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LE VOILE D Isis Etudes Traditionnelles 4ot Anaée Aoit-Septembre toss No 189.889 LA THEORIE HINDOUE DES CINQ ELEMENTS * Sait que, dans ta doctrine hindoue, le point de’ yue « cosmnologique » est représenté principalement par le Vaishéshika, et aussi, sous un autre aspect par le Sdutiya, celai-ci pouvant etre caractérisé comme « synthétique » ot celuita comme « analytique » Le nom du Vaishéshike est dérivé de olvkésha, qui signifie « caractire distinetif » et, par suite, » chose individuelle »; il désigne donc proprement ta branche de la docttine qui s’applique & ta connaissance des ‘clioses en mone aistinctif et individuel, Ce point de vue est eclisi qui eoigespand Je plus exactement, sous la réserve des sifférences qu'eatrsiient nécessairement les modes de pen- ate tespectits des deux peuples, a ce qué les Grecs, surtout « présocratique », appelaient « philosophie « cosmnologie » pour -éviter toute équivoque, et pour mieux marquer 1a difiérence profonde qui existe entre ce dont. il s'agit et la physique des modernes ; et, d’ailleurs, c'est biew ainsi que Ja « cosmologie » était entendue an moyeri-Age occidental. Comprenant dans son objet ce quise rapporteainx choses sensibles ou corporelles, qui sont dordre éminenment indi- Viduel.le Vaishéshika s'est oocupé de la théorie des éléments, o 310 LE VOILE D'isis qui sont les principes constitutifs des corps, avec plus de’ détails que ne pouvaient Ie faire les autres branches de Ig! doctrine ; il faut remarquer cependant qu'on est obligé de’ faire appel A ces domiéres, et surtout au Sénkhya, lorsqu’it slagit de rechercher quels sont Jes principes plus universels, dont procédent ces éléments. Coux-ci sont, suivant la doc- trine hindoue, au nombre de cing ;ils sont appelés en sans- orit bhdtas, mot dérivé de la racine verbale bhd, qui signifi « tre », mais plus particuligrement an sens de « subsister » clest-a-dire qui désigno 1'étre manifesté envisagé sous son aspect « substantiel » (aspect « essentiel » étant exprimé par Ja racine as) ; par suite, une certaine idée dew devenir » s‘attache aussi a ce mot, car c'est du c6t6 de la «substance » qu’est la racine de tout « devenir », par opposition a1’immu- ttabilité de I'e essence »; et c'est en ce sens que Prakriti ou Ia « Substance universelle » peut étre désignée proprement comme la « Nature », mot qui, de méme que son équivalent grec phusis, implique précisément avant tout, par sa déri- vation étymologique, cette idée méme de « devenir », Les éléments sont donc regardés comme des déterminations substantielles, ou, en d'autres termes, comme des modifies: tions de Praériti, modifications qui n’ont dailleurs qu'un caractére purement accidentel par rapport A celle-ci, comme Yexistence corporelle elle-méme, en tant qne modalité définie Par un certain ensemble de conditions déterminées, n'est Tien de plus qu'un simple accident par rapport 21'Existence universelle envisagée dans son intégralité, Si maintenant Yon considére, dans I’étre, I’« essence * corrélativement & la « substance » ces deux aspects étant complémentaires I'un de l'autre et correspondant & ce que nous pouvons appeler les deux péles de Ia manifestation unix vverselle, co qui revient & dire qu'ils sont Jes expressions! respectives de Purusha et de Prakriti dans cette manifesta~ tion, il faudra qu’a ces déterminations substantielles que. sont les cing éléments corporels correspondent un nombre gal de déterminations essentielles ou d’ cessences élémen- THEORIE HINDOUE DES CINg FuwENTS 37 taires », qui en soient, pourrait-on dire, les « archétypes », Jes principes idéaux ou « formels » au sens aristotélicien de co dernier mot, et qui appartionnent, non plus au domaine corporel, mais & celui de la manifestation subtile. Le Sdn- kiya considtre en effet de cette fagon cing essences élémen- taires, qui ont regu le nom de sanmdiyas : ce terme signifie Jittéralement une « mesure » ou une « essignation » délimitant Te domaine propre d’une certaine qualité ou « quiddité » dans Existence universelle. Il va de soi que ces tanmdtras, par 1A méme qu’ils sont de l'ordre subtil, ne sont aucunement per- ceptibles par les sens comme les éléments corporels et leurs combinaisons ; ils sont seulement « conceptibles » idéale- ment, et ils ne peuvent recevoir de désignations particu- litres que par analogie avec les différents ordres de qualités sensibles qui leur correspondent, puisque c'est Ia qualité qui est ici lexpression contingente de T'essence, En fait, ils sont désignés habitueliement par les noms mémes de ces quia~ lités : auditive ou sonore (shabda), tangible (sparsha), visible (rdpa, avec le double sens de forme et de couleur), sapide (rasa), olfactive (gandha) ; mais nous disons que ces désigna- tions ne doivent étre prises que comme analogiques, car ces qualités ne peuvent étre envisagées ici qu’a I’état principiel, en quelque sorte, et « non-développé », puisque c'est seule- ment par les bitéas qu'elles seront, comme nous allons le voir, manifestées effectivemont dans I'ordre sensible. La conception des tanmdtras est nécessaire lorsqu’on vent rap- Porter la notion des éléments aux principes del’Existence Universelle, auxquels elle se rattache encore, d’ailleurs, mais Cette fois du cté « substantiel », par un autre ordre de con- sidérations dont nous aurons A parler dans Ja suite; mais Par contre, cette conception n’a évidemment pas a interve- nir quand on se borne & l'étude des existences individuelles st des qualités sensibles comme telles, et c'est pourquol if ‘nen est pas question dans le Vaishéshika, qui, par défini- tion mémo, se place précisément a ce dernier point de vue- ‘Nous rappellerons que les cing éléments reconnus par la 312 LE YouR D'ists doctrine hindoue sont les suivants ; dhdsha, \'éther ;odyu, Vair ; iéjas, le feu ; ap, Veau ; prithvt, la terre. Cet ordre est celui de leur développement ou de leur différenciation, & partir de P’éther qui est 1'élément primordial ; c'est toujours dans cet ordre qu’ils sont énumérés dans tous les textes du Véda ob il en est fait mention, notamment dans les passages de la Chhdndogya-Upanishad et de la Taittiriyaka-Upanis- had ob leur genése est décrite ; et leur ordre de résorption, ou de retour & état indifférencié, est naturellement inverse de celui-la, D’antre part, a chaque élément correspond une qualité sensible qui est regardée comme sa qualité propre, celle qui en manifeste essentiellement la nature ct par Ia- quelle celle-ci nous est connue ; ct la correspondance ainsi établie entre les cing éléments et les cing sens est Ia suivante: AVéther correspond l'onte (shrotra),& air Ie toucher (beach), au feu la vue (chakshus), a l'eau le gofit (rasana), A la terre Yodorat (ghrana), Y'ordre de développement des sens étant aussi celui des éléments auxquels ils sont liés ct dont ils dépendent directement ; ct cet ordre est, bien entendu, conforme a celui dans lequel nous avons déja énuméré précé- demment Jes qualités sensibles en les'rapportent principielle- ment aux fanmdiras. De plus, toute qualité qui est manifes- ‘téo dans un élément I'est également dans les suivants, now plus comme leur appartenant en propre, mais en tant qu’ils procédent des élémenis précédents ; il serait en effet con tradictoire de supposer que le processus méme de développe- ment de la manifestation,en s‘effectuant ainsi graduellement, puisse amener, dans un stade ultérieur, Je retour & Vétat non-manifesté de ce quia été déja développé dans des stades de moindre différenciation. Avant d’aller plus loin, nous pouvons, en cé qui conceme Je nombre des éléments et leur ordre de dérivation, ainsi que leur correspondance avec les qualités sensibles, faire Temarquer certaines diffrences importantes avec les théo- ries de ces « philosophes physiciens » grecs auxquels nows faisions allusion au début. D’abord,la plupart de ceux-ci THRORIE HINDOUE DES cINg HuteNTs 313 niont edmis que quatre éléments, ne reconnaissant pas Véther comme un élément distinct ; et en cela, fait assez curiews, ils s'accordent avec les Jainas et les Bouddhistes, qui sont en opposition sur ce point, comme sur bien d’autres, avec la doctrine hindoue orthodoxe, Cependant, il faut faire quelques exceptions, notamment pour Empédocle, qui admettait les cing éléments, mais développés dans l'ordre suivant : Péther, te feu, la terre, Yeau et air, ce qui paratt iffcilement justifiable; et encore, selon certains (2), ce philosophe naurait admis, Iui aussi, quo quatre éléments, gui sont alors énumérés dans un ordre différent : la terre, eau, V'air et le feu.Ce dernier ordre est exactement I'inverse do celui quion trouve chez Platon ; aussi faut-il pout-étre ¥ voir, non plus Vordre de production des éléments, mais au contraite leur ordre de résorption les uns dans les autres, Diapris divers témoignages, les Orphiques et les Pythago- riciens reconnaissajent les cing éléments,ce qui est parfaite- ment normal, étant donné le caractéze proprement tradi- tionnel de leurs doctrines ; plus tard, d’aillours, Aristote les admit également ; mais, quoi qu’il en soit, Ie réle de Téther n'a jamais &é aussi important ni aussi nettemont défini chez les Grecs, tout au moins dans leurs écoles exoté- Tiques, que chez les Hindous. Malgré certains textes du Phdion et du Timés, qui sont sans doute d’inspiration py- thagoricienne, Platon n'envisage généralement que quatre léments : pour Ini, le feu et Ia terre sont les éléments ex- trémes, Fair et l'eau sont les éléments moyens, et cot ordre difiére de Vordre traditionnel des Hindous en ce que 'air ct le feu ¥ sont intervertis ;on peut se demander s'il n’y a Pas lA une confusion entre ordre de production, si toute- fois c'est bien réellement ainsi que Platon iui-mémea voulu Ventendre, et une répartition suivant ce. qu’on pourrait appe- ler des degrés de subtilité, que nous retrouverons du reste tout & I'heure, Platon s’accorde avec 1a doctrine hindoue 1 Siruve, De Elementis Empedoctis.

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