' Cet ouvrage se ra désigné p a r 1’a b rév iatio n Slov. star., suivie de l’indication
du tom e, en chiffres rom ains, e t de celle de la page, en chiffres arabes.
8 II en p araissait six ans plus ta r d une trad u ctio n a lle m a n d e : P aul Joseph
Schafariks Slauiische A lterthum er, deutsch von Mosig von A ehrenfeld, Bd. I—II,
Leipzig, 1843—1844.
AVANT-PKOPOS VII
N ota bene. — Le system e de tran scrip tio n qui a did ad opt 6 ici est celui
d ont les slavistes font g endralem ent u sa g e ; il em prunte au x alphabets latin s du
tchdque, du polonais et du cro ate leu rs signes diacritiques p a rtic u lie rs: 6 ( = id),
£ ( = tch), i ( = ch), z ( = j), r ( = rj), t ( = 1 dur polo n ais); le signe ' accom -
p agnant un e consonne en indique le c aractere raouilld; u et i reprdsentent
respectivem ent le s je r s d u r et m ou du vieux slave. Toutefois la p lu p art des ddnomi-
nations ethniques ont dte p urem ent et sim plem ent « francisees » p o u r la com m odite
du lecteur franqais, a in s i: Drevlianes, V ia titc h e O b o d rite s , Luticiens, etc.
P R E M IE R E P A R T IE
Chapitre I.
sans que l’on sache ni d’ou il vient, ni quelles sont ses attaches. Un
seul temoignage feelaire, en apparence, ces tfenebres: e’est le passage
bien connu de la Chronique dite de Nestor, ecrite au XIIe siecle sous
la forme conservee a Kiev; ce passage peut etre considcre comme une
sorte d’acte de bapteme de la nation slave.
Au commencement de cette chronique, dont la premiere partie,
prfecfedfee de la rubrique «Ici sont les 16gendes des temps anciens », date
au moins du siecle antferieur, on trouve une relation legendaire assez
d6taillee de la dispersion des peuples qui avaient tente jadis de cous-
truire la Tour de Babel au pays de Sennaar1. Cette relation est em-
prnntfee aux chroniques byzantines des VIe-IXe siecles (Chronique dite
«Paschale», Chroniques de Malalas et d’Hamartolos); mais, dans les
passages correspondants, aucune mention n’y est faite des Slaves. Cette
lacune a visiblement touch6 le chroniqueur slave, v6nerable moine du
Monastere de la « Laure des grottes » (Pectrskaja Lavra). II a voulu
la combler en classant sa nation parmi celles qui, selon la tradition, out
peup!6 l’Europe, et c’est pourquoi il a, sous forme de note explicative,
ajoutfe le nom de Slave a celui d’lllyriens: Iljurik-Slovene2. Par cette
adjonction il a fait apparaitre les Slaves dans l’histoire sans alterer le
nombre traditionnel des 72 peuples. C’est dans ce passage que, pour
la premiere fois, les Illyriens sont declares parents des Slaves; et, des
lors, cette assertion restera, pour longtemps, comme a la base de leur
histoire: les Slaves ont immigrfe du pays de Sennaar en Europe et ont
occupe d’abord la presqu’ile balkanique. C’est la, dans le pays des
Illyriens, des Thraces et dans la Pannonie, sur les rives du Danube,
qu'il faut chercher leur berceau, leur patrie premiere en Europe. C’est
de la que, plus tard, les diverses tribus slaves dont l’ancienne unite
s’fetait dissoute, sont parties pour gagner leurs habitats de l’6poque
historique, entre le Danube, la mer Baltique et le Dnieper.
C’est cette thfeorie qui a d’abord et6 adoptee par toute l’historio-
graphie slave, et surtout pax les anciennes ecoles polonaise et tcheque
(Kadlubek, Boguphal, Mierzwa, Chronica Polonorum, Chronica principum
Schaft mit den Lithauern. Also muss man sie hinter diesen suchen, am
oder hinter dem Dneper s>. ’
Quelques historiens, meme avant Dobrovský, avaient déja adopté
la meme maniere de voir. Apres lui, ce fut Šafařík qui renversa toutes
les idées admises antérieurement en publiant, en tcheque, ses Antiquités
slaves. Lui meme, il est vrai, dans ses premiers travaux était resté
sous Pinfluence des anciennes theories.2 Mais dans les Antiquités, parues
en 1837, il les rejetait, a quelques exceptions pres, comme fausses; et
il fondait son (EUvre sur une prudente analyse des faits historiques.
Cette eeuvre, ä ce titre, reste toujours l’ceuvre fondamentale et indis
pensable, et cela bien que la question de l’origine des Slaves n’v soit
pas élucídée: la tache dépassait ce que pouvait l’analyse historique la
plus stricte.
amsi que nous pouvons en juger par quelques concordances que l’on
observe entre le slave et l’allemand.
Au commencement du IIe millenaire avant Jesus-Christ, toutes les
Ungues indo-europeennes semblent etre achevfees et distinctes, car c’est
au Cours de ce millenaire que nous voyons certains peuples aryens
aPparaitre sur le sol d’Europe et d’Asie comme des unitfe d6terminees.
es futurs Lituaniens seuls restaieut encore unis aux Protoslaves. Ce
People slavo-lituanien offre jusqu’ici, en dehors de l’indo-iranien, 1’unique
exemple de l’unite pr£historique de deux peuples aryens1; il avait et
toujours pour voisins les Germains et les Gaulois d’un cote, les
braces et les Iraniens de l’autre.
Apres la separation des Lituaniens d’avec les Slaves, separation
hoi dut se produire au cours du IIe ou du Ier millenaire, les Slaves
Se trouvdrent former un peuple unique avec une langue commune,
huoiqo'accusant deja de l§geres differences dialectales, et ils se main-
dnreut ainsi jusque vers le debut de notre ere. C’est au cours du premier
pollenaiie apres J.-C. que leur unite commenqa a se briser, developpant
es Rogues nouvelles (bien que tres proches encore les unes des autres)2
® des nations slaves nouvelles. Telles sont les notions que suggere la
SOistique; telle est la reponse qu’elle donne a la question de l’origine
des Slaves.
. ' On a jadis suppose une u n ite slavo-germ anique (Schleicher Pick) e t une
unite slavo-iranienne- ce so n t des h ypotheses aujourd’h u i a b a n d o n e e s . M MeiUet,
7 ^ autrefois F. M iklosich, P. B radke e t A. Pogodin, rejette m em e 1 u n ite balto-
slave (Introduction a I’etude compart,c des langues indo-europcennes, 5* ed„ 1922, p. 48 ;
U t E le c te e indo-europdens, 1908, p. 48, et Avant-propos de la rezm pressw n de
ouvrage, 1922, pp. 10-11). Mais son opinion a ete vivem ent com battue p a
les savant slaves, su rto u t p a r A. B ruckner (K uhns Zeitschrzft, 46 1914, p. 217),
v - Porzeziiiski, J. E ndzelin e t J. Rozw adow ski (.Rocznik sla m styczn y, IV, V).
2 L a m ission d’iv an g elisatio n des apo tres C yrille et M ithode, n es A Salonique,
n 'a pu etre co u ro n n ie de succes en M oravie que parce que le u r p a rle r de la Mace
doine m dridionale y Plait enten d u san s difficulte.
8 l ’u n i t b p r o t o s l a v e
1 Om form en a f nordb. cranier, 1842; cf. M ullers A rch iv fü r A natom ie, 1845,
p. 97, et 1858, p. 105.
OBIGINE DE LA NATION SLAVE 9
habitat aux confins des deux grandes races mentionnées, ils avaient
subi l’immixtion do l’une et de I’autre et, de ce fait, n’etaient ni purs
ni uns au point de vue somatologique; les premieres relations historiques,
comme les tombeaux anciens, témoignent également de ce défaut ďunité.
P ar lá s’explique aussi le grand changement qui s’est produit pendant
le dernier millcnaire. Sans doute les details du probléme sont-ils encore
á détermíner, mais la solution, j’en suis sur, ne s’en trouve pas tant
dans l’influence du milieu que dans le croisement et dans Ie struggle
for life des principaux éléments en présence, e’est-a-dire de la race
blonde dolichocéphale du nord et de la race brune bracliycéphale du
centre de l’Europe. C’est la premiere qui, il у a 1000 ans, prédominait
chez les Slaves; aujourd’hui, elle se trouve déjá en majeure partie
absorbée par l’autre qui est douée d’une plus grande vitalitě.
bassins fluviaux s’est trouvé leur premier habitat et quelles ont été
leurs frontiěres, ce sont la autant de questions qui intéressent entre
toutes l’historien de 1’antiquité slave et ont d’autant plus d’importance
pour lui que de leur solution dépendent et sa conception des débuts
mémes des Slaves dans l’histoire et sa représentation de leur culture
primitive. Or ce premier habitat est situé de fatjon assez variable suivant
les divers savants, et cela sans que l’accord se fasse méme entre les
plus éminents.
Tandis que M. Peisker, historien sociologue, place ce premier
habitat dans les rnarais de Rokytno (dans le bassin du Pripet), aux-
quels M. Rostafiňski ajoute encore une zone assez large et fertile au
sud et á l’est, l’historien russe V. Ključevskij le cherche sur le Danube,
et l’archéologue tchěque M. Pic, qui, d’abord, le platjait aussi sur le
Danube et Hongrie, le fixe, ďaprěs ses derniers travaux, dans l’Alle-
magne orientale, entre l’Elbe et la Vistule, et enfin deux Rnguist.es
slaves éminents, MM. Rozwadowski et ňaehmatov le trouvent plus
loin vers le nord, dans le bassin de la Dvina, jusqu’au lac d’llm en1.
Encore ne fais-je pas mention ici des différentes théories dites ♦autoch-
tonistes», qui cherchent les Protoslaves dans toute l'Europ ) centrále,
á l’est du Rhone et du Rhin: elles manquent complctement de fonde-
ments scientifiques, mais ne s’en sont pas moins maintenues jusqu’a
ces derniěres années.
mais ebe a été pourtant soutenue au cours du siecle dernier par des savants
jG*S ,? Ue Bielowski, M. Pogodin, Fr. Rački, M. Drinov, Iv. Filevič,
^ í íč, Dm Samokvasov et V. Kljuěevskij; elle trouve encore aujourďhui
faut ^artlSanS en Sar('era dans Bavenir, et c’est pourquoi il nous
, 3eter un coup d’(BÍl sur les arguments principaux dont elle
autorise, afin de les comparer avec ceux qui militent en faveur de
habitat septentrional.
L argument principal a toujours été fourni par le témoignage de
ancjenne Chronique de Kiev, qu’on peut appeler comme 1’acte de
naissance de la nation slave. On le trouve au commencement de la
uonique dans un chapitre intitulé «lei sont les légendes des temps
anejens; comment s’est formé la territoire russe et qui régna le premier
chapitre éerit au XIe siecle, en partie méme au X el, par un
nale^6 monastcre de la Pečerskaja Lavra, ďaprěs les anciennes an-
rcligieuses et les chroniqueurs byzantins2. Le texte est le suivant:
«Aprěs bien des années 3, les Slaves s’établirent sur le Danube, la
q u e T aU]0Urd’bui le pays des Hongrois et des Bulgares. C’est de la
6S ^ aves se sont répandus sur la terre, et ils ont pris des noms
il a mesure qu’ils se sont établis dans différents pays: ainsi
^ crent s’établir sur une riviěre appelée Morava et s’appelerent
°raies, et d’autres s’appelerent Tchéques. Sont encore slaves les
che^08 ^ ancs’ ^es Serb es, les Khoroutanes. Les Ylakhs étant venus
ez les Slaves du Danube, s’étant établis au milieu ďeux et les ayant
LekhÍrn^S’ CeS ^ aves al,orent s’etablir sur la Yistule et s’appelerent
s>et parmi ceux-ci les uns s’appelerent Polianes, ďautres Loutitclies,
s res ^lazoviens, ďautres Pomoriens. — Et ces Slaves, s’étant fixés ,
s du Dniéper, s’appelerent aussi Polianes et ďautres Drévlianes, parce
et 1S ^ab't:dent au milieu des bois: ďautres s’établirent entre la Pripet
a Dvina et s’appelorent Drégovitches, ďautres s’établirent sur la
Vlna et s’appelerent Polotchanes, du nom ďune petite riviěre appelée
la 1ui se jette dans la Dvina. Les Slaves qui s’établirent autour du
Ilmen garděrent leur nom, bátirent une ville et 1’appelerent Novgorod,
d autres, s’étant établis sur la Desna, sur la Sem et sur la Sula,
' Ca rédaction de la Chronique qui nous est parv en u e d ate du com m ence
m ent du Xtle siěcle
* Voir plus h aut, p. 2.
A d ater de la dispersion des peuples de la to u r de Babel.
16 L ’ UNITE PROTOSLAVE
1 Voir Chronique dite de Nestor, trad u ctio n Louis Leger (P aris, lSS-f), p. 4.
8 T raduction de Louis Leger (op. cit., p. 21).
3 C hronique de Boguphaf (Monumenta Poloniae historica, II, p. 468) et Chronique
de Diugosz (H istoria polonica, I, initio).
4 C’est a l’eveque Boguphaf, de Cracovie, que rem o n ten t ces re c its (loc. cit.).
LE PREMIER HABITAT DES SLAVES 17
cornrne une tradition vraie, comme un souvenir réel des lieux habités
par les ancetres, emprunté par le chroniqueur ä des récits popu-
•res. 11 n’est pas jusqu’ä Šafařík lui-шёгае qui n’ait consacré tout un
P1 re de ses Antiquités ä démontrer la véracitó de cette tradition.
Le témoignage de la Chronique n’est malheureusement ni authen-
ni réel. II est qu’un spéeimen de plus du tissu d’iinaginations
Drb' ^ es Par 1° chroniqueur sur le départ des Slaves de la tour de
i sur les routes qu’ils ont suivies ä travers l’Asie Mineure jusqu’ä
Presqu Hg balkanique, devenue leur premiere résidence, leur premiere
Sla еП ®uroPe' Le la l’identification des anciens Illyriens et des
de f S ^Ue nous trouvons dans la meme chronique; de lä aussi 1'idée
Ur Premier habitat sur le Danube moyen, ou se trouvait au
S1ecle la terre des Bulgares et des Hongrois.
fond, Et *es assertions du chroniqueur russe ne sont meme pas
6e® SUr la tradition populaire: ce ne sont que des fictions qu’il a
qui eS’ 8 ^ ne 'es a lui-meme créóes, ou bien reques d’un autre,
(.je la'1 aUrai^ ^ é le créatcur. С’est ce qui ressort — non pas seulement
bi bp CüIlception générale du chroniqueur, de son point de départ tout
savcT eertaines autres relations auxquelles nous devons de
que le clergé vougoslave avait imagine differentes legendes
eneo ГаП^ ^antiquite des Slaves dans le royaume de Croatie1, mais
re de tout ce que l’on sait de positif sur l’histoire ancienne des
Xs danubiens et balkaniques.
Cette histoire nous apprend que les Illyriens, les Thraces, les
j,(di^°n' ensi les Sarmates, les Gaulois et les autres peuples qui ont
jos Labi té ces régions n’ontrien de commun avec les Slaves, que
r10Г0
, i£Ues
, en étaient tout ä fait differentes de la leur et qu’avant
1
chrétienne on ne trouve aucune trace des Slaves dans ces
contrépc д
A u contraire tout ce que l’on sait de positif nous force a
1ец СГ ^ РГ0П1'ег habitat des Slaves vers la région d’oü sont parties
R miprations, c’est-ä-dire au nord des Carpatlies, loin du Danube
1p
Saint F ai exem Ple> la légende suiv an t laquelle les ap ö tres e t en particulier
m orj a u raien t preché dans les pay s slav es et suiv an t laquelle Saint J é r6m ej
la o “ > a u ra it inventé l’ancienne éeritu re slave (la glagolica). Voir
(« ui r° m ^ Ue de Kiev (Joe. cit.), la lettre du pape Je a n X, en 914-928
in e U1S en' m aml>igit Sclavinorum regna in prim itiae (sic) A postolorum esse com-
jitf™°ra ta > h et la lettre du pape Innocent IV, de 1’année 1248: « in Sclavonia est
a u specialis quam illius te rra e clerici se hab ere a beato Ieronim o asseren tes »•
18 l ’u n it e p r o t o sla v e
1 Cf. Šafařík, Slov. star., IT, 711. Le titre de la relatio n e st: Descriptio
civitatum et regionům ad septentrionalem plagam D anubii. Le m an u scrit découvert
p a r J. H orm ayer se trouve á la Bibliothéque de Munich.
s Le nom du D anube est ď origine étrangére et non slave. On suppose que
les Slaves ont adopté u n nom celtique (cf. lat. D anuvius, D anubius, Advougu;, etc.),
lequel leur au rait été transm is p a r les G erm ains (got. Donavis, Donavia). L’an
cienne forme slave est D unavů et, p o stéríeurem ent, Dunaj.
2*
20 l ’u n i t b p r o t o s l a v e
les relations sur les habitants de ces contrees qu’il nomine Neupoi
(IV, 100—118), et dont le caractere slave est assez evident1.
A l’Ouest, on est embarrasse poor decider si la frontiere doit etre
fixfee sur l’Elbe ou sur la Vistule. Cela depend des resultats auxquels
l’archeologie aboutira quant ä l’appartenance des champs d’urnes du
type lusacien-silesien, dont nous avons deja parle plus haut (voir p. 12).
Si ces cimetieres se revelent slaves, 1 ancienne frontiere avancera ä
partir de la fin du IIe millenaire jusqu’ä l’Elbe et ä la Saale; sinon, eile
devra etre placee dans la zone de la Vistule. C est le point de vue que
j’adopte aujourd’hui. Une raison linguistique le confirme. Les Slaves
n ont pas ä l’origine connu le hetre (fagns silvatica), car ils se rattachaient,
dans Pensemble des Indo-Europeens, au vaste groupe qui se trouvait au
delä de la frontiere orientale de la rfegion du hetre, c’est-ä-dire ä Pest
de la ligne approximative Königsberg-Kremenec-Odessa2. Mais ils
avaient pourtant dfejä appris ä connaitre cet. arbre, alors que leur unite
subsistait encore, car ils avaient adopte le rnot germanique (Buche,
sl- buk), d’oü on peut conclure qu'ils avaient atteint la Vistule des
avant l’ere chrfetienne. Quant ä savoir s’ils avaient etfe jusqu’ä traverser
en meme temps ce fleuve et ä pousser jusqu’ä PElbe, c’est ä l’archfeo-
logie, comme on l’a vu, d’en decider.
Une observation, toutefois, s’impose ä cet, fegard. Si 1 on rfeussissait
ä demontier le caractere slave des champs d’urnes, qui appartiennent
dans Pensemble au premier millenaire avant Jesus-Christ, on devrait sup
pose! que les Slaves, ayant pousse jusqu’au delä de lElbe, auraient etfe,
dans la seconde moitife de ce millenaire, comprimes par les Gaulois venus
de 1 Ouest, puis par les Germains venus du Nord, et cela de teile sorte
que la Vistule füt redevenne leur frontiere occidentale pour le rester
jusqu’au moment ou ils ont commence leur grandes migrations. Tous
les ecrivains anciens, en effet, ä partir du Ier siöcle, sont d accord
pour desigQer ia Vistule comme la limite de la Germanie et de la
‘ Voir les notes relativ es k ce sujet dans m es Slav, star., I, pp. 266 et suiv.
* S uivant M. Al. B rückner, l’dm inent philologue polonais, la denom ination
slave prim itive et com m une du fagus dtait grabii, grabrü (Z eitsch rift fü r vergleichende
Sprachforschung, XLVI, 193). II n ’y a u ra it pas lieu, dans ces conditions, d ’feloigner
les Slaves de la V istule; m ais je c^ois l’explicaiion un peu forcde. Le p rem ier
h ab itat des Slaves excluait au ssi l’if, tisü (ta xu s vaccata), qui est u n v ig f ta l corres-
p ondant seulem ent k l’ouest de la region que nous venons de delim iter.
22 b ’UNITK p r o t o s l a v e
1 M. Vips. Agrippa, le prem ier (Plin., IV, 81, 97, Dimens, prov., 19); puis
Pomp. Mela, III, 1, 82 ; III, 3, 2 5 ; Ptolem ., II; 11, 1, 4, 8, 1 0 ; III, 1, 8 ; Marc., II,
31, 36-38. Le nom de la Vistule a été te n u soit p o u r slave (Dobrovský, Krek, Hanusz,
Kawczynski, Al. Pogodin), so it p o u r slavo-germ anique (Fierlinger, Schrader), soit
p o u r germ anique (Forsterm ann, Budilovič), soit enfin p o u r gaulois, et ce d ernier
avis est partagé par ď ém in en ts linguistes m odernes (Rozwadowski Šachm atov,V asm er,
Buga, Bremer). Mais il faut ne pas perdre de vue que des nom s identiques ou
trě s proches sont assez rép an d u s d an s la toponym ie des régions slaves. Ainsi Ton
trou ve non seulem ent Visloka, Vislok (affluents de la Vistule) en Galicie, m ais
aussi Vislica, Isíoč, Visíoč, V islan o .k a en Pologne, Vislava (Viszló) en Hongrie.
J ’ajouterai que le sav an t philologue russe A. Sobolevskij reporte m ěm e les relatio n s
en tre les Slaves et les Saxons á, 1’époque de 1’unité slave.
2 On le suppose d’origine scytho-sarm ate (ossěte dan « l’eau >), cf. L. Niederle,
Starověké zprávy o zem. vých. E vropy, v P raze 1899, p. 58, et Sobolevskij. A rchiv
fiir slavische Philologie, 1905, p. 240.
9 Sl. berbtň « ořm e » (Starověké zp rá vy . . . etc., pp. 70, 84); cf. 1’analogie du
nom de son affluent, la B érézina, dérivé de bereza <bouleau >.
4 Voir Vasmer, lio czn ik slaivistyczny, VI, p. 164; V, p. 138; VI, p- 177.
LE PKEMIEB HABITAT DES SLAVES 23
cette région ait été démontré, s’il doit jamais l’etre. Ce sont done en
somme la Pologne orientale actuelle, le sud de la Russie blanche (avec
le cours moyen de la Bérézina, le cours de la Sož et celui de 1’Ipuť),
le nord de la Petite Russie (Podolie, Volynie et pays de Kiev, avec la
Desna) que les Slaves ont occupés lors de leur unité nationale et lin-
guistique1. C’est la que se laissent le mieux localiser les relations an-
ciennes concernant l’habitat commun de toutes les nations slaves (Anonyme
de Ravenne, Anonyme bavarois), ainsi que les premieres mentions re
latives á la grande nation des Vénědes du Ier au IVe siěcle de l’ere
chrétienne. C’est la aussi que nous conduit 1’étude des rapports de
l’ancien slave avec l’ancien iranien, avec le lituanien et avec le finnois
occidental. C’est la enfin que nous trouvons une nature dont la flore
et la faune correspondent á ce que le vocabulaire vieux-slave nous
laisse entrevoir de celles de la contrée primitivement habitée par
les Slaves. A cet cgard, je suis en plein accord avec les idées de
M. Rostafiúski. Mais je ne saurais, avec M. Peisker, limiter l’aire de
cette contrée aux seuls marais du bassin du Pripet2.
Une question encore suscite quelque difficulté: celle des noms
des cours d’eau. On s’attendrait normaletnent á une nomenclature en-
tiérement slave dans une région oil les Slaves out du jadis habiter.
Au contraire, des philologues des plus éminents affirment constamment
que les noms des cours d’eau de l’ancienne Pologne sout en majonté
étrangers, par exemple: Vistule, Wiar, №da, Raba, Ropa, San, Mien,
Mroga, Brda, Odra, Osoblaba, Labunka, Wda, Sola, Orava, Morava,
Vidava, etc. . . . Ce sont surtout deux savants slaves, Jan Rozwadowski,
de Cracovie, et Alex. Sachmatov, de Petrograd, qui ont défendu ce point
de vue et expliqué la plupart de ces noms comme gaulois. C’est aussi
pourquoi ils ont fait remonter les Protoslaves jusqu’en arriere du bassin
du Niérnen inférieur, sur la Dvina et sur les bords du lac Ilmen, ou
malheureusement ils n’ont pas trouvé non plus une ancienne nomen
clature slave. Sachmatov, lui, pla^ait les Pinnois sur le Pripet et la
Dvina et faisait occuper aux Gaulois-Vénědes la partie orientale du
bassin de la Vistule *, oil les Slaves ne se sont installés qu’au IIIе siecle
apros J.-C.
Ces vues étant celles de pbilologues d’une pareille valeur, la
solution du probléme apparait comme difficile. Elle doit cependant etre
trouvée. II est impossible et d’admettre le caractére celtique ou finnois
de la contrée en question, comme Šachmatov le fait, et d’en éliminer
simplement les Slaves. On en arriverait á la conclusion absurde qu’il
n’existe nidlo part en Europe une région oil puisse etre local isée la
patrie des Slaves2, parce qu’il n’existe pas de région á nomenclature
géographique purement slave. II faudrait exclure les Slaves de l’ancienne
Europe et ne les у faire venir que quelques sidcles aprés Jésus-Clirist,
ce qui serait impossible du point de vue historique. Si le caractere
celtique de la nomenclature vistulienne était démontré, — j ’ajoute que
les conclusions de Šachmatov se sont heurtés á la resistance acbamée
de quelques philologues slaves autoriséss —, il faudrait songcr a une
occupation ancienne du territoire en question par les Protoceltes ou par
d’autres Indo-Europeens pendant la premiere période de leur développe-
ment, avTant l’installaticn des Protoslaves. Mais cela n’empecherait pas
que ce soient les Slaves qui, aprés la dislocation de l’unité indo-européenne,
aient occupé le pays et s’y soient établis au cours des IIе et Ier mil-
lénaires avant J.-C. Or, c’est précisément l’habitat des Slaves a la fin
de leur période unitaire que nous cherchons a determiner, et non pas
la place de leur premier noyau sur l’ancien territoire indo-européen.
La théorie de Šachmatov, si elle était justifiée, prouverait seulement
1 AI. Šachm atov, Изв. отд. русск. яз. и слов., 1911, р. 707; A rchiv fu r slavische
Philologie , 1911, p. 51; J. R ozwadow ski, B ulletin de l’Academie de Cracovie, 1901,
XI, 1906, III, Altnae m a tr i Jagiellonicae (Lwów, 1900), p. 107. D ans u n article plus
recen t M. Rozw adow ski s’exprim e trě s prudem m ent et abandonne la th éo rie du
celtism e des V énédes (Rocznik slawistyczny, VI, pp. 39, 269), m ais il m ain tien t
qu av an t 1’ěre chrétienne il n ’y a v a it p as de place pour les Slaves dans la contrée
située entre la Vistule et le D niéper et que ceux-ci dev aien t se tro u v er au nord
de Niémen.
' oir mon article su r «les nouvelles theories su r le p rem ier h a b ita t des
slaves«, český časopis historický, 1915, 3 .
3 Voir les critiques de К. Buga et M. V asm er (Rocznik slaw istyczny, VI,
pp. 1-28, 179): ces auteu rs o n t nié form ellem ent le ca ra ctě re gaulois des nom s en
question (sauf celui de V istu la ), les tro u v an t sim plem ent indo-européens, m ais nor)
gaulois. Au reste, Alex. Šachm atov lui-m ěm e, peu av a n t sa m ort, reco n n aissait-il
«la faiblesse e t 1 insuffisance» de ses m alheureuses hypothěses celtiques (ď a p rés
A. Meillet, Revue des É tudes slaves, I, 1921, p. 190, note 1).
26 Ij’UNITB PEOTOSIjAVB
que cette contrée aurait été habitée aussi par des Celtes pendant une
période limitée, mais non pas qu’il faille renoncer á у chercher l’ancienne
patrie des Slaves, que tant d’autres raisons nous obligent a у situer.
Qu’il suffise seulement de rappeler, par exemple, comme quelques siecles
ont réussi á modifier, en la slavisant, la toponymie de la Germauie orientale.
Le caractěre du territoire considéré est bien connu des géographes.
C’est un pays dont la partie centrále, constituée par le bassin du Pripet,
est encore aujourd’hui couverte d’innombrables eaux stagnantes et
courantes, ďimmenses foréts de pins, de hétres, de bouleaux, d’aunes,
de saules, avec un climat rude sous lequel il ne peut vivre que des
chasseurs ou des pěcheurs. Et encore ces conditions, aujourd’hui fort
améliorées x, étaient-elles plus défavorables il у a deux on trois mille
ans. Les territoires plus fertiles ou l’on pouvait exercer l’agriculture
ne se trouvaient qu’a la périphérie, surtout á l’est et au sud-est.
Le peuple qui vivait dans ce pays était contraint a un rude labeur
pour transformer les marais et les forěts en terres labourables. Ces
conditions mérae ont amené un développement des formes sociales fondé
sur la cooperation des grandes families et sur ťégalité sociále; elles
ont détermiué un développement de l’état démocratique défavorable it
toute concentration économique et politique. Une chose reste encore a
remarquer. Le peuple est, de ce fait, pendant une longue série de siecles,
demeuré dans une paix relative, en dehors des orages qui ont menacé
ou trouble le monde ancien, mais aussi en dehors du domaine des
grandes civilisations d’autrefois. Le pays slave a toujours été tres mal
connu des Grecs et des Roma ins. Son peuple a vécu longtemps «chez
soi» et «pour soi», it l’abri des influences étrangěres, et c’est pourquoi
il a pu crottre en une grande nation (« pápiarov ětívoc;», dit déja Ptolémée)
sans que l’attention se fut portée sur lui.
Tel a été le premier habitat des Slaves, telles ont été les conditions
premieres de leur existence.
1 Voir, pour plus de details, Slov. star., I, p. 221. et ici meme, pp. 171 et suiv.
2 H erodote, IV, 17-18 et 53-54.
28 L ’UNITE p r o t o s l a v e
1 En dern ier lieu M. R ozw adow ski cite une série de nom s de riv iě re s de
Pologne et de R ussie dérivés des thěm es slav- e t slov-, et il suppose q u ’il a existé
« un fleuve nom m é Slova ou S lava, ou bien un pays m arécageux appelé Slovo »,
d o n t les riv erain s ou les h a b ita n ts a u ra ie n t re?u le nom de Slověne; ces d ivers
nom s de riviěres se ra tta c h e ra ie n t á. la racine lcleu- qui offre le sens de «arroser,
n etto y er» . M. Milan B udim ir exprim e, de son coté, la m ém e opinion (Zbornilc
dédié á A. Belie, B elgrade 1921, pp. 129-131 et 97-112).
PREMIERES RELATIONS CONCERNANT LE S SLAVES 37
1 Jordanis, V, 34.
2 Voir Český časopis historický, I, 1895, p. 19.
C h a p it r e IY.
cet idiome a cessé d’etre un, niquand les langues citées et les peuples
qui les parlaient ont commencé ä avoir une vie propre indépendante.
La philologie slave admet aujourďhui que l’unité aneienne (bien que
la désagrégation eüt déja commencé) a existé e.ncore durant quelques
siěcles de notre ě re 1; mais c’est lä tout ce qu’on peut affinner. La
division et I’individualisation des langues slaves ne se sont sans doute
pas produites tout ďun coup, mais successivement; et l’on a depuis
longtemps cherché ä en établir le processus ainsi que de la parenté
réciproque des peuples parlant ces langues.
sud-oriental occidental
slave com m un
1 Voir ci-dessus, p. 6.
5 A rchiv fiir slavische Philologie, XX, p. 21 (XVII, p. 71).
DE LA DIFFERENCIATION DES PETJPLES SLAVES 41
L es Slaves du Sud.
Chapitre V.
des Carpathes, ainsi les Illyriens, les Pannoniens, les Thraces, les
Daces, jusqu’aux Macédoniens, jusqu’aux Epirotes et měme jusqu’aux
habitants primitifs de la Grěce. A l’aide de noms tronqués et déformés,
tenus pour slaves, les partisans de cette tendance, qui a sévi surtout
dans l’historiographie slave du XYIIIe et du XIXe siecles1, parvenaient
á trouver des Slaves partout, depuis le lac de Constance jusqu’a Yenise,
jusqu’a rembouchure du Danube et jusqu’a Constantinople: tout était
slave autrefois. A la fin du XYIIIe siěcle et au commencement du
XIXe, alors qu'un mouvement de renaissance nationale conunenqait á
se manifester dans les littératures slaves, les plus grands chercheurs
eux-mémes, des homines d’une haute formation scientifique, tels que
P. J. Šafařík, ne surent pas résister á ce couranta. Aujourd’lmi
encore, 1’histoire et la philologie, en dépit des progres réalisés et de
la méthode solidement établie qui est la leur, n’ont pas róussi á écarter
du domaine scientifique tels livres on l’on enseigne que les Illyriens
ou les Thraces uAtaient autres que des Slaves.
Cette conception a son point de départ dans les théories artifi-
cielles échafaudées par le clergé yougoslave pour établir une relation
entre l’origine des Slaves du Sud et les Actes des Apotres. Ainsi sont
apparues, au debut du Moyen-Age, les traditions suivant lesquelles
Saint Paul lui-meme aurait apporté le christianisme aux Croates3 et
Saint Jérome (mort en 420) aurait inventé 1 écriture slave dite glago-
litiquei. Ainsi est apparue la théorie suivant laquelle les anciens
Illyriens étaient des Slaves, ancětres des Serbo-Croates; théorie qui a
eu une extension telle qu’au Xe ou au X le siccle elle a passé dans
les traditions des couvents russes et a été transcrite par quelques
prédécesseurs du moine Nestor au commencement de la Clironique de
Kiev5. La théorie danubienne du premier habitat des Slaves procěde
aussi de ces imaginations, comme uous 1'avons dójá noté plus haut1.
Des premieres traditions, des premieres chroniques elle a passé dans
toute la série des chroniques slaves et étrangěres, ďabord dans les
chroniques polonaises et tchěques, puis surtout dans les chroniques
croates. Simplement énoncée ďabord, elle a commencé peu a peu
á cherclier 1’appui de preuves historiqnes anciennes appelées á démontrer
1’antiquité de la presence des Slaves dans les Balkans, ou, en ďautres
termes, le caractére slave des Illvriens et des Thraces (Daces, Gétes)
et méme des Italiens.
Parmi les preuves ainsi produites il s’en est parfois trouvé qui
n’etaient que des faux historiques, comme, par exemple, los lettres
ďAlexandre le Grand aux Slaves et le soi-disant privilege accordé par
le roi, á Alexandrie, dans la deuxiěme année de son regne, aux Slaves
des Balkans; document promettant aux Slaves, en reconnaissance des
services qu’ils avaient rendus, la domination et la primauté permauentes
sur toutes les autres nations de l’Europe centrále 2.J\iais la plupart des
preuves invoquées étaient d’ordre philologique: des noms d’anciennes
tribus, des noms de l’ancienne topographie hongroise et balkanique, et,
naturellement, d’anciens noms de personnes étaient aussi expliqués, a
tout prix, comme slaves, fut-ce en subissant les plus grandes deformations.
Cette méthode, qui eut surtout sa vogue chez les Slaves du Sud au
XVIIIe siécle, conduisit aux pires absurditós; ainsi, non seulement
la Hongrie et la peuinsule balkanique, mais des pays lointains, tels
que l’ltalie, l’Asie Mineure, l’Egypte, devenaient dans le passé des
contrées slaves. Rien ne parvint á endiguer le mouvement, ni les polé-
miques d’historiens et de philologues rigoureux (Zanetti, Peyssonel,
Thumann, Adelung, Dobrovský, Engel, Schwabenau, etc.), ni la grande
autoritě de P.-J. Šafařík. Le revirement ďopinion qu’il manifesta dans ses
Antiquités slaves, parties en 1837 3, ne réussit pas á engager les rechcrches
dans une voie plus juste. Les anciens partisans de Šafařík, au lieu
ďadopter ses idées nouvelles, se séparerent de lu i: ils lui reprochaient
comme une erreur son chaugement ďorientation; ils ignoraient les
Antiquités', ils s’en tenaient ä son premier ecrit, et cela en allant au
delä des conclusions qu’ils у trouvaient. Les archéologues eux-memes
n’eurent pas, pour la plupart, d’autre attitude.
Le XIXе siecle ne réussit done pas ä se débarrasser du poids de
1’école autochtoniste, dont les travaux étaient en somme plus nuisibles
qu’utiles au développement des études slaves. II n’y eut que peu d’au-
tochtonistes ä savoir observer la mesure, et de qui les travaux, malgré
leurs conclusions trompeuses, ont gardé quelque valeur réelle1. La
plupart n’ont laissé que des travaux sans nul mérite, bien que souvent
flattant l’opinion du grand public et, par suite, répandus et meme
populaires dans les pays slaves2.
de trib u s thraces. Mais, dan s son oeuvre fondam entale e t directrice, les Antiquités
slaves (Prague, 1837), il ab an d o n n ait cette thése et lu i su b stitu a it une conception
beaucoup plus m esurée. Les Slaves, professait-il alors, avaient débordé assez to t
le u r prem ier h a b ita t p o u r attein d re ju sq u ’ä la m er A driatique ; m ais ils av aie n t
été partiellem ent refoulés v ers le Nord, p artiellem en t dissociés p a r l’attaq u e des
Gaulois venus de l’O ccident au IVе siěcle avanl Jésus C hrist. De la sorte il n ’en
sub sistait plus ta rd que les V énětes de l’A driatique et des vestiges m sign.fm nts le
long du D anube et d an s les B alkans (par exemple les Besses, les Krobyzes, les
T riballes, les S arm ates serfs). L es Illyriens pro p rem ent dits e t les T h races n ’o n t
jam ais été des Slaves, et ce n ’esl qu’aux VIе et VIIе siécles que les pays bal-
kaniques furent de nouveau occupés p a r des S laves venus du Nord.
1 D ans le nom bre il fau t su rto u t com pter: — parm i les h isto rien s tchéques,
AI. Šem bera (Z á p a d n í Slované v pravěku, Vídeň, 1868; D ie Westslawen in der
Vorzeit, W ien, 1877), Jos. P ervolf («S lavische V ölkernam en», d an s VA rchiv fü r
slavische Philologie, tom es VII-VIII), — et parm i les P olonais: V. K etrzy n sk i: (O
Stowianach m ieszk. m ifd zy Ilenem i Labq, Krakow, 1899; Co wiedzq о Stowianach ..
Pt okopiusz i Jordanes, Krakow, 1901), Ed. Bogusiaw ski (H istorya Stow ian, Kraków-
W arszaw a, I, 1888,11, 1899; Poczqticy Chorwacyi illiryjsk ie j, Krakow, 1893; Metoda
i Srodki poznania czasówprzedhistoricznych w przeszlosci Stow ian, K raków -W arszaw a,
(1901, ouvrage tra d u it en allem and p a r W. Osterloff: E in fü h ru n g in die Geschichte
der Slaven, Jena, 1902; Dowvdy autochtonizmu Stow ian, W arszaw a, 1912).
* 1’arm i les tra v a u x récents, il fau t c iter su rto u t: J. Růžic, Stara i nova
postojbina H rvata (Zagreb, 1903); V. Žunkovič, W a n n wurde M itteleuropa von den
Slaven besiedelt ? (Kremsier, 1905, ouvrage rééd ité six fois de 1905 ä 1911!) J. Stovik,
Славяне древн. автохт. народъ Европы, Одесса, 1905); G. Cěnov, П раотечеството
и п раезикъ д а Б ъ лгари тк, София, 1907), J. Kuffner, Vida či báchora (Praha,
1912-1922).
LES ORIGINES DES SLAVES DU SUD 47
1 Jordanis, Get., 34-35: « in tro rsu s illis D acia est ad coronae speciem arduis
Alpibus em unita, iu x ta quorum sinistrum Iatus qui in aquilone vergit, ab o rtu Vistiilae
flum inis p e r im m ensa sp atia V enetharum n atio populosa consedit quorum nom ina
licet n u n c p er v a ria s fam ilias e t loca m u ten tu r, p rin cip aliter tam en Sclaveni et
A ntes nom inantur. Sclaveni a civitate N ovietunense et laco qui ap p ellatu r Mur-
siano usque ad D anastrum et in boream V iscla ten u s co m m o ran tu r; hi paludes
silvasque pro civitatibus h ab en t. A ntes vero, qui su n t eorum fortissim i qua Pon-
ticurn m are cu rv atu r a D anastro ex tenduntur usque ad D an ap ru m .»
Ce texte, avec les m ots Jam s M ursianus (H orsianus, M usianus) et civitas
bovietm iensis, corrom pus d an s les m anuscrits, a dorine n aissan ce a de nom breuses
explications (voir Slov. star. II, pp. 292, 531). Mais il e st h o rs de doute que le
prem ier nom ddsigne so it les m ara is silues aux environs de M ursa, a l’em bouchure
de la Save, soit le lac N ezider (lu tu m M usun d an s l’Anonym e du roi Bela, 57) le
deuxibme, Noviodunum , prfes de l’e m b o jch u re du Danube, au voisinage de la ville
actuelle d Isaccea. Les Slaves 4taien t 4tablis, en m asses com pactes, av a n t la
moitid du VIe sidcle, depuis le lac N ezider, c’est-A-dire depuis l ’em bouchure de la
Save, jusqu’a l’em bouchure du D anube.
•18 LES SLAVES DU SUD
II s’ensuit que les uns placent la marche vers les Balkans a la fin du
Vе siecle ou an commencement du VIе siecle, alors que les auti’es ne
veulent pas admettre la veritable occupation avant le VIIе. Ce ne sont
la, du reste, a considerer l’ensemble, que des differences secondaires.
11. Premiere avance des Slaves vers le Damibe avant la fin du V‘ siecle.
II y a des raisons qui nous autorisent a priori ä présumer que
les Slaves avaient, eux aussi, participé au mouvement général de la
marche vers le Sud avant la fin du Ve siecle de l’ere chrctienne.
On sait par l’histoire des grandes migrations que les peuples ont
commencé ä descendie impétueusement du Nord vers le Danube děs
le Ier siecle aprěs Jesus-Christ: ils venaient surtout de la Germanie
orientale, par la Moravie, ä travers les défilés occidentaux et orientaux
des Carpathes. Des avant les guerres marcomanes il nous est rapporté
que les Lugiens, les Obiens et une partie des Lombards ont roulé vers
le Sud; pendant les guerres marcomanes ce sont les Kotins, les Oses,
les Besses, les Hermundures, les Bures, les Yandales, les Victovales,
les Kostobokes, les Karpes, les Alains, les Boxolans, les Bastarnes et
les Peukines qui avancent ä leur to u r1. Dans les années 175-176, la
tribu des Astings repousse les Kostobokes des Carpathes jusque dans
les Balkans2, et Dio nous apprend qu’en 180 des «Daces libres ~ sont
chassés des Carpathes et vont s’ctablir en Dacies. Plus tard, au IIIe
siěcle, les Gépides arrivent, venant du pays de la Vistule; puis, ä coté
d’eux, provenant des memes contróes, des troupes de Skires, ďHérules,
de Buges et, enfin, la tribu des Lombards, qui avait longtemps vécu
1 Voir su rto u t le s relatio n s de Julius C apitolinus ( Vita M arci, 22) et de Dio
C assius (71, 12; 72, 2).
a Dio C assius, 71, 12; P au san ias, X, 3 4 ; Slov. star., I, p. 415.
3 Dio C assius, 72,3.
LES ORIGINES DES SDAVES DU SUD 51
ďune vie errante au delá des Carpathes. C’est des Carpathes que toute
une tribu de Karpes est transferee par César Galore dans la Basse-
Pannonie1. Tous ces divers mouvements ont été déterminés par la
pression des Barbares du nord (superiores Barbari), comme le dit ex-
pressément Julius Capitolinus*. II ne s’agit pas seulement de la pression
des Lombards et des Gots, lorsqu’ils se rendent de la Vistule vers le
Danube au debut du IIIе siecle, mais aussi certainement de la pression
active des Slaves, qui, ďailleurs, se faisait seule sentir la lorsque
les Gots ont atteint, au début du IIIе siecle, la Mer Noire. Cette pression
n’est contenue ni par les Carpathes ni par la “Vistule; elle se poursuit
a travers les défilés des montagnes et, a leur voisinage, jusqu’au Danube.
Д n’est pas possible de se représenter les Slaves ďalors autrement que
mus par un élan de vaste expansion.
C’en est assez de cette migration constante des peuples septen-
trionaux des pajs transcarpathiques vers le Danube, du Icr au Vе
siecle — meme alors que, parmi eux, 1’histoire ne- mentionne pas les
Slaves — pour tenir lieu de preuve a priori de la mise en mouvement
des Slaves, hors de leur residence transcarpathique, longtemps avant
le Vе siecle.
Nous trouvons une seconde preuve a priori de ce meme fait dans
la large diffusion des Slaves que nous constatons děs le VIе siecle. A
cette époque, comme il sera démontré plus loin, les Slaves apparaissent sur
une enorme ótendue, depuis l’Elbe, la Saale, la Forét, de Bohéme et les
Alpes á l’Ouest jusqu’au Don á l’Est, et depuis la mer Baltique et le
lac Ilmen jusqu’a la mer Égée et á l’Adriatique. Us sont établis sur
un territoire au moins cinq fois plus grand que ne 1’était leur habitat
primitif ďau dela des Carpathes. Si les Slaves, comme l’ont estimé
Mullen hoff ou Bcessler, avaient affluc tout d’un coup de la fin du Vе
siecle au début du VIIе, ce n’eiit pu etre nécessairement qu’en ovacnant
le territoire de leur patrie primitive, comme l’ont fait alors les Gots,
les Gépides, les Lombards, les Yandales et les Burgondes, lorsqu’ils
sont partis de la Germanie orientale. T\lais il n’en a rien été. Le pays
transcarpathique est detneuré plein de Slaves. C’est la un fait qui nous
autorise á repousser toute idée d’un debordement soudain des Slaves.
Les vaincus trouvěrent accueil les uns, grace a Constantin, sur le sol
romain, et les autres en Dacie. II ne restait plus děs lors dans la plaine
que les Sarmatae servi. Le fait est confirmé par des témoignages des
IVе et Vе siěcles. Bientot aprěs le nom de Sarmates disparait, et Гоп
ne parle plus que des Slaves.
II n’est pas douteux que ces événeinents de 334 se raměnent
á une guerre entre les deux grandes classes fixées dans la plaine
hongroise. Qu3on admette que 1’une fut libře, maítresse de 1’autre
asservie, qu’en meme temps la premiere vécut ďune vie nomade, et
la seconde ďune vie vrllageoise, pratiqnant l’agriculture et cultivant
surtout le millet1, et l’on tiendra pour infiniment vraisemblable que
les Sarmates nomades, c’est-a-dire iraniens, dominaient en Hongrie une
population ďune autre origine, consacrée a l’agriculture. Cette population
ne pouvait étre qu’une population slave: sa civilisation en témoigne,
et, avec elle, le fait que, quelques diza.ines ďannées plus tard, nous
la retrouvons habitant le měme territoire sous la domination des Huns,
la oil, quelques dizaines d’annces auparavant, la carte de Peutinger,
dans la plaine hongroise, au dela du Danube, offre l’inscription:
Vénědes-Sarmates. La carte de Peutinger, sous la forme ou elle nous
est parvenue, date de la fin du IIIє siěcle; ses inscriptions ethno-
graphiques surtout témoignent, dans l’ensemble, en faveur de cette
époque2, et nous n’avons aucun droit de considérer la légende Venadi
Sarmate, en Hongrie3, ou 1’autre l’inscription Venedi, en Bessarabie,
a l’embouchure du Danube, comme datant du Vе ou du VIе siěcle,
alors que la présence antérieure des Slaves en ces deux régions est
attestée par d’autres preuves. D’ailleurs l’auteur qu: aurait postérieure-
1 Voir Slov. star., II, pp. 130, 133, 138.
1 C’est en faveur du IIP siěcle ou d’une date an térieu re que tém oigne
1’inscription des Bures et des Lugiens dans la Hongrie centrále, des Gépides (Pití)
en Dacie, puis des M arcom ans, des Quades, des Vandales et des Juthungs. Les
S arm ates nom ades figurent aussi en Hongrie au delá du Danube, m ais n i les
Rugiens, n i les Lom bards, ni les Huns n e sont au voisinage du fleuve.
3 Tab. Petit., segm. VIII, 1. A cóté des V énědes-Sarm ates figurent aussi les
S arm ates nom ades sous la légende Sarm ate A m axohii, Sarm ate vagi (segm. VI,
1-4, et VII, 2-3). L a légende Lapiones Sarm ate doit, p a r contre, étre corrigée en
Lugiones Sarm ate, et il fau t у reco n n aitre les Lugiens de la Vistule qui éta ien t
descendus en Hongrie, pressés p a r le m ouvem ent des grandes m ig ratio n s; ces
L ugiens, dans le sens de 1’in terp ré tatio n donnée plus loin (voir chap. XI), étaien t
probablem ent aussi plutót des Slaves que des G erm ains, ce que ten d á faire croire
le com plém ent Sarm atae. Voir Slov. star., II, p 161.
LES ORIG INES DES SLAVES DU SUD 55
ment inscrit sur la carte des indications désignant des Slaves n’aurait
pas manqué d’employer le nom courant de Sdaueni. C’est pourquoi les
deux inscriptions de la carte nous fournissent, ä elles seules, la preuve
süffisante de l’avance des Slaves vers le Danube avant la fin du
IIIе siecle; de méme, les relations concernant la guerre entre les deux
classes de Sarmates nous prouvent leur presence dans cette contrée au
IVе siecle, et la relation de l’epoque d ’Attila la confirms pour le
Vе siecle. La liaison est ainsi établie. Le nom des Sarmates se conserve
jusqu’au VIе siecle, ou, comrae par une transformation soudaine, il
n’est plus question que de Slaves.
1 Le nom de T rajan ap p aralt, dans les sources russes des XII« e t XIIIе
siěcles, parm i les dieux p aiens ru sses {Trojan d an s T apocryphe Х ождеше Бого
родицы по л1укам ъ et d an s Tapocryphe Откровеш е св. ап о сто дъ ); dan s le poěme
su r 1 expédition d’Igor, il est fait m en tio n de Tépoque de la terre et de la trace
de Trojan. Le folklore serbe aussi a conservé la notion ď u n ětre surhum ain
nomm é Trojan. — Voir p o u r les d étails Slov. star., II, p. 144, et Život- starých Slovanů,
П, p. 125.
1 Voir plus haul, p. 15.
3 Tactica, XVIII, 79.
56 LES SLAVES DU SUD
presence des Slaves sux le Danube aux IIe et Ier siecles, mais elle en
augmente la vraisemblance; l’examen de quelques noms de lieux situes
le long du Danube fortifie plus encore cette vraisemblance. L’ensemble
de la nomenclature gcographique dans la partie de la Hongrie avoisi-
nant le Danube n’est pas slave. Elle est, a l’ouest, probablement
pannono-illyrienne, a l’est thraco-dace et, au cours des annOes, des
elements sarmates et turco-tatars s’y sont rnelos. Mais il s’y trouve
quelques denominations particulieres qui portent visiblement le caractere
slave; il n’est, en effet, possible de les expliquer que par le slave,
pour la forme et pour le sens; elles ont des analogies dans les autres
nomenclatures slaves et se sont, pour une part, conservees jusqu’a
aujourd’hui.
Tel est d’abord, dans la zone de l’ouest, le nom de lacus Pelsois,
mentionne par l ’Anonyme de Eavenne et par Jordanis (chez Pline,
lacus Peiso, qu’il faut corriger en Pelso, et, chez Aurelius Victor,
Pelso)1, et dont peut etre rapproche le slave commun pleso au sens
d’« eau stagnante», de «lac». Tel est aussi, sur la Save inferieure, entre
la Drave et la Save, le nom actuel de la Vuka, deja attesto entre le
IIe et le IVe siecles, en vieux slave Volka, c’est-a-dire «la riviere des
loups»; type slave frequent de nom de riviere, chez Dio Cassius
OiioAKoq, sur la carte de Peutinger Pica, chez Aurelius Victor Hiidea,
dans l’«Itineraire du Jerusalem» Vleus, et, dans le «Panegvrique
d’Ennodius», de 488, TJlca*. Tel est enfin le cas d’un nom slave plus
significatif encore, celui de la riviere Vrbas. On trouve deja chez Pline
la notation Urpanus (affluent actuellement. appele Vrbanja), mais sans
que l’origine slave en soit evidente. La carte de Peutinger, par contre,
offre pres de l’embouchure de cette riviere (segm. VI, 1) la notation
Vrbate, forme d’ablatif courante sur la carte, provenant non pas du
vieil Urpanus, mais de la forme slave Vrbas3. Je ne tiens, par contre,
pour probants ni le nom ancien de la Pliva, affluent du Vrbas (dans
1 Anonyme de Bavenne, IV, 19; Jo rd an is, Get., 5 2 ,8 3 ; Plin., Ill, 2-4; A urelius
V ictor, D e Cats., 40, 9. Voir Slov. star., II, p. 148.
2 Dio Cassius, LV, 32, 2 (OudXKaia CAi-|); Tab. Peut., segm. VI, 2 ; A urelius
Victor, Epitome. 41, 5 ; Itin. Hierosol., 563, 1; E nnodius, VII, 28. D ans les docu
m ents rnCdievaux postdrieurs on tro u v e castrum Wolkou, Wulckow , Ulcou, Walko,
villa Uulchoi, TJelchea. Voir Slov. star., II, p. 150.
3 D6riv 6 de vrba «saule» avec suffixation -a sit: cf. le village de V rbas pres
de Novi Sad (en hongro is: Verbdsz). Cf. la critique de M. RarnovS dans Casopis
za slo v.jezik , 1920, p. 98.
LES ORIGINES DES SLAVES DU SUD 67
1 Tab. Peut., VII, 3 ; Priscien, 3, 13. Cette citation a été prise p a r P riscien
aux cornm entaires de T ra ja n su r la guerre contre les D aces: «Inde B erzobnn Aizi
processim us». Cf. de m ěm e Geogr Rav., IV, 14.
2 Strabon, VII, 5, 12; Pline, IV, 8 0 ; Ammien Marcellin, XVII, 13, 4.
3 M arcus A u r , Eic; tauróv, I (sub fiuem). Le nom de la riviěre H ron (avec
ses dérivés JIronec, Hronek) est a ra tla ch e r sans doute au sluvaque hron «bruit»
e t au vieux tchěque hronúti «tomber».
LES ORIGINES DES SLAVES DU SUD 59
assail lants slaves des VIе et VIIе siécles sont de nouveaux conquérants,
une nouvelle nation qni demeurait auparavant de 1’autre coté du Danubel.
On admet ordinairement que la premiere date marquant 1’avance
des Slaves dans 1’empire byzantin est l’année 527, c’est-a-dire l’année
de 1’avénement de Justinien, car Prokopios dit expressément de ce
prince (en parlant de l’lllyrie et de toute la Thrace): « Oůvvoí те ка!
ZKXaflqvoi ка! ’'AvTai G \e b ó v t i dva nav катабеомте? ёто?, éH oů ’loumnviavó?
napéXa[je Tqv 'Puipaíujv dpxpv, ávrjKecrra ěpya eipyacavTo тои? таитд
ávOpdmou? »2.
Cette date n’est cependant pas exacte; et plusieurs raisons, par
contre, nous autorisent á placer 1’arrivée des Slaves á une époque
antérieure au moins a 1’époque du régne de Justin, prédécesseur de
Justinien (518-527). Prokopios fait, en effet, mention pour 1’année 550
de la défaite infligée aux Slaves par Germanus, chef romain au temps
de Justin3; ďautre part, les attaques des Gétes en Thessalie, en Epire
et en Illyrie, mentionnées par le comte Marcellin [comes Marcellinus)
pour les années 517 et 530, peuvent ětre considérées comme des
attaques faites par des Slaves, car Marcellinus distingue dans son texte
les Getes des Bulgares, des Huns et des Gots4. Enfin Prokopios, dans
son ouvrage sur les édifices de Justinien, oú il décrit la restauration
magnifique des fortifications que Justinien avait fait faire peu aprés
son avénement, parle de deux petites forteresses nommées qppoúpiov
’Ahiva et óxúpujpa OúXpmliv, oú, dit-on, siégaient alors des Slaves, ceux-
ci se trouvant méme dans la seconde de ces forteresses depuis un long
temps: «flap|3ápwv bé ZKXafiqvwv ěm XP°V°0 PÓKo? ÉKeívq та? evébpa?
TteTToiqKÓTuiv »5. Nous ne savons pas ou se trouvait la forteresse ďAdina
1 Léon, Tactica, XVIII, 79, 9 9 ; Prokopios, B. G., I. 27, III, 14. Voir Slov.
sfa r-, 11. p. 180.
2 Prokopios, H ist, arc., 18. Cf. le témoignage de Jordanis (Вот., 388): «hi
sunt casus romanae rei publicae praeter instantia cottidiana Bulgarorum, A nlium
et Sclavinorum».
Prokopios, B . G., Ill, 40. Ici les com m entateurs tran sfo rm en t le nom de
Ju stin en Justinien, m ais sa n s fondem ent, com m e je l’ai m ontré d an s le Český
časopis historický, 1905, p. 136 et dan s les Slovanské starožitnosti, II, p. 191. P ro
kopios dit clairem ent que la b ataille eu t lieu sous le régne de Ju stin , e t n o n de
Justinien, e t tous les m an u scrits portent Ioi;oTivoq.
4 Marcellin, années 517, 530 ( Getae equites). P eu ap rés, nous voyons Theophyl
Sim okattes identifier ď u n e fayon absolue les G étes et les Slaves (éd. Boor, HI,
417; VII, 2, 5; cf. P hotii sum m aria, éd. Boor, 8, 13). Voir Slov. star., II, pp. 186-189
6 Prokopios, De aedif., IV, 7
62 LES SLAVES DU SUD
le pays des Antes, des Slaves aussi, maís toujours distingués des Slaves
proprement dits.
Les attaques des Slaves avaient recommencé des 1’avénement de
Justinien: elles s’étaient ralenties quelque peu dans les années 530 á
533, mais on en mentionne de nouveau en 545, en Thrace; en 547-54S,
en Illyrie et en Dalmatie, quand les Slaves atteignent Drač (Durazzo)-
Epidamne; en 548/549, en Itálie; en 549, en Thrace; en 550, vers
№ š; en 551, en Illyrie; puis, aprés une interruption, une forte attaque
en Thrace jusqu’au Long Mur de Constantinople, vers Salonique et en
Grěce; des Huns (les Kotrigoures) coopérent a cette demicre expédition
dans une plus large mesure. Mais un nouvel et puissant ennemi de
l’Empire, un nouvel allié des Slaves, ne devait pas tarder a ontrer en
scene. C’étaient les Awars.
1 Je a n ďEpliěse, VI, 25; cf. a u ssi Michel de Sýrie, éd. Chabot, X, 18. P o u r
la chronologie ex acte de ces expéditions, vo ir Slov. sta r., II, pp. 205 e t suiv.
* J ’ai donné toutes p reuves d étaíllées du fait que ce fu ren t principalem ent
les Slaves qui p articip ěren t en ces a n n ées au x incursions en G rě c e : voir Slov.
star., II, pp. 209 et suiv.
3 Cf. Slov. star., II, p. 228. L a p rem iére légende est attrib u ée á 1’archevéque
de Salonique Je a n II (2e m oitié du VIIe siěcle). L a seconde est l’oeuvre ď u n au teu r
inconnu de la fin du Vlle siěcle.
4 D’a u tres guerres sont m en tio n n ées en T hrace et en Mésie, d u ra n t les années
59G, 600. 601, e t en Illyrie, en 592 et en 598.
LES ORIGINES DES SLAVES DU SUD 65
1 Slov. star., II, p. 210. P our l’h istoire de l’invasion slave d an s les B alkans,
voir aussi le précieux ouvrage (en serbe) de St. Stanojevič su r « Byzance et les
Serbes > (BuaaiiTHja и Срби, Нови Сад, 1903).
s Voir la bibliographie de cette questio n dans les Slov. star., II, p. 285.
LES OBIGINES DES SLAVES DU SUD 67
‘ Voir la bibliographie de l’h isto ire des R om ans de D alm atie dans Slov. star.,
П. pp. 300—301, e t su rto u t l’étu d e celěbre de C. Jireček, D ie Romanen in den
Ult dten D alm atiens w ährend des M ittelalters (Wien, 1901).
Kekaumenos, 172, 175, 176; K edrenos, II, <135 (B onn); A nna Komnena,
V, 5, VIII, З, X, 3 ; N iketas Akom., 171 (B onn); Ja n Kinnam os, VI, 3 (Bonn);
K antakuzenos, I, 146. Voir Slov. star., II, p. 302.
3 P arm i les études nom breuses, m ais en grande p artie de c a ra c tě re politique,
qu ont suscitées les Vlakhs, le s plus im p o rtan tes sont celles de G. W eigand: Wlacho-
Meglen (Leipzig, 1892), Аготчпеп (Leipzig, 1895, 1899), Rum. Dialekte (Jahresler .
des L ist fü r rum . Sprache, Leipzig, 1900).
70 LES SLAVES DU SUD
Les Illyriens ont de теш е tout á fait disparu sous la vague slave,
surtnut une fois que l’empire des Bulgares se fut étendu, sous le rěgne
dn tsar Simeon, jusqu’a la mer Adriatique. Mais, lorsque les Byzantins,
en №41, ont reconquis 1’Épire et brisé la domination slave, les anciens
Illyriens autochtones ont commencé á réapparaitre de plus en plus au
grand jour sous le 110m nouveau, qu’ils avaient tous en commun,
d’Albanais (Arbanites, Arbanases), nom qui en realit': n’otait originelle-
ment que l’appellation locale d’une peuplade de montagnards1. Ces
Albanais illyriens (ou, d’apres certaines tbéories récentes, thraces), habi-
taient alors entre 1’Adriatique, la frontiére du Monténégro actuel, Prizren,
le lac d’Ochrida et 1’Épire au sud. L’élément slave, qui a été autrefois
assez important parmi eux, ainsi qu’il ressort du caractěre slave de
quantité de noms de lieux, a été absorbé peu a peu. Au nord de la
Save, par contre, les anciens Pannoniens disparurent tout á fait. Proko-
pios, au VIе siécle, emploie encore de temps á autre les vieilles appel
lations de «Pannoniens, Dalmates, Noriciens, Carqiens», mais celles-ci
ne désignent plus les anciennes tribus: elles s’appliquent aux nouvelles
tribus qui s’étaient alors établies dans la íégion, de mčme que, par la
suite, le nom de Pannoniens est. emplové quelquefois pour désigner
tantot les Slaves, tantot les Magyars2. Les Slaves Croates ont du pour-
tant rencontrer sur la Save les anciens Breuks: on est autorisé á le
penser par le nom des Braiks {Brajci) actuels, habitants de la Haute
Kulpa qui parlent le kajkavien. On ne peut dire, faute d’aucun témoi-
gnage, ce que sont devenus les anciens Daces; mais il est vraisemblable
que, malgré la dévastation de leur pays et les déportations á l’étranger,
ils se sont conservés jusqu’a 1’arrivée des Slaves, soit tels qu’ils étaient,
soit du moins romanisés: complétés ensuite par des Romans venus
de 1’intérieur des Balkans, ils ont contribué a former la nation roumaine.
com pris entre K ratovo et Sofia, et du nom des P ian tses (TTaioves, byz. TTmvixZa,
niavTZoij) en M acédoine, au p rěs des sources de la Strum a. A ces tro is nom s
Dr іno v a ajouté le bulgare diilupb (ЛбХотге? ?) e t G eitler les D arzilci (Аєрсгаїоі,
Adpcici ?). Voir, p o u r les détails, Slov. star., II, pp. 309-311.
1 Voir P tolém ée, II, 14, 1 ; III, 12, 20: c”Ak|3avov ópoc;, ’AApnvoi. L a prem iére
m ention des A lbanais en Épire se trouve chez A nna K om nena (VI, 8), en 1079, et
chez Je a n Skylitses (éd. Bonn apud Cedrenum, II, 739): ’Appnvirm. L a prem iére
m ention de la lingua albanesca se trouve d an s une c h artě de R aguse de 1’année
1285 (Jireček, Eomanen, I, 43).
* Voir Prokopios, B . G., 15; A nn. F uld., 884; Je a n K innam os, V, 1 7 ; Anon,
regie Belae, 50; Vie de S a in t Clement, 2. V oir au ssi Slov. star., II, p. 314.
72 LE S SLAVES DU SUD
1 Lautlehre der slav. Sprachen (Wien, 1879, p. 33); cette opinion a été
adoptée aussi p a r L. M ahnič, T. M aretic, St. N ovákovu' et B. Ljapunov.
! Voir su rto u t les a rticles de V. Jagič (A rchiv fu r slavische Philologie, VI,
p. 148; V in, p. 579, et XVII, pp. 47-87) et de V. O blak (ibid., XVII, p. 595); voir
au ssi Slov. star., II, p. 257.
3 Le voisinage ancien des Slovenes et des Tchěques, comm e des Bulgares et des
R usses, e st atte sté p a r díverses p articu larités linguistiques dont on tro u v era l’indication
d an s les Slov. star., II, p. 329; vo ir au ssi la nouvelle gram m aire h istorique du
bulgare de B. Conev, История на бъдгарский езпкъ, София, 1919 (introduction).
76 LE S SLAVES DU SUD
Les Slovenes.
1 Voir la bibliographie de cctte q aestio n dan s les Slov. star., II, p. 349.
a Breves notitiae, 3 (Kos, Gradivo, I, p. 250); Salzb. Urkundenbuch, I, pp. 22,
27, аппёе 790.
3 Slov. star., II, p. 351; Kos, op. cit., I, p. 289; Urkundenbuch des L andes
ob der E n n s, II, 2, 6, 13.
4 Kos, op. cit., I, p . 306.
Urkundenbuch des Landes ob der E n n s, II, p.' 55.
* Voir la bibliographie de la question d an s les Slov. star., II, pp. 349-350,
353, 354, e t dans Dopsch, Aeltere Soz und W irtschaftsverfassung der Alpenslaren,
W eim ar, 1909, pp. 53, 5 7.
S2 L E S SLAVES DU SUD
tchěque, par contre, qui voisinait depuis longtemps dans cetto region
avec les Slovenes, non senlement avail atteint le Danube, mais l’avait
franchi par endroits et, ä ce qu’il semble, s’etait avancé assez loin en
territoire Slovene, surtout a Test vers le lac Blatno. Les Tcheques avaient
franchi le Danube méme dans la region oecidentale, dans la Haute- et
la Basse-Autriche actuelles: nous en avons des preuves certaines '.
J ’ai déjá en son temps fait ressortir l’abondance de noms de lieux
slaves que Ton constate entre l’Ems et la Litava, le long de la Murica,
et de la Mura jusqu’ä la Drave, tons noms ayant conserve certain caractere
tchěque, surtout les noms dérivés de la forme tchěque jedla (slověne
jel, jela), ou les noms dérivés de la forme tchěque chlin, chlum «colline»
(slověne: holm, kom)2. On a fait remarquer, il est vrai, que les dialectes
Slovenes du Nord aujourd’hui disparus formaient ici la transition vers
le tcheque, de telle sorte que ces formes ne seraient pas earactéristiques
du tchěque, mais seulement d’un parier slověne proche du tchěques.
II appartient aux philologues de decider jusqu’ä quel point la
nomenclature slave de la Basse-Autriche et de la Styrie est plus Slovene
que tchěque. II est pourtant en faveur de l’61ément tchěque deux
témoignages irrécusables: ce sont ceux de la chartě de Passau de 987,
qui mentionne expressément la présence de Tcheques sur la petite
rivieře Perschling (ancienneinent Berznica ou Brznica4?), et, en outre,
ďune série de noms de lieux composés avec Böhm-, Bohcim-, Böhmisch-,
comme Beheimberg en Styrie ct Böheimkirchen pres de Saint-Hippolyte,
noms attestés dans des chartcs du XIIе siecle5.
La situation était sans doute analogue, plus loin a l’Est, dans la
vieille Pannonie, prěs du lac Blatno. Nous n’avons pas ä vrai dire
de preuves de la presence de 1’élément tcheque ou, plus exactemeut,
de 1’élément slovaque avant le IXе siccle, et l’on peut douter qu’il
soit légitime de songer ä la venue de Slovaques en Pannonie avant
1 Voir Slov. star., 11, pp. 354 et sniv.
1 Český časopis historický, 1909, p. 76.
3 Telle est l ’opinion de Mildosich, Ortsnamen . .., 1, p. 106 (D enkschriften
der W iener Akadem ie, Phil.-hist. K lasse, XXI). Voir J. Sim-, dan s les S itzu n g s
berichte de 1'Académie de V ienne, Phil.-hist. Kl., CLXXVI, et A. Beer, L is ty filo
logické, X IJII, p. 149.
4 «P ostea P ersn ich a sicut W illihelm us in p roprium possidebat, quod tem pore
presenti B oem ani insidendo arab an t» {Niederbsterr. Urkundenbuch, I, 1, 4).
b Urkundenbuch des L andes ob der E n n s, 1, 118, 126; N iederösterr. Urk.,
I, 1, 18.
LES SLOVENES яз
1 Cf. Kos, Gradivo, I, pp. 890-391; II, pp. 431, 455, 491; Slov. star., II,
pp. 345 e t 366-367.
2 On trouve cette d én om ination d an s des docum ents du VlIIe siécle (Creina,
Chreine marcha), cf. Kos, II, pp. 338, 340, 490.
5 Con v. Bag., 11 {D udieipin); ch artes du roi Ludovic, de 860 (Tudleipin),
ď A m ulf, de 891 {in comitatu Dudleipa), etc. Voir Slov. star., II, p. 369. Un locus
Dulieh e st m entionné. en 1060, su r la Iíau te D ravé ( A d a Tirolensia, éd. Redlich,
I, n. 170).
4 S ur la frontiére de la S tyrie et de 1’A utriche, et prěs du Triglav, cf. Slov.
star., II, p. 370.
s Voir plus loin, pp. 156-161 et 214-215.
6 Voir Slov. star., II, p. 371.
7 Voir plus loin, p. 93.
8 Voir plus h au t, p. 79.
LES SLOVENES 87
Les Serho-Croates.
1 Voir plus loin les ch ap itres relatifs aux Tcheques, aux P olonais e t aux
R usses, pp. 158, 164, 213. Une m enue fraction de cet ensem ble croate é ta it aussi
rep résen tée p a r le village de C hruvati su r la Saale (Thietm ar, III, 11), au jo u rd ’hui
K lein Corbetha.
! S ur les rap p o rts que l’on p eu t supposer en tre le nom de C roate et celui
de Картгатг)(; ópo?, vo ir F. B raun, Р азы си. в ъ обл. готослав. отношеній, Снб., 1889,
trav ail qui n ’est p as d’ailleurs sa n s soulever d’objections (Slov. star., I, pp. 297,
428; II, pp. 12 2 , 484). S u r la rela tio n p réten d u e e n tre les C roates et le s anciens
K arpes que G alerius et M axim ianus o n t tran sférés, en 295, en P annonie, voir
Slov. star., Ц, pp jp g et 3 g5 L e nom qes C roates dem eure o b scu r q u a n t á son
étym ologíe (ibid., II, p. 484). L’a tte statio n la plus an cienne en est trouvée p ar
A. Pogodin dans les form es Хороаво?, XopoúaOot; figurant dans des inscriptions
d e T anais des Це-Ще siécles ap rés J.-C. (Сборникъ статей по славянов'Ьд'Ьнію, Спб.,
1902, р. 156). La forme slav e ancienne é ta it Chrňvate, Chorvate, m ais Charvate n ’est pas
un e forme plus récente (voir les diverses form es a ttestées dans Slov. star., II, p. 485).
8 II ne faut pas oublier qu’aux IVе et Vе siécles les différences linguistiques
e n tre les divers parlers slaves étaie n t encore peu im portantes.
92 LE S SLAVES DU SUD
histoire ne commence que plus tard. Le peu que nous fournissent les
sources des IXе et Xе siecles nous permet ponrtant de nous représenter
la situation et les conditions des deux tribus á cette époque.
Les Serbes4, eux aussi, constituaient déja une tribu trěs forte,
lorsqu’ils sont arrivés dans les Balkans. On ne saurait assimiler leur
7
C h ap itre IX.
Les Bnlgares.
Les Bulgares sont des Huns ďorigineг. Ils étaient arrives sur le
Danube, venant de la Volga et du Don, au Vе siecle (car c’est en 482
que Zeno les appelait a 1’aide contre les Gots, et c’est en 409 qu’est
attestée leur premiere invasion des Balkans). Ils prirent part tres sou-
vent aux incursions qui se sont produites au cours du VIе siecle; ils
étaient meme a l’attaque de Constantinople en 626. Mais ils n’en
revenaient pas moins á chaque fois au nord du Danube. C’est la que,
dans les années 635-641, ils réussissent a abattre le joug des Awars
en meme temps que, de leur coté, les Slaves l’abattaient á l'Ouest.
Mais, au debut des années 70 du VIIе siecle, ils se virent obligés, sans
doute par une pression nouvelle des Khazars á l’Est, de gagner vers
le Sud. Leur khakan ctait alors Asparuch (Isperich): il se mit en marche
avec son peuple, s’arreta tout d’abord sur le delta du Danube2, puis,
en 679, franchit le fleuve et occupa rapidement toute la vieille Mésie,
entre le Danube et la contrée montagneuse du Balkan, concentrant ses
sujets dans la Dobroudja actuelle.
Cette occupation et la soumission conjointe des tribus slaves
installées dans cette région se firent dans le calme, sans soulever
de résistance. Loin de la: les Slaves accueillirent les Bulgares comme
des auxiliaries contre Byzance, et ils conclurent avec Asparuch une
convention sur la base de laquelle il organisa tout le territoire, ré-
partit les tribus slaves dans des rósidences nouvelles, soit pour leur
faire défendre le Balkan menace par l’empereur, soit pour garder
l’lbar est absorbee, et, a la fin du IXе siecle, sous le regne du tsar
Sim6on (893-927), la domination bulgare s’etend depuis le littoral alba-
nais, par l’Epire et la Macfedoine, jusqu’en Thessalie, au Sud, et, au
Nord, jusqu’au Sirem et jusqu’a l’interieur de la Hongrie. 1
Cependant les Slaves etablis dans ces regions en tribus 6parses
prenaient conscience peu a peu de leur communaute et de leur unit6,
et ils le manifesterent en acceptant la denomination commune de
Bulgares. C’est de la sorte que les elements qui composent la nation
bulgare se sont rapproches et fondus, tout d’abord sur le terrain poli
tique, mais bientot aussi dans le domaine linguistique et culture! On
ne saurait done parler d’une denationalisation, par turquisation, de ces
Slaves de i’est de la pfininsule; la part de sang stranger qui s’est melee
a leur sang slave, et cela seulement dans la Mesie orientate, est trop
faible pour les avoir profondement transformes8. Les Bulgares sont
demeures des Slaves dans la meme mesure que leurs voisins serbes
ou que les Busses. Si quelque action ethnique a influence dans une
plus grande mesure le type originel purement slave, ce no peut etre
que celle des anciens habitants des Balkans, et cela tant a l’est qu’a
l ’ouest de la peninsule, mais non pas celle des gens d’Asparuch.
Le territoire occupe par les Slaves qui ont contribue, au cours
de l’epoque historique posterieure, a constituer la peuple bulgare s’eten-
dait dans la presqu’ile balkanique depuis la Mer Noire et la Mer Egee
jusqu’a l’Adriatique, au sud de la Bojana, et jusqu’a la Morava. Plus
tard il s’Otendit en outre largement au Nord, depuis la Hongrie moyenne
jusqu’au Seret, et vers le Sud atteignit jusqu’a des parties de la Grece
et jusqu’a I’Archipel. C’etait le territoire slave le plus avancfe au Sud,
mais la population slave, a vrai dire, у etait d’une densite ties inegale,
et il у restait d’importantes surfaces depeuplSes ou peuplees des restes
de la population ancienne. C’est pourquoi, et peut-etre aussi parce que
1 P our itu d ie r les ddbuts de l’histoire de l’6ta t bulgare, il suffit actuellem ent
de recourir a l’ouvrage rd cen t du professeur Z latarsk i (ouvrage prdcitd a la p. 100);
co n su lter en p articu lier le tom e I, pp. 84 et suiv.
2 Michel le Syrien a dvalud la suite d ’A sparuch к 10 ООО honim es (M arquart,
Osteur. Streifziige, p. 484); Z latarski, rdcem m ent, к 20 000 ou 25 000 hom rnes au
plus, en consideration du fait que le p rem ier cam p d ’A sparuch to u t entior avait pu
etre loge dans l’ile de Saint-G eorges (Период. Списание, София, 1902, pp. 326, 330).
Ce ne so n t la san s doute que des hypotheses in certain es, m ais la realitd, a coup
sur, ne les ddpasse g u b re : les B ulgares ne s ’btaient etablis que dans la region du
Deli-Orman.
LES BULGAKES 103
les données dont nous disposons sur les diverses parties de cet ensemble
sont pareillement fort inégales, la population slave nous apparait eomme
formant un certain nombre de groupes séparés les uns des autres, a
savoir: 1°) le groupe du nord ou rnésien. dans l’ancienno Mésie; 2°) le
groupe macédonien; 3°) le groupe grec; 4°) le groupe transdanubien.
Ce n’est qu’á l’égard de ces groupes que Ton dispose de quelques
données, tant quant aux circonstances de leur établissement que quant
á la différenciation des diverses tribus les composant. II serait passé
de la Dacie dans les Balkans, suivant la géographie de Mo'ise de Khorěne
(du VIIe siěcle), 25 tribus slaves: information peu precise á vrai dire,
et que nous tenons pour peu digne de foi; mais nous ne croyons pas
qu’il y eut moins de tribus slaves dans l’Est balkanique *.
1 Voir P atkan o v , JK. M. H. II., 1883, t. 226, p. 25, et Slov. star., II, p. 415.
2 T heophanes, éd. Boor, p. 359: «SxXamvújv éGvwv tát; keropévag řirra
Ttvéa^, xoíx; név Xéfiepee; . . . >. P e u t-ětre faut-il voir, dans la trib u énigm atique
des E ptaradici (« h a b e n t civitates CCCLXIII») du G éographe bavarois, u n écho de
cette notion q u 'av aie n t les B yzantins de sep t trib u s slaves en Mésie. II est possible
que 1 a u te u r latin, com prenant m al le grec, ait transform é fxrxa pabme? en E p ta
ra d ic i; le nom de Sebirozzi qui, chez le rnéme au teu r, figure á coté de celui des
Ouglitches, p a ra it n ’étre a u tre que celui des XéfJepeu; < les S évériens ».
5 L’archeveque des M oraviens éta it p résen t au concile de Pliotios en 879
(Assem anni K alend., Ill, 13S). C onstantin nomm e u n « arch o n te de M oravie (De
104 LES SLAVES DU SUD
le Timok1: il est tres probable que ces deux tribus, elles aussi, apparte-
naient aux sept tribus des Slaves «mesiens » ou, comme les nomment
certains auteurs, «danubiens»s. On voit par la que la zone des Slaves
bulgares s’fetendait deja, aux VIIIе et IX е siecles, jusqu’aux confins
orientaux de la Serbie actuelle.
On ne sait au juste ou residaient ni a qui se rattachaient les Abodrites,
appeles aussi Praedenecenti et signalfe quelque part sur le Danube au
commencement du IXе siele. Les Annales frangnes les mentionnent, a
propos de leurs relations avec l’empire des Francs, en 822 et en 823;
a la premiere de ces dates, dans la relation concernant les dfilegues slaves
a la diete de Francfort (822), on ne peut determiner, itant donne le contexte,
s’il ne s’agit pas des Abodrites de la Baltique; en 823, par contre, le texte
est net: « Abodriti, qui vulgo Praedenecenti vocantur et contermini Bulgaris
Daciam Danubio adjacentem incolunt». L’explication de ces deux noms,
Abodriti et Pr uedeneccnti, est igalement obscure. Peut-etre le premier
contient-il le nom d’une riviere de la Hongrie meridionale, le Bodrog,
affluent de la Tisa infferieure. Quand au second, il est ordinairement
rattachi) au nom de la ville de Branicevo, sur la Mlava (byz.BpaviTCo(3a,
BpdviT^a, latin Brandiz, Brandiez, serbe Branicevo), mais c’est la une
explication douteuse, et l’ou ne sait pas davantage ou ces Slaves etaient
situes, ni s’ils etaient plus proches des Bulgares ou des Serbes3.
Par exem ple d an s Theophanes, éd. Boor, pp. 347, 364, 43 0 ; B arhebrseus
II, 118, N ikephoros, B rev., éd. Boor, 218, etc. Voir Siov. star., II, p. 421.
3 Légende slave de M éthode, cap. V (éd. P a strn e k : D ějin y slovanských
apoštolu C yrilla a Methoda, v Praze, 1902).
3 Voir plus h au l, p. 84. On tro u v era l’étude la p lus approfondie de cette
question dans l’ouvrage de V. Jag ic : Entslehungsgeschichte der kirchenslavischen
Sprache, 2® éd., Berlin, 1913.
106 LES SLAVES DU SUD
Los tribus slaves qui, ďaprěs les sources, tenaiont les environs
do Salonique, cette ville memo n’ayant plus gardé en sa possession
propre qu’une zone d’une vingtaine do kilometres de largeur, étaient
les suivantos1.
A 1’Ouest se trouvaient les Sagoudates (ХароиЬсітт, des Leg. Dem.;
ou Xayoubaoi, d’Anna Komnena; ou ХауоиЬатої, de Joan. Kameniates),
de qui le nom est ďorigine inconnue, et, a coté d’eux, les Rynchiniens
(‘PuYXivoi, ou ХкХсфіуоі атго тоО 'PuyxKou, dans les Leg. Demetr., et
ailleurs 'Pr]x*vol)> sur la riviere Rynchinos, que l’on n’a pas encore
réussi á identifier2. Ces deux tribus, ďaprěs les documents anciens,
occupaient méme une partie de la Chalcidique, et en particulier la
montagne de ГAthos8. A l’ouest de Saloniquo encore, entre Salonique
et Verria sur la Bystrica, se trouvaient les Dragouvitcb.es ou Drougou-
vitches (Дрои'і'оирітаї, des Leg. Dem. et de Joau. Kameniates), la oil il
est mentionné plus tard un évéque qualifié еттісгкотто^ irjq Дроиуои-
Prriaq 4 .
De 1’autre coté de la ville, á 1’est, sur la Basse et la Moyenne
Struma, étaient établis les Strumiens (ГкАсфТуоі oi атт tou 5/rpupwvoq,
dans Leg. Dem., Хтрироуїтаї chez Joan. Kamen.): ils atteignaient jusqu’au
lac de Langaza. Puis venaient, sur la Moyenne et sur la Haute Mesta,
les Smoliens (XpoXéavoi, Corpus inscr. graec., IV, p. 318; XpoXévot, Nik.
Akom.), qui s’étendaient jusqu’a l’Arda supérieure, comme en témoigne
le nom actuel de Smiljan (en turc Ismilan).
La partie centrále de la Macédoine était tenue par les Berzites
(BepZfyrcu, Leg. Dem), dont l’habitat, que Telerig chercha á envahir en
773, était probablement la zone méme oil le nom de Brsjaci s’est
maintenu jusqu’a nos jours pour designer les gens des régions d’Ochrida,
de Bitolja (Monastir), de Přilep, de Kičovo, do Krusevo et de Veles.
1 Hopf 1’identífiait aussi avec le pays qu’on appelle BeXuiyría, m ais ce d ernier
p a ra it etre la terre des V élégésitclies en Tliessalie.
* Toul a u plus pourrait-on ie tro u v e r le nom de la tribu bulgare des P ijanci
dans le nom du p a y s de TTidvirZa, TTíovtZo^, qui figuře d éjá d an s la liste de l a
prem iére bulle ď o r d e Basile.
3 Nous n ’avons pas encore ď an aly se détaillée et p recise de la nom enclature
topographique de 1’A lbánie. Les m atériau x les plus nom breux o n t été recueillis
p a r V. Makušev dans le trav ail inlitu lé Іісторіїческія равьісканіл o Слаилнах-и в ь
Албанія, В арш ава, 1871), N ovakovič a relevé, sur 72 villages de l’éparchie de
K orea (Koritsa), une bonne m oitié de nom s slaves. Voir aussi H ahn, Albanesische
Studien (1854), 1 , pp. 310, 334.
4 V oir Slov. star., II, p. 4,32.
108 LES SLAVES DU SUD
1 Sur les a u tre s localisations possibles, v o ir Slov. star., [I, p. 438. La force
de ťéléin en t slave en É pire e st su rto u t m ise en lum iěre p a r P. A ravantino
(XpovoYpatpía tíís ’Hirdpou, A thěnes, 1857, II, p. 313), qui a trouvé 717 nom s
slaves, sur 1539 nom s de lieux, en p articu lier d an s le d istrict d ’A vlona (sur
619 nom s, 331 slaves) Voir l’ouvrage précité de M akušev (p. 107).
- Les sources des XIIе et XIIIе siěcles ap pellent cette contrée Belegezitia,
et c’est h elle aussi que doit pro b ab lem en t se ra p p o rter I’appellation de B elzitia,
attestée au VIIIе siěcle (voir p. 107).
3 C onstantin P orphyrogéněte, De adm. imp., 50.
4 Nous n 'av o n s pas d’argum ents suffisants pour considérer les Mamotes,
Maniates ( M a v u i r a i ) voisins, n o n plus que les T sakones (TZriKiJuve<y, étab lis en tre
le P arnon et le golfe ďA rgos, comm e d ’anciennes tribus slaves. Mais il est v rai
que des Slaves o n t h ab ité autrefois dan s ces régions. On lit encore dans le tra ité
de Vemse de 1485: « a d p artes Z acbonie sive Sclavonie » (Vasiljev, op. cit., 438).
6 La nom enclature topographique n ’a m alheureusem ent p as encore été
suflisam m ent étudiée á. ce point de vue. On p eu t consulter du m oins les trav au x
d’A. Hilferding (articles de la Р у сская БесЬда, 1859, IV, e t 1’ouvrage intitu lé
IIcTopifl Сербопъ и Болгаръ, Собр. соч., I, 281), d’Arn. C ervesato (dans le Pensiero
ital., 1896, fasc. 47-48) et de J. V ařeka (sur «les nom s slaves dans la topographie
de la G réce m oderne » (Program m e du gym nase de B udějovice, 1902) Pour ce qui
concerne les élém ents slaves dan s la langue grecque, vo ir su rto u t le trav ail ancien
de Miklosicli (Denkschriften de PA cadémie de Vienne, Phil. hist. Classe, 1870,
LX1II) et les études récen tes de M. V asm er (Греко-слав. этюды, I-II, dans les
Ивв. отд. русск. яз. и слов., 1906-1907). Voir aussi Slov. sta r., II, p. 441.
LES BULGARES 111
portante des Slaves du Sud qui у avait élu domicile. Nous ne savons
d’eux que fort peu de choses, mais assez cependant pour les rattacher
aux Slaves établis dans la partie orientale de la péninsule. On leur
donne le nom de Slaves de Dacie parce qu’ils occupaient l’ancienne
Dacie de Trajan. Miklosich et Kopitar voyaient jadis en eux une
branche particuliere des Slaves du Sud, plus voisine des Slovenes que
des Bulgares1. Mais nous savons aujourd’hui que cette vue n’est pas
justifiée. Les Slaves installés en Dacie čtaient, du point de vue
liuguistique et ethnographique, tout proches de ceux qui devinrent
plus tard les Bulgares slaves, et ils avaient meme avec ceux-ci des
liens politiques.
Des 631, les Bulgares turco-tatars s’efforcent de dominer les
Avars en Hongrie2 et l’on sait par diverses relations qu’a partir de
la fin du VIIIе siecle leur empire atteignait jusqu’a la Hongrie du
sud et meme, á partir de 829, jusqu’a la Pannonie3. Aussi le Géo-
graphe bavarois indique les Bulgares {Vulgarit) comme voisins de
l’empire bavarois, et Alfred situe le Pulgaraland dans le voisinage de
la Carinthie4. La Vie de Saint-Naoum et la Cotiversio Bagoarioram,
vers 836 s, temoignent de meme du voisinage des Bulgares avec la
Pannonie. En 892, Arnulf demande aux Bulgares de ne pas donner
aux Slaves de Moravie du sel des salines hongroises6. On conqoit,
dans ces conditions, que la Valachie, jusqu’au Prut, ait été bulgare et
au pouvoir des Bulgares: c’est a elle que se rapporte, au IX е siecle,
l’appellation « BouXyapict exeTGev too "Іотрои тготацоО », c’est-a-dire «la
Bulgarie de l’autre coté de lTster», par opposition á «la Bulgarie de
ITster » (« évTÓg гои *1агрои » 7).
La parenté des Slaves de ces regions avec les Slaves devenus
plus tard les Bulgares ressort notamment des traits phonétiques distinc-
tifs, á savoir št, žd et les nasales, qu’offrent certains noms de lieux.
1 D’aprěs T htophan es, Cont., II, 10, la m igration des Slaves en Asie M ineure
éta it im portante děs av a n t 821.
* Voir ci-dessus, p. 97.
s A nna K om nena, A lex., XV, 2.
4 C onstantin P orphyrogéněte, D e cerem., II, 44-, 45.
s P o u r les détails, vo ir Slov. star., II, p. 464.
8*
T R O IS IE M E P A R T I E .
Ch apitee X.
Le groupe slave qui, comme on l’a vu, s’etait constitue, par l’effet
d’une differentiation dialectale croissante, dans la partie occidentale de
l’habitat primitif, subissait depuis longtemps d’autres influences cul-
turelles que le groupe oriental; il devait, avec le temps, se trouver
dans des conditions nouvelles, different plus profondement encore de
celles de l’autre groupe, en un mot, dans un nouveau milieu. La plus
grande partie, d’ailleurs, de ce groupe occidental s’est detachee meme
geographiquement des autres Slaves, quittant son coin natal dans l’habitat
commun pour tendre vers l’Ouost, c’est-a-dire vers I’Oder, vers l’Elbe
et, au dela de ce fleuve, vers la Saale, et aussi dans la direction du
Sud-Ouest, jusqu’au dela du Danube moyen, jusqu’a la Baviere d’au-
jourd’hui. Comme, dans le meme temps, le groupe meridional, presque
en son entier, s’etait mis en mouvement vers le Sud, descendant en
Hongrie, vers la Mer Adriatique et vers la poninsule balkanique, et
comme les rapports entre l’un et l’autre groupes 6taient rendus de plus
en plus laches par les obstacles qui les separaient dcsormais, soit les
vastes et inaccessibles marais de Rokytno, soit le bloc des Prussiens
de Lithuanie et des Iatvingues (en russe Aranm), le groupe de l’Ouest,
dans ses parlers, dans sa culture, dans sa vie politique, commenqa a
se dGvelopper de raaniere propre, independamment des Slaves du Sud
et de ceux de l’Est. Ainsi est apparue et a pousse la branche des
Slaves occidentaux, et ce processus, commence avant notre ere, ne s’est
l ’a n c i e n n e g e k m a n ie o k ie n t a l e 117
1 Sauf la petite trib u des O síens et des Cotins, dan s la région du Sud-F,st,
dont Tacite dit qu’ils é ta ie n t ď o rigine p annonienne et gauloise (Germ ania, 43).
* Voir S trabon, VII, 1, 3 ; T acite, Germania, 38, 39-43; Ptolém ée, II, 11;
Dio C assius, LI, 22, 6.
L’ANCIENNE GERM ANIE ORIENTALE 119
1 P our l’histoire de ces diverses trib u s germ aniques, voir le s réccn ts m anuels
de L. Schm idt, A llgemeine Geschichte der gertnanischen Vijlker (M ünchen, 1909),
Geschichte der deutschen Stäm m e (Berlin, 1913;, et O. B rem er, E thnographie der
germanischen Stäm m e (Strassburg, 1900).
2 Voir Slov. star., Ill, p. 27.
l ’a n c i e n n e g e r m a n i e o r i e n t a l e 121
1 Voir plus haut, pp. 21,118. E n ce qui concerne les nom s celtiques, il s’agit sur-
tout des nom s de rivieres, que J. R ozw adow ski e t Al. Sachm atov considferent comme
celtiques, e t des nom s des statio n s com m erciales conserves chez Ptoldmee, dont
plusieurs p rise iite n t u n caractfere celtique incontestable. M ais j ’ai d i j ä indiqud que
les theories philologiques de R ozw adow ski e t de Sachm atov se sont h eu rtees ä
une opposition considerable (voir ci-dessus, p. 25).
.124 LES SLAVES DE L ’OUEST
le dernier paysan sachant dire le pater slave (il s’appelait Yarac) soit
mort il у a plus d’un siecle, en 1798.
La frontiere de cette region slave, d’apres les recherches de Muka,
allait de l’embouchure de l’llmenau, par l’Aller inferieur, par Burgdorf
(au sud de Zelle), par la Peine (a I’ouest de Brunswick), par Helmstedt,
jusqu’ä rembouchure de l’Ohre (ancienne U ra?), au sud de laquelle
les noms slaves disparaissent sensiblement1.
Peut-etre la Yieille Marclie (Altmark) a-t-elle ct6 jadis slave:
mais, ä partir de 822, Гоп n’y trouve que des noms de villages allemands,
et bientot apres il en est de meme dans le bassin de 1’Ura (Olire).
La Thuringe voisine, entre l’Elbe, l’Ura, la Bode et la Saale n’a
toujours et:6, eile aussi, que peu peuplee de Slaves.
A l’est de la Saale, tout otait slave; ä 1’ouest, les Slaves ont
depasse la riviere, par groupes de colons disperses dans une region par
ailleurs allemande. Les colonies slaves entre Erfurt et la Saale se
trouvent mentionnOes dans l’acte de Dagobert III de 7062; d’autres
documents datent de 937 et 973; d’autres se trouvent dans l’inventaire
des biens d’un couvent ä la Pulda et au Hersfeld au VIIIе siecle3.
Dans la Vie de Saint-Sturm par Eigilius, il est fait mention de Slaves
sur la Fulda4, et l’on trouve en effet dans toute cette rdgion une assez
abondante nomenclature slave. Le territoire compris entre l’Unstruta
(Unstrut) et la Yipra (Wipper) est designO au Xе siecle comme «pagus
Winidon» et, au XIе siecle, les environs de Saalfeld comme «regio
Sclavorum5. En 1055 on rencontre des Slaves jusqu’aux environs de
Götfingen6. La frontiere slave longeait probablement la Saale, mais elle
formait saillie le long de l’Unstruta et de la Yipra, contoumait Gotha
vers la Werra moyenne, la Haute-Fulda, d’ou elle revenait par
s’appelle dans les sources urhs, civifas; une place secondaire, castrum,
castellum; une colonie, un village non muni d’enceinte, oppidum,
suburbium, villa. Hey évalue 1’étendue normále ďun ancien радия
sorabe á 15-20 villages1. Quant aux véritables villes, comme Jummeta
ou Yolin, il n’en existait naturellement que peu, et cela surtout dans
le Kord, a proximité de la mer.
Les Slaves, a leur arrivée dans 1’Ouest, se divisaient еисоге en
unites ďordre inťérieur, peuplades et tribus dirigées par des chefs.
Mais bicntót il devait se former, autour des tribus puissantes et de
Ieurs chefs, des alliances cimentées par les liens de parenté, par la
similitude des parlers et Ie culte des dieux communs. Telle fut 1’origine
des nations (natio, gem, populus) dont les chefs sont désignés génórale-
ment dans les sources par Ie titre de princeps, ou moins souvent de
dux, rcgulus, rex, par opposition tant aux chefs des families et des
tribus, les primores, meliores, praestantiores, qu’au peuple appelé vulgus,
populus. Le titre slave de kněz « prince » (kimgzi, dérivé du germanique
kuning) est attesté chez les Obodrites des 1’année 828 (Ann. Я. Canuti,
828: chnese). Les plus forts parmi ces princes, ceux qui avaient su en
dominer d’autres plus faibles, devenaient de grands princes ou rois de
groupes ethniques entiers. Mais ceux-Ia ne nnus apparaissent que de
temps a autre dans les groupes ci-dessus mentionnés: ainsi Miliduch
choz les Sorabes « rex superbus qui regnabat in Siurbis» (Ch>on.
Moiss., 806), ou Dragavit, en 789, chez les Véletes, au sujet de qiu
Einhard écrit: «Dragavitus rex . . . ceteris Wiltzormn regulis et
nobilitate generis et auctoritate senectutis longe proeminebat» 2.
Cepeudant les cinq grandes confédératiuns ethniques que nous
avons indiquées n’ont pas du seulement leur formation á des efforts
dynastiques de cette sortě: il faut nécessairement supposer qu’elles ont
été en méme temps grandement favorisées par la parenté des families,
de la langue et de la civilisation. II n’est que quelques moindres
tribus, installées a la bordure des regions principales, dont on ne sait
exactement si elles ont appartenu originellement a tel ou tel groupe,
si parfois meme on n’est sur (c’est Ie cas pour quelques-uns) qu’il
leur est arrivé de changer ďappartenance.
Les Sorabes.
1 Voir p. 135.
2 Voir, p o u r les détails, Slov. star., Ill, pp. 112 et 191.
' E- Muka, « Die G renzen des serb. Sprachgebietes in alte r Z eit >
[Archiv f ü r slav. P hil., XXVI, p. 543).
144 LE S SLAVES DE L ’OUEST
1 < Sorabi Sclavi qui cam pos in te r Albim et S alam in teriacen tes incolunt >
(E inhard, A n n ., 782). Le pays est appelé dans les sources ď a b o rd ď u n e fapon
corrom pue provincia Sarove, Z rib ia , Z urba pagus, Sivnrbelant, puis plus tard géné-
ralem enl Sorabia.
s P our les anciennes tran scrip tio n s latin es de ce nom et des au tres nom s
sorabes, pour la plupart sensiblem ent corrom pues, vo ir Slov. star., Ill, pp. 115 et suiv.
SOEABES, POLABES ET POAíÉttANIENS 145
1 Nom incertain. Les docum ents d o nnent une fois Chutici e t une au tre
fois Scudici (Slov. star., Ill, p. 118).
* Voir p. 143.
3 Voir plus h aut, p. 126.
4 Cette ligne sép aran t, ď ap rě s le dialecte, la B asse-Lusace de la H aute-
Lusace et, k 1’époque ancienne, la Lusace proprem ent dite du territo ire des
M iltchanes va, ď ap rěs Muka (article cité, p. 558), de Z ah aň p a r Mužakov (M ushau),
Grodk (Sprembtrg), R olany (E uh la n d) ju sq u ’a Bělgora (B elg em ) su r l’Elbe.
10
146 LE S SLAVES DE L ’OUEST
rfegion une autre place appele Zgorelec. Les Lusaciens (Lusici, originelle-
rnent avec la nasale Lunsici; plus tard, a partir du X IIe siecle, Lusatia
pagus) n’etaient origiuellement que les habitants de la Lusace, entre
la Polznica, l’Elster Noir et le cours inf6rieur de la Bobra jusqu’a
Zahan. Nous avons deja d6termin6 la limite de leur territoire et de
celui des Luticiens K C’est a la Lusace que se rattachaient peut-etre
aussi les Trebovanes (aux environs de Rozburg?) et, au confluent de la
Gwizda et de la Bobra, las Jarovanes, dans les environs de Zarov
(Solirau), et les Sloublianes sur la riviere Sluba, entre la Spreva (Spree)
et l’Oder. La situation et l’appartenance de la tribu mentionn£e par
le Geographe bavarois du IXe siecle sous le nom de Lupiglaa restent
6nigmatiques.
1 P our l ’histoire de ces groupem ents voir les tra v a u x anciens de L. Giese-
brecht, Wendische Geschichten aus den Jahren 780-1182; de W. BogusJawski, Dzieje
Stoivianszczyzny potnocno-zachodniej do potow y X I I wiehu (Poznan, 1887-1900); et
aussi le beau volum e cle Kaz. W achow ski, Stoivianszczyzna zachodnia (W arszawa,
1903), et 1’élude de B. Schm eidler, Ha/nburg-Aremen und Nord-Ost-Europa von
dem I X bis X I Juhrh., Leipzig, 1918. Voir au ssi Slov. star., HI, p. 155.
* Voir Slov. star., Ill, p. 126.
3 Voir plus h au t, p. 133.
10*
148 LE S SLAVES E E L ’OUEST
il est mentionné comme leur appartenant une série de pagi dont Suselci
(Susie) et le pagus Plun avec la place de Plun (actuellement Plon).
La place principále des Vagriens était Stargard-Aldenburg (actuelle-
ment Oldenburg).
Les Polabes (Polabí) résidaient le long de l’Elbe, d’oii leur nom
(po Labe « le long de l’Elbe»). Ils comprenaient, a ce qu’il semble,
plusieurs petites tribus dont les Smeldingi {Smolinci?) á 1’embouchure
de l’Elde, les Větnici ou Beteňci1 et le pagus Mintga, á coté des
Linanes2.
On ne sait s’il faut rattacher aux Obodrites ou aux Luticiens la
grande tribu slave des Drévanes qui occupait la rive gauche de
1’Elbe, jusqu’a la ligne Hambourg-Zelle-Brunswick-Helmstedt-Magde-
bourg. L’artere centrále du pays des Drévanes était la riviere Jesna
(aujourd’hui Jetzel), et c’est la que des restes des Slaves se sont
maintenus le plus longtemps, jusqu’a la moitié du XVIIIe siěcle3; le
nom ancien de Dravaina s’est merne conserve jusqu’a nos jours
(Drawehn) pour designer la région comprise entre Luchow et Uelzen
(Olšina?). Les documents historiques ne mentiounent qu’une seule fois
cette grande famille des Drévanes, a savoir dans une cbarte de Henri II
de 1’année 1004 (Drevani).
Les Vélětes étaient une forte tribu qu’on trouve déja probable-
ment au IIe siěcle, chez Ptolémée, sous le nom de OůéXicu4. Ils fignrent
sur sa carte bien plus loin vers l’Est, quelque part sur la cote
prussienne, au delá de la Vistule, soit que Ptolémée ait étó mal
informé sur la région de la Vistule, soit — et cela semble plus
probable — que les Vélětes, a une époque antérieure á celle de
Ptolémée, aient rósidé encore plus á l’Est et n’aient pris possession
de leur habitat historique sur l’Elbe que plus tard, alors quo le
mouvement général des Slaves était dirigó vers 1’Occident et que les
Allemands avaient évacué, au IIIe et au IVe siocles, la Germanie
orientale.
Du IXe au X Ie siěcle le nom de Vélětes ( Velti, Veleli, Vdetain)
était appliqué surtout au groupe des quatre tribus installées entre les
1 Le nom est généralement trěs corrompu dans les sources: voir Slov. star.,
Ill, p. 129.
s Voir p. 151.
3 V oir plus haul, p. 133.
4 Ptolém ée, 111, 5, 10.
SOJÍABES, POLABES ET POMEBANIENS 149
1 Ann. Saxo, 952; Adam, II, 19; Helmold, I, 2, 21, Ann. Quedl., 789.
2 <Fortitudine celebres» (Adam, III, 21), « gens bellicosa » (Einhard, 789),
" durissina gens luticensis » (Cosmas, I, 15), « ferocissima natio Seleucia » (Oallus
proemium). M. Bruckner explique Vilci par la palatalisation de Veit (Slavia, I,
!922, p. 386).
1 Pour les Voloti russes, voir Slov. star., Ill, pp. 134-135.
4 H ist. Eccl., V, 12.
6 Slov. star., Ill, p. 135.
150 T.ES SEAVES DE E ’OUEST
prince de tous les Luticiens. Ils résidaient autour de leur place prin
cipále dite d’abord Biedigost*, plus tard Betra2, avec le célebre temple
de Svarožič-Radogost et avec un oracle recherché par les Slaves de
toute provenance: « civitas vulgatissima, sedes ydololatriae», comme
l’appelle une fois Adam, et «metropolis Sclavorum », comme le meme
auteur la nomine une autre fois3. Retra fut renversée en 1121 par
Lothaire. II a été jusqu’ici impossible, malgré les efforts persévérants
des arcbéologues allemands, d’en identifier exactement. 1’emplacement;
mais on la situe généralement aux environs de Neu-Strelitz ou des
lacs Müritzersee-Tollensee 4. C’est lä, dans cette région niarécageuse, que
résidait jadis la tribu des Rétranes.
Cette tribu avait pour voisins les Dolens (DoJenci ou Dolenčane,
Tolensani, de la région de Dolenz), atteignant au Nord jusqu’ä la
Pěna et au Sud jusqu’ä la forět vierge s'étendant entre le lac de
Dolenz et la riviere Ukra, — puis les Tchrezpénanes (drzipcini),
dénommés ainsi en raison de la situation de leur habitat au delä do
la Pěna ou Peene (t c h r e z en vieux slave c'resu «au delä de»), comme
l’ont note, avec juste raison, Adam et Helmold. Séparés des Dolens
et des Ratars par la Pěna, ils atteignaient au Nord jusqu’ä la place
de Wurle sur la Varnava. Leurs principales places étaient: Dimin
(Demmin), Yeligost (Wolgast) et Gockov (Gützkov). Plus tard, la Circi-
panie comprit aussi la province dite Tribucensis, sur la riviěre Trebel,
et Barta vis-ä-vis de la Rujana. Entre les Tchrezpénanes, les Obodrites
et les Vamiens, auprěs de la mer, se trouvait l’liabitat d’une quatrieme
tribu, celle des Khyzines (Kycini ou Chyzini), dont le nom est saus
doute dérivé du slave' chyzž «cabane de pécheur», qui a passé en
allemand sous la forme Kietz, Kietzin1.
Mais, eu dehors de ces quatre principales tribus des Luticiens,
les sources citent encore dans le voisinage toute une série d’autres
tribus dont la parenté et l’appartenance demeurent inconnues. Ce n’est
qu’ä en juger d’aprcs leur position géographique, par rapport aux
limites du domaine sorabe telles que les a déterminées Muka, qu’on
peut les considérer comme se rattachant aux Luticiens ou du moins
aux tribus les plus proches de ceux-ci. Tel est le cas des Moritchanes
(.Morizi), les uns entre le lac de Müritz et celui de Dolenz (Můritzer-
See, Tollen-Ste), les autres (Morezini) sur l ’Elbe, vis-ä-vis de Magde-
bourg, ä cóté de Serbište et de Píony; — puis, sur la riviéře Havola
(Havel), de deux fortes tribus, les Brijanes (Brizani), dans la région
dite aujourd’hui Priegnitz avec la place de Havelberg, et les Stodoranes
(Stoderani) dits aussi Havolanes (Hevelli, Heveldi),_ avec la place de
Brandebourg (Brennaburg) et Potsdam (Podstupim), mentionné des 9932.
Le petit pagus Kieletici, entre la Stepenica (Stepenitz) et la Dossa
(Dosse), semble avoir aussi appartenu aux Brijanes, ainsi que peut-ětre
la tribu des Linanes ou Glinanes (les formes latines sont corrompues:
Linones, Lini, Liuni, Lingones, Linages, etc.) qui résidaient sur la rive
droite de l’Elbe, au delä du pays des Polabes, ä coté des Yamiens,
jusqu’a la Stepenica. Les autres petites unités nommées dans les actes
impóriaux et dans ceux des papes sont encore les suivantes: Lisici sur
l’Elbe; les Sěmčici, sur le Strumen; Mintga, ä proximité des Linanes;
Dassia ou Doxani, pres du bourg de Visoka ( Wittstock) ; les Lou-
bouchanes, pres de Lubuš sur l’Oder; les Sprevani, sur la Sprée
moyenne; et les Попі (Ptony) aux environs de Belzig. Toutes ces
families étaient plus proches des Luticiens que des Sorabes.
Par contre, on ne sait si les tribus résidant entre le cours
inférieur de l’Oder, la Pěna et la Dolenca (Tollense), dans la région
traversée par l’Ukra (Ucker), étaient du groupemeut des Luticiens ou
bien déja poméraniennes. Adam et Helmold limitent le pays des
Luticiens par le cours de l’Oder, et c’est pour cela que je les men-
tionne dans leur groupement. Ces tribus sout celles des Ukranes
(TJcrani, TJcri), le long de l’Ukra, et, en outre, les petites agglomérations
ou pagi des Eétchanes (Riezani), de Ploth, de Chorice, de Mezirečje
(Mezirech), de Grozvin, de Wanzlo, ďOstrog ( Wostroze), toutes situées
entre le cours inférieur de 1’Oder, le cours supérieur de la Havola et
la Pěna1.
Les tribus des iles du golfe de l’Oder, d’Uznoim, de Volin et de
Eiigen formaient, elles aussi, un groupe indópendant et de premiére
importance du point de vue historique, mais dont il est impossible de
décider s’il se rattachait aux Luticiens ou bien aux Poméraniens.
La principále de ces tribus était celle des habitants de 1'ile de
Eiigen ou Eana (Bviana), dénommés Eugiani «Eugiens» (en slave
Ruiani) et plus tard de maniěre générale Raní. A ťépoque andenne,
il n’en est que peu question; mais a partir de la moitié du X Ie siccle
ils figurent á la place principále. Adam les appelle «gens fortissima
Sclavorum», et Helmold ajoute: «Sunt autem Eani populi crudeles,
ydololatriae supra modům dediti, primátům preferentes in omni Slavorum
natione2». Cette puissance et cette reputation étaient dues surtout au
temple ďArcona consacré á Svantovit, le premier des dieux slaves,
avec un orade recueillant des tresors de tous les pays slaves; elles
étaient dues aussi aux nombreuses expéditions de pirates dont le butin
étáit rassemblé dans la place des Eugiens qu’on appelait Arcona. Mais
quand, á la suite de luttes nombreuses, les Danois finirent, en 1168,
par renverser Arcona, la force et la gloire de 1’ile de Eůgen
s’écronlérent avec cette place, et il ne reste plus aujourďhui que des
restes de robustes remparts indiquant, á 1’extrémAé septentrionale de
1’ile, a coté de la colonie de Puttgarten, 1’emplacement ancien ďArcona
et du temple célěbre de Svantovit3.
Les habitants d’Uznoim, eux, ne se sont jamais fait particuliěre-
ment valoir. Ceux de Yolin n’ont pas non plus atteint la puissance et
la reputation des Eugiens, bien que leur place principále, que les
sources appellent Volin (Winetha, en allemand) ou Julin, Jumme,
Jumneta, soit sign a16c par Adam1 comme la plus grande des villes.
slaves, comme une cit6 pleine de richesses et habitee par un grand
nombre d’6trangers2.
Les Pomeraniens.
1 Adam, II, 19. — Les noms diffirents de cette place ont donni lieu k de
nombreuses discussions sur le point de savoir s’ils designent tous une ville ou
des villes diffirentes. Pour les ditails voir Slav, star., Ill, p. 150.
‘ II y avait surtout des Grecs et des Danois, les derniers a peu de distance
de la ville, dans la forteresse dite lom sburg, dont le nom est probablement en con
nexion avec celui de Jumne, Jumneta donni 5 Volin lui-meme {Slov. star., HI, p. 150).
s Voir Slov. star., Ill, p. 151.
4 Herbord, II, 1.
s Slov. star., Ill, p. 152.
154 LES SLAVES DE L ’OUEST
tribus, ni d’autres families; Herbord, seol, écrit (I, 2): «varii Poine-
ranorum populi1». Leurs descendants, qui résident jusqu’a aujourďhui
á 1’ouest du delta de la Yistule, présentent aussi deux families assez diver-
gentes: ďune part, les Kachoubes, dans la region comprise entre
1’embouchure de la Vistule, j'usqu’au lac de Žarnov, et la ligne Bytów,
Lqborg, Miastto (Starsen), Ferstnowo, Kamieň; — et, ďautie part, les
Slovinces (Stovinc, en polonais Stowienec) aux environs du lac Leba.
Leur nombre total, de nos jours, ne dépasse pas 200.000 individus.
L’existence des Kachoubes au X е siecle est attestée par une note du
géographe arabe Mas udí: la mention ďune tribu slave dite KlišaMn
ne peut, en effet, se rapporter qiťá eu x ; mais il n’y a pas ďautre
tribu poméranienne citée a date ancicnne.
Parmi quantité de places connues par la relation de la mission
d’Otton, éveque de Bamberg, qui a évangélisé le pays en 1124-1128,
la ville de Stetin (Štětino) constituait la metropole poméranienne. La
place était entourée d’eau et inaccessible: «civitas antiquissima et
nobilissima in terra Pomeranorum, materque civitatum », écrit Herbord 2.
A l’exception et de quelques descendants des Poméraniens (les
Kachoubes et les Slovinces) et des Sorabes (les Lusaeiens), le vaste
groupe des Slaves occidcntaux de l’Elbe et de la Baltique a disparu
dans la lutte que les Allemands ont menée contre lui depuis l’epoque
de Charlemagne jusqu’au XIIе siecle, lutte qui a duré pres de 400 aus.
Les Luticiens ont été totalement exterminés, ainsi que les Obodrites;
les demiers survivants des Drévanes se sont éteints au XVIIIе siecle, et
les Lusaeiens, les Kachoubes et les Slovinces apparaissent aujourďhui
comme trop peu nombreux pour pouvoir maintenir longtemps leur
nationalité sans un secours extérieur3.
Les Slaves ont succombé, nialgré toute leur force et leur bravoure,
parce qu’entre eux et les Allemands la lutte était trop inégale. Au
grand empire germanique forlement uni et soutenu par tout le poids
de l’Eglise romaine, ils n’ont pu opposer que des unites divisees elles-
memes en un grand nombre de petites tribus, qui non seulement n’ont
jamais su former un seul bloc centre les Allemands, mais parfois meme
se sont alliees aux Allemands pour se combattre les unes les autres:
e’est ainsi que les Obodrites ont jadis combattu des Luticiens, contre
qui ils nourrissaient une vieille hostility; e’est ainsi que les Tcheques
eux-memes ont parfois pretfe aide aux Allemands. Ce n’ont ete que
des succes vains, — si grands, si glorieux et meme si efficaces qu’ils
aient paru au premier moment, — que, par exemple, celui du sou-
levement des Obodrites et des Luticiens en 983, ou celui de la bataille
de la Havola en 1056. Ce n’ont et5 que de vaines tentatives que
celles de former de grands empires slaves, comme l’ont tent6 le Polonais
Boleslav le Yaillant (992-1025), puis Gotschaik l’Obodrite (1043-1066),
puis Krut le Banien (1066-1105), et enfin le fils de Gotschaik, Henri
(mort en 1119). En 1068 e’est la chute de la c61ebre Eetra; en 1168,
celle d’Arcona, plus celebre encore; en 1177, Volin est incendiy, et,
a partir de la seconde moitife du X IIe siecle, tous les Slaves, y compris
les Pomeraniens (depuis 1167), se trouvent sous le joug allemand; et
ce joug ne comportait pas seulement pour eux la perte de la liberte
politique, de leur ancienne foi et de leur culture propre, mais aussi
celle de leur nationality, car ceux qui n’etaient pas exterminfe devaient
Subir desormais l’effort d’une germanisation assidue, que soutenait la
reprise de la colonisation allemande dans des regions que les Germains
avaient jadis habit6es au debut de l’ere cbrfetienne. L’histoire de cette
colonisation ne rentre pas, d’ailleurs, dans les cadres de cet ouvrage.
C h a p it r e XY.
1 P our les Zličané, vo ir Kosm as, I, 27 ; C hristian, 10; Dalimil, éd. Mourek,
PP. 41, 51.
2 L a prem iére m ention á ce sujet se trouve, au début du IXе siěcle, dans
Un passage corrom pu de la Chron. Moissiacense et des A nnales de J. Tylius, an n ée
(voir Slov. star., Ill, p. 201). On n ’a pas ju sq u ’ici ré u ssi á tro u v er une in ter
pretation exacte de ce nom dont l’origine est p robablem ent slave (voir Slov. star.,
> P- 202, note 4).
160 LES SLAVES DE L ’OTJEST
1 Einhard, Annales, 79 1 ; F ried rich , Cod. dipl Bvem., I, 41. Voir p o u r cette
question Slov. star., Ill, p. 212.
2 Voir plus h aut, p. 82.
3 Slov. star., Ill, p. 214.
II
C hapitre X V I .
Les Polonais.
1J*
164 LES SLAVES DE L ’OUEST
1 L eur nom est d érivé de la riv iéře Sleza (au jo u rď h u i Lolie) et de la m on-
tagne de Slez (aujourď hui Sobotka), oťi éta it le u r centre. P our les rap p o rts entre
le nom de S lfz et le germ anique S itin g , voir plus haut, p. 127.
2 Voir plus h au t, pp. 146, 159.
s P ar exem ple d an s les liv res de Bielowski, de Sm olka, de B oguslaw ski,
d e Bobrzyiiski, de Bartoszew icz, e tc . : voir Slov. star., I ll, p. 224.
4 Voir plus hau t, pp. 91, 158.
5 Voir plus loin, p. 223.
LES POLONAIS 165
1 C’est aux L iakhs qu’il fau t ra tta c h e r au ssi le nom de L m gones qu’on
trouve d an s l’histoire de T hom as de Spalato (VII: * ven eru n t de p artib u s Poloniae
qui Lm gones appellantur»).
* L a form e adjective est en vieux slave IfdtskU « p o lo n a is» , voir Slov.
s t a r ., ] ц ; p 228.
166 LES SLAVES DE L ’OUEST
' C 'est cette population que l’on appelle c L iakhs (Lachy) m oravo-silésiens* ;
la portion de M oravie qu’elle occupe est dénom m ée en tchěque Lašsko (voir Slov
star., Ill, pp. 204, 232).
Q U A T R IĚ M E P A R T I E .
Chapitee XYI1.
1 Voir plus h au t, p. 6.
* C’est d ’aprfis ces concordances q u ’il a did forgd des thdories b ie n connues
su r le caractdre slave des Daces, thdories outrdes et fausses. L es D aces d taient
des T hraces.
3 Voir les ddtails dan s Slov. star., I, p. 217.
L ’ANCIENNE EUROPE ORIENTALE 173
du groupe des langues de satem et par une série de mots anciens em-
pruntés par les Slaves á un idiome iranienl. Mais les sources historiques
ne les connaissent pas avant le Y lIIe siěcle, et c’est vers cette cpoque
ou quelque peu antérieurement qu’il faut placer la nouvelle apparition
des Iraniens dans les steppes pontiques, que, jusqu’a la venue des Huns,
ils devaient tenir en leur pouvoir sous les noms de Scythes et de Sarmates.
Une premiere vague venue de l’lran avait submergé l’Europe
orientale au Vffle et au VIIe siecles (011 peut-étre plus tot meme
encore): ďétait celle des Scythes. L’habitat des Scythes au Ve siécle et
leur mode d’existence nous ont été décrits ďune fa^on dčtaillée par
Hérodote, au IVe livre de son histoire. Hórodote a vécu, comme on
sait, de 484 a 425, et il a voyagé sur la cote septentrionale de la
Mer Noire. La Scythie était limitée, suivant la représentation qu’en
avait Hérodote: a l’Ouest par l’lster (le Danube); — a l’Est par le Don,
au dela duquel, vers 1’Est, habitaient les Sarmates; — au Nord enfin, par
Une ligne se dirigeant de la source du Dniester et de celle du Bug,
a travers les cataractes du Dnieper, vers le Don2. C’est a 1’intérieur
de ce domaine ainsi délimité que se trouvaient les Scythes royaux
proprement dits, sans résidence fixe (Zkú0cu jjUGÍÁr]ioi) dans la region
du Don, puis les Scythes nomades (ZkúOcu oí vopábec;) entre le Dniéper
et Samara, et, á 1’ouest du Dniéper, les Scythes laboureurs (ZkúOui
Teujpfoí, ápotrjpeq), á cóté d’autres petites tribus dont la plus importante
semble avoir été celle des Alazones (’AXaZóveq), entre le Bug moyen et
*e Dniester. L’origine iranienne de ces Alazones et aussi des Scytb.es
laboureurs, dont la vie se distinguait fortement de celle des Scythes
aoniades, semble douteuse; et il n’est pas impossible que ces noms re-
covivrent en réalité desavant-gardes que les Slaves auraient poussées,
Par le Dniéper et par le Bug, dans la direction du Sud. Je 1’admettrais
surtout pour les Scythes paysans, en raison du caractore agricole et sé-
dentaire de leur mode d’existence 3. 11 est visible d’ailleurs qu’Horodote
lai-méme 4 emploie le nom de Scythe avec deux sens diffórents, tantot
Pour designer seulement les Scythes proprement dits, tantot pour dó-
Slgner en général les tribus résidant en Scythie, de telle sorte que,
de * me ^orne ^ citer les mots bogu « dieu », vatra <feu », socha «espěce
e charrue», kurií «coq> et «poule», sekera «hache», toporu «hache, marteau», etc.
* Hérodote, IV, ICO, 101.
3 Hérodote, IV, 2 , 19, 46, 59, 120.
4 Hérodote, IV, 81.
174 LES SLAVES DE L ’EST
dans le tableau qu’il donne, tous les Scythes ne doivent pas ětre tenus
pour des Scythes proprement dits, c’est-a-dire pour des Scythes iraniens.
C’est par Hérodote aussi, et son témoignage á cet égard est d’une
importance plus grande encore pour les Slaves, que nous connaissons
la ceinture des peuples voisins qui habitaient sur les frontiěres mémes
de la Scythie. Parmi ces voisins figurent a l’Ouest les Agathyrses, en
Transylvánie, tribu incontestablement thrace et plus loin, au dela. des
sources du Dniester et du Bug, la grande tribu des Neuriens (Neupoi),
mentionnée pour la premiere fois dans 1’histoire á l’occasion de l’ex-
pédition de Darius, en 512 2. II n’est pas douteux qu’ils se trouvaient
dans la region que nous considérons comme l’habitat primitif des Slaves,
et plus exactement dans la partie orientale de cet habitat: nous pouvons
done, avec la plus grande vraisemblance, les considérer comme Slaves.
Aussi bien le nom de Neupoi figure-t-il trěs souvent dans la nomen
clature slave de cette region (les rivieres Nura, Nurec, Nurča, les
villages de Nury et de Nur, qu’on peut rapprocher de la dénomination
historique ziemici nurnka «la terre neurienue»).
II me parait done, dans ces conditions, que les Neuriens n’étaient
autres que des Slaves de 1’Est établis dans les regions qui constituent
actuellement la Yolynie, le pays de Kiev et le bassin du Pripet. On ne
peut fixer, par contre, á quel peuple de l’histoire se rattachent, les autres
tribus citées par Hérodote au nord de la Scythie, á I’est du Dnieper:
les Androphages (’Avbpocpáyoi: les Mordvines?) et les Mélanchlains
(MeÁáYx^aivoi). On est dans une pareille incertitude quant a l’habitat
et á l’origine de la grande tribu des Boudines (Boubivoi): cependant
l'analyse scrupuleuse de tous les renseignements dont nous disposons
nous engage á placer leur habitat dans la region de la Desna et á voir
en eux une tribu slave plutot qu’une tribu finnoise; le nom měme de
Boubivoi peut etre rattaché a la ratine slave bud-, et la terminaison
-inu est une terminaison slave caractéristique de norns ethniques (par
exemple Němčin, Srbin, Turčin, Rusin, etc.).
1 Voir p. 172.
* H érodote, IV, 17, 51, ICO, 102, 105, 112.
l ’ANCIENNF, EUROPE ORIENTALE 175
silhouettes et des visages qui n’ont aucun caractere mongoL Les Scythes
proprement dits n’etaient douc pas des Mongols. Mais ce n’etaient pas
non plus des Slaves, contrairement a une theorie courante dans l’histo-
riographie russe, et qui n’a pas encore disparu *. On ne pourrait qu’ad-
mettre, ainsi qu’il a ete dit plus haut, que quelques tribus, ne portant
le nom de Scythes que parce qu’elles habitaieut la Scythie, corame,
par exemple, les Scythes laboureurs d’entre le Dniester et le Bug,
pouvaient etre en realite des tribus slaves; mais il ne s’agirait la en
tous cas que d’une possibility a indiquer, et rien de plus.
1 Voir Slov. star., I, p. 512. Qu’il m e suffise de rappeler, parm i les histo rien s
ru s se s r 6cents ad m ettan t cette th eo rie, Dm. Uovajskij, V. Florinskij, Dm. Sam okvasov.
- Voir plus hau t, pp. 29, 175.
3 Jordanis, Get., IV, 28. Voir plus loin, p. 194. L eu r nom s ’est conserve en
ru sse avec le sen s de « g ia n t > (hcnojiHHa»).
L’ANCIENNE EUROPE ORIENTALS 177
12
178 LBS SLAVES DB L ’EST
jusque svar line grande partie des Slaves de l’Est, dont les tribus des
Sěvériens, des Polianes, des Viatitches et des Radimitches payaient le
tribut aux Kbazars jusqu’au IXe siecle et en partie jusqu’au X e. La
civilisatiou des Khazars nous est aujourd’hui bien connue grace aux
fouilles qui ont été faites dans un vaste cimetiěre comprenant plus d’un
millier de tombes, aux environs de Yerchne-Saltovo, dans le district de
Volčansk du gouvernement de Charkov: elle a de nombreux rapports
avec les civilisations du Caucase. Au VIIIe et au IX e siecles, les Khazars
ont adoptc la religion juive qui leur est venue sans doute des villes
maritimes de la Crimée; mais ils sont demeurcs tolcrauts a l’egard des
autres religions. Leur domination était mesurée, et les Slaves, sous leur
protection, ont fait des progres considerables dans la direction de
l’Orient. II y avait a la cour du khakan de nombreux Slaves, et les
Khazars eux-memes, pour la plupart, savaient le slave L La decadence
de leur empire a commence cependant děs le IXe siecle: c’est alors
que leur khakan flit obligé de faire construire, en 887, sur le Don la
place de Sarkel contre les attaques des Pétehénogues.
Cette nouvelle vague turco-tatare des Pétehénogues 2 est partie de
la région comprise entre le Volga et le Jaik au debut du IXe siecle,
mais elle ne s’est attaquée á la Russie slave qu’au Xe siecle; on lit en
e fe t dans la Chronique de Kiev, á l’année 915: «Les Pétehénogues
sont venus pour la premiere fois dans le pays russe, et ils ont atteint
le Danube, aprcs avoir conclu la paix avec Igor». Les Pétchcnegues
ont entiěrement anéanti le prestige et la puissance de l’empire des
Khazars, et leur histoire, depuis la seconde moitió du Xe siecle, n’est
faite que de luttes constantes avec les princes russes. Le contact des
deux peuples était d’ailleurs si étroit que, s’il faut en croire un tc-
moignage arabe, les Pétehénogues avaient appris le slave 3. Ces luttes
rje touchěrent a leur fin que lorsque les Pétehénogues furent á leur
tour expulsés des steppes russes par de nouveaux ennemis qui leur
ctaient étroitement apparentés, les Turcs ou Ouzes, puis les Polovtses
1 Plin., VI (7), 19; Pomp. Mela, I, 116; Jean d'EphSse, VI, 7, 12, 13.
L ’ANCIENNE EUROPE ORIENTALE 181
1 On identifie généralem ent les M eščera avec les B u ria s (Bourtases) des
sources o rientales. II en existe assez de trac e s dans le b assin de l ’Oka, dan s la
nom enclature toponymicjue, p a r exem ple aux environs de R jazan'.
! Jordanis, Get., III, 23.
L ’ANCIENNE EUROPE ORIENTALE 185
1 Les Goliades figurent dan s les plus anciennes chroniques ru sses (Lavr.,
J*aL) vers 1058 et 1146. Voir aussi Sobolevskij (Bulletin de VAcad. im p. des sc. de
atnt-Pétersbourg, 1911, 1051). Une p artie des G oliades a poussé plus ta rd vers
Uest, probablem ent sous la p ressio n slave, ju sq u ’en P ru sse (G alindia).
* Steph. B y z .: 'Qaxnbve?.
,. 3 A cette époque le nom de A csti s’est confondu avec le germ anique Osti
red), Ostland, «gens de l’est, région de l’est».
( Ptolémée, III, 5, 9, 10.
3 Voir p. 148.
188 LES SLAVES DE L’EST
les Prussiens etaient dfija sur la raer des Varegues, a I’est de la Vistide
inffirioure et de la Drveca; vers l’est se tronvait la Liiva (Lituanie)
proprement dite; an nord de cette Lituanie et a l’ouest de Polock,
Zimegola; puis sur la rive droite de la Dvina, Letgola; an sud du golfe
de Riga, sur la mer, Korts; et enfin, quelque part dans line rbgion mal
detcrminee, la tribu dite Norот on Noroma, Neroma *. Nous avons
mentionnfi deja la faraille dite Goljad', sur la riviere Porotva, s6par6e
du reste des Lituaniens par l’avance de la colonisation russe.
Les 6poques suivantes out provoque d’autres mouvements et des
changements de noms. Les Prussiens ont еоштепсб a disparaitre a
partir du X IIIе siecle, apres avoir et6 definitivement sounds en 1283.
La langue prussienne v6g6tait encore au XVIе siecle, mais en 1684,
au temoignage de Hartknocli, il n’j' avait plus de village ou l’on
comprit le prussien. La Lituanie s’est divis6e en Haute-Lituanie (sur
le Niemen et la Vilija), dite Auksztotn et en Basse-Lituanie, a l’ouest de
Niewiaz, Zemoity (en polonais Zmudz). Quant a Galindia et Sudavia,
en Prusse orieutale, je les ai nicntionnces deja plus haut.
La derniere tribu lituanienne de quelque importance est celle des
Iatvings (en russe Я твят, en polonais Jadzwing). Elle apparait a partir
du XIIIе siecle; sans doute figure-t-elle dejii dans la Chronique de Kiev,
a propos de sa lutte avec Vladimir en 983, mais l’habitat n’en est fix6
que par les annales post6rieures du X IIIе siecle, a savoir au dela- de
la Narew et la Bobra, dans la region des lacs prussiens, oil elle n’est
arriv6e peut-etre quo peu auparavant d’un habitat anterieur situe plus
a l’E st2. Elle risidait done dans la region dite Podlasie, et les Podlasiens
polonais et russes d’aujourd’hui (les Pollexiani des chroniques polonaises)
seraient en partie des descendants des Iatvings. Drohicin, sur le Bug,
n’6tait point leur siege, comme on l’a d’abord suppose; il n ’existe pas,
pour autant que je saclie, de raisons liistoriques l’etablissant, et les trou
vailles archeologiques des environs de Drohicin accusent un caractere
slave et non pas lituanien.
IYe ou au IIIe siecle avant Jesus-Christ, dut sans doute avoir un effet
analogueC Ce sont ces denx 6venements seuleinent qui ont pu provoquer
des mouveraents de qnelque importance de toute la masse des Slaves
de I’Est ou plutot de certaines portions de cette masse. Une partie de
l’expansion slave, dont les grands resultats nous apparaissent, dans
toutes les directions, a partir du YIe siecle, peut otre certainement
placee des avant 1’ere chretieune. Que cette expansion ne se soit pas
realisee sans luttes avec les occupants anterieurs, cela est de toute
vraisemblance, mais, de fait, nous n’en savons rien.
L’histoire des Slaves de 1’Est ne devient plus claire qu’au IVe
siecle apres Jesus-Christ et au cours des siecles suivants. A cette epoque,
les Slaves de l’Est figurent dans les sources latines et grecques sous
le nom d’Antes (Antes, Anti, Antae, ’'A v T tg , ’’A v t o i ) , un nom dont
I’origine, la signification et l'histoire demeurent jusqu’a ce moment 1’un
des problemes difficiles que pose l’histoire ancienne des Slaves.
Que ces Antes slaves fussent la des le IYe siecle, c’est ce qu’at-
testent et la mention d’une region dite Anthaib (c’est-a-dire la region
des Antes) dans la tradition lombarde2 et la tradition de Jordanis por-
tant que Vinitliar, roi des Grots, a attaqub les Antes en 37 6 et massacre,
a la suite d’une longue lutte, leur roi Boz avec ses fils et 70 chefs3.
Au VIe siecle, les donnfees les concernant sont deja plus prGcises. Jor
danis les appelle la seconde et la plus grande et la plus vaillante des
peuplades venetes (a cote des Slaves proprements dits), et il les situe
entre le Dniester et le Dnieper4. Prokopios, a la meme epoque, les
place a I’est du Dnieper, loin de la mer d’Azov, en ajoutant qu’ils
comprenaient un grand nombre de tribus5. Cependant, etant donne
qu’ils faisaient de constantes incursions au dela du cours inferieur du
Danube, il est evident que leur centre se trouvait quelque part plus a
l’Ouest, sur le Dniester6. De la ils venaient jusqu’au Danube et dans
les Balkans, jetant le trouble dans Pempire, puis s’en retournaient chez
eux, puis revenaient encore. Les empereurs Justinien et Justin avaient
La domination des Huns sur les Slaves n’a pas ete de longue
durbe; on ne dispose, en ce qui la conceme, d’aucune donnbe. Par
c°utre l’oppression et l’influence des Awars, qui leur ont succede, ont
et® plus fortes. Nous avons dbja vu que les Awars, avant 550, ont vaincu
*es Antes, qu’ils les ont attaqubs frbquemment par la suite et qu’en
le khakan a meme organisb une grande expbdition pour les extern
mmer. On n’a pas de rensoignements positifs sur le sort de cette ex
pedition 2, mais l’on peut supposer qu’a ce moment la fedbration des
•^Btes s’est probablement bcroulbe pour cbder la place a la domination
es Awars qui etait dure et cruelle. La tradition russe la plus ancienne
1 H arkavi, CKa3aHi>i. . . 1 3 0 .
C h a i >i t e e XIX.
1 Chronique dite de Nestor, trad . Louis Leger, pp. 13, 14, 18.
* Je m e bornerai & donner de ces eo n tro v erses u n b re f aperqu. L ’in terp ré -
ta tio n toute n atu relle des m entions de 1’an n aliste a donné d ’ab o rd lieu h la Ihéorie
que les V arégues-R usses so n t venus de Scandinavie et qu’ils étaien t G ermains.
Cette théorie a 6té appuyée, du p o in t de vue scientifique, en p rem ier lieu, p ar
G. B ayer (Oriffines Bussicae, P etr. Ac., 1736) et G. M iller (O rigines gentis et nom inis
B ussorum , P etr., 1749) et, ap rěs ces sav an ts, elle a été adoptée p a r les prm cipaux
h isto rien s allem ands et slaves (J. Muller, A. Schlozer, J. T hunm ann, P. Koppen,
L. Georgi, K. Z euss, N. K aram zin, M. K ačenovskij, P Šafařík). E. K unik a com m e
clóturé, en 1844, ce prem ier é ta t de la question en faveur de la th ése germ anique,
p a r so n tra v a il in titu lé D ie B e ru fu n g der schwedischen Bodsen (Petersburg, 1844).
11 n ’y avait p as ju sq u ’alo rs ď ad v e rsa ire s sérieu x de cette thěse. L’hypotliěse de
Georgi suivant laquelle les R usses é taie n t des K hazars n ’av ait p a s eu plus de
succěs que celle de S tritte r, de Boltin, ď a p rés laquelle ils étaien t des Finnois, n i que
celle de Tredjakovskij, de Lom onosov, de V enelin, de M oroškin, su iv an t laquelle
ils étaien t des Slaves. L a question n ’a été renouvelée que dans la seconde moitié
du XIXe siécle, lorsque Dm. Ilovajskij p rit le p a rti du slavism e des R usses d an s ses
articles célébres su r «la p rétendue inv itatio n adressée aux V arégues > articles publiés
d an s le Русскій В'Ьстникъ (1871-1872). Ces a rtic les p rovoquérent les répliques des
défenseurs de Porigine norm ande, N. К vážni n S am arin et M. Pogodin, tan d is
qu’Ilovajskij ré sista it á ses co n trad icteu rs avec ten ac ité (voir la série de ses articles
d an s le volum e Р азьіскан ія о н ачал к Руси, М., 1876), soutenu q u ’il éta it p ar la
grande ceuvre de S. Gedeonov : Варяги и Русь, Спб., 1876. L a lu tte a é té m enée avec
une grande a m p le u r: l ’histoire et la pliilologie slave contem poraines у o n t activem ent
p articip é p ar des volum es, p a r des articles, p a r des critiques. Un g ran d nom bre de sa
vants slaves, comme Ivan Zabělin, J. Pervolf, N. Pavlov, A. K otljarevskij, A. P otebnja,
G. Chvolson, e t parm i les histo rien s réc e n ts su rto u t Iv. Filevíč, M. H ruševskyj
e t Dm. Bagalěj, dont les thčories sont fort différentes ď aille u rs les un es des au tres
dans le détail, ont pris position co n tre la th éo rie norm ande et se so n t évertués
á trouver de nouveaux arg u m en ts en faveur de Porigine slave des R usses.
L eurs adversaires, n o n plus, n ’o n t p as été in actifs: ils o n t défendu avec
persév éran ce leur point de vue et, to u t e n le défendant, en o n t m ieux établi la
ju stesse. E n т ё т е tem ps une nouvelle th éo rie dite «gotique» a p p araissait, q u i
LES BUSSES DE SCANDESTAVIE 201
ten a it les R usses pour des descendants des anciens Gots et des H érules de la
R ussie m éridionale (voir plus h au t, p. 194): ce n é ta i t lá. en réalité qu’un ram eau
détaché de 1’ancienne théorie norm ande. P arm i les p a rtisan s de cette th éo rie il
faut nom m er su rto u t A. Budilovič et V. Vasilevskij. Q uant aux trav a u x m odernes,
ds seront signalés plus loin, dan s le texte. Un aperqu ď ensem ble su r l ’évolution
® toute la question se ra publié d an s u n appendice spécial k la su ite de la
Partie des Slovanské starožitnosti.
1 Un grand nom bre d ’au tres incursions o n t suivi celle-ci. L es p lus connues
s°n t celles qu’Oleg a faites en 907 e t Igor en 941 contre C o n stan tin o p le; elles
ont pris gn en D’au tres a tta q u e s é taie n t dirigées contre 1’Asie M ineure, la
azarie, la Bulgarie e t m ém e le T ab aristan perse.
202 LES SLAVES DE L ’EST
ces regions. Le fait d’incursions ant6rieures a 860 est confirme par des
allusions dans les «Entretiens de Photios», puis dans la tradition de
l’expedition contre Amastris en 842, et aussi, des 839, par le message
de l’empereur Théophile a Louis le Pieux, oil l’on voit figurer plusieurs
Eusses onvoyes par le khakan russe; le titre de khakan indique que
ces Eusses se trouvaient alors dans l’aire de Tinflnence bulgare ou
plutot de l’influence khazare. II existe d’ailleurs des allusions plus
anciennes encore relatives a l’attaque des Eusses contre Constantinople
et a leur apparition dans la Eussie m6ridionale, mais elles ne sont que
d’une authenticite douteuse, et il est impossible de s’y fier1. Mais, par
contre, plusieurs sources arabes sures attestent que, des la premiere
moitif: du IX е siecle et deja meme an YIIIe siecle, les Eusses 6taient
dans TOrieut une nation bien connue qui habitait pres du lac Ladoga
et de l’Hmen et dans la region des sources du Dni6per et de la Yolga.
Ce n’est pas seulement Ibn Khordadbih qui les cite comme des commer-
qants connus entre l’Orient et Byzance, avant 846; c’est encore un
grand uombre d’auteurs comme Istachri, Khaukal, Balkhi, Mas'udI, Ibn
Eosteh, Kardizi et le G^ographe perse anonyme, qui tous avaient puise
leurs indications a quelque source anterieure datant de la premiere
moitie du IX е siecle (Muslim al Dzarmi?). Tous parlent des Eusses
comme d’une peuplade connue, et plusieurs d’entre eux, Ibn Eosteh,
Kardizi, Mas'iidi, Mukaddesi et plus tard Aufi rappellent qu’ils habitent
dans le nord, sur une grande ile entouree de raarecages, ce qui semble
temoigner que leur residence primitive se trouvait entre le lac Ilmen
* Tel est, p ar exem ple, le cas des m entions p o rta n t que les n av ires russes
ont com battu avec des n avires grecs contre les B ulgares en 773 (T heophanes,
5d. Boor, I, 691) et que les R usses, en 626, ont a ttaq u d C onstantinople avec
d’a u tre s peuples (Sathas, Synopsis, 108). Tel est au ssi le cas des m entions relativ es
к la trib u R os, H ros d an s la ehronique syrien n e de 555, faite p a r le rh d teu r
Z acharius (dd. A hrens et K ruger, 253), A la tribu de Rosomonoi-um gens d an s
Jo rd an is {Get., 129), etc. Voir au ssi M arquart, Streifziige, pp. 356, 363. L es thAories
ten d an t & ita b lir la presence an cienne des R usses en les identifiant avec les
Gots rest6s dans la R ussie m dridionale apr5s a v o ir dte b a ttu s p a r les H uns en 375
(voir plus h aut, pp. 194, 200) m dritent encore m oins de confiance. L es p rincipaux
p artisan s de cette tM o rie gotique so n t A. Budilovic, V. V asilevskij et J. M arq u art
(Труды VlII-го арх. съ'Ьзда, IV, p. 118; Streifziige, p. 353). M ais les argum ents
invoquds so n t trfes faibles, et la m oins convaincante des conclusions est celle
de V asilevskij su iv an t laquelle les an cieu s T auroscythes seraien t les a n cetres des
R usses.
LES BUSSES DE SCANDINAVIE 203
‘ P arm i les com m entaires recents, le plus rem arquable est celui de A. Sacli-
m atov dans l ’dtude in titu lie С казаніе о призваній В арягові., Спб., 1904.
s Voir plus haut, p. 199, et l’6n u m 6ratio n des peuples a u d6but de la Chronique.
3 T heophanes, cont., De Bom. Lacapeno, 6d. Bonn, 423; Sym eon mag., 6d.
B onn, 707.
LES BUSSES DE SCANDINAVIB 205
1 Ann. B ert. 839 (« com perit eos gentis esse Sueonum >).
8 Joannes Diac, Chron. Venetum, an n ée 860 (voir A ndr. Dandolo, G iron. Ven.
> £); L iudprand, Antapodosis, I, p. 11; V, p. 15.
3 T hietm ar, VIII, 16 (IX, 32).
4 Voir H arkavi, Сказаній . . . , pp. 110, 125, 129, 267; Ibrahim , éd. W es Lberg,
’ Kardizi, éd. B artold, 123; W estberg, Ж . M. H. П., 1908, П, 375.
5 H arkavi, pp. 49, 193, 197, 220, 276.
6 De adm. im p., 2.
avec K otam m ent dans les tex te des tra ité d ’Oleg avec Léon, v ers 912, e t d ’Igor
ац ЄС ^ 0m an> vers 945. Les in scrip tio n s suédoises runiques e t d ’a u tre s se rap p o rtan t
s éjour en R ussie con co rd en t k cet ég ard avec la Chronique.
206 LES SLAVES DH L ’EST
1 B. G., IV, 4.
2 Jordanis, Get., 119.
3 Лингв, и археог. наблюденія, Варш ава, 1910, р. 5.
4 Sam okvasov, С'Ьверянская земля, М., 1908, pp. 63 et suiv.
LEUR EXPANSION AU Xе SIECLE 209
par exemple celles des Gots ou des Awars, soit lentement en détachant
au loin des colonies vers l’Est et vers le Sud et le Sud-Est, dans nn
but commercial, plus tard meme dans un but fiscal, lorsque les princes
avaient besoin de nouveaux tributs. Tous renseignements anciens sur le
Nord et sur lo Nord-Est nous font malheureusement défaut. a l’exception
toutefois de la tradition relative á l’arrivée des Eadimitches sur la Sož
et des Yiatitches sur l’Oka, mouvement que l’on pourrait mettre en
relation avec les attaques des Gots ou plutot des Awars; et l’on est
porté a croire qu’il s’était formé sur l’Oka á Bjazan' un centre slave
important avant le X е siecle (Arm,, Arsania) x. Pour la marche vers le
Sud-Est nous disposons par contre de données antérieures au IXе siecle.
C’est d’abord la mention précitéc de Prokopios concernant les peuples in-
uombrables des Antes au nord do la Mer d’Azov au VIе siecle; c’est l’appel-
lation de «riviere slave» donnée au milieu du IXе siecle par Ibn
Khordadbih, et par d’autres apres lui, á la Yolga согщпе an Don; c’est
Ьappellation de «mer slave» donnée au Xе siocle, par un chroniqueur
anonyme, a la Mer d’Azov. Mas'udi indique, d’autre part, que les rives
du Don étaient habitées par une peuplade slave třes nombreuse, et Eadlán,
en 922, de son coté, signále les Slaves au delá du Don 2. Ce sont lá autant
de témoignages contribuant á établir que la colonisation slave vers le
1)(<n et le cours inférieur de la Yolga a certainement été třes ancienne.
Slaves ne se sont pas tneme arretés au nord de la Mer d’Azov:
dés le X е siecle (vers 988), la Chronique mentionne une forte colonie
slave á 1’embouchure de la Rubán', la colonie de Tmutorolcari, gouvernée
!'ar un prince russe independent3; il est mentionné aussi, mais de
source moins sure, des colonies anciennes au Caucase et méme en
I'i'anseaucasie 4.
En méme temps que vers le Sud-Est, les Slaves s’ótaie-t dirigés
' ers le Sud, vers la Mer Noire, entre le Danube et le Dnieper. Que
děs longtemps les marchands slaves eussent pris 1’habitude de se rendre
1 Voir p. 190.
1 K ardizi, éd. B artold, 122; H arkavi, 264; Buss. Revue, 1875, VI; G éographe
Perse, éd. T um anskij, 134; W estberg, JK. M. H. П., 1908, II, 397. Voir Slov. star.,
’ P- 267, e t ici mSme p. 92.
s On trouve ce texte chez Šafařík, Slovanské starožitnosti, II, p. 711, Bielowski,
on- Boloň, hist., I, 10. P o u r P interprétation, vo ir siirto u t A. Králíček, d an s Zeit-
C^ r ' f ů r Gesch. Miihrens, etc., 1899, Д, pp. 216, 340.
4 D e adm. im p., IX et XXXVII.
q 6 Je cite toujours la 3e édition du in an u scrit la u re n tin publiée p a r la
^ m issio n Archéologique de P étersbourg en 1897, s ’il n ’y a p as d ’a u tre indication.
14*
212 LES SLAVES DE L ’EST
Les Creates.
Les rapports r6ciproques qui existent entre ces noms ne sont pas
clairs, mais le fait est que ceux-ci paraissent tous se rapporter originel-
lement a une seule grande peuplade russe, sur le bord occidental de la
masse russe, et dont le domaine s’etendait entre les deux Bug, notammont
dans la Volynie historique. L’annaliste lui-meme identifie remplacemont
de ces noms, eu affirmant que «les Doulebes vivaient sur le Bug la ou
siegent maintenant les Volyniens», ou que «les Boujanes se sont fixes
sur le Bug, plus tard les Volyniens», et par ailieurs d’autres documents
historiques assez nombreux temoignont que ces noms se rapportent a une
seule et memo region ou a certaines de ses pai’ties, les alentours de la
Volynie et du pays du Bug et les environs de Luck.
Tous les indices portent a penser que cette peuplade portait origi-
nellemont le nom de Doulebes. C’etait une peuplade puissante qui a cree
dans cette zone le premier empire slave: c’est a elle que se rapporte
la tradition suivant laquelle les Volyniens dominaient les autres Slaves 2;
c’est elle qui parait avoir fourni la base de la federation des Antes 3.
Aussi est-ce contre elle que les Avars ont dirige leur attaque principale
lors de leur invasion de la Russie meridionale, au VIe siecle. L’attaque
des Aval's a battu les Doulebes, rcnverse leui- domination et, du meme
coup, brise la federation des Antes. II en est resulte aussi que l’ancienne
unite des Doulebes s’est elle-meme divisee en nouvelles unites regionales
qui, denommees d’apres la riviere et les places fortifiees (Buzsk, Volyn',
Luck), n’etaient autres que celles des Boujanes, des Volyniens et des
Loutchanes de l’cpoque de la Chroniqite. Cela s’etait passe des avant le
IXе siecle, car le Géographe bavarois cite déjá les Bousanes (Busani)
et Constantin les Loutchanes (Aevíevívoi), s’il est permis naturellement
ďappliquer le nom cité par Constantin aux habitants de Luck Cette
interprétation n’en exclut pas une autre, selon laquelle les Doulébes se
seraient retirés, apres 1’attaque des Awars, au sud de la Russie Blanche,
comme semblent 1’attester les traces de colonies de Doulebes qu’on
releve dans le gouvernement de Minsk. Ils ne s’y sont pas sans doute
retirés en totalitě. Bs n’ont pas été non plus transférés dans un autre
pays, en méme temps que les Yolyniens, par le khakan des Awars Baían
(les Doulebes en Bohéme, les Yolyniens sur l’ile Volin), comme le
prétend M. Peisker*.
Les Drévlianes.
Cette tribu habitait, ainsi que l’atteste son nom, dérivé de drěvo
* bois », dans les vastes foréts qui s’étendaient vers le sud du Pripet, a
Savoir á en juger par diverses indications postérieures des chroniques,
entre Goryn', Sluč et Teterev; au dela se trouvait le pays des Polianes.
Leur centre principal était la ville ďlskorostěn' sur la riviere Už, au
sud ďOvruč. Yivant dans les foréts reculées, cette tribu n’atteignait
pas un haut degré de culture; e’est ce qu’a permis de constater
Iе contenu de plusieurs cimetieres des Drévlianes découverts par
S. Hamčenko et par Yl. Antonovič.
Les Polianes.
1 II у а к cela des difficultés phonétiques (f > и). II fau d rait supposer une
° rme plus ancienne L gian-.
9 S achm atov, К ъ вопросу . . . , 19; Peisker, E xp a n sio n . . p. 437.
3 A 1’époque des A nnales, les P olianes avaien t é té d é ja chassés de cette
20ne niéridionale, p a r les attaq u es des nom ades, au n o rd de la R os', et le pays
6ntre la Stugna et la R os' était, au Xе siécle, dangereux a. h ab iter. De 1’époque de
attaques d a ten t aussi les rem p arts défensifs qui у on t été construits, notam m ent
5 H o n p a rt des serpents > de Tripolje k Skvira.
216 LES SLAVES DE L ’EST
Ces deux tribus de l’extreme Sud ont une existence assez enig-
matique: cela ressort, pour les Oulitches, tantot du fait que leur nom
meme n’est pas certain, not6 qu’il est dans les diverses chroniques de
faqons differentes (Ulici, XJluci, Ulici, Ulutici, TJglici, Lutici, Bnlici, dont
il faut rapprocher les JJnlizi du g6ographe bavarois et les OuXxtvoi de
Constantin Porphyrogenete), — tantot de ce que 1’aire de leur habitat
est, elle aussi, dG'inio de maniere variable. Leur disparition meme, enfin,
pose un troisieme probleme, difficile a rfeoudre.
Suivant la Chronique (version laurentine) les deux tribus r6sidaient
sur le Dniester; suivant la meme Chronique (version ipatienne), elles
rfesidaient le long du Bug et du Dnieper, et de la s’etendaient jusqu’a
la mer et jusqu’au Danube; suivant les annales de Nikon (en 914) et
celles de Novgorod (en 922), elles se trouvaient originellement sur le
Dnieper et btaient passfees de la entre le Bug et le Dniester. C’est cette
demiere tradition qui semble correspondre le plus a la verite. Les
Oulitches et les Tivertses 6taient des tribus slaves ayant sans doute
avance le long du Dnieper et du Bug, aussi loin que possible vers le
Sud. II est vraiseniblable que, des les temps anciens, les marchands
slaves arrivaient en suivant le Bug et le Dnieper jusqu’aux colonies
grecques, et que certaine colonisation les у suivait lentement, pas a pas.
Apres le depart des Awars, surtout quand il regna une paix relative
dans ces regions, c’est-a-dire pendant deux on trois siecles, les Slaves
°nt du pousser dans une mesnre considerable au sud de la riviere Ros',
Jnsqu’a raeme atteindre la mer. Ces Slaves n’etaient autres que les
Oulitches et les Tivertses. Mais, avant rueme l’epoque de la Chronique,
Un nouveau changement s’est produit: les Hongrois sont venus au
milieu du IX е siecle, et leurs attaques ne sont pas resides sans influence
sor les colonies slaves (nous savons par Ibn Rosteh qu’ils les attaquaient
et livraient en esclavage)1; en 915, les Petchenegues ont a leur tour
fait leur apparition, et, depuis ce temps la, les attaques des nomades
asiatiques contre les marches slaves^ du Sud sont devenues si fortes
4<ie les Slaves ont du soit faire retraite vers le Nord, au dela de la
Sula et de la Ros', soit reculer, sous la pression de l’ennemi, vers
1 Occident. Ainsi s’explique vraisemblablement 1’indication de hauteur
la Chronique, suivant laquelle les Oulitches et les Tivertses ont quittfe
leur ancienne residence du Dnieper, venant entre le Bug et le Dniester.
Telle est apparemment la seule interpretation naturelle de la divergence
indications relatives a leur residence. Toutes autres interpretations me
seinblent inexactes, et notamment celles qui cherchent a determiner
Cette residence d’apres les noms, en operant souvent avec les fonnes
Riverses de ceux-ci comme avec autant de tribus differentes: Ouglitches,
°«litches, Loutitches et Soulitches 2.
A l’6poque de la Chronique, les Oulitches etaient done sur le Bug
sur le Dniester. La mention des annales de Nikon, suivant laquelle
eresecen (Peresecina d’aujourd’hui, pres de Kisinev, en Bessarabie)
ailrait ete la ville des Oulitches, ville prise en 914 par Igor 3, s’accorde
avec fait. Les Tivertses (les TepepfMvoi de Constantin?) etaient les
^°isins des Oulitches. Cependant leur domaine ne se laisse pas exactement
J emiiner, fante de directives certaines; les indications topographiqnes
nees par Barsov ne sont point suffisantes.
1 Voir p. 181.
s Voir p a r exem ple B arsov, Очерки, 98 ; HruSevsfeyj, Hie и. Русь, I, 231, e tc .
3 N adezdin, Записки общ. ист. и древн., Одесса, I, 235.
218 LES SLAVES E E L ’EST
Les Dregovitches.
r 1 Voir la v ersio n lau ren tin e de la Chronique, IX, trad. L eg er: « L e s R adi-
de r 8t V iatitehes v ien nen t des L e k h s; c a r il y av ait deux frferes d an s le p ay s
inj j . ek h s: R adim et Y iatko». E n 984, on lit de nouveau k propos des R adi-
dau 16S: * ®r> l°s R adim itches qui d taien t de la ra c e des L ekhs s’Staient dtablis
r,i„ , Ces co n trie s, e t ils p aien t trib u t au x R usses». Sur le s L iakhs (Lekhs) voir
Us ha«t, p . 1 6 4 .
224 LES SLAVES DB L ’EST
1 Voir les m entions relatives aux années 859, 862. Ces m entions attesten t
a u ssi que 1’Izborsk des K rivitches ex ístait d éjá a v a n t 1’arriv ée des R usses. P ° ur
N ovgorod dans l’h istoire scandinave, vo ir plus h au t, p. 203.
LEU R EXPANSION AU Xе SIECLE 225
Tel est le tableau des elements rnsses, telle est la carte ethnogra-
phique de l’Europe orientale a la fin du Ier millenaire de l’ere chretienne.
Qu’^taient ces tribus russes dont parlent la Chronique et Constantin ?
Etaient-ce des unites ethniques tribales, ou bien des unites politiques
r^gionales? C’est la une question qui а ргёоссирё plusieurs historiens
russes. II me parait qu’a cet 6gard tout point de vue exclusif, toute
solution unilaterale ne sauraient qu’etre inexacts. La formation et la
reconnaissance des diverses tribus ont procёdё d’influences diverses, a
savoir: tantot celle d’une tradition de race et d’alliance entre families
Parentes, tantot celle d’un parler commun 2 ou de coutumes et de formes
sociales et culturelles communes, parfois aussi celle de facteurs politiques
et g6ographiques (origine du gouvernement des chefs et des centres ad-
ndnistratifs, caractere du territoire). II est hors de doute cependant que la
Pfopart des tribus apparaissaient d’abord comme des unites ethniques, car
1auteur de la Chronique, apres avoir ёпитёгё les Polianes, les Dr6vli;mes,
lps Slaves novgorodiens, les Radimitches, les Severiens, les Croates, les
Eoulebes, les Oulitches et les Tivertses, ajoute expressement: «Us avaient
chacun leurs coutumes, les lois de leurs ancetres. leurs traditions et
Dili's moBurs3». Les noms patronymiques attestent aussi les notions
(i origine et de lien de famille, et je ne crois pas que le sentiment de
Puente ait ct6 aussi effacG т ё т е a l’6poque de la Chronique que
Barsov le suppose. II n’est pas moins sur, d’autre part, que des
facteurs non ethnographiques ont aussi тй и ё sur la formation des
'Everses unites tribales. II est tels passages dans la Chronique ou l’auteur
fait ressortir avec assez de force les points de vue politique et gёo-
1 Voir VI. Sizov, MaTepiajiu по археол. Poccin, XXVIII, Спб., 1902 (Курганы
л,°ленской губ.) et A. Spicyn, Изв. арх. Ком., XV, 6.
! И e st certain que des difffirences dialectales ex istaien t dfija d an s le ru sse
I es Xе e t XIе sifecles, m ais on discute toujours su r le p o in t de savoir quels 6ta ie n t
®S traits c a ra c t6ristiques p a r lesquels les diverses trib u s se distin g u aien t linguis-
'4uement. l’une de l’autre. N otam m ent les rap p o rts du dialecte des P olianes avec
autres dialectes ont soulev6 de nom breux conflits d an s la philologie russe, et en
particulier le conflit relatif ii la question de la G rande e t de la Petite Russie.
3 Chronique dite de Nestor, trad. Leger, p. 9.
15*
228 LES SLAVES DE L ’EST
1 Les prem iéres unités régiunales ont pris n a issan ce á la su ite de la form ation
de petits centres com m erciaux (dits pogost). Puis, 1’in térět s’é te n d a n t peu á peu
á une région toujours plus grande, il ap p aru t des églises avec de g ran d s cim etiěres,
des m aisons com m unes et su rto u t des fortifications: les pogosty dont la situation
é ta it la plus avantageuse se tran sfo rm cren t ainsi peu á peu en de g ran d es villes
(gorod), qui s’atta c h a ie n t et protégeaient une vaste région au to u r d ’elles, avec
u ne série de bourg-i d épendants (prigorod).
L EU E EXPANSION AU Xе SIECLE 229
1 Voir les details su r ces th eo ries dan s Slov. star., I, p. 35, II, p. 71, et
III, p. 3 2 .
l ’a t j t o c h t o n i s m e d e s s l a v e s 233
— avaient essayé de rendre le passé des Slaves corame plus large et plus
glorieux en le rattacliant étroitement á celui des peuples de l’antiquité.
C’était la le premier pas vers l’autochtonisme. C’est d’abord des Vandales
et des Gots de Germanie que furent rapprochós les anciens Polonais:
on invoquait que les Polonais étaient établis précisément dans la region
qu’avant le Ier siecle de 1’ere chrétienne les Vandales remplissaient du
bruit de leur nom; on alléguait surtout la ressemblance de ce nom
avec celui de « Vendes * (cf. Vila Sancti Marini, VIII; Annales alama-
niques, année 798; Adam de Breme, II, 18; Helmold, I, 2); de la aussi
1’ancienne appellation de la Vistule: « Vandalicus am nis»1.
C’est ensuite aux Gots que le clergé yougoslave et polonais
rapportait l’origine des Slaves (voir 1’épitapbe du prince Boleslav, du
commencement du X Iе siecle, puis le debut de la chronique de Kadlube!
ct de DIugosz, les annales du pretre de Dukla et de Thomas de Spalato)2.
b*e meme, les ancieus Illyriens ou Pannoniens, chez les Yongoslaves,
ctaient identifiés avec les Slaves, comme nous l’ont déja montré les
s°urces précitées, notamment le début de la Chronique de Kiev3.
A ces peuples vinrent bientot, peu a peu, s’en ajouter d’autres4.
^ est ainsi que nous voyons s’esquisser, au XVIIIе sibcle, une vaste
l(lcntifieatíon, íondée sur l’hypothese que les ancetres des Slaves seraient
aPparus, au début de l’ere chrétienne ou meme a une époque beau-
c°np pius reculée, non seulement sur l’Oder, sur l’Elbe, sur le Danube
m°yen et inférieur, mais aussi dans les Balkans. La correspondance
Dorns de Vende, Vénete avec ceux des anciens Énétes ďHérodote,
áes Vénětes ďHomére et de César5 allait jusqu’a faire étendre 1’habitat
prirnitif des Slaves jusqu’en Itálie, en Asie Mineure, aux bords du lac
Constance et en Gaule, de sortě qu’aux XVIIIе et XIXе siécles
' Voir Slov. star., I, p. 45, et III, p. 34. Děs le XVIе siécle, Alb. K rantz
c( 'ya.! un grand ouvrage intitulé W andalia (Coloniae, 1519) p o u r défendre cette
te o r ie , r t une série ď b isio rien s des siěcles n llérieu rs dev aien t le suivre dans
cette voie.
Y 1 Voir Mon. Pol. hist., I 320; C/tron. presb. Diocl., ch. I ; Thom as. Hist. Sal.,
etc; cf. Slov. star., II, p. 177.
s Voir plus h au t, p. 2 .
4 Slov. star., I, p. 52.
yj * Voir les 'Evexoí en Itálie, chcz H érodote (I, 190), les Oíiévexoi, chez Polybe
ar' *es Everoí en Paphlagonie (lliade, II, 852), les Veneti d an s la G aule
]es £ ^ Ca*n e> ehez C ésar (В. О , И. 34; III, 8, 9), locus Venetus (Mela, III, 2, 8) e t
Evetoí en D ardanie (App. M ithr., 55). Voir Slov. star., II, p. 88.
234 APPENDICE
A . Ouvrages.
Barsov ( /./.) , Очерки русской исторической географ щ , Варш ава, 2° ddition, 1885;
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Constantinus P orphyrogcnitus, vol. Ill, dan s le Corpus scriptorum historiae byzautinac,
Bonn, 1840;
D rinov (М.), Заселеш е балканскаго полуострова Славянами, М., 1873;
E in h a rd , A nnales regni F rancorum , cd. G. H. Pertz, Monumenta German im historic»,
Scriptores, vol. I, H annover, 1826;
Filevic (/. P.), IIcTopin древней Руси, В арш ава, 1896;
Jlarkavi (A. Т.), С казаш я мусульманскихъ писателей о С лавннахъ и Русскихъ,
Спб., 1870;
H ruäevskyj (М.), [Невская Русь, Спб., 1911;
Jirecek (K.). Romanen in den Städten Dalmatiens während des M ittelalters, Wien, 1901;
Jordanis R om ana et Getica, ed. Th. Mommsen, Monumenta Gcrmaniae historica,
V, 1, B erlin, 1882;
K a rskij (E. F.), Б'Ьлоруссы, Варш ава, I, 1903;
K ftrzy n sk i ( W.), 0 Stowianach >nieszkajqcych niegdys m ifd z y Renem, L abq i czeskq
granicq, Krakow, 1899;
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Kos (Fr.), G radiro za zgodovino Slovencev v srednjem veku, L jubljana, 1903 e t s u iv .;
K rc k (G.), E in leitu n g in die slavische Literaturgeschichte, Graz, 2° Edition, 1887;
L a m a n skij (VI.), О С лавянахъ в ъ Малой Asiri, АфрикЪ и Испанш, Спб., 1859;
Lavrov (Р. А.), Ж итгя св. Н аума Охридскаго, Спб., 1907;
1 Le lecteur не devra pas voir dans cette liste d’ouvrages une bibliographie, mais seule-
ment un guide sommaire destine ä lui faciliter ^identification des ouvrages et des periodicpies
le plus souvcnt cites et freciucmmeut designes par de simples abreviations.
PRINCIPATJX OTJVRAGES ET PERIODIQTJES CITES 237
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Tome I: L’histoirc.
Page
Avant-propos . . . . . . . . . V
p r e m i é r e p a r t i e : l ’u n i t ě p r o t o s l a v e : s o n o r ig in e e t s o n
DÉVELOPPEMENT
C hapitre Ier — Origine de la n atio n s l a v e ...................... . . . . 1
— II. — Le prem ier h a b ita t des Slaves . .................................. 13
— III. — Les prem ieres relatio n s liistoriques conccrnant les
S lav es; leurs d é n o m in a tio n s . . 27
— IV. — De la différenciation des peuples s l a v e s .......... 38
Page
Chapitre XI. — L a m arche des Slaves o ccidentaux vers 1’Elbe et
vers la S a a le .......................................• ............................... 122
— XII. — L a m arche des Slaves vers la G erm anie occidentale 131
— XIII. — F o rm a tio n d e sd iv e rsp e u p le ssla v e sd e l’O uest: Sorabes,
Polabes, P o m ira n ie n s, T chico-Slovaques et Polonais 138
— XIV. — L es Sorabes, les Polabes et les Porndraniens . . . 141
—- XV. — L es Tchfeques et les Slovaques . . 156
XVI. — Les Polonais ......................... 162
C artes: I. Les Slaves de l’O uest et du Sud au X esiS cle; II. Les Slaves de
I’E st et du Sud au X® s ie c le ..........................................................................