Les Boréades
25 ans de
L’ Avant
Scène
OPÉRA
N° 203
Points de repère
Le sujet de l’opéra est tiré de la mythologie gréco-romaine. En Bactriane, la
jeune reine Alphise doit choisir un époux. La tradition veut que ce dernier
appartienne à la lignée de Borée, dieu du vent du nord. Aux deux prétendants
qui remplissent cette condition, Alphise préfère un troisième homme, Abaris,
protégé du grand-prêtre d’Apollon, mais dont la descendance est inconnue.
Lire l’argument complet, page 10
Dans Les Boréades le compositeur parvient à tirer des larmes à l’auditeur, mais
aussi des larmes de joie devant la jouissance aiguë de la pure beauté, l’élégance
et le goût le plus raffiné. Mais cette musique ne supporte en aucun cas une
écoute passive : avec elle il faut avoir l’esprit vif et constamment vigilant, sous
peine de perdre et le fil de la pensée et maints détails délectables.
Lire le commentaire littéraire et musical de Harry Halbreich, pages 12 à 56
Regarder n’est pas voir. L’exhumation des Boréades nous en donne une
nouvelle preuve. La partition dormait dans une bibliothèque publique de-
puis des lustres. Elle était accessible à tous. Les spécialistes de Rameau, Mas-
son, Girdlestone, d’autres encore, n’ignoraient pas son existence. Mais la
vieillesse de l’auteur leur fit préjuger de la faiblesse de l’œuvre. Jusqu’à ce
que cette opinion mitigée1 soit supplantée par le jugement enthousiaste
d’autres lecteurs. Pareil revirement relance la question du goût : qu’est-ce qui
fait qu’un objet soit tout à coup reconnu comme étant digne d’intérêt alors
que, pendant longtemps, il n’en a suscité presque aucun ? L’histoire de la
« découverte » des Boréades a montré que la réponse était multiple ; que tout
Les choses ont changé, c’est vrai, la vague baroque aidant. Les erreurs
d’hier servent d’outils au jugement d’aujourd’hui. Ainsi en va-t-il de l’opi-
nion d’un Jean Chantavoine, wagnérien idolâtre, qui voit en Rameau un
« génie fixe »3, incapable de renouvellement. Une telle affirmation doit être
prise en considération précisément pour ce qu’elle a de discutable. Car elle
révèle la différence fondamentale, éclairée de façon décisive par Catherine
Kintzler4, qui existe entre deux systèmes esthétiques : le classicisme d’es-
sence cartésienne – celui de Rameau justement – fondé sur le concept
d’imitation de la nature, où l’artifice est le comble du naturel ; d’autre part,
« la » musique selon Rousseau, art du sensible, expression de l’intériorité,
considérée comme langage autonome, de portée morale. On sait qu’en fin
de compte la musique a fait de cette idée sa loi pour le meilleur et pour le
pire. Il est sûr qu’en face du post-romantisme dominant, Rameau peut à
bon droit paraître raide et sec. Le prodige est qu’il résiste admirablement à
l’hypertrophie sonore qu’a instaurée le déferlement wagnérien, tout
comme il sort indemne du traitement réducteur
que lui fait subir, à l’opposé, une interprétation
dite baroque qui s’est passablement académisée.
Notre homme est guetté par un autre piège que
lui tend notre entendement. Comment concilier
l’admiration qu’on lui doit avec le réflexe qui
nous a été inculqué de juger d’un auteur par l’ap-
préciation récapitulative de ce qu’il est supposé
avoir engendré ? Car Rameau a été longtemps vic-
time, comme tant d’autres créateurs, d’une
conception évolutionniste de l’histoire selon la-
quelle la sacro-sainte modernité naîtrait d’un per-
pétuel progrès dont chaque étape nouvelle ren-
drait caduc l’apport de la précédente. Baudelaire fut l’un des premiers à
dénoncer cette hérésie : « Dans l’ordre poétique et artistique, tout révélateur
a rarement un précurseur. Toute floraison est spontanée, individuelle. Si-
gnorelli était-il vraiment le générateur de Michel-Ange ? Est-ce que Pérugin
contenait Raphaël ? L’artiste ne relève que de lui-même. Il ne promet aux
siècles à venir que ses propres œuvres. Il ne cautionne que lui-même. Il
meurt sans enfants. Il a été son roi, son prêtre et son Dieu […]»5. Pas davan-
tage que Lully ne contient Rameau, la partition des Boréades n’« annonce »
ce que sera après elle la musique à son point d’accomplissement optimal :
dans tel récitatif Debussy, dans tel orage Berlioz, etc. Cette lecture influe
également sur celle qu’on a du livret. Par exemple, l’invocation à la liberté
des Boréades (acte II, scène 6) serait pré-révolutionnaire, dit-on. Des
plumes autorisées sont allées jusqu’à émettre l’hypothèse que cette « provo-
cation », relevée par la censure, aurait empêché la représentation de
l’œuvre. Autant qu’on sache, Cahusac, l’auteur présumé du texte, n’était
pas devin. Et puis on trouve dans d’autres partitions de Rameau – Les Indes
galantes, Castor et Pollux, etc. – des tournures qu’on peut prendre aussi pour
des flèches décochées au pouvoir ou à l’ordre établi. En réalité, la liberté de
Un compositeur surprenant
NOTES
1. Rappelons ce qu’écrit Girdlestone, par ailleurs si perspicace: «Il est peu probable que Les Boréades sorte jamais des
antres de ses deux partitions manuscrites […]. Cependant la publication d’une réduction pour piano et chant,
avec des indications de l’orchestration, apporterait de grandes joies à maint musicien, en plus de son intérêt his-
torique.» Cuthbert Girdlestone, Jean-Philippe Rameau, sa vie, son œuvre, Paris, Desclée De Brouwer, 1962, p. 329.
2. Vladimir Jankélévitch, La Musique et l’Ineffable, Paris, Armand Colin, 1961, p. 135 et suiv.
3. Jean Chantavoine, à propos de Castor et Pollux, Cent opéras célèbres, Éditions Le Bon Plaisir-Plon, 1948, p. 43.
4. En particulier avec ces deux ouvrages fondamentaux que sont Jean-Philippe Rameau : splendeur et naufrage de
l’esthétique du plaisir à l’âge classique, Paris, Minerve, 1988 et Poétique de l’opéra français de Corneille à Rousseau,
Paris, Minerve, 1991.
5. Charles Baudelaire, « Exposition universelle de 1855. Beaux-Arts », chap. I, Curiosités esthétiques. Le passage en
italique est de l’auteur.
Personnages
Jeffrey Francis (Calisis), mise en scène de Ursel et Karl-Ernst Herrmann, Festival de Salzbourg, 1999.
Salzburger Festspiele/D. Baltzer.
Acte I
Palais de la reine. Alphise, reine de Bactriane, doit choisir un époux
Scène 1
entre deux princes boréades amoureux d’elle, Calisis et Borilée. Elle
« Sur mon trône et ma main » confie à Sémire son trouble et le refus de son cœur d’obéir à la vo-
Alphise, p. 17 lonté du dieu du vent, Borée. Car l’élu de son cœur n’est pas un bo-
réade mais un étranger, Abaris, dont l’origine serait – paraît-il –
Scène 1
« Ah ! Borée est un dieux jaloux »
illustre. Alphise est fermement décidée à le prendre pour époux.
Sémire, p. 17 Sémire la met en garde contre la colère de Borée qui protège les hé-
ritiers légitimes du trône. Les deux princes, très froids et obséquieux,
Scène 4 pressent Alphise de choisir enfin l’un d’entre eux. Une aimable troupe
« C’est dans cet aimable séjour »
Calisis, p. 19
de Plaisirs et de Grâces accompagne leurs mielleuses déclarations, ce
qui conduit la reine à repousser leurs avances en attendant qu’Apol-
Scène 4 lon lui-même règle son sort. Avec une ironie subtile, la reine compare
« Un horizon serein » les plaisirs d’un jour calme sur l’océan aux délices du mariage, et les
Alphise, p. 21
dangers d’une tempête soudaine aux tourments de la passion.
Scène 1 Acte II
« Charmes trop dangereux » Le temple d’Apollon. Le tendre Abaris, éperdument amoureux de la
Abaris, p. 23
reine Alphise, ignore encore les sentiments qu’elle éprouve pour lui. Le
Scène 2 grand-prêtre d’Apollon, Adamas, nous révèle l’origine divine d’Abaris :
« J’aperçois ce mortel » il est fils d’Apollon, ce qu’Abaris ignore, et doit d’abord prouver qu’il
Adamas, p. 23 est digne représentant du sang des dieux.
Scène 2
Abaris confesse au sage Adamas qu’il aime Alphise sans espoir car il
« Seigneur… » ne connaît pas ses propres origines. Adamas lui prédit la victoire s’il
Abaris, p. 24 reste fidèle à son amour.
Alphise elle-même arrive au temple, épouvantée par un songe af-
freux dans lequel Borée a menacé de détruire son royaume. Elle
Scène 5 cherche réconfort auprès d’Abaris qui lui promet aussitôt l’aide
« Moi ! Vous haïr, ah dieux ! » d’Apollon et, très ému, lui fait comprendre son amour. Elle lui déclare
Alphise, p. 27 ses tendres sentiments, mais l’arrivée des princes Boréades met bruta-
lement fin aux aveux.
Pour cacher son émotion, Abaris réunit tous les personnages en une
Scène 6 majestueuse célébration à la gloire d’Apollon. Une Nymphe chante le
« C’est la liberté » bien suprême qu’est la liberté et les princes boréades vantent de leur
une Nymphe, p. 27
côté les froids transports amoureux. L’Enlèvement d’Orithie, qu’on
évoque alors, sonne comme une brève prémonition de la catastrophe
qui surviendra au quatrième acte. Heureusement, le dieu Amour, des-
Scène 6 cendu du ciel, déclare son soutien au tendre penchant d’Alphise et lui
« Espère tout de ce trait enchanté »
l’Amour, p. 31
confie même une flèche d’or, prodigieux symbole de la puissance de
Cupidon, favorable aux amoureux.
1. Acteul Afganistan. La Bactriane est aussi le pays d’accueil des personnages de Zoroastre de Rameau.
10
Acte IV
La tempête fait rage toujours, le peuple gémit de terreur, seul Bori- Scène 1
lée triomphe, content de sa vengeance sur Alphise. Dans ce paysage « Nuit redoutable ! Jour affreux ! »
dévasté Abaris pleure la reine disparue. Pour le salut du royaume, le le Chœur, p. 41
sage Adamas exige de lui de choisir entre la vengeance et l’abandon
Scène 3
de son amour pour Alphise. Au comble du désespoir, Abaris veut se « Nous n’implorons que vous »
transpercer avec la flèche mais Adamas lui rappelle qu’il peut faire de Adamas, p. 43
cette arme un tout autre usage. Le sursaut d’Abaris est immédiat et il
appelle à l’aide Apollon. Mais c’est la muse Polymnie qui va ré-
Scène 4
pondre, avec une sublime sérénité, en déclenchant un défilé des «Commandez aux tendres Zéphirs»
Heures, des Saisons et des Zéphirs qui volent au secours d’Abaris, Polymnie, p. 43
bien décidé à fléchir le sévère Borée.
Acte V Scène 1
Au royaume où Borée tient captifs ses vents. Le dieux leur ordonne « Obéissez, quittez vos cavernes »
de renouveler leurs ravages. Mais les vents n’obéissent plus, et restent Borée, p. 47
au repos, comme forcés par la voix du «simple mortel» Abaris. Fu-
Scène 2
rieux de son impuissance, Borée décide de se venger sur Alphise et de «Eh! Pourquoi me laisser la vie?»
la soumettre au supplice, sous le regard des deux princes. Menacée et Alphise, p. 49
enchaînée, Alphise refuse toujours de prendre l’un des princes pour
époux. Abaris arrive enfin à son secours mais, face aux violentes Scène 4
« Trop superbes rivaux »
railleries des prétendants, il recourt à sa flèche magique pour les ré- Abaris, p. 53
duire au silence. Comme hypnotisés, Borilée et Calisis succombent
au charme de son arme enchantée.
Aussitôt Apollon descend et dévoile qu’Abaris est son propre fils, né Scène 5
« Je rends pour ce héros »
d’une jeune Nymphe, descendante de Borée. Reprenant sa flèche ma- Apollon, p. 53
gique, Abaris désenvoûte les deux princes et son mariage avec Alphise
est fêté dans la joie universelle. Au royaume de Bactriane, on célèbre Scène 5
alors l’amour et le plaisir. « Que l’amour embellit la vie »
Abaris, p. 55
Michel Pazdro
11
12 Présentation
Pour son bon plaisir Portrait de Rameau par Latour. Musée de St. Quentin.
B.N. Paris.
Abordant à présent la musique des Boréades, il semble
que Rameau ait fait sienne les paroles de la Nymphe déjà
citées : le bien suprême, c’est la liberté. Ce quasi octogé-
naire (mise en répétitions en avril 1763, la partition, on quotidien (et l’âge n’avait peut-être pas arrangé les
s’accorde à le penser, doit avoir été terminée peu avant choses), Rameau déploie dans sa musique des trésors de
cette date et commencée au plus tôt en 1760-61) semble sensibilité et d’émotion, laquelle, nous le verrons, peut
ne plus vouloir connaître d’autre règle que celle de « son devenir intense et bouleversante aux sommets drama-
bon plaisir », chère à son lointain disciple artistique Claude tiques de l’action, ou d’une exquise tendresse dans la dou-
Debussy. Échaudé après la cuisante expérience de son pre- ceur de l’élégie. Et l’on se rappelle son injonction célèbre
mier chef-d'œuvre lyrique Hippolyte et Aricie, dont il à un collègue venu le distraire en lui jouant du clavecin :
avait été obligé de supprimer aux répétitions la page la « Mon ami, faites-moi pleurer ! ». Or, il parvient à tirer des
plus sensationnellement audacieuse, le célèbre deuxième larmes à l’auditeur, mais aussi des larmes de joie devant la
Trio des Parques enharmonique, il s’était gardé ensuite de jouissance aiguë de la pure beauté, laquelle se manifeste
semblables recherches. Mais dans les Boréades, sans réédi- également par la suprême élégance et le goût le plus raf-
ter cette expérience précise, il semble vraiment écrire ce finé. Écouter les Boréades, c’est se livrer aussi au génie du
qu’il lui plaît, et à cet égard, l’œuvre occupe chez lui une plus grand cuisinier, où chaque appoggiature, chaque
position semblable à celle de Falstaff chez Verdi, avec une retard, chaque ornement, chaque touche instrumentale
pareille fraîcheur, d’une invention à la fois inépuisable et sont autant d’herbes, de condiments assurant la saveur
suprêmement concentrée. Certes, Rameau a toujours eu d’un repas relevé sans excès, à l’abri de toute fadeur
le sens de l’ellipse, celui d’une pensée rapide évitant les comme de toute violence. C’est un secret que parmi les
redites. Très peu pour lui, les da capo interminables chers Allemands seul Mozart partagera, au lieu qu’avec les
à ses contemporains italiens, voire à Haendel et même à autres nous en sommes trop souvent à la choucroute.
Bach. De plus, il cultive presque systématiquement l’asy- C’est excellent, une bonne choucroute, certes, mais c’est
métrie, tant au niveau de la période que de la forme glo- autre chose...
bale d’un morceau. Sa musique ne supporte en aucun cas À bien des égards, Rameau est une sorte de Stravinsky
l’écoute passive : avec lui il faut avoir l’esprit vif et du XVIIIe siècle : j’ai déjà trompé bien des amis en leur fai-
constamment vigilant, sous peine de perdre et le fil de la sant prendre pour un Stravinsky inconnu l’extraordinaire
pensée et maints détails délectables. Comme le voudra première minute du cinquième acte des Boréades ! Il en
plus tard Chabrier, il faut que la musique soit belle tout de possède la verve rythmique et la saine frénésie saltatoire,
suite et tout le temps, ce qui exige une imagination sans la netteté acérée des profils mélodiques ne reculant pas
cesse aiguisée, sans aucun temps mort. Moyennant quoi devant les grands sauts d’intervalles, le sens de l’ellipse et
l’écoute de la sienne profitera bien davantage aux audi- du raccourci, le dépouillement d’une écriture, orchestrale
teurs eux aussi « doués », moins du côté de l’intellect (bien notamment, où tout est nécessaire et rien n’est superflu,
que cela aide aussi) que de celui des sens et du cœur l’impatience de toute redite (c’est pourtant Schoenberg,
réconciliés. Réputé (à tort semble-t-il) sec et dur dans le et non Stravinsky, qui disait : « N’écris aucune note que ton
Présentation 13
Alphise l======
& h
__˙» =l
nous permettra de le montrer. Certes, compositeur pure-
ment tonal, il ne viole jamais la règle du jeu (tout simple-
ment parce que sans règle il n’y a plus de jeu !), mais,
_H comme le voudra Fauré, « il va aussi loin que possible dans
Abaris ce qui est permis » dans cet espace de liberté défini par des
l======
& h
• »
__˙
=l contraintes librement choisies. Ajoutons que, récusant à
l’avance les dogmes absurdes de la pensée paramétrique
chère aux apôtres du sérialisme, il tire les richesses de son
Calisis & h
l======
• »
___˙
=l
langage de la libre interaction des différents éléments du
discours : les ruptures rythmiques, les brusques opposi-
Borilée
Borée
l======
? h
# __˙ » =l tions de timbres et de registres, soulignent les surprises du
dépaysement harmonique. Au début de l’Air d’Abaris
« Lieux désolés », la Klangfarbenmelodie webernienne est
proche !
Sémire
l======
? h
& (˙) h
l======
»__˙
=l
=l
Contrairement à la plupart des grandes œuvres précé-
dentes, les Boréades ne présentent aucun plan tonal d’en-
semble, et l’unité tonale n’existe même pas au niveau des
_H actes, mais seulement à celui d’unités formelles plus res-
treintes. La palette tonale s’étend des quatre bémols de Fa
L’Amour & h
l======
# __˙ » =l mineur (Air d’Alphise, « Non, non, sous le joug qui m’ac-
cable ») aux quatre dièses de Mi majeur (fin du deuxième
acte).
Apollon
Adamas
? h
l======
l======
? h
» ___˙
=l
=l
L’orchestre
L’écriture orchestrale des Boréades marque l’aboutisse-
_H ment des recherches de Rameau dans ce domaine: depuis
Nymphe l======
& h =l Hippolyte et Aricie, en une petite trentaine d’années, l’évo-
lution est impressionnante. Certes, les effectifs n’ont que
_H peu changé, à l’exception des clarinettes, instrument nou-
Polymnie l======
& h =l veau à l’époque, et que Rameau a été le premier composi-
teur français à utiliser, dans Zoroastre (1749), puis dans
Acanthe et Céphise (1751), et enfin dans nos Boréades. Mais
copiste pourrait écrire à ta place ! »), enfin la sécheresse c’est par leur mise en œuvre que Rameau innove: avec lui,
craquante et l’âcreté d’une écriture harmonique basée sur la notion ancienne d’instrumentation, comparable à la
la note étrangère. Le plus tonal des compositeurs est aussi registration des organistes, cède la place au concept
le plus hardiment dissonant de son siècle, tout en ne fai- moderne de l’orchestration: les effectifs disponibles sont
sant appel qu’avec beaucoup d’économie aux ressources considérés comme un réservoir, à la manière des couleurs
du chromatisme, dont le Romantisme usera et abusera. Le étalées sur la palette du peintre, et dont le compositeur use
recours intensif à la dissonance à base diatonique grâce librement pour appliquer des touches discontinues, phrases
aux retards, aux appoggiatures, aux multiples ornements morcelées ou non, voire simples accents. Rameau, père de
et broderies, est une constante de la musique française l’orchestre moderne, fraie ainsi la voie à Berlioz, voire
(Chabrier, Fauré, Debussy, Ravel tout particulièrement), et même aux Impressionnistes. De ce réservoir il isole de petits
de ce point de vue Stravinsky est « français » lui aussi, qui ensembles autonomes, aux sonorités inédites, par exemple
élargira le propos en superposant hardiment les fonctions un groupe de clarinettes, cors et bassons (ces derniers, en
tonales élémentaires de tonique, dominante et sous- particulier, sont souvent traités en solistes, et dans le
dominante. registre aigu encore rarement exploité à l’époque, car ils
sont libérés des servitudes d’une basse devenue... disconti-
C OMPOSITION DE L’ ORCHESTRE nue), ou encore deux violons soli se détachant des autres
cordes pour accompagner les flûtes. Parmi les instruments
Flûtes I et II (jouant aussi les petites flûtes) «spéciaux», les cors interviennent abondamment dans le
Hautbois I et II premier acte, puis on ne les rencontre plus que dans un Air
Clarinettes I et II de ballet du quatrième (r. 142) et dans la Contredanse
Cors I et II finale. Les petites flûtes (toujours par deux) relèvent de leur
Bassons I et II allégresse stridente, si typique de Rameau, deux des Airs de
ballet du quatrième acte. La présence des clarinettes pose
Violons I et II problème: elles ne sont mentionnées, en tant qu’alterna-
Hautes-contre et Tailles de Violon (Altos)
tive aux hautbois, que dans les deux premiers morceaux de
Basses (Violoncelles et Contrebasses)
l’Ouverture, mais il est impensable qu’elles n’interviennent
Basse générale (Instruments du continuo) pas plus loin en de semblables circonstances, au moins
comme ad libitum. Au chef d’orchestre d’en décider.
14 Présentation
ß l================
l
& « « » » » » »« «» «» «» «
Cors
b 2 h h l h. œœ œœ œœ œœ œœ œœ l œœ œœ œœ œ q œœ
l
Hbs
_œ __Q =l
vante Sémire, ça change tout !) et l’étrange Contre-
danse ; au deuxième acte, le si touchant premier Air
d’Abaris, l’indicible Loure, puis la deuxième Gavotte ; au
quatrième acte, le « Lieux désolés » d’Abaris, la sublime
Entrée de Polymnie, puis le Chœur accompagnant le
voyage initiatique d’Abaris ; au cinquième acte, enfin, la
Íl
?b
b
«« « « «« » » » « « » «
2 ˙ ˙ w
l================
˙ ˙ lw
œœ œœ œ œ œ
œ
ß l================
& œ q œ l q
œ
œ
l
q
+
«
œœ l ˙˙
l
œ q. œ œ e ‰ œ
œJœ ‰ œ=l
=l
Présentation 15
l
19
&b 2
+ tous
»hH ≈
««««««« » »»»»»» »
_Q œ œ Œ
ß l================
œ œ
œœœ l œœœœœ
l
œ œ b ˙_˙˙
=l
l
lant l’Ouverture, mais, les chasseurs étant les princes
boréades, soulignant aussi les pressions auxquelles
Alphise est soumise. Elle y répond avec beaucoup de cou-
rage, passant brusquement en Fa mineur. Et cette scène,
Íl
?b 2 ˙ ˙˙
_˙
l
l ˙˙
l================
˙
˙« « «
fort
=
l
l
commencée en Fa majeur, se termine au relatif mineur.
206
b
Alphise
bbb 2 H
l================
& ll
c
Q n +X X X Q
≈
+
»»
œœ xx
=l
Exemple 2 l Non, non, sous le joug qui m’ac-
l bb 2 H _Q . E Q _Q
Un motif d’anapestes alternant entre les cors et les bois b b c
l================
? ll =l
(mes. 25 sqq.) complète la matière succincte de ce mor- 6 n 6 9 6 4 n
4 5 7
ceau, qui fait dialoguer les instruments avec alacrité. Le
« milieu », basé entièrement sur la double idée initiale,
passe dans les tons mineurs, Ré, Sol et enfin La.
l
&
b e
m
l================ ex l
»»
b b b q ≈ X X Q E E œ . n œ ‰ n E Q E X bX
=l
Un très simple Menuet en deux fois huit mesures - ca - ble, Je ne puis que languir, me taire, et soupi-
reprises offre le double contraste de sa détente ryth- l bb H
mique et d’une instrumentation réduite aux cors, aux ?bb
l================ q nq l h q Q =l
clarinettes doublant les violons et aux bassons, à l’exclu- 5 4 n 4+ 6 6
sion de la basse continue. Sémire + +
L’Allegro à 6/8 (mes. 85-161) est le plus élaboré et le bb Q E n E X X E. X Q
plus intéressant des trois morceaux, dans le caractère &bb e
l================ ll 3 nq =l
d’une scène de chasse. Le principe dialogué affecte les l - rer. Ah ! Bo-rée est un dieu ja - loux, fier,
timbres, les registres et les motifs rythmiques, le mor- l b Q h
ceau est bâti à la manière d’une mosaïque. Quatre sec- ? b b b wn
l================ ll 3 =l
tions, dont la deuxième passe au relatif Ré mineur, tan- 6
16 Acte I, scène 1
La scène se passe dans la Bactriane. Le théâtre représente The action takes place in Bactriana. The stage represents
une forêt d’où sortent les acteurs qui suivent la reine qui a forest from which the actors emerge and follow the
s’arrête près de son palais. queen, stopping near her palace.
SCÈNE 2 SCENE 2
Borilée et les précédents. Borileus and the preceding characters.
10 BORILÉE BORILEUS
La chasse à mes regards n’offre plus rien d’aimable ; In my eyes the hunt holds no further attraction ;
En vain un heureux sort a conduit tous mes coups. in vain has a fortunate destiny guided all my shots.
Reine, les plaisirs les plus doux Queen, the sweetest pleasures
N’ont un charme durable have no lasting charm
Que lorsqu’ils volent près de vous. unless they come near to you.
Acte I, scènes 1 et 2 17
11 Scène 3 (mes. 242-288). De Fa majeur, nous passons en La ne se plie qu’en apparence à la forme binaire à reprises
mineur pour l’entrée du deuxième prince, Calisis, qui dans (12 et 22 mesures). À la reprise du début à la levée de 335,
un Air passant de Ré mineur en Ut majeur avant de rega- seul le commencement est pareil. Les phrases sont tout à
gner La mineur se veut plus doux et plus amoureux et ne fait irrégulières (5 + 7 mesures dans la première partie,
doute pas d’être le préféré. Mais avec beaucoup de dignité 9 + 5 + 8 dans la deuxième), de plus on observe des rup-
Alphise renvoie les deux princes dos à dos (r. 12), ce à quoi tures rythmiques par rapport à la barre de mesure. Enfin,
un deuxième Air tendre de Calisis (r. 13) ne pourra rien les flûtes se détachent parfois des violons dans cette
changer. Commence à présent le Divertissement (scène 4) pièce d’une liberté agogique toute stravinskyenne.
qui va occuper toute la suite de l’acte, fête de cour non 16 Récit de Sémire (mes. 344-366), en secco. Nouveau
dépourvue d’un fond de sourde menace. Calisis, puis triomphe de la surprise et de l’asymétrie dans ce récit qui
Sémire se font mielleux pour essayer de convaincre semble pourtant reprendre la musique précédente, car les
Alphise, créant un vrai malaise. Jusqu’à la réplique 23, nous cinq premières mesures coïncident. Mais le «milieu» s’en
allons demeurer en La majeur (passagèrement mineur). va vers Mi mineur pour cadencer à la dominante de La et
14 Air de Calisis (à 3/4, mes. 289-309). Dans ce quasi- la période conclusive est écourtée par «télescopage».
menuet, il est entouré seulement par un trio d’anches 17 Deux Gavottes (mes. 367-375 et 376-387). Suite du ballet
(deux hautbois et un basson), ce dernier soutenant tan- avec ces deux danses (la première est intitulée gracieuse)
tôt les hautbois, tantôt la voix, assurant alors la fonction pour flûtes, violons et basse, curieuses toutes deux car
de basse continue devenue intermittente. totalement pointées de rythmes. La seconde, en La mineur,
15 Air gracieux (à 3/4, mes. 310-343), pour flûtes et violons, est la plus charmante des deux, mais ses sœurs (répliques 23
bassons et cordes. Ce premier Ballet, d’une grâce étrange, et 73) la surpasseront de beaucoup. Les flûtes alternent avec
18 Acte I, scène 3
13 CALISIS CALISIS
Un regard de ce qu’on aime A glance from the one we love
En dit plus que tous les dieux. says more than all the gods.
Vous êtes l’oracle suprême You are the sovereign oracle
Pour mon cœur amoureux. for my loving heart.
Et souffrez dans cet instant même So, at this moment, allow
Que tout vous parle de mes feux. everything to speak to you of my ardour.
(La décoration s’embellit.) (The décor becomes richer.)
SCÈNE 4 SCENE 4
Troupe travestie en Plaisirs et Grâces. Troupe disguised as Pleasures and Graces.
14 CALISIS CALISIS
Cette troupe aimable et légère This charming, light-footed troop
Vient vous retracer mes désirs. come to depict my desires.
Montrez aux grâces l’art de plaire, Teach the graces how to please
Et prêtez vos traits aux plaisirs. and lend your features to the graces.
16 SÉMIRE SEMIRA
(Air) (Air)
Si l’hymen a des chaînes If Hymen has chains
Ce n’est que pour fixer nos vœux. it is but to anchor our wishes.
Les grâces et les jeux Graces and games
Loin de lui bannissent les peines. banish sorrow far away.
Si l’hymen a des chaînes, If Hymen has chains,
Les plaisirs en forment les nœuds. pleasures are the links.
17 GAVOTTES GAVOTTES
18 CALISIS CALISIS
C’est dans cet aimable séjour It is in this charming place
Que le plaisir tient son empire. that pleasure holds sway.
Des fleurs nouvelles chaque jour Every day fresh flowers
S’offrent aux désirs de Zéphir, offer themselves to the wishes of Zephyrus,
Et l’hymen qui soupire and sighing Hymen
Se pare des traits de l’Amour. adorns herself with the aspects of love.
Acte I, scènes 3 et 4 19
& 2
2 e Gavotte
Ó
l================lÓ
Hbs +
# Q # Q _w
l l
»»»»
_H _œ _œ # œ #œ
=l
La première partie (mes. 540-591) est en deux sections. La
première reprend la musique calme du début, mais en
l Bassons + expansion considérable (18 mesures au lieu de 5) et se
l B 2 qQ Qq wH .
ll================
l l
«» «» «» «»
+ h œ œ œ w.
Q H œ œ œœ œ H
l
+
Q
= l
dirigeant vers la dominante Sol mineur. La seconde (34
mesures agitées au lieu de 9), établit le relatif Mi bémol
+ majeur («tout à coup le vent gronde»). Puis «il amène
l 2 Ó
l================
? l
Ó
Basses +
Q Q h œ œ Q h.
à demi
l
»» l Q =l
l’orage » en deux vagues séquentielles (Fa mineur, Mi
bémol). Notez les changements de tempo incessants,
rapides et précis, uniques pour l’époque, et même un
_w
l===========
& l
»»
_Q # œ _œ _E m
_Q E
‰
=l
accelerando, bien avant le passage célèbre de la Sym-
phonie no 60 «Le Distrait» de Haydn. Il coïncide avec le
début d’une extraordinaire vocalise de dix mesures sur «il
lB
l
H œ
«» «» «» «» «» «» «» «» « «
h œœ œ œœ
œ œœ œ œ œ œœ œœ œQ œ # Q q soulève», commençant par d’incroyables notes répétées.
ll===========
l
? h œ
l
»»»» »»»»
œœœ œœœœ Q Q
l=========== l
+
=l
=l
573
b b b 3 sans vitesse
e le
l================
& œ œ œ » » » » » » »» » » » » » » » »
œ
Alphise ou Sémire
œ œ l œœbQ
et sou - lè -
œ
plus vite
œœœœœœœ
=l
- - - - - - - - -
Exemple 4
b œ
l================
& l
»»»»»» »» » » »»»»»» »»
œ œ œ bœ œ œ œ œ œ œ œ œ # œ # Q mœ_œ œ
bb œ œ œnœ n Q m
œ l l =
La seconde, sur le même thème, passe au relatif Ut
majeur et fait rentrer les violons. La première est ensuite
reprise da capo, mais surprise, on ne revient pas à la pre-
mière Gavotte. Une cadence improvisée du clavecin (nul-
b
-
»»»» » » » » » » » »»» »»
-
b b n œ œ œ œ œ œ œ œ œ _œ _H
l================
& l l
.
-
l
-
_Q _œ œ œ œ œ œ
œœ
=l
- - - - - - - - - -
‰ E Q
-
-
H.
l q e e l q Q l =l
-
-
-
-
-
- - - - - - - -
20 Acte I, scène 4
23 GAVOTTES GAVOTTES
Ariette Œ Fls 1
526
b b b 3 Vns
Modéré
Q œ œ nœ œ q
+ »»»»
ß ll==================================
& ll
Q Q
ll
Œ _q _q
Fls 2
» »» »» «
H. _ _ _hœ .. œ E__qQ __q __œ__h . _œ __œ n _œ n _œ n __˙˙ ..
ll
_
Œ l
l ll
Œ Q Q =l
»»
l
doux
l fort Cors
l
Íl b
&bb 3
Bns
‰ œ œ œ œ
l
««««« «««««« ««««« « « « «
l + l
l
+ l
l
« l
œ œ œ œ œ œ l
l n __œ __. œ q ll œ œ œ œ œ =
# _H . œ Bs.
œ l ««««««
bb b
H.
« «««««««« » »»»»»»»» « «««««««« « ««««««««
Fls
lß ==================================
& l
Vns Alt.
__œœ __œœ ___œœ n __œœ ___œœ ___œœ ___œœ ___œœ ___œœ n __œœ __œœ ___œœ __œœ ___œœ ___œœ ___œœ ___œœ ___œœ n __œœ
l Œ Q Q
Fls Vns
__œœ ___œœ __œœ ___œœ ___œœ ___œœ ___œœ ___œœ n __œœ __œœ __œ _œ n _œ œ
l H.
Œ Q Qœœœ
=l
l
l
Íl b h
& b b H.
« « » » » » » »» »
l==================================
œ .
l
l h.
_œ l __
l œ n œ nœ œ
œœ œ E
««
‰ Œ
l
l
l
l ≈ ®
n
Bs.
œ n œ _œ _œ __œ __e Q.
‰ Œ _E __q __q .
l
Alt.
l
l Œ Œ
tous
q
_œ
=l
l
l
__ __œ l
Fls Vns
n œ _œ b œ
ß ll==================================
&
» » » »»»« «« « « « « «
«»
« » « « « «» « « « « « « » »« « « « « « » » » » » » » » « « » » » » » » »
œ
œ lQ
l
œ
+
bb b œœ . œ œ œ œ œ n _œœ _ _Q. _ b _œ œ œ œ œ œ . œ œ . œœ n œœ œœ .. œ h
Q Q l _œœ _œ œ œ œ
l
œ n œ n œ e
R
tous
® œ
œ œ
œ l
l
n œ _œJ
œœ Jœœ ® n œœ œœ œœ Jœœ ≈ n _œ _ _ ‰
=l
l
l
Í l b __œœ
&bb
Bns Bs.
__œœ œ
l==================================
œ œ œ
« ««
œœœ. œœ
l
l
lh
œ
l
l
Vns Alt.
œ l __œ __œ _œ _œ œ œ n œ n œ e
‰
l
l
l
Exemple 5
∑
l
l
=l
Acte I, scène 4 21
l
&
b 3 q
lß l================
H œ« « «» «»
. œ œ. œ l h
l +
œ . _œ l _H
l
‰ Ee l
=l
l
l
deuxième Contredanse, en Ut majeur, qui ajoute aux Í l b 3 H.Bs. l H. l
cordes de la précédente hautbois, cors et bassons, ?b
l================ l =l
déchaîne soudain un tutti éclatant. C’est le premier cou- doux 6 6
plet de la première, mais en majeur, avec quatre mesures
de codetta aux truculentes interjections de cors à décou- +
b b H E E
vert. Il y a également deux couplets, le premier sur le l===========
& l h x≈=
thème du deuxième couplet de la première Contre- l • - reu - - se ten - dres - se ;
danse, mais en majeur, le second sur de très brèves inter- l
jections d’anapestes descendants en répliques très
rapides, modèle d’orchestration virtuose. On reprend le
refrain de la première Contredanse, puis celui de la
l&
b b Qh .
ß ll=========== E
‰
» »
œ . e œ l # hH
l
+
‰
=
deuxième afin de conclure l’acte en majeur. Mais la par- Íl b H. l ‰
tition comporte encore deux autres couplets pour la ?b
l=========== l H =
deuxième Contredanse, « qui ne furent pas joués durant 7 6 7
#
les répétitions ». Ce sont en effet des variantes (il faut
choisir !), la deuxième présentant de brillantes parties de Exemple 8
cors à découvert. Rameau en grande verve semble ne pas
pouvoir s’arrêter ! Il indique ensuite l’Ouverture pour Le volet A est séparé par trois mesures de codetta
entracte, ce que l’on ne fera pas nécessairement de nos orchestrale d’un milieu (B), de style récitatif, aux nom-
jours, mais ce qui indique que les actes s’enchaînaient. breux changements de mesure, modulant librement à
Nous verrons que c’est une nécessité absolue pour les partir du relatif Si bémol pour retrouver le ton principal
troisième et quatrième... pour une reprise abrégée de A cadençant à la tonique.
27 Scène 2. Adamas et Abaris (mes. 46-151), en trois par-
ties. La première est capitale quant à la compréhension
de l’action. En un noble récitatif en Si bémol majeur, le
Grand Prêtre d’Apollon, Adamas, nous révèle l’origine
d’Abaris et la raison pour laquelle celui-ci ne peut pas
encore la connaître. Vient alors un fort bel Air d’Adamas
(« Lorsque la lumière féconde », 3/4, Sol mineur), à nou-
veau de libre forme ternaire (encadrée par quelques
mesures d’orchestre au début et à la fin), sur un motif
22 Acte I, scène 4
Un horizon serein, le doux calme des airs A calm horizon, the sweet stillness of the breezes
Invitent à voguer sur l’onde. invite us to venture over the waves.
Tout à coup, le vent gronde. Suddenly the wind growls,
Il amène l’orage et soulève les mers. it brings on the storm and rouses the seas.
ACTE II ACT II
Le théâtre présente le vestibule du temple d’Apollon au The stage represents the anti-chamber of the Temple of Apollo,
fond duquel paraît l’autel du temple. at the back of which can be seen the altar of the temple.
SCÈNE 1 SCENE 1
Abaris. Abaris.
26 ABARIS ABARIS
Charmes trop dangereux, malheureuse tendresse, O charms too hazardous, O unfortunate tenderness,
Faut-il vous combattre sans cesse, must I strive against you unceasingly
Et vous voir triompher toujours ? and always behold you triumphant ?
À ce temple, Adamas consacra ma jeunesse, Adamas consecrated my youth to this temple,
Et du Dieu que j’y sers j’implore le secours. thus I implore the aid of the god whom I serve here.
Il voit sans pitié ma faiblesse, He looks without pity on my weakness,
Au pied de ses autels, le trouble qui me presse at the foot of his altar, the torment which oppresses me
Semble s’accroître tous les jours. seems every day to increase.
Charmes trop dangereux, malheureuse tendresse, O charms too hazardous, O unfortunate tenderness,
Faut-il vous combattre sans cesse, must I strive against you unceasingly
Et vous voir triompher toujours ? and always behold you triumphant ?
SCÈNE 2 SCENE 2
Adamas, Grand-prêtre d’Apollon, Abaris au pied de l’autel. Adamas, High Priest of Apollo, Abaris at the foot of the altar.
27 ADAMAS ADAMAS
J’aperçois ce mortel dont j’élevai l’enfance : I espy the being whom I nurtured in his infancy :
Apollon m’a remis ce dépôt précieux. Apollo confided this precious charge to my care.
Mais il doit à jamais ignorer sa naissance, Yet he must forever remain in ignorance of his birth,
S’il n’est par ses vertus digne du sang des dieux. unless his virtues render him worthy of the race of the gods.
Lorsque la lumière féconde When the life-giving light
Se répand sur la terre et brille dans les cieux, spreads over the earth and shines in the heavens,
Apollon fait régner le bonheur en ces lieux. Apollo causes happiness to reign in this place.
« en escalier » de groupes de deux doubles croches liées une poignante septième diminuée souligne « changer
alternant entre violons, flûtes et bassons, véritables ces beaux vallons », à 202 la musique cadence en Ut
volètements d’ailes dont la beauté des retards disso- mineur à « d’horribles déserts ». La tension atteint à son
nants semble figurer les frémissements de la lumière. paroxysme à « tremble, malheur à qui m’outrage » :
Enfin, c’est un long récitatif dialogué entre Adamas et
209 Alphise
son protégé, modèle de conversation en musique au E H
parcours richement modulant (de Mi bémol à Do b b 2 H E ‰ ‰
majeur), d’une merveilleuse souplesse rythmique.
l================
& l =
33
37
Au milieu on trouve un majestueux récitatif accompa-
gné d’Adamas, sur de riches harmonies des violons, au
cours duquel il encourage Abaris (« Ce n’est qu’en volant
à la gloire »).
Scène 3 (mes. 152-166). En un bref récit en Fa majeur,
l
l
l b
l
&
b 2
Trem - ble,
Ó
ß l================ Œ ≈ »»» » »»»
®
mal - heur
œ n œ #œ œ _œ _
doux
q Œ
lŒ ‰
l
œœœ
® =
38
aux mesures changeantes, Adamas s’adresse à présent
aux autres prêtres et leur annonce qu’Abaris jouit de sa
protection, passage majestueux et noble, d’une pompe
quasi haendelienne.
Scène 4 (mes. 167-187). Apparaît Alphise, précédée à l’or-
Íl b 2
?b
l================
b
l=============
&
»»» »
∑
b E. X œ œ œ œ q e ‰
l
+
l
=
« «««
l Œ ≈ ® œ œ œ œ=
œ
chestre par les rapides fusées symbolisant dans toute l à qui m’ou - tra - ge,
l’œuvre la fureur de Borée, et alternant avec les noires
répétées reprises de l’Ouverture (cf. Ex.1). Ainsi nous
connaissons déjà la raison de son trouble avant même
qu’Adamas ne l’interroge, rassurant, après qu’une expres-
l
l b Œ
l
b Q.
ß ll=============
&
‰ ««« »
® _œ _œ +
E œ # ˙˙
l
l
=
sive septième diminuée a souligné les paroles d’Alphise Íl l
«reine tremblante». Puis les deux hommes, renvoyant la b Q.
foule des prêtres, lui demandent de raconter sa vision.
?b
l============= e l H =
6 7
Scène 5 (mes. 188-309). Cette scène très développée se #
divise en deux parties très inégales.
41 A. C’est d’abord le récit agité d’Alphise, qui a rêvé que Exemple 9
Borée a menacé de détruire son palais et son royaume.
Reprenant d’abord la musique de la scène précédente, le puis, dans une conclusion sur de grands accords tenus en
récit se déroule entièrement sur les fusées de Borée, aux blanches, la musique se fige, glaciale, en un verdict
rythmes saccadés, déchiquetés (les noires ont disparu). implacable et cadence en Sol mineur.
Les altos divisés assombrissent la couleur, à la mesure 199
SCÈNE 3 SCENE 3
Prêtres et les précédents. Priests and the preceding characters.
37 ADAMAS (à Abaris) ADAMAS (to Abaris)
Avec éclat paraissez à ses yeux. Show yourself brilliant in her eyes.
(aux prêtres) (to the priests)
Vous qui vivez ici sous mon obéissance, You who live here under my orders,
En attendant un nouveau roi, waiting for a new ruler,
Abaris va jouir de toute ma puissance : Abaris is to dispose of my full power :
Obéissez-lui comme à moi. obey him as you would me.
SCÈNE 4 SCENE 4
Alphise et les précédents. Alphisa and the preceding characters.
38 ALPHISE ALPHISA
Ministres saints, le trouble, l’épouvante, Sacred ministers, distress and horror
Conduisent mes pas dans ces lieux. guide my steps to this place.
Quel songe ! Quel présage affreux ! What a dream ! What a fearful premonition !
Ah ! Pour votre reine tremblante, Ah ! For your trembling queen
Hâtez-vous d’implorer l’assistance des dieux. hasten to implore the aid of the gods.
39 ADAMAS ADAMAS
Vous voyez d’Apollon le ministre suprême. You see here the supreme minister of Apollo.
40 ABARIS (aux prêtres) ABARIS (to the priests)
Éloignez-vous. Withdraw !
(à la reine) (to the queen)
Parlez, d’où naît ce trouble extrême ? Speak. Whence comes this great distress ?
SCÈNE 5 SCENE 5
Alphise, Abaris. Alphise, Abaris.
41 ALPHISE ALPHISA
Borée, à la clarté dont brillaient mille éclairs, Boreus, enveloped in the light of a thousand lightning
flashes,
S’est offert à mes yeux sur un sombre nuage. appeared before my eyes on a dark cloud.
Alphise, m’a-t-il dit, vois les vents et l’orage Alphisa, he said, behold the winds and the storm
Changer ces beaux vallons en d’horribles déserts. transform these beautiful valleys into ghastly deserts.
Ces antiques palais, ton superbe héritage, These ancient palaces, your splendid heritage,
Ont bravé la fureur des temps et des hivers. have withstood the fury of winters and vile weather.
Ils vont céder aux efforts de ma rage. They will yield to the force of my anger.
Tremble. Malheur à qui m’outrage ! Tremble. Woe betide the one who offends me.
Je te suivrai jusqu’aux enfers. I will pursue you right down to Hell.
42 B. Suit un grand dialogue entre Alphise et Abaris « où se Mi mineur sur le même matériau, avant de conclure par
succèdent, émus mais feutrés, rétractiles, les aveux des un da capo un peu varié couronné par une ample
deux amoureux » (Jean Malignon), aveux interrompus, cadence en Sol majeur (« La terre a reconnu des dieux »).
et dont la résolution n’interviendra qu’à la scène 2 de Ici commence l’ample Divertissement qui comportera en
l’acte suivant. Ce dialogue se déroule surtout en Sol son milieu la prémonition, si brève qu’on s’en aperçoit à
mineur, parfois en Si bémol ou en Ut mineur, et s’en- peine, de l’enlèvement et du supplice d’Alphise.
chaîne à l’Air précédent d’Alphise par un véritable 58 Air gracieux et un peu gai de Borilée («Nos peuples»).
fondu-enchaîné : Abaris ne se contient plus, il intervient C’est une jolie pièce en Sol majeur dans le genre d’un
avant la fin des accords d’orchestre (« Quelle terrible Menuet, accompagnée par les cordes, mais volontaire-
image »). Deux « Airs tendres » d’Abaris (nous dirions ment inexpressive et impersonnelle, car Borilée, glacial,
Ariosi) viennent interrompre le dialogue, le premier en n’éprouve absolument rien.
Sol mineur, ponctué par les violons (« J’ai tremblé pour 59 Gavottes. Toutes deux sont sautillantes et graciles, avec
vos jours », r. 46), le second en Si bémol (« Que mon sort leurs rythmes hyper-pointés. La première, en Mi mineur
est digne d’envie ! », r. 54). Mais Alphise prévient : « On renonce aux basses et sa première phrase, reprise da
approche ! » (r. 55), ce qui met brutalement fin aux aveux capo après un minuscule « milieu » au relatif Sol majeur,
(« Ah, cachez aux regards de ma cour »). se termine symétriquement par son motif initial : nous
56 Scène 6 (mes. 310-409). En fait, cette scène couvre toute en découvrons la raison à l’Air suivant. La seconde
la fin de l’acte, mais le grand Divertissement ne com- Gavotte, avec basses cette fois-ci, introduit pour la pre-
mence qu’avec l’Air de Borilée (r. 58). En présence des mière fois dans l’œuvre la tonalité de Mi majeur. On ne
princes boréades et de la foule, Abaris change instanta- reprend pas la première, et on passe immédiatement à
nément de ton pour donner le change : on passe brus- l’Air de la Nymphe, qui en reprend la musique, mais en
quement en Sol majeur, la musique revêt un éclat en « dépointant » les rythmes.
héroïque, avec sa thématique en arpèges majeurs ascen- 60 Air de la Nymphe avec petit chœur (mes. 454-470). «Le
dants de noires monnayées en croches si typique de bien suprême, c’est la liberté!», proclame cette Nymphe,
Rameau, alternant avec les séquences descendantes « en et le mot, vigoureusement scandé, est repris à la fin de la
escalier » de groupes de deux croches. phrase puis encore deux fois par le petit chœur (deux des-
57 Le Chœur intervient, avec Alphise, Abaris et les princes, sus), lequel est répété encore après le «milieu» en récita-
reprenant la musique précédente, puis passant au relatif tif au relatif Sol majeur («Plaignons la peine extrême.»).
SCÈNE 6 SCENE 6
Alphise, Abaris, Calisis, Borilée, suite d’Alphise, prêtres. Alphisa, Abaris, Calisis, Borileus, Alphisa’s suite, Priests.
56 ABARIS ABARIS
Chantez le dieu qui nous éclaire, Sing of the god who guides us,
Sa flamme est la gloire des cieux. his fire is the glory of the Heavens.
Aux traits brillants de sa lumière, By the bright shafts of his light
La terre a reconnu des dieux. the earth has recognised the gods.
57 ALPHISE, ABARIS, CALISIS, BORILÉE, LE CHŒUR ALPHISA, ABARIS, CALISIS, BORILEUS, CHORUS
Chantons le dieu qui nous éclaire, Let us sing of the god who guides us,
Sa flamme est la gloire des cieux. his fire is the glory of the Heavens.
Aux traits brillants de sa lumière, By the bright shafts of his light
La terre a reconnu des dieux. the earth has recognised the gods.
58 BORILÉE BORILEUS
(Air) (Air)
Nos peuples, dieu du jour, t’offrent de nouveaux jeux. God of Light, our people offer you fresh games.
Leurs chants, leurs pas légers vont retracer les feux Their songs, their light steps will depict the passion
Du dieu Borée et d’Orithie. of the god Boreus and Orithia.
Daigne remplir notre plus chère envie : Deign to fulfil our dearest wish ;
Que la voix des plaisirs te ramène en ces lieux. May the voice of the pleasures bring you back to this place.
59 GAVOTTES GAVOTTES
62 LA NYMPHE NYMPH
(Ariette) (Arietta)
Comme un Zéphir qui vole et jamais ne s’engage, Like a zephyr which flies and never settles,
L’amour moins tendre que volage, love, more flighty than tender,
Ne veut que séduire nos cœurs. wants only to seduce our hearts.
Évitons ses pièges trompeurs. Let us avoid its deceitful traps.
Son règne le plus doux n’est qu’un triste esclavage ; Its sweetest reign is nothing but wretched slavery.
Les épines sont sous les fleurs. Thorns lurk beneath the flowers.
Comme un Zéphir qui vole et jamais ne s’engage, Like a zephyr which flies and never settles,
L’amour, moins tendre que volage, love, more flighty than tender,
Ne veut que séduire nos cœurs. wants only to seduce our hearts.
63 AIR ANDANTE ET GRACIEUX POUR ORITHIE ET SES COM- GRACIOUS ANDANTE AIR FOR ORITHIA AND HER COMPA-
PAGNES NIONS
71 LOURE LOURE
72 GAVOTTE VIVE POUR LES SUIVANTS DE BORÉE LIVELY GAVOTTE FOR THE FOLLOWERS OF BORILEUS
74 CHŒUR CHORUS
Ciel ! Quels accords harmonieux ! Heavens ! What harmonious sounds !
Ce séjour s’embellit, un nouveau jour l’éclaire. this place grows more beautiful, a new light illuminates it.
capo. Le milieu frappe par l’aigreur des hautbois à 70 Borilée reprend, et ses paroles (« Les soins pressants...»)
découvert, avec une résolution très âpre de dominante ne laissent aucun doute quant au fait qu’il considère
sur tonique, soulignée par la rupture rythmique. On Alphise comme un simple objet lui revenant de droit.
reprend après un silence. 71 Loure (mes. 723-763). « Ambigu, troublant » (Jean Mali-
69 Borilée, puis le Chœur (mes. 698-722). En Sol majeur, gnon), « chef-d'œuvre accidenté et anticonformiste »
Borilée chante un petit Air séquentiel contrepointé par (Sylvie Bouissou), ce morceau extraordinaire, en Mi
les triolets de croches des violons. Ce que Rameau peut mineur, plein de ruptures et de surprises inouïes de
être sec lorsque c’est nécessaire pour exprimer la séche- rythmes, de timbres, d’harmonie, se déroulant sur des
resse de cœur de son personnage ! Le chœur adopte la rythmes double croche-noire-noire pointée (en élargis-
même musique avec imitations des basses, mais sans les sement, donc) entrelardés de très vives fusées, est l’un
triolets brièvement rappelés tout à la fin. des sommets absolus des Boréades et même de tout
Rameau :
723
#
& 3
Kœ
» » » » » » » » « » «» « « «
Loure
Hbs Vns
œ # œœ # œœ .. +œ œ œ n œ . +œ ‰ œ
ß l================
l
œ œ . œ jœœ œ œ.œ. ≈ kœœ œœ e œ ..
l l l œ=
l
Íl # »»
Alt. l
+
««l
œKœBnsœ l q . œ œ q l h
? 3 œ l H
l================
Bs.
+
Q l Q _E ‰ l
« »»
l
œœ l _˙
l
˙ # œœ l ˙
˙
l =
Exemple 11
757
l
Íl #
? 3 h
+
» « «» » » » « « «
l================
œ «
# 3 Hq. œ œ # œ q . +
e
l doux fort l _˙
l
q l q. e+ #e
≈
» » »«
# X l _˙
Exemple 12
l
+
œœœ . œ # œ
œ
Q œ . œ œ œ l ˙˙ # e ≈ œœ l œ . ≈ Kœ =
ß l================
& ‰
œœ l
+
q l
=
l
l
ci-contre :
« Dieu charmant, sois-nous favorable ! »
Russell Braun (Borilée), Barbara Bonney
(Alphise) et Jeffrey Francis (Calisis),
mise en scène de Ursel et Karl-Ernst
Herrmann, Festival de Salzbourg, 1999.
Salzburger Festspiele/David Baltzer.
ß l=============
œœœœ
œn œ œ œ . œ œ œ œ œ E ‰
l
l
=
« catastrophe » de la fin du troisième acte se situera à la
sectio aurea major ! Dans la lumière à la fois éclatante et
douce de Mi majeur (tonalité rencontrée une première
fois dans la Gavotte à la mesure 445), les tierces enchan-
Íl b
? b 2
l=============
fort
® »»»»« « ««
œœœœœ l
nœ œ œ . œ œ œ œ œ l E ‰ =
4+
SCÈNE 1 SCENE 1
Alphise portant sa flèche. Alphisa carrying her arrow.
80 ALPHISE ALPHISA
Songe affreux, image cruelle Fearful dream, harsh image
Qui renaissez de mon effroi, which returns with my dread,
Fuyez : l’objet que j’aime est tout ce que je vois. be gone : I see nothing but the one I love.
Plongez-vous pour jamais dans la nuit éternelle. Go forever, far off into eternal night.
Vole, triomphe, doux espoir, Soar and triumph, sweet hope,
Prête de nouveaux feux à l’ardeur qui m’enflamme. lend fresh heat to the ardour which enflames me.
Tes charmes de l’amour assurent le pouvoir. Your charms ensure the power of love.
Viens offrir, viens peindre à mon âme Come and show me, draw for my heart
Les biens qu’il promet à ma flamme. the good things which Love promises my passion.
C’est en jouir que les prévoir. To foresee them is to enjoy them already.
Vole, triomphe, doux espoir, Soar and triumph, sweet hope,
Prête de nouveaux feux à l’ardeur qui m’enflamme. lend fresh heat to the ardour which enflames me.
SCÈNE 2 SCENE 2
Abaris, Alphise. Abaris, Alphisa.
81 ABARIS ABARIS
Mes rivaux ont pour eux leur naissance et la loi ; My rivals have their birth and the law in their favour ;
Vous allez m’immoler aux droits du rang suprême. you will sacrifice me to the rights of the superior race.
Votre peuple animé par Adamas lui-même, Your people, roused by Adamas himself,
Vient en foule à vos pieds vous demander un roi. come in crowds to your feet to beg you for a king.
Je vous perds, je le sens à ma douleur mortelle. I am losing you, I feel it by my deadly pain.
Tout mon bonheur s’évanouit. My happiness is vanishing.
Que je vais payer cher l’espoir qui m’a séduit ! How dearly I shall pay for the hope which seduced me.
J’ai vu luire à mes yeux l’aurore la plus belle : I have seen the most beautiful dawn shine before my eyes:
Le jour le plus sombre la suit. the darkest of days has followed it.
82 ALPHISE ALPHISA
Je ne vis que pour vous, ma tendresse est extrême. I live only for you, great is my tenderness.
Votre amour remplit tous mes vœux. Your love fulfils all my wishes.
Vous n’aurez que des jours heureux, You will know none but happy days
Si vous m’aimez toujours autant que je vous aime. if you always love me as much as I love you.
83 ABARIS ABARIS
Tout mon bonheur renaît à cet aveu flatteur. My happiness all returns at this flattering avowal.
Que d’un objet aimé l’empire est enchanteur ! How magical is the sway of the one we love.
"œ Hœ
_H
œ _
œ
doux
œ
_
__œ __ l
l
œ Hœ
l H
œ _
œ œ
_ œ
tous
__ l
"= œ l
l
SCÈNE 3 SCENE 3
Peuples, Calisis, Borilée et les précédents. People, Calisis, Borileus and the preceding characters.
84 CHŒUR CHORUS
Triomphe hymen, l’amour t’appelle, Triumph Hymen, Love calls you,
Fais briller tes flambeaux. Make your torches blaze.
Que tes feux soient pour nous une source éternelle May your fires be for us an eternal source
De rois et de héros of kings and heroes.
86 BORILÉE BORILEUS
Dans ces beaux lieux, tout nous enchante, Everything enchants us in this beautiful place,
Tout célèbre et tout chante votre félicité. everything celebrates and sings of your felicity :
Des plaisirs, la troupe riante the laughing troop of pleasures
Vous offre une chaîne charmante, offers you a delightful chain,
Plus douce que la liberté. sweeter than liberty.
88 CALISIS CALISIS
Eh ! Pourquoi se défendre ? Ah ! why resist ?
Peut-on trop tôt se rendre Can one yield too soon
À de tendres soupirs ? to tender sighs ?
À fuir les amoureuses chaînes, In fleeing the chains of love,
Que l’on doit éprouver de peines what difficulties one must encounter
Et qu’on perd de plaisirs ! and what pleasures one must forego !
89 MENUETS MINUETS
93 GAVOTTES GAVOTTES
94 BORILÉE BORILEUS
Aimez, aimez à votre tour. Love, love in your turn.
La beauté par un doux retour, Beauty by a sweet exchange
Ranime les feux qu’elle inspire. revives the flame which it inspires.
Tout ce qui respire doit se rendre un jour, Every living thing must yield itself one day,
Et le plus aimable empire and the most agreeable sway
Est celui que donne l’amour. is that which love gives.
dique de la voix coïncide presque avec la basse d’harmo- çant en La mineur aux mots « je cesse d’être votre reine ».
nie, les violons tissant un contre-chant à l’agogique riche 97 Une brève interjection du Chœur, en Ut majeur (« Ciel, ô
et variée (triolets de croches et rythmes pointés). Nous ciel ! »), exprime sa stupéfaction.
sommes toujours en La mineur. 98 c. Récit d’Alphise en Fa majeur. Suit une déclaration
Mais c’est ici que le Divertissement (tout comme celui de d’amour merveilleuse de naturel, de courage et de fran-
l’acte 4) va s’interrompre brusquement et prématuré- chise, retrouvant Ut majeur au moment où elle donne à
ment, bien avant la fin de l’acte, qui d’ailleurs ne finira Abaris la flèche reçue de Cupidon («je le tiens de l’amour»).
pas, puisqu’il s’enchaînera sans césure avec le suivant. Alphise nous fait penser ici à Ilia au troisième acte d’Ido-
Librettiste et compositeur s’entendent ici à donner la ménée, où sub specie mortis elle se déclare à Idamante,
primauté absolue à la vérité dramatique plutôt qu’aux car elle prend pareillement les devants face à son anti-
conventions formelles. Ils ont du reste profondément héros qui n’en est pas encore là.
remanié leur travail avant d’arriver à la version défini- 99 Mais le bonheur d’Abaris, qui répond brièvement en Ré
tive, dans le but d’un resserrement et d’une plus grande mineur (« Ah ! de joie et d’amour ») est brutalement
efficacité théâtrale. Sylvie Bouissou en fait le relevé interrompu par la fureur des deux Boréades.
détaillé aux pages 186-190 de son livre. Car nous voici 100d. Fureur des Boréades. Se voyant frustrés de ce pouvoir
parvenus au tournant décisif, celui qui exactement cinq royal qui est tout ce qui les intéresse (il n’est plus du tout
minutes plus tard (r. 114) déchaînera la catastrophe au question de sentiments, ni même de la personne d’Al-
point exact de la sectio aurea major de tout l’ouvrage. phise !), les deux princes exhalent une rage meurtrière,
95 Scène 4. Première partie (mes. 453-556). Il y a ici non passant très vite de Sol mineur à Fa majeur, pour termi-
moins de sept sections, après quoi plus aucune césure ou ner à la dominante de Ré.
respiration ne sera possible avant le début de la scène 3 104e. Accablement d’Abaris. Abaris, le cœur brisé (à ce stade
de l’acte suivant ! il ne songe même pas à lutter), adjure Alphise de renon-
a. Récitatif d’Adamas, en Ut majeur. Noble et solennel à cer à lui pour conserver le trône, modulant avec angoisse
son accoutumée, le Grand Prêtre d’Apollon demande à à travers les tons mineurs, avant de retomber, accablé,
Alphise de faire son choix d’un époux. en La mineur (« dût-elle me coûter le jour »).
96 b. Récitatif et Arioso d’Alphise. C’est la clé de voûte du 105f. Air tendre d’Alphise en Ré majeur. Sereine, rassurante,
conflit. Commençant en Ut majeur, la Reine oblique vers magnifique, elle « persiste et signe », confirmant son
La mineur aux paroles décisives, pour conclure en Mi choix. Du 3/4 initial, son débit se fait ensuite plus souple.
mineur: «mais je puis accorder le choix que je veux faire 106g. Conclusion. Une dernière objection d’Abaris (deux
avec la volonté des dieux». S’adressant au peuple, elle lui mesures en Ré mineur, « Connaissez mieux le prix ») est
annonce ce choix («Disposez d’un rang qui me gêne»): vite balayée par une Alphise rayonnante et sûre d’elle-
elle abdique. Suit un noble Arioso en Ré mineur sur même, cadençant en Ré mineur en passant par La
tenues des violons en doubles cordes (plutôt que divisés, mineur et Fa majeur.
le résultat sonore est évidemment tout autre !), caden-
&
c
l================
Ó
» »« » » » » » «
Fls _ _œ _œ _œ œ œ œ
œœ
l
_E _Q .
=
actes en un durchkomponiert sans précédent, en trois
grands paliers tonaux : La majeur (Chœur), Ut majeur
(Orage, r. 114), Ut mineur (r. 120 et suivantes). Les fusées
symbolisant Borée y demeurent sans cesse présentes. On
se reportera à la magistrale analyse d’ensemble de Sylvie
Bouissou (pp.174-184 de son livre).
l
l c
ll================
l
&
c
ll================
l
B
«» « «» « «» « «» « « « « » « «» « » « «» «
Vns 1 & 2
(accords)
l œ
œ
l _œœ œœ _œœ __œœ _œœ œœ=
œ œ œ œ
=
_œœ
Ó
ll================
&
« « « « « « « « » « » « » » « » »« »
Basses
wœ œ œ œ œ œ œ œ l wœ œ œ œ=
__œ __œ __œ __œ __œ __œ __œ __œ __œ __œ __œ __œ
l
Ó
__œ _œ _œ œ œ
œœœ
=l
tout de suite sur les figurations « boréennes » des cordes
(traits et fusées de doubles croches).
111 Elles sont par contre absentes de leur deuxième apparition
l
««» « «» « «» « «» « «» « «» « «» « «» « » «» »
& __œœ _œœ œœ _œœ __œœ _œœ œœ _œœ l __œœ _œœ œœ _œœ __œœ _œœ œœ _œœ __œœ
l================
l
œ Q
œœ œœ
=l
B œ
œ œ œ
l œ
(«Vole, punis leur injustice», cadençant au relatif Fa dièse ll================ œ œ œ œ
=l
mineur), où elles risqueraient de masquer leurs vocalises exu- l (accords)
bérantes. Par contre, ces vocalises se superposent aux accla-
mations du Chœur lors de sa dernière apparition (r. 112), en
Ré majeur cadençant en La, apparition interrompue par
tuilage à l’irruption foudroyante de la tempête orches-
trale, dont le débit irrégulier, pour ne pas dire chaotique,
sans cesse varié, soutient les deux voix rivalisant de voca-
l
«««« ««««««««
? __œœ __œœ __œœ __œœ l wœ__œ __œœ __œœ __œœ __œœ __œœ __œœ __œœ=l
l================
__E __Q .
l================
& Ó
l Ó =
lises sauvagement déchaînées («Vents furieux, tyrans des
airs», r. 113). La majeur prévaut ici, à l’exception d’une zone
assez courte à la dominante Mi majeur.
l
l «««« ««« ««««««« ««««««««
ll================
&
œ œ œ œ œ œ œœ
_œœ œ _œœ __œœ _œœ œ _œœ __œœ _œœ œ _œœ __œœ _œœ œ _œœ l __œœ _œœ œ _œœ __œœ _œœ œ= _œ
114 Orage, tonnerre et tremblements de terre (mes.
636-709). À partir d’ici et jusqu’au Récitatif d’Abaris de
l’acte suivant inclus, tout se joue attacca : en 237
l
l
««««»»»» »»»»
œ
B œ œ œ œ œ œ œ œ l œ œ œ œ=
ll================
Ó
« « « « » « » » « » « » «» » » « » » « » « » » « »
? wœ__œ __œœ __œœ __œœ __œœ __œœ __œœ __œœ l wœ__œ __œœ __œœ __œœ=
l================
» »
_œ __œ __œ __œ _œ __œ __œ __œ _œ __œ __œ __œ _œ __œ __œ __œ
dans un Ut majeur diatonique sans relâche, dont l’en-
chaînement brutal au La majeur qui précède rappelle la
juxtaposition non moins rude de la Gavotte vive et de
l’Ariette pour Alphise du premier acte. À vrai dire, Ut
l
&
«« » » » » » » » » » »
ll================
l================
& __œ
œ œ Q
œœ œœ
l
l
ww
=l
=l
majeur n’est pas du tout ici une tonalité, mais au
contraire une non-tonalité, extraterritoriale, une cou-
l
» œ
ll================
l
B l
œ œ œ œ œ œ œ œ
=l
leur, l’équivalent pour l’époque d’un bruit blanc, car la
violence aveugle des éléments a calciné l’harmonie.
Désactivée, celle-ci fait place au rythme, car on com-
mence par un très rapide crescendo monnayant les
tenues d’Ut majeur étagées en superpositions de
l
« » «» » « » » « » » « » » «» » »« » » « » « « « «
? __œœ __œœ __œœ __œœ l wœ__œ __œœ __œœ __œœ __œœ __œœ __œœ __œœ=l
l================
»
_œ __œ __œ __œ _œ __œ __œ __œ _œ __œ __œ __œ _œ _œ œ œ Q
doubles croches, de croches et de noires, tandis que les
flûtes, en fusées montantes et descendantes de doubles
croches, évoquent tantôt les éclairs, tantôt la fluidité des
eaux.
ll==============
l
l
&
w
w
ll==============
&
»»»»»»»» »
œ œ œ œ œ œ œ œ œ
ll==============
» l =
œ
lœ =
B l =
l
Exemple 16
lß l================
l
&
Íl b c
? b b qn l
l
l
lH
l================
∑
Œ Q l H
l œ
l
l
® n œ nœ œ »
»» » » » » » »
- se,
œœœœ. œ
=
n _œ n _œ
=
=
&
indique la partition, y compris l’intervention de Borilée.
Il y a quatre sections, dont la première enchaîne drama-
tiquement l’Ut majeur précédent à une septième dimi-
nuée d’Ut mineur, pour repartir en Ut majeur après un
silence (on remarquera la valeur dramatique que
Rameau leur donne, annonciatrice de Beethoven).
122 Durant le solo de Borilée, les gammes des violons main-
6 n tiennent la présence des vents furieux. En La mineur, son
l
l
&
b
«» » » » «» » » » » » » » » » » »
avec le chœur
b œ.œ.
& b b _œœ ..
l================
l
O
h_
_œ
b b __
.
lß l================
œ
Jœ
fa -
»
e˙
l ˙˙˙
- ta -
.
»
- - - -
b _œ b _œ œ __hœ _œ __œ _œ _œ œ œ œ œ _œ œ œ
l
œ
-
»
=
œœœ
=
-
ton de haine, le Boréade jouit cruellement de sa ven-
geance sur Alphise, avec un sombre sadisme, face à la
foule en pleurs, réduite aux deux voix supérieures dans
le Chœur, qui regagne Ut majeur par Ré mineur pour
retrouver sa pleine puissance et son effectif complet
dans la quatrième section.
125 Après s’être ainsi déchaînée une dernière fois, la tem-
pête qui faisait rage depuis l’acte précédent s’inter-
l l rompt aussi brutalement qu’elle avait commencé (ainsi
+ basses du chœur
Íl l H qu’il en advient dans la nature), sur la dominante d’Ut
b Q. E majeur non résolue (« Nous périssons tous »). Mais cette
?bb
l================ l =
résolution se fera par cadence rompue avec le début en
l «» » » «» » « »
b jœ jœ
& b b œœœ œœœ
l================ n œœœ
_
_œ
œ
l - - - le ven - - - gean - ce.
l b œœœ
l
&
b b
n _q
» » » »»» » »
œ œ œn œn œ œ œ œ œ œ
lß l================ œœœ l
l
« « _
n _E _
»» _˙
˙
l n eE _˙˙
˙ œ
Ó
œ Œ
œœ
_
_
=l[
=l [
l[
La mineur du Récitatif qui suit.
126 Scène 2 : Récitatif et Air d’Abaris (mes. 115-163). Seul
en scène, le héros malheureux, brisé, désespéré, vient
constater l’étendue des dégâts en onze mesures de Réci-
tatif passant de la dominante de La à celle d’Ut mineur,
introduction à l’un des Airs les plus sublimes de tout
Rameau, « Lieux désolés », digne pendant du « Lieux
funestes » de Dardanus. L’Air présente une forme da
Íl
?bb
b » »
œ œ
l================
Q l
l H
_h _
Ó l[
Q Œ =ll[[
(chœur)
capo précédée d’une introduction qui est l’une de ses
inspirations les plus hardiment novatrices, et qui mérite
une analyse détaillée :
Exemple 17
b
l================
&
Fls
b b 2 Ó Q œ . _œ »»
l ∑ l Ó
avec deux
ers
1 violons
Œ ‰= E
l
belle que celle du quatrième acte d’Hippolyte et Aricie
(« Hippolyte n’est plus »), et l’on pense déjà à celle du
premier acte d’Idoménée de Mozart. Mais ici, point de
répit, les éléments déchaînés n’en ont pas fini, et par une
l b
b 2 Ó
& b
Vns 2
l================
l
nh
doux
lq
Vns 1
doux
»» ««
l
Vns 2 Vns 1
Œ Q œ.n œ q œ. œ Œ ‰ n e
=El
Vns 2
initiative révolutionnaire Rameau attaque immédiate- l b 2
ment l’acte suivant (« L’entracte dans la même mesure et ?b b ∑ ∑ ∑
l================ l l =l
d’un mouvement vif commence le quatrième acte. »).
ENTRACTE INTERLUDE
ACTE IV ACT IV
SCÈNE 1 SCENE 1
Borilée et le chœur derrière le théâtre. Borileus and chorus off the stage.
121 CHŒUR CHORUS
Nuit redoutable ! Jour affreux ! Dreadful night, fearful day !
Terrible dieu des vents, calme leur violence, Terrible God of the Winds, calm their violence,
Écoute nos cris douloureux. hear our grievous cries.
122 BORILÉE BORILEUS
Pleure, gémis, peuple odieux ! Weep and groan, hateful people !
Mon cœur, dans ses transports, ose envier aux dieux My heart, in its anger, dares envy the gods
Ces foudroyants éclats de leur vaste puissance. these devastating flashes of their mighty power.
Ah ! Qu’il doit être doux de punir une offense, How sweet it must be to punish an offense,
Quand on peut se venger comme eux. when one can avenge oneself as they can.
123 PETIT CHŒUR SMALL CHORUS
Quels torrents ! Quels vents furieux ! What torrents, what angry winds !
Ciel, ô ciel ! Prends notre défense, Heaven, O Heaven defend us,
Écoute nos cris douloureux. hear our grievous cries.
124 BORILÉE BORILEUS
Dieu puissant, je jouis du moins de ta vengeance ; Punishing God, I may at least enjoy your vengeance ;
Et je vais confondre à tes yeux and, before your eyes, I shall confound
L’ingrate qui m’offense. the ungrateful one who offends me.
125 CHŒUR CHORUS
Terrible Dieu des vents, calme leur violence, Terrible God of the Winds, calm their violence,
Dieux, ô dieux, secourez-nous, nous périssons tous. Gods, O gods, help us, we all perish.
SCÈNE 2 SCENE 2
Abaris. Abaris.
126 ABARIS ABARIS
Tout cède aux efforts de l’orage. Everything yields before the power of the storm.
Quel spectacle ! Dieux ! Quel ravage ! What a spectacle ! O gods, what devastation !
&bb
b Q . n E Q. E E H Ó
ll================ l l
Q œ. œ »»
Fls seules
Ó
=l
Après quoi l’Air lui-même peut exhaler sa longue et
pathétique plainte.
l b b b hH
&
q. n e n e h Ó
H
ll================ l H
Abaris
lÓ
Vns 2
Q œ. nœ
=l
»» 127 Scène 3. Adamas et Abaris (mes. 164-246), en quatre
sections.
a. « Nous n’implorons » : dans un noble Mi bémol, le
l b Grand Prêtre implore la miséricorde divine. Vaillant et
b
& b
∑
l Ó
Q. X X h Œ ‰ E=l
l================ l impulsif, Abaris s’offre à défendre Alphise, mais Ada-
l • Lieux désolés, les mas, passant en Ut mineur, coupe court à son élan en lui
l b Œ ‰ E +Q. E rappelant l’horreur de la situation. Pour finir, il le met au
l h Ó
?bb ∑ =l défi : « Elle a tout fait pour vous, qu’avez-vous fait pour
l================ l
doux elle ? », mais Abaris, passant en Fa mineur, cède au
b bb ∑ Ó
Q œ . _œ »» découragement (« C’est le plus cruel des maux »), déplo-
rant son impuissance, et échoue sur la dominante d’Ut
l b
&
&bb
Q »
l================
œ .
ll================
l
l bbb Q .
»
œq Œ
l
l
m
E Q. E E H
∑
=l l
=l l
mineur.
131 b. « Il peut par les efforts » : retrouvant Mi bémol et sou-
tenu par les violons, Adamas répond par un Air noble et
viril. La musique passe en La bémol (« ...entraîne le
ravage en ce triste séjour »), avec un rappel opportun des
n E Q.
l================
& l =l l fusées de Borée, prolongé pendant huit mesures.
• ten - dres soins de Flo - - re, 132 c. « Mon amour » : suite du récitatif. Dans un long mono-
l
l b Q. + logue Abaris exprime son déchirement (Ut mineur, s’as-
E Q. E lh Ó sombrissant encore en Fa mineur à « mais où m’emporte
b b
l================
? =l l hélas »). Au comble du désespoir, il veut se percer de sa
n 6 6
flèche, ultime défaillance précédant de peu sa méta-
Exemple 18 morphose définitive en héros, car Adamas lui rappelle
qu’il peut faire de cette arme un tout autre usage, avant
Comme au début du cinquième acte, Rameau nous de s’éclipser.
suggère un décor dévasté, déchiqueté, par le moyen 134 d. Le sursaut vital d’Abaris resté seul se produit en un Air
d’un discours discontinu, athématique, fait de brefs très bref (Ut majeur à Sol majeur, «Dieu du jour, hâtez-
motifs fragmentés, de simples soupirs entrecoupés de vous, secondez ma fureur ! »). Ainsi, c’est Apollon qu’il
silences, avec une orchestration par petites touches, au invoque, mais c’est Polymnie qui va répondre, inaugurant
sujet duquel il n’est pas exagéré d’évoquer Webern. Les le grand Divertissement de ce quatrième acte. Il s’étendra
moyens révolutionnaires de ce discours de rupture sont jusqu’à l’Air pour les Saisons inclus (r. 144), et son sujet est
ceux de la résolution doublement différée, qui tendent essentiellement le symbolique voyage initiatique qui va
à l’extrême de ses possibilités le langage tonal : différée achever la métamorphose d’Abaris. Sa signification ésoté-
dans le temps par rupture du rythme « cassant » la barre rique est très certainement d’ordre franc-maçonnique.
de mesure, procédé repris génialement par Beethoven 135 Scène 4. Entrée de Polymnie (mes. 247-296).
dans la coda de la Marche funèbre de la Symphonie Ne tiendrions-nous pas là le sommet absolu de toute la
héroïque ; différée dans l’espace par changement de partition ainsi que le suggère Jean Malignon ? John Eliot
timbre et de registre. Ainsi, on semble commencer à la Gardiner surenchérit, vantant « l’écriture instrumentale
dominante de Fa mineur, mais le La bémol de la flûte se la plus émouvante et la plus troublante de toute la
résout sur le Fa du second violon à l’octave inférieure. De musique baroque », écriture que Girdlestone définit
même, le Si bécarre du premier violon se poursuit par le comme l’inverse de la relation habituelle, puisque les
La bémol du second, intervalle de seconde augmentée instruments à vent chantent et que les cordes les sou-
donnant une résolution tout à fait irrégulière. Ce n’est tiennent. L’intervention bienfaisante de cette muse de la
qu’à l’entrée de la voix que nous cadençons enfin fer- Danse et de la Géométrie donne lieu à un morceau lar-
mement en Ut mineur. De même, le Fa de la flûte se gement développé exprimant un sentiment sublime de
résout non sur le Mi bémol attendu, mais sur le Do du sérénité, de consolation, de douceur et de sagesse, cris-
SCÈNE 4 SCENE 4
Abaris, Polymnie, les Muses, les Zéphirs, les Saisons, les Abaris, Polymnia, the Muses, the Zephyrs, the Seasons,
Heures et les Arts. the Hours and the Arts.
# 2 œ œ œœ œ œ H
ll================
& l
+ »» » »» »» » »» » »»» »»
œ œ œ œ œ œ +H _œ œ œ œ œ œ
l =l
ici les instruments à cordes imitent l’horloge en
247 Entrée
# # 2 Ó __
˙ » » »»»»»»
Fls & Vns
__œ __œ _œ _œ œ +œ
œ H _H
l Vns 1
l ## 2 h
faisant retenir la fin de chaque blanche ou noire.
H à demi l hH
ll================
& hH h
l _hH H =l
l================
l
&
l #
B # 2
Parties H
H
l================
Bns
Œ
l
l
««««««
l # 2 w _œ _œ œ œ œ œ h _h
H. Q
l
l
w
_q œ œ œ œ
=l
=l
œœ ««««««
l
B# 2
Vns 2
l # Bassons
l # 2 H
? #
œ œ
l================
l================
œ
_ œ œ œœ
l
lh
œ »
» » » » »» »» » » » » » »
_œ
H
œ œ
_ œ H
+
l œ œ =l
lh h
œ œ
=l
»
#
l================
? lw lw =l
Basses
»»» »»
# # _Q _œ œ œ œ +œ œ H H
l================
& l
»»»»»» » »
l
Q +œ œ œ œ œ œ +H ‰ œ _œ
l
» =l
œ
à demi
l #
# h
h
l================
? w
l
lw
««««««
q œœœ
œ œ œ
l
l _Hh
«« « «
_h
H
l
l
+
=l
_wq _œ œ _q _œ _œ
=l
ll================
l
&
B#
H
»»» »»»
ll================
l #
» »
l # œ œ œ _œ œ œ œ _ Q
H
œ
l
l q
»»»»œ œ _ œ
œ
=l
=l
## E H
l================
&
»»» «««
‰ œ œ œ EH
l
‰ œ œ œ e q . eq .
l + = el
? # h
l================
# # +H
h
»»»»»» »»»»»»
œ œ œ œ œ œ +H
l _h H =l
œ #œ _œ œ _œ _œ
l # Q œ H
B #
ll================
»» »»
œ
l
Q œ œ Q eq h h
l =l
l================
&
l ## h
l =l
l
»»»» «« »»»»»»»»
l # _hœ. œ œ œ H _œ _œ hœ œ +œ œ qœ . œ œ _e
? #
l================ l
œ H H
l
_h _h
+
=l l
& H
»
l================
»» »»»»» œ
l # œ œ _ œ œ œ _ œ H
hH
œ
l _hH qQ qQ
=l
##
Fls & Vns 1 +
««««
l # Fls & Vns 2
œq «» «» «» «» «» »« « «
+
Hœ œ œ Q qQ l œœ œœ œ œ Q Q l œ
ll================
&
+ +
œ œ _q
_H
+
q
œ œ q q œ œœ œ œ Q Q qH.
+ l =
»
_Q .
B
l #
#
l================
? # h
l================
H
l
lh
h
H
=l
=l
#
ll================
h Ó ∑ Ó
B l l l = Exemple 20
l
l # _H
? #
h
l================ »»» »»»» »»» »
+
‰ œœœ Q Q œœœœ H
l l
_
_h
‰ œœœ œ
__h
l =
Cette polyrythmie subtile est un pur enchantement. La
seconde Gavotte, consanguine de celle du deuxième
acte, et de forme da capo, alors que la précédente adop-
tait la coupe binaire, assure le lien avec elle par la pré-
Exemple 19 sence permanente des arpèges de croches régulières et
d’autre part du fait que son milieu, passant en Fa dièse
136 Récitatif de Polymnie et petit Chœur des Saisons mineur, renoue tout à fait avec sa musique même.
(mes. 297-312). Gracieux et bref, le Récitatif, en Ré 140 Deux Rigaudons (mes. 345-391). Ici au contraire les
mineur, s’enchaîne à cinq mesures de Chœur sans basses, deux Danses contrastent violemment. La première, en
d’une exquise fraîcheur, après quoi la Muse reprend la Ré majeur, toute de légèreté et d’élégance, retrouve une
parole, soutenue à présent par les violons. disposition fragmentaire à la manière d’une mosaïque,
139 GAVOTTES POUR LES HEURES ET LES ZÉPHIRS GAVOTTES FOR THE HOURS AND THE ZEPHYRS
avec ses échanges vifs comme l’éclair de petits motifs en est celui d’une grande coulée unitaire, d’une invention
anapestes entre les différents instruments. La seconde, renouvelée et permanente. Quelle aisance dans cette
en Ré mineur, surprend par la rudesse de son orchestra- science : aucun compositeur n’a jamais su la musique
tion en unissons et octaves, par l’âpreté de ses chutes de mieux que Rameau ! Entre ce morceau et l’Entrée de
quarte et de quinte si chères à Rameau et, dans la Polymnie, on ne sait que préférer : ce sont des pages de
seconde phrase, par le choc d’un temps « mangé » qui même famille, exprimant une sagesse et une sérénité
nous désarçonne. également bienfaisantes. Ici encore, on n’en peut citer
141 Chœur (mes. 392-441). En cinquante mesures à peine que le début :
(tout juste deux minutes de musique !), ce morceau,
évoquant le voyage initiatique d’Abaris à travers les Exemple 21, ci-dessous et page suivante
quatre éléments (symbolique maçonnique !), dont il
revient transformé, crée un sens nouveau de l’espace.
Un examen détaillé permettrait d’y reconnaître une
forme binaire, mais l’effet de cette admirable polypho-
nie, riche et complexe, faite d’imitations et de canons,
392 Chœur
# # 2 ÓD.
∑
l===================================
& l l
∑
lÓ
»»»»»»»»
Œ E E lœ œ œ œ œ œ œ = œ l
l
l # # 2 Hc
& Ó lÓ
Œ
l=================================== l
Parcou - rez
»»»»»»»»
_E E œ œ _œ œ œ œ œ œ H
la
l
ter - -
E ‰
Parcou - rez
E E
l
Q
- re, Franchis - sez
Q Q
la
E _E
=l
l’es - pa - ce des
l • T.
»»»»»»»»
l ## 2 Œ E E œ œ œ œ œ œ œ œ h
===================================
&
l • l l e‰ E E lQ Q
Q E E H.
l
E e
=l
l
l ## 2 Ó
l
B.
Parcou - rez
l ∑
===================================
?
la
l
»»» » »»»»
ter -
Ó
- re, Franchis-sez
Œ l
l’es - pa - ce des airs,
_E _E œ _œ _œ _œ œ œ œ œ
l
H
Franchis-
E ‰ E E
=l
Parcou - rez la ter - - re, Franchis-
l
l ## 2 Ó
« « « « « « « « « » « » « « « « « « »« «» «» «» »« «» »« «»
Ó Œ
ß l===================================
& l
Fls & vns
œ
œ œ l œ œ œ œ œ œ œ œ œ œ l Qq Qœ œ œ œ Qe ‰ Q œ l œœ œœ œ œœ œœ œœ œœ =
œ œœ l
l
? #
Parties
2 Œ
«« ««««««««
l
Í l # & bns __œ _œ l _œ _œ __œ _œ _œ _œ _œ œ l h
l H.
l=================================== Q lH
l
Bns
Parties l
l
l h
l
l
l w =
l
l
l
Basses
_h _h
ter -
e
‰ E E H.
l =
- re, Franchissez,
+
l ## H . E E Q Q _Q _E _E _H . E E _Q _Q _Q _E _E _w _Q
l===================================
& l l l l l =
l • # airs, Franchissez l’es - pa - ce des airs,
+ E E Q Q Q E E H.
Franchis-sez l’es - pa - ce des airs,
E E Q Q Q E E H.
# Q Q Q E E H.
l===================================
& l l l l l =
l • - sez l’es - pa - ce des airs,
l # Q Q Q E E H.
l
#
l===================================
? l
»»»»»»»»
Franchis - sez
l
l’es - pa - ce des airs,
E E #œ œ œ œ œ œ œ
œ h
l
+
e ‰
Franchissez l’es - pa - ce des airs,
_E _E _Q _Q Q E E H.
l l =
- sez l’es - pa - ce des airs, Parcou - rez la ter - - re, Franchissez l’es - pa - ce des airs,
l
l #
# q ««««»»
œ œ œ œ _q _
_h
lß l===================================
& H.
__h
œ œ lQ Q Q œ œ l _ »» «
__h .
»» « œ œ l œ
«» «» «» «» « « «» «» «» «» «» «» «» «»
__œ _œ __œ __œ ___œ __œ __œ _œ _œ œ
œ œ œ Q œ œ qQ œ œ
l
__œ __œ __œ __œ _œ _œ _q
œ œ œ _œ l _=
l + l l H. l l lQ
Íl # w l l w l lw lw
? # lw
l=================================== l lw l l =
Exemple 21, suite et fin
142 Deux Airs très gais de Ballet (mes. 442-494). On 146 Chœur (mes. 653-698). Un mystère plane autour de ce
redescend sur terre avec le contraste de la saine, rude et Chœur qui termine l’acte : il ne semble pas avoir été joué
tonifiante truculence de ce couple de Tambourins qui ne lors des répétitions, ni retranscrit dans les parties sépa-
veulent pas dire leur nom, le premier, en Ré majeur, de rées, et de plus il est écrit en Sol au lieu du Fa majeur qui
forme da capo, le second, en Ré mineur de forme ter- s’impose. Il encourage le héros (« Volez, que l’Amour
naire avec milieu au relatif Fa majeur, à l’orchestration vous seconde ») par un morceau bref, direct et éclatant,
âpre et pleine, avec de nombreux unissons. émaillé seulement de quelques imitations. Sa forme,
143 Récitatif et Ariette d’Abaris (mes. 495-582). Cinq bien que binaire, réserve quelques surprises. La première
mesures de récitatif (de Ré mineur à Fa majeur) nous moitié cadence à la dominante, puis il y a encore cinq
montrent un Abaris totalement changé, au point de mesures d’orchestre avec les triolets de croches virevol-
s’identifier même à Apollon (« Mon pouvoir doit servir tants des flûtes. La seconde moitié conclut à la tonique,
au bonheur des humains », nouveau coup de patte à mais les cinq mesures de coda, différentes, font appel au
l’absolutisme du « Mal aimé » !). Suit une vaste Ariette en chœur en plus de l’orchestre.
Si bémol majeur, de forme da capo. La première partie
(alla breve) est d’une expression vaillante et héroïque
(« Fuyez, fuyez, reprenez vos chaînes »), grâce à une vir- CINQUIÈME ACTE
tuosité vocale et orchestrale où rivalisent les rythmes de (Durée : 32 minutes)
croches rapides en gammes ascendantes séquentielles
(les fusées de Borée dominées, disciplinées !) et en Pour la première et seule fois, le rideau se lève sur un décor
arpèges descendants « en escalier ». Le milieu passe au sombre, celui de l’antre ténébreux où Borée tient captifs ses
relatif Sol mineur (cadençant pour finir en Ré mineur) et vents. Ce dernier acte voit enfin la confrontation directe
à la mesure à 3/4, dans un climat de douceur souligné par entre les Dieux ennemis, Borée et Apollon, dont le conflit
les ondulations des flûtes en tierces. mettait jusque-là en scène leurs zélateurs respectifs. L’im-
144 Air pour les Saisons et les Zéphyrs (mes. 583-618). pressionnante et maléfique silhouette de Borée domine
Dans ce dernier Ballet, un 3/4 lent et rêveur, en deux moi- toute la première moitié de l’acte, et il ne disparaîtra qu’à
tiés munies de barres de reprise, le retour des Zéphyrs la suite de la fulgurante victoire d’Apollon à la scène 5.
entraîne celui des lumineuses petites flûtes, dominant le 147 Scène 1 : Prélude et Monologue de Borée (mes. 1-23).
morceau par leurs volètements en groupes de deux L’extraordinaire introduction d’orchestre contient la
doubles croches, qui passent occasionnellement aux vio- musique la plus hardiment moderne que Rameau ait jamais
lons. Sur ce moment de tendresse se termine le Divertis- conçue. Pointilliste jusqu’à la désintégration, elle se nourrit
sement. Abaris va devoir passer à l’action! des fusées de Borée, mais rompues, impuissantes, et pour-
145 Récitatif et Ariette d’Abaris (mes. 619-652). Quelques rait figurer aisément telle quelle dans n’importe quelle
mesures de récitatif (Fa majeur, « Je cours fléchir un Dieu œuvre de Stravinsky entre Perséphone et Orphée, par
sévère ») précèdent la plus ornée et la plus vocalisante exemple dans la Symphonie en Ut de 1938-40 ou dans les
des Ariettes (« Je vole, Amour », Fa majeur, forme da Danses concertantes de l’année suivante. La pulsation
capo), dans laquelle les traits de triples croches ultra- implicite de doubles croches en est le seul élément unifi-
rapides des violons rivalisent avec ceux de la voix. Mais le cateur. Les Vents souterrains ne peuvent obéir aux ordres
bref milieu (doux, au relatif Ré mineur) s’attendrit pas- de Borée, car «c’est la voix d’un mortel» (Abaris) «qui les
sagèrement à l’évocation de la malheureuse captive force au repos». À plus grande échelle que dans le Réci-
(« Loin de moi, tendre Alphise »). tatif d’Abaris (r. 126, acte 4) à propos duquel nous en
144 AIR POUR LES SAISONS ET LES ZÉPHIRS AIR FOR THE SEASONS AND THE ZEPHYRS
ACTE V ACT V
SCÈNE 1 SCENE 1
Borée et le Chœur de vents souterrains Boreus and the chorus of subterranean Winds.
147 BORÉE BOREUS
Obéissez, quittez vos cavernes obscures. Obey me, leave your dark caverns.
Partez, vents orageux, effrayez l’univers. Go, stormy winds, terrify the universe.
Vous ne me répondez que par de vains murmures. You reply with nothing but empty murmurings.
Ciel ! Mes cris impuissants se perdent dans les airs. Heavens! My unavailing cries lose themselves in the air.
148 CHŒUR CHORUS
Le ravage avec nous a volé sur la terre, Through us, devastation has spread over the earth,
Nos efforts jusqu’aux cieux ont soulevé les flots. our efforts have stirred the waves up to the Heavens.
149 BORÉE BOREUS
Eh ! Par quels prestiges nouveaux And by what new authority
Vous lassez-vous de leur faire la guerre ? do you cease to make war on them ?
150 CHŒUR CHORUS
Plus terrible que le tonnerre, More fearful than thunder
C’est la voix d’un mortel qui nous force au repos. it is the voice of a mortal which forces us to rest.
151 BORÉE BOREUS
Perfides, un mortel ! Ah ! J’entends ce langage : Faithless ones, a mortal ! Ah, I understand !
Vous cédez à des dieux de mon pouvoir jaloux. You yield to gods who are jealous of my power.
Tremblez, perfides. Sortez tous, Tremble, faithless ones, come out, all of you.
Hâtez-vous. Redoutez ma rage. Make haste, dread my rage.
152 CHŒUR CHORUS
Plus terrible que le tonnerre, More fearful than thunder,
C’est la voix d’un mortel qui nous force au repos. it is the voice of a mortal which forces us to rest.
153 BORÉE BOREUS
Volez, troublez les airs et ravagez la terre, Fly, trouble the air and ravage the earth,
Obéissez ! Volez et soulevez les flots. obey me, fly and stir up the waves.
Acte V, scène 1 47
l
b
b
Bb c Œ
Vns
«««
& b c ≈ _œ _œ œ l Ó
Parties
»»»
œœ
lŒ ≈œ Ó
« 2es
1ers
«» «»
Œ ≈ œœ l Ó
»
ll========================================
_œœ _œ œ
«»»»
«« lŒ ≈
ll========================================
œœœÓ
»»»» ««« ««
tous
Œ œœœœ l Œ ≈ œœœŒ ‰ œœ l Ó
l Œ
»
Q ≈ œŒ
œœ lÓ
≈
« « » «» «» « «» » » » » » » » » » »
œœ Œ ≈ œœœŒ
_œ _œ œ œ œ l
»
‰ ≈ œ œ œ œ œ ≈ œ œ œ Œ ≈ œn œ œ Œ
l
≈ œ œ=
œl
=l
l
l bb
B c Œ
Bns
»»» »»»
lŒ q Ó «» » «» «» « «» « « « « » » »
lŒ ≈
l========================================
l
œœœÓ
l ≈
œœœŒ q Œ
l ≈ œœœœœ Ó
œœ
l
»»
œ œ œ œ Œ ≈ œnœ œ Œ
=l
l b c Basses ≈
?b
Œ lw
Ó q Œ Ó
lw
l========================================
Cb 6 2
q Œ l wq
5
Œ Ó l wœ œ œ
œœœœŒ ≈ œ œ œ l we ‰ Œ e ‰ ‰ œ= ««
œl
l
b
&b Œ
»»» ≈ œœœŒ ≈
b œ œ nœ ≈ Œ E ‰ Œ
4
»»» «« »» »»»»» »»
l========================================
_œ _œ _œ l _œ œ n œ
Œ œœœœŒ l Œ
œœ‰ l ‰
_œ _œ _E
≈ œl ≈ »
œ œ œ œ ‰ œn œ œ œ ‰ X œ œ
‰ ‰ ≈ œ œ œnœ œ ‰ œ œ Œ
œœŒ
‰ E 2 H
««
≈ œ œ œ ll 2 Œ œ = œ
lŒ ≈ œœœŒ
ll========================================
Bb Œ
l
»»»
l bb n œ œ œ
B ≈Œ
»» » »»» »» »» »»
E ‰ Œ
l≈
l========================================
_œ
nœ œ Œ œœœ≈ ‰
»»»
E ‰ œn œ
l Œ
œ
_
‰ œ‰
œ
_ œ
l
l
Q
_
Œ ≈
œ œ œ ‰ nE+
ll
ll 2 Œ
»» =
nœ œ
=
l
l b
? b we «« «« ««
‰ e ‰ e‰ ‰ œœ Œ
l========================================
l H. œ œ ‰ Œ Qœ œ ‰ l wq ‰ E nQ ‰ e q Œ qH
lH Œ ««
l l 2 œw œ Œ =
Exemple 22
48 Acte V, scène 1
Acte V, scène 2 49
?
Borée _
œ
_ »
bb b c Œ ≈ X X X E X X 2 Q E ‰ Q E E 3
ll================ ll l=l
n’y a pas de sopranos parmi les bourreaux) s’ingénie à
accabler davantage encore la malheureuse Alphise. Par
leurs imprécations, Borée et ses comparses s’efforcent de
Venez punir son injus - ti - ce, Peuples sou - la briser et de la soumettre.
l 164 Sa réponse « Vous m’avez arrachée », en La bémol
b
ß ll================
bb c ∑
ll ll 2
∑
ll 3 majeur, superpose son alla breve à 2/2 au 6/8 du chœur
l& ll=
et de l’orchestre en une extraordinaire polyrythmie :
Basses
Íl bb c ll 2 ll 3 206
b
l================
? _h . _
bq
4+
+
l l _
_˙
6
« h l
= l
l
b
ll================
&
Alphise
b b 2 E E Q E E H . E e h.
l
Vous m’avez ar - ra-chée au plus cher
l e= el
des a -
b b b 3 Q E X X E. X 68 H . l b 3
un peu doux B. (chœur)
l================
? ll =l ∑ ‰ ee e
l - mis à mes commandemens.
?b b
ll================ l lŒ =l
l Qu’elle gé -
Vns
Íl
l
lß b b b 3
ll================
&
b
?bb 3 H
l================
∑ ll ll
68 ≈ œ œ œ
Q l l 68 h .
ll
««««« ««««
à demi
« «
œ œ œ œœ œœ œœ œœ=
=l
_œœ ll
l Íl
l bbb 3 ‰ Œ
ß l================
l&
b
?b b 3
l================
‰ Œ
‰
‰
ll
l
l
∑
∑
ll
l
lŒ
Basses
∑ =
doux
»» »
‰ œ œ œ l
=l
ll
5
b + bmQ E E
‰ E E E Q
E E E E E E E E lH
b
?bb Œ
l================ l =l &bb h
ll================ =l
- mans, In-ven - te - rez- vous un su -
Íl
l
l b
l
& b b _œœ«
ß ll================
Qu’el
‰ Œ
- le
»»»»»
doux
bb Œ ‰ ≈ œ œ œ œ œ l Q .
»
gé
» » » » « «» «» «» «» »
- mis - se, qu’el
‰ œ œ œ œ œœ œœ œœ œœ œ œ œ
l
l doux
- le lan
œ œ œ=
-
_œ ll
l
l b un peu doux EHc E E
ll
bb Œ
l================
ll &•
bbb
T.
‰
un peu doux
ll================
& e e e q.
Qu’el - le
l
Q E
+
q
gé - mis - se, qu’el - le gé -
X X l
=
? b
l================ l q. =l ll b H.
+Q n E E
6
n +Q .
»
__œJ _E E
?bb
ll================
- mis - - - - - -
l
H.
- - - - -
=l
-
l
l
bb b
l================
?
l bbb
E E
_œ _œ œ œ œ œQ._œ œ œ œ œ œ œ œ
ß l================
l &
œ
l
»» » » » » « « « « « « » » » » » » » » »
guis - se Dans les tour - mens !
ll
=l
Qu’el-le lan -
œ œ œ œ œ n œœ œ œœ œœ œœ œœ
=ll
Íl
l
l&
?bb
b
b H.
«««
l================
Vns
b b ‰ œ œ jœ ‰ ‰
ß ll================
&
à demi
alt.
_q .
=ll
=l
l
Íl
?bb
b œ.
œ .
l================ q.
l Q.
l Q. =l
l
&bb
b +H
l================ l
+ +
E ‰ ‰ E œ . b œ E E Q E E ew »» l =
9 7 7 6 l - pli - ce Qui puis - se égaler mes tourmens ?
n
b Q E E. X E . l bbb q e e e e q E E . X b E Q.
?bb
l============ lq = l================
& l l =
l • - mis - se, qu’elle lan - guis - se dans les tourmens.
l
l
» » » » » « « «» »
- guis - se dans les tourmens,
+
l b b b œœ œœ œœ œœ œœ œQ. œ n œE œq .
ß l============
l& ll =
l
b
& b b q ee e e l q
l================
l
+
e e. x e l q. =
l • - mis - se, qu’elle lan - guis - se dans les tourmens.
Íl b Q.
?bb
l============
»»
œ. œ œ l q.
l = l
?bb
b E ‰ ‰ e e e bQ
l================
- se,
l
E E. X E l h. =
qu’elle lan - guis - se dans les tourmens.
[n]
Exemple 23
l
l bbb ‰ œ œ e
ß l================
l&
« « » » » «» » » « « « «»
œ _qœ œ _œœœ ... œ œ œœ .. œœ bœ œœ .
ll Q . œ ll œ . =
161 b. Air vif (ballet). La même musique est à présent traitée
sous forme de danse orchestrale de forme binaire à
reprises, à la rythmique plus nerveuse que jamais: intégra-
Íl b
? b b q. œ œ œ l b Q.
l================ «««
l œ . œ œ l q.
l =
» »»
tion parfaite de la chorégraphie dans l’action dramatique. Exemple 24
50 Acte V, scène 2
SCÈNE 3 SCENE 3
160 BORÉE BOREUS
Venez punir son injustice, Come and punish her injustice,
Peuple soumis à mes commandements. O people, subject to my orders.
Qu’elle gémisse, qu’elle languisse dans les tourments. Let her groan, let her languish in torment.
Inventez un nouveau supplice. Invent new tortures.
Acte V, scène 3 51
Sa deuxième intervention (« Inventerez-vous un sup- célèbre et si controversée « Vous voulez être craints, pou-
plice ») conclut à la tonique Mi bémol, mais les gammes vez-vous être aimés ? ».
montantes en doubles croches de la dernière mesure 173 La protestation outrée des deux Boréades «Ah, c’en est
d’orchestre sont brutalement coupées à la dominante de trop!» fut sans doute celle même des censeurs de 1763!
La bémol par le coup de théâtre de l’arrivée d’Abaris. Mais Abaris les touche de sa flèche, en Ut mineur serein
165 Scène 4. Abaris et les Précédents. C’est un dialogue et grave, et l’effet ne s’en fait pas attendre: l’entrée des
entre le duo Abaris-Alphise et le trio Borée-Calisis-Borilée, flûtes en longues noires calmes suggère un effet de para-
auquel se joint le chœur (toujours sans soprani). L’irrup- lysie hypnotique. Borilée le premier, puis Calisis rendent
tion d’Abaris et son cri «Arrêtez!» (La bémol majeur) por- les armes, succombant au charme de la flèche enchantée:
tent la tension à son comble. la douceur a vaincu la violence et la musique cadence cal-
166 Le trio adverse réagit en Ut mineur, surpris («O ciel, un témé- mement en Sol mineur.
raire»). À nouveau en La bémol, Alphise met Abaris en 177 Descente d’Apollon (mes. 303-332). Une lumière écla-
garde, empruntant même brièvement à Ré bémol majeur, tante fait irruption en Ré majeur, en une musique sereine et
ton le plus «bémolisé» de la partition, aux mots «Craignez majestueuse. Borée et ses suivants (le chœur sans soprani)
leur fatale colère!». Abaris, stupéfait, réplique: «Et les Dieux sont vaincus, subjugués. Les trois périodes de dix mesures
ne vous vengent pas?» (Mi bémol à Sol mineur). Le trio malé- chacune (tonique-dominante-tonique) imposent une symé-
fique le raille et le menace de mort (Fa mineur à Mi bémol). trie classique «apollinienne» certainement voulue.
170 Alphise, indignée, crie à Borée: «Barbare!» Les trois bour- 179 Scène 5 : Apollon, Borée et Abaris (mes. 333-422). En
reaux retournent au 6/8 en Ut mineur, scandant leur «tu six sections.
mourras!» sur un nouveau rythme pointé (double croche, a. «Je rends». En un récit sur de calmes tenues de flûtes et
croche, noire), le même que celui de la Loure, on ose à de violons, en Ré majeur, Apollon déclare qu’Abaris est son
peine le croire! propre fils, né, précise-t-il, d’une jeune Nymphe descen-
171 Dernière offensive de Borée, avec ses doubles croches, dante de Borée.
rejoint tout aussitôt par le chœur désormais allié aux 180 b. «Qu’il règne». Borée accepte la révélation et unit le
bourreaux. Ce chœur d’une énorme puissance est en deux jeune couple (Sol mineur-Ré mineur), puis Abaris savoure
moitiés, la première à la tonique Mi bémol, la deuxième son bonheur concluant sobrement en La mineur.
(précédée de trois mesures du trio), en montée chroma- c. «Reine, de ce jour d’allégresse». Mais c’est pour enton-
tique vers Ut mineur (avec emprunt à Fa mineur), répé- ner un bref Arioso, noble et serein, en Ré majeur. Au son
tant implacablement ses «tu mourras!». des douces flûtes, il «désenvoûte» les deux princes en les
172 Solo d’Abaris (mes. 276-302). Coup de théâtre soudain : touchant de sa flèche.
Abaris « fait briller sa flèche qui étonne le Dieu même » 182 d. « L’aurore a fait son cours ». Soutenu par les amples
(sic !), mettant fin instantanément au pandémonium. Les arpèges des violons en quadruples cordes, Apollon
tenues en doubles cordes des violons (effet utilisé déjà à chante un très majestueux récitatif, toujours en Ré majeur.
l’abdication d’Alphise au troisième acte) soutiennent e. Pendant un long accord de Ré majeur de tout l’orchestre
son noble récitatif en Sol mineur contenant la phrase tenu ad libitum, «la décoration change».
52 Acte V, scène 4
SCÈNE 5 SCENE 5
Apollon et les précédents. Apollo and the preceding characters.
179 APOLLON APOLLO
Je rends pour ce héros ma tendresse éclatante. I restore my extraordinary tenderness to this hero.
Borée, en ce grand jour, cessez d’être ennemis. Boreus, cease on this great day, to be his enemy.
Une nymphe jeune et charmante A young and charming nymph
Était de ton sang même, et mère d’Abaris. was of your very blood and was Abaris' mother.
Une origine si brillante Such brilliant origins
Doit te faire chérir la gloire de mon fils. should cause you to cherish my son's honour.
180 BORÉE BOREUS
Qu’il règne, et que d’aimables chaînes Let him reign, and may delightful chains
Couronnent leurs tendres soupirs. crown their tender sighs.
(en les unissant) (uniting them)
Ne vous souvenez de vos peines Do not remember your pains
Que pour mieux sentir vos plaisirs. unless it be the better to appreciate your pleasures.
181 ABARIS (à Apollon) ABARIS (to Apollo)
Quels bienfaits éclatants ! What extraordinary blessings !
(à Alphise) (to Alphisa)
Quel prix de ma constance ! What a reward for my constancy !
Dieux puissants! Chère Alphise, ah! Dans cet heureux Mighty gods ! Dear Alphisa ! On this happy day,
jour,
Je sens que les transports de la reconnaissance transported by gratitude
Donnent un nouveau charme aux transports de l’amour. I sense a fresh charm in the transports of love.
Reine, de ce jour d’allégresse Queen, of this day of joy
Que rien ne trouble les douceurs. let nothing diminish the sweetness.
(en touchant les princes de sa flèche) (touching the princes with his arrow)
Reprenez vos esprits, et que le charme cesse. Return to yourselves, may the charm cease.
Que le calme et la paix renaissent dans nos cœurs. May calm and peace revive in our hearts.
182 APOLLON APOLLO
L’aurore a fait son cours, l’heure du jour m’appelle. Dawn has run its course, the hour of daybreak calls me.
Lieux sombres, où régnait une éternelle nuit, Sombre regions, where reigns eternal night,
Conservez les attraits de l’éclat qui me suit. retain the imprint of the brightness which follows me.
Brillez à chaque instant d’une beauté nouvelle. Shine with fresh beauty every moment.
(La décoration change.) (The décor changes.)
Acte V, scènes 4 et 5 53
l
Q œ
œ œœœœœœ
=l
=l
vent de prestes fusées des flûtes, les orages de Borée paci-
fiés, exorcisés, domestiqués, civilisés! Après un arrêt sur
cadence de Ré majeur, les deux flûtes en tierces nous ramè-
nent vers la dominante précédant la reprise du début.
-
l # Q œœœ
#
-
»»»»»»»» » »»»»»»
-
l================
&
- - - - - - -
œ œ œ œ œ #œ œ œ œ œ œ œ Q
l • - - - - - - - - - - - - - -
l
- - - -
=l
185 Air gracieux (mes. 453-485). En Ré mineur (milieu au l #
relatif Fa majeur), dans le genre d’un Menuet, avec ici ? # h.
l================ l h. =l
aussi des effets d’échos. C’est une page pleine de charme. 7 7
186 Air vif (mes. 486-526). Un 2/4 en Ré majeur très spirituel #
et rapide, fait sur le dialogue de fragments de gammes ## H . Q H E H.
l -
»»»»»»»»»»»»
l================
&
- - - -
œ
-
l
E
# œ œ œ œ œ œ œ œ œ œ œ E Q. E H .
+
l =l
- phes pour l’a - mour,
#
& 3 Q
««««
l # Vns 1 œ œ œ œ qQ _
ll================
Q
lH
q
_ _
_
_
q
_q
Q
=l
sorte de Rigaudon modéré, gracieux et très dansant
(forme binaire à reprises), dont l’écriture en imitations
reste légère, avec de belles parties de basson dans l’aigu.
l
»»»»
Vns 2
Alphise
l ## 3 œ œ œ œ Q Q
l &
================ l
»»»»»»œ _œ œ œ œ œ
=l
189 Pas de deux (mes. 591-641). Également en Ré majeur et
en forme binaire à reprises, voici une preste Gigue ita-
lienne à 6/8, dont l’orchestre est traité en dialogues
l #
l •
# 3 Q
sont
Abaris
l================
&
sont
des
Q
des
Q » »»»»»»
tri - om -
l
œ œ
tri - om -
œ
-
-
œ œ
-
-
œ
-
œ
-
_Q
-
-
-
=l
-
concertants entre hautbois d’une part, altos et bassons
en tierces parallèles de l’autre.
190 Deux Menuets (mes. 642-682). Toujours en forme
binaire à reprises, le premier, en Ré majeur, lent et céré-
l # 3 Basses H. monieux, est écrit à trois voix seulement (hautbois, vio-
? #
l================ l h. =l lons, basses) et comporte à sa cinquième mesure un
7 7
motif rythmique que l’on trouve aussi à la fin du
## H . H. deuxième Menuet. Celui-ci, en Ré mineur, également à
l================
& l =l trois voix, est tout embué de mélancolie, avec son
l # œ
+
««««««««« «
# H œ œ œ œ œ œ œ œQ .
ll================
&
œ
__ »»»
h
l Q.
. E œœœ
£ =l
emprunt à la sous-dominante et son souvenir de Ré
mineur même au milieu de l’épisode central au relatif Fa
majeur. Contrairement à la coutume, le premier Menuet
l
» » » » » »» »»»
l ## œ œ œ œ Q
+
Q œ œ œ œœœ n’est pas repris.
&
#
»»»»»»»» » »»»»»»
l================
l================
&
l
l #- _-Q - -_œ œ -œ - - - - - - - Q - -
œœœœœ œ œœœœ œ œ
l
l • - - - - - - - - - - - - - -
=l
=l
« Quels bienfaits éclatants ! »
l # H. Philip Langridge (Abaris), François Le Roux
? #
l================ l h. =l (Adamas) et Jennifer Smith (Alphise),
7 7 mise en scène de Jean-Louis Martinoty,
Festival d’Aix-en-Provence, 1982. Bernand.
54 Acte V, scène 5
Acte V, scène 5 55
l================
lœ œ
ll œ q l
«» « «» « «» « «» «
œ œ l
lQ l
_q=l
l œ q l
l
l
œ œ œ œ l
l
l
«
ll
‰ ll
propres à Borée, ce que le texte justifie (« La violence le _q _e =l l
conduit partout où sa fureur l’entraîne »).
192 Deux Contredanses (mes. 736-800). Pas de majestueuse Exemple 26
Chaconne pour conclure, mais le truculent pied de nez
final de ces deux Contredanses à 2/4, par lequel le vieux La deuxième Contredanse, en Ré mineur, ne comporte
Rameau prend ironiquement congé de nous, «faisant ce que deux couplets, au relatif Fa majeur, puis l’on reprend
qu’il lui plaît». Jean Malignon n’hésite pas à évoquer un la première, qui termine les Boréades sur une note
Quadrille 1900, quant à moi je pencherais plutôt pour un volontairement fruste, voire prolétaire, celle d’un
Galop d’Offenbach... La première, très vive et en Ré robuste Bourguignon bien aise de quitter son habit de
majeur, témoigne d’une saine frénésie rythmique et com- cour. Beethoven aussi aimera se « déboutonner » ainsi...
porte trois brefs couplets alternant avec son refrain (ex.
26), couplets dont le deuxième offre un dialogue rapide Mancor de la Vall (Majorque),
entre les hautbois et le reste de l’orchestre. février 2001 - Bruxelles, avril 2001
Harry HALBREICH
© L’Avant-Scène Opéra, Paris 2001
56 Acte V, scène 5
58
59
60
61
que celui-ci soit sollicité sans cesse par ces que Borilée offre à Apollon. L’enchaînement
changements d’expression. On s’en rendra des danses et des airs de ballet que suscite
compte encore en rapprochant l’épisode dans l’enlèvement d’Orithie par Borée souligne
lequel Abaris l’emporte sur ses rivaux (V/4) et combien le musique de Rameau, qu’elle soit
l’« ariette gaie » « Que l’amour embellit la vie » vocale ou instrumentale, possède une plasti-
(V/5) qui met le comble au prestige vocal et cité mimique suggestive ; combien aussi elle
symbolique du personnage. peut être mélancolique même en Sol majeur !
Créatures aimables, compagnes des Fleurs Borée, dieu des vents du Nord
et des Zéphyrs (« Comme un zéphyr qui
vole », acte II/6, délicieuse « ariette vive »), les Basse. Il a vocalement le caractère d’un
nymphes (sopranos) sont filles de Nature et « dieu jaloux, fier, implacable » tel que le peint
peuplent l’univers pastoral de Rameau. Il s’en Sémire (I/1). Jupiter d’un Olympe septentrio-
faut pourtant que le bon sens leur manque. À nal, il règne sur les Vents souterrains qui rava-
preuve l’amour de la liberté auquel il serait gent la Terre.
spécieux d’accorder un sens contestataire, Enfers. Peu de tragédies qui n’aient les
comme on l’a dit par ailleurs. La liberté dont leurs. Ceux de Castor (acte III) sont célèbres.
il s’agit est celle de l’amour opposée à la Le royaume des Vents souterrains en offre
tyrannie des passions. l’équivalent. Ceux-ci s’organisent dans le fas-
cinant prélude arythmique de l’acte V qui
Orithie renouvelle le prodige sonore de l’ouverture
de Zaïs peignant le chaos originel. Le
Rôle dansé (II/6). Précisons – ce qui visi- contraste entre l’instabilité de l’élément
blement, en l’absence de toute indication dévastateur auquel commande Borée et l’as-
dans le livret, était une évidence pour le sise du pouvoir terrestre mis en jeu, est, à tous
public du temps de Rameau ! – qu’Orithie, les points de vue, fortement symbolique. Le
fille d’Erechthée, roi d’Athènes, inspira une nom redouté de Borée est évoqué bien avant
vive passion à Borée, qui l’enleva sur les bords qu’il paraisse, en tyran, à l’acte V. Son entrée
de l’Ilissos et en fit la mère de ses fils. L’arrivée ne déçoit pas l’attente : en un saut de plus
d’Orithie offre au librettiste l’occasion d’ef- d’une octave et demie la voix plonge dans les
fectuer une mise en abyme : les peuples, par la « cavernes obscures » sans atteindre pourtant
danse et la pantomime, vont « retracer les feux les limites de tessiture que Rameau, avec un
du dieu Borée et d’Orithie » en un spectacle stylème similaire, exigeait de l’Envie (« Pro-
62
Le Temps
Mais il est un autre personnage allégorique
par excellence, représenté par les Saisons, les
Heures auxquelles dans l’acte IV/4, une
gavotte est dédiée, les instruments à cordes
devant imiter l’horloge ainsi que le prescrit
Rameau. Ce personnage omniprésent, c’est le
Temps, mesure de toute chose, en Bactriane
comme ailleurs.
fonds abîmes du Ténare », Le Temple de la
Gloire, Prologue, 1) ou encore de Huascar
(« Tombez sur moi rochers brûlants », Les NOTES
Indes galantes, deuxième entrée, 8)7. Dans
l’ensemble, le rôle de Borée est porté vers 1. Nicolas Poussin, par exemple, a appliqué rigoureuse-
ment ce principe. Dans ses tableaux qu’il met en
l’aigu, ce qui fait merveille dans les scène avant que de les peindre, il y a, de façon calcu-
ensembles. lée, corrélation entre le mouvement du paysage et
Vengeance. Elle est lancée par Borée dans la l’événement dont il est le théâtre.
scène 3 avec un air « infernal » « Venez punir 2. Nous approcherons les personnages des Boréades sui-
son injustice ». L’« air vif » instrumental qui vant l’ordre de leur entrée en scène.
suit et qui rebondit sur les syncopes de l’or- 3. Le chiffre romain indique l’acte ; le chiffre arabe, la
scène.
chestre, prolonge ce geste vocal imprécatoire. 4. Le terme désigne ici, selon Rousseau, « un air de sym-
Borée change d’expression quand paraît phonie dont on fait un air chantant en y ajoutant des
Abaris puis Apollon (V/5), la volonté vindi- paroles ».
cative du dieu des Vents devant céder devant 5. La solution adoptée lors de la création mondiale sur
la bravoure d’un mortel. scène au Festival d’Aix-en-Provence en 1982, semble
la meilleure : Sémire chante la première partie de l’air
et la reprise, Alphise la seconde partie « Par l’attrait
Apollon des biens les plus chers ». C’est elle qui, de façon
logique, tire la morale de la fable.
Type de voix de basse identique à celle de 6. À Aix-en-Provence, on choisit de terminer l’acte sur
Borée dont le personnage est l’antithèse. Deus cette ariette flatteuse pour l’interprète du rôle d’Aba-
ex machina certes, mais qui assume pleine- ris, en l’occurrence Philip Langridge, ce qui entraîna
ment sa mission symbolique, au sommet de la suppression de tout ce qui suit : l’air pour les Sai-
sons et les Zéphirs, le récitatif d’Abaris « Je cours flé-
la hiérarchie des personnages. chir un dieu » et l’ariette « Je vole Amour », le vaste
Lumière. Un des mots-clés des Boréades, on chœur final « Volez, volez, que l’Amour ». C’est ainsi
l’a dit. Apollon accomplit son destin qui est que la représentation de l’œuvre a été retransmise sur
« d’éclairer le monde et d’apprendre aux mor- France-Musique.
tels à devenir heureux » (Adamas, II/2). Pour 7. Lors de la création des Boréades à Aix-en-Provence,
célébrer le dieu du Jour, Rameau retrouve la Jean-Philippe Lafont qui incarnait Borée, risqua le Fa
grave, non prévu par Rameau, dans « redoutez ma
même élévation que dans Zoroastre. Il donne rage » (V/1). Il ne renouvellera pas cette imprudence
au dieu la majesté vocale qui lui sied. dans l’enregistrement de l’œuvre.
63
64
65
laire, souvent imprévisible, réveille en nous ment facilement, et produisent des incendies
l’expérience primitive de l’effroi devant ce terribles lorsqu’on fait rouler un seul mor-
qu’on est incapable d’expliquer. Marmontel ceau de rocher dans leurs gouffres redou-
caractérise le procédé poétique consistant à tables. Les naturalistes les plus habiles
susciter cette illusion comme un merveilleux appuient le témoignage des voyageurs par des
« pris sur la dernière limite des possibles ». Il raisonnements physiques, et par des expé-
s’agit d’un merveilleux par défaut puisqu’il riences plus convaincantes encore que les
s’appuie sur un manque de connaissance. arguments. Me condamnera-t-on, quand j’in-
Dans sa Poétique, Aristote avait déjà présenté troduis sur le théâtre un phénomène plus
l’idée de surprise sous la catégorie de rareté vraisemblable qu’un enchantement et aussi
statistique et placé de ce fait l’événement dra- propre à occasionner des symphonies chro-
matique sous le régime de l’extraordinaire. La matiques ? »
pensée classique, en remodelant cette catégo- La seconde espèce de merveilleux, selon
rie à la lumière de la physique en pleine Marmontel, ou « merveilleux surnaturel »,
expansion, ne pouvait que l’enrichir. consiste à supposer un monde différent, hors
Un très bel exemple de ce merveilleux nature : il ne se constitue pas par effraction
éclairé se trouve dans l’acte des Incas des Indes dans la nature réelle, mais il supplée à celle-ci
galantes, qui se termine par la mort du prêtre par une autre nature, une surnature. Tel est le
Huascar pris dans une éruption volcanique. merveilleux des poèmes épiques : c’est un
L’auteur du poème, Louis Fuzelier, prend soin merveilleux par excès qui construit un monde
d’expliquer dans l’avertissement de la pièce supposé (par exemple les Enfers).
qu’il s’agit en réalité d’un phénomène parfai- Mais, comme on vient de le voir, la réalisa-
tement connu, mais dont Huascar, ignorant tion d’un tel monde ne le dispense pas d’ob-
la cause, attribue l’origine à la volonté divine : server les contraintes de ce qui pourrait se
« Le volcan qui sert au nœud de cette entrée présenter comme nature. Surtout, la nécessité
américaine n’est pas une invention aussi de la représentation sur scène obligeait les
fabuleuse que les opérations de la magie […]. poètes à l’insérer dans l’expérience réelle.
Bien des voyageurs estimés attestent qu’ils Non seulement les actions magiques et les
ont rencontré de ces fournaises souterraines, enchantements doivent s’y plier dans leur
composées de bitume et de soufre, qui s’allu- forme (on ne peut se passer d’espace, de
66
67
BORÉE ET EURILAS 1. Pour une étude des occurrences, voir Sylvie Bouissou
«Les fonctions dramatico-musicales de la tempête et de
Excitez un funeste orage
l’orage dans l’opéra français», Penser l’opéra français de
Volez, troublez les flots et la terre et les cieux, l’âge classique, Les Papiers du Collège international de
Allez, allez, jetez sur ce rivage philosophie, n° 16, fév. 1993, p. 89-103, repris dans D’un
Son {mon} rival à ses {mes} yeux. opéra l’autre. Hommage à Jean Mongrédien, éd. J. Gri-
benski, M.C. Mussat et H. Schneider, Paris : Presses
CHŒUR DES AQUILONS de l’Université de Paris-Sorbonne, 1996, p. 217-230.
2. Abbé Pellegrin, préface d’Hippolyte et Aricie (publiée
Excitons un funeste orage (etc.).
dans Hippolyte et Aricie, Opéra National de Paris, 1996,
Borée et les Vents s’envolent avec un bruit terrible. p. 63-65).
68
3. Voir Sylvie Bouissou Jean-Philippe Rameau : Les se faire entendre. Sur l’attribution du poème des
Boréades ou la tragédie oubliée, Paris: Méridiens Klinck- Boréades à Louis de Cahusac, je me permets de ren-
sieck, 1992, chap. VI. voyer à mon Jean-Philippe Rameau, splendeur et nau-
4. Voir le texte de Jean-Louis Martinoty dans le livret frage de l’esthétique du plaisir à l’âge classique, Paris :
d’accompagnement du coffret Erato, p. 22. Minerve, 1988, Annexe III.
5. Ce serait le métier poétique en termes de perfection 6. « Musicien dans un paysage de ruines », dans Hippo-
technique qui aurait pu guider un musicien avide de lyte et Aricie, Opéra National de Paris, 1996, p. 75-82.
69
70
71
72
73
74
75
La « belle déclamation » de
Monsieur Rameau
Le chant lyrique est d’abord l’énonciation d’un texte. Mais le poème dramatique
induit l’écriture vocale sur plusieurs plans. D’un côté la prosodie, le rythme du vers,
les accents de la langue se présentent comme des traits rythmiques et mélodiques
qu’il s’agit d’imiter. Le compositeur se propose alors pour modèle une sorte de décla-
mation théâtrale imaginaire du texte qu’il a sous les yeux.
Lorsqu’il conquit de haute lutte l’Académie récitatifs de la publication de son célèbre bal-
royale de musique, en composant coup sur let des Indes galantes, Rameau défendait sa
coup Hippolyte et Aricie (1733), Les Indes position dans la préface de sa partition :
galantes (1735), Castor et Pollux (1737), Les
Fêtes d’Hébé (1739) et Dardanus (1739), Jean- « Toujours occupé de la belle déclamation
Philippe Rameau étonna son public par la et du beau tour de chant qui règnent dans le
vigueur de son inspiration, par la science de récitatif du grand Lully, je tâche de l’imiter,
son écriture, par la merveilleuse diversité de la non en copiste servile ; mais en prenant,
palette instrumentale de ses danses. Lullystes comme lui, la belle et simple nature pour
et ramistes s’empoignaient dans le cul-de-sac modèle. »2
de l’Opéra, les premiers prônant la noble
simplicité du récitatif du Surintendant de Dans cette phrase, tous les mots comptent :
Louis XIV, les seconds défendant les harmo- le récitatif de Lully est ainsi composé de
nies savantes et les roulades virtuoses du futur « belle déclamation», mais aussi de cette ins-
Compositeur de la musique de Louis XV. Il piration mélodique que l’on nomme alors
n’était pas jusqu’au roman licencieux qui ne « tour de chant». Celui de Rameau se propose
résonnait des querelles lyriques : Diderot, le même but (imiter la « belle et simple
dans ses Bijoux indiscrets, proposait un amu- nature»), mais par des moyens qu’il sait être
sant parallèle entre Lully-Utmiutsol et différents. Pour égaler Lully, il ne s’agit pas de
Rameau-Utremifasolasiututut : le copier mais d’élaborer une nouvelle forme
de récitatif, elle aussi issue de l’observation de
« La nature conduisait Utmiutsol dans les la nature, mais se fondant sur une alchimie
voies de la mélodie ; l’étude et l’expérience toute personnelle de la « déclamation» et du
ont découvert à Utremifasolasiututut les « tour de chant».
sources de l’harmonie. Qui sut déclamer, et
qui récitera jamais comme l’ancien ? qui nous Le système déclamatoire
fera des ariettes légères, des airs voluptueux et
de l’opéra français
des symphonies de caractère comme le
moderne ? »1 La nature problématique de la déclamation
musicale et ses rapports avec le récitatif fran-
Pendant longtemps, la cause fut entendue : çais ont été souvent traités par les théoriciens
Rameau renouvelait par son art les airs, les du XVIIIe siècle3. Le récitatif imite-t-il la
chœurs et les divertissements dansés, Lully déclamation théâtrale ? Est-il à l’inverse une
restait le maître incontesté de la déclamation forme autonome de déclamation, propre-
en récitatif. Pourtant, alors même qu’il sem- ment musicale ? Cette déclamation se réduit-
blait souscrire à cet arrêt en retranchant les elle à ce qui est noté sur la partition par le
76
77
chantée n’est pas seule chargée de peindre : sante expressivité. Chaque mot important est
dès que l’accompagnement instrumental souligné par un ornement, par une harmonie
s’étoffe, il devient évocateur : les appels de choisie, par un intervalle illustratif. L’accom-
cors brossent l’environnement cynégétique, pagnement instrumental enrichit encore une
les traits rapides de violons imitent le siffle- déclamation surdéterminée, en quelque
ment de la bourrasque. sorte, saturée de sens et d’émotion.
Le son et le sens du mot enfin ne sont pas L’extrême finesse de cette écriture ne pou-
seuls à déterminer la déclamation chantée. À vait être mise en valeur que par des inter-
certains moments, le rôle de l’inspiration prètes de haut vol et l’on comprend qu’une
musicale dépasse la stricte imitation de la déclamation trop appuyée, des intentions
prosodie ou du référent sémantique : elle crée trop marquées, un débit trop lent, une exces-
un climat affectif plus général, relevant d’une sive complaisance dans l’exécution des agré-
imitation plus diffuse mais non moins péné- ments aient pu parfois lasser les détracteurs
trante. La plastique du « tour de chant» mélo- de l’opéra français, particulièrement acharnés
dique, la puissance pathétique de l’accompa- contre le récitatif. Pourtant, Rameau parvient
gnement instrumental sont alors convoquées, dans ses ultimes chefs-d’œuvre au sommet de
notamment dans les airs monologues (« Lieux l’art de cette « belle déclamation» qu’il admi-
désolés», acte IV, sc. 2). rait chez Lully et qu’il recrée selon son propre
La déclamation musicale, qu’elle appa- goût, raffiné, intelligent et subtil.
raisse dans le récitatif ou dans les airs, parti-
cipe donc d’un système complexe où les réfé-
rents sont multiples. D’un vers à l’autre, d’une
mesure à l’autre, les subtils dosages de cette
alchimie musico-verbale changent et orien-
tent plus ou moins l’imitation vers le pôle
prosodique, le pôle sémantique ou le pôle
pathétique.
NOTES
1. Denis Diderot, Les Bijoux indiscrets, Paris, Hermann,
Les Boréades : enrichissement et 1978, p. 69-70.
concentration de la déclamation 2. Jean-Philippe Rameau, Les Indes Galantes, Ballet réduit
à quatre grands Concerts, Paris, L’auteur-Boivin-Leclerc,
Si ce système complexe de déclamation [c. 1736], s.p.
musicale est caractéristique de toute la pro- 3. Voir à ce sujet Catherine Kintzler, «Essai de définition
duction lyrique française de Lully à Rameau, du récitatif, le chaînon manquant», Recherches sur la
il est particulièrement riche dans Les Boréades. musique française classique, XXIV, 1986, p. 128-141; id.,
Depuis les ouvrages de Lully, où le récitatif Poétique de l’opéra français de Corneille à Rousseau, Paris,
Minerve, 1991, p. 379-394 ; Lois Rosow, « French
simple régnait en maître, une lente évolution baroque recitative as an expression of tragic déclama-
a vu croître la part des divertissements dansés, tion», Early music, XI, octobre 1983, p. 478-479.
des chœurs, des symphonies descriptives. Les 4. Pour Sylvie Bouissou, « Cette option composition-
librettistes – Cahusac en tête – prodiguent les nelle correspond évidemment à l’obsession de
situations merveilleuses ou pathétiques afin Rameau de fondre toute microforme dans la structure
de fournir au compositeur l’occasion de du drame c’est-à-dire la macroforme.» Sylvie Bouis-
sou, Jean-Philippe Rameau, Les Boréades ou la tragédie
dévoiler toute la somptuosité de sa palette. oubliée, Paris, Méridiens/Klincksieck, 1992, p. 147.
Les scènes de dialogue où l’action s’expose et 5. « Lorsque le poète lui avait donné son poème, il le
se développe, où les sentiments s’analysent lisait plusieurs fois, le raisonnait, le déclamait, et
avant de s’épancher, sont de plus en plus obligeait très souvent l’auteur a y faire des change-
brèves et espacées. Mais à l’inverse de l’éco- ments qui exerçaient beaucoup sa patience.» Hugues
nomie de l’opéra seria où le partage des tâches Maret, Éloge historique de Mr Rameau, Dijon, Causse,
1764, p. 72.
est nettement marqué entre un recitativo sem- 6. Cf. Raphaëlle Legrand, « La rhétorique en scène :
plice d’une sobriété extrême et le vaste air da quelques perspectives pour l’analyse de la tragédie en
capo qu’il introduit, Rameau cherche à gom- musique», Revue de musicologie, 84, n° 1, 1998, p. 77-
mer toute solution de continuité entre récita- 91 ; id., « Un modèle de « belle déclamation musi-
tif et air. Si ses airs recherchent essentielle- cale » : la « scène » du Dardanus de Rameau», Entre
ment la simplicité du sublime, ses récitatifs théâtre et musique : Récitatifs en Europe aux XVIIe et
XVIIIe siècles, Cahiers d’histoire culturelle, Université
courts et concentrés sont investis d’une puis- de Tours, n° 6, 1999, p. 79-98.
78
79
tous les orchestres. On sait par exemple qu’il y pour jouer tout le système, il leur faut com-
avait de grosses différences entre les concerts plètement changer les doigtés. De plus,
d’église et les concerts donnés à la cour (ou les Rameau demande aux vents, en particulier au
opéras). On a pu déterminer la hauteur du hautbois, une virtuosité jusque-là inconnue.
diapason d’après les orgues encore existants,
qui étaient généralement accordés plus haut – Et c’est cela le style Rameau ?
que les instruments utilisés pour la musique – Toutes Les Boréades sont effectivement un
profane. Les études montrent que l’orchestre paradis pour les amateurs d’ornements. Il y
des Boréades devait être accordé autour de 392 en a tellement que les cordes jouent sans
Hz, c’est-à-dire très exactement un ton au-des- vibrato, faute de temps. On en tire naturelle-
sous du diapason actuel, fixé à 442/443 Hz. ment des conclusions sur la manière de chan-
Comparé à l’orchestre des Boréades, le son de ter. Le programme des répétitions de l’Opéra
la Philharmonie de Vienne, champion du royal pour les Boréades en 1763 montre à quel
monde de l’accord le plus aigu, ressemble au point Rameau était exigeant en matière
visage de Nancy Reagan après tous ses lifting. d’agréments, même pour ses contemporains
La tessiture des parties solistes ne laisse aucun qui fréquentaient cette musique journelle-
doute : le La était forcément fixé à 392. Les par- ment au lieu de tâtonner comme nous : tous
ties de ténor, notamment, sont tellement les matins à neuf heures, les violons devaient
aiguës qu’elles seraient inchantables autre- se retrouver chez le « Maître d’ornementa-
ment. Sachant d’autre part que le rôle d’Abaris tion ». C’est très significatif. Cela vous donne
devait être interprété par le célèbre chanteur une idée des difficultés auxquelles nous nous
Jéliotte, on en déduit que Rameau a écrit le heurtons, nous, pour qui la musique baroque
rôle pour une haute-contre, un style de ténor française est un terrain quasiment vierge. Il y
français à la tessiture très haute. Les castrats a d’autre part le problème du récitatif, diffé-
n’entraient généralement pas en ligne de rent de celui de l’opéra italien, par exemple.
compte pour les Français, qui détestaient ce On demande aux chanteurs une sorte de
type de voix jugée peu naturelle. Sprechgesang comparable à la façon dont
Sarah Bernhardt déclamait du Racine : avec de
– Quels problèmes pose le fait de s’accorder si bas? l’émotion dans la voix et une forme de pathos
– Rendez-vous compte : le diapason est fixé stylisé.
encore un demi-ton au-dessous de celui
qu’utilisent les orchestres de musique pré- – Vous vous êtes donc plongé dans les sources ?
classique pour jouer, par exemple, du Haen- – Oui, bien sûr. J’ai étudié tout ce qui me
del. L’Orchestre of the Age of Enlightenment tombait entre les mains : j’ai passé énormé-
est maintenant réellement versé dans la litté- ment de temps dans les bibliothèques fran-
rature du XVIIIe siècle, mais nous nous étions çaises à analyser les manuscrits de Rameau,
jusqu’à présent peu confrontés à la musique lire des traités d’ornementation et des traités
française de cette époque et jamais nous sur l’art du chant. William Christie et John
n’avions joué aussi bas. Pendant la première Eliot Gardiner, qui sont les deux spécialistes
répétition au mois de décembre, il nous a de cette musique, m’ont aussi aidé et
fallu une bonne demi-heure pour trouver le conseillé. Je leur dois beaucoup. Aujourd’hui
La. Au début, on a essayé de transposer les je suis arrivé à un point où je dois de nouveau
instruments plus bas, mais l’on s’est vite oublier la théorie. Bien sûr, je garde quelque
aperçu que cela ne marchait pas. Pour les part en tête tout ce que j’ai appris, mais il
cordes encore, on pouvait, par exemple, nous faut maintenant comprendre cette
tendre des cordes de boyaux plus épaisses. musique et l’interpréter. En tenant compte du
Mais pour les vents, on ne trouvait aucune fait que tout n’est pas marqué sur la partition.
solution. L’une de nos flûtistes possédait déjà Si l’on se contentait de jouer les notes comme
un instrument français d’époque, correcte- elles sont écrites, le résultat serait très uni-
ment accordé, et l’on a décidé de faire fabri- forme. Il faut donner vie à cette musique
quer les autres instruments. Le hautbois, par en variant les dynamiques, en accentuant les
exemple, posait le même type de difficultés. rythmes. En fait, il s’agit tout simplement de
Les instruments d’aujourd’hui ont des pro- la prononcer correctement. Les règles sont
portions très différentes : ils sont plus gros. relativement simples, mais il faut développer
Pour les musiciens, c’est comme s’ils devaient une sorte d’instinct pour cette forme de swing.
apprendre à jouer d’un nouvel instrument : Oui, c’est un peu comme le jazz : chaque aria,
80
81
Les Boréades avaient tout pour de- les tient d’une main de fer et mène Mais un disque tire aussi ses
venir un opéra-culte. Une réputation son monde avec un sens du drame charmes des performances de ses
de chef-d’œuvre maudit, une origine tout à fait inédit. Les airs torturés qui chanteurs, et on ne peut que s’incli-
parée de mystère, une résurrection ouvrent les actes (« Charme trop ner devant l’équipe ici réunie. Au-
rocambolesque et, last but not least, dangereux » d’Abaris, « Songe af- jourd’hui défenseur de Britten ou de
des beautés intrinsèques à couper le freux, image cruelle » d’Alphise) Janacek, Philip Langridge pouvait à
souffle. Sans le disque, l’ouvrage se- ainsi que la sublime suspension de l’époque endosser les parties de
rait de surcroît nimbé de cette aura l’Entrée de Polymnie trouvent en lui haute-contre avec un réel bonheur :
qui accompagne les œuvres inacces- un parfait démiurge, soignant le son registre aigu recourt habilement
sibles… Fort heureusement, sa créa- mouvement, raffinant la couleur et à la voix mixte, son français est excel-
tion scénique au Festival d’Aix-en- sachant parfaitement doser les mo- lent et son timbre recèle un léger
Provence en 1982 fut immédiate- ments de détente nécessaires entre voile de mélancolie qui sied au per-
ment suivie de sa mise en boîte par deux scènes dramatiques. Le prodi- sonnage d’Abaris. On peut adresser
Erato, qui confirmait ainsi sa place gieux passage de l’acte III à l’acte IV, les mêmes éloges à Jennifer Smith. Si
éminente dans la défense du patri- lorsque Borée déchaîne les vents elle n’a pas la voix la plus séduisante
moine français. suite aux imprécations de ses descen- du monde, le soprano anglais est un
Une vingtaine d’années plus tard, dants, est un grand moment de modèle d’intelligence et de style, son
ce coffret n’a rien perdu de son théâtre discographique, où les quali- élégance naturelle convient parfaite-
lustre. On a entendu des témoigna- tés du Monteverdi Choir éclatent ment à la reine de Bactriane et les li-
ges émus d’auditeurs qui étaient à avec plus d’évidence encore. Des quidités de son timbre revêtent le
Aix cet été-là, et qui, depuis lors, qualités qui s’appellent : homogé- personnage d’un vernis tragique tout
vouent un culte indéfectible à cet en- néité des timbres, justesse forcenée à fait indiqué. Aux côtés du bien
registrement réédité en CD (mais dé- et parfaite élocution. terne Stephen Varcoe (un Apollon,
nué de livret parce que les droits exi- Si l’on peut juste émettre une ré- ce baryton mat et sans couleur ? al-
gés par l’éditeur étaient, d’après serve, on dira que, dans les moments lons donc !) et de l’Amour virginal
Erato, trop élevés). Qu’on nous per- de franche gaieté – indiqués d’ailleurs d’Elisabeth Priday, Gilles Cache-
mette d’adopter la position du can- par le compositeur –, le chef anglais maille impose un ton autoritaire et
dide ayant appris à connaître et à ai- ne se permet jamais le petit grain de une opulente étoffe vocale, grimpant
mer Les Boréades grâce à ces trois ga- folie propre aux danses de Rameau. dans l’aigu sans coup férir. Son Bori-
lettes, sans recours possible au C’est particulièrement vrai de l’ul- lée fat s’apparie habilement au Cali-
souvenir du spectacle de Martinoty. time « contredanse très vive », que sis maniéré de John Aler qui ne se
Placé devant ses enceintes, le can- Simon Rattle, à Salzbourg, rendait laisse pas déstabiliser par la tessiture
dide admire la tenue de l’ensemble. absolument irrésistible de frénésie très aiguë de Calisis. Jean-Philippe
Et surtout l’orchestre de Gardiner. Au furieuse, et qui n’est ici que preste- Lafont campe un dieu des vents
début des années 80, Raymond Lep- ment enlevée. Idem pour la « contre- idéalement brutal, François Le Roux
pard sévissait encore, Malgoire et danse en rondeau » au déhanché si chante un Grand-prêtre bouillant en
Leonhardt s’aventuraient d’un pas étrange qui conclut l’acte premier, et diable et Anne-Marie Rodde com-
chancelant sur un terrain encore peu que l’on pourrait imaginer plus dé- pense ses acidités madymespliennes
exploré, Minkowski et Christie rangeante, plus bizarre – au fait, par sa fraîcheur et son agilité.
n’étaient pas encore passés par là. n’est-ce pas ainsi que les contempo- En 1983, ces disques vengeaient
Goûter aux sortilèges d’un opéra de rains de Rameau désignaient l’art ainsi deux siècles d’oubli et prenaient
Rameau sur des instruments « baroque » ? La méticulosité de Gar- sans peine la tête de la discographie
d’époque aux sonorités soyeuses et diner n’évite donc pas quelques ramellienne. Depuis, d’autres enre-
chaudes, d’une justesse infaillible et pointes de sécheresse. On le vérifie gistrements sont venus se ranger à
d’une grande précision dans l’at- encore dans des staccati à la limite du leurs côtés. Mais en ce qui concerne
taque, le rythme et le phrasé, était défilé martial, par exemple dans le Les Boréades, Gardiner conserve le
encore rarissime. C’était pourtant « Régnez, régnez, belle Alphise ré- monopole. Les mélomanes qui ont
bien la prouesse que donnaient à en- gnez ». Un rien d’abandon, un in- eu la chance d’assister au spectacle
tendre les English Baroque Soloists. fime déhanché et nous serions au salzbourgeois en 1999 gardent en
Manifestement, John Eliot Gardiner paradis… mémoire la splendide faconde de Sir
82
Philip Langridge (Abaris) et Jennifer Smith (Alphise), direction musicale de John Eliot Gardiner,
Festival d’Aix-en-Provence, 1982. Bernand.
83
84
Le finale du premier
acte dans la mise en
scène de Graham Vick,
Mayfair Suite de
Birmingham, 1993.
Conrad Blakemore/Coll.
Opera Magazine.
85
LE LIVRET
trouvé », in Revue de Musicologie, Legrand, Raphaëlle, Comprendre la mu-
Les Boréades, livret original en français, LXIX/2, 1983. sique baroque à travers ses formes, Arles,
Harmonia Mundi, 1997 (1 livre + 2 cd).
Paris, Stil, 1982.
Bouissou, Sylvie, « Les fonctions dra-
matico-musicales de la tempête et de Legrand, Raphaëlle, « La rhétorique en
PARTITIONS l’orage dans l’opéra français », in Penser scène : quelques perspectives pour
l’opéra français de l’âge classique, Les Pa- l’analyse de la tragédie en musique », in
piers du Collège international de phi- Revue de musicologie, 84, no 1, 1998.
Les Boréades, tragédie lyrique en cinq losophie, no 16, février 1993 ; repris
actes, livret de [L. de Cahusac], 1763, dans D’un opéra à l’autre. Hommage à Legrand, Raphaëlle, « Un modèle de
non représentée. Partition ms. in-4o, Jean Mongrédien, éd. J. Gribenski, M. C. “belle déclamation” musicale : la scène
Annotations autographes, 102 ff. Fonds Mussat et H. Schneider, Paris, Presses de Dardanus de Rameau » in Entre
Decroix no 1202. - F Pn Rés. Vmb, ms. 4. de l’Université de Paris-Sorbonne, 1996. théâtre et musique. Récitatifs en Europe au
XVIIe et XVIIIe siècles, Cahiers d’histoire
Les Boréades, tragédie lyrique en cinq Christensen, Thomas, Rameau and mu- culturelle, Université de Tours, no 6, 1999.
actes, livret de [L. de Cahusac], fac-si- sical Thought in the Enlightenment, Cam-
milé du manuscrit F Pn Rés. Vmb, ms. 4, bridge, Cambridge University, 1993. Malignon, Jean, Rameau, Paris, Seuil/
1763 ; préface de A. Geoffroy-Dechaume, Coll. Solfèges, 1960.
Paris, Stil, 1982. Ferrari, Patricia, Techniques et expression
de la fantaisie dans le théâtre lyrique fran- Maret, Hughes, Éloge historique de Mr
Les Boréades, tragédie lyrique en cinq çais 1670-1770, 1975. Rameau, Dijon, Causse, 1764.
actes, réduction clavier-chant par Noël
Lancien, Paris, Stil, 1998. Foster, Donald H., Jean-Philippe Ra- Martinoty, Jean-Louis, « Une stratégie
meau : a guide to research, (bibliogra- du refus », in Festival international d’art
Les Boréades, tragédie lyrique en cinq phie commentée), New York-Londres, lyrique et de musique d’Aix-en-Provence,
actes, partition générale, édition cri- Garland Publishing, 1989. Aix-en-Provence, Roubaud, 1982.
tique de Philippe Lescat, Paris, Stil,
1998. Girdlestone, Cuthbert, Jean Philippe Ra- Martinoty, Jean-Louis, Voyage à l’inté-
meau, sa vie, son œuvre, Londres, 1957, rieur de l’opéra baroque, de Monteverdi à
Bruges, Desclée de Brouwer, 1962 ; 3e Mozart, Paris, Fayard, 1990.
ÉLÉMENTS DE BIBLIOGRAPHIE édition, 1983.
Rameau de A à Z. (Dictionnaire sous la
Actes du Colloque international Jean-Phi- Kintzler, Catherine, La France classique direction de Philippe Beaussant), Paris,
lippe Rameau (Dijon 1983), recueillis et l’opéra… ou la vraisemblance mer- Fayard, 1983.
par Jérôme de la Gorce, Paris-Genève, veilleuse, Arles, Harmonia Mundi, 1998
Champion-Slatkine, 1987. (1 livre + 2 cd). Rameau, Jean-Philippe, Musique rai-
sonnée, textes choisis, présentés et com-
Alembert, Jean Le Rond d’, Éléments de Kintzler, Catherine, Jean Philippe Ra- mentés par C. Kintzler et J.-C. Mal-
musique théorique et pratique suivant les meau : splendeur et naufrage de l’esthé- gloire, Paris, Stock+Plus/musique, 1980.
principes de Rameau, Amsterdam, Za- tique du plaisir à l’âge classique, Paris, Le
charie, Châtelain et fils, 1763. Sycomore, 1983. Rosow, Lois, « French baroque recita-
tive as an expression of tragic déclama-
Beaussant, Philippe, « D’Hippolyte et Kintzler, Catherine, « Musicien dans tion », in Early Music, XI, octobre 1983.
Aricie aux Boréades, l’opéra de Rameau », un paysage de ruines », in Hippolyte et
in Harmonie-Opéra, juin, 1983. Aricie, Opéra National de Paris, 1996. Sadler, Graham, « Rameau’s last opera :
Abaris ou Les Boréades », in Musical
Boréades (Les), programme du Festival Kintzler, Catherine, Poétique de l’opéra Times, CXVI, avril, 1975.
de Salzbourg, 1999. français de Corneille à Rousseau, Paris,
Minerve, 1991. Terey-Smith, Mary, Jean Philippe Ra-
Bouissou, Sylvie, Les Boréades de Jean meau, ABARIS OU LES BORÉADES : a criti-
Philippe Rameau, thèse de 3e cycle pré- Klingsporn, Regine, Jean-Philippe Ra- cal edition, diss., Rochester, Eastman
sentée à l’U.E.R. de Musicologie de Pa- meaus Opern in Ästhestischen Diskurs ih- School of Music, 1971.
ris-IV, 1986. ren Zeit. Opernkomposition, Musikan-
schauung und Opernpublikum in Paris Wolf, Peter, « Rameau and the comé-
Bouissou, Sylvie, Jean Philippe Rameau. 1733-1753, Stuttgart, Mund P, 1996. die » in Musical humanisme and his le-
Les Boréades ou la tragédie oubliée, Paris, gacy, Stuyvesant, New York, Pendragon,
Méridiens/Klincksieck, 1992. La Querelle des Bouffons, textes des pam- 1992.
phlets, avec introduction, commentaire
Bouissou, Sylvie, « Les Boréades de et index par Denise Launay, Genève,
Jean-Philippe Rameau : un passé re- Minkoff, 1973.
86
13,70 €
www.asopera.com
ISBN 2-84385-194-7
gnements à picorer Éditions Premières Loges 15, rue Tiquetonne 75002 Paris
ou à dévorer. 01 42 33 51 51 (33 1 42 33 51 51) Fax 01 42 33 80 91 (33 1 42 33 80 91)
aso 2002
88
89
Nous sommes en 1975, bien avant que la le 22 octobre 1976 je signe avec la Biblio-
mode ne s’empare de Rameau. C’est l’époque thèque Nationale un contrat qui me rend ces-
où j’enregistre l’intégrale des œuvres pour cla- sionnaire exclusif des droits d’exploitation des
vecin de Jean-Philippe Rameau interprétées Boréades, œuvre inédite et posthume. L’Admi-
par Scott Ross et, en 1977, je prépare la publi- nistrateur de la B.N. en 1976, M. Georges Le
cation de l’enregistrement de l’opéra Zaïs Rider, me garantissant avec amabilité une
dirigé par Gustav Leonhardt. Ma passion pour exploitation paisible de l’œuvre, je pouvais
Rameau est suffisamment connue pour qu’en envisager la réalisation des projets envisagés
mars 1976, un ami, Pierre Dumoulin, m’invite avec J. E. Gardiner.
à écouter l’enregistrement d’une émission de
la BBC Radio 3 consacrée aux Boréades et dif- Un simple contrat d’édition
fusée le 19 avril 1975 depuis le Queen Eliza-
beth Hall. Le choc est immédiat. Je décide sans L’exploitation des Boréades se présentait
hésitation d’enregistrer l’œuvre. Pour avancer donc sous « Un horizon serein » telle que
dans cette nouvelle aventure des éditions Stil, l’Ariette de la fin du premier acte l’annonçait.
je me rends aussitôt à Londres afin de rencon- La réalité ressembla davantage à la suite de la
trer celui qui a dirigé l’exécution que je viens même Ariette, « Tout à coup le vent gronde/Il
d’entendre. La hardiesse de John Eliot Gardi- amène l’orage et soulève les mers ». Les assauts
ner, encore peu connu en France, me fait pen- du monde de la musique contre le titulaire des
ser à celle de Scott Ross et, à mes yeux, il s’im- droits, au fur et à mesure que la date de célé-
pose évidemment pour le projet. bration du bicentenaire de la naissance du
Croyant l’œuvre dans le domaine public, compositeur approchait, ont été d’une vio-
ignorant de surcroît que J. E. Gardiner avait lence et d’une mauvaise foi inouïes. Je dois
déjà déclaré un titre de propriété sur l’œuvre dire ici ma gratitude envers les administrateurs
auprès de la société d’auteurs anglaise, la Per- de la Bibliothèque Nationale. Ils ont toujours
forming Right Society, je bâtis avec lui, autour été à mes côtés, solidaires, confirmant chaque
des Boréades, des projets multiples : une édi- fois que de besoin, à tel ou tel, la nature et
tion de la partition, dès 1977 un enregistre- l’étendue incontestables des droits concédés.
ment discographique, un concert à Paris, puis,
à plus longue échéance, la représentation à la
Une séance de travail chez le graveur à Darmstadt,
scène. avec Friedrich Schwöbel, John Eliot Gardiner et
Je débute sans tarder la gravure à l’ancienne Gerhardt Düll, en juillet 1976. Photo A.Villain.
que je fais réaliser à Darmstadt en Allemagne,
dans l’atelier de Friedrich Schwöbel, fournis-
seur attitré des éditions musicales Henle. J. E.
Gardiner fait d’ailleurs le voyage pour discuter
avec le graveur1.
En août 1976, lorsque je montre les
épreuves tirées à partir des premières plaques
gravées à M. Bernard Bardet, conservateur au
Département de la Musique de la Biblio-
thèque Nationale, celui-ci me met en garde, et
m’informe par écrit du statut particulier de cet
opéra : il s’agit, m’explique-t-il, d’une œuvre
protégée au titre du droit posthume dont la
Bibliothèque Nationale détient les droits
exclusifs.
L’édition, appelée à paraître aux éditions
Stil, projetée avec J. E. Gardiner, doit donc
nécessairement passer par un accord en bonne
et due forme avec l’institution : c’est ainsi que
90
« On a pu lire dans la presse ces derniers temps certains commentaires sur ma propre asso-
ciation avec la musique de Rameau et en particulier avec Les Boréades. En outre, il a été sug-
géré qu’il y avait un différend entre Monsieur Alain Villain, à qui la Bibliothèque Nationale
a confié l’exploitation de l’œuvre, et moi-même. (...)
« Il m’a toujours semblé qu’Alain Villain était l’un des éditeurs de disques et de livres les plus
éclairés de nos jours. On n’a qu’à regarder le palmarès de sa production dans des domaines
bien variés pour se rendre compte de la valeur de sa contribution artistique. Et parmi tous les
éditeurs de disques à qui on a proposé Les Boréades – et ils furent plusieurs à entendre la bande
magnétique du concert donné à Londres en 1975 par la Monteverdi Choir et Orchestra –
Alain Villain fut le seul à reconnaître immédiatement avec passion et en connaisseur la réalité
des Boréades. Il est impensable que je puisse avoir la moindre velléité de différend avec quel-
qu’un qui partage mon enthousiasme pour Rameau et qui cherche à donner à ce compositeur
la possibilité de vivre sous ses vraies couleurs. Nous avions formé le projet de faire mieux
connaître Les Boréades sur tous les plans. Ce projet a échoué, et je l’ai beaucoup regretté. Alain
Villain possède à présent les droits d’éditeur des Boréades et je n’ai jamais contesté la respon-
sabilité que la loi française lui a conférée, de veiller sur tout ce qui concerne l’œuvre – lourde
tâche, il me semble, et qui doit lui procurer davantage de soucis que de satisfactions – malgré
le fait qu’à l’intérieur de la France même, beaucoup contestent la validité de cette responsabi-
lité, sans parler de ceux qui en d’autres pays considèrent que la loi française sur les œuvres
posthumes est en contradiction avec les normes internationales.»
91
92
93
94
www. asopera.com
Directeur de la publication
et rédacteur en chef : Complétez votre collection
Michel Pazdro
Catalogue intégral sur simple demande
Conseillers de la rédaction :
Josée Bégaud, Jean-Michel Brèque, 0 142 33 51 51 Fax 0 142 33 80 91
Jean Cabourg, Sandro Cometta, E-mail : premieres.loges@wanadoo.fr
Gérard Condé, Joël-Marie Fauquet,
Pierre Flinois, Christian Merlin, www.asopera.com
Pierre Michot, Alain Perroux,
Jean-Claude Yon
Secrétariat de rédaction,
iconographie :
Elisabetta Soldini
Conception graphique :
Ania Solo
Exemples musicaux :
Laurence Ardouin
Abonnement,
vente par correspondance,
service aux libraires :
Isabelle Hu-Chang
Nadine Debray
Lundi – vendredi 9h-13h / 14h-17h
Correspondant en Suisse :
Roger Maire 2416 Les Brenets (NE)
Tél. (039) 932 11 77 CCP 23 2780
Flashage :
NBC, 28400 Nogent-le-Rotrou
Bimestriel n° 203
juillet-août 2001
Les Boréades
L’ Œ U V R E
3 Points de repère
Joël-Marie Fauquet 4 Pour saluer Les Boréades
Michel Pazdro 10 Argument
R E GA R D S S U R L’ Œ U V R E
Joël-Marie Fauquet 58 Variations sur la flèche enchantée
Catherine Kintzler 64 L’opéra et ses météorites
Sylvie Bouissou 70 L’énigme des Boréades
Raphaëlle Legrand 76 La « belle déclamation »
Sir Simon Rattle 79 Les Boréades : de la pure science-fiction
page 88
Bataille autour de l’exploitation des Boréades, œuvre posthume