sÉcou
1. Les murailles cle la terre
2. La terre en miettes
DE,SIRÁ.DA
LA MIGRATION DES CGURS
LA vrE scer-ÉRare
cÉr-et.irRE cou-coupÉ
LE CCETII{
,{ RTRE ET À PLETIR
Contes vrais de rnon enfance
ITOtsERT LAFF'ONT
\
A ruLA n'te rc
óroyaient être la plus belle des existences- pàre, moustachu, vêtu d'un parCessus à revers
)
)
En mêrne temps, i' avais trop de foi $ans ãe fourrure façon pelisse. Ma mêre, souriant de
)
mon frêre pour douter de son jugement. A sa toutes SeS dents de perle, SeS yeux en amande
)
mine, au tôn de Sa voi.x, je sentais qu'<< alté- étirés sous son taupé gris. Entre ses jarnbes,
) nés >>, cette parole rnystéri.euse, dési gnant une n-roi, maigrichonflo, enlaidie par cette mine bou-
) qualité d'affection honteuse comnfte ia blennor- deuse et áxcédée que je devais cultiver jusqu'à
) rãgie, peut-être même mortelle com-rne \a fiàvre la fin de l'adolescence, jusqu'à Ce que le sort qui
) tyfnofde qui I'année passée ayait emporté des frappe toujours trop durement Les enfants ingrats
cyuantités de gens à Lt Pointe. À minuit, à force fasse de moi uÍIe orphetrine dàs vingt ans.
Depuis, j'ai eu tout le temps de corn"tr)i enCre le
)
) ,i. coller toui les indices enÉre eux, je finis par
[-râtir un semblant de théorie. {.Jne personne atrié- SenS du rnot << aliéné >> et surtouÊ de me cientan-
)
Irúc: est une personne qui cherche à être ce der Si Sandrino avait raison, Mes parents
)
(lu'crllc ne peut pas être parce qu'elle n'aime pas étaient-ils des aLténés ? Sâr et Çertann, il s
) (rtrt' c!: c1r,l;elle est. À deux heures Cu matin, âG n'éprouvaient aucun orguei.l cle leur héritutgc:
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ne marsó pas oani pied, avec une rnine terlement battant ra mesure du t
cours de ces sorties:,T.J Ia rue, âu
ni pisÉachls ui."-Jtltéesl fÃ"rrr, rle m,offraienÉ ne tardaienr pas a oeg;:*;;: impatiente qu,ils r
rédrrite à convoitãr ãillukoko. J,en étais sais comm"-jã pouvaiã. Seute, je m,arnu_ r
toutes Je^ ,ã.rt*i, a'.iá"he_pied
poster devant les ..-, douceurs et à me dans les a1réãs.^Je shoot.irê, r
march..ro.,
malgré mes vêternents dans t;ãlpoi, que tais les br.as ej je devenais cailro*x- J,écar_ {
prendraienr en,pitià. achetJs à parir,-Lu", dans les airs- J'i"t.rpetrIais un êvl?r, qui s,éIàve a
n^9,6IJ, ia ruse maichairme sant de lune. À oõix t., etoiles êu'r* crois_ |
Lfifffi:: *.;,,5at, r* ::'.*Jã,,e* par gestes, je me raconrais ir""i*, avec cie grands
et
o"*rirroires. un ;j#T; ü
milieu de, mes jeux solitai.**,
Tiens pour ,"i l*Éil, :
u'e petite fille t
-En ptrur:rT"r ã=rrãiãêeine
perents ne ,'o"".rpaient
surgit de Ia noiiceur- gtonoinette,
moi er pariai*nf enrre guàre cie uÍ.e queue de cheval racaiãJ'durr* mài fagciée, ü
eux. De ã;#t"; qu,oil m'apostropha en créoie ie iJt
Lrans Ie dcs" trile ü
D'une de rnes scellrs Iü non a_w{. ? : r)
qui n,etúãiait pes à
l,éco,e. i Je rne demancai erl
elle n1e prenait. Fo*r mon for intérieur- prrri- rJrri
46 t,enràru de ni., .i.-, Í,rrÍ ,.) :
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E,spérant produire mon petit effet, je déclinai bourreau gambader en toute irnpunité prês du
mon identité avec emphase. Elle ne sembla pas kiosque à musique.
ébranlée, caÍ il était visible çlu'elle entendait Le lendemain, Anne-Marie rn'attendait au
mon patronyme pour La prerniàre fois et elle même endroit. Pendant plus d'une semaiflÊ, elle
poursuivit avec la même autorité, toujours en fut fidêle au poste et je me livrai sans protester à
créole : ses sévices. Aprês qu'elle eut manqué m'ébor-
Moi, c'est Anne-Marie de Surville. On va gÍter, je finis par protester, lassée de sa bruta-
jouer ! Mais attentiofl, ma mamarl ne doit pas me Irté :
voir avec toi sinon, elle me battrait. Je ne veLlx plus que tu rne donnes des
Je suivis son regard et j'aperçus quelques coups.
femmes blanches immobiles, assises de dos, les Elle ticana et m'allongea une vicieuse bour-
cheveux flottant uniformément sur les épaules. rade au creux de l'estomac :
Les façons de cette Anne-Marie ne rrle plaisaient Je dois te donner des coups parce que tu
pas du tout. LIn moment, je fus tentée de tourner es une négresse.
les talons et de rejoindre mes parents. En même J'eus la force de m'éloigner d'elle.
temps, j'étais trop heureuse de trouver une par- Sur le chemin du retour, j'eus beau méditer sa
tenaire de mon âge mêrne si elle rne cornrnan- réponse, je ne lui trouvai ni rirne ni raison. Au
dait coÍrune à sa servante. firoment du coucher, aprês les priêres aux divers
Immédiatement, Anne-Marie prit la direction bons anges gardiens et à tous les saints du para-
de nos jeux at, toute La soirée, je me sourrris à dis, j'interrogeai ma rnêre :
ses caprices. .Ie fus la mauvaise élêve et elle me Pourquoi doit-on donner des coups aux
ttra les cheveux. En plus, elle releva rna robe nêgres ?
pour m'adrninistrer la fessée. Je fus le chevatr. Ma mêre sembla estomaquée, eÍLe s'exclarna :
Elie monta sur mon dos et elle rne boulra les Comrrrent Lrrre petite fille aussi intelligente
côtes de coups de pied. Je fus 7a bonne et eiie que toi peut-elle posãr pareilles questions ?
me souffleta. Elle rn'abreuvait de gros rnots. Je Eile traça en vitesse un signe de croix sur
frémissais en entenCant voler les kouni à rnnrc- nron front, se leva et se retira en éteignani \a
finan ú-w* et les tonrtà dso'\'- interdits. Finaie- lumiàre de ma chambre. Le lendemain rnatin, à
ment, une ultime talcche me fit tellernent rnal l'heure de la coiffure, je revins à la charge. Je
que je coT;rus rne réfugier dans les bras de ma sentais que la réponse fournirait la cLé, à l'édifice
rlàre. Dans fiIa honte, je ne m'expiiquai pas. Je souvent mystérieux Ce rnon ntonde. La vérrté
prétextai que j'ar.ais pris un saut et laissai rnon sortirait de 7a .iarre oü oÍI la tenait enferinóc.
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Devant mon insistance, ma mêre rne frappa secret honteux dont
sàchement avec le dos du peigne : il aurait été inconvenant
et peut-être dangereux de forcer la connaissance.
Enfin, cesse de raborrter des bêtises. n valait mieux l'enfouir au fin fon,c de ma,
Est-ce que tu vois querqu'un donner des coups
ton papa ou à moi ? à mérnoire cofirme mon pàre et ma mêre, corrrrr.rel
suggesrion était invraisemblable. pourranr, lous l"r_gens que nous fréquentions, semblaient,
"la \ffébrilité de ma mêre trahissait son embamas.
I'avoir fait.
Les jours suivants, je retournai sur la place oe,
I
EIle me cachàit. -querque chose. a-*úi, j,allai la victoire avec mes parents, bien décidée à:
rôder dans la cuisine autour des jupes-ã,ao éi,,a, refuser de jouer avec Ànne-Marie. Mais i1á"*'
Hélas ! Elle faisait tourner une sauce. Aussitôt beau la chercher tout partout, ,"*orrt"i i;;,
qu'elle m'aqgrçut, avant seulement que j'ouvre allées, errer de droite et dã gauche, je ne la revis I
la bouche, elie se mit à crier : pas. Je courus jusqu'au banã oü s,éiaient assisesr
Sors de là ou j,appelle ta rnaman. sa maman et ses tantes. trt était vide. Je ne les r
-re ne pus qu'ouêir. J'hés itar, puis montai r:.vil plus jamais. I-[i elle. Ni les femmes de sâr
frapper à Ia porte du bureau de mon pêre. Alors famille.
qu'à tout momelt je me sentais .rrL1oppée de Aujourd'hui, je me demand.e si cette o**- l
l'affection chaude êt rarillonne o. Àã àb.u, je contre ne .fut pas surnaturelle. puisque tant ae l
savais que je n'intéressais guàre mon pàre. i. vieilles haines, de vieilles peurs jamais fiqúàé;; r
n'étais pas _ un garçon. a.pies tout, j , étais sa demeurenr ensevelies dan§ la rer:re de
dixiàme enfant, car- il u"uit eu cleux fits d, un je rne demande si Anne-Marie pãvrl.
prernier n?ariage- Mes pleurs, mes caprices, mon ""i
et rnoi, ,ro,ri r
l'avgÍls pas été,, l'espace de nos prétendus jeux, r
désordre l'excédaient. Je lui posai ma question les réincarnations rniniatures c'uire ma?tresse ett
en fcrme de leitmotiv : ^
de son esclave souffre-douleur.
Pourquoi doit-on donner ces coups aux sinon comment expliquer rna docili té àmoi ,i
lr
nêgres ?
rebelle ? ;
E me regarda et me répondit ciistraitement : I
I Qu'est-ce que tu raconÉes ? on nolrs clon- I
nait des coups dans le ternps. va trouver ta a
manlan, veux-tu ?
Désorn:.ir, je r:avarai mes questigns. Je ne a
demandar- rien à sand,rino, car j,urrui*- p*", C
de a
ilrl son explicaÉion. Je devinais q,r;,rr, ,*.i*t étatt
i.i
délirnité par ie bourevard saint-Gerr.n due tout partout. Mais" ,*.r* enren_ I
a,Ít, re bou- ";;*-;;i;,
ra devinions
le'ard saint-Michel, Ies eaux mortes cÍe complête contradiction u"À* t*, en I
et les boutiques d'art de ra rue Bonapaite. ra seine geoises que re lycée Feneron valeurs bour-
nous arrêtions devant le Tabou oü Nous yeux' Pour nous, re communisme incarnait à nos I
Ie souvenir de Juliette Gréco. Nous flottait encore dien L'r;fuwrs sentaient r" -*À"fre. *i *ãr, quoti_ I
feuilletions Je pense que I
des. bguquins à ra Hune. Nous
1orgnioils R_ichard MIle Lernarchand s'imaÉi"ãii comprencire
Wfght, massif cornme un bonze à Ia terrasse raisons de ma mauvaise -"oid*it. res I
caf,é de Tournon. Nous n'avions d.u
sait de les exarniner. En m,invitant .f ;; propo_ I
rien
Mais sandrino m'arrait parlé o* ,o* engagement iu d,e rui. mon pays, elle ne voulait pas à parrer cic I
politique et de ses rotrnans, Btack seulernent n()r,§
Bo-y-, Native
distraire- Elie rn'of,frait I'o*à*rion
de nrc
t
son.l'aet ,Fzsh.bet$,. L'année scolaire finii Iitrc.r.t.r.
tt ce qui, d'aprês eJIe, *;-;;sait I
dete du retour à ia c,r"ãàIoupe par finir
pu, sur Ie c(r.rr.
et cette proposition bien t
cher- Ma rfiàre avaiÊ acheté tout ce appro_
qui pouvai. gea au contrair-e dans inteãtionnée,,i",r.rr
un gou Í.fl-c: r It, r.ol I t
sion. C'étaít, rappelons_le, ?c,
r r
114
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::.ffi
:*.ffi:.:
années 50.La littérature des Antilles ne fleuris- gré tout de retrouver son sourire de lumiêre et
sait pas encore. Patrick Chamoiseau dormait '-â"í ieprenait ses maniêres rassurantes de grand
inform é au fond du ventre de Sa mamall', et moi- i fràre. Nous fouillâmes dans ses livres empilés
même, je n'avais jamais entendu prononcer le
:
j en désordre sur les meubles et dans la poussiàre
nom d'Aimé Césáire. De quel auteur de mon i
du plancher. GouveruteLrr de la rosée de Jacques
pays pouvais-je p_arler ? J; courus vers mon Roumain. Il s'agissait d'HaÍti. Il me faudrait
recours habituel : Sandrino- I e.xposer le vaudou et parler d'un lot de choses
E avant bien fnangé, Sandrino. Sans qu'on le que je ne connaissais pas. Bon Dieu rit d'Edris
t
abandonné. It vivait dans une solitude extrême i tomba sur un trésor. La Rue Cases-Nàgres de
au neuviàme étage SanS ascenseur d'un minable i Joseph ZobeL C'étatt la Martinique. Mais la
garni de La r-ue de l'Ancienne-Comédie- Cat, Martinique est l'ile seur de la Guadeloupe.
J'emportai La Rue Cases-Nàgres et m'enfermai
1
i
avec José I{assan.
coupé les vivres. Il subsistait fort mal de i Ceux qui n'ont pas lu La Rue Cases-Nàgres
l'arÊent que rna màre lui adressait en cachette, ont peut-être vu le film qu'Euzhan Palcy en a
amàigri, essotlfflé, SanS forces, tapant avec trois t i
trré. C'est I'histoire d'un de ces << petits-nêgres >>
doigti sur une machine à éçnre poufsive des que rnes parents redoutaient tellement, qui gran-
I
*zrãoscrits qu'invariablement les éditeurs lui
i
dit sur une plantation de canne à sucre dans les
renvoyaient avec des f,ormules stéréotypées I affres de X"a faim et des privations. Tandis que sa
maman se loue ch.ez des békés de la ville, il est
I
les dômes du Kremlin, 1; place Rouge et le mau- i meurt, Je pleurai à chaudes larmes en li,sant les
solée de tr-énine. Comm e pffi le paísé, il ne rn'e derniêres pages du romaÍr? les plus betrles à mon
laissait pas lire ses ronlans et je m'eff,orçais sans t, avis que Zabel aLt jarnais écrites"
I
., ..-.*-*irifll
ll
f[ées, durcies, craquelées à chaque repri, et
craquelure incrustée d'une borr" indélé- et collier grenn'd'ô autour du cou, jouait aux
-ch-aque
bile- Des doigts encroüté§, déviés en tous sens bitako. comme il n'y avait pas d,eaü courante,
aux bouts usés et renforcés par des ongles pü;; on se bouchonnait avec des feuilles, tout nu
pràs de la citerne. On faisait ses besoins dans
Pour moi, toute cette histôire étatt parfaite_ un toma*._ Le soir, on s'éclairait à la lampe à
ment exotiquê, suméaliste. D,un seul coup tom_ pétrole. Yon pêre enfilait un pantalon et une
bait sur mgs épaures re poids de I'escravage, de chemise de drill kaki, abritait sa tête d,un
la Traite,,de I'oppressioir coloni are, de t,.ipioi_ bakoua et s'armai.t d'un coutelas avec lequel ii
tation d. par |homrne, des préjuge, o" ne sabrait guàre que les herbes de Guinée. Nous
J'hommé
couleur dont personne, à part quetqüefois les enfant_s, éperdus de bonheur d, aérer nos
drino, n1 _me parrart jamais. Je^ savãis úi;"san-;ã,
orteils et de pouvoir salir ou déchirer nos vieux
que les tslancs ne fráquentaient pas les Noirs. vêtements, nous dévalions les savanes à la
CependaSt ,- j, attrib,rãis cela, ^"o**. recherche d'icaques noires et de goyurà, roses.
parents, à leur bêtise et à leur aveuglement mes Les verts champs de canne semblaient nous
insondables. Ainsi, Élodie, ma grand-mêre in'iter- Parfois, intimidé par notre rnine de petits
maternelle, apparentée à des -blrrr.s_pays citadins et notre parler français, Lln cultivateur
-était-
qui assis à deux banãs d'église du nôtre ne tour_ nous tendait
lgrpectueusement une canne kongo
dont nous déchirions
naient jamais la tête vers nous. Dommage pour l'écorce violacée à belles
eux ! car ils se privaient du bonheur oe posséd.er dents.
une relation comrne ma mêre, la réussilte de sa Pourtalt, j_'eus peur d.e faire pareil aveu- J,eus
génération. Je ne pouvais en alrcune maniàre peur de révéler l'ab?me qui rrre séparait de José.
Aux yeux de ce profesteur coámuniste, arlx
Spprénender l'univêrs funeste de la plantation. yeux de la classe tout entiàre, les vraies Antitries,
Les seuls moments oü j'aurais pu rencontrer Ie
I
:
monde rural se rimitaient aux vacances scolaires c'étaient celles que j'étais coupable de ne pas
que nous passions à sarcelles. Mes pareÍrts pos_ conna?tre. Je commençai par me révolter eil pen_
sédaient da*s ce coin alors tran{uille de la sant que l'identité est cofiune uÍl vêtement qu,il
Easse-Terre une rnaison de changement d,air faut enfiler bon gré, rnal gré, qu,il vous siée ou
et
une assez belle propri été que éoupait par le lon- Puis, je cédai à la presiion er enfila i le
défroque qui rn'étatt offer{e.
mitan tra riviêre qúi dõnnait son noÍ-n à l,endroit"
Là, pour quelqúes sernaines, tout le monde, - Quelqlres se.maines plus tard, je fis devani la
excepÊé ma rnàre, Éoujours sur son quant-à-soi, classe suspendue à rfles làvres un brillant
cheveux soigneusement décrêpés sous sa résitle exposé" Depuis des jours, mon ventre traversó
des gargouiilis de la-faim s'étair uairo" Ãe. Mcs
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