cherche systématiquement dans ses rêves un sens caché ne s'inquiète pas nécessairement de
celui des événements de sa vie quotidienne. Si le bus qui, en rêve, l'emmène à son travail est
pour lui chargé d'un sens qu'il faut faire émerger, il n'en va pas de même pour le bus réel
[4]
dans lequel il monte pour la même destination le matin venu . Les événements de la vie de
veille se situent pour lui en dehors de l'exigence d'intelligibilité souterraine qu'il impose au
rêve. La rage d'interpréter dépend donc d'un facteur supplémentaire.

Ce facteur tient probablement à la nature "indirecte" du rêve ordinaire. Habituellement


le rêve n'apparaît pas comme tel à la conscience mais n'est reconnu pour ce qu'il est qu'au
réveil, au moment où il n'est plus qu'un souvenir. La conscience de veille essaie alors
d'intégrer un élément qui lui est conscientiellement étranger, à l'élaboration duquel elle
n'a pas participé. Le besoin de comprendre s'exerce donc de la part de la conscience de veille
sur ce qui échappe à sa saisie immédiate. En d'autres termes, soit le sujet a une
connaissance consciente des événements qui le concernent et cela lui suffit pour leur attribuer
un degré d'être indépendant de trame de sa vie psychique (cas des événements de la vie
éveillée), soit il n'y a pas directement accès et le seul moyen pour lui de les intégrer est de
leur donner un sens, quel que soit par ailleurs le contexte de ce sens qui peut être religieux ou
psychanalytique : l'intelligibilité se comprend moins comme une exigence de rationalité que
comme un besoin de cohérence conscientiel, besoin qui pousse à interpréter des rêves qui
autrement n'attireraient pas l'attention.

Cette attitude est nette pour la psychanalyse : l'idée d'interprétation du rêve n'a pour
elle de sens que si la vie de veille est le seul domaine de signification du rêve : « tout rêve
apparaît comme une production psychique qui a une signification et qu'on peut insérer
[5]
parfaitement dans la suite des activités mentales de la veille » . On peut noter qu'une telle
approche exclut d'emblée un certain nombre de possibilités envisageables sans déroger au
principe de l'interprétation. Pourquoi, par exemple, le rêve ne serait-il pas à lui-même son
propre domaine de signification alors qu'on admet cette idée pour l'état de veille lorsqu'il s'agit
d'interpréter des phénomènes psychiques de l'éveil non immédiatement intelligibles - en
d'autres termes : pourquoi les éléments oniriques inintelligibles ne tireraient-ils pas leur sens
de l'ensemble de la vie onirique plutôt que de la vie psychique éveillée ? Plus encore pourquoi
ne serait-ce pas le rêve qui donnerait son sens à veille ? Il faudrait alors interpréter les
événements de la vie éveillée à la lumière du rêve plutôt que l'inverse.

Si cette dernière perspective nous paraît absurde, c'est avant tout pour des raisons
culturelles, et non pas logiques, car indépendamment même de l'interprétation, la possibilité
s'en dessine dans certaines cultures dont la vie de veille se règle en fonction des rêves et où
certaines situations de veille ne peuvent être, sinon interprétées, du moins comprises qu'à
l'aide de données oniriques comme dans le célèbre rêve des potirons volés rapporté par
Lévy-Bruhl : « cet homme […] me demanda une indemnité pour des potirons que j'avais volés
récemment dans son jardin. Profondément surpris je lui dis que […] il était impossible que
j'eusse volé ses potirons. […] A mes reproches, il répondit en admettant très franchement que
je n'avais pas pris les potirons. Quand il me dit cela, je compris de moins en moins. […] Par la
suite, je découvris qu'il avait rêvé que j'étais une nuit dans son jardin, et que, caché derrière
quelques plantes très hautes, il me voyait briser et emporter trois potirons. C'est eux qu'il
voulait me faire payer. " Oui, lui dis-je, mais vous avez reconnu tout à l'heure que je ne les ai
[6]
pas pris ". Il en tomba d'accord de nouveau […] » .

Dans cette situation de veille le comportement de l'homme qui s'estime volé ne se


comprend que si l'on prend en compte son rêve. L'interprétation à proprement parler
n'intervient pas puisqu'aucune méthode n'est nécessaire pour accorder un sens à la situation
de veille en fonction du rêve. Mais ce qui importe pour nous ici, c'est qu'un comportement de
la vie de veille demande à être rapporté à un rêve pour être compris, qu'on peut, pour
paraphraser Freud, l'insérer parfaitement dans la suite des activités oniriques. L'absurdité
apparente d'une telle position tient donc non pas à la logique de l'interprétation mais à la
conception du monde qui est la nôtre. Cette logique ne serait bafouée que dans des cas qui
remettraient en cause sa raison d'être (si par exemple on considérait que chacun des états,
veille ou rêve, était le domaine de signification de l'autre, ce qui conduirait à une circularité
herméneutique rendant l'interprétation vaine). Ainsi, ce qui rend logiquement possible
l'interprétation ne coïncide pas nécessairement avec l'idée que s'en fait Freud et qui repose
[7]
sur un postulat non démontré , postulat qui à son tour s'explique vraisemblablement par le
détour de la conscience vis-à-vis du rêve ordinaire.

Or, lorsque le rêve est lucide, cet aspect indirect disparaît. Les événements oniriques
se présentent alors pour le rêveur de la même façon que ceux de la vie de veille et le rêveur y
réagit de même : sa première attitude n'est pas d'interpréter ce qui se passe mais de le vivre,
c'est-à-dire de réagir en fonction des circonstances, ce que montre la majorité des récits de
rêves lucides dont nous disposons. Cela ne signifie cependant pas que le rêve n'est pas
interprétable, mais que la tendance constatée à l'état de veille vis-à-vis du rêve se renverse
dans le rêve lucide (cette inversion prend parfois une tournure extrême lorsque le rêveur se
[8]
met à interpréter la vie de veille depuis l'état de rêve ). Ainsi, dans la mesure où le rêve
lucide est directement accessible à la conscience du rêveur - et par là tout autant en
connexion avec l'ensemble de sa vie que les événements quotidiens -, peut-il encore faire, au
cours du rêve ou au réveil, l'objet d'une interprétation ? Et s'il en est ainsi, les méthodes
d'interprétation habituellement proposées lui conviennent-elles encore ?

Ces méthodes dépendent de la fonction assignée à l'interprétation. Cette dernière


intervient-elle pour mettre le rêve en forme ou pour surmonter le décalage entre la conscience
de veille et le rêve ? Dans le premier cas le rêve est par lui-même un phénomène incomplet et
ne fait que refléter d'autres éléments, ce qui incite à rechercher le sens latent sous le contenu
manifeste ; dans le deuxième cas le rêve ne cache rien mais exprime directement et dans son
langage tout ce qu'il a à exprimer et l'interprétation est une affaire de traduction d'un
langage dans l'autre plutôt que la reconstitution d'une sorte de puzzle. Dans l'un et l'autre cas,
il est difficile de rendre compte du rêve lucide en fonction de la méthode d'interprétation. Par
exemple, celle préconisée par Freud semble bien ne pouvoir rencontrer autre chose que des
éléments représentables : « Dès les premiers essais d'application de cette méthode, on
s'aperçoit qu'il faut diriger l'attention non pas sur le rêve considéré comme un tout, mais sur
les différentes parties de son contenu. Quand je demande à un malade non exercé : "A quoi
vous fait penser ce rêve ?", il ne découvre, en règle générale, rien dans le champ de sa
conscience. Par contre, si je lui présente son rêve morceau par morceau, il me dit, pour
chaque fragment, une série d'idées, que l'on pourrait appeler les "arrière-pensées" de cette
partie du rêve. Cette première condition d'application montre que la méthode d'interprétation
que je pratique s'écarte de la méthode populaire d'interprétation symbolique célèbre dans la
légende et dans l'histoire et se rapproche de la méthode du déchiffrage. Elle est, comme
celle-ci, une analyse "en détail" et non "en masse" ; comme celle-ci elle considère le rêve dès
[10]
le début comme un composé, un "conglomérat" de faits psychiques » . S'intéresser dans le
rêve aux « différentes parties de son contenu » n'exclut-il pas par avance la lucidité qui n'est
pas un contenu à proprement parler ?

Nous allons maintenant tenter de voir comment ce problème trouve éventuellement sa


solution dans le contexte de l'interprétation et plus précisément de la psychanalyse. Il faut
cependant remarquer qu'aucune étude systématique des rêves lucides et associés n'a été
entreprise par une école psychanalytique, probablement parce que le phénomène en lui-même
n'entre pas dans le cadre de la méthode interprétative et de ce fait ne semble pas mériter
[11]
attention . Les indications dont nous disposons sont donc des tentatives éparses qui ne
visent pas tant le rêve lucide ou associé que tel ou tel de leurs composants rencontrés au
hasard de l'analyse. Notre examen devra donc porter sur ces composants spécifiques que l'on
peut classer en deux groupes : celui des formes de la conscience (lucidité, prélucidité ou
faux-éveil…) et celui des situations oniriques que l'on rencontre régulièrement dans les rêves
lucides et associés (vol, sortie hors du corps…).

I. L'interprétation des formes de la conscience


La présence de la lucidité ou des autres formes conscientielles qui y sont associées ne
peut pas être ignorée dans le cadre de l'interprétation. Pour qui assigne un sens latent aux
rêves ces formes sont interprétables en droit. Y voir une exception ou un épiphénomène
risquerait de remettre en question l'ensemble de la méthode interprétative et de transformer
des données tenues pour évidentes en postulats indéfendables. Ainsi, pour justifier que
l'interprétation du rêve le ramène à la vie de veille, il faut admettre que le domaine de sens de
cette dernière englobe celui du rêve. Laisser dans l'ombre un élément quelconque, fût-il
conscientiel, reviendrait à déroger à cet a priori d'inclusion absolue. La lucidité doit donc par
principe relever de l'interprétation, même si le rapport qui l'unit à elle reste à déterminer.

Le système proposé par Freud répond d'emblée à la difficulté présentée par la


non-représentabilité de la lucidité en y voyant non pas un élément ponctuel à interpréter en
fonction de l'histoire du rêveur ou de problèmes psychiques particuliers mais un élément
structurel qui s'explique de façon générale. Lorsque le rêveur a conscience de rêver,
l'apparition de cette conscience réalise un désir, celui de continuer à dormir : « Ce désir de
dormir, ainsi décidé par le préconscient, facilite beaucoup la formation du rêve. […] Le
raisonnement est à peu près : laissons aller le rêve, sinon il faudra se réveiller. Il en est ainsi
dans tous les rêves : le désir de dormir seconde les désirs inconscients. […] On peut résumer
notre attitude psychique dominante pendant le rêve sous la forme d'un avertissement que le
préconscient donnerait à la conscience, quand le rêve irait par trop loin : laisse donc et dors,
ce n'est qu'un rêve. Je dois en conclure que pendant toute la durée de notre sommeil
[12]
nous nous savons en train de rêver, aussi bien que de dormir » .

En expliquant la conscience de rêver par le désir de dormir Freud fait apparemment


une place à la lucidité. Mais, dans la mesure où il fait de ce désir une constante du rêve, il
accorde du même coup à la lucidité une étendue qu'elle n'a pas et que lui-même ne lui
reconnaît pas en pratique. D'ailleurs, quand il cite un peu plus loin le cas d'Hervey de Saint-
Denys, d'une part il est obligé d'aller à l'encontre de ses propres thèses en les attribuant à
d'autres (« Laissons là ceux qui nous objectent que notre conscience ignore le sommeil et ne
[13]
connaît le rêve que dans le cas précis où la censure est débordée » ) et d'autre part la
façon dont il formule ce fait (« Il y a des gens qui manifestement savent qu'ils dorment et
qu'ils rêvent et qui paraissent pouvoir diriger leur vie de rêve d'une manière consciente.
[14]
[…] ») indique que les rêveurs lucides ne constituent qu'une partie de la population des
rêveurs - et du coup la lucidité est une exception et non la règle. Ainsi, soit il entend par
"conscience de rêver" autre chose que la lucidité, soit il admet que cette lucidité est à la fois
générale et exceptionnelle, ce qui est dans les deux cas contradictoire. La lucidité ne peut
donc être expliquée par le désir de dormir de façon structurelle sans mettre en danger le
système.

Cependant, si l'explication par le désir de dormir s'avère structurellement contradictoire


en ce qu'elle suppose une lucidité à la fois constante et intermittente, il n'est pas exclu qu'elle
puisse garder une valeur ponctuelle, c'est-à-dire si l'on considère la lucidité non pas comme
un élément du système qui soutient l'interprétation mais comme un événement de la vie du
rêveur. La façon dont Freud évoque le cas d'Hervey de Saint-Denys va dans ce sens ponctuel :
« Hervey de Saint-Denys (cit. in Vaschide, p. 139) affirmait avoir acquis sur ses rêves une
telle puissance qu'il pouvait en accélérer le cours et leur donner la direction qui lui plaisait. Il
semble que chez lui le désir de dormir ait fait place à un autre désir préconscient :
[15]
observer ses rêves et s'en amuser » . Ce type de désir ne met pas en danger le système
freudien dans la mesure où il n'est pas une composante nécessaire du rêve mais ne fournit
qu'une interprétation partielle de la situation du rêveur lucide.

Cependant, même ainsi, l'explication de la lucidité comme aboutissement d'un


désir reste insatisfaisante du fait qu'elle n'est pas généralisable. Il est vrai qu'assez souvent la
lucidité est consciemment désirée par le sujet, mais il est des cas où elle survient alors que le
rêveur ne la souhaite pas, ou même alors que dans le rêve il ne la souhaite plus (cas de
Gillespie) ou encore où elle ne survient pas malgré un désir soutenu (comme pour Myers qui
fit près de trois mille tentatives infructueuses). Les désirs particuliers évoqués par Freud (de
dormir ou de s'amuser de ses rêves) ne rendent pas nécessairement compte de la panique des
rêveurs lucides qui ne parviennent pas à se réveiller (et qui ne s'en inquiéteraient pas s'ils
ignoraient être dans un rêve) ou de la lucidité qui survient pour aider le rêveur non pas à
poursuivre le rêve mais à le fuir. L'explication de la lucidité par le désir est donc, sinon
inadéquate, du moins incomplète.

Néanmoins, si la lucidité ne peut pas être interprétée en tant qu'élément isolé, n'est-il
pas possible de lui donner un sens en tant qu'elle participe à une combinaison d'éléments,
telle partie du rêve prenant un sens différent selon que le rêveur est lucide ou non ? Puisque
l'apparition de la lucidité (ou des formes oniriques de la conscience liées à la lucidité) entraîne
souvent un contenu particulier concernant le décor ou le thème du rêve (phénomène évident
pour le faux-éveil ou le rêve d'un rêve) ou son mouvement (par exemple la transformation de
la scène onirique lorsque surgit la lucidité) et que ce contenu est du domaine de ce qui est
présenté aux sens oniriques, donc interprétable, il doit en aller de même pour la lucidité. On
cesse ainsi de faire du désir le moteur de l'interprétation et on adopte donc une vue différente
de celle de Freud, de façon à revenir à une interprétation ponctuelle par un nouveau biais.
L'émergence de la lucidité en rêve rappelle en effet la prise de conscience à l'état de veille :
la lucidité pourrait indiquer symboliquement une meilleure compréhension d'une situation. Si
tel est le cas, les degrés de lucidité devraient en fournir un exemple, comme dans la
hiérarchisation proposée par Faraday :

Le stade suivant est celui du rêve lucide "ordinaire", dans lequel nous savons
que nous rêvons, mais sans l'expansion de la conscience qui caractérise le rêve
lucide intense. Cette lucidité ordinaire est le plus souvent partielle ; nous savons
que nous avons le pouvoir de modifier le rêve, mais, quand nous décidons de le
faire, notre action subit d'absurdes limitations de la pensée qui sont elles-mêmes
des reflets de l'état de veille. Par exemple, l'une de nos étudiantes qui approchait
de la résolution d'un conflit sexuel nous raconta qu'ayant éprouvé le désir au cours
d'un rêve lucide, elle se mit en quête d'un partenaire et se retrouva dans un bordel
des bas quartiers. Rien, en principe, ne l'empêchait de faire apparaître son héros
dans une tente du désert, ou dans tout autre lieu satisfaisant. Une autre fois, elle
rencontra un homme mais ne trouva aucun endroit où elle put aller avec lui. Il ne
lui vint jamais à l'esprit de créer un tel endroit. Ces rêves indiquent qu'elle n'avait
pas encore acquis le contrôle de ses énergies, mais le dernier, qui fut aussi le
premier de lucidité intense, montre qu'une solution était proche.
Dans le rêve, on lui faisait savoir qu'elle devait choisir entre les deux termes de
l'alternative suivante : ou bien elle ferait l'amour en public avec un merveilleux
amant de rêve qui l'étranglerait ensuite, ou bien elle n'aurait plus jamais de
rapports sexuels. Son désir croissant d'une vie de plénitude, son rejet d'un état de
morte vivante, l'amenèrent à choisir la première solution. Comme on la conduisait
dans une arène, elle devint subitement lucide. Au lieu de s'éveiller ou de modifier
la scène, elle décida de tromper tout le monde et de jouer le jeu - en apparence.
Elle riait sous cape en imaginant comment, à la fin, elle se lèverait et quitterait les
lieux. C'est alors que tout l'environnement s'élargit, que les couleurs devinrent plus
[16]
vives. Elle venait d'accéder à la lucidité intense.
Dans cette série de rêves la situation onirique dépend du degré de lucidité pour son
interprétation. Même si la rêveuse est suffisamment lucide pour prendre conscience de
l'oniricité de son problème, la faible intensité de sa conscience de rêver ne lui permet pas de
le résoudre de la bonne façon ; ce qui peut s'interpréter comme une prise de conscience
effective mais incomplète (« Ces rêves indiquent qu'elle n'avait pas encore acquis le contrôle
de ses énergies »). Mais lorsqu'elle devient pleinement lucide, elle résout immédiatement sa
difficulté ; ce qui peut s'interpréter comme une prise de conscience complète de ce qu'elle
cherche réellement. Dans ce type d'interprétation, la lucidité peut servir de facteur
supplémentaire puisqu'elle permet en quelque sorte de confirmer le sens donné à la situation
onirique et au degré d'adéquation de la conduite de la rêveuse. A l'inverse, dans le cas où le
contenu serait obscur, le degré de lucidité permettrait de mesurer celui de prise de conscience
que le sujet a de ses problèmes. Il servirait en quelque sorte de baromètre pour apprécier
l'évolution du sujet quant à une situation particulière.

Toutefois, cela pose un problème quant à l'interprétabilité de droit du rêve. L'adoption


d'une telle échelle n'implique-t-elle pas que la pleine conscience de rêver est au-delà de
l'interprétation ? Ainsi ce que Faraday qualifie de "rêve lucide ordinaire" correspond bien,
selon la description qu'elle en donne, à une conscience vague de rêver, voire à une
demi-lucidité tandis que le "haut rêve lucide" se rapprocherait plus de la lucidité réelle : « Je
crois bien que le rêve lucide intense indique une victoire dans le combat contre un élément
dominateur et sans doute la lutte finale qui se déroule dans une aire particulière de conflit
intérieur, tandis que les stades antérieurs, pré-lucidité et lucidité ordinaire, ne font que
[17]
montrer le chemin de la libération » .

Le "haut rêve lucide" semble bien indiquer le dernier degré dans l'interprétation du
rêve, celui au-delà duquel elle est à la fois inutile et non pertinente, ce qui revient à dire que,
si la lucidité peut aider l'interprétation, elle ne saurait s'y réduire. Cette constatation implique
également que si certains rêves se comprennent sans interprétation, on invalide la nécessité
du sens comme étant universalisable : « La plupart des écoles de psychothérapie suivent ou
développent l'idée fondamentale de Freud selon laquelle le rêve exprime le contenu de
l'inconscient et pose généralement au rêveur un problème qu'il doit résoudre. Beaucoup de
rêves lucides ne sont pas du tout problématiques ; ils émergent, semble-t-il, d'une autre
catégorie ou d'un autre règne du mental. En tant que tels, ils jouent un rôle important qui,
bien que cela fasse certainement partie de leurs fonctions, ne consiste pas seulement à aider
[18]
le rêveur à faire face à ses problèmes de personnalité » .

D'un autre côté le rêveur pleinement conscient de rêver n'a pas nécessairement pour
autant accès au sens du rêve qui parfois se dérobe encore, l'interprétation restant à faire - ou
étant entreprise au cours du rêve même (comme le montre l'exemple de Descartes). Les
rêves pleinement lucides et en même temps déroutants ne manquent pas dans la littérature et
indiquent que, même dans le cas de systèmes interprétatifs ouverts, la lucidité semble peu
compatible avec l'acte d'interprétation si on essaie de la comprendre dans le sens d'une prise
de conscience de la signification de la situation onirique. Ainsi, même associée à un contenu
onirique (ici ce dont on prend conscience), elle demeure à part et difficile à intégrer à un
système interprétatif.

Le postulat qui fait dépendre à la fois le rêve et chacun de ses éléments de la vie
mentale éveillée pour leur signification et qui implique nécessairement que tout dans le rêve,
y compris la conscience qu'on en a, doit pouvoir être interprété, ce postulat doit donc être
remis en question. Sur quoi repose-t-il et qu'est-ce qui le justifie ? En réalité l'interprétation
n'est qu'une partie d'un processus plus vaste, celui de la prise de conscience du sens qui, à
son tour, entraîne une transformation du sujet. L'interprétation du rêve ne se fait pas pour le
rêve lui-même (comme une analyse littéraire qui s'intéresse uniquement au texte) mais pour
le bénéfice du sujet qui a rêvé. Si alors nous dépassons l'interprétation proprement dite pour
examiner les rêves lucides et associés sous l'angle de leur interaction avec la vie de veille,
pouvons-nous considérer que la compréhension du sens de ces rêves amène une
transformation du même type que celle produite par l'interprétation des rêves ordinaires ?

L'examen de cette question suppose que, hormis la lucidité, le contenu onirique


représentable reste passible de l'interprétation. Au premier abord cette idée semble d'autant
plus facile à admettre que nous avons vu que la conscience qu'a le rêveur de rêver est
différente de la prise de conscience du sens du rêve. Il peut en effet assister au déroulement
de son rêve tout à fait consciemment sans en comprendre le sens et tout en lui en supposant
un. Si la lucidité est ainsi équivalente à la conscience de veille (en ce que l'accès au sens d'un
événement ne lui est ni immédiat ni garanti) elle s'avère alors hétérogène à l'interprétation
mais compréhensible sur un plan conscientiel. Elle serait plutôt un indicateur qu'un symbole
et le reflet en rêve de la conscience que le sujet a de sa propre vie à l'état de veille, ce qui est
d'ailleurs impliqué par les méthodes d'induction qui demandent une augmentation du niveau
de conscience éveillée pour en obtenir la répercussion en rêve. Dans ce dernier cas, la lucidité
n'est pas le résultat d'un processus inconscient (formulation d'aspect contradictoire), mais
celui d'un processus conscient. On ne peut d'ailleurs supposer sans incohérence qu'une
pensée latente puisse être traduite par une conscience manifeste. Or, cette qualité
conscientielle n'a-t-elle pas des conséquences sur l'interprétabilité des éléments du rêve ?

La perspective ici se renverse : non seulement on considère que la lucidité ne peut être
ramenée dans le champ de ce qui s'interprète mais, de plus, on se demande si elle
"contamine" certains éléments oniriques qui, sans elle, appartiendraient à ce champ. En effet,
une première difficulté est visible en ce qui concerne les actes oniriques du rêveur lucide. Ces
actes sont-ils encore susceptibles d'être interprétés s'ils ne dépendent pas d'un sens latent ?
En fait, la conscience de rêver n'est pas plus une garantie de liberté inconditionnelle que la
conscience d'être éveillé. L'usage des suggestions post-hypnotiques montre qu'à l'état de
veille des sujets qui accomplissent les actes suggérés rationalisent consciemment une action
dont ils n'ont pas conscience qu'elle leur a été imposée sous hypnose. Il pourrait en être de
[19]
même dans le rêve, le rêveur ayant une illusion de liberté alors que ses actes ne
dépendraient que de l'inconscient. Dans ce cas la lucidité n'entame pas la nécessité de
l'interprétation du contenu mais ne s'y prête pas par elle-même. De plus, il se pourrait aussi
que le volontarisme du rêveur ne soit pas une illusion et qu'il interagisse avec un rêve qui se
serait déroulé autrement en son absence. Faut-il pour cela en conclure que la lucidité est un
élément étranger au rêve ou qu'elle indique une nouvelle catégorie de rêves qui échappe à
l'interprétation classique ? Dès lors que la lucidité n'est plus considérée comme une anomalie
mais comme une dimension du rêve à part entière et que l'on se rend compte qu'elle est
théoriquement et pratiquement réfractaire à l'interprétation de type classique, il devient
nécessaire de lui assigner une place qualitative dans le rêve, c'est-à-dire d'en faire non plus
un contenu à déchiffrer mais une qualité du rêveur. Ainsi faut-il se demander, au-delà de
l'interprétation, quelles formes prend l'interaction de la lucidité avec la vie de veille. On peut
considérer qu'elles sont de deux types : parallèle et séquentielle.

Dans le premier cas, on suppose que la lucidité onirique est corrélative de l'intensité de
la conscience de la vie éveillée. En effet, au-delà de la distinction entre contenu manifeste et
pensée latente, ce qui rend le rêve interprétable, c'est finalement qu'il reflète, dans un autre
langage, la vie de veille. Si donc le degré de conscience que l'on peut avoir en rêve est
compris comme un reflet de celui dont nous faisons preuve dans notre vie de veille, la lucidité,
bien que non interprétable, reste, dans un sens plus large, le signe de quelque chose qui
[20]
appartient à la vie éveillée du sujet. Ainsi, plus le sujet est conscient de sa vie , plus il est
conscient de ses rêves, ce qui d'ailleurs suppose toujours un certain décalage des deux types
de conscience puisque la lucidité onirique surgirait à la suite de ce développement
conscientiel de l'état de veille. De ce fait les deux états croissent, mais ne se rattrapent pas.
Dans une telle situation il n'est alors guère possible de considérer la lucidité comme une
intrusion du conscient dans le rêve. Il s'agit au contraire d'un développement normal dont les
caractéristiques, jusqu'à présent peu observées, restent à étudier. La lucidité serait donc à
interpréter comme le reflet onirique d'un développement de l'attention consciente à l'état de
veille et non plus comme porteuse d'un sens.
Dans un tel cas, la lucidité n'aurait pas de rapport direct avec le contenu interprétable
du point de vue du sens, ce qui reviendrait à dire qu'elle pourrait se manifester dans n'importe
quel type de rêve, ce qui est d'ailleurs constaté. Ce parallélisme expliquerait également que le
rêveur lucide puisse modifier un rêve qui, sans cela, aurait pris un tour différent. Si la lucidité
n'est pas un élément porteur de signification, elle permet au rêveur d'intervenir sans que cette
action onirique appartienne au même registre que celui offert par le rêve. Cela ne signifie pas
cependant que le rêveur interfère avec un rêve, mais qu'il a accès à un nouveau niveau
onirique dont le précédent n'est qu'une étape. Il s'ouvre en fait à une liberté onirique.

Cependant, l'idée que la lucidité correspond en rêve à un reflet de la qualité de la


conscience de veille, sans doute adéquate dans un certain nombre de cas, s'avère insuffisante.
Il est clair en effet que la qualité de la conscience du rêve ne dépend pas toujours de celle de
la veille. Dans certains rêves, elle apparaît nettement comme un élément du rêve seul, en
raison du rôle qu'elle y joue. La lucidité indique alors la qualité du rêve, et plus précisément
d'un rêve particulier. C'est pourquoi, plutôt que de corréler la lucidité avec la qualité de la
conscience de veille, certains cherchent une autre voie qu'on pourrait appeler séquentielle
puisqu'elle subordonne l'apparition de la lucidité à une nécessité propre au rêve (ou encore à
l'absence de toute nécessité). C'est par exemple la position de Kelzer lorsqu'il considère qu'un
rêve lucide se suffit à lui-même.

De ce point de vue, on peut se rendre compte que l'utilisation de la lucidité n'est pas
toujours la conséquence de son apparition mais souvent que c'est bien plutôt une nécessité
d'utilisation particulière qui la fait surgir. Ainsi, le désir de se souvenir de ses rêves provoque
souvent la lucidité, car elle permet de se rendre compte que ce dont il faut se souvenir est
justement ce qui est en train de se produire. Certains rêveurs distinguent nettement les
raisons qui expliquent la présence de leur lucidité : « Ce que j'appelle un rêve de refus :
c'était anciennement les rêves lucides les plus fréquents pour moi. La lucidité intervient parce
que le rêve est en train de devenir désagréable et qu'il est utile de cesser d'y croire.[…] Ce
que j'appelle un rêve de curiosité : le contenu du rêve est curieux ou amusant, et la lucidité
[21]
intervient pour qu'on puisse en jouir davantage » . Le rêveur attribue donc nettement sa
lucidité non pas à un reflet de sa conscience de veille mais à un besoin précis qu'elle aide à
satisfaire. Ce besoin est conscientiellement clair et ne concerne que le rêve. Le reflet de la
veille est donc insuffisant pour rendre compte de certaines occurences particulières de la
lucidité. Mais, inversement, l'interaction séquentielle ne rend pas compte non plus de tous les
rêves lucides ni même du fait que certaines méthodes d'induction en multiplient les
occurrences. Ces explications ne sont donc pas exclusives. Sans doute faudra-t-il élargir le
cadre de la réflexion et prendre en considération un domaine proprement conscientiel :
« Plutôt que de révéler les dysfonctions propres au processus conscient du rêveur, il est plus
probable qu'un rêve lucide apporte à son auteur des informations sur la nature même de la
conscience. Plutôt que d'indiquer quelque "arrêt du développement", il décrira
l'évolution générale de la conscience. La fonction première du rêve lucide sera de révéler, chez
le rêveur, ce qui est joie et créativité ; ce n'est que secondairement qu'il concernera la
[22]
résolution de ses problèmes affectifs » .

Ces remarques incitent à se demander si les autres formes de conscience associées à la


lucidité sont aussi difficilement interprétables.

On constate, cependant, que les tentatives d'interprétation ont plus de prise sur de
telles formes car, contrairement à la lucidité pure, ces dernières sont nécessairement liées au
contenu du rêve, contenu habituellement visé par l'interprétation. Plus exactement, ces
formes peuvent soit être liées à des événements oniriques qui seuls permettent de les
identifier, soit constituer l'événement lui-même.

La demi-lucidité ou la prélucidité entrent dans le premier cas puisqu'elles s'appuient sur


un événement onirique précis et que souvent seule l'interaction du rêveur avec cet événement
permet de les déceler. Par exemple, un rêve demi-lucide peut ne pas apparaître comme tel si
l'on ne dispose pas de son contexte.

« Un homme, accompagné d'une autre personne, passe en voiture. Il s'arrête,


se présente à la porte, parle et entre.
« Il m'attaque! Je hurle pour appeler à l'aide mes amis. Trois personnes
arrivent, se jettent sur lui et me libèrent. Elles le frappent. Il s'échappe en courant
par la porte principale et se réfugie dans une pièce vitrée voisine, située devant le
magasin. Je me lance, seule, à sa poursuite. Il est assis sur une chaise. Je le
frappe à la tête avec un tableau. Sa tête et ses yeux roulent d'avant en arrière, ses
paupières se ferment : il a presque perdu connaissance.
« Désolée du mal que je suis en train de lui faire, je me penche pour lui caresser
la tête et compatis à sa souffrance. Je sais pourtant que je dois continuer à le
frapper, jusqu'à ce qu'il soit mort ou totalement inanimé ; je procède ainsi à mon
corps défendant (tout se passe comme si je devais accomplir une tâche - jouer un
[23]
rôle - qui m'aurait été assignée, comme si j'étais surveillée ou filmée) » .
Ce rêve a été obtenu après avoir mis en pratique les principes "sénoïs" qui enjoignent
d'affronter et vaincre le danger en tuant son ennemi (« Victime d'une agression, faire preuve
[24]
d'une agressivité réciproque. 1. Attaquer son ennemi. 2. Si nécessaire, se battre à mort » ).
On comprend alors la raison de l'attitude ambiguë de la rêveuse : d'abord passive, puis active,
agressive tout autant que compatissante. L'une des tendances est celle de son moi de rêve
habituel tandis que l'autre est en quelque sorte "incubée" depuis l'état de veille et suppose
que le sujet ait une vague conscience qu'il s'agit d'un rêve. Sans cette ambiguïté de la
conduite à tenir dans une situation onirique précise, la demi-lucidité serait ici impossible à
déceler. Il en va de même pour la prélucidité qui porte nécessairement sur un événement
onirique provoquant l'interrogation du rêveur.

Le deuxième cas - celui où l'état de conscience constitue l'événement onirique


lui-même - est plus facile à discerner et, par là, à interpréter puisqu'il est vécu concrètement
par le rêveur et entre automatiquement dans le cadre de l'analyse de contenu. Par exemple, le
faux-éveil est à la fois un état de conscience particulier et un événement onirique, puisqu'il ne
peut apparaître comme tel que si le rêveur peut délimiter, dans son rêve, une séquence
onirique passée dont il croit s'être éveillé. Les séquences peuvent donc varier quant à leur
contenu, mais la structure de l'événement nécessite un support concret.

Ce support onirique concret des formes de conscience associées à la lucidité est par
nature interprétable en tant que tel et permet de rendre compte du même coup de l'état de
conscience qu'il révèle. Deux hypothèses sont alors à considérer : soit l'événement
onirique est interprétable et son aspect conscientiel est en quelque sorte réduit, soit ce dernier
ressort comme un résidu, ce qui signifie que l'interprétation n'est pas vraiment possible. Cette
difficulté peut se déceler aussi bien dans les rêves prélucides que dans les faux-éveils.

La prélucidité est un événement onirique qui indique nettement une hésitation, une
indécision : le rêveur n'arrive pas à conclure s'il rêve ou non. Une telle attitude dans le rêve
suggère fortement qu'une interprétation en ce sens est possible. Mais cette hypothèse est-elle
confirmée dans les faits ? Garfield en donne un exemple.

« Selon l'opinion de Green, confirmée par mon expérience personnelle, la


preuve de la réalité des rêves prélucides résiste aux examens les plus minutieux.
Lors d'un rêve de ce type je crus m'être éveillée. J'allumai en rêve la lampe près
de mon lit. Regardant la table de chevet à côté de moi, je remarquai la
couleur rouge de l'abat-jour et la lueur projetée sur le dessus en cuir de la table -
tout me semblait réel. Me doutant néanmoins de quelque chose, j'étendis le bras
et frappai vigoureusement sur la table. Elle me parut tout à fait solide. Puisque je
pouvais sentir (concrètement), j'en déduisis que mon expérience était bien réelle.
Mon rêve se poursuivit alors normalement. A mon véritable éveil, le symbolisme
du rêve me sauta aux yeux. Je m'étais interrogée auparavant sur l'authenticité de
l'affection qu'un certain ami prétendait éprouver à mon égard : " Elle devait être
[25]
vraie puisque je pouvais la ressentir ". »
Dans ce cas, la prélucidité a un sens symbolique. Mais il faut remarquer qu'elle est
peut-être pourvue de ce sens parce qu'elle ne conduit pas à la lucidité. On peut constater que,
lorsqu'elle y mène, elle n'est pas interprétée :

Je rêve que je me vois dormir dans mon lit, chez moi, et seul. Je sens venir un
état de conscience étrange et je me demande vaguement si je rêve ou si je suis
éveillé. Je suis conscient de mes bras et de mes mains, il y circule une énergie
inhabituelle, très agréable. Désirant vérifier si je rêve ou non, je frotte doucement
le pouce de ma main droite contre mes doigts. Rapidement, un courant d'énergie
délicate et raffinée se propage, partant de l'extrémité de mes doigts pour se
diffuser dans tout le haut du corps. La sensation est si particulière que je réalise
que je rêve. Je suis ravi d'être lucide et commence à explorer les sensations de
mes mains, de mes bras, de mon visage, de ma poitrine. J'éprouve dans mon
[26]
corps, un plaisir très doux, très délicat.
La première partie de ce rêve est typiquement prélucide : le rêveur se demande s'il rêve
et teste sa situation pour être fixé. Or, l'interprétation que Kelzer donne de ce rêve porte
uniquement sur la partie lucide. En effet lorsqu'il en vient à commenter le début de son
expérience il se contente de la décrire et d'en tirer des conclusions de portée générale : « Ce
rêve offrait un autre aspect intéressant. Il passait, en effet, par les trois stades, progressant
du rêve ordinaire au rêve pré-lucide pour atteindre finalement la pleine lucidité. Lorsque je
"ressentis" l'approche d'un état de conscience étrange, "me demandant vaguement" si je
rêvais ou si j'étais éveillé, j'accédais à l'état pré-lucide. Ce rêve m'apprit que, dans la
pré-lucidité, souvent le rêveur s'interroge, cherche à deviner, met en question, éprouve des
doutes sur son état. Il se demandera peut-être : "est-ce que je rêve ?", ou bien, au contraire,
il se dira nettement : "non, il est impossible que ce soit un rêve". Dans un cas comme dans
l'autre, la question utile a été posée mais la conscience n'a pas encore pleinement atteint le
niveau qui permettrait une réponse affirmative. Si le rêveur dépasse ce moment de confusion,
de doute ou de simple supposition, il parvient à une clarté d'esprit totale ("je suis tout à fait
sûr de rêver"). Il connaît alors l'état de pleine lucidité. Ce rêve, ainsi que d'autres qui lui
succédèrent, m'apprit qu'il existait des degrés de lucidité et je commençai à me dire que le
stade ultime devait être celui où le rêveur possède, dans l'instant, la conviction absolue
d'être en train de rêver. Tout ce qui ne contient pas cette entière conviction, j'ai choisi de le
définir comme rêve pré-lucide. Je me suis également aperçu que tous les rêves pré-lucides ne
mènent pas nécessairement à une lucidité totale. Ils n'en sont pas moins des indicateurs
stimulants et précieux, car ils offrent des repères permettant de mesurer l'ensemble de nos
[27]
progrès dans un entraînement au rêve lucide » . Ce sont bien là des conclusions générales
qui montrent que le rêveur n'a pas estimé pertinent de rattacher la prélucidité au contexte du
rêve alors même que ce dernier semble s'y prêter lorsqu'on prend connaissance du
passage lucide :

Puisque je suis lucide, je décide d'écrire un poème. Aussitôt, une source, qui
paraît jaillir des profondeurs de mon être, crée les vers suivants :
" Mon Dieu, vous qui avez créé l'homme,
" Vous qui saviez, dès le commencement,
" Tout ce qu'il lui faudrait subir et endurer,
" Vous avez, néanmoins ..."
J'entends alors que l'on frappe fort à la porte d'entrée. Ma femme, Charlène, va
ouvrir. Lorsqu'elle l'a fait, je vois un homme dont le visage foncé est poilu comme
une tête d'animal. Il est vêtu très proprement d'un complet bleu-marine, tout à fait
comme un homme d'affaires. Il se tient devant la porte, parlant d'une voix
profonde, grondante et rocailleuse, bredouillant, de manière confuse et gutturale,
un message dont le ton indique bien l'urgence. Je ne comprends rien à ce qu'il dit
mais je perçois la qualité d'urgence et la bestialité de sa voix. Celle-ci devient si
forte qu'elle me distrait et que je commence, en l'écoutant, à perdre ma
conscience lucide. Il continue à grogner, de cette façon rude et gutturale. Soudain,
je m'éveille. Je comprends que je viens de faire un rêve lucide et j'en suis tout
[28]
excité.
On aurait pu s'attendre à ce que certains passages du rêve résonnent comme un thème,
par exemple que la confusion de la prélucidité trouve en écho la confusion des genres qu'il y a
à mêler l'aspect animal et l'aspect civilisé en un seul (une bête incompréhensible habillée en
homme d'affaires). Mais, en fait, il n'en est rien et Kelzer, thérapeute pratiquant
l'interprétation jungienne, n'en a pas ressenti le besoin. Il apparaît de ce fait que, pour le
rêveur, la prélucidité n'est pas un événement onirique dont il faudrait chercher le sens.

On pourrait néanmoins objecter que Kelzer a simplement "laissé de côté" cette partie
du rêve qui, tout en étant interprétable, ne méritait pas trop que l'on s'y attarde. Si tel est le
cas, un rêve dont le thème serait la prélucidité ne devrait pas échapper à l'interprétation. Or,
Kelzer nous donne justement un rêve de ce type qui a pour titre: "Suis-je en train de rêver ou
[29]
non ?" :

Je rêve et j'ai une conscience vague d'être peut-être en train de rêver. Je sens
que je suis allongé dans mon lit, sur le ventre, et j'entends mon fils Erik qui entre
en courant dans la chambre. Il me dit "Papa ... Papa ...", et me secoue un peu. Je
décide de rester immobile pour ne pas troubler l'état dans lequel je me trouve.
Bientôt, Erik s'en va. Sa voix et la sensation d'être touché par lui étaient si réels
que je pense que, après tout, ce n'était pas un rêve […].
La scène change. Je vois un merveilleux paysage de campagne, au printemps. Il
me semble qu'un certain temps a passé et je me dis que j'ai dû recommencer à
rêver. Je vois une fleur rouge d'une beauté extraordinaire, rayonnante, et je sais
aussitôt que je rêve. Je commence à sentir l'habituel courant d'énergie raffinée, se
diffusant à travers ma poitrine et montant dans ma tête. Je me dis : cette fleur est
si belle que je suis sûrement lucide. J'en suis tout à fait convaincu [...].
A nouveau, j'entends Erik entrer en courant. il me touche doucement le bras et
dit : "Papa, c'est l'heure de se lever". il essaie de me réveiller mais, comme la
première fois, je choisis de rester immobile et il ne tarde pas à s'en aller.
Maintenant, je ne sais plus si je rêve ou non. Je fais volontairement le test de
cligner des yeux très fort. La sensation physique, dans mes yeux, est très vive,
très réaliste et j'en conclus que, finalement, je ne rêve pas. J'en suis désappointé.
Mais la scène change à nouveau [...]. Je me dis : "Je suis cadre supérieur dans
la publicité avec un salaire de haut niveau, donc je suis tout à fait certain d'être en
train de rêver". Je me sens très à l'aise dans ce rôle de cadre publicitaire, bien que
je sache parfaitement que ce n'est pas du tout ma profession. Je m'aperçois qu'en
fait ce genre de travail ne m'intéresse absolument pas, et j'en conclus avec
[30]
assurance que cela doit être un rêve.
A son réveil Kelzer se rend compte que toute l'expérience était un rêve et s'assure que
son fils Erik n'est pas entré dans sa chambre durant son sommeil. Il a donc été prélucide à
plusieurs reprises. Il donne un commentaire de son expérience en ce qui concerne le
fonctionnement de sa conscience. Mais comment interprète-t-il le rêve ? Il ne l'interprète pas,
son sentiment est qu'il n'y a rien à interpréter : « Je n'avais aucun désir d'analyser ce rêve
lucide ni d'en faire un usage thérapeutique quelconque. J'avais le sentiment, si fréquemment
associé à ce genre de rêves, d'un événement complet se suffisant à lui-même, presque
comme une œuvre d'art. Cette impression d'avoir affaire à un tout, à quelque chose d'achevé
et d'entier, est l'un des traits marquants qui distinguent les rêves lucides - ou beaucoup
[31]
d'entre eux - des rêves ordinaires » .

La situation onirique que constitue la prélucidité en rapport direct avec la lucidité


n'éveille pas d'écho interprétatif dans l'esprit des rêveurs alors même qu'un observateur
extérieur pourrait proposer des hypothèses différentes. Le rêveur sent nettement ces
phénomènes comme distincts de ce qui appelle un sens.

En ira-t-il de même pour le faux-éveil ? Il ne présente en effet pas la même structure


que le rêve prélucide qui doit mener à une issue ou à une autre. En effet, on ne peut pas
constamment passer son temps à se demander si l'on rêve et l'on finit soit par trancher, soit
par oublier la question. Le faux-éveil, qui pour sa part consiste à rêver qu'on se réveille d'un
rêve, peut être accompagné aussi bien de lucidité, de prélucidité que de l'absence de lucidité.
En ce sens ce n'est déjà plus tout à fait en tant qu'acte qu'il peut se donner comme
interprétable (se réveiller n'est un acte que pour un rêveur lucide), mais plutôt comme
représentation (due en général au changement de rêve, donc de décor). Dans le cas du
faux-éveil il y a passage à un nouveau décor oniriquement perçu tandis qu'est gardé à l'esprit
le souvenir de la séquence onirique précédente.

On pourrait penser que le faux-éveil semble bien, par sa nature même, entrer dans le
cadre des rêves interprétables en fonction d'un désir, celui de continuer à dormir. Ce type de
rêve est bien connu et Freud en a donné plusieurs cas : « Quand j'étais jeune, j'avais souvent
des rêves de cette sorte. J'ai toujours eu l'habitude de travailler tard dans la nuit et j'avais
beaucoup de mal à me lever le matin. Je rêvais souvent que j'étais levé et devant ma table de
toilette. Au bout d'un certain temps, j'étais bien obligé de constater que je n'étais pas encore
levé, mais j'y avais gagné un moment de sommeil. Un de mes jeunes confrères, qui comme
moi aime dormir, a fait ce rêve de paresse sous une forme particulièrement amusante. Il
habitait assez près de l'hôpital où il allait tous les matins, et sa logeuse avait ordre de le
réveiller de bonne heure, mais elle avait toutes les peines du monde à y parvenir. Un matin, il
dormait d'un sommeil particulièrement profond. Elle cria : "Monsieur Pepi, levez-vous, faut
que vous alliez à l'hôpital!". Le dormeur rêva qu'il était à l'hôpital, dans une chambre, couché
dans un lit, avec au-dessus de sa tête une pancarte sur laquelle on pouvait lire : Pepi H.,
étudiant en médecine, 22 ans, et il se disait en rêve : "Puisque je suis déjà à l'hôpital, je n'ai
plus besoin d'y aller." Il se retourna et continua à dormir. Il avait ainsi reconnu franchement le
[32]
motif de son rêve » .

Ces "rêves de paresse" ne sont pas exactement des rêves de faux-éveil mais plutôt des
rêves de rendormissement. S. Freud et Pepi H. se réveillent avec l'intention de se lever et se
rendorment sur cette idée qui fournit le thème de leur rêve. Le faux-éveil est d'un autre ordre
puisqu'il se situe dans un même rêve dont l'une des scènes simule un réveil par rapport à la
scène précédente qui est alors considérée comme un rêve. Néanmoins le désir de dormir
pourrait être ici invoqué dans des cas qui ressemblent à ceux cités par Freud.

« […] je suis dans la campagne, à une époque ancienne, plutôt le Moyen Age.
Au carrefour de deux chemins, il y a une croix sur un socle en forme de pyramide
tronquée. J'emporte la croix, après l'avoir arrachée, ainsi que son socle. Je suis un
peu dégoûté, car je sais qu'à l'intérieur du socle, il y a le cadavre de quelqu'un. Je
rentre chez moi. Je m'aperçois alors que la croix est en cuir, toute molle, et le
socle est une simple boîte de carton noir comme celles où l'on met les chocolats.
Elle est vide. A ce moment, je sens le besoin d'aller aux W.C. et je me souviens
que je suis dans mon lit en train de dormir. (Lucidité) Je tiens toujours la croix en
cuir, mais il va falloir se lever. J'allume. Au lieu de la lampe, ce qui s'éclaire
vaguement ce sont des campanules qui poussent sur mon couvre-pieds (dans la
réalité, elles sont sur le balcon). Je me lève, dans la pénombre, et je m'étonne un
peu, car une faible luminescence semble traverser le tapis accroché au-dessus de
mon lit. A ce moment, je me dis dans le rêve: "Je ne suis pas levé, je rêve
[33]
encore", et je m'éveille pour de bon » .
La lucidité elle-même permet une explication du rêve de faux-éveil par le désir de
dormir. Le faux-éveil apparaît souvent comme une façon de régler un conflit de désir lorsque
par exemple le rêveur souhaite se réveiller pour noter un rêve lucide qu'il juge important tout
en ayant malgré tout envie de dormir. Il permet de concilier les deux types de désir.

Le faux-éveil peut également être une solution à des difficultés inconnues en rêve
ordinaire mais que la lucidité fait surgir. En effet, lorsque le rêve lucide aboutit à une
conclusion qui apparaît logique au rêveur, ce dernier s'attend à se réveiller alors que la plupart
du temps il aurait souhaité continuer à rêver lucidement. Le faux-éveil lui permet alors de
poursuivre son sommeil tout en satisfaisant à cette exigence logique. Cela explique sans doute
pourquoi les faux-éveils sont particulièrement nombreux dans le prolongement d'un rêve
lucide (« Les expériences de ce type sont relativement communes, mais elles semblent se
[34]
produire bien plus fréquemment en association avec le rêve lucide » ).

Elle explique aussi pourquoi la lucidité tend à se réactiver au cours du faux-éveil.

« Rêve lucide: Dans ma chambre je flotte au-dessus de mon lit. J'ai du mal à
m'en éloigner. J'imagine que je renvoie de la matière astrale dans le cordon. Dans
les faits j'ai l'impression d'arracher des plaques de colle, une sorte d'enveloppe qui
m'alourdit. Puis j'ouvre la fenêtre pour m'envoler. Il fait obscur. Plus loin je vois
deux explosions blanches qui trouent la nuit ou le matin naissant au-dessous de
moi. Je vois devant moi une ombre blanche qui n'est autre que moi-même. Je
l'envoie en avant mais j'aimerais que ce soit moi conscient qui soit à sa place. Je
n'arrive pas à me rejoindre. Je me retrouve au-dessus de mon lit et je me réveille.
« Faux-éveil: Dans le lit, et E… est dans ma chambre. J'entends ma mère et ma
sœur qui discutent dans le couloir. Voilà que mon père se met en colère sans
raison. Or, il est dans son bureau dont la porte ouverte donne sur ma chambre,
mur de gauche en entrant (cette porte n'existe pas, ni le bureau, à l'état de veille).
Voyant E… qui vient de se lever, il lui adresse quelques mots joyeux.
« Je sors dans le couloir et au bout je trouve ma mère dans un salon (à la place
de la salle de bain). C'est une pièce vaste qui ressemble au salon de l'appartement
de mon grand-père (décédé) à R…. Je réfléchis : normalement j'avais laissé E…
chez elle (Prise de conscience:) c'est donc que c'est un rêve. J'en fais part à ma
mère.
« Rêve lucide : Je dis à ma mère qu'il s'agit d'un rêve mais cela n'a pas l'air de
[35]
l'enthousiasmer. Elle ne s'en occupe pas. […] » .
La première séquence, lucide, de ce rêve aboutit à une conclusion logique. Puisque le
rêveur commence son rêve lucide en flottant au-dessus de son lit, le retour au-dessus du
même lit tend à indiquer la fin du rêve. Le désir du rêveur de continuer l'expérience est
marqué au cours de cette séquence par sa tentative non aboutie de se substituer à une image
de lui-même. Le faux-éveil permet au sujet de continuer à rêver tout en respectant la logique
de la séquence précédente et, un peu plus tard, de redevenir lucide.

Dans tous ces cas l'interprétation du faux-éveil par le désir de dormir est pertinente
puisqu'elle rend compte à la fois de la forme du faux-éveil et de l'état de conscience, quelque
peu différent de celui du rêve ordinaire, que suppose cette forme. Néanmoins si cette
interprétation est ponctuellement satisfaisante elle n'est pas généralisable et ne rend pas
compte de la plupart des faux-éveils. En effet l'influence souterraine d'un désir de dormir n'a
de sens que si le rêveur doit lutter contre une tendance qui cherche à le réveiller, qu'elle soit
externe ou interne au rêve. Or, bien des faux-éveils ne permettent pas de déceler une telle
tendance.

« Au début de la nuit, j'ai fait un rêve de faux-éveil très réaliste […]. Je m'éveille
à demi avec une certaine peur irrationnelle de "quelque chose dans
l'appartement". A un moment, il y a un sac à dos gris au pied de mon lit, mais
cette image disparaît. Je me rendors un peu, puis me réveille en sursaut car
quelqu'un est couché sur le coffre de l'autre côté de la pièce. J'essaie en vain
d'allumer la lumière, puis je me dresse et demande: "R…, c'est toi ?" Il me répond
d'un ton désespéré: "Oui, je détruis tout." Sur quoi je m'éveille réellement en
[36]
sursaut. J'aurai des frissons pendant quelques minutes après ce réveil » .
Ce faux-éveil qui survient en début de nuit ne comble pas un désir de dormir qui n'est
en rien contrarié. De plus, pour la même raison, on ne peut le soupçonner de servir
d'échappatoire à un rêve désagréable qui aurait pu provoquer un réveil. Bien au contraire il
est lui-même, comme le montre la chute, un rêve désagréable qui provoque le réveil. Toujours
pour la même raison ce faux-éveil ne renvoie pas non plus à une logique du rêve dont une
séquence de conclusion l'entraînerait. Ainsi ce rêve, et la plupart des rêves de faux-éveil de
[37]
type 2 à la catégorie desquels il appartient, ne peut s'expliquer dans l'optique freudienne.
Dans ce cas précis le rêveur attribue ce faux-éveil aux exercices de relaxation qui ont précédé
l'endormissement. On peut supposer que, dans ce type de rêve, le faux-éveil indique tout
simplement un état de conscience particulier indépendamment de toute interprétation.

Cette remarque ne se limite d'ailleurs pas au faux-éveil isolé. Lorsqu'il est corrélé avec
un rêve lucide, l'interprétation par le désir de dormir suppose une tendance qui lui est
adverse, interne cette fois dans la mesure où elle émane du rêveur lui-même, soit que ce
dernier essaie de se réveiller (pour noter ses rêves ou fuir un cauchemar) ou s'attende à se
réveiller (en raison de l'évolution de la situation onirique) ce qui peut provoquer un réveil. Or,
tous les rêves lucides qui débouchent sur le faux-éveil n'entrent pas dans ce cadre explicatif.
Nombreux sont les rêves lucides où le faux-éveil apparaît comme une conclusion logique mais
n'est pas suscité par une attente.
« Je vais en Angleterre. Je prend le bus en espérant reconnaître la station à
laquelle je dois descendre. Il fait jour. Un bobby anglais blond et portant un casque
monte dans le bus. Spontanément je sors ma carte orange. D'abord il ne la
regarde pas. Puis il lui jette un coup d'œil mais ne s'aperçoit pas qu'elle est
française. Il doit croire que c'est normal. Sans que je m'en aperçoive le bus arrive
presque au terminus. Ce n'est pas du tout mon chemin, je ne reconnais rien et je
suis très loin. Je m'en ouvre à deux dames qui me répondent que la station de bus
est juste derrière. Je descends quelques arrêts avant la fin. Il fait nuit noire.
Derrière un grillage j'aperçois quantité de bus. Je passe par une entrée obscure et
me retrouve dans le noir total. Je continue à avancer et je monte des degrés. Me
voilà sur le seuil d'une porte menant à une église ou une cathédrale. Je grimpe des
marches.
« Rêve lucide : Je m'apprête à me lancer dans le vide du haut d'un étage
supérieur, intérieur à la salle de l'église, pour vérifier que mon esprit n'éprouve pas
de peur. Je veux m'envoler normalement. Je saute et commence par tomber dans
le vide, mais bientôt je remonte comme un ballon que l'air dont il est gonflé
ramènerait à la surface de l'eau. Je regarde autour de moi et vois, incrustée dans
le mur, une statue représentant un ange. Si je m'attarde sur les détails je peux les
voir avec netteté, par exemple les doigts de pied en pierre, mais je préfère avoir
une vision d'ensemble. Quelqu'un d'autre est à côté de moi. Je reconnais C…. et lui
dis de sauter aussi. Il le fait mais se transforme en un homme aux cheveux blancs
et s'écrase au sol. […] Je regarde mes mains puisque c'est ce que fait C.
Castaneda. Puis je les mets devant mes yeux. Tout devient noir. Je les enlève et
les remets. Mais à force de jouer à ce jeu j'ai fini par ouvrir les yeux.
« [Faux-éveil:] Et je me crois réveillé. L'église est toujours là. Je sens que mes
parents se trouvent dans les environs. Vers le centre de l'église se tient une vieille
dame. Elle s'est placée à côté de sa propre statue qui la représente quand elle était
jeune et très belle. Elle nous parle d'autrefois : les gens n'avaient pas besoin
d'acheter à chaque fête les anges tournant au-dessus des bougies et tout le
matériel, il y avait une section de la famille qui était spécialement occupée à ça et
il suffisait d'avoir recours à ses services. Quelque part à côté de la statue on peut
voir une tête, sur une armoire, plutôt ronde, avec une étrange coiffure et un
chapeau.
« … J'ai noté quelque chose pendant mon sommeil car je trouve à côté de mon
[38]
lit un croquis assez réussi de l'intérieur de l'église […] » .
Dans ce rêve il est clair que ce n'est pas l'enchaînement des séquences du rêve qui
atteint une conclusion logique mais c'est la disparition de la lucidité qui se transforme pour le
rêveur en faux-éveil. C'est en effet ainsi qu'il comprend sa situation alors même que le décor
ne change pas. Ce n'est donc pas le désir de dormir qui explique ce faux-éveil mais un
changement dans le degré de conscience de soi. D'ailleurs, dans certains cas, le faux-éveil est
lucide dès le début, en ce sens que le rêveur rêve qu'il s'éveille tout en sachant qu'il est
encore en train de dormir. On voit mal alors en quoi le faux-éveil protégerait le sommeil d'une
décision ou d'une attente du rêveur puisque celui-ci n'en est pas dupe.

De façon générale, les rêveurs n'ont pas plus tendance à interpréter leurs faux-éveils
que la lucidité. C'est que le faux-éveil semble plus naturellement associé à des structures
conscientielles et oniriques qu'à des désirs ou des éléments psychiques dissimulés. Il
n'appartient pas systématiquement au domaine de ce qui est à interpréter. En fait, ces
difficultés font même rétrospectivement considérer les premières explications comme
hypothétiques. D'autres types d'explications par la structure onirique peuvent rendre compte
de ce qui nous est apparu comme la réalisation d'un désir. Il se pourrait bien alors que de tels
rêves dépendent non d'un désir de dormir mais de la qualité même du sommeil. On peut en
effet supposer que, de même que les rêves hypnagogiques sont assez différents des rêves de
sommeil en raison d'un état de conscience différent, de même les rêves de faux-éveil
dépendent à l'intérieur du sommeil lui-même d'une qualité particulière qui n'a pas encore
été déterminée mais se rapprocherait de l'état d'éveil. Cette hypothèse se justifie de plus par
les différents niveaux de rêves que le rêveur traverse dans un certain ordre à
[39]
l'endormissement et dans l'ordre inverse au réveil . Ainsi la distance se creuserait entre les
rêves de faux-éveil et ceux cités par Freud, qui n'en sont pas au sens strict puisque le rêveur
ne rêve pas qu'il se réveille mais qu'il accomplit les actes qu'il devrait accomplir s'il s'éveillait.

Ainsi, l'attitude des rêveurs aussi bien que la structure des rêves donnent à penser que
la prélucidité et le faux-éveil n'entrent pas nécessairement dans un cadre interprétatif mais
qu'il faut les comprendre avant tout comme des indications du degré de conscience du rêveur.
La prélucidité ou le faux-éveil, bien que participant du contenu du rêve, ne sont pas
fondamentalement des représentations oniriques et ne sont pas interprétables
indépendamment de toute considération conscientielle. On peut donc considérer que le type
de conscience présent dans les rêves lucides et associés n'est pas concerné par l'interprétation
même si le contenu du rêve en relève éventuellement. Toutefois, peut-on maintenir cette
dernière position même lorsque ce contenu onirique accompagne spécifiquement ces formes
de conscience ?

II. L'interprétation des éléments des rêves lucides et associés


Les éléments spécifiques des rêves lucides et associés sont-ils susceptibles
d'interprétation ? Ces éléments accompagnent fréquemment la lucidité et nous ont amené à
parler de rêves "associés" dans le cas de rêves non lucides. Par définition, de tels éléments
appartenant au rêve doivent pouvoir être interprétés : ils constituent en effet l'aspect concret
du rêve, celui que le rêveur perçoit et vit et qu'il peut par la suite décrire et raconter. Ainsi,
mis à part leur fréquence d'apparition exceptionnelle dans le cadre des rêves lucides, ces
éléments ne sont pas d'une texture différente de ceux habituellement présents dans les autres
types de rêves. Mais cela signifie-t-il que l'on peut les interpréter sans tenir compte de la
lucidité ? Ainsi, un rêveur devenant lucide peut être amené à des actes particuliers (comme
voler) parce qu'il se sait en train de rêver. L'interprétation doit-elle en tenir compte ou s'en
tenir à l'acte lui-même ? En d'autres termes, la lucidité est-elle superfétatoire ou essentielle
pour interpréter ces éléments ? D'un côté, l'existence de rêves associés dont ces éléments
sont la seule marque fait pencher en faveur de la première hypothèse mais, de l'autre, la
fréquence de l'apparition de ces éléments selon le type de rêve (très élevée dans les rêves
lucides et presque inexistante dans les rêves non lucides) incite à se demander s'il ne faut pas
tenir compte de cette corrélation dans une tentative d'interprétation. De plus, dans la mesure
où ces éléments sont particuliers, peuvent-ils entrer dans un système d'interprétation ou ne
font-ils pas plutôt partie d'une structure propre à certains rêves ? Par exemple, une
représentation onirique visuelle colorée peut être considérée comme appartenant à la
structure du rêve tandis qu'est susceptible d'interprétation la qualité particulière de la couleur,
voire son absence (mais non son existence). Certains éléments spécifiques ne pourraient-ils
pas de la même façon dépendre non d'un sens mais d'un type de structuration dû à la lucidité
?

Ces difficultés nous incitent dès l'abord à opérer une première distinction entre l'image
et l'événement onirique qui normalement ne sont pas dissociables dans l'expérience du
rêveur. On peut appeler image onirique ce qui fait pour le rêveur l'objet d'une perception
onirique et événement onirique ce qui arrive au rêveur, ce qui fait que le rêve a pour le
rêveur un mouvement. Cette distinction se révèle nécessaire avant même d'envisager
l'interprétation du contenu d'un rêve lucide. Si, en effet, un rêveur peut prendre des décisions
en fonction de la connaissance qu'il a de son état, ses actes doivent être séparés de ce qu'il lui
est donné de percevoir en rêve, au moins en première analyse. Or, comme dans un rêve
lucide les événements dépendent des actes du rêveur, on peut considérer que, dans une
séquence onirique, ils doivent être distingués des images qui les constituent. Ainsi,
lorsqu'Hervey de Saint-Denys fait face en rêve lucide à un démon de cathédrale, il est clair
que seule cette volte-face dépend de la lucidité tandis que le démon lui-même, dont
l'existence est attestée dans des rêves ordinaires précédents du même rêveur, s'il fait bien
partie de la séquence lucide, n'en est pas spécifique. Dans les rêves ordinaires aussi bien que
dans le rêve lucide, il doit pouvoir faire l'objet d'une interprétation, comme en témoigne une
[40]
étude des similitudes avec d'autres rêves . Dans d'autres cas, l'élément spécifique peut
appartenir au domaine de l'image plutôt qu'à celui de l'événement, comme par exemple dans
la vision de soi-même. En effet, voir un personnage onirique n'a rien de spécifique de la
lucidité excepté lorsque ce personnage représente le rêveur. La distinction ainsi opérée entre
l'image et l'événement s'avère donc un outil d'analyse indispensable.

Ainsi, en examinant deux sortes d'éléments spécifiques du rêve lucide appartenant à


chacune de ces catégories, nous allons essayer de voir si les interprétations qui en sont
habituellement données dans les travaux de type psychanalytique permettent réellement d'en
rendre compte. Notre intention n'est donc pas d'examiner les interprétations possibles de tous
les éléments spécifiques mais seulement d'essayer de montrer comment l'interprétation entre
en relation avec ce type d'éléments, en examinant plus particulièrement les rêves de vol et de
double.

L'intérêt porté au rêve de vol fournit l'exemple typique du besoin de rendre les rêves
intelligibles. Voler en rêve sans aide mécanique est en effet généralement considéré comme
exigeant une explication en raison de son incongruité, puisqu'à l'état de veille l'homme ne vole
pas par ses propres moyens. L'histoire de la recherche montre que ceux qui s'y sont intéressé
ont tous essayé de rendre compte de ce phénomène qui aurait pu pourtant être considéré
comme mineur. Ce qui a motivé une telle recherche est probablement la fréquence et surtout
l'intensité de tels rêves. Déjà au début du siècle H. Ellis les considéraient comme « le type de
rêve le plus connu et le plus fréquent » : « les hommes se sont attachés avec amour à cette
croyance que dans certaines conditions ils pouvaient voler, et nous pouvons bien supposer que
cette croyance doit en partie sa conviction, et le désir de la rendre pratique, aux expériences
faites en rêve. Il n'y a pas, en effet, de rêve plus vivant et plus convaincant que celui de voler
; aucun ne laisse après lui un sentiment si puissant de la réalité de l'expérience. Raffaelli,
l'éminent peintre français, qui est sujet en rêve à l'impression de flotter en l'air, confesse que
cette impression est si convaincante qu'il lui est arrivé, au réveil, de sauter à bas de son lit et
d'essayer de tenter l'expérience. "Je n'ai pas besoin de vous dire, ajoute-t-il, que je n'ai
jamais réussi." Herbert Spencer déclare que, dans une société de douze personnes, trois
assurèrent que dans leur vie elles avaient eu des rêves, de descendre un escalier en volant, si
nets, et si impressionnants par la réalité de l'expérience qu'elles avaient voulu la
recommencer, éveillées. Une d'elles souffrait encore des suites d'une entorse ainsi produite.
[…] Le fait […] que l'on trouve tant de gens pour croire que de tels rêves possèdent quelque
[41]
sorte de réalité indique clairement l'impression puissante qu'ils produisent » .

L'intensité étonnante des rêves de vol rend probablement compte des multiples
tentatives d'explications dont ce phénomène a été l'objet. Cette intensité peut laisser supposer
que de tels rêves étaient plus ou moins lucides mais les chercheurs n'ont généralement pas
remarqué cette caractéristique qui apparaît parfois en filigrane dans les récits, ne serait-ce
que dans ceux d'Ellis : « C'est pendant un de ces rêves de lévitation, dans lesquels on se
trouve capable de sauter en l'air et de s'y maintenir, que j'eus l'idée d'écrire quelque chose sur
ce sujet, car je pensais dans mon rêve que ce pouvoir dont je me trouvais investi était
probablement plus répandu qu'on ne le supposait communément, et que, en tout cas, il devait
[42]
être généralement connu » . Si Ellis a eu l'idée d'écrire quelque chose sur le rêve de vol
pendant un tel rêve, c'est peut-être qu'il était à un degré ou à un autre conscient de sa
situation. Cette caractéristique ne l'a cependant pas frappé comme elle l'a fait pour van
Eeden à la même époque. Or, si l'on se rappelle que la plupart des tentatives d'explication du
rêve de vol se sont révélées insatisfaisantes, la prise en compte de l'état de conscience du
rêveur s'avérera sans doute plus éclairante.

En effet, tant que le rêve de vol est examiné en dehors de l'état de conscience du
rêveur, les nombreuses tentatives d'explication tant physiologiques qu'interprétatives ne sont
jamais parvenues à résoudre tous les problèmes posés par le phénomène. Ainsi, pour les
explications de type physiologique, non seulement des cas invalidants peuvent toujours être
opposés à des arguments qui se veulent d'une portée générale mais, de plus, le principe
même de ces explications n'est pas consistant, comme on peut le constater sur les deux
exemples d'explications physiologiques les plus connus : les sensations cutanées et l'activité
respiratoire. Certains auteurs ont cru pouvoir expliquer le rêve de vol par l'absence des
sensations de pression tactile qui suggèrent un contact avec le sol et notamment, pour
Bergson, de contact de la plante des pieds avec le sol. Mais Delage donne un exemple
invalidant cette idée : « J'ai fait récemment un rêve de vol très net et assez prolongé, et au
réveil qui a eu lieu aussitôt après, j'ai constaté que j'avais les jambes croisées et que la plante
du pied droit appuyait fortement sur la face dorsale du pied gauche, tandis que la face
[43]
plantaire de ce dernier était en contact avec un coussin placé au fond du lit » . De la même
façon on a pu attribuer le vol onirique à l'activité respiratoire dont le mouvement rythmique
élevant et abaissant l'abdomen expliquerait, selon Ellis, les bonds du rêveur ou le sentiment
de lévitation. Mais là encore des exemples invalidants peuvent être donnés : « Il m'arrive
fréquemment de filer longuement, parallèlement au sol, prenant pied de temps à autre, mais
[44]
sans aucun rythme régulier » . Les exemples invalidants n'infirment pas la légitimité de ce
type d'explication dans certains cas particuliers mais ils en récusent la portée générale. De
plus, ces explications souffrent d'une déficience dans leur principe même puisque l'activité
respiratoire ou l'absence de sensations tactiles à la plante des pieds accompagnent
régulièrement le dormeur alors que le rêve de vol ne se manifeste pas avec la même
régularité, ce que Freud avait déjà remarqué : « Si un rêve de vol symbolise le mouvement de
nos poumons, ce rêve devrait, comme le remarque Strümpell, se produire beaucoup plus
[45]
souvent ou correspondre à une respiration plus active » .

Freud ou Delage expliquent en fait le rêve de vol non par une sensation actuelle mais
par le souvenir d'activités (notamment de jeux de l'enfance) qui peuvent donner les mêmes
sensations. Ce ne sont donc pas des sensations physiques actuelles qui provoquent le rêve de
vol mais au contraire le rêve qui, s'appuyant sur de tels souvenirs d'enfance, provoque chez le
rêveur des sensations oniriques qui accompagnent son sentiment de voler : ces sensations
[46]
font donc partie du contenu du rêve . Dans ce cas la cause du rêve de vol est avant tout
psychique et il semble bien que seule l'interprétation puisse en rendre véritablement compte.

Cependant, l'interprétation y parvient-elle réellement ? Celle que propose Freud semble


trop générale pour être réellement utilisable : « Le désir d'être capable de voler ne signifie
pas, dans le rêve, autre chose que le désir d'être capable d'activité sexuelle. C'est un souhait
[47]
de la tendre enfance » . Il est toujours possible, avec les manipulations appropriées, de
ramener un rêve de vol (ou d'autres types de rêves) à un désir sexuel, mais si l'on tient
compte de l'impression des rêveurs eux-mêmes, une telle interprétation n'éveille en eux
aucun écho. Les rêves lucides notamment montrent des rêveurs qui préfèrent voler en rêve
plutôt que d'avoir une relation sexuelle, ce qui rend impossible l'assimilation des deux
situations. La difficulté de ramener le rêve de vol à un seul type d'interprétation était d'ailleurs
déjà apparue à Freud dès L'Interprétation des Rêves : « Je ne peux cependant pas me
déguiser qu'il m'est impossible de donner une explication complète de cette espèce de rêves
typiques. […] je ne peux pas dire quelles autres significations il faut attacher à l'évocation, au
cours de la vie, de telles sensations ; sans doute, des significations différentes, selon les
[48]
individus, malgré l'apparence typique de ces rêves » . Et ailleurs : « Les rêves où l'on vole
ou plane, et qui le plus souvent sont agréables, réclament des explications diverses : très
[49]
spéciales pour certains, pour d'autres typiques » .

Si le rêve de vol reste difficile à comprendre, sans doute faut-il l'étudier en rapport
avec d'autres éléments, et de ce point de vue la corrélation remarquée par les rêveurs lucides
entre le vol et la lucidité, pour empirique qu'elle soit (et peut-être justement à cause de cela)
constitue un point de départ possible. Nous avons vu en effet que le rêve lucide et le vol sont
étroitement associés : soit le rêve de vol annonce la lucidité ou la déclenche, soit la lucidité
pousse le rêveur à voler. Dans ces conditions l'interprétation cesse d'être nécessaire puisque
la raison d'être du vol est immédiatement accessible au rêveur. Ainsi il n'est pas rare que le
rêveur lucide vole pour le simple plaisir qu'il en retire.

« […] Sans me réveiller, j'ai pris conscience que le premier rêve s'était achevé.
Le second commençait déjà. Toujours cette route sablonneuse et le paysage de
dunes à l'infini. Je suis seul sur la route avec un deltaplane sur le dos. Sans effort,
je m'envole et m'aperçois en faisant quelques acrobaties dans les airs que je
maîtrise parfaitement la technique de vol en deltaplane. Je décide de suivre la
route en rase-mottes pour le plaisir. En agitant les jambes, j'accélère. Je vole à
[50]
très grande allure. C'est grisant […] » .
Le vol peut être également adopté en raison de la nécessité de fuir un danger comme
nous avons pu le constater à plusieurs reprises. Il a alors une raison d'être qui s'explique par
la structure du rêve. Il est d'ailleurs remarquable de constater que les rêveurs lucides qui se
sont attachés à interpréter leurs rêves n'ont pas essayé d'interpréter le vol, comme s'ils n'y
voyaient rien de remarquable, ou du moins rien qui nécessite une interprétation, même
lorsque le rêve tout entier est consacré au vol, aussi bien pour le rêveur que pour les
personnages du rêve.

[…] Tout à coup, je m'aperçois que je rêve, et je décide de m'envoler. Je fais un


léger bond, en m'appuyant sur le trottoir du bout des pieds, et je m'envole en
suivant la courbe de la rue. Je vois, en l'air, une petite fille d'environ dix ou onze
ans qui vient à ma rencontre. Elle porte un blouson de tricot rouge vif et des jeans.
Lorsque nous nous croisons, je tends vite les bras et je la saisis par la taille. Je la
tire vers moi jusqu'à ce que nous soyons face à face et je joue à lutter avec elle et
à la taquiner, mais je m'aperçois bien vite que cela ne lui plaît pas du tout, et je la
laisse aller. Elle s'éloigne d'un air nonchalant et inexpressif, comme s'il ne s'était
rien passé.
J'aperçois maintenant, au loin, de magnifiques montagnes couvertes de neige,
et je me dirige droit sur elles. Le plus haut sommet est un jalon bien visible dans le
paysage. C'est peut-être un volcan éteint. Majestueux, il domine toutes les
montagnes avoisinantes. Tout en volant, je concentre mon attention sur ce pic.
Soudain, il disparaît, et je suis tout désorienté. Je vire sur la droite et je m'aperçois
que le ciel, de ce côté, est plein de nuages d'un gris sombre. Leur teinte est
étrangement belle, mais aussi un peu menaçante. J'aperçois un oiseau noir,
solitaire, qui ressemble un peu à un corbeau. Il vole sur ce fond de nuages gris.
J'en fais le point focal de mon attention et me dirige vers lui. Sa taille augmente au
fur et à mesure que je m'approche. Cet oiseau est beaucoup trop grand pour être
un corbeau ; je me demande à quelle espèce il appartient, mais voilà que, tout à
coup, il disparaît. J'ai dans tout le corps une sensation confuse, tourbillonnante, et
[51]
je commence à redescendre lentement vers le sol […].
Ce rêve semble tout entier consacré au vol. Tous les personnages rencontrés volent et
presque toute l'action se passe dans les airs. Pourtant, lorsque Kelzer interprète ce rêve à
l'aide de la méthode du dialogue de la Gestalt-thérapie il recherche le symbolisme de la
montagne majestueuse, de la jeune fille, des nuages sombres ou de l'oiseau noir mais à aucun
moment il ne pense à interpréter le vol lui-même, comme si cet élément allait parfaitement de
soi. Or, c'est bien le cas pour les rêveurs lucides : le vol est pour eux un mode d'agir ou une
attitude typique qui accompagne de tels rêves, mais pas l'élément d'un message à interpréter.

Si le vol semble peu susceptible d'interprétation, le besoin de l'expliquer ne disparaît


pas pour autant. On peut rendre compte de l'utilisation du vol pour se déplacer en rêve
lucide par le fait que le rêveur conscient de rêver a accès en rêve à de capacités plus
étendues, mais cela n'explique pas certains phénomènes comme la tendance à voler qui
accompagne l'émergence de la lucidité sans décision consciente ou même simplement les
rêves associés de vol dans lesquels le rêveur ignore qu'il rêve. De leur côté, les explications de
Freud et Delage sur les jeux de l'enfance permettent bien ici de comprendre l'origine du rêve
de vol mais pas la raison de sa manifestation. La lucidité offre cependant de nouvelles
perspectives de compréhension en ce qu'elle réhabilite l'explication de type physiologique dans
certaines conditions. Pour cela il faut prendre en compte deux facteurs : l'ensemble des
sensations oniriques qui donnent le sentiment de voler et la présence d'une conscience lucide
ou proche de la lucidité.

En effet, pour être une sensation, le vol ne doit pas se limiter à la simple idée que
l'on vole. La sensation de vol, comme l'indique l'intensité rapportée par les rêveurs lucides, est
très nettement ressentie par le sujet. Cela suppose plus que la vision du décor se déplaçant
autour de soi, d'autant que le rêveur peut souvent avoir le sentiment qu'il vole alors qu'il se
trouve dans l'obscurité absolue. L'impression de voler est donc, avant tout, une impression
extéroceptive et proprioceptive ou même cénesthésique. Le sentiment de déplacement est, en
effet, souvent marqué par la résistance du milieu dans lequel le rêveur évolue ou par les
sensations internes que lui procurerait un tel vol à l'état de veille - s'il était possible. Étant
donné que les rêves laissent habituellement des impressions essentiellement visuelles, de
telles sensations suffisent à classer le rêve de vol à part, même lorsqu'ils ne sont pas lucides.

[…] Tout en continuant à me tenir la main, Papa me balance vers le haut, puis il
me lâche, et je file en l'air avec une drôle de sensation à l'estomac, comme on en
[52]
a dans un ascenseur rapide […].
Lorsque le rêveur est lucide il peut se rendre compte que ce qu'il ressent n'est pas
nécessairement congruent avec son environnement onirique mais néanmoins correspond à des
sensations descriptibles.

[…] Il fait noir, comme si je venais de me réveiller au milieu de la nuit, et


pourtant je sais que je suis en train de rêver. Je me sens très bizarre, comme si
j'étais en transe. Je décide de voir si je peux sortir de mon corps. L'idée m'effraie
(comme dans la réalité) mais je me permets néanmoins d'essayer. Aussitôt, je
sens que "je" m'élève au-dessus du lit, sortant complètement de mon corps, et je
me mets à flotter sur le dos, comme si je faisais la planche dans une piscine. Je
reste dans cette position, sans regarder au-dessous de moi. Les sensations sont
[53]
extraordinairement réelles […].
Les sensations corporelles sont donc bien les éléments fondamentaux à remarquer pour
comprendre les rêves de vol. Cependant, leur analyse ne s'arrête pas là. Si les sensations que
nous avons examinées sont oniriquement remarquables parce qu'inhabituelles en rêve, elles
sont plausibles à l'état de veille. Or, force est de constater que les rêves de vol
s'accompagnent assez souvent de sensations corporelles étranges qui sont rarement
mentionnées à l'état de veille et dont il faut tenir compte.

[…] de longs rideaux sans plis se gonflent dans la brise qui entre par les fenêtres
ouvertes. Une vague de joie me traverse lorsque je comprends qu'il s'agit d'un
rêve. Avec bonheur, je m'exclame : "Je suis en train de rêver du pays magique de
lumière et de souffles!"
Debout au centre d'un espace ouvert et lumineux, je vois une femme vêtue
d'une robe rouge (la rougeur). La brise touche mon corps et mon visage (la
fraîcheur). Je commence à avoir un peu la tête qui tourne (le vertige) et je m'élève
dans les airs. Maintenant, mon corps est tout vibrant d'un "son-sensation". C'est à
la fois un bruit tactile et un toucher audible. Un picotement/vrombissement roule
sourdement dans chacune de mes cellules.
Ce son-sensation m'est familier. Je l'éprouve souvent dans le rêve conscient […]
[54]
.
Dans ce rêve le sujet a le sentiment de voler en raison de sensations tactiles que l'on
pourrait trouver à l'état de veille (« La brise touche mon corps et mon visage ») mais elles
sont accompagnées d'autres sensations vibratoires qui sont monnaie courante dans ce genre
de situation (« Un picotement/vrombissement roule sourdement dans chacune de mes
cellules ») et que la théorie de Freud ou de Delage sur les souvenirs d'enfance ne peut
expliquer. Pour trouver une explication que ni la physiologie ni l'interprétation n'ont pu fournir,
il ne reste donc que l'investigation du fait que de telles sensations inhabituelles se produisent
en rêve presque uniquement en présence de la lucidité. Or, curieusement, cet examen va
nous ramener à l'explication physiologique et interprétative, mais dans une nouvelle
perspective.

Quelques rêveurs lucides ont en effet exploré ces sensations inhabituelles qui
accompagnent le rêve de vol et ont pu faire un certain nombre de constatations : « Depuis
longtemps j'avais remarqué que les rêves lucides étaient différents des rêves ordinaires, non
seulement par l'intensité des sensations et des couleurs, mais aussi dans le domaine du
toucher et du son. Ce n'est pas seulement que les sensations tactiles sont plus belles dans les
rêves conscients - la soie paraît plus lisse, les notes de musique plus exquises - mais ce que
perçoivent l'ouïe et le toucher prend aussi des formes particulières.

« Par exemple, le bruit du vent, passant à grande vitesse sur mon visage, est typique
de mes expériences de rêve lucide. Je sens, par le toucher, le passage du vent en même
temps que je l'entends. Au début, je ne prenais pas garde à ce que ces images avaient de
singulier. Lorsque, dans un nouveau rêve lucide, je ressentais le toucher du vent et du soleil
sur mon visage, rien ne me semblait plus naturel. Qu'y avait-il de plus normal que le bruit du
vent, quand on sillonnait le ciel de haut vol ? Et lorsque, dans un rêve, je me laissais tomber
tout droit vers la terre - comme dans "A travers les lattis du porche" - le son et la
sensation du vent me semblaient à leur place. Je ne m'interrogeais pas sur le bruit de l'eau
dans mes oreilles quand je plongeais, en rêve, dans un trou d'eau, pour ramasser, au fond, le
galet que j'avais choisi ; quand je survolais les rivages marins et que j'entendais rugir l'océan,
cela aussi paraissait juste.

« Cependant, peu à peu, rêve après rêve, je compris que ces bruits, ces sensations de
l'eau et du vent étaient, en vérité, des images du son-sensation qui naissait à l'intérieur de
moi-même. Ce n'était ni le vent ni l'eau qui produisaient ce son tactile, pas plus qu'il ne
s'agissait d'images issues de mes souvenirs. C'était moi-même, littéralement, qui l'émettais.
C'était en moi que naissait le son-toucher miroitant que mon esprit convertissait en images de
l'eau et du vent! Je m'expliquais à moi-même le son et la sensation du rêve conscient en
créant des images qui justifiaient leur présence. L'objet que je voyais, que j'entendais en rêve
était une explication symbolique de ce que mon corps touchait et entendait réellement :
[55]
soi-même, sa propre vibration » .

De telles observations nous ramènent-elles à l'explication physiologique dont nous


avons pourtant montré l'insuffisance ? En fait elles présentent avec cette dernière une
différence importante qui permet de surmonter les problèmes précédemment rencontrés. Tout
d'abord, les sensations internes dont il est question ici ne sont pas des sensations
habituellement ressenties par le sujet à l'état de veille comme la respiration ou la pression
plantaire mais au contraire ne peuvent être saisies que par une observation calme et
attentive. Garfield raconte que de telles perceptions ne lui sont venues qu'au cours de séances
d'acupuncture durant lesquelles elle restait allongée une demi-heure, attentive à son corps, ce
qui l'a amenée à ressentir des vibrations qu'elle n'aurait sans doute jamais remarquées
autrement. De telles sensations sont ressenties plus fortement en rêve qu'à l'état de veille et
plus encore au voisinage des rêves lucides. En effet, l'observation intérieure qu'elles exigent
pour être notées est une certaine forme d'attention tournée vers soi, et il est possible que
l'émergence de la lucidité produise le même résultat, le rêveur se tournant vers lui-même
pour comprendre la nature de ce qui l'entoure. Ainsi de tels rêves pourraient ne pas être
réguliers tout en s'appuyant sur des sensations physiologiques, et dépendre de la lucidité pour
se manifester.

Une telle sensation peut être ressentie de façon pure, mais elle peut aussi être
"habillée" par des images oniriques et laisser ainsi une place à l'interprétation dans la mesure
où la forme qu'elle prend éventuellement ne dépend pas de sa manifestation. Le rêve de vol
présente donc une complexité de compréhension plus grande encore que ne le soupçonnait
Freud puisqu'il dépend en dernière analyse de l'état de conscience qui lui permet d'apparaître
aussi bien sous forme imagée que de façon directe pour la perception onirique.

Le fait que le rêve de vol soit d'un accès difficile à l'interprétation était prévisible en
raison de son aspect moteur et tactile (du point de vue de la perception onirique). Mais les
éléments associés à la lucidité n'entrent pas tous dans cette catégorie. Ainsi le rêve de double
dans lequel le rêveur se voit lui-même consiste avant tout en une image ou une succession
d'images oniriques visuelles qui n'impliquent, par elles-mêmes, aucune sensation
kinesthésique onirique pour le "je" du rêve. Dans un tel cas les observations de
Freud concernant l'insuffisance des sources somatiques pour rendre compte du contenu
[56]
représentatif du rêve semblent tout à fait évidentes. Dans ce type de situation beaucoup
plus que dans le rêve de vol il apparaît que, même si une excitation sensorielle réelle était la
source de l'image onirique, elle ne permettrait pas d'expliquer la raison du surgissement de
cette image là plutôt que d'une autre. Dans le cas où le rêveur se voit lui-même comme un
personnage différent de lui, la nécessité d'interpréter se justifie autant par l'insuffisance des
théories somatiques que par l'étrangeté de la situation.

Cependant, avant d'examiner les interprétations possibles du rêve de double dans une
perspective psychanalytique il importe de connaître le contexte onirique dans lequel se
manifeste ce type de séquence. Ainsi un rêveur qui rêve qu'il se regarde dans un miroir ou
dans une étendue d'eau verra assez naturellement une image de lui-même ; et l'objet de
l'interprétation sera plus la transformation que subit une telle image que la présence de
l'image elle-même. En revanche rêver que l'on s'observe soi-même en train de dormir dans
son lit incite beaucoup plus naturellement le rêveur à rechercher une interprétation de cette
scène, en raison de son caractère inhabituel. Cette influence du contexte sur l'attitude du
rêveur nous pousse donc à restreindre les rêves de double à ceux qui se donnent comme hors
contexte (parmi lesquels ceux que l'on met habituellement en rapport avec les rêves de sortie
hors du corps) afin de mieux cerner ce que la psychanalyse peut ici nous apporter.

Cependant, de tels rêves de double non seulement ne sont pas faciles à trouver dans la
littérature psychanalytique mais semblent au contraire indiquer la limite de l'analyse. En effet,
pour Freud, « C'est la personne même du rêveur qui apparaît dans chacun de ses rêves, je
n'ai trouvé aucune exception à cette règle. Le rêve est absolument égoïste. Quand je vois
surgir dans le rêve non pas mon moi, mais une personne étrangère, je dois supposer que mon
moi est caché derrière cette personne grâce à l'identification. Il est sous-entendu. D'autres
fois mon moi apparaît dans le rêve et la situation où il se trouve me montre qu'une autre
personne se cache derrière lui grâce à l'identification. Il faut alors découvrir par l'interprétation
ce qui est commun à cette personne et à moi et le transférer sur moi. Il y a aussi des rêves où
mon moi apparaît en compagnie d'autres personnes qui, lorsqu'on résout l'identification, se
révèlent être mon moi. Il faut alors, grâce à cette identification, unir des représentations
diverses que la censure avait interdites. Ainsi je peux représenter mon moi plusieurs fois dans
un même rêve, d'abord d'une manière directe, puis par identification avec d'autres
[57]
personnes » .

La représentation du moi « d'une manière directe » est celle du rêveur en première


personne qui se sent agir dans le rêve tandis que, dans le cas des personnages qui lui
apparaissent comme extérieurs, l'interprétation doit nous aider à retrouver l'identification.
Mais lorsque le personnage onirique se donne comme étant le rêveur lui-même,
l'interprétation devient, s'il faut en croire Freud, inutile. Or, c'est bien ce qui se produit dans le
rêve de double, qu'il s'agisse d'une identification à l'image (lorsque l'on se voit soi-même) ou
dans l'attitude déclarée des personnages qui se présentent eux-mêmes comme étant le
rêveur.

« […] (Rêve lucide :) Je me rends compte que je suis en fait en train de rêver et
que tous ces gens sont mes personnages de rêve. Je m'approche de la première
pour lui serrer la main. C'est une femme brune. Je dis que je me nomme [Martin].
Elle me répond par un prénom équivalent au mien [Martine]. Tous les autres font
pareil, les garçons répondent qu'ils s'appellent [Martin], les femmes [Martine]. Je
fais le tour des gens présents et arrive au bout de la pièce après avoir tourné
derrière un meuble (un lit ?) pour atteindre le mur du fond. Arrivé là, constatant
que personne ne m'a donné un prénom personnel, j'ajoute que je m'appelle
Georges, pour surprendre leur réaction. Vont-ils rectifier leur prénom pour
l'adapter au mien ? Vont-ils être perturbés par ce changement ? J'ajoute que je
[58]
m'appelle [Martin] Georges. Pas de réaction notable […] » .
Puisque dans ce type de rêve les personnages oniriques ne se donnent pas d'autre
identité que celle du rêveur, on ne peut plus dire que le moi du rêveur se tient "caché
derrière" ces personnages. Sans doute une interprétation est-elle possible, mais pas au niveau
du double lui-même qui en marque, dans la perspective freudienne, la limite. Il s'avère, en fin
de compte, que la situation qui appelle l'interprétation en raison de son étrangeté est
justement celle qui la soutient mais ne peut être elle-même interprétée.

Toutefois, si le double lui-même n'est pas sujet à l'interprétation dans la perspective


psychanalytique, le contexte dans lequel il apparaît et joue le rôle d'un élément peut sans
doute l'être. Dans nombre de cas, en effet, l'apparition explicite d'un double peut être
comprise comme une façon qu'a le sujet de se mettre à distance de lui-même. La peur de la
mort a été également invoquée pour rendre compte des rêves de sortie hors du corps :
« [Ceux] qui ont connu des [expériences hors du corps] classiques […] ont tous un élément
commun : ils présentent un assortiment de défenses et de rationalisations visant à repousser
l'angoisse provoquée par l'effondrement de l'image corporelle, par le clivage ou la
désorganisation de l'ego et, en dernière analyse, par la peur de la mort en tant qu'expérience
humaine universelle. […] Ce sont des tentatives mal assurées d'affirmer la réalité et
l'existence autonome de "l'âme", c'est un défi délibéré lancé aux menaces d'extinction, et qui
[59]
aboutit parfois à des expériences quasi suicidaires pour expérimenter la mort elle-même » .

De telles interprétations ont certainement un accent de vérité dans une perspective


psychiatrique mais elles n'ont de sens que si le rêveur croit à la réalité de son expérience car
c'est là la seule condition qui lui permette de nier la mort. Or, qu'en est-il dans le cas du
rêveur lucide qui se sait en train de rêver qu'il sort de son corps et ne croit pas à la réalité de
son expérience ? Peut-on réellement soutenir qu'il essaie de nier sa condition mortelle ? Une
attitude en terme de fonctionnement de la structure du rêve semble ici plus plausible. En
effet, l'endormissement conscient débouchant sur le rêve lucide comporte d'un point de vue
phénoménal une situation contradictoire : c'est parce que le sujet est immobilisé par le
sommeil qu'il se trouve libre de ses mouvements. La scène même de la sortie hors du corps
lui fournit un cadre imaginaire qui permet à cette transition conscientielle de se faire sans
hiatus. Ainsi, là encore, ce type de rêve serait appelé non par une situation psychique affective
mais par la nécessité d'aider la conscience lucide à se maintenir en passant d'un état, la veille,
à l'autre, le rêve. La régularité de ce genre de rêves chez les rêveurs lucides et l'absence
d'émotion particulière qui les caractérise incite donc à leur donner une explication
conscientielle.

Mais, s'il en va ainsi, cette explication peut rebondir sur les rêves non lucides dans
lesquels se rencontrent cette situation onirique. Sans nier que les interprétations
psychiatriques puissent être exactes dans les cas pathologiques, elles ne rendent peut-être
pas compte de tous les rêves non lucides de sortie hors du corps qui indiquent en fait un éveil
de la lucidité incomplet. Cela apparaît nettement dans les récits de ce type de rêves où
l'aspect onirique, bien que non reconnu par le rêveur, est nettement présent, parfois de façon
spectaculaire.

« J'étais couché, en train de m'endormir, et j'essayais d'avoir une expérience


[hors du corps]. J'ai soudain senti le lit "avoir une secousse". Le pied du lit monta
en arc de cercle : en souplesse, mais si rapidement que mon corps et la literie
étaient maintenus sur le lit par la force centripète. Tout à coup mon corps sembla
se soumettre à nouveau à la gravité. De cette position inversée, je suis à nouveau
redescendu en glissant, puis j'ai repris possession du corps qui gisait sur le lit à
cinquante centimètres du sol… Le lit tanguait de haut en bas… C'était comme un
tremblement de terre. J'étais terrifié. Je l'ai encore refait trois ou quatre fois, mais
[60]
j'avais peur de perdre le contrôle de tout cela. […] »
Le rêveur croit vraiment au cours de son rêve que son lit se comporte comme dans une
scène de Little Nemo in Slumberland et il en est terrifié. On imagine aisément les
interprétations classiques qu'un psychanalyste ou un psychiatre pourrait tirer de telles
séquences. Pourtant, dans une perspective conscientielle, ces mouvements du lit pourraient
avoir non pas un sens mais une fonction, celle d'aider le rêveur à affiner sa conscience de la
situation. En effet la plupart des rêves lucides de sortie hors du corps se déroulent en douceur
et dans un contexte "réaliste" tandis que les rêves de sortie hors du corps non lucides
s'accompagnent souvent de manifestations improbables. Or, nous avons vu que c'est là une
caractéristique d'un certain type de rêves associés dont les aspects bizarres disparaissent dès
que le rêveur est devenu lucide. De tels rêves indiqueraient donc plutôt des ajustements
conscientiels en train de se faire que des problèmes psychiques. Ces deux types
d'interprétations ne sont cependant peut-être pas incompatibles. Il se pourrait, par exemple,
que la bizarrerie du rêve ait une fonction conscientielle tandis que la forme qu'elle prend serait
pour sa part susceptible d'interprétation. Dans ce cas, à côté des sources somatiques et
psychiques du rêve, il faudrait reconnaître une source conscientielle qui rendrait compte d'un
certain nombre de phénomènes.

Le rêve de double s'avère donc tout aussi difficile à interpréter que le rêve de vol dans
la mesure où il s'agit de lui donner un sens en fonction du psychisme. D'une façon générale on
peut supposer que les éléments de contenu onirique associés à la lucidité ne peuvent être
interprétés sans tenir compte de l'état de conscience du rêveur, et parfois même qu'ils
échappent à toute interprétation. Cela signifie-t-il que le principe de l'interprétation cesse dans
certains cas d'être valide ou qu'il faut le comprendre autrement ? Certains n'ont pas hésité à
conclure que l'interprétation n'a qu'un domaine de validité restreint : « En tant que
psychothérapeute, […] je suis persuadé que les gens de ma profession vont avoir, parmi
toutes les questions que pose la lucidité onirique, à relever un défi important. Il s'agit en effet
de passer outre au point de vue traditionnel, centré sur les problèmes psychologiques, et
d'admettre que, pour le patient, l'utilité du rêve lucide se situe très probablement sur un autre
[61]
plan » .

Pour découvrir ces autres niveaux une approche plus objective semble indispensable et
incite assez naturellement à se tourner vers les sciences de la mesure telle que la psychologie
différentielle ou la psychophysiologie.

§ 2. L'étude différentielle du rêve lucide


Nous avons vu que, jusqu'à une certaine époque, le rêve lucide se rencontre rarement
dans la littérature sur le rêve. Deux types d'explications permettent de rendre compte de cette
rareté : le fait d'exception et l'absence de concept de lucidité onirique. Dans le premier cas le
rêve lucide est par lui-même un phénomène exceptionnel que non seulement tous les rêveurs
ne connaissent pas mais qui, pour un même rêveur, s'avère sporadique ou rare. Dans le
deuxième cas, le rêve lucide, n'entrant pas dans un cadre théorique qui permet de l'étudier,
n'est pas remarqué ou simplement ne suscite pas d'intérêt particulier - ce qui se produit pour
Freud. Ces deux types d'explications sont sans doute également vraies mais la fréquence du
phénomène conditionne nécessairement son élaboration conceptuelle.

Si l'intérêt porté au rêve lucide dépend en partie de cette fréquence, il est important de
l'évaluer plus précisément : « Les meilleures estimations laissent penser qu'environ 58% de la
population a eu l'expérience d'un rêve lucide au moins une fois, tandis que 21% témoignent
[62]
d'une fréquence assez élevée (une fois par mois ou davantage) » .

S'il faut en croire ces chiffres de 1984, le rêve lucide serait effectivement rare mais
guère exceptionnel, tout au moins à notre époque. Mais du coup les rêveurs lucides cessent
également d'être des sujets exceptionnels pour constituer une catégorie de population
susceptible d'être étudiée. La question suivante se pose alors de façon légitime : peut-on
trouver des traits qui différencient les rêveurs lucides du reste de la population ? Une enquête
sur les caractéristiques des rêveurs lucides peut prendre deux formes : soit elle part des
rêveurs lucides et étudie leur distribution dans la population ainsi que les traits qu'ils
partagent entre eux et qui les distinguent des rêveurs non lucides ; soit elle part des
méthodes d'induction connues de la lucidité, cherche quels types de comportement s'en
rapprochent et s'efforce ensuite de déterminer dans quelle mesure les catégories de
population ainsi isolées connaissent le rêve lucide par rapport à celles qui n'ont pas les mêmes
comportements.

Nous disposons ainsi de deux grandes orientations pour la recherche. Elles présentent
l'avantage d'offrir des directions explorables mais on peut se demander si elles nous informent
réellement sur le rêve lucide. Si, en effet, on s'appuie sur les techniques d'induction connues
pour chercher des comportements équivalents dans certaines catégories de population, on n'a
pas pour autant l'assurance que ce n'est pas un autre facteur, non étudié, qui est en fait
responsable de la lucidité. Si, d'autre part, on s'intéresse aux catégories classiques de
population cette incertitude est encore plus flagrante : même si la corrélation est exacte,
peut-on avoir la certitude que les facteurs mis en évidence ne sont pas tels que parce qu'ils en
entraînent d'autres qui, eux, ne leur sont liés que de façon contingente ? (pour bien saisir ce
point supposons que l'on mette en rapport le jeune âge et la fréquence du souvenir des
rêves : la qualité de la remémoration dépend-elle alors de l'âge lui-même ou des loisirs qu'il
permet ? La corrélation n'est donc pertinente que si l'aspect contingent est précisé). Pour que
de telles études prennent tout leur sens il faudrait qu'elles puissent être explicatives, au
moins partiellement.

Il faut donc se demander non seulement quelles sont les caractéristiques des rêveurs
lucides mais également si celles qui sont dégagées permettent de rendre compte de la
lucidité. Bien que ces deux questions s'enchaînent naturellement, elles ne sont pas animées de
la même intention. Il est toujours possible de répondre à la première en tentant de corréler la
lucidité avec des caractéristiques arbitrairement choisies telles que l'âge, le sexe ou l'activité
professionnelle. Mais de telles corrélations ne peuvent être que descriptives. Or, l'intérêt
d'une telle étude résiderait surtout dans sa capacité à nous mettre en présence de
comportements à valeur explicative.

Cependant, en raison de la nature conscientielle de la lucidité, on peut se demander si


cette dernière recherche a elle-même un sens. Cette difficulté peut être saisie par
comparaison avec une étude qui pourrait avoir lieu sur un autre type de rêve particulier, le
rêve de vol. On se souvient que Freud explique l'origine de tels rêves par des jeux d'enfance :
« ces rêves […] ont trait à des impressions d'enfance; […] ils rappellent les jeux de
mouvement si agréables aux enfants. Quel est l'oncle qui n'a pas fait voler un enfant, le
transportant à bras tendus et courant à travers la pièce, ou qui n'a pas joué à le laisser
tomber en étendant brusquement les jambes, alors qu'il le balançait sur ses genoux ; ou qui
n'a pas feint de le lâcher brusquement alors qu'il l'avait levé très haut ? […] des années après,
[les enfants] répéteront cela dans leurs rêves, mais ils oublieront les mains qui les ont portés,
de sorte qu'ils voleront et tomberont librement. On sait combien les petits enfants aiment se
[63]
balancer et tourner » . L'explication de Freud n'est bien sûr pas soutenue par une étude sur
de nombreux sujets mais elle a au moins valeur d'hypothèse. Or, cette hypothèse donne
l'indication de ce qui est à chercher (il s'agit de souvenirs de jeux de l'enfance ou
éventuellement d'activités sportives actuelles) pour obtenir une corrélation avec le rêve de
vol et fournir aussi un début d'explication du phénomène. Cela est de toute évidence rendu
possible par une analogie entre ce qui se produit en rêve et des situations comparables à l'état
d'éveil. En revanche la recherche d'hypothèses par analogie pour la lucidité se heurte à la
nature évasive de ce qui concerne l'attention consciente ou, du moins, à l'absence de
phénomène marquant permettant de la repérer.

On peut cependant supposer que même des études descriptives peuvent indirectement
nous acheminer vers une hypothèse explicative, en mettant en rapport de façon descriptive
les pratiques d'une catégorie d'individus avec la lucidité et en fournissant ensuite l'explication
de ce rapport, comme dans le cas suivant : s'appuyant sur la constatation de l'existence du
rêve lucide chez certains pratiquants de religions orientales, Lefébure la met immédiatement
en rapport avec certaines pratiques (aspect descriptif) pour ensuite en proposer une
explication neurophysiologique (aspect explicatif) : « Il est arrivé à chacun de nous de se
rendre compte qu'il rêve. C'est un état rare et fugace […]. Par des techniques héritées des
initiations, principalement orientales, il est possible d'augmenter considérablement l'intensité
de ces états d'éveil dans le sommeil. Le sujet jouit alors de la plénitude de sa conscience de
veille, tout en se mouvant dans un monde d'images comparables à celles du rêve, mais en
général plus grandioses. L'impression de surconscience est magnifique.

« L'éveil dans le sommeil est provoqué par le balancement antéro-postérieur de la tête.


Il est fondamental que le temps de projection en avant de la tête soit égal au temps de recul.
[…] le mécanisme neurologique de l'éveil dans le sommeil nous apparaît maintenant
relativement explicable, ce qui, en même temps, précise les méthodes permettant de le
réaliser.

« On sait maintenant qu'il existe deux centres séparés : l'un, celui du sommeil, dans la
région infundibulaire, et l'autre, celui de l'éveil, constitué par la substance réticulée,
abondante surtout dans le bulbe.

« Ces deux centres se trouvent donc sur le plan antéro-postérieur médian du système
nerveux. […] Supposons maintenant que nous utilisions une technique qui permette de
déclencher des oscillations et alternances entre les deux centres différents de l'éveil et du
sommeil. Une telle association existe déjà naturellement puisque l'un de ces centres se met en
marche quand l'autre s'arrête. Il s'agit simplement de rendre rapide l'oscillation entre les
deux, et le principe de persistance que nous connaissons bien à propos des phosphènes
[64]
explique que les deux états se mélangent alors parfaitement » .

Lefébure, pas plus que Freud, ne fournit d'étude chiffrée de ses assertions. Tout
comme lui (mais cette fois pour le rêve lucide qu'il appelle éveil dans le sommeil et non pour
le rêve de vol) il propose une hypothèse à valeur explicative. Il part en somme d'une
corrélation entre la fréquence de la lucidité onirique dans des catégories de population
précises (qu'il caractérise par certaines habitudes religieuses) et une pratique qu'il estime
fondamentale dans la production du phénomène en s'appuyant sur des considérations de
physiologie cérébrale. Indépendamment de la valeur de cette hypothèse, on comprend ici ce
qui sépare la première question de la deuxième. Dans le premier cas, en effet, l'étude
descriptive ne fournit aucun rapport dont la nécessité puisse être prouvée. L'étude explicative
en revanche cherche des causes.

Cette divergence tient sans doute à ce que la description simple et celle à visée
explicative renvoient à des préoccupations différentes quant aux suites données à la
recherche. Il ne fait aucun doute que dans le premier cas elle permet, en s'adressant à une
catégorie de population dans laquelle la fréquence du rêve lucide est plus élevée que dans
d'autres, de chercher de nouveau sujets, qu'il s'agisse soit de trouver des rêveurs déjà
lucides, soit d'étudier les effets d'une méthode d'induction sur des rêveurs non lucides mais se
trouvant apparemment dans les bonnes conditions pour le devenir - et par là d'observer la
période de transition d'un état à l'autre. C'est donc la perspective d'étudier l'effet de la lucidité
sur des individus dans leur particularité qui motive une telle orientation. Dans l'autre cas c'est
bien plus manifestement le désir de comprendre la lucidité elle-même et ses conditions
d'apparition.

Il convient de séparer ces deux types d'intentions et les recherches qu'elles engagent,
mais ces dernières sont elles-mêmes encore trop fragmentaires pour que se dessinent des
ensembles de résultats organisés. Notre propos sera donc de donner un aperçu des tentatives
et des résultats obtenus en examinant parfois ensemble des éléments d'informations qui
n'appartiennent pas nécessairement au même registre méthodologique. A côté d'études
chiffrées menées par enquêtes se trouveront des constatations empiriques faites par de
nombreux rêveurs lucides et qui, bien qu'elles semblent relativement fécondes quant à leurs
applications pratiques, n'en restent pas moins encore hypothétiques. Ce sont donc plus
souvent des directions de recherche que des résultats qui vont être proposés ici dans une
approche large. Nous nous attacherons surtout aux conclusions (chiffrées ou empiriques)
retenues sur différents thèmes tels que les catégories de population à laquelle appartiennent
les rêveurs lucides, leurs habitudes de vie et leurs aptitudes particulières.

I. Approche descriptive de certaines catégories de populations


Si l'approche par catégories de population n'est que descriptive, elle n'en est pas moins
une nécessité pour la recherche en vue, d'une part, de relativiser des résultats d'études
particulières qui s'appuient généralement sur des populations d'étudiants et, d'autre part, de
fournir aux chercheurs en laboratoire un terrain sur lequel formuler leurs hypothèses. Ces
catégories, dont nous avons dit qu'il est possible aussi bien de les choisir a priori que de les
sélectionner à partir de données d'abord obtenues empiriquement, peuvent être plus ou moins
générales et s'appuyer sur des caractéristiques physiques ou comportementales.

L'examen des caractéristiques physiques des rêveurs lucides est sans doute la
démarche la plus simple aussi bien pour ceux qui recueillent les données, car elle ne demande
pas de recherche approfondie sur les sujets questionnés, que pour ceux qui font l'objet d'une
investigation en raison de la simplicité des question posées. Le seul point qui demande une
attention particulière est de s'assurer que les sujets comprennent bien le sens des termes
"rêve lucide". Cependant, si la démarche semble assez facile à saisir, le choix des
caractéristiques physiques à corréler à la lucidité pose néanmoins un problème en raison de la
nature même des éléments en présence. Le rêve est en effet un phénomène mental et vouloir
mettre en rapport la lucidité avec un attribut physique quelconque est a priori une méthode
de tâtonnement, si elle n'est pas purement dénuée de sens. Ainsi, dans une telle situation, il
est relativement difficile de s'appuyer sur des caractéristiques physiques empiriquement
constatées chez les rêveurs lucides non seulement parce qu'on n'en trouve pas d'occurrence
dans la littérature mais aussi en raison d'une difficulté méthodologique. Donc, si c'est un
sentiment d'absence de rapport qui doit d'abord guider la recherche, il semble compréhensible
qu'elle se cantonne à des catégories très générales telles que l'âge ou le sexe et n'aille guère
plus loin tant que des informations significatives n'ont pas émergé de telles études.

Les informations ne seront pas significatives si les réponses obtenues dans de tels
domaines varient en fonction de la façon dont est menée la recherche. Si, en effet, cette
investigation porte sur des sujets déjà étudiés, les conclusions ne peuvent être valides que
pour la catégorie de population à laquelle ils appartiennent. Ainsi Susan Blackmore écrit :
« Mon étude sur les étudiants d'Amsterdam ne fait pas ressortir de différences selon
[65]
l'âge » . Or, une absence de différence fondée sur des populations d'étudiants peut
difficilement avoir une portée générale. Pour se faire une idée plus représentative, il faudrait
d'une part disposer de comparaisons avec des sujets équivalents dans d'autres classes d'âge,
comme celles des enfants scolarisés par exemple, et d'autre part aller chercher d'autres
groupes d'invidus appartenant à des catégories différentes (qui ne soient pas des étudiants ou
même qui aient échappé à toute scolarité).

Une recherche menée sur les différentes classes d'âge trouverait sa justification dans
les constatations empiriques de la littérature. Nombreux sont les rêveurs lucides qui
soutiennent avoir eu des rêves lucides dès l'enfance (LaBerge) ou l'adolescence (Hervey de
Saint-Denys , Fox). Néanmoins, aucune recherche étendue n'a été menée en ce sens, si ce
n'est une étude sur une centaine d'enfants de dix, onze et douze ans. Dans un tel cas il était
logique que la recherche commence par établir l'existence du rêve lucide sur une population
d'enfants : « Mon intention première, en étudiant le rêve lucide, était de l'utiliser, s'il s'y
prêtait, dans un but thérapeutique, en particulier pour les enfants sujets aux cauchemars et
ceux qui avaient subi des violences sexuelles. Cependant, […] il s'avéra très vite qu'on ne
savait même pas si ces enfants faisaient des rêves lucides, aucune étude n'ayant été faite de
leur cas. […] Il s'agissait pour moi de déterminer l'existence éventuelle du rêve lucide chez
des enfants d'âge scolaire ; je n'avais donc pas à étudier comment cet art pouvait être
enseigné, ni comment apprendre à des enfants, qui seraient déjà des rêveurs lucides, à s'en
[66]
servir ou à perfectionner cette technique » . Cette remarque est caractéristique des raisons
pour lesquelles des études de psychologie différentielle sont menées en ce qui concerne les
corrélations physiques avec le rêve lucide. L'intérêt porté au rêve lucide est en effet
essentiellement clinique (ou psychophysiologique) et il ne surgit qu'à la faveur d'un besoin
précis (ici la lutte contre les cauchemars).

Cette étude de validation qui présente plusieurs aspects (une enquête sur cent enfants
dont un entraînement au rêve lucide sur treize d'entre eux et des études du sommeil de
quatre sujets) fournit des résultats à la fois pour la classe d'âge en général et pour les
différentes tranches d'âge étudiées : « Pour ce qui est des résultats, 63% de l'échantillonnage
retenu se souvenaient d'avoir fait un rêve lucide au moins une fois dans leur vie. Parmi
ceux-ci, 54% témoignaient d'une certaine fréquence : une fois par mois ou plus. Il est
intéressant de noter que les enfants de dix ans avaient le meilleur pourcentage de souvenirs
de rêves lucides, 63% d'entre eux assurant qu'ils en faisaient chaque mois […] Ces souvenirs
semblent, au moins pour l'échantillonnage en question, diminuer avec l'âge comme nous
l'avons dit, 63% des enfants de dix ans se souvenaient de rêves lucides mensuels contre
[67]
58%¨à onze ans et 36% à douze » . Si, d'après les estimations de Gackenbach, environ
58% de la population adulte a fait l'expérience du rêve lucide au moins une fois dans sa vie, le
chiffre de 63% obtenu pour les enfants en est assez proche. En revanche une différence assez
nette peut être remarquée quant à la fréquence du rêve lucide (54% pour les enfants contre
27% pour les adultes soit le double). Il semble que parmi les rêveurs lucides les enfants ont
une plus grande aptitude à la lucidité que les adultes. Cette différence enfant/adulte est-elle
révélatrice d'une différence physiologique ou ne fait-elle que refléter des conditions de vie ? Si
seule la fréquence varie alors que le pourcentage global de rêveurs lucides reste à peu près le
même, il est probable que la deuxième hypothèse est la bonne et que l'aspect physiologique
est somme toute secondaire.

En va-t-il de même pour le sexe du rêveur ? A ce sujet les études de populations


[68]
adultes ne donnent aucun résultat décisif : « L'analyse de covariance des différentes
estimations pour quatre échantillonnages différents dont le covariant était le rêve lucide ne
[69]
fait ressortir aucune différence selon les sexes » . Cette étude ne tient cependant pas
compte des populations d'enfants pour lesquelles les résultats seraient différents : « Il est
également intéressant de noter que 8% des filles contre 17% des garçons assurèrent ne se
souvenir d'aucun rêve lucide, et que 68% des filles contre 56% des garçons firent état de
[70]
rêves lucides réguliers ou mensuels » . Ces résultats sont difficiles à interpréter. Pourquoi
les enfants présenteraient-ils sur le plan de la lucidité onirique des différences sexuelles qui ne
se manifesteraient plus à l'état adulte ? Il faudrait en fait attendre des études
complémentaires avant de tirer des conclusions.

De façon générale il s'agit là de résultats partiels. Des recherches à la fois plus


détaillées et portant sur des échantillons de population plus étendus sont souhaitables. Mais
elles ne seront probablement entreprises que si elles s'avèrent nécessaires pour résoudre des
difficultés d'un autre ordre qu'elles, comme par exemple les besoins cliniques dans le cas des
enfants. Les caractéristiques comportementales semblent soumises aux mêmes limitations et,
de fait, elles n'ont pas été explorées directement (par exemple aucune nécessité pratique ne
[71]
pousse à s'intéresser à la fréquence de la lucidité chez les droitiers ou les gauchers ).
L'étude de corrélations entre la lucidité et certains groupes de populations n'est donc décisive
ni pour des raisons méthodologiques ni pour les résultats obtenus. Une démarche mettant en
rapport des éléments aussi hétérogènes n'est pas nécessairement de nature à faire avancer la
recherche. En revanche, il se pourrait que ces mêmes éléments étudiés à l'occasion d'autres
recherches puissent se révéler intéressants, comme nous allons le voir.

II. Approche explicative en fonction d'habiletés particulières


L'étude descriptive de la corrélation entre, d'une part, l'occurrence et la fréquence de la
lucidité onirique et, d'autre part, certaines catégories de populations peut éventuellement
servir à faciliter l'élaboration d'hypothèses explicatives. Néanmoins, une telle façon de
procéder reste hasardeuse et tâtonnante tant qu'elle est livrée à elle-même. Il est
probablement plus facile de proposer des hypothèses explicatives en s'appuyant sur les
constatations empiriques de corrélations observées par les rêveurs lucides eux-mêmes ou en
partant du rêve lucide et de son processus. Il faut alors découvrir si la pratique du rêve lucide
implique chez les rêveurs lucides certaines habiletés particulières qui les distingueraient des
rêveurs dits ordinaires. Une telle approche suppose que la faculté de lucidité onirique et les
possibilités qui en découlent constituent une capacité supplémentaire dans la vie onirique
(par rapport aux rêves non lucides) et cette dernière doit se traduire sous une forme ou une
autre dans la vie de veille. Mais comment savoir ce que sont de telles capacités ? Des
constatations empiriques des rêveurs eux-mêmes peuvent bien sûr indiquer des directions de
recherches mais la voie analogique semble plus logique, même si elle est aussi plus difficile.

Pourtant, si l'on essaie de déterminer ces capacités par analogie, des difficultés se
présentent aussitôt. Qu'est-ce qui peut être supposé correspondre, dans la vie de veille, à la
capacité de rêver lucidement ? La lucidité est avant tout un phénomène conscientiel qu'il n'est
guère possible d'observer en lui-même - puisque c'est au contraire lui qui permet
l'observation - et a fortiori de mesurer directement. Des mesures indirectes, portant sur le
niveau de vigilance dans différentes situations, sont certainement possibles mais elles ne sont
probablement pas faciles à mettre en place si elles doivent s'appliquer à des situations qui, à
l'état de veille, peuvent être assimilées au rêve (comme le rêve éveillé). De plus, il n'est pas
certain que l'attention portée à l'environnement puisse être considérée comme équivalente à
la lucidité, puisque la spécificité de cette dernière est une connaissance d'un état et non un
degré d'acuité sensorielle (il est possible que cette connaissance entraîne cette acuité sur le
plan onirique, comme nous l'avons vu, mais ce n'est pas toujours le cas et l'inverse - l'absence
d'acuité impliquant celle de la lucidité - n'est pas vrai, s'il faut en croire nombre de récits).
Enfin il y a un certain paradoxe à parler de vigilance élevée à propos d'une activité onirique si
l'on définit la vigilance la plus haute par l'éveil actif.

Il reste alors une autre voie, celle qui consiste à prendre en considération les aptitudes
spécifiques dont fait preuve le sujet dans ses rêves lucides (et associés) et rechercher ce
qu'elles impliquent comme capacités générales à l'état d'éveil. Mais comment corréler des
capacités oniriques spécifiques tels que le vol ou la sortie hors-du-corps avec des activités
d'éveil ? Si, d'une part, on considère le rêve en tant que phénomène mental, les performances
qui y sont accomplies doivent normalement appartenir au registre des capacités imaginatives
du sujet. Il s'agira donc de vérifier si le rêveur lucide a des capacités imaginatives qui le
différencient du rêveur non lucide. Si, d'autre part, on prend en compte l'aspect ressenti de
ces situations, on peut également supposer qu'il se produit au cours du rêve des phénomènes
qui peuvent s'expliquer en termes de physiologie cérébrale et dont des corrélations peuvent
aussi être étudiées à l'état de veille. Par exemple, la sensation très nette de flotter dans les
rêves de vol peut être envisagée comme résultant d'un changement physiologique que l'on
doit pouvoir reproduire expérimentalement à l'état de veille sur des sujets lucides et non
lucides. On peut ainsi être amené à des mesures tout à fait réalisables, par exemple sur le
sens de l'équilibre du rêveur. On considérera les habiletés à étudier aussi bien sous l'angle des
capacités motrices que représentatives.
Si l'on pose l'hypothèse qu'une capacité manifestée en rêve lucide peut être mise en
corrélation avec un phénomène physiologique de l'état d'éveil qui rend compte de ce qui
sépare le rêveur lucide du rêveur ordinaire, un certain nombre de possibilités se présentent
lorsqu'on examine le contenu des rêves lucides. Par exemple, celle qu'a le rêveur de mouvoir
ses yeux oniriques incite à rechercher si ses mouvements oculaires de l'état de veille
présentent des particularités remarquables ; ou, encore, la fréquence du rêve de vol incite à
une investigation sur l'appareil vestibulaire. D'autres hypothèses pourraient être explorées :
l'augmentation fréquente de l'intensité lumineuse onirique lorsqu'émerge la lucidité suggère
une étude des phénomènes phosphéniques ; ou les sensations de vibration onirique orientent
vers une recherche sur l'électricité musculaire. Mais d'un point de vue différentiel ce sont les
deux premières voies qui ont été explorées.

La recherche de corrélation de la lucidité avec le mouvement des yeux demande que


soit trouvée une différence à l'état d'éveil entre les rêveurs lucides et non lucides. L'hypothèse
explicative qui la guide réside dans certaines études sur le cerveau, telles celles qui ont permis
de supposer que des mouvements latéraux conjugués indiquent une activation
[72]
disproportionnée de l'hémisphère contralatéral . Les sujets tendant à bouger leurs yeux
vers la gauche devraient présenter par conséquent une activation plus grande de l'hémisphère
droit - et ce dernier est justement censé jouer un rôle important dans l'activité onirique. Les
chercheurs ont donc essayé de distinguer les sujets en leur faisant exécuter des mouvements
oculaires ou en mesurant l'impact de certaines tâches mentales sur ces mouvements. Certains
ont enregistré des groupes de sujets à qui ils ont demandé de regarder dans différentes
directions : une expérience portant sur trois groupes de rêveurs (16 rêveurs fréquemment
lucides, 16 non fréquemment lucides, et 16 non lucides, moitié de chaque sexe) montre que le
premier groupe manifeste préférentiellement des mouvements des yeux vers la gauche à
[73]
l'inverse des deux autres groupes qui ne manifestent aucune préférence directionnelle .
D'autres, sachant que les sujets tendant à regarder vers la gauche en réponse aux questions
sont aptes à être hypnotisés, à former des images mentales claires ou à entrer en rêverie, se
sont attachés à étudier les mouvements oculaires en réponse à une série de questions et se
[74]
sont aperçus que les rêveurs lucides présentent les mêmes caractéristiques .

Le sens de l'équilibre permet lui aussi la recherche d'une corrélation à valeur


explicative, que l'on parte de son support physiologique ou du sentiment d'équilibre lui-même.
Dans le premier cas, puisqu'il a été supposé qu'une activation intense de l'appareil
vestibulaire a un effet sur les rêves et peut provoquer des sensations de tournoiement et de
[75]
flottement , sensations particulièrement présentes dans les rêves lucides et associés, il était
logique que certains chercheurs postulent que le système vestibulaire de rêveurs lucides est
[76]
intensément activé durant le sommeil ; ils se sont donc livrés à une expérimentation
comparée (à l'aide d'une irrigation calorique bithermale des membranes tympaniques) et ont
trouvé que les rêveurs fréquemment lucides réagissaient plus que les autres. Dans le
deuxième cas, ils ont testé l'équilibre des rêveurs sur un stabilomètre et se sont rendu compte
que les rêveurs lucides maintiennent leur équilibre statique plus longtemps que les autres
[77]
sujets .

Ces phénomènes physiques volontaires ou involontaires peuvent sans doute être


considérés comme des pistes de recherche mais ils ont cependant un aspect aléatoire en ce
qu'ils demandent une interprétation très étendue pour arriver à une conclusion qui garde le
plus souvent un caractère hypothétique. En effet, ces recherches donnent avant tout des
conclusions statistiques qui, en cas d'exception, invalident l'aspect explicatif de l'hypothèse sur
le plan strictement scientifique. Un seul sujet qui ne réagirait pas à l'irrigation des tympans
mais qui serait un rêveur lucide fréquent ne mettrait sans doute pas en cause la relation
statistique mais ramènerait ce genre de recherche à la catégorie précédente : une simple
description. Toutefois, les contre-exemples seraient sans doute plus difficiles à cerner en ce
qui concerne les capacités d'imagerie.

Les capacités d'imagerie sont intuitivement plus simples à rapprocher du rêve lucide.
Puisqu'en effet les caractéristiques du rêve appartiennent au domaine de la représentation
mentale, on peut poser en droit que le sujet doit pouvoir reproduire imaginativement,
volontairement ou involontairement, ces caractéristiques à l'état de veille. Ainsi, on s'attendra
par exemple à ce qu'un sujet qui rêve en couleurs soit également doté à l'état de veille de la
capacité à imaginer les couleurs. De la même façon certaines caractéristiques du rêve lucide
doivent pouvoir se retrouver sous forme de capacités d'imagerie particulières à l'état d'éveil
qui permettraient alors de distinguer les rêveurs lucides des non lucides. On peut examiner les
réponses apportées aussi bien en fonction de l'imagerie spontanée que volontaire.

La raison de l'intérêt porté à l'imagerie spontanée s'explique par les rapports que le
[78]
rêve lucide entretient avec elle . Il semble alors logique de se demander si les rêveurs
lucides sont ou non plus sujets aux états hypnagogiques, au rêve éveillé ou à l'hallucinose que
les autres. La façon d'envisager ce rapport peut cependant amener quelques divergences dans
les types d'interrogation : « Par définition, la conscience de soi au cours du processus onirique
caractérise la lucidité. Une telle conscience est typiquement celle de l'état de veille. L'imagerie
rencontrée dans le rêve lucide peut donc avoir des traits communs avec celle qu'il est possible
d'induire chez des personnes éveillées. Siegel (1977) a décrit un certain nombre de conditions
dans lesquelles intervient une imagerie hallucinatoire de l'état de veille, dont
l'endormissement et le réveil. […] A cette liste, on peut rajouter la méditation et
[79]
l'hypnose » .

Ici on part de l'idée a priori que la conscience de veille et la lucidité sont assimilables.
Du coup cela amène également à considérer ensemble des états très différents en regard de la
lucidité. Parmi les états hallucinatoires mentionnés par Gackenbach certains relèvent de
l'hallucination pure (l'intoxication par les drogues) d'autres de l'hallucinose (telle que la
méditation dans laquelle les images qui surgissent ne sont pas confondues avec la vie de
veille habituelle), d'autres encore peuvent entrer dans l'une ou l'autre catégorie
(l'endormissement, l'éveil, la privation sensorielle ou l'hypnose vigile). Or, si ces états se
produisent pendant la veille, cela ne permet pas pour autant de les mettre tous en rapport
avec la lucidité. Dans l'hallucination pure, en effet, le rêveur n'a aucune lucidité puisqu'il n'est
pas conscient que son état relève de l'hallucination. La mise en commun de tous ces états
sans discrimination montre qu'en fait c'est plutôt l'aspect "rêve" de l'imagerie de veille qui est
pris en considération que l'aspect "lucidité" (conscience de son état) qui peut être présent à
l'état de veille (mais ne l'est pas toujours). La preuve en est que l'étude citée porte sur le
contenu de ces expériences mais pas sur la conscience des sujets.

Or, la considération du contenu permet-elle de tirer des conclusions de type


différentiel ? Par exemple, de ce que dans le second stade des hallucinations (images
complexes) on en trouve parfois certaines dont le contenu rappelle des expériences vécues en
rêve lucide (des perspectives aériennes), Gackenbach conclut qu'il est probable que les
rêveurs lucides fréquents font plus souvent l'expérience d'état d'imagerie spontanée que les
[81]
non lucides . Cette hypothèse n'a cependant aucun rapport avec le raisonnement qui
prétend la soutenir. Une ressemblance de contenu n'est pas un indicateur d'occurrence et
encore moins de fréquence. On peut, sur la base des mêmes faits, soutenir la position inverse
de deux façons : si, en effet, les perspectives aériennes ne représentent qu'un type isolé
d'images parmi un ensemble sans rapport avec le contenu spécifique du rêve lucide, on peut
en conclure qu'ils s'éloignent plus du rêve lucide qu'ils ne s'en rapprochent ; ou encore si ces
états spontanés sont tout à fait hallucinatoires (non lucides), on peut supposer, en raison du
manque de lucidité qui les caractérisent, qu'ils seront moins fréquents chez les rêveurs
lucides que non lucides.

Ce manque de discrimination entre hallucination et hallucinose rend incertaines les


études statistiques elles-mêmes. Dans l'ensemble, il est vrai, ce type d'étude montre qu'une
corrélation d'ensemble existe bien : « 593 individus sélectionnés au hasard dans le registre
électoral de Bristol reçurent un questionnaire sur le rêve, les hallucinations, les distorsions de
l'image corporelle. […] 47% indiquèrent qu'ils avaient fait des rêves lucides. […] Les rêveurs
lucides […] tendaient à témoigner d'un plus grand nombre […] d'hallucinations et de
distorsions de l'image corporelle. […] 45% avaient eu des hallucinations éveillées et plus de la
moitié décrivirent des expériences telles que changements de taille, tremblements, sensations
[82]
de tournoiement et de flottement, ainsi que l'impression de voir les yeux fermés » .

Cependant, les conclusions que l'on peut tirer de cette étude dépendent du sens donné
au terme "hallucination éveillée" (waking hallucination). Si ce terme désigne l'hallucinose (de
même que "waking dream" désigne le rêve éveillé), la variable "lucidité quant à l'état dans
lequel le sujet se trouve" doit être au moins autant prise en considération que le contenu de
l'imagerie spontanée ou le fait de son surgissement. Or, les expériences de modification
corporelle signalée dans la même phrase sont assez souvent de l'ordre de l'hallucinose. Fox en
donne un exemple :

Comme la plupart des enfants, je tombais parfois dans une rêverie pendant que
je jouais et je restais simplement assis en ne fixant rien en particulier. Soudain un
changement subtil se produisait dans la pièce, quoi que tout paraissait comme
d'habitude et je commençais à me sentir effrayé. Je ne pouvais pas comprendre la
nature de ce changement et pouvais seulement l'expliquer à ma petite personne
en disant : "les choses vont mal". Je pouvais avoir, disons, une main reposant sur
la table et l'autre, sur le dos de ma chaise. L'illusion était que je ne pouvais pas
ôter mes mains et que la table et la chaise étaient très doucement en train de se
séparer et de m'étirer, alors que dans le même temps je savais avec une partie de
mon esprit qu'ils n'étaient pas réellement en train de bouger. C'était peut-être
cette connaissance qui empêchait la peur de prendre les dimensions du
cauchemar. Je voulais lutter pour ôter mes mains et alors, de façon tout aussi
[83]
soudaine, les choses "allaient bien" à nouveau.
Dans ce récit l'hallucinose ne fait aucun doute puisque Fox sait que ce qui lui arrive
n'est pas réel (« alors que dans le même temps je savais avec une partie de mon esprit qu'ils
n'étaient pas réellement en train de bouger »). Mais de la part de Gackenbach la non
distinction de ces deux types d'imagerie spontanée ne permet pour le moment aucune
conclusion réelle.

En revanche l'idée que l'imagerie hypnagogique est plus développée chez les rêveurs
lucides est beaucoup plus plausible, puisque l'état hypnagogique est justement un moyen
d'entrer dans le rêve lucide par l'endormissement conscient. Le seul fait de connaître cet état
augmente donc la probabilité de faire un rêve lucide. (Une étude montre en effet que parmi
[84]
les rêveurs lucides 82% font l'expérience d'images visuelles à l'endormissement .) On peut
même faire un pas de plus dans la mesure où l'état hypnagogique est souvent précédé par un
[85]
rêve éveillé spontané et donc supposer là aussi une corrélation. Mais si cette corrélation a
pu effectivement être trouvée dans ces deux cas, aucune étude n'a été menée qui permette
une comparaison pour les rêveurs non lucides. Dans l'ensemble la corrélation avec les états
spontanés, bien que très probable, reste du domaine de l'hypothèse. Elle sera sans doute plus
aisée à établir lorsque se dessinera une vision nette des éléments à corréler.

Cette vision nette semble plus facile à obtenir dans le cas de l'imagerie volontaire, dans
la mesure où ce qui est à mettre en rapport avec la lucidité n'est pas tant l'existence d'un
contenu que ce que le sujet en fait. Or, les actes d'un rêveur lucide ont une spécificité qu'il est
difficile de confondre avec ceux des rêves ordinaires. Un rêveur lucide peut en effet améliorer
sa vision onirique, se déplacer de diverses manières inhabituelles dans l'espace onirique ou se
livrer à des manipulations sur son environnement qui ne sont guère fréquentes lorsqu'il n'est
pas conscient de rêver. On peut donc supposer qu'à l'état de veille les rêveurs lucides auront
une plus grande facilité que les non lucides à se donner des représentations mentales précises
et à les manipuler, qu'il s'agisse d'images visuelles ou kinesthésiques (pour le sentiment de
déplacement).

Nous avons souvent rencontré une amélioration de la qualité perceptive du rêve


lorsque le rêveur devient lucide, soit que cette amélioration survienne en même temps que la
lucidité, soit que le rêveur profite de la lucidité pour apporter cette amélioration à son
environnement onirique. Ce phénomène semble être en corrélation avec un autre équivalent
dans l'imagerie mentale de veille qui, lui-même, s'avère être un critère de différenciation entre
rêveurs lucides et non lucides : « Les individus de sexe masculin qui disaient avoir fait des
rêves lucides fréquents indiquaient également, selon l'inventaire de Bett, une imagerie tactile
plus vive. Un suivi (inédit) de cas examinés par notre laboratoire montre l'existence, pour les
deux sexes, d'une relation positive entre la fréquence de la lucidité et les sous-échelles tactiles
et auditives de Bett. […] Cette étude fait également ressortir, pour ce même rapport entre
l'intensité des sensations et la lucidité, des différences suggestives entre les sexes pour les
rubriques de sensations kinesthésiques (femmes) ou olfactives (hommes). Kueny (1985) […] a
lui aussi mis en évidence une corrélation positive entre la lucidité et l'intensité de l'imagerie
mesurée selon les rubriques tactile, olfactive, kinesthésique et gustative. De même,
Hearne (1983) assure que la majorité de ses rêveurs lucides font état d'une intensité de
représentation moyenne à forte lors de tests d'imagerie visuelle ou auditive. Enfin,
Blackmore (1983) a obtenu une corrélation positive et significative entre la lucidité et
l'intensité de l'imagerie visuelle. […] Nous avons donc des indications consistantes de
l'existence d'une corrélation entre l'intensité de l'imagerie telle qu'elle est décrite par les
sujets et leur capacité à rêver lucidement - ceci étant démontrable aussi bien pour les
[86]
hommes que pour les femmes » .

Ce genre de résultats correspond intuitivement à ce que nous savons du rêve lucide.


Les images mentales à évaluer à l'état de veille se présentent ici après l'audition d'un stimulus
verbal : on peut donc considérer que leur qualité "émerge" de la même façon que celle du
rêve qui s'améliore brusquement lorsqu'il devient lucide.

Ce type d'études différentielles semble donc confirmer certaines intuitions concernant


les capacités d'imagerie des rêveurs lucides. Cependant, il n'est pas certain qu'il soit le plus
riche en possibilités d'investigation. En effet, les études précédentes portent avant tout sur
des capacités établies. On suppose que, puisque les rêves lucides sont souvent d'une qualité
perceptive onirique très riche, les rêveurs lucides ont à l'état de veille une imagerie plus riche
que les rêveurs non lucides. Or, il y a là un décalage entre ce qui sert de référent et ce qu'on
mesure. En effet, il faut se rappeler que, pour un même sujet, c'est en passant du rêve
ordinaire au rêve lucide que la qualité perceptive onirique s'améliore. Il y a donc un processus
de transformation qualitative alors que ce qu'on mesure à l'état de veille ce sont des capacités
d'imagerie régulière, non un processus. Ce serait donc vers le contrôle de l'imagerie mentale
que l'étude devrait normalement, et avant tout, se tourner. Or, une corrélation entre la
lucidité et la capacité de contrôle de l'imagerie à l'état de veille n'a pas apparemment pas été
trouvée : « Ni Hearne (1978 ; 1983), ni Blackmore (1982), ni notre groupe de recherche n'ont
pu mettre en évidence une relation entre le contrôle de l'imagerie décrit par les sujets et la
capacité d'être lucide. Blackmore (1982) et notre groupe se servirent du questionnaire de
Gordon concernant le contrôle de l'imagerie tandis que Hearne posait plusieurs questions qui
[87]
s'y rapportaient de façon évidente » .

En fait ce résultat n'est pas aussi surprenant qu'on pourrait le croire au premier abord.
En effet un rêveur non lucide fait preuve de contrôle sur l'imagerie de ses rêves tout aussi
bien qu'un rêveur lucide puisqu'il prend des décisions ou réagit à des situations qui entraînent
des modifications dans le déroulement du rêve, sans compter qu'il agit même parfois
magiquement. En réalité, ce qui différencie le rêveur lucide du rêveur non lucide ce n'est pas
tant la capacité de contrôle de l'imagerie onirique qu'une plus grande possibilité de choix dans
les contrôles à effectuer du fait qu'il se sait en train de rêver. Ce n'est donc pas le contrôle
lui-même qu'il faut mesurer mais la richesse des choix opérés dans un contrôle dont seules les
fins seraient assignées.

Une autre façon de surmonter ces difficultés concernant le contrôle consiste à étudier
les types de contrôle spécifiques au rêve lucide plutôt que la capacité de contrôle en général.
Or, dans ce domaine, un certain nombre de phénomènes peuvent être recensés parmi lesquels
le mouvement rotationnel ou l'orientation spatiale par rapport à son corps (onirique) ont été
plus particulièrement retenus : « Nous avons étudié les capacités des rêveurs lucides à
exécuter des tâches de rotation mentale. Pour une rotation mentale bi-dimensionnelle simple
[...] Gackenbach et ses associés, après avoir contrôlé la facilité des sujets à se souvenir des
rêves, ont jugé que la fréquence de la lucidité n'était pas en rapport avec le niveau de
performance [...]. Toutefois, pour des tâches bi-dimensionnelles plus difficiles [...] et pour des
tâches tri-dimensionnelles [...] il a été démontré que les femmes sujettes aux rêves lucides
[88]
réussissaient mieux que celles qui ne l'étaient pas » .

Que la corrélation avec le rêve lucide n'apparaisse qu'à un certain niveau de difficulté
de la tâche mentale à accomplir, cela semble assez normal dans la mesure où, dans le rêve
lucide, le mouvement rotationnel lui-même ne devient spécifique que lorsqu'il présente une
certaine complexité : voir en rêve des objets tournants n'est pas caractéristique de la lucidité ;
en revanche un tournoiement sur soi-même, surtout fréquent dans les rêves lucides, implique
à la fois une modification des sensations visuelles et kinesthésiques, ce qui correspond à une
tâche plus difficile dans l'activité d'imagerie à l'état d'éveil. Assez curieusement le degré de
lucidité corrélé semble croître avec la difficulté de la tâche : « Pour une tâche de rotation
mentale difficile effectuée par des femmes adultes […] la fréquence de leurs expériences de
rêve pré-lucide était liée positivement et de façon significative à la réussite. Dans la même
étude, notre groupe détermina que l'habileté à réaliser une tâche de rotation mentale
[89]
tri-dimensionnelle était en relation positive, chez les femmes, avec le rêve lucide » . Pour
manipuler mentalement un objet à trois dimensions le sujet doit faire preuve de la capacité à
s'orienter dans un espace imaginaire. Il apparaît donc que le rêve lucide est corrélé à une
grande habileté de visualisation impliquant l'orientation spatiale.

Dans l'ensemble, chercher ce qui différencie les rêveurs lucides des non lucides sur le
plan de capacités aussi bien physiques (équilibre) que mentales (rotation d'un objet à trois
dimensions), c'est poser que le rêve lucide est l'indication de l'acquisition d'une habileté
particulière dont on peut retrouver la trace à l'état de veille dans d'autres activités. Mais ce qui
reste obscur, c'est l'origine de cette habileté qui se manifeste par des rêves lucides et des
capacités d'imagerie. S'agit-il d'une différence strictement individuelle ou dépend-elle de
circonstances accidentelles ? Les recherches sur les habitudes de vie des rêveurs lucides et
non lucides peuvent probablement nous informer sur ce point.

III. Personnalité et habitudes de vie des rêveurs lucides


Les études précédentes s'intéressent avant tout à la différence entre des rêveurs
ordinaires et des rêveurs déjà lucides mais elles ne s'inquiètent pas de savoir ce qui change
chez un sujet qui, après apprentissage, acquiert la faculté de rêver lucidement. Ses capacités
d'imagerie se modifient-elles, et de quelles façon ? Ce type de recherche n'a pas été entrepris.
Or, c'est sans doute à partir de lui que les études différentielles pourraient donner les
meilleurs résultats. En effet, savoir ce qui change chez un même sujet avec l'apprentissage du
rêve lucide indiquerait tout autant les variables à prendre en considération pour de telles
études que des hypothèses explicatives sur un fonctionnement physiologique. Car l'examen
des méthodes d'induction indique bien que certaines habitudes favorisent la lucidité et il est
possible qu'à son tour la lucidité influence le mode de vie. Ainsi, il va de soi que la pratique de
la remémoration des rêves ne peut que faciliter le souvenir d'un rêve lucide et qu'à son tour la
lucidité favorise le rappel des rêves. D'autres habitudes peuvent certainement être mises en
rapport avec la lucidité, et cela sur une échelle assez large. Il ne s'agit plus alors de chercher
une corrélation purement démographique mais un mode de vie.

Comment repérer ces façons de vivre ? L'exemple que nous avons donné montre que,
si un rapport nécessaire peut être trouvé, il n'en est pas pour autant suffisant. Que des
générations de psychanalystes aient pu noter régulièrement leurs rêves sans jamais
mentionner le rêve lucide permet de s'en rendre compte en ce qui concerne la remémoration.
Plutôt que d'opposer les rêveurs lucides aux rêveurs non lucides en général, il faudrait déceler
ce qui, au sein même de populations qui s'intéressent à leurs rêves, différencie les rêveurs
lucides des autres, donc affiner l'analyse sur des catégories de populations proches. Les
constatations empiriques prendraient alors leur réelle importance pour guider la recherche ;
elles pourraient également porter sur des différences déjà constatées à une plus large échelle
mais qui ne présenteraient apparemment pas de rapport avec l'activité onirique. Il s'agit donc
de rechercher des différences de détail au sein de ressemblances globales. Pour cela il faut
trouver les activités qui ont été mises en rapport avec le rêve lucide mais dont le champ est
manifestement trop large pour en rendre raison, ne serait-ce que parce que leur pratique
n'impliquent pas automatiquement la lucidité. Pour se livrer à une telle investigation deux
voies obligées s'offrent à nous : les habitudes de vie concernant le sommeil et celles
concernant le rêve. Il conviendrait ensuite de se livrer à une étude de ce qui différencie les
rêveurs lucides des non lucides sur les champs communs mis en évidence. De telles études,
encore à entreprendre, pourraient s'avérer fructueuses et permettraient d'affiner les méthodes
d'induction qui sont, pour l'instant, tâtonnantes. Nous allons donc proposer maintenant non
pas un commentaire de résultats obtenus mais quelques directions de recherches qui
semblent pouvoir se dégager à l'aide de constations empiriques sur les habitudes de vie
concernant le sommeil et le rêve.

Nous avons pu voir au chapitre sur les méthodes d'induction que la façon de traiter son
sommeil a une grande importance dans la survenue du rêve lucide. Toutefois, il s'agit ici
d'examiner non pas ces méthodes mais des habitudes qui, si l'on tient compte de ce que l'on
sait des méthodes, devraient mener au rêve lucide. Ainsi, partant de la constation statistique
que les rêveurs lucides ont dans l'ensemble la même attitude envers leur sommeil, on pourra
chercher, sous forme d'hypothèse explicative, s'il existe un rapport entre ces habitudes et la
lucidité. Si une telle hypothèse peut être posée, voire validée par l'étude statistique, elle
constituera le champ général à partir duquel on se demandera alors pourquoi tous les sujets
manifestant le même comportement ne connaissent pas la lucidité. De telles habitudes sont
assez faciles à déceler dans la littérature bien qu'elles n'aient pas fait l'objet d'une étude de
corrélation. Elles concernent aussi bien la qualité du sommeil que sa quantité.

Il semble, en effet, que le sujet ait besoin d'une quantité de sommeil importante.
Nombreux sont les rêveurs lucides qui indiquent incidemment qu'ils se sont levés tard, comme
Patricia Garfield ou Stephen LaBerge. Ils rapportent également le besoin de faire la sieste
régulièrement, ce qui à la fois augmente la quantité de sommeil et la possibilité d'obtenir un
rêve lucide. Inversement, certains rêveurs lucides qui diminuent leur quantité de sommeil
[90]
voient le nombre de leurs rêves lucides décroître et parfois disparaître . Pourtant la quantité
de sommeil, si elle est commune à un nombre important de rêveurs lucides, ne peut être, d'un
point de vue statistique, qu'une condition générale compte tenu du nombre de grands
dormeurs qui ne rêvent pas lucidement. Une fois reconnue l'importance de la quantité de
sommeil, d'autres facteurs apparaissent, et dont l'impact est probablement déterminant de
façon croissante.

Ce qui importe, dans le fait que la durée de sommeil est allongée, n'est donc pas la
quantité elle-même mais probablement sa disposition dans le temps. Il semble, en effet, que
le sommeil fractionné facilite l'émergence de la lucidité onirique puisque nombreux sont les
rêveurs lucides qui obtiennent leurs rêves lucides au cours de la sieste ou en se recouchant en
fin de matinée. Si, comme le pensent LaBerge et ceux qui mettent au point des méthodes
d'induction, il est nécessaire de bien se réveiller avant de se rendormir, le fractionnement du
sommeil permet probablement une certaine activité cérébrale qui favorise la lucidité.
Corrélativement, les activités qui augmentent le niveau de vigilance, c'est à dire qui
nécessitent une forte attention à l'environnement, peuvent se révéler importantes. Patricia
Garfield rapporte que ses rêves lucides surviennent souvent après des journées très chargées
en activités diverses. C'est à partir de constatations de cette sorte qu'il devient intéressant
d'étudier le mode de vie de façon différentielle.

Mais cela suppose aussi que soit pris en compte la corrélation avec un autre facteur
sans lequel le précédent n'aurait pas de sens : la facilité à s'endormir. En effet, la difficulté à
dormir semble de nos jours assez répandue. Déjà, en 1984, on constatait que « La
consommation des hypnotiques ne cesse de croître en France. Un million à un million et demi
de Français prennent tous les jours un médicament pour dormir, cinq millions en prennent
[91]
épisodiquement » . Or, la pratique du sommeil fractionné n'a de sens que si le sujet a la
capacité de s'endormir à volonté sans médicament, ce qui d'ailleurs peut faire l'objet d'un
apprentissage. De plus, cela jette un jour nouveau sur l'idée de qualité de sommeil : il s'agit
[92]
nécessairement d'un sommeil réel et non de celui provoqué par les hypnotiques . La prise
de ce type de médicaments est en effet incompatible avec ce que nous avons dit des activités
d'éveil. Dans l'ensemble, ce sont là des habitudes qui tendent à favoriser une certaine
hygiène du sommeil. Ce qui pousse à se demander si d'autres conditions qui favorisent le
sommeil naturel, comme le calme ou le grand air, ne devraient pas être pris en considération.
On peut remarquer, par exemple, que les sujets obtiennent plus facilement des rêves lucides
chez eux qu'en laboratoire. Le type d'environnement devrait sans doute être étudié à partir de
telles données. (Il s'agit, rappelons-le, d'hypothèses posées sur la base de constatations
empiriques, dans l'intention de faciliter l'orientation d'études différentielles qui pourraient être
faites.)

Plus encore peut-être que les habitudes de vie concernant le sommeil, celles
concernant le rêve risquent d'être révélatrices d'une corrélation avec la lucidité. On peut bien
sûr supposer que certaines habitudes constituent des méthodes d'induction inconscientes
mais, lorsqu'on se rappelle la difficulté qu'il y a à mettre en œuvre les méthodes que nous
connaissons, il apparaît qu'il faut d'abord chercher des habitudes de vie générales avant
même toute particularité et surtout avant même de supposer que ces particularités se
rapprochent nécessairement des méthodes connues.

Qu'est-ce qu'une habitude de vie concernant le rêve ? C'est avant tout, nous l'avons
vu, un certain rapport au rêve. En effet, dans le monde occidental, il n'est pas rare de voir des
gens qui non seulement ne s'intéressent pas aux rêves mais n'en ont jamais aucun souvenir.
En fait, le souvenir est conditionné par la valeur que lui accorde le rêveur. La première
habitude sera donc l'intérêt porté au rêve et même plus précisément le degré de cet intérêt,
car il peut se manifester de diverses façons. S'agit-il d'un intérêt subordonné à des
considérations théoriques (comme l'interprétation psychanalytique) ou d'un intérêt pour le
phénomène onirique ou même dans un but pratique (de création artistique par exemple) ?
Dans ce dernier cas cette attention va-t-elle jusqu'à prendre en note les rêves, et même à les
étudier ? Une certaine forme d'intérêt est peut-être plus en rapport avec la lucidité qu'une
autre. On voit donc qu'il est possible de distinguer des variables de types très différents dans
ce domaine qui a l'air simple au premier abord.

Si l'intérêt stimule le souvenir, ce dernier n'en est pas moins le point fondamental. Le
souvenir des rêves est la condition au moins du récit du rêve lucide, même si un souvenir
régulier ne garantit pas, comme le croyait Hervey de Saint-Denys, la survenue de la lucidité.
Cependant, il est possible que la façon dont s'opère le rappel des rêves revête une certaine
importance. Peut-être y a-t-il une activité qui différencie les rêveurs lucides des non lucides au
sein même de l'activité de rappel. Ainsi, on peut constater qu'Hervey de Saint-Denys ou
Patricia Garfield ne se contentent pas de faire le récit de leurs rêves mais qu'ils les dessinent,
habitude que l'on retrouve chez de nombreux rêveurs lucides. Ou encore on peut se demander
quel rôle joue l'interprétation du rêve par rapport à son rappel, c'est-à-dire à quelle catégorie
appartiennent les rêveurs : interprètent-ils le rêve au fur et à mesure que leur en revient le
souvenir ; reportent-ils l'interprétation à un moment ultérieur ; considèrent-ils l'interprétation
comme secondaire ? Parmi les rêveurs lucides eux-mêmes nombreux sont ceux qui, nous
l'avons vu, ne cherchent pas à interpréter systématiquement leurs rêves.

Les habitudes de vie concernant le rêve peuvent donc faire l'objet d'une étude plus
précise que la simple question généralement posée sur la fréquence du rappel des rêves. On
pourrait alors affiner les questions portant sur certaines variables pour obtenir des réponses
plus nuancées. Pour l'heure, les résultats contradictoires obtenus sur ce sujet par des
chercheurs différents incitent à se tourner vers des domaines où l'observation joue un rôle
plus grand que la statistique, telle la psychophysiologie.

§ 3. Psychophysiologie du rêve lucide


Le rêve lucide peut-il faire l'objet d'une investigation de type scientifique lorsqu'il s'agit
des sciences autres que les sciences humaines ? La question peut se poser autrement : le rêve
lucide peut-il faire l'objet de mesures, est-il quantifiable en quelque façon ? Question
inadéquate au premier abord puisque le rêve lucide appartient au domaine de la
représentation mentale qui échappe à une mesure autre que celle utilisée par les sciences
humaines. D'un côté, les caractéristiques du rêve lucide tel que le vit le sujet ne peuvent pas
être mesurées directement par un observateur extérieur ; et, de l'autre, se fonder sur
l'introspection des sujets pour obtenir des informations serait revenir aux méthodes des
sciences humaines. Si quelque chose doit être mesuré, ce ne peut être que ce qui est
observable au cours du rêve lucide : la personne du rêveur. Ce type d'observation est
d'ailleurs courant dans des laboratoires du sommeil où différentes manifestations
physiologiques du sujet sont enregistrées à l'aide de divers types d'appareils. Cependant, la
lucidité, en raison de sa nature même, autorise beaucoup plus qu'une simple observation. Elle
permet en effet au rêveur de coopérer avec l'expérimentateur un peu comme un scaphandrier
avec qui on communiquerait par des tractions de câbles. Plus encore, il semble bien que la
reconnaissance de la lucidité dépend elle-même de cette manifestation de l'intervention
consciente du rêveur dans l'expérience. Une telle coopération entre l'expérimentateur et le
sujet doit normalement favoriser la mesure des phénomènes à étudier puisqu'elle permet de
s'assurer que les phénomènes physiologiques constatés correspondent bien à des périodes de
lucidité, voire à certains types de rêves.

Cependant, si la mesure du rêve lucide semble possible en droit, il reste à déterminer


ce qui est à mesurer et comment s'y prendre. En effet, le rêve est imprévisible dans son
contenu et ne se prête pas nécessairement à une expérience stéréotypée et encore moins
répétitive. Le rêve lucide n'échappe pas à ce caractère imprévisible : que le rêveur soit
conscient n'implique pratiquement jamais qu'il puisse rêver exactement ce qu'il veut. Tout au
plus peut-il, dans le meilleur des cas, se livrer à des manipulations, mais ces dernières sont
généralement limitées. En d'autres termes, le rêveur lucide ne crée pas le rêve de toute pièce,
du moins pas consciemment. Ainsi, si le rêve peut être mis à contribution, ce ne peut être que
dans certaines limites qu'il faut déterminer. Cela signifie qu'il faut plutôt étudier ce qui se
présente que de prévoir des expériences "complètes" où tous les paramètres oniriques
seraient contrôlés. L'expérience onirique elle-même sera donc envisagée en fonction de ce qui
peut être mesuré et non l'inverse. Cela revient à dire que les sujets chercheront avant tout à
accomplir en rêve des actions qui produisent corporellement ou cérébralement des
manifestations décelables. En effet, des actions oniriques ne produisant aucun effet
enregistrable ne seraient pas réellement informatives puisqu'on ignorerait si elles indiquent
une rupture du parallélisme psycho-physiologique ou simplement une limite des instruments
de mesure.

Une autre difficulté est posée par la nature sommaire du signal envoyé par le rêveur
lucide, généralement un mouvement oculaire, qui ne permet pas une communication élaborée.
La préparation des expériences suppose donc la mise au point non seulement d'un programme
précis mais d'un code permettant de repérer des situations oniriques différentes en attendant
la confrontation de l'observation avec le récit du sujet. La limitation imposée par le type de
communication implique nécessairement que les expériences envisagées ne peuvent guère
prendre des formes complexes. Nous apprennent-elles alors réellement quelque chose sur le
rêve ? Cette interrogation appelle deux constatations. D'une part, il semble que l'aspect
élémentaire des expériences suffise dans certains cas à répondre à des questions que l'on se
pose depuis le siècle dernier au sujet du rêve (concernant par exemple sa durée) et que donc
elles en permettent une investigation précieuse. D'autre part, si l'on considère que c'est moins
le rêve qui est visé que le rapport qui l'unit au rêveur, on se rend compte que le seul
déroulement de telles expériences est déjà une source d'informations.
Puisqu'on sait ce qu'on peut mesurer en laboratoire sans cependant connaître
exactement les activités oniriques qui, dans le cadre du rêve, entraînent une possibilité de
mesure, la dispersion sur des sujets assez différents les uns des autres semble inévitable.
Cependant, afin d'obtenir une vue claire de ce que donne l'étude en laboratoire, on peut
chercher à déceler des niveaux d'études en fonction de différentes directions de recherche. La
lucidité onirique elle-même constitue nécessairement un tel niveau puisqu'elle conditionne
l'ensemble des recherches. Et, en raison de la nature même des expériences envisagées, la
première question qui se pose à son sujet concerne l'existence d'une manifestation
physiologique qui lui corresponde et qui permette de la repérer de façon objective autrement
que sur un signal volontaire du rêveur. Ce dernier, quant à lui, entre également dans un
deuxième niveau de questionnement qui concerne l'ensemble des actions effectuées
volontairement par le rêveur et leur incidence sur les instruments de mesure. Or, cette
mesure elle-même s'effectue dans un cadre spatio-temporel dont le rapport avec celui du rêve
doit être déterminé si l'on veut s'assurer des résultats obtenus - détermination qui constitue
un troisième niveau de recherche. Ces différents niveaux de l'expérimentation ne sont
évidemment pas séparables dans la pratique, car une même expérimentation peut fournir des
informations relevant de chacun d'eux, mais nous les distinguerons ici pour mieux saisir la
nature des recherches qui ont été menées.

I. Le cadre spatio-temporel de l'expérience


L'idée que le rêveur lucide puisse, à partir de son état de rêve, coopérer avec
l'expérimentateur en laboratoire dans le monde de l'éveil suppose que, en plus de la possibilité
d'envoyer un signal de lucidité, certains paramètres leur soient communs pour que l'un puisse
s'assurer qu'il enregistre bien ce que l'autre rêve. Or, le cadre spatio-temporel de l'expérience
onirique n'est pas a priori celui de la vie de veille, non seulement en raison de l'enchaînement
des séquences oniriques qui fait du rêve un milieu dont on s'est généralement plu à souligner
l'irrationalité fondamentale, mais aussi de l'expérience subjective du rêveur qui lui donne le
sentiment d'un écoulement temporel différent de celui de la veille :

J'étais étendu sur mon lit à la lumière du jour [...] Je fermai les yeux. J'entendis
immédiatement le son le plus délicieux, comme une grande fanfare de trompettes
d'argent venant du ciel. J'ouvris les yeux à nouveau, stupéfait, et demeurai allongé
en clignant des yeux dans la lumière du matin car la nuit était finie. Tout s'était
[94]
passé apparemment en une seconde […].
Si le temps n'est pas apprécié de la même façon en rêve et à l'état de veille, il n'y a
guère moyen de dépasser le niveau ponctuel du signal indiquant que le rêveur est lucide et, si
on ne peut être assuré que les rêves qui gravitent autour de ce signal se déroulement en
"temps réel", il n'est du coup guère possible d'affirmer que les réactions électrophysiologiques
enregistrées en réaction à une tentative onirique donnée lui correspondent vraiment.

Cependant, plusieurs facteurs indiquent, avant même toute expérimentation, que cette
difficulté n'est pas non plus a priori insurmontable. Tout d'abord, en ce qui concerne le rêve
lui-même, cette appréciation d'irrationalité spatio-temporelle est incertaine, elle reste un objet
de spéculation en attendant des expériences décisives et, même si elle était validée, elle
n'impliquerait pas que toutes les situations oniriques soient dans ce cas. On peut, en effet,
supposer que certains facteurs oniriques entraînent un type de temporalité et se demander si
la lucidité n'est pas un tel facteur. Dans le rêve lucide, en effet, le rêveur a, nous l'avons déjà
constaté, le sentiment de l'écoulement du temps, et cet écoulement temporel semble avoir,
pour lui tout au moins, une certaine homogénéité. Si cette homogénéité est plus qu'un
sentiment subjectif, un isomorphisme doit pouvoir être trouvé entre le déroulement du rêve et
celui de l'observation, même si le sentiment d'écoulement du temps est différent. On
comprend donc que l'étude du rapport entre l'espace-temps du rêve lucide et celui de la veille
ait fait partie des premières recherches de laboratoire.

La temporalité du rêve est un sujet de controverse ancien comme en témoigne le rêve


dit de "Maury guillotiné" qui est constamment mentionné à ce propos et qui a suscité les
interprétations les plus diverses :

« J'étais un peu indisposé, et me trouvais couché dans ma chambre, ayant ma


mère à mon chevet. Je rêve de la Terreur ; j'assiste à des scènes de massacre, je
comparais devant le tribunal révolutionnaire, je vois Robespierre, Marat, Fouquier-
Tinville, toutes les plus vilaines figures de cette époque terrible ; je discute avec
eux ; enfin, après bien des événements, que je ne me rappelle qu'imparfaitement,
je suis jugé, condamné à mort, conduit en charrette, au milieu d'un concours
immense, sur la place de la Révolution ; je monte sur l'échafaud ; l'exécuteur me
lie sur la planche fatale, il la fait basculer, le couperet tombe ; je sens ma tête se
séparer de mon tronc, je m'éveille en proie à la plus vive angoisse, et je me sens
sur le cou la flèche de mon lit qui s'était subitement détachée, et était tombée sur
mes vertèbres cervicales, à la façon d'un couteau de guillotine. Cela avait eu lieu à
l'instant, ainsi que ma mère me le confirma, et cependant c'était cette sensation
externe que j'avais prise […] pour point de départ du rêve où tant de faits s'étaient
succédé. Au moment où j'avais été frappé, le souvenir de la redoutable machine,
dont la flèche de mon lit représentait si bien l'effet, avait éveillé toutes les images
[95]
d'une époque dont la guillotine a été le symbole » .
De ce rêve Maury concluait qu'un ensemble d'événements oniriques d'une durée
subjective très longue pouvaient s'inscrire dans un temps réel très bref (« il suffit d'un instant
[96]
pour faire un rêve étendu » ). Les très nombreuses tentatives d'explications de ce rêve et
les recherches en laboratoire qui indiqueraient que le temps du rêve ordinaire est
[97]
proportionnel au temps réel n'ont pas réussi à lever la controverse.

Cependant, il y a au moins un type de problème qui n'a jusqu'ici pas été pris en
considération. On tient en effet pour acquis que l'écoulement subjectif du rêve est
indépendant de sa durée réelle, qui dépendrait plutôt de la succession des événements
oniriques (l'on jugerait alors la durée écoulée au nombre des séquences qui se succèdent
plutôt qu'au sentiment subjectif qu'en a le rêveur). Cette attitude se justifie pour le rêve
ordinaire, lorsque le rêveur s'identifie au rêve, mais elle ne saurait être généralisée. La
projection cinématographique peut nous aider à comprendre cette situation : la durée d'un
film n'est pas la même que celle de l'histoire qu'il déroule et cette dernière n'est acceptée par
le spectateur que sur le plan de la signification, dans la mesure où il accepte de se laisser
entraîner mentalement par des péripéties qu'il ne vit pas corporellement. La participation à
l'histoire n'est cependant jamais complète, le spectateur sachant à l'arrière plan de sa
conscience (de façon non thétique) qu'il se trouve dans une salle de cinéma, situation qui, sur
le plan temporel, suppose une double perception du temps et qui, sur le plan conscientiel,
peut être comparée à la demi-lucidité. Puisque la lucidité crée justement une distance entre le
rêve et le rêveur, ce dernier devrait être capable d'apprécier la nature exacte de la temporalité
du rêve : se trouve-t-elle en décalage avec un sentiment propre qui le rapprocherait de l'état
de veille ou les deux sentiments d'écoulement du temps sont-ils synchrones ? Ainsi, dans
certains rêves lucides, le passage d'une séquence onirique à une autre qui impliquerait un
certain écoulement du temps pourrait être acceptée par le sujet sans pour autant altérer sa
perception "réelle" du temps, celle de l'absence de durée réelle au cours de ce passage.
Supposons que Maury ait été lucide au cours de son rêve (ce qui n'était manifestement pas le
cas), peut-on être assuré qu'il aurait eu le sentiment subjectif d'une longue durée, ou au
contraire ces événements lui auraient-ils parus condensés, comme dans un film dont il aurait
été à la fois acteur et spectateur ? Cet exemple hypothétique montre que le sentiment
subjectif que le rêveur a du temps n'est pas nécessairement le même que le temps impliqué
par l'agencement des séquences oniriques et que c'est lui qui importe réellement pour
l'expérimentation. Si, en effet, une expérimentation doit être menée en rêve lucide pour
évaluer la temporalité du rêve, elle dépendra nécessairement de ce sentiment subjectif du
temps (qu'il coïncide ou non avec le déroulement du rêve ou celui de l'état de veille) et le
signal envoyé par le rêveur lucide se fera en fonction de lui.

La possibilité d'envoyer un signal en rêve lucide permet d'étudier la temporalité du rêve


en laboratoire. D'après LaBerge, il est possible de « mesurer directement et sans peine la
durée subjective du rêve grâce aux rêveurs lucides. On donne pour consigne aux
onironautes de signaler l'instant où ils deviennent lucides, puis d'évaluer un intervalle, disons
de dix secondes, en comptant jusqu'à 10 dans le rêve. Le rêveur lucide émet à nouveau un
signal afin d'indiquer la fin de l'intervalle, ce que l'on peut directement mesurer sur
l'enregistrement polygraphique : « Nous avons observé au cours de ces expériences […] que
les intervalles évalués à dix secondes duraient en moyenne 13 secondes, ce qui correspondait
à l'estimation moyenne d'un intervalle de dix secondes faite par les sujets à l'état de
[98]
veille » . Ainsi, vue à partir du laboratoire, l'estimation du temps par le rêveur correspond à
celle de l'état de veille. Il est intéressant de connaître un récit rapporté par un sujet dans ce
type d'expérience afin d'évaluer les circonstances oniriques qui ont entouré son évaluation du
temps.

« […] comme je me trouvais à la jonction du sommeil et de l'état de veille, je le


"fis" se produire : mon corps de rêve commença de flotter en l'air au-dessus du lit,
un lit par ailleurs fort semblable à celui où je savais que reposait mon corps
physique. J'attendis de flotter totalement afin d'être certaine de rêver vraiment.
Mais j'avais l'impression d'être retenue par quelque chose : mes électrodes! J'en
déduisis cependant qu'elles n'étaient que des électrodes imaginées en rêve, et je
n'allais pas laisser celui-ci me contrôler. C'est alors que je m'éloignai tout
bonnement en volant, sans guère me soucier des "électrodes" qui, je présumais,
n'existaient plus. Volant dans la pièce, puis traversant carrément le mur, j'émis un
signal "gauche-droite-gauche-droite" pour montrer que j'étais lucide. Tout ceci
n'avait alors pris que quelques secondes. Je commençai à évaluer 10 secondes,
comptant "mille un, mille deux…" au moment où je traversai le mur pour arriver
dans le salon. Tout était très sombre et j'avais l'impression de ne pas être en
sommeil profond jusqu'à ce qu'un miroir me renvoie une vague image de
moi-même. La pièce s'éclaira et s'anima comme je le fixai. Continuant à compter,
j'eus envie d'accomplir une action quelconque à relater par la suite ; saisissant
donc une chaise je la lançai en l'air par jeu, la regardant culbuter et flotter. Quand
j'eus finis de compter jusqu'à 10, je le signalai à nouveau. J'étais ensuite censée
évaluer dix secondes sans compter, et c'est alors que me vint l'idée qu'il serait
intéressant de voler jusqu'à la salle polygraphique et y regarder une adaptation
onirique de l'enregistrement de mes propres signaux. Devant y parvenir en 10
secondes, je traversai donc directement la pièce contiguë qui était remplie de
boîtes et de chaises. Pour une raison indéterminée, je me surpris à vouloir éviter
de buter contre elles, espérant arriver au polygraphe avant mon prochain signal.
J'entendis, au loin, une voix semblable à la mienne qui effectuait le calcul que je
n'étais pas supposée faire! Je fus un peu intriguée, mais je trouvai cela fascinant.
Je parvins à temps au polygraphe autour duquel plusieurs personnes agglutinées
regardaient. "Hé, vous tous, je le fais en direct!", annonçais-je, alors que
j'effectuais un troisième signal, voyant dans mon rêve les plumes du polygraphe
[99]
s'agiter avec frénésie. »
Sur une période courte l'écoulement temporel du rêve lucide apparaît comme équivalent
à celui du temps réel. Dans le rêve cité, non seulement le sentiment subjectif du temps,
compté ou estimé, mais aussi les événements oniriques correspondent à l'écoulement du
temps en laboratoire.

Néanmoins, des difficultés subsistent concernant la forme même de l'expérience.


N'est-ce pas l'activité onirique entreprise (compter sur un certain rythme ou estimer une
durée) qui, en quelque sorte, crée le temps du rêve ? Cette hypothèse est renforcée par
l'apparence du rêve dont le contenu est complètement conditionné par l'expérience : le sujet
rêve de l'expérimentation elle-même (électrodes, polygraphe…) et donc, si le rêve peut en
prendre la forme, pourquoi n'en copierait-il pas la durée ? En d'autres termes, si, au lieu
d'estimer le temps à partir de lui-même, le rêveur devait l'estimer après s'être laissé porter
par l'action du rêve et sans qu'un intervalle précis ait été prédéterminé, les résultats
seraient-ils les mêmes ? Par exemple, le rêveur enverrait un premier signal de lucidité puis se
laisserait entraîner par les événements oniriques et au bout d'un certain temps déciderait
d'estimer le temps passé et d'envoyer autant de signaux qu'il suppose qu'il s'est écoulé de
minutes. Cette estimation serait bien sûr mise en rapport avec celle subjective faite à l'état de
veille dans des circonstances équivalentes.

De telles expérimentations n'ont pas encore été entreprises mais on peut tout de
même s'appuyer sur les résultats déjà obtenus pour faire quelques suppositions. Ainsi, par
exemple, dans la mesure où les expérimentations de LaBerge ont porté sur de nombreux
[100]
sujets , on peut supposer que tous n'ont pas nécessairement rêvé du laboratoire et que
l'estimation du temps n'est donc pas obligatoirement liée à la forme du rêve. De plus, si ce
type d'expériences ne permet pas de conclure pour l'ensemble des rêves, il permet au moins
de constater que certains rêves répondent à la description d'un temps équivalent et que donc
les observations en laboratoire sont en droit possible. En ce sens, certains problèmes qui
restent en suspens concernant le temps dans le rêve lucide doivent pouvoir être résolus.

Le cadre spatial du rêve lucide pose a priori le même type de problème que pour la
temporalité onirique : une expérimentation impliquant la collaboration du rêveur est-elle
possible étant donné la nature du rêve ? Tout d'abord il n'est pas rare que le rêveur agisse en
rêve, se livre par exemple à des mouvements du corps. Or, les enregistrements faits en
laboratoire ne semblent pas avoir décelé quoique ce soit de particulier en rapport avec des
mouvements oniriques. Dans ce cas en quoi des mouvements volontaires pourraient-ils avoir
une influence sur les enregistrements ? D'autre part, certaines expériences déjà anciennes
[101]
(dont celles menées par Mourly-Vold ) montrent que c'est la position du corps qui
influence le rêve et conditionne les mouvements oniriques du rêveur. S'il en est ainsi comment
le rêveur peut-il faire autrement que de suivre la pente du rêve ? Enfin le rêveur est parfois
dissocié de sa propre proprioceptivité : « Au lieu de se trouver, lui-même, dans une position
ou un mouvement, celui qui rêve voit une autre personne (ou un animal) dans la position
ou le mouvement en question. Voici les faits psychiques qui rendent possible un tel
changement de la personnalité. La vue d'un mouvement ou d'une position d'une autre
personne est très souvent accompagnée d'une perception musculaire dans notre propre corps
; d'autre part nous avons à l'ordinaire une tendance à nous expliquer par des images visuelles
ce que nous ressentons par les autres sens ; aussi en rêve où la fatigue domine, nous nous
expliquons nos sensations musculaires par des images d'autres personnes qui se trouvent
[102]
dans les mêmes états musculaires que nous-mêmes » .

Dans de tels cas il n'est pas rare, comme en ont témoigné de nombreux rêveurs, que la
sensation de mouvement onirique s'avère sans rapport avec la réalité physique. Si le rêveur
ne ressent pas ses membres comment admettre que ses actions oniriques puissent avoir un
rapport avec le corps physique ? Ces difficultés sont réelles et pourtant la pratique du signal
volontaire et d'une série d'autres expériences en laboratoire que nous allons examiner
montrent qu'une telle étude peut être menée. Nous voulons examiner ici ce qui la rend
possible.

L'hypothèse d'un décalage au sein du temps onirique lui-même entre un écoulement


onirique objectif (celui des séquences du rêve) et subjectif (le sentiment du rêveur) peut être
étendue à l'aspect proprioceptif. On pourrait en effet supposer que, de la même façon que le
rêveur lucide, en raison de sa conscience de rêver , occupe une nouvelle position par rapport
au temps de son rêve, de même ses actions proprioceptives ne dépendent pas nécessairement
des événements oniriques : il pourrait, par exemple, être en rêve en train d'accomplir un acte
déterminé et en exécuter volontairement un autre qui ne rentrerait pas dans le cadre du rêve.
En ce sens la lucidité créerait une sorte de troisième sujet entre le dormeur et le rêveur, le
rêveur rêvant, qui entraînerait l'apparition d'une sorte d'appréciation de l'espace qui serait
"intermédiaire" (d'un point de vue subjectif) entre celui du rêve et de l'état de veille. Ainsi
nous avons vu des rêves lucides ou associés où le sujet tout en se sentant paralysé (dans son
rêve) ne se déplace pas moins comme s'il ne l'était pas. Le sentiment de paralysie correspond
peut-être là à cet espace subjectif.

Bien qu'une telle hypothèse puisse être posée en raison des expériences individuelles,
les expérimentations de laboratoire n'ont cependant pas amené les chercheurs à l'envisager
car le cadre spatial (et proprioceptif) du rêve de laboratoire est presque systématiquement
influencé par l'environnement. La plupart des rêves enregistrés en laboratoire ont lieu dans le
laboratoire, qu'ils soient immédiatement lucides comme celui de la rêveuse précédemment
citée ou qu'ils ne le deviennent qu'en cours de route.

J'allais et venais d'un état à l'autre, tantôt éveillé, tantôt endormi. Chaque
période de sommeil ou d'éveil devait être d'une minute environ et le tout me
sembla durer une vingtaine de minutes. (L'enregistrement confirme cette
oscillation, bien qu'elle ait été moins longue). J'eus, pendant ce temps, plusieurs
rêves mineurs, mais je ne parvins pas à y introduire une série structurée - un bip,
deux bips, trois bips, etc.
Dans le rêve le plus intéressant, je m'inquiétais de l'heure. C'est le seul pour
lequel je me souvienne d'avoir fait le signal de lucidité : trois fois trois
mouvements d'yeux.
Dans ce rêve, Ann, la technicienne, entrait et parlait de déjeuner.
- "Voulez-vous savoir, lui demandai-je, si vous pouvez me laisser sans
surveillance pendant que vous allez manger ?"
Dans le rêve, j'étais couché sur le dos et elle, penchée sur moi. (C'étaient nos
positions respectives avant que je m'endorme. Elle était alors occupée à fixer à
mon menton les électrodes submentales).
Tout à coup, délibérément, avec une certaine passion, elle se laissa tomber sur
moi. Je répondis à ses avances, quoique de façon moins passionnée, étant couvert
de fils électriques (c'est ainsi que je m'imaginais dans le rêve).
- "Quand vous avez dit cela", dit-elle, se référant à mon inquiétude au sujet de
sa pause repas, "j'ai su que vous teniez à moi." Je pensai qu'elle répondait à ma
remarque en agissant comme elle avait eu envie de le faire auparavant, mais sans
s'y être résolue, car elle n'était pas sûre de ce que je pensais d'elle. (Je n'ai
aucune preuve qu'Ann ait vraiment eu envie d'une chose pareille et, dans la vie
éveillée, je ne me suis jamais demandé quels pouvaient être ses sentiments à mon
égard.)
Mais il semblait qu'elle avait apporté de quoi manger.
- "Comment … qu'est-ce que vous faites ?" lui demandai-je, "Etes-vous … Vous
m'avez apporté à manger."
- "Oh là" pensai-je soudain, "mais ça ne va pas. C'est un rêve."
C'est à ce moment-là, à peu de choses près, que je fis le signal de lucidité :
[103]
trois fois trois mouvements d'yeux. […] .
La fin du même rêve montre que le faux-éveil tend lui aussi à se dérouler dans le
laboratoire.

[…] Au début, je croyais que j'étais éveillé. Je rêvais que je regardais


l'enregistrement polygraphique du rêve précédent. Dans cet état de faux-éveil, je
croyais voir, sur le papier millimétré, la trace de mes trois mouvements d'yeux et
je vérifiais sur quels graphiques ils se trouvaient. Le papier était plutôt vieilli, il
paraissait délavé et maculé d'encre. Il était aussi deux fois plus petit qu'il n'aurait
dû l'être, mais je ne comprenais toujours pas que j'étais en train de rêver. La
lucidité avait disparu et je ne parvenais pas à comprendre ce qui était arrivé au
papier, ni ce que signifiait son aspect.
Ensuite, je crois que j'eus encore deux ou trois faux-éveils, rêvant que j'étais
[104]
dans le laboratoire, discutant avec les techniciens.
L'influence du laboratoire sur le cadre onirique se produit donc aussi bien sur le passage
ordinaire qui précède la lucidité que sur le rêve lucide ou associé. Il met très souvent en jeu
les électrodes, qui encombrent le rêveur dans son rêve, et les personnes normalement
présentes dans le laboratoire. Les cas de rêves lucides enregistrés en laboratoire et se passant
en dehors de lui semblent être exceptionnels. Assez souvent de tels rêves démarrent dans le
cadre du laboratoire et le rêveur doit faire un effort pour en sortir, par exemple en
démolissant une porte, ce qui rappelle les rêves lucides d'endormissement ou de
rendormissement dans lesquels le rêveur doit trouver un moyen de sortir de sa chambre.

Dans de tels rêves il n'y a pas de décalage entre les images et les sensations du rêve,
d'une part, et l'évaluation du rêveur lucide, d'autre part, et de ce fait le rêve semble tout à fait
adapté à l'expérience de laboratoire. Les contractions oniriques d'un membre donné se
manifestent bien sur l'enregistrement par des impulsions électriques particulières même si le
membre n'a pas réellement bougé. Ainsi, malgré les difficultés qui se posent en droit envers
ce genre de tentatives, tout ce passe comme si le rêve s'adaptait à l'expérience. S'il en est
ainsi, ce type de phénomènes devra être pris en considération car il indique la nécessité de
tenir compte de l'influence de l'observateur et de l'étudier.

II. La lucidité en laboratoire


Nous avons vu qu'un rêveur peut, du fond de son sommeil, signaler qu'il est en train de
vivre un rêve lucide. Notre objectif ne sera donc pas ici d'exposer les moyens dont dispose le
rêveur pour signaler sa lucidité, mais de comprendre si et comment cette dernière peut être
mesurée d'un point de vue physiologique. Cette idée de mesure de la lucidité se comprend de
deux façons : d'une part, en ce qui concerne la recherche d'un élément de corrélation
physiologique objectif de la lucidité, c'est-à-dire d'un enregistrement qui ne dépende pas de
l'activité volontaire du rêveur ; et, d'autre part, en ce qui concerne la qualité de la lucidité (les
degrés de lucidité du rêveur peuvent-ils être repérés en fonction des signaux qu'il envoie ?).

Existe-t-il une manifestation objective de la lucidité ? En d'autres termes peut-on


trouver des manifestations de type physiologique qui indiqueraient chez le rêveur la présence
de la lucidité onirique ? Les premiers chercheurs qui ont étudié la lucidité en laboratoire ont
tenté de vérifier cette hypothèse en concentrant leur intérêt sur l'enregistrement des ondes
cérébrales. Cet intérêt se justifiait parce que le rêve lucide se produit typiquement pendant le
sommeil REM au cours duquel une activité EEG particulière peut être enregistrée. On a pu
alors se demander si cette activité subit une modification décelable en cas de lucidité : « Le
fait que le rêve lucide se produise pendant le sommeil paradoxal définit en partie le type
d'activité électro-encéphalographique qui le caractérise. Cependant, sur l'EEG, les critères
standards d'identification du sommeil paradoxal (Rechstschaffen et Kales, 1968) sont d'une
nature très générale. On dit "voltage relativement faible et fréquences mixtes" sans spécifier
combien de fréquences, ni desquelles il s'agit. Comme nous l'avons indiqué par ailleurs, le
sommeil paradoxal est un état labile et hétérogène. Par exemple, l'EEG montrera tantôt une
prédominance d'ondes "en dents de scie" de 2 ou 3 Hz, tantôt des ondes alpha dominantes, de
8 à 10 hz. La question se pose donc de savoir si la catégorie d'ondes que l'EEG enregistre pour
le rêve lucide diffère, de façon consistante, de celle qu'on obtient pour un rêve ordinaire »
[105]
.

Les premières études menées sur cette question sont partie de l'hypothèse que les
rêves lucides sont associés à de haut niveaux d'activité alpha. Après une série d'expériences,
cette hypothèse n'a pas trouvé de confirmation : « Dans une étude plus récente, Ogilvie et ses
associés ont pallié plusieurs de ces problèmes méthodologiques, arrivant, pour l'activité alpha
et la lucidité, à des conclusions qu'ils n'avaient pu tirer de leurs précédentes observations. Ils
étudièrent huit rêveurs lucides, pendant une à quatre nuits, dans un laboratoire de sommeil.
Les sujets étaient éveillés de leur sommeil paradoxal à la suite de signaux par mouvements
d'yeux, spontanés ou induits. La sonnerie d'induction était déclenchée après quinze minutes
de sommeil paradoxal, pendant des périodes d'activité alpha intenses ou faibles. Les sujets
devaient effectuer leur signal au moment de la sonnerie, puis, une seconde fois, 30 secondes
plus tard, s'il s'agissait d'un rêve lucide. La description des rêves, après réveil, était reçue
trente à soixante secondes après la production des signaux induits ou spontanés, et on
vérifiait alors s'il y avait eu ou non des rêves lucides. Contrairement à ce qu'avaient indiqué
les études précédentes, les conditions d'alpha faible produisirent un peu plus de rêves lucides
que l'alpha intense, mais cette différence n'était pas significative du point de vue statistique.
Dans le même domaine, LaBerge […] soumit à l'analyse d'activités EEG de Fourier […] une
période unique de sommeil paradoxal avec rêve lucide. En comparant les profils spectraux des
passages lucides et non lucides, il apparut que l'activité alpha de la période non lucide
ressemblait davantage au spectre EEG de l'éveil que celui de la période lucide, mais, par
ailleurs, les deux échantillons de sommeil paradoxal ne différaient pas de façon significative.

« En résumé, au point où en est la recherche, on n'a établi aucune corrélation fiable


entre le rêve lucide et l'activité alpha, qu'elle soit faible ou intense. Pour une approche plus
rentable de cette question des EEG de sommeil paradoxal lucide ou non lucide, il faudrait sans
doute quantifier l'ensemble des spectres de fréquences d'EEG correspondants à différents
placements des électrodes et comparer les résultats obtenus pour les rêves lucides vérifiés par
[106]
signaux avec ceux des rêves ordinaires » .

La plupart des expérimentations ne permettent donc pas de déceler une modification


significative dans les courbes des ondes cérébrales enregistrées lorsque la lucidité est
signalée. Faut-il en conclure que la lucidité n'a pas de manifestation cérébrale correspondante
ou simplement que les instruments d'enregistrement ne sont pas encore suffisamment
sophistiqués pour permettre de repérer cette manifestation ? Cette dernière hypothèse est la
plus probable mais la question reste cependant ouverte. En effet, la lucidité est une activité
purement conscientielle et elle peut parfois surgir dans des rêves sans les modifier en rien.
Dans ces conditions on peut se demander comment une modification de la conscience qui ne
modifie pas le rêve peut modifier des enregistrements qui sont par nature beaucoup moins
précis puisqu'ils présentent moins de liberté dans leurs variations que les événements et les
décors oniriques.

Puisqu'une indication objective involontaire du rêve lucide ne peut être trouvée, son
observation en laboratoire passe donc par le signal que le rêveur envoie volontairement. Nous
savons déjà que ces signaux peuvent prendre la forme de mouvements oculaires ou de
contractions musculaires de l'avant bras enregistrables par l'électro-oculogramme et
l'électromyogramme. Il faut maintenant examiner ce que l'observation de laboratoire nous
apprend sur ces signaux eux-mêmes, les raisons pour lesquelles ils sont retenus et les
sophistications que l'on peut leur apporter.

L'idée même qu'un signal puisse être envoyé au laboratoire à partir du rêve dépend de
celle qu'il existe une certaine équivalence entre les actions du rêveur en rêve et ses réactions
physiologiques observables. Or, la marge d'observation chez le rêveur est assez réduite
puisque pendant le sommeil paradoxal le comportement moteur est inhibé : « au début du
sommeil paradoxal […] des influx descendants inhibiteurs […] viennent bloquer, au niveau des
neurones moteurs alpha (ceux qui innervent directement les muscles), l'excitation qui arrive
d'autre part par le faisceau pyramidal (mis en jeu par les cellules corticales sous l'influence de
[107]
l'activité PGO) » . Néanmoins quelques exceptions permettent d'envisager une
communication : « Quelquefois, certains influx moteurs particulièrement puissants peuvent
franchir cette barrière inhibitrice, provoquant de petits mouvements des doigts, des oreilles
(chez le chat) ou des vibrisses (les moustaches du chat). Seuls les neurones moteurs oculaires
[108]
(et les mécanismes de la respiration) échappent à cette intense activité inhibitrice » .
On sait donc désormais ce qui entre dans le champ de l'observation. Deux types de
signaux sont possibles, ceux qui échappent normalement à l'activité inhibitrice (les
mouvements des yeux et la respiration) et ceux qui lui échappent par accident. Mais cela
n'indique pas a priori à quoi de tels mouvements correspondent dans le rêve et comment le
rêveur peut les provoquer.

Hearne et LaBerge ont posé l'hypothèse que ces comportements physiologiques


[109]
observables correspondent à des comportement oniriques équivalents . Cette hypothèse
s'est trouvée confirmée dans la pratique en laboratoire. Leurs travaux ont montré que les
signaux volontaires étaient possibles, qu'ils étaient équivalents à l'imagerie onirique et que
sous certaines conditions il était impossible de les confondre avec d'autres manifestations.
Ainsi, les contractions musculaires volontaires sont facilement discernables sur les
enregistrements polygraphiques et nous avons vu que c'est sur le mouvement des yeux que
LaBerge s'est appuyé pour sa première expérience. La plupart des expérimentations utilisant
les mouvements oculaires ne semblent pas poser de problèmes (les expérimentateurs en
laboratoire n'en signalent aucun). Apparemment ce système s'est révélé fiable avec de
nombreux sujets et cette possibilité de signal codé a permis de nombreux types d'expériences.
Mais à quoi cela correspond-t-il du côté du rêveur ? « Quelle est la relation entre les
événements de rêve et ceux qui sont physiques, ou "réels" ? Considérons, par exemple, le
rapport entre les mouvements oculaires rêvés et physiques. Comme nous l'avons indiqué ici
même, Worsley signalait souvent le début de sa lucidité par des mouvements d'yeux. Ceux-ci
laissaient des traces visibles sur l'électro-oculogramme, donc, ils étaient, à n'en pas douter,
physiques ; autrement dit, ses yeux bougeaient effectivement, dans la réalité. Les yeux de
rêve en faisaient-ils autant ?

« Qu'entend-on exactement par "yeux de rêve", et qu'est-ce qu'un "corps de rêve" ?


Contrairement au corps physique, le "corps de rêve" n'existe pas en tant qu'objet, dans le
monde. Seul le rêveur en a l'expérience, et seulement dans la mesure où ce corps rêvé joue
un rôle dans le rêve. "Mon impression", dit Worsley, "au moins pour le rêve ordinaire, est que
je tiens pour acquis la présence de mon corps, et c'est seulement quand l'une de ces parties
devient nécessaire pour le rêve que j'en prends plus particulièrement conscience. Si, dans un
rêve lucide, je veux vérifier qu'une partie quelconque de mon corps se trouve bien là, elle
l'est, mais c'est seulement, si je puis dire, dans la mesure où elle est requise".

« Etant endormi et en train de rêver, il se souvint de son intention de faire des signaux
à base de mouvements oculaires et détermina volontairement ses yeux à bouger. "Je bougeais
volontairement les yeux à titre de signal" dit-il, "et mon expérience visuelle - ou son
interruption - était très similaire à celle que j'aurais eue si j'avais effectué cette même action à
l'état de veille". Il avait également conscience, dans ses muscles oculaires, de sensations qui,
s'il avait été éveillé, eussent été associés à des mouvements d'yeux prononcés.

« Si "les yeux de rêve" se définissent par l'expérience qu'il avait, en dormant, de ses
yeux, alors on peut dire qu'il bougeait ses yeux de rêve. Mais puisque les yeux physiques
bougeaient également, jusqu'à quel point est-il permis d'établir une distinction entre deux
sortes d'yeux ? Y-a-t-il deux sortes d'yeux entre lesquels il s'établirait une correspondance, ou
bien s'agit-il, dans les deux cas, des mêmes yeux ? Pourquoi, alors, ne pas dire simplement
qu'il bougeait les yeux ?

« Si, dans le cas qui nous occupe, il y a bien deux sortes d'yeux, ils semblent
inextricablement mêlés. Peut-être les yeux qu'il avait conscience de faire bouger
[110]
contenaient-ils, pour ainsi dire, un composant des "yeux de rêve" ? » .

Un rêveur lucide fait donc des signaux oculaires alors qu'il se trouve dans un
environnement onirique qu'il est le seul à percevoir. C'est là une situation paradoxale mais qui
donne des résultats fiables dans la pratique.

Des tentatives d'amélioration sont nécessaires si l'on veut, dans l'expérimentation de


laboratoire, dépasser le stade du simple signal de la lucidité et commencer à étudier
l'incidence du comportement onirique sur la physiologie du sujet. Les expériences possibles
sont, en effet, limitées dans la mesure où le rêveur lucide qui envoie le signal n'a aucune
perception de l'environnement de veille et n'a aucun moyen de s'assurer au cours du rêve qu'il
a été bien reçu. Les problèmes qui se posent à l'expérimentateur en laboratoire sont
équivalents : il n'a aucun moyen de s'assurer immédiatement que le phénomène qui se
manifeste au cours de l'enregistrement polygraphique indique bien la lucidité. Il doit pour cela
attendre la confirmation donnée par le sujet une fois éveillé. Néanmoins si le doute persiste en
droit jusqu'à ce moment, la nature du signal peut s'avérer suffisamment hors des normes
habituellement constatées pour le rendre probable comme, par exemple, lorsque les
mouvements des yeux ou les tensions musculaires correspondent à un code trop complexe
pour résulter d'un phénomène involontaire et spontané. Mais pouvoir envoyer un signal aussi
complexe suppose que le rêveur ait dans le rêve un point d'appui onirique qui le lui permette à
coup sûr.

Néanmoins cette situation a paru assez limitée à certains qui ont cherché un moyen de
communiquer avec le rêveur au cours de son rêve même, sans pour autant le réveiller : « Si,
dans un rêve lucide, le sujet peut percevoir des stimuli externes et y répondre en émettant
volontairement des signaux, engageant ainsi une communication dans les deux sens, alors la
capacité de percevoir, en rêve, des stimuli venant du dehors et d'y répondre (par exemple en
[111]
les comptant) peut faire l'objet d'un examen expérimental » . Pour cela une action sur les
mouvements manifestés semble être un choix logique. Si, par exemple, le rêveur produit une
activité électrique musculaire, il devrait, sous une forme ou sous une autre, prendre
conscience d'un choc électrique léger en retour. La question reste de savoir si cette prise de
conscience se manifeste directement ou par le détour du rêve, et dans ce cas si elle peut être
identifiée pour ce qu'elle est. On sait déjà que dans le rêve ordinaire un stimulus peut être
incorporé au rêve. Dans certains cas on utilise même ce procédé comme induction et le
stimulus aide le rêveur à se rendre compte qu'il rêve sans le réveiller. Avec le
[112]
DreamLight , le rêveur sait à quoi s'attendre et la stimulation lumineuse est en quelque
sorte un moyen de le rappeler à lui. Ici la situation est différente : il s'agit d'envoyer des
stimuli à un rêveur déjà lucide pour communiquer avec lui :

« Nous avons étudié la mémoire et l'exercice des facultés mentales au cours du


sommeil paradoxal. Le rêveur était connecté à un appareil mesurant les mouvements oculaires
latéraux à l'aide d'un électro-oculographe et produisant un stimulus électrique si l'amplitude
des mouvements oculaires dépassait un niveau pré-établi. Des électrodes de stimulation
étaient placées sur l'avant-bras. Une heure après que Worsley se soit endormi, l'appareil était
mis en marche. La tâche consistait pour lui à signaler le début de sa lucidité par des séries
d'impulsions d'EMG issues de son avant-bras. Par ces impulsions, il devait indiquer combien il
avait l'intention de s'administrer de stimuli à lui-même, ceux-ci consistant en mouvements
oculaires qu'il devait compter pour en indiquer ensuite le nombre, via les impulsions d'EMG de
son avant-bras.

« En fait, l'induction de stimuli par des mouvements oculaires s'avéra compliquée. Pour
commencer, le stimulus n'était administré que si l'amplitude de chaque mouvement oculaire,
ou les amplitudes cumulées de plusieurs mouvements étaient suffisamment grandes. En
second lieu, les contrôles d'amplification et de déclenchement se trouvaient avoir été réglés de
telle manière que la période réfractaire latente pendant laquelle l'appareil ne se déclenchait
pas à nouveau était de quelques secondes. Pour cette raison, le rapport entre le nombre de
mouvements oculaires et le nombre de stimuli était loin d'être de un sur un. Les longs
intervalles, d'une irrégularité imprévisible, entre les stimuli faisaient qu'il était difficile, non
seulement de les induire, mais aussi de les compter, et cela mettait à l'épreuve, avec une
sévérité inattendue, la capacité du rêveur à accomplir sa tâche. Cela signifiait que s'il
administrait et comptait un nombre exact de stimuli, on pouvait être à peu près certain qu'il
avait bien perçu les stimuli réels, et non pas seulement des stimuli rêvés. […] Il s'acquitta de
[113]
sa tâche avec succès » . Dans ce cas c'est le rêveur qui communique avec lui-même mais
la complexité de l'expérimentation exclut les mouvements autres que volontaires.

Au sujet du signal volontaire, l'expérimentation en laboratoire nous permet donc de


vérifier non seulement qu'un signal distinct et fiable est possible en comparant les
enregistrements obtenus au récit du rêveur mais que le rêveur peut être influencé au cours de
son rêve par des stimuli envoyés depuis le laboratoire et y répondre.

III. Les effets sur les instruments de mesure


Les signaux volontaires dépendent d'une action du rêveur dans le rêve et sur le rêve.
Cette action n'est pas, dans le rêve, une simple opération mentale mais une action onirique
effective : le rêveur ne peut pas se contenter d'imaginer en rêve qu'il envoie le signal
convenu, il doit l'accomplir pour qu'il se manifeste sur les enregistrements. Mais, si les
phénomènes enregistrables se limitaient à des signaux convenus, on ne pourrait dépasser la
simple preuve de l'existence de la lucidité onirique. Or, la façon même dont a été établie la
possibilité de tels signaux indique une direction de recherche à approfondir. Ainsi, plutôt que
de se contenter d'envoyer des signaux codés, le rêveur peut les combiner à des séries
d'actions oniriques décidées par avance de façon à en mesurer l'impact sur les
enregistrements. Ces actions oniriques peuvent d'ailleurs inclure celles qui servent à envoyer
les signaux. Il devrait être ainsi possible de déterminer celles qui ont un impact enregistrable
et de se livrer aussi bien à des corrélations entre ces actions et les enregistrements obtenus
que d'étudier les capacités dont le sujet peut faire preuve en rêve lucide.

Une telle exploration se heurte néanmoins à plusieurs difficultés qui concernent les
différentes variables de l'expérimentation. La principale est certainement le sujet lui-même car
il doit être suffisamment entraîné pour induire la lucidité sur une base régulière, pour se
souvenir avec netteté des expériences à accomplir et, plus encore, pour se livrer à des actions
volontaires d'un type particulier dans un environnement onirique qui ne s'y prête pas
[114]
forcément . Une autre difficulté est liée à la limitation imposée par les appareils
d'enregistrement. Même si l'on ignore a priori quels sont les actions oniriques volontaires qui
peuvent influencer les enregistrements, il semble préférable de se cantonner à celles qui ont
de bonnes probabilités de donner des résultats étant donné la difficulté à trouver de "bons"
sujets. L'expérimentation doit donc être préparée en fonction de ce qui est enregistrable. Or,
puisque le contenu du rêve est imprévisible, de telles expérimentations oniriques doivent être
envisagées en fonction de la liberté d'action dont dispose le rêveur dans le plus grand nombre
de situations oniriques possibles. Pour ces raisons, les expérimentations réellement
approfondies n'ont été menées jusqu'à présent que sur un petit nombre de sujets et ont porté
préférentiellement sur les actions qui dépendent immédiatement du rêveur plutôt que sur
celles qui impliquent une influence sur l'environnement onirique ou, éventuellement, sur les
situations qui se présentent couramment en rêve ou que le rêveur peut susciter sans trop de
difficultés.

Si les actions oniriques peuvent être envisagées en fonction de leurs répercussions


possibles sur les appareils enregistreurs, la complexité de leur mise en place est variable. Agir
sur les impulsions musculaires ou les mouvements oculaires semble être l'activité la plus
simple puisqu'elle ne requiert apparemment du rêveur que des mouvements oniriques simples
à effectuer. Dans une série d'expérimentations, diverses possibilités ont été explorées en
laboratoire par Alan Worsley sur les mouvements du corps et la respiration.

Une étude des mouvements du corps a été menée en s'appuyant sur deux
constatations faites d'après des enregistrements du sommeil REM : d'une part l'activité
tonique n'est pas abaissée de la même façon pour tous les groupes de muscles et d'autre part
l'existence d'une activité musculaire phasique semble indiquer l'amorce d'un mouvement
inhibé par l'activité électrique d'un groupe de neurones. Si tel est le cas une corrélation entre
l'activité volontaire du rêveur et des modifications des tracés phasiques devrait pouvoir être
trouvée : « Nous voulions savoir si, dans le sommeil paradoxal lucide, la durée et l'amplitude
des pointes et des impulsions phasiques variaient selon les origines en différents groupes de
muscles.

« A cet effet, dans une première série d'expériences, des électrodes d'EMG furent
placées sur le bras et l'avant-bras droits, ainsi qu'à l'avant et à l'arrière du mollet et de la
cuisse droits. (Les muscles antérieurs du mollet et les muscles postérieurs de la cuisse sont
flexeurs, tandis que les postérieurs du mollet et les antérieurs de la cuisse sont extenseurs.)
Worsley, qui est un droitier de la main et du pied, avait pour tâche de faire six mouvements
oculaires (deux fois trois) et de provoquer simultanément des bips d'EMG issus de ses
extrémités supérieures et inférieures, en une succession de un, deux, trois et jusqu'à six bips,
en rêvant qu'il poussait et tirait alternativement quelque chose avec son bras et sa jambe
[115]
droits » .

Pour bien apprécier le déroulement de ce type d'expérimentation, nous allons rapporter


ici le passage du rêve du sujet qui correspond à l'émission des signaux proposés.

[…] "Oh là," pensai-je soudain, "mais ça ne va pas. C'est un rêve."


C'est à ce moment-là, à peu de choses près, que je fis le signal de lucidité :
trois fois trois mouvements d'yeux.
Je me levai, en traînant tous mes fils. Prenant garde à ne pas détacher les
électrodes, je plaçai les orteils de mon pied droit contre un banc, mon talon droit
étant appuyé au sol. Faisant porter la plus grande part de mon poids sur ma jambe
gauche et tenant le haut du banc avec mes mains, je poussai plusieurs fois mon
pied droit contre la base du banc et le sol. A chaque poussée, je tirais sur le banc,
de bas en haut, avec mes mains. (Dans la réalité, il y a, près du lit, dans le labo,
un banc d'environ 1 m de haut. Il se trouvait aussi dans le rêve.) Au lieu
d'exécuter la série arithmétique que j'avais décidée à l'état de veille -1, 2, 3, 4, 5-
je fis avec le pied une suite simple d'environ sept poussées rapides, presque deux
par seconde.
Je crois que je fis cette série simple au lieu de la suite arithmétique parce que
j'étais pressé et que la conscience de rêver m'avait pris par surprise. Une autre
conséquence de ma hâte fut que je ne prêtai pas suffisamment d'attention à la
situation de rêve, ce qui explique sans doute pourquoi, à ce moment, l'imagerie
[116]
changea.
Un rapport a pu être établi entre les enregistrements et le récit du rêveur :
« L'enregistrement polygraphique confirma fort bien ce compte rendu. Malheureusement, les
électrodes du membre supérieur s'étaient détachées, mais on voyait clairement sur
l'enregistrement les signaux de début de lucidité et, 10,5 secondes plus tard, l'EMG de la
jambe. Le graphique correspondant à l'arrière du mollet, plus net, comportait neuf pics bien
visibles (le compte rendu du rêve indique "environ sept" poussées du pied), sur une période
de 5,5 secondes (le compte rendu dit : "presque deux par seconde"). Pour l'avant du mollet,
on remarquait une activité équivalente, en gros, à celle de l'arrière. Pendant le même laps de
temps, il y eut une activité de faible amplitude issue de l'avant de la cuisse et un seul pic de
forte amplitude pour l'arrière. Environ 4 secondes après la dernière activité EMG, on
remarque, pendant 10 secondes, sur l'EEG, une activité alpha qui paraît souvent accompagner
l'effacement de l'imagerie, le changement de décor et les faux-éveils.

« Dans le rêve, la principale poussée de la jambe droite du rêveur s'exerçait de haut en


bas. A l'état de veille, une telle action mettrait en jeu les extenseurs de la partie inférieure de
la jambe plus que les flexeurs. Cependant, nos enregistrements montrent une activité à peu
près égale des flexeurs et des extenseurs, ce qui suggère que l'activité des flexeurs était
[117]
moins inhibée que celle des extenseurs » .

D'autres types d'expérimentations ont été menés dans le même esprit pour déterminer
l'influence des mouvements oniriques volontaires du rêveur lucide sur les enregistrements.
L'une d'elles visait à déterminer si les mouvements oniriques volontaires de l'ensemble du
bras produiraient des réponses électromyographiques de tous les muscles du bras ou
seulement de quelques uns. Une autre tendait à déceler si les mouvements oniriques des
doigts pouvaient être mis en rapport avec ceux observés pendant le sommeil.

Les mouvements oculaires ou ceux des membres effectués en rêve lucide ne sont pas
les seules activités auxquelles on puisse chercher un élément de corrélation physique à l'aide
des enregistrements. Un processus involontaire tel que la respiration peut également faire
l'objet d'une investigation dans la mesure où il est possible de la réguler en y portant son
attention. La question peut donc se poser de savoir si une telle attention peut être portée à la
respiration en rêve lucide et si une modification onirique entraîne une modification plus ou
moins équivalente dans le corps physique : « Nous avons mené une expérimentation afin de
déterminer dans quelle mesure les variations du rythme respiratoire chez les rêveurs lucides
s'accompagnaient de variations parallèles du rythme réel de leur respiration […] Nous étions
intéressés par la question de savoir si les sujets retenant leur respiration en rêve le faisaient
physiquement ou non. […] Trois de nos onironautes acceptèrent de se joindre à moi pour
essayer de respirer (avec nos corps de rêve) selon un rythme prédéterminé, chaque fois que
nous viendrions à prendre conscience de rêver. Nous devions indiquer par un mouvement
oculaire le début et la fin d'un intervalle de 5 secondes pendant lequel il fallait soit respirer
vite, soit retenir son souffle. Tous les quatre, nous avons donc passé deux ou trois nuits au
laboratoire du sommeil, où notre respiration fut enregistrée en même temps qu'étaient
effectuées les mesures physiologiques habituelles pour la détermination des stades du
sommeil.

« Au total, nous avons déclaré tous les quatre avoir exécuté les exercices respiratoires
au cours de douze rêves lucides. Les enregistrements polygraphiques correspondants furent
remis à un chercheur indépendant pour voir si l'on pouvait déterminer des cas précis de
respiration rapide ou d'apnée. Ce chercheur put identifier correctement chaque cas. Comme la
probabilité pour que cela résulte du simple hasard n'est que de 1 sur 4096, nous pouvions
conclure en toute confiance que le contrôle volontaire, en rêve lucide, de la représentation
mentale de la respiration se reflète dans les changements correspondants de la respiration
[118]
réelle » .

L'expérimentation en laboratoire nous apprend donc que les actes volontaires du


rêveur lucide peuvent dans l'ensemble trouver un corrélat physiquement enregistrable. Cela
veut-il dire que toute la vie onirique du rêveur lucide, dans la mesure où elle se rapproche des
activités de la vie de veille, est vécue dans son corps ? Une telle conclusion est impossible à
donner si l'on n'étudie pas les effets involontaires de ces actes oniriques volontaires.

En effet, ce sont les actes volontaires du rêveur lucide qui, jusqu'à présent, ont été
mesurés, ce qui rend toute conclusion aléatoire. Il est possible que la volonté du rêveur donne
à de tels actes une intensité (voire même une présence) qu'ils n'auraient pas autrement et,
dans ce cas, les phénomènes enregistrés nous informeraient plus sur un effet secondaire de la
lucidité que sur le rêve lui-même. Et même en admettant que des corrélations régulières
puissent être trouvées, il ne s'ensuit pas que les mouvements volontaires puissent être
considérés comme fournissant un modèle. En effet, entre le mouvement onirique volontaire et
l'enregistrement il y a une ressemblance formelle (par exemple un mouvement onirique d'un
membre correspond à une esquisse de contraction physique équivalente) mais il faudrait
s'assurer que des événements non volontaires entraînent le même type de ressemblance. Ces
événements non volontaires seraient donc des effets "corporels" oniriques que le rêveur
n'aurait pas suscité lui-même mais qui correspondraient néanmoins à des situations dont
l'équivalent pourrait être trouvé dans la vie de veille. De telles situations sont expérimentées
par le rêveur lucide qui a souvent le net sentiment de subir le monde onirique. Ainsi, lorsqu'un
rêveur goûte lucidement des boissons ou des mets dont la saveur lui semble bien réelle ou
lorsqu'il se heurte à des portes fermées dont il sent la résistance, on se trouve en présence
d'un effet non spécifiquement voulu par le rêveur et dont l'enregistrement doit pouvoir être
envisagé.

Il est cependant impossible d'étudier directement les effets involontaires de l'action du


rêveur lucide. Car, ne sachant pas à quoi s'attendre, le chercheur n'est pas sûr de mettre en
place les enregistrements nécessaires. S'il veut préparer l'expérimentation, il lui faut donc
s'intéresser à des effets secondaires prévisibles et étudier alors l'adéquation ou le décalage
des enregistrements avec l'expérience du rêveur. Pour cela, il faut partir des mouvements
volontaires qui sont possibles pour le rêve lucide afin de vérifier si les effets normalement
obtenus à l'état de veille se manifestent sur le corps endormi. Deux façons de procéder
peuvent être utilisées, l'une concernant les manifestations concomitantes et l'autre les
manifestations successives.

Dans le premier cas on repère deux actions, l'une volontaire et l'autre involontaire, qui
se manifestent ensemble à l'état de veille. Ainsi, par exemple, à l'état de veille la parole
(volontaire) est associée à l'expiration (involontaire). On peut alors se demander si le fait de
parler en rêve lucide se rythme sur la respiration du corps physique : « Avant que Worsley ne
s'endorme, des électrodes d'EMG avaient été fixées sur la peau de son larynx, sur les flexeurs
de son avant-bras droit, sur les flexeurs et les extenseurs du haut de son bras droit, et sur le
côté de sa poitrine. Il avait décidé de compter à haute voix dans le rêve et de rythmer le
compte, toujours en rêve, avec sa main droite, synchronisant ainsi sa voix avec l'activité des
muscles de son avant-bras droit. L'électrode d'EMG placée sur son larynx devait enregistrer
l'activité du muscle laryngal, afin que nous puissions déterminer si la phase expiratoire de la
respiration réelle serait liée, temporellement, aux indications d'EMG issues de son avant-bras
[119]
droit, rythmant sa parole rêvée » .

Cette activité concomitante ne se limite pas à des enregistrements musculaires mais


peut aussi concerner l'activité cérébrale. Dans le livre qu'il a tiré de sa recherche,
LaBerge rappelle que le cerveau est composé de deux hémisphères dont l'activité n'est pas la
même selon les occupations du sujet : l'expression verbale ou pensée analytique rendent
l'hémisphère gauche plus actif tandis que les travaux d'ordre spatial activent l'hémisphère
droit : « de nombreuses études scientifiques ont montré dans l'activité des ondes cérébrales
des différences certaines entre les hémisphères gauche et droit, et ces différences dépendent
précisément des activités mentales menées alors par le sujet […] ces études furent réalisées,
bien entendu, sur des sujets à l'état de veille. Un problème intriguait les onirologues : des
relations similaires pourraient-elles apparaître en rêve REM ? C'était, là encore, une question à
laquelle seuls pouvaient répondre les rêveurs lucides. Nous décidâmes de comparer le calcul
et le chant en rêve - activités supposer engager respectivement les hémisphères gauche et
[121]
droit » . LaBerge tenta l'expérience sur trois sujets dont lui-même :

« Alors, soudain, je me retrouvai en vol, très haut au-dessus d'un champ. Je


m'aperçus aussitôt, empli d'exaltation, que c'était bien le rêve lucide tant
recherché! J'émis un signal par mouvement oculaire et me mis à chanter :
« Rame, rame, rame dans ton bateau,
« Doucement descend le fleuve.
« O Gué, ô gué, ô gué, ô gué,
« La vie n'est qu'un rêve.
« Volant toujours au-dessus de la prairie, je fis un second signal oculaire et
commençai de compter lentement jusqu'à dix. Pour terminer, j'émis un troisième
signal oculaire marquant l'achèvement de la tâche expérimentale. Mon succès me
transporta de joie et j'exécutai dans les airs une roue imaginaire. Après quelques
[122]
secondes le rêve s'estompa. »
Pendant que ce rêve se déroulait les ondes cérébrales de LaBerge étaient enregistrées
de façon à calculer l'amplitude de l'activité alpha : « On interprète généralement les ondes
alpha comme un indicateur de repos ou d'inactivité du cerveau. Donc si, au cours du
déroulement d'une tâche donnée, l'un des hémisphères fait l'essentiel du travail, l'autre - le
moins actif - montrera davantage d'ondes alpha. Puisque l'hémisphère droit est impliqué dans
le chant et le gauche lors du calcul, nous nous attendions à trouver plus d'activité alpha dans
[123]
mon hémisphère gauche pendant le chant. Et c'est exactement ce qu'il advint ».

Dans le deuxième cas les manifestations successives sont, d'un point de vue corporel,
les réactions corporelles que l'on peut constater à la suite d'une action donnée. Elles sont plus
délicates à étudier car elles nécessitent le concours de l'environnement du rêve. Ainsi, si van
Eeden n'avait pas trouvé dans son environnement onirique un verre de vin, il ne lui aurait
guère été possible d'accomplir l'acte volontaire de goûter ce vin pour en ressentir l'effet. Pour
préparer une telle expérience il faut donc choisir des situations qui peuvent se produire
fréquemment en rêve lucide, ou du moins que le rêveur lucide peut aisément susciter, et dont
les effets oniriques aient un équivalent physique. Cela suppose en fait de connaître l'univers
onirique du rêveur lucide afin de choisir une telle situation de façon appropriée. Il est possible
de choisir des éléments constants parmi les activités oniriques humaines, dont l'activité
sexuelle :

« L'activité sexuelle semble représenter une part importante des rêves lucides chez
beaucoup d'individus, en particulier chez les femmes. Patricia Garfield a rapporté que les deux
tiers de ses rêves lucides ont un contenu sexuel et qu'environ la moitié d'entre eux aboutit à
l'orgasme. […] les récits de rêves lucides de quelques-unes de nos onironautes femmes
contenaient des descriptions similaires. J'ai eu envie de savoir dans quelle mesure une
expérimentation permettrait de déterminer si l'activité sexuelle en rêve lucide s'accompagne
ou non de changements physiologiques comparables à ceux qui interviennent au cours des
mêmes activités à l'état de veille […] Nous décidâmes de travailler d'abord avec des femmes,
puisqu'elles déclaraient beaucoup plus fréquemment que les hommes avoir des orgasmes en
rêve lucide. Je demandai à plusieurs de nos onironautes féminines si elles étaient disposées à
essayer et "Miranda" fut la première à réussir. Elle dormit une nuit dans notre laboratoire
tandis que nous procédions à l'enregistrement de seize séries de données physiologiques, y
compris les habituels EEG, EOG et EMG, ainsi que les rythmes respiratoire et cardiaque, l'EMG
vaginal et l'amplitude du pouls vaginal. Ces deux dernières mesures furent obtenues à l'aide
d'une sonde vaginale confortable (mise en place dans l'intimité) qu'elle portait pendant le
sommeil. La sonde enregistrait l'activité musculaire vaginale au moyen de deux électrodes à
sa surface. L'amplitude du pouls, une mesure du flux sanguin, fut obtenue grâce à une source
de lumière infra rouge et d'un détecteur photoélectrique insérés à la surface de la sonde. La
lumière émise par la sonde est renvoyée sur la cellule photoélectrique, variant d'intensité en
fonction du flux sanguin irriguant la paroi vaginale. Les expériences à l'état de veille ont
montré de façon claire que, lorsque l'excitation sexuelle augmente chez les femmes,
l'amplitude de leur pouls vaginal connaît un accroissement significatif. Nous avions donc prévu
[124]
des accroissements similaires liés à l'activité sexuelle pendant le rêve lucide ».

Ainsi ce type de recherche semble tout à fait pertinent puisque des hypothèses peuvent
être proposées et que des vérifications expérimentales sont possibles. Cependant, les résultats
obtenus montrent que les hypothèses sont probablement trop rigides et que d'autres facteurs
doivent sans doute être pris en considération. Ainsi il semble qu'il faille faire une différence
entre l'effet concomitant et l'effet successif. Dans l'ensemble les expérimentations portant sur
des effets concomitants semblent donner des résultats non équivoques aussi bien au niveau
des réactions du corps que de l'activité cérébrale. En revanche les expérimentations portant
sur les effets involontaires successifs sont plus difficiles à interpréter. L'expérience menée par
LaBerge s'est révélée concluante pour certains sujets et non pour d'autres.

« Nous demandâmes à Miranda d'émettre à quatre reprises un signal dans son


rêve lucide. Le premier devait avoir lieu à l'instant où elle prendrait conscience de
rêver ; le second lorsque débuterait l'activité sexuelle dans son rêve ; le troisième
quand elle éprouverait qu'elle se réveillait.
« Cinq minutes environ après le début de la cinquième période REM de la nuit,
Miranda fit un rêve lucide de trois minutes dans lequel elle mena l'expérimentation
à bien - juste comme convenu. Dans son compte rendu, elle déclara avoir eu
l'impression d'être allongée, encore éveillée dans son lit, et que des mains lui
frottaient le cou. Elle reconnut que la présence de quelqu'un dans sa chambre était
tout à fait improbable et supposa donc qu'elle rêvait ; elle testa son état en
essayant de flotter en l'air. Dès qu'elle se vit flotter, elle fut convaincue d'être en
état de rêve et fit le signal convenu en planant au travers du mur de sa chambre.
Ne trouvant personne dans la salle polygraphique, elle ressortit par une fenêtre
fermée. Continuant son vol, elle se retrouva au-dessus d'un campus qui
ressemblait aussi bien à Oxford qu'à Stanford. Elle volait dans l'air frais du soir,
libre comme un nuage, s'arrêtant de temps à autre pour admirer les magnifiques
sculptures en pierre sur les murs. Au bout de quelques minutes, cependant, elle
décida qu'il était temps de commencer l'expérience. Franchissant en vol une arche,
elle repéra un groupe de gens - apparemment, des visiteurs en train de faire le
tour du campus. Elle plongea vers le groupe et choisit le premier homme à sa
portée, lui tapa sur l'épaule et il la suivit comme s'il savait très bien ce qu'il était
censé faire. A ce moment, elle envoya le signal, marquant le début de l'activité
sexuelle. Miranda devait déjà être excitée par le vol car, comme elle le déclara, au
bout de quinze secondes seulement elle se sentit au bord de l'orgasme. Elle fit le
troisième signal confirmant l'orgasme alors que s'estompaient les dernières ondes
de plaisir. Peu après, elle se laissa aller au réveil, et signala, comme prévu, dès
qu'elle fut de retour dans son lit. Elle raconta que l'orgasme onirique n'avait été ni
[125]
long ni intense, mais sans aucun doute un véritable orgasme ».
Du côté des chercheurs observant l'expérience, l'effet onirique obtenu s'est avéré avoir
une corrélation physique décelable : « Le graphe du flux sanguin vaginal pendant les quelques
minutes de son rêve lucide semble correspondre en tout point au récit de Miranda. Durant la
portion de rêve consacrée à l'activité sexuelle, entre le second et le troisième signal, le rythme
respiratoire, l'activité musculaire vaginale et le flux sanguin vaginal atteignirent tous leur
intensité maximale pour cette nuit. Mais le rythme cardiaque ne subit qu'une accélération
assez modérée. L'accroissement du rythme respiratoire et du flux sanguin vaginal était très
comparable à celui qu'on observe durant l'orgasme à l'état de veille - et cet orgasme en rêve
lucide fut décrit comme "pas très intense"! Cette expérience fournit la première preuve
objective en faveur de la justesse des récits de Miranda (et, par extension, de ceux des
[126]
autres) sur la vivacité et le réalisme de l'activité sexuelle en rêve lucide ».

Une autre expérience menée sur un homme montre à la fois des ressemblances et des
différences dans les résultats obtenus : « Comme pour Miranda, l'enregistrement
polygraphique correspondait de manière précise au récit de son rêve lucide. Durant les trente
secondes d'activité sexuelle situées entre ses deuxième et troisième signaux, son rythme
respiratoire parvint à son maximum pour la période REM concernée, tout comme chez
Miranda. La jauge pénienne indiquait que l'érection, qui avait débuté peu avant la période REM
n'atteignit son niveau maximal qu'entre les signaux 2 et 3. Il est à noter qu'une lente
détumescence s'amorça juste après l'orgasme onirique.

« Le coeur de Randy, comme celui de Miranda, n'accusa qu'une accélération modérée


pendant l'orgasme en rêve lucide. D'une manière générale, ces orgasmes semblaient
déclencher dans leurs corps endormis des réactions physiologiques très similaires. C'était
surtout vrai pour la très forte accélération du rythme respiratoire chez les deux sujets. Une
importante constatation s'impose : à bien des égards la sexualité en rêve lucide a sur le corps
du rêveur un impact aussi puissant que l'acte sexuel réel.

« Les limites de cette correspondance peuvent varier d'un rêveur à l'autre et d'un sexe
à l'autre. Que Miranda ait eu des contractions musculaires vaginales durant son orgasme en
rêve lucide tandis que Randy, apparemment, n'eut pas les contractions musculaires pelviennes
correspondantes, pourrait constituer une différence significative liée au sexe. Le fait que
Randy n'ait pas vraiment éjaculé dans son rêve, en dépit du fait qu'il ait ressenti de manière
[127]
très vivace une éjaculation, concorde avec mon expérience en ce domaine » .

Comme le remarque LaBerge ces « données ne découlent que d'une seule observation
sur deux sujets, il est certes nécessaire de rester prudent dans l'interprétation de ces résultats
[128]
préliminaires » . Mais indépendamment du contenu des résultats eux-mêmes on s'aperçoit
que les questions qui se posent à leur sujet sont diverses. On peut en effet, à un premier
niveau, s'interroger sur les facteurs de l'expérience, la différence éventuelle entre homme et
femme, et chercher des explications de type physiologique. C'est ce que fait
LaBerge lui-même lorsqu'il essaie de comprendre les différences qui séparent Miranda de
Randy et lorsqu'il traite des différents types d'éjaculation.

Cependant, ce genre d'explication recouvre un autre type de questions sur la forme de


l'expérience. En effet, ce qui est particulièrement intéressant c'est la possibilité qu'a le rêveur
lucide de provoquer un effet qu'il ne maîtrise pas directement mais indirectement. Il n'y a pas
de stimulation autre que celle que le rêveur déclenche par une première action onirique et,
néanmoins, le corps réagit apparemment de la même façon dans le rêve que dans le
sommeil physique. Si tel est le cas, il est possible de franchir un pas de plus et de faire
l'hypothèse que les rêves typiques (vol, tourbillon) ont des effets corporels que l'on peut
rechercher. En effet, une fois que l'on est sûr que les actes oniriques volontaires et leurs effets
ont une corrélation physiologique, on peut s'aventurer dans des domaines hors des réactions
connues. Un tel travail serait d'ailleurs plus proche de l'étude spécifique du rêve lucide. La
difficulté reste bien sûr de savoir quoi enregistrer, mais au moins la supposition que la
corrélation existe devient très probable et ne rend pas une telle recherche tout à fait
chimérique. L'espace et le temps du rêve apparaissent de plus comme isomorphes à celui de
l'état de veille, ce qui rend les expérimentations de plus en plus accessibles.

Ces quelques remarques ont cependant une limite. D'une part, on a mesuré les effets
physiques involontaires des actes oniriques volontaires mais pas ceux des actes purement
involontaires. Ensuite, il est possible que l'influence du contexte homogénéise l'espace-temps
du rêve à celui du laboratoire, ce qui fait peut-être de cette sorte de rêve lucide un type
particulier. Enfin, le rêve lucide n'est sans doute pas représentatif du rêve, même pour les
effets involontaires. Mais, malgré ces difficultés, le rêve lucide nous permet de dépasser
d'autres limites, celles que des représentations précédentes ont cristallisées et qu'il est
désormais possible de remettre en question.

SECTION II
Ce que le rêve lucide nous apprend sur les sciences du
rêve

[1]
Charles T. Tart, "From Spontaneous Event to Lucidity, A Review of Attempts to Consciously Control

Nocturnal Dreaming", in Jayne Gackenbach and Stephen LaBerge (Ed.), Conscious Mind, Sleeping Brain,
Perspectives on Lucid Dreaming, Plenum, New York, 1988, pp. 67-103.
[2]
Sigmund Freud, L'Interprétation des Rêves, Presses Universitaires de France, Paris, 1926 et 1967,

p. 90.
[3]
Freud donne lui-même des cas de rêves dont le contenu exprime immédiatement le sens, par exemple

dans Le Rêve et son Interprétation : « Un enfant de vingt-deux mois voit de même, en rêve, un plaisir

défendu : il avait dû la veille offrir à son oncle un petit panier de cerises dont on ne lui avait permis de

manger qu'une seule. En s'éveillant le matin, il déclara, enchanté : "Herman a mangé toutes les
cerises" », Idées/Gallimard, Paris, 1975, p. 31.
[4]
Cette remarque n'a cependant pas une portée générale pour toute la psychanalyse comme en

témoigne la théorie de la synchronicité de Jung.


[5]
Freud, op. cit., p. 11. Souligné par nous.
[6]
W.B. Grubb, An unknown people in an unknown land, p. 132, cité par Lucien Lévy-Bruhl dans : La

Mentalité primitive, P.U.F., Paris, 1960, pp. 129-130.


[7]
On ne peut répondre que ce postulat s'est trouvé vérifié dans la pratique analytique car même si le

rêve est interprétable, la critique de Jung, selon laquelle il n'est peut-être pas plus important que

n'importe quoi d'autre pour explorer l'inconscient, montre que là n'est pas son essence.
[8]
Par exemple le sujet n°16 a, une nuit, en rêve, interprété un événement de la vie de veille : le four

tombé en panne. Son rêve lui rappela que "four" signifie en anglais "quatre" et qu'être à quatre dans un

appartement étroit était la cause d'une panne psychologique.


[9]
Par exemple le sujet n°16 a, une nuit, en rêve, interprété un événement de la vie de veille : le four

tombé en panne. Son rêve lui rappela que "four" signifie en anglais "quatre" et qu'être à quatre dans un
appartement étroit était la cause d'une panne psychologique.
[10]
Freud, op. cit., p. 97.
[11]
Une exception doit être faite pour les analyste jungiens tels Sparrow ou Kelzer mais il s'agit encore de

tentatives isolées.
[12]
Freud, op. cit., p. 485-486. Déjà cité supra chapitre 2. Souligné par l'auteur.
[13]
Ibid.
[14]
Ibid., souligné par nous.
[15]
Ibid., souligné par nous.
[16]
« The next step is the "ordinary" lucid dream in which we become aware that we are dreaming but do
not experience the expansion of consciousness that characterizes a high lucid dream. Such ordinary

lucidity is normally only partial in that we know we have power to change the dream, yet often decide to

use it only within absurd limits of thinking, which again is a reflection of the waking state. For example,
one of our students who was coming to the resolution of a sexual conflict reported that when she

became sexually aroused in a lucid dream, she started searching for a mate and found herself in a
downtown brothel - instead of conjuring up her hero in a desert tent, or whatever! On another occasion,

she found a mate but could find nowhere to be with him - and it never occurred to her to make a place.

These dreams show that she was not yet in control of her own energies, but her latest dream - which
was her first experience of high lucidity - indicated the approach of resolution.

« In the dream, she was informed that she could choose either to have intercourse in public with a

fantastic dream lover and be strangled by him afterward, or never to have sex again. Her growing

desire for a life lived to the full rather than a living death led her to choose the former, and as she was

being led into the arena she suddenly became lucid. Instead of waking herself up or changing the scene,
she decided to trick them all and go along with the game; and as she laughed to herself at how she

could get up and walk away at the end, the environment expanded, the colors deepened, ans she was

high ». Ann Faraday, The Dream Game, Perennial Library/ Harper & Row, New York, 1976 (première

publication en 1974), p. 339. Souligné par l'auteur.


[17]
« I believe that a high lucid dream indicates the winning of a battle over topdog, probably the final

battle of one particular conflict area, whereas the earlier stages of pre-lucidity and ordinary lucidity

indicate steps on the way to liberation ». Ibid. , p. 340.


[18]
« Most schools of psychotherapy generally follow or build upon Freud's basic idea that the dream

expresses the content of the unconscious mind and usually presents the dreamer with some kind of

problem to be solved. Many lucid dreams, however, are simply nonproblematic; they seem to emerge

from a different category or realm of the mind. As such, they serve many important purposes other than
assisting the dreamer toward the confrontation of personality problems, although such confrontations

can certainly be one of their functions ». Kenneth Kelzer, The Sun and the Shadow, My experiment with

Lucid Dreaming, A.R.E. Press, Virginia Beach, 1987, p. 31.


[19]
Seule l'illusion de conscience est une contradiction.
[20]
Conscience essentiellement perceptive, que l'on peut d'ailleurs évaluer par la mémoire que le sujet a

gardé de ses perceptions antérieures. Il s'agit d'une attention consciente.


[21]
Sujet n°10, dans l'introduction à l'expérimentation de la deuxième méthode d'induction (novembre

1985 - février 1986).


[22]
« A lucid dream is more likely to be instructional about the nature of consciousness per se than to
reveal the dreamer's particular disturbances of consciousness. It is more likely to depict something

about the general evolution of consciousness than reveal something about the individual dreamer's
particular "arrestment of development". As its first function, the lucid dream is more likely to reveal the

dreamer's inner joy and creativity, while addressing his or her emotional problems as a secondary

function ». Kenneth Kelzer, op. cit., p. 31.


[23]
Patricia Garfield, La Créativité Onirique, La Table Ronde, Paris, 1983 (première publication américaine
en 1974), pp. 123-124.
[24]
Ibid., p. 131.
[25]
Ibid., pp. 139-140.
[26]
« I am dreaming and I see myself sleeping in my bed at home, alone. I feel a strange state of

consciousness coming on, and I half wonder whether I am dreaming or awake. I am aware of my hands
and arms; they possess an unusual yet delightful energy moving through them. To test whether I am

dreaming or not, I gently rub together the thumb and fingers of my right hand. A delicate, refined

energy quickly flows from my fingertips and rushes all through my upper body. The feeling is so unique
that now I realize I am dreaming. I feel delighted to be lucid, and I begin by exploring the sensations of

my hands, arms, face and chest. I feel pleasure in my body - gentle and delicate ». Kenneth Kelzer,

op. cit., p. 22.


[27]
« Another interesting element exemplified in this dream was the three-step transition of
consciousness from ordinary dreaming to pre-lucid dreaming to full lucid dreaming. As I "felt" a strange

state of consciousness coming on and "half wondered" whether I was dreaming or awake, I was

entering the pre-lucid state. From this dream I learned that in the pre-lucid state the dreamer often
wonders, guesses, questions or doubts whether or not he is dreaming. The dreamer may ask himself, "I

wonder if this is a dream?" Or, he may flatly assert to himself, "No, this couldn't possibly be a dream."

In either case he has posed the valuable question, but has not yet reached full, affirmative resolution of

it in his own consciousness. If the dreamer moves through this kind of confusion, doubt, and guesswork,

and enters into full clarity ("I know this is a dream"), then he or she has advanced into the fully lucid
state. From this dream, and other subsequent dreams, I learned that there are degrees of lucidity, and I

began to think of the fully state as one in which the dreamer possesses full conviction in the moment

that he or she is dreaming. Anything less than full conviction and full clarity I have chosen to view as a
pre-lucid dream. I also discovered that not all pre-lucid dreams lead to lucidity in its fullness. However,

they are still valuable and exciting signposts along the way, because they provide some sense of
progress in the overall cultivation of lucid dreaming ». Ibid., p. 24. Souligné par l'auteur.
[28]
« I decide that since I am lucid, I will write a poem. Immediately a Source, that seems to come from

somewhere deep within me, creates these lines:

« "O God, you have created man/ And from the beginning knew,/ All that he must suffer and endure,/
You, nonetheless…"

« Now I hear a loud knocking on the front door and my wife, Charlene, goes to answer it. As she opens
the door, I see a man standing there with the hairy, dark face of a beast. He is very neatly attired in a

dark blue suit, dressed like a typical businessman. He stands just outside the door and speaks with a

deep, rumbling, gravelly voice, garbling and mumbling his message in a very guttural yet urgent way. I
do not recognize any of his utterances, though I clearly perceive the tone qualities of urgency and

beastliness in his voice. His voice becomes so loud and distracting to me that I begin to lose my lucid

awareness as I listen to him, growling on and on in this guttural and gravelly way. Suddenly I awaken. I
realize I have just had a lucid dream and feel excited ». Ibid., p. 22.
[29]
« Am I Dreaming or Not? » , Ibid., p. 29.
[30]
« I am dreaming and I have a dim awareness that I might be dreaming. I am aware of myself lying in
my bed, face down, and I hear my son Erik come running into the bedroom. He says, "Dad… Dad," and

shakes me slightly. I decide to remain motionless so as not to disturb myself and soon Erik leaves. His

voice and touch seem so real to me that I think I must not be dreaming after all.

« Now the scene change. I am looking at a beautiful country scene in springtime. It seems that some

time has passed and I think I am dreaming again. I see a bright red flower of extraordinary, radiant

beauty and at once I realize I am dreaming. I begin to feel the familiar flow of refined energy coursing

through my chest and rising upward into my head. I say to myself that the flower is so absolutely
beautiful that I am convinced I am lucid. […]

« Again, I hear Erik running into my bedroom and he touches me gently on the arm and says, "Time to
get up, Dad," as he tries to awaken me. Again, I choose to remain motionless and he promptly leaves.

Now I am not sure if I am dreaming or not. As a test, I blink my eyes very deliberately and forcibly. The

physical sensation in my eyes is so vivid and realistic that I conclude I must not be dreaming after all. I
fell some disappointment.

« The scene change again. […] I think to myself that I am a well-paid, high level advertising executive

and, therefore, I feel quite sure that I am dreaming. I feel fine as an advertising executive though I am

clearly aware that this is not my line of work at all. I realize I have not the slightest interest in this line
of work and so I conclude decisively that I must be dreaming ». Ibid., p. 29.
[31]
« I had no desire to analyze this lucid dream or do therapeutic work with it in any way. It had a sense

of completion that is common to many lucid dreams, almost as if the dream were a work of art in itself.

This sense of completeness and wholeness is one of the features that clearly distinguishes many lucid

dreams from ordinary dreams ». Ibid., p. 31.


[32]
Freud, L'Interprétation des Rêves, Presses Universitaires de France, Paris, 1980, pp. 115-116.
[33]
Sujet n°10, "Le saloon du XVIIe" et "La croix de cuir", 2 octobre 1986.
[34]
« Experiences of this type are fairly common, but they seem to occur with greatly increased frequency
in connection with lucid dreams ». Celia Green, Lucid Dreams, Institute of Psychophysical Research,

Oxford, 1982, p. 117.


[35]
Sujet n°16, 29 janvier 1984.
[36]
Sujet n°10, "R… sur le coffre", 14 novembre 1986.
[37]
Dans le faux-éveil de type 1 le rêveur se "remémore" son rêve précédent tandis que dans le faux-éveil

de type 2 il s'intéresse plutôt au rêve en cours.


[38]
Sujet n°16, 14 mars 1984.
[39]
Toutefois nous manquons de témoignages et de rêveurs suffisamment observateurs pour établir tout

à fait ce processus qui n'est assez souvent qu'esquissé dans les journaux de rêves.
[40]
Notamment un rêve où son épaule blessée le fait souffrir. Hervey de Saint-Denys, Les Rêves et les

moyens de les diriger, Tchou, Paris, 1964, pp. 303-305.


[41]
Havelock Ellis, Le Monde des Rêves, Mercure de France, Paris, 1913, pp. 165-166.
[42]
Ibid., p. 165.
[43]
Yves Delage, Le Rêve, Étude psychologique, philosophique et littéraire, Imprimerie du Commerce,

Nantes, 1920, p. 378.


[44]
Ibid., p. 380.
[45]
Freud, op. cit., p. 199.
[46]
Ibid., p. 237.
[47]
Freud, Eine Kindheitserinherung des Leonardo da Vinci, p. 59 cité par H. Ellis, op. cit. , p.169.
[48]
Freud, L'Interprétation des Rêves, Presses Universitaires de France, Paris, 1980, p. 237.
[49]
Ibid., p. 338.
[50]
Sujet n°14, sans titre, 7 février 1991.
[51]
« […] Suddenly, I realize I am dreaming and I decide to fly. Feeling the exhilaration of the lucid

energy arising within me, I spring off the pavement with a light bounce of my toes and begin to fly,
following the contour of the road. I see a young girl, about ten or eleven years old, flying toward me

from the opposite direction. She is wearing a bright red knit blouse and blue jeans. Just as we pass each
other in mid-air, I quickly stick out my arms and catch her around the waist. I pull her over in front of

me and playfully wrestle with her and tease her. I realize at once that she does not enjoy the game at

all, and so I let her go. She flies away, looking nonchalant and unexpressive, as if nothing had
happened.

« Now I see a beautiful, tall snow-capped mountain far ahead in the distance and I fly directly toward it.
The peak is a highly visible landmark, perhaps an extinct volcano, and it rises majestically far above all

the other mountains around it. I focus on it intently as I fly. Suddenly it disappears from view and I feel
completely disoriented. I veer to the left and see a sky full of grayish dark clouds. Their hue is strangely

beautiful and a bit ominous at the same time. I see a solitary black bird, like a crow, flying with the
dark, gray clouds in the background. Now I focus my full attention on the bird and fly toward it. The bird

becomes larger as I approach it and I know it is too large to be a crow. I wonder what kind of bird it is,

when suddenly it disappears. Again, I feel a swirling, confusing sensation all over and slowly I begin to
descend to the ground […] ». Kenneth Kelzer, op. cit., p. 168.
[52]
« […] Dad, still holding my hand, swings me high into the air. He lets go, and as I sail through the air

I have a queer feeling in the pit of my stomach, like when riding in a fast-moving elevator […] ».
Patricia Garfield, Pathway to ecstasy, Holt, Rinehart and Winston, New York, 1977, p. 38.
[53]
« […] It's dark, as though I have just awakened in the middle of the night, yet I know that I am

dreaming. I feel very peculiar - as though I am in a trance. I decide to test whether I can move out of

my body. The idea frightens me (as it actually does), but I allow myself to try it. Immediately I feel

"myself" rising from the bed, lifting straight up from my body as though I am floating on my back in a
swimming pool. I remain in that position, hovering above my physical body, without looking down. The

sensations are strikingly real […] ». Ibid., p. 74.


[54]
« […] Long sheer curtains billow up in the breeze that enters the open windows. A wave of delight

washes over me as I recognize that I am dreaming. "The magical land of breeze and light!" I exclaim
happily.

« Standing in the center of that airy, light space, I see a woman wearing a red gown (the redness). The
breeze blows against my body and face (coolness). I begin to feel slightly dizzy (the light-headedness)

and I rise up into the air. Now my body is a tremble with a "sound-feel." It is a tactile-noise, or an

audible-touch -both at once. A whirring-tingling rumbles in my every cell.

« This sound-feel is a familiar sensation to me, often accompanying conscious dreaming […] ». Ibid.,

p. 152.
[55]
« For a long time, I had noticed that lucid dreams were different from ordinary dreaming not only in

the intensity of sensations and colors but also in the areas of touch and sound. It is not simply that
tactile and auditory sensations in conscious dreams are more beautiful - silk feels even more lustrous,

musical tones are even more exquisite - but, in addition, the sounds and feelings take on specific

shapes.

« For instance, the sound of wind rushing by my face is a typical lucid-dream experience. I can feel as

well as hear the wind. At first, I did not pause to consider the peculiarity of such imagery. In [another
lucid] dream, when I felt the wind and the sun in my face, it seemed perfectly natural. What could be

more reasonable than the sound of wind as one flies through the air? And when in dreams I plummet

toward the earth from a height and feel the wind streaking by my face, as in "Through the Screened
Porch," the sound and the feel of wind are only appropriate. I did not question hearing the rush of water

passing my ears as I dived deep into a pool of water in a dream to pick up a special pebble from the
bottom. And when I flew in dreams along a seashore and heard the roar of the ocean, it, too, seemed to

make sense.

« Yet, bit by bit, dream after dream, I came to the realization that the sounds and sensations of wind

and water in my dreams are pictures of the sound-feeling that comes from within myself. It was not the

wind or the water that produced the sound-feeling, nor was it a memory image of wind and water. It
was, quite literally, myself. I was producing a shimmery sound-feeling that my dreaming mind formed

into pictures of wind and water! I explained the sound and feeling experienced in conscious dreams by

creating pictorial reasons for its presence. The object that I saw and heard in my dream was a symbolic
explanation for what my body was literally feeling and hearing - itself ». Ibid., pp. 153-154.
[56]
Freud, L'Interprétation des Rêves, Presses Universitaires de France, Paris, 1980, pp. 194 et suivantes.
[57]
Ibid., p. 278.
[58]
Sujet n° 16, 22 mars 1990.
[59]
Jan Ehrenwald, Le Lien télépathique, Robert Laffont, pp. 188-189.
[60]
Ibid., p. 183.
[61]
« Speaking as a psychotherapist […] I do believe, however, that one of the biggest challenges that
psychotherapists may have in approaching the lucid dream will be to step aside from their traditional

problem-oriented point of view in order to appreciate that the lucid dream is more likely to serve the

dreamer on another level ». Kenneth Kelzer, op. cit., p. 32.


[62]
« […] the best estimate of prevalence is that about 58% of the population have experienced a lucid

dream at least once in their lifetime while about 21% report it with some frequency (one or more per

month) ». Jayne Gackenbach, "An Estimate Of Lucid Dreaming Incidence", Lucidity Letter, vol. 3, n° 1,
March, 1984, pp. 3-4.
[63]
Freud, op. cit., p. 236.
[64]
Docteur Francis Lefébure, L'Exploration du Cerveau par les oscillations des phosphènes doubles

(Cervoscopie), Edition d'auteur, Paris, 1982, pp. 85-86.


[65]
« In my study with Amsterdam students I found non age differences ». S. J. Blackmore, "More Sex

Difference in Lucid Dreaming Frequency", Lucidity Letter, vol. 1, n° 2, March 10, 1982, p. 5.
[66]
« I had orginally intended on studying lucid dreaming as a treatment approach, particularly with
children with nightmares, and children who had been molested. However […] it became quickly apparent

that there were no studies validating that lucid dreams even exist in children […] the purpose of my

study was to validate lucid dreams in school age children, not to study how to teach the skill or how to
increase the skill in children who already have the skill, or even how to use it ». Deborah Armstrong-

Hickey, "A Validation of Lucid Dreaming in School Age Children", Lucidity Letter, 7 (2), 1988, pp. 35-38.
[67]
« In terms of the results, 63% of the sample that I used reported recalling lucid dreams at least once
during their lives. Of these 54% reported them with some frequency; that is once a month or more. It is

interesting to note that ten-year-olds reported the highest regular recall of lucid dreams, with 63%
reporting monthly. […] Recall of lucid dreams appears to go down, at least in this sample, as children

age. 63% of the ten-years-old, again, reported monthly lucid dreams, 58% of the eleven-years-old, and

finally 36% of the twelve-years-old ». Ibid.


[68]
Voir par exemple John Palmer, "Sex Difference in Lucid Dreaming Incidence", Lucidity Letter, 1 (1),
1981, p. 2, et S. J. Blackmore, "More Sex Difference in Lucid Dreaming Frequency", Lucidity Letter, 1

(2), March, 1982, p. 5.


[69]
« One-way analysis of covariance on various lucid dreaming frequency estimates with dream recall as
the covariate for four different samples resulted in no sex differences ». Jayne Gackenbach, "Sex

Difference In Lucid Dreaming Self-Reported Frequency : A Second Look", Lucidity Letter, vol. 4, n° 1,

June, 1985, pp. 11-12.


[70]
« It is also interesting to note that 8% of the girls versus 17% of the boys reported never recalling

lucid dreams, and 68% of the girls versus 56% of the boys reported they had regular or monthly lucid

dreams ». Deborah Armstrong-Hickey, op. cit.


[71]
Nous n'avons nous-même pas observé de différences notables entre les droitiers et les gauchers sur

ce sujet. Sur 22 sujets qui sont parvenus à la lucidité onirique par nos méthodes et qui ont accepté de

répondre à cette question, 4 se sont avérés gauchers (dont 1 contrarié). Pour s'assurer qu'une

différence existe il conviendrait bien sûr de sélectionner un nombre égal de gauchers et de droitiers et
de mesurer sur eux l'incidence de la pratique des méthodes d'induction.
[72]
P. Bakan, "The Eyes Have It", Psychology Today, 1971, pp. 64-68. Mentionné par Thomas J. Snyder

and Jayne Gackenbach in : "Individual Differences Associated With Lucid Dreaming", in Jayne
Gackenbach and Stephen LaBerge (Ed.), Conscious Mind, Sleeping Brain, Perspectives on Lucid

Dreaming, Plenum, New York, 1988, pp. 221-259.


[73]
J. Gackenbach, T. Snyder, L. Rokes & D.Sachau, (1986), "Lucid dreaming ability as a function of

gross motor balance". Manuscript submitted for publication. Mentionné par Thomas J. Snyder and Jayne

Gackenbach dans : "Individual Differences Associated With Lucid Dreaming", op. cit.
[74]
Voir entre autres : Joe Dane, A comparison of waking instructions and post hypnotic suggestion for
lucid dream induction, unpublished doctoral dissertation. Georgia State University, Atlanta, 1984.

Mentionné par Thomas J. Snyder and Jayne Gackenbach dans : "Individual Differences Associated With

Lucid Dreaming", op. cit.


[75]
Robert W. McCarley and J. Allan Hobson, "The Form of Dreams and the Biology of Sleep", in Benjamin
B. Wolman (Ed.), Handbook of dreams : Research, theories and applications. Van Nostrand Reinhold

Company, New York, 1979, pp. 76-130.


[76]
Jayne Gackenbach, Thomas J. Snyder, LeAnn M. Rokes and Daniel Sachau, "Lucid Dreaming
Frequency in Relation to Vestibular Sensitivity as Measured by Caloric Stimulation. In R. Haskel (Ed.)

Cognition and Dream Research: The Journal of Mind and Behavior (special issue), 7 (2/3), Spring and
Summer 1986, pp. 277-298.
[77]
J. Gackenbach, D. Sachau & L. Rokes, "Vestibular sensitivity and dynamic and static motor balance as
a function of sex and lucid dreaming", Sleep Research, 11, 104, 1982. Mentionné par Thomas J. Snyder

and Jayne Gackenbach dans : "Individual Differences Associated With Lucid Dreaming", op. cit.
[78]
Voir à ce sujet : Jayne Gackenbach, Sandra Prill, and Pamela Westrom, "The Relationship of the Lucid
Dreaming Ability to Mental Imagery Experiences and Skills", Lucidity Letter, vol. 2, n° 4, November,

1983, pp. 4-6.


[79]
« Because lucidity is by definition characterized by self-awareness during the dream process, an

awareness that is typically attributed to a waken state, the imagery experienced in the lucid dream may

have features in common with the imagery that can be induced by various means in persons who are
not asleep. Siegel (1977) has described a number of conditions in which hallucinatory waking imagery

occurs, including falling asleep, waking up […]. To this list could be added meditation and hypnosis

[…] ». Thomas J. Snyder and Jayne Gackenbach dans "Individual Differences Associated With Lucid

Dreaming", op. cit., p. 238.


[80]
« Because lucidity is by definition characterized by self-awareness during the dream process, an

awareness that is typically attributed to a waken state, the imagery experienced in the lucid dream may

have features in common with the imagery that can be induced by various means in persons who are
not asleep. Siegel (1977) has described a number of conditions in which hallucinatory waking imagery

occurs, including falling asleep, waking up […]. To this list could be added meditation and hypnosis

[…] ». Thomas J. Snyder and Jayne Gackenbach dans "Individual Differences Associated With Lucid
Dreaming", op. cit., p. 238.
[81]
Elle ne fournit pas d'étude chiffrée dans ce cas puisqu'il s'agit d'une hypothèse. Mais

personnellement, de façon empirique, il nous semble avoir constaté le phénomène inverse, comme si le

rêve lucide absorbait cette capacité dans le sommeil.


[82]
« Individuals (n=593), randomly selected from the Bristol Electoral Register, were sent a
questionnaire on dreams, hallucinations, body image distorsions […] 47% said they experienced lucid

dreams […]. Lucid dreamers […] tended to report more frequent […] hallucinations, body image

distorsions […] 45% had had a waking hallucination and over half reported experiences like changing

size, shaking, turning and floating sensations and seeming to see with eyes closes ». S. Blackmore, "A

Survey of Lucid Dreams, OBE's and Related Experiences", Lucidity Letter, vol. 2, n° 3, July 1983, p. 1.
[83]
« Like most children, I would at times fall into a reverie when playing with my toys and just sit staring
at nothing in particular. Suddenly a subtle change would come over the room, though everything looked
the same, and I would begin to feel frightened. I could not understand the nature of this change and

could only explain it to my small self by saying "things went wrong". I might have, say, one hand

resting on the table and one on the back of my chair. The illusion was that I could not remove my hands
and that the table and chair were very slowly separating and stretching me, yet at the same time I

knew with one part of my mind that they were not really moving. It was perhaps this knowledge that
prevented the fear reaching nightmare dimensions in panic. I would struggle to remove my hands and

then, just as suddenly, things would "come right" again ». Oliver Fox, Astral Projection, A Record of
Out-of-the-Body Experiences, The Citadel Press, Secaucus, 1980, p. 17. Souligné par l'auteur.
[84]
Et 77% ont des images auditives, d'après Hearne cité par Thomas J. Snyder and Jayne Gackenbach
dans : "Individual Differences Associated With Lucid Dreaming", op. cit., p. 239.
[85]
Voir certains exemples donnés par le Dr. Eug.-Bernard Leroy dans : Les Visions du Demi-sommeil

(Hallucinations hypnagogiques), Librairie Félix Alcan, Paris, 1933. Notons que le rêve éveillé volontaire

favorise l'hypnagogie.
[86]
« […] males who reported frequently dreaming lucidly also reported more vivid tactile images

according to responses on the Bett'Inventory. In unpublished follow-up data from our laboratory, both

male and female students showed a positive relationship between lucidity frequency and the Auditory

and Tactile subscales of the Bett's […]. Suggestive evidence of a sex difference for vividness and lucidity

was also found for the kinesthetic (females) and smell (male) subscales […]. Kueny (1985) […] has also

found a positive association between lucidity and items designed to sample the vividness of imagery in

the tactile, olfactory, kinesthetic, and gustatory modalities. Hearne (1983), too, has stated that the
majority of his lucid dreamers report moderate-to-clear vividness for visual and auditory imagery tasks.
Finally, Blackmore (1983) has obtained a significant positive correlation between lucidity and the

vividness of visual imagery. […] There is consistent evidence that self-reported imagery vividness is

positively correlated with an ability to dream lucidly - a correlation that is demonstrable for males and
females ». Thomas J. Snyder and Jayne Gackenbach dans "Individual Differences Associated With Lucid

Dreaming", op. cit., p. 240. Le questionnaire de Bett est utilisé pour classer les sujets quant à leurs

capacités d'imagerie. Il consiste « à faire estimer par l'individu, sur une échelle d'intensité en sept

points, la vivacité des représentations évoquées par une série de stimulus verbaux. » Michel Denis, Les

Images mentales, PUF, Paris, 1979, p. 22.


[87]
« Regarding control, neither Hearne (1978; 1983), Blackmore (1982), nor our research group found

any relationship between self-reports of imagery control and lucidity ability. Blackmore (1982) and our

group administered Gordon's control of imagery questionnaire while Hearne asked several imagery

questions which where obviously related to control ». Jayne Gackenbach, Sandra Prill, and Pamela
Westrom, "The Relationship of the Lucid Dreaming Ability to Mental Imagery Experiences and Skills",

op. cit.
[88]
« we have studied the abilities of lucid dreamers on mental rotation tasks. For a simple

two-dimensional mental rotation task […], Gackenbach and associates, after controlling for dream recall,
have found that lucidity frequency is unrelated to level of performance […]. However, for a more difficult

two dimensional task […] as well as for a three-dimensional task […], female lucid dreamers have been
shown to perform better than nonlucid females ». Snyder and Gackenbach, Ibid., p. 241.
[89]
« in a more difficult two-dimensional mental rotation task for adult women […] the frequency of
experiencing prelucid dreams was significantly positively correlated with performance. In the same

study, our group determined that skill on a three-dimensional mental rotation task was positively
related to lucid dreaming frequency for women. » Gackenbach, Prill, and Westrom, Ibid.
[90]
Tel a été le cas pour le sujet n°16.
[91]
F. Goldenberg, "Pharmacologie du Sommeil", dans : O. Benoit (dir.), Physiologie du Sommeil, son
exploration fonctionnelle, Masson, Paris, 1984, pp. 169-181.
[92]
Ibid., p. 172.
[93]
Ibid., p. 172.
[94]
« I was lying in bed in the daylight […] I closed my eyes. Immediately I heard the most delightful
sound, like a grand fanfare of celestial silver trumpets. I opened my eyes again in amazement and lay

blinking in the morning light; for the night was over! It had passed in a seeming second […]. » Oliver

Fox, Astral Projection, A Record of Out-of-the-Body Experiences, The Citadel Press, Secaucus, 1980,
p. 22.
[95]
L.-F. Alfred Maury, Le Sommeil et les Rêves, Didier & Cie, Paris, 1878, pp. 161-162.
[96]
Ibid., p. 161.
[97]
Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, Oniros, Ile

Saint-Denis, 1991, p. 101.


[98]
Ibid.
[99]
Ibid., pp. 101-102. Souligné par l'auteur.
[100]
Voir par exemple : Stephen P. LaBerge, "Psychophysiological Parallelism in Lucid Dreams", Lucidity

Letter 2 (4), November 1983, pp. 3-4. Il est dommage que dans ce genre d'étude les rêves ne soient

pas rapportés systématiquement.


[101]
Rapporté par Yves Delage dans : Le Rêve, Étude psychologique, philosophique et littéraire,
Imprimerie du Commerce, Nantes, 1920, p. 158 et suivantes.
[102]
Mourly-Vold cité par Delage, Ibid., p. 161. Souligné par Mourly-Vold.
[103]
« I'd been drifting in and out of sleep every minute or so for what seemed like 20 minutes [the

record confirms this, except not for so long]. I didn't manage to do the structured series - one blip, two
blips, three blips, and so on - in any of the minor dreams which occurred during this period.

« In the most interesting dream, the only one that I remember marking with the three-plus-three eye
movement lucidity signal, I was worried about the time.

« In the dream, Ann, the technician, came in. She said something about lunch.

« "Are you wondering," I asked, "if you can leave me unattended while you go for lunch?"

« In the dream I was lying on my back, and she was bending over me. [Before I'd gone to sleep, we'd

been in this position during her taping on the submental chin electrodes.]

« Suddenly, she deliberately, a bit passionately, fell forward onto me. I reciprocated - though not quite

so passionately - being covered with wires [as, in the dream, I imagined I was].

« "When you said that," she said [referring to my expression of concern about interrupting her lunch

break], "I knew you cared." She was now responding to my remark, I thought, by doing something
she'd been wanting to do before but, not knowing how I felt about her, hadn't done. [I have no evidence

that this is in fact what Ann would like to do, and in waking life I'd never considered how she might feel

about me.]

« She seemed to have brought some food in.

« "How … what are you doing?", I said "Are you? … you've brought me some food."

« "Oh, wait a minute," I suddenly thought. "This is a dream."

« At about this point, I gave the three-plus-three eye-movement lucidity signal […] ». Morton

Schatzman, Alan Worsley, and Peter Fenwick, "Correspondence during Lucid Dreams between Dreamed
and Actual Events", in Jayne Gackenbach and Stephen LaBerge (Ed.), Conscious Mind, Sleeping Brain,

Perspectives on Lucid Dreaming, Plenum, New York, 1988, pp. 155-179.


[104]
« […] At first, I thought I was waking. Then, I dreamed I was looking at the polygraph results of the
previous dream. In this false awakening, I thought I saw on the chart paper a signal trace of three eye

movements, and I checked off the channels. The paper was rather old, washed-out looking, and inky,

about half the size it should be. Yet I didn't realize I was still dreaming - the lucidity was gone - nor did

I manage to work out what was going on about the chart paper and what it meant.

« After that, I think I had two or three more false awakenings - dreams about being in the department

and talking to technicians ». Ibid., p. 162.


[105]
« The fact that lucid dreaming occurs during REM sleep partially defines the sort of EEG activity

characteristics of lucid dreams. However, the standard criteria for determining REM sleep (Rechtschaffen
& Kales, 1968) are quite general when referring to the EEG, being simply "relatively low voltage, mixed

frequency," without specifying how much of which frequencies might be mixed. As noted previously,

REM sleep is a labile and heterogeneous state. For example, during REM, the EEG sometimes shows

predominant 2 to 3 Hz "sawtooth" waves, whereas at other times it may exhibit prominent 8 to 10 Hz


alpha waves. Consequently, the question arises: Does the range of EEG activity characteristic of lucid
dreams reliably differ in any way from that of nonlucid dreams ? » Stephen LaBerge, "The

Psychophysiology of Lucid Dreaming", in Jayne Gackenbach and Stephen LaBerge (Ed.), Conscious
Mind, Sleeping Brain, Ibid., pp. 135-153.
[106]
« In a more recent study, Ogilvie et al. (1983) remedied several of these methodological problems
and arrived at a conclusion regarding alpha activity and lucidity unsupportive of their earlier work. They

studied eight lucid dreamers for 1 to 4 nights in a sleep lab. The subjects were awakened from REM
following spontaneous or cued eye movement signals. The cue buzzer sounded after 15 minutes of REM

during periods of either high or low alpha activity. The subjects were to signal at the cue and again 30
seconds later if in a lucid dream. Reports were elicited 30 to 60 seconds after cued of spontaneous

signals and rated for lucidity. Contrary to their earlier findings, the low-alpha condition yielded slightly

more lucid dreams than the high-alpha condition; however, this difference was not statistically

significant. Addressing this same issue, LaBerge (1980b) performed a Fourier analysis on EEG activity
(C3/A1) for a single lucid dream REM period. Comparison of the spectral profiles for the lucid and

non-lucid portions of the REM period revealed alpha activity for the nonlucid portion to more closely

resemble the waking EEG spectrum than did that in the lucid portion; however, the two REM samples dit

not significantly differ.

« In summary, it would seem that at this point no reliable association of lucid dreaming with alpha

activity (whether high or low) has been established. A more productive approach to the question of EEG

in lucid versus nonlucid REM would probably involve quantifying whole-band EEG frequency spectra from
several electrode placements and comparing signal-verified lucid dreams with nonlucid controls ». Ibid.,

p. 146.
[107]
Michel Jouvet, Le Sommeil et le Rêve, Odile Jacob, Paris, 1992, pp. 53-54.
[108]
Ibid.
[109]
A l'époque cette hypothèse convergeait avec d'autres : l'hypothèse dite du "balayage" (qui suppose
un rapport entre les mouvements oculaires rapides et l'imagerie onirique) et les comportements

oniriques des chats dont le système inhibiteur a été lésé.


[110]
« What relation do dreamed events have to physical - or "real" ones? Consider, for instance, the

relation between dreamed and physical eye movements: As reported here, Worsley often signaled

lucidity onset with eye movements. The eye movements left visible traces on the electro-oculogram, so

that certainly his physical, or real eyes moved. Did his dream eyes move too?

« What, exactly are "dream eyes"? And what is the "dream body"? Unlike the physical body, the "dream

body" does not exist as an object in the world. It is experienced only by the dreamer and only insofar as

it, or some part of it, plays a role in the dream. "My impression is," says Worsley, "that in ordinary

dreams at least, I assume my body is there and that if any particular part of it becomes relevant to the
dream, I become specifically aware of that part. In a lucid dream, if I ever check whether a part of my
body is there, I find that it is. But it's there only insofar as it's required, so to speak, to be there."

« While asleep and dreaming, he recalled the intention to signal with eye movements and, then, he
willed his eyes to move. "I moved my eyes rapidly to signal," he says, "and had much the same visual

experience, or lack of it, as if I'd carried out the same movements when awake." He was aware, too, of
the sensations in his eyes muscles that would, if he were awake, be associated with making extreme

eye movements.

« If the "dream eyes" are defined as his experience, while dreaming, of his eyes, then it is the case that

he moved his dream eyes. However, as his physical eyes also moved, to what extent is it valid to

distinguish in this case between two kinds of eyes? Are there two kinds of eyes between which there is a
correspondence or only one kind? Why not simply say that he moved his eyes?

« In this case, if there are two kinds of eyes, they seem inextricably combined. Perhaps the eyes that
he was aware of moving included a component, as it were, of 'dream eyes'. » Morton Schatzman, Alan

Worsley, and Peter Fenwick, "Correspondence during Lucid Dreams between Dreamed and Actual

Events", op. cit., p. 173.


[111]
« if, while dreaming lucidly, a subject can perceive external sensory stimuli and, in response to
them, can signal volitionally - thereby in effect engaging in two-way communication - then the ability in

dreams to perceive incoming stimuli and respond to them (for example, by counting them) could be

experimentally examined ». Ibid. , p. 155.


[112]
Ordinateur portable, couplé à un masque, qui envoie des signaux lumineux dans les globes oculaires

du dormeur au moment du sommeil paradoxal.


[113]
« we studied memory and mentation during REM. The dreamer was connected to a device that
measures lateral eye movements recorded from an electro-oculogram and delivers an electrical stimulus

if the amplitude of the eye movement exceeds a preset level. Stimulating electrodes were placed on the

forearm, and 1 hour after Worsley went to sleep the machine was switched on. The task was to signal
lucidity onset with forearm EMG burst, to indicate with forearm EMG burst how many stimuli he intended

to administer to himself, to administer them by means of eye movements, counting the stimuli while he

did so, and, after administering the intended number, to indicate that number with forearm EMG bursts.

« In the event, the induction of stimuli by eye movements proved to be complicated. First, a stimulus
was administered only if either the amplitude of one eye movement or the cumulative amplitude of

several eye movements was high enough. Secondly, the gain and trigger-level controls of the machine

happened to have been set so that the latent or refractory period during which the machine would not

trigger again was a few seconds. As a result, the relationship between the number of eye movements
and the number of stimuli was far from one to one. The long and unpredictably irregular intervals

between the stimuli made it hard not only to induce them but to keep count of them, thus providing and
unexpectedly severe test of the dreamer's ability to carry out the task. It meant that if he administered

and counted the correct number of stimuli, it would be virtually certain that he had perceived the actual
stimuli rather than merely dreamed stimuli. […] He performed the task successfully ». Ibid.,

pp. 167-168.
[114]
Ces dernières années le nombre de tels rêveurs s'est néanmoins accru.
[115]
« We wished to see whether in lucid REM sleep the duration and amplitude of phasic spikes and

bursts varied among different muscle groups.

« To test this, in the first of a series of experiments, EMG electrodes were placed on the right upper and
lower arm and on the right anterior and posterior calf and thigh (the anterior calf and posterior thigh

muscles are flexor muscles, and the posterior calf and anterior thigh muscles are extensor muscles).
Worsley, who is right-handed and right-footed, had the task of making six eye movements (in two
groups of three each) to signal lucidity onset, and to produce simultaneous upper and lower extremity

EMG blips in the pattern of 1,2,3… up to six blips, by dreaming of alternately pushing and pulling

something with his right arm and leg ». Ibid., p. 161.


[116]
« […] "Oh, wait a minute," I suddenly thought. "This is a dream."

« At about this point, I gave the three-plus-three eye-movement lucidity signal.

« I got up with all my wires attached. Being careful not to dislodge the electrodes, I placed the toes of

my right foot against the base of a bench and my right heel on the floor. Standing with most of my
weight on my left leg and holding the top edge of the bench with my hands, several times I pushed my

right foot down against the base of the bench and against the floor. Each time I pushed down with my

foot, I pulled upwards on the top of the bench with my hands. [Actually, in the lab next to the bed is a

bench about 3 feet high, and in the dream the bench was there.] Instead of doing the arthmetic series -
1, 2, 3, 4, 5 - which I'd planned when awake, I did a plain series of about seven quick downward thrusts

with my foot at a rate of nearly two a second.


« I think I did the simple rather than the arithmetic series because I was in a hurry, the realization that

it was a dream having taken me by surprise. A further consequence of my haste was, I think, that I

didn't pay enough attention to the dream situation - which is probably why the imagery then changed ».
Ibid., p. 162 .
[117]
« The polygraph record agreed well with this dream account. Unfortunately the upper-extremity

electrodes had come off. However, clearly on the record were the lucidity-onset signals and, beginning

10,5 seconds later, EMG from leg channels. On the posterior-calf channel, which produced the most
distinct results, there were nine clear spikes (the dream report mentions "about seven" thrusts with his

foot), over 5,5 seconds (the dream report says they were done "at a rate of nearly two a second"). On

the anterior-calf channel, there was simultaneous EMG activity with an amplitude roughly equivalent to

that on the posterior-calf channel. During the same period of time, there was some low-amplitude

activity on the anterior thigh channel and one high-amplitude spike on the posterior thigh channel.
About 4 seconds after the last EMG activity was a 10-second increase in EEG alpha, which often seems

to accompany the fading of imagery, a change of scene, and false awekenings.

« In the dream, the main thrust of the dreamer's right leg was downwards, an action that, in waking

time, would involve the lower-leg extensors more than the lower-leg flexors. However, our records

showed approximately equal activity in flexors and extensors, suggesting that EMG activity from the
flexors was less inhibited than from the extensors". Ibid., p. 163.
[118]
Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, Le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, Oniros, Ile
Saint-Denis, 1991, pp. 103-105.
[119]
« Before Worsley went to sleep, EMG electrodes were attached to the skin over his larynx, over his

right-forearm flexors, over the flexors and extensors of his right upper arm, and over his right chest. He
planned to count out loud in his dream and on each count to dream of moving his right hand - thereby

synchronizing his speech with activity of his righ-forearm muscles. The EMG electrode over his larynx

was to record laryngeal muscle activity, so that we could determine whether the expiratory phase of
actual respiration would be linked in time with the EMG indications from his right forearm of dream

speech" Schatzman, Worsley, and Fenwick, op. cit., p. 169.


[120]
« Before Worsley went to sleep, EMG electrodes were attached to the skin over his larynx, over his

right-forearm flexors, over the flexors and extensors of his right upper arm, and over his right chest. He
planned to count out loud in his dream and on each count to dream of moving his right hand - thereby

synchronizing his speech with activity of his righ-forearm muscles. The EMG electrode over his larynx
was to record laryngeal muscle activity, so that we could determine whether the expiratory phase of

actual respiration would be linked in time with the EMG indications from his right forearm of dream

speech" Schatzman, Worsley, and Fenwick, op. cit., p. 169.


[121]
LaBerge, op. cit., pp. 105-106.
[122]
Ibid., pp. 106-107.
[123]
Ibid., p. 107.
[124]
Ibid., pp. 107-108.
[125]
Ibid., p. 109.
[126]
Ibid.
[127]
Ibid., p. 112.
[128]
Ibid.
Chapitre Huit
L'approche scientifique du rêve lucide

Section I

Ce que la science nous apprend sur le rêve lucide


[suite]

SECTION II

Ce que le rêve lucide nous apprend sur les sciences du


rêve
Si les sciences du rêve peuvent, dans certains cas, nous aider à mieux comprendre le
rêve lucide, c'est avant tout en raison de leur méthodologie qui offre un outil d'investigation
irremplaçable. En revanche, leurs conceptions théoriques ne semblent pas toujours pouvoir
s'appliquer à l'étude du rêve lucide : par exemple l'idée que tout rêve est interprétable en
droit (en psychanalyse) ou celle selon laquelle le rêveur ne peut nécessairement pas
communiquer avec le laboratoire (en physiologie) se sont avérées limitantes et erronées. Les
travaux sur le rêve lucide incitent donc à remettre en question la portée de certaines
conceptions établies, ce qui, dans la plupart des cas, s'avère indispensable pour le chercheur,
s'il ne veut pas en être la victime inconsciente.

Cependant, ce n'est pas là une analyse aisée. En effet, si certaines conceptions


théoriques se donnent pour telles, d'autres se présentent en fait comme des évidences qui
découlent d'une certaine représentation d'ensemble des travaux sur le rêve dans un domaine
donné. Ainsi, s'il est particulièrement facile de s'interroger sur la validité d'une thèse qui
énonce explicitement que "le rêve est la réalisation d'un désir", il est plus délicat d'en venir à
questionner l'idée que le rêveur puisse communiquer avec le laboratoire car il ne s'agit pas
d'une positon théorique à valeur explicative mais d'une observation implicite. Certes, la valeur
de ce type de constatation n'est qu'inductive et peut être remise en question par une
observation contraire mais cette dernière doit pouvoir à son tour être suscitée, ce qui
suppose que la première devienne explicite. Or, cette explicitation dépend du "poids" des
éléments contraires qui sont étudiés. Ainsi, il s'est avéré possible de vérifier si le rêveur
pouvait ou non communiquer avec le laboratoire en associant la notion de rêve lucide à
l'existence des mouvements oculaires rapides ; mais d'autres éléments issus de la recherche
sur le rêve lucide ne se prêtent pas de façon aussi nette à de telles remises en cause, surtout
lorsque ces dernières concernent les méthodes utilisées. Sans prétendre s'attaquer aux
fondements des théories existantes, il est sans doute possible d'attirer l'attention sur des point
fragiles et surtout de montrer en quoi consiste cette fragilité et comment la repérer.

Pour cela deux manières de procéder s'offrent à nous : d'une part, en effet, le rêve
lucide peut contribuer, à l'aide d'expérimentations, à apporter des éléments neufs à
l'élucidation de points controversés ; d'autre part, les résultats déjà obtenus permettent de
s'interroger sur la validité de certaines approches du rêve qui perdent par moment leur
caractère pertinent - quel que soit d'ailleurs le domaine dans lequel elles s'appliquent - et de
proposer de nouvelles méthodes d'investigation, et ce plus particulièrement en ce qui
concerne l'interprétation.

§1. La science de l'interprétation à la lumière de la lucidité


La psychanalyse ne nous a pas été d'un grand secours dans l'étude du rêve lucide. Les
interprétations que nous avons tenté de donner de la lucidité et des divers types de rêves
lucides à l'aide de ses conceptions théoriques ne sont pas apparues comme particulièrement
éclairantes. Si le principe de l'interprétation peut être appliqué au rêve lucide, dans la plupart
des cas soit les outils conceptuels manquent pour la mener à bien, soit l'interprétation ne se
justifie pas - nous avons vu cette dernière position apparaître nettement chez de nombreux
rêveurs lucides qui ne ressentent pas le besoin d'interpréter des rêves qu'ils estiment se
suffire à eux-mêmes. Une telle attitude est contraire aux doctrines de la psychanalyse et l'on
peut se demander si l'échec des tentatives d'explications psychanalytiques des rêves lucides
n'a pas sa source dans le genre d'approche que nous avons choisi. En effet, d'une part, nous
n'avons pas étudié des rêves précis associés dans chaque cas à une histoire personnelle mais
simplement des types de rêves, ce qui rend les conclusions aléatoires. Freud lui-même,
lorsqu'il aborde les rêves typiques, les divise en deux catégories : « les uns ont toujours le
même sens, les autres, malgré un contenu identique ou analogue, doivent être interprétés de
[1]
façons très diverses » . Les rêves que nous avons examinés entreraient simplement, comme
c'est le cas du rêve de vol, dans la deuxième catégorie et il serait alors artificiel de les
interpréter a priori. D'autre part, Freud soutient que tout rêve est interprétable en droit et
que le fait de ne pas pouvoir interpréter un rêve s'explique par un phénomène de résistance.
[2]
Ainsi s'expliquerait le déni d'interprétation assez fréquent chez les rêveurs lucides.

Cependant, ces deux objections ne suffisent pas à rendre compte des insuffisances de
l'analyse proposée. En effet, certains types de rêves lucides examinés peuvent bien être
considérés comme ne relevant pas d'une interprétation a priori, mais la forme même de leur
déroulement semble également exclure l'interprétation dans son principe, ne serait-ce
justement que parce que le rêveur lucide a parfois le sentiment de comprendre parfaitement
le rêve (sans l'interpréter) et que ce sentiment persiste au réveil. Or, Freud fait lui-même une
place à ce type de sentiment lorsqu'il répond aux critiques que l'on peut faire à sa méthode
d'interprétation selon laquelle un élément quelconque du rêve peut mener à n'importe quelle
représentation. L'une des réponses proposée est l'impression que l'interprétation juste fait
sur le rêveur : « Le critique a beau jeu pour objecter : il n'est pas étonnant qu'un élément
quelconque du rêve mène n'importe où, on peut toujours associer quelque chose à une
représentation ; la seule chose surprenante serait que cette succession d'idées arbitraire et
sans but parvînt précisément aux pensées du rêve. […] A ces sortes de critiques nous pouvons
d'abord opposer l'impression que donnent nos interprétations de rêves, les liaisons
étonnantes avec des éléments du rêve qui surgissent pendant qu'on poursuit des
[3]
représentations isolées » .

Si l'interprétation s'appuie fondamentalement sur une impression qui est en fait une
intuition, force est de considérer deux types d'attitudes tout à fait différents de la part du
rêveur : tant qu'il ne comprend pas son rêve, l'hypothèse de la résistance est plausible (et sa
réalité peut même être ressentie dans certains cas) ; mais il peut aussi avoir le sentiment qu'il
n'y a rien à rechercher parce que le rêve est déjà clair pour lui avant même toute
interprétation (ainsi il est difficile de supposer que l'attitude de Kelzer - lui-même analyste et
interprète de la plupart de ses rêves lucides - soit due, lorsqu'il décide qu'un rêve se suffit à
lui-même, à une résistance). Dans ce cas, c'est une conception centrale de Freud sur le rêve
qui serait ici remise en question, celle de l'élaboration secondaire comme jouant
nécessairement un rôle dans le travail du rêve. La difficulté ne se situe donc pas dans le détail
mais à un niveau radical : il ne s'agit pas d'aménager des distinctions entre diverses
catégories de rêves lucides et associés dont certains seraient interprétables et d'autres pas,
car le principe ne peut souffrir d'exceptions. Comme ce principe est issu de l'observation à la
fois de l'élaboration secondaire (de deuxième niveau) qui se produit au moment du
souvenir du rêve, et de la reconstitution du sens du rêve à partir du travail d'interprétation, il
semble nécessaire de l'examiner, à l'aide de la lucidité onirique, sur ce double terrain. Or, non
seulement le souvenir du rêve lucide est généralement aussi net que celui d'événements que
l'on viendrait de vivre à l'état d'éveil, mais l'interprétation, lorsqu'elle semble utile, ne dépend
pas nécessairement de ce souvenir.

La lucidité pose des problèmes nouveaux au principe de l'interprétation. Le premier est


celui de l'attitude du rêveur qui est nécessairement particulière puisqu'il est parfaitement
conscient de l'aspect onirique de sa situation : il peut fort bien, par exemple, décider - pour
éviter le deuxième niveau d'élaboration secondaire que constitue la remémoration du rêve au
réveil - d'interpréter le rêve alors même qu'il est en train de le vivre et, ce faisant, sortir du
cadre d'observation sur lequel s'appuient les théorisations habituelles de l'interprétation. Une
telle attitude a-t-elle alors un impact ou est-elle à son tour susceptible au réveil d'une
interprétation de deuxième niveau ? Un deuxième problème qu'on ne peut éviter de se poser
concerne la nature du rêve lucide : relève-t-il d'un type d'interprétation classique ou doit-il
être considéré à part à l'aide de nouveaux outils interprétatifs ? Si tel est le cas, peut-on
observer dans le cours même du rêve, à partir du moment où le rêveur devient lucide, des
changements qui justifieraient cette hypothèse ? Un autre type de question concerne la
nécessité de l'interprétation, ce qui revient à se demander non seulement si le rêve lucide est
toujours interprétable en droit, mais aussi, même lorsqu'il l'est en fait, si l'interprétation
possible est réellement utile, étant donné l'interaction que le rêveur lucide peut avoir avec son
rêve. Ces divers problèmes peuvent être abordés en fonction des entorses qu'ils apportent à
l'idée même d'interprétation des rêves : entorse quant à l'espace-temps de l'interprétation,
entorse quant à l'objet de l'interprétation qui, dans certain cas, s'évanouit et, dans d'autres,
rend l'interprétation superflue, entorse enfin quant au caractère "réel" de l'interprétation qui
ne peut sans doute pas rendre compte de toutes les dimensions du rêve.

I. La compréhension "intra-onirique" du rêve


La théorie psychanalytique pose que le rêve a deux dimensions : un contenu
manifeste qui est dans l'ensemble composé par tout ce dont le rêveur fait l'expérience, y
compris ses pensées oniriques, et un sens latent qui ne lui est accessible qu'à l'aide de
l'interprétation à laquelle il se livre à l'état de veille. Or, dans le cas où le rêveur est conscient
de rêver et qu'il saisit le sens du rêve au cours même du rêve, doit-on considérer qu'il s'agit là
d'un contenu manifeste qui doit à son tour être interprété ou de l'appréhension effective de ce
sens habituellement latent au cours du rêve ordinaire ? En effet, dans la mesure où le rêveur
est conscient de la qualité onirique de son expérience et où ses facultés intellectuelles peuvent
s'y manifester, il doit avoir la possibilité d'en saisir le sens, s'il s'intéresse à cette dimension
du rêve. Il faut donc se demander si de tels cas se sont présentés et s'interroger sur la valeur
qu'on peut leur attribuer. On s'aperçoit alors que cette saisie du sens du rêve au cours du rêve
même, si elle peut passer par le biais d'une interprétation intra-onirique, prend aussi parfois la
forme d'une intuition intellectuelle.

L'interprétation des rêves en rêve n'est pas un phénomène réservé au rêveur lucide
puisqu'on le rencontre dans des rêves non lucides tels que les rêves de faux-éveil de premier
type, dans lesquels le sujet s'efforce de comprendre et parfois d'interpréter un rêve précédent.
Dans un tel cas, cependant, il se livre à cette activité parce qu'il se croit éveillé et pense donc
disposer des éléments voulus pour l'analyse alors même qu'il est encore le jouet du rêve. Cela
se remarque notamment lorsque ses tentatives d'interprétations prennent un tour tout à fait
onirique sans qu'il s'en aperçoive. Les remarques de Freud concernant les relations logiques
s'appliquent sans doute ici : en rêve « les relations logiques, […] les opérations intellectuelles
les plus compliquées, où on établit une opinion, où on la contredit, où on se livre à des jeux de
l'esprit, où on compare, exactement comme pendant la vie de veille […] tout ceci est matériel
du rêve et non représentation d'un travail intellectuel dans le rêve. Ce qui nous est
fourni par la pseudo-pensée du rêve, ce sont les pensées mêmes qui ont provoqué le rêve,
c'est-à-dire leur contenu, et non leurs relations mutuelles, relations qui sont vraiment
[4]
toute la pensée » .

En revanche, lorsqu'il est pleinement lucide, le rêveur est capable de distinguer entre
d'un côté le rêve et les pensées qu'il suscite en lui et de l'autre les réflexions qu'il peut se faire
à son sujet. Le sentiment que le rêveur peut alors avoir qu'il y a quelque chose à comprendre
concernant le rêve qu'il est en train de vivre au-delà des événements qui se présentent à lui,
ce sentiment ne dépend plus entièrement du rêve, ou plus précisément n'est pas uniquement
suscité par son contenu. Dans le faux-éveil, c'est en effet la structure même du rêve qui incite
à l'interprétation : le rêveur rêve qu'il se réveille, qu'il considère le rêve qu'il vient de faire, et
éventuellement qu'il l'interprète. Il y a là une logique inhérente au déroulement des séquences
oniriques. Mais, au cours du rêve lucide dans lequel le rêveur se livre à l'interprétation, cette
dernière n'est pas dictée par l'agencement des séquences oniriques et semble bien venir de
l'initiative du rêveur lui-même. Cependant, même si elle est indépendante de l'agencement
des événements oniriques, la question reste posée de savoir si elle appartient malgré tout au
domaine onirique ou si elle équivaut à une interprétation menée à l'état de veille. Cette
question apparaît encore plus pressante lorsque le rêveur agit dans son rêve de façon à
provoquer l'émergence du sens. Dans ce cas, non seulement il s'interroge sur le sens du rêve,
mais il interagit avec lui pour le comprendre. Pour y répondre, il importe de savoir en quoi
consiste l'interprétation intra-onirique, quelles règles elle suit, s'il s'agit d'une interprétation
systématique ou décousue, bref si sa validité est reconnue au réveil par le sujet (elle pourrait
en effet donner en rêve une impression de systématicité ou d'achèvement qui serait démentie
au réveil).

Le type d'activité qui, en rêve lucide, se rapproche le plus de l'interprétation est celui
qui se tient à distance du rêve. Le rêveur lucide est alors en décalage avec son rêve qu'il
essaie d'interpréter comme il le ferait à partir de l'état de veille. Il faut remarquer que ce
genre d'attitude est extrêmement rare : le rêveur lucide préfère généralement agir plutôt que
d'interpréter son rêve. Il semble bien que, dans l'ensemble, les tentatives d'interprétation
mettent fin au rêve lui-même comme en témoigne le rêve de Descartes dont l'interprétation
commence au cours du rêve lucide et se poursuit en état d'éveil. Il y a cependant une autre
manière pour le rêveur d'interpréter son rêve, c'est de le faire participer à sa propre
élucidation.

[…] Une fois, l'image d'une amie de lycée m'a dit dans un rêve : "Sais-tu que,
pour toi, j'ai toujours personnifié le sexe?" "Oh… non", ai-je répondu. "Est-ce que
tu as remarqué que je porte toujours des shorts dans tes rêves?" a-t-elle ajouté
sur un ton sous-entendant qu'il était vraiment idiot de ma part d'avoir négligé ce
[5]
fait.
On a bien affaire, là, à une tentative d'interprétation dans la mesure où la rêveuse
cherche à saisir le sens d'un élément du rêve qu'elle ne comprend pas. Cependant,
l'interprétation ne suit pas un chemin classique, le rêveur ne se laisse pas aller à des
associations d'idées pour découvrir ce que signifie le personnage de son rêve, mais il s'adresse
directement à lui. Si la méthode d'interprétation est différente de celle proposée par la
psychanalyse, c'est essentiellement en raison des possibilités que procure le fait d'être
conscient dans son rêve. Il reste cependant à s'assurer que cette interprétation intra-onirique
a une réelle valeur interprétative et n'est pas à son tour passible d'une interprétation une fois
le sujet éveillé. Or, ici ce n'est pas l'avis de l'auteur, rompue à l'analyse des rêves, qui
[6]
constate : « A mon réveil, j'ai réalisé à quel point son affirmation se révélait exacte » . Ainsi
l'interprétation onirique semble non seulement être aussi valide qu'une interprétation menée à
l'état de veille, mais encore être plus efficace puisque le rêveur parvient à des conclusions
qu'il n'avait pas réussi à atteindre auparavant (« il était vraiment idiot de ma part d'avoir
négligé ce fait »). Dans certains cas ce travail interprétatif peut prendre un tour qui va au-delà
de l'interprétation stricto sensu.

Après sa mort, en 1968, mon père m'apparaissait souvent en rêve, sous la


forme d'un personnage dangereux qui m'insultait et me menaçait. Quand je
devenais lucide, je me mettais à le battre avec colère. Il se transformait alors en
une créature plus primitive, un gnome, un animal ou une momie. Chaque fois que
je l'emportais sur lui, j'étais saisi d'un sentiment de triomphe bouleversant. Puis je
fis le rêve suivant, qui fut décisif : je devins lucide au moment où j'étais poursuivi
par un tigre. Je voulais m'enfuir, mais je me pris en main et l'attendis de pied
ferme. "Qui êtes-vous?", lui demandai-je. Le tigre parut déconcerté, puis il devint
mon père et dit : "Je suis ton père, et maintenant je vais te dire ce que tu dois
faire." Contrairement à ce qui c'était passé dans les précédents rêves, au lieu de le
battre, je tentai d'engager le dialogue. Je lui dis qu'il ne pouvait plus me donner
des ordres de cette manière. Je rejetais ses menaces et ses insultes, mais, par
ailleurs, je devais bien admettre que certaines de ses critiques étaient justifiées, et
j'avais, en conséquence, l'intention de changer à l'avenir mes façons de faire. A ce
moment mon père devint amical. Je lui demandai s'il pouvait m'aider, et il
m'encouragea à suivre, seul, mes propres voies. Il parut alors se glisser dans mon
[7]
corps, et je fus seul pour le restant du rêve.
Le sens du rêve coïncide avec son contenu manifeste lorsqu'apparaît l'image du père.
L'auteur de ce rêve n'a guère senti le besoin de réinterpréter ce rêve au réveil et l'effet de
cette "interprétation" intra-onirique semble bien avoir eu le même impact qu'une
interprétation réussie menée à l'état de veille de façon plus classique : « Ce rêve devait agir
comme une libération et un encouragement dans les rêves que je fis par la suite aussi bien
que dans la vie réelle. Mon père ne m'apparut plus jamais, en rêve, sous la forme d'un
personnage menaçant. Dans la vie, les craintes et les inhibitions déraisonnables à l'égard de
[8]
toute personne représentant une autorité disparurent également » .

L'impact de ce rêve peut donc être imputé à une interprétation réussie, mais
également être mis sur le compte de l'interaction elle-même. On peut au moins dire que la
recherche du sens semble tout aussi valide en rêve lucide qu'à l'état de veille.

Avec le rêve lucide, le rêve n'est plus une donnée inerte, comme un document qu'il
faudrait traduire, puisqu'il participe à sa propre élucidation, ce qui est en opposition avec la
conception de Freud qui attribue cette incapacité à l'impossibilité pour le rêve de manifester
les liens logiques qui enchaînent les scènes oniriques : « Les différents éléments de cette
construction complexe sont les uns à l'égard des autres dans les relations logiques les plus
variées. Il y a des pensées de premier plan et des pensées d'arrière plan, des digressions et
des éclaircissements, des conditions, des démonstrations et des oppositions. On peut se
demander ce que deviennent ces liens logiques, qui avaient d'abord formé toute la charpente,
quand cette masse de pensées du rêve subit la pression du travail du rêve et que ses
fragments sont tordus, morcelés, réunis comme des glaces flottantes. Quelle forme peuvent
prendre dans le rêve les "quand", "parce que", "de même que", sans lesquelles nous ne
saurions comprendre une phrase ni un discours?

« Il faut bien dire que le rêve n'a aucun moyen de représenter ces relations
logiques qui les composent. Il laisse là toutes ces conjonctions et ne travaille que sur le
contenu effectif du rêve. C'est à l'interprétation de rétablir les liens supprimés par ce
[9]
travail » .

Or, en admettant qu'il en soit bien ainsi, même au cours du rêve lucide (ce que de
nombreux exemples infirment à d'autres propos), Freud n'a pas pris en compte la possibilité
pour le rêve de fournir lui-même son sens en ce qui concerne non pas des liaisons logiques
latentes, mais son aspect symbolique. Le sens latent peut donc devenir manifeste pour le
rêveur lucide et, d'une certaine façon, il n'est sans doute plus tout à fait possible de dire qu'il
s'agit là d'un travail d'interprétation. Mais, d'un autre côté, si ce n'en est pas un, cela indique
qu'un tel travail devient, dans le type de cas cité, inutile.

De ce point de vue, la question de savoir si l'interprétation est valide parce qu'elle


relève d'un travail équivalent à celui qui pourrait être fait à l'état de veille perd sa validité. La
méthode semble bien pouvoir être la même (c'est le cas pour Descartes) mais elle peut être
plus riche au point que l'on n'est plus tout à fait sûr d'avoir affaire à une interprétation. En
tout cas, sa validité ne semble guère pouvoir être évaluée strictement à partir de méthodes de
la vie de veille. L'impression faite sur le rêveur ne fait que confirmer un travail original qui
s'éloigne de la méthode psychanalytique. On peut d'ailleurs aller plus loin et se demander si
l'idée d'interpréter le rêve au cours du rêve n'est pas le simple résultat d'un travers acquis à
l'état de veille et que la lucidité ne justifierait que dans le cas où elle est relativement faible, le
rêve tout à fait lucide ayant tendance à être immédiatement clair pour le rêveur. Cette limite
de l'interprétation au cours du rêve lucide est d'ailleurs atteinte lorsque le rêveur comprend
immédiatement le sens de son rêve sans passer par un travail interprétatif.

L'attitude interprétative d'un rêveur lucide s'explique par la présence d'un donné
[10]
onirique dont le sens lui échappe et dont il suppose l'existence . Nous avons vu que le
rêveur "interprète" le rêve en demandant au rêve de remplacer le symbole manifeste par son
sens latent. Mais dans certains cas le sens parvient au rêveur sans que l'aspect manifeste ne
se modifie.

Je suis debout, complètement immergé dans l'eau. Je lève les yeux vers la
surface. L'eau est claire, toute illuminée par les rayons du soleil qui filtrent
lentement vers les profondeurs.
Je vois une tortue qui nage au-dessus de moi. Elle est brune et verte, mesure
environ vingt cinq centimètres et rame activement, très régulièrement, des quatre
pattes. Aussitôt, je comprends le sens du rêve, et je me souviens d'un programme
de télévision que j'ai vu récemment. Un homme y organisait une course entre une
tortue apprivoisée et un lapin. C'était la tortue qui gagnait. Celle que je vois en ce
moment signifie que, moi aussi, je réussirai si je continue à travailler avec
persévérance et régularité sur le rêve, si je ne me laisse pas séduire par les
approches trop rapides, trop superficielles et spectaculaires, symbolisée par le
lapin.
Je m'éveille, tout calme et rassuré par la tortue. J'éprouve un sentiment de
bien-être lorsque je réalise que l'interprétation de ce rêve m'est venue dans le rêve
[11]
lui-même.
Peut-on vraiment parler ici d'interprétation comme le suggère le rêveur ? Le sens surgit
avec le rêve manifeste, sans aucun travail de la part du sujet, mais il n'efface pas le contenu
manifeste qui illustre parfaitement le message du rêve. Dans une telle perspective le rêve est
bien plutôt l'illustration d'un sens que sa déformation comme dans les rêves précédemment
cités. Néanmoins le principe de l'interprétation n'est pas pour cela remis en question puisque
la compréhension du rêve ne surgit qu'à un moment donné. Avant cet instant le rêve reste
énigmatique et par là requiert une interprétation. Le fait que cette interprétation soit fournie
par le rêve même ne lui enlève pas son statut.

II. L'interprétation sans objet


Nous avons dit que, dans le rêve lucide, le rêveur ne cherche pas à interpréter son rêve
parce qu'il préfère se livrer à d'autres activités. Le décor du rêve lui apparaît alors comme un
monde par lui-même et son attitude vis-à-vis du rêve est nécessairement différente de celle
de l'état de veille. Cela peut toutefois amener à supposer qu'il laisse le rêve en souffrance
d'interprétation : ainsi un rêveur peut fort bien agir contre une menace, en rêve, sans savoir à
quoi elle correspond et comment il conviendrait de l'interpréter. Mais il se pourrait aussi que
cette façon de considérer le rêve lucide soit tout simplement erronée et qu'au contraire, dans
certains cas, la lucidité rend l'interprétation superflue au sens où cette dernière apparaît sans
objet. Deux cas de figure s'offrent alors à nous : soit le rêve est parfaitement clair quant à son
sens, soit la fonction, habituellement remplie par l'interprétation, s'avère inutile.

Nous avons vu que l'apparition, en rêve, de la conscience de rêver permet une


compréhension du contenu du rêve soit en raison des facultés de raisonnement dont dispose
alors le rêveur, soit par l'action qu'il peut avoir sur les éléments du rêve. L'intuition du sens
qui surgit parfois avec la lucidité laisse cependant supposer que, de même que la qualité du
rêve s'améliore avec la conscience de rêver, de même le sens en devient également plus clair.
« Je descendais en parachute au-dessus d'une île merveilleuse, dans le sud du
Pacifique. Je descendais lentement, je savais que je rêvais et que les indigènes de
l'île m'adoreraient comme un dieu ; leur mythologie prédisait, en effet, que
quelqu'un viendrait un jour du ciel et serait leur chef. A cause de cela, je me
rendais compte que je pourrais obtenir d'eux à peu près tout ce que je voulais. Je
savais aussi que leur civilisation était presque parfaite. Ils étaient très beaux,
aimants, exempts de violence et de crime. Je savais qu'il ne leur manquait plus
qu'une seule chose pour que leur vie soit parfaite, et que j'allais la leur apporter.
Puis, de la plage où j'avais atterri, je me dirigeai vers leur village. Ils accouraient
vers moi, et je pouvais voir comme ils étaient beaux et forts. Je les vis me saluer
de la main et je leur rendis leur salut. Je remarquai que je n'avais rien à craindre,
parce qu'ils pensaient que j'étais bon et puissant. Ensuite, nous nous groupâmes
autour d'un feu de camp, dans le village. Je me rendis soudainement compte de ce
que j'avais à leur donner. C'était le savoir suprême qu'ils attendaient, et que je
possédais. Le fait de savoir précisément ce que j'étais sur le point de dire me
touchait. Je sentais nettement à l'intérieur de moi-même comment je renonçais à
la fausse image qu'ils se faisaient de moi. A mesure que j'y renonçais, je prenais
conscience de mes sentiments de puissance et de tristesse. "Il n'y a pas de chef",
leur dis-je. Je me sentis soudain plus près d'eux. J'éprouvai une sensation de
soulagement dans mon corps. J'avais des amis dans ma vie, au lieu d'être seul. Je
me mis à pleurer et à leur dire combien j'étais heureux d'être là. En regardant de
plus près, je m'aperçus qu'ils étaient effectivement mes amis - Steve, Carole,
[12]
Riggs, Joe, Dominique, Jerry, Werner - et qu'ils m'entouraient. »
Dans ce rêve la lucidité du début semble s'approfondir de différentes façons. Le rêveur
est d'abord conscient de rêver (« je savais que je rêvais ») mais d'autres prises de conscience
s'inscrivent dans le sillage de cette lucidité : à la connaissance implicite qu'il a du décor et des
événements s'ajoutent brusquement de nouveaux éléments d'informations (« Je me rendis
soudainement compte de ce que j'avais à leur donner ») ainsi qu'une conscience de soi sur le
plan des émotions (« je prenais conscience de mes sentiments ») et d'une attention accrue à
l'environnement onirique (« En regardant de plus près »). Cet approfondissement conscientiel
permet alors au rêveur de « passer d'un mode symbolique, irréel, à une représentation réelle
[13]
de la vie du rêveur au milieu de ses amis » . La lucidité, en tant que conscience de rêver,
pourrait ainsi s'étendre à différentes dimensions de la vie onirique du rêveur et amènerait
alors le rêve à se transformer, à faire coïncider le contenu manifeste avec le sens latent. Dans
un tel cas, l'interprétation est inutile, non seulement parce que la dernière partie du rêve est
parfaitement claire par elle-même, mais parce qu'elle suffit également à comprendre le
passage qui précède.

Cette transformation du rêve, du symbolique au réel, prend des formes diverses. La


disparition de l'aspect symbolique du rêve est parfois tout aussi brusque que le surgissement
de la lucidité qui en est responsable. Le rêve peut également se modifier progressivement ou
partiellement, certains éléments reflétant la situation réelle tandis que d'autres demeurent
symboliques. Dans de tels rêves l'interprétation apparaît bien comme n'étant pas une règle
absolue. Parfois, ce n'est pas la transformation du rêve qui fait disparaître la nécessité de
l'interprétation mais l'action onirique qui remplace sa fonction.

L'interprétation, en effet, aussi bien dans son mode populaire que psychanalytique,
n'est jamais un but en soi mais un moyen au service de la compréhension du sens du rêve.
Mais, à son tour, cette compréhension du sens est considérée par le rêveur comme un
élément d'information destiné à améliorer sa vie. La pratique du rêve ordinaire incite
naturellement à penser que l'interprétation, qui est le premier maillon du processus informatif,
est indispensable. Mais, même en ce qui concerne le rêve ordinaire, cela n'est vrai que pour la
saisie consciente du sens du rêve. Certains rêves semblent se suffirent à eux-mêmes pour
introduire des modifications dans la vie psychique du rêveur. Bien que ce type de phénomène
n'entre pas dans le cadre théorique de la psychanalyse, on le rencontre fréquemment dans la
littérature onirique, assez souvent sous la forme de rêves qui procurent à leur auteur un
sentiment de libération ou d'accomplissement.

Durant cette semaine [...] Ned eut un rêve très net dans lequel il se trouvait
rempli d'une rage irrésistible et sans motif, comme s'il explosait littéralement.
Dans le rêve, il se tenait près d'une crique. En se penchant il vit un magnifique
poisson aux couleurs multiples apparaître dans les eaux ondoyantes. En un éclair,
Ned sauta dans la crique et donna sans relâche des coups de pied au poisson
jusqu'au moment où il fut soudainement vidé de toute colère et de toute haine.
Son moi onirique pleura alors de soulagement et il s'éveilla en se sentant dispos et
[14]
bien avec lui-même pour la première fois depuis des semaines.
De tels rêves peuvent bien sûr être interprétés, mais l'interprétation ne semble pas
ajouter quoi que ce soit au processus de transformation qui s'est opéré. Dans ce type de
rêves, le problème qui se pose au rêveur est résolu à un niveau non conscient.

Or, dans la mesure où le rêveur lucide peut interagir consciemment avec son rêve, il
semble assez normal de supposer qu'il précipite ainsi ce type de solution. Le rêve de Tholey -
qui questionne un tigre qui le poursuit et se transforme en son père - représente bien un tel
type d'interaction qui permet au rêveur d'agir tout en saisissant le sens du rêve. Mais, dans
certains cas, cette compréhension ne semble même pas nécessaire. Ainsi, lorsqu'Hervey de
Saint-Denys est poursuivi par un démon de cathédrale, il attribue ce mauvais rêve à une
perturbation organique et n'a guère besoin de saisir le sens du rêve pour mettre
définitivement fin à cette série de cauchemars (même une tentative de faire revenir ce démon
au cours d'un autre rêve lucide n'aboutit que de façon vague). Ainsi, pour que de tels rêves
fournissent leur propre solution, la prise de conscience du sens n'est pas indispensable. En
revanche, la décision consciente de faire face à son problème est beaucoup plus importante :
si la conscience lucide joue un rôle décisif, ce n'est pas tant pour la connaissance qu'elle
acquiert que pour les actes qu'elle permet.

Sous quelle forme se présente cette action ? Le plus souvent, le rêveur s'efforce de
rétablir un état d'équilibre rompu en ce sens qu'il agit de façon à mettre fin à une situation
indésirable. Cependant, il n'est pas toujours besoin pour cela d'agir oniriquement. Le seul fait
de prendre une décision en rêve suffit parfois à mettre fin à la situation pénible. Il est certain
que la lucidité facilite un comportement délibéré, comme dans le cas d'Hervey de Saint-Denys,
mais elle n'est qu'un moyen pour cela. En effet, dans certains rêves, la lucidité est en
elle-même la modification qui résulte de la prise de décision du rêveur comme dans un rêve
déjà cité dans lequel la rêveuse doit choisir entre une relation sexuelle suivie d'une
[15]
mort violente ou une existence sans vie sexuelle . C'est sa décision seule qui déclenche la
lucidité et une cascade d'autres phénomènes oniriques qui transforment complètement la
qualité perceptive et affective du rêve. De tels rêves, au cours desquels le rêveur résout ses
problèmes sans passer par l'interprétation, indiquent que cette dernière n'est pas
nécessairement le seul ni le meilleur moyen de travailler avec ses rêves. Elle peut dépanner le
rêveur ordinaire mais constituerait une sorte de "régression technologique" dans les cas de
lucidité. Sans nier la valeur du travail d'interprétation, on peut donc relativiser son importance
selon les situations oniriques. Cependant, dans certains cas, l'interprétation se révèle être un
réel obstacle.

III. L'interprétation faussante


Nous avons vu que l'acte d'interprétation suppose que le rêve apporte à l'individu une
information qu'il peut utiliser pour son propre développement psychologique lorsqu'il en a pris
conscience, cette prise de conscience constituant en elle-même une utilisation intégrative de
l'information. Cela suppose que le rêve a un sens et que ce sens est compréhensible en droit.
Cependant, nous avons vu que cette position n'entraînait pas la nécessité de l'interprétation,
particulièrement en cas de lucidité, qu'il s'agisse de comprendre le rêve ou d'obtenir une
modification psychologique. On peut alors considérer que l'interprétation n'est qu'une solution
parmi d'autres, telles que l'intuition du sens ou l'interaction onirique. Selon la situation,
certaines solutions sont plus adéquates que d'autres et l'intérêt de l'interprétation peut se
trouver relativisé. Cependant, un pas de plus peut être franchi par l'observation de cas pour
lesquels non seulement l'interprétation n'est pas la meilleure solution mais s'avère aussi ne
pas être une solution possible, que ce soit en raison des conceptions qu'elle implique ou de la
méthode qu'elle préconise.

Nous avons vu que l'interprétation trouve sa limite dans un certain nombre de cas, par
exemple lorsque le rêveur ne ressent pas le besoin d'interpréter le rêve ou encore lorsqu'il a le
sentiment qu'il n'y a pas de sens caché. Lorsque le rêve est clair, le travers interprétatif ne
devrait pas surgir. Parfois, le sens du rêve n'est pas apparent, simplement parce que le sujet
ne le place pas dans le contexte adéquat - sans pour autant qu'une interprétation soit
nécessaire. Dans le domaine des rêves ordinaires, Ann Faraday en a donné une série
[16]
d'exemples .

Je fis un rêve dans lequel la reine venait chez moi pour le thé. Nous allions nous
asseoir, quand je remarquai, à mon horreur, que ma vieille brosse était posée, les
poils en l'air, toute pleine de cheveux, sur la table. J'essayai de la faire disparaître
rapidement avant que la reine ne l'aperçoive, et je m'éveillai avec un sentiment
d'angoisse extrême. Notons que je n'étais pas la reine et que le rêve exagérait les
conséquences que j'aurais peut-être à subir pour n'avoir pas lavé ma brosse. Il
était clair qu'il me mettait en garde contre le genre de situation désagréable qui
pourrait en résulter. Une interprétation freudienne de la Reine comme symbole de
la mère n'ajouterait rien à la valeur pratique du rêve, car nous savons tous que
nos mères désapprouvent les habitudes malpropres. En fait, si le rêve avait choisi
ainsi le personnage le plus illustre qui se puisse imaginer, c'était seulement pour
[17]
mieux se faire comprendre.
Nous avons là une compréhension par intuition qui ne se produit pas au cours du rêve
mais au réveil, lorsque, dans le contexte de la vie quotidienne, le sujet saisit immédiatement
son sens. L'interprétation n'est alors pas nécessaire puisque le rêveur n'a pas le sentiment de
se heurter à quelque chose qu'il ne comprend pas.

Or, ce sentiment qu'il n'y a rien à chercher - et qui dépend ici du contexte de l'action
de veille - se trouve aussi assez souvent au cours du rêve lucide mais en fonction du
contexte de l'action onirique. On pourrait toutefois supposer que de tels rêves ont un sens
dans le contexte de la veille, même si ce sens n'est pas recherché au cours du rêve. Or, non
seulement ils apparaissent souvent comme n'ayant pas de sens clair à l'état de veille, mais de
plus l'attitude des rêveurs à leur égard indique qu'ils n'ont pas non plus de sens caché qu'il
faudrait mettre au jour. Dans le cas où le rêve n'a pas de sens apparent au réveil et où le
rêveur n'a pas le sentiment qu'il y a quelque chose à chercher, il n'est plus guère possible de
poser que tout rêve est en droit interprétable. Cela ne remet pas en question l'interprétation
comme méthode mais plutôt la théorie qui la sous-tend. C'est donc à une certaine conception
du rêve que renvoie une utilisation systématique de l'interprétation. Or, la lucidité remet en
cause certaines représentations courantes en ce domaine.

Ainsi, par exemple, il est courant d'affirmer, à la suite de Freud, que le rêve est le
gardien du sommeil. Cette affirmation a cependant fait l'objet de critiques aussi bien sur le
plan psychologique que neurobiologique et le cas du rêve lucide fournit une illustration de son
aspect dogmatique. Assez souvent, en effet, dans le cours du rêve lucide, le fait que le sujet
s'éveille ou non ne dépend pas du rêve mais du rêveur. Hervey de Saint-Denys savait secouer
le sommeil le plus profond par un effort de volonté ou prolonger ses rêves, également à
volonté. Dans d'autres cas, l'excitation d'être dans un rêve lucide tend à réveiller le rêveur qui
doit alors se livrer à un véritable apprentissage pour ne pas interrompre son sommeil. Il est
vrai que certains n'arrivent parfois pas à se réveiller malgré leurs efforts, mais ces cas sont
plutôt exceptionnels. Dans l'ensemble, il est douteux que le rêve lucide soit le gardien d'un
sommeil dont la nature est par ailleurs connue du rêveur.

L'autre affirmation la plus répandue concerne le rêve comme réalisation d'un désir. Une
telle compréhension de la nature du rêve est trop vague pour être réellement informative
puisqu'elle peut être appliquée de façon vraie à n'importe quelle action, même non onirique.
En fait, la réalisation du désir est, pour Freud, celle d'un désir inacceptable pour le conscient
et donc déformé par le travail du rêve de façon à être méconnaissable. La plupart des rêves
lucides ne correspondent pas à un tel schéma. Tout d'abord, les désirs y sont souvent affirmés
et leur satisfaction recherchée (les rêves sexuels de Garfield, les rêves agréables d'Arnold-
Forster) et, de façon générale, l'intensification de la qualité des rêves semble peu compatible
avec l'idée de refoulement et de censure (les rêves de Kelzer). Le rêve lucide donne au
contraire le sentiment que la vie onirique peut être aussi complète que la vie de veille, le
rêveur y éprouve des désirs, certes, mais pas uniquement d'un genre qu'il semble devoir
réprimer. On y trouve par exemple de la curiosité pour le sens du rêve, pour son
fonctionnement, une réflexion de type scientifique aussi bien que la simple sensation exaltante
de se sentir conscient de rêver. Le rêve lucide incite donc spontanément le rêveur à élargir sa
compréhension du rêve au-delà des limites de type psychanalytique.

En fin de compte, par son décalage avec certaines affirmations théoriques, le rêve
lucide remet en question ce qu'on peut appeler l'interprétation a priori qui suppose d'avance
ce qu'elle va trouver puis met en œuvre une méthode permettant de parvenir à ce but
préétabli. Cependant, cette critique ne remet pas en question le principe de l'interprétation
elle-même. Guidée par des conceptions plus souples ou plus adéquates, la méthode
interprétative garderait sa légitimité.

Critiquer certaines interprétations a priori, c'est-à-dire des directions d'interprétation


obligées, n'équivaut pas à en remettre en cause le principe : il apparaît nettement que
l'interprétation se justifierait plus sûrement comme méthode libre de support théorique fixe,
qu'il s'agisse de la psychanalyse ou de croyances populaires. Pourtant, dans certains cas, la
méthode interprétative peut elle aussi être mise en défaut en raison de sa nature même,
lorsque l'interprétation ne peut aboutir. La difficulté peut, bien sûr, être imputée à
l'incompétence de l'interprète et ne pas remettre en question l'idée que le rêve a un sens,
même inaccessible, mais nous avons évoqué des situations dans lesquelles le rêve est
entièrement clair pour le rêveur ou n'a pas de sens particulier et où la tentative
d'interprétation ne peut que mener à une impasse.

Comment, cependant, peut-on affirmer que certains rêves ne sont pas susceptibles
d'interprétation en raison d'une absence de sens intrinsèque ? Le sentiment du rêveur qu'il n'y
a rien à comprendre ne peut-il pas être mis en défaut ? N'y a-t-il pas simplement là un sens
qui dérobe à l'analyse jusqu'au sentiment de son existence ? Cette objection, qui ne serait
sans doute pas sans valeur dans le cas du rêve ordinaire, ne peut malgré tout pas être
retenue dans le cas du rêve lucide. En effet, certains rêves lucides n'ont pas de sens par
rapport à la vie de veille parce que, tout comme les situations de la vie de veille, ils ont leur
sens en eux-mêmes. Il n'est donc pas possible de les examiner à la lueur d'autres critères
qu'eux-mêmes. Ainsi les rêves lucides dans lesquels les rêveurs ressentent des émotions de
type extatique ne renvoient manifestement pas à la vie de veille. De même, l'intensité ou la
nouveauté de certaines sensations (sensations sexuelles d'une intensité impossible à l'état de
veille ou sentiment de voler) sont auto-référentes. Le déroulement même de certains rêves
lucides semble couper les ponts avec tout point de référence (Muldoon ou Monroe). Le rêve
lucide apparaît alors comme un autre monde qui se déploie dans le champ de la conscience du
sujet et non comme le simple reflet des préoccupations de l'état de veille.

Un autre facteur qui invalide l'absoluité de l'interprétation est la plasticité, plus ou


moins grande, du rêve lui-même lorsque le rêveur est lucide. On sait déjà depuis
l'Antiquité que le contenu du rêve peut être influencé par l'incubation ou, de nos jours, que le
[18]
fait de changer de psychanalyste tend à modifier la tonalité des rêves , mais dans ce cas on
pouvait supposer que la direction imprimée au rêve ne modifiait pas son sens profond.
Cependant, lorsque, dans le rêve lucide, le rêveur modifie au cours du rêve aussi bien ses
actes qu'une partie du décor ou des événements, il est difficile de soutenir que de telles
modifications du rêve nécessitent une interprétation. Une partie au moins du contenu du rêve
est produite directement et consciemment par le rêveur lui-même et donc échappe à la
nécessité de l'interprétation en tant qu'elle renvoie à un travail du rêve. Ce qui importe dans
ce type de rêves ce n'est pas tant un sens présumé que le comportement du rêveur.

*
En fin de compte qu'est-ce que le rêve lucide nous apprend sur la science de
l'interprétation ? Pour comprendre son apport il faut se rappeler le débat qui oppose Freud aux
savants de son époque et pour qui le rêve est par nature incohérent et dénué de sens. Pour
réfuter cette position Freud ne disposait comme outil que de l'interprétation, mais comme, par
nature, cette dernière permet toujours d'obtenir un résultat, il a implicitement admis que tous
les rêves avaient un sens et que ce sens n'était accessible que par elle. De ce fait les critiques
de Freud restent aussi peu susceptibles d'entamer les positions des savants de son époque
que ces derniers ne peuvent rendre compte de l'architecture manifestement pleine de sens de
certains rêves. D'un côté, les affirmations d'incohérence restent dogmatiques tandis que, de
l'autre, il n'est jamais sûr que l'interprétation porte bien sur le rêve, ce que montre le
deuxième niveau d'élaboration secondaire, difficulté qui culmine dans la critique adressée à
Freud par Jung.

La lucidité, par les expérimentations qu'elle permet de mener au sein du rêve, aide à
nuancer ces deux positions : d'un côté elle établit que les affirmations d'incohérence ne sont
pas toujours justifiées puisque qu'une certaine manière d'interagir avec les éléments du rêve
permet de dévoiler leur sens, entraînant parfois leur transformation sur le plan phénoménal ;
d'un autre côté elle montre que l'interprétation n'est pas toujours nécessaire, par exemple
lorsque le rêve est déjà clair pour le rêveur ou lorsque son sens échappe au contexte de la
veille (le rêve apparaît alors ininterprétable, non parce qu'il est incohérent, mais parce que
son sens se situe en dehors du champ de l'interprétation). Assez souvent le rêve lucide ne
renvoie qu'à lui-même et il est son propre domaine de sens comme l'indiquent les événements
oniriques tels que la sortie hors du corps, le vol, le sentiment d'extase ou même la lucidité
dont l'interprétation ne peut jamais être donnée de façon générale et, le plus souvent, pas
même de façon particulière. Bien sûr, certains cadres théoriques permettent de tout expliquer,
mais leur caractère irréfutable les rend justement suspects, ce qu'on peut rapidement montrer
sur un exemple.

Prenons celui de la lucidité onirique. Il est toujours possible de considérer que son
surgissement correspond à la réalisation d'un désir, mais il ne peut s'agir de celui du rêve
ordinaire car la lucidité en déréaliserait la portée. Si l'on accepte la présentation qu'en fait
Freud, la lucidité correspond plutôt à un moyen : celui de s'amuser de ses rêves ou de
résoudre une difficulté onirique ou encore de ne pas se réveiller pour ne pas interrompre le
rêve. Mais ce moyen est tout à fait disproportionné par rapport au but poursuivi dans le cas
des longs rêves puisqu'il introduit la conscience de son état. Or, dans la perspective
freudienne, deux issues logiques se présentent avec l'émergence de la lucidité : soit le rêve
continue comme auparavant et le rêveur prend alors conscience d'éléments qui ne devraient
se manifester qu'en son "absence", soit le rêve se transforme pour dissimuler la nature de ces
éléments et, dans ce cas, il n'a plus de raison de se poursuivre. Dire que la lucidité onirique
permet la réalisation d'un désir est une proposition inattaquable en soi du moment où elle
n'est pas elle-même l'objet visé car elle équivaut alors à un processus banal de l'état de
veille : la prise de conscience qui « répond toujours à une désadaptation, à une insuffisance
des mécanismes automatiques. C'est pourquoi la tendance devient consciente quand elle
subit une inhibition, quand il faut faire appel à de nouveaux moyens, faire le procès de
[19]
l'impulsion instinctive au lieu de lui obéir simplement, quand l'acte différé devient projet » .

Si l'interprétation a quelque validité, cette dernière se situe donc au-delà des systèmes
théoriques qui peuvent guider sa démarche. Mais, même lorsqu'on libère l'interprétation des
contraintes théoriques, il n'en reste pas moins qu'elle n'apparaît, pour le rêveur lucide, que
comme une sorte de processus de secours, peu efficace, pour remplacer une intuition du sens
qui serait la norme. L'interprétation n'a, en effet, de sens qu'en thérapie, lorsqu'il est trop tard
[20]
pour interagir avec le rêve et, de fait, son déroulement n'a pour but que de réactiver une
intuition du sens qui seule pourra garantir sa validité. Dans le cas du rêve lucide tout au
moins, il apparaît qu'il n'y a pas un contenu manifeste et un sens latent, l'un étant la
"traduction" de l'autre, mais plutôt un surgissement d'une même idée sous différentes formes
et accueillie par différents niveaux du psychisme. Dans le cas du rêve ordinaire, ce contenu
manifeste est approprié à l'état de conscience du rêveur puisqu'il l'accepte pleinement. S'il
devient lucide et qu'il s'étonne de ce que le rêve lui présente, soit la réponse lui est donnée
par la transformation de ce contenu manifeste qui coïncide alors avec son sens, soit, plus
simplement, l'intuition du sens lui fait comprendre comment ce contenu manifeste est une
illustration appropriée d'un sens qui désormais n'est plus latent. Sans nécessairement
remettre en question les acquis de Freud concernant le rêve ordinaire, la lucidité indique
nettement qu'ils ne permettent pas de rendre compte de tous les rêves.

§ 2. L'influence du rêve lucide sur le comportement de veille


L'interprétation dépend donc autant du cadre théorique qui la guide (qu'il soit culturel,
comme dans l'Antiquité, ou fondé sur un ensemble d'observations empiriques comme celui de
Freud) que de son mode d'utilisation qui incite à poser non seulement que le sens du rêve
existe mais qu'il est exprimable (et, par là, qu'existe également le contexte qui permet de
l'expliciter). Or, puisque le rêve lucide met en défaut de telles assertions, l'interprétation des
rêves ne peut guère plus servir directement à une investigation scientifique du rêve.
Cependant, cette difficulté semblait prévisible dans la mesure où une part d'art et d'habileté
technique entre dans le travail d'interprétation et y introduit une contingence qui compromet
d'entrée de jeu les exigences d'une analyse rigoureuse. En ce sens, les difficultés soulevées
par le rêve lucide n'ont fait que confirmer un ensemble de critiques déjà existant. En
revanche, en ce qui concerne les autres types d'investigations qui se veulent résolument
scientifiques, de telles difficultés ne devraient pas surgir, du moins quant aux outils
méthodologiques utilisés. Par exemple, la psychologie différentielle qui recherche des
corrélations entre les rêveurs lucides et un certain nombre de données observables ne peut
être soumise au même type de critiques que l'interprétation : ce sont des hypothèses précises
qui guident les recherches, hypothèses susceptibles de remises en question, et non
uniquement des concepts théoriques irréfutables.

Cependant, la méthode des corrélations, qui semble justifiée d'un point de vue objectif,
repose sur un principe selon lequel un rêveur lucide doit manifester dans son comportement
certains éléments invariants en rapport avec la capacité de rêver lucidement, ne serait-ce que
du point de vue de l'induction. Or, cette idée, qui semble assez naturelle a priori, cesse de
l'être lorsqu'on considère la vie des rêveurs. Les journaux des rêveurs lucides font en effet
état de transformations incessantes aussi bien dans leur vie onirique que dans leur
comportement éveillé et ces transformations sont attribuées au rêve lucide lui-même. L'idée
que le rêve puisse être à l'origine d'une modification comportementale n'est pas nouvelle,
mais la lucidité semble particulièrement propice à diverses sortes de modifications
psychologiques. Si ces transformations constantes sont le résultat de la lucidité, on se trouve
en présence d'une instabilité naturelle qui contredit le principe même des corrélations. La
difficulté peut néanmoins être contournée dans la mesure où, s'il n'y pas d'élément stable à
observer, les transformations elles-mêmes peuvent être promues au rang d'éléments
quantifiables - mais cela suppose que l'on sache en quoi elles consistent.

Tout d'abord, il n'est pas sûr qu'elles soient observables en termes de comportement.
Les expériences oniriques de type mystique comme celle de Kelzer ont, selon ses dires,
transformé sa vie - mais en quoi cela peut-il être observé autrement que sur la base de son
témoignage ? De plus, la tendance de la transformation ne peut être prévisible : même si,
dans l'ensemble, des transformations "heureuses" peuvent se produire à la faveur du rêve
lucide, d'autres peuvent au contraire avoir un impact "nocif" sur le rêveur. Le même rêveur
peut d'ailleurs passer par des états opposés : les transformations ne semblent donc pas suivre
de normes définies. Il se pourrait alors que non seulement les recherches effectuées en
psychologie différentielle ne puissent nous mener qu'à des conclusions très approximatives,
mais que, plus encore, elles ne soient pas réellement justifiées tant qu'elles ne prennent pas
complètement en compte les transformations par lesquelles passe le rêveur lucide. Mais pour
cela il faudrait en connaître les lois.

Dans l'ensemble, le problème surgit parce que l'on veut appliquer au rêve lucide, de
façon rigide, les méthodes de la psychologie différentielle avant même de s'assurer qu'une
telle démarche est justifiée. Or, plutôt que de plaquer abruptement les méthodes d'une
science donnée sur un terrain neuf, ne serait-il pas plus judicieux de partir de ce terrain
même, de ce que l'on sait de la lucidité onirique, des rêves lucides et des observations faites
par les rêveurs lucides pour mieux comprendre quelles sont les méthodes nécessaires à une
investigation statistique ? La psychologie différentielle devrait donc élaborer sa méthode en
fonction de son objet, les rêveurs lucides, et se livrer à quelques suppositions préalables. Ainsi
il se pourrait que la corrélation entre le contenu du rêve lucide et le comportement s'avère
plus significative que la mise en rapport du comportement avec le seul fait d'être rêveur
lucide. Donc, pour dégager des éléments de corrélation viables, il convient de s'intéresser
avant tout empiriquement aux transformations décrites par les sujets et à leurs mécanismes.
Si on arrive en effet à saisir ce qui est transformé pour le rêveur sous l'effet de la lucidité et
de quelle façon cette transformation a lieu, on se concentre sur un aspect essentiel de la
lucidité onirique. Si des corrélations comportementales peuvent être trouvées par ce biais,
elles seront probablement moins arbitraires que celles recherchées a priori.

C'est donc des types de transformations les plus couramment constatés (ou tout au
moins affirmés) qu'il faut partir pour déterminer les corrélations signifiantes. Mais ils ne sont
peut-être pas tous pertinents. Ainsi, il semble assez logique de supposer que les
transformations opérées spontanément sur le rêveur lucide (comme dans le cas de Kelzer)
sont plus significatives que celles délibérément recherchées (comme dans le cas d'Arnold-
Forster). De plus, celles constatées par les sujets doivent correspondre à des modifications
observables de l'état de veille qui puissent se prêter à une étude différentielle. En ne retenant
parmi les récits des rêveurs que ce qui se prête à l'observation, on se rend compte que des
informations qui devraient pouvoir être quantifiées concernent aussi bien le changement de
caractère que la modification des habitudes ou le développement de capacités physiques.

I. La transformation du caractère du rêveur


Un événement onirique lucide peut parfois être à l'origine d'une modification dans la
façon d'appréhender l'existence, comme le suggère le rêve de Gennadius, ou même d'une
transformation du caractère. Il est probable que la lucidité permet alors à l'événement
onirique d'avoir un impact équivalent à celui d'une situation de l'état de veille qui serait
susceptible de déclencher une même transformation. Son effet est d'ailleurs variable tant dans
sa portée que dans sa durée et il affecte autant l'état d'esprit affectif que la vie relationnelle
du sujet.

Un état d'esprit affectif particulier ne peut être corrélé de façon essentielle avec la
lucidité, que ce soit en tant que trait de caractère (l'expérience montre que les rêveurs lucides
se rencontrent aussi bien parmi les gens dépressifs que ceux heureux de vivre) ou effet
modificateur (si certains rêves lucides procurent un sentiment de joie extatique qui persiste au
réveil, d'autres laissent une impression désagréable, voire franchement terrifiante - et
durable). Ce n'est donc pas tant un type d'influence que la persistance d'un état qui nous
intéresse ici. Nous avons eu l'occasion de rapporter plusieurs rêves lucides dont l'effet sur
l'humeur du rêveur était tout à fait net. Dans ces cas, il semble que la lucidité serve en
quelque sorte de moyen de transition pour permettre à une émotion ayant surgie au cours du
rêve de persister à l'état de veille. En effet, dans les rêves ordinaires, les émotions oniriques,
même les plus vives, s'effacent au réveil - les exemples de sujets qui s'éveillent avec
soulagement des songes pénibles ou qui quittent à regret des rêves enchanteurs sont légion :
l'émotion ressentie s'atténue alors avec l'éloignement du souvenir du rêve. En revanche, dans
le cas du rêve lucide, cette émotion semble acquérir une vie indépendante qui survit au
souvenir.

Les récits que nous donnent les rêveurs lucides ne font état le plus souvent que de
[21]
l'intensité de l'émotion ressentie au réveil (par exemple LaBerge et le génie du printemps )
- qui leur apparaît comme un phénomène distinguant nettement le rêve lucide du rêve
ordinaire - mais ils ne donnent pas toujours d'indication sur l'impact à plus long terme de
l'émotion ressentie (mais, même si cet impact était bref, il resterait suffisamment
remarquable pour inciter à rechercher si ces mêmes rêveurs sont, dans d'autres circonstances,
sujets à des variations affectives importantes). Dans certains cas, les rêveurs ont laissé des
indications concernant la durée de l'effet produit, effet qui peut manifestement se prolonger
sur plusieurs jours (« Il y a de cela six jours et, depuis, un sentiment de joie bouillonnante n'a
[22]
cessé de m'habiter » ), ce qui incite à penser que ce phénomène dépasse les simples
modifications d'humeur qui se produisent tout au long de la journée. Il s'agit alors non pas
d'un état variable et superficiel mais d'une modification de la personnalité beaucoup plus
profonde. De telles expériences suggèrent, également, que soit recherchée une corrélation
entre les rêveurs lucides et les sujets susceptibles de modification persistante du caractère à
la suite d'expériences oniriques.

De telles transformations, difficiles à cerner sans le témoignage du rêveur, sont plus


facilement observables quand elles concernent la vie relationnelle. Mais, là encore, si le rêve
lucide peut modifier profondément le comportement relationnel, il faut trouver l'élément
invariant de cette modification, faute de quoi il sera impossible de mettre en rapport le rêveur
lucide avec des caractéristiques précises. Ici aussi, il semble plus judicieux de s'intéresser aux
caractéristiques du processus de transformation. Comme dans le cas précédent, de tels rêves
sont probablement le résultat d'une évolution inconsciente qui se cristallise brusquement au
cours d'un rêve lucide plutôt que dans une crise existentielle. Ces rêves sont fréquemment
rapportés dans la littérature et prennent des formes très variées. Certains sont présentés
comme bénéfiques lorsqu'ils donnent au sujet la capacité d'affronter une situation qui lui
semblait précédemment insurmontable - grâce au calme que lui a procuré l'expérience
onirique, par exemple :

Je fais des études musicales avec l'intention de devenir un musicien


professionnel (cor d'harmonie). Il s'agissait pour moi de me défaire de la crainte de
jouer en public. A plusieurs reprises, je pratiquai une détente complète du corps et
de l'esprit, me concentrant sur le désir de faire un rêve où je jouerais devant un
public nombreux, sans nervosité et en maîtrisant mon anxiété. La troisième nuit de
cette expérience, je fis un rêve lucide. Je donnais, seul et sans accompagnement,
un récital à l'Orchestra Hall de Chicago. Je n'éprouvais aucun trac ; à chaque note,
ma confiance en moi-même augmentait. Je jouais une œuvre que je n'avais
entendue qu'une seule fois (et que je n'avais jamais tenté d'exécuter réellement).
Je m'en sortis à la perfection. L'ovation que je reçus de la foule ajouta encore à
mon assurance. A mon réveil, je notai brièvement mon rêve, ainsi que le titre du
morceau que j'avais joué. Le jour suivant, lors de ma pratique quotidienne, je
parvins d'emblée à lire ce morceau et à le jouer presque parfaitement, avec tous
ses traits musicaux. Pour arriver à un résultat à peu près semblable avec des
œuvres du même genre, il m'avait fallu, précédemment, quatre ou cinq heures de
pratique.
Environ deux semaines plus tard - il y avait eu entre temps d'autres concerts en
rêve lucide - je jouai, avec l'orchestre, la 5ème symphonie de Shoskatovich. Je
n'éprouvai aucune inquiétude gênante et je m'en tirai extrêmement bien. Le fait
d'avoir pratiqué mon instrument dans les rêves lucides influait, apparemment, sur
ma façon d'exécuter ce morceau. Actuellement, j'atteins un niveau de
concentration bien plus élevé qu'autrefois et je contrôle, presque sans défaillance,
[25]
mon ancienne nervosité.
Insistons sur ce point que tous les rêves lucides qui induisent une transformation du
comportement ne sont pas nécessairement bénéfiques (un de nos sujets, par exemple, a vécu
une expérience de lucidité qui l'a laissé incapable de communiquer avec son entourage
pendant plusieurs jours) - et qu'il n'est guère plus question ici de mesurer une "évolution"
psychologique que de corréler la lucidité avec des traits particuliers du comportement
relationnel. Ce que nous voulons souligner ici, en terme de processus, c'est que la
transformation s'opère assez souvent en fonction d'une intention préalable : en sus de ce qui
apparaît comme une transformation assez brusque, on trouve chez les sujets la capacité de se
focaliser sur l'idée d'un changement psychologique, et c'est sans doute là un point de
corrélation fiable (toutefois il faut reconnaître que, d'une façon générale, les phénomènes
existentiels qui modifient le caractère sont assez difficiles à cerner sur le plan scientifique).
II. La transformation des habitudes
La littérature sur le rêve lucide signale également des rêves qui provoquent des
transformations des habitudes de vie. Si, comme le croient certains (Faraday), le rêve lucide
résulte d'une évolution psychologique onirique, ces transformations devraient refléter cette
évolution sur un plan comportemental. En réalité, les modifications des habitudes de vie
enregistrées à la suite de rêves lucides semblent trop diverses pour qu'une évolution puisse
s'y discerner. Tout au plus constate-t-on qu'une habitude est effectivement sujette à se
modifier, que le rêveur l'ait souhaité ou non. Mais le rôle de la lucidité est tout à fait différent
selon que l'impulsion vient du rêve ou du rêveur.

L'impulsion donnée par le rêve est un événement onirique qui fait sur le rêveur une
impression telle qu'il change des habitudes qu'il n'aurait pas modifiées autrement. Le rêve de
Dement concernant ses poumons constitue un exemple typique - mais rare - d'influence d'un
rêve ordinaire sur une habitude :

« Voici quelques années je fumais énormément - plus de deux paquets par jour.
Puis une nuit, je fis un rêve exceptionnellement net et réaliste, dans lequel j'étais
atteint d'un cancer inopérable du poumon. Je me revois comme si c'était hier
regardant l'ombre sinistre sur les radios de ma poitrine, et comprenant que tout le
poumon droit était infiltré. L'examen physique à la suite duquel un de mes
collègues détectait des métastases jusque dans ma zone axillaire et mes ganglions
lymphatiques inguinaux était également très net. J'expérimentais l'épouvantable
angoisse de savoir que ma vie tirait à sa fin, que je ne verrais jamais grandir mes
enfants, et que rien de tout cela ne serait arrivé si j'avais abandonné la cigarette la
première fois où j'avais entendu parler de son pouvoir cancérigène. Je n'oublierai
jamais la surprise, la joie et le soulagement merveilleux que j'éprouvai à mon
réveil. Je me sentais ressuscité. Il va sans dire que l'expérience me suffit à me
[26]
faire abandonner le tabac. »
Ce rêve n'aurait eu aucune influence sur Dement s'il avait été lucide car il était
nécessaire que le rêveur croie à la réalité de sa situation (« je fis un rêve exceptionnellement
net et réaliste ») pour être secoué de façon "salutaire" (« J'expérimentais l'épouvantable
angoisse de savoir que ma vie tirait à sa fin »). Ici l'angoisse du rêve ne passe pas dans l'état
de veille mais au contraire se transforme en soulagement (« Je n'oublierai jamais la surprise,
la joie et le soulagement merveilleux que j'éprouvai à mon réveil. Je me sentais ressuscité »).
L'impulsion donnée par le rêve pour modifier une attitude de veille est incompatible avec la
lucidité par son mécanisme de transformation. Ce qu'il faut chercher à corréler c'est donc bien
là aussi la capacité du rêveur à provoquer la transformation plutôt que sa simple existence.

Lorsque la transformation est sollicitée par le sujet lui-même, il devient possible d'en
étudier à la fois le mécanisme et l'impact puisqu'on dispose de l'état initial qui servira à
évaluer les changements. La façon de modifier volontairement ses habitudes de vie par le
biais du rêve lucide diffère selon les individus. Une attitude de type compensatoire en rêve
semble bien favoriser une modification des habitudes de veille. Une rêveuse lucide s'est ainsi
appuyée sur ses rêves pour pouvoir suivre un régime : « Sachant que mes principales
ennemies étaient ces calories, superflues quoique fort appréciées, il me fallait satisfaire mon
appétit tout en évitant les désagréables effets secondaires. "Calories, congruité, coût." Il n'y
avait qu'un seul lieu où je pourrais équilibrer ces termes et faire peut-être mieux encore, un
seul endroit où je pourrais consommer une variété illimitée de nourritures en choisissant
moi-même les conditions et l'environnement. Cet endroit, je le connaissais bien, il existait
dans mon imaginaire, et seulement là. Il n'avait pour bornes que celles que je voulais bien lui
imposer et cela comportait un certain nombre d'avantages. Ma théorie se fondait sur l'idée
que, si je parvenais à satisfaire mentalement mon appétit, mon corps s'en trouverait, du
[27]
même coup, contenté. J'essayai donc quelques rêves pour voir ce qui se passerait » .

En règle générale, imaginer que l'on mange ne fait que rendre un régime plus
intolérable. En revanche le rêve lucide, par son réalisme, donne un sentiment de satisfaction
physiquement ressenti (oniriquement) par le sujet, ce dont la rêveuse fournit ici l'exemple.

Je suis assise devant une immense table de bois grossièrement taillé. J'ai pour
voisins immédiats, sur ma gauche un homme d'une taille et d'un embonpoint
prodigieux, sur ma droite une jeune fille délicate et fine, vêtue comme une
princesse du royaume des fées. Je sors un instant de moi-même et je vois que je
suis vêtue d'une magnifique robe d'un ton bleu-glacier très doux, recouverte de
dentelles. Je suis très contente de me voir si bien mise. Je suis tout à fait
consciente de rêver et cela me donne un merveilleux sentiment de contrôler la
situation.
Dans le sommeil, comme dans la veille, cela seul suffirait à influencer
positivement mon état d'esprit. Je jette un regard circulaire sur les visages de mes
commensaux. Ce sont des personnages royaux du Moyen Age. Ils enfournent sans
contrainte, et même avec enthousiasme, un repas dont les plats principaux
semblent être du porc et de la dinde rôtis. Je hume avec délice le fumet de ces
viandes. Je m'y mets à mon tour. Abandonnant toute prétention aux bonnes
manières, je tends le bras et j'arrache sauvagement un pilon à ce qui reste de la
dinde. Jouissant intensément de cette nourriture dont les goûts et les consistances
sont tout à fait équivalents à ceux que je connais à l'état de veille, je me laisse
aller sans frein, pendant des heures, me semble-t-il. Je me souviens d'avoir été
distraite par les manières de table de mes voisins. La conversation paraissait
limitée à des bruits appréciatifs, claquements de lèvres, grognements de
satisfaction. C'était, pour moi, une ambiance familière, car je suis directrice d'un
service social qui distribue des repas journaliers. Je commençais même à me sentir
[28]
trop nourrie.
Dans ce type de situation ce n'est pas seulement l'émotion qui passe du rêve à l'état de
veille, mais une impression quasi-physique : « Quand je m'éveillai, il me fallut un moment
pour comprendre qu'en fait, je n'avais pas besoin de bicarbonate. J'avais la sensation que
donne un estomac très plein, et je puis dire que pendant plusieurs heures après ce festin
[29]
nocturne, j'éprouvai un sentiment de grand bien-être » . Le changement de conduite est
donc nettement provoquée par une attitude compensatoire en rêve. Plus exactement, la
rêveuse ne modifie pas ses habitudes mais les transpose ailleurs.
Néanmoins, tous les changements volontaires ne prennent pas nécessairement cet
aspect compensatoire. Certains rêves autorisent une modification d'habitude de façon tout à
fait inverse : le rêveur acquiert d'abord en rêve les nouvelles habitudes qu'il va manifester à
l'état de veille. Ce phénomène est surtout repérable pour les tâches physiques qui demandent
un apprentissage.

III. Les transformations de l'habileté physique


Généralement, l'habileté dont fait preuve un rêveur en rêve est considérée soit comme
un reflet de ce qu'il sait faire à l'état de veille, soit comme une capacité imaginaire qui
appartient ou non au domaine du possible. Pourtant la littérature sur le rêve présente des cas
d'aptitudes physiques qui semblent se manifester à la suite de rêves lucides, indiquant par là
qu'un apprentissage pourrait se faire au cours même du rêve. Laberge donne l'exemple d'un
tel rêve en ce qui concerne des capacités sportives :

« Une rêveuse affirme avoir amélioré, par un rêve lucide, sa manière de patiner
en hockey sur glace. Tanya raconte qu'elle était une patineuse honnête, mais
quelque chose en elle lui disait qu'elle végétait - qu'il lui restait beaucoup à
découvrir sur le patinage. Et puis une nuit, en rêve lucide, elle fit l'expérience du
"patinage accompli".
« "En rêve, j'étais sur une patinoire avec un certain nombre d'autres personnes.
Nous disputions une partie de hockey et je patinais comme je l'avais toujours fait,
de manière efficace mais hésitante. C'est alors que je pris conscience de rêver et
donc autorisai ma connaissance supérieure à prendre les rênes de ma conscience.
Je m'abandonnai au brio d'un patinage accompli. La peur et l'hésitation avaient
subitement disparu ; je patinai comme une pro et me sentais aussi libre qu'un
oiseau.
« "Quand je suis retournée à la patinoire, j'ai décidé d'essayer cette technique
du lâcher prise. J'ai retrouvé à l'état de veille la qualité de l'expérience onirique.
Me souvenant de la manière dont je m'étais sentie durant mon rêve et, comme un
acteur dans un rôle, je suis 'redevenue' une patineuse accomplie. Je me suis
lancée alors sur la glace … et mes pieds ont suivi mon cœur. J'étais libre. Cela se
passait il y a environ deux ans et demi. Dès lors, j'ai toujours patiné avec cette
liberté, et le même phénomène s'est reproduit spontanément pour le patin à
[30]
roulettes et le ski" » .
L'examen de ce type de rêves montre cependant qu'il ne s'agit pas de l'acquisition d'une
capacité radicalement nouvelle mais le plus souvent d'un perfectionnement, ce qui laisse
entendre que la potentialité d'amélioration était déjà présente chez le rêveur mais qu'il ne la
manifestait pas. Considérés sous cet angle, de tels rêves sont compréhensibles : il est bien
connu que certaines personnes progressent régulièrement et lentement tandis que d'autres
stagnent puis font brusquement un bond qualitatif. Ce phénomène de développement brusque
pourrait lui aussi faire l'objet d'une corrélation. Il indique que, plutôt que de se contenter
uniquement de chercher à corréler l'existence de la lucidité et le comportement des sujets (ici
leur modification) à l'état de veille, il conviendrait de prendre en compte le
comportement onirique et son développement. On pourrait ainsi se demander si les rêveurs
lucides tendent ou non à faire plus preuve d'habilités équivalentes à leurs prouesses oniriques
(lorsque la chose est possible) que les non lucides.

Dans certains cas, cependant, on a le sentiment non pas que le rêveur se sert du
tremplin du rêve pour essayer une capacité qui se serait développée subconsciemment, mais
qu'il s'entraîne effectivement durant le rêve.

Le saut à ski, avec son fort déplacement du centre de gravité vers l'arrière,
m'avait toujours fait peur. Je tombais continuellement et je rentrais au chalet
couvert de bleus. L'été qui suivit mon apprentissage du rêve lucide, je commençai
à rêver que je skiais en terrain montueux. J'utilisais souvent les bosses pour
m'envoler ; puis, il y eu dans ces rêves un moment où je me mis à me pencher en
arrière, juste avant la bosse, déchargeant ainsi les skis de mon poids pour changer
la direction de mes talons. C'était très amusant à faire. Après quelques semaines,
dans un rêve lucide, il me parut évident que ces mouvements étaient ceux qu'il
fallait exécuter pour le saut. L'hiver suivant, pendant les vacances de neige, je pris
des cours et maîtrisai la technique du saut en une semaine. Je suis absolument
[31]
certain que cette réussite était liée à mes exercices nocturnes.
Ici, non seulement il faut du temps au rêveur pour acquérir une certaine habileté, mais
cette acquisition n'est pas parallèle à une pratique effective du sport en question. On peut
néanmoins admettre ce type de récit car, même sans en avoir de pratique, le skieur connaît le
principe qui devrait le mener à la réalisation de la technique. De ce point vue, le rêve lucide
réalise une intégration motrice d'une technique connue seulement de façon visuelle.

Ainsi, puisque la manifestation d'habiletés mentales ou physiques peut varier en


fonction des rêves lucides qui aident à les manifester, il devient net qu'une corrélation entre la
lucidité et de telles habiletés (équilibre, rotation mentale, etc…) n'est peut-être pas aussi
pertinente qu'elle pouvait le paraître au départ et que d'autres explications seraient
envisageables. Ce serait par exemple le type de concentration auquel obligent l'équilibre et
la rotation mentale qui déterminerait la capacité à rêver lucidement et qui pourrait être
examiné sur des activités différentes - et que tous les rêveurs lucides ne manifesteraient pas
nécessairement en fonction des tâches choisies par le psychologue. L'étude de tels rêves de
bond qualitatif dans une habileté pourrait bien être le moyen le plus sûr de déterminer ce type
de concentration.

§3. Incidences de l'étude du rêve lucide sur la psychophysiologie


Lorsqu'on prend du recul par rapport à l'ensemble des recherches scientifiques menées
sur le rêve lucide, il apparaît que c'est l'approche psychophysiologique qui s'avère la plus
fructueuse tant sur le plan des expérimentations possibles que sur celui de la mise au point
d'hypothèses susceptibles de vérification. Le principe de l'étude du rêve en laboratoire
consiste, de façon générale, à mettre en rapport l'existence ou même le contenu du rêve avec
des phénomènes physiologiques observables. La lucidité a permis d'affiner ce type
d'exploration à l'aide des signaux envoyés volontairement par le rêveur pour situer la place du
rêve lucide dans le sommeil, évaluer l'écoulement du temps onirique ou les effets
physiologiques de certaines situations oniriques particulières. Même les problèmes techniques
auxquels se heurte la psychophysiologie (la difficulté de trouver des sujets expérimentés et la
limitation des instruments) ne sont pas insurmontables si l'on considère que le nombre des
rêveurs lucides augmente en raison de la vulgarisation des techniques d'induction ou que les
méthodes d'enregistrement progressent rapidement (ce qu'indique le passage de l'EEG
classique à la cartographie cérébrale). Ce genre de recherche devrait donc être appelé à se
développer pour peu qu'il suscite l'intérêt des psychophysiologistes.

Cependant, cet intérêt ne croîtra probablement que dans la mesure où le rêve lucide
fera lui-même progresser la psychophysiologie du rêve. Or, si la recherche en laboratoire a
permis d'amorcer une étude psychophysiologique du rêve lucide qui a produit des résultats
expérimentaux et reproductibles, le rêve lucide peut-il à son tour être utilisé pour approfondir
l'ensemble de la recherche en laboratoire sur le rêve, soit en consolidant les acquis obtenus au
cours d'études déjà menées sur le rêve en général, soit en aidant à la résolution des points
habituellement controversés ? Techniquement, au-delà de l'étude du rêve lucide proprement
dit, non seulement les résultats déjà obtenus peuvent être réexaminés en fonction de
problèmes plus généraux, mais aussi les expérimentations peuvent être orientées de façon à
mettre la lucidité à contribution en vue de la résolution de tels problèmes. Il semble donc
logique de s'aider du rêve lucide pour participer à l'élucidation de points controversés parmi
les chercheurs.

Malgré cela, des objections peuvent s'élever contre la légitimité d'un tel usage de la
lucidité. D'un côté, en effet, il est possible que les travaux sur le rêve lucide ne renseignent
que sur lui et ne soient pas généralisables à l'ensemble des rêves ; de l'autre il s'avère que la
lucidité n'est pas observable indépendamment de la volonté du sujet qui communique avec le
laboratoire puisque, nous l'avons vu, un tracé distinctif de la lucidité n'a pu être trouvé. Dans
ces conditions, n'est-il pas trop tôt pour prendre en compte les acquis des recherches déjà
effectuées ? Ces deux objections ne sont toutefois pas recevables. Dans le premier cas on ne
peut opposer une catégorie de rêves à une autre dans la mesure où les caractéristiques
permettant de la reconnaître comme rêve sont respectées (polygraphiques du côté de
l'expérimentateur et phénoménologiques du côté du sujet). Si donc des résultats d'un certain
type sont obtenus avec le rêve lucide, ils concernent bel et bien le rêve en tant que catégorie
générale, même si l'on peut envisager de considérer différents groupes de rêves. Dans le
deuxième cas, la conscience de rêver dont fait preuve le sujet qui dort n'est pas plus sujette à
caution que la conscience d'être éveillé que l'on pense constater chez le même sujet en dehors
des période de sommeil puisqu'elle se manifeste de la même façon, c'est-à-dire de façon
volontaire. En effet, nous ne savons réellement que quelqu'un est conscient de son
environnement que lorsqu'il réagit ou agit volontairement. Du point de vue de la stricte
observation, l'attribution de la conscience de soi n'est, en dehors de ces cas d'actions
délibérées, qu'une hypothèse philosophique invérifiable. Si donc on adopte une certaine
conduite vis à vis des évaluations que l'on fait pour l'état de veille, il n'y a guère de raison que
cette même conduite ne soit pas adoptée pour ce qui concerne le sommeil et le rêve. Donc le
rêve lucide peut, en principe, être utilisé pour affiner la recherche. Il reste cependant à savoir
si, dans la pratique, il apporte ou non des données nouvelles permettant, sinon de résoudre,
du moins d'aider à la résolution de points habituellement controversés.

Ces points controversés que l'on se propose d'éclairer par les travaux sur le rêve lucide
sont de deux sortes : ceux qui préexistent au rêve lucide et ceux qui peuvent surgir à
l'occasion des expérimentations sur le rêve lucide, remettant alors en question certaines
conceptions jusque là admises. Ils concernent aussi bien l'objet de la recherche, le rêve, que
le statut du sujet qui rêve dans l'expérimentation.

I. Les éléments de corrélation physiologiques des actions oniriques


Les travaux menés jusqu'ici en laboratoire sur le rêve lucide sont avant tout des
travaux sur les effets physiologiques des actions oniriques du rêveur. C'est donc
principalement sur ce terrain que l'on peut s'attendre à ce qu'ils aident à l'élucidation des
points controversés. L'un des plus célèbres est probablement l'hypothèse dite "du balayage"
[32]
proposée par Dement et Kleitman selon laquelle les mouvements oculaires rapides qui
indiquent l'apparition du rêve sont également en rapport avec l'imagerie onirique. Dans son
livre Dormir, rêver Dement rapporte l'histoire de cette recherche et donne un exemple de la
méthode utilisée : « je contrôlais les tracés de l'EOG surgissant sur le polygraphe. Quand je
détectais un schéma spécifique et cependant assez simple de mouvements oculaires, je
réveillais le sujet au moyen d'un vibreur. Ce dernier racontait alors son rêve à Roffwarg qui
essayait ensuite de reconstituer la succession des mouvements oculaires en se basant sur
[33]
l'activité onirique décrite par le sujet » . Dement donne un exemple de dialogue entre
Roffwarg et le sujet :

« Vers la fin du rêve, je montais l'escalier de derrière d'une vieille maison.


J'avais un chat dans les bras.
« - Regardiez-vous le chat ?
« - Non. J'étais suivie par le danseur espagnol Escudero. Il m'agaçait et je
refusais de me retourner comme de lui parler. Je marchais à la manière d'une
danseuse, la tête haute tout en jetant un coup d'oeil à chaque marche que je
gravissais.
« - Combien y en avait-il ?
« - Cinq ou six.
« - Et ensuite, qu'est-il arrivé ?
« - J'ai atteint le haut de l'escalier et me suis dirigée tout droit vers un groupe
prêt à entamer une danse circulaire.
« - Avez-vous parcouru ces gens du regard ?
« - Je ne crois pas. Je regardais droit devant moi, vers mon vis-à-vis. Et je me
suis réveillée.
« - Combien de temps s'était-il écoulé entre le moment où vous avez atteint le
haut de l'escalier et la fin du rêve ?
[34]
« - Quelques secondes tout au plus. »
La comparaison du récit du rêve, que l'on fait préciser par le sujet, aux tracés
polygraphiques semble bien en accord avec l'hypothèse du balayage : « Sur la base de cet
interrogatoire Roffwarg supposa "qu'il devrait y avoir une série de cinq mouvements oculaires
verticaux pendant qu'elle tenait la tête droite en montant les marches. Puis, durant quelques
secondes, juste avant l'éveil, il ne devait y avoir eu que quelques petits mouvements
horizontaux". Le tracé de l'EOG montra que la direction des mouvements des yeux et leur
[35]
suite chronologique étaient exactement telles que Roffwarg les avaient reconstituées » . Les
nombreux travaux menés par Dement et ses collègues se sont révélés très convaincants quant
à l'existence d'une correspondance précise entre les mouvements oculaires rapides et la
direction du regard du rêveur.

Cependant, selon d'autres études, cette correspondance s'avère faible, voire


[36]
inexistante : l'expérimentation ne permet apparemment pas de conclure. De la même
façon, les diverses objections faites à l'encontre de cette hypothèse ne s'avèrent ni
déterminantes ni rejetables. Par exemple, l'existence de mouvements oculaires rapides chez
les nouveaux nés ou chez les aveugles de naissance qui jette un doute sur la justesse de
l'hypothèse du balayage ne l'infirme pas nécessairement : « Leurs conclusions ne contredisent
pas l'hypothèse du balayage visuel. Pour prendre un exemple dans un domaine apparenté, les
mouvements buccaux ne sont pas nécessairement coordonnés, chez les adultes, avec le fait
de parler. Poussant plus loin l'analogie, nous dirions que, s'il existe, en certains cas, une
correspondance entre les mouvements de la bouche et la parole, cela ne signifie pas qu'il en
est toujours ainsi, ni que tous les mouvements d'yeux sont en corrélation avec des
changements de direction du regard dans les rêves.

« Notons par ailleurs, qu'à l'état de veille, tous les mouvements d'yeux ne
correspondent pas au fait de regarder, certains se rapportant apparemment à des processus
cognitifs non visuels, comme ceux que l'on observe lors de la résolution d'un problème. […] Le
[37]
même principe doit pouvoir s'appliquer au rêve » .

De plus, indépendamment de la forme que prennent les objections, les


expérimentations qu'elles permettent se sont elles aussi révélées contradictoires : certaines
d'entre elles montrent que les aveugles n'ont pas de mouvements oculaires pendant le
sommeil paradoxal, tandis que d'autres indiquent que c'est le cas. De même, en ce qui
concerne les animaux, les singes présentent des mouvements oculaires oniriques similaires à
ceux du balayage, tandis que ceux des chats diffèrent, au cours du sommeil, de ceux de
l'éveil.

Dans une telle situation, la difficulté que rencontre la recherche en laboratoire provient
essentiellement de la méthode adoptée. Il s'agit avant tout de savoir ce qui, dans les
mouvements oculaires, peut être corrélé avec un déplacement du regard onirique. Or, cela
suppose, par exemple, que l'on connaisse les deux termes de la comparaison, ce dont la
plupart des recherches n'a pas tenu compte : « Un aspect de nos études précédentes nous
tracassait, et c'était le postulat suivant : si l'hypothèse "du balayage" est valable, on doit être
en mesure d'interpréter les mouvements oculaires avec une précision atteignant les 100%. Ce
qui implique qu'a fortiori une telle précision est possible en état de veille où nos souvenirs
d'activité visuelle sont présumés excellents. Nous décidâmes alors de nous livrer à deux
études simultanées : l'une en état de veille et l'autre durant le sommeil. […] A partir [des
données obtenues] nous fîmes une découverte stupéfiante : il n'existait pas de différences
significatives entre les résultats obtenus durant l'éveil et ceux obtenus durant les périodes de
sommeil paradoxal! Même durant l'éveil, nous ne pouvions retrouver les mouvements
oculaires avec une totale précision. Ce qui démontrait clairement que des résultats négatifs
pouvaient survenir même en état de veille, pour peu que le chercheur se limite à un nombre
restreint d'essais. Pendant près de vingt ans donc, nous avions présumé, tout comme d'autres
confrères, qu'un haut niveau de corrélation serait facile à démontrer en période d'éveil - et
[38]
nous nous étions trompés » .

On n'est donc à même de savoir dans quelle mesure l'expérimentation est informative
qu'à partir du moment où le problème est correctement posé. Dement semble conclure qu'en
raison de l'absence de précision totale l'expérimentation n'est guère possible. Mais la lucidité
onirique peut changer les données du problème. En effet, dans la mesure où, à l'état de veille,
les mouvements volontaires des yeux peuvent faire l'objet d'une observation totalement
précise, l'hypothèse d'une différence entre deux types de mouvements oculaires peut alors,
dans le cas où intervient la lucidité, jouer en faveur de l'expérimentation plutôt qu'à son
encontre : « Les mouvements d'yeux volontaires en rêve déterminent des
mouvements équivalents des yeux physiques. En d'autres termes, si je dirige
volontairement mes regards sur un événement rêvé, l'orientation de ces regards de rêve
s'accordera exactement avec les mouvements de mes yeux physiques. Si je laisse errer mon
regard, cette correspondance peut être très vague.

« Au cours des expériences pilotes dans lesquelles l'auteur (SL) était le sujet rêvant,
cette hypothèse est apparue comme vraisemblable. A neuf occasions différentes, SL fit en
rêve des suites de mouvements d'yeux verticaux (pendant le sommeil paradoxal) ; les neuf
polysomnogrammes enregistrèrent des mouvements oculaires correspondants ainsi que des
artefacts à l'EEG. Au cours de deux rêves lucides, SL déclencha, à partir de son poignet, des
signaux d'EMG suivis par des périodes subjectives de regards fixes d'une durée d'environ dix
secondes qu'il estimait par comptage et se terminant par une nouvelle série de signaux d'EMG
au poignet. L'examen des polysomnogrammes montre, dans les deux cas, un passage sans
mouvements oculaires, précédé et suivi d'un signal d'EMG. […] La durée réelle de ces deux
périodes était de 11,5 et de 14,5 secondes respectivement.
« Ces résultats suggèrent que la poursuite d'une expérimentation de ce genre pourrait
[39]
être fort intéressante » .

Ce type d'expérience était important aussi bien pour l'hypothèse du balayage que pour
le rêve lucide lui-même. En effet, s'il s'était avéré que la forme du signal physique n'était pas
identique au signal onirique, les expériences pouvant être menées sur le rêve lucide auraient
été bien plus restreintes.

Dans l'ensemble, la grande quantité de signaux oculaires volontaires observés depuis


les expériences de Hearne et de LaBerge confirment l'hypothèse du balayage pour les
mouvements volontaires. Cependant, malgré cela, le doute subsiste pour les mouvements
oculaires involontaires précis, c'est-à-dire ceux que le rêveur ressent nettement en rêve sans
les avoir commandés mais qui correspondent à une "stimulation" onirique. Certaines
expérimentations permettent sans doute de répondre à cette question dans la mesure où les
mouvements des yeux ne sont pas déclenchés volontairement par le rêveur mais résultent
d'un autre type d'action volontaire. Mais il n'est certes pas toujours facile de tracer une
démarcation entre le volontaire et l'involontaire : « Lors d'une autre expérience, Worsley avait
décidé de rêver qu'il déplaçait son doigt en un mouvement uniforme d'aller et retour et qu'il le
suivait des yeux. Il s'agissait de savoir s'il parviendrait à exécuter un mouvement de balayage
lent avec ses yeux physiques. Les mouvements oculaires sont contrôlés par un centre
spécialisé situé dans le lobe frontal. Il est très difficile de les produire en l'absence d'un
stimulus "réel" […]. L'enregistrement montra que les mouvements oculaires de
Worsley correspondaient à ceux qu'il aurait faits, à l'état de veille, en suivant des yeux un
objet mobile. Cela démontre que des mouvements oculaires volontaires d'une grande
précision sont possibles pendant le sommeil paradoxal. On voit, d'autre part, que si les yeux
de rêve suivent un déplacement rêvé de la main, les yeux physiques bougent de la même
façon que si le sujet était éveillé, pratiquant cette même attention à l'égard d'un mouvement
[40]
réel d'allée et venue de la main » .

Dans ce type d'expérimentation, Worsley prend appui sur une image onirique mobile
pour bouger les yeux. Ce mouvement oculaire est donc à la fois une conséquence de celui du
doigt onirique et en même temps volontaire. La réponse est plus nette lorsque la tâche est
suffisamment complexe pour que l'attention et la volonté du rêve s'investissent totalement en
[41]
elle .

Ce type d'investigation peut être étendu à des débats de même nature. Les travaux de
Michel Jouvet sur le sommeil paradoxal et le comportement onirique des chats, par exemple,
est un sujet de controverse. Que l'activité au cours du sommeil paradoxal des chats qui ont
subi une lésion du premier étage pontique puisse être celle du rêve suscite des critiques :
Vincent Bloch, par exemple, s'en prend à cette idée au sujet d'un article d'un autre auteur :
« Cet article est surprenant à bien des égards. Tout d'abord, parce qu'il y est question du
sommeil paradoxal et non des rêves. L'imagerie mentale du rêve chez l'Homme est
difficilement accessible au neurobiologiste : du rêve nous ne connaissons que le récit du
dormeur après son réveil. C'est dire que pour les animaux, nous en sommes réduits à des
suppositions d'analogie. Il est vrai que le sommeil paradoxal, qui est parfaitement détecté par
des enregistrements électrophysiologiques (aussi bien chez l'animal que chez l'Homme) est
souvent assimilé à l'activité du rêve, qui elle pourtant n'est pas observable avec des méthodes
objectives. Cette assimilation provient surtout du fait que nous nous remémorons plus souvent
nos rêves lorsque le réveil interrompt une phase de sommeil paradoxal que lorsqu'il survient
[42]
durant une phase de sommeil lent » .

Cette objection qui s'appuie sur le fait que le rêve ordinaire n'est que remémoré peut
être levée à l'aide du rêve lucide. En fait, non seulement les nombreuses expérimentations en
laboratoire ont montré que le rêve lucide survenait de façon non équivoque en période de
sommeil paradoxal mais qu'en plus les mouvements oniriques volontaires correspondaient aux
enregistrements. L'analogie est donc possible et les expériences des rêveurs lucides semblent
confirmer que le comportement des chats de Michel Jouvet est bien celui de leur rêve et non
un comportement qui serait sans rapport avec l'imagerie onirique. Ce type de controverse est
en fait rendu délicat par une sorte d'amalgame à la fois dans les intentions et les hypothèses
avancées. Par exemple, démontrer que le comportement observé en sommeil paradoxal est
bien celui du rêve n'implique pas nécessairement que le rêve se manifeste pour le rêveur
uniquement au cours du sommeil paradoxal ; mais, d'un autre côté, montrer que le rêve se
manifeste aussi en dehors du sommeil paradoxal n'implique pas nécessairement que les
comportements des chats soient déconnectés de l'imagerie de rêve. Il convient donc de
réduire les hypothèses avancées en éléments fondamentaux pour éviter de les rejeter en bloc.

II. Le statut du rêveur à la lumière de la lucidité


Avec le rêve lucide la notion même que l'on se fait du rêveur change. Habituellement le
rêveur est perçu comme un sujet "absent" bien que son cerveau soit actif. D'une certaine
façon, on semble considérer qu'en raison de son état le sujet n'interfère pas avec le rêve et
que ce dernier peut être étudié comme processus "naturel" ; mais, en réalité, le sommeil ne
suffit pas à abolir le contrôle de soi comme en témoignent nombre d'incidents courants en
laboratoires telle l'absence de pollution nocturne en laboratoire de la part de rêveurs qui, chez
eux, y sont sujets, ou, plus simplement, le réveil systématique de certains dormeurs avant
[43]
l'intervention du chercheur . Du fond de son sommeil, au cours du rêve, le sujet tient
compte de l'environnement de veille, même s'il n'en a pas une conscience claire. Le rêve
lucide permet de pousser cette idée à un degré nouveau puisque le rêveur garde alors un
souvenir précis de cet environnement et de la raison pour laquelle il y dort, même s'il n'en a
aucune perception. Cette situation entraîne différents types de problèmes selon les positions
philosophiques adoptées. Si, en effet, on considère que le rêve n'est un phénomène naturel
que dans la mesure où l'expérimentateur ou le sujet n'y interviennent pas, le rêve étudié en
laboratoire (ou même rêvé à l'intention du psychanalyste) perd la spontanéité qui le
caractérise et en fin de compte on ne peut produire aucune certitude que ce qui est enregistré
correspond à ce qui se passe quand le sujet n'est jamais enregistré ou lorsqu'il n'est pas
lucide. Cette position est cependant irrecevable car la comparaison entre les rêves
spontanément notés et ceux enregistrés en laboratoire par les mêmes sujets ne montre pas
de divergences systématiques dans les récits des deux catégories (spontanés et ordinaires
d'une part, enregistrés ou lucides d'autre part). Il faut au contraire admettre que l'influence du
sujet et de l'environnement font partie du phénomène onirique et que, par là, non seulement
la lucidité ne fait qu'accentuer une situation normale mais que, de plus, l'enregistrement en
laboratoire n'est qu'un type de circonstance parmi celles qui affectent le rêve (il convient bien
sûr d'en tenir compte, mais il ne modifie pas fondamentalement le phénomène).

Ce que la prise en compte du rêve lucide change radicalement c'est le sens


généralement admis de cette influence que l'on estime pénétrer à partir de l'environnement
du dormeur dans le contenu du rêve. Cette idée est souvent exacte, comme l'ont montré
nombre d'expérimentations depuis Maury, mais elle n'est pas systématisable car les stimuli
envoyés au dormeur n'atteignent pas toujours le rêve en tant qu'imagerie. De plus, le fait
qu'un changement onirique volontaire produise une modification physiologique observable
renverse l'idée implicite d'une prédominance absolue de l'environnement sur le sujet. Le rêve
lucide amène donc à s'interroger sur la conception que la science se fait du rêveur et à se
demander dans quelle mesure le rêveur ordinaire lui-même n'influence pas sa propre condition
physique. Nous avons vu qu'il permet, dans un premier temps, de constater l'influence du
sujet sur les instruments de laboratoire et, dans un deuxième, de s'aider de la coopération du
rêveur dans l'étude du phénomène. Le rêveur quitte son statut passif - illustré par l'étude des
effets sur le sommeil et le rêve de l'absorption de susbtances chimiques - pour devenir,
vis-à-vis du chercheur dans l'exploration du rêve, un collaborateur actif dont l'action sur le
rêve dépend d'une décision onirique consciente. Cette prise en compte de l'influence et de la
qualité du rêveur entraîne nécessairement une attitude nouvelle de la part de
l'expérimentateur : puisque le rêveur lucide ne subit pas entièrement ses rêves, il n'est plus
possible, philosophiquement, d'assimiler complètement l'activité onirique subjective avec un
fonctionnement cérébral en quelque sorte "automatique". De même que des modifications
physiologiques observables se produisent en fonction des pensées sur lesquelles un individu
éveillé porte son attention, de même le rêveur lucide influence le processus du rêve par ses
choix oniriques. Par là s'introduit une idée autrefois étrangère à la fois à la psychophysiologie
et à la psychanalyse, celle que le rêveur est consciemment responsable de ce qu'il rêve.

Cette idée conduit à une réorientation de la psychophysiologie du rêve qui ne tient pas
compte habituellement de l'aspect volontaire de certaines situations qui mènent au rêve
ordinaire. Par exemple, en dehors de causes telles que la fatigue due à un éveil prolongé, les
images hypnagogiques sont souvent déclenchées par un processus mental volontairement
maintenu tel que le rêve éveillé ou la concentration sur un point lumineux du chaos visuel - et
il est possible que la vie onirique de celui qui s'endort volontairement soit très différente de
celle du sujet qui se contente de sombrer dans l'inconscience. Une observation des
journaux de rêves semble en effet indiquer que l'image hypnagogique volontairement
déclenchée tend à se transformer en petit rêve d'endormissement tandis que l'image
involontaire conserve l'aspect instantané et déroutant généralement décrit dans la littérature.
On peut poser l'hypothèse qu'une étude discriminative des enregistrements de ces types de
sujets (volontaires et involontaires) devrait mettre en évidence des différences dans les
enregistrements des nuits de sommeil. La lucidité amène donc à prendre en compte des
données qui, auparavant, étaient tenues pour négligeables.

A la différence de ce qui se passe pour la psychanalyse et la psychologie différentielle,


l'étude du rêve lucide n'apporte pas de démenti aux théories psychophysiologiques - et ne
saurait probablement le faire. Son apport se situe sur un autre plan qui n'est pas tout à fait
scientifique puisqu'il concerne avant tout les conceptions de type philosophique sur le rêve et
le sommeil. Celle selon laquelle le rêveur peut être conscient de rêver constitue d'une certaine
façon un paradigme, et rétrospectivement le seul fait de ne pas envisager une telle hypothèse
peut être considéré comme une limitation importante de la recherche. Il n'en reste pas moins
qu'une telle limitation restait tout à fait indécelable tant que l'équation du rêve et de l'absence
de conscience de son état par le rêveur étaient considérée comme une évidence
philosophique. L'existence de la lucidité amène à se demander si d'autres conceptions ne
freinent pas l'exploration de la lucidité onirique et peut-être même la recherche sur le rêve en
général. Dans la mesure où elles sont souvent implicites, leur remise en question s'avère
difficile. Si on peut poser l'hypothèse de l'existence de telles limites, comment les mettre en
évidence ? Recenser systématiquement les notions admises sur le rêve pour les analyser ou
les vérifier à l'aide d'une expérimentation par le rêve lucide serait une tâche à la fois imprécise
et aléatoire. C'est pourquoi le moyen le plus sûr de repérer rapidement de telles notions
consiste à se tourner vers les questions controversées, notamment lorsqu'elles se répètent
[44]
dans chaque domaine d'étude . Mais si la lucidité permet de déceler des failles dans des
théories existantes ou de leur apporter des moyens de vérification, est-elle elle-même
susceptible d'entrer dans un modèle théorique qui en rende compte ?

[1]
Sigmund Freud, L'Interprétation des Rêves, Presses Universitaires de France, Paris, 1926 et 1967,

pp. 330-331
[2]
Ibid., pp. 446.
[3]
Ibid., p. 448. Souligné par nous.
[4]
Sigmund Freud, L'Interprétation des Rêves , op. cit., p. 269-270. Souligné par l'auteur.
[5]
Patricia Garfield, La Créativité Onirique, La Table Ronde, Paris, 1983, p. 46.
[6]
Ibid.
[7]
« After my father's death in 1968, he often appeared to me in my dreams as a dangerous figure, who
insulted and threatened me. When I became lucid, I would beat him in anger. He was then sometimes

transformed into a more primitive creature, like a dwarf, an animal, or a mummy. Whenever I won, I

was overcome by a feeling of triumph. Nevertheless, my father continued to appear as a threatening

figure in subsequent dreams. Then I had the following decisive dream. I became lucid, while being

chased by a tiger, and wanted to flee. I then pulled myself together, stood my ground, and asked, "Who
are you?" The tiger was taken aback but was transformed into my father and answered, "I am your

father and will now tell you what you are to do!" In contrast to my earlier dreams, I did not attempt to

beat him but tried to get involved in a dialogue with him. I told him that he could not order me around.

I rejected his threats and insults. On the other hand, I had to admit that some of my father's criticism

was justified, and I decided to change my behavior accordingly. At that moment, my father became
friendly, and we shook hands. I asked him if he could help me, and he encouraged me to go my own

way alone. My father then seemed to slip into my own body, and I remained alone in the dream… » Paul

Tholey, "A Model for Lucidity Training as a Means of Self-Healing and Psychological Growth", in : Jayne
Gackenbach and Stephen LaBerge (eds.), Conscious Mind, Sleeping Brain, Perspectives on Lucid

Dreaming, Plenum, New York, 1988, pp. 263-287. Partiellement cité supra au chapitre 6.
[8]
« This lucid dream had a liberating and encouraging effect on my future dreaming and waking life. My

father never again appeared as a threatening dream figure. In the waking state, my unreasonable fear
and inhibitions in my dealings with persons of authority disappeared ». Ibid.
[9]
Freud, op. cit., p. 269. Souligné par nous.
[10]
Plus précisément le rêve, du fait de la richesse de son contenu équivalente à celle de la veille, peut
acquérir un sens dans la mesure où le rêveur lui en suppose un.
[11]
« I am completely under water standing in an upright position. As I look up toward the surface, the

water appears clear and bright because of the sunlight. The rays of the sun are slowly filtering down

through the water.

« Now I see a turtle swimming past me overhead. It is brown and green, about ten inches long, and it
paddles its legs at a brisk, steady pace. Instantly I know the meaning of the dream as I also remember

a television program I had recently seen in which a man raced his pet turtle against a rabbit and the
turtle won the race. The turtle means I will be a winner if I continue to persevere steadily in my work

with dreams and not be seduced into quick, flashy approaches, symbolized by the rabbit.

« I wake up and I feel calm and reassured by the turtle. I feel good when I realize that the

interpretation to the dream came within the dream itself. » Kenneth Kelzer, The Sun and the Shadow,

My experiment with Lucid Dreaming, A.R.E. Press, Virginia Beach, 1987, p. 68.
[12]
Dr Richard Corriere et Dr Joseph Hart, Les Maîtres-Rêveurs, Sciptomedia, Montréal, 1978, pp. 11-12.
[13]
Ibid., p. 12
[14]
« During that week […] Ned had a vivid dream in which he found himself filled with an overpowering,
directionless rage; as though he were literally exploding with hostility. In the dream, he was standing by

a creek. Bending over, he saw a beautiful multicolored fish appear in the rippling waters. In a flash, Ned

leaped into the creek and kicked the fish over and over and over until suddenly he was drained of all

anger and hate. His dream self then wept with relief, and he woke up feeling refreshed and at ease with

himself for the first time in weeks ». Susan M. Watkins, Conversations With Seth, Volume 2, Prentice
Hall Press, New York, 1981, p. 325.
[15]
Ann Faraday, The Dream Game, Perennial Library/Harper & Row, New York, 1976, p. 339. Rêve cité

supra dans le présent chapitre.


[16]
Dr. Ann Faraday, Dream Power, Berkley Books, New York, 1980, dans le chapitre 8, pages 159 et

suivantes.
[17]
« […] I had a dream in which the queen came to tea. Just as we were about to sit down, I noticed

with horror that my dirty old hairbrush was lying faceupwards full of hairs right in the middle of the tea

table. I tried to whisk it away quickly before she noticed, and woke up feeling extremely anxious. Now
while I was not the queen and the dream had exaggerated the possible consequences of not washing

the brush, it was clearly a warning of the kind of embarrassing situation which could arise. A Freudian

interpretation of the Queen as a mother symbol would add little or nothing to the dream's practical
value as we all know that our mothers disapproved of our dirty habits. In this case, the dreaming mind

simply chose the most illustrious figure it could think of in order to make its point ». Ibid., pp. 165-166.
[18]
Cette constatation est rapportée par de nombreux psychologues ayant suivi plusieurs analyses,

notamment par Faraday.


[19]
Paul Guillaume, Manuel de Psychologie, PUF, Paris, 1966, p. 303.
[20]
Et, même alors, une interaction d'un autre type, tel que le rêve éveillé qui prolonge l'action du rêve

nocturne, semble plus efficace que l'interprétation.


[21]
Rêve cité supra au chapitre 3.
[22]
Gregory Scott Sparrow, Lucid Dreaming, Dawning of the Clear Light, A.R.E. Press, Virginia Beach,
1976, pp. 26-27. Rêve cité supra chapitre 6.
[23]
Rêve cité supra au chapitre 3.
[24]
Gregory Scott Sparrow, Lucid Dreaming, Dawning of the Clear Light, A.R.E. Press, Virginia Beach,

1976, pp. 26-27. Rêve cité supra chapitre 6.


[25]
« I am studying to become a professional musician (French horn), and I wished to remove my fear of
performing in front of people. On several occasions I relaxed my entire body and mind and focused on

my desire to have a dream in which I was performing for a large audience by myself but was not

nervous or suffering from any anxiety. On the third night of this experiment, I had a lucid dream in
which I was performing a solo recital without accompaniment at Orchestra Hall in Chicago. I felt no

anxiety about the audience, and every note that I played made me feel even more confident about my

playing. I played a piece that I have heard only once before (and never attempted to play) perfectly and

the ovation I received from the crowd added to my confidence. When I woke up, I made a quick note of

the dream and the piece that I played. While practicing the next day, I sight-read the piece and played
it nearly perfectly with all the proper musical traits. Pieces similar to it have taken me 4 or 5 hours of

practice before I could play them nearly as well as I played this one.

« About two weeks (and a few lucid dream performances) later I performed Shostakovich's 5th
Symphony with the orchestra. For the first time, nerves did not hamper my playing, and the

performance went extremely well. The performances of the pieces that I played in my lucid dreams
apparently had some impact on that performance. I now have a higher level of concentration in all my

performances, and my nervousness has been controlled on a regular basis ». Jim Simonson, "Dream
Practice" dans la rubrique "From the world of lucid Dreaming", Nightlight, volume 1, number 1, Winter,

1989, p. 14.
[26]
William C. Dement, Dormir, rêver, Seuil, Paris, 1981, pp. 151-152.
[27]
« Knowing that my main enemy was those unwanted, however much-enjoyed calories, made the

answer clear. I had to satisfy my appetite while eliminating the unpleasant side effects: calories,

convenience, cost. I knew only one place where this and more was easily obtainable - a place where I
could eat an unlimited variety of foods, under any conditions, within any surroundings I chose. This

place found only within my imagination has only the boundaries I impose. This clearly has its
advantages. My theory was based on the idea that if I could satisfy my mind's appetite, then perhaps
my body, too, would be content. So I set up trial dreams… » Krisanne Gray, "From the Beginning Thru

Feast of Famine", Lucidity Letter, 7 (2), 1988, pp. 97-100.


[28]
« I found myself sitting at a huge crudely built wooden table. I am rubbing elbows with a huge hulk of

a man to my left, to my right a dainty wisp of a girl dressed like a fairy princess. I step outside myself
for a moment and find I am dressed in a beautiful gown of soft ice-blue, covered in lace. I am very

pleased to find myself so well-heeled. I am completely aware that I am dreaming. This gives me a

wonderful feeling of complete control. This alone has a positive effect on my mood both asleep and

awake. I look around at the faces of the medieval royalty dining with unrestrained enthusiasm upon

what appears to be roast pork and roast turkey. The smells fill my nose with flavors. Formal eating

habits aside, I, too, reach across the table to tear a drumstick savagely from what is left of the turkey.

So, with all the flavor and texture of food eaten while awake, I indulge myself for what seems like
hours. I remember being distracted by the eating habits of my dinner partners. Conversation seemed

limited to lip-smacking and content groans of satisfaction. I felt right at home as I run a day care

facility. I was even beginning to feel too full! » Ibid.


[29]
« When I awakened, it took me a few minutes to realize I wouldn't need that bicarbonate after all. I

felt very full. In fact, for several hours after my night's feasting, I felt very content ». Ibid.
[30]
LaBerge, op. cit., p. 207.
[31]
« Jetting with its strong shift of the center of gravity backwards, had always made me so afraid that I

constantly fell and came home to the cabin covered with bruises. The summer after I learned lucid

dreaming, I began to dream about skiing over moguls. I often used the hump to initiate a flying

experience, but at some point I also began to lean back shortly before the hump, thereby taking my

weight off the skis in order to change direction with my heels. That was a lot of fun and after a few
weeks it became clear to me during lucid dreaming that my movements corresponded to jetting. When I

went on a skiing vacation again the following winter and took a course, I mastered jetting in one week. I

am absolutely convinced that [this accomplishment] was connected to my summer night exercices ».

Récit rapporté par Paul Tholey, "Applications of Lucid Dreaming in Sports", Lucidity Letter, 9 (2), 1990,

pp. 6-17.
[32]
Aserinsky and Kleitman, "Regularly occurring periods of eye motility and concomitant phenomena
during sleep", Science, 118, pp. 273-274, 1953. Utilisé (entre autres) par Stephen LaBerge, Lucid
Dreaming: An Exploratory Study of Consciousness during Sleep , op. cit.
[33]
William C. Dement, Dormir, rêver, Seuil, Paris, 1981, pp. 79-80
[34]
Ibid.
[35]
Ibid.
[36]
Voir à ce sujet Stephen Philip LaBerge, Lucid Dreaming : An Exploratory Study of Consciousness

During Sleep, op. cit., p. 103.


[37]
« […] their findings did not contradict the scanning hypothesis since, by analogy, the presence of, say,
mouth movements are not coordinated with speaking in adults. Extending this analogy, the

correspondence between mouth movements and speaking doesn't mean that all mouth movements

correspond to speaking. Likewise, the fact that some eye movements are correlated with dream gaze

changes doesn't mean that they all are.

« Moreover, during the waking state, not all eye movements are due to "looking"; some are apparently

related to non-visual cognitive processes - such as the eye movements observable during problem
solving […]. The same principle may apply during dreaming. » Ibid., p. 104. Souligné par l'auteur.
[38]
William C. Dement, op. cit., pp. 83-84.
[39]
« […] voluntary dream eye movements give rise to corresponding physical eye movements. In other
words, if I intentionally orient to a dream event, my dream gaze correlates precisely with the movement

of my (physical) eye. If I let my gaze wander, the correlation may be very low.

« The foregoing hypothesis has found support in pilot experiments conducted with the author (S.L.) as
the lucidly dreaming subject. On nine occasions, some sequences of vertical dream eye movements was

performed by S.L. while lucidly dreaming (during REM sleep); on all nine polysomnograms,

corresponding eye movements and EEG artifact is observable. During two lucid dreams, S.L. made wrist
EMG signals, followed by intervals of subjective fixation, held while estimating 10 seconds by counting,

and marked at the end by another set of wrist EMG signals. Inspection of the relevant polysomnograms

shows, on each, an interval during which no eye movements are visible, preceeded and followed by

wrist EMG signals […]. The measured lengths of the two intervals are 11.5 and 14.5 seconds

respectively.

« These results are most suggestive that further experimentation along the preceeding lines may be

fruitful […]. » Stephen Philip LaBerge, Lucid Dreaming, op. cit., p. 105. Souligné par l'auteur.
[40]
« In another experiment, Worsley planned to dream of moving his finger smoothly from side to side

and following it with his eyes to determine if he could produce slow scanning movements of his physical
eyes. These eye movements are controlled by the frontal-lobe eye-movement center and are very

difficult to produce in the absence of a "real" stimulus […] The record showed that Worsley did tracking

movements with his eyes […]. This indicates that volitional high-precision eye movements are possible

during REM sleep, and that, when dream eyes follow the movements of a dream hand, the physical eyes

move in the same way they would if the dreamer were awake and following slow to-and-fro movements
of his hand ». Schatzman, Worsley, and Fenwick, op. cit., pp. 159-160.
[41]
Une telle expérience semble avoir été menée par Worsley mais comme le but n'était pas le balayage,
la conclusion n'est pas claire à ce sujet. Ibid., pp. 158-159.
[42]
Vincent Bloch, Commentaire de l'article de Jonathan Wilson, "La clé des songes", Pour la Science, n°

159, janvier 1991, p. 33.


[43]
Au cours d'une expérience d'enregistrement du sommeil en 1986, le sujet n°16 qui devait être réveillé

par l'expérimentateur au cours de chaque période paradoxale l'a fait de lui-même trente secondes avant
chaque intervention.
[44]
Un exemple de question "générale" nous est fourni par le problème de la fonction du rêve : « What is

the function of dreaming? Why do we dream the way we do? Numerous answers have been proposed to

these questions, and, in the long run, none of them has been very convincing to scientific dream
psychologists. It is clear that dreaming is a sufficiently complex activity that it can support any

interpretation whatsoever with respect to function, includind none at all […]. Indeed, the dominant

scientific interpretation of the function of dreaming since the logical positivists has been that dreaming

serves no function at all ». Alan Moffitt, Robert Hoffmann, Janet Mullington, Sheila Purcell, Ross Pigeau,

and Roger Wells, "Dream Psychology, Operating In The Dark", in Jayne Gackenbach and Stephen
LaBerge (Ed.), Conscious Mind, Sleeping Brain, Perspectives on Lucid Dreaming, Plenum, New York,

1988, pp. 429-439.


Troisième Partie
Les implications théoriques de l'étude du rêve lucide
Pour saisir la nature du rêve lucide - et plus précisément de son attribut essentiel, la
lucidité - nous l'avons jusqu'à présent étudié selon deux dimensions complémentaires : celle
de l'expérience vécue par le rêveur et celle du rapport qu'il entretient avec un contexte,
notamment scientifique. Cette description fait ressortir deux types d'attitudes assez différents
vis-à-vis de la lucidité onirique. La première, qui pourrait être qualifié de pragmatique - en ce
sens que l'intérêt se porte plus sur les avantages que procure la lucidité que sur sa nature
même - est commun aux deux dimensions. Au cours de son expérience personnelle, le rêveur
lucide tend plus à se focaliser sur le rêve que sur la lucidité, soit que sa curiosité le pousse à
comprendre et à explorer aussi bien ce qui lui apparaît comme un univers nouveau que ses
potentialités d'action dans cet univers, soit encore qu'il cherche à tirer des satisfactions de ce
nouvel état, satisfactions qui vont de la manipulation de l'environnement onirique, dans le
sens de la réalisation des désirs, à la simple joie de se sentir conscient de sa situation réelle.
Cette attitude pragmatique est également présente lorsque le rêve lucide est abordé dans un
contexte qui lui donne une valeur particulière : ainsi la psychologie cherche à tirer parti de la
lucidité à des fins thérapeutiques, tandis que la psychophysiologie l'utilise comme outil
d'expérimentation en laboratoire.

Cependant, si la dimension contextuelle, tout autant que l'expérience personnelle,


favorise l'attitude pragmatique, elle ne peut s'y limiter puisque, pour un phénomène, le fait
d'être abordé selon un contexte donné implique nécessairement qu'il soit, par nature,
similaire aux autres phénomènes du même contexte et, par là-même, justiciable du même
type de traitement. Ainsi, dans le domaine psychanalytique, il est naturel de poser que le
rêve lucide, en tant que rêve, doit pouvoir être abordé par la méthode interprétative, tandis
qu'en psychophysiologie, il semble approprié de lui supposer, de même qu'au rêve, un
élément corrélatif physiologique que l'on cherchera sur les enregistrements polygraphiques.
Cette deuxième attitude, qu'on pourrait qualifier de méthodologique puisqu'elle tend
spontanément à traiter le rêve lucide selon la démarche propre au contexte envisagé,
rencontre cependant des difficultés dont la nature même reste incertaine. En ce qui concerne
la psychanalyse, par exemple, la méthode interprétative semble bien, dans la plupart des
cas, sans objet, soit parce que le rêve est compris intuitivement et clairement lors de sa
manifestation, soit parce que l'émergence de la lucidité fait coïncider le contenu
manifeste avec les pensées précédemment latentes, soit encore parce que, le rêve lucide
étant une situation consciente, il n'a pas pour le rêveur plus de sens en soi que toute
situation du même type dans la vie quotidienne éveillée. De même, si la psychophysiologie a
réussi à mettre en évidence en laboratoire des tracés polygraphiques indiquant la présence
du rêve lucide, il ne s'agit cependant pas là de la manifestation de la lucidité per se mais de
tracés obtenus à l'occasion de la lucidité : lorsque, par exemple, le rêveur lucide signale
qu'il est lucide à l'aide de mouvements oculaires codés, les instruments de mesure
enregistrent un acte de volonté qui pourrait aussi bien avoir lieu à l'état de veille et n'est
donc en rien spécifique de la lucidité.

Ces difficultés peuvent s'expliquer de deux façons différentes selon que l'on se place
sur un plan technique ou que l'on prend en considération la nature même de ce qui est à
étudier. Dans la première optique, elles seraient dues à un défaut dans l'organisation de la
démarche concrète ou aux limitations inhérentes aux conditions d'étude. Ainsi, pour la
psychanalyse, les rêves lucides "clairs" n'échapperaient qu'en apparence à l'interprétation et
seules les conditions d'utilisation d'une méthode seulement adaptée aux rêves ordinaires
seraient en cause. De même, l'impuissance de la psychophysiologie à mettre en évidence la
manifestation nerveuse corrélative de la lucidité proviendrait soit de l'imperfection des
instruments de mesure, soit de la méthode utilisée pour les effectuer. Cette première
interprétation des difficultés rencontrées est certainement légitime dans la plupart des cas
habituellement rencontrés dans ces deux disciplines, mais en ce qui concerne le rêve lucide
l'aspect conscientiel du phénomène oblige à envisager une autre possibilité.

La conscience n'est pas en effet un phénomène directement observable chez autrui


mais seulement susceptible d'être inféré : un observateur ne peut que supposer sa
présence chez quelqu'un d'autre, en partant de l'évidence primordiale qu'elle constitue pour
lui-même. Cette impossibilité d'observer la conscience d'autrui n'apparaît pas à première vue,
tant la conscience que nous avons de nous-même nous semble inséparable de notre condition
humaine et donc de la condition humaine en générale, mais on peut la saisir plus nettement
si l'on considère le cas des animaux auxquels la conscience a généralement été ou non
accordée non pas en raison d'une évidence mais à la suite de l'élaboration d'un système
métaphysique : ainsi pour Descartes , qui assimile la conscience à une substance pensante,
l'animal n'est qu'une machine sans conscience, tandis que Leibniz, qui comprend la
conscience comme une intégration de perceptions, considère que l'animal est doué d'un
certain degré de conscience. Puisqu'il faut passer par le détour d'un système métaphysique
pour conclure à la présence ou à l'absence de la conscience, c'est qu'elle ne peut être
considérée comme un phénomène scientifique et étudiée comme telle.

Ainsi, puisque cette évidence est primordiale, les circonstances qui ont jusqu'à présent
permis de la décrire ne peuvent pas être considérées comme absolues, bien que ce
glissement s'opère assez souvent, car elles ne sont que des données d'observation qui ont
fait l'objet d'une généralisation implicite. Ainsi lorsque Descartes ou Leibniz, pour reprendre
leur exemple, ont cherché à penser la conscience, ils l'ont naturellement étudiée en fonction
de la veille et du sommeil où ses fluctuations apparaissent le plus clairement : conscience
directe ou réfléchie à l'état de veille et uniquement directe dans le rêve pour Descartes, ou
aperception à l'état d'éveil et petites perceptions inaperçues dans l'état de sommeil profond
pour Leibniz. Or, c'est bien le sentiment d'une évidence primordiale qui permet de mettre la
conscience en rapport avec les fluctuations de l'état de veille et de sommeil et non ces
fluctuations qui permettent de la constater. Aussi, le fait même que puisse se trouver, au
cours de l'état de rêve lucide, ce qui pourrait être qualifié de "conscience réfléchie" ou
"d'aperception" remet en cause non pas l'évidence primordiale mais une observation
indûment généralisée et qui, de simple cadre pour la description de la conscience, est
souvent devenu, sans autre justification, son explication fondamentale. Mais, s'il en est ainsi,
l'attitude qui part de ces modèles habituels pour étudier la lucidité onirique ne se fourvoie-
t-elle pas dès le départ ? La prise en considération de la pleine conscience dans le rêve ne
doit-elle pas inciter à réviser les inférences déjà faites plutôt que de rechercher, au cours du
sommeil, des manifestations que l'on s'attend à trouver habituellement à l'état de veille ?

Ainsi, selon une deuxième interprétation des difficultés rencontrées, la méthodologie


contextuelle serait en fait inapplicable à l'aspect conscientiel du phénomène. Cela ne
signifierait pas que les nouveaux phénomènes échapperaient entièrement à la méthodologie
du contexte où ils se manifestent - un rêve lucide peut fort bien, dans certains cas, s'avérer
interprétable ou être susceptible d'une observation polygraphique -, mais la lucidité
elle-même, en tant que conscience, se situerait en deçà ou au-delà de l'entreprise
méthodologique. Il est donc particulièrement important pour notre propos de savoir laquelle
de ces deux interprétations est la plus pertinente. Si la première est exacte, les difficultés
méthodologiques nécessitent simplement un nouveau cadre théorique dans lequel le rêve
lucide et la lucidité onirique trouveraient leur place et qui devrait être prédictif à leur sujet.
Mais, si l'élaboration d'un tel cadre s'avère impossible, alors la deuxième interprétation doit
être prise en compte et oblige à adopter une approche plus spéculative sur la nature de la
lucidité onirique en tant que conscience.
Chapitre Neuf
Les modèles explicatifs du rêve lucide
Lorsqu'on l'aborde dans une perspective scientifique, le rêve lucide semble d'autant
plus facile à faire entrer dans une théorie préexistante qu'il se présente moins comme une
donnée nouvelle - qui remettrait en question l'organisation du savoir sur le rêve et qu'il
conviendrait alors d'élucider - que comme une information nouvelle - le fait qu'il est
possible d'être conscient de rêver - à propos d'un phénomène par ailleurs bien connu sur
d'autres points, le rêve. En tant que rêve, il renvoie aussi bien à l'expérience psychologique
communément vécue et remémorée par la plupart des êtres humains qu'aux caractéristiques
physiques observables qui permettent d'en déterminer la présence chez autrui. Il apparaît
donc tout à fait normalement soumis aux lois du rêve communément établies dans la mesure
où la lucidité n'est pas directement concernée : il n'y a aucune raison, à première vue, de
supposer que la conscience de rêver supprime le caractère interprétable des scènes oniriques
ou modifie la situation du rêve dans l'organisation d'une nuit de sommeil.

Non seulement la lucidité onirique ne remet pas en cause le statut du rêve, mais
encore elle dépend du rêve pour pouvoir être identifiée. L'idée de lucidité onirique ne
résulte pas en effet d'une observation sans faille faite par chaque rêveur lucide mais au
contraire se dégage de la confrontation d'expériences conscientielles oniriques très diverses :
« Que signifie l'expression "rêve lucide" ? Il est évident qu'il n'y a pas de définition unique
englobant toute la catégorie des phénomènes qui ont fait l'objet d'un rapport émanant de
rêveurs lucides confirmés […] Certains chercheurs attribuent la lucidité au rêveur seulement
lorsque la capacité cognitive durant le rêve semble être approximativement équivalente à
celle de l'état de veille [...] Nous préférons une définition minimaliste : l'émergence, lors d'un
rêve, de la conscience de rêver ; les autres facultés cognitives du rêveur n'ont aucun besoin
d'être modifiées pour cela »[1]. Cette définition mininale est donc une sorte de dénominateur
commun abstrait d'expériences souvent fort différentes : le fait d'être conscient n'y apparaît
parfois que comme un élément secondaire (comme par exemple les rêves de sortie hors du
corps où quitter son corps est, pour le rêveur, le phénomène le plus remarquable) ou
simplement commode pour étudier les mécanismes du rêve plutôt que cette conscience
même. D'une façon générale, un rêve ne pourrait se réduire à un pur phénomène de
conscience dans le sommeil sans que sa qualité de rêve s'évanouisse. C'est donc bien l'aspect
"rêve" qui, dans son évidence massive, donne sa cohésion au rêve lucide plutôt qu'une
conscience dont la caractérisation tend à fluctuer.

Néanmoins, même dans ses fluctuations, cette affirmation d'une conscience de


rêver semble au premier abord antithétique avec nombre de théories qui nient son existence
ou qui s'empressent de la réduire lorsqu'elles la rencontrent. Cela ne signifie-t-il pas que sa
prise en considération entraîne beaucoup plus qu'un remaniement de détail dans des théories
déjà existantes ? Ainsi, par exemple, pour Sartre la conscience réflexive détruit
nécessairement le rêve : « D'ailleurs, s'il n'en était pas ainsi, il faudrait alors que le dormeur
conclue son jugement "je rêve" de raisonnements et de comparaisons qui lui montreraient
l'incohérence ou l'absurdité de ses images. Mais une telle hypothèse est d'une
invraisemblance qui saute aux yeux : pour que le dormeur raisonnât et fît ses comparaisons,
il faudrait qu'il fût en pleine possession de ses facultés discursives, donc déjà réveillé. Il serait
donc absurde qu'au moment précis où il est assez réveillé pour formuler des jugements de
vraisemblance, il se dît précisément : je rêve. Il ne pourrait dire autre chose que : j'ai rêvé ».
La position de Sartre exclut donc complètement les rêves prélucides - dans lesquels le rêveur
se livre à des raisonnements et des comparaisons qui lui montrent l'incongruité de certaines
images oniriques - et les rêves pleinement lucides au cours desquels il est précisément en
pleine possession de ses facultés discursives et peut se dire "je rêve" sans pour autant quitter
la scène onirique. Puisque cette position est totalement en contradiction avec les faits, ne
risque-t-elle pas simplement de s'écrouler totalement, montrant par là que la lucidité
n'implique pas seulement des remaniements de détails dans les théories élaborées avant sa
prise en considération ?

Si l'on y regarde de plus près, la théorie sartrienne ne s'intéresse au rêve que pour
illustrer sa description de la fonction irréalisante de la conscience, et le fait que ses assertions
sur le rêves sont fausses ne remet pas en question une théorie du rêve, puisqu'elles sont
échafaudées sur la base de ce qu'on croit savoir sur le rêve : ce sont les données sur
lesquelles on réfléchit, ou plus précisément le manque de données, plutôt que la réflexion
elle-même, qui sont responsables des jugements portés par Sartre. Ainsi, lorsqu'il admet que
l'on puisse rejeter sans autre examen la validité d'une expression courante qui va dans le
sens de la lucidité onirique, même s'il ne prend pas nécessairement ce rejet à son compte (et
même si, ce qui n'est pas clair dans le texte, cette expression renvoie à l'état de veille plutôt
qu'au rêve), il témoigne du peu d'étendue de son examen de la littérature onirique : « Sans
doute il existe une formule familière : "Je me pince pour savoir si je ne rêve pas", mais il
s'agit uniquement d'une métaphore qui ne correspond à rien de concret dans l'esprit de ceux
qui en usent »[2].

En réalité une étude plus minutieuse de journaux de rêves lui aurait sans doute révélé
ce que la seule utilisation de la réflexion livrée à elle-même ne pouvait lui apprendre, à savoir
que de tels rêves - où le rêveur se pince pour s'assurer qu'il ne rêve pas - existent bel et
bien.
« Alors que j'étais perdue dans mon collège, car je ne savais pas en

quelle salle j'étais, je me suis assise sur un banc pour lire car je n'en pouvais

plus. Pour couronner le tout, le principal est passé devant moi, m'a vue et ne

m'a rien dit! C'est alors que j'ai compris que je devais rêver. Pour en être bien

sûre, je me suis pincée. Je n'ai rien senti. […] »[3]

Ainsi, puisque la réflexion de Sartre ne se préoccupe pas de se fonder sur des


données d'observation, c'est que le rêve n'a ici qu'un rôle accessoire d'illustration d'une
thèse plus générale. Ce n'est donc pas une théorie du rêve à proprement parler dans la
mesure où elle ne le vise qu'indirectement. Or, les théories, dont on veut essayer ici de
comprendre les types de remaniements impliqués par la prise en considération de la lucidité
onirique, sont nécessairement celles dont le rêve est l'objet principal.

Au premier abord la lucidité semble parfois porter atteinte à certaines de ces théories
dont le point commun pourrait être résumé dans l'incrédulité rencontrée par une rêveuse
lucide lorsqu'elle rapporta ses expériences oniriques à un spécialiste : « Quand j'ai commencé
à faire des rêves dans lesquels je devenais consciente sans me réveiller, je me suis rendu
compte que quelque chose de nouveau était en train de se produire et j'ai voulu savoir
comment cela s'appelait. Un psychologue m'a patiemment expliqué qu'il était impossible que
je sois devenue consciente alors que je dormais parce que, par définition, lorsqu'on dort l'on
est inconscient »[4]. Cette objection "par définition" n'est pas simplement une réponse de
"quelqu'un qui s'y connaît" à un "profane" mais bien une sorte de croyance réflexe que même
un spécialiste peut adresser à un autre spécialiste : « Quand j'ai commencé la médecine j'ai
voulu continuer à faire de la recherche psychophysiologique sur la conscience durant le
sommeil REM, mais plusieurs de mes maîtres m'ont expliqué que c'était impossible par
définition »[5].

Ici le problème touche directement le rêve puisqu'il se place sur le terrain de sa


définition. Néanmoins, si vraiment une telle définition a acquis un statut théorique, son
remaniement ne devrait pas remettre en question toute la théorie dans laquelle elle s'insère
car elle diffère d'une définition par construction, telle qu'on peut en avoir par exemple en
mathématique lorsqu'on pose la définition d'un cercle. Ici une telle définition ne peut qu'être
le résultat de la généralisation d'énoncés d'observation : il s'agit d'une qualité qui s'est
manifestée suffisamment souvent pour qu'on soit amené inductivement à la considérer
comme caractéristique. Mais une induction n'a de valeur que tant qu'elle n'est pas contredite
par de nouvelles observations. La définition du rêve diffère donc de son observation
empirique immédiate qui fait que le rêveur reconnaît son rêve comme tel avant toute
définition, même s'il présente pour lui, comme c'est le cas ici, des caractères qui lui
semblent inhabituels. Ainsi, une définition acquise par l'induction ne saurait être normative,
et un rêve ne cesse pas d'être un rêve dans la mesure où il ne lui correspond pas : c'est bien
plutôt la définition qui perd son statut.

Cette difficulté montre que les deux façons d'appréhender le rêve, celle qui s'appuie
sur ce qui est constaté par le rêveur et celle qui part d'une théorie précédente du rêve, sont
souvent si intimement mêlées que même les spécialistes du rêve ne se rendent pas compte
du glissement d'un mode d'appréhension à l'autre lorsque la situation l'exige. Le rêve est un
phénomène observable par le rêveur avant d'être une construction conceptuelle et, si celle-ci
se transforme en présupposé normatif, cela relève d'une erreur dans la manière de penser
dont la mise au jour n'entraîne pas nécessairement l'écroulement d'une théorie où les
définitions sont conclues de l'observation plutôt que posées a priori. Pour de tels types de
théories, un remaniement de la définition du rêve ne remet pas nécessairement en question
tout une série de conclusions portées sur d'autres points à partir d'un corpus étendu
d'observations, car la définition, loin d'être une évidence primordiale, n'est qu'une
généralisation parmi d'autres et, comme toute autre généralisation, peut être modifiée par
l'avancement de la recherche.

Le rêve lucide n'apparaît donc pas comme une remise en question radicale des
théories préexistantes du rêve (puisqu'il est un rêve au sens plein) mais plutôt comme un
élément susceptible d'aider à rectifier et à améliorer ces théories. Si, en revanche, des
problèmes théoriques doivent se poser à son sujet, c'est nécessairement en raison de son
caractère "lucide" et non pas onirique, mais dans ce cas ce ne sont pas vraiment les théories
du rêve qui sont remises en question mais plutôt les théories de la conscience, sur lesquelles
l'étude du rêve peut par ailleurs éventuellement prendre appui, comme c'est le cas pour
Sartre.

Or, dès son apparition, la lucidité, en raison de son caractère abstrait, pose un certain
nombre de problèmes qui demandent une élucidation théorique. Si en effet la caractéristique
principale retenue est la conscience de rêver, elle laisse intacte la divergence des conceptions
des différents auteurs qui la comprennent nécessairement, ne serait-ce qu'implicitement,
selon des modèles explicatifs différents. Si l'on ne retient que le dénominateur commun
qu'est la conscience de rêver, peut-on trouver un modèle explicatif pour un élément pur qui
ne se dégage qu'à la réflexion ? Car pour un rêveur donné, si sa façon de comprendre sa
lucidité a pour lui un sens indissociable de son expérience, en sera-t-il de même lorsque, de
cette expérience, on aura isolé cet élément particulier ? Par exemple, la façon dont Paul
Tholey conçoit le rêve lucide apparaît comme extrêmement exigeante par rapport à l'idée
simple que l'on s'en fait habituellement (Conscience claire : du fait que nous sommes en train
de rêver, relative à notre capacité de décider que nous allons agir de telle ou telle manière,
relative au souvenir de notre vie de veille ; clarté de la conscience par opposition à une
conscience troublée, de la perception ; reconnaissance claire de ce que le rêve symbolise[6]).
Ces caractéristiques, qui d'abord décrivent l'expérience onirique lucide de Paul Tholey et de
ses élèves, deviennent, dans un deuxième temps, normatives lorsque les rêves ne répondant
pas à un certain nombre de ces critères sont rejetés comme n'étant pas lucides. Cependant,
on ne peut considérer ce rejet comme absurde, car il est naturellement entraîné par une
attitude de recherche qui pose que ce type de rêves n'est intéressant que si le rêveur y fait
preuve d'une autonomie conscientielle suffisante pour entrer en interaction avec le rêve - et
ne se contente pas d'en suivre le déroulement consciemment mais passivement. On
comprend alors que chaque type de conception se justifie par une attitude de recherche
privilégiée : si, par exemple, le moyen d'étude n'est pas tant l'interaction du rêveur avec son
rêve que la simple observation de ce qui se donne à la perception onirique dans
l'intention d'en faire une étude qualitative comparative avec la perception à l'état de veille, la
définition de la lucidité devient nécessairement moins contraignante.

Cependant, il n'est guère possible de s'arrêter à cette constatation sans faire éclater le
rêve lucide en plusieurs types de rêves différents et risquer d'occulter le fait que ce
dénominateur commun minimun existe et peut être mis en évidence par l'analyse. Il faut
donc comprendre plus en profondeur les raisons de ces divergences de définition, raisons qui
peuvent être dégagées par l'examen des types de recherches qu'ont entrepris les différents
auteurs. On s'aperçoit qu'en fait la conception du rêve lucide dépend d'un modèle le plus
souvent implicitement accepté mais dont les conséquences théoriques ne sont pas toujours
appréciées. Ainsi, dans le cas de Paul Tholey, comme d'ailleurs dans celui d'Hervey de Saint-
Denys, l'aspect "complet" que prend la lucidité onirique vient de ce qu'elle se comprend par
référence à l'état de veille au cours duquel le sujet fait preuve de toutes les nuances de
conscience que l'on retrouve dans les rêves lucides de ces auteurs. La vision apparemment
complexe qu'ils ont de la lucidité s'explique alors de façon simple : il s'agit manifestement de
la comparer à son modèle, la conscience de veille, afin d'étudier ses différents aspects
psychologiques : mémoire, volition, perception, décision…, et leurs travaux montrent que
c'est bien dans cette direction qu'ils se sont engagés.

En revanche, ceux qui acceptent une lucidité "minimale" ne s'appuient pas sur un tel
modèle conscientiel unique mais tendent plutôt, comme George Gillespie, à admettre
l'existence de degrés conscientiels selon une échelle d'intensité allant de la conscience
onirique ordinaire jusqu'à la pleine lucidité. Dans ce cas, les nuances de conscience qui
précèdent la pleine lucidité ne peuvent trouver leur référent dans la seule conscience de veille
habituelle et c'est en fait par rapport à un double modèle (la veille et le rêve) que ces rêves
lucides sont analysés, les rêves faiblement lucides pouvant être compris comme participant
conscientiellement des deux à la fois. Ainsi un rêveur lucide peut, par exemple, se rappeler
qu'il a décidé à l'état de veille de faire une expérimentation, mais ne pas parvenir à se
souvenir laquelle ou même passer à une tout autre tentative : « Je me souviens normalement
que je dois entreprendre une tâche, même lorsque, bien souvent, je ne peux pas penser à ce
que c'est. Lorsque j'y parviens, je peux, d'une manière générale, m'y tenir, quoi que
quelquefois j'oublie ce que je suis en train de faire ou bien brusquement je fais quelque chose
que je n'avais pas programmé. J'observe avec acuité, quoique mon jugement soit
mauvais »[7]. Les rêves faiblement lucides se comprennent donc comme une sorte de
mélange de qualités conscientielles appartenant à la veille ou au rêve ordinaire : se souvenir
qu'on a prévu une expérimentation ou observer attentivement l'environnement onirique, cela
renverrait à la conscience de veille ; tandis que l'incapacité à se rappeler l'expérience prévue
ou les erreurs de jugement seraient des caractéristiques du rêve ordinaire.

Ainsi la façon de comprendre la lucidité dépend d'une attitude de recherche qui


elle-même repose sur les modèles de fonctionnement implicitement admis que sont la veille
et le rêve ordinaire. Or, si l'on peut accepter que ces deux termes servent de points de
comparaison pour le rêve lucide, doit-on pour autant poser que le rêve lucide s'explique à
partir d'eux ? Le simple examen empirique de la littérature incite à mettre en doute la
validité de cette attitude, au moins pour deux raisons.

Tout d'abord, lorsqu'on ne fait aucune différence entre la lucidité onirique et la


conscience de veille, on s'expose à poursuivre des recherches dont l'intérêt comparatif est
sans doute grand mais dont les conclusions risquent d'être faussement éclairantes. Ainsi,
puisque la nature de la lucidité est connue - ou plutôt puisque la nature de "l'éveil" du rêveur
ne fait pas question -, il ne s'agit plus que d'examiner les caractéristiques du rêve lucide qui
indiquent cet "éveil" conscientiel et de les rapporter aux manifestations équivalentes de la
veille. C'est le type de recherche entrepris par Hervey de Saint-Denys qui s'interroge sur
l'acuité de ses facultés en rêve en les comparant systématiquement avec ce qu'elles sont à
l'état de veille et qui cherche en un mot à surprendre le rêve en train de se fabriquer à partir
de ce qu'il sait de l'état de veille, et c'est, d'une façon générale, au moins la première
démarche de tous ceux qui se découvrent une capacité à rêver lucidement. En un sens il
s'agit d'une attitude naturelle. Cependant une telle approche comporte une limite qui en
empêche la systématisation. D'une part, en effet, elle tend à réduire l'exploration du rêve à
une comparaison des facultés du rêveur à partir de celles que l'on connaît à l'état de veille,
sans jamais vérifier s'il s'agit bien des mêmes facultés, ni s'interroger sur l'existence de
facultés oniriques sans équivalents vigiles. D'autre part, cette approche court également le
risque de devenir normative plutôt qu'explicative dans la mesure où une divergence entre les
facultés oniriques et les mêmes facultés à l'état de veille (la mémoire, la capacité de
raisonnement ou d'observation…) est immédiatement interprétée comme une défaillance
conscientielle concernant cette faculté précise plutôt qu'une propriété onirique ne mettant pas
en cause l'intensité de la lucidité. Or, nous avons pu constater que non seulement le rêveur
lucide peut faire usage de facultés absentes de l'état de veille mais aussi que les facultés
apparentées peuvent présenter des caractéristiques qualitatives divergentes de celles de
l'état de veille.

Ensuite, dans la perspective où la conscience d'un rêveur pleinement lucide tendrait à


se rapprocher de la conscience de veille, tandis que la conscience manifestée au cours d'un
rêve faiblement lucide glisserait vers le rêve ordinaire, aucune forme nouvelle de conscience
ne peut émerger autrement que par variation d'intensité ou de combinaison d'éléments. La
conscience parfaitement lucide serait donc la même conscience que celle de l'état de veille, à
l'environnement près. Or, que penser de certains types de rêves lucides que nous avons
rencontrés et qui, tout en répondant aux critères conscientiels proposés par Paul Tholey,
manifestent empiriquement des divergences nettes dans le comportement du rêveur ? On
peut trouver en effet des rêves dans lesquels le rêveur se sent tout aussi conscient qu'à l'état
de veille mais où il prend sciemment des décisions complètement différentes de celles
adoptées avant de s'endormir concernant une tâche à accomplir en rêve. Un tel changement
de décision ne relève donc pas d'un glissement vers le rêve ordinaire mais d'une conscience
réflexive qui juge une situation en pleine connaissance de cause. Au cours du rêve un tel
changement d'attitude semble d'ailleurs aussi banal qu'à l'état de veille : du fait qu'il est en
pleine possession de ses facultés, le rêveur réévalue ses motivations et change d'avis tout
comme il pourrait le faire dans la vie courante. Cependant, un point de rupture peut être
constaté lorsqu'au réveil le sujet s'étonne d'avoir, en rêve, changé d'avis alors que, revenu à
l'état d'éveil, sa première décision lui apparaît toujours comme la meilleure. De telles
divergences peuvent être rapportées, non seulement en ce qui concerne les décisions, mais
aussi pour des points aussi différents que les valeurs adoptées ou l'intérêt porté à certaines
questions ou encore la façon dont le sujet apprécie les membres de son entourage. Il est par
exemple fréquent de trouver, dans les récits des rêveurs, des remarques qui ont un aspect
paradoxal : le rêveur affirme qu'il était pleinement conscient de rêver mais que, pourtant, il
n'a pas su considérer le personnage onirique de son rêve comme un simple personnage,
puisqu'il essayait justement de le convaincre de l'oniricité de la situation. Or, il ne peut s'agir
là d'une défaillance conscientielle momentanée puisque la situation du dialogue elle-même
pose dans l'intention du rêveur cette lucidité qu'elle récuse dans son attitude.

Ce type de problème montre bien que la définition minimale de la lucidité, tout


d'abord dégagée par abstraction, n'est en fait pas une simple commodité de la recherche
mais bien une nécessité pour éviter les difficultés qu'entraîne l'adoption implicite de modèles
dont la validité reste à établir. Si la lucidité onirique peut être une conscience pleinement
réfléchie, ou, si l'on préfère, une aperception onirique indiscutable qui intègre la mémoire de
l'état de veille, comment admettre que le sujet onirique puisse parfois se présenter comme
différent de celui de la veille ? Sans doute le "moi" onirique n'est-il pas nécessairement le moi
du sujet qui rêve, mais ce phénomène trouve habituellement son explication dans un
affaiblissement de la conscience qui justement ne joue aucun rôle ici. Dans de tels cas il n'est
plus possible de poser par avance l'identité entre la conscience de veille et la lucidité
onirique. Les divergences du sujet empirique concernant ce qui apparaît tout d'abord comme
étant la même conscience doivent, au contraire, inviter à se demander si l'intensité de la
conscience (qui donne ce sentiment d'identité conscientielle) ne peut pas être séparée de sa
forme. La conscience n'aurait pas alors l'aspect unitaire qu'on lui accorde spontanément
mais pourrait connaître des variations de forme que non seulement le rêve lucide mettrait en
évidence mais dont il permettrait d'étudier les structures.

Si donc la conscience de veille doit servir de référent à la lucidité onirique, ce ne peut


être sur la base d'une assimilation pure et simple. Mais, dans ce cas, pour comprendre
comment elle en dérive ou de quelle façon elle s'y rapporte, il devient nécessaire de la faire
entrer dans un cadre expérimental et théorique qui justifie cette équivalence (ou ce rapport)
ou bien qui rende compte de phénomènes autrement considérés comme des anomalies. La
première approche a été tentée par la neurophysiologie, tandis que la psychologie
cognitiviste s'est attaqué à la deuxième.

Section I

Les théories psychophysiologiques du rêve lucide

Chapitre Neuf
Les modèles explicatifs du rêve lucide

Section I

Les théories psychophysiologiques du rêve lucide


Avant même de pouvoir être envisagée, une théorie scientifique de la lucidité se
heurte à deux difficultés dont il faut préciser la portée. Tout d'abord, la lucidité est un
phénomène conscientiel et, comme tel, paraît en dehors du champ d'une investigation
scientifique qui semble même exclure le terme de "conscience" (ou en réduire le sens à celui
de "prise de conscience" dans une psychologie des conduites). Ainsi, il ne pourrait guère plus
y avoir d'étude scientifique de la lucidité qu'il n'y a d'étude de la conscience. La psychologie
du comportement, qui étudie la "vigilance", en fait un phénomène d'observation susceptible
d'évaluation quantitative et qui ne peut être ramené à l'évidence primordiale que constitue la
conscience pour un sujet. Cependant, il faut remarquer que, même si les psychologues
évitent de mettre en rapport la vigilance et la conscience, leur définition de la vigilance ne
peut guère dépendre uniquement de l'observation sans en faire un attribut de ce à quoi on ne
l'accorde généralement pas, comme par exemple à un ordinateur. En fait, si l'on se penche
sur la façon dont ils l'introduisent, on s'aperçoit que la vigilance ne peut être comprise que
par référence à la subjectivité, même si sa description se donne pour objective :
« L'impression d'être, d'un moment à l'autre, plus ou moins éveillé, plus ou moins attentif,
plus ou moins prêt à réagir, est vécue quotidiennement par chacun. Le langage commun est
riche en expressions décrivant ces aspects vécus d'une dimension intensive des conduites,
jalonnée par ce que les psychologues appellent des "niveaux de vigilance" »[8].

Bien que les niveaux de vigilance soient observés et décrits à partir de comportements
par les psychologues, ils sont bel et bien rapportés à des impressions intérieures qui leur
donnent un sens - telles que l'attention ou le sentiment d'être éveillé - et qui sont
empruntées à l'expérience quotidienne subjective. En ce sens, on peut poser que la
conscience de soi et de son environnement intervient à un certain niveau de l'échelle de
vigilance. Que la lucidité, qui fonctionne conscientiellement de la même façon, puisse être
mise en rapport avec ce qui est étudié sous le nom de vigilance est donc a priori légitime.

Cependant, si l'étude scientifique de la lucidité est légitime, est-elle pour autant


possible ? La vigilance en effet ne peut être objet d'investigation scientifique qu'en tant que
manifestation observable de ce sentiment d'éveil intérieur que l'on peut qualifier de
conscience. Si la vigilance doit aider à éclaircir la compréhension de la lucidité onirique, ce ne
peut être qu'en comparant des données de même nature, ici cette manifestation observable à
une autre qui résulterait de la lucidité. Or, la description des niveaux de vigilance repose sur
les états de veille et de sommeil : « Le sommeil, du plus "profond" au plus "léger", en
constitue les degrés les plus bas. Puis vient un état de veille qui peut être proche du sommeil
dans les moments de rêverie, et cette expression même illustre bien l'ambiguïté de ces états.
La veille peut devenir attentive, le sujet ayant l'impression de mobiliser et de focaliser
l'énergie dont il dispose pour parvenir à mieux percevoir les signaux, à mieux comprendre
l'information qu'il en reçoit, à mieux contrôler les gestes qu'elle déclenche. Cette mobilisation
énergétique peut atteindre un très haut degré »[9]. Si l'ensemble de la description
comportementale des niveaux de vigilance correspond bien aux impressions intérieures
conscientielles auxquelles elle renvoie implicitement, elle ne suffit apparemment pas à les
circonscrire puisque la lucidité onirique qui se manifeste au cours du rêve peut, elle aussi,
être décrite comme un sentiment d'éveil (en ce que le rêveur est conscient de soi et de son
environnement onirique, fait preuve d'attention, de mémoire et de volition, et ce justement
au cours du sommeil qui est considéré comme le niveau de vigilance le plus bas). Puisque le
rêveur lucide manifeste donc, à l'intérieur du rêve même, des qualités conscientielles qui
correspondent, dans l'état de veille, à un certain niveau de vigilance, cela ne remet-il pas en
cause la justesse de la notion sur la base de laquelle on voudrait entreprendre une étude
scientifique ?

Cependant, cette difficulté n'indique pas une impossibilité absolue mais détermine le
type de science susceptible d'étudier la "vigilance" du rêveur lucide. Ainsi, même si l'on
admet que le rêveur lucide a, dans son rêve, un certain "comportement", ce comportement
n'est cependant pas observable et échappe à la psychologie comportementale. Pour savoir à
quoi correspond ce niveau de "vigilance" onirique qu'est la lucidité, il faut donc faire appel à
un type d'observation différent, plus fin et plus précis, l'observation physiologique, qui nous
oblige à passer à une définition et à des indices différents de la vigilance mais qui, dans le
fond, renvoie implicitement à la même dimension conscientielle (ce que marque l'utilisation
d'un même terme pour désigner aussi bien un type de comportement que la dimension
intensive des conduites ou qu'un ensemble d'activités organiques). Si l'observation
physiologique fait preuve d'une plus grande finesse dans l'étude des niveaux de vigilance que
la simple observation des comportements, c'est qu'elle permet de distinguer divers stades de
sommeil dont, par exemple, le sommeil paradoxal qui correspond « à un état de vigilance
aussi différent du sommeil lent que celui-ci peut l'être de la veille active »[10]. Ainsi
dans la mesure où la physiologie est apte à déceler des niveaux de vigilance qui échappent à
la psychologie comportementale, on peut admettre que l'exploration de la lucidité onirique en
relève au moins en partie, ce que confirme la vérification physiologique du signal de lucidité
envoyé par un rêveur lucide en laboratoire.

La question qui se pose alors d'un point de vue psychophysiologique est double :
peut-on trouver des indices physiologiques de la lucidité et peut-on en rendre compte en
terme d'activité cérébrale ? Ces deux questions ne sont pas nécessairement liées. En effet,
même si l'on ne trouve pas un phénomène neurophysiologique directement lié à la lucidité,
ce que les études menées jusqu'à présent n'ont pas réussi à faire, il est possible que l'on
puisse, à l'aide de divers indices, montrer que la lucidité est liée, dans le sommeil, à une
activité cérébrale que l'on peut mettre en rapport, à l'état de veille, avec la
vigilance attentive. Si tel est le cas, cette activité cérébrale peut servir de dénominateur
commun à ces deux états conscientiels équivalents et permettre un travail théorique
impossible à la psychologie comportementale. Comme la première voie de recherche s'est
avérée peu fructueuse, c'est la deuxième qui va retenir notre attention. On va donc se
demander s'il est possible de déceler, non pas un signe direct de la lucidité onirique, mais
une activité cérébrale d'un type particulier en la rapportant au sommeil rapide habituel et qui
pourrait être l'indice d'un certain "éveil".

Un tel indice a été recherché au niveau de l'accroissement de l'activité cérébrale.


Stephen LaBerge, Lynne Levitan et William Dement ont mis en évidence l'existence d'une
importante activité nerveuse au cours du rêve lucide : « L'analyse physiologique des 76 rêves
lucides vérifiés par signal a révélé que les niveaux élevés de l'activité automatique du
système nerveux se produisaient à la fois durant et pendant les 30 secondes précédant leur
mise en route, ce qui implique que l'activation physiologique est une condition nécessaire
pour une conscience réflexive durant le rêve de la phase REM »[11]. Cette activité peut être
constatée à plusieurs niveaux. L'une des voies de recherche est celle de la période de
sommeil au cours de laquelle le rêve lucide se manifeste le plus souvent, le sommeil à
mouvements oculaires rapides (REM). Cette phase du sommeil, bien que nettement
caractérisée par rapport aux autres, n'est pas pour autant homogène : on y distingue
notamment un aspect phasique, celui où se manifestent entre autres les mouvement des
yeux, et un aspect tonique, relativement calme. Or, les recherches en laboratoire ont montré
que le rêve lucide est associé à une activité phasique croissante, constatation qui s'est
révélée théoriquement féconde pour la formulation d'une hypothèse vérifiable : « Etant
donné la découverte que les rêves lucides surviennent durant l'activité phasique[12] du
sommeil REM, des mesures de l'activation du système nerveux central, telle que la densité du
mouvement de l'œil, devraient partiellement déterminer la distribution des rêves lucides.
Parce qu'il a été relaté que la densité du mouvement oculaire commence à un niveau bas au
début des périodes de REM et augmente jusqu'à atteindre un sommet après
approximativement 5 à 7 minutes (Aserinsky 1971), LaBerge a émis l'hypothèse que la
probabilité du rêve lucide devrait suivre un développement parallèle et, en conséquence, a
trouvé qu'une faible densité du mouvement de l'œil était le corollaire positif et significatif du
rêve lucide »[13]. Ce type de recherche sur l'accroissement d'une activité cérébrale en rapport
avec l'apparition du rêve lucide ne vise donc pas à trouver un signe direct de la lucidité mais
à mettre en évidence ce rapport de façon statistique et comparative à l'aide de la mise en
corrélation de phénomènes qui, pris isolément, ne seraient pas porteurs d'une signification
particulière.

Ce genre de constatations permet-il cependant d'élaborer sur ses bases un modèle


théorique de la lucidité onirique ? En fait, si le rêve lucide peut être associé à une activité
physiologique élevée, cela ne suffit pas à expliquer son apparition puisqu'une telle activité
peut se manifester dans le sommeil indépendamment de lui : « Notre démonstration que les
rêves lucides sont, d'une manière digne de foi, associés à des niveaux élevés d'activation
physiologique peut soulever une question : pourquoi le rêve lucide est-il une exception plutôt
que la règle ? Après tout, l'activation physiologique adéquate pour parvenir à la lucidité
survient probablement chaque nuit durant la plupart des périodes REM. Pourquoi alors ne
sommes-nous pas lucides plus fréquemment ? »[14]. L'activité physiologique, si elle paraît
nécessaire pour l'apparition de la lucidité, ne suffit donc pas à en rendre compte. Mais
l'existence d'une telle activité pourrait inciter à chercher quelle forme elle peut prendre pour
que la lucidité émerge. Ainsi, on peut s'intéresser à des activations particulières qui seraient
en relation avec le contenu spécifique des rêves lucides, comme les déplacements inhabituels
dans l'espace : « Snyder and Gackenbach […] montrent sur de nombreux points l'évidence de
la connexion entre la lucidité et l'ensemble vestibulaire/spatial. D'abord la mention de la
lucidité et la manipulation, à l'intérieur du sommeil, du rêve lucide incluent souvent des
mouvements et des perceptions connus pour engager ce système de balance durant l'éveil.
En second lieu, le noyau vestibulaire dans le tissu cérébral est activé avec intensité durant la
phase 1 du sommeil et joue un rôle important dans le processus qui déclenche les
événements de la période REM de haute densité, événements dont on a montré qu'ils
précèdent la mise en route du rêve lucide. Troisièmement, les rêveurs qui sont fréquemment
lucides ont des seuils sensoriels plus bas et plus symétriques que les rêveurs non lucides, en
réponse à la stimulation calorique du système vestibulaire […]. Quatrièmement, les rêveurs
qui sont fréquemment lucides ont de meilleures performances que les rêveurs non lucides sur
une série de comportements qui sont liés à l'équilibre. Cinquièmement, le dysfonctionnement
vestibulaire constaté personnellement prévaut plus parmi les personnes qui ne font pas de
rêves lucides que parmi ceux qui en font. Et sixièmement, les rêveurs lucides sont
indépendants par rapport au champ environnant et montrent une habileté supérieure dans
des tâches spatiales complexes.

« La décroissance de l'activité sensorielle et motrice durant le sommeil, en


combinaison avec une activation corticale accrue au cours de la période REM, aboutit à une
plus grande fiabilité concernant l'utilisation d'un cadre de référence interne pour une
exploration spatiale du monde du rêve selon Snyder et Gackenbach »[15].

A la différence du type de recherche précédent, ce n'est plus une activation


cérébrale en quelque sorte livrée à elle-même qui est postulée, mais une telle activation en
tant qu'elle est liée à des fonctions très précises de la veille et qui se manifestent de façon
préférentielle dans le rêve lucide plutôt que dans le rêve ordinaire. Le contenu du rêve est
donc mis à contribution pour prévoir et configurer le type d'activation sur lequel devrait
porter l'observation.

Une autre façon de postuler le rapport entre la lucidité onirique et l'activité cérébrale
est de s'appuyer sur le fait que le rêve ordinaire manifeste déjà par lui-même un état
d'activation par rapport au sommeil lent et que, de la même façon, une activation à un
niveau plus important encore doit pouvoir être trouvée, par exemple celle de l'hémisphère
gauche du cerveau que l'on suppose habituellement "endormi" pendant le sommeil et le rêve.
Plus précisément, puisque l'apparition du rêve ordinaire augmente la "cohérence
interhémisphérique", c'est-à-dire la façon dont les hémisphères cérébraux travaille ensemble,
pourquoi le rêve lucide ne témoignerait-il pas particulièrement d'une telle augmentation ?
« L'évidence montre aussi que la croissance du niveau de cohérence augmente durant le
sommeil avec mouvements oculaires rapides. Dans un chapitre de "l'esprit dans le sommeil",
(vol.2.) Gackenback démontre que la cohérence devrait aussi surgir durant la lucidité »[16].
De telles théories sont probablement appelées à trouver des confirmations comme l'indiquent
les premières recherches faites en ce sens : « Dans quelques données pilotes, LaBerge [...] a
comparé un rêve lucide de 5 minutes durant le sommeil REM à 15 minutes de sommeil REM
précédant la mise en place de la conscience du rêve chez un sujet. Observant la cohérence
EEG interhémisphérique [COH] au niveau des lobes pariétaux, il a trouvé un accroissement
de COH durant la phase lucide du REM pour la fréquence alpha. [...]. Que LaBerge ait trouvé
une COH accrue dans les lobes pariétaux est intéressant étant donné le rôle central joué par
le fonctionnement visuo-spatial chez les rêveurs lucides et dans les rêves lucides [...].
L'emplacement des lobes pariétaux correspond aussi à la localisation de la COH alpha
interhémisphérique [...] pour des individus indépendants par rapport à un champ »[17].

On pourrait mentionner d'autres théories cérébrales qui mettent en jeu les connexions
synaptiques ou une distribution particulière des ondes alpha, mais ce qui nous importe ici
avant tout, c'est le fait que, si ces modèles théoriques s'appuient sur l'idée de l'activation
cérébrale pour proposer d'autres développements, ils ne sont pourtant guère explicatifs quant
à l'apparition de la lucidité elle-même. En fait, plutôt que de mettre en évidence une
activation cérébrale susceptible de faire la différence entre le rêve lucide et le rêve ordinaire,
donc d'expliquer la lucidité par un type d'activation que l'on rencontrerait également dans
l'état de veille, ces théories opèrent une démarche inverse puisqu'elles envisagent de trouver
le même type de différence à l'état de veille : « Dans la mesure où les individus diffèrent
dans leur capacité ou leur propension à s'appuyer sur des références d'environnement
internes plutôt qu'externes, on peut prédire qu'il y aura pour les premiers une fréquence
accrue du rêve lucide et une fréquence décroissante de l'expérience de la désorientation
spatiale dans les rêves »[18]. La capacité à être lucide en rêve explique ainsi une activité
cérébrale qui, elle-même, rend compte d'une attitude de l'état de veille, mais du coup la
lucidité reste un terme de référence qui n'est pas expliqué.

C'est bien plutôt l'idée d'activation cérébrale qui reste centrale car elle renvoie à celle
de l'état de veille. Or, si le rêve lucide peut être mis en rapport avec une telle activité de la
même façon que l'augmentation du niveau de vigilance se traduit à l'état de veille par une
activation cérébrale, il n'en est pas un élément de corrélation obligatoire. L'activation
cérébrale serait donc nécessaire à l'apparition de la lucidité, mais non suffisante. De plus, rien
ne permet d'affirmer qu'au cours du rêve lucide se produit dans une région ou une autre du
cerveau une activation équivalente à celles qui se produisent à l'état de veille, bien que ce
soit là l'explication finalement recherchée d'un point de vue physiologique.

La physiologie, nécessaire à l'étude du rêve lucide, ne suffit donc pas, du moins dans
l'état actuel des connaissances, à rendre compte du phénomène et, de fait, les
psychophysiologistes eux-mêmes reconnaissent que le rêve lucide dépend également d'un
facteur psychologique. Après s'être demandé pourquoi nous ne sommes pas lucides plus
souvent dans nos rêves malgré une activation cérébrale régulière, LaBerge conclut : « Il
apparaît plausible que nous manquions habituellement d'un présommeil approprié, et ainsi de
la mise en place des REM cognitifs (c'est-à-dire l'intention de devenir conscient de notre
rêve). Quoique l'importance des facteurs physiologiques dans la genèse du rêve lucide soit
claire, il semble également clair que les facteurs psychologiques ne sont pas moins
importants »[19]. C'est là reconnaître au domaine psychologique une spécificité qui échappe à
la physiologie. Mais, puisque nous avons vu qu'une psychologie purement comportementale
ne saurait même commencer d'étudier la lucidité onirique, la perspective adoptée sera
naturellement de type cognitiviste.

Section II
Les théories psychologiques du rêve lucide

Chapitre Neuf
Les modèles explicatifs du rêve lucide

Section I

Les théories psychophysiologiques du rêve lucide

Section II

Les théories psychologiques du rêve lucide


Si les observations sur l'activation cérébrale ne permettent pas de rendre compte de
l'apparition de la lucidité, ce n'est probablement pas en raison d'une impossibilité
fondamentale mais plutôt d'une méthodologie inappropriée et d'instruments de mesure
inadaptés. Néanmoins cette position est avant tout un postulat et, même si l'idée que
l'apparition de la lucidité puisse être indépendante de l'activité nerveuse semble a priori
déraisonnable, elle n'a fait l'objet d'aucune invalidation. La démarche psychophysiologique
reste donc incertaine dans son principe tant qu'elle n'a pas fourni un résultat qui, tout en
étant la conséquence de l'adoption de ce principe, en assurerait aussi la validité. Une
démarche psychologique, en revanche, ne se heurte à aucune difficulté de principe puisque le
rapport du rêve lucide et de la lucidité avec le psychisme n'a pas besoin d'être prouvé. Une
théorie se plaçant sur un terrain purement psychologique pour rendre compte de la lucidité
apparaît donc légitime avant toute tentative d'élaboration.

En outre, l'élaboration d'une telle théorie semble d'autant plus justifiée que
l'apparition du rêve lucide dépend la plupart du temps de facteurs psychologiques : un grand
nombre de méthodes d'induction sont avant tout mentales et la simple intention de rêver
lucidement suffit parfois à provoquer et à augmenter de façon significative la fréquence des
rêves lucides, notamment chez les enfants. La simple autosuggestion mentale, comme dans
le cas de Patricia Garfield, peut donner une "forme" à cette intention, mais elle reste soumise
à la volonté du sujet - donc dans le domaine du psychisme - et ne nécessite aucune
modification des conditions matérielles ou physiques. Quant à l'atteinte de la lucidité par le
simple intérêt porté à ses rêves et qui n'est le résultat d'aucune intention particulière, elle
montre que la lucidité est indubitablement un rapport que le psychisme entretient avec
lui-même et que la détermination de ce rapport et la façon dont il s'établit peut fournir une
explication purement psychologique de la lucidité. Plus précisément plusieurs démarches
s'offrent à nous.
La démarche la plus immédiate consiste à se demander quelle est la place de la
lucidité dans l'économie d'un fonctionnement psychique. Or, le rôle que joue la conscience à
l'état de veille dans le cadre d'une psychologie des conduites peut ici fournir un modèle. S'il
est difficile de parler du "comportement" du rêveur, en revanche les récits de rêves lucides
montrent bien que, tout comme à l'état de veille, le rêveur adopte un certain nombre de
conduites dans la mesure où il est amené à accomplir des actes précis en vue d'atteindre
certains objectifs, ce qui nécessite une série de prises de conscience autant pour reconnaître
le but visé que trouver les moyens à employer. Le cas particulier que constitue la prise de
conscience provoquée par la désadaptation semble rendre compte de bien des apparitions de
la lucidité onirique. En effet, c'est très souvent parce que le rêveur doit faire face en rêve à
une situation qui le dépasse (comme dans le mauvais rêve) ou qu'il ne comprend pas (lors
d'un événement absurde) qu'il "prend conscience", c'est-à-dire soit qu'il se réveille, soit qu'il
devient lucide. Dans ce dernier cas, la lucidité lui permet d'adopter des solutions qui ne
peuvent être le résultat d'un processus automatique et de résoudre ainsi le problème qui se
pose.

« Passage lucide dans un rêve. Le rêve, non lucide, décrit des

préparatifs de guerre à Paris. Le risque d'être abattu par une rafale de

mitraillette, lorsque les ennemis arriveront, est très grand. Diverses mesures

d'auto-protection, assez dérisoires, sont entreprises dans ma rue. Je vois alors

plusieurs fillettes chinoises en pleurs. On me dit que ce sont des orphelines,

mais comme elles ne sont pas de nationalité française, elles n'auront pas droit

aux abris et seront massacrées. L'une d'elles entend cela, et ses pleurs

redoublent. Elle est (littéralement) verte de peur. Je trouve cela insupportable.

Du coup, brièvement, le rêve devient lucide. Je me dis que c'est un rêve. Il n'y

a pas de menace de guerre ni de petites chinoises sacrifiées. Sur ce, les enfants

se rapetissent, et, toujours vertes, deviennent des médailles de bronze qui les

représentent. Je les range dans une boîte (toujours en état de lucidité). Cela

fait, satisfait d'avoir résolu le problème, j'abandonne la lucidité et continue mon

rêve. »[20]

La lucidité est ici d'autant plus liée à la désadaptation que le rêveur ne devient lucide
que le temps de résoudre le problème posé par les fillettes chinoises (« satisfait d'avoir résolu
le problème, j'abandonne la lucidité »). La lucidité onirique se manifeste donc dans certains
cas de la même façon qu'une prise de conscience à l'état de veille : pour résoudre une
question qui ne peut faire l'objet d'un traitement automatique.

Considérée sous cet angle, la lucidité est identifiée à une fonction cognitive
onirique : « A mesure que les organismes gravissent les différents échelons de l'évolution, de
nouvelles formes de cognition et d'action correspondantes émergent. Dans l'ordre ascendant,
on distingue quatre grandes catégories d'actions : réflexe, instinctive, machinale et
intentionnelle. Les comportements sont plus ou moins fixés et automatiques au bas de
l'échelle de l'évolution, et plus souples aux échelons supérieurs. Des comportements
automatiques conviennent mieux si la situation pour laquelle ils sont prévus reste
relativement invariable. Par exemple, puisque nous devons respirer à chaque minute de notre
vie, un mécanisme réflexe s'y montre très efficace. De même, l'action instinctive joue
pleinement son rôle tant que notre milieu ne diffère pas trop de celui dans lequel vivaient nos
ancêtres. L'habitude, elle aussi, a son utilité si le milieu ne présente pas de grandes
variations. Mais l'action intentionnelle ou délibérée s'est développée pour avoir prise sur les
modifications de l'environnement que notre comportement machinal s'avère incapable de
maîtriser. On nomme d'ordinaire conscience réfléchie le niveau le plus élevé de la cognition,
celui qui autorise l'action intentionnelle. C'est cette même fonction cognitive que nous
appelons lucidité dans le contexte du rêve »[21].

Une telle position permet de mieux comprendre comment la lucidité se réfère à l'état
de veille et de surmonter certains problèmes. En effet, lorsque l'on oppose la conscience à
l'inconscience sur le modèle de l'opposition de la veille au sommeil, on tend à voir dans la
lucidité l'équivalent de la totalité de la conscience de veille dont la conscience réfléchie serait
un aspect. Or, si la lucidité s'explique sur le modèle de la prise de conscience, cette
assimilation globale peut être récusée. En effet, l'observation des conduites montre que la
prise de conscience ne s'opère pas uniquement par rapport à des données auparavant
inconscientes comme cela advient en psychanalyse, mais qu'elle peut porter également sur
des données dont le sujet a une conscience passive, comme lorsqu'il prend conscience
rétrospectivement d'un bruit qu'il n'entend plus mais dont il avait nécessairement une
certaine conscience (une conscience dite passive ou directe) faute de quoi il ne pourrait se
souvenir de l'avoir perçu. En d'autres termes, si l'état de veille comprend une aire qui n'est
pas entièrement consciente, en ce sens que nos comportements et nos perceptions sont
généralement non conscients et que notre conscience n'est sollicitée que par une faible part
de notre activité, il ne s'agit cependant pas d'une inconscience absolue puisque nous pouvons
prendre conscience après coup, par le souvenir, de perceptions ou d'activités qui nous
avaient échappées au premier abord. Ainsi la lucidité ne serait pas l'émergence de la totalité
de la conscience de veille dans le rêve, d'autant que l'aspect passif de la conscience est déjà
présent dans le rêve ordinaire. Si la lucidité donne un sentiment d'éveil, ce n'est pas parce
qu'elle est une émergence conscientielle absolue là où il n'y avait rien, mais bien au contraire
parce qu'elle est le terme d'une évolution conscientielle que certains auteurs comme
LaBerge ont rapportée à l'évolution biologique : « La conscience réfléchie présente l'avantage
d'une action souple et créative aussi bien à l'état de rêve qu'à celui de veille. Plus
précisément, la conscience permet aux rêveurs de prendre du recul vis-à-vis de leur situation
et de réfléchir à d'autres modes d'action possibles. Les rêveurs lucides deviennent ainsi
capables d'agir de façon réfléchie et non pas simplement réflexe. L'important, pour eux, c'est
leur liberté à l'égard des contraintes de l'habitude ; ils sont susceptibles d'actions délibérées
en accord avec leurs idéaux et savent réagir de manière créative au contenu de leurs rêves.
Vu sous cet angle, le rêve lucide n'apparaît plus du tout comme une simple anomalie, ou une
curiosité dépourvue de signification ; au contraire, il représente une fonction hautement
adaptative, le produit le plus élevé de millions d'années d'évolution biologique »[22].

Cette conception qui précise la fonction de la lucidité et la façon de la rapporter à la


conscience de veille peut servir de guide pour l'étude des rêves lucides dans leur dimension
cognitive. Néanmoins, avant même son application à des données oniriques, elle présente
certaines failles. En effet, si la lucidité est un produit de l'évolution, pourquoi n'est-elle pas
plus répandue, alors que les rêves "difficiles" et exigeant une prise de conscience sont si
nombreux ? Pour répondre à cette difficulté, LaBerge envisage un modèle plus précis : « Pour
LaBerge, les rêves sont des modèles du monde qui se créent quand le cerveau élève certains
"schémas" ( principes organisateurs) au-dessus de leur seuil de reconnaissance. Ainsi ces
schémas pénètrent la conscience en occasionnant au rêveur l'expérience de choses qui ne
sont pas réellement présentes dans l'environnement extérieur. Pour LaBerge, la
détermination de tels schémas est, premièrement, due à l'expectative et à la motivation.
Selon lui, c'est la qualité holistique des schémas qui donne aux rêves leur ordonnancement
apparent.

« Être lucide dans le sommeil est simplement l'activation du schéma "c'est un rêve". Il
a démontré qu'une des circonstances qui pourrait forcer la reconnaissance du schéma "c'est
un rêve" est la présence d'une contradiction ou de ce qui a été appelé une bizarrerie onirique.
La résolution des éléments incongrus peut se produire par l'activation du schéma du rêve
lucide.

« En conséquence, LaBerge sent que la raison pour laquelle la plupart des personnes
n'ont pas de rêves lucides de façon fréquente est due à une barrière conceptuelle pour
engager le schéma "c'est un rêve lucide". De telle sorte que la lucidité est déclenchée plus
souvent par la nécessité, par exemple quand la conscience initiale de bizarreries dans le rêve
est suffisante, ou quand la peur est suffisamment forte, comme dans un cauchemar »[23].

Pour rendre compte de la rareté de la lucidité onirique LaBerge invoque donc une
limite conceptuelle dont le rôle est d'interdire l'activation d'un "schéma" organisateur qui
énoncerait que la situation en cours est un rêve, et déclencherait ainsi la lucidité. Mais une
telle explication entraîne au moins deux ordres de difficultés.

Tout d'abord, si la lucidité onirique ne dépend que de l'activation d'un tel schéma,
l'identification de la conscience onirique ordinaire à la conscience passive vigile d'un côté, et
celle de la lucidité onirique à conscience vigile réfléchie de l'autre, ne risquent-elles pas de
s'évanouir ? Dans une telle perspective, la lucidité onirique ne serait plus l'équivalent de la
conscience réfléchie de veille car cette dernière serait déjà présente dans le rêve et sa
transformation en lucidité n'en serait qu'un avatar, c'est à dire une forme particulière, due à
l'activation du schéma "ceci est un rêve". Cette idée est confirmée par les rêves dans lesquels
le rêveur commence par jouer la comédie vis-à-vis de son environnement avant de se rendre
compte qu'il s'agit réellement d'un rêve.

… Dans la maison de l'île de G… (en fait dans un équivalent que je n'ai

jamais vu). Il fait nuit et je suis allongé dans un lit. Je ne sais pas ce qui se

passe mais je suis à moitié relaxé et je regarde une ouverture qui donne sur

l'obscurité d'une autre pièce. Je suppose que ma sœur est dans la chambre à

côté. Il y a quelque chose d'étrange, dans l'atmosphère, comme un sentiment

d'angoisse.

Qu'est-ce que je fais dans cette position, à la fois ni allongé ni levé ?


Mon corps a parfois cette position en rêve. Je me lève et fait comme si j'étais

dans un rêve… et c'en est un. […] [24]

Ce rêve contient deux constatations d'étrangeté qui sont autant de "prises de


conscience" qui n'entraînent pas pour autant la lucidité de façon immédiate mais incitent le
rêveur à prendre la décision de "jouer au rêve", ce qui suppose chez lui la présence de la
conscience réfléchie. Cette dernière ne devient lucidité que lorsque s'opère une autre prise
de conscience dont l'intérêt n'est donc pas de faire surgir la conscience réfléchie par
elle-même mais bien de lui donner la forme de la lucidité. Dans un tel cas l'idée de la lucidité
comme produit de l'évolution s'écroule, non seulement en raison de la disparition de
l'élément de comparaison qui la soutient, mais aussi parce la lucidité n'apparaît pas comme
une conscience réfléchie de niveau supérieur mais une simple variation sur son thème.

Plus encore, la conception évolutionniste entraîne un deuxième ordre de difficulté en


ce sens qu'elle oblige à poser la lucidité comme potentiellement présente dans le rêve
ordinaire. En effet, si ce n'était pas le cas, son activation à l'aide du schéma déclencheur
serait impossible. Cette idée d'une lucidité à l'arrière-plan de la conscience onirique, qui se
retrouve sous des formes diverses dans des théories du rêve ordinaire parfois très différentes
comme celles de Freud ou de Sartre, semble d'ailleurs faire l'objet d'une adhésion implicite
chez la plupart des auteurs. Ainsi Sartre la maintient au moment même où il affirme que la
conscience réflexive détruit le rêve, c'est-à-dire au moment où il refuse la lucidité : « Ma
certitude réflexive de rêver vient donc de ce que ma conscience primitive et irréfléchie devait
contenir en soi-même une sorte de savoir latent et non positionnel que la réflexion a explicité
ensuite »[25]. Si une telle idée ne peut être admise sans réserve pour l'ensemble des rêves
ordinaires, il n'en reste pas moins que l'existence d'une lucidité implicite dans certains rêves
lui donne quelque valeur. Il faudrait alors admettre que non seulement la lucidité n'est pas
l'équivalent exact de la conscience réfléchie de l'état de veille, mais qu'elle ne s'explique pas
nécessairement par la prise de conscience, même réduite à un cas bien précis, puisque
qu'elle peut apparaître comme un aspect de la conscience irréfléchie, donc de la
conscience passive. Le modèle cognitif évolutionniste de LaBerge devient alors incohérent
avant même toute utilisation.

D'ailleurs, même en admettant qu'un tel modèle soit cohérent, son application aux
récits de rêves lucides et ordinaires en montrerait rapidement l'insuffisance dans l'un et
l'autre cas. Dans le cas du rêve ordinaire, selon la conception de LaBerge, le rêveur est
nécessairement en "pilotage automatique" c'est à dire en état de conscience passive.
L'exemple contradictoire que nous avons donné pourrait s'expliquer par l'émergence non
encore tout à fait perceptible de la lucidité. Mais, en fait, de nombreux rêves dans lesquels la
lucidité n'apparaît à aucun moment montrent le rêveur confronté à des choix qui
demandent un certain recul et une réflexion nettement prononcée, souvent accompagnée de
représentations mentales au sein même du rêve. Ces rêves ordinaires dans lesquels le rêveur
se rend compte de ce qui lui arrive, évalue les conséquences de ses actes ou des
événements en cours, choisit d'agir de telle ou telle façon sans pour autant comprendre qu'il
rêve, obligent à admettre qu'il est tout aussi conscient qu'à l'état de veille, alors même
qu'il n'est pas lucide. Bien des rêves rapportés par Hervey de Saint-Denys ou
Delage pourraient illustrer cette idée[26], notamment le rêve déjà cité au cours duquel,
recevant la visite d'un parent vêtu de noir et dont la femme était au plus mal les jours
précédents, il hésite à lui en demander des nouvelles et pour s'assurer qu'il ne s'agit pas d'un
deuil examine son chapeau[27]. Ce rêve n'est évidemment pas lucide, sinon le rêveur n'aurait
probablement guère eu besoin de se livrer à un tel artifice, et d'ailleurs l'auteur précise qu'il
n'y avait pas le sentiment de sa situation réelle. Sa conduite indique néanmoins qu'il a une
conscience nettement réfléchie de la situation dans le rêve, même si cet aspect réfléchi ne
comporte aucune information sur son oniricité. Ce type de rêve est assez fréquent pour
amener à penser que la lucidité ne peut guère être comprise seulement en termes de
cognition ou de l'intensité conscientielle qui lui est corrélative.

Dans le cas du rêve lucide, LaBerge pose que la lucidité offre nécessairement des
possibilités de réponses plus nombreuses et plus appropriées aux situations oniriques. Or, s'il
est vrai que la lucidité étend le champ des réponses possibles, on ne saurait prétendre qu'elle
conduit toujours à une action plus appropriée que celle qu'aurait produite le cours ordinaire
du rêve. Le cas du Père X qui s'attire la haine des personnages oniriques en constatant qu'il
est en train de rêver, montre que la lucidité peut être par elle-même la cause d'un faux pas
(« Je m'écriai à voix haute : "Mon Dieu! C'est encore un de ces rêves!" […] Mes
connaissances et les autres clients du restaurant me regardèrent d'une façon que je puis
seulement qualifier de malveillante et quelques uns me dirent sur un ton menaçant :"Vous
êtes dans un rêve. Oui, voilà ce que c'est!" Puis le cuisinier s'avança vers moi en tenant à la
main quelque chose qui ressemblait à une scie. "Nous allons vous montrer à quoi cela
ressemble d'être dans un rêve" dit-il. Sur quoi il entreprit de me scier le cou pour me
décapiter »[30]). Ainsi l'élargissement des possibilités d'action n'est pas synonyme d'une
meilleure adaptation au rêve puisqu'ici une attitude provoquée par le fait même de se savoir
lucide rend hostiles des personnages oniriques qui étaient coopératifs l'instant précédent.
Dans d'autres cas, la lucidité peut amener le rêveur à choisir une solution inadéquate plutôt
que d'affronter le problème que lui présente le rêve, ce qui se marque dans le retour régulier
du même type de rêve ou le sentiment au réveil d'avoir agi contre son intérêt propre. Parfois
encore, la lucidité bloque les possibilités d'action et, le rêveur ne sachant plus quoi faire d'un
rêve qui, sans cela, aurait poursuivi un cours naturel, ce dernier tend à stagner ou à se
dissoudre. Ainsi, l'ouverture de l'éventail des possibilités offertes par la lucidité peut amener
le rêveur à faire, dans certains cas, des choix peu adéquats quant à une situation d'ensemble
que la lucidité ne permet pas nécessairement d'embrasser.

Ces constatations n'indiquent cependant pas que la lucidité est toujours inadéquate
par rapport au rêve et nous avons vu que, dans bien des cas, elle permet la résolution de
problèmes qui, en rêve ordinaire, ne parviennent pas à trouver de conclusion (comme le rêve
répétitif au cours duquel Hervey de Saint-Denys était poursuivi par des démons de
cathédrale). Ainsi, l'insistance des psychanalystes sur ces inconvénients de la lucidité, dans
lesquels ils voient la preuve que le rêve lucide est un phénomène artificiel qui interfère avec
un processus naturel, n'est guère justifiée car elle ne s'intéresse qu'à une proportion minime
de l'ensemble des rêves lucides. En réalité, la lucidité s'avère être un outil thérapeutique
puissant lorsque le rêveur est bien informé et a déjà une idée, suggérée par l'expérience
d'autres rêveurs lucides, de la conduite à adopter dans certaines situations, ce que montrent
les expériences de Paul Tholey. Cependant, le fait que cette information soit souvent
nécessaire pour que le rêveur puisse agir de façon adéquate indique que, si la lucidité est une
ouverture conscientielle nouvelle, on peut supposer que sa finalité n'est pas de traiter les
situations oniriques, même si on peut l'utiliser comme moyen pour cela, ou encore que les
erreurs dont elle est la source sont en fait le prix de la liberté, tout comme pour la conscience
de veille.

Les propositions de LaBerge ne sont donc applicables aux récits de rêves lucides qu'à
condition de nuancer sa conception de la lucidité, mais ces nuances elles-mêmes sont
difficiles à préciser. Les problèmes viennent-ils d'une conception trop restrictive de la
conscience réfléchie qui ne pourrait être entièrement ramenée au rôle cognitif que
LaBerge veut lui faire jouer ? Dans ce cas l'inadéquation de la lucidité dans certaines
situations oniriques n'aurait pas de signification particulière et n'affecterait pas la parenté de
la lucidité à la conscience réfléchie de veille. Mais n'est-ce pas plutôt la conception de la
lucidité qui est trop restrictive puisqu'elle ramène à la conscience réfléchie ce qui semble
pouvoir se trouver aussi bien dans la conscience passive ? Cette dernière possibilité mise en
évidence par l'existence de la lucidité implicite trouve un argument théorique dans une
question irrésolue : si la lucidité a bien la fonction cognitive que lui attribue LaBerge,
comment expliquer que son émergence débouche tantôt sur l'éveil, tantôt sur le rêve lucide ?
Le côté onirique de la lucidité prend alors un aspect aléatoire dont la théorie de LaBerge ne
rend pas compte.

Peut-on cependant cesser de penser la lucidité sur le modèle de la conscience réfléchie


sans pour autant renoncer à la référence à l'état de veille ? C'est ce qu'a tenté Susan
Blackmore par une approche différente de la conscience. Plutôt que d'envisager la lucidité
comme un surcroît de conscience, elle propose de voir dans toutes les formes de conscience
des modèles mentaux. Pour donner une théorie qui soit susceptible d'expliquer cognitivement
la lucidité onirique, Blackmore part d'un certain nombre de constatations concernant la
perception, la mémoire et la représentation. Elle rappelle qu'en tant que système cognitif
l'homme est un système qui se représente lui-même, que sa principale tâche est de
construire des représentations, des "modèles", du monde et de soi-même à l'intérieur de ce
monde.

Ainsi, en ce qui concerne le premier terme, nous disposons par exemple d'une "carte
cognitive", représentation mentale du monde qui intègre dans notre mémoire la plus grande
partie de ce que nous savons des lieux où nous sommes passés. La nature "mentale" de cette
carte apparaît aisément en raison de ses propriétés : si on la compare au monde physique on
se rend compte qu'elle est généralement simplifiée (ou modifiée) d'une façon qui ne pourrait
se produire au cours de la perception équivalente : « Par exemple, vous pouvez être capable
de "voir" les objets dans votre image mais ne pas pouvoir les compter. Voir que vous écrivez
mais non lire »[31]. Blackmore précise que cette "carte" peut être fausse lorsqu'on la compare
au monde physique, mais elle ne semble pas vouloir dire par là qu'il existe une référence
physique absolue à laquelle il est toujours possible de confronter le modèle mental puisque la
perception qui nous donne accès à ce monde physique est elle-même un processus de
construction de représentations ou de modèles du monde : « Le processus de perception
n'est pas un processus passif d'observation du monde "tel qu'il est réellement". Après tout, il
n'y a pas de monde "tel qu'il est réellement" »[32]. La perception consiste en fait à analyser
les caractéristiques des informations fournies par les sens et à construire des modèles sur la
base de cette analyse. Cette construction de l'objet de perception est inséparable du travail
de la mémoire qui, en quelque sorte, "comble les trous" de la perception de telle sorte que
l'ensemble perception-mémoire contribue à former en nous l'image d'un monde stable et
prévisible.

Le deuxième terme, la représentation de soi dans le monde, dépend également de la


perception et de la mémoire : il est continuellement créé et confronté aux informations
sensorielles et mnémoniques. D'après Blackmore, ces deux termes pris conjointement
forment un "modèle de réalité" qui doit nous aider à comprendre la lucidité onirique :
« L'image du corps et la représentation perceptive sont habituellement débattues tout à fait
indépendamment, mais ici elles sont mieux traitées ensemble. Après tout, je suis toujours
consciente que quelqu'un perçoit. Je ne vois pas seulement le clavier mais je suis consciente
d'être assise devant lui. Mon modèle du monde inclut naturellement un modèle de moi-même
en lui, et ce soi a une localisation spécifique. Le modèle perceptif et l'image du
corps ensemble forment une représentation que l'on peut appeler le "modèle de la réalité".

« C'est le "modèle de la réalité" que nous prenons comme monde réel avec nous
dedans. Si nous démontrons (pour suivre Yates, 1985) que les contenus de notre conscience
sont un modèle du monde, alors normalement c'est ce "modèle de réalité" qui est en premier
dans notre conscience »[33].

D'après la théorie de Blackmore, nous construisons constamment différents modèles


entre lesquels nous devons décider lequel représente le plus adéquatement la réalité, ceci
pour des raisons d'efficacité dans l'action. Cependant cette décision ne s'opère que très tard
dans l'ensemble du processus. Si un tel choix doit s'opérer, c'est qu'il est implicitement posé
qu'il n'y a qu'un seul modèle à la fois qui puisse être considéré comme étant la "réalité"
(physique) et de fait il y a des critères permettant d'en décider : le fait que le modèle est
avant tout stable, complexe, détaillé et constamment confirmé par les messages
sensoriels. Que se passe-t-il alors avec les autres modèles qui n'ont pas été sélectionnés ?
Au lieu de recevoir le label de "réalité", ils sont qualifiés de "pensée" ou "d'imagination".

En quoi ces considérations peuvent-elles nous aider à comprendre la lucidité onirique ?


Lors du sommeil avec rêves, les informations sensorielles ont pratiquement disparu et ainsi
les modèles de réalité construits ne sont plus basés sur eux. Or, c'est le modèle dominant qui
semble réel car, en l'absence d'autres informations, il devient le plus convainquant. Comme
ce modèle détermine aussi bien une représentation du monde qu'une représentation de soi,
le sujet onirique a le même type de stabilité que le décor, ce qui explique pourquoi le rêve
peut paraître au réveil très bizarre tout en étant au cours du sommeil si convainquant : le
"je" du rêve est tout aussi construit que le décor du rêve. Un tel "je" pourrait se rapprocher
de celui de la vie de veille si la mémoire du rêveur était plus précise et plus détaillée et, dans
ce cas, nous aurions un modèle plus proche de la vie de veille. On comprend comment cette
idée peut alors expliquer le rêve lucide : « Selon cette théorie, cela voudrait dire que,
endormi, l'on construit un modèle de soi en tant que rêveur, connaissant les faits
caractéristiques tels que son nom, le jour, où l'on s'est couché et ainsi de suite. Si un tel
modèle pouvait être créé et se révélait suffisamment stable et cohérent, alors il pourrait
acquérir le statut de réalité. Il pourrait alors être plus facile de se souvenir, en se réveillant,
parce que le soi construit serait plus semblable au soi normalement éveillé.

« Aussi, comment est-ce que cela se passe ? Il se peut que, au cours d'un rêve
ordinaire, quelque chose arrive qui soulève l'idée du rêve. Cela peut être, par exemple, un
motif de rêve récurrent ou un thème. Cela peut être un rêve d'aller au lit ou d'être allongé.
Cela peut être que quelque chose de si bizarre arrive que l'on se pose des questions sur son
statut. Quoi que ce soit, le résultat est le même : un modèle est essayé qui dit que ceci est
un rêve et que vous êtes endormi »[34].

Cette théorie de Blackmore est fort intéressante car elle explique, à notre avis, aussi
bien certaines anomalies apparentes du rêve lucide que ses manifestations courantes. Pour
ce qui est de ces dernières elle permet de rendre compte des rêves associés au rêve lucide
d'une façon originale puisqu'elle ne suppose pas une sorte d'augmentation de la conscience :
de tels rêves ne se rapprocheraient en rien du rêve lucide en raison d'un développement
conscientiel mais, tout comme lui, dépendraient de la représentation de soi dans le modèle
de la réalité : « Pourquoi y a-t-il dans le système un modèle "en conscience" alors que les
autres ne le sont pas ? En d'autres termes, qu'est-ce que la conscience ? Une approche plutôt
radicale résout de tels problèmes. Supposons que tous les modèles mentaux sont conscients
ou plutôt que cette conscience est "ce que cela est d'être un modèle mental" […]. Dans cette
optique, toutes les représentations construites à n'importe quel niveau donnent naissance à
la conscience. Alors pourquoi suis-je apparemment conscient de certaines et non des autres ?
Parce que je suis seulement un modèle comme un autre. Tous les modèles qui forment une
part du modèle du soi à la fois, sont dans "ma" conscience. Les autres sont seulement dans
leur propre conscience, qui peut être flottante et éphémère »[35].

Dans une telle optique, l'apparition de la lucidité n'est pas une prise de conscience par
rapport à une situation incongrue, au contraire elle fait partie du modèle d'ensemble,
même si elle peut entraîner sa modification. Ainsi un rêveur peut constater un événement
étrange mais, en l'absence d'informations sensorielles ou mnémoniques en provenance de la
veille, il n'est amené à se demander s'il rêve que si la mémoire inscrite dans la représentation
qu'il a de lui-même en comporte la possibilité. Pour cette raison, les rêves de faux-éveil ou de
sortie hors du corps peuvent déboucher sur la lucidité parce que la représentation que le
sujet y a de lui-même comprend nécessairement l'accès à des informations se rapportant au
monde de la veille et non parce que ces rêves sont plus "éveillés". Ce n'est donc pas une
"évolution" quelconque qui lui fait adopter l'idée qu'il rêve comme "modèle de réalité" mais la
structure même du modèle.

Cette théorie explique aussi certaines anomalies que nous avons déjà rencontrées
comme le rêve lucide à partir d'un rêve ordinaire, c'est-à-dire dans lequel le rêveur sait qu'il
est en train de rêver mais dont la "réalité de veille" est en fait attribuée au rêve précédent
dont il a le souvenir[36]. Ou encore, les rêves demi-lucides ou les rêves de degré de
conscience faible dans lesquels, tout en se sachant en train de rêver, le rêveur peut se sentir
obligé d'accomplir certains actes oniriques, par exemple pour se protéger. Ainsi,
contrairement à ce qui aurait pu être supposé à l'examen de ces différents types de rêves, il
n'y aurait pas une sorte d'énergie conscientielle dont l'intensité pourrait être plus ou moins
grande en rêve, mais simplement des modèles de réalité qui détermineraient le type de
conscience en fonction d'une configuration d'ensemble.

Cependant, aussi séduisante qu'elle soit, cette théorie présente vis-à-vis du rêve une
lacune qui la rend insuffisante pour expliquer la lucidité. En se plaçant du point de vue du
sujet, elle montre en effet que ce que nous appelons réalité n'est jamais qu'une construction,
mais elle fait manifestement dépendre cette construction d'une extériorité inaccessible qui
sert à sa régulation : « Nous sommes persuadés que ce que nous voyons est "réellement" là.
Cependant ce n'est pas nécessairement évident aussi loin que le cerveau est concerné. En
construisant des modèles plausibles d'une "réalité" extérieure, il doit prendre des décisions
concernant ce qui est bruit, ce qui est imagination et ce qui est purement "là dehors". Il est
important de noter que la séparation de l'information, fondée sur les entrées sensorielles et
sur ce qui vient de la mémoire, n'est pas sans importance. L'information provenant des
sources externes et internes est amalgamée très tôt dans un processus continuel. Dans la
vision, cela peut même se produire dans la rétine. Clairement, cette information est utilisée
pour construire des représentations successives à travers le système […]. Encore qu'à la fin,
aux niveaux les plus élevés de la représentation, la distinction entre ce qui est "réellement" là
dehors et ce qui est de l'imagination doit être claire »[37].

Dans ce cas, les modèles de réalité de l'état de veille sont nécessairement plus "réels"
que ceux du rêve, en raison de la régulation sensorielle dont ils bénéficient. Cependant on
comprend mal comment on peut affirmer que le rêve résulte d'une absence de régulation par
les sens lorsqu'on se place, pour le constater, du point de vue du sujet qui perçoit tout aussi
bien l'environnement du rêve que le monde de la veille. Qu'est-ce qui, ici, permet d'accorder
à la veille une priorité à représenter la réalité ? Dans la mesure où le rêve est perçu par le
rêveur, ce dernier n'a pas plus de raison de lui refuser une régulation équivalente, fût-elle
onirique, ni d'admettre que certains modèles aient en soi plus de valeur que d'autres,
comme ceux de la veille. D'ailleurs, la valeur d'un tel modèle de réalité se mesure à la façon
dont il permet au sujet de s'insérer dans le monde et, de ce point de vue, pour le rêveur
lucide, c'est bien l'état de veille qui doit jouer le rôle de l'irréel. En fait, on pourrait tout aussi
bien poser que la régulation qui s'opère à l'état de veille est tout aussi inexistante qu'au cours
du rêve - puisqu'elle est aussi inaccessible dans l'un et l'autre état, il n'existe aucun moyen
de prouver son existence. La théorie de Blackmore poussée jusqu'au bout ne peut donc
qu'aboutir à une indifférenciation ontologique du rêve et de la veille.

Une autre conséquence de cette théorie est que, si elle peut expliquer la structure
que prend la lucidité selon les circonstances, elle échoue à rendre compte de la lucidité
elle-même. Si, en effet, nous reprenons l'idée que plusieurs modèles concurrents se
proposent au sujet et que seul le modèle répondant aux critères de stabilité et d'adéquation
aux "informations" reçues est conservé, la théorie suppose nécessairement que ce choix se
fait automatiquement (en effet dans le cas contraire il y aurait un sujet en dehors des
modèles pour choisir celui qu'il juge adéquat, ce qui serait contraire à la théorie). Or, si le
sujet fait partie intégrante du modèle construit, on ne comprend pas quel rapport il entretient
avec celui d'un autre modèle. En d'autres termes, on ne comprend pas ce qui maintient
l'unité du sujet à travers ces différents modèles. La réponse semble à première vue évidente
si l'on fait appel à la mémoire, mais en réalité c'est une réponse à l'envers puisque la
mémoire suppose l'unité du sujet plutôt qu'elle ne l'explique[39]. Blackmore pose d'abord la
mémoire et la perception d'un sujet un puis fractionne ce sujet, tout en s'appuyant de façon
implicite sur cette unité que la théorie n'accepte pas comme donnée.

Cette théorie a donc un intérêt explicatif certain (puisqu'elle rend compte de types de
lucidité qui laissent habituellement perplexes ceux qui pensent cette dernière en référence à
la conscience réfléchie) et elle permet même à Blackmore de proposer un certain nombre
d'hypothèses vérifiables, mais elle est manifestement incomplète car elle ne permet de
différencier la veille du rêve qu'en s'appuyant sur un postulat implicite qui semble contraire à
la théorie.

Ainsi, ni la théorie de LaBerge, qui voit dans la conscience le résultat d'une évolution,
ni celle de Blackmore, qui en fait un élément dépendant du modèle de réalité dans lequel il
s'inscrit, ne permettent d'expliquer la lucidité, bien que ces deux modèles soient d'une
certaine façon opposés. Il faut donc supposer que malgré leurs divergences ces deux théories
partagent un défaut qui tient probablement à leur démarche commune : chercher dans la
veille le moyen de rendre raison de la lucidité ou, en d'autres termes, lui refuser toute
spécificité. Ce qu'une telle démarche peut avoir de réducteur apparaît nettement dans les
conditions d'étude qu'elle amène à poser, et plus précisément dans ce qu'elle exclut :
« D'abord, ce qui est intéressant, en ce qui concerne les rêves lucides, n'est pas leur
contenu. Nous savons que le contenu diffère un peu mais, comme l'a souligné Jayne
Gackenbach, les rêves lucides ressemblent plus aux rêves ordinaires qu'ils ne sont différents.
En second lieu, ils ne sont pas intéressants à cause du moment de leur venue. Ils arrivent
durant le sommeil REM. […] Troisièmement, ils ne sont pas particulièrement vivants ni
dramatiques au point que cela puisse nous faire dire ce qu'est la différence. La seule chose
qui, pour moi, rend le rêve lucide intéressant est cette chose curieuse : il me semble y être
plus consciente »[40]. Ce rejet du contenu du rêve peut sembler légitime à première vue,
mais il risque d'entraîner dans son sillage les variations de qualité dans le mode d'apparaître
lui-même. Ainsi, par exemple, nous avons déjà pu constater que l'apparition de la lucidité
entraînait parfois une augmentation qualitative dont il est très difficile de dire, dans le rêve, si
elle concerne le perçu ou la perception. Ne s'intéresser qu'à l'aspect "plus conscient" du rêve
lucide c'est en fait isoler un élément conscientiel dont il n'est pas certain qu'on puisse le
comprendre sans ce dont il est conscience.

On voit que, d'une certaine façon, aussi bien la démarche de LaBerge que celle de
Blackmore excluent le rêve comme élément de l'étude de la lucidité. Et, en procédant ainsi,
ils doivent nécessairement compenser un vide. En effet, ce qui caractérise d'un point de vue
extérieur la lucidité ce n'est pas que le rêveur est conscient (il l'est déjà dans le rêve
ordinaire) mais qu'il est conscient de rêver. Or, si l'on veut trouver à la lucidité un référent
dans l'état de veille, il faut nécessairement y chercher un même type de disposition
conscientielle, c'est-à-dire une conscience à la fois de l'état de veille et de ce qui l'englobe et
qui en marque la limite. Des auteurs tels que Gackenbach, Hunt ou Charles Tart ont posé
qu'il existe, à l'état de veille, de tels types de conscience vigile lucide dont l'apparition est en
fait aussi rare que celle de la lucidité mais dont l'étude nous permettrait de mieux
comprendre la lucidité onirique. Une telle tentative est-elle possible dans une perspective
cognitiviste ?

Tart part de l'idée que la conscience est un processus de simulation du monde et


cherche à comprendre le rêve selon cette perspective. Puisque la perception est une
construction, la fonction principale de la conscience est de simuler la réalité en lui donnant
une signification. De ce fait, les données purement "externes" ne jouent qu'un rôle réduit
dans la perception consciente : nous percevons plus ce qui doit être que ce qui est[41]. Pour
Tart, cette fonction de simulation du monde se retrouve également dans le rêve qui, s'il n'est
pas cohérent avec l'état de veille, n'en présente pas moins sa propre organisation : « En
rêvant donc, le monde extérieur est pratiquement coupé de la conscience. Le sous-système
subconscient, le candidat favori du théoricien pour déterminer le contenu du rêve, est
représenté comme hautement actif : "quelqu'un" doit être là pour introduire tout le décor du
rêve et placer les personnages pour qu'ils interviennent au bon moment.

« La mémoire fonctionne mais d'une drôle de façon. Presque tous les théoriciens
croient qu'un rêve est entièrement fait de souvenirs [exacts] et de souvenirs modifiés mais
phénoménologiquement, vous n'avez pas l'impression que vous vous souvenez comme vous
le faites dans un état ordinaire lorsque vous vous rappelez quelque chose »[42].

La conscience n'est donc pas absente du rêve ordinaire, au contraire c'est elle, en tant
que processus de simulation du monde, qui le simule tout comme elle simule le monde de
l'éveil. Mais, si la conscience du rêve ordinaire a la même fonction que celle de la veille
ordinaire, il n'est plus possible de ramener la lucidité à la conscience de veille habituelle
qu'elle soit directe ou réfléchie. En d'autres termes, la conscience onirique ordinaire est déjà
analogue à la conscience de veille ordinaire et, si elle peut paraître différente, c'est en raison
d'un glissement de l'appréciation sur le mode de manifestation et le déroulement du rêve[43].
Pour cette raison, la lucidité onirique ne se réduit donc pas à la conscience réfléchie qui est
déjà présente dans le rêve mais doit bien être rapportée à ce qui la caractérise dès l'abord :
la conscience, non pas d'être conscient, mais de la situation conscientielle elle-même. Nous
avons vu, par exemple, que le rêveur lucide peut l'être à partir d'un autre rêve, sans pour
autant considérer à son tour cet autre rêve comme un rêve.

Ainsi, plutôt que d'être une anomalie du rêve ou un débordement conscientiel, la


lucidité serait un processus qui pourrait se trouver aussi bien à l'état de veille que dans le
rêve et qui aurait pour fonction, dans l'un et l'autre cas, de rendre la simulation du monde la
plus appropriée possible en la libérant des erreurs provoquées par la signification quasi-
automatiquement donnée à ce qui est perçu et qui constitue la plus grande part de la
perception. En ce sens, la lucidité ne serait pas tant un type de conscience qu'une dimension
particulière d'un état conscientiel donné : « La véritable lucidité, selon moi, signifie un
mouvement minute par minute vers la clarté en ce qui concerne ce qui est effectivement en
train de se produire, en distinguant expérience immédiate et perception des interprétations
de ce qui est en train de se passer.

« Si vous ne faites pas cette discrimination, instant par instant, alors, ces
interprétations deviennent des aspects automatiques du processus de simulation du monde.
On les perçoit faussement comme des faits apparents de perception plutôt que pour les
interprétations qu'elles sont »[44].

Les moments de lucidité peuvent donc se trouver à l'état de veille lorsque, par
exemple, on est conscient de l'état conscientiel dans lequel on est, c'est-à-dire quand on
cesse ou, du moins, quand on tend à faire cesser les interprétations automatiques du monde.
Si, en effet, il suffit d'être éveillé pour être conscient de soi-même et du monde, en revanche
cela ne suffit pas pour être lucide quant à cette conscience elle-même. (On dira par exemple
qu'un homme en proie à certaines émotions est conscient de son état, mais il n'est pas lucide
dans la mesure où l'émotion dépend avant tout de l'interprétation du monde.) Tart décrit ses
propres états de lucidité diurne : « Ces moments plus lucides introduisent une expérience au
cours de laquelle je sais plus clairement que d'habitude a) qui je suis, b) ce que ma situation
est en termes de ce qui arrive immédiatement ici et maintenant ; et que j'ai c) le sentiment
qu'il y a "quelqu'un à la maison," que je suis présent d'une manière véritable qui n'est pas
typique de la vie de tous jours. La vie de tous les jours, par contraste, est l'expérience de
mon processus de simulation du monde sur le mode automatique. Il y a d) un sentiment de
satisfaction et de bonheur qui emplit ces moments de lucidité. Je n'ai pas un besoin puissant
de sortir pour me battre et obtenir des satisfactions extérieures pour mener une vie heureuse
quand j'ai ces moments de clarté »[45].

Ces moments de lucidité vigile correspondent bien, sur le plan qualitatif, à certaines
descriptions de la lucidité onirique que nous avons déjà rencontrées. Lorsqu'une pleine
lucidité onirique survient, le rêveur non seulement a le sentiment très net de son identité et
la conscience claire de sa situation mais aussi une impression de présence à lui-même et à
son environnement dans l'ici-maintenant qu'il n'a habituellement pas dans l'état de veille
ordinaire et qui suffit souvent à expliquer le désir de revivre de telles expériences.
LaBerge parle, à ce sujet, d'un sentiment de griserie, et nombreux sont les sujets qui
recherchent la lucidité onirique pour la simple joie de se sentir conscients. Nous avons vu
également que le surgissement de ce type de lucidité entraîne souvent un sentiment de vie et
de bonheur qui lui semble inhérent. La comparaison des contenus associés à ces états de
conscience, refusée par LaBerge et Blackmore, semble bien ici nous donner un indice sur la
validité d'une telle mise en rapport. Tart précise que, chez lui, de tels moments de lucidité
vigile sont éphémères et on peut supposer que, d'une façon générale, ils se manifestent
assez rarement à l'état de veille, peut-être aussi rarement que la lucidité onirique dans l'état
de rêve.

En faisant de la lucidité un processus indépendant de l'état de veille ou de sommeil en


ce qu'il n'est une caractéristique permanente d'aucun des deux, Tart évite l'impasse des
théories de LaBerge et Blackmore qui l'assimilaient chacun à leur manière à la conscience de
veille, soit dans son aspect réfléchi, soit dans sa globalité. Cependant si la lucidité est une
dimension conscientielle qui tend à réduire la quantité d'interprétation au profit de la
perception, la question se pose automatiquement de savoir pourquoi le rêve ne disparaît pas
ou tout au moins ne s'atténue pas avec le surgissement de la lucidité. Dans le schéma de
Tart il semble bien que les sous-systèmes responsables de la part interprétative de la
perception à l'état de veille soient ceux qui fournissent le rêve. On doit donc supposer qu'une
lucidité maximale équivaudrait à la dissolution du rêve, même si le rêveur ne s'éveille pas, et
que, tant que le rêve est présent, le rêveur lucide continue en partie à fonctionner selon un
processus automatique dont il est en quelque sorte le spectateur. Or, cela s'accorde mal avec
les récits où l'émergence de la lucidité augmente la qualité de la "perception" onirique. Même
la prise en considération de la réorganisation du rêve qui se produit lorsqu'apparaît la lucidité
ne permet pas de se sortir de cette difficulté. Tart en vient alors à poser que si la perception
onirique se fait plus précise et plus riche avec la lucidité qui pourtant réduit l'interprétation,
c'est que le rêve alors perçu correspond à une réalité psychique : « Le modèle matérialiste
et scientifique conçoit les rêves comme rien d'autre que des actions neuro-chimiques et
semi-arbitraires à l'intérieur de la boite crânienne, un processus de simulation du monde
comprenant moins de contraintes qu'à l'état d'éveil concernant ce qui peut être simulé, mais
une expérience qui est, bien sûr, toute imagination. Notre modèle de réalités
psychiques possibles formulerait l'hypothèse que les rêves pourraient n'être rien que de
l'imaginaire la plupart du temps, mais qu'ils pourraient aussi être plus que de l'imagination.
Ils pourraient agir comme une "porte d'entrée", comme un moyen d'induction dans d'autres
sortes d'états modifiés de conscience (simulation d'un monde subjectif modifié) et peut-être
dans d'autres sortes de réalités "objectives" »[46].

Cet aspect de la théorie de Tart montre donc que les difficultés successives
rencontrées lors de la tentative de mise au point de modèles explicatifs peuvent entraîner des
conclusions qui dépassent toute possibilité de vérification en ce qui concerne le rêve lucide.
Tart fait en effet ressortir le cadre conceptuel dans lequel est habituellement étudié le rêve,
l'identité psychoneurale, et en indique les limites : « Nous assumons communément,
notamment dans les cercles scientifiques, que la conscience en elle-même est totalement
réductible aux processus du cerveau, que lorsque vous voyez ce texte en face de vous, par
exemple, ce que vous voyez réellement, ce dont vous faites réellement l'expérience, est une
interaction électrochimique en une certaine partie de votre cerveau, une interaction sans
doute très précisément reliée à ce qui le produit réellement à l'extérieur. Il s'agit de ce que
les philosophes appellent l'hypothèse d'identité psycho-neuronale. Pour beaucoup, ce n'est
pas une hypothèse mais un mode de pensée, une croyance bien ancrée. D'un point de vue
personnel et scientifique, je ne trouve pas cette hypothèse assez adéquate pour correspondre
à toute la réalité »[47].

Or, c'est bien là un cadre implicitement admis par les théories de LaBerge et de
Blackmore qui voient dans le cerveau et l'activité nerveuse ce qui évolue ou ce qui produit
les modèles et qui, dans les deux cas, est responsable du type de conscience étudié.
Tart souligne qu'une telle position repose sur un paradoxe philosophique : « De ce système
d'approche de la conscience en tant que simulation du monde, ce que vous voyez n'est pas
un objet extérieur : ce que vous voyez est une activité des neurones. Ce que vous entendez
n'est pas un son externe : vous entendez une activité des neurones. Le corps que vous
appelez vôtre est aussi un schéma électro-chimique et neuronal. Tels sont aussi les
caractéristiques de ce que vous appelez votre moi, et ainsi de suite. Le monde extérieur et
votre position à l'intérieur de ce monde extérieur sont une inférence continue et avec bon
espoir, vous faites un bon travail de simulation. Si vous lisez ceci, c'est que vous êtes
toujours en vie. Il est évident que votre modèle de simulation du monde travaille tout à fait
bien la plupart du temps. Il y a une circularité charmante dans tout ceci, bien sûr. Partant de
l'expérience mentale, nous déduisons le monde extérieur. En articulant et en affinant notre
connaissance du monde extérieur, nous découvrons les sens et le système nerveux, nous
commençons à saisir l'opération de systèmes complexes sous la forme de machines et
ensuite nous commençons à monologuer en dehors de notre expérience directe en attribuant
notre conscience de base au cerveau plutôt qu'à un esprit qui n'est pas physique. Ainsi,
l'expérience devient un "épiphénomène" »[48].

Cependant, si l'adoption d'une telle hypothèse est source de difficultés pour la


réflexion, cela ne signifie pas ipso facto que ce cadre doit être rejeté. D'une part, en effet,
c'est la capacité explicative de ce cadre qui est en question et non sa validité et on peut
supposer qu'il peut être aménagé pour accueillir de nouvelles données. L'hypothèse de
l'identité psychoneurale est en effet opératoire malgré les difficultés qu'elle présente à la
réflexion. Point n'est besoin de rappeler que c'est sur elle que se fondent la plupart des
découvertes actuelles sur le sommeil et le rêve. On peut comparer cette hypothèse à la
théorie des ensembles dont le paradoxe de Russell sape le fondement logique mais qui reste
malgré tout opératoire dans le champ mathématique. D'autre part, et surtout, les difficultés
qui se présentent dans ce cadre ne pourraient entraîner automatiquement l'adoption de
l'hypothèse de réalités psychiques sans accepter une circularité dans la recherche. En effet, si
ce nouveau cadre explicatif rend compte de cet aspect du rêve qui reste réel malgré la
présence de la lucidité qui fait s'évanouir la tendance à imposer des significations au monde
onirique, il repose néanmoins sur l'expérience conscientielle du rêveur lucide qui en est la
garantie. Or, jusqu'à présent, rien dans l'expérience conscientielle vécue par le rêveur lucide
sur le mode de la réalité ne permet d'affirmer que cette réalité onirique, si elle existe, soit
autre qu'individuelle, en ce sens qu'elle ne pourrait jamais faire l'objet que d'une étude
subjective et serait donc, de notre point de vue éveillé, irréelle.

Ces quelques remarques montrent en fait que, si la capacité explicative d'un cadre
théorique limite la compréhension de la lucidité onirique, ce n'est peut-être pas tant en raison
de ses conclusions ou même de ses postulats que par les concepts qui servent à l'élaborer,
ceux-là mêmes qui nous permettent en première instance de savoir ce que sont le rêve ou la
veille, comme la "réalité", la "conscience", l'objectif et le subjectif" et dont on ne remet
généralement pas la validité en question. Or ici, par exemple, il est difficile de comprendre
comment une "réalité" onirique pourrait être en même temps uniquement individuelle. Les
difficultés qu'entraînent les théories scientifiques de la lucidité onirique imposent donc une
analyse de type critique de notions généralement considérées comme parfaitement
évidentes. Cela risque toutefois de ne pas apparaître au premier abord si l'on n'indique pas,
au moins brièvement, les processus mentaux qui ont conduit à des impasses manifestes.

Le premier processus reçoit couramment le nom de "préjugé" lorsqu'il est mis en


évidence, mais contrairement à ce que ce terme semble indiquer, il ne s'agit pas toujours,
dans le domaine scientifique, d'une évidence non questionnée et qui donc serait imputable à
une absence de scientificité, mais d'un jugement ancien cristallisé par des théories. A cet
égard, la lucidité onirique offre un cas particulièrement clair et sur lequel nous avons eu
l'occasion de mettre l'accent à plusieurs reprises. L'entreprise scientifique part en effet des
observations de l'expérience vécue et s'édifie sur ces bases, même si elle doit, par la suite,
récuser l'attitude naïve qu'elle entraîne. Ainsi l'expérience que nous avons communément de
la conscience dans les états de veille et de sommeil a servi à élaborer des méthodes
d'investigation des degrés de vigilance qui elles-mêmes ont permis de mettre au point une
théorie des seuils d'éveil et de sommeil. L'habitude une fois prise de considérer cette
conscience en fonction de l'état physiologique du sujet, lorsqu'un nouveau fait de l'expérience
directe, la lucidité onirique, a été rapporté, il a été écarté non pas en raison d'une
impossibilité intrinsèque, mais plus simplement parce qu'il était en désaccord avec une
méthode d'investigation et sa théorie. Le fait que la lucidité onirique ait, malgré le livre
d'Hervey de Saint-Denys, été plus ou moins reléguée dans le rang des phénomènes
"psychiques", alors qu'il s'agit d'une faculté susceptible d'apprentissage et d'expérimentation,
indique clairement que le préjugé trouve sa source dans une théorie scientifique et non pas
seulement dans une opinion sans structure conceptuelle comme dans le cas de Maury ou de
Sartre. En effet, il n'y a pas de raison a priori pour que certains types d'expériences vécues
soient acceptés et d'autres refusés comme point de départ par la recherche scientifique, si ce
n'est en raison de critères théoriques implicites et n'ayant pour cette raison fait l'objet
d'aucune vérification.
L'expérience vécue infiltre ses préjugés dans l'attitude scientifique de bien des façons.
On tient par exemple pour acquis que le rêve est une expérience entièrement subjective,
mais qu'entend-on par là ? Si l'on veut dire qu'à l'état de veille le rêve apparaît comme une
expérience privée qui ne concerne que le rêveur, cette idée semble tout-à-fait raisonnable
tant que le sujet est éveillé. Elle correspond en fait à une façon assez spontanée de
comprendre l'expérience vécue : « Dans mon monde originel, d'innombrables variétés
d'expériences apparaissaient comme tout à fait objectives, c'est-à-dire comme existant et
se produisant de façon indépendante et extérieure. D'autres expériences m'appartenaient
personnellement, en privé, et dans cette mesure, elles étaient subjectives : ainsi de tel
effroi ressenti en telle occasion, de la joie chaude et débordante au jour de Noël »[49]. De ce
point de vue spontané le souvenir du rêve est nécessairement subjectif.

Cependant, on ne peut ériger cette attitude spontanée en axiome, puisque cette


même différenciation entre ce qui est public et ce qui est privé - ou, en d'autres termes,
entre ce qui est objectif et ce qui est subjectif - se retrouve dans l'expérience vécue au sein
du rêve et peut être aisément constatée dans le rêve lucide. Pour décider malgré tout que
l'expérience onirique est entièrement subjective, il faudrait accepter une hiérarchie entre les
deux types d'expérience vécue, et cette hiérarchie est elle-même un produit de l'attitude
spontanée à l'état d'éveil mais n'a aucune valeur proprement scientifique. Ainsi il y a une
différence essentielle entre l'idée du subjectif, comme ce qui est chez autrui inaccessible à
l'observation, et l'idée du subjectif, comme ce qui pour soi constitue une intériorité et qui
peut jouer un rôle dans le rêve même. Je peux considérer que le rêve d'autrui est subjectif
parce qu'il est inaccessible à mon observation, mais je ne peux pas en conclure que, de son
point de vue, il en va de même au sein de son rêve.

Or, pour le rêveur lucide lui-même, l'assimilation du rêve à une expérience subjective
n'a qu'un sens intellectuel puisqu'il traite pratiquement son rêve comme une réalité qui lui
est extérieure. Le rêveur a le sentiment de faire preuve de perception et déplace sa ligne de
démarcation entre le subjectif et l'objectif à l'intérieur du rêve même : est objectif ce qui fait
l'objet de sa perception onirique en rêve, est subjectif ce qui relève, toujours en rêve, de ses
pensées, de ses émotions, de ses représentations mentales. Ainsi le souvenir qu'il a en
rêve de sa vie de veille est par essence expérience subjective. Ce n'est donc pas le
contenu de l'expérience qui permet de rendre raison de sa nature dans l'expérience vécue
consciente, mais la structure et l'orientation de la conscience vis-à-vis de ce contenu. Pour
cette raison on ne peut pas dire que c'est le rêve lui-même qui est subjectif, car la
subjectivité n'est qu'un point de vue adopté selon un contexte de réalité.

Or, c'est bien l'adoption de cette idée du rêve comme subjectif par lui-même qui est
à l'origine des difficultés des tentatives théoriques que nous avons examinées. Ces tentatives
commencent en effet par poser la subjectivité du rêve (ce qui est légitime au premier sens du
terme) mais se heurtent à des contradictions lorsqu'elles maintiennent cette attitude au sein
même du rêve car elles ne prennent pas au sérieux l'aspect "réel" du rêve. Or, le rêve se
donne comme réalité non seulement dans son "perçu" mais aussi dans son organisation :
« Le sous-système espace/temps travaille déjà tout aussi durement dans le rêve que dans
l'état de veille, créant une grille spatio-temporelle pour l'expérience. Je n'ai presque jamais
entendu quelqu'un dire quelque chose comme "j'ai eu un rêve la nuit dernière ; il y avait un
pied ici et un crayon à pointe ronde là et une matière rougeâtre…" ; les rêves s'organisent
dans un cadre d'espace et de temps. Il se trouve simplement qu'il ne correspond pas au
cadre spatio-temporel que nous pensons être "réel". Si vous avez des rêves "réalistes", vous
devriez toujours rêver que vous êtes allongé sur le lit dans le noir et que rien n'arrive.
Heureusement, le sens de l'espace/temps est clairement libéré quand on rêve. Autrement les
rêves seraient terriblement ternes »[50]. Ainsi, à vouloir maintenir une définition univoque du
subjectif, on en vient soit à mettre au point des modèles théoriques contradictoires, soit à
poser l'hypothèse des réalités psychiques en soi. Cependant, si au lieu d'appliquer les termes
de subjectif et d'objectif à des contenus de l'expérience, on les comprenait comme une façon
d'organiser cette expérience, un type d'analyse différent émergerait.

Supposons en effet qu'au lieu de poser a priori la subjectivité de l'expérience


onirique, on l'examine comme toute autre expérience afin de déterminer dans quelle mesure
elle est subjective. Dans ce cas, un certain nombre de postulats que l'on cherchait vainement
à confirmer se transforment en questions qui peuvent ouvrir à une compréhension différente
du rêve. Ainsi, plutôt que de voir dans le rêve une simple image mentale dont il faut
expliquer l'aspect "perçu", on peut au contraire, grâce à la lucidité, examiner cette perception
onirique, et chercher ce qui la constitue comme telle. De la même façon, plutôt que de poser
la subjectivité du rêve et se heurter à son aspect "réel", on peut rechercher qu'est-ce qui,
dans la structure de l'expérience du rêveur, détermine cette objectivité. On peut alors se
demander si les critères de la perception ou de l'objectivité au sein même du rêve sont ou
non ceux de l'état de veille. Plutôt que de poser les critères adoptés à l'état de veille comme
absolus, une analyse sans préjugé nous amène à une étude comparative et à chercher s'il
existe ou non un critère commun déterminant.

Cette analyse peut aussi s'étendre au caractère conscientiel de l'expérience sans être
entravée par l'idée a priori qu'elle est un fait premier et incontournable, échappant par là à
toute analyse. C'est ce préjugé qui est responsable de la façon spontanée dont on a décrit le
rêve lucide. Lorsque la lucidité onirique a été découverte, une fois dépassé le cap des fausses
réfutations (micro-éveil, faux sommeil, etc.), elle a d'abord été considérée comme
l'émergence de la conscience de veille dans le rêve. Or, nous avons pu nous rendre compte
des difficultés qu'entraîne une telle compréhension de la conscience pour l'explication de la
lucidité onirique. Le rêve lucide ouvre - et oblige - à une révision conceptuelle de ce qui est
généralement compris sous ce terme, mais une telle révision ne peut se faire qu'à travers
l'expérience conscientielle elle-même et non de façon scientifique. Il s'agit d'une appréciation
portée sur la nature et la complexité d'une expérience directe non quantifiable à partir de
l'examen des rêves eux-mêmes.

En fin de compte, il apparaît qu'il faut d'abord clarifier et réorganiser le terrain


conceptuel pour permettre une investigation du rêve lucide qui devrait aboutir à la mise en
place d'un modèle explicatif. Ces deux approches sont complémentaires : la première permet
de mieux prendre conscience des implications conceptuelles et métaphysiques qui
soutiennent une démarche scientifique (comme cela est apparu lors de l'examen des modèles
scientifiques), tandis que la deuxième cherche à relier l'ensemble des phénomènes selon un
nouveau type de compréhension.

Chapitre Dix

[51] Jean-Paul Sartre, "L'imaginaire, Psychologie phénoménologique de l'imagination," Idées/Gallimard,


Paris, 1975, p. 313.

[1]
« What is meant by the phrase lucid dreaming? There is obviously no single definition of lucid
dreaming covering the full range of phenomena that have been reported by skilled lucid dreamers
[…] Some researchers only attribute lucidity to the dreamer when cognitive abilities during
dreaming appear to be approximately equivalent to those of the waking state […]. We prefer a
minimalist definition: the emergence while dreaming of the awareness that one is experiencing a
dream. Other cognitive capabilities of the dreamer need not be altered in any way ». Alan Moffit,
Robert Hoffmann, Janet Mullington, Sheila Purcell, Ross Pigeau and Roger Wells, "Dream
Psychology, Operating in the Dark", in Conscious Mind, Sleeping Brain, Perspectives on Lucid
Dreaming, edited by Jayne Gackenbach and Stephen LaBerge, Plenum Press, New York and London,
1988, p. 430.
[2]
Ibid, p. 312.
[3]
Sujet n°9, 14 août 1985.
[4]
« […] when I began dreaming dreams in which I became "conscious" without waking up, I
recognized that something new was going on, and wanted to know what it was called. A
psychologist patiently explained to me that it was impossible that I had become conscious while I
was asleep, because one is unconscious while asleep, by definition ». Elinor Gebremedhin,
"Problems at Refining the 'Lucid' Label: Shooting at a Moving Target", in Lucidity Letter, 6 (1),
1987, p. 80.
[5]
« When I started medical school, I wanted to continue doing psychophysiological research into
consciousness during REM sleep, but many of my mentors suggested that by definition this was
impossible ». Andrew Brylowski, "H-Reflex in Lucid Dreams" in Lucidity Letter, 1986, 5 (1), p. 116.
[6]
Paul Tholey, "Overview of the German Research in the Field of Lucid Dreaming", dans Lucidity
Letter, 7(1), 1988, p. 26. Cité supra au chapitre 3.
[7]
« I normally remember that I am to proceed with some task, even though frequently I can't think
of what it is. When I think of it, I can usually carry it through, though sometimes I forget what I'm
doing, or I suddenly do something unplanned. I observe closely, though my judgment is bad ».
George Gillespie, "Can we distinguish between lucid dreams and dreaming-awareness dreams?"
dans Lucidity Letter, vol. 3 n° 2 & 3, August 1984, p. 11. Cité de façon plus étendue au chapitre 3,
section I, §1, II, introduction.
[8]
Maurice Reuchlin, Psychologie, Presses Universitaires de France, Paris, 1984, p. 479. Souligné par
nous.
[9]
Ibid., p. 479.
[10]
Ibid., p. 488.
[11]
« Physiological analysis of the resulting 76 signal-verified lucid dreams (SVLDs) revealed that
elevated levels of automatic nervous system activity reliably occured both during and 30 seconds
preceding the onset of SVLDs, implicating physiological activation as a necessary condition for
reflective consciousness during REM dreaming ». Stephen LaBerge, Lynne Levitan et William C.
Dement, "Lucid Dreaming: Physiological Correlates of Consciousness during REM Sleep" in Journal of
Mind and Behavior, vol. 7, No 3, Summer 1986, p. 251.
[12]
« Activité musculaire qui intervient par 'phases', de façon brève, intense et transitoire, en même
temps que des bouffées de mouvements oculaires rapides du 'sommeil paradoxal phasique' […] ».
Pierre Etevenon, Du Rêve à l'Eveil, op. cit., p. 291.
[13]
« Given the finding that lucid dreams reliably occur during activated (phasic) REM, measures of
central nervous system activation, such as eye movement density, should partially determine the
distribution of lucid dreams. Because it has been reported that eye movement density starts at a
low level at the beginning of REM periods and increases until it reaches a peak after approximately 5
to 7 minutes (Aserinsky, 1971), LaBerge hypothesized that lucid dream probability should follow a
parallel development and accordingly found that mean eye movement density correlated positively
and significantly with lucid dream probability […] ». Stephen LaBerge, "The Psychophysiology of
Lucid Dreaming", in Conscious Mind, Sleeping Brain, Perspectives on Lucid Dreaming, Id.,
pp. 140-141.
[14]
« Our demonstration that lucid dreams are reliably associated with elevated levels of physiological
activation, may raise a question: why is lucid dreaming the exception rather than the rule? After all,
physiological activation adequate for lucidity probably occurs every night during most REM periods;
why then do we not become lucid more frequently? » Stephen LaBerge, Lynne Levitan et William C.
Dement, Idem, p. 257.
[15]
« Snyder and Gackenbach […] point to several lines of evidence for a lucidity-vestibular/spatial
connection. First, lucidity mentation and the within sleep manipulation of lucid dreaming often
include movements and perceptions known to involve this balance system during wakefulness.
Second, the vestibular nuclei in the brain stem become intensely activated during Stage 1 sleep and
play an important role in the processes which trigger high density REM events which have been
shown to reliably precede lucid dreaming onset. Third, frequent lucid dreamers have lower and more
symetrical sensory thresholds in response to caloric stimulation of the vestibular system, a clinical
test of its integrity, than do non-lucid dreamers. Fourth, frequent lucid dreamers perform better on
a set of equilibratory-related behaviors than do non-lucids. Fifth, self-reported vestibular
dysfunction is more prevalent among persons who do not dream lucidly than among those who do.
And sixth, lucid dreamers are field independent and show superior skills on complex spatial tasks.

« The decrease in sensory input and motor output during sleep in combination with increased
cortical activation during REM results in greater reliance on an internal frame of reference for spatial
exploration of the dream world according to Snyder and Gackenbach. » Jayne Gackenbach,
"Frameworks for Understanding Lucid Dreaming: A Review, in Dreaming, Volume 1, Number 2, June
1991, pp. 109-128.
[16]
« Evidence also shows that coherence level rise during rapid-eye movement sleep […]. Because
lucid dreams occur more frequently during REM, Gackenbach argues in a chapter in The Mind in
Sleep, vol. 2, that coherence should also surge during lucidity […] ». Jayne Gackenbach and Jane
Bosveld, Control your dreams, Harper & Row, New York, 1989, p. 153.
[17]
« […] in some pilot data LaBerge […] compared a 5 minutes lucid dream during REM to the 15
minutes of REM prior to the onset of dream consciousness in one subject. Looking at
interhemispheric EEG coherence at the parietal lobes, he found an increase in COH during the lucid
phase of REM for the alpha frequency. […] That LaBerge found increased COH in the parietal lobes is
interesting given the central role played by visual-spatial functionning in lucid dreamers […] and in
lucid dreams […]. The parietal lobe area is also the location of interhemispheric alpha COH […] for
field independant invididuals […] ». Jayne Gackenbach, "Frameworks for Understanding Lucid
Dreaming: A Review", op. cit., p. 120.
[18]
« Thus to the degree that people differ in their capacity or proclivity to rely on internal rather
than external environmental referents (field independent individuals), they predict that there will be
an increased frequency of lucid dreaming and a decreased frequency of experiencing spatial
disorientation in dreams. » Ibid., p. 121.
[19]
« It appears plausible that we usually lack an appropriate pre-sleep, and thus, REM cognitive set
(i.e. the intention to become conscious of our dreaming). Although the importance of physiological
factors in the genesis of dream lucidity is clear, it seems equally clear that psychological factors are
no less important. » Stephen LaBerge, Lynne Levitan et William C. Dement, Idem, p. 257.
[20]
Sujet n°10, 21/22 décembre 1990.
[21]
S. LaBerge, Le Rêve lucide, op. cit., p. 238. Souligné par nous.
[22]
S. LaBerge, Ibid.
[23]
« For LaBerge dreams are models of the world created when the brain raises certain "schemas"
(organizing principles) above their recognition thresholds. Thus these schemas enter consciousness,
causing the dreamer to experience things not really present in the external environment. For
LaBerge the determination of which schemas are active in dreams is primarily due to expectation
and motivation. According to him it is the holistic quality of schemas which give dreams their
apparent orderliness.

« Being lucid in sleep is simply the activation of the "This is a dream" schema. He has argued that
one circumstance which might force the recognition of the "This is a dream" schema is if there is a
contradiction or what has been called dream bizarreness. The resolution of incongruent elements
can occur through the activation of the lucid dream schema.

« Accordingly, LaBerge feels that the reason most people do not have lucid dreams with any
frequency is due to a "conceptual barrier" to engage the "This is a dream" schema. So that lucidity
is triggered most often by necessity, such as when there is sufficient initial awareness of oddities in
the dream or when there is great enough fear as in a nightmare ». J. Gackenbach, Idem, p. 112.
[24]
Sujet n°16, 15 avril 1992.
[25]
J.-P. Sartre, Idem, p. 313.
[26]
Voir par exemple Delage, op. cit., pp. 328-329.
[27]
Hervey de Saint-Denys, Les Rêves et les moyens de les diriger, Tchou, Paris, 1964, pp. 255-256.
Cité supra, chapitre 6.
[28]
Voir par exemple Delage, op. cit., pp. 328-329.
[29]
Hervey de Saint-Denys, Les Rêves et les moyens de les diriger, Tchou, Paris, 1964, pp. 255-256.
Cité supra, chapitre 6.
[30]
Father X, "Reflections on Lucid Dreaming and Out-of-Body-Experiences", Lucidity Letter, June
1989, Volume 8, N°1, pp. 35-45. Cité supra au chapitre 6.
[31]
« For example, you may be able to "see" objects in your image but not to count them; to "see"
writing but not to read it (Liben, Patterson, & Newcombe 1981). » Sue Blackmore, "A Theory of
Lucid Dreams and OBEs", in Conscious Mind, Sleeping Brain, Perspectives on Lucid Dreaming, edited
by Jayne Gackenbach and Stephen LaBerge, Plenum Press, New York and London, 1988,
pp. 373-387.
[32]
Ibid. « The process of perception is not a passive process of observing the world "as it really is."
After all, there is no world "as it really is" ».
[33]
« The body image and perceptual representation are usually discussed quite independently, but
here they are best treated together. After all, I am always aware that someone is perceiving. I not
only see the keyboard, but I am conscious of myself sitting at it. My model of the world naturally
includes a model of myself in it, and that self has a specific location. The perceptual model and body
image together form one representation that one may call the "model of reality".

« It is this "model of reality" that we take to be the real world with ourselves in it. If we argue
(following Yates, 1985) that the contents of awareness are a model of the world, then normally it is
this "model of reality" that is primary in our consciousness ». Ibid., p. 376.
[34]
« According to this theory, this would mean building a model of self as a dreamer, asleep,
knowing the relevant facts about your name, the day, where you went to bed, and so on. If such a
model could be created and were sufficiently stable and coherent, then it could achieve reality
status. Possibly, it would be easier to recall on waking because the constructed self would be more
similar to the normal waking self.

« So how could this come about? It may be that, in the course of ordinary dreaming, something
occurs that raises the idea of dreaming. This may be, for example, a recurrent dream motif or
theme. It may be a dream of going to bed or lying down. It may be that something so bizarre
happens that you question its status. Whichever it is, the result is the same. That is, a model is tried
out that says that this is a dream and that you are asleep. » Ibid., p. 383.
[35]
« […] why is one model in the system "in awareness," whereas others are not? In other words -
what is the awareness? A somewhat radical approach solves such problems. Assume that all mental
models are conscious, or rather that consciousness is what it is like being a mental model (see
Blackmore, 1986a). In this view, all representations constructed at any stage in processing give rise
to awareness. Why then am "I" apparently conscious of some and not others? Because "I" am only a
model like everything else. Any models that form part of the model of self at the time are in "my"
awareness. Others are only in their own awareness, which may be fleeting and ephemeral. » Ibid.,
p. 380.
[36]
Cette conclusion que nous tirons de l'argumentation de Blackmore est d'ailleurs en opposition
avec ses propostions sur l'éveil (Ibid., bas de la page 383).
[37]
« We take it for granted that what we see is "really" there. However, this is not necessarily
obvious as far as the brain is concerned. In building plausible models of external "reality", it must
make decisions about what is noise, what is imagination, and what is genuinely "out there". It is
important to note that the separation of information based on input and that from memory is not
trivial. Information from external and internal sources is amalgamated very early in perceptual
processing. In vision, it may even occur in the retina. Clearly, this information is used to construct
successive representations through the system, and no tagging of what began where would be
feasible. Yet in the end, at the highest levels of representation, it must be clear what is "really" out
there and what is imagination. » Ibid., p. 377.
[38]
« We take it for granted that what we see is "really" there. However, this is not necessarily
obvious as far as the brain is concerned. In building plausible models of external "reality", it must
make decisions about what is noise, what is imagination, and what is genuinely "out there". It is
important to note that the separation of information based on input and that from memory is not
trivial. Information from external and internal sources is amalgamated very early in perceptual
processing. In vision, it may even occur in the retina. Clearly, this information is used to construct
successive representations through the system, and no tagging of what began where would be
feasible. Yet in the end, at the highest levels of representation, it must be clear what is "really" out
there and what is imagination. » Ibid., p. 377.
[39]
Un ordinateur a une mémoire, mais a-t-il une identité ?
[40]
« First, what's interesting about lucid dreams isnot their content. We know that the content
differs a little bit, but as Jayne Gackenbach has pointed out, lucid dreams are more like ordinary
dreams than they are different from them. Second they are not interesting because of when they
happen. They occur during REM sleep. So so far as we know you can't pinpoint when one's
happening from knowing something about the stage of sleep that the person's in. Third they are not
particularly vivid, not in any very dramatic way that makes you say that is what the difference is.
The only thing it seems to me that makes a lucid dream interesting is this peculiar thing that I seem
to be more conscious. » Susan Blackmore, "Mental Models in Sleep: Why Do We Feel More
Conscious in Lucid Dreams?" Lucidity Letter, 8 (2), 1989, pp. 31-46.
[41]
Par exemple dans le processus de la lecture nous sommes conscient du sens du texte plutôt que
de sa forme et les erreurs de typographie peuvent alors nous échapper. Cela est également vrai
dans nombre d'expériences de psychologie.
[42]
« In dreaming then, the outside world is pretty much cut off from awareness. The subconscious
subsystem, the theoretician's favorite candidate for determining the content of dreaming, is
representend as highly active: "somenone" must be there bringing in all that dream scenery and
getting the characters to walk in on cue at the right time. Memory is functioning but in a funny way.
Almost all theoreticians believe that a dream is made up entirely from memories and modified
memories, but, phenomenologically, you do not feel like you are remembering, as you do in an
ordinary state when you remember things. » Charles T. Tart, "Mindlessness and Mindfulness in
Daytime and Nighttime Dreaming", Lucidity Letter, 9 (1), pp. 49-81.
[43]
En fonction d'un certain nombre de croyances que Tart passe en revue dans son article.
[44]
« True lucidity, as I use the term, means a moment-by-moment movement toward clarity as to
what is actually happening, distinguishing your immediate experience and perception from your
interpretations of what is happening. If you do not make this moment-by-moment discrimination,
then these interpretations become automatized aspects of the world simulation process, become
falsely perceived as apparent perceptual "facts", rather than the interpretations they are. » Charles
T. Tart, op. cit., p. 72.
[45]
« These more lucid moments involve an experience of being much clearer than usual about (a)
who I am; (b) what my situation is in terms of what is immediately happening here and now; (c) a
sense that there is "somebody home," that I am present in a real way that is not typical of everyday
life. Everyday life, by constrast, is an experience of my world simulation process running on
automatic. There is a sense of (d) sufficiency and happiness that runs through these moments of
lucidity. I do not have a strong need to go out to strive to get external satisfactions to lead a happy
life when I have these moments of clarity […] ». Ibid., p. 75.
[46]
« The materialistic and scientistic model sees dreams as nothing but semi-arbitrary, neuro-
chemicals actions in the skull, a world simulation process with fewer constraints that in waking
consciousness on what can be simulated, but an experience which is, of course, all imagination. Our
possible psychic realities model would hypothesize that dreams can be nothing but fantasy much of
the time, but they can also be more than fantasy. They could act as a "doorway", as an induction
path into other kinds of altered states (altered subjective world simulations) and perhaps into other
kinds of "objective" realities. » Ibid., pp. 72-73.
[47]
« […] we commonly assume, especially in scientific circles, that consciousness itself is totally
recucible to brain processes; that when you see this text in front of you, for example, what you are
really seeing, what you actually experience, is an electro-chemical interaction in a certain part of
your brain, an interaction that hopefully, is pretty accurately related to what is actually going on out
there. This is what philosophers call the psychoneural identity hypothesis. For many people it is not
a hypothesis but a habit of thinking, an ingrained belief. Personnally and scientifically, I do not find
this hypothesis adequate to deal with all of reality […]. » Ibid., p. 52.
[48]
« From this system approach of consciousness as world simulation, what you see is not an
external object: what you see is neural activity. What you hear is not external sound: you hear
neural activity. The body you call yours is also a neural, electro-chemical pattern, as are the
characteristics you call your self, and so forth. The external world and your position in it is an
ongoing inference, and hopefully you are doing a good job of simulating it. Since you are still alive if
you are reading this, your world simulation model obviously works quite well most of the time.
There is a bit of delightful circularity in all this, of course. Starting from mental experience we
deduce the external world. Articulating and refining our knowledge of the external world we discover
the senses and the nervous system, begin to grasp the operation of complex systems in the form of
machines, and then talk ourselves out of our direct experience by attributing basic awareness to the
brain rather than a non-physical mind, so experience becomes an "epiphenomenon" . » Ibid., p. 60.
[49]
Wolfgang Köhler, Psychologie de la Forme, Idées/Gallimard, Paris, 1964, p. 24.
[50]
« The Space/Time subsystem is still working just as hard in dreaming as it does in waking,
creating a space/time grid for experience. I have almost never heard anyone say anything like, "I
had a dream last night; there was a foot over here and a ball point pen there and some reddish
stuff…"; dreams are organized into a space and time framework. It just does not happen to be the
space/time framework that we think is "real". If you had "realistic" dreams, you would always
dream that "I'm lying in bed in the dark and nothing's happening". It is a good thing that the
space/time sense is fairly liberated in dreaming; they would be terribly dull otherwise! » Tart, op.
cit., déjà partiellement cité supra.
Chapitre Dix
Approche critique des conceptions de la lucidité onirique
Les théories explicatives scientifiques qui tentent de rendre compte de la lucidité
onirique se sont révélées déficientes selon des modalités diverses. Certaines apparaissent
comme auto-contradictoires, comme celle de Susan Blackmore qui maintient un monde
extérieur et régulateur au moment même où elle pose qu'un tel monde n'existe pas pour le
[1]
sujet et qui multiplie les modèles du sujet conscient avec les modèles du monde sans
rendre compte de l'instance qui choisit le modèle. D'autres contredisent ou négligent
certaines données comme la théorie de Stephen LaBerge qui ne tient pas compte de la
différence de structure conscientielle qui sépare la lucidité onirique de la conscience de veille.
D'autres encore appuient les recherches sur un principe incertain dans son fondement même,
lorsqu'elles posent que la lucidité doit avoir par elle-même un élément de corrélation
physiologique. D'autres enfin, s'autorisant des limitations rencontrées dans leur cadre
conceptuel, en viennent à adopter des conclusions qui, si elles permettent de les dépasser,
n'en sont pas moins beaucoup plus douteuses que les cadres critiqués dans la mesure où,
comme c'est la cas avec l'hypothèse des réalités psychiques de Charles Tart, leur vérification
dépend de ce dont elles sont censées rendre compte.

Lorsqu'on cherche la source des difficultés rencontrées par ces théories, on se rend
compte qu'elles partagent deux idées implicitement adoptées : selon la première le rêve (et
donc le rêve lucide) ne s'explique, aussi bien dans son apparition que dans son contenu, que
par rapport à l'état de veille ; et, selon la deuxième, être conscient en rêve c'est en quelque
sorte s'y éveiller sans quitter le rêve - par là, la lucidité onirique n'a comme référent que la
conscience de veille, tout comme le rêve ne se rapporte qu'à l'état de veille. Ce primat de
l'état de veille pour l'explication du rêve a certes pour lui nombre de résultats pratiques qui
témoignent de sa validité, autant d'un point de vue physique, avec les expériences visant à
influencer le contenu des rêves en agissant sur le dormeur, que psychologique lorsque
l'interprétation permet de placer l'émergence des rêves dans une trame psychique plus large,
mais il présente deux défauts : d'une part ces expériences et interprétations ne sont pas
toujours concluantes et ne peuvent donc pas être généralisées et, d'autre part, rien ne
garantit que le rêve lucide puisse toujours faire l'objet du même traitement que le rêve
ordinaire.

Plus précisément une analyse des notions qui permettent de poser ce primat de la
veille et qui sont habituellement tenues pour claires par ces théories montre, en fait, qu'il en
va tout autrement. Si, par exemple, l'on pose que la conscience du rêveur lucide est la même
aussi bien à l'état de veille qu'en rêve, cela revient à mesurer la lucidité en termes d'une
conscience susceptible de degrés, ce qui amène à nier la lucidité de certaines expériences
oniriques quand le rêveur n'y reconnaît pas un rêve, alors même qu'une analyse structurelle
et comparative montre bien une lucidité totale dans la mesure où le rêveur sait qu'il dort et
que ce qu'il vit n'est pas l'état de veille habituel : il peut donc arriver qu'un rêveur, qui se
croit hors de son corps et refuse l'oniricité de son expérience, ait un souvenir aigu de sa vie
de veille, une perception et une capacité d'évocation qui témoignent d'une conscience plus
pénétrante que celle de certains rêveurs lucides (qui reconnaissent le caractère onirique de
leurs rêves sans pour autant faire preuve de capacités aussi développées). Ainsi, en tant que
conscience, la lucidité onirique se structure tout à fait différemment de la conscience de veille
et cette structure doit être explicitée avant toute conclusion concernant une échelle
d'intensité conscientielle. D'autre part, l'étude du rêve lucide montre que dans le rêve - qui
est considéré, à l'état de veille, comme relevant de l'imaginaire jusque dans son mode
d'apparaître "perçu" pour une conscience onirique abusée - le perçu subsiste bien comme tel
pour la conscience lucide. Or, le primat de l'état de veille tient avant tout à ce que le perçu
constitue implicitement la réalité physique. Le fait que le contenu du rêve lucide puisse lui
aussi être perçu ramène cette position implicite et tenue pour axiomatique au rang de simple
postulat, du moins quant à son caractère absolu en tant que point de référence. Un certain
nombre d'objections vient immédiatement à l'esprit pour récuser cette conclusion et nous
allons maintenant les examiner.

Cependant, pour mener à bien une telle tâche, il faut d'abord expliquer dans quel
esprit et selon quelle méthode elle est envisagée. L'idée fondamentale qui l'anime est que les
théories proposées ne sont pas inadéquates en raison d'un défaut de construction auquel il
serait possible, éventuellement à l'aide de données futures fournies par la recherche sur le
rêve lucide, de remédier mais qu'au contraire leurs difficultés viennent de ce qu'elles
s'efforcent de rendre compte de la lucidité onirique selon des postulats que la lucidité,
lorsqu'on en examine le fonctionnement, remet en question. Ainsi le postulat du primat de la
veille sur le rêve permet de soutenir des positions métaphysiques très différentes dont
aucune ne peut se justifier, vis-à-vis de la lucidité onirique, de façon certaine. Par exemple,
une attitude dualiste de type cartésien ne peut, à moins d'accorder la réalité au rêve, rendre
compte de l'existence du corps de rêve pour le sujet ni de la qualité de ses perceptions
oniriques qui introduisent une dimension d'étendue là où seule la pensée devrait se trouver.
L'hypothèse psychoneurale, pour sa part, ne permet pas de séparer la perception de veille de
la frange de perception qui lui est équivalente en rêve sans poser d'abord ce postulat. Quant
aux attitudes qui ramènent la conscience réflexive à un "comportement" onirique, elles
suppriment simplement la question de la conscience et s'interdisent de pouvoir analyser la
lucidité, ce que montre le fait que l'on peut, en rêve, penser à l'état de veille, se dire : "ceci
est un rêve", mais le faire sans y croire. Dans ce cas, le rêve n'est pas lucide bien qu'il
remplisse les conditions extérieures de la description posées par l'état de veille.

Malgré les insuffisances que présentent les attitudes métaphysiques mentionnées


vis-à-vis du rêve lucide, l'intention ici n'est pas de les remettre en cause en analysant leurs
fondements ou leurs contradictions, mais plutôt de chercher si, à partir d'une remise en
question du primat de la veille, une nouvelle attitude métaphysique peut surgir, qui serait
plus à même de rendre compte de la lucidité onirique d'un point de vue philosophique et qui
pourrait constituer un fondement, non contredit par la lucidité, à des tentatives de
théorisation scientifique. Une hypothèse nouvelle doit cependant s'édifier sur des données
indiscutables qui ne dépendent pas d'une des attitudes précédentes, et de telles données ne
peuvent être fournies que par la description et l'analyse de ce qui se présente à la conscience
au cours du rêve lucide. De cette façon, en effet, le primat de la veille n'est pas récusé en
fonction d'une attitude métaphysique déjà présente, mais il cesse simplement d'être
implicitement accepté sans qu'aucune position ne soit prise dans un sens ou dans l'autre. En
effet, dans la mesure où la qualification de "veille" ou de "rêve" est un jugement
habituellement porté en fonction du contenu de ce qui apparaît, elle est du même coup
"seconde" par rapport à cette apparition, et si elle reste utile pour indiquer ce qui est étudié,
c'est cependant l'examen de l'apparaître lui-même qui nous fournira de nouveaux éléments
de compréhension, qui de ce fait ne dépendront pas d'une position a priori. Peut-être ainsi
sera-t-il possible de trouver ce qui différencie le rêve lucide de l'état de veille à partir de la
structuration même du champ de la conscience.

En procédant de la sorte, nous semblons délibérément nous placer du côté du sujet


conscient, et plus particulièrement conscient de rêver, et donc adopter un point de vue
subjectif. Il n'en va cependant pas ainsi car ce qui nous intéresse dans une telle étude n'est
pas uniquement le contenu des rêves mais surtout leur mode d'apparaître qui peut être
l'objet d'une comparaison avec celui de la veille. Pour mieux nous faire comprendre,
soulignons, par exemple, qu'aussi bien à l'état de veille qu'en rêve lucide, le contenu de ce
qui apparaît ne peut faire l'objet d'une certitude quant à sa nature : l'homme éveillé peut être
en proie à des illusions purement perceptives tandis que, pour sa part, le rêveur lucide peut
s'étonner de la présence des qualités perçues d'un objet onirique qu'il tient pourtant pour
inexistant. En revanche, ces deux situations présentent un caractère commun qu'il est
impossible de remettre en question : le fait même que ce contenu se manifeste (c'est-à-dire
son mode d'apparaître), ici sous forme perçue, qui ne renvoie à aucune singularité mais se
présente comme une façon dont la conscience se structure. Du même coup, le sujet qui rêve
est aboli de ces recherches en tant que sujet particulier puisque ce qui fait son identité
empirique renvoie nécessairement à un contenu qui ne peut se manifester qu'à travers ces
modes d'apparaître que nous considérons en premier lieu. Il ne s'agit donc pas
nécessairement d'étudier tel ou tel rêve lucide dans ses particularités de contenu mais de
partir avant tout des modes d'apparaître ou, pour employer un vocabulaire
[2]
phénoménologique, des noèmes dont l'évidence ne peut être remise en question .
Puisqu'une telle approche ne préjuge en rien de l'existence réelle ou irréelle du contenu du
rêve ni même d'un sujet qui rêve, dont la particularité est renvoyée au contenu apparaissant,
elle ne peut être considérée comme étant subjective dans le sens généralement admis d'une
psychologie empirique.

L'avantage d'une telle démarche vient de ce qu'elle permet une étude comparée non
pas des conceptions que l'on se fait de ce qui est observé mais de ces observés eux-mêmes
en tant qu'ils se manifestent sur un certain mode. Ainsi il n'est plus question, par exemple,
de comparer naïvement ce qui, dans le souvenir, est considéré comme un "imaginé" onirique
avec un imaginé de veille, mais plutôt de se rendre compte que le premier "imaginé" était en
fait, selon son mode d'apparaître, un "perçu", cela parce que la conscience du rêveur lucide
lui permet de l'affirmer, et que c'est donc au perçu de veille (ou éventuellement au souvenir
de ce perçu) qu'il faut le comparer. Ainsi, si une différence doit être trouvée entre la veille et
le rêve elle ne dépendra plus d'une conception de la réalité mais de la structure du noème
lui-même. Plus encore, une telle démarche permet d'examiner comment les différents
noèmes se structurent les uns par rapport aux autres dans les deux états. A partir d'une
description de ce qui se présente à la conscience du rêveur lucide, on doit pouvoir obtenir des
éléments d'information évidents par eux-mêmes et susceptibles d'aider à la mise au point
d'une hypothèse qui leur donne une cohérence structurelle et rende compte de phénomènes
autrement inexplicables.

[suite]

Section I

Y a-t-il un primat phénoménologique de la veille sur le


rêve ?

[1]
Elle suppose en fait un monde inconnu mais régulateur. Mais sur la base de quoi peut-elle le dire
régulateur puisque ce monde n'est pas connu ?
[2]
Nous entendons par noème l'ensemble des traits propres à une manière d'apparaître du monde.
Précisons par ailleurs que nous n'adoptons le vocabulaire de la phénoménologie que dans la mesure
où il nous permet de nuancer notre analyse.
Chapitre Dix
Approche critique des conceptions de la lucidité onirique

Section I

Y a-t-il un primat phénoménologique de la veille sur le


rêve ?
La remise en question du primat de la veille sur le rêve, tout au moins lucide, qui
s'impose en raison des difficultés entraînées par les hypothèses métaphysiques rencontrées,
s'avère tout autant une étape préalable pour la mise au point d'une nouvelle hypothèse
compatible avec les données de l'observation qu'une nécessité de la démarche. Cependant
cette remise en question ne va pas sans difficulté, malgré l'insuffisance de ce primat, car les
habitudes de pensée ne sont pas seules en cause dans la valeur qu'on lui accorde. S'il ne
s'agissait en effet que d'elles, la prise en considération de la lucidité onirique suffirait à
constater que, eu égard à la conscience, d'un point de vue phénoménal, le rêve manifeste de
l'être selon des modalités qui peuvent être celle de la veille. Cependant, dans le cas où le
contenu du rêve lucide coïnciderait pour sa part tout autant à celui de l'état de veille que ses
modes d'apparaître, le rêveur ne devrait pas pouvoir les distinguer l'un de l'autre, comme
cela se produit dans le faux-éveil au cours duquel il croit se réveiller et croit même s'assurer,
par une série de vérifications propres à l'état de veille, qu'il ne dort pas. Or, certains de ces
faux-éveils peuvent être immédiatement lucides sans que l'on puisse invoquer autre chose
qu'une intuition du rêveur quant à la connaissance qu'il a de son état. Cette intuition est
d'ailleurs également présente lorsque le rêve est reconnu à partir d'une incongruité qui, si
elle joue le rôle de déclencheur, n'en est pas pour autant suffisante à justifier la conscience
de rêver. En elle-même cette connaissance intuitive du rêve, équivalente à la connaissance
intuitive que nous avons, la plupart du temps, d'être éveillé, peut amener à supposer que,
puisque la différence entre la veille et le rêve se donne intuitivement, l'un des deux états est
nécessairement un état de référence qui permet de distinguer l'autre. Cela apparaît avec
évidence lorsqu'on se rend compte que l'intuition que nous avons d'être éveillé ne fait pas
nécessairement référence au rêve, tandis que celle que nous avons de rêver (ou de nous
croire hors du corps) renvoie obligatoirement à la connaissance de l'existence d'un état de
veille (qu'il soit ou non l'objet d'un souvenir, exact ou faussé) qui la supporte. Il faut donc
examiner si cette intuition permet réellement de poser le primat de la veille, ou même plus
simplement si elle correspond à ce qu'elle semble être.

L'idée généralement admise de la prééminence ontologique de la veille sur le rêve


implique que la veille manifeste quelque chose de plus que le rêve et que ce dernier est en
quelque sorte abstrait d'un état plus complet, soit qu'il en donne une version appauvrie, soit
qu'il en recombine les éléments selon des procédés dus à l'imagination. Que cette idée repose
habituellement sur la seule considération du souvenir pour l'exploration des rêves et sur leur
assimilation à l'imaginaire de veille, cela apparaît clairement lorsqu'on se rend compte que
c'est le caractère étrange de certains rêves qui permet également de les rejeter comme
irréels, alors qu'ils contredisent l'idée d'une abstraction à partir de la veille. C'est donc bien
que la prééminence de la veille est habituellement posée a priori et que les phénomènes
examinés sont jugés à partir de cet a priori. Cependant, pour le rêveur lucide à qui le rêve
se donne directement dans son champ de conscience, cette prééminence n'est qu'un
jugement qu'il porte éventuellement sur son état mais ne se présente à aucun moment
comme une évidence. Même les rêveurs les plus convaincus intellectuellement que le rêve est
une construction de l'esprit, comme Hervey de Saint-Denys, ressentent une dichotomie,
parfois perturbante, entre leurs convictions et leur expérience.

« Je sentais bien que je rêvais, mais je n'étais point

convaincu que ce rêve fût absolument faux. L'admirable

précision de tout ce que je contemplais m'inspirait la pensée

que peut-être mon âme avait momentanément quitté sa prison

terrestre, ce qui ne serait pas plus merveilleux que tant

d'autres mystères de la création. »[1]

Si une prééminence ontologique doit être attribuée à l'état de veille, elle doit faire
l'objet d'un examen et, plus précisément, d'un examen comparatif des deux états pour
déterminer si ce supplément d'être existe et quelle forme il prend. Cependant les termes de
la comparaison doivent d'abord être délimités car des confusions sont ici possibles. L'état de
veille dont il est question est celui de la veille perçue, car c'est lui qui permet habituellement
de désigner la réalité, comme le montre la frontière placée entre l'objectif (le perçu) et le
subjectif (l'imagination, la mémoire…). De son côté, si le rêve fait ontologiquement problème,
c'est en raison de sa qualité perçue alors que les autres aspects subjectifs, lorsqu'ils se
présentent au cours du sommeil et du rêve, ne remettent pas en question le primat de la
veille, à tel point que leur seule présence dans le sommeil en dehors du perçu onirique incite
[2]
à ne pas les qualifier comme "rêves" mais plutôt comme "pensées" . C'est donc avant tout
sur la base du perçu que doit se faire l'examen.

Le premier réflexe, dans ce genre d'étude, est probablement de faire porter la


comparaison sur ce qui est perçu, c'est-à-dire sur le contenu de la perception. C'est par
exemple l'attitude d'Hervey de Saint-Denys qui considère que le contenu du rêve dérive de
celui de la vie éveillée et explique la nouveauté apparente de certains rêves par une
défaillance de la mémoire éveillée : « Lorsque nous croyons apercevoir en songe des
personnages ou des choses dont nos yeux n'auraient eu jusqu'alors aucune notion, cela
tient uniquement à ce que nous avons perdu le souvenir direct des circonstances qui
présidèrent à la formation des clichés-souvenirs auxquels ces visions sont dues, ou que
nous ne reconnaissons pas le type primitif sous une forme modifiée par le travail de
[3]
l'imagination » .

Cependant cette position reste hypothétique dans la mesure où l'expérience onirique


du marquis ne permet pas de l'infirmer ou de la confirmer.

« J'ai fait un rêve des plus lucides, pendant lequel je

traversais un pays très pittoresque dont chaque point de vue,

chaque site, et je puis dire chaque arbre ou chaque maison se

dessinait à mes regards internes avec tous les détails minutieux

d'une réalité nettement perçue. Je ne retrouve, non plus, à

mon réveil aucun souvenir de tableaux analogues. Faut-il

supposer que ma mémoire a su les recueillir et les conserver

aussi fidèlement sans que j'en aie la moindre conscience, ou

bien mon imagination a-t-elle eu l'étonnant pouvoir non

seulement de composer tous ces paysages, mais encore de les

relier ensemble par ce déroulement ininterrompu de la route

que j'ai cru parcourir ?»[4]

Si les rêves présentant des scènes inconnues ne peuvent être expliqués de façon
certaine par une défaillance du souvenir autrement qu'en posant a priori la dépendance du
contenu du rêve par rapport à la veille, l'explication par la puissance de l'imagination ne se
donne pas non plus comme une évidence du point de vue phénoménologique.

« Je me voyais dans une chambre très élégamment

ornée, dont je distinguais tous les meubles avec une précision

parfaite, sans pouvoir me rappeler où j'avais dû en recueillir les

clichés-souvenirs, mais en me disant cependant que

l'imagination ne saurait, ce me semble, inventer

instantanément tant de menus détails. […] »[5]

Là encore ce qui apparaît comme explicable à l'état de veille est récusé par le rêveur
au cours du rêve lucide. Aussi convient-il de distinguer entre les réflexions faites par le
rêveur sur son rêve lorsqu'il est éveillé et lorsqu'il est endormi. Selon la ligne de recherche
que nous avons adoptée et qui prend en considération la connaissance directe que le rêveur a
de son expérience onirique, les observations qu'il fait dans cet état sont nécessairement
phénoménologiquement plus justes et indiquent que l'hypothèse de la dépendance du
contenu du rêve à la veille, forgée à l'état de veille, n'a que peu de crédibilité pour le rêveur
lucide, comme le montrent son attitude ou ses réflexions au cours du rêve.
En réalité, non seulement l'examen du contenu des rêves révèle qu'il n'est pas moins
riche que celui de l'état de veille, mais parfois ce contenu apparaît même plus riche. Pour sa
part, le rêve lucide comporte assez souvent des éléments étrangers à la vie du rêveur.

« Cette nuit, j'ai rêvé que mon âme était sortie de mon

corps, et que je parcourais d'immenses espaces avec la rapidité

de la pensée. Je me transportais d'abord au milieu d'une

peuplade sauvage. J'assistais à un combat féroce, sans courir

aucun danger puisque j'étais à la fois invisible et invulnérable.

Je dirigeais de temps en temps mes regards vers moi-même,

c'est-à-dire vers la place où mon corps eût été si j'en avais eu

un, et je m'assurais bien que je n'en avais plus. L'idée me vint

de visiter la Lune, et je m'y trouvai tout aussitôt. Je vis alors un

sol volcanique, des cratères éteints et d'autres particularités,

reproduction évidente de lectures que j'ai faites ou de gravures

que j'ai vues, singulièrement amplifiées et vivifiées toutefois

par mon imagination »[6].

Dans ce rêve les éléments étrangers à la vie de veille peuvent aussi bien consister en
des modifications de scènes de la vie de veille ("singulièrement amplifiées et vivifiées") qu'à
donner vie à des situations imaginables, bien qu'impossibles, à l'état de veille (comme
parcourir "d'immenses espaces avec la rapidité de la pensée") ou sans équivalent (comme
diriger ses regards vers soi-même pour s'assurer de l'absence de son corps). L'examen des
rêves lucides montre que nombreuses sont les situations oniriques qu'un rêveur n'aurait
jamais imaginées à l'état de veille, et qui donc ne semblent pas en dériver :

[« …] Je sens alors passer en moi (et surtout le long de

la colonne vertébrale) comme une ondulation magnétique,

comme une sorte de frisson courant de haut en bas, qui

m'engourdit progressivement et qui paraît m'alourdir la tête,

quelque chose d'analogue à ce que produit un commencement

d'ivresse […] »[7].

Dans des cas comme celui-là, il semble simplement impossible de ramener le contenu
perçu à une situation, même imaginée, de l'état de veille. Le contenu du rêve lucide n'est
donc pas nécessairement un reflet appauvri de celui de la vie éveillée. Ainsi, du point de vue
du contenu du rêve, le primat de la veille n'a pas la valeur d'une évidence mais apparaît
comme une simple préconception.

Dans les rêves que nous avons cités on peut constater que l'étrangeté du contenu n'a
que peu d'effet sur le sentiment de réalité qu'il procure, alors même que le rêveur est tout
à fait conscient de rêver. C'est lorsqu'il rêve lucidement qu'il est hors de son corps et voyage
dans d'autres mondes à la vitesse de la pensée qu'Hervey de Saint-Denys est frappé par la
réalité du rêve. Dans bien des cas cette réalité semble plus réelle que celle de la veille et peut
même pousser certains rêveurs, une fois éveillés, à des actes dont ils connaissent pourtant
l'irréalité par rapport à l'état de veille, mais dont leur rêve semble garantir la validité. Nous
avons déjà mentionné les propos d'Herbert Spencer selon qui trois sujets avaient rêvé qu'ils
descendaient en volant un escalier avec une telle netteté et un tel sentiment de réalité de
[8]
l'expérience qu'ils avaient tenté de la recommencer au réveil. Ce sentiment de réalité
indique que, plus que le contenu des rêves - qui peut paraître invraisemblable -, c'est la
façon dont il apparaît au rêveur qui lui confère ce sentiment. C'est donc la qualité de la
perception onirique et non son contenu qui doit être comparé à son équivalent de veille.
D'emblée les rêves de vol mentionnés ci-dessus indiquent que le perçu se manifeste comme
tel au rêveur avec une intensité qui peut être équivalente à celle de l'état de veille. Il ne
s'agit pas de poser qu'il en va toujours ainsi mais simplement de se rendre compte que, si la
perception onirique peut parfois être moins intense que celle de la veille, cette situation n'est
cependant pas régulière, de sorte qu'on ne peut en tirer argument pour conclure au primat
de la veille. Au contraire, bien souvent, lorsque le rêve est faiblement perçu, c'est que le
rêveur lucide est prêt de s'éveiller. La faible intensité perceptive du rêve serait plutôt un effet
de la transition d'un état à l'autre que le propre du rêve, comme le montre cet exemple :

« […] J'ai de la peine, toutefois, à distinguer les

premières marches, et je m'aperçois bien que je suis sur le

point de me réveiller, les objets cessant d'être très nets et un

certain sentiment de sensations réelles extérieures (lequel

sentiment m'avait averti que je rêvais) augmentant peu à peu

d'intensité. L'idée me vient d'essayer de retenir le sommeil par

la fixité du regard et par une immobilité imaginaire, ainsi que

maintes fois je l'avais déjà pratiqué. Je m'assieds donc au bas

de l'escalier, je m'efforce de demeurer bien immobile, je fixe

les yeux sur ma main droite, et j'attends pour savoir qui

l'emportera du sommeil ou du réveil […]. Bientôt, ma main sur

laquelle j'avais fixé mes regards sans en distinguer d'abord

parfaitement la couleur et la forme, m'apparaît, au contraire,

de plus en plus vivement et nettement éclairée. Il semble que

le soleil l'éclaire, illuminant aussi devant moi quelques pierres

de la muraille dont les moindres détails redevenaient

apparents. Je me hasarde à tourner la tête. Le corridor

souterrain n'est pas moins bien éclairé […] »[9].

La lucidité permet donc non seulement de constater que le contenu du rêve peut se
présenter avec autant d'évidence que celui de l'état de veille, mais elle nous confirme aussi
que le rêveur n'est pas l'objet d'une illusion rétrospective qui tendrait à colorer la totalité de
l'expérience puisque la variation de ces nuances d'intensité peut être observée par lui au
cours du même rêve. En fait, pour le rêveur lucide, l'apparaître du rêve ne se différencie pas
de celui de la veille puisqu'il se prête à toutes les nuances de la perception ou de la
manipulation. L'intensité de la perception peut même, chez certains rêveurs, dépasser celle
de l'état de veille.

L'explication de cette bizarrerie m'apparut tout à coup :

bien que cette magnifique matinée d'été fut on ne peut plus

réelle à mes yeux, j'étais en train de rêver.

Lorsque j'eus compris cela, il se produisit, dans la

qualité même du rêve, un changement qu'il m'est très difficile

d'expliquer à ceux qui n'ont jamais eu d'expérience semblable.

En un instant, la vivacité de l'existence s'accrut au centuple.


Jamais une telle splendeur n'avait éclairé la mer, le ciel et les

arbres ; les maisons les plus banales semblaient rayonner

d'une beauté quasi mystique.[10]

La qualité perceptive du rêve lucide peut être tellement intense que le rêveur la
considère comme absente de l'expérience quotidienne. On ne peut donc pas l'invoquer pour
attribuer à l'état de veille un supplément d'être.

Si la qualité perceptive du rêve n'autorise pas à accorder plus d'être à l'état de veille,
cela ne signifie cependant pas que le perçu, en tant que noème, ne puisse faire l'objet d'un
examen comparatif plus approfondi. En effet, elle ne suffit pas à rendre compte du perçu et la
structure du noème lui-même doit être examinée, comme l'indique par exemple une
observation de Michel Jouvet concernant une « difficulté que l'on éprouve, après certains
[11]
rêves, à décrire à la fois le message sémantique et le visage de l'émetteur » . S'il en est
ainsi cela signifie que la veille présente une supériorité incontestable non pas en ce qui
concerne un type de perçu particulier, mais l'agencement de ces types de perçus entre eux et
leur capacité à se manifester de façon simultanée et cohérente. Une objection peut
cependant surgir ici à l'occasion d'une difficulté apparente.

« Je rencontre dans la rue un jeune homme qui me

paraît être de ma connaissance, je l'aborde ; nous nous serrons

la main, nous nous regardons attentivement. (Mon rêve est

très lucide [net].) " Mais je ne vous connais pas du tout ", me

dit alors ce personnage, en continuant sa route. Et moi, très

confus, je suis forcé de m'avouer qu'en effet je ne le

connaissais nullement. »[12]


Il semble bien, dans ce genre de rêve, que le rêveur voit le visage du personnage
onirique en même temps qu'il en entend les paroles. Mais on peut objecter que, si le contexte
du rêve en donne bien l'impression, rien ne prouve qu'il en soit ainsi ponctuellement. La
difficulté vient de ce que, le plus souvent, le rêveur transcrit ses rêves de la façon qui lui
semble la plus claire et indépendamment de tout examen phénoménologique ultérieur.

Il y a cependant un moyen de se sortir de cette difficulté, par l'examen de rêves dont


la situation même implique la vision et l'audition simultanée d'un personnage onirique. Ainsi
lorsqu'un rêveur lucide fait face à un personnage et qu'il engage le dialogue avec lui et
s'enquiert de son identité, il est nécessairement prêt à entendre la réponse alors même qu'il
observe son interlocuteur.

« Je rêve, une autre nuit, que je vois une jeune femme

blonde comme de l'or, causant avec ma sœur et lui montrant

un petit ouvrage en tapisserie qu'elle avait fait. En songe, je

crois parfaitement la reconnaître ; j'ai même le sentiment de

l'avoir rencontrée déjà bien des fois. Cependant je m'éveille et

ce visage, encore présent à ma pensée, me semble dès lors

absolument inconnu. Je me rendors ; la même vision se

reproduit. J'ai gardé, tout en rêvant, la conscience des instants

de réveil momentané que je viens d'avoir, aussi bien que cette

impression que j'ai ressentie d'avoir eu devant les yeux de mon

esprit un visage que je n'avais encore jamais vu. Rendu aux

illusions du rêve, je m'en étonne ; je me demande comment

j'ai pu manquer à ce point de mémoire, et mêlant l'incohérence

du songe à la vague réminiscence d'une idée que je désire

éclaircir, je m'approche de la blonde jeune femme, et je lui

demande à elle-même si je n'ai pas eu déjà le plaisir de la

rencontrer. «Assurément, me répond-elle, souvenez-vous des

bains de mer de Pornic.» Ces mots me frappent. Je me réveille

tout à fait, et je me rappelle alors parfaitement les

circonstances dans lesquelles j'avais recueilli, sans m'en douter,

ce gracieux cliché-souvenir. »[13]

L'aspect quelque peu lucide de ce rêve explique peut-être qu'il déroge à une règle du
rêve ordinaire. De façon générale, il apparaît que, dans nombre de rêves lucides, il est tout à
fait courant de voir le visage de son interlocuteur et de l'entendre en même temps, comme
dans le cas déjà cité de Paul Tholey qui, devenant lucide à un moment où il est poursuivi par
[14]
un tigre, lui demande "Qui êtes-vous ?" et le voit se transformer en son père . Dans ce
rêve lucide il est difficile de supposer que le rêveur ne voit pas le personnage alors même
qu'il constate sa transformation. Dans certains cas, la situation onirique est encore plus
nette, lorsque le dialogue qui porte sur l'identité du personnage implique une reconnaissance
visuelle comme possibilité de son déroulement, ce qui apparaît dans le rêve lucide rapporté
par saint Augustin (« ce même jeune homme lui apparut encore, et lui demanda s'il le
reconnaissait. Gennadius l'ayant assuré qu'il le reconnaissait fort bien, le jeune homme
[15]
lui demanda où il l'avait vu » ).

Si la structure du perçu est parfois, dans certains rêves lucides, moins nette que celle
de l'état de veille, comme le montrent des types de rêves uniquement visuels assez fréquents
parmi les rêves de sortie hors du corps et probablement en rapport avec ce contenu, la
plupart du temps elle est tout aussi cohérente, combinant aussi bien l'aspect visuel qu'auditif
ou proprioceptif de l'expérience.

Plus encore, le perçu onirique peut se présenter d'une façon plus riche qu'à l'état de
veille puisque, dans certains cas, la vision de l'environnement peut être panoramique ou
même totale (dans la mesure où le rêveur a le sentiment de voir dans toutes les directions à
la fois, comme Tholey), ou encore multiple (lorsqu'il a plusieurs points de vue sur un même
environnement, ce qui indique une sorte de combinaison difficile à comprendre entre le sens
de l'espace et celui de la vue). Aucun supplément d'être ne peut donc être accordé à l'état de
veille dans la mesure où ses possibilités perceptives sont incluses dans la gamme de celles
du rêve lucide qui peuvent aller d'une perception réduite à un seul sens à un déploiement
combinatoire de chaque sens par rapport aux autres.

Puisque le perçu onirique ne peut être pris en défaut d'être dans son mode
d'apparaître, il faut élargir le champ de la comparaison à son rapport avec les autres noèmes.
Ainsi, à l'état de veille, le sentiment de réalité n'est pas fourni uniquement par l'ici-
maintenant mais par un contexte noématique qui fait jouer le perçu par rapport à l'imaginé et
au souvenu, par exemple, et donne à l'état de veille une stabilité et une continuité qui sont
habituellement déniées au rêve. Or, le rêve lucide offre généralement au rêveur une stabilité
équivalente à celle de la vie de veille, dans la mesure où le perçu, le souvenu et l'imaginé se
situent dans un rapport qui assure cette stabilité comme le montre un extrait du rêve lucide
qui suit.

« Je descends d'abord par une sorte d'escalier

souterrain, je traverse une très vieille église, puis je me trouve

à l'entrée d'un bal champêtre de paysans bretons. De là, en

suivant une allée d'arbres touffus, je pénètre dans un autre

jardin plus grand, ou plutôt dans un véritable village de jardins,

c'est-à-dire dans un site où s'échelonnaient une infinité de

petites maisons ayant chacune leur jardin enclos de murs et de

haies, avec de petites rues en escalier pour y arriver. Je

remarque une de ces maisons qui renfermait un pensionnat de


jeunes filles, toutes gracieuses, toutes vêtues uniformément ;

elles se promenaient dans leur jardin dont la porte restait

ouverte. Après les avoir regardées un moment, je reviens sur

mes pas par la même route ; je traverse de nouveau le bal

champêtre et la vieille église, et je me retrouve au bas de

l'escalier souterrain par lequel j'étais descendu. […] je veux

essayer de recommencer la promenade par le même chemin,

pour vérifier jusqu'à quel point je pourrais revoir mentalement

les mêmes choses, et les rêver par conséquent une seconde

fois. Je traverse l'église comme précédemment, puis le même

bal où je retrouve les mêmes paysans bretons et je m'engage

dans la même allée d'arbres touffus […] »[16].

Ainsi, là encore, si le rêve lucide peut présenter des discontinuités, des passages d'un
rêve à un autre, il ne s'agit pas d'une caractéristique permanente et on peut presque poser
que la stabilité dépend de l'intention du rêveur. En effet, dans le rêve qui précède, le rêveur
souhaite parcourir son environnement onirique et, à cette occasion, se trouve incapable de
le prendre en défaut. De la même façon, les rêves discontinus résultent souvent d'une
impatience du rêveur qui l'amène à bousculer activement l'organisation onirique. Cependant,
tant que l'impatience reste mentale dans le rêve, sa stabilité ne semble pas être affectée.

« […] Je marche le long de couloirs. Des portes défilent

sur les côtés. J'en ouvre une qui donne sur une sorte de cave

de rez-de-chaussée, très vaste, mais peu remplie. L'ensemble

est très propre. Je continue mon avance dans le couloir large et

tournant, percé de portes de toutes sortes que je n'ouvre pas.

Je voudrais savoir où il me conduit. Je ressens un peu le froid,

aussi je me presse. Les murs du couloir, un peu plus hauts que

la hauteur d'un homme, s'élèvent à ciel ouvert, aucun plafond

n'est visible. Le couloir tourne en spirale, comme une coquille

d'escargot, de droite à gauche. Les murs sont plus ou moins

crénelés et au-delà j'entrevois des structures de constructions,

d'autres murs, (comme si j'étais dans un garage de sous-sol,

en plein air!) et d'autres portions du monde extérieur. Je

pourrais escalader l'un des murs pour sortir plus vite et

visiter cet univers parallèle. Mais je préfère ne pas court-

circuiter le couloir. Si c'est trop long je retournerai en

arrière pour récupérer mes vêtements, car j'ai froid, et à ce

moment seulement j'entreprendrai l'escalade […] »[17].

Il faut constater que, bien souvent, le rêve lucide, justement parce qu'il paraît aussi
stable que l'état de veille, se trouve de ce fait difficile à explorer pour un rêveur dont le
temps de lucidité est limité et qui préfère se trouver dans des situations plus dramatiques
que de marcher le long de corridors interminables. De ce point de vue, la possibilité de briser
cette stabilité en changeant de décor de rêve n'indique pas le moindre être du rêve mais une
plus grande flexibilité dans l'apparaître.

Le rêve lucide ne peut donc être pris en défaut dans les modes d'apparaître que son
examen met en relief. Nous avons pu constater que, le plus souvent, l'appréciation du
moindre être du rêve tient à l'absence d'une qualité dont nous faisons preuve à l'état de
veille, la faculté de le reconnaître comme tel, faculté que la plupart des auteurs ont assimilée
à la réflexion. Or, le rêve lucide restaure cette "faculté" dont on croyait le rêve
nécessairement dépourvu et donc invalide cette façon particulière de considérer le rêve. Cette
idée elle-même pourrait cependant apparaître juste, en ce qui concerne certains rêves
lucides, notamment ceux dans lesquels la mémoire du rêveur est faible, mais elle est fausse
lorsqu'on lui donne une portée générale. En effet, il en va pour l'ensemble des modes
d'apparaître du rêve comme pour la qualité de ce qui s'offre à la perception : leur étendue
peut aussi bien être réduite qu'élargie. Ainsi le rêveur lucide peut, tout autant qu'à l'état de
veille, faire preuve de perception, de souvenir, d'imagination, de jugement et ainsi du reste.
La plupart des rêveurs pleinement lucides insistent beaucoup sur ce point, tel Hervey de
Saint-Denys qui affirme à de nombreuses reprises qu'il croit que « l'esprit peut conserver
[18]
toutes ses facultés durant le sommeil » et, s'il ne semble guère nécessaire de revenir ici
sur cette idée qu'illustrent nombre de rêves lucides déjà mentionnés, il faut remarquer que
ces facultés peuvent être plus aiguisées en rêve lucide qu'à l'état de veille.

Le manque d'être supposé peut pourtant se situer à un autre niveau, celui de


l'absence de certains noèmes qui ne se trouveraient qu'à l'état de veille. Cette idée selon
laquelle le rêve ne dispose pas de toutes les possibilités de viser le monde qui sont le propre
d'une conscience éveillée s'inspire probablement de constatations personnelles sur le rêve
[19]
ordinaire comme celle de Brillat-Savarin selon qui on ne peut rêver d'odeurs . Ce genre de
remarque est facilement démenti par d'autres expériences personnelles comme en témoigne
celle de Delbœuf ou de bien d'autres. Il ne semble pas qu'on puisse trouver dans le rêve
lucide, tel qu'il se présente d'un point de vue phénoménal, l'absence absolue d'un noème ou
d'un groupe de noèmes particuliers. Sur ce point encore, le rêve lucide est plus riche que
l'état de veille, dans la mesure où certains modes d'apparaître du rêve sont inconnus de l'état
de veille, comme une intuition certaine du sens à donner à des situations oniriques en cours
et que l'homme éveillé devrait se contenter d'interpréter. On ne peut s'appuyer ni sur la
structure noématique ni sur l'absence de certains noèmes pour attribuer à l'état de veille un
supplément d'être.

Le primat accordé à la veille peut alors tenir à ce que la veille apparaît comme plus
stable dans le temps que le rêve dont le contenu se renouvelle à chaque expérience onirique
- tandis que la veille présente les mêmes caractéristiques à chaque réveil. Cet argument
repose sur une constatation qu'il semble difficile de remettre en question. Pourtant certaines
catégories de rêves lucides qui commencent par l'endormissement conscient et donnent au
rêveur le sentiment de sortir de son corps présentent, de ce point de vue, une stabilité
parfaite aussi bien dans le décor que dans la situation : le rêveur a, par exemple, le
sentiment de glisser hors de son corps, de le voir ainsi que sa chambre, et doit régulièrement
traverser tout son appartement pour obtenir un aspect différent du rêve. Dans bien des cas,
la fréquence et la stabilité de tels rêves sont étonnantes et contribuent certainement à
expliquer pourquoi certains rêveurs, comme Sylvan Muldoon, pensaient réellement sortir de
leur corps. Mais, indépendamment de ce type de rêve qui se répète de lui-même comme un
rituel d'après l'endormissement, il semble que, dans certains cas, les rêveurs lucides puissent
retrouver les mêmes décors de rêve pour peu qu'ils en manifestent l'intention. Hervey de
Saint-Denys remarque en note du rêve cité plus haut : « il m'est arrivé deux fois, depuis, de
retrouver partiellement le même rêve et d'essayer de parcourir de nouveau les mêmes sites
imaginaires. Je revoyais bien le bal champêtre, mais je me perdais toujours sur la route du
[20]
pensionnat » . De ce point de vue il est dommage que les rêves d'enfants n'aient pas été
systématiquement recueillis car plus d'un adulte garde le souvenir d'avoir, dans les rêves de
son enfance, rencontré régulièrement les mêmes personnages dans les mêmes décors. Si le
rêve lucide présente une stabilité du même type, on comprend aisément pourquoi les rêveurs
finissent par se croire dans une sorte de monde parallèle à celui de la veille et dont les lois
seraient quelque peu différentes sans que cela remette en cause la réalité de ce monde. Sans
aller jusqu'à cette conclusion, on peut constater que la stabilité à long terme n'est pas
interdite au rêve. On peut même se demander si certains rêves ne sont pas plus stables que
le monde de la veille dans la mesure où ils permettent au rêveur lucide de revenir dans des
lieux disparus depuis longtemps.

Puisque les caractères noématiques ne permettent pas d'affirmer le primat


ontologique de la veille, il semble nécessaire de se tourner vers le sujet, ou plus exactement
non pas vers le sujet lui-même, mais sur la place qu'il occupe dans un monde qu'il partage
avec d'autres sujets. Une idée fréquemment rencontrée concernant le rêve énonce que le
rêveur est seul dans son monde onirique à la différence de la veille où il est en contact avec
autrui. Ainsi, dira-t-on, par ses caractères noématiques l'univers onirique peut bien
apparaître comme réel, il ne manque pas moins de cette dimension intersubjective qui est le
propre de la veille. Cependant, au moment même où on énonce cette idée, on en reconnaît
les insuffisances car, d'une part, elle suppose le primat de la veille avant tout examen et,
d'autre part, elle admet implicitement une conception de l'intersubjectivité qui, d'un point de
vue phénoménologique, résulte non pas d'une description mais d'une construction qui ne
repose sur aucune évidence directe : « quel peut être le sens d'un apparaître intersubjectif du
monde et comment un tel apparaître peut[-il] rendre compte de l'intersubjectivité qu'il fonde
[?…] l'on se défiera de plusieurs manières erronées de poser ces problèmes - erronées parce
qu'elles introduisent des termes non élucidés et qu'elles ne demeurent pas sur un plan de
pures évidences. Il ne s'agit donc point de rechercher par quelle habile construction il pourrait
se faire qu'à l'intérieur d'un domaine clos de représentations, formant un pour-soi immatériel,
apparussent des significations ayant aussi un sens pour autrui, car une telle manière de poser
cette question l'obscurcit par des termes équivoques et, surtout, empêche d'en apercevoir les
interrogations authentiques ; l'on y emploie, en effet, un vocabulaire qui risque d'y faire
illusion, car il défigure, par des analogies spatiales faussement simples, les données de la
description pure, et, de façon encore plus dommageable, l'on remplace l'étude des
phénomènes eux-mêmes par une conception arbitraire de prétendus "faits primitifs". L'on
suppose, à tort, que l'évidence première se résume dans un système fermé et autonome de
représentations, constituant le domaine immanent du pour-soi, sans chercher si cette vue
résulte de l'expérience vécue ou d'une déformation gratuite de cette expérience vécue, et l'on
demande alors comment, dans ces représentations, peut s'annoncer quelque chose qui ne s'y
[21]
inclut pas » .

Ainsi la façon même de poser le problème révèle un préjugé qui l'invalide. Néanmoins,
même si nous acceptons cette représentation, en nous plaçant sur le terrain de la simple
description, il s'avère que le rêveur lucide se trouve souvent en présence de personnages
oniriques qui semblent bien faire preuve d'autonomie tout autant que ceux qu'il rencontre à
l'état de veille. Les relations entre le rêveur lucide et les personnages oniriques sont souvent
tout aussi imprévisibles qu'à l'état de veille et, par son comportement, le personnage y donne
tout autant le sentiment d'être pourvu d'une conscience extérieure à celle du sujet rêvant.

« … je suis dans une grande rue, avec des passants.

J'éprouve à plusieurs reprises le désir de m'adresser à

quelqu'un, mais j'hésite toujours au dernier moment.

Finalement, je rassemble tout mon courage et je dis à un

homme qui passe juste près de moi : "T'es un singe." J'ai choisi

cette formule particulière afin de provoquer une réplique

cinglante de sa part. Il reste là, planté, et me regarde. Cela me

rend si mal à l'aise, que j'aurais préféré de loin lui présenter

des excuses. Alors j'entends sa voix me dire : "Je m'y

attendais ; vous avez ressassé cela longtemps dans votre

esprit." L'ai-je même vu parler, je ne m'en souviens plus. Il

continue son discours avec les intonations d'un

prêcheur […] »[22].

Dans la plupart des rêves lucides, il n'est sans doute pas plus possible d'affirmer que
les personnages oniriques ont ou non une conscience que pour les gens rencontrés à l'état de
veille, mais, ce qui est certain, c'est que le comportement de ces personnages dépasse celui
de la simple réplique dont on serait tenté de les gratifier. Ainsi, lorsque des personnages
oniriques exhortent le rêveur à se rendre compte qu'il rêve, il devient impossible, dans la
[23]
description de leur comportement, d'inférer qu'ils sont dénués de conscience . De fait, le
sentiment du rêveur lucide que ces personnages oniriques sont pour la plupart des êtres
conscients semble être une constante qui revient dans les rêves les plus lucides.

« C'est une extrême difficulté à reconnaître, même

dans les rêves où j'ai parfaitement la conscience de mon

sommeil, que quelque compagnon imaginaire n'en partage pas

les illusions avec moi, qu'il n'est, lui aussi, qu'une ombre faisant

partie de la vision. Je songe, par exemple, que je visite la tour

d'une église avec un de mes amis, et qu'un panorama

splendide se déroule à nos regards émerveillés. Je sais très

bien que ce n'est qu'un rêve, et cependant je dis à l'ami qui

m'accompagne : "Souviens-toi bien de ce rêve, je t'en prie, afin

que nous en causions demain quand nous serons

réveillés." »[24]

Ainsi non seulement le comportement du personnage onirique incite, sinon à conclure,


du moins à se conduire comme s'il était conscient, mais le sentiment que le rêveur a affaire à
quelqu'un de réellement présent en tant que conscience (car il peut admettre que ce
personnage « n'est, lui aussi, qu'une ombre faisant partie de la vision ») ne se laisse pas
ébranler par la connaissance qu'il est en train de rêver. La situation est tout à fait équivalente
à la vie de veille qui, phénoménologiquement, ne manifeste aucun supplément d'être sur ce
point.

Plus encore, le rêve lucide, ici aussi, fait preuve une richesse inconnue de l'état de
veille puisque non seulement le rêveur rencontre d'autres personnages mais peut avoir une
"connaissance directe" de leurs pensées et de leur point de vue en se transportant en eux.

Je me demandais pourquoi mes sentiments pour lui

n'étaient pas payés de retour et voulais une réponse à cette

question dans mon rêve. C'est alors que j'ai pris conscience de

mon esprit : cette part de moi à laquelle je pense comme mon

"moi", se détachant de mon corps et flottant à travers son

corps et y entrant... Cela semblait réellement étrange ; tout

était si différent et tellement plus étriqué que dans mon corps

et tellement peu familier. C'était le genre de sentiment que

vous avez quand vous avez conduit une Mercedes pendant des

années en connaissant toute la voiture du dehors et du dedans

et que soudain vous la changez pour une mini Austin... Quoi


qu'il en soit je m'habituais à être dans son corps, avec le

temps... Je vis comment il me percevait, l'effet que je lui faisais

et les sentiments qu'il avait pour moi. Je vis qu'il était en

conflit. Après tout, je suppose, il était devenu conscient de mes

sentiments pour lui et il m'aimait bien mais il ne voulait pas

aller plus loin... Je compris pourquoi il était si réservé avec moi

et je compris que mes sentiments ne seraient jamais payés de

retour.[25]

Le rêveur peut donc, dans son rêve, prendre la place d'un personnage onirique et
avoir sa vision du monde comme s'il était ce personnage mais tout en gardant une distance
lui permettant de ne pas perdre son identité première. Une telle possibilité n'existe pas à
l'état de veille. Ainsi, là encore, le supplément d'être devrait être du côté du rêve.

A aucun moment il n'est possible, phénoménologiquement, de considérer avec


certitude que le rêve est un reflet appauvri de l'état de veille. Au contraire, la richesse du
rêve dans ses différentes dimensions pourrait tout aussi bien indiquer que la situation est
inverse : la veille comporte des caractéristiques qui peuvent être celles du rêve, mais le rêve
peut présenter d'autres caractéristiques qui font de la veille un morceau de l'univers du rêve,
un rêve en quelque sorte particulier. Pourtant c'est là une conclusion qu'on ne peut accepter
sans laisser de côté la capacité à distinguer la veille de certains rêves réalistes, alors que
cette distinction a bel et bien lieu. La vie de veille doit-elle ou non être considérée comme
une sorte de rêve ? Une telle idée paraît naturellement impossible à soutenir, mais encore
faut-il déterminer de quelle façon les deux états se différencient pour le sujet conscient.

Section II

Structure de la conscience lucide

[1]
Hervey de Saint-Denys, Les rêves et les moyens de les diriger, Tchou, Paris, 1964, p. 369.
[2]
Voir à ce sujet William C. Dement, Dormir, rêver, Seuil, Paris, 1981, chapitre 3, ou Michel Jouvet,
Le Sommeil et le Rêve, Odile Jacob, Paris, 1992, chapitre 5.
[3]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 74. Souligné par l'auteur.
[4]
Ibid., p. 369. Souligné par nous.
[5]
Ibid., p. 363. Souligné par nous.
[6]
Ibid., p. 369. Souligné par l'auteur.
[7]
Ibid., p. 358. Ce genre de sensations a été décrit entre autres par Garfield, Rojouan et Kelzer.
[8]
Herbert Spencer mentionné par Havelock Ellis, Le Monde des Rêves, Mercure de France, Paris,
1913, pp. 165-166. Voir supra chapitre 8. Nous avons entendu des propos semblables parmi nos
sujets.
[9]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 358.
[10]
Oliver Fox, Astral Projection, A Record of Out-of-the-Body Experiences, The Citadel Press,
Secaucus, 1980, p. 33. Souligné par nous, cité de façon plus étendue supra au chapitre 2.
[11]
Michel Jouvet, op. cit., p. 73.
[12]
Hervey de Saint-Denys, op. cit. , p. 272.
[13]
Ibid., p. 265.
[14]
Paul Tholey, "A Model for Lucidity Training as a Means of Self-Healing and Psychological Growth", in
: Jayne Gackenbach and Stephen LaBerge (eds.), Conscious Mind, Sleeping Brain, Perspectives on
Lucid Dreaming, Plenum, New York, 1988, pp. 263-287. Rêve cité supra au chapitre 6.
[15]
Saint Augustin, "à Evode, lettre CLIX", dans : Les Lettres de Saint Augustin, t.IV, P.G. Le Mercier,
1737, p. 394. Traduit par des bénédictins de la congrégation de Saint Maur. Souligné ici par nous.
Cité supra au chapitre 2.
[16]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., pp. 357-359.
[17]
Sujet n°16, octobre 1986. Souligné par nous.
[18]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 371.
[19]
Cité supra au chapitre 2.
[20]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 400.
[21]
Georges Lanteri-Laura, Phénoménologie de la Subjectivité, Collection "Epiméthée", Presses
Universitaires de France, Paris, 1968, pp.146-147.
[22]
Stephen LaBerge, Le Rêve lucide, le pouvoir de l'éveil et de la conscience dans vos rêves, Oniros,
Ile Saint-Denis, 1991, p. 52.
[23]
Voir par exemple le rêve cité par Tholey dans lequel intervient le personnage de Spock : Paul
Tholey, "Overview of the Development of Lucid Dream Research in Germany", Lucidity Letter, 8 (2),
1989, pp. 6-30. Cité supra au chapitre 3.
[24]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., p. 357.
[25]
« I asked myself… why he didn't return my feelings and wanted to get an answer to this question in
the dream. It was then that I became aware of my spirit, that is, that part of me I think of as my
"self", detaching itself from my body and floating across to his body and entered into it… It felt really
strange; everything was so different and so much more restricted than in my body, and so
unfamiliar. It was the kind of feeling you have when you have driven a Mercedes for years, know the
car inside out, and then suddenly change it for an Austin Mini… As time went on, however, I got used
to being in his body… I saw how he perceived me, the effect I had on him, and the feelings he had for
me. I saw the conflict he was in. After all, he had, I suppose, become aware of my feelings for him,
and he was very fond of me, but he did not want to go out with me as such… I understood why he
had been so reserved with me, and I realized that he would never return my feelings ». Récit cité
par Jayne Gackenbach and Jane Bosveld, Control your dreams, Harper & Row, New york, 1989,
p. 89.
Chapitre Dix
Approche critique des conceptions de la lucidité onirique

Section I

Y a-t-il un primat phénoménologique de la veille sur le


rêve ?

Section II

Structure de la conscience lucide


Si la veille et le rêve apparaissent comme différents ce n'est donc pas en raison d'un
manque d'être du rêve qui serait une sorte de reflet de la veille, mais cela ne signifie pas non
plus qu'ils sont ontologiquement assimilables l'un à l'autre. On pourrait encore soutenir leur
différence de façon inverse sur la base de la richesse du rêve par rapport à la veille. Mais là
une difficulté survient qui ne se posait pas dans l'autre sens. Tout d'abord, la veille ne peut
apparaître comme un reflet appauvri du rêve puisque le rêve, par sa richesse, comporte
aussi bien des versions "faibles" que "fortes", et donc ce qu'on prendrait pour un reflet
appauvri du rêve aurait encore nécessairement son équivalent onirique, d'une autre qualité.
Or, la veille n'est jamais perçue ainsi. De plus, l'existence de rêves lucides qui imitent
parfaitement le monde de la veille mais que le rêveur ne confond pas avec lui indique que la
différenciation opérée par le sujet ne dépend pas nécessairement du contenu du rêve ou de
ses modes d'apparaître. Dans ce cas sur quoi repose-t-elle ?

La réponse la plus immédiate réside apparemment dans la structure du souvenir.


L'homme éveillé se souvient avoir rêvé et s'être éveillé. Le rêveur lucide se souvient avoir été
éveillé et s'être endormi. Ainsi, aussi proche de la veille que paraisse le rêve, il dépend pour
sa reconnaissance du souvenir du rêveur qui semble être un fil conducteur entre les deux
états. Nous avons vu cependant que le rêveur peut n'avoir aucun souvenir de sa vie de
veille ou avoir des souvenirs inexacts et se savoir en train de rêver. Ce qui compte n'est donc
pas le contenu du souvenir mais la structure de la remémoration. Pourtant le rêveur peut se
réveiller lucidement dans un autre rêve, c'est-à-dire faire un faux-éveil qu'il ne confond pas
avec la veille. Ce qui compte ce n'est donc pas non plus la seule structure de la mémoire, qui
d'ailleurs donne des résultats variés pour un même schéma (faux-éveils réels) mais une
certaine intuition impossible à enfermer dans une structure fixe. Il faut donc chercher ailleurs
la raison de la reconnaissance du rêve en tant que tel.

Une telle explication peut-elle être trouvée d'un point de vue plus phénoménologique ?
En fait, lorsque le contenu et la structure noématique du rêve ne le distinguent en rien de la
veille, le rêve n'apparaît tel que sur ce qu'on peut appeler un horizon onirique. Sous cette
acception, le rêve n'est rêve qu'en raison de cet horizon qui lui préexiste et lui donne son
sens sans nécessairement renvoyer à un rêve déjà fait qui servirait d'exemple. Tout comme
une même perception peut être considérée comme une simple tache ou comme une figure
signifiante (ou encore une même figure perçue apparaître selon deux dessins très différents
selon la position mentale de l'observateur), de la même façon la reconnaissance du rêve
dépend d'une certaine orientation de la conscience qui est apparemment sans rapport avec le
contenu du rêve ou sa structure noématique mais révèle une intentionnalité propre. Ainsi, le
fait que des rêves incongrus ne suscitent aucune reconnaissance tandis que des rêves copiant
parfaitement la veille puissent être lucides sans raison apparente n'aurait pas besoin de
s'expliquer selon un modèle tel que celui de Blackmore : au contraire il s'agirait d'une
intentionnalité première qui serait absente dans les premiers rêves et présentes dans les
derniers. Dans un tel cas, la qualité du souvenir cesse d'être déterminante pour ne servir que
de support à cette intentionnalité première et le souvenu intervient simplement à titre de
composant dans la façon dont elle se structure. Ainsi s'expliqueraient les rêves lucides à
partir de rêves non lucides ou même à partir d'une absence de souvenir. De la même façon,
la qualification de "rêve" dans une telle perspective apparaît comme secondaire : ce qui
compte c'est que l'état est visé comme différent d'un autre (les rêves de sortie hors du
corps pourraient être étudiés sous la même rubrique puisque les "rêveurs" ne confondent pas
leur état avec la veille). On peut poser qu'une telle intentionnalité de la conscience est
présente de façon quasi-constante à l'état de veille, même lorsqu'elle ne s'appuie sur aucun
souvenir.

Cette idée d'une intentionnalité par "différence par rapport à" ne semble pas avoir été
prise en considération jusqu'à présent, mais on peut se demander si quelqu'un qui n'aurait
jamais dormi de sa vie pourrait réellement être conscient de son état de veille. En d'autres
termes, il se pourrait que ce type de visée soit primordial dans la constitution de la
conscience réflexive de veille. En effet, il est difficile de nier que les rêveurs ordinaires font
preuve d'une certaine conscience de soi, bien qu'il soit fréquent d'entendre dire qu'ils sont
"inconscients" ou à demi-conscients. La qualité réflexive de certains rêves ordinaires montre
bien qu'il n'en va pas ainsi. Mais, s'ils sont ressentis comme "inconscients", alors qu'ils ne le
sont pas, c'est en raison de cette absence d'intentionnalité "comparative". Le rêve serait donc
visé comme rêve plutôt qu'il ne se révélerait comme rêve.

Cette proposition, claire lorsqu'on compare le rêve lucide au rêve ordinaire, semble
cependant plus difficile à comprendre lorsqu'on le compare à l'état de veille. Le rêve est
spontanément classé comme un monde à part de la veille et n'entretenant avec lui aucune
relation directe en ce sens que ce qui se déroule dans un domaine est sans rapport avec
l'autre. Il doit donc bien y avoir une délimitation nette entre l'un et l'autre. Or, cela n'est pas
exact, par exemple, dans le cas du souvenir où il n'est pas toujours possible de distinguer ce
[1]
qui s'est passé en rêve de ce qui s'est passé à l'état de veille . De la même façon, on peut
faire un parallèle avec les rêveurs lucides qui s'efforcent de convaincre les personnages
oniriques qu'ils sont dans un rêve ; ces derniers non seulement ne les croient pas mais
doutent parfois de leur santé mentale, quand ils ne deviennent pas agressifs.

La reconnaissance du rêve comme tel se dévoile donc comme une intentionnalité de la


conscience plutôt que comme une intensité de cette conscience que l'on trouverait dans le
développement de son caractère réflexif. En effet, après tout, c'est finalement le même
monde qui s'offre le plus souvent au rêveur et à l'homme éveillé. Dans les deux cas, il se
trouve régulièrement dans les mêmes lieux et rencontre les mêmes personnes. C'est donc
bien le même monde et les mêmes éléments du monde qui sont visés, mais selon deux
modalités différentes. Mais alors nous passons de ce qui pouvait apparaître comme un
dévoilement du rêve lucide lui-même, à la conscience qui le vise et, par là, à un sujet qui
serait en quelque sorte conscientiellement diminué dans le rêve ordinaire ou
conscientiellement augmenté dans le rêve lucide, non pas en raison d'une différence
d'intensité conscientielle mais d'une différence d'intentionnalité.

§ 1. L'intentionnalité de la lucidité
Ce fonctionnement peut être saisi dans ce qui sépare la lucidité de la conscience
onirique ordinaire et qui peut nous servir d'étape intermédiaire dans la comparaison. Cette
conscience onirique partage en effet une caractéristique avec celle de la vie de veille, celle de
ne pas avoir connaissance d'un au-delà de leur état. Pour la conscience onirique cet au-delà
n'est connu qu'au réveil et, à l'état de veille habituel, il peut éventuellement faire l'objet
d'une spéculation mais guère d'une connaissance. Dans ces deux cas la conscience
phénoménale est bien une conscience intentionnelle coextensive de ce qu'elle vise et pouvant
se centrer différemment en fonction de l'objet de sa visée. Le rêve ordinaire peut avoir une
intensité telle que le rêveur s'y sent complètement conscient, mais s'il ignore qu'il se trouve
dans un rêve, ce ne sera pas un rêve lucide. Certains rêves intenses laissent à leurs auteurs
le sentiment que le rêve n'est pas une diminution de la conscience, au moins en ce qui
concerne ces rêves particuliers. Dans ce dernier cas, la conscience onirique et la conscience
de veille ne pourraient se distinguer si la visée du rêve sur le mode du souvenir ne
déséquilibrait pas la balance en faveur de la conscience de veille.

En revanche, cette dernière partage cette différence sur le mode du souvenir avec le
rêve lucide dans lequel le rêveur se souvient de la vie de veille. De ce côté semble s'instaurer
une sorte d'équivalence dans la nature des deux types de conscience. Mais, en réalité, la
conscience de veille n'a pas besoin de se rappeler constamment les rêves de la nuit pour
poser son monde comme étant la veille, tandis que la lucidité onirique ne vit que par ce
souvenir. Ce n'est donc pas le même type d'intentionnalité qui les colore. Une preuve en est
que le souvenir peut être faux par rapport à la veille sans que cela altère la lucidité, ou même
que le rêveur appuie cette lucidité sur un autre rêve qui lui n'est pas lucide et qui est pris
comme réalité de référence. Ce n'est donc pas un contenu concret qui fournit une référence
mais bien un mode de fonctionnement de la visée de la conscience. Or, cette visée porte non
pas sur des noèmes en tant que noèmes mais sur un autre état de conscience considéré
comme l'éveil. L'état d'éveil ne comporte rien de tel, ordinairement. Si la conscience doit se
définir par sa visée, les deux sont de nature radicalement différente.

D'une certaine façon, la lucidité opère une mise en question d'un modèle unique de la
pleine conscience qui est généralement adopté. Jusqu'à présent, en effet, tant que l'on
considérait la lucidité comme étant la même conscience que celle de l'état de veille, ou en
dérivant, on essayait d'en mesurer des degrés en utilisant les critères de la conscience de
veille : qualité de la mémoire, du souvenir, voire de la perception et des représentations
mentales oniriques, et on essayait de mener son étude par rapport à une norme. Or, les
noèmes ne nous disent rien sur la spécificité de la conscience, comme on le constate a
contrario. On peut avoir en effet en rêve la mémoire de l'état de veille sans pour autant
savoir qu'on rêve. D'une façon générale, les qualités noématiques peuvent s'intensifier dans
le rêve ordinaire sans pour autant rapprocher de la lucidité. De la même façon elles peuvent
être au plus bas dans le rêve lucide sans que la lucidité soit perdue. Or, si la conscience se
comprend en fonction de ce qui est visé, la lucidité n'a pas la même structure que la
conscience de veille car, contrairement à cette dernière, elle vise un état de conscience et
non un monde, ou plus exactement elle ne vise le monde onirique que de façon secondaire.
Ainsi la lucidité comporte une conscience de même structure que la conscience de veille
puisque le rêve peut y être visé en tant que monde, mais ce n'est là qu'une conséquence de
sa présence, une sorte de sous-structure conscientielle. On serait tenté de dire que cette
sous-structure conscientielle n'est autre que la conscience onirique ordinaire modifiée par la
seule présence de la lucidité.

C'est donc dans la compréhension précise de la nature de la conscience lucide et celle


du sujet qui l'anime que réside la réponse aux difficultés soulevées par l'analyse critique.

La lucidité onirique diffère de la conscience de veille par sa structure et par là ne peut


être considérée comme en étant dérivée. Plus encore, elle englobe une structure équivalente
à celle de la conscience de veille. Cependant, une différence de structure n'implique pas
nécessairement une nature différente et l'on peut supposer que, tout comme pour la
conscience de l'état de veille, la lucidité est une conscience visante qui ne se maintient que
parce qu'elle vise le rêve en tant que tel. Mais, si l'on se rappelle que ce qui est visé est l'état
de conscience même dans lequel la lucidité se saisit, on se rend vite compte de la difficulté
d'une telle position. La lucidité est nécessairement consciente d'elle-même dans le temps
même où elle donne un statut objectal à la perception onirique et, de ce fait, est le plus
souvent doublement thétique, ce qui explique probablement le sentiment d'intensité
conscientiel inconnu à l'état de veille mais indique également une différence par rapport à la
conscience de veille qui ne se situe pas uniquement dans sa structure.

La différence de nature entre la lucidité et la conscience de veille apparaît également


dans la différence des éléments de structuration. La structure peut en effet sembler
relativement proche, mais les éléments qui la composent ne sont pas les mêmes.

Si un sujet conscient délimite la part d'objectivité et de subjectivité que comporte


toute expérience directe vigile à l'aide de l'acte de perception, c'est que l'expérience lui a
appris que seule la perception le mettait en rapport avec un monde extérieur qui existe en
dehors de lui, tandis que le monde intérieur se modifie constamment en fonction du
sentiment qu'il a de lui-même. Cependant, lorsque ce même sujet devient lucide en rêve, la
situation devient fort différente quant à l'utilité de cet indice de démarcation. En effet, au
cours du rêve lucide, le rêveur peut avoir le sentiment que certaines parties de son
expérience perceptive onirique lui sont extérieures car il ne peut agir sur elles que
[2]
"physiquement" tandis que d'autres dépendent immédiatement de lui comme sujet
onirique dans la mesure où sa simple intention de les manipuler suffit à obtenir ce résultat.
Ce genre de situation indique que la perception onirique n'est pas un indice adéquat de
démarcation en rêve et que, si le sujet s'y tient, comme le montrent les récits des
expériences oniriques, c'est qu'il n'en dispose pas d'autre et ne sait probablement pas de
quelle façon le chercher ni même s'il existe.

Malgré la distinction entre intérieur et extérieur qui subsiste au sein du rêve, le sujet
continue à passer par la perception comme si l'aspect "dépendant du sujet" de certains
événements oniriques perçus devait être attribué à une action d'un type particulier plutôt
qu'à une identité avec le sujet. C'est là un point paradoxal car, d'un côté, le rêveur lucide
considère souvent son rêve comme relevant entièrement du domaine de sa subjectivité et, de
l'autre, il le traite comme si la distinction entre intérieur et extérieur subsistait au sein même
du rêve. Or, si cette dernière attitude ne dépendait que d'une habitude contractée à l'état de
veille, ne devrait-elle pas s'effacer en fonction de l'un de ces deux facteurs : la considération
de l'aspect subjectif de l'expérience par rapport à la veille ou l'absence de délimitation
infranchissable entre la modification des pensées et celle de la perception onirique ? Si
malgré cela la distinction persiste, ne serait-ce pas plutôt en raison d'une particularité de la
lucidité onirique pour laquelle la perception onirique est productrice de la division alors que,
pour l'état de veille, le rapport entre la perception et l'objectivité semble plutôt être constaté
par expérience ?

Dans une telle perspective la lucidité onirique serait une conscience d'une nature très
différente de la conscience de veille et nous disposerions là d'un premier élément formel
permettant d'appréhender l'aspect radicalement original de la lucidité onirique en tant que
forme de conscience. De plus, l'existence même de la perception onirique semble bien être la
démonstration de cette hypothèse. En effet, considéré à partir de l'état de veille, le rêve
devrait être uniforme, c'est-à-dire être entièrement composé d'images mentales (qui
pourraient se donner illusoirement comme perçues) ou, à la rigueur, être entièrement
composé de perceptions. Cette uniformité est bel et bien constatée dans certaines catégories
de rêves ordinaires qui donnent, au réveil, à leur auteur le sentiment d'être peu intenses,
donc dans lesquels la conscience onirique est fort peu présente. Dans d'autres rêves
ordinaires cependant, le rêveur peut faire preuve d'une activité telle que réfléchir ou se
souvenir, qui indique l'existence d'une différence onirique effective entre un intérieur et un
extérieur, et de tels rêves semblent déjà avoir plus de relief. Enfin nous avons pu noter que,
lorsque le rêveur devient lucide, la perception semble parfois s'intensifier en même temps
que le sentiment de vie intérieure, comme si l'accroissement conscientiel onirique entraînait
celui de la division intérieur/extérieur, ce qui amène parfois les rêveurs à croire à la réalité
de leur environnement et à supposer qu'ils se trouvent dans un monde onirique objectif.
Cette nouvelle façon de comprendre la lucidité onirique par une nature différente de l'état de
veille permettrait alors d'expliquer la croyance en un monde hors du corps non plus, comme
on le fait habituellement, par une lucidité qui n'aurait pas complètement émergé, mais par
une activité mentale particulière qu'une telle lucidité autorise. En d'autres termes, la
croyance résulterait non pas d'un manque de conscience mais, au contraire, d'une activité de
jugement rendue possible par cette lucidité et dont le fait même qu'elle soit faussée indique
l'intensité conscientielle qui alimente la division entre intérieur et extérieur au sein du rêve.
La lucidité n'aurait donc pas de rapport direct avec l'appréciation de la situation, comme cela
semble être le cas à l'état de veille, mais serait avant tout une intensité du fait de se savoir
[3]
exister, indépendamment du mode d'exister .

Une autre démonstration de l'existence d'une telle différence de nature peut être
trouvée dans la présentation de la perception onirique qui reste distincte du monde intérieur
du rêveur et reconnaissable par lui alors même qu'elle prend des formes qui l'éloignent de
façon notable de la façon dont la perception se présente à l'état de veille. Ainsi un rêveur
peut percevoir plusieurs décors oniriques simultanément, comme s'ils appartenaient à
différents espaces-temps, ou, dans le même cadre, percevoir un élément comme à partir de
plusieurs points de vue, ou encore avoir un champ de vision de 360° sans pour autant
qu'aucun des éléments de cette expérience ne soit ressenti, dans le rêve, comme subjectif.
Les descriptions qui, d'habitude, relèvent de la subjectivité peuvent donc, dans le rêve,
prendre un caractère objectif qui indique que la démarcation vient non pas des
caractéristiques phénoménales mais de la conscience qui structure l'expérience.

Néanmoins, l'impossibilité de déterminer la perception en fonction d'un contenu ou


d'un mode d'apparaître fixe en se tournant vers l'état de veille n'indique probablement pas
[4]
que le contenu de la perception onirique s'organise de façon arbitraire . En effet, lorsque la
lucidité surgit, non seulement la perception se fait plus intense mais le champ perceptif
lui-même se réorganise, et de nombreux récits de rêves donnent des indications sur les
formes de réorganisation qui portent avant tout sur l'harmonisation du sentiment de
l'écoulement du temps onirique avec l'enchaînement des séquences perçues. Le rêve lucide
est généralement plus suivi, plus continu, plus ordonné, plus stable et plus intense que le
rêve ordinaire qui peut parfois, à son degré le plus bas, apparaître comme parfaitement
[5]
chaotique . Ce passage à une autre organisation peut également être constaté de façon
négative lorsque le rêveur perd sa lucidité et que les qualités de stabilité, de clarté ou
d'intensité s'atténuent, voire disparaissent.

Cette réorganisation ne concerne pas seulement le champ de la perception en tant que


tel mais atteint également le contenu du rêve en tant que le rêveur lui accorde un sens
comme le montre la disparition des incongruités et de l'aspect symbolique. Nous avons vu en
effet que, si l'incongruité peut déclencher la lucidité, ou en quelque sorte attirer son
attention, elle disparaît une fois la lucidité installée. De ce point de vue les éléments
symboliques sont traités comme des incongruités puisque le rêve lucide tend à se
transformer jusqu'à ce que son contenu devienne parfaitement clair pour le rêveur. Le monde
intérieur lui-même se réorganise puisque la qualité du raisonnement ou de l'évocation
[6]
s'améliore et semble d'autant plus grande que la lucidité est plus prononcée . Ainsi tout à la
fois l'extérieur et l'intérieur semblent d'autant plus s'accorder l'un à l'autre que leur
divergence naturelle s'accentue. Il y a là une différence avec la conscience de veille qui
pourrait bien être caractéristique de la lucidité et révéler une nature propre. A l'état de veille,
en effet, ce sont les événements déroutants qui nous sortent des processus automatiques en
provoquant une prise de conscience destinée à nous réadapter à la situation, et la lucidité
déclenchée par une incongruité en rêve obéit probablement au même principe, bien que plus
rarement. Cependant, à l'état de veille, l'adaptation coïncide avec la disparition de la
conscience de la situation alors qu'en rêve cette conscience se prolonge et s'étend à
l'ensemble de la situation onirique alors même que l'incongruité initiale s'est résorbée et que
le rêve a acquis une stabilité nouvelle.

On peut constater que, pour montrer la différence de nature de la lucidité onirique


d'avec la conscience de veille, nous nous sommes contenté d'une description phénoménale
sans chercher des positions métaphysiques implicites ou explicites sur sa nature ontologique.
Il n'a guère été besoin de faire d'hypothèses en dehors de la description pour arriver à cette
conclusion. En revanche, il devient nécessaire maintenant d'aller légèrement au-delà de la
description pour trouver des hypothèses minimales rendant compte de certaines
particularités conscientielles du rêve lucide que nous avons constatées. Il s'agit d'élaborer
des schémas immédiats pour la compréhension du fonctionnement du rêve lucide.
§ 2. Le substrat de la lucidité
La simple description de ce qui se passe dans le champ phénoménal nous amène à
constater que, pour la conscience, le rêve ne peut être considéré comme dérivant de la veille
et même qu'il inclut les qualités apparaissantes de la veille dans une gamme plus vaste que
celle présentée par cette dernière. Or, dans un tel cas, la distinction entre les deux états,
lorsqu'ils manifestent les mêmes qualités, ne devrait pouvoir se faire qu'en fonction d'une
structure particulière, celle par exemple qui permet de comparer un donné onirique au
souvenir d'un donné vigile ou même plus simplement la possibilité de se référer à un état de
veille souvenu. Cependant des cas de faux-éveils calquant parfaitement l'éveil réel peuvent
être trouvés au cours desquels le rêveur sait sans l'ombre d'un doute, mais sans aucune
information, qu'il est en train de rêver. De la même façon, l'état de veille n'est jamais
confondu avec le rêve malgré le fait que les qualités qu'il manifeste puissent apparaître en
rêve. Il est donc nécessaire de poser une intuition première qui ne porte ni sur le contenu
apparaissant, ni sur son mode d'apparaître, ni même sur la structuration du champ
conscientiel. Puisque la conscience n'a pas la même forme dans les deux états, il ne peut
s'agir du même type d'intuition.

Cependant alors l'émergence de la lucidité devient difficile à comprendre. Dans la


mesure où la qualité onirique semble être apportée par le sujet dans sa façon de viser le
monde, au moins en ce qui concerne la gamme de qualités communes, on ne comprend pas
ce qui entraîne le sujet à disposer d'une intuition particulière qui, dans le cas du rêve, a un
aspect facultatif qu'elle n'a pas dans l'état de veille. Et si on admet facilement que cette
intuition puisse s'installer à la suite d'un événement onirique tel que l'incongruité ou le
désir d'échapper à un mauvais rêve, même là, dans la mesure où il ne s'agit pas d'un "éveil"
dans le rêve comme nous l'avons vu, la présence de cette intuition est en elle-même
énigmatique puisqu'elle n'appartient pas à la structure conscientielle immédiatement
précédente, même de façon potentielle. Ainsi, si l'on ne veut pas se condamner à ne plus
pouvoir distinguer le rêve de la veille autrement que par un sentiment d'évidence
énigmatique, il faut maintenant dépasser la simple description et les constatations qu'elle
autorise pour poser une hypothèse qui permette de rendre compte de l'intuition du rêveur
lucide. La structure de la conscience onirique étant sujette à des variations qui, non
seulement ne s'expliquent pas par référence à la conscience de veille, mais peuvent ne pas
manifester l'intentionnalité nécessaire à la reconnaissance d'un état, elle ne se suffit pas à
elle-même pour rendre compte de ce que la description phénoménale nous a appris. Pour
expliquer l'intuition du rêveur lucide sans en faire une création ex nihilo, il devient
nécessaire de poser l'hypothèse d'un substrat qui en est en quelque sorte le dépositaire
(lorsque la lucidité est absente du rêve) - substrat dont nous allons maintenant essayer de
déterminer la nature et le rôle.

Chercher le substrat de la lucidité équivaut à se demander qu'est-ce qui, de façon


peut-être implicite, est commun à toutes les expériences du sujet - pleinement conscientes
ou non - et qui permet de leur donner une unité que la considération du seul état de veille ne
fournit pas. La première direction de recherche relève encore d'une évidence que le rêveur
lucide peut appréhender, celle d'être lui-même et le même dans chacune des situations
conscientielles qu'il connaît. En effet, aussi bien lorsqu'il considère ses états de veille que ses
rêves lucides, le rêveur a le sentiment d'être lui-même avec la certitude d'être parfaitement
conscient de son état. Cependant on comprend maintenant qu'il n'est plus possible d'attribuer
la continuité du sentiment d'être soi d'un état à l'autre à un contenu empirique ou à une
identité de structure conscientielle.

En ce qui concerne le contenu empirique du moi, on constate que l'identité peut


fluctuer (parfois jusqu'à une figure qui apparaîtra inconnue au réveil) et que le "tronc
commun" empirique sur lequel travaillent les facultés oniriques (mémoire, jugement, etc.)
peut se révéler aussi bien totalement englobant (le moi du rêveur lucide est alors le moi de
veille auquel s'intègre celui du rêve) qu'inexistant (par exemple le rêveur lucide homme se
trouve être une femme onirique et même posséder le souvenir de sa vie éveillée sans que
cela trouble sa nouvelle identité). Ainsi, même si la mémoire du rêveur lucide peut s'étendre
vers des souvenirs oniriques auxquels il n'a pas accès lorsqu'il est éveillé, il garde un
souvenir plus ou moins étendu de sa vie diurne, de la même façon qu'à l'état de veille il se
souvient plus ou moins de sa vie onirique, lucide ou non. L'ampleur de ce "tronc commun"
peut donc varier et lorsque les deux contenus empiriques (de veille et de rêve lucide) tendent
à coïncider le rêveur a le sentiment que c'est son moi de veille qui a émergé en rêve. A
d'autres moments cependant, ce tronc commun est si ténu qu'il ne maintient que le souvenir
de l'identité de veille sans lui donner son adhésion, et parfois il le perd complètement. Dans
de tels cas le rêveur lucide n'agit ni ne pense de la même façon qu'à l'état de veille (et pourra
s'en étonner au réveil), mais il garde malgré cela l'impression que c'est bien lui qui rêve et
ne considère pas son moi de veille comme étant un autre que lui.

On pourrait alors être tenté de chercher du côté des composants de ces formes de
conscience (tels le sentiment de l'identité, la mémoire, la volonté ou le jugement) et de leur
contenu. Or, nous avons vu que ces composants ne permettaient pas de justifier la
permanence de ce sentiment du moi puisqu'ils peuvent, d'un état à l'autre, différer autant en
raison de leur intensité que de leur altérité (les souvenirs "de veille" du rêveur lucide n'étant
pas nécessairement ceux du rêveur ordinaire, par exemple lorsque la lucidité émerge à partir
d'un rêve ordinaire qui sert de base de réalité à la visée de la lucidité). De ce fait ni les
composants évoquées (mémoire, jugement, volonté) ni la façon dont ils se structurent ne
sont plus utiles que le contenu empirique pour expliquer la persistance du sentiment
d'identité puisque, comme on le voit, ils peuvent être absents ou radicalement différents dans
certains types de lucidité onirique. On peut en tirer une conclusion immédiate : le moi auquel
le sujet doit son sentiment d'unité n'est pas celui d'une forme particulière de conscience. Les
moi empiriques peuvent en effet varier selon ces formes et même ne pas se connaître, il
reste nécessairement un moi-substrat qui rend compte aussi bien de ceux de la veille que de
ceux des rêves lucides (lorsqu'ils s'en distinguent nettement). Cette conclusion en entraîne
une autre : chaque moi (onirique ou de veille) étant corrélatif d'une forme de conscience (qui
le structure), le moi-substrat (apparemment non immédiatement saisissable de façon
conscientielle) doit dépendre à son tour d'une conscience-subtrat encore plus difficile à
appréhender que la structure d'une forme de conscience donnée telle que la lucidité onirique.

Cependant, on mesure le paradoxe qu'il y a à parler d'une conscience dont on ne


serait pas conscient. Cette difficulté nous oblige à reprendre certaines idées concernant la
nature de la conscience. Le rêve lucide nous a conduit à admettre que la conscience peut
prendre des formes très différentes pour un même niveau d'intensité et de combinaison de
noèmes. Habituellement on se représente la conscience comme une sorte de champ diffus qui
peut faire l'objet d'une concentration plus ou moins intense en un point donné. La conscience
du sujet est toujours présente mais différemment focalisée et intensifiée en fonction des
circonstances. Ainsi on distingue des niveaux de conscience qui vont graduellement de la
conscience passive à la conscience réfléchie. Selon un tel schéma, il n'y aurait à un degré
d'intensité donné qu'un seul type de conscience passive ou réfléchie, proposition que le rêve
lucide invalide. La lucidité ne peut être, en raison de sa structure, ramenée à la conscience de
veille, pas plus qu'on ne peut lui assigner une place définie sur une échelle intensive. Faut-il y
voir alors une sorte d'«expansion» de la conscience onirique ? Cela semblerait légitime dans
la mesure où, du point de vue de sa structure, la conscience onirique ordinaire est en partie
contenue dans la lucidité. L'apparition de la lucidité en cours de rêve montre qu'assez
souvent la simple visée du rêve en tant que rêve ne modifie pas les autres modes
d'apparaître mais élargit les possibilités conscientielles qui s'offrent au rêveur. L'idée que la
conscience peut en quelque sorte s'étendre en augmentant ses visées intentionnelles, voire
en en créant de nouvelles, donnerait alors un sens à cette d'idée d'expansion de la
conscience qui autrement paraîtrait réifiante.

Cette idée présente l'avantage d'assouplir la conscience du sujet pour la théorie en lui
donnant la possibilité de varier selon des formes plus riches qui sont encore à explorer plutôt
que de poser ces formes de façon prédéterminée en fonction de ce que l'on sait de l'état de
veille. Néanmoins elle reste insuffisante pour rendre compte de la lucidité car elle n'en
montre pas la nécessité. En dehors d'un entraînement spécifique pour l'atteindre, la lucidité
onirique est généralement un phénomène rare. Les "causes oniriques" que nous avons pu
examiner nous sont apparues être plutôt des circonstances qui ne l'impliquent pas
nécessairement. Un mauvais rêve ne provoque pas obligatoirement la lucidité, par exemple,
puisque la conscience peut aussi bien rester ce qu'elle est ou se restructurer dans l'éveil. Il
faut donc un élément supplémentaire qui ne peut être donné dans le contenu du rêve ni
même dans son mode d'apparaître et dont la raison reste obscure. La lucidité dans une telle
perspective apparaît plutôt comme une sorte de manipulation conscientielle opérée à partir
de l'état de veille à l'aide de méthodes d'induction. Cela signifierait que sa structuration est
d'une certaine façon d'abord obtenue à l'état de veille par induction puis reproduite plus au
moins par hasard au cours du rêve. La conscience serait donc une sorte de champ
conscientiel susceptible de prendre différentes formes à partir d'une forme précédente. En
ce sens, il n'y aurait pas une évolution équivalente à l'évolution biologique mais passage
d'une forme à une autre qui ne serait pas nécessairement "plus élevée" mais dont la
possibilité même dépendrait de la forme précédente. Ainsi la lucidité onirique dépendrait pour
se constituer à la fois de la conscience onirique et de la conscience de veille, dans lesquelles
une certaine forme peut être atteinte, pour se constituer comme forme de conscience
originale. Aussi, si la lucidité n'est pas l'irruption de la conscience de veille dans le rêve, cette
première conscience en serait néanmoins une condition nécessaire, ce qui expliquerait cette
confusion si souvent rencontrée. On peut alors comparer la conscience-substrat au vide de la
physique théorique dont les courbures constituent les particules élémentaires qui, par leurs
combinaisons, finissent par donner des atomes puis des molécules qui elles-mêmes
constituent la matière que nous percevons. On postulerait alors qu'elle serait un tel "vide
conscientiel" dont les premières courbures pourraient se combiner différemment pour donner
les états que nous connaissons habituellement (conscience de veille ou conscience onirique
ordinaire) et qui eux-mêmes pourraient, selon leurs combinaisons, donner naissance à de
nouvelles formes conscientielles telles que la lucidité.

Nous aboutissons donc d'abord à cette conscience-substrat par la logique d'un


raisonnement et par là nous pouvons supposer que si nous l'avons appelée "conscience" ce
n'est pas parce qu'une visée intentionnelle s'y déploie mais parce que le langage ne nous
permet pas de la désigner autrement. La parenté entre la conscience-substrat et la
conscience de soi serait par exemple de même nature que celle qui unit l'inconscient et le
conscient que l'on ne peut opposer que parce qu'ils occupent un champ commun. Il semble
même licite d'assimiler, au moins en partie, la conscience-substrat à l'inconscient. En effet le
sujet est habituellement considéré comme constitué par un conscient et un inconscient dont
les rêves sont l'indice. Pour Freud par exemple, la conscience de veille ne se confond pas
avec les pensées qu'elle ne peut appréhender : « les activités de pensée les plus compliquées
[7]
peuvent se produire sans que la conscience y prenne part » . Dans la théorie freudienne, ce
sont ces pensées inconscientes qui, transformées, apparaissent comme rêve à la conscience
onirique ordinaire. Toutefois, en raison des éléments d'information que nous a fourni l'étude
des rêves lucides, des nuances sont à apporter à cette idée apparemment simple. Tout
d'abord, puisque le perçu onirique a phénoménologiquement au moins autant d'être que celui
du rêve, il n'est guère possible de soutenir cette idée sans devoir envisager que le perçu de la
veille est lui aussi le résultat de processus de pensées inconscients - ce qui reviendrait à
supprimer la différence entre veille et rêve. Ensuite, puisque le rêveur peut être conscient
d'une conscience suffisamment structurée pour n'être pas une conscience diminuée, mais
différemment structurée pour n'être pas non plus la conscience de veille, il est clair que le
"conscient" renvoie à une multiplicité de structures conscientielles et non à un phénomène
unique. En fait, puisque la lucidité oblige à poser que le même sujet peut avoir des
consciences très différentes et que celles-ci ne sont pas nécessairement orientées vers l'état
de veille, il devient nécessaire de comprendre le passage d'une conscience à l'autre sur le
terrain conscientiel lui-même. Or, l'inconscient que l'on oppose constamment à ce qui est
conscient ne saurait être ce terrain conscientiel - et par là cette conscience-substrat - que si
l'on admet qu'il est, tout comme la distinction subjectif/objectif, une notion relative. Nous
allons essayer de préciser cette idée.

L'examen phénoménologique du rêve lucide nous a montré que les notions mêmes de
conscience ou de subjectivité n'ont pas la simplicité qu'on leur attribue au premier abord
lorsqu'on tente de les utiliser dans l'élaboration de modèles théoriques scientifiques et que
l'utilisation naïve de telles notions rend ces modèles difficilement viables (si, par exemple, il
s'avère que la lucidité n'est pas la conscience de veille, il ne semble pas indispensable que
l'activité du cerveau au cours du rêve lucide se rapproche de celle de l'état de veille ; cela
n'invalide pas une telle recherche mais fait passer au rang d'une hypothèse de travail ce qui
était un postulat). En cherchant d'où vient l'intuition première qui constitue, à notre sens, la
base de la lucidité, nous nous sommes rendu compte de la multiplicité des moi et des
consciences, alors même que subsiste un sentiment d'unité qu'il n'est plus possible de
renvoyer à la seule conscience de veille. Une telle intuition n'est manifestement pas présente
dans le rêve ordinaire et, au cours de la lucidité, il n'est guère possible de dire qu'elle se
"forme", qu'elle est un élément de la structure de la conscience alors que l'expérience montre
qu'elle survient réellement comme un fait premier. Le rêveur sait de façon assez soudaine
qu'il rêve, même si la prélucidité a précédé cette prise de conscience. La prélucidité est de
l'ordre de la délibération qui décide si oui ou non elle va appliquer une telle intuition, mais
elle ne la crée pas, et on a souvent le sentiment que cette intuition est déjà présente, mais
non utilisée, reléguée en quelque sorte dans un "arrière-fond". Or, Freud, sur un autre plan,
avait déjà constaté cela lorsque qu'il écrivait que « pendant toute la durée de notre
[8]
sommeil nous nous savons en train de rêver, aussi bien qu'en train de dormir » .
Pour justifier cette assertion, il s'appuie sur l'exemple des rêveurs lucides mais n'explique pas
comment le rêveur ordinaire peut à la fois savoir et ne pas savoir qu'il rêve. C'est là une
situation paradoxale car il semble bien que l'on ne puisse être à la fois conscient et non
conscient de sa situation. Pour en rendre compte il faut poser une hypothèse qui est
nécessairement impliquée dans ce type de constatation mais jamais réellement examinée.

Selon cette hypothèse le rêveur n'aurait pas une conscience de son état mais
plusieurs qui coexisteraient tout en s'ignorant les unes les autres. Dès l'abord et avant
même tout examen, on voit que cette idée est aussi contraire à toute donnée immédiate qu'a
pu paraître l'idée de l'inconscient à l'époque de Freud. Tout d'abord, il faut comprendre ce qui
dans cette hypothèse doit nécessairement heurter le sens commun et sur la base de quoi elle
est normalement, non pas repoussée, mais guère prise en considération. La raison principale
est probablement que le sentiment immédiat qu'a le sujet de son unité réside dans l'unicité
de sa conscience. Le sujet conscient de lui-même se sent nécessairement comme un foyer
conscient, plus exactement cette conscience est une puisqu'elle est unifiante du divers
noématique. Le divers est ramené à un "je" qui dis "je suis conscient que je suis conscient
de…" et non à un "nous". Ce sentiment immédiat a pu faire rejeter l'inconscient qui
apparaissait comme un "autre" que "je" puisqu'il comprend des désirs, des pensées dont "je"
n'est pas conscient. Cependant la réalité de l'inconscient peut être démontrée et pour
Freud le sujet apparaît comme un ensemble constitué d'un conscient et d'un inconscient :
« Bien sûr, chacun de nous connaît seulement les processus conscients en lui-même et peut
conclure que ceux d'une autre personne, inconscients pour lui, sont connus de cette
personne. Mais l'analyse enseigne nécessairement qu'il s'est trompé dans cette prémisse tout
à fait naturelle et qu'il peut trouver des actions psychiques en lui-même qui sont demeurées
inconnues à sa conscience consciente, ce qu'il doit, cependant, en raison de certaines
conséquences, déduire de la même manière comme étant une évidence circonstancielle fiable
[…]. En définitive, l'analyse lui fournit les moyens de faire monter à la conscience ces
processus initialement inconscients, semblables à la photographie qui rend visible des rayons
ultraviolets autrement invisibles. Je ne peux pas comprendre cependant que l'inconscient
puisse signifier une diminution de la relation entre notre vie psychique et notre corps.

« Ma pensée inconsciente est ma propriété individuelle de la même manière que ma


[9]
pensée consciente » . Dans un tel schéma l'unité du sujet reste préservée par la
conscience qui, si elle n'est que la partie émergée de l'inconscient, n'en est pas moins la
seule partie émergée.

Or, ce schéma a quelque chose d'étrange. Si, en effet, seul le conscient est, par
définition, conscient, ce qui se produit au niveau de l'inconscient est, par définition,
inconscient c'est-à-dire automatique et sans représentation d'un but à atteindre. Mais, du
point de vue du rêve, cela pose des problèmes. Par exemple, un désir inconscient est-il
réellement un désir ? Le désir suppose en effet une représentation de ce qui est désiré, une
connaissance du but à atteindre. Cette question a été posée par van Eeden : « Si l'on
considère la notion de l'accomplissement d'un désir, van Eeden demande de qui les désirs
sont accomplis - ceux d'une personne ? Il se demande aussi comment les désirs peuvent être
inconscients. Pourquoi sont-ils exprimés dans cet étrange langage du rêve ? Est-ce que
[10]
l'inconscient consiste seulement en mécanismes ? » .

En réalité, si l'idée de l'inconscient ne peut pas être remise en question, elle reste
incompréhensible tant que l'on fait de l'inconscience une qualité, ou, mieux, un attribut
essentiel de l'inconscient. En revanche, si cette inconscience devient relative à un sujet, le
fait qu'il puisse avoir des désirs inconscients devient beaucoup plus compréhensible. Dans un
tel cas en effet, ce qui est inconscient l'est pour la conscience de veille, mais pas
nécessairement en soi. Ainsi tout comme la conscience, l'inconscience serait une visée, mais
par négation - ou, si l'on préfère, une occultation de ce qui pourrait être visé par la
conscience. Le sujet serait donc constitué simultanément d'une multitude de consciences
probablement de formes différentes et qui seraient inconscientes pour chacune des autres, ou
en tout cas pour la conscience de veille habituelle. Cette idée permet non seulement de
rendre compte d'aspects autrement incompréhensibles dans la théorie freudienne du rêve,
mais elle correspond à ce qu'il laisse entendre dans le fonctionnement des rêves lorsqu'il met
en jeu différentes instances qui semblent avoir, pour leur part, une représentation claire des
buts à atteindre tout en les cachant au conscient.

L'inconscient serait alors, pour une forme conscientielle donnée, l'ensemble de toutes
les autres formes conscientielles qu'elle ne vise pas (et parfois ne peut pas viser). Cet
inconscient relatif ne recouvre sans doute pas l'ensemble des processus inconscients dont
certains sont probablement automatiques, comme l'a suggéré Freud, mais il rend l'idée d'une
conscience-substrat plus compréhensible : dans le tissu de cette dernière se forment de
multiples points de focalisation conscientielle qui sont autant de sujets "conscients"
particuliers et isolés des autres, sauf lorsque leurs formes sont assez "proches" pour se
fondre et donner naissance à une nouvelle structure, comme dans le cas de la lucidité. Cette
hypothèse apparemment étrange permet de résoudre un certain nombre de questions qui se
sont posées empiriquement au cours de notre description des rêves lucides.

§ 3. Dynamique de la lucidité
L'idée que l'inconscience est une notion relative et non un attribut essentiel permet
non seulement de rendre compte des difficultés que pose la lucidité onirique aux conceptions
courantes du rêve et de la conscience mais, de plus, elle explique un certain nombre de
phénomènes dont on ignorait s'il fallait ou non leur chercher une explication, qu'il s'agisse,
par exemple, de points apparemment aussi mineurs que la conduite des personnages
oniriques ou aussi intriguants que la différence de structure conscientielle de certaines
"lucidités" oniriques.

Cette idée de consciences multiples expliquerait en effet l'attitude des personnages


oniriques qu'il est difficile de réduire à de simples automatismes comme le montrent les
expériences de Tholey. Le fait pour le "je central" de se fondre en un autre personnage et de
prendre sa "place conscientielle" pourrait alors s'expliquer par l'existence d'une conscience
déjà présente (pour le personnage) mais précédemment inconsciente (pour le rêveur-acteur
principal). La "réalité" que le rêveur lucide attribue souvent aux personnages malgré sa
conscience aiguë du caractère onirique de la situation va dans ce sens. Néanmoins, pourquoi
au réveil le sujet privilégie-t-il dans son souvenir un foyer conscientiel plutôt qu'un autre ? On
peut immédiatement répondre d'une part qu'il n'en va pas toujours ainsi et d'autre part que
ces différents foyers n'ont pas la même intensité.

Dans certains cas en effet, plusieurs formes de conscience semblent habiter le même
champ onirique pour le rêveur. Habituellement l'unité de ce qu'on peut globalement appeler
la conscience apparaît comme une évidence dans la mesure elle renvoie à l'unité d'une forme
conscientielle qui, si elle peut se modifier, n'en reste pas moins unique à structurer le champ
conscientiel. L'expérience conscientielle quotidienne va généralement dans le sens de cette
unité formelle aussi bien en ce qui concerne nos activités de veille que le souvenir que nous
avons de nos rêves. Généralement la lucidité onirique permet également de constater cette
unité de la forme qui semble bien garantir l'unité de la conscience puisque cette forme se
modifie : le rêveur a le sentiment d'une modification conscientielle et non d'un ajout comme
pourraient le laisser penser les descriptions rapides du rêve lucide : "rêve auquel s'ajoute la
conscience de rêver" (en fait des formules telles que "rêve dont la conscience onirique se
modifie de façon à inclure un processus de réflexivité" seraient formellement plus exactes,
bien qu'inadéquates comme nous l'avons vu précédemment). Cependant cette évidence
d'unité formelle ne se présente pas par elle-même mais résulte d'une somme d'expériences
conscientielles.

En réalité certains rêves démentent l'idée que la conscience doive son unité à celle de
sa forme. Dans de nombreux cas en effet, plusieurs formes différentes semblent coexister
dans le même champ conscientiel. La lucidité n'apparaît pas toujours comme la forme
conscientielle du rêve lucide mais comme une forme étrangère à la conscience onirique
précédente qui subsiste, voire comme une forme conscientielle étrangère au rêve. Parfois le
rêveur est à la fois totalement impliqué dans l'activité onirique avec sa conscience onirique
ordinaire et en même temps observateur lucide de cette activité dans laquelle il ne s'implique
pas en tant qu'observateur. Dans cette situation, les deux formes de conscience apparaissent
comme bien distinctes et seul le champ conscientiel (la conscience-substrat non apparente
pour les formes de conscience particulières qui pourtant en dépendent) préserve l'unité de
l'expérience. Il est probable que de telles expériences sont difficiles à intégrer dans le
souvenir de la vie quotidienne dont la forme de la conscience est une. Mais, même
lorsqu'elles sont remémorées, elles ne rentrent pas dans le cadre du langage courant et cela
explique peut-être pourquoi elles sont rarement mentionnées dans les récits des rêveurs
lucides. Néanmoins leur existence, même rare, oblige à conclure que la forme de la
conscience n'est pas ce qui donne son unité à la conscience onirique.

D'autre part, la différence d'intensité de ces foyers conscientiels est probablement


responsable des déplacements conscientiels que le rêveur ordinaire constate au réveil dans
son souvenir, alors que les consciences oniriques se sont sans doute présentées
simultanément. Ainsi, la fréquence avec laquelle, dans les rêves ordinaires, les rêveurs
s'identifient à un personnage puis à un autre (parfois sans perdre le premier de vue) indique
probablement un déplacement de l'intensité conscientielle.

« Je rêve que j'aperçois une jeune apprentie les

cheveux épars et horriblement maltraitée par un cordier, son

patron. (J'avais lu dans les journaux, la veille ou l'avant-veille,

un procès révélant des faits de cette nature qui m'avaient fort

indignés.) La jeune fille avait à la main un maillet. Je m'irritais

de ce qu'elle se laissât battre sans se défendre ; je ne pouvais

aller à son secours, je ne sais pourquoi, et je lui criais

vainement de frapper à son tour. Tout à coup, c'est moi qui me

trouve être l'apprentie ; j'ai assené avec rage un coup de

maillet sur le front de l'homme odieux qui me torturait. Je le

contemple sanglant et renversé. Je crains ensuite qu'on ne

m'arrête ; je relève mes cheveux, je les noue derrière ma tête,

je fuis et je prends garde d'accrocher ma robe aux fourches de


[11]
bois sur lesquelles s'étirait le chanvre tordu. »

Dans ce rêve le déplacement de l'intensité conscientielle s'explique aisément par le


désir du rêveur-acteur et par le déplacement de l'action dramatique (de l'observation à la
réaction). Le souvenir du marquis n'a sans doute sélectionné que les sommets d'intensité là
où d'autres rêveurs auraient fait le récit de plusieurs points de vue conscientiels (le marquis,
le cordier, l'apprentie). La lucidité tend à concentrer l'intensité conscientielle sur sa propre
forme et donc, nous l'avons vu, soit à diminuer le nombre des personnages, soit à
monopoliser une intensité qui renforce rétrospectivement le sentiment d'unité du sujet qui
s'éveille. Mais elle est néanmoins surpassée par d'autres foyers lorsque le rêveur change de
scène onirique - et, par là, de moi de rêve.

L'idée d'un inconscient relatif, et donc d'une conscience-substrat, nous permet


également de comprendre comment la lucidité existe pendant le sommeil sans
nécessairement être en rapport avec le rêve, ce que confirme l'existence du sommeil lucide.
On peut en effet supposer que la conscience onirique ordinaire et la lucidité au cours du
sommeil coexistent en étant inconscientes l'une de l'autre. A certains moments leur rencontre
provoquerait le rêve lucide et quelques rêves lucides s'expliquent bien par une telle mise en
connexion, notamment lorsque le rêveur manifeste ce qu'on pourrait appeler deux points de
vue conscientiels (par exemple lorsqu'il est à la fois le spectateur et l'acteur de son rêve).
Cette mise en rapport d'une lucidité en quelque sorte "en soi" avec la conscience onirique
ordinaire, qui provoquerait la lucidité onirique, pourrait également en expliquer les différentes
formes. Dans le cas que nous venons d'évoquer, la lucidité et la conscience onirique se
"toucheraient", tout en conservant une relative autonomie de forme qui entraîne le sentiment
d'être à la fois spectateur et acteur. Mais la plupart du temps cette distance s'efface et les
deux types de conscience se fondent ensemble pour former une lucidité onirique à un seul
foyer conscientiel qui donne au rêveur le sentiment d'un monde onirique réel dans lequel il se
meut et que nous avons souvent rencontré.

Dans d'autres cas, lorsque le rêveur s'endort consciemment, il est possible que le type
de lucidité ne soit pas le même, car ce serait la conscience de veille qui entrerait en
connexion avec la conscience onirique ordinaire ou bien se combinerait avec elle. Il se
pourrait alors que la lucidité onirique soit en réalité de nature très différente selon les
situations et cela expliquerait pourquoi les rêves ainsi obtenus, tout autant que la "liberté"
onirique du rêveur, sont sujets à des fluctuations dont il est difficile de rendre compte
autrement. Ainsi les rêves lucides d'endormissement seraient plutôt à étudier en relation avec
les rêves hypnotiques, tandis que ceux dont la lucidité surgit en cours de rêve seraient à
examiner avec les moments (rares) où, à l'état de veille, un sujet prend conscience de son
état de conscience.

La conscience-substrat et le moi-substrat permettent donc d'organiser autrement le


champ des questions qui se posent au sujet du rêve. Ce moi-substrat (ou sujet-substrat) est
bien sûr difficile à admettre pour un moi particulier, même si cette particularité n'est pas
empirique mais dépend d'une structuration de la conscience, car le sentiment du "je" est
justement corrélatif d'un foyer conscientiel. Le sujet-substrat est une sorte de "je" originaire
indépendant du contenu empirique et même de la forme de son champ conscientiel qui peut
varier en étendue, en forme et en intensité, aussi bien à l'état de veille qu'au cours du rêve
(l'étendue concernerait ici ce qui est posé, c'est-à-dire les différents noèmes aussi bien que
l'instance qui les pose, la forme serait la façon dont se structure ce champ conscientiel tandis
que l'intensité serait la qualité de manifestation de cet apparaître). Ainsi, même lorsque la
conscience prend des formes très différentes, elle renvoie à un sujet "un", point de référence
des situations conscientielles où la structure du champ permet une conscience réflexive de
son état, même si cela s'opère de façons fort différentes.

Cette idée est apparemment confirmée à la fois par l'expérience quotidienne


conscientielle la plus immédiate et par l'observation des rêves ordinaires et lucides. Dans
l'expérience quotidienne du sujet conscient de soi il n'y a qu'une seule "disposition à la
conscience", même si les formes qu'elle peut prendre sont diverses dans le temps. Ainsi le
va et vient entre la veille, le sommeil sans rêve et le rêve ordinaire indique bien les
fluctuations de cette "disposition à la conscience" qui peut aller jusqu'à s'ignorer elle-même.
De la même façon, au sein du rêve, des fluctuations analogues peuvent se marquer avec des
formes conscientielles différentes : lorsque le rêveur passe de la conscience onirique ordinaire
à la lucidité, il n'ajoute pas la lucidité à la conscience onirique ordinaire, la modification
s'opère sur l'ensemble du champ conscientiel (et a souvent des répercussions sur le contenu
onirique perçu). Ainsi l'expérience la plus courante du rêveur lucide n'est pas la coexistence
dans le même "espace" conscientiel de deux formes de conscience mais celle d'une
transformation d'une forme conscientielle en une autre. L'horizon de ces formes de
conscience serait l'inconscient relatif (ou conscience-substrat) dont elles émergeraient ou à
partir duquel elles se structureraient. Cependant le rêve permet de déceler l'existence de
foyers conscientiels se manifestant simultanément, soit dans le même rêve, soit dans des
[12]
rêves "parallèles" .

Cette idée d'une conscience-substrat (de nature non intentionnelle) reste, en ce qui
concerne le champ onirique, plus satisfaisante pour rendre compte de l'unité du sujet que la
référence à la conscience de veille habituelle. La constatation de l'altérité conscientielle de la
lucidité onirique (et sans doute sa multiplicité) se trouve alors fondée à l'aide d'une
hypothèse qui permet d'ouvrir de nouveaux champs à la réflexion sur le rêve.

Chapitre Onze

[1]
Par exemple, le sujet n°10, ne trouvant pas dans une rue voisine de chez lui le restaurant où il se
souvenait avoir été quelque jours auparavant, s'est rendu compte après coup qu'il ne s'y était rendu
qu'en rêve et que ce restaurant n'existait pas.
[2]
Ou mentalement, mais l'aspect perçu reste le même.
[3]
De ce point de vue la plus grande partie des rêves de "sortie hors du corps" appartiennent à la
catégorie des rêves lucides et non pas seulement des rêves associés.
[4]
On pourrait croire en effet que c'est pour le sujet une façon de viser l'imaginaire à l'aide de modes
d'apparaître qui ne sont pas les siens.
[5]
L'ensemble de l'expérience onirique varie selon les individus : Charles Tart prétend n'avoir que des
rêves intenses, tandis que les réflexions de Vincent Bloch indiquent qu'il ne connaît que des rêves
chaotiques.
[6]
Ce n'est pas une règle absolue.
[7]
Freud, op. cit., p. 504.
[8]
Freud, op. cit., p. 486, souligné par l'auteur. Déjà cité aux chapitres 2 et 8 dans d'autres contextes.
[9]
« Of course, every one of us knows only conscious processes in oneself and may conclude that those
of some other person, unconscious to himself, are known to that person. But whoever analyzes must
learn by necessity that he has erred in this quite natural premise, and that he can find psychic acts in
himself that have remained unknown to his conscious awareness which he must, however because of
certain consequences, deduce in the same way as reliable circumstancial evidence without a
confession. Finally, analysis provides him with the means to raise to consciousness these, initially
unconscious process, similar to photography that makes visible otherwise invisible ultraviolet rays. I
cannot understand, however that the unconscious should mean a loosening of the relationship
between our psychic life and our individual body.

« My unconscious thought is my individual property in the same way as my conscious one ». Bob
Rooksby and Sybe Terwee, "Freud, van Eeden and Lucid Dreaming", Lucidity Letter, 9 (2), 1990,
pp. 18-28.
[10]
« With regard to the notion of wish-fulfillment, van Eeden asks about whose wishes are fulfilled - a
person's? He also wonders, "Can wishes be unconscious? Why are they expressed in this strange
dream langage? Does the unconscious only consist of mechanisms?" ». Ibid.
[11]
Hervey de Saint-Denys, op. cit., pp. 349-350.
[12]
Ce qui apparemment ne se produit pas à l'état de veille ou rarement, s'il faut en croire certains
témoignages : « J'ai eu alors une très étrange expérience : nous étions au spectacle du Casino de
Paris. Et je ne savais pas si j'étais la danseuse ou s'il y avait quelqu'un d'autre sur la scène… Et il y
avait un singulier mouvement, là, à l'intérieur de moi (ce qui est pour moi tout naturel à l'heure
actuelle). Il n'y avait plus de division ; il n'y avait plus personne pour regarder la danseuse. La
question de savoir si j'étais la danseuse ou si, hors de moi, il y avait une danseuse sur scène
m'intriguait. Cette singulière expérience de l'absence de division entre la danseuse et moi me
tracassa un certain temps… ». (Sans nom d'auteur), Rencontres avec un Éveillé contestataire : U.G.,
Les Deux Océans, Paris, 1986, p. 29. Même si nous ne désirons pas nous aventurer sur ce terrain
pour l'état de veille où les expériences de ce type - contrairement à la lucidité onirique - semblent
extrêmement difficiles à obtenir et à étudier, remarquons au passage que les phénomènes
conscientiels examinés ici pourraient leur fournir un modèle.
Chapitre Onze

Conclusion Générale
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[Cette 11.0: "Conclusion Générale" de Rêve Lucide a été visité 404 fois depuis le 24 février
2009]

Christian Bouchet
[Read the English translation]

Nous avons essayé de montrer que la lucidité onirique ne peut être assimilée à
l'émergence de la conscience de veille dans le rêve nocturne.[1] Mais, avant toute
démonstration, cette proposition se heurte à deux difficultés extrinsèques : les
présupposés s'attachant aux notions mêmes de rêve et de conscience de son état. Pour
la comprendre - et pour poser l'existence du rêve lucide et du type de conscience qui le
caractérise - il faut d'abord dissiper le préjugé selon lequel rêver et être conscient de son
état sont deux phénomènes incompatibles ; puis mettre au jour le présupposé implicite
qui fait de la conscience de veille le seul terrain de l'émergence de la conscience de son
état. Ainsi notre proposition doit faire l'objet d'un éclaircissement préalable pour dissiper
des préjugés d'autant plus puissants qu'ils prennent la forme d'évidences inquestionnées.
Leur caractère "axiomatique" peut être remis en cause tout autant à l'aide de l'examen
de la littérature onirique que de l'expérience personnelle ou de laboratoire, mais pour y
parvenir il est nécessaire de définir précisément le phénomène que l'on cherche à mettre
en évidence - même de façon "conventionnelle" en attendant d'en trouver confirmation
dans les faits. Or, non seulement cette définition elle-même contredit la définition
habituelle du rêve, mais de plus elle diffère selon les auteurs, en raison notamment de
l'assimilation dont nous cherchons ici à montrer le caractère abusif. Il nous faut donc
comprendre ce qui motive le présupposé mais aussi déterminer le noyau - s'il existe - qui
se tient sous des définitions fluctuantes du rêve lucide.

Le premier point est facile à cerner : traditionnellement l'apparaître du rêve se


réduit à une apparence qui renvoie nécessairement à autre chose qu'elle - à un sens qu'il
faut souvent décrypter. Pour cette raison les images du rêve ne sont pas considérées
comme des perceptions mais comme des images mentales. L'assimilation de la
perception onirique à l'imagerie mentale repose donc sur la diminution ontologique du
rêve. Or, il est aisé de se rendre compte que cette conception du rêve ne vaut que pour
l'homme éveillé - qui s'éveille d'un rêve ordinaire - mais que, dans le souvenir, la
perception onirique est parfois aussi nette et complète que l'est l'état de veille. Ainsi, tant
que l'on n'a pu examiner consciemment la perception onirique au cours du rêve, on ne
peut soutenir avec certitude qu'elle se réduit à une évocation mentale pour un rêveur
abusé (ou, si l'on préfère, pour une conscience fascinée). Il s'agit donc bien d'une
conclusion qui dépasse ce qu'autorise l'examen des prémisses. Plus encore, il n'y a
aucune raison logique de refuser à l'apparaître du rêve un caractère perceptif même si
l'on admet le moindre être du rêve. (Ainsi, tout en reconnaissant l'irréalité d'une
hallucination sensorielle, on sait que, dans certains cas, elle donne une impression
parfaite de perception et que, par conséquent, elle en est une en ce qui concerne
l'apparaître.) Et si la diminution ontologique du rêve ne conditionne pas son mode
d'apparaître, on peut comprendre qu'elle n'implique pas nécessairement un type de
conscience particulier.

Le caractère "fasciné" ou "diminué" que certains ont cru suffisant pour définir la
conscience onirique ne tient en effet pas à l'examen d'une essence puisque le rêve est
avant tout une expérience, mais à une généralisation inductive ignorant parfois
délibérément les éléments qui la remettent en question (comme le montre l'attitude de
Bergson vis-à-vis de l'œuvre d'Hervey de Saint-Denys). Or, cette attitude découle sans
doute moins du désir de défendre à tout prix une théorie que de l'indétermination de ces
expériences "différentes" et dont les définitions se heurtent les unes aux autres quand
elles ne sont pas contradictoires en elles-mêmes. Nous avons donc adopté une définition
minimale du rêve lucide (rêve au cours duquel le rêveur se sait en train de rêver) et nous
nous sommes rendu compte à l'analyse qu'elle était implicitement admise comme
condition nécessaire par tous les auteurs, même si certains ne la jugent pas suffisante.

A partir de là, il devient possible aussi bien de repérer des occurrences de ce


phénomène dans la littérature sur le rêve que de provoquer des expériences de
laboratoire qui en confirment l'existence. Nous avons donc cherché dans l'histoire du rêve
et dans les témoignages contemporains les expériences répondant à ce critère minimal,
ce qui nous a permis d'en étendre la description et d'en nuancer la définition. Nous avons
dû également montrer comment la conscience de rêver permettait d'opérer un certain
nombre d'expériences sur le rêve afin de mieux saisir le fonctionnement de cette lucidité
onirique dont nous voulions déterminer la nature. C'est donc au cours de ce travail
d'établissement du phénomène que sont apparus, pendant l'analyse, des éléments
particuliers nous permettant de mieux apprécier la singularité de ce type de conscience
et qui montrent la nécessité d'une étude conceptuelle.

En effet notre proposition trouve d'abord sa raison d'être dans un certain nombre
de constatations qui ne s'accordent pas avec la thèse selon laquelle la lucidité onirique
est la conscience de veille (tout comme l'existence de la lucidité onirique ne s'accorde
pas dans les faits avec la thèse selon laquelle la conscience onirique est une conscience
nécessairement diminuée). Certaines de ces constatations, les plus évidentes, ne
constituent qu'une démonstration par négation, mais elles ont le mérite d'attirer
suffisamment notre attention pour aider à émerger d'autres faits qui eux ont valeur de
démonstration positive et dont on n'aurait probablement guère tiré parti sans cette
première approche. Ce premier type de constatations porte aussi bien sur le rêveur
rêvant que sur la scène onirique.

Si la conscience était la même d'un état à l'autre, une certaine cohérence devrait
être observée entre les deux états en ce qui concerne aussi bien les pensées que les
attitudes du rêveur ou même, plus simplement, l'articulation de sa structure
conscientielle. Or, il n'en va pas ainsi. Tout d'abord, même lorsqu'ils acceptent cette
assimilation, les rêveurs lucides soulignent souvent eux-mêmes l'originalité de leur
expérience en s'efforçant de montrer qu'on ne peut la réduire à une simple combinaison
inédite d'éléments déjà vécus séparément (le rêve d'un côté et la conscience de l'autre).
Ils considèrent au contraire que le rêve lucide serait plutôt une nouvelle manière d'être
au monde qui élargit leur champ d'existence, ce dont témoigne par exemple l'euphorie
provoquée par la lucidité. Mais dans la mesure où ce commentaire peut concerner des
rêves lucides dont le contenu est tout à fait ordinaire, cette nouvelle manière d'être est
avant tout une nouvelle manière d'être conscient. Les tenants de l'assimilation
pourraient objecter que le rêveur lucide est, d'une certaine façon, abusé par son état
lorsqu'il croit décrire une qualité inconnue de sa conscience, mais ce serait par là même
admettre qu'il ne dispose pas de l'acuité de la conscience de veille alors même qu'il sait
pertinemment qu'il rêve. Ainsi la façon dont les rêveurs décrivent leurs expériences incite
immédiatement à nuancer une assimilation trop brutale.

Lorsque le rêveur lucide ne donne pas d'indication sur son appréhension de


l'expérience, son attitude permet de constater un décalage avec la conscience de veille,
qu'il agisse spontanément ou selon un plan d'action préparé depuis la veille. Si
l'assimilation est justifiée, l'attitude spontanée du rêveur lucide devrait suivre une ligne
de conduite en accord avec la conscience de veille. Or, pour la conscience de veille, le
rêve, en tant que création du rêveur, ne saurait être pour lui une expérience d'un donné
autre que lui-même - et c'est d'ailleurs souvent ainsi que les rêveurs lucides l'entendent.
Pourtant l'attitude du rêveur lucide ne correspond pas à cette vue théorique, même
lorsqu'il l'adopte. Il se sent dans le rêve comme dans un terrain "extérieur" et qu'il n'a
pas le sentiment de maîtriser entièrement ni même de connaître totalement : il perçoit
un environnement qui lui paraît étranger, vit une séquence d'événements qu'il ne peut
pas prévoir, y réagit comme si ces derniers avaient de l'importance, donc leur accorde
spontanément une certaine valeur ontologique. Ainsi l'action d'un rêveur qui se sait en
train de rêver peut différer de l'action d'un rêveur ordinaire, mais elle n'en garde pas
moins une spécificité qui ne dépend pas de la conscience de veille puisqu'elle s'adapte
d'une façon originale à des situations oniriques acceptées par le rêveur.

Ce décalage avec la conscience de veille est encore plus net lors des expériences
préparées, c'est-à-dire que le rêveur élabore à l'état de veille pour les mener à bien au
cours du rêve lucide. Souvent une telle expérimentation projetée est, une fois l'état de
rêve lucide atteint, jugée inadéquate ou de peu d'intérêt et modifiée ou délaissée au
profit d'une autre. Ces modifications sont sur le moment le fruit d'une réflexion tout à fait
consciente, mais il n'est pas rare qu'à son retour à l'état de veille le rêveur s'interroge
sur un changement dont il n'admet plus le bien fondé, marquant ainsi qu'une assimilation
complète de la conscience de veille et de la lucidité onirique ne peut être acceptée sans
examen. Plus encore, il arrive parfois que le sujet ne se rende compte de la modification
opérée qu'une fois réveillé, ce qui implique nettement que sa lucidité ne peut pas être
simplement définie comme la présence de la conscience de veille en rêve.

Nous avons dit qu'une objection qui incriminerait les facultés du rêveur lucide
pour expliquer les "défaillances" de sa conduite onirique irait dans le sens de la
différenciation. En fait dans nombre de cas le rêveur peut se savoir en train de rêver sans
pour autant disposer de toutes ses facultés. Sa mémoire, voire sa capacité de
raisonnement ou son esprit critique peuvent être fortement diminués - et même absents
- sans que le rêveur cesse de savoir qu'il vit un rêve : il peut avoir oublié où il s'est
endormi, ou se tromper sur l'endroit où il réside ou même sur la période de sa vie
éveillée, voire confondre un rêve précédent avec l'état de veille, toutes situations
inacceptables pour une conscience de veille, et néanmoins savoir qu'il rêve. Mais ce
décalage ne va pas seulement dans le sens d'une diminution. Le rêveur lucide dispose
parfois d'une mémoire plus étendue que dans la vie de veille, a les idées plus claires et
les solutions à ses problèmes quotidiens lui apparaissent plus aisément en rêve lucide
qu'à l'état de veille. Parfois encore, l'attitude du rêveur lucide s'écarte tout à fait de la
compréhension de la conscience de veille : le rêveur agit d'une façon étrange parce
qu'il sait qu'il faut le faire, même si aucune connaissance préalable ne lui permet au
réveil de justifier ses actes. La pleine conscience de son état ne s'accompagne donc pas
nécessairement du même fonctionnement des facultés qui la caractérise dans la vie
éveillée.

L'examen de la scène onirique elle-même ne va pas dans le sens de l'assimilation


pure et simple des deux types de conscience. Si en effet la lucidité onirique n'était autre
que l'émergence de la conscience de veille dans le rêve, on devrait s'attendre à ce que le
rêve lucide se rapproche du réveil et donc que le décor tende à redevenir l'image mentale
qu'il ne cessait d'être que pour une conscience abusée. Or, non seulement la lucidité peut
survenir en milieu de nuit, mais, loin d'estomper la qualité perçue du rêve, elle l'intensifie
parfois au point de la rendre plus réelle à la conscience pourtant lucide du rêveur. De
plus l'émergence de la lucidité entraîne souvent l'apparition de phénomènes qui ne se
manifestent que rarement dans les rêves ordinaires tels que le vol ou la sortie hors du
corps. Puisque certaines modifications de la scène onirique semblent bien conditionnées
par la présence de la lucidité mais que, cependant, elles ne correspondent pas à ce qui
serait attendu par une conscience de veille, c'est qu'il n'est pas possible de réduire les
deux types de conscience l'un à l'autre.

Ces faits apparents qui se dégagent de l'examen de la littérature sur le sujet


incitent à mieux en évaluer d'autres moins susceptibles d'attirer l'attention mais dont
l'analyse permet un pas de plus, c'est-à-dire de montrer que ces deux formes de
conscience sont hétérogènes. La preuve la plus nette (et la moins facilement
perceptible) de l'hétérogénéité des deux formes conscientielles est celle qui permet de
suivre cette conscience de veille jusque dans le sommeil afin de la comparer à la lucidité
onirique qui surgit peu après. Il arrive en effet qu'un rêveur s'endorme en pleine
conscience (donc se sache endormi) et vive des péripéties oniriques sans s'en rendre
compte (se croyant par exemple sorti de son corps ou en train d'écouter des cassettes
jouées depuis le monde de la perception physique). Ce n'est que dans le cas où il prend
conscience qu'il rêve (donc que survient la lucidité onirique) qu'il se rend compte
rétrospectivement (au cours du rêve) de ce que sa conscience précédente avait
d'incomplet. Et, dans cette situation, il est impossible d'objecter que cette conscience
précédente était simplement onirique car, pour celui qui n'a pas vécu une lucidité
consécutive, la sortie hors du corps ou l'écoute de cassettes apparaissent au réveil
comme bel et bien réelles, ainsi que l'acuité conscientielle qui les a accompagnées. La
conscience de veille peut en effet surgir au cours du sommeil (notamment par un
glissement continu dans le sommeil qui ne serait pas accompagné d'une diminution de
l'attention psychique), mais elle doit être classée, au mieux, parmi les états de
sous-lucidité en ce qui concerne son intensité, et reconnue comme différente de la
lucidité dans la mesure où le rêveur est abusé par un contenu onirique qu'il accepte
alors qu'il a conservé sa conscience de veille, et qu'il accepte également après s'être
réveillé dans la mesure où la continuité conscientielle ne s'est pas perdue.

Une autre preuve plus discrète concerne la mémoire que le rêveur garde de ses
rêves lucides. Si ces derniers étaient vécus sur le même mode que la conscience de
veille, il ne fait pas de doute que leur rappel devrait être aisé au réveil. Or, il est fréquent
qu'un rêveur lucide se rappelle avoir été conscient de rêver et reste pourtant incapable
de se remémorer le contenu de son rêve. Maintenir l'assimilation des deux types de
conscience tout en acceptant ce fait reviendrait à admettre que, dans la vie de veille, il
est normal de ne pas se souvenir d'événements qui viennent d'être vécus à l'instant.

Une fois admise la différence des deux formes de conscience, il reste à expliquer
les situations qui ont favorisé leur confusion. Ces situations ne sont pas en elles-mêmes
probantes mais elles ont pu servir à renforcer un présupposé. Nous allons voir
maintenant qu'elles sont susceptibles d'une tout autre interprétation que celle qui leur a
été donnée jusqu'à présent.

La situation la plus commune est sans doute que le rêve lucide se termine sur un
éveil. Il est alors tentant d'en conclure que les rêves lucides se situent en fin de rêve
parce que l'éveil est proche (et que, par là, la conscience de veille infiltre petit à petit le
rêve). On peut immédiatement remarquer d'une part que ce n'est pas toujours le cas et
d'autre part que des rêves lucides qui peuvent avoir lieu en cours de nuit sont
généralement oubliés à moins qu'ils ne soient remémorés à la suite d'un réveil - tout
comme les rêves ordinaires. Mais, même en admettant la généralité de la situation, la
proximité de l'éveil peut avoir une tout autre signification. Lorsqu'en effet le rêve lucide
atteint ce qui apparaît au rêveur être une conclusion logique, ce dernier s'attend à se
réveiller et on peut considérer qu'il sort délibérément, presque machinalement, de son
rêve - et non que la conscience de veille achève un travail de sape. L'abondance des
rêves de faux-éveil terminant les rêves lucides va dans ce sens : le rêveur ne pouvant
pas s'éveiller en raison de la qualité de son sommeil, et croyant néanmoins qu'il va en
être ainsi à cause de la logique événementielle du rêve, il ne lui reste plus qu'à rêver qu'il
se réveille pour satisfaire à son attente.

Une autre situation qui tend à renforcer le présupposé selon lequel la lucidité
onirique est la conscience de veille, c'est le fait que cette lucidité est souvent induite à
partir de la vie éveillée. On peut remarquer que ce n'est pas toujours le cas et que la
nécessité de pratiquer une méthode vient probablement d'un blocage culturel qu'il faut
briser. Mais, même en admettant la généralité de cette situation, on s'aperçoit que ces
méthodes créent justement chez leurs pratiquants un état de conscience qui n'est pas
celui de la veille ordinaire (ce qu'indique la difficulté à le mettre en place au début de
l'entraînement). Ce n'est donc pas ce dernier qui intervient dans le rêve lucide. La
lucidité serait alors plutôt le reflet onirique d'un exercice particulier de la conscience à
l'état de veille. Ainsi il en irait de même pour la conscience de veille que pour la
conscience onirique : elle pourrait être ordinaire ou lucide. La situation inverse se
présente d'ailleurs, bien que plus rarement, de rêveurs lucides qui, au réveil, deviennent
plus conscients de leur état de veille du fait de leur expérience onirique. On ne peut donc
en tirer de conclusion définitive.

Une situation exceptionnelle est également mise en avant, bien que la rareté de
son occurrence indique qu'elle n'est pas essentielle au rêve lucide, c'est la capacité qu'a
parfois le rêveur à percevoir simultanément son environnement onirique et celui de la
veille. Ne doit-on pas en conclure soit qu'il est éveillé, soit que la lucidité onirique
s'identifie avec la conscience de veille ? Là encore un examen de cette situation montre
qu'elle peut être comprise tout à fait différemment. On admet en effet sans difficulté
qu'un rêveur non lucide puisse incorporer à ses rêves des éléments appartenant à
l'environnement extérieur sans pouvoir les distinguer et sans se réveiller. Mais, puisque
ces éléments peuvent faire irruption dans le rêve ordinaire, on ne voit pas pourquoi il
n'en irait pas de même dans le rêve lucide, à cette différence qu'étant lucide le rêveur
serait capable de faire la distinction entre les éléments oniriques et vigiles, tout en
continuant de rêver, et donc de dormir. Ainsi on ne peut poser a priori que la perception
consciente d'impressions sensorielles vigiles indique que le sujet est éveillé.

Une fois empiriquement établie la différence entre la lucidité onirique et la


conscience de veille, et dissipées les difficultés posées par certaines situations, il reste à
vérifier si l'examen de la littérature nous permet de nous faire une idée de la nature de la
lucidité.

La première idée qui vient à l'esprit pour comprendre la nature de la lucidité est
d'en examiner les causes les plus fréquentes et plus particulièrement l'incongruité qui, en
rêve, peut nous faire prendre conscience que nous rêvons. Il est alors tentant de
comparer la lucidité à la prise de conscience qui survient à l'état de veille lorsqu'un
incident nous sort de nos habitudes et de nos automatismes. Mais, à la différence de
cette dernière situation, la lucidité se maintient en rêve, tandis qu'à l'état de veille la
prise de conscience disparaît au moment de l'adaptation. Cela indique soit que la lucidité
ne peut pas se ramener à son déclenchement, soit que ce déclencheur n'a pas
l'importance qu'on lui accorde, ce que confirme l'existence d'une lucidité subite et
inexplicable.

Il semble donc préférable de se tourner vers le déroulement de la lucidité pour en


saisir la nature. Or, de ce point de vue, l'émergence et les variations de la lucidité
s'accompagnent souvent d'une variation de l'intensité des sensations, de sorte qu'on
pourrait supposer que la qualité de la perception est en corrélation à une certaine
intensité conscientielle (ce phénomène se constate dans la vie de veille lorsque
l'attention portée à la perception la rend plus vive) : même si, en rêve lucide,
l'augmentation de la qualité perceptive est incomparablement plus forte, il n'en reste pas
moins que le processus est similaire. Mais, malgré cela, la lucidité ne peut être ramenée
à une forme de l'attention perceptive, même si elle en participe. En effet nombreux sont
les rêves sensoriellement intenses où l'attention du rêveur ne laisse aucun doute et où,
malgré tout, ne perce aucune lucidité.

Nous avons tenté de comprendre la prise de conscience comme une réaction du


rêveur et l'attention comme une spontanéité du sujet. Mais, puisqu'elles ne nous donnent
pas la nature de la lucidité, faut-il alors considérer celle-ci comme une activité ? Le
maintien de la lucidité indique en effet que le rêveur fait quelque chose pour ne pas
retomber dans le rêve ordinaire, ce que confirment les récits qui indiquent la difficulté
qu'il y a parfois à ne pas sombrer dans le sommeil à l'intérieur même du sommeil. Mais
quelle est la nature de cette activité ? Elle suppose nécessairement un recul que l'on est
immédiatement tenté de comparer à une élaboration mentale de deuxième niveau à
l'état de veille, celle qu'opère un sujet qui prend conscience de ses propres de pensées et
les examine. De la même façon, le rêve lucide peut se décrire en terme de prise de
conscience - éventuellement sans déclencheur externe (sans incongruité onirique) -
suivie d'une activité mentale concentrée sur l'aspect onirique de la situation. Mais en
réalité, à l'état de veille, la mise à distance du contenu mental n'existe qu'au moment de
la prise de conscience et l'activité mentale de deuxième niveau efface immédiatement
cette distance qui l'a fait naître, en figeant les pensées dont le sujet a pris conscience et
en les transformant en objets de réflexion pour cette activité. Or, le contenu du rêve
lucide garde généralement son autonomie par rapport à l'activité mentale du rêveur. Plus
encore, cette activité mentale peut disparaître sans mettre en péril la lucidité. Ainsi la
lucidité peut être portée par la prise de conscience, l'attention perceptive (onirique) ou
l'activité mentale de deuxième niveau, mais elle ne se réduit ni à l'une d'entre elles, ni au
jeu de leurs combinaisons.

En réalité, l'activité perceptive ou mentale ne sert en rêve que de support à une


lucidité qui peut se manifester de différentes façons. Ainsi, dans certains cas, c'est
l'activité mentale - qui consiste à commenter l'expérience, notamment en se répétant
"c'est un rêve" -, qui permet de maintenir la lucidité ; cette activité ne suffit cependant
pas puisqu'il est possible de faire un commentaire mécanique et auquel le rêveur ne croit
pas (fausse lucidité) - la pensée sert donc uniquement de support à une orientation
conscientielle particulière. Dans d'autres cas c'est l'attention perceptive qui remplit ce
rôle et le rêveur sait qu'il rêve sans avoir besoin de se le dire. Ainsi la lucidité n'est pas
un équivalent de la conscience de veille fonctionnant à partir d'un autre agencement des
facultés mentales puisque qu'elle ne dépend pas de leur variation ou de leur présence.
Plus encore, elle n'est pas engendrée par ces facultés. Puisque la lucidité onirique ne
dépend pas des éléments du rêve ou des facultés du rêveur, il faut bien admettre que le
rêveur lucide fait l'expérience d'une autre forme de conscience relativement à celles de la
veille ou du rêve ordinaire.

Puisque, dans les récits de rêves lucides, la nature de la lucidité onirique ne peut
être donnée par comparaison ou par construction, il s'avère que le point fondamental
n'est pas tant la conscience (qui existe déjà dans le rêve et semble bien dans certains
cas être aussi intense que celle de l'état de veille), mais la visée du rêve, ce qui explique
que la lucidité puisse subir des variations d'intensité, connaître des degrés, voir les
facultés du rêveur plus ou moins aiguisées, sans pour autant cesser d'être ce qu'elle est :
le fait de se savoir en train de rêver. Tant qu'on met l'accent sur la conscience de
rêver on cherche à ramener, à comparer ou à comprendre la lucidité à partir d'autres
formes de conscience déjà connues, la plus "consciente" étant celle de la veille. En réalité
la partie "conscience" de la lucidité peut subir des variations étendues (ce qui engendre
des querelles de définition chez les rêveurs lucides), mais tant que la visée du rêve
comme tel persiste, le rêveur est lucide : il s'agit donc d'une intentionnalité spécifique. La
conscience de son état n'est donc pas indissolublement liée à la veille (où par ailleurs elle
ne se manifeste que rarement sous la forme de conscience doublement thétique qui la
caractérise dans le rêve lucide) qui ne lui offre qu'une possibilité de manifestation parmi
d'autres.

A partir de là on peut comprendre pourquoi la plupart des tentatives d'explications


qui s'efforcent de rendre compte de la lucidité onirique sans remettre en question le
modèle - et le primat - de la conscience de veille se révèlent contradictoires ou
incohérentes dans leurs conséquences. Si la lucidité est une forme conscientielle
spécifique, il faut se tourner vers de nouvelles perspectives et notamment poser
l'existence d'une "conscience-substrat" qui rendrait compte à la fois de la conscience de
veille et de la lucidité onirique (et peut-être d'autres formes de conscience qui sont
encore à mettre nettement en évidence). Cette idée est nécessairement déroutante pour
une conscience (celle de la veille) qui se considère comme le point unificateur de ce qui
se déroule dans son champ. Pourtant le rêveur ordinaire a le même sentiment et malgré
tout sa conscience ne dispose que d'une perspective rétrécie par rapport à la conscience
de veille.

Par ailleurs, l'hypothèse d'une conscience-substrat permet de rendre compte de


nombre de difficultés qui se posent dans le domaine onirique. Par exemple, elle
alimenterait chez un même sujet des consciences particulières qui prendraient en rêve la
forme de personnages oniriques dont l'indépendance par rapport au rêveur est souvent
frappante, au point même qu'il est tenté de leur attribuer une existence autonome (voire
supposer qu'il les a rencontrés hors de son corps). En fait ces personnages oniriques ne
sont autres que le sujet lui-même, mais dotés de consciences différentes de celle qu'il
adopte dans le rêve et donc autonomes de ce point de vue. On peut sans doute aller
plus loin en ajoutant que cette hypothèse d'une conscience-substrat permet de rendre
compte de certaines difficultés posées par la notion d'inconscient. Si en effet l'inconscient
n'est qu'un ensemble d'automatismes, on comprend mal qu'il puisse y avoir en lui des
désirs (qui supposent une représentation et donc, à tout le moins, une certaine
conscience) et même des élaborations dont la cohérence interne est parfois étonnante.
L'idée d'une conscience-substrat permettrait de comprendre la notion d'inconscient non
pas de façon absolue mais relative, en ce sens que l'inconscience n'en serait pas un
attribut essentiel.

L'étude de la lucidité onirique nous a donc amené à poser des problèmes qui
dépassent le cadre du rêve proprement dit. Ainsi la conception que nous nous faisons de
la réalité repose avant tout sur la non-réalité pour se constituer et demande à être
réélaborée lorsque les critères qui sont utilisés pour caractériser cette dernière se
révèlent insuffisants. En effet, si le rêveur peut être conscient de son état, disposer d'une
perception qui ne le cède en rien à celle de l'état de veille et partager son expérience
avec des personnages oniriques dont la conscience n'est pas la même que la sienne, cela
implique soit que la vie de veille n'a pas l'exclusivité de la réalité, soit que le concept de
réalité doit être repensé pour convenir à la seule vie de veille. De son côté, l'idée de
conscience-substrat nécessaire à la compréhension de la lucidité onirique peut faire
l'objet d'une étude comparée dans des domaines tout à fait différents du rêve, tel celui
de l'expérience mystique. Par exemple, l'idée de conscience-substrat et ses implications
pourraient probablement se trouver éclairées par une réflexion sur l'état de conscience
turya dans la pensée indienne (état qui serait à la veille ce que cette dernière est au
rêve). Ainsi, à un ensemble de concepts qui semblaient habituellement ne relever que de
la pure spéculation ou dépendre d'une expérience rarissime, le rêve lucide ouvre une voie
d'étude nouvelle.

[1] Nous n'avons pas cherché, dans cette conclusion, à résumer l'ensemble du travail entrepris, mais

nous avons tenté de montrer comment notre recherche se met rétrospectivement en place, une fois
élucidées les difficultés posées par les "évidences" concernant la notion de rêve - élucidation qu'il a

fallu poursuivre de pair avec notre démonstration en raison de l'imbrication des problèmes. Nous

espérons maintenant montrer en un bref apeçu que, par un changement explicite de système

axiomatique (que nous nous sommes efforcé de justifier dans les deux derniers chapitres), la

recherche sur le rêve peut désormais s'établir sur des bases différentes.
Christian Bouchet

Bibliographie
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[Cette "Bibliographie" a été visité 674 fois depuis le 24 février 2009]

Dans cette bibliographie nous avons mentionné, parmi les documents que nous avons
consultés, uniquement ceux qui sont en rapport avec le rêve lucide ou le rêve associé au rêve
lucide.
Nous avons différencié les travaux qui traitent du rêve lucide ou du rêve associé - qu'il
[1]
s'agisse d'une réflexion à leur sujet (même pour en montrer l'inexistence) ou de simples récits
de rêves - de ceux qui se contentent de signaler le phénomène : dans ce dernier cas nous avons
tout de même indiqué quelques titres, d'une part pour donner une idée des domaines où on voit
surgir la notion de lucidité onirique, et d'autre part parce que sa prise en compte entraîne, même
de façon implicite, une organisation différente de la réflexion dans le domaine envisagé (ces
textes sont rangés dans une rubrique "générale").
Par ailleurs, nous avons laissé de côté un certain nombre de travaux qui traitent sans le
savoir du rêve lucide et du rêve associé (par exemple sous le nom d'expérience hors du corps),
aussi bien en raison de la différence d'orientation de ces recherches par rapport au présent travail
que de la quantité de références qu'il aurait fallu inclure. Nous nous sommes contenté, le plus
souvent, de signaler des travaux étudiant explicitement le rapport de ces "autres" phénomènes
avec le rêve lucide ou associé et, dans le cas contraire, nous n'avons retenu quelques titres de
cette littérature que dans un but d'illustration ou en raison des techniques d'induction qui y sont
décrites.
Cette bibliographie est divisée en quatre sections : ouvrages, articles, revues et ouvrages de
bibliographie.
SECTION I
_____

OUVRAGES

§1. OUVRAGES GÉNÉRAUX.

I. PHYSIOLOGIE, BIOLOGIE ET MÉDECINE.

ÉTÉVENON Pierre, Du Rêve à l'Eveil, Bases physiologiques du sommeil, Albin Michel,


Paris, 1987, 222 p.

JOUVET Michel, Le sommeil et le rêve, Odile Jacob, Paris, 1992, 226 p.

LEFÉBURE Francis, La Respiration rythmique et la Concentration mentale, Le


Courrier du Livre, Paris, 3e éd.,1966, 160 p.

WATSON Lyall, The Romeo Error, A Matter of Life and Death, 1974 ; trad. : Histoire
naturelle de la Vie éternelle ou l'Erreur de Roméo, Albin Michel, Paris, 1976, 280 p.

II. PSYCHOLOGIE, PSYCHANALYSE ET PÉDAGOGIE.

BECKER Raymond de, Les Rêves ou les machinations de la nuit, Editions Planète,
Paris, 2e éd.,1969, 398 p.

BECKER Raymond de, Les Songes, Grasset, Paris, 1958, 160 p.

BOSSARD Robert, Psychologie du rêve, Payot, Paris, 1972, 288 p.

ELLIS Havelock, Le Monde des Rêves, Mercure de France, Paris, 1913, 348 p.

FREUD Sigmund, L'Interprétation des Rêves, Presses Universitaires de France, Paris,


1980, 574 p.

GARFIELD, Patricia, Women's Bodies, Womens's Dreams, Ballantine Books, New York,
1991, 464 p.

LAPASSADE Georges, Les Etats modifiés de Conscience, Presses Universitaires de


France, Paris, 1987, 128 p.

LEFÉBURE Docteur Francis, Le Mixage Phosphénique en Pédagogie, Editions du


C.D.R.Ph., Paris, 1988, 416 p.
O'JACOBSON Docteur Nils, La Vie après la Mort ?, Presses de la Cité, Paris, 1973,
296 p.

ULLMAN M., KRIPPNER S. & VAUGHAN A., La Télépathie par le Rêve, Tchou, Paris,
1977, 296 p.

ULLMAN Montague and ZIMMERMAN Nan,Working with Dreams, A Dell/Eleanor


Friede Book, New York, 1979, 368 p. ; traduit en français sous le titre : La Sagesse des Rêves,
Stanké, Montréal, 1980, 256 p.

WOLMAN Benjamin B. (Ed.), Handbook of Dreams, Research, Theories and


Applications, Van Nostrand Reinhold Company, New York, 1979, 448 p.

III. HISTOIRE, ANTHROPOLOGIE, CIVILISATIONS ANCIENNES,


LITTÉRATURE.

BAUDELAIRE Charles, Les Fleurs du Mal, Le Livre de Poche, Paris, 1972, 404 p.

DODDS E.R., Les Grecs et l'Irrationnel., Aubier Montaigne, Paris, 1965, 310 p.

DOMHOFF G., William, The Mystique of Dreams : A search for Utopia through Senoi
dream theory, University of California Press, Berkeley, 1985, 148 p.

Les Songes et leur Interprétation, SAUNERON, LEIBOVICI, VIEYRA et al., Editions


du Seuil, Paris, 1959, 336 p.

LIE TSEU, Le vrai Classique du Vide parfait, Idées/Gallimard, Paris, 1976, 288 p.

O' FLAHERTY Wendy Doniger, Dreams, Illusions and Other Realities, The University
of Chicago Press, London, 1984, 366 p.

PACHET Pierre, La Force de dormir, Gallimard, Paris, 1988, 206 p.

PACHET Pierre, Nuits étroitement surveillées, Gallimard, Paris, 1980, 218 p.

RIPA Yannick, Histoire du Rêve, Regards sur l'imaginaire des Français au XIXe siècle,
Olivier Orban, Paris, 1988, 276 p.

STEVENSON, Olalla des montagnes et autres contes noirs, Mercure de France, 1975.

IV. PHILOSOPHIE.

DEBRU Claude, Neurophilosophie du Rêve, Hermann Editeurs des Sciences et des Arts,
Paris, 1990, 398 p.
ÉTÉVENON Pierre, L'Homme éveillé, paradoxes du sommeil et du rêve, Tchou, Paris,
1990, 330 p.

HULIN Michel, La Mystique sauvage, PUF/Perspectives critiques, Paris, 1993, 296 p.

NIETZSCHE, Naissance de la Tragédie, Gallimard, Paris, 1991, 384 p.

THOMAS D'AQUIN Saint, Somme théologique, Editions du Cerf, 1954, t.X: "La pensée
humaine".

V. EXPÉRIENCE PERSONNELLE.

ÉTÉVENON Pierre, Les Aveugles éblouis, Albin Michel, Paris, 1985.

MERRELL-WOLFF, Pathways Through To Space, an experiential journal, Julian Press,


New York, 2e éd., 1973, 288 p.

§2. OUVRAGES SPÉCIFIQUES.

I. SUR L'ÉTAT DE CONSCIENCE DU RÊVEUR LUCIDE.

A. RÉCITS DE RÊVES COMMENTÉS.

ARNOLD-FORSTER Mary, Studies in Dreams, The Macmillan company, New York,


1921, 178 p.

FEYNMAN Richard, Vous voulez rire, Monsieur Feynman !, InterEditions, Paris, 1985,
394 p.

FOX Oliver, Astral Projection, A Record of Out-of-the-Body Experiences, Citadel Press,


Secaucus, 1980, 160 p.

GARFIELD Patricia, Pathway to Ecstasy, Holt Rinehart and Winston, New York, 1977,
253 p.

GREGORY Jill, Becoming a lucid dreamer: An analysis of my development in the art


and science of lucid dreaming, Unpublished bachelor's thesis, Dominican College, 1984, 416 p.

HERVEY DE SAINT-DENYS d', Les Rêves et les moyens de les diriger, Tchou, Paris,
1964, 404 p.

JEAN PAUL, Choix de rêves, Fourcade, Paris, 1931, 220 p. Traduit de l'allemand par
Albert Beguin.
KELZER Kenneth, The Sun and the Shadow, My experiment with Lucid Dreaming,
A.R.E. Press, Virginia Beach, 1987, 274 p.

REID Thomas, The works of Thomas Reid, D. D., Longman, Green, Longman, Roberts
and Green, 1863, vol.I, pp. 33-34.

ROBERTS Jane, The Seth Material, Bantam Books, 1976, 334 p.

ROBERTS Jane, Seth - Dreams and projection of consciousness, Bantam Books, New
York, 1989, 328 p.

SWEDENBORG, Le Livre des Rêves, Pandora/Le Milieu, Paris, 1979, 160 p.

TAYLOR Jeremy, Dream Work, techniques for discovering the creative power in
dreams, Paulist Press, New York/Ramsey, 1983, 280 p.

WATKINS Susan M., Conversations With Seth, Volume 2, Prentice Hall Press, New
York, 1981, 336 p.

B. ÉTUDES SUR LE PHÉNOMÈNE DE LA LUCIDITÉ.

1. Ouvrages d'exposition.

CLERC Olivier, Vivre ses rêves, Helios, Genève, 1984, 186 p.

CORRIERE Dr Richard et HART Dr Joseph, Les Maîtres-Rêveurs, Scriptomedia,


Montréal, 1978, 216 p.

DELANEY Gayle, Living Your Dreams, Harper & Row, San Francisco, 2e éd., 1988,
260 p.

FARADAY Ann, Dream Power, Berkley Books, New York, 1980, 320 p.

FARADAY Ann, The Dream Game, Perennial Library/ Harper & Row, New York, 1976,
382 p.

GACKENBACH Jayne & BOSVELD Jane, Control Your Dreams, Harper & Row, New
York, 1989, 236 p.

GARFIELD Patricia, Creative Dreaming, Ballantine Books, New York, 1976, 246 p ;
trad. : La Créativité onirique, du rêve ordinaire au rêve lucide, La Table Ronde, Paris, 1983,
240 p.

GARFIELD Patricia, The Healing Power of Dreams, A Fireside Book/Simon &


Schuster, New York, 1991, 384 p.

KERFORNE Philippe, Les Rêves lucides, diriger ses rêves et maîtriser sa vie, L'Age du
Verseau, Paris, 1991, 200 p.

LACHANCE Laurent, Les Rêves ne mentent pas, Editions Robert Laffont, Paris, 1983,
254 p.

ROBERTS Jane, The Nature of Personal Reality, Prentice Hall Press, New York, 1974,
516 p.

ROBERTS Jane, The Nature of the Psyche, Bantam Books, Toronto, 1984, 262 p.

ROBERTS Jane, The "Unknown" Reality, Volume 1, Bantam Books, Toronto, 1988,
296 p. ; Volume 2, Part I, Bantam Books, Toronto, 1989, 320 p. ; Volume 2, Part II, Bantam
Books, Toronto, 1989, 288 p.

2. Travaux de recherche.

BOUCHET Christian, Le Rêve lucide, Projet. Document non publié, 1984, 189 p.

DELAGE Yves, Le Rêve, Etude Psychologique, Philosophique et Littéraire, Imprimerie


du Commerce, Nantes, 1920, 696 p.

DELBOEUF J., Le Sommeil et les Rêves considérés principalement dans leurs rapports
avec les théories de la certitude et de la mémoire, Félix Alcan, Paris, 1885, 262 p.

DESCAMPS Marc-Alain, BOUCHET Christian, WEIL Pierre, La Révolution


transpersonnelle du Rêve, Editions Trimégiste, Lavaur, 1988, 112 p.

DESCAMPS Marc-Alain, La Maîtrise des Rêves, Editions Universitaires, Paris, 1983,


220 p.

DONAHOE James J., Dream Reality, Bench Press, Oakland, 2e éd., 1979, 128 p.

GACKENBACH Jayne and LABERGE Stephen (Ed.), Conscious Mind, Sleeping Brain,
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phosphènes doubles (Cervoscopie), Edition d'auteur, Paris, 1982, 112 p.

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TART Charles T. (Ed.), Altered States of Consciousness, Doubleday Anchor Book, New
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C. INDUCTION DU RÊVE LUCIDE.

ASHLEY Nancy, Create Your Own Dreams, Prentice Hall Press, New York, 1990, 174
p.

EVANS-WENTZ Dr W. Y. (Ed.), Le Yoga tibétain et les Doctrines secrètes, ou Les Sept


Livres de la Sagesse du Grand Sentier, Librairie d'Amérique et d'Orient/Adrien Maisonneuve,
Paris, 1980, 368 p.

GODEFROY H. Christian, La Dynamique mentale, Marabout, Verviers, 2e éd., 1979,


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LABERGE Stephen & RHEINGOLD Howard, Exploring the World of Lucid Dreaming,
Ballantine Books, New York, 1990, 278 p.

LEFÉBURE Docteur Francis, Derviches tourneurs et Phosphénisme, Editions Jacques


Bersez, Villeneuve-sur-Bellot, 1982, 145 p.

LEFÉBURE Docteur Francis, Du Moulin à Prière à la Dynamo spirituelle, édition


d'auteur, Paris ; t. I,1984, 208 p. ; t. II, 1988, 224 p.

LEFÉBURE Docteur Francis, Le Pneumophène, Edition d'auteur, Paris, sans date, 288
p.

LEFEBURE Docteur Francis, Yoga de deux secondes, Faire Savoir, Viels-Maisons,


1987, 48 p.

LEFÉBURE Dr Francis, L'Initiation de Pietro, Faire Savoir, Viels-Maisons, 3e éd.,


1986, 582 p.

RAJNEESH Bhagwan Shree, Le Livre des Secrets, Albin Michel, Paris, 1983, 384 p.

ROBERTS Jane, How to Develop Your ESP Power, Pocket Books, New York, 1966,
252 p.

D. APPROCHES CULTURELLES.

1. Histoire, anthropologie.

Bardo-Thödol, le livre des morts tibétains, Albin Michel, Paris, 1981, 224 p.

CASTANEDA Carlos, Histoires de pouvoir, Gallimard, Paris, 1975, 288 p.

CASTANEDA Carlos, Le Don de l'Aigle, Gallimard, Paris, 1982, 300 p.

CASTANEDA Carlos, Le Feu du dedans, Gallimard, Paris, 1985, 288 p.

CASTANEDA Carlos, Le second anneau de pouvoir, Gallimard, Paris, 1979, 276 p.

CASTANEDA Carlos, Le Voyage à Ixtlan, les leçons de don Juan, Gallimard, Paris,
1974, 256 p. ; trad. de : Journeys to Ixtlan, the lessons of don Juan.

CASTANEDA Carlos, The Power of Silence, Pocket Books, New York, 1988, 266 p.

GINZBURG Carlo, Les Batailles nocturnes, Sorcellerie et rituels agraires aux XVIe et
XVIIe siècles, Flammarion, Paris, 1984, 272 p.
2. Œuvres de fiction.

BLANC Henri-Frédéric, "L'Empire du Sommeil", Actes Sud, Arles, 1989, 206 p.

HOMÈRE, Iliade, Chant II, Le Livre de Poche, Paris, 1966, 640 p.

HOMÈRE, Odyssée, Chant IV, Le Livre de Poche, Paris, 1968, 512 p.

IOUREV Zinovi, Le Sommeil Paradoxal, Fleuve Noir, Paris, 1982, 224 p.

MAURIER Georges du, Peter Ibbetson, Gallimard, Paris, 1983, 336 p.

PINDARE, Odes, Hachette, Paris, 1867, 288 p. Traduit du grec par J.-F. Boissonade.

II. SUR LES PHÉNOMENES ASSOCIÉS ET APPARENTÉS.

A. ETUDIÉS EN RAPPORT AVEC LES RÊVES LUCIDES ET ASSOCIÉS.

BLACKMORE Susan J., Beyond the Body. An Investigation of Out-of-the-Body


Experiences, Granada, London, 1983, 271 p.

BOURGINE Jérôme, Le Voyage astral, enquête sur les voyages hors du corps, Editons
du Rocher, Monaco, 1993, 370 p.

HARDY Christine, "L'Outre Monde" de l'ultra-perception à l'ultra-logique, Editions du


Rocher, Monaco, 1981, 210 p.

MONROE Robert A., Fantastiques expériences de Voyage astral, Robert Laffont, Paris,
1990, 338 p. ; trad. de : Far Journeys, Doubleday, New York,1985.

ROGO D. Scott, Leaving the body, Prentice-Hall, Englewood Cliffs, 1983, 190 p.

B. ÉTUDIÉS POUR EUX-MÊMES.

1. Rêves contrôlés.

BERSEZ Jacques, Télécommandez vos rêves, Editions Crebillon, Paris,1978, 138 p.

RAJNEESH Bhagwan Shree, L'Eveil à la Conscience cosmique, Editions Dangles, St


Jean de Braye, 1981, 224 p.

2. Rêves de vol, expériences hors du corps et de mort proche.

BARTON Winifred G., Expériences mystiques et Projection astrale, Editions de


Mortagne, Boucherville, 1990, 200 p.
BOZZANO Ernest, Les phénomènes de bilocation, Paris, 1937.

BETTAHAR Jinn A.E.K., L'Art de se dédoubler ou Voyage dans l'astral, Editions F.


Planquart, Lille, 1987, 104 p.

BETTAHAR Jinn A.E.K., La Vie dans l'Astral, Editions F. Planquart, Lille, 1986, 216 p.

BRO Harmon H., Edgard Cayce: Les Rêves et la Réalité, Editions Sélect, Montréal,
1982, 276 p.

CAILLOIS Roger, Puissances du rêve, le Club français du livre, Paris, 1962, 366 p.

CROOKALL Dr. Robert, The study and practice of astral projection, The Citadel Press,
Secaucus, 1960, 234 p.

CROUZET Dr Jean-Philippe, Comment devenir Voyant et Les Merveilles de la Magie,


Nouvelles éditions Debresse, Paris, 1974, 850 p.

DENNING Melita et PHILLIPS Osborne, Guide pratique du Voyage hors du Corps,


Sand et Tchou, Paris, 1983, 180 p.

Ecole du Docteur Francis LEFEBURE, Préparation au dédoublement astral, Editions


Phosphénisme, Paris, 1990, 96 p.

EERSEL Patrice Van, La Source noire, Grasset, Paris, 1986, 448 p.

EHRENWALD Jan, Le Lien télépathique, Robert Laffont, Paris, 1978, 330 p.

FROST Gavin and Yvonne, Astral Travel, Granada, London, 1982, 240 p.

GREEN Celia, Out-of-the-Body Experiences, Institute of Psychophysical Research,


Oxford, 1979, 142 p.

GREENE Richard A., The Handbook of Astral Projection, Next Step Publications,
Cambridge, 1981, 155 p.

GUESNE Jeanne, Le Grand Passage, Le courrier du livre, Paris, 1978, 178 p.

LANCELIN Charles, Méthode de Dédoublement personnel, F. Sorlot/F.Lanore, Paris,


1986, 488 p.

MARTIN Anthony, La Projection astrale, Editions Garancière, Paris, 1985, 128 p.

MERCIER Mario, Chamanisme et Chamans, le vécu dans l'expérience magique,


Belfond, Paris, 1977, 192 p.

MONROE Robert A., Le Voyage hors du Corps, Garancière, Paris, 1986, 300 p.,
traduction de : Journeys out of the body, Anchor Books, New York, 1971.

MOODY Dr Raymond, La Vie après la Vie, Robert Laffont, Paris, 1977, 206 p.
MOODY Dr Raymond, Lumières nouvelles sur la Vie après la Vie, Robert Laffont,
Paris, 1978, 190 p.

MOODY Dr Raymond, La Lumières de l'Au-Delà, Robert Laffont, Paris, 1988, 204 p.

MULDOON Sylvan - Carrington Hereward, La projection du corps astral, Editions du


Rocher, Monaco, 1980, 354 p. ; trad. de :The projection of the astral body, 1929.

OSIS K., HARALDSSON E., Ce qu'ils ont vu… au seuil de la mort, Editions
Garancières, Paris, 1991, 318 p.

RAQUIN Bernard, Comment sortir de son Corps ?, Presses Pocket, s.l., 1992, 192 p.

TUAN Laura, Initiation au Voyage astral, Editions de Vecchi, Paris, 1990, 96 p.

YRAM, Le Médecin de l'Ame, Observations expérimentales de douze années de


dédoublement conscient dans les mondes invisibles, Editions Adyar, Paris, 1926, 260 p.

3. Faux-éveils, rêves partagés.

CAILLOIS Roger, L'incertitude qui vient des rêves, Idées/Gallimard, 1983, 160 p.

CAILLOIS Roger, La Lumière des Songes, fata morgana, s.l., 1984, 54 p.

4. Rêves éveillés et images hypnagogiques.

DAUDET Léon, Le Rêve Eveillé, Bernard Grasset, Paris, 1926, 270 p.

DESOILLE Robert, Théorie et Pratique du Rêve éveillé dirigé, Editions du Mont-Blanc,


Genève, 2e éd., 1978, 216 p.

GUERDON David, Le Rêve éveillé, initiation pratique, Oniros, Ile Saint-Denis, 1993,
288 p.

LEROY Dr. Eug.-Bernard, Les Visions du Demi-sommeil (Hallucinations


hypnagogiques), Librairie Félix Alcan, Paris, 1933, 132 p.

MUKTANANDA Swami, Le Jeu de la Conscience, Guy Trédaniel, Paris, 1984, 324 p.

WATKINS Mary M., Waking Dreams, Harper Colophon Books, New York, 1977, 174 p.
SECTION II
_____

ARTICLES ET COMMUNICATIONS

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PACHET Pierre, "Le miroir du rêve selon Aristote", dans: Jacques Brunschwig, Claude
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International B The Sciences and Engineering, December 1975 vol. 36 n° 6, pp. 2535 B - 3134
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§2. ARTICLES SPÉCIFIQUES.

I. SUR L'ETAT DE CONSCIENCE DU RÊVEUR LUCIDE.

A. RÉCITS DE RÊVES COMMENTÉS.

1. Domaine français.

ANNE-VEVE, ROJOUAN H., RIPERT R., "Corpus de rêves", Oniros n°12, 3ème tr. 85,
pp. 15-22.
BEDUNEAU, LESOURD, RIPERT, "Ici, on rêve lucide! Exemples d'application de la
lucidité onirique", Oniros n°34/35, 3ème & 4ème tr. 1991, pp. 31-33.

DESCARTES René, Olympiques, dans les Œuvres philosophiques, T.I, Edition de


F. Alquié, Classiques Garnier, Paris, 1988, pp. 52-63.

FRIOT Gérard, "Rêves lucides : témoignage n°8", Oniros, n°9, juin 84, p. 5.

JOIGNOT Frédéric, "Etes-vous un rêveur érotique lucide", Oniros n°24, 4ème


tr. 88, pp. 6-9.

JORAIS Cyril, "Corpus onirique : trois rêves lucides", Oniros n°27, 3ème tr. 1989,
pp. 17-20.

LESOURD Francis, "Corpus onirique : Premiers rêves lucides", Oniros n°31, 3e tr.
1990, pp. 21-22.

RIPERT Jayne, RIPERT Roger, CLERC Olivier, ROJOUAN Henri,"Rêves lucides :


témoignages 12 à 17", Oniros, n°11, 2ème tr.85, pp.17-24.

RIPERT Roger, "Mes rêves du 9/11/1988", Oniros n°25, 1er tr. 1989, p. 20.

RIPERT Roger, "Rêves lucides : témoignages n°2", Oniros, n°2, décembre 82, pp. 8-9.

ROG, "Rêves lucides : témoignages n°6 et 7", Oniros, n°8, mai 84, pp. 3-5.

ROJOUAN H., RIPERT R., "Rêves lucides : témoignages n°9, 10 & 11", Oniros, n°10,
1er tr. 85, pp. 15-19.

ROJOUAN Henri, sans titre, 7 janvier 84, dans : "Rêves lucides, témoignage n°9",
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2. Domaine anglais.

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3. Domaine américain.

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Can You Kill Yourself While Lucid ?", Lucidity Letter, Vol. 6, No. 1, June 1987, pp. 64-72.

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4. Domaine finlandais.

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B. ÉTUDES SUR LA LUCIDITÉ.

1. En tant que phénomène conscientiel.

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D. APPROCHES CULTURELLES.

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II. SUR LES PHÉNOMÈNES ASSOCIÉS ET APPARENTÉS.


A. ÉTUDIÉS EN RAPPORT AVEC LES RÊVES LUCIDES ET ASSOCIÉS.

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December 1986, pp. 16-21.

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Vol. 6, No. 1, June 1987, pp. 94-101.

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TIBERGHIEN Monique, "Du rêve de vol au rêve lucide", Oniros n°18,


1er tr. 87, pp. 16-19.

WREN-LEWIS John, "Dream Lucidity and Near-Death Experience - A personal


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B. ETUDIÉS EN EUX-MEMES.

BLOCK Mark, "CODE BLUE : A New Beginning", Lucidity Letter, Vol. 8, No. 1,
June1989, pp. 8-15.

GUESNÉ Jeanne, "Les Sorties hors du Corps", Bulletin du Transpersonnel n°29, janvier
1993, pp. 3-16.
TART C.T., "Psychedelic experiences associated with a novel hypnotic procedure,
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Book, New York, 1969, pp. 297-315.
SECTION III
_____

REVUES

§1. PUBLICATIONS OCCASIONNELLES SUR LE RÊVE LUCIDE.

American Journal of Clinical Hypnosis.

Biological Psychology.

Cognition and Personality.

Imagination, Cognition and Personality.

Journal of Mental Imagery.

Journal of Mind and Behavior.

Perceptual and Motor Skill.

Psychiatric Journal of the University of Ottawa.

Psychology Today.

Psychophysiology.

Sleep Research.

§2. PUBLICATIONS RÉGULIÈRES SUR LE RÊVE LUCIDE.

ASD Newsletter. (Association for the Study of Dreams, c/o Department of Psychology,
University of Northern Iowa, Cedar Falls, Iowa 50614-0505, USA).

Bewusstsein. (Revue spécialisée paraissant en allemand).

Dreaming, Journal of the Association for the Study of Dreams. (Human Sciences Press, Inc.,
233 Spring Street, New York, N.Y. 10013-1578, USA).

Dream Network, A Journal Exploring Dreams and Myth. (1337 Powerhouse Lane, Suite 22,
Moab, UT 84532, USA).
Night Vision, a Dream Journal. (Steven et Anna Racicot, P.O. Box 402, Questa, New Mexico
87556, USA).

Oniros. (Association Française pour l'Etude du Rêve, BP 30, 93451 Ile St Denis Cedex,
France).

§3. REVUES CONSACRÉES AU RÊVE LUCIDE.

Lucidity Letter. (Lucidity Association, 8703 109th St., Edmonton, Alberta, Canada T6G
2L5).

LuciDream Journal. (Lucidity Project, P.O. Box 2364, Stanford, CA, 94309, USA).

NightLight. (The Lucidity Institute, Box 2364, Stanford, CA 94309, USA).

De Oneironaute, Nieuwsbrief. (Correspondance adressée à C.M. den Blanken, Jan van


Zutphenlaan 25/3, 3555 SM Utrecht, Pays Bas).
SECTION IV
_____

OUVRAGES OU ARTICLES DE BIBLIOGRAPHIE

§1. OUVRAGES GÉNÉRAUX.

Liste de références, Oniros/EASD, s.l., 1989, 11p.

PARSIFAL-CHARLES Nancy, The Dream, 4,OOO Years of Theory and Practice, A


Critical, Descriptive, and Encyclopedic Bibliography, Locust Hill Press, West Cornwall,
Volume one, 1986, 290 p.

PARSIFAL-CHARLES Nancy, The Dream, 4,OOO Years of Theory and Practice, A


Critical, Descriptive, and Encyclopedic Bibliography, Locust Hill Press, West Cornwall,
Volume two, 1986, 286 p.

§2. OUVRAGES SPÉCIFIQUES.

BLANKEN Drs Carolus M. Den, A Review of the Lucid Dream Litterature, chez
l'auteur, Utrecht, 1989, 19 p.

GACKENBACH Jayne, "Bibliographie sur le rêve lucide", Oniros, n°3, janvier


83, pp. 7-12.
INDEX
SECTION I
_____

INDEX NOMINATIF

§1. AUTEURS CITÉS


Addison : 89.
Alfillé, Lucien : 717.
Alquié, Ferdinand : 22, 26, 54-55, 88.
Aristide : 69.
Aristote : 43, 62, 76-78, 81, 93, 119, 449, 751.
Armstrong-Hickey, Deborah : 830-831.
Arnold-Forster, Mary : 135-141, 148, 150, 203-204, 272, 284, 290, 308, 314-315, 348, 484,
589, 765, 887, 892.
Artémidore d'Ephèse : 562.
Aserinsky, Eugen : 30, 544, 548, 902, 930.
Augustin (saint) : 79-82, 751, 972.
Ausone : 86.

Baillet : 43-44, 89.


Bakan, P. : 833.
Balzac, Jean-Louis Guez de : 26.
Bandler, Richard : 35, 685.
Baudelaire, Charles : 776-778.
Becker, Raymond de : 26-27, 35, 743.
Béguin, Albert : 95-96.
Belicki, Kathryn : 166.
Berger, Hans : 30.
Bergson, Henri : 19-22, 24, 26, 48-49, 117, 137, 172, 367, 392-393, 396, 398, 421, 534, 653,
659, 716, 781, 814, 1002.
Bible : 788.
Bitard, Pierre : 739.
Blackmore, Susan : 700, 829, 831, 837, 839-840, 942-949, 951-953, 960, 980.
Blavatsky, H. P. : 144.
Bloch, Vincent : 33, 907, 985.
Bogzaran, Fariba : 657-658.
Bosco, Don : 743.
Bossard, Robert : 40, 709.
Bosveld, Jane : 274, 304, 459, 609, 615, 619, 621, 646, 651, 661, 774, 932, 978.
Bouchet, Christian : 174, 201, 355, 432-433.
Brillat-Savarin, Anthelme : 109, 974.
Brown, Alward Embury : 150.
Brown, J. : 33.
Brylowski, Andrew : 921.

Cabanis : 561.
Caillois, Roger : 35-36, 39, 42-44, 48, 189, 314, 329, 339, 397-399, 576, 653-656, 658-659,
748.
Carrington, Hereward : 141, 348, 481, 504.
Cartwright, R. : 33.
Castaneda, Carlos : 152-153, 212, 322, 336, 345, 428, 645, 666, 768.
Changeux, Jean-Pierre : 32.
Chuang-zi : 41-42.
Clerc, Olivier : 505.
Cohen, David B. : 454, 457.
Coleridge : 653.
Condillac : 561.
Coran : 740, 743.
Corriere, Richard : 153, 883.
Crouzet, Jean-Philippe : 504.

Dane, Joseph : 273-274, 541, 834.


Das, Babu Bhagavan : 734.
Daumal, René : 439.
Debru, Claude : 544, 549.
Delage, Yves : 29, 36, 135-141, 148, 150, 186, 210, 214, 242, 292-293, 389, 530, 600-601,
610-612, 639, 649, 651, 814, 817-818, 852, 941.
Delbœuf, J. : 108-113, 631.
Dement, William C. : 31, 33, 896, 902-905, 929, 931, 934, 967.
Denis, Michel : 26, 682, 684, 687.
Denning, Melita 438.
Dentan, Robert K. : 729.
Descamps, Marc-Alain : 174, 200, 562.
Descartes, René : 22-26, 38-39, 43-46, 85-89, 93, 208, 221, 751, 797, 878, 880, 914-915.
Desoille, Robert 108, 691.
Diogène : 663.
Dixon, Darrell : 264.
Dodds, E. R. : 66-70, 75, 659.
Domhoff, G. William : 782.
Durrant, Curtis : 618, 621.
Dutheil, Régis : 53.
Dutheil, Brigitte : 53.

Eccles, John : 52.


Ehrenwald, Jan : 47, 755, 823.
Ellis, Havelock : 119, 130-131, 154, 169, 171, 813-814, 969.
Erickson, Milton : 689.
Esnoul, Anne-Marie : 727, 747.
Étévenon, Pierre : 33, 674, 930.
Evans-Wentz, W. Y. : 732-733.

Fahd,Toufy : 726, 739-742.


Faraday, Ann : 34-35, 120, 153, 162, 207, 487-488, 531, 733, 794-796, 885-886, 888, 895.
Father X : 280, 625, 629, 780, 941.
Feda, Abul : 743.
Felice (Frère ) : 84.
Fenwick, Peter : 854, 868, 906.
Ferguson, Marilyn : 684.
Feynman, Richard : 517, 571, 573.
Fontenelle, Bernard le Bovier de : 370.
Foucault, Marcel : 46.
Foulkes, David : 547.
Fox, Oliver : 135, 141-150, 153, 161, 169, 185, 235, 237, 267-269, 276-277, 297, 338, 359,
363, 373, 376-377, 393-395, 493, 503, 505, 515, 582, 588, 594, 617, 692, 694, 758, 760-761, 829,
837-838, 848, 970.
Freud, Sigmund : 21-22. 27-30, 35, 44, 46-47, 53, 120-127, 172, 232, 246, 466, 649, 653,
781, 784, 788-794, 796, 806-807, 810, 814-818, 820-822, 825-827, 874-875, 877, 879-880, 887,
889-891, 940, 990-993.
Fromm, Erich : 40.

Gackenbach, Jayne : 154, 162, 171, 249, 255-256, 258, 262, 274, 304, 459, 534, 536, 609,
615, 619, 621, 646, 651, 656, 661, 663, 773-774, 830-831, 833-836, 838, 840-841, 931-932, 939,
948-949, 978.
Garfield, Patricia : 133, 153, 162, 273, 294, 297-299, 313, 416-417, 461, 486, 578, 589, 656,
658, 670, 767-768, 801, 817, 820, 843, 845, 869, 878, 887, 935, 968.
Gassendi, Pierre : 43, 88, 119.
Gastaut, H : 674.
Gebremedhin, Elinor : 920.
Gennadius : 79, 80, 82.
Giesler, Patrick : 688, 728, 730, 735.
Gillespie, George : 245-254, 258-259, 262, 266, 287, 290-292, 497, 502, 513-515, 519, 524,
551, 583, 587, 641, 645, 719, 771, 794, 923.
Ginzburg, Carlo : 83-85.
Gjannabi : 743.
Goldenberg, F. : 844.
Goldscheider : 716.
Graig, P. Eric : 273-274.
Gray, Krisanne : 897.
Green, Celia : 150-153, 161, 171-174, 176, 187, 190-193, 195, 196, 202, 207, 209-210,
213-214, 234-238, 243-244, 276-277, 283, 285, 314, 318, 332, 335, 337, 338, 478, 534-535, 562,
575, 578-582, 584-585, 612-614, 623-626, 668-669, 676, 685-687, 696, 698-699, 701, 714, 801,
807.
Grinder, John : 35, 685.
Grubb, W. B. : 790.
Guénon, René : 144.
Guillaume, Paul : 890.
Gurdjieff : 146.
Gurney, E. : 237.

Hall, Calvin : 615.


Hardy, Christine : 552-553.
Hart, Joseph : 153, 883.
Hearne, Keith : 154, 456-457, 549, 552-553, 839-840, 858, 906.
Hervey de Saint-Denys, Marie-Jean-Léon Lecoq baron d' : 29, 48-49, 69, 94, 97-108, 110,
112-117, 119-121, 123-124, 128, 130-135, 140-141, 143, 147-148, 150, 161, 167-169, 171, 176, 197,
200-201, 203, 206, 214, 224-225, 245, 263, 266-267, 271, 273, 296, 304, 311, 352, 370, 373, 393,
411-413, 425, 454, 491-492, 507-509, 511, 512, 514, 516, 518, 521-522, 526-527, 529-530, 544,
561-562, 566, 581-582, 589-592, 598-601, 603-604, 620, 633, 644, 654-655, 664, 687, 711, 728,
751, 765, 771, 775-776, 781, 793-794, 812, 829, 845, 884, 887, 923-924, 941-942, 955, 966-967,
969-971, 973-975, 977, 995, 1002.
Hewitt, Daryl E. : 647.
Hildebrant, F.W. : 30.
Hillman, Deborah Jay : 688, 728, 730, 735.
Hilprecht : 653.
Hobson, J. Allan : 834.
Hoffmann, Robert : 910, 918.
Homère : 66-67, 71, 75, 80.
Howe : 653.
Hunt, Harry : 37, 618-619, 949.

Jagot, Paul-Clément : 69.


Jean Paul : 94-97, 99, 101, 103, 143, 669.
Jouffroy : 561.
Jouvet, Michel : 31-32, 858, 907, 967, 970.
Jung, C. G. : 35, 47, 498, 789, 889.

Kales, A. : 855.
Kekule von Stradonitz, August : 653.
Kellog III, E. W. : 662.
Kelzer, Kenneth : 153, 198, 214, 238, 239, 241-242, 295-296, 306, 311, 518, 616, 633-634,
637-638, 647, 669, 670, 677, 679, 682-683, 685, 687, 718, 772, 792, 796, 799-800, 802, 804, 805,
816, 824, 875, 881, 887, 891-892, 968.
Kleitman, Nathaniel : 31, 33, 543-544, 548, 902.
Köhler, Wolfgang : 955.
Krippner, Stanley : 38.
Kueny, Sallie R. : 839.

La Fontaine : 498.
LaBerge, Stephen P. : 64, 121, 150, 152, 154, 163, 165, 168, 175, 182, 225, 246, 416, 429,
445, 454, 459, 460-463, 497, 521-522, 528, 536, 543, 545-547, 549, 550-551, 553, 555-556, 566,
569, 582, 590-591, 596, 602-604, 618, 620, 626, 633, 649, 651, 656, 658, 702-706, 719, 751-752,
829, 843, 849-851, 856, 858, 866, 868-870, 872, 893, 899, 903, 906, 929-932, 934, 937-942,
948-949, 951-953, 960, 977.
Lachance, Laurent : 498.
Lanteri-Laura, Georges : 976.
Lefébure, Francis : 395; 403-444, 446, 448-449, 451-452, 710, 827.
Lefebvre : 542, 764.
Leibniz : 914-915.
Leibovici, Marcel : 739, 741.
Lemoine, Albert : 100.
Lénine : 26.
Leroy, Eug.-Bernard : 381, 611, 679, 680-681, 709, 838.
Levitan, Lynne : 415, 452, 458, 461, 929, 931, 934.
Lévy-Bruhl, Lucien : 41, 744, 790.
Lhermitte, Jean : 69.
Lie-tseu : 741.
Loomis, A. L. : 674.

Mach, Ernst : 193.


Macrobe : 68.
MacTiernan, Vincent : 206, 208, 599.
Malamud, Judith : 538-540, 154.
Malcolm, Norman : 72-173, 781.
Marcot, Bruce : 214.
Marcotte, Henri : 432-433, 436, 691.
Maury, Alfred : 29, 38, 46, 114-120, 129-131, 169, 171, 393, 418, 422, 566, 629-631, 673,
693, 781, 848-849, 908, 955.
McCarley, Robert W. : 834.
Moers-Messmer, Harold von : 150, 733.
Moffitt, Alan : 918, 910.
Mokri, Mohammad : 726, 740, 747.
Monneret, Simon : 33.
Monroe, Robert : 697, 698, 704, 758, 888.
Moreau (de la Sarthe) : 101-102.
Morin, Edgard : 31.
Mourly-Vold : 30, 852.
Mueller : 716.
Mugnier, René : 78.
Muktananda, Swami : 715.
Muldoon, Sylvan : 135, 141, 153, 181, 348, 481, 483, 504, 693, 695, 754, 888, 975.
Mullington, Janet : 910, 918.
Myers, Frederic W. H. : 112-113, 141, 192, 237, 794.
Nabonide : 741.
Nietzsche, Friedrich : 96-97.
Notaires du Saint-Office : 83.

Ogilvie, R. : 856.
Ouspensky, P. D. : 146-150, 273, 522, 616.
Owens : 454.

Pachet, Pierre : 76-77, 111, 164, 422.


Palmer, John : 831.
Pascal : 39.
Perls, Frederick : 47.
Phillips, Osborne : 438.
Piattelli-Palmarini, M. : 31.
Pigeau, Ross : 910, 918.
Pindare : 67, 778-779.
Platner : 96.
Platon : 22-25, 75-76.
Podmore, R. : 237.
Price, Robert : 281, 454, 457.
Prill, Sandra : 841, 835.
Proust, Marcel : 221.
Purcell, Sheila : 910, 918.

Rank, Otto : 124.


Rapport, Nathan : 150.
Rechtschaffen, A. : 566, 855.
Reid, Thomas : 85, 89-90, 93.
Reuchlin, Maurice : 927.
Roffwarg, Howard : 902-903.
Rojouan, Henri : 416, 968.
Rokes, LeAnn M. : 834.
Rooksby, Bob : 124-125, 135, 992.
Roux, Jean-Paul : 740.
Russell, Bertrand : 954.
Sachau, Daniel : 834.
Sartre, Jean-Paul : 919-920, 922, 940, 955.
Sauneron, Serge : 740.
Schatzman, Morton : 273-274, 868, 906, 854.
Schieing, K. : 44.
Schwartz, B. A. : 108, 542, 764.
Shiels, D. : 737.
Siddheswarânanda, Swami : 15.
Siegel, R. K. : 835.
Smith, Joseph : 771.
Snyder, Thomas J. : 833-835, 838, 931.
Soymié, Michel : 739, 741.
Sparrow, Gregory Scott : 153, 416, 437, 439, 592, 642, 644, 652, 734, 770-774, 792, 893.
Spencer, Herbert : 813, 969.
Staal, Fritz : 502.
Steffens : 96-97.
Stekel : 122.
Stevenson, Robert Louis : 20, 49, 653.
Stewart, Kilton : 152, 723, 767-768.
Strümpell : 814.
Swedenborg, Emmanuel : 405, 757-758.
Synésius : 119.

Talmud : 788.
Talmud babylonien : 741.
Tart, Charles T. : 33, 152, 161, 163, 177-179, 245-247, 250, 252-254, 258-259, 266, 271-272,
290, 292, 689, 692, 723, 788, 949-953, 957, 960, 985.
Tartini, Giuseppe : 653.
Tchouang-Tseu : voir "Chuang-zi".
Terwee, Sybe : 124-125, 135.
Tholey, Paul 47 : 154, 185, 244-247, 253, 310, 426-428, 431, 434, 445, 536, 585, 626,
630-631, 665, 667, 732, 771, 879, 884, 900, 922-923, 925, 942, 971-972, 994 ,977.
Thomas d'Aquin (saint) : 81, 82, 93.

U.G. : 997.
Ullman, Montague : 38, 712.
Upanishad : 502.

Vallée, J. : 771.
Van de Castle, Robert : 38, 615.
van Eden, Frederic : 123-124, 126-135, 143, 145, 148, 150, 152, 169, 171, 176, 193, 226,
245, 248, 250, 254, 257, 293, 308, 313, 551, 561-562, 581-582, 665, 728, 741, 751, 775, 813, 869,
992-993.
Vaschide, N. : 123, 794.
Vaughan, A. : 38.
Virolleaud Pierre : 32.

Walters, Myrna : 729.


Watkins, Susan : 884.
Watson, L. : 737.
Weil, Pierre : 174.
Wells, Roger : 910, 918.
Westrom, Pamela : 841, 835.
Whiteman, J. H. M. : 210, 580-581.
Wieger : 42.
Wolf, Fred Alan : 255-257, 262.
Worsley, Alan : 551, 640, 854, 859, 861, 863-864, 867-868, 906.

Yates, J. : 944.

Zât-Spram : 740.
Zimmerman, Nan : 712.

§2. SUJETS CITÉS


(CLASSÉS EN FONCTION DU CHERCHEUR OU DE L'ORGANISME QUI LES
ÉTUDIE)

1. Augustin (saint)
Gennadius : 730, 893, 972.

2. Bouchet
Sujet n°1 : 192, 196, 202, 209, 211-213, 222, 227, 231-232, 269, 271, 324, 341, 349,
353-354, 362, 382, 419, 494, 581, 622-624, 638.
Sujet n°4 : 330, 333, 349, 351, 359, 360, 430, 531, 579, 589.
Sujet n°6 : 332.
Sujet n°8 : 387.
Sujet n°9 : 363, 920.
Sujet n°10 : 199-200, 220, 223, 227, 238, 271, 292, 296, 298-300, 349, 354, 364, 371,
377, 378, 381, 384-385, 388, 401-402, 409, 415, 432-433, 471-474, 483, 485, 487, 491, 501, 573,
614, 625-626, 636, 775, 799, 807-808, 936, 981.
Sujet n°12 : 531.
Sujet n°13 : 216, 325, 330, 350, 532.
Sujet n° 14 : 489, 494-495, 531, 815.
Sujet n° 16 : 164, 183, 188-189, 215, 218-219, 228-230, 233, 238, 257-261, 265, 268,
277-278, 282-283, 285-290, 296, 302, 319, 322-326, 328-329, 331, 333-334, 336-337, 343, 345-346,
350, 352, 357, 372, 376, 378-380, 383, 386, 389, 390, 392, 400-401, 403, 405-407, 409-410,
420-421, 423, 446, 450, 452-453, 456, 479, 485, 488, 490-492, 505, 547, 575, 587, 603, 608-611,
620-621, 623, 635, 640, 644-646, 660, 666-668, 705, 713, 718, 791, 808, 822, 810, 843, 908, 939,
973.
Sujet n°17 : 343, 347, 429, 442-443.
Sujet n°18 : 199, 328, 333, 349, 357-358, 361.
Sujet n°19 : 194, 205, 263, 324.
Sujet n°20 : 263, 342.
Sujet n°23 : 216-217, 340, 347, 362.
Sujet n°24 : 348, 350, 363.
Sujet n°27 : 341, 343.
Sujet n°38 : 525-526, 620.

3. Ehrenwald
Celia : 754-755.

4. Faraday
Anonyme : 670.

5.Fox
Black (Nash, Murray) : 235, 237.

6. Freud
Herman : 789.
Pepi H. : 806.

7. Gackenbach
Anonyme : 619.
Caroline : 767.

8.Giesler
Paulo : 688.

9. Graig
Anonyme : 274.

10. Green
sujet A : 701.
Sujet B : 195-196, 209, 211, 351, 584, 627.
sujet D : 577.
Willett : 676, 236, 237, 238, 242-245, 676.
Sujet de C. D. Broad : 478.
Non classé : 173.

11. LaBerge
G.R. : 593.
Miranda : 579, 869, 870-872.
Randy : 871-872.
Simonson, Jim : 895.
Tanya : 898.

12. Saint-Office (Notaires du)


Paolo : 84.

13. Tart
Anne : 690-691.
Bill : 690-691.
Carol : 690-691.

14. Tholey
185.

15. Watkins
Ned : 884.
SECTION II
_____

INDEX THÉMATIQUE :

Accomplissement du désir (voir "Désir")


Activité cérébrale (voir "Cerveau")
Activité mentale du rêveur lucide : 596.
Activité sexuelle : 40, 121, 240, 332, 416, 571, 795, 814, 830, 869, 870, 871, 878, 885, 887,
888.
Adolescence (rêve lucide dans) : 97, 141, 219, 562, 594, 829.
Ahl-E-Haqq : 726, 746.
Altération des conditions du sommeil : 407-408, 414-422, 424, 447-462.
Alternophone : 446-447, 449, 609.
Ame : 25-26, 40, 51, 71, 73, 76, 78-79, 104-105, 118, 498, 503, 725, 737, 739-740, 742, 823,
966, 968.
Amplification :
des états de conscience dans le rêve lucide : 587-588.
du rêve lucide comme phénomène : 763-764, 765-776.
Amyot (éditeur) : 108.
Analyse de FOURIER : 856.
Andadura : 737.
Angoisse : 122, 201, 660, 822, 848, 886, 896, 939.
Animaux imaginaires : 31.
Anomalie en rêve (voir aussi "Incongruité") : 186, 210, 251, 259, 261-262, 268, 349, 356,
363, 376, 703, 763.
Antiquité : 18, 65-66, 79, 91, 100, 425, 509, 653, 659, 663, 754, 768, 888, 891.
Apitcha : 745.
Application (ou utilisation) du rêve lucide (ou de la lucidité) : voir "Art en rêve" et
"Thérapie".
Art en rêve (création artistique) : 300, 654, 656-657, 659, 723, 766, 774, 844.
Ashantis : 40.
Astral (corps ou monde ou projection ou voyage) : 144-145, 147, 151, 153, 158, 207, 260,
338, 359, 477, 479, 481, 496, 500-501, 504-506, 531, 695, 702-703, 758, 761-762, 807.
Attente (en rêve) : 138, 439, 532, 573, 577, 602, 606, 809-810, 1006.
Attention (en rêve) : 100-101, 106, 131, 133-134, 142, 170, 193, 201, 212, 225-226, 240,
251, 294, 297, 331, 341, 345, 394, 412, 429, 434, 451, 516, 520, 527, 582, 589, 595, 599, 604-605,
621, 660, 701, 759, 816, 866, 883, 906, 985.
Autosuggestion : 69, 90, 377, 392, 438, 450, 460, 461, 510, 536, 935.
Azandes africains : 737.

Benandanti : 752, 756.


BETT (questionnaire de) : 839.
Bacairi d'Amérique du Sud : 737.
Balancement : 329, 376-377, 389-390, 397, 403-404, 420, 443, 446, 447, 817, 826-827.
Boddhisattva : 747.

Cafres : 745.
Capacités oniriques : 115, 161, 166, 177, 212, 244-248, 254, 268-272, 275, 284, 291,
303-305, 307-311, 318, 331, 343-355, 410, 466, 493, 495, 509, 517, 581, 585, 589, 590, 600, 602,
608, 612-613, 629-630, 640, 663-671, 713, 734, 817, 832-833, 840, 860-861, 863, 896, 899, 918,
922, 924, 961, 1004, 1007.
Caractère (ou personnalité) du rêveur lucide (voir aussi "Personnalité…") : 892-895.
Catégories de rêves lucides : 638-671.
Cauchemar (ou mauvais rêve) : 66, 72, 89-90, 141, 143, 166, 179, 190, 197-198, 200-201,
203-206, 213, 271, 278, 284, 291, 303-304, 359, 393-394, 480, 518, 589, 765, 774, 809, 830, 837,
884, 939, 987, 989.
Cénesthésie : 26, 406, 817.
Cerveau : 14-15, 25, 30-32, 34, 36-37, 47, 52, 69, 94, 104, 114-115, 118, 138, 185, 217, 371,
403, 444, 447-449, 531, 542-544, 548, 556, 601, 610, 676, 706, 712, 752, 784, 827, 833, 843, 846,
855, 857, 868-870, 901, 908-909, 929-935, 938, 946, 953, 991.
Chakra : 403, 619, 772.
Chanter en rêve : 95, 208, 219, 349, 432, 520, 556, 596, 597, 631, 868-869.
Chaos visuel 395
Chen 740
Chen-yeou 740
Chrematismos : 75.
Chute (rêve de) : 334, 349, 406, 603, 642, 701, 882.
Cohérence interhémisphérique (COH) : 932.
Communication du rêveur en laboratoire : 30, 48, 547-549, 555-557, 676, 687, 691-692, 846,
858, 860-862, 873, 901.
Comportement hallucinatoire : 31, 84, 236.
Comportement onirique : 31-32, 34, 172, 277, 279, 280, 282, 291, 353, 390, 479, 480, 507,
546, 572, 590, 593, 608, 624, 626, 666, 704, 767, 858, 860, 884, 889, 899, 907, 925, 928, 936, 962,
976-977.
Compréhension du rêve (opposée à son interprétation) : 35, 661, 794, 797, 876-884, 886.
Compter en rêve : 258, 429-430, 556, 587, 850-851, 860-861, 868, 905.
Concept du rêve lucide : 59-60, 63, 65, 70, 76, 83, 125, 150-152, 159, 172, 175, 534-536,
726-727, 729-731, 737, 747, 751, 753, 762, 776, 825, 1003.
Conditions de la lucidité : 243-275.
Confusion du rêve et de la réalité : 15, 23, 39, 41, 45, 73, 82, 113-114, 211, 236, 241, 264,
266, 278, 281, 283-284, 327, 342-343, 346, 363, 405, 415, 418-419, 458, 583, 611, 627, 703, 712,
716, 776, 801, 896, 982, 988.
Conscience (formes de la) : 792-811.
Conscience de rêver :
- assimilée à :
la lucidité onirique : 249 ;
la conscience de veille dans le sommeil : 103, 177 ;
- diffèrant de la lucidité onirique : 245, 247, 793.
Conscience doublement thétique : 290, 983, 1009.
Contenu latent du rêve : 123-125, 645, 661, 791-792, 798, 876, 880-881, 883, 890, 914.
Contenu manifeste du rêve : 124, 615, 791, 798, 876, 879, 881, 883, 890, 914.
Continuité de la conscience : 224-234, 370-387.
Contrôle du rêve : 137, 166, 168, 270, 351-355, 393, 507, 602, 898.
Convention poétique : 67, 73-74, 83.
Corps onirique : 133-134, 144-145, 205, 207, 216, 226, 228-230, 239, 258, 260, 265, 277,
305-306, 354, 364, 371, 375, 376-377, 386, 392, 406, 420, 434, 442-443, 458, 480, 487, 494, 502,
504-505, 532, 551, 557, 580, 599-600, 602-603, 608-609, 613, 618, 641, 643-644, 667, 694,
757-758, 771, 779, 802, 816, 818, 840, 850, 852, 859, 866, 879, 882, 939, 962.
Couleurs du rêve : 46, 49, 95, 105, 108, 192, 201, 261, 299, 337-338, 345, 350, 355, 360-361,
384, 392, 402-403, 449, 470, 517, 525, 571, 575, 578, 583-584, 592, 598, 604-605, 609-610,
617-618, 643, 646, 655, 700, 759, 761, 795, 802, 811, 819, 835, 884, 969.
Critico-réflexif : 426, 427, 732.
Culture (insertion du rêve lucide dans la) : 721-782.

"D-SoC" (discrete state of consciousness) : 247, 272.


Déclenchement de la lucidité : 109, 143, 183-243, 408, 454, 561, 612, 864, 870, 882, 965.
Découverte du rêve lucide : 63, 94, 120, 124, 127, 141, 143, 152, 169, 463, 498, 723, 776,
924, 957.
Dédoublement de la conscience : 131.
Dédoublement de la personnalité : 674.
Dédoublement de la vision : 78, 310.
Dédoublement du moi : 343, 359.
Définition du rêve lucide : 157-364, 504, 674, 694, 706, 918, 922, 994, 1009.
Degré de lucidité : 131, 138, 144, 178, 182, 203, 234, 252-254, 267, 275-292, 331, 346,
466-467, 469, 474-475, 477, 479, 495, 515, 551, 592, 636, 664, 707, 755, 794-796, 803, 841, 855,
923, 946, 961, 982, 1009.
Déjà rêvé : 220, 318, 399, 626.
Délire : 754-762.
Demi-lucidité : 290-291, 573, 796, 800-801, 849, 946.
Demi-rêve : 70, 95, 158.
Demi-sommeil : 202, 444.
Démon (rêve de) : 128, 134, 170, 201, 215, 271, 304, 357, 589, 591-592, 600, 742, 812, 884,
942.
Déplacement du rêveur : 344-351.
Déroulement du rêve lucide : 632-638.
Description du rêve lucide : 157-364.
Désintérêt pour la vie de veille : 396.
Désir : 21, 54, 65, 95, 98-99, 117, 121-123, 130, 139, 147, 168, 172, 199-200, 202-203, 217,
220, 233, 239, 244, 253, 293, 296, 321, 325, 355, 399, 411, 413, 437, 466, 485, 489, 491, 493, 502,
511, 521, 588, 590-592, 634, 649-651, 656, 664, 669, 692, 709, 725, 742, 755, 765, 772-773,
793-795, 799, 805-810, 813-814, 828, 873, 887, 889-890, 894, 913, 951, 976, 987, 992-993, 996.
Dieri : 745.
Dix-neuvième siècle : 29, 48, 62-63, 93-120.
Double (rêve de) : 284, 317, 345, 357-359, 363-364, 375, 500, 585, 614, 639, 646, 738, 740,
812, 820-824.
Double conscience : 133.
Double mémoire : 133.
DreamLight : 457, 460.

EEG (Électro-encéphalogramme) : 43, 457, 552-554, 556.


Égypte ancienne : 746.
Ego-core (voir "Point-égo")
Emergence de la lucidité (voir "Déclenchement…")
EMG (Électromyogramme) : 406, 552-554.
Emotion en rêve lucide : 588-596.
Endormissement : 44, 88, 100, 102, 105-106, 146, 183, 187, 189, 223-224, 234-238, 243,
293, 332-333, 363, 366, 369, 371-374, 377, 380-384, 388-392, 396, 399, 400-401, 403-405, 407,
414, 417, 429-431, 434, 436-438, 440-441, 443, 446-447, 449-452, 501, 611, 616, 662, 674-678,
684, 687, 691, 698, 705, 709, 710-711, 732, 743, 788, 809-810, 823, 835, 836, 838, 855, 909, 975,
996.
Endormissement volontaire : 844.
Enfants (leur attitude vis-à-vis du rêve) : 40-41, 99, 386, 390, 394, 404, 463, 561, 767, 826,
829-831, 837, 935, 975.
Enregistrement polygraphique (voir aussi EEG, EMG, EOG) : 543-545, 548, 551, 553-554.
Environnement onirique : 355-364, 608-632.
EOG (Électro-oculogramme) : 552-553, 556.
Épiphyse : 444.
Epoque moderne : 82-91.
Esprit substantiel (ou quasi substantiel) : 20, 28, 40, 49, 52, 83-85, 103-107, 110, 112,
115-116, 118, 125, 133, 185, 189, 205, 210, 221, 231, 260, 444, 599-600, 604, 618, 637, 695, 702,
733, 739, 740, 953, 974, 977.
Esthésiomètre : 29.
État apparenté au rêve lucide : 673-720.
État hallucinatoire : 836.
État hypnagogique (voir aussi "Image hypnagogique") : 152, 677, 683-684, 709, 764, 775,
835, 838.
État indéterminé : 82-85.
État intermédiaire : 370-388.
État modifié de conscience (EMC) : 151-152, 154, 723, 952.
Éthérique : 261, 262
Être du rêve : 14-56, 974, 979, 1002.
Éveil dans le sommeil : 70, 387, 420, 451, 827.
Événement onirique (voir aussi "Déroulement du rêve") : 268, 271, 303, 352, 390, 419, 491,
512, 740, 800-801, 804, 811, 893, 896, 987.
Evolution (du rêveur,du rêve, de la conscience ou des mentalités) : 40-41, 93, 99, 153, 218,
307, 316, 512, 537-538, 541, 592, 609-610, 619, 633, 661, 734, 773-776, 796, 800, 809, 894-895,
936-938, 940, 946, 948, 990.
Expérience du rêve lucide : 469-506.
Expérience acceptée : 470-495.
Expérience refusée : 495-506.
Expérience hors du corps : 755.
Expérimentation dans le rêve lucide : 507-557.
Expérimentation personnelle : 510-528.
Expérimentation de terrain : 528-557.
Expérimentation de laboratoire (voir "Laboratoire)
Explorateur du rêve (onironaute) : 47, 56, 60, 63, 91, 93, 94-121, 126-151, 165-166,
367,431, 463, 467, 475, 479, 482, 491, 498, 503, 508-509, 513-514, 526, 528, 535, 537, 555, 559,
850, 866, 869, 910, 913, 924, 929, 931, 966, 973.
Exploration du rêve lucide : 101, 103, 105, 110, 117, 167-169, 473, 559-910, 1002.
Exploration du rêve : 47, 56, 60, 63, 91, 93-121, 126-127, 139, 145, 147, 165-166, 367, 463,
467, 475, 479, 482, 491, 498, 503, 508-509, 513-514, 526, 528, 535, 537, 555, 559-910, 913, 924,
929, 931, 966, 973.
Extase (sentiment extatique en rêve) : 649, 654, 740, 888, 893.
Extériorité du rêve (voir "Sentiment d'extériorité…")

"Faculté critique" (selon Fox) : 142, 144, 186, 267-270, 302, 515.
Faculté de vision onirique : 104, 164, 193, 205, 229, 238, 310, 336, 356-357, 580, 582-583,
599, 600, 603, 608-609, 628, 641, 643, 705, 809, 838.
Facultés mentales : 110, 112, 114-116, 118, 137, 258, 266-270, 324, 339, 383, 509, 557, 596,
598, 611, 928, 974, 861, 1008.
Facultés motrices : 833-841, 898-900.
Faux-éveil (rêve de) : 130, 134, 146, 151, 205, 213, 261, 293, 300-302, 314-317, 320,
323-324, 326, 329-339, 349, 372, 380, 410, 412, 455, 532, 602, 609, 634, 666, 693, 738, 741, 748,
761, 792, 794, 801, 806-811, 854, 865, 877, 946, 965, 979, 986, 1006.
Fin la lucidité 292-302, 410.

Giration en rêve (voir aussi "Tournoiement") : 403, 443-444, 536, 537.

Habitudes des rêveurs lucides : 842-845.


Hallucination : 85, 130, 163, 169, 234, 367, 478, 673, 680, 681, 690, 707, 712-718, 836,
1002.
Hallucination hypnagogique (voir "Image hypnagogique)
Hallucinose : 234-236, 691, 707, 712-718, 835-836, 838.
Han : 728.
Hara : 385.
Hindou : 502.
Hittite : 35.
Houen : 740.
Hypnose : 69, 151-152, 181, 232-233, 238, 243, 259, 265, 357, 477-480, 483, 548, 675, 677,
683-692, 762, 798, 834-836, 844, 996.
Hypnose mutuelle : 689, 691.
Hypothèse du balayage : 548, 858.

Illusion : 19, 22, 24, 25, 27, 37, 41, 44, 59, 74, 78, 88, 98-99, 103, 107, 115, 118, 168, 178,
201, 281-282, 331, 502, 508, 510, 513, 527, 574, 581, 590, 598, 604, 608, 628, 651, 654, 657, 663,
715-718, 722, 733, 761-762, 764, 779, 798, 962, 970-971, 977, 984.
Image du corps : 944.
Image hypnagogique : 88, 105, 129, 140, 228, 237, 371, 381, 384, 416, 429, 433, 452, 479,
570, 573, 677-683, 709, 838, 909.
Imaginaire culturel (place du rêve lucide dans l') : 56, 563, 723, 725, 747-749, 765, 776-780.
Imagination : 36, 43, 67, 81-82, 86, 95, 104-107, 114, 128, 150, 165, 189, 193, 201, 284, 296,
310, 363, 371, 375, 378, 390, 396-397, 400, 403-404, 424, 436, 440-441, 447, 505, 508, 517, 521,
536, 577, 610, 707-712, 745, 747, 761, 768, 770, 781, 944, 946, 952, 966-968, 974.
"Impressions diurnes" (de Mme Willett) : 236, 676.
Incongruité en rêve (voir aussi "Anomalie") : 143, 186, 194-197, 207-212, 222, 258,
261-262, 267-268, 283, 285, 289, 319, 337, 339-341, 347, 356, 363, 477-478, 483, 600, 616-617,
624, 689, 705, 714, 812, 919, 938, 946, 965, 980, 985-987, 1007-1008.
Inconscient : 14, 28-29, 47, 53, 55-56, 93, 125, 289, 498-499, 788, 796, 798, 937, 990-993,
996-997, 1009.
Incubation : 67, 361, 424-426, 428, 438, 443, 509, 572, 664, 746, 761, 768, 801, 888.
Indiens de la Nouvelle-France : 745.
Induction de la lucidité 365-463.
Induction hypnotique (voir aussi "Hypnose") : 692.
Intention comme élément fondamental de l'induction : 423-461, 732, 746-747, 935.
Intention en rêve : 202-203, 244, 253, 277, 329, 331, 361-362, 369, 374, 410, 429-432, 436,
453, 490-492, 494, 508, 511, 513-514, 518, 520, 523, 549, 587, 596, 602, 626-627, 639, 642-643,
657, 662, 666, 670, 671, 686, 704, 859, 861, 879, 894, 922, 925, 973, 975, 983.
Intentionnalité de la lucidité : 172, 176, 291-292, 980-986, 1009.
Interaction du rêveur et du rêve : 46, 55, 101, 165, 167, 177, 182, 203, 302-311, 343,
351-352, 355-356, 360, 471, 473, 491, 495, 515, 542, 572, 589, 602, 604, 616, 626, 653, 665, 800,
876, 879, 882, 884-885, 918, 922.
Intérêt pour les rêves : 408-414.
Interprétation du rêve lucide : 63, 788-824, 874-890.
Intuition en rêve : 212, 257-258, 266, 281, 286-287, 486, 875-876, 882, 885-886, 890,
965-966, 974, 980, 987, 991.
Intuition sensible en rêve : 574.

Journal de rêves : 98-99, 109, 127, 238, 263, 298, 308, 316, 320, 331, 337, 348, 355, 369,
377, 388, 390, 404, 408, 411, 532, 535, 594, 610, 639, 891, 909, 920.

Kinesthésie : 87, 390, 392, 403-404, 446, 579, 603, 821, 838, 839, 841.
Kundalini : 754.
Kurdistan iranien : 726.

Laboratoire (expérience de) : 541-557, 845-872, 900-910.


Lecture en rêve : 582-583.
Léviter (faire de la lévitation) : 372, 376, 453, 478.
Libre arbitre en rêve : 107, 115-117, 165-166, 176, 798.
Light-Switch Phenomenon : 640.
Littérature sur le rêve : 61-156, 1011-1051.
Lucidité amenée : 191-213.
Lucidité spontanée : 213-223.
Lumière en rêve : 20, 30, 96, 102, 105, 130, 142, 381, 386, 392, 394-395, 401, 430, 433, 443,
458, 459, 486, 490, 494, 508, 517, 529, 583, 584, 587, 592, 617-619, 622, 640-649, 667, 678, 683,
691, 700, 715, 758-759, 761, 771, 807-808, 818, 833, 881, 969.

Manipulation du rêve (voir aussi "Contrôle")


manipul 46, 152, 272-275, 277, 309, 342, 351-352, 387, 393, 509, 520, 581, 603, 610, 638,
665, 667-668, 671, 733, 838, 846, 913, 970, 983.
Mantra : 617, 619.
Mauvais éveil (rêve de) : 128, 130-131, 134, 170.
Mauvais rêve (voir "Cauchemar")
Mauvais rêveur : 38.
Mbisimo : 737.
Méditation : 152, 381, 416, 439, 648-649, 770, 772-773, 835.
Mémoire du rêve en rêve : 324-325.
Métachorique (expérience) : 534.
Méthodes mentales d'induction de la lucidité (voir aussi "Induction") : 424-439.
Méthodes physico-mentales d'induction de la lucidité : 440-463.
Micro-éveil : 59, 154, 380, 764, 957.
MILD (Mnemonic Induction of Lucid Dreaming) : 452, 460.
Miroir (rêve de) : 95, 357-358, 360-361, 363, 651, 662, 702, 738, 740, 821, 850.
Modèle explicatif du rêve lucide : 917-958.
Modification du sommeil (voir "Altérations…")
Moi onirique : 172, 213, 597, 884.
Monde imaginaire : 27, 166, 396, 400, 439, 684, 707-708, 722, 823, 841, 897.
Monde onirique : 984, 1009.
Monstres oniriques : 200, 201, 267, 507, 508-509, 625, 626, 646.
Mort en rêve (ou dans un état apparenté) : 79, 84, 118, 132, 168, 208, 237, 337, 470,
480-483, 511, 521, 526-527, 529, 594, 606, 622, 628, 693, 715, 740, 801, 822-823, 848, 878, 885.
Mouvements oculaires rapides (REM ou MOR) 30, 33-34, 48, 454, 456, 542-544, 548, 551,
554, 556.
Moyen Age : 65, 79, 82, 807, 897.
Murshid : 746.
Myosis : 31.
Mystique (expérience) : 142, 144, 502, 596, 648, 744-745, 765, 769, 770-771, 773-774, 776,
781-782, 891, 970, 1010.

Neurophysiologie : 15, 29, 31-32, 37, 47, 50, 52, 151, 154, 224, 366, 367, 411, 454, 547, 784,
827, 926.
Noème : 963.
Nom (prononcer son nom en rêve) : 265, 335, 522.
Notation du rêve en rêve : 325-326.
NREM (voir "Sommeil NREM")

Omni : 536.
Ondes "en dents de scie" : 554.
Oreille interne (appareil vestibulaire de l') : 448.
Orientation spatiale : 816, 840-841.
P'o : 740.
Pao-yu : 748.
Papou Kiwai : 40.
Paralysie : 48, 146, 189, 190, 229, 259, 260, 338, 369, 375, 377-380, 392, 403, 407, 434, 439,
493, 505, 546, 547, 548, 549, 550, 553, 585, 705, 715, 759, 853.
Paranormal : 112, 135, 141, 143-144, 145.
Parapsychologie (voir aussi "Recherches psychiques") : 151, 154, 394, 673, 752.
Perception onirique : 574-587.
Personnage onirique : 620-632.
[2]
renvoyant à des personnes connues du rêveur : 224, 249, 265, 314, 401, 522, 531,
628, 759, 766.
[3]
appartenant à l'imaginaire culturel : 20, 176, 210, 240, 269, 274, 328, 388, 472, 647,
743, 772.
ne renvoyant qu'à eux-mêmes (purement oniriques)265, 402, 531, 650.
Personnalité du rêveur lucide (voir aussi "Caractère") : 71, 154, 322, 529, 591, 644, 774,
842-845, 894.
Perte de la lucidité (voir aussi "Fin de la lucidité") : 257, 294, 297-298, 302, 335, 527.
Perturbations du sommeil (voir "Altération…")
Peuples altaïques : 740.
Phénomène onirique : 569-671.
Phosphène : 395.
Physiologie (voir "Neurophysiologie" et "Psychophysiologie")
Plasticité du rêve : 532, 533, 573, 769, 888.
Point ego : 434.
Polysomnogramme (voir "Enregistrement polygraphique")
Populations de rêveurs (voir "Psychologie différentielle")
Post-image : 395, 449.
Postulat du parallélisme psychophysiologique (P.P.P.) : 545.
Préconscient : 123, 793, 794.
Prélucidité : 45, 87, 193, 260, 278, 283, 285, 287, 291, 324, 340-341, 348, 478, 702, 792,
800-806, 811, 919, 991.
Présommeil : 934.
Primat phénoménologique de la veille sur le rêve : 965-978.
Projection astrale (voir "Astral" et "Expérience hors du corps")
Psi : 755.
Psychanalyse : 15, 28, 31-32, 37, 41, 47, 50, 53, 62, 68, 71, 94, 120, 121-127, 135, 149, 366,
410, 463, 496, 531-532, 567, 653, 753, 771, 781-782, 787-824, 842, 844, 873-890, 908-909,
913-914, 937, 942.
Psychologie différentielle : 825-845, 891-900.
Psychophysiologie : 845-872, 900-910.

Qigong : 490.

Rappel des rêves : 33, 76, 116, 118, 220, 263, 318, 324, 398-399, 409, 509, 636, 651, 655,
842, 845, 848, 982, 1006.
Rapport hypnotique : 688-690.
Réalité du rêve : 16-17, 27, 40-42, 44-45, 51-54, 68, 77-78, 83, 96, 102, 122, 141, 152, 154,
165, 205, 234, 279, 282, 287, 376, 381, 429, 439, 441, 467, 510, 516, 567, 575-581, 583-585,
610-611, 620, 626, 628-629, 634, 665, 691-692, 694, 696, 698, 703-705, 723, 744-746, 754-755,
761-762, 779, 781, 813, 823, 954, 956, 961, 967, 969, 972, 984, 994.
Réalités psychiques : 952, 954, 957, 960.
Recherche psychique : 113, 135, 144, 478, 737.
Réduction du rêve lucide : 59-60, 72, 78, 115, 475, 500, 504, 673, 763-764, 773-775, 948.
Réflexion en rêve (faculté de) : 54, 76, 109-110, 113, 116-117, 128, 132, 162-165, 170, 175,
182, 186, 191, 202-203, 207, 209, 210-212, 215, 222, 236, 251, 260-261, 267, 291, 303, 321-322,
326-327, 350, 353, 386-387, 400, 442, 446, 472-473, 479, 485, 508, 516-518, 571, 574, 598, 600,
610-611, 633, 661, 676, 808, 877, 887, 938, 940, 968, 984, 1004.
Relaxation : 228, 232-233, 265, 371, 377-378, 384, 392, 451, 541, 602-603, 662, 809, 939.
REM (voir "Mouvements oculaires rapides")
Rendormissement : 154, 270, 414, 416-417, 806, 855.
Représentation mentale en rêve : 17, 578, 579, 610, 612, 670.
Respirer en rêve : 29, 189, 233, 336, 352, 419-420, 457, 549, 553, 814, 820, 858, 863,
866-867, 869, 871.
Rêve associé au rêve lucide : 157, 159, 309, 311, 313-364, 442, 455, 532, 601, 606, 624, 633,
638-639, 694, 738, 792, 797, 811, 817, 824, 832, 834, 853-854, 875, 945.
Rêve "avec conscience de rêver" (selon Tart) : 250-254.
"Rêve de Connaissance" selon Fox : 143, 146, 158, 267, 359, 503, 582.
Rêve de mauvais éveil (voir "Mauvais éveil")
Rêve demi-lucide (voir "Demi-lucidité")
Rêve double : 341, 635-637.
Rêve électif : 95, 158.
Rêve érotique : 578, 650.
Rêve éveillé : 36, 46, 108, 154, 163, 233, 300, 386, 396, 399-402, 424, 432-433, 438, 455,
515, 541, 573, 611, 675, 689, 691, 692, 707, 708, 775, 832, 835, 837, 838, 909.
Rêve initial : 341, 635-636.
Rêve prélucide (voir "Prélucidité")
Rêve sur le rêve : 99, 321-329, 339, 352, 358, 361-362.
Rêve unilucide : 290-292.
Rêve visionnaire : 746, 770, 773.
Rêverie : 36, 59, 89, 94, 121, 137, 150, 221, 310, 370, 396, 400, 429, 456, 541, 692, 707-711,
713, 834, 837, 928.
Rêveur (statut du) : 908-910.
Romantiques : 93-94, 96, 105.
Rythme d'induction : 396-407.

Scanning hypothesis, (voir "Hypothèse du balayage")


Schéma corporel : 345, 403, 646.
Science du rêve : 785-910.
Sénoï : 152, 487, 723, 767-768.
Sensations en rêve : 25, 77, 96, 107, 112, 129, 130, 133-134, 138, 142, 150, 170, 173, 205,
215, 221, 226, 232, 259, 313, 350, 354, 363, 371-372, 375-377, 378, 380-382, 384, 390, 392, 406,
420, 442-444, 448, 456, 458, 480, 482, 490, 501, 504, 516, 526, 532, 551, 575, 578, 579, 580-581,
585, 588, 592-593, 599-600, 603-604, 611-612, 618, 628, 640, 646, 701-702, 759, 772, 779, 802,
804-805, 814, 816-820, 833-834, 837, 839, 841, 852, 855, 859, 882, 887-888, 898, 969, 1007.
Sentiment d'extériorité (ou de réalité) du rêve (voir aussi "Réalité du rêve") 54, 68, 574-587,
610, 745.
Signal oculaire : 550-556, 846, 850-851, 853-854, 858-859, 864, 868-871, 914, 929.
Sikh : 754.
Solidité des objets oniriques : 96, 145, 205, 217, 278, 300, 302, 338, 451, 520, 523-524,
599-600, 609, 646, 665, 802.
Sommeil artificiel (ou hypnotique) 69, 238, 357.
Sommeil en laboratoire : , 29, 31, 48, 69, 154, 366, 541, 543-544, 548, 554-556, 834, 846,
855-856, 866, 870, 872, 901, 909, 929, 931, 954.
Sommeil lent : 33, 34, 543, 554, 907, 932.
Sommeil lucide : 387-388, 501-502, 569, 996.
Sommeil naturel : 69, 359, 844.
Sommeil NREM (voir "Sommeil lent")
Sommeil Paradoxal (ou REM) : 31-34, 48, 154, 158, 237, 855-858, 861, 863, 904-907, 929,
546, 548-554, 561, 855, 863, 921, 930-932, 948.
Sommeil provoqué : 404-405, 407, 436, 441, 554, 619.
Sommeil REM (voir "Sommeil paradoxal)
Sommeil sans rêve : 223, 502, 997.
Sommeil subtil : 747.
Sorcellerie : 40, 83, 84, 85, 152, 327, 345, 358, 756.
Sortie hors du corps (rêve de) : 80-81, 83-85, 144-146, 151, 153, 181, 189-190, 228, 230,
243, 259-260, 277, 288, 296, 310, 315-317, 336, 344, 347-348, 356, 360, 373, 375, 378-381, 392,
394, 403, 406, 417, 438-440, 442-445, 448, 450, 477, 479, 480, 488, 494, 500, 503-506, 508, 510,
577, 579, 605, 609, 623, 639, 644, 646, 662, 667, 673, 693, 694, 706, 731, 737, 738, 740-741, 754,
757, 762-764, 769, 792, 817, 821-824, 833, 889, 919, 946, 961, 966, 968-969, 972, 975, 977, 980,
1005.
Souvenir en rêve de la vie de veille : 18, 44, 54, 107, 128-129, 131, 166, 169, 170, 172, 176,
244, 248, 252-254, 258, 266, 270, 276, 287, 302, 318, 339, 341, 494, 520, 551, 581, 618, 651, 655,
922, 956, 961, 979, 982, 988.
Souvenir du rêve (voir aussi "Rappel…") : 16-19, 23, 29, 31, 33, 38, 43, 45, 59, 74, 80, 90,
98-100, 102, 172, 194, 200, 202, 220, 230, 238, 245, 263, 271, 285, 299, 307, 318, 319, 324, 325,
329, 330-333, 337, 398-399, 401, 408-409, 411-412, 428, 440, 455, 472, 508, 519-520, 535, 538,
544, 573, 586, 605, 607, 635, 637, 647, 654, 719, 726, 728, 733, 737, 775, 784, 789, 799, 806, 826,
830-831, 840, 842, 844-845, 875, 893, 946, 955, 975, 979, 988, 994-996, 1002.
Spiritualité : 81, 471, 496, 503, 610, 734, 725-726, 732, 740-741, 746, 757, 768, 771,
773-774.
Stimuli de l'environnement (leur incorporation dans le rêve) : 21, 30, 183, 431, 441, 454,
456-458, 460, 544, 555, 860,-862, 908.
Structure de la conscience lucide : 979-998.
Subconscient : 20, 230, 331, 582, 668, 949.
Substrat de la lucidité : 986-994.
Suggestion : 69, 204, 232, 238, 454, 478, 553, 573, 584, 652, 661-664, 684-688, 690, 692,
762, 788.
Suggestion post-hypnotique : 541, 690, 798.
Suggestopédie : 410.
"Surconnaissance" : 179.
Surnaturel : 15, 75, 105, 198, 309, 352, 744, 769, 770, 773.

Tanka : 619.
Télépathie : 28, 47, 53, 367, 635.
Temps en rêve (écoulement du) : 17, 45, 46, 111, 117, 145, 162, 187, 194, 199, 202, 208,
210-211, 214-215, 219-223, 233, 236, 240, 244, 251, 255, 268, 295-297, 299, 310, 313, 329, 335,
337, 339, 342, 386, 394, 430, 478, 491, 493, 520, 550, 552, 557, 585-587, 594, 611, 617, 625,
633-634, 636, 642, 666, 686, 759, 804, 806, 847-855, 870, 872, 901, 903, 973, 978, 985.
Tension (ou contraction) musculaire : 29, 406, 440, 442, 443, 446, 481, 492, 553, 555, 857,
858, 860, 871.
"Test" de réalité : 150, 284, 286, 458, 583, 802, 805, 870.
Thérapie : 89, 125, 151, 153-154, 303, 499, 535, 653, 723, 733, 774, 782, 796, 804-805, 816,
824, 830, 890, 913, 942.
Tournoiement en rêve (voir aussi "Giration") : 94, 105, 220, 239, 336, 337, 345, 376-377,
389-390, 392, 397, 403, 420, 442-444, 446, 453, 537, 599, 603, 643, 646, 686, 810, 818, 822, 826,
834, 837, 841.
Transe : 59, 69, 130, 145, 169, 245, 359, 373, 377, 673, 688, 689, 693, 741, 760, 761, 817.
Tremblement : 189, 206, 436, 442, 443, 444, 490, 748, 757, 823, 837.
Typologie des rêves lucides : 171, 290-292.

Vigilance : 228, 231-232, 234, 294, 299, 382, 407, 416, 429, 430, 436, 460, 601, 684, 832,
843, 927-929, 933, 955.
Vision à l'état de veille : 44, 75, 87, 446, 707, 715-717.
Vision au moment de la mort : 75.
Vision onirique : 25, 67-68, 101-104, 106, 114, 117, 165, 201, 210, 221, 235, 240, 281, 289,
295, 338, 360, 370, 387, 395, 484, 507-508, 617, 641, 646, 701, 726, 743, 745, 757, 771-772, 778,
812, 817.
Visualisation : 113, 192, 295, 438, 460, 577, 662, 670, 687, 841.
Vol (rêve de) : 94, 134, 140, 149, 151, 271, 272, 304, 307, 308, 310, 313-317, 320, 330, 344,
347-350, 358, 360, 363, 377, 386, 440, 443, 478, 487, 505, 508, 525, 532, 536, 578, 579, 580, 589,
593, 621, 623, 646, 648, 693-694, 738-741, 757, 792, 812-820, 821, 824, 826-827, 833, 868, 870,
872, 874, 889, 969, 1005.
Volonté dans l'état intermédiaire (exercice de la) : 431, 679, 909.
Volonté en rêve (exercice de la) : 19, 49, 54, 101-103, 106-107, 114-115, 117-118, 128,
130-131, 133, 137, 143, 145, 150, 165, 168, 169, 170, 176, 179, 199, 201, 225, 235, 239, 240, 254,
256, 262, 270-275, 290-291, 296, 299, 309, 336, 351, 354, 373, 380, 415, 489, 491-493, 497, 501,
507-509, 517-518, 526-527, 546-549, 553, 555, 571, 573, 582, 587, 590, 594, 601-602, 660,
667-670, 709, 798, 805, 853, 863, 866-867, 869, 887, 896, 898, 900-901, 905-906, 923, 928, 988.
Volonté pendant le sommeil (exercice de la) : 137, 847, 852, 855, 857-860, 862-863, 865,
867, 872, 905-908, 914.

Yoga : 151, 265, 328, 726, 754.


Yoga du rêve : 732-734.
Yoga nidra (ou yoga du sommeil) : 231, 353, 453.
Yogin : 726-727.
TABLE DES MATIÈRES
INTRODUCTION
GÉNÉRALE................................................................................... 11

CHAPITRE 1 - DE L'ÊTRE DU RÊVE À LA CONSCIENCE DE


RÊVER....... 13

PREMIÈRE PARTIE - CONDITIONS DE POSSIBILITÉ DE L'ÉTUDE DU RÊVE


LUCIDE 57

CHAPITRE 2 - DÉVELOPPEMENT DE LA RECHERCHE SUR LE RÊVE


LUCIDE DANS LE MONDE
OCCIDENTAL..................................................................................... 61

SECTION I - Le rêve lucide avant le rêve lucide - de l'Antiquité à


l'époque moderne 65
§1. De l'imaginaire au constaté dans l'antiquité
grecque................... 66
§2. Le premier récit de rêve lucide au Moyen
Age.......................... 79
§3. Etats indéterminés et rêves lucides à l'époque
moderne............. 82

SECTION II - Le rêve lucide depuis le rêve lucide - du XIXème


siècle à nos jours 93
§1. Découverte et exploration au XIXème
siècle............................ 94
§2. Récits épars dans la première moitié de ce
siècle...................... 120
I. L'approche psychanalytique - l'attitude de Sigmund
Freud 121
II. Les explorateurs du rêve
lucide..................................... 126
§3. De nouvelles directions de recherche à partir de
1968.............. 151

CHAPITRE 3 - RÊVES LUCIDES ET RÊVES


ASSOCIÉS............................... 157

SECTION I - Les rêves


lucides................................................................ 161
§1. La lucidité
onirique................................................................... 177
I. Les circonstances oniriques dans lesquelles
apparaissent la lucidité 183
A. Le surgissement de la lucidité au cours des
rêves 190
1. la lucidité
amenée................................... 191
2. la lucidité
spontanée............................... 213
B. Le surgissement de la lucidité à partir de
l'état de veille 223
1. le surgissement de la lucidité à
l'endormissement 224
2. le surgissement de la lucidité pendant
l'état de veille 234
II. Conditions de la
lucidité................................................ 243
A. Savoir que l'on
rêve.......................................... 254
B. Se souvenir de sa vie de
veille........................... 258
C. Disposer de sa faculté de
raisonner.................... 266
D. Disposer de sa
volonté...................................... 270
III. Des degrés de la
lucidité.............................................. 275
A. La conscience lucide comme phénomène
"tout ou rien" 281
B. Proposition de
typologie.................................... 290
IV. De la façon dont prend fin la
lucidité............................. 292
§2. L'interaction du rêveur et de la
lucidité...................................... 302

SECTION II - Les rêves


associés............................................................ 313
§1. L'état de
conscience................................................................ 318
I. Le rêve sur le
rêve.......................................................... 321
II. Le rêve de
faux-éveil.................................................... 329
III. Le sentiment vague de
l'inadéquat................................ 339
§2. Les capacités du rêveur dans le rêve
associé............................ 343
I. Les capacités de déplacement du
rêveur......................... 344
II. Les capacités de contrôle du
rêve................................. 351
§3. L'environnement du rêve
associé.............................................. 355
I. Eléments
déduits............................................................ 356
II. Eléments
induits............................................................ 361

CHAPITRE 4 - L'INDUCTION DE LA LUCIDITÉ


ONIRIQUE....................... 365

SECTION I - L'induction
naturelle............................................................ 369
§1. Induction à partir d'un état
intermédiaire................................... 370
I. Etat intermédiaire dans lequel le sujet pense ne pas
dormir 375
II. Etat intermédiaire dans lequel le sujet pense être en
train de s'endormir 381
III. Le sommeil
lucide........................................................ 387
§2. Induction par le prolongement d'une attitude naturelle à
partir de l'état de veille 388
I. L'aspect
ludique............................................................. 391
II. Le mouvement et le
rythme........................................... 396
§3. Pratiques et conditions favorisantes de l'état de
veille................ 407
I. S'intéresser à ses
rêves................................................... 408
II. Les modifications du
sommeil........................................ 414
III. Les perturbations extérieures au
rêveur........................ 418

SECTION II - Les inductions


préparées................................................... 423
§1. Les méthodes purement
mentales............................................. 424
I. Méthodes visant directement le
rêve............................... 425
II. Visée indirecte du rêve par l'état
intermédiaire............... 433
III. Méthodes ne visant pas le
rêve.................................... 437
§2. Les méthodes physico-
mentales............................................... 440
I. Renforcer le travail de
l'imagination................................. 441
II. Altérations des conditions du
sommeil........................... 447

CHAPITRE 5 - EXPÉRIENCES ET
EXPÉRIMENTATIONS........................... 465
SECTION I - Les
expériences................................................................. 469
§1. Les expériences
acceptées....................................................... 470
I. Le rêveur sait qu'il n'est pas éveillé au sens habituel
du terme mais ne sait pas vraiment qu'il
rêve.............................................................. 476
II. Le rêveur sait qu'il rêve mais n'agit
pas.......................... 483
III. Le rêveur tente d'agir sans
résultat............................... 488
IV. Le rêveur
agit.............................................................. 493
§1. Les expériences
refusées.......................................................... 495
I. La lucidité comme erreur du
psychisme........................... 497
II. Le rêve comme erreur de la
conscience......................... 500
III. Le rêve comme état intermédiaire ou effet
secondaire... 503

SECTION II - LES
EXPÉRIMENTATIONS.......................................... 507
§1. L'expérimentation
personnelle.................................................. 510
I. L'expérimentation personnelle
spontanée......................... 511
II. L'expérimentation personnelle
préparée......................... 520
§2. La recherche : terrain et
laboratoire.......................................... 528
I. Les expériences de
terrain.............................................. 530
II. Les expériences de
laboratoire...................................... 541

DEUXIÈME PARTIE - L'EXPLORATION DE L'UNIVERS DU RÊVE A L'AIDE


LA LUCIDITÉ
ONIRIQUE...................................................................................................................... 559

CHAPTRE 6 - LE RÊVE LUCIDE À TRAVERS LE


RÊVE............................... 565

SECTION I - Les phénomènes


oniriques.................................................. 569
§1. L'étude du rêve lucide par le rêve
lucide................................... 570
I. Le sentiment d'extériorité donné par la perception
onirique 574
II. Le degré affectif du rêve
lucide...................................... 587
III. L'activité mentale du rêveur
lucide................................ 596
IV. Les actes oniriques du rêveur
lucide............................. 600
§2. L'étude du rêve lucide en tant que
rêve..................................... 604
I. Aspects oniriques généraux des rêves
lucides.................. 606
A. Décors des rêves
lucides................................... 607
B. Les personnages des rêves
lucides..................... 620
C. Déroulement des rêves
lucides........................... 632
II. Catégories de rêves
lucides........................................... 638
A. Rêves présentant un caractère
particulier........... 639
B. Rêves manifestant des capacités particulières
du rêveur 663

SECTION II - Les états apparentés au rêve


lucide................................... 673
§1. Les états non
définis................................................................. 674
I. Les états
hypnagogiques................................................. 677
II. Les états hypnotiques ou
apparentés............................. 683
§2. Les états
"ressemblants".......................................................... 693
§3. Les états
différents................................................................... 706
I. La pensée
imaginative..................................................... 708
II. Hallucination et
hallucinose............................................ 712

CHAPITRE 7 - LE RÊVE LUCIDE COMME PHÉNOMÈNE


CULTUREL...... 721

SECTION I. Le rêve lucide dans la représentation du monde des


cultures non occidentales 725
§1. Présence explicite du rêve dans d'autres
cultures....................... 725
I. Recherches ayant le rêve lucide pour
objet...................... 727
II. Manifestation du rêve lucide dans un cadre
conceptuel... 732
§2 . Présence implicite du rêve lucide dans d'autres
cultures............ 735
I. Les éléments phénoménologiquement associés à la
lucidité 738
II . L'attitude vis-à-vis du rêve et de la
conscience.............. 741
III . Le rêve lucide dans l'imaginaire d'une
culture............... 747

SECTION II - Les formes du rêve lucide dans la culture


occidentale......... 751
§1. Lorsque le phénomène est
refusé.............................................. 754
I. Le délire
personnel......................................................... 754
II. Le délire
organisé......................................................... 756
§2. Lorsque le rêve lucide est connu et
conceptualisé...................... 762
I. Les tentatives de
réduction............................................. 764
II. Les
amplifications......................................................... 765
§3. Le rêve lucide dans l'imaginaire
occidental................................ 776

CHAPITRE 8 - L'APPROCHE SCIENTIFIQUE DU RÊVE


LUCIDE............... 783

SECTION I - Ce que la science nous apprend sur le rêve


lucide............... 787
§1. La psychanalyse et l'interprétation du rêve
lucide...................... 788
I. L'interprétation des formes de la
conscience.................... 792
II. L'interprétation des éléments des rêves lucides et
associés 811
§2. L'étude différentielle du rêve
lucide........................................... 825
I. Approche descriptive de certaines catégories de
populations 828
II. Approche explicative en fonction d'habiletés
particulières 832
III. Personnalité et habitudes de vie des rêveurs
lucides...... 842
§3. Psychophysiologie du rêve
lucide............................................. 845
I. Le cadre spatio-temporel de
l'expérience........................ 847
II. La lucidité en
laboratoire............................................... 855
III. Effets sur les instruments de
mesure............................. 862

SECTION II - Ce que le rêve lucide nous apprend sur les sciences du


rêve 873
§1. La science de l'interprétation à la lumière de la
lucidité.............. 874
I. La compréhension "intra-onirique" du
rêve...................... 876
II. L'interprétation sans
objet............................................. 882
III. L'interprétation
faussante............................................. 885
§2. L'influence du rêve lucide sur le comportement de
veille............ 891
I. La transformation du caractère du
rêveur........................ 892
II. La transformation des
habitudes.................................... 895
III. Les transformations de l'habileté
physique.................... 898
§3. Incidences de l'étude du rêve lucide sur la
psychophysiologie.... 900
I. Les éléments physiologiques corrélatifs des actions
oniriques 902
II. Le statut du rêveur à la lumière de la
lucidité.................. 908

TROISIÈME PARTIE - LES IMPLICATIONS THÉORIQUES DE L'ÉTUDE DU


RÊVE LUCIDE 911

CHAPITRE 9 - LES MODÈLES EXPLICATIFS DU RÊVE


LUCIDE............... 917

SECTION I - Les théories psychophysiologiques du rêve


lucide................ 927

SECTION II - Les théories psychologiques du rêve


lucide........................ 935

CHAPITRE 10 - APPROCHE CRITIQUE DES CONCEPTIONS DE LA


LUCIDITÉ
ONIRIQUE.............................................................................................................................
959

SECTION I - Y-a-t-il un primat phénoménologique de la veille sur le


rêve ? 965

SECTION II - Structure de la conscience


lucide....................................... 979
§1. Intentionnalité de la
lucidité....................................................... 981
§2. Le substrat de la
lucidité........................................................... 986
§3. Dynamique de la
lucidité.......................................................... 994

CONCLUSION
GÉNÉRALE........................................................................................ 999

BIBLIOGRAPHIE.........................................................................................................
1011

SECTION I : OUVRAGES.................................................................................
1015

§1. Ouvrages
généraux.............................................................................. 1015
I. Physiologie, biologie et
médecine................................................ 1015
II. Psychologie, psychanalyse et
pédagogie.................................... 1015
III. Histoire, anthropologie, civilisations anciennes,
littérature.......... 1016
IV.
Philosophie.............................................................................. 1017
V. Expérience
personnelle.............................................................. 1017

§2. Ouvrages
spécifiques........................................................................... 1017
I. L'état de conscience du rêveur
lucide.......................................... 1017
A. Récits de rêves
commentés........................................... 1017
B. Études sur le phénomène de la
lucidité........................... 1018
1. ouvrages
d'exposition......................................... 1018
2 . travaux de
recherche......................................... 1019
C. Induction du rêve
lucide................................................ 1020
D. Approches
culturelles.................................................... 1021
1. Histoire,
anthropologie....................................... 1021
2 . Œuvres de
fiction.............................................. 1021
II. Sur les phénomènes associés et
apparentés............................... 1021
A. Etudiés en rapport avec les rêves lucides et
associés...... 1021
B. Étudiés pour
eux-mêmes............................................... 1022
1. rêves
contrôlés.................................................. 1022
2. rêves de vol, expériences hors du corps et de
mort proche 1022
3. faux-éveils, rêves
partagés................................. 1023
4. rêves éveillés et images
hypnagogiques............... 1023

SECTION II - ARTICLES ET COMMUNICATIONS......................................


1025

§1. Articles
généraux................................................................................. 1025
§2. Articles
spécifiques.............................................................................. 1025
I. Sur l'état de conscience du
rêveur............................................... 1025
A. Récits de rêves
commentés........................................... 1025
1. domaine
français................................................ 1025
2. domaine
anglais................................................. 1026
3. domaine
américain............................................. 1026
4. domaine
finlandais.............................................. 1028
B. Etudes sur la
lucidité...................................................... 1028
1. en tant que phénomène
conscientiel.................... 1028
2. dans son utilisation par le rêveur et dans son
rapport avec le contenu du
rêve....................................................................... 1031
3. études en
laboratoire.......................................... 1036
4. études
différentielles........................................... 1039
C. Induction du rêve
lucide................................................ 1040
D. Approches
culturelles.................................................... 1043
1. Histoire,
anthropologie....................................... 1043
2.
Littérature.......................................................... 1045
I. Sur les phénomènes associés et
apparentés................................. 1045
A. Etudiés en rapport avec les rêves lucides et
associés...... 1045
B. Etudiés en
eux-mêmes................................................... 1048

SECTION III - REVUES....................................................................................


1049

§1. Publications occasionnelles sur le rêve


lucide........................................ 1049

§2. Publications régulières sur le rêve


lucide................................................ 1049

§3. Revues consacrées au rêve


lucide......................................................... 1050

SECTION IV - OUVRAGES OU ARTICLES DE BIBLIOGRAPHIE................


1051

§1. Ouvrages
généraux.............................................................................. 1051

§2. Ouvrages
spécifiques........................................................................... 1051

INDEX............................................................................................................................
1053

SECTION I - INDEX NOMINATIF..................................................................


1055

§1. Auteurs
cités........................................................................................ 1055

§2. Sujets
cités.......................................................................................... 1063

SECTION II - INDEX THÉMATIQUE..............................................................


1067
[1]

[2] Même brève. Les ouvrages entièrement consacrés au rêve lucide sont rares.
Cette rubrique et les deux suivantes ne concernent que les personnages effectivement nommés, et non ceux
dont le nom
[3] a été réduit à une initiale.
Des personnes existantes sont considérées appartenir ici à l'imaginaire culturel dans la mesure où le rêveur ne
les connaît pas personnellement, comme par exemple les figures médiatiques.

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