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FRANCK LOZAC'H

L'HUILE FRAÎCHE

1
Rien ne détruira

Rien ne détruira les frayeurs promises à son front si


clair. Ni souffle ni violence n'épancheront de fièvres froides
les douleurs de ses plaintes.

Il vit solitaire et immortel, caché dans sa retraite au


fond des bois. Il dort d'un sommeil paisible ou contemple la
nuit les grands champs alentour.

Encensez la sagesse de son cœur ! Embrassez son


calme mortuaire ! Ce sont ces bouches qui vous parlent,
écoutez-le !

On se joue de lui pour un écrin de perles ?


Qu'importe ! Personne n'admirera le diadème qui l'habite. Son
secret divinement gardé sera seulement dévoilé au maître des
lieux.

2
Il faut savoir

Il faut savoir que les perceptions n'étaient que des


chuchotements indistincts, - efforts, appels, supplications -
Rien ! De vagues lueurs s'évadaient parfois sur les tempes
comme de lentes lumières attirées par un miroir éclairaient
une face promise au réel.

Des mois d'attente, des incendies soufflés par une


brise légère, et des orchestres mal dirigés comme dans les
squares d'un Thabor ancien. Ô feux sauvages, ô complaintes
de toujours, je me souviendrai...

3
Que le délassement assombrisse

Que le délassement assombrisse les pensées élevées !


Que l'or battu parmi les treilles inonde les pages de
transparence ! Que l'orgueil envoûté par un maléfice
inhumain use de troublantes paroles en ces décennies de
perdition ! Oh ! Qu'une transfusion de sang neuf comme une
gerbe d'allégresse emplisse mes veines !

Le passage étroit pour deux âmes accède aux caves


de la déportation. Il nous faut être bien nés dans la solitude, -
là est la dernière image de l'amour ! Vies de l'âme,
ingratitudes des râles, la volupté est bénie encore. La volupté
contemple le monde. Elle va, elle vient et s'étonne dans les
profondeurs du moi.

Stupide à noircir la feuille, dit l'ancien. Heureux


présage de l'enfant, dit l'adulte. Déferlement animal, dit le
sage.

4
Tu exposes le diagramme

Tu exposes le diagramme à la génération décriée. Tu


prolonges, expédiant les lettres des novices, un caveau promu
au délaissement des sens. Et dans les vignes florissantes, tu
tires le vin à la bouteille d'argent. Déplorables tromperies
recouvertes d'amertume ! Agissements prompts pour la
mansuétude du peuple !

Mais voilà le sanctuaire des hémistiches, voilà le


sacrement autrement déplacé !

L'exercice est insipide, insignifiant aux yeux des


contemporains. Qu'il évolue ou dorme, quelle importance !
Oeil fixé sur les écrits, tendance aux souillures internes,
dépistage d'une carence idiomatique, - là est le surfin de
l'observateur. L'ignorance vécue, le délabrement d'un site, -
qu'est-ce à dire ? Un point insignifiant pour les nuées
alentour, un rejeton de défauts semblables aux découvertes
antérieures !

5
Un midi étrangement profond

Un midi étrangement profond où se consume l'air pur


de nos actes. D'anciennes survivances d'un passé
moyenâgeux, des allégories puis des spectacles, enfin des
particules infimes déployées contre les murs de la cité.

Marcher, marcher encore et soumettre ses idées dans


un hall visqueux, - car tout mélange est de règle, et obtenir
une place à l'ombre des infortunés. Voilà la contribution
latente pour nos incertitudes. Trébucher et parvenir ! Oui,
parvenir ! Le vain mot. Ultime valeur, tu changeras les
visions ! Oublie les règles, et convoite un autre lieu !

Fuir, fuir ! Mais où ? Quelle destination sublime ?


Quel mal nous dépècera encore ? Je suis parti ! Une mélodie
d'évasion. Un instant de solitude espéré depuis tant de mois.
Et puis... Et puis la chute ! Tu te romps, et les coups portés ne
sont que leurres ! Tu projettes une image, tu obtiens le
maléfice ! ...

6
Que reste-t-il à inventer ? Une morale pesante,
prescrite il y a deux mille ans. En trois mots, un monde
transformé suivant les transcendances d'un peuple. J'ordonne
le supplice, c'était le supplice. J'ordonne la paix, éclate la
guerre !

7
Les rayons suprêmes

Les rayons suprêmes se détachaient sur des trames


de couleurs. La raison tremblait dans l'âme du pauvre. Bientôt
les valeurs délicates furent trempées dans de la cire avec un
sceau royal pour effigie.

Point de mesure. Le décor condamnait l'hôte à toute


délectation. Une montagne à venir ? Non, le contour ! Non,
l'attente ! Non, le repos ! Il fallait marcher plus vaillant que la
mort, plus fort que la paix.

Mais pourquoi transformer l'acte fécond en images


saillantes ? Pourquoi, grandir dans les louanges, sombrer dans
le théâtre de l'imagination ?

8
C'étaient des lèvres creuses

C'étaient des lèvres creuses sur des diamants


renversés. La nature, qui par sa forme, accomplit tout un rêve
voyait s'abattre leurs mains lourdes et pesantes : infortune de
deux êtres, et merveille du monde en détresse !

Telles des voix éclatantes, un rire perça le pur silence


: saveur de l'accouplement et lugubres tentations !

Que l'on ne berce pas de lueurs divines des mots


tendres et choisis ! Que l'on ne dicte pas des lois sublimes !
Car le feu envahit de ses flammes agressives les éclairs
éparpillés qui se lamentent.

9
Opaque cité

Opaque cité, cité pour l'élévation ! Que le temps


pardonne l'existence de tes sens ! Va, toi impassible et fière
mourir dans les débris de l'âme inculte. Va à l'extermination
assurée ! Ton devoir te l'impose, oui, va !

On détruisit l'idée de l'holocauste par ce pays


superbe. D'un saint, les paroles s'évadaient tristement parmi
les comparses délaissés. L'onction, la croyance, le mythe,
qu'en firent-ils donc ?

Ô fruit qu'un spasme émancipe, que la gratitude


jaillisse sur tes chevaux sauvages ! Car tu ignores la mélodie
sans fin dans le mélange de nos plaintes merveilleuses !

10
Ils entament calmement

Ils entament calmement le déferlement de nos actes.


Ils sécrètent d'une sève douteuse toutes les substances
promises et humaines. Ils se jouent de l'arbitraire et inventent
l'acte sublime.

Quelle est leur destinée ? Oh ! Une toile insipide


coloriée de fades couleurs. C'est l'espérance pesante et vieille
sur les bras courts de l'artiste. Je parle d'infectes bavures qui
polluent les mains. Un rachitique pinceau trempé dans les
frayeurs d'une huile blanchâtre, et des traits obscurcis par les
déceptions du temps. Vérité légitime, bouffonneries hideuses
et Temple bienveillant ! Quel mélange crasseux ! Et ils
crachotent des bouffées d'alcool et des vibrations et des
noirceurs sur des papiers roses !

Quoi ? Vivre de la scène lugubre quand l'homme


exploite les rondeurs profilées, quand l'espoir recouvre un
incestueux rectangle de marbre ? Non, car la pureté s'étire et
ramifie les mondes. L'élévation est mère de nos travaux.

11
Il est temps de vendre le supplice. L'accoutumance
au malheur est scène de pauvre, point de l'homme. Pour des
catafalques de gloire, l'enjeu - l'immense enjeu couvre nos
destinées.

12
Qui eut dit

Qui eut dit qu'un transfuge pastoral eût pu dans sa


verve élastique usurper la nonchalance de son amour-propre ?
Personne. La rareté de son bien dansait sur les ondes légères,
et l'espérance rêvée sertie de musique céleste - harpes, pianos
à cordes, ballerines etc, s'élançait dans des accords nouveaux.

La conquête des humeurs facilitée par la commodité


des stances jonglait sur la bouche des esclaves. L'ange se dut
d'intervenir : la fête était sujette à la délivrance, au jeu
enfantin, mais on interdisait la débauche culturelle.

Les éléments fâcheux se firent reconduire aux portes


du palais sous forte escorte. Des spectres à la faux aiguisée
montraient le chemin à suivre.

Quand sonnèrent les douze coups, les esprits


échauffés par l'air malsain refusèrent de penser. On dut les
tirer de leur torpeur. Quelques-uns trop lourds pour se
déplacer restèrent cloués sur place.

13
Des oriflammes, des marbres

Des oriflammes, des marbres surplombés de tréteaux


nouveaux. Un vin rougi par le sang des victimes coule à
profusion dans les panses des vainqueurs. Des esclaves
vierges portent les cruches à leurs bouches. Ils rient, rotent et
se congratulent pour la victoire. On berce les sourires, on
écume les flots de sueurs, on range les épées et les sabres.
Minuit, minuit de gémissements plaintifs voile la lune de
halos. Le lendemain, repus d'hymens et d'ivresse divine, ils se
réveillent prêts pour un autre combat. La ville de Douches
sera visée.

On égorge les derniers mourants. On récupère


l'équipement.

Des oriflammes, des marbres surplombés de tréteaux


nouveaux. Un vin rougi par le sang des victimes coule à
profusion dans les panses des vainqueurs. Des esclaves
vierges portent les cruches à leurs bouches. Ils rient, rotent et
se congratulent pour la victoire. On berce les sourires, on
écume les flots de sueurs, on range les épées et les sabres.

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Minuit, minuit de gémissements plaintifs voile la lune de
halos. Le lendemain, repus d'hymens et d'ivresse divine, ils se
réveillent prêts pour un autre combat. La ville de Cycomore
sera visée.

15
Je revois un sanctuaire

Je revois un sanctuaire de déserteurs où toute malice


se déploie en corolle jusqu'aux solstices des Rois. Le monde à
part, c'est la vieillerie soudaine, les tentacules confondus et
l'œuvre des notables ! Des cascades enchantées se meurent
d'accoutumance. Le grignou s'étonne à la rencontre d'un
monde nouveau et descend un fleuve impérieux.

Ils se sont décapités ! Oh ! Les pertes, les sphères et


les autres Prométhées ! Ils ont usurpé le goût des baies
fulgurantes, ils ont traversé les bois d'osier, et rieurs de la loi,
ont dansé sur des chevaux de cristal ! Le bénéfice fut vain car
jamais l'accord ne s'éloigna des disciples.

16
Spectacle

Spectacle. De chaque côté, les rives soumises à


l'infatigable mouvement du courant pliaient leurs tendres
roseaux avec grâce et soumission. Le bouillonnement, les
écumes, le bruit incessant semblant venir du lit même
transformaient ce paysage en théâtre tragique.

L'acteur, la nature, les lumières, le soleil pâle. Les


rayons réchauffaient la terre. Le sujet était l'éternel
recommencement de la vie, la fonte des neiges. Et le
dénouement était de se jeter dans le delta de la mer, et d'y
mourir ! L'homme ne peut rêver plus belle représentation. La
tragédie divine ! Ce que le Grec crut inventer, n'était que
piteuse copie. Dieu le précédait de cinq milliards d'années.

17
C'est elle la petite morte

C'est elle la petite morte cachée derrière les vallons,


elle, couchée sous les feuilles jaunissantes de l'automne, avec
une chaîne en or autour du bras. On se souviendra de son
visage longtemps !

Mais pourquoi est-elle morte ? Étrange créature qui à


cinq ans n'avait pas supporté cette impossibilité de vivre. Que
d'inquiétudes, de peines et de maux dans cette adorable tête
chagrinée !

Les anges recouvriront tes cheveux de lauriers


fraîchement cueillis, un tapis de pétales roses t'indiquera le
chemin à suivre, des images sur un mur blanchi te divertiront.

Ô pâle enfant que la lumière jamais n'éblouira ! Belle


enfant, dors d'un sommeil de rêves !

18
L'impossibilité

L'impossibilité de régir tout acte contrôlé,


l'insouciance d'une exploitation misérable, l'acharnement
parfois stupide dans la continuation de la tâche, - une
faiblesse reconnue en quelque sorte, voilà en trois points
l'existence bénigne d'Hortense. Pourtant point dépourvue de
savoir ou de bon sens, elle divaguait dans un engrenage
visqueux, comme si une force dirigeante agissait en son nom,
je devrais dire en son âme. Quoique d'une nature exemplaire,
j'entends guère trompeuse, elle dérivait comme un voilier sans
voiles offert aux vents et aux courants.

Être à bord, savoir que l'on dérive, et être


impuissante à contrôler le bateau, - vie d'Hortense !

19
Honfleur !

Honfleur ! Dernier souvenir bruni par des tapis de


feuilles mortes. La vision suspecte d'un paysage transporté dans
une autre époque. À présent, transformation féconde d'une
culture archaïque. Honfleur de jadis, Honfleur de jamais !
L'inquiétude frappant ma personne a déclenché le mécanisme
divin.

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Toi, raconte-nous l'histoire
et fais trembler la scène sous
le déchaînement de la parfaite
comédie !
Paul Claudel.

On a ri dans la lucarne des hiéroglyphes. Les pistils


endimanchés acquiescèrent la parole sainte et humaine. Des
fleurs de sang gravissaient les montagnes, là-bas où le soleil
s'éclipsait davantage. Un ange nu passa serti de pierres et de
calèches majestueuses. La vengeance sonnait son plein. Les
voix se confondirent dans un dédale royal. Le tonnerre gronda
de plus belle, et l'âme entière disparut libérée de farandoles
inertes. Peines cadencées, obstacles, rires enfantins : personne
n'arrêtera le convoi mystérieux où les voilures se perdent
chancelantes.

Quand l'ombre grandit en ces jours monstrueux, une


fée vêtue de pourpre et de rarissimes ressemblances usa de sa
baguette favorite pour orienter les ballades contemporaines :

21
"Qu'un monde nouveau naisse de ces lieux ! Je veux
par la grâce et la force universelles, la substance humaine."

Dans ses mains lustrées, se distingue la haine voulue


des énormités antiques. Les ondulations respirent encore à la
fenêtre des Ménales. L’Être Chantant propose des cithares
bariolées. On s'interroge. Que faire quand les cris, les cabales,
les rustres procèdent au branle-bas dans la grotte infectée de
marcs rebutants ?

L'instance populaire est enfin proclamée. De toutes


parts, les pays projettent d'accomplir des reconstructions. Ce
n'est point sans difficulté que le sbire parvient à un arrêté
accordant à chaque contrée, la parcelle réglementaire.

De l'automne stupide à la fleur purifiée, du glacial


déferlement aux côtes de la fraternité, l'empire sous le joug de
la découverte s'étend sombre de grandeur.
Des pastels, des grâces empourprées dans un ciel
clair
Des chants élégants et des futaies, des ronces
Des brebis de satin jouant dans les prés multicolores :
C'est l'hiver.

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Une onde transparente, des rayons nacreux ;
Dans les cheveux et les grands airs d'Hélène,
Le bois doré s'éloignait derrière les vignes et les
copeaux.
La tempête battait aux cloches de l'église,
Et ses feux montaient dans mon œil.

La rose en sang pleura sur les sentences de braises


Oh ! Les marches infinies quand le temps disparaît !
Or les mains s'endormirent,
L'automne resplendissait.

L'attache était suspendue à la treille de son ombre.


Des durcissements émanait une fourbe complainte. Oui, je vis
une malice offerte aux cuirasses des Sixtine, un palais d'or et
d'argent constellé de pierres roses.

Plaqués contre les colonnades, des grabats


centenaires fuyaient les lumières vives de l'été, et se
combinaient avec des taches et des miroirs. Un sacrilège dans
le lieu des rois ! Ils attaquèrent le prince. Que de vexations, de
vieilleries et de tristes paysages !

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La raison éminente fut donnée dans les couloirs
débarrassés des poussières mauves, des boiseries rougies et
des cloîtres malingres. Ils décidèrent d'apporter un grand
plateau où convergeraient les existences passées. L'ombre vit
la tempête de haine, mais ne dit rien. Les modulations de son,
les spectateurs et les hymnes : tout fut prêt. On demanda la
musique. Elle vint.

Après maintes déclarations sur la vie de l'homme,


l'incompétence et l'absurdité de la naissance, elle apparut
noyée sous les velours et les améthystes. Les notes
s'amplifiaient. Brusquement, elle ôta ses habits. Nue,
magnifique, elle symbolisait la pureté et la douceur des
amants.

Le palace silencieux achève enfin son dîner.


Diverses critiques déclinent dans le ciel. L'attente est pauvre à
ses yeux. À l’entresol, des murmures commentent les derniers
sacrifices, et des vamps se prostituent sur le carreau du
temple.

24
On délibère pour une place unique où le sang sera
jeté. Un oint déformé regarde la scène pitoyable. L'artifice des
craintes et des stigmates anciens procurent des jouissances
infinies.

Un homme s'avance et offre la coupe de sang aux


convives. Ils happent le nectar de la survie.

Les lumières brillent et frappent les murs de la cité.


Des chiens hurlent à la mort. La pluie résonne sur les vitraux
de l'église.

L'ère ultime est proclamée.

Les arceaux s'entrechoquent dans des frissons


d'horreur. Des mesquins essaient d'épancher des doutes
virulents qui circulent dans l'espace. Les diaphragmes
salubres sont trop forts pour qu'une action imposante les
dérange. Un mot, un seul mot passe dans la tête des
contemporains : l'amour.

Les tutelles domestiques elles, engendrent un


maléfice horrible dans son apothéose qui nage entouré de

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braises et de soufre brûlant. L'oraison de ce lieu psalmodie
des calomnies étranges pour guérir en leurs ventres les
suffrages honteux.

Le message circule de bouche-à-oreille, retenant la


putréfaction de leurs corps. Le peuple expulse un ingrédient
en dehors de la controverse humaine. La lutte est engagée.

26
Des granites bleus

Des granites bleus où l'exil couche ses floraisons


chantées. Une ombre matinale revêtant ses rosées les plus
pures, l'écarlate divin exalté de vapeurs louant au ciel une
étoile argentée. Et des ordres stricts, ivres de feux
bouleversants, en extase devant les lueurs et l'éveil, - luxes
appauvris !

Dans les chantiers, des portes furieuses se fracassent.


Les ouvriers tels que des funambules de cirque réclament
encore quelques pièces.

L'erreur est folle. L'idiome de couleurs refuse le


contraste. Le monde délassé par les chanteurs harmonieux, le
monde s'endort paisiblement. Les astres bleutés resplendissent
dans leurs nullités à travers les outrages et les sabbats.

Mes mains lèchent une rose noire, les tâches


humiliantes combleraient mon front immaculé de rouge.

Mes os se rejoignent. Le cadavre s'étire aussitôt.

27
Ha ! Charniers ! Atroces pécules, quand oserai-je
vous dominer ?

28
C'est une nuit, c'est un nombre

C'est une nuit, c'est un nombre offerts aux yeux des


morbides. C'est un vieillard, c'est un frère au ventre faisandé
de villes et de métropoles. Rien au sérieux ! Tout à la gloire.
Un meurtre. Sont-ce des cygnes pour un souffle nouveau ?
Une échappée de lignes, des controverses douteuses, un état
sporadique entre ces noirceurs ?

Il y avait des fossés, des troubles interdits, des


syntaxes, et de langoureuses extases.

Il y avait le condamné criant son innocence, criant


encore.

Il y avait des protocoles, des soirées dansantes, des


réceptions mondaines.
Il y avait un pasteur, des louanges, une chapelle, des
iconoclastes.

Que de délices, j'ai bu !


Que d'oublis, j'ai rêvé !

29
Que de voyants, j'ai tué !

Une grille, des barreaux, - curieux mélange pour une


cuvée féconde ! Mais on ne parla pas. L’Étrange se suffisait.

Ô soir qu'un mélange accompagne ! Ô légèreté tant


promulguée, je te sied !

Pour cette correction, ils promettent des calèches et


des candélabres subtils. Je les vois passer pleutres, honteux,
les poches avides. Je sais les cris que l'on entend circuler sur
les quais encombrés. Je sais la voix se passer de leur regard.
Mais que faire ? Ha ! Mourir peut-être ! Mourir lentement
contre un sein vorace, comme une échappée de faveurs !
Mourir !

Ils ne furent jamais associés pourtant je les


respectais. Pour leur démarche lascive, j'inventais un miracle.
On tua le miracle. La jambe fut déplacée comme des gorges.
Elle fut soumise à un feu.

Mes feuilles séchées, mes encres desséchées, oui,


mes tâches prospèrent !

30
Pourvoir cette ruche ? C'est qu'un rêveur exploite nos
ténèbres. Ainsi son nom se propage dans nos simples
maisons, et des guirlandes horrifient la clémence d'un Dieu.

Il nous faut par nos transfusions renversées oublier


les candeurs, les monstres, les digitales. Il nous faut sous le
couvercle de dorures se défendre des attaques de l'ignoble
tarentule. C'est un ordre. Qu'ils obéissent ! Que tous, par la
voix du peuple, mystifiant le spectacle commun du labeur et
des troubles profonds, aillent dans les contrées occire
l'ogresse et la nuisance divine. Qu'ils aillent comme le vent
les appelle !

31
Des couronnes d'aubépine

Des couronnes d'aubépine sur ses deux pieds blessés.


Les tambourins crispés, et la musique acide.
Les ours si gris si noirs, les chiens tenus en laisse.
La quête, cette espérance d'écus et de pièces d'or.
Des applaudissements dans le clair de la nuit.
La bohémienne aux formes belles, aux cheveux sales.
Le tambourin chante dans sa main, sourires forcés.
L'ongle crasseux, la dent jaunie par le tabac.
Le frère à droite, un couteau entre les mâchoires,
Et des mâchoires de haine, des regards malfaisants !
Oh ! Les stigmates profonds du voyageur perdu !

Là une pluie d'étoiles par le ciel obscurci.


Les nébuleuses gelées dans le voile des tempêtes.
Un croissant de soleil jouant avec l'éclair.
La terre pleine de vapeurs, sa pesanteur épaisse.
Le spectateur hagard, les cinq doigts sur la bourse.
L'enfant béat devant l'énormité des deux ours,
L'enfant riant encore des singeries du singe.

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Et la fête est chantée, et la fête est dansée,
Les acclamations contre la voûte céleste.
Les filles chahutées dans les cours, les recoins,
Les sourires des bouches, les paroles des yeux.
Des bras ont encerclé des hanches généreuses.

Un dernier tour encore et l'argent attendu.


Les passants dispersés et la fête oubliée.
Et la fête oubliée...

33
Le Dépravé

Carence infinie, acariâtre beuverie,


L'extase sévit dans d'étranges fantasmes
Et soudoie à la nuit cafardeuse
Les derniers rutilements du jour !

Pour défendre le roi perdu aux râles de l'espérance


S'éprend l'aigle de ma tour
Qui, gavant la féconde destinée,
Anime l'espèce suprême de mes dires !

Comme embusqué, le rocher s'étire et s'étoffe


Et d'un fort soubresaut,
Déclame la froidure à tout ce Léviathan.

Des chances ont percé ce lugubre cataclysme


Accrochant à des neurones épars,
La futile faveur
Et la fortuite candeur d'un peuple arriéré.

Endormie puis rassasiée, l'âme meurtrie


Grandit sous son souffle étonnant,

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Et l'haleine écœurée acclame son ventre,
Forte d'un spectacle rebutant.

Océan, comme je ris de toute sa faiblesse,


De son gouffre psalmodié de sexes et de mains !
Comme je discorde la voilure de son sang,
Le massacre dépeint de sa voix céleste !

Mais bientôt des ondes traversées, portées


À la poupe écorchant un ciel taciturne,
C'est un luxe embaumé !

Ses pointes d'existence, ô coeur tendu,


Resplendissent dans le sort de la déchéance,
Ô la fiente désinvolte et la tempête bénie !
Puis des échouages et des voyages hideux
Où la folle détresse cerne la porte démesurée,
Où la charge absolue noircit l'étroitesse de mon amour.

La fête, la haine sonnent dans l'extase de ton corps,


Et ton oeil acéré de pensées obscurcies
S'enivre d'expressions innées,
De grandioses cavalcades.

35
Les bouches offertes au calice de mon acte
Goûtent déjà d'un air nonchalant
Le déploiement de la vie ténébreuse,
Des couleurs bleutées déforment la semence soumise,
Et favorisent la délivrance de nos bruissements ailés.

Le pourtour quoique frêle


Éternise nos regards perçants,
Proclame la chair impure
Et l'horreur de nos baisers.

Qu'est-ce que la vue pernicieuse


Dans ce jardin immonde
Quand l'automne amoureux s'émancipe lentement ?
- Un gâchis de leurres, des cataclysmes sans foi ?
- Rien, passable amour, rien.

L'évidence décrit l’écartèlement : ce sont nos vies !


Et pas à pas, elle cerne les pleurs de l'été.
Un gouffre conspire aux crépuscules des disparus,
Et des jets d'étoiles confondent le fruit épidermique,
Ils prônaient des saveurs exquises ! ...

36
Des races perdues, grandies dans des fumées,
De languissantes étreintes
Mues par les flammes étincelantes !
Horrible distraction suprême !
Et le soir, offert aux roses et aux folies,
Participe bêtement aux râles des mots !
L'ombre douloureuse s'est assagie
Dans d'incroyables inconstances.
Être sans bavures, oh ! L'insipide furie !

Le tintamarre grée au lointain de la proue


Niait son retard et sa survivance fructueuse.
Des tueries découlèrent de la vasque de plaisir,
Et comme par enchantement distinct
Elles tombèrent dans les mornes découvertes
D'un sourire démis.

Déboires, licences extrêmes, quelles somnolences !


Défaites, défaites encore d'une vie endurcie !
Telle une bête dans un volcan de laves,
J'ai hurlé tout mon délire, mornes pensées !
Qu'importe, chère Mélancolie, qu'importe !

37
Soutenant la paresse des féeries,
Mon fluide murmure, compagnon de silence !
Mais l'indolent voyageur épris
Exploite une sombre terreur baignée d'ignorance...

C'est vrai, l'habitant de la démence chavire parfois.


Il glace, il combat le devin
Pour l'injuste retour.
C'est vrai, le sourire de mes lèvres s'évade...

Quand l'ombre séduit et féconde


La houle et les récifs,
Quand les durées et les langueurs
S'évaporent dans l'aube transparente,
Le berceau chargé de futures palmes
Se baigne de délivrances et de songes actifs !

Les traits sont mon autorité,


Les poèmes mes lendemains,
Et l'immortel trésor qu'on appelle espace
M'apprivoise par son sourire divin.
Sous les torches, pour mes glas prochains,

38
J'extirpe de la mollesse, de l'écorce
Et les germes d'un bonheur.
Pour de lumineuses erreurs,
Je sanglote un or rougi.

Des étincelles de clémence, des fronts miraculés,


Ma folie est sereine, mon bras est immense !
Et la modulation et la crainte du péché
Sont des merveilles aux cristaux de l'éternel ! ...

Les couleurs forment le nectar des lumières,


Et irradient l'oracle de mon idéal !

Alors mon tendre amour, tendre amour oublié,


Pardonne le délice de la sublime hauteur !
C'est un supplice où frémissent des mystères,
Où les délires tourbillonnent dans les splendeurs,
Où l'océan constellé de rêves infinis
Assure à l'espérance les places premières !

39
Chanson

Ô futile douceur
Qui a tout amoindri,
Souviens-toi des langueurs,
Des langueurs qui ont fui.

Oui, les vœux de patience


Nous auront prévenus
De l'âcre impertinence
Et des chansons perdues...

Alors lui, fou de rage,


Agressif dans les rues,
Lui, cet odieux carnage
Demain se serait tu.
Mais pour ta délivrance,
Que les fureurs s'éprennent !
Acclames-tu ma danse
Autant qu'il m'en revienne ?

Mais passé ou présent,


Envole-toi bien loin,

40
Bien avant que ton sang
Ne blêmisse le mien.

Ô futile douceur
Qui a tout amoindri,
Souviens-toi des langueurs
Des langueurs qui ont fui.

41
Éternité

Le disciple exalté
En ces rêves anciens
Se foudroie éveillé
Sur un vieux parchemin.

Tremblant d'une main moite


Par l'ivresse embaumée
L'affreux aux tempes froides
S'incline désabusé.

La saveur est perdue !


Au loin dépalissée
Vers l'espoir inconnu
Qui n'a jamais percé !

Mais cloué à sa tâche,


Comme l'insecte fourmi
Jamais ne se relâche
De minuit à midi.

42
Le disciple exalté
En ces rêves anciens
Se foudroie éveillé
Sur un vieux parchemin.

43
Partir vers l'infini

Partir vers l'infini pour des étés abrupts ?


Hélas ! L'entendement qui encense mes nuits,
Comme un rayon oblique sur des feuilles caduques,
N'est que soupir, ô songe, éteint et agonies !
Pourtant steamer grée, vois à la poupe, j'obtiens
Tel un vieux rêve difforme, l'image délicieuse...
Que dire ? L'aventure est vaste ! Des vagues de rien !
Mais ces charmes à éclore sous la lumière affreuse,
Sont substances créées que trempent mes sueurs
D'amertume, mon âme toi qui chantes et qui pleures !

44
Le rêveur

L'œil voilé par l'azur qu'une lente descente


Éblouirait encore d'une clarté funèbre,
Prolonge une lugubre vision diurne entre
Les larges ifs plantés dans le lieu des ténèbres
Et succombe lentement, ô parabole magique,
À ce fade désespoir du paysage blêmi.
Comme buvant, perdu cette froideur de site
Que le maître du temps éloigne et abolit,
Il luit, rêveur ailé ! D'une pupille morne
Voit les tristes lueurs qui au lointain s'endorment.
La paupière que le ciel imperceptible bat
Couvre la pâle image, et le rêveur s'en va.

45
Des saveurs, des rubis

Des saveurs, des rubis ? Lui, jamais ne découche !


Puisqu'en ses vains péchés s'extirpent des douleurs,
Le poltron est crétin, mais il donne à sa bouche
Quantités de délices ou d'odorantes fleurs.

Pourvu d'une fougue réelle, sans répugnance,


Le sot essuie ses larmes sur de sales mouchoirs.
La Muse vicieuse se donne en sa scabreuse danse,
Étalant ses chimères pour l'entendre déchoir.

Des rictus, des sursauts ? L'amertume s'en joue,


Malheureux et damné dans ses transes de fraîcheur,
Console l'être affligé qui pleure et fait la moue.

C'est que Dame Malice sonne au cœur mal aisé,


Et se rit et se tord pour des fleurs de douceur,
Car le poète idiot a voulu l'épouser.

46
Au tout premier réveil

Au tout premier réveil


Hors des sables mouvants
Sans lumière sans soleil
L'exil s'effile tremblant.

Amoureux des douceurs,


L'esprit rassemble encore
Les dernières saveurs
Soufflées quand il s'endort.

Dans un vol embaumé


Son corps déjà s'avance
Vers l'espace condamné
En sublimes espérances.

Des sanglots tout à coup


Dans ce calme limpide !
Elle, nue à pas de loup,
Pleure dans son œil humide !

47
Pour mon indifférence,
Ô fille délaissée !
Bercée de nonchalance,
Elle se voulait aimée !

Senteurs de l'altitude,
Loin des lâches misères,
Comme à son habitude,
Fuyant l'horrible terre !

48
Rien

Rien du terme pur de sa course


Régnant défunt et infini
N'exaltera l'ancienne source.
Vois le temps qui s'enfuit.

D'horribles survivances
Fécondées d'irréels cris,
C'étaient vœux de patience,
Et bonheurs accomplis.

De la suite chaque nuit


Tel un suicide de rage,
Il ne reste que l'agonie
De l'inhumain carnage.

Ô douloureux enfantements
Putrides et malingres fœtus
Asphyxiés lentement
Dans le sein qui les a conçus !

49
Rien du terme pur de sa course
Régnant défunt et infini
N'exaltera l'ancienne source.
Vois le temps qui s'enfuit.

50
Je t'écris

Je t'écris sur un lit tumultueux


Où ta hanche féconde la mienne.
Au firmament jusques aux cieux
Que ta taille m'entraîne ! ...

Par les couleurs vives de l'automne,


Que le givre recouvre les toits !
Je voudrais tant que tu chantonnes,
L'espérance folle d'autrefois !

Mon vieil amour défunt encore


Comme respirant une ombrelle
Sur les chemins déflore
La bouche frêle que j'aime ! ...

Délicate quand comblée de soupirs,


Ton corps enfin se déchaîne.
C'est l'éternité ou le plaisir,
Oh ! Qu'il s'en souvienne ! ... Etc.

51
Langueur a dû

Langueur a dû
Par temps de pénitence
Aux offres défendues
Trembler de jouissances,

Car résident en ce lieu


Sous quelques alcools divers
Une terre feue
Brille par mon hiver.

En cela malheureux
D'allégresses perdues,
Quitte vite, grand pieux
Les sombres détresses,

Et bois aux coupes d'or


Le breuvage divin
Pour endiabler ce corps
De plaisirs malsains, etc.

52
Comme un bruissement d'aile

Comme un bruissement d'aile posé sur l'endormie


Qui joue dans la pénombre à miroiter son vol,
Espiègle et bombinant, virevoltant ici
Embrasse la charmante, la caresse et la frôle ;

Comme des satins clairs qui jailliraient d'aimer


Sur le sein délicat ou la gorge sensible ;
Des rires confus offrant à des bouches rosées
L'apparat éclatant des demoiselles dignes ;

Comme une attente encore que celui-ci refuse


Car des calices d'or donnés au coeur d'argent
Échappent toutefois aux sanguinaires muses
Pour les blondes moissons de son stérile enfant.

53
Au soleil, je m'avance

Au soleil, je m'avance par ce brûlant servage,


Et l'ombre accoutumée à ma face soumise
M'emporte là, tout près de toi, jusqu'au rivage.
Mais ta substance aimée est déjà compromise ! ...

Que n'entends-je se plaindre ton rayon si brutal ?


Est-ce masse étonnante de son puissant métal ?
À mes yeux tant cernés, l'étonnement est doux...

Prolonge en ma fraîcheur de longues accalmies !


De l'embellie si vive, le regard flambant neuf
Consume les pensées obscures de ma nuit ! ...

J'accours sur ta mémoire rappeler en ton heure


Ces somnolences rêvées et ces voix enivrantes,
L'heureuse cérémonie sertie de ses candeurs
Qui forte en ce miroir, fait ma lèvre tremblante ! ...

54
Obsession

Même, délicate Cybèle, même le sourire aux dents,


Au grand vent de l'absence, dans les souffrances mêmes,
Quand ton épaule nue à mon côté, chantant
Des airs anciens, des sérénades et des rengaines ;

Même alanguis, nous anges, baignés de broderies,


Des souffles inondant par des flots bienheureux
Un carême, même offerts aux charmes des grands ifs
Que j'admire le soir convulsé ou fiévreux ;

Même nous ivres et légers, bercés de compassions,


Respirant un air clair, vol des aigles royaux,
Et même bordés de grâce, de rires, de libations,

Je n'oublierai jamais ces lutteuses infinies


Échappées ou béantes aux portes de mes maux
Qui conspirent, ensanglantent mon sort dans leurs tueries !

55
Pastiche

Sur les ondes immortelles, va la blanche Ophélie.


La douceur de ses seins ferait frémir mes ailes.
Voici bientôt mille ans que glissent dans la nuit
Deux bruissements lointains qui murmurent vers elle.

Baignée de lys et d'eaux plates, paisible elle dort


Au milieu des joncs et des hallalis étranges.
On entendrait chanter vers les roseaux dès lors
Des muses éternelles embaumées de grands langes...

Dans sa romance, le vent caresse le nénuphar.


Belle Ophélie, pâle Ophélie, ton cavalier
A-t-il perdu son cœur de pierre dans ton regard ?

Hélas ! Emportée comme un souffle par la nature,


Belle Ophélie se fond en la neige de fées !
Oh ! La belle Ophélie étire sa chevelure !

56
Ophélie

Merveilleuse accouplée descendant sur les rives,


Toi dont les nuits d'extase semblent oublier les jours,
Connais-tu les rousseurs, les déboires de l'amour
Toi qui sembles insensée, désabusée ou ivre ?

Car l'herbe folle où poussent les haillons s'étale,


Vaste écrin de beauté, sur tes cheveux dansant.
Tu resplendis dans l'onde tourmentée de penchant
Jusques aux cieux rêvant de douceurs, en aval.

La pâle beauté, libre de doutes anciens


S'éloigne lentement dans ses frissons, sans bruit,
Regagnant les surfaces de l'horizon lointain.

Elle confond ses lumières dans un ciel obscurci,


Et part abandonnée sous la frayeur qui luit.
Ô douloureuse et nue qu'aucun mal ne murmure !

57
À Sandrine

Repose sur ce sein que la paresse offense,


Et brûle en ma raison tes prochaines fumées.
De mon ravissement, embrasse les carences
Qui s'imposent sur ma joue frappée et profanée.

Alors pour ta liqueur, bois le fruit des délices


Et organise un songe où tu reposeras.
Qu'importe, vraie beauté, les mouvements factices,
Car l'appel de ta chair me redemandera.

Ah ! Courir sur les flots antiques de lumière !


Qu'une étincelle éclaire et chante tes fureurs !
À l'ombre du platane, je te vois, tu es fière ! ...

Parée de tes bijoux, de parfums délicats,


Tu lances des étoiles pour orner mes lueurs,
Adorable beauté que j'aime, et qu'il brusqua !

58
Jouissance en ce monde

Jouissance en ce monde satiné de grandeurs, foi !


Que douceries et actes s'évadent dans l'air limpide !
L'éloge rassemble son chaste mot commun et roi
Avant que s'entame faible, l'acte monstrueux des rides.

Sur la mer agencée d'astres purs et de voiles,


Refusant la lutte des cris et des râles honteux,
Par le souffle perçant à l'ombre des étoiles,
Je bats la plate vague ou l'océan furieux.

Maudis les siècles d'abordage et des tempêtes


Quand du chant décrivant l'horrible destinée
Le flot majestueux va sur l'humble défaite.

Car sanguines, foudroyantes dans l'abîme où tu plonges


Sous des fientes bestiales pareilles au rouge aimé
Seront les malodorantes paix qui se prolongent...

59
Elles s'enfuient écumant

Elles s'enfuient écumant d'une salive injuste


Les substances divines de l'Impur ; elles acclament
D'un geste pensé sans doute, la saveur, l'auguste
Vérité parfois insipide dont elles se pâment...

Des voiles virevoltent sur des lèvres glacées, qu'il batte !


Leur cœur est dépourvu de grâce et de puissance.
Et que leurs bouches perfides qui chantent et se rétractent
Au combat royal n'ignorent plus la croix de la décence !

Car la peine accablée de râles en vains espoirs


Succombe limpidement dans les stances des mémoires.
Les carences hurlent leur foi aux creux du fini.

Alors que remplies de haine, les voix chères et glacées


Décrivent la force exacte des malheurs endurcis,
Et que du joug funèbre, le diseur soit compris !

60
Qui donc du cerveau

Qui donc du cerveau infécond que l'esprit aime


Fait jaillir des monstruosités et des charmes ?
Quel humain, quelle bête à l'étincelle suprême
Proposerait le diamant comme la flamme ?

Ce rarissime exploit en qui vit la nature


Et croît à chaque instant, diadème nouveau,
Rassemble les méfaits en sublime mixture,
Et grave son empreinte sur le cœur de mon sceau.

Qu'un Dieu, un jour superbe, couronne ma faible tête


De cascades de lauriers pour ces œuvres stériles !
Pour descendre mon âme au niveau de vos bêtes
Aurait-il vu en moi un serviteur débile ?

La nuit, la nuit obscure foudroie contre mes tempes


Des feux bouleversants détruisant mon salut.
Ces douleurs incisives, ces souffrances latentes
Me condamnent à la mort, moi qui ne parle plus.

61
Offert aux rêveries

Offert aux rêveries d'un suicide, regardant


L'astre décliner lentement dans les cieux,
Ton ombre veut maudire ce paysage odieux.

L'éveil d'un chant difforme, excessif pour ton corps


Qu'on oublie TOUJOURS, solitaire des nuits, des jours
N'est qu'un refrain perdu quand ton crachat s'endort...

Et lourde d'amertume, l'âme chancelle au vent,


Suit indolente et faible les noirs frissons d'hiver,
Suit la flamme douceâtre qui brille dans les temps !

Ô l'œil fécond tourné vers les vives ténèbres,


L'amour endeuillé, ivre sur tes lèvres détruites
Pousse un convoi royal, majestueux, funèbre !

62
Salue la saison souveraine

Salue la saison souveraine de nos rustiques


Frayeurs qui échappent aux puissants Dieux, misérable
Plaideur ! Vois jaillir par cette source magique
Les méandres sublimes et les vœux regrettables !

Tremper dans les lacunes des gloires et des esprits


Quand l'automne a brûlé l'exil et les grandeurs ?
Ce jeu s'avère vaincu par son ombre anoblie,
Il s'étend faiblement sacré de sa candeur.

De l'attente maudite couchée sur ses lueurs


Et qu'un vent indécis transforme en ses alois,
Où seraient-ils, pauvre âme, les bruissements du cœur
S'il vomissait, s'il recrachait l'ignoble loi ?

63
Impression

Des rutilements d'orgasmes pour un siècle banni


S'échappent lentement sous un flot de lumières,
Des floraisons infinies
Dansent sur les échappées de la mer,
Et l'on vient brusquer un silence de désirs.

Un mot insensé où le Moi se reposait :


Délices de diphtongues,
Et sens tachetés de perles roses.

Comme des dorures empourprées d'or et de satin,


Bercé de langueurs,
Vêtu de broderies à peine écloses,
Il s'éloigne, grand lys de rêve.

Ô cascades en furie !
Un long baiser posé sur l'encolure des lèvres
Embrasse confusément les chaleurs de la nuit,
Frisson de bonheur.

64
L'heure hume des sourires étranges
Avec ta taille lourde
D'odeurs et de fruits savoureux.

Les mondes se répondent, perpétuelle harmonie,


Et les fraîches amours
Descendent dans le parterre de fleurs.

65
Chute

L'or exalté tombe mat sur sa peau.


Il bourdonne, il se plisse
Dans l'accoutumée du jour,
Pâle transfert de haine et de sanglots.

Puis son espoir décline sur la fontaine des eaux.


On laboure les dernières fureurs. C'est le lointain.
La boue est agile. La mort condamne.

Des orchestres à cordes


Font valser la puissance décriée.
Que faire du chemin cahoteux, noble et poussif ?

Et le martèlement s'endort !

66
Que sa puanteur, que son ombre

Que sa puanteur, que son ombre


Abondant en flots clairs, dégagent une
Torpeur poreuse...

Oh ! Que princières en la dégradante cité


Et libres en leur devoir, elles découvrent
Un mince pistil de gloire ! ...

Que pour les joutes subies en la raison nouvelle,


Un parlement capture ses fruits mûrs et vermeils !

Car j'obtins sur la lie par-delà le drame furtif,


Les rutilements d'une horreur et des souffrances
Pour les râles.

Oh ! Combien monstrueuse dans sa vétusté


Cette orgie maléfique offrit de danses sublimes !
Belles femmes, qu'un seul sourire ranime
Aurons-nous de frêles et verdoyantes pensées ?

67
Neige d'écume

Les ondes avancées recouvrent


Le mouvement des vagues
Comme un lacet éternel à la poupe des vaisseaux.
Le bruit lointain promu
Contemple deux êtres
Qu'un naufrage ancien semblait enjamber.

L'instant chimérique sur l'aquarelle des mers


Peint l'immortel aveu
Puis l'écume pacifique
Resplendit dans les rais, les éclairs.

Vent, houle tapageuse, flot grinçant


L'ancre mouille le sable, les airs.
Sur les rochers miroitent les algues mortes,
Gémit la douleur exquise.

La grâce recommencée, les hurlements successifs,


S'éteignent dans la grandeur de la marée.

68
Ballades et orgues

Ballades et orgues débitent leurs visions solennelles,


jetant et rejetant l'astre pauvre et démis,
Et des préciosités virevoltent, ombrages de miel.
C'est un Centaure, - un idiome ! Vaste sphère de
débris !

Des vengeances accablent un homme éteint qui


diffuse la mort par ses entrailles possédées,
Grandie par un feu puissant et immortel dont le
rayon brûle de haine l'insouciance humaine, la voix décrit un
cercle unique sous l'horizon.

L'œil s'imprègne de l'odieux maléfice des spectres


rares, la main tremblante est constellée de morsures
endiablées.
Le cœur venge les saccades et les cris horribles.
Le corps se meurt, et la déchéance s'amplifie.

69
Profusions

Des jours étrangement promis à des causes suprêmes


Scintillent dans les oracles du Temple.

Est-ce un songe, sont-ce des désirs inachevés ?

Des morsures de gloire, des jets de laves,


Puis un calme où reposeraient des bains de saveurs...
Oh ! La sombre expérience de l'âme
Qui par le bien engendre le mal !

Étonnamment Toi, insouciance du Moi...

Que faire ?

Attendre les fins d'amour-propre


Attendre, attendre encore ?

70
Vocables

L'ombre aux yeux de l'être impur,


Et maintes gloires renouvelées,
Quand déjà sifflent les fuyantes
Dans le lieu nuptial de l'ennui.

Vices sur les transparences drapées


Quand le Démon vomit l'éveil,
Taches d'or et horreur dans sa nuit !

Refuge où le délice succombe !


Ô les frayeurs, l'apitoyée !
Ô les longs cris des parchemins !

71
Froissements

Sous ton silence implacable où mon âme se repaît,


Écoute le bruissement des destinées qui muent,
Et dans la froide contemplation de deux êtres,
Ivres d'amertume, de jouissances infinies,
La fureur du délice et l'estime du dédain.

Tu joues avec un feu incandescent et immortel.


Tes voix ne sont qu'espoirs et doutes.

Le soir perçant, chaleureux et intime


Quand on vomit sous les draps
Les délectations vaines, ô rare ennemie,
C'est une nuit noire chargée
D'esprits qui se consument...

Des sangs en ta bouche ruissellent sur nos corps


Et l'hideuse cérémonie
Grandit en son piteux méandre ! ...
Tu cours par la force innée

72
Et plonges à l'ennui !

Mais cruelle qui restitues


L'odeur âcre des vices,
Les mots répondent par des luxures ! ...

Va, folle et longe les nuisances internes,


Puisqu'un besoin d'amour
Exalte tes frayeurs !

73
Pour l'accord des idylles

Pour l'accord des idylles, ton chant est bien à plaindre.


De visu, l'organe clair obtient la destinée.
Il ressuscite encore la folie de ce Temple.
Mais l'échappée des astres, ces satins en été,
Ne sont que des louanges qui émancipent l'amour :
Des phrases, des lacets d'encre qui sont entremêlés,
Dans les noirceurs du jour, des jeux rudimentaires !
Hélas comme autrefois, l'insouciance est incomprise !

Des mémoires s'encombrent de résidus de haine.


Les forces sont épuisées ; la vague à marée basse
Si lasse, exténuée, vient s'échouer, noyée.

Senteurs, éloges et dénouements, je me souviens.


Si des terreurs m'ont bercé en des instants,
L'infini supplice se meurt de vivre ou d'exister.

Et ce sont des spectacles ? Contemplations hâtives !


Oh ! Les cascades dorées ! C'est le drame et l'instinct
Qui s'épuisent en mon être. L'éloquence ne sert à rien !

74
Certains sont pénitence où le soleil s'enfonce,
Et des lieux de plaisirs sur le siècle maudit.
Alors d'autres langueurs ont brusqué mes souffrances.
L'angoisse bat son plein et elle condamne atroce
Etc.

75
Confession

Une nuit que je cherchais miséricordieux


À captiver mon songe en mille tourments heureux,
Si pure et nue au bord de ce rivage
La divine beauté remarqua mon hommage ;
Alors que j'entonnais aux puissantes infinies
De suspendre leur vol et de poser ici
La douceur éclatante d'une âme tumultueuse,
L'accalmie s'inclina, et pour les lèvres pieuses
Qui suppliaient encore la grâce et le pardon,
La grâce fut accordée pour sauver ma raison.

76
Lentement

Comme lentement
Il redescend
Souffrant,

Aux nuits futures


Que rien ne dure
Sanglant.

L'avidité veule
Pour qu'il pleure
Tremblant,

Use des blessures


Et des morsures
De son chant...

77
Il retiendra son souffle

Il retiendra son souffle, car lui ailé même dans les


retombées de ses pluies, s'élève inlassablement. Il sonde les
déluges, les tempêtes et les vents, et sous les vertes mers
s'étalent les bruissements de ses eaux nouvelles.

Il confondra les cieux d'ocre, les horizons de l'amour,


les vagues et les cataclysmes. Même dans la topaze de ses
yeux, renaîtra l'éveil de l'enfance heureuse.

Au chant du golfe blanc, le visage de la vierge


embrassera l'énergique appel du carillon des matins. Pour
l'assaut de la nuit, circuleront les nuptiales rumeurs des astres
étoilés. Et dans les miroitements des nébuleuses dorées,
l'automne resplendira pour sa fatigue et sa langueur promises.

L'évasive multitude parmi les vapeurs brumes,


bouche ouverte, lèche déjà les montagnes du printemps qui
peintes aux couleurs de la lave mauve, trempent leur duvet de
soie dans les lacs glacés.

78
L'empreinte diluée de son pas neigeux, et sa robe
incrustée de minuscules diamants enveloppent le rivage de
bronze et les couches de l'aurore.

Il détiendra la clé et du rêve et de l'instant de


l'homme car lui seul est ange et poète ressuscités.

79
Il brillait dans les yeux

Il brillait dans les yeux de ce rêveur ailé de lentes


courses comme les fraîches vapeurs matinales se levaient
dans les rayons à la teinture pastel.

Dans les sous-bois où la fleur suave abandonne un


parfum printanier, ses souliers faisaient craquer les petites
branches mortes. Et quand il eut franchi le vallon - le vallon
de mousse - ses pas accompagnèrent l'écho lointain.
L'exil s'essayait à de folles transhumances, les
fureurs s'enivraient de futiles préciosités et le jour descendait
plus calme encore sur l'horizon limpide.

Il baignait et entourait son coeur de mélancolies. Son


joug condamna d'admirables complaintes. Ses regards
enflammés par un esprit malin changèrent en haine toute
chose vécue.

Il but de ces liqueurs aigres et frelatées, et transperça


avec des aiguilles remplies de venin la face humainement
désespérante.

80
Il aurait voulu

Il aurait voulu des courses folles - démesurément


folles - à travers la campagne, jouir des dernières chaleurs
d'un automne avancé, et marcher à la recherche d'espoirs
perdus.

Il prévoyait dans toute sa candeur de fulgurantes et


intensives excitations de l'âme, des sortes d'images
transformées pourtant réelles suivant les lois internes de son
esprit, suivant des pensées brutes tirées de son imaginaire.

Etaient-ce des rêves éveillés où le réel côtoie


l'indécis, où l'excès est maître de ses interdits ? Une liberté
d'action parfaite dans le miroir de sa jeunesse !

Une pierre jetée ricoche dans l'eau morne d'un bras


de rivière, et la lumière questionne le présent et son temporel.

Ce sont des vols d'étourneaux battant de l'aile,


craintifs de la froidure. Ce sont des montagnes lointaines qui
dansent là-bas. Puis la femme, belle et sensuelle qu'un espoir
de conquête embrasse.

81
La magie est à répéter.

82
Il est un minuit

Il est un minuit qui se perd et que tu enjambes


malgré toi. Certaines concordances dissidentes naissent du
coffre des ombres. Des feuillées d'abeilles tourbillonnent par-
delà les minuits dans les grands regrets du mécanisme. Les
tapis d'or placés sur les dômes d'azur ne sont que des
succursales initiatrices de notre inconnu.

Léger comme l'envol, virevoltant sur des incendies


fraîchis, l'ange plonge dans les gaz et les étoffes et les
mousselines argentées.

L'horloge tinte les douze doigts de la présente année,


et semblable aux modulations des cloches à venir, s'évadent
des sonorités telles l'Angélus ou la Métaphore du Soir.

83
À la cloche d'ivoire

À la cloche d'ivoire, comme drapé de mélancolies


diverses, il hume les survivances alentour éteintes. Par le jeu
des syllabes, le grand précipice offre des chaleurs à ses
dépravations intimes. Son masque d'argent se désagrège petit
à petit.

De l'éternelle et souffreteuse anecdote, on assure


l'infini des jouissances. On promet un réel sublime que le
sauvage doit faire naître en sa demeure. On détruit la rareté
d'une force distincte...

Immuable soir qui s'égare sous des nuées honteuses.


Un coeur voué à la solitude sensuelle use des tentations et fait
de l'être impur un mémorable délice en ce jardin de terre.

84
Un froissement d'étoffes

Un froissement d'étoffes court dans les environs


putrides. Une décharge superbe, et le printemps resplendit aux
fenêtres insoucieuses ; une démarcation légère, un regard pour
ses yeux, et de luxuriantes larmes coulent sur son jeune front.

Malgré l'intolérable monotonie des silencieuses


commodités, le vent froid et sec parmi les gloires anciennes,
malgré la fraîcheur exquise d'une rêverie embaumée, entends.

Derrière l'amas des déchirures, plus loin que le


contour qui se dresse, des pas approchent irrésistibles dans
leur avancée. Lourds, encombrés d'alcool sain, je les sais qui
s'en viennent TOUJOURS. Je les sais arriver. Il est temps de
nous cacher, de revêtir ces voiles, ces châles qui traînent là
dans la pièce. Viens, il est temps de mourir.

Des répliques, des sinistres cachots, - quel amalgame !


Des diversités de saisons pluvieuses naissent et se reproduisent
avec une rapidité affolante. Les forçats s'acclimatent à cette
végétation, d'autres crachent les renvois de la déchéance,

85
d'autres encore suintent, et se languissent de désespoir. Des
masques pour les condamnées, des cordes pour les ignorants,
des infusions pour les délaissés.

Souviens-toi des rouges, des cambrures à l'extrême,


de l'insipide râle, des fourberies nuisibles et des pitiés
promulguées. Souviens-toi du cheval, des veules inquiétudes,
des murs tombés en décrépitude.

Vois comme j'avais raison ! Il est trop tard à présent


pour se consoler.

Sur des rêves où la tentation était déjà vouée à


l'échec, je crachais comme d'autres expulsent l'air de leurs
poumons. Je sombrais. J'ai bu de vos poisons, ô l'écrin, ô la
monstrueuse déchirure !

86
Minuits - points

Minuits - points. Affirmations, épaves vaines


inclinées sous des soleils souterrains ; et l'odieuse symphonie
accorde un chant multiple, et les mots vibrent et se prolongent
dans des espaces silencieux.

Rêves : - froissements de jupes vertes, honorables


fantasmes teints en des secondes inertes, protocoles
inconscients pour des eaux à venir. Antique romaine ou
hellénique soeur. Du sadisme douteux sous des cordes
glacées.

Pour quelle naissance, pour quelles vies nobles et


justes ?

87
Un tambour en rut

Un tambour en rut comme des palpitations répétées,


immuables saccades jouisseuses de mon sommeil et des
sonorités sourdes dispensées dans une chambre capitonnée.

Mouvement éternel qu'aucune brise n'effleure,


mouvement de terreur et de folie tortionnaires.

Un troupeau de ronflements monocordes simulant


une envolée de galops profonds et venant d'un lointain
inconnu, de l'infinité de mon être stérile qui gonfle mes
tempes et boursoufle mes veines.

Des gouttes de sang noircies par la haine jaillissent


de tous les pores. Des masses visqueuses vivent, se
reproduisent à une vitesse inexprimable.

Soudain des cris. La tempête éclate et déchire et


détruit toute sueur interne. Des ravages terribles, - d'anciennes
garnisons englouties en un souffle, - un souffle mortel, œuvre
satanique.

88
Sont-ce des lueurs illuminant la face terne du
moribond, un vulgaire traité de paix jamais respecté, un
stratagème démoniaque ? Un compromis ? On avance un
sourire aux lèvres. On avance toujours. Tous les membres
sont crispés. Que fait-il ? Pourquoi ?

89
C'était d'une humeur claire

C'était d'une humeur claire, presque prompte à


démêler les pensées nouées de l'âme que je me réveillai, ce
matin-là. J'aurais pu selon la bonne remarque populaire, battre
flots et tempête.

Il est de rares saveurs que l'on ne goûte à l'extrême.


Le temps, notre ennemi redoutable nous appelle à d'autres
tâches. Mais ces instants de réflexions avaient une telle
intensité qu'ils eussent pu être confondus avec des instants de
bonheur...

J'avançais comme un miraculé qui retrouverait le


fonctionnement de ses jambes, émerveillé par la légèreté de
son corps.

Mais un bruit ultime, l'imperceptible bruissement de


deux ailes, et le charme disparaît. Dès lors, l'engourdissement
de mes jambes m'interdit de peiner davantage, dès lors
l'intervention stérile du refus m'interdit quelconque action.

90
Pourtant je te savais, et tu n'es déjà plus ! Tu disparais
quand tu supplies. Tu fonds mes pensées quand l'œuvre
m'attend. Insaisissable amie, comme je te demande ! ...

Auras-tu l'audace d'éterniser mes lueurs ? Voleras-tu


aigle royal dans les ténèbres de mes nuits ? Tu m'atteins aux
premières requêtes. Tu t'éloignes lasse de rêve aux moindres
tourments.

Tu es ma maîtresse, et tu te joues de moi ! Essayer de


parer ta puissance, c'est me compromettre et te voir
disparaître à tout jamais.

Délicate langueur, viens bercer encore mes rêves !


Sur cette bouche, invente l'acte suprême de nos mélancolies !
Tu es en moi et pourtant impalpable. Tu vis dans mon coeur,
et tu te nourris de mon sang comme d'un sublime poison !
J'ordonne ta faiblesse, mais tu es mon amante et j'attends.

Vivre en toi, par toi et pour toi. Oublier


l'ignominieuse carence de ces faiblesses. Crier à tous la
subtile saveur de la solitude ! Hélas, j'ai beau hurler, qui
entendrait l'essence pure de la vérité ? Quel être acclamerait

91
l'ignorance de ses actes ?

92
Ô solitude morne et plate

Ô solitude morne et plate qui envahis l'être


d'admirables torpeurs ! Jadis tu m'étais inconnue... Pas un
souffle de faiblesse pour respirer le calme mortuaire, la
langueur et le déroulement infini du temps.

Comme je soupèse le bonheur de l'homme seul, sa


survivance profonde dans l'âme insondable ! ... J'interviens
posément et goûte le luxe de la répartie. Je laisse confusément
comme un monotone fleuve dans le cours de ses eaux, la folie
sereine s'emporter vers des paysages perdus.

En amont, une source pure et claire que des


montagnes chérissent avec tendresse. En aval, la beauté
majestueuse, l'épanouissement de la pensée.

Eaux calmes, quand le silence règne en moi, comme


je voudrais pour toujours m'endormir...

93
Un éternel recommencement

Un éternel recommencement comme puisé aux


sources mêmes de la vie, des chutes étonnantes semblant
mourir dans l'abîme infini de l'âme, des vibrations soumises à
une excitation durable :

Les méandres de la pensée conservent presque


religieusement toute la saveur extrême de leurs nombreux
secrets.

Parfois tumultes incontrôlés, souvent miroir


irréfléchi de ce moi étrange, je ne me déplais pas de posséder
les admirables accidents qui contiennent ma personne et se
jouent de moi, pauvre conscience.

94
Miroirs de l'âme

Miroirs de l'âme, encriers de nos cœurs, quand


pouvons-nous respirer calmes et paisibles les odorantes fleurs ?

Le rêve se pâme d'atrocités et pousse nos désirs


jusqu'à des désespoirs toujours plus humiliants.

La traîtrise activée par un feu intérieur, resplendit


davantage, et le soir est mourant.

Esclaves d'hier, comme je condamne vos paroles !


Esclaves de demain, entendez ma miséricorde !

Martyrs défigurés par les liqueurs fourbes, aigles


royaux ou loups des cavernes, pourquoi accepter cette torture ?
Pourquoi la haine de tout un peuple ? Pourquoi les floraisons de
toute une forêt et pourquoi la barbarie gravée sur le sceau de
l'homme ?

95
Les ondes turbulentes

Les ondes turbulentes, les nacres bouillonnantes, les


incendies, les glaives, les suprêmes disques de l'azur, les
chocs sinistres et deux contradictions dans l'ouragan
frénétique !

Blessés, hommes terrassés, femmes défigurées,


vieillards impotents et cheval fougueux jetant sa crinière
blanche dans les cavalcades du temps.

Carnassiers de l'amour, spectre figuratif : qu'on


restitue l'image sacrée, qu'on étouffe les sanglots de nos
chœurs, qu'on brave la nécessité révoltante ! Quelle heure,
quel instant pour approfondir les causes de la cité ?

96
Dans ce souterrain visqueux

Dans ce souterrain visqueux, j'observe la foule


macabre qui avance insouciante dans les dédales de la mort.
Sans crainte, d'un pas égal, la longue file composée de
vieillards, d'enfants et de femmes enceintes s'étire et
déambule.

On dirait le pèlerinage des temps sacrés quand de


lentes cohortes de croyants traversaient les déserts arides.

Ils continuent et s'engouffrent dans les graves


ténèbres. Les plus vieux se refusent à mourir en bordure de la
voie. Ils trébuchent éreintés par l'épuisante marche, mais ils
avancent encore.

Aucun signe de révolte ne se lit dans leurs yeux. Des


visages livides, des masques peints, des regards attirés par
une force invisible.

J'ai voulu m'approcher pour les interroger, mais


quelles réponses attendre de spectres ? Au matin, las

97
d'observer leur atroce procession, je cherchai à me reposer
quelques instants dans ce souterrain. Mais dans mon rêve, ils
avançaient encore et défonçaient mon crâne de leurs horribles
pas.

98
Ces pas tourbillonnent

Ces pas tourbillonnent comme des multitudes veules


de fantasmes égarés. Ils voltigent, se rassemblent aux cimes
des arbres centenaires. Ils s'éloignent et revêtissent l'habit
pourpre et usé des nombreuses métropoles.

Ô le chant de la flamboyante citadelle, ô prison


cristalline ! Femme grave de martèlements odieux !

D'une dominante claire, un espoir puis un cyclone


sanglant. L'être de verdure ne put festoyer gaillardement dans
des caveaux en fumés, à l'enseigne éternelle des strophes et
des vins !

Ville folle qui vide les panses des hommes savants,


qui broie leurs souffrances, et qui se joue de leur faiblesse. Ô
spectre ! Ô sueur !

Et de lentes marches comme des agonies à venir, des


pieds salis par la crasse, une âme délaissée à l'entrée du
Temple. Le monde sacré, inépuisable, s'étend ivre de

99
grandeurs sous les apitoiements des infortunés !

100
Sur les scènes des partages

Sur les scènes des partages, les médisances sublimes


et les cascades et les sanglots : - l'or pur est convoité et
arraché à la manne céleste.

Les masques plombés tombent enfin, loin du réel


malfaisant. Le plancher est tremblant sous le bruit terrible des
carcasses.

Une sorte de foudre voudrait que ce fût lui, vendu au


sacrement de l'église, rejeté pour d'odieuses complaintes.

Le temps pour sa maigre peau a ceint l'étoffe


noirâtre. Son testament est éblouissant.

Entends les sarcasmes et les rires et les joies. Nous


bénirons la Sainte Éphémère, et donnerons l'eau neuve pour
cette effigie consumée. Par-delà les éthers glacés,
frissonneront les insondables cérémonies, les prières et les
gloires.

101
Sublimes mascarades des esprits. Nécessités des
familles. Ô découvertes des âmes !

102
Des chênes prostrés

Des chênes prostrés les uns contre les autres. Des


bouquets de rosiers émanant de purs parfums de rêve.
Derrière un chemin de ronces et d'herbes mauvaises,
l'automne dévoile une à une ses pensées.

Avec de larges envols, dans les gracieuses


complaisances que l'enfance invente, là où le désir lentement
prend naissance, le printemps boit les tendres années.

Sous l'amas de terre fraîche, parmi les frêles


inquiétudes, entre deux monticules de faiblesse, l'hiver s'est
retiré.
Un feu de pierreries s'élançait dans les couleurs
multiples des étoiles quand l'amertume frôlait mon désespoir.
Ma chute était promise à la sueur de mon temple, l'été
explosait.

103
Par la femme mystique

Par la femme mystique, l'œuvre nous rassemble. Les


gerbes de fleurs montent, se propagent sous les toits des
antiques demeures.

Les cieux vulgaires constituent le morbide


recrutement des catacombes.

C'est le délice dans les champs de neige ; aussitôt


que l'éloquence gronde parmi les hêtres et les violettes, le
Fils, ornement qu'elles méprisent ou non, devient symbole et
mythe admirés.

Bouffies, impies et jonglant entre deux lignes


équivoques, elles encensent leur passivité et leurs douces
attitudes.

Peuvent-elles comprendre le sens de la pâmoison et


se reconsidérer dans la tournure de l'acte ?

104
Par la grâce et la discorde

Par la grâce et la discorde, contre le fatalisme


stupide, contre l'investiture d'une nonchalance, c'est toujours
la logique immuable qui règne sur les appâts.

Aux chaleurs extrêmes, l'évidence quoique


pernicieuse restitue la morale jusqu'à l'extravagance de son
soupir. Tu condamnes les blessures, tu hurles à la liberté.

Je parle de simagrées et d'intolérances, mais pourras-


tu comprendre ?

105
Un simple cri sur ta bouche

Un simple cri sur ta bouche et le délire naît de ma


domination. De l'esthétique inouïe aux contemplations vaines,
le goût âcre de l'amertume s'éloigne dans le bruit sinistre de la
nuit claire.

Pour ton harmonie, mille couleurs ternissent d'une


encre pâle un manuscrit maintes fois oublié. Les tiroirs du
secrétaire condamné pour toujours garderont dans leur ventre
de bois des substances peut-être exquises. Renfermeraient-ils
une gerbe de délices ?

Du théâtre à l'actrice première, des chants d'espoir


aux catacombes pourries, oh ! Un monde fourmille, une
saveur parfume la chambre promise à des sourires amers ! ...

106
Un ivoire brillant

Un ivoire brillant où resplendit une rangée de dents


équilibrées, une bouche fine et menue, hymne au baiser et à la
tentation du cœur, une peau brunie par des rayons vermeils, je
la vois qui s'étire, désinvolte, insouciante de sa nudité. Elle
me regarde avec ce sourire enfantin qui dit : as-tu bien dormi
? Je lui souris et vais délicatement me plonger contre ce corps
chaud encore d'une nuit passée à s'aimer et brûlant des plaisirs
à venir.

De languissantes étreintes aux rythmes accélérés elle


se tord, enroule, souple serpent, ses longues jambes sous les
draps soyeux, etc.

107
Je croyais voir

Je croyais voir en l'or de tes cheveux un nuage


tendrement endormi sur des aquarelles mortuaires. J'y
discernais un convoi de broderies éparses, et j'embrassais
dans cet amas confusément respiré la rêverie lointaine. Je
m'égarais dans les parfums, dans les sueurs de nos amours
anciennes.

Mais toi d'un geste dédaigneux, presque machinal tu


passas ta main blanche et bien faite dans ce désordre de
mèches blondes, et la noble rêverie s'est plu à se défaire, n'est-
ce pas, Isabelle ?

108
C'est un spleen

C'est un spleen qui renferme toute la nostalgie d'une


lueur sublime, une douloureuse faiblesse de cœur recueillie
dans la solitude, morne solitude près du feu pétillant de la
cheminée, où le seul ami est peut-être encore cette bouteille
de vin rare et ce verre de cristal.

Glacial amour, amour tendrement chéri, amour rêvé,


amour volatilisé que la fantaisie de la femme reproduit
inlassablement comme pour retenir son idéal, comme pour
retenir le temps !

Et la dernière lueur du brasier s'est plu à mourir. Ce


n'est plus qu'une lumière douceâtre qui baigne la chambre
décorée de bibelots rares et de meubles fort anciens.

Ce n'est plus qu'un désir impossible qui resplendit


encore dans l'âme d'Agathe. Ce n'est plus qu'une douleur
inconsolable qui vit dans le cœur d'Agathe.

Enivrée par le nectar, elle s'endort entourée de


somptueuses étoffes posées nonchalamment sur le divan

109
superbe.

Parée de somptueux bijoux, l'œil hagard et livide,


soulevant d'une main nonchalante quantité de soierie déposée
sur le divan, elle rêve des délicieuses soirées passées chez les
De Busy.

Et des images tenaces, toujours martelant son âme


voyageuse s'amoncellent les unes contre les autres comme
une pellicule de film inlassablement répétée.

Et dans ses souvenirs voués déjà à l'ennui, elle


multiplie les scènes, grossit les visages, et espère embrasser
dans cet amoncellement de détails, l'instant unique et sublime
que son esprit s'était juré de ne jamais oublier : le regard
saisissant du jeune homme aux yeux foncés, tirant vers un
marron extrême, - ce regard de feu exprimant toute la force et
l'intrépidité de la jeunesse conquérante. Oui, malheureuse,
presque envoûtée par ce sourire d'ange, par cette bouche
suave, elle éternise son évasive rêverie sur le caporal blond.

110
Un idéal songeur

Un idéal songeur où la seule fortune de l'esprit


consisterait à grandir des images pieuses comme issues d'un
Livre d’Écritures, où la seule tentation de l'âme serait
d'usurper et de drainer dans sa propre logique les pensées
éparses qui s'incrustaient dans les parois de son esprit. Une
expérience en soi unique, vécue en autarcie suivant des lois
internes et presque rationnelles, tel était le souhait, ô combien
désiré depuis sa tendre enfance par Magisture.

Élevé dans une famille peu soucieuse d'instruire et


d'imposer une éducation stricte et conventionnelle, il
grandissait dans une liberté complète, pouvant à chaque
moment décider de ses agissements. Jeunesse heureuse et sans
contrainte, Magisture chérissait ses parents avec tout l'amour
qu'il était permis de posséder à cet âge-là.

Mais son rare ennemi, si ennemi était, inquiet de la


faible rigueur parentale était un oncle qui visitait deux ou trois
fois dans l'année, pendant les fêtes importantes, la maison des
Ursus.

111
De quelques années l'aîné de Madame Ursus, il ne
pouvait s'empêcher de déplorer l'éducation trop peu
conformiste dont un enfant en bas âge jouissait.

Des remarques subtiles et des cris d'alarmes


moralisateurs, telles étaient les seules conversations qui
jonchaient les interminables repas. Ces derniers se
poursuivaient fort tard dans la nuit jusqu'à des heures
avancées qui faisaient bailler de rage la pauvre Madame
Ursus.

112
C'était un vieux boudoir

C'était un vieux boudoir où tremblaient des spectres


d'ombres, où un mal invisible rôdait lugubre parmi les
meubles de la pièce. Point de mots, points de regards - une
attente éternelle épiait le moindre bruit, l'infime craquement
des planchers. Les boiseries comme travaillées nuitamment
gémissaient de douleurs et de plaintes répétées.

À travers les carreaux de la fenêtre obscure, une lune


pâle, ronde comme une hostie propageait ses rayons
blanchâtres - un instant sublime que la peur éternisait, un
instant d'inquiétude et de bonheur en soi.

Il y avait les masses inertes de nos chairs blotties


dans de profonds fauteuils. Les yeux du chat luisants étaient
prêts à s'enfuir. Et nos mains transpiraient de faiblesse et
d'effroi.

Un coup de tonnerre puissant et le silence disparaît.


Un cri perçant de sa gorge étroite, s'expulse et se propage en
dissonance dans la pièce. Un cri inhumain et la femme
indécente se transforme en vampire !

113
Que reste-t-il des vils tourments

Que reste-t-il des vils tourments, des promenades


sous les orages soufreux ? Et toi, pauvre esprit disparu au
fond de l'enfer, quand reviendras-tu ? Mais pour ces
désespoirs, emblème facile de la dernière intonation écrite,
qu'adviendra-t-il ?

Idolâtre monstre d'une rosée tournée sur des feuilles


tombantes, semblable amertume de mes yeux embués d'une
marque dantesque, ô maussade gestation dégénérée sur un
corps inconnu, que pour cette réponse resplendisse le tombeau
de nos anciennes demeures ! Oui, que du maître légitime, une
place minuscule me soit déjà promise, car j'ignore la
décrépitude de la tache, mais je transpire le prix de
l'insupportable souffrance.

Un quatrain, deux quatrains, cent mille quatrains


disposés sur des tranches de bois, un sonnet centenaire donné
à des générations insouciantes, des déchirements noircis et
copiés à la hâte pour oublier le désœuvrement. Ô l'espérance
d'une reconstitution d'un univers douteux, comment saisir le
nectar d'un éloge ? Sous quel roi ? De quel droit ?

114
Épargneras-tu les martèlements incessants d'une
jeunesse laborieuse ? Attends-tu déplorable créature
l'impossibilité de ma croyance ?

Mais de son silence naît un profond silence, plus


terrible encore car plus noir dans toute sa solitude !

115
J'ai volé

J'ai volé à l'arbre frêle une mince couche de


miséricorde, j'ai enflammé un coeur déjà perdu à la cause
première, j'ai délaissé des promesses impossibles, des vœux
d'amour, j'ai joué avec la connaissance usurpant çà et là des
fruits de stupides saveurs.

Sur une couche, j'ai réinventé l'acte suprême fort


d'une imagination débordante. J'ai transformé des images
pieuses en symboles multicolores me réservant le droit divin
de retoucher comme un peintre l'empreinte de son tableau, les
vicissitudes de mes rêves transparents.

Plus loin encore, alchimiste de génie, prêt à


découvrir le secret ancestral, j'ai brûlé dans des flammes vives
la page blanche d'un poème jamais ébauché.

Vaste mutation proche de la réalisation, hésitantes


exactitudes vouées à un échec constant, quelles merveilleuses
farandoles qu'une rêverie obscure dispensait dans les ténèbres
de mes nuits !

116
Magicien doué d'une sagesse constante, séraphin
démoniaque ou démon divin ? Qu'importe ! Tous ces noms
gravés comme des dalles de marbres dans mon crâne fatigué,
qu'importe !

Dans des cavernes fantastiques, je me suis promis les


couleurs du printemps, - des pastels, des mauves, et des
argents rouges comme le vin et blancs comme l'écume. Ô
l'arc-en-ciel transporté dans les bas-fonds de la terre !

Moi, homme de nuit respirant les fleurs disposées en


corolles, humant les senteurs de mon propre univers, Moi
enfant qui trébuche et succombe dans les dédales, Moi et la
pluie, et le soleil et les étoiles, et Moi encore !

Quel vain et âcre mélange dont les fruits


bouleversent les sueurs extrêmes des envolées ! Quels affreux
cauchemars qui conspirent complaisamment pour jouir de
mes souffrances sanglantes ! Oh ! Le jeu de la mort ! Aucun
vivant ne peut se défendre ! La mort tentaculaire qui possède
corps et âme, se vautre dans des rires immondes retentissant
encore dans les globes de mes oreilles ! Oh ! La faux brillante
persécute l'œil torve imbibé d'alcool ! Oh ! Les scènes de

117
pillage ! Oh ! ...

118
Mourir dans les bras

Mourir dans les bras de cette gueuse et rêver de


soupirs merveilleux, d'extases inassouvies dans un lit de satin
blanc.

Ainsi toujours vers cette demeure prénuptiale, mon


cœur, entends l'aventure grandie, écoute les complaintes
perceptibles dans l'air safrané.

Miséricorde, valeurs fictives, décadence de ses yeux,


Seigneur, souffrez que j'aperçoive une autre vision
enrichissante, car douloureuse cette horrible passion me mine
tristement.

J'entrevois les portes fatidiques d'une mort certaine


etc.

119
J'abolis le simulacre

J'abolis le simulacre de ta danse maudite. Je restitue


la fourbe sérénade à l'être digne de porter son nom. Malgré
des défaillances et des agonies stériles, je proclame l'avancée
de mon entendement.

Non, plus de pâles sourires, très chère, comme la nuit


ne soudoie plus nos forces accumulées.

- Armes de la tentation, mugissements louables et


cadavres dans la fosse encombrée - C'est encore le etc. pour le
cataclysme, la loi et la traîtresse.

120
Une enfance dévergondée

Une enfance dévergondée quoique repliée sur soi-


même. Un passage terrible à l'imbécillité du monde vacant.
De continuelles crises de rire derrière le dos de stupides
enseignants. Des devoirs bâclés, écrits à un rythme infernal
pour cracher une vérité douteuse. Un sermon de mémorables
cours !

Des frères piteux, satisfaits dans une classe


grouillante de méchancetés. Des cancres vêtus à la mode
dernière, et des sourires narquois et des moqueries stériles.
Derrière le bureau, un professeur jouissant de sa petite
réussite, fier de son cours magistral, heureux de la faiblesse
de ses analyses et tremblant comme une feuille morte devant
un censeur agressif.

Récréations cafardeuses où l'on tire sur une cigarette


trop vite chauffée, - des remarques, des mots, des idioties
proposées à chaque segment.
Transfert de souvenir scolaire.

121
Un cloître très ancien

Un cloître très ancien soutenu par quatre piliers en


briques roses, une fontaine au centre où une eau stagnante
semble mourir de solitude. Un dallage épais comme délimité
par des touffes d'herbe éparse, un toit d'ardoises grises que les
derniers rayons d'un soleil automnal caressent presque
complaisamment.

De ce morne bâtiment resplendit toute la prospérité


moyenâgeuse d'une capitale catalane.

122
En tête

En tête pour le sacrifice qu'une chute abolit dans ses


gouttelettes grossissantes, et pour ce vain partage de l'exploit
ranimé sous nos yeux. Je détruirai l'immortalité hors de sa
pénitence, je frapperai le fruit sacré que l'homme malveillant
exploite. J'inonderai de purs services la connaissance du
prodigieux dessein.

123
Pour l'archaïsme en fuite

Pour l'archaïsme en fuite, des larmes, des torrents,


des cascades en plein Sinaï.

Pour l'élection douteuse, le vol des aigles royaux sur


des duvets flamboyants.

Pour la malédiction de l'enfance, un cri de détresse


au centre des tourments.

Quant à l'outrance répétée, insultée par des huées


sérieuses, tout finira par se comprendre.

124
Des tourments promis

Des tourments promis aux faces convoitées que


l'oracle semblait avoir oubliés.

Le vieillard en paix vibre continuellement.

Les mourants secondés dans la pénombre blanchie.

Le feu dont les braises rougeâtres jonchent le


parterre tiède.

Reine, foule, testament et autres consentements : tout


pourrira ! Et la chair de ta chair ne sera qu'un vomissement
hideux.

125
La chute, espérance de nos cris

La chute, espérance de nos cris, de nos cœurs.

Le fouet aux lanières superbes pour des corps


affaiblis.

Le hurlement de la foule au premier de ses pas.

La jouissance terrestre du repos partagé.

Des montagnes de regards braqués sur l'inconnu.

Le cerveau grandi à la finesse séculaire.

La folle logique engouffrée dans les ténèbres.

Et la raison encensée à nouveau.

Des musiques, l'air de l'orchestre putréfié, des


clairons au fauve couleur.

126
Le chant de guerre entendu sous les tentes dans les
bois.

Les glaces fondues qui vomissent les cadavres de


l'ennemi.

Et des armes peintes au sang de la victoire.

Contre des poteaux de bois, les fusillés de l'ultime


déchéance. Et des hommes perdus, et des femmes pleurant.

Le soleil fatigué par la guerre éternelle, le soleil se


couchant sous les boues du caporal.

La garde se gorge de vins aigrelets, la garde acclame


la souffrance de ses torts.

Un monde disparaît.
Qui le remplacera ?

127
Le songe proscrit

Le songe proscrit sous les rumeurs du siècle


La vérité soumise aux pulsations de la foule
Le mélange crasseux de nos solitudes désespérées
La transparence des pôles, des mers salées
La barrière sous les troupeaux de bêtes aimées.

Et le vent sous sa danse


Exploite l'amertume de nos peuples !

Éclatés, vomis, stériles puis féconds, que restera-t-il


Des astres fluorescents et des envolées divines ?
- Un gouffre de laves et de meurtres :
Le réalisme vaincu par les forces sommaires.

128
Ils corrompent nos chaînes

Ils corrompent nos chaînes, ils abattent les blessés et


veillent d'injustices en injustices le mets gracieux des raisons ?

Elles se crispent aux torches saphiques et ondulent


sur des contrées oisives ?

Nous inclinerons des têtes charnues contre des


compliments aériens.

129
L'orgasme dans les nébuleuses

L'orgasme dans les nébuleuses pleure son automne,


Le fruit se décompose sur les filantes orgues.

Le délabrement de l'Antique Cité,


Jadis l'acteur jouait sur la place publique.

Le conseil déplorable et avide de luxes proscrits.

L'enfance transposée sur d’irradiantes pénombres.

Échappé des miroirs rutilants, - l'amour.

La folle servitude pour les malheureuses chaleurs,


Et la science périclite dans l'orage des ténèbres.

Exposée aux sulfures des milices,


Recherchant la faille du labyrinthe inconnu,
Quelle voix pour échapper au monde inhumain ?

130
Les déserts de ses nuits

Les déserts de ses nuits, les sermons bafoués,


La violence du regard, les ténèbres des yeux.

Les souvenirs haineux, les trouvailles impossibles


Et le prolongement d'une ouverture bénigne.

Les mensonges encombrant une litière défaite,


Des soumissions, des rires - les gestes en ce temps-là !

Des rires improvisés, des changements de ton,


Des actes se succédant pour des grâces enfantines.

Et des heures contenues


Sur des plaisirs rêvés.

131
L'incompatibilité I

Dédaignant une forme première,


Le doute lentement s'endort.
Qu'il vole l'écrin dans ce désert
Semé de pierreries et d'or !

L'amas de ces faiblesses ultimes


Respirées sur des velours
Est parfois légitime
Et parfois maître de ma tour.

Que je ne sache de l'inconnu offert


La tentation maintes fois retrouvée.
Ce feu cuisant qui me dévore
Sait trop bien me torturer...

Vois, honte suprême de mes délices,


L'éternelle folie pareille aux aimés,
Remplir et faiblir par des supplices
Le coeur âcre et disgracié.

132
Au tombeau, rempart extrême du bonheur
Une lente agonie prépare en ton honneur
La noirceur vile des Bacchantes
Et promet, lugubre survivante,

Des fiels suaves et de superbes jougs.


Mais à l'extrême langueur de mon être,
Je ne puis accepter du tout
L'odieuse cérémonie de disparaître...

133
L'incompatibilité II

Dédaignant une forme première


Où un doute lentement s'endort,
Je vole au stérile hiver
L'écrin parsemé de pierreries et d'ors.
L'amas de faiblesses intimes
Respiré sur ce coussin de velours
Me semble parfois légitime
Et parfois maître de ma tour.

Que je ne sache de l'inconnu effort


La tentation maintes fois retrouvée !
Ce feu cuisant et fourbe qui me dévore
Aura tout fait de me torturer ! ...
Vois, honte suprême de mes délices,
L'éternelle folie pareille aux aimés
Remplir de lugubres supplices
Le coeur âcre et disgracié.

134
Au tombeau, rempart extrême du bonheur,
Une lente agonie prépare en ton honneur
La mort livide et luxuriante
Et promet - maudite survivante -
Fiels suaves et superbes jougs !

135
Si de l'instant sublime

Si de l'instant sublime
Rien ne s'échappe des lueurs
Si du doute accumulé
S'entaille un réel obscurci
Si, inquiet à l'automne des questions
L'horrible monstre sévit encore,
Qu'attendons-nous ?

D'une misérable frayeur


Par trois syllabes dilapidées
Je ne perds que des pleurs
Dans cette guerre éternelle
Où germe la maturité.
Délivrons-nous de l'insouciance
Qui, par nos sourires saignés
N'apporte que fruits de nuisance.

136
Regards de malheur
Qu'exploite un désespoir,
Éloignez-toi une heure
Une heure ou deux ce soir.
Car saignant dans nos labeurs
À la sève sempiternelle
Nous n'aurons plus d'ardeurs
Pauvres de nous, mortels !

137
Lie qui incube

Lie qui incube, ô satané,


Le réveil des nymphes posant
Dans cette orgie ailée,
Ébène, ivoire luxuriants.

Mordre haine sanguine


Et possession de la mort
Pour une vile libertine,
Terrible, sublime sort.

Enroulées du ptyx macabre


Chantant des Te Deum à pleine voix
Entre poignards et sabres,

Presque dévêtues du linge blanc,


Qu'il retire violent dans sa foi
Le Démon rit de son rire sanglant !

138
Sache...

Sache...

Les chairs des lignes promenées


En cercles vibrants, et l'oracle
Caressant le sol nu de ton espace.

Tu modules la granitique fonction


De l'Ange ou du Météore.

Cristaux de gaze enveloppés d'atomes,


O substances épurées et soleils de neige !

Mais ta bouche trousse l'innocence


Comme tu contribues au sens crayeux !

Impossible chimère inviolée en ce terme,


Scabreuse fioriture et pensées interdites,
C'est de ton nom que naîtra l'évidence.

139
Les sévices saccadés

Les sévices saccadés humilient


L'Empire désabusé des premières conquêtes
Et fleurit sur les dédales anciens
Des mondes persécutés.

L'indolence montre dans sa discorde


Que son joug perpétuel envenime les pensées !

Les humbles transparences sacrifient


Les lugubres monotonies de tout un peuple.

J'ai vu combattre l'éternelle promptitude


De ses aveux. J'ai vu gloire et cuirasse
Haineuses transformer l'incertitude
En Temple belliqueux.
C'étaient baves, incendies et hurlements
De femmes, pillages dans les rues
Étroites des cités, lourdes épaves
Et ruines renversées en une nuit !

140
Le luxe se mouvait dans les plaines
Comme des coulées de braises
Aux étés chauds d'alors.

Le vent soufflait comme un brave


Et se savait mourir.
Les sortilèges dépecés,
Jetés sur les martyrs
Tremblaient.

Quelle effervescence ! Quels dieux sublimés !

Je suis l'ignoble tentation


De l'être indigne.
Je suis l'hymne solennel à inventer
Pour sauver les âmes soumises.

Oui, je suis !

141
Dominateur

Dominateur de l'épée disparue,


Et sexe tenancier dans ces beautés sublimes :

Florence, possédée sous l'antre bestial,


Braillant son torse poussif et distendu.

Nanou, dispendieuse de l'âcre besogne


Volant au fil de l'âge sa jupe écorchée.

Et Lore criant aux champs tapissés.

Détroussées dans l'habit vert


Des pâles naïades
Et crachotant une foi débraillée,
C'est l'extrême frayeur de l'incertitude :
La rose puante est déflorée.

142
Oraison du maudit

Le trouble percé de flèches molles


Qu'un dire transpose en souffles Dantesques ;
Le mouvoir jusques aux coteaux aériens
Plombé dans les corolles des floraisons suppliantes :
Il pleut de splendides carcans guerriers
Corrompus aux malices des demeures internes.

143
Mémoire du soir

Mémoire du soir entre tendresse et duvet


Que l’à propos déploie irrésistiblement ;
Infortune du meurtre et du rythme forcés.

Les branches sous les grands saules


Par la tête vacillante ressemble
À l'épaule nue posée dans mon âme.

Étés et langueurs du nonchalant artifice,


Exploit des molles natures pareilles et recommencées :
Vaste oriflamme dans le ciel terne de ses yeux.

144
La danse de l'idiot

Les poings liés sous les convulsions d'une danse


Macabre, agité de soubresauts, grimaçant,
Le visage boursouflé par l'alcool, et immense,
Un homme aux mains osseuses dans un rêve, chantant ;

Ses pas répétés excitant la furieuse salle


Qui applaudit encore envoûtée d'une fièvre,
Qui vocifère et rit quand le manchot s'étale,
Une foule balbutiant des paroles sur des lèvres ;

Et la bouche ouverte à une dentition putride


Où le venin coule à profusion, et l'écume
Blanchâtre qui mousse toute semblable aux liquides.

Des biles à expulser ; pour unique fortune,


Quatre pièces jetées dans une casquette sale.
L'idiot danse, danse encore ! Ô destinée fatale !

145
Silence

Par cette heure solennelle, en cet endroit superbe,


Je ranime l'espoir, cause de mon remords,
Je te salue, Seigneur. Agenouillé sur l'herbe,
Je prie confusément pour le repos des morts.

Là, nu devant mon Dieu dans l'ultime détresse,


Pour l'œuvre de souffrances de son fils détrôné,
Je supplie mains offertes le germe des faiblesses
Qui grandit quelquefois dans les cœurs fortunés.

Mais dans ta bouche, aucun murmure qui ne s'exhale !


Aux puissances extrêmes invoquant le pardon,
Qui donc parmi les ombres, au plus pur de son âme
Entendrait une plainte pour implorer ton nom ?

146
Enchaîné

Enchaîné sous des monstres d'or et d'écume


Quand des trompettes argentées sonnent le tocsin
Et fuyant l'infortune chère, reflétée
Par des prismes, aquarelles, et devins ;

Langueur de son être proposée en ce siècle


Où se fondent les mornes reflets bleus de l'été,
Qu'il compte les sentiments de ses frayeurs
D'horizons lugubres jamais dépeints !

Qu'il vante le prompt éloge des ressemblances


Accrochées tristement à de vaines survivances,
Le poète, que la brise jamais ne retient
Sur le coeur horrifié qui fut toujours sien !

147
Nul n'arrêtera

Nul n'arrêtera les frayeurs promises à son front si


clair ! Pas la moindre tempête, par le plus sordide cataclysme
n'épancheront de fièvres froides la douceur de ses plaintes.

Il vit profond et immortel dans sa retraite, caché au


plus loin dans les bois. Il dort d'un sommeil paisible et
contemple la nuit les grands champs alentour.

Encensez la sagesse de son cœur, embrassez son


calme mortuaire. Ce sont ses bouches qui vous parlent !
Écoutez-le !

On se joue de lui pour un écrin de perles ? - Bath !


Personne ne verra le diadème de feu qui l'habite.

Son secret divinement gardé sera donné au maître


des lieux. Mais quel secret ?

148
Fuir, fuir !

Fuir, fuir ! Mais où ? Quelle destination sublime ou


quel mal nous dépècera encore ?

Je suis parti ! Une mélodie étrange d'évasion, un


instant de solitude espéré depuis tant de mois... Et puis... et
puis la chute !

Oh ! L'incertitude, sœur de mon enchaînement,


quand me délivreras-tu ?

Pourtant dans l'Azur, le matin je vois parfois les


premières pierres d'un Temple, et je souris quand les rayons
frappent d'un éclat vermeil les plus hautes fenêtres de ma
demeure.

149
Ainsi toujours

Ainsi toujours de sombres tyrannies en moi ! Que je


dévoile une à une les pensées équivoques, les trombes
redoutables, les souffrances subies ! Que j'aille durcissant mes
forces dans le combat immoral, le combat sans défaite et sans
vainqueur !

Tu te romps silencieux, et les coups portés ne sont


que des leurres ! Tu projettes ton image, tu obtiens le
maléfice.

Que reste-t-il à inventer ? Une morale prescrite


depuis deux mille ans. En un mot, un monde transformé
suivant les transcendances de notre peuple.

150
Tandis que l'ancienne famille

Tandis que l'ancienne famille pullule dans des


portées grandissantes, le roulis sur nos dos nacrés résonne
véritable tambour.

C'est la fête dans les tapisseries et sur les chandails


violets. Le rythme aigu du clairon va à la charge.

L'effondrement des sens et le mouvement perdu dans


les ondes fortuites, les verras-tu ?

L'orgasme vendu, exploité, toléré prolonge l'intimité.


C'est le repos banal ! La suite s'invente sur des rêves d'or.

Le millénaire réunit une dernière fois nos âmes


ténébreuses. Il les jettera dans la fosse des douleurs.

151
Par sa magique essence

Par sa magique essence, un Saint corrompt les


destinées et puise aux fruits de l'insolence le vêtement dont il
doit te couvrir.

Il est profondément éprouvé. Des moribonds et des


cadavres s'entassent sur les restes de son royaume.

Aux pieds de la dalle marbrée, d'imposants


candélabres croulent sous les venins des honorables
dépositaires.

Cependant que l'heure disparaît en un temps


indéterminé, que la lumière rapide comme la ligne bleue
circule parmi les nuages, la grande fable émerveille encore les
multitudes composées de savants.

Que diras-tu, à la bouche ensevelie dans le Temple


de rubis ? Que composeras-tu pour l'exploit du piteux
contemporain ? Dans ta danse superbe, je te sais prêt à jaillir

152
et à persécuter l'honneur de la raison.

Féerique étoile au goût âcre de la vie, il entendra par-


delà le miroir épais, le songe fabuleux de la vison primaire.

153
L'architecture de la femme

L'architecture de la femme ouvre ses yeux et dépose


ses rayons rougis par le soleil. Pieds nus, tête penchée contre
le regard pensif de l'éclusier, l'eau monte le long de la façade
de bois - la cour est haletante. Elle vocifère l'inexpérience et
sa paresseuse blancheur.

Quant aux tapisseries, elles noircissent lentement


sous les fouets du saule pleureur.

154
Tout s'éloigne

Tout s'éloigne dans le tombeau des phrases : - un


hôtel ancien supporté par quatre murs grinceux, une bouche
d'incendie dont la peinture rouge s'écaille faute d'utilisation,
une rue passante illuminée par des lampadaires
phosphorescents, et un froid incandescent prêt à bondir au
premier de mes pas.

155
Le ruissellement grimpe

Le ruissellement grimpe et circule autour de la


renommée des cascades. Il prolonge son effort dans les bruits
modulés des sources primaires.

C'est le nouvel exploit détruisant toute logique


démoniaque, l'affranchissement de l'impossible, la
transformation désirée depuis tant de siècles !

L'objection ? ... Quelle objection ? Le


mécontentement risque... Il n'y aura plus de mécontents !

Que des pluies de diamants baignent leurs chants de


lumières interdites ! Que le soleil bleu au couchant brille,
divin, sur les coteaux, les plaines et les contrées !

Que le vide cautionne la matière ! Que du néant


naisse l'invisible, du doute la vérité ! Que etc.

156
Elles tournoient

Elles tournoient et se jettent dans l'obscurité ou


l'insipidité de l'espoir. Un orgasme s'en souvient. Lui les
invente et se meurt.

Des pâmoisons, des meurtres indécis, des coups de


feu. Du théâtre imaginaire où l'action métamorphose la
vaillance du cœur, quel ténor put mieux chanter ?

157
Des tourments épineux

Des tourments épineux, des faces convoitées que


l'oracle rêveur semblait devoir oublier.

Des mourants secondés dans la pénombre blanchie,


et le feu dont les braises rougeâtres jonchent le parterre...

Reines, foule, testament, et autres consentements -


tout pourrira ! Et la chair de ta chair ne sera qu'un
vomissement hideux...

158
Les heures s'égrènent

Les heures s'égrènent dans la vitesse de la sagesse.


La fatalité explose, et se fait concept latent sur la page
blanche. Toute démarche hors de soi impose l'abnégation.
C'est une sorte de sortilège déboussolé ne sachant comment
corrompre ses lueurs.

Les horreurs exploitées, renversées dans des déluges


de larmes se morfondent. Elles prônent l'indélicatesse de ses
aveux. C'est que l'ancienne complaisance ressent le mal dans
les catacombes et dans le grand deuil. Pis ! Elle dévoile
l'intolérance, prouve la fatalité et l'inexpérience de l'esprit.

Dire la faculté des ressources humaines, le


surpassement négligeable de son corps est encore la preuve
stupide d'une transcendance convoitée mais jamais réalisée.

159
La providence exerce

La providence exerce un magnétique attrait sur le


cerveau embué de tournures exactes. Il se chevauche
médisance, calomnie, despotisme qui font frémir de crainte la
sagesse mystérieuse.

Jamais éphémère tentation n'a rendu l'homme si


stupide ! Parfois un philtre virginal, candide, confondu avec
de grotesques nudités se décharge sur la prospère marée des
blasphèmes.

Le jugement sauvé par certains, s'échoue sur ces


récifs aigus !

Mères, femmes, jeunesse féconde, je crie une rare


vérité, j'appelle le mot heureux qui fera de demain la justesse
de ma voix, j'invoque...

160
Des délégations fourvoyeuses

Des délégations fourvoyeuses de lyres et de cloches


teintées au carême de la paix. Je dirais frémir des pétales
mauves et or sous les couleurs tamisées de la grande place.

Ce sont des chants patriciens gardés à l'étoile qui se


meurt doucement dans le soleil âcre.

Toute tentative fléchit naissante. Qu'on vieillisse le


sacrement, qu'on interdise la tromperie, et plus jamais
mélodieuse bouffée ne s'envolera derrière la masse écarlate et
grelottante.

Contre des sépias, un dressage. De troublantes


farandoles tapissent de haine les moindres lumières voilées.
Le faisceau veut briller.

Le retard espéré transformera en désert stérile la


bouffonnerie de leur musique odieuse.

161
Lieu saint de l'exil

Lieu saint de l'exil, c'est le Combat des Trente.


Souvenir d'une jeunesse passée dans la bêtise et dans
l'ignorance.

Qu'on tolère la force unie à l'abandon de l'acte, qu'ils


vénèrent et supplient la miséricorde pour leurs actions
crapuleuses, le regret toujours écrase son sceau sur le cadavre
puant.

La négligence essuie le pourtour des races guerrières.


Que du champ de bataille, on expérimente un coucher de
soleil, qu'il vole ou s'éclipse par-delà les masses de
brouillards, s'entend battre l'horrible essai céleste !

Quoi ! Délaissés ? Vaincus ? Mortelle mitraille ? Si


tout cela n'était qu'un songe, l'âme s'élèverait ! Impossible, le
bruit court que le devoir justifie le carnage.

Nous combattrons encore !

162
J'expérimente le salut

J'expérimente le salut. L'incandescence - abstraction


faite de miroitements - conspire et soulève mon âme comme
un péché obscur dont on se joue cyniquement.

Et partant de l'idée que l'incrédule est maître du


royaume, je me plais à découcher l'insanité profonde qui
resurgit du fond de mon esprit.

Hélas cette projection spécifique n'est que le gouffre


inné, toujours vierge de mon inconnu.

Du néant se métamorphose le Néant. Je confesse


l'impuissance dérivée de sa charge primaire. Mais est-il
nécessaire qu'il puisse surpasser le doute et vaincre la
supercherie ainsi déclamée ?

Ignorance, - tel est le mot, ignorance !

163
Sur les collines en pente douce

Sur les collines en pente douce, l'eau neuve de nos


cités, et tu criais pour boire goulûment à la source claire qui
murmure.

L'effet ponctuel constituant l'effort à l'état pur te


ressemble quelque peu. Pourtant tout n'est que passion,
drames, incertitudes.

Sous la terre inculte, le songe dressé et disparate


fertilise quelque fois. Tu travaillerais ce sol et sèmerais les
graines de ton labeur, pourtant aucun feu, aucune loi, aucun
soleil.

Entre le ciel et l'eau, la danse sacrée et le son


impuissant des tambourins. Tu aurais aimé vivre et voltiger
parmi les feuilles et les arbres et les vignes, pourtant point
d'opéra ni d'orchestre ni de musiciens.

164
La dague et l'épée

La dague et l'épée croisées pour les discernements


d'une époque qui se plaît à ravir les forces et les tumultes. Des
raisons séquestrées sous des formes d'accointances diverses
que des êtres stupides se refusent à subir.

Les paroles montent. Elles détruisent les beuveries


licencieuses, les festins des mortels disciples. L'échange
accompli transforme l'évidence pure en croyance plus ou
moins désuète.

Ils échappent au malheur mais répondent de leur


souffle pour de vulgaires malentendus !

De la décharge supposée féconde pour la


condescendance, largesse et autre facilité, deux mondes se
répondent, sont sollicités.

L'orgueil est nécessaire du moins pour soustraire les


insanités, les bêtises et les débâcles. Le jeu avachissant

165
désespérément inutile donné à des morales futures,
n'entraînera pas la peine démantelée.

166
Le châtiment déjoué

Le châtiment déjoué selon la méthode classique des


humanités, et le départ cherché dans les épîtres et les
présages. Le réveil en quelque sorte qui fuit et se consume au-
delà de toute espérance. C'était la réelle foi de leurs pauvres
esprits.

Les destructions rassemblent et encouragent les


peuples à de nécessaires combats, - l'orgueil de quelques-uns
devient force et se multiplie comme pour engendrer de
prochains éclats.

Points de leurres ni de faussetés, encore moins de


négligence, - les délivrances retournent au spectacle, -
spectacle ridicule.

Pour d'infimes survivances, que de combats déchus !


Un engagement forcené, des mutilations terribles, des
combats épiques enflammant corps et âmes !

167
Des quarantaines de drapeaux vaincus ? Non. Rien.
Rien qu'une déchirure interne que l'espoir renouvelle chaque
jour !

168
Des pétales mauves

Des pétales mauves et roses accrochés aux arbres des


pelouses, d'énormes camélias posés çà et là sur des terres
labourées. Le jeudi, après le délassement matinal, nous
gambadions déchiquetant de nos pieds menus la première
herbe verte d'un printemps.

169
Le froid crépusculaire

Le froid crépusculaire chasse les dernières rougeurs


d'un soleil. La plaine luxuriante s'abandonne aux glaciales
tempêtes. Novembre terrible à l'est d'une saison surchargée
d'humidité, de feuilles mourantes, Novembre quand se tord la
rivière pâlissante, Novembre plus rien ne resplendit.

À la rivière morne s'enfonce mélancoliquement,


ultime fois ! - l'astre pur, las d'un terrible automne, qui d'un
rayon oblique lèche une surface plane sans ronds propagés
hier par la chute de minuscules cailloux.

Éloignée, ô rite éternel, vacille nature cependant que


l'espoir frappe contre les bordures de la vieille fenêtre.
Endors-toi à l'aube de la complainte et de l'inconnu. Dors.

Ce sont des grêles vêtues de robe cristalline reflétant


çà et là les infinités d'un ciel éclairé de lourdes faiblesses,
gonflant les bras de ces eaux, - ce sont des nuages bleutés
transportant l'aquarelle du printemps.

170
La femme renaissait sous les pétales de la rose et
brunissait les chaleurs de l'automne. Une baignée dans les
verdoyantes pâtures, et un signe de ta bouche, pâle déesse des
râles, l'alliance s'éternisait.

171
Là-bas tu vois les feux

Là-bas tu vois les feux, les torches et les mourants


Et le champ de bataille - c'est la bataille des Dieux.

Fantassins écrasés : - secousse et agonie.

Un convoi mortuaire poussé par un grand vent,


Des habits délaissés dans le duvet des plaines,
Et des râles continus jusqu'à l'heure du matin !

Si un monde s'efface,
Un autre disparaît.

Les troupes de la gloire, l'ordre crié aux places.


De superbes chevaux à la robe vibrante.
La promptitude, la stratégie avec l'échec.

De la grandeur de l'homme ! Petite insouciance !

Pour le monde, pour la race,


Si un autre naissait ?

172
La chute et l'espérance de nos cris, de nos cœurs
Le fouet aux lanières superbes dans nos corps.

La folie de la foule aux premiers de nos pas,


La jouissance terrestre du repos partagé.

Des montagnes des regards braqués sur l'inconnu.

Le cerveau encombré du savoir séculaire


Cette logique absurde plongeant dans les ténèbres
À nouveau la raison encensée en ce lieu.

Des musiques, l'air de l'orchestre, des clairons au


fauve couleur,
Le chant de guerre entendu sous les tentes, dans les
bois.
Les glaces fondues qui vomissent les cadavres de
l'ennemi, et les drapeaux trempés dans le sang de la victoire.

Contre des poteaux, les fusillés de l'ultime


déchéance. Des hommes perdus, des femmes pleurant.
Le soleil fatigué par la guerre éternelle, le soleil se

173
jetant sous les boues des généraux.

Un monde disparaît,
Un autre le remplace.

174
L'orgasme dans les nébuleuses

L'orgasme dans les nébuleuses qui pleurent leur


automne, et le fruit sermonné à l'encontre des filantes orgues.

Le délabrement de l'Antique Cité où jadis le


mendiant jouait sur la place publique.

Le conseil déplorable, avide des proscrits.

L'enfance posée sur d'irradiantes pénombres.


Échappé des miroirs scintillants, l'amour !

Cette folle servitude, cette science interdite !

Exposée aux soufres des milices, cherchant l'allée du


labyrinthe inconnu, quelle voix pour échapper au monde
inhumain ?

175
Les déserts de ses nuits

Les déserts de ses nuits, les pensées à trahir


Les violences du regard, les ombres de ses yeux
Les souvenirs haineux, les découvertes géniales
Et le prolongement d'une ouverture infime.

Les puissants mensonges sur une couche défaite


Des soumissions, des rires, - les gestes de ce temps !

Des rires improvisés, des changements de ton


Des actes qui se suivent aux grâces enfantines
Et des heures contenues
Ho ! Plaisirs de nos rêves.

La sublime douceur transformée en ce siècle ?

176
Le songe est interdit

Le songe est interdit sous la rumeur du siècle,


Le réel est soumis aux folies de la foule,
Et ce mélange crasseux de nos solitudes nées !
La mélancolie hait le supplice chimérique.
La transparence des pôles, des fiords, des mers
salées.

Mille folies bouillonnaient


Et expliquaient nos peuples.

Éclatés, vomis, stériles puis féconds, que restera-t-il


des astres fluorescents et des envolées divines ? Un gouffre de
laves et de meurtres.

Le réalisme est vaincu par les forces sommaires.

177
De l'heure toujours mortelle

De l'heure toujours mortelle où en ces lieux


superbes,
Je ranime l'espoir, cause extrême du remords,
Temple, je te salue et m'agenouille sur l'herbe
Qui confusément pousse sous le regard des morts.

178
Un démon se souvient

Un démon se souvient, et exauce ses vœux,


Vomit cyniquement la tentation divine,
Et arrache despote son cauchemar heureux !

Dans les sombres ténèbres, luxes de désespoir,


Elle, lubrique et lugubre sous les transes sanguines,
L'âme horrifiée se meurt un peu plus chaque soir !

179
Pour l'ombre de toi-même

Pour l'ombre de toi-même, tu voltiges et tu plonges


Dans le pur infini de ton morne délice.
Et battrais-tu de l'aile ? Toi tourmentée tu sondes
Les aurores oubliées par ton Génie propice ! ...

Lourd amas de vertus tournoyant dans l'orage,


Ton esprit s'égarait dans son Azur épais !
Sous le déchirement de l'éternel carnage
Un mage déployé venait et fécondait !

Que tu soulèves les roches, exilée dans ton âme,


Un Océan s'agite jusques à l'embouchure.
Et dans les sombres traits de l'odieuse voilure,

Tel l'étrange vaisseau qui longe ses parures,


Du pur consentement toi tu vas et regagnes,
Les mâtures inventées, les vagues et les drames !

180
Que tu proposes nue

Que tu proposes nue


À ma souffrance ancienne
Fruits, délices conçus
Avec liqueurs suprêmes,

Lentement de l'éclat
Reposé sur un cœur
Un souffle poussera
Cris sublimes et candeurs...

Perdue une seconde,


Dans ce combat royal,
Ma faiblesse profonde,
Ô destinée fatale !

S'émancipe quelque peu...


Semble vivre et se meurt
Dans la lueur du soir,
Et chasse mon désespoir !

181
O candides insouciances

O candides insouciances
De l'automne perdu
Aux nombreuses naissances
Les bels espoirs déçus !

Mais qu'invoquer l'oubli


À jamais impossible,
Pour d'inhumaines pluies
Dans un cœur si sensible ? ...

Alors le moribond
Sur des larmes versées
Pour un feu infécond
Pleure de lâcheté.
Ô candides insouciances
Des automnes perdus
Serez-vous espérances
De ce monde entrevu ?

182
Car c'est la destinée
Pour mes erreurs promises
Qui enchante l'année,
Cette année indécise !

183
À ma dormeuse

Je ne veux pas ce soir, licencieuse ennemie,


Respirer en ton corps le doux parfum des songes,
Ni déplacer mon cœur sur tes seins endurcis,
Ni la jouissance facile où parfois tu me plonges.

J'espère sur cette bouche inventer un amour


Puissant et immortel que tu composeras,
Redorer cette nuit jusqu'aux lueurs du jour
Dans la chambre lugubre offerte à nos ébats !

Qu'importe les espoirs de nos mains en détresse,


Le souffle accéléré que réchauffaient nos yeux !
Je demande plus fort que houle et que tendresse,

Un bonheur sans silence pour l'esprit ingénieux.


Car de son pur cristal où le génie descend
Rêvent de vains soupirs qu'avait soufflés l'enfant.

184
Il y avait dans cette ancienne contrée

Il y avait dans cette ancienne contrée, une ville


étrange et surprenante où de temps en temps j'allais rafraîchir
mes pas, jadis possession des spéculateurs et marchands en
transit. Hermann ne vivait que par le négoce. On échangeait.
Marchandise et monnaie circulaient pour le plus grand bien-
être des habitants. Les opérations enrichissaient la cité.
Quoique à régime antarctique - les membres influents
refusaient quelconque commerce avec les villes avoisinantes ;
(Je dirai pourquoi dans la suite), Hermann prospérait.

185
Que le délassement assombrisse

Que le délassement assombrisse les pensées élevées !


Que l'or battu parmi les treilles inonde les pages de
transparence ! Que l'orgueil envoûté par un maléfice
inhumain use de troublantes paroles en ces décennies de
perdition ! Oui, qu'une transfusion de sang neuf comme une
gerbe d'allégresse emplisse mes veines !

Le passage étroit pour deux âmes accède aux caves


de la déportation. Il nous faut être bien nés dans la solitude, -
là est la dernière image de l'amour ! Vies de l'âme, ingratitude
des râles, la volupté est bénie encore. La volupté contemple le
monde. Elle va, elle vient et s'étonne dans les profondeurs du
moi.

Stupide à noircir la feuille, dit l'ancien. Heureux


présage de l'enfant, dit l'adulte. Déferlement animal, dit le
sage.

L'importance de l'enjeu n'est qu'une égratignure - une

186
morale deux fois millénaire. Le tout s'étale dans la stérilité.
Voilà où vous en êtes, - à détrousser, sauvages ! Quel mépris
bestial ! Je parle de catastrophes, mais personne n'entend.

Ho ! Non ! Point de chorale céleste ni


d'entendements rugueux ! L'observation se soucie de l'amitié
de l'homme. C'est reconnaître la légitimité déplorable de vos
actes que de pleurer. Et je pleure, je pleurerai encore !

187
Quand l'ombre grandit

Quand l'ombre grandit en ces jours monstrueux, une


fée vêtue de pourpre et de rarissimes habits usa de sa baguette
favorite pour orienter les ballades contemporaines : "Qu'un
monde nouveau naisse en ces lieux ! Je veux par la grâce et la
force universelles, la substance humaine."

Dans ses mains lustrées, se distingue la haine voulue


des énormités antiques. Les ondulations respirent encore à la
fenêtre des Ménales. L’Étude Chantant propose des cithares
bariolées. On s'interroge. Que faire quand les cris, les cabales,
les rustres procèdent au branle-bas dans la grotte infectée de
marcs rebutants ?

L'instance populaire est enfin proclamée. De toutes


parts, le pays projette d'accomplir des reconstructions. Ce
n'est point sans difficulté que le sbire parvient à un arrêté
accordant à chaque contrée la parcelle réglementaire.

188
De l'automne stupide

De l'automne stupide à la fleur purifiée, du glacial


déferlement aux côtes de la fraternité, l'empire sous le joug de
la découverte s'étend sombre de grandeur.

Des pastels, des grâces empourprées dans un ciel


clair
Des chants élégants et des futaies, des ronces
Des brebis de satin jouant dans les prés multicolores.

C'est l'hiver.

... Le soumettait à des tâches inhumaines, lui


infligeait les cris pesants des actes de ses victimes ! Un
concert raisonne sous ma clarté des soleils. Il énumère les
Anges, les blancheurs de son siècle. Il se joue des soupirs, et
appelle les Trophées, les ors pesant de sa foi !

Personne, non ! Ha ! Espoirs effrayants ! Qu'il pense


autrement ! Ou qu'un autre accentue ses dires !

189
Tu exposes le diagramme

Tu exposes le diagramme à la génération déguisée.


Tu prolonges, tu expédies les lettres des novices, dans un
caveau promu au délassement des sens. Et dans les vignes
florissantes, tu tires le vin à la bouteille d'argent. Déplorables
tromperies recouvertes d'amertume. Agissements prompts
pour la mansuétude du peuple !

Mais voilà le sanctuaire des hémistiches, voilà le


sacrement autrement déplacé !

Pauvre cœur rempli de doutes ! Remarquables


stupidités à suivre ! Ceci est mon corps, ceci est mon sang etc.
La soif est érotique, la faim est matérielle. Nul ne peut
engendrer de si puériles constatations !

Des noirceurs dans un regard tumultueux. Ho !


L'ingénue gaspille le bras droit du peuple ! ...

L'exercice est insipide, insignifiant aux yeux des


contemporains. Qu'il évolue ou dorme, quelle importance !

190
Oeil fixé sur les écrits, tendance aux souillures internes,
dépistage d'une carence idiomatique, - là est le surfin de
l'observateur. L'ignorance vécue, le délabrement d'un...
Qu'est-ce à dire ? Un point insignifiant pour les musées
alentour, un rejeton de défauts semblables aux découvertes
antérieures !

Un trait ? De rien, de tout, de demain et d'hier. Un


funambule sur une place publique ! Va-t'y tomber ? Va-t'y pas ?
Que sais-je ? Il conserve les secrets qu'il ne veut dévoiler, et là
est son génie !

191
Ce n'est qu'un point

Ce n'est qu'un point dans l'âme impure où l'être se


tord de douleurs. De l'incendie à l'inhumaine souffrance, d'un
cataclysme aux feux injectant leur incarnat de rêves, j'expulse
les secousses rythmiques, et par ce vent de glaives, j'invoque
la destruction des Dieux. Quoi ? Les fluctuations, les
tempêtes, les raisons amputées ne sauraient révéler un travail
de haine ?

Des cantiques éclairaient les ondes purificatrices


dans cette harmonie de douleurs, les amitiés malfaisantes
rôdaient. L'orgasme était persécuté, la malice débutait en ses
heures sous le regard des treilles, avec l'espoir des marches à
venir.

Opaque cité, pour l'élévation ! Que le temps


pardonne l'existence de tes sens ! Va, toi impassible et fière
mourir dans les débris de l'âme inculte. Va à l'extermination
assurée ! Ton devoir te l'impose oui, va !

192
On détruisit l'idée

On détruisit l'idée de l'holocauste par ce pays


superbe. D'un saint, les paroles s'évadaient tristement parmi
les comparses délaissés. L'onction, la croyance, le mythe,
qu'en firent-ils donc ?

Folie sommaire ! Acte de bravoure ! Qu'en ce jardin


tumultueux, le convive ne vole les parfums funestes, ne viole
la Muse du veule arbuste.

Ô fruit qu'un spasme émancipe, que la gratitude


jaillisse sur tes chevaux sauvages ! Car tu ignores la mélodie
sans fin et le mélange de nos plaintes merveilleuses !

Regarde ! Qu'est-ce que la mort quand le Vésuve


souffle à grands feux dans ta nymphe égarée ?

193
Malgré cette commotion

Malgré cette commotion, regorgeant de satin et de


luxes avares, on prône des calèches ou des candélabres
subtils, je les vois passer pleutres, honteux, les poches vides.
Je sais les grimoires tumultueux. Je sais la voie se passer de
leur regard. Mais que faire ? Ha ! Mourir, peut-être, mourir
lentement contre un sein vorace, contre une échappée de
faveurs ! Mourir !

194
Un cordon de fil d'argent

Un cordon de fil d'argent accroché à des breloques de


cuivre comme une laine s'échappait, que dire ? Les fumées
s'épanouirent dans la crasse de leurs haillons, et le
mercantilisme usa de son don suprême. Personne ne s'en
plaignit.

La nuit serpentine délassa l'impuissance enchevêtrée.


Des cohortes de trépassés gesticulaient sur des roulis et se
brisaient le cœur de bon sens. Quelle ronde de malheurs !

195
Il condamne

Il condamne les chasseresses de Pan, il pontifie ! Ses


couleurs, ses vêtements, des fleurs ! Lui clément mais indigne
va aux ténèbres quémander à l'âme créatrice un espoir.

Son nom plane sur les esprits fiévreux. C'est vrai,


son heure résonne encore dans les Temples de la justice. C'est
lui. Il s'en vient !

196
Il nous faut au-delà de ces transfusions

Il nous faut au-delà de ces transfusions renversées


oublier les candeurs, les monstres et les digitales. Il nous faut
sous le couvercle des dorures, des acides et des nacres se
défendre des attaques, se défendre de l'ignoble tarentule
respirant tout son mal dans la pénombre.

C'est un ordre. Qu'ils obéissent ! Sénateurs,


architectes, magistrats et contremaîtres ! Que tous, par la voix
du peuple, mystifient le spectacle connu du labeur et des
troubles profonds ! Qu'ils aillent brûler les contrées, occire
l'Ogresse et la nuisance divine ! Qu'ils aillent puisque la haine
les appelle !

197
Jadis dans les décors

Jadis dans les décors mats des cités, c'était floraison


de sortilèges. On plaisantait sur les pentes, on teignait
d'anciennes farandoles. Aujourd'hui tout a disparu : passage à
quais des lourdes péniches, ronflement des usines à détritus.
J'observais des heures durant ces tas de ruines plongé dans
quelque rêverie douteuse...

Ils ont cassé ma nature, ma jeunesse et mes jeux


enfantins. L'atroce exactitude d'un plan, des foyers à
construire, des maisons bolcheviques.

Les coquelicots poussant sur des monticules de terre


s'appellent roses savamment alignées, séparant deux lieux de
stationnement.

Horreur bouleversante ! L'ignoble retour vers mes


dix ans !

198
Une attache suspendue

L'attache suspendue à la treille de son ombre ; des


durcissements émanait une fourbe complainte. Je vis tel un
maléfice offert aux cuirasses des Sixtine, un palais d'or et
d'argent constellé de briques roses. Plaqués contre les
colonnades, des grabats centenaires fuyaient les lumières
vives de l'été, se cachaient dans les taches et les horreurs - un
sacrilège dans l'église des rois !

L'aubois, - instrument stupide, s'entend dans les


cirques bariolés de fresques bizarres, revêtant les habits les plus
insolites. Au sortir de cette composition, monstruosités et effets,
style Barnum. On attaque le prince ! Que de vexations ! Que de
vieilles traversées et de tristes paysages !

Ils ne furent qu'associés pourtant je les respectais. De


leur démarche lascive, j'inventais un miracle. On tua le
miracle. La gerbe fut déplacée au plus profond des gorges
comme des antilopes étaient soumises à un feu oriental, des
feuilles froissées, des encres desséchées, les taches
prospérèrent ! On rit chez les pauvres, et même dans les
maisons.

199
Les rayons suprêmes.

Les rayons suprêmes se détachaient sur des trames


de couleurs. Des axiomes vifs surchargés dans des veillées
obscures. Et des moules de foires tirées par quatre ancêtres
chevaux. Un mal pour cette charrette ! Fouettons le cocher
avec bonne mesure ! L'équipage se frayait un chemin parmi
les haies et les ronces. Un sentiment de haine, tout à coup ?
Quoi ? À trois cents lieues est la ville ? Ho ! Peine, je les
tuerai !

Affreuse hirondelle qui battait de l'aile, confiante et


sereine ! On égorge des oripeaux, au passage. Nos tabliers
étaient tachés de leur sang.

200
Un désert de couleurs

Un désert de couleurs sur des bouches nacrées. Des


démarches cavalières qui accordent un pied joliment fait. Du
moins, on le suppose ! L'expérience d'un ange céleste qu'on
bercera du fond du cœur ! Ho ! Vilaineries de vos âmes,
pécheresses nouvelles ! Pourquoi tant d'espoirs gravés sur des
braises nouvelles ?

Il fallait bien du courage pour ne point crier sa haine,


son mépris de l'infecte plaie. Monstruosités, haleines putrides
et regards noirs dressés vers la séduction du Mal ! J'ordonne
le supplice, - c'était le supplice ! J'ordonne la paix, - éclate la
guerre ! Un drame passionnel à chaque encolure. Le sourire
jauni des jeunesses pubères, des suffocations, des cris, des
hymnes à la gloire. À la gloire de qui, je ne sais !

Un patrimoine bienveillant, heureux dans sa course


tendancielle ; des bêtes transformées en chevaux de bataille,
et des balles qui fusaient aux sentences du Moi !
Jalonnements, morts, croix. Qui défendrait encore une terre
infertile ?

201
Et le suaire de la face dépeinte, le lourd fardeau des
prochaines générations ? Disposés, insoucieux, leurs rires
éclatent bêtement dans des couloirs. Des rires idiots
semblables aux crises sataniques de mes anciens morts.

202
Jadis je resplendissais

Jadis je resplendissais lumière sublime dans des


cavernes ténébreuses. La mémoire, la pensée, les actes par
lesquels, je vis et me consume, célébraient chaque jour les
insondables paroles venues de l'imaginaire.

D'une plume vacillante, une écriture serrée semblait


la conséquence d'un état fiévreux, noircissait de signes
étranges une page encore vierge. J'écris car la main se
mouvait avec zèle sur le rectangle inculte ! Oh ! Point de
prétention ! Non ! Mais cette magique aptitude était preuve de
force et de puissance en moi.

Un dédoublement de l'esprit inexplicable et effrayant !


Un effort considérable, puis une chute terrible, - une agonie !
Vidée de sa substance vivante, morte, épuisée dans un combat où
le seul vainqueur était l'incertitude, l'âme s'engourdissait
vieillard impotent, s'éteignait dans un sommeil de mort.

Parfois, aux premières heures du levé, surgissant de


ses cendres, c'était une nouvelle bataille, un dernier souffle
avant la fin suprême. Et des cadavres s'amassaient horribles et

203
déjà putréfiés, exprimant toute la douleur et toute la sauvagerie
de la Compagne. Des corps déchiquetés, des enfants massacrés,
d'autres enfants naissant dans un ventre ravagé, et d'autres petits
fœtus avortés, et soigneusement conservés dans des bocaux
d'alcool ! Ho ! Somptueuse image !

204
À l'auberge du Monstre

À l'auberge, du Monstre vit l'Assagi. Contre les


piliers grotesques, cachés derrière la porte des ondes réelles, il
transpose, contemple et mue encore.

C'était l'orage dans des déserts de boue et des


furoncles dilapidés sous des fresques de haine. C'étaient des
grottes suspendues à des combats nuptiaux. C'était l'histoire.

205
Journal de bord

Premier jour. Des cosaques, les bourses pleines de


roubles. Une magistrale diction enrubannée d'étoffes noires et
grises. Charmant spectacle. Sur les bancs serrés, les ennemis
inquiétants. Point de douceur, ni de beaux visages. La beauté
est rare. Non. Elle est inexistante. Des blancheurs où dorment
des plumes ahuries. D'épaisses fumées rejetées par des gorges
suffocantes. Un calvaire de décrépitudes.

Puis l'homme se présente avec une assurance presque


gênante, fier d'une misérable réussite. À droite, on applaudit.
À gauche, le silence. Des syllabes déposées comme des dièses
sur des feuillets à musique. La lèvre inférieure bave un peu.
On s'essuie, on recommence.

Midi, membrane de culte ! Midi, longues files


d'attente. Un cloître qu'on traverse, usé par les années.
Arcades pompeuses d'une autre époque. Hier, le bonheur
régnait. Aujourd'hui, un tas misérable de pierres mourantes.
Puis la marche rapide vers les bouches commodes.

206
Opération de l'esprit. Pourquoi ces misérables
humains ? Pourquoi avoir accepté un tel compromis ? Aspect
dévoilé au Moi : faiblesse refoulée depuis l'enfance. Prise de
conscience très désagréable. La répartie verbale est la
vengeance de l'esprit. Du dégoût des chairs hideuses. Supplice
et mauvais engagement. Faut-il renoncer ?

207
Rayons de pourpre

Rayons de pourpre ; des corps d'ébène sur des ivresses !


Des terrasses de marbre ; des ombres licencieuses ;
Plus lourde que la houle, l'onde écarlate tremble ;
Dressées les cathédrales, un mur de pierres poreuses ;

Le murmure et l'azur de Novembre, dessous ;


C'est la femme de grâce aux alizés si clairs ;
La résonance des ventres, si sublime ; deux êtres ;
Je lave ces douceurs qui coulent sur ma bouche !

Le ravin déchiré s'accuse de violence.


En effet, l'eau limpide, capiteuse pour nos corps.
Furie de l'âme impure - déroulement. Exact !

Transfuge d'un suicide où je rêvais, moi, terne ?


Qu'importe ! Le plus haï disperse mon âme.
Onde vaporeuse ou insouciance bénigne, que faire ?

208
Baiser d'orgueil

Cependant que le joug infernal et divin


Acclame dans ses nuits des relents mortuaires,
Que tes ailes immortelles vont frissonner au loin,
Que l'aride destin succombe à son désert,

Parfois frémissent les subtiles sueurs d'infinis


Commérages ! ... Un baiser chaste aux syllabes du Moi,
Encense de longs désirs, et croît, puissant, et luit...
Je le sais impalpable, il provoque ma Loi.

Du noble Empire soumis aux battements des cieux,


Qu'il se redresse ou plonge dans le cœur des ténèbres
Son bruit est sec et mat, et s'enfuit mélodieux...

Emporter les tourments qui rattachent son deuil,


Jouir au fond du lit de ses odeurs funèbres ?
Qu'importe, sa voix grave ! - L'espoir est son orgueil !

209
Des candeurs endiablées

Des candeurs endiablées sur des sourires immondes


Qu'on respire presque nu, boursouflé de chaleurs,
Quand un Dieu inhumain par sa verve féconde
Supplie jusqu'à la mort dans l'effroi des douleurs.

Et des pistils de haine, des sermons crucifiés


Que je bafoue la nuit dans le sel de mes pleurs !
Et d'infectes bavures, des taches répétées
Putréfient tout travail et toute odeur meilleure !

Ce sont des voix affreuses qui conspirent en ma tête,


Une saison chargée de splendides oraisons.
Elles arrachent et dégorgent la misérable bête,
Et avancent terribles aux creux de ma raison !

210
Oui, tu voles et descends

Oui, tu voles et descends sous l'œil méditatif


Vers le feu incessant offert à ses lueurs !
Mais le doute où la nuit achève son humeur
Rit, tonne ses foudres, charitable plaintif !

Au sommeil des dormeuses disposées en cascades,


L'éloignement distinct a prolongé ses cris...
Au plus loin, l'être frêle se pâme et a souri.
Il trébuche au silence doux. Quelle mascarade !

Le fruit délicieux soupirant de désirs,


A quitté ébahi ses somnolences sourdes.
Sur cette lèvre offerte, est une haleine molle...

L'heure pénible, ennemie, appellera dès lors


Le triomphe vacant des chevelures lourdes.
L'esprit subtil et fort s'incline bas et dort !

211
O si pure et si loin

O si pure et si loin qu'une lueur m'émeut !


Hélas ! Belle sous le doux bercement de la fleur,
Je vis la merveilleuse dans les antiques feux,
Une pâle beauté saignante de douleurs.

Telle défaite de l'éternel complice encore !


Lourde de somnolence, ô baisers de saveurs,
Maint drame répété en mon cœur à éclore !
Et l'œil pour les substances divines et les douceurs.

Se pose sur l'inconnue, le blond désir rêvé !


C'est le terrible aveu, terme clair de l'espoir.
Enivré de nature, je croyais voir couler
Sur votre bouche rouge la blancheur d'un cristal.

212
Ô paix ! Quand ton silence

Ô paix ! Quand ton silence a resplendi en Moi,


On dirait se mourir sous des feux l'astre pur
De sagesse douloureuse ! ... J'entends battre l'effroi.
Si tu te dodelines, l'œil vif va au futur.

C'est la grâce de mensonge que tu veux revêtir...


Dans les lourdes ténèbres où coule l'accalmie,
Il discerne les plaintes proches dans l'avenir.
Par sa bouche déserte, s'évadent les furies !

De blondes somnolences contemplent les rivages.


L'être infime pourchasse la croyance des Dieux.
Et les voix accouplées dans le silence chantent

Les souffles inconnus que l'on sonde fiévreux ! ...


Regarde sur les ondes les libertés, ô belle !
Vers la basse jetée, s'éloigne la misère.

213
Ô délices bercées par la blancheur des eaux ! ...
Le bruit soyeux et libre respire l'amas d'ombre
Où je me reposais. Et de puissants sanglots
S'élèvent sur les cris de l'existence ! ...

Oui, sombre,
Et piteuse et démise, la laine autour des hanches,
Ma désinvolte, insouciante pensée !

Franche,
Car de son corps il ne tire que des sueurs froides...

214
Baiser d'orgueil

Parfois frémissent les subtiles sueurs d'infinis


Commérages ! ... Un baiser chaste aux syllabes du
Moi,
Encense de longs soupirs, et croît, puissant, et luit...
Je le sais impalpable, il provoque ma Loi.

215
L'HUILE FRAÎCHE

Rien ne détruira
Il faut savoir
Que le délassement assombrisse
Tu exposes le diagramme
Un midi étrangement profond
Les rayons suprêmes
C'étaient des lèvres creuses
Opaque cité
Ils entament calmement
Qui eut dit
Des oriflammes, des marbres
Je revois un sanctuaire
Spectacle
C'est elle la petite morte
L'impossibilité
Honfleur !
Toi, raconte-nous l'histoire
Des granites bleus
C'est une nuit, c'est un nombre
Des couronnes d'aubépine
216
Le dépravé
Chanson
Éternité
Partir vers l'infini
Le rêveur
Des saveurs, des rubis
Au tout premier réveil
Rien
Je t'écris
Langueur a dû
Comme un bruissement d'aile
Au soleil, je m'avance
Obsession
Pastiche
Ophélie
À Sandrine
Jouissance en ce monde
Elles s'enfuient écumant
Qui donc du cerveau
Offert aux rêveries
Salue la saison souveraine
Impression
Chute

217
Que sa puanteur, que son ombre
Neige d'écume
Ballades et orgues
Profusions
Vocables
Froissements
Pour l'accord des idylles
Confession
Lentement
Il retiendra son souffle
Il brillait dans ses yeux
Il aura voulu
Il est un minuit
À la cloche d'ivoire
Un froissement d'étoffes
Minuits - points
Un tambour en rut
C'était d'une humeur claire
Ô solitude morne et plate
Un éternel recommencement
Miroirs de l'âme
Les ondes turbulentes
Dans ce souterrain visqueux

218
Ces pas tourbillonnent
Sur les scènes de partages
Des chênes prostrés
Par la femme mystique
Par la grâce et la discorde
Un simple cri sur ta bouche
Un ivoire brillant
Je croyais voir
C'est un spleen
Un idéal songeur
C'était un vieux boudoir
Que reste-t-il des vils tourments
J'ai volé
Mourir dans les bras
J'abolis le simulacre
Une enfance dévergondée
Un cloître très ancien
En tête
Pour l'archaïsme en fuite
Des tourments promis
La chute, espérance de nos cris
Le songe proscrit
Ils corrompent nos chaînes

219
L'orgasme dans les nébuleuses
Les déserts de ses nuits
L'incompatibilité I
L'incompatibilité II
Si de l'instant sublime
Lie qui incube
Sache...
Les sévices saccadés
Dominateur
Oraison du maudit
Mémoire du soir
La danse de l'idiot
Silence
Enchaîné
Nul n'arrêtera
Fuir, fuir !
Ainsi toujours
Tandis que l'ancienne famille
Par sa magique essence
L'architecture de la femme
Tout s'éloigne
Le ruissellement grimpe
Elles tournoient

220
Des tourments épineux
Les heures s'égrènent
La providence exerce
Des délégations fourvoyeuses
Lieu saint de l'exil
J'expérimente le salut
Sur les collines en pente douce
La dague et l'épée
Le châtiment déjoué
Des pétales mauves
Le froid crépusculaire
Là-bas tu vois les feux
L'orgasme dans les nébuleuses
Les déserts de ses nuits
Le songe est interdit
De l'heure toujours mortelle
Un démon se souvient
Pour l'ombre de toi-même
Que tu proposes nue
Ô candides insouciances
À ma dormeuse
Il y avait dans cette ancienne contrée
Que le délassement assombrisse

221
Quand l'ombre grandit
De l'automne stupide
Tu exposes le diagramme
Ce n'est qu'un point
On détruisit l'idée
Malgré cette commotion
Un cordon de fil d'argent
Il condamne
Il nous faut au-delà de ces transfusions
Jadis dans les décors
Une attache suspendue
Les rayons suprêmes
Un désert de couleurs
Jadis je resplendissais
À l'auberge du Monstre
Journal de bord
Rayons de pourpre
Baiser d'orgueil
Des candeurs endiablées
Oui, tu voles et descends
O si pure et si loin
Ô paix ! Quand ton silence
Baiser d'orgueil

222
FRANCK LOZAC'H

LE GERME ET LA SEMENCE

223
Infinies mes ardeurs

Infinies mes ardeurs transpirent dans vos tempes,


On dirait chanceler de noires loupes à vos yeux !
De sombres amertumes et d'exaltants parfums,
Vous riez et pleurez, vaste peuple de rêves !

Des mots difformes s'évadent. De nébuleuses complaintes


Participent passives à la jouissance de l'homme.
C'est la nuit bleue plongeant aux raretés extrêmes,
L'écrin des maléfices, le plus pur de vos lèvres !

Dans l'ivresse, l'insouciance de mon âme est docile,


Le jeu terni s'éclaire nonchalant de lueurs.
Le superbe diadème, le satin des pensées ?
Parfois regard stérile sur la feuille de papier ! ...

Avide ou curieuse, lassée des vieilleries,


Quand avec la puissance s'éveillent les hurlements,
C'est un feu de révolte qui encombre mes bras !

224
Consume le chant aimé par les frissons du doute.
Avec cette chaleur où la tendresse dort,
Des murmures et des cris hurleront tout à coup !

Mais respire ou décline par cette floraison,


Qu'importe ! Tes ennemies toujours spirituelles
S'éloigneront bien vite du cadavre du sort !

Alors lis pour l'orgueil, ou la force de l'âme


Le dernier des vivants que tu encenseras !

225
De royales prophéties

De royales prophéties que l'on distingue à peine,


Qui s'entassent lugubres dans de noires floraisons,
Des serpentins d'extase sur des lits étouffés,
Quand le doute remplit les profondeurs de l'âme.

C'est un nuage superbe décrivant un combat


Qui regagne les airs avec son Moi auguste,
Trop d'étonnantes syllabes mâchées et décriées
Que l'oracle ne peut contenir en un souffle !

Gracieux ou démis, vibrant de souvenirs


Taché de fourberies, envieux des grandeurs,
Tout ce joug est puissant avec ces maléfices !

Sont-ce des guerres ? Jamais. Des traces où l'orphelin


Fait des jeux incompris, des soleils de la terre,
D'immenses farandoles, des hymnes de jouissances !

Ah ! Vaincu, amoindri par des forces pesantes,


Ivre de lassitudes, et respirant ses nuits,

226
Jonglant sur les sentences de ce Dieu malveillant,
C'est l'espoir qui décline sur des villes connues,
Sur des cités sans vie, pourtant monumentales !

Subirai-je des frissons, de blanches apothéoses,


Une espérance vaine pour ce feu déloyal ?

L'adulte se détourne en pleurant sur son rêve,


Et le voilà soumis à son cristal de gloire,
L'adulte se détourne pleurant sa survivance.

De royales prophéties que l'on distingue à peine,


Qui s'entassent lugubres dans de noires floraisons,
Des serpentins d'extase sur des lits étouffés,
Quand le doute rempli les profondeurs de l'âme.

227
Cet espace disgracieux

Cet espace disgracieux voltigeant dans les airs,


Amas de cendres et d'ombres, ce pleutre mercenaire
Qui corrompt les méandres des hommes, et détruit
La foi dans l'infini, c'est pourtant toi qui fuis
D'une lueur torve dès que naissent les ténèbres,
Impitoyables jougs des études funèbres.

Voudras-tu dévoiler cette raison suprême


Qui impose sa loi, et brille, vrai diadème ?
Parleras-tu enfin de ce roi dans les cieux
Que tu as recouvert de ton drap merveilleux ?

Semblable et différent, à moi-même, être pur


Possédé et pourtant le frère de ma torture,
Nous choyons l'inconnu, ou le désir stérile,
Naviguant solitaires soucieux de nos périls !

Ô vous monstres sacrés dans les bras l'un de l'autre !


Ô puissants mouvements qui toujours vous déchirent !
Une amitié vaincue par des guerres éternelles
Fera frémir la mort et les furies du ciel !

228
Vos lugubres combats toujours redéployés
Jetteront leurs horreurs aux humains éclairés !

229
Venise

Et dans ce lieu fétide où dorment des gondoles,


L'eau morne et transparente fut raison de soupirs,
Ô sanglots répétés et si mouvantes violes,
Contre un ciel de grisailles qui voulait s'obscurcir.

Des barques s'étiraient sur l'étendue. Nos rêves


Profonds comme l'amour s'inclinaient lentement,
Et penchaient plus encore par le vent qui soulève,
Tremblaient, espoirs perdus, bercés au gré du temps.
Et toi ma calme sœur, tu chantais ma faiblesse
Lorsqu'un vol de corbeaux foudroya le vrai ciel.
Pour noircir les souffrances d'une odieuse paresse,
Je vis dans tes yeux clairs les rayons d'un soleil,

D'un soleil pâlissant, or, rouge et fatigué


Qui semblait se mourir à l'orée de tes yeux.
J'y trouvais un déluge de larmes délaissées
Croyant à l'avenir de nos étés heureux.

230
Encensée dans l'alcool

Encensée dans l'alcool qu'accusent nos chimères


Et vomissant son feu aux blafardes lueurs,
Son âme possédée supplie qu'une prière,
Éclaire la mortelle et tremblante demeure.

Si veule et infectée de macabres lumières


Quand elle est appauvrie de pertes répétées,
Ne supplierait-elle pas la funèbre misère,
Repos lugubre et sceau de l'immortalité !

Un démon se souvient et exhausse ses vœux,


Vomit cyniquement la tentation divine,
Et arrache despote son cauchemar heureux.

Dans les blêmes ténèbres, au plus noir désespoir


Dans la prison humide, crispée de transes sanguines
L'âme violée se meurt un peu plus chaque soir !

231
De vaines méditations

De vaines méditations vouées à la parure,


Pour ce nuisible ouvrage, de virulentes paroles,
Disposées entre deux pages grises presque impures,
Et des semblants d'images lues comme des paraboles ;

Ô piteux de moi-même, tentatives perdues !


Que je hais les espoirs luxuriants de tes nuits !
À peines terminées et déjà délaissées,
Ces horribles fadeurs que ma chair a vomies !

Peut-être que demain, jour de lumière vécu,


Par ce fouillis de lettres, moi l'esclave enchaîné,
J'écrirai cette page maintes fois aperçue ?

Ignoble sur qui l'esprit vain se consume,


Qui fait de l'être indigne l'homme désespéré,
Feras-tu se mouvoir ardemment cette plume ?

232
Énorme sacrifice

Énorme sacrifice voué aux maléfices,


Aux regards flamboyants des Dieux ! Et mémorable
Faiblesse qui suait l'alcool quand les prémices
Et les regards livides scrutaient le misérable !

Ô rappel éternel d'une souffrance vaine


Qui, métamorphosée par le jeu des amours,
Crachait et vomissait ses labeurs et ses peines,
Qui était désespoir et désespoir toujours !

Candeur dans l'étroite et affreuse liaison


Quand serpents et venins se pâmaient dans son âme,
Quand meurtres et fureurs, lugubres tentations
Se mêlaient dignement au parfum de la femme !

Et le cœur qui s'engouffre dans les chaudes ténèbres,


Et les lèvres tétant le sang des assassins,
Bouillons d'écumes et soufre en ces veillées funèbres,
Ô la chair déchirée dans ses noirs intestins !

233
Prolongement

Avec ce pâle essai, le sourire enfantin


Propose d'une plume un clair regard éteint,
Mais son âme obscurcie par de sombres ténèbres
Achève noires ses stances dans sa chambre funèbre.

Ce jeu tel un sépulcre baigné par ses lumières,


Amas de morts qui tremble d'une main cavalière,
Prolonge dans mes veines le pur sang des apôtres...
Sont-ce pensées déçues où le génie se vautre ?

Mais j'entends supplier maint rêve bestial


Déployé sous un joug ombrageux !
Qu'il dérive
Ignoble frère, au jet d'écume et d'ombre
Que d'un regard malsain lèche la croix des autres !

234
Ta main alanguie

Ta main alanguie, profusion de saveurs,


Qui contemple la nuit, désinvolte froidure,
Ta main a délaissé sur le drap amoureux
Les sinistres stigmates de ses sombres morsures !

Et cette nonchalance abattue, aigre ou vile,


Décline lentement dans ses douleurs dorées.
Ses souffrances sont grâces et ses pensées occultes !

La survivance s'éteint, antique et froissée


Pareille au vieil orage sur nos murs tapissés.

Je te goûte, fruit mûr, palme je te caresse.


J'ondule, ô mon silence, parmi tant de furies,
Luxure de mes nuits qui te désintéressent !

235
La vieille maîtresse

Quand respirant encore sa poitrine, soumise !


De tes yeux couleront les tristesses du soir ;
Quand de vives querelles, des sanglots et des crises
Viendront s'imprégner sur ton fétide mouchoir ;

Quand vieillie et défaite sous son joug inhumain,


Tu trembleras de honte par ses peines, obscurcie ;
Suppliante, à genoux et joignant les deux mains,
Tu diras des mots tendres pour consoler tes nuits ;

Alors femme fatidique, ô cœur égaré !


Sur mon sein balbutiant de confuses paroles,
Baisant et implorant d'autres chaleurs rêvées
Alors tu tomberas dans mes extases molles !

Et ta bouche et ta lèvre pour des plaisirs encore


Viendront sucer mon sang, délice de mon cœur !
Et impure et esclave, oubliant le remords,
Tu dormiras repue, voluptueuse sœur !

236
Plaidoyer pour deux crânes

Par des liens soudés, par la honte prescrite,


C'est le deuil contracté sur les terres nuptiales,
La haine apparente vit dans les doigts crispés.

Avec ces faces macabres, de progressives vengeances,


L'indescriptible fièvre, puis des moments hagards.
C'est la mort qui sommeille déjà dans chaque esprit.

Le frottement constant de deux pieds qui se touchent


Glacés sous les draps noirs d'interminables nuits ;
Le geste cadencé, immuable des bouches,
C'est la perle suprême de l'entente infinie !

Oh ! Les démons intimes, les déplorables bêtes,


Qui sont assermentés par l'alliance jaunie,
Et ces cœurs enchaînés à ces atroces têtes !
Oh ! Les années terribles dans les bas-fonds d'un lit !

237
Si, flamboyant dans un tombeau

Si, flamboyant dans un tombeau, il survivra !


Car sa chair proclamée en l'or de ses cheveux
Telle la boueuse cascade qui jamais ne coula
Fit naître des soupirs que vénèrent les Dieux !

Dans l'immortelle flamme où nul sang n'eût brûlé,


Lui serpent replié au sein des braises chaudes,
C'est son démon qui ivre de désirs exaltés
Entame l'immonde peine quand lentement il rôde.

Point de plaisirs ! Espoirs honteux et transformés


En des principes frêles pour l'incroyable vie !
C'est le repos latent transparent ou changé !

Que tant d'autres s'indignent de la puissance du mal !


Mais cerclées d'apparat, elles superbes ou jaunies,
Elles conspirent vainement, ces tentations banales !

238
Soupir ancien

D'un soupir ancien naît l'indifférente gloire


Qui éclaire de l'ennui le plus pur diadème
D'hier. (On prétendrait mourir en ma mémoire
Un or épais et ocre dispendieux à l'extrême...)

Fustigé à l'écart, éloigné des disciples,


Je l'entends battre inexorablement en moi ! ...
Vaste écrin d'amertume aux facettes multiples,
Il fuit, meurt avorté sans l'ombre d'un émoi ! ...

Mais que demain traînant son horrible fardeau,


Pour l'éveil purifié resplendisse son nom !
Peut-être testament au bas autel des maux...

Ô le soleil de chair contemplant un vain drame,


Idole de toi-même marqué à l'unisson,
Seras-tu des substances faire couler une larme ?

239
Cérémonial

Grâce ! Voici venus les ans


Où teignant ta chevelure,
Je fis tomber suivant
L'éclat doré de ta parure,

Le cor fin, l'onde d'argent.


Et vaincu des découvertes
Alignées contre l'effort vacant
Fussent gloires très offertes ?

Nenni ! Par le plomb infusé,


Couleurs royales de l'ennui,
Pour le coeur, aux pieds jeté,

Rempart dans cette froidure,


C'était ! Été engourdi
Casque sacré et impur !

240
Miroir

Accroché à des vasques d'or


Un divin dont j'ignore le prix,
S'émoustille dans de jeunes flores
À l'ombre d'un mets obscurci.

Et il obtient la floraison
Des pousses claires bercées au vent !
Rutile, ô belle pâmoison,
Car ton disciple déjà t'attend !

En l'heure aimée pourtant tu dors


Là dans mes bras, à l'infini ! ...
Et la subtile pensée d'éclore

Va, se dissipe sans bruissement ! ...


Élève donc son pur ami,
Au jeune jour encore tremblant !

241
Du démoniaque héros

Du démoniaque héros
Naquit qu'enfin je pleure
Dégustant l'outrance d'un tombeau
En signe d'éternelle demeure,

Que je sais séraphin parfois résigné


Est ombre de pâles roses et ombre encore.
Au minuit du pétale déployé
Tel aspergeant le langoureux soupir,

Viole d'une flore ou violon ahuri ! ,


Dégage le parfum désirable et détruit :
Au vase résigné tombent fleurs et jasmins
Que son sanglot transportait un matin !

242
Dédiant à la plus haute voix

Dédiant à la plus haute voix


Rêve béni du cristal fort ancien,
Je promis quand du macabre émoi,
S'estompa l'or saigné qui fut tien.

Quiconque s'il doit briller d'une faux


Où le givre blanchit comme l'espoir
Vrai taira le fustigeant tombeau
Plutôt que de bercer l'affreux nonchaloir.

J'obscurcis. Pourtant l'âme transformée


Pleure nuitamment l'âcre souvenir !
Si ce n'est le satin pour son plaisir,

Corrompu au vieux grimoire posé,


De cela vivifiant de soupirs,
Ce vent excédé se sent souffrir.

243
Hanté et songeur

Hanté et songeur d'une tenture nue


Dont l'orgueil s'extasie encore
Se vit crouler ou qu'il s'exténue
Par maints rêves, un légitime remord :

Apparue et défaite telle en chevelure


Qui en ses âges parfois m'envahit
Acclamée de soi-même en voilures,
Ô miroir jadis dans son minuit,

Vagabonde à la mémoire de l'œil


Comme de mousseline sertie au passage
Pareil du drame parfumé de deuil
S'éloigna à jamais du mince paysage.

244
Volée aux traces de l'espérance

Volée aux traces de l'espérance,


Par le suicide à effleurer,
S'en vient la décisive complainte,
Reflet de pourpre et incendiée.

Pour son final qu'il tue le jour !


L'esprit est vain de conviction,
Un chant d'amour ensanglanté,
Le luxe pur de sa raison !

Sur la source tarie, c'est l'heure


De vaincre l'histoire, nul ne sait,
Du dénouement furieux, demeure

L'emblème visqueux pendu du mort.


Cette croulante fin dont dépend
La destinée est celle du corps.

245
Les contorsions du mal

Gravement la voix s'est éteinte


Comme après la tourmente,
Le souffle court, ravageur.
On eût dit quelquefois l'amour vil, honteux
Quand la femme lubrique de ses doigts argentés
Ausculte les profondeurs intimes de l'homme !

On eût dit les torpeurs sanglantes, assoiffées de râles,


Des incendies terribles détruisant toute vie humaine ;
Pareil à des sanglots buvant la cupidité bestiale
Un rouge ténébreux enorgueillit mes lèvres.
Et juxtaposant la démarche au soleil inondé
La bête sauvage, forte comme Satan
Brûlant les univers,
Gaspilla l'existence brumeuse de mes dires
En carcans étriqués : - une profonde mort - !

Grasses cascades d'exploits lugubres,


La divinité s'éprend de vases pierreux,
Et au calme de la soirée saccadée,
Elle sonde le ventre, la chevelure,

246
Et crache de putrides excréments
Au cœur recouvert de glaives nouveaux.

Battant mon âme impure, mon cœur bouillonne


Et se fortifie d'esprits fourbes,
Et soudoie toute tristesse
Comme au temps où l'amertume sommeillait
En déboires gesticulant la carence de la vie !

Débarrassé de lacunes fortuites, l'esprit se meurt


Dans les plissements de l'ingénue placide
Et vampe les puissantes pensées
De l'exposé sadique aux vertus en détresse.

Croître dans la nuit sous un putride soleil ?


Les candeurs ou l'agilité s'unissent enfin au désir
Pour acclamer l'artifice de son sapement !
Scander l'allégresse, caresse si facile,
Dans l'engrenage de ses pauvres yeux ?
Je ne sais plus, cadavres intermittents,
Qui gesticulez dans la foi primaire de mes apôtres !

247
Pouvoir, inquiétante Cybèle, forcer d'un sein déplacé
La tournure exacte de nos songes angéliques ?
Pourvoir la quintessence d'un savoir clément ?
Qu'importe, race tonitruante, je ne sais plus !

Fiels dispensés dans l'exactitude du labeur,


Je m'accorde la filiation suprême du saint,
Et j'exauce par ce sacrement divin,
La peur dévoilée par ses génies anciens !

Amoindri dans ses mensonges, le mal s'éteint


Pour cette chaste protubérance de ma gloire.
J'accorde pourtant à l'Ancienne Cité
Le pardon aujourd'hui démodé.
Ô le crâne vétuste de mon humble devoir !

Je postule avec des mains enchanteresses


L'exercice d'un style perdu et délabré,
Et j'invente, quoi que tendre, ma tendresse,
Folle prouesse des hommes arriérés !
Je joue avec un vent grandi et radieux,
J'exprime la souffrance au drame étonné,

248
Et froid comme l'automne et ses feuilles perdues
Je jette aux yeux glacés, ma face éclairée.

Ravalée d'insectes fastidieux, mon âme éclose


Postule la valeur des autres tenanciers.
Elle crève les boutons regorgeant de puanteur,
Bêtises de rires scabreux,
Et voiles de la miséricorde et des péchés.

Anglicanes, mes églises ont joint aux durs labeurs


L'expression des sens aujourd'hui oubliés.
Connaissant la lumière de mes rêves passés,
Elles ont fourni à l'Enfer la marque d'un demi-Dieu.
Finement la main a tenu cerclé de chaînes molles
Spectacle gratuit, spectacle grinçant.
Elle possédait dans des scènes lugubres,
Elle proposait la facile crucifixion
De mes déboires offerts à la sagesse !

Anges bleus, véhicules de mon cœur ensablé,


Est-ce fin en ce monde galvanisant ?
Non. Peut-être l'âme détruite

249
Soulève-t-elle de sordides cataclysmes
Ou des vagues rarissimes ?

Peut-être des vagins défoncés, humiliés


Dans un grabat sans contenance
Arpentent-ils l'abandon de nos actes ?

Moi vrai, cher Amour des autres années,


J'entends le glas, père d'un sang nouveau
Qui raisonnant sur ses dernières prouesses
Balayera la joie alerte avec son sceau.

Vrai, j'attends des nobles contrés


L'extase d'un dire, d'un roi inhumain,
Qui, cheval fougueux traînant sa guerre,
Éloignera toutes les hontes de la terre entière !

250
Peines

Incandescence de l'astre,
Les rousseurs de la mer,
Quand la plaine dévaste
Les relents de l'éther !

Les soupirs de l'enfance


De la mémoire perdue
Offerts, puis décadences,
Ô les étés diffus !

Le moulage de la grâce,
Les amours sanglotantes,
Combien de fois vivaces,
Les peines accablantes !

L'ordre s'est rétabli


Là, sur des marches stupides
Puis vers des lieux arides.
Oh ! L'enfance s'est enfuie !

251
Ô sevrages, ô licences
Envolés dans les flots
Et les dernières outrances
Que berceront les eaux.

Non, jamais attendues


Et jamais désirées
Ô les fleurs de l'été
Qui toujours se sont tues !

252
Candides insouciances

Candides insouciances
Pour cet automne perdu,
Ô monstrueuses naissances
En ces mondes déçus !

Mais qu'invoquer l'oubli


À jamais impossible !
Oh ! Les affreuses pluies
Dans un cœur insensible !

Ainsi le moribond
Sur des larmes versées
Pour ce feu infécond
Pleure ces lâchetés.

Des peines obscurcies


Toujours redéployées
Car l'enfance a vomi
Ses pâles raretés.

253
Candides insouciances
Pour cet automne perdu,
Serez-vous espérances
Par ce monde entrevu ?

C'est bien la destinée !


Oh ! Les erreurs promises
Qui chanteront l'année,
Cette année indécise ! ...

254
Réminiscences et destinée

Ô vil et toi-même voleur,


Je saisis de ton mensonge
Les traces sublimes de tes saveurs,
Astre si pur, et combles et songes !

L'instant superbe est de quitter


L'alcôve chère de cette chambre.
C'est pour grandir ou embrasser
Des horizons encore plus tendres.

C'est pour bannir la terre inculte


Que l'on a travaillé pourtant.
Suprême envolée ? Est-ce chute ?
Veux-tu venir, car on t'attend !

J'aspirerai demain l'odeur


De cette antique et noble ville
Qui sera fruit et puis douleur
De ce prochain et mûr exil...

Mais de ta voix encore si claire

255
Ô mon amie, par toi songée
Je n'oublierai ce pur enfer
Où dans ta nuit tu m'as plongée.

Empire à ta sève sertie,


Joie de l'enfance, précieuse,
Allons avec ces pas promis
Dans l'existence délicieuse.

256
Sa grâce accoutumée

à P.V.

Sa grâce accoutumée
S'enivre de soleil.
Ô la nymphe égarée
Dans ses rayons vermeils,
D'un brin de pureté,
Sur son onde, s'éveille,
Si sensible beauté.

Et le vent dégarni
Plisse dans les roseaux
Les substances réunies
Par le calme des eaux.
Elle, baignée à demi,
Évasive sans trop
Elle dit, mélancolie.

257
Les bruissements subtils
De son regard si fin
Ont découvert fragile
L'œil clair qui est le mien.
J'emporterai l'exil
Car te sachant au bain
Je ne pourrais, sensible,
T'imposer le tien.

258
Les catacombes

à C.B.

Dans les catacombes


Froides et grinceuses
Où des femmes affreuses
Émergent de chaque tombe,

Des lueurs blanchâtres


Faiblement éclairent
Les murs d'albâtre :
Un spectre mortuaire

Déambule et vacille
En ce lugubre monde.
Alors mes pas fébriles

Devant ces torches fugaces


Voient l'empreinte profonde
De mémorables traces ! ...

259
Que tu proposes nue
à Sandrine

Que tu proposes nue


À ma souffrance ancienne
Fruits et délices conçus
Avec liqueurs suprêmes,

Lentement de l'éclat
Reposé sur un cœur
Un pur souffle unira
Cris sublimes et candeurs !

Éloignée une seconde


De ce combat royal
Ma faiblesse profonde
De sa pensée fatale

S'émancipe peu à peu...


Semble revivre et meurt
Dans les lueurs du soir,
Et chasse mon désespoir !

260
La transparence endormie

Comme d'une transparence endormie


Offerte au goût exquis des fleurs
Une mémorable accalmie
S'élève par les premières lueurs.

Après une nuit de déluges


La gerbe sacrée, multicolore
S'apaise dans l'ombre d'un refuge
Et lentement, heureuse, dort ! ...

Ô lasse et promise au repos


Des Dieux qui contemplent ton âme
Dors dans l'espoir des jours nouveaux,

Car la cruauté princière


Dont ouvertement ils se réclament
Ce soir, t'emportera encore aux enfers.

261
Éloignement

Folle aimée qui d'une jouissance


Offre des fruits langoureux,
Oserai-je te parler
Quand résonne ce cœur pluvieux ?

L'enchanteresse s'éloigne
Au plus profond du corps
Elle désire, elle décline
Dans ses cheveux soyeux
Sa délivrance la tord,
Le sommeil est cherché.

La jambe longue, la jambe fine


Posée sur le bord du lit
S'étale dans un rêve
Tout imprégné de fleurs.

La pâle, l'amoureuse encore,


Sur le drap bleu s'est endormie.

262
Air petit

Qu'est-ce donc le génie


Quand, par l'inconnu,
Je vois chaque nuit
Les mots qui se tuent ?

Pour l'absurde grandeur


De l'Etre tant aimé
Un usurpateur
Me dit de chanter !

Et à peine assouvis
Les mots s'entrelacent
Comme à l'infini ! ...

J'invoque une douceur


Légère et fugace
Pour changer ma face,

Mais ne veut répondre


En ce lieu maudit,

263
Ne veut correspondre
Pour l'admirable écrit !

Qu'est-ce donc le génie


Quand, par l'inconnu,
Je vois chaque nuit
Les mots qui se tuent ?

264
Vapeur d'une audace

Vaste enveloppement :
De là s'endort l'animosité.

Ô le golfe Léger pour une étoile diffuse !

Les flammes claires des opales de feu,


L'opulence des magnanimes exploits.

Dans la veillée, l'oracle murmuré


Telle une mort délicieuse et vague.

La volée neigeuse dans les vents d'Espagne,


Les esclaves du soleil dans les cohortes des nuits.

Sous les baies claires l'instrument insipide


Qu'une discorde entame et vole parfois.

265
C'est le seuil où l'ondée s'amuse.
Un char va éclatant sur l'orée des Santals.
L'eau neuve circule
Par les dépaysements sauvages.

Lenteur des pôles que l'attraction


Distribue à soi-même.

Pour la courbe cosmique,


Le terrain glorieux
Et des fractions d'évidence
Sous un ciel bellâtre.

Tu distribues et condamnes
L'ordre de la seconde
Comme aux temps soucieux du mirage.

Pâles brumes de l'aurore, horloges de sang,


Mais la raison est de redescendre.

266
Nord

Le suc de l'aube au talisman du soir ;


L'union des métaphores sous le péché véniel :
Le duel soumis dans les carcans résignés,
Et par l'évidence, l'insigne d'une croix.
Le déroulement des âmes que transportent
Les salives de l'homme encore révolté.

Sur les contreforts de l'espace, le mot d'ordre émis


Même contre la charpente des poussières d'orgueil :
Pillages, contractions logiques et courses équivoques
- Là, les soubassements déduisent encore.

La répulsion se réduit dans l'hélice,


Des pertes d'acier en pente douce, et l'éloignement.

267
Mû par les syllabes stériles

Mû par les syllabes stériles,


Envolé dans les tourbillons de l'incroyance,
Conquis par les fiels d'argent,
Tu es maudit :
L'écart et l'ombrelle,
- Deux respirations insipides et corrompues !

Le nivellement de l'or pli


Dans les alvéoles de ta cervelle.
Là, tes raisons conspirent vers l'intolérance,
Sources de l'inquiet,
De passables oraisons !

Tu brandis le diamant,
Ton heure disparaît encore !

Quel étonnement ? Astre perdu,


Rencontre fortuite, détestable hasard !

268
Arrache la pure particule,
Et des sens défaits
Coulera le raisin de l'enfer.
Coulera le raisin de l'enfer.

269
Trophée des ors

Trophée des ors dispersés par les vierges sensuelles,


Éclats violents de l'âme pour des corps en délire,
Des vomis écœurant dans les gorges impures !

L'étoffe d'une multitude,


Les rejets saccadés par le sang et la bave
Coagulés sur des lèvres trompeuses !

Dans lames affûtées pour les gueules du peuple


Incapable de jouissances et de meurtres subtils !
Et l'alliage sirupeux sous les veines débiles
Qui fit jaillir le pus des fontaines oubliées !

L'abrégé des douleurs à l'assaut de ses chutes,


L'orgie se débattait, s'étalait dans ses eaux,
Les marais étaient disposés en cercles étroits.

Tout disparut à l'aube béante des mortels :


Les marques enfoncées dans les plaies jaunissantes
Et l'effroyable vacarme hurlé entre deux fiels !

270
Trophée des ors dispensés par les vierges sensuelles,
Éclats violents de l'âme pour des corps en délire,
Des vomis écœurant dans des gorges impures !

271
Mélodie du deuil

Le hurlement indistinct qu'une nuisance modula


Par l'esprit fourbe, tenancier de ce monde.
L'orchestre accordé aux solstices de la prairie,
Le caveau humide des collectes bavées.

Arcades, sourcils légers,


Fresques d'étapes
Contre le rire malsain.

Les vagues divergentes en un point donné,


Les bavures extrêmes déployant un cercle neuf,
Le sondeur des graves immortalités.

Que du miel, il se meurt !

Langueurs brusquées par le joug récent,


Artisan des complaintes égarées lentement,
Ô fosse par mille colombes, mercenaires !

272
Nymphes oubliées sur le calvaire assombri,
Que l'on peigne sa face dans un mortel effort !

Que réel, il s'endort !

273
Ivresse citadine

Le songe saupoudré d'étoiles et de nacre


Se dodelinait en la triste demeure
Et des bruits cahoteux - d'anciens bruits de fiacre
Ronflait sur le pavé de la cité du cœur.

Mélange de bitume et de réverbères luxueux


Semblait confusément à la pâle lumière
Fantômes gazés et marée houleuse.

Oui, l'indécis joignait l'irréel


Et transportait dans une vision superbe
Les méandres de l'insignifiante ruelle.

Oui, le doute assemblé à l'enivrement du ciel


Transformait l'instant en sublime frayeur.

274
Brandissant de vulgaires épées
Comme de longues aiguilles aiguisées
Et roulant leurs flots de pavés
Tel le déluge d'un pénible rêve,
La route et le pylône renversés
Criaient A Mort au spectateur blasé !

275
Baveuses tuileries

Les baveuses tuileries de boulets et d'ivrognes


Et là-bas accoudés sur la cambrure des pôles
Les désinvoltes gels de nos traces passées.

Et le feu des accords prostitués


Pareils aux salubres explosions
Des suffrages anciens.

Mais non ! car rustique, vibrante c'est son écume


Jetée aux visages fatidiques de la cité.

Quoi ! L’évidence s'éternise (Je revois l'hiver)


Et meurt inlassablement sur les toits dévêtus ?

Oublions l'onde et les dieux et les vierges,


La sinistre envolée compromise par les spectres,
Et nage - être indigne,
Succombe à la nécessité !

Quatre sangsues, des mages - brisure d'un rêve


Je me souviens, mais femme, n'en parlons plus.

276
Eau boueuse

Que tu coules déchirante


Sous les rayons crayeux !
Au gré de la tourmente,
Ton penchant va douteux.

Car bercé sur les rives,


Ce doux chuchotement
Est sombre, mais dérive
Quoique d'un air chantant.

Parmi les clairs roseaux,


Pour des douleurs extrêmes,
Serais-tu fortes eaux ?

Semblant encore frémir


Dans tes souffrances blêmes
Ne veux-tu point mourir ?

277
Chanson

Ô cuirasses de porc
Dédicaces baroques
Vieilleries sommaires
Femmes tentaculaires

Engin détroussé
Et fileuse démise
Succursale crispée
Dans la nuit promise

Geste de la bouche
Canevas de vin
Troubadours qui volent
Qui plongent ! et des mouches

Brillantes dans les cieux


Des morts putréfiés
Tombés pour nos aïeux
Dans le trou plombé.

278
Je veux te dédier

Je veux te dédier, chatoyante parure, sur des coussins


bercés par le luxe et l'encens, cet hymne solennel
bordé de sa froidure, et promis aux secousses
vengeresses du Néant.

Alors je te convie entre ces quatre murs, au sublime


festin de l'inconnu malheur, et je prépare, cynique,
une noble mixture qui brûlera ta peau et percera ton
cœur.

Et quand, momie étrange et desséchée, sur un plateau


superbe, je te poserai nue, tu vibreras encore de
spasmes saccadés, admirable beauté que j'aime et
que je tue !

279
Le beau langui

Le beau langui sur des espaces de miel. Qui frappe en


cette heure lugubre ? Mais vrai, l'oraison des
beautés dans un geste d'éclore pétille d'union pure.

On cesse là l'ébat. La lutte est condamnée jusqu'au soir,


et des toux hideuses rappellent le génie.

Oh ! Race ! Que m'importe le pacifisme de l'acte ?


Oserai-je espérer des tourbillons d'esclavages ?

Accoupler c'est détruire. Les firmaments déjà. J'entends


les pas saccadés dans sa nuit. On se meurt dans les
tourments. Le défunt, l'hôte pâle ! Le défunt
s'enfuit.

280
Par des attaches, soudés

Par des attaches, soudés à la honte proscrite ; le deuil


contracté aux basses terres nuptiales et la haine
apparente sur des doigts crispés.

Des visages macabres, des vengeances progressives,


l'indescriptible fièvre des mouvements hagards, le
meurtre qui sommeille dans chaque âme.

Le mouvement perpétuel de deux pieds qui se touchent,


glacés sous le drap noirci des longues nuits. Le
geste cadencé, immuable des bouches, la perle
suprême de l'entente cordiale !

Démon de l'intimité, déplorables bêtes, assermentées par


l'alliance jaunie ! Ô chairs contemplatrices des
mornes soirées ! Années terribles dans les bas-fonds
d'un lit !

281
D'un hasard naît une chair

D'un hasard naît une chair, toute dépourvue de palme.


Un déluge de bruit s'éclaire, fureurs, délices et
calme !

Des lenteurs obscurcies s'évadent. C'est un comble par


cette nuit ! Quoi ? La plus pure des ruades s'éloigne,
un spectre s'enfuit ?

Mais l'étoile s'encense de gloire. Je l'entends se plaindre


ici, et je doute encore à te voir... C'est une plume de
haine adoucie.

Un mot, un seul d'une voix claire qui parcourt enfin


l'amas de sueurs s'oublie... Un songe se désespère,
persécutions ou semblables frayeurs ?

On transposa l'ami des maléfices. Furent-ils mortuaires


ou pourvus de langueur ? Empourprés de violence,
de maléfices ? Vrai calme, mais lentement tu
meurs...

282
À l'horizon suspendu qui s'abandonne, une course
dispense par l'ombre nue le glas primitif et vil où
résonnent les triomphes anciens qui se sont tus.

283
L'ondulation déterminée

L'ondulation déterminée dans les souffles du vieil orage ;


les miroirs brisés par l'opulence des fats ; le maigre
cynisme conduit la ville crasseuse ; les chants
nocturnes sont pailletés de grandeurs ; l'oraison flotte
et les pleureuses ennemies grattent encore les terres
déchirées.

Automne des devantures martelées en ce siècle que la


soif de vaincre éparpille prestement, dispose de la
masse, imberbe et ranime le flambeau !

Cependant que des moulages ternissent le ciel, une


délivrance mugit, carapace de mille labeurs. Une
hyène féconde se multiplie. Elle procure l'assurance
au peuple, et pour ses nourrissons allaités, elle jouit
du malheur des hommes.

Ô périssable femelle, consume le désespoir de demain !


Il en sera toujours temps !

284
Un moine convoite toujours

Un moine convoite toujours l'égarement de son


tabernacle ; la parfaite crucifixion monte, couverte
de plaies sanglantes ; encore ton repos noyé ; le
limpide lac entre deux bras de mers ; les lames de
ton sabre happent le nivellement comme les
anciennes catacombes ressurgissent dans les salives
boueuses, chemins de haine, et lambeaux de peaux
mortes.

Le tragique épilogue divin, versificateur des vertus !


C'est le drame fécondé de l'esprit de conversion. Pas
de doute : l'esprit que tu habites coagule l'excrément
et l'urine bestiale. Il faut, inconnu, te forger un
organe d'acier constellé de marques violettes. Mais
les distensions suffisent à ton expérience. Tes
saillies prouvent que tu as trop espéré. Je t'appelle,
apothicaire des fois jaunies.

Le novateur voit l'inconscient disparaître. Contre tes


mèches, une propagande de faces endiablées !
Toujours la chasse crasseuse dans les panses

285
ténébreuses ! Les mots pincent les tonsurés, et les
chocs transitoires émigrent vers le joug tenace.

286
Ils justifient vos miracles

Ils justifient vos miracles. Leur hargne terrible annonce


l'indifférence pour une église arc-boutée. Comme
ils proposaient des révélations grandioses, surtout
des jardins inconnus, les mystifiés se sont levés, ont
jeté les compassions, les drames sirupeux et
constituent ainsi une grande famille. Les primitives
opinions ont été bannies de la foi indiscutable.

Tout cela prête à rire. L'envolée stérile, insoucieuse des


dernières machiavéliques femmes prolongea
l'excrément. Le Midi rassembla les horreurs de la
détestable corruption. Encore des actes souillés à la
graisse du Néant.

Pourtant ils participent et reconnaissent la bêtise de


l'acte heureux ! Plus profond que l'invisible, leurs
sens s'exaspèrent et jouissent de sons angéliques
comme si pour franchir les grillages et oublier les
fables, il fallait labourer les parties fraîches de son
plein droit.

287
Écoutez. L'ignorance méprise les investitures, condamne
les vols promis, alors pourquoi tant de défis pour
une ère de mécontents ?

Moi, j'élève les faiblesses passées dans les masses du


printemps, contre le désespéré. Je rejette le véritable
insignifiant. Inquiétez-vous du vent.

288
Tout t'est radieux

Tout t'est radieux même l'influence néfaste qui se perd


dans les bruits et les goûts douteux. On pêche ici :
un regard sur la terre équivoque. Là-bas, d'autres
mensonges ou déboires. Les singeries et les attaques
évoluent autour d'une orange pressée.

La confusion sort du chaos. Le signal des michelines, les


Guerres de Troie magnifiquement ratées, et la danse
soulèvent les rochers des dires. En fait, les rouages
et les Cerbères médiocres s'engourdissent à l'abri du
soleil et des urnes. Dégage ta voix : l'assaut et les
enfantillages engendrent la parfaite harmonie.

Quand le moulage du sein illumine les musées des


villes, ton admiration grandit. Quand nous
transformons les patries, tu notes le faux. Ton
incroyance disparaîtra sous les traits durcis de
larges envolées, l'exil t'enivrera de lourdes saveurs.

Que tu regrettes ton compte, que tu entames les veillées,


ton bonheur régnera toujours sur ton néant.

289
Le chant médusé

Le chant médusé, ivre de marques d'estime s'écoute


pareil aux insuffisances de notre vie. Chaque fleur
tombe dans les cris de gloires et de renommées.
Fébrile destin qui secoue les amours de nos chœurs
déployés !

Nos réussites, extases des souffles, applaudiront les


parcelles négligeables, et nos souffrances telles des
lions enragés grandiront dans des parchemins et des
maux de détresse.

Ô tentations de l'inconnu aux reflets marbrés ! Jets des


oriflammes offerts par les puissances divines !

J'ai gravé sur la pierre des Morts deux noms réunis pour
l'éternité. L'ordre, dans sa course immuable, bannit
déjà la vérité du long supplice. L'oracle se meurt.
Les maigres affirmations condamnent davantage
encore les prisonniers du Néant.

290
Je devrais maudire le jeu des damnés de l'ambition. Tu
aurais dû exister, non pas te perdre dans les
coulisses de l'exploit. J'évoque l'enfant, le pur
diamant, l'union de deux corps. Tes lèvres parlent
encore et ton cœur s'est tu.

291
Les cyclones se meurent

Les cyclones se meurent par-delà les collines. Les


grands ifs se tordent quand l'orage éclate en été. Les
hommes transposent l'image et oublient le présent.

Les rayons de l'automne sont faiblesse et les départs


accentuent les désertions ; en éventail, la femme se
nourrit de plaisirs, et devient indisponible à sa
tâche.

L'origine de ton Mal, c'est la bêtise qui se croit mûre ;


des rouages ou des structures hiérarchiques, chacun
se voulant maître des autres. Toi aussi, tu dois
m'apprendre le génie ! Tu jettes ta connaissance
pour annoncer le mouvement cyclique, tu craches la
page du Livre saint - la grande œuvre de l'inconnu !
Tu débites l'incohérence, machine enrayée.

Ton message est un conseil, et ta voix un ordre. Je te


maudis, piédestal, illustres cendres de mon destin !

292
Dans un calme plat

Dans un calme plat où navigue un voilier solitaire,


grand, majestueux, toutes voiles au vent, dans ce
calme plat, on entendrait mugir des centaines de
sirènes merveilleusement proportionnées, la poitrine
haute et dressée, excitée par deux mamelons
remplis de sang.

Des chants tristes comme berçant d'une vague morte le


vaisseau, des chants lugubres rappellent la tentation
d'Ulysse, et des chœurs plus profonds encore
semblent venir de l'abîme.

Au paysage impossible, je me suis noyé, vaincu par un


ennemi trop fort, maître des hommes et des mâts, au
paysage impossible, je me suis baigné dans des
palmes d'or et d'argent respirant les vents salés avec
les cauchemars hideux.

293
Je coulais ivre de découvertes. J'incendiais les coraux de
formes bizarres. J'inventais les poissons
multicolores. Je volais à la tâche suprême les
dernières pierres d'un édifice souterrain.

Ô mâts, ô sirènes, tentations à vous, à toi seule ma vie


fut confiée. Qu'en fîtes-vous ?

Oui, je me souviens. Dans un calme plat où navigue un


voilier solitaire, grand, majestueux, la pluie
d'émeraudes est tombée sur sa proue de pierres.

294
J'ai grandi dans les murmures

J'ai grandi dans les murmures tapageurs de ta voix


antique, et comme un soleil incandescent brûlant les
herbes vives d'un été, j'ai terni ma nature de
sécheresses immenses. Plus loin, j'ai bu à la source
féconde. J'ai tari son chant mélodieux qui
descendait parmi les vallons et les prés. J'ai volé le
feu suprême pour détruire toute vie, j'ai transformé
la mer et les marées, et dans ma coquille de noix j'ai
réinventé les naufrages, les échouages et les
tempêtes marines. Obéissant à de sinistres ordres, je
me suis fait magicien, puis alchimiste enfin
saltimbanque.

Études, austérité ! L'affaiblissement de ma personne !


Jouis-tu de mon supplice pour me contempler avec
ton rire satanique ? Éternel ennemi, toi qui m'as
promis la liberté ne l'ai-je pas enfin méritée ?

295
Quand exténuée, ravagée

Quand exténuée, ravagée par cette douleur latente,


quand l'ombre même transformée en supplice
déploie ses grands bras et gesticule menaçante en
tourbillons immenses, ô l'éternelle substance
succombe aux tentations du plaisir et oublie un
court instant le martyr qu'elle endure, et oublie la
tâche inhumaine qu'elle s'est vouée.

Malgré les horribles contorsions, les déchirures internes,


les feux superbes sortis de la panse de Lucifer, pas
un croyant ne viendra soulager ces mortelles
blessures.

Qui oserait se fourvoyer pour soulager un mal dont il ne


peut apprécier la monstruosité ? Toi, pauvre
créature, disposée sur le drap de satin, lourde de
fatigue amoureuse, toi que j'embrasse confusément
pour éloigner mes craintes, saurais-tu entendre les
hurlements de mes désespoirs ?

296
Tu reposes, ivre de servitude passée dans un grand lit
d'allégresse ! Tu rêves avec ta chevelure imprégnée
de parfums exaltants à une contrée lointaine ; quelle
monotonie insipide dans tes yeux évasifs ! Quelle
lente paresse par ton corps sacré !

Quelle force encore me pousse à combattre moi qui suis


englué dans une toile d'araignée ? Moi qui à l'orée
de mes vingt ans espérais une terre ferme, moi qui
marche sur des sables mouvants ?

Sont-ce les derniers soubresauts d'une mort fatidique ?


J'entrevois comme des images sacrées dans mes
rêves, une marche funèbre, des soldats bleus fusil
en main, et j'entends un caporal crier en joue.

Parfois c'est une corde qui se balance dans un


mouvement régulier, et moi je place ma gorge entre
ses nœuds serrés. Plus loin, le tombeau où mon
corps sera exhumé, les pleurs des femmes et les
fleurs artificielles.

297
Mais tout ceci n'est d'aucun intérêt pour vos pauvres
consciences que d'entendre les gémissements
malingres d'un poète inconnu.

298
Cet ogre venu des profondeurs

Cet ogre venu des profondeurs du gigantisme ou de


l'inconnu passait et repassait dans mes rêves
d'enfant comme une obsession continuelle et
incontrôlable. On eût dit un géant déchaîné en proie
aux plus horribles tentations, dévastant tout sur son
passage, massacrant hommes, femmes, vieillards
sans se soucier, - évidemment ! du mal qu'il eût pu
causer au genre humain. Je goûtais fort en ces
temps-là, période qui semble éloignée, à des
lectures épiques, grandioses dans leur déroulement
et macabres dans leur fin. J'inventais ou j'imaginais
etc.

299
Après avoir dépassé les frontières

Après avoir dépassé les frontières de la logique


élémentaire, que trop de gargarismes intellectuels
laissaient espérer comme source féconde d'une
exactitude indéniable, le héros de ce poème vint à
douter des systèmes mathématiques de la pensée
humaine.

Cette somme d'algèbre et d'arithmétique n'était peut-être


que le fruit d'une imagination aiguë ? En vérité, il
s'inquiétait de la surface du cercle. Comment se
fait-il qu'une surface déterminée ne puisse avoir une
mesure déterminée ?

Ce point sensible se transforma en conflit grandissant,


stérile et nuisible pour sa personne...

300
Nul ne perdra les paroles

Nul ne perdra les paroles écorchées. Le même schisme


sous les parois. Abdique à la faveur du roi, seule
issue faite de plaisir. Tu crois à la classe crouleuse
du pain, mais ta voix échappe encore au jeu de
l'intolérable.

J'ai constitué par l'image l'élément invincible de ta


nature. Cueillir les soifs de la rage ne répond qu'au
Néant. Jets d'enfer et primauté de la gestation. Un
point savait se paraître de sa force instinctive.
C'était l'élément machinal de l'enthousiasme. Il me
reste que la faim.

301
Fictif sans toutefois

Fictif sans toutefois indulgent ou cruel, il domine les


torches d'un soleil fatigué. Et l'azur démentiel se
contemple nu sous des voilures hâlées.

C'est que promise aux satins bleus de l'été, sa démarche


florissante engendre des maléfices. Oh ! Les
machiavéliques bêtes, les anciennes gardes l'ont vu
prospérer !

Mais métis, emporté ou se gavant de lumière, il respire


les fécondes et absurdes tentations. Il vampe,
gracieux flegme, l'horreur scabreuse de sa
méditation.

302
Un feu où se perdent les labyrinthes

Un feu où se perdent les labyrinthes, un mythe envolé


dans des complaintes ; avec une malice, la douceur
l'a frôlé ! Sentence, fureur !

Un homme plus loin dans les lueurs matinales ; un


sphinx assoupi respirant les taches molles ; des
métaux rassemblés sous le joug des stances !
Réalité, décadence !

Le front embué de crachats ; le bonheur accompli au


plus profond des races ; l'édenté nu souriant devant
sa faux ; ignoble race !

Effrayée dans un sérail où l'on joue ; des espoirs perdus


sous des soleils de cordes ; parapet de rêve, éloge
des Sixtine ; imparable décor !

Une chute superbe donnée à des sanglots, et la souillure,


miroir de la nuit : tous ces bruits résonnent en mon
coeur, mon coeur défunt !

303
Ha ! Querelles dont on dispose

Ha ! Querelles dont on dispose encore, puisse le venin


serti d'insouciances louer à l'admirable et curieux
décor les trames désespérées du songe immense !

Et calices d'ingratitudes, ondes difformes comme au jeu


où les réels sévices s'accoudent et lancent presque
énormes... Où est l'ondulation du précipice ?

Mais la sublime épousée par l'histoire vagabonde va


sous les carences d'un imposteur. Ignominieuse,
attendrie dans sa mémoire, elle juxtapose et
confond ses pleurs !

304
Les bourrasques incendiaient

Les bourrasques incendiaient la nature. Les hommes


hagards, perdus dans les minuits scrutaient encore
les soleils décapités. L'étoile tremblait autour de ses
eaux, et des vents dévastaient les vallons et les
plaines. L'aurore disparaissait déjà. Autour :
pillages, désastres et meurtres.

La vague ronflait sa carapace d'écume et frappait et tuait


les coques sinistrées. Des rafales de boue se jetaient
invincibles contre les noirs nuages. La terre
transpirait ses relents de charognes. Les bêtes
traquées hurlaient à la mort.

Les Dieux en proie aux plus affreuses catastrophes


grondaient et acclamaient les ténébreux déluges, et
déchargeaient encore leur puissance immortelle sur
la terre, sur les hommes, dans le ciel et les eaux.

305
Animaux, fleurs, astres, femmes, enfants, fleuves,
océans, plateaux et montagnes : tout périt dans le
profond chaos du Néant.

306
C'étaient des crépitements

C'étaient des crépitements sur des fleuves encombrés de


truites et de bars multicolores. Des vapeurs
s'éloignaient comme le calme des eaux ronflait ses
notes tristes.

Parée de feuilles jaunies, d'enveloppe brumeuses,


baignée par un vent léger, une nymphe au sortir
d'une cascade se peignait dans l'oeil de la source.

Mais le rêve s'élève. Une fureur grandit sous des sceaux


de lumière. Un tonnerre décharge ses lumières
étoilées. Les tourbillons ? Des catastrophes. Et
Sibylle plonge. Une épaisse fumée mugit par-delà la
montagne. Un soleil ocre consume des images
glacées. Et Sibylle disparaît dans les ténèbres de la
mort.

307
Les grossesses disloquées

Les grossesses disloquées à la haine des nuits rejettent et


supplient un univers malsain. Des vieilleries se
galvanisent de puérilités, des ondes s'entrechoquent
dans les cuirasses des ventres.

On détruit des Bastilles et des Temples occultes. Des


forbans s'activent sur les naissances avortées et las
de l'effort surhumain, jeunes mères, l'Enfant tout
sanglant se meurt à minuit !

Déjà des spasmes gravitent dans des terreurs. De


l'angoisse, des souffles haletant et des
tremblements. Las de l'effort surhumain, jeunes
mères, l'Enfant tout sanglant se meurt dans votre
sang !

308
Longtemps

Longtemps encore en ton nom, et loin des frontières du


Néant se tiendra l'effronterie des déchéances...

309
Le massif de fleurs

Le massif de fleurs respire la terre fraîche. C'est mon


nom que tu entends ! Couché, recroquevillé sur
moi-même, là est le dernier chant !

Un nom gravé sur des pétales de marbre, un coeur


immortel ivre de désirs, un tombeau grand ouvert à
l'espoir de demain.

Je suis ensanglanté de blessures immondes. L'or pesant


couvre mon visage ? Rien ? Qu'importe !
Qu'importe ! Puisque je dors !

310
Dans mon rêve épuré

Dans mon rêve épuré, je discerne ton nom


Dans les lieux à venir, j'entends battre tes yeux
Je sais ton chant, je sais ta voix et ta beauté
Et le regard d'amour qui encombre tes bras.

J'écoute frémir mon heure puissante et ténébreuse


Que l'instant et l'histoire encenseront encore
J'embrasse l'enfant violence des voluptés
Et je dors lentement à l'ombre de mon ombre.

Je me plais à vêtir le monologue qui dure


Patience, dévouement, sagesse, supplices
Tasses d'or et d'argent jetées contre nos cieux
Et délires et délices et salive et amour
Et les ans passeront comme un souffle inhumain.

J'observe la douceur et l'orgueil de ces transes


La chaude montée au cœur qui est rose et bleue
Et j'approuve en moi-même le désir de survivre
Pour rester longtemps presque mort en nous deux.

311
Même rêverie

Dans mon rêve épuré, je discerne ton nom.


Déjà je sais ton chant, ta voix et ta beauté,
Et le regard d'amour qui enroule tes bras.

J'entends frémir mon heure si grave si ténébreuse


Que l'instant et l'histoire encenseront encore.

Et j'embrasse l'enfant, fruit de nos voluptés,


Et je dors lentement à l'ombre de mon ombre.
Je me plais à vêtir les paroles qui fuient.

Patience et sagesse, dévouement et supplice,


Et délires et délices et salive et amour !
Les années passeront comme un souffle inhumain.

312
Je contemple la vie et l'orgueil de ces transes,
La chaude montée au cœur qui est rose et bleue,
Car j'éprouve en moi-même le désir de survivre
Pour rester allongé presque mort en nous deux.

313
Offert aux rêveries

Offert aux rêveries d'un suicide ; regardant


L'astre pur décliner lentement dans les cieux ;
L'ombre maudit ce paysage mélodieux !

L'éveil d'un chant difforme, excessif à ton corps


Qu'on oublie toujours, solitaire des nuits, des jours,
Est refrain modulé quand ton crachat s'endort.

Mais lourde d'amertume, l'âme chancelle au vent,


Suit indolente et perdue les noirs froids d'hiver,
Suit la flamme douceâtre qui brille dans le temps.

Alors mon œil tourné vers les vives ténèbres


Et l'amour craquelé sur tes lèvres détruites
Poussent un convoi royal, majestueux, funèbre.

314
L'ange mort

L'ange mort en son rêve a déformé l'image.


L'insondable dort à l'intérieur du Moi.
Il mire la tremblante sans crainte, sous ce toit :

"Oui, du plus haut que resplendiront ces tourments,


La force est rythme long ! Sous ce regard obscur,
L'oraison découvre son firmament et pleure
Dictant sa loi sur le point le plus pur !"

Les ailes tout ouvertes, ô le sourire aimé


Propose en maints regards la souffrance du monde.
La beauté endormie, les nymphes amusées
Qui dansent lentement au rythme de leurs ors
Dans l'assistance s'essaient à la nouvelle ronde.

L'Ange mort en son rêve sur son étoile dort

315
Le stérile hiver

Le stérile hiver glace d'un geste royal


La source limpide et claire que ma lèvre embrasse,
Alors le fort déluge d'un roulis infernal
Sur le front enivré de songes se fracasse.

Vils de douleurs, et de violentes pensées,


Des rapaces s'en viennent s'abattre sur mon toit.
Leurs serres ensanglantées dans ma chair déchirée
Arrachent à mon esprit d'impénétrables lois.

Là-bas le Néant absolu, dévastateur


Voudrait bien m'engloutir dans sa ténèbre immonde.
À son service, tous ses démons provocateurs
Jetteraient ma raison dans des caves profondes etc.

316
Immolée sur les plaies

Immolée sur les plaies sanguinaires des suicides,


Soulevée par la pure vengeance des Dieux marins
Dans sa candeur, violée aux furies de ses eaux
Rejetée par les vents sous les courants torrides
Même dans la bravoure, la vague rejette l'épave.

Mais affreuse et tremblante presque morte déjà ivre


Dans les excès de fièvre sous l'ardeur de l'été
Transparente parfois mais libre sur les mers
Ô Beauté vénérée derrière les larges terres
Mon âme désinvolte, accablée de remords
Quand sur toi le malheur, repose, que faut-il faire ?

Alors vers quels plaisirs dans l'univers fangeux


Faiblesse de conquêtes, ô sœur de l'infini
Détourner de ce joug, l'impossible grandeur ?
Règne, siècle, frayeur ! Ame promise, que faire ?

317
Dans le golfe insipide

Dans le golfe insipide encombré de cadavres


Ho ! Le réel combat, les terribles charniers
Sous les paroles du mort, sous les cris du Saint,
Devant la citadelle, les fleuves sont en sang,
Et l'épique bataille éternelle en ma tête !

Et l'épique bataille éternelle en ma tête !

C'est l'adieu dans les larmes boueuses des regrets


Et c'est le cor sonneur, et c'est le glas fatal
Ce sont les chants rougis avec la sève humaine.

Nos tombeaux fraternels, nos cavernes glacées


Ho ! Les tendres blessures sur le poitrail imberbe
Ho ! Morts à la vingtième Ho ! Futurs capitaines
Vous veniez tous les deux d'achever vos vingt ans !
Ho ! Morts à la vingtième ! Ho ! Futurs capitaines
Vous veniez tous les deux d'achever vos vingt ans !

318
Éclats de feu brûlant dans les veines gonflées
Soleils et mâts et ocres, douces lueurs funestes
Camarades de trente que l'on a écorchés.

Camarades de trente que l'on a écorchés.

319
Les membres décharnés

Les membres décharnés, vomis sous les silences


Que la chambre lugubre a subi en dormant,
Et des voiles jaunis, perdus de transparence,
Univers trop sordide et pâmoison du temps !

Ils mêlent pourtant des corps, des âmes, des sens,


Des actions divines offertes chaque nuit !
Ils combattent des formes, jouissent de leur transe,
Et tombent agenouillés sur un cadran qui fuit !
Veules de béatitude dans leur macabre loi
Unissant des plaisirs sur des lèvres plissées,
Nous !, sans plus d'harmonie pour deux cœurs qui festoient !

Et des frayeurs étranges m'occupent tout à coup :


Ne sont-ce pas des spectres ou des esprits vidés,
Ces deux chairs qui s'écroulent dans la mansarde floue ?

320
J'ai dû aimer

J'ai dû aimer sous d'autres cieux,


Mais je ne sais plus quel matin,
Agile et noble comme le feu
La beauté au regard divin.

C'était désir stérile mêlé de grâces


Que l'ivresse emplissait sans grandeur ;
Quand l'âme libre enfin s'efface,
L'amour de Dieu devient pêcheur.

Quiconque use de ses ongles sur sa peau


Et comprime son souffle dans l'abus,
Vrai, bannira l'horrible fardeau
De l'acte facile sur le corps nu.

Mais la beauté en fruit lubrique


Métamorphose son idéal
Sous les saccades rythmiques
De son galeux caporal !

321
La protubérance excessive

La protubérance excessive
Qui me servait de sommeil
S'éclipse dans les premières senteurs
De mon vaste ciel.

Que d'inconnus rivages


Et que de sources à explorer !
L'infini commérage
À déjà bouillonné.

Chastes idées reçues,


Catacombes enfantines,
Quand l'espoir est perçu
La chaleur me fascine !

D'autres vents se sont engouffrés


Sous ma porte vagissante.
Mon tendre esprit, il est arrivé
Le seuil étroit de ma pente !

322
Clairons, sonnez l'expansive
Et heureuse cérémonie
Puisque des femmes agressives
Sur les couches se sont endormies.

Ô la câline, la débaucheuse,
Le tempérament étrange !
Elle gît Sandrine la pleureuse
Comme le sourire de mon Ange !

323
Volée aux traces de l'espérance

Volée aux traces de l'espérance


Par l'œuvre du suicide effleuré,
Ho ! L’ample et décisive complainte,
Reflet pourpre et incendié !

Du terme fatal, qu'il immole le jour !


Comme l'esprit vain de sa conviction
Semblable au chant diurne ensanglanté
Dans le luxe mat et la terne raison.

Liqueur sur la source tarie, c'est l'heure !


Car de vaincre l'histoire, nul ne s'entend.
Tel du dénouement furieux demeure

L'emblème visqueux pendu du mort.


Et cette croulante fin dont dépend
Le destin est celle hélas ! du corps.

324
Hanté et songeur

Hanté et songeur d'une tenture nue


Que l'orgueil extasie encore
Se vit crouler ou qu'il s'exténue
Par maint rêve, un légitime remords :

Apparue et défaite telle en chevelure


Qui d'ans en ans parfois l'envahit,
Acclamée soi-même de voilures
D'un miroir existant jadis en minuit.

325
Éloignée mais si proche

Éloignée mais si proche


Par le rêve qui te ressemble,
De l'âme quand tu approches
C'est tout un corps qui tremble...

Ne connaissant le triste émoi,


Tu avances insolente sœur
Et me parles maintes fois
Sans savoir ma douleur.

Pour ma faiblesse extrême,


Voici ces quelques vers.
Affreuses lignes ou diadème ?
Qu'importe ! Puisque je t'aime !

326
Ombre aux yeux

Ombre aux yeux de l'être impur


Et grâce, maintes fois renouvelée
Quand sifflent les fuyantes
En la demeure nuptiale d'ennui.

Vice relaté sur les transparences drapées


Quand le Démon d'antan vomit le réveil
Les taches d'or, les honneurs dans sa nuit.

Refuge sous le délice succombé tristement


Par les frayeurs de l'ombre apitoyée.

Et meurtre dans les longs cris de ses parchemins.

327
Vous ! Par la souvenance d'un dire

Vous ! Par la souvenance d'un dire,


L'heureuse promptitude préétablie.
Entends ! L'ignorance qui fuit,
Infidèle des maux passés.

Rien ne s'égare qui ne s'éveille


Aux années de bonté,
Si ce n'est l'absolu de l'infini
Ivre d'amertume ou d'orgueil dit.

Qui confondre à satiété ?

328
Comme des agissements indistincts

Comme des agissements indistincts


Qui bercent les nuits de profondes chamades,

Comme des tourbillons inchangés


Sur terre, dans les eaux, par l'espace,

Vole, vole toujours plus haut


Marche, marche toujours plus loin
Plonge, plonge toujours dans la mort.

329
Ton ventre implorant

Ton ventre implorant des plaintes obscures


Plane en ce décor tumultueux et délaissé !
Ta joue si fine que pleurent nos bouches
Usurpe la dérive de l'esprit tourmenté !

Bordées de frissons, les inaccessibles chairs !


Crache ta honte, monstre de jouissance
Comme un vain mensonge
Dans un désert de souffrances.
Il abdique et perd ses lumières dans le Temple...

330
Le serpent

Avec ses contorsions voulues en son lugubre


Déclin, c'est le serpent annelé jusqu'au cou
Orientant des instincts à moi-même si salubre,
Sur mon ventre pâmé, à l'instant le plus doux.

Et qui va comme une amertume sommeillait,


Transformer la nuisance prochaine de mes frayeurs,
Pareil au rarissime amant qui se penchait.

Des voiles, des langes clairs pour ces maux confus,


Et des accords parfaits entre nature, oublis,
Qui condamnent pourtant les plaisirs que l'on tue ! ...

Ho ! Le reptile immonde jouant entre ses mains


Parmi la blancheur troublante des autres pensées !
Par ton acte morose, il se perdrait des riens
Qui pleurent en leurs soupirs les saignantes aimées !

331
Ébauche d'une plainte

Enflammant les souvenirs lugubres et sanglants,


Rien en sa haute voix attachée à mon sort
Par son sublime amour, le pur commencement,
N'extirpera, ô bouche, un monstre sacré d'or !

L'insouciance sertie qui vole en ses demeures


Est pris, sœur charnelle de désirs obscurcis,
Elle usurpe et délasse aux forêts de ses nuits
De floraisons diverses et noires pour que je meure ! ...

Toi, réelle douleur de mon âme, si la seule fin


Entame comme un fruit de plaisir mes faiblesses,
Pourquoi grandir ce feu intime jusqu'à demain ?

Jamais écho interne respiré par ce cœur


Ne pourra soulager ces soupirs de détresses !
Mais il est tard, déjà ! Prends l'horrible labeur !

332
Et de sa grâce éprise

Et de sa grâce éprise, la pureté divine


A usé en silence d'ombreuses destinées ! ...
La nuisance embaumée à ses beaux yeux soumise
Proclame la saveur des astres allégés.

Son infortune jouit, contemple l'oraison


Pareil à ce palais sublime en mon ivresse
Innée ! ... Le bruit rassemblé prolonge le son.
Jamais tant de fraîcheur, je ne veux que tu cesses ! ...

Mais l'onctuosité où plongent mes délices


Exulte des senteurs étranges ...étonnantes ! ...
Qu'est-ce donc en ce lieu l'adorable caprice ?

Car hélas ! en ce corps s'étend le bel amour,


Et dans la nuit obscure mes deux lèvres tremblantes
Te demandent en ma chair le fort sommeil du sourd.

333
Oeil et regards

Des regards à l'écume grandie de transparence,


Qui refusent mornes et plats le sublime soupir !
Ils se perdent et s'enlacent dans de faibles carences,
Que d'anciens disciples usurpaient de désirs ! ...

Mais redorés par l'âcre saveur teinte des couches,


Tels de viles lueurs aux miracles d'été,
Ils se jouent de l'odieuse saveur des bouches,
Et confondent les gerbes finement exaltées !

Si proches de l'abîme qu'un seul soupir confond,


Ils pressentent la honte des râles et des sens !
Qui, sans miséricorde, veut effacer les dons ?

Pourquoi fuir au plus loin des ténèbres obscures


Les veines fécondées où coule le sang rouge ?
L'oeil amer de terreur s'éloigne sans murmure ! ...

334
Ne veux-tu pas, mon âme

Ne veux-tu pas, mon âme, sur la couche béante


Comme un désir sans fin activer mon ardeur,
Respirer contre moi la sensation latente
Dont disposent la nuit les raretés du coeur ?

Dehors, tout est sinistre. Tout arbre semble mort.


Si ce n'était la brise tourmentée par ce vide,
Tout le peuple agonise et la foule s'endort.

Je n'aime point courir sur les murs de la ville,


Aspect trop délabré des cités reconstruites.
Le ventre s'y resserre à chaque instant fébrile !

Reste là dans mes bras. Oublions les douleurs


Qui couvrant nos orgasmes maintes fois avortés
Rappellent au masque noir la marque des splendeurs.

335
Sur l'onde délicate

Sur l'onde délicate où le plaisir sommeille,


Tu te plais, ô ingrate, à promulguer les jours.
Comme un jeu insolite sur les faces vermeilles,
Tu te joues en moi-même, infidèle toujours !

Cependant qu'une grave et impossible aurore


Fait courber ses extases dans les rougeurs du ciel,
Je te sais t'essayant, cherchant le nombre d'or
Envieuse à l'extrême de ses fruits immortels ! ...

Maudire contre ton sein les sueurs éternelles,


Les velours, les plaisirs qui condamnent mes pas,
Corrompre plus encore la terrible frayeur
Pour l'essence sublime, et changer nos ébats ?

Je ne pourrais hélas ! par ces exploits funèbres


Réchauffer dans ce cœur de froidure ou de gel
Les violettes bleues de mon spirituel.

336
Je ne peux oublier l'immuable furie
Qui brillant dans ma course, ô future, ô promise,
Fit par ton âme inculte un poète maudit.

337
L'insatisfaite

Là, des larmes d'argent sur ta bouche se frôlent ! ...


Qu'est-ce pour la lueur étrange, l'amertume ?
Doucement, elle s'enfuit, lentement, elle s'envole,
Et s'en va se coucher, ô lys qui se consume !

Par ce sommeil, la chevelure se déploie,


Et s'étale pesante sur l'oreiller des songes,
Par ce mélange occulte, tu gouttes quelques fois
À la beauté exquise ou au mal qui te ronge ! ...

Alors nue de caresses dans ce lit embaumé


Une terrible loi dort paisible, la Nuit !
Ce fruit chargé de musc et de molles odeurs,
Brûle de jouissances en poses inassouvies.

338
Même impure de tes somnolences

Même impure de tes somnolences, respire toujours,


Telle possédée de joie charnelle des vaines nuits,
L'incurable mensonge qui te sied, mon amour !

De ta mollesse mêlée aux sanguines furies


Succombe la déchéance horrible de nos corps
Où le soir, empereur des chastes agonies
Et vil dans sa démence voit crouler nos efforts !

Succombe et bois ! ... Le nectar divin des délices.


Cet éphémère désir s'éloigne dans les cieux !
Il regagne les airs où les tendres supplices
Accouplent leurs paroles aux fruits délicieux ! ...

O charme de la concupiscence des jeunes râles,


Entends les battements des cœurs qui auront fui !
Crie le bien, ou supplie pour ton soupir fatal !

339
Sous l'effroi imposé

Sous l'effroi imposé en ma triste retraite,


Tu te plais à vêtir sur des ors transparents
De pures sauvageries pour t'instruire de la fête,
Des chevaliers de guerre ou de vrais combattants.

Et tandis que survole l'éclat incestueux


Par des nuées d'étoiles évasives parfois
De leurs obscurs complots, j'entends battre, ô bête,
Le tambour étriqué de ton unique foi.

Je sais sous la morsure le venin capiteux


Monter en longs sanglots aux douleurs de ma tête
Et jamais je ne puis bannir ces propres maux
Dont tu uses pour moi comme d'une tempête.

C'est de l'assassinat ! Trop soumis à ce Temple,


Le dire prononcé profane des frayeurs !
Et le crime éternel, supplice des aveux,
Résonne dans la tombe étroite de mon coeur.

340
Alors que l'heure consume

Alors que l'heure consume sa lumière dernière


Et que de tous ses feux maintes fois obscurcis,
Il naît près de son lit la rumeur incendiaire ;
Alors que l'heure est infime, vengeresse en ses nuits,

Détruit la fleur de l'âge aux croyances divines,


On entendrait hurler tel vieux rêve ennuyeux
Son exploit tortionnaire, porteur des airs sublimes ;
Le chant maudit et rance a sonné dans le creux.

L'âme meurtrie, trouée jusques en ces méandres


Abdique tel un charnier de sa sanglante mort,
Poussant encore le chant de l'agonie des cendres
Est ombre inanimée dans le lit de son sort.

341
Sublimes pâmoisons

Sublimes pâmoisons agrémentées de fiel,


L'heure les a abolies en ces vases étrusques !
J'invoquerai l'idiome au plus loin de ses mains
Qui converge superbe, tel un rayon oblique ! ...

Et caduque et troublante, astre de l'ère nouvelle


Poursuivit par des monstres et des miroirs déchus,
La sentence tuera les raisons les plus frêles,
Lapidera l'affreuse destinée reçue !

Au profond, en lui-même, de fourberies flambées,


La saveur suppliait les ombres délavées ;
Il gonflera encore à travers les solstices,
Ce fourbe et cet ingrat puisqu'il est tant aimé !

342
Soupir marin

Maudire de l'agonie sereine et encore lasse


Qui parcourt de ses yeux un lointain horizon,
Je sens l'effluve clair que la fureur encrasse
Se jeter sur les vastes blancheurs des aquilons.

Épris de ta mature érigé et divin,


Qui gonfle ta voilure aérée par ta brise,
Qui peut au jour levé embrasser le matin,
La tempête stérile ou l'or de tes banquises ?

L'ancien matelot disait que c'est bien lui


Baigné de tristes plaintes et d'échouage aimés
Quand rêvaient les sirènes qui jamais n'auront fui !

Longeant la côte sainte que plus d'un sol enlise


Avec ses sombres bois de radeau animé
Imprégné d'aventures qui le noient à sa guise !

343
Frigides déités

Frigides déités, contractions de feu !


Car c'est bien le dormir, mouvements gracieux !
La joie des créatures restituée contemple...
Encore l'épaisse couche et de l'oeil et du sein.
(Couleur âcre d'un point vermillon ou dressé)
Alors le fruit endure ce spasme incertain.

Le lancé au bas des montagnes, le rouet


Travaillé savamment, et l'espoir propulsé
Sur les anges que le libertinage a offerts.

Pénitence des rixes par l'échancrure des eaux !


Qu'Ovide se ranime au moulage de l'âme !

Des syllabes de haine aperçues dans les sens ;


Vieillerie poétique crachée sur des mansardes ;
Le doute et l'inconnu correspondent en ce monde ;
Le carnage éprouvé, ô fontaines sanglantes ;
L'hémistiche grinceux, archaïque grandeur,
Perdu au fil des temps, tenace aventurier...

344
Des mélodies splendides, efficaces courroux,
Possédées par les mannes, et l'œuvre des notables,
Sont-ce des contenances pour telle ingratitude ?
- Des tortueuses vignes faites de tentacules.

345
Dialogue nocturne

Si je change ? Qui me fuit pour un sourire divin ?


On me frappe. Le subtil se confond sur les joues...
Suprême dédicace au parfum défendu, - l'Ange !

Habits de beauté et marches vieillissantes, Lui !


Pourquoi en son nom languir sur folies ? Ne sais.
Puis il répète : je ne suis que ce que tu es !

Étrange bête et maléfice, noble ennemi,


Tes paroles étonnent les plis de mon front. Tu ris ?
Tu sondes mon esprit pour le péché véniel...

Suppose l'innocence et descends en Moi. Quoi !


Les voix sont obscurcies pour ce regard sauvage ?
Si, tu changes. Qui te fuit pour un sourire divin ?

346
Si une brise fait

Si une brise fait bercer mes soirées atomes


Au souffle long et court des spectres effrayés,
J'aimerais comme le glas intermittent qui sonne
Sortir à quatre lieues en gestes déployés.

J'aimerais, car la source se rit des fronts d'hiver,


Puiser dans ta fraîcheur les saveurs graves et lourdes,
Et consommer l'ignoble insecte de la terre.
L'oraison du matin te rend encore plus sourde.

Mais cette voix à chaque instant pourtant exaltée


Au sourire ne saurait plus calmement répondre,
Et c'est pour une nuisance que ma chair est damnée.

Ton Dieu resplendissant en couleurs enivrantes


Ne pourrait dans le coeur de l'impossible monde
Accueillir des pensées infectes et immondes.

347
Alors tu te réveilles

Alors tu te réveilles, ô beau corps de déesse !


Tu cherches mes désirs comblés par les tourments.
La pointe de ton sein sevré de sang se dresse,
Mon admirable amie et mon sublime amant !

Si mon ventre s'éteint, j'appelle tes lueurs.


Je jouis de l'incomparable volupté
De rester en moi-même et d'être un autre ailleurs,
De créer un génie aux plaisirs insensés !

Je verrouille ta chair, la place du bonheur.


Je dors paisiblement dans le cœur des Aimées.
J'invoque ta richesse, ta sublime saveur,
Ta substance promise et ton nectar sacré !

348
Comme de longs soupirs

Comme de longs soupirs teignant mes murs obscurs


Comme par la blessure de mon râle, éperdues,
Les si troublantes sœurs, - leur joug jamais ne dure,
Prient sur l'autel rougi de sang neuf, mon salut.

A genoux, et les mains liées au bas du dos,


D'une voix languissante, insipide, elles supplient.
Elles tentent d'arracher un humide sanglot
Qui s'en va ruisseler sur la bouche qui luit.

Ho ! Que j'aime à entendre les dires du Seigneur !


Par leurs lèvres, il condamne ma domination
Et propose un rachat en quête d'un bonheur.

Moi, j'accours vers ce lieu proscrit à ma morale,


Entre deux Te Deum, entre deux tentations,
Il me semble si bon de jouir de la chorale.

349
Oserais-je répondre

Oserais-je répondre au corps licencieux


Qui cent fois en ma chair pénétrée de ses songes
Succombe à son désir toujours mystérieux ?
Il n'est point de plaisir qui ne vienne et ne plonge...

Comme des sifflements aux oreilles plaintives


Aigus, gonflés de haine en ce coeur oublié,
La vile tentation vient, somnole puis dérive
Et offre un œil hagard à mes sens exaltés !

350
Sous cette mer diffuse

Sous cette mer diffuse la tristesse se plaît


Tel le corail immense léché par les grandes eaux.
La houle décisive vers de puissants falots
Dans sa course insensée se fait puis se défait.

Elle inonde des marques confondues par l'argent,


De sinistres stigmates dans le récif houleux.
Elle soude et elle déploie sous des milliers de vents
Les carences promises à des entités bleues.

351
Jetées d'alexandrins

Minuit qui se déploie en diadèmes extrêmes...


Par ce lit nuptial et amorphes dilemmes
Comme d'un vrai malheur qui un jour échappa,
Imitant dans l'ombrage l'agile et noble pas ;
Se déplacer dans la chaleur de sa pénombre ;
Cette horloge sinistre qui donne le Moi sombre,
Qui rappelle à l'instant la nudité ombreuse,
Cette folle existence où la fougue scabreuse...
Vraie femme, admirable flamme soit sur ma Loi !

Et ces langueurs émises pour un désir qui vont,


Faire onduler le corps, sein superbe et sans foi
Amour qui pour mon oeil dressait sans passion...

La lune plus pâle encore resplendit son horreur,


Des symphonies de larmes ! Amoureuse et en pleurs,
Soumise à l'incarnat léger, ton coeur est doux !
Viens le rejoindre...

352
Éloigne-toi de l'affreux coup !
Par sa gorge, l'exploit d'un Ange, des terres aimées
Qui s'échappent, oraisons superbes et dévoilées !

Entends gémir les mots qui au coeur endurci


Ont raison des mémoires ténébreuses...

S'en suit
Un baiser obscurci. Des langueurs azurées,
Oui, telles des sentences, des nymphes admirées...
Le rayon jaune et pâle par mégarde pour Dieu
Fais scintiller le pur métal, éclair des yeux.
Ses nectars faits d'extase et de perles buvant ;
De ses jets les coulées d'un breuvage pensant
Se mêlèrent d'obscurcir les ailes d'un vengeur...
Sur son front, Temple clair, si le jour enfin pleure
Un organe inconnu accomplit ses nuisances.
Le réel oublié tel le guerrier aux lances
Mugit si fortement, le condamne et le tue !

353
Transformée sur ton cœur, cette attaque déchue
Subit la violence et reçoit le malheur !
Et toi puissante fée, sous chaque mot tu meurs !
Baigne-toi sur mon sein, condamne le pécheur !

Le vent est avivé d'immobilités faites.


Ho ! Qu'en ses jours de gloire accusés de sa fête,
Il soit en avalanches ! ... Il veut et il s'amuse,
Prosternant mon esprit en folie de ses muses !

Accomplis ce mélange, âme, soeur et grandis...


Vous, derniers soubresauts de l'être qui maudit...

La substance si pure a aimé de mon mieux


Le poète trahi, cet homme haï et pieux.

354
Ébauche d'un sort

À l'extrême d'un lieu survit un paysage.


Son pas est incliné lentement dans les eaux.
Si claire et si hâlée qu'en bordure du rivage,
La lune s'y miroite en sublimes flambeaux.
Il consume ses feux. Sa langueur infinie
Perpétuelle au rire si doux si ravageur
Condamne les rapaces et les oiseaux de nuit.

"Ô lame sourcilleuse par cet instant pensée,


Je bois le marbre plat qui te sied à merveille !
Maint diamant sur l'eau de ton orteil posé
Ne saurait vivre en moi comme le jour vermeil !

O plus pur calice, ma soumission promise !


Tes gestes ! Tes durées ! L’âme ne peut suffire
Car tes mains embrassées déjà immortalisent...
Mais je sais l'insondable. Ne vois-tu point le pire ?

355
Là, au bord de nos bouches le baiser peut couler
Si proche qu'une larme espérerait son tout.
Et serait-ce en ces nymphes que le sang affligé
Proposât des morsures autrement que divines ?

Mon esprit est sauvage et passablement flou ! ...


Des braises confondues se plongent en mes ravines
Blessant d'un art subtil tout son entendement.

L'oraison se déplie, se replie douloureuse,


Épuise ses tumultes dans le pur firmament ! ...
Je sais son désespoir et je me sens honteuse ! ...

356
De l'explosion de joie

De l'explosion de joie
Descendue de ton histoire,
Ô contractions possédées !
C'est un feu qui t'amoindrit.

Les coulures, les gaz atrophiés,


Des soulèvements, des effets.

L'ouvrage répandu aspergé de particules,


D'instincts, d'animations, de primautés
Se languit, - bave inerte.

Même de ton calme, le discernement périclite


En flottaisons diverses, éparpillées.

357
La taille que pincent

La taille que pincent


Deux ourlets divins
Semble pénitence
Aux yeux sanguins.

L'œil obscur
Ivre de visions,
Échappe à mesure
Un rouge de confusion.

D'une voix turquoise


Le jeune arlequin
Roule et se pavoise
Aux sons de ses seins.

L'honneur froissé !
Oh ! L’affreuse bourgeoise
Presse et croise ses deux mains
Et au loin disparaît !

358
Sentences

Voici les monstres affligés


De nuisances obscures
Et de graves péchés.

Voici les têtes, les membres et les jambes


Qui convoitent encore les corps étirés,
Et voici le feu superbe qui flambe
Pour l'inexorable et vile destinée !

Un pardon dans les flammes purifiées ?


Jamais ! - Que dans la soumission tremblent
Leurs organes rouges débités !

359
Car nul sans vérité

Car nul sans vérité


Ne peut sans son feu
Un instant exister.

Les esprits de puissance


Qui n'ont jamais aimé
Hurlent leur décadence !

Et l'intraitable destinée

Et l'intraitable destinée
Acclame TOUJOURS
Son Maître.

360
Je revois de mornes jets d'eau

Je revois de mornes jets d'eau accroupis dans l'ombre


d'un bassin de marbre. J'entends la chute des corps
minuscules et leur bruissement s'accoutume à ma
présence. Derrière une montagne d'herbe folle, une
ancienne raconte : "Des cygnes étranges se pâment
dans les reflets de la mare, des poissons bouche bée
à la surface cherchent l'air périssable, une petite
cascade chante un refrain - rien - le calme, l'azur,
l'immortalité du temps". Il fallait bien du courage
pour s'éloigner de cette quiétude savante. J'y ai
laissé mon enfance toute grise de rêves interdits,
morose d'espoirs qui se jouent.

Deux heures de repos. De sauvages promenades à


travers des ronces qui griffent les mollets. Des
canicules où la bouche embrassait le seul robinet
d'eau potable. Des roses dispersées finement taillées
par la main experte du jardinier, etc.

361
Une morosité avare

Une morosité avare déployée sous des silences épais et


ténébreux, et qui avance possédée par des
symptômes lugubres, qui se déploie en vulgaires
tentations ou râles.

Comme de sordides secousses égrainées dans les


plissements du temps, comme des instants de
labeurs intenses, c'est une danse, qui, tout à coup,
surgit et restitue à la faiblesse profonde le cri
déchiré de nombreux fantasmes.

Mais d'une couche mouillée où se débattaient encore des


masses visqueuses de chair, dans des sueurs lourdes
d'âcreté et de vices confondus, une existence
insipide s'élèvera, édifiera leur union.

Au plaisir rassasié, après l'heureuse cérémonie, les


anciens complices s'éloigneront dans des sommeils
différents. Et la primaire satisfaction perdue ne
restituera plus la complaisance tant espérée.

362
On se souvient des messages, des rires grinceux dans
des folles et secourables agonies, de la vengeance
bestiale, de l'orgie céleste acclamant toutes les
vétustés et les incisions de la frayeur superbe.

Mais, petit à petit, étrangers à la cause suprême dans un


renfermement immuable, le mal redouble de ses
forces, vit, renaît et encense sous de noirs péchés
toutes les confusions antérieures.

C'est la loi éternelle régit par l'ennemi redoutable, - le


temps : la monotonie remplace l'ardeur. C'est la
mort déplorable de notre détresse future. C'est le
pilier d'une société aigre qui enterre les souffrances
humaines et qui constitue ses fondements douteux.

Ménage - couple - famille, vous résonnez dans mes


oreilles comme un tambour de peau tendue, comme
un lambeau de peau tendue, et vous frappez
inlassablement nos pauvres vies avec
d'insupportables coups.

363
Piège sublime qui procrée toutes les tentations du mal, ô
faiblesse de fuite dans ses vertes pupilles, comment
ignorer votre suprême machination ?

364
Brandis le glaive

Brandis le glaive étincelant pour détruire le malheur de


ton infortuné père ! Ami, bois les paroles saintes
issues de son humble bouche et comme un feu
d'amour, va et venge celui qui te donna le jour.

L'aube resplendit déjà dans les derniers miroitements de


l'hémisphère boréal, qu'on approche ton char d'or et
d'émeraudes. Prends les rênes de tes chevaux
bondissants, et d'une course folle à travers la pâle
Lactée, rends grâce au fils de Phébus, Dieu qui
demain encore t'encensera.

365
La bête invincible

La bête invincible dans les fêtes des déchirures ; sous le


feu étouffé par des bûches de pluies, le silex de ta
carrière enjambe le glaive, mais ta forme unit la joie
au labeur ; ton silence parle aux étoiles, - il ranime
les braises de l'inquiétude ; tu démasqueras le rire
des chants et des hommes.

Vendus les superbes stigmates dans l'herbe de sa faux.


L'orage perle rouge aux jambes des saveurs.

366
Les sillons transpirent

Les sillons transpirent leur effroyable domination. Des


jeux insolites parcourent les derniers quartiers de la
ville. Tu plonges dans les ténèbres licencieuses.
Entends la musique prénuptiale en continue. Sur des
figurines à tête humaine, les plumes de l'aigle royal.
Derrière des palissades, accroupis, des tapis
d'Orient ornent un monticule de cierges. C'est vrai,
l'oreille est fine. L'enfant brame, les vieillards
hurlent. Mais tous ces bruits ne sont
qu'insignifiance car aucune note n'est applicable
dans le registre.

367
Légère par ton assentiment

Légère par ton assentiment le but reste à suspendre. Des


bruits proposés. Un sortilège dépeint notre cassure.

De viles flottaisons sur les remparts de la chance, et de


magnifiques perles scandées dans les pénombres.

Oui, les nuits ! Admirable cécité contemplatrice des


drames et de longues tragédies ! Véridiques sueurs
sous les noirâtres tentures murales !

Embellie rarissime

Embellie rarissime (- son mystère dort), c'est lui


l'ancêtre horrible aux quiproquos étranges résonnant
par la fadeur de son crime.

368
L'angoisse traîne

L'angoisse traîne sa longue gerbe de malheurs,


Fleurs de deuil posées sur de maigres tombeaux.

Les larmes tombent,


Fécondent d'autres fleurs,
D'autres larmes.

La mort danse sur de maigres tombeaux


Au plus beau jour de ton printemps.

Jeune homme, pleure la mort de tes parents.

369
Que ce ventre se blesse

Que ce ventre se blesse


Gonflé de soubresauts si pâle et noble et blanc,
Comme chez les maîtresses. Des offrandes trop douces
Parmi tes cercles graves, calmes sous d'autres fureurs !

Le blé semble plus terne, impalpable, inconnu.


Le roc tumultueux renvoie la vague plate.
Offert aux ordres mortuaires, il est stressé.
Dans les lames l'appel implore de noirs péchés.

Complaintes, effacements compris entre deux sites...

370
Mage ou mesquin

Mage ou mesquin ? Qui peut le dire ? En ces temps


reculés, hors de son appareillement, il brûla les têtes
fauves, et l'on vit à la cathédrale, les langes monter
comme par enchantement divin.

Masque ou indice ? Qui était-ce ? Qu'importe ! La


frayeur... Arrêtez ! Rejouez les cauchemars car
ceux-ci résonnent en mannes étranges. Déployez
par le rire la démangeaison sans équivoque.

Ils se taisent. Heure lourde de virulence.

Foudre, alors !

371
Brouillon I

Ainsi toujours (hymne magistral) de sombreuses a


tyrannies en moi ! (Toujours une pluie de
mensonges, toujours la haine ente les dents.) Ho !
Que je dévoile une à une les pensées équivoques,
les troubles redoutables, les souffrances subies !
Que j'aille durcissant mes forces dans le (com)bat
immoral, le combat sans défaite et sans vainqueur !
(Abjecte rancune mais réelle survivance.)

(Je [mot illisible] entre deux cachots.) Tu te romps


silencieux et les coups portés ne sont que des
leurres ! Tu projettes une image, tu obtiens le
maléfice. (Tu goûtes à la table des Anciens, mais
personne ne convoite le bien suranné.)

a mot condensé pour sombres, et nombreuses. Le choix


se fait sur sombres.

372
Brouillon II

Fuir ! Fuir ! Mais où ? Quelle destination sublime ou


quel mal nous dépècera encore ? (Quel regard qui
m'a (fait) vu naître me tendra les bras ? Douteuse
vision du passé, d'une hésitation, je féconde mon
chemin. Je suis parti ! C'était hier - une route
jonchée d'arbres immenses, de lumières fugaces
frappant le blanc de l'œil.) (Et) une mélodie étrange
d'évasion - un instant de solitude espéré depuis tant
de mois... Et puis... Et puis la chute ! (La mort dans
un gémissement, - que je compose la nuit pour
prolonger mon enterrement. Un suicide sanglant ?
Ho ! Non ! Les mains sont propres. Là est le drame
; une cérémonie peu coûteuse sans fleurs ni
couronnes. Point de prêtres - de vulgaires écritures.
Voilà tout.)

(Je crie ! Faiblesse - on reprend patience. Je titube, la


mémoire confuse ou troublée) (jonchée de livres
fort anciens.) (Déjà) ô (l')incertitude soeur de mon
enchaînement ! Quand me délivreras-tu ?

373
Pourtant dans l'Azur, le matin, je vois parfois les
premières pierres d'un Temple et je souris quand les
rayons frappent d'un éclat vermeil les plus hautes
fenêtres de la demeure.

374
Brouillons III

n'arrêtera frayeurs promises à si clair (?)


Rien les
(n'éteindra) (lueurs) émises par le son front) si clair.
Pas la moindre tempête ; pas le plus sordide
cataclysme n'épancheront de fièvres froides la
douceur de ses [mot raturé illisible] plaintes.

Il vit profond et immortel dans sa retraite, caché au fond


des bois. (Bouffées d'air et odorantes éveillent sa
quiétude.) Il dort d'un sommeil paisible et
contemple la nuit les grands champs alentours.

Encensez la sagesse de son coeur, embrassez(-le) son


calme mortuaire. Ce sont ses bouches (?) qui vous
parlent. Écoutez-le.

On se joue de lui pour un écrin de perles ? - Bath !


Personne ne (reconnaîtra) verra le diadème (de feu)
qui l'habite. [Ratures trop surchargées pour être
lues.

375
Son secret divinement gardé sera donné au maître de ses
(folies) lieux. Mais quel secret ?

Voir la page précédente.

Rien n'arrêtera les frayeurs émises.


Rien n'enchantera si clair
par (le) son front.

Il vit solitaire et immortel caché au fond des bois (où nul


souffle d'air ne dérangerait sa quiétude.) Il

376
Brouillon IV

(Des pluies s'abattent, les hommages se rangent, les


druides apparaissent dans les sous-bois, les saveurs
déformées s'entassent délibérément. (Et que) reste-t-
il à inventer ? Une morale (étrange) proscrite il y a
deux mille ans. Un long déraisonnement a de
syllabes. Voilà tout.)

(Horreur ! Le rire. Horreur ! La confrontation. Coups


portés aux féroces. Devoir où l'activité.) En un mot,
un monde transformé suivant les transcendances de
notre peuple.

a Il fallait trouver un autre mot que le "dérèglement des


sens" de Rimbaud, d'où ce barbarisme.

377
Qui use de son intelligence

Qui use de son intelligence, qui déploie toute vigueur et


dispose de l'inconnu ? Qui ?

Quel monstre, fort de la loi de nature, engendre des


monstres forts de la loi ? Quel monstre ?

Quelle puissance désireuse de s'épanouir est soumise


aux ressources impures de l'homme ? Quelle
puissance ?

Mais, d'un lieu temporel, d'une destinée avancée, toutes


les recherches explosent. Il nous faut diriger la
pensée, seul espoir de survivre.

378
Au comble de sa bouche

Au comble de sa bouche, je discernai quelques fleurs


pour la très tendre, la très exquise durée de nos deux
songes. Envolés sous l'air pur, nous partîmes en
orgasmes.

379
Je ferai crever ses boutons

Je ferai crever ses boutons empestés de jeunesse et


d'abrutissements enfantins. Je hais la faiblesse, -
elle est en moi. Je détruirai dans un déluge de
perversions, toute pureté puritaine, tout acte
moralisateur. La force du langage n'est compatible
qu'avec la force du Moi ! Je me dois de déchirer les
enveloppes successives. La puissance m'attend.
L'œuvre brilla d'une grandeur infinie.

380
Décors

Une hélice ancienne, source de bruits obscurs qui


tournoie dans les airs jusqu'à la tombée de la nuit.
Un paravent cache un tiers de l'hélice. De droite à
gauche, une lumière lancinante, mais en
mouvement perpétuel. On utilisera des ampoules
rouges ou bleues. Puis costumes ou habits
hétéroclites. Maquillage surfait voire choquant. Huit
personnages dont quatre femmes.

Un long mur tapissé de figurines étranges, symboles


d'une mythologie grecque ou phénicienne. A trois
hauteurs de plinthe, une ligne couleur argent. Sur
cette ligne, un ensemble d'objets rituels utilisés pour
l'accomplissement de l'acte sexuel. Le plafond, -
minutieusement décoré. Masques d'acier, machines
de guerre du quinzième siècle (voir les plans de
Léonard de Vinci) - un lem au centre. La partie
gauche du plafond réservée à un croquis succinct
mais fondamental : la position de la terre, des
planètes, des satellites dans le système solaire.
Enfin à droite, une œuvre picturale de Picasso.

381
Je reconnais son pas

Je reconnais son pas. C'est lui l'inquiétant personnage


toujours passant à heures fixes. Il vient. Il impose sa
présence avec un rire strident qui se répercute et fait
vibrer la chambre entière par son ampleur. Il
approche, - je sais sa présence sur le seuil de ma
porte. Il ne frappe pas. Il entre, et s'installe
confortablement dans mon meilleur fauteuil.
Machinalement, avec sa main droite il ouvre la
boîte à cigares, et s'empare prestement d'un Havane.
Après quelques bouffées épaisses, il jette un œil
furtif mais dégoûté sur ma personne. - "Je vous en
prie, asseyez-vous" , dit-il cyniquement. Je deviens
son hôte, et mon appartement devient le sien !

382
Je ne pouvais plus supporter

Je ne pouvais plus supporter l'horrible bêtise qui


envahissait jour et nuit leurs cerveaux de bœuf.
C'étaient d'interminables sottises sur des paroles
prononcées. Je désirais les tuer. Ce crime que je
considérais juste voire insignifiant croissait en moi
jusqu'aux subtils et derniers détails.

Hélas, la faiblesse de mon coeur liée à quelques


chrétiennes pensées me contraignaient à ne pas agir !
Il faut s'inventer Démon ! Alors je m'infligerai tous
les maux de la terre, je me ferai bête et je deviendrai
bête. Et demain, je pourrai jouir de leurs convulsions
macabres et de leurs rejets de sang dégoulinant sur
leurs lèvres gercées !

383
Mais vaines car ces piteuses

Mais vaines car ces piteuses œuvres sont déjà promises


à des yeux avides de connaissance, à des curiosités
malsaines, désireuses d'exploiter la grotte
merveilleuse de l'âme sublime du poète !

Des notes décortiquées pour essayer d'extraire un sens


exact, et des accords de syllabes rompues ! De
superbes alchimistes en proie à une mixture
nouvelle pour des découvertes consentantes, oui !

384
Aurore

Des murailles palpitent ; des auréoles, le matin ;


Des bruits sourds s'accouplent ;
Les transports dont le profil s'éteint.

On plaide l'hydre. Le bon augure !


Arcades, châtiments.
Leurs fêlures s'évanouissent au gré des strophes.

(Balbutie tout ton limon.)

Les nymphes entourées de fleurs nouvelles,


Couronnées d'astres mourants,
Exposent leurs joyaux éternels !

La fête disparaît, et l'univers clame son jour.

385
Jeunesse

De l'impossibilité ; le monde veille sous des effets


d'accents, certains grandissent en exploits fictifs ;
constellées de chansons, entrecroisées sous les
semences du temps, dans la brume sourcilleuse, les
rudeurs de nos corps paraissent soumises à
l'étonnement de Dieu. La jouissance passive, les
excréments du bonheur, et des fleurs exposées
rendent çà et là les exaltations purifiées.

Cette complicité heureuse près des saisons humides


répand sur l'amour de piètres envolées.

386
Premières images

Des sels d'argent ; les yeux d'enfant ;


Des gouttes enfouies dans les déserts de la mort.

Des constellations de nébuleuses


Accrochées çà et là au plafond de mes songes.
Un hiver comme une tempête de déchirures
Qui berce mon sommeil d'inquiétudes terrestres.

Des montagnes de déchets, ô palmes de ce siècle !

Le soleil caverneux gravite dans son absence ; des


drames défigurés comme une tapisserie de
mensonges. Des violences dans le cœur des jeunes
filles. Des guerriers crient l'espoir.

Mais l'espoir déchoit, l'espoir se meurt.

387
Jamais plus

Des rêveries sanguinolentes


Aux chanvres des lépreux,
Partir dans la démence
Et invoquer des Dieux ?

Jamais. De froideur en froideur,


J'ai craché sur la cupidité des râles,
Et vampant le gouffre hâlé
Des monceaux de haine
Ont transpercé l'extase.

Des vieilleries innées,


La facilité des ailes tourmentées, jamais.

L'exil comme une empreinte,


Comme le délice des feuilles tendres
S'évade dans des nuances
Et les Dieux en jouiraient.
Arômes, dédicaces, furies étranges,
Le monde s'en repaît,
J'invoque l'amertume,

388
La bêtise de la chair,
La croyance cérébrale.

Je brûle un feu grandi aux étoiles des mages.


C'est l'odeur des vengeances et de la faim pressée
Offrant à la sagesse
La pure contemplation !

Le mal déclame la caresse,


La parole viole les rutilements
Et les passions anciennes !

J'ausculte des pensées fécondes,


J'estompe des chieries diverses.

Jamais, jamais plus l'atroce mensonge


Qui sape mon ignorance ! Jamais plus
Cette folle cascade d'incendies terribles
Où rougeoie la poussière !

389
Mon cœur a pleuré ces lentes morts...
Jamais de diapasons posés
Sur les échelles perdues,
La main tremble trop, jamais !

Car des dires ont couru vers les péchés inertes.


De l'escarmouche dardée de fleurs bleuies,
La satisfaction tant éprise
S'écœure dans l'inutile.

Jamais plus cette musique sans fond


Où la vérité s'étiole de purs sangs,
Où d'autres ténébreux franchissent
Les barrières défendues.

Non, jamais plus !

390
Comme au sortir du ciel

Comme au sortir du ciel, la vague éclaboussera les


stances de l'inconnu.
L'artifice surhumain, génial, tranchera les embaumés du
jour.

Des crasses, des cruautés çà et là.


Un monde de couleurs éblouissantes !

Des chairs de femmes épanouies,


Des chevaux balayant la poussière,
Un dernier château dans les Ardennes,
Un bain de roses blanches à l'orée du matin,
Des extases dans les contours de l'amour.

L'œil perçant dans le temps se souvient-il ?-

A l'approche, des pensées fulgurantes,


Des esprits fols pour la force bénie,
Le bruissement éteint des oiseaux,
Des douceurs angevines cachant
Les pétales ornés des honneurs,

391
Des reines de plaisirs accrochées
Aux espérances de la notoriété !

Rondes étonnantes, grandioses cérémonies,


Empires délaissés, lueurs regrettées !

Des semblants de plaisirs,


La nonchalance peuplée d'orges légères,
De chastes découvertes.

Ô baisers ! ... On sentira l'écorce nouvelle ! On redira


des contes et des fables perdues. On connaîtra la
décadence sur son sein de pierre. On dormira
doucement sous le souffle de la misère.

Comme au sortir du ciel, la vague éclaboussera les


stances de l'inconnu.

L'artifice surhumain, génial tranchera les embaumés du


jour !

392
La marée

Dans les noires verdures, un esprit s'accomplit.


D'une paresse extrême, le mal est de descendre.
Dans les plis languissants, les ténèbres sont douces !
J'y ai vu miroiter mille feux féconds d'accalmie.

C'était le silence.

Quand un envieux me rappelle ma régence, ô distinct !


...
Solitude douce ! Les nefs remplissent lentement les
hôtes du savoir ! ... Éclairs de ressacs, suprême
délice, ton joug s'est imposé tel un puissant aviron
sur les trompettes d'or et sur les sèves
enchanteresses.

Et tes yeux tels des fissures de jade buvaient


d'accoutumance dans mes chastes entrailles ! ...

Sur les bords du roseau, l'âme passa. Les confrères


parlèrent. Le Saint bleui d'amour but.

393
Depuis, fins des ballades où le pipeau transparent
dévoile son métier : les laines s'entrecroisent du
duvet à la poupe.

La source plus permanente disperse ses éclairs dans ses


miroirs ondulés. Une apparence troublée comme un
long frisson, c'était hier.

Je contenais ma soif, effrayé par instants de l'ombre


fugitive. De tourbillons, l'eau neuve se modula en
d'autres renommées. Des chiens galeux entreprirent
de me haïr.

Profond dédain.

Quand un chien plus sot que les autres...


Quand un chien but de cette source - la mienne.
On chanta, on rit allègrement. Les étoiles éclairaient
mes délices.

Zones déchiquetées, arrivages hideux, je me donne à


vous !

394
Ô sels, granits de l'âme impure ! Ils vont et consomment
les derniers biens d'un repas. Qu'il aille, lui,
invincible, ignorer la détresse du temps !
O les pertes proposées aux sauvages tourments. Ô la
raison importune le long fil de la raison, et la
discorde lustrant l'arc, rappelle la discorde !

Le miroitement se perd. Les coursiers atteignent mon


rivage. Je cours sur la mer aride. J'ai couru... Ô les
vaines transhumances !

Mais la ville ? Longue ville qui redit son silence. Ma


demeure est de marbre, et ma fin m'enivre de
fraîcheur. Ma fin m'enivre de fraîcheur !

Le grand vent souffle son naufrage. La voile semble


mise. Mer perdue ! Vagues d'écumes ! Dans les
tombées de la nuit, l'autre tourbillonne...

Inquiétude passagère, golfes irradiants.

395
Douce est cette brise qui fuit le soir et va à l'abandon !
Vaste est la miséricorde ! Cette foi si forte, si grave
dans l'air vif de la mer !

Fort le mensonge, pêcheurs de perles ! Brume l'embellie !


Le feu viole les larmes de la mer ! Rivages, chaloupes :
carnages ! L'impuissance à la course. Des parures
couronnées de cercles de soufre, et des voix !Et des
voix, en ce minuit !...

Le rouge se lève, la houle dérive. La lune verte expulse


ses entrailles. Les clans des complots, les racines
spirituelles et la foudre dérivent.

Puis l'étroitesse du ciel, et des maux alourdis par des


démons féconds ! Plaintes qui brûlez les solstices, ô
paix de la quintessence et de nos râles, clamez ! ...

Cet étrange fantasme, ces lustres maudissant la pensée


divine, je poursuis au son mélodieux du vin, la
vivante.

Le temps, - impartial mais fragile, le temps dans nos

396
gourdes déployées. Le temps enfin - Homme d'une
marée dont le varech l'honore, place détruite des
derniers stigmates d'un été, le temps ranime sa
fraîcheur sur mon front irrigué.

La fontaine accablée, la fontaine accablante dans les


profondeurs de la mer. J'appelle cette suée, et ma
main ornée de pierres féeriques semble un
démantèlement à ta face promise. Et le fléau... Non
! Passe le fléau !

L'ivoire paraît plus pur... Ô les maléfices humains


comme de silencieuses plaies... Et l'automne dans sa
renversante destinée brisa le trône. Substance
douloureuse mais fadeur désirée.

Il chante à présent la distance des aiglons passagers. Les


femmes agenouillées prient la venue de l'astre
merveilleux. Lui si grand, oublie la haine.

Sur l'océan épais, l'arche fortifie sa route. Plus suprême,


peut-être que la rose de ses dix-sept ans !

397
Un semblant de doutes vocifère pour la cascade halée. Ô
nuit si douce ! Ô monotone distinct ! Mais
l'entreprise t'appelle ! ...

Parcelle du temps, infinité du regard, va.

Les voix soufflent, les mots proposent le langage des


hommes.

C'est un autre drame où volent des colombes et des


étoiles de songe. Je ne puis... des nuées de
chrysalides éloignent les trombes et les courants de
la nuit.

Solitudes dont le passage échappe à mon entourage,


j'exploite la mer et je tire la cascade. Mille oiseaux
morts y sommeillent.

... Non, j'implore ! Non, il pleure ! ...

Gouttes aux yeux des gouttes. L'effusion de sang grandit


dans un torrent de délices, serait-ce l'ivresse de son
navire ?

398
Loin de son bruissement, ô la sagesse des flots, la
languissante ! Parmi les senteurs iodées, j'ai humé
l'enchanteresse, ô Midi, ô Sirène ! Et sous sa vague
experte, j'ai su la somnolence.
Elle, promise au conquistador, sur l'autel de l'échouage.
Elle enfin, vêtue de broderies et de lingeries
passagères, - elle hurla !

Sur l'onde qui est sienne, poussé par la clémence du ciel,


le soleil fit de la veillée un vol de moissons.

Les déferlantes rafraîchissent ton souffle. Ces carrières


de sable ne cachent plus les coquillages d'une mer
rêvée.

Je plonge sous les larmes ensanglantées, et je dors


profusément à l'aube nouvelle. Et la sueur, comme
une essence divine accouple ses paraboles ! ...

399
Les calanques promises à la saveur parviennent à s'unir.
Mais quelques folles paresses s'étonnent de
l'abandon. Les femmes hurlent ! Les enfants
supplient ! Dans le ventre des abîmes, des

mugissements rappellent l'émotion et le jugement divin.

On propose l'effigie de prince, on promet d'autres


traversées, mais le coeur est de trop fatigué.

Pour de grossiers ébats, je perdis le suffrage. Un filet de


mensonges ! C'était une âme particulière constituée
de choses sacrées, assemblées et bénies.

Que la chaleur s'étire en fatigues où le mal se reconstitue !


et qu'un Dieu entende le délire de mes maux ! Je rejette
toute parade éclatante. Son carnage dans les
bruissements éteints de l'astre boréal trame pour la fille
fécondée mille mélancolies !

Mes yeux, vous vous couvrez de sels ! Ma bonté, vous


vous dispersez loin des hommes ! Je deviens le

400
cadavre de la marée. Et mon coeur, ô pauvre ami de
l'enfer !, mon coeur implore et gémit. Mon exil
bannira les soumissions, et la bouche gonflée de
paroles confuses ne parlera plus !

401
Ô distinct et pourtant

Ô distinct et pourtant plus sombre que moi-même


Qui fait de ces lueurs étrangères et que j'aime
Un feu brûlant de laves rouges et incandescentes,
Quand, ivre de sueurs en ces tombes exaltantes,
Dormiras-tu enfin à l'aube des finis ?

Quand repu de délices que parent tes furies,


La couche lourde de rêves étonnement anciens
Bercera enivrée d'un somptueux divin
Les suavités rares de tes lugubres nuits ?

Ta faiblesse fatale..

402
De qui la noire étoile

De qui la noire étoile jaillissant comme un cri


Dans les lugubres temps immenses de ma folie,
Telle filante par les cieux taverneux, et de là,
Vue furtive aux couleurs âcres de son trépas,
- Regagnant les obscurs infinis dans le ciel,
Je suis toi-même hélas ! , je m'approche de ton aile ! ...

403
Délires de la folie quand des jets sporadiques
osent se proposer à l'esprit ambulant, sans
retenue aucune

Bourrasques d'inquiétudes, résolutions innées,


C'est un fait de miracle où l'innocent se perd.
Et sa bave et sa langue cirent : discrimination !
La vue boit les ruissellements de la souffrance,
Mais son œil est tourné vers le plafond jauni.

Regard en moi caché, ô mon soulagement !


Tu ris de ta faiblesse en ce subtil moment !
L'amertume est latente, et ta voix garde en moi
Des paroles inconnues. J'adore ce profil
En son contentement. Il vient et il sommeille,
Il perce ce fragile espoir de nos désirs.
Mais qu'un doute ranime l'inconstance détestée
Et mon mal ici-bas sera de te dépeindre.

404
Sous toutes les sueurs, qu'on brûle les images !
Cette mort invincible gaspillera ma haine.
En ta noire moisson, ta demeure entrouverte
Suffira à ta miséricorde, cher délice...

Dans mes curiosités, l'instant de mes stigmates


Allège ses subtiles défaites,... je ne sais
Les perversions et les cérémonies saignantes !
Que son pardon encore huile les pensées secrètes !

405
Je les voudrais chanter

Je les voudrais chanter en ta gorge secrète,


Et sous un saint soupir disparaître à nouveau.
Pourtant l'accoutumée en nuisances bestiales
Ne sait le triste jour des langueurs incertaines.

Je la sens contre moi posée avec douceur.


Dans sa chevelure faite de profusion,
En pure création, oui je sais ma nausée.

Es-tu provocateur ? Ô le feu, Ô l'encens !


Parcourant la grotesque machinerie stupide !
Ton monde est exalté ! Et les soupirs désirent ! ...

Je me soumets à vous compagnie d'esprits fourbes,


A toi, cher serpent, penseur à purifier,
En qui tous mes exploits saluent pourtant ta force !

Mon souffle me ranime. Ô bête incendiaire !


La venue d'un humain impose un sacrifice...
Oui, nymphe chavirée, j'en oublie ton nectar,
Voyez donc les arcades ! Humez les mascarades !

406
Par ce délire, je sonde la forme antérieure.
Ravagé puis détruit, donné à la sentence,
Déjà, on se propose... Mais qui parle en mon nom ?

407
Il faudrait engendrer

Il faudrait engendrer sur les pensées superbes...


Non ! Son vice est perdu. Il est lambeaux sauvages
Et par sa solitude ardente, oubliée.. Non !

J'explose et je plonge dans de pures variables,


Parfois je gesticule ! Ô poreuse cité !
Sinueuse et aride, perpétuelle, mêlée
De saveurs et de muscs ! Mais qui en cet instant
D'un plaisir insoumis happera tous les sceaux ?
Les noires soumissions dans les vraies dédicaces
S'éloignent lentement.

Cesse, vaine rumeur !


L'excuse que tu offres, jeune homme qui va nu
Est blonde délivrance. Ô grâce vaillante,
Je vole sur mes ombres. Sagesse m'est donnée ! ...
Ton insolence et ta dévotion t'acclament.
À qui va ressembler le témoin noble et pur ?
Ces sombres existences sont baignées d'un sang neuf
Qui glorifie ta plainte.

408
D'une extrême langueur
Par ta main déposée, dans tes yeux oubliés
Je dispose pourtant de mon cher idéal,
J'impose à l'ultime multitude de changer.

409
Mensonge de désir

Mensonge de désir, ce glaive, il est aimé


Quand dans son espérance, les duretés échappent
Au monde intemporel. Les suaves envies
Ont expulsé leur mal. Douces soumissions !
Toi, tu peux t'en aller. Tu te dis poursuivi.

Si lourde de sommeil, la sève ne saura


Se proposer aux mots. Ces pâmoisons, je veux
Moi indulgent, promettre leur débâcle, et j'assure
Par l'interrogation la conquête cherchée.

En raison de ces mères, mes louanges, je réponds


Par ma voix incertaine, précaire, mon ennemie
Dont les monceaux de sang ne sauraient me suffire.

En cette bouche ouverte est modulation


Qui dicte sa valeur. Le rivage est à suivre.
Soumission esclave, oh ! Le mal de mes yeux...
Mais laisse-moi languir.

410
La faible survivance

La faible survivance respirée en nos cœurs


Comme un mal infini a possédé nos âmes.
Ce ne sont que sévices imprégnés de saveurs,
Et des lutins stériles en usurpent et se pâment.

Interdits d'amour-propre, diffusant de leurs mains


Les stigmates enfoncés jusqu'au creux de la chair,
Ils cambrent la faiblesse de mon ministre saint
Moi génie torturé, redescendu sur terre.

411
C'est pourtant dans l'aigreur

C'est pourtant dans l'aigreur qu'un complice s'épuise..


Aux barreaux de tes cils, offre au sage penseur
Le fruit de ton calice... La race dispersée,
La brise dévêtue embrasse la distance,
L'ancienne destinée..

Tout s'imprègne de joie :


De noires éclaircies sur tant de chairs brisées !
Les charmes désirés, les chastes puanteurs
Donnent des perles pures, vacillent, et vont heurtant...
Ô l'humble rareté qui va s'évanouir !

Mais l'autre plus encore agile en sa mouvance,


Va, entraîne et soulève la tardive en minuit.
Ho ! Centre présumé qui se dit plénitude !
En proie aux certitudes la vierge ensanglantée
Se repaît de ses sucs, tortueuse et se plisse.
Par sa tiédeur scabreuse, le reptile est choyé.

412
Roi ou esclave, qu'importe ! Prier et sauver !
Car hors de sa durée, il se donne à l'effort.
Mais quel amant attendre ? Le convive se pense...
Et invente pour soi un azur effleuré ! ...

413
C'est un champ de framboises

C'est un champ de framboises à la ligne subtile ;


Presque nue la danseuse se coule dans la mousse,
Et renaît de semence. Ruines tant aimées !
Candélabres tordus ! , c'est pourtant un discours
De belle modernité ! Ce feu dans les glaïeuls
Est verbe nouveau, un langage et un sceau !

Division respectée ? Sable divinisé ?


La couture de sa faille ? Interrogé l'échange,
Les torpeurs de la mort. Mobile et moins cruelle,
Est la tresse future, la gloire avec la chute
De l'envoi suspendu, l'aspirante endormie.
L'espoir accuse les privilèges, et le bourgeois...
Il dénonce l'impossible, le frêle mugissement
Des vigiles accroupis ! Si les muettes naguère
Redoutaient et tremblaient pour les lois du Seigneur,
Les Radieuses aujourd'hui portent l'huile odorante.

414
Un animal défunt puissant à l'infini
Pénètre sous les vents. Ses sourires sont mensonges.
Il escorte la flamme de son subtil tangage
Et balbutie encore sous les chaleurs du jour.

415
Pareils à d'invisibles figements

Pareils à d'invisibles figements, la discorde,


Fiel des pensées à peine mûres sur des présents,
Se déplace sur des sexes. Intelligence secrète !

La voilure des prochains adultères a promis


Une pure embellie, et des similitudes
Au risque de l'amie...

La cavalcade en rut
Se réserve d'autres maux. Des jardins suspendus
À la plaine fumante, le dessein se veut court.
Il calque la durée.

La parabole encore
Est sortie de ses sables, achevant la dernière
Maternité féconde. Que son esprit est lourd !

L'océan constellé de pierreries sublimes,


De solitudes bleues au fond de ses mirages
A pleuré tristement la nuisance des forts.

416
La lumière dans les bruissements des vertes mousses
Entend clamer la peur d'un autre renouveau.

Compagnon du silence dans les lois oubliées,


Il gémit l'étroitesse de son pauvre salut
Et le vide inconnu du destin incertain.

417
De son génie pourvu

De son génie pourvu, il subit la nuisance,


La haine d'un Dieu, puissance qui le détruit.
Il sait le maladroit langage, et l'indistinct
Désordre avec ses flèches, l'autre peau qui l'attend.

De partout la grandeur sublime le devance.


Rayonnements divins ! Mais lui oint, et de palmes...
Il ne saurait humer la douceâtre embellie.

Car son germe volé imprégné par l'amour


A trop fait de souffrir au terrestre sommeil
Et sa bouche meurtrie a roulé trop de glaires.

L'écho recomposé n'est qu'un désert sordide


Et le vagabond épouse de beaux tourments !
Sa fougue est maîtrisée. Il est un demi-dieu,
Il jette les impurs, les éléments malsains.

Et sa joie, chère amie, n'est pas même un calice.


Le calice du sein, l'amertume des cieux...
Son nom est espérance, son nom est déjà vieux...

418
Et son cœur est pareil aux cœurs qui se sont tus
Il conserve en sa chair l'exil qui est trop loin...

419
Une fougue tranquille

Une fougue tranquille et constellée d'amour.


Elle répand la complainte des extases faciles.
Dans le plus pur hasard, elle, suprême, ailée,
Sa folie est en transe ! La justice s'évade !
Sous ses feux mille savoirs vont foudroyer dès lors
Les décrets, les sentences et l'espoir des mots fins.

Pareillé de vieillesse et de plaisirs lascifs,


Je cherche dans ton corps la faiblesse et la mort.
Je jette l'âge blanc et le marbre et la pierre,
Les serments, oliviers des années de jeunesse.
Car je sais le sang fourbe, la dynastie extrême,
Où l'âme se morfond dans les cris de l'espoir,
L'exercice assidu de nos nobles tourments,
Les fleurs immortelles et les senteurs de tes seins.

Se sertir de pâleur, de noires ignominies ?


Affreux soulagement des soleils taciturnes !
Séquestrer l'embellie et le monde éveillé,
Puis subir la souffrance de cent mille ectoplasmes
Le rejet des outrances, le défi éternel ?

420
Hideux dans l'existence, déjà les chiens accourent.
Le souffle est tortueux, il sait l'ignominie.
Ô rubis de tristesse, pourquoi autant de spectres
Acclament la puissance égarée dans leurs songes ?

Ce sont des arriérés, ces tendres Mercenaires,


Sur des ondes célestes et des temples crevés.
La science a brûlé des envieux parfois.
Ô les mornes succès sur les routes glaneuses !
Dans les feux des miroirs, des lumières tremblantes
Accrochent un diadème sur l'or de ma mémoire..

Mais tout se désespère ! Sortilège de nuire !


La substance cachée, les orgasmes faciles
C'est ainsi qu'est sorti, tiré de mille grandeurs
Le plus pur des nectars par les mœurs éprouvées !

Navire, voile gonflée bandant tout son honneur,


L'ardeur prétentieuse dans les tourments du Nord
Approche du radeau, apaise l'agonie !

421
Car l'esprit des misères, ivre de sang n'est plus !
Grave dans tes pensées, la proue de l'avant-garde !
Vois les mages d'hier ! Noircis les cieux tendus !

Tonnerres, déracinés, ombres et assassins.


Je prie, vieillesse conteuse, l'acte lent des péchés.
Au plus clair de la nuit, le complot s'extasie.
Il implore la folie horrible et ténébreuse,
Il tient d'un geste grave les sentences déchues
De ses miteux poètes, mais ce sont ses amis !
De sa fougue s'extirpe l'hommage fin, subtil,
L'extraction de la langue ! Le cœur cafardeux,
Ho ! Le cœur sait hurler pour le plaisir des mots.
Il perd dans son aurore l'oiseau de sa jeunesse.
Il propose un soupir au profond de son eau.

Toute coiffée de fleurs, la chère amie provoque


L'énigme, veut sa valeur. Serpentins de femme
Sous son rutilement avec des anges honteux !

422
C'est un Midi très grâce au rythme long et court
Encombré de victimes, acte saint du complot.
Dans le plus pur des songes, tout l'azur resplendit
Et la forme et le sens trouvent enfin le repos.

Avancez fort d'un mot, embellie de nos yeux !


Je prétends ignorer cette dorure sacrée.
Mais sais-tu, ô démon, où l'âme s'est cachée ?

C'est vrai, la platitude de mes puissants troupeaux,


Source d'esprits cyniques acclamait le méfait.
C'est vrai, cette inconstance a voulu envahir
Cette immense chorale faite de jeux d'enfants.

Sous ces râles si faibles, ô Seigneur, le doit-on,


Par un regard magique ravaler cette source,
Son écume pesante et nos humbles soupirs ?

Car le vois-tu, s'agrippent les blondes dérobades


Aux pans de la vieillesse. Des ornements d'argent,
Des orgies somptueuses et des traits d'infortune !
Ce mélange est bien doux ! L'acte noble s'enfuit !

423
Des catacombes parlent de rives insensées,
Mais ce sont des carences, des plaies à tourmenter !
Elles en sont à voler aux sombres autochtones
Un bruissement de nuit, une soierie d'amour !
Belle de combattants, captive de vieux rêves,
Elle caresse l'écrit d'un rouge tamisé.
Ô les sombres pensées qui effeuillent l'écrit.
Des projections de sang ! Seigneur, tu entends ?

Si parsemé de roses, d'intrinsèques bêtises


Tirant des voiles neuves, le spectacle est blasé,
La fleur, ô Seigneur, a conquis les prunelles
Exploitant des succès, dissipant des serments !
Impitoyable soumission que tu veux !

Voltigeant à l'espace des substances inertes,


Des diphtongues, des jets et des propos putrides,
Elle monte sur les cimes étranges de l'espace !

Ô doux Dieu, quelle race dont le corps en délire


Exprime son extase dans le désert des chairs...

424
L'esprit se réjouit, enflamme ses ardeurs.
Les monceaux, les débris ! Les douceurs si passives,
Les tirades offertes, les espoirs si fertiles,
Les semelles argentées et l'or de mes mains !

Les vases, les amphores de ses deux seins tombant ?


Les forces et les rages ? Les femmes qui s'excitent ?
Cette cérémonie, fontaine de la mort,
Le vagin du devoir, jouissance indomptée...

Sentences en son pouvoir, et les chants des nuées ?


Insectes ! La folie s'empare de ses membres.
Une à une, elles éclatent, les constances du don !

Bercée de vêtements immondes, Serpentine


Conçoit l'acte maudit, change la noire face
De ce nœud sanguinaire. Tout éclaire le Coran.
Ce sont les dernières traces d'un saint chéri
Qui meublent la forte cavalcade du suc !
Les entrailles offertes expulsent leurs cadences !
Refaire tous ses oiseaux ? Vengeances de la terre !
Donner le mal au mal ? Pleurer lubriquement ?
Le doute veut choisir. Que puis-je lui répondre ?

425
L'étreinte épanouie ! La femme et son odeur !
Illuminée d'ivresse, effrayée sous sa peau,
Resplendit la sublime si prude dans mes bras ! ...

Qui viole l'éther et s'octroie un champ pur ?


Mon doute s'appauvrit. Race des invisibles,
Le don de ma splendeur écartèle le vol !
J'exulte l'arôme des ténèbres écarlates !

Ha ! Triste mort, où suis-je en ce désert sans fin ?


Elle mortelle et fine ! Je colore sa lèvre.
Fécondée de génie, elle est supérieure,
Et propose en ses rires la future oraison.

Cloison, rubis, âges de somnolence, j'extirpe


Les stigmates du cygne bleui. Je dévale
Aux sources du minuit les vallons trépassés !

Apaisée et lointaine, l'adorable feuillée


Se plaît avec son nombre ! Mais son lac ne saurait
Contenir sous sa vase ces mythes entrelacés.

426
Dans le blanc de son ciel, le reflet de la femme
Endormie s'évapore jusqu'à la brume claire !
Ô les souffles exilés ! Et la vulve et la chair
Encore s'épanouissent sous les marbres vieillis !

Des résonances claires s'endormaient sur leurs seins.


Toi profonde tendresse, toi soupir de l'exil,
Tu reposes sur moi, et tu sembles m'aimer !

Mais la chose terrible comme l'œil de Satan


Semblera plus encore cafardeuse et noircie.

Ce doute parsemé de soupçons inconnus


Offre au seuil gracieux les excès de son acte,
La hauteur excessive, et l'effroi du ciel blond.
Obsédée, prometteur, perdition, sagesse !
Le pourrais-tu répondre, saphir de mon orgasme
Toi qui te modulas aux grâces des faiblesses ?
Toi qui sus par ta vulve rythmer et saccader
L'haleine douce du regard ? Parleras-tu ?
La beauté est langage bercé de ses parfums
Secrets et savoureux. Les eaux naissent de toi.

427
Serait-ce l'ombre inerte ? La forêt obsédée
Eclaire de sa pierraille, son siècle d'épaisseur.
Elle crie ses soyeuses envies aux miracles
En subtils bruissements. Délice qui veillez,
Voyez cette chimère lourde de connaissances
Qui oublie ses désordres, qui d'un pied retenu
Léger et lumineux exalte l'excrément !

Que résonne en son âme cette féroce ivresse


Ô ma tour ! Car l'ennui vulgaire écumant
Ses ébats inconnus concevra mes travaux !

Farandole de noires, ô les chemins du jour !


Et l'enfant envolé sous mille étoiles claires
Sait soumettre la ville à son autorité !

Le troupeau ; la carcasse s'abandonne, le toit


Et le feu ; c'est la vierge qui appelle ses ponts
Ses intérieurs, ses changements au printemps.

Que le navire baigné des courants de la mer


Puisse embrassé, levé son ennui si fécond !
Que s'enfuit la Princesse à la hanche mouillée !

428
Que le souffle fatal expire sur ses voiles !
Les paresseux nuages alourdis d'invisibles
Sont des mères légères porteuses de blancheurs.

Les rythmes et les brises ; le rapace du Sud,


Vengeur de vieilleries, farouche dans sa nuit
A dominé la race des langueurs de poèmes.
Mais lui, singulier, triomphe de sa fange !
Par son venin stérile, exploité, il échappe
Au satyre, au captif ! L'extraction s'apaise
En son léger délice. Le murmure est humain ! ...

Le glas a résonné, mais sa charge est perplexe.


D'une attention extrême piquée d'une pointe,
Me naissent de sinueux accords immortels ! ...
Bercée par ses caresses, l'étoile semble rare.
Respire, le Dieu, orfèvre des pensées
Cet accident stupide dont je détruis le sens !

Mais l'honneur se refuse aux astres les plus beaux.


L'estime est un bandeau que trace mon orgueil.
Des lignes fugitives, de profondes paroles ?
Ô pesante attitude, mon sphinx est déformé !
Des vols ont soulevé les contours de sa masse.

429
La moindre inclinaison dans ses airs de pastels
Éloigne sa pensée, ses pures nudités
Ses tardives tristesses, ses plumes enchantées.

Un miroir presque fou proposant des Sylphides


Creuse dans l'innocence fragile des tombeaux
Et sous ces trous amorphes, une épée violente
S'engorge de nectar pour plaire à tous ses dieux !

Et plaintive la guerre renaît vers les aimées,


Ô batailles perdues dans le cœur des humains !

Voltige, tourbillonne dans les bras des aînés !


C'est la soumission pour le savant qui cherche ! ...
Est-ce en ces temps mauvais que toi mon cher Pinacle
Tu t'es galvanisé pour ton âme incomprise ?
Que de raisons honteuses ! Mais feignant un miracle
L'âme seule tel un peuple enivré d'esprits lents
Vers la symphonie hurle pour de pures frayeurs.

Au profond de son gouffre, pareillée de rubis


Elle, femme vicieuse du nombril à ses reins
Invisible et suave, blondeurs entrelacées...
On entend des louanges, de noires calomnies

430
De lubriques fantassins etc.

431
En ce comble profond

En ce comble profond, j'en appelle à des grâces.


Pour mon apaisement, ignorez mon exil !
Ma pure soumission s'est jetée à ta face...
Que tu veuilles engendrer sans ma voix, ce péril !
Infernale, j'étais ! Trop ignoble, je suis !
Proclame ce spectacle ô combien déroutant !

Mon désir n'était point de peindre ta pareille ! ...


Pourtant l'inquiétude, je la veux engendrer...
Mais blâmer cet enfant lui si beau et si frêle ?
Tout désespoir suprême suppose l'amitié ! ...
Mais comprendras-tu que la tâche est irréelle ?
Si ton sein est meurtri, qu'il sache ma sagesse !

A l'extrême d'un lieu survit un paysage.


Son pas est incliné lentement dans les eaux.
Si clair et si hâlé qu'en bordure du rivage
La lune s'y miroite en sublimes flambeaux.

432
Jadis oignant le bel

Jadis oignant le bel avec sépulcre bas


D'un songe que le vent par un goût animal
Achève en maintes nuits comme il poursuit ses pas ;

Si ce n'était le doute qu'insouciance avale,


Quoi ? Des formes pourtant, émulsions des rêves
Dont l'âme détourne les bruissements, achèvent
La vaine réalité entre ses murs noirs
Et contre ces fertiles, graves frayeurs, le feu
Que nul n'enfantera, le charme tant aimé
Déclameront le prix en sondant ses bévues.

II

L'entendement soucieux où calice fol à l'air


De qui bat l'éternelle, vaste profusion,
Sous les lueurs blafardes, c'est un masque de guerre
Par le brillant de l'astre qui crie à l'unisson.

433
Battre sous la patine et les danses du soir
Des masques qui selon font l'entente odieuse,
Qui conspirent en leurs têtes vers l'Ancien Devoir,
Rien, si dans cette soirée, tu ne deviens pleureuse...

Extrait

Quoi, de formes pourtant, émulsion des rêves


Dont l'âme détourne le bruissement, achèvent
La vaine réalité entre ses murs noirs !

III

O Beau des solennelles cérémonies d'été !


Sur cette bouche où brillent les humeurs délicates...
Est-ce contre le doute que cette voix conspire ?
Non ! Puisque l'âme toute vole toujours et meurt.

434
Bravoure d'une croyance

Bravoure d'une croyance, tu jettes tes falots !


Mais que puis-je inventer aux succès de l'histoire ?
Des ruines, précipices toujours offensés.
Entends le premier vol exploser au miroir !
Oui, soumis au reflet de son incertitude,
Il tire les holà de ses fraîcheurs antiques ! ...

Et les hordes fourbues ? Le pendant moribond ?


Des traces qui ondulent sur des transes d'hier...
Longtemps l'exil au point du jour fut résolu.

Encore de la nuance, - aigles, mages crispés,


Si le venin à la raison cherche à souffrir,
Deviendra-t-il le Saint sous le vent engouffré
Qui tordra le suaire de son trône accablé ?

435
Pour les douleurs extrêmes

Pour les douleurs extrêmes


Déployées sous ce joug
S'étale le diadème ! ...

Que de larmes, cette nuit !


Ô purs scintillements !
En surprises alanguies,
Je serai mécontent ! ...

Odorante saveur,
Je ne puis par ces vers
Jouir d'une faveur
Ou de subtils éclairs !

L'or brut de la beauté


M'éloigne tout à coup
De ma vaine pensée ! ...

436
Puisant d'une main vaine

Puisant d'une main vaine et lasse


La nonchalance temporelle, l'homme indécis
Lorsque l'automne enfin s'efface
Il croit oublier les saintes pierres de ses nuits.

Mais morose ou hagard, vrai homme


Qui d'un oeil tourmenté plane sur le néant
Avant qu'insouciance ne se forme
Il faudra entraîner la plume avec le vent.

Que l'impuissance cerne ton front


Une heureuse volupté accompagne tes pleurs
Homme égaré, sans cœur sans don
Tu dors triste et perdu dans cette noire demeure.

Ni distance ni règle absolue


Gravitant tel l'espoir sur ta face à aimer
Ne récolterait une mûre
Pauvre homme, homme solitaire, ta lutte est à changer.

437
Les cors sonnent

Les cors sonnent


Au creux des accords
Car l'été bourdonne.

Aux prés explosés


Pur l'éternité
Des luxes affamés.

Tu persifles encore ?
Écoute l'assemblée
Cinglant leurs huées ! ...

Bath ! Vraiment c'est terrible !


Le peuple est méchant, etc.
Est-ce ma faute à moi ?
Je te suis sans te voir.

438
Contorsion

Le diadème ancien, rutilement de deux ourses


Qu'ils persécutent la nuit
Sous l'or boréal.

Qu'un vent de poupe


Souffle dans l'ultime aigreur
Et le dernier horizon.

Enfin, des enfants teints à la blanche sauvagerie.


Ils voyagent des yeux, du cœur, de l'âme,
Lentement, précieusement,
Une harmonie de couleurs.

L'Ancêtre surnage aux places publiques.


Et dans le lit des rivières,
Il nage séchant ses pleurs
Aux coulisses de la marée.

439
Un tonnerre, les images

Un tonnerre, les images s'écroulent, la mémoire des


remarques.

Mâts, frissons, savants, abordages monstrueux, - c'est


l'enterrement qu'ils dominent, cotonneux à souhait !

On entend par-delà le cadavre, les pleureuses


désinvoltes, pétillantes de plaisir, à l'orgasme facile
- on entend.

Te décideras-tu à prôner la manière des saveurs ?

Le fou - le pauvre fou s'éloigne mains aux poches,


culbutant la jetée.

440
Des charpies ; des anges passés

Des charpies ; des anges passés qui vagabondent sur la


destinée suprême ;
Un sang comme fécondé par de puissants génies ;
Des circulations latentes entre nos rires.

La position sévit avec de faciles pertes :


Tu changeras d'expérience acide.
Nous boirons le breuvage sublime.
Nous écorcherons nos lèvres rougies de baisers.

Mai passé où mille puissances embrassèrent nos vingt


ans !
Mai, roses fanées, carences du passé !
Mai, fruits d'hier !

441
Je suis la mort

Je suis la mort pernicieuse des débauchés,


Des fantasmes, des rires.
J'invoque les Dieux qui promettant
La noirceur de mes dires,
Aiment ma superbe somptuosité
Se moquant de l'encens !

Douce veuve juvénile


Sache la grandeur de mon âme
Où le feu crevant la puissance sacrée
Me nomme déjà Maître auprès des cieux.

Sache l'extrême hauteur de mes chants


Qui m'appellent grand maître,
Qui m'appellent Géant !

Sache ! ...

442
LE GERME ET LA SEMENCE

Infinies mes ardeurs


De royales prophéties
Cet espace disgracieux
Venise
Encensée dans l'alcool
De vaines méditations
Énormes sacrifices
Prolongement
Ta main alanguie
La vieille maîtresse
Plaidoyer pour deux crânes
Si, flamboyant dans un tombeau
Soupir ancien
Cérémonial
Miroir
Du démoniaque héros
Dédiant à la plus haute voix
Hanté et songeur
Volée aux traces de l'espérance
Les contorsions du mal
443
Peines
Candides insouciances
Réminiscences et destinée
Sa grâce accoutumée
Les catacombes
Que tu proposes nue
La transparence endormie
Éloignement
Air petit
Vapeur d'une audace
Nord
Mû par les syllabes stériles
Trophée des ors
Mélodie du deuil
Ivresse citadine
Baveuses tuileries
Eau boueuse
Chanson
Je veux te dédier
Le beau langui
Par des attaches, soudés
D'un hasard naît une chair
L'ondulation déterminée

444
Un moine convoite toujours
Ils justifient vos miracles
Tout t'est radieux
Le chant médusé
Les cyclones se meurent
Dans un calme plat
J'ai grandi dans les murmures
Quand exténuée, ravagée
Cet ogre venu des profondeurs
Après avoir dépassé les frontières
Nul ne perdra les paroles
Fictif sans toutefois
Un feu où se perdent les labyrinthes
Ha ! Querelles dont on dispose
Les bourrasques incendiaient
C'étaient des crépitements
Les grossesses disloquées
Longtemps
Le massif de fleurs
Dans mon rêve épuré
Même rêverie
Offert aux rêveries
L'ange mort

445
Le stérile hiver
Immolée sur les plaies
Dans le golfe insipide
Les membres décharnés
J'ai dû aimer
La protubérance excessive
Volée aux traces de l'espérance
Hanté et songeur
Éloignée mais si proche
Ombre aux yeux
Vous ! Par la souvenance d'un dire
Comme des agissements indistincts
Ton ventre implorant
Le serpent
Ébauche d'une plainte
Et de sa grâce éprise
Oeil et regards
Ne veux-tu pas, mon âme
Sur l'onde délicate
L'insatisfaite
Même impure de tes somnolences
Sous l'effroi imposé
Alors que l'heure consume

446
Sublimes pâmoisons
Soupir marin
Frigides déités
Dialogue nocturne
Si une brise fait
Alors tu te réveilles
Comme de longs soupirs
Oserais-je répondre
Sous cette mer diffuse
Jetées d'alexandrins
Ébauche d'un sort
De l'explosion de joie
La taille que pincent
Sentences
Car nul sans vérité
Et l'intraitable destinée
Je revois de mornes jets d'eau
Une morosité avare
Brandis le glaive
La bête invincible
Les sillons transpirent
Légère par ton assentiment
Embellie rarissime

447
L'angoisse traîne
Que ce ventre se blesse
Mage ou mesquin
Brouillon I
Brouillon II
Brouillon III
Brouillon IV
Qui use de son intelligence
Au comble de sa bouche
Je ferai crever ses boutons
Décors
Je reconnais son pas
Je ne pouvais plus supporter
Mais vaines car ces piteuses
Aurore
Jeunesse
Premières images
Jamais plus
Comme au sortir du ciel
La marée
Ô distinct et pourtant
De qui la noire étoile
Délires

448
Je les voudrais chanter
Il faudrait engendrer
Mensonge de désir
La faible survivance
C'est pourtant dans l'aigreur
C'est un champ de framboises
Pareils à d'invisibles figements
De son génie pourvu
Une fougue tranquille
En ce comble profond
Jadis oignant le bel
Extrait
Bravoure d'une croyance
Pour les douleurs extrêmes
Puisant d'une main vaine
Les cors sonnent
Contorsion
Un tonnerre, les images
Des charpies ; des anges passés
Je suis la mort

449
FRANCK LOZAC'H

LE MANUSCRIT INACHEVÉ

450
OU

LES CONFESSIONS D'UN JEUNE ÉCRIVAIN

451
PRÉFACE

Voilà un bien curieux titre pour un recueil de textes ! Il


pourrait sembler énigmatique voire emprunt d'une tendance
surréaliste. Il n'en est rien du tout. L'origine de ce choix est ordinaire.
J'avais accumulé en avril - mai - juin 79 un ensemble de fragments et
de morceaux qui étaient sortis dans un désordre inimaginable.
J'ignorais ce que je pouvais bien faire de ce tas de papier mêlé et
empêtré ! Je ne parvenais pas à en tirer une sorte de canevas.
M'essayant encore à construire le recueil et ne pouvant y arriver, je
décidai de l'abandonner. J'inscrivis donc sur la chemise : manuscrit
inachevé qui est devenu Le manuscrit inachevé. Telle est l'histoire.

Je pense avoir tenté dans cet exercice d'écriture de démontrer


la réelle difficulté qu'éprouve le jeune littérateur à produire un livre
construit de manière satisfaisante. On y dénote un dialogue dans la
première partie de l'ouvrage où l'âme, la conscience, la critique et le
poète prennent tour à tour la parole. J'espère que ces interventions
seront toutefois comprises et ne sont pas interprétées comme étant une
vulgaire cacophonie.

452
La deuxième partie du recueil est plus conventionnelle. Elle
est construite avec un ensemble de textes ayant la particularité de
pouvoir être lus indépendamment.

J'avoue n'avoir que très peu retouché le manuscrit original.


J'y ai laissé parfois la gaucherie et la spontanéité si caractéristiques de
l'élan de jeunesse.

En souhaitant que l'éventuel lecteur ne m'en tiendra guère


rigueur et se laissera aller à cette agréable spéculation sur la difficulté
à devenir écrivain.

453
Quel équilibre ?

Quel équilibre ? Ces lignes dénotent ta nature. Tu as voulu un


monde à ta mesure. Tu n'étais qu'un enfant.

Les conversations pendant les longues promenades


n'existaient que dans ta tête. Ta vie, ta jeune carrière sont-elles à
résumer ? Dois-tu ajouter quelque chose ? Tu as vendu tes fantasmes.
Que reste-t-il à écrire ?

Ce style précieux, étonnant, te donne-t-il le droit au bonheur


? Ne ris pas.

Y eut-il des tentatives intimes qui purent me satisfaire


quelque journée ? Ce métier, était-il accessible à l'adolescence ?

Devons-nous grandir parmi les hommes de lettres, parrainés


des plus hauts génies, et chaque soir nous endormir désespérés ? Nous
faut-il vivre avec l'horreur de les toucher ?

Mais pourquoi rester enfermé seul des nuits entières dans


cette chambre putride ? Ta solitude, je commençais à m'y habituer,

454
moi qui travaille fort tard la nuit.

455
Je m'évangélise cyniquement

Je m'évangélise cyniquement. Tous mes préceptes m'ont


suivi. Voilà que je retombe dans mon mal. Arrête-toi là, s'il te plaît !
C'est la conscience qui parle, etc. Tu écris mal.

Las de se battre avec soi-même. La parfaite comédie de la


vie, les petits évènements, les distractions. Chacun se croit subtil. En
vérité des niais !

Écouter des chansons distrayantes, des idioties ! Je me suis


peigné, brossé les dents. La mort dans l'âme, je sais ce que je
représente. - Atroce nuit - nuit qui éclaire !

Il faut se faire comprendre. La puissance est à l'audace. Je


n'ai jamais su exploser. J'ai toujours eu à subir la passion des autres.

456
Tortures de la tête

Tortures de la tête. Ronflements incessants contre les


supports stupides de la mémoire.

J'aurais préféré peindre la lumière des poèmes à boire. Je suis


à l'agonie. Les sécheresses à des lieues du talent des écrivains !

Extraire des sucs, ma chimie ! J'étais heureux, sans plaire.


Mon public, ces murs bleus...

Pâle faiblesse. J'ai changé les batailles. J'ai porté l'habit


rouge. Je me restaure aux Dix commandements. J'ai ordonné à un vol
d'étourneaux des tourbillons d'étoiles sans opérer de fantastiques
agressions. Et pourquoi ?

457
Des pluies d'orage

Des pluies d'orage mordillent le sol, les flancs et le sable. Des


nuits s'agrippent à la lune. Les charrues libératrices murmurent dans le
chemin. Mes paroles stupides sont proférées à son oreille : obstination
tardive. Effet printanier sans embrasser celle de mon choix.

458
J'ai dénoué les cheveux d'or

J'ai dénoué les cheveux d'or. Que valsent les éclairs, les
amants, les amours !

Sinon, qu'insignifiante sa désinvolture paraisse !

Qu'il s'y plaise avec ses sermons, à l'origine de son feu !

Les images fusent, tombent, réapparaissent et se cognent,


fractions de culture.

Pour quelle intensité, lui sergent de mes songes pendant que


je travaille à nous verser davantage de femmes, invariables de chimie
dans nos bras ?

459
Pourquoi se sont-ils tus ?

Pourquoi se sont-ils tus ? L'irritation m'aurait sauvé.


Épouvantables nuits qui font l'homme ! Je n'ai jamais cru progresser.

Apprentissage scolastique. Si je suppose le manuscrit, je suis


lu par une élite. Effet nul.

460
Un ange

Un ange commet l'indigne souhait de me toucher. D'autres se


sont plu à contempler ma face virginale. Des "moi-mêmes" silencieux.
Les ai-je une seule fois compris ?

Les rires sont fourbes. J'entends des rires vicieux. Leur crime
est d'avoir usé de ma pureté.

Des prodiges stériles aux voix de marbre. Des présences.


Mais quelle comédie jouer ? Point de critiques, point de moqueries !
Pourtant quelles faiblesses ! Quel est le sens de ces visites ?

461
J'annonce

J'annonce la scientifique année, et je plonge sous l'obstacle.


Je devrais courir, voler, me battre.

Résignée, la plume est anéantie sous des milliers de lectures.


J'obtiendrai, moi l'infatigable, l'effet qu'ils doivent retenir. Croire en
soi, en Dieu. Je ne prie pas. Je fortifierais mon âme.

462
Je me couche néanmoins

Je me couche néanmoins sur des neiges brûlantes en grande


personne du premier âge.

J'ai la page à laver selon le vide, car le poème se meurt.

Une ligne préférée, c'est un pas vers toi. Pourtant la vie est
commune. C'est l'air du débarras. La génération jure qu'on m'attend.

La petite folie me tient au cœur, et la belle bête s'est vautrée


au voisinage de la raison.

Peu d'âmes pour converser ! Je sens mon dialogue s'éteindre,


mourir et renaître, - dialogue de mon choix.

Je me suis consolé, libre et serein. Essais difficiles.


L'intelligence rampait dans la fange. J'ai nié ma culture.

463
Encerclé par le poème

Encerclé par le poème, moi l'ignorant !


Feux, rayonnements d'ombres, eux !
Suis-je né d'avoir trop vécu ?

Aux portes du mystère, - les principes de la nuit -


Tout ce monde courbé, qui réfléchit ! ...

Heureux dignitaires, j'ai parlé aux pères !

464
Mes trophées

Mes trophées, mes jérémiades, ô la mystification pour des


richesses convoitées !

Crapule, tu crèves dans l'orgueil. Tu as subi des crises


puantes, des cris menteurs. Tes nullités nagent. Ce sont tes soucis.

Voici que les difficultés tombent dans tes chemises ! Pour


raisonner, lis les journaux ! La vie est d'une transparence sans esprit.

As-tu fait dire de toi : quel esprit complexé ! Arrivait le pâle


essai, et j'interrogeais mon rôle : Qui est-il ? Silencieuse nuit, nuit
lourde de travail où je ne dominais rien.

465
Mystérieux écrivain

Mystérieux écrivain sorti d'un corps d'élite. Eux autour de


l'apprenti. Groupés, écoutant les mots gonflés. Et je pense à Stéphane,
et je pense à Paul. Comblé, le fade prosateur qui composait à la limite
de son possible. Dans la maison du Pendu, je croyais entendre des
suffocations.

466
Des beautés ?

Des beautés ? Rien au passable ! De l'envie de se surpasser.


À quoi bon continuer ? Point de sueurs, des attentes seulement. L'art
s'efface au profit du succès. Quelle est ma différence ? Tu y gagneras
à être un inconnu. Tu n'intéresseras jamais personne.

Ignorer le passé, il m'indispose toujours.


Plaindre son jeune âge.
Apprendre à se contrôler.
Cracher sur les idioties enfantines.

Les mots, les carences de l'âme, à oublier. Les subtilités


incomprises, les musiques savantes, les beaux accidents, à rêver. Mes
désirs, mes mensonges, mes mystifications, que sais-je ? Je veux du
neuf.

467
La bouche collée

La bouche collée à la source d'inspiration. Seul, tout de


même, les yeux plaqués sur ces livres, sur ces feuilles blanches qu'il
faut noircir.

Prêt à céder quelques lopins de terre, à souffrir dans la


contrainte. Les concessions, les gentillesses, les sourires. Le sauvage
sortira de son trou. Lorsque le loup a faim etc.

J'ai menti de bonne foi, allègre mais besogneux.

Je me suis dégoûté avec ces phrases douteuses ! À la


recherche de nouvelles aptitudes. Lire les grands classiques, c'est se
haïr, se reprocher ses pages incertaines, Fils de chien, tu resteras
chien etc.

Et le mot insensé se charge de vibration.


La tension : je tremble de plaisir.
Une ombre tenace d'Entités pour un poème menaçant.
J'entends les âmes blanches penser : il écrit trop vite.

468
J'Illumine les impuretés. Je nage dans le détail. Ne sais où je
vais. Patience.

Nègre, cette prose est détestable. Cherche des idées à


défendre. Je t'inviterai à prolonger la fête, la nuit. Ce que tu diras
pourra te nuire. Lis bien. Engage-toi dans de nouveaux poèmes. Agis
pour scandaliser.

Aucune articulation dans ces textes. Rien n'est accouplé. Tu


te gaspilles. Sans rigueur, que comptes-tu faire ? Il faut te forger une
discipline.

469
Le poète

Le poète : Honte, frissons d'orgueil


Car dépasser les maîtres, y penser...
Retourne dans le livre du savant.
Te documenter, de vrais génies, eux !

Perte de sens, mascarade !


D'idées, de fonctions, de syntaxe !
Livre embrouillé, - manuscrit
Ou archives ? Vieilleries à restaurer !

Engagement et heures de pénitence.

470
Le bateau

Voici les grands vents de l'absence


Qui chérissent la mer !
Les plis des voiles bercées gonflent
Les doigts des marins noirs,
Et poussent les mâts et les navires qu'ils nourrissent.

La proue plonge dans l'onde amère,


Elle s'évade sur les vagues enchanteresses.

Moi, je calque la marée. De tous côtés,


Le roulis heureux coule sur la page.

Prodige de vivacité par ce stérile effet,


Souffle aussi ! Rien hormis le cri obscur.
L'effort est vain.

La critique : s'arrêter est justifié.


Saccages de l'esprit si tu te relis.
Rouge de prétention, à peine écrivain !

471
Pas de fioritures, pas de tournure de sens.
Des idées simples, des phrases courtes.

Et te plonger cette semaine dans des papiers grossiers.

Le poète : Remanier les anciens poèmes


Que je nie, que je ne relirai pas.
Étaient-ce des poèmes ? Travail de porc.
Les vers regrettés. Les pages à cacher.

Tout est à déchirer. Les débilités étranges m'ont été trois fois
refusées.

Tu fabriques de la fausse souffrance. L'épreuve


inspire-t-elle ?

Le poète : vertu de l'austère poésie, ce soir.

Où est l'art ? Nulle part. Lire les classiques, c'est se haïr.

Le poète : mes lignes illustrent dignement mes carences.

472
Ai-je été persécuté par des centaines de livres à étudier ? Je
me suis précipité. Les pièces étaient fades. Tout seul. Progrès rapides
pourtant.

Inventer ce qui plaît. Avoir des raisons de transformer le style


détester ses fautes. Seule, l'aide extérieure ! ...

Le poète : Le ciel est bleu lie-de-vin avec l'effet champêtre.


Les monceaux d'herbe se bousculent entre les rosiers du jardin. La nuit
prolonge ses fraîcheurs comme sonnent ses quatre heures.

Je transpire mes exercices de dignité sur mes pages blanches.


Espoirs distingués de me plaire ! Je me tue, m'estime, me dresse
méchamment. Je suis le bénévole qui occupe sa journée.

La bouche tournée vers les morts, j'attends que la fatigue


vienne. Je lis passif et incertain. Piteux décor que le nôtre. Très forts,
vos compatriotes qui se lèvent vers midi ! Moi, je fuis les protocoles,
les marques de gloire.

Agressif et sombre, je respire de futures transactions. La


crétine comédie des lustres et des ancêtres. Et les regards, et les

473
silences, et les fourberies ! Tous des fourbes ! Je me suis absorbé dans
d'odieux journaux, le cul en l'air face à la marquise, etc.

Le poète : Il est mon monde rempli de volupté


Où des sons étranges et volubiles montent
Vers des rais faibles de lumière
Qui sembleraient sortir de l'alcôve.

Les farces mûrissent les abcès de la sensibilité extrême.

474
Les contrôles

Les contrôles constituent les premiers pas vers une certaine


maîtrise. Apprendre consciemment. Dure école ! La grande œuvre du
génie est désespérante. Rare la satisfaction. Toujours recommencer, et
penser très haut.

Je n'en suis qu'à la rhétorique. Des fragments à inventer.


Ajouter d'autres lignes et savoir chiffrer ! Tout chiffrer ! ... Écrivain.
Se compromettre, mentir. Inspiration !

Se dégoûter, changer de méthode. Se faire sauvage. Quels


avantages à en tirer ? Ne plus savoir comment finir son paragraphe,
voilà le travail de ma vie !

Des pages bâclées. Il faudra les polir. Je suis pourtant


courageux, mais comment écrire de bons livres ? Je n'ai pas de
méthode, je n'ai aucune technique.

Qui voudrait m'apprendre ? Je travaille seul. Je n'obtiens que de


maigres résultats. Quelqu'un pour me guider, qu'il puisse me diriger !

475
Quelle cuisine insolite, pas même originale !

Et puis assez de ramasser les miettes, d'écrire des pauvretés et


des bouts de phrases sans style et sans idées !

Mes brouillons resurgissent. J'atteins un point de sensibilité


rare, une tension intérieure effroyable. Je suis pauvre ! Toujours à
m'inquiéter, à m'importuner avec des engagements grotesques qui
servent de nourritures à mes morceaux pourris.

476
Tout balance

Tout balance entre plusieurs histoires de ma vie, refaites cent


fois y ajoutant des scènes incontrôlées, évoluant autour de
personnages qui sortaient de l'ombre : comédie.

Insuffle la vie à des personnages célèbres. Habile metteur en


scène, apprends à les bien diriger. Acteur principal, sache t'octroyer le
rôle du héros.

Elles étaient ridicules, ces inventions ! Je n'ai pas pu me


contrôler. Je n'ai pas voulu raisonner. (Après un léger blanc,
reproduire par son contraire !) J'ai souffert, crachant dans la douleur.

477
L'infusion dans les veines

L'infusion dans les veines. Le sang coule à grands sanglots. Ô


le liquide aimé que je tire !

Ce passage est idiot ! Il faut le rayer !

Les ratures garnissent les feuillets ! Raturer, n'est-ce point la


preuve de l'écriture ? Je lui préfère les chiffres ! Non, j'apprécie plus
encore la composition. Ô l'équilibre de tous les composants, surtout en
parité. Avec l'emplacement en prime !

Je contrôle les étapes vers la maturité. J'adapte les sons, ou


j'appelle les sonorités à venir s'écouter. Les jeux de l'enfance, les cris
de la libération. Joies banales de la jeunesse. La musique et les
silences. Les inventions. Et je veux appliquer les dernières trouvailles
de la journée.

478
Je m'use

Je m'use en différentes études, - mes linges sales. Mon style


mauvais, mes expressions vulgaires - à la porte. Ce sont tes heures de
bonté, misérable !

Maître, apprécie, je te lis. Je rêve de te claquer. Quant à y


croire, mieux vaut reconnaître... J'ai changé. Comment t'y es-tu pris ?
Le métier d'écrivain que tu possèdes demande des efforts... Nous
devons exploiter la critique comme si des règles régissaient les
mécanismes de l'art.

Je suis écœuré par ta technique. Joli moulin à paroles, je te lis


pour me roder.
Tacite, j'écrivais. Quand ? La nuit.

J'ai pressuré les phrases, craignant de ne savoir les écrire.


Croquer le verbe me semble souvent facile. Je préfère toutefois utiliser
le présent.

479
Là je sais où je m'engage...

Là je sais où je m'engage... Aucune syntaxe, le style n'est pas


assuré. Des formes douteuses. On se modifie. Je déshabille les
phrases. Quelle chimie incompréhensible et inviolable maintenant ! Le
rêve de l'argent n'est plus à espérer.

Le poète : Les splendides cultures pour un rêve éclos,


Il n'y croit plus. Les sacrements de l'été
Comme des lendemains chanteurs. L'heure
Épouserait-elle les retards de l'adolescence ?

La mort prochaine du père aimé,


Avec les chaleurs rouges.
Les fiançailles multicolores
Dans un décor champêtre,
Elle m'est désignée.
L'insignifiance cette écriture.
Les esprits dirigent mon âme.
On m'a volé dans de faux mystères
Si bien que Dieu ne me parle plus.
L'angoisse sonne son plein.

480
Les femmes de l'amour, l'élixir de ma vie ?
Elles ont pleuré de désespoir !
Mon or brille pour les droits à venir ?
La récompense de l'avare au labeur !

Oh ! Le tabac de mes narines s'est retiré !


Scandale, mon ventre grince.
Que la gorge soutienne l'effort demandé !

L'intelligence et sa fécondité :
Les bruits bourdonnent mes oreilles
Et jamais plus ne voudront me quitter.
Le malheur m'interdit de lire.
Ma concentration est nulle.
Impossible.

Des ailes blanches sur mon col :


Ils sont ma souffrance,
Le rite de la tromperie,
Et du sarcasme
Pour venger, pour excéder
Mon ignorance. Et les mascarades
De l'hiver. Leur supplice

481
Soutire la misère aux projets.

Le bonheur ici, ailleurs et en plus,


Quelque part, autre part,
Il n'existe plus.

Des lignes, des courbes et des méandres,


Va le chercher.
Il n'existe plus.

482
La destruction des mondes

La destruction des mondes, étaient-ce des pyramides


inutiles ? De grands bouleversements achèvent les élans insouciants,
les rythmes, les départs etc.

Tout a fui, tel un bon tour que m'avait joué le destin. Je


possédais l'instrument, le rêve qui permettait de s'exprimer. De la
musique sans travail réel. J'étais un spécialiste de l'absurde et du piètre
sens !

Tout a changé. Je détruis le mal qui a été subi. Je me lance


dans l'étude austère.

483
Grandirai-je ?

Grandirai-je ? Ô souffle magique, tout disparaît. Revivre


l'acte créateur... Je me soulève. L'enfant se fait homme. Je suis prêt à
mentir pour un nouveau coup du destin, pour un monde qui ne
m'échapperait pas, cette fois-ci.

Apprendre à composer ! Mais ce travail est avant tout


mécanique ! Oh ! Le choix des éléments pour construire ma phrase !
Suis-je du sang ? Je puis couvrir de lignes stupides les pages
examinées...

Mais ils se moquent de tes déguisements. Quel esprit


précieux et ridicule !

L'albatros s'éloigne dans les profondeurs de son amour-


propre ! Il se vide de sa sensibilité créatrice. En lui, naîtront les rêves
insoumis. Et les tensions unies dans le Grand Livre revêtiront toutes
les espérances ! Blessé dans ses recherches, il attend. Dramatiques les
fureurs brillent de le voir se lever. Lui, seul est perdu. Libre de
voyager en son âme, il attend. Entouré de ses poèmes, dans quel
monde s'enfuira-t-il ?

484
Regagne ta garnison

Regagne ta garnison. L'instinct animalier s'empare à nouveau


de mon corps. Rien, tu n'es rien. Qui va t'engager ? Les champs de
manœuvre. Je voudrais t'y voir le fusil en joue, toi qui trembles.
Travaille tous les soirs jusqu'à ce qu'on te chasse de partout.

Retrouver son origine. Ramper dans la terre. Tu y es habitué,


vulgaire vermisseau. L'uniforme à repasser, les chaussures à faire
briller, le respect du sergent, - au moins, eux t'engageraient pour de
l'argent !

485
Des évaluations

Des évaluations incertaines qui néanmoins m'assument la


place de choix parmi les morts. Je suis content de le rester.

Transperce les murs, et explose d'un rire jeune et effronté.


Les débilités du Prince, - je me concède cette appellation -, filent dans
la panse joufflue de mon dictionnaire de rimes.

Au pas du fantassin, je rature tout en pensant au sublime. Je


suis encore levain, et la roue tourne. Je suis fort. Sortez.

Ma grande révérence à la pucelle dévergondée pour son joli


succès. Moi, je révise l'effet ponctuel de mes ondes superflues.

Les bagarres violettes dans des champs d'escrimes, les


infusions dorées avec des yeux verts sous les gencives grises.

486
Cette feuille à noircir

Cette feuille à noircir, c'est pour qui ? Espoirs et progrès.


Quelle affreuse méthode de travail ! J'ai tout à regretter. Les pages à
graisser. Mais ne faut-il pas me former ? Recolmater tous ces poèmes
pour se faire refuser. Ma raison et ma rage sont en enfer. Je suis à la
merci de ma courte mémoire, je n'obéis qu'à ces tristes mensonges.

Qui compose les masses de cet essai ? Reprendre avec lenteur


les suicides et les poèmes écrasés par les guerres et le temps !
Moralité : encore deux heures perdues !

487
Vie d'artiste

Vie d'artiste. Lettré tenant dans la main droite un casse-


croûte, dans l'autre main une stupide revue. Pas d'éclosion de jeunes
talents ou de génies. Des bohémiens opportunistes attendant leur tour.

La confrérie. Ils sont au moins quatre.


Ils chuchotent des paroles.
Un mot pour mon travail,
Et je déclenche les harmonies.

Faire de l'intelligence pour éclairer


Ceux qui m'estiment.

Très juste, mais qui sont-ils ?

488
Incohérence

Des bruits crissants répercutés sur le sol s'imposaient. Je


prétends que l'effet ressenti - échouage et marée - était ma paix.
Pénuries d'ombre qui au gré du jour déplaisaient à ma foi canonique.

Même les esprits droits sont des musiciens. Leur crainte de


rengaine les libère. Ils modifient leurs excentricités. Bénévole action
qui m'éclaire !

La grande fille blonde baignée dans sa jupe longue, et dans sa


course elle sourit d'aise.

Si j'attends de pousser le libérateur Hourra, la folie


deviendra-t-elle mon sentiment ?

489
La parole lisse

La parole lisse, effleurée se soulève et se brise. Là-bas des


sons répondent à la bouche ouverte. L'image se déroule dans la
cadence. Les jolies découvertes plaisent. Tous semblent rire. Certains
se voient acteurs, exploitant les nues de la femme.

Parfois elle se plaît à élucider l'idée pensée par jeu. Les


mouvements de l'âme soulèvent de vives protestations dans la salle.

A quelque distance, néanmoins il suffit qu'elle en conçoive


l'origine comme point de non-retour, et l'effet se décharge.

490
Les danses scandinaves

Les danses scandinaves m'ont poussé à agir sous le couvercle


de la folie, et j'ai rêvé aux millions d'équinoxes.

J'échappais aux potences, au soldat, au lacet etc. Je voulais


vivre contre ma volonté, pour mon harmonie. Je me comprenais.

Des essais, de la diversité. Si le charbon n'est pas un diamant,


à qui s'en prendre ?

J'ai dénoué la corde. S'échappaient les idées. Jeu de patience.


Celle qui était détendue. Simagrées du martyrisé. Moi, à genoux.

491
Le livre

Le livre décrit avec les cendres de la veillée le paysage


stupide.

Une semaine encore comme si je me promettais le sourire


d'un frère. Personne à entendre. Oui, j'irai.

Le journal. Le monde m'est élu. C'est l'évidence.

Une paire de ciseaux... Il faut savoir exploiter ses idées. Deux


tubes de colle. Je commence à rédiger mon poème.

492
Ceux qui crient

Ceux qui crient. Mes vengeurs dans la sauvage course


tiennent propos à calomnie. Signe noir du brouhaha sec. Il pleut de
l'expertise négroïde dans mes tympans. Trivialités nées.

J'ai soumis des esclaves à danser des mises à mort. L'odeur de


fourmi emplit encore mes narines.

Bon sens de monde pensif. Couleurs à toucher par la femme.


J'ai retrouvé la trace de mes orgies cette nuit. Excréments et urine.
Sexualité et lèvres roses.

Stupidité, innocence de tout débutant ! La fierté lamentable.


Comment vivre de composition ?

J'ai dirigé une mise en scène déplorable mêlant un homme


riche à des poètes perdus. La contribution passive des écrivains, une
symbolique.

À la naissance, des moissons d'orge baptisées poèmes.


Paysan, qui es-tu dans ta vie ?

493
Je dois encore m'abrutir

Je dois encore m'abrutir avec des imbécillités. Pourtant j'y


trouve mon plaisir. Les malfaçons, les contresens ne sont que les
reflets de ta personnalité. Bêtise et nihilisme ressentis par l'état de
vivre. Je féconde sans penser. Réflexe majeur uni à ma puberté
éternelle. Le monde me suit. Mes estimations sont raisonnées.

Si la pierre se fait marbre, le marbre, cathédrale, - je n'aurais


pas à en rougir. J'avais l'idée. Elle s'est enfuie. Je renonce à sourire.

Le départ racontait le poème, les offres, les transactions. Je


bats de l'air. Fluide qui glisse de mes mains ; Les chemins de demain,
expériences pour lesquelles j'amasse les notes.

Coups de poings, de tonnerre. Hurlez mes douleurs ! Plafond


de ma vengeance. Rien au terrible. Point d'excès.

494
Rêves, absurdités, mensonges !

Rêves, absurdités, mensonges ! Et je ris de l'ensemble


incohérent !

L'idiote parodie se moque de soi-même ! Il suffit d'un


contrôle, et s'écroule l'échafaudage. La tension de l'âme est à
l'extrême. Tout à l'extravagance, au fantasme pubère et juvénile.

J'ai essayé d'éloigner ma poésie de sa torpeur habituelle. Me


relisant, je constate la monstruosité de mon échec.

Le frisson d'orgueil ? Guère de crainte ! Il ne se passe rien.


Tu es toujours maudit. Tendre ta poésie vers des ordres nouveaux !
Sentir l'âme possédée par des festins nouveaux !

495
Incapable d'assumer ma tâche

Incapable d'assumer ma tâche, je sens que vieillir est mon


unique but. Si l'espoir a fauté, me conduira-t-il à l'âge d'homme ?
Vainqueur, équilibré ? Aurai-je réussi à sortir de la nuit sans excès,
sans témoins ?

La musique n'épouse plus les ondulations de la phrase. Maux


de tête à l'idée de travailler les anciens manuscrits. J'augmenterai petit
à petit les doses de souffrance. Je n'écris que le nécessaire. Des
phrases simples et correctes.

Comptes-tu rattraper ces lignes perdues ?


Enfant conseillé par des experts, était-ce ? ...

496
La montre plate

La montre plate à cadran, d'aiguilles avance de quarante


années. Jamais ne ralentit sa trotteuse. Mais ce qu'elle ignore, c'est
qu'elle indique l'heure voulue par l'ensemble de la communauté.

J'ai fixé le calendrier de la Grande Horloge, et telle sonnera


mon heure. J'ai vécu un siècle, une heure, une seconde. J'ai renfermé
le temps en mon cœur.

Je nage dans l'innocence comme l'hémistiche est vomi à la


minute, (- en cent secondes ?), comme je suis incapable de contrôler
mon âme.

Mais penser n'est pas écrire. Se dominer n'est pas réussir.

497
Vision divine

En guise de croyance, une force à adorer.


L'être de Lumière qui ordonne.
Le flux de l'amour et le tourbillon lumineux
Immuables dans toute leur sérénité.
Vif et semble renaître à chaque instant,
L’Être s'éclaire de ses pensées.

Les ondes soufflées de vie à ma face.


Vent de joie inépuisable qui s'accélère.
Parfaite éternité, souveraineté divine.

Le raisonnement vif comme l'éclair :


Les images de mon enfance filent, sont lues.
Étapes de mon enfance. Procès libérateur.

Dieu : "Retourne d'où tu t'en viens."


Le passage dans le tunnel étroit. Retour.
L'immense faiblesse à réintégrer son corps.

498
Pensées brutes

J'échappais donc à l'ordre,


Je rentrais dans le rang de la musique.

Aucune phrase ne m'a plu, n'a été retenue.

Je reçois la lumière. L'intervention est divine.


Les volumes à expliquer.
La divinité à démontrer dans le Grand Livre.

Et sans quitter sa chambre, en sauvage d'exception.

Ô le rêve d'ivoire !
Ai-je envie de travailler ?
Grand besoin de sommeil !

Ô sommeil, sois mon guide !


Tu me serviras. Se reposer.

Des rythmes nouveaux, des doses d'intelligence,


D'insouciance.

499
L'ivresse, l'inexpertise, la bêtise.

Du jeune âge. Des Dieux sont venus.


Du plus petit. Tu devras de justifier.

Évasion. Je me suis mal exploité.


Je me suis soumis à l'ordre.
Je poursuivais des traces.
L'immense reconnaissance.

Le public de fantômes s'inquiétant


De mes affaires, scellé à mon dos.
Le monde parle. Tu te ris des autres !
Très fier avec tes tours !
Je déteste les voisins.

Maniaque de la pureté,
Je déchiffrais les roses particulières.

Transformer les méthodes, savoir se dominer,


Besoin de changer de cours.

500
Salutations, louanges

Salutations, louanges,
Que puis-je m'adresser ?

Tant que l'attente me tient,


J'obtiendrai la liberté.

Tu m'habites en cette heure,


Nourrie de ton amertume ! ...

La vérité avec ses purs mots,


Les recherches à oublier,
La voie à m'indiquer :

Or, ange, plaisirs !


La fleur soupirée se meurt,
Et les danses se muent dans la douceur,
Les grâces s'élèvent dès lors ! ...

L’effet spécial sur l’harmonie du dessus


Sur l'harmonie du dessus.
Je résiste aux origines qui m'appellent.

501
La feuille noircie m'épouse.

J'ai la clé de l'ancienne Cité,


J'annule la forme pourtant.

Je me sens vidé !
Vidé à l'extrême !

502
Mes habitudes

Mes habitudes ont sacré mon absence :


Je vis seul près du Saint Livre.
Tant que sortir sera mon audace,
Jamais je ne serai audacieux.

Je grandis dans la souffrance


De nombreux esprits.
Ils veulent guider mes pas,
Offense !
Mais leur raison jamais ne s'exprime.
Pas de bonheur en plus !

Aux fêtes de l'amour,


Je règle mon exploit.
Non à la fureur.
Mon grand penchant est digne :
Éloge de la décadence !

Jouir n'est pas aimer.


Un règne de luxure à entretenir.
Les confessions hâtives

503
Sur les oreillers crémeux.
Que je rejette la chair
En ces temps d'hier !

504
Assez

Assez de la culture chrétienne ! Je me défends néanmoins de


désobéir à Dieu. Je serai le sauvage, l'homme primitif contemplant son
âme.

Quels confrères ? Je me détacherai petit à petit de mes


plantureux poèmes.

Ô l'harmonie ténébreuse souffle en moi !

Mes origines me rappellent au combat. Je me battrai pour


moi-même. Je m'élirai à tout coup. Assez chanté, trop peu vendu !

J'ai ce broussailleux jardin à travailler. Qui t'oblige à


travailler ?

505
J'ai voulu toucher son corps

J'ai voulu toucher son corps, et elle a disparu. Elle n'existait


pas. Elle se meurt avant d'exister, ma poésie, car elle n'a aucun sens.

Toutes les querelles sont fraîchement débattues. La solidité


des liens pour une logique écrasante, je l'ai quittée car tout était
réellement absurde.

Les banalités interceptées par cette fange du cerveau


inhalaient les fantasmes dépeints dans l'intimité etc.

C'est encore de la fraude, un élan mystique, ou l'effet


boomerang.

Je crois encore à l'accord nouveau, à la musique différente.


Les grandes vérités resteront cachées. Les explorations et les
conclusions hâtives, des niaiseries que le bon sens éloigne !

Ceci ne demande aucune explication. Pourtant on ne peut rien


y débrouiller. Quelques partisans acharnés y dégoteront d'archaïques
teneurs. Et cela m'amuse déjà beaucoup.

506
Je suis la Félicité (I)

Je suis la Félicité, et je t'annonce de grands changements pour


demain. Tu as d'abord défait toutes les acrobaties, les tangages de la
cervelle, et vrai ils ont existé.

Les recherches étaient donc à l'intérieur de l'homme. C'est


l'idée, la seule trajectoire pour une aventure réalisable. Le reste est
mesquin.. C'est un toi-même à développer et à chérir. L'enfant de
l'impossible et les écrits et les découvertes ne formeront qu'un moule.

Le banal et les autres et l'amour : assez ! Moi ! Moi seul


contre cent mille fronts dans les déserts, les métropoles. (Je serai un
inconnu). Contre tous, glacé et fécond, - les puanteurs de nos
distances !

Assez de salutations et des blêmes sourires pour les


voisinages. (Je serai un solitaire), et mon grand plaisir sera pour
l'émotion. On dégustera les heures glorieuses sans hommes, sans
raison. Je serai libre de croire en Dieu, et je lui parlerai.

507
Des images

Des images foncées comme des estampes d'une autre époque


qui se laissent regarder insensibles au plaisir et à l'amour. Des jeunes
années perdues dans le charme de l'enfance douloureuse. Puis les
adversaires criards, des tapageurs sans considération aucune,
véritables tueurs, âmes de mauvaise foi.

Les types de critique se succèdent, caractère européen,


différentes conceptions, courants de pensées diverses etc. Les uns
enchantés parlent de prouesses et de génies. D'autres inquiets pour la
bonne marche de la raison, hurlant au scandale, brûlent les notes d'un
pestiféré ou d'un mystificateur.

L'heure juste est en moi. Oui, des créations superbes et


bizarres, mais des faiblesses indéniables. Ô le lourd fardeau de
l'enfance féconde !

508
Je suis la Félicité (II)

Je suis la Félicité, et je t'annonce de grands changements pour


demain. Tu as d'abord défait toutes les acrobaties, les tangages de la
cervelle, (et vrai, ils ont existé). Pour le monde spécial, tu as vanté la
puissance de l'argent (là, tu as menti).

Tout était inventé. Les recherches étaient donc à l'intérieur de


l'homme. C'est l'idée, la seule trajectoire pour une aventure réalisable.
Un toi-même à développer, à chérir. L'enfant de l'impossible, les
écrits, les découvertes ne feront qu'un.

Le banal, les autres, l'amour : assez ! Moi. Moi seul contre


cent mille fronts dans les solitudes, dans les cités (Je serai un
inconnu). Mon grand plaisir sera pour l'émotion. Et l'on dégustera les
heures glorieuses sans homme et sans raison.

509
J'ai récupéré

J'ai récupéré les perversions scolastiques des ancêtres. En


posant le doigt sur les masses de lectures, je recrée ma logique
mercenaire liée à ma frustration bucolique.

Des plongeons énormes dans les ventres de la chimie, des


préceptes souvent incompris de philosophie très ancienne.

La mathématique primaire est résolue, j'embrasse les thèmes


divers des assemblées fermées. Docteur, je dicte mes résolutions
passives.

Là, ce sont d'énormes phallus magnifiques et autoritaires,


dernière phase d'une sexualité latente.

Plus loin, l'Annonciation de Léonard me jette dans


l'étonnement et la satisfaction.

En effet, je tremble et je trépigne d'admiration. Rien


d'explicable. - Vertige puis explosions. Un non-sens, n'est-ce pas ?

510
La fausse connaissance divine et universelle en moi, le détail
déplorable, ce faux-semblant de culture, plusieurs s'y laisseraient
prendre ?

Quant à la politique sombre et taciturne, elle gît à l'état de


larve crépusculaire.

Mes ressemblances, ma pluralité indiquent une âme de


vainqueur. Le druide des raisons est prêt à tout recommencer.

L'imitation est besoin du pauvre. Ma fortune est déjà faite.

Aucun doute, jamais je ne serai écartelé. Cette vie, ma


dernière, sera riche et illuminée.

Je retournerai dans les légèretés du monde neuf ! La


civilisation est répugnante et le trajet littéraire éternel : les imbéciles
sont à endiabler.

Mais il faut rire de sa fixation. Et tout est à recommencer.

511
Nuremberg

C'est dans la cité choisie, Nuremberg, peut-être qu'il a vécu et


qu'il a mû. La souveraineté était sur son sein. Avide, il se confessait :
"Plus d'accord pour les espèces mélangées, plus de discours, plus de
processions. Les étincelles et les feux seront intérieurs. Les peines
rougissent. Mais quelles que soient les origines, mes vents
tourbillonnent".

Dürer s’évangélise comme sa nature était vierge ! L'indigène


aux mains sales boit le lait de la chance ! Son départ est proche, il se
soumet aux exigences ! Qu'il prenne tous les visages voulus car de ses
solitudes renaîtront les fraternités ! Des fatalités et de glorieux
combats, puis le risque de perdre ses bonheurs ! ...
Mais toi tu as déjà éternisé ta place ! Tu as vendu des soleils
sans transparence, sans fierté : une vaste tromperie ! Les terres de cet
empire jamais ne seront fécondées. Agaceries, mystifications et
pauvretés. L'homme est noir, l'homme est vide de sens, l'homme est
inutile.

Ne jamais plus accommoder les pulsions, les bizarreries


équivoques. Ceci est de trop.

512
À présent

À présent toutes tes semences sont trompeuses. Le goût


fécondé t'a quitté. Ne reste qu'une quantité insignifiante de
dépravations et de pleurs et de bagnes. La progression était trop
rapide, dangereuse. Tout est ruiné en toi. Pourquoi avoir voulu
s'aventurer dans une telle duperie ? L'innocence ! Les échecs !

Des courses à perdre haleine. Ho ! Le bon sens ne m'a jamais


habité. Diplômé de l'inconscient tu seras le maître d’œuvre des
docteurs, des pages analysées au microscope. Les génies sont tous de
grands malades, même ceux qui ouvrent les portes de leur néant.
Démarche d'un imbécile, et bravos !

513
Et j'imite

Et j'imite...

Ô Seigneur, j'ai trouvé ma fixation. Elle me hantait jusqu'en


Enfer. Vrai, Seigneur, débuts très difficiles, retard extrême : j'ai volé.
Je me suis puni. C'est le principe de l'imbécillité. J'en suis l'inventeur.
J'ai couru, que dis-je, j'ai brûlé dans les flammes maudites, le feu et sa
justice. Ô Seigneur, la punition reprend son souffle.

514
Des morceaux de sueurs

Des morceaux de sueurs accolés les uns aux autres sans que
l'auteur jamais ne s'y retrouve. Des pertes d'insouciance comme trois
notes échappées d'un violon qui déclencherait de nouvelles harmonies,
des cauchemars verbaux à peine tolérables pour l'écrivain.

- Tu vas trop vite. Prends ton temps. Qui t'attend ? Personne


ne te regarde. Polir et repolir. Extirper ce qu'il y a de meilleur. Des
années peut-être ! Du temps pour le sortir ce quelque chose de correct
ou de superbe !

515
Tous ces détritus

Tous ces détritus, on ne sait quoi en faire. Souvent, je les ai


expédiés. Ils me furent rendus comme du papier etc. Qui avait raison ?
Qui avait tort ? Je ne pourrais le dire. J'aurai un peu grossi. Sachez que
jamais je ne pleure, mais toutes les peines en plein front, les peines,...

Le bonheur eut été le voyage à l'intérieur de l'homme. La voie


cherchée est peu sûre. Il y a cent mille façons d'y arriver. Moi, je me
suis trompé. Il reste un métier, mais c'est sans importance.

Me suis-je compris une fois, une seule ? Je parle du destin, de


la fatalité. J'ai oublié la réponse.

Tu seras le gardien du troupeau, criait-elle. Je me suis donc


fait porcher ! Quelle nourriture ! Des porcs, que pouvaient-ils
comprendre ? Il fallait quitter cette existence.

J'ai aimé les obligations, j'aurais aimé les vendre. L'argent est
un bien utile. On ne regarde pas la vérité avec des lunettes noires. La
poésie est le vœu du solitaire. Seul, puis-je me comprendre ? C'est du
vice. Non, c'est ta vie.

516
Je me reprocherai toujours

Je me reprocherai toujours d'être seul, sans amitiés littéraires


pour me donner de bons conseils. Je dois retrouver les gestes de
l'écrivain, les méthodes de travail. Ces graves erreurs dans mes écrits
sont une perte de temps détestable. Je n'ai pas de discipline. Je
commence un texte qui ne sera jamais achevé. Erreurs de débutant.

517
Tant de peines

Tant de peines éclatent en plein front


Qui murmure les douleurs et les souffrances ;
L'agneau pur, les cohortes d'esprits
Font saigner ton image
Avec des rires de toute beauté.

En tout lieu, la promiscuité des anges


Et l'âme traversée et bue
- Luttes éternelles - semblent exister
Contre ton propre langage.

Des graines de cultures et des infortunes,


- Mélange -
Où s'amenuisent les distinctions de la forme ?

518
Il disait

Il disait : "Jamais tu n'auras la patience. Ton monde trop petit


à exploiter est ennuyeux. Les lignes accumulées noircissent des pages.
Pourquoi ne te relis-tu pas ? Sans complexe, tu avales les mots en leur
donnant des significations étranges. Et toi seul peux en interpréter le
sens. C'est un trop plein de ta cervelle que tu jettes sur la feuille
blanche. Les idées s'accumulent.

L'Art n'est jamais rentré en toi. De vagues notions, et encore


de la poésie primaire ! Tout ce qui est inconscient, vicieux et bête est
exprimé. La réflexion est nécessaire.
Toi, tu as toujours écrit avec deux mamelles pendantes.
Aucun surpassement, rien à l'original. Que voulais-tu donc prouver ?
Qu'est-ce que cela voulait dire ?"

Que pouvais-je reprocher à cette méthode ? Le désespoir et la


conquête de l'irrationnel ? Je ne suis sur de rien. Ai-je trouvé une autre
formule ?

519
Je t'apporte le cri

Je t'apporte le cri de ma nuit consumée


Qui fuyait à travers des masses d'amertume ;
Si ce n'était l'ennui terrible et angoissé
Trébuchant et geignant dans des frissons de brume,

Qui donc désespéré, tremblant de tous ses membres


Sous les premières aurores par un soleil caché
Désirait s'arrêter mais poussait vers novembre
Poussait l'attente obscure pour ne plus l'oublier ?

520
Si j'ai un jour

Si j'ai un jour quelque mémoire pour accéder aux marches les


plus hautes, je voudrais qu'elle gardât sa grâce et sa beauté.

Tant que dans ses yeux ne jaillira pas le sang des révoltes
anciennes, et que ses plaintes n'atteindront pas nos prières, l'espoir
résistera aux insuffisances de la vie.

Grand est son amour dépourvu de raison, et sa fidèle


tendresse me bercera encore.

J'ai rêvé d'elle l'année écoulée, retenant mon malheur avec


des images profondes. Puis conquérant, je l'ai bannie et oubliée.

Femme qui danses et chantes, applaudie de tous, je n'ai que


les murs gris de ma chambrée. J'attends le pitoyable commerce quand
mère et comparse, tu me donneras à voir l'enfant.
Des traces indélébiles tacheront le reste d'une vie ! L'avenir,
le présent s'accoupleront pour ne former qu'un seul temps.

521
Je vis dans la séparation vaine des corps avec la ferme
prétention de nous réconcilier. Ce mariage déchiré puis retrouvé, qui
de nous d'eux en portera la faute ?

Connaître les détails des naissances sous des visions, c'est en


parfait médium que je sais vivre en moi les ondes de la destinée.

522
J'ai réinventé le noir

J'ai réinventé le noir. Dans le cœur de ma tombe, je l'avais


dédaigné. Le règne est en moi, il attend que le prince s'endorme. Il
lubrifie les rêves que je lui ai imposés. Sale nègre ! Sale roi !

Le juif en moi sommeille. Il vendra ses dernières lignes sur


ma tombe sacrée. Commerce de tout : bibelots, manies, manuscrits,
livres.

Ma croyance est sérieuse. La force est nécessaire à mon


destin.

523
Abolie la peine

Abolie la peine pour des notes incertaines, pourtant je me


décide à les regarder.

Ces contemplations hâtives, auraient-elles existé ? Et ces


étapes sur des chairs de rêves pour aimer, vivront-elles quelque jour ?

Un mot par sa bouche et la pyramide des syllabes s'écroule


sur les feuillets, et renaît encore.

Elle s'enfuit par la montagne. Je la suis, épouvanté. C'est elle


qui me condamne.

La règle des infinités. Escalades de nouveaux principes. Les


phrases fusent et viennent mourir ici.

524
Ce n'est pas un nom que j'essaie d'éclairer

Ce n'est pas un nom que j'essaie d'éclairer. Non ! C'est


l'ombre qu'il faut effacer. L'ombre noire cachée derrière les ténèbres !
Dans les profonds néants, elle existe ! Je la sais qui me regarde, qui
m'arrache avec ses griffes des lambeaux de vie. C'est elle le démon à
la fourche cornue, le feu, le sang et le venin aussi !

Car écrire est un acte délicat. Il suppose de perpétuer une race


presque surhumaine. Quelles puissances attendre de soi-même quand
Romantiques et Parnassiens ont chanté tout ce qui devait être chanté, -
le vent, la fleur, la rose et le printemps, le fleuve immense qui roule
ses graciés - le fleuve qui charrie ses noyés, ses cadavres et ses
pendus ?

Effets subtils que je recherche ! Je me déplace dans


l'analogie, ou je calque ceux qui m'ont précédé. Qu'ai-je à en tirer moi
des danses lyriques qui m'invitent à aimer ? Rien. Le peu de bonheur
que je reçois contribue à me rendre idiot. La folie s'empare de l'âme
comme l'enfant agrippe ses jouets. Mais vrai, je m'amuse énormément
de ces bêtises !

525
Je ne modifierai plus

Je ne modifierai plus les parties auxquelles je m'attachais.


Toutes les chances m'ont été enlevées. Mes maigres années ! Ma
raison n'a jamais percé les nombreux secrets. Il suffit de se relire pour
être déçu.

Comment ne pas partager cette opinion que pour être publié


le sans faute est obligatoire ? Seules, les exceptions pourraient tolérer
ces folies-là.

Du chinois. Un jour pourtant tu sauras que tu n'as pas voulu


dire que cela. Il te faudrait des experts qui aient une plus grande vision
des choses.

Tout va revenir. On te retournera tes chemises car on n'y aura


pas regardé de suffisamment près. Tu ne connais personne. Tu ne sais
pas qui compose le Comité de lecture.

526
Illumine les impuretés

Illumine les impuretés. Je nage dans les détails. Je ne sais où


je vais. Patience.

Nègre, cette prose est détestable. Cherche des idées à


défendre. Je t'invite à prolonger la fête toute la nuit. Ce que tu écriras
pourra te nuire. Lis bien. Engage-toi dans de nombreux poèmes.

Tu joues les talentueux. Que t'arrive-t-il ? Agis pour


scandaliser. Tu as du métier...

Jeunesse laborieuse, pourquoi se révolter ? Contre qui ? Parce


que l'on a vingt ans ? Je ne t'entends pas.

527
Je souhaiterai

Je souhaiterai la compréhension, l'estime des survivants, la


fraternité et l'espoir. La douleur est toujours une sombre épreuve,
légitime au Divin, à la limite du courage.

On nous leurre, on conduit les pauvres égalitairement. On les


effraie malgré l'ombre qui fuit les autres ombres. Au milieu d'eux,
essaient-ils d'imposer une liberté ?

À présent, les conditions diffèrent. Je m'alimente de rejets.


Des glaires abandonnées à l'oeil transparent inondent de caractères
blanchâtres des œuvres indéfinissables.

528
Je rêve

Je rêve. Mais le rêveur tout heureux s'en est retourné à la


logique des humains. Comment peut-on vivre sans la grâce divine ? Il
faut se soulever... La Providence atteint les têtes pleines d'espoir, les
têtes qui lui sont appréciées. Seul, Dieu impose ses lois, Dieu, oui.
Croyons tous en sa puissance, Il nous aidera.

Je serai l'enfant qui apprend à marcher. Sans savoir aucun, à


qui demander un soutien ? J'espère parfois une amitié illimitée,
presque éternelle. Un maître, un confident, un être sûr, - le père sur
qui je puisse compter avec chaleur, l'homme bienveillant et bon.

J'aurais désiré la liberté et le départ, hélas ! Je n'ai eu que des


échecs et des tourments.

529
Deux courses folles

Deux courses folles jusqu'à ce dimanche fatidique, - je ne me


rappelais plus que j'étais. J'allai, et pour la quête de la vérité j'aurais
donné mille ans.

Autre chemin, il suggéra la nuit, - la nuit noire, les mains sur


les hanches, et le regard glacé, - l'assurance de l'homme arrivé. La
nouveauté me prenait, j'aurais dû trembler.

Je me suis enfoncé dans la nature. Elle sentait étrangement


bon. Cette odeur de goût salé qui vous enfle les narines, comme j'ai
aimé la respirer !

Chaque soir une nouvelle école, un grand lieu de


connaissance humaine que je traversais sans même me retourner,
jouissant de toutes mes facultés. Sans pulsions, c'était un calme froid
et serein.

On ne marche plus, on glisse. Le pas est une approche


exceptionnelle pour l'individu. J'ai joui de mes transports, et j'ai
discerné tous les spectacles - paradis burlesques - de mes dernières
années.

530
Il aura fallu ce dimanche étrangement insipide pour me
rappeler à la réalité. Tout s'est très bien passé. Les journées d'agonie
malgré le contrôle de soi qui ont précédé la superbe date ont fait
trembler toute ma folie.

Il a plongé et s'est jeté comme un coup de tonnerre qui aurait


ébranlé les montagnes. La pureté du son ? - Un cauchemar.

531
Les oraisons incantatoires

Les oraisons incantatoires échappent à la fumée productive


qui évolue en cercles symétriques au-dessus des habitations
ombragées.

Elles s'appellent en des lieux insolites, se répondent avec des


échos aux sens inaudibles, se contraignent à écouter des paroles
irrespectueuses.

Le temps obscurcit les roulis glorifiés qu'elles harponnaient


de flèches tribales.

Les semences jamais ne s'élèveront, engourdies par de


voraces hivers. Le paysage est chimérique avec l'horizon décharné qui
confond ses couleurs pour un ciel gris et bas.

532
La traversée

La traversée des déserts arides, les soifs dévorantes au seuil


de la puberté, ces amusements serviles entraînant...

533
C'est avec netteté que je voyais

C'est avec netteté que je voyais, et tous les troubles de ma


pensée n'étaient que d'insignifiants prétextes à des expériences
captivantes. En effet, la plus infime observation par une vicieuse
opération de l'esprit devenait objet de fixation.

La nuit favorisait l'accomplissement de ces expériences. Les


sommeils difficiles à provoquer fixent l'esprit court et l'affolent des
évènements passés de la journée.

De quoi étaient composés ces manigances ou ces


indéchiffrables flashes qui à peine compris ou interprétés s'effaçaient
de la mémoire remplacés rapidement par d'autres flashes tout aussi
éphémères ?

C'étaient des phrases ou des bribes de phrases qui venaient se


fracasser à l'endroit de mon front accompagnées de sonorités diverses.

Les voix se juxtaposaient et quoique inharmonieuses


pouvaient se comparer à un ensemble d'instruments de musique,
chaque musicien jouant son propre morceau sans que personne ne vînt
l'accompagner.

534
La souffrance qui s'obstinait m'incitait à des croyances
profondes, à des prières que jamais je n'aurai osé imaginer. J'étais
devenu mystique.

535
À ses pieds

À ses pieds ! Et des idées neuves ! Tu lui dois une bonne


reconnaissance ! Que serais-tu s'il n'avait existé ? Quelle fraîcheur
aurais-tu cueilli ? Le grand sentiment pour le père et le génie. L'espoir,
l'aide pour les espaces neufs.

Je veux la grâce pour les insinuations, les échos et les


sonorités débiles. Il faut me pardonner. J'ai l'esprit de la bêtise. Quelle
importance puisque ce n'est pas imposant.

J'ai gâché mes jeunes années avec des compagnons


imbéciles, des sourires niais, des gamineries studieuses.

J'ai relevé le défi. Le retard était immense. J'ai flambé les


étapes ! J'ai vidé le sens de l'alexandrin et cassé la musique !

À ses pieds. Ses rythmes, ses formes, ses génies et tous les
hommes bavent là-dessus. Pas besoin d'être consolé puisque c'est une
autre vie. Il est si beau, unique, lui.

La conscience : poursuis ton travail.

536
D'ailleurs, qui sait si l'amour n'est pas le plus important. Le
travail ne mène peut-être à rien.

Tu voudrais changer la rime du discours. Tu ne sauras jamais


chanter. Tu es le plus mauvais. La faute, l'erreur incombent à la
jeunesse. Enfin, c'est mon sentiment.

Je me connais très bien. Il y a en moi un grand mystique. Je


regagne d'autres formes, mais je n'ai plus le droit de renaître. Près de
Dieu, je fus le cœur purifié.

Lui seul est le maître de l'homme nouveau. L'Ange aux yeux


bleus. L'enfant né, le poète prêt à toutes les expériences, ce Satan
désargenté croyant à l'élixir de vie. Le phénomène à imaginer. La
foudre. Ai-je une seule fois su flatter quelqu'un ?

537
Se pourra-t-il

Se pourra-t-il que tu nous entraînes vers des profondeurs


inconnues ? Que tu laisses sans te retourner ce patrimoine d'or, la
richesse de l'adolescence ? Pour qui ?

538
Malgré l'épineuse chorégraphie

Malgré l'épineuse chorégraphie, évoluant dans mon caractère


de débutant, les pièces se succèdent avec l'indigestion du gastronome
zélé jusqu'à quatre heures moins cinq.

Avant les premiers pas de danse dans ma carrière burlesque,


je réalise au cirque les sauts dans le vide. Tournage du film avec
truquage.

De la beauté mélancolique. Retire-toi et respire l'odeur claire


des églises ou chante. Que parler avec l'élite me paraît bon. Idée
enfantine, moi qui n'ai jamais rencontré de sales bonshommes.

539
Il disait

Il disait : "Jamais tu n'auras la patience. Ton monde trop petit


à exploiter est ennuyeux. Les lignes accumulées noircissent des pages.
Pourquoi ne te relis-tu pas ? Sans complexe, tu avales les mots en leur
donnant des significations étranges que toi seul comprends. C'est un
trop plein de ta cervelle. Tu accumules les idées. L'Art n'est jamais
entré chez toi. Rien que de vagues notions, et encore de poésie
primaire !

Tout ce qui t'est inconscient, vicieux ou bête est exprimé. La


réflexion est nécessaire avant que de commencer. Toi qui as toujours
écrit à intervalles réguliers. Aucun surpassement, aucune originalité.
Que voulais-tu donc prouver ? Qu'est-ce que cela devait dire ?"

"- Que pourrais-je reprocher à cette méthode ? De m'être


lancé désespérément à la conquête de l'irrationnel ? Je ne suis sûr de
rien. Ai-je trouvé une autre formule ?"

540
Les pas vers les accords autres

Les pas vers les accords autres, les formes secondaires


jusqu'en nos cerveaux de riches. De grandes leçons à en tirer. On
s'efforcera de tout comprendre quand la folie sera achevée. C'est trop
facile de dire, - là est le changement. Prouver c'est démontrer.

Je pousse des chutes. Elles réclament des années de


compréhension et d'attentions diverses. Toi, résume les insuffisances,
les essais. Parle de la technique. J'ai tant besoin de rire ! Je rougis à
l'idée que quelqu'un pût y croire !

Un autre : poésie décadente mais un prix à décerner - celui de


la bêtise. Je suis menteur. Continueras-tu à t'inquiéter pour de si
insignifiants poèmes ?

Je ne me comprends guère ! Que te manque-t-il réellement


pour réussir là où tu as toujours échoué ? Qui sont tes ennemis ?

L'impatience, le jeu du recul sur mes chansons... De plus, il y


avait ces raisonnements idiots. Je voulais une poésie à ma mesure.

541
Maniaque de toi-même, pense d'abord à sortir. Tu manques
de précision. Tes pensées sont lâches, tes écrits sont de l'affreuse...

542
Des erreurs de style et de forme

Des erreurs de style et de forme,


Des fautes de conjugaison et de temps,
Se raisonner pour écrire des phrases courtes.

L'accord des verbes et des participes,


Syntaxes et langage, les études difficiles.

Se nourrir de Bossué et de Montaigne


Petit écrivain, médiocre apprenti.
Douter de sa personne,
Connaître ses limites.
Les mystères de l'écriture,
Les hontes de soi-même,
Le génie des poètes, leur siècle,
Que reste-t-il à inventer ?
Vouloir se sortir de son ridicule.

543
S'être trop pressé,
Réapprendre à lire,
Croire composer. De gros appétits,
De maigres pitances. Accepter l'idée
De s'appeler seulement Lozac'h.

Rêver d'être un jour lu


Puis changer ou vieillir, car
Les miracles n'existent pas ou
Se dire franchement Tu y croyais ?
Rire d'un rire franc
Ou pleurer de rage.

Peu d'expériences littéraires,


S'inquiéter pour ses fragments,
Ne pas s'y retrouver.

544
Écrire un bouquin,
Quelle drôle d'aventure !
Mais recommencer pour être libre !
Se maudire,
Ne plus savoir ce qu'on écrit,
Douter de soi-même,
Lutter avec soi-même !

Les rêves font souffrir.


N'avoir jamais rien trouvé.
Apprécier les différences,
Apprendre à juger.

Ai-je écrit quelques pensées pour un livre ?


À présent que tout est jeté
Il faut affiner, éclaircir, et polir,
Sont-ce de la littéraire, des collages
Les feuillets d'une personne équilibrée ?

545
La raison se forme

La raison se forme, s'invente des maux et quand la nuit est


plus noire encore, des révolutions internes se fracassent contre mes
parois nocturnes !

Des déflagrations s'entendent à mille lieues, des tempêtes.


Des cyclones s'entrechoquent dans des déchirements grandioses, et
viennent pour des symphonies orchestrées.

Impitoyables ennemis et pourtant en harmonie avec moi-


même ! Ils hérissent le combat, les charniers et les artifices. Ils
planifient ces nuées de cauchemars. Ils enveloppent d'étoffes
gonflantes les cataclysmes subis, les catastrophes vénérées.

J'aime à comparer cette fresque savante avec l'épique


marasme qui détruit tout sur son passage, qui multiplie les dangers
d'une vie liée à l'étrange et au mystère.

Quand s'éloignent les incendies, les flamboiements sous les


cieux rougissent. Et le calme insipide s'installe lentement comme les
palmes et le plaisir, comme l'aurore après une nuit chargée de plaintes
obscures.

546
Pourtant vos ressources se désagrègent, vos profondes
expériences n'accaparent que des vents incertains. Quand bien même
de minuscules vérités s'offriraient aux interprétations diverses, jamais
vous n'obtiendrez la vérité ni l'appréciation recherchée.

Je suis le reflet qui exprime les intolérables mensonges que


personne n'avait osé dépister, la splendide tricherie que vous
n'observez que chez les autres et qui pourtant se cache en vous-même.

Malgré ces apparences trompeuses, vous vous propagez


croyant manier avec dextérité un appareil sans âme, un bourreau
dénué de sentiments, une sorte de divine force que vous contemplez
comme étant l'irréfutable messie.

Hommes de science, vous n'idolâtrez qu'une mémoire, que


des fonctions irréfléchies. Vous plongez dans l'univers du chiffre sans
espoir de conquête sur le mouvement des destinées et des révolutions.

À présent, les conditions diffèrent. Les substances que je


malaxe mystifient le rôle des rejets. Des glaires abandonnées à l'oeil
transparent inondent de caractères blanchâtres des œuvres
indéfinissables.

547
Un non-sens toujours car s'accouplent des mots incapables
d'exprimer une opération logique. Ils sont groupements subtils,
malfaçon, incohérence et pourtant harmonie. Ils déterminent le doute
absolu que chacun doit posséder. C'est l'incertitude pour le monde
incompréhensible. C'est convaincre l'homme de son impuissance à se
diriger.

Rien que des planifications et des regards braqués sur


l'Histoire. Des illusions avec des instruments d'aucune efficacité.

Vous brandissez des rapports, des analyses structurées, des


conclusions et des bilans sur le devenir humain. Vos complexes
machines sont vos cervelles grises qui restituent vos amalgames
approximatifs. Des milliards de données pour d'insignifiants résultats.
Vous en êtes encore à la sorcellerie scientifique, vous plaisant à
programmer des banalités de rêves enfantins.

548
Apprécie, je lis Gide

Apprécie, je lis Gide. Mythomane, cherchant à le calquer.


Quant à y croire, mieux vaut reconnaître... J'ai changé. J'ai sous les
yeux le retour de l'enfant prodigue. Comment s'y est-il pris ? Le
métier d'écrivain qu'il maîtrise demande des efforts... J'aimerais m'en
tirer. Nous devons user de la critique comme si des règles régissaient
les mécanismes de l'art.

Tacite, j'écrivais. Quand ? La nuit. J'avais toute mon aisance


abrité dans mon pavillon. Si je me cachais, c'était pour vivre en
compagnie de mes bouquins.

549
Je ne lis plus

Je ne lis plus. Depuis deux mois et demi, pas ouvert un


bouquin. Je ne peux plus écrire une phrase correcte. Des idées
simples, des phrases courtes, ça ne peut que marcher. C'est encore
tenter une expérience. Ce sont toujours de petites choses.

Moi-même : c'est assez minable. Tu l'as déjà dit.

J'ai toujours cru que je ne serai jamais écrivain. J'imaginais


un retard illimité sur les autres... Il est vrai que je n'ai pas la patience
d'écrire un livre. De grosses tares.

Moi-même : tu es écrivain. C'est ton métier. Travailler toutes


les soirées jusqu'à quatre heures du matin. Tu devrais te coucher tôt, te
forger une discipline.

Enfant gâté par la nature, comment espérer se voir discerner


des lauriers quand on reste enfermé dans sa chambre ? Il faut se faire
voir... Il faut que l'on connaisse ton nom.

550
Les chimères bues et toute ma paresse offensée. Le vide ! Le
néant ! Ce qui m'étonne, c'est d'accepter ces stupides propositions
comme si quelques jours de silence suffisaient pour qu'on n'y pense
plus... Tout est cassé et libéré par un souffle magique.

Ma conscience : Tu n'as jamais pris la défense de tes pères.


Es-tu allé quelquefois assez loin pour aimer ta poésie ?

Moi-même : Le jeu de ma liberté m'a été retiré. La trempe et


la force de caractère jamais n'ont été appliquées. Des évolutions
lancinantes venues s'éteindre sous le porche de la nuit...

Ma conscience : Pauvre fou ou pantin mystique, quand


réaliseras-tu enfin qui tu es ?

Quatre années de sommeil. Les éclairs ne brillent que très


peu... Tu ne changes pas. Tout te pousse vers l'autre départ.

Qui compose les masses de cet essai ? Reprendre avec lenteur


les suicides et les poèmes écrasés par tes guerres, par le temps.

Moi-même : je voudrais te faire avancer... Tu bavardes. Tais-


toi. Laisse-moi continuer à annoncer sans répit des phrases courtes...

551
Conjuguer le verbe

Conjuguer le verbe me semble souvent difficile. Je préfère


utiliser le présent. Je crains d'écrire avec d'énormes bourdes dans le
manuscrit. Là, du moins je sais où je m'engage... Tu ne feras pas
succès.

Je produis ainsi : aucune syntaxe, le style n'est pas assuré, des


formes douteuses.

On se modifie. Je déshabille les phrases. On se demande


comment certains s'y sont pris.

Les heures d'insomnies, à quoi servent-elles ? Cette nuit, je


me sens libre. Pourtant, je suis enfermé dans ma chambre. Mon réveil
est retardé. Ma chimie est incompréhensible et inviolable maintenant.

552
Purifier la langue

Purifier la langue ? Que fais-tu donc ? Le surplus est


inutilisable. Pas de fioritures, pas de tournures de phrases.

Des milliers de retouches ! Se plonger dans ces papiers


grossiers ! Demain, cela s'élèvera... Déjà, on y trouve un sens. Quelle
comparaison avec Radiguet !

Reconnais l'insignifiance de ces pages. Pour quel public ?

Lignes superficielles, invention stérile, le minable sans effet


de parade. Comment composer ? Impossible, ma soif est apaisée !

553
Comment vivre ?

Comment vivre ? Travailler toutes les nuits. Recolmater tous


ces poèmes pour ne pas être publié. Ma raison est en enfer. Je
commence à m'en détacher. Je débloque. Je suis à la merci de ma
courte mémoire. Je n'obéis qu'à ces tristes mensonges ; Je n'ai pas le
caractère pour vivre l'invitation au bonheur. Cromwell et de
Fontenoye n'ont guère réalisé que je portais la lanterne chauffée avec
des morceaux de bois. Retourne dans ton sac ces bouts d'essai, hélas !

554
Sans force

Sans force, un style bâclé à tout venant, bannissant toute


réflexion, - une écriture lâche ! Fluide de pisse ! Des mots sortis d'une
imagination fatiguée par des milliers d'heures de travail, courant à la
recherche d'un esprit neuf. Ces phrases qui chancellent comme
déportées par un grand souffle, qui voudrait s'en occuper ?

Ceci est fort détestable. Il faut prostituer les ordures de la


maison. Que la faim me prenne au ventre ! Je ne veux plus discourir
des vices de mon âme.

555
Les mots sont en grève

Les mots sont en grève. La source est oubliée dans la


mémoire. Ils attendent que je les rappelle.

Ce qui était substantiel est devenu dérisoire. Hier, c'étaient de


la musique, des chœurs, des chanteurs même ! J'obtenais des accords
étonnants, des situations fausses qui étaient rarement des essais
fructueux.

J'ai décidé de me tourner vers la "modernité". Mot magique


qui cache tant de mystères, qui ne veut plus dire grand-chose. Je
compte faire quoi ?

556
Les grincements de cette plume

Les grincements de cette plume : ignoble le chômage !


Chaque tic que tu accompagnes de manières est à déconseiller. La
seconde suggère l'impatience qui répond à la stérilité.

Ne t'en occupe plus. Lis le journal, et les forces, - ta bêtise -,


te rapporteront de l'or. Pourrais-tu te saturer de ton écriture ? Que te
restera-t-il à faire ? Un chantage ou une communication ? Très juste.

Je t'accuse de te dilapider dans des rêveries naïves.

557
Des pages bâclées

Des pages bâclées. Il faudra les polir. De nombreuses


interventions sur une feuille qui ne mérite même plus de ratures.

Comment écrire de bons livres ? Je n'ai pas de méthode ni de


technique. Qui voudrait m'apprendre ? Je travaille seul. Je n'obtiens
que de maigres progrès.

Quelqu'un pour me guider et me tendre la main ?

558
Cette feuille à noircir, c'est pour qui ?

Cette feuille à noircir, c'est pour qui ? Elle n'est pas pour moi.
Jamais je ne me relis. C'est pour espérer progresser ? Mais je sais fort
bien que ma méthode de travail est mauvaise.

Tout à regretter dans ces pages à graisser. J'en suis à me salir


les mains. Du cambouis, mais le tout n'est-il pas de se former ?

559
Mon contact est impossible

Mon contact est impossible. Je suis savant et sauvage, druide


mais jamais parvenu. Ma mémoire a fait des bonds, puis elle s'est
écrasée, soumise à des machines impures.

Révolte et malédiction, c'était ma gloire ! J'ai dû repenser les


papiers, m'arracher aux batailles de ma pauvre tête. Je n'ai jamais
apaisé mes tourments. Des ombres prolixes moururent incontrôlées :
des faillites organisées.

560
Les mots, les carences de l'âme

Les mots, les carences de l'âme - à oublier. Les subtilités


incomprises, les musiques très savantes, les beaux accidents, il n'y en eut
jamais. Les poèmes sans rature ? Quel est donc le travail d'écriture ? Mes
désirs, mes mensonges, mes mystifications, que sais-je encore ?

561
Du moins, ma pensée est claire

Du moins, ma pensée est claire. Elle est correctement


exprimée. Ce n'est pas comme ces affreux poèmes en prose qui
n'avaient aucun sens. Des essais, mais je ne savais pas écrire. Je ne
composais pas. Travail d'artiste incontrôlé ! C'était le printemps.
J'espère avoir changé.

C'était un casse-tête où l'on ne pouvait rien y démêler, car


cela n'avait aucun sens. Je ne crois pas avoir écrit un poème sensé
depuis longtemps.

Je me savais incapable d'écrire des lignes intelligentes. Il était


temps que tout cela cessât.

562
La musique

La musique n'épouse plus les variations de la phrase.

Hochements de la tête à l'idée de retravailler, de relire les


anciens manuscrits.

J'augmenterai les doses de souffrance. Je n'écrirai que le


nécessaire. Des phrases simples et correctes.

Je brûle mon rêve, mes drôleries sont mesquines. Des tares


facilement dépistables pourtant. Les hommes ne m'ont pas aidé. Je
suis seul avec mon ennui.

Ô souvenirs, des espoirs puis des travaux inexistants.

Sont-ce des mots incompréhensibles, des mots stupides ?

563
Je me confesse

Je me confesse - où est l'art ? Réponse, nulle part. Tu l'as


brûlé. Est-ce que cela a un sens ? J'ai menti de bonne foi, allègre mais
besogneux.

Ces affreuses lignes me dégoûtent. J'espère que je ne suis pas


précieux, car je me le suis assez reproché. Oui, cela est fort mauvais si
l'on veut mon avis.

Je m'use

Je m'use en différentes études - mes linges sales. Style


mauvais et expressions vulgaires, à la porte ! Ce sont tes heures de
bonté, misérable !

564
De mes voyages et de mes entreprises

De mes voyages et de mes entreprises, il ne me reste rien. À


présent, je vis caché et enfermé. Je sais que la lumière est à l'intérieur.
Regarde-toi toi-même ! Et je vis !

565
Les commerçants

Les commerçants rient de ma candeur. Je pleure pour mes


indisciplines. Maladroit sans pousser le doigt sur la page,
s'amuse-t-il ?

Je me moque des bêtes et des autres. Fuir les cours et les


distractions sexuelles ? Je barbouille mes débuts, et je me prends
parfois pour un Christ.

Je ne modifierai plus les parties auxquelles je m'attachais. Le


gouvernail ne m'obéit plus. Et libre le navire !

Toutes les chances m'ont été enlevées pour ces maigres


années, parce que ma raison n'a jamais percé les nombreux secrets.

566
Les morts

Les morts s'expriment clairement. Le crois-tu ? J'en suis


certain. Dialogue de muets. Moi je tâche à combiner leurs syllabes
inconnues.

Où trouverai-je le courage à m'appliquer moi le grand


désarmé...

Malédiction. Travail acharné. J'ai beau forcer depuis des mois


pleins. Je ne suis pas consciencieux. Je commence à travailler sans
achever ce qui a été fait. Changement de page.

567
La confrérie

La confrérie - ils sont au moins quatre -


Chuchote des paroles.

Un mot pour mon travail, et je compose les hymnes.

Je fais l'intelligent pour contrer


Certains qui m'estiment.
Très juste, mais qui sont-ils ?

Le couche-tard, le débile, l'arracheur nocturne des


Illustrations, le Montalbanais, le drôle, le cocasse, le poète musical, et
les sanglantes roses et les jolies proses.

568
Autour de moi

Autour de moi.

Je me conduis en jeune homme très ordinaire bourré de


contradictions, cherchant un système...

Je suis un rescapé issu d'une légendaire pluie de fantômes.


Tout m'est chu avant la lettre.

J'ai eu de fâcheuses entrevues. On m'a pardonné mes


gamineries, les tâches des débutants... On m'a autorisé de stupides
âneries.

Ma faute fut d'avoir vu sortir de si pesants poètes. J'ai évité


des drames, j'ai consolidé les parties fraîches de ma cervelle. J'ai
longtemps cru y gagner en maturité.

569
Nous maudissons à quatre

Nous maudissons à quatre tout ce qui nous vient des autres.


Les silences sont nos puretés. Il nous faut longtemps puiser en nous-
mêmes pour rejeter les cas d'imbécillités présentées.

Étrange métier que celui d'écrivain. Il se peut que gagner ne


soit pas vaincre. Nous agissons avec illogisme, en trop peu de temps.
Ce sont des œuvres ridicules, sans intérêt.

Bouleversement dans la littérature. Détection des jeunes


génies. Travail intense. Aides, maîtres. Rentabiliser les cerveaux. À
quel prix ? Écoles spécialisées. Évolution, largesse intellectuelle des
enseignants. Multiplication des œuvres d'art à un degré élevé.
Avantage pour la communauté. École de poétique ?

570
Équivoque douteux

Équivoque douteux sur les leçons à tirer de ces puanteurs


célestes. Cacophonie acide. Libre acceptation du pesant carnage. Les
livres, et ma maîtrise sur les pages noircies ? J'enterre l'obstination.
Vouloir vendre des absurdités ! Mon plaisir pour des pensées
indécentes.

Chute des corps dans l'espace. Nullités des incertains.


Positions inversées. Des rôles et des chimères.

L'orage éclate. Pourquoi se retourner ? Les demeures, les


femmes et les orgasmes sont déficients. L'avenir me connaîtra.

571
Effets cyniques

Effets cyniques que je recherche ! Je me déplace dans


l'analogie, ou je calque ceux qui me précèdent. Qu'ai-je à en tirer moi
des danses lyriques qui m'invitent à aimer ? Rien. Le peu de bonheur
que je reçois contribue à me rendre idiot. La folie s'empare de l'âme
comme l'enfant agrippe ses jouets. Mais vrai je m'amuse énormément
de ces bêtises.

572
Je circulais

Je circulais avec mes ennemis, des hommes de l'insouciance.


Tant de vies nouvelles pour un si piètre compte ! La déception fut
grande mais l'exploit se réalisa.

Puis j'ai marché, et ces mois de bonheur furent des années de


lumière. Des merveilles de croyance sur un esprit divin ! Mais
aujourd'hui toutes les cloches me rappellent à la raison, et je ris de ma
profonde naïveté.

Un ciel, des étoiles : le décor champêtre réapparaît, hélas je


n'ai plus faim.

573
J'embrasse la mort

J'embrasse la mort et ses centenaires. Ma seconde s'éternise,


je reste angoissé.

Tu as foulé le sol avec tes expertises. Tu as commis l'erreur


rouge. On t'a banni. Était-ce ta chance ? Et le sang a coulé dans les
plaines labourées.

Je jette les dés. Où ira-t-il revivre ? Et sa soif s'épanche dans


ses juillets illuminés.

L'impossible à faire. L'accident, l'extrême. Ne plus pouvoir se


reconnaître. Chaque trait de mon âme effacé.

574
Toujours à détruire

Toujours à détruire ces forces, vers, lignes et poèmes.


Inquisition. La loi est d'inventer. Je leur vends mes beautés. Ils
habitent ma maison. Qu'ont-ils à me reprocher ? Mon acharnement au
travail ? Ces maigres contributions ? Savent-ils ce que j'ai enduré
poussant les mots sans même l'espoir de chiffrer ?

Des charognards, quatre ou six, qui me pressent à écrire,


refroidissant mes genoux ou donnant de la voix. Actions sur les
tympans. Assez des sons qui frappent la cavité du crâne !

575
Des bruits crissants

Des bruits crissants répercutés sur le sol ou sur la chaloupe.


Je prétends que l'effet ressenti - échouage et marée - était ma paix.
Pénuries d'ombre qui au gré du jour déplaisaient à ma foi canonique.

Les esprits droits sont des musiciens. La crainte de la


rengaine les libère. Ils modifient les excentricités. Bénévole action qui
m'éclaire.

La grande fille blonde baignée sous sa jupe longue, et dans sa


course elle sourit d'aise...

J'attends de pousser le Hourra libérateur, et la folie sera mon


sentiment.

576
Encerclé pour le poème

Encerclé pour le poème, moi l'ignorant !


Droits, rayonnements d'ombres, eux.
Suis-je né avant d'avoir vécu ?
Aux portes du mystère - les principes de la nuit -
Tout ce monde courbé à réfléchir !
Heureux dignitaire, j'ai parlé aux pères.

577
Ignorer le passé

Ignorer le passé, il m'indispose toujours.


Plaindre son jeune âge.
Apprendre à se contrôler.

Cracher sur les idioties enfantines.

De longues études pour elles-mêmes.


Rester des heures à sa table de travail.
Vertu de l'austère poésie, ce soir.

578
Les mythomanies

Les mythomanies de la tête,


Ce sont celles de l'espoir
Qui permettent de croire à ses succès.

Les farces et les pressions


Mûrissent les abcès
De la sensibilité extrême.

Je remplace mes bouquins


Par de grands verres d'eau.
Accourir sur les feuilles de papier,
Je m'oxyde.

579
Si tu t'arrêtes

Si tu t'arrêtes, tu vas revoir la mer.


À quand ses fermages, ses plaines, ses labours ?

Tout style est décousu.


On t'apprécie, c'est bien.

Connaissances littéraires ?

580
Rien sinon

Rien sinon qu'un inquiet nia son bras fort.

Perdu, je le sais se soumettre


Avec l'effet nul d'un conquistador.

Dans quelle nuit partir


Levant levant l'angélus d'un coup d'éclair ?

Je sombrais sans force, poussant...

581
La crétine comédie

La crétine comédie des lustres et des ancêtres. Les regards,


les silences et les fourberies. Tous des fourbes. Moi je suis absorbé
dans des journaux odieux, le cul en l'air face à la Marquise du Ciel. Un
incendie bouleverse mon corps.

Je suis le bénévole, et je m'occupe pour la journée, la bouche


tournée vers les morts. J'attends que tous s'obscurcissent. Je lis passif
ou incertain, ou je vole des baisers aux femmes invisibles.

Piteux décor que le nôtre. Des forts en gueule, vos


compatriotes qui se lèvent vers midi ! Moi je fuis les protocoles, les
marques de gloire. Je reste glacé. Agressif et sombre, je respire dans le
jardin de futures transactions. L'amour décide de mon choix.

582
Qu'il libère

Qu'il libère les sens et les pensées déformées quand les sons
puissants retentissent dans ses oreilles de marbre !
Que la voix imposante continue à s'entendre par-delà les
frontières de l'exil !

Les bruits lassent les recherches mêmes vaines quoiqu'il


s'essaie encore à trouver de nombreuses substances.

583
J'accomplis le dernier aveu

J'accomplis le dernier aveu, l'ultime grâce. Ce n'est pas sans


obscure délivrance que j'abandonne l'œuf nourricier que je fécondais.

Les raisons invoquées échappent à l'ordre juste. On se meurt


insoumis presque révolté, enfin on s'y essaie.

Un monstre hurle et accuse les obsessions de la destinée.


Parfois pantin désarticulé, parfois ivre de son savoir, j'obéis.

Martyr déshérité puisqu'il arrache mon suc et en rit


cyniquement, je m'abandonne perdu dans les calculs du lendemain.

Pourquoi crier ? Qui entendrait ? L'impossible à raconter. Il


faut être purifié pour comprendre.

584
D'autres piétinent

D'autres piétinent les mondes qui élargissent leurs espaces


pour des grandeurs imposantes. Ils accèdent aux temples de la
miséricorde par des principes de vie.

Ils font tourner des roues gigantesques, fonction incontestée


pour les chutes qui nous attendent.

Ceux qui maintiennent avec adresse le cap de leurs futurs


labeurs sont les conquérants de l'enjeu.

Et les fautes font s'écrouler toutes les modérations dont


quelques-uns uns s'honoraient.

585
La durée

La durée, temple de la violence obsède les légèretés dont les


souffrances s'enivraient. Quoique meurtrissant les ordres salués, elle
annule tous les apports de grâce car les effets soutenus sont admis
dans les divisions de la sagesse.

Elle a toujours su exploiter les idoles et nos vraies misères.


Elle feignait de colmater les brèches de nos insomnies comme pour
nous soulager des tentations refoulées.

586
Les oraisons incantatoires

Les oraisons incantatoires échappent à la fumée productrice


qui évolue en cercles symétriques au-dessus des habitations
ombragées. Elles s'appellent, se répondent avec des échos aux sens
inaudibles, se contraignent à écouter les paroles irrespectueuses. Le
temps obscurcit les roulis glorifiés qu'elles harponnaient de flèches
triviales.

587
Il se resserre

Il se resserre, il se cambre déjà pour le plaisir à venir. Tout


est vierge. Tu n'as pas à te plaindre. Il brûle, se désespère et chauffe.
Tu es si passionné que tu l'entends qui bat...

C'était difficile d'esquisser un sourire. Comment se faire à


l'idée de l'embrasser ? La langue courte lèche trop vite celle de sa
voisine. Je redoublais de tendresse.

Point de beauté. Tu me trouvais drôle surtout quand j'étais


tout nu. L'homme est prude même caché en soi-même. La sordide
histoire de ta maladie. Te souviens-tu de ta croyance ? Dans tes
souvenirs, ce sont des réflexes endiablés.

L'âme : Tu vas trop vite (etc.) Finis par t'accepter.

588
Abolie la peine

Abolie la peine pour des morts certaines, et je me décide à les


regarder.

Des contemplations hâtives. Elles n'existent pas. Puis des


étapes sur des chairs de rêves pour aimer.

Un mot par sa bouche, et la pyramide des syllabes s'écroule


sur les feuillets, et renaît encore.

Elle s'enfuit par la montagne. Je la suis épouvanté. C'est elle


qui me condamne. Je ne bougerai pas.

La règle des infinités. Comme des escalades et de nouveaux


principes, des phrases fusent et viennent ici mourir.

589
Des monstres

Des monstres quittent la pénombre. A moi, l'effort inhumain.


Je dois les rencontrer, puisque je l'ai décidé, elles pour de
récalcitrantes caresses ! J'embrasse des cadavres exquis : "Je te supplie
de rester".

Des beautés montrent les dents. Elles me font coucher si tard.


Elle seule - pourquoi la nommer ? - danse sur mon corps. J'ai envie de
ton sexe et de longtemps te posséder.

590
Que la femme soit inexplicable

Que la femme soit inexplicable, bien sûr. Mais ces affreux


soldats de métier faisaient partie d'un corps exceptionnel que dire ? Et
surtout, que constater ? Ils se sont glissés, usant de toutes leurs âmes,
m'assénant le visage. Inexplicable, vous dis-je, inexplicable. Il faudrait
faire la lumière sur toutes ces absurdités.

Est-il important de dire que j'avais les pieds ensanglantés, et


que de larges plaies - sous les pieds - offraient de fortes coulées de pus
comme un abcès ? Le pus était jaune.
La mienne est invincible, et c'est pourquoi il a fait appel à la
nymphe. L'espèce de femme, - nymphe, vierge, pucelle ou vamp.
Cocktail de mirages.

591
L'inquiétante femme

L'inquiétante femme se donnait, se glissait lentement dans


mon lit, me prodiguait des caresses luxuriantes, et obtenait de moi
plusieurs orgasmes par nuit.

Je la revois dévêtue, offrant sa vulve étroite, son pubis blond,


touchant et touchant ses seins pour faire dresser leurs pointes, puis
venant vers moi me faire encore l'amour.

Je l'ai tuée. Vouloir la prendre, c'était la faire disparaître. En


fait, quelle bêtise ! Il fallait la détruire pour retrouver sa vie sexuelle.

Même dans les campagnes où je faisais une tournée


spirituelle, elle me poursuivait. La chance simplement ! Et dire que je
n'ai jamais eu l'idée de la prier.

Il doit être ajouté que j'ai failli mourir. La folle s'enivrait de


mes fantasmes, de mes luxures et de tous mes péchés. Ce qui me
semblait heureux pour une vie efficace, n'était que l'élément même de
ma déchéance. Je l'ai petit à petit évincée. Elle a perdu ses forces ne se
nourrissant que de mes fantasmes.

592
Elle a disparu telle une entité.

593
Pourrais-je intervenir

Pourrais-je intervenir efficacement pour éviter ces


souffrances, pour limiter la terreur de mes ennuis ? La vie est
fatidique. Comment peut-on détourner ce qui devait se produire ?

Point de reproche. Les hommes, les choses ne sont que ce


qu'ils sont. Sans partage, sans commun accord.

Les grandes leçons d'amour depuis que les corps s'appellent.


On reçoit les déchaînements des mendiants. Mes expressions s'étirent
jusqu'aux pardons insolites.

Les pièces et mes amours sont à remarier : nous nous disons


amants. Je connaîtrai les avantages que me procurent tes insomnies. Je
resterai dans les pénombres. Je ferai courir mes lignes sans en extraire
de la satisfaction etc.

594
On les a tués

On les a tués. Ils sont morts fièrement. Leurs conquêtes


étaient les fruits du désespoir. Du sang dans les tripes. Le danger pour
goûter les joies de la vie avec une belle intensité.

595
Moi, j'irai la sertir longtemps

Moi, j'irai la sertir longtemps, dans ses souvenirs vides et


passés, mélangeant toutes les vies et tous les vices. Je retrouverai
l'esprit clair des nuits ombreuses.

Plein de fougue et d'entrain pour des femmes alanguies qui


scandalisent avec leur nudité. Celles avec qui l'on couche pour leur
ressembler, les autres que l'on aime pour leur beauté. Savoir le génie
de la femme, et pleurer dans ses bras. Ou bien, vivre des danses
sexuelles et s'épuiser dans les draps défaits.

Tu sors de ta vie. Tu t'indiques des façons et tu les malmènes.


Drôle de type, à peine rasé, pas encore un homme, mais déjà plus un
enfant.

Les vents de l'adolescence ne soufflent plus. Elle rêve


d'autres morts, des possibilités vaines. Elle ne dort que dans des boîtes
et des drugstores et perd du plaisir à se lasser.

Encore qu'un feu sanglant existerait ! De belles images peut-


être ! "Il s'échappe de ma mémoire... et je me sens humiliée. Pourtant
c'est lui qui m'aime ! etc."

596
Tout est question de partage, de communion. Même s'il y a
de minuscules accrochages ? ...

Les pétales de roses resteront-ils fanés ? Ma voix est


entendue, la lèvre est entrouverte. De ce chaste baiser, renaîtrai-je par
l'espoir ?

597
Le ventre blanc

Le ventre blanc cache des pâleurs négroïdes. Il se resserre, se


cambre déjà pour le plaisir à venir. La douceur est au centre. Le
nombril est entouré de poils noirs. Vers le plexus solaire, l'empreinte.
Minables boutons de maladies enfantines. IL brûle, se désespère et
chauffe. Tu es si passionné que tu l'entends battre...

Les dents pourries et les haleines dégoûtantes. C'était difficile


d'esquisser un sourire. La bouche jaune à cause du tabac. Comment
l'embrasser ? La langue courte qui lèche trop vite celle de sa voisine.
Je redoublais de tendresse. Point de beauté. Tu me trouvais drôle,
surtout quand j'étais tout nu. L'homme est prude même caché en soi-
même.

La sordide histoire de ta maladie. Dans tes souvenirs ce sont


des réflexes endiablés.

Elle est à épouser, mais sa visite est incertaine. Je ne crois pas


l'avoir aimée. Peut-être ai-je seulement envie de coucher avec elle ? Je
serai un travailleur du moins pour te récompenser.

598
Le message

Le message dans les grands draps des chimères pour les lits
d'amertume nous a récompensés. En obtenant le partage, de nouvelles
mesures se sont esquissées. Deux lustres pour l'expression de la
souffrance qui battait à peine. Puis l'erreur s'est implantée.

A présent, je redonne la priorité à la Grande Dame, et je


réinvente les pâleurs virgiliennes pour la mieux supplier.

Est-ce cela l'Amour ? Ce cadavre qui s'écroule avec des


plaintes et des cris accentués. Elle m'attendra encore. Moi derrière les
murs de ma prison, écervelé, je l'oublierai.

Les salles, je les veux pleines, craquant sous le poids des


ordures et de la bêtise humaine. Quand nos courses seront retombées,
un autre profil répondra à nos angoisses. "Je n'ai jamais eu réellement
froid, me disait-elle, ta folie m'a apprivoisé. Pourquoi ne pas avoir
crié ? Je t'aurais aidé et compris." Etc.

599
Des disgrâces s'émancipent

Des disgrâces s'émancipent sur les bords de ta bouche...


De longues traversées imperturbables, immortelles chantent
lentement des souvenirs perdus,
perdus dans la haine d'un oeil fécond,
Perdus sous les ronces comme des écrasements de gloire.

Rarissimes bêtes qui vampez les désirs charnels, qui


discourez sur les tombeaux des hommes,
Je sais l'insouciance de vos destinées ! ...
Ô printemps malsain et corrosif !

Quoi ! On appelle, on supplie l'instant de faiblesse ?


Jamais ! Jamais !

Anges défunts, la soumission prône sur vos corps !


Miséricorde voulue, froissements de chairs obscures,
Jamais ignobles spectres vous ne défilerez inconsciemment !

600
Ces humains ont-ils des âmes ?

Ces humains ont-ils des âmes ? L'esprit est lourd de bêtise et


de confusion, l'âme stérile est stupide. Rêvent-ils ou bétail, mâchent-
ils leurs imbécillités ? Minables et satisfaits de l'être !

Lâche la haine, puisque la haine est en toi. Grand besoin de


renaître ces coupables. Il faut qu'ils revivent du moins pour se purifier !
Que d'ingratitude dans de si maigres cerveaux ! Le pardon est
indiscutable.

Mon départ vers les hommes est un échec. J'ai réalisé leur
néant. Je me suis plongé dans des sources taries. Ma bonté m'a perdu.
Des règles pour ce peuple malséant. Des lois.

C'est de tenir ou de mourir qu'il est question. Ils m'en font


baver. Aucun retour. De la lie, de l'insouciance. Seigneur, qu'on les
éclaire ! - On les éclairera.

Un régiment, des terrains vagues, des matricules pour ces


damnés. Ils ignorent qu'ils vivent ! Un dirigeant pour ces fous
d'ivresse et d'insouciance. Leur tête est à prix. Non je ne les tuerai pas.
Pourquoi baigner mes mains dans le sang ?

601
.
L'esprit de travers

L'esprit de travers, des danses nombreuses, et des espoirs


pour des robes dévoilées. La main soulèverait sans prétention les
ondulations dues au gonflement. Elles se mouvaient. Fibres
étincelantes jusqu'au genou qui dessinait... moi, aux abois ! Je lançais
de l'œil les notes pleines et justes pendant que des âmes tordues
divaguaient sur d'autres chansons.

Je me plais à contempler les rais jaunes défiler de la


mignonne, notant au passage le succès remporté. Vite trémoussé,
l'arrière collant le pantalon du voisin, des couples nombreux agissaient
de même. Mais poète, reculé, j'attends l'heure, vautré en pacha et seul.
Voilà qu'elle m'échappe. Un gredin poussé par l'effet me l'entretient :
avec ou sans chômage ? Toujours de la poitrine si ce n'est. Et je rentrai
raconter l'histoire ci-dessus.

602
Ces marais livides

Ces marais livides, ta puanteur te défend de les aimer.


Les précieux brillants rayonnent de mille défauts.
Quant au luxe des femmes, l'orgueil t'en a détourné.

J'assassine la clarté des soleils pour elle-même.


Dans l'alcool, l'esprit me pénètre
Et l'aura s'endort.

À défigurer la beauté
Qui m'éloigne de ma compagne.
Les sens se libèrent
Puis s’amollissent sur des édredons.

On me reproche de rechercher le scandale


Mais ma folie est saine,
Je retourne à l'idée de nature.

603
Matinée douce et claire

Matinée douce et claire qui confond en l'aurore


Le geste décisif d'une belle à aimer,
À ma face soyeuse, j'entends que tu honores
Toutes ces jouissances à mon cœur promulgué.

Et comme la fraîcheur prolonge sa tendresse


Sous un soleil avare de rayons primitifs
Bois d'une main divine, cette blonde caresse
Pour moi, enfin amant de ton regard pensif.

604
De la valeur extrême

De la valeur extrême en qui monte le joug


Pareil à l'incendie de cœur sur l'endormie
Se propose l'oraison matinale, un peu floue
Pour voir dormir la beauté en ses nobles plis.

Amas inertes et hautement persécutés.

Sur l'étang le cygne mire son front illustre


Et dans les ondes calmes se pâme le nageur
Son gosier quoi que tendre mais toujours un peu rustre...

605
La pièce en bronze

La pièce en bronze qui nous obsède ;


Nous alimentons le vice, le mal
Par des surplus de consommation.

Dès lors, toute philanthropie hors de soi ;


Je suis marchand, roturier,
Usurier à des taux interdits.

La décadence pour les monnaies, pour les ors ;


Les grandes fouilles ?
Dans les recoins de la femme.
Et troc et Italie, et jamais de partage !

Le dollar chevauchant le yen,


Des liasses de billets sur un ÉCU naissant.

Rendez la monnaie aux pauvres chômeurs.


Payez-vous avant la dévaluation.

Le cœur flambe, le pouls s'accélère,


Voici venue la fin du noble et du riche !

606
Oh ! Je ne survivrai pas de l'autre côté de la pièce !
Le manteau de St Paul que je sépare,
Un malentendu m'attaque en justice...

La roue de la fortune à tout prix


Sur des jeux infaillibles. La grande chance
De demain ! Tu joueras chômeur,
Toi aussi Lotoïste, toi aussi homme perdu !

La décadence de la monnaie, des ors,


Que la bourse pleine du gros etc.

Tu feras saigner tes veines


Miseur modique, tandis que la bourse
Se gonflera de tes soucis.

L’Épargne subit les fluctuations.


Je balance entre le compte chèque
Et le livret.
J'augmente mon capital
Dans de bons de trésor au porteur
Indexés sur le coût de la vie.

607
Aussi je m'assure
De me baigner dans la fortune,
Et réelle soit cette envie passante !

Ce commerçant est diabolique,


Il veut me soutier mes dernières
Pièces de cent francs. Moi qui ai
Tant travaillé et qui n'ai pas
Gagné un seul centime,
Comment le payerai-je ?

Le prix de mon travail


Si quelque jour,... je suis lu...
Il vous en coûtera combien
De ce gribouillis de sage ?

Mes réserves d'or noir sont les raisons


De mes manières bizarres.

Mon caviar est à la coque,


Mon Bordeaux est un gros rouge,
Ma foi est foi de porc.

608
Ô les mets du roi poète !

609
Hélène

Hélène, je la chercherais aux Amériques,


Même à Berlin. À genoux, son nom m'invite.
Pourtant, je la chasse. Elle revient en force
Dans mes résistances. Elle est mignonne.

Ma femme près de l'acacia dort.


Les dures heures de l'été seront à faire,
Les drames caducs sont déjà passés.
Nous avons eu... Je gâche les prières.
Je vis en toi et toujours selon l'envie.

Les belles dents éclatantes. Je t'ai respirée.


Contre ton sein, je refais la patience,
Droite et sûre sur l'ordre de la mémoire.

Ta douceur et le goût des têtes chères.


Je t'ai en noir, et je baise
Le fond de l'œil luisant. Ta nudité me poursuit,
Que faut-il en penser ? Tu ne réponds rien.
Viens me mordre le bas-ventre.

610
Elle surprend mes traces de résistance.
Elle apparaît, c'est elle ! Je la vampe
Et l'ai touchée toute nue. Elle m'est destinée.

Si j'ai deux sous d'or,


Qu'elle me vende son amitié.
Je lis qu'on va nous fiancer dans le journal.

Un cœur prêt à chanter.

611
Variante d'Hélène

Hélène, je la chercherai aux Amériques,


Même à Berlin. Elle y est déjà.
Je l'ai souvent gagnée,
Pourtant je la chasse.

Elle apparaît, c'est elle. Je la vampe


Et l'ai touchée toute nue.
Elle m'est destinée.

Si j'ai deux grammes d'or,


Qu'elle me vende son amitié.
Je lis qu'on va nous fiancer dans le journal.

Un cœur à chanter.

Les dispositions nous usent.


Les passions montent nous aimer.

La femme voyage et s'élève


Sur des disques de platine et d'or.

612
La nuit, nous l'écoutons.
Elle me promet l'enfant.

613
La faiblesse du patriarche

La faiblesse du patriarche - il veut m'ennuyer.


Il a perdu l'avantage
Dans ses profonds sommeils.
Le père crétin s'encroûte
Dans ses fureurs.

Elle voudrait fouiller dans les tiroirs.


Elle pose un œil sur la pile de livres noirs.

Je m'ingénie à ne rien leur concéder.


Je suis à l'essai et me vautre dans l'expectative.

614
Les ombres

Les ombres pensent en mon âme.


On m'a enrôlé dans de faux mystères
Si bien que Dieu ne me parle plus.
Les femmes de l'amour sont possédées.

Mon or brille pour les droits à venir.


La récompense ? Du travail d'avare.
L'intelligence se perd.
Cela t'étonne, mon cœur ?

Il est un monde

Il est un monde rempli de volupté


Où des sons étranges et volubiles montent
Vers de faibles rais de lumière
Qui, sans mentir, semblent sortir de l'alcôve...

615
Les stigmates

Les stigmates calcinés par un autre maléfice.


Les sexes se tendent dans cette chaude nuit.

D'affreuses araignées, d'horribles tarentules


Se vautrent sur mon lit.

Sous les pattes velues, je ressens le plaisir


Qui me confond enfin avec la tentation.

Peut-être dans leurs yeux une nymphe soumise ?

616
Ô messager

Ô messager, passe-moi le secret !


Silence.
Le secret des magiciens.

Je prévois un grand poème sans prétention, sorti du néant - Ils


m'écoutent béats, ils vont m'interrompre - une fatidique résolution à
tout emporter !

Me trompais-je quand j'imaginais un avenir meilleur ?


Toujours est-il qu'il me faudra attendre moi inconnu des heures de
toute beauté tandis que ma capitale jeunesse s'achève. Je rougis d'avoir
autant travaillé. Dire que j'écris si mal !

Je lis mal ! J'écris vite ! Assez d'âneries. Pourquoi se


plaindre ? Ta vie est ce qu'elle est. Je la rêvais différente.

Je masquerai ma haine puisque je suis sans importance. Quel


public te l'a dit ?

"Salut, lis et à travailler", qu'ils auraient pu dire.

617
Moi, je n'ai pas quitté ma chambre.

Un coquelicot doré adossé à la fenêtre sent venir le courant


sous ses longs cheveux.

Comme tout cela est vraiment bête !

Flamboyant, prétentieux, idiot, quelles raisons invoquer pour


cela ? D'ailleurs je ne veux pas de réponse. Le mystère. Je
m'abandonne à de simples spéculations.

Un commando tombé du lit sans voix, à l'improviste me


trempe dans le poème ? Moi, j'évinçais leurs conseils. Que le moi fut
plein !

Qu'ai-je à regretter ? Rien. La moisson du mystère ? Je


l'abandonne. Après tout, ce ne sont peut-être que des mensonges...

De mémorables lesbiennes que je devais déflorer, et faire


jouir. Je devais m'en occuper assidûment et déplacer les frontières de
leur sexualité.

Quand bien même, on me reconnaîtrait du talent, je dois

618
attendre, m'armer, me fortifier etc. Vieillir !

Tristesse, hécatombe, meurtres, incendies, grande tristesse ce


soir : je n'ai pas eu souci de plaire.

Adossé à mon lit et malade, de qui aurais-je pu avoir peur ?

Vont-ils enfin se taire ou parler ? Ils préfèrent se taire.

Satané monde prêt à mentir d'un rire infâme, tandis que je


m'obscurcis complaisamment.

Un monde éphémère, changeant, compliqué et lunatique. Un


monde ou un public ?

Je croyais aux grandes vertus. Je prouve que l'effort même


unique ne mène à rien.

Efficacité nulle, leur venue. Des silences. Il faut calquer


parfois des poèmes. Très drôles, ces écrits. À quoi servent-ils ?
Pitoyables poèmes. Et personne n'a ri.

619
C'étaient tes chances, ces pacotilles que tu n'as pu saisir.
C'était l'ordre de ton succès !

Hécatombes, silences. J'avais à filtrer leurs venues. Mon


occultisme naïf a tout évanoui.

620
L'acte de penser

L'acte de penser devient, se fait cafouillages, donc pertes de


temps. Des heures perdues !

J'attends Midi. J'aspire à des dérapages. Je me perds. Je suis


faible donc je ne peux me dominer.

Quelle action, quel sentiment, quelle allégresse ! Mais la part


de l'absurde m'incommode, me terrorise, m'agace.

Sensible, j'ai une écriture de femme...

621
Déjà les scribes s'envolent

Déjà les scribes s'envolent... Non, tout ceci n'a vraiment


aucun sens.

Bête à fumer les heures chaudes d'un printemps précoce, d'un


été maladif, car la tombée des grêlons est pour bientôt.

Déboussolé et riant. Mais toutes ses fortunes lui apprennent à


se contrôler, à bailler, ou à pleurer. De grands résultats reconnus car la
forme, l'effet spirituel...

Les rires chargent les sentinelles. La guerre. Pourquoi ? Les


hommes dans les tranchées sont inefficaces.

Belle bête de cirque. Une pincée de groseilles. Quatre idées


s'assemblent, et des professeurs changent d'avis. Je m'oriente vers une
compagnie d'artistes. Personne n'y comprend rien. Respecte ton
public.

622
Entends les débris

Entends les débris jouer avec les petites mains comme avec
des osselets. Quand ils commencent leurs simagrées, les ongles
tombent sur le sol et d'autres déchets grossissent des tas. L'émotion
disparaît. Ils rient bêtement. Les minables tracasseries orientent les
temps de vivre. En fait, ils regardent avides les tombées des voisins.
Les enfants soufflent sur de minuscules montagnes de déchets qui
deviennent cailloux puis rats. Enfin, par une dernière métamorphose le
tout se transforme en papillon. Grâce !

623
Vision automnale

Diurne, et les vols étaient chargés de feuilles molles ;


L'obscur anéantissait le blême noctambule ;
L'étoile, l'astre lunatique périclitait encore
Sur les pâles figurines exposées en ces lieux ;
En sources lumineuses, un incendie jaillissait
Comme grandi aux charbons excités, et dansants ;
Les ténèbres trompeuses dans leur noire ascension
Invitaient le mortel à détester sa nuit.

624
Encore faudrait-il

Encore faudrait-il que tous vos fantasmes se fissent en plein


jour, que vos grandeurs d'âme rassemblassent nos espoirs ou nos
évidences !

Tout nous classe, nous dirige à progresser, à aller de l'avant.


Des fainéants regardant le troupeau brouter. Les théâtres nous
interrogent. Nous voulons la chair, nous délirons par le cœur. Appelle-
t-on cela le vice ?

Tant d'enseignements, tant d'esprits féconds que nous


n'utilisons que bêtement ! Les fortes intelligences guident nos pas. Qui
les embrasserait ?

Nous jugeons et détruisons nos ancêtres, et baignés dans un


siècle bouleversé, nous espérons tout transformer. Piteuse jeunesse qui
se pâme de déchets radioactifs, de mois de mai et de camps
concentrationnaires. Ils hurlent ceux qui n'ont plus de quoi faire des
livres sur les guerres de l'Orient !

Des gueulards, des incapables, des sans sujets ! Quelle


connaissance détiennent-ils du passé ? Ils se pavanent parce qu'ils ont

625
lu quelques grands poètes. Ils jureraient de donner des conférences !
Des je-parle-de-tout et des je-ne-sais-rien.

626
Moral d'acier

Moral d'acier ; vertueux ; nombreux fantasmes.

Je ne sais pas m'y astreindre...

Une fourmi se promène sur du Claudel. Quelle courte idée !

Italie qui se méprend, qui se fait mal.

À la limite, tu réponds stupidement à la question qui posait de


terribles problèmes.

Choisis, injecte, écris. Quel compagnon agirait dans le livre


de la sorte ?

627
La tête est vide

La tête est vide.


Ni l'horizon,
Ni la chambre.

L'ouragan sur les montagnes.

L'ouragan sur les sombres montagnes soufflait, les courants


de feu tombaient multicolores vers les plaines et les villages.

628
Mince ligne noire

Mince ligne noire,


Lamelles d'argent.

Où s'ouvrent les cœurs de la Seigneurie Verbale ?

Mots souples, phrases de désespoir.

Que mon innocence s'achève ! Procès d'intention.

Libertés du poète. Je raye les mots Procès d'intention.

629
Noble écrivaillon

Noble écrivaillon banni par l'ensemble, tes nuits grossissent,


tes ennuis fracassent ta tête.

Graduellement des secousses comme celles éprouvées par le


Malade font souffrir à chaque instant.

Hôpital des dimanches quand j'entends ronfler la tondeuse à


gazon du voisinage, quand son bruit languissant assourdit mes deux
oreilles.

630
T'essaies-tu aux rigueurs

T'essaies-tu aux rigueurs, aux larges rigueurs de ta forte


nuit ?
Pensais-tu renverser l'ordre nouveau ?

Tu avançais avec ta perte, ignorant les vicieuses plaies. Quel


saccage ! Quel travail ! Des inaptitudes reconnues !

Ô cuirasses de plaisir, j'entends battre à l'assaut mille forces.


J'entends gémir l'ordre absolu !

631
Je ne vis que dans l'espoir

Je ne vis que dans l'espoir de laver les produits. Non, je suis


faible. Non, je m'égare. J'apprends à travailler cela et cela seulement.

Voici l'heure, voici les bouleversements voulus,


l'inconcevable hiver ! Mon innocence a pleuré. Je m'éveillais.

Oui, je veux ériger les socles de l'ordre injustifié. De leurs


musiques et de mon savoir, le livre se fortifie et naît.

Tout déclenche ma rêverie. Les courbes ondulées se perdent


dans l'esprit. Préoccupé, j'attends l'instant magique, tel un druide.

Dédaigné et souffrant, libre mais jamais seul.

Sa compagnie tournera en despotisme, en des tremblements.


Toujours des maîtres et des valets.

Au chevet de l'inconnu, trois gardes - deux, peut-être. Rire,


syllabes assaillantes : entités corrompues, vicieuses, glorifiant la chair.

Vanité car je gardais le silence ! Les retenues démontrent que

632
je me suis trompé.

Je lève un bras. La mer de mots s'épuise. L'âme vole de


minuit en minuit, et bouscule la patience.

Les raisons m'ont ordonné d'agir : donc je polis. Mais étant


nul, je ne remanie rien.

J'effraie, et mon visage renvoie le tréfonds de l'âme.

Les poings croisés, les forces lancées vers mon amour


s'épuisent. Dix ans à rêver de celle qui danse !

Ma peau, mes pores hurlent la poésie. J'annonce que fierté,


nervosité combattent, se repoussant, s'accumulent dans le mal.

Nie le passé. Quel sera l'avenir, un rêve d'histoires ? Il craint


tant le présent qu'il noircit les feuilles blanches. Point d'homme, il
subit les nocturnes influences.

633
Prince

Prince liant l'humaine terreur, les sauvages groupes meurtris


accablent la paix de l'âme !

Que soit maudit le cri brûlant dans toute sa gloire !

La gloire éclate, fuse et tombe dans les musées pour venir se


perdre chez moi.

Des races tournent dans l'atmosphère, des âmes se ruent


couleur de sang, des hommes repartent inchangés.

Le million vomi à l'origine d'un essai naïf.

Tout ceci est précieux, ridicule, stupide. Je me suis sauvé,


fuyant le statut que je respire.

634
Dans le fouillis nuisible

Dans le fouillis nuisible, les réalisations sautent sur ma main.


Des dentelles bizarres marquant des nettetés jusqu'au classement
superficiel et tenace. Victime de mes insuffisances, j'obéis à toute une
race pensive et indéracinable.

Telles seront mes dernières rhétoriques, comme ma modestie


m'ordonne de m'élever et de chasser les effets secondaires.

Les pages se chargent et se gonflent de puanteurs. Les


puissances bénies n'échapperont pas au choc dérivé. Mes largesses
serviront ma mort, épuiseront mes velléités et mes larges sourires. Je
promets l'assurance aux incapables du jeu.

635
Inconscient de tes forces

Inconscient de tes forces, ton divin te porte ! Droit sur l'exil !


Vers l'encre si tu ne veux pas subir l'horreur de tes ennuis.

Déjà entendues. Vos sources, que puis-je en faire ? Des


paroles inutiles qui m'ont empêché de saisir la vérité. Assez de vos
coups de doigts !

636
Les épaules voûtées

Les épaules voûtées, et les charognards toujours à


comprendre. Qu'on me malmène avec cette pitoyable comédie ! Dès
dix heures, les sérénades manquées. Où est ma rigueur ?

Les chemins empruntés sont nuisibles. Question de métrique.


Comment interpréter ces bourdonnements d'oreille ? Tant de tricheries
! Tant de mensonges !

Mais que sont tous ces pleurs qui se perdent dans la nuit ?

637
Il goûte à ces plaisirs grotesques

Il goûte à ces plaisirs grotesques. Il se noie dans la chair


vicieuse, et lèche ces nécessités excrémentielles. Il aime à se vanter de
ses lamentables conquêtes.

Sous des abords très convenables, multipliant les avances,


poussant les vices à l'extrême, on le voit se disculper : Il vit ! En fait, il
croit vivre. Car ses raisons l'entraînent vers des buts insensés.

Son nom frappe avec intensité les portes des caveaux où des
femmes attifées de souvenirs vulgaires, le vampent d'une œillade
généreuse.

Mais tous ces succès se rencontrent aisément - des luxes


faciles -, des phrases grossies sous des lumières multicolores. -
Lumières stupides !

Il se prête pourtant au jeu, inventant des puérilités, niant ses


faces cachées. Sa tolérance se reflète sur les crânes abrutis ou vidés. Il
se déçoit mais feint à son ignorance.

638
Quel que soit son chemin, quelles seraient ses traverses ? Son
destin le rejette vers d'autres infortunes.

Un drôle insensible à ce genre de vie, un inconscient prêt à


des basses concessions pour vivre ses amours. Ho ! Le crétin
incapable de briser les chaînes d'or qui dans cette chambre le font
suer !

Quelle tirade facile ! Quel jeu enfantin ! Pourquoi ternir ces


pages de rouge ? Cette couleur ne se rencontre jamais.

La vague confession dans l'âme déchirée. Je suspends mes


carnages ; je cesse de me plaindre.

Mais un esprit malin veillait à ses délices. Ses cruautés


amères avec de vils péchés se perdaient dans le creux de l'instant.

C'étaient des bruits sauvages, des écoutes passives. Se


mêlaient des rires furibonds avec des chocs passifs.

Tous semblaient le surveiller ou lui venir en aide. Il l'a cru !


Non, il ne sait plus. Ses nuits s'encombrent de silence. Il tire de grands
avantages à exprimer ses confessions.

639
Ô, se disent écrivains ou docteurs. On s'invente des
professions. Rien au sérieux. C'est la parfaite ignorance, celle qui fait
se poursuivre les questions.

En une période plus faste, moins terne - une période


d'indulgence - on eût pu concevoir des tourments sauvages, indignes
de sa belle vie. Il eut été humain d'achever ces actes de barbarie
pousser à leur extrême, et d'expliquer les primitifs mystères.

640
Un grand trou méchamment blotti

Un grand trou méchamment blotti entre quatre haies


d'acacias, et les sèves exaltantes coulent en saccades jusqu'au parquet
d'en face. Point de fraîcheur à espérer dans ce jardin-là : les branches
vieillies blanchissent de tous côtés.

Un monde bestial dès l'automne surgit, réapparaît sous les


fenêtres ternes des surfaces aérées. La cupidité humaine ressuscite et
se polarise sur des effets négligeables pour que les gens s'interrogent.

Longtemps fuir les modèles que l'artiste interprète


différemment.

641
La nuit en juillet

La nuit en juillet couvert et silencieux. Dans ce jardin


monotone et stérile hanté de cent personnes où tout est mort, on ne
raconte rien. Mauvaise allée avec ses gravillons. Lignes travaillées qui
vengeront ce néant vert, lignes pour le progrès ! Que la ligne soit
belle !

Sous le climat laid qui tombe, je suis à plaindre. C'est la


prison médiocre ! La chambre bleue ne tranchera pas sur mes
souvenirs.

Templiers de la mort, chanterez-vous mes querelles ?


Frapperez-vous les ordres qui semblent survenir ? Que vous êtes
méprisables !

Je vomis les artifices et je vise de savantes sueurs. Ma tête


remplie de songes illustres multiplie ses défauts.

Elle navigue à la découverte de vastes terres. Qu’elle se


convertisse, elle qui flambe les étapes !

642
N'as-tu jamais connu si piètre allure ?

N'as-tu jamais connu si piètre allure ? J'allais changer les


formes connues de nos peurs ancestrales. Ma mémoire agissait sur les
méandres, et mes tâches accomplies renversaient l'acte banal. C'étaient
nos nécessités avantageuses. Elles plongeaient et nous provoquaient
avec leurs seins nus. Ma pensée se dispersait dans leurs zones
sexuelles. Elles criaient leurs refus.

Je me souviens encore des expressions suaves, mais parfois


ternes. Si elles se retournaient, d'éternelles femelles gravissaient les
échelons de la modernité. Pour ces luxures, n'aurais-je pas vendu mon
corps ainsi transformé ? Les bêtes se poursuivaient culbutant sur leur
passage tous les automatismes qu'ils leur étaient ainsi dus.

Pourtant les nobles femmes attendaient patiemment l'instant


du délire, attendaient l'heure grave que l'homme exulte malgré sa
honte.

Les cloches tintèrent machinalement. Les heures se


succédaient, et mon coeur se mit à fondre très fort.

643
En fait, d'autres gens mouraient, ivres d'instants graves et
oubliés. Ma demeure s'encombrait d'expressions aggravées par les
démantèlements du temps. Pour ma suave expérience, un ange se
joignit à moi. Nous vivions dans sa tombe, et j'obtins le mélange
heureux des dispositions primaires.

Quant à souffrir éperdument, je donnerai ce que je fus et ce


que je serai, - c'est-à-dire peu de choses -, comme ce sont mes minutes
de divagations que j'ai malgré moi vendues.

644
Maudit soit cet acte ignoble !

Maudit soit cet acte ignoble !


O ma débâcle amoureuse
Quand je cassais mon coeur rougi !

Mal m'en a pris de vous refuser


Cœurs sensibles.
Cette éphémère nuit, j'allais titubant.
Je vomissais une âme malade
Convoitée mais dans la gêne.

Fugaces ces nuits immorales !


J'épure l'homme dans son mal.
Pardonnez-moi si la douleur est banale.

Le plaisir guerrier, celui qui est sale,


Piment que je respire avec les mains moites.

Mes solitudes vertes, plongez sous les odeurs !

645
La fugue à trois voix

- La contrée jaillit, pâlit sous la feuillée baignée de pluie


humide.
- Je t'enseignerai le contrat. Qui comptes-tu inspirer ?
- Ô frère injuste, tu me dédaignes. C'est pourquoi un toi-
même qui parle.
- Hier, c'étaient des paroles insensées et laides, des essais, des
folies.
- Je me moque de tes impuretés et de ton contrat.
- Vous êtes tous à vous chamailler. Laissez celui qui tient la
plume en paix. J'ai l'inconscient à questionner. Il faut construire la
perte immense...

646
Conquérir ou nier

Conquérir ou nier
Sa complexité.

Arrache la page stupide, celle que tu palpes, mauvais juge.

Il lui est arrivé de croire en soi.

Des laines recouvrent ta logique, éclats de rire. Trois


moutons.

Ne sais où je vais, ne sais qui je suis.

647
Là-bas les nuits

Là-bas les nuits chantent dans les faubourgs d'adieu,


Les chanterelles sortent sur le frais de ton coeur,
Les colons s'apprêtent et rient au fond de tes yeux,
Et les mouvements s'éloignent au rythme de l'heure.

648
Ce fut un temps de sécheresse

Ce fut un temps de sécheresse où la Mort s'enlisait


profondément dans les cratères de la haine. Son esprit ruisselait de
fatigue. Son esprit ruisselait.

Ils plantèrent des tentes, les unes contre les autres à


intervalles réguliers, et la foudre trembla sur les coteaux du soir, - et la
foudre trembla.

C'étaient des représailles toujours plus immondes, toujours


plus inquiétantes, - c'étaient des représailles.

Le pont enjambé, des démantèlements d'honneurs se


propagèrent tard dans la nuit jusques aux clartés funestes. Et le bal fut
lancé. Et le bal fut lancé.

Dans les charniers, les corps d'enfants pourrissaient, les yeux


convulsés, les taches de sang sur les petits habits, sur les petits habits.

Hurlements, forces tumultueuses, agressions nocturnes et


violences pour toujours, - et violences pour toujours.

649
Les spectres hâlés usèrent d'armes blanches, - d'armes
blanches durant toute ma vie.

650
On applaudit

On applaudit à chacun de ses pas. Il est au rendez-vous


l'époux tant désiré ! Il quitte sa patrie l'adulte attendu !

Elle est déjà connue la femme à implorer. Elle a vingt ans.


Elle cherche à être aimée.

651
Les transmutations alchimiques

Les transmutations alchimiques tenaient en émoi le pauvre


Eléonard dans sa prison depuis six années. De vieux livres achetés à
un prix d'or renfermaient le secret de la longévité.

Il s'était procuré les grimoires par une secte très spéciale qui
pratiquait la magie noire et qui de temps en temps se réunissait pour
fêter le sabbat. Le Grand Maître lui avait proposé le Livre des Anciens
à des conditions excessives moyennant quoi, Léonard curieux de
beaucoup de choses accepta. Il s'était fait rouler. Le bouquin était une
sorte de Grand et petit Albert où les recettes de cuisine sont plus
nombreuses que les moyens de faire fortune.

On y apprend que les ecclésiastiques portent à leur doigt une


bague en améthyste qui les préserve de l'ivresse, que la bave du
limaçon a des vertus curatives et guérit des maux de ventre, mais l'art
de faire fondre de l'or, on n'y trouve point la recette.

652
Bergamote

Bergamote toussait et reniflait. Il avalait sa salive et crachait


des glaires jaunâtres - excédents de tabac fumé pendant la journée
dans un grand mouchoir à carreaux avec des rayures blanches et
rouges.

Il fumait bien une cinquantaine de cigarettes par jour malgré


l'interdiction des docteurs qu'il consultait régulièrement. Il ne se
passait pas deux semaines qu'il ne vît un grand spécialiste. Il prenait le
volant de sa deux chevaux et gagnait la ville Blanche située à cent
kilomètres de son domicile pour être consulté.

C'était un homme qui coûtait fort cher à la communauté (les


caisses de Sécurité Sociale se vident à vue d’œil avec les malades de
son espèce). Il faisait du moins l'affaire des médecins qui voyaient en
lui un dupe et un naïf qui déboursait et payait bien. Ce genre de
consultant est toujours agréablement accueilli par les vendeurs de
bons médicaments.

653
Le jour se levait

Le jour se levait sur la Principauté de Monaco. Les rues


propres sont nettoyées chaque matin par le personnel municipal. On
pourrait déjeuner sur les trottoirs. L'hygiène de la ville ! Ha ! Si toutes
les villes avaient les crédits nécessaires à l'entretien !

Il y avait encore des établissements ouverts qui travaillent


toute la nuit. Les panneaux lumineux éclairaient les rues de la ville.
Les casinos aussi étaient illuminés.

Je descendis de l'hôtel. Ma chambre était au quatrième étage.


J'appelais l'ascenseur qui ne tarda à s'annoncer avec sa cage
métallique. Au rez-de-chaussée, le veilleur de nuit me salua
négligemment, pressé de regagner son lit.

A la porte d'entrée, je croise un couple en tenue de soirée. La


femme très belle porte une robe longue sous son manteau de fourrure.

L'homme est vêtu d'un smoking noir et d'un nœud papillon.


Ils quittent un taxi que je m'empresse de rappeler.

654
L'opéra immense

L'opéra immense rassemblait le Tout Paris à chaque spectacle


de nouveautés. Les Ballets russes firent un triomphe. On les applaudit
dix fois. Le rideau se leva et se baissa dix fois.

Nous étions en 1925. Époque de décadence, période de


troubles. Le public sifflait, congratulait les acteurs. Ils avaient beau
jeu de rire de la critique...
Au premier rang, les journalistes verbeux écrivaient leur
papier dans l'affolement général. Chacun se pressait, se dépêchait pour
faire parvenir à la rédaction son résidu d'insultes. Des garçons de
course attendaient au pied de guerre les articles à envoyer au journal.

Paris centre du monde, Paris centre de la culture décadente


insultait, crachait sur les classiques, encensait le dadaïsme.

655
Assez de l'analogie

Assez de l'analogie et de son génie. Les heurts de mots


absolument incompatibles feront de moi un être reconnu. Assez du
compte et de l'accentuation, j'écrirai sans cela. Ma terre, mon
inspiration suffiront. Que m'importe le texte écrit ! Pourquoi se
soumettre à des règles vieilles de trois siècles ? Ne peut-on plaire sans
cela ?

Laissez-moi l'accord des mots, je serai qu'en faire. Ne dites


pas de moi que je suis un faible parce que je ne suis pas un chasseur
foudroyant, parce que ma jeunesse m'interdit tout travail sérieux sur la
page blanche !

Laissez-moi faire, je vous dis que cela vous plaira. Je ne


prônerai pas l'anarchie. Je donne à la mémoire toute liberté. Je crois en
elle.

Lisez tous ces piètres inconnus qui s'efforcent d'associer


quelques techniques à leur faible savoir. Regardez-vous aussi, vous
qui ne vendez rien, qui n'intéressez aucun public.

656
Nous maudissons à quatre

Nous maudissons à quatre tout ce qui nous vient des autres.


Les silences nous sont si chers qu'il nous faudra longtemps puiser en
nous-mêmes pour rejeter les cas d'imbécillités présentées.

Je te passerai sur le corps

Je te passerai sur le corps sans haine, j'enjamberai ton


cadavre sans amertume. Je ne te cracherai pas au visage. Sur ta tombe,
l'inscription à graver sera : "Maudit pour l'éternité".

657
Il y a des sacrifices terrifiants

Il y a des sacrifices terrifiants. Le poète est celui qui s'élève


au-dessus des vivants. La honte le fait se cacher. La honte ou la peur ?
Il y a un incompris toutes les fois qu'il s'essaie à expliquer ce qu'il est.
On se rit de lui, comme on se rit du pauvre qui ne dispose que du
nécessaire. Il évite les coups, les sévices, les plaies. Lui si sensible
subit les bêtises d'autrui.

Bêtise

D'un souffle catastrophique, l'inspiration s'est volatilisée. Des


nymphes couraient la rattraper. Des morts se sont jetés dessus, et l'ont
soulevée de leurs bras majestueux. On sonna le rappel. Les morts, les
simples morts cassèrent leur élan. Ils lâchèrent la proie. Il est qu'elle
court, qu'elle vole. Personne ne la recherche plus. Elle est enterrée en
mon âme.

Je serai l'un des seuls de ma génération à la posséder.


D'autres poètes la prendront pour femme. Elle n'existe pas. Moi seul
puis lui redonner vie.

658
Il est un verbe

Il est un verbe, il est un mot qui doit venir, qui nous


appartient, qui nous échappe pourtant. Il est ma sève, mon droit et
mon orgueil. C'est un esclave qui nous domine, - stupide état !

Je vomirai toutes les haines qui sont en moi. Je cracherai sur


les sépulcres qui s'encombrent de poèmes. Et je ferai pleuvoir des
montagnes de sperme et d'excréments.

Le peuple tout entier tremblera, effrayé par les forces du


destin. Ceci sera ma vengeance. L'acte qui épuisera le monde.

La foudre s'abattra sur les femmes, les enfants, les vieillards,


les malades. Des tremblements de terre dévastateurs et d'énergiques
tueries sur la population !

Je veux égorger le Mal qui rôde, qui s'installe en tout lieu. Ô


les membres décharnés, et le sang que je tords !

659
La réalité

La réalité est-elle à ce point écœurante que je doive


m'éclipser d'une vie momentanément perverse et ridicule ? Quelle
réponse attendre ? La femme m'ignore, me rejette vicieusement.

À chaque instant, un fragment mortel me condamne à rejeter


les habitudes que je ne m'étais promis de suspendre.

Tous m'éclaire avec horreur, tout me jette les feux de la


décadence. Elle est là, butée et servile. J'invente mes fantasmes.

Mais ces têtes nécessairement affreuses me provoquent, me


contraignent à me battre. Une compensation douteuse, une danse
stupide ! Que réaliser dans ce royaume ?

660
Longtemps après les cavales

Longtemps après les cavales dans les bois, je m'endormis à la


première étoile de l'été.

Les mains sur les hanches, je fis un tour complet sur moi-
même, et je regardais le paysage près du ciel. Un grand poète face à
moi dans les pénombres des arbres élevés.

Je tournai la page, et un autre homme me rit à la figure à


travers les feuillages.

Au milieu des bosquets, un rappel de symphonies humaines :


de larges voix vagabondaient dans mon âme.

Ma tentative fut de m'exprimer. Rien ne sortit de ma bouche.

Dans les moissons, je trébuchais sur ma jambe d'appui. Ils se


moquèrent de moi. Arrivé près de la dernière demeure, je trouvai la
clé des folies éternelles. Je ne pus les chasser. Elles revinrent en force.

661
Mon esprit grandissait. Je me croyais chanceux. J'étais à
plaindre. Le réconfort est lié à l'espace. Mon temps est trop cher,
j'attendrai.

Je repris une course belle à travers les sous-bois. Parmi les


ombres menteuses, je m'effrayai. On me montra du doigt. Je pleurai
souvent.

Entre les châtaignes, je reçus des épis d'or. Malmené,


j'aperçus la Vénus verte pour deux nus cachés. Ma jeunesse grossissait
en raison du vin bu. Ma modération cachait mon tour de tête. En
raison du parti pris, je cognais une nouvelle fois mon sang dans ma
cervelle. Je ne lisais pas.

Qui sait si je ne respirerai pas l'air du printemps et ses herbes


et ses odeurs et ses mirages ? Mais non, car l'aventure a rendu amer
mon exil.

662
Un jardin naturel

Un jardin naturel où foisonnent de laides orties ; s'agrippent à


la croisée des rosiers qui agglutinés monteraient aux murs du pavillon.
J'aperçois les arbres verts, les sapins tordus, les volets bleus de la
mansarde. A gauche, un pré jauni par les flèches cruelles du soleil. De
l'autre côté, la route passante. Y circulent cyclistes, piétons,
automobiles. Rien à l'exploit. Chacun à sa vitesse. Les infirmes sont
exceptionnels. Des gosses avec des ballons, des planches à roulettes, -
innocence et rires enfantins.

La maison c'est une vaste chapelle faite de lieux saints. Les


morts y parlent. De l'eau bénite dans tous les coins. On croit au
mystère. Des crucifix et des images de vierges entourent d'une vapeur
indicible les rares invités. Tout pour la charité. On se donne bonne
conscience. On prépare les décès. Et pas de place ici pour les assassins
d'oiseaux à moitié crevés ! Que d'hirondelles déficientes ! Du pain
malaxé dans du lait : elles vivront. On ne leur tordra pas le cou. Elles
seront fortifiées et prêtes pour le départ, le départ automnal.

663
Un coup du sort

Un coup du sort nous jettera-t-il dans la course aux souvenirs


? Enfin est-il possible qu'un lancé de dé insignifiant libéré à une
vitesse extrême au calcul de six, perturbe irréversiblement l'existence
du lanceur ?

En ce cas, il serait possible qu'un jet de dé lâché dans des


conditions illusoires ou grotesques opère une action sur l'ordre du
jouer afin de bouleverser ses caractères ?

Je compte pourtant sur cette tentative démentielle et


libératrice.

664
Impuissance

Impuissance suivie de calmes limpides hantés de blanches et


de vierges pensées. En fait, je suis forcé de soulever le poids de mon
âme pour n'y rien déchaîner... Fantôme qui harcelait l'enfance pure qui
se déboîte, cliquetis désordonnés dans un château - ceci est mon
esprit. Lumières fulgurantes, oublis dans des précipices ou caves,
danses macabres d'un spectre dans les profondeurs de la raison.
Horreurs ou transparence d'envoûté ?

665
Est-ce mémorablement

Est-ce mémorablement un instinct d'espèce, une palpable


conservation qui nous oblige à agir différemment ?

En tout éclat, maintenant que se brisent les fureurs, les


fulgurantes déterminations soulagent les plaies.

Je pointe l'arme à pécher, et ma cueillette palpite sous les


ailes du changement.

Une domination aisée : le spectre à la main, le monarque


ordonne aux imbéciles d'obéir. Malgré la marche accentuée, tout roule
sur des coussins de soie.

Je vais vomir les échéances et les bruits derniers. Les jets de


salives lubrifiantes activeront mes pensées honteuses.

Déjà ! Déjà l'espoir ! Et dans ma gloire se poursuivent les


accords. Non le masque n'a pas été peint sous l'action de joies passées.
Le repas est abstinence, et les heures de repos ont été annoncées à
l'avance.

666
Bête je le suis

Bête je le suis, mais calmement. Cascades d'injustices et


peines multicolores si tôt que ma tombe est creusée. Équivoque
douteux sur les leçons à en tirer de ces splendeurs célestes.

Libre acceptation du pesant carnage. Mes livres et ma


maîtrise sur les pages noircies ? L'obstination à vouloir vendre des
absurdités ?

Je publierai dans deux ans. La belle aubaine ! Point de


jouissance de jeunesse. J'en ai connu d'autres. Tout mon plaisir pour
des pensées indécentes, la satisfaction idiote. Rien. Un non-sens
continuel.

L'écart des déserts. Chute des corps dans l'espace. Nullités


des incertitudes. Position inversée des rôles et des chimères. L'orage
éclaterait, serais-je étonné ? Les demeures, les femmes et les orgasmes
sont déficients. Ma langue me joue des tours. L'avenir me connaîtra.

667
Si je fais bander une flèche

Si je fais bander une flèche, je vise à me satisfaire moi-même.

Si je gagne un carré d'as, j'emporte le pot. Soit rien dans ma


poche, si je joue en solitaire.

Si je verse du sel sur la table à déjeuner, mon plat se refroidit.


On me tend le poivre par-dessus l'assiette.

Si j'humecte ma lèvre, la bouche parle ; cousue elle se tait.


L'opportun me l'essuie.

Il marche, me tend la main et la serre à celui qui est derrière


moi. Le bénéfice de la poignée m'était dû aussi.

668
Engagement, découvertes

Engagement, découvertes, ensemble souple, quantités naïves


à chaque recoin de rue.

Multiplication facile, accidents irréels, constats, signal


d'alarme. Mais de quoi se nourrir en ce pays ? Fautes des passants.
Allégresse générale.

Ma panoplie de physiques. Cultivateurs besogneux, soignez-


vous les belles bâtisses sans danger de mort ? Rêves désabusés,
actions ironiques mais le héros n'est-il pas ici ?

Tocsin. Mille besognes grincent sur les libertés. Les pluies


ronflent, soufflent contre les vitres : ma haine s'expulse ! Fermement,
les excès couvrent les sonorités hilarantes. Arrivage, et sur les plages
fondent les cures des invités. Des conquêtes et des oiseaux, des viols
et des meurtres, sans effusion de couleurs.

Les demeures voient la tentation. Initialement réparties pour


se reconvertir les fileuses bêlent et peinent : douce complainte. En
face de la ruche, cachées dans l'ombre les colombes battent du cor,
gonflent les caractères au loin.

669
D'ici tout semble permis : les calculateurs en soif de
domiciles démolissent les champs, les gardiennages, et les cyprès.

Je construirai l'ensemble : bâtiments, squares pour voir si


l'oeil dans un miroitement lumineux glace la rétine. Non, inversée, elle
rend l'éclat assigné.

Le somnambule veille à la pâleur, à la douceur de la lune, aux


rendez-vous sur l'herbe, à la pureté des vierges, aux naufrages dans les
déserts etc. La démarche est d'une utilité gigantesque pour les
hommes.

670
À quoi bon les soupirs

À quoi bon les soupirs et les cris du coeur et les mains blêmes
ruisselantes de sueurs ?

À quoi bon les inquiétudes, les tourments et les angoisses


répétées ?

Dans un profond manoir où des scènes lugubres pendaient au


plafond, des toiles d'araignées dansaient au-dessus des portes et des
vitres brisées.

Dans cette atmosphère fantasmagorique, des bruits tout à


coup : (non point de la pendule, Stéphane) quatre coups distincts dans
l'absolu terrifiant. Les membres tremblaient d'inquiétude, et le ventre
se resserrait.

Sur les marches d'une église, un caveau sale et ténébreux. Et


j'ai vu des êtres accroupis sur la bière, des ombres invisibles, moi
seulement je les vis.

Je n'exploiterai pas ma vision.

671
En rase campagne, une tornade d'insectes, et le paysan étonné
regagne une cabane pour s'y abriter.

Les murs coulissaient, j'étais au centre de la pièce. Je sentis


ma fin proche. Je me levai de toutes mes forces sur les murs peints en
noir. Les murs cessèrent de coulisser. Je m'enfonçais dans l'un d'eux.
Je passais une main puis l'autre, enfin le corps entier. Je disparus
aisément ne laissant aucune trace de mon passage.

J'ai chassé les morts de la tombe. J'ai vomi un coeur si gros


que les larmes ont fécondé la terre, exaltant un tapis de fleurs jaunes et
de pousses élevées.
À propos des roses qui s'agglutinent à mes membres, qui
jettent leurs pétales de baume sur ma tête féconde, je dirai :
"Nourrissez mon âme sans conscience, avec conscience.

Brûlez tous ces papiers, tordez l'encre qui les a noircis, et


vendez mon Néant. C'est-à-dire toute ma sève créatrice et tous mes
lendemains enchanteurs."

Un prêtre m'a écouté. Du fond de son désespoir, il a marché.


Il a suivi le chemin qui le menait vers moi. Qu'il m'aime car il sera
guéri.

672
J'ai touché tous les ventres de mon index malsain. J'ai
provoqué des foules de plaisirs qui dansaient grâce à mon doigt. J'étais
vicieux.

Ils ont brandi des casques, et les dorures flamboyaient au


soleil levant. Ils se sont couchés sur des terres vierges. D'un sommeil
lourd, ils ont ravagé les cœurs des prairies, et les prés se sont avachis
sur leurs pesants d'or.

673
Les vieillards

Les vieillards constituaient un ensemble hétéroclite et


puissant de déchets, de vice et de lubricité. Les actes auxquels ils se
livraient étonnaient, choquaient, scandalisaient les passants, les
ménagères et les enfants.

Leurs tas de guenilles amassés sur le trottoir étaient la proie


des vandales. Même le pauvre curé qui regagnait sa paroisse, prit ses
distances, ne les saluant pas. Il tourna sa tête pour éviter leurs regards.

Puis ce fut au tour du médecin assis dans sa voiture qui


accéléra au carrefour en croisant le cortège de damnés.

On maudissait les vieux comme on maudit un envahisseur, un


étranger.
Ils étaient des milliers agglutinés sur les marches des
cathédrales, dans les recoins des presbytères, au sortir des hôpitaux,
dans les maisons de santé. La Police faisait des rondes et sévissait. Il
fallait les séquestrer.

On fit des lois, ils furent emprisonnés.

674
Ils se touchaient agonisant dans les caves de l’État. J'en ai
connu sept. Je me suis souvent entretenu avec eux. Tous sont
philosophes : "Voilà qu'on nous rejette de partout. Votre collecte ne
nous rapportera que peu. Nous survivrons tout de même ! A notre âge,
le ventre ne nous tiraille guère. C'est le froid qui nous fait souffrir. Il
ne nous reste que des charpies, et la mort qui, si elle est bonne, nous
emportera bien vite."

Ma raison changea peu après quand je vis un vieillard


s'approcher le visage plein de pus, rongé par les vers, qui expulsait
avec une haleine horrifiante de vomissures de vin. J'en fus si choqué
que je me précipitai dans les toilettes, et vomissais tout mon dîner.
L'image de l'ivrogne édenté me suppliant une misérable obole sera
toujours gravée dans mon âme.

Je ne suis pas une oeuvre de bienfaisance. Mais par respect


humain, je me devais de soulager ces pauvres délaissés. Or ce vieillard
si sale, si écœurant me confondra longtemps dans un dégoût profond.

Depuis j'ai gagné le camp des autres. J'évite ces chiens, ces
débris humains comme la peste. Je me garderai bien de secourir ces
créatures d'horreurs. Il faut les tuer, les ensevelir et si la morale de
notre société nous interdit de le faire ouvertement, agissons en

675
douceur, mais exterminons. Exterminons !

676
Ces humains ont-ils une âme ?

Ces humains ont-ils une âme ? L'esprit est lourd de bêtise et


de confusion, l'âme stérile est stupide. Rêvent-ils, ou bétail mâchent-
ils leur imbécillité ? Minables et satisfaits de l'être !

Lâche ta haine puisque la haine est en toi ! Grand besoin de


renaître ces cancres ! Il faut qu'ils revivent du moins pour se purifier !
Que d'ingratitude dans de si maigres cerveaux ! Le pardon est
discutable.

Mon départ vers les hommes est un échec. J'ai réalisé leur
Néant. Je me suis engagé vers des sources taries. Ma bonté m'a perdu.
Des règles pour ce peuple malséant. Des lois.

C'est de tenir ou de mourir qu'il est question ? Aucun retour.


De la lie, de l'insouciance. Seigneur, qu'on les éclaire ! Ils seront
éclairés !

Un régiment. Des terrains vagues. Des matricules pour ces


damnés. Ils ignorent qu'ils vivent. Un dirigeant pour ces fous remplis
d'ivresse et d'inconscience. Non, je ne les tuerai pas. Je me salirai les
mains.

677
Que ma seule fin

Que ma seule fin interrompe religieusement mon destin.


Qu'une gloire soit immaculée, - je ne veux pas dire sans tache ou sans
souillure réellement, mais blanchie, vierge, transparente. Je laverai le
nom après.

J'ai séché mes larmes et mes pleurs dans les fontaines de


l'hiver. Glacé ou frileux, j'ai brisé les silences des nuits. Et dans mes
insomnies, j'ai couru.

678
Ma jeunesse

Ma jeunesse grossissait. Ma modération cachait mon tour de


tête. En raison du parti pris, je cognais une nouvelle fois mon sang
dans ma cervelle. Et je ne lisais pas.

Qui sait si je ne respirai pas l'air du printemps et ses herbes et


ses odeurs et ses mirages ? Mais non ! L'aventure a rendu amer mon
exil !

679
Des cascades de sang

Des cascades de sang s'unissent à des grands cris et des voix


multiples filent vers les devants de ma destinée. Moutonnant jusqu'à
Pâques, j'espère obtenir des aveux difficiles de la famille.

En fait, j'avais l'assurance de trouver la tranquillité et


l'équilibre. Sans la susceptibilité qui m'est chère, je voterais pour une
explication courte mais efficace.

680
Monstre blanc, monstre noir

Monstre blanc, monstre noir. L'illustre perception des


tympans. La veuve cachée profondément. Clignement d'yeux.
Fantasmes décevants. Colibri et satanée ! Et vie et tout se meurt.
Pintes vomies sous les lampions. Artères nouvelles indécises en
densité. Et pars, et retourne !

Fonction de l'étrange. Meule à grincer. Pygmées et farces de


bon entrain. Scandaliser les crises de développement, de croissance
etc. Cuistres ! Vauban, enserre tes murailles.

Et haine !

À quoi bon !

681
L'art d'aimer

L'art d'aimer en des circonstances logiques use la vie comme


le temps aplanit les échecs et enterre les souffrances. L'amertume
passée a grossi dans les douleurs anciennes comme un rejeton solide,
et les forces comme des racines grimpantes sur un soc brûlant.

Le sort qui nous obsède irradiant ses soleils tire hors de nous
les malédictions. Les secondes mouvantes circulent dans ma raison,
sortent et regagnent les espaces infinis.

Vos intermittents qui durent, entraîneront-ils courants à la


portée des embryons élevés ?

682
Elle paraissait échapper aux soupçons

Elle paraissait échapper aux soupçons. Les victimes se


défendaient licitement en braquant les armes autorisées par la loi. La
justice balançait entre le droit à la défense dite légitime et la violence
contre la paix du citoyen. L'agression est un acte puni par les décrets
des magistrats. La haute cour est clémente lorsque l'accusée, jeune
mère de petits enfants, ne tira que pour protéger la vie des siens. Et
elle fut acquittée, Marion. Elle sortit de prison et reprit l'activité
occupée auparavant, un emploi dans un bureau.

683
Un jalonnement

Un jalonnement emprunté, un arc-en-ciel entre les bras des


mers et la côte sud de l'Adriatique... Enfin, mon globe qui se défend
de tourner la tête aux émigrants. Cap pointé, alizés venus de l'exil. J'ai
contré une bourrasque sur mes îles d'anticipation. Et malgré le clair
déluge, les constellations étaient visibles au-delà de la ligne qui
prenait fin.

684
Et dans la nuit noire

Et dans la nuit noire, je pensais. Une nuit lugubre où je me


morfondais sur quelques intérieurs de mes bonheurs passés. Ces soirs
qui s'acheminent toujours vers des inquiétudes mêlées à des angoisses.
Ces soirs quand la mémoire s'étire, et toute remplie de confusion
s'enivre.

En ces soirées douteuses, je songeais. Mais rien ne vivait


réellement en moi. Des images sacrées, des images anciennes se
bousculaient comme au sortir d'un tombeau. Des scènes étranges
captivaient mon âme. On aurait dit un sacrement bizarre. Les scènes se
succédaient avec mépris et horreur. Et je vis tout à coup le Mal, le
Néant, le désir s'emparer de moi.

Était-ce la peur, était-ce l'angoisse ? Un malaise intraitable


me prit au collet comme un lapin étranglé par ce lacet. Les heures
imperturbables se poussaient l'une à l'autre. Le temps se jouait de moi.

685
Les horreurs de mes yeux

Les horreurs de mes yeux, et les lentes putréfactions vues


comme je réfugiais mon regard vers des allées maussades.

Une femme croupissante, recouverte de plaies de la tête


jusqu'au bassin nue, rejetait ses matières fécales nauséabondes et
urinait cela même.

Clocharde dans l'allée, ivre sans doute, vieille et toute ridée,


laide et sale elle faisait. Le visage crispé, accroupie, elle accomplissait
son acte sous le réverbère.

À la dérobée, je la vis prendre quelques feuilles d'un arbre


malingre. Je dirais cela et rien de plus.

Oeil furtif à droite et à gauche, et remit tous les habits


entassés sur la bordure de la pelouse, se rajustant rapidement. Cela je
vis, et c'était la nuit.

Je fus pris de terreur et d'angoisse. J'étais comme stupéfait,


bouche ouverte doutant de mes sens.

686
Mais plus encore quand titubant après que l'infortunée eût
disparu, j'aillais vérifier si le rêve ne m'avait pas trompé.

687
La perspective facile

La perspective facile d'une illustre vie passée à dormir sur des


lits ornés de coussins, dans une chambre de luxe ; le plaisir légitime et
cette liberté d'orgasmes assouvis ont conquis mon esprit souvent
désireux d'amour. Il aimait l'esprit, vivre, exister, posséder
l'amoureuse, et fondre en songes l'ivresse endiablante du bonheur. Il
aurait espéré des philtres, des ordres annoncés par l'épouse etc.

688
La route

La route poursuivait au-delà du décor de forêts, elle


contournait les lacs et les torrents et les plaines imbibées d'eau. C'était
une contrée artificielle assainie par le travail humain. Déjà on plantait
des pinèdes, des arbres maladifs maigrement revêtus.

Partout l'empreinte de l'homme : les tracteurs, les


instruments, les machines qui déblayent. Et le sol sera retourné par les
puissantes pelleteuses toujours vers l'avant. Les mottes de terre
voleront dans les airs, les montagnes d'herbe grasse grossiront les
dunes énormes, les socles des charrues enfoncées dans l'antre de l'âme
de Dieu arracheront les souches et les cailloux.

689
Une tour vierge

Une tour vierge parmi les joncs et les pierres. Le matin dès
les premiers rayons, le vent tourbillonne sous les tuiles luisantes. La
rosée recouvre les bords de l'ardoise. Une fine couche éclatante brille
sous les charpentes, et le soleil inonde de lumière et de chaleur vives
les grandes cheminées.

Des oiseaux sillonnent et des corbeaux croassent par-dessus


les bois, au-delà des cimes. Des chasseurs traquent le gibier avec une
meute de chiens excités par les odeurs du renard. Ils reniflent.

690
Comme je déambulais

Comme je déambulais une nuit dans le vieux Paris, je


m'arrêtais dans des ruelles sales et mal aérées.

Les devantures affichaient des marées de bouquins.

Les passants hagards allaient titubant, harassés par la journée


de travail.

Vieillissantes, pommadées, elles font grincer ces courtisanes


d'hier un bréviaire, les fesses sur une chaise tremblante.

691
La fleur dispose

La fleur dispose parmi les roseaux les pétales d'or pur de ses
roses fanées.

Des trompettes d'argent honorent de leurs chants célestes les


morts de l'été.

Des anges soufflent de mousseline vêtue sur des airs légers


dans des cors brillants.

Les nuages de neige volent, s'élèvent et de transparence


embrassent le souffle aimé.

La pâle fleur vierge encore s'anime dans la brise pour


recevoir la vie.

Les roses rouges de musique embaumées respirent avec


délices l'haleine sans peine.

Les lys courbent leur tige, jettent à la volée les étamines vers
les eaux fatiguées.

692
La source tarie supplie l'ange de la ranimer comme elle se
meurt, séchée.

Mais l'ange féconde ses germes de vie et de mort sur la nature


de Dieu sans penser.

693
Vent léger

Elle me disait : "Aime les fleurs


Et le printemps", je lui baisais
L'oreille plus loin qu'il ne fallait,
Mais la farouche n'avait pas peur.

"Toutes les roses rouges endormies


Demandaient de nombreux baisers.
Ta tendresse, un temps d'accalmie
Vint me parler : Veux-tu m'aimer ?"

La chère enfant légère et nue


Suppliait encore : "Me veux-tu ?
Le printemps et l'été ont fui !

Vois les arbres, l'horloge et le puits.


Oh ! Ta jeunesse s'est envolée.
Aujourd'hui est déjà passé !"

694
LE MANUSCRIT INACHEVÉ

ou

Les confessions d'un jeune écrivain

Quel équilibre
Je m’évangélise cyniquement
Tortures de la tête
Des pluies d'orages
J'ai dénoué les cheveux d'or
Pourquoi se sont-ils tus ?
Un ange
J'annonce
Je me couche néanmoins
Encerclé par le poème
Mes trophées
Mystérieux écrivain
695
Des beautés ?
La bouche collée
Le poète
Le bateau
Les contrôles
Tout balance
L'infusion dans les veines
Je m'use
Là je sais où je m'engage
La destruction des mondes
Grandirai-je ?
Regagne ta garnison
Des évaluations
Cette feuille à noircir
Vie d'artiste
Incohérence
La parole lisse
Les danses scandinaves
Le livre
Ceux qui crient
Je dois encore m'abrutir
Rêves, absurdité, mensonges !
Incapable d'assumer ma tâche

696
La montre plate
Vision divine
Pensées brutes
Salutations, louanges
Mes habitudes
Assez
J'ai voulu toucher son corps
Je suis la Félicité (I)
Des images
Je suis la Félicité (II)
J'ai récupéré
Nuremberg
À présent
Et j'imite
Des morceaux de sueurs
Tous ces détritus
Je ne reprocherai toujours
Tant de peines
Il disait
Je t'apporte l'oracle
Si j'ai un jour
J'ai réinventé le noir
Abolie la peine

697
Ce n'est pas un nom que j'essaie d'éclairer
Je ne modifierai plus
Illumine les impuretés
Je souhaiterai
Je rêve
Deux courses folles
Les oraisons incantatoires
La traversée
C'est avec netteté que je voyais
À ses pieds
Se pourra-t-il
Malgré l'épineuse chorégraphie
Il disait
Les pas vers les accords autres
Des erreurs de style et de forme
La raison se forme
Apprécie, je lis Gide.
Je ne lis plus
Conjuguer le verbe
Purifier la langue
Comment vivre
Sans force
Les mots sont en grève

698
Les grincements de la plume
Des pages bâclées
Cette feuille à noircir, c'est pour qui ?
Mon contact est impossible
Des mots, les carences de l'âme
Du moins, ma pensée est claire
La musique
Je me confesse
Je m'use
De mes voyages et de mes entreprises
Les commerçants
Les morts
La confrérie
Autour de moi
Nous maudissons à quatre
Équivoque douteux
Effets cyniques
Je circulais
J'embrasse la mort
Toujours à détruire
Des bruits crissants
Encerclé pour le poème
Ignoré le passé

699
Les mythomanies
Si tu t'arrêtes
Rien sinon
La crétine comédie
Qu’il libère
J'accomplis le dernier aveu
D'autres piétinent
La durée
Les oraisons incantatoires
Il se resserre
Abolie la peine
Des monstres
Que la femme soit inexplicable
L'inquiétante femme
Pourrais-je intervenir
On les a tués
Moi, j'irai la sertir longtemps
Le ventre blanc
Le message
Les disgrâces s'émancipent
Ces humains ont-ils une âme ?
L'esprit de travers
Ces marais livides

700
Matinée douce et claire
De la valeur extrême
La pièce en bronze
Hélène
Variante d'Hélène
La faiblesse du patriarche
Les ombres
Il est un monde
Les stigmates
Ô messager
L'acte de penser
Déjà les scribes s'envolent
Entends les débris
Vision automnale
Encore faudrait-il
Moral d'acier
La tête est vide
Mince ligne noire
Noble écrivaillon
T'essaies-tu aux rigueurs
Je ne vis que dans l'espoir
Prince
Dans le fouillis nuisible

701
Les épaules voûtées
Il goûte à ces plaisirs grotesques
Un grand trou méchamment blotti
La nuit en juillet
N'as-tu jamais connu si piètre allure ?
Maudit soit cet acte ignoble !
La fugue à trois voix
Conquérir ou nier
Là-bas les nuits
Ce fut un temps de sécheresse
On applaudit
Les transmutations alchimiques
Bergamote
Le jour se levait
L'opéra immense
Assez de l'analogie
Nous maudissons à quatre
Je te passerai sur le corps
Il y a des sacrifices terrifiants
Bêtise
Il est un verbe
La réalité
Longtemps après les cavales

702
Un jardin naturel
Un coup du sort
Impuissance
Est-ce mémorablement
Bête je le suis
Si je fais bander une flèche
Engagement, découvertes
À quoi bon les soupirs
Les vieillards
Ces humains ont-ils une âme ?
Que ma seule fin
Ma jeunesse
Des cascades de sang
Monstre blanc, monstre noir
L'art d'aimer
Elle paraissait échapper aux soupçons
Un jalonnement
Et dans la nuit noire
Les horreurs de mes yeux
La perspective facile
La route
Une tour vierge
Comme je déambulais

703
La fleur dispose
Vent léger

704
FRANCK LOZAC'H

LE MOÛT ET LE FROMENT

705
PRÉFACE

Le Moût et le Froment est un recueil composé de textes


qui datent pour la plupart de janvier - février 1979. Des endroits
pourtant ont été produits durant la période estivale de cette année.

L'ouvrage semble conséquent : c'est qu'une inspiration


forte, nourrie de lectures nombreuses s'offrait à ma raison à cette
époque-là. Les textes sont bien restés une douzaine d'années dans
un classeur au fond d'une armoire, et c'est l'occasion de faire
photocopier les feuillets qui a suscité chez moi l'envie de mettre
au propre ces nombreux exercices. L'écriture qui était mienne à
cette époque, nerveuse et illisible, n'aurait jamais permis à
quiconque d'y déceler l'essence de quelque poème. Et je compris
qu'il était indispensable de recopier ces exercices et de les offrir à
la dactylographie pour rendre plus pratique la lecture. J'avoue ne
les avoir retouchés que fort peu. J'ai préféré leur conserver cette
nature impulsive de la jeunesse qui parfois peut offrir des résultats
surprenants.

706
Le Moût et le Froment est avec L'Huile Fraîche et dans
une moindre mesure avec Le Germe et la Semence les trois
recueils de la période 78-79 qui me paraissent les plus intéressants
dans leur forme et dans leur contenu. De grands thèmes majeurs
qui seront exploités dans l'œuvre future sont déjà présents dans
ces premiers exercices d'écriture.

Je souhaite véritablement que l'ampleur du recueil ne


rebute pas l'amateur de poésie. Il pourra à sa guise, suivant
l'humeur du moment, préférer tel endroit plutôt que tel autre, telle
lecture en prose plutôt que tel travail d'alexandrins.

Qu'il agisse selon son goût et son vagabondage. J'espère


seulement que l'exercice saura le divertir quelques instants.

707
Le monde est vicieux

Le monde est vicieux, je te l'ai déjà dit. Que m'importent


tes paroles et tes actes insensés pour me tirer de mes lourds
sommeils ? Que me veux-tu avec tes longues tirades et tes
discours absurdes ? Tu me vends toutes les séquelles de la pensée
uniforme, réflexions de l'enthousiasme, des plaisirs et du jeu. Tu
me proposes l'avenir partagé entre mille tourments. Tu voiles tes
fantasmes et tes licences sous des questions nocturnes. Mais tu
mens ! Tu désires la luxure et l'élévation quantifiées de douleurs.
Tu voles encore les attaches d'une vie saine passée dans le silence
et la solitude.

La punition sonne : une pluie d'applaudissements et un


tonnerre de symphonie. La folie m'invite aux rejets de ces
concessions. Mais tes marques, figures et souffles organisent ma
soif de péchés. L'être imberbe s'étire malgré lui, et tombe sur les
portes de l'enfer. C'est ton nom qui s'étonne. L'alternative est
trompeuse. Moi, gonflé d'insouciance j'entends dès lors les bruits
sourds de la renommée - de ta renommée.

Tu dois vivre, réponse inlassable dépourvue de sens.

708
Toutes tes haines pour des catastrophes circulent dans mon âme.
Mon désespoir te fait rêver. Ma chute est ton envie.

Tu dispenses à l'infini les sermons que je bafoue. Tu


récuses mon affirmation. Tu accuses mes pensées. Tes chants, ta
voix jettent des vibrations désespérantes. C'est le déchirement de
l'enfant vers l'adulte, la dernière phase des délices de la puberté.
C'est l'abrupte vérité du futur grandi. L'angoisse bat son plein.

J'essuie les interprétations diverses, les lacunes et les


déchiffrages. Comme un grand spectre endormi je me retourne, et
d'un bond m'éveille trempé de sueurs. Ta haine me brûle, et mes
entrailles se gonflent.

La marche vers les invincibles forces, le retour au


sacrement des demi-dieux ! La jeunesse et les crasses et les feux
de la raison illuminent les nombreux détours.

À tuer les richesses, les travaux et les horreurs du soir !


Indignes les transes et les déversements des larmes desséchées !

709
Par-delà toutes ces marques

Par-delà toutes ces marques imprégnées qui usent ta


vigueur divine ; par-delà le harcèlement éternel qu'il te faut subir
sous ces lueurs torves et déchirantes, c'est l'esprit de la soumission
que tu es prêt à tolérer. Tu jouis de ces mensonges comme une
femme complaisante nageant dans de monstrueuses orgies. Tes
revendications ne sont que des pleurs, facilités vis-à-vis des autres
et de toi-même. Car tu aimes à toucher d'un doigt mesquin tes
saveurs déployées, tes suavités fulgurantes. Tu aimes à entendre
ces agaceries bizarres qui frappent ton âme révoltée mais
distendue.

Ces horizons s'illuminent tout à coup avec des torches


vivantes, enflammant l'intérieur possédé et visqueux. Quand bien
même, tu rejetterais cette image, tu la détiens. Tu la portes malgré
toi, contre toi. Tu vis dans l'horreur de la déformation, avec la
vengeance, avec la bestialité sublime que tu sais battre en toi. Ô
puissance infinie et pourtant invincible !

710
Tu acceptes la soif de vengeance dont la seule nécessité
est de te nuire. Après la contemplation languissante, joie des
règnes putrides, tu te perds dans des luttes excessives, indignes de
ton affreuse foi. Tu as longtemps goûté les délectations fatidiques,
les hymnes triomphants entendus à chaque heure du jour et de la
nuit. Les voyages bienheureux s'offraient plus loin. C'étaient des
sentiments blafards, des couleurs torréfiées, des fluides d'espoir et
d'insouciance. Plus loin des ors perdus pour des mémoires
délassées.

Brillaient et se répondaient les scintillements sous des


flammes magiques, flambeaux exaltés. Ils prolongeaient
l'excessive satisfaction d'un regard braqué vers l'avenir, et
donnaient la vision déroutante d'un mélange de symboles et
d'interprétations impossibles. Ils permettaient d'exister dans un
futur que les chaos de formes dispensaient de rigueur. Amalgames
de rêves pour des privilèges et des libertés promises !

J'ai aimé ces arrêts brutaux et ces départs impossibles qui


flambaient dans l'insignifiance du temps et de la raison. Je
confondais avec les joies de l'adolescence l'inertie totale et
l'abandon d'un corps pour la folie sauvage de l'esprit.

711
Fraîcheurs spirituelles

Fraîcheurs spirituelles qui vagabondent à l'orée des


moissons, envolées légères qui s'élèvent vers les cieux cristallins !
Jeune homme aux épaules solides, va et porte tes fruits sur les
terres purifiées. Laisse l'insouciance et la rancune sur le seuil de ta
porte. Là-bas les routes courbées et cahotantes déambulent. Mais
l'effroi et la crainte unis et passionnés te font languir.

Je te préviens, ton orgueil doit me suivre. Moi,


j'obscurcis tes secrets, je conjugue l'inertie, la force de tes vingt
ans ! C'est le devoir aujourd'hui maudit, le bonheur de demain !
Toutes les voix de la délivrance mystifient le Temple court des
repentirs. Toutes les traces des confrères sont à oublier. Il ne reste
qu'une femme sensible qui indique la route à suivre...

...Sueurs qui transpirent déjà par mes veines ! Et


meurtres de l'enfance que j'ai abandonnés ! Eterniser son malheur
est raison du pauvre ! La magnifique satisfaction de l'enjeu ! Ho !
L’immense succès que le temps saura apprécier !

Les lourdes terres s'impatientent. Il faut aller.

712
Mais je vois trembler les chairs, et les ordres se vautrer dans
la couardise. L'esprit fort se meut avec l'effroi de la bête traquée,
cette bête qui geint sous les coups de la mort, et ces douleurs lascives
se lamentent sous sa peau ! Puis ce sont les cicatrices éternelles de
l'animal qui a trop vécu, trop souffert aussi !

Tu proposes l'horreur, tu fais briller les feux de la


jouissance comme un mal utile. La venimeuse vérité enfouie sous
les ors et les semailles, n'éveillera que des feuilles épineuses,
qu'un cancer de haine dans des déchirements horribles.

La misère frappe mes voûtes nocturnes. Elle me prévient,


bienveillante, des dramatiques peines à venir. De ses dents
aiguisées, le sang coule sur ses plaies purulentes. Tu arraches
l'abandon d'une vie de reconnaissance formulant l'amour de soi-
même.

713
C'est encore la brûlure d'un esprit purifié ! Le combat
éternel contre soi, contre les autres aussi !

... "Le fruit qui savamment a mûri, n'est point cueilli ?


Doit-il pourrir dans la terre déjà grasse, dans la terre si féconde ?
C'était un jus fraîchi pour les haleines assoiffées»...

Ta vorace solitude grossit dans les bras d'un égoïste.


L'aigreur se transforme en haine et maudit toutes les facilités
acquises par l'ordre des destinées, - des forces présentes en ton
esprit !

Que ton souffle enterré s'émeuve de chocs funèbres ! Ô


justice de demain ! Et cette inexpérience, ce départ trop rapide
seraient-ils les raisons des lugubres échecs ? Les précipitations
d'une jeunesse impétueuse seraient-elles les principes de ces
constantes erreurs ?

La faiblesse te condamne, et tu revêts l'habit du


mensonge pour douter. L'agacement servile et les plaintes sont les
douleurs acides exprimant ton insatisfaction. Désordres d'une

714
cervelle qui succombe à la tentation de l'estime ! Tes plaintes
seront-elles entendues ?

Les libertés dans les saines consciences, les mères pour


ces veillées douloureuses - pour l'élévation ! Ô ces lignes
fulgurantes, envolées comme des cris de jeunesse !

Ont-ils tué l'or d'une alchimie verbale ? Les puissants


instincts ne parlent plus. Ils tombent dans les feux de l'absence. Il
reste un vide immense où même les interrogations ne résonnent
plus.

La faute est en moi-même. La voix était ailleurs. Les


silences prouvent que je me suis trompé. En dilapidant la source
de l'espoir, tu as voulu vivre une aventure impossible. Ta faiblesse
véritable, c'était la vanité dans un travail bâclé. La passive
insouciance est ta plainte fatale.

Mais ce renoncement pour ces erreurs pénibles, doit-il


faire oublier les instants de bonheur et les grandeurs d'une
rébellion enfantine ?

715
Le mélange de ton âme qui succombe à l'estime, toutes
tes pensées étranges, tu te dois de les contenir. L'agacement
participe aux douleurs, irritations de l'esprit mécontent.

Dans ces veillées pourtant, l'élévation de l'âme assurait la


jouissance à la libre conscience. Ces pensées fulgurantes planaient
sur des plaies luxuriantes.

Et ces combats, c'étaient des victoires contre soi-même,


contre le néant aussi. La joie portait les couleurs vertes d'un
devenir heureux. Les formes et les éclairs s'accouplaient pour les
délices du lendemain.

L'invention était stérile sans rejet, sans le "beau". Le pur


effet de l'inconscient ! Torche sans flamme, folie sans délire ! Un
regard glacé sur la vive adolescence qui riait de son propre
étonnement. Que ma disgrâce demeure comme je n'ai pas observé
ni la rigueur ni la science pour une cause à présent perdue ! Une
voie nouvelle est déjà indiquée. Une station pour l'avenir des
symphonies tourmentées, la prostitution sous mille chaleurs, une
expérience...

716
Le Prince

À la croisée de ses ordres, un grand prince nu de cœur et


d'esprit. Les obstinations insignifiantes se considèrent modérées,
presque désuètes. Elles rassemblent parfois toutes les espérances
des joies nouvelles. Enfin, il l'a cru longtemps. Les aigreurs
étaient acheminées alors que des êtres dansaient, énervaient,
excédaient ses parodies. La conséquence fut une gerbe de doutes
et de nonchalance vis-à-vis de soi-même et des autres aussi. Les
cérémonies ajournées, un appel fut lancé mais personne ne
l'entendit. La voix portait peu. Pour des silences, il aurait donné
son âme.

Les drames engendrèrent d'autres malformations, mais


son agilité se jouait encore de ses prochains malheurs. Les
sourires élastiques cachaient l'adversité et le goût du combat. De
miteuses convalescences après des journées terribles passées dans
la privation de l'amour, puis la haine réapparaissait plus digne
encore comme une femme victorieuse. On cassa ses membres
pour l'empêcher d'agir. Vite, ils furent remplacés par des béquilles
circulaires. L'homme avançait malade. Il était la risée de ses
contemporains. Après ses médiocres sorties, le Prince décida de

717
s'enfuir dans son palais unique. Il prévoyait des fêtes, et voulut
que sa suite pensât autrement. Il insista, mais quoi ?

Il se vit châtier par son opposition. Les journées


s'égrenaient, et l'animosité réapparaissait. C'était un grand vide
comme après une orgie. La solitude s'amplifiait, et l'espoir
s'oubliait.

Chassé par ses amis, il ne voyait qu'une issue. La mort


me sauvera, pensait-il. La mort seule peut soulager un grand
malade à survivre. Il s'essaya au suicide mais trop pleutre peut-
être, se résolut à haïr. Les nouveautés, les incursions dans un idéal
auraient dû transformer ses fugitives clameurs. Mes ministres sont
coupables. Il les tua. Il en appela d'autres.

Après quelques journées de règne heureux, il les accusa


de mentir et de jouir de ses facultés. Par droit princier, ils furent
pendus. De crainte de voir sa vie en danger, plus personne n'osa le
conseiller. Il vit à présent maître de son royaume, de lui-même et
règne enfermé dans son pays.

718
L'éruption ainsi métamorphosée

L'éruption ainsi métamorphosée libère ses fruits. Les


feux règnent sous les clartés blanchâtres, et de larges fumées
roulent sur des cieux neigeux. Plus loin, les chocs des tonnerres,
l'éclair et sa foudre tombent sur des laves encore incandescentes.
Les traînées sanglantes, troupeau incessant, mordent la terre
lavée, et brûlent l'herbe tannée.

Elle gonfle les volcans de braises, épuise les soufres


qu'elle respire. Elle remplit les tranchées et les gorges luxuriantes.
Elle monte sur des sommets avec des chaînes d'esclaves et des
bruits immortels : vengeances de Dieu, drames humains et pleurs
dévastateurs dans nos pensées divines !

Les torrents de chaleur frôlent les bouches.


L'impénétrable venin circule dans les ombres finies. Lorsque les
mensonges éclatent, les airs soulevés et les bourrasques de mots
répercutent toutes ces frayeurs.

719
Ils sont tortures inspirées par les folies bestiales. Ils sont
détours de la tendresse bavée. Dans les sourires immondes, les
craintes déracinent les semblants d'amour proposés. Les corps
explosent malgré eux sous les durcissements autres. Les tempêtes,
les sermons meurent tout à coup !

Seras-tu encore possédé de tentations vulgaires ?


Donneras-tu l'espoir aux mains interdites ? Et ton cœur, dans sa
nuit, tremblera-t-il pour le joug de l'insouciance prononcée ?

720
Ces mortels aveux

Ces mortels aveux illuminent les places disponibles.


Jamais fusion d'espoir n'a imposé au peuple si grande soumission.
Il va et tombe perdu sous les sermons et les grandeurs de l'enjeu.
Les forces bougent. Viennent les terres possédées par l'ancestrale
puissance. Les Dieux, les armes à la main reculent sous les
expressions de terreur et de mutineries encore. D'autres soifs
usent l'âme des premiers conscrits, et des cadavres s'amoncellent
sur les mares de sang éclaté. Ta vie explose par les bouches des
femmes et de l'enfance, et ta chair se meurt pour la justice des
saintes pensées.

L'éternelle bataille à l'assaut du changement promis


martèle les souffles d'invincibles prisons. Baignées dans la honte,
c'étaient des tortures sous des ciels rougis d'atrocités, mais ta
famille entière périra pour l'Empire du peuple. Les bagnards
mutilés jugeront tes venins de mensonge, et la vengeance criera sa
faim.

721
Sous la guerre, l'échange grandit le travail gagné, les
feux de joie des victoires et des révoltes. Les permissions de luxes
enfin réparties et la noire marée coulent à grands flots. Les ors
dilapidés dans les festins des bonheurs uniront les familles des
martyrs qui danseront aux heures de liberté.

Le combat aujourd'hui continue. Seul demain sera pour


la paix. L'œil du sacrifié s'arrache dans des kermesses de
massacre, des flammes brûlent les corps déchiquetés, et les chiens
se partagent les lambeaux des membres sanglants.

Des brigades sous des garnisons étranges attaquent


d'autres milices et les neutralisent de façon diverse. L'anarchie
règne dans les camps des vainqueurs. Lui, insoucieux de sa force,
tue encore et fait briller l'armement dans les soleils de l'enfer. Il
respire la haine et charge ses poumons du mal qui l'entoure.

Obéira-t-il aux ordres lancés, ou par la révolution


permanente persécutera-t-il les opposants dans leur crainte ? Lui,
soldat se fera-t-il barbare pour ranimer la haine des siècles de
tyrannie ? Seront-ce des lynchages, des viols et des sangs
parricides excitant la terreur ? ou des conquêtes de sagesse dans la

722
foi religieuse ? Les pouvoirs capitulent, les voix de l'amour se
perdent dans les nuées de chantage, et l'esprit poussé par les
hurlements de foule, possédé dans l'horreur de ses blessures, se
bat encore !

Le vieillard dans toute sa sérénité juge l'instant sacré. La


déchéance recouvre le droit divin à la masse. Son abcès de
tendresse maintiendra-t-il la croyance à la tête d'une nation
furieuse ? La reconnaissance d'un Dieu figé fera-t-elle cesser le
bruit des canons sous les menaces de l'amour ? Les appels
multipliés sont oubliés. La ténacité et l'emportement succèdent
aux fois du vénéré.

Déchirures maudites du peuple asservi, frayeurs pour une


destinée étrange, les raisons immaculées de crimes et de boues ne
s'écroulent jamais sous les torches vives de la foi.

723
Encore des haines mêlées

Encore des haines mêlées à la saveur âcre du temps, et


les portes de l'exploit coulissent. Le fruit est desséché sous le
poids des bravoures et des insouciances. Discussion. Des pierres
et des races nourrissent l'épiderme des chaleurs. Tu dois entamer
les viriles concessions, tu peux blanchir les grises incertitudes des
lendemains.

Le soir, les latrines puantes de ta vie s'amoncellent.


Chaos humides, chocs incessants comme des butées d'eau
irradiant leur soleil. Ou soif de la cour et des murs ? etc. L'origine
des enfers, des cuves et des laits ? Des éclaircies sous les
lanternes de ta propre abnégation. Un nuage d'étincelles sur de
sales lignes décousues.

724
Toutes les étapes

Toutes les étapes d'une sinueuse vie passée à jouir de


l'inconnu, du mystère, à faire trembler le doute sous les vibrations
de ma loi, d'un souffle magique ou démoniaque s'éloignent à
jamais.

Des tromperies jetées sur les flammes du sublime quand


une braise ardente réchauffait l'âne apeuré. Comme des rires
enfantins, comme des bonheurs faciles, de languissants plaisirs
qui retenaient les horreurs d'une vie. Puis la secousse, la
catastrophe unies dans un combat déloyal pour l'absolu et la
vérité. Un futur transformé, détestable, reconstitué à partir de
brides étincelantes venues du Néant. Des voix taciturnes qui
labouraient l'oreille de mots riches et pauvres, des syllabes
tordues par des relents dévastateurs. Enfin tout un peuple
démoniaque, vil, insoucieux de sa force compromet une heureuse
destinée !

Sera-ce la logique inépuisable de grandeur et de gloire ?


Seront-ce ces accords parfaits dans le luxe et les ténèbres ? Ces
ardeurs promises pour étancher la soif excitent une mémoire

725
perdue. Ces délicates fortunes s'élevaient déjà autrefois sur des
sourires aimés et fugaces.

726
Vendre l'aquarelle

Vendre l'aquarelle ou léguer le testament ? Vrai, tout


s'use, tu le sais très bien. Bêtement transformé en animal de
cirque, le spectacle s'est menti à soi-même. Mais que fallait-il
espérer ?

L'amour dans le bas-fond de la capitale, t'en souviens-tu


? Tout ceci était véritablement mesquin, vil, ignoble et indécent.
La petite croix lâche l'unique décision. Mais ce sont peut-être les
gâchis du temps...

Autrefois les signes s'interprétaient dans la débauche et


la luxure. La folie à la montée des regards pour... personne. Moi,
je ris comme un perdu. Toi-même, tu voulais pleurer. Tu aurais
répondu quelques mots.

C'était tout de même un fabuleux personnage Je l'ai aimé


deux années, puis il a disparu, volatilisé. Ô propre de moi-même,
ô magicien !

727
Ainsi ai-je vu

Ainsi ai-je vu de lourds chevaux traîner de superbes


cohortes de sel. C'était au sortir du rêve. Oisive, entretenue par la
fatigue du matin, l'imagination jouit, reine du lieu de la chambre.
Elle conduit le repos jusqu'aux portes de l'inconnu. Encore du
drôle peuplé de romantisme, des croissants de bonheurs comme
des étapes successives. Elle égrène sa course puisque le sommeil
gagne et condamne les premières heures du lever ! Quand je
distribue les rôles de chacun, par de mesquines allusions, je les
sais composer l'image sacrée et transformer à leur goût les règles
de mon propre jeu.

Silence, distorsions comme des cambrures sur de planes


figures, puis des mouvements cycliques dans des bourrasques
d'eaux pleines : elle se plaît avec l'impossible, rit de ses
nombreuses découvertes. Amie de l'absolu, du négatif, femme ou
démoniaque Circé, qui est-elle ?

728
C'est l'éclatement

C'est l'éclatement des astéroïdes splendides ! Un duvet se


repose entre les sillons de sa propre éclosion, une pluie de lumière
prête à illuminer le sol sablonneux ! Cependant que les bruits
incertains couvrent le vent du grand large, une explosion infinie
comparée à la durée de son temps d'existence, multiplie les
risques d'échouages, et confère à l'univers en transe des
complications étonnantes. En effet si l'éloignement de son négatif
peut rassurer les populations littorales, une mince déchirure
déclencherait la catastrophe inévitable. Drames du peuple,
inquiétudes car pollutions divines - recherche du mot magique :
sécurité.

729
Tout t'est radieux

Tout t'est radieux même l'influence néfaste qui se perd


dans les bruits et les goûts étranges. On prêche ici un regard sur la
terre équivoque. Là-bas, d'autres mensonges ou déboires. Les
singeries et les attaques évoluent autour d'une orange pressée. La
confession sort du chaos : le signal des michelines, les Guerres de
Troie magnifiquement ratées et les danses soulèvent les roches
dans les airs. En fait, les rouages et les Cerbères médiocres
s'engloutissent à l'abri des soleils et des urnes.

Dégage ta voix, et les assauts et les enfantillages


engendreront la parfaite harmonie.

Quand le moulage du sein illumine les musées des villes,


ton admiration grandit et quand nous transformons les patries, tu
notes le faux. Ton innocence disparaîtra sous les traits durcis de
larges envolées, et l'exil s'enivrera de saveurs.

Que tu regrettes ton compte, que tu entames les veillées,


ton bonheur régnera toujours sur ton néant.

730
Ils justifient vos miracles

Ils justifient vos miracles. Leur hargne terrible, c'est


l'indifférence pour une église délabrée. Comme ils proposaient
des révélations grandioses, - surtout des jardins inconnus, les
mystifiés se sont levés, ont rejeté les compassions et les drames
sirupeux. Constituant ainsi une grande famille, leurs primitives
opinions ont banni leur foi indiscutable.

Tout ceci prête à rire. L'envolée stérile des


machiavéliques femmes prolongea le péché dans la croulante
particule.

Le midi rassemble les hommes de la détestable


corruption, - encore des écrits souillés à la graisse du Néant. Mais
ils participent à la reconnaissance de leur bêtise et de son acte
heureux. Plus profonds que les invisibles, leurs sens jouissent de
sons angéliques comme si pour franchir les grilles et oublier les
faiblesses possédées, il fallait labourer les terres fraîchies.

Écoutez : l'ignorance méprise les investigations,

731
condamne les vols alors pourquoi ces défis ? Pour faire des
mécontents ? Je redresse les beautés du passé et les masses de
l'automne. Je respecte le désespoir. Moi, je rejette ce qui est
insignifiant. Inquiétez-vous des autres.

732
C'est le tremplin

C'est le tremplin pour la folie des eaux. Un énorme décor


planté entre les barrières horizontales vole jusqu'à l'extrême de sa
circonférence. L'observateur attentif apercevra derrière la masse
des cascades ronflantes, un cavalier picard de noir vêtu.

On pourrait confondre la couleur de son costume avec les


rochers du paysage. Mais ce qui étonne ou mystifie l'œil du
spectateur, ce sont ces gargouilles posées à même le sol,
immortelles dans leurs béatitudes, remplies d'horreurs et
d'abandons. L'eau de la rivière transformée en cauchemar se jette
dans la bouche des images. Homme pieux, les faisceaux de l'arc-
en-ciel te font succomber. Un venin coule, encore la
représentation symbolique du vide. L'erreur s'explique par le
dégoût, le départ etc.

Toutes les succions fébriles accaparent l'air de nos


pensées magnanimes, ce qu'il faudrait, ce serait une sorte de
transe crucifiée dans l'exactitude pour que le décor eût un
semblant d'humanité. Mais tes joues se creusent, ton cœur bat,
alors délimite ton champ visuel avec tes sens.

733
Tu profanes des mots

Tu profanes des mots pour d'archaïques baisers, et sur ta


langue rouge, le son se mêle au goût âcre du tabac. Les
mensonges se perpétuent, rêves indescriptibles et lente semence
de ton origine. L'écho toléré respire la haine et les drames
inconnus. Vois, le mal et l'ignorance se posent encore sur ton
front doré ! Pauvre femme ou piteuse enfant à la tentation légère,
jamais désormais tu ne pourras comprendre.

J'ai dit l'étranger coupable du meurtre, le vent de la


violence déchargé sur des disques d'or, le drame de son époque et
les maux et l'alliance perdue. J'ai dit la voix tremblante confondue
dans ta misérable vie, mais tes sens t'interdisent d'écouter.

734
Tout t'est médiocre

Tout t'est médiocre même la consolation de l'entente


douteuse. C'est un signe qui semble bizarrerie offerte aux ordres
de la destinée. Une sorte de mélange de crimes et de déboires que
l'accoutumance néglige savamment. Même tes frontières stériles
persécutent l'enfant avorté. Quoique ta nature princière engendre
le néant, tes vieilleries éclatent et vivent, éternelles de sueur. Mais
toute cette mascarade se consume dans l'étrange, dans le vice, que
sais-je encore !

Quand l'élément recule, c'est une glissade future pour


quatre yeux ; lorsque la joie se déclenche, les marches tombent
aussitôt. C'est une nature raturée. Les frissons des vins épuiseront
ton maléfice.

735
L'espoir chavire encore

L'espoir chavire encore, et l'été plus confus dans ses


masses de brouillards agonisants perce l'étrange mystère de son
climat original ! Il faudrait des cyclones, des torrents de boues
reflétés sur les couches des nuages pour transformer l'esprit débile
de son peuple.

Seuls le joug et la force balayent l'ignorance ; seul l'être


invincible médite tous les présages, roi de la fortune et de la haine
pour détruire l'ordre maudit respecté depuis tant de siècles.

Le monde se veut un chef.

736
Carcérale tâche

Carcérale tâche par la médiévale chaîne du temps. Et les


morts frappent du poing, et les dieux hurlent au réveil de la folie.

Le sang danse sur les chevaux dorés et les crinières


flambent sur les routes et les chemins. Les feux arrachent les
cordes de la nuit.

L'homme viole l'archaïque soleil. Tous les cadavres


reposent dans des positions étranges.

Sur les lacets de la gloire, ce seront des masques mâchant


les remords que tu fuyais. Des lanières de pus t'indiqueront le
chemin à suivre.

Moi, je dis la haine et les supplices et les meurtres, les


cris des dépravés pour des montagnes d'inconnus. Encore des
écorchés pour subir les courses infinies et vicieuses.

737
Elles seront forces projetées contre les nacres de la
justice, contre les milices du printemps. Vives, éreintées elles
trembleront, et porteront les marques de leurs prostituées.

738
Le corps rectiligne

Le corps rectiligne dans sa position funèbre, amas de


chair lassé d'un imposant sommeil, quitte le mortel grabat et
lentement se lève. Et les yeux du défunt ouvrent une pupille
fatiguée, et l'espoir ranimé un instant - un instant seulement -
éveille en lui comme par un miracle, des jouissances nuptiales, et
le corps, et le corps pleure de joie oubliée.

739
Des granites ont mêlé

Des granites ont mêlé leurs cheveux d'or aux neurones et


dendrites du ciel. Un grand vol mourait tombant vaste oriflamme,
et les menus traitements glissèrent sous les couronnes des minuits.

Je garnissais les fontaines d'eau troublées. Enfin l'armée


vieillissait ses colombes, les plaintes, ses chants nocturnes. Il
regardait les grands pôles s'éteindre sous les heures de l'amour.
Comme par regrets, c'étaient des pleurs sur la grande place de
l'été.

Tu savais les découvertes contre les sables car un jour tu


as ri pour cela. Des ondes libératrices peut-être. Surtout des
cavales, des soupirs et de profonds sommeils.

Je m'élance ou m'éloigne. Même les magnificences de la


vie retournent à la sombre tendresse. Encore que parcourir ces
autres champs perdus m'agace quelque peu. On perd l'âme
tranquille. Il ne reste que la fortune. Le grand malaise est soulevé
par ses béquilles, l'égorgeur des troupeaux dépecé pour son sang !
Tu respires tes maladresses, mais c'était ta vie.

740
Tu devrais pleurer davantage et sombrer dans tes
cauchemars.

741
Des présences

Des présences, des sorcelleries, des spasmes, des


meurtres, des incubations pour l'âme. Des troupeaux sataniques
qui roulent sur mes pleurs. Ô les glaires de l'inceste grimpant sur
les parcelles du temps ! C'est la recherche d'un absolu. De longues
dérives pour les trames d'un enfer ! Moi, je pense sur des eaux.

Contre les soifs de l'hiver, de larges coulées de sang bues


à la sève de l'excrément, d'éternelles complaintes subies dans les
affres du pardon.

Rien ne chasse l'image pieuse par-delà les montagnes de


jouissance. C'est un rêve de pierres pour les drames chantés !

Si des cadavres se justifient, l'âme s'élève et s'abandonne ; si


le damné jouit d'une éclosion intime, un feu s'amoncelle sur les
cendres du Néant. Choisissons.

742
L'oracle flamboie

L'oracle flamboie cependant que l'espace prononce sa


destinée. L'heure abolie dans son antre divin disparaît dans les
confins du réel. L'explosion démoniaque se modifie par-delà
l'effigie blême du peuple grave.

Jamais, rien, toujours et encore ! Néant, chaos, force,


inertie ! Parle ami, une minute. - Impossible ! Le temps n'existe
plus.

Changements de sens, de l'œuvre inouïe, paysages


provocateurs d'une ère suprême et assurance du renouveau pour ta
pensée conductrice !

743
Un moine

Un moine convoite toujours l'égarement de son


tabernacle, loi passée à des enchères. Les hôpitaux drainent
l'odeur fétide des lieux. La parfaite crucifixion monte, recouverte
de plaies sanglantes. Encore ton repos noyé, - là limpide lac entre
deux bras de mer. Les lames de ton sabre happent le nivellement
comme des anciennes catacombes resurgissent dans les salives
boueuses, - chemin de haine et lambeaux de peaux mortes.

Le tragique épilogue divin, versificateur des vertus, c'est


le drame fécondé dans l'esprit de conservation. Pas de doute,
l'enfant que tu habites fait se coaguler l'excrément et l'urine
bestiale. Il faut, Inconnu, te forger un organe d'acier constellé de
marques violettes. Mais les distinctions suffisent à ton expérience.
Les saillies prouvent que tu as trop espéré. Le novateur voit
l'inconscient disparaître.

Contre tes mèches une propagande de faces endiablées.


Toujours la chasse crasseuse dans des panses atterrées ! Les mots
pincent les tonsures, et les chocs transitoires émigrent vers le joug
tenace. Rien ne peindra les paroles écorchées, pas même le

744
schisme sous les parois. Abdique à la faveur du roi, seule issue du
plaisir. Tu crois à la chasse crouleuse mais ta voix échappe encore
au jeu des indescriptibles.

J'ai constitué par l'image l'élément invincible de ta


nature. Cueillir les soifs de la race ne correspond qu'au néant. Jet
d'enfer et primauté de la gestation, un point savait se repaître de
sa force instinctive. C'était l'élément machinal de l'enthousiasme.
Il reste encore la faim.

745
Tu cherches à envahir

Tu cherches à envahir d'une folie perverse l'âme pieuse


mais révoltée dans ses silences, la bonté cachée derrière l'obstacle
de l'espoir. L'orgueil t'achève ! Les refus sont humiliants ! Le
peuple inconscient qui te vénérait, te dénigre à présent. Homme
seul, tes plaintes resplendissent à la lumière comme l'aurore après
la ténébreuse nuit.

L'angoisse, la grande, explose dans les bouches d'une


incompréhensible erreur. L'erreur ! Car ta foi prouve que tu auras
toujours raison. Les éclosions de bonheur enterrent les fautes et
les fatales tromperies ! Un assassinat et une stérilité parcourent les
dernières lignes d'une âme digne de trouvailles. Ce sont des
crachats sur une putréfaction déjà vaine !

Tu ouvres tes portes secourables pour l'impossible


pardon. Les repentirs, les torts des odieux disciples jamais ne
seront exprimés. Toujours des plaintes caverneuses sans échos ni
semblants.

Le fruit qui a mûri savamment, pourquoi n'est-il point

746
cueilli ? Doit-il pourrir dans la terre grasse et déjà féconde ?

C'étaient le jus rafraîchi pour des haleines assoiffées... La


compassion mesquine des hontes aimées...

747
La vorace solitude

La vorace solitude grossit dans les bras d'un égoïste


malchanceux. L'aigreur se transforme en haine et maudit toutes
les facilités acquises par l'ordre des destinées, - toutes les forces
présentes en ton esprit.

Ce terrible souffle avec des chocs funèbres, sera-ce la


puissante justice de demain ? Peut-être sont-ce l'inexpérience, le
départ trop rapide qui deviennent les causes des multiples échecs
? Peut-être les précipitations d'une jeunesse tumultueuse ?

C'est la faiblesse qui te condamne, et tu revêts l'habit du


mensonge pour douter.

L'agacement servile, les plaintes et les douleurs acides, le


désordre d'une cervelle étroite qui succombe à la tentation de
l'estime, la conscience, les libertés dans les raisons saines, les
mues pour ces veillées, pour l'élévation, les fulgurantes lignes
envolées comme cris de la jeunesse etc.

748
C'était l'invention stérile

C'était l'invention stérile. Le pur jet de l'inconscient,


torche sans flamme, folie sans délire. Un regard glacial sur la vive
adolescence qui riait de son propre étonnement.

Que la disgrâce me ceigne ! Je n'ai pas observé la rigueur


ni la science pour une cause à présent perdue !

Une voie nouvelle est déjà tracée. Une station pour


l'avenir, des symphonies à tourmenter, la prostitution sous mille
feux de chaleur, une expérience, etc.

749
Depuis que la petite

Depuis que la petite nous a quittés, la vie ne dépasse plus


qu'un intérêt grossier, seulement utile pour les vertiges restreints
de nos corps vieillissants. Les paroles se sont tues, et les actes
réduits à de mécaniques opérations éternisent la monotonie du
couple ; seules, les inventions ouvrent les portes du désireux
sommeil qui harmonise les couleurs de l'arc-en-ciel terni, qui
réconcilie les alliances automnales.

Les discordes brutalisaient les monologues que chacun


débitait, accusant l'autre d'avoir commis l'impardonnable faute.
Puis les silences plus impressionnants que les regards glacés
noircissaient les repas dans cette existence vidée de son âme et de
son sang.

Les propos équivoques, les gestes agressifs, les


lamentations muettes détruisaient petit à petit l'entente étroite que
nous nous efforcions de maintenir.

Tu provoquais le mensonge avec des remarques


intempestives que te dictait ton esprit torturé. Ton cœur faisait
battre en saccades rythmiques des flots de vengeance qui roulaient

750
dans tes veines gonflées de haine.

La bestialité régnait déjà en toi. Tes paraboles venaient


se jeter sur ma figure jamais plus embrassée, comme un démon
ayant pris corps. L'œil autrefois pur s'appesantissait sur le
physique dédaigné, parce qu'il s'endormait en oubliant, sans le
moindre amour, ni le plus infime regret.

C'étaient honte et hostilité pour l'âge mûr qui trépassait


dans des excès d'orgueil, qui délimitent l'engagement capital : la
satisfaction de l'enfant chérie.

751
L'écart

"L'écart se restitue, et les longues machines de l'air


plantées sur les eaux..."

Tous écoutent avides l'invention stérile, le meurtre


déchiqueté dans les rouages d'une pénible vie. Inlassablement, ils
le montrent d'un doigt crispé et rient, se vantant encore de leur
faible existence. Tous des immortels, mais la déchéance est
annoncée : demain, pendus aux mâts et aux gibets. Tel éduquait.
Et des promesses pour un devenir ! L'autre bariolait de lâches
pâleurs pour mordre les vices inconnus.

Écoute le récit de la parfaite harmonie, pleutre animal


bientôt défait de toutes tes langueurs et de tes facilités serviles. Tu
trembleras sous les échappées et les grasses sueurs. Les mesures
détestées répercutent déjà les ordres poursuivis. Et là, des fusions,
des stress sous des masses de ténèbres, mais les regards durent
encore.

Élevées dans les frivolités du plaisir, les femmes crient


d'une voix aigre pour les engendrer et tombent. À la particule
serrée, soudain elles sont amorties puis chutent dans des

752
rebondissements impossibles. Les soldats vident les péchés des
délabrés. Mais il y aura des hontes superbes pour le cheval de la
postérité... Affreux mélange ! Ils continuent.

Les déversements en longues flèches usurpent les


signatures d'anciens pandores. Les races se chevauchent à la
vitesse de la foudre, transforment l'ordre pestiféré en dépistages
de malheur. Toutes ces bêtes se rassemblent sous les gangrènes,
sous les pus ainsi fondus, mais elles pensent arriver à jouir de la
passivité. En outre de larges chocs maintiennent des horreurs que
leur course défectueuse adapte déjà.

Vos paroles m'invitent à la douce raison, chers pères et


sur vos mains sanguinolentes, je crois respirer le parfum putréfié.
La danse de la cervelle prostitue les frissons excrémentiels des
tendres réparties. Les closes du bonheur m'échappent quelque peu
: intimes, les convictions d'un idéal multiplient les fonctions
bannies, et leurs éclats m'éloignent des fols labyrinthes.
Ténébreux trésors des envolées divines. Bath ! Je ne sais plus.

Croire à toutes ces intempestives remarques, ces soleils


basanés sous des glaces de cire ? Quel mensonge se cache sous la
fade vérité ? Combien le doute grisâtre repose en moi ! Ces lentes

753
traversées bordées de luxes rares, et ces êtres difformes éclatant
de misères, faut-il les vénérer ou tuer leurs espoirs ? Eux, borgnes
dans leur protubérance oseront-ils condamner l'âme sainte des
minuits ?

Mais les dents grincent et les spectres s'enfuient.

754
Tu cherches à envahir

Tu cherches à envahir d'une folie perverse l'âme pieuse


mais révoltée dans ses silences. L'orgueil t'achève, les refus sont
humiliants. Le peuple inconscient que tu vénérais, te dénigre à
présent.

Homme seul, tes plaintes resplendissent à la lumière


comme l'aurore après la ténébreuse nuit. L'Angoisse, la grande,
explose dans des bouches qui expriment leurs erreurs. L'Erreur !
Car ta foi prouve encore que tu as atteint les catastrophes.

La fatale tromperie enterre les éclosions de joie. Un


assassinat et une stérilité parcourent des lignes dernières d'une
âme digne de trouvailles : des crachats sur une puanteur déjà
vaine !

Tu ouvres des portes secourables pour un pardon


impossible. Les repentirs, les torts de tes odieuses disciplines
jamais ne seront entendus. Que de plaintes caverneuses sans
échos ni semblants !

755
Le chant médusé

Le chant médusé s'écoute pareil aux insuffisances de la


vie. Chaque fleur tombe dans des cris de gloire et de renommée.
Fébrile destin qui secoue les amours et les chœurs déployés !

Nos réussites, extases de nos souffles applaudissent aux


quantités négligeables, et nos souffrances exprimées grandissent
dans des parchemins et des maux de détresse !

Ô tentation de l'inconnu, ô les reflets de marbre ! Jets des


oriflammes offerts par les puissances divines ! J'ai gravé sur la
pierre de la mort deux noms réunis pour l'éternité. L'ordre de la
course bannit déjà les vérités du long supplice. L'oracle se meurt.
Les maigres affirmations condamnent plus encore les prisonniers
du Néant.

Tu devrais maudire les damnées de l'ambition. Tu aurais


dû exister, non pas te perdre dans les coulisses de l'exploit.
J'évoque l'enfant, le pur diamant, l'union de deux corps. Mais tes
lèvres parlent et ton cœur s'est fermé.

756
Il a perdu les esplanades

Il a perdu les esplanades enlacées sous les sourires de


guerres et les charmes frileux. Les baisers brûlants comme des
soupirs florentins liquéfient les pâles signatures d'un demain. Il
avait aimé les fibres mauves ouvertes aux pétales des
insouciances, et bleus les esprits respiraient lentement. Sur des
bouches, l'haleine chaude avec des satins de bonheur frôlaient les
tendres silences et les neiges aussi. Comme abaissées, des pentes
multiformes ivres et libres, et c'étaient des duvets pour des brises
raréfiées. Les pas tremblaient sur les couleurs, mais les spacieuses
plaies contaient les délices de l'air. Plus loin, transposée dans des
courbes, une pluie fine de battements montait vers des éclairs
heureux.

Un jour la fluidité éloigna petit à petit l'étincelle


verdoyante des fusions lourdes. Parfaite dans sa rondeur, elle
dansait sur les fils bleutés de la vie et plongeait dans les intimités
avares des silences. Contre les ailes d'or, les feuillages fondaient
leurs écumes et leurs chaudes toisons. Les boutons de soie sous
des sommeils de plaisirs soufflaient les hymnes de froidures.

757
Maintenant invitée pour les complaintes et les cris de l'enfance,
elle laisse un à un les étés fuir dans les chaleurs boréales.

Les filigranes et les miroirs réapparaissent trempés


d'images troublées, et les frissons vieillissent les ombres de la
nuit. Les jardins puis les miracles tombent et meurent sous les
délectables souffles. Les fileuses consument les grâces sublimes
des instants. Dans sa blancheur, elle épuise les plaies pensantes.

Le songe s'épuise et l'espoir s'ennuie. Bouleversée,


roulant parmi les meurtres de ses ombres, épousera-t-elle l'effet
des voix entendues ou s'écroulera-t-elle sous le poids de ses
faiblesses ? Des nombres soulèvent déjà les passives déclarations
et les chants règnent sur l'or défini.

758
Il s'élevait

Il s'élevait dans les douceurs immondes se rappelant à


chaque instant les noirceurs d'une vie passée à vendre
l'imaginable. De sa chute, puis de sa gloire s'effondrèrent les
rumeurs des foules, les obéissances, les victimes et l'angoisse.
C'est en gravissant l'abrupte pente du malheur que passa en son
âme, comme une bouffée de braises brûlantes, l'indicible mutation
de l'exploit. Jouissance du mystificateur et oracle bienveillant,
personne n'eut raison de sa foi.

759
Les lignes médiévales

Les lignes médiévales participent à la vaine accélération


de l'instant. Si le nécessaire se donne sans jouissance, l'ultime
besoin est pris en considération par le testamentaire. Toutes tes
raisons indiquées ne sont que des leurres. Tu dois transformer
l'homme avant sa dernière déchéance. Tu t'appliques indigne que
tu es, mais de tes forces naîtront les cassures et les envolées et les
luxes unis.

Non. Comment expliquer au pourceau, l'indulgence, le


doute ou sa propre folie ? Pourquoi clamer sa liberté humaine ?
Tu la désires, Prince. Tu n'oses te prononcer.

Des balbutiements pour la classe dirigeante ou


l'inquiétude taillée en parts inégales ? Moi seul dans l'incantation
du soir, et quelques semences avantageuses...

La ligne droite se coupe et devient courbe. J'ai pris le


grain de sable, j'en ai fait une butte de ton mensonge, j'ai recréé la
vérité. Tu reprocheras toujours à la terre inculte ses faibles fruits,
mais la récolte personnelle, le vœu d'abstinence ? D'ailleurs je n'ai

760
de pardon à quémander à personne. Seul, intimement seul et
désireux de le rester.

761
Dans le dégoût

Dans le dégoût, la femme s'envole et s'enivre des


fraîcheurs matinales. Les veines sont gonflées par les saveurs
extrêmes et le sang bat sous la peau lisse et fatiguée. Allongée, le
corps nu sous le drap de satin, la respiration est courte, saccadée
par moments. Puis une longue bouffée d'air pur gonfle sa poitrine.
Le sein droit découvert dévoile une pointe violacée, tendre et
ferme. La main caresse un autre corps qui repose à ses côtés. Un
visage lourd de rides et d'espérances oubliées. Les yeux
transparents d'amertume collent un plafond grisâtre. Et la lèvre
pendante encore semble boire avec avidité ses vingt ans.

762
L'idée cosmique

L'idée cosmique partagée entre le ciel et l'air ronfle sur


les ordres suprêmes des nébuleuses. Qu'un chaos disperse les
ordres, et l'électricité crispe ses lumières, ses infinis. Un dieu
écoute et jouit de nos discours. Pourtant, pas un battement pas un
souffle, pas un éclair. Le néant et l'homme se combattent,
propriétaires des mondes et des univers. Le néant prolonge
l'inquiétude. L'homme ailé d'un vent gracieux construit.

Frères de l'impossible, jouons-nous de l'inconnu et par le


langage réinventons-nous le monde à notre dimension ? Je vous sais
ivres de mensonges, de profondeurs nocturnes. Je sais le désespoir
et la quête du négligeable. Mais pour l'amour de la beauté, pour la
pure perfection d'un art oublié, combattons encore !

763
L'idée fuyait

L'idée fuyait sous les fumées et les masques d'orgueil. Ils


s'essayèrent à la finalité avec de nombreuses réponses. Pas un
n'osa élever la voix, craignant des persécutions. Tous moururent à
jeun devant le jardin des fleurs. La nouveauté effraie. Seul, le
grand s'élance et découvre le royaume des délices. Lui, seul jouit
de son travail et de ses inventions.

L'oracle annonçait l'heureuse réussite de l'ange. Mais les


malheureux trop insoucieux de la perte de leur unité regardèrent
ailleurs. Aucun ne s'aventura à le dévisager ou à le contempler. Ils
tombèrent une seconde fois, non pas de faim mais de désespoir.

764
Les danses ronfleuses

Les danses ronfleuses filent jusqu'aux douleurs âcres des


minuits. Puisque l'ivresse s'égare dans des relents d'incertitudes,
entame les fortifications avec la bouche aigre. Mais les ors
s'endorment sur des sourires narquois. Semblant être persécutés
dans les montées des jours, ils dictent les pures haleines et les
fruits perdus. Même l'échantillon irrite un sédentaire passé des
flots uniques et d'horizons jaunis.

Un meurtre sur ta voix béante ? Les grêles déversées


foncent la lumière spacieuse. Quant aux lignes ainsi détournées,
elles lèchent les ombres obscures de ta vie.

Tout à coup des gerbes éclatantes grimpées sur des


oracles de pluies et des êtres et des nombres, acides dans leur
sentence, détruisent les forces souffrantes. Déjà des figures
disloquées, des membres poussifs et des branchies haineuses. Là,
les chiens achèvent d'autres corps. Et plus loin des squelettes se
tordent sous d'atroces brûlures.

765
Les cyclones se meurent

Les cyclones se meurent au-delà des collines. Les grands


ifs se tordent quand l'orage éclate en été. Les hommes transposent
l'image et oublient le présent.

Les rayons de l'automne sont la faiblesse des heures


nouvelles, et les départs accentuent les désertions promises. En
éventail la femme, écrin de plaisir, indisposée à la tâche.

L'origine de son mal, c'est la bêtise qui se croit mûre. Les


rouages ou les pierres hiérarchiques, chacune se voulant maître
des autres ! Toi aussi, tu dois m'apprendre le génie ! Tu jettes ta
connaissance pour énoncer le mouvement cyclique, tu craches sur
les pages du livre saint, le grand œuvre de l'inconnu ! Mais tu
débites l'incohérence, machine enrayée !

Ton message est un conseil et ta voix un ordre. Je te


maudis, piédestal, illustres cendres de mon destin !

766
Les soumissions regardées

Les soumissions regardées comme des bêtes anciennes,


et ta chanson obscurcit le pavé des souffrances. Les médiocres
brises de l'histoire déposées ou écartelées sous des lanternes
moites. Toute la déchéance et le regret de l'âge asservi. Une
maigre complainte joue des morceaux inconnus ! Comme de
vieilles femmes accompagnent l'élément, un cadavre est peint sur
les portes du futur. Des trahisons, des mensonges longtemps
débités ! Parfois la facilité, la jouissance décousue. Un grand vide
dans la petitesse des lois !

Sécurisante agonie, sont-ce des lignes sauvages, des


escarpements, des musiques ? Détestable tiédeur des peines
méritées, ou source multicolore parcourue d'écluses ?

Qu'est-ce à dire du grand dormir le grand dormir qui se


vend sous les échelles douteuses ? Il reste une mort digne de
l'homme mûr.

767
Tes membres tronqués

Tes membres tronqués poussent un corps fatigué des


mystères d'une vie future. L'autre jour, tu tremblais mécanique
incertaine qui s'essayait à se frayer un chemin.

Brûle la paille de tes sabots et jongle avec les braises


chaudes de tes récoltes.

768
Le mort séquestré

Le mort séquestré dans son caveau morbide crie l'espoir


d'un maigre devenir, et frappe les parois du solide pour se révolter
contre son Dieu. Peur de son néant, de l'inconnu macabre aussi. Et
peur du spectre blanchi pour les siècles à venir, qui surveille son
honneur comme d'autres des prisons. La femme sommeille encore
possédée par Satan qui veut l'épouser, et l'enfant hurle sa crainte
de se voir périr.

L'homme espère encore un pardon.

769
Retour

J'ai grandi dans le deuil des péchés joignant des torches


superbes aux tornades infructueuses. L'exil dans la confession
esquissa la Diane à l'œil heureux.

On importuna la tête aux mille songes d'été, et des


mauves turbulents plantèrent leur hargne et leur effroi pour des
souffrances chaque nuit.

Le front ridé, la main tremblante et l'orgueil de quinze


années stériles !

770
Dans l'exil

Dans l'exil du soir


Où tout repos meurtrit
La divine incantation

Dans l'exil du soir où tout repos meurtrit la divine


incantation, l'œil farouche veille et se donne à tuer.

Deux couteaux qui lacèrent les plaies, deux forces


subtiles et persuasives pour la prostitution.

Les reines se prosternent jusqu'aux chutes de l'invisible,


et vendent l'Empire et leur Néant !

À abattre la folie des instants, les races et les déchirures.


Quand la haine crache son feu dans les entrailles de la mort,
visions d'horreurs.

L'enivrement comme une bouffée de chaleur s'engouffre


monstrueux dans les plaisirs de la chair.

771
Et mûrissent les stigmates, les lambeaux et les pus jaunis
par d'autres haines sur d'autres terres.

772
Les mitrailles

Les mitrailles en saccades fuyaient sous les courants et


les étincelles de feu. Les bourrasques incendiaient la nature. Les
hommes perdus, hagards dans leurs nuits scrutaient encore les
soleils décapités. L'étoile tremblait autour de ses eaux, et des
vents dévastaient les vallons et les plaines. L'aurore se morfondait
et disparaissait déjà.

La vague ronflait sa carapace d'écume, et frappait et tuait


les coques sinistrées. Des rafales de boue brandissantes se jetaient
invincibles contre les noirs nuages. La terre transpirait ses relents
de charognes, les bêtes traquées hurlaient à la mort.

Les Dieux en proie aux plus sordides erreurs grondaient


et acclamaient les ténébreux déluges, et déchargeaient encore la
force démoniaque sur la terre, sur les hommes dans le ciel et les
eaux.

Animaux, fleurs, arbres, femmes, enfants, fleuves,


océans, plateaux et montagnes : tout périssait dans le chaos du
néant

773
Folies

L'éveil tortueux percute les terres pétries. On domine ses


soifs et ses saveurs vers les êtres déracinés. Eux, s'entendent à
merveille et contredisent l'homme artificiel. Ils participent à
certaines étapes joyeuses, - là ils boivent avec démesure.

Puis j'ai vu des armes briller comme des feux de plaisirs,


et leurs mains prostituer des cadavres de chairs.

Quand cesseront les perturbations célestes et toutes les


fausses vérités, des chocs combattront encore.

774
Opulence

Opulence du gendre fier ! Tu profites des misogynies


perverses, et ta voix s'expulse en saccades.

Un ténébreux parcours dans les rues de la cité confond


l'égarement, et les nymphes veulent chanter.

L'enchaîné déserte le lit corrompu d'odeurs folles, et le


lever distant rassemble l'époux gras.

Des libations générales se sont vendues sous des draps


infectés, mais ton calvaire franchira la porte de l'interdit,
découchera puis vomira l'oreiller du songe.

Le respect mercantile ? - Oublié ! Quand du jeu


tonneront les heures indues, des fonctions rares participeront à
l'écart.

775
Ton estime

Ton estime : pluies de déroutes et maux de terre.


Parvenu, le chant produit jusqu'à se rompre dans les entrailles, - le
chant s'éloigne dans les crépitements de l'arrière-saison.

J'ai toléré l'artifice véhément. Sur un pommier volé, j'ai


arraché le fruit sec et mauvais. Sans protocole ! Pitoyable vertu
pour quelques graines à la sève vivifiante !

On se lamentait sur ton ancienneté : - climat d'incertitude


et de violence. L'espoir peut-être forcera le château des pays
radieux.

776
Des sensations

Des sensations de légèreté et de clairvoyance ressenties


comme de profondes réalités émergeaient çà et là sous des
cauchemars de haine.

Les pacifiques rencontres

Les pacifiques rencontres me monteront à la tête comme


un bon vin. De nombreuses amitiés pour me pardonner ma
franchise. Les compagnons de table, les filles de chair viendront
se former impatientes, - premières amitiés littéraires.

777
Têtard à la bave vulgaire

Têtard à la bave vulgaire, règne au-delà du temps de


l'infortune ! Des ponctions dans la gueule de l'ivresse, des râles
pour le sang noir et divin. De ta danse scabreuse, naîtra le péché.

Ta jambe vomira le sperme du mercenaire. Ta bouche


sera le trou de la souffrance, et ta possession, la haine du peuple.

Croulante et châtiée sous les feux des lumières, la terre


tremblera tout son glacial hiver ; la terre hurlera ses meurtres
répétés, et toi tu chanteras la sombre pitié.

778
L'heure

L'heure ne retiendra pas les déceptions ni les termes


prononcés dans les batailles magiques et charmeuses. Pourtant tes
seins se gonfleront du sang pulpeux : l'enfant naîtra. Dans tes
veines, la force vaincra nos absences, et ton sexe sera plaisir et
joie. Par tes yeux bleu et marron, j'avais nourri l'espoir d'une vie
harmonieuse.

Des effets moteurs pour courir à ta recherche, de grandes


évasions ! Quelle déduction universelle ? Un départ vers un autre
corps ! Les forces spirituelles aimantaient nos deux âmes. J'allais
mourir, c'était folie et jouissance réunies.

779
Équinoxes

Équinoxes des abrutis,


Saison charnelle,
Il te pousse deux ailes
Pour voler dans la nuit.

Surtout dès l'aurore


Tu soulèves encore...
Mais ne fais pas de bruit,
À la source des minuits !

Et c'est toujours moi


Qui bouscule les lois !
Mais tu recules,
Un, deux, trois...

780
Hourra pour les gueules !
Car à peine seul,
Mon exil est fini.

Vrai, je dirais croître


La lumière de l'œil,
Mais je suis en deuil.

Équinoxe des génies :


Saison spirituelle,
Il te pousse deux ailes
Pour voler dans ta nuit.

781
Id ! (Idées) :

Toutes les peines reçues en plein front, toutes !


Et les cordes pour resserrer le cœur, les cordes !

Des vérités mêlées à de superbes mensonges :


Les voix grincent dans mon crâne.

La solitude tourmente les pauvres âmes.


- Enfin, j'ai cru entendre distinctement.

L'envoûtement est spectaculaire,


Sache le désarroi, sale nègre !

La pensée se met en éveil,


Ils bondissent nus et s'agrippent aux hanches.
Des frissons éternels puis leurs rires sournois !

Ils avancent dans les rêves qu'ils revêtent !


Lavage de la cervelle et maléfices affreux.

782
Les guitares électriques

Les perturbations électriques jouées


Dans les rencards de l'indifférence
Qui se fortifient sans mirage cyclique
Muent les rêves de transparence.

Des inclinaisons lascives entendues


Quand des termes surgissent
Liquéfient les anciennes statues
De bribes et de syllabes qu'elles maudissent.

Charges continuelles de bruitages


Irradiant les ondes au si codifiées.
De là l'atome sur des passages
S'expulse par le choc percuté.

Vibrant rejet qui se rétracte


Par la force dressée qui le domine,
Le son retenu éclate
Sur le fils tendu qui s'incline.

783
Les sordides percutions soumises
À l'acte extérieur et changé
Sur l'ordre établi harmonisent
Le songe âcre des voluptés.

784
L'ordre en marche

L'ordre en marche contourne


Les fulgurants et bleus éclairs,
Siffle l'effet qui se tourne
Vers les masses opales des airs.

Le détenteur de mortels cris


Réinvente la folie vers soi,
Et le libre flash s'inscrit
Après l'immédiat renvoi.

Derrière l'évidence déclarée


Le grand mal encore télescope
Les bruits sourds qui galopent
Sur la lampe éclairée.

Même si les blanches flammes brillent


Dans mon étincelle mesquine,
Jamais minuscule escarbille
En ma raison ne s'affine.

785
Jaunies par le feu de pénitence,
Ces perturbations déjà avortées
Etalent les fruits de la nonchalance
Sous la plume déjà reposée.

786
Sur des gouffres

Sur des gouffres des bouches,


Des voix et des mensonges.

Les lamelles d'ivoire, les courbes d'argent,


Le rire pénétrera les lèvres d'or.
Les jeux de robes, au clair ;

Éloignée la déité des miasmes confondus


Si proche du miel,
Et des saveurs des grandes routes !

Ta main dans la prison de feu,


Un pied reposant sur la tombe béante !

Une heure, un chemin, un lieu.

Fine, disposée aux heures les plus chastes,


La nymphe.

Mais l'ordre n'est que l'écho des syllabes.


Le son participait pourtant à la fête divine !

787
L'ouvrage bariolé

L'ouvrage bariolé par l'enfant de mes rêves,


Les frêles dessins sur les pages rayées,
Les fleurs vertes et jaunes sur l'axiome de Thalès.

L'enfant plongé dans les rêveries de l'automne


À l'oreille discrète, le cœur gros de souvenirs
Dort sur la page multicolore
Et réinvente, ailé par le vent de l'amour
Les champs, les blés et les marguerites
L'étoile mauve dans les ciels argentés.

L'enfant faible et pâle d'un coup


Se fait interroger.

788
Nul ne portera

Nul ne portera à tes lèvres la coupe,


Assoiffé ! Mais ton sang bu dans les
Artères du mal glorifiera tes
Carences exploitées.

Les laits vidés de ton absolu périssent


Sur les étoffes usées des mémoires.
Même ce chant clôt l'abdication
Ancienne.

Soulèvements dans un cri, c'était hier !


Tout se crache : les compréhensions
Méthodiques restituent des voix d'or,
Surtout des offres ! En fait, des perles.

Un goût de survivance pourtant


Aux lâches besognes ; besognes
D'esclaves. Déjà les fuites,
Les départs sont impossibles.

789
Suc protecteur que personne
Ne voit luire ; moi, victime de
L'habit invisible ; il suinte
De tes pores les transpirations acides
De la clairvoyance.

Éclats de l'entretien dont les


Lumières éblouissent comme des phosphores
Neigeux ; moi-même : "Mares de sang
Autour des crimes de l'infortune ;
Violences à l'âme qui convoitaient
D'autres plaisirs."

Matrices rigoureuses, mathématiques de l'art ;


Ignorant qui achève le droit du hasard ;
Seul et unique possibilité
De la destinée inhumaine.

Le sort roule dans des veines de chaleurs,


Imbéciles révélations
D'une épopée unique,
Et des transferts déjà
Palpables dans l'obscur soi-même ;

790
Le règne de la philanthropie
Hurle son dû.

Silence.

Celui qui se lève marche sans se retourner


Mais ne peut rire de son insipide essai.
"Choisis."

Un nivellement qui échange des idées,


Des luxes, des obstacles et
De misérables gémissements puis d'éphémères
Bontés. Les lois divines sont bafouées.
Mais toi seul, tu conduis.

791
Les lignes d'or respirées

Les lignes d'or respirées


Lentement dans les vallons de l'aurore ;
Les philtres qui s'accordent
Flambent les noirs coteaux de l'hiver.
Ce sont des races et des bonds étranges.

Si j'ai grand souci de l'estime ?


Libre, je déploie les passives douceurs
Aux sons ailés des villages voisins.
L'accord des pâtres pour des chansons,
Les mauves poursuivent l'air humé,
Et les courses se plantent entre deux eaux.

Ai-je le goût de l'atroce silence ?


Veulent-ils l'aurore des points cardinaux ?
Pour les vents du déchet, l'empreinte
Et le danger sur des pierres coupantes.

Ai-je grand souci de l'estime


Quand le soir les rentrées nonchalantes
Poussent l'ennui dans les mares et les boues ?

792
Nature, guette les travaux des champs.
Il te faut atteindre l'espace lointain.
Bonheur dans l'évident silence,
Ton esprit est encore tué ! Rencontres et reflets
Des taches dorées sur les mousses exigeantes !

Je rendrai l'intelligence pourprée.


Et dans les semailles d'un autre hier,
Je tremperai ses lichens aimés.
L'herbe violette sentira bon
Par-dessus le val tout glacé de plaisir.
Quoi ! L'ensemble est réparti dans les terres ?
Il baise l'air frais, et plus loin la rosée.

Canton, aurai-je encore mainte estime ?


Feu des prés, voleur des disgrâces,
La folie est consternée dans l'envol prochain.

Mais puis-je maudire ainsi déchus


Ces philtres, ces lignes, ces accords,
La permission d'un renouveau ?
Les oisifs pleins de tourments écoutent,

793
Gardent le mot qui se devine.
Même l'hôte peint la saison chargée.

L'air pur se voudrait être digne dans l'orgueil ;


Les brumes fléchissent peu à peu ;
Des bonheurs sous les couches perdues ?
Des soleils d'automne qui se tannent la peau ?
Quand tu pleures tes mensonges,
Quels instincts pour la possession des Natures ?

D'une voix qui épuise les chœurs étrangers,


Les vertes couleurs muent inlassablement,
Mais les superbes brises souffrent-elles ?
Ha ! Comprendre cette infortune ! ...
Pourquoi ces crachats rentables ?
Serait-ce l'ordre bleu des pensées d'argent ?

La soif sèche les fenaisons détestées.


Lignes cent fois maudites, philtres et accords !
Mais sur des fragments resplendira le soleil !

Tu joues le miracle de l'espérance humée.


Des fous se pâment bien pour quelque or.

794
Tu te lies avec la précocité urbaine.
Et dans les spasmes de l'effroi, de l'angoisse,
Des monstres attaquent, tu es seul !

La ville détruit la noble fonction,


Et conspire contre l'audacieuse foi.
Ligue ancestrale et fatidique !
Ce cri achève les paroles rêvées
Puis crache sa démence dans les bruits de l'action.
Gigantesques souterrains, et arbres de fer,
Combat des formes dans l'artère jaunâtre !

Val mousseux sous les buissons du silence ?


Teintes sublimes transférées par l'invention ?

La chair du poète arrachée par des loups.


Ho ! Du tombeau de la gloire s'enfuit le rubis !

Poisse et crasse et vieilleries, et dégoût encore !

795
Mais c'est toi et toujours

Mais c'est toi et toujours et encore face au peuple,


Sombrant sous les sanglots humides du destin !
Si un rire incertain plisse ses lèvres rouges,
Un scandale se lève arrachant les drapeaux !

Ce mur, ces toits forgent les traces anciennes,


Tandis que sur les glaces sont des bouffées d'air pur.
De noires inquiétudes recouvrent les longs cris
Comparables aux déboires qui frappent l'esprit libre.

La voix hante la demeure hautaine des demains.


Ce sont des joies divines qui s'esclaffent en ton heure.
Ta voix a traversé de sombres marécages,
Ô l'ardeur militaire, ô les pas saccadés !

La femme s'est donnée sous la force des armes,


Et le sein arraché est hurlant de douleurs !
Les enfants ont pleuré et supplié du pain.
Le vieillard est gisant sous le poids de son ombre.

796
C'est vivre l'espoir des continuelles peurs
Transpercées de rappels éteints et ranimés !
Car des hommes s'acharnent, infligent violence,
Comportements sauvages des humains arriérés

Mais les leurres ont craché la paix intempestive.


Du dehors, aucun mal, nulle douleur ne crie.
Déjà ma voie s'efface dans l'oubli des raisons :
Ô les plaisirs débiles pour toute délivrance !

Et les sermons brûlés - c'était irrésistible !


Et les pleurs de ces Dieux écoutés dans mes nuits !
Ainsi l'écho se perd dans les pures résonances
Pour se figer squelette dans les masques crispés !

L'amertume et le goût silencieux du vide :


Mouvement de jeunesse qui perturba ma vie.
Si cet appel figé prétend fléchir toujours,
Pourquoi continuer ce délit condamnable ?

797
Mouvements sur les clartés

Mouvements sur les clartés et les paraboles d'argent,


L'hymne des fées et des vierges s'ébat
Et tournoie dans les vapeurs de l'été.

Fluides jaunes qui bondissent dans les chaleurs inertes.


Les ondes blanchies montent sur les faisceaux d'or.
Contre les rares sèves, les monts et les calices,
Un segment de droite est dirigé vers les champs,
Et l'astre gonfle le feu des lumières vivifiantes.

L'équilibre s'étend sur les folies boréales.


Le magnétique attrait subit les couleurs
Et s'élance sec et brûlant vers les pluies inouïes.
L'élasticité des secondes conduite par des photons
Perturbe la pesanteur des rayons irradiés.

Tout danse dans l'arc-en-ciel bruni


De force et de phosphore. Les lumineuses plaies
S'éloignent avec peine sous les pastels, par principe.

798
Des sépias teignent un phare de proue,
Vers l'extérieur soulevé de la terre,
Et les flux propagent les chocs
Sur l'écran métallique.

Variétés de l'origine transposées jusqu'aux


Migratoires pensées. Enfin cataclysmes teigneux
Qui rebondissent dans les soleils de l'aurore,
Repères et flèches pour la géométrie du Néant.

Les siècles bariolés longent leur espace,


Et les nébuleuses ocre tourbillonnent à l'Est.
C'est un point engouffré sous les ombres et les noirs :
Le dépassement de l'origine retourne au réel.

799
L'éruption ainsi métamorphosée

L'éruption ainsi métamorphosée libère ses fruits.


Les feux règnent sous les clartés blanchâtres,
Et de larges fumées roulent sur des cieux neigeux.
Plus loin, les chocs des tonnerres, l'éclair et sa foudre
Tombent sur des laves encore incandescentes.
Les traînées sanglantes, troupeau incessant,
Mordent la terre lavée, brûlent l'herbe tannée.

Elle gonfle les volcans de braises, épuise


Les soufres qu'elle respire. Elle remplit les tranchées,
Les gorges luxuriantes, elle monte des sommets
Avec des chaînes d'esclaves et des bruits immortels.
Des vengeances de Dieux, des drames inhumains
Pleurent les désespoirs de nos pensées divines.

Les torrents de chaleurs frôlent les bouches.


L'impénétrable venin circule dans les ombres finies.
Lorsque les mensonges éclatent, les airs soulevés
Et les bourrasques de mots répercutent les frayeurs.

800
Ils sont tortures inspirées par les folies bestiales.
Ils sont détours de la tendresse bavée
Dans les sourires immondes. Vos craintes déracinent
Les semblants d'amour proposés. Les corps
Explosent malgré eux sous les durcissements autres.
Les tempêtes, les sermons meurent tout à coup !

Seras-tu possédée de tentations vulgaires ?


Donneras-tu l'annonce aux mains défendues ?
Et ton cœur, dans sa nuit, tremblera-t-il
Pour le joug de l'insouciance prononcée ?

Les laves de sang, et le lac d'or transparent


Jaillissent et arrachent les palpitations démesurées.
Les boues hurlent sous les noirs silences !
Tes cascades bues, vastes comme l'orient
Remplissent mon âme. Hélas, je ne sais plus !

Sous des objets de plaisir, ô la maléfique peur


De l'interdit et du perpétuel déboire !
De fantasques demeures irradient la course
Et sa chute. Les obligations teignent de pourpre

801
Les lames de fiertés et les couleurs des transports
Indociles à la pâle incertitude des aveux.

Des vibrations inertes poursuivent des sacrements !


Des chaleurs se prosternent dans les pensées honteuses !
Des femmes repliées en leur cœur foisonnent
De lumières torves et se meurent !

Amas de glaires tortueuses sous les respirations


Faciles ! L'ensablement des souffles refuse
Les peines projetées. Ils oublient les vices.

Les lèvres happent les salives puis les mots.


Les chairs sont sans âme, les corps s'enfuient.
L'éloignement dans les ondes perverses maintient
Les forces baignées sous les plaisirs anciens.
Des blessures, coulent encore des plaies superbes.

Les sueurs s'exaltent puis raréfient leur traîtrise.


Les glaciers de l'amertume sous les vents violents
Mortifient les veines et cassent les visages.

802
Inconscients de leur splendeur, ils brûlent l'extase
Et les prochains délires ! Que les chocs de la raison
Violent les semblants, les atrocités confondues
Dans les mannes de l'horreur ! Qu'ils usent du dégoût
Pour maudire la honte de tes orgueilleuses ténèbres !

Sous les silences, les espaces crucifiés vomissent


Mais les Dieux s'éteignent dans leur maudite censure !

Étincelant dans son équivoque stérile,


C'est le pardon assuré pour les malheureux !
Les lascives étreintes dorment et possèdent les vierges,
Sueurs des pensées humiliantes.
Les veilleurs auront tôt fait de haïr l'implacable pâleur.
Des mondes, des mamelles puantes tirent un suc tourné.
Les maladies et l'angoisse s'éternisent dans le mal.

Seule la vengeance de la possession soulage


L'excrément de toutes les hontes, des lyrismes stoïques
Et des peurs écarlates. Tu dois bannir et jouir
Dans la concupiscence de tes nuits vides !

803
Seule la voie nuptiale sauve ces meurtres incessants.
La voie de l'insouciance peut dilapider, grandir
Les pensées claires de l'espoir.

804
L'espoir !

Mais c'est ta race qui pardonne. L'élévation te condamne.


Tes agissements sont pleutres.
C'est ton mesquin besoin qui pardonne encore,
Et tes licences s'envolent dans de profonds sommeils !

805
Encore moi éternellement ! ! !

Encore moi éternellement !


Puisqu'il te faut partir
Dans les chaleurs du printemps,

Plutôt que de mourir


Vivons en suppliant.

Encore moi éternellement ! ! !


On me dit : use
Les traces de l'été.

La folie amuse
Les hommes détraqués.

Réponds : demeure
LUI éternellement
Depuis trois cents ans.

Au fil des heures


Sale mauvais temps etc.

806
Il continue :
LUI éternellement.
Avançons ta mue,
Il n'est pas très grand.

Encore Moi de temps en temps.

807
Est-ce bien qui étonne

Est-ce bien qui étonne,


Ou joie et plus flore ?
Dans les sémaphores,
Le vent déraisonne.

Brasses sur de l'écume


Dans le canal suivi.
Par des lacs de fortune,
Une cavale sortait.

Vapeurs sur aquarelles


Oui, des brouillards stagnants
J'aperçois deux ailes :
C'est moi tout tremblant.

Puis l'orage se creuse


Contre ses peupliers :
Une course furieuse
Sur le bord des marais.

808
Et pour ses souffrances,
Cet espoir est sanglant.
Là dans ses apparences,
Le pur est navrant !

Ha ! Syllabes de survie,
Crasse de mes yeux.
Mais l'air s'est appauvri,
Et s'étend à moitié.

Est-ce bien qui étonne


Ou joie et puis flore ?
Dans les sémaphores,
La chanson s'envole !

809
Derniers temps

Midi par ses lueurs


Et tu ris étourdi
Du long vol de pleurs.

Laisse la transparence
Qui vient puis détruit
Le rêve d'insouciance.

Profonde, alitée
Qui sait si selon
La tempête apaisée
Un drame ou frissons ?

Récolte pour un soir :


Ivresse et lacunes.
C'est un ancien manoir.
Puis meurtres et fortune.

810
Honte (Frayeurs)

Ô vie de désespoir !
La honte s'en souvient
Qui allume chaque soir
Pour elle un refrain.

Crispée, mais sans rancœur


Dans les pensées conquises
Des cieux, avec la fleur
Et le tout s'harmonise !

Encore qu'un désert


Pourrait dessécher
Les fruits découverts
Par la vérité !

811
Mais l'époque éclate
Les amours tendues
Vers les joies délicates,
Déjà se sont perdues !

Toi, pécheur ou victime


Portant le masque impur ?
Mais pour un roi sublime,
C'est un affreux futur !

812
Chute

Ton violet canonique


Sur l'écharpe des eaux
En rotations rythmiques
Lèche ses grands sanglots !

C'est ta voix qui s'épuise !


Maudis l'enchantement
Lui qui hante à sa guise
Miroirs, éclatements.

Mais les soleils se mirent,


Tu sembles l'oublier !
En cascades, respire
Ton azur détesté !

Horreurs de la saison,
Le vice est dans tes nus !
Afin que ta raison
Au cœur ne parle plus !

813
Amours enivrées

Invite les solstices d'or submergés


Pour haïr les latrines puantes,
Et les clystères en feu odorant
Auront tôt fait les distingués !

Les fiords nacreux des alcooliques


Dans des bruits et des cuistres humants
Suspendent déjà les chimériques
Pensées des trônes renversants.

L'auréole des saints ainsi saillie


Et mise dans les rencards étroits
Butte contre les empires vomis.

Lorsque le lieu rêvé qu'ils déclarent


Jouit du solide emploi,
C'est la bouche aimée du soir
Qui rit et rote parfois !

814
Nuitamment

Tu peux à présent te reposer,


Toi qui t'imprègnes d'or et d'encens
Et sur la tête courbée
Rêver de rêves tout-puissants.

Tu peux si ton humeur câline


Te verse des fruits savoureux,
Bercer ton corps qui s'achemine
Vers les hauteurs des Dieux.

Allusion aux soleils de la terre,


Respire la caresse des nobles odeurs,
Et bois la suave liqueur
Qui remplit les espaces clairs.

815
Enfin dépourvue de toute haine
Dans tes songeries, dormeuse,
Oublie le mal qui se déchaîne
Vers ton âme amoureuse.

L'étincelle de l'heureuse tentation


Gâchera malgré toi ta candeur :
Un masque stérile d'inspiration
Réveillera tes sueurs.

Accords sur la page tremblante


Au comble de la forte nuit,
Ce seront lueurs sanglantes
De ton travail maudit.

816
Les perturbations électriques

Les perturbations électriques jouées


Dans les rencards de l'indifférence
Qui se fortifient par les mirages cycliques
Muent les rêves de transparence.

Des inclinaisons lascives entendues,


Lorsque des termes surgissent,
Liquéfient les anciens statuts
De bribes, syllabes qu'elles maudissent.

Charges continuelles de bruitages


Irradiant les ondes ainsi codifiées,
Alors l'atome en des passages
S'expulse par chocs percutés.

Vibrant rejet qui se rétracte


Sous la force qui le domine.
Le son retenu éclate
Sur le fil tendu, s'incline.

817
Les sordides percussions soumises
À l'acte extérieur et changé
Sur l'ordre établi harmonisent
Le songe acide des voluptés.

818
Ombres qui blanchissent

Ombres qui blanchissent le deuil


De voilures obscures,
Et souffles transparents dans les
Noirceurs de la vie.

Les stridents crépitements d'un


Feu jamais éteint,
Et les chaleurs refroidies sous
Les claies de l'hiver.

Valeurs innées pour l'alchimique nature.


Vrais, des chocs sous des sommeils de pluies.

L'heure puis l'orage indéterminés :


Miroirs de paraboles lentement dressées.

Tu longes les murs et les charpentes de bois,


Plus loin l'apparition du fer et de l'acier.

819
Et pourtant ce demain est déjà à sa place,
Ce demain regretté et ce demain subi !

820
À l'heure où tombe

À l'heure où tombe le crépuscule,


Je vois selon le faisceau diurne
L'horizon conquis par maints sots.

Si ta couche couverte de vertiges


Se veut par tel songe vespéral
Au feu cuisant qui t'oblige
À vendre l'endroit de ton mal,

Va, princesse à l'haleine chaude


Te goinfrer de grasses pâmoisons !
Et bois dans l'œil livide qui rôde
Le vif éclat des floraisons.

Car l'odeur de ses boutons


Te jette le florissant puceau,
Nue du nombril jusqu'aux tétons !

821
La mort cache ses pleurs

La mort cache ses pleurs dans les bras du sommeil,


Puisant les souvenirs de son mal éclatant,
Consume jusqu'aux bords de l'abîme incertain
Les nuits blanchies des haines, de l'enfer et du temps.

Son Dieu est absolu et sa chute est l'exil.


Des venins et des vers se meurent lubriquement,
En rampant sur nos corps, odieuse vermine.
L'espoir est son royaume qui vit et se répand etc.

822
Boussole

Des sphères vidées ; des lèvres belles


Éclatées pour la dernière chanson ;
Des femmes pulpeuses sucent des ongles ;

Lui, l'homme avec des carnassiers


S'use par des travaux pénibles.

Ange, tu créas ces paroles pour le gouffre


De mon âme. Homme, tu suspends l'univers
Et recrées la loi courbée des infinis.

823
Conquête

Les monstres de l'écume, chers vœux des amitiés,


Et le pur sang couché sur son tapis d'herbe,
L'œuvre disjointe modifie
Les mousses et le destin.

De l'acide pour le cheval tondu


Et des cirques inutiles ;
Les mystères du jugement oublié
Vamperont le fruit retrouvé
De sa pitance dernière.

Nourri, il dort heureux.

824
Mue

Limon posé sur les cendres de mes pères,


Le cri de l'homme sous les masses de la terre.

Tu gardes l'enchantement pour l'écho.


Un grabat de pierres maudit
L'effigie de son Prince.

Je détruis la valeur et l'estime des bourreaux.


Poussif démantèlement,
Clairon de chocs
Contre les cathédrales
Dont les fondements nagent dans les bras
De la cité.

Les violons crispent l'archet,


La crécelle mugit dans ses cérémonies
Et vante un liquide jaunâtre
Expulsé en saccades honteuses.

L'eau retourne au limon.

825
Ton désert est sans fin

Ton désert est sans fin et ta voix multicolore poursuit des


paroles insensées. Ce Dieu, c'est l'Olympe magistral, grandi à la
sève de l'athlète.

Il te faudra traverser les chaleurs pour gravir les échelons


et entrer dans le stade.

Tu dois déchirer

Tu dois déchirer l'ignorance pour que jaillissent les


monstruosités ancestrales.

826
Ô victoires du prépuce

Ô victoires du prépuce et du gland débraillé, le sang


coagulé sur des puanteurs réelles, monstrueuses bouches que
l'éclair a éternisées !

Que tu jettes tes sonorités blêmes

Que tu jettes tes sonorités blêmes,


Inconscient et toujours vainqueur !

Dans la panse du pauvre affamé


Verse le suc dévastateur
De tes effronteries les plus diverses.

827
Partage de l'astre

Partage de l'astre
Pour des rires moqueurs ;
Et tu fuis ce désastre
Entre paix et peurs.

Mais les pluies te grondent,


Soufflets qui fécondent
Les races d'ailleurs.

Ta peau se rétracte
Là, tu es vainqueur.
Soudain ils te craignent,
Toi seul as un cœur.

Car tes fluides poussés


Atteignent les batailles
Et les morts par milliers.

Sous les campements s'égarent


Les raisons de tes amitiés.

828
Un dernier cri : l'espoir !
Lutte pour nous rassurer.

Les armes et les guerriers,


Les cymbales et les cuivres,
Les hommes sont enterrés,
Il te reste à survivre.

829
Mémoire déçue

Mémoire déçue ; plaies à jouer


Sur terre, et l'effort en partie
Contrôle les paquets ; rendez-vous ;

Joyeux Noël, bretonnant de Manhattan ;


Location pour métier ;
Catherine épouse un photographe ;
Occupe l'essai, justice en main.

830
Inquisiteurs de l'âme

Inquisiteurs de l'âme et amis dévoués,


Ceci sera votre mets de survivance.

Possédés et vils tenanciers d'une maigre mixture


Braillant ou crachant l'invincible talent,
Frères des nuits, ô lutteurs d'une cause perdue,
Je verserai le sang de l'âcre besogne.

Par mes mots déchargés, pour vos piètres esprits,


J'inventerai un monde à votre contenance
Songeurs de l'inconnu survenu pour ma danse.

831
Alliance du factice

Alliance du factice et des horizons


Sur les mares fonctionnelles des prés.

Pourtant rien ne plisse les devantures,


Et les grandeurs certaines jouent dans leur pénombre ;
Eclatements sous les syllabes d'ombres.

L'orage teintera encore, senteur des auréoles,


Et brusquera l'amitié des pelouses.

Bras de mer dans les jetées et les mondes,


Arcades chimiques pour de vieilles soutes,
L'infini s'exhale, opaque et se soude
Pareil aux herbiers négligeables des routes.

832
Criminelle amitié

Criminelle amitié,
On ne la verra plus
Oh ! Le cœur déchiré
Pour un homme perdu !

Près de toi, la belle


Qui joue les ingénues
Refleuriront les ailes
Des anges battus.

Et pour ton clair sourire


C'est tout un corps qui tremble
D'un profond désir.

C'est l'amitié encore


Qui vole au réconfort
Son ardent plaisir.

833
Les contradictions du mystique

Grandeurs et foi s'expliquent


Par les pensées vicieuses
Qu'un rustre aux chaleurs platoniques
Planifie de vie soufreuse.

L'élévation dans ses douleurs :


Il se détache, il accourt.
L'être indigne supplie
Les sources divines de l'amour.

Il arrache ses rancœurs


Sous des effets d'incroyance,
Il supplie son brave cœur
De meilleures complaisances.

834
Il le jure, il avance.
Il réclame la question.
Sa faute est recherchée
En maintes obstinations.

Il sait la vérité,
Il frappe ses blessures,
Et ses voix sont sensées,
Déjà l'absolution !

Science des repentirs


Qu'il suppose tout bas
Le fera réfléchir
Aux leçons de la Loi.

Recommence à pleurer
À cause de son monde
Qu'il voudrait voir changer,
Ô le déchet immonde !

835
Des lamentations vaines
Pour l'effort inconnu
Succombent en lourdes peines,
Mais qui a entendu ?

Des lueurs parfois fières


Bouleversent ses raisons
Qui flambent incendiaires,
Et qui durent et qui sont.

C'est l'esprit malséant


Dans la tombée des nuits
Où spectres étincelants
Se dessinent sans bruit.

Puis possèdent son âme,


Et vampent sa croyance.
Ils reviennent et se pâment
Et jouissent de ses souffrances.

836
Dès lors des tremblements
Étouffés par des cris
Lorsque cyniquement
Ils passent devant lui.

Comme ils usent à loisir


De pieuses images qu'ils font danser,
Ils se plaisent à vêtir
Les femmes de lubricité.

De blêmes apparitions
Toutes gluantes de pus,
Se cambrent en distorsions,
Et s'avancent dévêtus.

Avec un rire horrible,


Elles brûlent des caresses.
Alors ses mains flexibles
L'incitent à des bassesses.

837
Lui, gorgé de sueurs,
S'étouffant mais réveillé,
Ce lugubre rêveur
Se remet à prier.

Là, il décharge les preuves


Et les plaintes en un concert
De discours, puis s'abreuve
D'incessantes prières.

Dans les envols qu'il domine,


Il dicte, jure sur ses lois.
Il se vénère, s'exprime
Sur les mensonges de sa foi.

Se met à blasphémer
Les cantiques secourables,
Condamne les libertés
Des Chrétiens périssables.

838
Geint à nouveau et se tord,
Roule sa tête sur l'oreiller,
Epuisé, meurtri, s'endort
Les mains, les pieds cloués.

Grandeur et foi s'expliquent


Par la pensée vicieuse
Qu'un rustre aux chaleurs platoniques
Planifie de vie souffreuse.

Dans ce sommeil désespérant


Moments infinis de luxures,
Il se lève chancelant
Vers des matins plus purs.

Oh ! Les déboires qu'il a subis


L'air court à la croisée
Et l'éveille ; il rafraîchit
Ses maussades pensées.

839
Bercé de brises légères,
Il respire les tiédeurs
Et les douceurs dernières
De son été en fleurs.

Translucides, vivifiantes,
Les pures ailes s'évaporent
Félicités chantantes
Dans les prompts phosphores !

Et l'angoisse disparaît,
Se meurt l'opacité.
Pour un cœur qui implorait,
Heureuse la liberté !

Sous la masse ténébreuse,


Dans les douleurs du soir,
Tu te replonges, rêveuse
Par ta forme illusoire.

840
Et ces pièces grotesques
Que toujours il joue
Sont tentation d'ivresse :
Il en crèvera fou.

Et ce seront encore
Dans le tombeau divin,
Des bruits de chair et d'or
Qui soûleront son vin.

Des tourbillons de flots,


Sous des séquelles de sang,
Arrachent son repos
Pour d'autres firmaments.

Quand le réel fondu


Néglige les fantasmes,
A peine entrevus
Sont les rejets d'orgasmes.

841
Transférés au Néant,
Ils réfléchissent leurs carences
Et dominent l'existence
D'un imbécile pensant.

De mémoire, il inspire
À l'esprit dérouté
Les substances des délires
Et les viols exercés.

Il plonge dans l'inquiétude.


Ses yeux sont horrifiés.
Terreurs et certitude
Des malheurs répétés !

Il est le protecteur
De leurs sangs, de leur pain.
Il mugit à toute heure
Secouant les gredins.

842
Il crée ses compassions.
Et sa noble aventure
Est la satisfaction
Subtile par la nature.

Ses pensées mesurées


Auront nombreux effets
Sur les foules inspirées,
Enfin, il le promet !

Premier pour la justice,


Il lègue à la postérité
Le chant de tous les vices
De la sorte déclamés.

Son présent fait l'histoire


Et l'action va bon train.
Son demain, c'est l'espoir.
En fait, il n'en sait rien.

843
Il veut par ses projets,
Des changements rêvés.
Oui, depuis qu'il priait,
Ils pourraient arriver !

Avide de sa puissance
Il surestime son autorité,
Croit en la délivrance
Des hommes ensorcelés.

L'auréole de gloire
Qu'il porte éclatante
Brille dans le soir
Comme torche brûlante.

C'est un Saint de l'amour


Encensé par un Dieu
Qui l'éclaire. Il secourt
Les pêcheurs miséreux !

844
Il obtient les succès
Au milieu des infirmes.
Ce qui se dessinait
Se conçoit et s'affirme.

Il faut que je me sauve


Pensa-t-il, en brûlant
Les images bleues et mauves
De son pur testament,

Elles qui condamnent mes jours


En de profondes études.
Jailliront les amours
Pour les cœurs chastes et prudes.

Je sais dès à présent


Qui happent mes lueurs :
Ô les êtres rampants
Noyés dans mes sueurs !

845
Poussant des hurlements
Dans les trous de mon âme !
Crissant en exhibant
Les vices les plus infâmes !

Les visions de sa vie


Ainsi décomposées
Luttent avec les envies
De sa claire chasteté.

C'étaient désirs mêlés de réelles


Souffrances quand les femmes
Roulaient sur le lit frêle
Mousselines et flammes.

C'étaient démons cyniques


Quand elles se proposaient
Dans des poses lubriques,
Quand elles se défaisaient ;

846
Tenté mais refoulant
L'idée honteuse du soir,
Il s'agenouille tremblant,
Maudit son désespoir.

Ô lentes agonies
Enivrées de chaleurs
Qui circulent chaque nuit,
Pour détruire sa valeur !

847
Écoute le cœur maudit

Écoute le cœur maudit et renfermé du poète inconnu qui


s'appelle Franck Lozac'h, celui qui n'a pas la rigueur pour
progresser et pour vendre des phrases, l'impatient, le résigné, celui
qui écrit trop vite, celui qui est incapable de se maîtriser, celui qui
se gaspille à son bureau en regardant ton image, celui qui espère
et attend des jours meilleurs.

Il a écrit des livres qui ne font guère succès qu'auprès des


morts. Lui qui s'est lavé dans la poésie, il est refusé par tous. Va-t-
il attendre encore des semaines, ces heures d'insuffisance noyé
dans la fumée ? Ses défauts sont innombrables. Il ne sait pas
même construire un texte. Des suites illogiques, et des fautes !
Des fautes ! ...

848
Il aimerait tant la rigueur des bons poètes. Plein de
fougue et de sentiments, mais si faible écrivain. Sans accent, point
de rythme, sans choix de verbes, point de phrases. Il jette un coup
d'œil sur le morceau d'hier. La même tristesse, le même dégoût.
Comment aller vendre ces feuilles rachitiques à Paris ? Voilà qu'il
n'est plus ni sincère ni objectif avec soi-même.

Que compte-t-il prouver au juste ? Un traîne-misère, cet


invendu, passif, à l'écriture féminine. La maigre obole ! Un vrai
poète, pauvre comme les autres, seul contre les autres. Il n'a
jamais eu de succès ni de très grandes joies. Qui voudrait l'éditer ?

Je n'ai rien à gagner. J'ai passé quelques instants avec toi


à te parler de mes ennuis. Pardonne-moi toutes mes faiblesses. Je
n'ai plus l'esprit à inventer quoi que ce soit.

J'attends peut-être que le petit jour termine ma page. Le


temps me condamnera-t-il à m'assassiner ?

Ces heures tendues ont fait exploser le poème proche de


la source d'espoir. Je rattrape les actes nerveux. C'est angoissant
ce profond silence quand on est seul. Je transpire de bonnes pages

849
parfois. Un sentiment indigne m'envahit. Quel luxe lorsque l'on
vous écoute par une grande nuit !

850
À l'aube des grands avenirs

À l'aube des grands avenirs, trois chemins dans six mois.


Des espaces, des terres abruptes, des montagnes sous des soleils
d'hiver.

À l'aube de la première chance, les dents ciselées des


humains, les méchancetés faciles, et la vie pour le terrible combat.

L'argile glisse entre les doigts comme si une force la


poussait à s'échapper. Sois douce vie qui m'a fait l'amour ! ...
Avortée cette jeunesse qui fut hors de moi, qui est donnée aux
autres. Achevée, et mes pas me portent vers d'autres lieux.

À construire l'Édifice, puisque Édifice il y a. Un soleil


éclipsé à présent. Perce ou sois. Les dix-neuf ans dans une âme,
dix-neuf ans à traîner mes abrutissements.

Pour mon futur, d'autres buts. Les grandes personnes à


toucher. Hommes, poètes, renversements de pensées.

851
Avec foi, car elle existe vulgaire et basse : représentants,
menteurs d'une stratégie coupable, heureux détracteurs qui
jouissez du convié. Misérables exhibitions du matin jusqu'au soir.
Mines pantelantes, inconcevable entourage, ce sont eux qui
m'empêchent de dormir !

Des lendemains déjà élus. Un chemin. Le choix m'est


interdit. Le nom de ma femme aussi m'est connu.

Un don, un poète, toujours prêt à déranger les manières


de penser des autres.

Tout me porte à partir. Pas un voyage, ni même une


aventure. Un présent à vivre uniquement. Je partirai pour aller
trop loin. Je marche. J'attends le résultat.

852
Théâtre d'enfance

À l'endroit du décor, on aperçoit les séculaires peintures


tombées dans l'oubli. Derrière les machinistes, se dressent les
instruments utilisés au théâtre. Côté cour, des acteurs entrent en
scène. Des échelles, des cloches, objets hétéroclites de toute
époque, - des bureaux Louis XV, des consoles, des commodes et
des lustres. Quelques gens s'activent, s'énerve la Pavlova, la
Grande Étoile.

La scène étroite, recouverte de planches de bois et le


rideau vert, motifs - sirènes languissantes énormes, fleurs rouges,
lacs dans le fond couleur pastel etc.

La fosse invisible sauf des loges latérales ornées de


fauteuils rouges, de moquettes rouges aussi. Tout est correct. Au
plafond des lustres somptueux accrochent le regard parfois.

853
Celles qui placent : de grandes corbeilles en osier,
ceintures autour des reins. Femmes vêtues de noir, faméliques,
sorte de gagne-petit, une torche à la main.

À l'entracte, des parfums et des robes somptueuses. Des


femmes grandes, élégantes, dédaigneuses presque.

Les loges - si je me souviens bien - sur trois étages. Des


glaces placées tout autour de la loge. Des sièges médiocres, - de
simples chaises. Des ampoules autour des glaces.

Des costumes - partout des costumes. Elles se


déshabillent, ces actrices de troisième ordre. La troupe rit. L'une
d'elle, Bernadette fait le pitre. Moi, enfant je regarde un peu gêné
les femmes se déshabiller.

Poudre de riz, rouge à lèvres, éclats de rire, théâtre.

854
Sans famille

Sans famille, il est permis de rêver. Sans femme, sans


enfant, l'unité de soi-même est grande. Le retour à la vie libère
des attachements et des seuls ennuis. Mesure-t-on les plaisirs
retrouvés ?

"J'aime, dit-elle. Si le respect est un droit que la fortune


me soit donnée".

Faible femme, que veut-elle dire ? Illusions des mots,


incompréhension absolue ! Mon corps déchiré s'éloigne de la
naïve, et l'inconstante perdue ne me parle plus.

Présent dans ses états d'âmes, je divaguais aussi, perdant


ma vigueur et mes longues nuits. Moi, amoureux, je cherchais
l'accord de mes chairs, mais mon esprit s'enfuyait ailleurs.

L'esprit allait vers d'autres lieux. Sa demeure était


mienne pour quelques jours. Je revins dans la chambre sans autre
choix que de voir de nouvelles femmes s'offrir à moi.

855
Par-delà

Par-delà toutes ces forces qui usent ta vigueur divine,


par-delà le harcèlement continuel qu'il te faut subir, c'est l'esprit
de la soumission que tu es prêt à accepter.

Tu jouis de ces mensonges comme une femme


complaisante baignée dans de monstrueuses orgies. Tes
revendications ne sont que de pleutres facilités. Car tu touches
d'un doigt mesquin les saveurs déployées, les suavités fulgurantes.
Tu aimes à entendre ces agaceries bizarres qui frappent ton âme
révoltée.

Ces horizons s'illuminent tout à coup avec des torches


vivantes enflammant l'intérieur de ton esprit possédé et visqueux.
Tu vis dans l'horreur de la déformation. Tu acceptes cette soif de
vengeance dont la seule utilité est de te nuire. Après la
contemplation unique des règnes putrides, tu te plais à jouir des
luttes excessives indignes de ton affreuse loi.

856
À la limite

À la limite, les faux remplissent aisément les pages de


poésie. Le travail est un jeu que je ne maîtrise pas, un pur état de
conscience ou de simple écriture... Croyons au talent. Le comique
est que chacun se croit doté d'une dose importante de cette
essence.

Mais quelles en sont ses véritables manifestations ? Est-il


possible qu'un écrivain de vingt ans en soit fourni et qu'il reste
inconnu de ses contemporains ? Se peut-il qu'un chef-d'œuvre se
cache dans le mystère ? En vérité toutes les pièces sont lues par
des lecteurs avertis. Un chef-d'œuvre serait-il refusé par un comité
de lecture ?

857
Fragment

Je ne puis que constater les avantages des poètes et des


écrivains de vingt ans : j'écris mal. Vite !

Sentiment d'inutilité qui m'habite sitôt l'acte achevé.


Penser tout le long du discours, est-ce la consigne à respecter ? Je
me plains, direz-vous, d'une constante et misérable jeunesse à
vivre dans l'ignorance et dans la solitude ?

Le temps consacré à l'étude est néant, comme la méthode


de travail est perte. Je tâtonne cherchant des réponses dans des
bouquins signés d'anciens incapables, livres de rien. Les maîtres,
eux, ont caché le savoir dans des poèmes et des textes divers.

858
Enfance

Le corbeau muet, mort, sanglant et couché ne me


rappelle que mon sort, c'est dire le poète incompris !

Indécis, je ris jaune coupant les cordes dorées. Lègue-


moi ... des mèches ! Vieillir et grandir. Jambages, ras du sol,
pauvre terre.

Séchage ! Dors viril ou baigne tes larmes dans le poème


de tes vingt ans.

859
Je n'en finirai pas

Je n'en finirai pas de sitôt les devoirs à accomplir, non


que je puisse les faire sans quelque chance, mais mon
enthousiasme m'a vaincu, a ébranlé mes derniers espoirs.

Depuis longtemps, je me jurais d'achever le peu qui avait


été écrit jusqu'alors. Mais déçu par mes découvertes, j'ai décidé de
m'en tenir à quelques pages, - les moins décevantes. Il ne me reste
de la production de l'année qu'une poignée de feuilles jugées
convenables.

Le contrôle que je me promettais d'observer n'a été


qu'ébauché. Primesautier, j'en suis encore à me désespérer de ma
faible écriture.

Depuis dix mois, j'ai gâché mon inspiration ignorant les


règles élémentaires de la poésie. Dès lors je tache par l'étude à les
découvrir.

Mais la poésie est un art difficile, et dénouer des fils


invisibles est chose délicate. Je m'y suis essayé tant bien que mal.

860
Je veux me délivrer de cette jeunesse insouciante, sans
connaissances littéraires qui se repose ou se complaît de légères
satisfactions.

861
Et pour te démontrer

Et pour te démontrer que le Néant existe, ne change pas.


S'il te faut croire qu'il résistera, couvre d'un air d'orgueil ce que tu
comprendras, remets sur table ta naissance, de la main, afin d'y
déposer l'or écouté. Car véritable dépotoir, c'est ton choix qui en
dit seul l'exploit. Mais laisse-moi y voir le profil du navire ou
l'accord d'y vivre. Effet de conjuguer, je m'accompagne dans un
excès de doute au rythme lent. Tempête ! Les vagues d'analogies
avancent, compas détraqué, plutôt que de pousser vers la Grande
Ile.

L'année est proche qu'il ne travaille au poème, et du


doute glacé qu'il ne remplace à peine le pur sang, des feuilles
tachées. Pondération à ce qui est dit, il mérite un deuil et nécessite
de valeureux soleils dont l'origine explose pour le sentiment de
rêve. A l'encontre de cette vie et ne rougissant pas, sont-ce les
chimies et les décors de la prison ? Les fumées, les acides ont usé
les angoisses. Ni roi ni avocat n'ont gagné la place qu'ils
méritaient, si ce ne sont l'été encore et la voix même !

862
Vagabond qui recule, pourquoi nier l'oubli que s'arrachait
l'or de la tempête ? Quoique derrière tes soucis noirs, l'expertise
contredise la profonde chute, tu fais éclater les nullités alors que
rien ne se vend ! Tu t'emprisonnes, et rarement tu confies la
lecture de la page à autrui comme le doute t'envahit.

Si bravement hébété, un héritage renversait le corps, purs


l'entreprise serait et le cœur aussi. Sans patience, la ténacité, nulle
part ne nous conduit. Le plaisir dont tu t'es gavé te vante, et tu
découvres que perdre connaissance est peine longue.

Mais déguerpis ! Ton sac ! car tu cours après l'envie de te


contrôler, Narcisse ! et du vin pour l'épouser avant la nuit.

863
Ce n'est plus une idée simple

Ce n'est plus une idée simple et compréhensive en peu de


temps qui est ainsi exprimée, mais les caractères même de la
pensée qui sont explorés avec toute l'attention nécessaire. A
moins qu'il faille envisager l'analyse avec plus de discernement,
avec une rigueur incisive et efficace telle que personne encore
n'avait osé s'y astreindre.

Pourquoi s'essayer à trouver des arguments, des preuves


alors que le bon sens que chacun possède suffit à démontrer le
contraire ?

Certains savent que nos vues ont fui ce mélange trouble.


Pourtant plusieurs chemins s'offraient à nous. Deux pouvaient être
empruntés. Ils semblaient aisément praticables. L'un indique
l'impuissance et le retour prononcé sur soi-même avec une
jouissance ressentie dans la vie du malade. L'autre est plus
dangereux, il est le sceau de la vie fatidique. On ne peut y
échapper. C'est une issue dernière comparable à une porte ouverte
sur le néant. Chaque étape étant identique, il est impossible de la
dissocier de la précédente. Une sorte de mort qui serait le point
idéal de stabilité comme un neutre, équilibre parfait.

864
C'est la chance révélatrice des destinées qui fit échouer
l'expérience de l'emprisonnement. Une force magnétique, elle
conditionne les pensées, les change et les fait resurgir déformées
comme par envoûtement. Tout l'esprit se voudrait autre, car il est
conscient de sa perte : c'est un venin qui se diffuse en nous, une
araignée qui enveloppe sa proie.

La conscience éclaire le possédé pour lui donner la


raison de résister, mais comment lutter contre son destin ? On
aimerait à comparer le destin à une machine infernale lancée que
le conducteur serait incapable d'arrêter, à une espèce d'énorme
bête besogneuse qui avancerait gueule écrasée, les pas alourdis
par l'empreinte du temps.

La foi est l'unique guide puisque le Saint Livre détient la


clé de la Vérité. Seul, l'apport divin peut lever les voiles, lui seul a
prouvé l'Annonciation. Lui seul te sauvera des misères et des
embûches de ta détestable vie.

Mais le rire divin éclate à mes oreilles, et fait trembler


mon être, comme pour se moquer avec ironie de mon piteux
effort.

865
Il te faudra cette semaine

Il te faudra cette semaine vieillir les fruits exaltants et


longtemps descendre les montagnes de rêves. Ils symbolisent
déchets et crasses, putréfactions horribles, odeurs insoutenables
que toi seul hélas ! tu oseras humer. Dans le désespoir de la
solitude, les sens malgré un dégoût répugnant cherchent un
bonheur vain, une délivrance et un air pur regretté. Ces roulis de
peines dès que la ligne de l'esprit sera irradiée blesseront,
déchireront un corps déjà noir de pus.

Images captivantes que la misère développe à une


cadence effrénée avec l'horreur que cela inspire. L'une d'entre
elles assassine les pages blondes qui vivent dans l'attente d'un
lendemain. Elle détruit l'espoir, cette unique contemplation que tu
t'essaies à conserver en toi. Je la sais brûler les taches d'or
épousées dans les ténèbres de son néant. Je la sais flamber les
feuillets superbes dont l'existence est déjà compromise.

L'autre comme attelé par quatre chevaux dévale les


sommets et les pentes de l'infortune avec l'agilité divine. Elle,
parée de somptueux bijoux avance majestueuse tenant dans sa
main droite les rênes de la postérité. Les coursiers bavent de

866
l'écume par les naseaux, se cambrent et crachent des flammes qui
vont se perdre dans l'infini. Elle seule sait les maîtriser.

Elle est ce corps svelte aux proportions harmonieuses, ce


sourire éclatant qui lui donne la dignité de la femme forte de son
avenir.

Ce sont du moins ces parties qui se chevauchent, qui se


succèdent avec une vitesse, avec une rapidité incroyables. Elles
glacent les intestins qui éclatent sous l'action du froid, qui
explosent sous les regards vainqueurs de la femme.

Mais libéré ou prisonnier, sous le joug de l'incorruptible


confusion, les sinuosités m'envahissent. Les éléments même de la
déperdition s'acharnent sur les sueurs de l'insomnie. Des
tremblements puis des bontés, des drames puis des voluptés et des
raffinements luttent dans un tumulte de vice et de luxure.

Engagement de deux colosses gigantesques qui s'écrasent


et se relèvent, qui sont tonnerre et foudre, immortels et
invincibles. Des sentences pour ces démons, de phénoménales
vengeances pour retrouver la quiétude et la paix désirées.

867
Impitoyables ennemis et pourtant en harmonie avec moi-
même. Mon âme crée les combats, les charniers et les artifices.
Elle engendre des nuées de cauchemars, elle enveloppe d'étoffes
gonflantes les cataclysmes subis, les catastrophes vénérées.

J'aime à comparer cette fresque étrange avec l'épique


marasme qui détruit tout sur son passage, qui multiplie les
dangers d'une vie vouée à l'étrange et au mystère.

Quand s'éteignent lentement les lumières vacillantes des


chandeliers d'argent, les chambres consument encore les dernières
lueurs qui s'enfuient : or, palme et plaisirs ! Tout s'entrelace dans
des coffrets immondes, tout respire les parfums discrets que
juxtaposent dans de phosphorescentes fêtes des fantômes exhibés.
Depuis que la porte laisse échapper les envolées divines par des
trous béants, ils mystifient la raison pure et contribuent à haïr les
actes sauvages.

Par manque de logique déterminante, hagards et bornés,


leurs mouvements irréfléchis restreignent les essais. Ils avortent
les fruits dans des solutions troubles et inexpliquées. Le poids des
fatigues retarde un exode désiré puisqu'ils font courber les
protestations avec des fouets excrémentiels. Je m'explique : hier,

868
les pensées, les réactions se rejoignaient par essence inconnue
mais révélée. Des complexités poreuses montaient irréelles sur
des magmas de terres travaillées. On voyait s'élever les pulsions,
il en résultait cette appréciation mouvante et incertaine.

À présent les conditions diffèrent. Je malaxe des rejets, et


les substances inondent de caractères blanchâtres des œuvres
indéfinissables ...

Un non-sens toujours, car s'accouplent des mots


incapables d'exprimer une opération logique. Ils sont des
groupements subtils de malfaçon, incohérents et pourtant
harmonieux. Ils déterminent le doute absolu que chacun doit
posséder en soi. C'est l'incertitude pour le monde
incompréhensible. C'est convaincre l'homme de son impuissance
à se diriger soi-même.

Rien que des planifications et des regards braqués sur


l'histoire ! Des illusions avec des instruments d'aucune efficacité.
Vous brandissez des rapports, des analyses structurées, des
conclusions et des bilans sur le devenir humain. Vos complexes

869
machines sont vos cervelles grises qui restituent des amalgames
approximatifs. Des millions de données pour d'insignifiants
résultats ! Vous en êtes encore à la sorcellerie scientifique, vous
plaisant à programmer des banalités, des débilités de rêves
enfantins.

De là, vos ressources se désagrègent, vos profondes


expériences n'accaparent que des vents incertains. Quand bien
même de minuscules vérités s'offriraient aux interprétations
diverses, jamais vous n'obtiendrez la juste appréciation
recherchée.

Je suis la pensée qui exprime les intolérables mensonges


que personne n'avait osé dépister, la splendide tricherie que vous
n'observerez que chez les autres, qui se cache en vous-même
malgré votre bonne volonté et vos apparences trompeuses.

Vous vous propagez croyant manier avec habileté un


appareil sans âme, un bourreau sans sentiments, une sorte de
divine force que vous contemplez comme l'irréfutable Messie.

Hommes de science, vous n'idolâtrez qu'une mémoire,


que des fonctions irréfléchies. Vous vous plongez dans l'univers

870
du chiffre sans espoir de conquêtes sur le mouvement des
destinées et de ses révolutions.

871
A part l'explication cosmique

À part l'explication cosmique, son poète reste un


incompris. Sa plume enchante les symphonies. L'effort de minuit
entreprend de faire le point sur le Beau. Il repart sans musique en
vrai poète. Il se replie dans son corps vers d'autres noctambules.

Vibrant de ses cordes vocales mais écouté dans ses


solitudes. Bras tendu aux portes des caves. À toucher de la main
les sources de la jeunesse.

Sonde-t-il les dégagements des eaux baignées dans la


tourmente ? Le vol des airs suspendus à l'aile noire ? Terre plate
recouverte de laves refroidies. Des flammes semblaient
descendre... Volcan !

Ce temps n'a de durée que pour le jeune homme. Fini son


amalgame de chances, il rentre dans son Néant. Fleurs odorantes,
pétales chagrinés où vont les feuilles qui volent ? Dans l'espace
soulevé et tendu de son génie. Mais à choisir qu'il m'aurait plu de
boire la mare sous les vents endiablés ! Couché sur les terres, de
manger de cette boue comme un soleil, d'y lire les vols pour tout

872
un mois, puis de chanter les rêves, sueurs des lits, baignés aux cris
des fois anciennes.

Des espoirs vagabonds ruisselaient dans des libertés. Un


vin de couleur remplaçait les jeux. Animalier, ce tour de force me
prit aux poignets. Grâce aux vieux on prêche pour se bagarrer à la
surprise des sales découvertes.

Et le cœur lutte contre les yeux, contre les sons qui


roulent pupilles et corps dans leur immensité chaotique. Il faut
équilibrer les battements du bonheur. Si un vent soufflant vient à
mourir entre deux focs, comment son bonheur sera-t-il certain ?

Un dernier regard vers les astres aimés. Quelle réponse


me témoignera plaisirs ou danses ? Hélas, mon nom est piqué sur
la page blanche.

873
Il y avait un lieu

Il y avait un lieu où le monde se pensait. Chacun, seul


était un fragment de tous. La tête inclinée, le visage enfoui dans
ses deux mains, il pensait. Il n'attendait pas de réponses des
autres. Sa mémoire après maintes opérations savantes se
transformait. Il devenait, je devrais dire, il grandissait. L'esprit
ainsi neuf, l'esprit multipliait les raisonnements. Je suis devenu
longtemps après les anciens une force saine.

Silence approfondi sans la parole humaine. Se sont


fondus, se sont confondus les préceptes, idées et syntaxes. À
l'origine des pensées sereines nageaient dans un tourment un feu.
C'était une autre idée pleine de confusion marquée d'abandons
douteux.

Il y avait ce lieu où je me lisais. Fort de ma jeunesse, je


buvais chaque parole. Il y avait la femme que j'inventais. La
femme droite unie à sa danse, elle était perdue. Ni lieu ni secte ne
la concevaient. Elle se mourait. On remplaça la femme par des
poupées. Elles nous firent l'amour.

874
Dans les copies, je voulus du neuf. Je remarquais mes
non-sens, et j'insistais. En fait mes raisons me déplurent. Je
m'accaparais... Je me plus à jouer avec le vent. Je devins libre et
solitaire. Les forces m'accompagnent encore. Mais je jouis de
mon esprit volontaire.

Il y eut un lieu où les hommes se haïssaient. Je partis


serein et transformé, libéré mais sans copies. On remercia le
travail.

Sans paradis, quel ange nous porterait ? Sans prison quel


homme de peine nous garderait ?

Il y avait une voix, mais je ne la chercherai plus.

875
Toutes brutales

Toutes brutales. À marquer d'une croix blanche les


fantasmes, mais sans gloire où vont-elles ? La figure se défait
dans les armatures, et ma transe si jamais possession est désuète
me prolonge sous les tractations d'hier. Encore que le sobre
nécessaire admette les déchirements. Quoi ! Reconnais que mes
émissions me font participer... Faibles voix ! Des chutes précoces
m'éloignent de ma large entreprise.

Erreurs baignées de haines trompeuses et de


suffocations. Leur laideur crache des pulsions comme des spectres
à demi dévorés par la faim.

Mais toute la gloire éclate, renvoie les déchets sous des


coupoles de cuivre. Moi, je dors enfermé dans ma demeure. Ha !
Toutes mes souches commencent à encombrer les tableaux que
l'on a répertoriés là-bas.

Non, je ne leur en voudrais pas pour leur infecte


soumission, mais leur facile case, prodigieuse construction hâtive,

876
me foudroie la cervelle.

Dominer tous les membres, les gloussements et les


frontispices. Incroyable ! Ils viennent.

Mélodie vicieuse et superbe qui s'envolait à la minute


furieuse. Boire une tombe et un office d'ancienne guerre. Les forts
en gueule ont chuté impassibles derrière les verres de la beuverie.
Mais calmant leur souffrance, un sang neuf visite petit à petit les
gloires passées.

Divagations ! Mais la vie encourage les hommes à


devenir d'autres hommes. Moi gentil et possédant la carcasse de
ma nuit, je m'épuise déjà. Un mauvais toucher gâche l'étude
lourde de préceptes fabuleux.

Se riant de la bavure passée, mortes ou sanglantes que


revivent les traces admises des sots ! C'est la liberté qui vole, et
qui repoussée entre les quarts sort ivre. L'amour croule sous
l'armature du soldat. Je fais glisser les remerciements des casernes
diurnes. Le coup droit passe et mutile les présomptions auxquelles
j'étais soumis.

877
Un regard chu de tempêtes psalmodie les divergences qui
ont bu les arêtes de la cité. Action typique de la déchéance
certaine amarrée près des nouvelles voilures.

Passe l'ordre fin. Des transactions se meurent jusqu'à la


dernière. Ralentissements des fortes chaleurs et les duvets des
purpurines viennent se coucher au premier contact des joies
passées. Tout vol réside dans l'acte anodin.

878
Lèvres sonores

Lèvres sonores indistinctes en leur lit, car plaisant je


divague sans m'élire parmi la faune ivre des humains. Tentations !
et mordre l'air fluide des sauvages esclaves. Encore qui mince je
touche du doigt les millions, et je m'escrime dans un balancement
facile ! Ô j'aime ces mystères...

Vois si je domine les traces dernières, et non je suis


jeune ! Recopie l'acte passable. Mon heure s'éloigne de mes
déchets... Lignes abondantes qu'un tel éclair les fonde loin de la
chasteté. Je me nuis, impuissant de mes vils secours... Non, je me
veux sous le grand jour, fruit sec niant mes découvertes exquises.

Quel poème gît pauvre ou las, ou danse presque beau ?


Avoir de mes chances ! Graisse pâle de mon insomnie, et les
dieux fiers de ma traîtrise écoutent encore... Vite, ta place se perd
et des élans me consument en ma diversité. Erreur ! Car le
moindre exploit embrasse mes douleurs d'enfance. Ô calme
traîtrise toute fécondée d'orgueil ! Miroite esprit désuni dans les
profondeurs impies des anciennes horreurs !

879
C'est mon chant, ô ma puanteur de femme qui plonge
aux derniers frissons. Et qui croira en l'influence stérile puisque je
change les fumées de mes paroles en élixirs grandis ? Je vole à
l'espoir incertain sa quantité de merveilleux. Qui dans la transe
entendra les secondes désarmées se morfondre sous mes soupirs
exaltants ? L'Être poursuivi pleure.

880
Un champ visuel

Un champ visuel limité que des murs blancs barricadent,


et le poète assoiffé de mystères attend impassible et résigné sa
mort. Il pensait à une intelligence supérieure digne de sa forte
condition. IL n'eut que rires et ricanements, et murmures aussi.
Neuf mois se déroulèrent ainsi dans la bêtise et dans des
brouillards de bruits.

Étroitement invisibles ces forces ne sont que le jouet de


ma propre imagination, - à mes dépens. Je ne faisais pas courir la
page sous des abords douteux, je ne faisais pas voler des ailes
frottées à l'air de la nuit.

Des brumes lourdes et des ténèbres de pus noyaient des


femmes et des êtres ensanglantés. A peine éclatés, à peine démis
ces tares, ces déchets humains venaient se frotter sur ma
personne.

881
Putréfactions horribles, débris de chair ! Là des visages
teigneux prétendaient s'imbiber de gloire. Marche sur ton corps
car il est pourriture encore !

Et de tes os, le cliquetis infernal résonnera jusqu'à mes


oreilles - j'en jouirai cyniquement. Des traces de feu par des
chaleurs terribles venaient sous ta peau se greffer. Danse et
tourbillons d'horreur et vices pour tes soirées impures !

Ho ! Les yeux arrachés jetés dans des fioles d'acides !


Multiplication vaine des chimériques ampleurs. Ho ! Le mal
grandi à la malédiction hasardeuse !

Plaies, plaies de l'occultisme orageux qu'un seul vent


venait ravager ! Les exploits douteux et les minces lignes des
douleurs. Carnages de l'estime puissamment offerts aux vents des
sulfures.

Éternel affamé des calamités grises, tu vas crever dans


des syllabes de pus, et ta crasse se colle encore à toi.

882
Je me suis perforé les intestins à parler ainsi, mais j'ai
réussi à haïr tout ce qui était en toi, à rejeter toutes les impuretés
que contenait ton âme. Maintenant enfin je revis. Car la folie
perverse qui habitait l'homme pieux s'est volatilisée comme un
rêve hors de moi.

Abominablement, des tombeaux, des catafalques où


gisent des squelettes détraqués - et des caveaux ouverts à la
puanteur et aux vices des humains. Alors un grand trou où je
glisserai mes derniers feuillets en guise de Testament d'horreur.

883
Œuvre raisonnable

Œuvre raisonnable aux penchants mystiques qui brille


d'une lueur spéciale, j'écrirai artificielle. L'homme a voulu
conquérir son âme. Recherches, méandres, labyrinthes : l'œuvre
est incompréhensible, inaccessible au critique pauvre que je suis.
L'auteur espérait qu'on lui dirait ce qu'il avait voulu dire. Comme
son œuvre est insensée, indéfinissable, personne n'y a rien
entendu. Il est des hommes qui s'enorgueillissent de posséder le
génie, celui-ci n'est qu'un vulgaire mystificateur.

Je déconseillerai au lecteur d'acheter ce livre. Il


regretterait la centaine de francs du volume. Certains livres sont à
oublier. Ils ne méritent même pas la publicité accordée.

À notre époque, il n'est rien de plus facile que d'être


publié. Hélas, c'est encore le public qui achète les pourritures
cachées dans les fruits. L'ignorant ne se fie qu'à l'emballage.

884
Monsieur Breste

Les mutilations de l'esprit, les effets cyniques tolérés


dans les bouches d'autrui, les agacements continuels, les
emportements d'une foule excessive, tout le déchaînement de
l'extérieur, tous les conflits intérieurs de l'âme multipliaient les
opérations et invitaient l'esprit plus qu'à se contredire, à se nier.
Sa mémoire s'emplissait de son vide. Il touchait le Néant. Je
devrais dire son Néant.

Les savantes expériences dont il se croyait le Maître


l’intriguaient au plus haut point. Par une somme d'intuitions, il
s'essayait à dégager l'utile de l'inutile, à refuser le hasard, à saisir
ou à comprendre toutes les sensations dont vibrait son corps.

Son étrange et constante recherche de soi-même faisait


de lui un splendide narcisse. Détruire tout ce qui l'entourait : ville,
architectures, culture, genre humain, voilà à quoi il passait sa vie !

Il vivait dans une complète solitude voulue et désirée. Le


seul ami avec lequel il tolérait échanger des paroles ou des
réflexions était son âme. Un étrange rite en suivait. Il se plaçait

885
devant un miroir et attendait de son interlocuteur des réponses.

C'est à la lumière de ce genre d'anecdotes de la vie de


Monsieur Breste qu'un jugement sobre rend compte de son
comportement.

886
Les lignes de pus

Les lignes de pus ont traversé mon âme. Si près de


l'inconnu, mon esprit tu divagues. Les sources d'agressivité, de
bruit sont tes faiblesses. Il te suffit de crier, de rire et tout revient
dans l'ordre. Tu te croyais au calme et le tapage renaît.

Qu'importe l'esprit lavé, tu es prêt à subir ces bruits


insupportables. Ô ma pensée sauvage, tu redeviens paisible.
Comme après l'ouragan, le silence revit.

Tapage, sévices, les morts me frappent. Et je crie, et je


pleure. L'envie de détruire s'empare de moi. Je deviens
sanguinaire, je sais le meurtre derrière mes deux poings.

Tout est conçu pour tuer ma liberté, pour me soumettre à


agir contre moi-même.

Je sais que ces écrits sont affreux, mais est-ce une raison
pour me faire subir les plus grands maux ? Pourquoi la perte de
l'intimité et du silence ?

887
J'avoue les heures

J'avoue les heures ont perturbé mon âme. Des séquelles


ont endolori mes bras. Dans mes chemises, des souffles divins
sont passés. Et des sources de bontés coulèrent largement pour
l'histoire et le renouveau.

Dans les silences jamais éteints, de Grandes Ames


neuves ont lavé mes espoirs. Rien que des Ames figuratives,
insignifiantes.

Un jour plus riche, j'ai joint des libérations vaines à des


possibilités rarissimes. Mes douleurs vives retracèrent les chemins
de la débauche.

888
Les touches exigeantes

Les touches exigeantes et les essais déplorables montent


à l'assaut des quarts de feuillets et assaillent comme des essaims
bourdonnants les bouquins à réaliser. Nuances subtiles qui ne
tirent sur aucun sens. Exploit transitoire sans gloire ni plaisir.

Aucun effet de tête. Je n'imagine pas. Le jour ne descend


pas. La nuit, ouverte aux esprits malins, monotone et indifférente
assiste au spectacle. Les tentatives rares sont soumises à l'échec.
Des marées de bavures tachent d'ennui les pages blanches. Rien à
l'équivoque. Ici point de doute. On n'observe aucune loi, aucune
règle. Si la censure existe, elle est l'œuvre de redoutables
critiques.

Je me prends par la main. Je suis tributaire d'atroces


travaux. À l'origine, le constat d'une inspiration franche. Elle
devint déroutante.

Les feuilles s'accumulent et ne sont jamais relues. La


vitesse me condamne à d'affreux accidents. La montée vers Paris,

889
j'en ris avec d'affreux rictus. Je dois me donner des coups. À
préciser à quel endroit est la correction à infliger.

Faut-il cesser d'écrire ? Faut-il se punir jusqu'à


l'obtention de bons résultats ? La hargne ou la douceur ?
Comment se contrôler ? Ma jeunesse est vive. L'acte bref est
propre à la jeunesse. Faut-il s'accepter, se tolérer ? Encore une
utopie construite sur de l'insigni-
fiant ! Comment pousser des mots quand les fragments viennent
en bloc et m'obligent à les inscrire ?

890
La transformation

La transformation a été certes très spéciale. Elle s'est fait


ressentir sur les poésies et sur certaines pièces d'hier. Les signes
qui prédisposaient à ce changement étaient de ceux qui annoncent
le divin :

Rires et pleurs mêlés dans des soirées de solitude ! Les


sentiments d'un pitre ou d'un poète ! Enfin, j'ai tiré une mauvaise
mine subissant la musique qui m'empêchait de m'exprimer.

À la vérité, j'ai travaillé avec des gestes précis. Mais la


raison me donna l'envie de faire l'amour. C'était agaçant. Tous
mes ennemis regardaient la scène. C'était bête et drôle. Je vivais
dans le rêve ivre de découvertes et de recherches que je ne
poursuivais pas.

891
Enferme-les dans ton bouquin

Enferme-les dans ton bouquin ces idées neuves en


gardant l'histoire des amants de la poésie qui ont fauté.

Maintenant, le collage à la main, tu es tout seul. Tu


remplis tes actes, être primaire qui a conçu la pensée sublime et
définitive de tes aveux.

Un problème nous entraîne à partager cette inspiration.


Les animaux discutent de danse, de mystères, d'hallucinations, de
netteté, de prodiges, tu sors et tu contournes ton existence.

892
Les extravagances de l'esprit

Les extravagances de l'esprit, les grands maux de l'âme


tourmentent la vie de l'écrivain : il se nie. Il n'existe pas. La
profusion des douleurs, l'éternel, le bruit constant : Il n'existe pas.
Les jours brûlent, il inscrit leurs dates. Hier est déjà oublié, car
aujourd'hui est plus présent encore. J'obtiens le Néant sous le
soleil de l'avenir. Les morts ont tué ma jeunesse. Les mois
disparaissent : il n'existe pas. Les conditions de vie sont
inhumaines. Un refus constant à la culture, à l'écriture, à la
lecture. Une gêne perpétuelle - des coups certains. Je n'ai pas de
défense. C'est la soumission. Je subis les forces. Je suis contraint à
subir leur présence. L'espoir, c'est leur départ. Ou, non - c'est la
cohabitation féconde et intelligente. La fin d'un bagne ou d'une
prison. Les oreilles libérées, cette putain de vie redeviendrait
humaine.

893
J'arriverai à exprimer les déficiences

J'arriverai à exprimer les déficiences, les mutilations


grotesques, les insouciances de l'esprit... Ceci sera la preuve de
ma foi. Malveillantes, cupides... les explications ne manquent pas.
J'inventerai des axiomes, je dégagerai l'essence pure et sans le
savoir je redécouvrirai les pastels cachés.

Dans la mesure où l'heure me garde, je me tais. Les


cycles d'espoir sont à peine achevés, et c'est la grande course vers
les paradis divers, ce sont des lances, des déboires, et au-delà de
l'ordre instauré, des mesures et des grâces atténuées.

Il suffit de s'habiller à la parfaite étoile, de revêtir les


draps soyeux et de gagner la respectabilité. Ma suite tient dans les
découvertes. Ce sont des taches vulgaires, mais je me défends de
les anticiper.

894
À l'origine, un simple canevas

À l'origine, un simple canevas, une mince imitation des


nobles dirigeants. Mais les temps vont changer. A moi de récolter
les fruits de l'espoir. Je ne parle pas de réussite, - les années sont à
faire.

S'il y a quelque chose d'agaçant, c'est ce bruit répété et


éternel, ce sommeil lourd, plein de confusion et de bêtise, ce refus
de soi-même, cette lourdeur d'esprit qui ne disparaîtront jamais.

Ignorer la culture, refuser cette chance d'exister, et vivre


bourgeoisement dans un intérieur modeste, mais avec du feu, avec
le ventre rempli de victuailles. Le temps est mon ami.

895
J'ai rêvé d’intelligences

J'ai rêvé d’intelligences dignes de mes douleurs et de mes


capacités. Point d'intelligence. Rien que des hommes gris, maîtres
de l'absolu, indisponibles à toute cause suprême. J'ai élevé des
autels aux mémorables survivants. Ma poésie est faite de morts.

Dans une grande ville où je passais pour oublier mes


haines et mes révoltes, j'ai rencontré des tourbillons d'aigreurs, et
je me suis jeté à leurs pieds. J'ai banni mes puissances. Je me suis
faisandé dans la persécution. Les novices m'ont joué un bon tour.
Je retournerai dans cette ville par souci de préserver mes silences.

896
Repose-toi

Repose-toi de tes efforts. Mais je n'ai pas travaillé ! Le


raisonnement en plus, et la lenteur dans le jeu. Quand apprendrai-
je les règles ? Quelle souffrance acide ! Les silences de l'âme.
Trop près de la nuit. À la recherche de nouvelles femmes. La
littérature inconnue, les indisciplines.

Vers les orgasmes déchirants. Je me souviens des


vagabondages, des folies, des déserts et des nuits froides.
Cajolantes vies d'artistes ! Coups-de-poing sur les lieux de
l'inspiration ! Ô travail si fécond, et stérile !

897
Peut-être sentirai-je ton âme

Peut-être sentirai-je ton âme voltiger autour de moi,


Grand Maître ? Mais pour toute réponse, je n'ai que des silences
et un regard amusé sur la feuille de papier. Une ombre parcourait
la chambre. Le seul encouragement était sa présence.

Peut-être que le jeune poète trébuchant sur les mots


t'amusera encore ? Ho ! Combien de maladresses et d'ignorance
dans ce fol esprit ! Quoi de plus sévère et de plus inquiétant que
l'ombre discrète d'un grand homme dans sa chambre ! Aucun
espoir d'une aide quelconque, on regardera, on jugera, cela et rien
de plus.

898
On dit que les forces supérieures

On dit que les forces supérieures gravitent autour de


nous, mais qu'elles sont invisibles. Je les ai vues et les ai étonnées
avec mon savoir. Je les ai reçues dans un délire de suffrages, et
mes tornades ont fait rire les meilleurs.

J'aurais voulu m'engager - pauvre fou ! Mes symphonies


déplaisaient à certains. Je n'insistais pas, conscient des erreurs
d'autrui.

Un arrivage, une procession sans clown, - dans cette


chambre appauvrie. Une sorte de Versailles empaillée. Des nuits
impossibles mêlées à de piètres tourments. Une faiblesse certaine.

Tout cela existait gravement. J'ai jeté les pierres et le feu


aux yeux des survivants. Je me suis débattu sans lumière, - la
lumière était en moi. On s'est payé d'atroces laideurs, et des
méchancetés stupides. On pensera à de la prose, à un jeu
d'écriture. Ma morale est sauvée.

899
Les perfections admises

Les perfections admises par un groupe timoré. J'ai vaincu


à l'étoile filante les derniers cris de mes terreurs.

Mes participations vaines, mes larges continuités dans le


temps firent de moi-même un esprit grandissant dans une âme
pleine. Je devrais dire, fécondée. Les critères de sortie, les pâles
atténuations exemptes de génie mais bavant des règles monotones
me condamnèrent à des virées pleines d'élan.

Je ne récoltais aucun fruit. Rien que des clivages d'estime


et des pulsions immortelles.

Je ne peux inquiéter les autres sur ma valeur réelle, mais


je sais qui je suis. À l'heure des fulgurantes réussites, je renais
sous des limogeages et des couvertures burlesques. Peu s'en fallut
que je m'extirpasse pour de bon ! Les couleurs de mes poèmes, les
airs de mes voies ont un côté vieillot, bonne France, sans risque,
une sorte de bourgeoisie détestable, mais j'en suis fier.

900
Les mœurs de l'esprit

Les mœurs de l'esprit avec les autres appels : dessins,


images sous des ombres de sommeil, mémoire de l'analogie.

Les fils de l'araignée sont invisibles à la lumière. Hélas,


mes souvenirs - jeux de l'enfance, proviennent d'une rare
mémoire.

C'est le matin. On chante aussi dans ma tête. L'enfant


rougissant illumine le bras.

Dans l'embarras et la somnolence des moments retenus :


supports de l'âme, je comprends tout.

Libertinage de tous les accords sans liens. Les femmes,


les filles échappent aux questions. Provenance ? Aucune ? Donc
des inventions.

Des nuées nées de rien, d'un inconnu.

901
L'enfant prodigue

L'enfant prodigue de ses savantes sueurs féconde d'une


langue obtuse avec du raisin noir le rectangle immortel.

De la chaleur avortée naîtra le poème fluide à l'inverse de


sa race. Sur ses lignes catastrophiques, le chemin du retour. Il eut
préféré emprunter celui de l'exil. Avec des danses stupides, il se
lie aux contorsions macabres.

Les contemporains crachent sur les routes. Révoltante


cité au Nord où l'on a que faire de lui ! Etant trop cher, j'éjacule
sur les arcs et sur les corps des fleuves qui roulent dans des
regards de boue et de déchets. Proche des fortifications sereines,
j'invente la passe de quatre.

Mes qualités s'attachent sans pont à la liberté des plus


forts. Nonobstant ces délices, je nage dans des lieux putrides.

902
La musique et les heures

La musique et les heures d'impatience m'enivrent de


douleurs délicieuses.

Le Guignol présent à mes côtés assourdit d'explications


grotesques mes tympans fatigués.

Le rire effréné gigote chaud ou tiède dans les frissons


d'octobre. Rien à la demande. Ici on considère on conserve, on se
confesse. Triple malheur si la lecture est haute. On bouillira, on se
tordra de douleurs. Quelle pédagogie digne des jésuites du début
du vingtième siècle ! Rien à l'intelligence ! Une confrérie bête et
heureuse de l'être. La raison du plus mort est toujours la terreur.

Le bourgeois révolté dans sa demeure pense. Paysage de


transparence. La transparence est vide de sens.

903
Le même hiver

Le même hiver, les étés ternes et les neiges assoiffées.


Elles sont convaincantes, les mères et les pucelles accrochées au
lit de la déportation. Les cheveux tondus, elles anticipent tous nos
actes. Quand valsent les douleurs, quand les yeux se mouillent
d'images voilées, un grand vent parfois fait escale dans les pays
pluvieux.

Les grandeurs approximatives et les champs d'amour


propre conduisent inexorablement vers les capitales d'inquiétude.

Chassons le mal qui rôde dans les profondeurs impures de


l'âme. Allons, certes avec le doute à nos côtés. Que faut-il viser ?
L'excrémentielle boue d'esprits perdus dans la fange ou dans la
pureté ?

904
Chaude tension

Chaude tension. Rude hiver. J'ai colorié les femmes. Les


missives ont semblé grossières près des litanies courantes. Dans
un jardin, j'ai possédé un lion. Aurais-je la force de me soumettre
à cette épreuve ? Dans les dégagements baveux, j'ai réglé les
vengeances et j'ai méprisé tout un ciel.

La valeur actuelle consistant à se battre à chaque


malheur, je détiens le laid royaume des guenilles, des
fermentations et des bribes. Un hourra consécutif aux sommes
d'instincts gravés en nous. Tous les six mois, on obtient des
dimensions dignes d'un ange.

Je lave les causeries de péchés véniels. Je reçois le


bonheur. J'ai des crises de rire superbes, seul dans l'Europe des
mioches et des catins. Quand l'odeur est insoutenable, je place
mes deux poings dans mes poches, et je me jette dans ces
confidences.

L'estimation a noirci mes délires. Les cliques bestiales


sont enfoncées avec des pieux de feu.

905
J'ai découvert les pyramides

J'ai découvert les pyramides, j'ai compris les inscriptions.


Les scriptes se sont libérés de l'emprise vieille de trente siècles.
J'ai ciselé les pierres roses, j'ai délié tout le vocable des ancêtres.
Ils parlent. La bouche est pleine de vérités. En descendant le Nil,
les descriptions des royaumes étaient enfouies. Les enfants ont
favorisé mes récoltes. Les maigres années ont ébranlé mes
constructions sommaires. Les décadences sommeillaient dans des
tombes. Des sépulcres renfermaient les secrets.

Ô la chambre royale où je fus momifié !

906
L'homme a gardé ses secrets

L'homme a gardé ses secrets sur la joue de ses complices.


Il pleut des cordes d'amour-propre pour les cheveux en brosse du
martyre. Il ausculte sa demeure entourée d'esprits neufs, d'une
conformité démoniaque : c'est le vice, c'est le mal qui peuvent
s'emparer de chacun d'entre nous.

Mais un destin plus terrible exploite les pauvres lueurs


qui vacillent maladives. Il faudrait des nuits de labeur et des
heures d'infortune pour obtenir ce résultat.

Déplorables regards et contestations vaines : tout est fait


pour jouir du Mal. Les vilains et les ternes ont façonné l'étoile du
transfert. On ne regarde pas les chemins de la destinée.

Mais je m'amuse de ces considérations tourmentées. Ce


ne sont que des intérêts insolites.

907
Les vulgaires constatations

Les vulgaires constatations de Timorée le morfondaient


en des délices étranges pourtant. J'ai deux oreilles pour entendre, -
je ne perçois que des sons, des musiques, des brouillards et le vent
y souffle fort...

Hors de ma chambre, le calme et le silence. À quoi cela


tient-il ? Ha ! Ce phénomène déroutant m'égare dans le plus
profond des mystères.

908
La neuve effervescence

La neuve effervescence meuble les fantastiques


parchemins examinés à la loupe par les prétentieux pontifes. Ils
n'y connaissent rien.

Tous à la farandole. On se range lorsqu'il passe ; Les


nouveautés se gaspillent sous des soutanes, dans des bahuts
derrière des lustres etc. On chauffe la liberté de Louis XIV. Rires
et sottises.

Les perditions, les vagues d'amour-propre circulent et se


brisent. On se confesse sans rien se dévoiler. Label des insoumis.
Vitesse des jours dérivés dans des caves terreuses et dans les
obligations stériles.

J'ai amarré des ancres à mes proues de navire. Le vent


ronflait autour du mât. Culottes à la place du drapeau. Signes
extérieurs. Le hasard disparaissait. Les positions virevoltèrent.
J'atteignis les échecs comme d'autres moururent de faim.

909
Les marques d'indigences, les cachotteries perverses, les
culots de mes sœurs, O les estampes sacrées des maîtres anciens !
Sous les contours gracieux, les races obliques. Les façades,
l'aisance, la montée des heures et les traînées dispersées dans les
sillages d'étoffes.

Me suis-je fait comprendre ? Un tantinet d'esquisses pour


ces malheureux avec des cornets de points d'interrogations de
chaque côté des oreilles.

910
L'escorte composée

L'escorte composée d'anciens lettrés s'achemine jusqu'à


l'épuisement du dernier. Personne ne suit. Les routes ne mènent
nulle part. Aucune trace pour la reconnaissance.

Dans le parcours régulier et monotone du temps,


l'optimisme a failli changer le destin des survivants. Les
indications, mais non pas ces poteaux électrifiés, arrêtent les
pèlerins dans leur quête hallucinante.

La campagne est bordée de ruisseaux qui se jetteront


dans les rivières en aval, qui iront grossir d'autres fleuves. Les
glaciers sont les pères qui ont engendré. Le torrent est l'enfant aux
couleurs vives, et le ruisseau coule dans les prés, prolonge sa
courbe. Le courant est contrôlé. Il ne reculera pas, il se jettera
dans le fleuve, demain, plus tard.

911
Les lettres mortes

Les lettres mortes remplissent les bureaux. La cheminée


tire ; le grand feu illumine la pièce mal éclairée. Que l'on jette les
papiers et les poèmes dans le brasier !

Les substances bues ; vacillent les cancers, les gangrènes


et les flots putrides. Hors de ma maison ! La porcherie n'en a que
faire ! La toile pend, c'est ma raison, accrochée aux entraves du
monde.

Les minutes glissent mollement en accords parfaits avec


la sérénité du temps. Et le temps demeure imperturbable et sage.
Continue le tic-tac de l'heure responsable de l'ennui.

912
Il pleut très fort

Il pleut très fort dans mes oreilles, et le vent ne souffle


plus.

Le brouillard et la neige, je m'en souviens déjà.

Prodigues de tapages et de cacophonies, les chers illettrés


ont puisé dans leur panoplie de grimaces, les malheurs à me faire.

Encouragements à la bêtise, à l'ignorance, à la stupidité,


à tous les fléaux de la jeunesse.

Discours, mensonges, petites idées et réflexions dans des


cervelles étroites : mes morts parlent et se jouent de moi. Ma
divinité explose.

913
Cependant que l'oublié

Cependant que l'oubli hante sous les rayons, et qu'une


pluie passive s'agrippe aux carreaux glacés ; alors que tout, -
infortune de mes jours - pâlit stérile dans ma demeure, je déchire
avec l'implacable douleur les méandres ternes de l'âme
tourmentée.

Et la vieille horloge gravite à quatre heures. Le carillon


s'épuise en langueur monotone, et mon registre est vain.

Le bout de mèche de bougie s'efforce de survivre, et


lèche l'ivoire et les dentelles des rideaux. Le front rougi de pâleurs
incandescentes, j'entoure les plis du visage de ronds de fumée
immobiles et lents.

914
Une nuit, j'ai entendu

Une nuit, j'ai entendu frémir dans les branchages le vent


sinistre et froid de l'inquiétude. Il parcourait les chemins creux de
la raison. L'hiver lugubre tremblait comme un malade,
s'impatientait comme un convalescent.

Une gerbe immense annonçait la malédiction et des


flammes fluorescentes jaillissaient éveillant des lumières blêmes
tandis que des cendres rougeoyaient déjà sous les halos.

C'était la première décision. Ho ! Je me suis plu à bannir


les maîtres, imitant leurs paroles sèches. J'étais prêt à leur
accorder de vagues concessions pour me faciliter un détachement,
pour m'éloigner de leurs études despotiques. Enfin, j'arrivai !

915
Un phallus de cristal

Un phallus de cristal incrusté de pierreries, d'émeraudes


et de saphirs, avachi et mou sur un coussin de velours avec des
garnitures d'or.

Je m'imagine et m'appartiens. Au point le plus haut de


m'appartenir une vision terrestre de beauté transparente
m'apparaît, une femme vêtue d'un voile léger, bercée par un vent
flotte devant mes yeux et sa chevelure noire baigne et tournoie
autour de son corps. Ses pieds recouverts d'une robe limpide sont
soulevés au-dessus du sol. Elle tend ses deux mains vers moi,
s'approche lentement et son corps glisse. Son regard me fixe, elle
m'invite à me lever et à la rejoindre.

Sur le point de la rejoindre alors si près que je m'enivrais


de son parfum, si près que ses doigts tendus touchaient les miens,
elle disparut comme une bonne fée inaccessible aux simples
mortels que nous sommes.

Un phallus de cristal incrusté de pierreries et


d'émeraudes et de saphirs, raide et tendu sur un coussin de velours
avec des garnitures d'or.

916
Les fêtes multicolores

Les fêtes multicolores, les farces monotones ont taché


mon cœur de souffrances anciennes. Les actes insensés, les
querelles ignobles ont ravagé ma mémoire si peu féconde.

Facteurs déplorables, noces appelées d'or. Les mères


harcelaient, calfeutraient les laconiques couleurs. De ma haine
étroite, les tracas pendaient aux lueurs des soleils ternes, hélas !
Des arrivages latents nourrissaient mes journées de pâles
dissertations. Maladifs, les vagabonds dansaient sur des scènes
sans obstacle réel. Le vice a fertilisé les vieilles querelles de mes
pères. Le souci stationnait à la hauteur des terres implacables.
J'inspectais les reflets à la loupe que rendaient les gouttes d'eau
près de ma demeure.

Ô chien ! J'insistais ! Des terreurs et des loups poussaient


des cris étranges. Dans ma frayeur favorisée par l'ennui, j'ai vu les
images féconder mes divines humeurs.

917
L'or

L'or sur des paupières repose près des yeux amoureux. Il


dormirait des anges berçant ta chevelure noire. Sur le lit défait, le
corps langoureux sourit, amas de chair lassée, confusion de
membres affaiblis.

Des lits de roses

Des lits de roses ; que des pétales nacrés meurent


indolemment d'une ivresse de larmes et de baisers aussi ! Les
lunes vertes regardent attristées les têtes des bouquets larmoyer
leurs pâles sueurs. Par la fenêtre battante, un combat de séraphins
vaincus des douleurs passées.

918
Avec un bruissement d'aile

Avec un bruissement d'aile qui voltige dans le clair matin


des dieux, les manteaux des roses à peine éveillées sommeillent
dans les brumes et les brouillards encore. Dentelles frêles
piquetées de mousserons et de gouttes de pluie dans le pré qui
dort. Les anges étalent leurs robes de soie, recouvrent d'un
mouchoir neigeux les tiges vertes ; Et le corps de la vallée
s'embaume, la bouche de la vallée respire les airs purifiés.

Naissance d'un monde derrière le lac.

919
Un été charmant

Un été charmant élevé par des astres alignés


négligemment sous les courses des ciels pousse les obscurités et
les lumières.

Les chaleurs libèrent les arbres joufflus, les fleurs rouges


et roses, les lacs et les mignonnes au cul bien rebondi.

Le cheval passe dans le purin. La selle du paysan est arc-


boutée sur sa monture. Harmonie du fourgon. Le chien dérape sur
une flaque de boue.

920
Les libations

Les libations dans les lieux purifiés, les porteurs et les


esclaves presque nus sèchent avec des serviettes la reine et ses
suivantes.

C'est une large étendue d'eau calme et fraîche protégée


par des herbes et la faune alentour. C'est un bassin qui reçoit ses
eaux d'une source lointaine.

Tout semblerait y dormir. Seuls les rires des jeunes filles


troublent le silence automnal.

921
Voici l'hiver venu

Voici l'hiver venu. Un dieu se lève et embrasse les


charmes immortels de la séduction.

C'étaient des vendanges et des labours, ce seront des


saisons où seul je porterai les brumes et les fleurs, où seul j'irai
danser par les sous-bois.

Je réchaufferai la terre et la lisière. Et ma poitrine se


gonflera de souffles rares, d'airs purifiés, de campagnes fumantes.

922
Les larmes toutes blanches

Les larmes toutes blanches illuminent les visages des


femmes de vingt ans. Elles ne tournoient nullement d'habits flous,
jamais vêtues.

Selon le mode draconien longtemps en vigueur avec les


guerres de l'époque, les Parisiens, apprécient les chutes de col, les
marches classiques et tordues, et les "dandinements" de la hanche.

923
Les cœurs libres

Les cœurs libres courent les places et les lycées, les


devantures, les étalages, les échoppes et les grands magasins.

Les nues fécondent les ventres gras, les douleurs


naissantes salissent les veuvages de la femme.

La politique titube dans des explications douteuses, et ma


modestie m'entraîne dans des temps immémoriaux.

924
Toujours vers les cieux

Toujours vers les cieux un front plein de douleurs


passées.
Un grand plafond recouvert d'oiseaux gris et d'ailes
tachetées de gris.
Une fenêtre où baignerait la lumière, une lucarne,
Un trou qui laisserait passer quelques rayons gris.
Sous les arbres là-bas les oiseaux chanteraient mais le
vent a déchiqueté les feuilles.
Les grandes feuilles bleues et roses de l'amour.
Derrière l'arbre un vol et les chansons ont fui l'hiver.

925
Il y a les grandes villes

Il y a les grandes villes, les fortifications blanches,


ensembles tolérés par les préfectures. Sur les pelouses humides,
les libations riches du printemps. Près des forums, les garnements
scandent des jurons dans les cœurs de la cité.

L'adversité a des pesants d'horloge. On cueillerait sur les


terres dénudées des slogans et des graffitis jetés dans la
souffrance.

J'habite le Nord. Hameau de passions, de jeunes couples


tendus vers l'avenir. L'unique droit - c'est un devoir - est de
maintenir l'ordre entre deux haies de glaïeuls. Gardiens
d'immeubles en bleu de travail récoltent les amendes et rattrapent
les enfants chahutant.

Je me lave dans les nuées et les départs vers de nouvelles


classes. Participer aux actions de la masse. Déjà l'horreur des
groupes, des colleurs d'affiches, des revendeurs de prospectus.

926
Je foudroie les dernières taches de pluie. Ma survivance
est prochaine. Je contourne les jardins adroitement découpés.

J'avance très vite dans le cœur administratif. Ici, on a


implanté un centre. C'était un terrain vague. Il y a des clôtures et
des barbelés.

Je respire les fumées dégagées des cheminées et des


échappements des voitures. Les conducteurs sont au nombre de
trois. J'ouvre la porte à un passager plaqué à l'arrière de son
véhicule. Plus loin, je tire les volets d'une fenêtre, et j'observe la
cloison d'en face. Tout à l'ordinaire : les niches se superposent sur
des niches.

L'estimation des murs est facile. On a planté trois clous


dans le plancher. Le reste est affaire de justice. On laissera la
carte accrochée aux murs de la chambre d'enfant.

Les ordures contaminent toutes les odeurs du quartier.


Les boîtes aux lettres se détériorent. Les vagabonds les arrachent
dans leur course.

927
On embrasse le jeu avec des ballons amassés dans des
cours ; On nettoiera les cages et les vélos plus tard. On
s'accompagne dans les champs car le sérieux est bien loin. À notre
portée, des mottes de terre déchargées pour de prochains
ensembles. Les filles, si je me souviens bien, sont au nombre de
quatre. Toutes nues et embrassées dans les recoins. On leur plaît.
On a frappé dans des garages et tordu tous les stores des
particuliers. L'instant est au mélodrame. On demande vengeance,
et l'on devra payer.

Des cirques sur le terrain vague. Peu d'affaires à espérer.


Les jetons sont distribués aux porteurs d'eau. Il faut se lever de
bonne heure. L'opportunité aide. Encore des heurts et des chocs,
des carambolages dans des voitures contrôlées cette fois.

Le monde se démêle dans l'eau. Voilà que l'on a regagné


le centre de la ville. Des baignades forcées sous le contrôle d'un
maître nageur. Dix leçons. À tuer, l'homme idiot. Une
connaissance de ma famille. Une erreur de plus.

Les sorties sont pauvres. Quelques mers en été. De


monotones discussions dont j'ignore le sens. Déjà je regrette le
bruit et les tons élevés du père.

928
C'est la musique ardente pour les poltrons que nous
sommes. J'ai perdu toutes mes forces dans des travaux stupides et
imposés. Je suis devenu clown dans un cirque en tournée. J'ai joué
la grande parade, et je suis tombé dans l'adolescence sans marcher
convenablement.

929
Les jeux

Les jeux ont rendu amer mon exil. Le défi a conquis


toutes les traces des passages humains. Les éternelles traversées
luttèrent dans des éléments déchaînés. Les marées et les vents
frappèrent les hautbois, les grimoires vieillis et défraîchis.

Cependant que les plaies activaient ma cervelle, de


lourds marteaux frappaient le cœur endurci.
La mémoire aiguë chantait le refrain.

930
Des enfants

Des enfants écartelés. Des labyrinthes étroits perdent


leurs âmes. J'ai roulé avec une femme qui m'arrachant les cheveux
tomba quatre fois dans l'extase du gouffre. Et je me suis enfui
avec elle.

Douleurs excrémentielles ! J'ai senti le vide peser autour


de mes hanches, et malade j'ai recroquevillé mes jambes sous
mon ventre. J'ai flambé, Valérie. Je retournerai à la vive clarté
pensante. Tous mes chagrins, je veux les noyer cependant que le
mal s'arc-boute et me pénètre encore.

931
Je l'avoue

Je l'avoue, les heures ont travaillé mon âme.


Modestement, j'ai eu envie de vaincre, et de victoires en
triomphes, de toujours dresser l'étendard de mes dires. Les paroles
ont acclamé mes silences, et les drapeaux portés avec orgueil dans
un monumental brasier s'enflammèrent, magnifiques !

Je l'avoue, les heures ont perturbé mon âme. Des


séquelles ont endolori mes bras. Dans mes chemises, des souffles
divins sont passés. Des sources de bontés coulèrent largement
pour l'histoire et le renouveau.

Sous les silences jamais éteints, de grandes âmes neuves


ont lavé mes espoirs : des âmes figuratives, insignifiantes.

Un jour plus riche, j'ai joint des libations vaines à fleur


de peau. Mes douleurs vives retracèrent les chemins de la
débauche.

932
Il y a

Il y a la femme qui danse, qui rit, qui pleure. Il y a un


contrôle débile qui ne m'appartient pas.

Ceci sera ma peine et mon tourment, même si je jouis de


mes aptitudes. Il y a la reine, belle et jeune - la femme. Je la sais
déjà. Elle est mon délice et ma destinée.

Il y a un fou, un prince ou un roi qui, fort de ses crises de


rire, fait exploser le génie.

933
Au lieu-dit de l'espoir

Au lieu-dit de l'espoir, une femme se présenta nue à mes


yeux. Avec des coups de poing terribles, je la chassai. Elle résista
sous des abords disgracieux à mes avances. Elle s'émut de mon
intelligence et de mes capacités étrangères à ses possibilités. Je la
violai sans la retourner. Je m'enfuis dans les déserts de
l'indifférence. Peu après, je la haïssais sans méchanceté. Premier
ménage.

J'ai fauté avec la belle

J'ai fauté avec la belle, avec l'éternelle beauté. Le


printemps s'est engouffré sous la farouche sœur, et a gonflé sa
robe rose comme l'air filait dessous. Nous nous sommes allongés
près d'un vieux chêne. Sa poitrine respirait, se déplaçait sous la
robe légère.

934
Un noir corbillard

Un noir corbillard tout chargé d'ennui habillé d'épaisses


couronnes roses, rouges et blanches. La procession suit le chemin
qui court au cimetière.

Je rêve que je suis mort, mais je ne dors pas. Le régiment


de pleurs file dans les brouillards gris de la ville. Et le convoi
s'étire douloureusement, chacun à sa place et ma veuve derrière le
chariot, voile humide, transparent de circonstance.

Je respire. Défilent les instants passés ensemble. Je les


écris. Sans haine ton compagnon se souvient. Hélas, je suis seul.

935
Voici mes tragédies

Voici mes tragédies et puis voici mon rire


Ne laissez pas tomber en si piteuses mains
Le savoir d'un géant perdu dans son empire
Ne laissez pas la mort s'emparer du malin.

Que la plus belle voix, sœur et mère des apôtres


Acclame tristement l'hymne et le chant du maître
Et chante d'un air vainqueur les bienfaits du grand prêtre
Chante à l'enterrement suivi par tous les autres.

Car je veux qu'en ce jour l'immortel apprenti


Regagne ses grands cieux escorté de ses anges
Triomphe de son génie acclamé de louanges
Et encore s'en retourne où certains sont partis.

936
Il y a le Néant

Il y a le Néant et l'Espoir et la Vie,


La Mort qui me poursuit, déchirures et démons,
Le Passé qui n'est plus, le Futur qui se vit,
Il y a le coup du sort, dansons et pleurons.

Le Génie du destin a frappé mes soleils,


L'amour a traversé mes rayons impudiques,
Des ébats ténébreux ont glacé mes sommeils,
J'étais ivre de chair et d'actes fatidiques.

Le fruit n'était pas vert, le suc était limpide.


Concessions et jouissances insipides,
Que le corps fut amer ! Je recherchais l'amour.

Abruti et servile, je ne me connais pas.


La femme est un besoin enlacée de contours.
Sans âme et sans pensée, je n'y reviendrai pas.

937
Fantaisie macabre

Je t'en supplie, meurs ou d'envie trébuche là.


L'orgueil d'entendre au long souci les mots venus
Par la fenêtre à peine ouverte, à demi nu,
Je ne puis plus. Rentre chez toi dans l'au-delà.

Moissonneur de tristes idées, bats la retraite.


Mais c'est ta peur qui te fait taire, ange perdu.
Car tu as honte face au grand homme, le grand poète.
Je le redis : paix en mon âme. Est-ce entendu ?

J'en ai assez de ce tapage du Mal ici.


Ce que je veux : la liberté tant désirée.
La fin des morts, de leur ravage jusqu'à minuit.
Je veux la paix, la paix toujours tant méritée.

938
Légitime infortune

Légitime infortune qui hante d'un péché


La foi cynique et veule de nos anciennes vies ;
Fadeur âcre des pères qui voudraient arracher
L'empreinte sanguinaire des tortionnaires ici.

Ô somnolence vraie accouplait aux supplices !


Le jet infâme et vif scrutant des mois très tendres !
La raison déchaînée battant les faibles vices,
Et le cœur transposé qui ne cesse d'entendre !

Car une langue érecte les sons sanglants subis,


Le mal déjà transpose les carences vomies !
Affreux mes deux vieillards dans mon très jeune corps

Brûlant les feux des sages et la sagesse encore !


Heureux, les inconscients valides la plupart
Qui fêtaient en ce jour leur tout prochain départ !

939
La goutte a coulé belle

La goutte a coulé belle sur la hanche bombée


Le sang s'est répandu entre les lèvres ouvertes
Le sperme est sur les dents de la femme courbée
Le liquide jaunâtre sur la langue est séché.

La fille s'est tordue entre les draps salés


L'amour a pleuré pur au bord de son délire
Le lit fait de soupirs a murmuré encore
Et la nuit vagabonde s'est enfuie au grand jour.

S'est inclinée la tête sur le rêve endormi.

940
Au-delà des soucis

Au-delà des soucis menaces et confusions ;


Derrière les morts grossiers, des péchés par milliers ;
Heureuse la fin d'esclavage : repentirs et leçons !
Les méchancetés partiront désormais !

Amas de gêne, de pus libérés sur l'archange !


Répressions vicieuses aliénantes et honteuses ;
Pertes d'intimités ; êtres bêtes qui mangent
Le poète, pur produit des années de souffrance !

941
Que je garde et arrache

Que je garde et arrache le parfait ornement


De ta toison si noble ô Lion, ô Lion
Et que mes doigts impurs partagent largement
La crinière où coule la haine d'Ilion.

Mais cette main sacrée est une grotte sûre


Où l'âme torturée épuisée de sanglots
S'y couchera pensive y calmer ses blessures,
Ces larmes monstrueuses roulant comme des flots.

942
Moi, l'Ulysse...

Un grand fleuve attendait. Je poussais les dérives.


Je soufflais dans les voiles. Au loin, je vis le port.
Quand les monstres vivants filèrent vers les deux rives,
Je crus piteux instant que les Dieux étaient mots.

Moi, captif des marées sous les vents incessants


Je priais mon aimée d'attendre des années...

943
Cette terre féconde

Cette terre féconde en esprits si subtils


Laisserait s'épuiser en de profonds soupirs
Les graines envolées par un dieu en délire
En proie aux pires tourments solitaire de l'exil...

Pour cette terre si riche où le germe est en pleurs


Asséchée et stérile des sources de l'enfer...
Pas d'eau ! Ô terre grasse me nourrir ou je meurs
Sous les feux, fleurs arides des soleils de mes pères !

944
J'ai ranimé le feu

J'ai ranimé le feu éteint en mes entrailles.


Il brillait chaudement sous des cendres rougies.
Et mon cœur fut un souffle où de pâles bougies
S'en vinrent pour mourir en de noires funérailles.

Elle a dansé la flamme, les anges taciturnes


Ont fait brûler mon âme dans des foyers nocturnes.

945
Tout à coup

Tout à coup l'existence de souffrance et de morts :


Douleurs, cris répétés et pertes du silence.
L'indésirable spectre plane autour de nos corps,
Et ordonne des pleurs et bruits de violence.

Tout près, si près

Tout près, si près, si proche aux délices d'entendre,


Comme une ombre lassée des plaisirs de la chair,
Femme endormie, tu m'appartiens ce soir, très tendre
Ou tu remues la tête baignée dans la lumière.

946
Une forme de firmament

Une forme de firmament


Toute levée aux cieux
Enchante l'obscur moment
Désigné par les dieux.

Dans les ors de la soirée


Déjà reine de son corps
La tendre lentement aimée
Brûle, et sanglote son cœur !

Ai-je, ou pourrais-je avoir


Posément dans le calme du soir
Les diamants et les feux ?

Mais la belle de luxe entourée


Chute et tombe vers le maître envieux.
Dans le dormant, la lune l'a croisée.

947
Le maître martyrisant

Le maître martyrisant sa proie


Fouette d'une main foudroyante
L'élève lassé de rêves épais.

Danse, danse détestable avorté


Qu'un sortilège savant règle le pas.
L'art sublime que tu t'essaies d'attraper
Vole selon mes virils appas.

Maître, maître serais-je possédé ?


Incline-toi de toute ta hauteur,
Pauvre et pâle enfant de cœur,
Longues les heures avant de m'observer.

948
Souvent il chante en moi

Souvent il chante en moi des airs tendres et rêvés


Des mélodies anciennes dont j'ai perdu les noms
Et, ironie du sort il me plaît de jouer
Les sons graves et légers aux cordes des violons.

Ange de ma renommée, élixir du poème,


Vous viendrait-il l'idée de me donner le thème ?

Dièses perdus dans les songes ! Les fa anticipés


Frappent sournoisement le caveau immortel
De mon violon brisé.

Ange de ma renommée, faut-il changer le thème ?

Des séraphins, des harpes, des Muses en larmes ici !


Pour mon cœur accablé de son triste minuit,
Ô mon âme si chère, quel insensible bruit !

Faut-il qu'il m'en souvienne ! De lourdes mélodies


Ont froissé la mémoire qui éternelle baigne
En longs, profonds ennuis !

949
Dans la nuit agitée, et dans ses noires rumeurs
Dans les confins du soir, il me revient la peur
Des musiciens noyés vers d'autres infinis.

950
Chanson

Les masses d'épines affaiblissent mon corps


Car je suis mort
Le sang a moussé dans mes veines
J'ai tant de peines
Un flot de déchets et de rejets
Il pleut de la boue
Des larmes sur les joues
Des vents tournent dans le cœur
Hélas ! J’ai peur
La rose s'épanouit vers les cimes et les œillets
Embaume les feux follets
Les airs lyriques et les musiques les cors et les cymbales
Les tourbillons de mes violons
Et ma harpe, je m'échappe
À reculons.

951
J'acclame les conquêtes

J'acclame les conquêtes allouées


J'explique les places qui me sont dues
Le devoir immense est déjà perdu
Vers les faîtes et les cimes entourées.

Par un savant mélange


L'ombre dort doucement
Dans les rêves illimités.

Il faut savoir le suc de mes tendres délires


L'eau menteuse opposée aux monstres de l'écume
Les bras bleus énormes des éblouissantes cités
Et les opaques nuits colorées de mensonges.

952
Vainqueur

Vainqueur d'une tâche abolie


Heurtée, meurtrie dans de mauvais songes
Pour une cuisse légère s'éprit
De plaisirs malsains qui déjà le rongent.

Philtres divins, liqueurs suaves des chairs


Quand des violons, des séraphins rêveurs
Nus reprenaient en cœur
Les danses sacrées et glorieuses des pères.

Enfant, les sons luttèrent avec mon destin


Luttèrent, heureux dignitaires
D'un vent ou d'une transe méconnus
Ils prêchèrent les instances suprêmes.

Dans le silence irréel des morts


Sous la plume vive sans mémoire
Tandis qu'un ange puissant dort
Me viennent des rimes dérisoires.

953
Il neige des pétales

Il neige des pétales de roses vers les toits ; les prés


Élèvent des chaleurs : voiles, brumes et frissons ;
Il neige des étoiles aux prés embaumés,
Douceurs des brouillards vers les faîtes des maisons.

Je prie la femme ; je ris à la croisée,


Je roule dans le sein aux rythmes atténués ;
Sur les coudes, j'oublie les pâleurs des ciels gris ;
La fille dort agenouillée et embrasse le lit.

954
Les demeures

Les demeures vers les chants d'ivoire


Une note blanche, une note noire
Viennent les soucis, en plein cœur
Pourquoi ma Muse, pourquoi ces pleurs ?

Du juif

Un coup sec sur la mâchoire du déporté.


L'estocade au juif ; pieds nus, la lumière se reflète,
La cour des malfaisants ; le nez et l'étoile jaune.
Chute et cris de l'enfant.
Enfant, connais-tu ta race ?

Nues, les mamelles pendantes, elles marchent


Deux par deux. L'envol de la chouette dans le silence
De la mort. La déportation et ses Enfers.

Je te contrôle, chien et je te tue chien.


Tu seras humilié et je serai ta mort.

955
La chute

La chute. Vers la source d'eau vierge. L'élan à travers les


branches. La neige fond goulûment dans les ruisseaux. Le support
des rives. Vers les hameaux, les odeurs et les fumées. Paysage
triste. Les bras mobiles du moulin. L'écume grouille et lèche le
dessus de la plaine jusqu'à la rivière plus loin.

Il y a un souterrain dans les bruyères. Les enfants jouent


à la bataille déguisés en apaches et en soldats d'Amérique du
Nord. Cris stridents dans la nature paisible. Il y a des morts sur le
champ de guerre. Je me relève d'un bond. Les mains sont liées
dans le dos avec une corde pesante.

Le bruit avachissant me rend immortel. Le couteau à la


gorge. Déjà quatorze mois. J'avais vingt ans. Ecarts et silence
encore. Le poème est-il correct ? Mais c'est la même débilité, la
même enfance. L'eau ne lavera pas les cellules pures. Je serai
prisonnier encore.

956
Des terre-pleins

Des terre-pleins partagés entre des bâtiments


occasionnels que l'on distingue à peine derrière des fumées
d'usines médiocres. Les teigneux et les innocents se croisent pêle-
mêle entre les allées sablonneuses et les chemins de gravillons.

Un tel est mort cet après-midi. Il était gros et bouffi. Les


croque-morts l'ont transporté sur une chaise jusqu'à l'ascenseur.

Là-bas c'est l'accident bête. Les gosses se cognent la tête


sur les barres fixées aux poteaux électriques.

Des troupes de pauvres défilent dans le quartier, les


mains nues sans slogan hostile dans la bouche.

C'est le vice, la luxure et les grands patronages qui


reconstruisent le nouvel emblème. Il route des flots de sang de tes
langueurs.

Quant à la prostitution, elle est inexistante sur les pavés


de la ville.

957
Mais tous ces déchets sont des symboles et des retours et
des rappels d'une mémoire perdue ou d'une âme arrogante. Rien à
la découverte. Tout m'a appartenu. Aucune clé. Un passé lointain
qui resurgit des profondeurs de l'inconnu, voilà tout.

Sais-tu, il y a des vagabonds et des déracinés. Un œil


torve observe, c'est le judas dans le milieu de la porte.

Ô les débordements indescriptibles, les écarts fangeux,


les faveurs gracieuses exorbitantes mais c'est le théâtre virevolté
et ténébreux. Sur une piste, il y a des jongleurs qui brossent des
poupées d'argent. Dans un stade, des artistes fabriquent des rôles.
Il y a aussi des transferts d'indifférence et des amertumes
contrôlées.

À la dernière invention, je me suis envolé et j'ai crié dans


ma poitrine éclatante les mots à cacher. Il est vrai que je n'aurais
pas pu les vendre, et qu'ils auraient été conservés dans une
bibliothèque ou une grande surface.

Après les malédictions souveraines, des pleutres sont


venus regarder l'oiseau distancé, et ils ont ri lugubrement de mes
faiblesses. Aujourd'hui ni l'oiseau mort ni les consternations

958
existent. C'est peut-être mieux d'ailleurs.

Il aurait été idiot de flamber un bois roussi, d'assassiner


une idole ou d'arracher les pattes à un insecte.

Le vice aidant, il m'est venu l'envie de construire un


chapiteau gigantesque. Des pitres vicieux et perfides ont collé sur
des carreaux et des vitraux des prospectus sordides. Ont-ils
compris qu'ils étaient les grands perdants de cette fresque
extrême ?

959
J'étais à la sortie de l'école

J'étais à la sortie de l'école. Enfant blond dans les


rousseurs de la nuit. Éternelle splendeur d'un soleil bleu turquoise.
Dans un vêtement côtelé. Pantalon de toile et chemise largement
déboutonnée. Courtes fugues et invitations au mensonge.

Ô les rires enfantins qui se propagent dans les cieux


tourmentés ! Ô les cris stridents qui déchirent l'opale de feu !

Mais je cours et je vis ! Vagabondages dans la cité ! Les


couleurs de l'enfance font s'émouvoir ! Quant à mes chaînes
scolaires et parentales, je crois bien que magicien, j'ai pu m'en
défaire. J'ai dû souffler sur les menottes et les boulets
multicolores. J’ai sauté la barrière, et je me suis réfugié dans les
profondes HLM, les caves putrides où les chats vomissaient et se
reproduisaient en liberté.

Paradoxe de ma vie enfantine. Peut-être me suis-je caché


dans des trous de souris misérables ? J'ai oublié le quartier en tout
cas. Puissants massacres des Chênes et des Bananes. Haine féroce
pour tout ce qui était humain. Bêtise scolaire et lugubre ambiance.

960
Non, plus de massacres ! Plus de jeux incendiaires ! Un
simple corpuscule pour mes yeux assouvis.

961
Tète ce sein

Tète ce sein, fœtus rejeté du ventre de ta femme !

Bois le lait maternel qui gonfle les mamelles de


réconfort, qui dresse les pointes rouges vers le ciel !

Que la soif brûle tes entrailles, avide nourrisson, et que ta


petite main faite de doigts agrippe la tétine précieuse !

Comme son haleine chaude glisse dans ton appareil


digestif ! Comme la semence blanche de ta mère est douce à
avaler !

Ignorant petit homme, bats-toi pour survivre dans cette


existence !

962
À moi, l'écriture

À moi, l'écriture et sa clique de verbes, de mots et


d'adjectifs.

À moi, la voix royale qui parle en mon nom, et dit :


j'ordonne que tu n'entendes que moi.

Mais je n'ai rien à dire, pauvre Muse, et l'on me taxera de


prosaïsme avec des phrases idiotes.

Les déchets dans ma bouche moite, gâchent la feuille de


papier blanc !

Il n'y a pas d'inspiration qui cogne contre la paroi du


cœur, mais un avorté de poète qui crache son mauvais cri.

Car je ne veux pas écrire toutes les nuits avec la même


déchirure de la mémoire, avec un sentiment exalté comme le sang
sur une plaie ouverte !

Le jeune homme s'épuise, déjà les forces l'ont oublié. Il


n'est plus qu'un éboueur vidangeant son travail de récupération.

963
Faut-il m'interdire de travailler

Faut-il m'interdire de travailler ? De compter, d'accentuer


? Faut-il détruire une âme saine, une force vive de vingt et un ans
? Ma paresse et ma chair sont-elles d'or ? Que sont-ce que ces
systèmes, que ces complexes ? A quoi peut bien servir de nasiller
des phrases indistinctes ?

Ho ! Les yeux me brûlent. Il faut se taire. L'erreur est


bien quelque part. J'ai dû me tromper.

964
Ô nuit stérile

Ô nuit stérile, vicieuse et déprimante ! Ô lumière torve et


maladroite de la lampe tamisée !

Les divins déchets sont crachés par la bouche explosante


! Un flot d'excréments dans cette gorge étroite ruisselle, et rampe
et vient féconder la page blanche sans travail !

Ô le rythme vulgaire entendu, écouté de la Mort ! La


patience, le contrôle ne sont plus :

Elles ont vibré les cordes insoupçonnées !


Il est perdu le sage pouvoir entre mes doigts !
Il faut qu'elle coure la plume désinvolte !
Et rien ne la retient car la leçon de maturité n'est plus !

La fraîcheur de l'organe exorbitant dit : je vous ai bien


eus, vous tous, et j'ai saccagé vos espoirs.

Tu sais comment je m'appelle, et tu sais maintenant qui


est ton maître !

965
C'est moi ! C'est moi la femme incontrôlée ; Je suis celle
qui dirige. J'ordonne que ton esprit soit en proie aux folies de la
perversion ! Ignorant, comme ton âme est basse ! Je veux que tu
te délestes de ta médiocrité !

Non, tu ne brûleras pas sous l'émotion, car tu seras ma


Haine et mon esclave. Je te conduirai les mains et les bras liés
dans les perditions éternelles du charme et du désir. Je ferai vivre
en toi la honte de la jouissance.

Comme elle sera sublime cette possession ! Comme il


sera honteux ce petit écrivain !
Les feuilles de laurier imprimées sur ton front
disparaissent déjà !

Il est déchu ce roi insoupçonné ! Il s'écrie : j'aime la


paresse et je veux être ton esclave !

966
Halte là

Halte là ! Et tous derrière l'être unique ! Reconnais la tête


chère couronnée de lauriers et sertie par la grâce. Sa démarche est
majestueuse. Non, il ne se déplace pas. Il glisse sur un tapis de
feuilles et de roses réunies.

Courage, héros, au faîte de ta grandeur ! Car tu dois


chasser l'ennemi au plus loin, hors de nos frontières.

Elle est déjà perdue l'armée aux cent mille âmes casquées
et cuirassées dans le soleil levant.

Il est déchu son chef sanguinaire frappé par l'invincible


épée, par le fil aux reflets d'or.

Il éclate de force, notre souverain à la jeunesse intrépide,


et toutes les conquêtes lui appartiennent déjà !

Sonnez clairons car il s'agit de lui, et de la grandeur de la


nation. Unissez toutes vos forces, ô soldats valeureux !
Ensanglantez vos armures, et mourez - je le veux.

967
Quelle solennité enchanteresse

Quelle solennité enchanteresse ! Quelle douceur


virginale des vapeurs de la nuit !

Ô le tableau royal offert aux yeux de l'amour ! La


conquête divine de la nuit silencieuse !

Le mouvement imperceptible des oiseaux dans les grands


cieux ! L'habit de pourpre ou la saignée céleste dans le lointain !

C'était le solitaire qui scrutait les nuages, nu et sans amis,


sans compagnon nocturne, au pied de cet arbre immense qui
rejoint l'inconnu en s'étirant indéfiniment.

Que l'âme aime à te contempler, objet de l'esprit, lieu


fermé et secret, intérieur du moi !

968
C'est la vaste raison

C'est la vaste raison toute recouverte de gloire ! C'est


l'homme solennel des rythmes entendus ! C'est le chanteur
barbare poussant des oraisons ! C'est la foudre et l'orage sous le
toit réunis !

Qui s'élèvera au-dessus des laves et des volcans de la


mort, et purifié dominera les hommes des célestes blancheurs ?

Un matin fort doux, je raclais mes dents puantes de


nicotine avec une lame de rasoir ; mes doigts tremblaient,
maladroitement je me coupai la mâchoire inférieure, je saignais,
le sang coulait sur le rebord du lavabo. Des gouttes rouges
s'étalaient même sur le dallage brillant.

Me faudra-t-il garder cette chambre longtemps ! Les


veines me brûlent, le cœur bat férocement. Où sont mes
oppresseurs ? Dois-je attendre encore cyniquement ? La douleur
roule sur la peau et dans le ventre. On le bouscule, on l'attaque. À
droite, à gauche, les mêmes armées. Je suis vaincu.

969
Au loin des précipices

Au loin des précipices et des gouffres, les années se


perdent dans des chemins impraticables. De basses erreurs, le
temps s'éloigne.

Si la fortune est entre tes mains, sache la conquérir avec


lenteur. On ne fait pas d'un pauvre un riche sans contradictions.
On se doit de l'éduquer afin qu'il atteigne sa condition.

Que me parles-tu de vitesse, jeune ignorant ! L'homme


de piètre fortune, porte-t-il l'habit brodé de lisières d'or ?

Pense à ce malheureux, à cette âme en friche devant tant de


trésors ? Quelle belle leçon de philosophie que voilà ! Tu es attentif à
ces mauvaises paraboles, et tu ris. Tu te contemples dans ta glace.
Insensé, tes millions croulent désespérément à ta banque !

970
Halte à la cérémonie

Halte à la cérémonie jusqu'ici défendue. Niveaux de luxe


soulevés par les vagues de paroles diverses. Vieillards de tout âge,
de toute origine. Éternels balbutiements sociaux et politiques.

La chaleur ; mais à force, cela a-t-il un sens ? Est-ce moi


qui vieillis ? Est-ce l'automne qui tend à disparaître ?

Je souffle mon rire contre des visages grotesques. Les


mouchards tordent des grimaces sur les miroirs qui sautent en
éclats. Quel éparpillement dans ces cervelles stupides !

Je souffle sur l'excrément génial pour la face


nauséabonde de la Mort. Ton injustice rayonne autour de cette
tache pâle et clairsemée.

Ai-je dit l'enfance et ses montagnes de saveur, la Noël


choyée sous des couvertures de laine ?

971
Voici ces quelques choses

Voici ces quelques choses désuètes et fanées, ces pertes


de bonheur, ces langueurs amorties, ces paroles oubliées.

Il y avait un cœur ennemi en chaque homme, une lueur


de vengeance, un mal inconnu.

Le soleil rose grillait de honte, petit visage d'enfance,


mémoire juvénile et pas feutrés sur le parquet de ma chambre.

À quand, ma chanteuse folle et insouciante ? Ce sont


libérés les traversins, les rictus et les œillades ouvertes. J'ai mâché
une peau, race supérieure ! Ô les petits boulets de chair qui
roulaient entre mes doigts si fins.

Vents qui baignent les croisées, silences placides,


incantation algébrique, rêves des mers quand les loups marins
naviguent encore.

Et dernière parabole d'un Christ à implorer. Les


demeures éjaculent des fumées nauséabondes.

972
Faut-il que j'aime les courbettes et les ronds de jambes !
Peut-être suis-je mort pour toutes ces raisons ?

973
La mort

La mort aimant à me martyriser, je m'abandonnais encore


aux lâches réflexions avec des bourdonnements teigneux dans
mon âme. Je resplendissais de défauts. Je ne me sentais guère le
cœur frêle et blanc battant la mesure éternelle de la souffrance.

Le bruit, quel vieil ennemi de ma jeunesse atteinte ! Ô le


pleutre et l'enfermé, banni de tous et de la femme, caché dans la
masure, face au soleil ! Ô la mort qui observe dans le clair de l'œil
le savoir qui s'éteint en elle !

Mais eux, tous illuminés et chancelants sous l'ignorance !


La force énorme et stupide contre l'enfant purifié ! Quels déchets
tourbillonnent autour de l'âme glorieuse !

Je puis brûler tes tympans. Tu es en mon pouvoir,


esclave maudit. Je me suis abattu sur toi tel l'aigle noir. Tu croyais
voir le sceau royal annoncé par la lumière divine. Tu es ma
médiocre perversion, moi qui t'ai possédé pendant de longs
printemps.

974
Ô le pauvre

Ô le pauvre, l'ignorant au ventre stérile, car il n'y a pas de


cœur dans ce corps incomplet. L'impur, le moins que rien ! Celui-
là même qui s'ignore. Comme il doit être bon de n'avoir que si peu
de conscience ! Comme l'esprit embué est heureux ! Je relis les
raisons de mon malheur, de mes pertes, de mes souffrances.

Vous êtes des rejetons et des avortés ! Comme je ris de


toutes mes faiblesses ! Je possède ce soir, le beau sentiment au-
delà de la foi. Mon âme est illuminée, je pense tout assimiler. Vos
abrutissements sont mes légèretés. Mon enveloppe vole au-dessus
de la mêlée des esprits. Je suis tout à coup éclairé de vives
lumières. Et la paix souveraine s'étale dans mon âme.

Comme j'aimerais à partager ce sentiment extrême, cette


grandeur supérieure ! Comme ces âmes jouiraient à être pensantes !

Moi, je suis l'ange, l'homme imberbe, le corps vertueux


et vierge ! La blancheur m'enveloppe tout à coup. Comme je
pourrais m'élever et retrouver Dieu en sortant de mon corps !
Comme je saurais m'engouffrer dans ce couloir étroit ! À
l'embouchure, il y a Dieu qui dirige et ordonne de toute sa

975
puissance. Comme je voudrais m'approcher et la prier cette Force
remplie de sa Gloire immense !

976
Un parcours

Un parcours facilité par la venue des pestiférés et des


alcooliques. Un lieu béni par la race suprême. Si tout ceci n'était
que vague mystification, quel délire oratoire ?

Je volerai les figues de ton jardin. Aucune parabole. Un


vulgaire mystère caché derrière le symbolisme. Mes quatre heures
de travail ressemblent à des tranchées, à des lignes que perfore
l'ennemi.

Celui-là est un imbécile, mais l'idiot qui s'ignore impose


et soupèse la destinée des autres. Un jour, j'ai dit : luxes
appauvris, et j'avais raison.

Coule, Seine ! Grommelle, Rhône ! Aucun fleuve en


France pour vous soumettre. Vous êtes les plus forts.

977
(Ne riez pas de ma platitude, lecteurs. Je suis trop jeune
pour être critiqué ! Si je me dissimule dans l'histoire, si je ne suis
que l'objet insolite, suis-je véritablement coupable ?)

Moi, j'ignore toutes les ignominies, toutes les bêtises, et


je m'élève avec cette face radieuse, avec ce ton rageur autour de la
mêlée des humains.

"Ma voix est de marbre, a dit l'un d'eux. Je l'ai laissé


croupir entre deux fontaines. Plutôt que de combattre, j'ai noirci
des roses amères".

Des femmes pleines proposaient des poses scabreuses, et


dans ces espoirs fous, plusieurs d'entre nous se sont agenouillés.
Ils se sont trompés. Comme ils regrettent aujourd'hui ces
stupidités déprimantes !

À la faveur de me plaire, il y a un grand pôle : j'ironise et


je me baigne. Tel est mon supplice. Mais je sais les caméléons
changer de couleurs et obtenir de nouvelles luminosités.

Ô les vagues insouciantes, les regards d'agonisants, les

978
symboles superbes ! Mais je me noie dans votre mer, esprits
chéris ! Et pour la décadence que j'espère être l'avant-dernière, je
me propose d'aller ternir les feuilles à disparaître.

Si je n'entendais rien à toutes ces bêtises, si la


cacophonie assourdissait mes tympans ? Si jeune homme
vigoureux, je devenais vieillard impuissant ? Ces boulets pesants
freinent mon déplacement. Ces bruits continuels sont ma drogue
abrutissante. Mais point de rêves à espérer, des cauchemars en
perspective, de monstrueux cauchemars pour l'éternité !

La parole s'enfuit, la parole vole ! À quoi peut servir


l'explication ? On oublie le message. On s'enivre d'un rythme
familier, d'un trésor immortel. Eux seuls en sont les bénéficiaires.

979
Nuits grasses de sperme

Nuits grasses de sperme qui roulait sur des poitrines, et


tombait en cascades dans des gorges assoiffées ! Ô jets immondes
qui fécondaient une vulve étroite !

Sexe s'engouffrant dans ses rondeurs lourdes et interdites


! Place innée pour les couples de chair !

Laideur qu'on appelle amour ! Je me rends à vos pieds,


femmes humaines ! Hélas j'aime encore !

Et toutes les vomissures bues, les urines goulûment


avalées, les crachats léchés sur vos ventres tombés. Les langues
qui s'introduisent dans les parties intimes de vos corps de
possédées.

Ô femmes, et ces matières fécales arrachées avec l'index


honteux et ces doigts sucés avec délectation ?

Qu'ai-je donc appris ? Que l'amour était une horreur ?


Que le plaisir était une douleur stupide ? Un sexe gratté jusqu'au

980
sang par des ongles très longs, des glands brûlés et sucés
jusqu'aux entrailles, un pénis tordu et mordu par des dents toute
blanches avec un rire ou un rictus sur vos bouches entrouvertes ?
Ô femmes, je ne sais plus.

Fallait-il sodomiser et rire de la laideur, et de son acte ?


Cela était-il le bonheur ? Ô femmes ou démons, le rouge n'a
jamais envahi vos visages de salopes !

Que l'homme fait de conscience s'en repente ! Jamais


plus, et plus jamais, et maudits soient les plaisirs éphémères !

981
Nue. Elle était nue.

Nue. Elle était nue. Et la jambe longue et la fesse lourde


étaient un appel à l'amour, à la caresse, à la jouissance et à
l'ivresse.

Le sein superbe et droit, viril comme une tigresse, dressé


au ciel appelait la morsure sublime de l'homme.

Ma langue léchait encore cette aisselle que des gouttes de


pluie trempaient de saveur. Mes yeux remplis d'éclairs et de désirs
appelaient ses yeux bleus. L'ivresse et les soupirs berçaient de
leur langueur mélancolique l'âme satisfaite et rassasiée de plaisir.

Et la femme, bouche ouverte, la chevelure bleue


renversée en arrière soupirait d'aise.

982
Des caresses nonchalantes

Des caresses nonchalantes sur des coussins de pourpre


d'or, baignées dans une lumière molle. Les corps fatigués comme
une ombre chinoise, se donnent sur les murs de la chambre.

La flamme bienveillante regarde les monstres énormes


surgir et souffler inexorablement. Les langues s'unissent et se
mêlent dans un palais merveilleux, les odeurs et les chaleurs
éveillent les sensations des désirs enfouis.

Ô Râles, cris sauvages des bêtes griffées ! Les corps se


fondent, lutteurs inassouvis de chair et de jouissance ! Les corps
s'usent dans un combat de plaisir monotone.

La bête crache, hurle et s'éteint. Les survivants se


délassent et meurent dans les draps parfumés d'excréments et de
senteurs anales. Ô les maudits dont les sexes sont gonflés du suc
épais ! Les saletés respirées, léchées et avalées ! Les contacts
vicieux et lâches. Les coins de chair ensanglantés et brûlés !

983
Toutes les erreurs et tous les naufrages sillonnent dans
ma tête. Mais le plaisir se meurt, hélas le plaisir est oublié !

984
Des yeux jaillit du sang

Des yeux jaillit du sang. C'est l'alcool qui coule dans mes
veines. Ce sont tous les alcools et toutes les liqueurs qui salissent
mes intestins.

L'estomac est gonflé comme une femme pleine ! Le désir


de la boisson s'empare de moi !

C'est la dose réconfortante et l'enivrement certain ! C'est


la mémoire confuse et l'oubli des souffrances !

Laisse-moi poser mes lèvres sur cette tasse remplie de


breuvages multicolores ! Je veux nier le Néant de ma pauvre
condition, rire des règles que je ne peux saisir, cracher sur la Mort
qui frappe à mes oreilles !

Mais comme le soûlard est incompris ! Comme cet ivrogne


roule à terre et glousse cyniquement ses rôts nauséabonds !

Ho ! Désaltère ma haine, enfant de catin, et libère le


talent enchaîné à des lois centenaires !

985
Vampe cette femme à la pensée rigide et immuable, fais
de ta prose un sexe charmant, que l'on aime à contempler
longtemps !

986
Laure, ne m'en veux pas

Laure, ne m'en veux pas. Je quitte l'espoir et je m'engage


dans la ténèbre. Il ne faut pas m'en vouloir. Il faut pardonner mon
égoïsme.

J'ai besoin de me cacher et de vivre sur moi-même


comme un homme trop gras qui se nourrit de ses réserves.

Laisse-moi le repos. Ne me dérange pas. L'obscurité me


mènera à la lumière. Est-ce Dieu que je recherche ? Est-ce l'ambition
qui frappe à ma porte, et qui me somme de m'enfermer ?

Je ne te parlerai point d'amour, ma Laure tant aimée. Si


je me recroqueville à la manière de la marmotte qui a froid, ce
n'est pas que j'aie peur de l'avenir (je ne crains pas hélas ma folle
jeunesse) ; je désire comprendre et entendre. Oui, je veux savoir
d'où provient la force qui m'anime et m'inspire.

987
La vague langueur

La vague langueur des poses amorties paresse ou se


meurt dans l'infini de ton mouvement. Et ton buste, ô reine, dans
ce coup de reins sublime érecte ta poitrine orgueilleuse.

C'étaient l'ivresse et l'assouvissement des sens ! La


moiteur défendue dans ta chevelure noire, dans ce duvet
paresseux où la mélancolie s'épuise et que la source tarit.

C'étaient l'automne nonchalant, les derniers soupirs et les


odeurs délicates !

C'étaient des bouches fatiguées, des corps épuisés qui


s'appelaient encore !

988
Une beauté

Une beauté au comportement bizarre a taché ma


jeunesse, et j'ai heurté les rocs durs de la consternation.
Transformée loin des mouvements incertains, la belle s'est
transformée en reine, - non en ange.

Angélique parut pour la première fois au bal. Le


mimétisme était hallucinant. Dans les chambres, elle a tourné son
regard vers moi, et sa silhouette glissait sur les tapis.

Je transpirais une sueur aigre, et m'essuyais du revers de


la manche. Elle flottait plutôt qu'elle ne marchait. J'ai suivi son
déplacement au-delà des murs où elle a disparu.

Sur le balcon, je vis son spectre traverser l'allée faite de


roses claires et d'œillets multicolores. Elle m'échappait et je
m'agaçais.

989
Toujours la lune vespérale

Toujours la lune vespérale ou claire ; le tintamarre léger


de la cavalerie dans la plaine odorante, le son des crosses et la
détonation des carabiniers, on ne les entendra plus.

Et l'idée que mon sexe se colle à ta hanche, je n'y


penserais plus ?

Jamais plus de meurtres, d'orgasmes et de rêveries ?


Jamais plus de cœurs en délires ?

Et ta face contre la mienne, hein ! on n'en parlera plus ?

Je suis le philosophe au nez trop court, à la mémoire


perdue, à l'intelligence passive.

L'œil qui plane et contemple ta chair. Ho ! La belle, tout


cela est fini ? J'ai l'avantage, et je gagne en trompettes, en canons,
en coups de butoirs.

Je dois mourir une nouvelle fois ? ...

990
Il va s'éteindre

Il va s'éteindre si faible et si lourd. Je veux le feu pour le


ranimer. J'ai honte donc j'ai soif ! J'en arrive à des vices étonnants
! Comme je voudrais être soulagé de cette ivresse horrifiante !

Mais aurais-je pu te déshabiller si je n'avais pas bu,


femme lubrique ? Pourrais-je te faire jouir cyniquement sans gêne
et sans honte ? Ho ! L'âme est pudeur, l'ivrogne est vertueux. Je
ne saurais satisfaire à ces horreurs sans m'enivrer.

991
Les hommes étaient de pierre

Les hommes étaient de pierre. Leur sourire les


condamnait à des rictus malingres ou à des rires vicieux. Un tic de
la lèvre inférieure rapportait trois dents jaunes ou noires à
contempler. Un délice pour les amateurs de saletés et de laideur.

J'ai vu la reine et la fée à la dentition éclatante, à la petite


bouche rose et à la langue jolie, aux quenottes resplendissantes.
C'est elle qui se sert de sa petite bouche et fait jouir le
plus malheureux des hommes ! C'est elle qui redonne sa force et
sa virilité à l'être dépourvu de rigidité.

Ô la caverne étroite où l'on s'engouffre malignement ! Le


trésor tout rose où coule le venin de la pâmoison.

Et si je la retourne comme une image magique, elle me


confie le plus merveilleux de ses trésors. Un luxe étroit que tant
d'hommes rêvent de posséder : sa commodité naturelle pour jouir
de la forte pulsion qui m'attire vers cette tentation.

992
Pense à la beauté enchanteresse

Pense à la beauté enchanteresse car c'est une diva qui


chante dans tes oreilles. Le bourdonnement et le bruit sont
oubliés, car tout est métamorphosé dans cette vie-là.

Moi j'ai oublié les coutumes de mon pays, l'obligation de


ma jeunesse. Je me suis jeté dans la pénombre. Je n'y ai discerné
qu'un monde stupide et simplifié.

J'ai craché sur ma fange sans parvenir à me délecter de


mes excréments, ô puanteurs d'écrits !

Sur ma route un être vidé de sens, une ombre qui me


suivait. L'ombre et la terreur ne font qu'un. Elles ne disparaîtront
hélas jamais !

Faut-il vivre de haine et de fureur, et lutter contre des


ombres vicieuses et sensuelles ? Se peut-il qu'elles nous jugent et
agissent sur nous-mêmes, nous ordonnant de vivre selon leur
puissance ?

993
Tout est erreur et méchanceté, et vices de vie dans des
cervelles dépourvues de sens !

La justice est dans la vertu, et non dans la Providence.


Que le purifié m'entende ! Je l'éclairerai encore, demain.

994
Toutes les soifs

Toutes les soifs. Toutes les boissons bues, toutes les


liqueurs avalées d'un trait. Un plaisir pour la gorge asséchée ! Les
rôts sont très vulgaires, mais ils font passer les pourritures de
mélanges.

Bières, rhum, vin et alcools : mon gosier ingurgite tout.


De l'excrément en bouteille, et de l'urine toute chaude. Je me
soûle avec des odeurs ténébreuses, et l'âme se renverse sur le lit
jaune des ivrognes. Ô le ruissellement des ordures ! Les bleus et
les rouges sortis de l'estomac fangeux !

Ô les brûlures de l'urètre. Le sexe chauffé mais


impuissant ! Incapable de prendre, ce sexe distendu ! Il faut le
faire souffrir dans une mollesse écœurante, avec des effets très
spectaculaires.

995
Un bric-à-brac curieux

Un bric-à-brac curieux où se mêlent des objets de la


première guerre mondiale. (La Der des Ders, comme le pensait
chaque petit français) des masques à gaz, des armes et des
baïonnettes, des maquettes de tranchées allemandes et les fameux
casques et l'accoutrement du parfait soldat tombé pour la France.

Évidemment, on se croirait dans un musée. Il ne manque


que la plaque commémorative au-dessus de la porte d'entrée :
gloire aux immortels inconnus de quatorze qui défendaient jusqu'à
la mort le sol de notre patrie.

Mais il n'y a pas de plaque commémorative, comme il


n'y a pas de musée. Il n'y a pas non plus de conservateur ou
d'employé qui délivrerait des tickets à un franc cinquante, ou des
bons gratuits pour les enfants ou les scolaires.

Non, toute cette histoire se déroule dans mon âme, et il


n'y a pas de sol à défendre et je suis en paix avec moi-même.

996
Non, ce paragraphe certes médiocre m'est sorti de la tête
comme je pensais à Jean Cocteau et à Guillaume Apollinaire. Ce
sont Thomas l'imposteur et la femme assise qui évoquent en moi
la guerre de 14-18.

Et cette merveilleuse insouciance du peuple parisien,


tandis que des affrontements sans précédents ont tué plus d'un
million et demi d'hommes.

997
L'or dans des scintillements divins

L'or dans des scintillements divins brille d'un éclat


maudit. Comme la main rugueuse du travailleur soupèse la pièce
jaune et légère ! Comme elle est petite sur cette étendue de chair
et de durillons !

Qu'est-ce que ça coûte cher ! Qu'est-ce que ça coûte


beaucoup !

Il flambe sur les marchés internationaux. Au palais


Brongniart le prix galope comme un cheval fougueux ! L'or est
malade, l'or a la fièvre !

Le bourgeois sous les draps cache ses économies, et le


magot s'accumule et prend de sa valeur !

Moi, je suis à sec et les sous ne gonflent pas mon


escarcelle !

Pitié, mes Seigneurs ! Donnez-moi quelques Louis ou

998
quelques Napoléons. Je les enterrerai dans ma cave, et ils
resteront dans l'ombre jusqu'au jour où je serai riche. Adieu
médiocrité et pauvreté ! Adieu fin de mois difficiles. C'est
l'abondance et la richesse qui travaillent toutes seules. Et c'est
l'oisiveté pour le prolétaire sans repos.

999
Ô les reflets changeants

Ô les reflets changeants et le spécial ef


fet stupéfiant l'ordre et le désordre des traces naturelles !

Les lumières violettes et ocres et rouges, et la couleur qui


baigne l'étang d'à-côté !

Ô les superbes et les belles renflouées dans les sources,


près des citernes de cristal, autour des terres !

En contrebas, un grand royaume qui file vers les vallées


boueuses. Les rieuses tempêtes et les barrages calfeutrent les
forces des eaux. Les digues ont vibré, élégantes dans leur
conception. Rien à sec. Des terrains, des maisons se chevauchent,
jonglent avec les espaces des particuliers.

Tous à la toilette. Les vieillards agrippent des bâtons, les


gamines multiplient les entrechats, et les femmes s'acharnent à
marcher, mais elles dansent.

1000
Une seconde encore, et la panoplie des visages disparaît
derrière les arbres. Avec des cris enfantins, tous courent se laver.

Les neiges et les chaînes des monts ! Du sommet coule la


source et règne sa majesté !

1001
Les bords de l'Estérel

Les bords de l'Estérel. Des vagues d'idiots ricanent et se


jettent des flaques d'eau en plein visage. L'eau trouble avance ; la
course des feuilles mortes ; les tourbillons de vents sur la face
glacée de la rivière ; seins nus soulevés harmonieusement par les
donzelles, - femmes de quinze ans : enfance.

À la première tentative, j'ai dit mon nom tout haut, et


elles ont ri de mes belles syllabes avec leurs petites dents toutes
blanches. Je me suis présenté serein et honnête, les mains
largement ouvertes comme je n'avais rien à cacher.

Je suis resté tout seul, droit et stoïque, complètement nu.


Conscient de ma nudité, je rougis et portai mes deux mains sur
mon sexe. Désiraient-elles se baigner ? Mon pénis découvert,
l'auraient-elles amusé ?

J'ai pris le sable à mes pieds. Je l'ai laissé glisser dans ma


bouche, avalant les grains avec bonheur comme pour me venger.
J'ai mâché les poignées de sable avec ravissement. Que d'heures

1002
bienveillantes, je leur dois à ces femmes ! Que d'instants de
tristesses aussi !

Je me suis révolté près d'une barque aux abords d'un


moulin rustique. Je n'ai pas vu de déesses mais le merveilleux se
dessinait petit à petit. Je crois bien avoir chanté une sorte de
messe dans la prairie. J'ai dû mourir et me relever d'un bond. Le
temps avait disparu. Les baignades, l'eau qui ruisselait, les filles
aux seins nus s'étaient volatilisées.

Non, ce n'était pas un rêve. Il y avait certes de l'eau, l'eau


boueuse des égouts, le moulin était un centre d'épuration.

Les arbres étaient de cendres, et les effets incertains. La


mémoire aime à voiler les choses, à transformer les idées et à
regarder les hommes différemment.

1003
Pour le plaisir des quatre yeux

Pour le plaisir des quatre yeux, le souffle de l'amour frôle


les corps fatigués.

Pour un orgasme à venir, les sexes se rapprochent, les


sexes sentent bon.

Les langues s'appellent, et les yeux et les lèvres dans un


mouvement immuable se comprennent déjà.

Mon haleine chaude, mon amour et la pointe de ton sein


rouge de désir.
Ta chevelure se perd dans la mienne, oui la béatitude de
ton sourire pour mon sourire !

L'élan du couple, la force du couple, la force de l'union.

Et le calme serein après le tumulte, et les ébats


amoureux, le grand calme dans la nuit sans fin.

1004
Le calme étrange quand les corps s'entrelacent et se
délassent.

Les formes rondes sous la lumière tamisée, les formes


mouvantes diluées dans l'espace.

L'amour se meurt, mon amour, et déjà tu revis.

1005
Au loin, une verte vallée

Au loin, une verte vallée ; tout un champ à disparaître ; le


soleil couchant ; le vent glisse entre les feuilles ; le vent lèche les
herbes bleutées ; l'horizon peint ; noir et jaune ; taches violettes ;
la rivière frôle le bord touffu, file poursuivie par le courant ; la
cloche du village miaule.

Je descends les terrains, et vire vers les flots. J'embrasse


les colères de l'été. Pas une seconde ni un refrain ni un appel. La
terre sèche tourne vers le midi. L'insecte goûte ou tète les eaux
avancées ou se poussant.

1006
L'aube vagabondait

L'aube vagabondait sur les coteaux alentour. Les prairies


respiraient fraîchement le soleil levé tôt.

J'ai couru, et je me suis précipité vers les cimes des


arbres. Les pins ont élargi leurs bras verts. Je me suis précipité
dans leurs odeurs. C'était l'été.

Après avoir parcouru cinq lieues, je me suis perdu dans


l'herbe grasse des vallons. Et ma chevelure d'or a roulé parmi les
plantes. Je me suis endormi la tête contre les genoux.

J'ai bu à la source plongeant ma cervelle pleine de rêves


dans l'eau fraîche des cascades. J'étais un solitaire, et je me suis
donné à vous, ô nature, ô femme ! J'ai senti la bonne odeur
s'engouffrer dans mes narines.

Au réveil il n'était pas midi. Moi, je me suis perdu dans


les matinées grasses, le corps tendu longtemps à chercher l'exil.

1007
J'ai regardé l'eau s'étirer comme le fil d'une toile
d'araignée, comme un torrent d'argent circule dans la forêt.

J'ai tournoyé sur l'herbe, et ri à n'en plus finir. Je crois


bien être mort trois fois. J'ai dû revivre trois fois. C'était la
dernière demeure. Qu'ai-je su du jeune temps ? Il n'a jamais été
mon ami, il ne m'a jamais choisi.

Pour m'avertir, des cloches ont sonné. Je me suis


retourné, le son frappait plus fort. Perdant haleine, j'ai chevauché
les monts, tout en jouant avec mon ombre.

Peut-être me suis-je trompé en allant respirer les


dernières senteurs de la prairie ? Ni les fleurs ni les arbres ne
m'aimaient. Et nu dans la nature, mon rouge est monté à l'âme.
J'ai atteint une cabane. Le toit fumait. Tu m'es apparue. J'ai cru
trouver la beauté.

Nous sommes-nous roulés près des bûches ? Aimés dans


l'ivresse embaumante de nos cœurs ? J'ai dû boire à la source,
mais je ne me souviens plus.

Je sortis de la cabane. C'était la nuit. Sans me soucier de

1008
mon retour, j'avançais pendant cinq lieues.
Ô mon ivresse ! Ô mon bien-être ! Ô ma douceur ! Que ne suis-je
dans tes bras qu'un pauvre homme perdu entre quatre chemins,
harassé de plaisir, le corps mouillé et chaud !

Je sentirai, mon âme, l'haleine de mon enfance. Je


plongerai mes doigts dans tes purs cheveux. Viens contre mon
corps, ô bête, ô mon sang, ô ma Déesse stérile mais jouissante !

Bois le lait de mes entrailles et lèche les sueurs douceâtres


de la jeunesse aimée ! Encore sur mon corps, sur mes reins, sur mes
hanches, caresse longuement sans te fatiguer ! Embrasse la lèvre et
la bouche, nourris-toi de la salive ! Ô femme ! Ô l'enfant qui voltige
dans les airs, et me réjouis dès le premier réveil !

1009
Une beauté au comportement bizarre

Une beauté au comportement bizarre a taché ma


jeunesse, et j'ai heurté les rocs de la consternation. Plus loin dans
des mouvements incertains, la belle s'est métamorphosée en reine,
non ! en ange.

Angélique apparut pour la première fois au bal. Son


magnétisme était foudroyant. Dans les chambres, elle a tourné son
regard vers moi et sa silhouette féminine glissait sur les tapis. Je
transpirais une sueur aigre et m'essuyai du revers de la manche.

Elle flottait, plutôt qu'elle ne marchait. Et j'ai suivi sa


démarche au-delà des murs où elle a disparu. Au balcon, je vis
son spectre traverser l'allée faite de roses rouges et d'œillets
multicolores. Elle m'échappait, je m'avançais.

Plus tard dans le parc, je reconnus sa démarche, et je


courus à sa rencontre. Je l'ai prise par la taille, et je tombais à ses
genoux.

Elle s'assit sur mes hanches sous les chênes roux.


J'embrassais sa poitrine et je glissais tous mes bras dans ses

1010
cheveux.

Peut-être roulerai-je avec elle vers les sous-bois, et dans


l'herbe foncée. Au premier choc, je me suis enivré de tendresse, et
hagard d'amour je me suis laissé emporté pour les tourbillons
d'illusions.

Vers la première heure, je m'endormis.

1011
L'aube attaquait le soleil pâle

L'aube attaquait le soleil pâle. Il pleura des gouttes de


rosée toute blanches ou transparentes. Un soleil en losange fit une
pyramide de rayons de lumière. On n'avait jamais vu ça. J'ai crié
victoire quand je me suis engouffré dans le labyrinthe de sépias,
de roses et de jaunes. Le premier pas franchi, je n'y voyais plus
rien.

Avez-vous reconnu les fidèles vallons qui chevauchent


les campagnes et vous suivent dans votre course folle au-delà des
frontières ? La jeunesse tourbillonnait dans les prés encore verts,
souffla sur les barbelés. Ils disparurent. Elle disposa d'assez de
fougue et d'enthousiasme pour remodeler à sa manière la nature
environnante. Elle frappa trois fois dans ses mains, et les
palombes alignées s'envolèrent dans les nuées et les éthers.

1012
J'allais arpenter ma demeure

J'allais arpenter ma demeure terriblement déçu par les


individus qui sillonnaient mon âme. Non, elle ne m'apparut pas
mais un nuage transparent avec des reflets blancs circula au-
dessus de ma tête, et tournoya et souleva mon crâne jusqu'au
plafond. Un vent frais s'engouffrait dans ma chevelure...

Il retentit trois heures au clocher d'en face. J'enfonçais


ma tête dans les épaules et je dis : "Ceci est un courant d'air.
Vérifions si les issues sont verrouillées. En cette période de
l'année - l'hiver approchait - il se peut que le souffle glacé se soit
précipité par les grands trous béants mal isolés". Muni de linges et
de couvertures, je calfeutrais porte et fenêtre de la mansarde.

À la dérobée

À la dérobée, on s'insurge contre la loi divine, et l'œil


profanateur s'arrange pour détruire les fondements du clergé. Je
maintiens le rôle décisif joué par les pères et les gardiens de

1013
l'ordre éternel. J'avais prévenu les anciens partisans de s'abstenir
de juger malignement les pires excès proférer contre leur dignité.

Il s'ensuivit tout de même une bêtise de révolte qui


opposait détenus tonitruants et concierges ulcérés. Après une vive
échauffourée, les deux camps désignèrent un médiateur qui
réconcilia les deux parties.

Chacun désirait la paix, et tous l'obtinrent.

1014
Les races des vainqueurs

Les races des vainqueurs, les forts en déluge, les maîtres


et les rois condamnent les exploits auxquels je ne croyais guère. Il
me plut de m'élancer sur des vagues incertaines. Des tempêtes
gigantesques saccagèrent mon esprit. Au péril de ma vie, j'ai pris
la barre pour l'Ouest.

Lentement, j'ai déplacé les deux mondes. Dans


l'ignorance épaisse d'autres m'ont suivi. Hélas ! Des ordures ont
craché sur le divin. Je décidai de fuir. J'ai saccagé des livres épais,
des sommes d'amour-propre. Le travail s'effaçait au mépris de
l'inspiré.

Il fallait la tuer cette femme. Mais elle vit encore et


m'accompagne à chacun de mes pas.

1015
Indubitablement

Indubitablement, j'eusse lavé les blâmes et les gênes,


j'eusse nettoyé les linges tachés, j'eusse soufflé sur ma haine, et
oubliant les brimades dans un orgueil proche du vainqueur, j'eusse
naïvement toléré de tels supplices.

Je ne demandais pas la vengeance. J'ai démenti les


étrangers et les insupportables actions menées contre ma
personne.

Je suis jeune mais lassé. Je ne combattrai pas. A l'ombre


de la gloire, insoumis j'ai brûlé mon sang, hurlant je ne sais plus à
qui m'entendait.

1016
La paix

La paix remplie infiniment de pauses vers l'Orient se


dégage en délivrance et en mouvements, faite de plaisir, de calme
et d'invincibles volontés.

Oui, je sais son orgueil naissant nager au plus profond


des eaux. Ma mémoire de souvenirs perdus dort à l'ombre des
fortes commotions. Déjà, l'hiver. Un hiver limpide chargé de
molles pensées, mais rien ne lui ressemble. Dieu ! J'ai désiré la
force pour vaincre ma bonté. Je me suis délassé, j'ai perdu ma
puissance aux rythmes de mes chants.

Ivre de vent, fuyant les yeux ouverts, j'ai irrité mes


douleurs, j'ai rendu l'âme et mon cœur est resté, palpitant sans
cesse, cognant contre les parois intimes du corps. Ho ! Ma mort
est un assassin.

1017
Étonné par mes tribulations

Étonné par mes tribulations, je sens les scintillements des


étoiles et des nébuleuses jouer contre ma face radieuse ! Le désert
s'est évanoui aux premières heures, et j'ai souffert de tout mon
corps pour une terre promise. Combien de bréviaires et combien
de pus ! Deux sont venus se fondre entre mes doigts !

Non, je ne te parlerai pas, Marie. J'exploserai en


souffrances, voilà tout. Je laisserai mes douleurs se perdre en
gémissements plaintifs, et ma voix sera un râle capté par toutes
les terres en Occident. Je me sauverai, Marie, je me sauverai.

Voici les blés et les récoltes, et voici les fruits murs. Vois
comme ils s'amoncellent dans le grenier. L'humidité, je la
chasserai. Les rats, je les tuerai. Ne désespère pas, Marie, je suis
l'éternel chasseur, le chasseur foudroyant.

Les racines du mal s'agrippent à ma bouche. Mon organe


n'est plus qu'une corde vocale souffrant dans l'immense
immortalité. Je détruirai les méchants et je relèverai les bons et je
croyais en toi, ô mon seigneur !

1018
Je te défends de m'insulter, Marie. J'aurais pu cueillir les
fruits de la création. Je te défends de me battre. Je pourrais
construire le royaume de l'entente.

L'entente, c'est la paix et le pain à satiété pour tous. Mais


tu sembles étrangère à mes paroles. Pourquoi ne m'écoutes-tu pas
? Tu es seule, éloignée du troupeau. Je t'aime, Marie. Hélas, mes
paroles sont vaines !

1019
J'ai besoin de ta poitrine

J'ai besoin de ta poitrine où je cueillerai le fruit de nos


entrailles. J'ai besoin de ton odeur douce de pucelle où
j'engouffrerai mes cheveux. Que m'importe l'inceste, marie. Il n'y
a pas d'inceste entre toi et moi. Ton corps m'appartient et je suis
ton corps. Ne souris pas, Marie, de ton sourire d'ange. Ne te
moque pas de moi. Je suis purifié et je suis le fruit de ta chair.

Un ange ou un Dieu a posé son aile blanche sur la tête


des morts. La femme s'est ouverte et le feu de l'amour a réchauffé
ses jambes et ses seins. Et son sexe a brûlé d'une chaleur vive.

J'ai jeté un baiser sur tes lèvres, moi avec ma bouche


infectée de mensonges et de crimes, moi avec ce cœur qui bat au
rythme de l'envie et du vice de la chair. C'est avec une humeur
étrange que je me suis allongé près de toi. Et j'ai senti ton haleine
chaude, et l'orgasme si proche qu'il semblait te contenir.

J'ai caressé tes jambes lentement, et je me suis couché


sur ton épaule. J'ai bu dans ton œil pur le plaisir qui libère. J'ai bu

1020
le sang du pauvre, la jouissance infinie.

Ne m'accable pas de péchés. Mes sens inassouvis ont


demandé le droit au bonheur. Je lèche ton sein, et je me repose
dans tes odeurs.

Ô femme, que n'es-tu femme et déesse et vierge et bontés !


Pourquoi tant de haine dans ce cœur, toi qui as joui de mon parfum
de rêve ? Marie, baigne-moi dans tes caresses, baigne l'enfant sacré
dans tes faiblesses de mère !

1021
Ce n'est pas de passion

Ce n'est pas de passion ni de tentation que son cœur sera


fait, il sera fait d'amour et d'obéissance à son Dieu Tout-puissant.

Au dieu des hommes, au dieu unique qui régit toutes les


lois de l'univers et des terres et des océans !

Le sang versé coulera dans la chair des purifiés. C'est le


flot immense pour nous sauver de notre culpabilité !

Et les damnés dans leurs chutes tomberont en enfer. Je


sais le soleil rouge de feu brûler les entrailles des méchants.

L'immense peur de l'avenir asservira l'âme du pêcheur.


La chute ou l'exil ou le néant encore !

1022
Le vent de la paresse

Le vent de la paresse, le libertinage et sa folie caressent


nonchalamment les mélancoliques et bucoliques insomnies des
veillées passives ; caressent avec langueur d'un geste lent et
souple les nocturnes infidélités de la maîtresse blasée, et la
monotone douceur frôle le corps lassé et sa paisible débauche...

Lascif et couché le corps s'étire et respire les dernières


bouffées d'un bonheur passé. L'amante vaporeuse et endormie
repose sur les draps encore chauds avec des poses lubriques et
indécentes. L'œil hagard, la chevelure défaite roulant comme des
vagues fatiguées après une sinistre tempête, elle est calme, et boit
et se délecte du nectar irréel.

1023
Ma jeunesse

Ma jeunesse atteignit les sommets de la perdition et mon


cœur frappa à milles portes. Au seul nom de la délinquance, j'ai
été battu par des milliers d'insoumis. Ma tête a saigné, tous les
sangs m'ont baigné dans la tourmente et le désespoir.

J'ai conquis de nobles lettres sous le bâton du mensonge,


et dans les aigres divergences d'esprit je me suis incliné, - le
visage offert aux malheurs de l'invisible.

Dans ma quête suprême, j'ai aboli les conventions


absurdes, j'ai ri transformé par des crises géniales. J'ai découvert
les faiblesses vives. C'étaient mélanges dérisoires et déplorables
tentations. Même dans mes journées d'hiver, les expertises ont nui
à ma valeur exacte. J'ai renoncé tendant l'oreille.

Vil de moissons, je m'obscurcissais malignement. Après


mes dernières échauffourées, j'ai tâtonné à la dérive, vainqueur
des succès.

1024
Qui m'eût assuré que je m'élevasse sinon le vent de la
réussite ?

1025
Tu trembles

Tu trembles sur tes pattes, infecte créature, et tu oublies


les bienfaits du ciel qui feront de toi un héros. Non pas ce héros
mythologique qui a tué je ne sais quoi avec une épée en bois, mais
tu seras le sauveur, tu feras ressusciter la poésie et son comble.

Qu'est ce que son comble ? Le comble c'est la bêtise, et


tu en es pourvu. Quand Dieu a couronné les sots et les crétins, il
ne t'a pas oublié. Il a tout de suite compris. Il l'a toujours su que tu
étais un crétin. Gloire aux crétins, a-t-Il chanté. Tu as eu ta
récompense, n'est-ce pas ?

Observe donc cette feuille qui perd le peu de sève qu'elle


contenait. Le vent soufflera sur cette vermine, sur ces pousses
puantes et vertes !

Toi, tu es comme le cerf qui tremble sur ses pattes !


Comme le jeune poulain vieux de trois bonnes heures ! Mais vois,
tu tètes encore ta mère. Vois comme tu te réfugies derrière ses
mamelles, derrière son suc protecteur !

1026
La page indécente

La page indécente courbe ses lignes et tord ses signes


insignifiants qui forment des mots, et ces mots eux-mêmes
renferment des sonorités qui échapperont au lecteur, mais dont
l'utilité est prouvée. Son attention, son plaisir de lecteur le
retiendront peut-être jusqu'à la dernière ligne du bouquin.

Cette page a été écrite sans règle et je le déplore. Si le


travail de l'écrivain est inexistant, c'est parce qu'il n'y a pas
d'écrivain. Preuve en est qu'il ne possède aucune règle. Il marque,
il note au bon plaisir de la plume. Quelle tristesse ! Écrire depuis
déjà vingt-trois mois et ne pas connaître les règles qui régissent
l'écriture !

1027
Ne critique pas

Ne critique pas : l'essence est le symbole désiré.


La délivrance est la source que le péché enterre.
Ce n'est pas la vie qui fait l'homme, c'est l'épreuve qui
lave son âme.

Ce n'est pas le sang de Dieu qui a coulé dans tes veines,


mais c'est sa couleur rouge qui a fait de toi l'homme perdu.

Ventre à terre

Ventre à terre, le talent amoindri, timoré, à la suffisance


des mots s'esclaffe en ces termes : "La pulsion m'est chère, certes,
mais laissons au hasard le soin de s'occuper de ma vie. J'ai
cherché au péril de la liberté l'expérience délicieuse qui ferait de
moi un homme jamais plus ignorant. Quelle ne fut pas ma
surprise de constater que rien d'intéressant malgré les charmes et
la beauté ne satisfaisaient mon âme de poète".

1028
Le poète grand

Le poète grand de prétention laissait sa mémoire fertile


divaguer.

Bon sang ! Que dans un excès de fièvre, j'invente le


poème sacré. Je veux l'inspiration qui me rangera auprès des
Dieux.

Le poète se croquait les ongles, et sa tête chavirait. Il


attendait le message. Il patientait et quémandait encore.

Plus rien

Plus rien. On se tait à droite, on se tait à gauche. Le


grand déchirement est peut-être écrit. Je veux détruire ! J'ai trop
besoin de paix et de silence. Je souffre trop. Qu'importe, ma crise
divine n'aurait pu supporter un tel poids. Tout ce que tu feras est
écrit. Agis, enfant, agis.

1029
Le silence

Le silence se fit dans la chambre. Chaque objet semblait


respirer l'air pesant de la pièce. Une atmosphère presque
suffocante entourait chaque meuble.

Il se déversait comme un fluide irrésistible qui semblait


soulever les tableaux grimaçants de la famille. Ce fluide
parcourait invisible les murs et les tapisseries, et léchait lentement
les motifs du papier peint.

Ma famille emprisonnée dans son cadre de bois criait


plus fort encore. J'étais avachi sur un bureau Louis Philippe qui
me venait par héritage de mon grand-père. La tête pesante sur
d'insignifiantes pages d'écriture, je rêvassais.

1030
Lavements de la cervelle

J'ai vu la Dame à la licorne sur une tapisserie très


ancienne, au Moyen âge peut-être. J'ai flambé pour des régions
inconnues et j'ai perdu ma conscience en voyant ta beauté.

C'est vrai qu'elle est chouette celle qui vient de Grande


Bretagne avec son petit cul tout chaud, sa petite odeur pas
désagréable. La forme de son cul me plaît.

Il y avait des éclairs dans ses yeux. Ma barbe fleurissait


et j'ai donné tout ce qui était en ma possession : or, bijoux, âme et
corps. J'ai donné mon talent, aussi.

En fait, les dernières guerres battaient leur plein. Les


hommes étaient en croisade pour une cause sainte. Les femmes
portaient des ceintures de chasteté. Les prudes et les insoumis
galvanisaient les foules. L'Apocalypse approchait.

La justice de Dieu, la fureur de Dieu détruisait tout sur


son passage.

1031
J'ai bu toutes les bières, toutes les chopes qu'un ventre
peut contenir, et je me suis laissé aller aux plus étonnantes
constatations.
Qu'un homme comme moi puisse douter de son talent, de
ses capacités, voilà qui est singulier. Qu'il puisse nier sa beauté ou
son charme étonnant, voilà qui pourrait exaspérer. Mais l'homme
était malade. Malade de quoi ? Des morts peut-être. De ses
infirmités ou de ses louanges.

Une écorce de mandragore happerait certainement mes


dernières souffrances. Comme le pendu, je donnerais ma semence
sublime.

Je me suis sauvé dans l'amour du beau. Le sexe a cogné


fortement contre le nombril recouvert de poils violets. Ce ne sont
ni la charge ni la décharge, ni l'érection ni l'anticipation, mais ce
sont des reines et des déesses.

J'entends un rire malsain couvrir mes oreilles. Mes


oreilles, organe qui sert à entendre. Des barres de fer dans les
oreilles. On rit à droite, on rit à gauche. Je ne serais donc jamais
pris au sérieux !

1032
Mais c'est mon dentier qui me préoccupe actuellement.
Faut-il changer les quenottes ou précipitamment recevoir les
bouffées de nicotine. Je n'ai plus d'oreille. Je n'ai plus de
médecins.

Mais je serais dans la garnison. Le beau fusil, et le centre


de sélection sublime. Il y a des films, des bières et des cigarettes.
Il y aura des radios aussi.

Moi, j'appelle ces bêtises qui circulent dans mon âme, un


lavement. C'est l'hygiène de l'âme. Les symboles y coulent sans
répit. Je suis un bavard, et j'écrirai longtemps encore.

Un individu très sérieux tachant à progresser. Voilà ce


qui était écrit il y a deux mille ans, non il y a six mois. Mais les
mains sont moites, et je n'ai pas progressé.

Qu'y puis-je ? Ho, Rien ! Une simple égratignure, ou une


simple déchirure interne. Il n'y a plus de déchirure interne.

1033
Loin des derniers péchés

Loin des derniers péchés, les races vont, viennent et


dansent dans les sillons du hasard.

Près d'un lac, j'ai vu des figurines tournées leurs yeux


maudits en direction des plaines déjà perdues. Les guerres
maltraitaient les possédés agrippés au choc de la charrue. Les vols
et les mues transforment les comportements tandis que je me
propose de partir à la recherche du renouveau.

Ma tignasse promet des survivances. Dans des


encyclopédies, j'ai trouvé des chiffres. J'ai pris garde de les
dévoiler. On aurait pu découvrir les démons sacrés, les vraies
pistes. Dans mes pensées subtiles, se cachait un vandale en proie à
des dépressions macabres.

Plus loin, j'ai suivi les traces des poursuivants. Ils m'ont
lâché dans la nature près des fontaines étroites. Vers les caves
sanglantes, les hommes sont revenus, et je les ai chassés à coups
d'écœurement. Les pénombres légèrement teintées transformèrent
en pluies transparentes les derniers exploits ainsi conquis.

1034
Dans un royaume d'argent, elles m'obligèrent à m'asseoir
tout nu, droit sur une chaise, face au confessionnal. Je m'agaçais
maudissant les heures d'infortunes passées dans des conditions
inconfortables. Toutes les chaleurs du globe vinrent à ma
rencontre dans un brouhaha formidable. Je m'élançais jusqu'à la
demeure du revenant. La tête harcelée du matin jusqu'au soir, je
chantais des cantiques pour me relaxer comme je le pouvais. Je
désirais une forme saine et un état physique compétitif.

1035
Connais-tu la souffrance

Connais-tu la souffrance, longue et imperturbable qui


vient se jeter dans d'horribles torpeurs dès ton réveil, et qui toute
la journée te rappelle le mal qui vit en toi ?

Connais-tu cette souffrance, ce bourdonnement éternel


qui te rend sourd, ce bruit vicieux et sordide fait par les Morts qui
détruisent ton existence, rendant inutile tout effort accompli ?

Connais-tu l'angoisse qui s'abat sur ton âme et brûle ta


cervelle, et vient venger tes nuits ? As-tu parfois souffert de ce
déchirement quand le vice arrache tes entrailles ou se pose sur tes
cuisses glacées et purulentes ?

As-tu été déjà maudit quand les mois inutiles encombrent


ta passive vengeance, quand le glas sonne la haine immortelle ?

1036
Ames célestes

Ames célestes qui puisez la guimauve au loin dans mes


oreilles, entendez bien ce cri du Sieur de Notre Dame des
Fontaines qui jura avoir vu les images les plus étranges sillonner
sa tête ?

Quoi ! Nulle réponse ! Ce cœur serait-il de marbre ?


Avec tout ce silence, on entendrait l'oiseleur geindre.

Ne riez pas, Ames défuntes d'un si maigre effort, et qu'à


ma plume ardente le désespoir se prête. Je prouverai le mal qui
vient de naître.

L'avocat à mes côtés semble vivre. Je le sens malgré moi


commettre les plus vils péchés, et déguerpir d'un trait comme une
simple belette.

1037
Longue la courroucée

Longue la courroucée qui jurait avoir vu sept flammes se


perdre sans écho dans les tourments des destinées. Revêtue de la
robe des prêtresses, l'élégante s'enferma sans plus rien y voir -
"Obscure, obscure vie, tu nous prends !" cria-t-elle.

Nourrie de fantasmes, l'âme révoltée et soumise s'égarait


dans des évaluations incertaines.

"En cette heure importante, l'homme joue et se perd dans


la réalité. Il embrasse les forces qui rougissent, qui régissent sa
flambante destinée. Le monde est mort !" hurlait-elle.

1038
Je me suis donné à vous

Je me suis donné à vous, ô tigresses, ô lionnes, et j'ai


pressé l'anneau royal. Dans un élan de joie, je me suis jeté à vos
pieds, et le décor tomba sec, et les fresques se mirent à bouger.
Un grand déluge dont personne ne connaît l'origine est venu
déchiqueter les places louées à la compagnie.

C'est à cause de vous, Princes que mon trésor a été


confié. Ma jeunesse refusa les honneurs et les marques d'estime,
cette gloire toute bariolée de pus et de dangers.

Encore un temps à être plongé dans le silence et l'homme


privilégie la descente des quatre chemins. La tête roulera entre les
bois. Elle atteindra le but espéré.

1039
Chair et gloire immortelles

Chair et gloire immortelles !


L'éblouissement vivant qui rayonne
Au centre de ma nuit !

Allégorique moi, inquiétant et soudain


Sève de mon âme, ferveur de l'oubli,
Chaste paix en toi-même !

Quand tu grondes, c'est l'océan tuméfié


Qui rejette ses cadavres et ses coques crevées !
Quand la brise légère se perd dans mes souffrances
C'est le calme repu et l'orgasme enchanteur !

Ô les baies et les savantes escales et les odeurs des ports,


les femmes à la poitrine nue et les mariniers suants !

Ô les mâts défaits, et les voiles lourdes bombées comme


le ventre de l'indigène, comme les seins gonflés de lait et de pur
aliment !

1040
Ô l'intelligence heureuse et la paix retrouvée ! Le vent
est allé mourir dans les montagnes !

Déjà le lieu n'est plus une cachette, c'est un autel saint où


les âmes se purifient.

Et l'enfant donne des petits coups de pied dans le cœur


qui l'a conçu !

Le piège a agrippé sa proie immense entre ses bras !

1041
Paysan

Paysan, arrache les orties, détruis les mauvaises herbes.


Que la terre soit vierge pour y recevoir les profonds sillons !

Paysan, attelle les chevaux qui reposent dans la grange.


Je les veux solides et forts. Que le flanc saigne, et que le sang
coule à gros flots ! Que l'écume bave et s'échappe des naseaux
fumants de l'animal !

Paysan, féconde-la cette terre, cette terre immense !

Que germent les semences, que le grain mûrisse entre les


lèvres de la terre immense !

Quand le reflet des sillons comme une image indélébile


sera gravé sur son front vieillissant, alors paysan tu auras mérité
de manger ton pain.

Et le vin glissera dans ton gosier sec, et le vin de la


moisson coulera dans le gosier de ta famille réunie autour de la
table !

1042
Et tu seras fier du travail obtenu par la grâce du Dieu
Tout-puissant.

1043
Jean

Il a vendu fièrement ses trois petits cochons avec la


queue en tire-bouchon.

Au marché Aux Puces, c'était par cher, trois sous ! Il a


mis vite les trois pièces dans son escarcelle, et s'en est allé boire
trois petits verres au café d'à côté.

Il a sifflé d'un trait les petits blancs et est ressorti


chancelant. Y'a plus de sous et plus de cochon, mais Jean y'a
l'ivresse !

C'est bon d'être rond quand on est cocu, Jean. On oublie


tout et on se marre la gueule avec les copains.

Ils savent bien que tu es cocu, mais ils ne te diront rien.


Adieu Jean, et reviens Aux Puces quand tu auras des petits
cochons.

1044
J'habite

J'habite dans un très vieil appartement où s'entassent des


souvenirs confus par milliers. Là, une console qui a connu son
heure de gloire à l'époque de ma grand-mère. Là, un tas de
grimoires croulant sous la poussière, et des estampes représentant
des scènes d'amour d'avant-guerre, - celle de quatorze - le
désordre y règne.

Les tapisseries usées ? - Des scènes campagnardes


allégoriques. On y voit un jeune homme sous le soleil radieux
tenant dans ses deux mains largement ouvertes des grappes de
cerises. Au loin, des jeunes filles près des arbres debout sur des
échelles remplissent des paniers de fruits juteux et rouges. C'est
l'été.

Les autres saisons sont aussi représentées avec des


détails touchants. Les moissonneurs, puis l'hiver, la neige, le
froid, les vendanges, le raisin : tout y est bête et puéril, mais
charmant. J'y jette un œil blasé, parfois la monotonie plaît à ma
rêverie et à ma nonchalance.

1045
Avez-vous contemplé ce tableau admirable de Renoir
"Pêches et amandes" ? Il y règne une paresse qui semble échapper
au temps.

Mon intérieur est semblable aux œuvres de ces maîtres.


La vie s'est arrêtée, l'heure n'existe plus. Le seul bruit qui se
perçoit est le silence dans cette demeure passée.

1046
Rêve d'Ursule

L'ombre mortelle quitta lentement le crâne d'Ursule. Une


étrange comédie naissait dans sa tête. "De quelle nature, suis-je
donc fait ? Suis-je de la race des demi-dieux ? Ou pauvre mortel,
me faut-il donc subir la loi divine ?

Il observait une forme gracieuse dans son lointain


temporel. C'était une femme que le feu allume de ses tourments.
"Mais vois, mon Ursule, elle respire les brouillards transparents !"

Le soleil roulait sur la plaine. Comme cette fleur aimée,


il reposait là paisible.

"Bats-la, charge ! Réveille-la ! Que son flamboiement


anime de mille torches la compagnie endormie !" se dit-il.

"La femme me suit, me désespère. Quand cessera-t-elle


ce jeu puéril ? La favorite, m'aime-t-elle ? Je sens son haleine
chaude dans ma nuque. Dois-je d'un coup de tambour avec un
sermon bien dirigé la faire fuir ?

"Comme je crains de la perdre, Ursule ! Aide-moi !..."

1047
Les cheveux s'envolèrent de son crâne. La calvitie
apparut. Le vent dispersa ses mèches noires dans l'eau troublée.
La femme posa un pied sur le nuage. La forme posée sur
l'enveloppe s'évanouit.

Lassé de tout, se peut-il qu'un jardin renaisse des incertitudes


de la vie ? Du printemps et du mouvement des astres ? J'ai traversé les
déserts, la réponse est non.

1048
Alphonse

La chaise était sur le bureau, et Alphonse écrivait sous la


table. Il écrivait avec sa langue en crachant sur le papier.

Il ignorait son nom comme d'autres ignorent leur avenir.


Lui, connaissait son avenir. Il était fiancé. Il n'avait jamais vu sa
fiancée, mais ayant la connaissance des événements futurs, il
connaissait le nom de son élue.

Sa vie progressait à reculons. Aucune surprise ne


l'attendait.

Une nuit, sa vie s'était déroulée devant ses yeux. Le film


de sa vie ! C'est ainsi qu'il sut qu'il deviendrait écrivain, qu'il en
ferait sa profession tandis qu'il n'avait jamais touché ni lu un seul
livre de qualité. Il savait qu'on l'engagerait. Il connaissait son
heure, il patientait.

1049
Le pont de Londres

À Londres, alors que je traversais le vieux pont peuplé


d'ombres étranges, je vis un spectre m'apparaître. Un être édenté,
maigre, à la figure blême, et très long de corps qui semblait ne
rien avoir mangé depuis mille ans.

Je parcourus le pont à vive allure, et derrière chacun de


mes pas, je sentais l'haleine putride du fantôme me poursuivant.
Je voulus disparaître. Je pensais naïvement : "Cet homme ou ce
résidu d'homme expie depuis certainement des siècles dans la
Tour de Londres. Peut-être a-t-il commis des meurtres ou des
attentats horribles ? Enchaîné depuis tant d'années, pourquoi se
plaît-il à effrayer un pauvre passant ?"

Malgré ces réflexions, j'accélérai le pas, désireux de


quitter ce quartier infâme. Un brouillard épais comme il n'en
existe que dans cette ville rendait plus difficile mon échappée. Il
me semblait que ce pont à traverser n'en finissait pas. J'entendis
tout à coup le bruit d'une voiture qui me rassura quelque peu.
C'était un taxi libre. Je hélais le taxi qui malgré le peu de visibilité
et l'heure tardive s'arrêta à ma hauteur. Je m'engouffrai dans
l'automobile, satisfait d'y trouver une chaleur humaine ainsi que la

1050
chaleur du radiateur.

Le chauffeur sans même se retourner, me demanda :


Where do you want to go, Sir ? (Où allons-nous, Monsieur ?)
J'allais répondre, satisfait d'avoir compris quelques mots d'anglais,
to the station, please, to Waterloo Station, quand j'entendis une
voix proche de moi qui me dit dans un français impeccable :
"Mais, qu'avons-nous à faire aux abords de la gare ? Vous
cherchez peut-être un hôtel pour vous reposer, Alexandre ?"

Je n'en croyais pas mes oreilles. Il n'y avait personne


dans la voiture. Le chauffeur même n'avait semblé rien entendre.
Satisfait de l'effet obtenu, le spectre ria de plus belle,
s'accompagnant de gloussements.

N'as-tu donc pas encore compris mon cher Alexandre,


que je te suivrai partout. J'irai où tu iras. Je marcherai sur chacun
de tes pas. Je suis ton Ange, ton Ange Gardien, ton sale Ange qui
va te faire voir ce que c'est que la vie avec un mort sur les bras.

1051
Pour Guillaume

Les coups de pistolet, les décharges électriques


Ont ligoté mon cœur. Qu'ils se mettent à l'écart.
Mes espoirs lointains passent par les chemins tragiques.
Les boches ont fusillé dans la nuit déjà noire.

Des boulets de canons enterrent les soldats


Du régiment vingt-trois. Et les infirmiers pansent
Mon cheval. Mon crâne est bandé, je n'écris pas.
Que j'ai des maux de tête au fond de l'ambulance !

Là-bas les tirs des mitrailleuses crient : au suivant.


On nous apporte à boire. La cantinière à poil
Verse la ration du rhum dans des tasses si sales,
Oh ! Si sales qu'on dirait qu'on a pissé dedans.

J'ai toujours mal au cul. Je veux rentrer de suite


Dans mon ancien quartier. Que sept femmes m'invitent
A venir les baiser. Mon Lou, mon cœur s'effrite.
Pardonne-moi, je voudrais tant de retrouver.

1052
La femme adultère

Voici ma hanche, voici mon sexe, voici mon sein.


Ne laissez ces trésors en si piteuses mains.
Oui, tâtez les contours des grâces délicates,
Tâtez toute la nuit jusqu'aux aurores, demain.

Voici les clés du maître et voici le chemin.


Je vous le donne en mille, choisissez l'ouverture.
Pétrissez, malaxez car ceci est mon bien.
Je vous donne le tout du moment que ça dure.

Mon mari, mon mari n'est plus aux grands exploits.


Et sa puissance a fui, il ne reste que moi.
Je saigne chaque nuit pour un plaisir nouveau.
Qui voudrait, qui voudrait de mon cul pas trop gros ?

Je meurs d'impatience, j'ai tant besoin de toi.


Baise-moi toute nue, baise-moi sans souffrance.
Je veux le grand vertige et le ciel d'autrefois,
La violence de l'orgasme dans le plus pur émoi.

1053
Éloigné des douleurs

Éloigné des douleurs que le repos apaise,


Plusieurs fois dans la nuit, je me dois de vieillir
Avec de vagues tâches qui jamais ne me plaisent,
Tant l'Art est difficile, que pourrais-je cueillir ?

Je m'y astreins pourtant moi, artisan en chambre.


Si le travail m'est cher, je tombe dans le doute.
Personne non jamais ne sait ce qu'il en coûte
À l'esprit fatigué des vers qui se démembrent !

Je me flatte pourtant d'y risquer ma jeunesse.


Perdu et sans rigueur que reste-t-il à faire ?
Attendre patiemment que le génie se dresse,
Ou pleurer sur son sort que le Néant éclaire ?

1054
Tombeau

Gisant, les membres nus, lentement il s'étire


Vers le gouffre entrouvert à la pâle clarté.
Sa chute retiendra le glas du repentir
Quand le corps couchera sur le côté caché.

Les yeux d'un blême éclat lécheront la lumière


Qui tombe sur le mort livide et retourné.
Ses fils le lèveront au mépris des prières
Qu'il voulut dans sa gloire humblement réciter.

1055
Opérette

Les étoiles scintillent dans le ciel rosissant. Le corsaire


frappe sur l'enclume. Les briques de sel glissent sur le château de
sable. Un direct au menton, et les boutons éclatent, et le pus
dégouline sur le visage du vaincu.

Heureusement, il reste la femme, les parcs et les moutons


et l'escalade de violence, sinon le monde irait à sa perte.

L'équinoxe des sirs, c'était un tremplin extraordinaire. On


joua de la flûte dans les sous-sols de l'opéra. L'Odéon était ravagé
par la peste, et les bucoliques chantonnèrent des airs anciens.
Panoplies de plaisirs - sur la digue surchauffée, les suffrages
revenaient aux gens les plus doux, aux gens les plus pauvres.

Je crois que je n'y ai rien compris. Mais tout cela était


difficile à comprendre : les meurtres, les conspirations, les
conjurés, et en dernière heure, la mascarade ou l'unique tempête
liée au désir.

Ne revendique pas ton malheur puisque tu en joueras un


jour.

1056
Fantaisies I

Le réflexe, big-bang, la claque !

- Tu sais que tu m'as fait très mal, Ginette.

- Ça t'apprendra à regarder les filles en soutien-gorge à la


télévision. Quand il y aura des publicités cochonnes, dorénavant
je changerai la chaîne.

- Mais, Ginette, je les regarde sans arrière-pensée. Tu


sais que je n'aime que toi. Pourquoi est-ce que tu me bats, Ginette
?

- Espèce de vicieux, espèce de sale individu, dès que tu


peux te rincer l'œil, tu en profites. Je vais t'apprendre à lorgner les
salopes qui montrent leur cul.

1057
Fantaisies II

Un public envahissant. Je dirais, ma sœur, que des


colombes voltigeaient près des sacs de sables. Je détiens la
réponse à toutes ces insinuations. Les virus gravitent dans ma tête.
A treize ans et demi, une palombe échappée d'un vol lugubre vint
se poser sur mon épaule, et j'ai ri de toutes les souffrances
terrestres.

1058
Fantaisies III

La race inutile. Je meurs. Lève-toi sitôt que j'acclame ta


perte. La haine, la mort, la soie sur les épaules douces. Iniquité
des feuilles ! Les rames fuient et s'envolent aux quatre chemins
nouveaux. Des sollicitations perverses violent le peu d'excréments
que je m'étais alloués. Oh ! La dernière valse et les bruits sourds !
Les famines éclatent. L'étrangère passe. Elle est belle la garce !
Encore une taupe mêlée à de fins présages. Exil et sel et
tarentules. Oh ! La pâmoison des corps et leurs supplices et la
mélodieuse expérience ainsi condamnée. Vrai, les écarts nous
éloignent du bon sens. À la dernière levée, une table collée à
cause des passages, des nuits ensoleillées, des démons et des
claires vaillances. On pouvait en dire du mal. Les suivantes
s'éteignaient une à une. Qu'est-ce que j'ai ri ce jour-là !

1059
LE MOUT ET LE FROMENT

Préface
Le monde est vicieux
Par-delà toutes ces marques
Fraîcheurs spirituelles
Le Prince
L'éruption ainsi métamorphosée
Ces mortels aveux
Encore des haines mêlées
Toutes les étapes
Vendre l'aquarelle
Ainsi ai-je vu
C'est l'éclatement
Tout t'est radieux
Ils justifient vos miracles
C'est un tremplin
Tu profanes des mots
Tout t'est médiocre
L'espoir chavire encore
Carcérale tâche
1060
Le corps rectiligne
Des granites ont mêlé
Des présences
L'oracle flamboie
Un moine
Tu cherches à envahir
La vorace solitude
C'était l'invention stérile
Depuis que la petite
L'écart
Tu cherches à envahir
Le chant médusé
Il a perdu les esplanades
Il s'élevait
Les lignes médiévales
Dans le dégoût
L'idée cosmique

1061
L'idée fuyait
Les danses ronfleuses
Les cyclones se meurent
Les soumissions regardées
Tes membres tronqués
Le mort séquestré
Retour
Dans l'exil
Les mitrailles
Folies
Opulence
Ton estime
Des sensations
Les pacifiques rencontres
Têtard à la bave vulgaire
L'heure
Equinoxes
Id (idées)
Les guitares électriques
L'ordre en marche
Sur des gouffres
L'ouvrage bariolé

1062
Nul ne portera
Les lignes d'or respirées
Mais c'est toi et toujours
Mouvements sur les clartés
L'éruption ainsi métamorphosée
L’espoir
Encore moi éternellement
Est-ce bien qui étonne
Dernier temps
Honte (frayeurs)
Chute
Amours enivrées
Nuitamment
Les perturbations électriques
Ombres qui blanchissent

1063
A l'heure où tombe
La mort cache ses pleurs
Boussole
Conquête
Mue
Ton désert est sans fin
Tu dois déchirer
Ô victoire du prépuce
Que tu jettes tes sonorités blêmes
Partage de l'astre
Mémoire déçue
Inquisiteurs de l'âme
Alliance de factice
Criminelle amitié
Les contradictions du mystique
Ecoute le cœur maudit
À l'aube des grands avenirs
Théâtre d'enfance
Sans famille
Par-delà
À la limite
Fragment

1064
Enfance
Je n'en finirai pas
Et pour te démontrer
Ce n'est plus une idée simple
Il te faudra cette semaine
À part l'explication cosmique
Il y avait un lieu
Toutes brutales
Lèvres sonores
Un champ visuel
Œuvre raisonnable
Monsieur Breste
Les lignes de pus
J’avoue les heures
Les touches exigeantes
La transformation
Enferme-les dans ton bouquin
Les extravagances de l'esprit
J'arriverai à exprimer les déficiences
À l'origine, un mince canevas 91
J'ai rêvé d'intelligences
Repose-toi
Peut-être sentirai-je ton âme

1065
On dit que les forces supérieures
Les perfections admises
Les mœurs de l'esprit
L'enfant prodigue
La musique et les heures
Le même hiver
Chaude tension
J'ai découvert les pyramides
L'homme a gardé ses secrets
Les vulgaires constatations
La neuve effervescence
L'escorte composée
Les lettres mortes
Il pleut très fort
Cependant que l'oublié
Une nuit, j'ai entendu
Un phallus de cristal
Les fêtes multicolores
L'or
Des lits de roses
Avec un bruissement d'aile
Un été charmant
Les libations

1066
Voici l'hiver venu
Les larmes toute blanches
Les cœurs libres
Toujours vers les cieux
Il y a les grandes villes
Les jeux
Des enfants
Je l'avoue
Il y a
Au lieu-dit de l'espoir
J'ai fauté avec la belle
Un noir corbillard
Voici ses tragédies
Il y a le Néant
Fantaisie macabre
Légitime infortune
La goutte a coulé belle
Au-delà des soucis
Que je garde et arrache
Moi, l'Ulysse
Cette terre féconde
J'ai ranimé le feu
Tout à coup

1067
Tout près, si près
Une forme de firmament
Le maître martyrisant
Souvent il chante en moi
Chanson
J'acclame les conquêtes
Vainqueur
Il neige des pétales
Les demeures
Du juif
La chute
Des terre-pleins
J'étais à la sortie de l'école
Tète ce sein
À moi, l'écriture
Faut-il m'interdire de travailler
Ô nuit stérile
Halte là
Quelle solennité enchanteresse !
C'est la vaste raison
Au loin les précipices
Halte à la cérémonie
Voici ces quelques choses

1068
La mort
Ô le pauvre
Un parcours
Nuits grasses de sperme
Nue. Elle était nue
Des caresses nonchalantes
Des yeux jaillit du sang
Laure, ne m'en veux pas
La vague langueur
Une beauté
Toujours la lune vespérale
Il va s'éteindre
Les hommes étaient de pierre
Pense à la beauté enchanteresse
Toutes les soifs
Un bric-à-brac confus
L'or dans des scintillements divins
Ô les reflets changeant
Les bords de l'Estérel
Pour le plaisir des quatre yeux
Au loin, une verte vallée
L'aube vagabondait

1069
Une beauté au comportement bizarre
L'aube attaquait le soleil pâle
J'allais arpenter ma demeure
A la dérobée
Les races des vainqueurs
Indubitablement
La paix
Etonné par mes tribulations
J'ai besoin de ta poitrine
Ce n'est pas de passion
Le vent de la paresse
Ma jeunesse
Tu trembles
La page indécente
Ne critique pas
Ventre à terre
Le poète grand
Plus rien
Le silence
Lavements de la cervelle
Loin des derniers péchés
Connais-tu la souffrance
Ames célestes

1070
Longue la courroucée
Je me suis donné à vous
Chair et gloire immortelles
Paysan
Jean
J'habite
Rêve d'Ursule
Alphonse
Le pont de Londres
Pour Guillaume
La femme adultère
Eloigné des douleurs
Tombeau
Opérette
Fantaisies
Fantaisies
Fantaisies

1071
FRANCK LOZAC'H

LE CROIT ET LA PORTÉE

1072
PRÉFACE

Après L'Huile fraîche, Le Moût et le Froment, Le Manuscrit


inachevé et Le Germe et la Semence, Le Croît et la Portée est le
cinquième recueil obtenu avec la production poétique 78-79.
L'inspiration semble parfois s'épuiser. Mais comment ne pourrait-il
ne pas en être autrement après être parvenu à extirper toutefois quatre
recueils conséquents sur ces dix-huit mois d'écriture ?

Pièces en vers et segments en prose se succèdent sur l'ensemble


du livre. La première partie du recueil contient des inspirations 79
tandis que la seconde partie est construite avec des fragments 78. Ce
léger différentiel temporel n'est guère important.

En vérité, de nombreuses pièces de cet ouvrage auraient tout aussi


bien pu appartenir aux quatre premiers exercices d'écriture. Mais une
limite quantitative en a aboli le dessein.

C'est avec une certaine désinvolture et une critique toute tolérante


qu'il faut consentir à jeter un œil sur ce petit travail. Quelques pièces
me semblent intéressantes tandis qu'un grand nombre me paraît servir

1073
de bouche-trou et de remplissage de feuillets. J'ignore si cette
remarque amère est justifiée ou non. Le lecteur jugera.

Je tiens encore à rappeler que ce cinquième ouvrage a été écrit


alors que je n'étais âgé que de vingt ans.

1074
L'aigle

Loin, le dévastateur dans le ciel obscurci


Sillonnant de son aile inconnue, le remords,
Tombe sur maints poètes misérables et maudits
Et couvre de son ombre les charniers et les morts.

Les yeux remplis de fiel et du sang des esclaves,


Il boit l'œuvre sacrée, jouit cyniquement
Des martyrs dépecés traînant de noires épaves
Dans des champs merveilleux ou des déserts brûlants.

Sur sa terre, l'homme seul croit reposer en paix.


Nu, le regard braqué sur sa tâche il sommeille,
Quand un aigle puissant, majestueux l'éveille :

Et l'on entend le sordide appel du néant


Arraché à son cœur un dernier souffle au ciel :
Le poète au combat tombe épuisé, hurlant !

1075
Dans les noires profondeurs

Dans les noires profondeurs de ma tragique vie,


Un spectre immense rôde la nuit autour de moi,
Un fantôme sans âme, sans chair et sans esprit
Qui lentement regarde, majestueux et droit.

Il regarde les heures s’égrener peu à peu,


Cadavre bicéphale implanté dans mon âme
Qui hante les écrits, les jette dans les larmes,
Et mon piteux savoir est toujours miséreux.

Vers d'autres gouffres encore, le blond génie espère.


Loin des cachots humides, triomphe sa mémoire :
Elle cherche son espace limpide, vaste et clair.

Elle se nourrit d'extase, de nard et d'illusoire


Et prétend posséder la beauté immortelle
Qui doucement l'élève vers la sphère irréelle.

1076
Les membres décharnés

Les membres décharnés vomis sous les silences


Que des chambres lugubres subissent en dormant
Et des fibres jaunies ivres de transparence :
Un univers sordide, la pâmoison du temps !

Mais ils mêlent des corps et des âmes et des sens


En des luttes divines offertes chaque nuit,
Ils combattent des formes, jouissent de leurs transes
Et tombent agenouillés sur le cadran qui fuit !

Dans la béatitude de leur macabre loi,


Unissant des plaisirs sur des lèvres plissées,
Est-ce nous mon amour, ces deux cœurs qui festoient ?

Et des frayeurs étranges m'occupent tout à coup :


Sont-ils spectres immortels, sont-ils esprits vidés
Ces deux chairs qui s'écroulent et se déchirent encore ?

1077
Le désespoir

Alors que toute fin recouvre les ténèbres,


Que des odeurs légères flottent dans le lointain
Et voguent en s'inclinant au firmament serein,
Des cloches se fracassent dans mon ciel étoilé.

Mon âme fatiguée, frappée par mil combats


Épuisée dans ses heures, atterrée et couchée,
Mon âme glisse encore et se meurt lentement
Sous les mornes langueurs de l'écrasante nuit.

Tout luit ou resplendit dans ce néant sinistre :


L'aiguille des minutes me rappelle l'instant,
Et morose et fini, je vais dormir encore.

Alors ils sont sept rêves pernicieux et ingrats


Qui viennent me gagner dans ma sombre Cité.
Et mon âme et mon cœur déchus et convoités
Comme la lourde mer aux entrailles profondes
Lentement rapatrient ma souffrance de chair,
Je m'abats sur moi-même et je supplie encore.

1078
Ange de ma souffrance

Ange de ma souffrance, voyez-vous ma détresse


Venir mourir au fond de mon humble tombeau
Où le temps incessant qui jamais ne paresse
Me réveille à chaque heure et frappe le caveau ?
Ange de ma souffrance, voyez-vous ma détresse ?

Quand tout semble achevé et qu'il ne reste rien,


Quand le vil désespoir a recouvert mon âme
De luxures et de meurtres et de rêves anciens,
Quand les femmes atroces lentement se pavanent,
Oui, tout semble achevé et il ne reste rien.

Une voile tendue pourtant au loin s'apprête


À transformer les cœurs, et l'on croirait y voir
Des mâts et des îlots survolés de mouettes,
Le temps est incertain, il fait déjà très noir.
Une voile tendue pourtant au loin s'apprête.

1079
Partir vers d'autres rives, partir à l'infini !
Mais tout ce qui vit doit réellement mourir
À l'exception du temps que j'entends venir
Se charger des angoisses et de tous mes ennuis.
Partir vers d'autres rives, partir à l'infini !

1080
Confusion et pastiche racinien

- Madame j'accuserais les dieux et tous leurs anges


S'il devait me venir d'expliquer ses louanges.
Un autre que Burrhus enflammé de désirs
Pour sa nouvelle couche eut atteint son empire.
Ne laissez point, de grâce, son génie se répandre
Atteindre Rome en feu, aux ennemis la prendre. *

- Je le sais ennemi d'une cause perdue,


Mais Rome est bien aux dieux et Rome est invaincue.
S'il venait à savoir la vengeance et son drame,
Il ferait de nos cœurs jaillir de lourdes larmes ;
L'empereur sur ma couche semblait aimer et rire,
Le démon fut en lui qui venge et fait mourir.
Déjà l'hymen blessé par tant de servitudes
Répondait aux soldats, non à la multitude.
C'est à sa force enfin qu'il donna la victoire,
Désirant pour lui-même briller de mille gloires.
Mais j'ai su récuser l'injuste stratagème

1081
Néron ! Aime-t-il ? Néon n'aime que lui-même !
... Et l'art est Hyppolite.

II

- Par la grâce des dieux, qui donc vous fit pâlir ?


Puiser jusqu'en ces larmes l'invincible vengeance,
Et détrôner le roi trop fort de sa puissance,
Par de subtils tourments, entraîner votre cœur
Que fera de Néron l'invincible vainqueur.

* Anacoluthe

Surtout ne craignez point cet ennemi farouche.


Il dort tout près de moi dans la maudite couche.
Par le sein de sa mère, il veut déjà l'Empire.
Mais je plais au Seigneur : il repose en soupirs.
L'amante d'une nuit le remplit de naufrages.
Burrhus entre mes draps, éloigné du rivage
Lassé, paisiblement de songes et de repos
Dort. Que craindre Seigneur ? L'importun de sitôt ?
Pas de soins attachants, j'ai gagné toute l'âme

1082
Et mes ébats fiévreux de plaisirs et de charmes
Ont su le conquérir au péril de ma vie.
Sire, je vous l'ai donné, là ma tâche est finie.

1083
Le messie vénal

Descends de ton jardin de délices


Comme fleur étalant ses pétales dorés,
Le monde est peut-être propice
Aux puanteurs détournées !

Prends la haine et le mal et la honte,


Le stupide combat imposé à chaque heure :
Car c'est sur toi que l'idiot compte
Pour éclairer son affreuse demeure.

Le gain est la seule vengeance terrestre !


Il faut presser la bourse de son contenu,
Tout extirper à la plus vile des pauvresses
Et voler à l'idiot son jaunet défendu !

1084
Quand par la mégarde

Quand par la mégarde intime d'un dieu


L'homme honteux resplendit en ce soleil terne,
On entendit au loin des bruits mélodieux.

Goût âcre du vice dans les puanteurs,


Dans les relents que des charognards immortalisent !
Féroce animal dont la jouissance hurle
Sa foi dans la chair de l'autre,
Regards obsédés et souffrances sous les morsures !

Supplice effrayant de l'homme marié !


Rôle de l'amant dans les chocs percutants !

Féroce animal dont la jouissance hurle


La foi dans la chair des humains,
Regards oppressés et souffrance de l'autre,
Supplice effrayant de l'homme arriéré !
Rôle de l'amant dans les chocs percutants !

Goût malsain pour le vice que les puanteurs


Dans les relents de charognards immortalisent !

1085
Araignée

Araignée dont l'activité est un jardin de bouche d'ombre,


Le taffetas me mord, l'âme s'amuse encor ;
Les kakis roses rougissent l'or des demeures :
Les fruits couverts sont baignés de sucs. Je joue du cor ;
Quel précieux ! Quel immortel impur si je meurs !

1086
Exploit désuni

Exploit désuni, c'est septembre


Glacé et impotent, crieur et maniaque.
Les fautes portées puis écrasées
Sous les casques des chevaliers.
On transpose le mal dans les mansardes.

Tu pleures !

Œuvre, libations, crédule le rêveur,


Et demain pour ta rengaine, l'enjeu !
Ignobles détracteurs des vieilleries moqueuses !
J'ordonne le pardon. Qui parle de guerres ?

L'ombre décline par-delà les commentaires ailés.


Justifie les charniers de la bêtise humaine,
Et de la grave trahison, réinvente le talisman.

La course est perdue !

1087
Musique

Spectacle, car violons et arpèges


Grinçaient de nobles accords
À l'instant divin,
Quand le soleil est prêt à se lever,
Quand la blancheur résiste encore.

Des envolées sublimes


Montées à l'assaut des empires et des ciels
Soufflaient leurs cascades de monstres.

Ils sont encore mouvements inconnus


Que le compositeur pose sur ses oreilles !

Pour quelques notes funèbres,


Qui enchante les tourments de nos remords ?
Est-ce vous Brahms qui encensez toujours ?
Qui régalez le mort,
Est-ce toi, mon imagination fertile ?

1088
Déchirer le vif regard

Déchirer le vif regard de leurs pères


Et bannir la suprême honte de leurs péchés ;
Cracher sur leurs cadavres desséchés,
Et brûler à petit feu les os de la répugnance :
Joie féconde et maux de la terre oubliée !

Les taches de sang

Les taches de sang sur le corps


Les vomissures, les laits de la nuit
Les soifs, les raisons des morts
Qui hantent le mystère dans les bruits,
La magie du travail et de ma vie.

1089
Le disciple

Le disciple pâlissait silencieusement ;


Le devenir le narguait magistralement ;
Accroché à sa trace, l'espoir le traquait souvent.

1090
N'exister que pour soi-même

N'exister que pour soi-même. Le travail est la première des vertus.


Elle entraîne toutes les autres.

Ma fille grandira dans des rapports malsains de bonheur. Des


closes spéciales pour un bonheur à trois. Principe de légèreté.
Grisaille certaine du couple élégant. Mais c'est la femme qui est
insupportable. Le gérant du mariage avait de bonnes dispositions. En
fait, je divague. C'est à n'y rien comprendre. Les pulsions me
reprennent. Subtile et souple, la page s'est trémoussée entre des faux
et des vérités. À vous de lire. Continuons.

1091
Ô l'esprit éternel

Ô l'esprit éternel fort de toute chose, des idées passées et des idées
à venir ! Celui qui croit tout connaître et tout détenir dans sa cervelle
d'homme de première marche ! ... Qu'il écoute mes propos sereins,
philosophiques nourris de pensées...

Je sais : je ne suis qu'un enfant qui entre dans la vie avec un


langage insuffisant, mais ces paroles en seraient-elles stupides pour
autant ?

1092
Les jours

Comme les jours sont imparablement semblables aux jours


précédents, il ne sert plus à rien de s'indigner de tant de faiblesses. Le
rire jaune en coin de bouche putride n'étonne plus personne. L'esprit
de solitude a conquis mon âme. Je ne suis plus qu'un pauvre, à la
mémoire démunie, au retour inexistant.

Qu'a-t-on à se reprocher ? Faut-il condamner une âme déjà


soumise aux travaux forcés ?

(Encore des structures toutes trouvées dont personne ne


comprendra le sens).

1093
Oui, je sais

Oui, je sais que les feux immenses éclairent ma destinée,


Que le songe incessant est maître en cette demeure.

Je me battrai, et je rendrai coup pour coup à l'âme insouciante qui


m'a attiré dans ce néant visqueux et profond.

Oui, je sais le génie purifie l'âme des hommes vulgaires.

1094
Réminiscences de jeunesse

Dans un torrent de boues et de laves, dans cette éternelle pluie de


soufre, - je tremble.

(Tout cela est stupide, mais d'autres phrases vont suivre).

En vacances, les colonies, les travaux de classe - les airs


moqueurs, les cantinières drôles et les jolies femmes alimentées de
choses grasses. Enfant, Moi !

Le fanion bat sur le cirque du grand bé et les enfants renvoient les


balles. Des chiens, des ordures meurent. À dédicacer. Je commence à
m'agacer. C'est vraiment dommage.

(Tout pourtant me paraît très clair. Les écrits n'ont aucun sens).

1095
Lubrique, ton vice te condamnera

Lubrique, ton vice te condamnera en des morves gluantes, en des


spermes frigides. Les larmes profanées sur des lits de hasards
endeuilleront ton existence sadique.

Ondes bestiales transmises sur des vierges ! C'étaient des rictus


cruels, des plaintes de jouissances. Les muqueuses arrachaient une
salive aigre et fade. Les joues creusaient de lépreux sillons et les
bouches dévoraient encore. De la poitrine érectée jaillissaient le
poison et le venin. Les corps dans les combats cyniques hurlaient,
ivres de plaisir. Les bras plus pesants encore dans la danse des mots
arrachaient des lambeaux sur le ventre et sur les jambes. Les regards
s'assassinaient. Le diable vivait.

Ô victoires du prépuce et du gland débraillé, le sang se coagule


sur des puanteurs réelles ! Ô les monstrueuses bouches que l'éclair a
éternisées !

1096
Les mouvements imperturbables de la chair

Les mouvements imperturbables de la chair, les jouissances


acides et viles de mon propre corps, et la haine éternelle. Je vends
mes organes. Quoi ? Personne pour posséder le corps jeune et délicat
et vicieux ? La femme me fuit et s'envole ? Je saurai la frapper et elle
se blottira sous mon ventre.

Veut-elle le fruit sacré de la somnolence, ou pucelle démise


active-t-elle le sérum de la jeunesse ? Se frottera-t-elle malignement
contre la cuisse facile, sur le sexe insoumis ? Dans les ébats heureux
s'étonnera-t-elle de l'acte humiliant ?

La voilà docile, toute moite, insignifiante, timorée et esclave.


Venge-toi vagin, agrippe-toi, hanche, déplace-toi rondeur de luxe !
La très désirée s'esclaffe et s'étonne et s'endort bestialement tandis
que l'homme en éveil pense.

La fatigue lascive et les pertes blanches à l'intérieur de la femme ?


Mais il y a les heures et il y a le rêve ! Après ce va-et-vient
tonitruant, après ces vomissements aisés, le pus dégouline sur tes
cuisses, je ne suis plus le fier amant.

1097
J'ai soufflé

J'ai soufflé après le combat sur des traînées de sang. Par besoin de
dépoussiérer mon âme de toutes les impuretés, j'ai soufflé.
Méticuleux, dans les recoins, je les ai chassés de mon boudoir. Ma
haine remplissait les placards. Je tombai une nouvelle fois sur la
couche. L'âme en restait là.

En quittant l'étroitesse de mes aveux

En quittant l'étroitesse de mes aveux, je me dirige vers les Grands


Nords, je prends malle pour des terres nouvelles. Jamais ne se
durcissent les paysages relatant des univers princiers.

Mes femmes cohabitent sous des neiges éblouissantes.

1098
Le désœuvrement

Le désœuvrement couvre de son ombre les fumées vides ; les


odeurs légères voltigent. Là-bas dans le lointain, des brouillards
vaguement ondulent au firmament tandis que ma mémoire s'éveille et
tache de respirer.

Mon âme faible et atterrée, soulevée par mille colombes, épuisée,


éreintée, mon âme glisse et s'installe sous les langueurs de sa lourde
nuit.

Qui resplendit dans mon Néant ? J'agonise et je crois m'endormir.

Il y a sept rêves qui vagabondent dans ma désespérante Cité. Mon


cœur rapatrie mon corps, le berce, l'endort, et là-dessus je meurs.

1099
Un autre moi-même

Un autre moi-même tout à coup m'impose à observer les règles


les plus élémentaires de notre société. J'entends que je dois me
soumettre à des lois auxquelles aucun législateur n'avait songé.

Un tremplin plus apte permettrait de répondre aux aspirations de


l'été, d'accéder à certaines normes comprenant libertés et sentiments.
Mais les joies espérées ne sont que de pâles bonheurs. Les joies
m'échappent. Tout le monde me refuse !

Un dimanche où la beauté ne serait chue, un jour digne de mon


avenir, j'inventerai le droit de vie, le droit au bonheur.

Mes rêves balancent pour de très grandes estimations.

1100
Les flammes

Les flammes lèchent les pieds d'un tortionnaire, et je me contente de


rire d'un rire farouche et vicieux. Savez-vous que les hommes se sont
moqués de ma gentillesse, ont usé leurs forces à mon détriment ?

Bon Dieu, qu'ai-je pu souffrir ! Qu'ai-je pu haïr les pauvres morts !


On a roulé dans ma tête de vieux parchemins écrits il y a des milliers
d'années. On m'a dit : "Ceci est la Loi, tu dois obéir à ces règles." Je me
suis tordu dans les draps, j'ai pleuré toutes les larmes qu'il me fut
possible. On profita de mes faiblesses, et le mal redoublait en silence.

J'ai vu des sorcières lécher mes excréments et des vierges appeler


au secours à peine sodomisées. C'était entre la haine et l'amour. Et
tout le monde a souri en contemplant mes souffrances. Ô les
masturbations très plaintives, ô les râles des anciens.

Je dois détenir le record de l'amour perdu. C'est vrai, les


promenades aux bras d'une femme me sont ignorées. C'est vrai.

1101
Les baisers

Les baisers dans un lieu tranquille, sans témoins, je ne les ai pas


connus. Oh ! Comment pourrai-je plaire d'un amour juvénile et heureux ?
La cinquième, la sixième femme, je ne m'en souviens déjà plus. Mais le
premier amour, le premier baiser... Comme j'ai tremblé en offrant mes
lèvres ! Quinze ans déjà ! Adieu sensibilité et bonheur ! Adieu liberté et
orgasmes !

Tout est mécanique, tout est orienté vers le plaisir rectal. Il faut
frapper et non pas caresser. Il faut sucer, mordre. Il n'a plus de
caresses. J'ai perdu ma sensibilité. Plus rien. Pourtant comme tout
ceci était facile et bon en des temps lointains.

Croyez-vous que je prends plaisir dans la souffrance ? Croyez-


vous que j'aime l'amour et que je puisse en jouir ? Ho ! L'érotisme
douteux, la satisfaction des sens ! Non, tout ceci n'est plus rien. À
moi, le premier baiser.

Après qui court-on, après quoi ? Après une déesse, une reine ou
une odeur sensuelle. Après une chair, après une femme ? Je ne sais
plus. Le plaisir diminue, le bonheur baisse. Que faut-il à présent ?

1102
L'amour ne me sauvera pas. La poésie seule peut me soulager.
Continuons. Ô les sorcières et les vierges enlacées dans mon lit
fiévreux ! Ô l'odeur des corps et des sexes ! Ô les femmes lourdes,
mon bonheur est oublié. Tout se retient, excepté le plaisir ! Pourquoi
toujours satisfaire ce désir ? Pourquoi ? Répondez-moi ! Pourquoi ?

1103
À peine éclose, la coque se brise

À peine éclose, la coque se brise. Un tendre duvet jaune apparaît.


Après les premiers cris, les premiers départs dans la nature. Le
mystère enveloppe chacun d'entre nous. Que se passe-t-il ? Que puis-
je savoir ? Je n'ai jamais ni brisé ma coquille ni accompli un pas de
primesautier. Qu'ai-je vu de ce qui m'entourait ?

La semence paternelle n'est fertile qu'à une époque précise de


l'année. Le reste des mois l'on se cache. Le printemps est fait de
passions et d'élans cocasses. On se révolterait pour fuir ou pour voler.
Mais après les quelques libertinages très peu décisifs, on se
recroqueville sur son rêve, peureux ou trop petit. Cela pour perdre
son agressivité et s'en retourner à son état larvaire.

En fait, l'aventure est peut-être en soi-même. Que chacun se


croyant plein de force, y regarde à deux fois.

J'ai été à certaines époques un aventurier. Les pays d'Europe me


sont connus. J'ai marché des nuits durant et j'allais toujours droit
devant moi. J'ai vu des filles, des femmes, des mères qui m'offraient
des objets précieux et de nombreux souvenirs. J'ai connu des
hommes qui etc...

1104
Les dimensions

Les dimensions ont taché mes espérances, et dans l'oubli et


l'ivresse j'ai laissé somnoler mes tourments incompris. J'ai vu l'Être
Parfait composé de lumière et d'amour qui après une brève entrevue
me chassa du royaume des songes.

Tout jeune, j'ai eu la révélation divine, mais jamais hélas, je n'ai


prié pour sauver mon âme. Je suis connu, et c'est ma seule chance.
Tous les poètes me confèrent une valeur certaine, je suis immortel et
apprécié. La fortune est tombée dans mes deux mains, et je rêve
encore cherchant à me comprendre. Les prix me sont offerts.

J'épuise ma solitude dans les cratères des insomnies. Mon


cynisme me pousse à toutes les éventualités, et je m'engage dans des
terrains difficiles. J'ai été trop bon avec mes convives. Teigneux et
bêtes, ils ont saccagé ce que j'avais de meilleur - ma pureté. J'ai été
soumis à un terrible carnage, et j'ai rusé avec de belles et vicieuses
tricheries.

Le vent m'emporte. Que me protègent les déluges, les reines et les


astres de feu ! Que le cortège de gloire m'impose à me tenir
correctement. Guère de place pour l'écrivain, pour le génie enfanté de

1105
fortes têtes ! Je suis un avorté, à peine moyen.

1106
J'allais dans la honte

J'allais dans la honte comme d'autres vont au martyr, et pour mes


licences étroites, c'était démon mêlé à des rires vicieux. Dans les
demeures retranchées, le même bruit, le même son. Des découvertes
à peine retranchées. À la dernière tentative, le mal fou s'empara de
moi. Comment pourrais-je enchanter les danseuses et les ennemis et
les vagues d'admirateurs ?

Au seuil du désespoir, j'enrage encore. Parmi les nullités et les


folies, des estimations sereines - de grands bals masqués -, et les
pions gigotaient. Mes pensées poussaient un noir corbillard, une
image dans les airs. Pour l'ultime tentative, un vol de corbeaux
associé à des fantasmes malsains. Les voix des vices conquirent les
faciles inventions à ce moment-là. Ô guerre ! Par-delà les flétrissures,
les sermons d'indépendance m'agacèrent beaucoup... et rires dans les
tutelles vacillantes, chez les possesseurs d'or fin, dans les expositions
et les carrés, et pour les élevages exorbitants un royaume de...

1107
J'ai résisté à la justice chrétienne

J'ai résisté à la justice chrétienne, mon mal a été de tenir. J'y suis
parvenu. Je me suis battu, l'on m'a écouté. Dernièrement un grand
vent soufflait dans mes oreilles. J'ai prié de toute mon âme, Dieu
dans sa clémence m'a entendu.

Que de cris, que de paroles réunies pour obtenir le silence ! Quel


supplice pour cette âme si jeune ! J'ai souffert gratuitement tel un
saint. Je ne me suis jamais converti, j'ai toujours été moi-même. La
même cervelle, la même pensée, les mêmes réflexions. Rien n'a
changé.

Pourquoi ce déchirement dans la nuit, pourquoi cette lumière


incertaine qui m'éclaire ? Quel a été mon mal ? Pourquoi me
condamne-t-on ?

1108
Rêve de paysan

À présent je suis quitte. Que l'on me laisse poursuivre jusqu'à ce


que l'intelligence soit éclatante !

Les terrasses dominent sur plusieurs kilomètres les mers plates ou


révoltées de la région... Les navires roulent sur des eaux déchaînées,
sur des moutons, ou glissent sur des huiles de printemps. Le mât et la
voile sont tendus par le vent, un vent sinistre ou puéril qui essaie
d'imposer sa force aux matelots.

Ici on cultive la vigne ou la pomme de terre. Le sol est généreux,


l'exploitant nourrit sa femme et ses enfants. L'air iodé, le vent salin
enrichissent la terre grasse à flan de mer.

- Moi, je n'ai jamais vu de sirènes aux seins nus, à la poitrine


opulente. Je n'ai jamais vu de ces mamelles gonflées de lait pour les
poissons assoiffés. J'ai attendu sur le rivage qu'après une tempête,
une beauté palmée échoue près des rochers ou sur le sable fin.
Comme j'aurais voulu m'accoupler à ces monstres de chair, à ces
femmes à moitié poisson, à moitié déesse ! Comme j'aurais aimé
sucer ces tétons et plonger mes yeux dans cette chevelure fouettée

1109
par la marée et les vagues et le sel ! Comme j'aurais aimé respirer
cette chevelure tordue et jaune, cette bouche largement offerte où
s'engouffre la mer.
- Travaille, homme de la terre et féconde cette semence par ton
effort de tous les jours. Ne regarde pas l'étendue et ses rêves et ses
inspirations. Courbe ton dos sur l'alignement des entrailles cultivées.

- J'aurais voulu être marin et rêver.

- Paysan, au travail, paysan !

- Ma femme est dans le lit, capuchonnée dans un bonnet de coton,


les fesses lourdes. Je ne la prends que dans le noir, et je dois
retrousser cette foutue robe au tissu épais et gris. J'obtiens un coït
rapide dans un vagin à peine lubrifié. Toute ma vie est ainsi : un
plaisir stupide et écœurant.

Alors je me couche de l'autre côté vers la tapisserie, et j'entends la


mer, les vagues déferlées sur mon visage. Je vois encore des sirènes...

- Paysan, travaille, ne pense qu'à la récolte de l'année.

-J'ai acheté un livre d'images au village, c'était pendant le marché,

1110
samedi dernier. Je l'ai acheté au marchand de livres. J'ai vite payé et
je l'ai caché sous mon tricot épais. De retour chez moi, je l'ai
compulsé et j'ai regardé tous les dessins (de très belles images de
sirènes, tu sais !) Je suis retourné sur ma terre et caché de tous, j'ai
ouvert les pages du livre. Comme je les désirais et comme j'avais
envie d'elles ! Je n'en pouvais plus !

J'ai bien regardé à droite et à gauche, il n'y avait personne. J'ai


défait les boutons de ma braguette et je l'ai faite trembler. Je sais que
tout cela est sale mais je n'en pouvais plus.

Il ne faut pas le répéter à ma femme, car elle n'a jamais rien


compris à ces choses-là. Elle me dirait d'aller voir le curé et de me
confesser. Moi je ne crois pas que c'est mal, je crois que c'est naturel.
Tu sais j'ai deux enfants, l'ami. Il ne faut pas répéter ce que je t'ai dit.

1111
Divagations

Dans un grand hôtel, - c'était un moulin, j'ai dansé sur des


chevaux de carton, et dans ma chevauchée fantastique, j'ai atteint le
mystère et l'occulte. Personne ne se moqua de mes bouquins. Chacun
les lut avec son intelligence sans riposter en quoi que ce fut. Je me
suis empêtré les pieds dans des inspirations étonnantes. Je regrette
tout, mais j'avais raison.

J'ai repris le cheval agrippant les rênes des insomnies, une


aumône me fut offerte. On me tourna la tête, j'ai soufflé à me tordre
les membres. Je n'en pouvais plus, chaque vie fut un concert de
divagations. Sous des mélodies pleureuses, il y avait des colères
stériles. Je sortis de l'hôtel. J'oubliai de m'emparer des clés des
chambres voisines. La mienne, seule était cachée dans ma poche
droite.

II

Ma barbe a poussé toute cette nuit avec ces mastications bizarres.


Les rythmes de l'angoisse m'ont prédisposé à des révélations

1112
douteuses. Imitant mon sosie, je reçus un coup très fort à l'estomac.
Je me suis couché sur des lits d'amours honteuses. Je maigrissais
régulièrement. On fit de moi un spectre, un cadavre, j'étais en
putréfaction. J'ai senti les vers traverser mon échine, et mes éclats de
rire frappèrent la cavité de mon crâne.

J'ai penché à la source première des poissons d'argent, j'ai grossi


de larmes torrentielles la chute d'eau. À cause de tous les assassinats
dont je fus témoin, j'ai vieilli trop tôt, laissant derrière moi des
secondes d'insouciance ! J'ai glissé sur des rochers et dragué des
coquillages.

III

C'est un non-sens dans ma bouche, une manœuvre pour grands


travaux, manœuvre stupide puisqu'il m'en a coûté toute une soirée. Et
j'obtiens le charnier - les laideurs de mes écrits ! Que Dieu m'aide à
ne pas terminer les sept mille lignes ! Je refuse tout jeu de cette sorte,
amusement incertain et vulgaire. Que la Muse me couse la bouche !
Assez de divaguer ainsi ! L'absurde est invendable. Mes stupidités
travaillent méchamment. J'ai honte de ces sauts d'humeur, de ces
rêves invendables. Quatre heures, et douze feuillets d'ignorance.

1113
Inspiration sans contenu. Règles ? Techniques ? ... Des fautes ! Que
cela change ! Que cela change !

1114
Un éventail

Un éventail ébruitait la chose.

Tout mon souffle. Écrire debout. Mais ce rythme, Claudel, je ne


puis le...

Ce n'est pas de me reposer mais de me fortifier dont j'ai besoin.

J'ai eu froid.

J'attends le chambardement. Ainsi j'exploite la grande survie. Le


souffle géant qui fait trembler.

Que d'espoirs formulés par leur venue !

Le ventre crie sa détresse. L'eau retourne à l'eau.

1115
Si j'ai tué

Si j'ai tué c'est parce que je pensais mourir. Les paix ont
déclenché les guerres ; je te défends d'en parler. Le plaisir dans la
souffrance, avoue que tu en as beaucoup joui.

Sois bon prince, le monde entier, tu l'as recréé dans ta chambre.

Comptes-tu rattraper ces lignes perdues ?

Enfant conseillé par des experts, était-ce...


Tu peines, n'est-ce pas ?

1116
Additionnel d'incohérences

Tout le vert moulu s'implante dans les chemises, dans le bas-


ventre et ma chambre. Je refuse, en caporal, de donner les raisons
éminentes de mon prochain départ.

Trop romain pour travailler, nous faut-il changer d'adresse à


chaque heure, et récolter les terres du voisin sans se voir ? Est-il vrai
que le soir rassemble les pauvres têtes pour les conseiller ?

C'est la guerre. La grande page explose ! Non à l'exploit. Les


déflagrations !

J'ai besoin d'un grand sommeil. Le suicide est beau. Je me trouvai


dans un état de transe puis je plongeai vers le coma.

Dans un établissement où je sermonnais ma vie de changer


radicalement, le mardi, j'obtenais une bonne dose de potage gras.
Seuls invités amusés par mes glapissements, mes vices datant de
l'âge de seize ans, s'affrontaient en mon âme.

Quelques amertumes sillonnaient le crâne mais je me jurais de


laver les sordides paquets.

1117
C'est un essai de droite que j'entreprenais. Mes détracteurs
auraient mieux fait d'être tolérants.

1118
C'est la bagarre des rues

C'est la bagarre des rues. Les pulsions graves enveniment mes


déplacements. Les feuilles tombent déjà et le mystérieux remplace
les déroutantes vies. A peine assez vieux pour survivre, voilà que l'on
est forcé de se transformer, de se haïr et de voyager vers des contrées
inconnues.

Les rares manifestations de débilités viennent de la Province,


chacun le sait. La conscience de la bêtise a disparu des familles
bourgeoises. Tout a un but lucratif. Le sens des affaires est détourné.
On exploiterait les ménagères si le bon Dieu n'existait pas. Quelques-
uns gardent l'esprit propre, ils conservent des chances de
reconversion. L'apport du standing nous a valu des escroqueries
affreuses. Reconnaissons-le, c'est la bagarre des rues.

1119
Portraits

Les pitreries espiègles, les rires cocasses, les préciosités et les


tons ironiques : c'était un petit diable, un monstre d'innocence qui
profitait de la moindre occasion pour accomplir un nombre
incalculable de bêtises.

La chère enfant élevée dans la tiédeur d'un appartement bourgeois


cassait tout ce qui lui passait dans les mains. Le mobilier très ancien
était tombé dans la famille par héritage. Le Grand-oncle à sa mort
avait stipulé dans son testament que sa sœur cadette hériterait de ses
meubles. Les autres ayants droit se partageant titres et obligations, et
un petit terrain en banlieue.

Les deux frères aînés avaient mal accepté ce partage inégal. Il s'en
suivit une rupture avec la pauvre sœur qui n'avait rien demandé. Elle
était certes en bon terme avec son frère Constant, comme elle aimait
à l'appeler, mais elle n'aurait jamais supposé qu'il lui eût donné une
telle fortune en biens de mobilier.

Il disait souvent : "Tu verras, Gertrude, à ma mort, tu auras des


surprises". Elle, peu intéressée répondait : "Tu feras un centenaire, tu

1120
nous enterreras tous". Elle le pensait vraiment. Constant avait une
santé de fer.

II

L'indécise certitude, le duel constant, la stagnante indignation


firent de l'oncle d'Abel, un homme usé, miné par les recherches
défectueuses, un homme perdu, vieilli par des combats trop cruels.

Il paraissait le double de son âge. Les enfants le saluaient au


passage avec correction comme l'on salue un ancêtre à qui l'on doit le
respect. Il vivait seul, sans compagne à qui parler. Il avait autrefois
connu une jeune femme, charmante et douce. Refusant toute
concession, elle partit peu de temps après leur première rencontre.

L'oncle d'Abel habitait au quatrième étage dans un immeuble


délabré. Cet immeuble avait subi de nombreux dégâts mais n'avait
pas été restauré après la seconde guerre mondiale.

Il passait de longues heures avec ses chats. Il les avait recueillis


dans le voisinage. Assis dans son fauteuil usé, il en plaçait un sur ses
genoux et le caressait longtemps. Les pièces mal aérées sentaient le
pipi.

1121
Il ne voulait pas de femme de ménage pour retaper son lit ou
dépoussiérer ses vieux livres. Lorsqu'il s'emparait de l'un d'eux, il
soufflait machinalement sur la couverture, ou du revers de sa manche
écartait la poussière. Ce n'étaient que des livres ardus, des ouvrages
de philosophie ou d'astrophysique. Il y avait aussi quelques poésies
qui s'entassaient sur la droite de son bureau. Il ressemblait à un vieux
savant, asocial et misanthrope. Il n'avait aucun contact avec
l'extérieur.

Tous les matins, vers les dix heures, après son petit-déjeuner, un
simple bol de café noir, il descendait les quatre étages avec un filet à
la main. Imperturbable, il se dirigeait vers sa boîte aux lettres, et
jetait les prospectus qui l'encombraient. Jamais de lettres, jamais de
cartes portales. C'était un solitaire.

III

Vadeneck détalait à la première incartade. La folie s'emparait de


lui, et tous ses sens étaient en émoi. Il accumulait la crainte comme
d'autres se couronnaient de courage. De sa pleutrerie on disait : "Il
cache sa tête dans le sol comme une autruche". Les femmes le
montraient du doigt sur son passage. D'une timidité effrayante, il

1122
rougissait quand une femme lui parlait. Plusieurs s'essayèrent à
converser avec lui. Les quelques fois qu'il parla, il balbutia quatre
paroles, et sans achever sa phrase, sans demander son reste, il rentra
chez lui.

1123
Fantaisies

Il retentit un coup splendide au clocher de la cathédrale de


Chartres. Le sonneur, un esprit enfantin et puéril s'était amusé -
quoique le curé le lui ait défendu expressément - à tirer sur les
cordes, et pendu comme un forcené, il fit rompre de douleurs toutes
les maisons et les mansardes aux alentours.

Le voisinage gémissait. Les souffrances étaient insupportables. Le


père Forio eut sa petite crise et ferma, fou de rage les volets neufs de
son habitation. Il se déshabilla, se mit tout nu dans sa chambre,
s'enfonça des boulettes dans les oreilles, et s'engouffra sous les
couvertures avec un bonnet de coton bien planté sur sa tête. La
femme de Fréjus sensible à ce coup mémorable, prise généralement
de constipation, alla tout droit à la lunette tant le bruit l'avait
bouleversée.

La puberté travaillait Alphonse. Il avait vu de jolies fesses se


trémousser dans la cathédrale, et ce cul priant avait fait germer dans
son esprit des idées cochonnes. Au lieu de s'enfermer dans le
confessionnal, endroit discret pour se donner à l'aise du bon temps, il

1124
s'en prit à ces deux cordes, symboles cachés des mamelles et satisfit
sa forte poussée de désirs.

1125
À la couchée les lyres

À la couchée les lyres tombent et voltigent dans une joie de fête


villageoise. Les gars et les filles se donnent la main, et les quelques
airs des anciens continuent très tard dans la nuit. Derrière le feu le
ciel taché de couleurs sombres noircit lentement les collines et les
vallons.

La jeunesse pas trop farouche se laisse embrasser dans le cou, et


les garçons en profitent pour s'aventurer sur les belles lèvres. Des
vieillards comme paralysés montrent des faces grimaçantes qui
semblent sourire malgré tout. Les célibataires sont ronds et dansent la
bourrée.

C'est la Saint-Jean. La première fête de l'été. On s'amuse et l'on


boit le vin de l'année écoulée. Et l'on boit toute la nuit, l'on se
couchera fort tard au petit matin.

Les gamines grosses et joufflues rient quand les garçons les


invitent à danser. Elles les trouvent très drôles, et les montrent du
doigt, une main sur la bouche.

1126
Il y eut une course avec des cavaliers et des cavalières. Chacun
choisit sa préférée et l'autre rougissante se laissa faire. La soirée était
avancée. C'était l'heure où le village dort habituellement.

1127
Il y avait une envie

Il y avait une envie plus pure que les autres. L'homme s'y perdait
sans l'espoir de réussir. Sa vie stupide le menait dans l'exercice de
fonctions publiques, cela et rien d'autre. Il croyait détenir une arme
d'une efficacité remarquable.

Un printemps, vinrent deux hommes habillés de noir. Ce jour-là il


pleuvait dans les champs et les sentiers. La lumière du soleil
illuminait, frappait les allées jaunissantes et les arbres dévêtus. Il y
avait un arc-en-ciel dans le lointain. Des enfants jouaient au ballon et
poussaient des cris.

Les deux hommes de taille sensiblement égale avançaient le pas


pressé. Ils se tenaient par le bras. Ils étaient descendus de l'auto sans
empressement mais agissaient rapidement maintenant. Ils se
dirigeaient vers une vieille chaumière, inhabitée, dévastée par les
chimères du temps.

1128
Les lentes processions

Les lentes processions à travers la ville de Bâle. Un bûcher avec


des cendres au centre de la place. Un nombre incroyable d'ennemis
juchés sur des tonneaux, dressés comme des statues de pierre, les
yeux écarquillés : on regarde la scène.

Un réquisitoire sans espoir. Des juges démoniaques. Force est à la


loi. La peine à encourir, un très beau cercueil et de souffrantes
funérailles, une pierre tombale. J'irai souvent m'y recueillir.

Le cœur blessé et la main sur la poitrine, agenouillé, je prierai


vite, chassé par les intrus. Un paysage de glace, car ce sera l'hiver.

L'hirondelle s'est vidée de tout son sang ; Appels désespérés. -


Aucun secours - L'exploit est à la mort. On se quitte de partout. Les
voleurs débusqués ont bien ri, accrochés au mât de cocagne. Les
suffocations glacèrent mon front d'or, et j'ai souri pour la dernière
fois.

Le cri de garde s'est hâté de parcourir l'enceinte fortifiée, et la tête


est tombée sur l'ordre d'un autre condamné.

1129
Une lumière torve

Une lumière torve éclairait faiblement les habitations dans le


lointain. Un jour de tristesse comme il en existe beaucoup. La foule
garnissant les rues, circulait d'une démarche vive dans le brouhaha
énorme et dans la confusion de la ville.

La femme, toi désinvolte et mûre, tu m'es apparue. Et j'ai cru


reconnaître dans tes yeux, tant l'habillement incertain se confondait
avec les vitrines bariolées de la rue, j'ai cru voir la femme dont je
rêvais depuis des années. Mais c'était toi et c'était l'automne aussi.

Le jour disparaissait traînant derrière lui des masses de nuages


lourdes de pluies, et des orages très noirs assombrissaient les
demeures. Les gens harassés se pressaient, s'activaient et grouillaient
de partout.

1130
Je tourne, tourne

Je tourne, tourne jusqu'au croisement dernier : feu, feu rouge. À la


vitesse de l'étoile, je serai déjà sur Neptune. Il fait si chaud sur les
autres planètes. Je me conduis en adulte très ordinaire. Rabat-joie,
préventif, je me gratte le nez, - c'est vrai qu'il y a ces satanés feux
rouges et je dois patienter. Je frotte une allumette, et je tire une
grande bouffée sur la cigarette. Coups de klaxon, les méchants
derrière me dictent d'avancer. C'est le siècle de l'automobile. On doit
tous s'attacher et se saucissonner. Belle époque ! Je me gare près de
la gare comme disait Rémy, l'écrivain. [Non, il écrivait le train est en
train d'arriver] évidemment aucune place. Je tourne en rond dans
mon cercueil ambulant et m'arrête sur des lignes zébrées, ces lignes
jaunes qui vous retirent le permis. Pas de képis bleus à droite, pas de
képis bleus à gauche, on va tenter le coup, on va attendre l'enfant
aimée.

1131
Oradour-sur-Glane

Lorsque l'aube envahit et tomba maladroitement sur le petit


village endormi,
Lorsque le soleil bleuté dans ses vapeurs automnales s'éleva
lentement au-dessus des cheminées fumantes,
Un cri terrifiant fit trembler la campagne et tous les oiseaux
s'envolèrent d'un seul coup.

L'homme inquiet sortit de sa cabane de bois et jeta un regard


circulaire sur le paysage effrayant.

Des damnés s'agglutinaient avec leurs charpies aux rochers et des


femmes ensanglantées dans leurs haillons tendaient une main
tremblante vers le refuge.

L'homme frotta ses yeux croyant rêver encore. Il se vit dans son
lit, il chercha la bougie et l'âtre fumant où rougeoyaient les cendres
de la veille.

Des images hideuses traversaient son esprit : des corps nus, des
enfants martyrisés geignant et suppliant appelaient la délivrance, les
yeux remplis de sang, sans flammes et sans lueurs d'espoir.

1132
On attaquait ici et là

On attaquait ici et là. Des troupes d'hommes étaient disséminées


dans la nature. Des bataillons parsemés mais armés attendaient dans
les premiers brouillards du matin. Les soldats tremblaient avec leur
besace sur le dos. Le sac, le fusil, les munitions et les guêtres, la
parfaite panoplie du barouilleur. C'était lourd, très lourd à porter, plus
encore lorsqu'on a dix-huit ans et que l'on a signé pour soixante mois.

Jean-Eric n'avait pas fermé l'œil de la nuit. Très peu de barbe à


raser le matin, des boutons juvéniles de chaque côté du visage, l'air
d'un puceau ou d'un jouvenceau, il tremblait plus encore que les
autres. On observe parfois que jeunesse est inconsciente et ignore le
danger auquel elle est confrontée.

Le jour se levait lentement sur la grande plaine de Broughard.


L'ennemi à peine discernable il y a quelques minutes, s'observait de
temps en temps entre deux nappes de brouillard. Un soleil rouge
comme le sang d'une femme, poussait sa bosse au-dessus de
l'horizon.

Le capitaine Vancepart qui dirigeait les opérations sur le terrain


passait à cheval, au triple galop devant les soldats effarés et étonnés.

1133
"Qu'est-ce qui lui prend à celui-là ? Le voilà à quelques centaines
de mètres des lignes ennemies ! S'il ne maîtrise pas son cheval, il sera
mort d'ici à peu !" s'écria Jean-Eric.

C'était une appréciation confuse qui animait la raison des soldats.


Ils s'imaginaient être à quelques dizaines de pas de l'armée ennemie.
En vérité, les Prussiens étaient à une lieue des bataillons de garde.
Mais le brouillard, l'inquiétude, la solitude de la nuit oppressaient ces
cœurs et ces ventres affamés. Un oiseau caché dans les fougères qui
prenait son envol, et c'était un Prussien avancé dans les lignes
Napoléoniennes ; un bruit indistinct et inexplicable, et c'était un
espion qui s'infiltrait dans les lignes françaises. Ils eurent pu tirer
pour moins que cela.

1134
Petit Jean

L'auteur du présent ouvrage a déjà fait une description sensible de


Petit Jean, personnage principal du roman. On a vu que cet esprit
primaire, brutasse, pourtant pas dénué de sentiments, affichait un
tempérament sauvage, enclin aux actes les plus graves et les plus
dangereux qu'une société ait à subir.

Petit Jean était un insoumis. Il détestait ses proches. Sa famille à


qui il reprochait de lui avoir donné le jour, ses frères aînés qu'il
haïssait et avec qui il avait toujours eu des échauffourées - en état
d'ivresse avancée, il se battait régulièrement avec eux pour
d'insignifiantes altercations ; son pays et son village qui l'enfermaient
et le contraignaient à rester à sa place - c'est-à-dire à rester paysan
jusqu'à la fin de ses jours.

Il aurait aimé monter à la ville pour y devenir quelqu'un de bien,


mais il avait peur de ces grandes artères et de cette vie bruyante, de
ces gens parfaitement habillés et qui s'exprimaient correctement.
Face à eux, il avait honte de sa condition d'homme rural. Enfin, il se

1135
reprochait ce visage qu'il voyait dans la glace à l'allure simple et
gauche. "Si je n'ai pas de succès féminin, c'est parce que je suis laid".

En vérité si les filles du village le fuyaient et frayaient plutôt avec


ses frères et les autres garçons c'est parce qu'il n'était ni prévenant ni
affectueux. Il considérait la femme comme un objet de désir et de
jouissance primaire. La femme était un trou qu'on foutait dans la
luzerne rapidement, bestialement. Dans ces conditions, il n'était pas
étonnant qu'il se trouvât seul et qu'il fût solitaire.

Plus il se renfrognait, plus il pensait que l'on cherchait à l'éviter,


que l'on voulait le rejeter. Il haïssait davantage encore.

Le petit épisode qui va suivre donnera un aperçu de l'impulsivité


malsaine de Petit Jean. C'étaient les moissons. Nous étions en été. Le
soleil avait brûlé la campagne pendant toute la journée. La terre
chaude et fumante se reposait. Les blés dorés, gavés de chaleur
attendaient à être coupé. Il était déjà neuf heures du soir et les
derniers rayons s'accrochaient en étirant leurs longs bras sur la plaine
et les coteaux alentour. Le jour déclinait et la soirée envahissait petit
à petit le paysage serein mais fatigué.

1136
Après le repas, Petit Jean aimait à se promener dans les bois
jusqu'à la tombée de la nuit. Il allait toujours seul, et marchait très
vite comme pour fuir ou s'éloigner de la maison de ses parents. Il
vagabondait.

Petit Jean n'aimait pas la nature, mais c'était le seul lieu où il


pouvait y chercher la solitude. Une demi-heure s'était déjà écoulée. Il
s'enfonçait dans un bois. Il crut entendre quelque chose bouger près
des bosquets et des taillis. Il prêta l'oreille. En retenant son souffle, il
avança lentement pensant avoir à faire à un animal dangereux. Le
bruit continuait. Effrayé et inquiet, il ne progressait qu'à petits pas.
Quand il entendit distinctement une voix ou plutôt des gémissements.
Il fit un écart et atteignit des buissons qui le protégeaient et lui
permettaient sans être vu de savoir ce qui se passait.

Là il vit un couple enlacé dans l'herbe qui faisait l'amour,


uniquement occupé à s'aimer et qui ignorait que quelqu'un les
observait. Ils étaient nus tous deux et lui chevauchait sa partenaire
dans la position la plus connue. C'était la fille d'Etienne et le fils de
Cagne qui se payaient du bon temps. N'ayant pas d'autres endroits
pour s'aimer, ils avaient décidé de se retrouver à l'entrée du bois.

1137
II

Jean était d'une nature peu expressive. C'était un gaillard


solidement bâti qui entrait dans sa dix-septième année, à l'allure rude,
au visage presque coupé au couteau. Il était roux et sa longue
tignasse tombant sur ses épaules le faisait ressembler à un gaulois
batailleur ou à un soldat de Vercingétorix. Six pieds de hauteur, son
air brutasse et sa démarche lourde faisaient de lui un homme que l'on
évitait.

Les gens du village l'appelaient Petit Jean, surnom qu'il avait


hérité de son enfance et qui ne voulait absolument plus rien dire tant
il avait grandi et poussé et s'était élargi.

Dans certaines familles, l'on prend malin plaisir à vous donner des
noms qui restent toute la vie et qui ne n'ont plus aucun sens. Appeler
ce grand gaillard Petit Jean était à la fois cocasse et stupide.

Il était préférable de l'avoir pour ami, et chacun lui offrait des


verres au café, surtout le samedi soir quand ils sortaient au bal.
D'ailleurs dans les bagarres qui éclatent toujours pour des
mesquineries, il est bon d'avoir un appui de ce genre qui peut faire
régner l'ordre en moins de deux.

1138
C'était un esprit plutôt froid. Il n'avait reçu que peu de culture.
Obtus, il avait échoué au certificat d'études sans avoir pu faire rentrer
quoi que ce fut dans sa petite tête. Le curé de la paroisse et du village
s'était pourtant efforcé de l'instruire avec des cours de rattrapage, il
ne réussit qu'à lui enseigner quelques règles de calcul - les quatre
opérations - et tant bien que mal, il lui apprit à lire et à écrire.

Aussitôt ses quatorze ans révolus, il décida d'arrêter ses études qui
disait-il ne donnent que des fainéants et ne servent à rien, et
commença à travailler avec son père à la ferme.

On a toujours besoin d'un fils costaud dans une ferme. Il faut des
natures fortes pour soulever les sacs de blé, pour réparer les clôtures
quand elles sont détériorées, pour moissonner en été et labourer à la
charrue. Le fils était une main-d'œuvre bon marché utile au père et au
reste de la famille.

Petit Jean avait suivi l'exemple de ses trois autres frères plus âgés
que lui - Pierre, Martin et Paul respectivement âgés de dix-neuf,
vingt et vingt-six ans. Tous travaillaient à la propriété. C'étaient des
hectares et des hectares à s'occuper. Du blé, de l'orge et des pâtures
car la famille Partien élevait des vaches et des veaux.

1139
Trahison

Trahison ! Après avoir abattu le chef, les soldats se dirigent vers


les camps retranchés près de Barcelone. Le drapeau claque entre les
deux compagnies de mercenaires. On tuera, on égorgera, on violera.
La répression sera terrible. La haine s'empare des impayés. L'on
massacre comme l'on boit et l'on boit comme l'on tue.

Il y aura la vengeance qui battra dans le cœur des oppressés. Il y


aura la guérilla. Les têtes seront tranchées, le sang coulera dans les
campagnes. Il y aura la misère et la famine, mais on se battra.

L'empereur tombera à cause de la malheureuse histoire d'Espagne.


Toi, tu seras exilé. Tu n'oublieras jamais les atrocités que tu as fait
subir à tout le pays.

1140
Le jour vainqueur

Chaque jour qui se lèvera sera un jour vainqueur. Nous


dominerons et écraserons tous nos adversaires. Le champ de bataille :
un champ ensanglanté, un lieu maudit de la mort ! Les hommes et les
chevaux seront massacrés jusqu'au dernier !

La plaine est fumante. Cavaliers, je vous ordonne de tuer,


dégorger soldats et bétail, tout ce qui est en vie, tout ce qui bouge et
remue. Achevez le dernier râle du troufion, achevez le dernier
homme.

Et vous soldats, ne baissez pas les bras. Armez-vous du fusil et de


la baïonnette. Rapportez à l'arrière les drapeaux et les bannières.
Glorifiez et honorez votre bataillon jusqu'au dernier des valeureux
militaires. Se battre jusqu'à la mort, pas de blessés. Ils seraient
renvoyés au combat ou exécutés sur-le-champ même. La garnison à
l'arrière ne fera pas de concession.

1141
Bribes

Il plaisanta plusieurs fois dans la soirée. Tout d'abord silencieux,


rêveur, artiste puis franchement drôle voir clownesque, il mima tous
les rôles et porta tous les masques pour faire rire la compagnie.

D'un geste grave, il demanda le silence. Tous les regards se


tournèrent brusquement vers lui, et la salle fut jetée dans le silence
total en quelques secondes.

Il se gratta la gorge comme les personnes qui s'apprêtent à


prononcer un discours important.

"Mesdames et messieurs", dit-il, le son de sa voix ne portait pas


suffisamment, il se leva et seule sa chaise fit quelque grincement
contre le parquet de bois. "Mesdames et messieurs, reprit-il une
octave plus haut, nous sommes tous réunis autour de cette table pour
fêter le souvenir de notre très cher ami qui nous a quittés voilà six
ans". Il se remit à douter de son information, laissa un blanc de
quelques secondes, la convive sur sa droite lui souffla les lèvres
serrées huit ans. Il reprit «... nous a quittés voilà huit ans. Après avoir
ce matin fait dire une messe en sa mémoire, comme était son dernier
vœu de moribond, nous nous sommes tous réunis pour boire et pour

1142
festoyer. Notre cher défunt qui (...).

1143
Avoir un bon copain

- J'ai vu la jeune fille marcher. Elle s'est retournée et elle a


disparu. Son ombre petit à petit s'est perdue dans le brouillard. J'ai
d'abord vu une silhouette un instant, et la nuit a recouvert son corps.
Là-bas elle s'est enfoncée dans la brume épaisse. J'ai bien cru que je
ne la reverrais plus jamais.

- Elle est vivante, et tu la retrouveras. C'est l'amour qui te fait


douter. A quoi peut servir de se désespérer ? Chagrin d'amour n'a pas
d'importance. Je parierais que cette fille sera dans tes bras à la
prochaine lune.

- Comme tu es bon, mon cher Ursule. Tu es un compagnon fidèle


qui redonnerait confiance et soif en la vie à un cancéreux. Mais cette
fille me fuit, j'ai l'impression qu'elle me hait. (Le ton baisse).

- Bath ! Pacotilles et bêtises que tout cela ! Vous êtes tous deux
des timides, et aucun n'a encore osé parler à l'autre. Tu feins de la
chercher, mais, tu la fuis dès que tu es en sa présence.

1144
D'un ton grave se moquant de lui.

- Serais-tu capable de tuer ton meilleur ami si tu le savais en


compagnie de ta chère Dulcinée ?

- Tu te moques de moi et tu veux me pousser à bout.

- Réponds, te dis-je. Si tu me savais dans son lit en train de


caresser son corps et de lui faire l'amour, comment agirais-tu ?
Prendrais-tu le couteau, l'arme blanche de la vengeance, ou
froidement accomplirais-tu ton crime avec un pistolet...

- Quel bénéfice peux-tu tirer à me faire souffrir ? Tu sais comme


je l'aime.

- Sache, mon cher frère, que je ne me moquerais ni ne rirais de


toi. Je tache à savoir voilà tout quel sentiment tu peux éprouver pour
cette jeune personne. Réponds, tu me tuerais ?

- Oui. (Péniblement)

- Alors j'ai un plan (L'autre ragaillardit). Puisque tu ne peux lui


déclarer ton amour, puisqu'elle ne peut faire le premier pas, alors je

1145
vous aiderai tous les deux.

Lui tapant sur l'épaule.

- Tu vois qu'il faut avoir confiance en son meilleur ami.

1146
Saynète

Dans un salon luxueux.

La Bourgeoise

Quand je sonne Emilie, vous me ferez le plaisir de vous hâter un


peu davantage. Vous êtes ici pour obéir, pressez-vous donc. Vous
n'êtes pas ici pour papillonner et vous laisser compter fleurette par le
valet de pied de Monsieur.

Émilie, rajustant sa robe, entrée précipitée

Émilie

Sauf le respect que je dois à Madame, je ferai remarquer à


Madame que je n'accepterai pas de me faire tripoter par cet imbécile,
sauf le respect, Madame.

1147
La Bourgeoise

Vous êtes en cause et ne cherchez pas d'excuses. Si vous vous


laissez tripoter, c'est que l'envie vous démange quelque part. Pas de
chichi, ma petite, je sais ce que c'est, j'ai été jeune aussi Émilie.

Émilie, étonnée et confuse

Oh ! Madame !

1148
Poètes

- Je te provoquerai en duel, s'il le fallait. Tu n'es qu'une brute et je


compte bien te montrer qui de nous deux est le plus fort.

- Jeune homme, je sais l'art de me battre. S'il n'en tient qu'à vous,
je suis votre homme. Proposez vous-même les conditions du combat.

Après une pause.

Mes ancêtres ont versé leur sang pour des causes justes. Tous
étaient gentilshommes sauf un gredin qui rançonnait les bonnes gens
et attaquait les diligences. C'est s'il me semble en 18...

Jean lui coupant la parole sur ton précipité, vif, d'énervement.

- Je te ferai avaler la langue. Tu me sembles expert en balivernes.


Aux aurores avec un pistolet chargé, qu'en sera-t-il ?

- Attendez pour juger. Foi d'ancêtres et de détrousseurs de jupon,


je jure d'honorer les dieux ! Etc.

1149
I

César et le poète

César

Approche, veux-tu. Dis : pourquoi as-tu menti à ton maître ?


Quelle passion, quel vice en toi te pousse à tromper ton seigneur ? Ne
sais-tu pas que César est tout puissant ? César doit être respecté.
Qu'as-tu à répondre ? Mais attends, laisse-moi parler encore. Si je te
fais jouir de ma clémence, c'est parce que ton esprit m'étonne. Tu me
sembles pourtant un homme intelligent, que t'a-t-il donc pris de me
mentir ?

Le poète

Seigneur, voilà trois jours et trois nuits que je me morfonds au


fond de ma cellule. Le jeûne a coupé mon sommeil, j'ai pensé et n'ai
fait que penser. Tu m'as fait frapper, tu as voulu me tuer parce que
j'essayais de te divertir. Je pouvais faire rire le peuple, j'ai rempli de
haine le cœur de César. Un seul homme me détestait, mais c'était
l'homme le plus important de l'Empire, hélas !

1150
II

César

C'est encore moi face à la troupe et je me défendrai. Le combat a


tué dix mille hommes au moins. Je suis le chef, j'ordonnerai. Ceux
qui n'obéiront pas seront passés par les armes.

Citoyens, citoyennes, écoutez tous. Rome, Rome et son Empire


sont aux mains des hordes barbares. Il y a des "désertions" dans les
rangs de l'armée des Dieux. Les Dieux nous ont oubliés, je crois. Je
ne suis pas content de mes soldats. Ils fuient les combats comme ils
fuiraient l'enfer. Mais chacun sait que l'enfer n'existe pas. Ils n'ont
plus confiance en leur chef. Ils étaient braves, généreux, de solides
gaillards. Ce sont des résidus d'hommes à présent, des lièvres qui
fuient dans l'arrière-pays.

Le garde des immortels tremble dans sa cuirasse. Même mon


dernier soutien m'a lâché. Me faut-il demander la clémence des
Dieux ? Je suis seul, seul et personne ne m'entend. Pas un Dieu pour
secourir César. César est seul, César est perdu. Qui donc le sauvera ?
Je me morfonds dans des soupirs de haine, et je veux secourir le

1151
pays. Les régions dévastées crient à la famine, les femmes et les
enfants meurent par milliers. La récolte cette année ? Il n'y a pas eu
de récolte. Les greniers sont vides et le peuple est mécontent.

Comment pourrais-je accabler d'impôts nouveaux le peuple que


j'aime, le peuple qui souffre ? Les caisses de l'état sont vides. Je sens
la haine injuste s'emparer des cœurs de mes ennemis. Je suis seul et
je veux gouverner pour rendre sa puissance à l'Empire et
l'immortalité à Rome.

Il tape dans sa main.Un serviteur.

Qu'on m'apporte du vin !

Le serviteur sort.

Je veux remplir mon gosier du meilleur vin. Je veux boire à


satiété et oublier le malheur que je dois supporter.

Le vin, César levant la coupe.

Opprimés, rois, reines et déesses, entendez mes souffrances et


sauvez les fils de vos entrailles.

1152
L’avale d'un trait et jette d'un geste
ravageur la coupe.

III

Le Poète et César

- L'hymne à la sagesse et les querelles des débutants...

Coupé court.

- Tu mens.

- Je ne mens pas, je suis poète.

Il continue.

- J'ai libéré les synagogues du joug infernal. Les premiers


arrivants ont dépecé sur la place rouge les morts d'une autre terre. Ils
venaient d'Israël, je crois. Les hommes furent flagellés. Des coups de

1153
fouet, les hommes tombaient. J'ai vu des enfants mourir de faim.

(Tu vois je suis poète, je ne mens pas).

Les flaques de pus resplendissaient dans les chaleurs printanières.


Le vent du Nord arrachait des guenilles pendant aux murs de la
prison. L'orage a soufflé, et des tempêtes et des bourrasques ont
dévasté toute la plaine sur leur passage. Des incendies par milliers.
Des fugitifs couraient se cacher dans des trous de termite. Des
enfants sauvages s'agrippaient aux souches des arbres, et la mer
clame et sereine ensevelissait ses morts. C'était en l'an trois cents. Et
je prévois bien d'autres drames pour les années à venir.

Un homme s'est jeté du haut des pyramides. Il disait savoir voler.


Sa fiancée le regardait d'en bas, admiratrice et effrayée. L'homme
s'élança, il s'appelait Xytrion, je crois. Il en est mort. Pourquoi y a-t-il
donc des êtres pris de folie sur la terre ?

De l'autre côté, au-delà de la Méditerranée, il y a d'autres


continents, des plages superbes où les homes croulent de paresse, des
femmes et des beautés que tu ne pourras pas acheter avec tout l'or du
monde. Je vois des civilisations intelligentes et sublimes.

1154
- Il n'est de sublime que l'art grec et romain. La terre est plate, et
mes armées ont parcouru tous les océans. Tu n'es qu'un piètre
menteur, et tu seras châtié. Poète, ignoble poète, pour avoir corrompu
ton empereur, tu seras châtié. Sentence !

Il appelle deux gardes. Le poète


résiste,entraîné vers les coulisses.

- ... Je sais encore l'aube et les soleils miraculeux, les femmes


drapées de voilures légères, les corps chauds et doux des jeunes
pucelles, je sais...

Il disparaît.

- Comme il est désagréable de faire confiance à des débutants. Ce


jeune lettré veut plaire à son Seigneur, il sera évincé de la cour. Je
préfère mes anciens serviteurs qui ont certes la langue moins pendue
mais qui ne trichent pas avec César.

(N) Remplacer César par éditeur.

1155
Le dealer

Le dealer, pendant quelques secondes reprit son souffle. Il n'avait


plus l'habitude de l'effort. Sa course à travers la ville poursuivi par les
flics, le tenait en haleine. Il haletait. Planqué derrière les poubelles
dans une impasse, comme traqué regardant de toutes parts, il
attendait. Il espérait qu'une ronde de police ne surgirait pas. Il était
comme pris au piège. Le mur de l'impasse de trois mètres de hauteur
était infranchissable.

Les petits sachets de morphine étaient tous là. Il pensait en avoir


perdus pendant la cavale. Il y en avait pour un bon petit magot. Une
quinzaine de briques. L'opération nette dans sa poche lui rapporterait
sept briques. Mais d'abord il fallait trouver Jojo, et avant, sortir de ce
b.... de merdier.

Il entendit une sirène. Traqué il prêta l'oreille. Non, ce n'était rien.


Un feu dans un quartier. Les pompiers seulement. Raclant les murs, il
sortit de l'impasse. Un quart d'heure s'était écoulé. J'ai pommé les
flics se dit-il.

Il portait un pantalon côtelé, un velours marron et un caban bleu


marine où se baladait toute sa fortune. Il tâta dans les deux poches

1156
intérieures. Tout y était. Il ne manquait rien.

Il revoyait les derniers instants comme une avalanche d'images, le


tripot, les habitués collés au bar, les drogués et les putains. Le patron
qui avait un message à lui passer. Bon dieu ! Qu'il a eu raison d'aller
pisser dans les chiottes d'à côté ! Tout le monde avait été embarqué
avec cette descente de flics. Juste le temps de sortir par la petite
lucarne des WC qui donnait sur une arrière-cour. Puis, ça a été la
cavale. La course. Ils étaient derrière lui, les flics. Il a couru comme
un dératé. Pourtant c'est pas son sport favori.

Il avait deux jambes de gazelle tellement la frousse l'avait pris aux


tripes. Pendant un quart d'heure, les inspecteurs lui avaient collé au
cul. Il s'était cogné à des voitures qui stationnaient dans les rues
voisines. Il s'était cassé la gueule en courant. Deux fois il avait failli
être rattrapé, deux fois il avait trouvé la force de leur échapper.

1157
Pastiche de Thomas

Les crasses des adultes firent du caporal Lagarde un insoumis. Il


sortait de saint Cyr et voulait faire régner l'ordre illico presto. La
garnison à cheval passait et repassait près du port de Douminche. Les
jeunes recrues toléraient à peine qu'un officier les commandât. Ils
possédaient certes les moyens de se faire respecter par la force.

Le fort en gueule tremblait dans ses culottes à l'anglaise.


Phybrome-de-Montepala honteux, remontait ses deux chaussettes. Il
vociférait et ordonnait à son Corps de chasseurs à cheval de pouvoir
mieux, et d'aller plus loin dans les lignes de pénétration. Chacun
donnait du sien et proposait à l'autre de l'aider un peu plus.

C'est ainsi qu'ils allaient deux par deux au charbon, Fleur en tête
avec ses galons. Montepala était le premier à semer le trouble dans
les rangs. Quand il eut fait la connaissance de la troupe, il eut pour
préférence Phybrome qui en aimait d'autres.

Il portait le chapeau comme certains portent le bonnet d'âne. Fier


de sa tenue, il roulait ses deux fesses mignonnes. Toujours est-il que
le général de Farges roucoulait d'aise. Agile comme un réformé le
chef de camp s'agrippait aux basques du Général comme un poète

1158
aux doigts des muses...

1159
Pastiche claudélien

Il vous faudra partir et fuir les éthers, les masses des soleils et les
oiseaux qui font leur nid dans les ports.

Sur de larges navires, nous irons et voguerons par les mers, les
océans et braveront les tempêtes ; et dès lors,

La brise lancera le bateau ; nous, forts comme poussés du doigt


par le Dieu Tout-puissant,

Nous jetterons notre cœur dans la marche et croyons en lui jusqu'à


notre dernier jour de vivants.

Seigneur, l'exil encensera nos conquêtes, mais près de toi rien ne


pourra nous arriver,

Tu contiendras les démons de la mer et gonfleras notre voile. Tout


le long du voyage, nous nous mettrons à genoux pour prier.

Cette fois, ce sera la dernière ! A peine descendus pour saluer ton


fils Jésus, (venu parmi les morts pour nous sauver), les pas légers,
nous marcherons vers l'église,

1160
J'entends déjà les alléluias qui résonnent dans nos chairs. Merci
grand Dieu, de nous avoir sauvé du cataclysme, etc.

1161
La Déesse

Tu te pâmes, Déesse sur des lits insoucieux,


Et dans la gloire, ivre de soupirs, tu t'endors.
Un long rêve de miel s'échappe, désireux...
Pourquoi tant de caresses après l'ignoble effort ?

Oh ! L’ombre des complaintes, des plaisirs inouïs !


Ces jambes découvertes aux substances divines
Succombent sous le feu lugubre de ta nuit !
Une pointe dressée accède à la poitrine...

Ô lueurs matinales, ô cœur qui bat en moi,


Que la source où mon mal s'endormait un instant
Émancipe en l'orgueil la douceur de l'émoi !

La volupté de marbre qui sied à mes côtés


Peut avec son regard de belle à tout moment
Entre deux nonchalances ou trêves s'envoler !

1162
Ô paix profonde

Ô paix profonde quand ton silence supplie en moi,


Se meurt sous de superbes lumières l'astre pur
De sagesse douloureuse. J'entends battre l'effroi...
Tu te dodelines, l'œil vif, pensant au futur.

L'oriflamme de tes songes, tu le veux revêtir ;


Aux ténèbres lourdes où ruisselle l'accalmie,
Tu discernes les plaintes et les lieux à venir.
Dans ta bouche béante se baignent les furies.

De blondes somnolences contemplent les rivages.


L'être infini recherche la croyance des Dieux,
Et les voix accouplées dans le Néant dégagent,

Un sonnet fort ancien que je croyais odieux.


Regardant les ombres déplacées ou libres, fier
De la jetée, je m'éloigne de la misère.

1163
Et toi de la plus chaste

Et toi de la plus chaste que tes seules mains demeurent


Aux sources limpides et d'or où sommeillent parfois
Les tristes complaisances de tes soupirs de cœur !
Ivre de terres lointaines, je te vois, tu chancelles...

Là-bas j'ai vu sombrer tes naufrages, exploser


Les faiblesses étroites que tu aimes à durcir,
Et dans ta couche froide, c'est une tombe aisée :
Des maîtres sibyllins, carnassiers de plaisir.

Que de tentations ! La chair ne peut résister,


Elle se tord confuse dans ses désirs étranges !
Et le mal épineux, hypocrite est jeté.

Ô la folle jeunesse au pur sourire de l'ange.


Je sais la pâle élue resplendir, mais malheur :
Qui embrasse son corps éloigne sa fraîcheur !

1164
Quand pour vaincre ces pleurs

Quand pour vaincre ces pleurs, ton humide traîtrise


Cambre encore les jouissances passées, par l'œil
Où l'effroi peint le charnel désir que tu prises,
Il ranime un flambeau éteint contre l'orgueil.

Sur les draps repliés que chauffait le mensonge


Et les élans lascifs, pure honte pour le corps,
Tu soumis à mes bras onduleux le vrai songe
Cruel d'un avide et trop suppliant remords.

Les complaintes douteuses et promises jamais


Ne cesseront de battre en mon cœur infernal,
Puisque l'ennemie de mon ombre se repaît.

De qui le doux regard sur l'âme libérée


Montrant l'intérieur délicat qui le fait,
Je ne puis plus, ô femme, au chaste te livrer.

1165
Des mages

Des mages au pourtour de la nuit, gesticulant


Par une hydre suprême à l'envolée de tous,
Combattent dans l'obscur où frissonne le vent,
Vrai songe sur qui le lointain égare ses loups.

Sa profusion de main embellie de son sang,


(Mille Dieux s'enchevêtrent déjà en la leur)
Féconde les destins, les nuisances et les temps,
Ô vaste pâmoison, ornementale fleur !

Aux portes du Santal que son écrin d'été


Soulage de sombres pluies, d'espoirs et de désert,
Ils accourent se confondre pour vils la respirer !

L'être royal se glose en de puissants empires


Qu'ont coutume les pauvres d'adorer jusqu'à terre,
Car l'ignoble forçat refuse de faiblir !

1166
Tombeau de l'Obscurci

Puisque l'arôme incarne une lumière noire,


Où mille baisers épris ont caressé l'instant,
Dans son luxe alourdi à peine descend l'oir...

Que la veine obstruée arrange l'Obscurci


Car l'amas de son doute succombe tel sanglant
Jusqu'en la nonchalance qu'un alcool a démis.

Une paix généreuse modulant les mérites


Prescrit comme le rêve puise sa destinée
Des Naïades étranges ou de claires Orites
Sur le doigt élégant d'une sublime fée.

Et nue et éperdue, telle vestale en démence


L'inspiration priant l'herbe sur son écho
Va sur sa tombe belle moduler en cadence
La réalité vaine d'un horrible sanglot.

1167
Même tombeau

Puisque l'aurore incarne une lumière noire


Où mille baisers épris s'accomplissent en l'instant
De son luxe alourdi à peine descend l'oir...

Que la veine obstruée encombre l'obscurci !


Sur cet amas de doute il succombe et il meurt
Jusqu'en la nonchalance qu'un alcool a démis.

Une paix modulée qui vente les mérites


Prescrit, comme le rêve pense sa destinée,
Des Naïades étranges et de claires favorites
Sur le doigt élégant qui distingue la fée.

Alors nue et perdue, vespérale démence !


L'inspiration qui prise son bel écho
Va sur sa sombre tombe moduler en cadence
La réalité vaine d'un horrible sanglot.

1168
Ces filles, mes pensées ! ...

Ce n'est plus la froidure qu'un doute parfois oublie,


Mais des rutilements de lumière éloignés
Parmi nous. Des vagues s'écrasent à l'infini...
Et là est une chaste sur les espoirs résignés.

Pourtant elles resplendissent encore dans leur pénombre !


Des figures s'embrassent tristement sous leur nuit.
De leur chute superbe mugissant des décombres,
Et la douce amertume ensoleillée gémit.

Mais déchaînées et regorgées, vaste démence !


Un cri continuel dans le noir obscur luit
(Mon acte de bravoure s'entend sous les nuisances...)

Un pur frisson réclame l'entité de mes rêves,


Il supplie ! Mais ignorant le bruit, le maudit !
Elles continuent pensantes sans repos et sans trêve.

1169
Marie la bonne

Ces braillards écumant dans leurs assiettes creuses


Fortifient en des sacrements des rôts vulgaires.
Poussifs de crasse, et l'articulation osseuse
Ils crachent des fumées dans des relents de bière.

La bonne, ronde de cuisse, aux fesses bien pesées


En rose de jeunesse circule en riant.
Les mains larges et rugueuses de façons empressées
Se posent rapides et lestes en gestes caressants...

Marie la bonne heureuse convoite les délices


D'un jeune militaire assis devant son vin.
Marie, Marie pensante rêve d'amours factices ! ...

Car le teint délicat et la barbe naissante


Sont l'hommage rendu à l'heureux sacripant.
Marie, séduite tombe à ses pieds, fleurissante...

1170
Les ivrognes

Plaqués contre les murs, les ivrognes hagards


Pissent de leur mieux chantant contre les poubelles.
Vils, contents d'eux, puant leur horrible pinard,
Ils se frayent un chemin sur les boîtes qu'ils martèlent.

Et la barbe de vin et l'haleine putride


Cognent leur pauvre tête sur les murs égarés.
Un instant de bonheur, la main comme une bride
Baise de son mieux la pouffiasse délaissée.

Eux, dans leur misérable sort riant de joie


De leurs dents jaunies par l'alcool de fumée
Crachent encore ou vomissent en s'aidant de leur doigt.

Semblable aux fantômes de la mort, mon malheur


Pourrit son fruit lugubre en des sombres fumées,
Pourrit cette jeunesse honteuse de mon cœur !

1171
Soirée funèbre

Quand l'imperturbable monotonie agite


Les regards langoureux de haine et de malheur,
La fin perpétuelle se meurt et se précipite
Comme un déferlement au temple des douleurs.

Des caveaux ouvrent leurs portes remplis d'espoir !


Les spectres enchantés, mains osseuses et tendues,
Proclament lestement qu'il faut entrer pur voir,
Le bonheur se veut autre et n'est jamais perdu.

Et quand entraînés par cette force sublime


Soulevant le poids de l'existence douteuse,
Esclaves enchaînés d'une voix qui domine,

Nous allons, fuyant par ces ténèbres le soir,


La peur s'empare enfin de toi, ô ma dormeuse :
Tu supplies mon amour et cries ton désespoir !

1172
L'intelligence dort

L'intelligence dort et l'ombre est effrayée.


La nuit poreuse accourt et propose en ma bouche
Un pur étonnement, ô sublime Psyché !

D'une paresse extrême la profondeur des mots


Cherche par l'admirable mensonge sa voix.
Soumise à la résonance de son écho,
Elle respire nonchalante la naissance du Soi !

La douceur la plus claire déjà va et s'achève


Par des ruissellements déployés vers ton sein
Sous la tombée obscure sans remords et sans trêve ...

Plonge folle au plus sublime de mon orgueil !


Viens et consume en cette vérité charmeuse
Les profondes ténèbres de mon superbe ciel,
Puisque je vis en toi, détestable amoureuse !

1173
Sombre, retentissant

Sombre, retentissant sur la pensée nouvelle,


J'assume d'un vœu la profusion enchanteresse ! ...
Le néant dévastateur froissé par deux ailes
Se propose en tes yeux, profonde sécheresse ! ...

Par un commun accord, mon oubli est promu !


De sa grâce irréelle comme un serpent sauveur,
J'incline par ce piètre, mon cher corps corrompu,
Et je bois mes délices, ô ma tendre douceur !

Pareille à la nuée allègre mais morose,


L'agilité promise qui va, belle, vers toi
S'enchaîne à mes talons, ô noble et vaste chose ! ...

Œil fécond de saveurs, encore tu vois en moi.


Tu parfumes ce front à ta main défendue
De caresses palmées qu’hier encore tu as bues.

1174
Et ils vont ces vieillards

Et ils vont ces vieillards honteux et affranchis


Dans la fosse commune resplendissant de vers.
Le pas lourd, boitant, ils vont hagards et démis
Comme des fils lugubres se dirigeant sous terre.

Ils ont l'œil ténébreux perdu dans des espoirs


D'hier ! La morne parole tremble sur leurs lèvres.
Ils continuent inlassablement jusqu'au soir
Dans l'implacable marche sans abandon ni trêve.

Et leurs pieuses mains parfois se lèvent au ciel


Suppliant le Divin de détruire leurs péchés,
Cependant les regards cherchent continuels

Des miracles nouveaux par cette mort latente.


Les fossoyeurs, pelle à la main, prêts à creuser
Entendent l'Ange des litanies désespérantes.

1175
Dans les sombres demeures

Dans les sombres demeures où rêvent les comparses


Comme des souffles amers éveillant la chaleur,
Ils viennent respirer et nourrir des douleurs.
Le commun des mortels en ignore la trace.

Dispendieux en accords, en chastes entrevues,


Ils encombrent mes nuits de souffrances profondes,
Et si ce n'est l'esprit décrié qu'ils fécondent
Qu'est-ce pour moi, mon cœur, leurs constantes venues ?

Je sais la liberté de l'âme purifiée.


Tapis dans l'ombre ils rient de leur propre bêtise.
Je sais que ma pensée espère les humilier
Dans l’infect néant que leur esprit attise.

1176
Ô funèbres pensées

Ô funèbres pensées agrémentées de Mal


Décelant les peines, les rages, les désespoirs,
Prononçant les sermons contre ton pur miroir,
De l'étude inouïe, l'étude vespérale.

Tu sembles t'adoucir ô perfide ennemie,


Moi je gis alangui dans le Temple des morts.
Aucun être pensant ne s'est jamais enfui.
Prisonnier de toi-même dans ton néant, il dort.

1177
Bravoure d'une incroyance

Bravoure d'une incroyance, tu jettes tes falots !


Et inventifs par le succès de ton histoire,
Ils sont ruines et précipices à jamais offensés !

Ô le sol sanglotant et les crachats qu'ils méprisent !


Entends le vol brusqué au miroir. Le reflet
De l'incertitude teinte le noir diapason
De ses fraîcheurs antiques ! Bravoures d'une incroyance.

Les hordes fourbes tel le pensant moribond,


Et les traces onduleuses sur les transes despotiques ;
Si long est l'exil au point du jour résolu.

Alors de la nuance, aigles, mages crispés,


Quand un venin contre la raison veut souffrir,
Sera-ce le saint qui d'ailes vent engouffré
Tondra le vrai suaire de son trône accablé ?

1178
Les Gitans

Ils passent sur les noirceurs ambulantes et s'agrippent


À la dernière oraison matinale. Ils vont
Alors que la lune hâlée et dormeuse dissipe
Une blancheur funeste sur les clairs horizons.

C'est bien eux, pâles et défaits dans leur coutumière


Avancée, la démarche lourde, le pied sanglant,
Éreintés, trébuchant parfois dans les ornières,
Les faces défigurées, la chevelure au vent.

Comme le monde haineux ignore leur terreur,


Ils continuent par l'irrésistible chemin,
Oubliant les maladies, la morte et la peur,
Droits devant eux, espérant un nouveau destin.
Les enfants sales de boue et de crasse aussi
Suivent nonchalamment la parenté maudite.
Certains sont sans courage, et les autres s'enfuient
Ou encore regardent les pères et les imitent !

1179
La tribu et les vieillards portés en roulotte,
Et les femmes au ventre bombé d'enfants à naître,
Et le froid, les fillettes éperdues qui sanglotent,
Et un ciel lumineux au loin vient à paraître.

1180
Ronde surannée

Oui, vieillies car perdues - les sens sont exaltés ;


De sanglantes morsures sur la joue droite et morne ;
Méconnaissables et laides, là ruisselait l'été !
On chantait dans les bois ! Les pantelantes s'étonnent...

Les disgrâces où le vieillard déposait sa bouche !


L'ancêtre mort d'avoir trop bu ! ... rides affreuses,
Le noble instant passé s'étendait sur la couche !
Ô nuits d'amour, les bêtes sortaient douloureuses !

Hypocrite au demeurant d'horribles frayeurs


Et priant le Christ sous le Missel entamé,
La bigote supplie le pardon des douceurs !

Mais ivres de vengeance pour le retard perdu,


Elles signent le bon pain devant les affamés
Et condamnent les jouissances que d'autres ont reçues.

1181
Le pain, le Missel, ha ! Conscience tranquille.
Ho ! La place future savamment méritée...
Mais on oublie les gestes lents qui déshabillent
Les jeunes gens dans la rue par la pensée ! ...

Fourberie de vieilles dénotant l'impuissance !


Ignominie profonde des chaleurs en détresse !
Je plains la bêtise, je pardonne l'ignorance
Et la méchanceté de vos rudes caresses !

1182
Je revois ses herbiers

Je revois ses herbiers, ses vases et tous ses meubles,


L'appartement petit et fluet de l'immeuble,
Et les anciens tableaux accrochés à ses murs,
De viles reproductions et d'ignobles peintures ;

L'atelier où le soir venu il travaillait,


Les fouillis singuliers qui toujours s'entassaient,
Et les lettres d'amour des maîtresses perdues
Et de nombreux exploits à mes yeux inconnus ;

Je revois son visage vieillissant sur son corps


Lui malade et bossu par le poids de l'effort,
Ses mains jaunes et grasses vibrant à chaque instant
Empruntent d'une fièvre depuis bientôt mille ans.

Tout à coup de son œil la clarté lumineuse


Éblouit son visage de flèche merveilleuse,
Éblouit cette face à jamais oubliée
Par ceux de sa famille qu'il avait tant aimés.

1183
Moi, pauvre confident, de sa plainte mineure,
J'écoutais son génie parler avec douceur.
J'allais m'entretenir des plaisirs de la vie,
Des jours de la nature qui toujours l'ont banni.

Vieux père, cher père de mes douleurs d'adolescence


Toi qui ceignis mon âme de pure transparence
Te souviens-tu encore regardant cette terre,
De l'élève enivré de tes nombreux mystères ?

1184
Dans les jours langoureux

Dans les jours langoureux s'éveille lentement


Un précoce printemps éclairé de soleil.
La frêle libellule et le roseau pensant
Embrassent la rosée qui s'écoule du ciel.

Et plus loin, le pécheur retire des filets,


Maigre consolation du travailleur des eaux,
Les poissons extirpés argentés et muets ;
La barque au loin scintille et s'enfuit sur les flots.

1185
Des candeurs endiablées

Des candeurs endiablées sous un sourire immonde


Qu'on respire presque nu, boursouflé de chaleurs,
Et qu'un dieu inhumain par sa verve féconde
Dicte jusqu'à la mort sous l'effroi des douleurs.

Et des pistils de haines, des sermons crucifiés,


Que je bafoue la nuit dans des larmes et des pleurs,
Et d'infectes bavures, des taches répétées
Purifient tout travail et toute œuvre meilleurs.

Alors des voix affreuses conspirent dans ma tête,


La raison est chargée de splendides oraisons,
Ils arrachent, ils égorgent la misérable bête,
Et avancent horribles au creux de ma raison.

1186
Pastiche du poète écailler

à sa clientèle bourgeoise qui vient lui acheter du poisson

Pour vous, Madame dont l'existence si ébahie


Encense mes déboires au plus profond du Moi,
Et si voluptueuse aux nuisances de l'esprit
Impose une divine et pénétrante loi ;

Pour vous, cruelle par moments et douce en d'autres,


Vous, dont le beau sourire engendrera toujours
D'être l'inopportun, respectueux et vôtre,

Qu'un grand feu sans mensonge brille dans vos lueurs,


Comme une flamme pure aux sanglantes besognes.
Car si ce cœur s'effraye, s'il martèle et se cogne,
C'est qu'il est faible encore et supplie vos douceurs !

Dans l'espoir que mon âme ne serait concevoir


À désirer éternellement votre amour,
Ho ! Madame acceptez, souffrez donc de le voir !

1187
Loufoqueries mythologiques

Bel ordre et vraie conquête en ce temple promis.


Oui, aux dieux tout-puissants, que ton offrande est sûre.
Je te donne ton nom : Aga - Agamemnon
Ta vengeance est certaine et ta victoire est pure.

Oreste bien aimé brûlera ta mémoire


D'encens et de douceurs posés sur le tombeau.
Les prières des chœurs, les autels et la gloire
Chanteront les prouesses en cité d'Ilion.

L'abominable meurtre d'un sacrement divin


Quand sur toi-même le glaive resplendissant se pose !
Demi-dieu immolé par ce coup assassin,
Clytemnestre à présent tout près de toi repose.

1188
Fonction du poète

Enraciné sous les nombres d'or et d'écume


Quand des trompettes argentées sonnent le tocsin !
Ou fuyant l'infortune chère et reflétée
Par des prismes, aquarelles et devins ;

Langueurs de tout son être proposées en ce siècle,


Où se fondent les mornes reflets de l'été ;
Qu'il conte les sentiments de ses frayeurs
D'horizons lugubres jamais dépeints.

Qu'il vante le prompt déluge des ressemblances


Accrochées tristement à de vaines survivances ;
Que la brise silencieuse toujours se souvienne
De la douleur horrible qui fut jadis la sienne.

1189
Le Poète

Enraciné sous les nombres d'or et d'écume


Quand des trompettes argentées ont sonné le tocsin !
Ou fuyant l'infortune chère et reflétée
Par des prismes, aquarelles et des devins ;

Langueurs de tout son être proposées en ce siècle,


Où se fondent les mornes reflets de l'été ;
Qu'il conte les sentiments de ses frayeurs
D'horizons lugubres jamais dépeints.

Qu'il vante le prompt déluge des ressemblances


Accrochées tristement à de vaines survivances.
La brise silencieuse jamais ne se retient
Sur le cœur horrifié qui fut toujours sien.

1190
La stérile sœur

La stérile sœur accoudée au balcon ancien


Offre un geste d'orgueil par ses regards lointains
Et est complice encore ; là, fusent les roseaux ;
L'œil tourné vers les ténèbres, sans le moindre mot,
La sœur pâle à la voix trouble, impérieuse, pleure...
... Pleure sous le joug du remords, d'une plainte obscure.
Je l'entends battre en mes veines...

Féconde luxure !
Ton mal engendre les hurlements de ses nuits !
Puissante lutteuse, vois les années qui fuient ! ...

1191
Prière sans naissance

La sœur frigide accoudée au balcon ancien


- Le geste nourri d'orgueil, les regards hautains -
Est complice encore ; là où fusent les roseaux,
L'œil tourné vers les ténèbres, sans le moindre mot,
La pâle sœur à la voix trouble et impérieuse pleure...

Pleure sous le joug du remords ; cette plainte obscure


Je l'entends, pauvresse, battre en mes veines... féconde luxure
Qui, par ton mal confondu, hurle dans ses nuits,
Lutteuse redouble, vois les années qui s'enfuient ! ...

1192
Dans les clartés funèbres

Dans les clartés funèbres où crimes et pardons


Se mélangent sans cesse au rythme des raisons,
Dans cet amas confus, terrible et tortionnaire,
C'est le ciel qui bénit et la mer qui vénère !

C'est l'homme uni encore aux meurtres, aux châtiments,


Qu'une voix quelquefois appelle prestement
Pour changer son erreur en doutes répétés,
Pour voir briller en lui l'automne des idées.

Fier dans sa démarche, insoucieux du sort


Vivant dans les pénombres où tout espoir s'endort
Calmement il chemine sans lumière et sans foi,
Ayant peur de mourir pour un quelconque émoi.

Si homme solitaire tu entendais mon nom


Qui fait trembler la chair et crouler les maisons,
Ho ! Tu ne serais plus palpitant de faiblesse
Quand une idée de mort en ton âme s'empresse !

1193
Maudire dans les clartés

Maudire dans les clartés pâles et mortuaires


L'emblème triomphant, déployé sous nos yeux,
Et dans le lieu sublime que parfois l'on vénère
Trembler comme un enfant et rire dans ses yeux ;

Danser sur des étoiles mauves et rayonnantes,


Embrasser le sourire de leur pluie d'or filante,
Et prier à genoux un Dieu ou quelques saints,
Supplier sa raison et se tordre les mains ;

Et l'œil profondément tourné vers les ténèbres


Pleurer toutes les nuits d'un supplice funèbre,
Et attendre la mort, libératrice, heureuse,
Espérer une fin car la vie est affreuse ;

Mais c'est folie de vouloir achever ses jours !


Car un Dieu tout-puissant offre sa seule voix
Qui demain davantage pour son sublime amour
Nous permettra d'atteindre les marches de la croix.

1194
Adorons donc le culte et chantons son royaume
Où monarque de cœur, l'éternel sanctifie ;
Chérissons le bonheur, les cieux avec le trône,
Délivre-nous Seigneur, Ho ! Seigneur nous voici

1195
Visites

Dans les sombres demeures où supplient les comparses,


Leurs souffles refroidis animent la chaleur.
Ils viennent respirer et pénètrent les cœurs.
La sottise des hommes veut ignorer leurs traces.

Dispendieux d'accords et de chastes entrevues,


Ils encombrent mes nuits de présences profondes,
Et si ce n'est l'esprit décrié qu'ils fécondent,
Qu'est-ce donc pour mon cœur leurs constantes venues ?

1196
Mystique

Une nuit que j'étais, moi, miséricordieux,


À capturer mon songe en mille tourments heureux ;
Alors que presque nue aux bords de ce rivage,
La sublime beauté remarqua mon hommage,
Alors que j'ordonnais aux puissances finies
De suspendre leur vol et de poser ici
La douceur éclatante de l'âme tumultueuse,
L'accalmie avança ; et mes lèvres pieuses
Implorèrent jusqu'à l'aube la grâce du pardon,
La grâce fut donnée pour sauver ma raison.

1197
Je suis l'ange gardien

Je suis l'ange gardien, ton frère et ton apôtre.


Blottis-toi sur mon sein et fais comme tant d'autres,
Écoute mes conseils, penche-toi sur mon cœur,
Ta voie sera tracée ! Hélas, tu as trop peur !

Effrayé par l'abîme, par l'ordre et les messages,


Palpitant pour un mot, craignant pour une mort,
Pourtant je promettais à ton esprit peu sage,
Un éternel bonheur et Dieu pour réconfort ! ...

1198
Ô funèbres pensées

Ô funèbres pensées toute nourries de mal,


Comblées de peines, de rages, de désespoir,
Prononçant des serments menteurs contre un miroir
De l'étude inouïe, l'étude vespérale,

Tu sembles t'adoucir, ô perfide ennemie,


En ton temple sacré encombré par la mort.
Aucun être jamais de son ombre n'a fui,
Tombé de son éveil à l'infini, il dort !

1199
Des lianes mêlées

Des lianes mêlées par l'esprit du Sauveur ;


Et je consolerai tes larmes avec tes leurres,
Puisque tes bras oscillent et semblent défendus ?

Mon crime est de n'avoir su aimer un peu plus


Parmi les fleurs suaves dont le cœur se repaît.
Ô les douceurs lascives accablées sous ces faits !
Tarissent des fontaines pour ses nobles désirs ! ...

Va puisque l'aventure de surcroît veut te nuire !


Compose par tes mots une fraîcheur nouvelle !

C'est d'un puissant servage que tes sens irréels,


Accusent ma douceur sainte ! Je vais en ma terreur
Tel un feu grandissant. Tout volcan sulfureux
Avec laves de sang accumulées, serties
Sur des vagues dorées de neiges appesanties
Ruisselle en vérités ou exalte ton nom.

1200
Tes doutes, rivages malsains persécutent mon délire.
Avec ce vent sinistre, je pourrais attester
Toute ton excroissance, ces faux commandements
Qui sous un joug proclament un désir maquillé.

Mais connais-tu l'instant où l'âme se demande


Par quels objets douteux ou vétustes méandres
Elle peut d'un espoir nouveau à sa pensée dite
Alléger l'infini ?

Bourrasques de méduses,
Ô chaste oiseau de proie qui succombe à mes rites,
Qu'un Dieu enfin à sa faveur aille et infuse ! ...

Large et inquiétant par ces pas présomptueux,


L'aigle royal se cambre dans ses profonds rivages,
Et moi je dois te perpétuer.

1201
Ô oiseau,
Orgueil démesuré, puissance de moi-même,
Tu as pris naissance dans le feu de mon sang,
Ta vision est exacte : déploie tes ailes blanches.

1202
Au café

Gavé de bières et rempli de bruits lumineux


Dans sa splendide course à la cuite profonde,
Il jette les ordures d'un ventre de débris
Affaissé sur son cul, rebutant et immonde !

Les courtisanes à genoux devant ses billets,


L'œil renversé et la morve pendante s'instruisent :
Il commente ses guerres, la façon qu'il baisait,
Les branleurs qu'il frappait et les putes soumises.

Dans cette cohorte de dégoût, j'écoutai


Mais quelle bête étrange se cache derrière cet homme ?
J'appelais fortement pour le savoir, en somme
Et je sus que c'était mon père qui parlait !

1203
Je viens baigner ma tête

Je viens baigner ma tête dans le repos amer.


Par l'absence d'un Dieu le vent s'y engouffra,
Car l'âme tourmentée par le plaisir d'aimer
D'une longue morsure avait blessé mes pas.

1204
Au silence frissonnant

Au silence frissonnant l'herbe désirée


Avant que l'orage ne t'émeuve,
Contre la vitre bêtement teintée,
Résigne-toi dans l'eau de ton fleuve.

J'irai longtemps sous le saule menu


Plaindre le dormeur qui toujours gémit
Et pour l'attente continue
Grandir l'hommage s'il refleurit.

Dans l'enclos, faveur de son paysage,


Maigres jardins dépecés de malheur,
On apercevra même au second rivage,
Qui montera à l'assaut des fleurs.

Bête ou faune replié sur toi-même


Maudis lentement mais sans rancœur,
L'inquiétante incertitude de ton flegme
Destinée à occire tes piètres lueurs.

1205
Éloigné du poème, le chant reste à pleuvoir.
Honteux, transposons la triste réalité.
L'ordre est donné, misérable devoir
Qui jettera au cœur l'indigne vérité !

Au silence frissonnant l'herbe désirée


Avant que l'orage ne t'émeuve,
Contre la vitre bêtement teintée,
Résigne-toi dans l'eau de ton fleuve.

1206
Réminiscence et destinée

Vil, et de toi-même meilleur,


Que je saisisse de ton mensonge,
Les traces sublimes de mes saveurs,
Esprit purifié qui songe !

L'instant superbe est de quitter


La tendre alcôve de cette chambre :
C'est pour grandir ou embrasser
Des horizons encore plus tendres.

C'est pour bannir la terre inculte


Que l'on doit travailler pourtant !
Suprême envolée, pure chute ?
Je ne sais, mais viens ! On t'attend.

J'aspirerai demain l'odeur


Des superbes et antiques villes
Qui seront chairs et puis douleurs
De ce prochain et mûr exil.

1207
Pourtant ta voix était si claire !
Amour, idylle consumée,
Je n'oublierai le noir enfer
Où une nuit tu m'as plongée.

Empire à ta sève bâti


Ou joies d'une enfance soucieuse,
Allons donc de ces pas promis
Aimer la vie délicieuse ! ... Etc.

1208
J'ai dû aimer

J'ai dû aimer sous d'autres cieux,


Je ne sais plus quel matin,
Agile et noble comme le feu,
La beauté au regard divin.

C'était désir stérile mêlé de grâces


Que l'ivresse emplissait de grandeur.
Quand l'âme libérée s'efface,
L'amour-Dieu devient pécheur.

Quiconque use ses ongles sur sa peau


Et conspire son souffle dans l'abus
Vrai, bannira l'horrible fardeau
De l'acte facile sur le corps nu.

Mais la pure beauté devient lubrique,


Elle métamorphose son idéal
Sous les saccades rythmiques
De son piteux caporal.

1209
Humant la sève

Humant la sève continuelle,


Au minuit éclairé, il s'endort.
Les lyres reposées s'en mêlent,
Mais il s'engourdit, fait le mort.

Sous la lumière divine d'un ange,


Désireux d'inventer un rêve,
Puisqu’aucun bruit ne le dérange,
Il accorde aux Muses une trêve.

Par ce vrai repos demandé,


Il ordonne d'autres sourires.
Comme sa requête est refusée,
Il se doit encore de maudire.

Ha ! Toute ma vie consumée


Engendrera donc mon malheur !
C'est un meurtre ! Le désespéré
Ne connaîtra jamais de cœur ! Etc.

1210
À l'ancienne fontaine

À l'ancienne fontaine recouverte de marbre


Repose l'assagi ornementé de fleurs ;
Les vieilleries d'époque semblent durables,
Mais les gestes lents toujours s'écœurent.

Dans les fossés conspirent des boues


Plus cuisantes que jamais entre elles.
L'espoir est ivre ! L'espoir est fou !
Vrai, mais les branches d'été s'amoncellent.

Des morts se pâment dans d'étranges douceurs.


Le temps d'un péché, sentiment occulte,
Les sentences s'accomplissent et se meurent.

De l'amitié parée entre deux râles,


L'infini brame et toujours discute
Et respire l'ignominie des dédales.

1211
Tout sursaut assorti de gloire

Tout sursaut assorti de gloire


Maintes fois vers son ciel
S'abstiendra de le laisser choir,
Lui, âme aux tempes vermeilles.

Car l'inexistence d'un dire


Perpétue le doute aimé.
Ainsi lui, noble fait des sourires,
Qui donc saurait l'animer ?

Vieillard receleur et suprême,


On rit dans les courses lointaines.

Et jamais fourbe ne put se suffire


Acclamant encore ses péchés
Et ne sut en son amour se dire :
"Halte-là ! Heureux chevalier !"

1212
Des répugnances en mai

Des répugnances en mai


Que nul homme ne peut défendre
Et des soupirs défunts
Aux bras lancés des élégantes.

Ha ! D’atroces morsures
Vagabondant dans les neiges oubliées
Ce sont de noires défenses
Pour des membres extasiés.

A l'insouciance d'un fait


Les corps muselaient d'horribles candeurs
Les vagues réelles se mêlaient
Dans des bruits frêles et tapageurs.

1213
Estime la course pâle et déserte

Estime la course pâle et déserte


Au lieu propice de floraison.
Des diapasons étranges vont et s'étalent.
Te maudire ? Non, oublie la trahison...

Et le vieil arbre centenaire qu'un feuillage


Nettoie dans ces amas de mousses déposées,
Écoute la virulence de ses actes.

Souvenir des retraits méprisés,


Ô constellation bienveillante des ruines,
La face verdâtre est changée...

1214
La chanson du boutonneux

Les filles dévêtues


Au chant premier
Dans le soir venu
Et printanier,

De blondes farandoles
O les belles sœurs
Et les voilà folles
Folles de douceurs !

Déjà aimées
Aimées sans le dire
Adieu les années
Années de sourire !

Des baisers sur le corps


Des caresses faciles
On s'aime et l'on dort
Adorables et dociles !

1215
Lourdes intentions,
Mon esprit dépourvu
N'a qu'une chanson
Leurs seins et leur cul !

Les filles dévêtues


Au chant premier
Dans le soir venu
Et printanier...

1216
Ils furent déportés

Ils furent déportés une nuit encore


Dans les vagues tourments
A l'abri des sels et des cris d'enfants
Respirant l'amour et les feuilles jaunies.
Ils ont chanté la profusion du ciel
Et les délices bénis.
Malgré des cœurs en détresse,
Ils inventèrent un hymne
Mais eux seuls se comprenaient.

Puis un matin poudreux


De neiges molles et de chaleurs perdues,
Allongés comme deux amants fatigués,
Ils se réveillèrent nus dans leur rêve
Et leur débâcle.

1217
Ils furent déportés une nuit pour toujours,
C'étaient des grâces puériles où le soleil s'éteint,
Où les rousseurs de l'été appellent l'hiver,
Où l'enfant hurle de douleurs
Dans le cœur de son père,
Où l'esprit décrit une dernière parabole.

Ils furent déportés une nuit à jamais


C'était le printemps, par mégarde il venait
Et les taches et les amours
Furent oubliées.

Un grand feu crépitait sur le sol


On acclama la mort
Mais on n'eut que la haine.

Ils furent enlacés pour la vie,


Ils furent embaumés pour une heure.

1218
Dialogue militaire

- Indéniable monstre par qui tout sang coula,


Serait-ce multitude que tu demandes à choir ?
Mais légèreté inerte aux soubresauts, là.

- Pourtant des morts accourent tout à coup, des guerres !


Ils brusquent des révoltes sous un soleil de cœur.
Et l'on dicta des dogmes, l'on encensa dans l'air...

- Alors que des sourires se plissent,


Honteux l'ennemi se fit voir !

- Sans joie sans gloire et sans recours,


Le masque de cuivre fut teint.

- Aussi des pâmoisons résonnèrent dans leurs têtes,


Un feu illumina les superbes attentes.

- Au coucher du soleil, nous n'étions plus que vingt.


- Jamais plus pur déluge ne transforma mon âme.

... Mais entends les discours du dernier survivant.

1219
Tu te dérobes

Tu te dérobes à l'œil exalté,


Crispant des stances sur l'infini.
Maudite, garde pour comble la profondeur
Où ta nuisance s'est obscurcie.

Sais-tu honteuse d'un songe,


Par le méandre tapageur,
Qu'en nul instant, le mensonge
N'est digne d'un prodigue éveil ?

Le cœur saigne

Le cœur saigne les existences passées


Le cœur se fige dans des mémoires antérieures
Le cœur s'éloigne par le tumulte des jours
Le cœur abolit les souffrances présentes.

1220
Insignifiant

Je flambe en ton cœur pour un sourire distinct


Car la pénitence ennuyeuse - ho ! Quel chagrin !
Promet palme, or et délivrance
En ce siècle de guerre, au-delà des furies.

Mais luxuriante, veule ou ingrate,


Écrouée à la sève de l'orme ancien,
J'entends encore la plainte
Présente - supplice serein !

Que de la nonchalance exilée en tes cieux


Vienne l'inapte et friable démence
Par le calme d'un dieu !

1221
C'est un monstre

C'est un monstre où respirent encore,


Fureur des vils entendements,
Par l'inoubliable décor
Cris ou chuchotements.

1222
Comme l'agissement indistinct

Comme l'agissement indistinct


Qui berce les nuits de profondes chamades,
Comme des tourbillons inchangés et voraces
Sur terre, dans les eaux, par l'espace
Insensibles et se jouant de toutes les fleurs !
Vole toujours plus haut,
Marche toujours plus loin,
Plonge toujours et encore !
Des voiles, des ailes et des feuilles
Des buissons des nuages et des grottes !

Et l'intraitable destinée
Acclame TOUJOURS
Son maître.

1223
L'Ancêtre

Sur des murs incandescents que des torches illuminées


Reflètent par le noir, repose l'ancienne patrie
De l'horrible vieillard. Bossu et boursouflé, vieillard !
Il dort, paisible et calme au milieu de sa famille
D'un rêve douceâtre, mais d'un regard presque criminel.

Souffrez, famille défunte puisque dans les nuits tombées


Déjà il s'en revient !

1224
Création

Un soleil visqueux derrière une masse d'étoiles


Et des penchants agrémentés d'une escapade fortuite.
Comme il se voit, les stupeurs découlent presque inertes
Et un long ravissement peint les traces de l'été.
A l'abri des tempêtes, l'écume bariolée des paysages indistincts
Songe aux complaintes enivrantes, aux lueurs délaissées.

"Il n'est de lueurs, d'incertitudes grandies à l'ombre des montagnes


et ce monde perpétué par sa race maudite ne crachera pas le puissant
doute qui doit te ceindre. J'écorcherai ces pudibonds exquis qu'au
prix de ma solitude désespérante !"

1225
Vécu

Point d'un instantané gauche


Et des chemises, des irisées
Volant l'insecte damné.

Les nouveau-nés sous les


Morts ; et les vieillards pourrissant
Dans les marées du métier.

Calques, ponctués de cadavres


Encyclopédie rectifiée
Car l'interligne nous échappe,
Puis des valeurs pensées.

Nous n'agirons que tard dans la nuit


Car sanglante, la vie nous a usés.

1226
Chanson

Ruinés comme des Santals des compassions,


C'est l'heure !
Minuit le vrai y jase pour tous,
Minuit s'écœure !

Paillards et ventrus à l'ombre des sibylles,


Un comble !
Malodorants et juteux, ils miment
Le farouche graisseux !

Loin, égaré dans les escarmouches


L'œil intérieur
Ne répond que sa haine et sa crainte,
C'est la paix du rieur !

1227
Dialogue

- Quoi ! Toi ?
- Moi !
- Soit ! Beurre l'heure cent fois...
- Un saint défunt peint maints carmins.
- C'est laid, défais.
- J'aime l'Aisne sans peine.
- Pas çà, rebois.
- L'âme damne, larmes se pâment.
- Creux ! Mieux !
- Passe crasse, s'entassent piastres, l'on dort corps mort.
- Vrai, fais, mais... pieux ?
- Roi croît, foi, loi, soit.
- Heureux ! ...

1228
Journal d'un fœtus.

Presque né, et j'entends palpiter son cœur sous une masse inerte
de graisse. Il bat et s'accélère aux moindres de ses mouvements.
Horrible horloge à supporter ! Elle mange, elle mange encore. Je
devrais dire, elle engloutit ! Ses aliments viennent frapper la porte
voûtée de mon temple de fortune. Là, elle boit, - c'est de l'eau. Non,
du vin ! Un affreux tord-boyaux qu'on versera dans mes veines.

Elle se lève, elle parle. Non, elle crie car ses paroles résonnent
sous mon crâne, ma pauvre petite tête pelée. Son ventre l'étonne. Il
pourrait être plus volumineux ! Elle me fait des recommandations
pour que j'active son enchantement.

La terrible ménagère qui voulait m'avorter ! Elle y pensa


sauvagement. Elle dut me concevoir, délais passés ! J'ai frôlé la mort
sans défense - ignoble petit rejeton ! Les Dieux l'ont décidé, et je
croîs, je gonfle, demain j'exploserai... Ce seront des souffrances
inhumaines ! Vengeance...

Je me souviens... Une insurmontable terreur pénétra tout mon


être. Je crus à une mort comme de celles qui persécutent mes
cauchemars. C'étaient des pointes lancinantes enfoncées dans la

1229
délicate épaisseur de mon crâne, des déchirures internes provoquées
par un poison dont elle seule a le secret. Ce meurtre épouvantable
mais qui avait échoué fit croître en moi les forces de la survivance.

Invincible à présent, je suis le maître de ses lieux, et je dilate à


volonté les chairs qui me parent. Jeux d'un feu démoniaque je me
débats, je me retourne. Ce sont de grands coups de pieds dans la
poitrine de ma future mère... Comme je jouis de ses plaintes ! Je
deviens volcan, et mes laves couleront entre ses jambes ouvertes. Des
laves brûlantes qui, je l'espère, feront tordre ses mâchoires et ses
lèvres décharnées.

Et ses mains suppliantes iront chercher le fruit de sa chair entre


ses cuisses... Attendons... Attendons.

Le jour de ses sangs, elle supplia désespérée. Pas la moindre


goutte, pas le plus infime ruisseau tant décrié. Des pleurs, des larmes,
des lamentations et des suffocations qui se répercutaient dans mon
être, moi déjà petite larve vivante.

Et l'angoisse merveilleuse, car moi seul connais le secret, l'angoisse


dans toute sa splendeur ! Le père ! Quel père ? Un accouplement de
passage ? Un ivrogne rotant encore ses flux d'alcool ? Qui donc ? Elle

1230
s'arrachait des masses énormes de cheveux, elle n'avalait plus rien.
J'avais faim !

Elle restait éveillée très tard dans l'impossibilité de fermer un œil.


Durant cette période, j'aurais bien voulu la consoler, mais harcelée
par de languissantes questions, elle n'entendait pas. Ce n'est que
quelques mois après, lorsqu'elle voulut ma mort que je sentis le
besoin de me venger. Je lisais dans son âme comme dans un livre
ouvert. "Expulsion ! disait-elle inlassablement, expulsion, misérable
fœtus ! Tu es ténèbres, retourne dans ton enfer !" C'était elle, mon
enfer et je deviendrai le sien...

Aujourd'hui, la moitié du chemin est parcouru. Encore quelques


sueurs, et le mémorable supplice déjà cent fois conspiré m'arrachera
à son ventre trop étroit. Encore de longues nuits et de nombreuses
angoisses à plaindre. Encore des battements frappant sa poitrine
molle. Oui, je la harcèlerai jusqu'à son terme pour voir la déchéance
envahir son mélange flasque d'eaux sales et entendre hurler sa gorge.
Qu'elle vibre sous les martèlements impénétrables de mes bonds à
venir !

Déjà une semaine ! Ho ! Quelles heures de délices j'ai connu ! Je


l'ai fait vomir. Des hoquets, des jets de baves, des glaires jaunâtres

1231
coulaient sur la descente de lit. Il y avait une odeur affreuse dans la
chambre à coucher, lieu de sa procréation.

Admirable bataille. Je la vis défaillir et tomber dans un état


comateux. Personne pour la secourir. Elle, moi et le temps qui
s'écoulait, et des cris fracassés contre les vitres de la fenêtre. Dans
mon cœur un doux chant s'évadait...

Cette nuit-là, je trouvais un immense repos... Vainqueur, j'avais


amoindri ma victime, et j'en avais fait une esclave enchaînée jusqu'à
sa libération prochaine.

Elle calma ses douleurs avec des drogues douces qui


m'abrutissaient parfois ; Puis avec ses vomissements répétés on lui
interdit l'abus des soporifiques. Je renaissais. Maître en tous lieux et
en tous temps, je me tordais comme une couleuvre en proie à une
bataille sanglante. J'alourdissais son bas-ventre pour la déformer
davantage, pour qu'elle conserve les séquelles d'un meurtre qu'elle
désira...

Quel est l'homme qui parle ? Je sens une main caresser les
rondeurs de sa monstruosité. O douleur indescriptible ! Je subis un
poids effroyable qui me brise les os. Un corps étranger pénètre et

1232
frappe à espaces réguliers les frêles murailles de ma prison. Mon
pouls s'accélère. Je vais cracher mon sang, je ne respire plus. Serait-
ce la mort ? Est-ce la mort qui vient ? Pourquoi cette accalmie ? Plus
rien ne tremble, mais toujours cette masse pesante sur mon faible
corps. Ces maux inconnus, sont-ce des démons qui m'ont déclaré la
guerre ? Ils reviennent à la charge et je ne puis jamais savoir. Peut-
être une nouvelle arme après ses drogues ? ... J'ai failli perdre la vie
dix fois, vingt fois ! Et ce déluge s'est transformé en haine immonde,
en grandioses tortures ! ...

Elle ne se déplace plus. L'énormité de sa charge l'humilie-t-elle ?


Clouée dans un fauteuil, elle confectionne des lainages ; je serai
fagoté pour avoir moins froid ! Qu'est-ce que le froid ?

Je ne pense plus combattre. La grosseur de mon corps me


comprime, je transpire et ne peux qu'à grand mal respirer. Je
suffoque, je crie. Qui entendrait ? Je frappe ce tambour capiteux, mes
mains glissent. Non ! Des forces pour survivre !

Des tourbillons tout à coup ! Je suis dans un entonnoir. Je sens


une force impénétrable me pousser vers un orifice douteux, là même
où autrefois les démons venaient se fracasser contre ma tête. Ce sont
des ténèbres. J'ai peur. La force m'entraîne etc... Je vacille. Je

1233
m'asphyxie. J'ai perdu mon âme ! Serait-ce donc la mort ?

1234
Toute la faiblesse humaine

Toute la faiblesse humaine respire en ce cœur. Point de moqueries


ni de vulgaires rires échauffés par quelque alcool douteux ou quelque
vin mauvais. Ceci est une constatation. La plus impitoyable des
constatations lourdes de conséquences fâcheuses pour l'équilibre déjà
douteux de ma personne.

J'ai le privilège - mot absurde car il ne reflète pas l'exactitude de


mes dires -, de souffrir inexorablement à chaque moment de la vie
comme un être pris d'un mal incurable.

C'est ce muscle qui palpite soixante douze fois par minute qui est
cause de ma future déchéance. Il se resserre l'ingrat et détruit mon
organisme avec subtilité. Il se comprime violemment. Un jour enfin
il éclatera. Ce sera la mort.

Je l'entends s'incruster dans cette partie gauche de ma poitrine,


délimiter son territoire et en faire un fief impénétrable. Je peux
analyser ses moindres agissements, compter le temps passé sur telle
ou telle étape.

1235
Aujourd'hui le voilà armé, et ces attaques légères se transforment
en déroute honteuse. Il agit par pulsions et peut activer ce muscle
jusqu'à deux cents battements en soixante secondes.

Tremblant presque épuisé par cette lutte extrême, je n'ai plus qu'à
baisser les armes et me déclarer vaincu. Mais il n'en reste pas là. Il
s'implante petit à petit dans toutes les parties de mon corps et gagne
impitoyablement de nombreuses victoires.

Hier, il parcourait en observateur, la trachée-artère jusqu'au plus


profond de ma gorge. Il vise, et je le sais, là serait sa suprême
victoire, la partie gauche de mon cerveau (je suis droitier), et rêve
comme un empereur de poser là son trône imaginaire. Il me faut user
d'un stratagème efficace pour enrayer l'avancée ennemie. Une sorte
de petite bombe intérieure qui certes fera de nombreux dégâts, mais
fera reculer à tout (...)

1236
Le stigmatisé

Chaque année, à la même heure, une secousse rythmique se


fracasse contre les parois de mon cœur. C'est un refus inconscient et
momentané de communiquer la sensitive douleur, puis une décharge
émotionnelle grandissante où le corps comme en proie à des
déchirures lancinantes ne peut résister à la délivrance extrême... C'est
un feu venu des enfers qui brûle et se consume dans les méandres de
mon âme. C'est un démon usant de toute sa substance créatrice pour
jouir du mal répété.

Le déluge est de courte durée, mais ses traces sont visibles sur
toutes les parties extérieures du corps : des inflammations rouge sang
qui après huit jours se transforment en petits boutons remplis de pus.
Il faut faire jaillir le pus hors de la peau. A l'aide d'un fin scalpel ou
d'une lame de rasoir, on entaille l'épiderme d'un signe de croix - un
liquide jaunâtre, mal odorant s'écoule rapidement.

L'opération terminée, le tout se cicatrise en une quinzaine de


jours, et de longs sillons bleuâtres apparaissent sur la poitrine. On
dirait des lanières de fouet entremêlées et formant une figure
géométrique ordinaire - de petits carrés. Je passe un baume ou une
vulgaire pommade pour tenter de diminuer les souffrances. Rien n'y

1237
fait. J'attends. Et un bon mois est nécessaire pour que disparaissent
les ultimes séquelles.

L'analyse profonde de ces événements répétés me fut d'aucun


secours. Le phénomène est mathématiquement inexplicable. J'avoue
toutefois que je n'ai jamais osé aborder ce problème avec un homme
de science compétent, peut-être trop timoré pour oser lui dévoiler
cette intime faiblesse liée à ma personne, peut-être trop timide pur
accepter d'être le cobaye de gens inconnues.

Chaque année, à la même heure, une secousse rythmique se


fracasse contre les parois de mon cœur.

1238
Un froid glacial

Un froid glacial foudroie les vitres givrées. Dehors des montagnes


de neige scintillent par une pleine lune hâlée. A l'intérieur, un feu
grandiose pour réchauffer nos deux corps fatigués. Nos petites têtes
posées l'une contre l'autre réclament une chaleur douce et muette, et
mes deux mains dans les tiennes te caressent longuement... avec des
baisers si tendres que tu en gardes le secret.

Je n'irai pas plus loin dans les chemins visqueux, seul avec ma
suffisance pour compagne : plus de longues marches dans les forêts
où les épines de pins s'enfonçaient profondément dans les chevilles,
plus d'insouciantes randonnées à travers champs et ruisseaux. Non !
Plus que toi mon amour - la merveilleuse présence d'une tête blonde
qui m'aime et écoute mes douleurs, et sait rallumer les faibles lueurs
qui me rattachaient à son âme - plus que toi !

Alors que la despotique nuit s'amplifie comme un effroyable


cauchemar, qu'une gerbe de violence tonne et extirpe des
déchirements aux cieux en guerre, viens contre cette bouche et
embrasse délicatement les souffrances stériles de mon âme, et puise
aux sources vives de cet amour que toi seule peux unir jusqu'à la fin
des temps.

1239
Un doute confus

Un doute confus envahit tout à coup sa pauvre âme défunte. On


eût dit un cataclysme immense où des vagues gigantesques naissant
d'une houle tapageuse transportaient et ballottaient son esprit. C'était
un déluge de gouttelettes d'eau frappant son corps avec une force
indescriptible, une tempête qui eût fait gronder un océan fiévreux.
Comme avalant des litres d'eau salée, il sombrait piteusement sans
personne pour lui porter secours, sans main tendue pour le sortir de
l'horrible naufrage.

En certains instants de lucidité, il voyait - ou peut être croyait voir


- une île à quelques milles marins du lieu où il périssait. Dans un
effort surhumain il nageait vers la direction espérée, jetant ses
dernières forces dans ce combat déloyal. Mais après quelques brasses
éreintantes, il s'apercevait que l'île n'était qu'un mirage - un vulgaire
mirage issu de son imagination fertile.

1240
Une hyène féconde

Une hyène féconde se multiplie, procure déjà l'assurance au


peuple, et pour ses nourrissons allaités jouit du malheur qu'elle nous
inflige.

O périssable femelle ! Consume le désespoir de demain, puisqu'il


en est encore temps. Il en sera toujours temps.

1241
Subir continuellement

Subir continuellement l'absurdité de ses remarques toujours


sarcastiques compromettait la solidité de mes nerfs. Non. Je n'en
pouvais plus. Elle avait gagné ce combat déloyal où l'âme s'était
portée mourante. Vaincu, défait de ma personne par une petite
pimbêche de dix-huit ans, je jetai les armes. Il est de limites que
même la sagesse refuse le voir dépasser ! Je quittais son appartement
de la rue des Alouettes et emménageais dans un lugubre deux pièces
situé dans un quartier du moins aussi lugubre et restais là quelque
temps.

Perdue

Perdue aux planes eaux le sauvage s'endort


Et délaisse insouciant les bois qui le paraient ;
L'âme est belle et légère au gré des blonds tourments.

Tu butes

Tu butes imperceptible dans le ventre conçu.

1242
Des hurlements lascifs

Des hurlements lascifs arrachés au spectacle maudit, une


délivrance de pleutres, des promenades équestres, des lointaines
corniches accrochées au mirador. Que pour un Dieu absolu la tâche
s'en mêle !

Puise dans l'onde un souffle neuf où la chaîne se tend lentement,


puise dans les senteurs le triomphe exalté.

Indéfinissable ennemi, ennemi qui ne saura jamais.

Penché sur des souffrances éteintes, et brandissant l'alcool de nos


rimes, penché, déroutant aigle fin, immortel, mannequin de cire !

Des beautés semblaient mourir, des beautés imprégnant leurs


sourires, comme des sœurs, comme des sœurs sans cœur.

L'heure au tintamarre épais, l'heure grandissait et mourrait. Et la


joie orientait ses maléfices.

1243
Le philosophe

Après tant de tristes expériences, j'ai appris non sans quelque


douleur aiguë que la plus sage philosophie était de s'éloigner de la
promiscuité des hommes. Je décidais de fuir à tout jamais la maison
qui fut mienne voilà déjà quarante années, les connaissances qui ne
m'ont apporté que du chagrin, et le paysage merveilleux où je
grandissais en toute quiétude. J'allais me perdre dans un vallon près
de la frontière suisse, à trois heures du plus proche hameau habité,
dans une paisible petite demeure, isolée des regards malsains.

On dut me prendre pour un fou, ou pour un ermite qui eut raté sa


vocation ; les bruits dans le village voisin circulaient jusqu'à mon
oreille par l'intermédiaire de l'avocat R... qui venait de temps à autre
me rendre des visites.

Les premiers mois furent les plus agréables que Dieu me donna.
Durant ces longues promenades en ces saisons de printemps et d'été,
je m'occupais à ramasser des plantes, des fleurs, des mousses que
j'entassais puis rangeais dans un monumental herbier. Je passais des
heures dans les champs et dans les prés, muni d'une pince et d'une
grosse loupe à la recherche de spécimens rares ; et.

1244
Vies

J'ai recouvert les blessures de mes propres os, comme un diamant


bleuâtre et de milles saveurs. J'ai chanté dans des déserts stupéfiants,
volant à l'étoile rouge un durcissement de cœur. J'ai teint l'abîme qui
nous séparait et j'ai joué avec le feu de nos tendresses exquises.

Nous avons dansé au-delà des sombres lumières et brûlé les


couleurs vives d'un été. Nous avons transpercé de linge blanc les
murs de nos anciennes demeures, puis nous nous sommes excusés,
Comme deux êtres incompris,
Comme deux êtres d'hier,
Comme des êtres fous, perdus à tout jamais.

Tu as embrassé l'odeur de mes cheveux,


Tu as posé ton doigt sur ma bouche soufreuse, et
Tu as regagné le ciel livrant un combat ancien.

1245
High Society

Des centaines de robes longues traînant jusques à terre laissant


apercevoir au moindre mouvement un pied bien fait. Des silhouettes
pincées par des ourlets qui amincissent des tailles parfois légèrement
rondes et de gonflantes chevelures déployées sur de larges épaules
nues.

Des rires, des sourires, des compliments, des baisemains, des


regards intéressés ou semblant l'être. Des flots de paroles inutiles, des
voix hautes et déplacées d'une noblesse inexistante ou si basse qu'il
serait désagréable d'en parler.

Des cocktails, des coupes de champagne, des buffets garnis et vite


dégarnis par des affamés, et de stupides mannequins déguisés en
maître d'hôtel pour la circonstance.

Parmi les rares délectations de l'esprit, il en est une qui m'amuse


et me procure le plus grand des plaisirs - je veux parler des
réceptions mondaines quasi obligatoires pour qui se veut de flirter
avec une certaine gent.

1246
Les concierges

Les concierges. Rien de plus stupide qu'un concierge.

Les instituteurs. Rien de plus stupide qu'un instituteur. Petit,


rustre, des œillères de chaque côté de la cervelle, il pense. Du moins,
il croit penser. Il joue au maître dans son petit royaume. Les parents
d'élèves l'écoutent comme s'il détenait toute la connaissance.

Dans les campagnes reculées, le curé, le docteur sont les pontifes


du village. On offre des présents à l'instituteur pour qu'il choie sa
chère petite tête blonde...

1247
L'ivrogne

L'ivrogne siffle le petit muscadet d'un souffle sec de la main. Il


s'empare de la bouteille et remplit le verre qui déborde, le liquide
précieux dégouline sur la table. Le serveur n'essuiera pas les gouttes
de vin. Du revers de la manche, l'alcoolique nettoie le minuscule
territoire.

Malgré l'heure tardive

Malgré l'heure tardive, un monde de curieux s'approchait des


grilles du Palais français. Le