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LE FAIT DU JOUR

Orange 2. Deux records


pour le prix d’un
« La Terre est bleue comme une orange », écrivait Paul Eluard.
Pour Bruno Peyron et son équipage d’Orange 2, le rêve du poè-
te surréaliste est devenu réalité. Accomplir le tour de la planè-
te bleue en 50 jours et une quinzaine d’heures, cela laisse son-
geur. Orange 2 devait ainsi exploser le record absolu du tour
du monde en équipage et celui du Trophée Jules Verne.
Derrière la sécheresse des chiffres du chrono qui va sanction-
ner cette chevauchée de plus de 25.000 milles, il y a sans dou-
te de belles images, des émotions partagées. « Ce qui compte,
c’est la qualité du voyage », soulignait Bruno Peyron hier
après-midi. Ce voyage extraordinaire dans l’esprit des héros
de Jules Verne devait s’achever dans l’intimité près d’Oues-
sant la nuit passée. Un sas pour décompresser avant l’ovation
méritée des Brestois ce matin.

« Une arrivée en deux étapes »

l Bruno Peyron et ses treize hommes d’équipage devaient savourer


calmement leur performance à l’abri, la nuit dernière, avant de rejoindre les
pontons brestois, ce matin. (Photo Gilles Martin-Raget)

Après un tour d’anthologie, Oran- rait hier soir son approche vers la
ge 2 était toujours lancé à pleine cité du Ponant. Sous grand-voile à
vitesse à quelques heures de l’arri- deux ris et trinquette à poste, la pro-
vée, hier. C’est en effet pied au gression du maxi-catamaran était
plancher que Bruno Peyron et ses toujours de 25 à 27 milles par heu-
13 hommes d’équipages conti- re. Le passage de la ligne au large l Orange 2 devait franchir la ligne d’arrivée la nuit dernière. En bouclant leur tour du monde en 50 jours et quelques heures, Bruno Peyron et ses treize
nuaient de faire route sur Brest, par- d’Ouessant devait intervenir la nuit membres d’équipage battent le record absolu du tour du monde en équipage et celui du Trophée Jules Verne, détenus respectivement par Steve Fossett et
tagés entre l’envie d’en finir et la dernière entre une heure et six heu- Olivier de Kersauson. Bruno Peyron, selon sa formule, aura ainsi « réunifié les deux titres, comme ils disent en boxe ». (Photo Gilles Martin-Raget)
volonté de ne pas quitter ce groupe res du matin. Soit un temps de cour-
fantastique. se de 50 jours, les heures attenan-
« On ne se rend pas bien compte de
la performance que l’on est en train
d’accomplir et de ce qui nous
tes évoluant entre 14 et 19 heures.
« Lorsque l’on voyage loin et long-
temps, au retour on est partagé
Bruno Peyron.
attend d’ici quelques heures. On
essaie de profiter au maximum de
nos derniers instants de naviga-
entre le désir d’arriver, de clore l’his-
toire de la plus belle des manières
et de retrouver ceux que l’on aime.
Marin visionnaire
tion », confiait Yann Eliès, hier Mais, on a aussi conscience que Bruno Peyron est de la race ticoque.
après-midi, lors de la vacation. Lan- l’on va se séparer et quitter un grou- des pionniers du multico- Dans ce métier ingrat d’organisa-
cés à plus de 30 nœuds, Peyron et pe magique. C’est pourquoi, dans que océanique. Quelques teur, il a connu des vents contrai-
ses hommes se dirigeaient vers l’ex- un monde idéal, l’arrivée se fait en principes majeurs guident res. Il a été dépité par le projet de
ploit à la fois sereins et attentifs. deux étapes. Dans un premier la carrière de l’aîné de cet- l’Oryx Quest de Tracy Edwards, for-
temps, nous savourons calmement te tribu plongée dès la ten- tement inspiré de ses idées. « Der-
Concentrés jusqu’au bout notre performance entre nous, à dre enfance dans l’univers rière une froideur apparente,
« On peut être concentré sans faire l’abri, dans une petite baie. Ensuite, de la voile par un père capi- Bruno est un être sensible, qui
la gueule mais avec le sourire. C’est nous la partageons au ponton avec taine au long cours. A la aime bien faire partager. Autant
ainsi que cela se passe depuis le nos amis, nos proches et le passion de la compétition, que le résultat, la manière importe
début du tour du monde. On essaie public. » s’ajoute l’attrait irrésistible énormément dans ce qu’il entre-
de conserver la même dose de con- Gageons que tous seront nom- des projets novateurs. Com- prend. Au-delà du chrono de rêve,
centration et d’application. Plus breux, ce matin, au port de commer- pétiteur dans l’âme, Bruno sa plus grande satisfaction sur ce
que sur le record, on garde un œil ce de Brest, car ce qu’ont accompli Peyron est un visionnaire tour est que tout se soit passé
sur la trajectoire », expliquait Bruno les « OrangeBoys » est tout simple- obstiné, audacieux, qui a dans la sérénité. On sent une vraie
Peyron. ment phénoménal. souvent navigué en dehors plénitude », explique Pierre Giboi-
Concentré donc, l’équipage savou- Perrine Vangilve des sentiers battus. re, patron de Mer et Media, qui
gère la communication d’Orange
La navigation sur deux coques est et qui est aussi un confident.
LE REGARD DE NONO indéniablement le fil rouge de sa
carrière. Depuis la construction de Chef d’orchestre
son original catamaran Jaz à grée- Les « revers » (report de The
ment bipode avec lequel il a termi- l En mer, Bruno Peyron a un vrai charisme et une stature de patron. Il se Race 2) l’ont meurtri mais aussi for-
né second de la Route du Rhum en définit comme un chef d’orchestre mais ne mène pas son équipage à la tifié dans sa volonté de démontrer
1982, Bruno Peyron est resté fidèle baguette. Il sait écouter et déléguer. (Photo François Destoc) la validité de ses idées. Ce record
à ce concept. Il a su le décliner et sonne comme une revanche écla-
le faire monter en taille pour abou- maritime est sans conteste ce tour Jules Verne, il n’a eu de cesse de tante même s’il se gardera de pro-
tir à Orange 2, le multicoque océa- du monde en moins de 80 jours défendre la cause des grands mul- noncer le mot. Ce tour du monde
nique le plus puissant et désormais réussi en 1993 sur l’ancien Jet Ser- tis océaniques et de les mettre sur quasi parfait lui a permis de retrou-
le plus rapide au monde. vices V. Un saut dans l’inconnu, orbite dans une grande épreuve ver son terrain de jeu préféré.
une navigation dans la gueule du planétaire. En mer, Bruno Peyron n’a pas
Pionnier du Jules Verne diable au Horn en furie et un Pendant dix ans, Peyron a consa- besoin de mots superflus pour
Depuis 25 ans qu’il parcourt les grand pas en avant dans l’histoire cré son énergie à faire aboutir The asseoir son autorité. Il a un vrai
océans de la planète, il a acquis des tours du monde. La suite de Race, la course « no Limit ». Il a charisme et une stature de patron.
une expérience incomparable. son histoire est inscrite dans ce troqué son ciré contre un élégant Il se définit comme un chef d’or-
35 traversées de l’Atlantique dont tour initiatique qui l’a comblé et costume noir, digne des financiers chestre mais ne mène pas son équi-
douze en solitaire, deux places de marqué à la fois : « Cette aventure de la Bourse. Ce qui lui a parfois page à la baguette. Il sait écouter
second dans la Route du Rhum, avait le goût des premières et a valu d’être raillé et parfois incom- et déléguer. La partition exécutée
des records, des podiums dans de laissé des traces », confie-t-il. pris de ses pairs. Obstiné, convain- autour du monde, avec l’instru-
nombreuses épreuves, son palma- cu de l’intérêt de sa démarche, Pey- ment de ses rêves, est un vrai chef-
rès est long comme un jour sans La cause des grands multis ron a avancé pour faire aboutir ses d’œuvre.
vent. Mais son plus grand exploit Depuis cette première conquête du idées d’internationalisation du mul- Gilbert Dréan

TOUTES • Mercredi 16 mars 2005 • Le Télégramme 3

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