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Fascisme

Le « fascisme » est la doctrine politique du mouvement des Fasci italiani di combattimento, puis du Parti
fasciste, apparue en Italie aux lendemains de la Première Guerre mondiale. En octobre 1922, Mussolini
arrive au pouvoir en Italie : en quelques années, il établit un régime politique de type radicalement
nouveau en Europe. En dépit de sa dimension nationaliste, le fascisme a eu une influence bien au-delà des
frontières italiennes, inspirant de nombreux mouvements ou régimes politiques dans l’Europe de l’entredeux-
guerres.
L’idéologie fasciste évolua, ne reposant jamais sur une doctrine parfaitement homogène. Elle comporta
d’emblée une dimension paradoxale, fondée sur le refus des philosophies et des doctrines constituées.
Ainsi, l’une des devises du mouvement fasciste était : « Notre doctrine, c’est le fait. » En 1922, Cesare
Rossi l’un des fondateurs du mouvement des faisceaux écrivait : « Le fascisme a renversé le schéma de la
politique traditionnelle : ce n’est plus la doctrine qui guide ou emprisonne un mouvement mais c’est le
mouvement qui produit et anime la doctrine. » Au pouvoir, le fascisme crée une idéologie totalitaire
visant à construire une société nouvelle. Celle-ci doit être disciplinée, fondée sur le corporatisme, unie
derrière son chef, le Duce. Il s’agit aussi de transformer l’individu pour créer un homme nouveau fasciste.
Le fascisme n’en conserve pas moins certains aspects traditionnels, favorisant notamment le catholicisme
et la famille.
La doctrine fasciste peut être sommairement présentée comme reposant sur un certain nombre de refus
(libéralisme, démocratie, individualisme, communisme et socialisme, pacifisme) et sur l’exaltation de
valeurs telles que l’ordre, la hiérarchie, l’autorité, la virilité et la légitimation de la violence dans la lutte
contre les ennemis du fascisme.
• Aux origines de la doctrine fasciste
Le fascisme est, dans une large mesure, l’héritage de la Grande Guerre. Les premiers militants fascistes
avaient tous été favorables à la participation de l’Italie au conflit. Pour ces « interventionnistes », la
guerre devait être la source d’une régénérescence nationale et politique de l’Italie libérale considérée
comme décadente. Dans le parti des interventionnistes se forma une coalition de forces politiques
préfigurant le syncrétisme fasciste. Ainsi se retrouvèrent côte à côte des nationalistes et des hommes issus
du mouvement ouvrier, syndicalistes révolutionnaires (De Ambris) et militants socialistes (Mussolini).
Au sein des premières troupes du fascisme affluèrent des combattants qui avaient été marqués par
l’expérience du front et tout particulièrement les arditi qui allaient contribuer à imprimer leur style
(exaltation de la force et de l’action héroïque) dans la vie politique d’après guerre. L’exaltation de
l’héroïsme guerrier ne cessa d’être une composante importante de l’idéologie fasciste. Dans les années
1930, dans l’Enciclopedia italiana, Mussolini écrivait : « La guerre seule porte les énergies au plus haut
point de tension et imprime le sceau de la noblesse aux peuples qui ont le courage de l’affronter. »
La doctrine fasciste agrégea plusieurs traditions idéologiques qui s’étaient affirmées avant guerre.
Ainsi, la contestation des Lumières et des valeurs de la démocratie avait été portée par des nationalistes
comme Giovanni Papini ou Ardengo Soffici, ce dernier proclamant son attachement à « l’Illiberté,
l’inégalité, la hiérarchie ». Enrico Corradini avait, pour sa part, affirmé les droits de l’Italie, « nation
prolétaire » à conquérir des colonies. Du futurisme, mouvement esthétique autant que politique, dont
Filippo Tommaso Marinetti était le principal théoricien, les fascistes partageaient l’exaltation de la force,
de l’action et de la guerre. Le mouvement fasciste puisa également dans la tradition du syndicalisme
révolutionnaire : Mussolini, en 1932, présentait Georges Sorel ou Hubert Lagardelle comme figurant
parmi les précurseurs du fascisme.
• Les transformations de la doctrine
Le Mouvement des faisceaux de combat, fondé à Milan, en mars 1919, refusa l’organisation en « parti
politique » se présentant comme « anti-parti » pour signifier la radicale nouveauté du projet fasciste.
Pourtant, la structuration en Parti fut finalement retenue à l’issue du troisième congrès national du
mouvement (7-11 novembre 1921). Le Parti fasciste n’en restait pas moins un parti radicalement nouveau,
de par sa nature de « parti milice ». Cette transformation fut accompagnée d’un réajustement de la
doctrine. Dès le deuxième congrès du mouvement, Mussolini avait imposé l’abandon des thématiques
républicaines et anticléricales. Le programme du parti était également allégé de certaines revendications
à caractère social, le droit de propriété étant présenté, avec le libéralisme économique, comme un
principe intangible.
L’évolution du programme du fascisme est à mettre en relation avec les transformations de sa base
sociale : afflux de représentants des classes moyennes sensibles à l’anticommunisme et d’une bourgeoisie
ayant rallié un mouvement perçu comme une force de conservation de l’ordre social. De fait, entre 1919
et 1921, les squadre fascistes réprimèrent avec violence le vaste mouvement social qui s’était affirmé
dans le pays, attaquant les syndicalistes et les militants des partis démocratiques, de la gauche aux
démocrates-chrétiens (Parti populaire italien).
• La doctrine du fascisme au pouvoir
L’arrivée au pouvoir de Mussolini, en octobre 1922, puis la suppression de toute forme de démocratie à
partir du tournant « fascistissime » de 1925-1926 eurent d’importantes conséquences sur la doctrine.
Mussolini, chef du gouvernement, n’était plus responsable que devant le roi, dont le rôle était très effacé.
Le parlement était dépourvu de tout pouvoir ; le Duce, chef charismatique et incontesté était à la tête du
parti et de l’État. Le parti national fasciste était le seul autorisé tandis que les oppositions étaient traquées
et réprimées. La vie culturelle et sociale était presque entièrement contrôlée et surveillée. Un lien étroit
existait désormais entre le Parti fasciste et l’État : tous les responsables politiques appartenaient au parti.
L’organe suprême de l’État, le Grand Conseil du fascisme, rassemblait ministres, responsables du parti et
hauts dignitaires du régime.
Idéologues et juristes s’attachèrent à théoriser le totalitarisme fasciste qui se renforça tout
particulièrement dans la seconde moitié des années 1930. La doctrine se précisa moyennant une réflexion
des juristes et des intellectuels fascistes sur l’État et le totalitarisme fasciste. Ainsi, le fascisme
considérait l’État comme un absolu devant lequel l’individu et les catégories sociales, professionnelles
mais aussi les partis devaient s’effacer. Cette doctrine de l’État totalitaire doit beaucoup à la pensée de
Giovanni Gentile, philosophe « officiel du régime ». Celui-ci collabora avec Mussolini pour la rédaction,
en 1932, de l’article de l’Enciclopedia italiana sur « La Doctrine du fascisme ».
Uppé par Volgazim pour smartorrent.com
Le corporatisme représenta un autre versant important de la doctrine fasciste. Il constitua une forme de
syndicalisme fasciste défini par la charte du travail adoptée le 21 avril 1927. En dépit de l’affirmation
« l’organisation syndicale ou professionnelle est libre », seuls les syndicats fascistes – dont les dirigeants
étaient nommés et non élus – étaient reconnus par l’État. La Confindustria détenait le monopole de la
représentation patronale. Le ministère des Corporations, porte-parole des intérêts des syndiqués, jouait le
rôle de médiateur des conflits. Les négociations des contrats collectifs étaient menées directement par les
employeurs et l’État. La charte du travail et le corporatisme permirent au fascisme de se présenter comme
une troisième voie entre capitalisme et socialisme et comme le défenseur des intérêts de la collectivité.
En réalité, le système corporatif fut défavorable aux travailleurs et aux catégories populaires.
Aux continuités de la politique économique et sociale s’ajoutèrent les permanences liées au poids de
l’Église dans la société, dont le rôle fut confirmé et « institutionnalisé par la signature des accords du
Latran en février 1929.
• Vers une société totalitaire ?
Dans la seconde moitié des années 1930, l’ambition de forger un homme nouveau fasciste s’affirma tout
particulièrement. Lors de la guerre d’Éthiopie, moment d’intense ferveur nationaliste dans le pays,
l’idéologie impériale conquit une partie importante de la population. La volonté de transformer la société
à marche forcée se poursuivit ensuite, empruntant différentes voies : retour aux origines
« révolutionnaires » du fascisme et campagne antibourgeoise dénonçant le comportement individualiste,
malthusianiste et hédoniste de la bourgeoisie. Ces mesures visaient à réformer les coutumes, le style des
comportements et les usages linguistiques.
C’est dans une telle perspective qu’il faut interpréter l’évolution de la doctrine vers des thèses
racistes, restées étrangères, avant 1936, au fascisme. Avec la guerre puis la participation à la guerre
civile espagnole, l’Italie se rapprocha de l’Allemagne national-socialiste. De sa propre initiative, le
gouvernement de Mussolini s’engagea dans la voie de l’antisémitisme d’État, dans l’illusion que la
désignation d’un nouvel ennemi intérieur contribuerait à la « fascisation des esprits ». En 1938, le grand
conseil du fascisme adopta une « Déclaration sur la race » suivie de décrets antisémites frappant les 45
000 juifs d’Italie : interdictions professionnelles, confiscation des biens, interdiction des mariages
mixtes. Le philosophe Julius Evola devint le théoricien de la doctrine fasciste de la race, qui mêlait
conceptions biologiques (ainsi, les Italiens étaient définis comme aryens, et non les juifs) et politiques :
le racisme était présenté comme l’un des leviers qui permettrait de mener à bien la révolution culturelle
fasciste et de réaliser l’homme nouveau.
Marie-Anne MATARD-BONUCCI
Kitsch
On assimile habituellement le kitsch au mauvais goût, au tape-à-l’oeil, à la pacotille, à tout ce qui est
lourd, criard, clinquant, convenu – chromos, souvenirs touristiques, artisanat d’aéroport et autres Joconde
en plastique. Pourtant, force est de constater, si l’on y regarde de plus près, qu’il existe une spécificité du
kitsch – dont aucune des caractéristiques, précisons-le, ne fonctionne isolément.
La primauté de la forme d’abord : l’objet kitsch se situe à l’opposé de l’idéal prôné, tant pour
l’architecture que pour le design, par le Mouvement moderne dès les années 1920, et selon lequel « la
forme suit la fonction ». Le kitsch s’annonce dès que la forme s’écarte de la dimension utilitaire pour
devenir décorative, ou transmettre des émotions, des valeurs.
L’hétérogénéité sémantique ensuite : réfractaire à la règle de l’unité, l’objet kitsch est souvent constitué
d’éléments appartenant à des univers sans rapport entre eux (poivrier en forme de tour Eiffel, coquillage
utilisé comme cendrier, horloge à coucou).
Puis vient l’inauthenticité, au sens matériel (faux bois, faux marbre, fausses poutres, bijoux en toc),
mais aussi au sens figuré (stéréotypes, conformisme, poncifs, déjà-vu). S’y ajoutent surcharge et
saturation : contrairement au mot d’ordre minimaliste de l’architecte Ludwig Mies van der Rohe (1886-
1969), « Less is more », le kitsch se complaît dans le trop, le trop plein, la démesure, ou procède par
entassement, ornementation à outrance, avec grandiloquence.
Il s’agit encore de ce qui est joli plutôt que beau. Le kitsch a plus d’affinités avec le gracieux, le
mignon, l’échelle réduite (petits poulbots, chiens et chats de faïence, nains de jardin). Les rejoignent
pathos et sentimentalité ; la seconde est au sentiment ce que la sensiblerie est à la sensibilité : une
emphase qui fait paraître artificielle l’émotion. Cet aspect, typique de « l’art du bonheur » (selon
l’expression du sociologue Abraham Moles, premier spécialiste en France du kitsch), s’exprime dans les
formes (courbes ou sinueuses, exemple le « style nouille » au tournant du XIXe et du XXe siècle), les
couleurs (pastel, rose bonbon) et les contenus (pour la littérature, romances, mélos, romans-photos). On
pense aussi aux couchers de soleil des cartes postales, à certaines émissions télévisées, à toute une
imagerie sulpicienne.
Enfin, la négation du drame : à côté de ce kitsch doux (doucereux), on a pu reconnaître un kitsch
« aigre » – inquiétant, dérangeant dans la mesure où il a trait à la mort (exemple certaines pierres
tombales, les inscriptions « Jamais nous ne t’oublierons » en plastique ou en céramique, les crânes et
squelettes de Halloween). Ce kitsch n’en demeure pas moins rassurant, tout compte fait, puisque, sous
couvert d’en parler, il nie le drame de la condition humaine. On est loin de Pascal ou de Beckett. Selon
Milan Kundera, qui consacre d’assez longs passages de son roman L’Insoutenable Légèreté de l’être
(1984) à des développements originaux sur le sujet : « Le kitsch est un paravent qui dissimule la mort. »
• Un phénomène historique ?
Si l’origine du mot est connue (apparu en Bavière vers 1870, il est entré dans la langue française près
d’un siècle plus tard, au début des années 1960), il est moins aisé de dater la naissance du phénomène
lui-même.
Uppé par Volgazim pour smartorrent.com
Certains n’hésitent pas à le faire remonter à l’Antiquité. D’autres, plus prudents, le voient apparaître
après la Renaissance, avec le maniérisme et le baroque. Cependant, la plupart des auteurs (dont Moles,
ou l’écrivain autrichien Hermann Broch) s’accordent pour situer son essor au XIXe siècle, avec le
romantisme, les peintres nazaréens puis les pompiers, et surtout la production d’objets en série, qui
annonce le développement de la société de consommation.
La création des grands magasins – en particulier le Bon Marché à Paris, en 1852, dont Émile Zola
s’inspirera pour écrire Au Bonheur des dames (1883) – joue un rôle important. En proposant à une vaste
clientèle de bourgeois, petits-bourgeois et nouveaux riches des ersatz d’objets et de meubles
précédemment réservés à la noblesse ou à la grande bourgeoisie, le grand magasin, dit Moles, « sera le
premier et le plus grand serviteur du kitsch ». Le triomphe de ce dernier et celui de la bourgeoisie vont de
pair. Au siècle suivant, l’émergence du Prisunic, dès les années 1930, puis celle des supermarchés, à
partir de 1960, ne feront qu’épouser le progrès de la démocratisation, qui propose au plus grand nombre
un goût moyen, dépourvu d’ambitions autres que le confort et le paraître.
La fascination trouble qu’exerce le kitsch sera aussi exploitée par les régimes autoritaires – fascisme,
nazisme, communisme –, qui offrent aux masses une imagerie chargée de symboles et une architecture
pompeuse, étrangère à l’idéal fonctionnaliste. « Ce n’est pas un hasard, prétend ainsi Broch, dans une
conférence donnée pendant l’hiver 1950-1951 sur “l’art tape-à-l’oeil“, si Hitler (comme son prédécesseur
Guillaume II) a été un partisan absolu du kitsch. »
• Art et kitsch
L’art et le kitsch ne font pas bon ménage. En 1933 (date qui peut expliquer en partie sa virulence), Broch
écrivait déjà que « le kitsch est le mal en soi à l’intérieur de l’art ». Kundera lui fait écho dans son essai
Le Rideau (2005), où le kitsch apparaît comme « le mal esthétique suprême ».
De fait, le kitsch réduit le complexe au simple, l’ambitieux au médiocre, le menaçant au rassurant, le
chef-d’oeuvre au cliché. Selon le critique américain Clement Greenberg, auteur, en 1939, d’un célèbre
article sur « Avant-garde et kitsch » (traduit en français dans le recueil Art et culture : essais critiques,
en 1989) : « Tout le kitsch est académique et, réciproquement, tout ce qui est académique est kitsch. » Si
de telles affirmations peuvent paraître outrancières, elles ont toutefois le mérite de situer clairement le
problème.
Malgré tout ce qui les sépare, l’art et le kitsch se sont cependant rencontrés. D’abord au premier degré,
involontairement, dans l’art pompier, les chromos, l’art naïf, ou chez le facteur Cheval (1836-1924),
voire chez certains surréalistes. Puis consciemment, au second degré, comme l’attestent de nombreuses
oeuvres produites au XXe siècle et encore de nos jours (voir le cas très controversé de l’Américain Jeff
Koons, né en 1955). Dès 1924, avec le Manifeste du surréalisme, André Breton affirmait déjà : « Dans
le mauvais goût de mon époque, je m’efforce d’aller plus loin qu’aucun autre. »
Sans doute le chef de file des surréalistes aura-t-il été largement dépassé, notamment par les tenants du
pop art américain, qui n’hésitèrent pas à trouver leurs sources d’inspiration, au début des années 1960,
dans les produits ordinaires de la culture de masse, telles « ces bandes dessinées à cinq cents que l’on
abandonne, notait le peintre américain Roy Lichtenstein, sur le siège du bus quand on les a lues ». Ces
images triviales, l’artiste les retravaille, les reformule, et en hisse la médiocrité au niveau de l’art – un
art plus exigeant qu’on aurait pu le croire. Le résultat est une sorte de « bon goût du mauvais goût » : non
plus du kitsch, mais du camp, pour employer un mot anglais aussi intraduisible que celui de kitsch.
Être camp, en effet, consiste à « faire parade de mauvais goût », non pas en baignant dans le kitsch,
mais en connaissance de cause, avec humour, en en parlant avec des guillemets – comme le font encore
aujourd’hui, à leur manière, de nombreux artistes, telles les Américaines Sherrie Levine et Cindy
Sherman (nées respectivement en 1947 et en 1954), qui privilégient la citation, le pastiche ou la parodie.
Dans un article de la Partisan Review consacré à ce sujet, en 1964, l’essayiste et romancière
américaine Susan Sontag remarquait : « Beaucoup d’exemples de camp sont des choses qui, d’un point de
vue “sérieux“, sont soit du mauvais art, soit du kitsch. » C’est en ce sens qu’Andy Warhol (1928-1987),
dont la fascination pour la culture de masse allait de pair avec une étonnante capacité à s’en extraire ou la
détourner, put être qualifié en 1970, par le critique d’art Gregory Battcock, de « grand prêtre du camp ».
Autant dire qu’il serait malaisé de tenter de comprendre une part importante de la création contemporaine
sans avoir à l’esprit cette subtile distinction.
Jean-Pierre KELLER

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