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Kant et la violence politique.

"Sans violence, aucun droit ne peut être fondé, en sorte que la violence doit précéder le droit". XVII,
515.

Emmanuel Kant.

"L'ordre de la nature veut que la violence et la contrainte précèdent le droit, car, autrement, les
hommes ne pourraient jamais être amenés à se donner une loi et à s'unir. Mais l'ordre de la raison
veut qu'ensuite la loi règle la liberté, l'exprime par le truchement d'une forme" (XXIII, 169). Remarques
préparatoires de l'essai Vers la paix perpétuelle.

Emmanuel Kant.

Ces citations résonnent de façon brûlante à l'aune du conflit social français présentement en cours.
Kant, connu comme ce philosophe de la Raison, équilibré et tendant à la paix, a pourtant régulièrement
analysé la violence comme un processus naturel et potentiellement légitime, en fonction de ses
résultats. Le recours à des méthodes non pacifiques visant à la mutation d'un système politique, à sa
refondation, comme dans le cadre de la Révolution française, n'est jamais invalidé par Kant. Il se
contente assez pragmatiquement d'évaluer ce recours à posteriori, selon sa réussite ou son échec à
supplanter l'ordre légal précédent. Même si ses tendances personnelles le portent vers une approche
réformiste, il souligne régulièrement que le passage de l'état naturel (entendu au sens de Hobbes, à
savoir inégal et inique) à l'état civil, doit passer par le conflit. L'ordre juridico-politique républicain s'est
institué par une rébellion, une forme de sédition ne s'appuyant sur aucun droit initial. Kant a défendu
l'émergence de cette République, une fois qu'elle a triomphé de la légalité ainsi violemment destituée.
Mais il condamnait toute autojustification légale durant le processus de renversement, d'où
l'ambiguïté de ces citations sorties de tout contexte historique.

"[...] une fois qu'une révolution a réussi et qu'une nouvelle Constitution est fondée, l'illégalité de ses
débuts [violents] [...] ne saurait dispenser les sujets de l'obligation de se plier, en bons citoyens, au
nouvel ordre de choses, et ils ne peuvent se refuser à obéir loyalement à l'autorité qui est maintenant
au pouvoir" (Doctrine du droit, 1797,& 49, "Remarque générale" et note, Ak VI, 318-323).

Un nouvel état de droit qui en somme, sera à son tour habilité à interdire toute forme de violence à
son encontre...Il faut bien dire que ce monopole de la violence légitime fait une très belle place à
l'arbitraire des rapports de force sociaux. Cet accompagnement de la violence du droit par la violence
des faits correspond à cette notion faussement nébuleuse d'inssociabilité humaine, point de bascule
névralgique vers toute concorde possible. Selon Kant, la nature utilise toutes les incompatibilités
humaines, statutaires, étatiques, de tous les corps constitués, pour faire advenir la paix. À travers
cette perspective, la nature violente ne serait que le miroir inversé de la civilité aboutie, son exact
pendant.

Kant va jusqu’à évoquer des guerres sublimes, qui font parfois avancer la pensée, condamnant toute
forme de pacifisme primaire :
« {…] en revanche, une longue paix fait régner le simple esprit mercantile, et avec lui l’égoïsme bas, la
lâcheté, la veulerie ; d’ordinaire, elle avilit la pensée du peuple »

(Critique de la faculté de juger,& 28, Ak V, 263).

La violence doit viser un nouvel ordre légal pour trouver grâce aux yeux de Kant, faute de quoi elle
relève du pur nihilisme. Dans les Vorarbeiten du Conflit des facultés, il déclare :

« Pour fonder le pacte social constitutif d’une république, il faut déjà qu’il y ait une république. Par
conséquent, celle-ci ne peut être fondée que par la violence et non par un accord ». (XXIII, 426).

Décidément, Kant n’est pas ce pacifiste béat que certains ont bien vouloir cru lire, la citation suivante
leur ôtera tout doute sur la question :

« à partir du moment où il n’est plus question du droit, mais seulement de la force (Gewalt), il est
permis aussi au peuple de faire l’essai de la sienne, et partant, de rendre incertaine toute condition
légale »

(LC, VIII, 306)

Œuvres complètes de Kant en allemand en 29 tomes, éditées par Walter de Gruyter. Œuvres
philosophiques, Paris, Gallimard, NRF-Pléiade, 3 tomes, 1980, 1985 et 1986.

Critique de la raison pure, Paris, Garnier-Flammarion, 1987.

Doctrine du droit, Paris, Vrin, 1988.

Projet de paix perpétuelle, Paris, Vrin, 1990.

Critique de la faculté de juger, Paris, Gallimard « Folio Esais », 1985.

Opuscules sur l’histoire (comprenant notamment l’Idée d’une histoire universelle au point de vue
cosmopolitique et les Conjectures sur les débuts de l’histoire humaine), Paris, Garnier-Flammarion,
1990.

Domenico Losurdo, Autocensure et compromis dans la pensée de Kant,

1995, Presses Universitaires de Lille, 1993.

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