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Michel Foucanls, Dits e1 éerits 1972 durées est porteuse d'un certain type d’événements, Il faut multi- plier les types d’événements comme on multiplie les types de durée. ‘Voila la mutation qui est en train de se produire actuellement dans Aes disciplines de l'histoire. Er maintenant, jattiverai enfin ma conclusion, en m’excusant d'y parvenit si rard. Je crois que, entre les analyses structuralistes du changement ou de la transformation et les analyses historiques des types d'événements et des types de durée, il y a, je ne dis pas exacte- ment identité ni méme convergence, mais un certain nombre de points de contact importants. Je les signaletai pour cerminer. Les haistoriens, quand ils traitent des documents, ne les traitent pas pour les interpréter, c'est-a-dire qu’ils ne cherchent pas detriére eux et au- dela d'eux un sens caché. Ils taitent le document dans le systéme de ses relations interes et externes. C'est de Ja méme facon que le structuraliste, quand il étudie les mythes ou la littérature, ne demande pas a ces mythes ou A cette liteérature ce qu’ils peuvent traduire ou exprimer de la mentalité d'une civilisation ou de I’his- toire d'un individu. Il s'évertue a faire apparaitre les relations et le systéme des relations propres 4 ce texte ou propres a ce mythe. Le refus de 'interprétation et de la démarche exépérique qui va cher cher derriére les textes ou les documents ce qu'ils signifient, c'est un élément que I’on retrouve aussi bien chez les structuralistes que chez les historiens d'anjourd’hui. Le second point, Cest, je crois, que les structuralistes, comme les historiens, sont amenés, au cours de leur travail, @ abandonner la grande et vieille métaphore biologique de la vie et de l'évolution. Depuis le xxx’ siécle, on s'est beaucoup servi de l'idée d’évolution et des concepts adjacents pour retracer ou analyset les différents chan- gements dans les sociétés humaines ou dans les pratiques et les act vités de homme. Cette métaphore biologique qui permertait de penser l'histoire présentait un avantage idéologique et un avantage épistémologique. L'avantage épistémologique, c'est qu'on avait dans la biologie un modele explicatif qu'il suffisait de transposet terme a terme dans l'histoire; on espérait par la que cette histoire, devenue évolutive, serait enfin aussi scientifique que la biologie. Quant a l'avantage idéologique, trés facile a repérer, s'il est vrai que Phistoire est prise dans une durée analogue a celle du vivant, si ce sont bien les mémes processus d’évolution qui sont a I'ceuvre dans la vie et dans histoire, alors Cest que les sociétés humaines n'ont pas de spécificté particuliére, c'est que les sociétés humaines n'ont pas d’autre légalité, n’ont pas d’autre détermination ou régularicé ‘que la vie elle-méme. Er, tout comme il n'y a pes de révolution vio~ lente dans 1a vie, mais simplement une lente accumulation de seraheatietesnmmnaameiiimcns NNN 10s Michel Foucault, Dits et éerits 1972 mutations minuscules, de la méme fagon I’histoire humaine ne peut ppas réellement porter en elle de révolution violente, elle ne portera jamais en elle que de petits changements imperceptibles. En méta- horisant l'histoire sous les espéces de la vie, on garantissait ainsi que les sociétés humaines ne seraient pas susceptibles de révolution, ‘Je cro's que le structuralisme et Vhistoire permettent d’abandonner ‘ette grande mythologie biologique de 'histoite et de la durée. Le structuralisme, en définissant des transformations, I'histoire, en décrivant des types d’événements et des types de durée différents, rendent possible a la fois l'apparition de disconcinuiés dans Mhis- toire et Fapparition de transformations réglées et cohérentes. Le scructuralisme et 'histoire contemporaine sont des. inscraments théoriques grace auxquels on peut, contre la vieille idée de la conti nnuité, penser réellement et la discontinuité des événements et la transformation des sociétés. Réponse @ Derrida < Miche Fouaule Deda © o ino > Ce Réponse & Detida >), idea, LL Mic Fo oul, fetier 1972, pp 131-147 Le 26 cbt 1971, le deur de larvae jponnive Peds, Milita Nakano, rope A 1M. Foon le plan dun amc sic contac nx lens ete vn eval Piosphigue fon sapere ire Mlle dcous de Foul ot Tce de Desa >, pat Y. Mpakawas = £15 linear chez i pilsophe Fowl» pat K"Toyenhis = SS LOndre di dict, pat . Naka ‘Capie ce Hittin dele folo>, par J. Deda {Leaotime et Fear humatiame cfc, pat M Blanch “ERenit 4 Uhiate> (or wpe 103); = ENiemche, Freud et Dla > (rir np 146); = {thst phlonptignn » Guir orbs 80s = mcice te Graeme de PoreRoyal> (vie er 960, Dans sa pom 0824 spre, M. Fowl propose fe subse <* Nieache, I fae loge, Tse vie mp” 8¢).4° Neethe, Feud er Mars ie pa Pr faced Grmmai Se ore Royal une eens ol] sutae hres Deda > coreg dance Nakano Feusal communique par 5 Husur). Une sue version de ce tne sea Sti er appends ton de ison de Pla del le dl fics Galiard fn 1972, sous le tite «Mon cops, & Pape, ce fea» (ot spa 102) Lanaljse de Dettida * est & coup sir remarquable par sa profon- deur philosophique et la méticulosité de sa lecture. Je n'entreprends * Cooftzence donate le 4 mars 1963 as Collage philesophique, Reprise in Reowe de imétapyigue ot de morale, 1964, 0° 34, Republite in Destda (J), L'Eeiture ola Df- fires, 2uis, Ed. ds Sel, 1967, Michel Poucauls, Diss et deriss 1972 point dy répondre; je voudrais rout au plus y joindre quelques remarques. Remarques qui sembleront sans doute bien extérieures, et qui le seront, dans la mesure méme ob I'Histvire de la folie tes textes qui Iui ont faic suite sont extérieurs a 1a philosophic, a la maniére dont en France on la pratique et on l'enseigne. Derrida pense pouvoir ressaisir le sens de mon livre ou de son « projet > dans les trois pages, dans les trois seules pages qui sont consacrées a Ianalyse d'un texte reconnu pat la tradition philo- sophique. Avec son admirable honnéteté, il reconnait lui-méme le paradoxe de son entreprise. Mais il pense le surmonter, sans doute, parce qu'il admet au fond trois postulats. 1) Il suppose d’abord que toute connaissance, plus largement encore tout discours rationnel, entretient avec la philosophie un rap- pore fondamental et que c'est en ce rapport que certe rationalité ou ce savoir se fondent. Libérer la philosophic implicite d'un discours, en Enoncer les contradictions, les limites ou la naiveté, c'est faire a fortiori ec par le plus court chemin la critique de ce qui s'y trouve dic. Inutile par conséquent de discuter sur les six cent cinquante pages d’un livre, inutile d'analyser le matériau historique qui s'y ‘trouve mis en ceuvre, inutile de critiquer le choix de ce matériau, sa distribution et son interptétation, si on a pu dénoncer un défaut dans le rapport fondateur a la philosophie. 2) Pat rapport a cette philosophie qui détient éminemment la de tout discours, Derrida suppose qu'on commer des «< fautes > dune nature singuliére : non point tellement des fautes de logique ou de raisonnement, entrainant des erreurs matérielle- ‘ment isolables, mais plutdt des fautes qui sont comme le mixte du péché chrétien ec du lapsus freudien. On péche chrétiennement contre cette philosophie en en dérournant les yeux, en refusant son élouissante lumidre et en s'attachant a la positivité singuliére des choses. On commer aussi par rapport a elle de véritables lapsus : on la trahie sans s’en rendre compte, on la révéle en lui résistant et on la laisse apparaftre dans un langage que seul le philosophe est en posi- tion de décoder. La faute contre Ia philosophie est par excellence naiveré, naiveté qui ne pense jamais qu’au niveau du monde et qui ‘ignore la loi de ce qui pense en elle ct malgré elle. Parce que la faute contre la philosophie est proche du lapsus, elle sera comme lui ‘crévélatrice >: il suffira du plus mince < accroc > pour que tout ensemble soit mis & nu, Mais parce que la faute contre la philo- sophie est de l'ordre du péché chrétien, il suffit qu'il y en ait une, et mortelle, pour qu'il n'y ait plus de salut possible, Cest pourquoi Michel Poneault, Dits et berits Derrida suppose que, s'il montre dans mon texte une erreur & pro- pos de Descartes, d'une part, il aura moneré Ja loi qui régit inconsciemment rout ce que je peux dire sur les réglements de police au xvi siécle, le chdmage a ’époque classique, la réforme de Pinel et les asiles psychiatriques du xix"; et, d'autre patt, s'agissant d'un péché non moins que d’un lapsus, il n’aura pas a montret quel est effet précis de cette erreur dans le champ de mon étude (comment elle se répercute sur analyse que je fais des institutions ou des théo- rids médicales) : un seul péché suffie & comprometere toute une vie, sans qu'on ait & montrer toutes les fautes majeures et mineures qu'il pu entrainer. 3) Le troisiéme postulat de Derrida, c'est que la philosophie ese au-dela et en deci de tout événement. Non seulement rien ne peut lui artiver @ elle, mais tout ce qui peut arriver se trouve déja anticipé ou enveloppé par elle. Elle n'est elle-méme que répétition d'une of gine plus qu’originaire et qui excéde infiniment, en son retrait, tout ce qu'elle pourra dire en chacun de ses discouts historiques. Mais Puisquil ese répétition de cette origine, tout discours philo- sophique, ponrvs qu'il soit auchentiquement philosophique, excédle en sa démesure tout ce qui peut artiver dans l'ordre du savoir, des institutions, des sociétés, etc. L’excés de l'origine, que seule la philo- sophie (et nulle autre forme de discours et de pratique) peut répéter par-deli tout oubli, 6te toute pertinence a I’événement. Si bien que, pour Derrida, il est inutile de discuter analyse que je propose de cette série d’événements qui ont constitué pendant deux sicles histoire de la folie; et, & dire vrai, mon livee est bien naif, selon lui, de vouloir faire cette histoire a partir de ces événements déri- soires que sont I'enfermement de quelques dizaines de milliers de Personnes ou organisation d'une police d’Etat extrajudiciaites il aurait suffi, et plus qu’amplement, de répéter une fois de plus la répétitio” de Ia philosophie par Descartes, répétant lui-méme Vexcis platonicien. Pour Dertida, ce qui s'est passé au xvut siécle ne saurait €tre qu’ < échantillon > (Cest-i-dire répétition de l'iden- tique), ou < modeéle > (cest-d-dire exces inépuisable de lorigine) + il ne connait point la catégorie de l'événement singulier; il est donc pour lui inutile ~ et sans doute impossible — de lire ce qui occupe la Part essentielle, sinon la totalité, de mon livre : analyse d’un évé- hement. Ces trois postulars sont considérables et fore respectables : ils for- ment T'armarure de l'enseignement de la philosophie en France. Crest en leur nom que la philosophie se présente comme critique tuniverselle de tout savoit (premier postulat), sans analyse réelle du 1972 Michel Foucault, Dits et éerits 1972 contenu et des formes de ce savoir; comme injonction morale a ne Srl q's pope lume (deusiéme postu), comme pet péuelle reduplicaion d'elle-méme (toisitme postulat) dans un commentaire infini de ses propres textes et sans rapport a aucune De cous ceux qu philosophent en France atuellemene abr de cx tis perl, Ded, den pas dnt, et plus pron le plus radical. Mais ce sont peut-re ces postulats eux-mémes qu’ faut remettre en question : je m'efforce en tout cas de m’en afftan- chit, dans la mesure od il est possible de se libérer de ceux que, pen- dant si longtemps, les institutions m'ont imposés. Ce que jai essayé de montrer (tas sans doute n'€ai-ce point hic & mes popes yeux quand cvs I Hise del fli), Cet aue la philsopie neni hisoriquemene ni logiquement fonda atice de connaissance; mais qu'il existe des conditions et des régles de formation du savoir auxquelles le discours philosophique se touve soumis 4 duque époque, comme n‘impone quelle autre 1e de discours & prétention rationnelle. : eS ic ye cay tore, aor pe, dane YH de a folie ec aillers, Cest que la systématicité qui relie entre eux les formes de discours, les concepts, les institutions, les pratiques n'est de ordre ni d’une pensée radicale oublié, recouverte, dérounée elle-méme ni d’un inconscent freudien, mais qu'il existe un inconscient du savoir quia ses formes et ses régles spécifiques Enfin, je me suis efforcé d’éeudier et d'analyser les « événements > aui peven produite dan Forde do savor equine peuvent réduire ni a la loi générale d'un « progrés > ni la répéction d'une ie Oa tocrmrce tf nomena ment ieret act pourra manquer de ddemeurerextérient e bien supetficiel par rapport la profonde int Forté philosophique du travail de Derrida. Pour moi, rout I'ssen- tiel du travail était dans ‘analyse de ces événements, de ces savois, de ces formes systématiques qui reliene discours, institutions et pra tiques, toutes choses dont Derrida ne dit pas un mot dans son texte. Mais sans doue nema pas encore suisament aan des esculars de Ienseignement philosophique, puisque javais eu la fa fee np ran conséquene privilégite, analyse d'un texte de Descartes, Cétaic sans doure la part Ia plus accessoire de mon livre, et je reconnais volontiers que j‘aurais dd y renoncet si avais voulu étre conséquent dans ma désinvoleure & I'égard de la philosophie. Mais, aprés rout, ce passage existe: il est comme il et; et Der Michel Foucault, Dies ot éovits rida prétend qu'il comporte une imporeante série d’erreuts, qui contieanent et compromettent le sens total du livre. Or je crois que l'analyse de Derrida est inexacte. Pour pouvoir ‘montrer que ces trois pages de mon texte emportaient avec elles les six cent cinquante autres, pour pouvoir critiquer la eotalité de mon livre sans dite un seul mot de son contenu: historique, de ses miéthodes, de ses concepts, de ses hypotheses (qui, A coup sti, sont en elles-mémes bien critiquables), il me semble que Derrida a ée famené a fausser sa propre lecture de Descartes, et Ia leceute aussi qu'il fait de mon texte. Derrida fait remarquer que, dans le passage de la Premiére Médi- sation ov il est question de la folie, ce n’est pas tellement Descartes qui parle, mais un interlocureur fictif, faisant une naive objection : ‘ous les sens ne trompent pas toujours, dirait cet objecreur; je ne eux pas douter par exemple que je suis ici, prés du feu; le niet Serait se ¢ compater > certains insensés; or, continuerait le naif. je ne suis pas fou, donc, il y a des choses dont je ne saurais douter, A quoi Descartes répondirait en citant le cas du réve qui produit des extravagances aussi grandes que la folie, suais augue! nous sommes exposés tous autant que nous sommes. Et Derrida de conclure ~ que ce n'est pas Descartes quia dit : < Mais quoi, ce sont des fous... 3; Fclit de route facon, les extravagances de Ia folie sont impli- quées dans le réve done il est ensuite question. A cette analyse de Derrida il est possible de répondre 1) Sil est vrai que c'est une autte voix qui viene ainsi inter- rompre le texte et souffler cette objection, alors ne faut-il pas pous- ser un peu plus loin, mais eoujours dans le méme sens, la proposi- tion que 'ai avancée, a savoir que Descartes ne fait pas encrer la folic dans le processus de son doute? Si c'est bien ainsi qu’il faut lire le texte de Descartes, alors Derrida me donne encore plus raison que je ne croyais, 2) Vhypothése d'une autre voix me semble (malgré cout I'avan= ‘tage que je pourrais en titer) inutile et arbitraire. Il faut avoir bien Présent & lespri le tere méme du texte : Meditations. Ce qui sup- pose que le sujet parlane ne cesse de se déplacer, de se modifier, de changer ses convictions, d’avancer dans ses certitudes, d'assumer des risques, de faire des tentatives. A la différence du discours déductif, dont le sujet parlane demeure fixe et invariant, le texte médieatif Suppose un sujet mobile et s'exposant lui-méme aux hypothéses quill envisage. Derrida imagine une fiction < thétorique > ou < Pédlagogique >, 1d od il faut lire un épisode médieatif. Il suff, 1972

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