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Enseignant de philosophie
ISBN 9782340-009684
© Ellipses Édition Marketing S.A., 2016
32, rue Bargue 75740 Paris cedex 15
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Introduction 9
5
l!étude de !a riatTIJre 86
La nature, principe et cause du mouvement
des êtres vivants 86
Les quatre causes 91
Étude sur le lieu 95
Étude sur le temps 98
La poétique 199
Imitation et arts poétiques 199
Le plaisir de l'imitation 203
La catharsis ou la purgation des émotions 207
La poésie est plus philosophique que l'histoire 212
Rhétorique de la 6
Les moyens de la persuasion 220
Conclusion 233
Bibliographie 237
Le but de cet ouvrage n'est pas de reconstituer l'ensemble de l'œuvre
d'Aristote dans son exhaustivité ni dans ses détails. li a pour principal
objectif d'amener le lecteur à une connaissance de la philosophie
d'Aristote dans ses points saillants et dans ses principes, en donnant
une vision d'ensemble de son œuvre, tout en proposant une analyse
précise des principales notions qui donnent sens à sa réflexion philo-
sophique et en dressant un aperçu des différents traités et ouvrages
dont il a été l'auteur. Cette insertion dans la philosophie d'Aristote
poursuit une perspective heuristique que le lecteur pourra approfon-
dir à sa convenance. La difficulté est de tenir ensemble l'exigence de
fidélité à l'extrême richesse de l'œuvre d'Aristote et l'exigence d'une
exposition claire et synthétique de celle-ci. En un mot, c'est le terme
didactique qui a guidé ce travail, mais il s'agit d'une didactique qui
n'ignore pas les problèmes d'interprétation et d'élucidation du texte,
d'une didactique qui propose un éclaircissement et une explicitation
du texte considéré, des notions engagées et des œuvres citées.
10
des notions et des
an,ri::1,--,oc par la citation; !a portée montre corn ment l idée
1
11
dialectique, la qu'il approfondit et complète
à la suite des travaux des sophistes et des philosophes grecs, sans
oublier son analyse des arts poétiques et musicaux qui sont l'objet de
traités entiers (comme la Poétique) ou de passages plus qu'évocateurs
dans d'autres ouvrages. Voilà ce qu'est la philosophie d'Aristote, une
étude du monde dans ses multiples dimensions et facettes, une étude
précise, critique et rigoureuse qui ne se perd pourtant pas dans les
méandres du détail en raison d'une extraordinaire capacité à donner
une unité de sens à son œuvre entière. C'est justement cette unité de
sens dont il est question ici: la dégager dans ses principes et la suivre
dans ses déploiements les plus significatifs.
Biographie d'Aristote
La biographie d'Aristote est lacunaire en raison de l'éloignement de
son époque et du manque de sources et de témoignages directs
sur sa vie. Sa biographie ne peut donc présenter que les principales
lignes de son histoire.
Aristote est né en 384 av. J.-C. à Stagire, cité grecque située en Macé-
doine, ce qui lui valut le surnom de« Stagirite ». Son père, Nicomaque, est
médecin auprès du roi de Macédoine Amyntas 111, et sa mère, Phéstias,
originaire de l'île d'Eubée, est sage-femme. Pour parfaire son éduca-
tion, il se rendit à Athènes en 367 et fut admis à l'Académie. À cette
époque, Athènes exerçait une influence culturelle très importante sur
l'ensemble du monde grec et méditerranéen. Tous les intellectuels
12
influencés directernent ou indirectement par
cité athénienne. L'.Acaclémie participait à rayonnement culturei 1
13
En 3.c:13/342, il devint le précepteur d'Alexandre (le Grand) à la demande
du père de celui-ci, le roi de tv'iacédoine, Phiiippe il. Sa fonction dura
quelques années pendant lesquelles il forgea l'éducation d'Alexandre
à la philosophie, mais ses leçons portaient principalement sur l'ensei-
gnement éthique et politique. Ainsi, Aristote rédigea un exemplaire de
l'Iliade d'Homère qui montre la vertu du héros épique. Certains histo-
riens font l'hypothèse qu'Aristote contribua à forger chez Alexandre
la ferme intention d'unifier la Grèce sous le commandement d'un
homme exceptionnel.
Aristote meurt à Chalcis en 322 av. J.-C., ville dont sa mère est originaire,
dans l'Eubée. li avait alors approxirnativement 62 ans.
1
La richesse et l'abondance de l œuvre d'Aristote posent trois problèmes
principaux: celui de son authenticité, celui de la chronologie et celui
de l'unité de l'ensemble. La biographie d'Aristote étant sommaire,
placer avec exactitude les dates de composition des œuvres est un
défi plus grand encore auquel peu se sont aventurés. Deux grandes
périodes sont toutefois déterminées. La première est la période de
jeunesse lorsqu'Aristote était élève de l'Académie. Des témoignages
prêtent à Aristote des œuvres littéraires largement influencées par la
forme littéraire du dialogue platonicien et par l'idéalisme de Platon.
On prête à Aristote la rédaction de dialogues tels que Le bien, La philo-
sophie, ouvrages perdus. li reste de cette période quelques fragments
du Protreptique connus par l'intermédiaire du Pseudo-Jamblique. La
seconde période attestée est celle de la maturité d'Aristote, quand
il est lui-même maître du Lycée, période qui voit l'affirmation de la
philosophie d'Aristote définitivement séparée de l'influence de Platon.
15
les ouvrages cités, certains sont sujet à discussion concernant leur
authenticité. C'est le cas Des vertus et des vices considéré comme
apocryphe avec une grande probabilité. D'autres ont été considérés
et le sont toujours comme appartenant à Aristote, nonobstant le fait
que certains commentateurs ont mis en lumière des différences nettes
du point de vue du fond et de la forme. C'est le cas des Catégories,
ouvrage qui reste, pourtant, très important dans la reconstitution de
l'œuvre d'Aristote.
16
Enfin, il une troisième interprétation de i'œuvre
d'Aristote qui C:es tensions et des contrastes comrne
nrc,n,on,, 0
L:ordre de recherche
D'une certaine manière, cet ouvrage suit cette préconisation par sa
forme même. L'ordre de l'exposition des problèmes et des résolutions
retenus s'articule autour de cinq chapitres. La compréhension de la
philosophie, de sa finalité et de sa nature passe par la détermination
de son commencement. Qu'est-ce qui a poussé les hommes à philo-
sopher? La réponse d'Aristote est l'étonnement, la reconnaissance de
son ignorance et le questionnement qui suit cet étonnement. Comme
Socrate, Platon et même les Présocratiques, le philosophe est celui qui
prend en charge de répondre aux questions que l'humanité se pose,
non pas toutes, non pas celles qui portent sur les arts nécessaires à la
vie, mais celles qui relèvent de la connaissance désintéressée de l'uni-
vers et de l'homme, celles qui s'apparentent à la pure contemplation
du monde. La connaissance philosophique est à elle-même sa propre
17
du sage, celui qui connaît toutes choses, non pas clans ie détaiî et ia
pratique, mais dans son ensernble en raison de l'ordre des vérités qui
est fondé sur la connaissance des principes et de l'universel. Par cette
connaissance, le sage connaît, suivant une conséquence logique, tous
les cas qui appartiennent aux vérités fondamentales. Si Aristote s'est
attaché à proposer une philosophie pratique, un art de vivre dans la
contingence et la vie publique, il s'inscrit toujours dans la quête de
sagesse qui caractérise les philosophies grecques: il propose un idéal
de sagesse dont la philosophie est l'activité principale. Dans cette
perspective, la science architectonique est la philosophie première
qui porte sur l'être des choses et la substance. Le savoir possède,
effectivement, un ordre et une hiérarchie, et cet ordre commence
par la connaissance des principes. Parmi les trois principales sciences
théorétiques, la métaphysique est première, les mathématiques et la
physique ne traitant qu'une partie de l'être. Pourtant, la métaphysique
ne peut pas se passer d'une réflexion sur la méthode et la logique.
C'est pourquoi les traités logiques ont une place privilégiée dans la
philosophie aristotélicienne car ils exposent la méthode scientifique,
la démonstration scientifique et une détermination de ce qu'est le vrai.
18
un principe de mouvernent et cie repos pour êtres vi 11a nts,
à-diïe que tous !es et rnouvements d'une substance
individuelle poursuivent une cause finale déterminée par la nature;
2. Les changements font apparaître la distinction entre la puissance
et l'acte, autrement dit, un être change pour atteindre son entéléchie
et son actualisation, il passe de la puissance à l'acte; 3.11 existe quatre
causes: la cause matérielle, la cause finale, la cause matérielle et la
cause formelle, et la physique doit traiter l'ensemble des causes; 4.
Toute substance individuelle est le composé entre une matière et une
forme; 5. Deux dimensions principales intéressent les êtres vivants,
l'espace ou le lieu, et le temps, deux dimensions dont la détermination
permet de comprendre la nature des mouvements des êtres vivants.
19
toute comrnunauté. La théorie d'Aristote est dite naturaliste:
non seulement la vie en société est naturelle et nécessaire, mais sur-
tout le principe de i'autorité est en partie justifié sur une supériorité
naturelle des hommes libres. Car, Aristote a proposé une théorie de
l'esclavage fondée sur l'idée que certains hommes sont naturellement
aptes à commander parce qu'ils parviennent à réaliser pleinement les
facultés rationnelles de commandement, tandis que les autres sont
naturellement« condamnés» à obéir parce qu'ils ne peuvent réaliser
que des vertus inférieures. Cette théorie de l'esclavage, qui apparaît
fautive à nos yeux, n'empêche pas Aristote de chercher à fonder la
constitution politique et les rapports sociaux sur les notions de jus-
tice et d'égalité. L'égalité est, en effet, un principe de définition de la
justice: il n'y a pas de justice sans égalité, et l'injustice réside essen-
tiellement dans l'inégalité. Prenons garde au fait qu'Aristote conçoit
plusieurs types d'égalité qui ne correspondent pas tous au sens que
nous donnons communément à cette notion dans les démocraties
modernes. Car, deux genres différents d'égalité sont utilisés par Aris-
tote pour déterminer différents fonctionnements et domaines de la
justice: l'égalité arithmétique et l'égalité géométrique. L'une désigne
une égalité de valeur quantitative, tandis que la seconde désigne une
égalité de proportion de telle sorte que la distribution des richesses
peut se faire suivant des valeurs différentes à partir du moment où
un rapport de proportion est conservé pour établir les différences
de distribution entre plusieurs citoyens. Car, suivant la constitution
grecque, tous ne participent pas à égalité aux prérogatives politiques.
La citoyenneté se définit par des critères stricts. Elle se définit par le
droit reconnu de participer aux fonctions politiques, législatives et
juridiques. Et tous, selon le régime politique, n'ont pas accès à ces
prérogatives. Reste que l'essence de l'État, quel que soit le régime,
monarchique, aristocratique ou républicain, est de poursuivre l'intérêt
de tous, l'intérêt commun. L'État n'est pas défini par Aristote comme
un organe de domination d'un groupe sur un autre, ce qui n'est autre
que la définition des constitutions déviantes, mais il est l'instrument
qui permet la réalisation du bien commun.
Or, et c'est le dernier domaine étudié, les arts rhétoriques gagnent une
fonction prépondérante dans le cadre des activités politiques. En effet,
le modèle démocratique athénien et même le modèle aristocratique
20
l'e><ercice du discours,
de l'éloquence et de la rhétorique, D'où l'invention de la rhétorique
par les Grecs, les sophistes les premiers, suivis par Aristote qu; propose
une véritable théorie de l'art rhétorique dPgagée, néanmoins, de ses
avatars fallacieux et trompeurs que sont l'éristique et la sophistique.
Corrélativement, les arts poétiques (les différentes formes de poésie,
épopée, tragédie et comédie) jouent aussi un grand rôle dans la vie
politique parce qu'ils participent à la connaissance des hommes et à
leur éducation morale à travers la fameuse théorie aristotélicienne de
«purgation» des émotions par le spectacle dramatique.
21
Létonnement et la reconnaissance
de son ignorance
25
sur les principes fondamentaux de l'être et de la connaissance. Elle est
donc première au sens où elle traite de connaissances plus hautes et
plus générales que les autres sciences. En effet, les autres sciences sont
circonscrites à un certain domaine du savoir - les mathématiques au
domaine des objets mathérnatiques et la physique au domaine des
phénomènes physiques - tandis que la métaphysique a pour fonction
de déterminer les premières vérités à partir desquelles l'ensemble du
savoir peut être constitué et de connaître les réalités qui sont premières
et originelles dans l'univers à partir desquelles tous les autres êtres
sont possibles.
Commentaire
La recherche philosophique, n'étant pas rattachée à la nécessité de la
vie biologique, relève d'une explication tout à fait particulière. Ainsi,
Aristote se demande d'où vient le désir proprement humain d'établir
une connaissance du monde, d'autant plus que cette connaissance n'est
en rien liée à un aspect utilitaire. Connaître la structure et les lois qui
gouvernent l'univers est la recherche la plus éloignée des nécessités
et des besoins de la vie quotidienne. La passion de connaître est donc
proprement spirituelle ou rationnelle, elle trouve son origine dans un
sentiment tout à fait particulier qui est l'étonnement.
26
1e philosophe ~1 la recherche de la sagesse
1îfJJ Vocabulaire
Étonnement: Désigne communément un état de surprise violente
devant un événement qui n'est pas ordinaire. Ici, désigne plutôt
l'attitude philosophique qui consiste à s'interroger sur le sens du
monde qui nous entoure afin de le comprendre.
27
1. Philosophie, sciff1Ce et sages·)e
28
Il n'y a rien d'étrange à ce que la sagesse ne
présente ni utilité ni profit. Car nous ne l'appelons
1
Idée
La sagesse est à elle-même sa propre fin; elle relève d'une
recherche désintéressée d'un savoir contemplatif qui est
totalement étranger à toute dimension utilitaire et matérielle.
Contexte
Le Protreptique est un texte qui se présente sous forme de fragments
rassemblés à partir de plusieurs auteurs et de différentes sources dont
le Protreptique de Jamblique. Ce texte est considéré comme servant
d'introduction à la philosophie auprès de disciples désireux de phi-
losopher tout en ignorant la nature de la discipline. Aristote présente
alors ce qui caractérise la philosophie et le mode de vie du philosophe.
Ce n'est autre que la sagesse qui est considérée comme la fin ultime
de la philosophie. Or, la sagesse est non seulement une connaissance
du bien, mais elle est aussi une activité associée à un mode de vie
contemplatif qui fait du sage un homme accompli et admiré. Ces
fragments appartiennent aux premiers écrits d'Aristote et montrent
encore une influence prononcée de la philosophie platonicienne.
29
1. Philosopt1ie, science et sagesse
Au contraire, la sagesse est une activité qui est réalisée pour elle-
même et non pour ce qu'elle pourrait produire ou ce qu'elle pourrait
rapporter. C'est pourquoi elle n'est pas utile. La sagesse est une vertu
de l'homme qui est associée au bien, et le bien est un but principal de
l'existence humaine, et ce but ne réside nulle part ailleurs que dans la
vertu elle-même. La sagesse n'est donc pas un moyen en vue d'autre
chose, mais elle est une fin en soi. Elle relève de l'action (praxis) et non
d'une production (poièsis) ni d'un travail.
30
la 1,:'chcrche la
31
1 Philosophie, science et sagesse
32
I.e philosophe ,1 la recherche de la sagesse
clli
Idée
La sagesse (a0<.pia!sophia) incarne un idéal de connaissance
qui embrasse l'ensemble du savoir, des vérités les plus fonda-
mentales de la science aux conclusions les plus particulières
dérivées des principes.
Contexte
!.'Éthique à Nicomaque est un ouvrage qui ne traite pas directement du
savoir et de la science. Son objet d'étude porte sur l'éthique, c'est-à-
dire la manière dont l'homme conduit sa vie. Dans cette perspective,
le bonheur (Eû6atµovia/eudaimonia) est considéré comme la finalité
de l'existence humaine. Or, le bonheur est défini par Aristote comme
une activité accomplie, achevée, parfaite. L'activité menée à son
point d'accomplissement et d'excellence n'est autre que la vertu. La
sagesse est étudiée dans cet ouvrage dans la mesure où elle est la
vertu rationnelle et intellectuelle qui correspond à l'acte de connais-
sance par excellence.
33
1.. Philosophie, science et sagesse
34
à !oisir
(scho/è) donc î'homn1e qui se
donne comme finalité la connaissance désintéressée. Cette activité est
considérée par Aristote comme la plus libre, car elle attache le moins
l'homme à des contraintes extérieures. Aristote donne en 1141 b de
!'Éthique à Nicomaque l'exemple de deux sages: Thalès et Anaxagore
étaient tournés vers l'étude des questions les plus complexes de
l'univers, alors qu'ils se détournaient de toutes les préoccupations
pratiques de la vie quotidienne.
61
t'- Vocabulaire
Encyclopédique: Ce terme qualifie l'extension du savoir associé à
la sagesse. li embrasse l'ensemble du domaine des sciences théo-
rétiques. L'encyclopédie désigne une« éducation» ou une« for-
mation» qui se déploie sur l'ensemble du savoir tel un« cercle».
35
F'hilosophie, science et saÇJesse
Portée
Aristote poursuit la tradition héritée des premiers philosophes qui ont
fait de la sagesse la plus haute vertu. Ainsi dans le Banquet de Platon
en 203 a sqq., la philosophie apparaît comme l'amour de la sagesse
et le philosophe est celui qui désire atteindre la sagesse. L'origine de
la philosophie est marquée dès son origine par la figure du sage et
par cette primauté donnée à la sagesse. La sagesse est donc associée
à la philosophie. L'ensemble de la philosophie antique est tributaire
de cette conception. L'histoire de la philosophie montre clairement
l'importance donnée à la sagesse, à la connaissance des choses« les
plus divines», celles qui élèvent l'homme quasiment au-delà de son
humanité pour en faire un être exceptionnel capable d'éclairer les
hommes sur les questions les plus difficiles.
36
Spécificité sciences
31
1 Philosophie, scie11ce et sa(Jesse
Commentaire
Cet extrait soulève deux enjeux essentiels à la philosophie: pre-
mièrement, il interroge la définition et la délimitation des sciences;
deuxièmement, il pose la question de l'origine de la connaissance.
Tout d'abord, les sciences partagent, en tant qu'elles sont sciences,
une structure logique commune: elles partent toutes de principes,
c'est-à-dire de propositions générales qui établissent les propriétés
essentielles des objets qu'elles traitent. Cependant, chaque science
possède une finalité qui lui est propre et porte sur des objets spéci-
fiques; de ce fait, chaque science repose sur des principes spécifiques.
Ainsi, l'astronomie est la science qui porte sur les mesures et les lois
qui commandent les mouvements des astres et l'agencement du ciel
(ouranos). Elle a son objet propre d'étude et se différencie de cette
manière des autres sciences. Son domaine d'extension est limité à un
certain type de phénomènes. L'astronomie détermine les principes des
mouvements astronomiques, c'est-à-dire les propositions fondamen-
tales qui établissent une connaissance des mouvements célestes. Par
exemple, le mouvement circulaire et uniforme de la sphère des fixes
est une proposition fondamentale (de l'astronomie ancienne) parce
qu'il est un élément fondamental de l'explication de l'ensemble des
lois astronomiques.
Ensuite, Aristote précise que les principes des sciences sont déterminés
grâce à l'expérience (èµnapia!empeiria). Pour Aristote, l'intelligence
ne peut seule constituer les principes des sciences, d'autant plus que
de nombreuses sciences sont empiriques. L'intelligence a aussi besoin
des informations que les sens permettent de collecter à propos des
phénomènes étudiés. En effet, ces informations peuvent être rassem-
blées et permettent à l'intelligence de constituer des lois générales.
Ainsi, c'est l'observation répétée des mouvements célestes qui rend
possible l'établissement des principes de l'astronomie. La science
est donc une association entre la faculté rationnelle de l'intelligence
38
Sciences, connaissance et locJique
/ 5 Vocabulaire
39
1. Philosophie, science et saciesse
40
'Sciences, co1111aissa11ce et logique
Idée
Nous n'avons la science d'une chose que si nous connaissons
les causes nécessaires qui expliquent la nature de la chose.
Contexte
Les Seconds analytiques appartiennent comme l'ouvrage cité aupa-
ravant au même ensemble désigné par le terme organon. Ainsi, les
Seconds analytiques participent à l'établissement des règles logiques
et démonstratives auxquelles les sciences doivent se conformer pour
établir une véritable connaissance. Après avoir déterminé les princi-
pales formes logiques des raisonnements, Aristote se concentre sur
la question du contenu même de la science et de sa forme démons-
trative. Il se propose de déterminer les éléments et la définition de
la démonstration. Or, cet objectif est étroitement lié à la définition
même de la science. Comme nous l'avons vu, la science repose sur
une forme déductive liée au syllogisme. li en est de même concernant
la démonstration. Toute connaissance est dérivée de connaissances
antérieures. Ces connaissances antérieures sont associées soit aux
principes soit aux causes, et le raisonnement démonstratif doit mettre
en œuvre ces connaissances antérieures afin de prouver le caractère
apodictique des propositions scientifiques. En fin de compte, l'ouvrage
41
1 Philosophie, science el sagesse
Commentaire
Aristote commence par affirmer le lien de nécessité qui associe science
(sm0111µr1/épistèmè) et démonstration (ùn6oEt~tc,/apodeixis): il ne peut
y avoir de science sans démonstration. Le propre de la connaissance
scientifique, par opposition aux autres formes d'explications comme
le mythe, est d'établir une démonstration qui certifie la validité et la
vérité du discours scientifique. Sans cette certification, la science n'a
pas plus de valeur que le mythe. Or, la démonstration répond aux
exigences apodictiques, dans la mesure où elle ne se limite pas à
prouver la vérité d'une proposition sur un cas particulier ou à faire
appel à des explications d'ordre contingent; bien au contraire, la
démonstration établit la nécessité de la relation entre l'effet et sa
cause. La connaissance consiste à déterminer la cause sans laquelle
la chose connue serait impossible (la cause nécessaire) ou ne serait
pas telle qu'elle est. Par exemple, en physique, la connaissance de
la nature réside dans la détermination des causes qui expliquent le
mouvement. Tout phénomène ou tout mouvement naturel possède
une cause qui le produit. Remonter à la cause du phénomène per-
met de connaître l'essence même du phénomène, car la cause est la
principale explication du phénomène: la cause est la condition sans
laquelle la chose est impossible, c'est donc par sa détermination que
celle-ci peut être connue.
42
')Ciences. COlî[lc'liSSêllîŒ et
43
1 Philosophie, science et sagesse
Portée
Aristote établit une définition de ia science et de ia démonstration qui
traversera l'histoire des sciences: toutes les sciences, et en particulier
les sciences physiques, auront nécessairement pour objet la déter-
mination des causes des phénomènes. Elles seront toutes tenues de
montrer la validité de leurs propositions en prouvant leur validité par
une démonstration ou une expérience. D'un point de vue formel, la
définition aristotélicienne est donc tout à fait pertinente. C'est donc sur
le contenu et le statut même des causes que la philosophie d'Aristote
posera problème. Quand les causes proposées par Aristote auront été
critiquées, la science moderne naîtra.
44
()ciences, com1aissa11ct:' et logique
Idée
La démonstration repose principalement sur l'usage du
syllogisme qui s'apparente à une déduction de consé-
quences nécessaires à partir de prémisses posées comme
point de départ du raisonnement, prémisses dont la vérité
est reconnue.
Contexte
Les Topiques appartiennent une nouvelle fois à l'organon. L'ouvrage
traite en particulier de la dialectique. La dialectique est une discipline
qui repose essentiellement sur des raisonnements et des syllogismes
probables et non nécessaires. Aristote établit donc les lieux com-
muns (T6no1/topoî) de la dialectique: il passe en revue l'ensemble
des domaines et des raisonnements qui sont dialectiques. Les lieux
communs désignent les raisonnements élémentaires qui servent de
commencement aux discours dialectiques. Au début de l'ouvrage, il
établit la différence entre le syllogisme scientifique dont les prémisses
et les conséquences sont vraies et nécessaires et le syllogisme dialec-
tique dont les prémisses et les conséquences ne sont que probables,
de l'ordre des opinions reçues (f-v6o~a!endoxa). La dialectique repo-
45
1 Philosophie, science et sagesse
Commentaire
Le syllogisme désigne un type de raisonnement déductif utilisé dans
les disciplines argumentatives pour prouver la vérité. Il existe trois
types principaux de syllogisme: le syllogisme scientifique, le syllogisme
dialectique et le syllogisme sophistique. Ici, Aristote précise ce qu'est
le syllogisme scientifique. Le syllogisme possède une forme logique
déterminée: il s'agit de conduire à une conséquence à partir de la
position de prémisses, Autrement dit, une conséquence est déduite
à partir de l'interaction entre deux ou plusieurs prémisses. L'exemple
le plus connu donné par Aristote est le suivant: (1) Si les hommes sont
mortels; (2) Si Socrate est un homme; (3) Alors Socrate est mortel. La
conséquence (3) est, si la forme logique du raisonnement est respectée,
nécessaire. Par conséquent, un syllogisme assurera avec nécessité la
vérité de la conséquence si les prémisses sont vraies et si la forme
logique du raisonnement est respectée. La proposition (1) désigne
une prémisse générale, une propriété x (mortel) appartient à un genre
(homme); la proposition (2) désigne une prémisse particulière, un indi-
vidu (Socrate) appartient au genre; la proposition (3) est la conclusion
ou la conséquence du syllogisme: l'individu possède les propriétés
qui définissent le genre. Le syllogisme est apodictique si la vérité des
prémisses et des principes est établie avec certitude. Le syllogisme est
dialectique si les prémisses ne sont que probables et appartiennent à
des principes communément admis sans être démontrés. Le syllogisme
est sophistique si son intention est de tromper en usant d'une forme
logique dont l'apparence est correcte sans l'être réellement, et si les
prémisses ne sont vraies qu'en apparence. À l'inverse, le syllogisme
vrai peut servir de démonstration scientifique.
46
Sciences, co1maissance et lo(Jique
connaissance intuitive
par l'esprit comme en rnétaphysique.
/2 Vocabulaire
Démonstration: La démonstration désigne communément une
opération qui permet d'établir la vérité d'une proposition en
s'appuyant sur des preuves ou sur une argumentation appropriée.
Plus précisément, la démonstration est associée à la déduction:
elle désigne alors un raisonnement au moyen duquel la vérité
de la conclusion est établie selon des raisons nécessaires, à partir
de prémisses.
Portée
Cet extrait tiré des Topiques a une portée considérable sur le problème
de la démonstration et de l'accès à la vérité. Il établit les principales
formes de la démonstration apodictique qui reposent essentiellement
sur le syllogisme. Aristote sépare science et dialectique, démonstration
apodictique et argumentation dialectique. li renvoie donc la dialectique
47
1 Philosophie, science et sagesse
48
Sciences, connaissance et logique
le ux
Idée
Le vrai et le faux se disent des idées et des discours qui
portent un jugement sur ce qui est. Une idée est vraie si
elle est conforme à ce qui est; elle est fausse si elle n'est pas
conforme à ce qui est.
Contexte
Cet extrait est tiré de l'ouvrage intitulé Sur l'interprétation. Nous
poursuivons, avec cet ouvrage, la découverte de l'organon. Sur
l'interprétation traite de la question du langage dans ses différentes
dimensions. Aristote s'interroge tout d'abord sur le rapport entre la
pensée et les mots, entre les états d'âme et les mots qui sont censés
les exprimer; puis il se questionne sur les combinaisons faites par le
langage entre les concepts à l'intérieur d'une phrase ou d'un juge-
ment. Enfin, il établit une logique des jugements en proposant une
analyse de l'affirmation et de la négation. La question de la relation
entre la pensée et le langage est liée par Aristote au problème de la
désignation par le langage des choses elles-mêmes. En quel sens le
langage exprime-t-il l'être même des choses? Autrement dit, en quoi
49
1 Philosophie, scie11ce et SëHJesse
Commentaire
Aristote distingue la signification des symboles et leur usage dans un
jugement. Un mot est un symbole, c'est-à-dire un signe qui possède
un signifiant, la parole prononcée, et un signifié, l'objet ou l'idée
représentée par le mot. Ainsi, le terme« bouc» signifie-t-il l'animal
dont il est question. Néanmoins, les symboles sont destinés dans la
parole à être combiné avec d'autres mots. Ce constat déborde sur
l'étude de la logique, car la logique n'est autre que la discipline formelle
des jugements. Or, le jugement n'est autre que la combinaison entre
des concepts. Dans la logique classique, le jugement n'est autre que
l'attribution d'une qualité à un sujet par le biais de la copule« être».
« Socrate est mortel» est un jugement qui associe à un sujet,« Socrate»,
une propriété, «mortel», relation faite par la copule «est». Il y a
donc deux manières de considérer un concept: dans sa signification
intérieure ou dans sa relation avec d'autres concepts à l'intérieur d'un
jugement. Dans ce cas, le jugement peut avoir pour intention de dire
ce qui est. Si tel est le cas, il peut être dit vrai ou faux.
50
Sciences, connaissance et logique
/'J) Vocabulaire
Composition: Aristote parle de composition lorsque deux notions
sont mises ensemble principalement à l'intérieur d'un jugement
qui associe un terme à un autre. On peut parler aussi de synthèse
comme opération de l'esprit consistant à rassembler des éléments
multiples en une notion composée qui les unifie.
51
1 FJ!-1ilosophie scie1Ke et saçiesse
Portée
Aristote constitue sa conception de la vérité-correspondance pour
répondre à un certain nombre d'apories rencontrées par ses prédéces-
seurs. La première série d'apories est associée à la thèse de Parménide
selon laquelle« l'être est», et il ne peut être dit autre chose que lui-
même, sans quoi il y aurait du non-être. Suivant cette conception, la
seule chose que nous puissions dire de l'être est qu'il est, et qu'il est
un. Dès lors, il est impossible de développer un discours de vérité, le
discours introduisant de la multiplicité dans l'être serait identifié au
non-être. Par suite, Aristote s'oppose à la conception platonicienne
qui fait de la Vérité une réalité absolue associée à l'Idée de Vrai. Pour
Platon, la Vérité n'est pas une propriété du discours, mais elle est une
Idée absolue, une réalité intelligible et immuable. D'un autre côté,
Aristote doit s'opposer à la conception sophistique de la vérité: la vérité
étant relative, le vrai comme le faux est rendu impossible puisque ce
qui est vrai pour l'un peut être faux pour l'autre, et inversement. La
théorie aristotélicienne de la vérité-correspondance cherche donc
à dépasser l'ensemble des apories soulevées par ses prédécesseurs.
52
La science de l'être en tant qu'être
Contexte
Dans le traité de la Métaphysique, la science recherchée et constituée
n'est autre que la philosophie dans ce qu'elle a de plus spécifique, la
connaissance de l'être et des principes de l'être. La science décrite
par Aristote est donc appelée philosophie première: elle est première
parce qu'elle porte sur les principes et les causes premières de l'être
53
F1hilo,,cr)h
Commentaire
La primauté de la philosophie première est liée au fait que la méta-
physique est l'étude des causes qui dépassent l'observation des
phénomènes naturels, qui va au-delà de ce que nous pouvons consti-
tuer comme savoir sur la nature proprement dite entendue comme
l'ensemble des phénomènes observables. En effet, les questions
métaphysiques sont premières parce que leurs résolutions déterminent
le questionnement des autres sciences, et elles sont aussi au-delà de
la physique parce que leurs objets dépassent l'expérience immédiate
que nous avons de la nature.
54
prernière ou la métaphysique
d'étu-
ètres et non des nombïes,
des figures ou des éléments physiques particuliers (comme le feu).
(f_))
t
Vocabulaire
Antérieur/postérieur: L'antériorité désigne une position définie par
rapport à un repère fixe appelé principe ou premier. Ce qui est
le plus rapproché du principe est appelé antérieur par rapport
à ce qui en est le plus éloigné ou postérieur. L'antériorité en soi
existe non pas de manière arbitraire ou conventionnelle, mais
elle est dans l'ordre des choses. Une chose dite antérieure est
donc condition de possibilité de l'existence d'une chose dite
postérieure. Ensuite, dans l'ordre de la connaissance, un principe
est premier et antérieur à ses conséquences. En ce second sens, la
philosophie est encore première puisqu'elle traite des principes
les plus universels.
55
Philosophie, science et sagesse
Portée
Aristote fonde de manière explicite la métaphysique. La métaphysique
rassemble en son sein l'étude de l'être et des étants, l'ontologie, l'étude
du principe premier, la métaphysique, et l'étude de Dieu comme
être absolu, la théologie. Le problème réside dans le statut de la
métaphysique: est-elle une connaissance véritable ou est-elle une
spéculation stérile et illusoire? Selon Aristote, la métaphysique est
non seulement possible, mais elle est une connaissance fondamentale.
Aristote, donne à la métaphysique une primauté dans l'ordre de la
connaissance. Cependant, la critique positiviste nie les prétentions de
la métaphysique à constituer une science des principes métaphysiques
et rejette donc celle-ci en dehors de la science et de la connaissance.
56
p1unière ou la metaphysique
Idée
La notion de substance ou d'essence (oùoia/ousia) est la
réponse que donne Aristote au problème de la connaissance
de l'être dont la philosophie première s'occupe: parmi les
différents sens du terme être (10 ôv/to on), la substance est
l'être premier parce qu'elle n'a besoin de rien d'autre qu'elle-
même pour exister, et parce qu'elle est ce sans quoi rien
d'autre ne pourrait être.
Contexte
Après avoir posé la question de l'existence d'une science unique portant
sur l'être en tant qu'être, Aristote tente de déterminer, en Métaphysique,
la signification du terme être et de déterminer la réalité à laquelle ce
terme renvoie. Aristote propose de voir dans la notion de substance
le terme premier auquel renvoie l'être. La philosophie première aura
donc pour tâche de déterminer la substance des choses, c'est-à-dire
l'essence ou la nature réelle des choses par-delà leur multiplicité et
leurs changements apparents. Cette entreprise nécessite à son tour
un éclaircissement de ce que signifie la substance (ousia) et ce qu'elle
est réellement.
57
1 Philosophie, science et saç1esse
58
lndividLe!ies réellen1ent.
substance individuelle, il fauc Cet l1omn1e-ci, cet homrne-là,
cet être-ci, cet être-là, etc., ce qu'Aristote appelle le« ceci» (tode ti).11
en est de même pour le genre: le genre (16 yévoc,/to génos) rassemble
une multiplicité d'espèces. Par exemple, le genre« animal)> regroupe
toutes les espèces et tous les individus définis comme des animaux.
« Socrate est un animal rationnel» indique que Socrate appartient
au genre animal. Comme le genre détermine l'essence de Socrate
dans sa généralité, il appartient à sa définition, il est donc associé à
l'ousia. Pourtant, le genre n'est pas une substance réelle, il désigne
une généralité abstraite.
Pour conclure, l'être se dit suivant les différentes catégories, mais il est
premièrement la substance individuelle en tant que celle-ci désigne
l'être individuel existant, condition de possibilité des autres catégories
qui se prédiquent toujours de la substance individuelle. La philosophie
première a donc pour tâche de déterminer la nature de la substance.
fJ) Vocabulaire
Espèce: Une espèce désigne un ensemble d'individus qui partagent
des caractéristiques communes et qui se différencient des autres
individus et espèces par la possession de propriétés caractéris-
tiques spécifiques. Ainsi, l'homme est une espèce, parce que les
hommes partagent des propriétés communes et des propriétés
spécifiques (propres à leur espèce).
59
Philosophie, science et sagesse
Portée
En faisant de la substance individuelle l'être premier, Aristote s'oppose
à la conception platonicienne selon laquelle les Idées, c'est-à-dire les
universaux, sont les réalités premières. Cette opposition ouvre un
problème qui parcourt l'histoire de la philosophie, en particulier dans
l'antiquité et le Moyen Âge, connu sous l'appellation« querelle des uni-
versaux». Aristote considère que les universaux (concepts qui désignent
des ensen1bles, Homme, Justice, Bien, etc.) n'ont pas d'existence réelle
en dehors de l'esprit. En revanche, Platon pose l'existence intelligible
et immuable de ces universaux qu'il appelle les Idées. Ce débat aura
un retentissement considérable dans le Moyen Âge et donnera lieu
à la distinction entre deux courants philosophiques principaux: le
réalisme et le nominalisme. Le réalisme hérité de Platon affirme que
les universaux sont plus réels que les êtres individuels et sensibles,
et que l'existence des premiers est indépendante des seconds. En
revanche, le nominalisme fait de l'universel un simple concept ou
mot qui rassemble une pluralité d'individus de manière abstraite sans
que ce concept ou ce mot ne renvoie à une quelconque réalité. Dans
le nominalisme, seuls les individus existent, les universaux ne sont
que des signes du langage permettant de désigner un ensemble de
choses. La conception d'Aristote concernant les universaux s'inscrit
dans la critique qu'il fait de la théorie des Idées professée par Platon.
60
I'
1
Idée
Les catégories désignent les principaux genres qui se rap-
portent à l'être, c'est-à-dire les différentes classes de l'être
ou les différentes classes de prédicats que l'on peut affirmer
d'un sujet.
Contexte
Les Catégories est un ouvrage qui appartient à l'organon. Le texte se
compose en trois parties principales: une brève introduction qui élabore
les définitions des termes homonyme, synonyme et paronyme. Ensuite,
Aristote développe l'étude des dix catégories. li termine, enfin, sur une
étude des acceptions multiples de cinq notions logiques fondamentales
(opposé, contraire, antérieur, mobilité, avoir). L'étude des catégories est
décisive puisqu'elle permet de comprendre la manière dont Aristote
conçoit le rapport entre la substance et les autres catégories. De cette
manière, l'ensemble des modes d'expression de l'être sont déterminés.
61
1. Philosophie, science et sagesse
62
ou àffections cornrne la douceur, l'arnertu1ne, le chaud, le froid, etc
/) Vocabulaire
Catégorie: Une catégorie désigne l'un des genres de l'être dans
lequel les propriétés, les attributs et les prédicats sont classés.
Aristote adopte ce terme parce qu'un prédicat sert à déterminer
et définir le sujet dont il est question. La catégorie est donc une
détermination de l'être.
63
1 Philosophie science et sar0esse
64
Le sujet semble être plus particulièrement
substance. Sous ce rapport on l'appelle d'abord
la matière; puis à un autre point de vue, on
l'appelle la forme; et en troisième et dernier
lieu, c'est le composé que constitu~tbbtes deux
réunies, la forme et la matière.
Métaphysique, Z, 3, 1029 a
Idée
La substance individuelle d'un être est définie par sa matière,
sa forme, c'est-à-dire son essence ou sa nature qui est la finalité
même de son existence; la substance individuelle correspond
donc en dernier lieu au composé entre matière et forme.
Contexte
Après avoir établi que l'être se dit principalement des substances indi-
viduelles, et après avoir montré le lien entre la substance individuelle
et les propriétés ontologiques désignées par les différentes catégories,
Aristote s'interroge sur ce qui constitue l'être même de la substance
individuelle. li détermine alors deux principes fondamentaux de l'ousia:
la matière qui compose son corps et la forme qui définit sa nature et
son essence. Cette analyse sera complétée dans La Physique quand
le philosophe indiquera les quatre principales causes des substances
individuelles.
65
Philosophie, science et sagesse
66
la philosophie première ou ia métaphysique
1
à une autre. C'est donc par la forme qu une substance individuelle
trouve ses déterminations ontologiques. La forme est alors associée
par Aristote à 11eidos qui est la structure formelle de l ousia ce qui
1
1
r{!J,
i/ Voca bulaire
.
Eidos: l.:eidos peut être définie de plusieurs manières. Premiè-
1
rement, elle désigne le principe d organisation d'une chose qui
détermine la matière, et elle constitue le composé final entre
matière et forme. Elle désigne, deuxièmement, les caractères
propres qui déterminent la nature d'un être individuel par
transmission de génération en génération. C'est pourquoi elle
peut désigner aussi la nature spécinque d'un être, en tant qu'elle
détermine son espèce.
67
F'hilosophie, science et saç1esse
Portée
L'identification faite par Aristote entre l'être et la substance individuelle
fera dire à Heidegger qu'Aristote a orienté la philosophie vers une onto-
logie tronquée. En effet, en termes heideggériens, Aristote a déplacé
l'étude de l'Être vers l'étude des étants. Les étants désignent justement
les êtres individuels, les substances individuelles. L'objectif de la phi-
losophie serait donc de revenir à la pensée de l'Être celui qui fait sens
par-delà tous les étants, ce qui signifie aussi dépasser la métaphysique
traditionnelle. La métaphysique traditionnelle s'est limitée à la recherche
de l'étance, c'est-à-dire au fond commun de tous les étants. Heidegger
nous invite donc, dans Être et Temps, à renouveler la métaphysique héritée
particulièrement d'Aristote en nous proposant une analyse de l'être de
l'homme, de son mode d'être, de son être-là (Da-sein) dans la mesure où
cette compréhension permettrait de rendre les étants qui composent
notre univers manifestes dans leur ultime profondeur ontologique.
68
l_a philosophie prerniere ou la
Idée
Dieu est défini par Aristote comme« la pensée qui se pense
elle-même»: principe de tous les êtres, il est caractérisé
comme ce qui est parfait, achevé et autosuffisant.
Contexte
Le livre lambda de la Métaphysique est l'un des derniers livres de
l'ouvrage et porte principalement sur dieu entendu comme le prin-
cipe de tous les êtres et de l'ensemble de l'univers. Aristote établit la
nécessité de remonter à un principe premier, immuable, condition
de possibilité de l'univers dans son ensemble. Il identifie ce principe
à un être absolu. Or, dieu est le nom que porte un tel être. La suite de
son étude consiste à déterminer les propriétés de l'être divin, ce qui
fait de la philosophie première une théologie (8rnÀoyia/théo/ogia),
terme qu'Aristote utilise pour désigner cette partie de la philosophie
qui traite spécifiquement des propriétés de l'être divin (8E6c,!théos).
69
1 Philosophie science et sagesse
L'être absolu est parfait, et son essence coïncide donc avec l'acte le plus
achevé. L'activité la plus achevée n'est autre que la pensée (v6rimc;/
noèsis). En effet, la pensée revêt les caractéristiques suivantes: elle est
ce qui, immobile, donne le mouvement à l'univers; elle est un acte
de pure connaissance; elle est le souverain bien, c'est-à-dire ce qui
est le plus parfait et le plus achevé. L'être absolu n'est pas seulement
l'origine efficiente du mouvement, il en est plus fondamentalement
la cause finale. Or, le souverain bien est la finalité de tous les actes et
de tous les mouvements, dans la mesure où tout mouvement fait par
une substance individuelle a pour fin la réalisation de son essence; et
la réalisation de son essence n'est autre que le souverain bien pour
cette substance. Ainsi, tout concourt à la réalisation du souverain bien,
et la pensée qui se pense elle-même n'est autre que le souverain bien.
70
à ce qui pense: la pensée qui se pense elle-même est l'unité absolue,
achevée et parfaite.
; {!J) Vocabulaire
Absolu/relatif: Cette distinction ne se trouve pas comme telle dans
le lexique utilisé par Aristote. Toutefois, elle exprime correctement
la conception que le philosophe a de la pensée divine. D'un
point de vue ontologique, l'absolu désigne l'être qui est pour lui-
rnême la cause de son existence et qui ne nécessite pas d'autres
conditions que sa propre essence pour exister. En revanche, un
être relatif désigne un être dont l'existence est rendue possible
par des conditions ou des causes qui ne relèvent pas de son
essence. L'absolu ne dépend d'aucune autre chose que lui-même
et contient en lui-même sa raison d'être.
71
1 Philosophie, science et saçiesse
Portée
Aristote constitue la théologie comme étude appartenant à la phi-
losophie première ou à la métaphysique. Il est le premier à faire un
usage déterminé de ce terme et a constitué la théologie comme une
connaissance et une science. C'est l'une des raisons qui explique la
réception de l'ceuvre d'Aristote par la philosophie chrétienne et scolas-
tique du Moyen Âge. En effet, cette dernière va reprendre et continuer
la réflexion aristotélicienne sur la nature du Dieu. Elle s'emparera des
concepts aristotéliciens en vue de penser le Dieu tel qu'il représenté
dans le christianisme. Le principal représentant de cette entreprise
est saint Thomas d'Aquin.
72
Le ciel est divin et immortel
15
cartographie astronomique de l'univeîs, en faisant du ciel !a lirnite
l'univers et de la terre le centre. Le traité Ou ciel étudie i'appiication
des lois générales du mouvement aux révolutions des corps célestes.
C'est un complément de la Physique, et il est dans la continuité des
traités sur les phénomènes physiques et astronomiques tels que les
Météorologiques.
Commentaire
l..:ouranos, le ciel, possède dans l'univers cosmique une place détermi-
nante puisqu'il en est la limite sensible et réelle. Le ciel est la substance
de la périphérie dernière de l'univers ou le corps naturel à l'extrémité
du monde (kosmos). Aristote considère qu'il est le contenant de tous
les êtres, car rien ne peut être en dehors de lui, ni espace, ni vide,
ni corps: il contient toutes les choses. C'est pourquoi il est la borne
physique de l'univers.
Cependant, il faut souligner que le ciel est pour Aristote fini et non infini
(&.rmpov/apeiron). En effet, l'éternité du mouvement circulaire n'est pas
une absence de limites spatiales, temporelles et physiques. Pour Aristote,
le fini a une valeur plus grande que l'infini parce que le fini est, pour ainsi
76
!'univers, le ciel et la terre
77
2 Le rnollde, la llatLffe et le vivant
78
L'univers, le ciel et la te:re
!e
Idée
Aristote conçoit que le mouvement initial qui entraîne avec
lui l'ensemble des mouvements possibles dans l'univers est
assuré par un principe dont la nature est de communiquer
le mouvement tout en étant lui-même immobile.
Contexte
Le traité sur le Mouvement des animaux s'empare de la question de la
détermination des causes qui sont à l'origine des mouvements et des
modifications dont les êtres vivants sont l'objet. Or, suivant la méthode
aristotélicienne, il est nécessaire de remonter à la première cause du
mouvement avant de décrire, ensuite, la diversité des mouvements
et leurs applications.
79
2 le monde, la nature et le vicw1t
Comrr1entaire
Le ciel est considéré par Aristote con,me la partie de l'univers la pius
divine en raison de son mouvement circulaire parfait et de sa place
primordiale dans la constitution de l'univers. Il reste, cependant, à
expliquer de manière plus précise la nature du principe qui commu-
nique au reste de l'univers le mouvement.
80
!'univers, le ciel et la terre
P Vocabulaire
Changement (µETa{30}117) / mouvement (1<ivr,atç): Le changement
est le terme générique qui s'applique à toute modification. Il
rassemble quatre catégories: l'altération est le changement selon
la qualité; le mouvement est le changement local dans l'espace;
l'accroissement et la diminution sont les changements selon la
quantité; enfin, la génération et la destruction, changements
selon la substance. Le changement est la marque de l'imperfection
des êtres dans la mesure où tout mouvement est le passage de la
puissance à l'acte. Cependant, Aristote attache une importance
particulière dans la description de l'univers au mouvement local
puisque c'est à partir de lui que l'on peut constituer une science
des mouvements des astres, c'est-à-dire l'astronomie.
Portée
La théorie défendue par Aristote s'inscrit dans une réflexion initiée par
les Présocratiques et approfondie par Platon. li s'agit de comprendre le
rapport entre le principe de toutes choses et les choses naturelles. En
effet, le problème est le suivant: comment permettre la communication
entre des êtres dont la nature est opposée? Le principe est par définition
prernier, parfait et séparé en raison de sa nature métaphysique, tandis
que les êtres physiques sont par nature imparfaits. Ce problème est
central en métaphysique et se retrouve sous des formes différenciées
dans la difficulté posée à de nombreux philosophes d'expliquer la
manière dont l'être absolu agit dans le monde.
81
? Le n1011cle, la nature et le viva1,t
Idée
L'ensemble des corps de l'univers sont constitués par cinq
éléments: les plus purs appartiennent à l'ouranos et sont
composés d'éther, tandis que les autres corps sont compo-
sés de feu, d'air, d'eau et de terre et sont caractérisés par
deux mouvements principaux, vers le haut (s'éloignant du
centre/centrifuge) et vers le bas (se dirigeant vers le centre/
centripète).
Contexte
Le traité intitulé Météorologie rappelle les enquêtes menées précé-
demment qui ont mis à jour la nature des principaux rnouvements et
des principaux corps. li s'intéresse, par la suite, aux phénomènes plus
ou moins réguliers qui ont lieu dans le ciel ou sur terre. Ainsi, Aristote
tente d'expliquer un nombre varié de phénomènes célestes tels que
les étoiles filantes, les comètes, la voie lactée; puis il tente d'expliquer
des phénomènes terrestres tels que les vents, les nuages, la pluie, les
rivières et les mers. Il appartient donc à la série des ouvrages portant
sur les phénomènes physiques comme la Physique et le traité Ou cîel.
82
L:univers, le ciel et la trne
83
:2 Le nîonde, la nature et le vivant
/-2 Vocabulaire
Élément: Ce terme désigne en général les êtres ou les principes
premiers à partir desquels tous les autres êtres ou toutes les autres
propositions sont constitués. Un élément physique désigne un
corps premier qui rentre dans la composition des autres corps. Sans
les éléments, les autres corps ne peuvent être constitués. Ainsi,
en physique, tous les corps sont composés d'éléments premiers
au nombre de cinq (en comptant l'éther). Ils sont appelés ainsi
parce que si nous opérons une analyse des corps composés, nous
sommes alors menés à distinguer en eux des éléments premiers
indécomposables. Ce terme a été aussi utilisé en mathématiques
puisque l'ouvrage d'Euclide s'intitule Les éléments. Le titre de cet
ouvrage se justifie dans la mesure où Euclide présente l'ensemble
des propositions fondamentales à partir desquelles la totalité
de la science mathématique de son temps peut être construite.
Portée
Aristote a participé à la constitution d'une métaphysique, d'une
physique et d'une astronomie largement répandues dans le monde
occidental chrétien jusqu'au XVW siècle. Pourtant, ces théories ont été
considérées à partir de cette époque comme un obstacle à la science.
La philosophie moderne à partir de Descartes et la physique moderne
initiée par Galilée et Newton sont parties d'une remise en cause radicale
des thèses aristotéliciennes sur le mouvement et les corps premiers.
Ainsi, Galilée met en scène dans son ouvrage, Dialogue sur les deux
84
théorie aristotélicienne critiquée par le second représentant cies idées
nouvelles développées par Galilée et initiées pat· l'héliocentrisme
de Copernic. L'idée d'une sphère parfaite constituée par la sphère
des fixes s'opposant à un monde sublunaire fait d'imperfection est
rejetée. De même, le monde clos d'Aristote laissera place à l'univers
infini de la physique moderne. Dans ce contexte, la distinction entre
haut et bas n'a plus du tout de signification ni de sens et perd toute
légitimité scientifique pour laisser place à des théories plus abouties
comme celles du mouvement centrifuge et du mouvement centripète
rendues possibles par les lois de la dynamique de Newton présentées
dans son ouvrage Principes mathématiques de philosophie naturelle.
C'est pour ces différentes raisons que l'aristotélisme a été accusé
d'avoir empêché pendant des siècles toute avancée significative de
la science physique.
85
La nature, principe et cause du mouvement
des êtres vivants
86
l~étucle de la nature
Commentaire
La nature ne désigne pas un ensemble de ressources mises à la dispo-
sition de l'homme, ni l'environnement dans lequel l'activité humaine
s'insère. Pour Aristote, la phusis est un principe inhérent à tout être
vivant: elle est l'essence vers laquelle toute chose individuelle tend
afin de parvenir à son achèvement. En ce sens, elle est la cause finale
vers laquelle les mouvements naturels d'une chose sont orientés.
Ainsi, la graine a pour nature achevée l'arbre, l'arbre est donc la cause
finale vers laquelle les changements subis par la graine sont orientés.
C'est en fonction de ce principe interne, appelé nature, que tout être
vit et se transforme.
87
2 Le monde, la nature et le vivant
P Vocabulaire
Cause efficiente/cause finale: La cause finale désigne la fin pour
laquelle une chose est faite, pour laquelle une chose se meut. Si la
cause finale est seconde chronologiquement, puisqu'on y parvient
après avoir agi, elle est première suivant l'importance puisqu'elle
est le principe de la chose ou de l'acte. Poser la primauté de la
cause finale en physique signifie que les phénomènes naturels
sont expliqués par une fin qui dirige leurs mouvements, fin qui
correspond au bien et à la perfection. En revanche, la cause
efficiente désigne le fait qu'un phénomène antérieur produit et
explique l'apparition et la nature d'un phénomène second suivant
une relation de cause à effet déterminée. La nature d'une chose
et le principe de ses mouvements sont déterminés par une ou
plusieurs causes antérieures sans lesquelles la chose ne pourrait
être. La cause efficiente est le plus souvent associée à une cause
matérielle et physique. Un événement physique matériel entraîne
un autre événement suivant un processus de production qui n'est
jamais pensé en termes de finalité.
88
L'étude de !a natL;re
Portée
Aristote fonde une physique «finaliste». Autrement dit, les phéno-
mènes naturels sont expliqués par une cause finale. Il propose, de
cette manière, la première théorie systématique du monde comme
soumis à une finalité ultime: l'ensemble de l'univers est expliqué, en
fin de compte, par l'existence d'une cause finale ultime, et la nature
est la cause finale qui détermine les mouvements de l'individu dont
elle est le principe.
89
2 Le monde, la nature et le vivant
90
L'étude de la natu(e
Idée
Aristote considère qu'il existe quatre causes principales
pour expliquer la nature des choses: la cause matérielle, la
cause formelle (la forme ou l'espèce), la cause motrice (la
délibération de l'agent) et la cause finale.
91
2. Le monde, la nature et le vivant
La troisièrne cause est la cause motrice. Elle désigne l'agent qui réa-
lise la génération ou la modification d'une chose. Ainsi, l'artiste est
la cause motrice de la statue. Elle peut être considérée comme une
cause efficiente au sens où c'est le principe physique qui provoque la
production d'une chose. La production est l'effet d'une cause matérielle
antécédente. La cause motrice est celle qui agit effectivement par une
action directe sur la chose dont elle est la cause.
92
Cause: Pour résumer, la notion de cause peut ,·"'n·~"ri.-~ à
questions: d'où provient une chose et de quoi est-elle faite (cause
matérielle)? Quelle est sa forme ou quel es( le modèle d'être qu'elle
tend à devenir (cause formelle)? Quel est le principe ou le mou-
vement qui lui a donné naissance (cause efficiente ou motrice)?
Dans quelle fin (dans quel but) a-t-elle été faite (cause finale)
93
2 Le monde, la nature et le vivant
94
L'étude de la natur,."
Le lieu est étudié par Aristote en tant qu'il est un objet physique
de première importance. Le lieu répond à la nécessité de dire où se
trouvent les choses en particulier et en général. Ainsi, la notion émerge
de deux exigences: celle de situer le monde suivant une réflexion
cosmologique, et celle de situer une chose suivant une réflexion liée
à la logique des catégories qui fait du lieu une propriété de l'être. Ces
deux dimensions se rejoignent dans l'étude physique du lieu comme
ce dans quoi le transport, c'est-à-dire le mouvement, se réalise.
95
2. Le 1T1onde, la nature et le vivant
En effet, le lieu n'est pas neutre selon Aristote, il n'est pas seulement
un espace, il participe d'une certaine manière à la nature du corps
dont il est le lieu dans la mesure où il est une puissance de mouve-
ment. Ainsi, Aristote distingue deux genres de lieux: le haut et le bas.
Chaque corps suivant sa nature se meut vers le haut ou le bas: l'air
et le feu se meuvent vers le haut, le lieu qui les contient correspond
à cette puissance de mouvement, et il en est de même concernant
l'eau et la terre, mais cette fois-ci en direction du bas. Par conséquent,
chaque chose possède un lieu propre qui le contient et détermine
son mouvement vers le haut ou le bas: il s'agit de« lieux naturels».
96
L'étude de la r~1atuïe
Par son étude sur le lieu, Aristote souleva une série de problèmes que
la philosophie moderne associa à la notion d'espace. Ainsi, Aristote
définit le lieu comme les extrémités qui contiennent un corps suivant
une grandeur. Or, la grandeur est définie pour un corps suivant trois
dimensions, la longueur, la largeur et la profondeur (IV, 1,208 b 5-6).
Cette précision n'est pas sans rappeler la définition que Descartes
fait de la substance étendue, res extansa: la res extansa se définit
précisément par ces trois dimensions. Cependant, l'espace cartésien
est vidé de toute référence à des lieux naturels et à la verticalité du
haut et du bas, il devient l'espace pur de la géométrie dans lequel les
mouvements des corps s'enchaînent suivant une mécanique géomé-
trique parfaite et exacte.
91
2. Le monde, la nature et le vivant
98
L'etude de la naturt'
99
2 Le monde, la nature et le vivant
100
!_'étude c!e la 11,:itur1:'
101
2. Le rnonde, la nature et le viva11t
102
Définition du vivant
103
2 Le monde, i;:1 nature et it? \'ivant
Commentaire
Parmi les corps naturels, les uns possèdent la vie, les autres ne la
possèdent pas. La vie consiste fondamentalement à se nourrir, à
croître et dépérir: autrement dit, la fonction première à laquelle la
vie est reconnue est la faculté de nutrition et la faculté de croissance
(qui implique son opposé la dégénérescence). Ainsi, tout vivant est le
composé entre l'âme et le corps: l'âme est la substance (ousia) formelle
(forme) qui détermine l'état et les mouvements du corps. Le corps est
le substrat/ la matière qui reçoit les déterminations de l'âme. L'être
vivant est le composé entre l'âme et le corps, la forme et la matière.
104
Les êtres ,'ivants, i'ârne et !c: n1atière
}QJ Vocabulaire
Âme: L'âme désigne le principe qui est à l'origine de la vie
puisqu'elle informe la matière et le corps individuel qui, sans elle,
sont dépourvus de vie. Elle est donc immatérielle et se caractérise
par des facultés ou des parties (faculté nutritive, faculté sensitive,
faculté motrice et faculté intellectuelle) qui sont à l'origine des
fonctions propres au vivant.
105
2 Le monde, la 11ature et le vivant
ia
laqueile l'ordre physique et biologique de !'univers est créé par un
Esprit absolu. La vie a donc pour origine l'existence de cet Esprit.
L'univers est ainsi fait de deux substances, l'une immatérielle et
l'autre matérielle, et c'est la première qui organise la seconde. On
peut appeler en général spiritualisme toute doctrine qui reconnaît
l'indépendance et la primauté de l'esprit.
Vivant: Un être vivant est animé par une âme dont la fonction
élémentaire est la vie nutritive, la faculté de croître et de dépérir.
Portée
Aristote n'a pas une conception matérialiste de l'âme et s'oppose, en
ce sens aux matérialistes anciens tels Démocrite qui défend la théorie
des atomes (reprise par la suite par les Épicuriens). Au contraire, l'âme
se comprend par opposition à la matière. Cependant, il ne développe
pas un spiritualisme absolu faisant de l'univers la conséquence d'un
Dieu omniscient et omnipotent. L'indétermination dans laquelle Aris-
tote et les Grecs ont laissé certaines idées ont permis aux successeurs
de se réclamer de tel ou tel aspect de l'aristotélisme. En effet, Aristote
ne confond pas l'âme avec !'Esprit puisque l'âme est constituée de
différents degrés de facultés. D'un autre côté, il fait de l'âme le prin-
cipe interne du mouvement des êtres vivants puisqu'elle est à la fois
cause formelle, cause motrice et cause finale tout en reconnaissant
à la matière la fonction de cause matérielle. Aristote laisse donc à la
postérité à un ensemble de problèmes métaphysiques, physiques et
biologiques qui agitent encore les penseurs. Et de ce point de vue,
l'œuvre d'Aristote possède une pertinence très grande dans la manière
de formuler les problèmes et de proposer une analyse précise des
notions engagées.
106
1es ètrec, vivar1ts, l'ân-ie et la matière
Idée
Il existe trois principes de l'être déterminant la substance indi-
viduelle: l'âme, le corps et le composé entre l'âme et le corps.
Contexte
Le questionnement sur la fonction de l'âme dans la constitution du
vivant est approfondi dans le livre Il du traité De l'âme. Si l'existence
de l'âme est une condition nécessaire du vivant, il faut, alors, déter-
miner la fonction de l'âme à l'intérieur de la substance individuelle. li
est donc question de comprendre le rapport entre l'âme et le corps à
l'intérieur de la substance individuelle puisque les deux substances
de l'être individuel sont l'âme et le corps. Or, l'âme est un principe
actif, tandis que le corps ou la matière ne fait que recevoir l'action de
la forme exercée par l'âme sur le corps suivant la nature, principe et
cause du mouvement. C'est donc à la détermination de cette action
de l'âme sur le corps qu'Aristote s'applique.
Commentaire
La substance individuelle peut revêtir trois définitions: l'âme, le corps
et le composé entre l'âme et le corps. Le corps ne saurait être identique
à l'âme: en effet, le corps ne compte pas au nombre des attributs d'un
107
2 l.e rno11de, la !îéltlffe et le vivant
Le corps, en tant que tel, est cause matérielle, et il n'est pas cause
formelle ni cause finale. L'âme est la cause formelle et la cause finale
de la substance individuelle et du corps qui constitue le substrat de
l'être individuel. Or, les notions de changement et de finalité sont
corrélatives à celles de puissance et d'acte: un être vivant est, à sa
naissance, en puissance ce qu'il sera à l'âge adulte; tous les change-
ments que le corps et la substance individuelle subissent sont donc
réalisés en vue d'atteindre l'achèvement et la perfection de leur être.
Le terme« entéléchie» reprend et approfondit le terme en acte. L'âme
est l'entéléchie du corps signifie que l'âme contient la forme finale du
corps vers laquelle toutes les modifications du corps tendent: l'âme
possède donc la finalité du corps, et lorsque les deux principes âme/
corps coïncident, le corps a atteint son achèvement conformément à
la forme donnée par l'âme, la substance individuelle, le composé des
deux, est parvenu à sa fin, à son achèvement, à son té/os: il est en acte.
108
èt1es \ iv,-:inrc,, l'âme et la matière
Té/os (réAoç): Le té/os est un terme qui revêt une double signifi-
cation intimement liée dans la philosophie grecque. Il désigne,
d'une part, la fin, c'est-à-dire le but et le terme final auquel une
chose doit parvenir; d'autre part, il désigne l'achèvement et la
perfection d'une chose. En somme, il s'agit du stade final de
perfection que peut atteindre une chose, et ce stade final de
perfection n'est autre que la fin de son existence.
109
2 Le mo1,de, lél nature et !e vivant
nts
Idée
La génération et la corruption, c'est-à-dire la destruction,
constituent les changements par la substance, et adviennent
sur un substrat qui reçoit ces modifications, c'est-à-dire la
matière.
Contexte
De la génération et de la corruption est un court traité dans lequel
Aristote entreprend de déterminer la nature de la génération et de la
corruption et d'expliquer les principes et les causes de celles-ci. Le traité
appartient par son sujet au groupe des écrits ayant pour objet l'ordre
et le fonctionnement de l'univers physique, et il trouve sa place auprès
du traité Ou ciel et de Météorologie suivant le catalogue de Ptolémée.
Cette étude croise plusieurs domaines: le domaine biologique puisque
la génération et la corruption concernent principalement les êtres
vivants et le domaine physique puisque la génération et la corruption
font partie des principaux changements de la substance, à côté de
l'altérité, du mouvement, etc. L'étude d'Aristote consiste d'emblée
à rappeler les principales positions philosophiques sur le sujet, et à
montrer leurs limites. En particulier, il mène une critique de la position
des Présocratiques comrne Empédocle qui identifient génération et
110
1es èt1ec, vivants, l'âme et la matière
Commentaire
La génération (ytvrn1c,/genesis) et la corruption (<p8opéJ.!phthora) sont les
causes par lesquelles les corps et les êtres apparaissent et disparaissent.
La génération correspond à la naissance ou à l'apparition d'un être
vivant, tandis que sa corruption désigne sa destruction et sa disparition.
Génération et corruption sont donc des changements fondamentaux
dans le devenir des choses. La génération n'est-elle qu'un changement
parmi d'autres, une simple altération d'un élément premier sous-jacent
à l'ensemble du devenir, ou bien la génération est-elle distincte des
autres types de changements tels que l'altération, l'augmentation et la
diminution? La question a une importance cosmologique qu'Aristote
souligne dès le début de l'œuvre, car la conception de la génération
engage le problème de la structure même de l'univers.
111
Le monde, la nature et le vivëmt
!'exis-
une unité et une iclentité déterminées,
une réalité qui demeure identique à elle-même sous les changements
de propriétés. La génération a donc pour cause matérielle le sujet (ou
le substrat) parce qu'il se peut se transformer dans les contraires.
(p Vocabulaire
Contrariété/contraire: Les propriétés des êtres qui apparaissent et
disparaissent suivant les différentes catégories de l'être existent
par couples d'opposés. Le changement est donc le passage d'une
propriété (qualité, quantité, lieu, etc.) à son contraire. Par exemple,
dans la mort, le corps perd sa chaleur pour devenir froid.
112
èlres vivarits, l\~n,e et la matière
Portée
Cet extrait est déterminant dans la manière de considérer et de répondre
au problème du rapport entre le devenir et l'être des choses. En effet,
à la suite d'Héraclite, une thèse majeure a été développée, celle du
mobilisme universel, qui affirme que tout se meut sans cesse et qu'il
n'existe aucune permanence. La conséquence de cette philosophie
reprise, à l'époque moderne, par Hume à propos du sujet ou par
Nietzsche, est de dissoudre l'être dans le devenir et d'interdire de penser
toute permanence et toute identité. Aristote propose une solution qui
permettrait de conjuguer le devenir et la permanence de l'être par
la découverte de la notion de substrat qui désigne l'être permanent
qui reçoit le changement incessant des choses. Il inaugure par-là les
théories dites substantialistes qui posent l'existence d'une substance
identique et permanente qui correspondrait à l'être véritable que la
philosophie chercherait à connaître par-delà l'apparent devenir des
choses. Ce problème est encore traité de manière centrale par les
philosophes allemands comme Kant ou Hegel. En effet, la chose en
soi inconnaissable de Kant renvoie à l'idée de substance et de subs-
trat, tandis que le concept de phénomène correspond au devenir
et au changement des phénomènes. À l'inverse, Hegel constitue sa
philosophie sur le fait de retrouver l'unité entre être et devenir en
faisant du devenir le processus même qui mène à la réalisation et à
l'unification de l'être absolu qu'est l'Idée.
113
Le souverain bien, finalité de tous nos actes
Contexte
L'Éthique à Nicomaque est la synthèse des cours de morale professés
par Aristote devant ses disciples. Il est l'ouvrage principal d'Aristote
sur l'éthique et la morale. L'objet de cet ouvrage est de déterminer ce
qu'est le bien pour l'homme, la finalité de ses actes, et de déterminer
la manière d'accomplir son existence et de parvenir à cette finalité
ultime qu'est le souverain bien (To ap1aTov àya86v).
117
3 U:v: du b,X'.heur et de la ve1tu
Or, Aristote affirme que la finalité de nos actes est toujours d'obtenir
un bien. L'éthique se définit dès lors comme la discipline qui établit
la définition du bien recherché par l'homme. Pour l'homme, comme
pour toute chose dans la nature, la finalité ne peut être autre chose
que le bien. Pour le démontrer, Aristote illustre son propos en passant
en revue les activités propres à l'homme: la médecine, l'économie,
la politique, et ainsi de suite, sont toutes des activités qui se donnent
comme fin la réalisation d'un bien: la médecine a pour fin la santé;
l'économie, la richesse; la politique, le bien commun de la cité. À la
suite de Socrate et de Platon, Aristote affirme l'impossibilité de
rechercher le mal pour le mal. Personne ne peut vouloir réellement
le mal en lui-même.
118
Le souverain birn
l'art hippique doit être secondé par des arts qui lui sont subordonnés
comme 11art de fabriquer des mors, car le mors est un moyen par
lequel l'art hippique atteint son excellence. Aristote constitue donc
une distinction entre arts/sciences subordonné(e)s et arts/sciences
architectoniques. Cette organisation des activités humaines correspond
à une hiérarchisation des fins et des biens humains. Certaines fins ne
sont que des moyens en vue de réaliser une finalité plus importante
encore. Et une finalité particulière peut devenir à son tour un moyen
pour une fin plus souveraine. Dans cette hiérarchie, la succession fin/
moyen trouve un achèvement et une unité dans le souverain bien.
Le souverain bien correspond donc à la fin que nous désirons en elle-
même, et non plus en vue d'autre chose.
119
3 Une du bonheur et de la vertu
120
Le souverai11 bien
Souveroin ie terme
«souverain» traduit ie grec oriston, ia rneiileure des choses. Il
s'agit donc d'un adjectif qui qualifie la primauté et la supériorité
du bien considéré par opposition aux autres biens jugés infé-
rieurs ou subordonnés. D'un point de we éthique, le souverain
bien est premier parce qu'il est achevé et autosuffisant, il est la
finalité la plus importante par rapport à laquelle toutes les acti-
vités pratiques de l'homme s'organisent. Mais, d'un point de vue
chronologique, il est comme placé à la fin parce que sa réalisation
suppose d'utiliser un certain nombre de moyens intermédiaires
qui sont placés entre le moment présent de l'action et !'obtention
effective du souverain bien.
Portée
L:Éthique à Nicomaque participe à la constitution d'une branche
principale de la philosophie, à savoir l'éthique. Aristote développe
des problèmes que ses prédécesseurs, tels que Socrate et Platon, ont
soulevés. Tandis que les Présocratiques concentraient leurs recherches
sur la physique, Aristote poursuit la réflexion éthique amorcée de
manière décisive par Socrate et Platon. Or, l'éthique devient un domaine
central de la philosophie et ne sera jamais séparée de la philosophie,
contrairement aux autres sciences qui prétendront se séparer de
manière définitive de la philosophie. Ainsi, s'il reste un domaine où la
philosophie n'est pas contestée, c'est bien celui de l'éthique.
121
3 Une éthique du bor1heur et de la verru
122
Le souverain bier1
1 1
comme l opinion des philosophes s entend pour appeler le bien pro-
prement humain, le bonheur. Conformément à cet usage largement
répandu et fondé sur une pratique reconnue par Aristote, la finalité
de tous nos actes s'identifie donc au bonheur.
P Vocabulaire
Bonheur: Le bonheur signifie pour Aristote la finalité ultime de tous
1
nos actes. C'est à la fois l activité la plus accomplie de l'homme et
l'état de satisfaction qui accompagne cet achèvement. De manière
comparable au français, le terme grec eudaimonia est formé de
l'adjectif eu qui désigne ce qui est bon, bénéfique, propice, et de
daimôn qui désigne au départ l'esprit salvateur qui accompagne
1
l homme dans son existence. Ce sens initial tend progressivement
1
à signifier l heureux sort.
123
3 Une éthique du bonheur et de la vertu
Portée
Ce passage d'Aristote est reconnu comme celui qui fonde une théorie
éthique de première importance dans l'histoire de la philosophie,
l'eudémonisme. t:eudémonisme est la doctrine philosophique selon
laquelle la finalité de l'existence humaine, du point de vue éthique,
est le bonheur. Cette doctrine va influencer les doctrines éthiques du
bonheur comme l'épicurisme, à cette nuance près que l'épicurisme
identifie le bonheur au plaisir. L'hédonisme est la doctrine philo-
sophique selon laquelle « le plaisir est la fin et le principe de la vie
bienheureuse» (Épicure, Lettre à Ménécée). D'un autre côté, la critique
de l'eudémonisme aristotélicien mène la réflexion philosophique à
constituer une doctrine morale qui se détourne de la recherche du
bonheur pour préférer fonder l'acte moral dans le désintéressement
et la raison. Cette dernière perspective est proposée par Kant dans
les Fondements de la métaphysique des mœurs. Kant opère alors une
critique sévère de la notion de bonheur considérée comme un idéal
de l'imagination, un concept indéterminé et indéfinissable, sur lequel
la morale ne peut s'appuyer.
124
Le souverain bien
l'o
\,_. r?
Idée
Aristote envisage les différents moyens de parvenir au bon-
heur, tels qu'ils sont reconnus communément, et donne sa
préférence, concernant les vertus éthiques, à la pratique.
Contexte
Éthique à Eudème est le deuxième ouvrage le plus important d'Aris-
tote sur le thème de l'éthique. Il traite les mêmes sujets que !'Éthique
à Nicomaque, et certains livres sont identiques (du livre IV au livre VI).
Néanmoins, il est en général considéré comme antérieur à !'Éthique
à Nicomaque, car il montre des idées plus proches du platonisme et
la rigueur de son exposition est moins grande. Le début de l'ouvrage
commence aussi par l'affirmation selon laquelle le bonheur est à la
fois le plus beau, le meilleur et le plus plaisant des biens. De nouveau,
le bonheur est posé comme le bien ultime, et la question essentielle
qui suit est de déterminer les différentes manières d'y parvenir. Néan-
moins, avant de répondre à cette question, Aristote explique qu'il
est nécessaire de préciser ce qu'est le bonheur. Comment connaître
la manière de parvenir à quelque chose, si nous ne savons pas au
préalable ce qu'est cette chose?
125
La question posée par Aristote est un lieu commun de ia philosophie
et de la sophistique à l'époque d'Aristote et surtout à l'époque anté-
rieure, lors de laquelle Socrate et Platon s'opposaient aux sophistes.
En effet, la sophistique enseignait l'art du discours, et elle proposait
ainsi des lieux communs sur lesquels les rhéteurs s'exerçaient. Les
dialogues dits« socratiques» de Platon offrent de nombreux exemples
de lieux communs de discussion rhétoriques revisités par la méthode
socratique de l'examen critique. Ainsi, le Ménon propose une question
proche, à savoir la manière d'acquérir la vertu: la vertu s'acquiert-elle
par enseignement, par exercice, par nature, ou par quelque faveur
divine? La question d'Aristote est identique dans la forme si ce n'est
qu'elle pose la question de l'obtention du bonheur. Les différentes
manières d'acquérir la vertu et le bonheur sont, quant à elles, identiques
à l'exception de la« fortune» qui désigne l'heureux sort.
/) Vocabulaire
Bien extérieur: Un bien extérieur désigne un bien matériel qui
relève de la possession et de la propriété d'une personne. Par
exemple, la richesse est un bien extérieur. Un bien extérieur
peut aussi désigner des biens humains qui ne dépendent pas
entièrement de la volonté individuelle comme la gloire ou la
renornmée. Les biens extérieurs s'opposent aux biens intérieurs
qui se définissent à partir de deux critères principaux: ces biens
dépendent de notre volonté et de notre activité, par exemple la
connaissance et la vertu, et ils se rapportent essentiellement à
une disposition de l'âme.
127
I lcl'
128
Vertus rnorales et vertus intellectuelles
Idée
Aristote distingue deux genres de vertus, !es vertus morales
et les vertus intellectuelles, suivant la différence entre deux
manières d'exercer la rationalité (logos).
129
du et
le bonheur ...,,---,-,r,,,,-,r, la ii
trouver ce qui définit en propre l'homme afin de déterminer l'acte
spécifique qui appartient à l'homme et dont il doit réaliser la vertu.
Le corps n'est pas propre à l'homme, car tout être vivant possède une
matière, et la matière elle-même n'est que le substrat qui reçoit les
propriétés de la forme. Autrement dit, l'âme est le principe d'enté-
léchie du corps. C'est donc en l'âme qu'il faut trouver la spécificité
de l'activité humaine.
130
\/ertu, juste n1esure et prudence
comme les
les ven:us n1orales · e!ies résident îationa!ité
dans le domaine éthique et pratique.
Le terme choisi par Aristote (éthique) indique en grec que ces vertus
résident dans l'exercice, l'acquisition de bonnes habitudes et l'enracine-
ment de dispositions vertueuses formant le caractère à la convenance
morale. La vertu morale est donc le résultat de l'application de la règle
morale à un objet irrationnel (désir, sentiments, etc.) dont l'origine se
trouve dans la faculté désirante.
ff)) Vocabulaire
Fonction (t'pyov/ergon) et vertu (6.prnj/arétè): La fonction désigne
l'activité propre à un être, à un organe ou à une partie de l'âme,
l'activité pour laquelle la faculté est faite. Sa réalisation achevée
est donc la finalité même de cette faculté. La vertu désigne la
réalisation achevée de la fonction et de la faculté.
131
3 Ur,P du honhel1r er de la ,,enu
132
Vertu, juste mesure et prudence
Idée
La vertu morale consiste dans la détermination de la juste
mesure entre un excès et un défaut, juste mesure déterminée
par l'application de la raison, relative à l'agent et à la situation.
Contexte
Le premier livre de !'Éthique à Nicomaque porte, comme nous l'avons
vu, sur la détermination de la finalité pratique. Le deuxième livre
traite du rapport entre bonheur et vertu, et sur la détermination de
ce qu'est la vertu morale. Aristote propose donc dans ce deuxième
livre de déterminer les caractéristiques générales des vertus morales.
Commentaire
Les principaux objets des vertus morales sont les désirs, les plaisirs et
les peines. Or, ces objets sont des quantités par accident. Autrement
dit, elles ne sont pas en soi des quantités, mais elles peuvent se dire de
manière quantitative. Par exemple, nous disons que nous éprouvons
«plus» ou« moins» de plaisir,« plus» ou« moins» de peine, et ainsi
de suite. Puisque les objets de la vertu morale sont d'ordre quantitatif,
les attributs de la quantité peuvent s'y appliquer. C'est pourquoi la
vertu morale réside, selon Aristote, dans la juste mesure ou le juste
133
3 Une du bonheur et de lc1 vertu
P Vocabulaire
Juste milieu (µtaov/to meson): Le juste milieu désigne la médiété,
une égalité de distance, entre deux extrêmes. Ainsi, 6 est la médiété
entre 2 et 1O. Cependant, le juste milieu pratique n'a pas la même
rigueur que l'exemple arithmétique suppose, et il est mené à
une mobilité en fonction de l'agent et de la situation donnée.
Aristote prend l'exemple de l'alimentation de deux athlètes. Pour
un athlète confirmé et solide comme Milon, le juste milieu sera
quantitativement supérieur à un athlète novice et peu solide.
Le juste milieu varie donc dans la mesure où les extrêmes sont
eux-mêmes mouvants.
134
Vertu, juste mesure et prude1-1ce
Portée
La vertu morale est relative à l'agent, à la situation, à une série de
paramètres qui mènent au caractère unique et singulier de l'acte
vertueux. Il n'y a donc aucune règle générale ou universelle que l'on
puisse appliquer en pratique. La norme de l'acte moral appartient à
l'individu et à la situation, ce qui suppose un acte toujours renouvelé de
délibération qui échappe à toute formule d'ordre théorique et générale.
Cette dissociation entre théorie et pratique, général et singulier, fera
l'objet d'une controverse opposant les tenants d'une spécificité de la
sphère pratique à la manière d'Aristote, et les tenants d'une continuité
entre les deux registres. Ainsi, Kant, à l'époque moderne, s'efforcera de
critiquer cette dissociation en argumentant en faveur d'une primauté
de la raison dans sa forme universelle sur la sphère morale. Ainsi, la
raison propose un principe universel de détermination de la bonne
volonté et de l'acte moral à laquelle l'agent doit se conformer pour
être moral et libre.
135
3 Une du ho1îheur et de la venu
Des vertus et des vices est un ouvrage dit« apocryphe», dont l'authenti-
cité n'est pas établie. Cet ouvrage attribué par certains à Aristote a été
traduit, par exemple, par Barthélémy Saint-Hilaire. Mais la communauté
scientifique actuelle adopte une position différente en considérant que
l'authenticité de cet ouvrage n'est pas établie ni prouvée. Reste que
le sujet et la manière dont il est traité, les vertus et les vices, semblent
indiquer, en tout cas, une influence ou une imitation de la philosophie
d'Aristote. En effet, le début du texte commence sur une distribution
des vertus en fonction des diverses parties de l'âme établies par Aris-
tote. Le reste de l'ouvrage se concentre sur l'étude particulière d'un
ensemble considérable de vertus morales principales telles que la
prudence, le courage, la tempérance, la justice, mais aussi secondaires
telles que la douceur, la libéralité, la grandeur d'âme. À l'intérieur du
chapitre 111, Aristote oppose à l'analyse des vertus une étude des vices
136
Vertu, juste mesure et prudence
Commentaire
La prudence est considérée par Aristote comme la principale vertu
moraie. Elle représente la vertu morale première en ce que les autres
vertus se rapportent à elle. La prudence est comme la condition de
possibilité des autres vertus dans la mesure où elle est permet à
l'homme prudent (<pp6v1µ0<;) d'agir avec rectitude en toutes circons-
tances. Ainsi, la réussite des autres vertus suppose une compétence
qui trouve son fondement dans la prudence.
137
3 Une elhique du bonheur et de lë1 \'ertu
P Vocabulaire
Kairos: Le kairos ne signifie pas simplement I'« instant temporel»,
mais signifie essentiellement I'« instant critique». Sa significa-
tion ne se limite pas à une dimension temporelle, mais elle est
nécessairement liée à une conception qualitative ou pratique
du temps. L'instant temporel pourrait nous faire croire que le
kairos désigne un instant quelconque du temps, or ce n'est pas
le cas. En effet, le terme kairos est toujours utilisé pour désigner
un « moment critique» ou une« situation donnée» qui appelle
une «résolution», une issue. Le terme kairos trouve donc sens
dans une réflexion pratique, une réflexion sur l'action humaine
confrontée à l'incessante mobilité du devenir.
138
Aristote retrouve, par-delà la conception de Platon sur la prudence,
une définition archa1que et ancienne de la prudence. La prudence,
contrairement à la sagesse, est une vertu pratique et politique. Ainsi,
Aristote a contribué à la réflexion de la venu politique par excellence.
Comme le montre l'exemple de Périclès, l'homme prudent est l'homme
politique accompli dont l'action est réussie tout en étant éclairée par
une connaissance. La vertu politique est essentiellement orientée
vers la sphère pratique et ne peut se satisfaire d'une connaissance
théorique. L'homme politique est aux prises avec le réel et l'urgence
de la situation, il doit donc acquérir une compétence propre et excep-
tionnelle. La conception aristotélicienne annonce les développements
ultérieurs tels qu'ils se développent dans les définitions plus claires
et plus synthétiques des stoïciens selon lesquelles la prudence est
la « science des choses à faire et à ne pas faire» ou la « science des
biens et des maux».
139
Le volontaire et l'involontaire
140
Thémie cle 1·actior1
141
Une t?lhique du bo!illf:'LH et cle '.r:'1tu
pour nouvelle
rie: un homrne contraint par un tyran de choisir entre assassiner un
homme et perdre sa famille; un capitaine contraint par le naufrage
de son navire de choisir entre se sauver en larguant la cargaison ou la
conserver en amoindrissant considérablement ces chances de succès.
Les critères de l'acte volontaire sont grandement restreints, mais il reste
le choix final de ces deux acteurs entre les deux possibilités offertes. Or,
ce choix fait intervenir une délibération. Aristote remarque, pourtant,
que dans la mesure où les possibilités restantes sont réduites par une
cause extérieure, ces actes sont involontaires.
/J Vocabulaire
Contingence/nécessité: Cette distinction, vue dans la théorie de
la connaissance, réapparaît dans la théorie de l'action. En effet,
la liberté entendue comme capacité d'agir par soi-même suivant
un principe intérieur de détermination suppose la possibilité du
choix. Dès lors, l'activité pratique suppose un monde contingent
dans lequel les événements et les actes ne sont pas déterminés
à l'avance par une nécessité externe à l'agent. Au contraire, les
événements relèvent de la contingence, ils peuvent se réaliser
ou non suivant l'existence de différentes possibilités.
142
Théorie de l'action
Portée
Aristote contribue à la constitution d'un domaine de la psychologie
philosophique fondamentale, la théorie de l'action. Aristote marque
le commencement de cette recherche qui pose la nature de l'action,
ses motivations et son intentionnalité. La philosophie analytique
contemporaine s'est emparée de cette discipline en en faisant un
domaine central de la philosophie. Or, les réflexions menées par les
philosophes analytiques tels que Donald Davidson (Actions and Eve-
nements) et Elizabeth Anscombe (Human Life Action and Ethics), à la
suite de Ludwig Wittgenstein, se réclament bien souvent de problèmes
soulevés par les œuvres d'Aristote.
143
3 U11e ciu bunhf:l1r et de !a venu
ca
l'action hwrîaine
Idée
Le désir est le principe qui fait agir l'hornrne, il est donc la
cause motrice qui met l'homme en mouvement.
Contexte
Tandis que les deux premiers livres du traité De l'âme proposent une
détermination générale de la nature de l'âme et de ses parties, le
troisième livre s'interroge sur la fonction et la nature des facultés de
connaissance, à savoir la sensation, l'imagination et l'intellect, puis sur
les principes et les causes de l'action humaine. Aristote identifie alors le
désir comme la cause principale de l'action humaine et s'interroge sur
le rapport que le désir entretient avec l'intellect chez un être rationnel
comme l'homme. À quelle partie de l'âme faut-il identifier le principe
moteur de l'action humaine? Est-ce le désir qui pousse l'homme à
agir? Ou est-ce l'intellect qui pose la finalité pratique à atteindre?
144
Théorie de l'action
145
3 Une éthique d11 bonheur et de lé1 vertu
du
bien associée au désir; puis associe cette finalité à un objet du désir
déterminé qui vient de l'opinion. Par exemple, la gloire est un bien;
or, le courage est un bien dont on tire de la gloire; pendant la guerre,
je dois m'efforcer d'être courageux pour parvenir à la satisfaction du
désir tout en étant en accord avec la finalité pratique générale.
/9 Vocabulaire
Désir: Le désir appartient à la faculté désirante. Il est défini par
Aristote comme un acte ou une sorte de mouvement qui a pour
fin le plaisir, mais aussi le bien pratique concernant l'homme et
les êtres rationnels. Il est ce qui met en mouvement le sujet afin
qu'il parvienne à l'actualisation (energeia) de l'âme par la satis-
faction. Le désir est donc non seulement naturel, mais il possède
une fonction primordiale dans l'action.
146
Théorie de l'action
147
du IJorJ1eu1
148
Théorie de l'action
Ensuite, le choix porte sur ce qui est possible de faire, il n'est pas à
confondre avec le souhait qui peut aussi porter sur des actes irréa-
lisables. Le choix se réalise donc dans la sphère de la contingence:
s'il n'y a pas de contingence, le choix n'existe pas. Il ne sert à rien de
délibérer sur ce qui est impossible ou nécessaire. Le choix est donc le
fait d'affirmer une possibilité contre d'autres possibilités, et de faire
de ce possible la priorité de notre action. Cette priorité est réalisée
par la pensée discursive dans un acte rationnel qui est la délibération.
149
3 Une éthique clu bonheur et de !a vertu
P Vocabulaire
Choix: Ordinairement, le choix est la décision par laquelle on donne
la préférence à une chose en écartant les autres. Le choix est l'acte
volontaire qui détermine l'agent à réaliser tel ou tel acte suivant
une délibération rationnelle. L'objet de la délibération et l'objet du
choix sont identiques, sous cette condition que lorsqu'une chose
est choisie elle l'a été en fonction de la détermination réalisée
par la délibération puisque c'est la chose jugée préférable à la
suite de la délibération qui est choisie.
150
Théorie de l'action
Portée
Aristote contribue à la formation de concepts essentiels dans les théories
sur l'action et même sur la liberté. En effet, les notions de choix et de
délibération sont centrales dans toute réflexion sur l'action humaine
et sur la liberté des hommes. Ainsi, la liberté est bien souvent définie
comme libre-arbitre, elle désigne alors la capacité de choisir volontai-
rement suivant une délibération qui établit grâce à un exercice de la
raison et de la connaissance la décision préférable. Contrairement aux
théories physiques et biologiques battues en brèche par les sciences
modernes, l'éthique aristotélicienne exerce toujours une influence
considérable sur les penseurs modernes et contemporains qui font
même de ses travaux un fond commun et universel de la réflexion
philosophique.
151
L'homme est un animal politique
Idée
Vivre en société d'après des règles communes de justice
appartient à la nature humaine et permet à l'homme de
réaliser son entéléchie en parvenant au bien commun.
Contexte
L'ouvrage intitulé Politique est le principal traité d'Aristote sur la finalité et
le fonctionnement de la cité ou de la société. Le début du premier livre
se concentre sur la question du rapport entretenu entre le souverain
bien et la dimension politique de l'homme. Dans cette perspective,
Aristote établit l'idée que la cité permet à l'homme non seulement
de vivre, mais surtout de vivre bien. C'est pourquoi le philosophe
s'interroge ensuite sur la nature de la cité, son origine et sa finalité.
155
La cité (noÎ\i(~/polisl dans !'Antiquité grecque la communauté
politique ou la société étendue sur un territoire donné, partageant des
lois communes et un régime ou une constitution (noÀtTEia!po/iteia)
collective.
Si la cité est dernière d'un point de vue chronologique, elle est première
d'un point de vue éthique. En effet, Aristote décrit le processus menant
à la constitution de la cité. li part, ainsi, de la réunion de l'homme et de
la femme qui constitue la première forme de communauté, la famille.
Puis, les familles se constituent en villages en se rassemblant. Grâce à
cette réunion, les hommes parviennent à organiser la communauté
en vue de subvenir aux besoins de tous. Enfin, c'est la rencontre et la
réunion de plusieurs villages qui fondent la cité.
156
l.cl cite existe par r1atur 00
Vocabulaire
Cité: La cité grecque ne désigne pas l'État-Nation moderne pour la
simple raison que le territoire d'une cité grecque est limitée dans
l'espace. La cité grecque pouvait regrouper plusieurs dizaines de
milliers de citoyens. Athènes comptait au ve siècle 40 000 citoyens
sur une population totale de 300 000 habitants (enfants, femmes
athéniennes, esclaves, métèques). La généalogie de la cité à
partir de la famille et du village s'explique en partie par la réalité
politique de la Grèce antique. La cité est un terme qui possède
un sens proprement politique et elle est étroitement liée à la
constitution et à l'exercice de la citoyenneté.
157
4 Justice, art chns la cité
158
La cité existe par nature
159
4. Justice, citoyenneté et an politique clans lc1 cité
agents des
160
La cité e>:iste uar r1ature
161
4 Justice, citoyenneté et art clam lë1 (té
162
Justice, égalité et légalité
163
4 Justice,
164
Qu'est-Cl': que justice 7
Vocabulaire
Droit positif: Le droit positif désigne l'ensemble des lois qui sont
effectives dans une société donnée, à une époque déterminée. Le
droit positif est donc relatif à la société dans laquelle il est établi.
Le doit positif est constitué par un acte politique fondateur, un
acte constitutionnel et un acte législatif. Par conséquent, il est
établi de manière conventionnelle et s'inscrit dans une histoire.
Il s'oppose, en ce sens, au droit naturel qui désigne un ensemble
de principes considérés comme universels indépendamment de
toute référence à un droit positif effectif.
165
4 Justice, citoyenneté et art politique dar1s la Lité
166
Qu'est-ce que la justice 7
Idée
Aristote distingue deux classes principales de justices parti-·
culières: la justice distributive qui détermine la répartition
des richesses et la justice corrective qui restaure l'égalité
quand un acte ou un échange a lésé un citoyen.
Contexte
À partir du chapitre 5 du livre V, Aristote discute principalement des
justices particulières et cherche à établir leur nature. Le chapitre suivant
traite, par conséquent, de la nature de la justice distributive, ce qui
mène Aristote à élaborer un développement sur l'égalité géométrique
ou l'égalité proportionnelle qui est à l'œuvre dans cette partie de la
justice. Enfin, le chapitre 7 clôt cette question par l'établissement de
la nature de la justice corrective, dont le principe n'est pas l'égalité
géométrique mais l'égalité arithmétique.
167
4 Justice, citoyen11eté et an politique dans la cite
La justice distributive ne réside pas dans une stricte égalité des parts,
car Aristote est soucieux de conserver la multiplicité des conditions,
des biens et des mérites de chacun. Car, dans le cas inverse, donner
exactement la même part à deux personnes dont la valeur et le mérite
sont inégaux pourrait être considéré comme injuste. L'égalité propor-
tionnelle permet précisément de rassembler la diversité des biens et
des personnes dans une unité suivant une stricte égalité.
168
Clu'est-ce que lcl justice 7
tificatif le
perte chez i autre parti, la
1
P Vocabulaire
Égalité arithmétique/égalité géométrique: Les mathématiques
grecques ont déterminé plusieurs types d'égalités, et les plus
importantes d'entre elles sont l'égalité arithmétique et l'égalité
géométrique. L'égalité arithmétique désigne la valeur moyenne
entre deux valeurs numériques extrêmes données. Par exemple,
6 est l'égalité arithmétique ou le milieu entre 10 et 2. L'égalité
géométrique est, en revanche, le juste milieu entre deux rapports
(ratio) extrêmes donnés; elle se présente donc comme une pro-
portion. Ainsi, à l'intérieur d'une proportion discontinue telle que
2/4 = 4/8, 4 est le juste milieu qui indique l'égalité géométrique.
L'égalité géométrique est donc proportionnelle.
169
4 Justice, citoyenlleté et art dans lèl cité
Portée
L'analyse d'Aristote a une portée considérable dans l'établissement
conceptuel des différentes formes de justice tout en fondant cette
diversité sur un principe unique, l'égalité. li est le premier à préciser avec
autant d'acuité les parties de la justice, comme la justice distributive, la
justice commutative et la justice corrective. Dans ce contexte, le principe
d'égalité acquiert une fonction fondamentale, car toute justice repose
sur celui-ci. Cette fondation montre, ensuite, l'application des termes
mathématiques à la sphère politique, ce qu'Aristote emprunte à Platon.
Or, la notion d'égalité est diverse puisqu'il existe plusieurs manières
d'établir l'égalité entre des valeurs données. Cette diversité permet
d'établir plusieurs applications du principe à l'intérieur de la sphère
politique. Ainsi, un régime aristocratique revendiquera sa fondation
sur une égalité géométrique, tandis qu'un régime démocratique la
revendiquera sur une égalité arithmétique. Ces distinctions dominent
encore le débat sur la notion de justice comme le montre un ouvrage
contemporain de John Rawls, La théorie de la justice. Dans cet ouvrage,
l'auteur réutilise et reconsidère les différents sens de la justice et les
multiples manières de les fonder sur l'égalité.
170
(!Ut? id
Idée
L'équité vient suppléer les défauts inhérents à la justice et aux
lois dans la mesure où elle permet d'établir un jugement en
se plaçant au plus près de la situation particulière.
Contexte
La Grande Morale est composée de deux livres. Le premier, comme
nous 11avons vu, commence par établir le rapport entre éthique et
politique. Mais, son intérêt principal réside dans la détermination de
la nature de la vertu morale et dans la définition des différentes vertus
particulières. Après avoir proposé une analyse de la justice en général,
à la fin du livre 1, Aristote propose une étude sur 11équité. L1équité vient
1
après la justice parce qu elle est en continuité avec elle tout en étant
un dépassement des défauts inhérents à la justice générale.
Commentaire
1
L1équitable r/a pas une nature différente du juste, car l équitable est
1
par définition juste. Cependant, l équitable est une rectification ou
1
un discernement particulier qui permet d appliquer correctement la
justice là où celle-ci pourrait, à cause de sa forme générale, entraînait
des conséquences injustes.
171
4 Justice, an claris Id cité
Quand survient un cas que la loi générale n'a pas anticipé, on est
alors en droit de corriger l'omission et d'interpréter l'intention du
législateur en vue de juger le cas susdit. En ce sens, l'équitable est le
juste, le juste supérieur à la généralité défectueuse de la justice légis-
lative. C'est dans ce contexte que le juge doit exercer des capacités
particulières telles que le discernement. Le discernement désigne la
vertu selon laquelle le juge parvient à formuler une décision grâce
à une application appropriée du principe de justice au cas particu-
lier. Aristote compare cet acte à la règle de Lesbos. En architecture,
celle-ci s'apparente à un fil de plomb non rigide, capable d'épouser
les contours irréguliers de la pierre. De cette façon, elle permet une
mesure droite des segments tout en s'appliquant aux irrégularités.
De la même manière, le décret qui formule l'équité est une mesure
droite du cas particulier, un dépassement des imperfections de la loi
et une adaptation particulière aux faits.
172
que la justice,
Loi: Une loi est une règle dont la forme est générale. Elle légifère
sur un ensemble de cas considérés dans leur communauté et
leur généralité. Elle établit les obligations ou les interdictions
d'un ensemble déterminé d'actions sans se référer à la situation
particulière dans laquelle ces actes sont commis.
173
4 Justice, citoyenneté et an politique dans la cité
1-
Ici
biens économiques
Idée
La monnaie sert d'instrument de mesure pour déterminer
la valeur économique d'un bien, et à ce titre, elle est aussi
l'intermédiaire par lequel les échanges économiques se font.
Contexte
À la suite de l'étude des justices particulières faite au cours du livre V,
Aristote en vient à préciser la fonction de la monnaie à l'intérieur de
la justice commutative qui préside à l'égalité des échanges. La nature
et la fonction de la monnaie sont les objets principaux de l'étude
réalisée par Aristote. Cette étude s'intercale entre l'analyse des jus-
tices particulières et le problème de l'équité. En effet, la question de
la monnaie intervient dans le cadre d'une réflexion sur la justice des
échanges économiques.
Commentaire
La cité, constituée d'une multiplicité de citoyens, exige un grand
nombre de besoins et de biens. Ces besoins sont satisfaits par une très
grande diversité d'arts. En ce sens, la cité suppose une spécialisation
des individus dans un art précis, car cette spécialisation permet à
la cité de gagner en efficacité économique. Cette idée est reprise à
Platon qui montre dans la République qu'une cité où chaque homme
174
Ou'est-ce !a justice 7
175
4 Justice, citoyer·meté et art clëms la cité
r!Q) Vocabulaire
Chrématistique: La chrématistique désigne l'art d'accroître la
richesse monétaire par la monnaie. Elle consiste à gagner de
l'argent en prêtant à taux d'intérêt. Cette activité est lourdement
condamnée par Aristote. En effet, elle ne repose pas sur une
richesse réelle et sur une production effective de biens. Ensuite,
elle fait courir le risque de rendre le principe d'égalité et d'équi-
valence caduc. Enfin, cet art fait de l'argent et de la monnaie, non
pas un simple moyen d'échange, mais une fin. Or, pour Aristote,
la monnaie n'a aucune valeur, si ce n'est une valeur d'échange.
Autrement dit, la monnaie n'a pas de valeur en sot elle n'a de
valeur que parce qu'elle est le moyen par lequel on acquiert un
bien économique précis.
Qu'est-ce que l::1 justice'
Portée
Cet extrait jette certainement les bases d'un problème essentiel des
sciences économiques pour deux raisons principales: la première
raison est qu'Aristote fait de l'échange une notion économique et
politique centrale en montrant la fonction primordiale des échanges
à l'intérieur de la société humaine. La seconde tient au fait qu'il est le
premier à élaborer une réflexion précise sur la nature et la fonction
de la monnaie. Or, cette deuxième question est fondamentale parce
qu'elle pose plus largement le problème de la mesure de la valeur
économique. Ce problème a été central dans toutes les grandes
théories économiques, du libéralisme d'Adam Smith (La richesse des
Nations) au communisme de Marx (voir en particulier Misère de la
philosophie, où se trouve la réponse de Marx à Proudhon, concernant
la détermination de la valeur économique).
177
Citoyen, citoyenneté et souveraineté
178
Le Citoyen, l'État et la Conslitutior:
Commentaire
La notion de citoyenneté est centrale en philosophie politique parce
qu'elle désigne le statut du citoyen, délimite ses droits et ses devoirs et
détermine son accès à l'exercice du pouvoir. En effet, le terme citoyen
(n0Mn1c;, politès ou civis en latin) désigne celui qui appartient à la cité
dans la mesure où il possède des droits: la cité est un tout composé
d'éléments, c'est-à-dire une collectivité de citoyens. Pourtant, il ne
faut pas confondre le citoyen avec n'importe quel autre habitant de la
cité. L'appartenance à un territoire n'est pas une condition suffisante,
d'autant plus qu'Aristote ne veut pas présumer à l'avance le type de
constitution auquel le citoyen appartient. li faut trouver une définition
qui puisse être valable en démocratie, en aristocratie ou en monarchie,
même si le modèle observé par Aristote est la démocratie.
179
4 Justice, ciloverrneté et an puiitir:1ue dar;s :a citt.·
ou de bouleutes l'intérieur
cle la Boulé. L'accès la est aiors codifié par un certain
nombre de critères comme le droit par la naissance.
/P Vocabulaire
Archonte: Les archontes désignent les magistrats les plus impor-
tants à Athènes depuis l'époque archaïque. Ils sont au nombre
de neuf sous Solon (592 av. J.-C.) puis au nombre de dix sous
Clisthène. lis exerçaient principalement des fonctions judiciaires
et religieuses.
Ecc/ésia: Désigne l'Assemblée populaire qui vote les lois, élit les
magistrats (qui sont à partir de 487/486 tirés au sort), prononce
l'ostracisme.
Portée
La définition aristotélicienne fait du citoyen ce qui fut appelé à l'époque
moderne un membre du« souverain». En effet, deux aspects défi-
nissent le citoyen: il est d'une part assujetti aux lois, et il est alors dit
«sujet»; d'autre part, il participe à la constitution des lois, il exerce
ses droits et accède au pouvoir législatif, il est alors « souverain ».
Ainsi, le citoyen exerce la souveraineté, ce qui signifie qu'il participe
au pouvoir politique. Cependant, la définition proposée par Aristote
est suffisamment ouverte pour ne pas laisser entrevoir une préférence
quant à la constitution qui préside à la cité. La définition aristotélicienne
est suffisamment large et précise pour valoir au-delà du contexte de
la cité grecque. Là où les divergences apparaissent, c'est dans le fait
de savoir qui peut accéder à la citoyenneté.
180
Le l'Ftar et Constituri01'.
Commentaire
Le terme« constitution » traduit le grec noÀm:ia (politeia). C'est le titre
du dialogue de Platon traduit par République. Le terme possède donc
une histoire politique et philosophique avant d'être usité par Aristote.
181
4. Justice, citoyenneté et art politique clarîs léi cité
La que
la fois l'État lui-rnêr-ne qui e><erce le pouvoir et la forr11e de cet
État, à savoir un État démocratique, aristocratique ou monarchique.
C'est en fonction de ce dernier usage du terme que la traduction par
«constitution» peut s'avérer la plus proche, tout en soulignant le fait
que la po/iteia peut désigner l'État dans certains contextes.
182
Le Citove11 !'Étal et la Co1istituUor·,
tyrannie et au despotisme.
f>) Vocabulaire
Autorité/pouvoir: Autorité et pouvoir ne se confondent pas. Tandis
que le pouvoir suppose une forme d'autorité, l'autorité ne relève
pas nécessairement du pouvoir politique. En effet, d'un point de
vue politique, l'autorité désigne le droit de décider et de com-
mander. Mais, le terme d'autorité a une extension plus large. Elle
désigne alors une espèce de supériorité qui donne l'ascendant
d'une personne sur une autre, relation dans laquelle l'une oblige
l'autre. En ce dernier sens, nous pouvons parler, par exemple, de
l'autorité parentale. C'est le statut moral ou social d'une personne
qui confère à celle-ci le droit d'obliger une autre dans la mesure
où ce droit est reconnu moralement et limité par sa légitimité. En
revanche, le pouvoir politique désigne la capacité et la puissance
conférées à une institution par lesquelles une personne assujettit
les membres de la société à des obligations en pouvant faire usage
de la force et de la violence en cas de résistance.
183
4 Justice, citovermeté et ëHt politique dar1:; la cité
Portée
Dans cet extrait, Aristote participe à la fondation d'un problème fon-
damental de philosophie politique: quelle est la nature de l'État, sa
fonction et sa fin? Aristote montre que deux conceptions principales
s'opposent: la première considère que le pouvoir incarné par un
État a toujours pour fin de servir les intérêts particuliers de la classe
dominante, tandis que la seconde fait de l'État une institution dont la
finalité essentielle est la recherche et la réalisation de l'intérêt de tous.
Cette opposition a traversé l'histoire des idées politiques. Toutes les
théories politiques se sont positionnées face à ce problème. Ainsi, il
est remarquable de noter un trait commun entre des théories poli-
tiques apparemment contraires, telles que l'anarchisme libertaire, le
communisme et le libéralisme: l'État est toujours considéré comme un
instrument de domination qui met en danger la communauté ou les
individus. À l'inverse, la tradition dite« républicaine» repose sur une
conception de l'État héritée de la Révolution française et des Lumières
politiques qui voient dans l'État« l'expression de la volonté générale».
184
Le l'État el la Cunstitutiur:
aristonatie et 1-épublique
Idée
Il existe trois formes légitimes de constitutions qui ont pour
finalité l'intérêt commun, malgré une différence de régime,
la monarchie, l'aristocratie et la république, auxquelles
s'opposent trois formes déviantes qui n'ont pour seul but
que l'intérêt particulier des dirigeants, la tyrannie, l'oligarchie
et la démocratie.
Contexte
À partir du chapitre 7, Aristote établit la liste des principales consti-
tutions légitimes. Il montre que certains régimes sont des formes
dérivées et déviantes de celles-ci. Toute la suite du livre Ill a pour objet
l'établissement de la nature des principales constitutions. Cette étude
se poursuit dans le livre IV au sujet des deux formes principales de
constitutions déviantes: la démocratie et l'oligarchie.
Commentaire
Il existe trois types de constitutions qui respectent la nature de l'État.
Quelle que soit leur forme, elles ont toutes pour fin l'intérêt commun.
Pourtant, il existe une différence de régimes politiques. Selon Aristote,
185
4 Ju',tice, cii:oyenneté et art politique dans ia ;:ite
son
des parties qui constituent !a cité. En effet ia cité est
1
186
Le Citoyen, l'Ftat et la Constitutim1
fP Vocabulaire
Oèmos: Le terme démocratie est forgée sur le substantif o~µoc;/
dèmos qui signifie le peuple en général par opposition aux élites
politiques appartenant aux grandes familles (aristoi, agathoi), aux
riches et aux grands propriétaires terriens. Aristote développe dans
la Constitution d'Athènes la lutte qui divisa Athènes au cours du
VW siècle et mena à l'élection de Solon en 594 ou 592 av. J.-C. La
cité est donc clairement divisée en deux grandes classes: la classe
populaire et la classe dominante (que cette domination repose
sur l'origine, la culture ou la richesse). Le dèmos était constitué
majoritairement de travailleurs pauvres.
Portée
Aristote n'est pas le premier penseur à classer les différents types de
régimes. Platon avait élaboré une analyse précise des régimes politiques
dans le livre VIII de la République. li est clair que tous deux ont établi les
principes de la classification des différents régimes politiques tels qu'ils
ont été reconnus depuis. Les penseurs modernes utilisent à leur tour
cette classification. Ainsi, Montesquieu, dans son ouvrage De /'Esprit
des lois, réutilise la division en monarchie, aristocratie et démocratie.
Le changement le plus marquant vis-à-vis de l'acception donnée aux
différents régimes porte sur la république et la démocratie. Tandis que
le premier s'est étendu à des constitutions monarchiques et aristocra-
187
tiques, ie second considéré corn me une forme déviante de
constitution. Cela vient du fait que les monarchies et les aristocraties
modernes ont en partie intégré l'idée que le pouvoir politique reste
une« chose publique» suivant l'acception romaine. D'un autre côté, la
signification de la démocratie a été associée à sa forme constitutionnelle
et a fini par correspondre au sens mélioratif qu'on lui donne aujourd'hui.
188
La fonction de l'éducation dans la
189
4 Justice, citoyer111eté et an politique dans lcl cité
Commentaire
La finalité de l'État est de faire accéder tous les citoyens au bonheur.
Or, le bonheur est inséparable de la vertu, puisque le bonheur est
l'activité de l'âme accompagnée de vertu. L'éducation est donc le
moyen approprié pour exercer et habituer les enfants à devenir des
citoyens vertueux. La vertu ne s'acquiert pas par fortune, mais elle est
aussi affaire de science et de savoir-faire: la politique commande l'art
d'éduquer les citoyens, et l'éducation est une science subordonnée à
la politique. En effet, Aristote considère qu'il existe trois critères pour
parvenir à la vertu: être doué d'une nature appropriée, avoir de bonnes
habitudes et exercer sa raison. Dans cette perspective, l'éducation
mène l'heureuse nature à son excellence en posant les conditions
qui permettent d'acquérir de bonnes habitudes et en enseignant
l'exercice de la raison.
À l'instar de Platon qui l'avait fait avant lui dans la République, Aristote
expose un programme complet d'éducation qui part de la naissance
et qui mène jusqu'à l'âge adulte. Toutes les étapes de l'éducation sont
décrites par le philosophe. Les premières exposent les conditions
favorables au mariage institution qui mène à la fondation de la famille,
190
f=clu,:atio11 et c1rnitiè 2r1t1f:'.• le:, hormnes
étape de lëi puberté jusqu'à l'âge mature. fa, chaque étape correspond
un certain nombre d'usages, d'exercices et d'enseignements.
Nous voyons donc que les Anciens ne laissaient rien au hasard dans
les questions d'éducation. lis sont à l'origine de nombreuses réflexions
et systèmes éducatifs. Ainsi, la cité elle-même, en son entier, traitait
cette question et en faisait un problème central. Sparte était passée
maître dans l'art d'éduquer les jeunes hommes à la citoyenneté et à la
vertu guerrière en soumettant les enfants à un ensemble d'épreuves,
d'où l'expression « être élevé à la spartiate». De même, ce sont les
problèmes d'éducation qui ont fait la renommée et la richesse des
plus grands sophistes qui se vantaient d'enseigner les sciences et les
arts les plus utiles à la vertu politique. C'est aussi le sujet du Protagoras
de Platon qui met en scène le sophiste exposant sa conception de
l'éducation à l'intérieur de la cité. Les philosophes, Platon et Aristote,
n'ont fait que prendre à leur compte ce problème en le ramenant au
questionnement plus large de la cité idéale et de la science politique.
m
4 Justice, d!l cléms la
192
Éducatio11 et amitié entre les homme"
193
4 Justice. citoyermetè et art clans
Dans cette perspective, Aristote relève que ce qui est aimé est bon: ce qui
est aimé, c'est le bien. Par suite, le plaisant est aussi ce qui est aimé, dans
la mesure où ce qui est plaisant est identifié à un bien. Les fondements
de l'amitié résident donc dans l'amour du bien et du plaisant. Il existe
donc une diversité de raisons qui expliquent l'amitié éprouvée à l'égard
d'une autre personne: pour les uns, c'est la qualité d'être et la vertu de
l'ami, pour les autres, c'est en raison du fait que l'ami est profitable et
utile, pour les derniers, c'est parce que l'ami est plaisant et apporte du
plaisir. Aristote définit ainsi les trois espèces d'amitiés: l'amitié en raison
de la vertu, l'amitié en raison de l'utilité et l'amitié en raison du plaisir.
194
Éducatior1
P Vocabulaire
Les définitions suivantes indiquent les deux grandes espèces
d'amour qui sont constitutives de la pensée de la Grèce antique,
auxquelles il faut ajouter la phi/ia étudiée ci-dessus.
1 1
au latin caritas qui désigne la« charité», c est-à-dire l amour et la
compassion éprouvés à régard de son prochain dans le seul but
de faire son bien. Ainsi, le terme est utilisé dans la ire Épître aux
Corinthiens dans rexpression traduite du grec« ce que recherche
1
la charité, ce n est pas son bien à elle-même>>. Rabelais montre
dans le chapitre 8 de son ouvrage Gargantua que le mythe pla-
tonicien du Banquet est une image appropriée de la définition
1
paulinienne de l amour parfait.
195
4 Justice, citovei-n1eté art
196
Imitation et arts
199
5 Poétique, rhétorique et sophistique
i imitation,
1
Commentaire
Le titre de l ouvrage Poétique TTOlf1TtK11, désigne en général les arts
1
1 1
En quel sens les arts poétiques sont-ils une imitation? L'imitation peut
se faire suivant deux techniques: le récit ou la représentation directe
des personnages. Dans l'épopée, le récit est l'instrument principal de
l'imitation, car il« re-présente >> l'action humaine de personnages par
la voie et le langage. Ainsi, le récit est l'imitation de l'action humaine,
et son unité provient de l'unité d'action relatée ou l'unité de l'intrigue.
Par exemple, l'unité du récit de l'Odyssée est le nostos, le retour d'Ulysse
à Ithaque. Si l'épopée le fait indirectement par le récit, la tragédie
donne l'illusion de le faire directement par la mise en scène théâtrale.
200
la poétiqui2
/J Vocabulaire
Comédie: La principale caractéristique de la comédie est d'être
une représentation théâtrale de figures et de caractères bas et
vulgaires. Le comique repose, en effet, sur l'imitation du défaut
et de la laideur, d'après Aristote.
201
5 Poétique, rhétoric1ue et sophistique
Portée
Aristote est le fondateur d'une conception de l'art comme imitation
de l'homme et de la nature. Cette conception de l'art a dominé la
philosophie esthétique et la représentation du travail de l'artiste
comme simple imitateur de formes déjà existantes. Cette conception
a été principalement remise en cause par un célèbre texte de Hegel
dans !'Esthétique, 1. Hegel récuse cette conception de l'art qu'il trouve
amoindrissante et très éloignée de son essence même qui réside, selon
lui, dans la créativité et la liberté de l'esprit humain.
202
Dès l'enfance, les hommes sont naturellement
enclins à imiter. Et tous les hommes trouvent du
plaisir aux imitations.
Poétique, 4, 1448 b 5-17
Idée
L'imitation participe à la formation de l'esprit humain: on
1
airne regarder les images parce qu en même ternps qu'on
les contemple on apprend.
Contexte
Aristote a déterminé au début de la Poétique la caractéristique essen-
tielle des arts poétiques: ils sont des imitations. C'est pourquoi Aristote
1 1
développe dans le chapitre 4 la notion d imitation afin d en montrer
la fonction philosophique.
Commentaire
L'imitation est une attitude naturelle de n,omrne, et cette attitude se
manifeste dès le plus jeune âge. L'imitation désigne, ici, 11usage que
l'homme fait des images. En effet, 11imitation est le fait de représenter
1 1
une réalité par le biais d une image qui revêt l apparence de ce qui est
représenté tout en ne se confondant pas avec la chose représentée.
L.1imitation est donc de l'ordre de l'imagination, et elle est production
d'images et d'apparences, non comme créativité libre, mais comme
copie: l'imitation est le fait de copier une réalité par la production
d'images qui ont la même apparence que la réalité copiée.
203
5. Poétique, rhétorique ei
204
La poétiqut'
Portée
Aristote nous invite à penser le rapport entre art, représentation et
apparence. Si Platon dénonçait l'imitation et les apparences comme
des illusions, Aristote n'a pas un avis aussi tranché sur la question
puisqu'il souligne la fonction positive de l'imitation et de la perception
205
5. Poétique, rliétoriquE· et sophistique
ia la à une
conception de l'art cornrne simple copie de la réalité: sa conception
mène donc à une double dévalorisation, de l'art et de l'apparence.
C'est précisément cette conséquence de la théorie de la mimésis qui
mène Hegel à poursuivre sa critique. En effet, si l'art n'est pas seu-
lement imitation, mais création, le statut de l'apparence esthétique
est changé: l'apparence n'est pas inessentielle, mais elle devient un
moment essentiel de !'advenue de l'essence. Elle constitue une étape
de la réalisation de l'essence et sa manifestation matérielle et sensible.
Hegel conclut par un renversement du rapport entre apparence
esthétique et le monde sensible dont elle serait la copie: finalement,
l'apparence sensible du monde est plus illusoire que l'apparence
esthétique de l'esprit.
206
ta poétique
Contexte
À partir du chapitre 4 de la Poétique, Aristote étudie l'origine et l'histoire
de la poésie. Dans ce contexte, il présente les trois principaux genres
poétiques, l'épopée, la tragédie et la comédie. Puis, le chapitre 5 com-
mence par une analyse de la comédie qui laisse rapidement place à
une opposition avec la tragédie. Au chapitre 6, Aristote propose une
définition de la tragédie, de ses parties constitutives et de son action.
C'est dans ce contexte que l'auteur insiste sur la fonction cathartique
de la tragédie, la catharsis appartenant particulièrement à la tragédie.
Commentaire
Dans la tragédie, l'imitation est d'un type particulier parce qu'elle se fait
immédiatement par la représentation théâtrale des personnages. Cette
immédiateté de l'imitation donne à la tragédie une puissance émotive
207
5. Poétique, rhétori,we ·,ophistiq1JE
dire
Dnct:.ri:nn des
la violence de l'émotion au spectateur qui l'éprouve à son tour sous
une forme amoindrie en raison de sa distanciation.
208
La poétiquE:
209
5 Puéti:.]llt, r
Portée
La présentation faite dans ce commentaire esquisse une définition
commune de la catharsis que les difficultés d'interprétation de l'extrait
ne peuvent valider totalement. En effet, le terme de catharsis a été
énormément commenté dans la tradition philosophique et a été l'objet
de différentes interprétations, alors même que le texte d'Aristote est,
à son propos, très lacunaire, puisqu'il existe très peu de références
explicites dans l'œuvre du philosophe de la notion de catharsis. Dans
tous les cas, elle a eu une portée dans différents domaines de la phi-
losophie: dans le domaine esthétique, elle a fait l'objet de nombreux
débats pour savoir si l'art a pour finalité la purgation des émotions.
Corrélativement, le problème déborde le contexte esthétique pour
se placer dans un contexte moral: en quel sens l'art peut-il participer
à l'éducation morale des hommes? Enfin, la notion de catharsis s'est
210
La poétique
iargernent
de catharsis pour élaborer sa théorie de la sublirnation dans ses Études
sur l'hystérie. La méthode psychologique de thérapie s'inspire de
cette idée de purgation des émotions par le biais de la parole et de
la formulation consciente de ces émotions Par l'expression verbale,
l'émotion enfouie et inconsciente s'exprime et se libère.
211
Poéticiue, rh?)turiqu2 sophistiqu2
212
poétique
213
5 Poétique, rhétorique et sophistique
de dire le
Vocabulaire
Histoire: Dans le lexique aristotélicien, l'histoire est le récit des
événements humains passés qui consiste dans une reconstitu-
tion de la continuité des événements en vue d'en donner une
explication rationnelle. L'histoire se dégage alors du modèle du
mythe qui est le récit d'un passé légendaire et religieux. Du grec,
iarnpia, l'histoire se présente à son origine, d'après les premiers
historiens, Thucydide et Hérodote, comme une enquête, une
recherche d'informations en vue de dégager le déroulement exact
des événements humains par des explications causales qui ne
font appel qu'aux raisons humaines. L'histoire se constitue donc
comme un refus des explications mythiques et surnaturelles, et elle
porte sur le temps profane humain, et non sur le temps sacré du
mythe. Le développement progressif de l'histoire et des méthodes
d'enquête mènent la discipline sur le chemin de la science. Enfin,
!'Histoire désigne la substantialisation du devenir humain, comme
si l'histoire était autonome voire absolue et poursuivait un plan
déterminé. Cette idée se développe au XVIIIe siècle avec la concep-
tion de l'histoire comme progrès perpétuel, conception héritée
des Lumières et précisée par Kant dans sa Théorie de l'histoire ou
Philosophie de l'histoire ou encore Opuscules sur l'histoire. Cette
conception de !'Histoire comme mouvement absolu de l'existence
humaine culmine dans l'ouvrage de Hegel, La Raison dans /'Histoire.
214
L21 poetiquE:
Possible:
dunata) désignent ce qui peut advenir ou non, ce qui peut se
réaliser ou non. Le possible est donc associé au contingent et
s'oppose à la nécessité selon laquelle est nécessaire ce qui ne
peut pas être autrement.
Portée
La hiérarchie opérée par Aristote entre l'histoire et les arts poétiques
ou littéraires peut apparaître paradoxale, et de nombreux commen-
tateurs ont pu relever ce paradoxe: comment l'histoire qui porte sur
le réel peut-elle être considérée comme une connaissance moins
philosophique que la poésie dont le ressort est le vraisemblable et non
le vrai? La poésie n'est-elle pas du côté de la fiction et de l'illusion? La
hiérarchie établie par Aristote sera progressivement remise en cause
lorsque l'histoire appliquera des méthodes objectives d'établissement
des faits et qu'elle proposera des explications en appliquant la relation
de causalité aux faits et aux événements historiques. Ainsi, l'histoire
devient au XIXe siècle une véritable science des événements sur le
modèle positiviste.
215
Rhétorique et art de la persuasion
216
La
217
La persuasion consiste à disposer l'âme des interlocuteurs favorable-
ment afin d'emporter leur adhésion et leur croyance sur un discours
déterminé. Persuader, c'est l'acte de susciter chez autrui une croyance
par des moyens aussi bien affectifs que rationnels, à la fois « par la
vérité et la », comme disait Pascal. C'est pourquoi la persua-
sion suppose un ensemble de techniques et de procédés qui sont
précisément l'objet de l'enseignement de la rhétorique: la rhétorique
enseigne les procédés et les techniques qui donnent à l'orateur une
maîtrise du discours de telle sorte qu'il devienne capable d'emporter
l'adhésion de l'auditoire quel que soit le sujet discuté.
Dès lors, la rhétorique est une puissance ou une faculté qui donne à
l'orateur une véritable maîtrise sur les lieux rhétoriques et sur les procé-
dés de persuasion. Cette puissance repose sur une étude théorique des
techniques de persuasion, des preuves, des genres de démonstration
et de raisonnement. L'ensemble, connaissance des lieux rhétoriques et
maîtrise des procédés de persuasion, fait du rhéteur un homme capable
de trouver en chaque discours ce qui est propre à persuader l'auditoire.
218
La 1héto1ique
Portée
La rhétorique d'Aristote part d'études qui ont été menées avant lui
par les rhéteurs professionnels connus sous le nom de sophiste. Ce
sont les sophistes, comme Gorgias, qui ont les premiers entrepris de
constituer la rhétorique comme un art à part entière en déterminant
les différents genres et les différents procédés techniques qui font
la puissance persuasive du discours. Cependant, la constitution de
la rhétorique par les sophistes interroge dans la mesure où elle a pu
être comprise comme un art de la tromperie. C'est précisément cette
interprétation que Platon fait de la rhétorique et qui le mène à une
critique sévère de celle-ci et à la soumission de cette dernière à la
dialectique comme seule voie de connaissance. Aristote se détache
de la critique platonicienne en ce qu'il donne à la rhétorique ses titres
de noblesse en faisant de cette dernière une technique autonome
qui possède une portée éthique et politique. Ainsi, la rhétorique est
centrale dans la vie politique comme dans toute discipline en ce qu'elle
enseigne l'exposition adéquate du discours en vue d'argumenter et
de persuader. Le mérite d'Aristote est d'avoir fait de la rhétorique une
composition, rassemblant dans une totalité cohérente les découvertes
de ses prédécesseurs. Cette réflexion permet de l'intégrer à l'ensemble
des connaissances et de l'enseignement de son temps, c'est-à-dire à
la culture (paideia).
219
:, Poétique, rhétorique e1
1a
Idée
La persuasion rhétorique repose sur trois dimensions prin-
cipales: premièrement, elle est fondée sur le caractère de
l'orateur ou sur l'idée que l'auditoire se fait de lui; deuxiè-
mement, la persuasion prend en compte les dispositions
des auditeurs et formule son discours en fonction de cette
disposition; troisièmement, la persuasion se réalise par des
moyens propres au discours qui désignent les techniques
discursives et rhétoriques utilisées par le rhéteur.
Contexte
Si la citation se trouve au premier livre, son développement est l'objet
du second livre. En effet, le début du livre Il de la rhétorique amorce
le développernent sur la manière dont l'orateur doit se montrer aux
yeux du public. S'ensuit une étude sur le caractère propre à attirer la
crédulité de l'auditoire et à assurer la crédibilité de l'orateur. Ensuite,
à partir du chapitre 2, Aristote entreprend une étude des dispositions
de l'auditoire en passant en revue les différentes émotions que l'audi-
toire peut éprouver avant ou après le discours. Les passions sont donc
une cause principale du jugement. C'est pourquoi Aristote propose
220
L1
Commentaire
Il existe trois ressorts principaux à prendre en compte dans la per-
suasion: l'opinion que l'auditeur a de l'orateur, et la nécessité dans
laquelle se trouve l'orateur de se montrer sous le meilleur jour afin
d'avoir la confiance de l'auditeur; l'état ou la disposition dans lequel
se trouve l'auditoire, car celui-ci est déterminant dans la manière dont
il va recevoir le discours de l'orateur; enfin, les techniques internes au
discours lui-même, c'est-à-dire tous les procédés argumentatifs qui
sont au service de l'orateur.
221
5. Poétique, rhétorique et sophistique
222
l_a
!e
rî10yens sont, principa-
lement, l'indice, la preuve et l'enthymème.
/f} Vocabulaire
Enthymème: L'enthymème est considéré comme le principal
raisonnement en rhétorique. Il est semblable à un syllogisme
si ce n'est qu'il part de prémisses qui ne sont que probables et
qu'il conduit à une conséquence qui n'est que probable, alors
que le syllogisme apodictique se caractérise par sa nécessité.
L'enthymème est donc fondé sur des vraisemblances et non
sur des vérités démontrées. Il consiste à poser des prémisses
vraisemblables pour le public et à en tirer comme conclusion ce
dont on veut le persuader.
Portée
Aristote participe à la constitution de la rhétorique en établissant
les différentes dimensions de la persuasion et les différents moyens
techniques de la réaliser. La rhétorique comporte une étude logique,
et non empirique, de l'argumentation, une psychologie des passions
et des caractères et une stylistique. Cette entreprise a pu laisser place
223
5. Poétique, rhéto1 ique et soohistique
224
La sagesse apparente du sophiste
225
5 F\)étique, rheto1ique et
Commentaire
1
À l'époque d Aristote, la sophistique est déjà un art répandu et déve-
loppé, représenté par des individus connus tels Protagoras et Gorgias.
1
Le sophiste prétend enseigner l art de discourir surtout sujet et l'art de
l'emporter en toute discussion. lis sont les premiers à avoir formalisé l'art
du discours et avoir proposé des modèles de discours comme L'éloge
d'Hélène ou la Défense de Pala mède rédigés par Gorgias. La sophistique
s'est développée dans le cadre de la démocratie athénienne qui donne
une place centrale aux délibérations dans l'assemblée et aux discours
juridiques (accusation et défense) à l'intérieur du tribunal populaire.
226
La critique sophistiq, 1e
C'est pour ces différentes raisons qu'Aristote place les sophistes du côté
de l'apparence. Selon lui, ils ne possèdent pas une sagesse véritable
fondée sur la connaissance et la vertu, mais ils se limitent à se donner
l'apparence d'une telle possession. De même, ils n'utilisent pas des
arguments probants. Leurs arguments utilisent les défauts des opinions
et des raisonnements de l'adversaire. L'art sophistique consiste donc à
utiliser des preuves et des raisonnements fallacieux tout en les parant
d'une apparence logique et argumentative irréfutable. Aristote se
propose donc de dévoiler au grand jour les techniques sophistiques,
de montrer sur quoi elles reposent, et de démontrer leur fausseté.
227
Poétique, rhétorique et
Idée
Un discours sophistique est un discours qui ne cherche que
la réfutation de l'interlocuteur par l'usage d'arguments et de
raisonnements qui ont l'apparence de la nécessité logique
et de la vérité sans l'être réellement.
Contexte
Après avoir établi les objectifs des Réfutations sophistiques au début
de l'ouvrage, Aristote entreprend une analyse précise des résultats
recherchés par l'éristique et des procédés sophistiques utilisés. Ainsi,
au chapitre 111, le philosophe expose les cinq objectifs de la dispute
éristique: conduire l'adversaire à la réfutation, au faux, au paradoxe,
au solécisme et au verbiage. La réfutation repose sur deux modes
opératoires, procédés liés à l'expression, procédés indépendants
de l'expression. Ces modes conduisent à établir six procédés de
tromperie ou d'illusion, dont les principaux sont l'homonymie, la
composition et la division (chapitre 4). Les réfutations apparentes,
quant à elles, reposent sur l'usage de paralogismes classés et définis
au chapitre 5. Face à ces procédés, Aristote entreprend de montrer
que ces réfutations ne sont pas valides, et il expose en quoi celles-ci
sont fallacieuses (chapitres 6 et 7). Une fois les réfutations éristiques
229
5. Poétique, rhétorique et sophistique
Commentaire
t.:élenchos ou la réfutation possède une place centrale dans la philo-
sophie et la sophistique. L'art de Socrate repose précisément sur la
réfutation, celle qu'Aristote désignerait sous l'appellation de réfutation
dialectique. La réfutation sophistique est une perversion de l'art de
réfuter dans la mesure où la réfutation n'obéit pas à des règles logiques
nécessaires et valides et dans la mesure où elle détourne la conversation
en donnant l'apparence qu'elle traite du sujet admis alors qu'il n'en
est rien. C'est pourquoi la réfutation sophistique n'est qu'apparente.
230
La critique de la suphistiqu,?
6 Vocabulaire
1
Aporie: L'aporie désigne l'impossibilité pour un interlocuteur de
mener à bien la discussion et de répondre à une question don-
née après avoir été contraint par la réfutation d'abandonner ses
opinions. La réfutation entendue en ce sens, mener à l'aporie,
caractérise la pratique dialectique de Socrate telle qu'elle est
exposée dans les dialogues socratiques ou aporétiques de Platon.
Portée
Aristote contribue à la détermination de ce qu'est une réfutation valide
et une réfutation apparente. Il poursuit le travail effectué par Socrate
et Platon. Socrate représente, en effet, la figure par excellence de la
réfutation philosophique dont le but est de mener le dialogue vers
l'aporie. Cependant, l'intention de Socrate est d'interroger le sens des
notions et non de mettre ses interlocuteurs en défaut. La réfutation
socratique s'oppose donc aux réfutations éristiques et sophistiques.
Aristote permet dans cet extrait de différencier les différents modes
de réfutation et de dévoiler les modes fallacieux. Son apport est décisif
231
5. Poétique, rhétorique et sophistique
232
Partis du désir de l'homme et du philosophe d'atteindre la sagesse,
nous sommes revenus, au terme de cette étude, après un long détour
par un ensemble considérable de disciplines et de sciences, à ce même
souhait de réaliser en cette vie la sagesse et la vertu en se défiant
des charlatans de la sagesse apparente sont si nombreux. Ainsi,
la sagesse proposée par Aristote repose sur la connaissance, mais le
philosophe a le souci de rendre la vertu humaine vivante, active dans
le monde des hommes, et non dans un monde séparé de la sagesse
contemplative qui voit le sage se détourner des hommes pour ne
se préoccuper que des principes les plus abstraits et les plus divins.
Aristote est marqué par cette double tradition grecque de la sagesse
1
et de la vertu: d une part, une sagesse contemplative qui consiste dans
1
les activités intellectuelles, théoriques ou théorétiques et, d autre part,
une vertu réalisée dans la cité, orientée vers un mode de vie social
1
et politique, une vertu dont l activité doit être couronnée de réussite
1 1
et d efficacité. D une part, Aristote hérite de la tradition de la sagesse
philosophique incarnée par les premiers philosophes présocratiques
tels que Thalès, Anaximandre et Pythagore, puis élevée à son faîte
1
par Platon; d autre part, il hérite de la tradition politique grecque qui
voit dans 11homme politique la réalisation la plus parfaite de la vie
humaine. En bref, Aristote oscille entre la vita contemplativa et la vita
activa. Son œuvre exprime ce dilemme profond de la philosophie,
et au-delà de la philosophie, elle interroge 11humanité elle-même
partagée entre des activités de connaissance pure et des activités
pratiques. Ces deux genres d activités mènent chacun à un mode de
1
vie qui lui correspond. Aristote est ce philosophe qui oscillera entre
ces deux aspects, et qui aura eu le mérite de proposer à ses disciples
les deux voies et de les enseigner.
233
pourtant, sans l'exercer
directement dans !es affaires uu"L"-''-"--' conscient
de l'extrême complexité de l'homme, il a cherché à en rendre compte
tout en ramenant cette diversité à son unité. Ainsi, aucun aspect de la
connaissance et de l'éthique n'a été laissé de côté. li s'est efforcé pour
chaque genre de disciplines d'en dégager les principes, les termes et
les généralités laissant aux praticiens le soin d'appliquer les règles
générales dans le particulier. Il s'est donc bien comporté en sage,
cet homme qui par la connaissance des principes et des causes est
capable de connaître, au moins en puissance, pourrions-nous dire
tous les cas particuliers!
234
qui été constitué comme r"c·rn,-,-.,c, aristotélicien lar-
gement utilisé par ailleurs par l'Église, qui fait l'objet d'une polémique
virulente. L'œuvre, quant à elle, garde sa richesse et sa pertinence, même
si le dépassement de la physique aristotélicienne entraîne la remise en
cause de la conception métaphysique d'Aristote fondée sur la notion
de finalité. C'est bien ce principe que la physique moderne détruit, et,
d'une certaine manière, tel un château de cartes, l'ensemble de l'édifice
de la philosophie aristotélicienne s'est écroulé, du moins d'un point de
vue historlque. Et pourtant, si la vision aristotélicienne de l'univers est
historiquement dépassée, il n'en demeure pas moins que la lecture de
ses ouvrages apprend à penser et apprend à philosopher, elle indique
une voie de connaissance et de sagesse à l'homme. Et surtout, la
méditation de sa pensée, quand elle n'est pas aimée pour elle-même,
permet de remonter aux problèmes premiers de la philosophie et aux
premiers concepts qui ont donné sens à ces problèmes; et, quoi qu'on
en dise, si les réponses divergent et évoluent, de nombreux problèmes
sont, en revanche, restés les mêmes. De même, il faut reconnaître que
nous n'avons pas arrêté de penser suivant les termes et les concepts
élaborés par Aristote. Ainsi, faisons nôtre la démarche de la pensée
d'Aristote, fidèle à toute la pensée philosophique grecque, revenons
à l'origine. C'est le sens de la philosophie et de son histoire que nous
pourrons alors comprendre.
235
Traduction française des œuvres principales d'Aristote
Est parue récemment une traduction des œuvres complètes d'Aristote
en un seul volume:
Catégories
Aristote, Catégories, présentation, traduction du grec et commentaires
par Frédérique lldefonse et Jean Lallot, Paris, Seuil, 2002.
De l'âme
Éthique à Eudème
237
Bibliographie
Métaphysique
Aristote, Métaphysique, traduction de Jules Barthélémy-Saint-Hilaire,
revue et annotée par Paul Mathias, Introduction et dossier de
Jean-Louis Poirier, Paris, Pocket, 1991 (première publication de la
traduction, Paris, Germer-Baillllière, 1879).
Physique
Aristote, Physique, tomes 1 et 2, texte établi et traduit par Henri Carteron,
Paris, Les Belles Lettres, 1926 et 1931.
Poétique
Aristote, La poétique, texte, traduction et notes de Roselyne Dupont-
Roc, Paris, Ed. du Seuil, 1980.
238
Aristote, Lo Politique, nouvelle traduction avec introduction, noi:es
et index par Jules Tricot Paris, Vrin, 1962 (dernière édition, 1995).
Rhétorique
Aristote, Rhétorique, livre Ill, texte établi et traduit par Médéric Dufour
et André Wartelle, Paris, Les Belles Lettres, 1978.
Études générales
Il n'est pas question de produire une bibliographie exhaustive sur
l'œuvre d'Aristote, bien trop longue et fastidieuse. La sélection des
ouvrages mentionnés s'est faite en fonction des thèmes étudiés dans
l'ouvrage. Elle prend en compte aussi le souci d'une approche générale.
C'est pourquoi la bibliographie n'indique que les commentaires en
langue française publiés dans des ouvrages et non les articles plus
spécifiques publiés dans les revues universitaires.
239
Bibliographie
Cru bel lier Michel et Pierre Pellegrin, Le philosophe et les savoirs, Paris,
Seuil, 2002.
240
Moreau Joseph, Aristote et son école, Paris, PUF, 1985.
241
Achevé ci imprimer en février 2016
N° d'impression 1601.0338
Dépôt légal, février 2016
Imprimé en France