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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine.

AMVEF- 2007

Code de la famille au Maroc :

Égalité de genre dans


le partage du patrimoine

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Etude publiée par :


L’ Association Marocaine de lutte contre la Violence à
l’égard des Femmes

Rédaction :
Pr. Laarbi JAIDI
Coordination :
Hayat ZIRARI et Saâdia WADAH
avec l’appui de
Najia ZIRARI et Yamna GHABBAR

Partenaire :

UNIFEM
www.unifem.org

Coordonnées de l’association :
37, rue Abderrahman Sahraoui, App 6, 5ème étage- Casablanca / MAROC
Tel/Fax : 00 212 22 26 86 66 /67
E.mail : ecoute@menara.ma
Site web : www.amvef.org

ISBN : 9954 - 8475 - 8 - 8


Dépôt légal : 2008 MO 0931

Impression :
Comuneg - Casablanca - Maroc

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Code de la famille au Maroc :

Égalité de genre dans


le partage du patrimoine

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Table des matières

Code de la famille : Égalité de genre dans le partage du patrimoine. ..................1

Table des matières ................................................................................................5

Liste des tableaux .................................................................................................7

Listes des encadrés ...............................................................................................8

Remerciements .....................................................................................................9

Préface ................................................................................................................. 11

Chapitre Introductif : Objectif et méthodologie de l’étude ...........................15


1- L’objectif central de l’étude .......................................................................17
2- La démarche méthodologique ....................................................................19

Chapitre 1 : Le Code de la Famille : L’enjeu du partage des biens ..............26


1- Les tendances du mariage et du divorce ....................................................27
2- L’article 49 du Code de la Famille : un enjeu ............................................33

Chapitre 2 : La mesure du travail domestique : Evaluation de la production


non marchande des ménages.............................................................................49
1- Le traitement de la production non marchande dans le SCN....................52
2- La mesure de la production non marchande des ménages .........................57
3- Quelques résultats ......................................................................................64

Chapitre 3 :
Le temps de travail invisible : L’approche par le budget temps....................71
1- Le budget-temps et les activités non rémunérées ......................................71
2- Finalité et méthode des enquêtes budgets-temps? ....................................73
3- Le temps de travail non comptabilisé et non rémunéré au Maroc : une
mesure appropriée de l’activité économique ..............................................78
4- La répartition du temps de travail domestique: un éclairage
sur le travail invisible des femmes .............................................................84
5- Les limites de l’usage de l’enquête ............................................................88

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Chapitre 4 :
L’Expérience internationale : les conséquences patrimoniales du divorce...92
1- Trajectoire des régimes patrimoniaux ........................................................94
2- La liquidation du régime matrimonial en Allemagne ................................99
3- La liquidation du régime matrimonial en Angleterre et pays de Galles ..102
4- La liquidation du régime matrimoniale en Espagne ................................105
5- La liquidation du régime matrimoniale en France ...................................109

Chapitre 5 : Leçons de l’expérience internationale : Eclairage sur le régime


des acquêts ........................................................................................................ 113
1- Les critères de choix d’un régime: ........................................................... 114
2- Le régime de la participation aux acquêts................................................121
3- Le régime matrimonial de participation aux acquêts : exemple ..............128

Chapitre 6 : L’Expérience internationale : les pays arabes et la Turquie...136


1- L’Egypte: Les droits des femmes en matière de divorce .........................136
2- La Turquie : un modèle ambivalent .........................................................147
3- La Tunisie ou le modèle écorné ...............................................................156

Chapitre 7 : Al Kad ou S’aya : une référence juridictionnelle ? .................165


1- Signification du concept...........................................................................165
2- Les éléments de droit du Kad ou S’ayaa .................................................167
3- Le droit d’Al Kad ou S’aya : ses racines et son adaptation .....................168
4- L’adaptation juridique d’ Al Kad ou S’aya ..............................................173

Chapitre 8 : Les études des Cas : quels enseignements ? .............................175


1- Restitution des cas....................................................................................175
2- L’article 49 : Appréciations sur sa mise en application ...........................194

Chapitre 9 : Recommandations de l’étude ....................................................222

Bibliographie ....................................................................................................247

Présentation de l’Association ..........................................................................253

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Liste des tableaux


Tableau 1:
Aspects des changements dans la condition féminine au Maroc ...................42
Tableau 2:
Droit des femmes de disposer librement de leur revenu ................................43
Tableau 3:
Degré de participation de la femme à la prise de décision dans la sphère
familiale (en % et arrondis) ............................................................................44
Tableau 4:
Principales tendances favorables à l’égalité selon le sexe en fonction des
thèmes traités ..................................................................................................46
Tableau 5:
Perceptions sur la répartition des biens selon le sexe et le statut matrimonial ..47
Tableau 6:
Estimation annuelle du travail de travail domestique (homme et femme) .....65
Tableau 7:
Contribution de la femme au travail domestique total (%) ............................66
Tableau 8:
Répartition du temps entre activités domestiques ..........................................67
Tableau 9:
Valeur monétaire du travail domestique en % du PIB ...................................67
Tableau 10:
comparaison des taux d’activité féminine observés par la méthode budget-
temps et la méthode courante .........................................................................83
Tableau 11:
Profil de l’emploi du temps de la femme marocaine (15 à 70 ans) : temps
moyen par femme exprimé en heures et minutes par jour .............................86
Tableau 12:
Répartition du temps disponible (en % des 24 heures) de la femme selon les
occupations professionnelles et domestiques et les caractéristiques socio-
démographiques et les milieux .......................................................................88
Tableau 13:
Exemple d’un cas simple..............................................................................129
Tableau 14:
Statistiques des actes relatifs à la gestion des biens pendant la vie conjugale ..205
Tableau 15:
Synthèse des études de cas ...........................................................................240

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Listes des encadrés


Encadré 1 : Les types de régimes matrimoniaux 94
Encadré 2 : La loi n° 98-91 du 9 novembre 1998 relative au
régime de la communauté des biens entre époux : 100

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Remerciements

L’AMVEV et l’auteur de ce travail tiennent à remercier :

Mr Mohammed Lididi Secrétaire Général du Ministère de la


Justice
Mr Brahim Lisser : Directeur des Affaires Civiles au Ministère de
la Justice
Mme Zineb Benjeloun Touimi : Directrice Régionale des
Programmes UNIFEM pour l’Afrique du Nord
Les Présidents des sections Tribunaux de la Famille des Cours de
Première Instances des villes de :
Casablanca : Mr Abdelhak Bel Akkouch
Agadir : Mr Abderrahman Lassili
Marrakech : Mr Mobarak El Hannouni
Ben Ahmed : Mr Mohamed Dahane
(Président du tribunal du 1ère Instance)
Mr Mohammed El Khamlichi et Mme Zhor Al Hor, membres de la
Commission Royale sur la réforme du Code de Statut Personnel
L’équipe permanente du Centre d’écoute et d’Orientation Juridique
et de Soutien Psychologique Pour femmes Victimes de Violence de
l’AMFEV.
Toutes les personnes, hommes et femmes, ressources qui ont appuyé
et aidé à la réalisation de ce travail.
Sans leur soutien et leur apport, ce travail n’aurait pu être conduit à
son terme. Qu’elles trouvent, ici, l’expression de notre gratitude.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Préface
Dans le cadre du suivi de la mise en œuvre du code de la famille,
l’Association marocaine de lutte contre la violence à l’égard des
femmes a engagé plusieurs initiatives dans l’objectif de consolider
les acquis et veiller au respect de la philosophie sous jacente au
nouveau code de la famille, à savoir l’égalité et l’équité entre les
deux époux.
Pourquoi une étude portant sur la mise en oeuvre de l’article 49 et
les perspectives de son application ?
A quoi réfère cet article – si contesté lors de l’élaboration du
projet de réforme du statut personnel- du code de la famille ?
Pourquoi il présente autant de difficultés de sa mis en œuvre ?
La répartition des ressources matérielles au sein du couple
interpelle t-elle le rapport à l’argent et à la propriété entre les hommes
et les femmes dans notre société ?
Les contraintes rencontrées sont-elles liées à la sensibilité de la
dimension matérielle dans la relation entre les époux ?
L’analyse du processus et des conditions de «production» de
l’article 49, quant à lui, a mobilisé beaucoup d’acteurs publics et a
donné lieu à plusieurs rumeurs et déformations non conformes au
texte initial.
L’article reflète un consensus qu’on peut dire fragile entre deux
conceptions du règlement des différents au sein du couple sur la
gestion du patrimoine, et tous les débats au sein de la commission de
la réforme du code de la famille en témoignent.
L’article 49 débattu au sein de la commission se référait
implicitement au travail domestique et la prise en compte de cet
effort invisible des femmes ; il aurait ouvert la perspective d’une
reconnaissance du travail domestique.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

L’observation et le suivi de l’application du code de la famille


reflètent les difficultés de mise en œuvre de l’article 49 et posent
des questionnements concrets, non encore élucidés par l’article lui-
même.
Quels sont les critères à retenir pour l’évaluation de l’apport de la
femme à la constitution et la valorisation du patrimoine familial?
Comment prendre en compte le travail domestique comme
estimation de l’effort par la femme dans l’acquisition et la fructification
des richesses accumulées dans la phase de la relation conjugale?
Le recours méthodologique aux techniques économiques comme
la comptabilité nationale, le budget temps peut aider à objectiver
l’évaluation de l’effort fourni par la femme.
La question de la jurisprudence se pose parce qu’elle peut
constituer une réponse explicite aux questionnements que suscite
la mise en œuvre de ce dispositif du code de la famille. Mais la
jurisprudence est encore embryonnaire aujourd’hui. En témoigne
le très faible recours aux contrats facultatifs entre les époux sur le
partage des biens au moment du mariage, étant donné que les époux
disposent de l’option de conclure un accord à propos de la gestion
des biens acquis après la conclusion du mariage, tout en préservant
leurs patrimoines respectifs distincts l’un de l’autre, et que chaque
conjoint garde la libre disposition de ses biens propres.
Très peu de cas recourent à la contractualisation et on observe très
peu des cas de divorce où cet article a été activé depuis l’adoption du
code de la famille. Les rares cas où les tribunaux se sont prononcés
sur la mise en œuvre de cet article ont mobilisé les registres de la
coutume ou de la morale pour répondre favorablement aux requêtes
des femmes sur le partage des biens acquis dans la période de la
relation conjugale (voir les cas exposés dans le cadre de cette
étude).
L’étude de la problématique de la gestion du partage et du
patrimoine familiale à travers quelques cas de pays où le mécanisme
du partage des biens est régi par la loi, ou qui ont des référentiels

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

juridiques très différenciés, droit musulman comme droit positif, a


été recherché à travers l’étude pour faire ressortir les apports et les
limites de ces expériences sur la question de la gestion du patrimoine
et de permettre aussi une approche comparative entre des contextes
socio-économiques qui sont très différents.
Pour l’association, l’étude a comme objectif essentiel de réfléchir
sur le mode de partage des biens acquis pendant le mariage, par le
recours à une évaluation de l’effort déployé par la femme dans la
constitution de ces biens.
Il est entendu que pour nous, la contribution de l’association
par les études de terrain qu’elles réalisent participe à l’effort de
clarification objective et scientifique des dispositifs du Nouveau
Code de la Famille ; ce qui pourrait aider le système judiciaire à
renforcer l’interprétation du Code allant dans le sens de l’égalité de
genre.
L’étude que nous présentons aujourd’hui n’est pas strictement
juridique ; elle mobilise les techniques de la science économique
dans la perspective de mesurer et d’évaluer l’effort du travail des
femmes d’un point de vue quantitatif et qualitatif. La complexité de
la question a exigé une ouverture sur les aspects multidimensionnels
de cette problématique, à savoir les dimensions institutionnelles,
juridiques et économiques.
Nous sommes très heureuses de présenter cette étude réalisée grâce
à l’appui de l’UNIFEM (Fond des Nation Unis pour la Femme), au
partenariat avec le ministère de la justice et à la collaboration des juges
qui ont répondu favorablement aux sollicitations de l’association.
L’étude sur le partage des biens est aussi le résultat d’un effort
collectif qui nous permettra de sortir avec des recommandations et
une vision quant à la mobilisation des parties prenantes pour la mise
en œuvre de cet article. Je remercie sincèrement toutes les institutions
et les personnes qui ont aidé à sa réalisation.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Sans la mobilisation des membres de l’association, des personnes


ressources ami(e)s de l’association et la disponibilité du chercheur,
cette étude n’aurait pas pu voir le jour.
Que tous ceux et celles qui y ont participé soient ici remercié/e/s.

Association Marocaine de Lutte contre


la Violence à l’Égard des Femmes

Mme Hayat Zirai


Présidente

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Chapitre Introductif :
Objectif et méthodologie de l’étude
La réforme du Code de Statut Personnel (Moudouwana), en
février 2004, a permis d’ouvrir de nouvelles perspectives au
changement de la condition de la femme. Le Code de la Famille a
constitué une avancée sociale indéniable entre autres par la mise en
place de mesures relatives au divorce qui permettent une plus grande
protection des droits des femmes; l’énoncé d’une disposition de
partage des biens acquis pendant le mariage ; la mise en place de
juridictions spécialisées dans le droit familial, i.e. les Tribunaux de
la Famille etc..
Toutefois, le nouveau texte ne décline pas de façon explicite les
modalités de partage des biens acquis durant la vie conjugale, ce qui
laisse une porte ouverte à une interprétation libre de la doctrine. En
outre, un décalage considérable existe entre la norme juridique et
l’application du droit – prioritairement dans le cas des femmes.
La question du partage des biens acquis au cours de la période
conjugale est d’une grande importance pour plusieurs raisons :
D’un côté, rappelons que malgré l’allongement de la période du
célibat, le mariage demeure la réalité lourde, massive, dominante
d’une vie conjugale. Dans la perspective de diminuer la conflictualité
des divorces, le législateur a introduit des innovations dans le code de
la famille en ouvrant la possibilité aux époux de se mettre d’accord
sur les conditions de fructification et de répartition des biens qu’ils
auront acquis pendant leur mariage.
Mais d’un autre côté, le divorce tend à devenir un acte volontaire
des deux époux. Si le Code de la famille a permis une simplification
relative des procédures dans le cadre général du divorce, il n’a pas
encore résolu les critiques adressées aux modalités de partage des
biens en cas de divorce. A cet égard, puisque l’on veut adapter la
législation à l’état des mentalités, l’humanisation du divorce passe
donc par le respect de règles équitables dans le partage des biens.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Il convient d’ailleurs de noter que la procédure de divorce est,


statistiquement, un des grands motifs pour lequel nos concitoyens ont
recours à la justice. En outre, le nombre, les modalités et le «climat»
des divorces, surtout sur les questions de pension alimentaire et de
conflits sur les biens conjugaux constituent l’un des révélateurs de
l’équilibre existant entre les genres.
Les pratiques actuelles sont unanimement considérées comme
conflictuelles et insuffisamment tournées vers la gestion du partage
des biens dans l’après-divorce. D’où la nécessité de répondre à
l’évolution d’un contexte par une refonte de l’architecture du
partage des biens en cas de divorce.
Face à l’évolution du contexte social et de l’avancée
institutionnelle, il apparaît logique de chercher à synchroniser au
mieux le prononcé du divorce et la liquidation du patrimoine. Cette
synchronisation apparaît aussi comme un élément fondamental pour
une humanisation de la séparation. Or, la diversité des situations
familiales aujourd’hui nécessite une réflexion fine sur les modalités
de partage des biens. Il faut donc construire techniquement et
juridiquement cette proposition.
Au-delà des enjeux juridiques, la réforme du divorce s’insère dans
un contexte économique et social général où l’égalité des situations
et des chances entre les hommes et les femmes reste insuffisante.
Elle doit contribuer à faciliter le législateur de se prononcer sur
la question du partage des biens en gardant à l’esprit les facteurs
fondamentaux qui déterminent les ressources des conjoints, avec
notamment des inégalités de revenus entre hommes et femmes.
Il s’agit de tenir compte du fait qu’un époux n’a pas pu exercer
une activité professionnelle ou a eu une activité professionnelle
moins rémunérée que celle de son conjoint, par exemple, parce qu’il
a dû s’occuper de l’éducation des enfants.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

1. L’objectif central de l’étude


Les termes de référence de la consultation précisent l’objectif
principal de l’étude : il s’agit de « L’élaboration d’un modèle
méthodologique d’évaluation du travail domestique, permettant un
partage équitable des biens cumulés durant la vie conjugale dans le
cas de dissolution du lien de mariage ou de décès du conjoint ».
Le Code de la Famille, a introduit dans son Titre VI sur les
conditions consensuelles pour la conclusion du mariage et de leurs
effets des innovations par rapport au Code antérieur.
L’article 49 stipule que :
« Les deux époux disposent chacun d’un patrimoine propre.
Toutefois, les époux peuvent se mettre d’accord sur les conditions de
fructification et de répartition des biens qu’ils auront acquis pendant
le mariage.
Cet accord fait l’objet d’un document distinct de l’acte de
mariage.
Les adoul avisent les deux parties, lors de la conclusion du
mariage, des dispositions précédentes.
A défaut de l’accord susvisé, il est fait recours aux règles générales
de preuve, tout en prenant en considération le travail de chacun des
conjoints, les efforts qu’il a fournis et les charges qu’il a assumés
pour fructifier les biens de la famille. »
Ce nouvel article annonce une nouvelle règle relative au partage
du patrimoine, au cas où les deux époux ne précisent pas au préalable
les conditions de fructification et de répartition des biens qu’ils auront
acquis pendant le mariage.
L’article fait référence aux notions du travail de chacun des
conjoints, des efforts fournis et des charges qu’il a assumés pour
fructifier les biens de la famille. Trois ans après l’entrée en application
du Code, un certain nombre de question restent posées sur les termes
et les enjeux de l’application de l’article 49.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• L’entrée en vigueur du Code a-t-elle été confrontée à une


conflictualité des époux en matière de partage des biens ?
• La justice a-t-elle été confrontée à un changement en matière de
décision de répartition des biens ?
• La décision des juges en matière de partage des biens acquis
pendant la période du mariage s’est-elle basée sur les critères énoncés
par l’article ?
• Des changements ont-ils introduits dans les accords entre les
époux à la conclusion de l’acte de mariage ?
• Quelle interprétation donne le juge aux notions de travail de
chacun, de l’effort fourni, des charges assumées ?
• Ces notions de travail incluent-elles la prise en considération du
travail domestique et invisible des femmes au quel cas, quel est son
contenu ? Quel a été le critère utilisé pour la mesure de ce travail ?
Quel a été l’équivalence monétaire retenu ? Quel contenu a-t-il été
donné à la notion de patrimoine ?
• La question de l’applicable de l’article 49 a-t-elle apporté des
changements dans le règlement des différents ou a-t-elle laissé
inchangées les dispositions en matière de partage des biens après le
divorce ?
L’objectif central de l’étude consiste donc à : contribuer à la
mise en place d’un cadre juridique clair et complet en matière
répartition des biens acquis pendant le mariage et de garantir
aux époux des solutions appropriées en ce qui concerne la
sécurité juridique, la prévisibilité, la flexibilité et l’équité dans
le partage.
Les termes de référence de l’étude évoquent aussi un autre objectif
connexe dans le champ d’analyse : la question du partage des biens
en cas de décès. La réflexion sur les critères de partage des biens en
cas de divorce contribuera à :
‹ Créer un environnement favorable à l’inclusion de la
question de l’inégalité de l’héritage dans le débat public;

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

‹ Repenser la question successorale à la lumière des


évolutions législatives et juridictionnelles que le Maroc
enregistré au cours de ces dernières années;
‹ Renforcer le plaidoyer pour une équité dans le partage
successoral.
Comme le régime successoral du droit positif se trouve au
croisement du droit de statut personnel et du droit patrimonial (droit
des biens) la question sera posée à la lumière de la réflexion sur les
critères du partage.

2. La démarche méthodologique
Dans la formulation des attendus de l’étude, les termes de référence
évoquent l’élaboration d’un modèle méthodologique d’évaluation
du travail domestique qui permettrait un partage équitable des biens
cumulés durant la vie conjugale.
Tout d’abord, il nous semble que la notion de modèle ne correspond
pas à la nature des tâches et de l’attendu de l’étude.
Une modélisation suppose l’observation d’une série de cas
et la définition de propriétés communes à ces cas pour les rendre
exprimables en une seule représentation cohérente et susceptible
d’expliquer tous les cas empiriques rencontrés dans la réalité.
Ce type de convention s’applique mal à une réalité complexe qui
nous interpelle, celle de définir un mode opératoire pour résoudre le
partage équitable d’un patrimoine considéré comme commun. Ce
critère doit faire référence au travail domestique, lui-même estimé
à partir de tâches multidimensionnelles, réalisées par des personnes
aux qualifications différentes, sur la trajectoire d’une vie et qu’il
s’agit d’exprimer en valeur monétaire.
Des situations aussi complexes ne peuvent faire l’objet d’un
processus d’abstraction uniformisant la diversité en un seul modèle
explicatif ou interprétatif. Nous préférons aborder la question en :

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

‹ précisant les séquences du questionnement auquel nous


devons répondre,
‹ discutant la validité de recourir à l’évaluation du travail
domestique comme critère du partage des biens, en présentant
les différentes méthodes utilisées pour évaluer le travail
domestique,
‹ ouvrant le champ de la réflexion sur les expériences
internationales relatives au partage des biens acquis au cours
de la vie conjugale.
Aussi, la première phase de l’étude portera sur l’analyse du
contexte du Code de la famille en mettant en exergue :
‹ l’apport du Code la Famille et les difficultés de sa mise en
œuvre,
‹ l’analyse des tendance de la divortialité au Maroc et ses
rapports avec le partage des biens,
‹ la clarification de l’article 49, de son esprit, de ses ambiguïtés,
des perceptions et enjeux autour de son application,
‹ le référentiel juridique que présente la pratique d’Al Kad
wa si’âya : son apport et ses limites.
La seconde phase de l’étude s’articulera autour des
questionnements suivants : La mesure et l’évaluation du travail
domestique «invisible» et non rémunéré des femmes peut-elles
être un critère fiable?
Le travail domestique, «invisible» et non rémunéré des femmes
occupe un temps appréciable de la journée mais il ne fait pourtant pas
partie des activités comptabilisées dans l’évaluation de la production
de la richesse dans notre société.
Le volume même du travail «invisible» et non rémunéré plaide
largement en faveur de sa mesure en temps et de l’évaluation de sa
valeur. C’est pourquoi il a été recommandé dans les lignes directrices
des réformes des Systèmes de comptabilité nationale dans le cadre

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

des Nations Unies que les pays élaborent des «comptes satellites» de
la production des ménages.
Il est de plus en plus pertinent de bien saisir le travail non rémunéré
des ménages dans le cadre des décisions en matière de politiques
économiques et sociales. Des questions comme le nombre d’heures
consacrées par les femmes à divers types de travail non rémunéré
au cours de l’année, l’évolution de ces heures au fil du temps, et la
contribution des femmes, font ressortir les coûts cachés (du point
de vue de la production non marchande réduite des ménages) de la
croissance économique.
Les données sur les résultats et la productivité du travail invisible
et non rémunéré, ainsi que sur les différences de qualité entre les
services fournis par les membres des ménages peuvent contribuer à
une évaluation plus équitable de la contribution de chaque membre
du couple à la création de sa richesse matérielle, à l’accumulation du
patrimoine familiale.
Des études sur la mesure du travail domestique non rémunéré
des ménages, en général, et de celui des femmes, en particulier, ont
été menées partout dans le monde. Différentes travaux académiques
ou institutionnels ont permis d’élaborer des méthodes de cerner des
pratiques de mesure et d’évaluation du travail non rémunéré.
Il sera utile pour les objectifs de l’étude de présenter cette revue
de l’Etat de l’Art sur la question et comprenant un aperçu des
pratiques utilisées. Ces pratiques mettront en lumière les différences
entre les tâches domestiques non rémunérées effectuées par les
femmes, et feront ressortir le rôle important que jouent les femmes
dans la production des ménages, ainsi que l’évolution continue de
ces différences au fil du temps.
A la Direction des Statistiques, on n’a pas entrepris de travaux
pour compiler un compte satellite complet, mais il existe quelques
études en ce qui a trait à la compilation de la composante du travail
de la production des ménages. Il s’agit notamment de l’étude sur le
Budget-temps et des travaux sur le secteur informel.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Ces études peuvent servir à approcher le travail domestique


invisible des femmes, surtout en milieu rural. Il s’agira d’examiner
leur apport quant à la possibilité de les utiliser dans l’évaluation du
partage des biens accumulés dans la vie conjugale.
Cette seconde phase de l’étude s’attachera à :
‹ présenter et analyser les méthodologies appliquées au Maroc
et dans d’autres pays pour la mesure du travail domestique et
invisible et des femmes,
‹ discuter la validité technique de l’applicabilité de ce critère
au partage des biens acquis dans la vie conjugale.
La troisième phase de l’étude portera sur l’analyse des régimes
matrimoniaux dans des pays étrangers. Sa finalité est d’offrir un cadre
comparatif sur les pratiques juridiques des partages des biens lors du
divorce, les règles juridiques relatives aux rapports pécuniaires des
époux entre eux résultant du mariage et vis-à-vis des tiers.
Deux ensembles de pays ont été retenus. Des pays reflétant des
expériences différentes en Europe (Allemagne, Angleterre, Espagne
et France) et dans le monde arabe et asiatique (Egypte, Tunisie,
Turquie).
Dans ces divers pays, il existe différents types de contrats de
mariage :
‹ Les régimes séparatistes : le plus courant est la séparation
des biens pure et simple. Dans ce régime, les biens que les
époux avaient avant leur mariage continue à leur appartenir
personnellement, les biens acquis ou reçus pendant le mariage
appartiennent à celui des époux qui les a acquis ou reçu.
‹ Les régimes communautaires : les plus courants sont la
communauté universelle, la communauté réduite aux acquêts
et la communauté de meubles et acquêts.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

‹ La participation aux acquêts : ce régime fonctionne comme


la séparation des biens pendant le mariage et comme le régime
de communauté réduite aux acquêts après. En effet le principe
de ce régime est de faire un état du patrimoine de chacun
au moment du mariage puis un autre à la fin du mariage.
L’enrichissement entre les deux est partagé entre les époux.
L’étude de l’expérience internationale décrira les conséquences
patrimoniales du divorce dans ces pays retenus.
Pour chacun de ces pays, elle présentera les principales
caractéristiques des régimes matrimoniaux, plus particulièrement
les différents transferts financiers et patrimoniaux entre conjoints
après le prononcé du divorce. Elle décrira aussi la liquidation du
régime matrimonial et précisera le sort du patrimoine et du logement
familial à l’issue du divorce.
Le résultat attendu de cette analyse comparée des modalités de
partage des biens pratiquées dans ces pays et d’examiner dans quelle
mesure les modes opératoire du partage peuvent s’appliquer à notre
réalité et être adaptés à au cadre réglementaire défini par le Code de
la Famille.
La quatrième phase de l’étude a un caractère empirique. Il
s’agit à travers les enquêtes sociologiques et judiciaires de toucher
un autre aspect de la question : celui des usages sociaux et du vécu
des acteurs
Les termes de référence de l’étude proposait de s’appuyer dans
l’étude sur les pratiques de terrain de quelques tribunaux. Après
consultation le choix des sites s’est porté sur les tribunaux de :
‹ Casablanca
‹ Ben Ahmed
‹ Inezegane
‹ Marrakech

23
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Une enquête qualitative sur les pratiques du partage a été réalisée.


L’objectif de l’enquête était d’examiner les logiques qui opèrent
dans les règlements des différends portés par des conjoints auprès
des tribunaux.
L’enquête s’est fondée sur le dépouillement de dossiers et sur
les discours que tiennent des professionnels de la justice lorsqu’ils
parlent des pratiques de partage. Un tel discours est censé révéler
les représentations ainsi que les pratiques, mêmes si les pratiques
peuvent être différentes des discours et des représentations.
Trois questions de départ ou trois axes de recherche vont orienter
cette enquête qualitative sur la pratique du partage des biens.
‹ Dans quelle mesure les mariages contractés depuis la mise
en œuvre du Code de la Famille font-il référence et intègrent-
ils un contrat sur le partage des biens ? Quelle est la nature
de ces contrats, sur quoi portent-ils (qu’est-ce qui se partage
et qu’est-ce qui ne se partage pas ?) quels sont le supports
juridiques de ces contrats ?
‹ Dans quelle mesure les divorces génèrent-ils une
conflictualité sur le partage des biens ? Sur quel patrimoine
porte le conflit ? Qu’est-ce qui est l’objet de négociations ?
‹ Comment agissent et décident les juges pour le partage des
biens ?
Dans le premier axe, la question était de savoir quels biens et
quelles propriétés sont mis en partage (logement, terre, biens
immobiliers, argent, actions…) ?
Dans le second axe, l’analyse a porté sur les critères auxquels
recourent les juges pour établir leur décision, le contenu de ces
critères, leur pertinence, leur conformité aux principes énoncés par
la loi, leur applicabilité.
Les deux axes conjugués ont renseigné sur l’économie et
l’idéologie du partage dans une perspective dynamique qui permet
d’appréhender les différences, les changements intervenus au niveau
des pratiques et des représentations.

24
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Pour chaque cas de divorce étudié la démarche suivante sera


observée :
‹ La restitution des faits et du contexte;
‹ Le déroulement du procès;
‹ La décision du juge;
‹ Le principe ou le critère retenus pour le partage.
Cette démarche sera couplée à un recueil d’avis et d’appréciations
des juges sur l’applicabilité de l’article, ses difficultés, ses
contraintes.
Une analyse a été effectuée sur les pratiques observées au regard
du principe de l’équité du partage des biens. Des déductions et
des conclusions seront tirées sur ces pratiques et leur conformité à
l’esprit de la loi pour faire émerger les contraintes rencontrées et les
attitudes favorables à l’équité.
Différentes institutions ont été consultées en cours d’études pour
rassembler les données nécessaires à sa réalisation et pour sensibiliser
des divers acteurs sur son contenu et solliciter leur appui : il s’agit
notamment du Ministère de la Justice, de la direction des statistiques,
du secrétariat d’état à la famille, des professionnels de la Justice, de
l’UNIFEM. Des hommes et des femmes ressources ont été aussi
sollicités pour leurs avis.

25
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Chapitre 1 :
Le Code de la Famille :
L’enjeu du partage des biens
La réforme du Code de Statut Personnel (Moudouwana), en
février 2004, a permis d’améliorer le statut juridique des femmes
marocaines et d’ouvrir de nouvelles perspectives au changement
de leur condition. Cependant, trois ans après la mise en œuvre
du Code, beaucoup reste à faire pour garantir l’effectivité de la
loi et ses dispositions, consacrer l’égalité entre les époux dans la
responsabilité partagée de la famille, renforcer la mise en place des
moyens institutionnels nécessaires à la bonne application du droit et
ainsi contribuer à la considération des droits humains des femmes
au Maroc.
D’autre part, le Code a constitué une avancée sociale indéniable
entre autres par la mise en place de mesures relatives au divorce
qui permettent une plus grande protection des droits des femmes;
l’énoncé d’une disposition de partage des biens acquis pendant le
mariage ; la mise en place de juridictions spécialisées dans le droit
familial, i.e. les Tribunaux de la Famille, etc..
Cependant, le nouveau texte connaît des limites à la consécration
des droits humains des femmes. Par exemple, il ne décline pas de
façon explicite les modalités de partage des biens acquis durant la
vie conjugale, ce qui laisse une porte ouverte à une interprétation
libre de la doctrine. En outre, un décalage considérable existe entre
la norme juridique et l’application du droit – prioritairement dans
le cas des femmes. En effet, les bilans de l’application du Code
de la Famille sont encore mitigés. Les diverses études, recherches
ou études thématiques réalisées viennent rappeler, au moins, cinq
constats:
• Le Maroc s’est engagé dans un processus important et irréversible
de réformes, notamment des droits humains des femmes ;

26
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• Le changement du vécu familial des femmes marocaines est


un processus relativement long, particulièrement pour les femmes
exposées aux pires discriminations et violences;
• Les attitudes, normes et valeurs résistantes au changement
traversent encore, aussi bien la société marocaine que certaines
institutions;
• Le Code de la famille n’est pas encore, malheureusement,
connu par la société et notamment par les femmes analphabètes ou
vivant dans la pauvreté;
• Des articles et dispositions du code méritent d’être clarifiés et
précisés,
Sur ce dernier point, la question du partage des biens acquis au
cours de la période conjugale est d’une grande importance.

1. Les tendances du mariage et du divorce


A la suite de l’adoption du Code de la famille, il faut s’attendre
à ce que les femmes prennent l’initiative de la séparation : cela
témoigne de leur besoin de s’adresser à la justice et du fait qu’elles
vivent au quotidien, plus que les hommes, les dysfonctionnements
du mariage.
Du fait que la procédure de divorce est, statistiquement, un
des grands motifs de recours à la justice, l’image de celle-ci est
étroitement liée au déroulement de ces procédures et aux décisions
prises en la matière.
Les statistiques sont le reflet du changement dont a été fait le pari,
à travers le Code de la famille.

1.1- Le mariage
Il ressort du bilan général relatif au mariage, que durant les quatre
années d’application du code de la famille (du 2004 à fin décembre
2007), une moyenne annuelle de 263005 actes de mariage ont été
enregistrés, ainsi que 14330 jugements récognitifs de mariage, soit

27
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

un total annuel moyen de 27734. La comparaison de ces chiffres


avec la moyenne des actes de mariage des cinq années précédentes
(236961 actes) fait remarquer une hausse de 11%.
Le nombre d’actes de mariage conclus entre majeurs en moyenne
annuelle sur les quatre années d’application du code de la famille
a été de 176985, ce qui représente 67,3% de l’ensemble des actes
de mariage. En revanche, 24092 actes de mariage ont concerné des
mineurs, soit une proportion de 13,6%.
Concernant la polygamie, 858 actes ont été conclus par an, soit
une proportion de 0,48% seulement de l’ensemble des mariages.
Ceci reflète l’efficacité des conditions introduites par le nouveau
code de la famille pour cette catégorie de mariage.
Concernant les cas de révocation du divorce et de reprise de la
vie conjugale, 258 actes ont été reçus par an, ainsi que 1867 actes
reçus par suite à une reprise de la vie conjugale d’un commun accord
entre les époux, soit une proportion totale de 1,7% de l’ensemble
des divorces. Ceci constitue un indicateur positif significatif du fait
que nombre de couples reviennent à une meilleure entente après le
divorce.
Les mariages conclus par des femmes majeures, sans l’assistance
d’un tuteur matrimonial ont été au nombre annuel de 51477 actes,
soit une proportion de 29,1% de l’ensemble des actes de mariages.
Ce qui reflète qu’une partie importante des femmes ont bénéficié
des dispositions nouvelles en leur faveur, et que la société dans son
ensemble s’imprègne progressivement des apports de la nouvelle
loi.
Les actes adoulaires, constatant des accords entre conjoints portant
sur la gestion et l’orientation des biens acquis pendant la durée du
mariage, ont été au nombre de 483 actes par an depuis 2004, ce qui
indique qu’une part des ménages entendent organiser leurs rapports
patrimoniaux. En outre, il convient de souligner qu’il n’a pas été tenue
compte des actes qui auraient pu être constatés autrement.

28
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

En ce qui concerne les cas de réintégration de l’épouse expulsée


sans motif du foyer conjugal, par la ministère public conformément
aux dispositions de l’article 53 du code de la famille, 2140 cas ont
été traités durant chaque année d’application de ce code, par voie
de conciliation opérée par le parquet ou par les soins de la police
judiciaire. Ceci démontre que la mise en œuvre de ces dispositions
légales est faite de manière positive dans la majorité des cas.

1.2- Le divorce
Concernant le divorce, les statistiques, après quatre années
d’application du code de la famille indiquent 39707 cas par an. Tandis
qu’en 2003, 44922 actes ont été enregistrés, ce qui laisse apparaître
une diminution importante, de l’ordre de 11,6%, ce qui constitue une
forte baisse sur les dix dernières années. Cette diminution serait due
à la combinaison de différents facteurs, dont la mise en œuvre des
procédures de conciliation par les sections du Droit de la famille.
Le nombre de divorces (Khol’) moyennant compensation a
connu un net recul, en passant de 21076 actes en 2003 – soit 47%
de l’ensemble des divorces- à 10169 actes par an à l’entrée en
application du code de la famille, soit 25,6% de l’ensemble des
divorces.
Le nombre de divorces révocables a connu à son tour une
diminution importante, en passant de 12462 actes en 2003 à 5631actes
par an durant la période d’application du code de la famille, soit une
proportion de 14,2% de l’ensemble des divorces. Cette diminution a
don été de 54,8%.
Le nombre de divorces avant la consommation du mariage a
également connu une diminution en passant de 5477 à 4642 divorces
révocables, durant la période d’application du code de la famille –
soit une proportion de 11,7% de l’ensemble des divorces, soit une
diminution de 15,2%.
Les divorces prononcés à la suite des deux précédents divorces
successifs, et ceux prononcés à l’initiative de l’épouse exerçant
un droit d’option (tamlik), représentent, chacun, une très faible

29
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

proportion, n’excédant pas 0,3% de l’ensemble des actes de divorce


(144 actes en moyenne annuelle pour le premier et 122 pour le
second).
Les divorces par consentement mutuel ont été au nombre de 5448
actes annuels, soit 13,7% de l’ensemble des actes de divorces par an
depuis la mise en application du code de la famille, ce qui indique
que cette procédure a été perçue positivement.

1.3- La nécessité d’humaniser le divorce


Le nombre, les modalités et le « climat » des divorces, surtout
sur les questions de pension alimentaire et de conflits sur les biens
conjugaux constituent l’un des révélateurs de l’équilibre existant
entre les genres.
Les pratiques actuelles sont unanimement considérées comme
conflictuelles et insuffisamment tournées vers la gestion du partage
des biens dans l’après-divorce. D’où la nécessité de répondre à
l’évolution d’un contexte marqué par :
a. La nécessité de l’apaisement et de l’adaptation du
divorce à notre temps
• Une adaptation aux évolutions sociologiques qui ont marqué
ces dernières décennies : les constats chiffrés sont contestés de part
et d’autre mais il est clair que la divorcialité augmente de manière
concomitante à l’augmentation du nombre de mariages.
• Une adaptation qui tienne compte de l’autonomie croissante
mais toujours relative des femmes, et des inégalités qui subsistent
dans les taux d’activité, dans les écarts de salaires, dans les pensions
de retraite des femmes, dans le chômage, etc.
b. Une pratique du divorce qui demeure encore trop
conflictuelle
• Les pratiques en vigueur évoluent lentement, un «enveniment»
contraire à l’intention du législateur, à l’esprit du Code de la Famille
n’a pas encore bien imprégné les pratiques et les décisions en
vigueur.

30
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• Des leçons sont à tirer de la situation actuelle pour voir comment


la législation peut canaliser les efforts vers une dissolution apaisée
des liens du mariage.

c. Des attentes nouvelles du justiciable


• Les comportements des couples quant au principe du partage
sont variés, cette diversité semble s’accroître aujourd’hui.
• Des attentes sur la simplification et la demande de droit.
• La revendication par la femme de l’égalité des conditions et des
chances entre les époux.

d. Une refonte de l’architecture du partage des biens


en cas de divorce
• Des principes directeurs pour fonder la décision des juges ont
été énoncés dans le Code de la famille: prise en considération du
travail, de l’effort et des charges travail.
• Une volonté implicite de protéger l’époux victime et de favoriser
un règlement équitable des conséquences patrimoniales du divorce.

e. Un dispositif qui appelle des précisions


• Des inquiétudes sur l’applicabilité de la loi et de ses dispositifs.
• Des interrogations sur les modalités de partage des biens et les
difficultés ponctuelles à définir des critères pertinents, équitables et
applicables.
Malgré la relative progression dans le statut des femmes qu’il a
rendue possible, le Code de la Famille ne résout pas tout, loin s’en
faut. C’est dans l’application de la loi que réside sa pertinence.
Quant à la promotion des droits des femmes, on s’apercevra qu’elle
s’applique, dans un milieu résistant, avec retard et dans un contexte
potentiellement chargé d’un haut niveau de divortialité, et qu’elle
méritera un suivi et une évaluation au regard des évolutions de la
famille.

31
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

L’adoption du Code de la Famille n’aura été inutile qu’à condition


que la réforme des aspects du divorce figurant dans le code fasse
l’objet d’une clarification des articles relatifs au partage des biens
lors de la dissolution du mariage. La législation doit permettre la
définition de critères et le repérage des cas dans lesquels le partage
répond à l’esprit de la loi.
La loi offre aux conjoints la possibilité de déterminer préalablement
les modalités de partage et de choisir la loi applicable dans les
procédures matrimoniales, mais cette possibilité peut conduire
à l’application d’une loi avec laquelle les conjoints n’ont que des
liens ténus et à un résultat non conforme aux attentes légitimes des
époux.
Les différences considérables entre les situations des conjoints,
les trajectoires du couple, en ce qui concerne tant les modalités
d’acquisition des biens pendant le mariage, que les règles définies pour
leur répartition en cas de divorce, sont source d’insécurité juridique.
La grande disparité et la complexité de la gestion du patrimoine
font qu’il est très difficile aux couples de prévoir quelle modalité de
partage s’appliquera en cas de survenance d’une dissolution du lien
du mariage.
Il est entendu qu’un progrès dans le règlement de la question du
partage des biens permettra d’atteindre les objectifs suivants:
‹ Renforcer la sécurité juridique et la prévisibilité des
décisions quant au partage des biens acquis;
‹ Accroître l’efficience de la loi en instaurant une certaine
transparence et une harmonisation dans les décisions;
‹ Garantir une répartition équitable des biens acquis.

32
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

2. L’article 49 du Code de la Famille :


un enjeu
La genèse de l’idée du partage des biens acquis tout au long du
mariage est apparue officiellement dans le projet PANIFD1 dans un
souci d’équité par rapport aux femmes qui ayant, largement contribué
à la constitution du patrimoine familial grâce à leur travail au sein
du foyer et/ou grâce à leur activité professionnelle, se retrouvent
souvent dans une situation de dénuement et de dépendance en cas
de séparation. Cette proposition a suscité de violentes réactions de
la part du mouvement islamiste. Malgré cette opposition, elle a été
intégrée dans le nouveau code.
Le nouveau Code de la Famille, adopté en février 2004, constitue
une réforme considérée par l’ensemble des acteurs sociaux et
politiques marocains comme un tournant dans l’histoire du Maroc
indépendant. Il exprime une rupture avec l’ancien Code du Statut
Personnel (CSP élaboré en 1957/58 et révisé partiellement en 1993),
dont le caractère discriminatoire reléguait les femmes à un statut de
mineures. Il a été au cœur du combat du mouvement des femmes,
ponctué par plusieurs étapes avant l’aboutissement de la réforme2

1- Plan d’Action National pour l’Intégration de la Femme au Développement. Secrétariat d’Etat chargé
de la Protection sociale, de la Famille et de l’Enfance. 1999.
2- Certes, le nouveau code de la famille ne répond pas à toutes les attentes des femmes et des hommes
attachés aux principes d’égalité et d’équité. La polygamie n’a pas été interdite de façon claire et nette,
de même que les dispositions en matière d’héritage sont restées largement discriminatoires. Cependant,
les avancées indéniables qui ont été enregistrées sont venues valider la stratégie mise en œuvre par les
organisations féminines depuis le milieu des années 1980.

33
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Encadré : Etapes de l’adoption du nouveau Code de la


Famille
En 1993, une première réforme du CSP a permis de désacraliser
ce texte, présenté par les courants religieux et conservateurs comme
un texte sacré et à ce titre, immuable.
En 1998, l’arrivée d’un gouvernement dit de l’alternance a
ouvert plusieurs chantiers, dont le projet de Plan d’Action pour
l’Intégration de la Femme au Développement (PANIFD) qui
avait retenu quatre domaines prioritaires et proposait une série de
mesures pour améliorer le statut juridique de la femme, notamment:
l’élévation de l’âge au mariage des filles à 18 ans (à l’instar des
garçons), l’abolition de la tutelle matrimoniale pour les femmes
majeures, l’interdiction de la polygamie, l’établissement du divorce
judiciaire et le partage, au moment du divorce, des biens acquis
durant le mariage.
La dynamique enclenchée par la «Réseau d’appui au PANIFD»
(large réseau de 200 associations féminines, de droits humains et
de développement, crée en 1999, pour inciter le gouvernement à
mettre en œuvre le Plan) s’est poursuivie avec le «Printemps de
l’égalité» qui a joué, durant trois années, un rôle primordial dans
le processus de la réforme. Le «Printemps de l’égalité» a entrepris
des actions directes de sensibilisation et de plaidoyer auprès de la
Commission Consultative, des décideurs et autres acteurs politiques,
ainsi qu’auprès du Parlement (lors de la discussion du projet).
En mars 2001, et suite à une audience accordée par le Roi
Mohamed VI aux représentantes du mouvement des femmes, 9
associations oeuvrant pour la promotion des droits des femmes
ont en effet décidé de créer une coalition d’associations féminines
«Printemps de l’égalité pour la réforme de la Moudawana».
En avril, le Roi a établi la «Commission Consultative chargée
de la révision de la Moudawana» (composée de 3 femmes et de 11
hommes). Les travaux de cette Commission ont duré 29 mois et ont
été marqués par des moments de forte tension du fait de conflits
entre ses membres.

34
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

La réforme du CSP dans un sens égalitaire était à la fois nécessaire


et possible dans le contexte actuel du Maroc. La réforme constitue
une grande avancée pour les femmes et pour la société marocaine;
elle confirme les récents choix stratégiques faits par le Maroc en
faveur de la modernité et de l’Etat de Droit; elle reflète les importantes
mutations socio-démographiques et économiques qui ont participé
à transformer profondément la société et la famille et les rôles des
genres par rapport au contexte social ayant inspiré les dispositions
de l’ancien CSP; elle prend en compte les engagements du pays
envers la communauté internationale par le biais de l’adhésion aux
différents instruments relatifs aux droits de la personne; elle favorise
une lecture évolutive et adaptée aux réalités d’aujourd’hui de l’esprit
de la charia islamique tel que démontré par l’apport d’éminents
réformateurs musulmans.

2.1 - L’esprit du texte : un souci d’équité


La Commission Consultative Royale chargée par la plus Haute
Autorité du pays de réviser le code du statut personnel a abouti
à un texte d’une grande avancée sociale ouvrant la possibilité de
moderniser l’arsenal juridique ayant trait à un domaine important et
fondamental dans la structure sociale, à savoir la famille.
Les travaux de la Commission n’ont pas été rendus publiques.
Mais, il ressort des entretiens que nous avons eu avec des hommes et
femmes ressources qui ont fait partie de la commission que l’enjeu
était de parvenir à l’élaboration d’un Code qui reste conforme aux
valeurs et aux principes de la religion musulmane et de l’unicité
du rite malékite, et en parfaite harmonie avec les dispositions des
conventions internationales en la matière.
Les principales nouveautés du nouveau Code résident dans :
• La consécration du principe de l’égalité entre la femme et
l’homme, notamment l’égalité au niveau de la responsabilité familiale,
la famille sera désormais placée sous la «responsabilité conjointe
des deux époux»; l’égalité au niveau des droits et des devoirs des
deux époux avec l’abolition de la règle qui soumettait la femme, au

35
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

titre de la «Wilaya» dans le mariage, à la tutelle d’un membre mâle


de sa famille ; l’institution du principe du divorce consensuel sous
contrôle du juge; la possibilité pour les petits-enfants, du côté de la
fille, d’hériter de leur grand-père au même titre que les petits-enfants
du côté du fils.
• Le souci d’équité et de justice : protection de l’épouse des abus
de l’époux dans l’exercice de son droit au divorce; renforcement
du droit de la femme à demander le divorce pour préjudice subi ;
la répartition entre les époux des biens acquis durant la période du
mariage.
Cette dernière disposition, introduite dans le Titre VI du Code
de la Famille sur les conditions consensuelles pour la conclusion du
mariage et de leurs effets représente une des innovations majeures
par rapport au Code antérieur.
Ainsi, l’article 49 stipule que :
«Les deux époux disposent chacun d’un patrimoine propre.
Toutefois, les époux peuvent se mettre d’accord sur les conditions de
fructification et de répartition des biens qu’ils auront acquis pendant
le mariage.
Cet accord fait l’objet d’un document distinct de l’acte de mariage.
Les adoul avisent les deux parties, lors de la conclusion du
mariage, des dispositions précédentes.
A défaut de l’accord susvisé, il est fait recours aux règles générales
de preuve, tout en prenant en considération le travail de chacun des
conjoints, les efforts qu’il a fournis et les charges qu’il a assumés
pour fructifier les biens de la famille.»
Ce nouvel article annonce une nouvelle règle relative au partage
du patrimoine, au cas où les deux époux ne précisent pas au préalable
les conditions de fructification et de répartition des biens qu’ils
auront acquis pendant le mariage. Cette nouvelle règle est venue
redresser l’absence d’équité dans la gestion des biens matrimoniaux
qu caractérisait l’ancienne version de la Moudouana.

36
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

En effet, le législateur a opté pour le principe de la séparation des


biens entre les époux (art. 35). Le mariage n’entraîne effectivement
aucune communauté des biens. L’épouse conserve l’administration
et la disposition de ses propres biens. Pour ce qui est des actes
d’administration, la capacité de la femme mariée est entière. Elle peut
accomplir tous les actes en vue de la gestion et de la conservation de
son patrimoine.
Pour ce qui est des actes de disposition, il en est de même. La
Moudouana n’a pas repris une exception prévue par le rite malékite
(l’épouse ne pouvant disposer gratuitement par donation de plus
du tierce de son patrimoine sans l’autorisation de son mari). En
conséquence, la capacité de la femme mariée est totale et la séparation
des patrimoines, en droit effective.
L’article 39 de l’ancienne Moudouana règle les cas de contestation
au sujet de la propriété des objets mobiliers contenus dans la maison.
«En l’absence de preuve certaine, il sera fait droit, aux dires du
mari, appuyés par serment, pour les objets d’un usage habituel aux
hommes. Aux dires de l’épouse, après serment, pour les objets qui,
habituellement sont à l’usage des femmes…. . Les objets qui sont
utilisés indistinctement par les hommes et par les femmes seront,
après serment de l’un et de l’autre époux, partagés entre eux».
Cependant en confiant à l’épouse la charge de veiller à la marche
du foyer et à son organisation, le législateur impose deux charges au
mari dot et entretien. Il lui impose tout d’abord de verser une dot à la
femme (art. 5, 16 à 24, 35 de la Moudouana). La dot (Sdaq) est une
valeur que le futur époux donne à sa future épouse ou stipule au profit
de celle-ci au moment de la conclusion du mariage. Elle constitue
un élément essentiel pour la validité du mariage. La Moudouana s’en
remet aux parties elles-mêmes, le soin de fixer le montant de la dot.
Celle-ci ne comporte ni minimum, ni maximum. La Moudouana
affirme qu’en cas de divergence entre conjoints sur le versement
de la partie exigible de la dot, il est ajouté foi aux déclarations de
la femme si la contestation intervient avant la consommation du
mariage et à celles du mari dans le cas contraire.

37
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

En plus de la dot, le droit marocain oblige le mari de faire face


aux charges du ménage et de pourvoir aux besoins de la femme
(nafaqa). La Moudouana et le code de procédure civile traitent de
cette question. Fidèle au droit musulman classique, la Moudouana
oblige le mari à assurer l’entretien de sa femme. Le mari n’a jamais
de créance alimentaire à l’encontre de la femme, quelle que soit la
fortune de cette dernière. De même, lorsque la femme est pauvre, son
mari ne peut la contraindre à travailler pour assurer son existence.
Les droits de l’épouse à l’égard du mari sont l’entretien prévu par la
loi tels que la nourriture, l’habillement, les soins médicaux, l’égalité
de traitement avec les autres épouses en cas de polygamie.
Dans ce sens, l’article 115 de l’ancienne Moudouana précisait que
toute personne subvient à ses besoins par ses propres ressources à
l’exception de l’épouse dont l’entretien incombe à son époux. Celui-
ci doit la nafaqa à son épouse dès l’instant où il y a eu consommation
du mariage et non dès la conclusion. Cette vision fixe un espace
à la femme et fonde son infériorité essentiellement sur le pouvoir
financier du mari.
Si le principe de la séparation des biens tel qu’il est conçu
constitue un progrès par rapport au rite malikite, et s’il va dans
le sens des instruments internationaux des droits de humains, on
remarque une discrimination en faveur de l’épouse sur le terrain des
charges financières. Mais n’est-ce pas seulement la partie visible de
l’iceberg ? L’autorité du mari ne repose-t-elle pas, sur le terrain du
droit, essentiellement sur cette division sexuelle du travail ? même si
l’image véhiculée par le droit, celle d’un homme capable d’entretenir
sa famille ne se réalise pas toujours dans les faits ?
L’épouse peut recourir à la dissolution du mariage par consentement
mutuel et compensation (khol). Elle peut en effet inviter son mari à la
répudier contre compensation qu’il accepte. Cette voie de dissolution
faisait l’objet des articles 61 à 65 et 67 de l’ancienne Moudouana.
Celle-ci n’avait fait que reprendre les modalités du fiqh classique. Il
arrivait souvent que l’épouse rachète sa liberté, en prenant sur elle
l’obligation d’entretien des enfants qui, incombait jusque là au mari.

38
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

L’art. 65 de la Moudouana tendait à faire obstacle à la prise en charge


par la femme pauvre de l’entretien des enfants, en contrepartie de la
répudiation demandée au mari. L’article 65 disposait en effet que
dans le cas où la femme est pauvre, toute contre partie à laquelle les
enfants ont droit, est interdite. Par suite, non seulement l’épouse,
mais également les enfants sont protégés contre les potentielles
exigences du mari qui reste maître de son pouvoir de répudiation et
risquerait d’en profiter.

2.2 - Condition féminine : changements et


résistances
Parallèlement à la montée du divorce et à l’ensemble des évolutions
de la vie en couple, la place des femmes dans la société s’est modifiée
depuis les deux dernières décennies, avec notamment une hausse des
taux d’activité des femmes leur procurant une autonomie nouvelle.
Il est utile de mettre en regard des dispositions du Code de la famille
les principales données relevant l’autonomie croissante des femmes,
mais aussi les inégalités qui subsistent.
Il ressort des données statistiques que la population féminine
active est estimée en 2007 à 27,5% de la population active totale. Les
femmes marocaines ont réussi, dans une certaine mesure, à intégrer
le marché de l’emploi, tant au niveau du secteur privé que dans
l’administration publique. Cependant, les données montrent que :
• L’implication des femmes dans l’activité économique reste
limitée : le taux brut d’activité des femmes est de 18,2 % contre 48,9
% pour les hommes. Les femmes urbaines subissent le chômage plus
intensément que les hommes (24,7 % contre 18 %), quel que soit leur
niveau d’instruction, le taux des femmes diplômées au chômage est
de 38,9 % contre 23,3 % pour les hommes diplômés.
• Des écarts de salaires d’environ 25 % à travers la diversité des
sources statistiques et des méthodes de mesure, il apparaît assez
nettement que les écarts de rémunération entre hommes et femmes
ont diminué depuis les années 1990. Cette diminution des écarts s’est
ralentie et le salaire moyen des femmes reste globalement inférieur
d’environ 25 % à celui des hommes.

39
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• Les pensions de retraite des femmes sont inférieures de 42 % à


celles des hommes. Les salaires proportionnellement moins élevés
des femmes ainsi que leurs parcours professionnels moins linéaires
ont des prolongements en matière de retraite. En 2007, la pension
moyenne des hommes âgés de 60 ans ou plus était de 42 % de plus.
• Le taux de chômage des femmes est aussi élevé que celui des
hommes chômage. Il aggrave l’instabilité conjugale; la privation
d’emploi est susceptible de marquer toutes les phases du cycle de vie
familiale. En particulier, l’instabilité professionnelle et le chômage
ont un impact fort sur la rupture. Il est établi que le chômage augmente
directement le risque de rupture du mariage : un chômeur a plus de
risques de divorcer dans l’année suivant son inscription au chômage
qu’une personne n’ayant jamais connu le chômage. Les couples
de chômeurs ont plus de risques de connaître une séparation ou un
divorce que les couples sans chômeur. De manière assez frappante,
l’instabilité conjugale double lorsque leur statut professionnel se
précarise.
• Les femmes accèdent de plus en plus aux postes de responsabilité
et à la prise de décision dans le champ public. Cependant, l’examen
et l’analyse de la situation montrent que, malgré les progrès, l’accès
des femmes aux postes de décision est limité. Leur nombre dans les
hautes sphères du pouvoir demeure très faible. Lorsqu’elles accèdent
à des postes de décision, elles ont rarement des responsabilités
significatives. En général, elles sont chargées de questions spécifiques
aux femmes et au domaine social.
• Malgré les transformations sociales, la division du travail
persiste: la femme travaille d’abord en tant qu’aide familiale, puis
comme salariée, les conditions de travail sont moins favorables
aux femmes qu’aux hommes, les activités informelles féminines se
développent à un rythme rapide et constituent des activités de survie
pour un grand nombre de femmes.
• La répartition inégale des tâches ménagères et la position
marginale occupée par les femmes dans le monde du travail tendent
à renforcer les inégalités. L’étude fondée sur l’enquête budget

40
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

temps (1997-98) démontre que même si les femmes travaillent plus


longtemps que les hommes, leur travail est invisible, non comptabilisé
(travaux domestiques, prise en charge des enfants, des malades, des
personnes âgées…) et par conséquent non rétribué.
• En ce qui concerne la pauvreté (5, 3 millions de personnes en
1999), son profil féminin s’est beaucoup développé. L’estimation est
de 2,7 millions de femmes vivant en dessous du seuil de pauvreté
en 1998 contre 1,1 million en 1991. Ces femmes qui deviennent
chefs de ménage, sont souvent veuves ou divorcées. La charge plus
lourde qui pèse sur les ménages a donné naissance à des stratégies de
survie (retrait des enfants de l’école, entrée précoce sur le marché de
l’emploi) qui contribuent au budget familial.
En dépit des progrès réalisés, les conditions de travail des femmes
sont encore largement caractérisées par des discriminations. Le
degré de vulnérabilité économique et sociale est fortement corrélé
au type d’emploi occupé par les hommes et les femmes. Ces
caractéristiques montrent que les femmes sont plus touchées par la
précarité du marché de l’emploi, plus exposées au chômage, plus
soumises aux mauvaises conditions de travail : horaire, salaires…
et par conséquent plus vulnérables à la pauvreté, surtout lorsque,
veuves ou divorcées, elles assurent la survie du ménage dont elles
assument la responsabilité.
La réforme du code de la famille est intervenue dans un contexte
de changement social et des perceptions du statut de la femme dans
la société. Mais les perceptions changent sur beaucoup d’aspects
des relations conjugales, des résistances perdurent quant il s’agit de
traiter du partage des biens.
Les résultats de l’enquête du Haut Commissariat au Plan (HCP) sur
«la femme marocaine sous le regard de son environnement social»3
sont riches d’enseignements sur les changements dans la condition
féminine au Maroc et sur les attitudes et positions des hommes

3- Royaume du Maroc. Haut Commissariat au Plan. Prospective Maroc 2030. « La femme marocaine
sous e regard de son environnement social ». Enquête. Principaux résultats. Septembre 2006. Enquête
réalisée sur un échantillon composé de près de 3700 ménages.

41
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

et des femmes quant à ces changements. L’enquête prend acte de


l’augmentation du nombre de femmes qui accèdent à l’instruction,
qui exercent des activités rémunératrices et qui accèdent à la direction
d’entreprises (voir tableau 1 ci-dessous).

Tableau 1: Aspects des changements dans la


condition féminine au Maroc
Changements en augmentation Hommes Femmes Ensemble
Accès à l’instruction 85,9 79,6 82,7
Exercice d’activités rémunérées 61,5 59,6 60,5
Accès à la direction des entreprises 44,7 37,2 40,9
Source : Enquête HCP : La femme marocaine sous le regard de
son environnement social.

Interpellés sur l’accès égalitaire des femmes aux mêmes niveaux


d’instruction que les hommes, 89,2% des hommes expriment une
attitude favorable. Les justifications avancées sont diverses : cela
va de soi (47,4%), les femmes instruites aideraient mieux leurs
familles (28,7%). La même attitude est observée par les hommes,
même si elle est moins prononcée, sur le droit des femmes à
exercer des activités rémunérées (59,7%), estimant que la femme
qui travaille aiderait sa famille (64,2%) ou que le travail est un acte
naturel (30%). Interrogées sur la nécessité d’augmenter le nombre
de femmes accédant à la direction des entreprises, les hommes
appuient cette tendance dans leur grande majorité (56,9%) ; il en est
de même de la présence des femmes dans les institutions que ce soit
les administrations (63,6%, les associations et les syndicats (51,1%),
les partis politiques (51,1%), les conseils communaux (58,5%), le
parlement (56,5%), ou le gouvernement (56,5%).
Si l’attitude exprimées par les hommes est plutôt largement
favorable à l’émancipation des femmes, leurs positions, c’est-à-dire
leur comportement ne reflète pas aussi favorablement une adhésion
à des valeurs. Les questions posées sur le droit des femmes et sur

42
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

l’appréciation des dispositions du nouveau code de la famille (comme


la restriction du tutorat pour le mariage de la femme, le droit de la
femme de disposer librement de son revenu) en temoignent.
L’enquête a permis de relever que 68,4% des hommes sont
informés de la promulgation du nouveau code de ma famille contre
61,9% des femmes (65,1% pour les deux sexes). A peine 36,2% des
hommes évaluent positivement les dispositions du nouveau code
de la famille, moins du quart des personnes interrogées (22,4%) ont
exprimé une position positive sur la levée de l’obligation de tutorat
pour le mariage de la femme. Quant au droit des femmes de disposer
librement de leur revenu, seuls 22,5% des hommes respectent ce
droit sans aucune réserve ; la grand majorité le conditionne à la
contribution aux dépenses du ménage.

Tableau 2: Droit des femmes de disposer librement


de leur revenu

Attitudes Hommes Femmes Ensemble


Pour sans réserve 22,5 15,3 18,8
Pour, sous réserve 70,7 80,4 75,6
Contre 6,8 4,4 5,6
Source : Enquête HCP, op cit
Cette appréciation est corroborée par l’Enquête National sur le
Budget-Temps des Femmes (ENBTF : 1997-1998) qui a montré le
faible degré de participation de la femme à la prise de décision au
niveau familial du fait de l’intensité des contraintes qui pèsent sur
son rôle familial, social et économique4.
Dans la sphère familiale, la femme n’est pas encore totalement
libre de décider de sa destinée. Le premier mariage n’est décidé par
la femme elle même que dans une proportion limitée : 12% en milieu
urbain et 4% en milieu rural, ainsi que le montre le tableau ci-dessus.
Seules 18% des femmes citadines et 8% des femmes rurales ont

4- Cf. ENBTF, volume 1, p. 66 et suivantes

43
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

déclaré non indispensable d’avoir une autorisation pour sortir. Par


ailleurs, la nécessité de la compagnie des femmes lors de ses sorties
n’est indispensable qu’à raison de 16% dans les villes contre 54%
dans les campagnes.
Même lorsqu’elle dispose d’un savoir productif, la femme n’est pas
généralement libre de le gérer à sa guise. La proportion des femmes
propriétaires d’une activité économique ou d’avoirs productifs est
de 6% en milieu urbain et de 12% en milieu rural. La gestion de ces
actifs n’est cependant faite par la femme elle même qu’à raison de
43% dans les villes et de 16% dans les campagnes.

Tableau 3: Degré de participation de la femme à


la prise de décision dans la sphère familiale (en %
arrondis)

Dimension familiale Urbain Rural Ensemble


Le premier mariage de la femme a été décidé par :
- les parents 45 58 50
- la femme elle-même 12 4 9
- un autre membre du ménage 4 6 5
L’autorisation du mari ou du père de la sortie de la femme est :
- indispensable 61 85 72
- quelques fois indispensable 22 7 16
- n’est pas indispensable 17 8 13
Les avoirs productifs de la femme sont gérés par :
- la femme elle-même 43 16 27
- un membre de la famille 37 51 45
- la femme et son mari 9 15 12
Source : ENBTF 1997/98, volume 1, p. 69. Direction de la
Statistique

44
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

2.3 - Les perceptions sur le partage des biens


L’adoption dans le nouveau code n’a pas effacé les résistances à
un partage équitable des responsabilités et des biens. Ces résistances
sont essentiellement masculines. En témoigne les résultats de la
dernière enquête réalisée sur les Perceptions et pratique judiciaire du
Code de la Famille
L’étude a mis en lumière une tendance générale au rapprochement
entre les sexes dans leurs relations au sein de la sphère privée. Même
si les hommes et les femmes sont inscrits dans une dynamique de
changement indéniable, les femmes sont nettement plus favorables
aux nouvelles dispositions du code.
Sur un ensemble de dispositions du nouveau code, la convergence
des points de vue est une réalité malgré les écarts des opinions des
hommes et des femmes. L’adhésion à l’égard des tribunaux de famille,
les avis positifs exprimés vis-à-vis de la procédure de réconciliations,
le refus massif de la violence, l’acceptation de mesures relatives à
l’âge minimum du mariage des filles fixé à 18 ans et à l’ensemble
des autres dispositions sont des indications permettant d’accréditer
la thèse selon laquelle les changement est à l’œuvre.

45
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Tableau 4: Principales tendances favorables à


l’égalité selon le sexe en fonction des thèmes traités

Ensemble Hommes Femmes Ecart


- Principe de l’égalité 70,9 62,9 78,6 15,7
- Violence physique 94,7 92,9 95,7 2,9
- Révision de la 57,3 40,5 66,8 26,3
Moudouwana
- Age du mariage 72,9 64,6 79,6 15,0
- Clause de la monogamie 65,5 42,1 42,1 33,2
- Autorisation du juge 31,2 50,3 72,7 22,4
pour le remariage de
l’époux
- Procédure de 72,4 74,2 70,7 3,4
réconciliation
- Domicile conjugal 69,9 58,8 80,6 21,8
- Coresponsabilité 79,1 71,1 86,8 15,8
- Partage des tâches du 66,5 55,8 76,6 20,9
foyer
- Le partage des biens 50,8 33,0 68,1 35,1
- Tribunaux de la famille 63,8 62,2 65,1 2,9
Source : Etude sur le code de la famille : perceptions et
pratique judiciaire. F.Ebert.

Selon les données de l’enquête, hommes et femmes entretiennent


des positions parallèles sur bien des questions. Comme l’atteste
le tableau récapitulatif des principales tendances dégagées selon
le sexe sur toutes les questions, les écarts sont importants. Certes
des proximités existent et des rapprochements sont à l’œuvre sur le
principe de l’égalité, sur l’acceptation de la coresponsabilité mais les
femmes expriment plus fortement l’idéal égalitaire et apparaissent
comme plus portées par la volonté de changement. Les hommes sont

46
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

aussi globalement engagés dans cette nouvelle dynamique mais ils


se montrent plus résistants à l’égalité.
Cette tendance est davantage marquée sur les questions du partage
des tâches du foyer (un écart de 20,9 entre les points de vue des
femmes et des hommes) et surtout du partage des biens (un écart de
35,1 points). Si les résultats de l’enquête suggèrent que le principe
de l’égalité est suffisamment accepté dans le couple, les hommes
se révèlent particulièrement hostiles à la mesure du partage des
biens, et l’opposition est particulièrement forte entre les hommes et
les femmes à son égard. Elle enregistre le plus fort écart entre les
sexes; plus particulièrement dans les tranches d’âge de 35-44 ans
(40 points)
Par ailleurs, l’étude montre que les hommes répondants, qu’ils
soient mariés ou célibataires, sont nombreux à désapprouver la
mesure relative au partage des biens (respectivement 59,6% et
45,3%). Les femmes sont respectivement 20,3% et 16,9% à avoir
cette position. Ces dernières continuent à considérer qu’elles n’ont
pas à réclamer un partage des biens, sans doute parce qu’elles ont
des difficultés à remettre en cause les représentations classiques. Il
s’agit essentiellement de femmes au foyer, âgées de plus de 55 ans
et peu instruites.

Tableau 5: Perceptions sur la répartition des biens


selon le sexe et le statut matrimonial

Oui Non
Homme Femme Homme Femme
Célibataire 54,74 83,08 45,26 16,92
Marié - e 40,35 79,66 59,65 20,34
Divorcé-e / veuf-ve 50,00 79,41 50,00 20,59
Source : Etude Le Code de la Famille : Perceptions et
pratique judiciaire. Fondation FES

47
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Ces perceptions négatives montrent l’intérêt de mieux expliquer


cette mesure et d’en définir et préciser les critères de répartition
entre les époux qui décident de rompre leur mariage. Les opinions
exprimées par les hommes âgés de 18 à 24 ans se répartissent de
manière égale entre les « oui » et les « non » (38%). Ce sont eux
aussi qui sont les plus nombreux à se déclarer « sans opinion ».
Les femmes âgées de 35 à 44 ans sont les plus favorables (77,9%)
alors que les hommes de la même tranche d’âge sont ceux dont
le taux d’acceptation est le plus faible (28,1%). Chez les femmes
comme chez les hommes le nombre de réponses « sans opinion »
est relativement important (de l’ordre de 20% et plus sauf pour les
personnes âgées de 55 ans et plus).
L’activité n’est pas un critère qui différencie les hommes qui sont
globalement défavorables à cette mesure, qu’ils aient une activité
salariée, qu’ils soient étudiants ou chômeurs. Les employés puis les
cadres supérieurs masculins sont ceux qui entretiennent les positions
les moins hostiles à la mesure (soit respectivement 45,4% et 42,6%),
mais les pourcentages de refus restent importants, les cadres
supérieurs se révélant plus franchement opposés que les employées
(41% et 31,8%). Les cadres moyens (24,2%), les artisans (26%) et
les ouvriers (21%) sont hostiles à cette disposition.

48
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Chapitre 2 :
La mesure du travail domestique:
Evaluation de la production non
marchande des ménages.
Traditionnellement, beaucoup de services et des bien produits
par les femmes sont ignorés ou sous évalués dans le système de
comptabilité nationale. On dit qu’ils sont « invisibles ». Quatre types
d’activités notamment sont peu représentés : le travail domestique, le
travail bénévole, la production de subsistance et le secteur informel.
Hommes et femmes sont impliqués dans ces secteurs mais les deux
premiers, majoritairement féminins, soulèvent les problèmes de
comptabilisation les plus difficiles.
Même si la production de subsistance, qui ne passe pas par le
marché et demeure souvent non monétaire, a été de mieux en
mieux prise en compte, l’incorporation de travail féminin dans
ce secteur l’est encore difficilement. Pourtant, la contribution
des femmes à l’économie agricole est souvent considérable : les
femmes accomplissent une part considérable du travail associé à
l’agriculture de subsistance, en assumant notamment la quasi totalité
de l’approvisionnement du ménage en eau et en bois de chauffage, et
en participant largement au stockage et au transport de la nourriture,
au travail de labour et de désherbage, au travail de récolte et de
commercialisation des produits. Le fait que les tâches domestiques
soient systématiquement non rémunérées implique une dépendance
monétaire au moins partielle des femmes vis-à-vis de la famille, ou
de la communauté.
On a longtemps considéré que cette question était «naturellement»
réglée par la complémentarité des tâches féminines et masculines au
sein du ménage, mais la division du travail fondée sur le genre est
un des principaux vecteurs de la subordination des femmes. D’autre
part, le nombre croissant de ménages «dirigés par des femmes» (en
l’absence de chef masculin) dans les pays en développement a montré

49
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

que cette situation était une source de grande vulnérabilité. Cette


partie « incompressible » du temps et de la force de travail féminins
représente en effet une forte contrainte pesant sur la mobilité des
femmes et donc sur leur capacité à accéder à des activités génératrices
de revenus.
La division du travail est un principe d’affectation de tâches selon
le sexe au sein et en dehors du ménage, fondée à la fois sur la perception
des rôles sociaux des hommes et des femmes et sur l’idéologie de
genre (définition de tâches «féminines» et «masculines»). De manière
générale, l’essentiel des activités reproductives, non génératrices de
revenus, sont considérées comme féminines. Les hommes ont en
vertu de leur statut de principal soutien du ménage, ou en tant que
propriétaire des biens de production du ménage, un accès prioritaire
aux activités génératrices de revenus, ou aux revenus tirés de la
production familiale. La problématique de la division du travail varie
notamment en fonction du clivage rural-urbain, reflétant l’influence
des structures productives et du contexte historique.
En milieu rural, le travail de tous les membres du ménage est le plus
souvent mobilisé. C’est un système où il est reconnu que les femmes
travaillent même si leur travail est faiblement valorisé. Le ménage
est alors une structure de production et de consommation faiblement
en interaction avec la sphère marchande. La transition économique
introduit la commercialisation de l’agriculture et se traduit par un
exode rural qui entraîne souvent une féminisation de l’agriculture de
subsistance et une masculinisation du travail rémunéré dans les villes.
La rigidité des droits de propriété et la concentration de la diffusion
des techniques vers les hommes se traduisent par un écart croissant
entre la productivité du travail féminin et du travail masculin.
En milieu urbain, on observe notamment un phénomène
de cantonnement des femmes à la sphère «domestique» et
d’informalisation de leur travail. La division du travail tend à
s’«occidentaliser» avec l’apparition d’une stricte séparation de la
sphère productive et de la sphère reproductive dans un contexte de
faible productivité des activités reproductives. Outre les facteurs

50
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

culturels et surtout les contraintes domestiques limitant la mobilité


des femmes, elles souffrent alors d’un déficit de scolarisation,
stratégique pour l’accès au marché du travail urbain. Aussi, les
femmes sont-elles souvent considérées comme un soutien secondaire
du ménage qui fournit des services non marchands.
La valeur ajoutée générée par ces activités de service réalisées par
la femme dans le foyer domestique n’est pas prise en compte dans
les agrégats macro-économiques classiques. D’après les comptes
nationaux, il semblerait que la production des ménages n’ait aucune
valeur, alors que le travail domestique à la fois accroît la valeur des
biens et des services achetés et contribue à la formation et à l’entretien
du capital humain. Sa valeur est de toute évidence non négligeable.
Cette production non marchande couvre les biens et services que les
membres des ménages produisent pour leur propre consommation en
combinant leur travail non rémunéré et les biens et les services qu’ils
acquièrent sur le marché..
Depuis de nombreuses années, les économistes insistent sur le fait
qu’ignorer le revenu et la richesse générée par le travail domestique
introduit une distorsion dans divers domaines de l’analyse
économique5:
‹ Ils ont souligné que le revenu national est notablement
sous-estimé par la non-prise en compte du revenu en nature
engendré par les activités productives des ménages.
‹ Ils ont estimé que la consommation finale, telle qu’elle
est habituellement mesurée, donne une idée fausse de la
consommation « réelle » dès lors que les biens et services
produits par le travail non rémunéré des membres des ménages
ne sont pas pris en compte6 .

5- Mitchell et al. (1921), Kuznets (1944) et Clark (1958).


6- Kende (1975)

51
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

‹ Ils ont avancé que la production de services non marchands


par les membres des ménages augmente le bien-être
économique, et par conséquent le PIB conventionnel n’en
donne pas une mesure adéquate.
‹ Ils ont considéré que la contribution économique des femmes
à la production est nettement sous-estimée par les statistiques
classiques car les femmes effectuent environ les deux tiers de
l’ensemble des tâches domestiques7.
Dans plusieurs pays de l’OCDE, ces considérations ont donné
lieu à des études qui élaborent des méthodes de mesure et présentent
des estimations monétaires de la valeur ajoutée par les activités
productives des ménages menées en dehors du marché.
Pour bien comprendre l’enjeu de ce débat, il faut examiner
‹ Le mode de traitement de la production non marchande des
ménages dans le Système de Comptabilité Nationale de I’ONU
(SCN);
‹ La description des diverses méthodes utilisées pour imputer
une valeur monétaire à la production domestique;
‹ Les estimations de la valeur ajoutée par les activités non
rémunérées des ménages dans certaine pays et la mesure de
leur importance relative par rapport aux chiffres officiels du
produit intérieur brut, de la consommation des ménages et de
leur revenu disponible.
1. Le traitement de la production non
marchande dans le SCN
Dans les premières versions du SCN8 , sont inclus dans la
production brute les produits primaires autoconsommés (produits de
l’agriculture, de l’extraction minière, etc.) et les biens transformés
à partir de produits primaires (beurre, vin, tissus, etc.); sont aussi
inclus tous les autres produits que les ménages destinent à la vente

7- Walker et Gauger (1973)


8- Que les statisticiens désignent par la version de 1968 du SCN (Nations Unies, 1968)

52
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

sur le marché ainsi qu’à leur propre consommation (par exemple les
costumes qu’un tailleur professionnel fait pour ses propres fils) ; les
biens de capital fixe produits pour compte propre doivent aussi être
ajoutés à la production brute. Les services ne sont pas mentionnés, à
l’exception des services de logement que les propriétaires occupants
se rendent à eux-mêmes.
Dans le SCN révisé (version de 1991), la définition de la
production (appelée dans le SCN «frontière de la production»)
couvre désormais tous les biens produits par les ménages pour leur
propre consommation mais exclut tous les services, à l’exception des
services de logement que les propriétaires se rendent à eux-mêmes et
le stockage qui est considéré comme un prolongement du processus
de production des biens.
Dans la version révisée du SCN, la non-prise en compte des services
produits par les ménages est expliquée de la façon suivante:
La réticence des comptables nationaux à imputer une valeur à la
production, aux revenus et aux dépenses associés à la production et
à la consommation de services domestiques et personnels au sein des
ménages tient à plusieurs facteurs, à savoir :
‹ l’indépendance et l’isolement relatifs de ces activités par
rapport aux marchés,
‹ l’extrême difficulté de faire une estimation économiquement
significative de leurs valeurs,
‹ les effets négatifs que cela aurait sur l’utilité des comptes
pour l’orientation de la politique économique et l’analyse des
marchés et de leurs déséquilibres - analyse de l’inflation, du
chômage etc.
En effet, cela pourrait aussi avoir des conséquences «inacceptables»
pour les statistiques de la population active et de l’emploi. D’après les
directives du BIT, les personnes économiquement actives sont celles
participant à des activités de production se situant dans la frontière de

53
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

la production définie dans le Système de comptabilité nationale. Si


la définition était élargie pour inclure aussi la production de services
par les ménages pour compte propre, presque toute la population
adulte serait économiquement active et le chômage serait éliminé.
Les arguments invoqués pour exclure les services domestiques et
personnels de la frontière de la production du Système ne sont pas
tous convaincants :
• Les services de logement que les propriétaires se rendent à eux-
mêmes ne sont pas fondamentalement différents des autres services
produits en vue d’une autoconsommation : ils sont inclus dans
la frontière de la production de façon à éviter une distorsion des
estimations de la production et de la consommation des services de
logement lorsque le rapport entre les logements occupés par leurs
propriétaires et les logements loués varie dans le temps et dans
l’espace.
• Le même type de distorsion peut se produire avec les autres
services domestiques et personnels produits pour compte propre. Par
exemple, employer un cuisinier, aller au restaurant ou acheter des
plats tout préparés au lieu de cuisiner chez soi entraîne une distorsion
du même type.
• II est avancé qu’un revenu imputé n’a pas la même signification
économique qu’un revenu monétaire : le revenu monétaire laisse le
consommateur libre de choisir parmi les biens ou services disponibles
sur le marché, alors que le revenu imputé tiré de la production
domestique ne peut être utilisé que pour acquérir le produit de cette
production. Aussi justifié soit-il, cet argument ne vaut pas seulement
pour le revenu imputé tiré de la production non marchande des
ménages. Les autres imputations faites ailleurs dans le SCN sont
tout aussi différentes d’une production commercialisée.
• II pourrait se révéler aussi difficile d’imputer un prix significatif
aux biens produits par les ménages qu’aux services qu’ils se rendent
à eux-mêmes. Pour pouvoir imputer un prix à des biens, encore faut-
il qu’il y ait un marché pour ceux-ci. Si, par exemple, les ménages

54
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

vont chercher l’eau eux-mêmes, c’est vraisemblablement que le


marché ne leur fournit pas l’eau courante à domicile : il sera alors
difficile de trouver un prix approprié pour imputer une valeur à l’eau.
En revanche, un membre d’un ménage pourrait décider de vendre
une partie du repas qu’il a préparé. Dans ce cas, le prix de marché
est tout trouvé pour imputer une valeur au repas consommé par le
ménage.
• Pour mesurer la valeur de la production, il faut tout d’abord
disposer de statistiques sur cette production. Les enquêtes auprès
des ménages montrent que les données statistiques ne sont pas plus
difficiles à collecter pour un nombre de services, comme la confection
de repas ou la lessive, que pour les biens.
• La version révisée du SCN décrit la production de services pour
compte propre comme une «activité totalement autonome ayant des
répercussions limitées sur le reste de l’économie». On peut avancer
qu’il existe de nombreuses interactions entre ce qui est produit
sur le marché et ce qui est produit à domicile. Par exemple, les
meubles vendus «en kit» et les hypermarchés situés loin des centres-
villes donnent lieu respectivement à une production de services
de montage et de transport par les ménages. Le coût ou l’offre
insuffisante de services de soins pour personnes âgées se traduit
par une augmentation de la production de ces services à domicile.
La plus grande participation des femmes au marché du travail a
une incidence sur la production marchande de biens et de services
réduisant le temps de travail domestique, comme les fours à micro-
ondes et les plats à emporter.
• La faible fiabilité des mesures de la valeur des services produits
au sein du ménage n’est pas une raison suffisante pour les ignorer
complètement. Dans d’autres domaines de la comptabilité nationale,
la qualité des données laisse à désirer. A condition d’y consacrer
suffisamment de réflexion et de ressources, il ne doit pas être
plus difficile d’améliorer la qualité des mesures de la production
domestique que celle des services financiers ou de l’administration
publique.

55
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• Inclure les services que les ménages se rendent à eux-mêmes


dans la définition de la production modifierait en fait radicalement
l’approche conventionnelle qui relie la production à l’emploi
rémunéré : cela reviendrait a supposer que les «personnes sans
emploi» contribuent à produire de la valeur de la même manière que
lespersonnes ayant un emploi» et qu’ils font partie de la population
active. En revanche, cette inclusion ne fait pas disparaître la distinction
fondamentale entre travail marchand et non marchand pas plus
d’ailleurs qu’elle n’élimine le chômage, à condition de continuer à
appliquer le critère classique «d’être activement à la recherche d’un
emploi rémunéré» pour le définir.
En revanche, l’importance même de l’imputation qui serait
nécessaire si l’ensemble de la production domestique était prise en
compte constitue un argument majeur contre son inclusion pure et
simple dans les agrégats des comptes nationaux. Cela risquerait de
les rendre inopérants pour la plupart de leurs utilisations classiques à
des fins de politique et d’analyse économiques.
Une approche plus nuancée consisterait à présenter des estimations
de la production domestique sous forme de rubriques pour mémoire
à côté des statistiques classiques du SCN. Un traitement plus complet
de la production non marchande des ménages dans le cadre de la
comptabilité nationale consisterait à établir un compte satellite des
ménages dans lequel la valeur de cette production et ses utilisations
seraient décrites en détail.
Cette position paraît d’autant plus légitime que la version révisée
du SCN reconnaît que la consommation de services produits par les
ménages a contribue de façon importante au «bien-être économique»
et que des activités comme la vaisselle, la préparation des repas,
les soins aux enfants, aux malades ou aux personnes âgées sont
autant d’activités qui pourraient être fournies par d’autres unités».
La version révisée du SCN note que ces activités se situent dans la
frontière générale de la production et sont en dehors de la frontière de
la production dans le Système de comptabilité nationale seulement
lorsqu’elles ne font pas l’objet d’un échange sur le marché.

56
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

2. La mesure de la production non marchande


des ménages
Pour mesurer la production non marchande des ménages, il faut
d’abord définir «les activités productives». Une des définitions
proposées est le critère de la «tierce partie» qui est aujourd’hui
largement utilisé pour distinguer parmi les activités qui se déroulent
au sein des ménages celles qui sont productives9.
Fondamentalement, les activités productives sont celles qui créent
des biens ou des services qui auraient pu être fournis par une autre
unité économique. Dans cette optique, faire la cuisine ou le ménage
sont des activités productives car quelqu’un pourrait être engagé
pour effectuer ces tâches. Regarder la télévision et dormir ne sont
pas des activités productives car elles ne peuvent pas être réalisées
par une tierce partie. Les mesures de la production des ménages
examinées ci-dessous ne concernent que les activités productives et
ne visent pas à valoriser le temps consacré aux activités satisfaisant
aux besoins physiologiques des personnes et aux activités de loisir
non productives.
D’après le critère de la « tierce partie », les activités domestiques
suivantes sont généralement considérées comme productives :
préparation des repas, vaisselle, ménage et rangement, lessive et
repassage, courses, réparation et entretien des logements et des biens
ménagers, couture et réparation des vêtements, soins aux nouveau-
nés, aux enfants et aux adultes dans le ménage, comptes et écritures,
jardinage, soins aux animaux ainsi que déplacements et attentes liés
à ces activités.
Dans la pratique, l’application du critère de la tierce personne se
heurte à des cas limites qui sont traités en référence aux pratiques
et normes sociales courantes. Par exemple, baigner un enfant ou
habiller une personne handicapée seront considérés comme du travail
domestique, alors que se laver et s’habiller soi-même ne seront pas
des activités productives, car elles correspondent à un comportement
adulte normal. La classification de certaines activités parmi les
9- Hill (1 979)

57
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

activités productives, comme les déplacements dans des véhicules


privés ou à pied, reste controversée.
D’après le critère de la tierce personne, se transporter soi-même
devrait être considéré comme une activité productive à condition
qu’il ne s’agisse pas d’une activité de loisir non productive comme
la course à pied ou les promenades en voiture. Etant donné qu’il
n’est pas toujours facile d’opérer cette distinction, les déplacements
sont fréquemment classés en fonction de leur objet. Ainsi, marcher
jusqu’à des magasins sera classé avec les courses et compté comme
une activité productive alors qu’aller en vélo au sport sera classé
comme une activité non productive.
Une autre difficulté pratique tient au fait que plusieurs activités
productives peuvent être effectuées simultanément. Une personne
peut très bien faire la cuisine tout en aidant un enfant à faire ses
devoirs : la personne en question produit en fait deux services dans le
même laps de temps. Si l’on mesure la production, toutes les activités
devraient alors être prises en compte. En revanche, si l’on mesure le
temps passé, la comptabilisation de toutes les activités simultanées
conduirait au résultat paradoxal que le temps passé à l’ensemble des
activités quotidiennes - professionnelles, physiologiques, de loisir
et domestiques - dépassait les 24 heures d’une journée. La pratique
courante consiste à ne comptabiliser que celle déclarée comme
principale par les personnes interrogées et à ignorer les activités
secondaires.
Dans le SCN, tous les biens et services achetés par les ménages
sont comptabilisés en consommation finale, mais lorsqu’on mesure
la production domestique, les biens et services consommés ou
transformés au cours du processus de production - électricité,
détergents, aliments, tissus, etc. - sont alors considérés comme des
consommations intermédiaires. En outre, les biens utilisés dans
des processus de production successifs durant plusieurs périodes
comptables sont considérés comme des biens de capital fixe. II s’agit

58
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

dans ce dernier cas des biens d’équipements durables comme les


machines à laver, les réfrigérateurs, les robots ménagers, etc. Seuls
les biens et services achetés et consommés sans transformation
ultérieure ni incorporation dans un nouveau bien ou service resteront
comptabilisés comme dépense de consommation finale. La valeur
des biens et des services produits et consommés dans le ménage
devra alors être ajoutée à ces dépenses de consommation finale pour
arriver à une mesure de la consommation «totale» des ménages.
Les méthodes utilisées pour imputer une valeur à la production
non marchande des ménages peuvent être classées en deux grandes
catégories que l’on appellera «approche par l’output» et «approche
par les inputs»:
i) L’approche par l’output consiste à imputer une valeur
monétaire à la production des ménages. En déduisant les
consommations intermédiaires on obtient une estimation de
la valeur ajoutée brute. Si on retranche ensuite les impôts
indirects nets et la consommation de capital fixe, on obtient
une estimation de la valeur imputée du travail domestique
non rémunéré, laquelle peut être assimilée à l’entrepreneur
individuel.
ii) L’approche par les inputs consiste à imputer une valeur
monétaire au travail domestique, en y ajoutant la
consommation de capital fixe, les impôts indirects nets et les
consommations intermédiaires pour obtenir une estimation
de la valeur monétaire de la production non marchande des
ménages.
Pour la mise en oeuvre de l’approche par l’output, il faut d’abord
identifier les biens et services produits par les ménages pour leur
propre consommation et des biens et services équivalents offerts sur
le marché, les «substituts marchands». La production domestique est
alors évaluée aux prix du marché de ces substituts.
Des estimations directes de la production domestique ont été
réalisées pour la France, le Royaume-Uni et la Finlande, encore que
différents types de substituts marchands aient été retenus.

59
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Pour la France, les services de restauration et d’hôtellerie ont


servi de substituts pour la production domestique de repas et services
connexes, les courses, le ménage, la lessive, le repassage et les
réparations des biens ménagers. La production est évaluée au prix du
marché de ces services. Les autres services domestiques et personnels,
tels que les soins aux enfants et aux adultes, la surveillance du travail
scolaire, les travaux de comptabilité et d’écritures, sont évalués au
taux de salaire de personnes spécialisées, comme les puéricultrices,
les infirmières, les répétiteurs, les secrétaires privés. En déduisant
les dépenses engagées par les ménages au titre de cette production,
les intérêts nets payés sur les emprunts contractés pour acquérir un
logement et des biens d’équipement durables ainsi que la TVA et les
autres impôts indirects qui auraient été prélevés si cette production
avait été vendue sur le marché, on obtient une estimation de la valeur
ajoutée par le travail domestique non rémunéré.
Pour le Royaume-Uni, les services rendus par des institutions
prenant en pension complète des enfants et des adultes ont été utilisés
comme substituts pour la production domestique, cette dernière étant
évaluée au coût de fonctionnement de ces établissements.
Pour la Finlande, les services de nettoyage dans les, centres
de soins pour enfants, les services de restauration des cafétérias
gérés par I’Etat et les services de blanchisseries privées ont servi
de substituts pour trois catégories d’activités domestiques, à savoir,
respectivement, le nettoyage du logement, la préparation des repas
et la lessive, qui sont évaluées au coût de production de ces services
sur le marché.
Jusqu’à présent, l’approche par l’output n’a été mise en oeuvre
que dans un petit nombre de pays en raison du manque de données
sur les quantités de biens et de services produits au sein du ménage.
On a plus fréquemment recours à l’approche par les inputs, qui utilise
les données d’enquêtes sur les emplois du temps, sur les revenus et
les salaires et sur les dépenses de consommation des ménages.

60
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

La plupart des études fondées sur l’approche par les inputs


a cherché à mesurer la valeur monétaire du travail non rémunéré
sans aller toutefois jusqu’à fournir une estimation de la production
domestique. Une étude, cependant, fait exception en présentant
pour l’Australie un tableau entrées-sorties pour la production non
marchande des ménages, qui estime la dépense de temps ainsi que
les consommations intermédiaires par type d’activité et donne une
mesure de la valeur de la production domestique.
Trois grandes catégories de méthodes ont été élaborées pour
imputer une valeur monétaire au travail domestique, à partir de
différents schémas de substitution entre travail domestique non
rémunéré et travail marchand. Les deux premières, i) et ii) ci-
après, utilisent comme substituts marchands les personnes payées
pour effectuer des tâches semblables à celles constituant le travail
domestique. La troisième, iii), substitue au travail non rémunéré des
membres des ménages celui qu’ils sont qualifiées pour faire sur le
marché du travail :
i) Un employé de maison est choisi comme substitut pour
effectuer l’ensemble du travail domestique que les membres
du ménage font eux-mêmes. On appellera cette méthode celle
du «substitut global». Le temps total de travail domestique
est alors évalué au taux de salaire d’un employé de maison
sur le marché.
ii) Un ensemble de travailleurs spécialisés sont choisis comme
substituts pour effectuer dans le foyer les tâches qui
correspondent à leur qualification sur le marché du travail
(cuisiniers, puéricultrices, jardiniers, etc.). On parlera alors
de la méthode du «Substitut spécialisé». Leurs taux de
salaires respectifs sur le marché sont utilisés pour estimer la
valeur du temps passé à chaque type d’activité domestique
correspondant à leur spécialisation.

61
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

iii) Le travail domestique a pour substitut le type de travail


marchand pour lequel la personne effectuant des tâches
ménagères a été éduquée et formée. C’est la méthode du
«gain potentiel » ou du «coût d’opportunité du temps». Le
travail domestique qu’un individu fait est alors évalué à son
propre taux de salaire sur le marché du travail.
S’il s’agit d’obtenir une mesure du manque à dépenser, c’est-à-
dire les sommes que les ménages auraient à dépenser pour employer
quelqu’un pour effectuer le travail domestique à leur place, alors tous
les coûts qu’entraînent le travail salarié marchand doivent être inclus
et les taux de salaires doivent être augmentés pour en tenir compte.
II s’agit essentiellement des cotisations sociales obligatoires à la
charge de l’employeur (elles peuvent être importantes, représentant
environ 40% des salaires en France). Si l’analogie avec l’emploi
marchand est poussée plus loin, d’autres coûts éventuels encourus
par l’employeur, comme les frais de nourriture, de logement et de
transport, devraient être ajoutés.
En revanche, s’il s’agit de mesurer le manque à gagner, c’est-à-
dire le revenu que les ménages auraient perçu s’ils avaient effectué
un travail rémunéré sur le marché au lieu d’un travail non rémunéré
à domicile, il faudrait alors déduire les sommes qui seraient
prélevées sur un revenu monétaire. Les plus importantes d’entre
elles sont les cotisations sociales à la charge des salariés et l’impôt
sur les revenus. D’autres ajustements pourraient intervenir pour tenir
compte de dépenses supplémentaires de transport, d’alimentation ou
d’habillement, par exemple, et également des rentrées supplémentaires
sous forme d’avantages divers, de primes, etc.
Les estimations sont aussi affectées par la détermination de la
tranche d’âge de la population considérée comme effectuant du
travail domestique. Pour une activité donnée, on disposera en outre
d’un choix assez large de substituts : les taux de salaire sont souvent
différents dans le secteur privé et dans le secteur public et, dans une
profession donnée, l’éventail des salaires peut être assez ouvert et
les taux de salaire peuvent différer en fonction de l’âge, du sexe,

62
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

de l’expérience et des qualifications. La liste des activités prises en


compte peut être plus ou moins étendue. Sur ces divers points, aucun
consensus ne s’est dégagé quant à la solution la plus appropriée.
Dans la pratique, cependant, le choix est souvent restreint par les
données disponibles. Toutes ces méthodes ont leurs inconvénients :
• Evaluer le temps de travail domestique aux taux de salaire du
marché du travail implique que la productivité au sein du ménage est
la même que celle observée sur le marché : aucune donnée empirique
ne permet de vérifier (ou d’infirmer) cette hypothèse ;
• II est peu probable que toutes les tâches domestiques puissent
être réalisées par un employé de maison non qualifié, comme le
suppose la méthode du substitut global : certaines activités exigent
sans aucun doute des compétences particulières et ne sont pas
exercées au même degré dans tous les ménages (soins de santé ou
d’éducation, par exemple) ;
• II est peu probable, dans la pratique, que les ménages
employeraient la variété de personnel que la méthode du substitut
spécialisé suppose en principe;
• La méthode du « coût d’opportunité du temps» part de l’hypothèse
que les individus peuvent effectuer sur le marché du travail autant
d’heures qu’ils le souhaitent dans des emplois correspondant à leurs
qualifications professionnelles.
• En fait, l’alternative à laquelle ils sont souvent confrontés est soit
de travailler à plein temps soit de ne pas exercer d’emploi. En outre,
le taux de salaire potentiel de ceux qui se trouvent involontairement
sans emploi est souvent nul ou, au mieux, atteint le taux minimum
légal. Cela implique que la valeur d’une heure de travail domestique
est la plus faible pour les personnes qui en font le plus;
• Les écarts de salaires entre hommes et femmes sur le marché
du travail sont transférés dans la sphère domestique, sans tenir
aucun compte des qualifications effectives pour accomplir les tâches
domestiques;

63
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• La méthode du « coût d’opportunité du temps» implique qu’un


travail produisant un bien ou un service à la maison est évalué au prix
d’un travail produisant un bien ou un service totalement différent sur
le marché. II s’ensuit que le taux de salaire n’a plus de lien avec
le type de produit pour lequel le travail est effectué et des produits
identiques se voient affecter des valeurs différentes suivant celui ou
celle qui les produit.

3. Quelques résultats
Le tableau 6 présente des estimations du temps consacré chaque
année au travail domestique par les hommes et les femmes dans cinq
pays. La population de référence, qui diffère d‘un pays à l’autre a bien
entendu une incidence sur les résultats. Le tableau indique aussi le
nombre d’heures de travail rémunérées et la dernière colonne montre
que le temps consacré au travail domestique dépasse dans la plupart
des cas le temps consacré au travail rémunéré. En Allemagne, les
heures de travail domestique ont diminué entre les années 80 et les
années 90, alors qu’elles ont augmenté en France durant la même
période. Les enquêtes sur les budgets-temps réalisées pour la France
(INSEE) montrent que le temps consacré au travail domestique par
les hommes et les femmes chaque jour s’est accru de 2% environ.
L‘augmentation du nombre total d’heures consacrées au travail
domestique est attribuable essentiellement à la croissance de la
population urbaine.

64
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Tableau 6: Estimation annuelle du travail de travail


domestique (homme et femme)

Année Population Travail Travail (1)/(2)


domestique rémunéré
non sur marché
rémunéré (2)
(1)
Etats-unis 1980 18 ans et + 189.0 157.0 121
Allemagne 1980 14 ans et + 50.1 50.6 99
46.3 45.5 102
France 1985 18 ans et + 41.4 37.5 111
1995 Urbains 47.3 37.0 128
Australie 1985 18-69 ans 11.1 10.0 111
Source : Ann Chadeau, op cit
Le tableau 7 sur la contribution des femmes au travail domestique
représente entre deux tiers et trois quarts du temps total consacré
aux tâches domestiques par l’ensemble des hommes et des femmes.
Les enquêtes sur les emplois du temps montrent que le volume du
travail domestique effectué par les femmes varie en fonction de
leur statut professionnel (selon qu’elles sont salariées, exercent un
travail indépendant ou sont femmes au foyer), du nombre d’enfants
dans le ménage et de l’âge du plus jeune. Par exemple, une étude
réalisée pour la France10 montre que les femmes au foyer consacrent
50% d’heures de plus au travail domestique que celles qui ont un
emploi rémunéré et que les femmes exerçant un travail indépendant
y consacrent 18% d’heures de plus que les salariées.
Quel que soit le statut professionnel, le temps consacré à la
production domestique croît avec le nombre d’enfants et est d’autant
plus important que l’âge du dernier enfant est bas. La contribution
relative des femmes, calculée à partir d’estimations monétaires du
travail domestique, est aussi indiquée dans le tableau 2. Elle apparaît
plus faible lorsque la méthode du coût d’opportunité du temps est

10- Chadeau et Fouquet, 1981

65
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

utilisée. Ceci reflète la différence entre les taux de salaires masculins


et féminins : le temps plus réduit que les hommes passent au travail
domestique est évalué à un taux supérieur à celui des femmes qui,
pourtant, y consacrent un plus grand nombre d’heures.

Tableau 7 : Contribution de la femme au travail


domestique total (%)

Année Travail consacré au travail Valeur


domestique non rémunéré monétaire
GO SP
Etats-unis 1986 72 60 68
France 1985 77 69 n.d
Canada 1986 68 61 68
Australie 1986 69 66 68
Norvège 1991 70 64 69
Source : Insee

Le tableau 8 indique la répartition du temps entre quatre principaux


types d’activités domestiques. Les soins aux enfants et aux adultes
occupent 15 à 17% dans les quatre pays considérés. Les courses
représentent à peu près le même pourcentage, sauf en Finlande où
seulement 10% du temps est consacré à cette activité. En France, la
cuisine et la vaisselle absorbent 36% du temps - sensiblement plus
qu’en Australie et qu’aux Pays-Bas.

66
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Tableau 8: Répartition du temps entre activités


domestiques
France Finlande Australie Pays-Bas
(1996) (1992) (1985) (1991)
Cuisine/Vaisselle 36.2 31.1 26.1 27.7
Ménages 30.2 43.1 42.2 38.9
Soins aux enfants 16.3 15.3 15.4 16.8
et aux adultes
Courses 17.3 9.7 16.3 16.6
Total 100 100 100 100
Source : Insee
Le tableau 9 présente des mesures monétaires. Celles-ci sont toutes
fondées sur l’approche par les inputs. La valeur du travail domestique
est exprimée en pourcentage du produit intérieur brut (PIB) et les
résultats sont classés en fonction de la méthode d’estimation : coût
d’opportunité (CO), substitut spécialisé (SP) et substitut global (GL).
Le tableau montre aussi l’effet que l’utilisation de différents taux de
salaires a sur l’estimation de la valeur du temps - salaires nets (après
impôt), salaires bruts (avant impôt), salaires bruts augmentés des
cotisations sociales à la charge de l’employeur.

Tableau 9 : Valeur monétaire du travail domestique


en % du PIB
Pays Population Méthode
de Taux de salaire Taux de salaires
référence moyens bruts moyens nets
CO SP GL CO SP GL
Etats-Unis 86 16 et + 44 n.d n.d 60 44 32
Allemagne 90 14 et + 29 22 n.d 42 32 n.d
Canada 86 15 et + 33 n.d n.d 48 41 22
France 95 15 et + n.d n.d 46 33
Source : Insee

67
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

II ressort clairement que les résultats sont très sensibles à la


méthode utilisée : la méthode du coût d’opportunité aboutit toujours
aux valeurs les plus élevées et la méthode du substitut global presque
toujours aux valeurs les plus faibles. La Norvège est le seul cas où
la méthode du substitut global produit des valeurs plus élevées que
celles obtenues avec la méthode du substitut spécialisé. Dans tous
les cas, la valeur monétaire du travail domestique non rémunéré est
supérieure à un cinquième du PIB et elle dépasse les deux tiers du
PIB (France) lorsque la méthode du coût d’opportunité est appliquée
en utilisant des taux de salaires bruts, augmentés des cotisations
sociales à la charge de l’employeur.
Des séries chronologiques disponibles pour les États-Unis,
l’Allemagne, le Canada et la Norvège montrent une diminution de
l’importance relative du travail domestique non rémunéré. Cela est
probablement dû à la participation croissante des femmes sur le marché
du travail, mais peut-être aussi à une augmentation de la productivité
du travail au sein du ménage, grâce à des biens d’équipements tels
que les lave-linge, les lave-vaisselle, les fours à micro-ondes et les
robots ménagers qui permettent une économie de temps, ou encore
à des produits, comme les légumes pelés et prélavés, les repas prêts
à consommer et les produits jetables. Les estimations fondées sur
l’approche par les inputs qui ne peuvent tenir compte des variations
de productivité, introduisent un biais négatif dans les estimations
de la croissance de la production domestique, si cette productivité
s’accroît.
Quelle que soit la méthode d’évaluation, les activités domestiques
non rémunérées constituent de toute évidence une part très importante
de la consommation totale des ménages.

68
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Conclusions
Quelle que soit la méthode d’évaluation utilisée, la valeur du
travail domestique non rémunéré est importante par rapport au PIB.
La production non marchande des ménages est un élément important
du revenu, de la consommation et du bien-être des ménages.
Les données présentées ici montrent que les estimations de la
valeur de la production domestique varient beaucoup en fonction
de la méthode utilisée. Au plan théorique, l’approche par l’output
est plus satisfaisante en ce sens qu’elle permet d’évaluer les biens
et services produits dans le ménage aux prix auxquels on pourrait
se les procurer sur le marché; c’est ainsi que la production est
généralement évaluée dans les comptes nationaux. Jusqu’à présent,
cette méthode a rarement été mise en oeuvre en raison de l’absence
de données quantitatives et qualitatives sur la production effective
des ménages. Bien que la méthode du « coût d’opportunité du temps
» ait été utilisée dans de nombreuses études, elle est peu défendable
car elle impute des valeurs différentes à des services identiques en
fonction de la personne qui les produit.
En outre, elle évalue les services produits dans le ménage au
coût de production de biens et de services tout à fait différents sur le
marché. La méthode du « substitut global» aboutit généralement aux
valeurs les plus faibles, ce qui peut être considéré comme un avantage
par ceux qui souhaitent limiter le recours aux imputations dans les
comptes. En revanche, elle repose sur l’hypothèse non vérifiée que
le travail domestique exige peu de qualifications. Une méthode plus
vraisemblable et, en même temps, plus facilement réalisable est celle
du « substitut spécialisé », qui différencie les catégories de tâches
domestiques et relie le niveau de salaire au type de travail effectué.
S’il est vrai que les statistiques conventionnelles du SCN ont un
grand nombre d’utilisations qui n’ont pas besoin d’estimations de la
production non marchande des ménages et qui risquent même d’être
compromises par la prise en compte de cette production, il n’en
reste pas moins qu’elles donnent une image fortement déformée
de l’importance, de la composition et de l’évolution des activités

69
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

productives. L’établissement de comptes satellites constitue un


moyen de donner une image plus complète de la production, tout
en préservant les mesures classiques de la production et du revenu
national. Une voie fructueuse consisterait à développer la possibilité
de mettre en oeuvre l’approche par l’output en menant des enquêtes
détaillées sur la production des ménages tous les cinq ans environ.
La méthode du substitut spécialisé pourrait être utilisée à la fois
pour valoriser les activités pour lesquelles seules des données sur les
temps passés sont disponibles et pour permettre d’interpoler entre
enquêtes successives.
Au cours des cinquante dernières années, les statistiques des
comptes nationaux ont été largement utilisées pour réguler et orienter
l’évolution économique, élaborer les politiques économiques et
sociales et évaluer les résultats de ces politiques. Si la production
domestique avait été incluse dans le système des comptes macro-
économiques, soit comme partie intégrante du SCN, soit comme
élément distinct mais comparable, les pouvoirs publics auraient
eu une image différente du développement économique et auraient
peut-être mis en oeuvre des politiques économiques et sociales tout
à fait différentes. Pour prendre un exemple, des études ont montré
que l’inégalité dans la répartition des revenus entre ménages est plus
faible lorsque la production domestique est ajoutée à leurs revenus
monétaires11. Leurs conclusions pourraient avoir des implications
pour les politiques sociales et de bien-être.

11- Zick et Bryant (1985)

70
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Chapitre 3 :
Le temps de travail invisible :
L’approche par le budget temps
Les enquêtes sur les budgets-temps visent à recueillir des
informations sur la manière dont les individus répartissent leur temps
entre les diverses activités auxquelles ils se livrent quotidiennement
et qui ont un impact majeur sur leur sécurité financière, leur santé,
leur bien-être et leur bonheur en général.
Les résultats de ces enquêtes peuvent contribuer à donner
des réponses à un vaste éventail de questions économiques et
sociologiques. L’intérêt croissant porté aux données concernant
les budgets-temps par les économistes, les sociologues, les milieux
d’affaires, les décideurs politiques, les défenseurs des droits des
femmes et les statisticiens a conduit des pays de plus en plus
nombreux à effectuer au moins une enquête sur les budgets-temps et
créé le besoin de prendre cette notion en compte dans la production
régulière de statistiques12.

1 Le budget-temps et les activités non


rémunérées
Initialement, les enquêtes sur les budgets-temps ont servi à étudier
des phénomènes sociaux et des modes de vie et avaient pour but
de fournir des données sur les aspects de la vie au sujet desquels
les sources statistiques classiques ne donnaient aucune information.
Les pays développés se sont intéressés de plus en plus à la collecte
de données sur les budgets-temps dans les années 1960- 1970,
principalement parce qu’ils ont reconnu l’importance de ces données
pour mesurer le travail non rémunéré «invisible» des femmes et
évaluer sa contribution à l’économie nationale et au bien-être.

12- C’est ainsi que 95 enquêtes sur les budgets-temps ont été réalisées dans 19 pays de la région de
la CESAP depuis 1960 (voir graphique, dont 44 au cours des 14 dernières années et 8 depuis 2000. À
l’échelle mondiale, 82 pays ont mené au moins une enquête de ce type

71
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

On divise communément les activités humaines en trois catégories


générales: a) les activités économiques; b) les activités productives
non rémunérées; et c) les activités personnelles (par exemple, manger,
dormir, etc.). Bien que ces trois types d’activité contribuent au bien-
être, les systèmes nationaux de statistique recueillent des données
portant presque exclusivement sur les activités économiques.
Pourtant, les enquêtes menées sur les budgets-temps dans les pays
de l’OCDE ont conclu que les individus consacraient davantage de
temps à des activités non rémunérées que rémunérées.
Un autre constat d’ordre général corroboré par toutes les études
entreprises était que les femmes supportaient une charge de travail
plus lourde, tant en ce qui concernait le travail non rémunéré que la
totalité des heures de travail. Des études menées plus récemment
dans la région de l’Asie et du Pacifique ont confirmé cette tendance13.
D’autres études récentes ont montré que les informations sur la façon
dont les individus répartissent leur temps entre activités rémunérées
et non rémunérées pouvaient aider à mesurer l’impact des politiques
macroéconomiques sur le bien-être des personnes et des groupes de
population. Ces informations pourraient être particulièrement utiles
aux décideurs et aux analystes économiques, qui pourraient ainsi
intégrer l’ensemble de l’économie productive dans leurs politiques
et prévisions.
Les planificateurs et les décideurs ne savent pas grand-chose de
l’utilisation qui est faite du temps et de la contribution qu’apportent
à l’économie les biens et services produits par les ménages. Plusieurs
pays de l’OCDE se servent d’enquêtes sur les budgets-temps pour
grossir leur stock d’informations en la matière. Ces données peuvent
être regroupées dans un compte « satellite » sur les ménages et fournir
ainsi une mesure de la production intérieure qui, complétant le PIB
classique, permettra d’avoir une image plus détaillée de l’activité
économique globale.

13- Ainsi, l’enquête sur les budgets-temps réalisée en République de Coré a conclu qu’en moyenne les
femmes consacraient 21 heures par semaine de plus que les hommes à un travail non rémunéré et que
leur semaine de travail dépassait de près d’une heure par jour celle des hommes.

72
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Non seulement ces enquêtes sur les budgets-temps mesurent la


production réalisée au sein des ménages et celle du secteur bénévole,
mais elles procurent d’autres renseignements précieux -l’évolution
de l’organisation de la durée du travail, les facteurs qui influent
sur l’activité, l’utilisation que font de leur temps les chômeurs,
les modalités et les responsabilité du travail domestique -toutes
informations qui permettent d’avoir une idée de l’apport économique
réel de la femme.
Les enseignements à en tirer sur le plan de l’action sont multiples.
D’une part, les politiques du marché du travail visant à mobiliser
les « inactifs » risquent de manquer leur but si ces «« inactifs »
s’emploient déjà, en fait, à fournir des services non rémunérés aux
ménages et à la collectivité. D’autre part, au lieu de représenter une
économie, le désengagement de l’Etat observé dans les services de
santé et les services sociaux risque de ne constituer en réalité qu’une
simple opération de transfert -la charge des coûts passant du secteur
public aux travailleurs non rémunérés.

2. Finalité et méthode des enquêtes budgets-


temps?
S’agissant de ces études, les données sur les budgets-temps
peuvent être converties en registres nationaux de l’emploi du temps,
c’est-à-dire un ensemble d’estimations sur la façon dont les ménages
répartissent leur temps entre travail rémunéré, activités non
rémunérées et loisirs. Ce système de registres nationaux de
l’emploi du temps sert de base à l’établissement de comparaisons
internationales et à l’amélioration des modèles de systèmes
économiques et sociaux.
Les enquêtes sur les budgets-temps peuvent donc constituer
une importante source de données sur le travail productif car elles
couvrent la part invisible de l’économie dont les gouvernements
doivent tenir compte au moment où ils prennent leurs décisions.
Tandis que les pays en développement commencent à effectuer des
enquêtes sur les budgets-temps, il apparaît de plus en plus clairement
que celles-ci peuvent faire la lumière non seulement sur le travail

73
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

non rémunéré mais aussi sur le travail rémunéré, lequel n’est souvent
pris en compte qu’incomplètement par les systèmes de collecte de
données traditionnels de ces pays.
Les données sur les budgets-temps ont servi à vérifier les
informations concernant les catégories de travailleurs «difficiles
à mesurer», telles que les travailleurs familiaux, les employés de
maison, la main-d’oeuvre temporaire, les travailleurs du secteur
informel, etc., dont le nombre est sous-estimé dans les enquêtes
classiques sur la main-d’oeuvre. Les données sur le temps de travail
effectif, le travail des enfants, le temps consacré aux déplacements,
aux activités de loisirs, etc. peuvent également contribuer à améliorer
les informations recueillies dans le cadre d’autres enquêtes.
En combinant les données relatives aux budgets-temps et les
données démographiques, il est possible de comparer les emplois du
temps de différents groupes. Ainsi, les analystes pourraient comparer
le temps consacré à diverses activités rémunérées et non rémunérées
par les hommes et les femmes, les jeunes et les personnes âgées, les
personnes avec et sans enfant, la population urbaine et rurale, etc. La
réalisation d’enquêtes régulières sur les budgets-temps permettrait
aux chercheurs et aux analystes de repérer les changements intervenus
dans la répartition du temps au fur et à mesure de l’évolution des
normes sociales et de l’économie.

Qu’entend-on par données sur les budgets-temps et


comment sont-elles recueillies ?
Les statistiques sur les budgets-temps sont des synthèses
quantitatives de la façon dont les hommes et les femmes «passent»
leurs temps, généralement sur une période de 24 heures ou d’une
semaine. Ces statistiques sont obtenues à partir d’un échantillon
d’individus et sont habituellement ventilées par sexe, groupe d’âge,
origine rurale ou urbaine, et autres sous-groupes revêtant un intérêt
pour les analystes. Elles donnent des informations sur la répartition
du temps entre le travail rémunéré, les tâches domestiques non
rémunérées (par exemple, la cuisine, le ménage, les courses et les
soins prodigués aux enfants, aux personnes âgées, aux malades ou

74
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

aux handicapés), les activités communautaires et bénévoles et les


activités personnelles (par exemple, repas, loisirs, études, repos,
etc.).
A partir de ces renseignements individuels, on établit des
registres sur les budgets-temps agrégés montrant combien de temps
en moyenne les hommes et les femmes consacrent par jour ou par
semaine à chacune de ces activités, ainsi que le contexte dans lequel
l’activité a lieu, c’est à dire où et avec qui. Les statistiques sur les
budgets-temps donnent donc un tableau exhaustif de la répartition
du temps entre diverses activités concurrentes dans une société
donnée.
Les données nationales sur les budgets-temps sont habituellement
recueillies dans le cadre d’une enquête sur les ménages indépendante
ou s’inscrivant dans le cadre d’une enquête à volets multiples. Les
pays utilisent diverses méthodes de collecte des données dont les
trois les plus courantes reposent sur les éléments suivants: le journal
de l’emploi du-temps (géré par les enquêtés eux-mêmes), l’entretien
(portant sur les activités de la veille) et l’observation.
L’objectif premier d’un journal de l’emploi de temps est de
permettre aux personnes interrogées de consigner toutes les activités
qu’elles ont entreprises dans un laps de temps donné et de fournir
les informations contextuelles nécessaires à l’analyse. Au moment
de la conception du journal, il faudra se demander si l’on retiendra
des intervalles de temps non déterminés ou déterminés (par exemple,
de 15, 30 ou 60 minutes) pour rendre compte des activités; si les
données concernant un intervalle de temps donné porteront sur des
activités individuelles ou multiples; s’il y aura hiérarchisation des
activités simultanées (activités primaires et secondaires); quelles
variables contextuelles seront prises en compte dans la description de
l’activité et de quelle manière elles seront reflétées selon la formule
utilisée pour le journal.
Certains pays ont utilisé des journaux «stylisés» où les personnes
interrogées devaient indiquer le temps qu’elles avaient consacré à des
activités particulières pendant un laps de temps donné, par exemple

75
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

un jour ou une semaine. Ces journaux diffèrent des journaux de


l’emploi du temps en ce que les enquêtés ne sont pas tenus d’indiquer
à quel moment de la journée telle ou telle activité a lieu mais le temps
global qu’ils y consacrent.
Les différents modes de collecte de données sur les budgets-
temps (observation des participants, comptes rendus des personnes
interrogées ou entretiens) ont des avantages et des inconvénients
liés au degré de fiabilité des données obtenues, à leur impact sur le
taux de réponse et à leur coût. Ils doivent donc faire l’objet d’une
évaluation et être appréciés à la lumière des objectifs visés par
l’enquête et compte tenu des ressources disponibles.

Classification des activités aux fins de l’établissement


de statistiques sur les budgets temps
La nomenclature et la classification des activités constituent deux
volets importants de la planification, de la collecte et de l’analyse
des données sur les budgets-temps. Une énumération exhaustive et
systématique des activités doit servir de base pour déterminer si toutes
les activités ont été prises en considération. Différentes classifications
des activités ont été utilisées selon les pays et nombre d’entre elles
reposaient sur la Classification internationale des activités qui sera
utilisée dans les statistiques des budgets-temps, conformément aux
recommandations de l’ONU et d’Eurostat, qui autorise une division
entre activités rémunératrices et non rémunératrices conformément à
la classification type du Système de comptabilité nationale (SCN).
Les données sur les budgets-temps obtenues par le biais de
la Classification internationale ou de classifications analogues
permettent ainsi aux analystes d’élaborer des comptes satellites des
ménages conformément au SCN. En recourant à diverses méthodes
d’évaluation, ils peuvent estimer la valeur du travail non rémunéré
et établir une évaluation de l’économie dans son ensemble et de la
contribution des ménages.

76
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Le processus par lequel des milliers de journaux individuels sont


transformés en synthèses et registres de l’emploi de temps utiles doit
être planifié soigneusement selon un plan de tabulation conforme aux
prescriptions analytiques et tenant compte de la taille des échantillons
requis si l’on veut obtenir des estimations fiables qui seront intégrées
à des tableaux de base à entrées multiples.
Les concepteurs d’enquêtes devront préciser la taille minimale
des cellules des tableaux afin que les erreurs types éventuelles soient
tolérables eu égard aux objectifs concrets des analyses. On trouve
dans le guide plusieurs plans de tabulation de base pour l’analyse des
données avec des commentaires.
Pour servir à l’élaboration de politiques éclairées, les données sur
les budgets-temps devront être agencées et structurées de façon être
comprises par le plus vaste public possible tout en restant suffisamment
ciblées pour pouvoir être utilisées à des fins de sensibilisation.
Il faut donc identifier les groupes d’intérêt, individus et
organisations concernés et les intégrer au processus consultatif dès
le début de la planification afin de déterminer le type de produits
nécessaires ainsi que les modes de diffusion.
Les expériences faites par les pays ont montré que les enquêtes
sur les budgets-temps pouvaient être planifiées et organisées en tant
qu’enquêtes indépendantes ou s’inscrire dans le cadre d’enquêtes à
objectifs multiples. Dans les deux cas, les éléments conceptuels restent
identiques. Les ressources, y compris l’infrastructure statistique de
base sont un élément essentiel à prendre en compte.
L’attention portée au niveau mondial à l’importance des données
sur les budgets-temps pour faire évoluer les choses dans le bon sens,
en particulier pour améliorer la situation des femmes dans le secteur
non rémunéré, a débouché sur des actions visant à affiner les outils
d’analyse. En outre, des normes internationales ont été établies pour
la classification des activités. Ces initiatives contribuent à accroître
l’utilité des statistiques sur les budgets-temps pour l’élaboration des
politiques et la prise de décisions.

77
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

A mesure que les pays mettent en commun leurs expériences dans


la collecte et l’analyse de données, les enquêtes sur les budgets-temps
deviendront partie intégrante des systèmes de statistique. Un aspect
clef de l’analyse des données sur les budgets-temps est l’évaluation
du temps consacré à des activités productives non rémunérées, qui
ne sont généralement pas comptabilisées en tant que ressources
économiques.

3. Le temps de travail non comptabilisé et non


rémunéré au Maroc : une mesure appropriée de
l’activité économique
Au Maroc, quatre femmes actives sur cinq sont des non salariées et
environ la moitié des femmes en âge d’activité, c’est-à-dire 15 ans et
plus, sont considérées comme «femmes au foyer». Ce constat biaise
la mesure de l’activité féminine en ne s’intéressant pas aux champs
domestiques. La division sociale du travail a toujours attribué les
activités ménagères aux femmes sans pour autant comptabiliser cette
contribution dans l’amélioration du niveau de vie du ménage ou dans
l’accroissement du produit national.
Une enquête sur l’observation de l’emploi du temps des femmes
a été réalisée en 1997-98 (l’Enquête Nationale sur le Budget Temps
des Femmes : ENBTF). Elle a été menée dans le but de quantifier
la contribution féminine aux activités économiques, domestiques
et ménagère, d’analyser l’allocation du temps disponible entre
diverses occupations et d’en déduire les conditions sous lesquelles
la participation des femmes aux activités génératrices de revenue
peut être développée.
Parmi les principaux objectifs assignés à cette enquête figurent
les objectifs de :
• Dégager une méthodologie adéquate et adaptée aux conditions
socio-économiques des femmes pour mieux mesurer le degré
de sa contribution au développement économique et social ;

78
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• Examiner comment les femmes participent à la vie économique,


à travers une analyse approfondie des différents aspects de
l’emploi féminin;
• Quantifier et décrire en détail les différentes tâches exercées
par les femmes pour mieux en révéler l’étendue, la nature et
les conditions d’exercice;
• Étudier pour la première fois des emplois de temps de femmes
relevant de diverses catégories socio-économiques et milieux
socio-cultutrels eu égard au champ de l’enquête qui couvre tout
le territoire national et toutes les strates d’habitat et couches
sociales.
L’enquête du budget-temps, surtout si elle est réalisée à intervalle
régulier peut permettre l’élaboration d’une base statistique rendant
possible le suivi de l’évolution des comportements qualitatifs et de
la structure de l’emploi du temps
L’approche budget-temps permet de cerner la contribution des
femmes à l’activité rémunérée et non rémunérée. La conception
de cette approche d’observation statistique repose sur la méthode
suivante :
• Cerner, dans une première étape, le type d’activité par la
méthode courante telle qu’elle est retenue, en partie, par les
recensements de la population et exhaustivement appliquée par
les enquêtes sur l’emploi. Son application permet de délimiter
un premier volume de la population féminine active.
• La méthode budget-temps est par la suite appliquée à la
population féminine considérée inactive par la méthode
courante. Il s’agit du suivi (listage) des occupations féminines
pendant une journée. La détection d’une ou de plusieurs
activités économiques parmi les occupations listées, fait que la
femme inactive d’après la méthode courante soit classée active
par la méthode budget-temps.

79
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• Une femme est dite active d’après l’approche budget-temps si


elle est active d’après l’approche courante ou si elle a exercé au
cours des 24 heures de l’observation de son emploi du temps
une activité économique ou de type économique relevant des
occupations suivantes : activité professionnelle normale ; soins
aux animaux (surveillance, pâturage, abreuvage….), travail
des champs, semence , gardiennage, activités liées au travail
des champs (moisson, cueillette, récolte, commercialisation
produits…) ; activités de l’artisanat
Une fois appliquée à l’ensemble de la population féminine (active
ou inactive), cette approche a permis de corriger non seulement le
type d’activité mais aussi le niveau de la contribution des femmes à
l’activité économique. Cette contribution est spécifiée par la nature
de l’occupation économique et par le temps qui lui est consacrée
L’enquête Nationale sur le Budget Temps des Femmes (ENBTF)
a porté un éclairage utile sur les activités domestiques. L’utilisation
d’enquêtes budget-temps (time budget surveys), a permis de mettre
au jour l’allocation du temps en terme de travail (et de loisir) selon
le sexe (alors que les enquêtes traditionnelles reposaient souvent sur
un malentendu quant à la notion de «travail», diversement perçue
par les enquêtés). Ce type d’enquête s’avère particulièrement adapté
pour mettre en évidence la complexité (multi-activité par exemple)
et la diversité des activités déployées par les acteurs en particulier
en milieu rural où les activités de marché sont minoritaires. Elles
permettent en outre d’utiliser le temps de loisir comme un indicateur
de bien-être.
Une meilleure connaissance de l’emploi du temps des hommes
et des femmes éclaire la structuration par genre de l’espace et du
temps dans les sociétés en développement. Elle souligne l’asymétrie
de la distribution du temps de travail selon le sexe en fonction de
l’existence d’une rémunération, de la productivité, de l’intensité qui
caractérisent les différentes activités.
La prise en charge, par la femme, des activités domestiques à côté
de son engagement dans des activités économiques rend difficile
les tentatives de mesure de la contribution réelle de la femme au

80
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

processus productif14 . L’identification de la population qui travaille


reste liée à la notion d’activité économique, qui pour sa part fait appel
à deux critères : la différenciation entre une utilisation économique
et non économique du temps pour faire la distinction entre personnes
actives et inactives. Il n’en reste pas moins que la distinction, entre le
travail dit économique et le reste des tâches non pris en compte dans
la notion « d’activité économique » est une opération subjective.
La rémunération est sur le plan pratique, le critère qui permet
de reconnaître un emploi comme ayant un caractère économique.
Pour ce faire, l’emploi est alors défini comme une occupation
permettant à un individu de recevoir une compensation en nature
ou ne espèce ou comme une activité par laquelle il contribue à la
production de biens et services commercialisables. Cette approche
est loin d’être satisfaisante, car appliquée de façon stricte à certains
travailleurs agissant dans les secteurs marginaux, de subsistance ou
tout simplement bénévoles seraient exclues. Au-delà de la définition,
le calcul du taux d’activité peut dépendre également, du moment de
l’enquête (saisonnalité) et même des interprétations individuelles de
ce que chacun peut entendre par activité économique.
Pour permettre une réelle appréciation de l’activité féminine, un
certain nombre de conditions doivent être remplies :
• Une meilleure appréhension de la notion d’activité qui reste
contestable, complexe et difficile à cerner ;
• Une plus précise identification des facteurs qui permettront une
bonne répartition des activités de la femme au vu de son temps
disponible.
La comparaison entre la méthode classique de comptabilisation
du temps de travail et la méthode du budget-temps a permis de
réévaluer l’estimation du temps de travail des femmes. Il ressort de
cette comparaison que :

14- Voir à ce sujet : Djamila Chekrouni : Analyse multivariée du marché du travail au Maroc : Modèles
d’évaluation de la participation de la femme à l’activité économique nationale. Thèse de doctorat
d’Etat en Sciences économiques. Faculté des Sciences Juridiques, Economiques et Sociales Rabat-
Agdal. Octobre 2001.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• La méthode du budget-temps accroît le taux d’activité


féminine: la réévaluation de l’estimation est de 10% en
moyenne, se décomposant en 3% en milieu urbain et 14,2%
en milieu rural ;
• C’est en milieu rural que le travail des femmes est sous-estimé
du fait de l’importance du sous-emploi, de la saisonnalité des
travaux, de l’absence de protection et la faiblesse du salariat ;
• La surévaluation est maximale pour les personnes âgées de
plus de 40 ans, notamment pour les femmes âgées de 60 ans
et plus ;
• Les femmes alphabétisées ont un plus grand potentiel à exercer
des activités pas toujours bien définies ;
• La femme mariée urbaine semble s’activer davantage que son
homologue en milieu rural ;
• L’éducation a un impact significatif dans la valorisation du
taux d’activité.
L’approche budget-temps estime le taux d’activité des femmes
à 71,4% en milieu rural et à 34,6% en milieu urbain, soit 50,6%
à l’échelle nationale. L’application de la méthode budget-temps à
l’observation de l’activité économique des femmes âgées de 15 à
70 ans, montre une révision à la hausse de leur taux d’activité de
près de 4,6 points à l’échelle nationale. Selon l’approche courante,
ce taux s’établie à 46,0% contre 50,6% pour l’approche budget-
temps. Ce gains en taux d’activité se fixe à un point en milieu urbain
(respectivement 33,6% et 34,6%) et s’élève à 8,9 points en milieu
rural (respectivement 62,5% et 71,4%). Cet apport de l’approche
budget-temps à la valorisation de la participation féminine à l’activité
économique, aurait été plus net si l’approche courante se limitait aux
déclarations spontanées de la population15. Toutefois, l’écart entre
les taux moyens d’activité dégagés par l’approche budget-temps et
15- En effet, la méthodologie de l’enquête ne se limite pas aux déclarations spontanées. Elle se
réfère à une batterie de questions permettant de récupérer les personnes passivement actives, et à un
relevé rétrospectif des activités exercées par les femmes pendant une semaine de référence. Ce relevé
s’apparente à une observation de type budget-temps en permettant d’identifier les femmes classées a
priori inactives et qui ont exercé une activité ayant une valeur marchande. Les femmes ainsi identifiées
sont récupérées en tant qu’actives occupées.

82
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

la méthode courante, est généralement significatif et démesuré en


milieu rural.
Tableau 10 : comparaison des taux d’activité
féminine observés par la méthode budget-temps et
la méthode courante
Caractéristiques Taux budget-temps/taux méthode
courante %
Urbain Rural Total
Groupes d’âges
15- 25 ans 100,3 116,7 111,1
26- 40 ans 101,6 109,0 105,1
41- 60 ans 107,3 112,6 112,6
61- 70 ans 162,7 140,0 141,8
Alphabétisation
Alphabétisée 101,5 121,4 104,5
Non - alphabétisée 104,1 113,5 112,8
Etat matrimonial
Célibataire 100,4 115,4 107,2
Mariée 122,4 114,0 117,0
Niveau scolaire
Aucun 107,4 113,2 113,4
Fondamental 102,2 125,5 108,1
Total 103,0 114,2 110,0
Source : Enquête ENBTF 1997/98. Direction de la Statistique
Globalement, la distribution selon le genre des activités
économiques et sociales met en évidence une asymétrie fondamentale.
Les femmes assument l’essentiel des activités, peu ou pas rémunérées
et faiblement reconnues socialement, de reproduction sociale, de
production de biens et de services à petite échelle ou pour de faibles
revenus, et à l’échelle collective, les «activités communautaires
de base», liées à leur rôle stratégique dans la gestion de la «vie
quotidienne».

83
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Le cumul de ces trois rôles représente une contribution


considérable des femmes à la vie sociale, et paradoxalement, souvent
un frein à leur liberté et à leur indépendance. La reconnaissance et
l’intégration du triple rôle des femmes dans la pensée et les stratégies
de développement a pu cependant générer des approches ambiguës.
Après l’avoir ignoré, on a pu quelque peu « mythifier » la dimension
«altruiste», collective des activités féminines, et l’abondance régnant
dans ce secteur.
La principale manifestation de l’asymétrie caractéristique de la
distribution des activités sociales selon le genre réside dans le triple
emploi du temps qui caractérise de nombreuses femmes actives dans
le monde. L’absence de « spécialisation » des femmes tend en outre à
rendre leur contribution particulièrement sensible à la conjoncture.

4. La répartition du temps de travail domestique:


un éclairage sur le travail invisible des femmes
La décomposition des principales activités fonctionnelles des
femmes révèle que :
• Le temps physiologique (sommeil, repas, toilette,…) occupe la
moitié de la journée des femmes (12h 44 mn en milieu urbain
et 12h 29 mn en milieu rural). Le temps consacré aux activités
physiologiques s’allonge à mesure que les femmes avancent
dans l’âge. Ce temps varie aussi en sens inverse de la taille du
ménage et du nombre d’enfants. Le fait d’être membre d’un
ménage nombreux induit des activités supplémentaires et fait
que le temps alloué par la femme à la reprise de ses forces est
significativement restreint. Et comme l’activité économique
de la femme constitue en général une occupation qui s’ajoute
aux travaux ménagers, les femmes actives occupées sont les
plus sujettes à l’insuffisance du temps physiologique.
• Le temps domestique et ménager (préparation des repas,
lessive, nettoyage, achat de produits de consommation,
approvisionnement du ménage en eau et en bois de feu,…)
occupe en moyenne 5h 17 mn et est plus long en milieu rural
(5h 53 mn) qu’en milieu urbain (4h 49 mn). Différencié

84
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

selon le profil socio-démographique, le temps domestique


et ménager est plus élevé pour les femmes âgées de 26 à 40
ans. Quel que soit l’âge, la femme rurale consacre plus de
temps aux activités ménagères et domestiques que la femme
citadine ; eu égard à l’accès limité des ménages ruraux au
réseau d’eau potable, à l’électricité, à l’usage du gaz pour
la cuisson et aux équipements ménagers qui engendrent
d’importants gains de temps. Lorsque le logement n’est pas
branché au réseau d’eau potable, la femme doit consacrer en
moyenne 58 mn à l’approvisionnement du ménage en eau,
soit 1h 2 mn en milieu rural et 34 mn en milieu urbain. La
femme rurale chargée du ramassage et de l’acheminement du
bois à son logement, consacre 1h 47 mn à cette occupation.
Contrairement au temps physiologique, le temps domestique
diminue à mesure que la taille du ménage s’élève en milieu
urbain. Le temps domestique et ménager tend, cependant
à s’amplifier à mesure que le nombre d’enfants s’élève. En
plus du temps professionnel, la citadine active occupée devrait
consacrer 4h 9 mn aux occupations domestiques et ménagères
contre 5h 42 mn pour les femmes au foyer. Ainsi, quelles que
soit son statut vis-à-vis de l’activité économique, la femme est
astreinte à l’exercice des activités ménagères dans la quasi-
totalité des cas. Ce temps ménager est d’autant plus grand que
les conditions de vie sont insatisfaisantes.
• Le temps professionnel : Bien qu’elle observe un taux d’activité
élevé, la femme rurale est moins occupée par l’activité
professionnelle (3h 39mn) que par les travaux domestiques et
ménagers (6 heures). Comparée à la femme rurale, la femme
citadine consacre plus de temps aux activités marchandes et
moins de temps aux occupations ménagères (respectivement
4h 55mn et 5h 5mn). Le temps professionnel est à son apogée
pour les femmes âgées de 25 à 40 ans en milieu urbain (5h
34mn) et de 40 à 60 ans en milieu rural (4h 4mn). Dans les
villes comme dans l’espace rural, le temps professionnel est
négativement influencé par le nombre d’enfants.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Tableau 11 : Profil de l’emploi du temps de la femme


marocaine (15 à 70 ans) : temps moyen par femme
exprimé en heures et minutes par jour

Activités et groupes d’activités Femmes Femmes


actives inactives
Urbain Rural Urbain Rural
1. Temps physiologique dont
Sommeil 8h55 8h 55 9h 16 9h 23
Repas à domicile 1h 31 1h 32 1h 36 1h 37
Repas hors domicile 0h 17 0h 09 0h 14 0h 09
2. Temps professionnel 2h 37 3h 15 0h 04 0h 19
3. Temps d’éducation et de 0h 05 0h 0,4 0h 45 0h 06
formation
4. Temps domestique et ménager dont :
Cuisine, vaisselle et nettoyage 2h 43 3h 37 3h 36 4h 16
Course (y.c les trajets) 0h 22 0h 07 0h 20 0h 05
Soins aux enfants 0h 19 0h 24 0h 24 0h 42
Soins aux adultes 0h 05 0h 04 0h 03 0h 03
5. Temps de loisirs et semis loisirs dont :
Télévision 2h 10 0h 31 2h 15 1h 04
Conversation, communication, courrier 0h 48 1h 05 0h 50 1h 16
Lecture 0h 03 0h 0,1 0h 05 -
Visite et réception 0h 45 0h 22 0h 41 0h 19
Promenade, chasse, excursion 0h 16 0h 09 0h 19 0h 09
Jeux 0h 01 0h 03 0h 01 0h 02
Spectacle 0h 0,1 0h 03 0h 1,4 0h 03
Sport 0h 0,4 0h 0,1 0h 0,7 -
Radio, Disques 0h 0,6 0h 03 0h 02 0h 01
Pratique religieuse 0h 20 0h 25 0h 32 0h 24
Source : Direction de la Statistique, ENBTF 1997/98

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Rapporté à l’ensemble des femmes âgées de 15 ans et plus,


le temps quotidien d’éducation et de formation est 15 fois plus
important pour la femme citadine (32,5 mn) que pour la femme
rurale (2,2 mn)) ; la moyenne nationale étant de 19,4 mn. La diffusion
des aptitudes éducatives et professionnelles s’avère essentiellement
destinée aux citadines.
Le loisirs et le temps libre totalisent quotidiennement 5h 2 mn en
milieu urbain et 3h 22 mn en milieu rural. Le temps consacré aux
loisirs s’améliore en fonction du cadre de vie.
Le tableau ci-dessous permet de mieux appréhender la répartition
du temps disponible de la femme selon les occupations profession-
nelles et domestique et les caractéristiques socio-démographiques.
On peut observer notamment que :
Le temps moyen consacré aux activités ménagères est quasiment
le même (16,3%) par les femmes en milieu urbain quelque soit
leur âge, alors qu’en milieu rural, les femmes âgées de 15 à 25 ans
consacrent plus de temps à ces activités (24,2%) que les femmes plus
avancées dans l’age (16,6%);
Les femmes membres d’un ménage de trois enfants et plus
consacrent évidemment plus de temps au travail du foyer que les
femmes sans enfants, la différence selon les milieux n’est pas très
sensible même s’il est plus élevé en milieu rural;
Les femmes sans niveau scolaire consacrent plus de temps au
travail domestique que les femmes instruites, la différences entre
les niveaux d’instruction est plus accentuées en milieu urbain qu’en
milieu rural;
La différence dans le temps affecté au travail ménager est nettement
prononcée selon que la femme est au foyer ou qu’elle exerce une
activité à l’extérieur surtout pour ce qui concerne le milieu urbain;
La salarisation de la femme se traduit par une occupation à
l’extérieur plus forte que pour le tarvail indépendant ou le travail
d’aide familial. Cette réalité est plus vécue en milieu urbain qu’en
milieu rural.

87
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Tableau 12 : Répartition du temps disponible (en %


des 24 heures) de la femme selon les occupations
professionnelles et domestiques et les caractéristiques
socio-démographiques et les milieux
Temps Temps
professionnel ménager
Urbain Rural Urbain Rural
Femmes âgées de 15 à 25 ans 3,0 8,5 16,3 24,2
Femmes âgées de 61 à 70 ans 2,7 8,7 16,3 16,6
Femmes sans enfant 4,0 10,4 18,0 20,8
Femmes membre d’un ménage 3,6 8,9 23,6 26,1
de trois enfants et plus
Femme sans niveau scolaire 3,0 9,7 22,9 24,6
Femme ayant un niveau 4,4 6,5 19,6 23,8
fondamental
Femme ayant un niveau 3,7 4,8 14,9 27,9
secondaire ou supérieur
Femme au foyer 0,3 1,3 23,8 28,7
Femme active occupée 14,4 13,7 17,3 22,7
Femme salariée 15,1 15,6 16,6 19,7
Femme indépendante 10,6 14,3 20,4 23,5
Femme aide-familiale 12,2 13,4 16,4 22,8
Source : Direction de la Statistique. Enquête Nationale sur le
Budget Temps des Femmes 1997/1998. Rapport de Synthèse-
Volume no 2.

5. Les limites de l’usage de l’enquête


Une seule image : le budget-temps des femmes
Une seule enquête est disponible, ce qui donne une seule image du
budget-temps. On ne peut pas faire des observations sur l’évolution
des comportements des ménages et plus particulièrement du volume

88
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

de temps consacré aux tâches ménagères. On observe que les femmes


ont tendance à accroître leur participation au marché du travail
mais ont-elle diminué le temps consacré aux tâches domestiques ou
accordent-elles un peu moins de temps à leurs enfants ? Ailleurs,
les femmes disposent de plus de temps libre qu’il y a dix ou quinze
ans, ce qui comble l’écart important qui les séparait par le passé des
hommes. Le travail occupe donc environ 37 heures de leur temps,
le temps consacré aux soins personnels et le temps consacré aux
enfants ayant diminué légèrement alors que le temps du loisir et de
la télévision a augmenté. On sait pas si cette tendance est observable
au Maroc et dans quelle fourchette ?

L’absence de données sur le budget-temps des pères


Le temps consacré aux principales tâches domestiques par les
hommes est indisponible, compte tenu de sa non intégration dans
le champ de l’étude. Malheureusement, les valeurs de comparaison
manquent sur ce point pour permettre une analyse complémentaire.
Dans un certain nombre de pays, on observe que les pères ont
tendance à diminuer leur temps de travail de façon assez significative
et à accroître légèrement leur participation aux tâches domestiques.
L’équilibre hommes-femmes n’est pas encore atteint à ce chapitre,
mais un tel scénario est envisageable à plus ou moins brève échéance.
Ce qui doit cependant retenir notre attention est que le temps
consacré aux soins des enfants a connu une très nette croissance. Les
hommes consacrent 5,3 heures par semaine à leurs enfants contre
6,4 pour les femmes. Il s’agit du temps dévolu non pas aux soins de
base aux enfants, changer les couches, les nourrir, ... auxquelles les
mères consacrent davantage de temps (15 heures contre 10 pour les
hommes) mais du temps passé en compagnie des enfants, à écouter
la télévision, à faire la vaisselle, etc. Au Maroc, le partage des tâches
domestiques ne s’est pas encore imposé. Par ailleurs, les hommes
adaptent peu leur charge de travail familial à leur situation dans la
vie (avec ou sans famille et enfants) comme ils le font s’agissant de
leur charge de travail professionnel.

89
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

La répartition du temps familial selon l’âge des


enfants
Le travail familial regroupe tant le travail ménager que
l’encadrement, l’éducation des enfants et les soins à dispenser à ces
derniers ou à d’autres personnes requérant un encadrement. Il va
donc de soi que les ménages comptant des enfants présentent une
charge de travail domestique plus élevée que chez les personnes
seules ou indépendantes et dans des couples sans enfant.
L’âge des enfants, bien plus que le degré de scolarité ou le revenu
familial, est la variable la plus importante quant au temps que l’on
consacre aux enfants; il détermine l’usage que l’on fait de son
temps libre, ou même le temps dont on dispose pour le sommeil.
Le fait d’avoir des enfants en bas âge introduit une contrainte ou
un déplacement importants dans l’organisation du budget-temps
hebdomadaire des parents. Dans les pays avancés, quand le premier
enfant paraît, souvent la femme se retire partiellement du marché
du travail pour consacrer davantage de temps à son enfant. Avec la
venue d’un deuxième enfant, la femme tend à se retirer complètement
du marché du travail pour un certain temps. L’homme, lui, va
« surtravailler ». Les données indiquent qu’il n’y a aucun déclin,
quantitativement parlant, du temps passé en famille. Il s’agit ici
du temps pendant lequel l’un ou l’autre des conjoints, ou les deux,
sont avec leurs enfants. Dès lors que les enfants grandissent, le
couple réaménage son temps, les conjoints en profitant pour allouer
davantage de temps à leur propre couple. Lorsque leurs enfants ont
atteint l’âge de 15 ans, le budget-temps des parents ressemble à celui
de couples sans enfants.
Un nouvel équilibre du temps familial
En guise de conclusion, rappelons que la grande variable dont
il faut tenir compte dans l’analyse du budget-temps familial est la
présence ou non d’enfants. Ce sont les enfants qui déterminent avant
tout autre facteur l’organisation et la répartition de l’agenda des
familles. Autre considération à retenir: on assiste à un rééquilibrage
progressif du temps consacré aux enfants et aux tâches familiales
chez les pères et les mères dans la plupart des pays. Les jeunes mères

90
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

acceptent de moins en moins de sacrifier leur propre temps de loisir,


le temps pour soi ou encore le temps de travail. Leur recherche de
temps personnel amène une restructuration du temps familial et un
nouveau partage des responsabilités.
Il faut aussi examiner les différences entre les femmes. Quels
groupes accomplissent le plus de travail familial? Dans quelle
mesure le travail familial dépend-il de la position sur le marché du
travail et de la charge constituée par l’activité rémunérée? Enfin,
nous thématisons la charge globale correspondant au travail familial
et au travail rémunéré des femmes et des hommes. On peut supposer
que la charge globale des femmes est plus lourde que celle des
hommes. L’une des raisons en est l’attribution du travail familial
spécifiques aux sexes. Par ailleurs, au cours des dernières décennies,
toujours plus de femmes sont entrées dans une activité rémunérée
parallèlement à leur travail familial, tandis qu’on n’observe pas
de changement semblable ni d’évolution complémentaire dans le
comportement professionnel des hommes.

La conception qu’ont les femmes de leur rôle s’est modifiée.


L’activité rémunérée a gagné une plus grande importance sur
l’ensemble de la vie. L’influence désormais réduite du mariage,
en raison duquel on n’abandonne plus guère le travail rémunéré
avant le premier enfant, en témoigne. Par ailleurs, d’autres raisons
structurelles, comme l’élévation du niveau de formation des femmes,
sont déterminantes pour expliquer le recul du travail purement
ménager de ces dernières. La spécialisation de la femme dans les
tâches ménagères et de mère n’est plus rentable si l’investissement
dans la formation augmente. En outre, comme les femmes donnent
naissance toujours plus tard à leur premier enfant, le groupe des
femmes au foyer devrait se renforcer dans une phase ultérieure de
leur vie.

91
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Chapitre 4 :
L’Expérience internationale :
les conséquences patrimoniales du
divorce
Dans les pays occidentaux, les régimes matrimoniaux sont l’une
des pièces maîtresses du dispositif du droit patrimonial de la famille,
aux côtés des successions et des libéralités. Ils ont pour objet de
régir les relations pécuniaires qu’entretiennent les époux aussi bien
entre eux qu’avec les tiers. Ces relations, créatrices de droits et
d’obligations, ont été l’objet d’importantes réformes au cours des
dernières décennies.
Gérard Cornu définit les régimes matrimoniaux comme étant
«un ensemble de règles ayant pour objet de gouverner les rapports
pécuniaires des époux ». Ils couvrent l’ensemble des biens des époux,
quels qu’en soient la date et le mode d’acquisition. Ils déterminent
si ces biens restent propres ou entrent, en tout ou en partie, dans
une masse commune, ainsi que les dettes à la charge de chaque
masse de biens. Ils déterminent aussi le pouvoir de chacun des deux
époux d’administrer ces biens et leurs rapports patrimoniaux avec
les tiers.
Les régimes matrimoniaux ont des liens aussi bien avec le divorce,
les libéralités et la succession. A titre d’exemple, le Code civil
Français traite des régimes matrimoniaux aux articles 1387-1581.
Ces articles ne couvrent cependant pas tous les aspects patrimoniaux
du mariage. Ainsi certains aspects sont traités sous les obligations
qui naissent du mariage (réglées aux articles 203-211) ou sous le
titre des devoirs et des droits respectifs des époux (réglés aux articles
212-226).
Selon Deschenaux-Steinauer, «le régime matrimonial désigne
le statut des époux quant à leurs biens. Il comprend les règles par
lesquelles s’exprime l’influence que le mariage exerce de quelque

92
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

façon sur le sort du patrimoine des époux». Il se rapporte «à la propriété


des biens des époux, à la gestion, à la disposition de ces biens, à la
responsabilité des conjoints pour leurs dettes, à la répartition interne
de celles-ci, aux droits des époux en cas d’exécution forcée contre
l’un d’eux, au règlement de leurs intérêts à la fin du régime».
La présente partie de l’étude décrit les conséquences patrimoniales
du divorce dans quatre pays étrangers, l’Allemagne, l’Angleterre et
le Pays de Galles, l’Espagne ainsi qu’en France. Pour chacun de
ces pays, elle présente les principaux régimes matrimoniaux, leurs
caractéristiques. Elle décrit aussi la liquidation du régime matrimonial
et les différents transferts financiers et patrimoniaux entre conjoints
après le prononcé du divorce.
Dans tous les pays retenus, les règles fixées par la loi ne
s’appliquent que subsidiairement, c’est-à-dire à défaut d’accord
entre les parties. Cependant, certains accords doivent être ratifiés par
le juge. Même si les conséquences patrimoniales du divorce sont
le plus souvent arrêtées par accord entre les conjoints, seules les
dispositions législatives ont été analysées.
L’examen des législations étrangères permet de mettre en évidence
les modalités de partage des biens après le divorce, leurs principes et
leurs modes opératoires. Cette partie de l’étude présentera le régime
des acquêts.
Différents écrits affirment que le droit musulman, tel qu’appliqué
dans les pays que nous traiterons, ne connaît pas le concept des
régimes matrimoniaux, lequel n’a pénétré en Tunisie, Égypte ou
au Maroc que par le biais du droit international privé, pour les
besoins des relations familiales internationales. Mais cela ne signifie
pas pour autant que les mariages dans ces pays ne posent pas les
mêmes problèmes patrimoniaux, même si les solutions qui leur sont
consacrées diffèrent d’un pays à l’autre. Nous verrons comment
les lois et la jurisprudence des régimes patrimoniaux occidentaux
peuvent aider à régler un certain nombre de questions liées au partage
des biens dans les pays arabo-musulmans.

93
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

1. Trajectoire des régimes patrimoniaux


Sous l’ancien droit, deux systèmes étaient en vigueur selon que
l’on était dans les pays de droit écrit ou dans les pays de coutume.
Les pays de droit écrit avaient repris le régime dotal, que connaissent
déjà le droit romain de Justinien. La caractéristique essentielle d’un
tel régime consistait en une division des biens de la femme en deux
masses : la masse des biens dotaux, la masse des biens paraphernaux.
Les premiers, formant ce que l’on dénommait la « dot », étaient
soumis à l’administration et à la jouissance du mari ; ils étaient
affectés aux besoins du ménage et devaient être restitués à la femme
en fin de régime. D’où leur inaliénabilité. Les seconds, à l’inverse,
étaient soumis à l’administration et à la jouissance de la femme.

1.1 De l’ancien système au régime légal


Les pays de coutume, dans leur grande majorité, adoptaient un
régime de communauté dont les principales caractéristiques étaient
les suivantes :
• aux biens propres de chaque époux, on opposait la communauté
dont la composition variait selon les coutumes et les contrats
de mariage,
• en cours d’union, les biens communs étaient soumis à la
gestion du mari. En contrepartie des pouvoirs illimités du
mari, la femme se voyait reconnaître des garanties comme
l’hypothèque légale,
• quant à la gestion des propres, la femme connaissait deux
limitations dans ses pouvoirs : la validité de ses actes était
soumise à assistance; la communauté ayant l’usufruit
des propres, le mari avait son mot à dire pour les actes les
concernant,
• à la dissolution du régime, les biens communs étaient partagés
également entre les époux. Mais au cas de mauvaise gestion
maritale, la femme avait le droit de renoncer à la communauté
ou de se prévaloir du bénéfice d’émolument qui l’autorisait à
n’être tenue du passif que dans la limite de l’actif recueilli.

94
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Le régime légal instauré par les Code civils au cours du XIXième


siècle empruntait ses principales caractéristiques aux règles
coutumières, ci-dessus évoquées.
• La première caractéristique tenait à l’étendue de la communauté
qui comprenait, outre les acquêts, tous les biens meubles que
les époux possédaient avant le mariage ou qu’ils recueillaient
à titre gratuit en cours de régime.
• La seconde caractéristique tenait à l’omnipotence du mari qui
ravalait la femme à un rôle quasi passif pendant tout le cours
du régime. En complet désaccord avec la promotion sociale de
la femme, cette situation devint de plus en plus intolérable et
anachronique au fil des décennies. D’où les timides tentatives,
émanant de la loi, en vue d’améliore le statut d’infériorité de
la femme commune en biens.
• La troisième caractéristique du régime légale instauré par les
Codes civils tenait aux garanties accordées à la femme en
contrepartie de l’omnipotence du mari. Comme dans l’ancien
droit coutumier, la femme commune en biens avait la possibilité
de renoncer à la communauté ou de se prévaloir du bénéfice
d’émolument, en cas de mauvaise gestion martiale.
Les réformes générales des régimes matrimoniaux virent le jour,
dans les pays d’Europe Occidentale, sous la pression des milieux
souhaitant l’instauration entre époux d’une égalité plus poussée. Ces
réformes furent réalisées par différentes lois se situant dans le cadre
de l’oeuvre de rénovation des Codes Civils entreprise dans les pays
d’Europe. Ces réformes obéissaient à de grandes lignes directrices:
• Il s’agissait, tout d’abord, de lois qui se voulaient égalitaires,
l’esprit même des réformes étant de donner à la femme, au plan
des effets pécuniaires du mariage et des régimes matrimoniaux,
la place qu’elle avait déjà acquise en fait dans la société et la
famille ;
• Il s’agissait ensuite, de lois qui se veulent libérales, l’esprit même
de la réforme étant de renforcer la liberté et l’indépendance
des époux ;

95
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• Il s’agissait, enfin, de lois qui, tout en respectant la liberté et


l’indépendance des époux, se veulent protectrices des intérêts
de la famille. La reconnaissance à la femme de la pleine
capacité juridique.
Entrées en vigueur à des dates différentes, ces réformes ont eu
pour économie générale les deux objectifs suivants :
• Supprimer les dernières séquelles de l’ancien statut d’infériorité
de la femme mariée, d’où les nouvelles règles tenant à une
égalité entre mari et femme, qu’il s’agisse des règles relatives
à la gestion des bien communs ou des biens propres ; qu’il
s’agisse encore des règles relatives au passif ; qu’il s’agisse
enfin de règles relatives à l’administration légale des biens de
leurs enfants ;
• Simplifier et libéraliser le droit matrimonial, d’où les nouvelles
règles apportant certains perfectionnements aux dispositions
antérieures ou levant certaines prohibitions comme celles
frappant encore la vente ou les sociétés entre époux.

1.2 La réforme du divorce et le traitement des


conséquences de la séparation
Dans les pays occidentaux, malgré la baisse effectivement
impressionnante de la nuptialité dans les années 1990-2008, le
mariage demeure la réalité lourde, massive, dominante d’une vie
conjugale plus vivante que jamais. A titre d’exemple, en France, il
y a 14,8 millions de couples, dont 12,4 millions sont mariés et 2,4
cohabitent. 5,2 millions des couples mariés et 1 million de couples
cohabitant ont un enfant ou plus de moins de 18 ans.
A cet égard, les pouvoirs publics ont voulu adapter la législation
à l’état des mentalités. Il était donc important non seulement de
percevoir que le mariage aujourd’hui est devenu un acte entièrement
volontaire mais aussi de simplifier les procédures de divorce.
La diversité des situations familiales aujourd’hui nécessitait une
réflexion fine sur les modalités de séparation et d’en humaniser les
procédures. L’humanisation du divorce passait par le respect des
règles du partage des biens.

96
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Par ailleurs, dans ces pays, le code de la famille s’est concentré


sur la relation parentale. Autant l’accent porté sur cette relation
éducative fondamentale a un caractère positif et nécessaire, autant
n’envisager la famille que sous l’angle exclusif de cette relation
recèle un piège : l’occultation de la conjugalité. Il y a retentissement
permanent des relations conjugales et des relations parentales,
les unes conditionnant les autres. On ne peut séparer la fonction
parentale de la fonction conjugale, ni dans le cas le plus ordinaire
où les parents vivent ensemble, ni dans le cas où ils sont séparés -
puisque, même si la conjugalité a formellement disparu, il subsiste
une sorte de conjugalité parentale et que l’état des relations entre les
ex-conjoints retentit fortement sur les enfants.
Les réformes du divorce, introduites ces dernières années,
s’insèrent dans un contexte économique et social général où l’égalité
des chances entre les hommes et les femmes reste insuffisante. Elles
souhaitent que le législateur puisse se prononcer sur des données
de droit ou de procédure civile, en gardant à l’esprit les facteurs
fondamentaux qui déterminent les ressources des conjoints, avec
notamment des inégalités de revenus entre hommes et femmes. Certes,
cette inégalité des revenus entre les hommes et les femmes s’affaiblit
progressivement pour les générations qui sont entrées récemment sur
le marché du travail, mais elle demeure particulièrement accentuée
pour les générations plus âgées.
L’objectif fondamental de ces réformes revêt trois principaux
aspects :
• La modification et l’assouplissement du dispositif relatif à
la prestation compensatoire : la prestation compensatoire
deviendrait le mode unique de compensation de la disparité
économique éventuelle entre deux époux du fait du divorce,
en tenant compte de nombreux critères mieux définis. Par
souci d’équité, le droit à prestation de l’époux supportant
les torts exclusifs du divorce pourra être remis en cause en
considération des circonstances particulières de la rupture, et
notamment en cas de violences. En outre, les formes que peut

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

prendre la prestation compensatoire sont assouplies pour mieux


correspondre à la diversité des patrimoines en permettant la
combinaison des différentes formes de versement en capital
ou d’un capital avec une rente. Par ailleurs, des dispositions
nouvelles sont prévues par le texte en cas de décès du débiteur
pour mieux répondre aux situations souvent difficiles, voire
inéquitables, dans lesquelles se trouvent aujourd’hui les
héritiers, tenus personnellement au paiement de la prestation
compensatoire.
• La protection de l’époux victime : Au-delà de la considération
portée à la situation de l’époux économiquement plus faible
dans le cadre de la prestation compensatoire, des mesures
spécifiques tendent à renforcer sa protection dans des cas
particuliers. Ainsi, des dommages-intérêts pourront lui être
accordés en réparation des conséquences d’une particulière
gravité qu’il subit du fait de la dissolution du mariage, soit
lorsque le divorce pour altération définitive du lien conjugal
lui est imposé, soit lorsque le divorce est prononcé aux torts
exclusifs de son conjoint.
• Favoriser un règlement complet et plus rapide des conséquences
patrimoniales du divorce. L’objectif des réformes est de
préparer le plus en amont possible la liquidation du régime
matrimonial, souvent source d’un contentieux difficile après le
jugement de divorce, et dont les incidences sont primordiales
pour les époux. La liste des mesures provisoires que le juge
peut prendre lors de l’audience de conciliation est, dans cet
objectif, complétée avec, notamment, la possibilité de désigner
un notaire en vue d’élaborer un projet de liquidation.
Il ressort de l’expérience des pays occidentaux que de nombreux
textes législatifs et réglementaires ont modifié le droit civil de la
famille et le Code de l’action sociale et de la famille. Malgré cette
relative progression, l’adoption du Code de la Famille ne résout
pas tout, loin s’en faut. C’est dans l’application de la loi que réside
leur pertinence contentieux et souffrances. Quant à la promotion des

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

droits de la femme, on s’est aperçu qu’elle s’appliquait, avec retard,


dans un contexte potentiellement chargé d’un très haut niveau de
divortialité, et qu’elle méritera un suivi au regard des évolutions de
la famille.

2. La liquidation du régime matrimonial en


Allemagne
2.1 Les principaux régimes matrimoniaux
a) Le régime de droit commun
Le régime légal est la communauté différée des augments, qui
est régie par les articles 1363 et suivants du code civil. Ce régime
fonctionne comme une séparation de biens pendant toute la durée du
mariage. Le patrimoine de la femme et celui du mari ne deviennent
pas patrimoine commun des époux, de même que les biens que l’un
ou l’autre acquiert pendant le mariage. Pendant le mariage, chacun
administre et dispose librement de son patrimoine, sous réserve des
limites suivantes prévues aux articles 1365 et 1369 du code civil.
Ainsi, un époux ne peut, sans le consentement de son conjoint :
• Passer un acte de disposition sur la totalité du patrimoine ;
• Disposer ou aliéner les meubles du domicile conjugal.
b) Les autres régimes matrimoniaux
• La séparation de biens : Elle est régie par l’article 1414 du
code civil qui dispose que « si les époux écartent le régime légal ou
le liquident, la séparation de biens s’instaure, sauf si le contrat de
mariage contient d’autres dispositions. » Dans ce régime, il existe
seulement les biens propres du mari et les biens propres de la femme,
chacun d’eux ayant la libre administration et la libre disposition. De
même, chaque époux est seul responsable de ses dettes.
• La communauté de biens : Elle est régie par les articles 1415 et
suivants du code civil. Le régime de communauté est aménagé selon
la volonté des époux. L’on y distingue :

99
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

n le patrimoine commun, qui est constitué des biens que les époux
possèdent au moment du mariage et ceux qu’ils acquièrent par
la suite ;
n le patrimoine propre de chaque époux, qui est composé des
droits instransmissibles, tels qu’un usufruit, une créance
insaisissable ou un droit à réparation d’un préjudice moral ;
n le patrimoine réservé de chaque époux, c’est-à-dire les biens
expressément exclus de la communauté par contrat de mariage
ou par l’auteur d’une libéralité. Sauf aménagement prévu par
contrat de mariage, les époux administrent conjointement les
biens communs. En principe, ils ne peuvent disposer des biens
communs que conjointement.

2.2 Le partage des biens et des droits


a) Le régime de droit commun
Lors du divorce, le régime matrimonial est dissous et liquidé. Le
code civil prévoit une créance de participation au profit de l’époux
dont le patrimoine s’est le moins enrichi pendant le mariage. Au
préalable, le calcul de la valeur initiale et finale des patrimoines,
déduction faite des dettes, permet de déterminer la plus-value (ou
augment) réalisée par le patrimoine de chaque époux.
L’article 1378 du code civil dispose alors que « si le montant de la
plus-value réalisée par un époux dépasse celle réalisée par l’autre,
le premier sera tenu de verser à l’autre la moitié de la différence »,
à titre de péréquation.
Ainsi, il est prévu une répartition égalitaire des plus-values entre
les conjoints divorcés, mais les époux peuvent convenir d’une autre
clé de répartition lors de la procédure de divorce, s’ils ne l’avaient
pas fait avant ou pendant le mariage. Cet accord doit cependant être
établi sous forme notariée ou enregistré au tribunal.
Par ailleurs, le code civil prévoit, à l’article 1381, que «le
débiteur peut s’opposer au paiement de la créance de participation
aux augments, si elle est gravement inéquitable au regard des

100
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

circonstances de la cause » et cite, à titre d’exemple, le fait pour « le


créancier d’avoir, pendant une durée assez longue, gravement violé
les obligations pécuniaires résultant du mariage».
b) Les autres régimes matrimoniaux
- La séparation de biens : En principe, le divorce n’a aucune
conséquence sur le patrimoine de chacun des époux. A la dissolution
du régime par le divorce, chaque époux garde ses biens propres.
- La communauté de biens : A la dissolution du régime par le
divorce, la communauté est liquidée. Chaque époux reprend ses
biens propres et ses biens réservés. La masse commune, restant
après le paiement des dettes communautaires est partagée de façon
égalitaire entre les époux, sauf si le contrat de mariage prévoit une
autre répartition. L’article 1478 du code civil dispose que chaque
époux peut demander la restitution de la valeur de ses apports. De
même, il peut reprendre en échange de leur valeur les biens qui sont
destinés à son usage exclusivement personnel.
c) Le cas particulier de la compensation des droits à pension de
retraite
Pour tenir compte du fait qu’un époux n’a pas pu exercer
d’activité professionnelle ou a eu une activité professionnelle
moins bien rémunérée que celle de son conjoint, notamment à
cause de la gestion du ménage ou de l’éducation des enfants, la
loi du 14 juin 1976 réformant le droit du mariage et de la famille
a mis en place la compensation des droits à pension de retraite
ou d’invalidité acquis pendant le mariage. Cette mesure vise
essentiellement à améliorer la situation financière de la femme
divorcée lorsqu’elle arrive à l’âge de la retraite. Les dispositions
initiales ont été complétées par deux lois, en 1983 et en 1986. Elles
figurent aux articles 1587 et suivants du code civil.
Dans la procédure de divorce, il est prévu que le juge statue
d’office sur la compensation des droits à une pension de retraite
ou d’invalidité, indépendamment de la pension alimentaire.

101
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Cependant, le code civil prévoit certaines hypothèses dans


lesquelles le juge doit écarter la compensation comme «gravement
inéquitable». Par ailleurs, les époux peuvent conclure un accord sur
cette compensation par acte notarié, car ces dispositions ne sont pas
d’ordre public. De plus, en cas de changement substantiel, comme
par exemple un changement de la réglementation ou de la valeur
des droits, les époux peuvent demander la révision de la partie du
jugement de divorce consacrée à la compensation des droits à la
retraite.
En pratique, le juge, aidé par les caisses concernées, calcule les
droits à une pension de retraite ou d’invalidité acquis par chaque
époux pendant la durée du mariage. Celui qui a acquis les droits les
plus élevés est tenu de verser à l’autre la moitié de la différence.
Cette compensation s’opère selon plusieurs modalités complexes.
Pour simplifier la présentation, seuls les droits à la retraite sont
traités dans le texte qui suit, les droits à pension d’invalidité étant
compensés de façon similaire. La loi prévoit deux procédures de
compensation, la procédure relevant du droit public, assez simple et
qui doit être retenue lorsque c’est possible, et la procédure relevant
du droit des obligations.

3. La liquidation du régime matrimonial en


Angleterre et pays de Galles
Le divorce, qui constitue un droit, est prononcé par un juge
selon les dispositions du Matrimonial Causes Act de 1973. La
plupart des règles relatives aux conséquences patrimoniales du
divorce figurent dans ce texte modifié en 1984 et en 1995.

3.1 Les principaux régimes matrimoniaux


Il n’existe pas de concept précis correspondant au régime
matrimonial, et le mariage en lui-même n’a aucun effet sur la
propriété des biens des époux.

102
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

a) Le régime de droit commun


On peut assimiler au régime de droit commun les règles qui
s’appliquent en l’absence de convention entre les époux, et l’on peut
alors considérer que les époux vivent sous un régime de séparation
de biens. Chaque époux a dans son patrimoine personnel tous les
biens dont il avait la propriété avant le mariage, ainsi que les biens
qu’il acquiert par la suite. Il a un pouvoir de gestion et de disposition
absolu sur ses biens.
b) Les autres régimes
Ils n’existent pas davantage que le régime de droit commun,
mais les époux peuvent faire des conventions de mariage, dont la
forme et l’étendue peuvent varier selon l’aménagement des rapports
pécuniaires envisagé. Le plus souvent, les époux transfèrent la
propriété des biens qu’ils veulent mettre en commun à un trust
chargé de les gérer au profit du couple ou des enfants à naître. Les
droits exacts de chaque époux sur les biens constitués en trust varient
suivant les formules adoptées.

3.2 Le partage des biens et des droits


a) Le régime de droit commun
En l’absence d’accord entre les époux, le tribunal décide
des modalités du partage. Les grandes lignes dégagées par la
jurisprudence sont les suivantes :
• Les biens reconnus comme personnels reviennent à l’époux
propriétaire ;
• Les biens considérés comme indivis se partagent par moitié ;
• Les biens acquis en copropriété se partagent par moitié ;

103
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• Lorsque les époux ont tous deux contribué à l’achat de biens


dont seul l’un d’eux est propriétaire en droit, les solutions sont
plus nuancées, la jurisprudence appliquant les notions de trust
implicite et de présomption de libéralité16 .
En fait, ces deux présomptions jouent peu en cas de divorce,
car le tribunal a un pouvoir discrétionnaire pour rendre, en
application des articles 23 et 24 du Matrimonial Causes Act de
1973, des ordonnances contenant des dispositions financières ou des
ajustements patrimoniaux, qui peuvent modifier la composition du
patrimoine d’un époux au profit de l’autre.
b) Les autres régimes
En principe, le divorce n’a aucune conséquence sur le patrimoine
des époux, sous réserve du pouvoir discrétionnaire des tribunaux de
bouleverser les avantages pécuniaires qu’ils instaurent en faisant
application de l’article 24 du Matrimonial Causes Act de 1973.
c) Le cas particulier de la compensation des droits à pension de
retraite
Le Pensions Act de 1995 a introduit un certain nombre de
modifications au Matrimonial Causes Act de 1973, qui sont entrées
en vigueur le 1er août 1996. Désormais l’article 25B du Matrimonial
Causes Act de 1973 oblige le tribunal qui envisage de rendre une
ordonnance contenant des dispositions financières dans une procédure
de divorce à prendre en compte :
• Tout avantage financier qu’un plan d’épargne retraite procure
ou est susceptible de procurer à un époux ;

16- La notion de trust implicite joue lorsqu’un époux est le propriétaire légal d’un bien et que l’autre
époux, qui n’a pas de titre de propriété, veut faire valoir ses droits sur le bien parce qu’il a payé une
partie du prix d’achat ou financé des travaux importants. Le demandeur doit établir, d’une part, qu’il
existait une intention commune de partager la propriété du bien et, d’autre part, qu’il a lui-même agi à
son détriment. Si ces deux éléments sont prouvés, le tribunal considère que le propriétaire en titre tient
le bien en trust pour le compte du demandeur et délimite les droits de chacun. Cependant dans le cas
où l’épouse est seule titulaire du droit de propriété d’un bien dont elle n’a pas payé la totalité du prix
d’achat, la jurisprudence, de manière un peu anachronique, fait jouer en sa faveur une présomption de
libéralité, mais cette présomption n’est pas irréfragable

104
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• La perte d’une chance d’acquérir un avantage financier


provenant d’un plan d’épargne retraite.
Le tribunal peut donc prendre toute disposition financière
destinée à compenser les droits à la retraite de l’autre époux,
comme l’octroi d’une pension ou d’une somme forfaitaire.
En outre, le tribunal peut ordonner que le gestionnaire du plan
d’épargne retraite paye tout ou partie de la retraite non pas au
bénéficiaire initial mais à l’autre époux, au moment où la retraite
est due. Les droits restent donc attachés à leur titulaire initial, ce qui
pose un problème lorsque celui-ci décède le premier ou prend sa
retraite très tardivement.
Lorsque le plan d’épargne retraite contient des dispositions
relatives au paiement d’une somme forfaitaire au décès du titulaire
des droits, l’article 25C précise que le tribunal peut ordonner, si cela
est prévu dans les statuts, que le gestionnaire ou l’époux titulaire
désigne son ex-conjoint comme bénéficiaire de tout ou partie de la
somme, et, dans tous les autres cas, que le gestionnaire paye tout ou
partie de la somme à l’exconjoint, lorsqu’elle vient en versement.
Les possibilités offertes aux tribunaux dans ce domaine ont été
changées avant la fin de l’an 2000, puisque le Welfare Reform
and Pensions Act, promulgué le 12 novembre 1999, amende le
Matrimonial Causes Act de 1973 et donne aux tribunaux la faculté
de rendre des ordonnances de partage des droits à la retraite lors
d’un divorce. Ce partage se concrétisera par le transfert d’une fraction
des droits du titulaire, sur un compte ouvert à l’autre conjoint dans
le même plan d’épargne retraite, ou par le transfert d’une somme sur
un compte ouvert dans une autre caisse de retraite.

4. La liquidation du régime matrimoniale en


Espagne
La loi 30/1981 du 7 juillet 1981 a réintroduit le divorce comme
cause de dissolution du mariage, que ce dernier ait été célébré sous
la forme civile ou religieuse. Le divorce est toujours prononcé par
un juge.

105
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Les règles relatives aux conséquences patrimoniales divorce


figurent dans le code civil, qui comporte les mesures devant être
prises au profit des enfants, les dispositions relatives à la prestation
compensatoire éventuellement due au conjoint, les critères
d’attribution du logement familial et les modalités de liquidation des
régimes matrimoniaux.

4.1 Les principaux régimes matrimoniaux


a) Le régime de droit commun
Le régime légal est la société d’acquêts, régi par l’article 1344
du code civil. Dans ce régime, on distingue :
• Le patrimoine propre de chacun des conjoints, composé des
biens appartenant à chacun d’eux avant le mariage ou recueilli
ensuite par donation ou succession ;
• Le patrimoine commun, constitué par les biens acquis par les
époux pendant le mariage.
A défaut de dispositions prévues dans le contrat de mariage, les
deux époux administrent conjointement les acquêts. Le consentement
des deux conjoints est nécessaire pour disposer de ces acquêts.
b) Les autres régimes
• La participation aux acquêts : Ce régime est défini par l’article
1411 du code civil. Il fonctionne comme un régime de séparation
de biens pendant la durée du mariage, chaque époux gérant ses
biens d’une manière totalement indépendante. Toutefois, un
conjoint ne peut disposer d’un bien à titre gratuit sans l’accord
de l’autre.
• La séparation de biens : Elle est régie par l’article 1435 du code
civil. Chaque époux reste propriétaire des biens qu’il possédait
avant le mariage et de ceux qu’il a acquis par la suite.

106
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

4.2 Le partage des biens et droits


a) Le régime de droit commun
Lors du divorce, le régime matrimonial est dissous et liquidé.
Il est procédé à un inventaire de l’actif et du passif de la société
d’acquêts, l’évaluation des biens étant faite au jour de la liquidation.
Les sommes payées par la société d’acquêts pour le compte de l’un
des conjoints ou dues par elle à l’un des conjoints sont actualisées au
jour de la liquidation.
Le passif de la société d’acquêts est ensuite liquidé. L’article
1399 détermine l’ordre de préférence des créanciers. Les dettes
alimentaires sont payées en priorité. Les créances d’un conjoint sur
la société d’acquêts viennent après les créances des tiers.
Lorsqu’il n’y a pas suffisamment de liquidités pour payer les
dettes, il peut être proposé d’adjuger des biens de la société d’acquêts,
mais si l’un quelconque des bénéficiaires ou créanciers le demande,
il sera procédé à la vente de ces biens dont le produit servira au
paiement des dettes. Après le paiement du passif, l’avoir restant
est partagé par moitié entre les conjoints.
b) Le régime de participation aux acquêts
Lorsque les époux adoptent le régime de la participation aux
acquêts, ils acquièrent le droit de participer, lors de la liquidation
du régime matrimonial, aux acquêts du conjoint. La créance de
participation à partager représente la différence entre le patrimoine
originaire et le patrimoine final de chaque conjoint.
Le patrimoine originaire est constitué des biens et droits
appartenant à chaque conjoint au début du régime et de ceux acquis
ensuite par succession, donation ou libéralités, dont est déduit le
passif imputable à chaque conjoint. Ces biens sont estimés en fonction
de leur état et de leur valeur au début du régime ou au moment de
leur acquisition. Leur valeur est actualisée au jour de la cessation du
régime.

107
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Le patrimoine final est composé des biens et droits dont est


titulaire chaque conjoint au moment de la dissolution du régime,
dont doivent être déduites les obligations restant à satisfaire. Ces
biens sont évalués au jour de la liquidation.
Les acquêts représentent la différence entre le patrimoine originaire
et le patrimoine final de chacun des conjoints. Si la différence est
négative, il n’existe pas de participation aux pertes. Le conjoint dont
le patrimoine s’est accru le moins reçoit la moitié de la différence
entre son propre acquêt et celui de son conjoint. Au moment de la
constitution du régime, les conjoints peuvent toutefois décider d’un
partage différent, à moins qu’il existe des descendants qui ne soient
pas communs.
La créance de participation est payée en espèces. Elle peut
également l’être en nature, par accord entre les intéressés ou par
décision judiciaire, au moyen de l’attribution de certains biens.
c) Le régime de la séparation de biens
En principe, le divorce n’a aucune conséquence sur le patrimoine
de chacun des époux. Lorsqu’il est impossible de prouver auquel
des deux conjoints appartient un bien ou un droit déterminé, l’article
1441 du code civil précise qu’il sera attribué aux deux pour moitié.
L’article 1438 du code civil prévoit l’obligation, pour chacun
des époux, de contribuer aux charges du mariage. Cette contribution
peut résulter d’un accord entre les conjoints ou, à défaut, être fixée
proportionnellement à leurs ressources respectives. Il est également
prévu par cet article d’attribuer une valeur au «travail domestique»
dont il sera tenu compte dans le calcul de la contribution aux charges
et qui donnera lieu, éventuellement, à compensation lors de la
dissolution du mariage.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

5. La liquidation du régime matrimoniale en


France
La loi n° 75-617 du 11 juillet 1975 a réformé les conditions et
les conséquences du divorce. Celui-ci est toujours prononcé par un
juge. Les règles relatives aux conséquences patrimoniales du divorce
figurent dans le code civil, qui comporte les dispositions applicables
à la pension alimentaire due aux enfants, aux compensations ou
pension éventuellement due aux conjoint, au sort du logement
familial et à la liquidation des principaux régimes matrimoniaux.

5.1 Les principaux régimes matrimoniaux


a) Le régime de droit commun
Le régime légal de la communauté de biens réduite aux acquêts
a été instauré par la loi du 13 juillet 1965. Il est défini à l’article 1401
du code civil. On distingue :
• Les biens propres de chacun des conjoints, acquis avant le
mariage, ou qu’ils ont recueillis ensuite par donation ou
succession ;
• Le patrimoine de la communauté, constitué par les biens
acquis par les époux, ensemble ou séparément, pendant la
durée du mariage et avec leurs revenus. Chacun des époux
peut administrer seul les biens communs et même en disposer.
Toutefois, le consentement des deux époux est nécessaire
notamment pour une donation portant sur des biens de la
communauté.
b) Les autres régimes
La participation aux acquêts : Ce régime est régi par l’article
1569 du code civil. Il fonctionne comme un régime de séparation
de biens pendant toute la durée du mariage, chaque époux gérant
son patrimoine personnel. Toutefois, un époux ne peut disposer d’un
bien à titre gratuit sans l’accord de son conjoint.

109
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

La séparation de biens : Elle est définie par l’article 1536 du


code civil. Chaque époux « conserve l’administration, la jouissance
et la libre disposition de ses biens personnels ».

5.2 Le partage des biens et droits


a) Le régime de droit commun
Lors du divorce, la communauté est dissoute et liquidée. Il est
établi le compte des «récompenses » que chaque époux doit à
la communauté ou que la communauté leur doit. Les biens de la
communauté sont évalués à la date du partage. On y ajoute les
récompenses dues par les époux ou on déduit les sommes dues par la
communauté, le solde constituant la masse à partager.
L’actif de la communauté ainsi déterminé est partagé par
moitié entre les époux. Le partage peut être fait en nature (attribution
d’un lot), ou en nature et en espèces lorsqu’il est impossible de définir
des parts égales. En cas de désaccord entre les conjoints, les biens
peuvent être vendus et le prix de vente partagé.
b) Le régime de la participation aux acquêts
A la dissolution du mariage, chacun des conjoints a le droit de
participer pour moitié aux acquêts du conjoint. Pour déterminer la
créance de participation à partager entre les époux, il faut comparer
le patrimoine originaire de chaque époux au début du mariage avec
son patrimoine lors de la dissolution.
Le patrimoine originaire est évalué au jour de la liquidation, en
tenant compte de l’état des biens au jour du mariage, de l’acquisition,
de la donation ou du décès pour un bien recueilli par succession et en
déduisant les dettes grevant ce patrimoine. Lorsqu’un de ces biens a
été vendu au cours du mariage, la valeur retenue est le prix de vente.
Si un nouveau bien a été acheté avec cet argent, c’est la valeur du
nouveau bien qui est retenue.
Le patrimoine final comprend tous les biens appartenant à chacun
des époux, estimés selon leur état à l’époque de la dissolution et
d’après leur valeur au jour de la liquidation, y compris les biens qu’ils

110
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

ont pu léguer par testament ou dont ils ont disposé par donation sans
l’accord du conjoint, et les créances à l’encontre de l’un ou l’autre
des époux. Les dettes restant dues par les conjoints sont déduites de
ce patrimoine.
La comparaison entre le patrimoine originaire et le patrimoine
final permet de déterminer le montant de la créance de participation
de chacun des conjoints. Cette créance est payée en argent.
En principe, chaque époux bénéficie, à hauteur de moitié, des
acquêts de l’autre, mais le contrat de mariage peut prévoir une
proportion différente.
c) La séparation de biens
Le divorce n’a aucune conséquence sur le patrimoine de chacun
des époux. Lorsqu’il est impossible de prouver auquel des deux
conjoints appartient un bien, il est réputé appartenir indivisément
aux deux époux, sauf si le contrat de mariage en décide autrement.
Il y a lieu éventuellement de procéder au remboursement des
sommes avancées par l’un des époux pour le compte de l’autre, afin
de rétablir l’évaluation de chaque patrimoine. Le cas échéant, il faut
procéder ensuite au partage des biens indivis.

En conclusion
Dans les pays occidentaux, l’institution d’un patrimoine familial
confirme le partenariat de deux personnes unies par les liens
du mariage ou de l’union civile et garantit l’égalité juridique et
économique des conjoints, en assurant à chacun une juste part de
ce patrimoine. Les règles régissant la constitution et le partage du
patrimoine familial s’appliquent à tous les couples mariés ou unis
civilement au moment de la dissolution de leur union par suite du
décès de l’un des conjoints ou par suite d’un divorce, d’une séparation
de corps, d’une dissolution d’union civile ou d’une annulation
de mariage ou d’union civile, et ce, quel que soit leur régime
matrimonial ou d’union civile, et qu’ils aient ou non des enfants.
Lors d’une séparation de corps, d’un divorce ou de la dissolution

111
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

d’une union civile, les biens sont partagés entre les conjoints. Ce
partage se fait d’abord selon les règles de partage du patrimoine
familial puis selon les règles du régime matrimonial ou du régime
d’union civile des conjoints.
Dans ces pays, les lois ont réformé les conditions et les
conséquences du divorce. Celui-ci est toujours prononcé par un juge.
Les règles relatives aux conséquences patrimoniales du divorce
figurent dans le code civil, qui comporte les dispositions applicables
à la pension alimentaire due aux enfants, aux compensations ou
pension éventuellement due aux conjoint, au sort du logement
familial et à la liquidation des principaux régimes matrimoniaux.
Il existe différents types de contrats de mariage.
Le régime légal de la communauté de biens réduite aux acquêts.
On distingue : les biens propres de chacun des conjoints, acquis avant
le mariage, ou qu’ils ont recueillis ensuite par donation ou succession;
le patrimoine de la communauté, constitué par les biens acquis par
les époux, ensemble ou séparément, pendant la durée du mariage et
avec leurs revenus. Chacun des époux peut administrer seul les biens
communs et même en disposer. Toutefois, le consentement des deux
époux est nécessaire notamment pour une donation portant sur des
biens de la communauté.
La participation aux acquêts : Il fonctionne comme un régime
de séparation de biens pendant toute la durée du mariage, chaque
époux gérant son patrimoine personnel. Toutefois, un époux ne peut
disposer d’un bien à titre gratuit sans l’accord de son conjoint.
La séparation de biens. Chaque époux conserve l’administration,
la jouissance et la libre disposition de ses biens personnels.

112
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Chapitre 5 :
Leçons de l’expérience
internationale : Eclairage sur le
régime des acquêts
L’expérience des pays occidentaux montre l’existence d’une
diversité de régimes matrimoniaux. Chacun des régimes a ses
caractéristiques dans le traitement de la liquidation du patrimoine.
Nous mettrons l’accent dans ce chapitre sur :
- les critères du choix d’un régime,
- les caractéristiques particulières du régime des acquêts.
Dans la séparation de biens, le divorce n’a aucune conséquence
sur le patrimoine de chacun des époux. Lorsqu’il est impossible de
prouver auquel des deux conjoints appartient un bien, il est réputé
appartenir indivisément aux deux époux, sauf si le contrat de
mariage en décide autrement. Il y a lieu éventuellement de procéder
au remboursement des sommes avancées par l’un des époux pour le
compte de l’autre, afin de rétablir l’évaluation de chaque patrimoine.
Le cas échéant, il faut procéder ensuite au partage des biens indivis.
Dans le régime de droit commun, lors du divorce, la communauté
est dissoute et liquidée. Il est établi le compte des «récompenses »
que chaque époux doit à la communauté ou que la communauté leur
doit. Les biens de la communauté sont évalués à la date du partage.
On y ajoute les récompenses dues par les époux ou on déduit les
sommes dues par la communauté, le solde constituant la masse à
partager. L’actif de la communauté ainsi déterminé est partagé par
moitié entre les époux17.

17- Le partage peut être fait en nature (attribution d’un lot), ou en nature et en espèces lorsqu’il est
impossible de définir des parts égales. En cas de désaccord entre les conjoints, les biens peuvent être
vendus et le prix de vente partagé.Le partage peut être fait en nature (attribution d’un lot), ou en
nature et en espèces lorsqu’il est impossible de définir des parts égales. En cas de désaccord entre les
conjoints, les biens peuvent être vendus et le prix de vente partagé.

113
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Dans le régime de la participation aux acquêts, à la dissolution


du mariage, chacun des conjoints a le droit de participer pour moitié
aux acquêts du conjoint. Pour déterminer la créance de participation
à partager entre les époux, il faut comparer le patrimoine originaire
de chaque époux au début du mariage avec son patrimoine lors
de la dissolution. Le patrimoine originaire est évalué au jour de la
liquidation, en tenant compte de l’état des biens au jour du mariage,
de l’acquisition, de la donation ou du décès pour un bien recueilli
par succession et en déduisant les dettes grevant ce patrimoine.
Lorsqu’un de ces biens a été vendu au cours du mariage, la valeur
retenue est le prix de vente. Si un nouveau bien a été acheté avec cet
argent, c’est la valeur du nouveau bien qui est retenue18 . En principe,
chaque époux bénéficie, à hauteur de moitié, des acquêts de l’autre,
mais le contrat de mariage peut prévoir une proportion différente.
La mise en œuvre de ces principes a permis de donner lieu à un
double choix de la part des futurs époux :
• Ils auront d’abord à opter entre le régime légal et les régimes
conventionnels,
• A supposer qu’ils aient opté pour les régimes conventionnels,
s’ouvrira ensuite le choix entre ces différents régimes.
Que le choix d’un régime matrimonial ait lieu avant ou en
cours de mariage, il se fera à partir d’un certain nombre de critères
qu’il est intéressant d’examiner avant d’analyser les modalités de
formalisation du choix opéré.

1. Les critères de choix d’un régime:


Nécessité d’informer. Le choix d’un régime matrimonial est le
plus souvent très arbitraire. La plupart des personnes qui se marient

18- Le patrimoine final comprend tous les biens appartenant à chacun des époux, estimés selon leur
état à l’époque de la dissolution et d’après leur valeur au jour de la liquidation, y compris les biens
qu’ils ont pu léguer par testament ou dont ils ont disposé par donation sans l’accord du conjoint, et
les créances à l’encontre de l’un ou l’autre des époux. Les dettes restant dues par les conjoints sont
déduites de ce patrimoine. La comparaison entre le patrimoine originaire et le patrimoine final permet
de déterminer le montant de la créance de participation de chacun des conjoints. Cette créance est
payée en argent.

114
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

ignorent tout - ou presque tout- des dispositions qui vont régir


leurs rapports matrimoniaux. Les enquêtes ou sondages d’opinion
publique réalisés sont, à cet égard, très révélateurs de l’ampleur du
phénomène. La nécessité d’informer et d’éclairer le choix des futurs
époux n’avait pourtant pas échappé aux pouvoirs législatifs lors de
l’élaboration des lois.
Plusieurs propositions peuvent être faites en ce sens :
• Une première proposition suggère de remettre aux futurs époux,
à l’occasion de leur visite devant l’officier d’état civil, une
notice explicative destinée à les informer des divers régimes
possibles en dehors du régime légal ;
• Une deuxième proposition consisterait à la délivrance d’un
certificat, par l’adoul ou le notaire, attestant que les intéressés
ont reçu des éclaircissements sur les possibilités offertes à leur
choix.
1.1 Critères en faveur du régime légal
Ignorance, attitude passive ou choix délibéré. L’adoption
du régime légal par une très grande majorité des gens (entre 83 et
88%) qui se marient est un phénomène qui n’a cessé de s’amplifier,
comme en témoignent les diverses enquêtes statistiques menées
aussi bien dans les pays latins que dans les pays anglo-saxons ou
germaniques.
L’adoption du régime légale semble, en fait, être, le plus souvent,
le résultat d’une ignorance ou d’une attitude passive à l’égard des
conventions matrimoniales que l’objet d’un choix délibéré de la part
des intéressés.
Le fait que l’ignorance soit souvent à l’origine de l’adoption du
régime légale se trouve confirmation dans le fait que 9 sur 10 de ceux
ou celles qui n’ont pas le niveau des études primaires se marient sans
contrat, contre 7 sur 10 pour les personnes ayant un niveau d’études
supérieur.
Lorsque le régime légal est l’objet d’un choix délibéré de la part
des intéressés, les principaux critères à l’origine de ces choix sont :
la situation de fortune des futurs époux et l’esprit communautaire du

115
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

régime. Plus accessoirement, ce peut être le coût du contrat de mariage


qui, ajouté à celui des dépenses occasionnées par la cérémonie,
dissuade les personnes qui se marient d’avoir recours au notaire. Les
deux premiers critères appellent quelques observations.
a- La situation de fortune des futurs époux
Critère déterminant. La situation de fortune des futurs époux, et
plus particulièrement son étendue, est très fréquemment le critère
déterminant en faveur du régime légal. Si aucun des deux époux ne
dispose de fortune et se nourrit d’espoir de recueillir une fortune par
succession ou donation, on voit mal, effectivement, quel serait, pour
eux, l’intérêt de faire un contrat de mariage.
Il faut toutefois être prudent en ce domaine et ne pas exclure
systématiquement le recours à un régime conventionnel, lorsque sans
fortune, au moment de leur mariage, les futurs époux sont en mesure
d’escompter un enrichissement important, en cours de mariage, du
fait de la qualification professionnelle de l’un ou l’autre.
Si un seul époux ou même les deux disposent d’une fortune
familiale, ce n’est pas a priori une raison suffisante pour exclure
d’emblée la communauté légale telle qu’elle est réglementée par
la loi. Sous le régime légal, en effet, restent propres les biens dont
l’époux avait la propriété ou la possession au jour du mariage ; restent
également propres les biens acquis à titre gratuit durant le mariage.
De plus chaque époux ayant sur ses propres tous les pouvoirs
d’administration, de jouissance et de disposition, le conjoint fortuné
n’a pas à craindre un partage de pouvoirs. Malgré celà, la pratique
prouve qu’en pareils cas, c’est plus vers un régime conventionnel,
type séparatiste, que vers le régime légal que s’oriente les futurs
époux. Deux raisons à cela.
• La première tient au sort des revenus : en régime légal, les
revenus de biens propres tombent en communauté, alors
qu’en régime de séparation de biens, ils demeurent personnels
à l’époux propriétaire.

116
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• La seconde raison tien à un problème de preuve : la preuve


de la consistance de chacune des patrimoines est plus aisée
dans un régime séparatiste que sous le régime légal où joue la
présomption d’acquêts.
b- L’esprit communautaire du régime légal.
Attachement au principe communautaire. L’esprit
communautaire qui anime le régime légal est également un critère
en faveur de ce régime. Cet attachement au principe communautaire
correspond lui-même à une certaine idée que l’on se fait généralement
du mariage : communauté de vie mais aussi d’intérêts, alors que
l’esprit séparatiste, par l’égoïsme qu’il engendre, est aux antipodes
du mariage. Ces considérations idéologiques ont notamment une
grande importance pour le choix du régime, lorsqu’un seul époux
exerce une activité professionnelle ou lorsque les deux exerçant une
profession, les gains et salaires de chacune sont très inégaux. En
pareil cas, il est sûr que la communauté légale est l’un des régîmes
qui garantit le mieux les intérêts du conjoint sans fortune ou avec des
revenus très inférieurs à ceux de l’autre. Elle évite entre autres les
injustices criantes qu’engendre souvent la séparation de biens.

1.2 Critères en faveur des régimes conventionnels


Enoncé des principaux critères. Si l’on s’en rapporte à
l’expérience des notaires, l’influence familiale, la situation
patrimoniale des époux et l’existence d’un précédent mariage
semblent être les trois principaux critères motivant la conclusion
d’un contrat de mariage.
a- L’influence familiale : Critère encore de mise.
Aussi surprenant que cela soit, compte tenu de l’évolution des
mœurs et des mentalités, l’influence du milieu familial reste encore
décisive, comme le prouve la pratique notariale. D’après les notaires,
les parents qui se sont mariés sous un régime conventionnelle incitent
leurs enfants à faire de même ; dans certaines familles, le contrat de
mariage est une tradition, que cette tradition tienne du conformisme

117
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

ou du snobisme, de la conviction ou de la prudence ; bien souvent, le


même régime est adopté de génération en génération, répondant au
souci des parents de préserver la fortune familiale ou d’en assurer la
transmission répondant encore à leur désir de pallier l’inexpérience
ou la progalité des époux et de sauvegarder les intérêts de leurs
enfants en cas de divorces.
b- La situation patrimoniale des époux : Critères doublement
justifié.
La situation patrimoniale des époux peut justifier la rédaction
d’un contrat de mariage lorsqu’à la tête d’une fortune familiale
importante, les règnes du régime légal risquent d’être défavorables
à l’époux propriétaire. Ainsi en était-il, antérieurement à la réforme,
lorsque la fortune familiale était de nature mobilière et serait tombées
systématiquement en communauté, à défaut de contrat de mariage.
Ainsi en est-il aujourd’hui encore en cas de fortune mobilière en
raison des difficultés de preuve que fait naître la présomption
d’acquêts en régime légale.
La situation patrimoniale et professionnelle des époux peut
également justifier la rédaction d’un contra de mariage, lorsque
exerçant un métier ou une profession à risques financiers ou
nécessita,t une grande indépendance, on souhaite plus de sécurité et
de liberté que ne peut en offrir le régime légal.
c- L’existence d’un précédent mariage : Critère fréquemment
utilisé.
L’existence d’un précédent mariage est très fréquemment l’occasion
de conventions matrimoniales, surtout lorsque l’époux qui se remarie
a des enfants de la première union. Deux raisons sont susceptibles
d’expliquer cette fréquence accrue des conventions matrimoniales.
La première, tient à l’expérience, heureuse ou malheureuse, qu’a
pu faire l’époux qui se remarie. Fort de sa première expérience, il
va davantage réfléchir avant de choisir et d’aménager son nouveau
régime.

118
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

tLa seconde, purement juridique, tient aux dispositions du Code


Civil. Aux termes de ce texte, les avantages matrimoniaux que l’un
ou l’autre des époux peut retirer des clauses du contrat de mariage,
ne sont point, en principe, regardés comme des donations. Il n’en va
autrement que lorsqu’un des époux décède en laissant des enfants
qui ne seraient pas issus des deux époux. En pareil cas, les avantages
matrimoniaux sont traités à l’égard de tous les enfants du défunt
comme des libéralités, ce qui a pour conséquence de le rendre
éventuellement réductibles s’ils excèdent la quotité disponible entre
époux.
d- Critères de choix entre les divers régimes conventionnels
Au sein des régimes conventionnels, la séparation des biens
occupe la première place, la seconde place est occupée par la
communauté réduite aux acquêts, la troisième place est occupée
par la communauté des meubles et acquêts , la quatrième place est
occupée par la communauté universelle. L participation aux acquêts
Il convient de préciser les critères conduisant les époux à adopter
un régime de séparation de biens, une communauté universelle et
un régime de participation aux acquêts, ces trois régimes étant les
plus originaux quant aux motifs de leur adoption. Il est seulement
à noter à propos des communautés conventionnelles, autres que
la communauté universelle, que tout leur intérêt réside dans
l’aménagement du régime légal, qu’il s’agisse de la composition des
masses, e leur administration ou de leur liquidation.

1.3 Critères conduisant les époux à adopter la


séparation de biens.
a- Enoncé des critères.
Si l’on s’en réfère à la pratique notariale, les critères conduisant
les époux à adopter la séparation de biens seraient de trois ordres :
• Psychologique : le régime de la séparation de biens est très
souvent le régime des couples indépendants, qui ne souhaitent
pas mélanger, les questions d’intérêts aux sentiments. C’est

119
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

aussi, bien que cela soit moins avouable mais pourtant réel, le
régime que l’époux égoïste et riche qui pense se ménager un
divorce à meilleur compte.
• Familial : le régime de séparation de biens est très souvent le
régime qu’adoptent les couples en cas de remariage lorsque
existent des enfants de la précédente union, ou en cas d’enfants
naturels. Un tel régime a, en effet, pour mérite d’éviter la
confusion des patrimoines est de faciliter la liquidation des
droits des époux à la dissolution du mariage.
• Et surtout d’ordre professionnel : la séparation de biens est
le régime très fréquemment conseillé en as de métiers ou de
profession à risques financiers, ce qui est le cas des commerçants
et des industriels. Il préserve en principe la fortune du conjoint
en cas de liquidation ou de redressement judiciaire, sauf
si ce conjoint s’est engagé solidairement ou a cautionné les
obligations de l’époux débiteur. Il présente beaucoup moins
de dangers pour les créanciers de l’époux in boni, si on le
compare au régime de communauté. La séparation de biens
est également conseillée lorsque l’un des époux doit exercer
une profession incompatible avec celle de l’autre. Tel est le cas
notamment du conjoint d’un notaire qui ne peut en principe
être commerçant. Des raisons fiscales tenant à la possibilité de
déduire intégralement les salaires du conjoint peuvent servir de
critère au choix d’un régime de séparation de biens. Toutefois,
les réformes fiscales dans certains pays tendent, sans y parvenir
totalement, à aligner le régime fiscal des époux communs en
biens sur celui des époux séparés de biens.
b- Critères conduisant les époux à adopter un régime de
communauté universelle
Double préoccupation. Assortie généralement d’une clause
d’attribution intégrale de la communauté au survivant, la communauté
universelle réponds à une double préoccupation des époux.
La première est d’ordre matériel. En adoptant un tel régime, les
époux cherchent à réserver au survivant des conditions d’existence et

120
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

de ressources analogues à celles qu’avait le couple durant le mariage.


Particulièrement utile en cas de dissensions familiales, il lui évite,
notamment, les inconvénients de l’indivision ou les aléas du partage.
Il présente néanmoins un danger du fait que la communauté supporte
définitivement toutes les dettes des époux, présentes ou futures.
La seconde préoccupation est d’ordre fiscal. Le régime ainsi
adopté permet, en effet, au survivant de faire l’économie d’une
liquidation de communauté et de bénéficier de l’exonération des
droits de mutation par décès. Il s’agit, en revanche, d’un régime très
défavorable aux héritiers, au plan civile comme au plan fiscal, ce qui
explique que les notaires hésitent à le conseiller à un copule jeune,
appelé à avoir des enfants. Ce sera donc, le plus souvent, le régime
que l’on conseillera à un couple déjà âgé et sans enfants.
c- Critères conduisant les époux à adopter un régime de
participation aux acquêts.
Double recherche. Le régime de participation aux acquêts est le
régime de ceux qui, tout en recherchant l’indépendance ou la sécurité
du patrimoine familial, ne veulent pas que l’un d’eux se trouve
spolié lors de la dissolution du mariage, ce à quoi abouti parfois
la séparation de biens dans le cas, notamment, où la femme n’a
aucune activité professionnelle ni fortune personnelle.

2. Le régime de la participation aux acquêts


La participation aux acquêts est un régime matrimonial de type
mixte : pendant toute sa durée, il fonctionne comme une réparation
de biens (1) ; à sa dissolution, il ouvre à chaque époux le droit de
participer aux bénéfices de l’autre comme dans une communauté (2).
2.1 Le fonctionnement du régime
Trois caractéristiques. Le caractère séparatiste du régime jusqu’à
sa dissolution se traduit de deux façons : il y a séparation des
patrimoines (i) ; il y a liberté de gestion (ii).

121
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

a- Séparation des patrimoines : Principes et exceptions.


Double aspect. La séparation des patrimoines existe à l’égard
aussi bien de l’actif que du passif.
i Actif : la règle de principe est la suivante : malgré l’appellation
du régime qui évoque la notion d’acquêts, il n’y a pas de
biens communs; il n’existe que des biens personnels dont
chaque époux est exclusivement propriétaire. Les seules
exceptions visent le droit au bail du logement familial et
les biens acquis conjointement. Dans le premier cas, il y a
indivision légale ; dans le second, indivision conventionnelle.
La preuve de la propriété exclusive d’un bien s’établit, tant
dans les rapports entre époux que vis-à-vis des tiers, suivant
les mêmes règles et avec les mêmes présomptions que sous
la séparation de biens.
ii Passif : la règle de principe est que chaque époux reste seul
tenu sur l’ensemble de son patrimoine, des dettes de toute
nature qu’il a pu faire naître aussi bien avant qu’après la
célébration du mariage. La seule exception vise le cas des
dépenses ménagères qui engagent solidairement les deux
époux.
b- Liberté de gestion : Principes et restrictions.
La liberté de gestion est formulée dans son principe pour permettre
à chacun des époux de conserver l’administration, la jouissance et
la libre disposition de ses biens personnels, sans distinguer entre
ceux qui lui appartenaient au jour du mariage ou lui sont advenus
depuis par succession ou libéralités et ceux qu’il a acquis pendant le
mariage à titre onéreux. A ce principe, la loi et la pratique apportent
des restrictions :
• Restrictions apportées par la loi : Les restrictions apportées
par la loi au principe de liberté sont celles relatives au
logement familial ou celles visant les mesures urgentes et
provisoires que peut prendre le juge des affaires familiales
lorsqu’un époux , par ses manœuvres graves , met en péril

122
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

les intérêts de la famille. D’autres restrictions concernent


les biens donnés entre vifs sans le consentement du conjoint
et ceux qui ont été aliénés en fraude de ses droits. Lorsque
la dissolution du régime, les biens existants sont insuffisants
à remplir de ses droits l’époux titulaire d’une créance de
participation, celui-ci peut en poursuivre le recouvrement
sur les biens donnés sans son accord ou aliénés en fraude de
ses droits.
• Restrictions apportées par la pratique : Restriction tenant
au concours du conjoint. La pratique restreint la liberté de
gestion en exigeant le concours du conjoint chaque fois que
l’acte conclu risque ultérieurement d’être remis en cause
par application. En instaurant une véritable cogestion entre
les époux au nom de la sécurité des tiers, les praticiens
aboutissaient, en réalité, à un résultat tout à fait contraire à
la finalité et à l’esprit du régime.

2.2 Dissolution du régime : Créance de participation


Le caractère communautaire du régime, lors de sa dissolution, se
traduit par le droit reconnu à chaque époux de participer en valeur
aux acquêts réalisés par l’autre pendant le mariage. Le droit ainsi
reconnu à chaque époux est que l’on dénomme la « créance de
participation ». Cette créance soulève deux questions essentielles :
comment est-elle calculée ? Comment est-elle payée ?
a- Calcul de la créance de participation : Double évaluation
Le calcul de la créance de participation nécessite une double
évaluation : celle du patrimoine originaire (i), celle du patrimoine
finale (ii). Cette double évaluation est nécessaire puisque c’est la
valeur de l’enrichissement à partager.
(i) Evaluation du patrimoine originaire : Deux étapes.
L’évaluation du patrimoine originaire suppose avant que
l’on fixe le montant selon certaines modalités (b) que l’on
détermine au départ la consistance (a).

123
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

i La consistance du patrimoine originaire est l’objet


de deux types de règles : des règles de fond, des
règles de preuve :
Les règles de fonds : Biens concernés. Du point de
vue fond, le patrimoine originaire comprend les biens
appartenant à l’époux au jour du mariage et aussi
ceux acquis depuis par succession ou libéralités.
Les règles de preuve : la règle de principe selon
laquelle la consistance du patrimoine originaire
ne saurait être prouvée autrement que par un état
descriptif, même sous seing privé, établi par l’époux
propriétaire en présence du conjoint et signé par
celui-ci. En cas d’état descriptif incomplet, la règle
ouvre aux époux la possibilité d’utiliser les procédés
de preuve.
ii Modalités d’évaluation. Les modalités d’évaluation
du patrimoine originaire visent à la fois les biens et
les dettes.
Evaluation des biens. Dates à retenir : Les biens
composant le patrimoine originaire doivent être
estimés selon leur valeur au jour de la liquidation,
et non au jour de la dissolution, d’après leur état
au jour du mariage ou de l’acquisition. Si certains
biens ont été aliénés, il est tenu compte de leur
valeur au jour de l’aliénation. Si de nouveaux biens
ont été subrogés aux biens aliénés, on prend en
compte la valeur de ces nouveaux biens au jour de
la liquidation, et non plus au jour de la dissolution.
Evaluation des dettes. Quant aux dettes grevant le
patrimoine originaire, elles doivent, non seulement
être déduites de l’actif, mais surtout être réévalués
dans les conditions prévues par la loi. Sur le
fondement de cette règle, pourront ainsi être l’objet

124
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

d’une réévaluation les sommes dues lorsqu’elles


auront servi à acquérir , à conserver, oui à améliore
un bien.
(ii) Evaluation du patrimoine final : Démarche à suivre.
L’évaluation du patrimoine final s’opère selon une démarche
identique à celle qui a été suivie pour la patrimoine
originaire.
i Consistance du patrimoine. Deux types de règles :
La consistance du patrimoine final donne lieu, à son
tour, à des règles de fonds et aussi à des règles de
preuve.
Règles de fond. Recensement des biens : Les règles
de fond fixent, en premier lieu, le moment où doit
être établi le recensement des biens appelés à figure
dans le patrimoine final. Si le régime prend fin du
fait du décès de l’un des époux, c’est au jour du
décès qu’il convient de se placer. Si le régime prend
fin en raison du divorce, c’est au jour de la demande
en justice qu’il convient de se placer.
Les règles de fond fixent, en second lieu, les biens
susceptibles d’entrer dans le patrimoine final. En
font partie :
• tous les biens existants appartenant à l’un des
époux au jour de la dissolution,
• les acquêts dont il aura disposé par donation entre
vifs sans le consentement du conjoint, ainsi que les
biens qu’il aurait aliéné frauduleusement,
• les plus-values résultats des améliorations
apportées pendant le mariage aux biens originaires
donnés sans l’accord du conjoint,
• l’excédent du passif en cas de déficit éventuel du
patrimoine originaire.

125
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Règles de preuve. Modes de preuve. Les règles


de preuve permettant d’établir la consistance du
patrimoine final
Règles de preuve. Modes de preuve. La preuve du
patrimoine originaire exige un état descriptif établi
contradictoirement entre les époux ou leurs héritiers.
Cet état doit être dressé. La preuve du caractère
incomplet de l’état descriptif peut également être
rapportée, mais tous les moyens de preuve sont
admis, même les témoignages et présentions.
ii Modalités d’évaluation. Les modalités d’évaluation
du patrimoine final visent essentiellement les biens,
plus accessoirement les dettes.
Evaluation des biens. Dates à retenir. Les biens
existants sont estimés d’après leur valeur au jour de
la liquidation et leur état au jour de la dissolution.
C’est aussi la date de la liquidation qui est retenue
pour évaluer, d’après leur état au jour de l’aliénation,
les biens donnés ou aliénés frauduleusement. Quant
aux plus-values résultant des améliorations apportées
aux biens originaires donnés sans le consentement
du conjoint, la date retenue pour leur estimation est
celle de la donation.
Evaluation des dettes : En ce qui concerne les dettes
déductibles de l’actif final elles restent, pour leur
part figées dans leur montant nominal, qu’il s’agisse
des sommes dues aux tiers, ce qui est normal ;
qu’il s’agisse aussi des sommes dues au conjoint.
A l’issue de la double évaluation, il ne reste plus
qu’à comparer les deux patrimoines pour calculer
le montant de la créance de participation à laquelle
pourra prétendre le conjoint. Deux situations
peuvent se présenter :

126
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• Si la valeur du patrimoine final est inférieure à celle


du patrimoine originaire, il y a déficit ; le déficit est
supporté entièrement par l’époux.
• Si la valeur du patrimoine final est supérieure à
celle du patrimoine originaire, il y a accroissement.
Cet accroissement représente la valeur des acquêts.
En principe, le conjoint aura droit à la moitié de
cette valeur à moins que par une clause particulière
de leur contrat de mariage, les époux n’en aient
convenu autrement. Est notamment licite, en
application du principe de la liberté des conventions
matrimoniales, la clause de partage inégale ou
même la clause d’&attribution intégrale des acquêts
au survivant.
b- Paiement de la créance de participation : Deux opérations
Le paiement proprement dit de la créance de participation passe,
le plus souvent, par une opération préalable dite de compensation
des acquêts.
i) Compensation des acquêts : Elle est une opération de nature
comptable. Il y a des acquêts de part et d’autre, c’est-à-dire
du côté du mari et de la femme, seul l’excédent donne lieu
à partage. Il faut donc commencer par compenser la valeur
des acquêts, et l’époux dont le gain a été moindre sera seul
créancier de son conjoint, en principe, pour la moitié de
l’excédent.
Exemple :
• la valeur des acquêts du mari, obtenue en faisant la
différence entre son patrimoine final et son patrimoine
originaire est égale à 1000 000,
• la valeur des acquêts de la femme étant de 500 000, la
compensation entre ces deux sommes laisse un excédent
d’acquêts pour le mari égal à 500 000,

127
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• la femme a contre son mari une créance de participation


égale, à défaut de clause contraire, à la moitié de cet
excédent, soit 250 000.
ii) Paiement proprement dit : le paiement proprement dit de
la créance de participation, après compensation, obéit à un
principe assorti d’exception.
Le principe : En principe, la créance de participation donne
lieu, dès son établissement à un paiement en argent.
Exceptions : les exceptions sont au nombre de trois :
La première concerne l’éligibilité de la créance. La loi
prévoit, à cet égard, que si l’époux a des difficultés pour
s’acquitter de sa dette dès la clôture des opérations de
liquidation, les juges peuvent lui accorder des délais
déterminés, à charge pour lui de fournir des sûretés et de
verser des intérêts.
La seconde exception a tarit au mode de règlement. Il
pourra exceptionnellement se faire en nature dans deux cas:
si les époux sont d’accord ; à défaut d’accord, le débiteur
peut demander au tribunal l’autorisation de régler sa dette
en nature, si des difficultés graves l’empêchent de régler en
argent.
La troisième exception vise le droit de poursuite de l’époux
titulaire de la créance de participation. En la matière, si
les biens existants sont insuffisants à remplir de ses droits
l’époux créancier, celui-ci a la possibilité de poursuivre en
recouvrement de sa créance sur les biens donnés sans son
accord ou aliénés frauduleusement

3. Le régime matrimonial de participation aux


acquêts : exemple
3.1 Présentation d’un cas simple
Le régime de la participation aux acquêts combine en principe les
avantages des régimes de communauté et de séparation de biens. En
effet, suivant les termes du Code civil Français, pendant la durée du

128
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

mariage, le régime fonctionne « comme si les époux étaient séparés


de biens » (art. 1569). L’un des principaux avantages du régime,
outre l’indépendance des époux, résulte de la protection contre les
risques financiers encourus par l’un des époux.
Protecteur, mais à la fois équitable, le régime de participation
aux acquêts reste d’esprit communautaire. En ce sens, il apparaît
plus fidèle à l’esprit du mariage qu’une séparation de biens puer et
simple.
En effet, à la dissolution du mariage ou du régime (en cas de
changement de régime matrimonial), chaque époux a vocation à
participer, généralement pour moitié en valeur, aux acquêts nets
constatés dans le patrimoine de l’autre époux, c’est-à-dire au surplus
de valeur du patrimoine final par rapport au patrimoine initial, auquel
s’ajoutent les biens recueillis par donation ou succession. L’époux
qui s’est le moins enrichi participe ainsi à l’enrichissement de son
conjoint.

Tableau 13 : Exemple d’un cas simple


Monsieur Madame
Patrimoine final 300 200
Patrimoine originaire 300 200
Acquêts nets 200 150
Source : l’auteur
a- Détermination de l’époux débiteur de la créance de
participation :
Les acquêts nets de Monsieur (200) sont supérieurs à ceux de
Madame (150). La créance de participation est due par l’époux qui
s’est le plus enrichi au profit de l’époux dont l’enrichissement été
moindre. C’est donc Monsieur qui est le débiteur de la créance de
participation.

129
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

b- Détermination du montant de la créance de participation


due par le conjoint débiteur
La créance de participation est en principe égale à la moitié de la
différence entre les montants des acquêts nets des deux époux (sauf
clause contraire).
Montant de la créance de Monsieur est débiteur : (200 – 150) /2 = 25
Une fois réglée la créance de participation, Monsieur conservera
comme acquêts : 200 – 25 = 175
Quant à Madame, elle aura au titre des acquêts : 150 + 25 = 175
3.2 Présentation d’un cas avec clause d’exclusion
des biens professionnels :
Cas du conjoint de l’époux exerçant une profession débiteur
de la créance de participation
Le paiement de la créance de participation peut, en pratique,
soulever des difficultés lorsque la principale source d’enrichissement
d’un époux aura été son instrument de travail. Si l’économie
générale du régime apparaît équitable, à la dissolution, l’obligation
pour l’époux débiteur de la créance de participation de vendre son
bien professionnel est redoutable et lui semblera injuste. C’est
pour cela que la pratique a imaginé la clause d’exclusion des biens
professionnels dans le calcul de la participation aux acquêts.
Monsieur X et madame Y se sont mariés sous le régime de la
participation aux acquêts. Leur contrat de mariage comporte une
clause d’exclusion des biens professionnels afin d’éviter que l’époux
exerçant une profession indépendante ne soit contraint de vendre son
entreprise pour régler au conjoint la créance de participation.
Monsieur X est chef d’entreprise. Son affaire vaut 5 000 000
euros. Elle est exploitée dans les locaux appartenant à la SCI dont il
détient 95% des parts, valeur : 2 000 000 euros. Il possède en outre
divers biens d’une valeur de 500 000 euros.
Madame Y est médecin ; elle exerce en qualité de salarié. Avec ses
revenus, elle acquis l’appartement où loge la famille et dont la valeur
est de 1 000 000 euros.

130
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Les époux envisagent de divorcer ; ils s’interrogent sur l’incidence


de la clause d’exclusion des biens professionnels.
a) Liquidation du régime de la participation aux acquets
comportant une clause d’exclusion des biens professionnels
• Acquêts de Monsieur X :
Entreprise - Bien professionnel 5 000 000 Euros
Parts SCI – Bien professionnel 2 000 000 Euros
Biens divers 500 000 Euros
TOTAL ACQUETS MONSIEUR 7 500 000 Euros

• Acquêts de Madame Y :
Appartement 1 000 000 Euros
TOTAL ACQUETS MADAME 1 000 000 Euros
Détermination du débiteur et du montant de la créance de
participation en l’absence de clause d’exclusion des biens
professionnels19
Il faut comparer les acquêts réalisés par chacun des époux. Ceux
de Monsieur sont supérieurs ; il est donc débiteur de la créance de
participation.
Montant de la créance de participation due par Monsieur X à Madame Y :
(7 500 000 – 1 000 000) / 2 = 3 250 000 Euros
En l’absence de clause d’exclusion, Monsieur X pourrait voir sa
situation financière gravement compromise ; en effet, dans la mesure
où il ne possède pas suffisamment de biens non professionnels pour
s’acquitter de la créance due à son épouse, il pourrait être conduit à
vendre son entreprise qui constitue l’essentiel de son patrimoine.
Détermination du débiteur et du montant de la créance de
participation avec le jeu de la clause d’exclusion des biens
professionnels :

19- En l’absence de précisions nous supposons que les époux n’avaient pas de biens originaires

131
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Lorsque les époux ont prévu dans leur contrat une clause excluant
les biens professionnels, ceux-ci ne sont pas pris en compte lors du
calcul de la créance de participation : on ne retient que les acquêts
non professionnels en les comparant aux acquêts de l’épouse pour
déterminer le montant de la créance :
- Acquêts non professionnels de Monsieur X : 500 000 Euros
- Acquêts de Madame Y : 1 000 000 Euros.
Par le jeu de la clause Madame Y devient débitrice de la créance
de participation à hauteur de :
(1 000 000 – 500 000) / 2 = 250 000 Euros
Par l’effet de la clause, le débiteur et le créancier sont inversés.
Ainsi Madame Y devient-elle débitrice du règlement de la créance
de participation alors même que ses acquêts sont inférieurs au total
des acquêts de son époux.
Cette solution est critiquable car elle conduit à un résultat contraire
à l’équité et qui n’est d’ailleurs pas souhaité au départ par les futurs
époux quand ils adoptent le régime de participation.
Remarque : Ces constats ont conduit les praticiens à imaginer
d’autres procédés permettent de protéger efficacement les biens
professionnels sans qu’il soit pour autant porté atteinte à la vocation
primaire de l’adoption du régime de participation aux acquêts (II).
b. La tentative de compromis pour éviter les écueils de la clause
d’exclusion des biens professionnels
Deux solutions sont envisageables si nos deux époux parviennent
à s’entendre, afin d’éviter les avatars de la clause d’exclusion tels
que nous les avons envisagés.
• Le plafonnement de la créance de participation.
Normalement prévue par le contrat de mariage, cette clause
permet de corriger les résultats de la clause d’exclusion et d’éviter les
conséquences trop lourdes que peut avoir le règlement de la créance
de participation par le conjoint débiteur.

132
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Méthode : il s’agit ici de plafonner la créance de participation


due par l’époux possédant des biens professionnels. Le calcul de la
créance de participation se fait selon les règles légales habituelles,
mais son paiement ne pourra être exigé qu’à concurrence d’un
certain montant (en principe déterminé dans le contrat). En pratique,
les époux décident le plus souvent que le montant ne pourra excéder
la moitié des acquêts non professionnels de l’époux débiteur.
Il y a donc deux étapes :
D’abord, on identifie le débiteur de la créance selon les règles
habituelles : l’époux débiteur est celui qui a le plus d’acquêts (y
compris professionnels),
Puis, on plafonne le montant de la créance qui est dû à la moitié
des acquêts non professionnels de l’époux débiteur.
Identification du débiteur de la créance de participation :
Total des acquêts de Monsieur X : 7 500 000 Euros
Total des acquêts de Madame Y : 500 000 Euros
Les acquêts de Monsieur X étant supérieurs, il est identifié
comme étant le débiteur de la créance de participation.
• Plafonnement de la créance due à Madame Y à la moitié des
biens non professionnels :
Les biens non professionnels de Monsieur X s’élèvent à :
500 000 Euros.
En plafonnant la créance de participation, le montant de celle-ci
sera de : 500 000 / 2 = 250 000 Euros
Le plafonnement de la créance de participation permettrait de
maintenir une certaine équité entre les époux, ici au profit de Madame
Y, Monsieur X restant le débiteur sans toutefois voir son patrimoine
professionnel menacé par son règlement.

133
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• La minoration de la participation
Ce procédé permet de réduire la participation à une fraction
inférieure à la moitié de l’excédent d’acquêts de l’époux débiteur,
soit par exemple 1/3 ou _. Cependant cette quotité est modulable au
gré des époux. Au lieu de partager les acquêts par moitié, les époux
peuvent décider d’un taux de participation différent, sans qu’il ne
soit fait aucune référence aux biens professionnels.
Identification du débiteur de la créance de participation
Total acquêts de Monsieur X : 7 500 000 Euros
Total acquêts de Madame Y : 1 000 000 Euros
Monsieur X est débiteur.
Montant de la créance due par Monsieur X à Madame Y :
Imaginons la minoration de la participation à 1/3 :
(7 500 000 – 1 000 000) / 4 = 1 625 000 Euros
Les biens non professionnels de Monsieur X (500 000 Euros) étant
insuffisants pour s’acquitter de ce règlement, ses biens professionnels
seraient mis en péril.
Il est possible d’imaginer une fraction encore inférieure, toutefois,
le meilleur compromis semble celui du plafonnement de la créance.
En outre, cette solution semblerait plus s’inscrire dans la logique
choisie par nos deux époux initialement puisqu’elle maintiendrait la
clause d’exclusion tout en atténuant ses effets.
Reste cependant à envisager l’hypothèse dans laquelle les époux
ne parviendraient pas à s’entendre et où Madame Y demeurerait
débitrice du règlement de ladite créance…

134
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

C. Les possibilités restant à Madame X pour échapper au


règlement de la créance de participation à défaut de compromis
• La révocation de l’avantage matrimonial
Qualifiée d’avantage matrimonial, dans l’hypothèse d’un divorce
aux torts exclusifs de l’époux bénéficiaire de la clause d’exclusion
(Monsieur X), l’efficacité de la clause serait anéantie de plein droit.
Monsieur X perdrait alors l’avantage que constituait cette exclusion
pour le calcul de la créance de participation (art. 267 C. civ.) Dans
cette hypothèse il en redeviendrait donc débiteur envers Madame Y
à hauteur de 3 250 000 Euros.
De la même façon, en cas de dissolution par divorce prononcé
aux torts partagés, la loi permettant à chacun des époux de révoquer
les avantages consentis à l’autre, Madame Y aurait tout intérêt à faire
une telle révocation. Dans un cas comme dans l’autre, Monsieur X a
donc tout intérêt à rechercher la voie du compromis en acceptant le
plafonnement.
• La fraude
Si un époux souhaite réduire le droit à une créance de participation
de son conjoint en réduisant ses propres acquêts, il préfèrera gonfler
son patrimoine professionnel exclu du droit à participation. Si tel
était le cas, Madame Y pourrait alors dénoncer de tels agissements en
agissant sur le terrain de la fraude. Elle devrait cependant rapporter la
preuve d’investissements anormaux, ne rentrant pas dans l’exercice
normal de l’activité de son époux et ayant eu pour seul but de
diminuer le montant de la créance de participation.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Chapitre 6 : L’Expérience
internationale : les pays arabes et
la Turquie

1. L’Egypte: Les droits des femmes en matière de


divorce
En Egypte, le mariage est un contrat conclu par consentement
mutuel, et d’après la loi, ce consentement, libre et mutuel, doit être
le fait des deux parties. Réglementé par le droit de la personne, le
mariage est aussi régi par la Charia qui impose des obligations aux
deux parties en matière de validité, de conclusion, de dissolution et
d’annulation du mariage.
Conformément à la loi égyptienne, une femme mariée conserve
son indépendance financière vis-à-vis de son mari. De même, elle est
libre de gérer et de disposer de ses finances, de conclure des contrats
et d’obtenir des prêts, ainsi que d’effectuer toute transaction légale.
L’homme et la femme sont tous deux pleinement responsables
en matière d’obligations issues de leur mariage, y compris pour ce
qui est de la subsistance et du soutien de la famille ainsi que des
décisions liées au nombre et à l’espacement des naissances; l’étendue
et l’incidence de cette responsabilité conjointe dépendent du niveau
d’études et de la culture de chacun des partenaires20 .

1.1 La réforme du statut personnel


Adoptée au forceps en février 2000, la réforme de la loi sur le
statut personnel annonçait une volonté de rééquilibrage des forces
en matière d’affaires matrimoniales. Après neuf ans de gestation,
les oulémas défenseurs de la charia et les parlementaires féministes
avaient fini par aboutir à un compromis. Disposition phare de cette

20- Les organes de l’Etat étudient la possibilité d’introduire un contrat de mariage type qui ne donnerait
pas matière à litige et éliminerait la nécessité de recourir à l’arbitrage des tribunaux. La loi qui régit
les litiges liés au statut personnel est également en cours de révision, l’objectif étant de simplifier les
procédures en vigueur.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

loi, le khul a instauré pour la femme le droit d’initier une procédure


de divorce devant le tribunal sans le consentement de son mari
et sans avoir à donner de raisons, à condition de renoncer à ses
avantages matériels. Parmi les autres aménagements, la loi oblige
désormais l’homme à prononcer la formule de divorce devant un juge
ou un religieux qui l’enregistrera, ou encore octroie la nationalité
égyptienne aux enfants de père étranger.
Un récent rapport HRW prend en compte les dernières
améliorations apportées par le gouvernement égyptien sur le statut
personnel, même si celles-ci ne semblent pas aller suffisamment dans
la direction d’une véritable équité21. De fait, en 2000 a été introduit
le concept du Khula, la possibilité de demander le divorce sans faute.
Afin d’avoir accès à cette pratique, les femmes égyptiennes doivent
accepter de perdre leurs droits financiers et de rembourser la dot que
leur a apportée leur mari lors de la conclusion du mariage. Adopté
afin d’accélérer la procédure, le divorce sans faute exige toujours que
les femmes demandent à un tribunal de mettre fin à leur mariage.
Alors que les hommes jouissent d’un droit unilatéral et
inconditionnel au divorce, et qu’ils n’ont jamais à se présenter
devant un tribunal pour mettre un terme à leur mariage, les femmes,
par contre, se retrouvent face à un choix qui leur est, dans les deux
cas, peu favorable. Elles peuvent soit demander le divorce pour faute
soit le divorce sans faute (khula). Entamer une procédure de divorce
pour faute, susceptible de leur octroyer une pension alimentaire, est
une entreprise longue, coûteuse, et discriminatoire. Alors que le mari
n’est pas tenu de déclarer son intention de divorcer, la femme doit, au
contraire, apporter la preuve des torts causés par son époux pendant
leur mariage. Même les accusations de violences physiques doivent
être souvent documentées de manière exagérée, avec témoins à
l’appui.
De fait, une Egyptienne qui demande le divorce se trouve face
à un dilemme. Soit elle demande le divorce pour faute et elle doit
vivre des années dans l’incertitude juridique. Soit elle opte pour un
21- Le rapport, intitulé “Divorced from Justice : Women’s Unequal Access to Divorce in Egypt,”

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

divorce sans faute, qui est plus rapide, et elle doit renoncer à tous
ses droits financiers. Si on ajoute à ces difficultés d’ordre juridique
les difficultés psychologiques, on peut aisément comprendre que les
femmes souhaitant divorcer, encouragent leur mari à demander le
divorce à leur place afin d’éviter d’insurmontables complications
juridiques. Le facteur social est, par ailleurs, particulièrement
déterminant pour ce qui est de l’aggravation des inégalités. Les
femmes, dans le cadre de la procédure de divorce, doivent renoncer à
tous leurs biens, il est donc évident que le choix du divorce peut être
seulement fait par des femmes aisées qui peuvent disposer d’autres
ressources.

1.2 Les conséquences du divorce pour les ex-époux


Concernant les effets du divorce sur les biens des époux, le
droit commun est que les époux sont mariés sous le strict régime
de la séparation des biens. Lorsque la dissolution du mariage est
prononcée, chacun repart avec les biens qu’il avait au départ.
Souvent, le problème se pose quand le mari a interdit à sa femme de
travailler (ce qui est parfaitement autorisé). Celle-ci se retrouve alors
démunie et l’ex - époux profite seul des fruits de son travail. Ainsi
après le divorce ou la répudiation, l’épouse ne pourra profiter des
biens acquis par son époux pendant la durée du mariage.
Lorsque l’épouse est répudiée sans qu’elle y consente, et sans
qu’elle ait commis de «faute», elle a droit a une indemnité de
consolation, la mut’ah qui tient compte22 :
• de la situation financière du mari,
• des circonstances du divorce,
• de la durée du mariage
En dépit des réformes, le système juridique reste discriminatoire
envers les femmes. Le système de divorce appliqué en Egypte est
discriminatoire envers les femmes et sape leur droit de mettre fin à

22- La somme est calculée sur la base d’une pension alimentaire d’au moins deux ans et elle est due par
le mari à la fin de la retraite légale (pendant laquelle il payait une pension d’un autre type)

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

leur mariage. Le gouvernement Egyptien a mis en place des tribunaux


de la famille mais à l’instar de la procédure de divorce sans faute qui
a été introduite il y a quatre ans, ces tribunaux ne s’attaquent pas à la
discrimination dont les femmes continuent d’être victimes23.
En Egypte, les hommes jouissent d’un droit unilatéral et
inconditionnel au divorce. Ils n’ont jamais à se présenter devant
un tribunal pour mettre un terme à leur mariage. Les femmes, par
contre, doivent recourir aux tribunaux pour divorcer de leurs époux
et ce faisant, elles se trouvent confrontées à d’innombrables obstacles
sociaux, juridiques et bureaucratiques.
Les femmes qui demandent le divorce en Egypte ont deux options
: le divorce pour faute ou sans faute. Pour pouvoir entamer une
procédure de divorce pour faute, qui peut lui octroyer des droits
financiers complets, une femme doit apporter la preuve des torts
causés par son époux pendant leur mariage. Même les accusations de
violences physiques doivent souvent être étayées par des témoins.
Depuis 2000, les Egyptiennes bénéficient de la possibilité de
demander le divorce sans faute (khula). Mais pour ce faire, elles
doivent accepter de perdre leurs droits financiers et de rembourser la
dot que leur a apportée leur mari lors de la conclusion du mariage.
Adopté afin d’accélérer la procédure, le divorce sans faute exige
toujours que les femmes demandent à un tribunal de mettre fin à leur
mariage.
Les obstacles presque insurmontables auxquels sont confrontées
les femmes lors d’une procédure de divorce en poussent beaucoup
à renoncer à leurs droits pour essayer de persuader leur mari de
divorcer. Ce système à deux niveaux a souvent des conséquences
financières et émotionnelles dévastatrices pour les femmes. Dans
certains cas, il comporte également des risques physiques. Le fait
que le gouvernement égyptien ne garantit pas l’égalité des droits à la

23- Récemment, l’Egypte a crée des Tribunaux familiaux afin de rationaliser les procédures liées
au divorce. Tous les litiges sont ainsi rassemblés dans un seul dossier traité par un unique tribunal.
Certes, s’il s’agit d’un pas en avant à certains égards, force est de constater que ces nouveaux tribunaux
appliquent lois et pratiques aussi discriminatoires que le système précédent.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

propriété des biens de la communauté, notamment lors d’un divorce,


dissuade beaucoup de femmes de quitter leur époux violent.
Les procédures de divorce, déjà favorables à l’homme dans le
droit musulman, souffrent de surcroît des problèmes de la justice
égyptienne en général, à commencer par l’encombrement des
tribunaux. Parmi les 5 252 demandes de divorces déposées durant
l’année 2002 devant l’un des tribunaux de première instance,
62 seulement étaient résolues en janvier 2003. D’autre part, les
statistiques du gouvernement égyptien donnent le chiffre de 290
000 divorces pour l’an 2004, dont 5% seulement sont initiés par des
femmes.
Les nouveaux tribunaux dits « de la famille» représentent
néanmoins un progrès car ils hâtent l’issue des litiges tout en offrant
l’alternative d’une réconciliation ou une chance de résoudre le conflit
par le biais d’un arbitrage. Cette mesure est obligatoire dans le cas du
khul. Le juge propose une réconciliation entre les deux parties. Si la
réconciliation n’a pas lieu, et dans le cas où le couple a des enfants,
une seconde tentative est initiée, puis un arbitrage est imposé avec
un membre choisi par chaque époux dans leur famille respective. Si
cette dernière tentative échoue, le juge prononce alors le divorce.
Il n’en demeure pas moins que la majorité des femmes
économiquement fragiles sont desservies par les lois sur le statut
personnel qui sont censées les protéger. Malgré l’inégalité des
sexes devant la loi, les femmes ne sont pas totalement désarmées.
L’une des armes les plus puissantes est de nature juridique : la isma
(procuration donnée par un mari à son épouse sur son droit unilatéral
de divorce), accessible aux riches comme aux pauvres, est souvent
sous-estimée et sous-utilisée. On s’accorde à dire que son obtention
au moment de la conclusion du contrat de mariage assure à la femme
des droits qui n’existent dans aucune autre législation. La femme peut
alors agir comme l’agent du mari et initier la procédure de divorce
sans le consulter (elle doit cependant le prévenir) ni donner de raison
justifiant son action. L’effet est immédiat. Les modalités du divorce
peuvent aussi être stipulées par le document : devant le ma’zoun

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

(notaire religieux représentant de l’Etat qui rédige les contrats de


mariages et les divorces suivant les règles de la charia), devant un
tribunal. Le montant de la pension alimentaire, les arrangements
concernant l’habitation de la femme et des enfants, ou le droit de
la femme de voyager sans demander la permission du mari peuvent
aussi être portés sur le document suivant le désir des époux24.
Le mari est tenu d’entretenir son épouse répudiée pendant les
mois de la idda. Il a même le droit de la reprendre durant cette
période sans autre formalité et même sans son consentement. La
femme de son côté ne peut pas contracter un autre mariage durant la
idda. Si la femme accepte de révoquer le divorce durant la idda, elle
perd automatiquement ses droits sur la ‘isma qui devrait faire alors
l’objet d’un nouvel accord. Rares sont les femmes qui connaissent
cette subtilité de la loi.

1.3 Les biens des conjoints en droit égyptien


Il n’existe pas de disposition légale égyptienne qui traite des
biens des époux à part l’article 1 de la Loi 25/1920 qui dispose que
c’est au mari qu’incombe le devoir d’entretenir sa femme. Il faut
donc revenir au code privé de Qadri. Les dispositions de ce code
affirment que la dot appartient à la femme, laquelle est libre d’en
disposer comme bon lui semble. D’autres dispositions concordent
pour affirmer que les biens de la femme sont séparés de ceux de son
mari. Nous en donnons ici les éléments essentiels:
‹ L’article 112 Qadri affirme que «Les biens ne sont pas l’objet
du mariage. La femme ne peut pas être obligée à employer une
partie de ses biens ni de la dot par elle a reçue à l’acquisition
d’un trousseau. Le père n’est pas tenu non plus d’acheter avec
ses propres deniers un trousseau à sa fille».

24- Les ONG Egyptiennes demandent que ce codicille facultatif soit ajouté de façon permanente à tous
les contrats de mariage. Cette suggestion, faite maintes fois par le passé, va cependant à l’encontre des
traditions culturelles et se heurte à une opposition non seulement de la part des hommes, mais aussi
de celle de maintes femmes qui disent ne pas vouloir porter atteinte à la virilité de leurs futurs maris.
Cependant, bien que la loi permette de rajouter le codicille à n’importe quel moment durant le mariage,
il est rare qu’un mari accepte de le faire une fois le contrat signé.

141
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

‹ Le trousseau que le père achèterait à sa fille mineure, elle


en devient l’unique propriétaire par le fait de l’acquisition
paternelle. Quant au trousseau que le père achèterait à sa fille
majeure, celle-ci n’en devient propriétaire qu’une fois elle en
a pris possession. Le père ne peut plus l’en déposséder (article
113 Qadri).
‹ Le trousseau est la propriété exclusive de la femme. Le
mari ne peut prétendre à aucun des meubles qui en font partie.
Il ne peut non plus l’obliger à mettre les meubles à elle ni à
sa disposition ni à celle de ses hôtes. Il ne peut s’en servir
que par son autorisation et son consentement volontaire. Si le
mari s’empare d’un objet du trousseau pendant le mariage ou
après sa dissolution, la femme a le droit de le poursuivre en
restitution ou en paiement de la valeur, en cas de perte ou de
consommation par lui de l’objet enlevé (article 116 Qadri).
‹ En cas de contestation entre les époux, pendant le mariage
ou après sa dissolution, sur les meubles ou effets garnissant la
maison qu’ils habitent, les objets qui servent plus spécialement
aux femmes sont attribués à la femme, sauf preuve contraire
par le mari. Les objets qui sont ordinairement à l’usage de
l’homme ou peuvent servir à l’un et à l’autre seront accordés
au mari, à défaut de preuve contraire par la femme (article 118
Qadri).
‹ Le droit musulman reconnaît au mari la puissance maritale.
Mais l’article 206 al. 1 Qadri affirme que cette puissance se
limite à l’aspect disciplinaire et ne touche pas les biens de la
femme. Cet article ajoute: La femme peut disposer de la totalité
des biens lui appartenant sans le consentement ou l’autorisation
du mari, et sans que celui-ci puisse lui opposer sa puissance
maritale. Elle peut recevoir les loyers et les revenues de ses
propriétés, et confier à un autre que son mari l’administration
de ses biens. Les actes civils par elle contractés n’ont besoin,
dans aucun cas, pour être valables, de l’autorisation ou de la
ratification de son mari, ni de celle de son père, ni de son aïeul

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

paternel, ni de son tuteur testamentaire, si elle est majeure et


jouissant de la capacité civile. Quelle que soit la fortune de
la femme, elle n’est pas tenue de contribuer aux charges du
mariage.
Le Code de Qadri ne contient pas d’article concernant les biens
du mari, lesquels sont aussi séparés de ceux de sa femme. Ce code
prévoit par contre une obligation de la femme à l’égard des biens du
mari. L’article 212 dispose que la femme doit «veiller soigneusement
à la conservation de ses biens et de son ménage; de n’en rien donner
sans la permission du mari, rien autre que ce que l’usage permet de
donner».
Traduit en d’autres termes, on peut dire que le mari et la femme
vivent sous le régime de la séparation des biens. Est-ce que les
deux conjoints peuvent soumettre leurs rapports patrimoniaux à des
normes conventionnelles différentes de celles prévues par le droit
musulman? Ni la loi, ni la doctrine ne répondent à cette question.
Mais rien dans la théorie ne devrait empêcher un tel contrat. En effet,
le droit musulman permet aux conjoints de prévoir des conditions
pour le mariage, pourvu que ces conditions ne soient pas contraires
des normes impératives25.
L’ordonnance des ma’zuns de 1955, modifiée en 2000, prescrit
aux ma’zuns à l’article 23 d’éclairer les conjoints sur les questions
qui peuvent faire l’objet d’accord de la part des conjoints dans le
contrat de mariage. L’accord peut porter sur les éléments suivants à
titre d’exemple:
‹ Propriété des biens mobiliers qui se trouvent dans le
domicile conjugal.
‹ Jouissance du domicile conjugal en cas de divorce ou de
décès.

25- L’article 12 Qadri dispose: N’est pas valable, le mariage soumis à une condition ou à une
circonstance dont la réalisation est incertaine. Mais le mariage contracté sous une condition illégale
est réputé valable et la condition comme inexistante; tel est le mariage dans lequel le mari stipulerait
qu’il n’y aurait pas de dot.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

‹ Interdiction au mari de conclure un autre mariage sans le


consentement écrit de la femme.
‹ Constitution d’un capital ou d’un salaire périodique de la
part du mari en faveur de sa femme s’il la répudie sans son
accord.
‹ Délégation de la part du mari en faveur de sa femme pour
qu’elle puisse se répudier elle–même.
‹ Tout autre élément qui n’autorise pas ce qui est interdit et
n’interdit pas ce qui est autorisé par le droit musulman.
Il n’existe pas à notre connaissance d’étude qui montre quelle est
la pratique en Égypte.

1.4 Conséquences patrimoniales de la dissolution du


mariage par divorce ou décès
Les lois égyptiennes sont très lacunaires concernant les
conséquences patrimoniales du divorce. Ici aussi ces lois sont
comblées par les dispositions du code de Qadri. Nous en donnons ici
les éléments essentiels:
‹ Dans le cas où le mari n’aura pas fixé une dot contractuelle,
la femme n’aura droit à la dot coutumière que lorsque
l’annulation du mariage a lieu après une cohabitation permise
ou après la disparition de la virginité (article 18 al. 3 Qadri).
‹ La femme répudiée avant toute cohabitation réelle ou
présumée n’aura droit qu’à la moitié de la dot contractuelle. Si
la dot a déjà été payée, elle doit en restituer la moitié (article
84 Qadri). Si c’est la femme qui a contribué à la dissolution du
mariage par sa faute, avant sa consommation, elle n’a droit à
aucune part de la dot et doit restituer ce qu’elle en a reçu. C’est
le cas lorsque la femme apostasie (abandonne l’islam) (article
86 Qadri). La femme perd aussi son droit à la dot si celle-ci est
coutumière ou si elle a été constituée après le mariage lorsque
la répudiation précède toute cohabitation réelle ou présumée
(article 86 Qadri).

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

‹ Si la femme avait fait don de la totalité ou d’une partie de


sa dot et que le mariage est dissous par voie de répudiation,
avant sa consommation, le mari sera en droit de récupérer la
moitié de la dot, si elle se composait de valeurs monétaires ou
de choses fongibles (article 98 al. 1 Qadri).
‹ Sans entrer dans les différentes méthodes de dissolution
du mariage en droit musulman, signalons qu’une de ces
méthodes, prévue par le Coran, permet à la femme de négocier
la dissolution du mariage avec son mari en lui payant une
compensation.
Ce système dit khul’ a été prévu en Égypte par les articles 6 et
24 du règlement de 1931 par les tribunaux religieux ainsi que par
l’article 5 du requête. Il lui suffit de déclarer qu’elle ne souhaite plus
être mariée à son époux, que la poursuite de la vie conjugale lui est
devenue intolérable et qu’elle craint d’enfreindre les principes fixés
par Dieu en cas de poursuite de la vie commune. Le juge met alors
en œuvre une procédure de conciliation26. Si la femme maintient sa
demande, le juge est obligé de lui accorder le divorce. Sa décision
est définitive et sans appel.
En contre-partie, la femme devra renoncer aux droits financiers
auxquels elle aurait normalement pu prétendre. Elle perd ainsi son
droit à recevoir une pension alimentaire (nafaqah) pendant une duré
d’un an, ainsi qu’une compensation financière (mut’ah) et devra
rendre le montant de la dot déjà reçu et renoncer à l’arriéré versé.
Toutefois, la femme ne perd pas le droit de garde sur ses enfants
ainsi qu’une pension alimentaire de la part de son ex-époux pour
l’entretien de leurs enfants.
En cas de décès de la femme avant qu’elle ait perçu la totalité de
sa dot, ses héritiers seront fondés à demander à son mari ou à ses
héritiers ce qui reste encore de la dot, après déduction de la part qui
revient au mari de la succession de son épouse, si elle est prédécédée
(Qadri, article 99 al. 2).
26- Deux médiateurs, nommés par chaque partie au sein de leur famille respective, vont essayer
pendant 3 mois de réconcilier les époux.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Comme les biens des deux conjoints sont séparés pendant le


mariage, le divorce ou le décès d’un des deux conjoints ne change
rien à leur statut. Les biens du conjoint décédé tombent dans la
masse successorale, et le conjoint survivant garde ses propres biens.
La femme n’a à cet égard pas de droit sur les biens du mari, sauf à
titre d’héritière en cas de décès du mari. Il en est de même pour le
mari. Le divorce cependant met fin aux prétentions successorales
entre les deux.
Les normes indiquées plus haut concernant la distinction entre
ce qui constitue les biens de chacun des deux conjoints s’appliquent
ici, mais l’article 119 Qadri signale qu’en cas de contestation sur
les objets garnissant le domicile conjugal après le décès de l’un des
époux, les objets qui peuvent servir à l’un et à l’autre seront accordés
au survivant, sauf preuve contraire (article 119).
Ce système qui n’accorde à la femme divorcée qu’une indemnité,
souvent illusoire, pose un problème à la femme divorcée qui a
consacré sa vie à élever ses enfants alors que son mari exerçait une
profession dont le revenu, après paiement de la pension alimentaire
de sa femme et de ses enfants, lui profite uniquement. Bien plus, si
la femme accède au divorce par voie de rachat, elle perd tout droit
à l’indemnité ainsi que sa pension alimentaire pendant la période
de la retraite. Ceci a poussé le tribunal de cassation égyptien, dans
une décision non publiée, à accorder une indemnité importante à la
femme divorcée qui s’est dévouée à son ménage au lieu de travailler.
Il s’agit d’une indemnité de perte de gain pendant le mariage.
Depuis 2000, le gouvernement fait des efforts pour s’attaquer à
l’inégalité dont souffrent les femmes en matière d’accès au divorce.
Cependant, les réformes n’ont pas fondamentalement gommé les
inéquations qui existent en ce domaine. Bien que l’introduction du
divorce sans faute ait clairement permis à certaines de divorcer plus
facilement, les femmes doivent toujours renoncer à bon nombre de
leurs droits si elles choisissent cette option. Parce qu’elles doivent
renoncer à leurs droits sur tous les biens de la communauté et à tout
soutien ultérieur, cette option ne vaut que pour les femmes qui ont

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

des ressources financières importantes ou pour celles qui veulent


divorcer envers et contre tout.

2. La Turquie : un modèle ambivalent


La Turquie est un pays où le statut des femmes est contrasté,
où il est rare que la femme moderne et émancipée des grandes
villes croise la femme rurale de l’Anatolie, encore sous le joug des
coutumes patriarcales. Cette disparité de droit s’explique tant par
l’histoire de chaque communauté que par la permanence de cultures
profondément ancrées dans les milieux pauvres et ruraux. Certaines
traditions héritées de la Sharia de l’Empire ottoman subsistent
malgré leur interdiction légale (la polygamie par exemple) et le
respect de dispositions coutumières et de pratiques découlant
d’une formalisation du droit musulman hanéfite (chaféite pour les
Kurdes) continue de dicter strictement la condition des femmes
dans les campagnes des régions sud et sud-est, marquée par les
crimes d’honneur, les mariages forcés et précoces, le non accès à
l’éducation ....27

2.1 Le code civil et la prégnance du droit musulman


Le cas de la Turquie est donc unique dans le monde musulman,
puisqu’il oppose un code de la famille datant de 1926 inspiré du code
civil suisse, bannissant la polygamie et affirmant l’égalité des sexes
en matière de divorce, d’héritage et de droit de garde des enfants
à des traditions toujours vivaces qui pèsent souvent plus sur la vie
des femmes que les règles édictées par la loi. Avant même l’arrivée
au pouvoir de Mustafa Kemal, un processus de sécularisation
des institutions et de certains secteurs du droit ottoman était déjà
perceptible à la fin du XIXème siècle. Outre le fait qu’une partie du
droit public échappait déjà à l’emprise des principes sharaïques par
le biais de dispositions coutumières codifiées dès le XVème siècle,

27- Chez les Kurdes de Turquie comme d’Irak, la guerre a renforcé la structure patriarcale en affirmant
le rôle supérieur des hommes. Le statut de la femme a souvent été pris en otage par la lutte menée par
le PKK contre le gouvernement turc et le projet de turquisation des populations kurdes, l’application
des règles sunnites représentant un des emblèmes de l’affirmation d’une identité kurde en opposition
aux principes laïcs de la Constitution turque.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

l’entrée de la Turquie dans l’ère des réformes (tanzimat) devait


se traduire progressivement par une diminution soutenue du droit
islamique dans l’ensemble normatif turc. C’est ainsi qu’en 1876,
l’adoption du nouveau code civil, le Mecelle, allait consacrer la
naissance de tribunaux non religieux, les Nizami28. Le même texte
faisait passer les tribunaux sharaïques compétents en matière de
statut personnel sous la tutelle du Ministère de la Justice et non plus
sous celui de la Sharia.
Le 17 février 1926, un nouveau code civil fut adopté. Le nouveau
texte était la réplique du code suisse avec quelques retouches (maintien
du régime islamique de séparation des biens des époux, possibilité
d’opter pour d’autres régimes, âges légaux revus à la baisse…). Le
code turc prévoit dans son article 84 une contrepartie financière au
titre de compensation en cas de rupture de fiançailles sans motifs
justes ou suite à un fait imputable à l’un des deux fiancés.
A l’instar des législations européennes du XIXème et du début
du XXème siècle, le droit de la famille turc a longtemps accordé
une place prépondérante à l’homme au sein de la famille. Le code
civil, tout en consacrant une certaine égalité des sexes devant le
mariage dans l’exercice de la puissance paternelle en ce qui concerne
l’entretien et l’éducation des enfants, en matière de divorce, a
toujours reconnu à l’homme, au mari, au père, une prééminence
indéniable. Entre autre, le mari était habilité de façon expresse ou
tacite à donner son consentement à ce que son épouse exerce une
activité professionnelle, quant à elle, autorisée par le juge à exercer
son emploi s’il est établi qu’il en allait de l’intérêt même de la vie
conjugale ou familiale (art. 159).

28- Dès octobre 1917, le gouvernement Jeune Turc transformait l’acte du mariage en un acte public
nécessitant la présence d’un représentant de l’Etat, relevait l’âge du mariage pour la fille et pour le
garçon, créait une procédure de divorce devant un juge civil et instaurait la possibilité d’inclure des
clauses sur la monogamie et le droit au divorce.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

2.2 L’influence des dispositions coutumières


Le droit musulman s’est imposé à la Turquie dans sa version
hanéfite29, réputée plus libérale à l’exception des zones kurdes
(Kurdistan), où la version chaféite est majoritaire, et des zones
de peuplement azéri, chiite duodécimain. Malgré les avancées
législatives du kémalisme, l’islam n’a cessé d’être instrumentalisé par
les opposants politiques à un projet laïc. Dès 1945 et l’introduction
du multipartisme, le parti républicain tentait d’utiliser l’islam comme
une arme contre les libéraux. Certaines interdictions furent levées :
les pèlerins purent retourner à la Mecque, l’instruction religieuse fut
réintroduite… Les années 50 virent un redéploiement du sentiment
religieux. Dans les campagnes surtout tenues à l’écart des apports
bénéfiques du kémalisme, l’islam et les traditions perdurèrent. Les
ordres sufis, bien que dissous, n’ont jamais cessé d’y exercer une
influence non négligeable30.
Le droit musulman prévoit la constitution d’une dot (mehir en
turc) ou douaire islamique, qui revient à l’épouse et dont elle peut
disposer comme bon lui semble. Il s’agit souvent de dons en or.
Parallèlement, la tradition ottomane a conservé la pratique du baslik,
une somme d’argent, de terrains, ou de bétail donnée directement au
père de la mariée31. Il est commun que ces deux types de dot soient

29- En plus des quatre sources majeures du droit islamique (le Coran, la Sunna, le consensus (‘ijmâ)
et le raisonnement analogique (qiyas)), les hanéfites reconnaissent comme sources complémentaires
annexes le recours à l’opinion personnelle (ra’y), dite aussi choix préférentiel (istihsân), ainsi que
l’opinion du compagnon Prophète (madhab as sahâbî). Ils admettent également que certaines lois
en vigueur chez les gens du livre avant l’avènement de l’islam, et mentionnées par le Coran ou la
Sunna, s’appliquent aux musulmans (la loi du talion par exemple). L’école hanéfite de jurisprudence
(Turquie, anciennes provinces de l’Empire ottoman, Irak, Afghanistan, Inde…), n’est à l’origine
qu’une dénomination générique d’un système juridique irakien (l’école de Kûfa), opposé à l’école
de Médine plus traditionaliste dont se réclament à la fois le rite malékite (Maghreb) et le rite chaféite
(Egypte, Syrie, Afrique noire…). Voir à ce sujet J. N. Coulson : Histoire du droit islamique, Paris, PUF,
1995, 234 p.
30- Cette présence plus ou moins directe de l’islam a certainement influencé le rite du mariage. Il
convient néanmoins de discerner ce qui, concernant le mariage, est dicté par le droit musulman et les
dérives d’un islam confrérique populaire enraciné dans la tradition rurale de ce qui est imposé par des
traditions ancestrales et de définir ces dernières.
31- Dans le cas d’un mariage au sein d’une même famille, le baslik n’a plus lieu d’être puisque le
mariage ne dépossèdera pas la famille de la fille. Cette exception au baslik explique, parmi d’autres
données, la tendance fréquente des mariages endogamiques au sein d’une même famille, d’un même
clan dans les structures tribales de l’Anatolie.

149
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

réclamés lors d’un mariage, le baslik devant être payé en premier32.


N. Weiber remarque qu’ «aujourd’hui, il semblerait que le baslik soit
en passe d’être abandonné au profit du mehir qui gagne ses lettres de
noblesse. C’est comme si progressivement on assistait à un glissement
d’une pratique coutumière et profane, jugée dégradante, vers une
pratique religieuse qui, de par la nature même de ses origines, revêt
un caractère incontestable.»

2.3 Le principe d’égalité dans la réforme du code


civil :
A la suite de la déclaration des Nations Unies de 1975 sur les
droits de la femme et de la naissance des mouvements féministes
occidentaux des années 1970, plusieurs mouvements pour la défense
des droits des femmes ont été créés en Turquie et ont multiplié
leurs actions de 1982 à 1990, faisant du thème du droit des femmes
un volet de l’agenda national. Les amendements constitutionnels
d’octobre 2001 ont institué l’égalité des hommes et des femmes,
garantie par l’article 41 de la Constitution. En novembre 2001, le
Parlement approuvait une révision du Code civil qui est entré en
vigueur le 1er janvier 2002.
La nouvelle loi affirme le principe d’égalité selon lequel l’homme
n’est plus uniquement considéré comme le chef de famille et perd le
droit de décider du lieu de vie de la famille. Le nouveau code civil,
en abrogeant le statut inférieur de la femme au sein de la famille
prévu par l’ancien code civil de 1926 consacre un nouveau rôle de
la femme dans la famille. Plusieurs organisations ont souligné « ces
changements révolutionnaires » et « les profondes répercussions sur
la vie des femmes en Turquie»33.

32- La pratique de la dot (baslik ou mehir) est catégoriquement refusée par les Alévis qui y voient une
transaction matérielle ayant pour objet central la femme. Concernant la dot (baslik ou mehir), il est
nécessaire de souligner que son montant augmente si la femme est à l’étranger et permet à l’homme de
s’établir à l’étranger. Dans ce cas, elle peut atteindre 25 000 euros. Au contraire, une famille vivant en
France par exemple, déboursera peu pour une bru venue de Turquie.
33- Femmes pour les droits des femmes (WWHR, Istanbul), Women’s eNews, 13/01/2002, MEI, 11/
01/2002.

150
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Désormais, la loi Turque reconnaît à la femme, en matière


civile, une capacité juridique identique à celle de l’homme et les
mêmes possibilités pour exercer cette capacité. Elle lui reconnaît
en particulier des droits égaux en ce qui concerne la conclusion
de contrats et l’administration des biens et leur accordent le même
traitement à tous les stades de la procédure judiciaire. La loi relative
à l’impôt sur le revenu a été modifiée en 1998, ce qui permet aux
femmes mariées de déclarer indépendamment leurs revenus.
En vertu de l’article 186 du nouveau Code civil, les époux
prennent ensemble les décisions concernant l’union matrimoniale
et participent aux dépenses de la famille dans la mesure de leurs
moyens. Cette disposition remplace et annule le principe, énoncé
dans l’ancien Code, selon lequel le mari, en tant que chef de famille,
était responsable de l’entretien du ménage et de ses membres, en
particulier sa femme et ses enfants. L’égalité des droits et des devoirs
des femmes et des hommes pendant le mariage subsiste aussi en
cas de divorce. Le Code parle de rupture irrémédiable de l’union
matrimoniale pour désigner toute une série de difficultés qui peuvent
conduire l’un ou l’autre des conjoints à demander le divorce (art.
166). En outre, la loi définit des situations particulières (adultère,
maladie mentale, mauvais traitements, crime infamant, etc.) qui
peuvent constituer des motifs de divorce.
La loi règle sans discrimination les questions liées aux pensions
alimentaires (art. 175 et 178) et une indemnité éventuelle en cas
de dommage potentiel ou réel dû au divorce (art. 174 et 176).
Elle reconnaît les mêmes droits à chacun des époux en matière de
propriété, d’acquisition, de gestion, d’administration, de jouissance
et de disposition des biens, tant à titre gratuit qu’à titre onéreux.
Les conjoints ont des droits égaux en ce qui concerne les questions
liées au domicile familial (art. 194). Ni l’un ni l’autre ne peut annuler
un bail relatif à ce domicile, transférer la propriété du logement ni
limiter des droits concernant le domicile sans le consentement de
l’autre. Le droit à ce sujet de celui des conjoints qui n’est pas le
propriétaire légal du domicile familial est garanti par la loi. Les
femmes, sans restriction, peuvent acheter, gérer et vendre des biens
ou des marchandises.

151
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Le nouveau Code civil aborde la famille et le rôle des femmes au


sein de la famille sous un angle nouveau afin de cerner le niveau le
plus élémentaire où les discriminations ne cessent de se perpétuer. Le
nouveau texte établit l’égalité entre les conjoints de plusieurs façons:
la notion de l’homme chef de l’union conjugale est remplacée par
celle de partenariat dans l’égalité dans lequel les conjoints gèrent
l’union matrimoniale par des décisions égales qui s’imposent, les
conjoints ont des droits égaux concernant le domicile familial et ils
ont des pouvoirs de représentation égaux34.

2.4 L’innovation dans le partage des biens


L’innovation la plus importante concerne les régimes de biens
acquis dans le mariage (art. 218 à 241). Il existe quatre régimes de
biens: le régime de la communauté réduite aux acquêts (le régime
légal normal dans le nouveau Code), la séparation de biens (art.
242 à 243), la séparation des biens communs (art. 244 à 255) et la
communauté (art. 256 à 281). Les deux derniers régimes existaient
déjà dans l’ancien Code. A l’exception du dernier, ces régimes
nécessitent un partage des biens communs en cas de divorce.
Le régime légal dans l’ancien Code était celui de la séparation de
biens. Il reconnaissait la propriété individuelle des biens enregistrés
au nom de chacun des époux. Après le divorce, par conséquent,
chacun d’eux conservait les biens qui lui appartenaient avant le
mariage et ceux qu’il avait acquis en son nom propre pendant la durée
de l’union matrimoniale. Étant donné qu’en Turquie, habituellement,
ce sont le plus souvent les hommes qui sont propriétaires des biens
de la famille, en cas de divorce, ce régime faisait que les femmes y
perdaient souvent beaucoup.
Le régime légal de propriété adopté dans le nouveau Code civil
est celui de la communauté réduite aux acquêts (art. 218 à 241).
Ce régime a pour effet que la valeur ajoutée acquise par tous les
34- En vertu de l’article 186 du nouveau Code civil, les époux prennent ensemble les décisions
concernant l’union matrimoniale et participent aux dépenses de la famille dans la mesure de leurs
moyens. Cette disposition remplace et annule le principe, énoncé dans l’ancien Code, selon lequel le
mari, en tant que chef de famille, était responsable de l’entretien du ménage et de ses membres, en
particulier sa femme et ses enfants.

152
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

biens acquis pendant le mariage est partagée également en cas de


divorce. En adoptant un régime matrimonial égalitaire, le nouveau
Code non seulement reconnaît l’apport financier des deux époux à
leur union mais aussi la valeur du travail physique et moral qui est
consacré à l’entretien quotidien de la famille. Le nouveau régime des
biens reconnaît donc le travail non rémunéré de la femme au foyer.
Il s’applique aux couples qui ne choisissent pas d’autre régime par
contrat avant ou après le mariage. Donc, le nouveau régime renforce
non seulement la sécurité économique des femmes mais aussi leur
confiance en elles et les moyens à leur disposition.
Pour ce qui est de l’héritage, l’époux survivant reprend sa part
des biens communs conformément aux règles qui s’appliquent au
régime du couple. La partie restante des biens est divisée entre les
héritiers conformément à la loi (art. 499). Le droit turc prévoit que
les enfants, garçons ou filles, ont un droit égal à la succession de
leurs parents. Les femmes ont les mêmes droits que leurs frères, et
ces droits sont garantis par la loi et ne peuvent pas être révoqués,
même par disposition testamentaire (art. 498). Les enfants adoptifs
ont les mêmes droits que les autres (art. 500). L’article 661 donnait
aux enfants mâles la priorité concernant l’héritage des terres
agricoles pour empêcher le morcellement des propriétés mais sa
révision a éliminé l’une des dispositions les plus discriminatoires
du droit successoral. La nouvelle loi ne distingue ni fils ni fille. Les
étrangers mariés à des Turcs ont droit à la même part d’héritage que
s’ils étaient eux-mêmes turcs
Le couple peut toujours changer de régime en signant un
contrat entre eux. Le changement de régime s’effectue : i) avec
un contrat (le couple signe un nouveau contrat devant notaire ;
ii) par décision du tribunal (suite à la demande justifiée d’un des
conjoints)
Les groupes de biens dans le régime de participation aux biens
acquis sont constitués par les «biens propres» et «biens acquis».
Les biens acquis comprennent :
i) le salaire et la rémunération ; ii) tous versements effectués par

153
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

des organismes de sécurité sociale ; iii) l’indemnité reçue en cas


d’invalidité ; iv) les revenus provenant de biens personnels (loyers,
intérêts) ; iv) les valeurs remplaçant les biens acquis. Les biens
propres se composent de : i) tout objet à utilisation individuelle ; ii)
les biens acquis avant le mariage ; iii) tout bien hérité ou acquis par
donation avant le mariage ; iv) les dommages et intérêts matériels ;
v) toute valeur remplaçant des biens personnels.
La liquidation de la participation aux biens acquis se fait par la
séparation des biens de chacun ; la détermination des biens propres
et les biens acquis par chacun des conjoints ; iii) S’il y a lieu, on fait
la compensation entre les biens propres et les biens acquis ; iv) Pour
chacun, on détermine la plus-value : chaque conjoint a droit à la
moitié de la plus-value, et chacun garde ses biens propres.
Encadré 1 : Les types de régimes matrimoniaux
Le régime légal
Si le couple n’a pas opté avant ou après le mariage pour le
régime sélectif inscrit dans la loi concernant la gestion et le
partage de patrimoine, le couple est automatiquement soumis
au régime légal. Il est reconnu au couple le droit de choisir un
des régimes matrimoniaux inscrits dans la loi. Mais si le couple
n’a pas fait de contrat ou n’a pas utilisé le droit de choisir un
des régimes, il est soumis au régime légal sans nécessiter aucune
opération.
Le régime matrimonial inscrit dans le nouveau code civil entré
en vigueur le 1er janvier 2002 est un régime de partage des biens
nouvellement acquis. Dans l’ancien code civil, le régime légal
était la séparation des biens.
Le régime matrimonial sélectif : Le régime matrimonial
sélectif est un régime que le couple peut choisir dans les limites
inscrites à la loi en faisant un contrat de biens. Dans le nouveau
code civil, à l’intérieur du régime sélectif, on trouve :
1) la séparation des biens
2) la séparation des biens à partager
3) la communauté des biens

154
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Le contrat de mariage : C’est un contrat que les couples


choisissent parmi les régimes sélectifs inscrits dans la loi. Il est
possible de choisir la séparation des biens ou la séparation des
biens à partager ou la communauté des biens. Si aucune sélection
(choix) n’est faite, le couple est soumis au régime légal. Le
contrat est fait :
1) pendant le recours pour le mariage
2) avant le mariage
3) après le mariage
4) le contrat fait avant ou après le mariage est établi ou certifié
par un notaire.
Le régime matrimonial sans partage : Ce régime constitue
un régime où aucune modification ne saurait se produire sur le
patrimoine de chacun des membres du couple, ni sur sa gestion,
ni sur son usufruit et où aucun partage ne pourra se réaliser, une
fois le mariage terminé.
Les régimes matrimoniaux avec partage
1) participation aux biens acquis
2) la séparation de biens avec partage
3) la communauté de biens
La réforme du Code civil turc, en 2002, représente une avancée
importante vers l’élimination des dispositions du droit qui sont
discriminatoires à l’égard des femmes et l’adoption d’une conception
égalitaire des relations familiales et des relations entre hommes
et femmes. La nouvelle loi, non seulement étendra les droits des
femmes et améliorera leur position en droit, mais aussi, à longue
échéance, modifiera les mentalités, les coutumes et les pratiques qui
sont discriminatoires à l’égard des femmes.

Mais malgré l’entrée en vigueur de ce nouveau code civil


représentant une étape décisive pour les droits de la femme et vers
l’égalité des sexes, la question des discriminations sexuelles et
des violations des droits de la femme demeure un thème essentiel
dans une société où les coutumes traditionnelles ont historiquement
contrôlé la vie des femmes et accordé aux membres masculins de la

155
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

famille le droit de prendre les décisions touchant la vie des membres


féminins de la famille.

3. La Tunisie ou le modèle écorné


La situation de la femme tunisienne au sein de la famille est en
évolution constante à la faveur des réformes législatives de juillet
1993 et des lois promulguées en 1998. Les droits de la femme y ont
été sensiblement renforcés (même quand elle est encore mineure)
en tant que mère, en tant qu’épouse et en tant qu’individu. Le Code
du Statut Personnel -CSP- se veut un code qui organise la famille
tunisienne sur la base de l’égalité juridique entre l’homme et la
femme et de la moralisation de la relation conjugale au sein de la
famille et de la société35.

Le CSP a été plusieurs fois amendé en vue de tenir compte de


l’évolution de la société tunisienne. Les amendements introduits en
1993, ont modifié en profondeur la nature des rapports conjugaux
et des relations familiales en consacrant davantage le principe de
l’égalité entre l’homme et la femme et en consolidant les fondements
d’une gestion démocratique de la famille. Sa participation dans
la prise de décision a été consolidée dans le mariage et après le
divorce.

Le législateur tunisien est animé de la volonté constante de protéger


les droits et les acquis des femmes et ce, dans le souci de permettre aux
réformes engagées de s’inscrire dans la durée, de manière à préparer
le terrain, dans une étape ultérieure, pour de nouvelles réformes.
Toutefois, l’image de modernité et d’émancipation féminine forgée à

35- Le CSP stipule notamment : l’abolition de la polygamie (le non-respect est passible de sanction
pénale) ; l’institution du divorce judiciaire, l’interdiction de la répudiation et l’octroi aux deux époux
du droit au divorce ; la limitation à 17 ans de l’âge légal pour le mariage de la jeune fille sous la
condition de son consentement ; la femme peut ester en justice et être assignée en son propre nom,
elle a les mêmes possibilités d’accès aux services judiciaires au même titre que l’homme ; l’octroi à
la mère, en cas de décès du père, du droit de tutelle sur ses enfants mineurs ; l’institution, en matière
d’héritage, du legs obligatoire en faveur des enfants de la fille en cas de décès de celleci avant son père;
la loi du retour : la fille unique hérite tout le patrimoine de ses géniteurs.

156
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

partir du cadre juridique existant et des indicateurs de développement


élaboré par des institutions comme les Nations Unies ou par le propre
gouvernement tunisien, présente des discordances - distorsions -
avec la situation réelle que vivent les femmes en Tunisie.

Il est vrai que, par rapport à d’autres pays musulmans, le système


législatif tunisien est très avancé. S’ajoute à cela l’existence d’une
volonté politique affirmée en faveur du progrès des femmes, qui se
reflète dans l’existence d’institutions solides qui réalisent un travail
non négligeable en faveur de l’équité. Il est vrai également que
les indicateurs présentent des résultats positifs. Néanmoins, il y a
nécessité d’aller au delà de ces données pour découvrir la complexe
réalité d’une société qui depuis des décennies tente de conjuguer
modernité et tradition y fait de l’équilibrisme entre l’ouverture
à l’occident, la conservation de l’identité arabo-musulmane et la
répression du fondamentalisme.

A côté de lois qui encore aujourd’hui sont révolutionnaires


dans le contexte des pays musulmans, persistent en Tunisie des
normes écrites qui perpétuent certains aspects de l’inégalité et de
la discrimination des femmes. Par ailleurs, dans les pratiques et les
coutumes de la société tunisienne existent également des aspects
qui s’opposent à la prétendue émancipation des femmes sur un pied
d’égalité avec les hommes

3.1. Le Code de statut personnel et l’égalité formelle.


La Constitution tunisienne dans son article 6 établit que « Tous les
citoyens ont les mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils sont égaux
devant la loi » D’autre part, la Tunisie fait partie de l’Organisation des
Nations Unies et par conséquent, elle est concernée par les principes
de la Charte Fondamentale que nous évoquions plus haut. En plus de
cela, elle a souscrit à la Charte Africaine des Droits de l’Homme et
des Peuples de 1981, également citée anterieurement. Elle est aussi
Etat signataire et a ratifié la Convention pour l’Elimination de tous
type de Discrimination contre les Femmes (1), ce qui en fait une
normative nationale.

157
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Le 13 août 1956 a vu la promulgation du Code de Statut Personnel


applicable à toute la population. Ceci s’est produit trois ans avant
l’approbation de la Constitution en juin 1959. Le fait que le pouvoir
politique ait commencé par organiser le statut des femmes dans la
famille avant d’édicter une constitution qui organise l’Etat est signe
de que, plus que les hommes, les femmes ont été et continuent d’être
le point de focalisation de la tension entre tradition et modernité.
Dans le Code ont été éliminées les discriminations les plus
flagrantes contre les femmes, comme la polygamie et la répudiation,
en faisant référence au principe de Ijtihad (réinterpretation
progressiste des textes). De cette manière, ce Code s’est converti en
le plus avancé du Maghreb quant à la reconnaissance des droits des
femmes.
Toutefois, l’article 23 du Code du statut personnel est
discriminatoire envers les femmes, en ce sens qu’il cantonne les
femmes à un rôle passif et dépendant dans la famille, à la fois en tant
qu’épouse et en tant que mère. En outre, l’autorité du mari au sein de
la famille se traduit par le fait que c’est lui qui détermine le domicile
familial et le nom de famille.
En Tunisie, le législateur a procédé par des touches successives
caractérisées par l’atténuation des pouvoirs du chef de famille,
mais aussi par la bilatéralisation des obligations issues du mariage.
Certaines obligations dans le Code tunisien impliquent une égalité
parfaite entre les époux, tandis que d’autres n’ont été bilatéralisées
qu’imparfaitement. Par exemple, l’article 40 permet à l’épouse
d’exiger le divorce, si le mari s’absente sans lui assurer d’aliment,
abstraction faite de ses revenus personnels qui peuvent être
amplement suffisants pour subvenir à ses besoins matériels. L’article
39 du même code partage, lui aussi, cette fixation sur le chef de
famille pourvoyeur de subsides ; puisqu’il permet à l’épouse de
l’indigent, dont les difficultés économiques durent plus que deux
mois, d’obtenir le divorce.

158
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Ces deux textes mitoyens, s’inspirent indubitablement du Droit


Musulman qui se fonde sur l’obligation alimentaire à la charge de
l’époux parce que l’épouse se consacre au foyer pour son compte
et celui de ses enfants et parce que l’autorité du mari, «qawwam»
et sa prééminence, «daraja» sur sa femme dépendent de l’entretien
matériel par lui de celle-ci selon les termes mêmes du Coran.
Ces textes sont en contradiction avec le fait que la femme investit
depuis long temps le domaine du travail rémunéré hors du foyer
conjugal et que la réforme de 1993 elle même a éliminé l’obligation
d’obéissance qui pesait sur elle. De plus, la nouvelle rédaction de
l’article 23 du C.S.P affirme désormais clairement que « la femme
doit contribuer aux charges de la famille si elle a des biens ». Ce
qui revient, aux dires de la doctrine à « ouvrir une brèche dans la
suprématie du mari ».
Des efforts importants consacrés par la Tunisie à l’avancement
des droits des femmes, que ce soit d’un point de vue juridique ou
en pratique, les femmes ne jouissent pas pleinement de leurs droits
fondamentaux à l’égal des hommes. De fait, dans tous les domaines
de la vie, les femmes sont encore victimes de lois et de pratiques
discriminatoires, et ce en raison de nombreux facteurs, notamment
la persistance d’une société traditionnellement dominée par les
hommes.
Au regard de l’article 67 du Code du statut personnel, amendé par
l’Acte 93-74 daté du 12 juillet 1993, le père est le premier responsable
de l’entretien de ses enfants. Une mère divorcée ayant la garde de
l’enfant ne bénéficie que des prérogatives d’un tuteur en matière
de voyages, d’éducation de l’enfant et de gestion de ses réserves
d’argent. Une femme jouit du plein droit de tutelle uniquement en
cas de décès du père, ou si celui-ci est dans l’incapacité d’exercer
son droit de tutelle. En outre, des magistrats ont refusé d’accorder
à des femmes accompagnées d’enfants mineurs, l’autorisation de
quitter le pays au nom de la Sharia, qui désigne le père comme chef
de famille et requiert la permission de ce dernier pour que les enfants
puissent partir en voyage.

159
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Le droit de succession, régi par la Sharia et par la tradition, est lui


aussi discriminatoire à l’encontre des femmes. L’article 192 du Code
du statut personnel prévoit que la part d’héritage reçue par un garçon
doit être le double de celle d’une fille.
Le Code du statut personnel a institué le divorce juridique au
titre de l’article 30. L’égalité des époux pour la demande de divorce
a été établie à travers l’article 31 du Code du statut personnel.
D’après cet article, les époux ont le choix entre trois formes de
divorce : par consentement mutuel, pour mauvais traitements, pour
incompatibilité.

3.2 Formes de divorce et régime matrimoniale


Le Code du statut personnel a institué le divorce juridique au
titre de l’article 30. L’égalité des époux pour la demande de divorce
a été établie à travers l’article 31 du Code du statut personnel.
D’après cet article, les époux ont le choix entre trois formes de
divorce : par consentement mutuel, pour mauvais traitements, pour
incompatibilité.
Bien que le premier texte du Code de Statut Personnel contenait
déjà les innovations les plus importantes, il fut amendé en diverses
occasions sous le mandat de Bourguiba et de Ben Ali. ans tous les
cas, le résultat de cette tentative de moderniser sans provoquer une
véritable rupture avec la tradition a donné lieu à la coexistence de toute
une série d’aspects contradictoires entre eux, aussi bien au niveau
des lois comme dans la société. Ainsi, malgré les modifications et
avancées par rapport au texte de 1956, se maintiennent des principes
qui n’ont pas été modifié à ce jour, comme l’inégalité de l’héritage
entre les hommes et les femmes.
‹ L’héritage : Le droit de succession, régi par la Sharia et par la
tradition, est lui aussi discriminatoire à l’encontre des femmes. L’article
192 du Code du statut personnel prévoit que la part d’héritage reçue
par un garçon doit être le double de celle d’une fille. A égal niveau
de parenté, les femmes reçoivent la moitié de la part correspondant
aux hommes. Ainsi, par exemple, un frère hérite le double de ce que

160
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

reçoit sa soeur. L’inégalité formelle en matière d’héritage est encore


aggravée par des pratiques discriminatoires puisqu’il existe des cas
de renoncement par les femmes ou d’appropriation par leurs parents
hommes de la part d’héritage qui, par loi, revient aux femmes. Cette
pratique est qualifiée de “spoliation contraire aux lois musulmanes”
et relève que , dans le monde rural, est considéré comme une offense
à ses frères et le reste de ses parents masculins le fait que les femmes
réclament leur part d’héritage.
‹ La dote : Le Code maintient la dote dans le sens du prix
de la fiancée. La dote est une institution très ancienne propre non
seulement au monde musulman mais à l’ensemble de la société
méditerranéenne. En son temps, la dote pouvait avoir une fonction
de protection des femmes en leur permettant de disposer librement
d’une certaine quantité d’argent ou de biens. Quoiqu’il en soit, la dote
implique une idée du mariage comme forme d’achat par un homme
d’une femme assimilable à une marchandise que l’on peut évaluer
en argent. Ainsi, le maintien de la dote porte atteinte à l’égalité entre
les hommes et les femmes et à la dignité humaine.
Ainsi, la dot est encore inscrite dans le Code du statut personnel
comme une obligation, que le père est encore le chef de famille,
que la succession est encore régie par le droit islamique – attribuant
les deux tiers des biens à l’homme contre un tiers à la femme –,
que les responsabilités en matière d’entretien des enfants reviennent
en premier lieu au père, et qu’un écart subsiste entre l’âge légal de
mariage des femmes et celui des hommes.

3.3 Le Code de statut personnel: une reconnaissance


des droits économiques de l’épouse ou une égalité
formelle ?
Le droit des femmes de posséder, d’acquérir, de garder et de
céder des biens est reconnu par le Code des Obligations et des
Contrats ainsi que le Code des droits réels. Ces codes n’opèrent
aucune discrimination relative au sexe en matière de possession,
d’acquisition, de gestion ou de cession des biens. Aux termes de la
loi n° 93-74 du 12 juillet 1993 portant amendement du CSP, les droits

161
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

et les devoirs des époux au sein de la famille ont subi d’importantes


modifications sur la base de la consécration des principes d’égalité
et de co-responsabilité. La place accordée à l’épouse au sein de la
famille est valorisée en ce sens que celle-ci acquiert de plus en plus
le droit d’intervenir dans la prise de décision concernant la gestion
des enfants et de la famille.
L’amendement de l’article 23 introduit une innovation majeure,
à savoir l’obligation faite à l’épouse de contribuer aux charges
de la famille, découlant de la reconnaissance du nouveau rôle de
la femme en tant qu’acteur économique. Désormais, l’épouse
intervient au sein de la famille en tant que promotrice de ressources
économiques. Toutefois, les deux conjoints n’ont pas les mêmes
devoirs économiques36.
L’article 24 du CSP consacre la séparation des biens entre époux.
Les femmes disposent de leurs biens acquis pendant le mariage dans
les mêmes conditions que leurs époux. Suite aux décisions adoptées
lors d’un conseil ministériel restreint, présidé par le Chef de l’Etat
et consacré au plan d’action national pour la famille, le 5 avril 1996,
les caisses nationales de sécurité sociale ont été invitées, dans une
circulaire en date du 9 mai 1996, à permettre aux époux de contracter,
chacun de son côté, un prêt pour un même logement familial, et ce,
afin d’encourager l’option pour le régime de la communauté des
biens.
Toutefois, l’article 23 du Code du statut personnel est
discriminatoire envers les femmes, en ce sens qu’il cantonne les
femmes à un rôle passif et dépendant dans la famille, à la fois en tant
qu’épouse et en tant que mère. En outre, l’autorité du mari au sein de
la famille se traduit par le fait que c’est lui qui détermine le domicile
familial et le nom de famille.

36- Si le mari demeure le principal pourvoyeur économique, l’obligation économique faite à l’épouse
n’est contraignante que si celle-ci a des ressources propres. Cette situation est justifiée par les réalités
économiques nationales qui font ressortir, selon le recensement national de 1994, que la population
féminine active ne constitue que 24% de la population active totale. Néanmoins, le rôle de la femme
dans le développement des ressources économiques de la famille est de plus en plus ressenti dans la
conscience collective.

162
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

3.4 La loi sur la communauté des biens entre époux


Pour encourager l’accès des femmes mariées à la propriété, le
législateur a promulgué une loi organisant le régime de la propriété
commune entre conjoints, en adéquation avec les nouveaux rapports
de co-responsabilité et de partenariat régissant le couple, tels que
stipulés dans l’article 23 nouveau du CSP.
Le régime de la communauté des biens est un régime facultatif ;
en outre, il ne s’applique pas à la procédure successorale. L’article 3
précise en effet, que ce régime « intervient sans préjudice des règles
de la succession ». De même la loi précise dans son article 7 que « le
mariage conclu sans la mention de l’option des deux époux concernant
le régime des biens matrimoniaux est présumé consacrer le choix
du régime de la séparation des biens. » Cette loi, instaurant pour la
première fois en droit positif tunisien un régime de communauté des
biens entre époux, en dérogation du régime légal et principal de la
séparation des biens ; se caractérise essentiellement par son aspect
facultatif et volontaire, aussi bien quant au moment de l’option pour
ce régime (les époux peuvent opter au moment de la conclusion du
contrat de mariage ou à une date ultérieure), que quant aux biens
pouvant faire l’objet de cette option (immeubles uniquement, ou tous
les biens meubles et immeubles...), et à la possibilité de dissoudre ce
régime par l’accord exprimé des deux parties.

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Encadré 2 : La loi n° 98-91 du 9 novembre 1998 relative au régime


de la communauté des biens entre époux :

Article 1 : “Le régime de la communauté des biens est un


régime facultatif pour lequel les époux peuvent opter au moment
de la conclusion du contrat de mariage ou à une date ultérieure.
Ce régime a pour but de rendre un immeuble ou un ensemble
d’immeubles propriété indivise entre les époux lorsqu’ils sont
propres à l’usage familial”.
Article 2 : “Lorsque les époux déclarent qu’ils choisissent
le régime de la communauté des biens, ils seront soumis aux
dispositions de cette loi, toutefois, il leur appartient de convenir
de l’élargissement du domaine de la communauté à condition
d’en faire mention expresse dans l’acte.”

Cette loi veut s’inscrire dans le cadre de l’approche du législateur


tunisien en matière de politique familiale, qui consacre le principe
du partenariat entre époux. En effet, les époux qui ont, depuis la loi
du 12 juillet 1993 portant amendement du Code de Statut Personnel
(article 23) l’obligation de coopérer entre eux, pour la bonne gestion
des affaires du foyer, et de contribuer aux dépenses de la famille par
leurs propres ressources, (notamment l’épouse) doivent normalement
se faire autoriser une coopération financière et immobilière égalitaire
en matière de propriété37. La loi sur la communauté des biens entre les
conjoints procède d’une approche novatrice et introduit de nouvelles
normes juridiques et sociales en matière d’accès à la propriété.

37- C’est précisément le but visé et atteint par la loi du 30 novembre 1998 qui énonce au paragraphe 2
de son premier article que “ce régime a pour but de rendre un immeuble ou un ensemble d’immeubles
propriété indivise entre les époux lorsqu’ils sont propres à l’usage familial.”

164
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Chapitre 7 : Al Kad ou S’aya :


une référence juridictionnelle ?
La norme définie par le droit marocain en ce qui concerne le
régime patrimonial des époux, et qui tire sa légitimité de la shari’a
établit l’indépendance de chacun des époux dans la gestion de ses
biens. Il découle de ce précepte plusieurs conséquences dont la
principale est que :
‹ l’époux n’exerce pas de tutelle sur les biens de son épouse,
‹ tout ce que chaque époux a acquis grâce à son effort ou
à ses ressources est considéré comme une propriété nette de
celui-ci,
‹ si l’époux a fructifié les biens de son épouse et l’a associé à
ses biens et qu’il a acquis des biens par ce bais, il en découle
que les ressources financières sont communes et se répartissent
entre eux selon l’apport de chacun,
‹ si l’époux a gérer le patrimoine de son épouse et l’a fructifié
sans l’associer à son patrimoine propre, le capital constitué
reste une propriété de l’épouse, quant à l’époux, il bénéficie de
sa part telle qu’elle a été définie contractuellement ; sa part est
évalué selon son apport au par les experts.

1 Signification du concept
Le droit coutumier appelé Al Kad ou S’aya a suscité entre les
fouqahas marocains un grand débat. Ils ont tenté à travers leurs avis
inspirés du fiqh et leurs fatwas enraciner dans ces us et coutumes
rattachés à ce droit, chercher son origine, discuter sa nature, évaluer
son adéquation (correspondance), aux jugements de la chari’a. Ce
qui exige une réflexion sur sa finalité, ses éléments constitutifs et sa
métamorphose juridique.
Le droit Al Kad ou S’aya est considéré comme une des coutumes
répandues dans certaines régions marocaines et il correspond à ce
que reçoit le S’aai en contrepartie de son travail dans la formation et

165
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

la mise en valeur d’un capital, et qui est l’équivalent de l’effort fourni


dans cette activité. Pour que ce droit soit reconnu, des conditions
doivent être remplies.
Le droit Al Kad ou S’aya est reconnue auprès de la population des
régions de l’Anti atlas et les plaines qui l’entourent et dans certains
régions du Haut Atlas sous le nom amazigh de « Tamazalt ». Ce
terme amazigh est tiré du verbe « Azal », qui signifie chercher (S’aa)
ou courir (J’ara). D’où l’appellation de ce droit dans le fiqh marocain
écrit en langue arabe, de droit d’Al Kad ou S’aya. Le Kad est un
terme qui renvoie à l’effort dans le travail, la recherche du gain et de
la richesse, la persistance dans l’acquisition d’un bien, la pénibilité
dans le travail, ce qui a conduit quelques uns à appeler ce droit, le
droit rattaché à la pénibilité.
Quant à S’aya elle désigne l’acte de celui qui s’active, qui agit,
pour acquérir un bien ou réaliser un gain.
Deux versets coraniques font référence à la S’aya
«Oui, l’Heure approche ; - Je veux la tenir secrète- pour que
chacun soit rétribué d’après ses actes» Sourate Taha ; Verset 15
« L’homme ne possédera que ce qu’il aura acquis par ses efforts.
Son effort sera reconnu et il sera, ensuite, pleinement récompensé »
Sourate L’étoile ; Versets 39,40
Aussi, S’aya renvoie à ce que chaque personne acquiert en
contrepartie de son effort et de son action, elle est donc en rapport
ou en équivalence avec le travail, que ce soit pour constituer un
capital quand il n’existe pas ou pour la mise en valeur d’un capital
existant constitué par les personnes qui en sont les propriétaires ou
par d’autres personnes qui le confient à autrui pour le fructifier,
l’élargir, en bénéficier.
Les droits des personnes qui ont déployé cet effort ne porte pas
sur le patrimoine dans sa totalité, il s’applique seulement à la part
additionnel qui a résulté de leur effort ou de leur action. C’est la
valeur ajoutée à ce patrimoine qui est l’objet d’un droit ou d’une
répartition des parts telles qu’évaluées par une expertise.

166
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

2 Les éléments de droit du Kad ou S’ayaa


La réalisation du droit d’Al Kad ou S’aya exige quatre conditions
essentielles : le s’aii, l’acte de s’aya, la formation d’u capital ou sa
mise en valeur, la contrepartie à l’effort.
‹ Le s’ai est une personne qui forunit un effort pour constituer
ou fructifier un capital donné. La personne en question peut
être un membre de la famille indistinctement de son âge, de
son sexe. Elle peut être l’époux ou ses épouses, les frères et
les sœurs, les proches ou les lointains. La seule condition est
l’appartenance du s’aii à la famille. Tout travail fourni par une
personne étrangère au cercle familial répond à d’autres normes
de rétribution ou de rémunération : il peut s’agir d’un salaire ou
de la rémunération contractuelle, ou le bénéfice d’une part de
la récolte. La S’aya ne bénéficie donc qu’aux membres d’une
communauté familiale selon l’effort et le travail fourni.
‹ L’acte en lui-même concerne le travail destiné à constituer
ou à fructifier un capital, il varie selon les capacités des
personnes qui le fournissent : selon l’âge, la nature du travail,
l’intensité de l’effort, leurs compétences professionnelles. La
participation peut être par le travail direct ou par l’apport en
capital. Ces distinctions dans la nature du travail influent sur la
contrepartie du s’aii en fonction de l’effort fourni. Peu importe
si ce travail est fourni à l’intérieur de la maison (dans l’enceinte
domestique) ou à l’extérieur.
‹ La formation d’un capital ou sa valorisation : la simple
participation d’un élément de la famille à la gestion des
affaires familiales ne lui octroie pas le droit à s’aya sauf si de
son effort résulte un surplus. Ce surplus peut se matérialiser
dans la valeur d’un capital nouvellement constitué comme il
peut s’agir d’une valorisation d’un capital déjà constitué. Le
droit porte sur l’excédent accumulé et ne concerne nullement
le capital initial. Par exemple, le droit de S’aya ne porte pas sur
la terre, elle reste la propriété de son possédant. Il ne s’applique
qu’aux fruits de l’effort d’exploitation de la terre.

167
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

‹ La contrepartie de la S’aya ou de l’effort de travail :


c’est ce que perçoit le S’aii une fois réalisée les conditions
précédentes. Plus précisément, le droit de S’aya ne concerne
pas le patrimoine en tant que tel, il ne concerne que le résultat
de l’effort fourni, c’est-à-dire le différentiel de valeur entre
l’état du patrimoine avant sa valorisation et après sa mise
en valeur. Ce patrimoine peut être possédé par ceux qui
fournissent l’effort de travail ou par d’autres personnes. Le
patrimoine peut ne pas exister initialement et résulter lui-
même de l’effort de travail. Le droit de S’aya peut s’appliquer
au foncier, au bétail, à la récolte ou aux ustensiles ou tout bien
acquis durant la période de mariage. Il couvre le foncier et les
biens transmissibles. Quant à la contrepartie de la S’aya, elle
varie selon l’effort fourni par chaque S’aii dans son travail.
Tenant compte de ces considérations, il s’avère que lorsque
l’épouse sacrifie sa vie maritale à son mari, qu’elle déploie
son énergie pour l’acquisition de biens, de moyens financiers,
grâce à sa contribution aux travaux agricoles, à des activités
de tissage ou à son engagement dans des travaux publics ou
privés en présence de son époux ou en son absence, la coutume
prévalant dans certaines régions du Maroc, notamment dans
le souss faisaient de cette épouse un partenaire dans l’acquis
familial, c’est-à-dire dans le surplus constitué après le mariage.
L’épouse est considérée comme son partenaire en fonction
de son travail ou de son effort. Si les deux époux se mettent
d’accord sur la répartition des parts du gain, cet accord fait foi.
Autrement, le partage obéit à une règle d’égalité, si cette règle
n’est pas remise en cause par des preuves.

3 Le droit d’Al Kad ou S’aya : ses racines et son


adaptation
Le droit d’Al Kad ou S’aya reconnaît à la femme une contrepartie
à son effort et à son travail aux côtés de son époux dans la période
maritale. Il lui donne le droit à une part dans l’acquis ou le surplus
suite à sa participation, quelque soit sa nature : un bien immobilier

168
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

ou un bien transmissible sans remettre en cause ses droits que lui


confère la sh’aria et sans atteinte à l’indépendance des patrimoine
des époux. Cette considération nous amène à mettre en exergue les
racines de ce droit, et à examiner son adaptation juridique.
Les avis des fouqahas et des chercheurs ont divergé sur l’origine
de la S’aya de la femme. Certains l’on fait remonté à un jugement
établi par le calife Omar Ibn Al Khattab, d’autres l’ont considérer
comme une résultante d’un ijtihad dans le fiqh, d’autres encore l’ont
adossé à des coutumes locales qui ont pénétré les sociétés en question,
d’autre enfin la renvoient à des principes généraux de la sh’aria. Ces
divergences dans le repérage (identification) des sources d’Al Kad
ou S’aya n’a pas été sans influencer les jugements prononcés par la
justice qui se sont référés dans leur justification des jugements à telle
ou telle origine de ce droit selon les cas.

• Le jugement de Omar Ibn Al Khattab :


Les adeptes de cette source s’appuient sur le récit d’Ibn Zamannain
dans ses écrits et qu’il attribue à Ibn Habib quand il a rapporté un
évènement qui s’est produit du temps du Calife. Celui-ci a eu à
prononcer son avis sur une affaire d’héritage. Une femme – Habiba
bent Zrik- contribué à la richesse de son mari en participant à une
activité de tissage dirigée par son époux – Amr Ben Harit- A la
suite du décès de son époux, ses héritiers se sont accaparés les biens
stockés dans les dépôts, se sont répartis les ressources financières.
Dans sa plainte adressée au Calife, l’épouse du décédé a fait prévaloir
sa contribution à l’accumulation de ces biens. Omar Ibn Al Khattab
a prononcé son jugement en accordant à la plaignante la moitié
des richesses inventoriées et le quart de cette richesse en tant que
part d’héritage, sachant qu’ils n’avaient pas d’enfants. Les autres
héritiers se sont partagés le quart restant. C’est cette référence qui a
été évoquée par le Tribunal d’appel de Safi quand il a prononcé un
jugement : « considérant que le droit d’Al Kad ou S’aya comme il est
appelé dans certaines coutumes est un des droits reconnus par le fiqh
islamique depuis le Calife Omar Ibn Al Khattab que Dieu le protège,
ait prononcé son jugement en faveur de Habiba à l’encontre du frère

169
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

de son mari en lui concédant la moitié des biens laissés par son mari,
dans la mesure où elle était tisserante et qu’elle ait contribué de ce
fait à la constitution de son association».
Le professeur Chmanti Houari considère que quelle soit la véracité
de ce récit sur le jugement de Omar Ibn Al Khattab dans cette affaire,
le jugement en question s’inscrit dans Maqasid chari’a dans les
principes qu’elle défend notamment ceux qui se réfèrent au respect
de la justice, à la condamnation de l’usurpation des biens d’autrui,
et il n’est pas étonnant que ce genre de jugement soit prononcé par
Omar qui était connu pour son intransigeance sur le respect des droits
des personnes dans plusieurs affaires.

• Les fatwas des fouqahas


Les tenants de cette lecture considèrent que l’origine d’Al Kad
ou S’aya provient des Fatwas des foukahas avec cette nuance qu’ils
divergent sur la paternité de ces fatwas. Les adeptes de l’Imam Mali
(notamment Abou Issa Al Mahdi Al Ouazzani) prêtent à leur maître
l’origine de ces fatwas. D’autres chercheurs la prête à Abou Abdellah
Mohammed Ben Ardoun qui a répondu à des questions l’interpellant
sur le travail des femmes campagnardes dans les travaux des champs
(culture, semence, récolte…) : ont-elles un droit sur les fruits de
l’exploitation agricole après le décès de l’époux en raison de leur
travail ou n’ont-elles droit qu’à l’héritage ? Ibn Ardoun est devenu
célèbre par une fatwa révolutionnaire spécifiant que les fruits de
l’activité agricole se répartissent entre toutes les personnes qui ont
contribué à sa production. Une grande controverse a opposé Ibn
Ardoun aux Foukahas de Fès sur cette question. De cette controverse,
il est apparu qu’il était difficile de trouver une fakih du Souss qui
ne s’est pas prononcé positivement sur cette question d’Al Kad ou
S’aya en faisant prévaloir les droits de la femme et ne distinguant
ce principe des autres fatwas portant sur le salariat, l’association, le
divorce.

170
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• Les us et coutumes
La troisième tendance est celle qui impute ce droit à la coutume
et aux habitudes. Ainsi Abderrahman Abdellah Ben Mohammed Al
Jagtimi a écrit : « J’ai essayé de savoir quelle est l’origine de S’aya et
j’ai pris connaissance des fatwas reprenant les avis des Foukahas du
Souss sur la requête de la femme, j’ai trouvé que la grande majorité
d’entre eux l’ont permis en s’appuyant sur la tradition et la coutume».
Cet avis est confirmé par l’étendue et les limites de l’application des
droits d’Al Kad ou S’aya dans une zone géographique déterminée
qui est la région de l’Anti Atlas, de ses plaines environnantes et de
quelques régions du Grand Atlas, c’est-à-dire la région du Souss.
Il est rare de trouver une personne ou d’un membre d’une tribu qui
n’est pas entendu parler de ce droit, qui ne le connaît ou qui rejette
son application même quand il le concerne. La tradition parmi les
population de cette région est de permettre au S’ai de disposer
spontanément de sa part et le moindre reniement de ce droit par une
personne le conduit à se marginaliser de son environnement familial
ou tribal. Dans cette éventualité, il sera perçu comme une personne
qui ne respecte pas les coutumes de la communauté.
Ces us et coutumes ont imprégné les fatwas des foukahas qui ont
eu à traiter de ces questions et appliquer le principe de l’ijtihad tel
qu’il est stipulé dans la Chari’a. Ainsi la récurrence de ces fatwas,
leurs évolutions ont consolidé le principe d’accorder à la femme ses
droits en contrepartie de l’effort qu’elle fournie. Les tribunaux de
la région ont confirmé cet ijtihad à travers la résolution des conflits
portant sur ce droit. Le Conseil Supérieur a, de son côté, appuyé ces
jugements comme l’indique sa décision sur le dossier soumis à son
avis le 12 mai 1980. Dans ce dossier, il fait référence aux pratiques
d’Al Kad ou S’aya dans la région et appuie la demande d’une
plaignante pour bénéficier d’une partie du patrimoine accumulé par
son époux.
Il est à souligner que la plupart des Foukahas de fès n’ont pas
reconnu ce droit et ont cherché à limiter son application au monde
rural. Par contre les tribunaux de première instance d’Agadir, tout en

171
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

reconnaissant que le droit d’Al Kad ou S’aya n’a pas acquis le statut
d’une institution juridique, il renvoie néanmoins à une coutume
locale et aux écrits des foukahas qui ont statué sur l’incontestabilité
du droit de la femme sur le patrimoine commun s’il a été prouvé
qu’elle participé aux côtés de son époux à sa formation.

• Les principes généraux de la Shari a


La quatrième tendance est celle qui affirme que le droit d’Al Kad
ou S’aya n’est pas une innovation, une pratique des temps anciens
ou une simple tradition validée par le char’a. Au contraire, ce droit,
en tant qu’il exprime une relation de contrepartie à un travail ou un
effort, qu’il porte sur la formation d’un capital où sa valorisation
puise sa légitimité juridique dans le Coran, source des lois. Les
tenants de cette explication appuient leurs thèses par la référence à
des sourates :
«Il n’ y a aucune faute à vous reprocher si vous répudiez les
femmes que vous n’aurez pas touchés ou celles à l’égard desquelles
vous n’avez pas d’obligation. Donnez leur le nécessaire : l’homme
aisé donnera, selon ses moyens, - conformément à l’usage- C’est un
devoir pour ceux qui font le bien. Si vous répudiez des femmes avant
de les avoir touchées ou celles auxquelles vous avez déjà versé ce
qui leur est dû, donnez la moitié de ce à quoi vous étiez engagés ; à
moins qu’elles n’y renoncent, ou que celui qui détient le contrat de
mariage ne se désiste» Sourate la Vache, versets 237 et 238.
Le Coran a pris en considération la période de la vie conjugale
dans la reconnaissance de l’apport de l’épouse. Il a différencié entre
les situations conjugales selon leur durée.
«Si vous voulez échanger une épouse contre une autre, et si
vous avez donné un quintar à l’une des deux, n’en reprenez rien.
Le reprendre serait une infamie et un péché évident. Comment le
reprendriez vous, alors que vous étiez liés l’un à l’autre et que vos
femmes ont bénéficié d’une alliance solennelle contractée avec
vous?» Sourate les femmes, versets 20 et 21.
Le Coran a donné des droits à un partenaire qui n’a pas consommé

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

un temps significatif dans la relation conjugale. Il était donc naturel


qu’il se penche plus substantiellement sur le devenir des femmes qui
consacrent leur vie au foyer et à la relation conjugale. L’Islam se veut
une religion respectueuse de l’équité, comment ne pas appliquer ce
principe à la relation entre les conjoints.

4. L’adaptation juridique d’ Al Kad ou S’aya


La S’aya est un droit nait de l’effort déployé par une personne
et l’équivalent de son travail. Il se rapproche dans sa philosophie
de certains principes du droit des contrats et conventions. D’où la
controverse sur l’estimation de la contrepartie de ce droit perçu par
la conjointe et qui découle de sa contribution à la valorisation d’un
patrimoine. Est-il un salaire rémunérant son travail ? Auquel cas il
exprimerait une relation de salariat ? Est-il l’expression d’un bénéfice
dégagé d’une association ? Auquel cas il serait la traduction d’un
contrat d’association. Est-il autre chose ? Il est donc nécessaire de
préciser la nature juridique de ce droit et le différencier des contrats
et conventions qui s’en rapprochent.
Les foukahas se sont opposés sur la qualification de ce que perçoit
un S’ai en contrepartie de son effort. Certains le qualifie d’une
rémunération d’un service et l’assimilent à un contra de travail,
d’autres lui prêtent la caractéristique d’une association. Quant à la
Cour administrative de Rabat, elle la qualifié d’un droit :
‹ Le droit de S’aya et le contrat de travail : Certains fokahas
ont qualifié le droit de S’aya de contrat de travail qui permet à
l’épouse de bénéficier d’une rémunération dans les situations
où il n’ y a pas d’accord sur une quote-part sur le résultat d’une
activité. Le contrat de travail est connu comme un contrat qui
oblige le contractuel à offrir ses services personnels pour une
période définie et pour réaliser un travail précis en contrepartie
duquel l’autre partie s’engage à verser une rémunération. Or,
la relation de S’aya n’est bâtie sur aucun accord préalable,
elle n’est conditionnée par une obligation et ne conduit pas
nécessairement à une rétribution si le patrimoine n’est pas

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

constitué ou valorisé. Aussi, la plupart des fokahas n’ont pas


considéré la contrepartie de l’effort de la femme comme un
salaire.
‹ Le droit de S’aya et le contrat d’association : Selon l’avis de
nombre de fokahas, la S’aya reflète une relation d’association
dans laquelle la femme est l’associée de son époux dans le
bénéfice dégagé d’une activité, sa part étant proportionnelle
à la valeur de son apport. Cette part est déterminée par les
personnes qui disposent d’une expertise dans le domaine. Mais
les tenants de cet avis se sont opposés sur la nature de cette
association. Certains d’entre eux la considèrent comme une
association implicite même si elle n’est pas déclarée. D’autres
la présentent comme une association d’efforts physique se
réalisant dans des travaux qui réunissent deux partenaires ou
plus ; ces partenaires se partagent les résultats acquis par leurs
efforts en fonction de la contribution de chacun d’eux. Si les
principes régulant la S’aya se rapprochent des principes de
l’association, cette dernière nait d’un contrat qui peut réunir des
parties tierces, alors que la S’aya ne résulte pas d’un contrat,
elle est tacitement reconnue et ne concerne que les membres
d’une même famille. Même appréciation sur le prêteur ou la
relation de spéculation qui se noue à partir d’une avance en
capital faite à l’un des partenaires pour que celui-ci le mette
en valeur, sachant que la répartition du gain est définie par
un accord préalable et la perte est essuyée par le détenteur du
capital.
‹ Le droit de S’aya est un droit réel coutumier : La Cour
administrative de Rabat a prononcé un jugement le 15 mai 1997
considérant que le droit de S’aya est un droit réel coutumier
affirmant que le droit d’Al Kad ou S’aya est un droit réel
islamique

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Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Chapitre 8 : Les études des Cas :


quels enseignements ?

1. Restitution des cas


1.1 Cas n° 1 : Tribunal de Première Instance de Sa
Prononcé du Jugement : 26/06/2006
La plaignante était mariée depuis 1992, son époux a émigré
en Italie. Elle a assumé seule la gestion des affaires domestiques
comme elle a géré ses affaires personnelles et ses biens. Elle assurait
la vente des biens qu’il envoyait de l’Italie et s’occupe du suivi des
conflits avec les locataires de biens appartenant à son époux. Celui-
ci lui a demandé de vendre un appartement qu’elle possédait au
prix de 70000 dirhams. Avec cette ressource, elle a participé à la
construction d’un domicile qu’il a enregistré sous son nom. Elle a
aussi suivi le chantier et les travaux de construction en l’absence
de son époux. La plaignante a été surprise d’apprendre son divorce
le 09/092004. Elle considère que durant la période de son mariage,
elle a consacré ses efforts et son énergie à l’entretien de la maison
du couple et l’absence de son époux et qu’elle a constitué avec lui
une richesses immobilière et des biens transférables. Elle estime
qu’elle a droit à bénéficier de la moitié des biens immobiliers et
des revenus procurés par ces biens acquis au cours de la période
de mariage en s’appuyant sur le principe d’Al kad ou S’aya. Elle
réclame la réalisation d’une expertise sur ces biens immobiliers pour
déterminer leur valeur dans la perspective du partage soit en réel si
les conditions le permettent, soit en monnaie (numéraire) s’il s’avère
difficile de réaliser le partage matériel en assurant dans ce cas la
vente par appel d’offre public.
Les preuves avancées par la défense de la plaignante consistent
en cinq jugements établis en sa faveur dans des plaintes relatives
à la gestion des biens locatifs, en quatre témoignages écrits sur le
rôle qu’elle assumait dans le suivi des travaux de construction, en

175
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

une demande adressée au Procureur du roi pour l’application de la


contrainte par corps, deux copies de prélèvements d’impôts l’une en
son nom propre et l’autre au nom de son époux, une copie de reçu de
revenu locatif et une copie de son acte de divorce.
Sur la base de cette plainte, le tribunal a conduit une enquête sur
le conflit entre les époux.
Dans sa plaidoirie, la défense de l’époux a fait prévaloir que la
plaignante disposait des revenus locatifs pour son bien être personnel,
qu’elle suivait effectivement les travaux de construction, mais que
cela ne signifiait pas qu’elle mobilisait une énergie qui justifiait une
contrepartie ou une reconnaissance du principe d’AL kad ou S’aya
et que tenant compte du fait que les témoins ont bien spécifié que
la plaignante assumait bien la surveillance et le suivi des travaux de
construction de la maison mais n’ont pas affirmé qu’elle a participé
à la constitution du patrimoine détenu par l’époux, sa plainte relative
au partage n’avait pas de fondement. La défense de l’époux a réclamé
le rejet de la plainte.
Le tribunal a accepté la plainte. Dans son jugement, il affirmé
que le principe général est celui que chacun des deux époux dispose
d’un patrimoine distinct du patrimoine de l’autre et qu’en cas de
non accord consigné sur un mode de fructification et de répartition
des biens acquis pendant la période du mariage, il faut recourir
aux règles générales de preuve tout en prenant en considération
le travail de chacun des conjoints, les efforts qu’il a fournis et les
charges qu’il a assumées pour le développement des biens de la
famille l’indépendance dans la gestion du patrimoine des époux et
q’il faudrait en cas de non accord entre les époux de revenir à la
preuve en prenant en considération l’article. Faisant prévaloir que
la période de mariage s’est étalée sur une douzaine d’années et que
la plaignante a prouvé par une série de documents et par la biais de
l’enquête menée par le tribunal qu’elle a bien suppléé l’absence de
son mari pour le recouvrement de ses revenus locatifs et le suivi des
travaux de construction. Le tribunal a jugé que le séjour de l’époux
dans le pays d’émigration ne lui permettait pas de gérer directement

176
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

et personnellement ses biens et que le soin apporté par la plaignante


pour préserver les biens de son époux de toute dégradation, en son
absence peut être considéré comme une participation à la valorisation
du patrimoine familial. De même les efforts fournis par la plaignante
dans ces tâches visaient à préserver la valeur de ces biens familiaux
et qu’elle ne peut être assimilé à un quelconque acte qui pouvait
être compensé par un salaire ou une rémunération particulière. Etant
entendu aussi que la femme a le droit de bénéficier d’une part des
richesses accumulées par son époux pendant la période le mariage,
même quand ces richesses lui appartiennent personnellement, s’il
est prouvé qu’elle a participé à la valorisation de ce patrimoine
familial.
Considérant que la plaignante n’a pas apporté de preuves
suffisantes que son époux possèdent d’autres biens fonciers et
immobiliers, que ce dernier n’a pas confirmé qu’il possédait un
logement et d’autres biens ;
Considérant enfin que la demande de réaliser une expertise exige
que la plaignante apporte les débuts d’une preuve que son époux
possédait effectivement des biens, et que le tribunal ne peut réaliser
une expertise sur des biens non prouvés ;
Considérant que le dernier alinéa de l’article 49 du code de la
famille et tenant compte par le tribunal des efforts et charges assumées
par la plaignante dans la perspective de fructifier les richesses de la
famille durant une douzaine d’année de mariage ;
Le tribunal, tenant compte de son pouvoir d’appréciation, a décidé
d’arrêter une compensation juste et équilibrée à ces efforts et charges
de la plaignante et en sa faveur d’un montant de 40 700 dirhams

1.2 Cas no 2 : Tribunal de première instance de


Marrakech
Prononcé du jugement le 04/07/2007
La plainte est déposée par une plaignante mariée à la date du 26/
06/1981 ayant trois enfants et qui considère que son mari la maltraite.

177
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Cette maltraitance se manifeste par la privation de ressources, la


non prise en charge de ses enfants, qu’il accuse publiquement de
comportements immoraux et d’adultère, qu’il l’insulte devant les
membres de sa famille et ses proches, qu’il la menace de liquidation,
de l’exclure de son travail et qu’elle a été victime de violences. Le
maintien de la relation de mariage dans ces circonstances devient
impossible.
La plaignante réclame son divorce (chikak) avec le paiement de
ce qui lui est dû, à elle et à ses enfants, la libération de sa dot arrêtée
à 5000 dirhams et le versement d’une compensation équitable ou
appropriée. Elle a accompagné sa plainte de photocopies de son acte
de mariage et d’actes de naissance de ses enfants.
La défense a contesté la validité de la demande de la plaignante : il
réfute la demande de compensation pour l’un des enfants qui a atteint
l’âge de la majorité, aucun montant n’a été avancé par la plaignante
pour la compensation de ce qu’elle considère comme ses droits, rejet
de toutes les accusations de maltraitance ou de violence. L’époux a
rejeté toutes les causes de la demande de divorce par chikak, qu’il
assume pleinement les charges d’entretien domestique, les frais de
scolarisation de ses enfants. Sa défense fait prévaloir que :
• il a toujours traité sa femme dans le respect de son statut, qu’il
assumé l’entretien du foyer sur ses propres frais alors qu’elle était
encore simple lycéenne en classe de baccalauréat, qu’il a financé
ses études supérieures jusqu’à l’obtention de son diplôme et son
insertion dans la fonction publique,
• lorsqu’il a fondé son foyer, il a voulu acquérir une demeure
auprès d’un Etablissement public mais il a été surpris d’essuyer un
refus d’immatriculation de ce bien, sous prétexte qu’il était étranger.
La confiance qu’il avait envers son épouse l’a conduit à acheter un
bien à parts égales et à inscrire le titre de propriété de sa demeure
en nom de son épouse pour une valeur de 152286 dirhams. L’époux
a prix en charge le paiement d’une partie des traites du crédit du
logement, prélevés sur son salaire.

178
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• Une fois les traites liquidées, son épouse a commencé de le


menacer d’expulsion de son logis et de divorce. L’époux considère
que sa femme n’a contribué qu’à la moitié de la valeur d’acquisition
de ce bien immobilier et qu’il a financé des travaux d’extension sur
ses propres frais.
• Il avance que son épouse dispose d’un salaire de 84000 dirhams,
qu’elle ne contribue financièrement ni aux charges domestiques, ni
aux frais d’éducation des enfants.
• Il affirme qu’il n’a à aucun moment exprimé le désir de divorcer
de sa femme.
La défense de l’époux réclame le rejet de la plainte et demande
de prononcer un jugement qui lui permet de récupérer la partie qui
lui est due dans la valeur du bien immobilier et de demander à la
conservation foncière d’inscrire cette part dans le titre foncier,
conformément aux dispositions de l’article 49 de la moudaouana,
et demande enfin une compensation sur les préjudice induits par la
fin de la relation familiale estimée à 800 000 dirhams (article 87 du
Code de la Famille). Il appui sa requête par une série de documents,
notamment la caution sur les crédits de logement.
Le tribunal a pris acte de la demande de divorce judiciaire sur
demande de l’un des époux. Il a entrepris une enquête complémentaire,
des tentatives de réconciliation espacées. La réconciliation n’a pas
aboutit. Il a pris acte de la discorde et du différend profond qui
oppose les deux conjoints au point de rendre impossible la continuité
du lien conjugal.
Tenant compte de ce constat le tribunal a estimé les droits dus à
l’épouse comportant ;: le reliquat du sadaq et le don de consolation
(Mout’â) qui a été évaluée en prenant en considération la durée du
mariage, la situation financière de l’époux, les motifs du divorce et
le degré d’abus dans le recours au divorce. Le tribunal a aussi estimé
le montant des frais de logement qui sera versé durant la retraite de
viduité (Idda) , comme il a estimé les droits à pension alimentaire
dus aux enfants en tenant compte de leurs conditions de vie et de leur
situation scolaire avant le divorce.

179
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Le tribunal a aussi examiné la demande de l’époux quant à la


fixation de la part qui lui revient dans le bien immobilier conformément
à l’article 49 de la Moudaouana et sur la compensation du préjudice
qui lui a été causé par la rupture du lien conjugal et que sa défense
a estimé à 300 000 dirhams. La plaignante a reconnu la contribution
de son époux aux frais d’acquisition du logement de famille. De
son côté, l’époux a reconnu qu’il ne nie pas toutes les causes de la
demande de divorce et que l’entente conjugale devient impossible
pour des désaccords profonds sur la conception de la vie commune.
Le jugement du tribunal a porté sur :
‹ La demande initiale : prononcé du divorce par chikak
réclamé par la plaignante et versement de droits portant sur :
les frais de logement pour une valeur de 2000 dirhams courant
sur la période de viduité, le don de consolation (Mout’â) estimé
à une valeur 10 000 dirhams, une pension alimentaire pour les
enfants mineurs et garantis des droits de visite pour le père.
‹ La demande de l’époux : permettre au plaignant de récupérer
la moitié de son bien immobilier et de l’inscrire en son nom à
la conservation foncière

1.3 Cas n° 3 : Tribunal de première instance de


Tanger
Prononcé du jugement : 30/11/2005
Le tribunal de première instance de Tanger a été saisi d’une
demande de divorce judiciaire par une épouse pour raison de
discorde. L’épouse considérait que le différend qui oppose les
conjoints rendait impossible la continuité du lien conjugal. L’épouse
réclamait en évoquant l’article 49 de la moudouana de récupérer ses
biens personnels et les biens acquis durant la période de mariage
en tenant compte des efforts qu’elle a déployés au cours de cette
période. Elle avance qu’elle a participé effectivement à l’acquisition
du logement familial estimé à 130 000 dirhams, elle demande au
tribunal de prononcer un jugement lui permettant de récupérer la
moitié de ce bien, et de demander au conservateur des biens fonciers

180
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

d’enregistrer son nom sur le titre foncier sachant qu’elle est associée
dans la moitié de sa valeur.
La plaignante a appuyé sa requête par une copie de promesse de
vente et d’un chèque tiré auprès d’une banque locale d’une valeur de
100 000 dirhams.
La défense de l’époux a fait valoir que c’est l’époux qui a acquis
le bien objet du conflit et qu’il a financé cette acquisition par un crédit
contracté auprès de l’établissement où il travaille que le titre foncier
est l’objet d’une saisie conservatoire et que, lors de la conclusion de
l’acte définitif d’acquisition, il était divorcé de son épouse et qu’ils se
sont mis de nouveau ensemble qu’en 1998. La défense considère que
son client ne peut en aucun cas céder ou réaliser des transactions sur
une partie du bien immobilier dans la mesure où l’établissement qui
a financé le crédit d’acquisition a hypothéqué le bien en question.
La défense a réclamé le rejet de la requête dans le fonds et dans
sa forme. Elle a appuyé sa demande par des photocopies d’une
promesse de vente, de l’acte définitif d’acquisition et des reçus des
droits d’enregistrement et des frais d’immatriculation, du contrat de
crédit, du titre foncier et de la saisie conservatoire.
L’enquête ouverte par le tribunal, l’écoute des témoins impliqués
dans la transaction immobilière et l’examen des documents soumis
par les conjoints ont prouvé que la plaignante a conclu une option
d’acquisition du bien en question et qu’elle a versé à ce titre 100 000
dirhams d’avance comme l’indique le document sur l’engagement
de vente et le chèque tiré sur la banque de la place.
Tenant compte du fait qu’il n’existe aucun accord consigné entre
les époux séparé de l’acte de mariage sur les modalités de gestion
et des biens acquis pendant la relation conjugale, le tribunal a eu
recours aux règles générales de preuve tel que stipulé dans l’article
49. Dans ce cas de figure, les preuves ont consisté dans les propos
des témoins, la situation des conjoints et leurs efforts communs. Le
tribunal a conclu sur le fait que l’épouse a effectivement participé
dans une certaine mesure au financement de l’acquisition du bien

181
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

et que l’époux n’a pas apporté de preuves de remboursement de la


contribution de l’épouse.
Sur la base de cet argumentaire, le tribunal a décidé, en s’appuyant
sur le dernier alinéa de l’article 49, à doter l’épouse le tiers du
logement en question. Il a ordonné au conservateur d’enregistrer les
droits de l’épouse sur le titre foncier.

1.4 Cas n° 4 : Tribunal de Première instance de


Casablanca
Prononcé du jugement le 31/05/2007
La plaignante s’est mariée le 06/06/1970. Les conjoints vivaient
sous le toit du père de l’épouse les trois premières années de leur
mariage. Elle a acquis en association avec son époux un bien
immobilier. Les conjoints ont valorisé le bien en édifiant de nouveaux
étages grâce à leurs efforts communs. Dans sa plainte, l’épouse
considère que son conjoint ne pouvait pas fructifier ce bien, à lui seul
et sans son apport. Elle a donc contribué à cette opération en vendant
ses bijoux personnels et en empruntant une somme d’argent auprès de
son pères (7000 dirhams). Les revenus du conjoint et sa profession
ne lui permettaient pas d’acheter ou de construire ce bien. Celui-ci
est le fruit de son épargne et de l’aide de sa famille et de son apport
à la constitution d’un patrimoine familial. De sa relation conjugale
sont nés quatre enfants qu’elle a éduqués, soignés et élevés durant
une période de 36 ans. L’épouse estime qu’elle a des preuves de sa
participation à l’achat et à la valorisation du bien immobilier. Au
début de l’année 2006 (le 06/01), son mari l’a divorcé, (divorce rejii)
le tribunal lui a fixé ses droits découlant de son divorce équivalents
à 20 000 dirhams. Elle s’est trouvée dans une situation de précarité,
sans domicile
La défense de l’épouse demande l’application de l’article 49 en
affirmant que le conjoint ne pouvait pas sur la base de son simple
revenu, en tant que chauffeur, acquérir et étendre le bien immobilier
en question. Elle réclame du tribunal la cession de 50% du bien
à l’épouse et d’ordonner son inscription dans le registre de la

182
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

conservation foncière. La défense a accompagné sa requête par


des copies de documents relatifs au contrat de mariage, le titre de
propriété du bien, la pension de retraite…Elle appuyée sa requête
sur des témoignages de personnes qui ont affirmé sa contribution
à la valorisation des biens familiaux. La défense a considéré que
le principe d’Al Kad ou S’aya constitue un support juridique à
sa requête et a demandé au tribunal de recourir à une enquête sur
l’objet du conflit et de réaliser une expertise sur le bien immobilier
en question.
La défense de l’accusé commence par rejeter le recours à l’article
49 arguant que la relation conjugale a été établie avant la réforme
du Code de la famille. Elle a rappelé la trajectoire professionnelle
de l’époux, les différents métiers qu’il a exercé (vendeur de fruits,
puis de matériaux de construction, de conducteur de camion dans
un établissement public, de propriétaire et conducteur de taxi).
Cette trajectoire est l’expression de sa réussite professionnelle et de
l’amélioration progressive de ses revenus et de son niveau de vie.
L’enquête du tribunal a montré que les conjoints ont vécu sous le
toit des parents de l’épouse pour une courte période, que l’épouse
a bien avancé à son conjoint une somme d’argent provenant de la
vente de ses biens et de l’aide familiale comme contribution à l’achat
du support foncier sur lequel a été bâti l’immeuble de trois étages.
D’un autre côté, il a été prouvé que l’époux participait modestement
à la couverture financière des charges de vie commune dans les
premières phases du mariage, qu’il a exercé plusieurs métiers lui
permettant progressivement d’améliorer ses revenus annuels, qu’il
a engagé une association d’affaires avec le père de son épouse, qu’il
a contracté un crédit pour financer la construction de l’immeuble
de tris étages. L’époux a contesté le témoignage en faveur de son
épouse et a présenté des documents prouvant l’exercice de différents
métiers.
Sur la base de cette enquête, le tribunal a considéré que la plaine
est acceptée dans sa forme et dans son fonds et qu’il pouvait statuer
sur cette question en recourant à l’article 49 du code de la famille.

183
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Le tribunal a rappelé que cet article fait référence à la disposition


par chacun des deux époux d’un patrimoine distinct du patrimoine
de l’autre et qu’ils peuvent dans le cadre de la gestion des biens à
acquérir pendant la relation conjugale, se mettre d’accord sur le mode
de leur fructification et répartition et qu’à défaut d’accord, il est fait
recours aux règles générales de preuve en prenant en considération
le travail de chacun des conjoints.
Le Tribunal a rappelé aussi que la plaignante réclame une part
d’un bien constitué pendant la période de la relation conjugale auquel
elle a contribué par les dépenses financières qu’elle a pris en charge
et par l’effort qu’elle a déployé pendant trente six années de mariage
dans l’éducation de ses enfants. Ces considérants renvoient aux droits
d’Al kad ou S’aya établis par la coutume et que la jurisprudence a
consacré.
Tenant compte du fait que la revendication de l’épouse de sa
contribution matérielle à l’acquisition du bien objet du conflit n’a pas
été prouvée et que l’époux n’a pas reconnu avoir reçu une contribution
financière de son épouse mais qu’il a néanmoins reconnu qu’il a vécu
sous le tous de sa belle famille pour une période de cinq ans.
Considérant aussi que la plaignante a géré les affaires domestiques
pendant trente six ans de la relation conjugale, et que cette charge
a nécessité de consacrer un temps à l’encadrement des enfants; à
assurer leurs soins, le suivi de leur éducation et formation; que ces
efforts ont concerné aussi la prise en charge des travaux domestiques
(préparation de la cuisine, linge, et autres travaux quotidiens) en vue
d’offrir un environnement acceptable à toutes les composantes de la
famille que ce soient les enfants pour poursuivre leurs études dans
les meilleures conditions ou l’époux pour l’exercice de son métier et
son activité commerciale.
Considérant que la prise en charge par la plaignante de ces
tâches quotidiennes sur une période aussi longue et que l’offre de
ses services à son époux et à ses enfants a contribué dans une large
mesure à fructifier le patrimoine familial et la rend légitimement apte
à bénéficier d’une partie de ce patrimoine dans le respect des valeurs

184
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

de justice et d’équité. Aussi la requête de la plaignante est fondé


juridiquement et nécessite une réponse appropriée.
Considérant la durée de la période de la relation conjugale (36
ans), le nombre d’enfants dont elle a assumé la charge d’encadrement
et d’éducation, les services qu’elle a rendus au foyer familial et
tenant compte du pouvoir d’évaluation du tribunal, celui-ci a estimé
la part de la plaignante dans le bien immobilier en question à un
montant de 100 000 dirhams.
1.5 Cas 5: Tribunal de Première instance de
Casablanca
Prononcé du jugement le 24/04/06
Plainte d’une femme qui a été mariée à l’âge de 16 ans, qui a
quatre enfants durant une vie conjugale de 38 ans. Elle se considère
comme une épouse parfaite que ce soit dans ses relations avec son
époux ou dans la prise en charge des affaires domestiques. Une femme
qui a exercé un travail à domicile en acquérant un métier à tricoter.
Elle commercialisait ses produits. Elle a participé par ses revenus
aux dépenses domestiques et à l’entretien des charges familiales et
à la couverture des frais d’éducation de ses enfants. Elle a vendu ses
bijoux pour participer à l’achat d’un terrain que l’époux a mis sous
son nom. Pour financer cette acquisition, elle a prêté à son époux
un montant de 10000 dirhams qu’il lui a restitué en quatre tranches.
Après cette longue période de vie conjugale, elle a été divorcée en
dépit des tentatives de réconciliation du juge. Elle a été exposée à
la précarité surtout qu’elle a avancée dans l’âge. L’époux dispose
d’une série de biens immobiliers localisés dans différentes villes.
La défense de la plaignante réclame l’application de l’article 49
partant de sa conviction que l’épouse a contribué à la constitution
de cette richesse et demande une expertise pour évaluer la valeur
de ces biens acquis durant la relation conjugale et prononcer une
répartition de cet acquis en se référant à l’article 49 du Code de la
famille. La défense a affirmé que cet article tire son origine des
coutumes ancestrales et sa philosophie a été mise en application dans
le sud du Maroc selon la procédure d’Al Kad ou S’aya. La défense

185
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

a aussi présenté des témoins qui ont affirmé que l’épouse a bien
participé à la mise en valeur des ressources de la famille et augmenté
la valeur de son patrimoine. Parmi les onze témoins figuraient le fils,
le frère de l’épouse et des proches.
La défense de l’époux a demandé le rejet de la plainte vue que
l’épouse n’a pas produit de preuves justifiant sa contribution à la
formation de ce patrimoine. Elle affirme aussi que la plaignante
n’exerçait aucun commerce, elle était une femme au foyer
analphabète, elle n’a pas participé à une prise en charge financière
des dépenses domestiques, qu’elle disposait d’une machine à tricoter
pour ses besoins propres et qu’elle ne faisait qu’assurer les travaux
domestiques comme toutes les femmes au foyer. La défense a aussi
avancé que l’époux ne disposait que d’un logement modeste et d’un
cabanon. Elle souligne que l’époux a consigné un montant de 60
000 dirhams en compensation aux préjudices du divorce et que ce
montant est en adéquation avec les normes en vigueur. Elle relève
aussi que la participation matérielle de l’épouse dans la constitution
du patrimoine n’est pas prouvée et que l’épouse vivait sous la
dépendance de son conjoint, qu’elle ne disposait pas de revenus
propres, elle ne faisait qu’accomplir son rôle de femme au foyer et
qu’elle privait son époux de ses droits maritaux, ce qui a été la raison
de son divorce. Comme elle considère qu’elle doute de l’objectivité
des quelques témoins proches de l’épouse.
Le tribunal a pris la décision de réaliser une expertise sur le
patrimoine constitué par les conjoints qui a été évalué à 1,2 million
de dirhams.
Considérant qu’il a prouvé que l’épouse exerçait une activité à
domicile, qu’elle disposait d’un équipement de tricotage. Sur ce, le
tribunal fait valoir que l’article 49 stipule que chaque conjoint peut
disposer d’un patrimoine distinct du patrimoine de l’autre.

Considérant aussi que dans ce cas de figure, les conjoints n’avaient


pas consigné leur accord sur la gestion des biens acquis pendant la
relation conjugale sur un document séparé de l’acte de mariage.

186
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Considérant que d’un autre côté il a été prouvé, par des témoignages
sous serment, que l’épouse avait avancé une somme d’argent
(10000 dirhams) à son conjoint dans la perspective d’acquérir un
bien immobilier.
Considérant que la relation du mariage a duré 34 ans et que
dans cette durée l’épouse a assumé ses tâches quotidiennes dans la
gestion des affaires domestiques et que l’acte de mariage n’oblige
pas l’épouse à prendre en charge les tâches domestiques (le tribunal
fait référence dans ce considérant aux jugements d’Ibn Hanifa et de
Ibn Malik et de Chafii qui estiment que le mariage n’est pas destiné
à faire assumer à l’épouse les services domestiques et que l’époux
est tenu de prendre en charge l’entretien du foyer conjugal)
Considérant que la richesse accumulée par l’époux pendant la
relation conjugale n’a été possible que grâce à la participation de
l’épouse et que le droit islamique, le fikh, stipule la nécessité d’assurer
à l’épouse une stabilité matérielle quand la relation conjugal prend
fin et que ce principe est reconnu depuis la Nazila de Omar Ibn Al
Khattab.
Considérant aussi que le droit d’Al Hak ou S’aya qui puise son
référentiel dans la pratique coutumière de la région du Souss et qui
reconnaît la participation de la femme dans la formation des richesses
du foyer et que les Fatawis d’Ibn Ardoun au cours du XVI siècle
ont accordé un grand intérêt au travail de la femme précisant que la
femme n’était pas tenu de réaliser les tâches ménagères et qu’elle a
droit quand elle participe à la constitution du patrimoine familial de
disposer de la moitié de la valeur de ce patrimoine avant de recourir
au partage découlant de la succession en cas de décès de l’époux.
Considérant enfin que les titres de propriété prouvent que le
patrimoine foncier de l’époux a été constitué durant la période de la
relation conjugale et que ce patrimoine a fit l’objet d’une expertise
quant à sa valeur.
Tenant compte de tous ces considérants, le tribunal condamne
l’époux à céder à la plaignante la somme de 150 000 dirhams comme
équivalent à sa participation par son travail dans le patrimoine acquis
durant la relation conjugale.

187
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

1.6 Cas 6 : Tribunal de Première Instance


d’Inzeggane
La plaignante a déposé une plainte auprès du Tribunal le 20 Juillet
2004. Mariée depuis 15 années, et durant cette relation conjugale,
elle a assuré pleinement ses tâches domestiques et exerçait un travail
intermittent à l’extérieur du foyer. Des témoins ont affirmé que les
conjoints se sont entraidés dans l’acquisition du domicile conjugale
et son ameublement. Ils ne possédaient pas de bien avant leur
mariage. L’épouse a sacrifié sa vie à la constitution du patrimoine
familiale et à la création d’un environnement favorable à la vie de
couple et à l’exercice du métier de son époux.
L’époux a manqué de reconnaissance. Le fikh Malikite a reconnu
à la femme le droit de réclamer son dû et de faire valoir ses efforts
dans l’entretien du foyer, principe reconnu par Al Kad ou S’aya et
entériné par le Conseil Supérieur de la Magistrature dans sa décision
datée du 28/11/1987. Cette décision a précisé que Al Kad ou S’aya
est un principe qui confère à la femme le droit de bénéficier d’une
partie de la richesse accumulée durant la relation conjugale s’il a été
prouvé que l’acquis est la résultat d’un travail commun.
Sur ce, la défense de la plaignante réclame de céder la moitié de
la maison familiale à l’épouse ou de la faire bénéficier de la moitié
de la valeur du bien en question en compensation de son effort et
de son travail aux côtés de son époux durant la relation conjugale.
Elle réclame aussi de réaliser une expertise spécialisée pour évaluer
le bien immobilier et d’écouter les témoins de la plaignante. Ceux-
ci ont affirmé que l’épouse a aidé son conjoint dans la construction
de la maison, que le père de l’épouse a aidé le couple dans cette
entreprise en leur fournissant des matériaux de construction, qu’elle
exerçait l’activité de cuisinière dans les fêtes familiales, qu’elle
fabriquait des gâteaux sur commande et qu’en contrepartie de ces
activités informelles, elle percevait une rémunération variant entre
500 et 1000 dirhams par acte.
La défense de l’époux a fait savoir que les témoins en question
font pour la plupart partie de la famille de la plaignante ou de ses

188
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

connaissances proches et elle a précisé que l’épouse n’exerçait


aucun travail lui permettant de disposer d’un revenu et qu’elle était
une simple femme au foyer, qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfants
malgré les dépenses qu’il a assumées dans la prise en charge de son
traitement. La défense a affirmé que c’est par son épargne propre
découlant de ses revenus de travail qu’il a pu acquérir un lopin
de terre et d’y construire sa demeure. Elle demande le rejet de la
plainte d’autant plus que des témoins ont retiré leur témoignage,
que leurs témoignage présentent des incohérences sur la nature de
la contribution de l’épouse à la construction de la maison, que la
plaignante ne présente aucune preuve de sa participation matérielle à
l’acquisition du bien immobilier, qu’elle a affirmé qu’elle n’exerçait
aucun métier et qu’elle avait aucune preuve sérieuse de l’exercice
d’une activité à l’extérieur du foyer, que l’acte de mariage a été
conclu en 1998 alors que la demeure qui fait l’objet du contentieux a
été acquise en 1986 comme le prouve les reçus des impôts et qu’elle
a été acquise par le fruit de son propre travail.
Après délibération, le tribunal a estimé que la plainte était
recevable dans la mesure où elle réunit toutes les conditions de
recevabilité dans la forme et dans le fonds. Il a ordonné l’ouverture
d’une enquête pour s’assurer de l’activité de la femme à l’extérieur du
foyer, de sa contribution financière et de l’effort qu’elle fourni dans
la constitution du patrimoine familial durant la relation conjugale.
Il a écouté les témoignages sur cette question et s’est assuré que les
conjoints ont vécu sous le toit du père de l’épouse pour une durée de
huit années
Tenant compte de ces considérants le tribunal a estimé que la
participation de l’épouse dans la formation du patrimoine de son
conjoint est manifeste et que le recours à la jurisprudence, aux Nawazil
et aux fatawis montrent que le critère utilisé dans l’application du
droit à Al Kad ou S’aya est le travail et l’effort de la personne.
Tenant compte aussi du fait que l’effort de la plaignante est prouvé
ce qui rend légitime son droit à bénéficier d’une partie du patrimoine
constitué et rend sa requête fondée sur des bases saines et exige une

189
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

réponse appropriée. De ce fait, le tribunal lui accorde le droit de


disposer d’un tiers de la propriété.
Le jugement en question a été confirmé par le tribunal d’appel
d’Agadir.

1.7 Cas 7 Tribunal de Première instance d’Inezegane


Prononcé du jugement le 23/03/2005
Plainte déposée par une veuve à la date du 29/01/2004. La personne
en question s’est mariée le 10 Avril 1973. Actuellement retraitée, la
plaignante, exerçait une activité en tant que salariée dans différents
établissements privés et publics durant la relation conjugale. Par son
revenu et son épargne, elle a aidé son conjoint à acheter un terrain
immatriculé au nom de son époux. Les héritières du défunt époux
sont sa fille et ses trois soeurs. Le contentieux oppose la plaignante à
ces héritières. La plaignante considère qu’elle est propriétaire d’une
partie du lopin de terre objet du conflit et elle a déposé une opposition
auprès de la conservation foncière en s’appuyant sur le droit d’Al
Kad ou S’aya et réclame le bénéfice de la moitié de la propriété.
Il a été prouvé que la veuve a exercé effectivement en tant que
salariée dans différents établissements hôteliers (attestation de
travail, de salaires, d’immatriculation à la CNSS), que la maison
d’habitation du couple était louée depuis 1965 et que la plaignante
prenait en charge les frais de location (reçus locatifs) que tous les
documents fournis par la plaignante prouvent qu’elle avait une
situation matérielle et qu’elle exerçait une activité en dehors du
foyer avant même son mariage, elle a aussi fourni des copies des
actes d’achat du terrain en question.
La défenses des héritières a considéré que les témoignages n’étaient
pas précis et qu’ils ne peuvent pas être retenus comme preuve, dans
la mesure où ils déclarent que la plaignante a acquis avec son époux
un terrain dans la région de Massa sans préciser ses limites, que la
plaignante a présenté deux actes d’achats concernant deux lopins
de terre séparés et acquis auprès de propriétaires différents et au
noms de son époux, les témoins ne précisent pas de quel terrain

190
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

s’agit-il, que les terrains en question n’ont pas été titrés. La défense
a estimé que la plaignante a tenté les insuffisance de ses preuves en
réclamant le bénéfice de ses efforts sur la base du principe d’Al Kad
ou S’aya. Cette demande paraît irrecevable à la défense des héritières
dans la mesure ou elle n’est pas accompagnée de témoignage sur cette
contribution et qu’il ne fait pas référence au régime des biens des
époux, ni le degré de leur participation respective et leur association
dans le patrimoine financier de son époux. La défense a aussi fit
savoir que l’épouse gérait ses propres biens et ses revenus de son
travail et qu’elle était propriétaire de son domicile. Elle a aussi fait
savoir que les héritières n’avaient aucune connaissance d’un accord
de partage des biens entre les conjoints et qu’elles ne savent pas qui
a acheté ces biens fonciers et que ces derniers sont la propriété de
tous les héritiers.
Tenant compte de l’enquête du tribunal et de l’examen des
documents fournis par les deux parties et des témoignages sur le
contentieux, il est apparu que la plaignante exerçait une activité
salariale et qu’elle prenait en charge les dépenses courantes du foyer,
ce qui prouve et qu’elle a contribué, de ce fait, à la constitution du
patrimoine familial aux côtés de son époux durant toute la relation
conjugale.
Tenant compte de ces considérants et des références au fikh et aux
principes d’Al Kad ou S’aya qui spécifient que le critère essentiel
dans la répartition des biens acquis durant la relation conjugale est le
travail et l’effort fourni par les conjoints et que cet effort a été prouvé
dans le cas d’espèce.

Le tribunal considère que la plainte déposée est légitime et fondée


sur des bases saines et exige une réponse appropriée. Le tribunal a
accordé à la veuve la moitié de la propriété foncière objet du litige.

191
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

1.8 Cas 8 : Tribunal de Première instance de Kénitra


Prononcé du jugement le 18/04/2007
La plaignante a déposé une plainte le 28/02/2007 affirmant que
son ex-conjoint ne possédait aucun bien avant leur mariage et que
durant la relation conjugale, il a constitué un patrimoine évalué à
2 millions de dirhams sous forme d’un bien immobilier (700 000
dirhams), d’une boutique de téléphone (600 000 dirhams) et d’un
local commercial (200 000 dirhams) en plus de la disponibilité d’une
liquidité financière.
La plaignante considère qu’elle a participé dans une large mesure
à la formation de ce patrimoine, réclame du tribunal la désignation
d’un expert pour l’évaluation de la richesse familiale avant le
divorce et la préservation de ses droits et demande une compensation
matérielle de l’ordre de 4000 dirhams.
Tenant compte de l’avis de la défense de l’ex-époux indiquant
que la plainte n’a pas été accompagnée de preuves et du fait que la
défense de la plaignante n’a pas répondu à la demande du tribunal
et n’a pas assisté à la séance du jugement et que l’expert désigné
pour l’évaluation des biens n’a pas rendu une réponse précise sur
la valeur de ces biens, le tribunal a décidé de rejeter la requête de la
plaignante.

1.9 Cas 9 : Décision du Conseil Supérieur


Décision no 3064 et datée du 18/10/2006
La plaignante marié en 1968 et divorcé en 1998 avait déposée une
plainte auprès du Tribunal de Première instance de Kénitra faisant
savoir que durant la relation conjugale, elle a assuré la gestion de son
foyer et a aidé son conjoint dans l’acquisition du domicile conjugale
et qu’elle a dépense de ses propres ressource l’équivalent de 170
000 dirhams alors que son époux ne disposait que de son salaire
mensuel qu’il consacrait en partie à la couverture des dépenses pour
l’entretien de ses enfants.

192
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

La plaignante considère que la construction du domicile familial


a été financée par les apports des conjoints et qu’elle revendique un
droit sur la moitié de ce bien en référence aux principes du fikh.
La défense de l’ex-époux a fait valoir que l’opposition sur le bien
en question a été levée par la conservation dans la mesure où les
témoins n’ont pas confirmé l’existence d’une dette prouvée et qu’ils
ont tout simplement affirmé que la plaignante couvrait une partie de
ses dépenses par ses propres ressources.
La plainte a été rejetée par le tribunal sous prétexte que la coutume
d’Al Kad ou S’aya concernant spécialement la région du Souss. Il
a affirmé qu’il n’ y a pas d’accord préalable entre les deux parties
quant à la gestion commune des biens et que le principe de base en
Islam est l’indépendance dans la gestion des patrimoines. Le tribunal
d’appel a confirmé le rejet pour les mêmes raisons.
Toutefois, le Conseil Supérieur a repris le dossier en réexaminant
la plainte. Il a notamment précisé que Al Kad ou S’aya est un droit
coutumier et islamique et que le tribunal devait plutôt examiner la
validité des documents produits par les deux parties pour prononcer
un jugement équitable.
A sa lecture de l’appel, le conseil supérieur considère que le
rejet par le tribunal d’appel n’a pas argumenté sa réponse et n’a
pas répondu aux arguments de la défense que ce soit au tribunal de
première instance ou lors des délibération en appel et il s’est contenté
d’appuyer le premier jugement sans plus.
Toutefois, la Conseil Supérieur a décidé de rejeter la demande pour
d’autres arguments : la plaignante n’a pas montré dans sa requête au
Conseil quels ont été les arguments avancés au niveau du tribunal de
Première Instance et du Tribunal d’Appel sur lesquels le prononcé
des jugements de deux instances n’ont pas répondu, et que d’un
autre côté sa plainte n’est pas accompagnée de preuves tangibles sur
sa participation à la formation du patrimoine de son conjoint.

193
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

2. L’article 49 : Appréciations sur sa mise en


application
L’article 49 du code a introduit une innovation dans le droit
marocain de la famille. Sans remettre en cause le principe bien établi
en droit musulman de la séparation des patrimoines des époux, le
législateur définit une nouvelle approche dans la prise en compte
de la contribution des conjoints à la formation et à la gestion du
patrimoine familial. Il propose une modalité de gestion commune des
biens familiaux et annonce un principe de règlement des différends
quant au partage des biens acquis durant la vie conjugale. Cette
nouvelle approche tient compte des changements intervenus dans
le statut et la position de la femme dans les relations domestiques et
sociales. C’est une reconnaissance de sa participation économique
directe ou indirecte à la constitution et à la fructification du patrimoine
familial.
Cet article vient ainsi redresser les déficiences de l’ancien Code
du Statut Personnel qui n’abordait cette question que sous l’angle
de la contestation par l’un des époux de la propriété des biens
mobiliers. Les dispositions des articles 39 et 40 ne donnaient aucune
garantie à la protection des droits de l’épouse en cas de rupture du
lien du mariage. Dans le vécu des couples, les situations d’iniquité
ou d’abus de positon de l’époux sont monnaie courante. Les biens,
notamment immobiliers, parfois acquis pendant la vie conjugale
avec la participation de l’épouse sont immatriculés au nom du mari.
Par ailleurs, avant l’arrivée des femmes dans le monde du travail,
c’était le mari qui réglait toutes les dépenses nécessaires à l’entretien
de son ménage, la femme quant à elle, y contribue en nature par
la prise en charge des tâches ménagères et d’éducation des enfants.
L’évolution sociale, la scolarisation des femmes et les nécessités
économiques ont fait que les femmes ont de plus en plus d’activités
de rémunératrices. Quelle travaille ou qu’elle soit au foyer, la femme
contribue à l’entretien du ménage par sa prise en charge de l’éducation
des enfants et des tâches ménagères qui continuent à peser sur elle
exclusivement conformément aux usages et à la coutume. Au terme

194
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

de la relation conjugale (par divorce ou par décès) et après plusieurs


années de travail, beaucoup de femmes se retrouvent cependant
complètement démunies compte tenu du régime de la séparation
des biens entre la femme et le mari. Aussi serait-il légitime que les
activités ménagères de femmes et d’éducation des enfants soient
reconnues juridiquement et prises en compte comme étant une
contribution aux charges du ménage dont il sera tenu compte lors de
la séparation.
Pour éviter que les droits de l’épouse ne soient sacrifiés, l’article
49 dispose que les conjoints peuvent convenir du mode de gestion
des biens acquis en commun pendant la vie conjugale. L’accord des
époux sera formalisé au moyen d’un document distinct de l’acte
de mariage. Toutefois, l’expérience a montré qu’il ne suffit pas de
prévoir une disposition légale pour considérer que son application
est acquise. Le poids de la tradition et des mentalités entrave la mise
en œuvre de certaines règles.
Aussi, les rédacteurs du Code obligent à travers l’alinéa 3 de
l’article 49 les «adoul» à aviser les futurs conjoints, lors de la
conclusion du mariage, de l’existence de cette possibilité. Cette
disposition émane de la volonté de protéger les droits de l’épouse
mais dans la pratique, son influence sur l’attitude des conjoints n’est
pas prouvée. En l’absence d’un accord, tout litige devrait prendre
en considération le travail de chacun des conjoints, des efforts qu’il
a fournis et des charges qu’il a assumées pour fructifier les biens de
la famille. Le recours aux règles générales de preuve est censé être
actionné en cas de conflit sur le partage des biens.
Toutefois, malgré toutes ces précisions la mise en œuvre des
dispositions précitées s’avère dans certains, problématique38. Quelle
application le juge en fait-il? Les décisions des tribunaux de première
instance relatifs à certains cas permettent, à défaut d’apporter quelques
éléments de réponse incontestables, d’examiner les interprétations
38- Il en est notamment ainsi en cas d’absence de contrat, pour l’établissement de la preuve de
l’acquisition de biens mobiliers pour lesquels il est rare que les intéressés conservent toutes les factures.
De même, en cas de communauté de bien, le Code n’exigeant pas la publicité d’un tel contrat, sera-t-il
opposable aux tiers et, en cas de décès de l’un des conjoints, aux ayants - droit?

195
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

que les juges donnent à cet article. Le nombre limité de cas étudiés
réduit forcément le champ de l’analyse et, partant, la pertinence des
conclusions. Toutefois, les cas rapportés permettent d’appréhender,
même sommairement, l’application qui est faite par les juges des
dispositions de l’article 49 du code.
Le tableau en annexe vise à présenter une synthèse de ces cas sur
la base de quatre critères :
• Le cas en question a-t-il eu recours à une enquête portant sur la
valeur du patrimoine familiale et sur la mesure du temps de travail ?
Sept cas sur les neuf étudiés ne font pas mention d’une enquête sur la
valeur du patrimoine, ni d’une mesure objective du temps consacré
par la femme au travail domestique.
• Le cas en question a-t-il fait référence au principe d’Al Qad
ou S’aya dans l’approche du travail domestique de la femme ?
Pratiquement tous les cas (sept cas sur neuf) font référence à ce
principe comme une forme de reconnaissance du travail domestique
de la femme, mais cette référence est évoquée comme un argument
dans le jugement prononcé, elle ne se décline pas en un procédé
d’estimation de la valeur du travail domestique.
• Le cas en question a-t-il fait référence à l’article 49 dans le
prononcé du jugement ? Sur ce cas aussi, l’article 49 constitue la
norme juridique fondamentale à laquelle recours le juge pour établir
son jugement. La référence en question est évoquée sans aucune
précision sur son contenu.
• Le cas en question recours-t-il à la preuve pour statuer sur le
conflit entre les conjoints ? Dans la plupart des cas, l’examen des
preuves est appliqué, mais le témoignage oral est la preuve la plus
sollicitée.

196
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

2.1 L’interprétation officielle de l’article 49 :


Des discours fondateurs à l’interprétation officielle
Les discours fondateurs
L’avènement du nouveau règne a suscité l’espoir de réformer
de nouveau le droit de la famille au Maroc. Il paraissait évident
que l’ancrage du pays à la modernité et aux valeurs universelles
ne pouvait se faire tant que la famille, pilier de la société, offrait
l’image d’un espace marqué par l’inégalité. La volonté de prendre
des décisions et des initiatives en faveur de la promotion, dans
l’équité, de la condition de la femme a été considérée comme un
signal politique fort du nouveau régime. Le discours du 20 août
1999 a été l’occasion pour le souverain de poser une interrogation
fondamentale sur la condition de la femme : « Comment espérer
assurer progrès et prospérité à une société alors que ses femmes,
qui en constituent la moitié, voient leurs droits bafoués et pâtissent
d’injustice, de violence et de marginalisation, au mépris du droit à la
dignité et à l’équité que leur confère notre sainte religion ? »
En effet, le mécontentement engendré par la précédente tentative
de réforme de la Moudawana avait fini par semer le doute dans les
esprits quant à l’avancée des droits des femmes dans notre pays. La
non-application intégrale de la réforme précitée de la Moudawana
et la prise de conscience de la femme à l’égard de ses droits et de
ses obligations, suite aux progrès enregistrés au Maroc, sont autant
de facteurs qui appelaient un identification des dispositions de la
Moudawana qui nécessitaient d’être révisées tenant compte des
contraintes imposées par les mutations sociales.
Aussi le souverain a-t-il confié à une commission la mission
d’examiner les mécanismes et les procédures propres à garantir la
bonne application des dispositions de la Moudawana, et à s’atteler
parallèlement, à l’élaboration d’un projet de révision de ce texte.
Dans l’allocution royale lors de l’installation de la commission
consultative chargée de la révision de la Moudawana, la plus haute
autorité du pays a annoncé clairement la finalité de cette initiative :

197
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

« Nous nous sommes attaché….à poursuivre les actions en faveur


de la promotion de la condition de la femme dans tous les secteurs
d’activité de la nation et à l’affranchir de toutes les formes d’injustice
qu’elle subit » « Aussi, avons-Nous le souci de garantir les droits des
femmes au même titre que ceux des hommes »
« Nous l’engageons (la commission) à s’astreindre au devoir
d’objectivité, à cerner notre réalité sociale, à assigner à chacune des
prescriptions la place qui lui revient, en ayant constamment en vue
ce qui est nécessaire et ce qui relève de l’intérêt général. Ces deux
considérations ont, en effet, aux yeux de la charia, la prééminence
sur les autres, dans beaucoup de situations et de cas de figure. Pour
autant, la commission ne doit pas s’estimer liée par des précédents
juridictionnels qui avaient certainement leur justification à leur
époque et dans le milieu qui était le leur. »
« Nous l’engageons à emprunter la voie de la modération et du
consensus, afin de concrétiser les vœux que Nous formons tous pour
notre patrie. La sauvegarde de son identité islamique, le progrès
social et la mise à niveau de ses potentialités, ses ressources et ses
atouts, dans le cadre d’actions concertées, menées conjointement par
ses femmes et ses hommes, dans la dignité et dans un esprit d’égalité
et d’équité, sont autant d’objectifs à rechercher, afin que notre pays
puisse relever les défis, tant internes qu’externes, qui l’attendent.
Ainsi, la commission devait se pencher sur ces questions de la
réforme de la Moudawana et proposer les solutions appropriées
conciliant un triple référentiel : la réalité sociale, les finalités de la
Chariaa et la philosophie des droits humains fondamentaux. Elle
devait respecter un dosage qui permette de concilier entre, d’une
part, l’attachement aux valeurs immuables qui froment le socle de
notre identité, et d’autre part, l’adhésion pleine et entière, à l’esprit
du temps caractérisé notamment par l’universalité de droits de
l’homme.
En se prononçant sur le projet de Code de la Famille, le monarque
affichait sa volonté de voire introduire des réformes substantielles.
En ce sens, le discours prononcé à l’ouverture de la deuxième

198
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

année législative de la VIIième législature (le 10 octobre 2003) est


révélateur de cette volonté. On y relève les points suivants :
‹ Faire du divorce, en tant que dissolution des liens du
mariage, un droit exercé et par l’époux et par l’épouse, selon
les conditions légales propres à chacune des deux parties et
sous contrôle judiciaire;
‹ Elargir le droit dont dispose la femme pour demander le
divorce judiciaire, pour cause de manquement du mari à
l’une des conditions stipulées dans l’acte de mariage ou pur
préjudice subi par l’épouse, tel le défaut d’entretien, l’abandon
du domicile conjugale, la violence ou tout autre sévice, et ce,
conformément à la règle jurisprudentielle générale qui prône
l’équilibre et le juste milieu dans les relations conjugales. Cette
disposition répond également au souci de renforcer l’égalité et
l’équité entre les deux conjoints.
‹ S’agissant de la question de la gestion des biens acquis
par les conjoints pendant le mariage : tout en retenant la règle
de séparation de leurs patrimoines respectifs, les conjoints
peuvent, en principe, convenir du mode du mode de gestion des
biens acquis en commun, dans un document séparé de l’acte
de mariage. En cas de désaccord, il est fait recours au juge qui
se base sur les conditions générales de preuve pour évaluer la
contribution de chacun des deux époux pour la fructification
des biens de la famille.
La finalité du législateur
Le Parlement a été saisi pour la première fois du projet de code
de la famille, eu égard aux obligations civiles qu’il comporte, étant
entendu que ses dispositions à caractère religieux relèvent du ressort
exclusif d’Amir Al Mouminine. Par le vote à l’unanimité du Nouveau
Code de la Famille, le Parlement (par ses deux chambres) a redonné
aux femmes marocaines la considération qui leur revient.
En instaurant l’égalité dans les relations conjugales, le législateur
donne le ton en n’hésitant pas à remettre en cause le principe séculaire
de la suprématie de l’homme au sein de la famille patriarcale. Le

199
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

nouveau code place la famille sous la responsabilité conjointe des


deux époux et met un terme à la dichotomie qui caractérisait le
statut des femmes marocaines, déclarées par la constitution égales
aux hommes dans l’espace public, mais enfermées dans un espace
privé foncièrement inégalitaire. Il est clair que le Nouveau Code de
la Famille vise à faire du cercle familial un espace marqué par les
valeurs fondamentales de justice, d’équité, de partage, d’affection et
de sérénité.
Cette volonté égalitariste du législateur trouve son expression dans
les différentes innovations introduites par le code. C’est ainsi que la
capacité matrimoniale s’acquiert désormais sans distinction entre le
garçon et la fille, à l’âge de dix huit ans, que la tutelle matrimoniale
n’est plus une condition de validité du lien matrimonial, que le droit
de la femme à demander le divorce judiciaire a été renforcé par
l’inclusion de nouveaux motifs39. Dans le même sens, le code retient
un nouveau mode de divorce judiciaire à travers la procédure de «
chiqaq », institue le divorce par consentement mutuel sous le contrôle
du juge et prévoit la possibilité pour les époux de convenir du mode
de gestion des biens acquis en commun dans un document annexé à
l’acte de mariage, tout en donnant au juge le pouvoir d’appréciation
en matière de partage de biens acquis pendant l’union.
Le Code s’articule autour de grands axes visant à consacrer le
principe de l’égalité entre les conjoints : égalité des conjoints au
niveau de la responsabilité familiale ; égalité au niveau des droits et
des devoirs des époux ; le divorce par compensation et le divorce pour
impossibilité de vie commune (Chiqa’q) ; le legs obligatoire profite
aux petits enfants de la fille au même titre que les petits enfants du
côté du garçon ; le partage des biens acquis durant le mariage, après
séparation des conjoints.
Dans le débat parlementaire sur le Code de la Famille, différentes
questions ont été posées sur l’article 49, concernant les conditions
optionnelles du recours au contrat, d’autres faisant référence à
l’ambiguïté de son contenu et d’autres enfin réclamant une clarification
39- Manquement de l’époux à l’une des conditions stipulées dans l’acte de mariage, préjudice subi,
défaut d’entretien, abandon du domicile conjugal, violences ou tout autre sévice.

200
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

du concept d’Al Kad ou S’aya et sa relation avec l’article relatif au


partage des biens.
Les réponses du ministre à ces questions ont permis d’apporter
quelques clarifications sur le contenu de l’article 49:
‹ La première concerne la nécessité de contractualiser l’accord
relatif aux finances de la familles pour éviter tout conflit sur
cette question: le ministère considère que la référence à la
contractualisation des conditions sur lesquelles se sont mis
d’accord les conjoints, telles que mentionnées dans le deuxième
paragraphe de l’article 49, est une disposition nécessaire pour
régler tout conflit entre les conjoins. Cette contractualisation
permet d’éviter les remises en causes auxquelles sont souvent
sujets les engagements oraux, comme elle permet d’éviter les
conflits d’interprétation sur le contenu de ces engagements et
préservent ainsi les droits de chacun des époux.
‹ La seconde consiste à affirmer qu’il n’a y a pas de
contradiction entre la libre disposition par chaque conjoint des
biens et des patrimoines qui lui sont propres et la conclusion
d’un accord à propos de la gestion de ces biens acquis pendant
la relation conjugale. L’article 49 a confirmé que chacun des
deux époux dispose d’un patrimoine distinct du patrimoine
de l’autre mais qu’ils peuvent se mettre d’accord sur une
modalité de fructification et répartition des biens acquis
pendant la relation conjugale. En ce qui concerne les meubles
de la maison, l’article 34 règle toute contestation en ce qui
concerne les meubles de la maison : cet article considère que
tout apport effectué par l’épouse, en guise de trousseau ou de
literie, amenés de la maison de s es parents au foyer conjugale,
lui appartient à titre exclusif. Pour le reste des effets du foyer
conjugal, l’affaire doit, en cas de litige, être tranchée selon les
règles générales de la preuve. L’article 34 prévoit aussi des
solutions dans les cas où les conjoints ne peuvent pas produire
la preuve en ce qui concerne ces effets.

201
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

‹ Le mode d’évaluation des parts respectives des conjoints


dans la fructification des biens. Le ministère considère que les
quatre paragraphes de l’article 49 ne posent pas de problèmes
dans leur contenu, concernant les éléments d’appréciation sur
lesquels on peut s’appuyer dans l’évaluation de la contribution
de chacun des époux dans la mise en valeur du patrimoine
familial. Il est possible de recourir aux techniques d’évaluation
appropriées pour mesurer la part de la participation des époux
dans la fructification de ces ressources financières y compris
l’effort déployée par l’épouse dans ce but, tant que cet effort
a impacté la valeur de cette richesse. Il revient au pouvoir
discrétionnaire du tribunal d’évaluation la part relative de
l’effort de chacun des conjoints dans la valorisation des
richesses acquises pendant la relation conjugale.
‹ La signification de la formulation mentionnée dans le dernier
paragraphe de l’article 49 : la formulation « le travail de chacun
des conjoints, les efforts qu’il a fournis et les charges qu’il a
assumés pour le développement des biens de la famille » est très
large. C’est sur cette base qu’il s’agira d’évaluer les parts des
conjoints sous leurs différentes formes, tenant compte du rôle
assumé par chacun d’eux dans différentes activités que ce soit
en milieu urbain ou en milieu rural. Selon les commentaires du
Ministre de la Justice en réponse à cette question, l’absence de
référence directe aux efforts et aux contributions domestiques
de l’épouse ne signifie pas que ces efforts et contributions
ne doivent pas être prise en considération dans l’ensemble
des charges auxquelles fait référence l’article 49. Dans sa
formulation générale, cet article a voulu élargir le champ
d’approche de la contribution d’épouse pour mieux tenir
compte du principe de l’égalité entre l’homme et la femme
stipulé par le projet de Code de la Famille.
L’interprétation du ministère de la Justice
Du point de vue officiel, l’article 49 a pour but de consacrer la
situation antérieure selon laquelle les patrimoines respectifs des

202
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

conjoints sont distincts l’un de l’autre et que chaque conjoint a la


libre disposition de ses biens40.
Néanmoins, dans le cadre de la nouvelle vision du législateur et
la dimension qu’il a souhaité donner à l’esprit d’entraide qui doit
régner au sein de la famille, il a conféré aux conjoints, afin que
chacun d’eux puisse de son côté assumer les charges familiales, la
possibilité de se mettre d’accord, en vertu d’un acte séparé, sur la
gestion des biens à acquérir après la conclusion du mariage.
Il s’agit d’un accord optionnel basé sur les actes qualifiées selon
le fiqh (la jurisprudence musulmane) et la loi d’actes entrant dans le
cadre du principe de l’autonomie de la volonté qui confère à toute
personne le droit de gérer ses affaires, d’administrer ses biens et d’en
disposer de la manière qui lui paraît convenable sans enfreindre les
règles impératives, l’accord susvisé devant fixer la part de chacun
des conjoints des biens acquis après la conclusion du mariage.
Cette règle n’a aucun rapport avec celles prévues par certaines lois
en ce qui concerne la conclusion d’actes de mariage dans le cadre de
la séparation ou la communauté des biens, du fait que la nouvelle
disposition diffère totalement de ce qui précède. De même que la
dite loi n’a aucun lien avec les règles de l’héritage étant donné qu’il
s’agit de la disposition des biens durant toute la vie de l’individu,
à l’instar même des autres actes réalisés à titre onéreux ou à titre
gracieux, telles la donation aumônière (sadaka), la donation, la vente
ou autre.
Il arrive que les conjoints ne parviennent pas à conclure un accord
à propos de la gestion desdits biens et que l’un d’eux prétend avoir
droit sur les biens acquis par l’autre durant la période de mariage.
En cas de litige, chacun peut apporter la preuve de sa participation au
développement des biens de l’autre.

40- L’interprétation officielle de l’article 49 (voir guide pratique du code de la famille : Royaume du
Maroc. Ministère de la Justice. Publications de l’Association de Diffusion de l’Information Juridique
et Judiciaire (A.D.I.J.J). Collection des guides pratiques – numéro 6. Ière édition. Février 2005. pages
43-44.

203
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Dans ce cas, il est fait application des règles générales de la preuve.


Ainsi, la décision à prendre en ce qui concerne la prétention ci-
dessus ne portera jamais sur les biens que possédaient chacun d’eux
avant la conclusion de l’acte de mariage. Elle se limitera uniquement
aux biens acquis durant la période de mariage et ce, à la lumière du
travail accompli, des efforts déployés et des charges assumées par le
demandeur pour le développement et la mise et valeur des biens.
L’évaluation ne s’entend pas comme une répartition à parts égales
des biens mais elle a pour objet de déterminer les efforts fournis par
chacun des conjoints et leur effet sur les biens acquis. Evidemment,
l’évaluation des efforts et du travail accomplis appartient au tribunal
qui doit en apprécier l’importance, la nature et leur effet sur les
profits réalisés durant la période du mariage.

2.2 Les difficultés de la mise en oeuvre


a- Un premier constat : le très faible recours à la
contractualisation de la gestion des biens
L’application de la disposition relative à la contractualisation
du partage des biens est dérisoire. Les statistiques du Ministère de
la Justice révèlent que lors de la première année d’application du
Code de la Famille les actes de mariage qui ont intégrés un contrat
de partage des biens ne dépassent pas les 312 cas. Sur un total de
mariages contractés la proportion de couples qui ont choisi librement
cette disposition représente à peine 0,12% du total. Toutefois, le
nombre de ces actes contractuels est passé de 312 cas en 2004 à 900
cas en 2007, soit presque un triplement. Même si nous observons
que la tendance au recours des conjoints à la conclusion d’un contrat
de mariage progresse, l’évolution reste lente et ne concerne toujours
qu’une proportion très réduite de la population.
La répartition territoriale de cette proportion dégage une disparité
assez notable du recours à cette disposition. Les villes qui enregistrent
une fréquence plus élevée – même si elle reste toujours inférieure à
1% sont Casablanca (0,63%), Kénitra (0,28%), Errachidia (0,25%),
Oujda (0,24%).

204
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Dans plusieurs villes on n’observe aucun recours au contrat sur


la totalité des actes de mariage conclus. C’est le cas des villes De
Ouarzazate, Agadir, Tanger, Tétouan, Laayoune, Khouribga, El
Hoceima. D’autres encore n’ont pas enregistré plus d’un contrat
en 2004 ; il en est ainsi des villes de Marrakech, Safi, Beni-Mellal,
Nador.

Tableau 14: Statistiques des actes relatifs à la


gestion des biens pendant la vie conjugale
2005
Ressorts des Actes Actes de (1/2)
cours d’appel mariages gestion des
(1) biens (2)
Rabat 20904 16 0,08

Kenitra 14340 40 0,28


Casablanca 27191 171 0,63
El Jadida 9608 3 0,03
Fès 13967 2 0,00
Taza 6651 10 0,00
Marrakech 24738 1 0,00
Ouarzazate 5322 0 0,00
Sa 9677 1 0,00
Meknès 13372 12 0,09
Errachidia 6103 15 0,25
Agadir 18942 0 0,00
Laayoune 970 0 0,00
Tanger 13066 0 0,00
Tétouan 7337 0 0,00
Settat 6880 7 0,10
Beni Mellal 13321 1 0,00
Khouribga 5682 0 0,00

205
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Oujda 13313 32 0,24


Nador 8492 1 0,00
El Hoceima 3616 0 0,00
Total Général 243492 312 0,13
Source : Ministère de la Justice
Quelle explication peut-on donner à ce très faible recours à
l’article 49 (à une des dispositions) ?
Tout d’abord, il faudrait souligner qu’il s’agit d’un acte volontaire
et d’un accord optionnel. Il se fonde sur la volonté, et l’autonomie de
décision des futurs conjoints. C’est un document séparé de l’acte de
mariage. Le législateur a voulu conférer aux conjoints la possibilité
de se mettre d’accord, sans contrainte ni obligation légale sur le
mode de gestion du patrimoine familial.
Le législateur stipule que les «adouls» doivent aviser les deux
parties sur l’option de conclure un contrat sur la gestion des biens
constitués pendant la relation conjugale. Le rôle des adouls est
donc important dans l’information des parties sur cette option et
ses implications. L’adhésion des conjoints à cette modalité, leur
perception de ses attendus et ses effets est étroitement liée au rôle
d’incitation et de persuasion que peut jouer les adouls quant à son
acceptation par les futurs époux. Or, les informations recueillies
auprès du personnel de la justice laissent supposer que l’attitude des
adouls quant à l’information des futurs époux est plutôt emprunte
d’une timidité, sinon d’une retenue.
Interrogés sur leur attitude, les adouls évoquent les réactions de
rejet des futurs conjoints. «La plupart des femmes et des hommes
qui se marient refusent de faire un contrat relatif au partage des biens
après un divorce éventuel, en signalant qu’ils sont là pour se marier et
non pas pour penser au divorce». En plus, il arrive, dit un autre ‘Adel,
«qu’on veuille, parfois, modifier les clauses de l’accord au moment
de conclure le contrat de mariage. Ce qui provoque la réaction du
conjoint et des familles respectives, et crée une atmosphère peu
appropriée pour un début de mariage».

206
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Le contrat peut être établi auprès d’un notaire. Mais, c’est moins
le choix du personnel de la justice qui est en cause que la perception
et la comportement des futurs époux. On peut se demander aussi si
la faible adhésion de la population concernée à cette disposition ne
relève-t-elle pas de la prégnance et de la culture dominante, du peu
de recul vis-à-vis de cette réforme. L’étude réalisée sur l’application
du Code par les Tribunaux de la famille apporte quelques éléments
d’explication au rejet de tout contrat économique préalable au
mariage:
‹ La majorité des nouveaux mariés trouvent qu’il est
particulièrement embarrassant de traiter la question du partage
des biens au moment même où l’on s’apprête à signer le contrat
de mariage;
‹ Le statut social de la plupart des femmes qui se marient dont
la majorité sont des femmes au foyer, qui n’exercent pas un
travail à l’extérieur, « elles ont tendance, elles et leurs familles,
à ne pas accorder d’intérêt à l’information que leur annonce
le ‘Adel, lors de la contraction du mariage, leur suggérant de
rédiger avec leur futur mari un contrat parallèle concernant le
mode de partage des biens qui seraient accumulés pendant le
mariage»;
‹ La difficulté que nombre de femmes affronte pour se marier,
ou pour trouver un mari capable de subvenir aux besoins de sa
famille;
‹ La crainte des hommes de se trouver obligés de partager
leurs biens avec leur épouse, met d’emblée les femmes dans
une position de faiblesse pour exprimer leur point de vue sur
un mode équitable de partage des biens;
‹ Les femmes mariées ne manifestent pas avec vigueur la
volonté de défendre leurs droits Elles subissent toujours les
effets d’une éducation traditionnelle qui leur a inculqué l’idée
qu’elle doit remettre toute la responsabilité de la gestion des
affaires économiques entre les mains de l’époux.

207
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

L’étude conclue qu’étant donnée « qu’elles (les femmes) n’ont


ni salaire, ni capital qui leur permettraient éventuellement de
construire une maison ou de créer une entreprise avec leur époux,
et le peu d’importance que la culture et la société accordent au
travail domestique en tant que contribution économique et social
dont bénéficie, non seulement la famille, mais la société dans son
ensemble, elles finissent par renoncer à mettre en œuvre la proposition
du ‘Adel, et « acceptent » dès le départ leur dépendance économique
à l’égard de l’époux. En fait, plusieurs femmes n’ont pas encore pris
conscience, qu’étant même « femmes au foyer », elles ont le droit
néanmoins de revendiquer, à partir même de cette position, leur part
des biens familiaux ».
b- Un deuxième constat : la difficulté d’application
Les premiers alinéas de l’article 49 permettent aux conjoints
de choisir les conditions de répartition des biens acquis pendant
le mariage dans un document distinct de l’acte de mariage. Dans
ce cas de figure, l’accord entre les époux, sa transcription dans un
acte adoulaire, dans un acte notarié ou légalisé suffit à donner un
contenu et une validité juridique à ce contrat. Le problème se pose
quand les époux n’optent pas pour une contractualisation lors de la
conclusion de l’acte de mariage. Si le conflit est porté devant le juge,
celui-ci rencontre des difficultés dans sa mise en œuvre. L’article
fait référence aux notions du travail de chacun des conjoints, des
efforts fournis et des charges qu’il a assumés pour fructifier les biens
de la famille. Il soulève un certain nombre de questions quant à son
contenu.
c- La notion de travail domestique
Contrairement à certaines dispositions relatives aux autres
conséquences du divorce, celles traitant du mode de fructification
et de répartition des biens acquis pendant la relation conjugale
ne comportent pas d’indication sur le contenu précis de ce mode.
Les notions de travail incluent-elles la prise en considération du
travail invisible des femmes, auquel cas, quel est sa dimension ?

208
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Quel serait le critère utilisé pour la mesure de ce travail ? Quelle


est l’équivalence monétaire à retenir ? Quel contenu sera donné à la
notion de patrimoine ?
L’étude réalisée auprès des tribunaux de Casablanca et de Tétouan
met en valeur les difficultés d’application de l’article.
«Quand il s’agit du partage des biens entre les époux en instance
de divorce, ou de l’estimation de la part qui revient à la femme des
biens et propriétés qui se sont accumulés tout au long de la durée
du mariage, le tribunal recourt, parfois, aux services d’un expert-
comptable. Le problème ne se pose pas quand il s’agit d’évaluer
des actions en bourse, ou des actions constituant le capital d’une
entreprise. Mais quand on a à évaluer les prestations de femmes au
foyer qui ont contribué par leur apport et travail à fonder une famille
et à lui assurer des conditions de vie convenables tout au long des
années de mariage, l’estimation de leur contribution par le juge
pose actuellement un problème réel. Sur la base de quels critères la
contribution féminine est-elle faite ?» L’expert-comptable calcule la
part qui doit revenir à une femme au foyer qui n’a pas de titres de
propriété en multipliant le nombre d’années de mariage par le salaire
moyen mensuel d’une travailleuse domestique !
Les rédacteurs du Code n’ont pas pris bien soin de préciser, dans
l’article 49 qui traite du partage des biens, ce qu’ils entendent par le
travail de chacun des conjoints, est-ce le travail exercé par chacun
des conjoints à l’extérieur de la cellule domestique, auquel cas,
il s’agirait de prendre en considération le revenu dégagé et qui a
alimenté les dépenses.
L’article 49 se contente de parler de «travail de chacun des époux»
sans faire référence à la nature de ce travail, à son caractère marchand
ou non marchand comme il ne donne pas de précision sur la mesure
de ce travail : le revenu, le patrimoine. Ce faisant, le Code dote le
juge d’un large pouvoir d’appréciation en la matière.
Dès lors, il s’avère intéressant de voir, à travers la jurisprudence
analysée comment se manifeste ce pouvoir du juge et quel usage

209
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

il en fait. Comment appréhende-t-il la notion de travail, d’efforts


et quel contenu lui donne-t-il ? Sera-t-il tenté de réduire la portée
pratique de la nouvelle procédure en enserrant la notion de travail
dans la contribution de l’époux aux revenus et à la constitution du
patrimoine dans un cadre restreint par l’exercice d’un travail extérieur
à la sphère privée ? Ou abondera-t-il dans le sens de l’ouverture
insufflée par le nouveau Code, en faisant une interprétation extensive
de cette notion en prenant en considération le travail réalisé au sein
de l’unité familiale.
Il est vrai que le terme d’efforts fournis et de charges assumées
pour le développement des biens de la famille qui renvoie à la notion
que revêt une signification suffisamment forte pour considérer que le
travail qui en est la cause doit être caractérisé dans son sens large en y
incluant aussi le travail domestique. On rappellera que lors des travaux
préparatoires du Code, le débat a opposé les tenants de l’inclusion du
travail domestique comme une référence, à ceux qui considéraient
que le travail domestique relève d’une autre approche.
La liste des motifs retenus par les magistrats pour motiver leurs
décisions renseigne sur leur appréciation du travail: la variété des
motifs retenus montre que les magistrats font une appréciation
extensive de la notion de la contribution aux efforts. En outre, des
jugements laissent apparaître une certaine ouverture d’esprit des
juges sur des points sur lesquels ils se montraient généralement plus
conservateurs sous l’empire de l’ancienne Moudouana.
Toutefois, dans leur évaluation de l’effort des femmes au foyer
et de la contribution de cet effort à la fructification du patrimoine
familiale, les juges se heurtent à une série d’obstacles dans la mesure
et l’évaluation quantitative du travail domestique. Le travail familial
regroupe tant le travail ménager que l’encadrement, l’éducation des
enfants et les soins à dispenser à ces derniers ou à d’autres personnes
requérant un encadrement. Il va donc de soi que les ménages comptant
des enfants présentent une charge de travail domestique plus élevée
que chez les personnes seules ou indépendantes et dans des couples
sans enfant.

210
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

On peut supposer que la charge globale des femmes est plus


lourde que celle des hommes. L’une des raisons en est l’attribution
du travail familial spécifique aux sexes. Par ailleurs, au cours des
dernières décennies, toujours plus de femmes sont entrées dans
une activité rémunérée parallèlement à leur travail familial, tandis
qu’on n’observe pas de changement semblable ni d’évolution
complémentaire dans le comportement professionnel des hommes.
Les hommes adaptent peu leur charge de travail familial à leur
situation dans la vie (avec ou sans famille et enfants) comme ils le
font s’agissant de leur charge de travail professionnel.
Outre ces différences entre les sexes, qui sont très marquées dans
ce domaine, il faut aussi examiner les différences entre les femmes.
Quels groupes accomplissent le plus de travail familial? Dans quelle
mesure le travail familial dépend-il de la position sur le marché du
travail et de la charge constituée par l’activité rémunérée?
Il est vraisemblable que la proportion de femmes au foyer diminue
au fil du temps. D’une part, la conception qu’ont les femmes de leur
rôle s’est modifiée. Les interruptions de l’activité professionnelle
pour des raisons familiales deviennent plus courtes et que les
femmes qui ont des enfants souhaitent également une continuité
de leur activité rémunérée. L’activité rémunérée a gagné une plus
grande importance sur l’ensemble de la vie. Par ailleurs, d’autres
raisons structurelles, comme l’élévation du niveau de formation
des femmes, sont déterminantes pour expliquer le recul du travail
purement ménager de ces dernières. En outre, les femmes donnent
naissance toujours plus tard à leur premier enfant.
Tous modes de vie confondus, l’écrasant majorité des femmes
fournissent du travail ménager et familial. Les proportions varient
toutefois fortement selon les modes de vie. La proportion de
femmes à fournir un travail domestique est nettement inférieure à la
moyenne dans les ménages d’une personne. Les enfants entraînent
une augmentation du pourcentage de femmes qui accomplissent des
tâches ménagères.

211
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Les femmes participent-elles différemment au travail familial


selon leur position socioprofessionnelle ou celle-ci n’a-t-elle aucune
influence sur le travail familial? On relève une relation entre ces deux
variables. Plus la position des femmes est moins élevée socialement,
plus elles tendent à fournir du travail familial. Les travailleuses
non qualifiées accomplissent nettement plus du travail familial et
ménager que le personnel mieux formé. Les femmes aux échelons
supérieurs du management accomplissent un volume de travail
ménager inférieur à la moyenne. Les femmes indépendantes exécutent
plus souvent des tâches ménagères que les moins qualifiées. On
pourrait toutefois supposer que la faible participation des personnes
professionnellement non qualifiées aux tâches domestiques apparaît
exagérée, parce que les personnes de ce groupe considèrent le travail
ménager comme allant de soi.
Si pour les femmes sans enfant le travail ménager est plus réduit en
moyenne, la situation s’inverse quasiment pour les femmes mariées
qui ont des enfants. Les volumes de travail domestique élevés liés à
ce mode de vie s’expliquent en partie par la présence, dans ce mode
de vie, d’une proportion plus importante de femmes purement au
foyer et sans activité professionnelle.
d- L’évaluation du patrimoine
Sur un autre plan, la répartition des biens au moment du divorce
pose un problème sérieux pour la femme, notamment quand on prend
en considération que le mari tend, nettement plus que la femme,
à enregistrer tous les biens acquis en son nom. La transparence
dans la saisie du patrimoine est un des obstacles auquel se heurte
l’application du principe du partage des biens. Cette opacité vient de
deux origines : la volonté de l’époux de dissimuler une partie de son
patrimoine à son conjoint, le seconde est la volonté d’un détenteur
de patrimoine d’éviter la déclaration au fisc, la troisième est celle
d’enregistrer le titre de propriété au nom de proches de la famille ou
de personnes tierces.

212
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Un ensemble de cas expressifs de la réalité de cette opacité ont été


présentés dans l’étude sur les tribunaux de Tanger et de Tétouan:
Un magistrat nous rapporte le cas d’un époux dont la femme affirme
qu’il possède deux grandes fermes d’élevage avicole. L’époux nie
en disant qu’elles appartiennent à son frère. En sollicitant l’avis du
caïd, on a pu savoir qu’il était « chômeur ». Cet homme travaille en
noir. Il ne paie pas ses impôts. La femme ne peut recourir à aucune
administration pour prouver la réalité des revenus de son mari.
Un autre cas significatif à cet égard se rapporte à un dossier
de divorce qui a pris un retard de 7 mois à cause de la difficulté
d’identification du métier et du revenu de l’époux. Car si l’on a pu, avec
l’aide de la police, savoir que l’époux concerné avait bien un magasin
à Casablanca où il vendait des produits de contrebande (Tanger), on a
pas pu savoir à qui ce magasin appartenait effectivement : On n’a pu
trouver aucune attestation de propriété prouvant l’appartenance du
magasin à l’époux concerné, aucun registre de commerce, ni non plus
des factures en son nom. On ne savait pas s’il en était le propriétaire
ou un simple employé. Aussi a – t- on décidé, pour évaluer les droits
de l’épouse, de se référer au critère du SMIG.
L’enquête a été aussi l’occasion de montrer que la répartition
des biens au moment du divorce pose un problème sérieux pour la
femme, notamment quand on prend en considération que le mari
tend, nettement plus que la femme, à enregistrer tous les biens acquis
en son nom. Même des femmes fonctionnaires négligent d’établir un
contrat de partage des biens avec leur mari. Il y a des femmes qui
finissent même par perdre leur capital de départ qui a servi à amasser
la fortune familiale.
Une avocate du barreau de Tétouan rapporte le cas d’une femme,
qui après avoir vécu 30 ans avec son mari, et marié tous ses enfants,
s’est trouvée du jour au lendemain divorcée. Le mari possède des
propriétés immobilières, et la femme lui avait remis une partie de
son héritage pour construire l’étage d’en haut de leur logement. Le
tribunal a estimé la part qui lui revient à 20 000 DH, et a décidé
également qu’elle quitte la maison à la construction de laquelle elle
avait contribué.

213
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Dans les cas où la femme affirme avoir participé activement,


et sur une longue durée, à l’accumulation de biens et de richesses,
mais sans que la propriété réclamée d’une partie de ces biens ne
soit étayée par des documents juridiques, le tribunal n’entreprend
pas, du point de vue des femmes, des enquêtes précises pour vérifier
l’ampleur et la véracité d’une telle participation. Le seul propriétaire
qu’il reconnaît, c’est celui dont le nom figure sur les documents de
propriété. Or, vu la fréquence de l’analphabétisme parmi les femmes,
et la confiance excessive, l’initiative est souvent laissée aux hommes
pour régler le statut juridique des propriétés. En plus, les femmes ne
se considèrent pas compétentes dans ces questions41.
Le tribunal reconnaît à la femme le droit de bénéficier d’une
partie des biens, et ce, sur la base d’une estimation globale de sa
contribution aux biens accumulés pendant le mariage. Mais il faut
tout de même signaler que cette estimation s’appuie beaucoup plus
sur des considérations morales (état social de l’épouse, situation
dans l’activité, femme au foyer ou femme active employée….) que
sur une évaluation proprement dite du temps de travail consommé
pendant la vie conjugale.
e- Le troisième constat est relatif à la pertinence de s’inspirer
de la pratique d’Al Ked wa si’aya
Dans le Sous, on met l’accent plus qu’ailleurs sur la contribution
économico-productive de la femme (Al-kadd Wa Sia’ya). On
distingue entre la femme qui se limite à réaliser les travaux ménagers,
et celle qui s’occupe de ses responsabilités ménagères tout en y
ajoutant des travaux de tissage, de couture, de broderie, d’élevage,
de construction, d’extraction du fromage et du beurre des produits
laitiers, la confection des paniers, la cuisson à objectif marchand,
etc.
En établissant le lien de causalité entre cette contribution et la
situation socio-économique actuelle du ménage, et en se basant
sur des documents, des preuves et des témoins, le juge, nous dit un
41- Voir l’étude : “L’application du code de la famille : acquis et défis” Association Marocaine de lutte
contre la Violence à l’Egard des Femmes

214
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

magistrat du tribunal d’Agadir, est tenu de lui accorder des droits


proportionnellement à la valeur économique de son apport, en plus
de ses droits de jouissance.
Du point de vue de certains magistrats, il est primordial de
disposer de documents ou de témoins prouvant sa contribution tout
au long de sa vie conjugale avant de pouvoir lui accorder des droits.
Pour certains d’entre eux, la prise en considération des travaux
domestiques de la femme, de sa contribution à l’éducation des
enfants, de sa préparation des repas, etc. est indépassable.
Le concept « d’el Kadd Wa Sia’ya » incite à compenser l’effort
physique de la femme. Il peut être estimé « en prenant en compte
la durée de mariage et la différence en termes de biens acquis entre
le début du mariage et le moment du divorce ». Dans le cas d’une
femme au foyer, « l’on doit au moins, poursuit ce même magistrat,
se référer à la proportion des biens qui lui a été accordée par le chra’
dans le domaine de l’héritage ».
La plupart des cas examinés montrent que le recours au principe
d’al kade ou s’aya vient en appui de l’argumentaire du tribunal en
faveur de la prise en compte de l’effort de la femme dans le travail.
Mais, les critères et les procédures sur lesquels se fondaient les juges
pour mesurer la contribution de la femme au travail des champs ou de
l’exploitation ne peuvent être d’une grande utilité dans les jugements
sur des litiges relevant de l’évaluation du patrimoine familiale dans
une économie domestique.
f- Le quatrième constat : les stratégies de contournement : le
chiqaq et le divorce par consentement
Le Code de la Famille a introduit des changements positifs dans la
régulation du divorce. Il se trouve que ces innovations conçues pour
faire respecter le droit des femmes sont utilisées par les hommes
pour contourner l’application de l’article 49.

215
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

La possibilité pour les femmes de recourir au divorce judiciaire


existait sous l’ancienne Moudouana42. Toutefois, le déclenchement
de l’une des procédures dans l’ancien Code par l’épouse relevait d’un
véritable parcours du combattant, de par l’impossibilité dans laquelle
elle se trouvait souvent de rapporter la preuve de ses allégations et de
par la lenteur des procédures dont la durée se comptaient en années.
Ce qui enlevait toute efficacité à ce mode de dissolution du mariage
censé la protéger contre les abus de son mari.
Afin de palier ces difficultés, le nouveau code propose
un renforcement des droits des femmes dans ce domaine, en
réaménageant certaines dispositions existantes, telles celles relatives
au défaut d’entretien, mais surtout en introduisant de nouveaux
modes de divorce judiciaire et en fixant les délais d’exécution des
procédures de divorce.
Le Chiqaq
C’est ainsi que le législateur introduit le divorce judiciaire pour
raison de discorde ou «chiqaq»43. S’appuyant sur le verset 35 de
la Sourate IV « An nissae» (les femmes), le législateur a introduit
un nouveau mode de divorce judiciaire dans le droit de la famille
au Maroc: le pour raison de discorde ou «chiqaq». Contrairement
à l’ancien texte qui n’offrait au couple en difficulté aucune autre
alternative que celle de mettre brutalement fin à l’union conjugale par
la répudiation prononcée unilatéralement par le mari ou, de manière
plus limitée, par le divorce judiciaire, cette nouvelle procédure
permet à l’un ou l’autre époux de saisir le juge pour lui exposer le
différend qui l’oppose à son conjoint et qui risque, si rien n’est fait,
de conduire à la dissolution du mariage.

42- Les articles 53 à 58 consacraient cette possibilité. Les motifs retenus étaient le défaut d’entretien de
l’épouse par son mari, la découverte d’un vice rédhibitoire chez son conjoint, le fait qu’elle soit sujette
à des sévices de la part de celui-ci, l’absence du mari pendant plus d’une année dans un lieu connu et
sans motif valable, le serment de continence ou de délaissement prêté par le mari.
43- En effet, le verset 35 précité dit « Si vous craignez qu’il y ait discorde entre les époux, faites alors
appel à deux arbitres issus l’un de la famille du mari, l’autre de la famille de l’épouse. Si les deux
arbitres veulent vraiment les réconcilier, Allah les aidera dans leur tâche et fera aboutir leurs tentatives.
Allah est Tout -savant et parfaitement informé».

216
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

La procédure de « chiqaq » constitue pour les femmes une arme


précieuse, dans la mesure où le législateur leur permet d’y recourir
chaque fois qu’elles se heurtent à des difficultés qui les empêchent
de faire aboutir leurs demandes de divorce judiciaire fondées sur les
autres motifs prévus par le Code44. En remettant en cause le pouvoir
discrétionnaire du mari de répudier son épouse, le nouveau Code
établit une certaine égalité entre les époux face à la dissolution des
liens du mariage, même s’il a maintenu la répudiation.
Cette nouvelle possibilité qui constitue, pour les femmes, l’une
des avancées majeures introduites par le nouveau code, n’est
pourtant pas l’apanage des seules épouses. L’une des particularités
de ce nouveau mode est qu’il peut être utilisé indifféremment par
l’épouse ou par l’époux, alors que les autres possibilités prévues par
le Code ne concernent que les femmes.
Si les efforts consentis par le législateur en vue de réduire les
inégalités entre les conjoints au sein de la cellule familiale sont
louables, ils ne peuvent atteindre leur objectif que si le juge s’inscrit
dans la même logique. Mais l’analyse de la jurisprudence relative
au divorce judiciaire pour raison de «chiqaq» laisse transparaître
des indices révélateurs sur le recours par l’homme à ce mode de
dissolution du mariage qui se veut égalitaire.
Le juge et le divorce judiciaire par consentement mutuel
Le divorce par consentement mutuel constitue aussi une nouveauté
introduite par le code de la famille. Il permet aux deux époux de
mettre fin d’un commun accord à leur union conjugale, avec ou
sans conditions. Lorsque celles-ci existent, l’article 114 qui pose,
dans son alinéa 1er, le principe de ce nouveau mode de divorce,
l’assortit de deux exigences: les conditions prévues ne doivent pas
être incompatibles avec les dispositions du Code, de même qu’elles
ne doivent pas porter préjudice aux intérêts des enfants.
Par ailleurs, l’instauration par le législateur de la possibilité de
divorce par consentement mutuel, laisse entendre que l’on se trouve

44- Il en est ainsi lorsqu’un des conjoints persiste à manquer aux obligations qui naissent des droits et
obligations réciproques du couple tels que prévus par l’article 51 du Code.

217
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

devant un mode «apaisé», permettant de mettre un terme à la vie


conjugale tout en préservant les intérêts des deux parties en présence
et, le cas échéant, de leurs enfants. La formule «consentement mutuel»
empruntée au droit des contrats, suggère que l’accord établi entre les
deux conjoints est équilibré et que, lorsque des conditions existent,
elles ne favorisent pas l’une des partie au détriment de l’autre.
Pourtant, les réalités du divorce ne vont pas toutes dans ce sens.
En effet, si dans la plupart des espèces, les conjoints respectent
l’esprit de l’article précité, en renonçant mutuellement aux droits de
l’un sur l’autre et en allant jusqu’à partager les frais de justice, il se
trouve des décisions dans lesquelles l’accord auquel sont parvenus
les époux paraît peu équitable à l’égard de l’épouse.
Il ressort de nombreuses demandes de divorce judiciaire
introduites par l’épouse, que celle-ci faisait l’objet de la part de son
mari de pressions pour renoncer à ses droits. Les conjoints déclarent
à l’audience vouloir, d’un commun accord, mettre un terme à leur
relation conjugale. Dans d’autres cas, l’épouse déclare renoncer à
tous ses droits. Mais la situation des conjoints montre que l’on est
loin d’un accord négocié sur des bases équitable et laisse supposer
qu’une pression a dû s’exercer sur elle pour accepter des accords
désavantageux.
Il est rare de trouver, parmi les femmes appartenant à des catégories
sociales modestes, des époux divorcés qui gèrent de manière pacifique,
compréhensive et détendue la phase de l’après-divorce. Dans certains
cas, l’après-divorce se caractérise par le non respect du mari des
engagements pris en matière de logement, de pension alimentaire
et de garde des enfants. Il y a même des actes de violence qui sont
perpétrés contre la femme pour l’obliger à renoncer à ses droits et à
ceux de ses enfants. L’intimidation, la menace et le harcèlement sont
des pratiques masculines courantes tendant à faire plier la femme.
Certains hommes n’hésitent pas à exploiter le pouvoir que leur confère
leur fonction administrative pour faire échouer tous les efforts que
déploient les femmes en vue de recouvrir leurs droits. Le mensonge
devant le tribunal est également une pratique courante pour éviter des
responsabilités, ou se débarrasser des engagements pris.

218
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

La manière avec laquelle les magistrats abordent les nouveaux


modes de dissolution du mariage, en s’inscrivant totalement
dans l’esprit du texte, constitue un indice positif dans la voie du
renforcement des droits des femmes au Maroc. Cet indéniable effort
des juges se trouve néanmoins contrecarré par la tendance de ces
dernières à renoncer à leurs droits sous l’effet des fortes pressions
auxquelles elles sont soumises de la part de leurs conjoints et,
souvent, de la méconnaissance de leurs droits.
En outre, certaines décisions, encore assez rares, laissent
apparaître, une attitude novatrice et plus égalitaire des juges, qui
tranche avec leur position antérieure. En effet, ils n’hésitent plus à
mettre en avant les intérêts de l’épouse, dans des domaines où ils se
montraient très conservateurs jusque là.
Ces prémisses prometteuses signifient-elles que le juge marocain
s’est résolument engagé sur la voie de la modernité? La réponse doit
être nuancée, d’une part, parce que nous nous trouvons au début d’un
long processus et, d’autre part, parce que le juge demeure soumis
au poids de la tradition, comme l’atteste souvent la surabondance
de motifs et son besoin fréquent, même en présence de dispositions
claires et qui se suffisent à elles-mêmes, de recourir au référentiel
religieux et aux auteurs classiques du droit musulman.
En fait, le divorce par consentement mutuel constitue une
illustration de l’importance du rôle du juge qui doit faire preuve
d’une vigilance accrue afin que ce mode de divorce égalitaire, parce
que voulu par les deux conjoints, ne se transforme en un marché de
dupe, comme c’est le cas dans les affaires précitées.
g- Le cinquième constat est relatif à l’interprétation du juge
Dans le cas où le texte de la loi est obscur, le tribunal doit se
demander quelle a été l’intention du législateur et s’aider, pour
faire cette recherche, de tous les procédés d’interprétation, de
l’interprétation logique, comme de l’interprétation grammaticale : il
peut aussi bien étendre que restreindre la portée littérale des textes.
Interpréter la loi, c’est en déterminer la signification, afin d’en
permettre ou d’en donner l’application exacte. L’interprétation des

219
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

lois est une nécessité, parce qu’il est impossible, et d’ailleurs peu
désirable, que la loi renferme l’indication de toutes les hypothèses
particulières, susceptibles de se présenter, et règle chacune d’elles
par une disposition spéciale.
Pour demeurer claire, la loi doit rester concise, et contenir
simplement l’énonciation de règles générales, en laissant à
l’interprétation le soin d’adapter ces règles aux espèces concrètes.
En principe, c’est à celui qui a fait la loi qu’il appartient d’en donner
le sens. Mais, qu’on s’adresse pour cette mission au législateur,
l’interprétation législative ne suffit pas ; et l’on est obligé de remettre
au juge, qui est chargé d’appliquer la loi, le pouvoir d’en déterminer
la signification.
Toute interprétation suppose la recherche de ce qui est la loi, c’est-
à-dire de ce qu’a voulu et de ce qu’a fait le législateur. II y a là une
double détermination, dont l’ensemble seul constitue la loi, parce
que ce que le législateur a voulu sans l’exprimer dans un texte n’est
pas la loi, n’étant pas dans la loi (exemple : les lois imparfaites), et
parce que ce que le législateur a fait, sans l’avoir voulu, bien qu’étant
dans la loi, doit être, autant qu’on le peut, rejeté de celle-ci, comme
n’y étant pas rationnellement. Cela revient à dire que la loi est dans
la combinaison raisonnée de son esprit et de sa lettre.
Techniquement, l’esprit de la loi est dans la perception du but
que s’est proposé le législateur, en édictant les prescriptions qu’il
a prises. Pratiquement, l’esprit de la loi se trouve dans les travaux
préparatoires de la loi, c’est-à-dire dans les discussions qui ont
précédé son adoption, et qui en éclairent le sens.
L’esprit d’un texte qui a été voté sans modification est à chercher
avant tout, s’il s’agit d’un projet de loi, dans l’exposé des motifs qui le
précède. L’esprit d’un texte est également à chercher, principalement
dans le discours fondateurs, et, dans les discours des membres du
Parlement, qui ont pris la parole à cette occasion. Enfin, l’esprit d’un
texte, est à demander de préférence aux discours des acteurs qui se
sont tenus le plus près du but que la disposition législative a pour
objet de réaliser.

220
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Au reste, c’est à la pensée des auteurs de la loi qu’il faut s’en tenir,
et non pas à. ce que pourrait être celle-ci en présence des besoins
actuels et nouveaux : la loi est, en effet, inséparable de la volonté qui
l’a rédigée.
La détermination de la lettre de la loi est donnée par l’examen
et l’analyse logique de son texte, c’est-à-dire des expressions qu’il
renferme, appréciées dans leur sens et leur position dans la phrase.
Comme il arrive souvent qu’une expression possède dans la langue
arabe des significations différentes, la précision du sens qu’elle doit
recevoir est à chercher d’abord dans le langage juridique, en laissant
de côté la langue ordinaire (sens technique et sens vulgaire des mots);
et ensuite entre plusieurs acceptions juridiques, dans le but spécial
poursuivi par le législateur : d’où la maxime, la lettre de la loi tue, si
on ne la vivifie pas au moyen de son esprit.
Comme il vient d’être dit, l’interprétation judiciaire est simplement
la déclaration de ce qui est la loi. Pour faire cette déclaration,
le juge doit prendre la loi telle qu’elle est. Si des erreurs se sont
glissées dans le texte d’une loi, il ne lui appartient pas de les corriger.
D’autre part, si une lacune apparaît dans son contenu, il n’échoue
pas davantage à l’autorité judiciaire, si haut placée qu’elle soit, de la
faire cesser : ce serait substituer une oeuvre différente au monument
législatif. Limitée à ce qui est la loi, l’interprétation doit dégager
uniquement ce qu’a voulu et fait le législateur. Mais, dans ces bornes,
l’interprétation est libre pour donner à la règle légale toute l’étendue
qu’elle comporte, et lui faire embrasser toutes les hypothèses, mêmes
nouvelles, que contiennent logiquement ses prescriptions.
Il y a lieu d’admettre des principes supérieurs d’équité, qui
régissent la pratique du droit, non pas sans doute en l’absence de
toute disposition législative, mais au delà des termes des applications
qui en sont faites, et dont la présence dans la législation en suppose
la reconnaissance implicite.

221
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Chapitre 9 :
Recommandations de l’étude

1. Premiere recommandation

CONCEVOIR UNE CIRCULAIRE POUR LA MISE


EN ŒUVRE DE L’ARTICLE 49

Considérant que :
‹ L’article 49 vise à opérer une simplification et une
pacification des procédures de divorce devant le juge des
affaires familiales, en particulier en matière de partage des
biens.
‹ L’objectif est de permettre un règlement à la fois plus rapide
et plus complet des conflits familiaux, tout en garantissant le
respect des droits de chacune des parties ainsi que de l’intérêt
des enfants.
‹ L’article en question favorise les accords entre époux
et rationalise les conséquences de la dissolution du lien
matrimonial, notamment financières en cas d’absence d’un
contrat entre les époux et adapte les différents cas à l’évolution
des situations conjugales,
‹ La Justice a la charge de mettre en œuvre la protection
juridique, prévue pour la famille avec toutes ses composantes
et ce, dans un esprit de modernisme qui reflète la modernité
des innovations du Code de la Famille
‹ Le Ministère publique vise à amener la jurisprudence
à mieux mettre en œuvre les objectifs de l’article 49, et
notamment les innovations introduites dans sa formulation
afin de contribuer au processus de construction d’une justice
de la famille, compétente et efficace

222
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

‹ Les orientations données dans le Guide d’application du


Code de la Famille restent trop générales
‹ Les observations de terrain font ressortir une certaine
subjectivité dans l’interprétation des dispositifs de l’article 49

Il est recommandé de :
‹ D’étudier l’opportunité d’élaborer et de diffuser une
circulaire consacrée à la mise en œuvre de la réforme du
divorce et à celle de la procédure en matière familiale.
‹ La circulaire en question pourrait être composée de deux
parties : l’une mettant l’accent sur les respect de l’esprit du
Code de la Famille et plus particulièrement de l’article 49 :
celui de l’égalité entre l’homme et la femme sur le plan de la
conclusion de l’acte de mariage, de la garde des enfants, du
droit de mettre fin à la relation conjugale mais aussi sur le
plan de la gestion des affaires de la famille. Cette partie de la
circulaire réaffirmerait par ailleurs avec force les principes de
protection et de responsabilité, indispensables à un traitement
juste et équitable des séparations conjugales.
‹ La circulaire pourrait, dans sa seconde partie, édicter des
modalités propres à la résolution des conflits; aux modes de
preuves de l’existence d’un patrimoine. Elle pourrait également
indiquer des solutions concernant les procédures de partage
des biens. La circulaire indiquerait les solutions à adopter en
vue de donner aux dispositions de l’article 49 une application,
prenant en compte la situation des époux et le partage équitable
des biens.
‹ La circulaire tout en simplifiant les procédures et en
harmonisant les possibilités de règlement du partage des biens
devrait permettre de mieux répondre aux attentes des couples.
‹ La circulaire permettrait également un accompagnement
des juges afin de les aider à organiser les conséquences de la
séparation le plus efficacement possible, dans le souci d’éviter
la résurgence de conflits après le prononcé du divorce.

223
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

2. Deuxième recommandation
CONCEVOIR ET DIFFUSER DES MODELES DE
CONTRAT DE PARTAGE DES BIENS

Considérant que :
‹ L’article 49 laisse l’option ouverte à la conclusion du
contrat.
‹ Les considérations psychologiques, sociologiques
ou culturelles freinent l’adhésion au principe de la
contractualisation au moment du prononcé du mariage.
‹ L’existence d’un ou de modèle(s) de contrat pourrait
faciliter les règlement des modalités de partage des biens entre
les conjoints.

Il est recommandé de :
‹ Déployer des efforts en vue de sensibiliser les citoyens
et citoyennes sur l’intérêt de recourir à la contractualisation
sur la gestion des biens acquis pendant la période de la vie
conjugale,
‹ Inciter les adouls à user de leurs pouvoirs pour informer les
candidats au mariage à l’intérêt de recourir à cette formule des
notaires,
‹ Elaborer un ou des modèles types de contrats et les mettre à
la disposition des citoyens,
‹ Diffuser ces spécimen de contrats parmi l’ensemble des
imprimés requis pour la conclusion du mariage.

224
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

3. Troisième recommandation
INCITER A LA PRISE EN COMPTE DU TEMPS
NON REMUNERE DANS LA COMPTABILITE
NATIONALE

Considérant que :
‹ Les statistiques économiques conventionnelles, comme les
comptes nationaux et les mesures de l’emploi, sont conçues
dans une large mesure pour mesurer l’économie de marché
et elles excluent la plupart des activités productives non
marchandes des ménages.
‹ Le travail non rémunéré occupe 28 % des heures qu’une
personne passe éveillée, mais il ne fait pourtant pas partie des
mesures types de l’activité dans notre société.
‹ Les biens et services découlant de ces activités sont une
source d’utilité pour les membres d’un même ménage et les
autres ménages et contribuent à leur bien-être.
‹ Le volume de la production des ménages est important :
en moyenne, les personnes consacrent environ 10 % plus de
temps à un travail non rémunéré qu’à un travail marchand.
‹ Le volume même du travail non rémunéré et son rapport
avec le travail rémunéré plaident largement en faveur de
mesures types plus complètes pour de nombreuses applications
et analyses.
‹ Mettre en lumière les différences entre les tâches productives
non rémunérées effectuées par les hommes et les femmes, et
faire ressortir le rôle important que jouent les femmes dans la
production des ménages, ainsi que l’évolution continue de ces
différences au fil du temps.

225
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Il est recommandé d’inciter la Direction des


Statistiques
‹ A prendre en compte la production des ménages et d’élargir
les limites habituelles du champ de la production des comptes
nationaux.
‹ A construire un compte satellite complet des ménages
devant comprendre une présentation exhaustive et intégrée des
activités économiques des ménages qui contribuent au bien-
être individuel, comme la production, la redistribution des
revenus et l’accumulation de la richesse.
‹ A mesurer et évaluer le travail domestique et invisible et
non rémunéré des femmes, sachant qu’elles occupent un temps
appréciable de la journée et qu’il ne fait pourtant pas partie des
activités comptabilisées dans l’évaluation de la production de
la richesse dans notre société.
‹ A développer les méthodes de transformation du temps
de travail domestique en valeur monétaire notamment par la
méthode du coût de remplacement reposant sur le principe
que le temps consacré à des activités non rémunérées peut être
évalué sur la base des gains horaires perçus par des personnes
qui ont des activités similaires sur le marché.
‹ A estimer le travail des ménages en valeur monétaire sur
la base d’un choix de critères validés par les comptables
nationaux.
‹ Réunir un « consensus » autour d’une méthode fiable de
mesure du travail domestique, permettant de passer d’une
évaluation monétaire des travaux invisibles à leur conversion
en une estimation du patrimoine accumulé sur une trajectoire
de vie commune entre les époux.

226
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

4. Quatrième recommandation
AFFINER ET REALISER REGULIERMENT DES
ENQUETES BUDGET - TEMPS

Pour de nombreuses applications, comme les études sur le


bien-être, une analyse plus exhaustive de la production et de la
consommation est nécessaire pour suivre ces phénomènes au fil du
temps, et au fur et à mesure que les personnes modifient la répartition
des heures dont elles disposent entre le travail marchand rémunéré,
le travail non rémunéré et les loisirs.
C’est pourquoi il est recommandé dans les lignes directrices du
Système de comptabilité nationale que le Maroc élabore des comptes
satellites de la production des ménages.

Considérant que :
‹ Les informations sur la façon dont les individus répartissent
leur temps entre activités rémunérées et non rémunérées peuvent
aider à mesurer l’impact des politiques macroéconomiques sur
le bien-être des personnes et des groupes de population.
‹ Ces informations pourraient être particulièrement utiles
aux décideurs et aux analystes économiques, qui pourraient
ainsi intégrer l’ensemble de l’économie productive dans leurs
politiques et prévisions.
‹ Le constat d’ordre général corroboré par toutes les études
entreprises était que les femmes supportaient une charge de
travail plus lourde, tant en ce qui concernait le travail non
rémunéré que la totalité des heures de travail.
‹ Les données et les études sur les budgets-temps peuvent être
converties en registres nationaux de l’emploi du temps, c’est-
à-dire un ensemble d’estimations sur la façon dont les ménages
répartissent leur temps entre travail rémunéré, activités non
rémunérées et loisirs.

227
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

‹ En combinant les données relatives aux budgets-temps et


les données démographiques, il est possible de comparer les
emplois du temps de différents groupes. Ainsi, les analystes
pourraient comparer le temps consacré à diverses activités
rémunérées et non rémunérées par les hommes et les femmes,
les jeunes et les personnes âgées, les personnes avec et sans
enfant, la population urbaine et rurale, etc.
‹ La réalisation d’enquêtes régulières et gendérisées sur les
budgets-temps permettrait aux chercheurs et aux analystes
de repérer les changements intervenus dans la répartition du
temps au fur et à mesure de l’évolution des normes sociales et
de l’économie.
‹ ces études peuvent être d’un apport certains pour estimer
le temps affecté par chaque membre du ménage aux tâches
domestiques

Il est recommandé d’encourager la Direction de la


Statistique à
‹ Réaliser des enquêtes sur les budgets-temps et à recueillir
des informations sur la manière dont les individus répartissent
leur temps entre les diverses activités auxquelles ils se livrent
quotidiennement et qui ont un impact majeur sur leur sécurité
financière, leur santé, leur bien-être et leur bonheur en
général.
‹ Etablir une désagrégation des informations pour permettre
de saisir les différents modèles de famille, de statut et de tâches:
modèles de famille avec femmes au foyer, femmes en activité
professionnelle, avec ou sans enfants, tâches domestiques
classiques, tâches d’éducation des enfants….

228
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

5. CINQUIEME RECOMMANDATION
AMELIORER LE SYSTEME D’INFORMATION
DE LA JUSTICE

Considérant que :
‹ Un système d’information fiable et pertinent participe à un
meilleur suivi des politiques publiques.
‹ L’effort fait par le Ministère de la Justice pour se doter d’une
infrastructure informationnelle performante (programmes
d’informatisation des tribunaux…) en vue d’assurer ce suivi.
‹ A l’issue de quatre années d’application du Code de la
Famille, les données sur le divorce, le partage des biens
manquent parfois de cohérence.
‹ L’exigence d’un recensement et d’un suivi des problématiques
soulevées par l’entrée en vigueur de l’article 49 : contrats de
partage des biens.
Il est recommandé au Ministère de la Justice :
‹ D’affiner ses méthodes de collecte et de traitement des
information statistiques notamment sur les questions de
contrats et de partage des biens.
‹ Répertorier et classer les problématiques liées à ces
questions et de les soumettre à un examen régulier : surtout en
ce qui concerne le référentiel des prononcés du jugement (droit
positif, droit coutumier, kad ou s’aya, chari’a…)
‹ D’organiser des journées d’études à destination des
magistrats pour permettre de dépasser les problèmes
d’interprétation de certaines dispositions et d’y apporter des
solutions en phase avec l’esprit du code
‹ Ces problématiques ont trait aux dispositions de l’article
49, et particulièrement au traitement du travail domestique
à l’évaluation du patrimoine familial, aux preuves liées à
l’existence du patrimoine familial

229
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

6. SIXIEME RECOMMANDANTION
RENFORCER L’INTERPRETATION DE L’ARTICLE
49 DANS LE SENS DE L’EGALITE ET L’EQUITE

Considérant la nécessité de :
Renforcer les tendances des juges et des représentants du barreau
et des autres agents concernés dans le sens d’une interprétation
du nouveau code de la famille qui soit encore plus conforme aux
principes de l’égalité de genre et de la non-discrimination entre les
sexes.
La réalisation d’un tel objectif requiert ce qui suit :
• Préciser le sens de concepts clés dont on fait usage pour lire
et interpréter le nouveau code de la famille. Nous nous référons
essentiellement à des concepts tels que celui de «effort dans le
travail», de «responsabilité conjointe», de «partage des biens», etc ;
• Revoir les critères d’évaluation de la contribution féminine à
l’accumulation des biens et propriétés familiales dans le sens d’une
meilleure prise en compte de la valeur économique réelle de la
totalité de ses prestations familiales ;
• Entreprendre les enquêtes nécessaires pour s’assurer des vrais
revenus de l’époux avant que le tribunal ne prenne de décision
concernant la répartition des biens entre les époux ;
• Assurer que les ‘Adouls informent les personnes qui s’apprêtent
au mariage de l’intérêt de faire un contrat de gestion des biens qui
seront éventuellement accumulés pendant le mariage, ainsi que de
préciser les modalités de leur partage en cas de nécessité, et ce, en
dépit de l’embarras qu’une telle intervention risque de produire ;
• Renforcer les conditions d’une meilleure interprétation en vue
d’atteindre les objectifs suivants:

230
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• Renforcer la sécurité juridique et la prévisibilité


La proposition donne des règles de partage claires en matière de
partage des biens afin de permettre aux conjoints de prévoir aisément
quels critères s’appliqueront à leur procédure de partage des biens. La
règle proposée repose en premier lieu sur le choix des conjoints. Cela
renforcera considérablement la sécurité juridique et la prévisibilité
tant pour les conjoints concernés que pour les praticiens.
• Instaurer une certaine transparence
Le cadre juridique offre aux conjoints une possibilité de choisir
un mode contractuel. Permettre aux conjoints de parvenir à un
accord sur ces points pourrait être particulièrement utile en cas de
divorce. Des garanties spéciales sont instaurées afin de s’assurer que
les conjoints sont conscients des conséquences de leur choix.
• Garantir une répartition équitable des biens acquis
Améliorer l’accès à la justice dans les procédures matrimoniales.
La possibilité de définir des critères de répartition fiables facilitera
l’accès à la justice pour les conjoints. En outre, la proposition répond
spécifiquement à la nécessité d’instaurer une règle uniforme et
exhaustive en matière de règlement des contentieux afin de renforcer
la sécurité juridique et de garantir l’accès à la justice en matière
matrimoniale pour les conjoints.

231
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

7. SEPTIEME RECOMMANDATION
S’INSPIRER DES LOIS ET DES PROCEDURES DE
PAYS OU LE DISPOSITIF DE PARTAGE DES BIENS
A FAIT SES PREUVES

Considérant que :
‹ Dans une grande majorité de pays, il existe des règles
concernant les principes fondamentaux et /ou le fonctionnement
particulier des relations patrimoniales, pécuniaires et
personnelles entre époux, dont l’objectif principal est protéger
les époux tant dans leurs rapports entre eux que vis-à-vis des
tiers,
‹ Quelle que soient leurs appellations, « régime primaire » ou
autre, l’essentiel est que ces règles entendent établir les droits
et devoirs des époux (selon le principe d’égalité et de solidarité
entre eux) de façon impérative,
‹ Ces règles, qui se trouvent normalement dans ces régimes,
ont trait à l’obligation de contribuer aux charges du mariage
ou de s’engager de façon solidaire aux dettes de ménage, à la
protection du logement familial, à l’exercice d’une profession
par un époux, aux comptes bancaires et coffres détenus par
les époux, à la représentation entre les époux et à la protection
contre les actes d’un époux qui mettent en péril les intérêts
patrimoniaux de la famille,
‹ Ces règles reposent sur la notion d’«intérêt de la famille»
et essayent de rétablir un juste équilibre entre la situation des
époux pendant le mariage et celle les tiers créanciers,
‹ Le régime ordinaire de la participation aux acquêts se
rapproche le plus de l’esprit de l’article 49,
‹ Le régime de la participation aux acquêts comprend les
acquêts et les biens propres de chaque époux et épouse,

232
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

‹ Ce régime met sur un pied d’égalité l’époux et l’épouse et


s’applique à ceux et celles n’ayant pas conclu de contrat de
communauté de biens ou de séparation de biens ou qui n’ont
pas été soumis à une séparation de biens judiciaire,
‹ Durant le mariage, chaque époux et épouse a l’administration,
la jouissance et la disposition des biens détenus au moment du
mariage ainsi que de ceux qu’il ou elle a acquis depuis,
‹ Lors de la dissolution du mariage, chaque époux et épouse
acquiert un droit à la moitié des acquêts nets de son conjoint
ou sa conjointe ou une part différente de la moitié mais définit
d’un commun accord dans un contrat.

Il est recommandé de :
‹ Etudier de plus près les composantes de ce régime, son
mode de fonctionnement et les dispositions sur lesquelles il est
bâti,
‹ Définir de façon précise les notions de patrimoine, de biens
propres, d’acquêts,
‹ Examiner les modes de liquidation du régime matrimonial:
les preuves, les délais, les formes contractuelles de partage des
biens.

233
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

8. HUITIEME RECOMMANDATION
ETABLIR DES CRITERES POUR HARMONISER
LES JUGEMENTS DANS LA REPARTITION DES
BIENS

Considérant que :
‹ L’absence de règles uniformes en matière de répartition des
biens est gênante, parce qu’elle complique la liquidation du
patrimoine,
‹ Cette absence de règles uniformes peut également constituer
pour les citoyens une certaine entrave à l’exercice de leur
droit,
‹ Ces difficultés tiennent aussi, il est vrai, à la divergence des
règles actuellement en vigueur,
‹ Ces divergences sont regrettables dans un espace de sécurité
et justice.

Il est recommandé aux juges de :


• prendre en considération un certain nombre de critères
économiques et patrimoniaux. En pratique, ces critères fondent à la
fois l’appréciation de l’existence d’une disparité dans les conditions
de vie des époux et l’évaluation du montant du patrimoine acquis
durant la vie conjugale,
La liste de ces critères n’a qu’une valeur indicative et non
limitative :
‹ la durée du mariage ;
‹ l’âge et l’état de santé des époux ;
‹ leur qualification et leur situation professionnelles ;
‹ leur participation au travail domestique
‹ les conséquences des choix professionnels faits par l’un des
époux pendant la vie commune pour l’éducation des enfants et

234
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

du temps qu’il faudra encore y consacrer ou pour favoriser la


carrière de son conjoint au détriment de la sienne ;
‹ le patrimoine estimé ou prévisible des époux, tant en capital
qu’en revenu, après la liquidation du régime matrimonial ;
‹ leurs droits existants et prévisibles ;
‹ leur situation respective en matière de pensions de retraite.
Les juges tiennent compte de l’ensemble des revenus des époux
(revenus du travail, allocations, revenus du capital, …).
Du côté des charges, les juges comptabilisent les charges courantes
ainsi que les taux d’endettement.
S’agissant du patrimoine, sont pris en compte les droits présents
mais également les droits prévisibles (droits de chaque époux dans la
liquidation du régime matrimonial, droits à pension de retraite).
Les juges tiennent également compte de la polygamie si cette
situation influe sur l’existence d’une disparité des niveaux de vie.
Les juges disposent d’un pouvoir d’appréciation pour fixer le
niveau du partage.
Afin d’apprécier leurs besoins et leurs ressources, les époux doivent
fournir au juge une déclaration certifiant sur l’honneur l’exactitude
«de leurs ressources, revenus, patrimoine et conditions de vie».
La déclaration doit comporter une indication chiffrée et précise
des conditions de vie actuelles et dans un avenir prévisible.
En complément de la déclaration sur l’honneur, le juge peut
demander aux époux de produire les pièces justificatives relatives
à leur patrimoine et leurs conditions de vie. Il peut également
demander de justifier de leurs charges et ressources, notamment par
la production de déclarations de revenus, d’avis d’imposition et de
bordereaux de situation fiscale.

235
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

9. Neuvième recommandation
AMELIORER LA FORMATION DES JUGES

Considérant que :
‹ Le Ministère de la Justice déploie des efforts de formation,
de formation continue et de spécialisation au profit de tous les
cadres concernées par le fonctionnement des sections de la
justice de la famille,
‹ Ces programmes se font en coordination avec l’Institut
de la magistrature, comme dans le cadre de la coopération et
l’ouverture sur le milieu universitaire, la société civile et tous
les autres acteurs, institutions et instances intéressées par la
justice de la famille,
‹ Si l’on veut accepter que la formation des juges participe
d’une politique d’amélioration d’ensemble de la qualité de la
justice,
‹ La crédibilité de la justice, concept distinct de celui de la
légitimité passe par une véritable compétence juridique des
juges et une réelle capacité à juger,
‹ L’état est responsable naturel de cette exigence de formation
puisqu’il doit garantir au citoyen une justice de qualité,
‹ L’état ne peut se désintéresser du fonctionnement des
tribunaux de la Famille et de la qualité de la justice qu’ils
rendent.

Il est recommandé de :
‹ Renforcer la formation des juges eu égard à leurs
responsabilités dans le prononcé des jugements sur l’article
49,
‹ Consolider leur formation dans les domaines économiques
et financiers pour leur donner cette capacité juridique et cette
capacité à juger,

236
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

‹ Garantir la qualité des décisions rendues, l’égalité devant


la justice et le bon fonctionnement du service public de la
justice.

237
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

10- DIXIEME RECOMMANDATION


RENFROCER LA COORDINATION ENTRE LES
ACTEURS DE LA JUSTICE

Considérant que :
‹ Différents spécialistes en matière de partage des biens
interviennent sur cette question qui a connu une expansion,
‹ Chacun de ces groupes en présence, reprend à son compte
ou réinterprète les différents principes qui successivement ou
simultanément guident le traitement des questions relatives au
partage des biens,
‹ Sur cette question, les différents intervenants de la sphère
socio-juridique répondent aux attentes des divorcés, et suivent
le mouvement tendant à faire en sorte que la prise de décision
fasse davantage place à la volonté des parties elles-mêmes,
‹ Tout en s’adaptant à la demande de leur environnement
les professions structurent les réponses nouvelles qu’elles
proposent en fonction des logiques qui leur sont propre,
‹ La problématique du partage des biens offre aujourd’hui
l’image d’un champ où s’exercent de vives tensions.

Il est recommandé :
‹ Eu égard à l’importance du rôle que peuvent jouer certains
auxiliaires de justice, de profession libérale, intervenant à
divers titres dans l’application des dispositions du code de la
famille, organiser des séminaires à destination des notaires,
des adouls, qui expriment des interrogations et préoccupations
suscitées par l’application de l’article 49, en relation avec leurs
missions notamment sur :

238
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

• les actes constatant l’accord des époux concernant la


gestion des biens acquis durant la vie conjugale,
• l’inscriptibilité des actes relatifs à la gestion des biens
acquis durant la vie conjugale sur les livres fonciers.
‹ de favoriser les échanges et une coordination entre
professions de la justice sur les attendus et les modalités de
mise en œuvre de l’article 49.

239
Référence Référence
Nature plainte Jugement Preuve Enquête à Quad à article
Ou S’aya 49
Cas 1 Femme d’émigré réclamant part Compensation Témoignages. Non Oui Oui
dans patrimoine familial Jugements
Apport en travail
Cas 2 Maltraitance, privation ressources Récupération bien Pas de preuve Non Non Non
et demande divorce chikak par épouse
Cas 3 Demande partage beine acquis et Acquisition par Témoignage Non Oui Oui
logement familial épouse du 1/3 du Situation du
logement conjoint
Cas 4 Demande partage pour contribution Forfait estimatif Témoignage Non Oui Oui
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine.

à constitution patrimoine familial

240
Cas 5 Demande partage pour contribution Compensation Témoignage Oui Oui Oui
financière à acquisition des biens financière
Cas 6 Demande de bénéficier de la moitié Acquisition par Témoignage Non Oui Oui
du logement familial épouse du 1/3 du
logement
Cas 7 Plainte veuve contre iniquité Acquisition Travail conjoint Non Oui Oui
Tableau 15 : Synthèse des études de cas

héritage par épouse de


la moitié de la
propriété
Cas 8 Demande partage Rejet de la plainte Pas de preuve Non Oui Oui
Cas 9 Demande partage pour Rejet de la plainte Pas de preuve Oui Non Oui

Annexe : Les principaux amendements de la Moudawana


participation à formation
patrimoine
AMVEF- 2007
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

I. Consécration du principe de l’égalité entre la


femme et l’homme :
a) Egalité au niveau de la responsabilité familiale : Ainsi,
la famille sera désormais placée sous la « responsabilité
conjointe des deux époux ». (Dans le texte actuel, la famille
est placée sous l’unique « responsabilité du mari »).
b) Egalité au niveau des droits et des devoirs des deux
époux. (Abandon de la règle de l’obéissance de l’épouse à
son mari).
c) Abolition de la règle qui soumettait la femme au titre de la
« Wilaya » dans le mariage, à la tutelle d’un membre mâle
de sa famille : La « Wilaya » est désormais un droit de la
femme majeure qui est maîtresse de son choix et l’exerce
selon sa propre volonté et son libre consentement.
d) Egalité entre la femme et l’homme pour ce qui concerne
l’âge du mariage, fixé uniformément à 18 ans (au lieu de
18 ans pour l’homme et 15 ans pour la femme).
e) La répudiation et le divorce sont définis comme une
dissolution des liens du mariage qu’exercent le mari et
l’épouse, sous contrôle judiciaire, selon des conditions
légales propres à chacun d’entre eux. (Dans l’actuel texte,
la répudiation et le divorce constituent une prérogative
exercée par l’époux de manière discrétionnaire et souvent
abusive) ;
f) Institution du principe du divorce consensuel sous
contrôle du juge. (actuellement inexistant).
g) Pour préserver l’institution familiale et dans un souci
d’égalité et d’équité entre les époux, le projet introduit
le rejet de la demande de divorce formulée par l’épouse
pour défaut de prise en charge s’il est prouvé qu’elle a
suffisamment de moyens pour subvenir à ses besoins et
que l’époux est impécunieux. (Inexistant dans l’actuel
texte).

241
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

h) Possibilité pour les petits-enfants, du côté de la fille,


d’hériter de leur grand-père au même titre que les petits-
enfants du côté du fils. (Abondant d’une tradition tribale
désuète qui avantageait les héritiers mâles dans le partage
des terres reçues en héritage).
i) Garde de l’enfant : la fille, au même titre que le garçon,
a la possibilité de choisir librement, à l’âge de 15 ans,
la personne à qui sa garde serait confiée. (Abolition du
traitement inégal qui offrait cette possibilité à l’âge de 12
ans, au garçon, et de 15 ans seulement à la fille).

II. La polygamie soumise à l’autorisation du juge


et à des conditions légales draconiennes qui la
rendent presque impossible :
Le juge doit s’assurer qu’il n’existe aucune présomption
d’iniquité et être convaincu de la capacité du mari à traiter la
deuxième épouse et ses enfants sur le même pied d’égalité que la
première et à leur garantir les mêmes conditions de vie.
La Femme peut conditionner son mariage par l’engagement du
mari de ne pas prendre d’autres épouses, considérant que c’est l’un
de ses droits.
En l’absence d’une telle condition, la première femme doit être
avisée que son mari va prendre une deuxième épouse et la seconde
informée qu’il est déjà marié. En outre, l’épouse peut invoquer le
mariage du mari pour demander le divorce pour préjudice subi.
(Actuellement, le mari a pour obligation d’aviser l’épouse de sa
décision de prendre une deuxième épouse et d’informer celle-ci qu’il
est déjà marié, l’autorisation du juge n’étant pas requise).

III. Le souci d’équité et de justice :


a) Conformément à la volonté Royale de consolider les
fondements de l’Etat de droit, le Code de la Famille confère
un rôle central à la justice. A ce titre, il intègre comme
nouveauté, l’intervention d’office du ministère public dans

242
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

toute action visant l’application des dispositions du Code


de la Famille. Il doit, à cet effet, prévoir les permanences
les week-ends et les jours fériés afin qu’il puisse intervenir
d’urgence si nécessaire. La mise en place des tribunaux
de famille et la création d’un Fonds d’entraide familiale
sont autant de mesures à même de permettre une mise
en œuvre efficiente du Code de la Famille. (Dispositions
inexistantes dans le texte actuel).
b) Protection de l’épouse des abus de l’époux dans l’exercice
de son droit au divorce : La nouvelle procédure garantit
les droits de la femme en soumettant la répudiation à
l’autorisation préalable du tribunal. Elle renforce les moyens
de réconciliation par l’intermédiation de la famille et du juge
et exige l’acquittement, par le mari, de tous les droits dus à
la femme et aux enfants, avant l’enregistrement du divorce.
La répudiation verbale par le mari n’est plus valable ; le
divorce étant désormais judiciaire. (Dans l’actuel texte,
la répudiation est un droit exclusif du mari qui ne souffre
d’aucune contrainte ou condition.
c) Renforcement du droit de la femme à demander le
divorce pour préjudice subi (femme battue, délaissée,
abandonnée sans moyens de subsistance…) : Le divorce
est prononcé par le juge à la demande de l’épouse. En
outre, le manquement à l’une des conditions stipulées
dans l’acte de mariage peut également justifier la demande
de divorce par la femme (actuellement, il est très difficile
pour l’épouse de prouver le préjudice subi).
d) Répartition entre les époux des biens acquis durant la
période du mariage : Tout en consacrant le principe de
la séparation des biens, le projet introduit la possibilité,
pour les époux, de se mettre d’accord, dans un document
séparé de l’acte de mariage, pour définir un cadre pour
la gestion et la fructification des biens acquis durant le
mariage. En cas de désaccord, ils devraient recourir au

243
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

juge qui se base sur les conditions générales de preuve pour


évaluer la contribution de chacun des deux époux aux
biens acquis durant le mariage. (Cette possibilité n’existe
pas dans l’actuel texte) ;
e) Concrétisation de la Haute sollicitude Royale envers
les Marocains Résident à l’Etranger (MRE) par la
simplification de la procédure de leur mariage : L’acte
est établi en présence de deux témoins musulmans et
en conformité avec les procédures en cours dans le pays
d’accueil, puis enregistré par les services consulaires ou
judiciaires nationaux (le texte actuel soumet les MRE aux
mêmes conditions et procédures applicables à l’intérieur
du Maroc pour la validité du mariage, ce qui occasionne
d’innombrables conflits et contentieux entre les époux et
avec les autorités des pays concernés).

IV. Renforcement de la protection des droits de


l’enfant :
a) Défense des droits de l’enfant : Des dispositions intégrant
les accords internationaux relatifs aux droits de l’Enfant
auxquels le Maroc a adhéré ont été insérées. (C’est pour la
première fois que de telles dispositions sont formellement
intégrées au niveau de la législation nationale).
b) Garde de l’enfant : En considération de l’intérêt de
l’enfant, le projet introduit également comme innovation,
la possibilité pour la femme de conserver, sous certaines
conditions, la garde de son enfant même après son
remariage ou son déménagement dans une localité autre
que celle du mari. Elle peut également récupérer la garde
après disparition de la cause volontaire ou involontaire
qui été à l’origine de la perte de la garde (Au titre de l’actuel
texte, dans les conditions précitées, la femme perd de
manière irrévocable son droits à la garde).

244
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

c) Garde de l’enfant désormais confiée à la mère, puis


au père, ensuite à la grand-mère maternelle et, en cas
d’empêchement, le juge décide de confier l’enfant au plus
apte à l’assumer parmi ses proches en considération de
l’intérêt de l’enfant (dans l’actuel texte, l’intervention du
juge dans l’intérêt de l’enfant n’existe pas. Le texte se limite
à énumérer les proches de l’enfant pouvant se voir confier
la garde, sans prise en compte de leur capacité à l’assurer ni
de l’intérêt de l’enfant).
d) Protection du droit de l’enfant à la reconnaissance de
sa paternité au cas où le mariage ne serait pas formalisé
par un acte, pour des raisons de force majeure, et ce, à
travers l’élargissement du champ des preuves légales
à présenter au juge. (Actuellement, la règle est la non-
reconnaissance de l’enfant né hors-mariage ; la seule
preuve de paternité acceptée consiste en la production de
12 témoins, une procédure compliquée et archaïque).
e) Fixation d’un délai de 5 ans pour la résolution des affaires
en suspens dans ce domaine (dispositions nouvelle à même
de permettre de mettre un terme aux souffrances des enfants
dans cette situation).
f) Garde de l’enfant : Garantie d’un habitat décent à
l’enfant, en rapport avec son statut social avant le divorce.
Une obligation distincte des autres obligations de la pension
alimentaire (nafaqa). (Dans l’actuel texte, la pension
alimentaire (nafaqa) est dérisoire, forfaitaire et ne spécifie
pas la part réservée au logement de l’enfant).

245
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

V. Dispositions diverses :
a) Répondant au souci de Sa Majesté le Roi, Commandeur
des croyants, de préserver les droits des Marocains de
confession juive, le Code de la Famille réaffirme le
principe de leur soumission au Statut Personnel hébraïque
marocain. (Dispositions expressément consacrées par le
nouveau Code).
b) Le nouveau Code de la Famille utilise une formulation
moderne qui élimine les termes dégradants pour la femme
ou la chosifiant, la hissant désormais au rang de partenaire
de l’homme en droits et en obligations, conformément à
la ferme Volonté Royale de rendre justice à la femme, de
consolider la protection de l’enfant et de préserver la dignité
de l’homme.

246
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Bibliographie

247
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

248
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Al Kachbour Mohammed: Explication du Code de la famille.


Tomes 2. Editions Najah. 2006.
AMLVEV : L’Association Marocaine de Lutte contre la Violence à
l’égard des Femmes : Centre d’Ecoute et d’Orientation
Juridique et de Soutien Psychologique pour Femmes
Victimes de la Violence.
Mokhtar Elharras, Fatna Serhane :
L’application du code de la famille : acquis et défis.
Unifem. 2006
AMLVEV : L’Association Marocaine de Lutte contre la Violence à
l’égard des Femmes : Centre d’Ecoute et d’Orientation
Juridique et de Soutien Psychologique pour Femmes
Victimes de la Violence.
Mokhtar Elharras, Fatna Serhane :
La Perception du Code de la Famille et de son
Environnement Social et Professionnel.
Casablanca. 20007
El Akhrissi Souad : Du Code se Statut Personnel au Code
de la Famille : Trajectoire des amendements et
revendication du mouvement des femmes.
Dar Assalam pour l’impression et la distribution. 2005
El Malki Houcein Ben Abdesslam :
Le régime d’Al Kad ou S’aya. Première Partie
Edition Dar Assalam. Edition 1999
El Malki Houcein Ben Abdesslam :
Le régime d’Al Kad ou S’aya.
Edition Dar Assalam. Edition 2002
Fondation Friedrich Ebert Stiftung :
Féminin-Masculin : La marche vers l’égallité au
Maroc. 1993-2003
H. Alami-M’Chichi ; M.Benradi ; A.Chaker ;
M.Mouaqt. M.S.Saadi ; A.Yaakoubd. 2004

249
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Fondation Friedrich Ebert Stiftung : Le code de la famille :


Percpetions et pratique judiciaire.
M. Benradi, Houria Alami M’Chichi, A. Ounnir,
M. Mouaqit, F.Z. Boukaissi, R. Zidguy.
Janvier 2007
Fondation Konrad Adenauer Stiftung :
Droit de la famille dans l’islam.
Bases théologoqiues et juridiques dans le monde
arabe. Forum des Opinions. I 2005
Hamadi Idriss : Al Bou’d Al Makassidi et la réforme du Code de
la Famille. Editions Affrique Orient 2005
Lamboley Annie ; Laurens- Lamboley Marie Hélène :
Droit des régimes matrimoniaux.
Editions Litec. Quatrième Edition. 2006. Paris
Mounir Omar : La Moudawana : Le nouveau droit de la famille
au Maroc. Editions Marsam 2005
Moulay R’Chid Abderrazak : la Femme et la loi au Maroc.
Collection dirigée par fatima Mernissi.
Editions le fennec. 1991
Naji Mekkaoui Rajaa : Les Affaires de la famille.
Dar Assalam pour l’impression et la distribution. 2002.
REMALD : Le Nouveau Code de la Famille : No 126. Publications
de la Revue Marocaine d’Administration Locale et de
Développement. Collection « Textes et Documents ».
Première édition, 2005.
REMALD : Le Nouveau Code de la Famille : No 146. Publications
de la Revue Marocaine d’Administration Locale et de
Développement. Collection « Textes et Documents ».
Avec les textes d’application. Edition, 2006

250
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Royaume du Maroc : Ministère de la Justice : Justice de la


famille. Revue Spécialisée.
Publications de l’Association de Diffusion de
l’Information Juridique et Judiciaire. A.D.I.J.J. No 1
Juillet 2005.
Royaume du Maroc : Ministère de la Justice : Justice de la
famille. Revue Spécialisée.
Publications de l’Association de Diffusion de
l’Information Juridique et Judiciaire. A.D.I.J.J. No 2
Février 2006.
Royaume du Maroc : Ministère de la Justice :
Justice de la famille. Revue Spécialisée.
Publications de l’Association de Diffusion de
l’Information Juridique et Judiciaire. A.D.I.J.J. No 3
Décembre 2006.
Royaume du Maroc : Ministère de la Justice : Justice de la
famille. Guide Pratique du Code de la Famille
Publications de l’Association de Diffusion de
l’Information Juridique et Judiciaire. A.D.I.J.J.
Collection des guides pratiques. Numéro 6. Février
2005.
Royaume du Maroc : Ministère de la Justice : Institut Supérieur
de la Justice.
Journée d’étude à l’occasion du premier anniversaire
de la publication du Code de la Famille.
Série : Conférences, Rencontres et Journées d’études.
No 8. 2006
Publications de l’Association de Diffusion de
l’Information Juridique et Judiciaire. A.D.I.J.J.
Collection des guides pratiques. Numéro 6. Février
2005.

251
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Royaume du Maroc. Premier Ministre. Ministère de la Prévision


économique et du plan.
Les emplois du temps de la femme au Maroc.
Enquête National sur le Budget Temps des Femmes
1997/98. Volumes 1 et 2.
Direction de la Statistique. 1999

252
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

PRESENTATION
DE
L’ASSOCIATION

253
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

254
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

L’Association Marocaine de lutte contre la Violence à


l’Egard des Femmes (AMVEF)

Centre d’écoute, d’orientation juridique et de soutien


psychologique pour les femmes victimes de violence.

L’AMVEF est une association non gouvernementale, autonome à


but non lucratif.
L’AMVEF dispose d’un centre d’écoute, d’orientation juridique et
de soutien psychologique pour les Femmes Victimes de violence.

La mission :
L’association vise la lutte contre la violence à l’égard des femmes
fondée sur le genre, considérée comme une violation des droits
humains des femmes et un obstacle au développement durable et
équitable.

Les objectifs
- Renforcer les capacités des femmes pour faire face à l’acte
de violence à travers une chaîne de services (écoute, soutien
psychologique, orientation juridique, accompagnement spécifique,
assistance judiciaire, médiation familiale) dispensée par une équipe
de professionnelle.
- Agir sur les politiques publiques et les législations discriminatoires
pour la prévention de la violence fondée sur le genre et la protection
des femmes ;
- Contribuer au processus de changement des mentalités et des
pratiques discriminatoires pour lutter contre la violence à l’égard
des femmes.

255
Code de la famille : l’égalité genre et partage du patrimoine. AMVEF- 2007

Les moyens
- Mise en place de centres d’accueil pour femmes victimes de
violences ;
- Des actions de sensibilisation et de plaidoyer en direction des
concernés ;
- Observation, documentation et suivis des actes de violences à
travers les cas reçus par le centre et la recherche-action ;
- Renforcement des capacités de divers acteurs par la formation
notamment
- Monitoring des politiques publiques en matière de lutte et de
protection des femmes contre la violence ;
- Organisation des activités d’information, de communication sur la
violence à l’égard des femmes et fondée sur le genre ;
- Mise en réseau, coalition et coordination avec des acteurs partageant
la même vision.

Les membres du bureau exécutif actuel de l’association sont :

Nom / Prénom Fonction au sein de bureau


Mme Hayat Zirari Présidente
Mme Saâdia Wadah Vice présidente
Mme Yamna Ghabbar Trésorière
Mme Mama Hmimida Trésorière Adjointe
Mme Fatima Zohra Tahari Conseillère
Chaoui
Mme Najia Zirari Conseillère
Mme Rachida Tahri Conseillère

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