Arjun Appadurai
Apres le colonialisme
Les conséquences culturelles
de la globalisation
Traduit de Uanglais (Etats-Unis) par Francoise Bouillot
Introduction traduite par Héléne Frappat
Préface de Mare Abélés
Petite Bibliothéque PayotCHAPITRE I
Ethnoscapes globaux :
jalons pour une anthropologie
transnationale
Ethnoscape : ce néologisme comporte certaines ambiguités ;
es sont délibérées. Tout d’abord, il se référe aux dilemmes
= perspective et de représentation auxquels tous les ethno-
caphes sont confrontés : comme pour les paysages dans les
ts visuels, les traditions de perception et de perspective
nsi que les variations dans la situation de I’observateur
uvent affecter le processus et le produit de la représenta-
n. Mais j’entends aussi indiquer par ce terme que le monde
1 xx* siecle se caractérise par certains faits bruts que doit
fronter toute ethnographie. Parmi ces faits fondamentaux,
faut considérer la modification de la reproduction sociale,
mitoriale et culturelle de l’identité de groupe. Les groupes
uigrent, se rassemblent dans des lieux nouveaux, reconstrui-
at leur histoire et reconfigurent leur projet ethnique. Dans
= processus, le « ethno » d’ethnographie prend un aspect
syant, non localisé, auquel les pratiques descriptives de
anthropologie deyront répondre. Dans le monde entier, les
aysages didentité de groupe — les ethnoscapes — ont cessé
étre des objets anthropologiques familiers : désormais, les
roupes ne sont plus étroitement territorialisés, ni liés spa-
ement, ni dépourvus d’une conscience historique d’eux-
es, ni culturellement homogénes. On trouve moins de
-ultures dans le monde et davantage de débats culturels inter-
es', Je vais m’efforcer dans ce chapitre, & l'aide d’une série
e notes, de questions et de brefs récits, de repositionner
-ertaines de nos conventions disciplinaires tout en essayant
|
Olde montrer que les ethnoscapes sont aujourd’hui profondé-
ment interactifs.
Modernités alternatives
et cosmopolitismes ethnographiques
L’un des grands défis pour |’anthropologie consiste 4 étu-
dier les formes culturelles cosmopolites* du monde moderne
sans supposer logiquement ou chronologiquement premiére
Vautorité de l’expérience occidentale ou des modéles qui en
sont dérivés. Il semble impossible d’étudier avec profit ces
nouveaux cosmopolitismes sans analyser les flux culturels
transnationaux au sein desquels ils se développent, entrent
en compétition et se nourrissent les uns des autres d’une
fagon qui défie et confond bien des certitudes acquises des
sciences humaines actuelles. L’une de ces certitudes concerne
le lien entre espace, stabilité et reproduction culturelle. TI est
urgent de s’intéresser de prés 4 la dynamique culturelle de
ce que l’on appelle aujourd’hui la déterritorialisation. Ce
terme s’applique non seulement aux multinationales et aux
marchés financiers, mais aussi aux groupes ethniques, aux
mouvements sectaires et aux formations politiques qui opé-
rent de plus en plus sur un mode qui transcende les limites
territoriales spécifiques et les identités. La déterritorialisa-
fion, dont j’ai présenté certains profils ethnographiques au
chapitre précédent, affecte les loyautés de groupes (notam-
ment dans le cadre de diasporas complexes), la manipulation
transnationale, par ces mémes groupes, de devises et d’ autres
formes de richesse et d’investissement, et les stratégies des
Etats. L’affaiblissement des liens entre peuple, richesse et
territoires modifie fondamentalement la base de Ja reproduc-
tion culturelle.
En méme temps, la déterritorialisation crée de nouveaux
marchés pour les compagnies cinématographiques, les impré-
sarios et les agences de voyage, qui survivent grace au besoin
qu’ ont les populations délocalisées de garder le contact avec
leur pays dorigine. Mais ce dernier est en partie inventé : il
n’existe que dans l’imagination des groupes déterritorialisés
Qo