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4 novembre 2016

FISCALITE CARBONE
ETAT DES LIEUX ET PERSPECTIVES

Bien qu’elle l’ait finalement peu revendiqué, voire guère assumé, la mandature qui s’achève a
vu la mise en œuvre, pour la première fois dans l’histoire de notre fiscalité, d’une taxation du
carbone. Intervenue dans le cadre de la loi de finances pour 2014, l’adoption d’une
composante carbone dans les taxes intérieures de consommation sur les produits énergétiques
(TICPE) – venant partiellement gager le coût du CICE – n’avait rien d’évident. Outre qu’elle
survenait dans un contexte de polémique entretenue sur le « ras-le-bol fiscal », qu’elle
mécontentait les uns pour son manque d’ambition et les autres comme incarnant une écologie
« punitive », la mesure suscitait de réelles interrogations juridiques, après que le Conseil
constitutionnel eût censuré, fin 2009, la taxe carbone adoptée dans le prolongement du
Grenelle de l’environnement.
Le succès de la COP21 et le consensus au moins apparent qui s’est constitué au niveau
national, ainsi qu’au niveau international autour de la « Carbon pricing leadership
initiative », sur la nécessité de donner un prix au carbone offrent un cadre renouvelé aux
réflexions sur cette fiscalité. Pour autant, les principaux écueils à son développement n’ont
pas disparu. Les effets anti-redistributifs bien connus d’une fiscalité assise sur les
consommations énergétiques et la sensibilité compréhensible des Français à leurs dépenses de
chauffage ou de carburant 1 demeurent, cependant que prend fin le contexte de faibles prix du
pétrole qui a, jusqu’ici, permis d’atténuer l’impact de cette fiscalité supplémentaire.
Sans revenir sur les justifications macroéconomiques et climatiques de la fiscalité du carbone,
la présente note dresse un état des lieux de la législation existante et analyse les conditions
dans lesquelles la trajectoire d’augmentation du prix du carbone pourrait être poursuivie avec
succès.

                                                       
1
Le caractère « régressif » de cette fiscalité reflète la poids plus élevé de ce type de dépenses dans le budget des
ménages les plus modestes, notamment ceux appartenant au premier décile de la distribution des revenus.
1. Etat des lieux
1.1. La composante carbone issue de la loi de finances pour 2014

Après l’échec de la taxe carbone issue du Grenelle de l’environnement, censurée par le


Conseil constitutionnel 2 , l’introduction d’une fiscalité carbone en France n’a dû son salut qu’à
la nécessité de gager une partie du coût du CICE, en supplément de la hausse de la TVA. En
effet, bien que la conférence environnementale de 2012 ait consacré une table ronde à la
fiscalité écologique, aucune préconisation formelle n’en était résultée sur ce sujet.
C’est donc dans ce cadre que la loi de finances pour 2014 a modifié le code des douanes pour
introduire une part « carbone » dans le calcul des tarifs de la TICPE, assise sur le gaz, le fioul,
les carburants et le charbon. Cette réforme s’est faite à bas bruit, pour les raisons politiques
exposées en introduction, mais aussi pour des raisons techniques. En effet, les contraintes
résultant de la jurisprudence constitutionnelle imposaient de revendiquer une logique de strict
rendement au dispositif et de masquer autant que possible sa dimension incitative et
écologique. Ainsi, la composante carbone s’est matérialisée par une simple hausse des tarifs
de la TICPE, sans changement d’assiette3 , cette hausse étant néanmoins calculée, pour chaque
énergie, en fonction des émissions de CO 2 associées à sa consommation, et non plus
strictement en fonction du volume consommé. Au surplus, afin de garantir l’acceptabilité de
la mesure l’année de son introduction, la part carbone a été gagée par une diminution à due
concurrence de la part volume, de sorte que le tarif global reste inchangé 4 .
Le tarif de la tonne de carbone a enfin été programmé pour trois ans (7 € en 2014, 14,50 € en
2015 et 22 € en 2016), afin de s’inscrire dans la trajectoire de montée en puissance du CICE
et de donner de la visibilité aux agents économiques.

1.2. Les dispositions de la loi de transition énergétique pour la croissance verte

Dans le cadre des débats sur le projet de loi de transition énergétique, le Parlement a introduit
un objectif de montée en puissance de la composante carbone, aux termes duquel le tarif de la
tonne de CO 2 devrait atteindre 56 € en 2020 et 100 € en 2030. Le VIII de l’article 1er de la loi,
                                                       
2
Décision n° 2009-599 DC du 29 décembre 2009, Loi de finances pour 2010 : « 82. Considérant que des
réductions de taux de contribution carbone ou des tarifications spécifiques peuvent être justifiées par la
poursuite d'un intérêt général, tel que la sauvegarde de la compétitivité de secteurs économiques exposés à la
concurrence internationale ; que l'exemption totale de la contribution peut être justifiée si les secteurs
économiques dont il s'agit sont spécifiquement mis à contribution par un dispositif particulier ; qu'en l'espèce, si
certaines des entreprises exemptées du paiement de la contribution carbone sont soumises au système d'échange
de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans l'Union européenne, il est constant que ces quotas sont
actuellement attribués à titre gratuit et que le régime des quotas payants n'entrera en vigueur qu'en 2013 et ce,
progressivement jusqu'en 2027 ; qu'en conséquence, 93 % des émissions de dioxyde de carbone d'origine
industrielle, hors carburant, seront totalement exonérées de contribution carbone ; que les activités assujetties à
la contribution carbone représenteront moins de la moitié de la totalité des émissions de gaz à effet de serre ;
que la contribution carbone portera essentiellement sur les carburants et les produits de chauffage qui ne sont
que l'une des sources d'émission de dioxyde de carbone ; que, par leur importance, les régimes d'exemption
totale institués par l'article 7 de la loi déférée sont contraires à l'objectif de lutte contre le réchauffement
climatique et créent une rupture caractérisée de l'égalité devant les charges publiques ; ». 
3
Les dispositions exonérant ou plaçant hors champ de la taxe certains usages, les dérogations en faveur de
certaines professions (agriculteurs, routiers, pêcheurs…) ont été globalement maintenues. Les entreprises
énergo-intensives sous ETS ont été exonérées, conformément à ce que prévoit le droit communautaire (directive
2003/96/CE). 
4
A l’exception de la part portant sur le gaz (TICGN), dont les ménages étaient totalement exonérés. 
disposait ainsi que « Le Gouvernement se fixe pour objectif, pour la composante carbone
intégrée aux tarifs des taxes intérieures sur la consommation des produits énergétiques
inscrites au tableau B du 1 de l'article 265 du code des douanes, d'atteindre une valeur de la
tonne carbone de 56 € en 2020 et de 100 € en 2030. »
Ces dispositions ont une vocation purement programmatique et n’emportent par elles-mêmes
aucun effet tant qu’elles ne sont pas transposées dans le code des douanes.

1.3. La réforme de la fiscalité des énergies du collectif pour 2015

La loi de finances rectificative pour 2015 a enfin fourni une nouvelle occasion de débattre de
la fiscalité des énergies carbonées, en ce qu’elle prévoyait une refonte des circuits de
financement du service public de l’électricité. La contribution au service public de l’électricité
(CSPE) présentait en effet plusieurs fragilités au regard du droit communautaire, justifiant sa
transformation en accise électrique et, de fait, sa fusion avec la taxe intérieure sur la
consommation finale d’électricité (TICFE). Par la même occasion, le Gouvernement a
profondément remanié les circuits par lesquels transitaient les ressources issues de la CSPE
pour venir compenser les charges de service public exposées par EDF (tarif social de
l’électricité, développement des énergies renouvelables…). Une mécanique strictement
extrabudgétaire associant EDF et la Caisse des dépôts a ainsi laissé place à une réinscription
des recettes au budget de l’Etat et leur fléchage vers les charges qu’elles financent par le biais
d’un compte d’affectation spéciale « Transition énergétique ». Enfin, une trajectoire
d’apurement du déficit de compensation des charges exposées par EDF a été arrêtée.
Cette réforme de portée essentiellement technique s’est néanmoins accompagnée d’une
modification profonde du financement des charges de service public de l’électricité, et en
particulier des EnR électriques, puisque le montant de la nouvelle CSPE a été gelé à 22,5
€/MWh à compter de 2016 et qu’il a été décidé de financer le surcroît de charges par
l’affectation d’une fraction de TICPE portant sur les énergies carbonées à partir de 2017.
Pour ce faire, la trajectoire de prix du carbone esquissée fin 2013 a été prolongée d’un an et
fixée à 30,50 € dans le code des douanes. Le Parlement en a profité pour préciser la trajectoire
programmatique fixée dans la loi de transition énergétique, de sorte que la trajectoire globale
s’établit désormais comme suit :

Trajectoire carbone arrêtée fin 2015


2014 2015 2016 2017 2018 2019 2020 2030
7€/t 14,5€/t 22€/t 30,5€/t 39€/t* 47,5€/t* 56€/t* 100€/t*
*En italiques les tarifs à portée purement programmatique.

Précisons enfin que ces mesures se sont accompagnées d’un début de convergence des
fiscalités pesant sur le gazole (+1c/l) et l’essence (-1c/l) en 2016, puis en 2017, l’avantage
fiscal dont bénéficie le premier au titre de la TICPE (17 centimes de différentiel négatif)
n’ayant plus la moindre justification au regard de ses externalités, notamment sur la pollution
atmosphérique.
1.4. Impacts des réformes déjà votées

Au niveau atteint en 2016, la composante carbone représente environ 5c/L de carburant (soit
5% du prix pour le super, 6,5% pour le gazole et 11% pour le fioul domestique).
L’impact de sa mise en œuvre a représenté, toutes choses égales par ailleurs, un surcoût de
l’ordre de 83€ par ménage en 2016. Cependant, la montée en régime de ce prix du carbone
s’est effectuée dans un contexte de recul des prix pétroliers, représentant pour ceux-ci une
économie de près de 450€ par ménage et par an.
S’agissant des entreprises, l’impact est essentiellement sur les entreprises du tertiaire et des
entreprises industrielles peu intensives en énergie. Sont en effet exonérées les entreprises
soumises au marché européen de permis, les entreprises qui seraient soumises à des risques
importants de « fuite de carbone » et les secteurs exonérés totalement ou partiellement de TIC
(transports routiers, taxis, pêche, agriculture…)

2. Propositions pour la nouvelle législature

Les réformes intervenues entre 2013 et 2016 fournissent un cadre juridiquement solide et
économiquement pertinent pour taxer le carbone en France. C’est dans ce cadre qu’il convient
de s’inscrire pour poursuivre la montée en puissance de cette tarification, sans se fourvoyer
dans les impasses connues de la taxe au carbone ajouté (économiquement séduisante mais
techniquement irréalisable) ou d’une taxe carbone strictement « pigouvienne » (plus pure en
termes de signal-prix, mais politiquement inacceptable pour certains secteurs fragiles).

2.1. Fixer « en dur » le prix de la tonne de CO 2 jusqu’en 2020

Une première initiative de la législature à venir pourrait consister à confier à un collège


d’experts un travail d’actualisation de la trajectoire du prix du carbone. De fait, les montants
retenus dans la loi de transition énergétique sont issus des travaux de la commission Quinet
(2009), qui gagneraient à être revus à la lumière notamment des dernières données
scientifiques et économiques et de la trajectoire issue de l’accord de Paris (et des engagements
de réduction en résultant au niveau européen).
Une fois cette révision opérée, la loi de finances pour 2018 devrait inscrire « en dur » les
nouveaux tarifs pour les années 2018 à 2020. Un horizon de trois ans semble raisonnable et
traduit un compromis satisfaisant entre la prévisibilité attendue des acteurs économiques et la
nécessité d’ajuster la prévision à l’évolution de la conjoncture.
La question peut se poser d’introduire un mécanisme de garantie du signal-prix, afin que le
coût de la tonne de carbone, tel que le consommateur le ressentira à la pompe par exemple, ne
soit pas déformé par les évolutions du cours du baril. Cette sorte de « TICPE flottante à
l’envers » est économiquement pertinente mais sa faisabilité technique est sujette à caution.
Au demeurant, une expertise approfondie serait à mener sur la conformité d’une telle taxe au
droit communautaire.
2.2. Exemple de scénario avec chiffrage des impacts

La mise en œuvre de la trajectoire « programmée » consistant à augmenter de 25,5€/t le prix


du carbone entre 2017 et 2020 représenterait donc +6c/L de carburant. En termes de recettes
budgétaires supplémentaires, cela correspond à +4,5Mds€.
L’impact incitatif sur les consommations énergétiques correspondantes et donc sur les
émissions de CO 2 serait significatif, sachant que l’on peut estimer qu’une hausse de 5% du
prix des produits concernés induit, à terme, une réduction des consommations
correspondantes de 3%. Pour apprécier cet ordre de grandeur, on peut rappeler que la
tendance à la baisse de la consommation finale énergétique a été de -0,9% par an entre 2008
et 2014.
Qualitativement, les travaux de modélisation macroéconomiques montrent que, si les recettes
sont recyclées sous forme de baisse des impôts des ménages et des cotisations employeurs,
l’effet est favorable sur l’activité et l’emploi.

2.3. Conserver une gouvernance partenariale pour favoriser le consensus

L’acceptabilité des réformes intervenues au cours de la législature a, entre autres, été facilitée
par leur appropriation, avant toute initiative législative ou réglementaire, par un comité de
parties prenantes de type « Grenelle ».
Issu de la première conférence environnementale, le comité pour la fiscalité écologique –
devenu comité pour l’économie verte – a permis de faire partager à des représentants des
entreprises, des syndicats, des collectivités, des ONG environnementales, de la société civile,
des problématiques économiques et fiscales complexes. Placé auprès des ministres de
l’écologie et de l’économie, présidé par un expert reconnu, assisté dans ses travaux par les
administrations compétentes (CGDD, DGEC, Trésor, DLF…), ce comité a produit des avis
circonstanciés qui ont ensuite facilité la mise en œuvre des mesures.
Il paraît important de préserver cette structure et de lui soumettre, avant le vote du PLF 2018,
la trajectoire actualisée telle qu’elle résulterait des travaux du collège d’experts.

2.4. Articuler un discours clair sur les contreparties

La COP21 et la sensibilité croissante des Français aux questions environnementales n’a


évidemment pas changé leur rapport à la fiscalité, fût-elle écologique. Dans ces conditions, les
hausses d’impôts qui résulteront de la tarification croissante du carbone devront être
clairement assumées et accompagnées d’un discours clair sur l’usage qui serait fait des
recettes.
A cet égard, un partage économiquement pertinent et politiquement présentable pourrait
consister à affecter deux tiers du produit supplémentaire à la baisse d’autres charges (dans la
logique du CICE) et un tiers à l’accompagnement des ménages, notamment modestes, qui
subiront le plus douloureusement les effets de la hausse du prix du carbone.
L’affectation de ce tiers « ménages » mériterait une note à part entière, mais on peut déjà
esquisser plusieurs pistes :
- accompagnement de la généralisation du chèque énergie voté dans le cadre de la loi de
transition énergétique et se substituant, pour les plus précaires, aux tarifs sociaux de
l’électricité et du gaz ;
- renforcement des moyens consacrés à la rénovation énergétique des logements, sous
réserve de rationaliser les dispositifs nombreux qui co-existent actuellement en la
matière (crédit d’impôt transition énergétique, aides de l’ANAH, fonds de garantie,
émergence du tiers financement) ;
- aide à la mobilité décarbonée ou faiblement carbonée, dont les ressources pourraient
également être tirées de la poursuite de la convergence de la fiscalité du gazole et de
l’essence, et en articulation avec les dispositifs existants (bonus-malus notamment).
De ces trois pistes, la première répond à un objectif de protection des ménages les plus
vulnérables, les deux autres à une logique d’aide à la diminution des consommations venant
compenser la hausse des prix.
Le CAS « Transition énergétique » pourrait servir de support à cette réaffectation, sous
réserve de démontrer l’existence du lien suffisant entre recettes et dépenses exigé par les
dispositions de l’article 21 de la LOLF 5 . De telles modalités de budgétisation auraient
l’immense avantage de soustraire les dépenses considérées à la norme de dépenses de l’Etat.

                                                       
5
« Les comptes d'affectation spéciale retracent, dans les conditions prévues par une loi de finances, des
opérations budgétaires financées au moyen de recettes particulières qui sont, par nature, en relation directe
avec les dépenses concernées. »

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