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de l’agriculture biologique et du
commerce équitable au Burundi
Pierre Johnson
Consultant transition écologique et échanges internationaux
Diffusion limitée – vient de paraître – Revue Pour n°227 février 2016
Présentation
Cet article est issu du travail effectué par l’auteur de décembre 2014 à décembre 2015
dans le cadre du Programme de Renforcement des Capacités Commerciales du Burundi1. Il
contient des éléments sur la structuration de la filière café de ce pays, et les enjeux qu’elle
représente pour son évolution vers la certification biologique et équitable.
Introduction
Petit pays enclavé au cœur des grands lacs d’Afrique de l’Est, le Burundi bénéficie des
avantages et des inconvénients de sa situation, mais aussi de son histoire. Davantage connu pour
les séquelles de la colonisation et la longue guerre civile qui a marqué la fin du XXe siècle que
pour sa production agricole, le Burundi tire pourtant 90% de ses recettes en devises du café et
du thé, le premier ayant une qualité désormais reconnue sur le plan international. Avec une
population à majorité rurale, et 90% de l’emploi dépendant de l’agriculture, le Burundi connaît
actuellement un mouvement vers une agriculture plus respectueuse de l’environnement et de
l’être humain. Il est vrai que depuis la colonisation et jusqu’à récemment, le secteur du café était
conditionné par des politiques officielles favorisant la monoculture, l’usage des fertilisants et des
pesticides chimiques, et par des lois sociales peu satisfaisantes.
Le mouvement de l’agriculture biologique a émergé au cours des dernières années au
Burundi dans le contexte de la dynamique d’intégration économique de l’Afrique de l’Est, qui a
l’ambition de devenir le marché le plus intégré du monde au cours des prochaines années. Si le
pays reste en avant-dernière position africaine de l’indice du développement humain (IDH), son
agriculture bénéficie également de la présence d’une population rurale importante, et d’un
secteur entrepreneurial indépendant. La richesse des sols, en partie volcaniques, et la capacité
des coopératives et des entreprises à progresser sur les plans de la qualité et de la traçabilité,
permet d’atteindre des niveaux de qualité et par conséquent des débouchés intéressants sur les
marchés internationaux.
Pour comprendre les avancées et les opportunités, ainsi que les difficultés, représentées
par l’émergence de l’agriculture biologique au Burundi, nous nous appuierons presque
exclusivement sur l’exemple du café, parce qu’il est emblématique, mais aussi parce que nous
pouvons en rapporter des informations et des analyses récentes de première main, issues de
notre travail pour l’Organisation des Nations Unies pour le Développement Industriel en 2014 et
2015. Si le cas du café ne reflète pas l’ensemble de l’agriculture du Burundi, et notamment les
1 Pour plus d’informations sur ce programme, vous pouvez écrire à l’auteur :
contact@pierrejohnson.eu
cultures vivrières, il offre cependant un éclairage sur l’évolution des pratiques agricoles et des
organisations paysannes impliquées dans les cultures d’exportation. D’autres cultures pouvant
être associées au café, l’émergence d’une caféiculture biologique et équitable pourrait ainsi
entrainer dans son sillage des territoires complets et d’autres filières agricoles.
1. Importance et répartition de la caféiculture au Burundi
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Pour des raisons pratiques, le Programme de Renforcement des Capacités Commerciales
du Burundi s’est intéressé principalement au café fully washed, sur lequel nous avons centré
notre étude.
La station de lavage : un maillon stratégique
Au Burundi la station de lavage (SL) apparaît comme le principal maillon stratégique de
la filière. C’est à ce niveau qu’est rassemblé le café cerise et qu’ont lieu les opérations de tri, de
lavage et de fermentation, qui en déterminent la qualité. Les relations entre la SL et les
producteurs, et la qualité des opérations réalisées en SL (traitement des eaux usées et usage des
sous-produits du dépulpage et du lavage) sont deux éléments fondamentaux pour la définition
de la qualité du produit final et de la durabilité de la filière.
Deux aspects structurant des stations de lavage sont leur situation géographique et le
type d’opérateur contrôlant la station de lavage. La carte de l’implantation des stations de lavage
montre une concentration des infrastructures dans les provinces du Nord, et notamment
Kayanza et Ngozi, et à moindre égard dans 7 provinces périphériques à cette zone.
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Une vingtaine de SL ont été construites par des coopératives au cours des dernières années(2),
et au moins 7 autres par les coopératives visitées en 2015.
2 Si la SL est propriété d’une autre coopérative, les producteurs dans la pratique peuvent être
progressivement intégrés à cette coopérative, et on retombe sur le cas (2). Si ce n’est pas le cas, leurs
relations peuvent s’apparenter à celles d’une coopérative avec un opérateur privé.
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Figure 1 : Configurations de la filière amont du café au Burundi
Pierre Johnson, 2015
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rentabiliser leurs investissements. Leur processus de qualité dépend de la qualité du café
cerise fournit par les producteurs. S’y ajoutent la qualité du tri, du lavage et des
opérations de séchage du café effectuées par la station de lavage.
La fragmentation de la filière résultant du processus de privatisation des SL est donc souvent
source d’incertitude et de fragilité pour les entreprises comme pour les producteurs.
Lorsque la coopérative de producteurs possède une ou plusieurs stations de lavage en état
de marche (cas 2), elle est en situation d’autonomie et contrôle son approvisionnement. Il lui est
relativement facile d’anticiper les volumes de café cerise amenés à la SL, en fonction des
conditions météorologiques, notamment, mais aussi de l’engagement des producteurs,
engagement qui est sous sa responsabilité.
Dans le cas des relations entre une entreprise possédant une ou plusieurs stations de lavage
et une coopérative de producteurs sans station de lavage (cas 3), le risque supporté par les deux
acteurs dépend en grande partie de leurs relations. Cependant la notion de partenariat semble
moins fréquente que le rapport de force dans lequel l’entreprise impose son prix aux
producteurs.
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3.2. Les avancées de la certification commerce équitable du café au Burundi
Les certifications « commerce équitable » apportent des avantages substantiels aux
petits producteurs ruraux. Basé sur la notion de partenariat et les principes de transparence,
d’équité et de respect entre petits producteurs et importateurs, ce type de certification a
commencé à se développer en Amérique Latine, avant de s’étendre en Afrique subsaharienne et
en Asie. Elle est particulièrement développée dans le secteur café. Dans l’Afrique des Grands
Lacs, les premières certifications Fairtrade, du nom du label historique et majoritaire du
commerce équitable, ont été octroyées en 2003 à des coopératives de Rwanda et d’Ouganda,
bientôt suivi par le Kivu en RDC.
Au Burundi, le COCOCA est le principal acteur de l’effort de certification du café en
commerce équitable. En 2013 et 2014, sept coopératives du COCOCA obtiennent la certification
Fairtrade. En 2014, le COCOCA obtient la certification de groupe, moins onéreuse pour les
coopératives, et après la mise en place d’un système de contrôle interne, COCOCA peut ainsi être
garant des coopératives certifiées par son intermédiaire.
Certaines entreprises désirent s’engager dans cette voie. L’une d’entre elle fait alors les
frais de la méconnaissance du périmètre de certification Fairtrade, et de son inadéquation au
regard des configurations de la filière café où celle-ci est fragmentée (cas 1 et 3 ci-dessus). En
définitive, seules les coopératives de producteurs possédant une ou plusieurs stations de lavage,
peuvent bénéficier de la certification Fairtrade. D’autres certifications plus récentes de
commerce équitable permettraient de contourner cette difficulté.
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Au sein du secteur coopératif, le COCOCA a adopté une stratégie progressive
d’engagement des producteurs vers l’agriculture biologique. Fin 2014, il a identifié 300
producteurs issus de 2 coopératives intéressés par la production biologique, et qui se sont
engagés dans ce mode de production. En 2015, le RCCB a identifié avec le COCOCA deux autres
coopératives pouvant avancer vers ce mode de production et la certification correspondante. Un
programme d’accompagnement à la production et à la certification biologique est en cours de
lancement au sein du consortium. Réunies elles aussi en consortium, six entreprises privées
pourraient participer au programme de conversion vers l’agriculture biologique en 2016, alors
qu’une d’entre elle y était déjà sérieusement engagée. La possibilité d’échanges d’expériences et
de pratiques pourrait permettre au total à une dizaine d’organisations de s’engager dans la
certification biologique en 2016, représentant plus de 5 000 producteurs et fournisseurs, soit
près de 1% des producteurs.
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Au Burundi, les coopératives qui souhaitent s’engager dans le commerce équitable ont
choisi la certification Fairtrade3, qui garantit aux producteurs un prix minimum de 140 $ les cent
livres de café vert dès la première année, à laquelle s’ajoute une prime de développement4. Cette
certification représente un coût fixe important pour une coopérative isolée (environ 2 000 € par
an). Mais le COCOCA étant lui-même certifié à son niveau, il peut réaliser les inspections pour les
coopératives qui en sont membres, faisant tomber les coûts pour elles à quelques centaines
d’euros par an. Le commerce équitable constitue souvent une première étape permettant aux
coopératives de s’engager dans l’agriculture biologique, laquelle permet une rémunération
encore supérieure.
Évaluer les coûts et les bénéfices de la certification biologiques est une opération plus
complexe. Pour cela, les premiers ont été répartis en coûts directs et indirects. Les coûts directs
sont les coûts de certification, qui varient de 400 à 1 000 euros par organisation et par an selon
la taille de celle-ci notamment. Les coûts indirects concernent les investissements matériels et
immatériels nécessaires, comme la mise à niveau des infrastructures de transformation
(traçabilité, traitement des eaux usées et recyclage en station de lavage) ou la mise en place d’un
système de traçabilité et de contrôle de qualité, ainsi que d’éventuelles pertes de production liés
à la recherche d’un équilibre sanitaire (la récolte sanitaire). Le niveau des investissements à
réaliser dépend des écarts constatés entre l’état actuel de l’organisation et des infrastructures et
le niveau à atteindre.
Les bénéfices directs que peuvent attendre les organisations et leurs producteurs de la
certification en agriculture biologique sont : un marché en pleine croissance, des clients a priori
fidèles, et un différentiel de prix de 20 à 35%, selon le cours international du café, la qualité, et
les négociations de gré à gré avec les acheteurs. Les coopératives répercuteront ces bénéfices à
leurs membres, et en investissements divers. Les entreprises devraient également en faire
bénéficier les producteurs, si elles veulent fidéliser ceux-ci, car dans certaines régions une
concurrence existe entre stations de lavage proches.
Conclusions
La filière café du Burundi est porteuse d’un potentiel économique, social et
environnemental important. Déjà reconnu comme excellent, le café du Burundi peut voir sa
valeur s’accroître au bénéfice des producteurs et des entreprises, en évoluant vers l’agriculture
biologique et le commerce équitable. Tandis que le commerce équitable opère comme une
assurance en période de chute des cours, les changements induits par la certification biologique
changent profondément et positivement les méthodes de production et les relations entre les
opérateurs de la filière.
Deux types d’organisation de la filière (organisation autonome des petits producteurs en
coopératives ou partenariat entre coopérative de producteurs et station de lavage) permettent
de mettre en place le système de contrôle de qualité et de traçabilité du café nécessaire à la
3 En 2015 leur ont également été présentées les certifications suivantes : Symbole des
Producteurs Paysans (SPP), qui propose un prix minimum plus élevé de 160 $, Ecocert
Équitable, Fair for Life et WFTO. Le label Fairtrade bénéficiait d’une antériorité et d’une image
favorable des organisations de producteurs, et a été retenu par celles-ci.
4 Au jour de la rédaction de cet article, le prix du café sur la bourse de New-York est de 114,35 $
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certification, depuis la cerise jusqu’au café parche, relayé au niveau du café vert (le café
déparché, prêt à exporter).
Tandis que le commerce équitable garantit aux producteurs un prix minimum et
représente une première étape de structuration de la qualité, la production et la valorisation du
café biologique est de plus en plus un projet fédérateur pour la filière, capable de rapprocher
producteurs, stations de lavage, coopératives et entreprises, autour d’une même approche de
qualité, pour laquelle la contribution de chacun est nécessaire, devant être rétribuée à sa juste
valeur. Malgré les difficultés de différents ordres qu’a connu le Burundi et ses campagnes au
cours des dernières décennies, l’émergence de l’agriculture biologique dans le secteur du café
représente un des principaux espoirs pour la population rurales, qui forme la majorité du pays.
Sources
(1) Alexandre Hatungimana, « Le café et les pouvoirs au Burundi », Les Cahiers d’Outre-Mer [En
ligne], 243 | 2008, mis en ligne le 01 juillet 2011, consulté le 12 décembre 2015. URL :
http://com.revues.org/5298
(2) CTB Trade for Development, « L’appui du Trade for Development Centre aux coopératives de
café burundaises », mars 2015.
CTB Trade for Development, « Café des Grands Lacs : l’appui du Trade for Development Centre à
5 coopératives », 2013
(3) Munich Advisors Group, « Analyse de la Chaîne de Valeur du Secteur Café au Burundi »,
janvier 2013. Programme « Renforcement des Capacités Commerciales du Burundi ».
(4) Pierre Johnson, « Formation des acteurs de la filière café du Burundi, Certification
agriculture biologique et commerce équitable, Note et rapport d’étape à l’attention de l’ONUDI »,
janvier 2015. Programme Renforcement des capacités commerciales du Burundi.
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