Vous êtes sur la page 1sur 3

Directeur de la publication : Edwy Plenel

www.mediapart.fr
1

des histoires dans ses papiers, sur des sujets tels qu'une
femme qui traverse les États-Unis pour assister à
Falsifications au «Spiegel»: «Au début,
des exécutions, la star du football américain Colin
personne ne voulait y croire» Kaepernick, ou un adolescent syrien qui pensait qu'il
PAR RORY MULHOLLAND
ARTICLE PUBLIÉ LE LUNDI 24 DÉCEMBRE 2018 aurait pu contribuer par inadvertance à déclencher la
guerre civile dans son pays.
Le prestigieux hebdomadaire allemand Der Spiegel
a annoncé le 23 décembre avoir porté plainte pour Mais c'est quand il a été envoyé pour enquêter sur la
détournement de fonds contre son ancien salarié « caravane de migrants », dénigrée par le président
vedette, Claas Relotius, qui a reconnu avoir falsifié Donald Trump, qui se rendait aux États-Unis via
de nombreux reportages. Alors que le scandale enfle, l'Amérique centrale, que Relotius a finalement été
entretien avec Juan Moreno, le journaliste qui a révélé démasqué. Il devait couvrir un groupe de miliciens du
les falsifications des enquêtes de son collègue. côté américain de la frontière, qui était déterminé à
empêcher le passage des migrants, tandis que Moreno
« Je ne suis qu’un auteur de papiers magazine. Je
était chargé de suivre les migrants du côté mexicain.
ne suis pas plus intelligent qu’un autre, et loin d’être
parfait… Je ne suis pas Mère Teresa. Demandez à ma
femme, elle vous le dira ! » Pour un homme qui vient
d’exposer le plus grand scandale médiatique allemand
depuis des décennies, Juan Moreno est extrêmement
modeste.
Ce journaliste travaille pour Der Spiegel, un
hebdomadaire d’information prestigieux dont le
slogan est « Dire ce qui est » (Sagen, was ist)
et qui se targue depuis sept décennies d’offrir un
journalisme de grande qualité. Mais la publication,
basée à Hambourg, a dû admettre la semaine dernière
que l'un de ses meilleurs journalistes, Claas Relotius,
livrait depuis plusieurs années autant de fiction que de
« Sagen, was ist » [dire ce qui est]: la couverture du Spiegel la semaine dernière.
faits dans ses articles.
Moreno a déclaré qu'il avait eu un « pressentiment »
La révélation est venue après que Moreno a passé des – très mauvais – à propos de Relotius après avoir lu,
semaines à travailler méticuleusement pour exposer quelques années plus tôt, l’un de ses articles qui lui
ce que le magazine, aujourd'hui humilié, qualifie de semblait suspect, et qu'il « ne voulait pas travailler
fake news« à grande échelle ». « Au début, personne avec lui » pour cette dernière mission. Selon lui, ce
[au sein de la rédaction] ne voulait y croire », a- refus a été interprété par ses collègues comme une
t-il déclaré. Selon Moreno, 46 ans, lui-même un peur de sa part d’être dépassé par son jeune collègue
journaliste relativement connu, les autres journalistes journaliste primé. Relotius lui a été imposé.
pensaient qu’il pouvait être jaloux de son jeune
collègue de 33 ans, considéré comme une « superstar C’est en lisant la partie de leur article commun écrite
de l'écriture de longs papiers ». par son collègue qu’il a eu des doutes sur la véracité
du contenu, trop beau pour être vrai, et qu’il a alerté
Relotius, lauréat de nombreux prix tels que celui de ses supérieurs. Ils ont refusé de le croire. Ce n’est
journaliste de l’année de CNN et l’équivalent allemand qu’après être allé aux États-Unis pour retrouver des
du prix Pulitzer, a démissionné cette semaine avant protagonistes de l’histoire de son collègue qu’il a
que ses fantasmes fictifs ne soient révélés au monde. compris qu’il avait raison.
Il avait embelli la vérité ou tout simplement inventé

1/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
2

Les protagonistes en question ont affirmé n'avoir D’autres publications allemandes comme Die Welt et
jamais rencontré de journaliste du Spiegel. En plus Die Zeit, qui ont recouru par le passé à Relotius en
d'être mis dans la position délicate de devoir dénoncer tant que pigiste, ont également commencé à se pencher
un collègue, il lui fallait protéger sa propre réputation, sur des articles qu’il avait écrits pour eux. De son
son nom figurant à côté de celui de Relotius dans côté, Moreno s'est retrouvé sous les projecteurs en tant
l'article sur la caravane de migrants. que nouveau chef de file du journalisme allemand et
« Imaginez que dans six mois, un an, ils le découvrent pourfendeur des fake news… C'est pourtant un rôle
et disent : “Pourquoi n'avez-vous rien fait ?”… qu'il assure ne même pas mériter.
Ils penseraient que je suis resté silencieux pour Moreno explique avoir reçu, depuis mercredi, des
garder mon travail », a-t-il déclaré lors d'un entretien appels de médias du monde entier, et que certains
téléphonique. Moreno a inclus à ses conclusions la s'attendaient à ce qu'il fasse des commentaires d'expert
preuve que Relotius avait contrefait plusieurs mails, sur les fake news ou sur la façon dont l'extrême
pour donner l’impression qu’ils venaient de personnes droite allemande s'était emparée de l'affaire du
figurant dans ses articles. Les rédacteurs en chef du Spiegel à l'appui de leur conviction que les médias
magazine ont finalement été forcés d’accepter l’amère traditionnels sont bien la « Lügenpresse » (“presse
vérité. menteuse”, expression jadis employée par les nazis)
Der Spiegel, qui vend 725 000 exemplaires par qu'ils décrivent.
semaine et compte environ 6,5 millions de lecteurs en « Je pense qu’un homme politique pourrait exploiter
ligne, a publié mercredi un communiqué confessant une situation comme celle-ci… mais je ne suis pas un
sa honte. L'hebdo, que la Columbia Journalism politicien, je suis un journaliste [...]. Honnêtement, je
Review, admirative, a décrit par le passé comme ayant ne pense pas que je sois un héros, avance-t-il. Je n'ai
mis en place la « plus grande opération de fact jamais voulu ça. Cela ne m’amuse pas du tout, bien au
checking au monde », s'est depuis lors engagé dans contraire. »
l'autoflagellation publique et a promis de mener une Désormais, ses articles aussi sont soumis à un examen
enquête sur les causes d’un tel scandale et de s'efforcer minutieux. « Le sujet idéal à présent serait “Moreno,
de ne jamais permettre que cela puisse se reproduire. c’est aussi un faux, il a inventé des trucs, blablabla”.
Le magazine a publié samedi un dossier spécial de Si vous regardez mes articles, vous constaterez peut-
23 pages intitulé « Un cauchemar » (« ein Albtraum être des erreurs, mais je vous promets que vous ne
»), expliquant comment Relotius avait pu mener si trouverez pas une seule chose que j'aie inventée », a-
longtemps la duperie sans être inquiété. Un jour plus t-il déclaré.
tôt, l'ambassadeur des États-Unis en Allemagne avait Malgré la pression intense des dernières semaines,
demandé l'ouverture d'une enquête indépendante sur Moreno ne semble pas avoir perdu son sens de
le scandale, soulignant que de nombreux papiers écrits l'humour. Il raconte qu'il a reçu, trente minutes à peine
par Relotius traitaient de la société américaine. après la révélation du scandale par Der Spiegel, le
Depuis dimanche, l'affaire s'est encore complexifiée. coup de fil d'un éditeur. Ce dernier voulait lui parler
L'hebdo a annoncé dimanche 23 décembre avoir d'options pour un livre, un documentaire ou encore un
porté plainte contre Relotius, le soupçonnant d'avoir film sur le scandale… Désolé, mais « je travaille sur
détourné des dons en faveur d'orphelins syriens, mis “Claas Relotius – la comédie musicale” », a répondu
à l'honneur dans l'un de ses articles dont la crédibilité Moreno.
est elle-même contestée. Des lecteurs, qui avaient
répondu à cet appel en juillet 2016, avaient lancé
l'alerte la semaine dernière.

2/3
Directeur de la publication : Edwy Plenel
www.mediapart.fr
3

Directeur de la publication : Edwy Plenel Rédaction et administration : 8 passage Brulon 75012 Paris
Directeur éditorial : François Bonnet Courriel : contact@mediapart.fr
Le journal MEDIAPART est édité par la Société Editrice de Mediapart (SAS). Téléphone : + 33 (0) 1 44 68 99 08
Durée de la société : quatre-vingt-dix-neuf ans à compter du 24 octobre 2007. Télécopie : + 33 (0) 1 44 68 01 90
Capital social : 24 864,88€. Propriétaire, éditeur, imprimeur : la Société Editrice de Mediapart, Société par actions
Immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS. Numéro de Commission paritaire des simplifiée au capital de 24 864,88€, immatriculée sous le numéro 500 631 932 RCS PARIS,
publications et agences de presse : 1214Y90071 et 1219Y90071. dont le siège social est situé au 8 passage Brulon, 75012 Paris.
Conseil d'administration : François Bonnet, Michel Broué, Laurent Mauduit, Edwy Plenel Abonnement : pour toute information, question ou conseil, le service abonné de Mediapart
(Président), Sébastien Sassolas, Marie-Hélène Smiéjan, Thierry Wilhelm. Actionnaires peut être contacté par courriel à l’adresse : serviceabonnement@mediapart.fr. ou par courrier
directs et indirects : Godefroy Beauvallet, François Bonnet, Laurent Mauduit, Edwy Plenel, à l'adresse : Service abonnés Mediapart, 4, rue Saint Hilaire 86000 Poitiers. Vous pouvez
Marie-Hélène Smiéjan ; Laurent Chemla, F. Vitrani ; Société Ecofinance, Société Doxa, également adresser vos courriers à Société Editrice de Mediapart, 8 passage Brulon, 75012
Société des Amis de Mediapart. Paris.

3/3

Vous aimerez peut-être aussi