Vous êtes sur la page 1sur 200

-/V~"'-

BIBLIOTHÈQUE

.....
......
til
~4 0 :;ô
tTJ.
Ç)

0
IC(
§ z
>
t""
1:"11

.
4
......,.....--~~

ri
LA CITÉ . D'AOSTE
et

les costumes valdôtains


ROBERT BERTON

,
LA CITE D'AOSTE
ET
LES COSTUMES VALDÔTAINS

Pastels de Hermann Politi


Dessins à la plume de Serge CanaveseJ César Banchieri et Arnaud Musati
Texte et mise en pages de Robert Berton
Préface de Henri MÉNABRÉA
de tAcadémie des SciencesJ Arts et Belles/Lettres de Savoie

938?.

LES EDITIO S D' RT


DUC EDITEUR - AO TE

M.CM.L. V
BIBLIOTHÈQUE RÉGIONALE
AO ST E

FV 4 AOS
·.,
720
BER
l ~----------- '
---~

'

'

!
À LA MÉMOIRE
DE QUELQUES ÉCRIVAINS
D'EXPRESSION FRANÇAISE DU V AL D'AOSTE
RÉCEMMENT DISPARUS:

JOSEPH TR!VES t 21-6-1941 :ËDOUARD BERARD t 7-11-1952

:ËMILE CHANOUX t 18-5-1944 ALBERT DEFFEYES t 22-3-1953

JOSEPH LALE-D:E.MOZ t 15-9-1944 JOSEPH BR:E.AN t 14-6-1953

JOSEPH HENRY t 27-11-1947 JULES BROCHEREL t 1-1-1954

CONSTANTIN DUC t 19-7-1952 JUSTIN BOSON t 30-1-1954

ANDRE FERRE t 29-7-1954

Leur fidélité à la P atrie Valdôtaine et à notre langue maternelle a


puissammnet contribué à empêcher le rameau du Val d~Aoste de se
détacher de rarhre culturel f rançais.
s i le voyageur, l'amateur, le curieux se surprend, au milieu de
tant de beautés, soit à ne pas penser à ce qui l'entoure, soit même à ne
pas penser du tout, qu'il ne se sente pas saisi par le sentiment de l'indi-
gnité, du scrupule . .·Il sera quand même dédommagé de ses peines, il
recevra quand même quelque beau présent. Le fait seul d'avoir séjour-
né parmi ces oeuvres du génie humain le plus respectable, ce fait com-
portera, je l'affirme, un loyer. En quittant l'abbaye, la cathédrale, le
musée, bref le lieu sacré, le voyageur sera changé dans la substance de
son être. Il aura gravi un ou plusieurs échelons de la mystérieuse échelle.
La fréquentation des chefs-d'oeuvre, des sanctuaires, des musées,
des retraites illustres, incline invinciblement notre âme à certaines mé-
ditations fécondes et parfois presque inconscientes. Il arrive que l'atmos-
phère d'un lieu célèbre et célébré ai is e l'esprit du vi iteur, ju tement
dans une minute de vacance, d'incuriosité apparente, et dépose dans
cet esprit quelque très précieuse graine, quelque semence impérissable.

GEORGE S DUHAME L
de l'Académie française
JUSTIFICATION DES TIRAGES

De cet ouvrage il a été tiré trois éditions de luxe :

Editio princeps: 15 exemplaires hors commerce sur


papier de Rives à la forme marqués en chiffres romains
de 1 à XV; contresignés par l'auteur et reliés en plein
parchemin.

Edition pour amateurs: 20 exemplaires hors commerce


sur papier d'Arches de cuve à la forme marqués de A.
à T. Reliure artistique originale en plein cuir chagrin.

Edition «Ad Personam » exemplaires in-folio hors


commerce numérotés à la machine en chiffres arabes
sur pa pier de luxe des papeteries italiennes et dédicacés
à l'impression au nom du souscripteur. Aux premiers
cinquante exemplaires il a été ajouté une gravure à
l'eau-forte, originale, inédite, réalisée par Hermann
Politi et représentant le théâtre antique d'Aoste. Re-
liure parcheminée.

Toute la composition a été levée à la main en carac-


tères elzévirs du corps quatorze. Tirage limité.

Edition ornée de cent trente-six hors-texte, dessins -à la


plume, vignettes, lettrines et culs-de-lampe.

Exemplaire 163

Imprimé au Val d'Aoste " 1955


Clichés " Impression " Copyright: Rohert Berton
Tous droits de traduction, de reproduction et d'adaptation
réserY~s pour tous pays
,
PREFAC 'E
Monsieur,
L'Académie de Savoie ne pouvait qu'accepter avec plaisir votre
souhait d'une préface signée par l'un des siens. Comment cette compa-
gnie, soeur de l'Académie de l'ancien Duché d'Aoste, n'eût-elle pas
été heureuse d'une nouvelle occasion de manifester la persistance des
affinités, amitiés, et parentés liant le Val d'Aoste et la Savoie?
Où a-t-on pu autant que chez nous, suivre avec sympathie et parfois
quelque envie, ce qui depuis dix ans a été fait, chez vous, à la gloire de
votre vallée et de son peuple. Tâche collective et variée intéressant tour
à tour la paléographie, la linguistique, la pédagogie, l'histoire et ·le
tourisme. Un savoyard, même de peu d'informations, passe-t-il les cols
qui si longtemps ne furent point des frontières, il est naturellement
porté plus que quinconque, à s'émouvoir. L'ampleur de vos paysages al-
pestres l'enchante. Il écoute votre parler français, vos patois. Il retrouve
dans vos villages, vos châteaux, vos clochers ce que, dans ses propres
montagnes, un passé souvent dramatique a ruiné.
N'est-ce pas vous dire avec quels profits et curiosités votre ouvrage
sera accueilli en Savoie? On admirera la qualité et le choix de ses illus-
trations. On lira son texte et, avec ce texte savant, on pénètrera au
plus intime de la cité où, par une excellente association de l'archéologie
et de l'histoire, vous avez montré que les destins de votre vallée se
résumaient.
Vos examens, tout techniques qu'ils soient, éclairent en effet la
manière dont, architectures et institutions, le diocèse, les seigneuries
féodales, la province d'Aoste et la région aut<;>nome d'aujourd'hui se
sont peu à peu édifiés sur les assises romaines superposées elles-mêmes

13
aux ouvrages mystérieux d'antiques peuplades pastorales d'esprit fort
indépendant semble-t-il.
À la cathédrale - bâtie, peut-on croire, sur l'emplacement d'un
temple de Diane- vous n'oubliez pas de rappeler que plus de quarante
fois les Princes de Savoie sont venus affirmer, sur l'autel, leur respect
.des franchises; ils consacraient ainsi, à grand cérémonial, les droits
valdôtains au particularisme. Mais, après ces influences souveraines,
vous signalez tout aussi bien, à l'occasion du clocher de St. Bénin, le
rôle de ces éducateurs de la jeunesse notable ou rurale, qui eux aussi
venaient de Savoie ou même de France.
Parmi les précisions nouvelles que vos travaux apportent, vous
apprenez même aux savoyards les noms de leurs compatriotes qui tra-
vaillèrent au cloître gothique et aux stalles de la Cathédrale!
Enfin, et très opportunément · vous indiquez à tout promeneur
voulant recueillir en une dernière méditation ce que viennent de lui
enseigner des monuments et des pierres, le lieu qui lui sera le plus favo-
rable~ la petite place retirée ~t silencieuse où le clocher de style lo~ba rd
de Saint-Ours - un des plus hauts de la péninsule - voisine avec un
tilleul: création de la nature près de celle de l'art. Un tilleul énorme
et toujours vigoureux, depuis qu'au xvr siècle il a remplacé un ormeau
qui, selon la tradition, datait lui-même de l'an mille.
L'an mille époque obscure et lointaine! Il est toutefois certain
qu'alors déjà et depuis plusieurs siècles, florissait la collégiale de
Saint-Ours encore aujourd'hui vivace, peuplée et pleine du souvenir du _
saint homme, dont un magnifique chapiteau roman du cloître tout
proche, raconte les épreuves et le triomphe.
Avec vous, assurément, le savoir archéologique le plus minutieux
ne donne jamais l'impression d'avoir pour objets des choses respectables
mais mortes.
Sans doute, êtes-vous pénétré du sentiment qu'à étudier les formes
prises p~r la vie du passé- fut-ce dans les arts plastiques - on comprend
mieux, on fait mieux comprendre, comment la vie naît, peut durer, en
se transformant, dans son éternelle poussée vers l'avenir.
Cet avenir valdôtain - et non seulement au point de vue culturel -
on y pense avec plus de confiance encore et des voeux encore plus cor-
diaux en se séparant de votre livre. Car, en nous instruisant selon votre 1•

docte spécialité, vous nous avez fait sentir ce qu'il y a de force interne
dans votre patrie. lJne rude et grandiose patrie, conquise par Rome,
devenue burgonde puis savoyarde et sarde pendant des siècles, puis
italienne depuis bientôt cent ans, mais restée toujours dans l'enclos de
ses montagnes et souvent à grand'peine, obstinément originale et
fidèle à elle-même.

Chambéry, le 14 mars 1955. HENRI MÉNABRÉA


Membre de l'Académie des
Sciences, Arts et Belles-Lettres
de Savoie

14
AVANT PROPOS

ouvrage se propose de promener le touriste à travers les


s de l'ancienne cité d'Aoste, patmi les antiquités et les œuvres
d'art célèbres qu'elle renferme. Son capital esthétique provoque
aujourd'hui l'admiration des visiteurs et des érudits qui ont baptisé
Aoste «La Rome des Alpes». Comme un ami discret, et sans entrer
dans des détails vite fastidieux, ce livre sait parfois se taire, pour laisser
parler dessins et pastels, plus éloquents que de longs discours et dont le
langage expressif sera, je l'espère, apprécié comme il convient.

15
Monuments romains, romans, moyenâgeux et modernes, cryptes,
cloîtres, clochers, stalles, statues, trésors, châsses, missels, légendes, tra·
ditions, souvenirs, sont offerts par la cité d'Aoste pour retenir le touriste.
C'est pour fixer les merveilles de ce passé, que ce livre a été conçu,
ces notes rédigées, ces illustrations gravées, le meilleur moyen de parler
à l'esprit, étant souvent, celui de frapper l'oeil.
je ne voudrais pas terminer ces quelques considérations, sans remer-
cier la junte Régionale et la Surintendance des Beaux-Arts, Monsieur
le professeur justin Boson qui m'a très-aimablement fourni de précieux
renseignements, M r le syndic de la ville d'Aoste, Mademoiselle Alda
V entilatici qui m'a permis de consulter les archives, et toutes les per-
sonnes qui m'ont assisté dans ce travail et dont j'ai mis à contribution
l'obligeance et les lumières. ]e suis heureux de témoigner ici une sincère
reconnaissance aux maîtres Hermann Politi, Serge Canavese, César
Banchieri et Arnaud Musati qui ont illustré ce volume avec passion par
leurs pastels et dessins à la plume. Beaucoup de lecteurs lassés par la
multiplicité des magazines, surchargés de photographies, trouveront
dans ces illustrations, détente et authentique beauté. Un remerciement,
aussi à l'Ecole d'art de Zurich, pour les conseils concernant la partie
graphique, et au maître imprimeur, pour son choix de caractères excep-
tionnels, qui donnent une classe esthétique, au tirage de cette pu-
blication.
Puisse ce volume, parler le langage de l'art aux amateurs et deven;r
l'ambassadeur de la cité d'Aoste et de sa vallée, pour les touristes.

RoBERT BERTON

Inspecteur des Monuments et des Beaux-Arts,


Membre de l'Académie des Sciences,
Arts et Belles-Lettres de l,ancien duché d'Aoste

16
PREMI~RE PARTIE

LA CITÉ D'AOSTE ET SA VALLÉE

APERÇU HISTORIQUE
ucoup de savants considèrent les Salasses comme
le peuple aborigène de la région Valdôtaine. De
récentes découvertes semblent démontrer que la vallée fut
peuplée bien avant eux. Nous ne possédons aucun docu-
ment qui révèle les usages, les cultes et l'organisation de
ces peuples primitifs. On a bien trouvé à Villeneuve et
Montjovet des haches en pierre polie, quelques sépulcres,
mais rien qui permette de coordonner et d'utiliser ces
temoignages isolés. On peut seulement supposer qu'ils
édifiaient des huttes pour s'abriter, qu'ils chassaient pour

21
vivre et se défendre contre-les animaux sauvages et proté-
geaient leur propre territoire contre les tribus ennemies.
Les Salasses pénétrèrent en vallée d'Aoste à une . époque
indétermin_ée. Sont-ils venus en conquérants ou en mi-
grateurs pacifiques? On ne sait. C'est un peuple qui possé-
dait un certain niveau de civilisation, capable d'organiser,
construire, cultiver sous la conduite d'un chef nommé
Cordèle. Ils bâtirent une ville, la capitale qui reçut le nom
du chef. La tradition situe Cordèle aux environs de l'an-
cienne église de Saint-Martin-de-Corléans (Cordeleanus -
Corleanus - Corléans ).
Les Salasses appelés par les Romains «pastores in-
domiti » pratiquaient la religion des celtes d'occident, leur
vie sociale était organisée, ils exploitaient les mines d'or
et d'argent abondantes en Val d'Aoste, usaient les monnaies
frappées dans leur cité. Certes, notre documentation est
bien pauvre pour tirer de telles certitudes de quelques
hypothèses émises, contradictoirement d'ailleurs, par cer--
tains historiens. Cependant, comme dit un illustre écrivain
suisse-, il vaut mieux «qu'à défaut de la certitude nous pre-
nions la probabilité pour règle de nos jugements. On par-
vient encore mieux au but à l'aide d'une faible clarté, que
si l'on restait dans les ténèbres».
Vinrent les Romains. Intéressés par la position straté-
gique du pays commandant deux cols importants vers les
Gaules, ils se mettent à nourrir de louches projets. La ri-
chesse du sous -sol est attirante. Et la menace plane sur la
petite ·vallée. Mais elle est défendue par ses montagnes
autant que par le courage et la force de ses habitants et cela
donne à réfléchir aux plus audacieux.
Inférieurs en nombre, mais bien appuyés sur le pays,
les Salasses infligèrent donc aux puissantes légions ro-
maines une éclatante défaite vers 1' an 141 avant J. C. Dix

22
mille soldats romains restèrent sur le champ de bataille
dit-on. Ce ne fut que vers ran 25 avant J. C. que Térence
Varron réussit à les soumettre partiellement. Une grande
route militaire fut ouverte grâce à la sueur et au sang des
esclaves. Il en reste quelques vestiges à Pont-St-Martin,
Donnas, Montjovet, Saint-Vincent, Châtillon, Arvier, Lé-
verogne, Pierre-Taillée. La cité d'Aoste dépeuplée par la
guerre fut occupée par trois mille colons romains {ubi
solitudinem faciunt pacem appellant - Tacite).
Les conquérants bâtirent une ville neuve avec ses rem-
parts et ses monuments. Le petit peuple Salasse fut asservi,
sa vieille capitale prit le nom de Augusta Praetoria {Aoste).
La paix romaine dura quatre siècles en val d'Aoste. Elle
était imposée par un peuple qui « regardait l'univers comme
sa légitime proie et l'indépendance d'autrui comme une
insulte à ses droits » {Toepffer).
Il fallut donc plus d'un siècle pour soumettre les Sa-
lasses {pastores indomiti). Ce fut ce tout petit p~uple des
Alpes qui donna le plus de fil à retordre aux légions! Pour
perpétuer le souvenir de cette importante victoire, Auguste
fit construire à l'entrée de la cité, un arc magnifique, qui est
aujourd'hui le plus remarquable que possède l'Italie, en
dehors .de Rome. Mais les vainqueurs furent eux aussi
balayés. Il ne resta des romains que leurs monuments
qui sont là comme un muet témoignage de leur défunte
grandeur.
A la chute de l'Empire, la vallée d'Aoste fut employée
comme couloir d'invasion par les barbares: \Visigoths,
Goths, Vandales, Bourguignons, Francs, Lombards et Sar-
rasins.
Ver l'an mille, la région entre dans une nouvelle pé-
riode. Les habitants dispersés par les invasions continuelles
se groupent de nouveau, le pays s'organise, un gouver-

23
nement se refrome. Partout on construit des maisons. La
cité se relève de ses ruines. Des châteaux forts se dressent
pour protéger les habitants. Les évêques deviennent comtes
d'Aoste et constituent la première autorité civile du pays.
Des maîtres tailleurs de pierre, des imagiers, travaillent à
la construction et à la décoration des églises, clochers et
cloîtres. C'est la période du style roman.
En 1032, apparaît Humbert Blanches Mains qui octroie
les premières franchises à la Vallée et confie aux Challand,
vicomtes d'Aoste, l'administration du pays en qualité de
représentants des comtes de Savoie. Le régime se per-
fectionne avec la charte des franchises valdôtaines, la féoda-
lité s'organise, lentement, la puissance des comtes de Sa-
voie affaiblit celle des évêques.
La création des Etats généraux, des Audiences géné-
rales, du Conseil des commis, de la Cour des connais-
sances, d'un Hôtel des monnaies, de la charge de Bailli
et d'une armée, donne aux valdôtains un gouvernement
autonome, qui restera célèbre dans l'histoire.
Un code civil et pénal contenant toute la législation
spéciale de la vallée est imprimé sous le nom de Coutumier
en 1588. Des traités de neutralité, signés par la gouver-
nement valdôtain avec ses voisins, éloignent les horreurs de
la guerre. Princes, évêques, baillis, gouverneurs, nobles,
citoyens éclairés se succèdent dans l'administration du
pays, donnant aux valdôtains une ère de calme et de pros-
périté.
Les invasions françaises de 1691, 1704 et des années
suivantes mettent fin à cette avantageuse situation. Le gou-
vernement autonome qui avait administré le pays avec
tant de sagesse disparaît au XVIIIe siècle. La Révolution
française abolit d'un seul coup tout le passé et transforme la
vallée d'Aoste en un arrondissement du département fran-

24
çais de la Doire. En 1848 elle prend rang de province,
puis en 1860 la cité devient une sous-préfecture de Turin,
et en 1926 elle est de nouveau déclarée chef-lieu de pro-
.
vtnce.
A partir de 1860, et plus particulièrement sous la do-
mination fasciste, le gouvernement central entreprit, tantôt
ouvertement, tantôt sournoisement, la lutte contre l'usage
de la langue française, en Vallée d'Aoste. Tentative absurde
dirigée par le zèle de fonctionnaires bornés, qui ne pouvaient
croire au patriotisme d'une population ne parlant . pas la
langue officielle. Les valdôtains, cependant, sont restés at-
tachés à leur idiome maternel et font tout leur possible pour
le conserver. C'est pourquoi, à la fin de la dernière guerre,
les valdôtains se levèrent en masse pour réclamer leurs
droits et le rétablissement de la langue française.
En 1948, l'Assemblée constituante italienne, reconnais-
sant les particularismes géographiques, économiques, lin-
guistiques et historiques du Val d'Aoste, crée la Région
Autonome V aldôtaine qui est .administrée par un Conseil
et une Junte.
Le nouveau statut régional remet en vigueur l'enseigne-
ment du français dans les écoles, il donne à la Région
un certain pouvoir législatif. La Constitution italienne pré-
voit aussi la transformation du pays en «zone franche».
Ainsi, la population valdôtaine fut la première minorité
d'Europe qui retrouva ses libertés historiques au lendemain
de la seconde guerre mondiale. Le lecteur pourra donc·
constater que l'histoire n'est, à quelques détails près, qu'un
perpétuel recommencement.
La cité d'Aoste, capitale de la petite mais fière Région
Autonome se montre brusquement au voyageur qui ar-
rive de la Suisse. Elle est placée dans un cadre équilibré,
elle rassemble autour d'elle le rayonnement aimable des
plaines et la rude domination de hautes montagnes ennei-
gées. Elle s'élève à la confluence de la Doire et du Bu thier.
Son épanouissement industriel et commercial n'a pas
étouffé le milieu historique dans lequel s'élèvent les
nombreux monuments 'de son passé. Parlant d'Aoste du
point de vue archéologique, le baron Malzen signalait que
«ses monuments de l'antiquité sont dignes des grands
souvenirs et, à l'exception de Rome et de Naples, il n'y a
aucune contrée en Italie qui renferme des monuments en si
grand nombre et dans le même état de conservation.
« Ils datent d'une époque antérieure à l'ère chrétienne
et la plupart continuent encore aujourd'hui à servir l'in-
térêt public, conditions rarement réunies. On voyage par
des rues, on traverse des ponts, on passe sous des portes
qui sont l'oeuvre des romains il y a plus de dix-neuf siècles».
Pour les amateurs d'histoire, je crois utile de citer quel-
ques jugements portés sur la cité d'Aoste, par plusieurs
" . .
ecrtvatns.
Au XIIe siècle, saint Anselme signale que «Augusta
Praetoria neque est in Gallia neque in ltalia sed intra fines
Burgundiae et Longobardiae ».
Philibert-Albert Bally, évêque d'Aoste (1659-1691)
considère la V allée d'Aoste placée « nec ultr~ nec citra
sed intra montes ».
Le duc Emmanuel Philibert déclare en 1580 que « le
pays d'Aoste est une province séparée qui ne dépend de
nos autres provinces au deçà ni au delà des monts et qui
a ses lois et ses impositions à part, même que le dit pays
entretient à ses propres frais des gardes et autres officiers ».
En 1725, l'historien De Tillier écrit que « la Vallée
d'Aoste ne doit être ni comptée, ni considérée parmi les
provinces qui con1posent le Piémont ou la Savoie, mais
plutôt comme Etat intramontain, entièrement séparé des

26
Etats voisins, indépendant pour le temporel et pour la
justice, se gouvernant par des lois, par des coutumes et
par des usages à lui particuliers ».
En lisant ces textes, les touristes seront en mesure de
comprendre plus facilement le caractère particulier du pays
et de ses habitants qui, toujours, ont su sauvegarder leurs
traditions et défendre leurs droits. L'esprit calme et ré-
fléchi des valdôtains est façonné par une histoire plus que
millénaire, une vie indépendante et rude. Malgré tous
leurs efforts, les centralisateurs italiens n'ont pu faire dispa-
raître ce particularisme. Si le touriste interroge les hommes
de la mont3:_gne, les guides, les pâtres, les ouvriers de
la campagne, il découvrira chez tous un amour profond
pour leur pays.
La V allée d'Aoste est aimée non seulement pour ses
sites, ses monuments célèbres, ses hautes montagnes, ses
stations de luxe, mais parc~ que dans un monde de plus
en plus effacé sous l'uniforme grisaille de la vie moderne,
elle a su conserver les riches couleurs de sa tradition.
La vie simple et naturelle des montagnards, s'écoule
aujourd'hui avec la même lenteur qu'autrefois, dans un
cadre à peine touché par le progrès.
Ce résumé n'a pour but que de préparer le touriste
à la lecture des pages qui vont suivre, afin qu'il puisse
mieux pénétrer l'âme de la cité d'Aoste, au cours de sa
visite.
Nous conseillons d'emprunter l'itinéraire suivant: Place
Emile Chanoux - Palais Ansermin - Porte Prétorienne -
Tour des Seigneurs de la Porte de St-Ours - Théâtre
antique - Hôtel des Monnaies - Maison de Saint-Anselme -
Arc d'Auguste - Pont Romain - Collégiale de St-Ours -
Musée archéologique - Prieuré - Cloître roman - Clocher -
Tour du Bailliage - Clocher de ste-Catherine - Amphi-

27
théâtre romain - Cathédrale - Cloître gothique - Forum -
Palais Roncas -Tour Neuve- Tour du Lépreux- Remparts
romains - Tour de Bramafam - Tour du Pailleron - Clo-
cher de St-Bénin - Hôtel de Ville - Place Emile Chanoux
- Croix de Calvin.
Cet itinéraire peut être parcouru en une seule matinée
par un touriste pressé, l'amateur lui consacrera une journée,
mais il va sans dire que l'érudit devra consacrer beaucoup
plus de temps, pour réaliser une étude fructueuse de ces
monuments.

28
DEUXIÈME PARTIE

LES MONUMENTS ROMAINS


DE LA VILLE D'ART D'AOSTE
REMPARTS ROMAINS

onstruite à l'époque d'Auguste, la cité d'Aoste que


• les archéologues appellent volontiers « La Rome
des Alpes » avait un périmètre de 2592 mètres formant
un rectangle de 724 mètres sur 572, d'une surface totale de
414.128 m 2• Il est rare de découvrir de nos jours une cité
construite ainsi d'après un plan préétabli et parfaitement

31
<.

réguliér. Les fouilles mettent au JOUr des pièces de mon-


naie, des statues, des vases et quantité d'autres objets
d'intérêt archéologique. Il faut, cependant, creuser à trois
mètres de profondeur pour découvrir les restes de la cité
romaine.
L'illustre historien Gal fait observer que la cité d'Aoste
possède « un avant~ge sur toutes les villes d'Euro pe et
même sur la capitale du monde chrétien, c'est celui de
pouvoir encore aujour d'hui présenter aux touristes les rem-
parts du siècle d'Augu ste qui forment encore son enceinte ».
La découverte des cloaques situés sous les rues a permis
de reconstituer le plan de celles-ci. La cité romaine d'Aoste
était traversée par des rues principales qui s'entrecoupaient

à angle droit. Elles reliaient les bastions opposés des rem-


parts. Ces rues principales aboutissaient à un boulevard
qui longeait les murs de l'enceinte à l'intéri eur de la ville.
Les 16 rectangles égaux formés par les rues principales
étaient subdivisés par des routes secondaires en quatre
quartiers de 85 mètres sur 66. La largeur de la rue (de-
~umanus maxim us) qui reliait les portes Décum ane et
Prétor ienne était de Il mètres y compris les trottoirs.

32
La visite de ce qui subsiste des remparts romains,
débris de colonnes, socles, statues, inscriptions qui faisaient
la grandeu r de la ville est assez mélancolique. Une grande
ruine, disait un savant, c'est une grande leçon, leçon de la
justice, du néant de l'homm e, du temps qui passe et de
l'éternité qui demeure.
Les murs d'enceinte atteignaient une hauteur d'à peu
près 6 m. 50, mesurés à l'intérieur, et une épaisseur de
1 m. 90. L'appar eil de construction employé est l'emplecton,
c'est à dire, des cailloux roulés de la Doire, noyés dans un
mortier qui, avec les siècles, a pris la dureté du granit,
le tout coulé entre deux pans de pierres taillées. L' exté-
rieur des murs était couvert de gros prismes rectangulaires
en tuf calcaire des Alpes. Malheu reusem ent ces belles
pierres de taille, ont été presque toutes emportées par les
seigneurs du Moyen Age, qui les utilisaient dans la construc-
tion de leurs maisons fortes. La partie méridionale de
l'enceinte, appartenait à la noble famille des Challand et
elle garde encore aujourd 'hui quelques pans de murs
intacts, avec leur revêtement externe qui permet au touriste
d'appré cier le travail des romains.
Ces remparts n'ont pas été complètement dénudés grâce
au Conseil des Commi s et aux interdits lancés au XVIIe
·siècle par deux régentes, les duchesses Christin e et Jeanne
Baptiste. Je crois faire une chose utile aux lecteurs avertis,
en publiant « in extenso » à la fin de ce chapitre, les édits
des deux régentes.
D'après les archéologues Promis et d'Andra de, les murs
devaient porter sur leur corniche un chemin de ronde,
d'une largeur de 1 m. 16 avec parapet de 60 centimètres
d'épaisseur et créneaux.

33
.Les murs de l'enceinte étaient renforcés intérieurement
par des éperons en pierre, éloignés de 14 à 16 mètres les
uns des autres et qui auraient permis d'élargir à leur rac-
cordement le chemin de ronde.
On entrait dans la cité par quatre portes: à l'est la Porte
Prétorienne, à l'ouest la porte Décumane, au sud, la Porte
principale de droite à côté de la tour de Bramafam, au nord,
la porte principale de gauche sur l'emplacement de l'ac-
tuelle place Roncas.
Toutes les rues de la cité romaine possédaient leur
cloaque. Ces égouts ornés de voûtes à plein cintre ont
été faussement attribués aux Salasses. Une certaine tra-
dition se trompe également en les faisant remonter aux
Sarrasins. Ces erreurs ont commencé à se répandre au
Moyen Age, elles ont été acceptées sans plus par les an-
ciens qui, à force de les transmettre par tradition orale, leur
ont conféré la consistance d'une vérité.
Vingt bastions fortifiaient les remparts: quatre tours
· aux angles de l'enceinte, deux tours flanquant chaque porte
et deux autres tours sur chaque côté. L'enceinte ne paraît
pas avoir été défendue par des fossés car il n'en reste aucune
trace. Les romains ont sans doute cherché à éviter tout
ce qui pouvait affaiblir le pied de leurs énormes murailles.
La Surintendance régionale a commencé d'importants
travaux autour de l'enceinte pour y aménager une prome-
nade archéologique.

34
' CACHET
LETTRE A
DE S. ;\. R. LA DUCHESSE CHRISTINE
AU CONSEIL DES COMMIS
DU 15 MAI 1645

« La Duchesse de Savoye, Reine de Chypre, Tutrice et


Régente etc. Très çhers, bien amés et féaux, c'est avec
beaucoup de ressentiment .que nous avons entendu que plu-
sieurs -particuliers de vostre Citté se sont émancipés de
prendre des pierres des murallies d'icelle pour s' enservir
à leur propre, ce que ne croyant pas raisonnable de devoir
.tollérer, nous. vous disons et expressément ordonnons de
faire informer contre les dits particuliers que vous pourrez
reconnoistre avoir enlevé des pierres des dittes murallies
et de procéder et faire procéder contre eux aux peines dont
vous les jugerez dignes pour ce fait, puisque de ce faire
nous vous conférons toutte !'-autorité requise et nécessaire,
ce que vous ne manquerez d'exécuter avec toutte la promp-
titude, zèle, soins et diligences que nous nous y pourrions
promettre de vous, parceque nous voulons que semblables
délinquants servent d'exemple aux autres pour n'être point
imités en ces abus et témérités, à tant nous prions Dieu
qu'il vous ait en sa sainte garde».
Turin ce 15 de may 1645.
Chestienne.

35
ÉDIT DE S. A. R.
LA DUCHESSE RÉGENTE JEANNE-BA PTISTE
DU 20 AVRIL 1679

« Marie Jeanne- Baptiste, par la grâce de Dieu, Duchesse


de Savoye, Princesse de Piémont, Reine de Chypre etc.
mère et tutrice de S. A. R. Victor Amé second par la grâce
de Dieu Duc de Savoye, Chablais, Aoste, Genevois et Mont-
ferrat, Prince de Piémont, Roy de Chypre, et régente de
ses Etats. Nous ayant esté représenté que plusieurs parti-
culiers du duché d'Aoste appuyent leurs maisons sur les
murallies de la citté sans en avoir aucune permission, et
s'attribuent l'autoritté d'y faire des portes, fenestres et au-
tres ouvertures, ce qui est fort contraire à l'ornement et
à la sureté de la ditte citté et à nos intentions, et comme
les murallies des villes, pour se servir de l'expression des
lois, doivent être saintes, et que personne n'y peut toucher
sans l' autoritté du souverain, par ces présentes signées de
nostre main, de nostre certaine science, pleine puissance
et autoritté souveraine, eu sur ce l'avis du Conseil résidant
près de nostre personne, nous deffendons à touttes sortes
de personnes de quelle qualitté qu'elles puissent estre,
d'appuyer à l'avenir leurs maisons et autres édifices aux
murallies de la citté d'Aoste, d'y faire des fenestres et au-
tres ouvertures ny de détacher ny enlever des pierres
de dittes murallies à peine de cinq cents escus d'or, la
moitié applicables au fisque de S. A. R. et l'autre moitié
aux réparations de la ditte citté et autres à nous arbi-
traires, voulant en outre que ceux qui se trouveront avoir
fait des portes, fenestres et autres ouvertures sans aucune

36
1 '

permission légitime les ferment dans le mois depuis la


publication des présentes, sauf de faire apparoistre des
dittes permissions dans le dit terme par devant nostre très
cher bien amé et féal consellier le viballif et lieutenant
au gouvernement du duché d'Aoste Beltram, auquel et au
Conseil des Commis nous ordonnons et très expressément
commandons de tenir main à l' entiére exécution des pré-
sentes et de les faire publier à la maniére accoustumée
car ainsy nous plaît». - Données à Turin le 20 avril 1679.
Marie Jeanne-Baptiste Lescheraine

Dans l'édit de Charles-Emmanuel, du 18 janvier 1758,


confirmant le Conseil des Commis et fixant ses attributions,
nous lisons au paragraphe 30 : « En renouvellant enfin
les ~nhibitions et les dispositions portées par l'édit du
20 avril 1679 et de la lettre à cachet du 15 may 1645 au
sujet des murs de la Cité d'Aoste, notre intention est
encor, qu'à l'instance de l'avocat fiscal, le Conseil puisse
procéder contre les contrevenants ».

37
TOUR DU PAILLERON

tour romatne fait partie des vingt bastions,


evés par les romains sur les murs de l'enceinte,
pour servir de corps de garde et de magasins.
La tour du Pailleron, ainsi nommée parce qu'elle servit
pendant longtemps de pailler, est, avec celle du Lépreux,
l'unique tour romaine qui a survécu aux injures du temps
et des hommes. Elle peut encore servir aujourd'hui de
témoin, pour les archéologues intéressés par les formes et
proportions de ce genre de construction militaire (9 mètres
sur 10).
Un incendie détruisit une partie de la tour du Pailleron,
vers la moitié du XIXe siècle. En 1899 le Surintendant du
Piémont, Alfred d'Andrade fit reconstruire les parties en-
dommagées. Il utilisa des briques d'une couleur différente,
afin d'éviter toute confusion en-
tre l'authentique et la restaura-
tion. Dans sa partie inférieure, le
bastion conserve encore presque
intact son revêtement de blocs
en calcaire des Alpes. On entre
dans la tour par deux portes la-
térales de 2 m. 75 sur 1~m. 03.
Elles donnaient accès au chemin
de ronde qui se développait sur
toute la longueur de 1'enceinte.
,
PORTE PRETORIENNE

masse lourde et noircie par les siècles de la porte


Prétorienne, fait l'admiration de tous ceux qui la contem-
plent. Historiens et archéologues sont d'accord pour ad-
mettre que c'est une des plus belles et des mieux conservées
qu'on peut trouver en Europe. La majesté des pierres
équilibre la grandeur de ce monument romain, le plus
typique existant en V allée d'Aoste. L'exhaussement gé-

néral du sol, a retiré un peu de hauteur aux portes, car le


pavé de la voie romaine, se trouve à · 2 m. 60 au-dessous
du niveau de la rue moderne.

39
La cour d'armes qui servait au stationnement des troupes,
est la plus vaste de toutes les portes romaines connues.
Elle mesure 11 m. 87 sur 19 m. 80 avec une superficie de
235 m 2 • Elle a retenu l'attention des érudits. Le fameux
archéologue Promis, affirme qu'elle était destinée aux troupes
de réserve, chargées d'en assurer la défense. Elle était
conçue de telle sorte, qu'un ennemi réussissant à y péné-
trer, se serait trouvé écrasé sous les projectiles lancés de la
galerie supérieure.

Construite avec d'énormes quartiers de poudingue, elle


comporte une double rangée d'arcades. Les arcades exté-
rieures ont 4 m. 53 d'épaisseur. Elles se fermaient par des
herses coulissantes nommées « cataractae » par les romains.
Les arcades intérieures épaisses de 3 m. 45 présentent,
comme les premières, trois voûtes d'inégale hauteur. Celle
du milieu mesurait 7 mètres de largeur pour laisser passer

40
les chars. Les voûtes latérales prévues pour les piétons
atteignent 2 m. 64 de largeur. Une magnifique frise en
marbre blanc, surmontée d'une corniche à consoles sculptées,
ornait la façade extérieure; le reste du monument étant
recouvert d'un marbre gris-verdâtre nommé bardiglio
d'Aymavilles. Avec une rare maîtrise de son art, l'architecte
ne laissa pas aux sculpteurs la liberté de surcharger le monu-
ment dont il a sauvé l'élan des lignes principales. Cette partie
des portes fut malheureusement dégradée par le temps.
Elles portent d'affreuses cicatrices. Une niche existait de
chaque côté de l'arche centrale. Les archéologues pensent
qu'elle devait contenir une statue de l'Empereur ou quelque
trophée d'armes.
Pour fixer le mieux possible la beauté de ce monument
dans l'esprit de mon lecteur, je cite la description qu'en a
donné l'archéologue Promis : « fra i migliori monumenti
della romana architettura militare va senza dubbio la porta
pretoria di Aosta, la quale fatta di getto, in spazio libero,
ai tempi della maggiore potenza romana, vinse ogni altra
per bontà di combinazione e di struttura, per mole e per
carattere. Le porte erano dagli antichi tenute in gran
conto, perchè congiungenti la civile con la militare archi-
tettura, dotate di carattere
distinto e specialissimo, ed
apprezzate a segno, che moite
furono dai romani perpetuate
in medaglie». Force des propor-
tions, science des combinaisons,
majesté de l'ensemble 1
THÉÂTRE ROMAIN

1 est le plus original et le plus important de ce type


de monuments construits par les romains dans les
cités du Piémont et de la Ligurie.
D'après M. Romain Fausti, professeur d'archéologie à
la Grégorienne, ce théâtre est l'un des plus beaux de l'é-
poque d'Auguste. L'élan grandiose de ses hautes lignes
verticales est admirablemen t compensé par la puissance de
ses assises horizontales.
Hautes de 22 mètres, chargées de vingt siècles, ces ruines
restent un magnifique exemple de construction avec arcs
et trois séries de fenêtres de différentes formes. Les gigan-
tesques piliers en blocs de poudingue sont habilement conçus
comme motifs décoratifs au lieu des colonnes, ils sont admi-
rables par leur majesté et l'austère beauté de leur style.
Dans leur extrême simplicité, ces vestiges ne dénotent
aucune influence grecque.
Les visiteurs pourront très facilement recréer par l'ima-
gination l'unité bri-
sée par les siècles.
La beauté imaginée
est souvent plus
prenante que la
beauté visible ...
Selon toute pro-
babilité, le théâtre
n'était pas recouvert d'un toit fixe. On tendait simplement
un vélum (velarium) pour protéger les spectateurs du soleil
ou de la pluie.
Précédée de portiques la scène se trouvait au nord et
le public du côté du midi. Les gradins actuels, au nombre
de sept, devaient être bien plus nombreux. Ils s'élevaient
probablement jusqu'à 11 mètres de hauteur contre la grande
muraille située au sud. Destiné sans doute aux autorités
de la colonie romaine, un large « podium » pavé de grosses
plaques de pierre interrompt les deux premières rangées
de gradins.
La forme semi-circulaire des gradins coexistante avec
le plan des grands murs externes est, selon le surintendant
Rosi: « una cosa cosi insolita da rendere incerta qualsiasi
paragone con altri esempi meglio conservati. L' originalità di
tale anomalia deve ricercarsi in esigenze di carattere edi-
lizio, cioè come per il teatro piccolo di Pompei, nel tracciato
prestabilito di strade o di costruzioni adiacenti » .
Le théâtre pouvait contenir trois à quatre mille per-
.
sonnes environ.
Même après les fouilles extrêmement actives de ces
dernières années on n'a pu trouver un document con-
cernant la date précise de la construction. Toutefois, par
l'examen des formes architectoniques, d'après l'harmonie
des lignes et du style recherchant à la fois l'équilibre et
la grâce, on peut sans
crainte d'erreur faire re-
monter le théâtre aux
premières décennies de
l'Empire.
Cette imposante façade
dont les murs démantelés accusent le vandalisme des hom-
mes, plus terrible que l'oeuvre de désagrégation du temps,
fut sauvée par le prieur Jean Antoine Gal. En 1833 il
partit seul à pied, pour Turin, et là il fit interdire par
décret royal la démolition du monument, dont les pierres
devaient servir à la construction de l'Hôtel de Ville d'Aoste 1

44
, ,
MUSEE ARCHEOLOGIQUE

a cité d'Aoste si riche en monuments romains et


médiévaux (aujourd'hui encore la moindre fouille met au
jour quantité d'objets anciens), devait avoir son musée
archéologique. Dans l'attente de locaux plus vastes, il se
trouve actuellement au Prieuré de la Collégiale, dans des
pièces situées au midi. Certaines salles contiennent les
antiquités préhistoriques, d'autres les antiquités romaines.
Soigneusement étiquetées, les pièces ont été classées selon
un double critère de science pure et de vulgarisation cul-
turelle. Elles sont doublées par de nombreux commentaires,
dessins et photographies.
On y pourra admirer des lampes marquées à l'aigle,
des vases romains, des têtes en terre cuite, des fioles lacry-
matoires et des urnes en verre, une plume et des statuettes
en bronze, des fragments de couronne et de bas-reliefs,
une tête de Persée, des vases taillés en pierre ollaire,
des monnaies anciennes, lampes sépulcrales, couteaux, une
épée de bronze préromaine, un buste de Jupiter en argent,
des inscriptions dédicatoires sur plaques de bronze et de
marbre bardiglio d' Aymavilles (plus de 30), des pierres
tombales décorées de rosaces, des marbres funéraires, le
socle d'un cheval de bronze doré, fragment d'une statue
équestre grandeur naturelle, etc. ...

45
. Dans son nouveau local au palais Roncas, ce musée
prendr~ une importance particulière pour les amateurs
d'archéologie.

46
PONT ROMAIN

147 mètres au-delà de l'Arc d'Auguste, existe une


magnifique construction, un pont de l'époque romaine dont
l'arche unique est faite de blocs de poudingue énormes.
De nombreux spécialistes pe_nsent que ce pont est unique
dans tout le Piémont.
Empereurs, évêques, baillis, pèlerins, armées et voya-
geurs franchirent ce pont jusqu'au XIe siècle. A cette époque,
à la suite d'une crue extraordinaire, le Buthier (Bauthegium)
creusa le nouveau lit dans lequel il coule de nos jours et le
pont romain tomba en désuétude.
L'arche possède une portée de 15 m. 10 et une largeur
de 5 m. 95. Les culées sont actuellement enfouies sous les
alluvions. Le temps et les invasions barbares ont dégradé
ce monument mais ses restes témoignent encore de sa gran-
de:ur. En plus de la surprenante puissance de son arche,
le pont se distingue de ceux que
les Romains construisirent dans
le V al d'Aoste, par les dimensions
énormes des blocs qui soutien-
nent sa voûte. Il faut descendre
sous l'arche pour estimer à sa
juste valeur la hardiesse des por-
tées, la précision de l'assemblage
e.n tre les blocs, malgré leurs formes irrégulières.
La Surintendance des Beaux-Arts est en train de dé-
gager ce merveilleux monument romain, des alluvions qu1
1'ont aux trois quarts enseveli.

48
'"
AMPHITHEATRE ROMAIN

ti par les Romains à l'époque d'Auguste au nord


u théâtre, il est situé dans 1' enclos où se trouve
actuellement le couvent des soeurs de St-Joseph. Le temps
et les hommes ont dégradé considérablement ce monument.
Faute de documents il est difficile de préciser la date de
sa construction. Elle doit être contemporaine de celle du
théâtre. Il comptait soixante arcades disposées en forme
elliptique sur deux axes de 86 m. 14 et 73 m. 86. Creusée
à une certaine profondeur pour réduire les superstructures
en maçonnerie, l'arène mesure 60 et 47 m. de diamètre.
Les spectateurs pénétraient dans l'amphithéâtre par douze
vomitoires.
Les places étaient rigoureusement déterminées par des
textes législatifs. On a trouvé à Arles une « tessera amphi-
theatri » comportant la phrase suivante: CAV. II CUN.
V GRAD. X - gladiatores - vela erunt (2e travée - Sème
angle - Xème gradin - spectacle de gladiateurs - il y aura
des toiles).
Comme dans presque tous les amphithéâtres, on a placé
autour de l'attique, et deux par deux entre les pilastres, des
consoles qui portaient de petites ouvertures rondes. Les
poteaux de soutien du vélum étaient fixés dans ces trous.
La grande toile du
vélum garantissait les
spectateurs de la pluie
ou du soleil, mais elle
ne pouvait être ten-
due quand soufRait le

.- - ....~- !:::» •
vent. L'affiche annonçant le spectacle portait en effet ces
mots « Il y aura des toiles si le vent le permet ».
Dans son livre « I.,es antiquités d'Aoste» le savant
Promis estime que l'Amphithéâtre d'Augusta Praetoria
pouvait contenir d'après ses dimensions et ses nombreux
gradins, environ vingt mille spectateurs. Les normes des ro-
mains prévoyaient qu'un théâtre devait admettre le tiers
· des habitants de la ville. Aoste aurait donc compté quelques
soixante mille habitants. Ce chiffre nous paraît bien exa-
géré. En réalité le monument devait être calculé pour
accueillir également les nombreuses troupes allant ou reve-
nant des Gaules.
Des soixante arcades de 2 m. 24 d'ouverture qui soute-
naient le mur d'enceinte, nous ne possédons plus que 8.
L'amphithéâtre était orné de colonnes en marbre gris
d'Aymavilles. Une demi-colonne seulement est restée de-
bout. Leur fût n'était pas monolithique et, chose remar-
quable, les divers tambours n'étaient pas posés à inter-
valles réguliers.
« Cette irrégularité- selon l'historien Aubert- ne peut
s'expliquer que par l'impossibilité de trouver dans le pays
des marbres suffisants, pour tailler le fût des colonnes d'un
seul morceau et par le désir de
profiter cependant de toute la lon-
gueur des blocs tirés des carrières» .
L'amphithéâtre est l'unique
monument romain de la ville où
l'on n'a jamais entrepris de fouil-
les d'une certaine ampleur. Sou-
haitons que la Surintendance, vu
l'importance de cette construction,
réalise les travaux de recherche qui
s'imposent.
FORUM ROMAIN

'est la première construction fortifiée élevée par les


romains dans la plaine d'Aoste. Elle est antérieure aux
remparts. Elle permettait aux troupes de passage de prendre
quelque repos à l'abri des incursions salasses et de s'appro-
visionner avant le passage des cols. En tuf calcaire et de
forme rectangulaire cette construction mesurait 84 mètres
d'est en ouest et 72 mètres du nord au sud.
Rempli par des débris de toute sorte, le forum fut déblayé
de 1910 à 1920. L'intérieur du crypto-portique (la galerie
souterraine) est formé par deux corridors communiquant
entre eux au moyen d'arcades en tuf calcaire des Alpes,
qui sont soutenues par des pieds-droits d'une largeur de
1 m. 16. Les passages ont une largeur de 3 m. 50 et sont
éclairés par de petites fenêtres pareilles à des meurtrières
s'ouvrant à ras de terre sur
l'enclos. L'ouverture des ar-
cades est de 2 m. 30.
Après l'achèvement des
remparts, le crypto-portique
fut transformé en forum. Le
peuple venait y traiter des af-
~ c::
faires publiques, nommer ses aaaa

magistrats et tenir des marchés. ~


Au sud, le mur frontal de

~
aa
?c::

=====.!:===:.=::!.===::,....., 0 0 ~~~~~~~~ 0 • ,......_.._


~ u
, ca::::a::::aJO 0 0 0 o 0 o 0 0 • o o 0 0 0 0 0 o o o o 0 o o o o o o o o o o 0 e • e e e o o o e o o e 0 •
l'enclos, portait une rangée de colonnes, surmontée d'un
entablement de corniches qui formait une galerie haute de
5 mètres et large de 3 m. 40.
Un grand temple païen à six colonnes occupait à peu
près le centre du forum. On peut aujourd'hui encore
admirer une partie de ce temple, en visitant la maison de
l'archidiacre. C'est en 1920 que ces fondations ont été
mises au jour à l'occasion des fouilles ordonnées par la Surin-
tendance. Les six colonnes en poudingue du pronaos
mesuraient 7 mètres de hauteur. À l'ouest du grand temple
s'élevait un piédestal en poudingue qui devait probable-
ment servir de socle à quelque statue. Deux autres temples
plus petits, comptant seulement quatre colonnes frontales,
s'adossaient au mur de l'enclos.

52
ARC D'AUGUSTE

'Arc d'Auguste, un des plus beaux monuments du


genre possédé par l'Italie hors de Rome, fut élevé en même
temps que la cité d'Aoste, 24 ans environ avant J .C.
C'est le plus ancien des arcs triomphaux édifiés dans
l'Empire, à l'époque des Césars. Son érection fut décidée
par le Sénat et le peuple romain pour commémorer la
défaite des Salasses.
Ce monument aux nobles proportions a résisté au
temps, aux hommes, aux furieux assauts du Bu thier; sa
cuirasse de pierres a été patinée par les siècles.
Sa beauté paraît s'épanouir à certains moments qu'il
faut saisir, spécialement par un crépuscule d'automne, alors
qu'il retient sur ses puis-
santes murailles, les der-
nières clartés du jour.
Il fut édifié à 354 mè-
tres à l'est de la Porte Pré-
torienne. Son style partici-
pe de 1'ordre corinthien
et dorique, avec un fronton
orné d'un frise décorée ·
de triglyphes, de métopes
et de belles moulures.
Çette combinaison architecturale, est exceptionnelle dans
les constructions romaines et elle est bien plus rare que la
composition de colonnes corinthiennes, avec entablement
. .
Ionique.
Par cet heureux mélange d'ordres architecturaux le
réalisateur a montré son tempérament original. Tout en
respectant les principes fondamentaux de son temps, il a
su réaliser en dehors des sentiers battus, un merveilleux
monument.
Ce chef-d'oeuvre ne possède qu'une seule arcade, large
de 8 m. 89 et, mesurée sous la clef de voûte, haute de 11 m. 50.
Le poudingue a été employé pour sa construction comme
dans celle de tous les autres monuments d'Aoste. Les opi-
nions diffèrent quant à la nature de ce poudingue. La vue
de gros cailloux presque cimentés dan.s ce poudingue, a
conduit certains érudits à penser qu'il s'agissait là de pierre
artificielle. (L'historien De Tillier, l'inspecteur des monu-
ments Bérard). D'autres savants pensent que? ces blocs
proviennent d'un mélange naturel de petits cailloux roulés,
qu'on peut trouver au bord de la Doire (Promis, Henry,
Boson). L'examen de cer-
tains blocs me fait pen-
cher en faveur de"'~· cette
dernière opinion. Je si-
gnale la controverse pour
que le visiteur éclairé
cherche à tirer des con-
clusions personnelles.
Contrairement à toutes les
constructions romaines de
la cité d'Aoste que les
débordements du Buthier ont recouvertes de plusieurs
mètres d'alluvions, l'Arc d'Auguste se trouve en suréléva-
tion de presque quatre-vingts centimètres, la base émer-
geant d'une pierre et demie du niveau de la route actuelle.
L'historien De Tillier nous signale dans son « Histo-
rique de la Vallée d'Aoste» que l'Arc d'Auguste devait
aussi «être orné à l'entour de trophées, d'armes, d'inscrip-
tions et d'autres emblèmes glorieux. Cette opinion se
change en certitude si l'on considère les niches latérales
pratiquées entre les colonnes des deux faces et le trou où
furent probablement plombés ces crochets de fer, soutenant
ces trophées et ces inscriptions» . .
L'attique qui surmontait l'arc et auquel les archéologues
attribuent une hauteur de 5 m. 50, avec une base horizon-
tale de 168 m. 2 ' portait une inscription dédicatoire qu'on
ne connaît pas. Toutes les épigraphes reportées par les
artistes N ewdigate, Piranesi, Rossini, etc... sur leurs gra-
vures ne sont guère plausibles. V ers le début du siècle,
en creusant le sol près de 1' arc, on a trouvé les fragments
de deux lettres romaines en métal doré (RR) qui faisaient
très probablement partie de cette inscription.
D'après des chartes du XIIe siècle, l'arc aurait été la
propriété de la famille DE ARCUS vivant tout près du
.monument. On lui reproche d'avoir démoli l'attique et
d'avoir utilisé ses pierres de taille pour la construction d'une
maison, ces pierres formant, d'après les savants, un volume
d'environ 900 m.3 !
Des docun1ents du Moyen Age nomment l'arc «Saint
Voult » Sanctus Vultus. Cette appellation eut force d'usage
depuis le XIe siècle. Plus tard un crucifix fut placé sous
la voûte, pour remplacer une image de Notre-Seigneur qui

55
s'y. trouvait depuis les temps les plus reculés. Le crucifix
actuel date vraisemblablement de l'expulsion de Calvin de
la Cité d'Aoste.
Au XVIe siècle d'aucuns voulaient, en élargissant une
des niches, placer une chapelle sous la voûte comme il
avait été fait pour les Portes Prétoriennes, les monuments
romains représentant des témoignages païens qui devaient
être christianisés. Il ne paraît pas que cette chapelle ait
jamais été bâtie.
D'après un document du quatre Octobre 1506, le Duc
Charles III fit cadeau de l'Arc d'Auguste au Prieur Georges
de Challand qui désirait le restaurer. La mort du mécène,
en 1509, interrompit ce travail.
Le premier toit d'ardoise qui coiffa le monument date
de 1716. Dans sa réunion du 27 Avril1716, le Conseil des
Commis avait donné pouvoir au seigneur Passerin d'En-
trèves, de réparer l'Arc d'Auguste en faisant retirer les cha-
piteaux démolis et recouvrir le fronton de grosses ardoises.
Ces réparations ont préservé le monument d'une ruine
totale.
« Si le vieil arc pouvait nous raconter toutes les vicissi-
tudes dont il a été le témoin - a dit le Professeur Frutaz -
il nous en redirait de vieilles histoires. Il a vu défiler les
grands apôtres des Gaules, saint Martin, saint Remi, saint
Hilaire, saint Léger, saint Léon IX, en 1049, Eugène III
en 1148, Charlemagne, de retour d'Italie, en 774, Rodolphe II
en 923, Barberousse en 1175, Béranger II et les premiers
Aléram, les invasions barbares, Sarrasins, Bourguignons,
Francs et Lombards, les comtes de Savoie, les armées
françaises, espagnoles, germaniques et Bonaparte le 20
Mai 1800; souverains, guerriers, princes, évêques, baillis, ,

56
gouverneurs, nobles et châtelains, troubadours, pèlerins,
paysans de la campagne, jeunes épouses villageoises, tout
le monde a salué le vénérable Saint V oult ».
En 1804 on devait placer de grands trophées sur l'arc
en l'honneur de Napoléon. Ces «embellissements» fu-
rent évités par miracle.
En 1912, l'ancienne toiture trop lourde et vétuste, fut
entièrement refaite par le sénateur Ernest Schiapparelli
et le monument r~touché dans ses parties abîmées. Cette
réfection savante permet aujourd'hui aux touristes, d'admirer
1' arc dans un bon état de conservation.
Des poètes, des écrivains, des artistes peintres ont été
séduits par ce monument grandiose. Ils ont exprimé et
expriment encore, chacun selon son inspiration, les senti-
ments qu'il fait naître chez ceux qui le contemplent. On
y lisait autrefois cette inscription gravée sur une plaque de
marbre:

Le Salasse longtemps défendit ses foyers.


Il succomba... Rome victorieuse
Ici déposa ses lauriers.

57
TROISIÈME PARTIE

LES MONUMENTS DU MOYEN ÂGE


ET DE L'ÉPOQUE MODERNE
DE LA VILLE D'ART D'AOSTE
PALAIS ANSERMIN

ut près des portes romaines, la façade élégante et


· ·en équilibrée du Palais Ansermin, construit vers le
commencement du XVIIIe siècle, retient l'attention des
touristes qui passent par la rue des Portes Prétoriennes.
C'est un hôtel qui, malgré les restaurations, a gardé
plusieurs détails intéressants. Cette construction, de style
Renaissance, marquant une époque de transition, tend vers
l'horizontale; le tout est cependant dépouillé de la pré-
tention au grandiose. L'équilibre des volumes est exprimé
avec beaucoup de simplicité.
A cette simple harmonie de la construction s'ajoute,
sans surcharger la façade sur un point choisi, un admirable
portail et un balcon en style baroque, gravitant autour du
centre du palais.
Ce détail est parfaitement à l'échelle de la construction
que le jeune artiste peintre Canavese a si bien rendu par
son dessin à la plume. Il aurait été construit, selon toute
probabilité, par l'architecte Juvara.
Le Palais Ansermin est bâti sur les fondations de con-
structions romaines. Dans les caves du palais, on peut encore
aujourd'hui observer le- cloaque voûté à plein cintre, du
decumanus maximus, ex-rue principale romaine de la cité
d'Aoste.
Le Palais tel qu'on le voit aujourd'hui, synthétise l'union
et la transformation de deux anciennes b~tisses, l'une de
l'an 1000 de même style que la maison Saint-Anselme
avant sa réparation, et l'autre de 1200.

61
.Entre ces deux anciennes maisons, construites sur des
fondations romaines, passait une petite rue qui, de la région
de 1' Archet à travers les ·vergers, allait aboutir au théâtre
antique. Une partie de cette rue a été supprimée par la
construction de l'actuel palais Ansermin, vers l'an 1700.
La grande porte d'entrée et le long corridor correspondent
à l'ancienne rue qui passait au milieu des deux maisons.
Les touristes peuvent aujourd'hui encore observer sur la
façade du palais, les restes de fenêtres en pierre croisillon-
nées, des constructions précédentes.
Les seigneurs de Challand, furent les premiers qui
cherchèrent à unir les deux anciennes maisons, en construi-
sant un hôtel unique; mais seulement plus tard les nobles
Pallavesin de La Crête, barons de Gignod, réussirent à
terminer la construction.
Le marquis Pallavicini qui avait épousé une héritière
des seigneurs de La Crête, prit le nom et les armoiries de la .
noble famille de La Crête baron
de Gignod, ainsi que l'avait ordonné
le noble Jean François par son te-
stament. Les armoiries des marquis
Pallavesin La Crête, baron de Gi-
gnod, portaient : cinq points de gu eu-
les équipollés à quatre d'argent,
au chef d'or chargé d'une aigle aux
ailes éployées à deux têtes de sable
becquée, membrée et couronnée de
gueules.
Le Palais fut aussi la noble de-
meure des barons de Nus. Plus
tard, en 1802, il devint propriété de
Mr Augustin Ansermin. La muni-
cipalité d'Aoste occupa une partie de
cette construction pendant qu'on bâtissait l'Hôtel de Ville.
Cette vieille bâtisse dont le toit a été complètement
détruit en 1927 par un immense incendie, a partiellement
sauvegardé sa personnalité au cours des siècles dans plu-
sieurs détails intéressants. L'escalier, de grand caractère,
avec ses quatre piliers qui jadis soutenaient quatre magni-
fiques statues et la balustrade baroque en fer forgé, sont
remarquables.
Le plafond de l'escalier était en bois à caissons, plus
tard il a été détruit et remplacé par une vilaine voûte en
brique. Il n'y a pas longtemps les touristes pouvaient encore
voir le salon des meubles, la grande salle d'hiver et la
magnifique salle du trône où les seigneurs valdôtains ren-
daient la justice, en jetant dans la balance, leur poids de bons
sens et d'équité.
Jusqu'en 1932, on pouvait encore admirer une cheminée
péters bourgeoise en faïence bleue et blanche.
Aux injures du temps, s'ajoutent aujourd'hui, les dépré-
dations des onze propriétaires qui logent dans 1'hôtel et
continuent à chang~r et à modifier les locaux. Il est à sou-
haiter que la Surintendance des Beaux-Arts, ~renne les
mesures nécessaires pour sauver cet édifice, qui est un
véritable monument national.

63
TOUR DE LA PORTE DE SAINT-OURS

ette grande tour carrée «gardienne en même temps


ue sentinelle de la ville à l'époque où il fallait veiller
à gauche comme à droite», fut édifiée au XIe siècle sur un
bastion romain, à côté des Portes Prétoriennes.
Elle appartenait à la noble famille des seigneurs de la
Porte de Saint-Ours et
de Quart (de Porta Sancti
U rsi). Ceux-ci avaient
droit de juridiction sur les
terres du bourg Saint-
Ours.
En 1800, l'administra-
tion locale y installa les
archives. On y conservait
les actes notariés et on
l'appela la tour de l'Insi-
nuation. L'alternance des
lourdes murailles des por-
tes prétoriennes adossées
à la Tour, avec les petites
pierres de taille de la mai-
son forte, décore l'exté-
rieur de cette intéressante
construction moyenâ-
geuse.
FOIRE DE SAINT-OURS

ue année, à la fin de Janvier, aux alentours des


Prétoriennes, se tient la fameuse foire de
Saint-Ours. Sa renommée s'étend au loin, même hors des
frontières de la Vallée. Cette manifestation populaire ca-
ractéristique, date de la fin du xe siècle. Elle a continué
depuis lors à être organisée sans interruption. Le peuple
valdôtain s'y rassemble et y montre son sens artistique si
développé. Cette exposition d'objets en bois, sculpté pour
des fins esthétiques, ou simplement travaillé pour des buts
utilitaires, permet aux montagnards de fraterniser dans une
atmosphère de fête villagèoise, qui déborde de fraîcheur
naïve et de franche gaieté. Cette fête contraste avec la bru-
talité et la précipitation de la vie moderne et c'est pour cela
qu'elle est authentiquement tr~ditionaliste et valdôtaine.
Plats, vases, berceaux, statues, râteaux, «grolles», cru-
cifix, jouets d'enfants, s'étalent sur presque toute la longueur
de la rue St-Anselme, témoignant sur l'activité hivernale de
la petite industrie valdôtaine de la montagne.

65
HÔTEL DES MONNAIES

partir du XIIIe siècle, les princes de Savoie battirent ·


monnaie en Vallée d'Aoste, spécialement à Bard,
Montjovet, Donnas, Cly, Brissogne, Aoste et Châtel-Argent.
Ces monnaies subissaient toutefois d'assez fréquentes
variations. Le Conseil des Commis, afin de supprimer cet
inconvénient, éleva un hôtel des monnaies à Aoste, au bourg
Saint-Ours, et en donna la concession aux frères ·nobles
de TOLLEN, fixant le nombre, la valeur et la quantité
des différentes pièces. D'après un privilège accordé aux
valdôtains par les ducs: de Savoie, aucune autre valeur ne
pouvait avoir cours dans le Duché d'Aoste. Les premières
pièces d'or, d'argent et de cuivre, sortirent de 1'hôtel des
monnaies en novembre 1549 et portèrent le nom de la
vallée et les armes de Savoie. Les pièces, suivant leur valeur,
furent des : écus d'or ou testons, florins, gros, carts, patacs,
forts, deniers. Vers 1600, l'introduction des valeurs étrangères
dans le Duché d'Aoste, imposée
par les ducs de Savoie, qui vou-
laient abolir le privilège, donna le
coup de grâce à l'hôtel des mon-
naies. Cette construction médiéva-
le avec sa façade de pierres noirâ-
tres, ses belles fenêtres, son large
salon où règne encore aujourd'hui
un parfum d'autrefois, appartient
à l'Administration régionale.
Cette ancienne demeure, pourrait, avec une dépense très
réduite, être aménagée confortablement et servir de siège
aux associations de culture et de traditions valdôtaines.

67
MAISON DE SAINT -ANSELME

'est une ancienne maison demeurée savoureusement


• moyenâgeuse, avec ses fenêtres pittoresques et ses
pierres patinées par les siècles, à quelques centaines de
mètres de l'Arc d'Auguste dans la rue Saint-Anselme.
Un charme indescriptible se dégage de cette demeure,
admirable par l'harmonie des lignes, la sévérité de l'archi-
tecture et la justesse des proportions.
La construction actuelle a été bâtie, en 1505, sur l' em-
placement de l'ancienne demeure des parents de l'illustre
docteur de l'Eglise, saint Anselme. D'après la tradition,
confirmée par tous les érudits et par un écrit de M. le
prieur Gal, c'est la maison natale de saint Anselme.
Selon la note de M. le prieur Gal, « des Chanoines
de la Collégiale auraient dit avoir trouvé dans la maison de
M. Tercinod, une inscription sur pierre, antérieure à la
construction de la maison actuelle, bâtie en 1505, attestant
la naissance de saint Anselme dans cette maison. Il y avait
aussi une peinture sur la muraille représentant saint An-
selme, laquelle a aussi disparu, depuis qu'on a fait des
réparations à l'intérieur de cette maison, vers 1800 ou peu
après. La tradition des vieillards qui l'ont entendu dire à
leurs ancêtres, porte aussi que la susdite maison à été celle
de la naissance du saint Docteur ».
La maison révèle son antiquité, par les énormes blocs
de poudingue enlevés aux constructions romaines et qui
ont été découverts dans les caves.

68
Après avoir appartenu vers l'an 1000 aux parents de
saint Anselme, puis à ses- p-roches en ligne collatérale,
seigneurs également de la Tour de Gres san, la maison
abrita des personnages de distinction, tels que le vice-bailli
Favre, le baron Pierre Philibert Roncas, le comte Jean
François de Valpergue, l'avocat Grivon, syndic d'Aoste
en 1778, l'avocat Carrel de Châtillon et le chevalier Michel
Joseph Tercinod, directeur du Domaine en 1843.
Cette demeure, qui changea si souvent de propriétaire
au cours des siècles, a cependant toujours gardé le souvenir
de l'illustre docteur de l'Eglise, et une chambre du premier
étage n'a jamais cessé d'être nommée, «la chambre de
Saint-Anselme».
«La mémoire de l'illustre compatriote - dit Mon-
seigneur Duc - a surnagé sur le fleuve des âges et sur les
ruines des institutions humaines et a embaumé cette maison
d'un parfum de douceur forte et pénétrante, qui ne saurait
s'évanouir ».
En 1900, sur la façade, a été scellée une grande plaque
en marbre portant l'inscription suivante:
« Ici vit le jour en 1033 saint Anselme, archevêque de
Cantorbéry, primat d'Angleterre, docteur
de l'Eglise, métaphysicien et théologien
profond. Le plus grand génie de son siècle.
Dans sa doctrine, dans ses oeuvres, il sut
admirablement allier aux splendeurs de la
foi, le culte de la raison. Il combattit l'erreur
avec l'éloquence du philosophe et l'ardeur
des Apôtres. Il lutta contre les grands de
la terre avec une énergie indomptable pour
le droit, la justice, la lib_erté. Valdôtains
saluez, vénérez la plus haute illustration
du Pays. La Ville d'Aoste. 1900 ».
Cette inscription, comme toutes les inscriptions en langue
française, a été arrachée par les administrateurs fascistes,
qui, par leur uniformisation, prétendaient sacrifier toutes les
particularités locales, au nom de l'unité.
Mais le peuple valdôtain, qui avait très bien compris
que l'unité, n'était certainement pas la plate monotonie à
laquelle on l'avait réduit, se dressa contre ces mauvais con-
seillers et, en 1945, remit en place toutes les inscriptions
en langue française, « patriotiquement » arrachées .et dé-
truites par les fascistes.
Il n'y a rien de plus dégradant pour un citoyen, que
de renoncer à sa propre langue et à ses libertés.

70
CLOCHER DE SAINT -OURS

clocher de Saint-Ours est un des monuments les


conservés de la cité d'Aoste.
Il est unique dans toute la vallée, et même ailleurs
on en rencontre fort peu qui puissent lui être comparés.
C'est un des plus élevés de la péninsule dans le style
lombard. De sa masse il domine le vieux }?ourg et par la
voix grave de son bourdon, continue de souligner les
évènements tristes ou joyeux, qui marquent la vie de la
petite capitale, de la Région autonome. Il frappe justement
d'admiration et d'étonnement tous les visiteurs.
Ce n'est pas un clocher parmi les clochers -affirma
un jour un touriste - c'est « le clocher » dans ses qualités
essentielles.
Mais les amateurs estiment que le clocher n'acquiert
tout son charme et sa beauté qu'en
automne, quand l'énorme tilleul se
couvre d'une parure dorée et que le
petit chemin qui borde son pied, s' em-
brase sous le feuillage de la vigne vierge.
On croit savoir que c'est un architecte
valdôtain, de la vallée de Gressoney,
qui en commença la construction en
1131. Bâti en partie avec les pierres de
taille des remparts romains, il mesure
8 m. 30 de côté et 46 m. de haut. Sa
masse surclasse celle du tilleul, pourtant
lui aussi plusieurs fois centenaire. Une
tradition qui a fini par acquérir force de vérité, veut que ce
tilleul ait remplacé, au XVIe siècle, un vieil ormeau planté
vers l'an 1000.
Une inscription gravée au niveau de la cage de l'horloge,
indique que «ce clocher est du XIIe siècle d'après les
titres de l'époque. Il a été élevé aux frais et par les soins
du R ct. Seigneur Gontier, le Vieux dit Ayme, chanoine de
Saint-Ours. La plus grande cloche, à la date de 1589, est
la moitié précise de la grande cloche de la cathédrale de
Saint-Pierre à Rome». Elle continue encore aujourd'hui
par sa « prédication aérienne » à rappeler les fidèles à leurs
devoirs.
Six cloches du vieux beffroi ont été sacrifiées à l'époque
révolutionnaire, pour être transformées en canons. La
vieille horloge date de 1624 et le système de sonnerie a
été perfectionné en 1926.
Situé près de la Collégiale et de l'Eglise, ce coin de terre
cher au coeur de tous les valdôtains, a su conserver son
aspect médiéval. Les murs séculaires au passé historique,
créent une douce atmosphère de recueillement.
C'est . à l'ombre millénaire du vieux clocher lombard,
que vit un centre spirituel important et que le culte de
l'art a laissé des monuments et des souvenirs impérissables.
Il est recommandé aux touristes de gravir les 160 mar-
ches de l'escalier en pierre, construit en 1743, et de monter
jusqu'au beffroi. Les larges fenêtres permettent de jouir
d'un panorama complet sur la cité d'Aoste et sur ses en-
VIrons.
Bien que des constructions industrielles et des maisons
noircies par la fumée des usines, jettent - rançon du pro-
grès - une ombr:e sur le paysage, les silhouettes équi-
librées des pics de None et Aemilius, remplissent le ciel
de leurs masses et forment un cadre extrêmement décoratif.
En fin d'après-midi, quand le soleil couchant met en

72
valeur les sommets des montagnes voisines, les fenêtres du
clocher ouvrent des perspectives contrastées, qui vont de
ces hautes cimes irradiant la lumière, à la cité d'Aoste déjà
entrée dans la nuit. ·
Des granges et des chalets, s'étagent sur la montagne
proche, à travers les prés riches en couleurs et les forêts
découpées par les lacets de la route de Pilaz, qui se super-
posent et forment balcon au-dessus de la cité.
Cette route où chaque tournant transforme le rythme
du paysage, touche le grand hôtel de Péroulaz au nom
poétique de «Jolie Bergère», passe au village « Les Fleurs »
et arrive aux alpages carillonnants du plateau de Pilaz,
vrai belvédère et refuge de la reine Marie-José, qui venait
y chercher le calme primitif et la solitude contemplative.
La route se termine au pied d'un télésiège moderne, qui
transporte les touristes jusqu'au lac de Chamolé, par~i de
hauts mélèzes et des sapins, autour desquels tourbillonne
et chante le vent. Les eaux de ce lac, transparentes et cal-
mes, dorment à 2320 m. d'altitude et transfigurent le pay-
sage. Sur ce point culminant, les touristes trouvent un calme
grandiose qui leur permet de jouir d'un panorama qui va
du Mont-Blanc au Mont-Rose et livre les plus prestigieux
des sommets des Alpes.
Plus loin et plus . haut, les conifères cèdent la place aux
arbustes, aux rochers buissonneux et à l'empire des ro-
cailles, des vents et des névés, dans une heureuse alliance de
verdures, de plantes, de pierres et d'eaux, qui forme un
des plus grands charmes du bassin d'Aoste.
C'est une vaste et admirable zone, véritable toile de fond
à la cité d'Aoste et que je conseille de visiter. On sera dé-
dommagé amplement de la longue route et de ses innom-
brables lacets, à travers lesquels de superbes échappées
réserveront des émotions esthétiques, qui ménageront, plus
tard, des souvenrrs d'une rare qualité.

73
COLLÉGIALE _D E SAINT-OURS

·1 est conseillé aux touristes de ne pas étudier les


; étails de l'église, avant de visiter la crypte souterraine,
un des plus anciens temples chrétiens de la Vallée. Cette
crypte de style latin, a servi au culte catholique durant les
persécutions primitives. Elle remonte à la plus haute an-
tiquité.
Elle est certainement antérieure à l'an 525, alors que
l'archidiacre Ours, d'origine écossaise, accompagné de six
chanoines de la cathédrale, se sépara de Plocéan, évêque
hérétique d'Aoste et s'en vint fonder une collégiale hors
les murs.
Cette basilique primitive est aussi
appelée Confession de Saint-Ours.
Elle est enjolivée par un autel, der-
rière lequel filtre, la douce lumière
de 1'orient.
A propos des colonnes qui sou-
tiennent la voûte de la crypte, Mgr
Boson, professeur à l'Université
Catholique de Milan, signale que
cet «amalgame très curieux· de co-
lonnes disparates, indique qu'elles
ont été recueillies çà et là, dans un
temps où la communauté chrétienne
ne pouvait viser à une construction
homogène, parce qu'elle avait le
souci de ne pas éveiller l'attention publique et parce
qu'elle ne disposait pas de moyens pécuniaires abondants ».
On peut encore lire aujourd'hui, gravée sur le mur,
cette inscription:
« Cette crypte fut la première Eglise chrétienne du pays.
Ici reposent les dépouilles mortelles des premiers martyrs,
de saint Ours et de plusieurs évêques. Sur ces dalles usées
par les genoux des pèlerins, ont prié quarante générations
de fidèles valdôtains ».
Le nom du constructeur de la crypte est inconnu. Pro-
bablement avait-il gravé son nom sur les pierres du pavage,
les fidèles et les visiteurs 1' ont effacé, en venant rendre
hommage à son oeuvre.
Cette crypte se peuple de fidèles à l'occasion de la fête
de Saint-Ours. Dans le petit jour de février, marchant sur
les mains et les genoux, ils passent et repassent sous 1' autel
par un petit couloir, dont la voûte a presque été rongée par
le temps. Ils implorent une guérison. Ronronnement de
litanies, remugle des murailles humides, fumée de l'en-
cens et des cierges, composent l'atmosphère particulière
de cette cérémonie. La chaleur de la crypte contraste avec
l'âpreté de la bise qui, au dehors, fouette la neige.
Une seconde église de style roman, fut édifiée sur la
basilique primitive, aù commencement du xe siècle par
Anselme, évêque d'Aoste. Jusqu'au XVe siècle elle n'avait
qu'une seule nef. Georges de Challand fit découper en
piliers les murs de la nef principale en l'an 1494, pré-
parant ainsi les futures nefs latérales.
Le style gothique s'introduit dans l'église au temps du
prieur Georges de Challand. Une voûte ogivale remplace
le lambris primitif.
Peintures, fresques, statues font leur apparition. Maçons,

75
sculpteurs et architectes, donnent à l'église son style définitif.
Les arcs et les nervures décorés de peintures gothiques 'J

vigoureuses sont remarquables.


En prenant quelques risques, les touristes pourront .dé-
couvrir les restes d'anciennes peintures, représentant les
apôtres et des prophètes, sur la partie supérieure du mur
primitif, couvert par la nouvelle voûte. Elles sont d'inspi-
ration byzantine. Les experts les font remonter au douzième
siècle.
La Collégiale, comme la plupart des églises de la V allée
d'Aoste, est dirigée suivant l'orientation que prescrivaient les
constitutions apostoliques; c'est-à-dire vers l'Est « Aedes
sit oblonge orientem versus», que l'édifice sacré soit oblong,
tourné vers 1' Orient ...
Les cinq fenêtres de l'abside centrale sont garnies d'ad-
mirables vitraux. Ils représentent: le crucifiement, la Sainte
Vierge, saint Pierre, saint Jean-Baptiste et saint Ours.
On peut les faire remonter sûrement au xve siècle, grâce
à l'écusson d'un prieur de Challand qu'ils portent gravé.
Ils prennent toute leur luminosité durant la matinée, sous
l'éclairage direct . du soleil et c'est le moment propice entre
tous, pour en étudier les détails.
La Collégiale de Saint-Ours, pos-
sède des livres liturgiques très anciens
que le Chapitre a réussi à protéger
contre les injures du temps et les con-
voitises des hommes. Parmi les plus
remarquables il faut signaler deux
missels ouvrés du XVIe siècle et un
évangéliaires du xe siècle. Depuis les
temps les plus reculés, les chanoines
de la Collégiale ont prêté leur serment
sur ce livre vénérable, lorsqu'ils entraient en possession de
leurs bénéfices.
Ne pas oublier de se faire montrer la statue reliquaire
de Saint-Ours, en argent repoussé, le reliquaire en forme
de bras et la grande châsse, où sont pieusement conservées
les reliques de saint Ours.
Construit en 1758, le maître-autel ainsi que le jubé
soutenu par quatre colonnes,, qui d'après le symbolisme
architectural rappellent les · quatre évangélistes, sont dignes
d'être étudiés. La chaire qui date de 1768 relève du style
« baroque» de la dernière époque.
Un touriste anonyme qui avait visité l'église en amateur
éclairé, vers 1864, nous laissa de l'autel la description
suivante:
«Le maître-autel frappe le regard par sa masse impo-
« sante. Il a retenu l'attention de plus d'un connaisseur.
«Parvenu au haut du choeur, on a devant soi une montagne
«de marbre, qui s'élance vers la voûte en plusieurs ondu-
« lations, formées par le départ rentrant des grandes volutes
« disposées sur les côtés et par leurs crêtes arrondies. Cet
«autel est enrichi de quelques lapis-lazulis très précieux;
«on peut y observer d'ailleurs une grande variété de mar-
« bres dont quelques uns viennent d'Afrique».
L'ensemble de l'église est simple et beau et les adjonc-
tions de style baroque, « bien que contrastant avec la
partie gothique», selon le professeur Boson, «ont elles-
mêmes une valeur artistique, quifa it pardonner aux artistes
de 1768 d'avoir suivi le goût de leur temps».
La Collégiale de Saint-Ours est un édifice difficile à
caractériser, car chaque siècle l'a marqué d'un sceau. Les
vieilles églises bâties d'un seul jet et qui ont conservé leur
intégrité, ne sont certainement pas nombreuses.

77
Considérant les styles divers que le touriste note dans
la Collégiale et qu'il continuera de noter en contemplant
d'autres monuments, je crois utile de résumer par un ta-
bleau, la classification déterminée par les archéologues. Elle
permet de déterminer la chronologie du style dans un
monument ancien et de suivre ainsi la marche naturelle
de l'art.
Style latin du ve au xe siècle, roman du XIe au XIIe
siècle, ogival à lancette au ~Ille siècle, ogival rayonnant au
XIVe siècle, ogival flamboyant au XVe siècle, renaissance
au XV.Ie siècle, baroque au XVIIe siècle, néo-classique-
empire au XVIIIe et XIXe siècle, moderne au XXe siècle.
A l'occasion du vernissage d'une exposition d'avant-
garde à Genève, un célèbre écrivan français prononça les
paroles suivantes: «Ne critiquez pas, ne jugez pas rapi-
dement ces oeuvres dont les formes peuvent choquer vos
sens. Les Arts, que ce soit la Peinture, la Sculpture, l'Ar-
chitecture ou la Musique, sont en pleine évolution. Sou-
tenez ·et encouragez les jeunes artistes et seule la postérité
pourra JUger».
Les touristes ne devront pas oublier qu'en Vallée d'Aoste,
comme dans tous les pays de montagne éloignés des grands
centres, l'évolution des styles telle que l'ont fixée les archéo-
logues dans ce tableau, est singulièrement en retard sur les
autres régions d'Italie et de France.
Il sera bon de tenir compte du fait que, nulle part un
style ne s'achève brutalement, cependant que l'autre com-
mence à s'affirmer. L'agonie de Vun se prolonge aux côtés
de l'enfance de l'autre selon un savant archéologue français,
parce que «dans les oeuvres de l'homme, ainsi que dans
les oeuvres de la nature, les choses, surtout les grandes
choses, sont soumises aux lois de la lente progression et
de la lente décadence ».

78
STALLES DE SAINT-OURS

stalles des chanoines de la Collégiale, qui sont


véritable chef-d'oeuvre, sont dues à la générosité
de Georges de Challand.
Postérieures de trente ans environ aux stalles de la
Cathédrale, elles sont appréciées par la finesse des dessins.
Chaque panneau de noyer est gravé de motifs différents.
Des prophètes, des apôtres, expressifs et pieux, sont re-
présentés avec une habileté et une finesse qui témoignent
toute la valeur de l'artiste.
Une sérénité religieuse pleine de
charme, enveloppe tous ces personnages
que le ciseau du sculpteur s'est complu
à graver, sur les nombreuses stalles.
L'artiste, dans son travail, s'est i~spiré
des peintures dessinées sur la voûte de
l'église, en alternant un prophète et
un apôtre, avec les mêmes inscrip~ions
et dans lè même ordre.
Cependant, le visiteur pourra admirer
plus de 144 images sculptées, extrême-
ment variées, personnages : guerriers et
moines, ou animaux : chats, chiens,
renards ·et autres têtes aux formes bizar-
rement étirées. On s'aperçoit cependant
que l'artiste a commencé à s'essayer
aux finesses de la Renaissance. L'art nouveau italien vient
se substituer au gothique. La pureté des lignes dans les
traits du visage et dans le corps entier, annonce un art
qui dédaigne les figures expressives et se contente des
figures belles. /

La statue de saint Grat, pensif et solitaire, tenant entre


les mains la tête de saint Jean- Baptiste, celle de saint
Georges perçant le dragon de son sabre, celle de saint
Michel tuant un monstre, et au sommet de la stalle prieurale,
les statues de sainte Madeleine et de sainte Agnès, ont des
visages qui parlent, littéralement.
Les archéologues ne sont pas d'accord sur le nom de
l'artiste auteur de ce chef-d'oeuvre. Le professeur Justin
Boson, historien et président de 1'Académie de 1'ancien Duché
d'Aoste signale que ces sculptures « si admirablement
fouillées ont le même style ogival rayonnant que celles du
château d'lssogne; elles trahissent le même auteur».
Or, on connaît, dit le professeur Boson, le nom du
magister qui à partir de 1494, a travaillé à l'église, au prieuré
et à Issogne : « c'est le magister J eninus Braye carpentator
qui a plusieurs ouvriers sous sa direction et qui travaille
sans interruption, pour le compte de Georges de Challand
depuis septembre 1494, jusqu'à novembre 1504 ».
Découvrir ou revoir les stalles de la Collégiale, est une
joie inlassable pour les ~trangers comme pour les valdô-
tains, et c'est avec regret qu'on se sépare de cette oeuvre
remarquable du Moyen Age.

80
CLOÎTRE DE SAINT -OURS

. e chef d'oeuvre de l'art roman, qu'un érudit a défini


« poème sur marbre du XIIe siècle », mérite de retenir
tout spécialement l'attention.
Le cloître de Saint-Ours, huit fois séculaire, mesure
19 m. 50 sur 10 m. 70. La galerie a une largeur de 2 m. 70.
Il a probablement été construit vers l'an 1133. Cette date
gravée sur le chapiteau d'une colonne, confirme le commen-
cement de la vie régulière, dans la communauté des cha-
noines de Saint-Ours, en 1133 «in hoc claustro regularis
vita incepta est anno ab incarnatione Domini MCXXXIII ».
La forme de l'épigraphe, permet d'affirmer que la
construction du cloître, était au moins commencée à cette
époque, ayant peut-être, été achevée seulement vers la moitié
du XIIe siècle.
La paix qui rayonne de ces murs séculaires est commu-
nicative, · le visiteur ne peut échapper à 1' atmosphère de
sérénité qui l'entoure. Les touristes sensibles ne regret-
teront certainement pas, d'avoir à se pencher sur ce vrai
livre d'art moyenâgeux.
Les chapiteaux au style à la fois audacieux et calculé,
populaire et symbolique, témoignent de la sensibilité romane
que les sculpteurs modernes, pourraient envier à bon droit.
Ce cloître qui développe sa floraison artistique sur
quarante chapiteaux historiés, reste la plus belle réalisation
architecturale religieuse, de toute la Vallée d'Aoste.

81
La sculpture romane du XIIe siècle, apparaît à son plus
haut point de perfection, dans le cloître de Saint-Ours.
Elle dénote une imagination perpétuellement créatrice de
formes, qui n'est pas encore arrivée aux imitations et fabri-
cations en série, des XIIIe et XIVe siècles.
Du cloître primitif ne subsistent que les colonnes, les
chapiteaux et les piliers en marbre blanc, noircis artifi-
ciellement, au moyen d'une peinture extrêmement résistante.
· On petit supposer que la couleur noire fut choisie pour
symboliser la pénitence, le renoncement, la mortificatîon
de la chair, vertus qui toutes se pratiquent par excellence,
dans la paix et le silence du cloître. L'enduit noir a été
aussi étendu sur la surface des colonnes, afin de les protéger,
de les rendre imperméables en évitant ainsi l'éclatement
causé par le gel.
Les archéologues supposent qu'une partie de ces co-
lonnes, de ces piliers, provient des vestiges des principaux
monuments romains de la cité d'Aoste. Deux piliers d'angle
en marbre d' Aymavilles, accusent un caractère carolingien.
Les voûtes .et les arcs actuels, furent construits à la fin du
xve siècle, par Georges de Challand. La partie située au
levant du cloître et destinée dès le XVIe siècle à servir de
dortoir et de réfectoire, fut ouverte au public au XVIIIe
siècle. A cette occasion plusieurs chapiteaux ont été abîmés.
Ils furent remplacés par trois autres d'une époque posté-
rieure, pour soutenir les quatre arcades actuelles.
Trois chapiteaux du cloître de Saint-Ours se trouvent
à Turin au Musée civique. Le premier n'a qu'une valeur
décorative, le · second nous montre Adam et Eve tentés
par le serpent ; le troisième représente un ange annonçant la
naissance du Sauveur.
Aucune indication ne permet de connaître les noms des
bâtisseurs de ce cloître.

82
En ces temps où les monastères détenaient la culture
avec la foi, deux conditions étaient imposées aux artistes :
l'humilité et l'esprit de pauvreté. La plupart, donc, ne
signaient pas leurs oeuvres. Ils ne travaillaient que par
amour de l'art, pour la gloire de Dieu et le salut de leur
âme. Tout s'accomplissait selon l'expression d'un écrivain
de l'époque «dans l'Eglise, par l'Eglise et pour l'Eglise».
Pendant le haut Moyen Age, les sculpteurs se sont dé-
tournés des modèles romains qu'ils pouvaient avoir très
facilement sous les yeux, pour arriver à des formes sculptu-
rales nouvelles, exprimées avec un minimum de moyens
étonnant.
On ne peut qu'éprouver une grande émotion devant ces
chapiteaux, qui révèlent ce que fut la sculpture romane,
pendant cette période privilégiée.
L'architecte Ceradini, directeur de l'Académie Alber-
tine des Beaux-Arts, nous a laissé une description du
cloître, qui mérite d'être connue, dans ses passages les plus
intéressants :
« Les visiteurs pourront entendre et comprendre la
voix très faible sans doute,
mais sereine et continue qui
s'élève de ces pierres scul-
ptées dont chacune raconte
une histoire, une légende,
une pensée gracieuse de
l'auteur qui, de temps en
temps, fatigué après avoir
longtemps gravé ces histoires
sacrées, se repose un instant
en enrichissant ses compo-
sitions d'ornements gracieux
et singulièrement curieux».
En se plaçant au milieu du préau, de façon à avoir en
face les quatre grands arcs, le visiteur découvrira dans
l'angle gauche un grand chapiteau d' Aymavilles, sur lequel
il observera quatre monstres. Il devra commencer son
examen par ce chapiteau, dit no 1. Il continuera par la
suite la numération ;de gauche à droite:
1. - Chapiteau en marbre d'Aymavilles, orné de
quatre n1onstres.
2-3-4. - Chapiteaux d'une époque postérieure.
5. - Chapiteau décoratif.
6. - Chapiteau décoratif orné de l'inscription suivante:
in hoc claustro regularis vita incepta est anno ab incarna-
tione Domini MCXXXIII (La vie régulière a commencé
dans ce cloître, l'an de l'incarnation du Seigneur 1133).
C'est en effet cette année-là que sur l'initiative du prieur
Arnuphe des seigneurs d'Avise, et par bulle du pape
Innocent II, fut introduite la règle de Saint Augustin
parmi les chanoines de Saint-Ours.
7. - Saint Pierre apôtre. Arnuphe, devenu prieur de
Saint-Ours, s'incline devant l'évêque saint Augustin et
introduit sa règle dans la Collégiale. Sur l'autre face, on
voit Aribert (soit Herbert) qui
occupait le siège épiscopal en
1133.
8. - Le Sauveur, Marie-
Madeleine et sa soeur Marthe,
saint Barthélemy et saint
Jacques.
9. - Saint André et saint
Simon. Jésus opère le miracle
de la résurrection de Lazare,
en disant: "Lazare veni foras de sepulcro ".
10. - Vie et miracles de saint Ours, fondateur et
patron de la Collégiale. L'inscription: Sanctus - Ursus -
Fons - Ecclesia - fait allusion au miracle de la fontaine,
et le saint se présente en train de frapper la roche avec son
bâton et d'en faire jaillir l'eau. Observer sur la fontaine
la chapelle votive érigée sur le lieu où se produisit le miracle.
L'inscription: - Armiger episcopi errans cum palafredo -
fait allusion au palefrenier de l'évêque arien qui, aveuglé par
le Seigneur, cherchait vainement le cheval qu'il montait
et fut, par ce moyen, converti par saint Ours. Le saint
apparaît, l'évangile en main, exhortant l'homme d'armes.
En faisant le tour du chapiteau, toujours de gauche à droite,
on lit: - .Sanctus Ursus rogans pro armigero Episcopum
Ploceanum. Cette inscription se rapporte au même servi-
teur qui, converti par saint Ours et persécuté par Plocéan,
cherche un refuge dans la petite église de St-Pierre érigée
sur l'emplacement de l'actuelle Collégiale. Il jouissait dans
cette église du droit d'asile. Le saint se rendit alors auprès
de l'évêque arien Plocéan et en obtint promesse que le
serviteur pourrait quitter sa retraite sans être inquiété.
A peine était-il sorti que l'évêque le fait arrêter et
tellement maltraiter par ses gens, qu'il s'en faut de peu qu'il
ne meure sous les coups. Ces deux scènes sont représen-
tées sur le chapiteau. On voit d'abord saint Ours en pré-
sence de l'évêque, puis le serviteur au milieu des archers
qui le flagellent. Bouleversé par cette trahison, le saint
prédit la mort imminente dé l'évêque, du serviteur ainsi
que sa propre mort. Dans la scène suivante, Plocéan est
étranglé dans son lit par les démons, tandis que les corbeaux
se préparent à se jeter, sur son cadavre. Gravé en exergue:
Hic episcopus iugulatur diaboli corvi. Au-dessus, contour-
nant le chapiteau sur deux lignes, cette inscription renferme

85
toute la morale de l'histoire: " Ecce Domini sacramentum -
quia fallt?re non timuisti, demoniis es preda, miser, quia
sic meruisti - presulis exemplo ·subeant nigra tartara
lusi qui nos impugnant, ceca formidine fusi ", voilà le
jugement de Dieu; parce que tu n'as pas craint de tromper,
voici que tu es devenu malheureux, la proie des démons,
tu t'es mérité ce châtiment; subissent ainsi, à l'exemple
de ce prélat, les supplices de l'enfer, entraînés par une
terreur· aveugle, ceux qui poussés par une folle illusion,
se dressent contre nous.
Sur chacun des quatre côtés des cinq chapiteaux sui-
vants qui, sont parmi les plus originaux du cloître, se dé-
tache une demi-figure de personnage biblique, tenant en
main une sentence écrite sur bande. Voici quels sont ces
personnages :
11. - Balaam, Elie, Moïse, Nathan.
12. - Amos, Joël, Abdias, Osée.
13. - Nahum, Habacuc, Jonas, Michée.
14. - Ezéchiel, Daniel, Isaïe, Jérémie.
15. - Zacharie, Sophonie, Malachie, Aggée.
16. - Quatre personnages assis saisissent les branches
d'un arbre. Deux saisissent un rameau à un seul bourgeon,
les autres un rameau à deux bourgeons. Ils pourraient donc
peut-être représenter les deux chapitres de la Cathédrale
et de Saint-Ours, dont le premier jouissait des deux tiers
de la rente, le second n'en possédant qu'un tiers, bien
que ces personnages ne possèdent pas le costume ecclé-
siastique.
17. - Chapiteau décoratif orné de quatre têtes d'ani-
maux. Inscription sur la bande supérieure: " Marmoribus
variis hec est distincta decenter fabrica, nec minus est dispo-

86
sita convenienter ". Cette phrase d'ailleurs assez savoureuse
signifie: Cet édifice est remarquable par la variété de ses
marbres et ne se prête pas moins convenablement à l'usage
auquel il est destiné.
18. Chapiteau orné de quatre aigles.
19. - Chapiteau décoratif en marbre d'Aymavilles.
20. - Joseph, Siméon, Juda et Ruben, fils de Jacob,
puts quatre autres frères sur le chapiteau antérieur.
21. - Lia et Rachel - Lutte de Jacob.
22. - Trois autres fils de Jacob avec leur soeur Dina.
Sur le chapiteau postérieur figurent Lia, première épouse de
Jacob, puis Laban découvrant Rachel qui tient des idoles
cachées sous ses habits. L'autre personnage entre deux
arbres est impossible à identifier.
23. - Réconciliation d'Esaü et de Jacob en présence
de Lia, Rachel, des fils et des servantes. Sur l'autre face:
la famille d'Esaü et de Jacob avec la troupe des chameaux
et les brebis.
24. - Sur le chapiteau antérieur figurent des animaux.
Sur le chapiteau postérieur on observera aussi des animaux,
puis Lia et la rencontre de Jacob et de Rachel, au puits
d'Haran.
25. - Le songe de Jacob.
Jacob couché avec une pierre
sous la tête. Rébecca et un
personnage inconnu qui tient un
lis dans sa main.
26. - Rébecca mettant au
monde Esaü et Jacob. Sur le
chapiteau postérieur : Esaü à la
chasse- et Rébecca portant un plat de ch.evreau rôti, au
moment où elle obtient d'Isaac au profit de Jacob, la
bénédiction paternelle qui était destinée à Esaü.
27-28-29. - Chapiteaux décoratifs.
30. - Le renard offre un festin à la cigogne. Il sert le
repas dans des plats très évasés. Gênée par son long bec
la cigogne reste à jeun. Elle invite à son tour le renard pour
se venger et sert les mets dans des vases à col étroit, où
l'invité ne peut introduire son museau.
31. - Chapiteau décoratif orné de quatre harpies. ·
32. - Chapiteau décoratif orné de têtes d'animaux.
33. - Le serviteur d'Abraham Eliézer rencontre au
puits d'Haran Rébecca qui est choisie pour devenir l'épouse
d'Isaac.
34. - La patience de Job est synthétisée par les trois
phases de sa terrible épreuve. Sur un des côtés il apparaît
vêtu. Sur un autre il est à demi-nu. Sur le troisième il est
complètement nu. Riche, pauvre, et enfin misérable, cou-
vert de lèpre.
35. Chapiteau décoratif.
36. - Un ange avertit Joseph endormi et lui ordonne
de fuir en Egypte. Joseph s'enfuit portant un bissac sur
un bâton, conduisant par le licou l'âne, qui porte Marie
tenant l'Enfant Jésus dans ses bras.
37. · - Les trois rois mages en voyage pour aller visiter
l'Enfant Jésus. Sur la face antérieure: Hérode assis sur son
trône.
38. - Naissance de Jésus dans l'étable de Bethléem,
son enfance, Jésus soigné par sa mère - Joseph pensif.

88
39. - Un ange annonce à Marie sa maternité pro-
chaine. Marie est sur son trône, descendante de la race
·royale de David, elle ceint la couronne. A ses côtés, Joseph
avec son bâton fleuri. L'autre personnage couronné qui
tient à la main un instrument de musique, est peut-être
David, le Roi musicien, ancêtre de la famille de Marie et
Joseph.
40. - Azarias et ses compagnons jetés dans une four-
naise ardente par Nabuchodonosor et délivrés par un
ange.

En raison de l'importance de ce monument, un ouvrage à part a


été consacré - Voir le volume «Les chapiteaux du cloître de S aint-
Ours» par Robert Berton- Editeur De Agostini 1954.

89
,
PRIEURE DE SAINT -OURS

sud de la place de la Collégiale de Saint-Ours,


Georges de Challand fit bâtir, vers la fin du xve
siècle, un hôtel qui servait de demeure aux Prieurs du
Chapitre. Le « Prieuré » est une des plus . belles réalisa-
tions architecturales de ce coin moyenâgeux, tant admiré
par les touristes.
Le chapitre de la Collégiale, (qui comprend un Prieur
et dix Chanoines) a pour armoiries un champ d'azur à
deux colombes d'argent affrontées, membrées et allumées
de gueules, portant dans leur bec un rameau d'olivier de
sinople, surmontées d'une étoile d'or mise en chef.
Georges de Challand, qui habitait tantôt le château
d'lssogne et tantôt le prieuré de Saint-Ours, fit construire
dans ce dernier un oratoire extrêmement intéressant, tant au
point de vue de l'art, qu'au point de vue historique. Les
touristes sont toujours étonnés, de trouver à 400 ans de
distance, des bâtiments aussi parfaitement conservés.
La peinture de la
chapelle, représen-
tant le fondateur du
prieuré, revêtu d'un
costume rouge et
agenouillé auprès de
la Vierge, ainsi que
plusieurs autres fre-
sques, plongent le
touriste dans une atmosphère de douce poésie. Ces
oeuvres qui ont puisé leur inspiration aux sources de la
foi, sont bien révélatrices des goûts de l'époque.
Au premier étage, les boiseries gothiques de la salle
prieurale, sont encore parfaitement conservées. Elles riva-
lisent avec celles d'Issogne où chaque panneau de la salle
est décoré de motifs différents. Et l'on sent toujours présent
dans ces murs, le souvenir de Georges de Challand, fonda-
teur du prieuré.
Pour terminer la description de ce précieux témoignage
de l'architecture du Moyen Age, on ne peut mieux faire
que de laisser la parole à M. le Chevalier Edouard Aubert:
« Rien de plus curieux et d'un style plus élégant, que
ces trois façades décorées d'ornements en terre cuite. Les
fenêtres sont entourées de feuillages, de rinceaux et de
figurines d'un goût charmant; de larges bandeaux couverts
de guirlandes intercalées, divisent chaque face en comparti-
ments ·symétriques et font disparaître. l'ennuyeuse unifor-
mité de murailles toutes droites, ne présentant aucune de
ces saillies heureuses, qui donnent de l'accentué à 1a physio-
nomie d'un monument. Une tour octogone en briques
entourée de mâchicoulis et surmontée d'un toit pointu,
s'élève à l'angle sud-ouest du bâtiment. La tradition rap-
porte qu'au temps de la primitive église, le baptistère occu-
pait le même emplacement, et on ajoute que c'est en sou-
venir de ce baptistère, que Georges de Challand a fait
donner la forme octogone à la tourelle, dont je viens de
parler».
A côte du monumental clocher lombard, qui parle aux
sens plus qu'à l'esprit, la grâce délicate du prieuré où
tout est harmonie, ne peut être justement appréciée, qu'après
une visite prolongée.

91
TOUR :D U BAILLIAGE

cité d'Aoste commença à se relever de ses ruines


u xe siècle, et une puissante famille prit possession
du bastion de l'angle nord-est, des murs romains et de
l'amphitéâtre, appelé alors « Palatium Rotundum ».
C'est ainsi que cette famille prit le nom des seigneurs
DE PALATIO et construisit, probablement vers le XIIe
sïècle, la grande tour carrée, avec des. pierres de taille, pro-
venant des murs romains.
Cette énorme tour, dressée vers le ciel, évoque un passé
remarquable, ainsi que les baillis qui l'habitèrent, durant
plusieurs siècles.
Toits d'ardoises, meurtrières, créneaux, cet ensemble
harmonieux s'élève au-dessus de la
--- ......... cité d'Aoste, en complet accord avec
le paysage environnant, encadré par
les blanches cimes du Grand-Com-
bin, du V élan où, règne un hiver
éternel, et par les villages de Si-
gnayes et d'Arpuilles qui sont un peu
comme la banlieue fleurie d'Aoste.
Cette tour carrée, aux propor-
tions parfaites, a des· volumes d'une
grande pureté, et il n'en est pas d'au-
tres qui puisse rivaliser avec elle, à
cet égard, dans la cité d'Aoste.
Elle fut perpétuellement en alerte durant le bas Moyen
Age où selon la belle formule d'un écrivain, on faisait
«la garde avec la dernière ponctualité et l'on s'y gouvernait
comme· si 1' ennemi fût toujours aux portes ».
Au Moyen Age, la tour porta successivement les noms
de: Tour du Palais, Tour du Bailliage, To~r des Prisons.
En 1263, Guillaume de Palatio, vendit au Comte de
Savoie la forteresse pour 220 frs. Elle servit à partir de 1430
de résidence aux baillis du duché qui, avant cette date,
occupaient la Tour de Bramafam. -
L'institution du bailliage remonte à 1263. Avant ·cette
date, l'administration militaire, judiçiaire et civile était,
par héritage, l'apanage exclusif des vicomtes d'Aoste (mai-
son de Challand) qui, très souvent, arrangeaient les affaires
plus à leur avantage, qu'à celui du souverain. Le comte
de Savoie Pierre II, dit le Petit Charlemagne, institua une
magistrature amovible,
(bailli) pour remédier à
cet inconvénient et, en
1295, Ebal de Challand
renonça définitivement au
titre de vicomte.
« Les baillis, dit l'hi-
storien De Tillier, com-
mandaient à tous les
seigneurs vassaux, banne-
rets, feudataires, gentil-
hommes, officiers de
justice, syndics et com-
munautés, pour tout ce
qui concernait le service
du prince, le bien de
l'état, la tranquillité des
peuples».
« Ils avaient le droit d'intervenir dans les débats des
« 5eigneurs vassaux, d'empêcher ou de faire cesser les
« guerres, que ces seigneurs ou les communautés de la
« province se déclaraient entre eux, de réprimer les séditions,
«les rixes, les insultes et de punir les rebelles. Leur pouvoir
« était très étendu. Ils étaient en haute considération parce
«qu'ils représentaient la personne sacrée du souverain.
«Cette charge n'était pas perpétuelle, mais limitée à un
«certain nombre d'années, ordinairement à trois ans. Les
« baillis devaient continuellement résider dans le duché ».
L'édifice tel qu'on le voit actuellement, a été construit
en plusieurs étapes. Le vieux corps de bâtiment, attenant
à la grande tour carrée, ainsi que la tour ronde aux énormes ,
meurtrières qui, devaient cracher les flèches sinon le plomb,
datent de 1406 et de 1537. Le château fort, après avoir
servi de palais de Justice aux baillis, fut transformé en pri-
son au début du XVIIe siècle, le duché ayant acheté
le palais Roncas en 1702, pour y installer l'administration
régionale.

94
CLOCHE R DE SAINTE- CATHER INE

quelques centaines de mètres de la Tour ud Bailliage,


au sud d'une petite route qui longe les remparts
romains, s'élève un petit clocher construit vers l'an 1247,
en pleine harmonie, . avec la nature environnante.
C'était le premier couvent de femmes qui s'établit à
Aoste; le couvent des chanoinesses de Sainte-Catherine,
qui dura jusqu'à l'époque de la Révoluti_on française.
Le clocher, parfaitement proportionné, s'incorpore à
un secteur très intéressant de la cité d'Aoste. Ce coin ro-
mantique n'a pas été dégradé par la modernisation. Il est
fidèle à lui-même, en conser-
vant cette relique du passé.
A partir de 1831, le couvent
a été occupé par les soeurs de
Saint-Joseph, qui le possèdent
encore actuellement.
Les fresques sur la porte
d'entrée du couvent, datent de
la fin du xve siècle ( 1496)
et témoignent que l'artiste
n'ignorait pas ce que la pein-
ture avait produit, aux époques
précédentes, hors de la ville
d'Aoste. La date (1400) écrite
en chiffres arabes au bas des
peintures, est erronée. Une
partie du monastère, a été refaite par le vice-bailli François de
Camagne, comme l'atteste l'inscription en lettres gothiques
au bas des peintures : "Hoc claustrum sancte Katherine
dicatum... est confectum sumptibus nobilis Francisci de
Camagna vice ballivi V allis Auguste anno Dni 1400 ". Les
fresques représentent sainte Catherine, le vice-bailli François
de Camagne, la Sainte Vierge, l'Enfant Jésus et saint Fran-
çois d'Assise, patron du bienfaiteur. L'écusson de droite,
d'argent à deux branches de chêne au naturel entrelacées,
surmontées de 3 anneaux de gueules 2 et 1, est de la fa-
mille De Camagne; tandis que celui de gauche est parti
avec celui de Castellamonte (d'or à ·un arbre de sinople au
naturel) dont était issue l'épouse de Camagne.

96
,
CATHEDRALE D'AOSTE

a tradition affirme, qu'elle fut construite sur l'empla-


ent d'un temple romain, consacré à Diane, et
par l'Empereur Constantin lui-même, à l'occasion de sa
traversée des Alpes, après l'an ~13. Cette tradition si ré-
pandue et généralement admise, semble confirmer la savante
théot:ie de certains archéologues et qui est, bien entendu,
infirmée par d'autres.
La cathédrale fut agrandie vers le milieu du VIe siècle
par saint Gontran, bienfaiteur, ami de la paix, de la justice
et de la religion. Réduite en ruines à la suite des invasions
barbares, l'église fut reconstruite vers le XIe siècle, sous
l'épiscopat d'Anselme III.
Une partie de la cathédrale, est pavée d'authentiques
dalles romaines. La crypte qui renferme les ossements des
Challand et de plusieurs évêques, mérite que l'on parle
d'elle en premier lieu, en raison de son ancienneté. Ses
origines se perdent dans la nuit des temps. Elle a tous
les caractères d'une chapelle souterraine et sa vétusté crée
l'atmosphère, des premiers temples chrétiens. Il est certain
qu'à cette époque, la cité d'Aoste «comptait déjà son âge
au calendrier des siècles ». La crypte a été en partie re-
faite vers le XIIe siècle, comme l'atteste le caractère roman
de certains chapiteaux. Le visiteur devra considérer, que
les cryptes romanes peuvent avoir des formes et des di-
mensions variées, mais la ·règle constante c'est que toutes
reproduisent en plan, les éléments principaux de la partie

97
supérieure de l'église, sauf, naturellement, lorsque celle-ci
a été complètement reconstruite par la suite. Nous signa-
lons aussi au touriste que l'ébrasement des fenêtres n'est
devenu systématique qu'à l'époque romane.
La construction de la cathédrale fut longue et laborieuse.
De nombreux siècles sont inscrits dans ses styles divers.
L'isolement des deux clochers souligne leur élan. Ils ont
été cependant çonstruits, à deux époques différentes. Celui
du midi, moiré par les pluies et le soleil, fut reconstruit

en 1430, probablement sur les fondations d'un clocher


bénédictin de l'an 1000, disparu au cours des temps. Le
bourdon porte la date de 1565. Celui du nord date de 1525
et fut exhaussé en 1630. Des treize cloches qui étaient sus-
pendues aux deux beffrois, onze furent emportées par le
vent de la Révolution française. Un des clochers est actuel-
lement vide.
La façade de la cathédrale fut construite en 1522 et
retouchée plus tard si malheuresement, qu'aujourd'hui elle

98
n'offre plus rien de caractéristique. Les cinq statues furent
placées en 1848. L'aspect de cette façade, donne la me-
sure de l'absurdité et de la laideur, qui marquaient cette
époque, au point de vue artistique.
La profusion de détails, revêtements en stucs et plâtre,
et les décorations capricieuses, ont presque fait oublier l3:
véritable architecture. Lorsque l'art se trouve impuissant
à perfectionner un système dans ses grandes lignes, il
multiplie maladroitement le luxe des détails. C'est exac-
tement le cas de cet~e façade, où la décoration détruit l'har-
monie de l'ensemble.
Au xve siècle, en même temps qu'il bâtissait le prieuré
de Saint-Ours, Georges de Challand construisait les voûtes
ogivales de la nef centrale, à la place du vieux plafond de
bois. Il fit d'autres travaux d'allongement qui durèrent
un peu plus de trente ans ( 1493-1526), portant l'édifice
couvert d'ardoises, aux dimensions qu'il possède aujour-
d'hui. Enfin il refondit une bonne partie de 1' église, dans
son style définitif.
Les arcs de la voûte ogivale, portent les armoiries de
la maison de Challand « d'argent, au chef de gueules à
la bande de sable brochant sur le tout». Cependant, la
décoration des arcs, leur évidement et leur courbure, quoique
soigneusement calculés, n'ont pas la finesse et l'élégance
des arcs de voûte de la collégiale de Saint-Ours.
L'église est orientée vers l'est, selon les prescriptions
des constitutions apostoliques et semblable à un vaisseau
( oedes oblonga navi similis). L'enceinte principale a aussi
cette for~e de navire qui renferme un sens mystique, car,
selon monseigneur Duc, «elle exprime que dans le vaisseau
de l'Egiise on est à travers les tempêtes du monde, conduit
au port de sûreté ».
Le maître-autel du choeur en style baroque, a été re-

99
..
construit en 1758 par des artistes de Florence. Il frappe
l'oeil par sa sévérité et la splendeur des matériaux. Il est
en marbre noir et, en partie, en marbre coloré. Il porte
les armoiries du chapitre: d'azur à quatre fleurs de lys
d'argent, posées une deux et une. Les comtes et ducs
de Savoie prêtèrent serment plus de quarante fois, sur le
maître-autel de la cathédrale, pour la conservation des
franchises et libertés valdôtaines, à l'occasion des Audiences
générales.

Le choeur soutenu par douze piliers ou colonnes qui,


selon le symbolisme architectural représentent les douze
apôtres, est garni de vitraux du xve siècle. Plusieurs de
ces vitraux, donnent à la cathédrale, son atmosphère de
recueillement. Ils portent les armoiries de leurs donateurs.
Deux présentent les armoiries «d'or au lion naissant de
gueules, coupé d'azur » de Mgr François de Prez, évêque
d'Aoste de 1464 à 1511.

100
Une sacristie recèle deux médaillons du XIIIe siècle
qui ont quarante deux centimètres de diamètre.
Un crucifix haut de deux mètres est suspendu à la
voûte de la nef centrale. Il porte sur son bois patiné par
les siècles, un Christ évocateur de toutes les souffrances
~
1

qui, selon les historiens Toesca et Henry, daterait de 1397


«Magna basilicae crucem sacravit anno 1397 die 10 augusti».
L'archéologue Ferdinand de Lasteyrie et l'historien Aubert
ne partagent cependant pas cette conviction. Ils donnent
au mot « crucem » la signification de croisée en fer du
choeur et non~de crucifix.
-S... J •

Le premier orgue de la cathédrale aux vénérables


tuyaux d'étain, fut placé en 1468. Il fut changé une première
fois en 1549, puis une deuxième et troisième fois- en 1710 et
1829. L'imposant orgue actuel de quarante-cinq registres
qui permet toutes les exécutions, fut mis en place en 1903.
Les visiteurs érudits, s'intéresseront aux controverses
qui se sont élevées, autour de la date d'exécution des deux
magnifiques mosaïques du choeur. L'archéologue Fer-
dinand de Lasteyrie, attribue la mosaïque principale au
ve siècle de l'ère chrétienne, Charles Promis au VIe,
L. Cibrario la fait remonter à la fin du XIe, Aubert au
XIIIe, l'historien d'art Pierre Toesca la ramène au XIIe
tandis que l'inspecteur des monuments, M. le chanoine
Bérard, la situe résolument au xve siècle! L'historien
Monseigneur Duc, s'appuyant sur des documents décou-
verts au chapitre de la Cathédrale, assure que 1' exécution
de la mosaïque, aurait été confiée en 1429 à Etienne Mos-
settaz, bourgeois d'Aoste, qualifié «magister imaginum ».
Plusieurs archéologues estiment, que les travaux du maître
Mossettaz, concernent au contraire le mausolée François de
Challand qui, jusqu'à la Révolution française, ornait l'église
entre le Sancta Sanctorum et le choeur. Le débat reste donc

101
ouvert, mais, à mon avis c'est Pierre Toesca qui s'àpproche
le plus de la vérité, car la représentation des mois de l'année
et des travaux liés aux saisons, est un motif caractéristique de
l'époque romane. On le retrouve en Italie dans les dômes de
Crémone, Ferrare, Lucques, Venise et au baptistère de Parme.
L'art de la mosaïque se continue à travers l'époque romane
et c'est seulement dans les petites églises, qu'il fut remplacé
par la peinture murale, à cause de son prix élevé.

••

La mosaïque supérieure, plus petite ( 4 m. 72 - 4 m. 84


sur 2 m. 36 - 2 m. 28) placée devant le maître-autel, serait
du XIIIe siècle selon Toesca. Les inscriptions auraient un
caractère paléographique plus récent.
Elles représentent des .animaux : 1'ours, le lion ou des
bêtes fabuleuses : licorne, griffon. Dans le cercle figurent
le poisson, l'oiseau, le cheval marin et la manicore. A droite
et à gauche on voit l'éléphant et la chimère, ainsi que les

102
deux fleuves, le Tigre et l'Euphrate, assis sur des rochers
et tenant des urnes d'où coule une eau abondante. C'est
toute une faune fantaisiste qui, rapportée d'Orient au temps
des croisades, fut transformée par la fantaisie des imagiers
et des enlumineurs de missels.
Si l'on en juge . par la bordure incomplète, ce mélange
encyclopédique de réminiscences païennes et de mythes
chrétiens, paraît être un fragment d'une composition plus
vaste. Selon l'historien Frutaz, elle serait l'oeuvre de quelque
mosaïste du nord de la France. Elle offre un vaste champ
de discussions aux amateurs de symbolisme. Ici l'image
couvre le verbe, les groupes de phrases, qu'il est bien diffi-
cile de lire et d'interpréter. Pour bien saisir la signification
de cette mosaïque, il faudrait non seulement connaître les
textes, les secrets des symbolistes et des saints, mais encore
discerner le sens souvent douteux du système des contraires,
des lois des oppositions, règles des contrastes autorisés par
la symbolique.
D'après ces principes, les bêtes, les couleurs et les
fleurs, représenteraient tantôt des qualités, tantôt des vices
opposés. Dans la science hiéroglyphique on trouve presque
toujours les deux significations opposées, mais les pierreries
expriment des qualités et jamais des vices!
Je laisse à la plume de M. Edouard Aubert, le soin
de décrire dans le détail la splendide mosaïque inférieure,
placée entre les deux rangées de stalles. L'analogie du
style avec celle de Saint-Marc de Venise, est frappante.
Elle est en bon état de conservation et mesure 4 m. 72 -
4 m. 84 sur 6 m. 17 - 6 m. 28.
«Elle se compose de plusieurs cercles concentriques
formant un grand médaillon, compris dans un quadrilatère
qui· lui sert de cadre.
Au centre, 1' année est représentée par un personnage

103

1~
imberbe; assis sur un trône, la tête entourée d'un nimbe
rouge; il est vêtu d'une robe blanche, recouverte d'ùne
tunique brune et serrée à la taille, par une ceinture multi-
colore ; sur ses épaules flotte un manteau bleu ; ses pieds
sont chaussés. De la main droite il tient le soleil, de la
main gauche la lune; le premier est rouge et la seconde
gris foncé, pour indiquer le jour et la nuit, la lumière
ardente et directe du soleil, la lumière pâle réfléchie de
la lune.

Ce premier sujet, qui occupe la place principale, est


entouré d'un cercle noir dans lequel est comprise une bande
blanche, ondulée, destinée sans doute à figurer les nuages.
Douze médaillons circulaires, d'un diamètre plus petit,
sont rangés en cercle autour 4e l'année: chacun d'eux
contient une figure représentant les travaux qu'on accomplit

104
ou les occupations auxquelles on se livre pendant les mois
qu'elle personnifie.
Les travaux de l'année se trouvent reproduits par la
sculpture ou par la peinture des vitraux dans plusieurs
monuments religieux du Moyen Age. Je commence la
description par le mois de Janvier:
Janus, personnage à double figure, ferme une tour, image
de l'année solaire écoulée, et ouvre la porte d'une autre
tour, emblème de l'année nouvelle - Februarius est un
homme encapuchonné, qui réchauffe ses membres en-
gourdis devant un foyer ardent - Martius taille un arbre
- Aprilis tient des :fleurs nouvellement écloses et un pa-
nier ou un nid dans lequel on voit des ~iseaux - Maius
est sur un cheval au galop; c'est l'emblème de la chasse
à courre - J unius fauche les prairies - Julius coupe les
blés- Augustus bat la moisson avec un fléau - September,
dans une cuve, foule le raisin de la vendange - October
ensemence les guérets - November plie sous le poids
d'une charge de bois préparée pour l'hiver - December
se dispose à tuer un porc.
Aux quatre coins du quadrilatère, et touchant immédia-
tement au grand cercle extérieur du médaillon central, on
voit les quatre fleuves du paradis terrestre ; les noms de
deux d'entre eux, FIZION, GION, sont encore très-dis-
tinctement lisibles.
Ensuite, il y ~ une large bordure couverte d'ornements
dans lesquels on retrouve des réminiscences de 1'art antique ».
Le choeur de la cathédrale, veille sur le dernier som-
meil d'un remarquable personnage étranger. Le tombe~u
de J'homas II, comte de Flandre, mort à Aoste le 7 Fé-
vrier 1259, se dresse à côté du maître-autel. Il est tout de
marbre blanc. L'archéologue Ferdinand de Lasteyrie le
décrit en ces termes : « son costume, qui vaut bien la peine

105
qu'on le décrive, se compose d'un vêtement de mailles com-
plet recouvert d'un surcot ou cotte d'armes blasonnée, tels
qu'on les porta pendant toute la durée du XIIIe siècle.
Par une exception assez rare à cette époque, les épaules, les
coudes et les genoux sont armés de pièces forgées : le corps
lui-même est protégé en certaines parties par des lames
mobiles. Le costume se complète par une large épée à
gauche, un poignard au côté droit et des éperons aux pieds.

La figure est ornée de moustaches, ce qui n'est pas


très fréquent à cette époque. Sous le rapport héraldique
le tombeau du comte Thomas, n'est pas non plus dépourvu
d'intérêt. Sur sa cotte et son bouclier on trouve l'aigle,
armoiries primitives de son illustre maison, tandis que
l'écu placé à ses pieds et tenu par un lion couché, porte

106
la croix de Savoie. C'est un exemple de l'emploi simultané
des deux blasons par les princes de la Maison de Savoie,
depuis Amé II qui, le premier, paraît avoir adopté la croix,
jusqu'à Amé-le-Grand qui, au commencement du XIVe
siècle en fit le blason définitif de sa maison.
Trois écussons sculptés, ornaient autrefois le soubasse-
ment du tombeau, mais les armoiries dont ils étaient chargés.
ont disparu sous les coups du maillet égalitaire de la Ré-
volution française ... ».
Sur le pourtour du choeur, existent deux autres tombes
bien plus simples. Elles sont ornées de statues couchées
en marbre et qui représentent les évêques d'Aoste, Boniface
de V alpergue et Eméric de Quart.
La sacristie principale est remarquable par ses belles
armoires, l'une en style gothique de 1516, l'autre de 1690.
Elles donnent à la pièce un cachet très moyenâgeux.
Le trésor de l'église dont la valeur est inestimable, est
enfermé dans cette sacristie spéciale. Il faudrait des se-
maines pour l'étudier du point de vue archéologique. Nous
devons nous contenter de donner la liste des principales
oeuvres d'art, dont beaucoup sont encore peu connues du
public.
Diptyque en ivoire- Camée antique- Châsse 'en argent
contenant les corps de saint Grat et de saint Joconde -
Buste en argent représentant saint Jean-Baptiste et ren-
fermant la mâchoire du saint - Livres liturgiques -
Graduel - Missel - Pontifical orné de miniatures -
Retable d'autel -Anciennes chasubles - Bâtons et croix
processionnels - Reliquaires de différentes formes, etc ...
Je me limiterai, faute d'espace, à la description de
trois oeuvres d'art: la châsse de Saint-Grat, le diptyque et
le camée antique.
La grande châsse de Saint-Grat figurait à l'exposition

107
de 1880 à Turin. Monseigneur Duc la décrit en ces termes :
«C'est un des plus beaux monume nts de l'art chrétien du
XIVe au xve siécle, ainsi que de la piété et de la munifi-
cence de nos ancêtres. Achevée sous l'épiscopat de Mgr De
Prez en 1458, elle est parvenue jusqu'à nous, dans un état
remarquable de conservation. Le co~re intérieur en bois
est revêtu de puiss~ntes lames de fer, et le fer à son tour
se dérobe sous des lames d'argent repoussé, ciselé et ouvragé
avec toute la délicatesse et le bon goût du style gothique

le plus pur. Onze petites statues également en argent po-


sées sur la saillie de sa base, d'une solidité et d'un poids
remarquable, environnent ses bas côtés que décorent aussi
deux guirlandes de cristaux aux couleurs variées et simulant
des pierres précieuses .
.Les quatre angles sont terminés par des contreforts
d'un travail exquis et dont les flèches dominen t le couvercle.
La châsse a été exécutée à Aoste, par maître ~Jean
Malines qui s'en était chargé par convention du 13 Mars
1421 ... ».
Le camée antique date de l'époque romaine {du 1er siècle

108
très probablement). Il porte une tête d'impératrice sur une
monture d'or du XIIIe siècle. Elle est enrichie de perles
rubis, saphirs. Ce bijou qui a retenu l'attention de tous
les experts, est sans défaut à l'exception de la tête dont le
nez est très légèrement écaillé. Mais l'orfèvre a très habile-
ment masqué cette légère imperfection, sous une magnifique
émeraude.
Louis Gonse, historien d'art français, dans une étude
sur l'exposition de Turin de 1880, signale que le cam~e
représente vraisemblablement Livie, femme de l'Empereur
Octave Auguste. Sa belle description mérite d'être re-
produite:
« C'est une des pièces les plus précieuses que nous ait
laissée le Moyen Age. Elle est digne de figurer à côté de
celles du trésor de Saint- Denis. L'ensemble de ce bijou
est d'une élégance d'aspect et d'une harmonie de tons
incomparables. J'ajouterai que son étui en cuir gaufré, est
certainement une des pièces les plus anciennes, sinon la
plus ancienne qui nous soit parvenue».
Selon les historiens, le diptyque est un des plus beaux
parmi les quelques trente tablettes romaines à charnière,
existant dans le monde. Il vaut surtout par l'extrême fi-
nition des détails. Il est aussi le plus complet et le mieux
conservé. D'après l'archéologue Ferdinand de Lasteyrie,
c'est le seul à porter à la fois le nom et l'image de l'em-
pereur et le nom du consul qui l'a fait exécuter.
Il serait de l'an 406 et fut découvert en 1833 dans une
vieille sacristie de la Cathédrale. Nous manquons de do-
cuments authentiques, sur l'époque exacte à laquelle il fut
donné, à l'église d'Aoste.
Il est inutile de décrire ce petit ouvrage d'ivoire, car
ce genre de description, figure dans les revues d'archéo-

109
logie du monde ·entier. Je le reproduis par un dessins à
la plume qui en révèle tous les détails;
Le prestige de ce diptyque a attiré nombre de personna-
lités de l'archéologie internationale. En 1920, Mr John
Shapley, professeur d'histoire de l'art à la Brown Uni-
versity, traversa l'Atlantique spécialement pour venir l'é-
tudier.

c :..:ee:C··-- .s.

Les inscriptions gravées sur les deux tablettes de ce


petit bijou (environ 30 centimètres de hauteur) ont été
interprétées par le savant paléographe de Turin, l'Abbé
Gazzera:
PROBUS famulus vir clarissimus Consul ordinarius
domino nostro Honorio semper Augusto - Le mot fa-
mulus, ne doit pas être pris pour le second nom de Probus,

110
mais pour l'expression de civilité en usage à l'époque de la
décadence romaine et qui correspond à notre «très humble
et très dévoué serviteur». Probus, serviteur de l' empe-
reur, homme très-illustre, consul ordinaire, au Seigneur
Honorius toujours Auguste.
Les diptyques servaient au début, pour écrire quelques
notes sur les de_:ux tablettes de bois ou de métal, recouvertes
d'une mince couche de cire. Ils devinrent plus tard, des
objets de luxe en or, argent ou ivoire sculpté. Les consuls
romains ordinaires, avaient le droit de les distribuer à titre
de cadeau, lorsqu'ils prenaient leurs fonctions. Après la chute
de l'Empire, ces diptyques furent utilisés dans les anciennes
églises, pour y graver les noms des saints, des martyrs,
des évêques et bienfaiteurs de 1' église.

111
,.....
CLOITRE GOTHIQUE

est attenant à la cathédrale. Il fut construit dans


style gothique simple et sévère, sous l'épiscopat
d'Antoine de Prez et par l'architecte Pierre Berger de
Chambéry, en l'an 1460 selon le millésime gravé sur le
second pilier au nord-est. Il était autrefois environné de
bâtiments qui l'équilibraient esthétiquement. Le cadre a
été détruit et l'ambiance s'est modifiée.
Les travaux de construction de ce cloître, qui remplaçait
l'ancien, (la cathédrale possédait son cloître depuis les
temps les plus reculés, car il est déjà mentionné en Jan-
vier 1006 dans un acte de donation de Guillaume de Mont-
jovet) ont duré dix-huit ans, de 1442 à 1460.
Le flanc méridional du cloître, a malheureusement été
démoli.en 1860, pour lais-
ser la place à la chapelle
latérale qui, permet de
donner à l'église la forme
d'une croix latine, selon
les lois du symbolisme
architectural. Adjonction
malheureuse, sorte de
post-scriptum ajouté à la
cathédrale, elle brisa une
partie intéressante du cloî-
tre et détruisit son unité.
Quinze chapiteaux
portent, gravés, les noms
des quinze chanoines qui financèrent la construction. Les
autres sont ornés de feuillages et d'étranges animaux qui
représentent les signes du zodiaque. Les piliers sont en mar-
bre d' Aymavilles, les chapiteaux en albâtre, des carrières
de Dolonne à Courmayeur.
Remarquer les pi~ces antiques réunies sous les arcades
et dans le préau: un autel en marbre consacré à Diane,
un chapiteau, une colonne tronquée et d'autres éléments
appartenant au Forum.
Les inscriptions romaines des pierres sépulcrales et les
débris des tombeaux de Boniface et François de Challand
morts, l'un en 1426 et l'autre en 1442, intéresseront les
archéologues. Tous deux sont représentés en costume de
guerre du Moyen Age, dans une attitude digne et noble.
Ces statues en marbre blanc ont malheureusement été
mutilées pendant la Révolution française.

113
,
STALLES DE LA CATHED RALE D'AOSTE

. ne reste que trente des trente-cinq stalles de la cathé-


!drale qui furent sculptées sur beau noyer, en 1469.
Cinq qui étaient adossées au jubé, démoli en 1838 par-
ce qu'il gênait la vue des cérémonies du culte, ont été trans-
portées dans la sacristie. Elles portent les noms des deux
artistes, qui sculptèrent toutes les stalles du choeur vers
la moitié du xve siècle, et modelèrent le bois, jusqu'à lui
faire «épouser les formes qu'ils avaient rêvées »: Vionin
de Samoen et Jean de Chetro. Le bois patiné par les siècles
confère aux sculptures ogivales, un aspect somptueux.
Un examen attentif révèle les manières différentes des
deux artistes. L'un a mar-
qué plus profondément
les figures, avec des traits
moins soutenus que l'au-
tre. Cependant le travail
reste dans son ensemble
un des plus remarquables
chefs-d'oeuvre d'art go-
thique de la région auto-
nome de la Vallée d'Aoste.
Chaque stalle sculptée
en style ogival et découpée
en fine dentelle, comprend:
la miséricorde, l'appui, la
parclose, l'accoudoir, le
haut dossier et le dais.
Treize armoiries et les noms de huit chanoines, sont
gravés sur les parties les plus élevées des dossiers, témoignant
de la générosité des bienfaiteurs, qui financèrent le travail.
Ces stalles sont sculptées dans le style de celles de
Saint-Jean-de-Maurienne et de Genève. Des figures d'apô-
tres alternent avec des figures de prophètes, portant des
inscriptions gravées sur des phylactères.
« Des docteurs méditent - nous dit l'historien Frutaz -
enveloppés de leurs manteaux, des moines prient sous leur
capuchon et, au dessous, des bêtes grimaçantes et des
figures d'animaux~
C'est tout un poème et un mélange d'idéal naïf et de
réalisme, un symbolisme qui n'est plus compris de nos
jours et qui, le plus souvent, représentait alors les destinées
éternelles, les églises militantes, souffrantes et triomphantes,
les victoires du Christianisme, ou bien la lutte entre la
grâce et la concupiscence».
Persuadé que les artistes de cette époque, ne produi-
saient rien qui ne fut marqué du sceau de la foi, le chanoine
Bérard, inspecteur des monuments, a essayé de deviner les
pensées qui animaient ces réalisateurs, quand ils sculptaient
les stalles de la cathédrale.
« Sous le dais des stalles, je lis les noms exprimés ou
en toutes lettres, ou par des armoiries qui les traduisent,
des personnages mêlés aux anges, jouant de divers instru-
ments. Voilà sans doute le ciel, où se trouvent inscrits les
noms de ceux qui ont été les bienfaiteurs des églises, "quorum
no mina inscripta sunt in coelis ".
Au second rang sur les panneaux des dossiers, on voit
des prophètes, des apôtres et les saints les plus ·vénérés
dans la V allée. Voilà il me semble l'église triomphante.
Au-dessous, sur les appuis, sont sculptés des hommes,
des femmes, des religieuses, représentant la société de

115
l'époque. Qui ne voit donc, dans ce mélange de toutes
les conditions sociales, l'emblè me de l'église militante?
Les figures grimaçantes des miséricordes, ne signifieraient-
elles pas les âmes en souffrance, soit l'église souffrante? ».
Ce chef-d' oeuvre fut cependant menacé. Jugeant que
quelques bas -reliefs et détails de bosses de sculptures, pou·
vaient offenser l'oeil et l'esprit des visiteurs, Mgr De la
Palme en àvait ordonné la suppression. Le chapitre de la
cathédrale, refusa de passer à exécution et envoya au Roi
une longue lettre de protestation. Ce recours permit de
sauver l'intégrité des stalles. .
,,
En considération de l'originalité de ce document inédit
je crois utile de le reproduire «in extenso». Il témoigne de
la clairvoyance des chanoines.
Au Roi
Sire!
Humble ment prosterné aux pieds de V.S.M. R. expose
avec le respect le plus profond et religieux, le Chapitre de
la V.ble Eglis.e Cathédrale de votre duché d'Aoste ; celle-là
déjà subsistante comme épiscopale, depuis le 3e Concile
de Milan, sous S. Eusèbe évêque de Verceil, après avoir
reçu la prédication de l'évangile de l'apôtre S. Barnabé,
et celui-ci érigé en 1236, après l'avoir été en Comté de Lom-
bardie, depuis l'an 579, et en Comté ou Marquisat d'Italie,
depuis 620, et constamment appartenant à la Royale Dynastie
de Savoie, depuis l'an 1032:
Que depuis décembre dernier S.G. Jean-Baptiste-Marie de
la Palme, notre Evêque installé depuis août 1819, prétendait
supprim er les stalles et formes du choeur de cette Cathédrale,
soit les hors-d'oeuvre en bas relief et en bosse de sculpture,
faisant partie intégrante de tout l'appareil du madrier, sous
prétexte tout imaginaire, qu'elles présenteraient des figures

116
et ornements indécents; et ce, contrairement aux décrets
des Conciles de Tarascon et de Mayence, qui assurent le
possessoire annal et proscrivent tout droit de semblable
réforme, après la visite épiscopale; aux Capitulaires de
Charlemagne, d'ap!ès lesquels le prince temporel est le
défenseur et protecteur né, le premier patron et le fondateur
présumé de toutes les Cathédrales ; aux Canons du Concile
de Trente, qui prononcent la prescription en faveur de ce
long usage de cet ancien état des choses : au mépris des
règles tracées sur la matière, par S. Augustin et le Pape
Léon le Grand ; en dépit de tous les canons et principes de
droit ecclésiastique, public et civil; de toutes les immunités
et maximes de l'Eglise, et en oubli même, de toute prudence
humaine et politique et gratitude naturelle.
Que ces figures et ornements extérieurs, immobiles et
inamovibles , identifiés avec les stalles existantes depuis 1469,
époque de leur construction, sont bien loin de signifier le
moindre cynisme, ni de faire naître la plus légère idée
d'obscénité et de lascivité, d'idolâtrie ou d'impiété, ni d'oc-
casionner la moindre profanation; ainsi que la preuve se
justifie naturellement par l'admiration et l'autorisation, le
consentement ou tout au moins le silence, de 21 prélats
qui ont siégé dès-lors avec tant d'éclat, de mérite et de
dignité; dont deux surtout, orateurs, conseillers et ambassa-
deurs des Ducs de Savoie, aux Conciles de Latran et de
Trente; un autre assistant à celui-là avec la plus brillante
doctrine ; un autre, zélé, intrépide et heureux antagoniste de
Calvin; un autre 1er sénateur de Savoie, conseiller d'Etat
et député du prince; deux cardinaux; un versé dans les
langues; un visiteur général d'ordre théologien et prédi-
cateur célèbre, et un maître de la sacrée théologie; sans
compter 16 prévôts et 18 archidiacres illustres; un général
de l'ordre des mineurs conventuels au Concile de Trente;

117
outre une douzaine de protonotaires apostoliques, de doc-
teurs, chevaliers, ducs et comtes du sacré palais ~t de la
Consolation; autant de religieux célèbres, pères, maîtres,
professeurs, prédicateurs et fameux théologiens; plusieurs
abbés et prêtres, docteurs dans le XVIIe et XVIIIe siè~le;
et notamment membres de l'Académie, de .la chancellerie,
de l'Université et facultés et de la Congrégation des théo-
logues et dogmatiques, dans la capitale du monde chrétien,
sous Boniface IV, Clément XIII et XIV. Ne croirait-on
pas non seulement flétrir tout le clergé, la noblesse et le
peuple d'Aoste, toutes les administrations, les autorités et
membres du Conseil des Commis et de la R. Délégation ;
mais encore critiquer 4 à 5 archevêques, qui depuis on fait
la rote provinciale et censurer même 6 souverains et une
quinzaine de princes de Savoie, qui ont honoré de leur
présence et visite cette même Cathédrale, et une douzaine
de. gouverneurs et ministres généraux, qui venaient présider
les Etats et prêter même leur serment de protection, dans
le même choeur?
Que ces figures et ces ornements du goût gothique, du
xve siècle furent considérés comme des chefs-d'oeuvre
· de l'art héraldique et du blason. Ses titres sont acquis à
la considération publique et à la mémoire de la postérité,
et de tous les fondateurs, patrons, bienfaiteurs, ou donateurs
de cette même église; par exemple, de l'illustre et ancienne
maison de Challand issue des marquis de Montferrat de
la Iére race, qui possédait tant de seigneuries, de comtés et
la principauté même de V alangin, qui comptait tant de
vicomtes d'Aoste, depuis le ve siècle, une quinzaine de
généraux et gouverneurs du Ier ordre, et autant de chevaliers
d'ordre; un sénateur romain neveu allié d'Adrien V et de
Thomas II de Savoie; une dizaine de maréchaux; qui
avait produit deux évêques d'Aoste, sept autres évêques dans

118
de diocèses étrangers et 3 autres archevêques, dont un car-
dinal légat au Concile de Constance, député et ambassadeur
de Rome et de Savoie, et avait mérité en 1442 un bref pon-
tifical, qui fit placer dans le même choeur' un mausolée à
l'illustre comte François de Challand; de l'illustre et an-
cienne famille des Barons de V alleise et Arnad, qui avait
déjà produit 18 chevaliers et 2 écuyers; de celle des Seig.rs
d'Avise, qui avait donné le jour à dix chevaliers, dont 2 de .
S. Jean de Jérusalem et à un évêque d'Aoste; de celle de
Sarriod de la Tour, qui avait ~onné naiss.ance à 14 chevaliers;
de celle de Bard, qui avait produit entr'autres, 2 évêques en
des diocèses étrangers ; de celle de V al pelline ou de la
Crête, qui en avait aussi un sur le siège épiscopal de Sion;
de celle de Châtelard Grossy des Cours, qui avait donné
naissance à 2 archevêques et notamment à Pierre de Taren-
taise, devenu pape sous le nom d'Innocent V; de celle
de Valpergue, descendante des marquis d'Ivrée et d'Italie,
qui avait produit 3 évêques; dont un Seigneur s'etait établi
au Roy .e de Naples, sur la fin du XIe siècle, et dont le Seig.r
Georges venait de s'établir à la Cité, en même temps
que deux membres de la même famille en étaient prevôt et
archidiacre.
Que les deux figures qui blessent le plus les regards
timides, chastes et ascétiques de S. Gr. sont entr'autres celle
d'une religieuse, enclinée en attitude de prière, dont la
vue n'a certainement jamais offensé, ni scandalisé personne
jusqu'ici, mais ne seraient-ce pas là des signes allégoriques
d'une pythonisse d'Endor? d'une Sibylle lors de l'avè-
nement du Messie? ou plutôt le symbole des religieuses
chanoinesses de S. Augustin, et de S.te·Catherine établies
en cette ville dès la fin du XIIe siècle, ayant droit d'intervenir
et d'assister jusqu'au XVIe, aux offices et au choeur de cette
Cathédrale et suivant les règles de leur institution dont

119
plusieurs chapitres traitent de la mortification de la chair'
des moyens conservatoires de la pudicité, du lavement du
corps et de l'usage de bains ; ou plutôt une Sirène mortifiée
refroidie _et glacée dans la partie inférieure, comme les
poissons, ne paraissant animée et vivifiée, que dans la partie
supérieure, et n'ayant de voix humaine que pour chanter
les louanges du ciel, ne signifiait-elle pas les chanoines et
chanoinesses destinés par leur état à la même fonction
particulière et permanente? Mais indépend amment de la
justesse de cette allusion, il est certain qu'elle était alors
l' armoirie de la R.e Maison de Savoie, et devait essentielle-
ment s'y rapporter ; en effet, si la Sirène parthénopée a
donné son nom à Naples, où elle avait son tombeau, et si
deux Sirènes étaient déjà au XIIIe siècle l'armoirie de Charles
D'Anjou comme celle de la R.e Maison régnante, cette
armoirie devait servir de monume nt authentique et perpétuel
de la reconnaissance et de la dépendance de la V allée
d'Aoste à l'honneur de la R.e Maison de Savoie; -et d'une
15.aine de· princes, comtes et ducs, qui étaient venus y
pactiser leur haute protection et alliance, ou y tenir leurs
audiences et assises générales, ou y renouveler le serment
de souveraineté, de conservation des libertés, franchises,
immunités et privilèges, et notamment de Thomas II, mort
le 7 février 1259, à la cité, et inhumé dans la même Cathé-
drale et au même choeur, où existe son mausolée; - De
Thomas III, né à Aoste, en novembre 1248; d'Amé VI
fondateur des Cordeliers en cette ville, en 1352 ; De Pierre
et de Louis, archevêques de Tarentaise, en 1456, 1459,
et de François prévôt de Montjou à peu près à la même
époque; de Pierre II et III de Savoie, prévôts de cette
église cathédrale, en 1220 et 1252, et surtout du duc Louis
D'Anjou époux de la reine Jeanne de Naples et de Sicile,
mort dans le Roy.e de Naples, en 1383; d'Amé VII vi-

120
caire général de l'empire, comte de diverses terres à Naples,
en 1412; de Louis II, roi de Chypre, de Jérusalem et
d'Armén ie, en 1462; ·d'Anne de Savoie, épouse de Frédéric
d'Aragon, prince de Tarente, roi de Naples, de Sicile et
de Jérusalem, en 1478 ; de ~ouis, le plus puissant Seigneur
et 1er prince du Roy.e de Naples, en 1389; du duc Charles,
prince du Roy.e de Naples, et comte de plusieurs terres,
villes et châteauf{ y enclavés, en 1494; - en un mot, des
ducs de Savoie, comme vicaires perpétuels ducs, comtes,
princes et roi d'Italie, dès le XIIIe siècle, et la preuve
en est que le sein de cette Sirène était surmonté et couvert
de l'armoirie de Savoie, jusque sous la dernière république
française, qui a ordonné d'effacer la plupart des armoiries.
En raison de l'importanc e de ce monument un ouvrage à part a
été consacré «Les stalles et les miséricordes du XVe siècle de la Cathé-
drale de la Ville d'art d'Aoste» par Robert Berton, ouvrage sous presse
-Editeur De Agostini 1955.

121
PALAIS RONCAS

baron Pierre Léonard Roncas, diplomate distingué,


polyglotte de valeur, fut ministre de la Maison de Savoie
pendant 50 ans et servit quatre ducs. D'après les docu-
ments conservés dans les archives d'Etat à Turin, Roncas
aurait joué un rôle considérable, dans la vie de la Maison
de Savoie, pendant 50 ans: de 1589 à 1639.
En 1606, cette famille qui devait incarner sa puissance
dans des oeuvres durables, a su réaliser autrement qu'en
rêve, comme tant d'autres seigneurs de cette époque, un
hôtel parfaitement équilibré, qui est le plus bel édifice de
la Renaissance, de la cité d'Aoste.
Le vestibule d'entrée, le grand escalier, les portiques,
les galeries soutenues par une colonnade, sont décorés
de peintures en style grotesque, représentant des sujets
mythologiques, historiques et allégoriques tirés des célèbres
grotesques de Poncetti Bernardino ( 1542-1612) à Florence.
Les salons fastueux où cette famille aisée passait des
jours agréables, sont dignes d'attention, ainsi que les grandes
cheminées à manteau, où les dames de l'époque «hâtaient
· la fuite des heures » en tisonnant.
On ne connaît pas le nom de l'artiste qui dessina ces
grotesques. On suppose qu'il s'agit d'un artiste peintre
de passage, se rendant en France. Ceci expliquerait que
l'art grotesque ait pu pénétrer si vite en vallée d'Aoste et
laisser son empreinte, presque dans le même temps qu'à
Rome et à Florence.

122
Je crois utile de donner quelques renseignements précis
sur le style «grotesque », terme qui prête souvent à con-
fusion. Les élèves de Raphaël auraient exploré à Rome
pendant les xve et XVIe siècles, des chambres antiques
retrouvées sous terre, qu'on appela grottes, et grotesques
les ornements qui les décoraient.
Ces salles appartenaient à la fameuse Domus aurea de
Néron, peinte conformém ent au style hellénique ou pom-
péien. Après études, imitations et transformations, ces orne-
ments ont fait revivre un type de décoration, qui tira le
nom de «grotesque » du lieu de son origine. Au sens précis
du mot, les grotesques sont « des figures capricieuses repré-
sentant des personnages, des animaux, des objets réels ou
imaginaires, entourés et entrelacés d'ornement s et d'ara-
besques de fantaisie» {I). Toute autre interprétation du mot
grotesque, doit être considérée comme erronée.
La famille Roncas, s'étant éteinte à la mort de Philibert
en 1683, 1'hôtel fut vendu à plusieurs reprises. En 1702,
le comte Busquet, propriétaire du palais Roncas, le céda
pour 30.000 frs. au Conseil des Commis. Dès lors, le Palais
fut appelé «la maison du pays», et on y installa l'admi-
nistration du duché.
Après la Révolution française, le palais fut la résidence
des sous- préfets avec les bureaux dépendant de leur admi-
nistration. Il est occupé aujourd'hui par la gendarmeri e.
Cependant, le Conseil de la Vallée a décidé, dans une de
ses dernières séances, d'installer dans le Palais Roncas,
propriété de l'administration régionale, un musée, une
bibliothèque, ainsi que les associations de culture valdôtaine.
Les armoiries de la famille Roncas, adoptées à la suite
d'alliances, étaient très compliquées. L'écusson des Roncas
était parti de deux, coupé de deux; au 1er, coupé d'or et d'ar-
gent à l'aigle éployée de sable brochant sur le tout. Au 2e,

(1) Larousse Universel.

123
d'argent à deux croix pattées de gueules posées en pal et
accostées de deux clefs de même, adossées, aux anneaux
tréflés, qui est de Saint-Pie rre. Au 3e, d'or au château
ouvert à deux tours de gueules maçonnées de sable, au
lion léopardé de gueules passant d'une tour à l'autre, qui
est de Sarre. Au 4e, d'argent au château ouvert de gueules,
maçonné de sable, sommé d'un soleil de gueules, qui est
d'Entrèves. Au se, coupé d'argent et d'azur, l'argent
chargé d'un soleil de gueules, et l'azur d'un croissant tourné
d'argent, qui est Roncas. Au 6e de gueules à la bande
d'argent chargée en chef d'une croix tréflée de gueules au

pied fiché. Au 7e palé d'argent et de gueules, de six


pièces, au chef du premier. Au se, d'argent au portail ·
tréflé, surmonté d'un fronton et accompagné à dextre d'une
·tour et à sénestre d'un pilastre, le tout de gueules, maçonné
de sable ; sous le portail un sanglier de sable enchaîné de
même. Au 9e, d'argent, au lion de gueules tenant un
marteau de même, l'écu semé de clefs de gueules.
L'écusson portait au-dessous la deyise: « Omnia cum
lumine».

124
TOUR NEUVE

nstruite probablement au XIIe siècle sur un bastion


e l'enceinte romaine, elle est située à l'angle nord-
ouest de la ville.
Cette tour appartenait aux Seigneurs, qui prirent le nom
de « Tour Neuve » et fut bâtie par les vicomtes d'Aoste à
l'époque où la défense de la cité, était confiée aux familles
les plus puissantes.
On peut pénétrer dans l'intérieur de la tour par la porte
et goûter le silence ambiant et la douce lumière, qui filtre
du sommet du château
fort.
Cette construction
moyenâgeuse aux cré-
neaux ravagés par les
ans, sert aujourd'hui
d'abri aux oiseaux. Elle
est entourée de maisons
modernes qui se mêlent
aux remparts romains.
La séduction mélan-
colique de ces pierres,
patinées par les siècles,
s'oppose à la gaieté co-
lorée de la colline toute
proche où, 1' été, des
vignobles réputés, exposent au soleil, leurs promesses pour
l'automne.
Un petit sentier, tracé par la main du hasard, serpente
d'un verger à l'autre, à travers les prés et les jardins fleuris
tout peuplés d'oiseaux, et va jusqu'à mi-colline, d'où, l'on
peut jouir d'un très beau panorama, sur la cité d'Aoste.

126
JEU DE L'ARQUEBUSE

Palais du Gymnase s'élève aujourd'hui, près des


des Alpins.
C'est là qu'à été créée, en 1206, «l'ancienne Gymnastique
de la compagnie de l'arc» destinée aux exercices militaires.
Ce fut le premier noyau de défense, de la petite patrie val-
dôtaine. Cette compagnie fut autorisée par les Princes de
Savoie en 1206, 1253 et 1337.
Après l'invention des nouvelles ar~es à feu, la com-
pagnie de l'Arc, se transforma en 1427 en Jeu de l'arque-
buse, la plus ancienne institution européenne de ce genre
que l'on connaisse.
A Châtillon, le maître Hugonin, fabriquait déjà des
armes à feu au XIVe siècle, quand leur usage était à pèine
connu, et fournissait des couleuvrines, au duché d'Aoste
et aux pays voisins.
Les premières indications sur le tir au fusil, son données
par Meyer Moritz dans sa « Technologie des armes à feu ».
Il donne la date de 1429 pour le «premier tir à -la cible
avec des armes à feu, à Nuremberg». Cette date est posté-
rieure de deux ans, à la fondation du «Jeu de l'arquebuse»
d'Aoste.
Et voici ce qù' écrit Ange Antonucci dans son livre :
« Tiro a segno in Aosta » :
« Questa antichissima istituzione è anteriore a molte
« straniere ed italiane per le armi da corda, a tutte poi,
« quelle registrate nelle storie per le armi da fuoco porta-

127
« tili. Codesto vanto d' Aosta non deve essere taciuto. Pren-
« diamo esempio dalle N azioni vi cine che per ogni loro
« nonnulla danno fiato alle trombe della fama in tutti i
« tuoni ».
Avant qu'on ait détruit l'ancien jeu de l'arquebuse, pour
construire l'actuel gymnase des écoles, on pouvait encore
lire l'épigraphe suivante, gravée sur marbre:
«Compagnie de l'Arc pour exercices militaires auto-
risée par le Prince Thomas Ier en 1206 ».

« Jeu de l'Arquebuse, approuvé par Amé VIII, en 1427.


Doté par S. A. la Régente M.J.B. de Savoie en 1678
et reconstruit par la Ville et les amateurs en l'an 1838 ».
Il est regrettable que ce vieux bâtiment, ait été détruit
par le fascisme en 1928-1929. Il était le vestige d'une vieille
institution, reconnue et aidée par tous les souverains. Elle
avait rendu des services nombreux, pendant plus de 700 ans
à la petite patrie valdôtaine, amené des milliers d'hommes
à la discipline militaire, pour la défense du sol et formé
des centaines de maîtres d'armes.
Et cependant, la délibération du 7 Janvier 1929 du po-
destat d'Aoste, maître Fusinaz Joseph, en cédant le vieil

128
édifice du Jeu de l'Arquebuse, pour le transformer en salle
de Gymnastique, signalait expressément que, la «facciata
nord del fabbricato prospiciente la strada N azionale deno-
minato "Jeu de l'Arquebuse" sia conservata immutata,
dato il suo valore storico ed artistico ».
Pourquoi cette condition n'a-t-elle pas été respectée?
La milice valdôtaine, qui avait été entraînée par les
maîtres d'armes, sortis de la Compagnie du Jeu de l'Arque-
buse d'Aoste, a toujours su maintenir intactes, les tradi-
tions de fidélité au drapeau et d'héroïsme sur le champ de
bataille; cette belle renommée n'à jamais failli à elle-même.
Elle a su éviter durant 700 ans, toute violation de la région
valdôtaine, qu'on a appelée avec raison «La Pucelle».
Le comte de Savoie Pierre II, dit le Petit Charle-
magne, aurait prononcé en présence de l'Empereur Richard
des paroles définitives, à l'égard de la milice valdôtaine,
disant: «Mon premier titre de gloire, est d'être Duc d'Aoste».
Un chroniqueur rapporte que Charles Emmanuel III
pendant la guerre de Sept ans, aurait dit : « Je puis vanter les
chasseurs et les grenadiers de mon régiment d'Aoste, autant
que l'Impératrice Marie-Thérèse, ses chasseurs tyroliens,
Frédéric de Prusse, ses cavaliers hessois et Louis XV ses
fameux grenadiers de France ».
Dans un communiqué de guerre, les autrichiens souli-
gnèrent l'héroïsme des combattants valdôtains, toujours fi-
dèles à leur langue maternelle, et mettaient en garde les
troupes autrichiennes contre «les soldats piémontais parlant
français». Le Prof. A. Graf de l'Université de Turin, avait
fait justement observer lui aussi: «che si puo essere pessimo
italiano parlando la lingua italiana ed ottimo italiano par-
lando la lingua francese ».
L'usage de la langue française, n'a jamais empêché aux
valdôtains de « payer à la grande patrie, un large tribut de

129
dévouement, de sacrifice et de sang». Un chroniqueur du
XVIIIe siècle, pendant les invasions françaises, disait «Ils
parlent français, mais ils sabrent en valdôtait:J.s ».
Pendant la première guerre mondiale, la suprême dé-
coration de médaille d'or à la Valeur Militaire, n'a été
décernée qu'au seul bataillon Aoste (sur 60 autres batail-
lons des Alpes) avec la mention suivante: « Il battaglione
Aosta, superando accanita resistenza nemica ed aspre diffi-
coltà di terreno organizzato a difesa, ascese sanguinosa-
mente le rupi del Vodice, impadronendosi con altro re-
parto, della quota 652, sulla quale, con sovrumana tenacia,
resistette, senza cedere un palma di terreno, a terrificante
bombardamento, a ripetuti contrattacchi, a difficoltà ine-
narrabili (Vodice 18-21 maggio 1917). Nella battaglia della
finale ris cossa, rinnovando an cora una volta l' esempio di
eroico valore, di spirito di sacrificio, di serena fermezza
degli Alpini d·'Italia, consacrava alla vittoria ed alla gloria
della Patria il fiore dei suoi alpini che, decimati ma non
do mi, intrepidamente pugnavano e cadevano al grido, rin-
tronante fra · il fragore delle armi: " Ch'a cousta lon ch'a
cousta, viva l'Aousta". (Monte Solarolo 25-27 ottobre 1918)».
Le 30 Novembre 1924, jour de l'inauguration solennelle
du monument aux morts pour la Patrie, le général Clerici
sous-secrétaire d'Etat au ministère de la guerre, glorifia
le combattant valdôtain en ces termes : « Le soldat du
V al d'Aoste est le premier soldat de la péninsule ».
Les V aldôtains ont toujours été loyaux. Ils prétendent
à leur tour, qu'on les traite avec loyauté. Et si, dans le passé,
ils ont été victimes de la fausseté d'autrui, ils n'entendent
plus l'être aujourd'hui.

130
,
TOUR DU LEPREUX

ar son livre «Le Lépreux de la Cité d'Aoste», le


célèbre écrivain savoyard Xavier de Maistre, a immorta-
lisé cette vieille demeure, l'a chargée de souvenirs et de
suggestions romantiques. L'ombre du lépreux, banni de
la société des hommes, paraît encore rôder misérablement
au pied de ces vieux murs, quand monte le crépuscule
propice, aux douces rêveries de l'histoire.
« Dans cet ancien château - dit E. Aubert - solidement
établi sur un bastion romain, un génie capricieux et charmant
a placé la scène d'une nouvelle, écrite avec une sensibilité
pleine d'émotion. Le monde entier a lu ce chef-d'oeuvre,
et les pages touchantes du livre, sont gravées dans tous
les coeurs».
Ce sont toujours les mêmes planchers, les mêmes dalles
que foulaient les pieds de l'authentique lépreux, le même
jardin ·qui servait de cadre, à sa promenade favorite.
C'est la noble famille de Friours qui, dans le bas Moyen
Age a bâti cette tour, sur l'un des ·vingt bastions des remparts
romains, qui ceinturaient la cité pour la protéger. Après
avoir été forteresse, à l'époque où la cité d'Aoste se relevait
de ses ruines, elle fut transformée en habitation au xve
siècle. C'est à cette époque que fut construite la petite tour
latérale, qui renferme l'escalier donnant accès aux étages
supérieurs.
La lignée des Friours éteinte, la maison forte passa entre

131
les mains du noble de Pléoz. Abandonnée par la suite, le
peuple la nommait «tour de la frayeur» simplement sans
doute par homophonie, avec le nom primitif Friours.
Achetée en 1660 par Boniface Festaz, celui-ci la légua
à l'Hospice de Charité d'Aoste en 1682. Et l'Ordre mau-
ricien se rendant acquéreur de la tour pour 2250 livres,
elle · prit le nom de Tour du Lépreux, après avoir servi de
prison plus que de demeure, à Pierre Bernard Guasco, né
à San Lazzaro d'Oneglia. Il y demeura trente ans et vingt
et un jours. Il y mourut en 1803 âgé de cinquante-deux ans.
Le texte exact de son acte de décès, supprimera toute
contestation sur l'authenticité du héros de Xavier de Maistre:
«Anno 1803 - Guasco, Petrus, Bernardus, lepris
affectus, filius Lazari, oriundus e paroecia sancti Lazari;
vallis Onellioe, Sacramentis omnibus susceptis, hora sexta
matutina, anno millesimo octingentesimo tertio et die se-
quenti ejusdem mens1s sepultus fuit in coemeterio Au-
gustae Praetoriae.
« ln quorum :fidem » .
... «Sa quote part de
dépenses - dit son mi-
nutieux biographe - pour
pension, habilleme nt,
blanchissage, linge, ma-
nutention des meubles et
l'entier entretien, à raison
de trente livres par mois,
s'élève à 10.971 livres».
La légende s'est in-
stallée autour de ces murs
que la vie moderne n'a
pas encore abattus, dans
sa frénésie de constructions nouvelles. La tour s'élève encore
dans l'ambiance que Xavier de Maistre avait notée. Re-
vendue en 1874 à l'Hospice de Charité d'Aoste, elle est
toujours conforme à l'image, que les artistes du siècle passé
en ont donné dans leurs gravures.
Le promeneur échappera difficilement à l'emprise du
cadre mélancolique et au contraste qui naît entre l'évocation
fatale du lépreux et l'agitation de la vie, qui se perpétue
sous des formes presque champêtres. La tour du lépreux
témoigne sur ces époques sévères, où la charité ne pouvait
rien contre la maladie, sinon retrancher brutalement Ber-
nard Guasco du monde des vivants.

133
TOUR DE BRAMAFAM
CHÂTEAU FORT DE LA FAMILLE CHALLAND

vicomtes d'Aoste (titre accordé par l'Empire à


noble famille Challand) élevèrent un château fort
sur les vestiges des bastions romains de la cité d'Aoste, à
côté de la Porta principalis dextera.
Des légendes d'héroïsme et d'amour, ont rendu célèbre
cet ancien château qui a fière allure au milieu des vergers.
En fond de décor derrière la tour, deux montàgnes aux
sommets neigeux et aux silhouettes élégantes : le pic de None
et le pic Aemilius. Du côté opposé, un immeuble mo-
derne en ciment, contraste avec ces vieilles pierres, sans
toutefois choquer les yeux.
Cette tour ronde, vulgarisée par trop de cartes postales,
veillait à la défense de la ville, dans le haut Moyen Age,
et porte encore la date du XIe siècle. Ses nombreux détails
architecturaux sont intéressants à étudier.
Bien d'autres cités pourraient s'enorgueillir de posséder
cette forteresse moyenâgeuse, taillée à
l'équerre et qui frappe l'oeil par la
puissance de ses murailles et la sé-
vérité de son architecture.
Elle servit de résidence aux vicomtes
d'Aoste, jusqu'en 1295, mais aujourd'hui,
le vent est son unique ami.
La façade méridionale, bâtie entiè-
rement sur les murs romains, mesure
trente-neuf mètres. ~a grande tour ronde
qui se dresse sur un bastion, est couronnée de puissants
créneaux. La construction des murailles en arêtes de poisson,
à couches horizontales alternant avec des couches de pierres
plates, est remarquable. L'architecture est identique sur
toutes les faces et réalisait un système défensif qui ne survit
plus, que dans le regard vide des énormes meurtrières.
Au soleil couchant, des ombres immenses plongent la
vieille demeure, dans une atmosphère prenante. Rien n'est
plus troublant alors, que d'entrer dans la forteresse à la
recherche de ce passé qui peut être un passionnant sujet
de méditation.
Le château fut abandonné en 1295, lorsque la famille
d'Aoste, qui avait une espèce de suprématie sur les autres
feudataires de la V allée, renonça à la charge et au titre de
vicomte et se répandit dans les divers fiefs du duché.
«Amédée V - écrit Mgr Duc - visait à constituer
l'unité monarchique dans ses états. Bien que la famille
de Challarid eût constamment fait preuve d'un dévouement
sans bornes aux princes de Savoie et que la charge de
vicomte, héréditaire dans cette maison, eût été considéra-
blement amoindrie par la création des baillis, il ne savait
cependant pas ce que l'avenir réservait à lui et à ses suc-
cesseurs. Plus d'un conflit devait naître entre les baillis et
les vicomtes, dans l'administration de la justice et le
gouvernement du pays. La prudence
voulait, que le pouvoir fût concentré
entre les mains du bailli, qui dépen-
dait exclusivement du prince et qui
était relevé de ses fonctions chaque
trois ans. Il ne fut pas difficile à
Ebal de Challaod d'accéder aux dé-
sirs du souverain. Il renonça au titre
de vicomte d'Aoste le 24 Septembre
1295 ; il perdit, il est vrai, certains émoluments de justice
qui appartenaient aux vicomtes, mais Amédée V l'en dé-
dommagea en lui donnant le château de Montjovet qui avait
été dévolu à la couronne ».
La forteresse est appelée« Tour de Bramafam » parce.
que, selon la tradition populaire, un comte. de Challand y au-
rait enfermé sa femme et qu'elle y serait morte de faim. Les
Challand possédaient des armoiries «d'argent au chef de
gueules à la bande de sable brochant sur le tout». Comme
vicomtes d'Aoste, les seigneurs de Challand portaient

Tout est monde et le monde n'est rien

l'écusson écartelé aux 1er et 4e de Challand, aux 2e et


3e d'or à l'aigle éployée de sable, couronnée, membrée,
becquée et allumée de gueules qui est de la vicomté d'Aoste.
La tour servit de résidence aux baillis jusqu'en 1430
ainsi que de dépôt pour les archives. Plus tard, sous Aymon
de Château-Vieux, le bailliage fut transporté à la tour du
Palais - actuellement tour des Prisons - située au nord-
est de la ville, et les Challand rentrèrent en possession de
la Tour de Bramafam.

136
,
CLOCHER DE SAINT -BENIN

du jardin public, le touriste est attiré par un


erveilleux endroit moyenâgeux, aux charmes intimes
et prenants, qui compte parmi les plus intéressants de la
cité, après celui de Saint-Ours.
Les belles proportions du vieux clocher bénédictin, qui
date du XIe siècle, les murailles lézardées de l'église dé-
saffectée, bâtie en 1680, dont les lierres et les herbes folles
adoucissent les ·blessures, le charme du petit jardin dominé
par de longs peupliers, forment un ensemble romantique
qui vaut la peine d'être ·longuement contemplé. Cette
retraite délicieusement vieillotte et si bien située, serait
certainem~nt aussi le paradis des photographes et des
poètes, si elle n'était traversée par de nombreux fils élec-
triques aériens. Souhaitons que la Surintendance des Beaux-
Arts, en élargissant l'avenue Festaz, fasse disparaître sous
terre ces innombrables ·câbles, dont la laideur est frappante.
Les bénédictins, fondateurs du prieuré de Saint-Bénin
en 1008, firent de c~ monastère pendant 160 ans, le premier
centre d'études pour la jeunesse valdôtaine. Ce fut dans
ce couvent que saint Anselme fit ses premières études.
Plus tard, les chanoines du Grand-Saint-Bernard, conti-·
nuèrent à tenir l'école, pendant quatre siècles. Sur cette
petite superficie de terrain, si grande par son histoire, on
éleva en 1604 le Collège de la cité, un des plus anciens
établissements d'instruction classique des Etats de Savoie,

137
et qui fut le berceau intellectuel de la plupart des étudiants
valdôtains.
Les bénédictins, les chanoines du Grand-Saint-Ber-
nard, les pères Lorrains, les barnabites, les jésuites, les
prêtres séculiers et de dévoués professeurs valdôtains, prirent
successivement la direction de ce collège fameux, qui compta
parfois jusqu'à 300 élèves et fut l'un des plus beaux du
royaume, par son importance et sa valeur. Plus tard, vers
1888, la vieille institution fut transformée en « Convitto
N azionale » et perdit beaucoup de sa couleur locale.

138
,
ACADEMIE DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-
LETTRES DE L'ANCIEN DUCHÉ D'AOSTE
ÉCOLE DES CHARTES

Vallée d'Aoste a toujours eu un culte spécial pour


es études et les recherches historiques. Une ·société
académique, qui a choisi pour protecteur le vald~tain saint
Anselme, archevêque de Cantorbéry et docteur de l'Eglise,
a été fondée le 29 Mars 1855. Elle continue encore aujour-
d'hui, après un siècle d'existence, à étudier toutes les bran-
ches de la connaissance humaine et spécialement tout ce
qui peut intéresser le Val d'Aoste, apportant chaque année
~) par ses bulletins, une contribution sensible, au progrès
intellectuel du pays. C'est une société savante, un centre
intellectuel semblable en tous points, à ceux que l'on trouve
dans les grandes villes.
Et que dire de l'Ecole des Chartes, inaugurée en 1949
par les soins du Conseil de la V allée sous la
direction de Mgr Jus tin Boson, paléographe
de grande renommée? ·
En constatant l'activité de cette Ecole qui
publie régulièrement des mélanges de docu-
ments historiques et hagiographiques valdôtains,
(Miscellanea Augustana) une personnalité étran-
gère de haute culture, a déclaré que la Vallée
d'Aoste est «une petite région alpestre, capable
de faire ce que ne font pas des pays bien plus
grands et pas même toujours, des nations déjà
fort avancées ».
"'
HOTEL DE VILLE ET PALAIS
DU CONSE IL DES COMMI S

en de cités pourraient envier à Aoste son Hôtel


de Ville. Il fut construit sur l'emplace ment du.vieux couvent
des religieux de St-François, nommés «Les Cordeliers »
et qui fut au centre de toute la politique valdôtaine durant
447 ans.
Les restes du vieux couvent, déjà en partie détruits par
la Révolution française, ont été démolis par ordre du baron
Emmanu el Bich, maire d'Aoste. Sur son emplacement,
il a fait .édifier en 1838, un palais monume ntal en style
néo-classique inspiré de la Renaissance. Il forme un en-
semble avec l'ancien palais du Conseil des Commis (Hôtel
des Etats du XVIIIe siècle). Selon les chroniqueurs de
l'époque, sa construction aurait coûté 345 mille francs.
Il s'élève au nord de la place principale, aujourd'h ui
dédiée à la mémoire du martyr Emile Chanoux. C'est sur
cette place, coeur de la cité, que les valdôtains ont toujours
fait entendre au cours des siècles, la «grosse voix» de leurs
aspirations. Les armoiries de la
cité, sont sculptées sur l'énorme
fronton, qui domine le balcon de
pierre de la façade. Ce sont les
mêmes que celles du Duché
ornées de la croix blanche de
Savoie en chef de l'écusson primitif, qui était de sable au
lion d'argent armé et lampassé de gueules, accordées en
1390 par le Comte Rouge Amédée VII
Au centre de l'édifice, au pied des piliers en pierre de
taille, se dressent les statues de la Doire et du Buthier
personnifiés et alimentant deux amphores, d'où l'eau
coule avec la même lenteur que par le passé. Une vieille
horloge, et un cadran solaire placés sur le toit du grand palais,
continuent à marquer le temps, sans hâte et sans remord.
Ornant l'escalier qui donne accès aux salons de récep-
tion, se dressent les bustes du député Martinet, des avocats
Tercinod, Defey père et fils, taillés dans le marbre. Au
centre d'une salle est exposé le plan en relief de la Vallée
d'Aoste, réalisé par le chanoine V es coz.
La salle d'honneur peut ne pas plaire à tous, mais elle
mérite d'être visitée, car le tableau de la voûte représente
l'entrée dans la cathédrale d'Aoste, du Comte Vert, prési-
dent des Audiences Générales. Il est dû au pinceau des
frères Artari. «La pittura - dit l'écrivain Tibaldi - brilla
per forbitezza di disegno anche nei più insignificanti det-
tagli e per vivacità di colorito ».
Aux quatre coins: des médaillons représentant saint
Anselme, René de Challand, Pierre Léonard Roncas et
Jean-Baptiste de Tillier.
Au rez- de-chaussée, le
«Café National» occupe
l'emplacement de l'an-
cienne chapelle du cou-
vent des Cordeliers, sous
laquelle les seigneurs de
Challand étaient ensevelis.
CROIX DE CALVIN

face de la Chapelle Eva~gélique, rue Croix-de-


Ille, se dresse. un petit monument que surmonte
une croix de pierre et qui porte une inscription latine, dont
voici le sens : « Cette croix rappelant la fuite de Calvin,
érigé~ en 1541, restaurée en 1741 par les fidèles, a été rem-
placée et ornée par la piété des citoyens en 1841 ».
Le nom de la rue «Croix-de-Ville» n'est pas lié à
l'existence du monument. Il vient de la disposition des
rues qui se coupent à angle droit, car il se trouve déjà dans
quelques documents du XIVe et xve siècle.
Le monument n'a pas de valeur artistique, mais une
grande importance historique. Il évoque une page des
luttes religieuses que nous allons résumer. Alors que le
duc Charles III de Savoie, vaincu à Genève, chassé de
Turin et de Chambéry, retiré à Verceil ne possédait plus
que le duché d'Aoste et quelques districts perdus des Alpes,
Calvin se présentait dans la cité d'Aoste. Le réformateur
possédait un double objectif: politique et !eligieux, faire du
Val d'Aoste un canton suisse et entraîner la région dans
la réforme religieuse.
Le 28 Février 1536, dans le verger du couvent de Saint-
François à Aoste, s'ouvrit l'Assemblée des Trois Etats.
Elle a déterminé les destinées du pays.
Le réformateur Calvin habitait non loin de la ville, à
la grange de Bibian. Il comptait de nombreux partisans
dans l'assemblée, mats «leur action ouverte ou cachée

142
. dit l'historien suisse Jules Bonnet - fut impuissante à
faire prévaloir les idées de réforme, au sein des Etats. Le
parti catholique avait pour lui la supériorité du nombre
et de la discipline. A la puiss~nce des traditions et des
souvenirs, que l'on invoque jamais en vain auprès du peuple,
il joignait l'audace des résolutions et l'élan · que donne
l'initiative, dont il s'était emparé».
· D'après l'historien De Tillier, l'assemblée commença
ses délibérations, en interdisant à toute personne, au nom
de S.A.A. et sous peine de vie, d'oser y avancer ou même
d'écouter en quelque façon que ce fut, aucune proposition
si ce n'est celles qui concernaient le service du souverain
et l'intérêt du Duché en général, conjointement avec la
défense de notre sainte religion. Après une délibération
dont les incidents et la durée, selon Jules Bonnet, nous
sont également inconnus, les ·députés présents levant la
main à l'appel de leur .nom, signèrent à l'unanimité, les
articles proposés par le bailli.
Calvin mis au courant des résolutions des Trois Etats,
s'enfuit avec ses partisans et, par le pont de Closelinaz,
Roisan, Doues, l'alpage de By et la fenêtre Durand, (Col
de Calvin) il rentra en Valais.
Aucun document de l'époque ne nous est parvenu, pour
nous fournir des précisions, sur l'histoire de Calvin en Vallée
d'Aoste. Fort probablement aucun des chroniqueurs de ce
temps, n'a osé aborder le sujet, en raison de la sévérité du
bailli, car « quiconque était trouvé contrevenant était puni
de peine capitale, ainsi · que de corps et de biens».
Mais la tradition orale a rapporté ces faits, qui furent
recueillis dans un nombre considérable de livres et de
brochures.
Pour perpétuer la mémoire de cet évènement important,

143
un monument fut érigé, rue Croix-de-Villé, il fut ordonné
à toute personne possédant maison dans la cité d'Aoste,
de graver le monogramme du Christ sur les portes, et
l'angélus fut sonné, de midi à onze heures du matin, pour
maintenir vivant le souvenir de l'heure de cette fuite de
Calvin et de ses adeptes.

144
DU MEME AUTEUR A PARU:
Les châteaux du Val d'Aoste. - I.T.L.A. -Aoste 1950
Les chapiteaux du cloître de Saint-Ours.
De Agostini, Novara 1954

OUVRAGE SOUS PRESSE:

Les stalles et les miséricordes du XV e siècle de la


Cathédrale de la Ville d'art d'Aoste.
De Agostini, Novara 1955

À PARAÎTRE PROCHAINEMENT:

Les stalles gothiques de l'Insigne Collégiale de


Saint-Pierre et de Saint-Ours de la Ville d'art d'Aoste.
Sur les sentiers du passé - Notes d'art de la vieille
V allée d'Aoste.
Guide du V al d'Aoste.

EN PRÉPARATION:

'. L'orfèvrerie religieuse au V al d'Aoste - Les châsses


et les reliquaires - Les clochers du V al d'Aoste.
Chefs-d' oeuvre de l'enluminure au V al. d'Aoste.

145
TABLE
DES PLANCHES HORS-TEXTE

vis,IJ,yi.J de
la page

1 - Costume de Cogne 16
2 - Costume de Issime 24
3 - Costume de Courmayeur 32
4 - Costume de Morgex . 40
5 - Costume de Champorcher . 48
6- Costume de Saint-Vincent . 56
7 - Costume de Gressoney 64
8 - Costume de A y as ,72
9 - Costume de Cogne 80
10- Costume de Gaby 88
11 - Costume de Ayas 96
12 - Costume de Gressoney 104
13 - Costume de Pré-Saint-Didier 112
14 - Costume des guides de V altournanche
Guide d'élite Louis Carrel 120
15 - Costume de Perloz 128
16- Costume de La-Thuile 136
17- Costume de Saint-Vincent. 138
18- Costume de Morgex • 142
19 - Costume de Issognç • 146 .
20- Costume des guides de Cou~mayeur
Guide d'élite Adolphe Rey 150

Illustrations horsdexte en couleurs de l'artiste peintre Hermann Politi.

146
TABLE DES MATIÈRES

À la mémoire de quelques écrivains du Val d'Aoste Pag. 7


Introduction de Georges Duhamel de l'Académie française » 9
Justification des tirages » 11
Préface de Henri Ménabréa de l'Académie de Savoie . » 13
Avant-propos de l'auteur » 15
Nom du souscripteur . » 17
Première partie. La cité d'Aoste et sa Vallée. Aperçu histo-
ri que » 19
Deuxième partie. Les monuments romains de la ville d'art
d'Aoste » 29
Remparts romains » 31
Lettre à cachet de S.A.R. la duchesse Christine . » 35
Édit de S.A.R. la duchesse régente Jeanne Baptiste . » 36
Tour du Pailleron » 38
Porte Prétorienne . » 39
Théâtre romain » 42
Musée archéologique » 45
Pont romain » 47
Amphithéâtre romain . » 49
Forum romain » 51
Arc d'Auguste » 53

147
TROISIÈME PARTIE

Les monuments du moyen âge et de l'époque moderne de la


ville d'art d'Aoste . Pag. 59
Palais Ansermin » 61
Tour de la Porte de Saint-Ours . >> 64
Foire de Saint-Ours . » 65
Hôtel des Monnaies » 66
Maison de Saint-.. .\nselme . » 68
Clocher de Saint-Ours » 71
Collégiale de Saint-Ours » 74
Stalles de Saint-Ours . » 79
Cloître de Saint Ours » 81
Prieuré de Saint-Ours » 90
Tour du Bailliage . » 92
Clocher de Sainte-Catherine » 95
Cathédrale d'Aoste » 97
Cloître gothique » 112
Stalles de la cathédrale d'Aoste » 114
Palais Roncas . » 122
Tour Neuve » 125
Jeu de l'Arquebuse » 127
Tour du lépreux . » 131
Tour de Bramafam- Château fort de la famille Challand » 134
Clocher de Saint-Bénin » 137
Académie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de l'ancien
Duché d'Aoste - École des chartes . » 139
Hôtel de Ville et Palais du Conseil des Commis . » 140
Croix de Calvin . » 142
Table des planches hors-texte . » 145
Ouvrages parus, à paraître et en préparation » 146
Table des matières » 147
Notices explicatives concernant les illustrations . » 149

148
NOTICES EXPLICATIVES
CONCERNAN T LES ILLUSTRATIONS

Lion rampant de l'écusson de la cité d'Aoste Pag. 1


Médaillon du XIIIe siècle représentant la mort de la Vierge;
· fragment de vitrail de la cathédrale d'Aoste » 5
Bouquet de violettes de montagne » 7
Armoiries tirées d'une estampe gravée en 1682 » 13
Vignette tirée d'une estampe du XVIIe siècle >> 15
Carte du Val d'Aoste tirée d'une estampe des États de Savoie
et de Piémont » 21
Plan de la cité · et des remparts romains » 28
Plan des rues de la cité romaine » 31
Porte principale de droite, à côté da la tour de Bramafam,
dans son état primitif » 32
Tour du pailleron, un des vingt bastions de l'enceinte romaine » 38 -
Porte Prétorienne, façade est, dans son état actuel . » 39
Porte Prétorienne, façade est, dans son état primitif » 40
Porte Prétorienne, façade ouest, dans son état actuel » 41
Théâtre antique après les derniers déblaiements » 42
Plan actuel du théâtre romain d'Aoste » 43
Théâtre antique d'Aoste dans son état primitif . » 44
Buste d'argent de Jupiter, trouvé au Petit-Saint-Bernard » 46
Culée du pont romain, dégagée des débris d'alluvion >> 47
Pont romain avant les derniers déblaiements » 48
Ampthitéâtre romain d'Aoste dans son état primitif » 49
Plan de l'amphithéâtre romain d'Aoste » 50
Plan du Forum d'Aoste » 51
Forum romain d'Aoste dans son état primitif » 52
Arc d'Auguste dans son état primitif » 53
Arc d'Auguste dans son état actuel >> 54
Portail et balcon en style baroque du palais Ansermin . » 62
Tour de la porte de Saint-Ours >> 64
Grolle » 65
Hôtel des monnaies » 66
Maison de Saint-Anselme » 69
Tilleul et clocher roman de Saint-Ours » 71

149
Arc décoré de fresques gothiques de la Collégiale de Saint-Ours Pag. 74
Détail des stalles de Saint-Ours » 76
Saint Michel tuant un monstre » 79
Chapiteau orné de quatre montres » 83
Chapiteau représentant la vie de Saint-Ours » 84
Chapiteau représentant le renard et la cigogne . » 87
Prieuré de Saint-Ours . » 90
Tour du Bailliage, façade sud » 92
Château fort . du Bailliage. façade ouest » 93
Clocher roman de Sainte-Catherine » 95
Porte d'entrée au couvent de Saint-Joseph . » 96
Camée antique du 1er siècle et son étui en cuir gaufré . » 98
Détail de la châsse en argent contenant le corps de saint Gré;lt » 100
Tombeau de Thomas II de Savoie comte de Flandre . » 102
Médaillon du XIIIe siècle représentant la mort de la Vierge » 104
Mosaïque inférieure placée entre les deux rangées des stalles » 106
Mosaïque supérieure placée devant le maître-autel . » 108
Diptyque romain en ivoire » 110
Cloître gothique de la cathédrale » 112
Détail des stalles de la cathédrale . » 114
Armoiries de la noble famille Roncas . » 124
Tour Neuve f~çade Nord . » 125
Tour Neuve façade Sud . » 126
Écusson du Jeu· de l'arquebuse d'Aoste . » 128
Tour du lépreux » 132
Tour de Bramafam » 134
Fenêtre ébrasée et murailles en arêtes de poisson de la tour
de Bramafam » 135
Armoiries de la famille de Challand » 136
Clocher roman de Saint-Bénin . » 138
Bas-relief en marbre de sainte Catherine conservé à l'Aca-
démie des Sciences, Arts et Belles-Lettres de l'ancien
Duché d'Aoste » 139
Palais du Conseil des Commis . » 140
Hôtel de Ville » 141
Croix de Calvin . )) 144

Les dessins à la plume ont été exécutés par les artistes : Serge
Canavese, César Banchieri, Arnaud Musati, sous la direction de l'au-
teur du livre.

09 38 2
150
Il
Achevé d'imprimer le 28 février 1955 à Aoste

sur les presses de l'imprimerie

DUC

Les planches hors/texte en couleurs ont été tirées par les

_imprimeries Ajani et Canale de Turin et Saiga de Gênes.

Vous aimerez peut-être aussi