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FIGURES DU PARQUET

Christine Lazerges

PREMIERE PARTIE : FIGURES DU PARQUET AU SEIN DE L’UNION


EUROPEENNE

Le ministère public est aujourd’hui au cœur des débats sur la justice, pas seulement en France
mais dans de nombreux Etats du monde. Ce qu’il est important de relever c’est que l’inflation
du contentieux pénal doublée de la lutte anti-terroriste, démultiplie les pouvoirs du parquet. Si
les modèles étudiés sont tous différents, on peut noter des caractéristiques communes à
l’ensemble des Etats. Il y a d’abord la permanence du parquet, les modalités sont diverses
mais il est toujours perçu comme une nécessité. Ensuite, il faut noter le caractère ténu du lien
entre statut et fonction. Enfin, on ne peut que remarquer l’éparpillement des différentes
figures du parquet.

LE MINISTERE PUBLIC ALLEMAND, UNE INSTITUTION AMBIVALENTE

L’ambivalence du ministère public (suites de l’emprunt napoléonien et des courants libéraux


postérieurs) perdure notamment dans la manière de désigner le ministère public. Il y a un lien
originaire entre le parquet et l’Etat (« la cavalerie de la justice »). Chargé de l’accusation, le
procureur est chargé de l’intérêt de l’Etat (pas d’impartialité contrairement aux juges).
Cependant la Cour constitutionnelle fédérale soutient qu’il n’est pas une partie au procès
pénal car il est soumis à un devoir d’objectivité. La loi dispose qu’il s’agit d’un organe
autonome de la justice. C’est une passerelle entre l’exécutif et le pouvoir judiciaire.
D’abord donc le procureur allemand est un « avocat de l’Etat », il sert en effet LE politique.
Sa dépendance et totale, il est amovible, et appartient à un corps très hiérarchisé. Il faut noter
cependant deux pyramides différentes entre l’Etat fédéral et les Etats fédérés, chacune étant
indépendante par rapport à l’autre (le ministre fédéral de la Justice ne donne aucun ordre aux
ministres de la Justice des Lander). En outre le ministère public sert LA politique, à travers
notamment les poursuites de l’action publique. C’est la légalité de ces dernières qui est le
principe en Allemagne, cependant l’explosion du contentieux pénal atténue fortement la
rigueur du principe, certains disent même que le principe de légalité n’aurait déjà plus de sens.

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Enfin, si chaque Land est indépendant vis-à-vis des autres et de l’Etat fédéral, une certaine
politique globale tend à poindre au travers des réunions des ministres des Lander entre eux,
plus trois réunions par an avec le responsable fédéral en la matière. Il reste tout de même une
grande disparité entre les différents parquets.
L’auteur se demande d’autre part, si le procureur allemand ne serait pas à certains égards un
juge. La question se pose tout d’abord de savoir s’il ne serait pas juge à la place du juge. Il est
le souverain de la mise en état, mais de facto c’est la police qui mène l’enquête, et le
procureur en contrôle seulement la responsabilité (n’est-ce pas un rôle propre au juge ?).
D’autre part ayant hérité des fonctions du juge d’instruction, il est amené à prendre des
décisions importantes eut égard les libertés fondamentales, n’est-ce pas là aussi le rôle d’un
juge du siège ? Enfin le développement de la troisième voie en matière pénale fait parfois du
parquet un juge avant le juge, même si en Allemagne, on estime qu’il n’y pas de sanction
pénale dans ces cas là, puisqu’il y a accord de l’intéressé.
Pour la Cour fédérale Allemande le ministère public et les tribunaux forment un tout
nécessaire à la réalisation de la Justice. L’auteur de l’article finit sur une question : comment
le parquet pourrait-il prétendre à l’indépendance et l’impartialité dès lors qu’il représente et
sert l’intérêt public ?

ANGLETERRE : UN AUTRE PARQUET ?

Traditionnellement la logique de cet Etat est accusatoire, et l’accusation est privée (pas
d’action au nom de la société). Donc pendant longtemps, il n’y a eu aucune centralisation
entre le déclenchement et les poursuites : la police recherchait les preuves, établissait
l’accusation et présentait l’individu au juge, de là, le relais était donné à un avocat,
indépendant (en droit) mais de fait fortement lié aux services de police, afin de soutenir
l’accusation. Ensuite fut créé, en 1985, le Crown Prosecution Service (CPS), l’accusation
devient publique du moins dans la phase post-policière, puisque ce service est indépendant de
la police. Si d’abord police et CPS se sont opposés, ils travaillent aujourd’hui ensemble
jusqu’à, d’après l’auteur, faire émerger un parquet à deux visages, une interface entre
l’exécutif (la police) et le judiciaire (juge de jugement). Pourtant ce CPS a des faiblesses
originelles et persistantes. C’est la police qui déclenche les poursuites en opportunité et le
CPS n’intervient qu’après cette décision si c’est vers lui que la police envoie l’affaire (ce qui
n’est pas forcément le cas même s’il y a poursuites). D’autre part les statuts du CPS ne
garantissent pas son indépendance, il y a une certaine responsabilité hiérarchique par rapport à

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l’exécutif mais contrebalancée par le contrôle des juges du siège (notamment la Court of
Appeal), qui peuvent sanctionner les décisions de poursuivre comme celles ne pas poursuivre.
C’est donc ensemble que la police et le CPS forment ce que l’auteur appelle un nouveau
parquet formé de deux institutions.
Si le CPS est créé à l’origine comme un conseil juridique pour assurer le suivi devant les
tribunaux, il voit aujourd’hui une extension progressive de ces prérogatives. Il a un rôle
nouveau en phase pré-sentencielle, et surtout il a attiré à lui l’orientation des affaires, qui ne
dépend plus aujourd’hui uniquement de la police. Le CPS devient même une sorte de contrôle
de celle-ci. Pour finir, il faut noter la diversification des poursuites. 25 % des poursuites sont
effectuées par des parquets spécialisés, qui gèrent dans leur domaine précis à la fois l’enquête
et les poursuites. Le système anglais est donc composé d’une figure duale du parquet
généraliste et de différents parquets spécialisés.

QUELS VISAGES POUR LE PARQUET EN FRANCE ?

Fondé historiquement sur le système inquisitoire, et sur le déclenchement des poursuites au


nom d’un intérêt supérieur, le parquet français tel que défini depuis 1958, est à mi-chemin
entre l’autorité judiciaire et le pouvoir exécutif. C’est seulement à partir les années 1980, que
ce statut hybride semble devenir un problème. Différentes lois modifient le CSM et favorisent
la transparence dans les instructions données par l’exécutif. Pourtant les contraintes
structurelles comme conjoncturelles (scandales politico-judicaires) entraînent une période de
désengagement de l’exécutif et une volonté de modification constitutionnelle. Ceci est
aujourd’hui abandonné pour un retour à l’interventionnisme et aux ambiguïtés.
Le parquet monte en puissance cela ne fait aucun doute, le principe d’opportunité des
poursuites multiplie les options, et transfert certains pouvoirs au ministère public au détriment
des magistrats du siège surtout pendant la phase préliminaire du procès. De plus, pour les
infractions de faible gravité, les alternatives aux poursuites sont de plus en plus fréquentes et
c’est le parquet qui en a la maîtrise presque totale (du déclenchement jusqu’à l’extinction pour
exécution de la peine). Enfin la tendance actuelle est de doter le parquet de plus en plus de
pouvoirs d’enquête performants et efficaces. Donc le parquet est partout, mais cette
augmentation de pouvoir a pour corollaire un plus grand contrôle.
Le statut hybride du parquet est porteur de contradictions. Il a un double visage : magistrature
(ENM), appartenance à l’autorité judiciaire, garantie des libertés individuelles, et
indépendance. Mais il est aussi le représentant de l’Etat, Etat qui contrôle, nomme, révoque…

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. Il y a donc une subordination verticale incontestable, doublée « d’influences horizontales »,
c’est dire celle des autorités administratives notamment (préfets, maires…). L’autonomie du
parquet est donc ici faible, c’est sans doute une des raisons de sa recherche d’émancipation
par rapport à l’institution judiciaire.
Le ministère public français est peu contrôlé par l’autorité judiciaire, notamment en matière
d’alternatives aux poursuites, où le juge ne fait qu’homologuer (ou pas) le travail du parquet
et ne statue aucunement sur la culpabilité. Cela pose un problème en matière d’impartialité de
l’autorité de jugement, normalement séparer de l’autorité de poursuite justement pour cette
raison. De plus, proche de l’exécutif par sa place accrue dans les politiques locales de
prévention et de sécurité, le parquet s’éloigne d’autant plus du judiciaire. Peut-on toujours
parler d’unité du corps judiciaire ? Pour l’auteur il faut nécessairement retrouver un principe
d’unicité, le retour à un seul visage du parquet que ce soit dans un sens ou l’autre pour
redonner du crédit au système français.

ASPECTS MODERNES DU MINISTERE PUBLIC HELLENIQUE : INDEPENDANCE ET


RESPONSABILITES POUR DES PROCUREURS OMNIPOTENTS

Depuis 1911, la constitution hellénique impose l’inamovibilité des procureurs et a créé le


CSM (pour les juges comme les procureurs). Mais durant tout le XXème siècle on constate
une grande différence entre la réalité et le statut théorique du parquet, même si la tendance
s’inverse depuis 1975, l’exécutif reste hostile à une trop grande indépendance.
Le principe constitutionnel d’indépendance personnelle et fonctionnelle est donc a relativisé.
Si l’inamovibilité est garantie, si les problèmes d’avancement ou de déplacement sont gérés
par le CSM, il ne reste pas moins de pression et d’ingérence de l’exécutif et une dépendance
au politique. D’un point de vue fonctionnel, l’indépendance consisterait à une liberté absolue
face aux ordres et instructions d’influence politique ou autre. Or en l’espèce, la dépendance
est externe (instructions du ministre de la Justice) et interne (structure pyramidale, avec
interférence possible dans le déclenchement des poursuites).
Pour autant le ministère public grec est omniprésent, il domine le procès pénal. Il est
responsable de l’exercice de l’action publique, il supervise l’enquête de police, dirige
l’instruction préliminaire et joue un rôle déterminant pendant la procédure devant la chambre
de l’instruction comme pendant la phase décisoire du procès. Le principe en Grèce est celui
de la légalité de poursuites, pourtant le problème de célérité du procès pénal entraîne plus en
plus l’utilisation du principe de l’opportunité. La conséquence en est un rôle accru du

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procureur, mais avec pour contrepartie le risque aggravé d’interventionnisme du
gouvernement.
L’auteur de cet article s’inquiète de l’intégrité perdue et du fait que le ministère public soit
une cible privilégiée pour les manœuvres de l’exécutif.

AU NOM DE L’INDEPENDANCE : LE MINISTERE PUBLIC EN ITALIE

Si on en croit le vaste démantèlement des systèmes de corruption dans les années 1990,
l’indépendance du modèle italien est claire. C’est au sortir de la Seconde Guerre mondiale,
comme réaction a un exécutif trop présent par le passé, que la Constitution de 1948 rompt
tous les liens entre les magistrats et l’exécutif. Le peu d’encadrement et la multiplication des
nouveaux pouvoirs (alternatives aux poursuites) du parquet font de lui un organe dynamique
et actif refusant toute volonté de l’Etat tendant à le museler.
Le principe en Italie est la légalité des poursuites, cependant comme ailleurs l’opportunité est
en pratique inévitable, même si officiellement toutes les infractions sont traitées. En outre le
développement des alternatives aux poursuites renforcent les pouvoirs du parquet, qui semble
attraire à lui des compétences du juge du siège.
Pourtant l’auteur souligne un danger, plus le ministère public est indépendant plus on lui
confie de pouvoir, est-ce pour autant qu’aucun contrôle du parquet ne doit être envisagé ? Il
répond que non, « pas plus que l’étendue du pouvoir ne favorise l’indépendance,
l’instauration d’un contrôle ne la remet en cause ». Même s’il n’y a pas de lien entre les
membres de chaque parquet ni entre les différents parquets, la volonté de plus en plus
affirmée de mettre en place une coordination globale laisse croire à un minimum de contrôle
hiérarchique. Par contre un contrôle effectif du juge existe-t-il ? L’auteur répond qu’il y a un
certain contrôle mais insatisfaisant parce qu’il se déroule finalement au sein d’un corps
unique, il s’apparenterait donc à un contrôle interne.
Il faut donc faire attention aux limites de ce système, « indépendance » ne doit pas vouloir
dire « absence d’encadrement ».

QUEL MODELE POUR UN MINISTERE EUROPEEN ?

Quel serait le contenu concret d’un ministère public européen et comment faire en sorte qu’il
soit compatible avec les systèmes des différents Etats membres ? Voilà la principale question
posée par cet article.

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Il faut d’abord constater que l’indépendance de ce parquet sera nécessairement ambiguë à la
fois par rapport aux autorités européennes mais également face aux autorités étatiques. Il y
aura forcément un lien avec le pouvoir politique notamment en matière de nomination, celle-
ci sera nécessairement politique (législative ou exécutive). Cela n’est pas obligatoirement
grave en soi, sauf qu’il n’y aura au niveau européen aucune définition préalable et
transparente de la politique criminelle, ce qui laisse un champ d’action au pouvoir politique
d’autant plus grand. De plus, aucune responsabilité politique n’est envisagée, l’auteur pense
que l’indépendance en de telles circonstances risque fort de dépendre des personnalités en
place. Il propose donc soit de consolider l’indépendance (supprimer les nominations
politiques), soit d’expliciter la dépendance (système transparent avec établissement des
politiques criminelles au préalable). Dans ces relations avec le pouvoir judiciaire le parquet
européen risque de ne pas trouver d’équilibre. Il a une unité en son sein (indivisibilité,
hiérarchie..), mais la décentralisation est totale en la matière, il n’y a pas de véritable corps
judiciaire au sein de l’UE. Le parquet devra s’adresser aux autorités judiciaires étatiques tant
pour le contrôle juridictionnel de ses actes que pour le jugement au fond des affaires relevant
de sa compétence. Mais cette décentralisation va déséquilibrer les forces, et rendre plus
difficile le contre balancement des influences politiques. Pourtant, cette ambiguïté est
endémique et due à l’originalité même de la construction européenne.
Ceci n’est sans doute pas si grave dans la mesure où le ministère public européen a une action
nécessairement circonscrite. Il s’agit d’une compétence d’attribution, limitée aux intérêts
financiers de l’UE. C’est le modèle le plus restreint, mais il pourra peut-être s’enrichir à
l’avenir. Enfin, l’utilisation du principe de légalité (judicieux face à une indépendance
douteuse) est tempérée par diverses exceptions.
Finalement cet équilibre entre indépendance imparfaite et action limitée paraît être le seul
moyen d’éviter que l’institution du ministère public européen, conçu pour unifier les phases
procédurales encore fortement différenciées, finisse par multiplier tous les malaises nationaux.

SECONDE PARTIE : FIGURES DU PARQUET HORS DE L’UNION EUROPENNE

LE MINISTERE PUBLIC ROUMAIN : EVOLUTION ET CONTROVERSES

Par Romana Panait, Procureur près le Tribunal de Bucarest et doctorante en droit comparé à
l’Université Paris I.

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Dans ce chapitre, Mme Panait décrit l’évolution qu’a connu le parquet roumain depuis la
Procurantura, organe hérité de l’ère soviétique, jusqu’à la réforme de juillet 2005. La
problématique de sa contribution, comme celle du chapitre suivant consacré à l’actuelle
Prokurantura russe, est celle de l’indépendance du ministère public de son pays, et de son rôle
lors des différentes phases de son action.

Dans son introduction, elle décrit l’ancêtre du ministère public roumain comme un organe
fortement dépendant du pouvoir politique (le parti communiste) remplissant la double
fonction de contrôleur du respect de la légalité au sein des administrations et des institutions
judiciaires de la Roumanie, et de parquet au sens où il est entendu dans les démocraties
d’Europe occidentales. La Constitution roumaine de 1991 à marqué le retour à l’appellation et
aux attributions classique du Ministère public.

La première partie de son exposé se concentre sur l’influence de l’intégration européenne


dans le mouvement de modernisation du parquet roumain.
La réforme de 2004 sur l’organisation judiciaire, transposant en droit interne les exigences de
l’UE, a commencé d’ imposer le principe d’indépendance du parquet vis-à-vis du Ministre de
la justice, qui ne dispose plus du pouvoir de donner des instructions aux procureurs. Il reste
cependant responsable de la politique pénale et à ce titre, oriente et contrôle l’efficacité de
l’action des procureurs. Paradoxalement, la réforme de juillet 2005 a aussi marqué un certain
recul : Le Procureur Général est désormais nommé par la Haute cour de Cassation et de
justice sur proposition du Président de la République. Les procureurs sont quant à eux recrutés
par le Conseil supérieur de la magistrature. Mais d’un autre côté, elle a introduit
l’indépendance hiérarchique des procureurs tant au niveau de leur statut que des solutions
qu’ils adoptent. Les procureurs disposent de recours juridictionnels contre l’immixtion de
leurs supérieurs dans leurs décisions. Mme Panait fait remarquer qu’il est trop tôt pour
mesurer l’impact pratique de ces réformes.

La seconde partie de l’analyse de Mme Panait s’attache plus particulièrement à l’évolution


des pouvoirs du parquet. Elle fait la description d’un parquet traditionnellement fort, qui
décide de la répartition des affaires (renvoi devant la Cour ou règlement par le parquet lui-
même), qui instruit et décide de la suite à donner à chaque dossier (classement sans suite ou
renvoi), puis poursuit. Cependant elle note que le pouvoir de décision en matière

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d’opportunité des poursuites est tempéré par la fixation limitative par la Loi des cas de
classement sans suite. En principe, le procureur roumain a, nous dit-elle, l’obligation légale de
poursuivre, même si la pratique connaît le classement de fait. La réforme de juillet 2003
instaura le contrôle des magistrats du siège sur certains actes du parquet en matière de
mesures attentatoires aux libertés de la personne. Ainsi le procureur, qui disposait du pouvoir
d’arrestation, doit il désormais en faire la proposition au Juge du fond qui tranche dans un
délais de 24h. Il en est de même s’agissant des perquisition. Si les progrès connu par le
Ministère public roumain sont indéniables et le place sur certains point en avance sur les
démocraties de l’ouest, le dernier point évoqué place les procureurs dans un certain embarras
pratique et les conséquences sur le terrain restent à observer, conclut Mme Panait.

LA PROKURATURA DE RUSSIE : ENTRE STAGNATION ET EVOLUTION

Comme l’évoquait Mme Panait, la Prokurantura (qu’elle fut roumaine ou qu’elle soit russe)
est un organe marqué avant tout par sa dualité de pouvoirs : à la fois ministère public et
gardienne de la légalité. En introduction, Mme Marie-Schwartzenberg retrace son histoire et
fait remonter son origine à une institution de 1722 : « l’œil du tsar », chargée du contrôle de la
légalité des actes des administrations de l’époque, contres lesquels elle émettait des
« protestations » lorsqu’ils se trouvaient entachés d’illégalité. Elle évoque le rôle de cette
institution au cours des années 1930 et s. dans l’organisation de procès politiques sommaires
et truqués, à travers la figure du terrible procureur André Vichinsky, dit « le procureur de
Staline ». Cette institution a très peu évolué malgré les changements de régime, écrit-elle.

Aussi commence-t-elle par étudier sa stagnation lors de la perestroïka. Organe indépendant en


apparence, puisque selon la Constitution il ne relève d’aucun ministère et fonctionne en
« autarcie », il est caractérisé par une organisation pyramidale fortement hiérarchisée. A sa
tête, le procureur général, nommé sur proposition du Président, est un des hommes les plus
puissants du pays, son administration étant la maîtresse d’œuvre de la procédure, de la mise
en mouvement de l’action publique jusqu’au jugement. S’agissant du statut de ses agents,
Mme Marie-Schwartzenberg précise qu’ils sont des fonctionnaires et non des magistrats,
soumis cependant à des conditions de recrutement strictes, et à certaines incompatibilités
(Interdiction de prendre part à toute forme de mouvement à caractère politique entre-autres) et
qui, hors-mis le procureur général, sont nommés par leurs supérieurs hiérarchiques.

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Dans la seconde partie de sa contribution, Mme Marie-Schwartzenberg s’attache plus
particulièrement à décrire l’enchevêtrement des pouvoirs dévolus aux procureurs lors de la
procédure, et le glissement de certains de ces pouvoirs au profit du Juge opéré par le nouveau
code de procédure pénale. Tenu par un principe de légalité entendu strictement, le procureur
est dans l’obligation de poursuivre tous faits délictueux portés à sa connaissance. Il dirige
l’information judiciaire, qu’elle prenne la forme d’une instruction ou d’une enquête. L’auteur
précise que les différences entre ces deux modes d’information, relatifs à des infractions de
gravité différentes, sont pour le moins réduites. Elle ajoute que dans certains cas
limitativement prévus par le code, la constitution de partie civile permet la mise en
mouvement de l’action publique par la victime (Infractions à caractère sexuel notamment). Si
la prokuratura dispose de ses propres services d’instruction, c’est le code qui répartit
l’instruction des affaires entre ses services, ceux du ministère de l’intérieur et ceux du FSB
(ex KGB). Le procureur doit valider chaque acte de cette phase. La grande avancée opérée par
le nouveau code, écrit Mme Marie-Schwartzenberg, réside dans la nécessité de l’assentiment
du Juge s’agissant des actes attentatoires aux droits et libertés de la personne. Par ailleurs, le
code a étendu les compétences du procureurs en matière d’infractions commises par des
personnalités titulaires d’immunités. Il lui donne aussi plus de latitude pour décider de
l’opportunité de poursuivre, en ouvrant le champ de la transaction pénale. Enfin au cours de
l’audience, il reste pleinement investit du rôle d’accusateur public.

Enfin Mme Marie-Schwartzenberg nous brosse le tableau de l’évolution du rôle, tout à fait
original pour nous, de gardien de la légalité tenu par la prokurantura. Historiquement au
premier plan des fonctions de cet organe, cette mission est exercée différemment au cours de
la phase préliminaire et de la phase de jugement.
Lors de la phase préliminaire, il appartient au procureur de veiller au respect de la Loi
fédérale par les services chargés de l’enquête ou de l’instruction. Pour ce faire il dispose de
pouvoirs de dessaisissement des agents, de prolongation ou encore de clôture de l’enquête.
Les décisions des services de poursuite en matière de mise en mouvement de l’action
publique, ou de mesures attentatoires aux libertés et droits de la personne sont susceptibles de
recours par les intéressés.
Au cours de la phase de jugement, le procureur dispose de deux moyens d’action pour faire
respecter la légalité : les protestations qui sanctionnent une violation déterminée, et les
représentations qui sanctionnent une série de violations de la loi. La protestation fait l’objet
d’un examen par le tribunal hiérarchiquement supérieur à celui qui a émis l’acte entaché

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d’illégalité sous dix jours, ce délais pouvant être réduit par le procureur en cas d’urgence. Les
représentations ont un effet suspensif de la mesure litigieuse. Le procureur dispose d’un droit
de communication de tous dossiers, à n’importe quel stade de la phase de jugement (Même
après jugement), de visite des lieux de détention et d’exécution des peines. Son contrôle
s’étend aux mesures individuelles prises par ces établissements contre les personnes dont ils
ont la garde.
Mme Marie-Schwartzenberg souligne la division de la doctrine s’agissant de l’appréciation de
cette double compétence, entre reconnaissance de ce rôle de gardien de la légalité et de
défense des libertés individuelles et constatation de l’incompatibilité de cette fonction avec la
fonction juridictionnelle.

LE MINISTERE PUBLIC TURC ENTRE EVOLUTION ET REVOLUTION

Dans l’introduction historique de sa contribution, Mme Ciniç, précise que la première


mention d’un parquet dans l’histoire des institutions turques remonte à la Constitution de
1876. Le code de procédure pénale turc fut maintes fois modifié jusqu’à la dernière réforme
datant du 1er avril 2005. Le ministère public turc est composé de fonctionnaires dont les actes
d’enquête et d’instruction, lorsqu’ils sont susceptibles d’être attentatoires aux libertés
individuelles, doivent recueillir l’assentiment d’un magistrat. Mme Ciniç souligne que si la
théorie veut que le ministère public turc soit l’autorité principale lors de la phase de poursuite,
la pratique voit son rôle limité à la collecte de preuves et d’éléments dont l’appréciation est le
plus souvent laissée à la juridiction du fond. Elle attire notre attention sur les conséquences de
la faiblesse du ministère public qui peut conduire à emporter des individus finalement
reconnus innocents dans une procédure longue et au cours de laquelle leurs libertés
connaissent de graves atteintes. La soumission du gouvernement aux critères de l’UE a
conduit à la réforme de 2005, qui marque notamment l’indépendance du ministère public vis-
à-vis du ministre de la justice en matière d’ouverture des poursuites.
La première partie du développement de Mme Ciniç est consacré à l’évolution vers une
indépendance politique des procureurs. Initiée par le nouveau code de procédure pénale cette
évolution a conduit à rendre conforme l’institution aux exigences des Nations Unies en
supprimant le pouvoir du Ministre de la justice d’ordonner l’ouverture des poursuites.
Cependant la double nature judiciaire et administrative des fonctions du ministère public turc
subsiste ; il est en effet à la fois chargé de la poursuite des infractions, du déclenchement de
l’action publique et de l’exécution des jugements et de l’administration des tribunaux et des

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prisons. De plus le Conseil supérieur des juges et des procureurs, organe devant lequel les
procureurs peuvent voir leur responsabilité engagée, et dont les décisions sont insusceptibles
de recours, est lié à plusieurs égards au pouvoir politique constate Mme Ciniç. Il se réunit
dans les locaux du ministère de la justice, qui règle aussi son budget ; ses membres, outre le
ministre de la justice lui-même, sont nommés par le Président de la République. Autant de
caractères qui mettent à mal l’indépendance des procureurs fait remarquer l’auteur. Elle
rappelle à ce titre les conclusions du rapport de la Commission européenne sur
l’administration de la justice en Turquie.

En second lieu, Mme Ciniç envisage les progrès effectués comme une incitation à une
réforme efficace. Elle brosse le tableau d’un ministère public qui, au cours de la phase de
poursuite, (et ce contrairement au rôle qui lui est dévolu dans les textes) s’efface derrière des
services de police dont les agents ne sont que peu formés aux procédures judiciaires, et rend
des réquisitoires incomplets laissant aux juges le soin de les compléter par les actes
nécessaires et ralentissant de fait la procédure criminelle. De façon à limiter ces
manquements, le nouveau code de procédure pénale a instauré un mécanisme de renvoi des
réquisitoires par le juge au procureur lorsque ceux-ci ne comportent pas les éléments
essentiels prévus par les textes ( Identité du prévenu, de la victime et de leurs avocats
respectifs, nature, date et lieu de commission des faits, incrimination, date de la plainte,
preuves, éventuellement lieu de détention du prévenu et identité de la personne qui a dénoncé
l’infraction). Au niveau de l’instruction, la réforme a instauré un service de police judiciaire
qui s’il demeure subordonné au ministère de l’intérieur puisqu’il fait partie de la police
générale, l’est désormais aussi au procureur s’agissant de ses activités judiciaires. S’agissant
de l’obtention d’aveux par la contrainte physique, l’auteur vise expressément les cas de
torture policière, l’interdiction de prendre en compte ce type de preuves insérée dans le code
en 1992 a connu une consécration constitutionnelle (Article 38 de la Constitution) en 2001
précise-t-elle. Si elle félicite l’avancée réalisée par ces réformes, Mme Ciniç appuie sur la
nécessaire intégration dans la conscience collective de la démocratie et de l’indépendance de
la justice pour qu’elle soit pleinement concrétisée.

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LE PARQUET BRESILIEN ENTRE SENS ET CONTRESENS

Dans les premières phrases de son introduction, Mme De Melo-Fournier expose un paradoxe
dans l’évolution historique du parquet brésilien : Son véritable développement à commencé
avec la chute de la dictature militaire. En effet, le nouveau statut qui lui a été conféré par la
Constitution de 1988, écrit-elle en a fait non-seulement un organe de poursuite mais aussi le
gardien des acquis démocratiques. Chargé de la défense de l’ordre public, du régime
démocratique, des intérêts collectifs et individuels indisponibles, il est conçu comme un
organe fonctionnellement indépendant et autonome sur le plan administratif (art.127, caput
et § 2° Constitution Fédérale). Il a le monopole de l’action pénale publique, l’initiative de
procédures alternatives à la procédure pénale, mais est aussi chargé du contrôle externe de la
police judiciaire. Elle rappelle aussi l’organisation fédérale du Brésil, qui, portée au niveau du
ministère public justifie qu’il existe un parquet fédéral, celui de la République et un parquet
par Etat.
La première partie de sa contribution consiste en une étude de la montée en puissance
institutionnelle du parquet. En s’attachant tout d’abord à l’indépendance fonctionnelle de
l’institution, Mme De Melo-Fournier en divise l’analyse selon ses effets internes et externes.
Au plan interne, cette indépendance est marquée par l’absence totale de lien hiérarchique
entre les procureurs de la République et leurs procureurs généraux respectifs. N’étant tenus
par aucune instruction, les procureurs sont en contre-partie soumis à l’obligation de motiver
de façon claire, suffisante et précise chacune de leurs décisions. Mme De Melo-Fournier met
en relation cette indépendance avec la taille du pays et les différences considérables qui
règnent entre ses Etats. Elle pointe là un risque de discontinuité et de manque de clarté dans
l’action du parquet. A ce titre, il appartient au procureur général de la République et aux
procureurs généraux des Etats de développer des stratégies internes pour répondre aux
différents défis auxquels ils ont à faire face tout en maintenant la nécessaire continuité.
D’autre part, il appartient aux procureurs de la République de trancher les conflits de
compétence entre les membres du parquet et d’élaborer des recommandations sans caractère
normatif (item X et XII de l’art. 10 Loi N° 8625/93). En cas de contestation d’un décision de
classement sans suite par un juge qui refuserai de l’homologuer (art.28 CPP), c’est encore à
eux qu’il appartient de trancher en dernier lieu. Sur le plan externe, affirme Mme De Melo-
Fournier, l’indépendance du parquet vis-à-vis des trois pouvoirs est incontestable : aucun n’a
compétence pour donner quelque ordre ou instruction au parquet quant à son action.

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S’agissant de l’autonomie administrative du parquet, Mme De Melo-Fournier tient à nuancer
l’application de ce principe. Si en effet le parquet brésilien élabore son propre budget
(art.127,§3° CF) et organise sa propre structure(art.127,§2° CF), la mise en œuvre de cette
autonomie pose quelques questions. Si le rapport avec le pouvoir judiciaire ne pose pas
problème (statut équivalent des juges et des procureurs, Lois d’organisation différentes), il
n’en demeure pas moins que la proposition de Loi que peut déposer le parquet quant à une
éventuelle modification de sa structure n’oblige en rien les assemblées quant au texte
finalement retenu. D’autre part, le procureur général de la République est nommé sur
proposition du Président de la République validée par le Sénat à la majorité des 2/3, ceux des
Etats étant choisis par les Présidents des Etats parmi une liste de trois élus par leurs pairs.

La seconde partie de l’analyse de Mme De Melo-Fournier est centrée sur les enjeux de la
montée en puissance fonctionnelle du parquet. La fonction première du parquet brésilien est
l’exercice du monopole des poursuites. Il peut seul décider de poursuivre, de réaliser de
nouvelles diligences nécessaires à la poursuite, décider du classement sans suite. Cependant
les décisions de classement et les actes d’accusations sont soumis au contrôle du juge, lui-
même susceptible de recours. Mme De Melo-Fournier s’attache à mettre en relief les tensions
qu’ont généré le caractère monopolistique de l’action publique. En effet, le parquet brésilien a
pu ordonner des investigations dans des affaires où la police ne pouvait, ou n’avait pas intérêt
à les diligenter, que ce soit en raison d’un manque de moyens techniques, ou du caractère
politique des personnes impliquées. Ainsi les syndicats de police ont-ils formé une « action
directe d’inconstitutionnalité » contre ces investigations effectuées directement par le parquet.
Le fondement de cette action résidant dans le transfert de compétence réalisé au profit du
parquet et au détriment de la police judiciaire. Mme De Melo-Fournier soutient quant à elle la
thèse selon laquelle le pouvoir d’enquête du ministère public serait le corollaire nécessaire au
monopole de l’exercice de l’action publique. Elle s’appuie sur l’art.46,§1°CPP qui stipule que
le parquet n’est pas conditionné par l’existence d’une enquête de police pour former un acte
d’accusation, sur le fait que son pouvoir d’enquête est soumis au contrôle du juge (art. 5°,LXI
CF) et sur son pouvoir d’ordonner de convoquer les personnes et d’ordonner la
communication de documents dans les procédures administratives de sa compétence
(art.129,IV CF et art. 27 Loi N° 8625/93). Ensuite elle examine les tensions avec l’autorité
judiciaire générées par la mise en œuvre des alternatives aux poursuites. C’est la Loi
N°9099/98 qui a inclut ces procédures dans l’ordre juridique du Brésil. Elles sont au nombre
de deux, la « négociation pénale » appliquée aux infractions e moindre gravité (peine

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inférieure ou égale à deux ans de prison) et la « suspension conditionnelle de la procédure »,
réservée aux infractions punies d’une année d’emprisonnement maximum. La première
consiste en une proposition de peine du procureur à l’accusé et intervient lorsque les parties
ne se sont entendu sur un accord quant aux réparations pécuniaires des dommages. En cas
d’acceptation, la proposition doit être homologuée par le juge et emporte suppression de la
phase d’instruction. La seconde est déposée par le procureur dans l’acte d’accusation. Elle
consiste en une période « d’essais » au cours de laquelle l’accusé sera soumis à des conditions
fixées par le procureur, à l’extinction de laquelle (s’il n’a point contrevenu aux obligations ni
commis d’autres infractions) celui-ci verra l’extinction de l’imputabilité des faits déclarée par
le juge. Ces procédures ont soulevé des protestations en ce qu’elles retirent au juge la
prérogative de dire la sanction écrit Mme De Melo-Fournier, qui minimise l’importance de cet
argument. Cependant le parquet a seul la possibilité d’initier ces procédures et le juge qui
souhaiterai les voire appliquer alors même qu’elles n’auraient point été proposées par le
parquet ne dispose que d’un recours devant le procureur général, qui peut alors en dernier
recours dessaisir le procureur en charge du dossier au profit d’un de ses confrères. Au sens de
l’auteur, les tentions nées de la mise en place de ces nouvelles procédures tirent
principalement leur origine d’un sentiment de corporatisme de la part des juges et des
policiers. Elle se félicite des acquis forts du ministère public brésilien, mais au vu du contexte
politique (implication de responsables politiques dans de nombreuses affaires) et tentative de
« baillonner » le parquet, s’interroge sur leur maintien.

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