Vous êtes sur la page 1sur 12

1

Cela fait déjà un bout de temps que les projets agricoles de Souss-Massa-Draâ p. 3
l’Agence belge de développement (CTB) déploient une ap-
proche « filières », abordant les différentes opérations né- Safran et dattes p. 4
cessaires pour passer d’une matière première à un produit Pas à pas p. 6
fini.
Élaboration de la stratégie p. 7
Cette analyse ne porte donc pas uniquement sur la produc-
tion, mais aussi, entre autres, sur la commercialisation. Quel Marketing mix p. 10
est en effet l’intérêt pour un agriculteur de cultiver un produit
Conclusion p. 12
de qualité et durable s'il ne peut le vendre ? D’où la nécessi-
té de bien déterminer les acheteurs potentiels et la manière
de mieux communiquer avec eux ?

Dans le sud du Maroc, la CTB mène depuis trois ans un


programme sur les filières safran et dattes. Il s’agit du pre-
mier programme auquel le Trade for Development Centre
(TDC) a été associé d’emblée, depuis le stade de la formu-
lation, pour y apporter son expertise en marketing.

Petit état des lieux à mi-parcours.


© Claire de Foucauld

Photo de couverture © CTB


2
Depuis quelques années, la Belgique et le Maroc coopèrent « Voilà pourquoi, en 2013, des spécialistes en marketing
dans le cadre du lplan « Maroc Vert », qui vise un dévelop- ont également été recrutés. Aujourd’hui, l’équipe marketing
pement économique durable des régions défavorisées, ci- se compose de deux collaborateurs locaux, membres de
blant en particulier les producteurs les plus vulnérables. l’équipe mobile sur le terrain, et de deux collaborateurs en
L’approche « filière » constitue le fil conducteur des projets. charge de la commercialisation. Claire de Foucaud, experte
Sont concernés : les amandes, dans le Nord-Est, ainsi que en marketing, s’est rendue au début du programme au Ma-
le safran et les dattes dans la région méridionale de Souss- roc, où, avec l’Office régional de mise en valeur agricole
Massa-Drâa. d’Ouarzazate (ORMVAO), le partenaire local, elle a jeté les
bases d’un solide positionnement stratégique et commercial
Le présent article met en lumière le projet PDFSD
pour les dattes et le safran marocains. »
(Développement des filières du safran et du palmier
dattier dans la région Souss-Massa-Drâa), lancé en 2013
pour une durée de sept ans. Il s’organise autour de trois
pôles :

 la pérennisation des techniques agricoles, notamment


au niveau de la gestion des ressources hydriques ;

 le renforcement de la position des producteurs à


travers la création de coopératives et de groupements
d’intérêt économique (GIE), des coupoles de coopéra-
tives en charge de la commercialisation ;

 l’encadrement de ces structures dans la commerciali-


sation de leurs produits.

« Le PDFSD est le premier projet CTB pour lequel nous


avons contribué dès le début à la réflexion sur les marchés
potentiels et sur les moyens pour les jeunes coopératives et
les GIE de les conquérir », explique Josiane Droeghag, Mar-
keting and Business Management Officer du TDC. Ouarzazate © Josiane Droeghag, TDC

3
Mais commençons par quelques mots sur les filières du safran Dans la pratique, ils peinent toutefois à sortir d’un cercle vi-
et des dattes. À première vue, les différences sont énormes. cieux, ne disposant généralement pas des moyens néces-
Dans quelques vallées isolées bordant les villes de Taliouine saires pour attirer du personnel qualifié et acheter les récoltes
et de Taznakht, 3.000 familles d’agriculteurs plantent chaque de leurs membres. À cela s’ajoute une réticence culturelle à
année d’innombrables crocus à safran. Un dur labeur, en parti- solliciter un prêt auprès des banques. Ils passent donc parfois
culier pour les femmes. à côté de commandes potentielles, n’étant pas en mesure de
De leur côté, les palmiers dattiers sont omniprésents dans les répondre à la demande, tant quantitativement que qualitative-
oasis du sud marocain. Des centaines de milliers d’agricul- ment. Cela vaut d’autant plus pour les dattes, qui nécessitent
teurs et d’agricultrices pratiquent cette culture depuis des une approche quasi industrielle au niveau de leur production :
temps immémoriaux, produisant jusqu’à 450 variétés de tri, refroidissement, transport, etc.
dattes. Bref, ce n’est pas vraiment le Maroc du Sud qui tire les béné-
Mais, à y regarder de plus près, les parallélismes sautent aux fices de cet « or rouge » (le safran) ou des richesses que
yeux. Tant le safran que les dattes sont surtout vendus sur le devrait normalement générer une production dattière si
marché informel, dans les souks locaux. Les prix obtenus par diversifiée.
les agriculteurs sont bas, mais les familles ont parfois tant de
mal à joindre les deux bouts que cette rentrée d’argent leur est
indispensable.
En amont de la filière dattière se situent de grandes entre-
prises dont on ne connaît guère les processus de production,
mais pour qui la qualité n’est certainement pas la première
priorité. Les dattes sont le plus souvent présentées dans des
caisses en bois très peu hygiéniques, une partie considérable
de la production étant même utilisée comme fourrage.
Crocus à safran © CTB

C’est une des raisons pour lesquelles des coopératives et des


GIE (des groupements économiques rassemblant plusieurs
coopératives) furent créés aux quatre coins du pays, dans le
cadre du plan « Maroc Vert », pour améliorer la commerciali-
sation de la production de millions de petits agriculteurs.
4
La cueillette du safran est un travail de femmes © CTB

5
Ces trois dernières années, des efforts considérables ont été
déployés pour améliorer la production et la qualité de ces deux
produits. Des experts agricoles ont formé les agriculteurs à
des méthodes de culture plus durables, une laborantine a Les étapes 1 à 3 constituent le volet stratégique, les
procédé à des tests comparatifs rigoureux, et des animateurs étapes 4 et 5, le volet opérationnel. Elles ne se suivent
ont fait tout leur possible pour stimuler les coopératives et les donc pas toujours en ordre chronologique, mais se
GIE. « En discutant avec les agriculteurs eux-mêmes », nous chevauchent parfois.
confie Claire de Foucaud, « on se rend compte qu’ils connais-
sent parfaitement leur plus grand problème : le manque de
 Étude du marché : quelle est la situation actuelle et
débouchés formels procurant un prix raisonnable pour leur
où se situent les opportunités ?
safran ou leurs dattes. Notre équipe marketing a donc travaillé
là-dessus durant ces trois dernières années, en avançant pas  Groupe cible : quels sont les principaux clients poten-
à pas. » tiels  ?
 Positionnement : comment positionner le produit sur
le marché ?
 Marketing mix : comment concevoir les quatre P :
Produit : quelle sont les qualités et caractéristiques
du produit ?
Place : où trouver les clients ou consommateurs ?
Prix : à quel prix lvendre  ?
Promotion : comment communiquer au mieux avec
les clients ?

 Commercialisation : la vente proprement dite

Datte © Claire de Foucauld


6
À tout produit s’applique la même règle : l’élaboration d’une straté-
gie efficace passe immanquablement par la connaissance et la
compréhension du marché. La première étape essentielle consiste
donc en une étude de marché. À travers plusieurs analyses, l’offre
et la demande ont été cartographiées pour les deux filières, tant au
niveau national qu’international.
Les résultats de cette cartographie constituent aujourd’hui une base
solide sur laquelle construire une stratégie à même de répondre aux
questions suivantes : qui est mon client cible idéal  et comment po-
sitionner mon produit sur le marché ? Ces deux éléments sont es-
sentiels pour créer un débouché durable pour les produits.

Les résultats se sont avérés particulièrement utiles dans le cas du


safran : 90 % de la production mondiale de safran proviennent
d’Iran, le gouvernement iranien accordant des subsides tant pour la
culture que pour la transformation des crocus à safran. Combiné à
une approche très professionnelle, cela rend la concurrence avec
l’Iran particulièrement rude, d’autant qu’une partie du marché maro-
cain est aux mains des Iraniens à travers, entre autres, des circuits
informels. En outre, l'offre mondiale dépasse la demande. Le safran
est principalement utilisé dans la cuisine (arabe). Si la demande
provenant du secteur pharmaceutique et cosmétique augmente, elle
reste timide. Mais, encore une fois, les Iraniens contrôlent la chaîne
de valeur.

© Claire de Foucauld

7
Qu’est-ce que cela signifie pour les GIE nouvellement créés chargé d’effectuer des analyses de qualité. Les producteurs
dans le sud du Maroc ? Que cibler les marchés internationaux peuvent désormais avancer un double message fort : notre
n’a pas beaucoup de sens, tout comme s’adresser aux gros- coopérative garantit un safran de haute qualité, et, en achetant
sistes marocains, qui s’intéressent surtout aux prix alors que notre produit, vous soutenez les petits producteurs et les coo-
ceux pratiqués par les Iraniens défient toute concurrence. pératives de la région. »

Quels sont donc les clients potentiels des GIE ? Principale-


ment les détaillants, les restaurants et les hôtels situés dans
les villes, qui ont la classe moyenne locale et les touristes
étrangers pour clients. Mais même là, la concurrence est fé- Les touristes rentrant du Maroc et achetant à la dernière
roce, car de nombreuses entreprises locales se vantent de minute des dattes à l’aéroport risquent fort d’emporter dans
vendre « le meilleur safran marocain sur le marché ». « Depuis leurs bagages un souvenir... tunisien, car le marché dattier
trois ans, l’équipe projet réfléchit donc à la meilleure manière marocain est en grande partie entre les mains de leurs voisins
de se positionner par rapport à ces acteurs existants », pour- spécialisés dans la variété de dattes deglet nour, présentées
suit Claire de Foucaud. « Auparavant, les petites coopératives dans de jolies petites boîtes.
se posaient facilement en victimes, mais nous avons su inver-
« Lorsque nous avons lancé la première étude, en 2013, les
ser la dynamique. Aujourd’hui, tout le monde est conscient
dattes marocaines souffraient encore d’une image négative
qu’il faut se battre pour obtenir une petite place au soleil.
auprès des commerçants locaux », explique Claire de Fou-
Une étape importante a été la création par le projet d’un labo- caud. Heureusement, la situation est aujourd’hui en train de
ratoire – le seul de la région à répondre aux normes ISO – changer. Les clients potentiels sont similaires à ceux de la fi-
lière safran : les commerçants, les hôtels, les restaurants et
les marchés dans les villes marocaines. Le principal atout ré-
side dans la richesse des variétés locales, ce qui ouvre des
La datte fraiche © Claire de Foucauld

perspectives puisque les produits locaux ont pour l’instant la


cote. Les coopératives parviennent déjà à vendre leurs meil-
leures variétés de dattes (mehjoul et bouffegous) à des prix
acceptables. Pour enregistrer des progrès réels, il faudrait tou-
tefois améliorer la commercialisation des variétés de moindre
qualité, qui constituent l’essentiel de leur production. Il existe
une demande pour des dattes de qualité intermédiaire. Il nous
faut donc, avec les GIE, reconquérir le marché des deglet
nour. »
8
Après les explications, place à l’action. Pour avoir à terme
un réel impact, la stratégie doit encore être concrétisée.
Après une réflexion intense sur les quatre P, les premières
démarches ont été entreprises en vue de la vente.

Produit
Suite aux tests effectués en laboratoire, la production a été
répartie en trois catégories suivant les normes internatio-
nales. 10 % de la production se composent de safran cinq premier présente les propriétés du produit, connues locale-
étoiles, 70 % de safran quatre étoiles et 20 % de safran de ment, mais pas vraiment dans les grandes villes, tandis que
qualité inférieure. Des emballages en verre et des étiquettes le second aborde ses usages culinaires et propose deux
spécifiques ont été conçus pour chacune de ces catégories. recettes.
Place Une feuille de route a été élaborée pour les trois années à
Les petits producteurs ont pris conscience qu’ils devaient venir avec, entre autres, des projections de ventes pour
« sortir de leur village » pour aller convaincre les clients 2017, 2018 et 2019, basées sur des tests réalisés à l’occa-
potentiels dans les villes. sion d’un salon agricole et auprès de clients potentiels à
Rabat et à Casablanca. Cette feuille de route compte
Prix
comme volet essentiel la création d’un salon de thé dans
Des prix ont été établis pour chaque catégorie, ouvertement
les bâtiments du GIE à Talhouine. Ce salon de thé, qui
affichés, ce qui est assez exceptionnel dans un pays comme
propose des biscuits au safran, se veut être la vitrine du
le Maroc, où les négociations informelles sont la règle. Les
projet. Des contacts seront noués avec des agences de
vendeurs des GIE ont été aussi sensibilisés à l’interdiction
voyage, pour proposer aux groupes de touristes un pro-
de descendre en dessous des prix minima.
gramme consacré au safran, y compris une visite au salon
Promotion de thé. Parmi les autres éléments des projets d’avenir, ci-
La marque « Dar Azafran » a été lancée sur le marché, avec tons un canal de vente en ligne, un site Web et une page
comme baseline : « un safran d’excellence pour vos papilles Facebook, ainsi qu’une campagne publicitaire planifiée en
et votre bien-être ». Deux dépliants ont été mis au point : le 2019.
9
Produit
Focalisation sur 4 variétés de dattes : jihel (« la populaire »),
bousthami (« la légère »), outoukdime (« la star du Toudgha »)
et khalt (« les rarissimes », khalt étant un nom collectif pour
plus de 300 variétés locales de la même famille).

Place
Dans la liste des priorités, les marchés traditionnels arrivent en
tête, car moins exigeant au niveau de la qualité. Des inter-
views ont ensuite montré le potentiel d’ouverture d’un nouveau
marché avec des dattes fraîches. Les supermarchés, très exi-
geants sur la qualité arrivent quant à eux en fin de liste.

Prix
Le prix doit être égal ou légèrement inférieur à celui des deglet
nour.

Promotion Stand d'une coopérative de dattes lors d’une foire commerciale © Josiane Droeghag,

La baseline est on ne peut plus claire : il s’agit d’un produit


marocain, caractérisé par une grande diversité de variétés et
de goûts. Le public doit être encouragé à goûter les différentes Cette situation pénible a provoqué des remous au sein des
variétés de dattes, présentées dans un dépliant promotionnel. coopératives et mis en lumière plusieurs problèmes majeurs.
Mais elle a aussi réveillé de nombreux responsables.
Tout au long de 2016, des tests de vente ont été réalisés au-
près de clients sélectionnés, afin de notamment déterminer les Et Claire de Foucaud de conclure : « Un certain nombre de
variétés pouvant concurrencer la deglet nour au niveau des coopératives ne sont pas encore en mesure de commercialiser
prix. Détail qui a son importance, une commande assez mo- de plus gros volumes. Ce sera un travail de longue haleine.
deste de 70 kg n’a pu être honorée par le GIE de Toudgha en Mais le potentiel est bien là, et les agriculteurs en ont désor-
raison d’un manque de dattes de qualité. mais aussi pris conscience. »

10
Le programme PDFSD étant à mi-parcours, c’est l’occa-
sion de faire l point sur l’appui marketing. Celui-ci consis-
tait à mettre sur pied et à appuyer une équipe marketing
sur le terrain, appelée à élaborer et à exécuter une stra-
tégie avec les partenaires locaux.
« Le marketing n’est pas une formule magique pour gon-
fler les ventes, mais un long chemin à parcourir pas à
pas. Voilà pourquoi il est important d’intégrer les ques-
tions de marketing dès même la formulation d’un pro-
gramme », conclut Josiane Droeghag. « Des profils com-
merciaux et marketing spécialisés sont indispensables,
de même que des budgets flexibles permettant, entre
autres, de solides études et prospections des marchés. »
Il reste cependant encore beaucoup à faire. Au cours
des années à venir, il faudra s’atteler à la mise en œuvre
du marketing mix et à la professionnalisation des struc-
tures GIE. Le programme continuera à se focaliser sur la
formation et l’accompagnement des coopératives et des
GIE via la constitution de « shadow teams », des équipes
d’appui.
« Pour nos partenaires et pour les agriculteurs, ce projet
de la CTB inspire un sentiment bien différent de celui as-
socié à certains projets antérieurs », résume Claire de
Foucaud. « Ceux-ci prônant en effet parfois des objectifs
irréalistes, ils restaient dans la pratique lettre morte. »

© Josiane Droeghag, TDC

11
Aujourd’hui, les idées et les plans qui sont sur la table donnent
une orientation claire, fondée sur le potentiel commercial réel
et alimentée par les équipes sur le terrain.
 PDSFD : www.btcctb.org > pays et thèmes > Maroc >
Si, pour les GIE, la gestion marketing et la vente sont encore Développement des filières du safran et du palmier dat-
nouvelles, ils en ont toutefois perçu toute l’importance. Ils com- tier dans la région Souss-Massa-Drâa - Safran-Dattes
prennent mieux le marché et le contexte concurrentiel dans
lequel ils évoluent. Ils connaissent aussi la clientèle à cibler,  L’avenir durable passe par les coopératives marocaines
ainsi que les niveaux de qualité à respecter pour pouvoir la sa- Projets du Trade for Development Centre dans le sud du
tisfaire. Maroc (janvier 2015) Publié sur www.befair.be.

Les premiers résultats sont prometteurs. Lors du SIAM (le Sa-


lon International de l’Agriculture au Maroc) les ventes de sa-
fran furent de 46% plus élevées que l’année précédente. Nous
sommes toujours dans une phase de prospection pour les
dattes, mais les premiers contacts auprès de nouveaux clients
révèlent un intérêt concret pour l’achat de 236.000 kilos.

12

Vous aimerez peut-être aussi